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Full text of "Le Ménestrel"

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in  2010  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/lemnestrel74pari 


LE 


MENESTREL 


JOURNAL 


MONDE    MUSICAL 


MUSIQUE     ET     THÉATEES 


74e  ANNEE  —  1908 


BUBEA.UX   DU   MÉNESTREL  :  2   bis,  RUE    VIVIENNE,    PARIS 
HEUGEL  et  Cia,  Éditeurs 


TABLE 

DU 

JOÏÏENAL    LE    MÉJSTESTBEL 


74e  ANHÉE  —  1908 


TEXTE     ET     MUSIQUE 


X"  1.  —  k  janvier  1908.  —  Pages  1  à  8. 
I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (2e  article),  Julien  Tier- 
sot.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  première  représentation 
de  la  Belle  au  Bois  dormant,  au  Théâtre-Sarah-Bernhardt, 
reprise  de  la  Veine,  au  Vaudeville,  Paul-Emile  Che- 
valier. —  III.  Bilan  musical  de  1907,  Arthur  Pougin. 
—  IV.  Revue  des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  Théodore  Dubois. 
Menuet. 

X"  2.  —  11  janvier  1908.  —  Pages  9  à  16. 
I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (3°  article),  Julien  Tier- 
SOt.  —  II.  Bulletin  théâtral  :  reprise  de  Coralie  et  Cie, 
au  Nouveau-Théâtre,  Amédée  Boutarel.  —  111.  Petites 
Notes  sans  portée  :  L'auteur  reflété  dans  son  œuvre, 
Raymond  Bouyer.  —  IV.  Regards  en  arrière  (2e  article)  : 
Un  joli  Noël,  Léopold  Dauphin.  —  V.  Revue  des  grands 
concerts.  —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécro- 


loe 


Chant.  —  «Faques-Dalcroze. 

Adieu  la  rose  (Idylles  et  Chansons,  n°  o). 


X"  3.  —  18  janvier  1908.  —  Pages  17  à  24. 

I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (4°  article),  Julien  Tier- 

SOT.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  première  représentation 

de  Ce  veinard  de  Bridache,  au  Théâtre-Cluny,  Amédée 

Boutarel.  —  III.  Une  collahoration  manquée  :  Sporschil 

et  Beethoven,  Amédée  Boutarel.  —  IV.  Revue  des  grands 

concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  I.  Philïpp. 

Bonde  des  Korrigans  (Féerie,  n°  5). 

Hj»  4.  _  25  janvier  1908.  —  Pages  25  à  32. 
I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (5e  article),  Julien  Tier- 
SOT.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  première  représentation 
des  Deux  Hommes,  à  la  Comédie-Française,  Amédée  Bou- 
tarel. —  III.  Petites  notes  sans  portée  :  Un  document 
inaperçu  sur  l'orchestration  des  maîtres,  Raymond 
Bouyer.  —  IV.  Revue  des  grands  concerts.  —  V.  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  Théodore-'  pïifjaîs.  ;  *,,'  \      ' 
Le  Pêcheur  de  Syracuse  (Odelàltv's  afttiqtees'naC5)':  **' 

X°  5.  —  1"  février  1908.  —  Pages  33  &  &.;  ; 
I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (6e  article),  Julien  Tier- 
sot. —  II.  Semaine  théâtrale:  Kéou/.'erÉii'rt"  \\y  fV^èça,' ' 
A.  Pougin;  premières  représent;'.Uo'ns  <i'i'-ti ■  ■D>i'i>rf.e.  ,.ju 
Vaudeville,  et  de  Tour  tel  in  s' a  m  lise;  aux  Tolies-Drama- 
tiques,  Amédée  Boutarel.  —  III.  Correspondance  de  Bel- 
gique :  première  représentation  de  Baldie,  à  l'Opéra 
flamand  d'Anvers,  Lucien  Sûlvay.  —  IV.  Revue  des 
grands  concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 

Piano.  —  Paul  Vidal. 
Danse  des  crotales   Zino-Zina). 
M0  6.  —  8  février  1908.  —  Pages  41  à  48. 
I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (7e  article),  Julien  Tier- 
sot. —  II.  Semaine  théâtrale  :  premières  représentations 
du  Boule-en-Train,  à  l'Athénée,  et  du  Bonheur  de  Jacque- 
line, au  Gymnase,  Amédée  Boutarel.  —  III.   Revue  des 
grands  concerts.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 
Chant.  —  Jaques-B-alcroze. 
Au  bois  de  l'amour  (Idylles  et  Chansons,  n°  3). 
X°  7.  ~  15  février  1908.  —  Pages  49  à  56. 
I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (8e  article),  Julien  Tier- 
sot.  —  II.  Petites  notes  sans  portée  :  Questions  embar- 
rassantes sur  l'évolution  de  l'orchestre,  Raymond  Bouyer. 
—  III.   Revue  des  grands  concerts.    —   IV.   Nouvelles 
diverses. 

Piano.  —  «I.  Massenet. 
Panaderos  (Espada). 

X"  8.  —  22  février  1908.  —  Pages  57  à  64. 
I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  [9«  article),  Julien  Tier- 
sot.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  première  représentation 
d'Espada  et  reprise  de  T/jcrese  au  Théâtre  de  Monte-Carlo, 
Paul-Emile  Chevaliek;  première  représentation  des  Tri- 
bulations d'un  Gendre  au  Théâtre-Cluny,  Amédée  Bouta- 
rel. —  III.  Revue  des  grands  concerts.  —  IV.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  Jean  Déré. 
Langage  d'amour. 


j\°  9.-29  février  1908.  —  Pages  65  à  72. 
I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (10e  article),  Julien 
Tiersot.  —  IL  Semaine  théâtrale  :  première  représen- 
tation de  Ghyslaine  et  de  la  Habanera  à  l'Opéra-Corni- 
que,  Amédée  Boutarel;  reprise  de  Geneviève  de  Brabant, 
aux  Variétés,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Revue  des 
grands  concerts.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 

Piano.  —  «V.  Massenet. 
Toréador  et  Andalouse  (Espada). 


X°  10.  —  7  mars  1908.  —  Pages  73  à  80. 
I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (11e  article),  'Julien 
Tiersot.  —  II.  Petites  notes  sans  portée  :  Autres  pro- 
blèmes soulevés  par  l'évolution  de  l'orchestre,  Raymond 
Bouyer.  —  III.  Revue  des  grands  concerts.  —  IV.  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  René  Lenormand. 
La  Grâce  suprême. 


IV  11. 


■  14  mars  1908. 


,  81  ai 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (12e  article),  Julien 
Tiersot.  —  II.  Antoine  Stradivarius,  à  propos  d'un  livre 
récent,  Arthur  Pougin.  —  III.   Revue  des  grands  con- 
certs. —  IV.  Nouvelles  diverses  et  concerts. 
Piano.  —  Paul  Vidal. 
Gavotte  (Zino-Zina). 

X°  12.  —  21  mars  1908.  —  Pages  89  à  96. 
I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (13e  article),  Julien 
Tiersot.  —  II.  Semains  théâtrale  :  première  représen- 
tation d'Occupe-toi  d'Amélie!  aux  Nouveautés,  Paul- 
Emile  Chevalier.  —  III.  Petites  notes  sans  portée  : 
Orchestre  et  littérature,  Raymond  Bouyer.  — IV.  Revue 
des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts 
et  nécrologie. 

Chant.  —  Jaques-Dalerozc. 
Rose  du  bois  joli  (Les  Jumeaux  de  Bergame). 

'  \  >IV":li3?.'i-  28  mars  1908.  —  Pages  97  à  104. 
1'.  'Soixante'  ans' de  la  vie  de  Gluck  (14e  article),  Julien 
,  XlERSOT.  —  IL  Semaine  théâtrale  :  première  représenta- 
;  {tion  de  la  Poudre  aux  Moineaux,  au  Palais-Royal,  et 
'"reprise  de.  Madame  Flirt,  au  Gymnase,  Paul-Emile 
Cheva-isœr - --*-  III.  Petites  notes  sans  portée  :  Orchestre 
•' 'et*. littérature:  échange  de  bons  procédés,  Raymond 
'■.•Bouyer'.  ^- "«TV.  Revue  des  grands  concerts.  —  V.  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  Paul  Vidal. 
Menuet  (Zino-Zina). 

X°  14.  —  4  avril  1908.  —  Pages  105  à  112 
1.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (15e   article1),   Julien 
Tiersot.  —  IL  Semaine  théâtrale  :  reprise  de  Namouna, 
à  l'Opéra,  A.  Boutarel.  —  III.  Revue  des  grands  con- 
certs. —  IV.  Nouvelles  diverses  et  concerts. 
Chant.  —  «Jaqucs-Dalcroze. 
Couplets  de  V aiguille  (Les  Jumeaux  de  Bergame). 

X'  15.  —  II  avril  1908.  —  Pages  113  à  120. 
I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (16*  article),  Julien 
Tiersot.  —  IL  Semaine  théâtrale  :  première  représen- 
tation de  Qui  qu'a  vu  Ninelte,  au  Théâtre  Cluny,  A.  Bou- 
tarel. —  III.  Petites  notes  sans  portée  :  L'appréhension 
de  la  décadence  ou  la  superstition  du  progrès,  Raymond 
Bouyer.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrolo- 
gie. 

Piano.  —  Rodolphe  Berger. 
Entr' acte-gavotte  (Le  Chevalier  d'Éon). 

X'  16.  —  18  avril  1908.  —  Pages  121  à  128. 
I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  il7e  article),  Julien 
Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  premières  représen- 
tations de  Simone,  à  la  Comédie-Française,  et  du  Che- 
valier d'Eon,  à  la  Porte-Saint-Martin,  Paul-Emile  Che- 
valiek; première  représentation  de  la  Courtisane  de 
Corinthe.  au  Théâlre-Sarah-fiernhardt.  Amédée  Bouta- 
rel. —  III.  La  Musique  et  le  Théâtre  aux  Salons  du 
Grand-Palais  il"  article),  Camille  Le  Senne.  —  IV.  Nou- 
velles diverses,  concerts  »-t  nécrologie. 

Chant.  —  Rodolphe  Berger. 
La  lettre  de  Bosila  (Le  Chevalier  d'Éon). 


X'  17.  —  25  avril  1908.  —  Pages  129  à  136. 
1.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (18e  article),  Julien 
Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  première  représen- 
tation du  Coup  de  Foudre,  aux  Folies-Dramatiques, 
Amédée  Boutarel.  —  III.  La  Musique  et  le  Théâtre  aux 
Salons  du  Grand-Palais  (2e  article),  Camille  Le  Senne. 

—  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  Rodolphe  Berger. 
Mazurka,  air  de  ballet  (Le  Chevalier  d'Éon). 

X"  18.  —  2  mai  1908.  —  Pages  137  à  144. 
I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (19e  article),  Julien 
Tiersot.  —  IL  Semaine  théâtrale:  premières  représen- 
tations de  l'Incendiaire  et  du  Scandale  de  Monte-Carlo,  au 
Gymnase,  du  Boi  aux  Variétés,  Paul-Emile  Chevalier. 

—  III.  La  Musique  et  le  Théâtre  aux  Salons  du  Grand- 
Palais  (38  article),  Camille  Le  Senne.  —  IV.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  Rodolphe  Berger. 
Rêverie  de  la  Dubarry  (Le  Chevalier  d'Éon). 

Xe  19.  —  9  mai  1908.  —  Pages  145  à  152. 
I.  Soixante  ans  de  la   vie  de  Gluck  (20e  article),  Julien 
Tiersot.  —  IL  Bulletin  théâtral  :   première  représenta- 
tion  de  Madame  Gribouille,    au    Palais-Royal,  P.-E.  C. 

—  III.  La  Musique  et  le  Théâtre  aux  Salons  du  Grand- 
Palais  (4e  article),  Camille  Le  Senne.  —  IV.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  Rodolphe  Berger. 
Roses  de  France,  air  de  ballet  (Le  Chevalier  d'Éon). 

X"  20.  —  16  mai  1908.  —  Pages  153  à  160. 
I.  Hippolyle  et  Aride  à  l'Opéra,  Arthur  Pougin.  — 
IL  Semaine,  théâtrale  :  premières  représentations  de 
Mariage  d'Etoile,  au  Vaudeville;  de  la  Conquête  des 
fleurs,  à  l'Athénée;  &  Autour  de  la  lampe  et  de  V  Invita- 
tion à  Vamour,  aux  Escholiers,   Paul-Emile  Chevalier. 

—  III.  La  Musique  et  le  Théâtre  aux  Salons  du  Grand- 
Palais  (5e  article),  Camille  Le  Senne.  --  IV.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  Rodolphe  Berger. 
Petits  oiseaux  (Le  Chevalier  d'Eon). 


V- 


1.  —  23  mai  1908.  —  Pages  161  à  16S. 


I.  Semaine  théâtrale  :  premières  représentations  de  Boris 
Godounow,  à  l'Opéra,  et  du  Clown,  à  POpéra-Comique, 
Arthur  Pougin  ;  reprise  de  Jeunesse,  au  Gymnase,  P.-E.  C. 

—  IL  La  Musique  de  Gluck,  correspondance,  Camille 
Saint -Saens. —  III.  La  Musique  et  le  Théâtre  aux  Salons 
du  Grand-Palais  (6e  article),  Camille  Le  Senne.  —  IV. 
Nouvelles  diverses  et  concerts. 

Piano.  —  A.  Périlhou. 
Gavotte,  de  Haendel. 
X"  22.  —  30  mai  1908.  —  Pages  169  à  176. 
I.   Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck   (21e  article),   Julien 
Tiersot.  —  IL  Semaine  théâtrale  :  première  représen- 
tation  de  Snegourotchka,    à  l'Opéra-Comique,    Arthur 
Pougin.  —  III.  La  Musique  et  le  Théâtre  aux  Salons  du 
Grand-Palais  (7e  article),  Camille  Le  Senne.  —  IV.  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  Raoul  Pugno, 

Étoile  filante  (Les  Cloches  du  souvenir,  n°  %). 

X"  23.  —  6  juin  1908.  —  Pages  177  à  184. 

I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (22B  article),  Julien 

Tiersot.  —  IL  Bulletin  théâtral  :  première  représentation 

du  Chant  du  Cygne,  à  l'Athénée,  Paul-Emile  Chevalier. 

—  III.  La  Musique  et  le  Théâtre  aux  Salons  du  Grand- 
Palais  (8°  article),  Camille  Le  Senne.  -  IV.  Nouvelles 
diverses  et  concerts. 

Piano.    -  Y.-K.  Nazare-Aga. 
Les  Yeux  clos,  valse  lente. 
X*  24.  —  13  juin  1908.  —  Pages  185  à  192. 
I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (23e   article),  Julien 
Tiersot.—  IL  Semaine  théâtrale  :  reprise  d'Amoureuse  à 
la  Comédie-  Française.  A.  Boutarel.  —  III.   La  Musique 
et  le  Théâtre  aux  Salons  du   Grand-Palais   (9°  article), 
Camille  Le   Senne.   —  IV.   Deux  nouvelles  sonates  de 
Ch-.-M.  Widor.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  né- 
crologie. 

Chant.  —   Ernest  Moret. 

Je  ne  sais  pas  où  va  la  feuille  morte. 


Ni-  25.  —  20  juin  1908.  —  Pages  193  à  200. 

I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (24-  article),  Julien 
Tiersot.  —  II.  La  Musique  et  le  Théâtre  aux  Salons  du 
Grand-Palais  (10'  et  dernier  article),  Camille  Le  Senne. 
—  III.  Une  lettre  inédite  de  Russini,  Julien  Tiersot.  — 
IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  Théodore  Dubois. 

Adagio. 

NI"  26.  —  27  juin  1908.  —  Pages  201  à  208. 

I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (25"  article),  Julien 
Tiersot.  —  II.  Une  famille  de  grands  luthiers  italiens  : 
Les  Guarnerius  (1er  article),  Arthur  Pougin.  —  III.  Quel- 
ques souvenirs  sur  le  grand  violoniste  Kode,  Arthur 
Pougin.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécro- 
logie. 

Chant.  —  René  Lenormaod. 


Ni-  27.  —  4  juillet  19 


Piu-'i-s  209  k  210. 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (26'  article),  Julien 
Tiersot.  —  II.  Une  famille  de  grands  luthiers  italiens  : 
Les  Guarnerius  (2'  article),  Arthur  Pougin.—  III.  Com- 
ment je  devins  bibliothécaire  du  Conservatoire,  J.-B. 
"Wecserlin,  avec  une  préface  de  Chaules  .Malherbe.  — 
IV.  Nouvelles  diverses  et  concerts. 

Piano.  —  Marquise  de  A'egrone. 

Tristesse  et  Sauterelles. 

Ni'  28.  —  11  juillet  1908.  —  Pages  217  à  224. 

I.  Les  concours  du  Conservatoire,  Arthur  Pougin.  — 
II.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  Marquise  de  A'egrone. 

Aubade. 


NI'  2i». 


18  juillet  1908.  —  Pages  225  k  232. 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (27'  article),  Julien 
Tiersot.  —  II.  Les  concours  du  Conservatoire  (fin),  Arthur 
Pougin.  —  III.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécro- 
logie. 

Piano.  —  Frédéric  Biuet. 
Sur  les  coteaux. 

Ni"  30.  —  25  juillet  1908.  —  Pages  233  à  240. 

I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (28"  article),  Julien 
Tiersot.  —  II.  La  distribution  des  prix  au  Conserva- 
toire, Arthur  Pougin.  —  III.  Une  famille  de  grands 
luthiers  italiens  :  Les  Guarnerius  (3e  article),  Arthur 
Pougin.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  Edouard  Toumon. 


K'  31.  —  1"  août  1908.  —  Pages  241  k  248. 

I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (29'  article),  Julien 
Tiersot.  —  II.  Petites  notes  sans  portée  :  Nos  impres- 
sions de  saison  sur  la  musique  plus  ou  moins  «  vocale  a, 
Raymond  Bouyer.  —  III.  Une  famille  de  grands  luthiers 
italiens  :  Les  Guarnerius  (4*  article),  Arthur  Pougin. 
—  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  Robert  Vollstcdt. 

Marche  des  petits  magots. 


NI'  32. 


8  août  1908.  —  Pages  249  k  25' 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  1 30"  article).  Julien  Tiersot. 
—  II.  Molière  à  Pézénas,  Arthur  Pougin.  —  III.  Une 
famille  de  grands  luthiers  italiens  :  Les  Guarnerius 
(5"  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et 
nécrologie. 

Chant.  —  Ernest  Moret. 

Ole  ton  voile. 

Ni-  33.  —  15  août  1908.  —  Pages  257  à  264. 

I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (31-  article),  Julien 
Tiersot.  —  II.  Petites  notes  sans  portée  :  Nos  impres- 
sions d'actualité  sur  les  musiques  militaires,  Raymond 
Bouyer.  —  III.  Une  famille  de  grands  luthiers  italiens  : 
Les  Guarnerius  (6'  article).  Arthur  Pougin.  —  IV.  Nou- 
velles diverses  et  nécrologie. 

Piano.  —  Rodolphe  Berger. 

Par  les  prés  fleuris. 


A-  34.  —  22  août  1908.  —  Pages  265  k  272. 

I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (32e  article),  Julien 
Tiersot.  —  II.  Bulletin  théâtral  :  première  représenta- 
tion de  l'Homme  de  la  Montagne,  â  Cluny,  P.-É.  C.  — 
III.  Don  Juan  de  Mozart  et  E.-T.-A.  Hoffmann,  Amédée 
Boutarel.  —  IV.  Une  famille  de  grands  luthiers  italiens  - 
Les  Guarnerius  (7-  article!,  Arthur  Pougin.  —  V.  Nou- 
velles diverses  et  nécrologie. 

Chant.  —  René  Lenormand. 

Aube  en  montagne. 


Ni'  35.  —  29  août  1908.  —   Pages  273  à  280. 

I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (33°  article),  Julien 
Tiersot.  —  II.  Petites  notes  sans  portée  :  La  musique 
de  la  lumière,  Raymond  Bouyer.  —  111.  Une  famille  de 
grands  luthiers  italiens  :  Les  Guarnerius  (8e  article), 
AnTHUR  Pougin.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 

Piano.  —  Eniil  Frey. 

Romance. 


Ni"  36.  —  5  septembre  1908.  —  Pages  281  k  288. 

I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (34"  article),  Julien 
Tiersot.  —  II.  Une  famille  de  grands  luthiers  italiens  : 
Les  Guarnerius  (9' article),  Arthur  Pougin.  —  III.  Lit- 
térature musicale,  Arthur  Pougin.  —  IV.  Nouvelles 
diverses  et  nécrologie. 

Chant.  —  lf.-K.  A'azare-Aga. 

Madrigal  archaïque* 


A'°  37.  —  12  septembre  1908.  —  Pages  289  à  296. 

I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (35'  article),  Julien 
Tiersot.  —  II.  Petites  notes  sans  portée  :  La  musique  de 
la  lumière  (suite  et  fin),  Raymono  Bouyer.  —  III.  Litté- 
rature musicale  (2'  et  dernier  article),  Arthur  Pougin.  — 
IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 

Piano.  —  Y.-K.  Niazare-Aga. 

Charnu*  d'automne,  valse  lente. 


A'°  38.  —  19  septembre  1908.  —  Pages  297  k  304. 

I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (36"  article),  Julien 
Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  reprise  de  Paul  et 
Virginie,  au  Théâtre-Lyrique  de  la  Gaité,  Arthur  Pougin  ; 
première  représenta  lion  de  Mam'zelle  Trompette,  aux 
Folies-Dramatiques,  A.  Boutarel.  —  III.  Une  famille  de 
grands  luthiers  italiens:  Les  Guarnerius  (9"  article), 
Arthur  Pougin.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 

Chant.  —  Raoul  Pugno. 

Feuilles  mortes. 


Ni-  39.  —  26  septembre  1908.  —  Pages  305  à  312. 

I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (3T  article),  Julien 
Tiersot.  —  II.  Sarasate,  Arthur  Pougin.  —  III.  Petites 
notes  sans  portée  :  Encore  un  signe  des  temps,  Raymond 
Bouyer.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 

Piano.  —  Robert  Yollstedt. 

Roses  de  France,  gavotte. 


A"  40.  —  3  octobre  1908.  —  Pages  313  à  320. 

I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (38°  article),  Julien 
Tiersot.  —  Semaine  théâtrale  :  première  représentation 
de  L'Or,  au  Théâtre-Saralt-Bernhardt,  AnTHUR  Pougin; 
première  représentation  de  Madame  Bluff,  aux  Bouffes- 
Parisiens.  Amédée  Boutarel.  —  III.  Une  famille  de  grands 
luthiers  italiens  :  Les  Guarnerius  (10'  article),  Arthur 
Pougin.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 

Chant.  —  Gabriel  Fabre. 

Suages  dans  l'eau  (Poèmes  de  Jade(. 


A'  41. 


lu  octobre  1908.  —  Pages  321  k  328. 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (39'  article),  Julien 
Tieusot.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  reprise  de  Jean  de 
Nivelle  au  Théâtre-Lyrique-Municipal,  Arthur  Pougin; 
premières  représentations  du  Bon  roi  Bagobert  à  la 
Comédie-Française,  de  la  Maison  en  ordre  au  Vaudeville, 
de  Mossieu  le  Maire  au  Théàtre-Déjazet  et  de  la  Revue  de 
Cluny,  Paul-Emile  Chevalier;  première  représentation 
du  Petit  Fouchard  au  Gymnase,  Am.  Boutarel.— III.  Nou- 
velles diverses  et  nécrologie. 

Piano.  —  Rodolphe  Berger. 

La  Friponne,  polka-mazurka. 


Ni'  42.  —  17  octobre  1908.  —  Pages  329  à  336. 

I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (40'  article),  Julien 
Tiersot.  —  II.  Une  famille  de  grands  luthiers  italiens  : 
Les  Guarnerius  ill"  articles  Arthur  Pougin.  —  III.  Nou- 
velles diverses  et  nécrologie. 


Chant.  —  Ernest  Moret. 

Chanson  au  bord  de  l'eau. 


A*  43.  —  24  octobre  : 


—  Pages  337  k  344. 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (41'  article),  Julien 
Tiersot. —  II.  Après  la  répétition  générale  du  Cnpusailc 
des  Dieux,  Arthur  Pougin.  —  III.  Une  famille  de  grands 
luthiers  italiens:  Les  Guarnerius  (12-  article),  Arthur 
Pougin.  —  IV.  Revue  des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 


Piano.  —  Albert  La 

Valse  de  ballet. 


ulr 


Ni-  44.  —  31  octobre  1908.  —  Pages  345  à  352. 

I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  'if  article'.  Julien 
Tiebsot.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  première  représenta- 
tion du  Crépuscule  des  Dieux  à  l'Opéra,  Arthur  Pougin; 
premières  représentations  de  l'Heure  de  ta  Bergère,  au 
Palais-Royal,  et  d'Arsène  Lupin,  à  l'Athénée,  Paul-Emile 
Chevalier.  —  III.  Revue  des  grands  concerts.  —  IV.  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Chant.  —  •!.  Jlassenet. 


Ni"  45.-7 


abre  1908.  —  Pages  353  à  360, 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  43"  article  ,  Julien 
Tiebsot.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  première  représen- 
tation du  Passe-Parloul  au  Gymnase,  Paul-Emile  Che- 
valier. —  III.  Une  Famille  de  grands  luthiers  italiens  : 
Les  Guarnerius  (13*  et  dernier  article  .  AnTHUR  PoOGuT, 
—  IV.  Revue  des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles 
diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  P.  Bades. 

b'un  pus  léger,  petite  marche. 

A- 46.  —  14  novembre  190*.  —  Pages  361  à  368. 

I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  '44'  article;,  li  lien 
Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  première  représenta- 
tion de  ta  Bohème,  au Théâtre-Lyriquede  la  Galle,  Arthur 
Pougin;  premières  représentations  de  la  Patronne,  au 
Vaudeville,  et  de  S.  A.  A.,  aux  Bouffes-Parisiens,  Paul- 
Emile  Chevalier;  première  représentation  de  Plumard  et 
Barnabe, au  théâtre  Cluny,  A.  Boutaiiel.  —  II.  Petites 
notes  sans  portée  :  L'art  musical  au  Salon  d'automne, 
Raymond  Bouver.  —  III.  Revue  des  grands  concerts.  — 
IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 

Chant.  —  Gabriel  Uupont. 

Caresses. 


A'4Î. 


21  novembre  1908.  —  Pages  369  à  376. 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (45*  article),  Julien 
Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  première  représenta- 
tion de  Dix  minutes  d'auto!  aux  Nouveautés,  et  de 
l'Enfant  de  mu  sœur  au  Théàtre-Déjazet,  Paul-Emile 
Chevalier.  —  III.  Deux  lettres  inédites  de  Rameau, 
Arthur  Pougin.  —  IV.  Revue  des  grands  concerts.  — 
V.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 

Piano.  —  A.  Périlhou. 

Bourrée  et  Musette,  sur  des  thèmes  populaires. 

A"  48.  —  28  novembre  1908.  —  Pages  377  à  384. 

1.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (46"  article),  Julien 
Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale:  première  représenta- 
tion des  Révoltés,  au  Théàtre-Sarah-Bernhardt,  A.  Bouta- 
rel. —  III.  Petites  notes  sans  portée  :  l'Histoire  de  la 
musique  et  l'avènement  tardif  de  l'érudition  musicale, 
Raymond  Bouyer.  —  IV.  Revue  des  grands  concerts.  — 
V.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 

Chant.  —  Rejnaldo  Uahn. 

Dans  l'été. 


A"  49. 


5  décembre  1908.  —  Pages  385  à  392. 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (47"  article).  Julien 
Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  .reprise  du  Petit 
Faust  aux  Folies-Dramatiques,  Paul-Emile  Chevalier. 
—  III.  Petites  notes  sans  portée  :  De  l'interprétation  nou- 
velle des  vieux  maîtres,  Raymond  Bouyer.  —  IV.  Revue 
des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses. 


PlA 


•  Gabriel  Fauré. 

'jième  nocturne. 


A'"  50.  —  12  décembre  1908.  —  Pages  393  à  400. 

I  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (48' article',  Julien 
Tieusot  —  II.  Semaine  théâtrale  :  première  représenta- 
tion de  Sanga,  à  l'Opéra-Comique,  Artiiir  Pougin; 
première  représentation  du  Foyer,  à  la  Comédie-Fran- 
çaise, A.  Boutarel.  —  III.  Revue  des  grands  concerts. 

—  IV.  Nouvelles  diverses. 

Chant.  —  «I.  Massenet. 

Le  Noël  des  humbles. 

K-  si.  —  19  décembre  190S.  —  Pages  401  à  408. 

1.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (49-  article,  Julien 
Tiersot.  —  Peliles  notes  sans  portée  :  La  vogue  de  Bach 
depuis  la  découverte  de  sa  puissance  expressive.  Raymond 
Bouyer.  —  III.  Revue  des  grands  concerts.  —  I\  .  Nou- 
velles diverses,  concerts  et  nécrologie. 

Piano.  —  I.  Philipp. 
Deux  figurines. 

A»  52.  —  26  décembre  1908.  —  Pages  409  k  416. 

I  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (50'  article),  Julien 
Tiersot  —  II.  Semaine  théâtrale:  première  représenta- 
tion   du    Lys   au   Vaudeville,    Paul-    mile  Chevalier. 

—  III    Un  opéra  de  marionnettes  en  1676  >l      article  . 
Arthur   Pougin.    —  IV.   Revue    des    grands    concerts. 

—  V.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 

Chant.  —  Gabriel  Fauré. 
Roses  ardentes   La  Chanson  d'Eve  . 


Soixante-quinzième     année     de     publication 


PRIMES  1909  du  MÉNESTREL 

JOURNAL    DE    MUSIQUE    FONDÉ    LE    1er    DÉCEMBRE    1833 

Paraissant  tous  les  samedis  en  huit  pages  de  texte,  donnant  les  comptes  rendus  et  nouvelles  des  Théâtres  et  Concerts,  des  Notices  biographiques  et  Études 

sur  les  grands  compositeurs  et  leurs  œuvres,  des  articles  d'esthétique  et  ethnographie  musicales,  des  correspondances  étrangères. 

des  chroniques  et  articles  de  fantaisie,  etc., 

publiant  en  dehors  du  texte,  chaque  samedi,  un  morceau  de  choix  (inédit)  pour  le  CHAIVT  ou  pour  le  PIAN©  et  offrant  à  ses  abonnés, 

chaque  année,  de  beaux  recueils-primes  CHAVF  et  PIAXO. 


C  H  -A_  -IN   T    (1er  MODE  D'ABONNEMENT) 
Tout  abonné  à  la  musique  de  Chant  a  droit  GRATUITEMENT  à  l'une  des  primes  suivantes  : 


E.  JAQUES-DALCROZE 

JUMEAUX  DE  BERGAME 

Deux  actes  de  Maurice  Lena 

(D'après  Florian) 

Partition  chant  et  piano 


Tout  abonné  à  la 

J.   MASSENET 

ESPADA 

Ballet-pantomime 

de  René  Maugars 

Partition  pour  piano  seul 


THEODORE  DUBOIS 

ODELETTES    ANTIQUES 

JAQUES-DALCROZE 

Idylles  et  Chansons 

Deux  recueils  format  in— i° 


RAODL  PUGNO 

CLOCHES  DU  SOUVENIR 

GEORGES  HUE 

Liieds  dans  la  pofèt 

Deux  recueils  format  in-i° 


RODOLPHE  BERGER 

LE    CHEVALIER    D'ÉON 

Opéra-comique  en  4  actes 

d'ÂRMAND  SlLVESTRE  et  HENRI  GAIN 

Partition  chant  et  piano 


JT    X  .A.  JM   O    (2"  MODE  D'ABONNEMENT) 
musique  de  Piano  a  droit  GRATUITEMENT  à  l'une  des  primes  suivantes  : 


J.  SEBASTIEN  BACH 

DOUZE  CHORALS 

(Transcrits  pour  piano  par  I.  Piiilipp) 

RAOUL  PUGNO 

Paysages 

Deux  recueils  in-4° 


ERNEST  MORET 

JONCHÉE   D'OCTOBRE 

ERNEST  MORET 

Pages    Blanehes 

Deux  recueils  in-4° 


PAUL  VIDAL 

ZINO-ZINA 

Ballet-pantomime 

de  Jean  Richepin 

Partition  pour  piano  seul 


GRANDES      F»T=tIJVtE^ 

,  LES  PRIMES  DE  PIANO  ET  DE  CHANT   RÉUNIES,  POUR   LES   SEULS  ADONNÉS  A  L  ABONNEMENT 


(3e  Mode) 


—  GABRIEL    PIERNÈ  — 

bfl  CROISADE  DES  E^fA^TS 

Légende  musicale  en  quatre  parties 

1.  Le  Départ.  =  2.  La  Grande  Route.  =  3.  La  Mer.  =  4.  Le  Sauveur  dans  la  tempête 

Grande  et  belle  partition  in-4°  avec  couverture  de  Giraldon  en  chromo 


LEO      DELIEES 


VICTOR     MASSE 


JEAN    DE    NIVELLE     PAUL   ET   VIRGINIE 


Opéra  en  trois  actes 
Partition  chant  et  piano 
Reprise     «lu    Théâtre-Lyrique    de     le 


Opéra  en  trois  actes 
Partition  chant  et  piano 

Reprise     <lu    Théâtre-Lyrique    de 


NOTA  IMPORTANT.  —  Ces  primes  sont  déliTrées  gratuitement  dans  nos  bureaux,  3  bis,  rue  Viyienne,  depuis  le  10  décembre,  à  tout 
ancien  ou  nouTel  abonné,  sur  la  présentation  de  la  quittance  d'abonnement  au  HÉXHHTREL  pour  l'année  1909.  Joindre  au  prix  d'abonnement 
un  supplément  d'VX  ou  de  DEUX  francs  pour  l'enyoi  franco  dans  les  départements  delà  prime  simple  ou  double.  (Pour  l'Etranger,  l'émoi  franco 
des  primes  se  règle  selon  les  frais  de  Poste.) 

Les  abonnés  an  Clianl  peuvent  prendre  la  prime  Piano  et  vice  versa.  -  Ceux  au  Piano  et  au  Chant  réunis  ont  seuls  droit  à  la  grande  Prime .  -  Les  abonnés  au  texte  seul  n'ont  droit  à  aucune  prime . 

CHANT  CONDITIONS  D'ABONNEMENT  AU  «  MÉNESTREL  *  PIANO 

1"  Mode  d'abonnement  :  Journal-Texte,  tous  les  samedis  ;  26  morceaux  de  chant  :      |      2" Mode  d'abonnement  :  Journal-Texte,  tous  les  samedis  ;  26  morceaux  de  piano  : 

Fantaisies,   Transcriptions,     Danses,    de    quinzaine  en    quinzaine;     1     Recueil- 
Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :   20  francs;   Étranger  :   Frais  de  poste  en  sus. 


Scènes,   Mélodies,   Romances,  paraissant  de  quinzaine  en  quinzaine;    1    Recueil- 
Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs  ;  Étranger,  Frais  de  poste  en  sus. 


CHANT  ET  PIANO  RÉUNIS 

3"  Mode  d'abonnement,  comprenant  le  Texte  complet,  26  morceaux  de  enant,  26  morceaux  de  piano,  les  2  Recueils-Primes  ou  une  Grande  Prime. 

Un  an  :  30  francs,  Paris  et  Province;  Étranger  :  Poste  en  sus. 

46  Mode  d'abonnement.  Texte  seul,  sans  droit  aux  primes,  un  an  :  10  francs. 

On  souscrit  le  1"  de  chaque  mois.  —  Les  52  numéros  de  chaque  année  forment  collection. 

Adresser  franco  un  bon  sur  la  poste  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne. 


400C.  -  74e  ANNIE.  -  N°  I.  PARAIT  TOUS   LES   SAMEDIS 


Samedi  \  Jauvier  1908. 


(Les  Bureaux,  2"'%  rue  Yiviemie,  Paris,  ii-arr') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 


lie  Numéro  :  0  fp.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  Numéro  :  0  fr*.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bous-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  — Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  (r.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Etranger,   les  frais  de  poste  ea  6us. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (2"  article»,  Julien  Tieiisot.  —  II.  Semaine  théâtrale  : 
première  représentation  de  la  Belle  au  Bois  dormant,  au  Théâtre-Saroh-Bernbardt; 
reprise  de  la  Veine,  au  Vaudeville,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Cilan  musical 
de  1907,  Arthur  Poucin.  —  IV.  Revue  des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE   DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

MENUET 

de  Théodore  Dubois.   —   Suivra  immédiatement  :  Ronde  des  Korrigans,   n°  o 
de  Féerie,  petite  suite  pour  piano  de  I.  Philipp. 


MUSIQUE   DE  CHANT 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 

Adieu  la  rose,  n°  5  des  Idylles  et  Chansons  de  Jaques-Dalcroze,  sur  des  poésies 

de  Gabriel  Vicaire.  —  Suivra  immédiatement:  te  Pêcheur  de  Syracuse,  n°  4 

des  Odelettes  antiques,  de  Théodore  Dubois,  sur  des  poésies  de  Giiari.es  Dubois. 


PRIMES   GRATUITES  DU   MÉNESTREL 


pour  l'année  1908 

Voir  à  la  8e  page  du  journal. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 


ORIGINES    ET    NOM     DE    GLUCK 

Puisque  nous  en  sommes  à  cette  question  du  nom,  ouvrons, 
pour  n'y  plus  revenir,  une  parenthèse  à  l'effet  de  préciser 
certaines  notions  qui  lui  sont  relatives.  Une  autre  corruption  a 
tenté  de  se  produire,  à  une  époque  plus  moderne,  et  en  France: 
elle  a  pour  résultat  de  changer,  par  un  menu  détail,  l'orthogra- 
phe, et,  conséquemment,  la  prononciation  de  ce  nom,  en  ajoutant 
sur  l'u  un  tréma,  qui,  suivant  les  règles  de  l'écriture  allemande, 
ferait  prononcer,  à  la  française,  «  Gluck  »,  au  lieu  de  «  Glouck  », 
cette  dernière  étant  la  prononciation  allemande,  et  la  véritable. 
Cette  erreur  s'est  répandue  à  tel  point  que,  tout  récemment  en- 
core, nous  avons  lu  le  tréma  surérogatoire,  chaque  jour  pendant 
près  d'un  mois,  sur  l'affiche  des  représentations  d'Orphée  au 
Théâtre  de  la  Gaité  (1);  en  outre,  le  premier  passant  venu  peut, 

(1)  Constatons  au  contraire  avec  satisfaction  que  les  affiches  de  l'Opéra  et  de 
l'Opéra-Comique  ont,  après  quelques  tâtonnements,  définitivement  accepté  et  tenu 
pour  définitive  la  véritable  orthographe  :  ••  Gluck  »,  sans  tréma. 


en  consultant  la  plaque  indicatrice  d'une  des  rues  qui  longent 
la  partie  postérieure  de  l'Opéra,  s'assurer  que,  voulant  faire 
honneur  à  un  maitre  classique  en  donnant  à  la  dite  rue  son  nom. 
la  ville  de  Paris  a  diminué  la  valeur  de  son  hommage  en  lui 
accordant  la  superfluité  d'une  faute  d'orthographe  ;  ces  plaques 
portent  pour  inscription  :  «  Rue  Gluck  ». 

Il  ne  peut  y  avoir  aucun  doute  quant  à  la  réalité  de  cette  faute. 
Les  documents  sont  unanimes.  Biographies,  pièces  d'archives, 
lettres  autographes,  titres  de  partitions  françaises,  allemandes, 
italiennes,  tous,  même  en  variant  sur  les  consonnes,  s'accordent 
à  écrire  l'u  de  «  Gluck  »  sans  tréma. 

Bien  mieux,  d'anciens  écrits  français, interprétant  l'orthographe 
dunom  d'aprèssa prononciation,  substituaientla  diphtongue  «ou  » 
à  la  simple  voyelle.  Voici,  par  exemple,  trois  titres  de  mor- 
ceaux gravés  à  Paris  : 

Les  Dons  de  l'Amour,  ariette,  par  M.  le  chevalier  Glouk: 

Duos  à  deux  dessus  avec  symphonie,  par  M.  le  chevalier  Glouk  ; 

Les  Regrets,  ariette  à  voix  seule,  par  M.  le  chevalier  Glouk. 

Il  nous  est  resté  des  polémiques  gluckistes  et  piccinistes  un 
amusant  pamphlet  imprimé  sous  le  titre  de  «  Lettre  du  serpent 
d'une  paroisse  de  village  à  M.  de  la  Harpe  ».  Mathurin —  c'est 
le  serpent  —  écrit  les  mots  comme  il  les  entend,  et  voici  son 
style  : 

«  Y  avait  dans  notre  journal  tout  plein  de  belles  choses,  car  je 
n'y  comprenions  goutte.  Ça  parlait  contre  M.  Guelouque....J'étions 
content  parce  quej'étions  fâché  contre  ce  biau  M.  Guelouque.  à 
cause  que  M.  le  curé  m'avait  prêté  un  air  de  son  plus  nouveau 
opéra,  et  que  ce  diable  d'air  ne  pouvait  pas  aller  sur  mon  ser- 
pent, etc.  » 

Enfin,  il  est  un  dicton  allemand  dont  le  sens  est  qu'il  n'y  a  que 
la  différence  d'un  tréma  qui  empêche  Gluck  d'être  le  bonheur 
et  Hândel  le  commerce  :  or,  «  commerce  »  se  dit  Handel,  el 
«  bonheur  »  Gliick. 

Il  y  a  donc  accord  unanime,  et  ceux  qui  ont  le  souci  de  la 
correction  devront  prendre  le  parti  de  dénommer  l'auteur  d'Or- 
phée, non  pas  Gliick,  mais  Gluck,  et  de  prononcer  Glouck. 

Revenons  aux  ancêtres  de  notre  musicien. 

Nous  ne  connaissons  encore  que  son  arrière-grand-père, 
Melchior  Gluck,  que  nous  avons  vu  marier,  à  Neustadt-sur-la- 
Waldnab,  au  commencement  de  1(349,  avec  Catherine  Kreutzer. 
Cette  union  produisit,  à  la  fin  de  l'année  même,  un  premier  fils, 
Johann  Niklas.  Un  autre  enfant  vint  après,  Johann  Adam,  qui 
nous  intéresse  davantage,  puisque  c'est  lui  qui  continua  la 
lignée.  Ce  deuxième  Gluck  coopéra  à  la  prospérité  de  la  famille. 
Il  était  Hofjager,  ou  Venator  aulicus,  au  service  du  prince  dt 
Sagan,  et  se  disait  bourgeois  de  Neustadt  :  sa  bourgeoisie  consis- 
tait en  la  possession  d'une  maison  qui,  après  sa  mort,  fut 
vendue  pour   la   somme    de  373  florins,   à   partager  entre  ses 


LE  MÉNESTREL 


cinq  enfants  (il  en  avait  eu  neuf,  de  deux  mariages)  :  richesses 
modestes,  et  qui  montrent  ce  qu'étaient  les  plus  heureux  de  la 
famille.  Notons  au  passage  que  tous  les  fils  de  ce  garde-chasse 
avaient  tenu  à  honneur,  au  point  de  vue  professionnel,  de 
suivre  ses  traces  :  l'un,  Alexander,  était,  à  l'époque  du  partage, 
garde- forestier  du  prince  Kinsky,  en  Bohême;  le  second, 
Léopold,  garde-forestier  en  Hongrie  ;  GeorgesJChristophe,  veneur 
du  prince  de  Raudnitz;  un  gendre,  même,  était  à  la  fois  maître- 
tailleur  et  chasseur  à  Raudnitz;  un  dernier,  Jean-Christophe, 
était  encore  'enfant  (1). 

Le  premier  de  cette  génération,  Alexandre,  né  vers  1(680, 
avait  d'abord  imité  l'exemple  de  son  aïeul,  le  premier  Gluck  : 
il  s'enrôla  pour  faire  la  guerre,  et  porta  l'arquebuse  au  service 
du  prince  Eugène  de  Savoie  ;  sans  doute,  en  cette  qualité,  pritril 
part  aux  batailles  contre  les  Français,  à  Hochstedt  et  à  Mal- 
plaquet.  Puis,  voulant  aussi  faire  une  fin,  il  se  maria  avec  une 
certaine  Anna  Walburga,  dont  nous  ne  connaissons  même  pas 
le  nom  de  famille,  fut  d'abord  garde-forestier  à  Weidenwang, 
qui  est  un  bien  pauvre  village  retiré  dans  les  montagnes  du 
Haut-Palatinat;  il  y  vit  naitre  ses  deux  premiers  fils,  en  1714 
et  1716  (au  total,  il  eut  sept  enfants);  mais,  d'humeur  nomade, 
il  changea  de  résidence  dès  1717.  Il  retourna  dans  les  forêts  de 
la  Bohême,  vers  lesquelles  l'attiraient  sans  doute  les  souvenirs 
de  ses  origines,  fut  d'abord  garde  -  forestier  au  service  du 
comte  de  Kaunitz,  à  Neuschloss,  dans  le  nord  du  pays; 
nous  le  retrouvons,  en  1722,  maitre-forestier  du  comte  de 
Kinsky,  à  Kamnitz,  —  en  1724,  en  la  même  qualité  chez  le 
prince  de  Lobkowitz,  à  Eisenberg;  enfin,  quand  il  mourut  (en 
1747,  précise  l'historien  bohémien  Dlabacz),  il  était  à  Reichstadt, 
au  service  de  la  Grande-Duchesse  de  Toscane  (2).  On  voit  qu'il 
aimait  à  courir  le  monde,  et  ne  craignait  pas  de  changer  de 
maitre. 

Cet  exemple  sera,  dans  un  autre  milieu,  fidèlement  suivi  par 
son  fils,  —  car  Alexandre  Gluck,  l'ancien  soldat  d'aventures,  le 
pauvre  forestier,  est  le  père  de  Christophe  Willibald,  son 
premier  né,  et  notre  héros. 

Weidenwang  !  Humble  retraite,  étonnée  du  caprice  de  la 
destinée  qui  y  a  fait  venir  au  monde  un  si  grand  homme  !  Gluck 
y  naquit  le  2  juillet  1714  et  y  fut  baptisé  le  4.  Ces  deux  dates 
sont  les  seules  traces  de  son  passage  qu'il  y  ait  laissées  ;  elles 
ont  suffi  pour  faire  connaître,  dans  toutes  les  parties  de  l'univers 
où  il  y  a  des  gens  pour  lesquels  ce  qui  touche  au  génie  n'est 
pas  indifférent,  le  nom  d'une  localité  qui,  sans  cela,  fût  resté 
ignorée  de  tous  à  la  distance  de  quelques  lieues  (3). 

La  partie  du  Haut-Palatinat  où  est  situé  ce  très  petit  village, 
aujourd'hui  peuplé  de  cent  quatre-vingts  habitants  seulement, 
est  assez  éloignée  de  celle  où  nous  avions  vu  s'établir  en  pre- 

il)  Sur  tous  ces  détails,  voy.  Schmid  :  Oh.-  W.  Von  Gluck,  pp.  9  et  suiv.,  et  Supplé- 
ment, pp. 464  etsuiv. 

(2)  A.  êcHMip,  loc.  cit.  p.  11. 

(3)  Le  registre  des  baptêmes  de  Weidenwang  a  conservé  les  inscriptions  relatives 
à  la  naissance  des  deux  lils  aînés  d'Alexandre  Gluck.  D'après  l'extrait  communiqué 
à  Ant.  Schmid  pour  son  livre  sur  Gluck  (voy.  Suppl.  p.  461),  la  première  porte  les 
noms  suivants  :  «  Baplizans,  Simon  Pabst  (4  Juli  1714)  ;  Baptizalus.  Clirislophorus 
Willibaldus;  Parentes,  Alexander  Gluck,  uxor  Walburga,  renat.;  Levantes  Uhris- 
tophe  Fleischmann,  hospes  in  Weidenwang.  »  On  remarquera  sur  ce  document,  tel 
du  moins  que  nous  le  trouvons  reproduit,  une  particulaiité  qui  mérite  d'être  relevée, 
et  serait  de  nature  à  nous  troubler  un  peu  si  nous  ne  trouvions  àla  corriger  immé- 
diatement :  seul  et  unique  entre  tous  ceux  que  nous  oflïent  le  XVII1  et  le  XVIII' 
siècle,  l'acte  de  baptême  de  l'auteur  û'Alceste  orthographierait  son  nom  de  famille  : 
Gluck.  Des  discussions  s'en  sont  déjà  suivies,  non  pour  prétendre  que  tel  serait  son 
vrai  nom,  ce  que  personne  en  Allemagne  n'a  jamais  admis,  mais  pour  soutenir  que 
l'enfant  né  à  Weidenwang  n'était  pas  l'illustre  artiste,  celui-ci  étant  Gluck,  et  non 
Gluck.  Mais  les  observations  directes  que  Schmid  a  pu  faire  sur  la  pièce  originale 
lui  ont  permis  le  démontrer  que  l'extrait,  malgré  tous  les  cachets  et  signatures  qui 
ont  servi  a  l'authentiquer  administrativement  en  1842  et  1844,  ne  reproduit  pas 
exactement  l'inscription  véritable,  et  que,  dans  celle-ci,  l'u  est  surmonté  non  de 
deux  points,  mais  d'uu  seul  signe  ayant  la  forme  d'un  accent,  tourné  à  la  vérité  en 
sens  inverse  du  signe  qui  doit  surmonter  l'u  dans  l'écriture  cursive  allemande,  mais 
pourtant  plus  ressemblantà  ce  signe  qu'au  tréma  (voy.  pp.  14  el  SS6).  Ces!  donc  bien 
Gluck,  non  Gluck,  que,  sans  prétendre  à  donner  un  modèle  de  belle  écriture  a  voulu 
tracer  en  1714  le  curé  de  Weidenwang.  Ajoutons  que,  sur  l'acte  de  baptême  du 
deuxième  enfant,  Antoine,  le  nom  de  famille  fait  complètement  défaut.  Toutes  ces 
menues  particularités  indiquent  qu'on  serait  mal  avisé  de  faire  trop  de  cas  d'écrits 
provenant  d'un  pays. où  il  est  permis  de  croire  que  l'-instruotion  n'était  pas  supé- 
rieure, ni  le  souci  impérieux  d'une  correction  absolue,  et  d'ailleurs  où  la  famille  de 
Gluck  ne  fit  que  passer. 


mier  lieu  la  famille,  et  l'aspect  en  est  tout  différent.  Si  retiré- 
qu'il  soit,  j'y  voulus  un  jour,  pendant  un  voyage  en  Allemagne, 
me  rendre  en  pèlerinage.  Ne  pénètre-t-on  pas  mieux  le  sens  de 
la  vie  des  hommes  quand  on  a  appris  à  connaître  au  moins  les 
milieux  où  ils  ont  vécu  ?  L'aspect  des  lieux  (surtout  lorsqu'il 
s'agit  de  la  nature  immuable)  ne  perait-il  pas  à  lui  seul  nous 
révéler  quelque  chose  de  ce  qu'ils  ont  suggéré  ? 

Il  faut,  pour  se  rendre  à  Weidenwang  en  partant  de  Nurem- 
berg, prendre  le  chemin  de  fer  dans  la  direction  de  Ratisbonne, 
puis  s'arrêter  à  mi-claemin,  à  Neumarkt,  et  passer  sur  la  ligne 
d'intérêt  local  de  Beilngries,  enfin  descendre  à  la  station  defier- 
ching,  où  il  y  a  encore  une  lieue  et  demie  environ  à  faire  à  pied 
pour  monter  au  village. 

Le  trajet  est  facile,  et  la  promenade  non  sans  agrément.  Le 
pays,  quoique  d'un  bel  aspect,  avec  ses  verdures  sombres, 
n'offre  pas  assez  d'imprévu  pour  attirer  les  touristes  :  l'on 
s'y  trouve  donc  en  pleine  nature,  en  pleine  vie  populaire. 
Après  avoir  suivi  la  base  arrondie  d'une  colline,  le  chemin 
va  tout  droit,  montant  en  pente  douce  au  milieu  des  prés,, 
suivant  le  fond  d'une  vallée  solitaire  que  bordent  à  pic  des 
coteaux  parallèles.  Sur  le  plus  haut  sommet,  à  droite,  deux 
vieilles  chapelles,  grises  et  massives,  se  dressent  côte  à  côte,  pitto- 
resquement  perchées.  Sur  les  faites,  la  forêt  s'étend  à  perte  de 
vue.  Ce  ne  doit  pas  être  une  mince  besogne  que  d'être  garde-fores- 
tier dans  cette  région,  et  le  père  de  Gluck  n'avait  pas  une  sinécure  ! 
Au  reste,  le  paysage  n'a  rien  des  aspects  romantiques  du  Harz  ou  de 
la  Suisse  saxonne.  Cependant,  ces  montagnes  sont  de  celles  qui 
forment  l'arête  centrale  de  l'Europe,  et  je  ne  saurais  dire  si  les- 
ruisseaux  qui  prennent  leur  source  là-haut  envoient  leurs  eaux 
à  la  mer  Noire,  par  le  Danube,  ou  à  la  mer  du  Nord  par  le 
Rhin.  Et  cette  observation  topographique  nous  révèle  une  pre- 
mière analogie  entre  la  configuration  du  pays  et  la  destinée  du 
génie  de  Gluck,  source  pure  qui.  des  cimes  vers  lesquelles  elle 
a  jailli,  a  déversé  ses  ondes  fécondantes  sur  tous  les  pays  de 
l'Europe  musicale  :  l'Allemagne,  l'Italie,  la  France. 

Weidenwang  est  au  fond  de  la  combe,  à  l'endroit  où  les 
collines  tendent  à  se  rapprocher.  Les  stations  d'un  chemin  de 
croix,  en  nous  rappelant  que  nous  sommes  ici  en  pays  catholi- 
que, nous  annoncent  la  proximité  d'un  lieu  habité  :  voici  en 
effet  le  village,  avec  ses  maisons  disséminées,  entourées  de  ver- 
gers, sa  simple  petite  église,  dont  le  clocher  est  surmonté  d'une 
calotte  de  fer-blanc  au  sommet  de  laquelle  est  planté  un  dra- 
peau métallique,  et  le  presbytère,  seule  maison  d'apparence 
bourgeoise,  toute  coquette  au  milieu  de  la  verdure  et  des  fleurs. 
L'aspect  de  ce  joli  village  de  montagne  donne  l'impression  d'une 
confiance  parfaite,  d'une  quiétude  absolue. 

A  l'entrée,  la  piété  des  habitants,  aidée  sans  doute  par  celle 
de  quelques  autres  admirateurs,  a  érigé  à  la  mémoire  de  Gluck 
un  petit  monument,  simple,  mais  digne  :  un  buste,  une  brève 
inscription  rappelant  le  nom,  la  date,  le  lieu. 

A  l'heure  du  jour  où  les  paysans  sont  aux  champs,  la  plupart 
des  maisons  sont  closes.  J'en  avise  une,  pourtant,  par  la  porte 
de  laquelle  brille  le  feu  d'une  forge,  et,  m'approchant,  qu'aper- 
çois-je  à  l'intérieur?  Une  femme,  le  marteau  à  la  main,  frappant 
sur  le  fer  !  Sont-ce  donc  les  femmes  qui,  en  ce  rude  pays,  font 
le  métier  de  forgeron  ? 

Et  quand,  le  soir  venu,  je  reviens  sur  mes  pas,  le  chemin 
commence  à  s'animer  par  le  passage  des  villageois  revenant  au 
gîte,  la  journée  finie.  Ils  s'avancent  gravement,  en  silence.  Les 
femmes,  grandes  et  fortes,  ont  le  visage  dur  ;  elles  portent  bra- 
vement leurs  fardeaux,  leurs  outils,  serpes,  faulx,  comme  les 
hommes.  Les  enfants  marchent  pieds  nus.A  marencontre  s'avance 
un  homme,  portant  sur  l'épaule  une  houe  :  il  a  d'abondants 
cheveux  crépus,  le  visage  glabre,  marqué  de  petite  vérole, 
comme  le  célèbre  buste  de  Houdon  ;  etquandnous  échangeons  le 
salut  d'usage,  il  me  semble,  quoique  la  flamme  manque  au  regard, 
que  j'ai  comme  une  vision  rapide  de  Gluck  même  (I). 

(1)  Les  lecteurs  du  ménestrel  voudront  bien  excuser  s'ils  reconnaissent  dans  les 
lignes  précédentes  quelques  traits  d'un  article  que  j'ai  publié  ici  même,  il  y  a  envi- 
ron deux  ans  et  demi  :  Au  pays  de  Gluck ■;  ces  détails  m'ont  paru  nécessaires  à  repro- 
duire pour  compléter  le  tableau  d'ensemble. 


LE  MENESTREL 


L'aspect  de  ce  peuple  n'a  pas  dû  changer  beaucoup  depuis  la 
naissance  de  l'artiste.  Mais  d'ailleurs,  lui-même  a  très  peu  participé 
à  la  vie  du  pays.  A  peine  ses  regards  ont-ils  pu  distinguer  ces 
chaumières  aux  charpentes  massives  et  aux  pignons  rabattus  en 
auvent;  tout  au  plus  ses  petits  pieds  ont-ils  fait  leurs  premiers  pas 
sur  ce  chemin  au  bord  duquel  se  dresse  aujourd'hui  le  monu- 
ment à  sa  gloire.  Il  n'avait  que  trois  ans,  en  effet,  quand  son 
père  l'emmena  de  Weidenwang  ;  et  il  oublia  ou  dédaigna  si  bien 
son  pays  natal  que,  lorsqu'il  se  maria,  il  désigna  pour  tel  la 
ville  voisine,  Neumarkt  (1). 

(A  suivre.)  Julien  Tfersot. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Tiiéatoe-Sarah-Berniiaudt.  —  La  Belle  au  Bois  dormant,  féerie  lyrique  en  un 
prologue,  deux  parties  et  quatorze  tableaux,  de  MM.  Jean  Richepin  et  Henri 
Cain,  musique  de  M.  Francis  Thomé.  —  Vaudeville.  La  Veine,  comédie  en 
quatre  actes,  de  M.  Alfred  Capus. 

Des  vers,  rien  que  des  vers,  et  l'on  ne  saurait  vraiment  s'en  plaindre, 
cette  ibis,  car  ils  sont  tour  à  tour  exquis,  juvéniles,  sonores,  pimpants, 
classiques,  inattendus,  suivant  qu'ils  expriment  les  premières  ardeurs 
du  Prince  Charmant,  les  innocences  ou  l'éveil  de  la  petite  princesse,  ou 
les  maternelles  anxiétés  de  la  bonne  madame  Landry.  Ils  habillent,  ces 
vers  de  vrai  poète,  le  vieux  conte  du  vieux  Perrault,  la  Belle  au  Bnis 
dormant,  d'un  vêtement  mille  fois  plus  riche  et  plus  brillant  encore  que 
tous  les  costumes  et  tous  les  décors  imaginés  par  les  peintres  et  les  dessi- 
nateurs, et  ils  ont  comme  très  aimables  adjuvants  une  musique  douce, 
limpide,  facile  et  convenablement  discrète  de  M.  Francis  Thomé,  et  l'i- 
dée philosophique  toute  consolante,  dont  se  sont  agréablement  servis 
MM.  Jean  Richepin  et  Henri  Cain,  que  l'amour  est  plus  fort  que  la 
mort. 

Ils  ont  eacore  et  surtout  comme  idéale  interprète  Mme  Sarah  Ber- 
nhardt,  Prince  Charmant  d'étonnante  souplesse  et  de  diction  nette,  pré- 
cise et  captivante.  Et  à  côté  de  la  célèbre  artiste,  on  a  eu  plaisir  à 
applaudir  au  talent  très  frais,  à  la  nature  joliment  adroite,  neuve  et 
sincère,  d'une  toute  jeune  débutante,  Mlle  Andrée  Pascal,  età  la  douceur 
automnale  de  Mme  Judic,  toute  d'excellente  bonté. 

Reprises  sur  reprises  en  cette  fin  d'année  1907  ;  le  Vaudeville  lui. 
même  se  met  de  la  partie  en  empruntant  à  sa  voisine,  les  Variétés,  la 
Veine  de  M.  Alfred  Capus,  qui  émigré  rue  de  la  Chaussée-d'Antin  avec 
sa  principale  interprète  et  créatrice,  Mlle  Jeanne  Granier.  On  ne  vous 
redira  pas  les  heureuses  qualités  et  de  la  comédienne  et  de  la  pièce,  le 
succès  est,  trop  récent  encore  pour  que  l'on  ait  eu  le  temps  d'oublier.  L'on 
se  contentera  de  noter  l'espèce  de  sérieux  nullement  malséant  qu'ont 
■pris  les  quatre  actes  de  M.  Capus  au  cours  de  ce  petit  voyage  ;  et  lors- 
■qu'on  vous  rappellera  que,  chez  M.  Samuel,  les  interprètes  principaux 
s'appelaient  Mlle  Lavallière,  MM.  Guitry  et  Brasseur  et  que,  chez 
M.  Porel,  ils  se  dénomment  MM.  Dumény  et  Louis  Gauthier  et 
MUe  Heller,  l'on  n'aura  pas  besoin  d'insister  beaucoup  sur  la  physiono- 
mie nouvelle  prise  par  la  comédie  :  la  fantaisie  et  l'ironie  ont  fait  place 
à  la  tenue  et  à  la  correction,  et  ce  n'est  point  éloge  banal  que  d'affirmer 
que  la  Veine  s'accommode  aussi  bien  des  uns  que  des  autres. 

Paul-Emile  Chevalier. 


BILAN  MUSICAL  DE  1907 


Jetons  un  rapide  regard  sur  ce  que  nous  ont  valu,  au  point  de  vue 
musical,  les  douze  mois  de  l'année  qui  est  maintenant  entrée  dans  le 
domaine  de  l'histoire.  Constatons  d'abord  que  la  direction  agonisante 
de  l'Opéra  a  fait  un  effort  avant  de  céder  la  place  à  celle  qui  devait  lui 
succéder  :  elle  nous  a  donné  cette  fois  ce  qu'elle  ue  nous  avait  pas  offert 
depuis  longtemps,  quatre  actes  d'opéra  et  deux  actes  de  ballet.  On  con- 
çoit qu'après  cet  effort  elle  doit  être  épuisée.  Quant  à  l'Opéra-Comique, 
toujours  autrement  actif  que  son  grand  frère,  l'année  se  solde  pour  lui 
par  un  total  de  seize  actes  en  cinq'ouvrages,  sans  compter  une  reprise 
importante  et  sensationnelle.  Cela  est  bien,  mais,  malgré  tout,  combien 
c'est  peu  pour  un  grand  pays  comme  la  France,  qui  est  à  la  tête  du 


(1) Voir  le  texte  du  contrat  de  mariage  de  Gluck  en  1750,  op.,  Schmid,  loc.  cil..n.  2K.      i 


mouvement  musical,  et  pour  tant  de  compositeurs  qui  attendent  leur 
tour  et  qui  ont  le  désir  el  le  droit  de  se  présenter  devant  le  public.  Es- 
pérons qu'enfin  les  choses  vont  changer  avec  la  résurrection  de  ce 
Théâtre-Lyrique  si  longtemps  attendu  i  l  sur  l'activité  duquel  artistes 
et  public  ont  le  droit  de  compter.  Avec  trois  grandes  scènes  musicales, 
dirigées  avec  ardeur,  douées  de  courage,  de  hardiesse  et  de  bonne  vo- 
lonté, l'art  sérieux  sera  bien  représenté  chez  nous.  Quant  à  l'art  frivole. 
je  veux  dire  l'opérette,  qui  pendant  un  demi-si  . '■     ■  de  réels 

services  et  qui  a  eu  jusqu'à  cinq  théâtres  simultanément  a  sa  disposi- 
tion, elle  est  injustement  dédaignée  depuis  quelques  années  et  obligée 
de  se  réfugier  sur  les  petites  scènes  «  a  cote  d,  où,  pour  beau, 
raisons,  on  la  voit  réduite  a  sa  plus  simple  expression,  n'ayant  ni  l'es- 
pace matériel  ni  le  personnel   nécessaires  à   ses  gentils  ébats.   Voici 
pourtant  irae  le  théâtre  qui   lut  justement  son  berceau,  cet  aimable 
théâtre  des  Bouffes-Parisiens,  reprend  la  parole  après  un  long 
et  pour  son  retour  à  la  vie,  décrochant  un  succès,  semble  devoir  renouer 
des  traditions  fâcheusement  disparues.  Tout  cela  est  de  bon  auj; 
nous  laisse  espérer   que  l'année  qui  s'ouvre  sera  plus  favorable  a  la 
musique  et  plus  fertile  en  œuvres  nouvelles  de  tout  genre  que  <c-lles 
qui  l'ont  précédée.  Qu'ainsi  en  soit  ! 

En  attendant,  voici  le  bilan,  aussi  complet  que  possible,  de 
vient  d'expirer. 

Opéra.  —  La  Catalane,  drame  lyrique  en  quatre  actes  dont  un  pro- 
logue, paroles  de  MM.  Paul  Ferrier  et  Louis  Tiercelin.  musique  de 
M.  Fernand  Leborne  (il  Mai).  —  Le  Lac  des  Aulnes,  ballet  en  deux  actes 
et  cinq  tableaux,  scénario  et  mus. que  de  M.  Henri  Maréchal,  chorégra- 
phie de  M.  Vanara  (25  Novembre). 

Opéra-Comiqie.  —  Cireé,  poème,  lyrique  en  trois  actes,  paroles  de 
M.  Edmond  Haraucourt,  musique  de  MM.  Paul  et  Lucien  llillemacher 
(17  Avril).  —  La  Légende  du  point  d'Argentan,  pièce  en  un  acte,  paroles 
de  MM.  Henri  Cain  et  Arthur  Bernéde,  musique  de  M.Félix  Fourdrain 
(idem).  —  Ariane  et  Barbe-Bleue,  coule  en  trois  actes,  paroles  de 
M.  Maurice  Maeterlinck,  musique  de  M.  Paul  Dukas  (10  Mai).  —  For- 
tunio.  comédie  musicale  en  cinq  actes,  paroles  de  MM.  Robert  de  Fiers 
et  A.  de  Caillavet  d'après  le  Chandelier  d'Alfred  de  Musset,  musique  de 
M.  André  Messager  (o  Juin).  —  Le  Ckemineau,  drame  lyrique  en  quatre 
actes,  paroles  de  M.  Jean  Richepin,  musique  de  M.  Xavier  Leroux 
(6  Novembre).  —  A  signaler  la  remise  à  la  scène,  à  ce  théâtre,  du  pre- 
mier chef-d'œuvre  français  de  Gluck,  Iphigénie  en  Auiide,  représenté 
pour  la  première  fois  à  l'Opéra  le  19  Avril  1774  (Décembre). 

Odéox.  —  La  Faute  de  l'abbé  Mourel,  pièce  en  quatre  actes  et  onze  ta- 
bleaux, tirée  du  roman  d'Emile  Zola  par  M.  Alfred  Bruneau.  avec 
musique  de  scène  du  même  (Mars). 

Chatelet.  —  Salomé,  drame  musical  en  uu  acte,  paroles  d'Oscar 
Wilde,  musique  de  M.  Richard  Strauss  (8  Mai).  Avait  été  représenté 
précédemment  à  Berlin,  puis,  sur  le  texte  français  original,  au  théâtre 
de  la  Monnaie  de  Bruxelles. 

Gaité.  —  Les  Hirondelles,  opérette  en  trois  actes,  paroles  de  M.  Mau- 
rice Ordonneau,  musique  de  M.  Henri  Hirchmann  (20  Février).  Avaii 
été  représenté  précédemment  à  Berlin,  puis  aux  Galeries-Saint-Hubert 
de  Bruxelles. 

Théatre-Ré.iane.  —  Pétrone,  drame  lyrique  en  un  acte,  paroles  de 
M.  le  marquis  de  Caslellane,  musique  de  M.  Raymond  de  Burlet 
(27  Mai,  dans  une  représentation  extraordinaire  au  bénéfice  de  la  can- 
tatrice Marie  Sasse,  qui  devait  mourir  peu  de  mois  aprési.  —  Réie 
d'Opium,  pantomime  lyrique  en  un  acte,  scénario  de  M.  Paul  Franck, 
musique  de  M.  Edouard  Mathé  (14  Décembre,  dans  une  des  matinées  de 
la  Société  de  l'histoire  du  théâtre). 

Bouffes-Parisiens.  —  L'Ingénu  libertin,  «  conte  galant  »  en  trois 
actes,  paroles  de  M.  Louis  Artus,  musique  de  M.  Claude  Terrasse 
(Il  Décembre). 

Théatre-Sarah-Berxhardt.  —  La  Belle  au  Bois  dormant,  féerie  lyrique 
en  un  prologue,  deux  parties  et  quatorze  tableaux,  paroles  de  MM.  Jeau 
Richepin  et  Henri  Cain,  musique  de  M.  Francis  Thomé  (Décembre). 

Vaudeville.  —  Princesses  d'amour,  pièce  en  quatre  actes  et  sept 
tableaux,  de  Mme  Judith  Gautier,  avec  musique  de  scène  de  M.Edmond 
Laurens  (24  Janvier). 

Porte-Saint-Martin.  —  Le  Manteau  du  Boi,  pièce  en  quatre  actes  et 
en  vers,  de  M.  Jean  Aicard,  avec  musique  de  scène  de  M.  J.  Massenet 
(22  Octobre). 

Théâtre  des  Arts  (alias  Batignolles).  —  //  parait  que  ça  se  passait  sous 
Charles  17  ou  le  Trou  d'Almanzor.  opéra  bouffe  en  un  acte,  paroles  de 
MM.  Rip  et  Vilned,  musique  de  M.Willy  Redstone  (9  Févr.er).—  La 


LE  MENESTREL 


Tragédie  de  Salomé,  «  drame  muet  »  en  deux  actes  et  sept  tableaux,  scé- 
nario de  M.  Robert  d'Humières,  musique  de  M.  Florent  Schmitt 
(9  Novembre). 

Théâtre  Mamgny.  —  Giska  la  Bohémienne,  ballet-mimodrame  avec 
chœurs,  paroles  de  M.  Edmond  Le  Roy,  musique  de  M.  Léo  Pouget 
(3  Septembre). 

Folies-Bergère.  —  Plaisir  d'amour,  pantomime-féerie  en  neuf  ta- 
bleaux, se  nario  de  M.  Catulle  Mendès,  musique  de  M.  Emile  Bonamy 

(7  Septembre). 

Moulin-Rouge.  —  La  Victoire  d'Igra.  pantomime  en  un  acte,  scénario 
de  M.  André  Arnyvelde,  musique  de  M.  Edouard  Mathë  (23  Janvier). 

—  La  Feuille  de  vigne,  féerie  opérette  en  deux  actes  et  dix  tableaux, 
paroles  de  M.  Paul  Ferrier,  musique  de  M.  Henri  Hirchmann 
(20  Février).  —  La  Lime,  mimodrame  en  un  acte,  scénario  de  M.  Henri 
Ferrare,  musique  de  M.  André  Fijan  (24  Avril).  —  Eglé  ou  l'Enfant  de 
la  vache,  opérette  mythologique  en  deux  actes  et  cinq  tableaux,  paroles 
de  MM.  Emile  et  Philippe  Moreau,  musique  de  M.  Claude  Terrasse 
(7  Mai). 

Paiusiana.  —  Vive  la  Parisienne,  fantaisie-opérette  en  cinq  tableaux, 
paroles  de  M.  Maurice  Froyez,  musique  de  MM.  Justin  Clérice,  Borel- 
Clerc,  Emile  Bonamy  et  Colo-Bonnet  (26  Janvier).  —  Les  Colles  de  la 
Femme,  vaudeville-opérette  en  un  acte,  paroles  de  M.  E.  Jouliot,  airs 
nouveaux  de  M.  Borel-Clerc  (14  Avril). 

Cigale.  —  Coco-Chéri,  opérette  en  deux  actes  et  quatre  tableaux,  pa- 
roles de  MM.  Emile  Codey  et  Trébla.  musique  de  M.  François  Perpignan 
(17  Décembre). 

Théâtre  des  Mathurins.  —  Les  Rois  s'amusent,  folie-opérette  en  un 
acte,  paroles  de  M.  Lecom te- Arnold,  musique  de  M.  H.  Bresles  (31  Jan- 
vier). —  Le  Petit  Lever  de  la  Parisienne,  croquis  parisien  en  un  acte, 
paroles  de  M.  Paul  Franck,  musique  de  M.  Edouard  Mathé  (27  Mars). 

Théâtre  des  Capucines.  —  Miss  Zozo,  opérette  en  un  acte,  paroles  de 
MM.  Maurice  Ordonneau  et  André  Alexandre,  musique  de  M.  Georges 
Haakman  (17  Mars).  —  Son  Petit  Frère,  opérette  en  deux  actes,  paroles 
de  M.  André  Barde,  musique  de  M .  Charles  Cuvillier  (10  Avril)  —  Loys, 
conte  lyrique  en  un  acte  et  en  vers  de  M.  Léon  Moine,  avec  musique  de 
scène  de  M.  Eugène  David-Bernard  (Avril). 

Tréteau-Royal.  —  Fleur  de  petun.  folie-opérette  en  un  acte,  paroles 
de  MM.  Ripet  Charles  Lafargue,  musique  de  M.  AYilly  Redstone  (Mai). 

—  Joe,  «  american  sketch  »,  paroles  de  M.  Montignac,  musique  de  M. 
Mauprey;  Souper  de  rupture,  opérette  en  un  acte  de  M.  Willy,  musique 
de  M.  Edouard  Mathé  (22  Septembre).  —  Panthéon-Courcelles,  fantaisie 
lyrique  en  un  acte,  paroles  de  M.  Georges  Courteline,  musique  de 
M.  Claude  Terrasse  (Octobre). 

Casino  de  Paris. —  Scandale  mondain,  pantomime  en  uuacte,  scénario 
de  M.  Camil.e  de  Marthon,  musique  de  M.  Paul  Fauchey  (7  Décembre). 

Scala.  —  Frivola,  opérette  en  deux  actes  et  sept  tableaux,  paroles  de 
MM.  René  Champault  et  Edgar  Favart,  musique  de  M.  Raphaël  Beretta 

(27  Mars). 

Ba-ta-clax. —  Les  Hussards  île  l'Empereur,  opéra-comique  en  trois  actes, 
paroles  et  musique  de  M.  Georges  Spitzmuller  (Octobre). 

Apollo. —  La  Chair,  mimodrame  en  un  acte,  scénario  de  MM.  Wague 
et  Lambert,  musique  de  M.  Chantrier  (1er  Novembre). 

Théâtre  Femina. —  Vert  Galant, pièce  en  un  acte,  de  M.  Emile  Moreau, 
avec  musique  de  scène  de  M.  Philippe  Moreau. —  La  Chouanne,  épisode 
lyrique,  paroles  de  M.  Paul  Gravollet,  musique  de  M.  Edmond  Missa 
(10  Décembre). 

Nouveau-Théâtre.  —  L'Entrée  principale,  fantaisie-opérette  en  un 
acte,  paroles  de  MM.  Pierre  Bossuet  et  Georges  Lèglise,  musique  de 
M.  Lucien  Farjall  (Mai). 

Salle  du  Journal.  —  Daphnis  et  Chloé,  idylle  lyrique  en  quatre  actes, 
paroles  et  musique  de  M.  Alexandre  dAgiout  (23  Avril). 

Lyon  (Grand-Théâtre).  —  Roseline,  ballet-pantomime  en  deux  actes, 
scénario  de  M.  Georges  Ricou,  musique  de  M.  Raymond  Balhman 
(Février).  —  La  Balafre,  drame  lyrique  en  deux  actes,  paroles  de 
MM.  Maurice  Lecomte  et  Hippolyte  Operto,  musique  de  M.  Georges 
Palicot  (8  Mars). 

Bordeaux  (Grand-Théâtre).  —  Le  Péage,  ballet,  scénario  de  M.  Georges 
de  Dubor,  musique  de  M.  Antoine  Banés  (Février). 

Nice  (Capucines).  —  Le  Flirt  de  Colombine,  opérette  en  un  acte,  pa- 
roles de  M.  Jaques  Redelsperger.  musique  de  M.  Cuvillier  (3  Février). 


—  (Opéra)  :  La  Petite  Sirène,  opéra  en  deux  actes,  paroles  de  M.  Henry 
Gauthier- Villars,  musique  de  Mme  la  comtesse  Armande  de  Polignac 
(o  Mars).  —  Le  Nazaréen,  oratorio  en  trois  parties,  paroles  de  M.  le 
comte  de  Waresquiel,  musique  de  son  fils  M.  le  vicomte  de  Wares- 
quiel. 

Lille  (Théâtre  municipal).  —  Le  Dragon  vert,  opéra  en  deux  actes^ 
paroles  de  MM.  Philippe  de  Rouvre  et  Henry  Gauthier- Villars,  mu- 
sique de  M.  Emile  Ratez,  directeur  du  Conservatoire  (Mars). 

Grenoble.  —  Manoèl,  drame  lyrique,  paroles  de  MM.  G.  Montoya  et 
J.-D.  de  Lambgrl,  musique  de  M.  Emile  Nermi  (Mars). 

Angers.  —  La  Ruse  de  Pierrette,  opéra-comique  en  un  acte,  musique 
de  Mlle  Dell'Aqua  (27  Janvier). 

Calais  (Théâtre  municipal).  —  Jean  de  Calais,  légende  lyrique,  mu- 
sique de  M.  Marc  Delmas  (Mars). 

Biarritz  (Casino  municipal).  —  Les  Diamantines,  ballet,  musique  de 
M.  A.  Tésorone  (Octobre). 

Chalon-sur-Saône.  —  Cantate  en  mémoire  de  la  défense  de  Chalon- 
sur-Saône  en  1814  et  des  soldats  morts  pour  la  patrie  en  1870,  paroles 
de  M.  A.  Courballée,  musique  de  M.  Charles  Rochas  (8  Septembre, 
pour  l'inauguration  du  monument  commémoratif). 

L'HAY(chez  M.  Jules  Gravereaux). —  Le  Triomphe  du  dieu  Pan,  opéra- 
ballet,  poème  et  musique  de  M.  Alexandre  Michel  (23  Juin). 

Aix-les-Bains.  i—  Le  Violon  enchanté,  ballet,  scénario  de  MM.  Louis 
Schneider  et  André  Sciama,  musique  de  M.  T. -A.  Brunetti  (Juillet). 

Pont-aux-Dames  (pour  la  maison  de  retraite  des  artistes  dramatiques). 

—  Amour  et  Sport,  opérette  en  un  acte,  paroles  de  M.  Félix  Puget,  mu- 
sique de  M.  O.  de  Lagoanère  (28  Juillet). 

A  ajouter  divers  ouvrages  français  représentés  â  l'étranger  : 

Bruxelles  (Théâtre  de  la  Monnaie)  —  La  Légende  de  la  perle,  ballet- 
divertissement  en  deux  actes  et  trois  tableaux,  sujet  et  musique  de 
il.  J.  Jacob  (Février).  —  (Théâtre-Molière).  —  La  Bérengerie,  opérette 
en  trois  actes,  paroles  de  M.  Jack  d'Avize,  musique  de  M.  Petrus 
(Février).  —  (Olympia).  —  Betty  ou  l'Entente  cordiale,  opérette  en  trois 
actes,  paroles  de  MM.  Paul  Bilhaud  et  Maurice  Hennequin,  musique de^ 
M.  Eustache  de  Lorey  (4  Octobre). 

Liège  (Théâtre  de  la  Renaissance).  —  Rose-Pompon,  opéra-comique, 
paroles  de  MM.  Fernand  Bessier  et  Sarnet-te,  musique  de  M.  Esteban 
Marti  (Octobre). 

Gand  (Grand-Théâtre).  —  Linario,  drame  lyrique  en  trois  actes,  pa- 
roles de  M.  Franz  Ruty.  musique  de  M.  Nicolas  Daneau  ("2  Janvier).  — 
Le  Fiancé  de  Colombine,  ballet-pantomime  en  un  acte,  musique  de  M.Ro- 
bert Guillemyn  (Novembre). 

Monte-Carlo.  —  Nais  Micoulin,  drame  lyrique  en  deux  actes,  tiré  de 
la  nouvelle  d'Emile  Zola,  paroles  et  musique  de  M.  Alfred  Bruneau 
(2  Février).  —  Thérèse,  drame  musical  en  deux  actes,  paroles  de  M.  Ju- 
les Claretie,  musique  de  M.  J.  Massenet  (7  Février).  —  Tlié.odora,  dra- 
me musical  en  trois  actes  et  cinq  tableaux,  paroles  de  MM.  Victorien 
Sardou  et  Paul  Ferrier,  musique  de  M.  Xavier  Leroux  (19  Mars). —  (Pa- 
lais des  Beaux-Arts).  L'Importun,  ballet-pantomime,  scénario  de 
MM.  Georges  Boyer  et  Hansen,  musique  de  M.  Louis  Ganne  (Mars). 

MoNTitEux. —  La  Métamorphose  de  Narcisse,  fête  musicale  avec  chœurs 
et  danses,  paroles  de  M.  Jacotet,  musique  de  M.  Lucien  Rousseau 
(25  Mai).  Arthur  Pougin. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts-Colonne.  —  La  153°  audition  de  la  Damnation  de  Faust  de  Ber- 
lioz au  Ghàtelet  fut  pour  M.  Colonne  et  son  orchestre  l'occasion  d'une  ovation 
prolongée.  L'exécution  a  été  de  tous  points  remarquable.  Les  solistes  étaient 
M"cGrandjean,  MM.  Cazeneuve,  Sigwalt  et  Eyraud:  ils  furent  tous  très  fêtés.. 

J.  J. 

—  Concerts-Lamoureux. —  La  symphonie  en  ut  majeur  de  M.  Paul  Dukas  n'est 
pas  une  œuvre  grandiose  et  puissante  ;  elle  n'a  pas  la  correction  classique  des 
composilions  de  M.  Saint-Saèns,  ni  la  rêverie  prenante  de  celles  de  César 
Franck,  et  laisse  pressentir  pourtant  parfois,  malgré  son  indéniable  origina- 
lité, l'influence  de  ces  deux  maîtres.  Elle  est  d'ailleurs  infiniment  agréable, 
joyeuse,  pleine  de  jeunesse  et  de  couleur.  Le  premier  mouvement  est  d'une 


LE  MÉNESTREL 


architecture  musicale  très  ferme  et  très  belle;  il  présente  trois  jolis  thèmes, 
violons  majeur,  violons  mineur,  cuivres,  et  ces  thèmes  sont  développas  avec 
autant  de  richesse  que  d'éclat,  avec  une  exubérance  à  ravir  un  méridional. 
L'andante  se  compose  de  deux  phrases  tendres  et  douces  à  travers  lesquelles 
la  flûte  sème  des  notes  cristallines.  Les  violons  donnent  d'un  bout  à  l'autre  et 
la  mélodie  se  maintenant  toujours  dans  le  caractère  calme  et  empreint  de 
sérénité  du  début,  il  en  résulte  une  légère  impressiou  de  monotonie.  Quant 
à  la  troisième  et  dernière  partie,  Allegro  spiriloso,  elle  permet  de  reconnaître 
l'auteur  de  l'Apprenti  sorcier  et  ses  fraîches  combinaisons  instrumentales.  De 
petites  phrases  mélodiques  semblent  s'échapper  de  l'orchestre,  tantôt  comme 
les  oiseaux  d'une  volière,  tantôt  comme  les  capricieuses  arabesques  d'un  feu 
d'arliBce;  l'ensemble  s'achève  au  milieu  des  sons  retentissais  des  cuivres  et 
des  cymbales,  dans  une  sorte  de  féerie  d'insirumeniatinn.  En  résumé,  cette 
symphonie  est  le  chef-d'œuvre  d'un  excellent  artiste  au  point  de  vue  du 
rythme  et  du  coloris:  rien  de  plus.  C'est  déjà  beaucoup.  L'ouvrage  de 
M.Pierre  Hermant.  Sagesse,  poème  de  M.  Paul  Verlaine,  n"  I,  Bon  Chevalier, 
a  paru  bien  faible;  un  long  récitatif  sans  couleur,  sans  saveur,  dont  M.  Froe- 
lich,  malgré  tous  ses  efforts,  n'a  pu  racheter  la  médiocrité.  Le  concert,  sous  la 
direction  de  M.  Paul  Vidal,  s'est  terminé  par  l'ouverture  des  Maîtres-Chan- 
teurs, la  Chevauchée  et  la  scène  des  Adieux  de  la  Walkyrie.  Il  semble  que  le 
rôle  de  Wotan  convienne  bien  à  M.  Froelich  ;  l'inflexion  de  tendresse,  qu'il 
essaie  de  communiquer  à  sa  voix  rauque  et  puissante  en  s'adressant  à  sa  fille 
qu'il  a  condamnée,  devient  parfois  d'un  effet  particulièrement  heureux. 

ASIÉDÉE   BoUTAREI.. 

—  Programmes  des  concerts  de  demain  dimanche  : 
Conservatoire  :  Relâche. 

Cbàtelet,  Concerts-Colonne  :  La  Damnation  de  Faust  (Berlioz),  chantée  par 
M"e  Louise  Grandjean,  MM.  Cazeneuve,  Fourncts  et  Eyraud. 

Salle  Gaveau,  Concerts-Lamoureux  :  Sympkonie  pastorale  (Beethoven).  —  Aiv 
à'Iphigénie  en.  Tauride  (Gluck),  par  M""  Isnardon.  —  Futm  (Jean  Poueigh).  — Concerto 
en  ré,  pour  orgue  et  orchestre  (Haondel),  par  M.  Eugène  Gigout.  —  Pliidulé  (Duparc), 
par  Mm0  Is'tardon.  —  Capriccio  espagnol  (Rimsky-Korsakow).  —  Le  concert  sera 
dirigé  par  M.  Paul  Vidal. 

—  Le  Conservatoire  nous  a  offert,  le  vendredi  27  décembre,  la  séance  d'au- 
dition des  envois  de  Rome,  consacrée  cette  fois  aux  compositions  de  M.  Aymé 
Kunc,  grand  prix  de  1902.  Le  programme  comprenait  :  1°  Fantai-ie  en  forme 
de  danses,  pour  orchestre;  2°  Suite  dramatique  pour  orchestre,  fragments: 
(a.  Adagio  molto  espressivo;  6.  Scherzo  final);  3°  Poèmes  en  musi  que  :  N°  2, 
chanté  par  M"1'  Louise  Mancini(ce  morceau  n'a  pas  été  exécuté):  4°  Fantaisie 
pour  piano  et  orchestre  :  5°  Psaume  147,  pour  soli.  chœurs,  o^gue  et  orchestre. 
Les  deux  numéros  les  plus  importants  étaient  la  Fantaisie  pour  piano,  qoi  a 
fait  surtout  apprécier  le  talent  de  Mme  G.  de  Lausnay  (Lucie  Léon)  chargée  de 
la  partie  de  piano,  et  le  l'saume,  dont  les  soli  étaient  chantés  par  MUe  Louise 
Mancini  et  Ravaut.  MM.  Nansen  et  Carbelly,  avec  M.  Ronnet  à  l'orgue.  Ce 
Psaume  est  divisé  en  trois  parties  :  1°  Grand  chœur  (avec  un  quatuor  solo), 
qui  n'est  pas  sans  un  certain  caractère  mélodique,  avec  moins  de  fracas 
orchestral  que  nous  en  avaient  offert  les  morceaux  précédents;  2°  Pastom'e  pour 
soprano  solo  et  choeur,  précédée  d'une  importante  introduction  symphonique; 
3° Prélude,  choral,  final.  L'exécution  générale  a  été  excellente  ettrès  sure,  sous 
la  direction  de  M.  Paul  Vidal. 

—  La  première  séance  de  la  Inondation  J.-S.  Rach,  salle  Pleyel,  a  été 
particulièrement  intéressante,  consacrée  tout  entière  à  l'illustre  cantor.  Le 
programme  comprenait  l'ouverture  en  si  mineur  pour  orchestre  à  cordes  et 
flûte,  le  concerto  en  ré  pour  deux  violons  et  le  concerto  brandebourgeois  pour 
flûte,  violon  et  piano,  où  furent  fort  applaudis  M.  Charles  Rouvet,  le  directeur  si 
habile  de  cette  si  instructive  et  artistique  institution,  MM.  Rlanquart,  Gra- 
vrand  et  Jemain.  La  partie  vocale,  dans  laquelle  Mme  Maurice  Gallet  a  fait 
apprécier  sa  voix  généreuse  conduite  avec  un  art  consommé,  comprenait  une 
«  cantate  italienne  »  sur  un  texte  profane  :  «  non  sa  che  sia  dolore  »,pour  so- 
prano et  orchestre  à  cordes  avec  flûte,  œuvre  importante  consistant  en  une 
ouverture  et  deux  airs  très  développés  dont  le  second  surtout,  une  mer- 
veille de  grâce  et  d'esprit  fut  bissé;  —  et  un  air  pour  contralto  extrait  de 
«  gratulation  cantate  »,  excellemment  traduit  par  l'organe  vibrant  de  Mme  Oli- 
vier. Cet  air,  que  Bach  n'a  pas  utilisé  et  a  laissé  sans  emploi  connu  (son 
vaste  génie  lui  permettait  ces  prodigalités),  est  constitué  par  la  partie  vocale 
intégrale  dont  M™  H.  Fuchs  donna  une  excellente  adaptation  française,  et 
une  bas>e  non  chiffrée  que  M.  Jemain  a  harmonisée.  De  cette  tâche  ingrate 
et  difficile,  il  s'acquitta  avec  tact  et  respect.  M.  Paul  Vidal  conduisait  l'or- 
chestre avec  son  autorité  accoutumée.  La  Fondation  Rach  prend  chaque 
année  un  essor  plus  grand,  juste  récompense  des  efforts  persévérants,  des 
patientes  recherches  de  son  sympathique  directeur  M.  Charles  Rouvet. 

—  Quatuor-Parent.  —  A  la  dernière  soirée  du  cycle  Schumann,  M"0  Su- 
zanne Cesbron  a  retrouvé  la  même  poésie  et  le  même  succès  en  iuterprétant 
le  beau  poème  vocal  en  huit  chants.  l'Amour  et  la  Vie  d'une  femme,  redemandé 
par  un  nombreux  public.  MUc  Marthe  Dron,  qui  l'accompagnait,  n'a  pas  été 
moins  applaudie  en  évoquant  sous  ses  doigts  fuselés  la  vie  intérieure  des 
deux  be  les  sonates  juvéniles,  la  première  en  fa  dièse  mineur  (op.  11),  sorte 
d'improvisation  romantique  qui  compte  parmi  les  «  beautés  d'expression  »,  la 
seconde  en  sol  mineur  (op.  22),  plus  classique  de  forme,  qui  se  range  parmi 
les  «  beautés  de  proportion  »  :  les  artistes  aiment  mieux  la  première,  et  le 
public  préfère  la  seconde.  Enlevée  par  M.  Parent  et  Mllc  Dron,  l'admirable 
sonate  en  ré  mineur  (op.  121)  résume  souverainement  lo  génie  mémo  de 
Schumann,  avec  son  exaltation  discrète  et  sa  fièvre.  Raymond  Rouver. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(POUR    LES    SEULS    ABOYÉS    A    LA    MUSIQUE) 


Avec  ce  premier  numéro  de  notre  74"  année  de  publication,  non-  donnons  un 
Menuet  de  Théodore  Dubois  :  musique  finement  écrite  et  d'une  distinction 

On  a  toujours  plaisir  à  frayer  avec  des  oeuvres  de  bonne  compagnie,  qui  n'ont  ni  la 
banalité  courante  des  compositeurs  à  la  course,  ni  les  vides  quintessences  ou  liallu- 
cinations  de  nos  chercheurs  d'infini. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


D'après  une  dépêche  publiée  ces  jours  derniers,  le  conseil  municipal  de 
Vienne  aurait  décidé  d'entreprendre  les  démarches  nécessaires  pour  obtenir 
le  transfert  des  restes  mortels  du  célèbre  compositeur  Haydn,  qui  seraient 
inhumés  à  côté  de  ceux  de  Beethoven  et  de  Schubert.  Cette  dépêche  ajoute 
que  le  tombeau  de  Haydn  se  trouve  actuellement  a  Eisenstadt  (Tyrol).  D'a- 
bord, Eisenstadt  n'est  pas  située  en  Tyrol,  mais  en  Hongrie;  c'était,  on  le 
sait,  la  résidence  des  princes  Esterhazy,  les  protecteurs  de  Haydn,  qui  fut 
leur  commensal  jusqu'à  son  extrême  vieillesse,  c'est-à-dire  jusqu'au  jour  où 
l'âge  l'obligea  à  leur  demander  sa  retraite  et  où  il  alla  se  fixer  à  Gumpendorf, 
faubourg  de  Vienne,  dans  une  petite  maison  achetée  par  lui.  Justement,  Fétis 
annonce  que  l'inhumation  du  vieux  maître  eut  lieu  à  Gumpendorf,  ce  qui  con- 
tredirait le  détail  donné  par  la  dépêche.  Il  est  vrai  que  Fétis  est  loin  d'être 
infaillible,  et  d'ailleurs  il  serait  possible  que  cette  inhumation  n'eût  eu  qu'un 
caractère  provisoire,  et  que  les  restes  de  Haydn  eussent  été  transportés  ensuite 
à  Eisenstadt. 

—  L'inauguration  solennelle  du  nouveau  théâtre  de  la  Cour,  à  Weimar. 
aura  lieu  le  11  janvier.  On  sait  quelle  grande  place  a  occupé  dans  l'art  l'an- 
cien théâtre  dont  la  démolition  a  été  rendue  nécessaire  par  son  état  de  vétusté. 
Gœthe  et  Liszt,  pour  ne  citer  que  ces  d-ux  grands  noms,  ont  mis  le  comble  à 
sa  renommée  littéraire  et  musicale.  Le  grand-duc  de  Weimar  n'a  rien  épar- 
gné pour  que  la  nouvelle  scène  soit  entièrement  digne  de  la  précédente  et 
construite  dans  des  conditions  de  confort  vraiment  irréprochables.  Les  invita- 
tions aux  fêtes  qui  se  préparent  seront  faites  en  son  nom  par  l'Intendance 
générale,  de  sorte  que  tous  les  visiteurs  seront  considérés  co  urne  les  hôtes  du 
souverain.  A  la  soirée  du  11  décembre  on  donnera  un  intermède  de  M.  Ri- 
chard Woss,  Jeux  de  fêle  du  priai  mps,  avec  une  musique  de  scène  de 
M.  Félix  Weingartner;  viendra  ensuite  le  «  Prologue  sur  le  théâtre»  du  Faust 
de  Gœthe,  puis,  après  un  entr'acte,  le  Camp  de  Wallenstein  de  Schiller,  et 
enfin,  pour  terminer  le  spectacle,  la  scène  de  la  prairie  formant  le  final  des 
Maîtres-Chanteurs  de  "Wagner.  L'empereur  d'Allemagne  a  promis  de  venir  à 
Weimar  pour  l'inauguration  du  nouveau  théâtre* 

—  La  comédienne  Anna  Schramm,  qui  a  obtenu  de  grands  succès  à  Rerlin 
dans  les  rôles  de  soubrette,  vient  de  distraire  de  la  succession  de  sa  sœur,  dont 
nous  annoncions  la  mort  il  y  a  quinze  iours,  une  somme  de  7.500  francs,  des- 
tinée à  constituer  le  premier  subside  d'une  fondation  d'un  genre  spécial  dont 
le  but  a  été  déterminé  en  ces  termes  :  «  Le  comité  de  la  société  sera  chargé, 
au  moyen  des  renseignements  qu'il  pourra  se  procurer  sur  la  condition  faite 
aux  acteurs  dans  les  théâtres  de  l'Allemagne,  d'exercer  une  pression  sur  les 
municipalités,  afin  qu'elles  imposent  aux  directeurs  des  théâtres  qui  leur 
appartiennent  l'obligation  d'assurer  aux  membres  les  moins  payés  de  leurs 
troupes  un  minimum  d'appointements  pouvant  leur  permettre  de  se  procurer 
un  logement  convenable  et  de  vivre  dans  une  situation  modeste  assurément, 
mais  toujours  honorable.  » 

—  Voici  quelques  renseignements  sur  les  quatre  ouvertures  écrites  par 
Wagner  à  l'époque  de  sa  jeunesse  et  dont  les  partitions  ont  été  découvertes 
ou  remises  en  lumière  depuis  peu  de  temps.  Ce  sont  :  le  Roi  Enzio,  Poloniu. 
Christophe  Colomb  et  Rule  Britannia.  Toutes  les  quatre  viennent  d'être  gravées  à 
Leipziget  M.  Sechiari  a  fait  entendre  tout  récemment  à  ses  concerts  de  Paris  la 
seconde  et  la  troisième.  Celle  du  Roi  Enzio  porte  la  date  du  3  février  1832;  elle 
fut  écrite  pour  le  drame  de  Raupach.  alors  en  vogue  sur  toutes  les  scènes 
allemandes,  et  qui  fut  joué  plusieurs  fois  à  Leipzig,  où  Rosalie  Wagner,  la 
sœur  du  maître,  remplissait  le  rôle  de  Lucia  di  Viadagoli,  tandis  que  la  mu  - 
sique  de  son  frère  servait  d'introduction  au  spectacle.  L'ouverture  de  Polonia 
a  été  pour  Wagner  l'occasion  de  manifester  les  sentiments  chaleureux  que  lui 
avait  inspirés  la  révolution  polonaise  de  1831.  Pendant  son  séjour  à  Paris  il 
offrit  cet  ouvrage  au  chef  d'orchestre  Duvinage,  espérant  quecelui-ci  pourrait 
le  faire  incrire  au  programme  d'une  fête  de  bienfaisance  organisée  par  la 
princesse  Czarloryska  au  bénéfice  des  réfugiés  Polonais.  Cette  fête  eut  lieu  le 
3  marslSiO,  au  Théâtre  de  la  Renaissance,  mais  l'œuvre  n'y  l'ut  pas  exécutée. 
Quarante  années  passèrent  sans  que  le  compositeur  eût  entendu  parler  de  son 
manuscrit.  Duvinage  parait  l'avoir  conservé  vingt  ans,  pour  le  céder  ensuite  à 
Henry  LitolIT,  de  qui  le  tint  à  son  tour  Arban.  Ce  dernier  en  Ut  transcrire  les 
parties  en  vue  d'une  audition  à  ses  concerts  du  Casino.  En  1879,  l'éditeur 
Choudens  acquit  la  partition  de  cette  ouverture  à  la  vente  du  fonds  Escudier  ; 


LE  MÉNESTREL 


il  la  communiqua  à  Paodeloup,  qui  la  remit  lui-même  à  Charles  Nuitter  ;  ce 
dernier  la  rendit  à  Wagner  en  1881.  Elle  fut  jouée  à  Palerme  peu  de  temps 
après.  L'ouverture  de  Chrktoph*  Colomb  remonte  à  l'époque  où  Wagner  s'oc- 
cupait de  l'opéra  la  Défense  d'aimer  ;  elle  a  été  composée  pour  le  drame  de 
Théodore  Apel  portant  le  même  titre  qu'elle.  On  la  fit  entendre  en  1833,  aux 
concerts  du  Gewandhaus,  à  Leipzig,  et  ensuite  à  Riga,  le  19  mars  183S,  sous 
la  direction  de  l'auteur.  La  Société  des  concerts  du  Conservatoire  de  Paris 
l'essaya  en  1840  et  les  choses  en  restèrent  là;  elle  fut  pourtant  donnée  en 
audition  publique  le  4  février  1841,  salle  Herz  ;  Schlesinger  conduisait  l'or- 
chestre. Wagner  envoya  ensuite  les  parties- instrumentales  à  l'entrepreneur 
de  concerts  Jullien,  de  Londres  :  celui-ci  n'en  voulut  pas  et  les  retourna  par 
la  poste  au  compositeur,  qui  refusa  d'en  prendre  livraison  afin  de  ne  pas  avoir 
à  payer  les  frais  de  port.  On  ne  dit  pas  comment  ces  parties  ont  été  retrou- 
vées. Quant  à  l'ouverture  de  Rule  Britannia,  l'-squisse  première  de  la  parti- 
tion, conservée  aux  archives  de  Bayreuth,  por'e  la  date  de  1836,  mais 
l'œuvre  ne  fut  achevée  qu'en  mars  1837.  à  Kœnigsberg  ;  elle  fut  exécutée  une 
fois  dans  cette  ville  et  une  fois  à  Riga,  sous  la  direction  personnelle  du 
maître.  Lors  de  sa  première  visite  à  Londres,  en  1839  Wagner  remit  sa  par- 
tition a  la  Société  philharmonique,  espérant  qu'elle  serait  jouée  par  elle,  ce 
qui  n'eut  pas  lieu.  Le  manuscrit  fut  renvoyé  à  Paris  en  un  paquet  non  affran- 
chi. Wagner  refusa  de  l'accepter,  comme  cela  parait  avoir  été  son  habitude  à 
cause  de  sa  détresse  pécuniaire.  Il  croyait  d'ailleurs  pouvoir  s'en  passer,  car  il 
avait  en  main  les  parties  d'orchestre.  Mais  ces  parties  furent  détruites  en 
1869,  dans  l'incendie  de  l'Opéra  de  Dresde.  Quant  au  paquet  refusé,  on  ignore 
à  la  suite  de  quelles  circonstances  il  tomba  en  la  possession  de  M.  E  -W. 
Thomas,  l'ancien  chef  d'orchestre  de  l'Opéra,  à  Leicester,  qui  le  vendit  à 
M.  Cyrus  Bertie  Gamble.  Il  a  été  retrouvé  en  mai  1904.  On  lit  sur  le  pre- 
mier feuillet  de  la  partition  :  «  Richard  Wagner,  15  mars  1837,  Kœnigsberg, 
Prusse  ».  R  y  a  dans  une  annexe  l'indication  d'un  arrangement  de  la  coda 
pour  musique  militaire. 

—  Au  théâtre  de  Nuremberg  un  charmant  intermède  de  Noël,  Princesse 
Ilerzlieb,  paroles  de  Mmo  Erica  Gruge-Lorcher,  musique  de  M.  J.  Wolf,  vient 
d'être  représenté  pour  la  première  fois. 

—  Le  théâtre  de  la  Cour  de  Brunswick  a  donné  comme  nouveauté,  à  l'occa- 
sion des  fêtes  de  Noël,  la  première  représentation  d'un  opéra  nouveau  de 
M.  Johannes  Doebher,  l'Apprenti  sortir.  Les  paroles  sont  de  M.  Hermann 
Erler,  d'après  la  ballade  de  Goethe.  L'ouvrage  a  obtenu  un  très  grand  succès. 

—  On  rappelle  un  mot  de  souverain  adressé  au  célèbre  compositeur  Fux, 
l'auteur  du  fameux  Gradus  ad  Parnassum.  qui  fut,  à  Vienne,  successivement 
maître  de  chapelle  des  trois  empereurs  Léopold,  Joseph  Ier  et  Charles  VI.  tous 
trois  excellents  musiciens.  Charles  VI  ne  dédaignait  même  pas  de  tenir  par- 
fois sa  partie  dans  son  orchestre,  outre  qu'il  lui  arrivait  d'accompagner  au 
piano  telle  ou  telle  cantatrice  chantant  au  concert  de  la  Cour.  Il  avait  com- 
mandé à  Fux  la  musique  d'un  opéra  intitulé  Elisa,  destiné  à  être  représenté 
pour  l'anniversaire  de  la  naissance  de  l'archiduchesse,  sa  tante.  Or,  il  arriva 
qu'à  la  troisième  représentation  de  l'ouvrage,  l'empereur  eut  la  fantaisie  de 
remplacer  son  maître  de  chapelle  au  clavecin  et  de  diriger  lui  même  l'exécu- 
tion; Fux,  assis  auprès  de  lui,  lui  tournait  les  pages  de  la  partition.  A  un  mo- 
ment donné,  où  la  direction  présentait  une  réelle  difficulté,  le  souverain  se 
tira  d'affaire  avec  tant  d'habileté,  qu'en  dépit  des  règles  de  l'étiquette  Fux  ne 
put  s'empêcher  de  crier  un  «  bravo  »  retentissant.  Puis,  se  penchant  près  de 
l'oreille  de  son  maitre  :  «  Sur  ma  foi,  Sire,  vous  feriez  un  excellent  maître  de 
chapelle  ».  A  quoi  l'empereur  lui  répondit  en  souriant  :  «  Je  le  sais  bien, 
mais  j'aime  autant  être  empereur  ». 

—  Le  compositeur  Max  Bruch,  l'auteur  de  tant  de  cantates  fameuses  pour 
chœur  et  orchestre  :  Odysseus,  Arminius,  Fmthiof,  Achille,  le  Chant  de  la  Cloche, 
Leonidas,  etc.,  célébrera,  le  lundi  6  janvier,  à  Cologne,  le  soixante-dixième 
anniversaire  de  sa  naissance.  Il  assistera  le  lendemain,  dans  la  salle  de  Gùr- 
zenich,  à  un  grand  concert  donné  en  son  honneur  à  cette  occasion. 

—  Un  petit-fils  de  Lortzing,  maître  de  chapelle  à  Innspruck,  vient  de  se 
révéler  compositeur  en  écrivant  un  opéra-comique,  le  Soulier  d'or,  qui  sera  re- 
présenté prochainement  à  l'Opéra  Populaire  de  Vienne. 

—  M.  Gottschall  vient  de  publier  dans  la  Neue  Revue  deLeipzig  d'intéressants 
souvenirs  personnels  sur  Henri  Heine.  On  y  trouve  le  récit  suivant  :  «  J'avais 
été  chargé  par  l'éditeur  Campe  de  remettre  au  poète  le  premier  exemplaire 
imprimé  de  son  Romancero.  Je  me  rendis  rue  d'Amsterdam  et  me  trouvai 
bientôt,  introduit  derrière  un  paravent  espagnol,  près  du  lit  où  le  malade 
gisait  dans  une  demi-obscurité.  Le  malheureux  ne  pouvait  ouvrir  les  yeux;  il 
dut,  avec  ses  doigts,  soulever  ses  paupières  pour  voir  le  nouveau  livre.  Il  le 
prit  dans  ses  mains  et  le  considéra  silencieusement;  c'était  comme  un  gage 
de  la  gloire  posthume  qui  l'attendait.  Je  compris  alors  que  les  lamentations 
du  flonmneero  n'avaient  été  que  l'écho  poétique  des  souffrances  qu'il  avait  endu- 
rées. Peu  à  peu,  il  se  mit  à  causer.  Il  entreprit  le  chapitre  de  ses  «  bêtes 
noires»,  paTmi  lesquelles  comptaient  Meyerbeer,  la  comtesse  d'Agoult  et 
Louis  Napoléon  Bonaparte,  le  président  de  la  République  française,  qu'il 
détestait  autant  qu'il  avait  aimé  Napoléon  IEr.  On  parla  naturellement  de  la 
littérature  allemande  :  de  Gutzkow,  'te  Laube,  d'Herwegh,  de  Dingestedt... 
enfin  de  Maurice  Hartmann,  qui  devint  la  victime  d'une  de  ses  plus  fines  mo- 
queries. Il  dit  de  lui  que  c'était  un  très  bel  homme  et  qu'il  espérait  bien  que 
toutes  les  femmes  en  seraient  amoureuses,  à  l'exception  toutefois  des  neuf 
muses  ».  Heine  devait  mourir  quelques  années  après,  en  1856.  Tout  ce  qui 
touche  de  près  ou  de  loin  ce  grand  poète  d'esprit  si  français  doit  intéresser  les 


musiciens,  car  il  est,  parmi  tous  les  écrivains,  celui  dont  les  œuvres  ont  été 
le  plus  souvent  choisies  pour  servir  de  texte  à  des  compositions  musicales.  On 
possède,  sur  des  paroles  de  lui,  3.601  mélodies  à  une  voix,  90  duos,  137  chœurs 
mixtes,  232  chœurs  pour  voix  d'hommes,  35  chœurs  ou  trios  pour  voix  de 
femmes,  12  mélodrames:  en  tout  4.127  compositions. 

—  Encore  une  application  excentrique  du  gramophone.  Dans  le  Bulletin 
allemand  des  demandes  de  brevet,  s'en  trouve  une  d'un  industriel  qui  a  inventé 
un  appareil  pour  jouer  des  marches  funèbres  à  un  enterrement!  Cet  appareil 
peut  être  mis  en  mouvement  par  le  cocher  du  corbillard,  et  le  son  sort  de 
dessous  la  voiture.  Il  remplace,  affirme  son  auteur,  toute  une  fanfare. 

—  On  télégraphie  de  Saint-Pétersbourg  que  M.  Eugène  Ysaye,  en  quittant 
le  Théâtre-Marie,  où  il  venait  de  donner  un  de  ses  concerts,  n'a  pas  retrouvé 
l'un  de  ses  violons.  L'instrument  a  été  enlevé  pendant  que  M.  Ysaye  étritsur 
l'estrade.  Le  violon  disparu  était  un  des  plus  beaux  Stradivarius,  connu  sous 
le  nom  de  «  l'Hercule  »  et  d'une  valeur  de  50.000  francs.  Les  recherches  n'ont 
encore  abouti  à  aucun  résultat. 

—  On  dit  que  M.  Paderewski  aurait  été  appelé  à  prendre  la  direction  du 
Conservatoire  de  musique  de  Varsovie,  rendue  vacante  par  la  retraite  de 
M.  Emile   Mlynarski. 

—  A  Trieste  vient  d'avoir  lieu,  avec  un  certain  éclat,  l'exécution  des  qua- 
tuors couronnés  dans  un  concours  ouvert  récemment  par  le  Conservatoire  de 
cette  ville.  Deux  de  ces  qua'uors,  qui  avaient  tous  deux  obtenu  le  premier 
prix,  étaient  dus  au  même  compositeur,  et  ce  compositeur  était  une  femme, 
une  hollandaise,  Mme  Anna  Lamhrecht.  L'un  avait  pour  épigraphe  :  In  memo- 
riam,  l'autre  :  A  celui  qui  m'a  sauvé  la  vie.  Tous  deux  ont  produit  une  grande 
impression,  et  on  en  loue  surtout  le  tissu  harmonique,  très" remarquable  delà 
paît  d'une  femme.  Le  quatuor  qui  avait  obtenu  le  second  prix,  dont  l'auteur 
est  M.  Adolfo  Bossi,  a  été  accueilli  plus  froidement. 

—  On  doit  représenter  très  prochainement,  au  Casino  municipal  de  San 
Remo,  un  opéra  intitulé  Jocelyn;  dont  la  musique  a  été  écrite  par  le  maes4ro 
Tedrschi  sur  un  poème  de  feu  Villanis.  M.  Tedeschi,  qui  est  professeur  de 
harpe  au  Con.-ervatoire  de  Milan,  n'est  encore  connu  que  par  de  nombreuses 
compositions  instrumentales. 

—  D'autre  part,  le  théâtre  Dal  Vernie  de  Milan  annonce  la  prochaine  repré- 
sentation d'un  opéra  en  un  acte,  Jcba,  du  à  un  compositeur  espagnol,  M.  Ra- 
mon  Rodriguez-Socas. 

—  Le  14  décembre  dernier  a  eu  lieu  au  Quenn's  Hall  de  Londres  l'audition 
d'une  œuvre  nouvelle  de  M.  Edward  Elgar,  The  Wand  of  Youth  (la  baguette 
de  jeunesse).  C'est  une  suite  d'orchestre  en  sept  mouvements  qui  portent  les 
titres  suivants  :  Ouverture,  Sérénade,  Altnuet,  Danse  du  soleil,  Joueurs  de  corne- 
muse, Berceuse,  Elfes  et  géants.  Le  compositeur  écrivit  ces  morceaux  en  1869, 
étant  âgé  de  douze  ans,  à  l'occasion  d'une  fête  d'enfants  qui  fut  donnée  dans 
la  maison  de  son  père;  ses  frères  et  sœurs  les  jouèrent  sur  différents  instru- 
ments. Us  ont  été  entièrement  remaniés  pour  constituer  la  suite  d'orchestre 
qui  vient  d'être  exécutée  et  doit  être   suivie  d'une  autre  du  même  genre. 

—  Voici  une  amusante  nouvelle  qui  nous  arrive  d'Amérique.  On 
raconte  que  l'imprésario  Hammerstein ,  de  l'Opéra  de  Manhattan,  a 
fait  arrêter,  jeudi  soir,  au  théâtre  Majestic,  à  New-York,  le  ténor  Carlo 
Albani  qu'il  poursuit  en  vingt-cinq  mille  dollars  de  dommages  et  inté- 
rêts pour  violation  de  contrat  parce  qu'il  joue  sur  d'autres  scènes  que  les 
siennes.  Le  ténor  chantait  II  Trovatore  quand  l'agent  de  police  se  présenta  sur 
la  scène  pour  l'arrêter.  M.  Albani  protesta,  mais  tout  ce  qu'il  put  obtenir  fut 
d'achever  la  représentation  sous  les  yeux  du  policeman.  Celui-ci,  observant 
consciencieusement  sa  consigne  de  ne  pas  perdre  de  vue  l'artiste,  resta  cons- 
tamment à  ses  côtés  jusqu'à  la  fin  de  l'opéra,  faisant  avec  lui  les  sorties  et  les 
entrées  sans  le  quitter  d'une  semelle.  A  un  moment  où  le  héros  de  la  pièce 
recule  vers  les  coulisses,  l'agent  se  précipita,  croyant  que  son  prisonnier  s'en- 
fuyait. C'était  grotesque  ;  si  bien  que  le  public,  d'abord  indigné,  qui  avait 
sifflé  le  policpman,  finit  par  donner  libre  cours  à  un  rire  général  incoercible. 
Après  la  représentation,  M.  Albani  fut  laissé  en  liberté  sous  caution  de 
25.000  dollars.  On  s'attend  à  un  semblable  incident  quand  Mme  Tetrazzini,  à 
qui  M.  Conried,  imprésario  du  Metropolitan  Opéra  de  New-York,  conteste  le 
droit  de  chanter  sur  une  autre  scène,  va  paraître  à  l'Opéra  de  Manhattan. 
Tandis  que  les  impresarii  s'arrachent  les  chanteurs  et  les  divas,  le  ténor 
Constantino,  qui  chante  à  Boston,  dispute  à  M.  Caruso  le  litre  de  champion  des 
ténors  et  le  défie  devant  une  commission  d'experts  qui  décidera  lequel  des 
deux  artistes  est  supérieur  à  l'autre.  M.  Constantino  offre  de  parier  cinquante 
mille  francs. 

—  Rien  ne  manquera  à  la  gloire  de  l'inventeur  du  phonographe,  puisque  le 
voici  qui  va  devenir  le  héros  d'une  action  chorégraphique.  Un  journal  améri- 
cain affirme  qu'un  M.  Emile  Durer,  qui  vit  depuis  longtemps  dans  son  inti- 
mité, vient  de  perpétrer  le  scénario  d'un  gand  ballet-pantomime  en  deux  actes 
et  onze  tableaux,  qui  aura  précisément  pour  titre  Edison.  La  musique  de  ce 
ballet  a  été  confiée  à  deux  compositeurs,  et  l'on  compte  qu'il  sera  joué  dans 
un  avenir  prochain. 

—  De  Santiago  de  Cuba  :  Les  concerts  vocaux  et  instrumentaux  organisés 
par  M.  Rafaël  P.  Salcedo,  à  la<  Société  Beethoven,  sont  toujours  fort  réguliè- 
rement suivis  par  une  assistance  très  nombreuse  qui  goûte  tout  particulière- 
ment les  programmes  composés  presque  exclusivement  de  musique  française. 
A  la  séance  du  4  décembre,  on  a  applaudi  à  l'excellente  exécution  de  la  Fan 


LE  MENESTKEL 


taisie  de  A.  Duvernoy,  de  la  Danse  des  sylphes  de  F-.  Gode-froid,  de  la  trans- 
cription de  Neustedt  sur  la  Romance  du  saule  A' Othello  de  Rossini,  do  la  Valse 
arabesque  de  Lack  et  dos  fragments  des  ballets,  CoppéliaAe  Del'bes.  la  Tempête 
d'Ambroise  Thomas  et  le  Cid  de  Massenet. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

Il  serait  dans  les  projets  de  M.  Briand  do  modifier  sur  certains  points 
l'organisation  actuelle  de  la  Comédie-Française.  Il  s'agirait  de  rajeunir 
rjuelquepeu  le  décret  de  Moscou.  Mais  la  principale  modification  parait  devoir 
consister  en  une  augmentation  de  la  subvention.  C'est  toujours  la  princesse 
qui  paiera,  —  alias  le  contribuable. 

—  Toute  cette  semaine,  à  l'Opéra,  ce  ne  furent  que  festons,  ce  ne  furent 
quastragales.  Et  l'on  peut  dire  que  l'on  a  enterré  la  direction  de  M.  Gailhard 
sous  des  Heurs,  arrosées  de  quelques  larmes  qui  n'étaient  pas  de  crocodile.  Mais 
elle  entend  bien  ressusciter,  cette  direction,  et  avant  qu'il  soit  longtemps.  S'il 
faut  en  croire  les  palabres  échangés,  M.  Gailhard  n'est  plus  un  homme,  c'est 
une  institution  qui  ne  doit  pas  périr.  Vingt  ans  de  direction  bonne  ou  mau- 
vaise ne  lui  suffisent  pas;  c'est  à  la  pérennité  qu'il  vise.  L'Opéra  est  son  bien, 
son  fief,  et  il  ne  le  quitte  pas  sans  espoir  de  retour.  Nous  avons  vu  les  adieux 
de  Fontainebleau,  où  il  pressa  sur  son  sein  ses  derniers  maréchaux,  M.  I.  de 
Camondo,  «  l'éminent  compositeur  »,  et  M.  Gaston  Dreyfus,  qui  représentait 
«  l'élite  des  abonnés  ».  Ces  deux  messieurs  ont  eu  des  paroles  éloquentes  et 
émues.  Et  pourquoi  pas  ?  M.  Gailhard,  qui  fut  un  directeur  discutable,  n'est 
pas  assurément  un  mauvais  homme.  Il  prépare  tout  doucement  son  retour  de 
l'île  d'Elbe.  C'est  son  droit,  après  tout.  Espérons  pour  lui  que  l'Histoire  n'ira  pas 
plus  avant. 

.  —  Et  maintenant,  voici  installée  la  nouvelle  direction.  La»  transmission  des 
pouvoirs  »,  comme  on  dit  un  peu  superbement,  s'est  correctement  effectuée, 
par  l'aimable  intermédiaire  du  commissaire  du  gouvernement,  M.  Bernheim. 
Maintenant  on  va  restaurer  ferme  le  local,  tant  qu'on  pourra  ;  et  MM.  Messa- 
ger et  Broussan  espèrent,  auxalentours  du  2b  janvier,  inaugurer  leur  direction 
nouvelle  avec  un  Faust  rétamé  et  complètement  remis  à  neuf.  Bonne  chance  et 
longue  prospérité  !  Puissent-ils  échapperaux  complots  déjà  ourdis  contre  leur 
administration,  aux  chausse- trappes  déjà  semées  sous  leurs  pas. 

—  A  peine  installé  en  ses  nouvelles  fonctions  de  directeur  de  l'Opéra, 
M.  Messager  a  pris  un  congé  de  48  heures,  pour  assister  à  la  répétition  géné- 
rale et  à  la  première  représentation  de  son  opéra  Fortuniu,  au  Théâtre  de  la 
Monnaie  de  Bruxelles,  —  ce  soir  samedi.  M.  Messager  sera  de  retour  à  Paris 
dès  demain  dimanche. 

—  Spectacles  de  dimanche  à  l'Opéra-Comigue  :  en  matinée,  Iphigénie  eu 
Aulide;  le  soir,  Louise.  Lundi,  en  représentation  populaire  à  prix  réduits  : 
Fortunio. 

—  C'est  mardi  prochain,  7  janvier,  que  commenceront  les  représentations 
du  Théàtre-Lyrique-Populaire  de  la  Gaité.Les  ouvrages  qui  feront  l'affiche  des 
premiers  spectacles  seront  Mireille,  Mignon,  Lakmé  et  la  Traviala,  tous  ouvra- 
ges autorisés  par  les  auteurs  et  les  éditeurs.  Il  faudra  ensuite  obtenir  de 
nouvelles  autorisations  pour  les  autres  ouvrages  annoncés.  On  ne  les  aura  pas 
toutes,  —  des  compositeurs  ayant  l'intention  de  s'opposer  absolument  au 
transfert  de  leurs  œuvres  des  théâtres  subventionnés  au  Théâtre-Lyrique  de  la 
Gaité.  C'est  assurément  leur  droit. 

—  Le  comité  Edmond  Membrée  s'est  réuni  vendredi  dernier,  sous  la  prési- 
dence de  M.  Gabriel  Fauré.  Il  a  été  décidé  qu'on  donnerait  au  commencement 
du  mois  de  mars  un  festival,  composé  exclusivement  des  œuvres  du  maitre  et 
dont  le  produit  sera  affecté  à  un  médaillon  du  compositeur.  Ce  médaillon  sera 
placé  sur  la  façade  de  la  maison-oii  Membrée  est  né,  à  Valenciennes.  Le  comité 
a  été  avisé  par  la  municipalité  de  Valenciennes  que  le  nom  d'Edmond  Mem- 
brée était  donné  à  une  des  rues  de  la  ville. 

—  L'Académie  de  médecine  a  décerné  une  mention  très  honorable  (concours 
pour  le  prix  Henri  Lorquet)  au  docteur  J.  Ingegnieros.de  Buenos-Ayres.  pour 
son  mémoire  intitulé  le  Langage  musical  et  ses  troubles  hystériques. 

—  Notre  sympathique  confrère  M.  Georges  Boyer  quitte  l'Opéra,  où  il  a 
exercé  pendant  près  de  vingt  ans,  avec  la  plus  grande  distinction  et  la  plus 
parfaite  courtoisie,  les  fonctions  de  secrétaire  général.  Il  entre  en  la  même 
qualité  à  la  librairie  OUendorff,  où  toutes  les  sympathies  le  suivront  et  où  il 
demeurera  toujours  en  contact  avec  le  monde  des  lettres  et  des  arts. 

—  Le  programme  du  neuvième  samedi  de  la  Société  de  l'Histoire  du  Théâ- 
tre, aujourd'hui,  à  cinq  heures,  au  Théàtre-Sarah-Bernhardt,  comporte  une 
causerie  de  M.  Camille  Le  Senne,  et  les  récitations  ou  auditions  suivantes, 
qui  accompagneront  la  causerie  : 

Air  de  la  Reine  des  Huguenots  (Meyerbeer),  par  M""  Alice  Verlet,  de  l'Opéra- 
Comique. 

Air  de  Philine  de  Wgnon  (A.  Thomas),  par  M""  Pornot,  de  l'Opéra-Comique. 

Le  Misanthrope  (scène  de  Célimène  et  d'Arsinoë),  par  M""  Suzanne  Dèvoyod,  de  la 
Comédie-Française,  et  Albert. 

Le  Jeu  de  l'amour  et  du  hasard  (scène  de  l'acte  III),  par  M"«  Bartet  et  M.  Georges 
Baillet,  sociétaires  de  la  Comédie-Française. 

Air  de  Manon  (Massenet),  par  M"»  Donalda,  de  l'Opéra-Comique. 

Conseils  à  une  Parisienne  (Alfred  de  Musset),  par  M.  André  Brûlé,  de  l'Athénée. 


—  Notre  distingué  confrère   Edmond  Stoullig  vienl  de  faire   parail 
librairie  Ollendorll'.  ses  excellentes  Annales  du  Théâtre  et  de  h,  Musique.  :  le  32 
volume  de  cette  unique  et  précieuse  publication,   qu'a  justemenl   couronnée 
l'Académie  française,  et  qu'attendent  avec  une  si   légitime  impatii 

ceux  qui,  de  près  ou  de  loin,  s'intéressent  aux  choses  dramatiques   et  musi- 
cales. On  sait  que  chaque  année  le  livre  est  orné   d'une  préface.    Elle 
fois,  pour  titre  :  L'Auteur  dramatique,  et  elle  esl  signée  Adolph    Brissi 
sur  un  sajet  de  brûlante  actualité,  un  chef-d'œuvre  de  satire  élégant 
dante  qui  nous  parait  devoir  faire  quelque  «  bruit  dans  Landerneau     . 

—  Le  conseil  municipal  de  Marseille  a  désigné  comme  directeur  de  l'Opéra 
municipal,  pour  la  saison  prochaine,  M.  Saugey.  l'ancien  directeur  di    !  I  Ipél 
de  Nice  et  l'actuel  directeur  du  Casino  de  Vichy. 

—  On  nous  écrit  de  Nice  pour  nous  signaler  tout  particulièrement  les 
brillants  débuts  d'une  toute  jeune  cantatrice,  Mllc'  Lucienne  Mantoue,  i  li 

M1"1-'  Esther  Chevalier,  de  JOpéra-Comique,  qui,  tour  à  tour,  dan-  Mireille 
Werther  et  Orphée,  a  l'ait  chaleureusement  applaudir  une  jolie  voix,  une 
exquise  virtuosité,  un  style  délicieux,  en  même  temps  qu'un  très  agréable 
talent  de  comédienne. 

—  A  Chartres,  très  joli  concert  d'œuvras  de  Théodore  Dubois  qui,  présent, 
est  l'objet  de  chaleureuses  ovations.  On  fait  grand  succès  aussi  à  M.  Jean 
Reder  et  à  M.  Willaume;  à  ce  dernier  l'on  bisse  le  Sehrrzo-ea/se,  pour  violon 
et  piano,  accompagné  par  l'auteur. 

—  SomÉiis  et  Concerts.  —  A  la  dernière  séance  du  •<  Lied  moderne  t,  très  gros 
succès  pour  M"°  Marteau  de  Milleville  et  M.  Mausuière  dans  toute  une  série  des 
Poèmes  de  Jade,  de  Gabriel  Fabre,  accompagnés  par  l'auteur  :  ta  Fleur  défendue,  la 
Fleur  d'oranger,  De  l'autre  côté  du  fleuve  et  Ivresse  d'amour.  —  Charmante  matinée 
musicale  donnée  par  les  élèves  de  M""  Le  Grix.  Très  remarqués  :  M""  F.-M.  (Chant 
provençal,  Massen-t),  ït.-V.  (Air  du  Musoli  de  la  Perle  du  Brésil,  F.  David),  Y.-V.  et 
M.  L.-S.  (duo  de  Sigurd,  Eeyer),  M""  E.-L.  (air  de  Thaïs,  Massenet)  et  M1"  E.  Arioso, 
Delibes)  —  Salle  des  concerts  de  la  rue  d'Athènes,  superbe  festival  Diémer  d"nné 
par  les  «  Soirées  d'Art  »  de  M.  Barrau.  Outre  le  maître  virtuose,  on  applaudit 
M1"  Marcello  Preg'i,  MM.  David  Devriès,  Pu.  Gaubert,  J.  Boucherit  et  L.  Fnurnier. 
Les  Ailes,  Dernières  roses,  les  Cimes,  le  Cavalier,  pour  le  chant,  3'  Oriental'-,  h  Furet 
pour  piano,  et  des  œuvres  pour  musique  instrumentale  valent  très  grand  succès  à 
cette  remarquable  phalange  d'interprètes.  —  Très  brillante  matinée  musicale  consa 
crée  aux  œuvres  de  Théodore  Dubois,  chez  M"'  Marguerite  Touzard.  Grand  succès 
pour  tous  les  interprètes,  chaiulement  félicités  par  le  maitre  qui  accompagnait  et  a 
exécuté  avec  la  maîtresse  de  maison  la  Suite  villageoise.  Au  programme,  M.  Saîler 
lAnd'inte  et  scherzo-valse  pour  violon),  M.  Bas  et  M"'  Fonlupt  'Pièces  canonique*  pour 
hautbois  et  violoncelle),  M""  Mary-Geist  (Par  le  sentier  et  iJésir  dCAcriti.  M"-  Y.  Bru- 
chausen  (les  Abeilles).  —  Chez  M™*  Cadot  Archainbaud ,  charmante  audition 
d'élèves  consacrée  aux  œuvres  de  Théodore  Dubois,  qui  a  vivement  félicité"  l'excel- 
lent professeur  et  les  charmants  interprètes,  tant  pianistes  que  chanteurs  ou  chan- 
teuses. 

—  Cours  et  Leçons.  —  M.  Achille  Kerrion  a  repris  ses  cours  et  leçons  de  violon- 
celle et  d'accompagnement,  13  bis,  ruelamari. 

NÉCROLOGIE 
Nous  avons  le  vif  regret  d'annoncer  la  mort,  à  Lille,  de  M.  Maurice 
Maquet,  qui  avait,  en  ces  dernières  années,  provoqué  dans  cette  ville  un 
mouvement  musical  très  intense  et  fort  intelligent.  Simple  dilettante,  mais 
très  instruit  et  doué  d'une  rare  activité,  M.Maurice  Maquet  avait  fondé  en  1889,  a 
Lille,  l'Orchestre  et  chœurs  d'amateurs,  société  chorale  et  symphonique  qui 
fit,  sous  sa  direction,  de  rapides  progrès.  En  1901,  il  la  transforma  en  une 
organisation  plus  puissante,  la  Société  de  musique  de  Lille,  forte  de  deux 
cents  choristes  et  d'un  orchestre  de  cent  exécutants,  à  laquelle  il  devait  con- 
sacrer tout  son  enthousiasme,  toute  son  énergie  et  sa  remarquable  intelligence. 
Grâce  à  son  initiative,  Lille  connut  ainsi  de  belles  séances  musicales,  où 
furent  révélées  au  public  du  Nord  les  grandes  œuvres  symphoniques  et  cho- 
rales, telles  que  le  Déluge  de  Saint-Saëns,  Roméo  et  Juliette  et  le  Requiem  de 
Berlioz,  VAclus  trauicus  de  Bach,  les  Béatitudes  de  César  Franck,  la  Vestale  de 
Spontini,  le  Requiem  de  Brahms,  d'importants  fragments  des  Maîtres  Chanteurs 
et  de  Parsifal,  jusqu'alors  ignorées.  La  mort  de  M.  Maurice  Maquet,  emporté 
à  l'âge  de  44  ans  .pai'  une  infiuenza  infectieuse  à  la  veille  du  festival  Schubert 
qu'il  devait  diriger,  est  une  perte  sérieuse  pour  la  cause  de  l'art  dans  le  nord 
de  la  France,  où  son  action  avait  été  féconde  autant  que  nécessaire. 

—  De  Rome  on  annonce  la  mort  du  ténor  Enzo  Ghilardini,  qui  eut  une 
période  de  notoriété  et  de  fortune.  Frappé  il  y  a  un  an  d'une  apoplexie  incu- 
rable, il  ne  se  remit  plus.  Dernièrement,  à  l'hospice  du  Saint-Esprit,  où  il 
avait  élé  placé,  il  fut  pris  d'un  accès  de  folie  :  il  manifestait  constamment  la 
crainte  d'être  empoisonné,  et  pour  cette  raison  refusant  obstinément  toute 
espèce  de  nourriture,  il  est  mort  d'inanition. 

—  On  annonce  de  Vienne  la  mort  du  jeune  compositeur  Hugo  Kobler,  qui 
a  fait  jouer  le  5  mai  1906,  au  Garl-Theater,  l'Adolescent  aux  roses,  opérette  qui 
obtint  beaucoup  de  succès. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

en  l'étude   de  Me  Panhard.   notaire,  rue  Rouge- 
mont,  4,  le  16  janvier  190S,  à  2  heures. 
LA    PROPRIÉTÉ    LITTÉRAIRE    ET    ARTISTIQUE 

de  diverses  œuvres  musicales.  —  Mise  à  prix  (pouvant  être  baissée)  :  1.000  fr. 
S'adresser  à  M05  Panhard.  notaire,  et  Haquin,  avoué. 


ADJUDICATION 


LE  MÉNESTREL 


fesoixarrte-quatorsïièiïi©     année     d©     publication. 


PRIMES  1908  du  MÉNESTREL 

JOURNAL    DE    MUSIQUE    FONDÉ    LE    1er    DÉCEMBRE    1833 

Paraissant  lous  les  samedis  en  huit  pages  de  texte,  donnant  les  comptes  rendus  et  nouvelles  des  Théâtres  et  Concerts,  des  Notices  biographiques  et  Études 

sur  les  grands  compositeurs  et  leurs  œuvres,  des  articles  d'esthétique  et  ethnographie  musicales,  des  correspondances  étrangères, 

des  chroniques  et  articles  de  fantaisie,  etc., 

publiant  en  dehors  du  texte,  chaque  samedi,  un  morceau  de  choix  (inédit)  pour  le  CilAXT  ou  pour  le  PIANO  et  offrant  à  ses  abonnés, 

chaque  année,  de  beaux  recueils-primes  CHANT  et  l'i  t\« 


C  xi  A.  -N  T    (1er  MODE  D'ABONNEMENT) 
Tout  abonné  à  la  musique  de  Chant  a  droit  GRATUITEMENT  à  l'une  des  primes  suivantes  : 


REYNÀLDO  HAHN 

FEUILLES  BLESSÉES  dm.., 

et  E.   PALADILHE 
Feuilles  Volantes  (6  nos) 


MAURICE  ROLLINAT 

PASTORALES 


MARIDS  VERSEPDY 

CHANSONS  D'AUVERGNE 

(30  n-) 


Recueillies,  notées  et  harmonisées 


ERNEST  MORET 

POEME  DU  SILENCE  <», 

et  Elle  et  Moi  (6  n"s) 


ou  à  l'un  des  six  Recueils  de  Mélodies  de  J.  Massenel 
ou  à  la  Chanson  des  Joujoux,  de  C.  Blanc  et  L.  Dauphin  (20  n°'),  un  volume  relié  in-8%  avec  illustrations 


i  couleur  .l'ADHIEN    MARIE 


J?  X  A.  .N  O    (2°  MODE  D'ABONNEMENT) 
Tout  abonné  à  la  musique  de  Piano  a  droit  GRATUITEMENT  à  l'une  des  primes  suivantes  : 


J.   MASSENET 

THÉRÈSE 

Drame    musical 
rtition    pour    piano    se 


THÉODORE  DUBOIS 

ÉTUDES  DE  CONCERT 

(12  n«) 
Un  recueil  grand  format  jé3U3 


EDMOND  MALHERBE 

PIÈCES  ENFANTINES 

(20  n«) 

Un  recueil  grand  format  j=3U3 


ERNEST  MORET 

CHANSONS  sans  PAROLES 

(12  n")  et 

Trois  Ixégendes 


à  l'un  des  volumes  in-8-  des  CLASSIQUES  MARMONTEL  :  MOZART,  HAYDN,  BEETHOVEN,  HUMMEL,  CLEMENTI,  CHOPIN,  ou  à  l'un  des 
recueils  du  PIANISTE -LECTEUR,  reproduction  des  manuscrits  autographes  des  principaux  pianistes -compositeurs,  ou  à  l'un  des  volumes  du  répertoire  des 
danses  de  JOHANN  STRAUSS,  GUNG'L,  FAHRBACH,  STROBL  et  KAUL1CH,  de  Vienne,  ou  OLIVIER  MÉTRA  et  STRAUSS,  de  Paris. 


GRANDE      F*FtIIVEE 

DE  PIANO  ET  DE  CHANT  REMUES,  POUR  LES   SEULS  ABOIES  A  L 


J.    MASSENET 


Drame    musical.    —    Poème    de    M.    JULES    GLARETIE 
Très  belle  édition  grand  format,  avec  couverture  en  chromo 


ou  l'une  des  TROIS  NOUVELLES  PARTITIONS  POUR  PIANO  A  4  MAINS,  transcrites  par  ALDER 


J.  MASSENET 


HÉRODIADE 

Opéra  en  4  actes 


EDOUARD  LALO 

LE    ROI    D'YS 

Opéra  4  enjxctes 


J.  MASSENET 


WERTHER 

Drame  lyrique  en  4  actes 


NOTA  IMPORTANT.  —  Ces  primes  sont  délivrées  gratuitement  dans  nos  bureaux,  Z  bis,  rue  Vivieune,  depuis  le  15  décembre  dernier,  à.  tout 
aneien  on  nouvel  abonné,  sur  la  présentation  de  la  quittance  d'abonnement  au  M IvYKVritl,!,  pour  l'année  190S.  Joindre  au  prix  d'abonnement 
un  supplément  d'IL'Y  ou  de  UËl'\  francs  pour  l'envoi  franco  dans  les  départements  delà  prime  simple  ou  double.  (Pour  l'Etranger,  l'envoi  franco 
des  primes  se  règle  selon  les  frais  de  Poste.) 

Les  abonnés  au  Chant  peuvent  prendre  la  prime  Piano  el  vice  versa.  -  Ceux  au  Piano  el  au  Chanl  réunis  ont  seuls  droit  à  la  grande  Prime .  -  Les  abonnés  au  texte  seul  n'ont  droit  à  aucune  prime. 

CHANT  CONDITIONS  D'ABQhNiiïiENT  AU  «  MÉNESTREL  »  PIANO 


!"  Mode  d'abonnement  :  Journal-Texte,  tous  les  samedis;  26  morceaux  de  chant  : 
Scènes,  Mélodies,  Romances,  paraissant  de  quinzaine  en  quinzaine;  1  Recueil- 
Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs;  Étranger,  Frais  de  poste  en  sus. 


2e  Mode  d'abonnement:  Journal-Texte,  tous  les  samedis;  26  morceaux  de  piano: 
Fantaisies,  Transcriptions,  Danses,  de  quinzaine  en  quinzaine;  1  Recueil- 
Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs;   Étranger  :  Frais  de  poste  en    sus. 


CHANT  ET  PIANO  RÉUNIS 

3e  Mode  d'abonnement,  comprenant  le  Texte  complet,  26  morceaux  de  ebant,  26  morceaux  de  piano,  les  2  Recueils-Primes  ou  une  Grande  Prime. 

Un  on  :  30  francs,  Paris  et  Province;  Étranger  :  Poste  en  sus. 

4°  Mode  d'abonnement.  Texte  seul,  sans  droit  aux  primes,  un  an  :  10  francs. 

On  souscrit  le  lor  de  chaque  mois.  —  Les  52  numéros  de  chaque  année  forment  collection. 

Adresser  franco  un  bon  sur  la  poste  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne. 


GÈRE,   20, 


—  IZacn  Lorilïfiux). 


—  74e  ANNÉE.  —  RM. 


PARAIT  TOUS   LES   SAMEDIS 


Samedi  11  Janvier  4908. 


(Les  Bureaux,  2bls,  rue  Vivienne,  Paris,  u-arr') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


Bec 


ENESTREL 


Le  flaméfo  :  o  îv.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL.     Directeur 


lie  fluméro  :  o  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province. —Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  ea  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixanle  ans  de  la  vie  de  Gluck  (3'  article),  Julien  Tieusot.  —  II.  Bulletin  théâtral  : 
reprise  de  Coralie  et  C",  au  Nouveau-Théâtre,  Amenée  Boutarel.  —  III.  Petites  Notes 
sans  portée  :  L'auteur  reflété  dans  son  œuvre,  Raymond  Bouyer.  —  IV.  Regards 
en  arrière  (2"  article)  :  Un  joli  Noël,  Léopold  Dauphin.  —  V.  Revue  des  grands  con- 
certs. —  VI.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

ADIEU  LA  ROSE 

n°  o  des  Idylles  et  Chansons  de  Jaques-Dalcroze,  sur  des  poésies  de  Gabriel 
Vicaire.  —  Suivra  immédiatement  :  le  Pécheur  de  Syracuse,  n°  4  des  Odelettes 
antiques,  de  Théodore  Dubois,  sur  des  poésies  de  Charles  Dubois. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano: 
Ronde  des  Korrigans,  n°  o  de  Féerie,  petite  suite  pour  piano  de  I.  Piiilipp.  — 
Suivra  immédiatement  :  Danse  des  Crotales,  a"  3  des  Danses  Tanagréennes  de 
Zino-Zina,  ballet  de  Paul  Vidal. 


PRIMES   GRATUITES  DU   MÉNESTREL 

pour  l'année  1908 

Voir  à  la  8e  page  des  précédents  numéros. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 


CHAPITRE  II 


ENFANCE    DE    GLUCK    EN  BOHEME 

Retourné  dans  les  forêts  de  Bohème  d'où  les  siens  s'étaient 
autrefois  arrachés,  il  n'y  resta  pas  assez  pour  reprendre  racine, 
mais  put  au  moins  puiser  la  sève  qui  devait  lui  rendre  la 
vigueur  native  de  sa  race.  Et  d'abord,  enfant,  il  y  mena  une 
rude  vie.  Quand,  dans  sa  vieillesse,  il  racontait  à  ses  amis  et  à 
ses  proches,  avec  la  complaisance  accoutumée  de  ceux  qui  ont 
fait  fortune,  les  souvenirs  de  ses  humbles  commencements,  il 
disait  que  son  père  le  chasseur  ne  l'avait  pas  élevé  pour  une  vie 
douce,  mais  au  contraire  prenait  à  tâche  d'assouplir  sa  turbulence 
et  son  humeur  folle  aune  discipline  sévère,  même  tyrannique  ; 
son  frère  cadet  et  lui  devaient  raccompagner  dans  ses  tour- 
nées forestières,  au  plus  fort  de  l'hiver,  marchant  pieds  nus  sur 


les  chemins  de  Bohème,  aidant  à  porter  le  gibier  et  les  armes  (I): 
excellente  préparation  au  rude  métier  auquel  Gluck  semblait 
destiné  par  sa  naissance,  et  qui  ne  l'empêcha  nullement  de 
réussir  dans  une  autre  carrière  ;  au  contraire,  il  s'en  trouva 
aguerri  pour  les  luttes  futures. 

Mais  une  préparation  plus  directe  fut  celle  qu'il  reçut  dans  les 
simples  écoles  de  la  Bohème. 

La  Bohême  a  été  reconnue  en  tout  temps  pour  un  des  pays  les 
plus  musicaux  de  l'Europe.  Un  contemporain  de  Gluck,  au 
témoignage  de  qui  nous  aurons  maintes  fois  à  faire  appel. 
Burney,  rapportait,  au  retour  même  d'un  voyage  où  il  l'avait 
fréquenté  à  Vienne,  cette  opinion  courante  que,  si  les  Bohémiens 
possédaient  les  mêmes  avantages  que  l'Italie  offre  à  ses  habi- 
tants, ils  les  surpasseraient  dans  la  musique  (2).  C'était,  en  ce 
temps,  le  superlatif  de  l'éloge  1 

Ce  génie  s'est  perpétué,  précisé  et  affiné  avec  les  années.  La 
Bohème,  aujourd'hui,  possède  une  école  de  musique  nationale, 
une  «  musique  tchèque  »  qui,  depuis  un  demi-siècle,  avec  les 
Smetana  et  les  Dvorak,  a  eu  maintes  occasions  d'affirmer  sa  vita- 
lité. Au  temps  de  Gluck,  et  longtemps  encore  après  lui,  personne 
n'eût  osé  avouer  une  conception  pareille,  ni  penser  qu'elle  dût 
se  réaliser  jamais.  Au  régime  continu  du  canon,  la  Bohème 
semblait  avoir  perdu  toute  personnalité  nationale  ;  sa  mu- 
sique, comme  toutes  les  autres  manifestations  de  sa  vie, 
était  donc  faite  à  l'image  de  celle  dont  ses  oppresseurs  lui  impo- 
saient l'exemple.  Mais,  qu'elle  fût  allemande  plutôt  que  tchèque, 
cette  musique  n'en  restait  pas  moins  excellente,  et  témoignait 
d'une  culture  supérieure. 
Les  moindres  musiciens  du  pays  étaient  gens  de  talent. 

Faut-il  rappeler  le  souvenir  de  Mozart,  la  satisfaction  sans 
mélange  qu'il  goûta  à  Prague,  milieu  plus  musical  qu'aucun  où 
il  eût  vécu  jusqu'alors,  la  joie  qu'il  éprouvait  à  se  voir  toujours 


(1)  C'est  Scbmid  qui  rapporte  ces  souvenirs  (pp.  20,  21),  sans  préciser  de  qui  il 
les  tient.  Mais  il  raconte  ailleurs  qu'un  frère  de  Gluck  (non  Antoine,  le  second  entant 
de  la  famille,  son  compagnon  dans  les  courses  avec  le  père,  et  qui  mourut  jeune, 
mais  le  troisième,  Franz,  qui,  entré  à  son  tour  dans  l'administration  forestière,  y 
parvint  à  un  emploi  plus  élevé  que  les  Gluck  des  générations  antérieures,  et  habita 
les  villes  Prague  et  Vienne)  connut  dans  sa  vieillesse  le  musicien  bohémien  Tomas- 
chek,  auquel  il  raconta  des  particularités  que  Schmid  recueillit  à  son  tourdelacouche 
de  ce  dernier  :  c'est  évidemment  par  cette  voie  que  les  détails  sur  l'enfance  du  grand 
musicien  nous  sont  parvenus.  Tomaschek,  né  l'année  même  où  Gluck  vint  a  Paris 
donner  Iphigénie  en  AulHe  (1774),  a  vécu  jusqu'en  1850  ;  il  est  fort  possible  qu'il  ait 
connu  un  de  ses  frères.  Il  a,  d'autre  part,  témoigné  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie 
avoir  conservé  une  impression  ineffaçable  du  séjour  de  Mozart  à  Prague  pour  les 
représentations  de  Don  Juan.  Et  c'est  chose  remarquable  que  la  continuité  des  sou- 
venirs de  cet  honnête  artiste,  fermement  attaché  à  sa  patrie,  qui,  au  milieu  du  XIX- 
siècle,  pouvait  dire  qu'il  avait  connu  Mozart,  et,  mieux  encore,  raconter,  transmis 
par  un  seul  intermédiaire,  propre  frère  du  maître,  des  souvenirs  de  l'enfance  de 
Gluck,  remontant  à  un  siècle  et  quart. 

(2)  Bubneï  :  L'État  présent  de  la  musique  en  Allemagne,  et  surtout  en  Bohême,  etc.  Tra- 
duction française,  tome  III,  IS10,  p.  4. 


dO 


LE  MÉNESTREL 


exactement  compris  et  interprété  ?  Populaire  dès  avant  son  arri- 
vée, il  entendait  dans  les  rues  les  joueurs  de  harpe  ou  les 
bandes  d'instrumentistes  nomades  jouant  les  airs  de  Figaro,  etil 
s'amusait  parfois  lui-même  à  leur  faire  exécuter  sa  musique  à 
leur  manière  (1). 

Berlioz  a  porté  des  témoignages  analogues,  soit  dans  les 
relations  que  ses  Mémoires  ont  laissées  de  son  séjour  à  Prague, 
soit,  sous  une  forme  plus  fantaisiste,  mais  non  moins  vivante, 
dans  son  ingénieuse  nouvelle  :  Le  Harpiste  ambulant  (£),  dont  le 
point  de  départ  est  la  rencontre  qu'il  fit,  sur  le  chemin  de 
Prague,  d'un  musicien  errant,  lequel,  ayant  assisté  à  un  de  ses 
concerts,  engagea"la  conversation  en  grattant  sur  sa  harpe  le 
thème  du  scherzo  de  la  Reine  JMab,  lui  donnant  ainsi  une  phy- 
sionomie exotique  toute  particulière.  —  «  Ah  !  Prague,  voilà 
une  ville  musicale  »  ;  ne  peut-il  pas  se  tenir  de  s'écrier  au  cours 
du  récit  ! 

Wagner,  dans  son  récit  quasi  autobiographique  :  Une  Visite  à 
Beethoven,  donne  au  passage  une  note  également  élogieuse  :  «  Je 
traversai  les  belles  campagnes  de  la  Bohême,  ce  pays  privilé- 
gié des  joueurs  de  harpe  et  des  chanteurs  nomades.  Dans  un 
petit  bourg,  je  fis  la  rencontre  d'une  de  ces  nombreuses  troupes 
de  musiciens  ambulants,  orchestre  mobile  composé  d'un  violon, 
d'une  basse,  d'une  clarinette,  d'une  flûte  et  de  deux  cors,  sans 
compter  une  harpiste  et  deux  chanteuses  femmes  pourvues 
d'assez  jolies  voix.  Pour  quelques  pièces  de  monnaie  ils  exécu- 
taient des  airs  de  danse  ou  chantaient  quelques  ballades,  et  puis 
ils  allaient  plus  loin  recommencer  le  même  manège  ».  Et  il 
continue  en  racontant  quev  se  joignant  à  eux,  ils  exécutèrent 
ensemble,  en  pleine  campagne,  le  septuor  de  Beethoven  !  (3). 

Faut-il  rappeler  enfin  la  plus  digne  illustration  de  la  nature 
bohémienne,  celle  que  Weber  a  harmonieusement  tracée  en 
écrivant  le  Freischiitz.  dont  l'action  se  déroule  dans  les  forêts  et 
les  gorges  de  l'antique  royaume  tchèque,  où  retentissent  les 
fanfares  et  les  gais  refrains  des  chasseurs,  où  les  musiciens 
rustiques  font  danser  les  filles  aux  rythmes  fortement  marqués  de 
leurs  violons  et  de  leurs  cors,  en  poussant  des  cris  gutturaux 
semblables  au  hucheinent  de  nos  paysans  et  de  nos  bergers  de 
France,  où  la  poésie  de  la  terre,  enfin,  s'exprime  avec  un  accent 
dont  nul  autre  n'a  jamais  su  égaler  l'intimité  ? 

Burney,  qui  a  parcouru  la  Bohème  dans  le  voyage  au  cours 
duquel  il  venait  précisément  de  visiter  Gluck  à  Vienne,  a 
cherché  à  se  rendre  compte  des  causes  de  cette  supériorité  du 
peuple  bohème  en  matière  de  technique  musicale.  Ses  observa- 
tions sont  intéressantes,  et  méritent  d'être  reproduites. 

«  J'ai  traversé,  dit-il,  toute  la  Bohème  du  midi  au  nord,  m'in- 
formant  partout,  et  m'attachant  à  bien  connaître  comment  le 
peuple  y  apprenait  la  musique.  J'ai  su  ainsi  que,  dans  chaque 
grande  ville,  et  même  dans  tous  les  villages,  il  y  a  une  école 
publique  où  en  même  temps  que  l'on  montre  à  lire  et  à  écrire 
aux  enfants  des  deux  sexes,  on  leur  enseigne  aussi  la  musique. 
Partout  où  j'ai  passé  j'ai  visité  ces  écoles..  A  Czaslau,  je  les  ai 
trouvées  en  exercice.  M.  Jean  Dulsick,  l'organiste  et  chantre,  et 
M.  Martin,  le  premier  violon  de  l'église  paroissiale,  qui  sont 
aussi  les  maîtres  d'école,  m'ont  procuré  tous  les  renseignements 
que  je  désirais.  J'entrai  dans  la  classe  :  elle  était  pleine  de  petits 
enfants  des  deux  sexes  depuis  l'âge  de  six  ans  jusqu'àdix,  et 
qui  étaient  occupés  à  lire,  à  écrire,  et  à  jouer  du  violon,  du 
hautbois,  basson  et  autres  instruments.  L'organiste  tenait  dans 
une  petite  chambre  de  sa  maison  quatre  clavecins,  sur  lesquels 
de  petits  élèves  s'exerçaient.  Son  fils,  qui  n'avait  que  neuf  ans, 
était  déjà  fort,  et  exécutait  fort  bien  (4)  ». 

A  Prague,  dit-il  encore,  «  pendant  mon  dîner  à  l'auberge  de 
la  Licorne,  des  musiciens  ambulants  qui  courent  les  rues  en 
troupe  vinrent  me  saluer.  Ils  exécutèrent  avec  la  harpe,  le 
violon  et  le  cor  plusieurs  morceaux,  menuets  et  polonaises,  fort 
jolis,  sans  que  l'exécution  ajoutât  rien  au  mérite   de  la  compo- 

(1)  Voy.  Julien  Tïersot  :  Élude  sur  Don  Juan,  Ménestrel  de  1S87,  ri»"  2  à  0. 

(2)  Hector  Berlioz  :  Les  Soirées  de  Vorchesbre,  deuxième  soirée. 

(3)  Revue  et  Gazelle  musicale  de  Paris,  19  novembre  1840,  p.  552. 
'i  i  Burney  :  État  présent  de  la  musique,  el  ■  JJi.  û. 


sition.  Peut-être  pourra-t-on  s'étonner  qu'une  ville  comme 
Prague,  la  capitale  d'un  royaume  pour  ainsi  dire  tout  musical, 
qui  offre  à  chaque  habitant  un  champ  vaste  au  génie  de  la 
musique,  ne  soit  pas  plus  fertile  en  grands  musiciens.  11  n'est 
pas  difficile  de  répondre  à  cette  remarque,  si  on  observe  que  la 
musique  est  un  des  arts  enfants  de  la  paix,  du  loisir  et  de 
l'abondance.  Et  s'il  est  vrai,  suivant  Rousseau,  que  les  arts 
n'ont  jamais  fleuri  davantage  que  dans  les  siècles  de  corruption, 
ces  temps  ont  dû  être  toutefois  des  époques  de  richesse  et  de 
tranquillité.  Mais  les  habitants  de  la  Bohême  ne  sont  jamais 
longtemps  en  paix.  D'ailleurs,  la  haute  noblesse  suit  la  cour, 
reste  à  Tienne  et  habite  rarement  la  capitale  :  il  arrive  de  là  que 
ceux  des  habitants  de  condition  ordinaire  qui  s'adonnent  à  la 
musique  dans  leur  enfance  ne  trouvent  point  d'encouragement 
pour  poursuivre  ensuite  leur  carrière  et  aller  au  delà  d'être 
musicien  de  rue  ambulant,  ou  au  service  de  quelque  seigneur. 

»  Et  en  effet,  la  plupart  de  ces  Bohémiens  qui  ont  appris  la 
musique  aux  écoles  publiques  dans  leur  enfance,  on  les  ren- 
contre ensuite  à  la  charrue  ou  attachés  à  d'autres  emplois  aussi 
pénibles  :  et  ce  qu'ils  savent  de  musique  ne  leur  sert  plus 
alors  qu'à  les  rendre  capables  de  chanter  à  la  paroisse  et  à 
devenir  pour  eux  une  simple  récréation  domestique,  ce  qui  est, 
peut-être,  le  meilleur  emploi  et  le  plus  honorable  auquel  on 
puisse  appliquer  la  musique. 

»  On  lit  dans  des  voyageurs  que  les  nobles  Bohémiens  entre- 
tiennent des  musiciens  à  leur  service.  Mais  c'est  qu'en  prenant 
des  domestiques  ils  ne  peuvent  pas  faire  autrement,  puisque 
dans  toutes  les  écoles  communes  de  village  et  de  ville  du 
royaume,  où  sont  envoyés  tous  les  enfants  de  paysans  et  ceux  de  la 
classe  des  artisans,  en  même  temps  qu'on  leur  apprend  à  lire 
on  leur  enseigne  la  musique,  excepté  à  Prague,  où  elle  ne  fait 
point  partie  de  l'instruction  des  écoles,  mais  les  musiciens  qu'on 
y  trouve.y  sont  envoyés  de  la  campagne  (1)  ». 

L'éducation  musicale  de  Gluck  et  sa  vocation  même  ne  peu- 
vent pas  être  mieux  expliquées  que  par  cet  exposé  d'une  situa- 
tion générale.  C'est  à  ces  mêmes  écoles  de  la  campagne  bohé- 
mienne, visitées  par  Burney  quarante  ans  après  qu'il  y  eût 
passé,  qu'il  puisa  ses  premières  connaissances  en  ces  trois  seules 
matières  :  lecture,  écriture,  musique.  S'il  n'eût  pas  été  Gluck, 
c'est-à-dire  un  prédestiné,  il  serait  ensuite,  comme  les  autres, 
retourné  à  sa  charrue,  ou  à  sa  forêt,  et  ses  talents  eussent  été 
employés  à  chanter  au  lutrin  et  faire  danser  la  jeunesse  aux 
jours  de  fêtes  :  l'art  de  musique,  en  un  mot,  n'eût  été  pour  lui 
qu'une  «  simple  récréation  domestique  ».  Et  à  regarder  atten- 
tivement aux  choses,  il  semble  bien  que  ce  ne  soit  pas  dans 
une  autre  intention  qu'il  reçut  ses  directions  premières  et  qu'il 
commença  sa  vie. 

(A  suivre.)  Julien  Tïersot. 


BULLETIN    THÉÂTRAL 


Théâtre  des  Nouveautés.  —  Reprise  de  Coralie  et  Cic,  vaudeville 
de  MM.  A.  Valabrègue  et  M.  Hennequin. 

C'est  une  pièce  à  péripéties  invraisemblables,  pleine  de  mois  amu- 
sants et  spirituels  parfois.  Tout  s'y  passe  dans  la  maison  Coralie  et  Cie, 
<•  Robes  et  Manteaux  »,  maison  pourvue  de  tous  les  accessoires  utiles 
ou  nécessaires  pour  faciliter  les  intrigues.  Il  y  a  là  des  cloisons  mou- 
vantes derrière  lesquelles  des  maris  retrouvent  leurs  femmes,  des  pla- 
cards au  fond  desquels  ou  découvre  des  personnages  à  demi  étouffés, 
tout  cela  vivant,  mouvementé,  jovial. 

MM.  Germain,  Colombey  et  Baron  fils,  ont  interprété  leurs  rôles  avec 
beaucoup  d'entrain  etde  brio.  M»|CRosineMaurel  aurait  pu  suffire  àempè- 
cher  le  rire  de  chômerdans  cette  salle,  tant  elle  a  misd'imprêvuhumoris- 
tique  dans  son  personnage  revêche  de  tante  déplaisante  et  chicanière. 
Mmes  Carlix,  Caumont,  Saudry...  ont  obtenu  aussi  des  succès  variés, 
selon  les  genres  de  talent  qu'elles  ont  su  déployer. 

Am.  B. 

1  (1)  Burneï  :  Etat  présent  de  la  musique,  III,  pp. 10  et  suiv. 


LE  MÉNESTREL 


II 


PETITES   NOTES   SANS   PORTÉE 


CXXVI 

L'AUTEUR  REFLÉTÉ  DANS  SON  OEUVRE 

.1  .]/.  le  />•  L.  Gustave  Richetot,  (/ni 
s'intéresse  à  la  «  physionomie»  de 
la  musique. 

Mystère  et  Clarté  :  devise  de  la  musique  même,  de  la  belle  musique  ! 
Et  tel  pourrait  être  le  sous-titre  do  ces  brèves  conclusions  provisoires 
sur  la,  physionomie  delà  musique,  si  la  mode  des  sous-titres  n'allait 
point  fêter  son  centenaire...  Oui,  ces  conclusions  seront  brèves,  parce 
qu'elles  se  voudraient  quelque. peu  précises;  —  et  provisoires,  parce 
que  cet  art  éternellement  mystérieux  les  veut  telles  ! 

Un  l'ait  nous  a  frappé  (1)  :  Gluck  et  son  continuateur  Berlioz,  les 
deux  plus  passionnés  avocats  de  l'expression  musicale  et  dramatique, 
n'hésitant  jamais  à  transporter  un  morceau  d'un  ouvrage  dans  un 
autre,  pourvu  que  la  situation  soit  analogue.  Chez  l'héritier  poudré  de 
la  Tragédie  grecque,  Armide  parle  le  même  langage  violent  que  Tele- 
macco;  la  malheureuse  Iphigénie  s'exprime  sur  les  mêmes  notes  que 
Circé.  Chez  le  sombre  adorateur  du  Drame  shakespearien,  Roméo  sou- 
pire idéalement  la  mélodie  de  Sardauapale  ;  l'antique  Orphée  devance 
le  chant  de  romantique  bonheur  d'un  Lelio  ;  l'Idée  fixe,  qui  passe  en 
bourrasque  dans  la  Fantastique  de  1830.  ouïe  premier  leit-motiv  d'amour 
qui  glisse  en  brise  tiède  au  balcon  de  Vérone,  est  un  encens  qui  brûle 
sur  les  autels  de  plusieurs  déesses,  Stella  Montis  de  l'enfance  ou  belle 
Ophélie  de  la  jeunesse  :  la  même  prière  amoureuse  invoque  intérieure- 
ment plusieurs  divinités... 

Ces  deux  maitres  es  expression  lyrique  ne  sont  pas  les  seuls  fauteurs 
de  ces  translations  d'idées  ;  deux  hommes  de  théâtre,  parmi  nos  con- 
temporains, en  ont  donné  plus  récemment  l'exemple:  ou  sait  qu'une 
Coupe  du  roi  de  Thulé,  composition  juvénile,  a  pénétré,  par  fragments, 
dans  toutes  les  premières  partitions  de  Massenet;  l'éblouissant  troi- 
sième acte  du  Roi  de  Lahore  eu  fut  extrait  textuellement.  Pareil  sort 
attendait  la  partition  de  Fiesque,  qu'on  retrouve  dans  tous  les  ouvrages 
de  Lalo,  même  dans  sa  symphonie  en  sol  mineur  de  1887  :  disjecti  mem- 
brapoetœ...  Ces  exemples  pourraient  se  multiplier.Or,  voici,  pourl'mstant, 
notre  conclusion  : —  Ce  n'est  point  Te/emaceo,  non  plus  qu'Armide,  qui 
s'exprime  :  c'est  le  chevalier  Gluck:  ce  n'est  ni  Roméo, ni  Sardanapale, 
ce  n'est  pas  l'Orphée  de  Virgile  ou  Lelio,  romantique  lecteur  de  Sha- 
kespeare :  c'est  Hector  Berlioz.  Ce  sont  Gluck  et  Berlioz,  avant  tout, 
qu'expriment  la  musique  de  Gluck  et  la  musique  de  Berlioz  ;  c'est  le 
maître  qui  se  traduit  involontair  ement  dans  son  langage  de  composi- 
teur. La,  physionomie  de  la  musique  est,  d'abord  et  surtout,  la  physiono- 
mie du  musicien.  L'œuvre  musicale  n'est  que  le  miroir  de  son  auteur. 
C'est  «  lui,  toujours  lui  »  qui  se  reflète  dans  l'éloquence  qu'il  prête  à 
ses  héros  de  désespoir  ou  d'amour.  Même  au  théâtre,  le  lyrisme  essen- 
tiel de  l'art  musical  est  essentiellement  subjectif. 

Bon  gré,  mal  gré,  le  musicien  n'est  jamais  peintre  :  sans  titre  ni  pro- 
gramme, la  plus  vivante  de  ses  symphonies  ne  sera  jamais  nettement 
figurative  et  plastique,  descriptive  et  pittoresque.  Même  sans  catalogue, 
une  peinture  apparaît  aux  yeux  plus  explicite  :  même  saus  sujet  défini, 
des  formes  humaines  ou  naturelles  se  précisent;  tandis  que  l'art  musi- 
cal ne  peut  rieu  objectiver  ni  définir:  son  langage  enchanteur  ne  sau- 
rait rien  articuler:  il  ne  l'a  jamais  pu  :  ce  n'est  point  son  rôle.  Et  le 
«  portrait  »  que  le  musicien  nous  transmet  de  lui-même  est  bien  vague  : 
cependant,  il  nous  livre  quelque  indicible  physionomie  de  son  être... 

Aux  accents  particuliers  du  génie  de  Gluck,  comparez  son  buste 
génial  par  Houdon  ;  évoquez  la  robuste  image,  très  supérieure  au  por- 
trait officiel  de  Duplessis,  cette  allure  fièrement  débraillée,  sans  jabot 
ni  perruque...  En  écoutaut  la  Fantastique,  que  nos  jeunes  chefs  d'or- 
chestre ont  l'air  de  chérir,  songez  au  portrait  d'Hector  Berlioz,  si  labo- 
rieusement pâli  par  Courbet  dans  une  ombre...  Au  finale  incendié  du 
Crépuscule  des  dieux,  éclairez  la  face  despotique  de  Richard  Wagner, 
saisie  par  l'impressionniste  Renoir,  à  Palerme...  La  tristesse  léonine  de 
Beethoven  ne  sympathise-t-elle  pas  avec  l'âme  que  nous  suggèrent  ses 
derniers  quatuors,  qui  nous  parlent  obscurément  de  son  âme  ?  On 
dirait  de  vagues  «  mémoires  d'outre-tombe  »...  Et  le  «  contraste  » 
initial  de  l'ouverture  de  Coriolan  n'est-il  point  déjà  tout  Beethoven  ? 
«  L'Empereur  »,  s'écriait  un  médaillé  de  Sainte-Hélène,  à  la  formi- 
dable aurore  du  final  majeur  de  la  cinquième  symphonie  (2);  mais  ce 

(1)  Voir  le  Ménestrel  des  12et26  octobre  1907. 

(2i  Oui,  le  finale  de  l'Ut  mineur,  et  non  pas  celui  de  l'Héroïque,  comme  un  éehotier 
lé  prétendait  ces  jours-ci  ! 


revenant,  n'est-ce  pas,  avant  tout.  L'effort  victorieux  du  maître  des 
maitres  ?  Et  son  Fidelio  n'est  si  beau  que  parce  qui;  son  cher  prison- 
nier...  c'esl  lui-même!  Enfin,  la  musique  plus  compliqn I  un  César 

Franck  ne  nous  émeul  que  parce  qu'elle  nous  ressuscite  quelque 
lueurde  sa  belle  âme,  reflétée  nagii'-iv  -ur  sa  I. 

Oui,  l'âme  de  l'auteur  se  mire  instinctivement  dans  soi  œuvre;  ei 
plus  cette  âme  est  haute,  plu-  la  physionomie  mélodieuse  nous  semble 
élevée.   L'aspect  du  monument    li'-nu  ■ 

Essentiellement  générale  par  son  rague  même,  la  musique,  celte  archi- 
tecture émouvante,  apparaît  individuelle  comme  un  parlant  po 
Expression  volontaire  ou  reflet  inconscient,  c'esl   une  physionomie  qui 
trahit  une  disposition  permanente  ou   des  interi 
mais  c'est  un  accent  qu'on  n'oublie  plus,   des  qu'il   est  original.  La 
musique  instrumentale  est  le  sourire  ou  la  mélancolie  sans  pai 

mélodie  vocale,  c'est  la  voix  articul [ui   commente  le  feu  du  regard. 

Même  aux  lueurs  de  la  rampe,  cetle  physionomie  est  toujours  celle  de 
l'auteur.  Et  combien  sa  biographie,  quand  elle  est  connue  (le  calvaire 
secret  d'un  Beethoven,  par  exemple),  ajoute  en  nous  de  gloses  fugitives 
à  ces  effluves  mystérieux  ! 

(A  suivre.)  Raymond  Bouter. 


REGARDS    EN    ARRIÈRE 


ii 

UN  JOLI  NOËL 

Au  début  de  leur  carrière,  se  rencontrant  dans  le  Tout-Paris  artiste, 
Alphonse  Daudet, poète,  etFerdinand  Poise, musicien,  tous  deux  Nimois 
et  à  peu  près  du  même  âge,  devaient  fatalement  se  lier  d'amitié  et  colla- 
borer. Fatalement  aussi  l'action  de  leur  pièce  devait  se  dérouler  dans  le 
cadre  du  cher  pays  natal.  Ils  écrivirent  donc  les  Absents,  opéra-comique 
en  un  acte,  où  l'un  mit  l'exquise  saveur  de  son  charme  littéraire,  et 
l'autre  la  tendre  mélancolie  et  la  douce  sentimentalité  qui  furent  tuu- 
jours  la  caractéristique  de  son  tempérament  musical. 

Pourquoi  faut-il  que  cette  collaboration  si  pleine  d'heureu>es  pro- 
messes n'ait  pas  eu  de  suite  !...  Daudet  et  Poise,  demeurant  unis,  nous 
auraient  si  bien  dit  à  la  scène,  non  pas  !' 'Artésienne  dramatique  comme 
fit  le  premier  avec  Bizet,  mais  des  contes  souriants,  des  comédies 
amoureuses,  des  légendes  chantantes  où  l'âme  de  leur  Provence  aimée 
eût  ouvert  ses  ailes  légères  et  parfumées. 

Mais  non,  regrettable  rupture,  les  deux  amis  s'éloignent  l'un  de 
l'autre.  Poise  à  lu  les  Femmes  d'artistes  de  Daudet  et,  chagrin,  ne  peut 
lui  pardonner  d'avoir  ainsi  choisi  pour  modèle  sa  vie  domestique  et 
d'eu  avoir  travesti  en  laid  la  jolie  intimité.  «  Que  ne  racontait-il  plutôt  la 
simple  vérité? me  disait-il;  sans  doute  Tounietto  et  moi  y  eussions  gagne  de 
paraître  un  peu,  moins  sottement  ridicules,  en  même  temps  que  moins 
malheureux.  »  Et  à  ce  propos,  Poise  se  plaisait  à  faire  revivre  devant 
moi  certaines  heures  charmantes  de  son  paisible  intérieur  dont  Daudet 
avait  été  le  témoin,  entre  autres  celle-ci  que  je  vais  dire  et  qui  vrai- 
ment aurait  pu  lui  fournir  l'occasion  d'écrire,  pour  notre  joie  littéraire, 
quelque  nouvelle  page  digne  de  ses  inoubliables  Lettres  de  mon  moulin. 


C'est  nuit  de  Noël.  L'Opèra-Comique  donne  les  Absents.  Les  deux 
auteurs  assistent  à  leur  succès  tandis  que  Tounietto,  au  logis,  leur  pré- 
pare le  traditionnel  réveillon.  A  la  sortie  du  théâtre,  joyeusement, 
bras  dessus,  bras  dessous  ils  grimpent  vers  Montmartre,  rue  Mansart. 
L'antichambre  sent  bon  la  truffe  et  le  boudin.  Le  tout  petit  salon  est 
paré  de  lumières,  de  gui  et  de  fleurs.  Dans  la  cheminée  flambe  l'énorme 
«  bûche  ».  Sur  la  housse  du  grand  piano  à  queue,  une  Crèche,  faite  avec 
des  santons  de  Marseille,  montre  l'Enfant  Jésus  entre  le  bœuf  et  l'âne, 
et,  derrière  eux,  une  paire  de  chameaux  bossus:  à  l'entour  se  groupent 
la  Vierge  et  les  trois  rois  Mages  «  en  manteaux  rouge,  jaune  et  bleu  »: 
plus  haut,  sur  de  minuscules  coteaux  verts  s'approchent  les  bergers; 
et  planant  sur  le  tout,  descend  du  plafond,  suspendue  par  un  fil,  une 
large  étoile  découpée  dans  du  papier  doré,  la  Belle  Étoile  ! 

Près  de  ce  piano  se  dresse  une  petite  table  —  rectangulaire  —  recou- 
verte d'une  luisante  nappe  d'impeccable  blancheur  sur  laquelle,  en 
attendant  les  soupeurs.  trois  couverts  ont  l'air  de  faire  la  cour  à  leurs 
voisines  les  olives  noires,  les  figues  sèches  et  la  fouace  à  l'huile. 

Tounietto,  seule,  en  bonne  ménagère,  a  veillé  à  tout,  tout  mis  en 
ordre,  tout  préparé,  tout  cuisiné.  Alerte,  gaie,  elle  va.  vient,  heureuse 
d'une  idée  à  elle  qu'elle  eut  au  dernier  moment  et  que  Ferdinai 


42 


LE  MENESTREL 


encore.  Mais  sans  plus  tarder,  dans  un  coin  du  couloir,  en  secret 
—  chut  !  — elle  lui  en  fait  part,  et  celui-ci,  ravi,  de  sourire  et  d'applaudir. 
Minuit  sonne.  Les  senteurs  appétissantes  qui  viennent  de  la  cui- 
sine aiguisent  les  dents:  la  vue  des  flacons  poudreux  et  des  cristaux 
clairs  est  réjouissante  :  zoù  !  en  avant  !  on  se  met  à  table.  Et  les  langues 
de  se  délier,  et  les  voix  de  se  mêler.  Daudet  plus  que  jamais  est  étour- 
dissant de  verve.  Ils  causent  de  tout  un  peu  et  principalement  —  en 
provençal  —  de  leur  «  là-bas  »,  des  cigales,  des  Alpilles  bleues,  de 
File  de  la  Barthelasse.  de  leurs  amis  Mistral,  Aubanei,  Roumanille  et 
Roumiourniou.  Tounietto,  tout  en  racontan!  à  son  tour,  en  son  amu- 
sant français  bigarré  d'italien,  ses  souvenirs  du  temps  qu'elle  était 
danseuse  à  la  Scala  de  Milan,  surveille  tout  f«  hé,  l'artiste,  la  lampo  que 
filo  t),  songe  à  tout,  débouche  l'Asti  («  ecco  la  botteglia  !  »),  arrange  le 
feu  («  il  fioco!  »)  Et  les  langues  d'aller  bon  train,  autant  et  plus  que  les 
fourchettes. 

Oui,  d'un  tel  bon  train  tout  allait  que  c'est  à  peine  si,  dans  ce  train- 
là,  Daudet  entend  l'accord  mystérieusement  arpégé  qui  vient  subite- 
ment de  résonner  comme  à  la  fois  proche  et  lointain.  Quelques  instants 
après  un  autre  accord  semblable  résonne...  Qu'es  aco?...  Est-ce  qu'on 
révérait,  par  hasard?...  Le  château  neuf  des  Papes  jouerait-il  âAlphonse 
un  mauvais  tour  ?...  Il  écoute  :  plus  rien.  Touuietlo  et  Poise  se  font  du 
pied  sous  la  tab!e,  se  regardent  en  riant. 

L'accord,  cette  fois,  moins  timide,  reprend,  suivi  de  quelques  autres, 
pour  finalement  se  muer  en  une  mélodie  que  Daudet  maintenant 
entend  bien  et  reconnaît  :  «  Per  Santo  Eslello  !  es  dé  Saboli  »,  s'écrie-t-il 
en  tapant  sur  la  table;  et  le  voici  illuminé  de  joie,  renversé  sur  le  dos- 
sier de  sa  chaise,  levant  haut  son  verre  et  chantant  à  plein  gosier  le 
gai  noël  provençal.  Ses  hôtes  font  chorus,  et,  l'entraînant,  ne  lui  per- 
mettent pas  de  s'inquiéter  d'où  vient,  si  à  propos,  cet  accompagnement, 
lointain  et  proche,  à  sonorité  vieillote  et  chevrotante. 

Oh  !  le  mystère  ne  saurait  plus  longtemps  lui  échapper  :  la  table  sur 
laquelle  ils  réveillonnent  est  une  vieille  épinette,  louée  pour  la  circons- 
tance par  Tounietto  à  l'insu  de  Poise,  et  c'est  ce  dernier  qui,  placé 
devant  le  clavier,  les  mains  cachées  sous  la  nappe,  en  fait,  pianissimo, 
vibrer  les  cordes  Fouillées...  Et  c'est,  après  l'air,  chanté  par  tous,  du  roi 
René  et  les  noels  sans  fin,  le  tour  du  seul  vieil  instrument  faisant  suc- 
céder les  prestes  rigaudons  aux  traînants  menuets. 


Le  jour  pâlissait  les  lumières  que  la  voix  des  noéls  alternait  encore 
avec  les  sons  aigrelets  de  la  vieille  épinette  disant,  elle, 

—  Musiques  fluettes  et  nettes 
Comme  gais  babils  de  sornettes  — 

l'esprit  vif  et  naïf  joliment  rococo  et  les  grâces  toujours  jeunes  quoique 
surannées  des  toccatas,  passacailles.  musettes  et  gavottes  des  vieux 
Couperin,  Rameau,  Lulli  et  Dominique Scarlalti,  tous  maîtres  anciens 
si  chers  au  brave  Poise. 

Et  Daudet,  enchanté,  avant  de  partir,  embrassait  de  bon  cœur,  sur  le 
seuil  de  la  porte,  son  hôtesse  l'aimable  Touuietto,  femme  d'artiste  (!) 
oui,  mais  si  bonne  ménagère,  si  gentiment  accueillante,  Tounietto  qui 
simplement,  non  sans  délicate  finesse,  avait  eu  la  spirituelle  pensée 
de  lui  faire,  à  lui  poète,  la  surprise  inattendue  d'un  réveillon  exquise- 
ment  musical  et  certes  peu  bourgeois,  «  une  Tounietto,  n'est-ce-pas? 
ajoutait  Poise,  ressemblant  peu,  heureusement  pour  elle  et  pour  moi,  à 
celle  que  Daudet  nous  dépeint  dans  son  livre.  » 

Léopold  Dauphin. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Coucerts-ColonnG  —  Grand  succès  pour  la  Damnation  de  Faust,  qui  en  est 
à  sa  cent  cinquante-quatrième  audition.  M,le  Louise  Grandjeau,  M.  Emile 
Cazeneuve,  M.  Fournels  et  M.  PaulEyraud  nous  ont  donné  une  interprétation 
vocale  de  premier  ordre.  Il  est  juste  de  mettre  hors  de  pair  les  deux  solistes 
bien  connus,  M.  Monteux,  alto,  et  M.  Gaudard.  cor  anglais  :  ils  ont  obtenu 
auprès  du  public  des  applaudissements  très  mérités.  L'orchestre  a  été  excellent 
et  M.  Colonne  a  reçu  les  ovations  qui  ne  lui  manquent  jamais  lors  de  ces  audi- 
tions de  fête.  -  Am.  B. 

—  Concerts-Lamoureux.  —  La  Symphonie  pastorale  ouvrait  le  concert.  L'or- 
chestre, sous  la  direction  ardente  et  vigoureuse  de  M.  Paul  Vidal,  a  rendu  le 
chef-d'œuvre  de  Beethoven  avec  une  précision  non  exempte  de  sécheresse 
dans  la  scène  au  bord  du  ruisseau,  mais  vivante  et  colorée  dans  la  danse  et 
l'orage.  Le  Caprice  espagnol  de  Rimsky-KorsaRow  est  surtout  une  pièce 
de  virtuosité  in-trumentale  aux  bizarres  accouplements  de  timbres,  aux 
fusées     étincelantes,    mais   en    somme    d'une     musicalité    tout   extérieure. 


Il  fut  exécuté  en  perfection.  Mme  Jacques  Isnardon  a  obtenu  un  grand 
et  légitime  succès  dans  l'air  à'Iphigénie  en  Tauride,  de  Gluck,  et  la  char- 
mante Phidylé.  de  Henri  Duparc.  La  voix  de  la  cantatrice  est  homogène, 
bien  timbrée,  la  diction  nette,  l'accent  vigoureux.  Elle  a  l'ait  sensation. 
Le  concerto  en  cède  Haendel  pour  orgue  et  orchestre  est  une  œuvre  admirable 
trop  rarement  entendue  et  que  M.  Gigout  a  interprétée  avec  la  virtuosité  dont 
il  est  coutumier.  LTne  suite  d'orchestre  inédite  de  M.  Jean  Poueigh,  d'après 
un  conte  de  G.  d'Esparbès,  contient,  comme  beaucoup  d'oeuvres  de  «  jeunes  », 
énormément  de  talent  mis  au  service  de  très  peu  d'idées.  Funn  est  une  sorte 
de  petit  triptyque  fies  Lavandières,  les  Fleurs  du  Sommeil,  les  Grives)  nous 
contant,  ou  visant  à  nous  conter,  les  prouesses  d'un  petit  dieu  malin  favo- 
rable aux  amoureux  et  qui  commande  en  maître  aux  oiselets.  Le  sujet  n'est  pas 
dépourvu  d'agrément,  voire  même  d'espièglerie.  Il  faut  avouer  que  la  muse 
compliquée  et  contrapuntique  de  M.  Poueigh  est  mal  à  l'aise  dans  un  vête- 
ment aussi  léger  et  transparent.  On  a  fait  bon  accueil  à  cette  pièce  instru- 
mentale, qui  est  l'œuvre  d'un  musicien  connaissant  bien  son  métier,  mais 
auquel  un  peu  plus  de  fantaisie  n'aurait  pas  nui.  J.  Jemain. 

—  Programmes  des  concerts  de  demain  dimanche  : 

Conservatoire  :  Symphonie  pastorale  (Beethoven).  —  Deux  chœurs  sans  accompa- 
gnement (Saint-Saëns).  —  Ballade  pour  piano  (Gabriel  Fauré),  par  M"'  Marguerite 
Long.  —  Scherzo  i  Lalo).  —  Trois  chœurs  pour  voix  de  femmes  (César  Franck  et 
C.  Erlanger;,  orchestrés  par  M.  Guy  Ropartz.  —  Symphonie  en  ut  (Haydn). 

Châtelet,  concert  Colonne  :  Prélude  du  1"  acte  de  Loliengun  (Wagner).  —Con- 
certo en  sol  mineur  (Saint-Saëns),  par  M""  Germaine  Arnaud.  —  Trois  mélodies 
(Th.  Dubois),  Si  j'ai  pa'lé,  Printemps,  la  Voie  lactée,  par  M.  Plamondon.  —  La 
Mer  (Debussy).  —  Symphonie  fantastique    Berlioz). 

Salle  Gaveau,  concert  Lamoureux,  sous  la  direction  de  M.  Vincent  d'Indy  :  Pre- 
mière symphonie  (Vincent  d'Indy),  pour  orchestre  et  piano,  avec  le  concours  de 
M""  Blanche  Selva.'  —  Islar  (Vincent  d'Indy).  — Egmonl  (Beethoven),  musique  de 
scène  pour  la  tragédie  de  Gœthe,  avec  le  concours  de  M"'  Pironnay. 

—  L'orchestre  des  Concerts  Marigny  a  exécuté  avec  beaucoup  de  succès, 
sous  la  direction  de  M.  de  Léry,  les  befies  Scènis  gothiques  de  Périlhou.  Cet 
orchestre  est  devenu  vraiment  un  des  meilleurs  et  des  plus  homogènes  de- 
Paris. 

—  La  Société  J.-S.  Bach  (salle  Gaveau)  annonce  pour  le  mercredi  29  jan- 
vier le  Défi  de  Phébus  et  de  Pan  et  le  Magnificat.  Les  soli  seront  chantés  par  la 
grande  cantatrice  allemande  Mme  Maria  Philippi,  Mlle  Cécile  Valnor  (de  Genève), 
Mlle  Tripel,  MM.  Plamondon,  Reder  et  Mary,  organiste  :  M.  A.  Schweitzer  ; 
qui  interprétera  de  plus  le  prélude  concertant  de  la  cantate  n°  169.  Chœurs  et 
orchestre  (150  exécutants)  sous  la  direction  de  M.  G.  Bret.  Répétition  pu- 
blique la  veille  à  4  heures.  (Entrée,  S  francs.)  Billets  et  carnets  d'abonnement 
à  la  salle   Gaveau  et  chez  les   principaux  éditeurs. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(pour  les  seuls  abonnés  a  la  musique) 


M.  Jaques-Dalcroze,  le  jeune  maître  suisse,  le  compositeur  du  Bonhomme  Jadis,  de 
Sancho  et  des  Jumeaux  de  Bergame,  vient  de  publier  au  Ménestrel  un  joli  recueil 
plein  d'humour  et  de  poésie  tour  à  tour,  sous  le  titre  :  Idylles  et  Chansons.  Plusieurs 
numéros  en  seront  chantés  prochainement  avec  orchestre  dans  nos  concerts  sympho- 
niques.  Nous  détachons  du  recueil  pour  nos  abonnés  la  plus  courte  de  ces  chansons  : 
Adieu  la  rose.  Elle  suffira  à  faire  apprécier  la  note  fine  et  délicate  du  musicien. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (S  janvier  1908).  —  La  première  de 
Forlunio  a  été,  pour  l'œuvre  charmante  de  MM.  de  Caillavet,  de  Fiers  et  Messager, 
un  succès,  sinon  très  enthousiaste,  du  moins  très  sympathique.  Le  cadre  de 
la  Monnaie,  est  évidemment  un  peu  vaste  pour  l'élégance  aimable,  toute  en 
détails,  toute  en  nuances.de  cette  jolie  partition.  Elle  est  d'une  coloration  trop 
uniformément  délicate,  sans  grands  accents,  pour  que  son  charme  intime 
puisse  s'imposer  tout  do  suite  en  ce  théâtre  dont  les  échos  —  nous  l'avons 
constaté  plus  d'une  fois  déjà  —  semblent  s'être  désaccoutumés  des  grâces 
d'autrefois,  souriantes  et  tendres  spirituellement.  Mais  Forlunio  ne  serait  pas 
le  premier  ouvrage  qui,  accueilli  tout  d'abord  avec  quelque  réserve,  aurait 
exercé  ensuite,  peu  à  peu,  sur  le  public,  une  impression  durable.  L'œuvre, 
en  ses  allures  de  comédie  musicale,  suivant  pas  à  pas,  sans  s'arrêter  —  sans 
respirer  même  parfois,  —  l'action,  est  si  pleine  de  choses  charmantes,  expres- 
sives, ciselées  et  caressées  avec  le  goût  le  plus  subtil,  qu'il  parait  impossible 
que  le  public  n'en  subisse  pas  bientôt  l'empire.  Elle  est  de  plus  intéressante, 
en  sa  tentative  très  curieuse  de  compromis  entre  l'ancienne  formule  de 
l'opéra-comique  français  et  la  forme  nouvelle  de  comédie  lyrique  que  l'on 
rêve  depuis  si  longtemps  d'obtenir.  Le  deuxième  acte  et  le  premier  tableau  du 
troisième,  d'une  teinte  passionnée  si  finement  pénétrante,  ont  été,  dès  le  pre- 


LE  MÉNESTREL 


l:; 


mier  soir,  particulièrement  goûtés.  Et  il  est  certain  qu'aux  auditions  sui- 
vantes bien  des  pages,  savoureuses,  attachantes,  éloquentes  en  leurs  moindres 
indications,  s'affirmeront  comme  elles  le  méritent.  Fortunio  a  trouvé  d'ail- 
leurs à  la  .Monnaie  une  interprétation  homogène,  excellente  en  la  plupart 
de  ses  parties.  Le  rôle  de  Jacqueline  a  pour  titulaire  la  très  jolie  Lilian  Gren- 
ville,  dont  la  heauté  captivante  suffirait  à  nous  faire  comprendre  l'amour  du 
petit  clerc  de  maître  André  et  jalouser  l'heureuse  fortune  du  capitaine  Giava- 
roche.  M.  Morati  est  un  Fortunio  un  peu  ténébreux,  mais  il  chante  à  ravir  la 
mélodie  des  o  Vieilles  Maisons»  et  sa  «Chanson»  célèbre.  M.  Bourbon, 
bourreau  des  cœurs,  est  un  Clavaroche  tout  à  fait  «  nature  »,  et  M.  Decléry 
ne  fut  jtmais  artiste  si  bien  disant,  si  consciencieux,  si  plein  de  bonne  grâce 
en  son  personnage  de  maitre  André,  dont  il  sauve,  peut-être  avec  excès,  les 
cotés  ridicules.  Tout  le  reste  est  parfaitement  mis  au  point;  la  mise  en  scène 
est  charmante,  et  il  nous  faut  surtout  louanger  l'orchestre  de  M.  Dupuis,  qui 
■a  été  absolument  délicieux.  —  Au  lendemain  de  celte  «  première  »,  la  Mon- 
naie devait  nous  donner  une  reprise  de  la  Valkyrie,  avec  M.  Delmas,  do 
l'Opéra,  engagé  pour  huit  représentations.  Un  contretemps  fâcheux,  une  in- 
disposilion  subite  de  MUK'  Lalîitle,  à  qui  la  direction  avait  cru  devoir  confier 
le  rôle  de  Sieglinde,  a  forcé  celle-ci  a  retarder  celle  reprise  de  quelques  jours 
et  à  l'aire  relâche,  —  ce  qui  est,  à  la  Monnaie,  un  événement  rare.  Il  faudra 
chercher  une  Sieglinde  ailleurs,  et  faire  tout  de  môme,  enfin,  ce  par  quoi  on 
aurait  peut-être  dû  commencer.  M.  Delmas,  outre  le  Wotan  de  la  Valkyrie 
chantera  encore  Hans  Sachs  des  Maîtres  Chanteurs  r-t  Méphislopbélès  de  Faust. 
Il  avait  é'ô  question  aussi  de  Thaïs;  mais  le  temps  a  manqué  pour  remettre 
l'oeuvre  à  la  scène.  On  presse  maintenant  les  études  du  Cheinineau,  du  Méphis- 
(ophélès  de  Boilo  et  d'Orphée,  qui  composeront  1rs  prochains  spectacles  avec 
les  deux  actes  inédits  de  M.  Jaques-Dalcroze,  les  Jumeaux  de  Bergame.  J'ou- 
bliais de  vous  dire  que  nous  avons  eu,  en  attendant,  celte  semaine,  la  pre- 
mière d'un  petit  ballet  de  M.  Léo  Pouget,  Ait  pays  dts  Cigales,  dont  la 
musique,  bien  rythmée  et  sans  prétentions,  présentée  dans  un  cadre  de  mise 
en  scène  lumineuse  et  brillante,  a  été  fort  applaudie.  L.  S. 

—  M.  Félix  Weingartner,  le  nouveau  directeur  de  l'Opéra  de  Vienne,  a 
été  présenté  le  3  janvier  dernier  par  M.  Horsetzky,  remplaçant  le  grand  cham- 
bellan, au  personnel  artistique  du  théâtre.  Il  a  exprimé  en  peu  de  mots  le 
sentiment  de  joie  et  de  fierté  qu'il  éprouvait  en  se  trouvant  à  la  tête  d'une 
institution  aussi  importante  que  l'Opéra  de  la  Cour  et  en  se  voyant  au  milieu 
d'un  cercle  d'artistes  aussi  distingués.  Il  a  indiqué  qu'en  toutes  choses  sa 
devise  serait  «  Vorwaerts  »  (En  avant),  ajoutant  que  ce  mot  devait  être  pris 
dans  son  sens  le  plus  noble  et  le  plus  élevé.  Quant  au  programme  adopté  par 
lui,  M.  Weingartner  n'en   a  point   parlé  pendant  cette  présentation  officielle. 

—  Le  2  janvier  a  eu  lieu  à  l'Opéra  de  Vienne  la  première  représentation 
du  nouvel  ouvrage  de  M.  Cari  Goldmark,  le  Conte  d'hiver.  Le  succès  a  été 
très  grand.  Le  librettiste  de  M.  Goldmark,  son  «  grillon  du  foyer  »,  comme  on 
dit  dans  son  entourage,  a  été  M.  A. -M.  Willner;  il  a  su  s'approprier  adroite- 
ment le  scénario  de  Shakespeare  et  en  tirer  une  suite  non  interrompue  de 
situations  intéressantes.  Comme  dans  ses  œuvres  précédentes,  M.  Goldmark 
s'est  montré  très  éclectique  dans  celle-ci.  On  y  sent  aussi  bien  l'influence  de 
Wagner  que  celle  de  Meyerbeer,  de  Verdi  et  des  maitres  de  l'école  française 
moderne.  Dans  les  passages  où  les  péripéties  de  l'action  provoquent  des  mou- 
vements dramatiques  d'une  certaine  véhémence,  le  compositeur  a  cherché  à 
ne  point  rester  au-dessous  de  l'effet  à  produire  en  renforçant  son  orchestration 
et  en  employant  des  harmonies  modulantes  avec  plus  de  profusion  qu'ail- 
leurs. Le  Conte  d'hiver  abonde  en  mélodies  chantantes  et  en  chœurs  d'une 
réelle  heauté.  On  considère  le  prélude  du  premier  acte  comme  un  petit  chef- 
d'œuvre  d'instrumentation:  celui  du  second  acte  présente  des  thèmes  dans  le 
goût  populaire  et  les  développe  en  variations  ingénieusement  écrites.  L'Opéra 
de  Vienne  a  confié  l'interprétation  à  des  artistes  de  premier  ordre.  Ce  sont 
Mmes  Kurz  (Perdita),  von  Mildenburg  (Hermione).  Kittel  (Pauline),  MM.  Sle- 
zak  (Leontes),  Demuth  (Polyxenes),  etc.;  tous  ont  fait  de  leur  mieux  ainsi 
que  les  chœurs;  et  l'orchestre,  sous  l'habile  direction  de  M.  Bruno  Walter, 
n'a  rien  laissé  à  désirer.  Le  compositeur,  qui  assistait  à  la  représentation,  a 
été  rappelé  tumultueusement  après  le  premier  acte,  mais  l'ovation  a  été  plus 
unanime  encore  après  le  deuxième.  Le  troisième  a  moins  plu;  le  septuor 
final,  Dieux,  abaissez-  vos  regards  sur  nous,  ayant  été  supprimé,  l'impression 
d'ensemble  a  été  compromise  et  l'on  a  dû  songer  à  modifier  dans  la  forme  le 
dénouement  de  l'ouvrage. 

—  Ainsi  que  nous  le  ■lisions  samedi  dernier,  àl'occasioii  des  fêtes  du  cente- 
naire de  la  mort  de  Joseph  Haydn  (31  mai  1809),  le  conseil  municipal  de 
Vienne  a  résolu  de  faire  les  démarches  nécessaires  pour  obtenir  l'autorisation 
de  transférer  les  restes  mortels  du  maitre  au  cimetière  central  de  cette  ville,  à 
côté  de  ceux  de  Schub-rt  et  de  Beethoven.  Dans  une  lettre  adressée  au  prince 
Nicolas  Esterhazy,  président  du  comité  des  fêtes.  M.  le  docteur  Lueger,  maire 
de  Arienne,  fait  remarquer  «  qu'aucune  disposition  du  testament  de  Haydn 
ne  peut  être  invoquée  contre  ce  transport,  car  il  est  écrit  dans  ce  testament, 
qui  est  conservé  aux  archives  du  tribunal  de  première  instance  de  Vienne, 
que  le  corps  du  maitre  doit  être  enterré  avec  un  convoi  de  première  classe, 
selon  les  usages  de  l'église  catholique  orthodoxe;  mais  rien  absolument  n'est 
indiqué  en  ce  qui  concerne  le  lieu  où  le  célèbre  compositeur  entendait  avoir 
sa  sépulture  >'.  La  conclusion  de  M.  Lueger  est,  par  suite,  que  l'autorisation 
devrait  être  accordée. 


—  D'autre  part,    nous   lisons   dans  les    Signale 


Le    conseil   municipal 


de  Vienne  voudrait  bien  pouvoir  rendre  à  cette  ville  les  restes  mortels  de 
Haydn  qui  ont  été  transportés  il  y  a  quatre-vingt-dix  sept  ans  a  Eisenstadt, 
en  Hongrie.  Ne  serait-ce  pas  bien  le  cas  de  rappeler  l'inscription  que 
Shakespeare  fit  mettre  sur  sa  tombe  :  «  Maudit  soit  qui  louche  à  mes 
cendres  ».  On  sait  que  Haydn  mourut  à  Vienne  en  1809  et  y  fut  enterré, 
ou  du  moins,  comme  nous  l'avons  dit  récemment,  à  Gupendorf,  qui  éU  I  al 
un  faubourg  de  cette  capitale.  Ce  ne  fut  que  onze  ans  après,  en  1X20,  que  ses 
cendres  furent  transportées  à  Eisenstadt,  où  un  tombeau  lui  fut  érigé  dans 
l'église  du  Calvaire  parce  qu'il  y  avaitexercé  les  tondions  de  mailre  de  chapelle 
du  prince  Esterhazy. 

—  Le  Pelit  Bleu,  de  Bruxelles,  publiait  ces  jouis  derniers  une  dépécheainsi 
conçue  :  «  Los  israélites  riches  de  Berlin  viennent  de  souscrire  les  fonds 
nécessaires  à  1  éreciion  d'une  statue  de  bronze  à  la  mémoire  du  célèbre 
compositeur  Mendelssohn.  Elle  sera  placée  devant  le  collège  juif  de  Berlin. 
Ce  sera  la  première  statue  d'israélile  qu'on  aura  jamais  édifiée  dans  la  capi- 
tale prussienne  ».  Il  y  a  là  une  erreur  de  fait  et  une  erreur  de  conséquences. 
La  ville  de  Berlin  ne  sera  pas  ornée  d'une  statue  d'israélite.  attendu  que, 
comme  nous  avons  eu  déjà  l'occasion  de  le  dire  récemment.  Mendelssohn, 
issu  de  famille  juive,  n'était  pas  juif  lui-même.  Son  aïeul,  le  célèbre  philoso- 
phe et  écrivain  Moses  Mendelssohn,  était  israélite  ;  mais  son  père,  le  fameux 
banquier  Abraham  Mendelssohn,  avait  abjuré  la  religion  juive  pour  embras- 
ser le  luthérianisme.  Mendelssohn  était  donc  protestant,  et  la  statue  qu'on  se 
propose  de  lui  élever  à  Berlin  n'amènera  aucune  nouveauté  au  point  de  vue 
du  culte  auquel  il  appartenait. 

—  A  l'Opéra-Comiquc  de  Berlin  le  si  intelligent  et  si  artistique  directeui 
M.  Gregor  va  monter  une  Chauve- Souris  complètement  remaniée.  Le  livret, 
aussi  bien  que  la  partition  de  cette  opérette,  ont  subi,  depuis  la  première 
représentation  qui  a  eu  lieu  à  Vienne,  de  nombreuses  coupures  et  retouches. 
M.  Gregor  a  chargé  un  écrivain  berlinois  connu  de  reviser  le  livret,  en  se 
rapprochant  le  plus  possible  du  texte  du  Réveillon,  la  pièce  de  Meilhac  et 
Halévy,  auquel  le  livret  a  été...  emprunté  indirectement.  Car  c'est  une  pièce 
allemande,  Dai  Gefœngriiss,  tirée  de  la  comédie  de  Meilhac  et  Halévy,  qui  avait 
servi  de  hase  au  premier  librettiste  de  la  Chauve-Souris.  La  première  représen- 
tation aura  lieu  prochainement. 

—  M.  Joseph  Wieniawski,  l'excellent  pianiste  dont  la  carrière  en  Belgique 
est  depuis  longtemps  si  brillante,  doit  donner  prochainement  à  Berlin  un 
grand  concert,  dans  lequel  il  se  produira  tout  ensemble  comme  virtuose,  com- 
positeur et  chef  d'orchestre.  Le  programme  comprendra  sa  symphonie  en  ré 
majeur,  dirigée  par  lui-même,  son  concerto  de  piano  en  sol  mineur  et  quel- 
ques lieder  à  deux  voix.  II  exécutera,  en  outre,  diverses  compositions  de 
Weber,  Chopin  et  Liszt.  On  sait  que  M.  Wieniawski  est  le  plus  ancien  des 
premiers  prix  obtenus  à  notre  Conservatoire  dans  la  classe  de  Marnontel 
père. 

—  Pou  Ijuiihottr,  l'ingin'eux  gentilhomme  de  la  Manche,  tel  est  le  titre  d'une 
«  tragi-comédie  musicale  en  trois  actes,  d'après  Michel  de  Cervantes  Saave- 
dra  »,  paroles  de  M.  Georges  Fuchs,  musique  de  M.  Antoine  Beer-Walbrunn. 
qui  a  été  représentée  pour  la  première  fois,  le  l*r  janvier  dernier,  au  théâtre 
de  la  Cour,  à  Munich.  La  soirée  a  été  très  brillante  et  les  applaudissements 
du  public  ont  été  de  plus  en  plus  nourris  d'acte  en  acte.  M.  Félix  Motil,  «  qui 
sait  donner  vie  et  couleur  à  tout  ce  qu'il  louche  »,  a  mis  en  relief  avec  éclat 
toutes  les  qualités  de  l'ouvrage  et  en  a  assuré  le  succès.  Le  compositeur  n'est 
ni  un  révolutionnaire  musical,  ni  un  novateur  en  matière  de  sonorités  ;  sa 
mélodie  est  suffisamment  personnelle,  ingénieusement  humoristique,  mais  se 
laisse  entraîner  parfois  jusqu'au  comique  frisant  la  charge  et  la  caricature. 
D'ailleurs,  certaines  pages  ont  paru  tout  à  fait  réussies,  par  exemp'e,  au 
deuxième  acte,  la  scène  des  plaintes  d'amour,  le  dialogue  chanté  entre  Doro- 
thée et  Lucinde  et  les  trois  grands  airs  de  Don  Quichotte.  On  a  remarqué  une 
réminiscence  probablement  voulue  de  la  Faust -Symphonie  de  Liszt.  Un  des 
morceaux  les  plus  unanimement  appréciés  a  été  le  chœur  final  par  lequel  se 
termine  la  partition. Les  principaux  rôles  ont  été  tenus  par  MM.FeinhalsiDon 
Quichotte),  Sieglitz  (Sancho  Pança),  Boysson  (Fernando),  M""-*  Burg-Zimmer- 
mann  (Dorothée),  Tordek  (Lueinde-Dulcinée),  M"e  Hocfer  (Emérenlia)  et 
Brunner  (Marcelin).  A  la  fin  de  la  représentation,  le  librettiste  et  le  composi- 
teur ont  été  rappelés  plusieurs  l'ois  sur  la  scène  au  milieu  des  acclamations. 

Un   portrait  inconnu  jusqu'ici     de   Sébastien    Bach.    La  revue    «   die 

Musik  »  publie,  sous  la  signature  de  M.  Alfred  Overmann,  un  article  intéres- 
sant que  nous  analysons  succinctement.  Le  Musée  municipal  d'Erfurt,  y  est  il 
dit,  a  fait  récemment  l'acquisition  d'un  portrait  peint  sur  toile  et  remontant  à 
la  première  moitié  du  dix-huitième  siècle.  Au  dos  de  ce  portrait  on  lit  l'ins- 
cription suivante,  tracée  vraisemblablement  à  la  même  époque  :  «  Joh.  Sebast. 
Bach,  né  le  21  mars  16S3,  à  Eisenach  ».  La  toile  mesure  60  centimètres  de 
hauteur  sur  44  de  largeur;  elle  reproduit  l'image  d'un  homme  d'environ 
trente-cinq  à  quarante  ans,  ayant  une  physionomie  très  expressive  encadrée 
d'une  perruque  de  dimension  moyenne.  Cet  homme  porte  un  vêtement  gris- 
bleu,  laissant  voir  un  gilet  jaune  ;  il  a  le  cou  entouré  d'un  foulard  de  batiste, 
dont  les  bouts  enlacés  tombent  sur  la  chemise  finement  plissée.  Un  manteau 
rouge  a  glissé  à  demi  de  l'épaule  gauche.  Serait-ce  là  un  portrait  peint  d'après 
nature,  ou  même  celui  qu'on  cherche  en  vain  depuis  si  longtemps  et  que  l'on  avait 
pris  l'habitude  de  nommer  »  le  portrait  de  Bach  d'Erfurt  »  parce  que  l'on  a  la 
certitude  qu'un  élève  de  Bach,   nommé   Kittel,  organiste  à  1  Eglise  des  prédi- 


14 


LE  MENESTREL 


canls  d'Erfurt,  mort  en  1809,  en  était  le  possesseur  '?  Il  faut  renoncer  à  cette 
espérance,  car  nous  savons  que  ce  dernier  portrait  représentait  le  maître  à  un 
âge  avancé  et  dans  une  tenue  de  gala.  On  s'étonne  de  ne  point  retrouver  dans 
le  nouveau  portrait  l'énergie  caractéristique  de  la  personnalité  de  Bach  :  nous 
y  voyons  plutôt  un  homme  calme  et  d'une  distinction  un  peu  passive.  H  faut 
ajouter  aussi  que  les  proportions  du  nouveau  portrait,  quant  aux  différentes 
parties  de  la  tête  et  du  visage,  ne  s'accordent  entièrement  ni  avec  celles  des 
autres  portraits  connus  jusqu'à  présent,  ni  avec  celles  du  crâne  trouvé  à 
Leipzig  en  1895.  et  sur  lequel  les  docteurs  His  et  Seflher  ont  fait  d'intéressants 
moulages  que  le  Ménestrel  a  reproduits.  Il  parait  certain  toutefois  que  l'inscrip- 
tion est  authentique  et  que  toute  idée  de  falsification  doit  être  écartée.  La 
conclusion  à  laquelle  il  faut  s'arrêter  serait  que  le  portrait  acquis  par  le  Musée 
municipal  d'Erfurt  n'a  pas  été  peint  d'après  nature  et  qu'il  a  été  fait  comme 
celui  du  collège  Joachimsthal  de  Berlin,  soit  de  mémoire,  par  un  artiste  qui 
en  aurait  reçu  la  commande,  soit  d'après  des  tableaux  ou  des  gravures  repré- 
sentant les  traits  du  maître.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'œuvre  et  belle  et  mérite  d'at- 
tirer l'attention. 

—  Une  opérette  nouvelle,  Frnii  Lebedame  (la  demi  mondaine),  paroles  de 
M.  Frédéric  Bernauer,  d'après  Cyprienne  de  M.  Victorien  Sardou,  musique 
de  M.  Wilhelm  Goetzl,  a  été  représentée  avec  succès  à  Prague  le  31  décembre 
1907.  Le  compositeur  a  écrit  il  y  a  peu  d'années  un  opéra-comique  joué  en 
1906  à  l'Opéra-Royal  de  Berlin,  Zierpuppen  ou  les  Précieuses  ridicules,  texte 
d'après  Molière. 

—  On  annonce  do  Leipzig  que  la  maison  Breitkopf  et  Hiirlel  prépare  une 
édition  complète  des  œuvres  de  Liszt,  du  même  genre  que  ses  belles  éditions 
des  grands  classiques.  Elle  a  formé  un  comité  composé  d'anciens  élèves  ou 
d'admirateurs  du  maitre,  qu'elle  a  chargé  du  soin  de  revoir  et  de  reviser  les 
manuscrits. Ce  comité  comprend  les  noms  de  MM.  Eugène  d'Albert,  Ferruecio  . 
Busoni,  Félix  Mottl,  Edouard  ReiiFS.  Bernhard  Stavenhagen,  Auguste  Stradal, 
Félix  Weingartner  et  Philippe  Wolfram. 

—  A  Cologne,  où  est  né  le  compositeur  Max  Bruch,  le  6  janvier  1S38,  on 
vient  de  célébrer,  comme  nous  l'avions  annoncé,  son  soixante-dixième  anni- 
versaire. Il  eut  pour  père  un  conseiller  de  police.  C'est  à  sa  mère,  Wilhelmine 
Almenraeder,  cantatrice  estimée,  qu'il  dut  sa  première  éducation  musicale. 
Dèsl'àge  de  onze  ans,  une  symphonie  do  lui  fut  exécutée  à  Cologne.  Il  ter- 
mina sesétudes  au  Conservatoire  de  celte  ville,  où  Ferdinand  Hiller  devint 
son  professeur  de  composition.  Il  travailla  ensuite  à  Leipzig  avec  M.  Cari 
Reinecke,  fit  un  séjour  à  Mannheim,  où  il  connutVic  or  Lachner,  et  parvint  à 
faire  représenter  en  1863  son  opéra  de  Loreley,  texte  d'après  Geibel.  Il  écrivit 
à  cette  époque  beaucoup  d'œuvres  chorales,  principalement  ses  Scènes  de  lu 
légende  de  Frithjof.  Il  fut  directeur  de  la  musique  à  Cohlenlz  de  180b  à  1867  et 
obtint  de  grands  succès  avec  son  célèbre  concerto,  qui  fait  partie  du  répertoire 
de  tous  les  violonistes.  Il  dirigea  plusieurs  années  des  orchestres,  notamment 
à  Sondersbausen  et  à  Berlin.  Il  épousa  en  1880  la  cantatrice  M!le  Clara 
Tuczek.  M.  Max  Bruch  est  le  président  de  la  section  musicale  de  l'Académie 
des  beaux-arts  de  Berlin  depuis  la  mort  de  Joseph  Joachim.  Il  est  considéré 
comme  le  représentant  le  plus  illustre  de  l'école  de  Mendelssohn;  Parmi  ceux 
do  ses  ouvrages  que  nous  n'avons  pas  mentionnés  plus  haut  se  trouvent  un 
opéra,  Hermioiie,  trois  symphonies,  des  fragments  d'une  messe,  de  la  musique 
instrumentale  et  beaucoup  de  beaux  lieder  qui  sont  devenus  populaires. 

—  On  signale  de  Saint-Pétersbourg  la  première  représentation,  à  l'Opéra 
impérial,  d'un  ballet  en  un  acte,  le  Pavillon  d'Armide,  dont  le  troisième  chef 
d'orchestre  de  ce  théâtre,  M.  Tchérepnine,  a  écrit  la  musique  sur  le  scénario 
d'un  peintre  bien  connu,  M.  Benois,  qui  en  a  dessiné  aussi  les  décors  et  les 
costumes. 

—  De  Milan  :  M.  Pietro  Mascagni  et  son  éditeur  M.  Edoardo  Sonzogno 
viennent  de  gagner  le  procès  qu'ils  avaient  intenté  conjointement  à  MM.  Gio- 
vanni Verga,  le  romancier  sicilien,  Pucci,  éditeur,  Giovanni  et  Domenico 
Monleone,  librettiste  et  compositeur  de  la  nouvelle  Cavalleria  Rusticana  qui, 
ainsi  que  l'on  sait,  a  été  représentée  déjà  sur  plusieurs  scènes  italiennes,  de 
même  qu'à  Ostende,  et  qui  était  sur  le  point  d'être  jouée  à  Vienne  sous  la 
direction  de  M.  Lehar.  Le  tribunal  a  reconnu  que  MM.  Mascagni  et  Sonzogno 
ont  seuls  le  droit  de  se  servir  d'un  livret  tiré  du  drame  de  M.  Verga  et  à 
condamné  les  défendeurs  à  payer  aux  demandeurs  les  dommages  qu'ils  leur 
ont  causés  ;  il  a  interdit  toutes  les  autres  représentations  de  la  nouvelle 
Cavalleria  Rusticana  et  a  ordonné  à  l'éditeur  de  cette  dernière  de  retirer  du 
commerce  tous  les  exemplaires  mis  en  vente. 

—  M.  Rava,  ministre  de  l'instruction  publique  du  royaume  d'Italie,  a 
adressé  récemment  à  son  collègue  le  ministre  du  trésor  la  demande  des  fonds 
nécessaires  pour  un  projet  de  loi  tendant  à  la  transformation  (que  nous  avions 
annoncée  comme  prochaine)  du  Lycée  musical  de  Sainte-Cécile  de  Rome  en 
une  institution  d'Etat. 

—  La  salle  du  Conservatoire  de  Milan,  nous  dit  un  journal  italien,  était 
pleine  dimanche  dernier  d'un  public  accouru  plutôt  pour  connaître  les  héros 
d'un  roman  récent  que  pour  assister  au  concert  qui  se  donnait  au  bénéfice  de 
la  Société  de  prévoyance  des  artistes.  A  l'entrée  de  la  comtesse  de  Monti- 
gnoso  (la  mère  de  la  petite  princesse  Monica),  le  public  se  leva  pour  la  con- 
templer. Quand  le  pianiste  Enrico  Toselli,  le  nouvel  époux  de  la  comtesse,  se 
présenta  sur  l'estrade,  il  fut  accueilli  par  un  silence  profond,  et  la  réserve  du 
public  l'accompagna  pendant  toute  la  première  partie  de  la  Fantaisie  hongroise 


de  Liszt.  Il  réussit  pourtant  à  provoquer  les  applaudissements  par  une  techni- 
que remarquable  et  une  égalité  mécanique  peu  commune.  A  la  -fin  du  mor- 
ceau des  bravos  bruyants  le  saluèrent  et  le  rappelèrent  plusieurs  fois  à  la 
rampe.  Le  succès  dura  pendant  tout  le  programme.  M.  Toselli  dirigea  l'or- 
chestre pour  l'exécution  de  sa  Sérénade,  de  bonne  forme,  mais  de  médiocre 
inspiration.  A  noter,  la  complète  absence   de  l'aristocratie  milanaise. 

—  On  lit  dans  le  Trovatore  :  «  Le  correspondant  du  Globe  de  New-York 
télégraphie  une  nouvelle  qui,  si  elle  est  confirmée,  est  destinée  à  soulever  en 
Italie  un  énorme  intérêt,  en  même  temps  qu'elle  provoquera  une  grosse  ques- 
tion légale.  Un  certain  Gregorio  Verdi,  vivant  à  Boston,  fils  d'un  simple 
huissier  de  cette  ville  et  descendant  d'anciens  émigrés  italiens,  aurait  décou- 
vert qu'il  est  le  neveu  au  second  degré  de  l'illustre  compositeur.  Comme  les 
legs  faits  par  Giuseppe  Verdi  ont  été  établis  d'après  la  croyance  qu'il  n'avait 
point  de  parents,  ce  prétendu  neveu  aurait  l'intention  de  réclamer  l'héritage 
du  grand  maestro  et  serait  en  train  d'établir  son  identité  auprès  du  consulat 
italien  en  s'.ippuyant  sur  des  documents  par  lui  conservés,  après  quoi  il  vien- 
dra en  Italie.  »  Est-ce  encore  là  un  de  ces  puffs  si  fréquents  en  Amérique  '.' 
En  tout  cas,  si  le  neveu  en  question  existe,  il  nous  parait  qu'il  s'y  prend  un 
peu  tard  pour  faire  sa  réclamation. 

—  Un  acteur  grand  d'Espagne  :  Le  roi  Alphonse  XIII  vient  de  prendre  une 
décision  qui  excite  un  certain  étonnement.  Il  a  conféré  à  l'acteur  bien  connu, 
Fernando  Mendoza,  la  qualité  de  :  «  comte  Balazote,  comte  de  Lalaing.  et 
marquis  de  Fontanar  ».  Or,  à  chacun  des  deux  premiers  titres  est  attachée  la 
dignité  de  grand  d'Espagne  de  i'e  classe.  C'est  la  première  fois  qu'une  si 
haute  distinction  est  accordée  à  un  membre  du  théâtre  espagnol,  et  il  est  éga 
lement  caractéristique  que  la  vieille  aristocratie  espagnole  accepte  cette  déci- 
sion du  roi  sans  trop  protester.  Les  grands  d'Espagne  ont  un  siège  au  Sérat 
et  sont  traités  d'Excellence.  Le  nouveau  marquis  de  Fontanar  ne  songe  ce- 
pendant pas  à  renoncer  à  sa  carrière  et  à  quitter  la  scène.  Il  a  été  reçu  par  le 
roi  et.  conformément  au  privilège  que   possèdent   les    grands    d'Espagne    de 

lrc  classe,  il  a  conservé  son  chapeau  sur  sa  tête,  pendant  qu'il  se  trouvait  en 
présence  du  souverain. 

—  A  la  fin  du  mois  de  décembre  dernier  a  été  vendue  à  Londres,  dans  les 
locaux  delà  maison  Sotheby,  Wilkinson  et  Hodge,  la  célèbre  collection  Howe, 
composée  d'anciennes  éditions  de  Shakespeare. Une  nouvelle  désagréable  pour 
les  amateurs  a  été  annoncée  dès  l'abord.  M.  Hodge  a  fait  connaître  qu'  «  un 
inconnu  s,  probablement  un  grand  collectionneur  américain,  avait  acheté 
en  bloc  vingt-huit  éditions  in-quarto  de  pièces  de  Shakespeare,  mais  que, 
désirant  n'en  conserver  que  quatorze,  il  met  tait  les  autres  en  vente.  Au  nombre  des 
quatorze  qu'il  gardait  se  trouvaient,  parmi  les  plus  précieuses,  l'édition 
à'Hainlet  de  1004,  et  la  première  édition,  de  1597,  de  Richard  III.  On  estime 
que  1'  «  inconnu  »  a  du  payer  son  lot  total  entre  230.000  et  380.000  francs. 
Les  prix  obtenus  par  les  quatorze  numéros  remis  en  vente  ont  été  assez  élevés, 
la  moyenne  par  pièce  étant  de  3.230  francs.  Un  Hamlet  de  1611  a  été  vendu 
10.230  francs  (on  l'avait  payé  843  francs  en  1874).  Peines  d'amour  perdues, 
édition  de  1631,  a  obtenu  5.150  francs  ;  le  Roi  Lear,  de  1608,  a  fait  5.125  francs  : 
Roméo  et  Juliette,  de  1599,  4. 224  francs  :  les  Joyeuses  Commères  de  ~\Ymdsor,  de 
1619,  4.100  francs.  On  a  donné  31.950  francs  pour  une  première  édition  in- 
folio de  Shakespeare,  datée  de  1623,  ce  qui  ne  peut  point  passer  pour  un 
record.  Le  prix  de  chaque  exemplaire  des  deuxième,  troisième  et  quatrième 
éditions  in-folio  ont  été  de  2.302,  13.450  et  2.030  francs.  Même  les  pièces  apo- 
cryphes de  Shakespeare  ont  atteint  de  hauts  prix  :  ainsi.  Toute  la  Vie  et  la 
Mort  de  Thomas,  Lord  Cromwell,  édition  de  1682,  a  été  payé  5.6S7  francs  :  on  en 
avait  donné  137  francs  en  1812;  et  Locrine,  édition  de  1595,  3.075  francs.  La 
collection  entière,  moins  les  quatorze  pièces  gardées  par  1'  «  inconnu  »  a  rap- 
porté 135.650  francs.  Celte  collection  des  éditions  de  Shakespeare  avait  été 
constituée  par  Charles  .Tennens,  un  ami  de  Haendel,  le  célèbre  compositeur 
du  Messie. 

—  Sous  ce  titre,  Une  Histoire  de  la  Musique  en  Angleterre,  M.  Ernest  Walker 
a  publié  récemment  à  Oxford  un  livre  intéressant  dont  le  but  est  d'esquisser 
les  formes  principales  de  la  musique  dans  le  Royaume-Uni,  depuis  les  pre- 
mières manifestations  de  cet  art  jusqu'à  la  fin  du  dix-neuvième  siècle.  L'au- 
teur accorde  une  place  importante  dans  son  ouvrage  aux  mélodies  populaires 
écossaises,  irlandaises  et  du  pays  de  Galles;  il  comprend  parmi  les  maîtres 
devant  figurer  dans  la  «  biographie  nationale  »  britannique,  Haendel,  né  à 
Halle,  mais  qui  a  vécu  quarante-cinq  ans  en  Angleterre  et  s'y  était  fait  natu- 
raliser. On  s?  rend  compte  aisément  dès  les  premières  pages  de  ce  livre  qu'il 
s'agit  ici  non  point  d'une  chronologie  rapide,  mais  d'aperçus  littérairement 
présentés  pour  le  lecteur  aimant  la  musique.  Nous  y  rencontrons  un  grand 
nombre  d'exemples  notés,  depuis  de  simples  mélodies  jusqu'à  de  longs  frag- 
ments d'œuvres  chorales  à  plusieurs  voix,  ce  qui  permet  de  s'initier  sans 
efforts  aux  formes  musicales  et  aux  styles  des  différentes  époques.  Des  index 
alphabétiques  ajoutent  au  prix  de  cette  histoire  musicale,  qui  est  écrite  avec 
une  réelle  compétence  et  un  talent  clair  et  méthodique. 

—  Le  jeune  violoniste  Kubelik,  de  retour  à  Londres  depuis  quelques  jours, 
vient  de  terminer  une  grande  tournée  artistique  à  travers  le  monde  au  cours 
de  laquelle  il  n'a  pas  donné  moins  de  240  concerts,  qui  lui  ont  rapporté,  en 
plus  d'un  nombre  infini  de  cadeaux  de  prix,  l'agréable  somme  de  1.250.000 
francs.  De  ces  240  concerts,  110  ont  été  donnés  en  Amérique.  40  en  Australie, 
et  les  autres  à  Ceylan.  dans  l'Afrique  du  Sud,  en  Egypte,  etc.  Sa  première 
tournée  américaine  avait  déjà  rapporté  690  000  francs  à  M.  Kubelik. 


LE  MENESTREL 


i:> 


—  Un  encouragement  pour  les  amateurs  de  l'impôt  sur  le  revenu  imaginé 
par  nos  gouvernants.  Un  journal  anglais  nous  apprend  qu'une  jeune  chan- 
teuse a  adressé  à  la  Courtty  Conrl  une  demande  d'exonération  de  la  taxe  sur 
la  richesse  mobilière,  déclarant  qu'elle  manque  de  travail  et  que  depuis  une 
longue  période  de  temps  elle  n'a  gagné  qu'une  guinée.  Un  entrepreneur  de 
concerts  a  agi  de  même,  affirmant  que  les  alfaires  vont  fort  mal  et  qu'il  est 
dans  l'intention  d'abandonner  son  métier.  Enfin,  un  professeur  de  musique 
sollicite  une  remise,  se  voyant  contraint  d'accepter  en  province  un  emploi 
qui  lui  rapporte  à  peine  vingt  schillings  par  semaine.  On  voit  la  situation  qui 
serait  faite  à  nos  pauvres  musiciens  le  jour  où  nos  excellents  socialistes  réus- 
siraient à  faire  établir  chez  nous  cet  agréable  impôt  sur  le  revenu,  objet  de 
leurs  ardentes  sympathies. 

—  On  a  parlé  des  traitements  fastueux  que  les  chanteurs  en  renom  obtien- 
nent en  Amérique.  Les  chefs  d'orchestre  ne  leur  cèdent  en  rien  et  ne  sont 
pas  moins  favorisés.  Un  journal  de  là-bas  nous  apprend  qu'à  l'Opéra  de 
Manhattan  de  New- York,  M.  Gampanini  a  5.000  francs  par  semaine,  tandis 
qu'au  Métropolitain,  M.  Gustave  Mailler  reçoit  100.000  francs  pour  la  saison, 
du  l01'  février  au  15  avril.  M.  Muck,  de  son  coté,  reçoit  de  la  Société  sym- 
phonique  de  Boston  75.000  francs  pour  une  saison  de  cinq  mois  ;  la  Société 
des  concerts  de  Pittsbourg  donne  60.000  francs  à  son  chef  d'orchestre, 
M.  Emile  Paur.  et  M.  Cari  Pohlig  a  40,000  francs  à  Philadelphie.  Quant  aux 
virtuose?,  cela  devient  fantastique.  Quand  M.  Paderewski  fait  une  tournée  de 
quaire-vingts  concerts,  on  lui  garantit  un  minimum  de  7.500  francs  par 
séance,  mais  sa  tournée  lui  rapporte  presque  le  double,  soit  environ 
l.lOO.OOn  francs,  et  celles  du  jeune  violoniste  Kubelik  lui  valent 
6001000  francs. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

A  l'Opéra,  la  salle  est  maintenant  emplie  d'échafaudages  gigantesques 
pour  permettre  aux  ouvriers  d'atteindre  le  plafond  du  cintre.  Le  plancher  de 
l'orchestre  a  disparu  en  attendant  qu'on  l'établisse  plus  bas  avec  une  pente 
destinée  à  l'engager  un  peu  sous  la  scène.  Les  appareils  de  nettoyage  par  le 
vide  font  rage  dans  tout  le  monument.  Pendant  ce  temps,  sur  la  scène,  séparée 
de  la  salle  par  le  rideau  de  fer  tenu  constamment  baissé,  on  répète  activement. 
Le  régisseur  général,  M.  Stuart,  et  le  nouveau  maitre  de  ballet,  M.  Staats.ont, 
sous  la  direction  de  M.  Messager,  établi  la  mise  en  scène  du  premier  tableau 
de  Faust,  de  celui  de  la  Kermesse  et  des  deux  tableaux  suivants.  On  compte 
toujours  faire  la  réouverture  le  25,  avec  le  chef-d'œuvre  de  Gounod.  Lundi 
27.  même  spectacle  ;  mercredi  29,  Guillaume  Tell  ;  vendredi  31,   lus  Huguenots. 

—  Voici,  maintenant,  par  ordre  alphabétique,  la  liste  définitive  des  artistes 
du  chant  rengagés  ou  engagés  par  la  direction  Messager-Broussan-Lagarde  : 

15    TÉNORS 

MM.  Alvarez,  Corpait  (Opéra-Comique),  Dubois,  Escalaïs,  Féodorow,  Gau- 
tier (Lyon).  Godait  (Marseille).  Gonguet.  Jaunie,  Muratore,  Nansen,  Nuibo, 
Revol  (débuts),  Riddez,  Van  Dyck  (en  représentations). 

Il    BARYTONS 

MM.  Beck  (Théâtre- Royal  de  Budapest),  Boulogne  (vient  de  Toulouse), 
Carbelly,  Dangès  (Nice).  Duclos.  Gilly,  Noté,  Nucelly  (Toulouse).  Rolland 
(débuts),  Stamler,  Triadou. 

9   BASSES 

MM.  d'Assy,  Cerdan,  Davey  (New-York),  Chapelon  (débuts),  Delmas, 
Gresse.  Lequien  (Lyon).  Paty  (Monnaie),  Rogneau. 

27  SOPRANOS 
Mmes  Aida  (Monnaie).  Agu  ssol,  Baroff  (Nice).  Agnès  Borgo.  Lucienne  Bré- 
val,  Brozia.  Campredon  (débuts).  Carlyle  (débuts),  Courbières  (Lyon),  Dubel, 
d'Elty.  Rose  Féart.  Gall  (premier  prix  du  Conservatoire),  Mary  Garden  (en 
représentations).  Hatto.  Henriquez  (Opéra-Comique),  Kousnietzowa  (Saint- 
Pétersbourg).  Laute.  Litvinne  (en  représentations),  Mancini.  Martyll.  Mastio. 
Mendès.  Mérentié,  Miranda  (Nice).  Samara  (débuts),  Vuillaume  (Lyon). 

19  CONTRALTOS 

Mmes  Arbell,  de  Buck  (débuts),  Charbonnel  (Toulouse),  Caro-Lucas.  Uurif, 
Flahaut.  Goulaucourt,  Lapeyrette  (premier  prix  du  Conservatoire).  Mathieu, 
Paquot  d'Assy,  Passama.  Vinci. 

—  Spectacles  de  dimanche  à  l'Opéra-Comique  ':  En  matinée,  Iphigénie  en 
Aulide ;  le  soir,  lu  Traviata  et  les  Noces  de  Jeannette.  Lundi,  en  représentation 
populaire  à  prix  réduits  :  Mignon. 

—  A  l'heure  dite,  le  Théâtre-Lyrique  Municipal  a  effectué  son  ouverture 
le  mardi  2  janvier.  Il  y  avait  là  naturellement  l'excellent  M.  Dujardin- 
Reaumetz,  sous-secrétaire  d'Etat  aux  Beaux- Arts,  le  commissaire  du  gouver- 
nement, M.  Bernheim,  le  préfet  de  la  Seine,  le  président  du  Conseil  muni- 
cipal, et  tout  un  lot  choisi  de  Conseillers  municipaux  qui  émaillaient  les  fau- 
teuils et  les  loges.  Un  vrai  bouquet  de  fleurs  !  On  représentait  Mireille,  inter- 
prétée par  Mmes  Marie  Thierry.  Marié  de  T'Isle,  MM.  Devriès,  Vieuille  et 
Allard.  Tout  a  marché  sans  encombre  et  la  recette  s'est  élevée  aux  environs 
de  2.500  francs.  Monsieur  et  Madame  le  Maire  se  sont  déclarés  satisfaits. 

—  A  l'occasion  de  cette  inauguration,  les  directeurs  Isola  frères,  pour 
reconnaître     l'appui   précieux  que  leur  a  donné  M.    Albert  Carré,    lui    ont 


envoyé  le   bas-relief  de  Chapu.  le  Souvenir,  avec  ces  lignes  gravées  sur  le 
socle  : 

A  MONSIEUR  ALBERT  CARHË 

En  souvenir  de  l'inauguration 

du  Théâtre-Lyrique  populaire  te  la  Gaité 

Leb  Frères  Isola. 
~i  janvier  1908. 

Nul  doute  que  dans  quelques  mois    M.   Alberi    Carré  ne  ] 

tour   aux  heureux  directeurs   du   Lyrique  le   bronze  fameux  de    Falguière  : 
In  Fortune.  Echange  de,  bons  procédés. 

—  Il  peut  être  bon  de  rappeler  ici  le  tarif  des  places  du  nouveau  Lyrique 
municipal  : 

Avant-scène,  loges  de  balcon,  fauteuils  d'orchestre   l     série     ....  !■>.        ', 
Fauteuils  d'orchestre  <i  'série) 

—  de  balcon   (1"  rang) •, 

—  —         (autres  ran^s ;• 

1"  galerie,  avant-scènes,  fauteuils  (1"  rang 2  ;,n 

—        Fauteuils  (autres  rangs) _» 

2»">  galerie,  avant-scènes,  fauteuils  (1"  rang) i  ;,n 

—  Fauteuils  autres  rangs) i 

Amphithéâtre ; «  =q 

Tarif  vraiment  démocratique. 

—  La  Cour  de  cassation  vient  de  rendre  un  jugement  par  lequel  elle  re- 
connaît le  bien  fondé  de.  l'arrêt  de  la  Cour  d'appel  dans  le  prucè-  intenté  par 
le  compositeur  Wiensberger  à  la  Société  des  auteurs,  compositeur  et  édi 
teurs  de  musique,  dont  le  siège  est  rue  Chaptal.  On  sait  que  M.  Wiensberger 
considérait  comme  contraire  aux  statuts  de  la  dite  Société  la  manière  de  ré- 
gler les  droits  qu'elle  percevait  pour  le  compte  des  auteurs  et  notamment  la 
retenue  qu'on  faisait  de  certaines  sommes  qui  devaient  s'appliquer,  dans  l'esprit 
des  administrateurs.,  aux  œuvres  du  domaine  public  ou  à  celles  de  composi- 
teurs qui  ne  faisaient  pas  partie  de  la  Société.  M.  Wiensberger  ayant  gagné 
sa  cause  dans  les  trois  degrés  de  juridiction,  en  première  instance,  en  appel 
et  en  cassation,  la  Société  n'a  plus  qu'à  s'incliner.  Il  va  s'ensuivre  un  rema- 
niement important  des  anciens  comptes,  d'après  expert  nommé  par  le  tri- 
bunal. 

—  Le  journal  le  Temps  publiait  mardi  dernier  la  dépêche  suivante  que  lui 
adressait  son  correspondant  de  Berlin  : 

M.  Henri  Marteau,  professeur  au  Conservatoire  de  Genève,  a  été  choisi  comme 
professeur  de  violon  au  Conservatoire  de  Berlin  sur  les  indications  de  Joachim  lui- 
même,  dont  il  prendra  la  classe.  M.  Marteau,  né  à  Reims  en  1874,  a  été  un  des  plus 
brillants  élèves  de  Léonard.  Il  a  joué  en  public  dés  l'âge  de  dix  ans.  Lors  de  ce  pre- 
mier concert  il  a  été  présenté  au  public  par  Gounod ,  qui  lui  a  donné  ainsiune  sorte 
de  baptême  artistique.  La  mère  de  M.  Marteau  est  allemande. 

La  nouvelle  pouvait  sembler  d'abord  un  peu  singulière.  M.  Henri  Marteau 
le  sentit  sans  doute,  car  il  télégraphia  aussitôt  au  Berlmer  Tageblalt  qu'en 
acceptant  la  succession  de  Joachim  il  a  posé  comme  condition  de  conserver  sa 
qualité  de  citoyen  français  et  son  grade  d'officier  dans  la  réserve  de  l'armée 
française,  ce  qui  semble  encore  assez  bizarre.  Au  reste,  tout  n'est  pas  terminé 
encore,  comme  on  pouvait  le  supposer,  et  M.  Henri  Marteau  a  expliqué  lui- 
même,  dans  une  lettre  au  Journal  de  Genève,  où  en  est  exactement  l'affaire  de 
sa  nomination  au  Conservatoire  de  Berlin  : 

Si  les  négociations  ont  été  ouvertes  avec  l'autorisation  impérial.»,  elles  sont  loin 
d'être  terminées.  J'ai  signé  un  protocole,  voilà  tout.  Ce  protocole  doit  être  encore 
soumis  à  l'approbation  du  ministre  prussien  des  finances,  puis  à  celle  de  la  Diète 
prussienne.  Or  ce  dernier  acte  n'interviendra  qu'en  mars  ou  avril.  La  nouvelle  est 
inexacte,  en  ce  sens  que  je  ne  succéderai  pas  au  maitre  Joachim  dans  ses  fondions 
de  directeur  de  l'Académie  de  musique,  mais  seulement  dans  celles  de  professeur 
de  sa  classe  de  violon. 

Rappelons  que  M.  Henri  Marteau,  après  avoir  fait  sa  première  éducation  de 
violoniste  avec  l'excellent  Léonard,  entra  au  Conservatoire  de  Paris,  et  dès 
son  premier  concours,  e:i  1892.  emporta  d'emblée  le  premier  prix.  Il  est  né  à 
Reims  le  31  mars  1874. 

—  Au  titre  étranger,  en  sa  qualité  de  citoyen  suisse,  l'éditeur  bien  connu 
Paul  de  Choudens.  vient  d'être  fait  officier  de  la  Légion  d'honneur  par  M.  Pi- 
chon.  ministre  des  affaires  étrangères. 

—  Fragment  très  curieux  d'une  lettre  de  Tschaïkowskv  à  une  de  ses  amies, 
celle  qui  l'aida  et  le  protégea  pendant  tout  le  cours  de  sa  carrière  : 

Vous  me  demandez  pourquoi  je  ne  compose  pas  un  trio.  Pardonnez-moi.  ma 

chère  amie.  Je  voudrais  bien  vous  faire  ce  plaisir,  mais  cela  dépasse  mes  forces. 

Mon  appareil  acoustique  est  arrangé  d'une  façon  telle  que  je  ne  puis  supporter  la 

combinaison  du  piano  avec  le  violon  ou  le  violoncelle.  D'après  mon  avis, 

tères  de  sons  jurent  l'un  avec  l'autre,  et  je  vous  assure  que  c'est  pour  moi  le  plus 

grand  des  supplices  que  d'écouter  un  trio  ou  une  sonate  pour  piano  et  instruments 

à  cordes.  Je  ne  peux  pas  ni'expl iquer  ce  fait  physiologique,  je  ne  peu 

constater. 

C'est  tout  une  autre  chose  que  le  piano  avec  orchestre  ;  là,  non  plus,  n'existe  pa* 
une  vraie  union  de  sous  musicaux  ;  le  piano  a  un  sou  élastique  qui  se  sépare  de  tout 
ensemble  musical  ;  mais  ici  il  y  a  deux  adversaires  de  ia  même  force 
puissant  et  inépuisable  en  sons  qui  est  dominé  par  le  petit  piano,  sans  apparence 
mais  plein  de  force,  et  il  est  même  vaincu  quand  l'exécutant  a  du  talent.  Il  va  beau- 


16 


LE  MÉNESTREL 


coup  de  poésie  dans  cette  lutte,  et  d'innombrables  moments  bien  séduisants  pour  un 
compositeur.  Par  contre,  comme  est  peu  naturelle  l'union  de  ces  trois  individualités  : 
violon,  violoncelle  et  piano  !  Là  se  perdent  les  qualités  de  chacun.  Le  son  chantant 
et  pénétrant,  le  timbre  délicieux  du  violon  ou  du  violoncelle  paraissent  monotones 
à  coté  du  roi  des  instruments,  du  piano,  tandis  que  ce  dernier  lutte  inutilement  pour 
prouver  qu'il  est  aussi  capable  de  chanter  que  ses  partenaires. 

Le  piano  a  droit  à  l'existence  dans  trois  cas  seulement  :  1°  comme  instrument 
solo  ;  2°  en  lutte  avec  l'orchestre  ;  3°  comme  accompagnement,  comme  un  fond  de 
tableau.  Dans  un  trio,  on  considère  comme  chose  certaine  l'égalité  et  l'harmonie  des 
instruments  ;  elles  n'existent  pas  entre  le  piano  et  les  instruments  à  cordes.  C'est 
pourquoi  il  y  a  toujours  quelque  chose  qui  n'est  pas  naturel  dans  le  trio  ;  chacun  de 
ces  trois  instruments  cherche  à  exprimer  quelque  chose,  qui  n'est  pas  dans  son  carac- 
tère et  que  l'auteur  lui  a  imposé  ;  d'ailleurs,  ce  dernier  rencontre  toujours  beaucoup 
de  difficultés  à  répartir  les  voix  et  à  grouper  les  parties  de  ses  pensées  musicales.  Je 
rends  pleine  justice  à  l'art  génial  d'un  Beethoven,  Schumann  et  Mendelssohn,  de 
vaincre  ces  difficultés;  je  sais  qu'il  y  a  beaucoup  de  trios  dont  la  musique  est 
exquise,  mais  je  n'aime  pas  la  forme  du  trio  et  je  ne  suis  pas  capable  de  créer  avec 
cette  combinaison  de  sons.  Je  sais,  chère  amie,  que  vous  ne  partagez  pas  mes  idées 
à  cet  égard,  car  vous  aimez  le  trio  ;  nous  sommes,  avec  toute  l'affinité  de  nos  natures 
musicales,  deux  individualités  différentes,  c'est  pourquoi  il  n'est  pas  surprenant  que 
nous  nous  séparions  en  certaines  choses 

—  Sait-on,  dit  le  masque  de  fer  du  Figaro,  ce  que  les  Parisiennes  appren- 
nent le  plus  volontiers  ?  La  statistique  municipale  s'en  est  enquise  auprès  de 
l'Association  polytechnique  qui,  dans  ses  cours  populaires,  enseigne  toutes 
sortes  d'excellentes  choses,  entre  autres  la  littérature,  les  langues  étrangères, 
les  sciences,  les  arts  d'agrément  et  les  arts  techniques.  Et  voici  le  résultat  de 
cette  enquête  :  les  cours  les  plus  fréquentés  par  les  demoiselles  sont  les  cours 
de  mandoline.  Elles  se  désintéressent  moins  de  l'arabe  que  de  Vantomobi- 
lisme,  car  trois  d'entre  elles  apprennent  avec  zèle  la  langue  de  Mahomet  et 
une  seule  consent  à  se  faire  initier  aux  mystères  de  la  quatrième  vitesse.  Et 
—  pouvait-on  le  soupçonner?  —  à  la  composition  décorative  elles  préfèrent 
l'économie  politique  et  la  trigonométrie  !  Ces  deux  sciences  ne  comptent  pas 
moins,  en  effet,  de  70  élèves-femmes,  alors  que  les  classes  de  dessin  d'agré- 
ment sont  fréquentées  par  19  jeunes  filles  seulement.  Mais  elles  se  pressent 
au  cours  de  mandoline,  qui  délient  le  record  avec  546  élèves. 

M.  Georges  Jacob  donnera  cet  hiver  à  9  heures  du  soir,  dans  la  salle  de 

la  ScholaCantorum,  269,  rue  Saint-Jacques,  une  série  de  4  auditions  (27  jan- 
vier, 24  février,  30  mars,  30  avril)  consacrées  à  l'étude  de  l'oeuvre  d'orgue  de 
J.-S.  Bach.  C'est  la  première  fois  que  celte  étude  sera  présentée  au  public. 
L'intérêt  en  est  d'autant  plus  grand  que  des  publications  récentes  ont  fait 
mieux  connaitre  le  génie  de  Bach,  notamment  les  ouvrages  d'André  Pirro.qui 
fera  le  commentaire  des  pièces  annoncées  au  programme.  Nous  rappelons  à 
noslecleurs  que  M.  Georges  Jacob,  dans  un  but  de  vulgarisation  artistique,  met 
toutes  les  places  de  tribune  gratuitement  à  la  disposition  du  public. 

—  Il  vient  de  paraître  à  Grenoble  un  volume  qui,  bien  que  venant  un  peu 
tard,  se  présente  sous  un  lel  aspect  qu'il  se  fait  pardonner  d'avoir  été  si  long- 
temps attendu  :  le  Livre  d'or  du  centenaire  d'Hector  Berlioz,  à  la  rédaction  du- 
quel ont  collaboré  la  plupart  des  écrivains  ou  des  musiciens  qui,  en  France 
ou  à  l'étranger,  ont  étudié  de  façon  spéciale  l'œuvre  et  la  vie  du  grand  maître 
français  (MM.  Reyer,  Saint-Saéns,  Henri  Maréchal,  Ed.  Colonne,  Bruneau, 
Schuré,  Lascoux,  Boschot,  Soubies,  Tiersot,  Weingartner,  Winogradsky, 
"Wotton,  etc.)  et  qui,  contenant  de  fort  belles  illustrations,  imprimé  à  Gre- 
noble sur  vélin  sorli  des  papeteries  de  Rives,  est  un  magnifique  hommage  du 
Dauphiné  au  maître  musicien  qui  fut  une  des  principales  gloires  de  cette  pro- 
vince au  dix-neuvième  siècle.  J.  T. 

—  Une  séance  tout  intime  de  musique  réunissait  ces  jours  derniers  chez 
Mme  Mathilde  Marchesi  un  certain  nombre  d'amis  venus  surtout  pour  enten- 
dre sa  fille,  Mme  Blanche  Marchesi.  qui  avait  quitté  un  instant  Londres,  où  sa 
situation  s'est  faite  brillante  depuis  plusieurs  années.  Mme  Blanche  Marchesi  a 
charmé  son  auditoire  en  chantant  une  douzaine  de  morceaux  français,  alle- 
mands ou  anglais,  qui  mettaient  en  relief  l'étonnante  variété  de  son  talent 
pathétique  et  plein  de  mélancolie  comme  dans  l'admirable  Paire  sur  son  rocher, 
de  Schubert,  ou  plein  d'humour,  d'esprit,  et  l'on  dirait  presque  de  gaminerie, 
comme  dans  la  chanson  si  curieuse  du  Coucou.  On  peut  croire  que  les  applau- 
dissements ne  lui  ont  pas  manqué,  non  plus  qu'à  M.  Lefebvre,  clarinettiste 
de  l'Opéra,  qui,  dans  le  lied  de  Schubert,  l'a  accompagnée  avec  une  rare  habi- 
leté, M.  F.  Ponsot  étant  au  piano. 

—  Une  jeune  chanteuse  française,  élève  de  Mn,c  Mathiîde  Marchesi,  Mllc  Ju- 
liette "Visseau,  vient  d'être  engagée  au  Théâtre  de  Monte-Carlo,  où  elle  deit 
débuter  dans  les  derniers  jours  de  ce  mois,  d'abord  dans  Azucena  du  Trovolore, 
ensuite  dans  Carmen. 

Programme  du  10e  samedi  de  la  Société  de  l'histoire  du  théâtre  qui  aura 

lieu  aujourd'hui,  11  janvier,  à  cinq  heures,  au  Théàtre-Sarah-Bernhardt  : 

Causerie  de  M.  Auguste  Dorchain  sur  le  «  Public  »,  accompagnée  des  récitations 
ou  auditions  suivantes  : 

Une  soirée  perdue  (Alfred  de  Musset),  par  M.  Mounet-Sully,  sociétaire  de  la  Comé- 
die-Française. —  La  Fête  chez  Thérèse  ("Victor  Hugo),  par  M"'  Madeleine  Roch,  de  la 
Comédie-Française.  —  Les  Premières  (Alexandre  Dumas  fils),  par  M""  Marguerite 
Brésil.  —  Le  Théâtre  Idéal  (Théophile  Gautier),  par  M"'  Lillian  Greuze,  du  Théàtre- 


Sarah-Bernhardt.  —  Le  Mariage  de  Figaro  (Auguste  Dorchain),  par  M"1  Zorelli,  du 
Théâtre-Antoine.—  La  Bataille  d'Hernani  (François  Ooppèe;,  par  M.  Leitncr,  socié- 
taire de  la  Comédie-Française.  —  Duo  de  Paillasse  (Leoncavallo),  par  M"»  Hatto  et. 
M.  Gilly,  de  l'Opéra. 

—  Aujourd'hui  samedi,  à  4  h.  1/2,  au  Théâtre  du  Gymnase,  deuxième 
série  des  «  Samedis  de  Madame  ».  Causerie  de  M.  Julien  Tiersot,  sur  l~s  Chan- 
sons Rustiques  de  la  France,  sujet  éminemment  attrayant,  que  l'érudit  biblio- 
thécaire du  Conservatoire  traitera  avec  sa  compétence  bien  connue  tt  dont 
l'intérêt  sera  encore  rehaussé  par  de  très  nombreuses  auditions  de  vieilles 
chansons  françaises,  par  Mmes  Jeanne  Raunay,  de  l'Opéra-Comique,  Bertho- 
lon-Mauvernay  et  M.  Julien  Tiersot  lui-même.  Au  piano  :  M.  Jemain. 

—  Dernière  heure  par  cable  :  Enorme  succès  pour  Louise  de  Charpentier 
au  Manhattan-Théâtre.  Mary  Garden  acclamée. 

NÉCROLOGIE 

Nous  annonçons  avec  regret  la  mort  de  M.  Eugène  Archainbaud,  ancien 
professeur  de  chant  au  Conservatoire,  qui  vient  de  succomber  aux  suites 
d'une  longue  maladie,  à  l'âge  de  74  ans.  R  avait  été  d'abord  violoniste,  et 
dans  ses  jeunes  années  avait  appartenu  à  l'orchestre  de  divers  théâtres,  entre 
autres  de  la  Porte-Saint-Marlin.  Puis,  s'étant  découvert  une  jolie  voix  de 
ténor,  il  entra  au  Conservatoire  et  y  obtint  les  premiers  prix  de  chant  et  d'opéra- 
comique.  L'exiguïté  de  sa  taille  le  détourna  d'aborder  la  scène,  et  il  se 
consacra  uniquement  à  l'enseignement.  Nommé  professeur  au  Conservatoire 
il  y  a  une  vingtaine  d'années,  il  avait  ensuite  donné  sa  démission  pour  cause 
de  santé. 

—  A  Trieste  est  morte  le  14  décembre  dernier,  à  l'âge  de  53  ans.  une  canta- 
trice qui  pendant  douze  années  fournit  une  carrière  très  brillante  sous  le  nom 
d'Anna  d'Angeri.  Fille  d'un  conseiller  ministériel  de  "Vienne,  où  elle  naquit, 
apparentée  à  diverses  familles  nobles,  elle  s'appelait  de  son  vrai  nom  Anna 
Angermayer  de  Rebenberg.  Élève  de  Mmc  Mathilde  Marchesi,  qui  était  alors 
professeur  au  Conservatoire  de  Vienne,  elle  fit  sous  sa  direction  de  rapides 
progrès,  à  peine  âgée  de  18  ans  débuta  d'une  façon  triomphale  au  Théâtre- 
Social  de  Mantoue,  puis  bientôt,  après  s'être  fait  entendre  à  deux  reprises  à  la 
Scala  de  Milan,  parcourut  l'Europe,  se  produisit  à  Moscou,  à  Saint-Péters- 
bourg, à  Madrid,  faisant  admirer  sa  voix  superbe  et  son  rare  tempérament 
dramatique.  Son  mariage  avec  un  négociant  de  Trieste,  M.  Vittorio  Salem, 
Lui  fit  abandonner  le  théâtre  au  milieu  de  ses  succès,  et  depuis  lors  on  ne 
l'entendit  plus  qu'en  cette  ville,  pour  des  œuvres  de  bienfaisance. 

—  Les.joumaux  ont  inséré  une  dépèche  datée  de  Grenoble,  3  janvier,  et 
ainsi  conçue  ;  —  «  On  annonce  la  mort,-  à  l'âge  de  80  ans,  de  M.  Gruyer, 
ancien  conseiller  général,  chevalier  de  la  Légion  d'honneur.  M.  Gruyer  avait 
autrefois,  sous  le  nom  de  Guardi,  créé  le  rôle, de. Faust  au  Théâtre-Lyrique, 
puis  il  avait  chanté  dans  divers  théâtres  italiens.  »  Cette  nouvelle  n'est  pas 
tout  à  fait  exacte,  en  se  sens  que  l'artiste  qui  avait  pris  le  nom  de  Guardi  ne 
créa  pas  le  rôle  de  Faust.  Il  devait  le  créer,  mais  la  maladie  l'en  empêcha,  et 
au  dernier  moment  on  dut  avoir  recours  à  Barhot  pour  sauver  la  situation. 
C  est  seulement  le  10  septembre  (1839),  à  la  reprise  de  Faust  pour  le  renou- 
vellement de  la  saison,  que  Guardi,  pour  son  début,  prit  possession,  du  rôle. 
Voici  comment  un  journal  l'appréciait  :  —  «  M.  Guardi,  qui  joue  à  présent  le 
rô'e  de  Faust,  est  le  jeune  artiste  qu'une  indisposition  empêcha  d'y  faire  son 
début  l'hiver  passé.  Ce  qui  fut  différé  n'était  pas  perdu.  M.  Guardi  est  fort 
bien  de  sa  personne.  Il  n'a  pas  encore  une  très  grande  habitude  du  théâtre, 
ce  qui  est  tout  simple,  puisqu'il  débute.  Cela  lui  viendra  avec  le  temps,  et 
comme  il  a  l'air  intelligent,  on  est  endroit  d'ajouter  que  cela  lui  viendra  vite. 
Sa  voix  est  étendue,  éclatante  et  suffisamment  énergique:  malheureusement 
il  la  force,  ce  qui  la  rend  chevrotante  et  en  altère  le  timbre.  C'est  un  "jeune 
homme  qu'il  faut  encourager,  et  qui  peut  aller  loin  s'il  travaille.  »  Par 
malheur,  la  santé  de  Guardi  était  moins  solide  que  sa  voix  :  pour  cause  d'in- 
disposition il  dut,  au  bout  de  quelques  représentations,  céder  à  Michot  ce 
rôle  qu'il  avait  dû  créer  et  qu'il  n'avait  pu  que  reprendre.  On  le  vit  encore, 
l'année  suivante,  jouer  Florestan  de  Fidelio  aux  côtés  de  Mme  Viardot.  Puis  ce 
fut  tout,  et  il  ne  fut  plus  question  de  lui  au  Théâtre-Lyrique.  Cette  carrière 
manquée  ne  l'a  pas  empêché,  on  l'a  vu,'  de  devenir  conseiller  général  de  l'Isère 
et  chevalier  de  la  Légion  d'honneur  sous  son  véritable  nom  de  Gruyer. 

—  Un  chanteur  de  l'Opéra  de  Vienne,  Willy  Hescb,  est  mort  dans  les  pre- 
miers jours  de  1908  des  suites  d'une  opération.  Il  avait  obtenu  de  brillants 
succès  en  1896.  Sa  belle  voix  de  basse  et  sa  méthode  excellente  lui  firent 
acquérir  une  certaine  réputation.  Il  a  chanté  beaucoup  parmi  les  troupes 
tchèques  d'opéra,  principalement  le  rôle  de  Kezal  dans  la  Fiancée  vendue  de 
Smetana. 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


APÙnrD     c'ans  'JOrme  v'"e  °-e  province  une  situation  de  professeur  de 
XÀllUtlR  'chant  lucrative  et  florissante.  Conviendrait  particulièrement 


a  un  mrnag 


d'artistes.  S'adresser  aux  bureaux  du  journal. 


Samedi  48  Janvier  1908. 


4008.  -  74e  ANNÉE.-  I\°  3.  PARAIT   TOUS   LES   SAMEDIS 

(Les  Bureaux,  2  bls,  rue  Vivienne,  Paris,  ii»  arc-) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


lie  flaméFo  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  Numéro  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  — Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sua. 


SOMMAIEE-TEÏTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (fis  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale  : 
première  représentation  de  Ce  veinard  de  Bridacke,  au  Théàtre-Cluny,  àmédée  Bou- 
tarel.  —  III.  Une  collaboration  manquée  :  Sporscb.il  et  Beethoven,  Amédée  Boutarel. 
—  IV.  Revue  des  grands  concerts.  —  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
RONDE  DES  KORRIGANS 
n°  o  de  Féerie,  petite  suite  pour  piano  de  I.  Piiilipp.   —  Suivra  immédiate- 
ment :  Danse  des  Crotales,  n°  3  des  Danses  Tanagréennes  de  Zino-Zina,  ballet 
de  Paul  Vioal. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
le  Pécheur  de  Syracuse,  n°  4  des  Odelettes  antiques,  de  Théodore  Dubois,  sur  des 
poésies  de  Charles  Dubois.  —  Suivra  immédiatement  :  Au  bois  de  l'amour,  n°3 
des  Idylles  et  Chansons  de  Jaques-Dalcroze,  sur  des  poésies  de  Gadriel  Vicaire. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 


CHAPITRE  II 


ENFANCE    DE    GLUCK    EN  BOHÊME 

Parmi  les  illustres  témoignages  en  faveur  du  génie  musical 
bohémien,  je  ne  saurais  omettre  celui  de  Spontini,  venu  tout 
récemment  à  notre  connaissance,  et  de  tout  point  conforme  aux 
précédents.  Écrivant  de  Marienbad,  le  -12  août  1836,  l'auteur  de 
la  Vestale  décrit  les  beautés  romantiques  de  la  contrée,  aux- 
quelles vient  s'ajouter,  dit-il,  le  charme  naturel  de  l'harmonie. 

«  J'ai  les  oreilles  fort  agréablement  frappées,  à  six  heures  du 
soir,  des  sons  délicieux  et  ravissants,  qui  parviennent  jusqu'à 
moi,  des  plus  suaves  et  harmonieuses  mélodies  de  Mozart, 
d'Haydn,  Beethoven,  Gluck,  Cherubini,  Méhul,  Weber,  Spohr, 
etc.,  qu'un  petit  nombre  d'obscurs  et  modestes  artistes  de  la 
nature  bohémienne,  mieux  organisés  pour  la  musique  que  d'au- 
tres peuples  (artistes  pendant  les  trois  mois  d'été,  artisans  et 
ouvriers  dans  leurs  campagnes  et  villages  tout  le  reste  de 
Tannée)  exécutent  sur  la  promenade,  avec  une  exactitude  rare 
d'instinct,  d'intonation,  de  rythme,  de  mouvement,  d'intention 
et  de  justesse  dans  les  nuances,  et  avec  un  sentiment  enfin  à  me 
faire  éprouver,  outre  l'étonnement,  les  plus  douces  sensations  I . . . 
Oui,  mon  ami,  voici  l'art  véritable  dans  la  nature,  et  la  nature 
toute  pure  dans  l'art,  qui  produisirent  jadis  les  vrais  grands 
maîtres...  »  (I). 

(1)  Lettre  autographe  de  Spontini,  acquise  par  la  Bibliothèque  du  Conservatoire  le 
13  décembre  1907. 


liais  revenons  à  Gluck. 

Lorsqu'il  eut  douze  ans,  son  père  eut  un  avancement  qui  le 
fit  venir  dans  une  autre  partie  des  montagnes  de  la  Bohême,  à 
Eisenberg,  seigneurie  du  prince  de  Lobkowitz.  Ce  village  est 
proche  delà  petite  ville  de  Kommotau,  où  il  y  avait  un  .limi- 
naire de  Jésuites  :  Christophe  y  fut  placé  pour  poursuivre  ses 
études.  La  condition  de  la  famille  ne  semblait  guère,  il  est  vrai, 
le  destiner  à  recevoir  un  pareil  complément  d'instruction  :  mais 
il  avait,  n'en  faisons  aucun  doute,  manifesté  la  tendance  sérieuse 
de  sa  nature,  et  son  aptitude  au  travail,  de  manière  à  justifier 
cette  exception.  Au  point  de  vue  musical,  il  entrait  au  - 
sachant  déjà  chanter  et  jouer  du  violon,  connaissances  acquises 
aux  écoles  élémentaires  de  Neuschloss  et  de  Kamnitz  :  il  put  se 
livrer  maintenant  à  l'étude  du  clavier,  orgue  et  clavecin  (c'était  le 
temps  même,  où,  à  Leipzig,  le  grand  Bach  publiait  chaque  année 
un  cahier  de  ses  ingénieuses  Partitas),  et  il  acquit  la  pratique  de  la 
musique  d'ensemble  en  chantant  au  chœur  de  l'église  Saint- 
Ignace.  Il  resta  là  de  1726  à  1732. 

Quand  il  sortit,  il  avait  dix-huit  ans.  C'est  l'Age  d'être  étudiant: 
il  s'en  fut  à  Prague  pour  suivre  les  cours  supérieurs  de  science 
et  de  philosophie.  Décidément  il  ne  serait  pas  garde-forestier  ! 
Mais  le  père  l'était,  lui,  et  il  avait  sept  enfants  à  élever  : 
comment  eût-il  supporté  la  charge  de  '  subvenir  aux  besoins 
d'une  vie  d'étudiant  ?  Bah  !  si  les  ressources  manquent,  la 
musique  est  là  pour  y  pourvoir  !  C'est  ainsi  que  Gluck  fut 
amené,  par  la  force  des  choses,  à  se  consacrer  sans  partage  à 
Tart  dans  lequel  ni  lui  ni  personne  ne  pouvait  alors  soupçonner 
qu'il  dût  remplir  un  jour  de  si  grandes  destinées. 

Il  donna  des  leçons  de  chant  et  de  violoncelle.  Il  chanta  et 
joua  dans  diverses  églises  de  la  ville.  A  la  Teinkirche,  paroisse 
du  vieux  Prague,  il  étudia  sous  la  direction  d'un  éminent  musi- 
cien bohémien,  le  P.  Czernohorsky,  moine  franciscain,  auteur 
d'un  grand  nombre  de  compositions  religieuses  dont  la  presque 
totalité  fut  détruite  dans  un  incendie.  En  Italie,  Czernohorsky 
avait  eu  pour  élève  Tarlini;  revenu  en  Bohême,  il  fut  maître  de 
Gluck  :  si  son  œuvre  a  disparu,  au  moins  son  esprit  a-t-il 
dignement  survécu  en  de  tels  disciples. 

Plus  tard,  le  jeune  artiste  fut  attaché  au  chœur  du  couvent 
de  Sainte-Agnès,  habité  par  un  ordre  de  chevaliers  polonais, 
dans  la  vieille  ville  ;  il  y  reçut  pour  la  première  fois  un 
appointement  mensuel. 

Et  dans  la  belle  saison,  aux  jours  de  fête,  il  s'en  allait  dans 
les  villages,  chantant  et  jouant  de  son  instrument,  faisant  danser 
les  paysans,  comme  un  véritable  musicien  bohémien  qu'il  était. 
On  le  payait  en  nature  :  on  lui  donnait  des  œufs  (1)  ! 

Cette  fréquentation  intime  du  peuple,  au  cours  de  ce-  es  l- 
pades  de  jeunesse,   n'a-t-elle  pas    laissé    d'imprimer  quelques 

(1)  Sur  ces  détails  biographiques,  voy.  Schmid,  ouvrage  cité. 


18 


LE  MÉNESTREL 


traces  durables  sur  le  génie  de  Gluck?  A  regarder  certains  traits 
de'sôn  œuvre,  on  pourrait  le  croire. 

Il  y  a,  parmi  les  airs  de  ballet  i'Iphigénie  en  Aulide,  un  cer- 
tain pas  d'esclaves  (que  nous  avons  eu  le  regret  de  ne  pas 
entendre  lors  de  la  brillante  reconstitution  de  ce  chef-d'œuvre 
qu'a  donnée  naguère  l'Opéra-Comique)  dont  la  tournure  est  très 
particulière  :  en  son  style  rococo,  qui  sent  bien  le  dix-huitième 
siècle,  le  thème  se  présente  sous  un  aspect  tonal  qui  a  inspiré 
à  Gluck  un  développement  fort  différent  des  habitudes  des  danses 
d'opéra,  et  qui  révèle,  à  n'en  pas  douter,  une  origine  populaire. 
Les  contemporains  ne  s'y  sont  pas  trompés  :  l'air  fut  célèbre  dès 
l'origine  sous  le  nom  de  Tirolois.  «  J'avoue  qu'il  n'est  pas  noble, 
écrivait  l'abbé  Arnaud;  mais  faut-il  qu'il  le  soir?  »  (1)  L'écrivain 
venait  de  dire  en  effet  qu'il  s'agissait  d'une  danse  d'esclaves  à 
qui  la  liberté  vient  d'être  rendue.  A  une  époque  plus  proche  de 
nous,  d'autres  commentateurs  éclairés  de  Gluck,  B.  Damcke  et 
M"e  F.  Pelletan,  ont  écrit  que  le  titre  de  Cosaque  devrait  être  pré- 
féré, et  Damcke,  qui  connaissait  la  musique  russe,  a  relevé 
des  traits  qui  lui  ont  fait  croire  que  ce  thème  de  danse  pourrait 
provenir  des  bords  du  Don  (2).  Et  il  est  bien  vrai  que,  traité  dans 
le  style  orchestral  plus  moderne  dont  Glinka  a  donné  un  excel- 
lent modèle  avec  sa  fantaisie  sur  la  danse  russe  Kamarinskaïa, 
l'air  des  esclaves  à'Tphigénie  reprendrait  une  allure  de  chant 
slave  très  caractérisée  : 


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Cet  air,  «qui  n'est  pas  noble  »,  est  donc  un  air  populaire;  et 
comme  Gluck  n'a  jamais  élé  sur  les  bords  du  Don,  mais  qu'il  a 
passé  vingt  ans  et  plus  en  pays  tchèque,  ne  doutons  pas  que  ce 
soit  là,  parmi  les  paysans  des  environs  de  Prague,  qu'il  l'a 
entendu  et  retenu.  Qui  sait  ?  peut-être  le  leur  a-t-il  joué  lui- 
même  pour  rythmer  leurs  danses,  —  en  attendant  le  jour  loin- 
tain de  l'introduire  dans  la  tragédie  grandiose  par  laquelle 
il  inaugura  sa  grande  réforme  de  la  musique  dramatique  en 
France. 

Et  je  songe  à  un  autre  rapprochement  encore.  Dans  le  même 
temps  où,  fils  d'un  garde-forestier,  il  menait  une  vie  errante  à 
travers  la  Bohême,  —  presque  une  vie  de  mendiant,  —  il  y 
avait,  très  loin  de  là,  un  autre  jeune  homme,  à  peu  près  du 
même  âge  que  lui,  fils  d'un  horloger  de  Genève,  ayant  fui  la 
maison  paternelle,  et  qui,  parmi  des  aventures  analogues,  songeait 
aussi  à  consacrer  son  génie  naissant  à  la  musique.  Celui-ci 
vivait  en  Savoie  ;  il  avait  étudié  à  la  maîtrise  d'Annecy,  chanté 
sa  partie  au  chœur  de  la  cathédrale  et  montré  l'art  du  clavecin 
(qu'il  ne  connaissait  guère)  aux  demoiselles  de  la  ville.  La 
destinée  l'appelait  à  porter  vers  une  autre  direction  l'essor  de 
ses  puissantes  facultés  :  peut-être  aussi,  s'il  ne  réussit  pas  plus 
complètement  dans  l'art  musical  (ce  dont  il  eut  le  regret),  fut- 
ce  simplement  qu'il  était  dans  un  milieu  moins  favorable  pour 
développer  ses  aptitudes,  —  car,  entre  les  musiciens  de  Prague 
et  ceux  d'Annecy,  il  y  a  une  différence  (celle  du  bon  au  mau- 
vais). Toujours  est-il  qu'ils  se  rejoignirent  plus  tard,  et  se  com- 
prirent, tous  deux  hommes  du  XVIIIe  siècle,  appelés  à  régner 
sur  l'esprit  de  leur  temps  :  Jean-Jacques  Rousseau,  roi  de 
la  pensée  ;  Christophe  Gluck,  roi  de  l'art. 

En  attendant  d'avoir  conquis  son  royaume.  Gluck  marchait  sur 
les  routes,  portant  sur  le  dossonvioloncelle.il  se  trouva  ainsi,  un 
beau  jour,  aux  portes  de  Vienne  (1736).  Là  vivaient  lesLobkowitz, 
au  service  desquels  trois  générations  de  Gluck,  à  notre  connais- 
sance, s'étaient  succédé  comme  gardes-forestiers:  ils  accueillirent 
le  représentant  de  la  quatrième  génération  comme  musicien.  Ce 

(1)  Mémoires  sur  la  révolution  opérée  dans  la  musique  par  M.  le  chevalier  Gluel;.  1381, 
p.  33. 

(2)  Préface  cVIphigénie  en  Aulide,  édition  Pelletan,  p.  xxv. 


qu'il  fit  exactement  chez  eux,  nous  ne  saurions  le  dire  :  sans 
doute  il  vécut  clans  cet  état  de  domesticité  auquel  les  gens  de 
cette  époque  étaient  si  bien  habitués  dans  leurs  rapports  avec 
les  grands  (Jean-Jacques  Rousseau,  de  son  côté,  n'était-il  pas 
valet?).  Sans  doute  il  utilisait  ses  multiples  talents  d'instrumen- 
tiste (dont  aucun,  semble-t-il.  n'allait  jusqu'à  la  virtuosité)  à 
l'orchestre  et  à  la  chapelle  du  prince.  Certainement  il  n'en  était 
pas  le  chef.  Quant  à  sa  production,  nous  ignorons  s'il  avait 
commencé  de  la  manifester  par  quelque  œuvre  ;  il  n'est  pas 
resté  la  moindre  trace  de  musique  de  Gluck  antérieurement  à 
son  premier  opéra. 

Mais,  tel  il  fut  plus  tard,  tel  déjà  il  devait  être.  «  Gluck,  écri- 
vit postérieurement  le  Viennois  Dittersdorff,  était  dans  le  parti- 
culier un  homme  jovial,  qui,  en  dehors  de  son  état,  avait  du 
monde  et  des  lectures  »(1).  C'est  avec  ces  qualités  qu'on  se  fait 
le  mieux  voir  des  princes.  Au  palais  Lobkowitz,  il  fréquentait 
les  artistes  de  la  capitale,  et  vivait  au  milieu  de  la  plus  bril- 
lante société.  Il  fut  distingué  par  un  noble  italien  de  Lom- 
bardie,  le  comte  Melzi  :  celui-ci  l'attacha  à  sa  personne.  La 
maison  de  ce  gentilhomme  n'était  certainement  pas  comparable 
à  celle  des  Lobkowitz  ;  mais,  outre  qu'il  ne  rompit  pas  tout  lien 
avec  eux  (nous  les  retrouverons  encore  ensemble),  Gluck  avait 
l'avantage  de  pouvoir  se  parer  du  titre  de  musicien  de  chambre, 
et,  ce  qui  valait  cent  fois  mieux,  d'aller  en  Italie,  le  rêve  de 
tous  les  artistes  au  XVIIIe  siècle. 

Il  partit  en  effet,  et  suivit  son  nouveau  maître  à  Milan. 

La  vie  publique,  la  vie  fiévreuse  du  compositeur  d'opéras, 
allait  commencer  pour  lui. 

Il  était  temps  qu'il  s'y  décidât  :  au  moment  où  il  donna  son 
premier  ouvrage,  il  était  près  d'avoir  vingt-huit  ans. 

Nous  allons  donc  le  voir  à  l'œuvre.  Mais  déjà,  avec  ce  que 
nous  savons  de  lui,  nous  pourrions  presque  dire  par  avance  ce 
que  sera  sa  destinée.  Nous  avons  observé  en  lui  une  nature 
réfléchie,  laborieuse  et  droite.  Lui,  qui  devait  accomplir  dans  son 
art  ce  qu'on  a  pu  appeler  sans  exagération  une  «  révolution  », 
il  n'est  point  un  révolté.  Tout  au  contraire,  il  est  docile,  et  va 
oii  on  lui  dit  d'aller,  marchant  droit  son  chemin,  même  s'il 
n'aperçoit  pas  très  distinctement  où  il  conduit.  Quand  il  a  atteint 
le  but  qu'on  lui  a  désigné,  il  se  retourne  :  il  se  rend  compte 
alors  qu'il  a  suivi  la  route  de  tout  le  monde.  Il  y  a  mieux  à  voir, 
pense-t-il.  Il  poursuit  donc;  mais  toujours  il  se  retrouve  au 
carrefour  banal,  au  pays  déjà  vu.  Pourtant  il  faut  aboutir  :  il  ne 
se  lasse  pas  ;  de  plus  en  plus  distinctement  le  véritable  but  lui 
apparaît.  Les  difficultés  s'accumulent  ;  on  l'abandonne  en  route, 
on  voudrait  enrayer  sa  marche  en  avant  ;  mais  ses  forces  se  sont 
décuplées  ;  il  franchit  ou  brise  les  obstacles,  et,  par  un  suprême 
effort,  atteint  enfin  au  dernier  sommet. 

Tel  est  le  résumé  de  la  vie  de  Gluck. 

Pour  l'instant,  nous  ne  faisons  encore  que  le  suivre  à  la 
première  étape  de  son   long  entraînement. 

(A  suivre.)  Julien  Tieksot. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Théatre-Glchy.  —  Première  représentation  de  Ce  veinard  de  Bridaclie, 
vaudeville  en  trois  actes,  de  MM.  Hugues  Delorme  et  F.  Gally. 

Ils  sont  vraiment,  joyeux  et  singuliers,  les  avatars  de  ceBridache.  La 
plupart  lui  rapportent  un  nombre  assez  coquet  de  coups  de  pied  et  de 
soufflets,  mais  le  dernier  de  tous  lui  permet  d'entrer  comme  brosseur 
chez  le  général  Guigaeminet.  Il  est  décidément  «  veinard  »,  ce  Bridache. 
D'abord,  son  honnêteté  est  récompensée.  It  a  trouvé  un  portefeuille 
bien  garni  de  billets  de  banque  et  l'a  rapporté  au  propriétaire,  c'est-à- 
dire  à  Henri  Lamartelle,qui  lui  a  donné  eu  échange  un  de  ses  costumes. 
Mais  Henri  a  reçu  dans  son  appartement,  pendant  une  absence  de  sa 
femme  Léontine,  la  tout  aimable  Gisèle  de  Lizière,  tout  aimée  du  baron 
Maleiïoid.  Ce  dernier,  apprenant  le  cas,  vient  faire  esclandre  et  proposer 

(1)  Kaiil  von  DiTTEnsDORF,  Bildungsbuch  fur  fange  Tonhiinsller,  Erfurt,  1810,  p.  25. 


LE  MÉNESTREL 


I!) 


un  duel  à  son  rival.  Bridache,  grâce  à  ses  habits  d'emprunt,  se  fait 
passer  pour  Henri  et  accepte  le  duel.  Mais  Malei'roid,  ayant  fait  la  con- 
naissance de  Léontine  Lamartelle,  n'a  plus  aucune  envie  de  se  battre 
avec  le  mari  ;  une  autre  vengeance  lui  parait  plus  douce.  Après  son 
départ,  Léontine  survient,  respectablement  escortée  de  ses  parents. 
Situation  terrible,  car  Gisèle  est  dans  l'appartement,  et  pas  en  toilette 
de  visite.  Rassurons-nous;  Bridache  est  là,  tout  sera  sauvé  :  on  le  fait 
passer  pour  un  ami  de  province  du  nom  d'Oscar  Bûche,  et  Gisèle  est 
gratifiée  pour  la  circonstance  du  nom  bourgeois  de  Mmc  Bûche.  Mais 
il  est  dit  quelque  part,  c'est  je  crois  dans  Clément  Marot,  qu'une  mau- 
vaise fortune  ne  vient  jamais  sans  en  conduire  avec  elle  une  seconde, 
une  troisième  et  d'autres.  Le  dévouement  de  Bridache,  qui  a  consenti  à 
être  Lamartelle,  puis  Bûche,  va  devenir  inutile,  car,  après  un  coup  de 
sonnette,  entre  le  vrai,  authentique  et  véritable  Oscar  Bûche,  et 
presque  en  môme  temps  que  lui,  l'élément  militaire  s'introduit  eu  la 
personne  du  commandant  Guigneminet,  lequel  est  flanqué  de  la  belle 
Olympe  de  Liancourt,  qui  n'est  aulre  que  la  légitime  épouse  du  héros 
de  cette  pièce,  autrement  dit  Mme  Bridache,  d'ailleurs  en  bonne  dispo- 
sition de  prendre  gaiment  la  vie  sans  tenir  compte  des  liens  matrimo- 
niaux. 

Nous  n'en  sommes  encore  qu'à  la  fin  du  premier  acte,  et  pourtant ,  uous 
avons  vu  tant  de  coups  de  théâtre  pendant  ce  début  de  pièce,  qu'il  sera 
bien  difficile  aux  auteurs  de  maintenir  au  même  niveau  l'intérêt  durant 
le  cours  des  actes  suivants.  Ils  ne  manquent  cependant  pas  do  piquant, 
ces  deux  actes,  et  se  passent  dans  l'hôtel  de  l'Union  syndicale  des  demi- 
mondaines  de  France  ;  l'un  nous  fait  assister  à  la  grande  soirée  annuelle 
de  l'Union  et  remet  en  face  les  unes  des  autres  toutes  nos  vieilles  con- 
naissances du  premier  acte,  y  compris  Bridache,  devenu  garçon  de  café 
pour  servir  les  rafraîchissements.  On  conçoit  que  tout  ce  monde  dispa- 
rate ne  se  coudoie  pas  sans  qu'il  y  ait  de  fréquents  échanges  de  mots 
injurieux,  de  bousculades  et  de  coups  largement  reçus  ou  donnés. 
Bridache,  on  peut  le  croire,  en  reçoit  beaucoup  plus  que  sa  part. 

Au  troisième  acte,  nous  sommes  dans  le  même  hôtel,  mais  à  l'heure 
du  coucher.  Par  la  maladresse  ou  la  malice  du  logeur,  tous  nos  per- 
sonnages se  rencontrent  de  nouveau.  C'est  alors  un  cache-qui-peut 
général  ;  on  se  glisse  sous  les  lits,  on  s'enferme  dans  les  placards,  on 
fait  le  mort  sur  les  rayons  sous  de  vieilles  hardes  ;  enfin  on  utilise  tout, 
sauf  les  portes,  car  ces  gens-là  ont  la  conscience  assez  peu  tranquille 
pour  désirer  ne  pas  être  vus. 

Le  public  a  été  très  amusé  de  ces  drôleries  bouffonnes  et  a  donné 
l'absolution  à  tous  les  coupables,  se  réjouissant  de  voir  réparées  toutes 
les  fourberies  amoureuses  et  de  penser  que  la  vertu  du  bon  Bridache  a 
été  récompensée,  comme  nous  l'avons  indiqué  plus  haut.  Ce  vaudeville 
est,  on  le  voit,  d'une  rare  moralité. 

Son  interprétation  a  été  excellente  avec  MM.  Hamilton  (Bridache), 
Julien  (Henri),  Armand-Marie  (Froment)  et  Mmcs  Renée  Corciade 
(Gisèle),  J.  Delys  (Olympe),  Frank-Mel,  M. -Th.  Lorza,  J.  Haimart, 
Beuda,  etc.  Ahédée    Boutarel. 


UNE   COLLABORATION   MANQUÉE 


SPORSCHIL  &  BEETHOVEN 


A  la  date  du  30  janvier  1823,  Jean  Beethoven  traçait  les  lignes  sui- 
vantes sur  l'un  des  cahiers  de  conversation  de  son  frère  : 

Spohrschild  est  venu  aujourd'hui  chez  moi;  il  te  présente  ses  compliments, 
et,  si  cela  peut  te  convenir,  il  veut  écrire  pour  toi  un  livret  d'opéra. 

Qui  était  ce  Spohrschild,  et  qu'advint-il  de  la  collaboration  que  cette 
dernière  phrase  laissait  espérer  ou  pressentir?  Un  opuscule  publié  à 
Leipzig  il  y  a  quelques  années  à  peine  permet  de  répondre  à  ces  ques- 
tions, qu'aucun  des  biographes  de  Beethoven  n'a  jusqu'à  présent  éclair- 
cies  (1). 

Sporschil,  Johann-Chrysostomus,  né  à  Brùnn  eu  1800,  termina  en 
1823,  à  Vienne,  ses  études  juridiques,  se  rendit  à  Leipzig  en  1827,  de- 
vint peu  de  temps  après  rédacteur  de  la  Deutsche  Xational  Zeitung,  qui 
paraissait  à  Brunswick,  cessa  de  collaborer  à  ce  journal  en  1833,  con- 
tinua ensuite  assez  obscurément  sa  carrière  dans  les  lettres  et  se  fixa 
en  1858  à  Vienne,  où  il  mourut  cinq  ans  après.  Son  nom,  resté  à  peu 
près  inconnu  des  auteurs  de  lexiques,  de  dictionnaires  et  de  littéra- 
tures, a  été  pourtant  citéincidemnient  par  Ludwig  Nohl  (2).  Ses  ouvrages 

(1)  JVeues  ùber  Beetlwven,  par  Hans  Volkmann;  Leipzig,  1905. 

(2)  Biographie  de  Beethoven,  tome  III,  page  373. 


parus  en  librairie  forment  environ  cent  cinquante  volumes,  originaux 
ou  traductions.  On  lui  doit  une  «  Histoire  de  la  Monarchie  autri- 
chienne »  et  l'adaptation  en  langue  allemand':  du  &  lèbre  roman  d'É- 
douard  Bulwer  (Lord  Lytton),  le»  Damiers  jours  de  Pompéi.  Ce  que  fut 
en  L823  sa  vie  d'étudiant,  nous  pouvons  le  deviner  par  deux  notes 
inscrites  sur  les  cahiers  de  conversation.  La  première  est  de  la  main  de 
Schindler;  elle  renferme  l'indication  d'un  trait  assez  piquanl 
portant  à  la  tenancière  d'un  hôtel-pension  : 

Elle  a  prêté  quinze  llorins  à  Monsieur  le  poète  Sborschil  m  .  et  maintenant 
elle  ne  peut  plus  se  les  l'aire  rembourser  ;  il  lui  a  dit  demeurer  dans  une  cer- 
taine maison,  et  il  y  est  totalement  inconnu.  Elle  avait  avancé  un  jour  cinq 
llorins  et  un  autre  jour  dix. 

La  seconde  est  du  neveu  Charles;  elle  nous  révèle  un  di 
caractéristique  sur  les  habitudes  du  futur  collaborateur  de  Beethoven, 
et  cela  en  ces  termes  peu  discrets  : 

On  le  trouve  du  matin  au  soir  assis  au  café,  en  train  de  joii'-r. 

Une  reprise  des  Ruines  d'Athènes  avait  eu  lieu  le  3  octobre    1822 
l'inauguration  du  nouveau  théâtre  Josephstudt  de  Vienne,  el 
ven  avait  composé  pour  la  circonstance  l'ouverture,  op.  itl,  nommée 
pour  ce  motif  la  Consécration  de  la  maison,  et  un  choeur  avei 
soprano  et  violon  solo.  Il  avait  en  outre  donné  des  dimensions  plus 
considérables  à  la  Marche  avec  chœur,  n"  0  de  la  partition,  en  y  adap- 
tant de  nouvelles  paroles  du   poète   populaire  C.   Meisl.  Malgré  ces 
remaniements,  l'œuvre  avait  été  reléguée  dans  les  archives 
très  petit  nombre  de  représentations,  mais  le  directeur,  K.-F.  Hensler, 
attribuait  cet  insuccès  aux  paroles  et  non  à  la  musique.  Dans  ces  con- 
ditions, Beethoven  et  Sporschil  paraissent  avoir  adopté  la  combinaison 
la  plus  simple;  le  poète  promit  d'écrire  un  nouveau  livret   dont  les 
paroles  s'adapteraient  aux  morceaux  existant  déjà  de  la  partition  des 
Ruines  d'Athènes;  le  compositeur  s'engagea  de  son  côté  à  modifier  ces 
morceaux  quand   le  besoin  s'en  ferait  sentir,  afin  que  l'œuvre  qui 
allait  voir  le  jour  présentât  les  qualités  d'unité,  de  force  et  du   cohésion 
à  l'absence  desquelles  on  attribuait  le  double  échec  des  Ruines  d'Athènes, 
d'abord  en  1812,  à  Pesth,  lors  de  l'ouverture  du  théâtre  allemand,  et 
plus  récemment  à  Vienne,  ainsi  que  nous  venons  de  le  voir. 

Tout  parait  avoir  été  conclu  dans  l'espace  d'une  quinzaine  de  jours, 
car,  entre  le  14  et  le  16  février  1823,  un  inconnu  inscrivit  sur  le 
cahier  de  conversation  : 

Le  directeur  du  théâtre  Josephstâdt  m'a  dit  aujourd'hui  que  nous  enten- 
drons peut-être  un  opéra  de  vous  dans  quatre  semaines. 

Sporschil  se  mit  aussitôt  au  travail,  mais  avec  une  telle  inexpé- 
rience de  la  prosodie  musicale,  qu'il  employa  souvent  des  iambes, 
c'est-à-dire  des  formules  rythmiques  composées  d'une  syllabe  brève 
suivie  d'une  syllabe  longue,  tandis  que  la  notation  exigeait  précisé- 
ment l'inverse,  c'est-à-dire  des  trochées.  Une  pareille  erreur  rendait 
inchantables  toutes  les  fins  de  vers  analogues  à  ce  que  nous  appelons 
rimes  féminines.  Beethoven  recevait  chaque  acte  à  mesure  qu'il  était 
terminé,  consignait  en  marge  certaines  observations  et  aussi  quelques 
esquisses  notées  pour  les  morceaux  nouveaux.  Mais  bientôt  il  se  rendit 
compte  de  l'impossibilité  d'aboutir  en  s'en  tenant  aux  premières  con- 
ventions. L'on  avait  cru  d'abord  en  effet  qu'un  mois  pourrait  suffire  à 
Beethoven,  puisqu'il  ne  devait  faire  que  des  remaniements,  et  que  les 
études  au  théâtre  ne  demanderaient  point  un  laps  de  temps  plus  pro- 
longé, puisque  les  chanteurs  et  les  choristes  savaient  déjà  par  cœur  la 
musique  et  n'avaient  à  apprendre  que  les  paroles  substituées  aux 
anciennes.  Mais  Sporschil  prétendait  faire  une  œuvre  personnelle  ;  il 
transforma  de  telle  sorte  les  grandes  lignes  du  scénario  que,  sur  les 
huit  numéros  des  Ruines  d'Athènes,  quatre  demeurèrent  inutilisables, 
savoir  :  l'ouverture,  le  chœur  des  derviches,  la  musique  mélodrama- 
tique n°  5  et  le  récitatif  et  air  de  basse  n"  7.  Par  contre,  il  fallait  douze 
morceaux  entièrement  nouveaux,  soit  :  cinq  airs,  un  duo,  un  trio,  un 
chœur,  deux  intermèdes  d'orchestre  et  deux  <i  finales  ». 

Si  Beethoven  avait  conservé  quelque  espoir  d'aboutir,  il  se  serait 
contenté  peut-être  de  demander  un  délai  pour  écrire  sa  partition,  mais 
il  s'était  promptement  rendu  compte  de  l'impuissance  où  se  trouvait 
son  collaborateur  de  produire  une  pièce  vraiment  digne  de  son  génie. 
Dès  le  milieu  du  mois  de  mars  il  nouait  des  négociations  avec  Grill- 
parzer.  désirant  obtenir  de  lui  qu'il  voulût  bien  tenter  d'effectuer  de 
nouveaux  changements  au  livret,  des  Ruines  d'Athènes;  mais  Grillparzer 
était  absorbé  par  d'autres  travaux.  Il  offrit  un  texte  allégorique  sur  le 
sujet  de  Mélusine.  Cette  diversion  ne  réussit  pas.  D'ailleurs  Sporschil 
s'efface  de  plus  en  plus;  il  écrit  pourtant  des  lettres,  ainsi  qu'en  témoi- 
gnent les  cahiers.  «  Comment  te  parait  la  lettre  de  Sporschil  ?  » 
demande  le  neveu  Charles,  et  Beethoven  garde  le  silence.  Cetait  la  fin 
de  cette  éphémère  collaboration. 

II  nous  est  permis,  après  quatre-vingt-cinq  ans,  de  lire  à  notre  tour 


20 


LE  MÉNESTREL 


le  libretto  refusé  par  Beethoven.  Le  manuscrit  en  est  conservé  à  la 
Bibliothèque  royale  de  Berlin,  il  consiste  en  quatre  feuilles  in-folio 
pliées  par  le  milieu;  le  côté  gauche  renferme  le  texte  primitif  et  le  côté 
droit  les  modifications.  Quelques  mots  ou  notes  de  la  main  de  Beetho- 
ven se  sont  glissés  ça  et  là. 

Le  héros  de  la  pièce  est  Alexandre  le  Grand.  L'auteur  a  usé  de  la 
liberté  que  l'on  accorde  aux  poètes  pour  établir  une  relation,  à  tous 
égards  inadmissible  historiquement,  entre  l'expédition  qui  amena  le 
conquérant  victorieux  dans  l'oasis  de  Siwall,  la  plus  belle  de  toutes 
celles  de  la  Lybie,  et  sa  mort  soudaine,  qu'il  fait  intervenir  au  moment 
où  lui  sont  accordés  les  honneurs  divins  dans  le  temple  de  Jupiter 
Ammon.  On  voit  que  l'idée  de  Sporschil  n'était  pas  sans  quelque  gran- 
deur. 

D'abord,  l'action  de  son  poème  dramatique  se  déroulait  dans  un  coin 
du  monde  universellement  réputé  par  la  beauté  de  sa  verdure  et  de  ses 
eaux,  dans  un  lieu  célébré  par  Hérodote,  par  Pausanias,  par  Dio- 
dore  de  Sicile,  et  qui  apparait  encore  aujourd'hui  aux  touristes,  après 
la  traversée  du  désert,  comme  une  sorte  de  paradis  terrestre  où  toutes 
les  peines  sont  effacées,  toutes  les  fatigues  oubliées,  tous  les  biens  de 
la  nature  offerts  avec  prodigalité. 

Joignons  à  cela  que  le  choix  d'Alexandre,  conquérant  et  civilisateur, 
comme  personnage  d'une  action  théâtrale  que  Beethoven  devait  illus- 
trer, ne  manquait  pas  de  hardiesse,  ni  même  d'à-propos.  L'auteur  de  la 
Symphonie  héroïque  affectionnait  particulièrement  la  lecture  de  Plu- 
tarque,  et  l'homme  de  guerre  dont  la  vie,  moins  longue  encore  que  celle 
de  Mozart,  est  un  mélange  d'actes  magnanimes,  de  traits  dénotant  une 
élévation  de  sentiments  extraordinaire  pour  l'époque  et  d'actes  que  l'on 
pourrait  qualifier  crimes  s'ils  n'avaient  été  commis  dans  le  paroxysme 
d'aveugles  passions,  devait  nécessairement  surexciter  les  facultés  créa- 
trices d'un  artiste  ébloui  par  les  gloires  d'autrefois,  et  lui  inspirer  le 
désir  de  rehausser  son  œuvre  projetée,  par  des  formes  pleines  de  ma- 
gnificence, des  rythmes  d'une  solennelle  ampleur,  des  coloris  resplen- 
dissants. 

Malheureusement,  si  la  conception  première  de  Sporschil  était  inté- 
ressante dans  sa  généralité,  la  réalisation  ne  fut  qu'un  tissu  d'enfan- 
tillages. On  en  jugera  par  le  scénario  que  nous  reproduisons  ici  : 

L'APOTHÉOSE  AU  TEMPLE  DE  JUPITER  AMMON 
Opéra  sérieux  en  deux  actes. 

PKEMIEK   ACTE 

Vaste  salle  dans  le  style  égyptien. 

Scène  l'1'.  —  Un  chœur  invisible  assure  à  Alexandre  que  Jupiter  ne  lui 
en  veut  plus  du  meurtre  de  Clitus.  Le  roi  de  Macédoine  éprouve  le 
désir  ardent  d'entreprendre  de  graudes  aventures  et  se  décide  à  les 
aller  chercher  au  désert.  Air. 

Scène  2.  —  Roxane  parait,  hantée  de  mauvais  rêves.  Air.  Dialogue 
avec  Alexandre  ;  elle  cherche  en  vain  à  le  détourner  de  ses  entreprises 
téméraires.  Duo. 

Changement  à  vue. 
Place  publique.  Au  fond,  une  ville  égyptienne. 

Scène  3.  —  Les  guerriers  d'Alexandre  approchent.  Le  roi  les  harangue 
pour  leur  inspirer  le  courage. 

Scène  4.  —  Roxane  parait  avec  ses  suivantes.  Chœur.  Alexandre  la 
confie  pendant  le  temps  de  son  absence  à  la  gardj  de  son  ami 
Héphestion.  L'épouse  et  l'ami  supplient  Alexandre  de  leur  permettre 
de  prendre  part  à  l'expédition.  Alexandre  cède  à  leurs  prières.  Réci- 
tatif, air,  trio  avec  chœurs.  Chant  général  de  remerciement  et 
d'hommage. 

DEUXIÈME   ACTE 

Au  désert. 

Scène  lro.  — De  même  qu'Alexandre  a  pris  sa  femme  avec  lui,  ses 
guerriers  ont  cru  pouvoir  emmener  avec  eux  leurs  amantes.  Uu  guer- 
rier et  son  amie,  près  de  mourir  de  soif,  racontent  la  détresse  dans 
laquelle  toute  l'armée  est  tombée.  Duo.  Lorsque  ces  deux  person- 
nages ont  disparu,  la  musique  joue  une  marche  funèbre. 

Scène  2.  —  La  musique  de  la  marche  funèbre  accompagne  un  air 
d'Alexandre.  Une  tempête  éclate  au  désert;  elle  doit  être  représentée 
scéniquement  et  musicalement  de  la  façon  la  plus  grandiose.  Au 
moment  où  les  éléments  se  déchainent  avec  une  violence  inouïe,  le 
fantôme  de  Clitus  assassiné  parait.  Il  annonce  à  Alexandre  sa  mort 
prochaine  et  la  perte  de  toute  son  armée  comme  punition  pour  le 
crime  commis  contre  lui.  La  tempête  se  calme. 

Scène  3.  —  Hephestiou  arrive  avec  Roxane,  à  demi  morte  de  soif. 
Elle  reprend  des  forces  à  la  vue  d'Alexandre.  Trio.  Quelques  guerriers 


d'abord  et  bientôt  toute  l'armée  demandent  que  Ton  abandonne  ce  pays 
désastreux.  Alexandre  incertain  implore  les  dieux  pour  qu'ils  lui  fassent 
connaître  leur  volonté.  La  réponse  des  dieux  ne  se  fait  pas  attendre;  ils 
font  soudain  apparaître  un  temple  magnifique. 

Changement  à  vue. 
Le  temple  majestueux  de  Jupiter  Ammon. 
Scène  4.  ■ —  Danse  en  l'honneur  des  dieux.  Le  temple  est  orné  d'une 
manière  féerique  à  cause  de  l'arrivée  d'Alexandre,  car  les  dieux  ont 
annoncé  sa  venue  à  tous  les  hôtes  du  sanctuaire.  Alexandre  s'avance  et 
est  salué  par  les  pontifes.  Lorsqu'il  demande  quelle  est  la  signification 
de  cette  fête  mystérieuse,  un  trône  s'élève  déterre  avec  cette  inscrip- 
tion :  'AXiSmopoç,  et  on  lui  indique  qu'il  doit  s'asseoir  parmi  les  dieux. 
Il  y  consent  volontiers.  Mais  Roxane  intervient  et  se  plaint  dans  un 
«  grand  air  »  que  cette  apothéose  lui  fait  perdre  son   époux.  On  lui 
annoncé  alors  qu'elle  obtiendra  une  place  parmi  les  déesses.  Chœur 
final.  Les  trônes  d'Alexandre  et  de  Roxane  montent  vers  le  ciel. 
On  conçoit  que  Beethoven  ait  lu  sans  enthousiasme  un  pareil  scéna- 
rio. Les  Ruines  d'Athènes  de  Kotzebue  pouvaient  passer  pour  un  éclatant 
chef-d'œuvre  à  côté  de  cette  platitude.  Mais  Sporschil  eut  l'âme  assez 
haute  pour  ne  point  conserver  de  ressentiment  vis-à-vis  du  maître.  Il 
consacra  un    premier  article  à  Beethoven  dès  le  o  novembre  1823, 

dans  le  Morgcnhlatt  fur  qebildete  Stànde  de  Stuttgart,  et  le  signa  S 1. 

Plus  tard  il  s'unit  à  ceux  qui  pleuraient  Beethoven  en  publiant  sur  lui 
une  notice  nécrologique.  Il  était  bien  renseigné  sur  certains  faits  ca- 
ractéristiques, ayant  passé  de  longues  heures  dans  la  maison  du  grand 
compositeur  durant  les  quelques  semaines  qu'avait  duré  leur  collabora- 
tion. 

N'est-il  pas  intéressant  de  constater  en  terminant  que  cet  homme, 
dont  l'existence  a  été  en  somme  bien  remplie  par  un  labeur  constant, 
obtient  aujourd'hui  une  place  dans  notre  souvenir  à  cause  de  ses  rela- 
tions si  courtes  avec  Beethoven.  Il  a  su  garder  un  cœur  simple  et  sans 
rancuue  malgré  ses  ambitions  littéraires,  et  mériter  ainsi  notre  estime 
et  notre  sympathie. 

Amêdée  Boltakel. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Nous  avions  cette  fois  au  Conservatoire,  pour  commencer  la  séance,  la 
Symphonie  pastorale.  Je  ne  sais  pas  trop  ce  que  je  pourrais  ajouter  à  ce  que  j'ai 
eu  l'occasion  de  dire,  à  diverses  reprises,  de  cet  incomparable  chef-d'œuvre; 
mais  justement  je  trouve,  dans  l'analyse  jointe  au  programme,  quelques 
lignes  qu'il  me  plaît  de  reproduire,  relativement  à  YOrage  et  aux  procédés  em- 
ployés par  Beethoven  pour  le  peindre  :  —  «  Pour  nous  l'annoncer,  dit  fort 
justement  le  rédacteur  du  programme,  Beethoven  ne  fait  rouler  ni  timbale, 
ni  tambour,  ni  grosse  caisse  ;  il  ne  frappe  point  les  cordes  du  violon  avec  le 
bois  de  l'archet,  s'abstenant  ainsi  des  moyens  les  plus  propres,  en  apparence, 
à  traduire  un  lointain  grondement  du  tonnerre  ou  les  premières  gouttes  de  pluie: 
un  court  frémissement,  à  peine  perceptible,  des  instruments  à  cordes  graves  — 
violoncelles  et  contrebasses,  —  alternant  avec  des  traits  de  violons  d'une  forme 
très  simple  en  leur  allure  saccadée,  suffisent  au  musicien  pour  produire  un 
effet  de  terreur  grandissant.  En  quelques  mesures,  l'auditeur  est  préparé  à  une 
explosion  superbe  où  tous  les  exécutants  d'un  orchestre,  d'ailleurs  très  res- 
treint, s'unissent  en  accords  pleins  et  francs  ;  c'est  l'ouragan  qui  se  déchaîne 
avec  une  incomparable  violence.  Or,  le  musicien  ne  fait  appel  ni  aux  disso- 
nances harmoniques,  ni  même  à  toutes  les  ressources  de  la  polyphonie 
dont  il  dispose  :  deux  trompettes  et  deux  timbales,  c'est  tout  ce  qu'il  lui  faut 
pour  clamer  les  fureurs  de  l'orage.  Il  n'a  employé  ni  trombones,  ni  ophicléide, 
ni  contre-basson.  Il  n'a  pas  même  doublé  les  deux  bassons  ni  les  deux  cors. 
Dans  la  seconde  moitié  delà  scène  seulement,  la  petite  flûte  (pour  laquelle  un 
critique  avisé  demandait  un  jour  une  classe  au  Conservatoire)  siffle  au  sommet  de 
l'édifice  sonore.  Presque  à  la  fin,  deux  trombones,  pendant  douze  mesures,  pas 
davantage,  sonnent  de  terribles  octaves.  Avec  une  famille  orchestrale  volontai- 
rement réduite,  le  plus  tragique  des  musiciens,  celui  qui  par  la  symphonie 
seule  a  remué  le  plus  de  senliments  humains,  nous  emporte  dans  le  tourbillon 
de  sa  tempête.  Elle  dure  cinq  minutes,  elle  ne  fait  pas  grand  bruit,  et  elle  est 
terrifiante.  »  Voilà  qui  est  fort  bien  dit,  et  l'on  ne  saurait  mieux  faire.  Et  quand  on 
pense  à  nos  compositeurs  actuels,  qui  prodiguent  à  tout  propos  des  harmonies 
déchirantes,  qui  entassent  des  Pelions  de  cuivres  sur  des  Ossas  de  cymbales 
et  de  grosses  caisses  pour  obtenir  un  fracas  dans  lequel  la  musique  disparait,  on 
est  bien  aise  d'en  revenir  à  Beethoven,  qui,  avec  des  procédés  si  simples,  trou- 
vait moyen  d'exciter  la  terreur  et  de  vous  secouer  jusqu'au  fond  de  l'àme.  — 
Après  deux  petits  chœurs  sans  accompagnement  de  M.  Saint- Saëns,  nous  avons 
eu  une  aimable  Ballade  de  M.  Fauré  pour  piano  et  orchestre,  composition 
intéressante,  dont  Mme  Marguerite  Long  a  fait  ressortir  avec  talent  les  qua- 
lités de  grâce   et   d'élégance.  Un  Scherzo  de   Lalo  venait  ensuite,  morceau 


LE  MÉNESTREL 


plein  d'éclat,  parfois  presque  de  violence,  où  l'auteur  du  Roid'Ysa  prouvé  une 
fois  de  plus  avec  quelle  maestria  il  savait  traiter  l'orchestre.  Deux  chœurs 
sans  grande  importance  de  César  Franck  (la  Vierge  à  la  crèche,  Aux  petds  en- 
fants), orchestrés  par  M.  Guy  Ropartz,  et  un  chœur  de  Saint-Mien  I 'Hospitalier 
de  M.  Camille  Erlanger  succédaient  à  ce  Scherzo  plein  de  couleur,  et  le  con- 
cert se  terminait  par  la  jolie  symphonie  en  ut  d'Haydn  (inédite), qui  est  la  pro- 
priété de  la  Socié'.é  et  qui  a  valu  un  vif  succès  à  M.  Bleuzet,  dont  le  hautbois 
a  fait  merveille.  —  A.  P. 

—  Concerts-Colonne.  —  Après  une  exécution  expressive  du  prélude  de 
Lohengrin  par  l'orchestre,  une  toute  jeune  pianiste,  M"0  Germaine  Arnaud, 
est  venue  interpréter  avec  une  sûreté,  une  sobriété  de  style,  un  mécanisme 
absolument  remarquables  le  2°  concerto  de  Saint-Saëns,  en  sol  mineur.  Trois 
rappels,  en  tous  points  mérités,  ontrécompensé  cette  juvénile  audace.  —  Puis 
M.  Plamondon  a  chanté  de  sa  voix  pure  et  limpide,  qu'il  sait  varier  en  des 
nuances  de  douceur  exquise,  trois  poèmes  de  M.  Théodore  Dubois,  non  inédits, 
mais  présentés  pour  la  première  fois  avec  leur  accompagnement  d'orchestre. 
Rosées  et  la  Voie  Lactée,  de  Sully-Prudhomme.  Printemps,  de  Charles  Dubois, 
le  propre  fils  du  compositeur,  ont  inspiré  à  l'éminent  musicien  trois  pages 
charmeuse?,  d'un  tour  mélodique  gracieux  et  expressif  auxjuelles  on  ne  peut 
reprocher  —  tout  fortuitement  d'ailleurs,  car  ces  pièces  sont  indépendantes  — 
que  leur  trop  grande  similitude  comme  mouvement  et  teinte  générale.  —  Les 
Esquisses  symphoniques  de  M.  Debussy  (c'est  ainsi  que  l'auteur  de  IJelléas  inti- 
tule lûi-mémeson  poème  instrumental  la  Mer)  devaient  figurer  au  programme. 
Ajournée  au  dimanche  suivant,  cette  œuvre  a  été  remplacée  par  une  nouvelle 
exécution  du  Prélude  à  l'après-midi  d'an  Faune,  du  même  compositeur,  et  par 
la  suite  orchestrale  tirée  par  M.  Alfred  Bruneau  de  son  adaptation  musicale, 
la  Faute  de  l'abbé  Mourel.  Du  premier,  il  ne  reste  p'us  rien  à  dire  :  à  constater 
seulement  que  ce  Prélude,  charmant  d'ailleur*,  continue  d'occuper  les  pro- 
grammes de  nos  grands  concerts  avec  une  régularité  hebdomadaire  que  d'au- 
cuns pourront  qualifier  d'obsédante.  La  suite  de  M.  Bruneau  est  moins  répan- 
due. Des  quatre  numéros  qui  la  constituent,  la  joie  du  Jardin  et  la  Mort  d'Albine 
sont  ceux  auxquels  le  public  a  pris  le  plus  de  plaisir.  L'exécution  en  fut  colorée 
et  expressive.  —  La  concert  se  terminait  par  la  -iie  audition  de  la  Symphonie 
Fantastique  de  Berlioz,  dont  M.  Colonne  met  en  lumière,  de  façon  inimitable 
et  avec  un  en'housiasme  communicatif,  les  romantiques  splendeurs  géniales 
mais  parfois  aussi  bien  conventionnelles.  .1.  Jemain. 

—  Concerls-Lamoureux.  —  M.  Vincent  d'Indy,  le  duelliste  de  la  veille,  qui 
dirigeait  dimanche  dernier  le  concert,  a  été  accueilli  par  de  chaleureuses  accla- 
mations. Elles  s'adressaient  en  ce  premier  moment  à  l'homme  qui  avait  pu 
sortir  indemne  d'une  galère  où  peut-être  il  eût  mieux  fait  de  ne  pas  se  laisser 
entraîner;  bientôt  elles  s'adresseront  au  compositeur  et  au  chef  d'orchestre. 
La  «  Symphonie  sur  un  air  monlagnard  français  pour  orchestre  et  piano  », 
vieille  de  vingt  et  un  aïs,  est  toute  jolie,  jeune,  pimpante  et  poétique,  malgré 
l'influence  de  l'école  que  l'on  y  sent  toujours  un  peu.  Le  chant  populaire  pro- 
vient de  la  région  des  Cîvennes.  Exposé,  puis  développé  au  cours  de  la  pre- 
mière partie  (adagio),  il  parait  profond  et  recueilli,  exprimint  la  douceur  de 
la  solitude  et  la  splendeur  des  heures  ensoleillées.  La  seconde  partie  reste 
d'allure  classique  un  peu  froide,  malgré  l'originalité  de  son  orchestration.  Le 
thème  montagnard  y  est  repris  successivement  par  les  cuivres  éclatants,  par 
les  instruments  à  vent  aux  sons  suaves  et  par  les  violons  caressants.  Enfin, 
dans  la  troisième  partie,  la  chanson  grave  se  tranforme;  elle  devient  un 
scherzo  jaillissant  et  d'une  allure  rythmique  folle  et  capricieuse.  C'est  un 
petit  fracas  de  sonorités  merveilleuses;  on  croit  voir  danser  aux  sons  de  cet 
orchestre-là  tous  les  lutins  des  Gévennes,  les  c<  dracs  »  et  les  «  trêves  », 
autour  des  vieux  cratères,  sur  les  volcans  inoffensifs  et  fleuris.  La  partie  de 
piano  a  été  tenue  avec  une  discrétion  très  artistique  par  Mlle  Blanche  Selva. 
Après  cette  symphonie,  M.  d'Indy  a  fait  entendre  une  sarabande  et  un  menuet 
extraits  d'une  suite  en  ré  pour  trompette,  deux  flûtes  et  orchestre  à  cordes; 
ce  sont  là  deux  petites  compositions  du  plus  pur  style  archaïque.  Un  troisième 
ouvrage  du  maître  français  a  laissé  une  impression  plus  indécise;  ce  sont  les 
«  Variations  symphoniques  »  intitulées  Istar;  on  les  donnait  pour  la  première 
fois  aux  Concerls-Lamoureux.  Au  programme  explicatif  figure  un  extrait  du 
sixième  chant  de  l'Épopée  d'Izdubar;  il  s'y  cache  sans  doute  dans  l'original, 
sous  la  forme  poétique  des  vers,  un  symbole  très  significatif;  mais  la  musique 
n'en  reçoit  pas  un  suffisant  reflet.  Elle  est  intéressante  pourtant,  oette  musique 
qui  semble  se  dégager  et  s'idéaliser  à  mesure  que  se  dévoile  davantage  la 
merveilleuse  beauté  d'Istar  ou  d'Astarté.  A  la  En,  tout  s'élève  avec  sérénité, 
avec  plénitude;  on  sent,  malgré  toutes  les  obscurités,  un  sentiment  très 
noble  qui  plane  sur  l'œuvre  entière.  M.  d'Indy  a  été  acclamé  après  chacun 
des  trois  ouvrages  de  lui  qu'il  a  dirigés.  Son  interprétation  orchestrale  de 
VEgmont  de  Bsethoven,  belle  sous  bien  des  rapports  et  suffisamment  chaleu- 
reuse, a  laissé  à  désirer  sur  un  point  spécial.  M.  d'Indy  enchaîne  autant  que 
possible  les  entr' actes;  et  comme  ils  correspondent  à  des  situations  très  dif- 
férentes du  drame  de  Gœlhe,  leur  juxtaposition  produit  un  effet  fâcheux  par 
le  rapprochement  trop  intime  de  morceaux  de  musique  très  courts,  exprimant 
des  sentiments  très  différents.  L'air  de  bravoure  et  la  romance  ont  été  gracieu- 
sement chantés  par  Mlle  Mary  Pironnay.  Amédée  Boutarel. 

—  Programmes  des  concerts  de  demain  dimanche  : 

Conservatoire  :  Symphonie  pastorale  (Beethoven).  —  Deux  chœurs  sans  accompa- 
gnement (Saint-Saéns).  —  Ballade  pour  piano  (Gabriel  Fauré),  par  M»"  Marguerite 
Long.  —  Selierzo  (Lalo).  —  Trois  chœurs  pour  voix  de  femmes  (César  Franck  et 
C.  Ei langer).  —  Symphonie  en  lit  (Haydn). 


Chatelet,  Conc-rts-CoIonne  :   liélemption    • 
(Lalo),  avec  le  concours  di    M.  Jacques  Thibaud.  —  La    Ver   Cl.  Debussy),  sous  la 
direction  ds  l'auteur.  —  Chacune,  pour  violon  (Bach),  pa     A.  .1       1      rhibaud.  — 
Symphonie  fantastique   Berlioz). 

Salle  Gavf.iu,  Coiicris-Lamoureux,  sous  la  direction  de  M.  Vie 
verture  à'Iphigénie  en  Autide  Gluck).  —  Lei  Bolides   •■■-     Franck).  —  1 
Dardanus  (Rameau),  iurs  de  M"  Marthe  Philipp  et  M.  Louis  B 

—  Sauge  fleurie  (Vincenl  d'Indj  .  —  Deuxième  symphonie,  en     i 
d'Indy). 

—  Le  3°  concert  Sechiari  a  été  des  plu    inl  a  entendu  pour 
la  première  fois  la  nouvelle  Sinfonia  sacra  de  M.    Widor,   pour  orgue  et  or- 
chestre. Très  profonde  impression.  M.  Marcel   Dupré  tenait  te.  0 
aussi  la  première  audition  d'une  des  ouvertures  de  Wagner,  donl   il 

parlé  depuis  quelque  temps  :  le  Roi  Enzio.  si  l'œuvre  n'était  pas  de  Wagner, 
on  pourrait  dire  qu'elle  est  bien  insignifiante.  Mais  nous  ne  nous  y  risquons 
pas.  M.  Widor  exécuta  délicieusement  à  l'orgue  le  concerto  en  fa  de  II 
et  M"c Minnie  Tracey  chanta  avec  beaucoup  de  succès  des  mélodies  de  Sibelius 
et  Emmanuel  Moor. 

—  La  Société  Haydn-Mozart- Beethoven  M"1- Edouard  Galliat,  MM.  Calliat, 
André  Bittar,  Le  Métayer,  Mn,î  Adèle  Clément)  donnera  sa  première  séance 
de  musique  de  chambre  le  mercredi  22  Janvier,  à  9  heures  du  soir,  salle  Pleyel, 
21,  rue  Rochechouart. 

—  M.  Eugène  Vsaye  se  fera  entendre  le  mardi  21  janvier,  à  neuf  h  I 
soir,  au  concert  de  la  Société  philharmonique  de  Paris,  salle  Gaveau,  il.  rue 
La  Boêtie.  Son  programme  comprend  :  Sonate  en  la  majeur  (Bach),  Chacoue 
avec  accompagnement  d'orgue  (Vitali),  Sonate  (Geminiani),  Si'gfried-Idyll 
(Wagner- Wilbelmj)  et  un  caprice  sur  un  thème  de  Saint-Saêns,  par  Ysaye 
lui-même. 

—  La  Nativité  de  M.  Henri  Maréchal  vient  de  remporter  un  franc  succès  aux 
Concerts- Populaires  du  Thédtre-Marigny  dirigés  par  M.  F.  de  Léry.  Les  belles 
voix  de  Mm"  Bureau-Berthelot  et  Judith  Lassalle,  de  MM.  Mary  et  Monys  onl 
soulevé  de  chaleureux  et  fréquents  applaudissements. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(pour  les  seuls  abonnés  a  la  musique) 


Elle  est  fine,  charmante,  vive  et  colorée,  cette  Ronde  des  Korrigans  que  nous 
extrayons  pour  nos  lecteurs  de  la  jolie  suite  pour  piano  de  I.  Philipp  :  Féerie.  Et, 
qualité  rare,  elle  fait  beau;oup  d'eftet  sins  êt"e  diflicile.  Elle  fera  donc  la  joie  des 
jeunes  pianistes. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (13  janvier)  :  La  reprise  de  ia  Val- 
kyrie,  retardée  inopinément  par  une  indisposition  de  M"'e  Lafitte,  a  pu  avoir 
lieu  enfin  samedi,  avec  un  très  grand  succès.  C'est  M"0  Mérentié,  la  jeune  et 
belle  artiste  de  l'Opéra,  à  qui  la  direction  de  la  Monnaie  avait  fait  appel  pour 
chanter  le  rôle  deSiegliude;  et  elle  y  a  été  tout  à  son  avantage;  on  a  fort  ad  aairé 
sa  voix  charmante  et  son  instinct  dramatique,  à  coté  d'un  Siegmund,  nouveau 
également,  qui  débutait  ce  soir-là.  Ce  débutant,  qui  se  nomme  Delrue,  a  pro- 
duit une  très  bonne  impression,  par  son  organe  d'un  timbre  tout  à  fait  appro- 
prié aux  rôles  de  ténor  wagnérien;  il  a  séduit  immédiatement  le  parterre.  Mais 
les  honneurs  de  l'interprétation  ont  été,  cela  va  sans  dire,  pour  le  prestigieux 
Wotan,  M.  Delmas;  le  sentiment  majestueux  et  tendre  tout  ensemble  qu'il 
donne  au  personnage  est  d'un  grand  artiste.  Son  succès  a  été  considérable. 
M°m  Pacary  a  chanté  Brûnhilde  délicieusement,  et  M.  Marcoux  a  fait  un 
Hounding  superbe  et  farouche  à  souhait.  En  somme,  très  belle  soirée.  Samedi 
prochain,  M.  Delmas  chantera  les  Maîtres  Ci  tuteurs,  où  il  fut  déjà  acclamé 
l'an  dernier. 

A  Anvers,  la  grande  «  première  »  attendue  avec  tant  d'impatience,  celle  du 
nouvel  opéra  de  MM.  de  Tière  et  Jan  Blockx,  Baldie,  a  du  être  retardée  aussi. 
L'ouvrage  des  heureux  auteurs  de  Princesse  d'auberge  et  de  la  Fiancée  de  la  mer 
devait  passer  le  18  ;  le  décorateur  a  forcé  la  direction  du  Théâtre-Lyrique  fla- 
mand à  remettre  l'apparition  de  Baldie  au  23.  Les  répétitions  font  présager 
un  triomphe  nouveau  pour  le  vaillant  chef  de  l'Ecole  flamande  et  pour  son 
excellent  collaborateur,  dont  le  poème  est  extrèmemement  dramatique  et  mou- 
vementé. 

Je  ne  sais  si  la  Monnaie  aura  le  loisir  de  monter,  cet  hiver  encore,  en  fran- 
çais, l'œuvre  de  M.  Blockx;  elle  y  était  résolue;  mais  en  tout  cas,  si  le  temps 
lui  fait  défaut,  la  chose  est  décidée  pour  la  saison  prochaine.  Cette  saison-là 
sera  féconde  pour  la  musique  belge.  L"n  autre  ouvrage,  en  effet,  très  impor- 
tant aussi,  sera  représenté  à  la  Monnaie,  et  y  fera  certainement  sensation, 
non  pas  seulement  à  raison  de  sa  valeur,  mais  aussi  par  le  nom  et  la  situa- 
tion du  compositeur,  qui  n'est  autre  que  M.  Edgar  Tinel,  le  savant  . 
de  l'École  de  musique  religieuse  de  Malines.  Jusqu'à  présent,  M.  Tinel  n'avait 


LE  MENESTREL 


écrit  que  de  la  musique  religieuse,  —  qui  se  recommandait,  d'ailleurs,  par  des 
qualités  tout  à  fait  dramatiques  :  ses  beaux  oratorios  Francisais  et  Godelive 
Font  placé  depuis  longtemps  parmi  nos  tout  premiers  maîtres.  Cette  fois,  il  se 
décide  à  aborder  le  théâtre,  avec  un  grand  drame  lyrique,  d'un  caractère  assez 
semblable,  par  le  sujet,  à  celui  de  ses  oratorios,  mais  qui  se  recommande  par 
des  mérites  pittoresques  et  tragiques  particuliers.  Ce  sera  un  véritable  événe- 
ment, dont  l'annonce  seule  a  causé  déjà,  dans  le  monde  musical  belge,  une 
vive  impression.  Le  titre  de  l'œuvre  nouvelle  de  M.  Tinel  est  Catharina. 
Elle  a  pour  sujet  la  légende  —  très  tragique  et  très  pittoresque  —  de  sainte 
Catherine  d'Alexandrie,  qui  vivait,  dit-  on,  au  commencement  du  quatrième 
siècle  et  souffrit  le  martyre  sous  le  règne  de  Maximin  Daïa.  Parmi  les  épi- 
sodes de  la  vie  de  la  célèbre  héroïne  chrétienne  figure  le  fameux  mariage 
mystique  qui  fut  attribué  tour  à  tour  par  les  agiographes  à  sainte  Catherine 
d'Alexandrie  et  à  sainte  Catherine  de  Sienne.  Le  poème  de  Catharina  est  d'un 
Hollandais  établi  en  Allemagne,  à  Oberlahstein,  M.  Léo  van  Heemsteden. 
L'adaptation  française  a  été  faite  par  le  savant  musicologue  gantois,  M.  Flo- 
rimond  van  Duyse. 

La  classe  des  Beaux-Arts  de  l'Académie  Royale  de  Belgique  a,  dans  sa 
dernière  séance  mensuelle,  élu  membre  associé  M.  Ch.  Widor,  en  remplace- 
ment d'Edouard  Grieg,  décédé.  M.  Widor  avait  des  titres  tout  particuliers  au 
choix  de  l'Académie.  Non  seulement  c'est  un  compositeur  de  grand  talent, 
—  vous  le  savez,  à  Paris,  bien  mieux  encore  que  nous,  —  mais  il  est  un  peu 
Bruxellois...  Il  a  suivi,  en  effet,  pendant  plusieurs  années,  les  cours  de  notre 
Conservatoire,  dont  il  fut  un  des  élèves  les  plus  distingués  ;  et  il  a  laissé  en 
Belgique,  par  son  séjour,  de  nombreuses  sympathies.  Le  concurrent  de 
M.  Widor  à  la  place  d'associé  de  l'Académie  était  M.  Richard  Strauss. 

L.  S. 

—  La  ville  d'Anvers  prépare  de  grandes  fêtes  pour  célébrer  le  centième  an- 
niversaire de  la  naissance  d'un  de  ses  enfants  les  plus  distingués,  le  compo- 
siteur Albert  Grisar..  C'est  à  Anvers,  en  effet,  qu'est  né,  le  26  décembre  1808, 
le  compositeur  aimable  des  Porcherons,  de  l'Eau  merveilleuse,  de  Gilles  ravisseur, 
de  Bonsoir,  Monsieur  Pantalon,  et  de  tant  d'autres  petits  bijoux  trop  dédaignés 
aujourd'hui. 

—  De  Vienne  :  La  représentation  de  Fidelio,  la  première  que  dirigera  le 
nouveau  directeur  de  l'Opéra  de  la  Cour,  M.  Félix  Weingartner,  avec  une 
mise  en  scène  entièrement  nouvelle,  qui  devait  avoir  lieu  le  17,  a  été  ajournée 
au  23.  Au  nombre  des  nouveaux  artistes  que  M.  Weingartner  vient  d'engager 
se  trouve  le  ténor  flamand  M.  Swolfs,  d'Anvers,  qui  n'a  jamais  chanté  en 
allemand  et  qui  débutera  dans  le  courant  de  la  saison  dans  le  rôle  de  Lohengrin. 

—  On  vient  de  retrouver  à  Vienne  un  album  renfermant  dix-sept  lieder  do 
Schubert  écrits  de  sa  propre  main.  Le  maitre  avait  fait  hommage  de  cet 
album  à  la  chanteuse  Thérèse  Grob,  avec  laquelle  il  se  trouvait  en  relations 
d'amitié;  on  l'a  découvert  parmi  d'autres  papiers  dans  la  famille  de  cette 
dernière.  Un  seul  de  ces  lieder  était  resté  inconnu  jusqu'ici. 

—  La  section  de  musique  de  la  Bibliothèque  royale  do  Berlin  vient  de  s'en- 
richir des  manuscrits  laissés  par  Wilhelm  Taubert,  grâce  à  la  libéralité  de  ses 
enfants.  Ce  compositeur,  né  le  23  mars  1811  à  Berlin,  mort  dans  cette  même 
ville  le  7  janvier  1891,  a  écrit  les  opéras  suivants  :  la  Kermesse  (1832),  le  Tzi- 
gane (1834),  Marquis  et  voleur  (1842),  Jogcjeli  (1853),  Macbeth  (1857)  et  Cesario 
(1874). 

—  De  Leipzig  :  Le  tribunal  de  l'Empire  (Reichsgericht)  vient  de  rendre  un 
jugement  en  dernière  instance,  qui  fera  jurisprudence  en  matière  de  droits 
d'auteur.  Il  a  décidé  que  l'Africaine  continue  à  jouir  de  la  protection  de  la  loi 
allemande  relative  aux  droits  d'auteur,  uniquement  parce  que  le  livret  se 
trouve  encore  dans  les  conditions  légales  requises  pour  la  protection  et  quoi- 
que la  partition  de  Meyerbeer  soit  tombée  dans  le  domaine  public.  Ce  juge- 
ment met  également  fin,  virtuellement  du  moins,  au  procès  Carmen,  où  la 
question  des  droits  d'auteur  s'est  posée  récemment  dans  des  conditions  iden- 
tiques :  la  partition  est  tombée  dans  le  domaine  public,  d'après  la  loi  alle- 
mande, mais  un  des  auteurs  du  livret  est  encore  en  vie.  Sur  les  quatre 
experts  consultés  au  sujet  du  différend  Carmen,  trois,  d'ailleurs,  MM.  Fuld, 
Osterrieth  et  Kohler,  s'étaient  déjà  prononcés  conformément  à  la  manière  de 
voir  que  vient  d'adopter  le  tribunal  de  l'Empire,  tandis  qu'un  seul,  M.  Felisch, 
avait  défendu  le  point  de  vue  contraire. 

—  On  prépare  pour  le  23  janvier  à  Munich  une  fête  en  souvenir  de  Grieg. 
Le  dramaturge  Bjoern  Bjoernson  de  Christiania,  la  cantatrice  Mme  Irma 
Koboth,  le  professeur  M.  Henri  Schwartz  et  le  quatuor  Ahner  ont  promis 
leur  concours.  La  recette  est  destinée  à  constituer  un  fonds  pour  ériger  un 
monument  au  maitre  norvégien. 

—  Le  11  janvier  dernier  a  été  inauguré  le  nouveau  théâtre  de  la  Cour,  à 
Weimar.  L'empereur  et  le  grand-duc,  tous  les  deux  en  uniforme  de  général, 
ont  été  reçus  à  l'entrée  de  leur  loge  par  l'architecte,  M.  Littmann,  le  même 
qui  construisit  le  Schauspielhaus  et  le  Théâtre  du  Prince-Régent,  à  Munich, 
et  le  Théâtre-Schiller  à  Charlottenbourg.  La  pièce  de  circonstance,  Jeux  féeri- 
ques du  printemps,  écrite  par  M.  Richard  Voss,  a  du  son  succès  à  «  l'inoubliable 
beauté  »  des  décors  et  de  la  mise  en  scène;  le  fond  et  la  forme  en  sont  en 
réalité  très  peu  dramatiques.  La  musique  de  M.  Félix  Weingartner  ponr  cet 
ouvrage  a  été  composée  sur  des  thèmes  empruntés  aux  œuvres  de  Liszt;  on 
l'a  trouvée  intéressante  et  réussie.  Le  «Prologue  sur  le  théâtre  »,  extrait  du 
Faust  de  Gœthe,  et  le  Camp  de  Wallenstein  de  Schiller  ont  été  favorablement 
accueillis.  Un  décor  splendide,  établi  par  le  régisseur  M.   Widey,  pour  la 


scène  finale  des  Maîtres-Chanteurs,  a  été  unanimement  admiré.  Le  maitre  de 
chapelle  de  la  Cour,  M.  Rabe,  a  dirigé  magistralement  la  partie  musicale.  Le 
proscenium  de  dimensions  variables,  sur  lequel  nous  allons  revenir,  a  bien 
fonctionné  pendant  cette  soirée  de  fête.  —  Le  nouveau  théâtre  a  été  érigé  sur 
l'emplacement  même  où  se  trouvait  le  vieux  monument  dans  lequel  Gœthe  fit 
jouer  ses  ouvrages,  ceux  de  Schiller  et  de  tant  d'autres  poètes  dramatiques. 
Toutefois,  la  vieille  construction  avait  été  détruite  par  un  incendie  dès  1S25, 
et  Gœthe  ne  pénétra  jamais,  dit-on,  dans  le  théâtre  qui  fut  bâti  pour  la  rem- 
placer, ayant  eu  à  se  plaindre  de  l'administration  à  la  suite  d'intrigues  de 
coulisses  dirigées  contre  lui.  Ce  dernier  théâtre  subsista  jusqu'en  1907  et  la 
dernière  représentation  que  l'on  y  donna  fut  celle  de  VIphigénie  de  Gœthe,  le 
17  février.  Les  plans  de  celui  que  l'on  vient  d'inaugurer  furent  approuvés 
en  juin  1905,  mais  la  construction  effective  ne  put  commenc  r  qu'après  la 
démolition  de  l'ancienne  salle,  c'est-à-dire  il  y  a  onze  mois.  Ce  peu  de  temps 
a  suffi,  malgré  les  grandes  difficultés  que  l'on  a  eues  à  vaincre.  Pour  établir 
les  fondations  il  fallut  faire  sauter  à  la  dynamite  des  rochers  de  quatre  mètres 
d'épaisseur.  La  construction  tout  entière  repose  sur  environ  deux  mille 
piliers  armés  de  fer,  dont  quelques-uns  ont  jusqu'à  treize  mètres  et  demi  de 
hauteur.  Ce  qui  rend  ce  théâtre  particulièrement  intéressant,  ce  sont  les  trans- 
formations dont  le  proscenium  est  susceptible.  H  n'y  a  pas  de  rampe  à 
l'avant-scène  :  la  lumière  est  fournie  par  les  lampes  à  réflecteur  du  plafond. 
Le  plancher  de  l'orchestre  peut,  à  volonté,  ou  s'abaisser  ou  s'élever  jusqu'au 
niveau  de  la  scène.  Cet  orchestre  est  muni  d'une  couverture,  que  l'on  peut 
librement  enlever,  et  de  plaques  de  résonances  diversement  disposables.  La 
scène  peut  comporter  trois  agencements  différents  ;  l'un  pour  les  grands 
drames  lyriques,  l'autre  pour  les  opéras  dont  ceux  de  Mozart  sont  le  type,  la 
troisième  pour  le  drame  parlé,  la  tragédie  ou  la  comédie.  Pour  les  concerts  sym- 
phoniques  avec  chœurs,  l'orchestre  peut  être  placé  sur  la  scène,  et  une  conque  de 
résonance  installée  au-dessus  sert  à  empêcher  le  son  de  se  perdre.  Toutes  les 
transformations,'  agrandissements,  etc.  de  la  scène  se  font  au  moyen  de 
moteurs  électriques.  L'éclairage  a  été  l'objet  de  soins  particuliers  :  on  a  ima- 
giné tout  un  système  de  prismes  pour  adoucir  ou  tamiser  la  lumière.  L'amé- 
nagement des  loges  d'artistes,  derrière  la  scène,  offre  tout  le  confortable 
nécessaire.  On  a  pris  toutes  les  précautions  possibles  pour  assurer,  en  cas 
d'incendie,  la  sécurité  du  public  et  du  personnel  artiste.  Les  places  des 
spectateurs  s'élèvent  en  amphithéâtre,  de  telle  sorte  que  pour  personne  la 
vue  des  acteurs  ne  peut  être  masquée;  il  n'y  a  point  de  loges  d'avant-scène; 
les  balcons  sont  presque  entièrement  de  face  et  quelques  loges  spéciales  sont 
destinées  aux  botes  princiers.  Au  second  étage  est  le  grand  foyer  et  au  troi- 
sième une  salle  pour  la  vente  des  rafraîchissements.  La  façade  extérieure  est 
entièrement  simple,  avec  prédominance  des  formes  droites.  Le  monument 
Gcethe-Schiller,  de  Rietschel,  a  été  placé  devant  les  marches  du  péristyle.  On 
trouve  que  l'aspect  général  du  théâtre  s'accorde  très  bien  avec  les  construc- 
tions anciennes  de  la  vieille  ville  de  Weimar. 

—  Maja,  drame  lyrique  en  deux  actes  de  M.  Adolphe  Vôgl,  a  été  représenté 
pour  la  première  fois  le  12  janvier  dernier,  à  Stuttgart.  Les  rôles  principaux 
étaient  tenus  par  Mnlc  Senger-Beltaque,  MM.  Holm,  Weil  et  Neudoerffer. 
L'œuvre,  dont  le  sujet  est  emprunté  aux  légendes  hindoues,  parait  avoir 
réussi. 

—  Un  drame  lyrique  en  quatre  actes,  paroles  et  musique  de  M.  Isidore  de 
Lara,  Soléa,  a  été  joué  dernièrement  à  l'Opéra  de  Cologne.  Les  principaux 
rôles  étaient  tenus  par  Mme  Gaszalevrics  et  M.  Frédéric  Rémond. 

—  Mme  Sigrid  Arnoldson,  en  route  pour  la  Russie,  donne  quelques  repré- 
sentations extraordinaires  dans  plusieurs  des  théâtres  principaux  d'Allemagne. 
La  célèbre  diva  suédoise  a  chanté  dimanche  dernier,  au  Grand-Théâtre  mu- 
nicipal de  Nuremberg,  la  Manon  de  Massenet.  La  direction  de  ce  théâtre  avait 
expressément  monté  le  chef-d'œuvre  de  Massenet  pour  M1™'  Arnoldson,  et  son 
triomphe  y  a  été  complet.  Il  y  a  eu  six  à  douze  rappels  après  les  premiers 
trois  tableaux,  mais  l'enthousiasme  arriva  à  son  comble  après  la  scène  de 
Saint-Sulpice.  Le  public  de  Nuremberg  a  fêté  Mme  Arnoldson  d'une  façon 
unique.  Après  la  représentation  une  foule  d'environ  cinq  cents  personnes 
attendait  la  diva  à  la  sortie  du  théâtre  et  lui  fit  une  ovation  spontanée,  au 
milieu  des  cris  :  Vive  Arnoldson  !  Vive  Massenet  !  (Hoch  Arnoldson  !  Hoch 
Massenet!)  Mme  Arnoldson  est  maintenant  partie  pour  Stuttgart,  où  elle 
chantera  au  Théâtre-Royal  Manon,  Mignon  et  Carme  n. 

—  La  censure  russe  n'est  pas  ce  qu'un  vain  peuple  pense  ;  elle  a  des  fiuesses 
et  des  perspicacités  inconnues  aux  «  anastasies  »  des  pays  moins  civilisés. 
Elle  vient  de  le  prouver  à  Saint-Pétersbourg,  en  interdisant  à  la  Société  im- 
périale de  musique  l'exécution  de  la  Fête  d'Alexandre,  grande  cantate  de  Haen- 
del  à  quatre  voix  et  orchestre.  Le  motif  de  cette  mesure  ?  Simplement  que  la- 
dite censure  a  su  découvrir,  dans  cet  ouvrage  étonnamment  subversif,  des 
«  allusions  révolutionnaires  »  relatives  an  tsar  Alexandre,  père  de  l'empereur 
actuel  Nicolas  II.  Rappelons  que  la  Fête  d'Alexandre,  dont  Haendel  écrivit  la 
musique  sur  des  paroles  du  grand  poète  Dryden,  fut  exécutée  pour  la  première 
fois  à  Dublin  à  la  fin  de  1741  ou  au  commencement  de  1742.  Pouvait-on  sup- 
poser que  dès  cette  époque  Dryden  aurait  conçu  l'odieuse  pensée  de  saper  les 
bases  de  l'empire  moscovite  '?  Heureusement,  les  censeurs  étaient  là,  caveant 
consules  ! 

—  De  Moscou  :  Après  MM.  Edouard  Colonne  et  Georges  Marty,  c'est 
M.  Francis  Casadesus  qui  dirigera,  le  25  janvier,  l'orchestre  du  Conservatoire 
de  la  Société  impériale  de  musique  russe.  A  ce  concert,  spécialement  réservé 
aux  compositeurs  français,  on  entendra  des  œuvres  de  MM.  Alfred   Bruneau, 


LE  MENESTREL 


23 


.Francis  Casadesus,  Gustave  Charpentier,  Eugène  d'Harcourt,  Xavier  Leroux, 
Georges  Marty  et  J.  Massenet. 

—  Tandis  que  M.  Eugène  Ysaye,  de  retour  à  Bruxelles,  se  prépare  à  y  di- 
riger demaiu  son  troisième  concert  d'abonnement,  dans  lequel  il  fera  enten- 
dre à  la  queue-leu-leu  les  quatre  ouvertures  de  Wagner  récemment  décou- 
vertes :  Kônig  Ensio,  Polonia,  Christoph  Colombus  et  Rule  Britannia  (ça,  c'est 
une  joie),  le  signalement  de  son  fameux  Stradivarius,  à  lui  volé  à  Saint-Pé- 
tersbourg, est  en  train  de  courir  le  monde,  sans  que  jusqu'ici  on  soit  parvenu 
à  retrouver  le  fugitif.  Ou  annonce  en  effet  que  la  police  russe,  mise  en  mou- 
vement, a  transmis  aux  polices  des  divers  pays  le  signalement  très  détaillé  de 
l'instrument,  connu  sous  le  nom  de  1'  «  Hercule  ».  Le  voici  dans  sa  teneur 
exacte  : 

Un  violon  stradivarius  estimé  valoir  GO. 000  francs,  portant  l'inscription  latine  An- 
lonius  Stradivarius  faciebal  Cremoneris  anno  1732  et  présentant,  en  outre,  les  particu- 
larités ci-après  :  longueur  36  centimètres  environ,  vernissé  de  laque  rouge,  une 
tache  de  la  grandeur  d'une  pièce  de  vingt  centimes  sur  la  droite  de  la  parti''  supé- 
rieure de  la  table,  près  de  la  touché,  à  la  tête  de  la  touche,  près  de  la  cheville  supé- 
rieure, un  petit  trou  triangulaire  a  été  bouché. 

—  De  Genève  on  nous  télégraphie  le  grand  succès  remporté  par  le  Bon- 
homme Jadis  interprété  par  Fugère  lui-même.  Ce  soir-là,  Jaques-Dalcroze  fut 
prophète  en  son  pays. 

—  Les  compositeurs  français  en  Italie.  C'estun  journal  italien  qui  fait  cette 
remarque:  «  Parmi  les  compositeurs  français  qui  seront  représentés  chez  nous 
au  cours  de  cette  saison.  Bizet  et  Massenet  tiennent  la  première  place.  Sept 
théâtres  donneront  Carmen  et  cinq  les  Pêcheurs  de  perles  ;  huit  donneront  la 
Manon  de  Massenet.  cinq  Mignon  et  deux  Tlnmlet  de  Thomas,  un  la  Damnation 
de  Faust  et  un  la  Louise  de  Charpentier.  Par  contre,  la  musique  allemande  est 
exclusivement  représentée  par  Wagner.  Un  théâtre  jouera  les  Maîtres  Chanteurs, 
un  Tristan  et  deux  Lohengrin.  » 

—  Don  Lorenzo  Perosi,  dont  le  dernier  oratorio  vient  d'obtenir  un  si 
grand  succès,  a  quitté  Rome  ces  jours  derniers  pour  se  rendre  en  Russie.  Il 
va  diriger  deux  concerts  composés  de  ses  œuvres,  l'un  à  Saint-Pétersbourg, 
l'autre  à  Varsovie.  Il  est  accompagné  du  père  d'Amato,  directeur  de  l'école 
chorale  de  Saint-Pierre-du-Valican. 

—  Un  opéra  inconnu  de  Gluck  !  Le  fait  peut  paraître  singulier:  il  est  exact 
pourtant.  La  trace  de  cet  opéra,  intitulé  il  Tigrane  et  qui,  chronologiquement, 
occuperait  la  cinquième  ou  sixième  place  dans  le  répertoire  de  l'illustre  com- 
positeur, a  été  retrouvée  par  un  musicographe  italien,  M.  Francesco  Piovano, 
qui  rend  compte  de  sa  très  intéressante  découverte  dans  le  dernier  fascicule 
du  Recueil  de  la  Société  internationale  de  musique.  C'est  en  visitant  avec  atten- 
tion une  riche  collection  de  livrets  d'anciens  opéras  faisant  partie  de  la  biblio- 
thèque de  l'Académie  de  Sainte-Cécile  de  Rome,  que  M.  Piovano  a  été  assez 
heureux  pour  mettre  la  main  sur  celui  qui  a  servi  à  la  représentation  de  cet 
ouvrage.  En  voici  le  titre  :  «  /(  Tigrane,  drame  pour  musique,  à  représenter  à 
Crema  à  l'occasion  de  la  Foire  de  Septembre  de  l'année  1743.  La  musique  sera 
de  nouvelle  composition  del  sig.  Cristoforo  Gluch  (sic).  »  Et  voici  les  noms  des 
personnages,  avec  ceux  des  interprètes  : 

MUridate,  roi  de  Pont,   et  amant       Sig.  Settiniio  Canini,  Florentin. 

d'Apamia. 
Cieopatra,    lille   de    Mitridate,    et       Sig'  Caterina  Aschieri,  Romaine. 

amante  de  Tigrane. 
Tigrane,  roi  d'Arménie,  sous  le  nom       Sig.  Felice  Salimbani,  Milanais. 

d'Argene,  amant  de  Cieopatra. 
Apamia,  sœur  d'Oronte,  et  amante       Sig"  Giuditta  Fabiani,  Florentine. 

de  Tigrane. 
Oronte,  prince  de  Sinope,  et  amant      Sig.  Giuseppe  Gallieni,  Grémonais. 

de  Cieopatra. 
Clearte,  prince  de  Messageti,  cou-       Sig"  Rosalba  Buini,  Bolonais?. 

fédéré   de  Mitridate   et  ami   de 

Tigrane. 

L'ouvrage  était  en  trois  actes,  avec  de  nombreux  «  changements  de  scène», 
c'est-à-dire  divers  tableaux.  Le  nom  du  poète  n'est  pas  inscrit  sur  le  livret, 
qui  avait  été  déjà  mis  en  musique  deux  ans  auparavant  par  le  compositeur 
Giuseppe  Arena,  dont  l'opéra  avait  été  représenté  à  Venise,  sur  le  théâtre 
Grimani  de  Saint-Jean  Chrysostome,  dans  l'automne  de  1741.  Ce  livret,  qui 
n'était  point  nouveau,  et  qui  avait  été  l'objet  de  nombreux  remaniements, 
datait  déjà  de  plus  d'un  demi-siècle.  En  cherchant  bien,  M.  Piovano  est 
parvenu  à  en  découvrir  l'auteur.  Celui-ci  est  un  certain  abbé  Francesco 
Silvani,  qui  avait  fait  représenter  à  Venise,  sur  le  théâtre  Vendramin,  dans 
l'automne  de  1691,  avec  musique  de  Marc'  Antonio  Ziani,  un  opéra  intitulé  bt 
Virtù  trionfante  deU'amore  e  dell'odio.  Le  sujet  de  cet  opéra  est  précisément 
celui  de  Tigrane,  bien  que  les  noms  des  personnages  diffèrent  absolument, 
mais  on  trouva  dans  ce  dernier  de  nombreux  vers  du  premier.  Toutefois,  ce 
livret  de  l'abbé  Francesco  Silvani  subit  une  première  fois  des  retouches 
imporlantes  lorsqu'il  fut  remis  en  musique  pour  être  représenté  à  Rome,  au 
théâtre  Capranica,  pendant  la  saison  du  carnaval  de  1724  ;  et  ici  on  le  retrouve 
sous  ces  deux  titres  :  la  Virtù  trionfante  deU'amore  e  dell'odio,  ossia  il  Tigrane. 
Le  premier  arrangeur,  resté  inconnu,  avait  donné  aux  personnages  les  noms 
du  livret  employé  par  Gluck.  La  musique  de  cette  seconde  Virtù  trionfante 
avait  été  écrite  par  trois  compositeurs  :  Benedelto  Micheli  (premier  acte), 
Antonio  Vivaldi  (second  acte)  et  Nicola  Romaldi  (troisième  acte).  Entui,  le 


livret  du  Tigrane,  mis  on  musique  par  Gluck  après  Arena,  av  - 

de  nouveau  et  adapté  par  le  grai  i 

misérablement  à  Paris  après  avoi  ;  I 

Bourru  bienfaisant.  Ce  livret  servit  encore,  api        '■■ 

positeurs  :  Lampuguani.    Carcani,    Picciuui,  Tozzi,  etc.  Maiolenan 

devenue  la  partition  du  Tigrane  de  Gluck  ?  Ceci 

et  il  est  probable  qu'on  n'y  parviendra  jamais.  A  celle  époque,  on  n 

pas  en  Italie  la  musique  des  opéras,  et  la  partition  manuscrite  de 

restait  d'ordinaire  dans  le  théâtre  ou  l'ouvrage  avail 

Tigrane.  a  présent  ?  Mais  toujours  est-il  que  grâce  à  la  M.  l'ran- 

cesco   Piovano  on  sait  aujourd'hui  que  Gluck  avait  écrit   el 

Crema,   en   1743,  un  ouvrage  ainsi  intitulé,  et  que  cet  ouvraf 

oublié,  est  resté  complètement  inconnu  de  tous  les  historiens  et  •  i 

biographes.  Et  voilà,    sinon    un   chapitre,  du  moins  un  épisode  à   ajouter,  et 

non  sans  quelque  intérêt,  au  récit  de  la  vie  et  des  œuvres  del'autcui 

et  des  deux  Iphigénies.  A.  1'. 

—  Le  théâtre  de  Monte-Carlo  vient  d'offrir  à  ses  habitués  la  primeur  d'une 
opérette  nouvelle,  en  trois  actes  :  Œil  de  Gazelle,  paroles  de  M.  Paul  (Terrier, 
musique  de  M.  Justin  Clérice. 

—  De  notre  correspondant  de  New- York  (6  ja  Vous  apprendrez 
avec  plaisir  que  la  première  de  Louise  a  eu  lieu  vendredi  passé  avec  beaucoup 
de  succès.  Représentation  excellente.  Les  artistes  principaux,  M""  Mary  Gar- 
deu,  MM.  Gilibert,  Dalmorès  et  Mme  Bressler-Gianoli  ont  été  des  plus  remar- 
quables. On  s'attend  à  une  longue  suite  de  représentations  de  cette  œavre, 
tant  le  succès  en  a  été  franc  et  sponlané.  » 

—  D'autre  part,  MMc  Mary  Garden  a  envoyé  au  Figaro  de  Paris  la  dépêche 
suivante  : 

Gaston  Cafmette,  Figaro.  Paris. 

New-York.  0  janvier. 
Je  désire  remercier  par  te  Figaro  les  Mimi-Pinson  pour  la  gentille  dépêche  qu'elles 
m'ont  envoyée.  La  première  de  Louise  a  été  un  succès  étourdissant  pour  Chirpentier 
et  l'école  française  tout  entière.  J3  souhaite  a  tous  mes  amis  de  Paris  une  heureuse 
année. 

Mary  Garden. 
Et  nous-mêmes  avons  reçu  de  la  gracieuse  artiste  cette  autre  dépêche  : 
Thaïs  et  Louise,  les  deux  plus  grands  succès  qu'on  ait  connus  jusqu'ici  à  New- 
York. 

—  Les  journaux  américains  parlent  tous  de  l'éclatant  succès  de  Louise  au 
Manhattan-Theatre,  de  New-York,  et  assurent  qu'aucune  œuvre,  depuis  bien 
des  années,  n'avait  excité  à  ce  point  l'enthousiasme.  M11  Mary  Garden.  la 
séduisante  interprète  du  rôle  de  Louise  a  reçu,  dans  le  cours  d'une  semaine, 
plus  de  cent  lettres  de  jeunes  chanteuses  américaines  qui  lui  demandent  son 
patronage  pour  débuter  à  Paris;  malgré  ses  fatigues,  la  cantatrice  si 

voulu  répondre  à  toutes  ses  correspondantes  et  a  consenti  à  les  enie 

espère  en  pouvoir  distinguer  quelques-unes  et  leur  faciliter  l'accès  des  théâtres 

parisiens. 

—  L'ancien  kapellmeister  de  la  Cour  à  Stuttgart,  M.  Charles  Polilig,  donne 
en  ce  moment  des  concerts  en  Amérique,  et  la  presse  s'élève  assez  vivement 
contre  la  longueur  de  ses  programmes.  On  écrit  de  Philadelphie  :  M.  Pohlig 
est  retombé  à  Philadelphie  dans  la  même  faute  qu'il  avait  déjà  commise  à 
New-York;  il  fait  des  programmes  trop  longs.  Le  public  ne  peut  absolument 
pas  soutenir  deux  heures  et  demie  de  musique.  Les  plus  enthousiastes  et  les 
mieux  doués  peuvent  écouter  pendant  une  heure  trois  quarts,  pendant  deux 
heures  au  plus.  Tout  ce  qui  dépasse  cette  limite  est  un  mal  et  une  fatigue.  Il 
arrive  même  qu'une  trop  grande  tension  d'esprit  agit  non  seulement  sur  les 
auditeurs,  mais  aussi  sur  les  exécutants,  et  que  l'interprétation  fléchit  et 
devient  moins  bonne  qu'on  est  en  droit  de  l'exiger  ». 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

Est-il  utile  de  signaler  que  nous  avons  un  nouveau  ministre  des  Beaux- 
Arts  ?  Celui  qui  part  s'appelait  Aristide  Briand,  celui  qui  vient  se  nomme 
Charles  Doumergue.  Les  choses  d'art  iront  comme  devant,  traitées  par  des 
intelligences  d'à  coté,  plus  dangereuses  parfois  que  des  ignorances  absolues. 
M.  Briand  laisse  à  son  successeur  quelques  affaires  embrouillées  :  l'aventure 
du  Théâtre-Lyrique  populaire,  la  commission  nommée  pour  la  révision  des 
lois  concernant  la  propriété  artistique,  un  projet  de  revision  du  décret  de 
Moscou  qui  réglait  jusqu'ici  l'existence  de  la  Comédie-Française,  la  croix  de 
Mrae  Tinayre,  etc.,  etc. —  M.  Doumergue  fera  bien  de  s'avancer  avec  prudence 
sur  un  terrain  aussi  rempli  d'embûches  ;  il  est  vrai  qu'il  garde  auprès  de  lui 
pour  se  guider,  cet  excellent  M.  Dujardin-Beaumetz,  qui  a  fait  ses  preuves  si 
brillamment. 

—  La  Société  de  l'LTnion  centrale  des  arts  décoratifs  organise,  sous  la  di- 
rection de  son  président.  M,  Georges  Berger,  une  »  exposition  des  arts  du 
théâtre  »,  qui  aura  lieu  du  1er  avril  prochain  au  lb  octobre.  Mardi,  une  réu- 
nion des  principaux  peintres  de  décors  pour  théâtres  a  été  tenue  sous  la  pré- 
sidence de  M.  Georges  Berger,  dans  le  musée  des  arts  décoratifs  du  pavillon 
de  Marsan,  au  Louvre.  Après  une  discussion  approfondie,  il  a  été  entendu 
que  chaque  décorateur  admis  à  figurer  dans  l'exposition  théâtrale  enverra 
deux  maquettes  au  plus.  Seront  seules  acceptées  des  maquettes  de  décors 
irréprochables  au  point  de  vue  du  talent  déployé  par  leurs  auteurs.  En 
dehors  de  ces  œuvres  modernes,  des  maquettes  faites   par   des   décorateurs 


24 


LE  MÉNESTREL 


dont  la  célébrité  a  honoré  l'art  au  dix-neuvième  siècle  seront  présentées 
au  public.  L'exposition  contiendra  d'autres  maquettes,  dont  quelques-unes, 
datant  du  dix-huitième  siècle,  sont  dues  aux  pinceaux  de  maitres  de  l'école 
de  G.alli  Bibiena  et  de  celle  de  Servandoni,  ce  qui  veut  dire  et  laisse 
entendre  que  les  décorateurs  étrangers,  anciens  et  contemporains,  trou- 
veront place  dans  les  salles  du  rez-de-chaussée  du  Louvre  attenantes  au  pa- 
villon do  Marsan.  Les  costumes,  les  armes,  les  bijoux,  le  matériel  des  mises 
en  scène  avec  les  mille  objets  que  comporte  la  mise  en  scène  d'une  pièce, 
permettront  de  comparer  ce  qui  se  faisait  timidement  autrefois  avec  ce  qui 
est  osé  aujourd'hui  dans  des  données  plus  réalistes.  Il  est  UDe  section  de  l'ex- 
position théâtrale  qui  offrira  un  intérêt  spécial  M.  Georges  Berger  a  décidé 
de  créer  une  galerie  de  portraits  de  dramaturges  et  d'auteurs  d'ouvrages  de 
geure,  de  compositeurs  de  musique,  d'artistes  du  chant,  de  la  tragédie,  de  la 
comédie  sous  toutes  ses  formes,  et  delà  danse,  qui  ont  illustré  les  scènes  de  nos 
grands  théâtres  du  dix-septième  siècle  à  nos  jours.  Ces  portraits,  à  l'huile  ou 
au  pastel,  auront  tous  été  exécutés  par  des  peintres  renommés  contemporains 
de  leurs  modèles.  M.  Georges  Berger,  auquel  les  amateurs  et  les  collection- 
neurs ne  savent  refuser  aucun  prêt,  s'est  déjà  assuré  de  plus  de  cent  cinquante 
de  ces  portraits.  Et  ceci  non  compris  les  dossiers,  les  études  de  décors,  les 
estampes  en  couleur  ou  en  noir,  les  gravures  et  lithographies  qui  formeront 
un  compartiment  de  l'exposition  théâtrale. 

—  Une  grande  activité  règne  toujours  à  l'Opéra.  En  même  temps  qu'on  procède 
aux  réparations  convenues  dans  la  salle,  sur  la  scène  et  dans  les  dépendances 
diverses  du  monument,  on  prépara  dans  les  foyers  les  ouvrages  qui  formeront 
les  premiers  spectacles  de  la  nouvelle  direction.  La  réouverture  aura  li  u 
aussitôt  que  ces  travaux  seront  terminés.  Cette  réouverture  se  fera  par  une 
soirée  de  gala,  avec  le  Faust  de  Charles  Gounod,  encadré  dans  ses  nouveaux 
décors  et  interprété  par  MM.  Muratore  (Faust),  Delmas  (Mephistophélès), 
Dangès  (Valeotin)  et  Lequien  (Wagner),  Mmes  Jeanne  Hatto  (Marguerite), 
Martyl  (Siebel)  et  Goutancourt  (dime  Marthe).  MM.  Dangès  et  Lequien  feront 
donc  leurs  premiers  débuts  dans  cet  ouvrage.  —  Ensuite  viendra  Guillaume 
Tell  pour  la  rentrée  du  ténor  Escalaïs  par  le  rôle  d'Arnold,  et  les  débuts  de 
M"e  Gall  par  celui  de  Mathilde.  —  Les  spectacles  suivants  sj  composeront  de 
Rigoletto,  de  Verdi,  dans  lequel  le  baryton  Duclos  fera  un  premier  début  par  le 
rôle  de  Bigoletto,  et  M"e  Lala  Miranda  par  celui  de  Gilda,  et  de  Lohengrin 
avec  MM.  Feodorow,  Beck,  Mmes  Kousnietzow  et  Feart  dans  les  principaux 
rôles. 

—  Spectacles  de  dimanche  à  l'Opéra-Comique  :  en  matinée,  le  Chemincau; 
le  soir,  Manon. — Lundi,  en  représentation  populaire  à  prix  réduits  :  LaTraviata. 

—  Les  représentations  de  Mireille  au  Lyrique  populaire  vont  prendre  fin. 
Mignon  sera  donné  dès  ce  soir  samedi.  Après  viendra  Lakmé.  Et  puis?  Et  puis 
quoi?  Tout  cela  est  d'un  bien  vif  intérêt,  vraiment.  Comme  le  moindre  grain 
de  mil  nouveau  ferait  mieux  l'affaire  de  tout  le  monde,  des  compositeurs  et 
du  public  !  Si  c'est  ainsi  qu'on  a  compris  le  théâtre  lyrique,  quelle  scène  inu- 
tile !  Et  comme  la  fermeture  définitive  en  est  prochaine  ! 

—  La  commission  de  la  Société  des  auteurs  et  compositeurs  dramatiques  a 
envoyé  aux  sociétaires  la  communication  suivante  : 

Dans  le  but  de  coopérer  à  l'œuvre  du  Théâtre- Lyrique  populaire  de  la  Gaité,  votre 
commission  a  accepté  de  fixer  pour  un  délai  de  cinq  mois  et  à  titre  purement  provi- 
soire les  droits  d'auteur  perçus  dans  ce  théâtre  à  10  0/0. 

Toutefois  la  commission  vous  rappelle  que  les  auteurs  d'ouvrages  représentés  au 
Théâtre-Lyrique  populaire  de  la  Gaité  n'en  conservent  pas  moins  le  droit  absolu  de 
n'autoriser  cette  représentation  qu'ea  réclamant  le  taux  normal  de  1L2  0/0. 

—  En  1834,  la  Société  des  artistes  de  l'Opéra-Comique,  installée,  depuis 
l'abandon  de  la  salle  Ventadour,  dans  .celle  de  la  place  de  la  Bourse,  qui  avait 
été  construite  pour  le  théâtre  des  Nouveautés,  alors  disparu,  était  dissoute  et 
remplacée  par  un  directeur  responsable,  qui  était  Crosnier.  C'était  une  trans- 
formation administrative  complète.  Voici  la  note  que  nous  trouvons  à  ce  sujet 
dans  un  journal  du  temps  : 

En  procédant  à  la  réorganisation  du  théâtre  de  l'Opéra-Comique,  M.  le  ministre  de 
l'intérieur  n'a  pas  négligé  les  intérêts  et  l'avenir  des  jeunes  compositeurs  français. 
Ils  sont  garantis  par  un  article  du  cahier  des  charges  imposé  au  nouveau  directeur, 
qui  est  ainsi  conçu  : 

«  Les  premiers  prix  de  composition  musicale  auront  un  tour  de  faveur  dans 
l'année  qui  suivra  l'expiration  du  temps  de  leur  pensionnat,  pour  la  représentation 
d'un  ouvrage  à  l'Opéra-Comique.  S'ils  n'ont  pas  un  poème  accepté  par  le  directeur 
de  ce  théâtre,  celui-ci  sera  tenu  de  leur  en  fournir  un.  Au  cas  où  la  partition 
lui  paraîtrait  trop  faible,  une  commission,  nommée  par  le  ministre,  décidera  si  elle 
peut  être  exécutée.  » 

Une  autre  disposition  accorde  aux  premiers  prix  de  chant  et  aux  premiers  prix 
d'instruments  du  Conservatoire  qui  n'auront  pas  d'engagement  pour  d'autres 
théâtres,  le  droit  de  se  faire  entendre  à  l'Opéra-Comique  au  moins  une  fois  dans 
l'année  qui  suivra  la  distribution  des  prix. 

Voilà  certainement  une  dernière  disposition  qui  n'a  jamais  été  observée, 
surtout  en  ce  qui  concerne  les  instrumentistes.  Elle  n'était  pas  cependant 
sans  intérêt  pour  eux,  et  même  pour  le  public,  et  elle  eût  pu  certainement 
avoir  son  utilité.  Rappelons  que  le  ministre  de  l'intérieur  qui  s'occupait  ainsi 
de  l'Opéra-Comique  n'était  autre  que  Thiers. 

—  Où  allons  nous,  et  où  s'arrètera-t-on?  M.  Vincent  d'Indy  nous  a  donné 
récemment  un  livre  (que  j'ai  analysé  ici  même)  sur  César  Franck,  et  cela  est 
fort  bien.  Franck,  par  ses  œuvres   et  par  l'influence  qu'il   a   exercée  sur  ses 


élèves  et  ses  adeptes  (ils  sont  devenus  légion  depuis  qu'il  est  mort,  et  c'est 
étonnant  ce  qu'on  rencontre  aujourd'hui  de  ses  élèves),  a  tenu  dans  l'art  con- 
temporain une  place  assez  considérable  pour  qu'il  ne  fut  pas  inutile  de  lui 
consacrer  une  étude  sincère  et  complète.  Mais  allons-nous  faire  ma;ntenant 
pour  lui  ce  qu'on  a  fait  pour  Wagner,  et  s'en  va-t-on  publier  unî  glose  sur 
chacune  désœuvrés  qui  composent  son  vaste  répertoire?  Alors  une  existence 
humaine  ne  suffirait  plus  à  lire  ce  qu'on  écrira  sur  la  musique  et  les  musiciens, 
et,  à  tout  prendre,  il  y  a  dans  le  monde  autre  chose  que  la  musique,  quelque 
intérêt  que  nous  lui  puissions  porter.  Voici  qu'un  nouveau  venu  parmi  nous, 
M.  Charles  van  den  Borren,  s'avise  aujourd'hui  de  publier  un  volume  de 
228  pages  sous  ce  titre  :  L'Œuvre  dramatique  de  César  Franck  (Paris,  Fischba- 
cher,  in-12),  c'est-à-dire  sur  la  partie  la  moins  importante,  et,  il  faut  le  dire, 
la  moins  intéressante  de  l'œuvre  du  vieux  maître,  celle  sur  laquelle  il  y  a  le 
moins  sujet  de  s'appesantir.  Franck  était  déjà  sexagénaire  lorsque  lidée  lui 
vint  de  s'occuper  de  théâtre,  pour  lequel  il  n'était  vraisemblablement  pas  né, 
et  son  théâtre  se  borne,  on  le  sait,  à  deux  ouvrages,  Suida  et  Ghisèle,  repré- 
sentés à  Monte-Carlo  après  sa  mort,  le  premier  en  1894,  le  second  en  1S96; 
encore  ce  dernier  n'était-il  pas  complètement  achevé,  et  l'orchestration  dut- 
elle  en  être  faite  par  cinq  de  ses  élèves  (des  vrais,  .ceux-là  !),  MM.  V.  d'Indy, 
Ernest  Chausson,  de  Bréville,  Samuel  Rousseau  et  Arthur  Coquard.  Qu  il  véri- 
table intérêt  une  étude  détaillée  de  ces  deux  ouvrages  peut-elle  présenter 
pour  la  connaissance  de  la  personnalité  et  du  tempérament  artistique  de 
César  Franck?  Ce  n'est  là  qu'une  sorte  d'accident  dans  l'ensemble  de  sa 
longue  et  honorable  carrière,  et  je  ne  vois  pas  le  fruit  que  l'on  peut  tirer  d'une 
telle  étude,  et  à  ce  point  développée.  Car  je  constate  qu'elle  est  faite  avec  le  p'us 
grand  soin,  et  j'ajoute  que  le  livre  de  M.  van  den  Borren  est  écrit  avec  clarté 
et  élégance,  ce  qui  ne  se  rencontre  pas  tous  les  jours.  Mais  tout  de  même,  je 
crois  qu'il  eût  pu  employer  son  temps  de  façon  plus  utile  et  plus  profitable 
pour  tous.  A.  P. 

—  Au  dernier  Samedi  de  Madame,  au  théâtre  du  Gymnase,  on  a  fort 
ayplaudi  M.  Julien  Tiersot,  qui,  en  uns  conférence  pleine  de  charme,  d'érudi- 
tion et  de  variété,  a  fait  l'histoire  de  la  Chanson  Populaire  de  France,  joignant 
l'exemple  à  la  parole  et  chantant  lui-même  quelques-unes  des  perles  de  son 
écrin  si  patiemment  édifié,  comme  le  Retour  du  Marin,  les  Noces  de  l'Alouette  et 
du  Moineau,  le  Pauvre  Laboureur.  Mm=  Jeanne  Raunay  prêtait  à  la  séance 
l'appoint  de  sa  belle  voix  et  l'autorité  de  son  grand  talent  :  le  Roy  Loys,  En  Re- 
venant de  Noces  et  Joli  Tambour,  la  Rergère  aux  Champs,  la  Maumariée,  ont  valu 
à  l'éminente  cantatrice  des  applaudissements  enthousiastes  partagés  par 
Mmo  Berlholon-Mauvernay,  à  l'organe  frais  et  clair,  à  la  diction  nette  et  spiri- 
tuelle dans  l'Ane  de  Marion,  Mon  Père  avait  cinq  cents  Moutons,  li  Mère  et  la 
Fille,  la  Veille  de  Noces,  la  Mort  du  Mari.  La  séance  a  pris  fin  avec  la  jolie  ronde 
En  passant  par  la  Lorraine,  chantée  en  trio.  Le  piano  était  tenu  par  M.  Jemain. 

—  Le  11e  samedi  de  la  Société  de  l'histoire  du  théâtre  aura  lieu  le 
18  janvier,  au  Théàtre-Sarah-Bernhardt,  à  cinq  heures  précises.  Au  pro- 
gramme : 

Causerie  de  M.  Edmond  Haraucourt  sur  la  S-Anz  et  les  coulisses  de  jadis,  accompa- 
gnée des  récitations  ou  auditions  suivantes:  Notre-Dame  de  Paris  :  (une  représentation 
au  quinzième  siècle  (Victor  Hugo),  par  M.  Grandval,  do  la  Comédie-Française.  — 
Prélude  du  Miracle  de  Saint-Nicolas  (Gabriel  Vicaire)  :  L\  Comédie  en  campagne 
(J.  Truffler),  par  M.  Truffier,  sociétaire  de  la  Comédie-Française.  —  Le  Roi  Robert 
(Haraucourt),  par  M""  Suzanne  Thérays,  de  l'Athénée.  —  Air  de  la  Basoche  (Albert 
Carré  et  Messager),  par  M™"  Marie  Thiéry,  de  l'Opéra-Comique.  —  Le  Chariot  de 
Thespis  (Th.  Gautier),  par  H"'  Marcilly,  de  l'Odéon.  —  Saint-Martin  (Haraucourt), 
par  M'""  Marcelle  Josset,  du  Gymnase.  —  Maître  Palhulin  (fragments).  —  Brueys  et 
Palaprat),  par  M""  Marcelle  Josset  et  M.  Frère,  de  l'Odéon. 

—  Un  festival  permanent  de  musique  et  d'orphéons  aura  lieu  dans  l'enceinte 
de  l'Exposition  de  Toulouse  aux  dates  suivantes  :  10,  17,  24  et  28  mai  ;  7,  8, 
14,  21,  28  juin  ;  5,  12,  14,  19,  26  juillet;  2,  9,  15,  16,  23,  30  août  ;  6,  13  et  20 
septembre.  —  Ce  festival  est  ouvert  aux  fanfares,  harmonies,  symphonies, 
aux  chorales  d'hommes  ou  de  femmes,  aux  chorales  mixtes,  aux  sociétés  de 
trompettes,  trompes  de  chasse  et  estudiantinas.  —  Il  sera  attribué  par  voie  de 
tirage  au  sort  :  Une  prime  en  espèces  de  2.000  francs,  une  prime  de 
1.000  francs,  une  de  500  francs,  deux  de  300  francs,  une  de  200  francs,  dix 
de  100  francs,  vingt  de  50  francs,  dix  primes  de  direction  de  50  francs  et  deux 
primes  d'éloignement  de  100  francs,  au  total  :  quarante-huit  primes  s'élevant 
à  7.000  francs.  De  plus,  deux  cent  médailles  seront  distribuées  aux  sociétés 
qui  auront  pris  part  au  festival.  —  Les  adhésions  des  Sociétés  devront  être 
adressées  à  la  Direction  de  l'Exposition  avant  le  15  février, 

NÉCROLOGIE 

Un  des  artistes  les  plus  anciens  et  les  plus  renommés  de  Dresde,  Albert 
Wolfermann,  est  mort  subitement  au  Conservatoire  de  cette  ville,  où  il  s'était 
rendu  pour  célébrer  le  trente -cinquième  anniversaire  de  sa  nomination 
comme  professeur  de  violon  et  d'ensemble  d'instruments  à  cordes  dans  cette 
institution.  Né  le  25  avril  1844,  à  Altenbourg,  il  avait  partagé  sa  vie  artis- 
tique entre  le  professorat  et  la  composition.  On  a  de  lui  des  morceaux  ou 
études  pour  violon  et  violoncelle,  des  compositions  pour  piano,  des  quatuors  et 
des  lieder. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


4009.  -  74e  ANNÉE.  -  N°  4. 


PARAIT  TOUS   LES   SAMEDIS 


Samedi  25  Janvier  1908. 


(Les  Bureaux,  2 blB,  rue  Vivienne,  Paris,  h-  arr>) 
(Le?  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus 


MÉNESTREL 


Le  Kamépo  :  0  fa.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


IiefluméFo:  Ofp.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  — Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, 20  fr., Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  posté  ea  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


1.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (Ci"  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale  : 
première  représentation  des  Deux  Hommes,  à  la  Comédie-Française,  Amédée  Bouta- 
hel.  —  III.  Petites  notes  sans  portée  :  Un  document  inaperçu  sur  l'orchestration  des 
maîtres,  Raymond  Bouyer.  —  IV.  Kevue  des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
LE  PÊCHEUR  DE  SYRACUSE 

n"  4  des  Odelettes  antiques,  de  Théodore  Dubois,  sur  des  poésies  de  Chahi.es 
Dubois.  —  Suivra  immédiatement  :  Au  bois  de  l'amour,  n°  3  des  Idylles  et 
Chansons  de  Jaques-Dalchoze,  sur  des  poésies  de  Gabriel  Vicaire. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano: 
Dansa  des  Crotales,  n°  3  des  Danses  Tanagréennes  de  Zino-Zina,  ballet  do  Paul 
VmAL.  —  Suivra  immédiatement  :  Panaderos,  danse  espagnole  extraite  du 
nouveau  ballet  de  J.  Massbnet,  Esp'ada,  qui  va  être  représenté  prochainement 
au  théâtre  de  Monte-Carlo. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 


CHAPITRE  III 


GLUCK    COMPOSITEUR    ITALIEN 

A  Milan,  Gluck,  pour  parachever  ses  études  musicales,  fut 
mis  sous  la  direction  de  Sammartini. 

Celui-ci  est  le  second,  et  le  dernier,  que  nous  entendions 
nommer  comme  ayant  été  maitre  de  Gluck.  Il  est  fort  à  croire 
que,  sauf  la  routine  de  l'écriture  courante,  le  futur  réformateur 
de  l'opéra  n'apprit  pas  grand'chose,  soit  avec  l'un,  soit  avec 
l'autre.  Nature  d'autodidacte,  l'auteur  n'a  jamais  su  qu'assez 
médiocrement  ce  qui  s'enseigne  à  l'école,  et  ce  qu'il  y  a  de 
meilleur  en  lui,  c'est  ce  qu'il  a  trouvé  par  lui-même.  Aussi  bien, 
l'on  n'aperçoit  guère  quelles  affinités  pourraient  exister  entre. 
Gluck  et  Sammartini,  ce  compositeur  atout  faire,  touchant  à  tout, 
maître  de  chapelle  ou  organiste  dans  plus  de  la  moitié  des  églises 
et  des  couvents  de  Milan,  esprit  d'initiative  d'ailleurs,  auteur 
de  symphonies  qui  ont  précédé  de  longtemps  celles  d'Haydn, 
et  dans  lesquelles  Burney  constatait  une  surabondance  de  notes, 
un  feu,  une  impétuosité  qui  l'entraînaient  à  «  courir  le  galop  »  (I), 
enfin  si  extraordinairement  prolifique  que,  au  rapport  de  Fétis, 
une  messe  de  sa  composition  est  cotée  comme  œuvre  2  800  !  Et  ce 

il)  Burney,  Élal  présent  de  la  miisiqw,  I,  81. 


ne  sont  pas  de  simples  œuvres  d'une  page  qui  constituaienl  ce 
total  énorme,  mais  des  sonates,  des  concertos,  des  cantates,  des 
messes,  des  motets,  et  jusqu'à  des  opéras.  Quel  temps  pouvait-il 
rester  à  un  homme  si  occupé  pour  se  consacrer  au  professorat, 
et  coopérer  comme  il  l'eût  fallu  à  la  formation  et  au  progrès 
d'un  esprit  tel  que  celui  de  Gluck? 

Non  :  celui-ci,  n'en  doutons  pas,  s'instruisit  surtout  par 
l'exemple.  Et  le  principal  qui  lui  était  proposé  à  Milan  était 
celui  que  lui  offraient  les  opéras  représentés  au  Regio-Ducal 
Teatro  pendant  les  saisons  de  carnaval.  Docile  comme  nous 
l'avons  vu,  il  se  mit  donc  à  composer  des  opéras,  comme  les 
autres.  Le  premier  qu'il  écrivit  fut  donné  pendant  la  saison  de 
1741-42;  il  était  fait  sur  un  poème  de  Métastase,  et  avait  pour 
titre  Arlaserse. 

Cette  première  moitié  du  XVIIIe  siècle  fut  l'époque  la  plus 
florissante  de  l'opéra  italien,  suivant  la  formule  que  l'école 
napolitaine  avait  imposée  à  toute  l'Europe,  la  France  exceptée. 
Pendant  un  siècle  environ,  ce  genre,  voué  à  la  mort  de  par  sa 
nature  même,  brilla  d'un  éclat  factice.  Les  plus  grands  génies 
de  l'Allemagne,  Hfendel,  Gluck,  Hasse,  Graun,  Chrétien  Bach, 
et  jusqu'à  Mozart,  se  crurent  obligés  de  s'incliner  devant  sa 
prépondérance,  et  se  soumirent  à  ses  lois.  Bien  plus  :  la  tyran- 
nie de  ses  formes  s'étendit  au  delà  du  domaine  de  l'opéra;  elle 
s'exerça  jusque  dans  le  temple,  et  l'on  vit  le  grand  Bach,  après 
avoir  composé  ses  premières  cantates  dans  le  style  «  vieil  alle- 
mand »  qui  convenait  si  bien  à  son  génie  et  à  la  nature  de  son 
œuvre,  consentir  lui-même  à  s'asservir,  et  couler  ses  inspira- 
tions sublimes  et  si  étonnamment  diverses  dans  le  moule  rigide 
de  l'air  italien  avec  milieu  et  Da  capo. 

Encore,  si  ce  n'eût  été  qu'une  affaire  de  forme  !  Mais,  vrai- 
ment, l'opéra  italien  ne  pouvait  pas  constituer  une  véritable 
œuvre  d'art.  Il  y  avait  en  lui  un  vice  fondamental  :  le  men- 
songe était  à  sa  base. 

Lorsque  Gluck  arriva  en  Italie,  il, n'y  avait  pas.  vingt  ans  que 
le  vénitien  Marcello  avait  écrit  son  pamphlet  célèbre  :  //  Teatro 
allamoda.  Cette  satire,  de  l'esprit  le  plus  acéré  et  parfois  le  plus 
fin,  contient,  épars  dans  ses  diverses  parties,  des  traits  :  de 
mœurs  de  l'exactitude  desquels  nous  aurions  d'autant  moins  le 
droit  de  douter  que  l'observation  de  la  vie  des  coulisses,  en 
notre  vingtième  siècle,  nous  en  ferait  retrouver  d'identiques 
(car,  parmi  les  capitales  du  monde  civilisé.  Cabotinville  est 
celle  qui  a  le  moins  changé).  Ce  sont  là  choses  secondaires  à 
notre  point  de  vue.  Mais  le  livre,  à  travers  l'abondance  des 
détails,  laisse  apparaître  un  fond  d'observations  générales,  rela- 
tives à  la  constitution  même  du  genre,  lesquelles,  groupées, 
peuvent  être  ramenées  à  ces  deux  principaux  articles  : 

Dans   l'opéra,  le  drame   doit  être  subordonné  à  la   lt 
scène,  à  la  machinerie,  aux  accessoire*: 


26 


LE  MÉNESTREL 


La  musique  a  pour  seule  raison  d'être  de  faire  briller  les 
chanteurs. 

Et  voici,  pour  préciser,  quelques  extraits  de  la  satire  de  Mar- 
cello. L'auteur  y  présente  les  erreurs  qu'il  flagelle  sous  forme 
de  prescriptions,  formant,  en  effet,  une  sorte  de  code  de  l'opéra 
italien  au  XYIII''  siècle  (1). 

«  Avant  de  composer  le  livret  d'un  opéra,  le  poète  moderne 
demandera  au  directeur  une  note  détaillée  lui  indiquant  le 
nombre  de  scènes  qu'il  veut  avoir.  S'il  doit  y  faire  figurer  des 
apprêts  de  festins,  des  sacrifices,  des  ciels  sur  la  terre,  ou  d'autres 
spectacles,  il  aura  soin  de  s'entendre  avec  les  machinistes  pour 
savoir  par  combien  d'airs,  de  monologues  ou  de  dialogues  il 
doit  allonger  les  scènes,  afin  qu'ils  aient  toutes  leurs  aises  pour 
préparer  ce  qui  leur  sera  nécessaire,  sans  s'inquiéter  que  l'opéra 
pourra  bien  devenir  languissant  et  ennuyer  souverainement  le 
public.  »  Pp.  47-48. 

«...  Sa  préoccupation  essentielle  sera  de  savoir  si  le  directeur 
n'a  pas  négligé  de  se  pourvoir  d'un  bon  ours,  d'un  bon  lion,  de 
bons  rossignols,  de  flèches,  de  tremblements  de  terre,  d'éclairs,  etc. 
Pour  terminer  l'opéra,  il  amènera  une  scène  d'une  décoration 
splendide.  afin  que  le  public  ne  parte  pas  avant  la  fin,  et  il  ne 
manquera  pas  d'y  ajouter  le  choeur  habituel  en  l'honneur  du 
soleil,  de  la  lune  ou  du  directeur.  »  Pp.  48-49. 

«  Il  importe  peu  que  le  sujet  de  l'opéra  soit  historique...,  mais 
il  devra  mettre  toute  son  attention  à  ce  que  le  nombre  des  vers 
ne  dépasse  pas  douze  cents.  »  P.  52. 

«  Quand  le  poète  aura  remis  le  livret  de  l'opéra,  l'imprésario 
ira  d'abord,  avant  même  d'en  avoir  pris  lecture,  le  faire  voir  à 
la  prima  donna,  qu'il  priera  de  vouloir  bien  l'entendre.  Si  elle  y 
consent,  devront  aussi  assister  à  la  lecture  le  protecteur,  l'avo- 
cat, le  souffleur,  le  portier,  un  comparse,  le  tailleur,  le  copiste, 
l'ours,  le  domestique  du  protecteur,  etc.  Chacun  d'eux  émettra 
son  opinion,  désapprouvant  ceci,  cela,  et  le  directeur  répondra 
gracieusement  qu'il  fera  remédier  à  tout.  Il  remettra  le  poème 
au  maître  de  chapelle  le  quatrième  jour  du  mois,  en  lui  disant 
qu'il  faut  absolument  que  l'opéra  soit  mis  en  scène  le  dou- 
zième. »  Pp.  106 -'107. 

«  Lorsqu'il  se  trouvera  avec  des  chanteurs,  et  particulièrement 
des  castrats,  le  compositeur  leur  offrira  toujours  sa  dextre,  et 
se  tiendra  chapeau  bas  et  un  peu  en  arrière.  »  P.  68. 

«  Si  la  seconda  donna  se  plaignait  de  ce  que  son  rôle  ne  con- 
tienne pas  autant  de  notes  que  celui  de  la  première,  il  la  con- 
solera en  égalisant  le  nombre  au  moyen  de  vocalises  intercalées 
dans  les  airs,  de  ritournelles,  de  passages  de  bon  goût  ou  de 
toute  autre  chose.  »  P.  73. 

«  L'air  ne  s'attachera  par  aucun  lien  au  récitatif,  mais  le  poète 
fera  son  possible  pour  y  introduire  à  tout  bout  de  champ  les 
mots  papillon,  rossignol,  caille,  nacelle,  jasmin,  violette,  tigre,  lion, 
baleine,  écrevisse,  dindonneau,  chapon  froid,  etc.  »  P.  55. 

«  Si  le  sujet  du  drame  voulait  que  deux  époux  se  trouvassent 
ensemble  en  prison  et  que  l'un  des  deux  dût  mourir,  il  sera 
indispensable  que  le  survivant  demeure  en  scène  et  chante  un 
air  sur  des  paroles  badines  ou  gaies,  afin  de  dissiper  la  tristesse 
du  public...  —  Quand  deux  personnages  devront  échanger  des 
•  serments  d'amour  ou  tramer  des  complots,  des  embûches,  etc., 
ils  ne  le  feront  qu'en  présence  des  pages  et  des  comparses.  » 
P.  57. 

«  Si  la  cantatrice  doit  faire  jeter  dans  les  fers  un  personnage 
et  qu'elle  doive  chanter  un  air  d'imprécation,  il  n'y  aura  pas 
d'inconvénient  à  ce  que.  pendant  la  ritournelle,  elle  cause  et 
rie  avec  lui,  qu'elle  lui  désigne  les  masques  des  loges,  etc.  » 
P.  102. 

«  Si  le  chanteur  représente  un  esclave,  un  prisonnier  dans 
les  fers,  il  apparaîtra  bien  poudré,  avec  un  habit  couvert  de 
pierreries,  un  casque  très  élevé,  une  épée,  des  chaînes  bien 
longues  et  bien  brillantes  qu'il  fera  résonner  à  tout  moment.  » 
Pp.  79-80. 

(1)  Les  renvois  sont  indiqués  d'après  la  traduction  d'EnsEST  David  :  Le  Tncàtre  à  la 
mode  de  Benedetto  Marcello  (Fischbacher,  1890),  a  laquelle  nous  empruntons  les  ci- 
ations.  .  | 


«  LorsquV/  sera  en  scène  avec  un  autre  acteur  qui,  suivan 
l'exigence  du  drame,  s'adressera  à  lui  en  chantant  un  air,  il 
n'y  fera  pas  attention;  il  saluera  les  masques  dans  les  loges, 
sourira  aux  instrumentistes  et  aux  comparses,  afin  que  le  public 
comprenne  bien  qu'il  est  le  signor  Alipio  Forconi,  musico,  et  non 
le  prince  Zoroastre  qu'il  représente.  »  P.  78. 

Gluck  n'avait  donc  pas  tort  quand,  cinquante  ans  après  Mar- 
cello, écrivant  dans  un  autre  style,  mais  appuyant  son  affir- 
mation par  la  composition  d'Alcesle,  il  venait  déclarer  que 
l'opéra  italien  était  le  spectacle  «  le  plus  ridicule  ». 

Or,  les  interprètes  et  les  décors,  pour  être  parmi  les  éléments 
constitutifs  de  l'opéra  ceux  qui  se  trouvent  le  plus  immédia- 
tement en  contact  avec  le  spectateur,  sont  aussi  les  plus  passa- 
gers, les  plus  précaires  :  y  subordonner  les  éléments  durables 
de  l'œuvre  d'art,  musique  et  poésie,  c'est  vouer  ceux-ci  à  périr 
en  même  temps. 

Le  peintre  et  le  poète 

Laissent  en  expirant  d'immortels  héritiers. 
Jamais  l'affreuse  nuit  ne  les  prend  tout  entiers. 

C'est  précisément  en  déplorant  la  perte  d'une  des  plus  grandes 
virtuoses  dont  l'histoire  de  l'art  musical  ait  gardé  le  souvenir 
que  Musset  a  été  amené  à  formuler  l'idée  contenue  dans  ces 
vers.  Oui  :  le  virtuose  disparaît,  sans  laisser  après  lui  qu'un 
souvenir  qui  bientôt  s'efface;  mais  l'artiste  créateur  lègue  son 
œuvre  à  l'avenir.  Quelle  est  donc  sa  faiblesse  si,  au  lieu  d'y 
mettre  sa  pensée  même,  il  s'abaisse  à  flatter  le  caprice  de  celui 
qui  ne  représente  que  le  moment  qui  passe?  Si  c'est  à  cela  qu'il 
borne  son  ambition,  il  peut  reprendre  pour  lui  le  mot  d'un  ora- 
teur :  «  Périsse  ma  mémoire!  »  Il  ne  laissera  rien  de  lui. 

C'est  pour  avoir  méconnu  cette  vérité  que  les  maîtres  —  de 
grands  maîtres,  certes,  —  qui  furent  entraînés  par  la  force  des 
choses  à  concevoir  l'opéra  tel  qu'il  fut  pratiqué  en  Italie  pendant 
le  XYIII"  siècle,  n'ont  créé  qu'une  œuvre  impuissante  à  survivre. 
Genre  artificiel,  tout  d'apparence  et  d'éclat  extérieur,  il  ne  par- 
tagera pas,  nous  pouvons  le  croire,  l'heureux  sort  d'autres  pro- 
ductions du  passé  qui,  après  de  longs  siècles  d'oubli,  n'ont  eu 
qu'à  reparaître  à  la  lumière  pour  reprendre  une  vie  nouvelle, 
car  la  vie  ne  s'en  était  jamais  retirée.  Lui,  il  est  mort  et  bien 
mort.  Certes,  dans  l'ensemble  considérable  de  ses  productions, 
il  peut  se  retrouver  de  belles  choses.  Malgré  tout,  le  génie  mu- 
sical, si  comprimé  soit-il,  finit  toujours  par  trouver  un  moyen  de 
s'épandre.  Ce  serait  chose  vraiment  trop  désolante  s'il  ne  pouvait 
absolument  rien  rester  d'œuvres  où  Scarlatti,  Pergolèse,Hfendel, 
Porpora,  Léo,  Hasse,  et  tant  d'autres,  ont  mis  le  meilleur  de  leur 
génie!  Il  en  subsiste,  en  effet,  des  pages  musicales,  et  qui  sont 
admirables.  Mais  ce  ne  sont  pas  des  œuvres  :  ce  ne  sont  que 
des  morceaux.  Et  trouvàt-on  un  opéra  italien  dont  toutes  les 
parties  seraient  parfaitement  belles  que  l'ensemble  n'en  consti- 
tuerait pas  encore  un  chef-d'œuvre  complet,  parce  que  le 
genre,  de  par  son  erreur  fondamentale,  était  impuissant  à  pro- 
duire des  chefs-d'œuvre. 

C'est  dans  ce  genre  que  Gluck  allait  rester  emprisonné  pen- 
dant trente  ans. 

[A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Comédie-Française.  —  Première  représentation  :  tes  Deux  Hommes. 
comédie  en  quatre  actes,  de  M.  Alfred  Capus. 

On  peut  considérer  M.  Alfred  Capus  comme  celui  de  nos  auteurs  de 
comédie  que  préfère  cette  partie  du  public  pour  qui  l'évocation  d'une 
vie  élégante,  facile,  heureuse,  traversée  de  petits  chagrins  et  de  grands 
bonheurs,  présente  un  très  vif  attrait.  Aussi,  l'apparition  des  Deux 
Hommes  à  la  Comédie-Française  était-elle  attendue  avec  une  certaine 
curiosité.  On  savait  que  l'écrivain  théâtral  s'y  révélerait  sous  un  jour 
tout  nouveau  et  présenterait  au  public  un  ouvrage  à  tendances  très 
arrêtées,  une  pièce  à  thèse  en  un  mot. 

Cette  thèse,  voici  comment  l'auteur  des  Deux  Homme*  semble  l'avoir 
conçue.  L'homme  qui  veut,  à  notre  époque,  sortir  victorieux  de  la 
lutte  quotidienne  pour  la  vie,  doit,  non  seulement  s'armer  d'intelli- 


LE  MENESTREL 


gence  et  d'activité,  mais  s'alléger  autant  que  possible  des  scrupules  et 
des  délicatesses  de  sentiment,  car  ce  sont  là  de  -véritables  entraves. 
S'il  ambitionne  la  fortune,  qu'il  aille  droit  au  but,  sans  s'inquiéter  des 
fleurs  parfumées  qu'il  piétine  sur  sou  chemin  à  chaque  étape  de  la  vie. 
Sa  moralité  doit  avoir  pour  base  la  crainte  des  tribunaux  ;  il  faut  qu'il 
soit  inaccessible  aux  reproches  de  sa  conscience.  Tel  est  «  l'honnête 
homme  d'aujourd'hui  ».  En  opposition  avec  lui  se  place  «  l'honnête 
homme  d'autrefois  »,  celui  dont  la  droiture  native  s'effraie  des  compro- 
mis. Sa  conviction  intime  est  que,  s'il  entrait  dans  la  mêlée,  il  serait 
fatalement  parmi  les  vaincus.  Sa  prudence  lui  conseille  donc  de  vivre 
à  l'écart;  il  se  consolera  de  l'insignifiance  de  son  rôle  par  une  sereine 
philosophie. 

Ces  deux  hommes,  M.  Alfred  Capus  les  met  en  face  l'un  de  l'autre  et 
nous  les  représente  dans  une  belle  atmosphère  où  déborde  la  vie, 
comme  il  sait  les  créer  avec  un  incontestable  talent.  Les  caractères  de 
ses  deux  personnages  principaux  manquent  toutefois  de  la  précision 
qui  permettrait  au  spectateur  de  voir  nettement  l'abîme  qui  les  sépare; 
ils  restent  flottants,  et  parfois  même  les  actes  qu'ils  produisent  demeu- 
rent incompréhensibles. 

Marcel  Delonge,  spirituel  et  de  physique  agréable,  traverse  l'existence 
en  dilettante.  Il  possède  douze  mille  francs  de  rente,  une  misère  au 
théâtre,  et  s'avoue  incapable  d'augmenter  ce  revenu  par  le  travail. 
Il  se  croit  sûr  â  l'avance,  quelque  effort  qu'il  fasse  pour  prendre  part 
aux  luttes  d'où  l'on  sort  parfois  riche  et  comblé  d'honneurs,  d'être 
meurtri,  d'être  broyé  par  les  autres,  et  cela,  parce  qu'il  veut  suivre  sa 
route  avec  loyauté,  franchise  et  droiture.  Au  fond,  cette  soi-disant 
résignation  est  d'un  esprit  faux  et  cache  une  incurable  mollesse.  Il 
pourrait,  s'il  le  voulait,  accomplir  une  tâche  modeste  sans  violer  ses 
jjriucipes  d'équité. 

Marcel  visite  assidûment  une  vieille  amie  des  siens,  Mmc  Salvier, 
qui  possède  un  somptueux  hôtel  et  y  retient  pour  un  mois  comme 
hôtes  ses  cousins.  Paul  Champlin  et  sa  femme  Thérèse.  Paul  est  un 
jeune  avocat  un  peu  trivial,  mais  plein  de  faconde.  Il  jouit,  à  Dijon, 
d'une  grande  réputation.  Dévoré  d'ambition,  il  veut  profiter  de  son 
séjour  à  Paris  pour  se  faire  présenter  à  Bridou,  le  «  Xucingen  »  du 
jour,  financier  véreux  mais  possesseur  d'une  grosse  fortune,  et  qui  est 
actuellement  en  procès  avec  le  département  de  la  Côte-d'Or. 

Thérèse  Champlin  a  fait  un  mariage  dans  lequel,  à  défaut  d'amour, 
l'estime  rapprocha  les  époux.  Femme  éprise  de  tous  ses  devoirs,  elle 
repousse  avec  une  réserve  délicieuse  les  assiduités  de  Marcel.  Celui-ci, 
tout  en  continuant  de  l'aimer,  tourne  les  yeux  vers  Jacqueline  Evrard . 
que  ses  intimes,  Bridou,  le  comte  Anthéor  et  autres  ne  quittent  jamais 
sans  lui  faire  de  sérieux  cadeaux  en  or  ou  en  billets  de  banque.  Marcel 
ne  l'ignore  point,  aussi  son  caprice  pour  cette  aventurière  nous  sem- 
ble-t-il  invraisemblable.  L'intrigue  se  resserre  pendant  une  soirée  qui 
réunit  chez  Jacqueline  son  ancienne  amie  do  couvent,  Thérèse  Cham- 
plin, et  tous  les  personnages  déjà  connus.  Jacqueline  voudrait  épouser 
Marcel  et  ose  le  lui  dire,  mais  il  aime  Thérèse  et  refuse;  alors  elle 
s'offre  â  lui  sans  conditions  :  il  la  repousse  encore.  Humiliée,  elle  jure 
de  se  venger. 

Comment  y  parviendra-t-elle  ?  Oh  !  sans  beaucoup  de  peine.  Elle 
séduit  Paul  Champlin.  l'enlève  à  Thérèse,  et  le  fait  accepter  par  Bri- 
dou comme  chef  du  contentieux  dans  sa  banque.  En  outre,  elle  réussit 
à  ruiner  Marcel,  â  qui  Bridou,  sur  ses  instances,  a  donné  de  perfides 
indications  financières.  Champlin  va  donc  quitter  Thérèse.  «  Adieu, 
lui  dit-il,  il  faut  que  je  retourne  auprès  de  Jacqueline.  Je  suis  en  son 
pouvoir,  pris  comme  dans  une  trame  ;  je  vais  être  riche,  mais  je  serai 
bien  malheureux...  »  Ici,  l'on  commence  à  ne  plus  bien  comprendre  : 
Thérèse,  qui  s'est  toujours  désespérément  rattachée  à  l'idée  du 
devoir,  à  l'amour  qu'elle  a  pour  sa  fille,  n'aurait  qu'à  tendre  la  main  à 
son  mari,  â  lui  jeter  un  cri  venu  de  son  cœur,  pour  reconquérir,  sinon 
le  bonheur,  du  moins  la  paix  de  son  foyer.  Nous  attendions  cet  élan, 
cett;  révolte  de  l'âme  endolorie...  Non,  rieu  n'est  venu.  «  Il  est  riche, 
le  malheureux  »,  dit  la  jeune  femme,  et  elle  laisse  partir  son  mari  qui 
s'éloigne  honteux  et  méprisé,  avili.  La  pièce  finit  là. 

Thérèse  retournera-t-elle  vers  Marcel  pour  vivre  avec  lui  après  un 
divorce  ?  Marcel  osera-t-il  maintenant  essayer  de  gagner  sa  vie,  chose 
déclarée  impossible  au  premier  acte  de  cette  comédie  ?  Ou  ne  sait.  Pas 
plus  que  l'homme  sans  scrupules,  l'homme  de  sentiment  n'est  â  envier. 
Paul  et  Marcel  sont  également  misérables.  Une  seule  personne  triomphe, 
c'est  Jacqueline.  Elle  est  riche,  fêtée,  adulée,  et  peut  savourer  sa  ven- 
geance. 

Tout  n'est  donc  pas  entièrement  clair  dans  cette  pièce,  mais  sa  belle 
tenue  littéraire  et  l'agrément  de  ses  situations  lui  ont  valu  un  très  beau 
succès.  Elle  a,  de  plus,  des  interprètes  de  tout  premier  ordre.  M™  Bartet 
est  une  Thérèse  Champlin  incomparable  par  la  grâce  et  le  charme,  la 


discrétion  et  la  mesure.  M  '  Sorel  nous  a  montré  une  Jacqueline 
Evrard  aux  coquetteries  perverses,  très  plastique  iiu  atours. 

M.  Le  Bargy,  dans  le  rôle  di£B  farcelDelo  'toutes 

les  ressources  d'un  talrnt  lin  el  ■  i  «  -I  ï  «  -ai.  (juanl  à  M        I  il  nous 

a  présente  un  Paul  Champlin  consciem  ieusement  étudié  dans  toutes 
les  nuances  de  son  caractère.  M""'  Pierson  mérite  aussi  d'être  distin- 
guée et  il  faut  nommer  encore  MM.  Ravet,  Garay,  Lafon,  Laty, 
\jmcs  Provost  et  Faylis  pour  n'oublier  persoi 

La  mise  en  scène  a  été  comprise  d'une  façon  toul  artistique  el 
somptueuse.  Quelques-uns  ont  pensé  pourtant  que  le  lu\e  princier  des 
tentures  et  des  ameublements  n'était  pas  ici  de  rigueur  el  pouvait 
paraître  excessif  dans  des  habitations  qui  ue  sont  pas  des  palais. 

Amedée  Boi  i  wu.i.. 


PETITES   NOTES   SANS   PORTÉE 


CXXVII 
UX  DOCUMENT  INAPERÇU  SUR  L'ORCHESTRATION 
DES   MAITRES 
A  M.  Maurice  Emmanuel,  commentateur  érn/lil 
des  programme»  de  /a-  Soi  iétédi    t    ncerlf. 

En  écoutant  l'Orage  beethovénien  de  la  Symphonie  pastorale  tourbil- 
lonner, terrifiant,  rapide  et  sobre,  sous  la  bagunt-'  Imagée  de  Marty, 
notre  émotion  se  reporte,  une  fois  de  plus,  à  la  magistrale  proposition 
que  Berlioz  admirait  chez  Gluck  :  «  Que  les  instruments  ne  doivent  tire 
mis  en  action  qu'en  proportion  du  degré  d'intérêt  ou  de  passion.   > 

C'est  la  loi  fondamentale  de  la  progression,  (qui  <■■  gil  loui  poème  dra- 
matique) appliquée  aux  éléments  du  drame  orchestral,  du  poème  sans 
paroles.  Et  c'est  encore  un  document,  si  l'on  veut,  sur  la  physionomie  de 
la  Musique. 

Ce  n'est  pas  la  première  fois  que  Berlioz,  le  plus  classique  des  roman- 
tiques, nous  fait  remonter  à  Gluck,  le  plus  romantique  des  classiques  :  â 
l'automne,  nous  avons  déjà  constatél'accordentreles  plus  expressifs  génies 
de  notre  scène,  et  qui,  pourtant,  ne  se  faisaient  jamais  faute  de  trans- 
porter uu  morceau  d'une  œuvre  dans  une  autre,  pourvu  irae  la  situation 
fût  analogue  :  de  là,  quelques  nouvelles  réflexions  sur  la  signification, 
moins  expressive  que  suggestive,  et,  pour  ainsi  dire,  métaphorique,  de 
l'art  musical,  —  le  tout  pour  aboutir  à  cette  conclusion  brève  autant 
que  provisoire  :  «  L'auteur  reflété  dans  son  œuvre  »  (1). 

Aujourd'hui,  mais  sur  un  point  plus  particulier,  l'accord  parfait  se 
répète.  Et  cette  proposition  que  Berlioz  approuvait  dans  l'épitre  dédi- 
catoire  â  l'archiduc  Léopold,  grand-duc  de  Toscane,  qui  sert  de  préface 
à.l'Alceste  italienne,  est  un  principe  éminemment  classique  :  c'est  la 
loi  du  crescendo  de  l'effet  par  la  sobriété  des  moyens,  c'est-à-dire  une 
des  meilleures  définitions  du  style.  On  pourrait  ajouter  :  le  style  dans 
la  couleur;  car  la  couleur,  sonore  ou  silencieuse,  a  son  style:  et  cet 
indéfinissable  mot  n'est  point  le  privilège  de  la  ligne. 

Il  ne  serait  pas  impossible  de  contrôler  les  actes  avec  les  paroles 
(bien  que  le  génie  ressemble  à  ce  prédicateur  idéal  qui  disait  à  ses 
ouailles  :  Faites  ce  que  je  vous  dis,  et  ne  faites  pas  ce  que  je  fais 
montrer  que  le  grand  Gluck,  aussi  bien  que  son  génial  élève  Berlioz,  s'est 
conformé  d'instinct  à  cette  loi  de  beauté.  Quand  on  l'énonce,  on  entend 
aussitôt  l'infernale  clameur  des  trombones  sous  les  Non!  véhéments 
des  démons  d'Orphée;  on  évoque  la  couleur  sombre  de  l'ouverture 
à'Alceste  où,  plus  beiiiozien  que  Berlioz,  Gluck  voyait  ambitieusement 
«  le  sujet  de  la  pièce  »;  on  est  saisi  d'horreur  tragique,  au  seuil  de 
l'ouverture  plus  musicale  à'Iphigénie  en  Aulide,  à  cette  lamentation 
majestueusement  digne  de  Haendel,  avant  l'explosion  de  la  despotique 
sonorité:  l'admirative  érudition  de  Berlioz  nous  rappelle  que  les  tim- 
bales se  taisent  dans  Orphée  comme  dans  Alceste.  que  la  grosse  caisse 
sans  cymbales  n' apparaît  qu'au  dernier  chœur  de  la  première  /,. 
et  que,  dans  la  seconde,  la  percussion,  dite  autrefois  «  musique  turque  », 
n'accompagne,  en  les  soulignant,  que  les  barbares  '-bats  des  Scythes. 

Et  la  Fantastique  de  1830  !  Quel  moins  paradoxal  exemple  de  sobriété  ? 
Malgré  ses  sauvages  «  passions  »,  le  premier  temps  se  contente  de 
l'orchestre  classique;  le  Bal  vaporeux  impose  silence  a  tout  éclat:  dans 
la  Scène  aux  Champs,  c'est  l'orchestre  de  Mozart,  additionné  îles  eha  ■ 
lumeaux  champêtres  et  des  roulements  discrets  d'un  tonnerre  lointain: 
les  trombones  et  les  étineelantes  cymbales  ne  luisent  que  dans  la  nuit 
de  la  Marche  au  supplice:  et  tout  le  crescendo  se  refoule  éperdùmenl 
dans  le  Sabbat  final,  où  des  connaisseurs  aperçoivent  comme  un  éclair 
avant-coureur  de  la  palette  magique  du  Crépuscule  des  dieux. 

Mais  rendons  à  César...  Aux  érndits  de  nous  analyser  l'orchestre  de 


i  (1)  Voir  le  Ménestrel  des  il  et  il)  octobre  19u7  et  du  1 1  jam  ier  190S. 


28 


LE  MÉNESTREL 


leur  prédilection  !  A  notre  confrère  Julien  Tiersoi,  i  orchestre  ue  Gluck  ; 
à  notre  confrère  Adolphe  Boschot,  l'orchestre  de  Berlioz  ;  et  bonne 
chance  à  leurs  prochains  livres  !  Notre  enquête  ne  retiendra  que  l'Orage 
beethovénien  de  la  Pastorale. 

On  a  beaucoup  écrit  sur  ce  paysage  musical,  où  l'auteur  voyait 
plutôt  des  «  sentiments  »  qu'une  «  peinture  »,  et  sur  cet  orage  qui 
nous  étreint  dés  le  ré  bémol  angoissant  des  basses...  On  a  loué  sa 
sobriété  rapide,  qui  nous  «  terrifie  «  avec  un  fracas  modeste  et  des 
moyens  rudimentaires  :  on  a  vanté  sa  candide,  mais  incomparable 
violence,  où  les  dissonances  harmoniques  n'apparaissent  pas,  où  les 
trombones  ne  clament  que  tard:  et  le  commentateur  du  programme,  à 
qui  sont  dédiées  ces  lignes,  explique  à  propos  «  l'humanité  »  de  ce 
paysage  instrumental.  Mais  une  observation  qu'on  n'a  jamais  faite, 
c'est  que  cette  terreur  dépend  d'une  progression  d'orchestre,  et  non  pas 
seulement  dans  l'orage  éphémère,  mais  dans  l'ouvrage  tout  entier  : 
contrairement  aux  procédés  classiques  des  Haydn  et  des  Mozart,  et  de 
Beethoven  lui-même,  faisant  sonuer  trompettes  et  timbales  dès  le  pre- 
mier tutti  de  la  symphonie  qui  nous  tient  aussitôt  sous  son  talon  puis- 
sant, le  premier  temps  joyeux  de  la  Pastorale,  aussi  naïvement  que  le 
Bal  futur  de  la  Fantastique,  ne  fait  appel  qu'aux  douceurs  conjuguées 
du  quatuor  et  de  l'harmonie  renforcée  des  cors;  le  second  temps,  au  bord 
du  ruisseau,  n'est  que  gazouillements  et  fluidités;  les  trompettes  ne 
se  réveillent  qu'au  troisième  temps,  à  l'arrivée  des  lourds  monta- 
gnards dans  la  ronde  interrompue  par  l'orage... 

Btvoici  le  secret,  bien  simple,  de  l'orchestration  beethovénienne  :  les 
timbales  se  sont  tues  jusqu'au  premier  pas  des  géants  du  ciel  :  ne  sont- 
elles  point  réservées  par  le  paysagiste  à  personnifier  la  fcudre?  Donc, 
jusqu'au  premier  éclair,  le  timbalier  se  repose,  lacet...  et  le  timbalier 
du  Conservatoire  est  le  tonnerre  incarné.  Les  trompettes  redoublent  de 
rage,  la  petite  flûte  siffle,  et  puis  deux  trombones  espacent  leurs  cla- 
meurs dans  le  déluge  passager...  Le  roulement  des  timbales  s'éloigne 
et  s'éteint  sous  les  baguettes  spongieuses...  Leur  rôle  est  fini,  puisque 
la  colère  du  ciel  et  du  maître  est  passée... 

Mais  pourquoi  les  deux  trombones  reparaissent-ils  bientôt  jusqu'aux 
derniers  accords  du  finale  d'actions  de  grâce?  Pour  équilibrer  l'en- 
semble et  réchauffer  la  joie- qui  paraîtrait  froide  après  le  tourbillon 
fugitif.  C'est  là  que  se  montre  la  haute  raison  du  génie  beethovénien; 
le  peintre  de  la  Pastorale,  aussi  bien  que  le  poète  de  l'Ut  mineur,  con- 
naît la  loi  de  la  progression;  sa  palette  est  puissamment  ordonnée 
comme  son  âme  :  le  chœur  de  ses  neuf  Muses  symphoniques  ne 
chante-t-il  pas  lui-même  un  étonuant  crescendo  (1)  couronné  par  le 
finale  de  la  Neuvième,  où  les  voix  s'unissent  à  tous  les  instruments 
au  sein  de  la  fraternité  triomphante  ? 

Et  ce  n'est  pas  seulement  ce  chœur  idéal  qui  nous  propose  l'exemple 
harmonieux  du  grand  art,  mais  un  simple  concerto  pour  piano,  le 
quatrième,  en  sol,  de  1806:  regardez  la  grande  partition  de  son  premier 
allegro,  si  cordialement  héroïque  et  généreux  :  pas  une  note  violente 
non  plus  !  Ni  trompettes  ni  timbales  :  et  pourquoi  ?  Pour  ménager,  dans 
l'andante  suivant,  la  toute-puissance  mystérieuse  des  basses...  Et 
quand  le  nuage  a  passé,  les  classiques  sonneries  bondissent  allègre- 
ment dans  le  rondo  final,  entre  deux  oasis  si  fraîchement  contrastées 
où  le  piano  rêve.  Môme  crescendo  des  moyens  dans  le  premier  acte 
intime  et  dans  toute  la  partition  de  Fidelio,  ce  chef-d'œuvre  méconnu 
de  la  progression  dramatique,  où  les  trombones  se  déchaînent  au  qua- 
tuor de  la  prison,  cet  orage  des  âmes. 

Encore  très  gluckiste  et  déjà  berliozien,  Beethoven  s'impose  souve- 
rainement à  l'intersection  de  ces  deux  génies;  avec  plus  de  savantes 
ressources  que  Gluck  et  moins  de  libertinage  érnu  que  Berlioz,  Beetho- 
ven demeure  (et  quoi  qu'on  en  dise)  un  maître  en  l'art  d'orchestrer. 
Enfin,  l'orage  de  la  Pastorale,  comme  l'enfer  d'Orphée,  perpétue,  devant 
nos  sens  éphémères,  cette  «  belle  simplicité  »  que  le  grand  Gluck 
enviait  aux  Tragiques  d'Athènes  ;  et  les  trombones  beethovéniens,  en 
sonnant  leurs  octaves,  évoquent  naturellement  la  majesté  de  la  Genèse 
traduite  au  plafond  de  laSixtine  ou  dans  les  Saiso?ts  de  notre  Poussin. 
«  Belle  simplicité  »,  capable  de  réconcilier  le  Jéhovah  de  Michel-Ange 
avec  le  Satan  de  Milton,  et  qu'oubliait  un  instant  la  poétique  flamboyante 
de  Victor  Hugo  (2)  quand  son  ironie  prêtait  ce  vers  à  la  caducité  de 
ses  détracteurs  : 

L'Hippocrène  est  de  l'eau;  donc,  le  Beau,  c'est  le  sobre. 
(A  suivre.)  Ray.mo.\d  Botjykh 

(l.i  II  y  a  quelque  chose,  déjà,  de  cetle jirjgrtssiun  voulue  dans  la  trilogie  sympho- 
nique de  Mozart  (juillet-août  1788),  qui  commence  par  l'introduction  de  la  symphonie. 
en  mi  bémol  pour  aboutir  à  la  fugue  finale  de  Jupiter,  en  passant  par  la  demi - 
teinte  intentionnelle  de  la  délicieuse  symphonie  en  sol  mineur,  un  Gabriel  de  Sain  - 
Aubin  sous  un  jour  pluvieux... 

(il  L'ail  poétique  révolutionnaire  de  Victor  Hugo  se  trouve  dans  les  deux  pièces 
des  Contemplations  (I,  7  et  26). 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts-Colonne.  —  Une  interprétation  supérieurement  comprise  et  réa- 
lisée a  fait  ressortir,  dans  sa  mystique  douceur  et  dans  tout  son  éclat,  l'admi- 
rable beauté  du  morceau  symphonique  de  Rédemption  de  César  Franck.  La 
Symphonie  espagnole  d'Edouard  Lalo  a  pris,  sous  l'archet  de  M.  Jacques  Thi- 
baud,  un  caractère  tout  particulier.  L'empreinte  des  mélodies  populaires  ibé- 
riques, qu'en  dépit  de  son  titre  cette  suite  d'orchestre  avec  violon  principal  ne 
possède  que  d'une  façon  tout  accidentelle,  l'exécutant  a  su  la  lui  donner  en  la 
jouant  avec  les  inflexions  voluptueuses  d'une  sensualité  pleine  de  langueur. 
Il  a  montré  d'ailleurs  que  son  talent  peut  rester  entièrement  sobre  et  clas- 
sique en  nous  faisant  entendre,  dans  un  rendu  superbe  et  une  incomparable 
virtuosité,  la  Chaconne,  pour  violon  seul,  de  Bach,  arrivant  ainsi  à  présenter 
toujours  les  grandes  lignes  du  thème  avec  toute  leur  ampleur  et  leur  noble 
simplicité.  —  L'œuvre  tripartite  de  M.  Claude  Debussy,  la  Mer,  n'a  pas  d'autre 
prétention  que  d'être  une  esquisse  symphonique.  Ce  n'est  donc  pas  un 
ouvrage  de  forme  irréprochable  et  de  coloris  somptueusement  combinés. 
L'auteur,  séduit  pendant  un  séjour  dans  l'île  de  Jersey  par  l'éclat  chatoyant 
de  ce  qu'il  a  vu,  par  le  rythme  ondoyant  de  ce  qu'il  a  entendu,  en  a 
fixé  l'effet  au  moyen  de  traits  hardis  et  éclatants  et  de  coups  de  pin- 
ceau d'une  large  touche,  si  toutefois  l'on  peut  employer  ces  termes  de 
peinture  quand  il  s'agit  dt  la  palette  orchestrale.  Tout  cela  est  un  peu 
lâché,  mais,  l'imagination  aidant,  on  reconstitue  l'ensemble  d'après 
les  détails.  Ainsi  l'on  peut  achever  soi-même  le  tableau  et  trouver  du  plaisir 
à  cette  reconstitution.  Les  trois  morceaux  qui  constituent  ces  «  Esquisses 
symphoniques  »  :  «  De  l'aube  à  midi  sur  la  mer,  Jeux  des  vagues,  Dialogue  du 
vent  et  de  la  mer  '»,  nous  représentent  tour  à  tour  les  frissons  moirés  des 
eaux  sous  les  changeantes  clartés  du  matin,  le  rythme  berceur  et  caressant 
des  vagues,  l'onde  qui  vient  mourir  sur  le  sable  ou  se  briser  contre  le  rocher 
pour  retomber  en  petites  cascatelles  ou  en  pluie  d'écume,  enfin  la  double 
voix  du  vent  et  de  la  mer.  tantôt  légère  et  câline,  tantôt  furieuse  et  déchai- 
née.  Tout  cela,  est-ce  de  l'art?  Ou  mieux,  est-ce  de  la  musique  ?  Ce  sont 
plutôt  des  essais,  des  tentatives  dont  les  compositeurs  du  présent  ou  de 
l'avenir  prendront  ce  qui  leur  conviendra.  La  manière  discrète  dont  l'artiste 
nous  a  présenté  son  œuvre  nous  interdit  une  critique  de  principes,  on  a  tou- 
jours le  droit  de  tenter  de  nouvelles  voies.  Nous  pouvons  cependant  espérer 
que  M.  Debussy  pourra  bientôt,  puisqu'il  est  arrivé  à  l'âge  où  la  vie  s'épanouit 
dans  sa  maturité,  à  quarante-cinq  ans,  nous  offrir  le  résultat  définitif  et 
complet  de  son  effort,  son  «  chef-d'œuvre  »  en  un  mot.  Cette  première  audi- 
tion de  la  Mer,  dirigée  par  le  maître,  non  sans  de  laborieux  travaux  de  mise 
au  point,  n'en  reste  pas  moins  belle  et  intéressante.  Le  public  a  couvert 
d'ovations  le  compositeur,  exagérant  la  manifestation  afin  de  protester  contre 
quelques  sifflets.  Le  concert  s'est  terminé  par  la  45e  audition  de  la  Symphonie 
fantastique  de  Berlioz,  dans  laquelle  l'orchestre  et  son  chef  se  sont  montrés 
dignes  de  tous  les  éloges  ;  l'auditoire  les  a  chaleureusement  acclamés. 

A.llÉDÉE   BoCTAREL. 

—  Concerts-Lamoureux.  —  Pour  la  deuxième,  fois,  M.  Vincent  d'Indy  diri- 
geait l'orchestre.  Il  s'y  est  montré  un  chef  accompli,  au  geste  sobre,  à  la 
volonté  nette  et  clairement  exprimée  avec  une  simplicité  de  moyens  vraiment 
impressionnante;  l'exécution,  qu'il  s'agisse  de  ses  propres  œuvres  ou  de  celles 
d'autrui,  fut  d'une  rare  précision  et  d'une  coloration  ,  d'une  vie  intenses. 
L'orchestre  en  ce  jour  s'est  surpassé.  Ce  fut  d'abord  l'ouverture  d'Iphigénie  en 
Aulide  de  Gluck,  avec  la  péroraison  de  Wagner,  puis  les  exquises  Eotides  de 
César  Franck  aux  rythmes  berceurs,  aux  sonorités  enveloppantes  et  diaprées. 
D'importants  fragments  du  Dardanus  de  Rameau  venaient  ensuite.  Et  cette 
musique  vieille  de  près  de  deux  siècles,  que  d'aucuns  pouvaient  s'attendre  à 
ne  trouver  intéressante  qu'au  seul  point  de  vue  rétrospectif,  s'est  révélée  éton- 
namment jeune  et  vigoureuse,  d'une  vérité,  d'une  profondeur  d'accent  tenant 
du  prodige.  Le  délicieux  air  du  3e  acte,  où  Mlle  Marthe  Philipp  fut  fort  appré- 
ciée, l'air  de  basse  du  4e  acte,  «  Monstre  affreux  »,  dont  la  voix  mordante  de 
M.  Louis  Bourgeois  souligna  le  caractère  tragique  et  véhément,  surtout  les 
ravissants  airs  de  ballet  (Menuet,  Rondtau  du  sommeil  et  Rigaudon),  furent  pour 
beaucoup  d'auditeurs  une  révélation  qui  se  mua  bientôt  en  applaudissements 
frénétiques.  Quelle  est  l'œuvre  contemporaine  qui,  au  XXIIe  siècle,  pourra 
exciter  pareil  enthousiasme  chez  nos  arrière-petits-neveux?...  Le  reste  du 
programme  comprenait  deux  pièces  instrumentales  de  M.  d'Indy,  fort  diffé- 
rentes d'importance  et  de  caractère  :  Sauge  fleurie,  légende  pour  orchestre, 
page  purement  descriptive,  d'ailleurs  pleine  de  charme,  de  poésie  et  de  pitto- 
resque, et  la  Symphonie  en  si  bémol  dont  il  a  été  déjà  rendu  compte  ici  lors 
de  la  première  exécution  en  mars  1904,  et  qui,  par  l'élévation  de  la  pensée,  la 
noblesse  de  l'ensemble,  la  logique  de  la  construction,  la  richesse  des  dévelop- 
pements et  de  la  parure  instrumentale,  semble  être  jusqu'ici  le  chef-d'œuvre 
du  maitre-musicien.  Une  ovation  prolongée  salua  M.  d'Indy  à  la  fin  du  concert. 

J.  Jemain. 

—  Programmes  des  conceits  de  demain  dimanche  : 

Conservatoire  :  Symphonie  en  si  bémol  (Schumann).  —  Au  temps  d'Holberg,  suite 
dans  le  style  ancien,  1"  audition  (Edouard  Grieg).  — Concerto  de  violon  (Beethovem, 
par  M.  Maurice  Hayot.  —  Chœurs  sans  accompagnement  :  A.  Adoremus  le  (G.  Coisii; 
B.  Cruci/ixus  à  8  voix  (Lotti)  :  C.  Au  joly  jeu  (Clément  Jennequin)  ;  D.  Las,  je  n'ymy 
plus  (Guillaume  Coslelay).  —  Ouverture  à'Obéron  (Weber.) 


LE  MÉNESTREL 


Chatelet,  Gonceris-Cotonne  :  Rédemption  (César  Franck).  —  Souvenirs  (V.  d'Indy), 
sous  la  direction  de  l'auteur.  —  L'Apprenti  sorcier  (Dukas).  —  La  Mer  (Debussy),  sous 
la  direction  de  l'auteur.  —  Psyché  César  Franck},  soli  par  M""  Judith  Lassalle. 

Salle  Gaveou,  Concerts-Lamoureux,  sous  la  direclion  de  M.  Fritz  Steinbach,  direc- 
teur du  Conservatoire  de  Cologne  :  Ouverture  de  Coriolan  (Beethoven).  —  Mort  et 
Transfiguration  (Richard  Strauss).  —  Quatrième  concerto,  en  sot  majeur,  pour  piano 
(Beethoven),  par  M.  Uodowsky.  —  Première  symphonie  (Brahms). 

Concerts-Populaires  (Marigny,  3  heures)  :  Symphonie  en  ut  majeur  (Beethoven  . 
—  a}  Chant  d'automne  (Stan  '  G-olestan)  ;  b)  La  Ptocession  (C.  Franck)  :  Mm0  Bureau- 
Berthelot.  —  Scènes  du  bat  (Delibesj.  —  a)  Dam  la  nuit  (Schumannj  ;  b)  Pastorale 
(ScarlattiJ  ;  e) Polonaise  (Liszt)  :  M.  A.  Chevillou. —  Danse  macabre  (Saint-Saëns)  : 
M.  E.  Mendels.  —  Don  Juan  (Mozart).  —  a)  Danse  des  étoiles  (Skelmans)  ;  h'  Dormir  et 
rêver  (Th.  Dubois);  c1  Souvenez-vous  (Pierné)  :  Mm"  Bureau-Berthelo'.  —  a  Citant  du 
soir:  b  Rêverie  (?chumann).  —  Scènes  pittoresques  (Massenet).  —  Chef  d'orchestre  : 
M.  Fernaiid  de  Léry. 

—  Mercredi  29  janvier,  à  4  h.  1/2,  au  théâtre  du  Uymnase,  sixième  matinée 
musicale  et  populaire  (fondation  Danbé),  avec  le  concours  de  M""'  Jeanne 
Raunay,  cantatrice  des  Concerts-Colonne  et  Lamoureux,  M.  Cesare  Galeolli, 
pianiste. 

—  Le  deuxième  cycle  des  cinq  matinées  musicales  et  populaires  (fondation 
Danbé)  reprendra  au  théâtre  du  Gymnase,  le  29  janvier,  pour  se  continuer 
jusqu'au  26  février,  avec  le  concours  de  Mmc  Jane  Raunay,  M"0  Demougeot, 
de  l'Opéra,  Mllc  Marcella  Pregi,  Mmes  Roger-Miclos,  Marie  Panihès,  MM.  Louis 
Diémer,  E.  Risler,  pianistes,  MM.  Delmas,  Plamondon,  de  l'Opéra,  Brémont, 
de  l'Odéon,  et  des  chanteurs  de  H  Renaissance,  sous  la  direclion  de 
M.  H.  Expert. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(POUR    LES    SEULS    ABONNÉS    A     1.4    MUSIQUE) 


Des  Odelettes  antiques  de  Théodore  Dubois,  nous  donnons  un  nouveau  numéro  à 
nos  abonnés.  Le  Pêcheur  de  Syracuse  vogue  sur  la  mer  rose,  au  gré  des  brises.  Il 
chante  Ilélios,  le  ciel  et  la  ville  chère  qui  pointe  à  l'horizon.  Il  chante  surtout 

La  vierge  au  clair  sourire 

Plus  bloode  que  le  miel 
dont  son  àme  est  remplie.  Et  la  chanson  de  ce  pêcheur  a  des  grâces  infinies  et  des 
sérénités  augustes.  C'était  l'époque  heureuse  où  le  plus  simple  artisan  avait  des 
allures  de  prince  et  se  drapait  en  sa  tunique  comme  dans  un  manteau  royal. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 
Voici  la  liste  des  œuvres  lyriques  nouvelles  représentées  en  Italie  au 
au  cours  de  l'année  1907  :  1.  Testagrù,  opérette  en  4  actes,  de  M.  P.  Argentier 
(Turin,  th.  Carignan,  15  Janvier).  —  2.  //  pane  altrui,  opéra  sérieux  on  un 
acte,  de  M.  Giacomo  Orefice  (Venise,  Fenice,  19  Janvier). —  3.  Lidia,  esquisse 
musicale  en  un  acte,  de  M.  Dante  Aragno  (Porto  Maurizio,  22  janvier). — 
4.  Oriana,  idylle  en  un  acte,  de  M.  Del  Valle  de  Paz  (Florence,  Politeama, 
30  janvier).  —  b.  Lo  Stregone,  «  bizarrerie  »,  de  M.  Adello  Santucci  (Pesaro, 
th.  Rinnovati,  3  Février). —  6.  Il  Bacio  délia  Nixe,  légende  lyrique  en  2  actes, 
de  M.  Pietro  Fiocca  (Sienne,  th.  Rinnovati,  5  février).  —  7.  Le  Fate  blanche, 
opéra  sérieux  en  3  actes,  de  M.  Giovanni  Vercellone  (Reggio  d'Emilie,  9  Fé- 
vrier). —  8.  I  Chiostri  in  rouina,  cantate,  de  M.  Lodovico  Corradini-Vasco 
(Padoue,  10  Février).  —  9.  L'Apostata,  opéra  sérieux  en  3  actes,  de  M.  Anto- 
nio Pagura  (Parme,  th.  Royal,  11  Février).  —  10.  Primavera,  opérette  en 
2  actes,  de   M.    Emilin   Ferrari  (Milan,  th.  Philoilramatique,  14  Février).  — 

11.  La  Statua  viva,  opérette,  de  M.  Aspromonte  Vincenti  (Cagliari,  Février).  - 

12.  Amori  e  Contras! i.    opérette,    de  M.    Felice    Testa    (Fubine,   Février).    — 

13.  Le  Donne  ne!  2000,  opérette,  de  M.  Carlini  (Livourne,  Février).  —  14. 
Pierrot  e  Pierrette,  comédie  lyrique  en  2  actes,  de  M.  Luigi  Pistorelli  (Casale 
Monferrato,  16  Mars).  —  lb.  //  Natale,  cantate  en  2  parties,  de  M.  Oreste 
Ravanello  (Padoue,  Cercle  artistique,  22  mars).  —  16.  Gulnara,  tableau  lyri- 
que en  2  actes,  de  M.  Gino  Mezzadri  (Ancône,  2  avril).  —  17.  La  Grotta  misle- 
riosa,  opéra-comique  en  2  actes,  de  M.  F'rancesco  Lenzi  (Mantoue,  13  avril). 
—  18.  Gloria,  opéra  sérieux,  en  3  actes,  de  M.  Francesco  Cilèa  (Milan,  Scala, 
15  avril).  —  19.  Sperduti  net  buio,  opéra  sérieux  en  3  actes,  de  Al.  Stefano 
Donaudy  (Païenne,  Grand-Théâtre,  27  Avril).  —  20.  La  Samarilana,  oratorio 
en  2  parties,  de  M.  Leporatti  (Alexandrie  d'Egypte,  Avril).  —  21.  Espiasione, 
drame  lyrique  en  un  acte,  de  M.  Gustavo  Ottolenghi  (Turin,  th.  Victor- 
Emmanuel,  15  Mai).  —  22.  La  Fiera  di  Vicchio,  opérette  en  3  actes,  de 
M.  Anselmo  Sormani  (Pegognaga,  25  Mai).  —  23.  Tradita,  scène  dramatique, 
paroles  et  musique  de  M.  Gilberto  de  Winckels  (Turin,  th.  Victor-Emnanuel, 
29  Mai).  —  24.  Matrigna,  opérette  en  3  actes,  de  M.  Michèle  Andreoni  (Cam- 
piglia  Maritima,  Mai).  —  23.  VEsultansa  délia  slirpe,  pantomime,  de  M.  Dalla 
Morea  Centa  (Turin,  th.  Carignan,  1er  Juin).  —  26.  Tempora,  idylle  symbo- 
lique en  4  parties,  paroles  et  musique  de  M.  Aldo  Franchetti  (Milan,  Conser- 
vatoire, 5  Juin).  —  27.  lyna,  ovvero  i  Mal  nulrili,  opéra  sérieux  en  un  acte, 
de  M.    Adelelmo  Bartolucci    (Pesaro,   22  Juin).  —  2S.  Aurelii.  i  lylle   en  un 


acte,  de  M.  Angelo  Angioletti    Barci  24  Juin  .  —  29.  lm-lla, 

Lombard*,    opéra   sérieux  en   3  actes,  de  M.  Giu  .  th.  Qui- 

rino,    18  Juillet).  —  30.  Animt  infrmUe,  opéra  M.  Et- 

tore  Bel  Uni  (Naples,  th.  Mercadante,9  Aoûl  .  —  31.  i 
en  2  actes,  de  M.  Luigi  Lombardi  (Lugano,  ■£>  Août).  — 32.  G 
médie   lyrique   en   un   acte,  de  M.  Mario  Tarenghi    B  .—33. 

Ivano,  opéra   sérieux  en    un    acte,    de    M.    I<  <■-,   Poli- 

teama  Alfieri,   17  Août).  —  34.  Sozze  Infamie,  opéra  sérieux  en  3 
M.  Augusto  Modoni  (Medicina,  8  Septembre   .  --  35,  l 
sérieux  en  3  actes,  de  M.  Giuseppc  Burgio    di    Vîllal 
cial    i29  Octobre).  —   36.  Guardia  nollurna,  opérette  en  un  ac  i  .  di  M.  Carlo 
Sabaino   (Milan,    th.    Fossati,    29  Octobre).  —  37.  Il  Giu     .  ne  en  un 

acte,  de  M.  Ettore  Lucatello  (Castelfranco,  Octobre).  —38.  I 
renlola,  opérette,  de  M.  Giorgio  Castagnino  (Carrare,  13  Octobre).  —  39.  Ma,  - 
cella,  opéra  sérieux  en  3  actes,  de  M.  Umberto  Giordano  th.  Lyrique.  9  No- 
vembre). —  40.  Pailla  c  Francisco,  drame  lyrique  en  un  acte,  de  M.  Lui^'i 
Mancinelli  (Bologne,  th.  Communal,  1 1  Novembre.—  il.  Iglesias,  esquisse 
lyrique  en  un  acte,  de  M.  Vittorio  Baravalle  (Turin,  lb.  Victor-Emmanuel, 
12  Novembre).  —  42.  Welve,  opéra  sérieux  en  ■',  actes,  de  M.  Antonio  Castra- 
cane  (Modène,  th.  Slorchi,  23  Novembre).  —  i!.  Fadelte,  opéra  sérieux  en 
trois  actes,  de  M.  Dario  de  Rossi  (Rome,  lb.  Adriano,  23  Novembre).  — 
44.  La  Nave  rossa,  opéra  sérieux  en  3  actes,  de  M.  Armando  Seppilli  (Milan, 
th.  Lyrique,  27  Novembre).  —  4b.  Brelagna,  drame  lyrique  en  un  acte,  de 
M.  Enrico  Morlaccbi  (Rome.  th.  Adriano,  4  Décembre).  — 46.  SeUecenlo,  ta- 
bleau lyrique  en  un  acte,  de  M.  Waller  Borg  (Naples,  th.  Mercadante, 
7  Décembre).  —  47.  Transtns  anima:,  oratorio,  de  don  Lorenzu  IV-iu  i  lierre 
nouveau  Salon  Pie,  18  Décembre).  —  iS.  Il  caporale  Susino,  opérette,  de 
M.  Luigi  Dall'Argine  (Turin,  th.  Victor-Emmanuel,  20  Déci 

—  La  ville  de  Milan,  qui  est  la  vraie  capitale  musicale  de  l'Italie,  va,  - 
générosité  de  dilettantes  intelligents,  posséder  ce  que  Paris  ne  possède  pas 
encore,  une  vraie  salle  de  concerts.  Sur  le  désir  et  l'initiative  de  M.  Galli- 
gnani.  directeur  du  Conservatoire,  il  s'est  formé  un  groupe  de  riches  ama- 
teurs qui  ont  réuni  les  fonds  nécessaires  a  la  construction  d'une  vaste  salle 
de  concerts,  pouvant  contenir  d'une  part  un  orchestre  puissant,  de  l'autre 
2.500  auditeurs,  et  dans  laquelle  on  pourra  donner,  à  des  prix  modérés,  de 
grandes  auditions  symphoniques.  Ici,  à  Paris,  il  parait  que  nous  n'avons  pas 
de  gens  assez  riches,  et  surtout  assez  amis  de  l'art,  pour  patronner  une  telle 
entreprise.  Quant  à  la  Société  des  grandes  auditions  musicales  de  France,  à 
qui,  semble-t-il,  reviendrait  de  droit  une  telle  initiative,  elle  préfère  em- 
ployer son  argent  à  nous  faire  entendre  au  Trocadéro  un  médiocre  oratorio 
anglais  de  M.  Elgar,  ou  à  la  Gaité  le  chef-d'œuvre  pornographique  de  M.  Ri- 
chard Strauss  connu  sous  le  titre  de  Salomé. 

—  Un  nouveau  monument  de  Johann  Strauss  à  Vienne.  —  Il  y  a  deux  ans 
et  demi,  un  monument  a  été  érigé  à  Vienne  en  l'honneur  du  plus  célèbre  des 
compositeurs  populaires  de  la  capitale  autrichienne  :  c'était  l'œuvre  du  sculp- 
teur Franz  Seifert  ;  et  voilà  qu'aujourd'hui  s'achève,  dans  l'atelier  d'un  autre 
artiste,  M.  Hellmer,  un  nouveau  monument  au  même  maître,  destiné  à  deve- 
nir l'ornement  du  grand  parc  de  la  ville.  C'est  un  Strauss  très  jeune  qu'a 
voulu  représenter  M.  Hellmer  :  le  Strauss  que  l'on  appelait  familièrement 
«  Rattenfaenger  »,  le  comparant  à  un  personnage  d'une  légende  du  douzième 
siècle,  parce  qu'il  a  émerveillait  et  enchantait  tout  le  monde  par  la  puissance 
de  son  archet  magique.  »  Le  sculpteur  a  mis  beaucoup  de  fantaisie  dans  sa 
conception.  Sous  un  portique  élevé,  Johann  Strauss  s'avance,  tenant  son  vio- 
lan  appuyé  contre  son  genou  ;  le  visage  du  maître  s'élève  vers  le  ciel,  comme 
s'il  cherchait  à  y  découvrir  les  notes,  les  mesures,  les  rythmes  et  les  mélo- 
dies ;  son  corps  se  balance  dans  une  attitude  familière  aux  danseurs  lors- 
qu'ils sont  encore  sous  l'influence  rythmique  du  mouvement  de  la  valse.  Le 
cadre  complète  admirablement  l'impression  causée  par  cette  reproduction  du 
physique  de  l'artiste.  C'est  une  longue  théorie  de  femmes  dansantes  qui  for- 
ment, à  droite  et  à  gauche,  deux  groupes  montant  toujours  en  une  sorte  de 
bas-relief.  Les  figures,  à  mesure  qu'elles  s'éloignent,  deviennent  de  plus  en 
plus  légères,  aériennes,  vaporeuses,  et  semblant  aspirer  toujours  davantage  vers 
leur  inaccessible  idéal,  jusqu'à  ce  que,  tout  en  haut,  un  seul  couple  domine, 
et  ce  couple  nous  présente  l'image  toute  gracieuse  de  deux  jeunes  filles  unis- 
sant leurs  lèvres  dans  un  baiser  suave  et  doux.  On  n'imagine  rien  de  plus 
charmant,  et  l'effet  de  ce  monument,  au  milieu  des  grands  arbres  et  de  la  ver- 
dure, sera  évidemment  exquis. 

—  Il  est  question,  depuis  assez  longtemps  déjà,  de  faire  représenter  l'opéra 
du  célèbre  auteur  des  Contes  fantastiques,  Undine,  d'après  une  nouvelle  du 
poète  d'origine  française  La  Motte-Fouqué.  On  annonce  que  M.  Félix  "\Vein- 
gartner  aurait  l'intention  de  monter  cet  ouvrage  à  Vienne,  pendant  l'hiver 
1908-09.  Le  bagage  musical  de  E.  T.  A.  HoO'manu  comprend  un  nombre  res- 
pectable de  partitions  qu'il  serait  probablement  bien  difficile  de  retrouver 
aujourd'hui.  Undine  passa  longtemps  pour  avoir  été  brûlée  lors  de  l'incendie 
du  Schauspielhaus  de  Derlin.  L'œuvre  musicale  d'Hoffmann  comprend  :  Jeu, 
ruse  et  vengeance,  1801;  le  Renégat,  1803:  Fausline,  1804;  logeas  ménétrier. 
1S05,  intermèdes:  I Ecclésiastique  de  Milan,  1805:  Amour  et  jalousie.  1S05: 
Ëcharpe  et  fleur,  1805;  la  Soif  de  l'immortalité,  1803;  le  Revenant,  1S09;  Aurora, 
1811;  Undine,  1816,  opéras.  I!  faut  ajouter  encore  un  ballet,  Arlequin,  un  mé- 
lodrame, la  Croix  île  la  Baltique,  un  opéra  inachevé.  Julius  Sabinus,  une  messe, 
un  miserere,  une  symphonie,  une  ouverture,  un  quintette  pour  harpe  et 
instruments  à  cordes,  des  chansons,  des  morceaux  de  piano,  etc.  Hoffmann 
parle  de  musique  dans  un  grand  nombre  de  passages  de  ses  œuvres  littéraires. 


30. 


LE  MÉNESTREL 


L'un  de  ses  personnages,  Kreisler,  a  fourni  à  Schumann  l'idée  et  le  titre   d'un 
de  ses  meilleurs  ouvrages  pour  piano  :  Kreisleriana. 

—  L'inauguration  du  nouveau  théâtre  de  Weimar  dont  nous  avons  déjà 
parlé  il  y  a  huit  jours,  a  présenté  cette  particularité  que.  dans  cette  salle  où 
la  loge  d'honneur  était  occupée  par  l'empereur  et  le  duc  de  Weimar,  tandis 
que  des  hôtes  princiers,  des  sommités  littéraires,  des  poètes  et  des  journa- 
listes remplissaient  tous  les  coins,  très  peu  de  compositeurs  éminents  et  un 
nombre  relativement  restreint  de  dames  ont  été  admis.  L'élément  féminin, 
entièrement  exclu  du  parquet,  ne  figurait  qu'exceptionnellement  aux  deux 
premiers  rangs  de  l'amphithéâtre.  Le  théâtre  ne  contenant  que  1.030  places 
assises,  on  comprend  qu'il  a  fallu  se  borner,  mais  beaucoup  ont  pensé  pour- 
tant que  les  femmes  auraient  pu  être  traitées  avec  un  peu  plus  de  galanterie. 
La  pièce  de  circonstance,  Jeux  féeriques  du  printemps,  de  M.  Richard  Voss, 
n'a  pas  donné  satisfaction  à  tous.  On  a  reproché  à  l'auteur  d'avoir  fait  ressor- 
tir, avec  une  partialité  trop  exclusive,  l'ancienne  gloire  littéraire  du  vieux 
théâtre  de  Weimar,  tandis  qu'il  laissait  complètement  de  côté  la  brillante 
période  musicale  de  1S48  à  1861,  pendant  laquelle  Liszt  créa,  dans  la  petite 
capitale  que  l'on  a  nommée  l'Athènes  de  l'Uni,  une  vie  artistique  intense  et 
féconde,  y  fit  représenter  pour  la  première  fois  Loheugrin  et  le  Barbier  de  Bagdad 
et  y  remit  en  lumière  Benvenulo  Cellini  de  Berlioz,  qui  a  été  joué,  à  partir  de 
cette  époque,  à  Londres  et  sur  un  grand  nombre  de  scènes  allemandes.  Quant 
à  la  musique  écrite  par  M.  Félix  Weingartner  pour  l'intermède  de  M.  Ri- 
chard Voss,  on  a  trouvé  qu'elle  avait  su  s'inspirer,  avec  beaucoup  d'éloquence 
et  de  pompe,  de  la  pensée  à  laquelle  avaient  obéi  les  organisateurs  de  cette  fête 
inaugurale.  En  dépit  de  toutes  les  imperfections  de  la  partie  littéraire  de 
cette  soirée,  l'idée  qui  a  été  comprise  et  retenue  par  les  assistants  a  été  celle- 
ci  :  «  L'art  ancien  que  Gœthe  et  Schiller  ont  rendu  si  florissant  autrefois,  cet 
art  qui  a  su  briller  avec  un  éclat  nouveau  grâce  à  Liszt  vers  le  milieu  du 
dix-neuvième  siècle,  doit  continuer  sa  inarche  dans  l'avenir  .sans  aucune  dis- 
tinction d'école.  »  Une  ère  nouvelle  pourra-t  elle  commencer  maintenant  pour 
le  théâtre  de  Weimar  et  se  continuer  sans  défaillances  ?  On  peut  l'espérer 
avec  confiance,  car  les  moyens  d'action  ne  manquent  pas.  Le  Grand-Duc  a  en 
effet  pris  à  la  charge  de  sa  caisse  privée  la  plus  grosse  part  des  frais  de  cons- 
truction. La  subvention  annuelle  était  précédemment  de  287.000  francs,  mais 
l'orchestre  ayant  été  augmenté  de  seize  musiciens  et  beaucoup  de  frais  nou- 
veaux étant  à  prévoir,  on  pense  que  cette  subvention  sera  portée  dorénavant 
à  375.000  francs. 

—  L'empereur  d'Allemagne  vient  de  décider  qu'à  partir  du  28  janvier  pro- 
chain des  représentations  populaires  destinées  aux  ouvriers  seront  données 
dans  les  trois  théâtres  royaux  de  Berlin.  Il  s'est  réservé  de  choisir  lui-même 
les  ouvrages  qui  devront  être  représentés.  Les  ouvriers  seront  admis  indis- 
tinctement à  toutes  les  places  et  n'auront  à  payer  qu'un  prix  uniforme  de 
soixante  centimes. 

; —  Les  directeurs  de  l'Opéra  de  Berlin,  pour  faciliter  la  compréhension  de  leurs 
pièces  aux  personnes  qui  ont  la  vue  courte  et  l'ouïe  dure,  ont  imaginé,  nous 
apprend  Comœdia,  ce  qui  suit  :  au  moyen  d'un  appareil  a  projection,  les  mots 
de  la  pièce  que  l'on  chante  sont  reproduits,  en  lettres  distinctes,  au-dessus  de 
la  scène.  Le  texte  apparaît  ligne  par  ligne,  au  fur  et  à  mesure  que  l'on 
chante  et  cela  se  produit  de  la  façon  la  plus  simple.  Le  souffleur,  qui  lit  la 
partition  placée  sur  des  rouleaux  n'a  qu'à  presser  un  bouton  pour  faire  avan- 
cer, sur  le  tableau  du  haut,  les  lignes  d'une  autre  partition  identique,  mais 
écrite  en  très  gros  caractères.  L'invention  est,  dit-on,  peu  coûteuse,  facile  à 
manier,  et  rend  les  plus  grands  services  pour  les  représentations  en  langues 
étrangères.  Dédié  à  MM.  Messager  et  Broussan. 

—  On  a  célébré  le  19  janvier  dernier,  à  Berlin,  le  soixantième  anniversaire 
de  la  naissance  de  M.  Hermann  Kretzschmar,  l'illustre  musicographe  allemand. 
Né  en  1848  dans  un  petit  village  de  Saxe,  il  fit  d'excellentes  études  à  Leipzig 
et  fut  chargé  en  1877  de  la  chaire  de  musique  à  l'université  de  Rostock. 
Appelé  successivement  aux  mêmes  fonctions  à  Leipzig  et  à  Berlin,  le  profes- 
seur Kretzschmar  vient  d'être  récemment  nommé  directeur  de  l'Académie 
royale  de  musique  d'église  de  cette  dernière  ville.  M.  Kretzschmar  est  à  juste 
titre  considéré  comme  le  plus  remarquable  d'entre  les  musicographes  alle- 
mands. On  peut  citer,  parmi  ses  travaux  les  plus  appréciés  :  l'Opéra  vénitien  et 
les  œuvres  de  Cavalli  et  (!'■  Cesti.  1892;  VIncoronasione  di  Poppea,  de  Monte- 
verde,  1894:  Guide  à  travers  1rs  rouverts,  trois  volumes,  1887;  le  Lied  depuis 
Schumann,  1881;  la  Musique  de  piano  depuis  Schumann,  1882;  etc.,- etc. 

—  De  Berlin  :  La  reprise  de  Louise,  de  M.  Charpentier,  à  l'Opéra-Comique 
de  M.  Gregor,  a  été  un  grand  succès.  Le  kapellmeiser,  M.  Tango,  a  conduit  son 
orchestre  avec  une  sûreté  très  remarquée. 

—  L'intendant  général  des  théâtres  royaux  de  Munich,  M.  le  baron  de 
Speidel,  a  rappelé  par  écrit  au  maire  de  la  ville  que  le  Prince  Régent  a  donné, 
par  décret  du  10  décembre  1907,  l'autorisation  d'organiser  cette  am.ée  des 
fêtes  au  théâtre  qui  porte  son  nom,  mais  a  la  condition  que  le  budget  muni- 
cipal participerait  aux  dépenses  pour  une  somme  de  76.230  francs.  Nous 
avons  fait  connaître  précédemment  quelles  œuvres  seront  montées  et  à 
quelles  dates  auront  lieu  les  représentations.  Les  fêtes  comportent,  outre  les 
interprétations  wagnériennes,  six  soirées  consacrées  à  trois  des  chefs- 
d'œuvre  de  Mozart,  les  Xoces  de  Figaro,  Don  Juan  et  l'Enlèvement  au  Sérail. 
Comme  les  années  précédentes,  ces  opéras  seront  joués  au  Théâtre  de  la  Ré- 
sidence. 


—  La  célèbre  Singakademie  (Académie  de  chant)  de  Dresde,  fondée  en 
1840  par  Robert  Schumann,  a  fêté  ces  jours  derniers  le  soixantième  anni- 
versaire de  sa  création.  On  sait  que  cette  superbe  société  chorale  a  été,  après 
Schumann,  dirigée  successivement  par  Ferdinand  Hiller,  Robert  Pfretzchner  et 
Frédéric  Baumfelder.  Son  directeur  actuel  est  M.  Albert  Fuchs,  qui  est  à  sa 
tête  depuis  six  ans  et  qui  ne  l'a  pas  laissé  péricliter.  Pour  célébrer  sa  soixan- 
tième année  d'existence,  la  Singakademie  a  donné  une  exécution  exemplaire 
d'une  des  œuvres  les  pins  séduisantes  de  son  fondateur,  te  Paradis  et  la  Péri. 

—  Il  est  d'usage  traditionnel  en  Allemagne  que  les  sociétés  de  concert  et 
les  sociétés  chorales  offrent  aux  jeunes  filles  et  aux  jeunes  femmes  artistes 
qu'elles  ont  engagées  un  bouquet  de  fleurs  au  moment  où  celles-ci  se  dispo- 
sent à  chanter  devant  le  public.  Dans  bien  des  cas,  cette  coutume  entraîne 
des  frais,  sinon  considérables,  du  moins  assez  importants  pour  que  l'idée  soit 
venue  de  chercher  à  leur  attribuer  un  autre  emploi,  beaucoup  moins  gracieux 
sans  doute,  mais  joli  aussi  dans  son  but.M"lc  Claire  LaPorte-Stolzenberg,  profes- 
seur de  chant  au  Conservatoire  de  Dusseldorf.  a  proposé  d'envoyer  l'argent 
réservé  à  l'achat  des  bouquets  au  Mozarteum  de  Salzbourg,  afin  de  fonder, 
sous  les  auspices  de  Mozart,  une  bourse  que  l'on  appellerait  la  bourse  des 
fleurs,  et  qui  serait  attribuée  à  un  jeune  homme  pauvre,  bien  doué  pour  la 
musique,  afin  de  lui  permettre  d'entreprendre  des  études  régulières  dans  cet 
art. 

—  Un  enfant  de  dix  ans  nommé  Mitja  Itkis  excite  en  ce  moment  la  curio- 
sité à  Leipzig  comme  violoniste  prodige.  On  dit  déjà  qu'un  bel  avenir  pourrait 
lui  être  réservé. 

—  Le  premier  volume  de  l'édition  des  œuvres  complètes  de  Haydn  publiée 
par  la  maison  Breitkopf  et  Hàrtcl  vient  de  paraître  à  Leipzig.  L'édition  sera 
terminée  en  dix  à  douze  ans  et  le  prix  approximatif  sera  de  1.500  francs. 
L'œuvre  du  maître  est  divisée  en  quatre  parties:  Musique  d'orchestre,  musique 
de  chambre,  Musique  de  piano,  Musique  vocale. 

—  Nous  lisons  dans  «  l'Athenaeum  »  de  Londres  :  «  Le  violon  de  Stradi- 
varius, volé  à  M.  Eugène  Ysaye,  au  Théâtre-Marie  de  Saint-Pétersbourg, 
avait  été  prêté  en  1883,  par  les  possesseurs  d'alors,  MM.  Hill  et  fils,  pour  une 
exposition  à  South  Kensington.  Ce  violon  est  mentionné  dans  le  livre  Antonio 
Slradivari,  de  W.  H.,  A.  F.  et  A.  E.  Hill,  parmi  les  instruments  dont  la  date 
exacte  est  impossible  à  préciser,  parce  que  les  signes  qui  devraient  l'indiquer 
paraissent  avoir  été  altérés.  On  croit  que  les  deux  derniers  chiffres  du  millé- 
sime inscrit,  1732,  ont  été  changés  ;  néanmoins,  il  semble  certain  que  ce 
violon,  qui  est  dans  un  bon  état  de  conservation,  appartient  bien  aux  der- 
nières années  de  Stradivarius.  Il  porte  un  vernis  brun  rouge  foncé.  Sa  sono- 
rité est  puissante,  mais  M.  Ysaye  préférait  celle  de  son  Guarnerius,  qui  fut 
acheté,  il  y  a  vingt-cinq  ans,  par  feu  W.  E.  Hill  pour  600  guinées 
(13.750  francs).  »  Le  vol  commis  à  l'Opéra  de  Saint-Pétersbourg  parait  avoir 
pour  auteur  un  homme  qui  ne  se  doutait  pas  de  la  valeur  de  l'objet  dérobé.  Le 
Stradivarius  qui  a  disparu  était  catalogué,  comme  nous  l'avons  dit,  sous  le 
nom  de  1'  «  Hercule  ».  Il  avait  été  déposé  au  foyer  des  artistes  du  Théâtre- 
Marie,  pendant  que  M.  Ysaye  jouait  sur  son  Guarnerius.  A  la  fin  du  concert, 
on  s'aperçut  que  l'instrument  et  son  étui  n'étaient  plus  à  l'endroit  où  on  les 
avait  posés.  Ce  n'est  pas  la  première  fois  qu'un  événement  pareil  arrive  en 
Russie.  Un  autre  Stradivarius  y  fut  volé  il  y  a  déjà  bien  des  années.  On 
l'avait  acheté  à  Paris  pour  le  tzar  Alexandre  Ier,  et  il  fut  d'apord  déposé  au 
musée  de  l'Ermitage.  On  autorisa  plus  tard  à  s'en  servir  le  premier  violo- 
niste de  l'orchestre  de  la  Cour,  mais  celui-ci  ne  se  rendit  pas  compte  de  la 
valeur  de  l'instrument  et  l'utilisa  comme  il  aurait  fait  de  tout  autre.  Un  beau 
jour,  le  Stradivarius  ne  fut  plus  retrouvé  dans  l'armoire  vitrée  où  on  le  con- 
servait. On  le  découvrit  plus  tard  à  Berlin,  où  il  fut  racheté  pour  6.000  rou- 
bles. Un  luthier,  qui  se  glorifiait  d'avoir  inventé  le  plus  merveilleux  des  vernis, 
s'offrit  pour  en  remettre  une  couche  au  précieux  violon  ;  on  lui  confia  l'ins- 
trument mais  le  résultat  fut  déplorable  ;  ce  Stradivarius  perdit  dès  lors  toute 
sa  valeur. 

—  De  Saint-Pétersbourg  :  la  Société  de  musique  a  offert  à  M.  Ysaye,  à  titre 
de  dédommagement  pour  le  stradivarius  qui  lui  a  été  volé  récemment  et  que 
des  détectives  recherchent  en  ce  moment  aux  Etats-Unis,  la  somme  de  30.000 
roubles,  environ  70.000  francs.  A  ce  prix-là,  on  en  perdrait  volontiers 
plusieurs. 

—  Le  jeune  et  fameux  pianiste  Mark  Hambourg  vient  d'être,  parait-il,  le 
héros  d'une  aventure  étrange  qu'un  journal  anglais,  le  Daily  Mail,  raconte 
ainsi  d'après  une  dépêche  qui  lui  est  adressée  de  Varsovie.  Etant  un  soir  on 
promenade  dans  la  ville,  il  fut  attiré,  sur  la  nouvelle  que  sa  femme  l'appelait 
d'urgence  à  l'hôtel,  dans  une  petite  rue  et  saisi  par  des  hommes  masqués  qui 
l'entraînèrent  dans  une  cave  aménagée  en  appartement.  Là  se  trouvaient  trois 
hommes  qui  lui  déclarèrent  être  les  membres  du  comité  d'une  puissante  asso- 
ciation révolutionnaire  et  désirer  entendre  un  peu  de  musique  avant  de 
prendre  les  plus  graves  résolutions.  Mark  Hambourg  s'installa  devant  un  piano 
à  queue,  excellent,  parait-il,  et  joua  les  meilleurs  morceaux  de  son  répertoire. 
Après  quoi  il  fut  remis  en  liberté.  Le  lendemain  soir  il  donnait  un  concert  et 
il  eut  l'impression  que  la  salle  était  pleine  de  révolutionnaires  qui  le  remer- 
ciaient d'avoir  été  agréable  à  leurs  chefs,  car  il  fut  rappelé  vingt-six  fois. 

—  La  ville  de  Christiania  est  dans  la  joie.  Le  genre  lyrique  n'avait  jusqu'ici 
d'autre  asile,  dans  la  capitale  de  la  Norvège,  que  le  Théâtre-National,  qui  ne 
lui  laissait  qu'une  place  misérablement  réduite,  accordant  tous  ses  soins  et 
toutes  ses  sympathies  au  seul  genre  dramatique   et   littéraire.  Cette  situation 


LE  MENESTREL 


fâcheuse  va  prendre  fin  prochainement  et  l'opéra  aura  enfin  un  «  chez  lui  ». 
On  annonce,  en  effet,  qu'un  groupe  de  capitalistes  vient  de  se  former  dans  ce 
but  et  qu'il  a  réuni  les  fonds  nécessaires  à  l'érection  d'un  grand  théâtre  lyrique 
qui  s'élèvera  dans  le  plus  heau  quartier  de  la  ville,  en  pleine  Karl  Johanncs- 
strasse.  Les  plans  sont  prêts  et  les  travaux  vont  commencer  incessamment. 

—  A  l'occasion  du  centième  anniversaire  de  la  naissance  d'Albert  Grisar,  la 
ville  d'Anvers,  anticipant  de  quelques  mois  sur  la  date  par  trop  hivernale  à 
laquelle  est  venu  au  monde  le  compositeur  (26  décembre  1N08),  a  décidé  d'or- 
ganiser pour  les  9,  15  et  16  août  prochain,  un  concours  international  do 
sociétés  chorales.  Des  prix  seront  distribués;  ils  consisteront  en  une  somme 
de  16.000  francs  et  différents  objets  d'art. 

—  Nous  avons  ait  dimanche  dernier  le  très  grand  succès  qu'a  remporté  à 
Genève  le  charmant  Bonhomme  Jmlis  de  Jaques-Dalcroze.  interprété  par 
Fugère  en  personne.  Voici  ce  que  dit  du  grand  artiste  le  journal  la  Suissr  : 

Ah!  ce  que  cet  homme  est  extraordinaire,  bouleversant  !  c'esl  inexprimable.  I!  a 
l'ait  pleurer,  puis  hurler  d'enthousiasme  On  ne  joue  pas,  on  ne  chante  pas  avec  plus 
d'art,  plus  de  sincérité,  de  musicalité,  de  verdeur,  de  bonhomie  communicative,  de 
sensibilité  exquise...  Nous  venons  d'écrire  que  la  perl'ection  n'est  pas  de  ce  monde... 
Si,  parbleu!  elle  existe  puisque  Fugère  est  un  artiste  parfait. 

Puis,  passant  au  Jongleur  de  Notre-Dame  représenté  le  même  soir,  la  Suisse 
s'exprime  ainsi  : 

...  M.  Fugère  a  de  nouveau  chanté  cette  exquise  «  légende  de  la  sauge  »  comme 
d'ailleurs  il  chante  tout  le  rôle  de  Boniface,  de  façon  à  émerveiller  son  auditoire.  On 
l'écoutait  bouche  bée,  ému  jusqu'aux  larmes.  Et  quand  il  eut  fini,  ce  fut  une  explo- 
sion formidable  de  bravos,  un  indescriptible  brouhaha  dans  la  salle,  qui  réclamait  le 
bis.  Aimablement  alors,  l'extraordinaire  artiste  bissa. 

Notre  publie  a  été  ra*'i  d'entendre  ainsi  l'œuvre  émouvante  de  Massenet,  qui 
n'avait  pas  été  reprise  depuis  la  création  à  Genève,  au  temps  des  Codou,  Galdan, 
Jacquin.  Le  plaisir  fut  d'autant  plus  grand  que  M.  Huguet  avait  donné  d'autres 
bons  interprètes  au  «  Jongleur  de  Notre-Dame  »,  M.  Cotreuil,  toujours  superbe 
artiste,  M.  Bruzzi,  intelligent  et  vaillant  —  qu'il  a  tort,  seulement,  de  ne  pas  sacri- 
fier pour  une  fois  sa  moustache  qui,  empâtée,  lui  déforme  la  lèvre  supérieure  —  et 
MM.  Maskal  avec  sa  jolie  voix,  M.  Briamont,  M.  Duvernet,  M.  Montano,  M.  Branet 
même,  sans  oublier  M'"™  Ista  et  Paule  Jussy,  qui  chantaient  fraîchement  dans  la 
coulisse.  Voilà  une  belle  soirée  que  nous  devons  à  l'initiative  artistique  du  direc- 
teur Huguet. 

—  Après  le  beau-père,  le  gendre.  Car  Fugère  a  un  gendre,  qui  est  ténor 
après  avoir  été  pianiste  et  que  nous  entendrons  bientôt  à  l'Opéra-Comique 
de  Paris.  Or  ce  gendre,  qui  a  nom  Fernand  Lemaire,  s'est  essayé  à  Genève 
dans  Werther  et  voici  ce  qu'en  pense  le  Genevois  : 

Werther  nous  avait  été  joué  par  plusieurs  ténors  de  mérite  différents.  Il  vient  de 
nous  être  donné  par  M.  Fernand  Lemaire,  avec  le  plus  grand  succès,  ce  dont 
témoignent  les  his  qui  lui  furent  demandés,  d'abord  à  l'air  :  «J'aurais  sur  ma  poitrine  », 
chanté  avec  élan ,  et  aux  Stances  d'Ossian,  dites  avec  émotion. 

Nous  avons  déjà  dit  combien  ce  ténor  a  la  voix  étendue  et  généreuse.  Nous  avons 
constaté  aussi  que  l'habile  chanteur  sait  trouver  l'inflexion  propre  à  chaque  senti- 
ment et,  enfin,  qu'il  sait  donner  de  la  couleur  aux  sons,  le  comble  de  l'art. 

—  Le  Grand-Théâtre  de  Genève  a  donné,  le  18  janvier,  la  première  repré- 
sentation d'un  ballet  nouveau,  les  Deux  Coqs,  dont  le  scénario  est  dû  à 
MM.  Pierre  Edmond  et  Laffont,  et  la  musique  à  M.  Pierre  Létorey.  Ce  petit 
ouvrage  a  été  fort  bien  accueilli. 

—  La  maison  Ricordi,  de  Milan,  avait  mis  au  concours  la  composition  d'un 
opéra  anglais,  avec  un  prix  de  500  livres  sterling  (12.500  francs)  pour  le 
vainqueur.  Ce  prix  vient  d'être  adjugé,  par  la  commission  nommée  à  cet  effet, 
au  compositeur  Edouard  Woodall-Taylor,  auteur  d'un  opéra  intitulé  Angélus, 
qui  sera  représenté  au  cours  de  la  prochaine  saison  au  théâtre  Govent-Garden 
de  Londres. 

—  Du  Petit  Monégasque  :  Malgré  une  journée  radieuse  de  printemps,  il  y 
avait  salle  comble  dans  la  coquette  salle  Garnier  pour  le  premier  Concert 
moderne  de  Monte-Carlo.  Après  l'ouverture  i'Euryanthe  de  Weber,  très  bien 
exécutée  par  l'excellent  orchestre  de  M.  Jehin,  on  a  applaudi  avec  enthou- 
siasme Mlle  Thérèse  Duroziez  dans  un  concerto  de  Schumann  qui  a  mis  en 
valeur  tout  son  beau  talent  de  pianiste.  Cette  délicate  musicienne  a  interprété 
les  deux  parties  de  ce  concerto  avec  une  maestria  qui  lui  a  valu  d'unanimes 
et  chaleureux  applaudissements.  Le  charme,  la  vigueur,  la  virtuosité  s'allient 
en  elle  de  la  façon  la  plus  heureuse,  et  surtout  la  parfaite  musicalité  de  son 
interprétation  la  place  parmi  les  artistes  sincères  dignes  de  toute  admiration. 
Dans  la  seconde  partie  du  programme  elle  a  interprété  avec  un  charme  mélan- 
colique et  une  agilité  de  doigté  vraiment  remarquables  trois  petites  perles 
musicales  :  Prélude  de  Haendel,  Un  sospiro  de  Liszt  et  Caprice-valse  de  Saiut- 
Saëiis. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

La  part  de  la  musique  est  mince  dans  la  liste  des  nominations  faites  par 
le  ministère  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts,  à  l'occasion  du 
1e1'  janvier,  dans  l'ordre  de  la  Légion  d'honneur.  Elle  se  borne  à  la  nomina- 
tion de  chevalier  de  M.  Alexandre  Georges,  compositeur,  l'auteur  de  Miarka, 
de  Charlotte  Cordai)  et  de  quelques  autres  ouvrages.  Pourle  théâtre  nous  avons  a 
enregistrer  aussi  celle  de  M.  Truffier,  l'excellent  sociétaire  de  la  Comédie- 
Française,  qui  est  aussi  un  poète  aimable,  ainsi  que  celles  de  deux  auteurs 
dramatique.-.  MM.  Gabriel  Trarieux  et  Albert  Guinon.  Ajoutons  que  M.  Léon 
Hennique  est  promu  au  grade  d'officier. 

—  Au  Conservatoire  :  le  Journal  officiel  a  publié  un  arrêté  en  vertu  du- 
quel M.  André  Wormser,   compositeur  de  musique,  est  nommé  membre  du      , 


conseil  supérieur  d'enseignement  (section  des  études  musicales)  du  Conserva- 
toire national  de  musique  et  de  déclamation,  en  rempl  ic  i.  Edouard 
Risler,  nommé  professeur  au  Conservatoire. 

—  La  réouverture  de  l'Opéra  est  toujours   an iour  lundi 

prochain  ■!'  janvier.  M.  Serge  Basset  du  Figaro  donne  à  ce  propos  d'intéres- 
sants détails  sur  les  travaux  de  restauration  accomplis  pour  l'embellissement 
de  la  salle  par  la  nouvelle  direction  : 

...  L'effort  considérable  qu'a  tenté  el  réussi  la  nouvelle  direction  apparaîtra  alors 

dans  tous  ses  résultats.  En  vingt-deux  joui 

entier  a  été  faite;  dans  la  salle,  rajeunie,  rem    a  a  neu    el  iiannante, 

les  baignoires  on  I  été  découvertes  de  façon  à  étendre  la  vue  ;  tout  l'ameublement 

intérieur  a  été  changé  ;  l'orchestn 

qui  mettait  entre  le  public  et  lui  un-  lourd*  e  par  une 

balustrade  à  jour,  du  ton  et  du  dessin  des  motif    d  elle  est  &  jour,  de 

façon  à  ne  point  amortir  les  nuances  d-  l'orchestre. 

Le  plafond  de  Lenepveu,  entièrement  nettoyé,  a  repris  toute  -a  beauté  —  comme 
l'original  foyer  de  la  danse,  dont  les  ors  et  les  panneaux  avaient  perdu  de  leui 
éclat.  MM.  Messager  ci  Brousean  ont  voulu  que  de  partout  le  spectateur  emportât 
une  impression  d'élégance  et  de  confortable.  On  s'en  apercevra  les  samedi  :  on  s'en 
apercevra  plus  encore  quand  d'heureuses  innovations,  actuellementprojeléi 
réalisées  —  comme  la  pose  de  sonneries  électriques  dans  toutes  les  loges, 
à  permettre  l'appel  d'un  chasseur  ou  des  garçons  du  buffet;  l'installation  d'une 
cabine  téléphonique  d'où  des  employés  pourront  appeler  el  faire  avancer  les  voi- 
tures, etc.,  etc. 

Dans  le  grand  foyer,  des  réflecteurs  Fortùny  enverront  une  lumière  diffu 
peintures  de  Baudry,  comme,  dans  la  galerie,  sur  les  panneaux  de  Clairin,  et  don  - 
neront  aux  peintures  et  aux  panneaux  une  nouvelle   jeunesse.  Dans  la  rotonde, 
Paillard  aura  installé  un  buffet  admirablement  aménagé;  des  diners  froids  y  .seront 
servis,  de  façon  a  permettre  aux  Parisiens  trop  pressés  par  le  temps  avant  le 
du  rideau  de  collalionner  pendant  un  entr'acte. 

Sur  la  scène  a  été  installé,  entre    le  rideau  habituel  et      le  théâtre    .  un  rideau 
d'avant-scène,  peint  par  Carpezat,  et  qui  se  relèvera  en  deux  parties,  à  droil 
gauche  de  la  scène.  Il  est  de  toute  beauté  et  donnera  l'impression  d'une  tapisserie 
ancienne  :  les  loges  placées  sur  la  scène  se  trouveront  ainsi,  quand  le  rideau  se 
refermera,  séparées  du  «  théâtrs  »  et  en  communication  avec  la  salle. 

—  De  son  coté,  M.  Nicolet  du  Gaulois  donne  la  composition  des  prochains 
spectacles  : 

...  L'affiche  de  la  semaine  prochaine  comporte  donc,  outre  la  soirée  de  réouverture. 
Faust,  trois  opéras  et  un  ballet  avec  des  distributions  nouvelles. 

Dans  Guillaume  Tell,  la  rentrée  tout  à  fait  sensationnelle  du  ténor  Escalaïs  et 
les  débuts  de  M"'  Gall,  premier  prix  du  Conservatoire  de  l'année  dernière. 

Mercredi,  Higolelto,  avec  les  débuts  de  M?1'  L.  Miranda,  une  exquise  cantatrice 
autrichienne  qui  chanta  à  Covent-Gardcn  sous  la  direction  de  M.  Messagère!  à  Lyon, 
sous  celle  de  M.  Broussan,  ce  qui  la  désignait  pour  être  engagée  des  premières  à 
l'Opéra. 

De  même  pour  Cappella,  dans4  pour  la  première  fois  par  M"'  Zambelli,  l'étoile 
fêtée  dont  on  ne  compte  plus  les  triomphes. 

Enfin  samedi,  représentation  de  Lohengrin,  qui  s'annonce  magnifique  avec  la  plus 
célèbre  des  cantatrices  de  l'Opéra-Impérial  de  Pétersbourg,  M""  Kousnia'.zoff.  le 
ténor  M.  Feolorow  et  M.  Beck,  qui  nous  vient  de  Budapest  et  de  Bayreulh  avec  une 
très  belle  réputation . 

—  Nous  avons  le  plaisir  d'annoncer  le  réengagement  par  la  nouvelle 
direction  de  l'Opéra  de  Mllc  Louise  Grandjean.  la  belle  cantatrice,  qui  fera  sa 
rentrée  seulement  dans  les  premiers  jours  du  mois  d'avril.  D'ici  là,  M"e  Grand- 
jean donnera,  d'abord  à  Paris,  une  série  de  concerts  chez  Colonne,  puis  à 
Genève,  à  Nice  et  à  Monte-Carlo. 

—  Spectacles  de  dimanche  à  l'Opéra-Comique  :  en  matinée,  Iphigénie  en 
Aulide  (dernière  représentation);  le  soir  Lakmé  et  les  Noces  de  Jeannette.  Lundi, 
en  représentation  populaire  à  prix  réduits:  Mireille. 

—  Au  Théâtre  de  la  Gaité-Lyrique.  nous  avons  eu  toute  une  semaine  de 
Mignon,  et  les  auditions  de  ce  populaire  ouvrage  vont  continuer  encore  toute 
cette  semaine.  Voilà  qui  va  bien.  Et  puis  ce  sera  le  tour  de  Lakmé,  en  atten- 
dant la  Traviata.  Le  peuple  est  heureux. 

—  Rameau  devient  décidément  à  la  mode,  ou  s'en  occupe  de  tous  côt?s,  et 
pour  peu  que  cela  continue  la  province  aura  épuisé  son  répertoire  avant  que 
l'Opéra  ait  pu  nous  offrir  la  première  représentation  A'Hippolyte  el  An 
Après  Dijon,  qui,  nous  l'avons  vu,  a  offert  au  public  la  représentation  de 
Dardanus,  voici  que  Montpellier  vient  à  son  tour  de  monter  Castor  •■/  Pollux. 
MM.  Broca  et  Charles  Bordes,  directeurs  du  théâtre  de  cette  ville,  n'ont  pa- 
reculé  devant  l'effort,  et  c'est  jeudi  dernier,  23,  qu'a  eu  lieu,  devant  l'inévi- 
table sous-secrétaire  d'Etat  aux  beaux-arts,  la  réapparition,  on  peut  dire  la 
résurrection  du  chef-d'œuvre  de  Rameau.  Rien  n'avait  été  négligé  pour  l'éclat 
de  cette  soirée  assurément  intéressante.  C'est  M""-  Georgette  Leblanc  qui 
avait  été  appelée  spécialement  à  Montpellier  pour  chanter  le  rôle  de  Télaïre: 
à  côté,  Mme  Jane  Dafïetye,  de  l'Opéra-Comique,  jouait  Phœbé,  tandis  que  les 
rôles  masculins  étaient  tenus  par  MM.  Jacquin.  Mézy  et  Fassin.  L'orchestre 
et  les  chœurs,  ceux-ci  renforcés  par  des  éléments  empruntés  à  la  Schola  can- 
torum,  étaient  dirigés  par  M.  Charles  Bordes. 

—  L'assemblée  générale  annuelle  de  la  Société  des  auteurs,  compositeurs 
éditeurs  de  musique  (10,  rue  Chaptal)  aura  lieu  le  lundi  24  fev 

heure  et   demie,   salle   des  Agriculteurs.  8,  rue   d'Athènes.   Il  est  rappelé  à 
JIM.  les  sociétaires  qu'en  dehors   des   questions   indiquées  dans   la   lettre 


32 


LE  MENESTREL 


convocation  qui  leur  sera  adressée  au  moins  quinze  jours  avant  l'assemblée, 
aucune  autre  question  ne  pourra  être  portée  à  l'ordre  du  jour  de  l'assemblée 
générale  si  le  conseil  d'administration  n'en  a  pas  été  préalablement  saisi  huit 
jours  au  moins  avant  la  séance  (art.  28  des  statuts  et  114  du  règlement 
général). 

Ordre  du  jour  : 

Rapport  du  conseil  d'administration; 

Ratification  de  la  nomination  d'un  commissaire  des  comptes  et  d'un  commissaire 
des  programmes  (art.  27  des  statuts)  ; 

Rapport  de  la  commission  des  compte; 

Rapport  de  la  commission  des  retraites; 

Rapport  de  la  commission  des  programmes; 

Modifications  au  règlement  général,  porlant  sur  les  articles  3,  S,  15,  lii,  17,  23,  24, 
36,  43,  47,  49,  60,  72  et  77  et  dont  le  texte  sera  adressé  aux  sociétaires  au  moins  huit 
jours  avant  l'assemblée  générale  (art  39  des  statuts). 

Nomination  : 
1°  De  trois  administrateurs  (l  auteur,  1  compositeur,  1  éditéuri,  pour  4  ans; 
2°. De.  deux  commissaires  des  comptes,  pour  4  ans  ; 
3"  De  deux  commissaires  des  programmes,  pour  3  ans  ; 
4°  De  deux  commissaires  des  retraites,  pour  3  ans. 

—  La  section  de  muùque  de  la  Société  Nationa'e  des  Beaux-Arts  (Salon  de 
musique)  s'ouvrira,  comme  les  années  précédentes,  le  15  avril,  au  Grand- 
Palais.  Les  compositeurs  qui,  en  vue  des  auditions  publiques  dirigées  par 
M.  Paul  Viardot,  pendant  la  durée  du  Salon,  voudraient  soumettre  leurs 
œuvres  au  jury  désigné  à  cet  effet,  sont  priés  de  les. envoyer  au  secrétariat 
de  la  Société  Nition  île  des  B^iux-Arts,  au  Grand-Palais,  Po  te  B,  avenue 
d'Antin,  le  samedi  4  février.  A  cet  effet,  les  bureaux  du  secrétariat  général 
seront  ouverts  toute  lajournée  du  15,  de  9  heures  du  matin  à  0  heures  du 
soir.  Rappelons  que,  l'an  dernier,  92  œuvres  de  compositeurs  ont  été  exécu- 
tées au  cours  de  22  auditions  publiques  sous  la  direction  de  M.  Paul  Viardot, 
que  trois  primes  de  300  francs  ont  été  distribuées  et  que  ces  mêmes  primes 
seront  distribuées  cette  année. 

De  Nicolet  du  Gaulois  :  Un  concours  de   ténors  —   destiné  à  démontrer 

qu'on  peut  en  découvrir  encore  et  à  aider  ceux  qui  paraîtront  vraiment  doués  — 
a  été  organisé  par  Musica  et  Comœdia,  auxquels  se  sont  joints  quelques  grands 
régionaux.  Nous  venons  d'assister  à  la  séance  éliminatoire,  où  se  sont  fait 
entendre  les  candidats  de  la  région  de  Paris.  Ce  ne  fut  pas  un  banal  spectacle. 
L'élégance  du  jury  et  sa  compétence  étaient  notoires.  On  y  remarquait 
Mmes  Région,  Bréval,  Isnardon,  MM.  P.  Vidal,  Leroux,  de  Reszké,  Muratore, 
Salignac,  Isnardon,  Cazeneuve  I  D'autres  encore.  Ils  ne  se  sont  pas  ennuyés, 
pensons-nous.  Oh  !  les  mines  naïves  ou  prétentieuses  de  certains  candidats  ! 
Leur  aspect  souvent  bizarre,  leurs  voix  étranges  !  On  tracerait  de  bien  jolis 
croquis,  d'après  plusieurs  d'entre  eux  !  Qu'ont  pensé  les  jurés  de  celui  qui 
susurra  Werther  ?  Et  de  celui  qui  déchiffra  la  Walkyrie  ?  Mais  laissons  les  non- 
valeurs.  Quelques  bonnes  voix  ont  été  révélées,  et  cela  suffit  à  justifier  la  ten- 
tative de  nos  confrères.  Le  jury  délibère  encore  à  l'heure  où  nous  écrivons  ces 
lignes.  Signalons  pourtant  les  candidats  qui  nous  ont  intéressés.  D'abord 
M.  FraDck,  un  peu  âgé,  et  qui  a  travaillé,  mais  dont  la  voix  est  superbe  ; 
MM.  Guérin,  Baettin,  Albino,  Robert  Lasalle,  —  belles  promesses,  —  Bous- 
quet, Perrot  et  Vial.  Mais  nous  craignons  fort  que  le  Midi,  au  concours  final, 
ne  l'emporte  haut...  la  note. 

Et  en  effet,  voici  les  nouvelles  qui  nous  arrivent  de  Toulouse,  la  capitale 

des  ténors,  où  il  parait  que  le  concours  a  été  des  plus  remarquables  :  156  chan- 
teurs s'étaient  fait  inscrire,  118  ont  été  éliminés  à  la  première  épreuve  ;  4  pre- 
miers prix  et  5  seconds  prix  ont  été  décernés.  Premiers  prix  :  MM.  Falandry, 
Loubressat,  Villeneuve  et  Dominique.  Ceux-ci  prendront  part  à  l'épreuve 
parisienne.  Seconds  prix:  MM.  Aubert,  Salles,  Dejean  Bordes,  et  Sautereau. 
On  assure  que  les  voix  des  trois  premiers  prix  sont  superbes  et  n'auraient 
rien  à  envier  à  celles  d'un  Tamagno  ou  d'un  Caruso. 

Le  12e  samedi  de  la  Société  de  l'histoire  du  théâtre  aura  lieu  aujourd'hui 

25  janvier,  à  cinq  heures  précises,  au  Théàtre-Sarah-Bernhardt.  Au  pro- 
gramme : 

Causerie  de  M.  Franc-NohaiD,  sur  les  Valets  et  Soubrettes,  suivie  d'auditions  : 

Duo  du  Maître  de  chapelle  (Paêr),  par  M"'  Dangès  et  M.  Allard. 

Louison  (A.  de  Musset;,  par  M""  Clairville. 

Air  des  A'oces  de  Flqa.ro  (Mozart),  par  M""  Yallandri. 

MoDOlogue  du  Mariage  de  Figaro  (Beaumarchais),  par  M.  Georges  Berr. 

Tartufe  (Molière),  scène  de  Dorine  et  Marianne,  par  M'"*  Kolb  et  M11"  Berge. 

Le  Malade  imaginaire  (Molière),  par  M"»  Kesly  et  M.  Reyrial. 

I.e  Jeu  de  l'amour  et  du  hasard  (Marivaux)  (scène  VI,  acte  III),  par  M11'  Dussane  et. 
M.  Brunot. 

Paul  et  Virginie,  V  «  Oiseau  s'envole  »  (V.  Massé),  par  M.  Edwy, 

—  L'auteur  du  petit  ballet  :  Au  pays  des  Cigales,  dont  notre  correspondant 
de  Bruxelles  nous  a  annoncé  la  récente  apparition  au  théâtre  de  la  Monnaie. 
M.  Léo  Pouget,  est  un  jeune  compositeur  français,  qui  s'est  heureusement 
inspiré  des  airs  populaires  si  vivants  et  si  joliment  rythmés  du  pays  de  Tar- 
tarin  et  de  la  Tarasque.  C'est  précisément  à  Tarascon,  et  le  jour  même  de  la 
fête  de  la  fameuse  Tarasque  que  so  noue  et  se  dénoue  l'intrigue  amoureuse 
qui  fait  le  sujet  de  ce  gentil  divertissement. 


—  Encore  un  exemple  de  décentralisation.  Le  théâtre  des  Arts  annonce  la 
prochaine  appariliou  d'un  grand  drame  lyrique  en  quatre  actes,  Gloria  victis. 
dont  la  musique  a  pour  auteur  Mme  Pauline  Thys,  déjà  connue  par  divers 
autres  ouvrages. 

—  Communiqué  :  Le  maire  de  la  ville  de  Rouen  porte  à  la  connaissance  des 
intéressés  que  la  direction  du  théâtre  des  Arts  est  vacante  pour  l'exploitation 
lyrique  pendant  l'année  1908-1909.  Les  demandes  relatives  à  l'exploitation  de 
ce  théâtre  seront  reçues  avant  le  10  février  à  la  mairie  de  Rouen.  Le  cahier 
dos  charges  sera  envoyé  ultérieurement  à  toute  personne  qui  en  fera  la 
demande. 

—  Très  réussi,  le  concert  de  M"c  Suzanne  Decourt,  la  jeune  et  charmante 
cantatrice  qui  a  été  si  remarquable  dans  des  œuvres  de  Sehumann,  Grieg  et 
Gounod  et  surtout  dans  le  grand  air  de  Sigurd:  Salut,  splendeur  du  jour,  de 
Reyer.  Elle  a  été  applaudie  et  bissée  avec  enthousiasme  par  le  public  élégant 
qui  se  pressait  dans  la  salle  Erard. 

—  La  remarquable  pianiste  Blanche  Selva  se  fera  entendre  dans  deux  séances 
à  la  Salle  Pleyel,  les  mardi  28  janvier  et  mercredi  5  février,  à  9  heures  du 
soir.  Le  programme  de  la  première  séance  comporte  des  œuvres  de  Bach. 
Rameau.  Liszt.  Beethoven,  Sehumann  et  Chabrier. 

NÉCROLOGIE 

Au  moment  où  l'on  s'occupe  de  célébrer  le  cinquantenaire  de  la  mort  de 
l'admirable  tragédienne  que  fut  Rachel,  voici  que  disparaît  la  troisième  de 
ses  quatre  sœurs,  qui,  toutes,  ainsi  qu'elle,  eurent  la  passion  du  théâtre.  Lia 
Félix,  qui  joignait  à  une  beauté  pleine  d'élégance  un  talent  tout  empreint  de 
tendresse  et  de  sentiment  pathétique,  est  morte  cette  semaine  à  l'âge  de 
77  ans,  des  suites  d'une  pneumonie.  Lia  Félix  était  l'élève  de  sa  sœur,  la 
grande  tragédienne:  elle  hésitait  à  débuter;  la  création  de  l'unique  rôle  fémi- 
nin de  la  seule  pièce  de  théâtre  de  Lamartine,  Toussaint  Loiiverture  (Porte- 
Saint-Martin,  1850),  la  mit  en  lumière.  Dès  lors  elle  fut  appelée  à  interpréter 
un  grand  nombre  de  rôles  dans  Jenny  l'ouvrière,  Claudie,  la  Poissarde,  Ri- 
chard III,  les  Xoei-s  vénitiennes.  Lorsque  Rachel  entreprit  son  voyage  d'Amérique, 
Lia,  qu'elle  emmena,  lui  servit  de  partenaire.  De  retour  à  Paris,  elle  fut  en- 
gagée à  l'Ambigu  pour  créer  les  Orphelines  de  la  Charité:  puis  à  la  Porte- 
Saint-Martin,  où  elle  joua  Richard  Darlihgton,  là  Closerie  des  genêts,  la  Tireuse  de 
caries:  enfin  à  la  Gaité  où  on  la  vit  notamment  dans  la  Maison  du  baigneur. 
L'état  de  sa  santé  la  força  à  renoncer  momentanément  à  la  scène;  elle  quitta 
sa  retraite,  pour  créer  la  Haine,  de  Victorien  Sardou,  et  Jeanne  d'Are,  de  Jules 
Barbier.  Depuis,  elle  ne  joua  plus. 

—  On  annonce  de  Milan  la  mort  en  cette  ville,  à  l'âge  de  70  ans,  du  fameux 
chorégraphe  Luigi  Danesi,  qui  obtint  de  grands  succès  en  son  genre.  Il  avait 
débuté  comme  mime  au  théâtre  de  la  Scala  en  1859,  et  s'était  fait  remarquer 
sous  ce  rapport.  Son  premier  triomphe  comme  chorégraphe  date  de  son  ballet 
Messaiiiîa,  représenté  sur  ce  théâtre  en  1885,  et  que  nous  vîmes  peu  après  ici, 
à  l'ancien  Eden  de  la  rue  Boudreau.  Il  en  donna  ensuite  beaucoup  d'autres, 
qui  presque  tous  furent  heureux  et  lui  valurent  une  véritable  renommée  en 
Italie  :  le  Amadriade,  Don  I'aeheco,  Gretchen,  la  Fata  Ni'x,  Arduino  d'Irrea,  la 
Fala  d'Oro.  etc. 

—  De  Rome  on  annonce  la  mort  ducompositeur  Augusto  Moriconi,  auteur  de 
nombreuses  œuvres  de  musique  religieuse,  qui  depuis  vingt  ans  était  le  maitre 
de  chapelle  fort  distingué  de  la  basilique  de  Santa  Maria  Maggiore. 

—  A  Naples  s'est  éteinte,  à  l'âge  de  92  ans,  une  ancienne  cantatrice  distin- 
guée, M1"0  Adélaïde  Gambaro,  qui  fut,  dit  un  journal  italien,  directrice  du 
Conservatoire  de  musique  de  Gènes.  Depuis  trente  ans  elle  s'était  retirée 
auprès  d'une  de  ses  sœurs,  laquelle  était  veuve  du  célèbre  compositeur  Mer- 
cadante. 

—  A  la  dernière  heure,  une  dépèche  de  Londres  nous  apprend  la  mort  en 
cette  ville,  à  l'âge  de  62  ans,  du  célèbre  violoniste  Auguste  Wilhelmy,  qui 
fut  le  digne  émule  de  Joachim,  auquel  il  n'a  que  peu  survécu.  Nous  rappelle- 
rons samedi  prochain  les  détails  de  sa  brillante  carrière. 

Henki  Heugel,  directeur-gérant. 


En   vente   AU   MÉNESTREL,    2.   bis,   rue   Yivienne 
Mélodies 


Toujours  des  roses  ! 6    »   \  Où  vit  l'amour? 

En  traîneau,  duo  pour  deux  voix  de  femmes 0 

(Paroles  françaises  de  Stéphax  Bordèse.) 


—  (Encre  Lorili-ui). 


Samedi  1"  Février  1908. 


4010.  -  74e  ANNEE.  -  IV  3.  PARAIT   TOUS    LES   SAMEDIS 

(Les  Bureaux,  2bl3,  rue  TMenne.  Paris,  h-  arr) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

ÉNESTREL 


lie  Numéro  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEDGEL,     Directeur 


lie  Numéro  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musiqife  de  Chant,  20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, 20  fr., Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  ea  sns. 

SOMMAIRE-TEXTE 

I.  Soixante  ans  de  la  vie.  de  Gluck  (6"  articlei,  Julien  Tiersot.  —  11.  Semaine  théiUrale  :  Réouverture  de  l'Opéra,  A.  Pougli  ;  premières  représentations  à'Un  Divorce,  an  Vaudi 

de  Tourtelin  s'amuse,  aux  Folies-Dramatiques',  Ajiédée  Boutarel.  —  111.  Correspondance  de  Belgique  :  première'  représentation  de  Bahlie,  à  l'Opéra  flamand  d'Anvers,  Li  i  ib.n 
Solvay.  —  IV.  Revue  des  grands  conrerts.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

DANSE    DES  CROTALES 

n°  3  des  Danses  Tanagréennes  de  Zino-Zina,  ballet  do  Paul  Vidal.   —  Suivra 

immédiatement  :  Panaderos,  danse  espagnole  extraite  du  nouveau  ballet  de 

•T.  Massk.net,  Espada,  qui  va  être  représenté  au  théâtre  de  Monte-Carlo. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 

AU  BOIS  DE  L'AMOUR 

n°  3  des  Idylles  et  Chansons  de  Jaques-DalcKOZE,  sur  des  poésies  de  Gaiiriel 

Vicaire.  —  Suivra  immédiatement  :  langage  d'amour,  mélodie  de  Jean  In'.i .i, 

sur  des  paroles  de  M010  Carmen  Codou. 


SOIXANTE     ANS     DE     LA     VIE     DE     GLUCK 


(±p7_±-4-XTT-4=) 


CHAPITRE   III  :    Gluck    compositeur   italien 

Entre  l'époque  où  Marcello  écrivit  le  Théâtre  à  la  mode  et  celle  |  appliqué  à  la  situation 
de  son  propre  début,  il  s'était  produit, 
un  changement  notable  dans  l'évolu- 
tion de  l'opéra  italien  :  Métastase 
avait  paru.  Dès  lors,  le  satirique 
n'aurait  plus  pu  répéter  le  précepte 
par  lequel  il  avait  inauguré  son  écrit  : 
«  Le  poète  ne  doit  pas  avoir  lu  ni 
lire  jamais  les  anciens  auteurs  latins 
ou  grecs,  par  la  raison  bien  simple 
que  les  anciens  grecs  et  latins  n'ont 
jamais  lu  les  modernes.  »  En  effet, 
l'abbé  Métastase  savait  du  latin  autant 
qu'homme  d'Italie,  ou  d'Autriche.  Au 
reste,  rien  n'était  changé  au  principe 
ni  à  la  forme  de  l'opéra  :  tout  au 
contraire,  les  défauts  en  étaient  con- 
sacrés par-  l'excellence  d'une  forme 
qui  s'imposait  avec  de  nouvelles 
qualités.  C'étaient  toujours  des  scènes 
en  dialogues  interminables,  traitées 
par  le  musicien  en  un  sec  récitatif 
(recitativo  secco  :  c'est  le  terme  techni- 
que), et,  au  bout,  une  strophe  dont 
les  mots,  incessamment  répétés, 
étaient  destinés  à  être  chantés  dans 
la  forme  fixe  de  l'air.  Rien  que  les 
airs,  extrêmement  longs  toujours:  on 
en  pourrait  compter  jusqu'à  une  tren- 
taine dans  un  seul  opéra.  Pas  de 
morceaux  d'ensemble  :  à  peine  un 
duo,  pour  finir  le  second  acte,  et  le 
tutti  final,  généralement  vulgaire,  et  „,w~'iï„ 

T  ,  ,  .Ml,  lA^TASfc. 

heureusement   court.  Les  paroles  de 

ces  airs  étaient  un  froid  commentaire  plus  ou  moins  exactement     |     sieurs  acteurs  sont  ap> 


dramatique.  Il  était  fort  rare  qu'on  y 
trouvât  l'expression  d'un  sentiment  : 
c'étaient  plutôt  des  sentences,  surve- 
nant à  la  fin  des  scènes,  comme  la 
morale  à  la  fin  des  fables  de  La  Fon- 
taine ou  d'Esope;  ou  bien  quelque 
trait  d'esprit  précieux  :  on  pourrait 
croire  parfois  que  l'idéal  du  drama- 
turge italien  fut  de  conclure  chaque 
dialogue  en  faisant  chanter  par  un 
des  personnages  le  sonnet  du  Afisan- 
throipe  :  «  L'espoir,  il  est  vrai,  nous 
soulage...  On  désespère,  alors  qu'on 
espère  toujours!  » 

Tel  est  le  fond  de  celte  poésie  de 
Métastase,  dont  on  a  fort  exagéré  les 
mérites  en  son  temps.  Il  fallait  que 
Jean-Jacques  Rousseau  eut  l'esprit 
terriblement  obscurci  par  le  dilettan- 
tisme pour  avoir  pu  le  qualifier  «  le 
seul  poète  du  cœur,  le  seul  génie  fait 
pour  émouvoir  par  le  charme  de 
l'harmonie  poétique  et  musicale.  « 
Sans  doute  ses  vers  sont  d'une  forme 
pure,  facile  et  coulante;  mais  que 
d'illusions  se  faisait  le  philos 
quand  il  y  pensait  trouver  l'accent  de 
la  nature  ! 

Aussi  bien,  la  supériorité  reconnue 
au  poète  Métastase  ne  fit  qu'aggraver 
la  condition  subalterne  du  composi- 
teur d'opéra.  Le  rôle  de  celui-ci  fut 
de  plus  en  plus  réduit  à  celui  d'un 
simple  interprète.  De  même  que  plu- 

elés  à  jouer  successivement  le  même  rôle 


34 


LE  MÉNESTREL 


de  même  les  poèmes  de  Métastase  furent  un  canevas  sur  lequel 
d'innombrables  musiciens  brodèrent  à  tour  de  rôle  leurs  notes. 
Il  y  en  eut,  comme  VOlimpiade,  Demofoonte,  Didone  abbandonata, 
Exio,  la  Clemenza  di  Tito,  qui  furent  traitées  par  d'innombrables 
maestri,  presque  jusqu'au  XIXe  siècle,  avec  Cimarosa,  Paisiello, 
Guglielmi,  quand  les  premiers  collaborateurs  du  poète  avaient 
été  les  représentants  de  trois  générations  antérieures,  les  Pergo- 
lèse,  les  Scarlatti,  les  Vinci,  les  Porpora. 

Gluck  fit  donc  comme  tout  le  monde  :  il  mit  en  musique  les 
tragédies  de  Métastase. 

De  1741  à  1745,  il  travailla  à  dix  opéras,  dont  deux  pour  les- 
quels il  composa  quelques  airs  seulement;  pour  les  huit  autres, 
dont  il  est  seul  auteur,  six  ont  pour  textes  des  drames  du  «  poëta 
cesareo  ». 

Le  premier  est  Artaserce,  représenté  au  Begio-Ducal  Teatro  de 
Milan  pour  le  carnaval  de  l'année  1742,  et  d'abord  donné  le 
lendemain  de  Noël,  26  décembre  1741.  Laissons  de  côté  les 
anecdotes  suspectes  et  inventées  après  coup,  comme  celle  de 
l'air  en  style  italien  que  Gluck  aurait  écrit  pour  se  railler  de 
l'auditoire  des  répétitions, —  toujours  bienveillant,  non  moins 
connaisseur,  —  et  lui  donner  à  croire  que  l'auteur  en  était  Sam  - 
martini,  mais  qu'il  avait  si  adroitement  intercalé  entre  des  airs 
de  son  propre  style  que,  devant  le  public,  le  prétendu  chef- 
d'œuvre  national  passa  inaperçu.  Il  faut  toujours  que  les  bio- 
graphes trouvent  de  ces  récits  piquants  autant  qu'inauthenti- 
ques  à  servir  à  leurs  lecteurs  (1).  Betenons  donc  seulement 
de  l'histoire  de  ce  début  que  ce  fut  un  succès,  car  le  fait  est 
pleinement  confirmé  par  la  rapidité  avec  laquelle  Gluck  pour- 
suivit sa  carrière  de  compositeur  d'opéras. 

Il  dut,  en  effet,  recevoir  sur-le-champ  la  commande  d'un 
ouvrage  pour  une  autre  des  grandes  scènes  de  l'Italie,  le  théâtre 
Grimani  de  San  Samuele,  à  Venise  :  Demetrio,  signé  de  lui,  y 
fut  donné  pour  la  foire  de  l'Ascension  (commencement  de  mai 
1742).  Un  sopraniste  remarquable,  Felice  Salembeni,  interpréta 
le  rôle  principal. 

L'hiver  suivant,  à  Milan,  troisième  opéra  :  Bcmofoonte,  repré- 
senté un  an  jour  pour  jour  après  le  premier,  26  décembre  1742. 

Quelques  mois  plus  tard,  il  est  encore  chargé  de  la  composi- 
tion de  l'ouvrage  destiné  à  la  saison  d'opéra  de  Crema,  résidence 
épiscopale  à  quelques  lieues  de  Milan.  Les  petites  villes  ita- 
liennes se  donnaient  parfois  des  spectacles  capables  de  rivaliser 
avec  ceux  des  grandes  capitales  :  c'est  ce  que  l'on  put  voir  à 
cette  occasion,  où,  pour  sa  foire  de  septembre,  Crema  put  avoir 
le  luxe  d'un  opéra  nouveau  de  Gluck,  et  réunir  pour  l'inter- 
préter une  troupe  comptant  parmi  ses  membres  des  virtuoses 
émérites  :  Salembeni,  que  nous  avons  déjà  rencontré  à  Venise 
aux  côtés  du  jeune  maitre,  et  qui,  après  cette  seconde  création, 
quitta  l'Italie  pour  se  rendre  à  Berlin  où  il  était  engagé  par  le 
roi  Frédéric;  un  autre  castrat,  Giuseppe  Gallieni,  et  deux  canta- 
trices, Giuditta  Fabiani  et  Caterina  Aschieri.  On  a  longtemps 
erré  quant  au  titre  de  l'œuvre  que  Gluck  écrivit  à  cette  occa- 
sion. Il  n'y  a  même  que  peu  de  jours  que  l'on  est  fixé  sur  son 
identité.  Je  puis  donc  être  un  des  premiers  à  désigner  positi- 
vement et  mettre  à  sa  vraie  place  cet  opéra,  dont  aucun  biogra- 
phe de  Gluck  n'a  eu  connaissance  :  il  se  nomme  //  Tigrane,  et 
a  été  écrit  sur  un  ancien  poème  d'un  opéra  vénitien,  remontant 
à  1691,  dont  l'auteur  est  l'abbé  Francesco  Silvani,  remanié  à 
plusieurs  reprises,  notamment,  en  dernier  lieu,  par  Goldoni  (2). 

Revenu  à  Milan,  Gluck  y  reçoit  pour  la  troisième  fois  la 
commande  de  l'opéra  du  carnaval;  mais  déjà,  à  l'ouverture  de 
la  saison,  il  compose  plusieurs  morceaux  (probablement  tout  le 
premier  acte)  d'un  ouvrage  dû  à  la  collaboration  de  plusieurs 


(1)  Voy.,  dans  Desmoihestehres,  Gluck  et  Piccini  (Paris,  Librairie  académique,  187-2), 
pp.  9  et  10,  le  récit  imaginé  d'après  des  éléments  fournis  par  Schsmd,  et  appuyé  d'une 
inopportune  citation  de  Scudo,  dont  le  nationalisme  italien  ne  pouvait  manquer  une 
si  belle  occasion  de  se  manifester  par  quelques  phrases  sonores  et  vides. 

(2)  Voy.  Francesco  Piovano,  Un  Opéra  inconnu  de  Gluck,  dans  le  Recueil  de  la  Société 
internationale  de  musique,  n"  de  janvier-mars  1908.  J'aurai  à  revenir  longuement, 
dans  la  suite  de  cette  étude,  sur  ce  remarquable  et  précieux  autant  que   récent 


musiciens:  Arsace,Drammapermusïca(l),  dont  la  dédicace  estdatée 
de  Milan,  le  18  décembre  1743.  Notons  que  cette  dédicace  est 
adressée  par  les  Cavalieri  Direttori  «  A  Sua  Altezza  il  Signor 
Giorgio  Cristiano  del  Sacro  Romano  Impero  Principe  di  Lobkowitz, 
Duca  di  Sagan,  etc.,  Governatore  e  Gapitano  Générale  dello 
Stato  di  Milano,  etc.  »  Ainsi,  jusqu'en  Italie,  Gluck  retrouvait, 
investi  des  plus  hautes  fonctions,  l'ancien  protecteur  de  sa 
famille  bohémienne. 

L'œuvre  principale  pour  cette  année  est  Sofonisba  (que  la 
plupart  des  biographes  intitulent  Siface,  du  nom  d'un  des  prin- 
cipaux personnages),  représentée  au  Begio-Ducale  Teatro  le 
13  janvier  1744.  Le  poème  est,  par  un  de  ces  mélanges  hétéro- 
gènes, fort  en  faveur  en  ce  temps-là,  mi-partie  nouveau,  mi-partie 
emprunté  aux  poésies  de  Métastase.  Comme  pour  Arsace,  la 
dédicace  est  offerte  au  prince  de  Lobkowitz,  capitaine  général 
de  l'État  de  Milan. 

Il  faut  mentionner  en  passant  la  Finta  Schiava ,  pasticcio 
représenté  à  Venise  pour  la  foire  de  l'Ascension  de  1744,  et  à 
la  composition  duquel  Gluck  participa  en  y  introduisant,  à  notre 
connaissance,  deux  airs,  dont  l'un  au  moins  est  emprunté  à  un 
de  ses  ouvrages  précédents  (Tigrane). 

A  l'automne,  nous  le  retrouvons  à  Venise,  où  «  il  famoso 
Teatro  Grimani  di  S.  Gio-Crisostorno  »  monte,  en  octobre,  son 
Ipermestra,  poème  de  Métastase.  Cet  opéra  fut  repris,  six  années 
plus  tard,  dans  sa  capitale  d'origine,  Prague. 

Poro  (titre  donné  par  dérogation  à  YAlessandro  nelle  Indie  de 
Métastase)  est  représenté,  à  Turin  cette  fois,  «  allapresenza  di  Sua 
Maesta  »,  pour  le  carnaval  de  1745  (première  représentation  le 
26  décembre  1744). 

Si  donc  il  était  permis  de  comprendre  dans  la  série  l'acte 
d' 'Arsace  écrit  pour  l'ouverture  de  la  précédente  saison  de  car- 
naval, nous  aurions  à  compter  cinq  opéras  auxquels  Gluck 
travailla  en  cette  seule  année,  —  trois  entièrement  de  sa  com- 
position. 

Enfin,  revenu  à  Milan,  il  mit  fin  à  cette  première  et  très  active 
période  de  production  en  écrivant  Ippolito  (Fedra,  disent  la  plu- 
part des  biographes),  qui,  fait  aussi  pour  la  même  saison  du 
carnaval,  fut  représenté  cinq  semaines  après  le  précédent  opéra 
de  Turin,  31  janvier  1745.  La  dédicace  inscrite  sur  le  livret  par 
les  Cavalieri  delegati  s'adresse  encore  au  prince  de  Lobkowitz. 

Dans  ce  bagage  accumulé  par  Gluck  pendant  les  trois  premières 
années  de  sa  carrière,  nous  n'avons  pas  l'espoir,  assurément,  de 
trouver  l'équivalent  d'Orphée  ni  d'Armide.  Mais  ces  premières 
œuvres,  jetées  généreusement  au  hasard  de  l'inspiration,  nous 
permettent  d'assister  à  la  formation  de  son  génie,  et  cela  seul 
est  d'un  fort  grand  intérêt.  Si  nous  considérons  d'autre  part  que 
cette  partie  de  sa  production  est  restée  complètement  inconnue, 
nous  en  aurons  assez  dit  pour  justifier  Texamen  que  nous  en 
allons  entreprendre,  et  sur  lequel  nous  nous  arrêterons  un 
moment  (2). 

[A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


il]  Voir  aussi  sur  cet  opéra  l'étude  de  M.  F.  Piovano  ci-dessus  désignée. 

(2)  Cette  étude,  qu'aucun  biographe  de  G-luck  n'a  tentée,  est  grandement  faci- 
litée aujourd'hui  aux  travailleurs  par  le  Catalogue  Ikcmaliquc  des  œuvres  de  Chr.  W.  von 
Gluck,  publié  par  Al™ed  Wotquenne  (1904).  Établi  d'après  les  documents  les  plus 
proches  des  originaux,  ce  catalogue  a  eu  pour  nous,  en  particulier,  l'avantage  de 
nous  permettre  d'y  voir  clair  dans  un  amas  confus  d'œuvres  que  nous  avions  sous 
la  main  :  un  recueil,  appartenant  à  la  Bibliothèque  du  Conservatoire  de  Paris,  de 
cinq  volumes  d'airs  manuscrits  de  Gluck  (copies),  dont  la  plupart  remontent  à  la 
première  partie  de  sa  carrière,  et  en  sont  les  seuls  vestiges  venus  jusqu'à  nous. 
Document  précieux,  on  en  conviendra.  Malheureusement,  les  indications  d'origine 
ne  sont  presque  jamais  données  sur  les  titres,  où  chaque  air  est  simplement  désigné 
par  ses  premières  paroles,  le  nom  de  l'auteur  (écrit  avec  les  orthographes  les  plus 
diverses),  quelquefois  un  nom  d'interprète  ou  une  date,  mais  où  les  titres  d'œuvres 
font  presque  continuellement  défaut.  Fort  heureusement,  M.  Wotquenne,  entre 
autres  connaissances  approfondies,  a  celle  du  répertoire  des  poèmes  d'opéras 
italiens  (Métastase  et  autres)  qui  lui  est  familier  jusque  dans  Ls  moindres  dé- 
tails. Il  a  pu  ainsi,  au  seul  vu  des  paroles,  remettre  à  leur  vraie  place  la  plus  grande 
partie  de  ces  morceaux.  Il  a,  par  exemple,  reconstitué,  grâce  à  notre  collection, 
la  musique  d'opéras  entiers,  tels  que  Demofoonte,  dont  les  vingt-cinq  airs,  le  duo  et 
le  chœur  final  nous  sont  maintenant  connus  pour  ce  qu'ils  étaient  à  l'origine.  Si  nous 
ajoutons  que  M.  Wotquenne  a  utilisé  pour  ses  identifications  non  seulement  les 
poèmes  de  Métastase  tels  que  les  donnent  ses  œuvres  complètes,   mais  qu'il  a  pu 


LE  MENESTREL 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Opéra.  —  Réouverture  avec  la  1 29! >G  représentation  île  Faust. 

Après  une  fermeture  à  laquelle  la  nouvelle  direction,  en  prenant 
possession  du  théâtre,  s'était  vue  obligée  pour  cause  d'essentielles  ré- 
parations (songez  que  trente-trois  années  se  sont  juste  écoulées  depuis 
la  solennelle  inauguration  de  la  salle  de  Charles  Garniev,  le  5  jan- 
vier 1875),  nous  avons  pu,  à  la  date  précise  fixée  d'avance,  le  25  jan- 
vier, assister  a  la  soirée  de  réouverture  de  l'Opéra.  Celte  exactitude  ri- 
goureuse, qui  n'a  pas  dû,  vu  les  circonstances,  être  facile  à  obtenir,  ei 
à  laquelle  nous  n'étions  plus  habitués,  est  déjà  un  bon  point  en  faveur 
de  la  direction  ;  elle  semble,  sous  ce  rapport,  nous  reporter  au  temps 
de  l'administration  d'Halanzier,  où  au  jour  fixé,  à  l'heure  précise  indi- 
quée, les  trois  coups  solennels  résonnaient  sur  le  plancher  de  la  scèue 
et  donnaient  à  l'orchestre  le  signal  de  l'attaque.  On  oublie  un  peu  trop 
aujourd'hui,  à  Paris,  que  si  l'exactitude  est  la  politesse  des  rois,  elle 
devrait  être  surtout  celle  des  administrations  théâtrales,  qui  en  prennent 
trop  (à  l'aise  avec  le  public  qui  les  fait  vivre.  L'exemple  que  nous  donne 
l'Opéra  serait  bon  à  suivre  de  la  part  de  tous. 

Les  réparations  entreprises  n'ont  été,  en  ce  qui  concerne  la  salle, 
qu'un  violent  et  indispensable  nettoyage,  qui  ne  pouvait  qu'eu  éclaircir 
l'aspect,  sans  en  altérer  ni  l'ensemble  ni  les  détails.  Seul,  l'orchestre  a 
été  l'objet  d'une  double  modification  :  d'une  part,  la  clôture  pleine  qui 
le  séparait  des  spectateurs  a  été  remplacée  par  une  clôture  ajourée  ;  de 
l'autre,  le  plancher  a  été  abaissé  de  vingt  centimètres,  ce  qui  est  trop  ou 
trop  peu.  La  construction,  parait-il,  ne  permettait  pas  de  faire  davan- 
tage. Il  m'est  avis  qu'alors  il  valait  mieux  laisser  les  choses  en  l'état. 
Effectivement,  ce  modeste  abaissement  de  vingt  centimètres  est  insuffi- 
sant pour  amortir  l'effet  éclatant  de  l'orchestre  de  Wagner;  il  était  donc 
inutile.  En  revanche,  il  est  nuisible  pour  les  ouvrages  dont  l'instru- 
mentation n'est  pas  conçue  d'après  les  mêmes  principes.  On  a  pu  s'en 
apercevoir  à  cette  nouvelle  audition  de  Faust,  où  les  délicieux  détails 
de  l'orchestre  sobre  et  délicat  de  Gounod  disparaissaient  complètement. 
Je  n'en  veux  pour  preuve,,  entre  autres,  que  l'accompagnement  de 
violon  solo  de  l'air  de  Faust,  qu'on  entend  à  peine  et  dont  l'effet  est 
absolument  perdu. 

On  a  beaucoup  parlé  de  la  nouvelle  mise  en  scène  de  Faust.  Il  y  a 
beaucoup  à  louer  sans  doute,  et  peut-être  aussi  quelque  peu  à  repren- 
dre. Les  nouveaux  décors  sont  fort  beaux  et  bien  compris.  Celui  de  la 
Kermesse  (Amable)  est  charmant;  celui  du  jardin  de  Marguerite  déli- 
cieux et  plein  de  poésie  ;  celui  de  l'église,  un  peu  étroit  peut-être,  mais 
sévère  comme  il  convient  (Carpezat)  ;  celui  du  retour  des  soldats  (Jam- 
bon), avec  ses  maisons  aux  loits  couverts  de  neige,  est  superbe  ;  celui 
de  la  fête,  étincelant.  Tout  cela  est  très  bien.  Les  costwmes  ne  me  pa- 
raissent pas  tous  aussi  satisfaisants.  Pourquoi  nous  avoir  changé  notre 
Méphistophélès  rouge,  si  caractéristique,  et  nous  l'avoir  fait  tout  noir, 
comme  celui  de  M.  Boito  ?  Et  si  l'envie  vous  prend  de  monter  le  Me/is- 
tofele  de  ce  dernier,  ne  ferez-vous  doux  aucune  différence  entre  l'un  et 
l'autre  ?  Et  Marguerite,  pourquoi  lui  enlever  sa  belle  natte  et  emprison- 
ner ses  cheveux  dans  un  petit  bonnet  qui  la  fait  ressembler  à  une  petite 
paysanne  frisonne  comme  j'en  ai  vu  à  Groningue  et  à  Leuwarden  ? 

On  a  dit  le  bien  qu'il  fallait  dire  de  l'entrain  donné  au  tableau  de  la 
kermesse  et  du  mouvement  qu'on  a  su  lui  imprimer.  Il  est  certain  que 
nos  choristes  ont  fait  un  effort,  qu'ils  ne  sont  plus  Agés  comme  autre- 
fois, qu'il  prennent  vraiment  part  à  l'action  et  qu'ils  se  démènent 
autant  qu'il  est  possible.  Ce  n'est  pas  encore  l'égal  de  ce  que  donnait 
la  troupe  des  Meiniugen,  mais  il  y  a  progrès  évident.  Mais  je  deman- 
derai pourquoi  l'on  a  supprimé  le  prie-Dieu  dans  la  scène  de  l'église  ? 
Nous  voyons  maintenant  Marguerite  simplement  à  genoux  sur  les 
dalles,  au  milieu  du  théâtre,  pendant  qu'elle  entend  les  imprécations 
de  Méphistophélès  adossé  à  uu  pilier.  On  comprend  que  dans  cette 
situation  les  mouvements  lui  sont  très  difficiles;  elle  ne  peut  ni  tour- 
ner la  tête  ni  se  débattre  pour  échapper  aux  accents  de  l'être  diabolique, 
et  la  scène  devient  d'un  froid  glacial.  Il  faut  avouer  que  le  changement 
n'est  pas  heureux.  J'en  dirai  autant  de  la  mort  de  Valentin,  qu'on  fait 
se  relever  maintenant  et  qui  reste  debout  pour  injurier  sa  sœur  et  la 
maudire.  Son  monologue  me  paraissait  d'un  effet  bien  plus  drama- 
tique lorsqu'il   se   soulevait   seulement    pour    exhaler    ses   dernières 

retrouver  presque  toujours  les  libretti  imprimés  spécialement  pour  les  représentations 
de  chaque  opéra  de  Gluck,  et  que  ceux-ci  donnent  les  renseignements  les  plus 
positifs  concernant  les  titres,  dates,  lieux  de  représentation,  interprètes,  dédicaces, 
remaniements,  etc.,  l'on  comprendra  de  quelle  rare  utilité  un  pareil  travail  doit  être 
pour  celui  qui  veut  aujourd'hui  étudier  Gluck.  Je  lui  suis,  pour  ma  part,  grande- 
ment redevable. 


paroles  el  cracher  -lu  mépris  au  visage  de  la  malheureuse.  Prenons 
garde  que  souvent   le  mieux  est  l'ennemi  du  bi  servons  la 

tradition  lorsqu'elle  est  a  la  l'ois  intelligente  et  raisonnée. 

Venons  à  l'essentiel,  a  L'interprétation,  et  constatons  tout  d'abord  que 
nous  en  avons  fini   av..-.:    L'étonnante  ;  .niaisie   qui  depuis   longtemps 
avait  pris  ses  aises  dans  les  mouvements  delà  partitio 
ces  mouvements  hem.'      n  iblis,   de  façon  que  la  musique  de 

Faust  ne  reste  pas  à  l'étal  /trextmimo.  C'esl   M.  Muratore  qui 

joue  Faust:  il  y  l'aii  preuve  d'excellentes  qualil  -.    mais  surtout  il 
chante  l'air  :  Salut,  <i  meure  cha  U  H  pure    à  m 
des  nuances  exquises  qui  ne  s'A  irteni  pas  du  vrai  style  de  L'œuvre; 
c'esl  parfait.  M.  Delman  n'est  pas  pour  nous  un  nouveau  Méphisto;  on 
s;ui  le  talent  qu'il  déploie  dans  ce  rôle;  je  lui  reprocherai  a 

u certaine  el  trop  grande  prop  insion  ..  La  Lourdeur;  il  chante  un  peu 

cela  comme  il  chante  Wotan,  et  je  n'ai  pas  besoin  de  due  qui 

pas  tout  a  l'ail  la  même  chose.  La  voix  juste  de  M     M  il  o  i  -    peut-être 

un  peu  frêle  pour  le-  passages  dn il  iques  du  rôle  de  M  argue  i 

la  cantatrice  est  habile  et  la  femme  est  charmante;  elle  donm 
sonnage  une  couleur  pleine  di  gi 
Valentin  très  bon. .rai. le.   \l"    Mastio  uu  Siebel  to 
je  m'en  voudrais  de  ne  pas  signaler  M°"  Gaulaucourt,  .pu 
dame  Mari  lie  excellente.  Orchestre,  chœurs, 

ges,  et  en  particulier  M""  Zambelli,  qu'on  ne  saurai  oublier. 

En  résumé,  soirée  très  intéressante  et  d'un   bon  la  nou- 

velle direction. 

Me  sera-t  il  permis,  en  terminant,  de  rappeler  a  relie  direction  que 
la  prochaine  année  1909  et  le  mois  de  mars  de  celte  même  année 
verront  tout  ensemble  le  cinquantième  anniversaire  <!••  );i  création  de 
Faust  et  le  quarantième  de  son  apparition  sur  la  scène  de  l'(  >péra  '.'  En 
effet,  Fausl  fut  joué  pour  la  première  fois  au  Théâtre-Lyrique  du  bou- 
levard du  Temple,  le  19  mars  1859,  et  pour  la  première  fois  a  L'Opéra 
de  la  rue  Le  Peletier  (pour  sa  3081'  représentation  ..  le  3  mars  1859  0 
a  le  temps  sans  doute  de  se  préparer  à  célébrer  ce  double  anniversaire, 
mais  il  est  utile  de  ne  pas  l'oublier. 

Aiithi  i;    PoiiGW. 


Vaudeville.  —  Première  représentation  de  Un  Divorce,  comédie 
de  MM.  Paul  Bourget  et  André  Gury. 

Nous  assistons,  dans  cette  pièce,  à  la  dissolution  du  second  foyer 
conjugal  de  Gabrielle  Darras,  femme  divorcée,  qui  a  épousé,  il  y  a 
treize  ans  déjà,  un  ingénieur  doué  de  l'esprit  le  plus  large  et  affranchi 
de  tous  préjugés.  Elle  a  un  fils  de  vingt-trois  ans.  celle  jeune  femme, 
un  fils  de  son  premier  lit,  que  son  second  mari,  Darras.  a  reçu,  élevé, 
aimé  comme  s'il  eut  été  son  propre  enfant.  Ce  lils,  nommé  Lucien,  a 
rencontré  à  la  Faculté  de  Médecine  une  intelligente  et  jolie  infirmière, 
Berthe  Planât.  Il  l'a  revue  ensuite  dans  la  maison  de  sa  mère,  ou  elle 
était  venue  pour  soigner  une  personne  malade.  Le  charme  très  doux, 
la  dignité  de  caractère  de  cette  jeune  fille  lui  ont  inspiré  de  l'amour. 
Berthe  résiste  à  cette  passion  que  Gabrielle  et  son  mari  veulent  extirper 
à  tout  prix  du  cœur  de  Lucien. 

Ils  peuvent  croire  tout  d'abord  que  ce  résultat  sera  facile  à  obtenir, 
car  le  passé  de  Berthe  parait  avoir  été  bien  troublé.  Elle  a  vécu  marita- 
lement avec  un  ami  qui  l'a  délaissée  dès  qu'il  s'est  aperçu  qu'elle  allait 
être  mère.  Elle  a  un  enfant  et  le  fait  élever  hors  Paris.  Mais  cette  liai- 
son a  été  entourée  de  circonstances  tellement  particulières,  la  malheu- 
reuse qui  en  a  été  la  victime  a  montré  une  telle  graudeur  de  sentiments, 
une  si  haute  conception  du  rôle  de  la  femme  dans  la  société,  que  toutes 
les  enquêtes  et  toutes  les  manœuvres  tentées  pour  lui  arracher  son 
prestige,  le  rehaussent  avec  éclat;  elle  monte  de  plus  en  plus  sur  son 
piédestal  d'honneur  et  d'honnêteté,  s'élève  même  au  poiut  de  devenir 
la  seule  pure,  la  seule  belle,  la  seule  désirable,  et  tout  le  monde  vibre 
de  sympathie  pour  elle  quand  elle  dit:  «  Je  ne  reconnais  pas  avoir  com- 
mis de  faute  ».  Lucien  lui  offre  sa  main,  elle  refuse. 

Ici  la  situation  devient  superbe  et  pathétique.  «  Je  ne  vous  épouserai 
pas,  dit  Berthe,  parce  que  ce  serait  renier  mon  passé  qui,  pour  moi, 
n'a  pas  de  tache.  J'ai  contracté  une  uuion  libre,  par  horreur  pour  les 
compromis  du  mariage:  elle  a  duré  seulement  trois  mois  et  les  consé- 
quences en  ont  élé  lamentables:  je  mourrais  toutefois  avant  de  laisser 
dire  qu'elles  ont  été  honteuses.  »  Ici  le  public  est  pris,  les  applaudisse- 
ments couvrent  la  voix  de  l'actrice.  Berthe  ne  pourra  donc  consentir  à 
se  donner  à  Lucien  que  par  une  nouvelle  union  libre,  et  Lucien,  adop- 
tant son  point  de  vue,  approuvant  son  passé,  la  défend  avec  éloquence 
auprès  de  sa  mère  et  de  Darras.  Il  fait  l'éloge  de  son  amie,  exalte  ses 
qualités  rares  et  précieuses,  peut  enfin  s'écrier  en  parlant  de  la  triste 
liaison  :  «  Tout  ce  qui  fait  la  valeur  morale  du  mariage  a  été  dans  cette 


36 


LE  MENESTREL 


union.  »  Un  tonnerre  d'acclamations  répond  de  tous  côtés  à  cette  flére 
affirmation.  Darras  alors  devient  amer  et  agressif  :  «  Et  l'enfant,  tu  vas 
le  prendre  aussi  ?  »  La  réponse  est  vive,  cinglante  :  «  Tu  m'as  bien 
pris,  toi,  quand  tu  as  épousé  ma  mère.  »  Un  écho  prolongé  d'ovations 
souligne  dans  l'assistance  cette  riposte  d'une  audace  inouïe. 

Ainsi  le  mariage  après  divorce  est  assimile  par  Lucien  à  l'union  libre 
qu'il  veut  contracter  avec  Berlhe;  et  les  spectateurs  acclament  M.  Paul 
Bourget,  au  moment  où  il  impose,  dans  une  graduation  d'effet  magni- 
fique et  avec  de  superbes  accents  oratoires,  la  thèse  qui  ressort  de  sa 
pièce.  11  y  a  plus.  La  scène  est  ici  particulièrement  émouvante  et 
tragique,  à  cause  de  la  situation  très  spéciale  de  Gabrielle  Darras, 
mère  de  Lucien.  Cette  jeune  femme,  élevée  dans  le  sein  de  la  religion, 
avait  essayé  de  se  dégager  de  ses  croyances  pour  plaire  à  son  second 
mari,  mais  l'approche  de  la  première  communion  de  sa  fille  a  réveillé 
tous  ses  souvenirs;  un  parfum  de  sa  jeunesse  et  de  ses  fleurs  virgi- 
nales lui  est  monté  comme  au  visage:  en  accompagnant  l'enfant  aux 
exercices  pieux  elle  a  eu  le  vertige;  elle  a  senti  Dieu,  elle  a  senti  son 
àme  rajeunir  et  la  foi  lui  est  revenue.  Un  prêtre,  à  qui  elle  demande  de 
l'admettre  à  la  sainte  table  en  même  temps  que  sa  fille,  lui  déclare 
qu'elle  est  exclue  de  l'église  à  cause  de  son  divorce,  qu'elle  n'est  pas 
mariée,  qu'elle  est  en  état  d'union  libre.  Le  triomphe  de  Berthe  est 
complet. 

Dès  lors,  pour  Gabrielle,  c'en  est  fait  de  la  paix  de  son  àme,  c'en  est 
fait  de  la  joie  du  foyer  :  «  Je  devrais  me  réjouir  de  mon  retour  à  la  foi, 
j'en  suis  épouvantée  »,  dit-elle.  Il  n'y  a  plus  en  effet  de  remède,  tout 
est  fini,  tout  est  brisé.  En  vain  le  prèlra  qui  a  troublé  cette  conscience 
maladive  apparaît-il  à  la  fin,  pour  empêcher  l'épouse,  car  elle  l'est 
malgré  tout,  d'abandonner  le  toit  conjugal;  en  vain  Darras,  après  avoir 
insulté  l'ecclésiastique  indiscret  lui  tendra-t-il  la  main  en  rendant 
justice  à  ses  intentions;  en  vain  ouvrira-t-il  ses  bras  à  sa  femme  en 
lui  promettant  de  nouveau  sa  tendresse:  on  sent  que  les  anciens  liens 
ne  se  reformeront  point,  car  les  causes  de  dissolution  dont  nous  avons 
vu  les  effets  subsisteront  toujours.  Le  mariage  civil  après  divorce  n'a 
pu  réussir.  Quant  à  l'union  libre  projetée  entre  Berthe  et  Lucien,  elle 
est  ajournée  à  un  an.  Nous  ne  savons  pas  si  elle  sera  heureuse. 

Ici  éclate  le  défaut  de  la  pièce.  Nous  ne  pouvons  conclure.  Nous 
avons  assisté  à  un  prélude  à  deux  existences,  ou  mieux  à  deux  périodes 
d'existences  :  nous  ne  saurions  présumer  quelle  part  de  bonheur,  ou  de 
peines,  sera  donnée  au  couple  Berthe-Lucieu  et,  malgré  la  reconstitu- 
tion in  extremis  des  bons  rapports  conjugaux  entre  Gabrielle  et  Darras, 
un  doute  subsiste,  angoissant. 

Mais  la  thèse  de  M.  Paul  Bourget  est  très  clairement  posée.  Entre  le 
mariage  chrétien  indissoluble  et  l'union  libre,  il  n'y  a  pas  d'intermé-- 
diaire  logique.  Il  faut  choisir.  Le  divorce  est  simplement  un  état 
précaire  et  transitoire  qui  a  été  institué  pour  ménager  l'acheminement 
de  l'un  à  l'autre.  Nous  devons  dire  que  les  sympathies  de  l'auteur  d'Un 
Divorce  se  sont  manifestées  d'une  façon  peu  équivoque  en  faveur  de 
l'union  libre,  et  que  le  public  a  souligné  de  ses  bravos  les  conclusions 
hardies  de  la  pièce.  Le  tout  est  d'attendre  que  notre  état  social  soit 
assez  mûr  et  notre  moralité  suffisante  pour  que  l'union  libre  ne  s'offre 
pas  comme  un  «  pot-bouille  »  matrimonial,  mais  devienne  aussi  stable 
que  peut  l'être  le  plus  saint  des  mariages. 

Les  rôles  principaux  de  cette  pièce  ont  été  tenus  d'une  façon  entière- 
ment remarquable  :  par  MUe  Marthe  Brandôs,  une  Gabrielle  Darras 
jeune,  jolie,  exaltée  et  mystique,  toujours  prête  à  prendre  ses  désirs 
pour  les  réalités,  très  sensitive  et  enveloppante  vis-à-vis  de  son  fils,  et 
vraiment  captivante  parfois  quand  la  passion  la  secoue  et  l'anime;  par 
M"''  Jeanne  Heller.  une  infirmière  gracieuse  plus  que  sa  profession  ne 
l'exigerait,  mais  sachant  dire  juste,  avec  réserve  et  discrétion;  par 
M.  Lérand,  qui  a  posé  le  rôle  de  Darras  avec  beaucoup  d'autorité,  de 
distinction  et  de  mesure;  toujours  maitre  de  lui-même,  il  a  dessiné 
son  personnage  dans  un  saisissant  relief;  enfin  par  M.  Louis  Gauthier 
qui  a  su  incarner  fidèlement  le  caractère  de  Lucien;  sans  pose  et  sans 
emphase,  il  soutient  les  principes  qu'il  a  reçus  de  son  père  adoptif,  se 
montre  amoureux  avec  dignité  et  rejette  loin  de  lui  toute  compromis- 
sion douteuse.  Mme  Cécile  Caron,  Mllc  Ellen  Andrée  et  M.  Arquillière, 
complétaient  un  ensemble  detous  points  excellent.  Lamise  en  scène  a  été 
entièrement  conforme  à  ce  qu'exigeait  le  milieu  où  s'accomplit  l'action. 

Amêdée  Boutakel. 

Folies-Diumatioues.    —   Première   représentation   de    Tourtelin    s'amuse, 
vaudeville  en  trois  actes,  de  MM.  H.  Kéroul  et  A.  Barré. 

C'est  la  folie  avec  accès  continus  ;  un  feu  d'artifice  de  mots  baroques 
fait  rage  constamment  pendant  ces  trois  actes.  On  rit  aux  éclats  depuis 
le  commencement  de  la  pièce  jusqu'à  la  fin,  car  les  saillies  se  succèdent 
sans  interruption. 


Au  premier  acte,  nous  voyons  défiler  dans  l'Agence  matrimoniale 
Séraphin  des  préfets  en  rupture  d'étiquette,  des  directeurs  de  minis- 
tères trop  juvéniles  pour  leurs  fonctions,  des  officiers  ministériels,  des 
magistrats.  Moyennant  rétribution,  des  compagnes  leur  sont  procurées 
et,  si  les  caractères  s'accordent,  on  ira  plus  tard  à  la  mairie.  On  va 
d'abord  à  l'hôtel  des  Deux-Pigeons,  à  Fontainebleau.  C'est  une  succur- 
sale de  l'Agence,  ou  plutôt  uue  maison  auxiliaire  discrète,  où  l'on  peut 
s'attarder  eu  villégiatures  matrimoniales  ou  autres.  Le  notaire  Tourte- 
lin  s'y  trouve  en  ce  moment.  Venu  de  Périgueux  pour  chercher  une 
épouse,  on  lui  a  promis  de  lui  procurer  une  héritière  millionnaire, 
mais  sous  condition  qu'il  aurait  goûté,  avant  les  noces,  tous  les  fruits 
défendus  de  la  vie  conjugale  :  les  parents  de  la  promise  pensent  s'assurer, 
par  ce  moyen,  qu'une  fois  entré  dans  le  paradis  du  mariage  notre  ta- 
bellion n'aura  plus  la  tentation  de  rechercher  des  distractions  prohibées  : 
il  sera  blasé. 

C'est  Mmc  Séraphin  qui  afaitee  conte  à  notre  provincial,  et  l'a  envoyé 
ensuite  aux  Deux-Pigeons  en  bonne  compagnie.  Mais  Tourtelin  se  fait 
surprendre  pendant  son  équipée  par  son  ami  Balossier,  viveur  intré- 
pide qui  entend  bien  profiter  de  cette  aubaine  pour  le  faire  chanter  au 
meilleur  diapason.  Or.  c'est  précisément  avec  la  femme  de  Balossier 
que  Tourtelin  s'amuse.  De  stupides  maladresses  de  Tourtelin  vont  tout 
gâter,  tout  compromettre,  quand  le  Deus  ex  machina  du  Vaudeville  ar- 
range tout  et  donne  à  qui  de  droit  des  yeux  pour  ne  point  voir.  Balos- 
sier, dûment  trompé,  se  croit  en  possession  d'une  femme  irréprochable 
et  Tourtelin  se  consolera  de  n'avoir  point  le  million  en  songeant  qu'il 
fait  dire  de  lui  ce  que  l'on  a  dit  de  François  Ier,  «  le  roi  s'amuse  », 
Tourtelin  s'amuse. 

Les  spectateurs  aussi  se  sont  bien  amusés;  ceux  du  moins  dont  les 
oreilles  et  la  vue  ne  pouvaient  être  offusqués  par  un  amas  d'inventions 
extravagantes,  de  tableaux  burlesques  et  de  quiproquos  affolants.  Ils 
ont  applaudi  MM.  Milo,  Rouvière,  Prévost,  Némo,  M'"es  Germaine  Ety. 
Marcelle  Prince,  Andrée  Marly....,  interprètes  amusants  de  cette  farce 
aussi  vide  quant  au  fond  que  pétillante  de  mots  saugrenus. 

Am.  B. 


THÉÂTRE -LYRIQUE  FLAMAND  (vlâamsche  opéra) 


Balaie,  drame  lyrique  en  trois  actes,  poème  de  M.  Nestor  De  Tière, 
musique  de  M.  Jan  Blockx. 

(De  notre  correspondant  de  Belgique.) 

Anvers,  28  janvier  1908. 
La  première  représentation  du  nouvel  opéra  de  MM.  De  Tière  et 
Blockx  a  eu  lieu,  comme  je  vous  l'avais  annoncé,  samedi.  L'intérêt  qui 
s'attache —  en  Belgique  et  ailleurs  —  aux  œuvres  de  l'original  compo- 
siteur de  Princesse  d'auberge,  de  la  Fiancée  de  la  mer,  de  Thyl  Uylenspie- 
gel  et  Milenka  faisait  de  cette  première  un  véritable  événement. 

L'action  du  drame,  imaginé  par  M.  De  Tière,  se  passe,  vers  l'année 
1785,  dans  un  village  flamand  des  rives  de  l'Escaut.  C'est  une  sorte 
d'études  de  mœurs  rustiques,  évoquant,  dans  le  cadre  réaliste  des  cou- 
tumes locales  de  la  Flandre,  les  passions  et  les  sentiments  élémentaires 
et  frustes  de  l'àme  paysanne.  On  y  voit  dépeint,  en  traits  rudes  et  sin- 
cères, le  caractère  particulier  des  riverains  de  l'Escaut,  —  natures 
lentes  et  lourdes,  patientes  et  rêveuses,  mais  d'une  exubérance  débor- 
dante dans  la  liesse  et,  quand  la  passion  les  secoue,  d'une  sauvagerie 
redoutable. 

La  figure  centrale  du  drame  est  Stavie  Baldie,  riche  propriétaire  cam- 
pagnard, personnage  hardi,  impudent,  homme  d'affaires  avisé,  sans 
scrupules,  et  grand  coureur  de  filles.  Pratiquant  à  la  fois  la  débauche 
et  l'usure,  faisant  servir  ceci  à  cela,  il  a  établi  peu  à  peu  sa  domination 
sur  tout  le  pays  environnant  :  il  préserve  les  paysans,  les  met  aux  abois 
pour  s'assurer,  dans  leurs  intérieurs,  des  avantages  d'autre  sorte;  puis 
il  prévient  les  révoltes  par  quelques  largesses  habilement  distribuées, 
qui  lui  valent  une  popularité  de  surface. 

A  ce  personnage  s'oppose  celui  de  Théo,  un  type  assez  fréquent  parmi 
les  populations  flamandes  :  jeune  campagnard  à  l'imagination  abon- 
dante, à  l'esprit  contemplatif,  travaillé  de  confuses  aspirations  artisti- 
ques et  poétiques.  Il  rime  et  chante,  est  affilié  à  une  Chambre  de  rhé- 
torique, et  s'essaie  dans  la  sculpture  sur  bois,  si  bien  qu'un  oncle 
fortuné  va  l'envoyer  à  Gand  se  perfectionner  dans  cet  art. 

Puis,  c'est  le  vieux  fermier  Tennis,  locataire  et  débiteur  de  Baldie. 
le  type  du  paysan  âpre  au  gain,  cupide  et  brutal,  dont  la  déveine  et  la 
ruine  imminente  achèvent  d'aigrir  le  caractère  violent  et  fourbe. 

Tennis  vit  avec  ses  belles-filles,  Veerle  et  Dina,  dont  la  personnalité 


LE  MÉNESTREL 


37 


sympathique  coutraste  vivemeDt  avec  celle  du  vieux  fermier:  Veerle, 
l'ainée,  nature  douce,  tendre  et  rêveuse;  Dina,  la  cadette,  plus  enjouée 
et  plus  vive. 

Théo,  qui  fréquente  la  maison,  ne  pouvait  manquer,  avec  ses  sédui- 
santes qualités  imagi natives,  de  faire  impression  sur  les  deux  sœurs. 
Quant  à  lui,  il  aime  Veerle,  et  les  deux  jeunes  gens  se  sont  promis  l'un 
à  l'autre.  Dina,  elle  aussi,  aime  Théo,  de  toute  la  vivacité  de  son  tem- 
pérament impétueux;  mais,  généreusement,  elle  dissimule  de  son 
mieux  ses  sentiments,  sacrifiant  son  amour  au  bonheur  de  sa  sœur. 

Autour  de  ces  figures  principales  gravitent  quelques  personnages 
secondaires,  tels  que  Rikus  et  Rika,  respectivement  valet  et  fille  de 
ferme  chez  Tennis,  —  braves  cœurs,  très  amoureux  l'un  de  l'autre,  et 
qui  comptent  se  marier  au  premier  jour. 

Voilà  bien  c  l  iblis  les  acteurs  du  drame,  dont  vous  vous  représenterez 
ainsi  tout  de  suite  très  clairement  la  marche.  Drame  mouvementé  haut 
en  couleur  et  nullement  psychologique,  ce  qui  ne  l'empêche  pas  d'être 
parfaitement  logique  en  ses  développements  et  d'apparence  très  vi- 
vante même  dans  ce  qu'il  a  de  conventionnel  au  point  de  vue  de  la 
recherche  de  l'effet.  Il  n'est  personne  qui,  autant  que  M.  De  Ticre, 
sache  charpeuter  une  pièce,  avec  tout  ce  qui  peut  contribuer  à  la  rendre 
variée,  touchante  et  pittoresque. 

Au  premier  acte,  l'action  s'encadre  dans  une  fête  de  la  moisson  ;  les 
premières  scènes  nous  en  présentent  les  préparatifs;  les  dernières  nous 
feront  assister  à  sa  joyeuse  explosion.  L'usurier  Baldie  et  le  sournois 
Tennis  sont  tout  de  suite  aux  prises.  Celui-  ci  exprime  ses  soucis  d'ar- 
gent; l'autre  en  profite  pour  lui  faire  entendre  qu'il  a  jeté  son  dévolu 
sur  une  de  ses  deux  belles-filles,  Veerle...  A  bon  entendeur,  salut!  Avec 
un  peu  de  complaisance,  tout  s'arrangera...  Les  deux  complices  s'éloi- 
gnent. Mais  voici  Théo  :  il  vient  prendre  congé  des  jeunes  filles,  car  il 
va  partir  en  apprentissage  pour  Gand;  l'amour  veillera  pendant  son 
absence.  Théo  et  Veerle  se  répètent  de  douces  paroles,  lorsque  Baldie. 
repassant  par  là,  surprend  le  joli  duo  et  s'en  gausse.  Théo,  qui  connait 
le  pouvoir  malfaisant  du  bonhomme,  le  raille  et  le  menace:  ils  vont  en 
venir  aux  mains  ;  mais  Veerle  les  sépare.  Raidie  se  retire,  la  rage  au 
cœur,  tandis  que  les  moissonneurs  ramènent  la  gaité  bruyante  sur  la 
scène. 

Au  second  acte,  deux  mois  plus  tard,  nouvelle  fête  :  la  kermesse 
d'automne,  avec  ses  danses,  ses  jeux  et  ses  ripailles.  Théo  est  toujours 
absent.  Et  Veerle,  minée  d'un  mal  mystérieux,  se  lamente  et  souffre, 
au  grand  ennui  du  madré  Tennis,  qui  a  vu  avec  colère  sa  belle-fille 
s'amouracher  d'un  «  freluquet  »  et  dédaigner  Baldie,  dont  il  se  pro- 
mettait de  favoriser  la  convoilise...  Nul  ne  connait  la  cause  pour 
laquelle  Veerle  dépérit.  Nul  autre  que  le  valet  Rikus,  qui,  un  jour, 
accourut  aux  cris  de  la  pauvre  fille,  que  le  hideux  Baldie,  après  avoir 
tenté  de  la  violenter,  avait  laissée  demi-morte,  tout  en  sang,  dans 
une  chambre  déserte  de  la  ferme...  Depuis,  Veerle  dépérit.  Vainement 
sa  sœur  Dina  cherche  à  la  consoler...  Le  malheur  guette.  Et  justement, 
l'horrible  vision  de  Baldie  se  dresse  soudain  à  ses  yeux...  Oui,  c'est 
encore  l'odieux  Baldie,  cherchant,  par  la  douceur  cette  fois,  à  lui  arra- 
cher un  consentement...  Veerle,  indignée,  le  repousse  violemment,  lui 
jette  à  la  figure  des  bijoux  qu'il  lui  offrait,  et  veut  le  tuer...  Baldie  se 
retire,  la  rage  dans  l'âme.  Veerle,  chancelante,  se  traîne,  appelant  à 
l'aide...  Théo  lui  répond  !  Théo,  qui  revient,  bien  à  point,  et  qui  a  tout 
appris,  et  qui  s'affole...  Mais  hélas  !  l'émotion,  la  douleur,  la  joie  ont 
été  trop  grandes  pour  la  malheureuse  qui,  sans  un  cri,  ferme  les  yeux, 
et  tombe  inanimée,  morte,  sur  sa  couche...  Théo,  dans  un  cri  de 
désespoir,  jure  de  la  venger. 

Au  troisième  acte,  fête  encore...  C'est  l'élection  du  roi  de  la  Gilde  de 
•  Saint-Sébastien,  parmi  les  tireurs  à  la  perche.  On  boit,  on  mange,  on 
chante.  Six  mois  se  sont  passés  depuis  la  mort  de  Veerle:  Tennis, 
ordonnateur  du  Festin  et  Baldie,  tireur  émérite,  ne  songent  qu'à  se 
réjouir,  d'autant  plus  que  Hanske-leFou,le  bouffon  de  la  Gilde,  amuse 
tout  le  monde  de  ses  lazzis.  Baldie  régale;  Baldie  est  proclamé  roi... 
Seule,  la  petite  Dina,  songe  toujours  à  sa  sœur;  elle  est  triste,  et  soup- 
çonne le  mauvais  drôle  d'être  pour  quelque  chose  dans  le  malheur...  Et 
Théo  ?  a-t-il  oublié  son  serment  ?  Non:  sans  doute  (l'auteur  ne  nous  le 
dit  pas)  a-t-il  dû  ajourner  sa  vengeance,  et  repartir...  Mais  le  voilà 
qui  revient!...  L'heure  de  la  justice  a  sonné...  Au  milieu  du  brouhaha 
de  la  fête,  Théo  surgit;  il  défie  Baldie:  il  rappelle  à  la  foule  amassée 
les  forfaits  du  traitre,  tous  ses  honteux  exploits,  dont  le  village  a  du, 
par  terreur,  garder  le  secret;  il  ameute  autour  de  lui  les  vengeances 
qui  dormaient;  en  face  de  l'usurier  se  dressent  bientôt  les  poings 
furieux...  Des  clameurs  de  mort  retentissent.  Théo  vise  le  drôle  d'une 
flèche...  Mais  Dina  se  précipite  ;  elle  ne  veut  pas  que  celui  qu'elle  aime, 
au  fond  de  son  cœur,  paie  de  sa  vie  le  juste  châtiment...  Elle  frappera 
elle-même  ..  Elle  saisit  un  couteau,  et  le  plonge  dans  le  sein  de  Baldie. 


Je  vous  ai  raconte  ce  poème  avec  quelque  détail  parce  qu'il  est  tout 
à  fait  caractéristique  de  l'art  robuste,  rude,  essentiellement  autochtone 
dont  M.  Blockx  est  le  chef  en  Belgique.  Baldie  complète,  dans  l'esprit 
des  deux  auteurs,  la  trilogie  lyrique  dans  laquelle  ils  se  sont  donné 
pour  tâche  d'évoquer  les  mœurs  llamandes  sous  leurs  trois  aspects 
principaux:  Princesse  d'auberge,  c'est  la  ville;  la  Fiancé 
Flandre  maritime  ;  Baldie,  c'est  la  campagne.  On  retrouve  ici,  dan-  la 
partition  comme  dans  le  poème,  la  physionomie    stylistique  i  - 
des  deux  ouvrages  antérieurs  :  de  la  couleur,  une  e 
mais  néanmoins  lies  intense,  une  conviction  qui  s'impose,  une  véhé- 
mence un  peu  fruste,  une  ingénuité  attendrie.  L'inspiration  Fe 
M.  Blockx  a  dû  se  réjouir  des  continuelles  oppositions  du   livi 
sant  tour  à  tour  do  l'idylle  au  drame,  du  plaisant  au  sévère, avec, comme 
cadre  à  l'action,  ces  déchaînements  de  liesse  et  do-  passion  populaires 
dont  l'évocation  a  toujours    été  chère   aux  musiciens    de  l'école  an- 
versoise. 

Ce  sont,  naturellement,  ces  scènes-là  qui.  à  la  représentation,  ont  le 
plus  porté,  et  ce  sont  d'ailleurs  les  plus  réussies.  La  fête  de  la  moisson, 
à  la  fin  du  premier  acle,  a  été  biss-e.  Il  y  a  là  une  série  de  i  I 
dansées,  d'un  entrain  ei  d'une  verve  charmante,  et  comparables  aux 
plus  jolis  spécimens  du  folklore  flamand.  Le  plus  grand  nombre  des 
auditeurs,  et  les  plus  avertis,  s'y  sont  trompés,  et  ont  pris  pour  îles 
chansons  originales  ce  qui  n'était  que  du  pastiche,  mais  un  pastiché 
comme  M.  Blockx  seul  sait  en  faire.  Tels  :  i  u  s  s  i  les  ihèmes  populaires 
qui  traversent  le  deuxième  acte,  les  épisodes  burlesques  du  bouffon,  m 
troisième,  et  l'entrée  tonitruante  de  la  Gilde,  sur  un  air  de  marche 
rappelant  un  peu  «  le  Sabre  de  mon  père  »,  mais  qui,  dans  le  mouve- 
ment général  de  la  scène,  emporte  tout... 

Si  le  côté  descriptif  est  supérieur  au  côté  dramatique,  celui-ci  cepen- 
dant est  d'une  indiscutable  maîtrise.  La  façon  dont  1.-  compositeur  a 
silhouetté  ses  personnages  et  leurs  vives  oppositions  psychologiques. 

—  l'amour  serein  et  grave  de  Théo  el  de  Veerle,  la  paysannerie  cocasse 
de  Rikus  et  de  Rika,  la  brutalité  du  vieux  fermier,  et  surtout  la  figure 
si  hardiment  campée  de  Baldie  —  est  d'un  maître  peintreel  d'un  obser- 
vateur vigoureux. 

Ici,  comme  dans  ses  partitions  précédentes,  M.  Blockx  fait  un  emploi 
abondant  des  thèmes  conducteurs.  Mais  ils  n'entrent  pas,  aulant  que 
ceux  de  Wagner,  —  au  système  duquel  ils  constituent  le  seul  emprunt. 

—  dans  la  trame  instrumentale,  et  se  répètent  plus  qu'ils  ne  se  déve- 
loppent. Le  récilatif  estplutôt,  chez  le  compositeur  flamand,  l'exception, 
et  les  formes  traditionnelles  de  l'ancien  opéra  «  lyrique  »  subsistent,  en 
somme,  et  dominent.  La  grande  importance  est  donnée  au  rythme, 
plus  encore  qu'à  la  phrase  mélodique,  parfois  assez  courte,  et  aux 
recherches  orchestrales,  peu  compliquées. 

Parmi  les  pages  qui  ont  produit  le  plus  d'impression,  il  faut  citer, 
au  premier  acte,  le  duo  d'amour  et  le  quatuor  qui  suit.  Tout  cet  acte-là 
d'ailleurs  est  charmant.  Le  deuxième  est  tenu  tout  entier  dans  une 
note  sombre  et  morne.  Quant  au  troisième,  sa  coloration  musicale,  sa 
vie  intense,  son  mouvement  tumultueux  et  farouche  sont  d'un  très 
grand  effet,  et  la  scène  finale  termine  l'œuvre  avec  éclat. 

Je  n'entrerai  pas  dans  le  détail  de  l'interprétation  et  de  la  mise  en 
scène.  L'une  et  l'autre,  malgré  la  meilleure  volonté  et  les  efforts  les 
plus  méritoires,  sont,  il  faut  le  dire,  inférieures  à  ce  qu'il  aurait  fallu 
pour  mettre  le  drame  complètement  en  valeur.  Cela  n'a  pas  empêché 
Baldie  de  remporter  un  très  vif  et  très  franc  succès,  digne  de  celui  des 
deux  autres  parties  de  la  trilogie  flamande.  Princesse  d'aubère. 
Fiancée  de  la  mer.  Des  rappels  chaleureux  ont  salué  la  fin  de  chaque 
acte,  où,  après  le  premier,  MM.  Dû  Tière  et  Blockx  ont  du  paraître  sur 
la  scène,  et,  au  dernier,  ils  ont  été  l'objet  d'une  de  ces  ovations  enthou- 
siastes dont,  seul,  le  public  anversois  possède  le  secret. 

Lucien  Solvay. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 


(pour  les  seuls 


A    LA    HUSIQUB) 


Pour  le  comte  de  Germont-Tonnerre,  Paul  Vidal  a  composé,  sur  un  livret  de  Jean 
Richepin,  Zino  Zina,  toute  une  musique  de  billet  dont  il  fut  b-aucoup parlé,  cet  été, 
sous  les  ombrages  de  Maisons-LaCBtte.  Sur  une  petite  s:ènc  improvisée  et  caeliée 
dans  la  verdure,  des  danseu-es</i™Welto  évoluèrent  gentiment  et  lirent  admirer  leur 
"race  aux  derniers  vestiges  de  notre  haute  aristocratie.  La  musique  de  Paul  Vida! 
fut  surtout  appréciée  et,  de  lait,  elle  valaitmieux  que  ces  petites  l'êtes  de  circonstance. 
On  la  publia,  en  attendant  pour  l'œuvrelte  de  plus  hautes  destinées.  Il  y  eut  surloui 
une  suite  de  Dîmes  tanag tiennes  qui  remporta  tous  les  suffrages  et  qui  fut  exécutée 
d»puis  par  plusieurs  de  nos  orchestres  syinplioniques.  C'est  le  dernier  numéro  de 
cette  suite    Danse  des  crotales,  que  nous  offrons  aujourd'hui  à  nos  abonnés. 


38 


LE  MENESTREL 


REVUE  DES  GRANDS   CONCERTS 


C'est  la  symphonie  en  si  bémol  de  Schumann,  la  première,  que  le  maître  de 
Zwickau  dédia  au  roi  de  Saxe  Frédéric-Auguste,  qui  ouvrait  le  dernier  pro- 
gramme de  la  Société  des  concerts.  L'œuvre  est  intéressante  sans  doute, 
mais  combien  l'orchestre  en  est  généralement  lourd,  surtout  si  on  le  compare. 
à  celui  de  Mendelssohn  !  Dans  le  final  seulement,  cet  orchestre  s'allège,  s'é- 
claircit,  et  ce  final,  il  faut  le  dire,  est  absolument  délicieux,  délicieux  de 
finesse,  de  grâce,  et  de  légèreté.  Son  effet  est  immanquable,  et  cette  fois 
encore  le  public  l'a  accueilli  avec  une  véritable  joie,  qui  s'est  traduite  par  des 
applaudissements  vigoureux  et  répétés.  Oh  !  nous  sommes  loin  du  temps  où 
ce  public  du  Conservatoire,  trop  pudibond  alors,  ne  voulait  pas  entendre  parler 
de  Schumann  et  ne  l'accueillait  qu'avec  des  murmures  et  parfois  des  sifflets. 
Les  temps  sont  changés  —  heureusement.  La  symphonie  était  suivie  d'une 
suite  de  Grieg  pour  instruments  à  cordes  :  Au  temps  d'Holberg.  C'est  un  hom- 
mage délicat  que  la  Société  rendait  à  la  mémoire  du  poétique  compositeur 
Scandinave,  mort  il  y  a  quelques  semaines  à  peine.  L'œuvre  qu'elle  nous 
présentait  est  aussi  un  hommage  que  ce  compositeur  rendait  à  la  mémoire 
d'un  poète  du  XVIIIe  siècle,  le  baron  Louis  de  Holberg,  qu'on  appelait  le 
Molière  danois  et  qui  fut,  comme  on  l'a  dit,  le  rénovateur  de  la  littérature  de 
son  pays,  écrivain  très  fécond  à  qui  l'on  doit  des  comédies,  des  drames,  des 
romans  et  nombre  d'ouvrages  de  divers  genres.  Celte  suite,  divisée  en  cinq 
morceaux  (Prélude  —  Sarabande  —  Gavotte —  Air  —  Rigaudon),  est  comme  une 
sorte  de  pastiche  des  œuvres  de  ce  genre  dues  aux  vieux  maîtres  français  et 
allemands  ;  elle  est  d'une  forme  un  peu  archaïque,  relevée  par  certaines  touches 
d'un  modernisme  piquant.  Certaines  parties  en  sont  un  peu  pâles,  mais  la 
Gavotte  est  fort  aimable  et  le  Rigaudon,  dont  le  dessin  est  attaqué  par  le 
violon  solo,  est  tout  plein  de  grâce  et  de  gentillesse.  M.  Hayot,  un  maître  vio- 
loniste qu'on  a  le  regret  d'entendre  trop  rarement,  est  venu  exécuter  ensuite 
l'unique  et  superbe  concerto  que  Beethoven  dédia  à  son  ami  Etienne  de  Breu- 
ning  et  qui  fut  exécuté  pour  la  première  fois  à  Vienne,  en  1807,  par  un  excel- 
lent artiste,  François  Klément.  M.  Hayot  a  déployé,  dans  l'exécution  de  cette 
œuvre  grandiose,  un  style  d'une  rare  pureté,  un  mécanisme  d'une  surprenante 
facilité,  une  justesse  impeccable  et  un  son  charmant  à  qui  l'on  souhaiterait 
seulement  parfois  un  peu  plus  de  volume.  L'ensemble  était  parfait  et  a  valu 
au  virtuose  un  succès  brillant  qui  s'est  traduit  par  trois  rappels  vigoureux  et 
des  applaudissements  sans  fin.  Toute  une  série  de  chœurs  sans  accompagne- 
ment succédèrent  au  concerto  :  1°  Adoremw  te  (Corsi)  ;  2°  Crucifiœus,  à  huit  voix 
(Lotti):  3°  -1»  joty  jeu  (Clément  Jannequin*  ;  i»  Las,  je  n'yray  plus  (Guillaume 
Costeley).  Le  premier  est  plein  d'onction,  le  second  d'une  belle  sonorité  ; 
le  troisième  a  véritablement  enchanté  le  public,  qui  l'a  redemandé  avec  trans- 
port. Mais  aussi  quelle  grâce,  quel  esprit  dans  ce  habillement  de  voix  qui  se 
répondent  et  s'entrecroisent  incessamment,  quelle  finesse  dans  en  dialogue 
continu,  quelle  fraîcheur  dans  l'inspiration,  et  enfin,  pour  parler  le  langage 
de  nos  pédants  actuels,  quelle  écriture  !  Ils  avaient  bien  du  talent  nos  vieux 
maîtres  français,  et  je  souhaiterais  aux  jeunes  musiciens  présomptueux  de 
l'heure  présente,  si  fiers  de  leur  prétendu  savoir,  d'écrire  un  simple  morceau 
à  quatre  parties  de  la  valeur  de  ce  chœur  délicieux  de  maître  Jannequin  ;  mais 
je  suis  tranquille,  ils  n'en  feront  rien,  et  pour  cause.  Constatons  néanmoins 
que  les  quatre  chœurs  ci-dessus  ont  été  dits  à  ravir  par  le  personnel  vocal.  La 
séance  se  terminaitpar  l'étonnante,  l'étincelante,  l'admirable  ouverture  d'Obéron, 
de  Weber.  Encore  une  dont  nous  ne  sommes  pas  près  d'avoir  le  pendant. 

A.  P. 
—  Concerts-Colonne.  —  Après  une  exécution  correcte  mais  un  peu  froide 
de  l'interlude  symphonique  de  Rédemption  de  César  Franck,  M.  Colonne  céda 
la  baguette  à  M.  d'Indy  qui  dirigea  son  poème  orchestral  intitulé  Souvenirs  de 
façon  à  en  mettre  en  un  saisissant  relief  toute  la  richesse  instrumentale  ainsi 
que  la  magistrale  ordonnance  et  le  charme  expressif.  Le  succès  de  M.  d'Indy 
a  été  unanime  et  éclatant.  —  Puis  ce  fut  le  tour  de  l'Apprenti  sorcier,  cette 
page  si  spirituelle  et  colorée  de  M.  Paul  Dukas  et  que  M.  Colonne  dut  redire. 
—  Enfin  M.  Debussy  dirigea  à  son  tour  son  nouvel  ouvrage  la  Mer.  Pour  la 
première  fois  (ou  la  seconde)  que  l'auteur  de  Pelléas  prenait  contact  avec  le 
"rand  public  comme  chef  d'orchestre,  il  fiut  reconnaître  qu'il  s'est  tiré  à  son 
honneur  de  cette  difficile  épreuve,  sans  gestes  exagérés,  mais  avec  une  préci- 
sion et  une  sobriété  qui  ont  été  très  remarquées.  Les  Trois  Esquisses  symphouiques 
que  M.  Debussy  a  réunies  sous  le  titre  général  de  la  Mer  forment  une  suite 
assez  développée  et  où  se  retrouvent  les  procédés  habituels  du  compositeur  : 
recherches  harmoniques  subtiles,  complication  orchestrale  extrême,  plan 
vague  et  insaisissable,  ensemble  visant  surtout  au  pittoresque,  à  la  couleur, 
bien  plus  qu'à  l'expression  d'une  pensée  ou  d'un  sentiment.  A  ce  point  de  vue 
spécial  le  n°  2  (Jeux  de  vagues)  est  d'un  réalisme  très  savoureux.  On  a  acclamé 
l'œuvre  et  l'on  a  eu  raison,  car  si  l'on  est  en  droit  de  discuter  ses  tendances 
on  ne  peut  refuser  à  M.  Debussy  le  mérite  d'une  réelle  et  très  captivante  per- 
sonnalité. —  La  Psyché  do  César  Franck,  supérieurement  interprétée  par  l'or- 
chestre, par  Mllc  Hélène  Mirey  et  les  chœurs,  a  semblé  plus  divinement  belle 
encore,  en  sa  suave  et  géniale  simplicité.  J.  Jesiain. 

Concerts-Lamoureux.  —  A  la  manière  vigoureuse  et  brève  dont  il  a  campé 
l'ouverture  de  Coriolan,  s'attachant  à  en  faire  ressortir  le  côté  dramatique,  on 
peut  considérer  M.  Frédéric  Steinbach,  qui  a  dirigé  le  concert,  comme  un 
chef  d'orchestre  consciencieux,  intelligent  et  très  adroit.  Né  le  17  juin  1855,  à 
Grùnsfeld,  près  de  Baden,  il  est  venu  à  Paris  il  y  a  quelques  années  et  a  di- 


rigé un  concert  dans  la  salle  du  Théâtre  du  Vaudeville.  11  remplit  actuelle- 
ment les  fonctions  de  maître  de  chapelle  à  Cologne  et  de  directeur  du  Conser- 
vatoire de  cette  ville.  Son  physique  n'excite  que  faiblement  l'intérêt  ;  gros,  la 
tête  carrée,  les  traits  sans  finesse,  il  a  aussi  peu  que  possible  l'apparence  d'un 
artiste.  Jamais  son  visage  ne  s'anime  et  ne  trahit  une  àme  musicale.  Il  a  le 
geste  sobre  ;  cependant,  nous  l'avons  vu  deux  ou  trois  fois  s'énerver  de  la  tête 
aux  pieds,  les  mains  crispées,  les  bras  étendus  en  haut;  il  obtient  alors  de 
remarquables  effets  d'émotion.  Ainsi  ont  été  accentués,  mis  en  relief,  tous 
les  passages  que  l'on  peut  trouver  ou  déchirants  ou  désespérés  dans  Mort  et 
Transfiguration  de  M.  Richard  Strauss.  Le  public  a  d'ailleurs  peu  goûté  ce 
dernier  ouvrage  et  n'a  su  aucun  gré  à  M.  Steinbach  de  le  lui  avoir  présenté. 
Ce  fut  encore  bien  pire  pour  la  première  symphonie  en  ut  mineur  de  Brahms, 
chose  aussi  interminable  qu'habilement  tissée,  de  laquelle  d'autres  que 
M.  Steinbach  ont  essayé,  toujours  en  vain,  de  faire  jaillir  un  souffle,  une 
grande  pensée,  ou  simplement  de  faire  naître  ce  sentiment  quel  qu'il  soit,  qui 
devrait  nous  pénétrer  dans  toute  œuvre  musicale,  mais  surtout  dans  la  sonate 
et  dans  la  symphonie,  depuis  le  premier  accord  jusqu'à  la  mesure  finale.  Ce 
qui  manque  au  compositeur  allemand,  c'est  la  sensibilité,  le  don  des  larmes; 
larmes  de  tendresse  ou  d'admiration  avec  lesquelles  semblent  avoir  été  pensés 
tant  de  thèmes  de  Bach,  de  Mozart  et  de  Beethoven. 

Quis  viderit  illas,  de  lacrymis  factas,  sentiet  esse  rneis. 
Brahms  a  parfois  le  don  d'écrire,  surtout  d'orchestrer  avec  humour  ;  le  plus 
souvent  il  reste  terne  et  sans  chaleur.  Pour  notre  tempérament  français,  il 
parait  maussade,  ultra-morose  ;  il  distille  l'ennui.  Un  chef  d'oeuvre,  un  vrai, 
aurait  du  fout  au  moins  réveiller  dans  l'assistance  quelque  flamme  d'enthou- 
siasme, c'est  le  concerto  en  sol  de  Beethoven  qu'a  joué  M.  Godowsky.  Mais  ce 
pianiste  slave  n'a  rien  de  sympathique  .dans  son  jeu,  rien  d'aérien,  de  léger 
ou  d'expressif.  Il  est  préoccupé  surtout  de  la  sonorité,  ce  qui  est  assurément 
très  naturel,  maïs  ses  doigts  sont  rapides  et  implacables,  rebelles  à  toute 
nuance  un  peu  délicate.  L'artiste  n'a  pas  paru  très  sur  de  lui-même  dans  un 
des  soli  du  Rondo  vivace.  En  somme,  cette  belle  composition  a  paru  mono- 
tone et  décevante.  On  ne  peut  pourtant  pas  s'en  prendre  à  Beethoven. 

Amédée  Boutarei.. 

—  Programmes  des  concerts  de  demain  dimanche  : 

—  Conservatoire  :  Symphonie  en  si  bémol  n°  1  (S  humann).  —  Au  temps  d'Holberg 
(Grieg).  —  Concerto  pour  violon  (Beethoven),  par  M.  Maurice  Hayot.  —  Chœurs  sans 
accompagnement  :  Adorcmus  te  (Corsii,  Crueifixas  (Lotti),  Au  Juhj  Jeu  (Jannequin), 
Las,  je  riyray  plus  (Costeley).  —  Ouverture  d'Obéron  (Weber). 

Chàtelet,  concert  Colonne  :  Ouverture  de  Léonore,  n°  3  (Beethoven).  —  Le  Rouet 
d'Omphale  (Saint-Saëns). —  Psyché  (César  Franck),  soli  par  M™*  Hélène  Mirey.  — 
Prélude  de  Parsifal  (Wagner).  —  Récit  de  Loge  de  l'Or  du  Rhin  (Wagner)  et  le 
Chant  de  la  Forge  de  Siegfried  (Wagner),  chantés  par  M.  Van  Dyck.  —  Les  Mur- 
mures  de  la  Forêt  (Wagner).  —  Fragments  de  lu  Walkyrie  (Wagner),  par  M.  Van 
Dyck.  — Lu  Chevauchée  des  Waîlcyries  (Wagner). 

Salle  Gaveau,  concert  Lamoureux,  sous  la  direction  de  M.  Fritz  Steinbach  :  Ou- 
verture de  Léonore,  n°  3  (Beethoven).  —Variations  et  fugue  (Max  Reger). —  Six  danses 
allemandes  (Mozart),  transcrites  par  M.  Steinbach.  —  7°  symphonie  en  ut  majeur 
(Schubert). 

Concerts  populaires  (à  3  heures,  Marigny)  :  Symphonie  en  ré  (Beethovem.  —  Mélo- 
dieu  (Pierné),  Mm0  G.  Marty.  — Le  Rouet  d'Ompliah  (Saint-Saëns)  ;  a.  Elude  (Chopin); 
B.  Mephislo-Wateer  (Liszt),  M.  Francis  Coye.  —  Invitation  à  la  Valse  (Weber);  La 
Grotte  de  Fingal  (Mendelssohn)  ;  Samson  et  Dalila  (Saint-Saëns),  M"'  Georges  Marty. 
—  A.  Menuet  Chavagnat) ;  b.  Castor  et  Pollux  (Rameau);  Marche  nuptiale  Ruhins- 
teini.  Chef  d'orchestre  :  M.  Fernand  de  Léry. 

—  Voici  le  programme  du  grand  concert  que  Mmc  Jeanne  Baunay  et 
M.  Gabriel  Fauré  donneront,  le  lundi  3  février,  à  quatre  heures  de  l'après- 
midi,  salle  des  Agriculteurs,  8,  rue  d'Athènes  : 

Première  parti*)  :  Quinze  mélodies  de  Gabriel  Fauré  :  Lyilia,  Sérénade  toscane,  les 
Berceaux,  les  Présents,  Barcarolle,  Clair  de  lune,  Soir.  Prison,  An  Cimetière,  !■■  Parfum 
impérissable,  Accompagnement,    Crépuscule,  Paradis,  Priant  verba  et  /'-  bon  silenciewx. 

Seconde  partie  :  la  Bonne  Chanson,  de  Paul  Verlaine. 

Toutes  ces  œuvres  de  Gabriel  Fauré,  que  chantera  M",e  Jeanne  Baunay, 
seront  accompagnées  par  l'auteur. 

—  Le  célèbre  violoniste  Emile  Sauer  donnera  deux  récitals  à  la  salle  Erarl 
les  lundi  10  et  vendredi  28  février. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


Put  Ordre  de  l'Empereur 

Première  représentation  pour  la  classe  ouvrière   de  Berlin 

Le  Prince  Frédéric  d?  Hambourg 

Ainsi  était  rédigée  dimanche  l'affiche  de  l'Opéra-Royal  où  a  eu  lieu  la  pre- 
mière des  représentations  populaires  au  prix  uniforme  de  cinquante  pfennigs 
(U2  centimes  1/2).  dont  Guillaume  H  a  eu  l'initiative.  Une  demi-heure  avant 
le  lever  du  rideau,  plus  une  seule  des  1.400  places  que  contient  l'Opéra  1-Royal 
(Krbll)  n'était  vide.  De  vrais  gens  du  peuple,  les  hommes  en  costume  du  di- 


LE  MÉNESTREL 


39 


manche,  les  femmes  en  jupes  à  carreaux  et  en  blouses  de  toutes  les  couleurs 
de  l'arc-en-ciel.  Tout  à  coup,  un  murmure  traverse  celte  foule  et  en  un 
instant  les  1.400  spectateurs  sont  debout  et  se  tournent  vers  la  loge  impé- 
riale, où  viennent  de  faire  une  entrée  inattendue  l'Empereur  et  l'Impératrice, 
accompagnés  du  grand-duc  et  de  la  grande-ducbesse  de  Hesse-Darmstadt,  du 
prince  Henri  de  Prusse  et  de  la  princesse  Victoria-Louise.  Dans  les  loges  a 
coté,  les  princes  Joacbim  et  Oscar.  L'attitude  du  public  a  été  des  plus  cor- 
rectes et  l'Empereur  a  pris  un  visible  plaisir  de  cette  représentation  qu'il  a 
suivie  jusqu'à  la  fin  du  troisième  acte. 

—  L'empereur  Guillaume  II  s'est  fait  jouer  cette  semaine,  par  la  musique 
du  deuxième  régiment  de  la  garde,  un  certain  nombre  de  marches  militaires 
qui  vont  enrichir  le  répertoire  de  la  garde.  La  musique  joua  aussi  la  marche 
de  Sambre-et-Meuse  que  Guillaume  avait  déjà  fait  apprendre  à  la  musique  du 
Hohenzollera.  Ces  morceaux  figureront  au  programme  des  prochaines  fêles 
de  la  cour. 

—  On  se  rappelle  que  M.  Richard  Strauss  eut  des  démêlés  assez  sérieux 
naguère  avec  la  censure  allemande,  au  sujet  de  sa  Salomé.  Il  parait  que  la 
question  se  rouvre  à  propos  de  son  nouvel  opéra,  Electre,  dont,  s'il  faut  en 
croire  les  bruits  qui  courent,  le  sujet,  ou  tout  au  moins  la  façon  dont  il  est 
traité,  serait  encore  plus  scabreux  que  celui  de  ladite  Salomé,  ce  qui  ne 
manque  pas  de  quelque  saveur.  On  annonce  que  les  difficultés  sont  telles  que 
la  représentation  de  cette  Electre,  qui  avait  été  annoncée  comme  devant  être 
donnée  au  printemps  prochain,  serait  ajournée  et  reportée  à  l'année  1909. 
Avis  à  la  Société  des  grandes  auditions  dp  France. 

—  M.  Richard  Strauss  et  son  Electre  ne  sont  pas  seuls  d'ailleurs  à  avoir 
affaire  avec  la  censure  de  Berlin.  On  devait  donner  au  théâtre  delà  Résidence 
de  cette  ville  une  comédie  nouvelle  intitulée  Grelchen,  que  la  censure  arrêta 
au  moment  de  son  arrivée  à  la  scène.  Le  directeur,  jugeant  l'œuvre  inoffen- 
sive au  point  de  vue  des  mœurs  et  de  la  morale,  eut  alors  une  idée.  Il  pro- 
posa aux  autorités  spéciales  une  représentation  à  portes  closes  pour  qu'elles 
puissent  la  juger  en  toute  connaissance  de  cause.  Ainsi  fut  fait,  et  la  repré- 
sentation eut  lieu  en  présence  de  deux  seuls  spectateurs,  le  président  de  la 
police  et  le  chef  de  la  censure,  qui  virent,  entendirent,  jugèrent...  et  défen- 
dirent. 

—  De  Vienne  (correspondance  du  Figaro)  :  M.  Félix  von  Weingartner, 
choisi  pour  la  direction  de  l'Opéra-Impérial  et  entré  en  fonctions  depuis  le 
commencement  du  mois,  est  monté,  pour  la  première  fois,  au  pupitre  de 
ehef  d'orchestre,  jeudi  dernier.  Il  avait  choisi  Fidelio  pour  se  présenter  au  pu- 
blic. Le  chef-d'œuvre  de  Beethoven  a  été  exécuté  d'une  manière  impeccable, 
dans  la  forme  où  il  avait  été  exécuté  pour  la  première  fois  au  Théâtre  an  der 
Wien,  le  20  novembre  ISOo,  c'est-à-dire  avec  l'ouverture  de  Léonore  n°  2,  et 
en  deux  actes,  sans  interruption  entre  le  premier  et  le  deuxième  tableau  du 
second  acte.  Contrairement  à  l'usage  introduit  par  son  prédécesseur,  M.  von 
Weingartner  avait  disposé  son  orchestre  de  façon  à  l'avoir  tout  entier  devant 
lui,  au  risque  de  se  trouver  un  peu  éloigné  de  la  scène.  L'excellent  directeur 
a  remporté  un  triomphe  complet.  S'imaginant  peut-être  rendre  hommage  à 
M.  Mahler,  qui  sera,  très  certainement,  désolé  de  cet  incident,  quelques 
spectateurs  des  galeries  ont  essayé  de  siffler.  Ces  procédés  de  mauvais  goût 
ont  provoqué  des  protestations  très  vives  et  soulevé  des  salves  d'applaudisse- 
ments au  début  et  à  la  fin  de  chaque  acte.  De  tout  premier  ordre,  les  inter- 
prètes :  Mmes  Weidt  et  Forst,  MM.  Schmedes,  Weidemann,  Demulh,  Mayr  et 
Schroedter  ont  partagé  avec  leur  directeur  le  succès  de  cette  magnifique 
soirée. 

—  L'Horoscope  des  étoiles  (Sternengehot).  le  nouvel  opéra  de  M.  Siegfried 
Wagner,  qui  devait  être  joué,  en  octobre  1907,  au  théâtre  municipal  de  Ham  - 
bourg,  a  pu  seulement  venir  en  scène  le  21  janvier  dernier.  Les  principaux 
interprètes,  M""'  Eleischer-Edel,  MM.  Birrenkoven  et  Dawison  ont  soutenu 
l'ouvrage  avec  une  énergie  et  un  talent  dignes  de  tous  éloges  ;  le  chef  d'or- 
chestre, M.  Brecher,  a  fait  l'impossible  pour  donner  «  vie  et  expression  »  à  la 
musique  ;  la  mise  en  scène  a  été  en  outre  excessivement  belle  et  soignée.  Le 
public  a  tenu  compte  à  tout  le  personnel  du  théâtre  de  l'effort  déployé,  de 
sorte  que  l'on  a  pu  considérer  la  représentation  comme  un  succès.  On  dit  que 
l'Horoscope  des  étoiles  reste  dans  la  note  moyenne  des  précédentes  partitions  de 
l'auteur:  plus  d'expérience,  plus  de  simplicité  dans  les  harmonies,  plus  de 
facilité  à  manier  le  leitmotiv,  mais  moins  d'invention  mélodique.  Quant  à 
l'instrumentation,  la  manière  dont  les  bois  sont  traités  a  paru  intéressante. 
Se  conformant  aux  habitudes  paternelles,  M.  Siegfried  Wagner  a  composé 
lui-même  son  libretto  dont  il  a  emprunté  le  sujet  à  l'histoire  et  à  la  légende. 
L'époque  est  le  XIe  siècle,  le  lieu  la_ ville  de  Fritzlar  et  ses  environs.  Le 
scénario  peut  paraître  bien  insignifiant  et  puéril  ;  on  va  en  juger  d'ailleurs. 
Conrad  le  Salique,  élu  roi  d'Allemagne  en  1024,  a  un  ennemi  héréditaire.  Une 
tireuse  d'horoscope  lui  a  prédit  autrefois,  d'après  la  position  des  étoiles,  que 
le  fils  de  cet  ennemi,  qui  se  nomme  Heinz,  épouserait  sa  fille  Agnès.  Pour 
rendre  impossible  l'accomplissement  de  la  prédiction,  Conrad  a  envoyé  à  un 
de  ses  vassaux  l'ordre  écrit  de  tuer  Heinz.  Mais  le  vassal,  pris  de  pitié,  a  fait 
élever  en  secret  l'enfant.  C'est  ici  que  la  pièce  commence.  Conrad  arrive  à 
Fritzlar,  à  la  tète  de  son  armée  victorieuse.  Ayant  perdu  une  jeune  fille  qu'il 
aimait,  il  fuit  les  réjouissances  et  va  consulter  les  sorcières  qui  confirment  le 
précédent  horoscope.  En  revenant  à  la  ville,  il  trouve,  au  milieu  de  ses 
soldats  en  liesse.  Heinz  lui-même  suivi  d'un  estropié  nommé  Kurzbold  :  il 
reconnaît  le  fils  de  son  ennemi,  car  celui-ci  est  porteur  de  l'ordre  qu'il  avait 
donné  naguère  de  l'assassiner.  Il  se  saisit  du  jeune  homme   et  l'envoie   à  un 


autre  vassal,  nommé  Herbert,  enjoignant  à  ce  dernier  de  le  tuer.  Mais,  un 
chevalier  amoureux  d'Agnès  et  aimé  par  elle,  mû  par  le  seul  désir  d'éviter 
qu'une  injustice  aussi  noire  soit  commise,  court  cher.  Herberl  el  lui  défend 
d'exécuter  l'ordre  qu'il  a  reçu.  Herbert  accepte  fort  mal  que  l'on  se  mêle  de 
ses  affaires,  provoque  en  duel  Helferich,  est  blessé  à  mort  et  expire  la  nuit 
suivante.  Ses  compagnons  disent  qu'il  a  été  assassiné  cette  nuit-là  même,  el 
Helferich,  accusé  du  crime,  ne  pourrait  se  défendre  qu'en  faisant  connaître 
qu'au  moment  où' Herbert  esl  mort,  il  était  lui-même  dans  la  chambre  d'Agnès. 
Ne  voulant  pas  compromettre  la  jeune  princesse,  il  ne  consent  pas  ■;,  bc  dis- 
culper et  se  laisse  considérer  comme  coupable  du  meurtre.  Mais  Agnès  ne 
l'entend  pas  ainsi.  F/lle  avoue  son  amour  pour  Helferich  el  décide  qu'il  ira  en 
Terre-Sainte  expier  la  faute  qu'il  a  commise  en  tuant  Herberl  en  duel,  eJ 
déclare  qu'elle  l'épousera  et  saura  montrer  ainsi  que  l'horo  copi  mour 

est  supérieur  à  celui  des  étoiles.  Heinz,  qui  n'a  pas  été  tué,  s'agenouille 
devant  elle  et  la  supplie  de  lui  permettre  do  l'aimer  comme  une  sœur.  Agnès 
aura  ainsi  deux  chevaliers  et  les  chérira,  l'un  d'une  tendresse  amoureuse, 
l'autre  d'une  amitié  fraternelle.  L'opéra  finit  ainsi.  Tout  cela  est  embrouillé, 
contre  nature  el  d'une  psychologie  plus  que  discutable,  nulle,  pourrait-on 
dire. 

—  Une  nouvelle  singulière.  C'est  un  journal  étranger  qui  nous  apprend 
qu'à  Oldenbourg,  ville  natale  de  Liszt,  un  comité  s'est  formé  dans  le  but  de 
recueillir  les  fonds  nécessaires  à  la  construction  d'une  église  (!)  «  qui  devra 
constituer  un  souvenir  impérissable  à  la  mémoire  du  compositeur  ». 

—  Le  pianiste  Enrico  Toselli  devait  donner  le  2b  janvier  dernier  à  Breslau 
son  premier  concert  en  Allemagne.  Ce  concert  a  été contremandé  ;i  la  dernière 
heure,  vraisemblablement,  disent  les  journaux,  à  la  suite  d'influences  diplo- 
matiques. 

—  Ainsi  que  nous  l'avons  annoncé,  M.  J.  Paderewski  a  été  appelé  à 
prendre  la  direction  du  Conservatoire  de  Varsovie;  il  a  accepté  les  proposi- 
tions qui  lui  ont  été  faites  en  ce  sens,  sous  réserve  toutefois  qu'il  pourra 
continuer  à  donner  des  concerts  en  Europe  et  en  Amérique.  Il  consacrera 
seulement  trois  mois  de  l'année  à  l'exercice  de  ses  nouvelles  fonctions  et  s'est 
engagé  à  résider  à  Varsovie  six  semâmes  au  printemps  et  six  semaines  en 
automne. 

—  Trois  opéras  nouveaux  vont  incessamment  voir  le  jour  en  Italie.  Au 
Théâtre-Royal  de  Parme,  Ultime  rose,  paroles  de  M.  Gnstavo  Machi,  musique 
de  M.  Edoardo  Lebegott;  à  la  Feuice  de  Venise,  il  Figlio  de!  Mare,  livret  de 
M.  Luigi  Orsini,  musique  du  maestro  Giuseppe  Cigognani:  el  au  Théâtre- 
Social  de  Mantoue.  i  Goliardi,  en  trois  actes,  du  compositeur  Giovanni 
Zagari. 

—  On  sait  déjà  le  triomphe  obtenu  à  Rome  parle  nouveau  drame  de  M.Ga- 
briele  d'Annunzio,  la  Nuvr,  représenté  le  11  janvier  au  théâtre  Argenlina. 
Mais  il  y  a  dans  ce  drame  une  partie  musicale  très  importante,  le  poète 
ayant  voulu  que  son  action  soit  souvent  entremêlée  de  chants  et  de  danses  qui 
aident  à  rendre  plus  frappant  son  symbolisme.  Cette  partie  musicale  est 
l'œuvre,  fort  intéressante,  dit-on,  d'un  jeune  compositeur  parmesan,  M.  Ilde- 
brando  Pizetli. 

—  La  ville  de  Rome  va  avoir  ses  Concerts  populaires  dans  des  conditions 
exemplaires.  La  municipalité  a  fait  adapter  à  cet  effet  un  vaste  local,  l'amphi- 
théâtre Corea,  qui  peut  contenir  jusqu'à  b.000  auditeurs,  et  pour  l'organisa- 
tion de  ces  concerts  elle  concède  une  subvention  annuelle  de  50.000  francs  à 
l'Académie  royale  de  Sainte  Cécile,  qui  porte  le  nombre  de  ses  exécutants 
ordinaires  de  7o  à  90  pour  l'orchestre,  et  assume  l'obligation  légale  et  l'enga- 
gement moral  de  faire  prospérer  l'institution.  En  s'exprimant  ainsi,  uu  journal 
ajoute  que  »  l'amphithéâtre  Corea  sera  unique  en  Italie  dans  son  genre  »  et 
que  «  la  commune  de  Rome  accomplit  ainsi  une  haute  fonction  artistique, 
offrant  l'exemple  d'une  chose  nouvelle  et  hardie,  qui  contribuera  beaucoup 
au  progrès  de  la  musique  en  Italie  ». 

—  De  Naples  :  Véritable  et  curieuse  agitation  parmi  les  dames  de  l'aristo- 
cratie napolitaine,  abonnées  au  théâtre  San  Carlo,  contre  la  prochaine  repré- 
sentation de  Salomé,  le  célèbre  opéra  de  Strauss.  Ce  n'est  pas  le  coté  erotique 
et  sensuel  qui  suscite  les  scrupules  des  dames  napolitaines,  c'est  le  côté  reli- 
gieux qui  les  scandalise.  On  dit  que  dans  tous  les  salons  on  fait  circuler  une 
feuille  de  protestation,  qui  se  couvre  de  signatures.  Il  parait  que  le  cardinal 
Prisco  interviendrait  aussi  contre  la  représantation  de  Salomé. 

—  Le  théâtre  do  Monte-Carlo  vient  de  donner  la  première  représentation 
d'un  nouveau  ballet,  les  Contrebandiers,  scénario  de  M.  Georges  Rose,  musique 
de  M.  Louis  Narici,  avec  M"e  Trouhanowa  pour  protagoniste  très  acclamée. 

—  De  notre  correspondant  de  Genève  (23  janvier)  :  Les  seules  nouveautés 
de  la  saison  sont  jusqu'ici  les  Armaillis,  de  Gustave  Doret,  et  le  Bonhomme 
Jadis  de  Jaques-Dalcroze.  Si  la  première  de  ces  œuvres  a  bénéficié  d'une  mise 
en  scène  admirable,  grâce  aux  décors  de  Sabon,  la  seconde  eut  la  chance  non 
moins  grande  d'être  interprétée  par  l'incomparable  Lucien  Fugère.  Son  dé- 
part prochain  nous  empêchera  malheureusement  de  savourer  comme  elle  le 
mérite  une  partition  pleine  d'esprit  et  de  sentiment.  —  Un  gentil  ballet  de 
MM.  Pierre  Edmond  et  Laffont,  mis  en  musique  par  M  Pierre  Letorey,  — 
titre:  les  Deux  Coqs  —  a  été  fort  applaudi.  —  Massenet,  le  compositeur  ordi- 
naire et  toujours  extraordinaire  des  Genevois,  après  avoir  triomphé  une  saison  de 
plus  avec  Manon  et  Werther,  a  de  nouveau  fait  nos  délices  grâce  à  une  excel- 
lente reprise  du  Jongleur  île  Notre-Dame.  Fugère  a  chanté  «  la  Sauge  »  miracu- 


40 


LE  MENESTREL 


leusement,  c'est  le  mot.  Bientôt  Thérèse,  dont  la  distribution  est  excellente. 
Demain,  reprise  de  Louise.  L'œuvre  de  Charpentier,  étudiée  sous  la  direction 
du  maitre  Miranne,  retrouvera  son  traditionnel  succès.  E.  D. 

—  Le  grand  succès  de  Louise  à  New-York  est  constaté  par  les  journaux 
allemands.  Nous  lisons  dans  les  Nouvelles  de  Munich  :  «  Le  Manhattan  Opéra 
de  New- York  a  fait  un  coup  de  maître  en  montant  Louise,  de  Gustave  Char- 
pentier. Pour  toutes  les  représenta'ions  qui  ont  eu  lieu  jusqu'ici  la  salle 
entière  avait  été  louée  d'avance  ». 

—  Nous  trbuvoiis,d'autre  part,dans  le  Musical  America  :  <•  Le  public  si  nombreux 
venu  pour  les  représentations  de  Louise  montre  quel  intérêt  a  excité  la  «  plus 
importantepremière  de  la  grande  saison  d'opéra  ».  Quelques-uns  avaient  pensé 
qu'un  sujet  si  exclusivement  français,  présentant  destabloauxd'un  coloris  localsi 
caractéristique,  perdrait  quelque  chose  à  être  transplanté  en  Amérique:  mais 
les  amateurs  de  théâtre  de  New-York  ne  se  sont  pas  laissé  influencer,  et  l'im- 
pression profonde  que  l'opéra  de  Louise  a  fait  naître,  tant  par  les  paroles  que 
par  la  musique,  a  été  telle  que  le  succès  de  cette  œuvre  si  française  est  assuré 
déOnilivement  désormais.  Les  beautés  musicales  de  Louise  font  valoir  le  drame 
si  poignant,  si  réaliste  d'une  vie  véritablement  humaine  à  notre  époque,  et 
l'accent  des  situations  est  si  vrai  qu'elles  tiennent  en  suspens  l'âme  des  audi- 
teurs. Miss  Mary  Garden  a  rendu  admirablement  dans  tous  ses  détails  le  rôle 
de  l'ouvrière  de  Montmartre;  l'égoïsme,  l'opiniâtreté,  joints  à  quelques  traits 
de  mœurs  populaires  bien  observés,  ont  formé  un  contraste  très  artistique 
avtc  la  fraîcheur  juvénile  et  le  charme  exquis  de  la  cantatrice,  en  d'autres 
passages  de  l'œuvre.  MM.  Gilibert  et  Campanini  ont  été  aussi  très  appréciés. 
A  la  première  représentation,  les  auditeurs  ont  témoigné  leur  enthousiasme 
par  des  acclamations  frénétiques  à  la  fin  de  chaque  acte.  Il  y  a  eu  même  par- 
fois des  bravos  avant  que  le  rideau  tombât  et  ces  bravos  trouvaient  des  échos 
dans  toutes  les  parties  de  la  salle  ». 

—  D'après  la  Frankfurler  Zeitung,  M.  Conried  directeurdel'Opéramétropo- 
litain  de  New-York,  serait  actuellement  décidé  à  se  retirer.  On  parle,  pour  lui 
succéder,  de  M.  Gatti  Casazza,  directeur  de  la  Scala  de  Milan. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

Le  conseil  supérieur  du  Conservatoire  (section  dramatique)  s'est  réuni 
sous  la  présidence  de  M.  Dujardin-Beaumetz,  eous  secrétaire  d'Etat  aux 
beaux-arts,  assisté  de  Mn,e  Bartet.  MM.  Gabriel  Fauré,  Victorien  Sardou, 
Jules  Claretie,  Paul  Hervieu,  Henri  Lavedan,  Alfred  Capus,  Adrien  Bernheim, 
Bigard-Fabre,  d'Estournelles  de  Constant.  Mounet-Sully,  Antoine.  Georges 
Berr,  F'ernand  Bourgeat.  L'ordre  du  jour  portait  la  nomination  d'un  profes- 
seur à  la  chaire  d'histoire  et  littérature  dramatiques.  Le  conseil  a  décidé  de 
présenter  au  ministre  en  première  ligne  M.  Louis  de  Gramont  et  en  seconde 
ligne  M.  Albert  Dayrolles. 

—  La  commission  supérieure  des  théâtres  a  décidé  de  provoquer  une  revi- 
sion de  l'ordonnance  de  1898  sur  la  sécurité  dans  les  théâtres  et  cafés-con- 
certs. En  outre  de  dispositions  nouvelles  qu'elle  désire  voir  adopter,  la 
commission  voudrait  qu'on  codifiât  toutes  les  prescriptions  de  détails  édictées 
à  des  époques  diverses  pour  en  faire  une  ordonnance  unique  visant  tous  les 
théâtres  et  concerts.  Une  sous-commission  a  été  chargée  de  préparer  cette 
revision.  En  font  partie,  avec  les  membres  techniques  de  la  commission  : 
colonel  des  pompiers,  directeur  du  laboratoire  municipal,  etc.,  MM.  Yves  Du- 
rand, chef  du  cabinet  du  préfet  de  police,  Turot,  Mithouard,  Quentin-Bau- 
chart  et  Maurice  Quentin,  conseillers  municipaux,  Micheau,  directeur  des 
Nouveautés.  La  commission  a  commencé  par  visiter  les  aménagements  nou- 
veaux de  la  scène,  de  la  salle  et  des  différentes  dépendances  de  l'Opéra. 

—  L'Académie  des  beaux-arts  a  procédé,  dans  sa  dernière  séance,  à  la  dé- 
signation dos  jurés  qui  seront  appelé?,  de  concert  avec  les  membres  des  sec- 
tions compétentes,  à  rendre  les  jugements  des  divers  concours  pour  les  prix 
de  Rome  à  décerner  en  1908.  Pour  la  composition  musicale,  les  trois  jurés 
désignés  sont  MM.  Paul  Hillemacher,  Coquard  et  Wormser;  adjoints, 
MM.  Charles  Lefebvro  et  Widor. 

—  A  l'Opéra,  après  la  représentation  de  Fans',  dont  parle  plus  haut  notre 
collaborateur  Arthur  Pougin,  est  venue  celle  de  Guillaume  Tell,  et  c'est  là 
qu'on  a  pu  voir  l'opportunité  du  réengagement  de  M.  Escalaïs.  On  peut  bien 
dire  que,  depuis  son  départ,  c'en  était  à  peu  près  fini  de  ce  qu'on  appelait  le 
«  grand  répertoire  »,  celui  desRossini,  des  Meyerbeer  et  des  Halévy.  Comme 
il  n'y  avait  plus  de  véritables  «  forts  ténors  »,  des  ténors  de  gueule,  pour  le 
mettre  en  pleine  valeur,  ce  fut  le  déclin  rapide  de  toutes  ces  œuvres  de  vastes 
proportions  qui  eurent  tant  de  vogue.  Et  cependant,  Guillaume  Tell,  c'est 
quelque  chose.  On  l'a  bien  vu  quand  M.  Escalaïs  en  a  pu  rétablir  les  vraies 
traditions.  La  voix  de  l'artiste  a  conservé  tout  son  métal,  toute  sou  ampleur, 
toute  sa  large  façon  de  phraser.  Ce  fut  une  surprise  et  un  triomphe.  Auprès 
de  lui  il  faut  signaler  les  heureux  débuts  deM,lcGall,  l'intéressante  lauréate  des 
derniers  concours  du  Conservatoire.  C'est  assurément  l'aurore  d'une  belle 
carrière.  Ladanseuse  milanaise  Aida  Boni  a  de  son  coté  fort  réussi  des  entre- 
chats qui  n'étaient  pas  sans  grâce.  M.  Busser  conduisit  les  chœurs  et  l'orchestre 
à  la  satisfaction  générale.  Il  y  a  décidément  quelque  chose  de  changé  dans  le 
royaume  de  l'Opéra.  Comme  il  est  bon  qu'un  musicien  préside  aux  destinées 
des  choses  musicales  ! 

—  Spectacles  de  dimanche  à  l'Opéra-Comique  :  en  matinée,    Iphigénie  en 


Aulide  (on  dit  cette  fois  que  ce  sera  bien  la  dernière  représentation  du  chef- 
d'œuvre  de  Gluck);  le  soir,  Carmen.  Lundi  en  représentation  populaire  à  prix 
réduits  :  la  Vie  de  Bohème. 

—  Au  Théâtre  Lyrique  de  la  Gaîté  le  Barbier  de  Sévillevà.  alterner  sur  l'affiche 
avec  Mignon.  C'est  Mmr  Jeanne  Merey  qui  chantera  Rosine.  Les  Frères  Isola  ont 
bien  fait  de  s'attacher  cette  charmante  artiste  de  voix  si  pure  et  de  talent  si 
brillant,  qui  n'aurait  jamais  dû  quitter  notre  Opéra-Comique.  —  Ce  n'est  pas 
tout,  les  mêmes  frères  inaugurent  des  matinées  du  jeudi.  Ils  ont  commencé 
avant  hier  par  Orphée,  interprété  par  notre  grande  Rose  Caron. 

—  Aujourd'hui  samedi,  à  cinq  heures,  au  Théàtre-Sarah-Bernhardt,  13e  sa- 
medi de  la  Société  de  l'histoire  du  théâtre;  causerie  de  M.  Bourgault-Ducou- 
dray  sur  le  o  chevalier  Gluck  »,  avec  le  programme  suivant  : 

Iphigénie  en  Aulide,  {air  d'Agamemnom,  par  M.  Ghasne,  de  l'Opéra-Comique;- 
fragments  à'Iphigénie,  par  M™«  Yallandri,  de  l'Opéra-Comique;  Orphée,  romance  du 
Rêve  (1"  acte),  par  M""  Brôldy,  de  l'Opéra-Comique  ;  air  de  flûte  (scène  des  Champs- 
Elysées),  par  M.  Gaubert;  Alceste,  air  du  3'  acte,  par  M"€  Mancini,  de  l'Opéra;  air 
du  dernier  acte  (Vivre  sans  toi,  vivre  sans  Alceste),  par  M.  Beyle,  de  l'Opéra- 
Comique;  Armide,  scène  flna'e,  par  M"'  Mancini,  de  l'Opéra;  Ariette  de  ta  Naïade, 
par  M»'  Vallàndri  de  l'Opéra-Comique;  Iphigénie  en  Tauride,  (Unis  dès  la  plus  tendre 
enfance),  par  M.  Beyle,  de  l'Opéra-Comique  ;  (0  malheureuse  Iphigénie),  par  il'"  Man- 
cini, de  l'Opéra. 

—  La  Société  de  musique  nouvelle  a  donné  à  la  salle  Érard  une  séance  fort 
intéressante,  dans  laquelle  on  a  entendu  diverses  compositions  de  Mmcs  Hélène 
Fleury  et  l'illiaux-Tiger,  de  MM.  Théodore  Dubois,  Hérard,  Jules  Mouquet  et 
René  Blirj.  Le  gros  morceau  du  programme  était  le  beau  concerto  de  piano  en 
fa  mineur  de  M.  Th.  Dubois,  dont  l'effet  a  été  considérable  grâce  d'une  part  à 
la  haute  valeur  de  l'œuvre,  de  l'autre  au  talent  plein  de  charme  à  la  fois  et  de 
solidité  déployé  dans  son  exécution  par  M",c  Henri  Deblauve,  qui  a  retrouvé 
là  le  succès  qui' l'avait  accueillie  quinze  jours  auparavant  au  Gbàtelet.  On  a 
entendu  encore  de  M.  Théodore  Dubois  les  ravissantes  Musiques  sur  l'eau, 
chantées  par  M"10  Hermann,  une  jolie  suite  pour  flûte  et  piano  extraite  des 
Poèmes  rirgiliens,  exécutée  par  M.  Lafleurauce  et  l'auteur,  et  un  terzettino 
pour  flûte,  harpe  et  alto,  exécuté  par  MM.  Lafleurance,  Maignien  et  Marcher. 
Signalons  aussi  d'agréables  mélodies  de  Mmc  Hélène  Fleury,  chantées  par 
M",e  Jeanne  Arger  avec  son  talent  habituel. 

-  Les  Concerts-Populaires  d'Angers,  si  remarquablement  dirigés  par 
M.  Max  d'Ollone,  viennent  de  donner  dimanche  dernier  une  très  belle  séance 
où  le  Wallenstein  de  d'Indy  et  Napbli  de  Charpentier  ont  été  chaleureusement 
acclamés.  M.  Léon  Delafosse  y  a  prêté  le  concours  de  son  grand  talent  et 
obtenu  le  plus  éclatant  succès. 

—  Au  dernier  concert  populaire  donné  à  Douai  le  26  janvier,  la  Rapsodie 
Cambodgienne  de  BourgaultDucoudray,  dirigée  par  l'auteur,  a  obtenu  le  plus 
vif  succès.  L'orchestre  formé  par  M.  Cuelnaere,  directeur  de  l'Ecole  de  mu- 
sique, a  fait  merveille  dans  l'interprétation  de  cette  œuvre  si  colorée. 

NÉCROLOGIE 
Voici  quelques  détails  sur  Auguste  Wilhelmy,  dont  nous  avons  annoncé 
la  mort  il  y  a  huit  jours.  Il  s'est  éteint  à  Londres,  le  23  janvier  dernier  après 
une  grave  maladie.  Né  le  21  septembre  1845  à  Usingen,  près  de  Nassau,  il 
prit  ses  premières  leçons  de  violon  chez  K.  Fischer,  à  Wieshaden,  et  devint 
très  rapidement  un  virtuose  île  premier  ordre.  De  1861  à  1864,  il  se  perfec- 
tionna dans  son  art  au  Conservatoire  de  Leipzig  où  il  eut  pour  professeurs 
Ferdinand  David,  Hauptmann  et  Richter.  De  retour  à  Wieshaden,  il  reçut 
d(s  leçons  de  Joachim  Rail'.  Encore  élève,  il  se  fit  entendre  aux  concerts  du 
Gowandhàùs,  en  1862.  et.  ses  éludes  terminées,  commença  des  tournées  en 
Suisse  (1863),  en  Hollande  et  en  Angleterre  (1866),  en  France  et  en  Italie 
(1867),  en  Russie  (1868)  et  de  nouveau  en  Suisse,  en  France  et  en  Belgique 
(1869).  On  l'entendit  à  Berlin  en  1872,  à  Vienne  en  1873,  dans  les  deux  Amé- 
riques, en  Australie  et  même  en  Asie  de  1878  à  1882.  Partout  ses  succès 
étaient  sensationnels.  En  1886,  il  s'établit  à  Blasewitz,  près  de  Dresde  et  y 
demeura  jusqu'en  1894,  époque  où  il  devint  professeur  en  premier  à  la  Guild- 
hall  Music-Scholl  de  Londres.  Wilhelmy  s'est  adonné  à  li  composition,  mais 
pas  avec  une  grande  activité.  Une  transcription  de  lui  a  été  beaucoup  jouée, 
c'est  l'aria  de  la  troisième  suite  de  Bach  (en  ré  majeur),  transposée  pour  les 
cordes  graves  de  l'instrument.  Le  talent  de  Wilhelmy  a  été  comparé  parfois 
à  celui  de  Joachim;  sa  carrière  fut  toujours,  comme  celle  de  son  rival,  extrê- 
mement brillante  et  son  enseignement  très  apprécié.  Ce  qui  l'a  rendu  si 
célèbre  c'est  un  ensemble  do  qualités  techniques  grâce  auxquelles  jamais  au- 
cune difficulté  matérielle  ne  pouvait  gêner  son  interprétation,  une  ampleur 
et  une  richesse  de  nuances  dans  la  sonorité  que  l'on  a  bien  rarement  trou- 
vées chez  ses  confrères,  et  enfin  une  virtuosité  hardie  et  portant  toujours  le 
cachet  d'une,  originalité  toute  personnelle. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


OCCASION 


Pédalier  Pleyel,  état  neuf,  serait    cédé    pour  bOO   francs 
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dans  bonne  ville  de  province  une  situation  de  professeur  de 
chant  lucrative  et  florissante.  Conviendrait  particulièrement 


CEDER 

;  ménage  d'artistes.  S'adresser  au  bureau  du  journal. 


11.  —  74e  AMÉE.  —  N0  6. 


PARAIT  TOUS   LES   SAMEDIS 


Samedi  8  Février  1908. 


(Les  Bureaux,  2bl8,  rue  Yivienne,  Paris,  ii-an-) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


ÉNESTREL 


lie  Numéro  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Le  Numéro  :  0  fr.  30 


Adresser  fi\asco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienue,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province. —Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, 20 fr., Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  ea  sas. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (7e  article),  Julien  Tiersoj.  —  II.  Semaine  thtâirale  : 
premières  représentations  du  Boule-en-Train,  à  l'Athénée,  etdu  Bonheur  de  Jacqueline, 
au  Gymnase,  Amédée  Boutaiiei..  —  III.  Revue  des  grands  concerts.  —  IV.  Nouvelles 
diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chaut  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

AU  BOIS  DE  L'AMOUR 

n"  3  des  Idylles  et  Chansons  de  Jaques-Dalcroze,  sur  des  poésies  de  Gabriel 
Vicaire.  —  Suivra  immédiatement  :  Langage  d'amour,  mélodie  de  Jean  Déré, 
Sur  des  paroles  de  Mmc  Carmen  Codou. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
Panaderos,  danse  espagnole  extraite  du  nouveau  ballet  de  J.  Masse.net,  Espada, 
qui  va  être  représenté  au  théâtre  de  Monte-Carlo.  —  Suivra  immédiatement  : 
Toréador  el  Andalouse,  danse  extraite  du  même  ballot. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 


CHAPITRE  III 

GLUCK    COMPOSITEUR    ITALIEN 

Les  partitions  des  premiers  opéras  de  Gluck  ont  disparu  toutes, 
à  l'exception  d'une  seule,  Ipermeslra,  dont  l'unique  exemplaire 
(copie  ancienne)  est  conservé  au  British  Muséum.  De  celui  qui 
ouvre  la  série,  Artaserce,  il  ne  reste  qu'un  air;  cinq  seule- 
ment de  Demetrio;  pas  un  seul  de  Poro,  au  sujet  duquel  une 
vague  indication  donne  à  entendre  que  Kiessewetter  en  posséda 
deux  airs.  Sofonisba,  Ippolito,  Tigrane,  Arsace.  la  Finta  Schiava,  — 
Ipermeslra  aussi,  —  et  surtout  Demofoontc,  nous  sont  connus  par 
des  airs  détachés,  exemplaires,  pour  la  plupart  uniques,  d'an- 
ciennes copies  dont  l'ensemble  forme  un  recueil  en  cinq  vo- 
lumes appartenant  à  la  Bibliothèque  du  Conservatoire  de  Paris. 
Tous  les  airs  de  Demofoonte,  notamment,  s'y  trouvent  :  il  n'y 
manque,  pour  que  la  partition  soit  complète,  que  les  récitatifs 
et  l'ouverture  (celle-ci  est  sans  doute  une  de  ces  «  Symphonies  » 
de  Gluck,  qu'on  trouve  éparpillées,  sans  titres,  dans  diverses 
bibliothèques,  et  qui  n'étaient  que  des  ouvertures  d'opéras). 
Puis  donc  que  cet  opéra,  le  troisième  ouvrage  de  Gluck,  a  pu 
être  si  parfaitement  reconstitué,  c'est  lui  que  nous  prendrons 
pour  type  de  son  œuvre  en  cette  première  période  de  sa  car- 
rière, et  que  nous  étudierons  particulièrement. 


Mais  les  récitatifs,  avons-nous  dit,  manquent,  et  si  nous 
considérons  l'étendue  des  scènes  imprimées  dans  le  poème  de 
Métastase,  il  semble  que  ce  soit  beaucoup.  La  vérité  est  que 
ce  n'est  rien.  Nous  connaissons  assez  le  style  du  récitatif  d'opéra 
italien  au  XVIIIe  siècle  pour  savoir  que,  comme  musique,  il  n'y 
a  là  qu'une  notation  indifférente  et  formulaire  de  paroles,  sans 
accent  comme  sans  contour.  Ah!  combien  l'Italie  avait  oublie 
ses  origines  musicales,  celles  du  moins  de  cet  opéra  dont  elle 
était  si  glorieuse,  et  qui,  en  effet,  était  né  chez  elle,  environ 
cent  cinquante  ans  avant  la  venue  de  Gluck!  La  langue  musicale 
avait  bien  changé;  enrichie  par  de  certains  côtés,  elle  avait  perdu 
le  secret  de  ce  beau  style  récitatif  qui  constituait  à  lui  seul  toute 
la  musique  du  primitif  opéra  florentin,  et  que  Monteverde 
rehaussa  de  ses  audacieuses  et  parfois  déconcertantes  harmonies. 
L'école  napolitaine,  qui  imposa  sa  règle  à  tout  le  dix-huitième 
siècle  musical,  avait  pris  à  tâche  d'éliminer  du  récitatif  tout  ce 
qui  est  vraiment  musique,  pour  le  reporter  seulement  sur  les 
airs.  Si  grand  était  son  dédain  qu'elle  ne  le  jugeait  même  pas 
digne  d'un  accompagnement  sérieux  :  quand  un  air  était  fini, 
l'orchestre  s'arrêtait,  laissant  au  clavecin,  soutenu  par  de  lourdes 
basses,  le  soin  de  maintenir  dans  le  ton  les  voix  récitantes  en 
plaquant  quelques  accords;  après  quoi,  le  tour  d'un  nouvel  air 
étant  revenu,  les  instruments  rentraient  et  attaquaient  une 
ritournelle,  marquant  bien  qu'en  cet  endroit  seulement  la  vraie 
musique  allait  commencer. 

Gluck,  qui,  lorsqu'il  écrivit  Alcesle  et  sa  préface,  avait  passé 
vingt-cinq  ans  de  sa  vie  à  écrire  dans  cette  forme  obligatoire, 
pouvait  donc  en  être  à  bon  droit  lassé,  et  c'est  en  pleine  con- 
naissance de  cause  que,  parmi  les  articles  de  sa  protestation 
célèbre,  il  put  inscrire  celui-ci  :  «  Il  ne  faut  pas  laisser  dans  le 
dialogue  une  disparate  tranchante  entre  l'air  et  le  récitatif  », 
car  cette  disparate  était  aussi  complète  qu'il  fût  possible,  ayant 
pour  termes  de  comparaison  ces  deux  objets  :  l'œuvre  organisée, 
et  le  néant. 

De  fait,  cet  état  dans  lequel  était  tombée  la  déclamation  musi- 
cale avait  été  suivi  d'une  punition  aussi  immédiate  que  juste, 
par  l'accord  unanime  avec  lequel  le  public  de  toute  l'Italie 
s'était,  à  l'Opéra,  désintéressé  du  drame.  C'était  bien  la  peine 
alors  d'avoir  un  Métastase  pour  poète,  et  de  le  couronner  de 
lauriers  authentiques  !  Tous  les  témoins  sont  d'accord  là-dessus, 
et.  avec  une  candeur  qui  fait  parfois  sourire,  nous  font  l'exposé 
d'une  situation  à  la  réalité  de  laquelle  nous  aurions  peine  à 
croire  si  tant  de  gens  n'étaient  là  pour  nous  affirmer  qu'elle  fût 
bien  telle.  Il  était  entendu  qu'on  ne  devait  venir  à  l'Opéra  que 
pour  entendre  chanter  des  airs,  —  quelques  airs,  choisis  à 
l'avance,  d'après  leurs  interprètes:  et  quand  le  musico  ou  la 
prima  donna  avait  achevé  ses  prouesses  vocales,  les  spectateurs 
se  retiraient  au  fond  des  loges  pour  jouer  aux  cartes  ou  aux 
échecs,  prendre  des  glaces  ou  manger  de  la  pâtisserie.  «  Les» 


42 


LE  MENESTREL 


échecs,  dit  le  président  de  Brosses,  sont  inventés  à  merveille 
pour  remplir  le  vide  de  ces  longs  récitatifs,  et  la  musique  pour 
interrompre  la  trop  grande  assiduité  des  échecs.  »  Voilà  qui  va 
le  mieux  du  monde!  «  J'aime  tant  causer  pendant  qu'on  joue  du 
piano  »,  disent  aujourd'hui  les  dames  au  cours  des  réceptions 
mondaines!  Rien  n'est  changé.  Il  n'est  pas  jusqu'aux  plus  en- 
thousiastes qui  ne  confirment  ces  indications  par  leur  propre 
attitude.  Jean-Jacques  Rousseau,  qui  ne  sait  parler  des  opéras 
italiens  que  sur  le  ton  de  l'extase,  nous  révèle,  dans  ses  Confes- 
sions, quel  genre  de  plaisir  il  y  trouvait  :  il  conte  qu'à  Venise, 
las  de  passer  les  représentations  à  «  babiller,  manger  et  jouer 
dans  les  loges  ».  il  se  dérobait  souvent  à  la  compagnie  pour 
aller  écouter  à  sa  guise.  Il  advint  qu'un  soir  il  s'endormit  pen- 
dant la  représentation,  et  si  profondément  que  «  les  airs  brillants 
et  bruyants  »  ne  le  réveillèrent  point;  mais  il  fut  tiré  de  son 
sommeil  par  un  chant  si  ravissant  qu'il  se  crut  en  paradis!  Le 
charme  de  la  musique  italienne  est  assurément  fort  bien  défini 
par  cette  anecdote.  Mais  n'en  pourrait-il  pas  être  tiré  une 
autre  conclusion,  à  savoir  qu'un  des  effets  produits  par  cette 
musique  sur  Jean-Jacques  Rousseau  était  de  le  faire  dormir  ?  (1). 
Consolons-nous  donc  de  la  perte  des  récitatifs  que  Gluck  écri- 
vit pour  ses  premiers  opéras,  et  tenons-nous  en  à  ses  airs,  où 
nous  avons  chance  de  trouver  des  qualités  plus  personnelles  et 
plus  musicales. 

Mais  d'abord,  puisque  nous  avons  choisi  Demofoonte  pour  don- 
ner une  idée  de  ce  qu'étaient  les  opéras  de  Gluck  à  cette  pre- 
mière période  de  sa  carrière,  il  convient,  si  peu  d'importance 
qu'ait  le  drame  par  rapport  à  la  musique,  que  nous  en  résumions 
à  grands  traits  le  sujet. 

Le  Demofoonte  de  Métastase  avait  été  mis  pour  la  première  fois 
en  musique  en  1733  (neuf  années  par  conséquent  avant  Gluck) 
par  Galdara,  et  représenté  à  Vienne.  Il  fut  remis  en  musique, 
jusqu'à  trente- deux  fois  sous  sa  forme  originale,  par  les  compo- 
siteurs suivants  :  Schiassi  (1735),  Duni  (id.),  Ferandini  (1737), 
Latilla  (1738),  Lampugnani  (id.),  Léo  (1741),  Gluck  (id.),  Verocai 
(1743),  Graun  (1746),  Hasse  (1748),  Pérez  (1752),  Sarti  (17S3), 
Cocchi  (1754),  Jomelli  (1760),  Piccini  (1762),  Majo  (1764),  Pam- 
pani  (id.),  Bernasconi  (1765),  Vento  (id.),  Wanhal  (1770),  Anfossi 
(1773),  Paesiello  (id.),  Schuster  (1776),  Bianchi  (1783),  Tarchi 
(1786),  Gatti  (1787),  Prati  (id.),  Pugnani  (1788),  Brunetti  (1790), 
Federici  (1791),  Portugal  (1794).  Deux  adaptations  allemandes 
furent  mises  en  musique  par  Kozeluch  (Prague,  1775),  et  Lind- 
paintner  (1811)  (2);  enfin  la  tragédie  de  Demophoon  fut  par  deux 
fois,  à  deux  années  de  distance  (la  première  fois  aux  premiers 
jours  de  la  Révolution),  admise  sur  la  scène  de  l'Opéra  français, 
mise  en  musique  par  deux  maîtres  étrangers,  Cherubini  (1788) 
et  Vogel  (1789).  L'inévitable  Marmontel  était  l'auteur  des  paroles 
de  la  première  de  ces  deux  partitions. 

Les  personnages  de  ce  poème  appartiennent  au  cycle  de 
l'épopée  homérique.  Démophoon,  fils  de  Thésée  et  roi  d'Athènes, 
est  cité  parmi  les  guerriers  qui  prirent  part  au  siège  de  Troie. 
Au  retour  de  la  guerre,  il  épousa  une  princesse  de  Thrace  ;  la 
tragédie  de  Métastase  nous  le  montre  roi  de  ce  pays. 

(1)  Il  serait  curieux  de  savoir  si  Gluck  et  Jean-Jacques  Rousseau,  qui  devaient 
entretenir  par  la  suite  des  relations  sympathiques,  se  sont  trouvés  joints  dés  leur 
premier  séjour  simultané  en  Italie.  Rousseau,  secrétaire  de  l'ambassade  française 
près  la  République  de  Venise,  passa  dans  cette  ville  un  peu  plu?  d'une  année,  du 
printemps  de  1743  au  mois  d'août  1744.  Gluck  y  avait  donné  Demelrio  un  an  aupa- 
ravant (mai  J742)  ;  il  n'apparaît  pas  qu'en  1743,  occupé  de  Demofoonte,  Tigrane,  Ar- 
sace  et  Sofonisba,  il  se  soit  éloigné  beaucoup  de  la  région  milanaise,  liais  la  Finta 
Schiava,  à  laquelle  il  donna  quelques  airs,  fut  représentée  il  Venise  en  mai  1744  et 
il  est  d'autant  plus  naturel  de  penser  qu'il  était  alors  dans  la  ville  cju'il  avait  à  com- 
poser pour  l'automne  la  partition  d'Ipermestra,  donnée  au  même  théâtre  de  Samt- 
Chrisostome,  si  favorable  au  sommeil  harmonieux  de  Jean-Jacques  Rousseau.  Rien 
pourtant  n'autorise  à  penser  que  les  deux  futurs  grands  hommes  aient  fait  connais- 
sance h  cette  première  occasion  de  rencontre.  — Notons  encore,  pour  montrer  à  quel 
point  ils  évoluaient  dans  le  même  cercle,  qu'une  lettre  de  Jean-Jacque3  Rousseau 
du  23  juillet  1743,  parle  d'une  affaire  des  hussards  du  prince  de  Lobkowitz. 

(21  Cette  énumération  est  donnée  d'après  VOpcrn-Hanbuch  d'Huco  Riejianm.  JV 
corrigé  au  passage  la  date,  légèrement  inexacte,  de  l'opéra  de  Gluck,  que  ce  diction- 
naire fixe  à  1741.  Il  est  vrai  que  l'ouvrage  fut  composé  pour  la  saison  du  carnaval  de 
cette  année-là;  mais  la  première  représentation  en  fut  donnée  le  lendemain  de  Noël 
donc  en  1743  id'ap.  Wotquekne,  Catalogue  de  Gluck).  Si  le  reste  contient  des 
erreurs  analogues,  j'en  dégage  ma  responsabilité. 


Par  une  double  réminiscence  de  la  légende  du  Minotaure  et 
de  celle  d'Iphigénie,  la  Thrace  est  obligée  par  un  oracle  de  sacri- 
fier chaque  année  aux  dieux  une  jeune  vierge.  Le  sort  a  désigné 
pour  victime  Dircea,  fille  (ou  crue  telle)  de  Matusio,  grand  du 
royaume.  Or,  Dircea  est  unie  par  un  mariage  secret  au  prince 
Timante,  fils  aine  (ou  cru  tel)  du  roi,  et  elle  est  mère.  Après  beau- 
coup d'explications,  terminées  par  l'aveu  de  la  situation  (laquelle 
ne  permet  pas  que  Dircea  soit  sacrifiée,  puisque  le  dieu  veut 
une  vierge),  les  deux  coupables  sont  jetés  en  prison.  Pourtant 
le  roi  s'apaise.  Mais  voilà  qu'au  moment  où  il  va  pardonner  se 
produit  le  fatal  coup  de  théâtre  :  Matusio,  qui  n'a  rien  vu,  vient 
annoncer  à  Timante,  en  se  réjouissant  fort,  que  Dircea  n'est  pas 
sa  fille,  mais  la  fille  du  roi,  laquelle  lui  fut  confiée  dès  sa  nais- 
sance pour  des  raisons  qu'il  est  inutile  d'approfondir.  Mais  alors, 
cette  épouse,  la  mère  de  son  enfant,  c'est  sa  sœur  ! . . .  Bien 
entendu  tout  s'arrange,  et  l'on  apprendra  au  dénouement  cet 
autre  secret  :  queTimante,  de  son  côté,  n'est  pas  le  fils  du  roi, 
mais  celui  de  Matusio.  Les  pères  se  repassent  donc  mutuelle- 
ment leurs  progénitures,  et  tout  le  monde  est  content.  —  A  ces 
marionnettes  chantantes  s'ajoutent  un  autre  fils  du  roi,  Cherinto, 
qui,  plus  jeune  que  Timante,  pensait  n'être  pas  l'héritier  du 
trône,  et  une  princesse  de  Phrygie,  Creuse,  venue  pour  épouser 
Timante  ;  Cherinto  est  amoureux  d'elle  ;  mais  comme  elle  veut 
être  reine,  elle  ne  saurait  accepter  l'hommage  d'un  cadet  :  le 
dénouement  arrange  encore  cela.  Un  capitaine  des  gardes,  castrat 
comme  un  primo  uomo,  chante  encore  deux  ou  trois  airs. 

Est-il  besoin,  après  cette  analyse  d'une  pièce  qui  parvint  à 
retenir  l'attention  du  public  et  des  artistes  pendant  trois  quarts 
de  siècle,  de  mettre  en  relief  le  caractère  factice  de  l'opéra 
italien,  si  ses  meilleurs  produits  sont  ce  que  nous  venons  de 
voir  ?  Ces  histoires  de  substitutions  d'enfants  sont  d'un  ridicule 
achevé,  et  aucune  impression  de  vie  ne  put  se  dégager  de  si 
conventionnelles  intrigues.  Quant  à  la  forme,  elle  ne  vaut  pas 
mieux  que  le  fond.  Des  dialogues  inertes,  suivis  d'airs  parfois 
sans  liaison  avec  eux,  et  cela  recommençant  vingt  ou  trente 
fois  de  suite,  voilà  tout  Demofoonte,  et  voilà  tout  l'opéra  selon 
Métastase.  Même  une  situation  exceptionnelle  comme  celle  du 
sacrifice  ne  donne  lieu  à  aucun  changement  de  ton.  Bientôt, 
pourtant,  Gluck  avec  les  Jphigénies  et  Alceste,  Mozart  avec 
Idoménée,  vont  montrer  à  quelle  hauteur  la  musique  d'opéra  peut 
atteindre  en  traitant  ces  sortes  de  scènes  :  mais  ici,  ni  le  dialogue, 
ni  la  musique  ne  subissent  d'influence  particulière  ;  l'action  pour- 
rait aussi  bien  se  dérouler  dans  un  vestibule,  ou  dans  la  chambre 
de  la  princesse,  il  n'y  serait  pas  parlé  autrement  que  dans  le 
temple.  Là,  tandis  qu'est  préparé  l'appareil  religieux,  si  favo- 
rable au  développement  musical,  les  comparses  garnissent  la 
scène,  mais  ils  restent  muets,  car  il  n'y  a  pas  de  chœurs  dans 
ces  opéras  ;  pendant  ce  temps,  le  long  et  insipide  dialogue  au 
clavecin  continue  à  se  dérouler  à  l'avant-scène,  terminé  par  un 
air,  qui  n'a  même  pas  l'avantage  ici  d'être  un  des  plus  caracté- 
risés qu'il  y  ait  dans  l'œuvre.  Tout  cela  est  affreusement 
morne. 

Nous   voilà  donc  de  plus  en  plus  autorisés  à  ne   voir  dans 
l'opéra  de  Gluck  qu'une  collection  d'airs.  Et  ici,  au  moins,  nous 
allons  trouver  des  satisfactions,  qui  parfois  même  seront  grandes. 
(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Théâtre  de  l'Athénée.  —  Première  représentation  du  Boute-en-Tram, 
comédie-vaudeville  en  trois  actes,  de  M.  Alfred  Athis. 

Cette  pièce  a  conquis  dès  l'abord  le  public  par  sa  gaité  franche  et  de 
bon  aloi,  provoquée  par  des  situations  d'un  comique  irrésistible.  Le 
rire,  dont  rien  de  trivial  ni  de  grossier  ne  vient  contrarier  l'essor,  s'y 
déploie  en  toute  liberté,  dans  l'aisance  et  le  naturel  d'un  enchaînement 
défaits  ingénieux  et  imprévus.  L'intrigue  s'y  noue  et  s'y  dénoue  au 
milieu  d'incidents  invraisemblablement   fous,    mais    logiques  si  l'on 


LE  MENESTREL 


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accepte  une  ibis  le  grossissement  de  l'optique  vaudevillesque.  Gela 
rappelle  un  peu  la  comédie  italienne,  parfois  lourde  et  cependant  tou- 
jours folâtre,  mouvementée  et  amusante. 

Léa  Tasselin.  demi-mondaine,  sur  le  retour.  Théodore  Poulette, 
homme  à  tout  faire,  Malardier,  maire  de  Villerhœuf,  en  Normandie, 
propriétaire  de  terrains  à  bâtir  et  tenaueier  de  l'auherge-tripot,  unique 
dans  l'endroit,  voilà  le  trio  d'aigrefins  autour  duquel  vont  graviter  les 
autres  personnages  de  la  pièce.  Il  s'agit  de  lancer  la  plage  de  Viller- 
hœuf. Malardier,  Poulette  et  Léa,  maitresse  de  ce  dernier,  sont  trois 
larrons  en  foire,  avec  cette  nuance  que  les  deux  derniers  sont  d'accord 
pour  flouer  le  premier.  Poulette  n'a  pas  un  sou  vaillant  et  il  se  fait 
passer  pour  un  des  fonctionnaires  influents  du  prince  Ernest  de  Syl- 
vanie.  Grâce  à  lui,  Léa  aidant,  la  plage  pourra  devenir  à  la  mode.  On 
va  essayer  d'y  attirer  le  prince  Ernest,  et,  pour  flatter  sa  vanité,  le 
tripot  Malardier  prend  pompeusement  pour  enseigne  :  «  Hôtel  de  Syl- 
vanie  ».  Toutefois,  il  n'y  a  encore  que  trois  voyageurs  dans  la  maison  : 
le  couple  conjugal  Radinotet  l'ami  de  ce  couple,  Brizard,  surnommé 
le  boute-en-traiu.  Est-ce  par  ironie  qu'il  est  ainsi  qualifié?  On  pourrait 
le  penser,  car,  malgré  ses  efforts,  sa  mine  reste  longue  d'une  aune. 
C'est  qu'il  a  perdu  au  pocker  une  somme  de  six  mille  francs,  à  lui 
confiée  par  Radinot  pour  solder  les  dépenses  communes,  et  son  aveu, 
fait  à  M™0  Radinot  dont  il  est  l'amant,  ne  peut  avancer  beaucoup  ses 
affaires. 

Sur  ces  entrefaites,  une  nouvelle  à  sensation  se  répand.  Le  prince 
Ernest  vient  de  quitter  Paris,  enlevant  une  jolie  aventurière,  Nini 
Gobbler.  S'il  pouvait  venir  à  Villerbœuf,  quelle  aubaine  !  Dans  la 
journée  tombe  en  trombe,  à  l'hôtel  de  Sylvanie.  le  comte  de  Vavin- 
court,  hurlant  comme  un  possédé.  C'est  à  lui  qu'a  été  ravie  la  belle 
Nini  :  il  la  réclame  à  tous  les  échos  de  Normandie  et  veut  tuer  son 
rival.  Il  donne  le  signalement  des  amants  fugitifs,  mais  si  vaguement 
que  chacun  reste  convaincu  à  Villerbœuf  que  les  trois  voyageurs  des- 
cendus d'abord  à  l'hôtel,  rnonsieu'r.  madame  Radinot  et  Brizard,  sont, 
les  deux  premiers  un  officier  d'ordonnance  du  prince  Ernest  et  Nini 
Gobbler.  le  troisième  le  prince  Ernest  lui-même. 

Aussitôt,  tout  le  village  est  en  émoi;  la  plage  va  donc  enfin  devenir 
célèbre.  La  fanfare  de  l'endroit  vient,  suivie  de  l'orphéon,  jouer  et 
chanter  sous  les  fenêtres  de  la  chambre  du  pseudo-prince,  c'est-à-dire 
de  Radinot.  Celui-ci.  croyant  à  une  mystification  préparée  par  le  boute- 
en-train  Brizard,  entre  dans  le  jeu  avec  sa  femme,  qui  trouve  très 
piquant  de  passer  pour  Nini  Gobbler.  Radinot  répond  aux  hommages 
de  la  population  pendant  que  trio  équivoque.  Léa.  Malardier  et  Poulette 
sont  au  troisième  ciel.  Mais  voici  bien  une  autre  histoire  ;  le  vrai 
prince,  l'authentique  Ernest  de  Sylvanie.  flanqué  de  l'aimable  Nini, 
en  chair  et  en  os.  arrive  à  son  tour.  Chacun  s'accommoderait  très  bien 
de  sa  présence  à  l'exception  de  Poulette,  qui  s'est  donné  de  tels  titres  et 
qualités  à  la  cour  de  Sylvanie.  que  le  moindre  mal  qu'il  puisse  atten- 
dre est  d'être  traité  publiquement  d'imposteur  et  de  perdre  tout  crédit 
auprès  de  Malardier.  Voulant  faire  partir  le  prince,  il  lui  envoie  uue 
lettre  signée  :  «  Un  de  vos  sujets  indignés  »  pour  lui  reprocher  les 
scandales  de  sa  vie.  Là-dessus,  l'explosion  de  je  ne  sais  quelle  arme  à 
feu  fait  croire  à  un  complot  anarchique.  La  police  s'assure  de  tout  le 
monde  et  met  en  péril  bien  des  secrets  intimes  que  les  intéressés 
aimeraient  à  cacher.  Finalement,  rien  de  fâcheux  ne  se  produit  et  le 
scandale  de  toute  cette  atfaire  suffira  amplement  à  lancer  la  plage. 

L'interprète  hors  pair  de  cette  comédie-vaudeville  est  M.  Galipaux  : 
il  s'y  montre  le  plus  amusant  des  humoristes.  Après  lui  on  peut  citer 
Mmes  Duluc,  CavelL,  Ael.  Magda,  Simon;  MM.  Bullier.  Clément,  André 
Lefaur.  etc.  Le  succès  a  été  complet. 


Théâtre  du  Gymnase.—  Première  représentation  du  Bonheur  de  Jacqueline, 
comédie  en  quatre  actes,  de  M.  Paul  G-avault. 

C'est  une  pièce  aimable  et  gentille,  d'une  saveur  délicate,  telle  que  l'on 
pourrait  en  tirer  des  romans  de  Jules  Sandeau  ou  d'Octave  Feuillet. 
Fernand  et  Jacqueline  ont  été  élevés  ensemble  comme  frère  et  sœur. 
Jacqueline,  dont  la  mère  s'est  remariée  après  l'avoir  mise  au  monde, 
a  été  confiée  à  la  famille  de  Fernand  ;  les  deux  enfants  ont  grandi  côte 
à  côte  et  viennent  d'atteindre  l'âge  où  naissent  les  désirs  d'aimer. 
Fernand  chérit  Jacqueline  sans  le  lui  avoir  jamais  déclaré;  Jacqueline 
aime  aussi  Fernand  d'une  affection  intime  et  profonde,  mais  qu'elle 
croit  toute  fraternelle.  Très  peu  de  chose  sépare  ce  couple  que  l'amour 
devrait  réunir  ;  presque  rien  :  un  beau  diseur,  un  homme  sans  cœur 
et  sans  principes  qui  a  captivé  Jacqueline.  Celle-ci  trop  habituée  à  Fer- 
nand pour  trouver  en  lui  l'imprévu  qui  éveille  dans  l'âme  un  sentiment 
nouveau,  s'est  donc  laissé  faire  la  cour  par  M.  deLignières  et  va  l'épouser. 


Exquise  toutefois  jusque  dans  son  envia-,  la  jeune  tille  a  un  scrupule; 
si  Fernand  m'aimait  !  songe-t-elle.  I  ir,  c'est    de  le 

lui  demander  à  lui-même.  Cela  d< 
charme  triste  et  pénétrant.  «  Peut-être  l'id  er  tous  est-elle 

venue.  Fernand,  dit  la  jeune  fille'  :  si  je  vous  la  prête  un  instant. 
comprenez-moi  bien,  ce  n'est  pas  pour  qu'elle  s'éveille  en  vous,  mais 
pour  vous  demander  de  la  formuler  sans  crainte  -i  elle  existait.  Elle 
me  rendrait  très  lier,;:  votre  petite  Jacqueli  i  ■  is  appartient  trop 
pour  ne  pas  quitter  tout  et  revenir  droit  ous  l'ap- 

pelez. » 

Fernand  l'appellerait  de  tous  ses  vœux  dans  le  nid  conjugal  qu'il 
n'ose  plus  rêver,  maie,  pensant  qu'elle  aime  M.  de  Lig  .il  pré- 

fère se  sacrifier  à  son  bonheur.  Il  lui  déclare  qu'il  n'a  pour  elle  que  de 
l'amitié,  qu'une  sympathie  profonde;  et,  au  moment  même  ou  ce 
mensonge  désespère  son  âme  en  lui  arrachant  L'espérance,  la  joie  et 
L'allégresse  animent  le  visage  de  Jacqueline,  la  rendant  mille  fois  belle'. 
mille  fois  désirable.  C'est  une  jolie  situation,  aimablement  impres- 
sionnante en  sa  petite  note  pathétique. 

On  devine  ce  qui  doit  s'ensuivre.  A  peine  mariée.  Jacqui 
malheureuse.  Son  mari  la  trompe  avec  une  dame  américaine,  mistress 
Beggs,  et  Fernand  fait    l'impossible  pour   qu'elle  ne  s'en  aperçoive 
point,  croyant  qu'elle  en  serait  inconsolable.  Il  po 
jusqu'à  prendre  à  sa  charge  les  aventures  scandaleuses  du 
repondre  en  son  lieu  et  place  à  une  provocation  en  duel.  C'est  aller  un 
peu  loin  peut-être,  mais  la  situation  est  théâtrale..  Si  M.  de  Ligniéres 
laisse  un  autre  se  battre  pour  lui,  on  le  traitera  de  làcheet  il  sera  disqua- 
lifié :  s'il  accepte  d'aller  sur  le  terrain,  sa  femme  saura  tout.  Cette  désa- 
gréable affaire  est  arrangée  grâce  à  l'intervention  de  M Ravenel, 

mère  de  Fernand,  mais  c'en  est  fait  de  la  paix  du  ménage  de  Jacque- 
line; la  jeune  femme,  mise  en  demeure  de  renoncer  à  son  amitié  pour 
Fernand,  quitte  le  foyer  conjugal,  et.  désabusée,  blessée,  meurtrie, 
vient  se  blottir  dans  les  bras  de  son  ami  d'enfance,  sûre  d'y  rencontrer 
toujours  asile  et  protection.  Le  divorce  est  là  pour  permettre  de  renouer, 
au  nom  de  l'amour,  les  liens  commencés  sous  l'égide  fraternelle  :  Jac- 
queline aura  enfin  trouvé  le  bonheur. 

Mme  Marthe  Régnier  joue  avec  une  sensibilité  doucement  émue  le 
rôle  de  Jacqueline;  sa  grâce  enveloppante  et  l'accent  suave  de  ses  in- 
flexions convenaient  particulièrement  ici,  et  lui  ont  assure  un.de  ses 
meilleurs  succès.  M.  Abel  Tarride  personnifie  avec  gravite  le  jeune 
amoureux  qui  se  montre  si  enclin  à  se  sacrifier  :  il  s'est  habilement 
acquitté  d'une  tâche  très  difficile.  M""  Anna  Judic.  sachant  admirable- 
ment se  comporter  et  dire,  a  été  charmante  de  distinction,  de  beauté, 
d'indulgence,  en  représentant  Mme  Ravenel.  11  faut  mentionner  encore 
Mme  Félyne  et  MM.  Charles  Lamy,  Henry  Buguet,  Joffre  et  Jean  Dax. 
La  pièce  a  été  présentée  avec  l'élégance  et  la  recherche  qui  sont  la 
coquetterie  du  théâtre  du  Gymnase.  Amédée  Boitarel. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts-Colonne.  —  L'ouverture  de  Lêonore,  brillamment  exécutée,  et 
le  Rouet  d'Onipluile  de  Saint -Saêns,  accueilli  avec  son  habituel  succès,  précé- 
daient sur  le  programme  le  «  poème  symphonique  pour  orchestre  et  chœur  » 
Psyché,  de  César  Franck.  M.  Colonne  sait,  comme  il  convient,  mettre  toujours 
en  valeur  le  coté  poétique  et  mystérieux,  la  tristesse  recueillie  ou  désespérée 
qui  sont  caractéristiques  dans  les  œuvres  de  ce  maître.  Ainsi,  pour  donner 
plus  de  charme  à  la  légende  antique  de  Psyché,  il  a  relégué  derrière  les  cou- 
lisses le  soliste  et  les  chœurs.  Les  voix  arrivaient,  par  suite,  dans  une  sorte  de 
recul,  comme  tamisées  par  l'éloignement  et  semblaient  descendre  des  hau- 
teurs d'un  palais  de  rêve.  Le  procédé  n'est  pas  nouveau,  mais  il  est  toujours 
utilisé  avec  succès  au  Chàtelet  et  produit  chaque  fois  une  très  heureuse  im- 
pression. César  Franck  n'a  pas  réalisé  dans  Psj/c/ie  une  œuvre  de  tous  points 
féniale  ou  même  constamment  inspirée.  L'obligation  de  sacrilier  dans  une 
certaine  mesure  la  musique  pure  à  la  musique  descriptive  a  peut-être  gêné 
son  essor:  on  pourrait  supposer  aussi  que  le  sujet,  empreint  d'une  volupté 
toute  profane,  qu'il  avait  choisi,  n'a  pu  s'adapter  qu'imparfaitement  aux  ten- 
dances de  son  caractère  et  aux  besoins  de  son  tempérament:  mais,  s:  Psyché 
reste  une  œuvre  inégale,  si  l'on  peut  trouver  un  peu  dépourvus  d'invention, 
quoique  mélodieux  et  agréables,  le  Sommeil  de  Psyché,  Psyclté  i  ii/i  Déi 
phirs  et  quelques  autres  fragments,  d'autres  pages  sont  admirables  et  renfer- 
ment des  oppositions  de  sentiments  très  heureusement  exprimées  d'où 
naissent  des  développements  pathétiques  et  pénétrants.  Sous  ce  rapport  ou 
peut  citer  les  tableaux  Eros  et  Psyché.  Souffrances  et  ravissement  tfe  Psyché,  etc. 
Tous  les  contrastes,  M.  Colonne  les  a  supérieurement  indiqués.  MUe  Hélène 
Mirev,  chargée  des  soli,  possède  une  voix  très  étendue  et  d'une  grande  pu- 
reté.Elle  a  "chanté  avec  beaucoup  de  style  les  plaintes  de  la  troisième  partie 
qui  précède  le  chœur  :  Amour,  elle  a  connu  ton  nom.  —  La  deuxième  partie  du 


44 


LE  MENESTREL 


programme  comprenait  des  fragments  wagnériens.  M.  Van  Dyck  s'est  prêté 
de  bonne  grâce  aux  exigences  d'un  public  ravi  de  l'entendre  :  il  a  bissé  le 
Chant  de  la  forge  de  Siegfried  et  le  lied  du  printemps  de  la  Walkyrie.  Il  inter- 
prète ce  dernier  avec  une  exaltation  croissante  et  en  clame  presque  les  me- 
sures finales,  pendant  que  l'orchestre  reprend  avec  force  le  thème  d'amour. 
Le  récit  de  Loge  de  l'Or  du  Rhin  a  été  peu  apprécié,  mais  l'assistance  tout 
entière  a  prodigué  à  M.  Van  Dyck  des  ovations  sans  fin  et  pleinement  justi- 
fiées. Le  prélude  de  Parsifal,  les  Murmures  de  la  forêt  et  la  Chevauchée  des  Wal- 
kyries  ont  été  très  bien  rendus  par  l'orchestre. 

AsiÉDÉE  BdDTAREL. 

—  Concerts-Lamoureux.  —  Une  nouveauté,  pour  Paris,  corsait  le  pro- 
gramme du  concert  de  dimanche.  Les  Variations  et  Fugue  de  Max  Reger, 
compositeur  allemand,  professeur  au  Co  iservatoire  de  Leipzig  et  titulaire  de 
la  chaire  de  musique  à  l'Université  de  cette  ville,  constituent,  je  no  dirai  pas 
un  morceau  de  choix,  mais  un  de  ces  plats  de  résistance  où  la  santé  et  un 
robuste  estomac  trouvent  leur  compte,  plutôt  qu'un  goût  raffiné  et  délicat. 
Est-ce  à  dire  que  cette  vaste  composition  soit  sans  valeur  ?  Non  certes!  et 
l'on  ne  saurait  sans  injustice  lui  dénier  une  ingéniosité  dans  l'agencement, 
une  habileté  dans  l'orchestration  qui  imposent  le  respect.  Mais  voilà  !  M.  Max 
Reger  est  savant,  très  savant,  et  il  le  montre,  il  le  souligne,  —  d'abord  par 
le  choix  même  du  thème,  d'une  rare  insignifiance,  qu'il  a  emprunté  à  Adam 
Hiller,  ensuite  par  la  mégalomanie,  l'enflure  de  ces  variations  et  surtout  de 
cette  Fugue  interminable,  en  dépit  de  son  habileté  technique.  Le  public 
agité  de  sentiments  contradictoires  a  manifesté  diversement  son  appréciation. 
M.  Fritz  Stoinbach  conduisit  avec  autorité  ce  lourd  et  indigeste  morceau  de 
pédagogie  musicale,  où  l'on  chercherait  en  vain  une  émotion  vraie  et  autre 
chose  qu'une  indifférente  rhétorique.  —  Les  Six  Danses  Allemandes  de  Mozart, 
même   avec  l'instrumentation  «  additionnelle  »   de  M.    Steinbach,   n'ajoutent 

>  rien   à  la   gloire  de  l'auteur  de  Don  Juan.  Le  moins  qu'on  en  pui-se  dire  est 

qu'elles  ont  fait  sourire et,  quand  on  rit,  on  est  désarmé  [Celles  du  Canari, 

de  la  Vielle,  et  des  Traîneaux  sont  desamusettes  que  la  solennité  du  cadre  fai- 
sait paraître  quelque  peu  empruntées.  —  La  Ie  Symphonie  de  Schubert,  que 
Schumann  admirait  fort  et  qu'il  fitpiur  la  première  fois  exécuter  aux  Concerts 
du  Gewandhaus  de  Leipzig  en  1839  (la  date  de  la  composition  est  de  1S2S.  l'an- 
née même  de  la  mort  de  son  auteur),  contient  des  pages  de  tout  premier 
ordre  qui  font  d'autant  plus  regretter  les  longueurs  et  les  redites  dont  pres- 
que aucune  œuvre  de  Schubert  n'est  exempte.  Néanmoins  on  l'entendit  avec 
plaisir,  ainsi  que  l'ouverture  de  Léonore  (n°  3)  de  Beethoven  qui  ouvrait  le 
programme.  .1.  Jemain. 

—  Programmes  des  concerts  de  demain  dimanche  : 
Concerts- Colonne  (Théâtre  du  Chàteletj,  à  deux  heures  et  demie  : 

Ouverture  de  Tannhauser  (R.  Wagner).  —  Suite  en  ré  (J.-S.  Bach)  :  Aria.  —  Deux 
mélodies  (1™  audition)  (Georges  Brun)  :  a)  La  Neige  (Armand  Silvestre),  b)  Marine 
(Paul  Bourget)  :  M""  Laute-Brun.  —  Fantaisie  pour  piano,  avec  orgue  (A.  Périlhou) 
(l™  audition)  :  M.  Georges  de  Lausnay.  —  Danse  de  Salomi  (R.  Strauss).  —  Sympho- 
nie en  ut  mineur,  avec  orgue  (C.  Saint-Saëns)  il"  audition  aux  Concerts-Colonne)  : 
orgue,  M.  Gabriel  Pierné;  piano,  M.  et  M"'  Georges  de  Lausnay.  —  Rondo  cappric- 
cioso  (C.  Saint-Saëns)  :  M.  Firmin  Touche.  —  Siegfried  :  Les  Murmures  de  la  Forêt 
(R.  Wagner),  redemandé.  —  La  Chevauchée  dis  Walkyries  (R.  Wagner),  redeman- 
dée. L'orchestre  sera  dirigé  par  M.  Ed.  Colonne. 

Concerts-Lamoureux  (salle  Gaveau,  45,  rue  La  Boëti*)  : 

Ouverture  de  la  Flûte  enchantée  (Mozart).  —  Symphonie  en  ré  mineur  (César 
Franck)  :  I.  Lento;  Allegro  non  troppo.  —  IL  Allegretto.  —  III.  A'iegro  non  troppo. 
—  Préludes  de  Miarka  (Alex.  Georges)  ;  a)  premier  prélude  (Mon  de  Miarka)  ;  b)  deu- 
xième prélude  (Pastorale  et  Marche  romane)  (première  audition  aux  Concerts- 
Lamoureux).  —  Conc-rto  pour  piano  (Rimsky-Korsakow),  M.  Ricardo  Viiies.  — 
Gwendoline  (prélude  du  deuxième  acte)  (Chabrier).  —  Mazcppa  (poème  symphonique) 
(Liszt).  —  Orchestre  sous  la  direction  de  M.  André  Messager. 

Concerts-Populaires  (3  heures,  Marigny)  : 

Symphonie  inachevée  (Schubert).  —  Lohengrin (rêve d'Eisa)  (Wagner)  :  M""  Hélène 
Lequiens.  —  Concerto  en  ut  majeur,  pour  deux  pianos  et  orchestre  (Bach)  : 
M"'  Mary  Weingartner  et  M.  SakolT  Grunwaldt.  —  Patrie  (Bizet).  —  Manfied  (Schu- 
mann) :  a)  Entr'acte;  b)  Sans  des  Vaches  :  cor  anglais,  M.  Mathieu;  c)  Apparition  de 
la  Fée  des  Alpes  ;  d)  Dans  un  jardin  (Ed.  Combe)  :  M"'  Lequiens.  —  Danse  persane 
(Guiraud).  —  Chef  d'orchestre  :  M.  Fernand  de  Léry. 

—  La  2e  séance  de  la  Fondation  Bach  dirigée  par  le  violoniste  Charles  Bou- 
vet a  eu  lieu  salle  Pleyel.  Consacré  exclusivement  à  Mozart,  le  programme 
comprenait  le  quatuor  en  ré  majeur  pour  cordes,  la  sonate  pour  piano  et  vio- 
lon en  sol  majeur  et  ïe  quatuor  piano  et  cordes  en  sol  mineur.  Prenaient  part 
à  l'exécution  MM.  Charles  Bouvet,  R.  Marthe,  J.  Jemain,  P.  Brun  et  Gra- 
vrand.  M.  Plamondon  chanta  de  sa  voix  pure  l'air  à'Idoménée  et  trois  courtes 
pièces  composées  par  Mozart  sur  des  paroles  françaises  et  dont  deux  furent 
bissées.  Tous  les  interprètes  de  cette  intéressante  séance  furent  très  applaudis 
par  un  public  nombreux. 

—  Les  matinées  du  Gymnase  (Fondation  Danbé)  ont  repris  leur  cours  régu- 
lier. Mercredi  dernier  on  a  applaudi  un  intéressant  quintette  pour  piano  et 
instruments  à  cordes  de  Léo  Sachs  joué  par  M.  Galeotti  et  le.  quatuor  Soudant 
puis  la  sonate  en  ut  mineur  de  Beethoven  pour  piano  et  violon  et  Varia  de 
Bach  qui  eut  les  honneurs  du  bis.  Mme  Marie  Capoz,  remplaçant  Mme  Raunay 
indisposée,  a  été  très  apppéciée  pour  sa  voix  pure,  sa  diction  claire  et  expres- 
sive daus  trois  airs  classiques  et  le  Colibri  d'Ernest  Chausson.  —  La  7=  matinée 
aura  lieu  le  mercredi  12  février  avec  le  concours  de  MM.  Théodore  Dubois 
Risler,  Plamondon,  MUe  Demougeot  et  M.  Gilly  de  l'Opéra. 

—  Lr  28  janvier,  salle  Erard,  a  eu  lieu  le  37e  concert  donné  par  la  Société 


instrumentale  d'amateurs  «  la  Tarentelle  »,  avec  le  concours  de  M1Ie  Renée 
Billard  et  de  M.  Jan  Reder.  La  première,  toute  jeune  violoniste  de  grand 
talent,  a  joué  à  ravir  le  Concerto  de  Mendelssobn.  Le  second  a  chanté,  avec 
beaucoup  d'expression  et  de  style,  le  Lamento  de  G.-R.  Simia,  pour  chant  et 
orchestre,  sur  des  paroles  de  Verlaine,  et  l'air  d'Agamemnon,  A'Iphigénie  en 
Aulide.  On  a  entendu  les  Paysages  normands,  de  Georges  Sporck.  très  pitto- 
resques et  fort  bien  écrits,  et,  pour  finir,  les  Erimiyes  de  Massenet.  Il  faut 
louer  une  fois  de  plus  l'excellente  direction  d'Edouard  Tourey  et  l'exécution  re- 
marquable, la  cohésion,  la  souplesse  qu'il  sait  obtenir  de  son  orche.-tre. 

—  La  Société  Haydn-Mozart-Beethoven  (M,ne  Edouard  Calliat,  MM.  Calliat. 
André  Bittar,  Le  Métayer,  Mlle  Adèle  Clément")  donnera  sa  deuxième  séance 
de  musique  de  chambre,  le  mercredi  12  février,  à  9  heures  du  soir,  salle  Pleyel. 
24,  rue  Rochechouart. 

—  Raoul  Pugno  va  donner,  salle  Pleyel,  trois  concerts  avec  le  concours  de 
Mlle  Suzanne  Cesbron.  Ces  trois  séances  auront  lieu  les  vendredi  14,  mardi  18 
et  vendredi  21  février.  La  première  séance  donnée  avec  le  concours  de 
MM.  Ed.  Nadaud  et  Ph.  Gaubert  sera  consacrée  à  la  musique  ancienne.  Le 
programme  de  la  seconde  ne  comprend  que  des  oeuvres  de  Schubert  et  de 
Schumann,  et  celui  de  la  troisième  sera  consacré  à  Chopin,  Franck,  Fauré, 
Duparc  et  à  deux  premières  auditions  d'oeuvres  de  Raoul  Pugno  (Paysages. 
suite  pour  piano,  et  les  Cloches  du  Souvenir,  cycle  de  mélodies  interprétées  par 
Mlle  Cesbron).  La  location  sera  ouverte  le  4  février. 

—  Le  3e  concert  mensuel  de  la  «  Schola  Cantorum  »  aura  lieu  à  la  salle 
Gaveau,  43,  rue  de  La  Boêtie,  le  mercredi  12  février  à  9  h.  du  soir.  On  y 
donnera  une  grande  sélection  d'Euryanlhc,  opéra  romantique  en  3  actes  de 
Cari  Maria  Von  Weber  (1823).  Soli,  chœurs  et  orchestre  de  la  Scholo  Canto- 
rum (  130  exécutants)  sous  la  direction  de  M.  V.  d'Indy. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(pour  les  seuls  abonnés  a  la  musique) 


Et  voici  encore  un  charmant  numéro  des  Idylles  et  chansons  de  Jaques-Dalcroze  : 
Au  bois  de  l'amour  :  c'est  un  peu  compris  dans  la  style  populaire  des  fameuses  Chan- 
sons romandes  du  même  auteur,  mais  d'un  art  plus  raffiné.  Cela  fleure  bon  le  thym 
et  la  rosée;  cela  vit,  cela  court,  avec,  quand  il  le  faut,  une  pointe  de  poésie  et  d'émo- 
tion. Voila  l'œuvre  d'un  musicien  exquis,  aussi  loin  de  la  banalité  que  des  recher- 
ches oiseuses.  M.  Jaques-Dalcroze  est  un  musicien  de  belle  santé. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

De  New-York  :  On  affirme  qu'entre  M.  Conried  et  les  administrateurs 
du  Metropolitan  Opéra  un  arrangement  vient  d'intervenir,  en  vertu  duquel 
M.  Conried,  en  consentant,  à  la  fin  de  la  saison  courante,  à  la  résiliation  de 
son  contrat,  recevra  la  somme  de  230.000  dollars  à  titre  de  dommages  inté- 
rêts. Le  contrat  de  M.  Conried  n'expire,  en  effet,  que  dans  trois  ans.  Conclu 
primitivement  pour  une  durée  de  cinq  ans,  il  avait  été  prorogé,  il  y  a  que  - 
ques  années.  M.  Conried  continuera,  jusqu'à  celte  date,  à  toucher  son  traite- 
ment directorial  qui  est  de  20.000  dollars  par  an,  mais  il  n'aura  plus  droit  à 
sa  part  de  dividendes  qui  s'élevait  à  une  moyenne  de  13.000  dollars  par  an. 
Ce  sont  là  des  conditions  très  avantageuses  pour  M.  Conried.  Elles  s'expliquent 
par  le  fait  qu'il  dispose  du  droit  de  contrôle  sur  la  moitié  des  actions  plus 
une  de  la  Société.  Dans  cet  état  des  choses,  seul  un  arrangement  à  l'amiable 
pouvait  aboutir  à  une  résiliation  de  contrat.  La  musique  française  n'aura  pas 
à  regretter  le  départ  de  M.  Conried.  Il  l'avait  à  peu  près  complètement 
exclue  de  ses  programmes. 

La  crise  financière  américaine  est  loin  d'être  terminée,  et  deux  grandes 

banques,  parmi  lesquelles  la  New  Amsterdam  National  Bank,  viennent  encore 
de  faire  faillite.  Malheureusement,  la  New  Amsterdam  a  parmi  ses  dépôts  les 
fonds  de  l'Opéra  Métropolitain  do  New-York  et  de  nombreux  artistes.  C'est 
ainsi  que  le  ténor  Caruso,  qui  n'a  décidément  pas  de  chance  aux  Etats-Unis, 
avait  déposé  dans  cet  établissement  200.000  francs,  le  ténor  Bonci  30.000 
francs.  M",e  Cavalieri  40.000  francs  et  miss  Ethel  Jackson  tout  ce  qu'elle  avait 
gagné  avec  ta  -logeuse  Veuve. 

D'après  une  correspondance  de  New-York,  M.  Cari  Muck,  qui  abandonna 

en  1906  les  fonctions  de  chef  d'orchestre  de  l'Opéra-Royal  de  Berlin  pour  aller 
diriger  les  concerts  symphoniques  de  Boston,  reviendrait  prochainement  à 
Berlin.  On  no  sait  encore  s'il  renoncera  complètement  à  poursuivre  sa  carrière 
en  Amérique  ou  s'il  a  l'intention  de  la  reprendre  après  un  séjour  en  Europe. 

Il  existe   dans  l'État  de   Michigan  (États-Unis)   une  loi   assez  singulière 

qui  proscrit  sévèrement  sur  les  théâtres  tout  épisode  qui,  de  quelque  façon 
que  ce  soit,  peut  faire  naître  ou  aviver  dans  le  public  la  passion  du  jeu.  On 
donnait  récemment  dans  une  ville  de  cet  Éiat  ta  Gioconda,  de  Ponchielli.  Or, 
on  sait  qu'au  premier  acte  de  cet  ouvrage  les  ouvriers  et  les  gens  du  peuple 
sont  fortement  occupés  a  jouer  aux  dés.  Le  premier  soir  tout  se  passa  tran- 
quillement; mais  le  second  jour,  les  gens  de  police  avertis  envahirent  la 
scène,  arrêtèrent  les  joueurs  et  firent  cesser  le  spectacle. 


LE  MÉNESTREL 


V-j 


—  Recherches  nouvelles  sur  l'origine  du  fènl  save  tlie  King.  —Un professeur 
île  musique  de  Genève,  M.  H.  Kling,  vient  de  faire  connaître  l'intéressant 
résultat  d'investigations  qu'il  a  faites  pour  arriver  à  découvrir  la  provenance 
de  la  mélodie  initiale  devenue  si  célèbre  depuis  que  l'Angleterre  en  a  fait  son 
chant  national.  Toutes  les  personnes  qui  ont  voyagé  dans  la  Suisse  allemande 
en  prenant  contact  avec  la  population  n'ont  pu  manquer  d'entendre  chanter 
l'air  du  Gode  save  the  King  sur  les  paroles  suivantes  :  «  Heil  dir  im  SUgef- 
kranz,  rufst  Du  mein  Vaterland  i>.  Jusqu'à  présent,  l'on  avait  attribué  la 
composition  de  cet  air  à  John  Bull,  Carey.  Smith,  Purcell,  Lully.  Haendel 
et  Schumacher.  M.  Kling  pense  en  avoir  trouvé  l'origine  dans  un  vieux 
chant  genevois  :  «  Ce  qu'é  l'Aino  ».  Ce  chant  aurait  été  chanté  pour  la 
première  fois  à  un  banquet  politique,  en  1603,  pour  célébrer  la  victoire  des 
Genevois  sur  les  troupes  du  duc  do  Savoie  en  1602.  Des  anglais  recueillirent 
la  mélodie  e1  la  perlèrent  on  Angleterre,  où  l'organiste  John  Bull  en  fit  un 
arrangement  pour  une  fête  en  l'honneur  de  Jacques  Ier,  en  1607.  Le  chant  s'im- 
planta peu  à  peu  dans  le  pays  et  devint  chant  national. L'air  se  retrouve  en  France 
au  commencement  du  dix-huitième  siècle.  Lully  eu  aurait  transcrit  la  musique. 
Mnle  de  Brisson  y  aurait  adapté  dos  paroles,  et  le  morceau  serait  ainsi  devenu  un 
hymne  à  la  gloire  de  Louis  XIV.  Hiendel.  de  son  cùté,  en  aurait  fait  une  ver- 
sion pour  le  roi  Georges  de  Hanovre.  Ensuite  la  mélodie  passa  en  Allemagne 
par  la  voie  du  Danemark.  Le  pasteur  Henry  Harries  en  avait  fait  un  chant 
d'anniversaire  pour  le  roi  Christian  VIE  et  ce  chant  fut  publié  en  1700.  Les 
paroles  formaient  onze  versets.  Schumacher,  qui  modifia  le  texte  vers  1793, 
pour  qu'il  pût  servir  en  Prusse,  réduisit  à  cinq  le  nombre  des  strophes.  Au 
commencement  du  dix-neuvième  siècle,  la  mélodie  se  répandit  en  Suisse  et 
revint  ainsi  à  son  point  de  départ.  Zwissig  y  adapta  un  texte  nouveau  qui  a 
été  traduit  en  français  et  en  italien.  Tels  sont  les  renseignements  nouveaux 
que  M.  Kling  a  versés  au  débat  toujours  ouvert  sur  la  composition  du  (loti 
save  the  King.  Nous  les  reproduisons  à  litre  documentaire  et  naturellement 
sous  réserve. 

—  Le  public  anglais  commencerait-il  à  avoir  a9sez  des  programmes  indi- 
gestes des  immenses  concerts  qui  lui  sont  offerts  quotidiennement?  Le  Mnsi- 
rnl  Kmes  poursuit  depuis  quelque  temps  une  campagne  vigoureuse  contre  les 
séance»  musicales  qui  n'en  finissent  pas,  et  il  demande  instamment  que  la 
durée  des  concerts  ne  dépasse  pas  deux  heures. 

—  Au  mois  de  juillet  prochain.  Londres  verra  une  grande  procession  histo- 
rique dont  la  splendeur  est  appelée  à  éclipser  tout  spectacle  de  ce  genre  qu'on 
aura  vu  jusqu'à  ce  jour  en  Angleterre.  En  fait,  il  s'agit  d'organiser  une  pro- 
cession de  douze  mille  personnes,  avec  cinq  cents  chars  allégoriques  et  plu- 
sieurs milliers  de  chevaux,  de  façon  à  représenter  le  développement  de  dix 
siècles  de  l'histoire  anglaise,  depuis  Alfred  le  Grand  jusqu'aux  premières 
années  du  règne  de  la  reine  Victoria.  Le  cortège  se  développera  sur  un  par- 
cours d'au  moins  douze  kilomètres.  La  principale  difficulté  qui  se  présente 
pour  le  moment  est  de  pouvoir  trouver  une  localité  centrale  assez  ample  et 
bien  adaptée  pour  les  répétitions  nécessaires  et  pour  la  distribution  des  rôles 
des  douze  mille  personnes  devant  participer  au  cortège,  il  s'est  formé  un  co- 
mité pour  recueillir  les  fonds  nécessaires,  et  un  grand  nombre  de  personna- 
lités de  l'aristocratie  et  du  Parlement  font  partie  de  ce  comité.  La  direction 
de  l'organisation  technique  et  artistique  sera  confiée  à  M.  Frank  Lascelles.  qui 
organisa  avec  beaucoup  de  succès,  l'été  dernier,  la  grande  procession  histo- 
rique d'Oxford. 

—  Encore  un  petit  violoniste  prodige.  Il  en  sort  en  ce  moment  de  dessous 
les  pavés.  Celui-ci  est  Russe  de  naissance,  il  se  nomme  Zimbalist,  et  comme 
le  jeune  Mischa  Elman  il  est  élève  de  M.  Léopold  Auer.  On  assure  que  son 
jeu  est  exempt  de  tout  acrobatisme,  et  dans  un  concert  qu'il  vient  de  donner 
au  Queen's  Hall  de  Londres  il  a  obtenu  un  énorme  succès  en  exécutant  le 
concerto  de  Tschaïkowsky,  une  suite  en  la  mineur  de  Sinding  et  la  Sympho- 
nie espagnole  de  Lalo. 

—  Une  vieille  maison  de  Brewer  Street,  à  Londres,  devait  être  vendue  der- 
nièrement, mais  miss  Verne  a  fait  appel  à  tous  les  amis  de  la  musique  pour 
l'aider  à  empêcher  cette  vente,  car  dans  cette  maison  appelée  naguère 
Hickford's  Room,  Mozart  et  sa  sœur  donnèrent  des  concerts  peu  après  leur 
arrivée  à  Londres  en  1764.  C'est  là  qu'on  applaudit  également  Clémenti. 
Abel  (le  virtuose  de  la  viole  di  gamba),  J.-C.  Bach  et  d'autres  musiciens 
renommés.  La  maison  avait  été  construite  spécialement  en  vue  d'auditions 
musicales  par  M.  Hickford  en  1738;  déjà  en  1713  ce  mélomane  avait  orga- 
nisé des  concerts  dans  sa  première  demeure  située  dans  James  Street,  Hav- 
market. 

—  M.  Félix  Weingartner,  le  nouveau  directeur  de  l'Opéra  de  Vienne,  pré- 
pare une  brillante  reprise  de  Lakm?,  avec  Mmc  Hedwig  Francillo-Kaufmann. 
de  Berlin,  dans  le  rôle  principal. 

—  On  a  donné,  à  l'Opéra  Impérial  de  Vienne,  avec  succès,  un  nouveau 
ballet  intitulé  le  Jugement  dï  Paris.  Le  scénario  est  du  chorégraphe  Hassrei- 
ter.  la  musique  du  compositeur  Skopitez. 

—  Le  24  janvier  dernier  a  été  donné  à  l'Opéra  de  Dresde  Akté,  drame 
lyrique  en  quatre  actes,  texte  et  musique  de  M.  Joan  Manéen.  L'œuvre  n'est 
pas  une  nouveauté,  car  elle  a  été  jouée  déjà  en  1903  à  Barcelone.  Le  compo- 
siteur est  de  nationalité  espagnole  et  possède  sur  le  violon  un  véritable  talent 
de  virtuose.  Il  est  actuellement  âgé  de  vingt-cinq  ans  seulement.  Son  opéra 
met  en  scène  un  épisode  de  la  vie  de  l'empereur  Néron. 


—  La  partie  la  plus  importante  de  la  collection  d'autographes  de  Joseph 
Joachim  est  actuellement  vendue.  Très  peu  de  temps  après  la  mort  du  maitre, 
tous  les  manuscrits  qu'il  possédait  avaient  été  remis  à  une  mai 
Leipzig;  c'est  cette  maison  qui  vient  de  céder,  à  un  amateur  de  Vienne,  les 
plus  intéressants.  On  peut  citer  parmi  ces  derniers  une  contate  di  Bach,  la 
romance  en  /'«  de  Beethoven,  le  concerto  de  violon  en  la  majeur  de  Mozart, 
le  trio  en  mi  bémol  majeur  de  Schubert  et  quelques  autres  autographes  d'une 
moindre  valeur. 

—  On  annonce  de  Nuremberg  que  le  sculpteur  Fritz  Zadow  a  offert  à  la 
municipalité  de  cette  ville  un  buste  du  compositeur  Hans-Loo  Hassler,  qui  y 
naquit  en  IC'Ji.  Ce  compositeur,  le  premier  musicien  allemand  qui  fit  son 
éducation  musicale  en  Italie,  séjourna  à  Venise,  où  il  eut  pour  maitre  le 
fameux  Gabrielli.  Lorsqu'il  retourna  en  Allemagne,  il  entra  au  servie,  de  Ro- 
dolphe II  à  Prague  et  mourut  à  Francfort  en  1712. 

—  Au  commencement  du  mois  de  janvier  dernier,  l'orchestre  Kaim,  bien 
connu  à  Munich  et  dans  beaucoup  d'autres  villes  où  il  a  fait  des  tournées, 
refusa  de  jouer  à  cause  de  la  présence,  dans  la  salle  du  concert,  de  M.  Ro- 
dolphe Louis,  critique  musical  des  Nouvelles  de  Munich  dont  les  artistes 
croyaient  avoir  à  se  plaindre.  L'incident  a  fait  quelque  bruit  en  son  temps;  il 
aurait  pu  paraître  insignifiant  s'il  n'avait  été  l'indice  d'une  désorganisation 
profonde  et  depuis  longtemps  menaçante.  Cet  orchestre,  fondé  en  1K9!  par 
M.  Franz  Kaim  alors  âgé  de  trente-cinq  ans,  put  s'installer  Jeux  ans  après 
dans  une  salle  de  concerts  construite  spécialement  pour  lui.  Il  a  été  lui." 
successivement  par  H.  Winderstein  (1893),  Ilerman  Zumpe  (189b),  Ferdinand 
Loewe  (1898),  et,  depuis,  par  MM.  Félix  Weingartner,  Langenhahn,  Siegmund 
von  Hausegger,  Georges  Dohrn  et  Peter  Raabe.  L'orchestre  Kaim  vient  de 
traverser  une  crise  aiguë.  Un  concert,  qui  devait  avoir  lieu  il  y  a  une  quin- 
zaine de  jours  à  Mannheim,  a  dû  être  contremandé  par  suite  de  la  résistance 
passive  opposée  par  un  certain  nombre  de  musiciens.  M.  Kaim  s'est  vu  con- 
traint alors  de  congédier  les  plus  en  vue  des  «  obstructionnistes  »,  mais  tous 
les  autres  membres,  à  l'exception  de  deux,  prirent  fait  et  cause  pour  ceux  qui 
ava;entété  renvoyés.  Ils  demandèrent  leur  réengagement  et.  sur  le  refus  qu'ils 
essuyèrent,  quittèrent  Mannheim  et  rentrèrent  à  Munich.  M.  Kaim,  ne  pou- 
vant donner  les  concerts  qui  avaient  été  annoncés  à  Mannheim,  à  Pforzheim 
et  à  Landau,  déclara  qu'il  demanderait  375  francs  de  dommagei-intéréts  à 
chacun  des  artistes  réfractaires.  Ceux-ci  répondirent  qu'ils  sauraient  se 
défendre  devant  les  tribunaux.  L'orchestre  avait  été  engagé  à  jouer  à  l'expo- 
sition de  Munich  pendant  le  courant  de  cette  année.  Le  contrat  avait  été 
rompu  antérieurement  aux  incidents  que  nous  venons  de  relater  et  les  musi- 
ciens  attribuaient  cet  échec  à  la  malveillance  de  la  critique  et  de  certains 
compositeurs  en  vue.  C'est  là  ce  qui  peut  expliquer  leur  attitude  et  leur  mé- 
contentement. Quoi  qu'il  en  soit,  M.  Kaim  a  réussi  à  constituer  en  dix  jours 
une  nouvelle  troupe  d'artistes  qui  ont  joué  pour  la  première  fois  le  31  janvier 
à  Munich  devant  un  public  bienveillant.  La  suite  des  concerts  d'abonnement 
n'a  pas  été  interrompue  ;  toutefois,  la  séance  du  3  février  n'ayant  pu  avoir 
lieu  à  sa  date,  sera  reportée  à  la  fin  de  la  saison.  Quant  aux  artistes  réfractaires. 
ils  ont  formé  un  nouvel  orchestre  sous  la  direction  de  M.  Moosmûller  et  ont 
pris  le  titre  de  «  Munchener  Tonkiinstler  Orchester  ».  Ils  ont  donné  le  29  jan- 
vier un  concert  consacré  à  Beethoven.  On  ne  sait  trop  encore  comment  cela 
finira,  car,  d'après  l'avis  général,  deux  graudes  Sociétés  de  concerts  sympho- 
niques  ne  pourront  subsister  simultanément  à  Munich. 

—  Mme  Héritte-Viardot  vient  de  donner  à  Fleidelberg  (où  elle  réside  en  ce 
moment)  une  matinée  de  musique  de  chambre  où  ont  été  interprétées,  avec  un 
succès  retentissant,  quelques-unes  de  ses  œuvres,  à  savoir:  un  trio  vénitien, 
une  sonate  pour  violon  et  piano,  un  quatuor  et  un  choix  de  lieder.  La  critique 
allemande  ne  tarit  pas  d'éloges  sur  la  puissance  et  le  talent  si  personnel  de 
l'auteur  qui,  tout  en  dédaignant  la  recherche  des  effets,  sait  par  sa  sincérité 
même,  par  la  facture  impeccable  et  la  seule  force  d'une  instrumentation  ma- 
gistrale, tenir  l'auditoire  sous  le  charme  tantôt  des  sensations  les  plus  exqui- 
sement  douces,  tantôt  des  émotions  les  plus  violemment  empoignantes. 

—  Auguste  Wilhelmy  et  les,  chiens  de.iBayreuth.  —  Le  baryton  Eugène 
Gura,  mort  le  26  août  1006,  a  raconté  l'anecdote  suivante  qui  a  été  recueillie 
dans  un  livre  paru  récemment  à  Berlin.  C'était  à  Bayreulh.  pendant  les  repré- 
sentations wagnériennes  du  mois  d'août  IS76.  La  municipalité  de  la  petite 
ville  bavaroise  avait  établi  presque  subitement  une  taxe  assez  élevée  sur  les 
chiens,  et  beaucoup  de  ces  malheureux  animaux  étaient  livrés  à  l'équarrisseur 
parce  que  leurs  propriétaires,  désireux  de  se  soustraire  à  la  taxe,  n'avaient  pas 
trouvé  à  les  vendre.  Wilhelmy.  qui  avait  accepté  l'emploi  de  premier  violon 
solo,  au  théâtre  des  fêtes,  pris  d'un  sentiment  de  pitié,  en  acheta  un  grand 
nombre,  mais,  exécédé  bientôt  d'entendre  leurs  aboiements  et  fatigué  des 
soins  qu'il  fallait  leur  donner,  il  songia  au  moyen  le  plus  expéditif  de  s'en 
défaire.  Pour  y  arriver  il  se  plaça  un  jour  devant  sa  fenêtre  ouverte  à  l'heure 
où  les  artistes  de  l'orchestre  se  rendaient  à  la  répétition,  et  à  chacun  de  ceux 
qui  passaient  devant  sa  maison,  il  offrait  un  de  ses  pensionnaires  incommodes 
ne  réclamant  aucun  paiement,  mais  réussissant  presque  toujours  à  faire  accep- 
ter son  cadeau,  grâce  à  un  boniment  humoristique  bien  approprié.  Eu  arri- 
vant à  la  répétition,  chacun  des  musiciens  traînant  son  chien  derrière  lui,  fut 
joyeusement  surpris  de  voir  que  presque  tous  ses  collègues  avaient  aussi  le 
leur.  On  attacha  les  animaux  dans  un  hangar  contigu  à  la  scène,  et  l'on  com- 
mença l'une  des  parties  de  la  tétralogie.  Tout  alla  bien  tant  que  l'orchestre 
ioua  fort  et  avec  puissance,  mais,  dès  le  premier  pianissimo,  un  tel  bruit 
d'aboiements  domina  la  sonorité  des  instruments  qu'il  fut  impossible  de  s'en- 
tendre. Il  fallut  détacher  tous  les  chiens  et  charger  quelques  hommes  de  ser- 


46 


LE  MÉNESTREL 


"vice  de  promener  dans  le  parc  ces  auditeurs  peu  wagnériens.  On  cauça  de 
l'incident  après  la  répétition  et  Wagner  s'amusa  tellement  d'entendre  chacun 
des  musiciens  de  son  orchestre  raconter  de  quelle  manière  s'y  était  pris 
Wilhelmy  pour  lui  colloquer,  malgré  la  taxe,  un  de  ses  animaux,  qu'il 
invita  le  violoniste  à  déjeuner  dans  sa  villa  de  Wahnfried.  pensant  passer 
d'agréables  instants  en  lui  faisant  raconter  à  lui-même  tout  ce  qu'il  avait  dit 
en  la  circonstance.  Wilhelmy  se  prêta  de  fort  bonne  grâce  à  ce  badinage. 
Après  le  repas,  il  se  mit  à  la  fenêtre  de  la  salle  à  manger,  qui  se  trouvait  au 
rez-de-chaussée,  pendant  que  les  autres  convives  s'étaient  groupés  dans  le 
jardin,  en  face  de  lui.  Ce  furent  alors  les  apostrophes  les  plus  humoristiques, 
proférées  dans  les  dialectes  de  Wiesbaden  et  de  Francfort  plaisamment  mé  - 
langés,  le  tout  accompagné  d'une  mimique  extravagante.  «Ici,  commença-t-il, 
je  vous  recommande  une  race  excessivement  distinguée.  Auriez-vous  envie  de 
ce  merveilleux  barbet.  Il  cache  dans  les  profondeurs  de  son  cerveau  l'âme 
d'un  comédien,  c'est  l'espèce  favorite  des  acteurs  ambulants.  Les  barbets  sont 
toujours  alertes  et  pleins  de  gaité,  ils  excellent  à  faire  mille  jolis  tours;  ils 
savent  tout  sans  rien  apprendre  ;  c'est  le  contraire  des  hommes  qui  apprennent 
tant  de  choses  pour  en  savoir  si  peu...  Préférez-vous  un  basset?  J'eu  ai  un 
tout  a  fait  incomparable  ;  il  vous  fera  vivre  dans  l'opulence  en  fournissant 
chaque  jour  votre  table  des  plus  beaux  lapins  et  des  plus  superbes  lièvres  de 
tout  le  voisinage...  Est-ce  un  King-Charles  qu'il  vous  faut,  en  voici  un  que  je 
vous  offre,  si  petit,  si  gracieux!  Vous  pourrez  le  mettre  dans  votre  poche  et 
rapporter  aux  répétitions  du  théâtre:  il  adore  la  musique  de  Wagner....  etc.,  etc.» 
Cela  dura  ainsi  longtemps  et  l'on  se  sépara  au  milieu  des  propos  les  plus  folle- 
ment incohérents.  Quelques  jours  après,  Wagner  assistait  à  une  autre  répé- 
tition pendant  laquelle  Wilhelmy  joua  supérieurement  un  solo.  Le  maitre 
s'approcha  de  son  interprète  à  la  fin  de  l'acte,  et  lui  cria  dans  son  enfantine 
admiration  :  «  Très  beau  !  Admirablement  beau!  Vous  méritez  bien  aussi  que 
l'on  vous  donne  un  chien,  vous  qui  en  avez  tant  distribué  aux  autres  et  avec 
des  mots  si  plaisants.  » 

—  De  "Varsovie:  Le  spectacle  de  gala  organisé  à  l'Opéra  a  eu  lieu  hier  avec 
un  succès  éclatant.  Des  ovations  enthousiastes  en  l'honneur  de  la  France  se 
sont  produites  au  cours  de  cette  belle  soirée  qui  fait  le  plus  grand  honneur  à 
M.  Casimir  Lalewski,  l'éminent  auteur  dramatique,  directeur  des  théâtres  de 
drame  et  de  comédie.  Acclamations,  rappels  innombrables,  applaudissements 
frénétiques,  rien  n'a  manqué  à  l'éclat  de  cette  représentation  extraordinaire 
composée  uniquement  d'œuvres  françaises. 

—  Au  Théâtre-Municipal  de  Kien  on  a  donné  la  première  représentation 
d'un  nouvel  opéra  en  trois  ac'es,  Sœur  Béatrix.  dont  le  sujet  est  tiré  du  drame 
de  M.  Maurice  Maeterlink.  La  musique  est  due  au  jeune  compositeur  Ja- 
novski,  l'ouvrage  obtint  un  grand  succès. 

—  Une  histoire  amusante  est  celle-ci,  qu'un  journal  étranger  met  sur  le 
compte  du  ténor  Lunardi.  Celui-ci  donnait  récemment  une  série  de  représen- 
tations au  théâtre  de  la  cour  à  Bucharest.  Le  dernier  soir  il  avait  chanté 
Otdlo,  et  le  spectacle  se  prolongeait  plus  qu'il  n'eût  voulu,  car  il  lui  fallait 
prendre  aussitôt  le  train  pour  Budapest,  où  il  devait  chanter  le  lendemain. 
Pour  ne  pas  perdre  de  temps,  notre  ténor  sort  du  théâtre  en  costume,  comp- 
tant prendre  une  voiture  pour  rentrer  vivement  à  l'hôtel  et  se  changer  avec 
la  même  rapidité.  Il  hèle  un  cocher,  mais  celui-ci,  après  s'être  approché, 
voyant  cet  homme  tout  noir  et  singulièrement  accoutré,  prend  peur,  fouette 
son  cheval  et  file  au  galop.  Deuxième  cocher,  troisième  cocher,  même  résul- 
tat. Le  temps  s'écoulait,  que  faire  ?  Il  se  décida   à  se  rendre  à  pied  à  l'hôtel, 

_  au  grand  étonnement  de  ceux  qu'il  rencontrait  en  chemin  et  qui,  s'amassant 
autour  de  lui,  lui  firent  escorte  jusqu'au  bout.  Arrivé  là,  il  put  enfin  se  pro- 
curer une  voiture  et  se  faire  conduire  à  la  gare,  mais  alors  sans  avoir  le 
temps  de  revêtir  ses  habits  de  ville  et  en  laissant  ses  bagages  derrière  lui.  Le 
voilà  donc  enfin  dans  le  train,  toujours  en  costume  à'Otello,  et  n'en  pouvant 
changer.  Il  va  sans  dire  que  durant  le  trajet  il  n'abandonna  pas  son  wagon- 
lit.  Mais  à  Budapest  il  devait  arriver  en  plein  midi,  et  la  sortie  de  la  gare  fut 
plutôt  mouvementée.  La  police  dut  organiser  un  véritable  service  d'ordre. 
Grâce  à  elle  il  put  obtenir  un  fiacre  (encore!)  et  se  faire  conduire  à  l'hôtel. 
Ici,  une  surprise  l'attendait.  L'hôlelier  avait  reçu  une  dépèche  lui  annonçant 
que  ce  même  jour,  à  midi,  le  sultan  de  Zanzibar  arriverait  à  Budapest  et 
descendrait  chez  lui.  De  sorte  qu'à  son  arrivée  M.  Lunardi  fut  pris  aussitôt 
pour  le  sultan  et  reçu  en  grande  pompe  par  tout  le  personnel  assemblé,  qui 
criait  :  Vive  le  sultan  de  Zanzibar!  tandis  qu'une  belle  jeune  fille  lui  présen- 
tait un  superbe  bouquet  de  roses.  —  L'histoire  est  un  peu  compliquée,  et  je 
ne  réponds  pas  de  son  absolue  véracité,  mais  je  la  transcris  telle  que  je  la 
trouve  imprimée. 

—  La  ville  de  Genève  s'apprête  à  célébrer  brillamment  en  JS09  les  grandes 
fêtes  de  la  Réformation.  A  cet  effet,  M.  le  pasteur  L.  Rœrich  a  écrit  les  pa- 
roles d'une  cantate  intitulée  Post  tenébras  lux,  dont  la  musique  vient  d'être 
commandée  à  M.  Otto  Barblan,  l'un  des  compositeurs  les  plus  en  vue. 

—  Au  Théâtre  Provisoire  de  Bàle  vient  d'avoir  lieu  avec  succès  la  pre- 
mière représentation  d'une  opérette,  Turandot,  musique  de  M.  Hugo  Neumeis- 
ter. 

—  D'Amsterdam  :  Un  comité  composé  de  personnalités  bien  connues  vient 
d'oblenir  la  concession  royale  de  fonder  un  théâtre  d'opéra  et  d'opéra-comi- 
que néerlandais  qui  sera  une  concurrence  directe  pour  l'opéra  allemand  qui 
régnait  un  peu  en  maitre  dans  deux  théâtres  d'ici. 

—  On  assure  qu'une  société  anonyme,  qui   s'est   constituée  récemment  à 


Rome,  doit  présenter  prochainement  à  la  municipalité  le  projet  de  construc- 
tion, sur  la  piazza  Colonna,  d'un  grand  théâtre  consacré  à  l'opéra  italien.  Ce 
théâtre  deviendrait,  après  vingt-cinq  années  d'exploitation,  la  propriété  de  la 
ville.  La  cour,  dit-on,  qui  s'intéresse  à  la  question,  lui  accorderait  une  large 
subvention. 

—  On  doit  donner  prochainement  au  Théâtre  Argentina  de  Rome  une 
nouvelle  traduction  du  Roi  Lear  de  Shakespeare,  de  M.  Antonio  Cippico. 
La  partie  musicale  qui  doit  accompagner  cet  ouvrage  a  été  confiée  au  maestro 
Gennaro  Napoli. 

—  Au  Théâtre-Martin  de  Madrid,  on  a  donné  une  zarzuela  dont  le  sujet 
est  tiré  de  coutumes  Valencianes.  Titre  :  Entre  Narangos  :  auteurs  :  des  paroles. 
MM.  Royo  et  Camacho;  de  la  musique,  le  maestro  Santonja. 

—  Par  suite  des  événements  atroces  qui  viennent  de  se  produire  à  Lisbonne 
et  dont  nous  n'avons  pas  autrement  à  nous  occuper  ici,  tous  les  théâtres  de 
cette-ville  ont  été  fermés  pendant  huit  jours. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

En  raison  de  l'insuffisance  des  partitions  adressées  pour  le  concours 
Rossini  (composition  musicale),  l'Académie  des  beaux-arts  proroge  ce  concours 
à  l'année  1909,  et  en  fixe  la  clôture  au  30  avril  1909.  Le  livret  imposé  reste  le 
même  et  a  pour  titre  Luure  et  Pétrarque  et  pour  auteurs  MM.  Fernand 
Beissier  et  Eugène  Adenis.  L'Académie  ouvre  en  même  temps,  et  dès  aujour- 
d'hui, un  nouveau  concours  pour  le  prix  Rossini  (poésie).  Ce  concours  sera 
clos  également  le  30  avril  1909.  Le  poème  choisi  dans  ce  dernier  concours  de 
poésie  servira  de  thème  pour  le  concours  Rossini  (composition  musicale)  à 
ouvrir  en  1909  pour  être  clos  le  30  avril  1910. 

—  La  commission  de  revision  de  l'ordonnance  de  police  sur  les  théâtres 
s'est  réunie  pour  la  première  fois  dans  le  cabinet  du  préfet  de  police.  Elle  a 
constitué  son  bureau  de  la  façon  suivante  :  M.  Yves  Durand,  président  ; 
M.  Quentin-Bauchart,  vice-président;  M.  Le  Gentil,  secrétaire.  Après  un 
échange  de  vues,  la  commission  a  décidé  de  nommer  deux  rapporteurs  :  l'un 
M.  Prêt,  architecte  de  la  préfecture  de  police,  pour  la  question  incendie; 
l'autre,  M.  Henri  Turot,  conseiller  municipal,  pour  toutes  les  questions  d'ordre 
et  de  police.  La  commission  s'est  ajournée  à  trois  semaines  pour  la  préparation 
des  rapports  qui  seront  à  l'ordre  du  jour  de  cette  nouvelle  réunion. 

—  Nos  pauvres  musiques  militaires,  qui  étaient  jadis  l'honneur  artistique 
de  nos  régiments  en  même  temps  que  la  joie  des  modestes  dilettantes  de  pro- 
vince, continuent  d'être  bien  malades.  Qu'ont-elles  donc  fait  à  nos  gouver- 
nants pour  que  ceux-ci  les  pourchassent  ainsi  ?  On  ne  saurait  pourtant  leur 
reprocher  d'être  cléricales  !  Et  comment  se  fait-il  que  M.  le  président  dn 
Conseil,  qui  passait  lui-même  pour  un  véritable  dilettante,  les  laisse  persécuter 
de  la  sorte,  tandis  que  M.  Morlot,  qui  avait  pris  si  ardemment  leur  défense 
devant  la  Chambre,  reste  muet  maintenant  devant  le  crime  artistique  qui  se 
prépare  '?  Toujours  est-il  que  M.  le  ministre  de  la  guerre  a  formé  de  sang- 
froid  le  projet  féroce  de  supprimer  d'un  trait  de  plume  les  musiques  des 
écoles  d'artillerie  et  du  génie.  Après  celles-là  d'autres  sans  doute,  puis  d'autres 
encore,  puis...  suppression  complète.  Demandez  pourtant  ce  qu'ils  en  pensent 
à  nos  petits  troupiers,  qui  aiment  leur  musique,  et  qui,  lorsqu'ils  sont  exté- 
nués par  une  longue  marche,  se  redressent  tout  d'un  coup  au  coup  d'annonce 
de  la  grosse  caisse,  redeviennent  crânes  et  farauds  et  se  remettent  allègre- 
ment au  pas  en  entendant  la  musique  attaquer  le  pas  redoublé  de  la  Casquette 
au  pèr'  Bugeaud  ou  une  «  mosaïque  »  sur  Faust  ou  Rigoletto.  Voilà  pourtant  où 
nous  en  sommes.  A  la  première  annonce  de  la  nouvelle,  le  Conseil  municipal 
d'Arras,  particulièrement  intéressé  dans  la  question,  a  protesté  contre  le  pro- 
jet de  M.  le  ministre  de  la  guerre;  presque  aussitôt  le  Conseil  municipal  de 
Lille  a  imité  son  exemple  en  émettant  à  l'unanimité  un  vœu  pour  le  maintien 
des  musiques  militaires,  «  qui  constituent  un  élément  puissant  d'éducation 
artistique  ».  Il  faut  que  de  tous  côtés  des  protestations  surgissent  ainsi  et  se 
généralisent,  que  de  toutes  parts  des  voix  s'élèvent  pour  combattre  par  tous 
les  moyens  le  vandalisme  artistique  dont  le  chef  supérieur  de  l'armée  ne 
craint  pas  de  se  rendre  coupable.  Ce  serait  vraiment  une  honte  pour  l'art  et 
pour  la  France  que  la  destruction  de  nos  musiques  militaires,  et  il  faut  à  tout 
prix  empêcher  ce  forfait. 

—  M.  Pelisse,  député  de  l'Hérault,  avait  écrit  dans  ce  sens  au  général 
Picquart,  ministre  de  la  guerre,  qui  vient  de  lui  répondre  par  la  lettre  sui- 
vante : 

Monsieur  le  député, 

Vous  m'avez  transmis,  le  30  décembre  1907,  un  vœu  adopté  par  le  conseil  général 
de  l'Hérault  relatif  au  maintien,  à  Montpellier,  de  la  musique  du  %'  régiment  du 
génie.  J'ai  l'honneur  de  vous  faire  connaître  que  les  musiques  du  génie  ne  répon  ■ 
dent  a  aucune  nécessité  en  temps  de  guerre  et  que,  d'autre  part,  la  mise  en  appli- 
tion  de  la  loi  du  21  mars  1905,  qui  a  pour  conséquence  la  réduction  des  effectifs  cri 
temps  de  paix,  contraint  à  ne  laisser  subsister  aucun  des  organes  dont  l'existence 
n'est  pas  absolument. justiliée. 

C'est  pour  ces  motifs  que  le  projet  de  loi  sur  les  cadres,  déposé  sur  le  bureau  de 
la  Chambre  des  députés,  a  prévu  la  suppression  des  musiques  du  génie. 

Agréez,  etc. 

Général  Picquart, 

Minisire  île  la  guerre. 

La  décision  du  ministre  a  causé  un  profond  désappointement  parmi  la  po- 
pulation. 


LE  MENESTREL 


—  A  l'Opéra  l'événement  de  la  semaine  parait  avoir  été  l'apparition  de  la 
cantatrice  russe  Mlle  Marie  Kousnietzoif  dans  Lshengrin  et  dans  Faust.  On  lui  a 
fait  un  accueil  presque  triomphal.  C'est  tout  à  la  l'ois  une  actrice  remarquable 
et  une  cantatrice  admirable.  Il  faut  signaler  aussi  la  rentrée  appréciée  du  ténor 
Feodorow  et  le  début  du  baryton  Beck,  qui  nous  vient  d'Allemagne  précédé 
d'une  réputation  méritée  et  justifiée.  M.  Rabaud  conduisait  l'orchestre  à  la 
représentation  de  Lohengrin  et  voici  ce  qu'en  pense  lu  critique  Gabriel  Fauré  : 
«  Compositeur  de  grande  valeur,  M.  Henri  Rabaud  s'est  révélé  hier  soir 
comme  conducteur  de  premier  ordre.  Précis,  vigoureux,  souple,  admirable- 
ment guidé  par  sa  haute  intelligence  et  sa  magnifique  culture  musicale,  le 
nouveau  chef  d'orchestre  de  l'Opéra  a  débuté  en  maître.  »  Ce  n'est  pas  nous 
qui  irons  à  l'encontre  de  ce  jugement.  —  Disons  .enfin  que  Mllc  Zambelli  a  pu 
danser  enfin  le  délicieux  ballet  Coppilia,  qui  semble  écrit  pour  sa  grâce  mali- 
cieuse. L'œuvre  de  Delibes  n'a  certes  pas  eu  à  se  plaindre  de  sa  nouvelle  in- 
terprète. —  Bonne  représentation  aussi  de  Rigoletto  avec  M110  Miranda  et 
M.  Muratore.  —  Au  résumé  début  de  direction  très  vivante  et  très  artis- 
tique. 

—  MM.  Messager  et  Broussan  ont  décidé  de  donner  le  Boris  Godounow  de 
Moussorgski  en  mai  prochain.  La  pièce  sera  représentée  deux  fois  par 
semaine,  à  partir  du  15  mai  jusqu'au  15  juin.  Pour  le  rôle  de  Boris,  la  nou- 
velle direction  de  l'Opéra  a  fait  appel  à  M.  Chaliapine.  Les  chœurs  seront 
chantés  par  des  artistes  russes  et  c'est  M.  Blurnenl'eld  qui  dirigera  l'orchestre. 
En  automne,  l'Opéra  montera  Sudko  de  M.  Rimsky-Korsakow. 

—  Spectacles  de  dimanche  à  l'Opéra-Comique  :  en  matinée,  Carmen;  le  soir, 
la  Vif  de  Bohème  e1  Cavalleria  rusticàna. —  Lundi,  en  représentation  populaire 
à  prix  réduits  :  Galathëe,  la  Fille  du  Régiment. 

—  De  Nicolet  du  Gaulois:  Les  pierres  qui  meurent...  Le  vieil  Hùtel-Dieu  qui 
va  prochainement  être  détruit  est  la  cause  directe  et  immédiate  de  ce  fameux 
droit  des  pauvres  qui  pèse  sur  nos  théâtres.  Quand  il  fut  construit,  vers  l'an  636, 
Clovis  II  et  les  rois  ses  successeurs  accordèrent  comme  dons  à  cet  hospice  les 
reliefs  de  leurs  palais  et  Philippe-Auguste  lui  accorda  «  la  paille  de  ses  apparte- 
ments ».  Saint-Louis  lui  donna  le  droit  de  prise,  c'est-à-dire  l'autorisation  de 
prendre  les  denrées  sur  le  marché  et  de  les  payer  s'il  le  voulait.  C'est  ce  privi- 
lège, très  atténué,  qui  se  retrouve  dans  les  prélèvements  que  l'Assistance  pu- 
blique exerce  sur  nos  théâtres  en  faveur  des  hôpitaux  et  que,  en  1716,  le  duc 
d'Orléans  organisa  définitivement.  Selon  le  régent,  on  devait  percevoir  un 
neuvième  sur  le  prix  des  billets  des  spectateurs  et  cet  argent  devait  servir  à  la 
restauration  de  l'Hotel-1  Heu:  mais,  quand  l'hôpital  fut  restauré,  on  se  garda 
bien  de  supprimer  «  cette  prise  »  et  on  maintint  cet  usage  jusqu'à  nos  jours. 
Et  voilà  pourquoi  chaque  soir,  avant  même  de  songer  si  leur  recette  sera 
bonne  ou  mauvaise,  nos  directeurs  de  théâtres  doivent  d'abord  songer  à  acquit- 
ter le  «  droit  des  pauvres  ». 

—  Au  Théâtre-Sarah-Bernhardt,  aujourd'hui  à  cinq  heures  précises,  qua- 
torzième samedi  de  la  Société  de  l'histoire  du  théâtre.  Il  comprendra  une  cau- 
serie de  M.  Nozières  sur  Celles  qu'on  aime,  avec  les  auditions  ou  récitations 
suivantes  : 

I.  Le  Bavolel  (Boisrohert,,  Contre  uns  femms  qui  se  fardait  (Brébeul,1,  par  M"»  Farna. 
—  2.  Le  Lion  amoureux,  la  Matrone  aVEphèse  'La  Fontaine),  par  M"1"  Laparcerie-Riche- 
pin.  —  3.  Air  de  Chérubin  (Mozart),  air  du  Débat  de  Pltœbus  et  de  Pan  (Bachi,  par 
M"°  Lucie  Vauthrin.  —  4.  Élégie  (André  Chénier),  par  M""  Jeanne'Dortzal.  —  5.  Une 
Bonne  Fortune  (A.  de  Musset),  par  il"'  Ventura.  —  6.  La  lettre  de  la  Périeliole  (Offen- 
baclu,  Ce  qu'on  rêve  (Rod.  Berger),  par  M""  Germaine  Gallois.  —  ".  Élégie  et  Crépus- 
cule (Al.  Samain),  par  M""'  Félyne.  —  8.  La  Voluptueuse  (Marcel  Schwobi,  par 
H11''  Madeleine  Garlier. 

—  Notre  confrère  M.  René  Brancour,  conservateur  du  Musée  du  Conserva- 
tion de  musique,  a  donné  à  Metz,  le  20  janvier,  une  conférence  sur  ce  sujet  : 
Un  musicien  orientaliste  :  Félicien  David  ».  La  conférence  était  accompagnée 
d'une  audition  de  fragments  du  Désert  et  de  halla-Roukh.  Le  succès  a  été 
complet. 

—  En  un  seul  volume  (chez  Fasquelle)  vient  d'être  réuni  tout  le  a  Théâtre 
en  prose  »  de  M.  Catulle  Mendès.  On  trouvera  dans  ce  livre,  avec  les  pre- 
mières œuvres  dramatiques  de  l'auteur,  si  passionnées  et  si  intéressantes,  le 
célèbre  drame  «  les  Mères  ennemies  »,  qui  fut  un  des  plus  grands  succès  de  la 
dernière  moitié  du  dix-neuvième  siècle  et  qui  n'avait  jamais  été  réim- 
primé. 

—  Il  pleut  !  il  pleut  !  Tel  est  le  titre  de  la  nouvelle  pantomime  que  vient  de 
nous  donner  le  Nouveau-Cirque.  C'est  la  charge  d'une  fête  villageoise  avec 
accompagnement  de  fanfare,  défilé  de  pompiers,  de  paysans  et  de  paysannes, 
de  bohémiennes,  inauguration  de  statue,  concours  d'animaux,  etc.  Dans  ces 
scènes  burlesques  et  nautiques,  il  y  a  d6  la  gaité,  de  l'entrain  et  tous  les  ta- 
bleaux sont,  extrêmement  pittoresques.  Le  scénario  s'achève  par  une  déban- 
dade générale  sous  une  pluie  torrentielle,  au  milieu  du  fracas  du  tonnerre  et 
de  l'éblouissement  des  éclairs,  et,  épilogue  attendu,  le  sauvetage  de  tous  par 
des  pompiers  plongeurs  au  son  d'une  marche  triomphale.  Plusieurs  danses 
ont  été  intercalées  au  cours  des  péripéties  de  cette  action  nautique  inénarra- 
ble, notamment  une  «  Sabotière  »  et  le  «  Fado  ».  De  gracieuses  ballerines,  cos- 
tumées à  ravir,  avivent  le  charme  de  ces  divertissements  qu'agrémente  une 
musique  vive  et  pimpante. 

—  Concerts-Engel-Bathori.  —  Au  jeudi  du  23  janvier,  à  la  salle  de  la 
Société  Française  de  Photographie,  très  brillante  audition  des  œuvres  d'Em- 


manuel   Chabrier,   remarquablement  interprétées  par  M"1    Jane    liatbori   et 
M.  Emile  Engel.  Soii  dans  le-  pages  lyriques  comme  Toutes  les  //•<■. 
heureuse,  soit  dans  d'humoristiques  descriptions  où   se  retrouve  la  verve  du 
célèbre  auleur  A'Espaûa  telles  que  les  gi 

nrirds,  M"11-  .lune  Bathori    et  M.  F.  lOn^el  onl  transporté  L'auditoire.  M""'  Jane 
Bathori  qui  joint  à  son  beau  style  de  chanteuse  lyrique  une  réelle 
de  pianist»  a  interprété  avec  brio  lu  Bourrée    fantasque  et  deux    \o 
ligues  à  deux  pianos  avec  M.  L.  Aubert.  Après  la  délicieuse  Ode  à  ' 
la  soirée  s'est  terminée  par  l'audition  d'un  important  fragment  de  /; 
chef-d'œuvre  inachevé.  Les  chœurs  étaient  dirigés  par  le  jeune  ma 
naldo  Hahn  qui,  avec  sa  maestria  habituelle,  a  su  faire  donner  par  1-  groupe 
ment  des  jolies  voix  de  toutes  les  élèves  de  M"1   .lin.   liatbori  et  de  M.  E.  En- 
gel  des  nuances  musicales  d'un  art  des  plus  parfaits. 

—  Au  Gymnase  :  Voici  le  programme  du  ■■■  .Samedi  de  Madame  •  d'au- 
jourd'hui :  -  Benjamin  Godard  ».  causerie  par  M.  Auguste  Dorchain.  Pro- 
gramme :  Audition  des  œuvres  suivantes  de  Benjamin  Godard  : 

1.  Angélus,  par  M11,  Magdeleine  Godard. 

2.  o'  Solitwlr,  li,  Caralirr  {aiilasl'ojur.  |>;u    M""    lio^'i-i'-MiclOS. 

3.  a)  Amour  fatal,  b)  Menuet  Pompadour,  c   Printemps,  par  M.  Maugu 

4.  Grand:  air  des  Guelfes,  par  M"'  Duval-Melchissédec. 

5.  Quatrième  mazurka,  par  M Roger-Mii  los. 

6.  Berceuse  de  Jqcelyn,  par  M"'  Magdeleine  Godard. 

—  Sous  le  patronage  du  Conseil  municipal  de  Pari-,  l'Association  pour  le 
développement  du  chant  choral  et  de   l'orchestre    d'harmonie.,    orga 

grand  festival  d'œuvres  du  maitre  Bourgault-Ducoudrny.  dirigées  par  l'au- 
teur, qui  aura  lieu  au  mois  d'avril,  dans  la  grande  salle  du  Trocadéro,  ei 
célébrera  l'héroïsme  de  la  France  à  travers  les  siècles.  Le  caractère  de  ces 
œuvres  exigeant  le  concours  de  masses  chorales  extrêmement  nombreuses, 
M.  Jean  d'Estournelles  de  Constant,  chef  du  bureau  des  théâtres,  pré 
l'Association,  nous  demande  de  faire  appel  à  tous  les  amateurs  de  musique 
de  Paris,  particulièrement  aux  dames  musiciennes,  et  de  les  prier  de  \. .uIdji- 
bien  rehausser  par  leur  collaboration  l'éclat  de  cette  solennité.  Les  ai 
seront  reçues  par  Mme  Domange,  60,  rue  de  Monceau,  jusqu'au  la  février. 
L'Association  fait  aussi  appel  aux  amateurs  de  musique  jouant  les  instru- 
ments à  anche.  Les  adhésions  seront  reçues  par  M.  Henri  Radigoer,  directeur 
de  l'Ecole  de  chant  choral  et  d'harmonie,  palais  du  Trocadéro. 

—  Samedi  dernier,  au  Théâtre  Femina,  vif  succès  pour  les  Poèmes  d  faé 
de  Gabriel  t'abre,  interprétés  de  façon  exquise  par  M"8  Lucie  "YYilhem.  — 
Même  succès  pour  les  mêmes  Poèmes  chez  Mn,e  Eugénie  Dietz,  interprétés  cette 
fois  par  M"1'  Stirbain. 

—  Au  concert  qu'il  vient  de  donner  chez  Erard,  M.  Paul  Loyonnet  un  très 
remarquable  élève  de  M.  I.  Philipp.  a  remporté  un  succès  extrêmement  brillant 
M.  Loyonnet  est  un  virtuose  de  talent  exceptionnel.  Dans  un  prugramme  in- 
téressant où  voisinaient  Beethoven  (Sonate,  op.  110).  Liszt  (fantaisie  des 
Huguenots),  Chopin  (Ballade,  Polonaise,  op.  53,  Eludes},  Schumann  Études 
sj/mphoniques)  et  des  modernes  :  Philipp  (Phalènes,  bissées).  R.  Hahn  (valses), 
Hérard  (variations),  Moreau  (Impromptu),  il  a  su  captiver  le  public  par  un 
style  très  pur  et  très  simple,  un  son  charmant  et  une  hardiesse  technique 
rare.  Il  faut  suivre  ce  jeune  artiste  qui  a  vraiment  tout  ce  qu'il  faut  pour  se 
faire  une  belle  place  parmi  les  premiers. 

—  Au.  dernier  concert  de  la  «  Société,  de  musique  ancienne  et  moderne  », 
t''ès  gros  succès  pour  la  sonate  pour  piano  et  violon  de  Théodore  Dubois, 
remarquablement  interprétée  par  MM.  Amédée  et  Maurice  Reuchsel. 

—  Au  6e  concert  de  la  Société  Sainte-Cécile  de  Bordeaux,  vif  succès  pour 
les  Carillons  flamands  de  Périlhou,  remarquablement  dirigés  par  l'excellent 
chef  d'orchestre  Pennequin. 

—  A  Reims,  fort  beau  concert  où  triompha  le  ténor  Plamondon  dans  l'a:r 
de  Lakmé,  l'aubade  du  Roi  d'Ys,  deux  mélodies  de  Théodore  Dubois  Si  fai 
parlé.  Dormir  et  Rêver)  et  dans  le  duo  de  Sigurd  avec  M1111'  Kaschowska. 

—  Alençon  :  Gros  succès  pour  le  concert  donné  au  théâtre  par  la  Sociélé 
Philharmonique.  En  tète  des  artistes  :  le  baryton  Paul  Seguy  à  la  belle  voix 
et  au  style  parfait  qui  fut  rappelé  trois  fois  après  l'Hewte  douce  de  Massenet, 
Pétronille  de  "Wekerlin,  et  fit  triompher  une  fois  de  plus  le  Crucifix  de  J.  Faure. 
en  compagnie  de  M",e  Riollant  dont  la  jolie  voix  avait  été  applaudie  dans  la 
cavatine  des  Huguenots.  —  Les  bravos  ne  furent  pas  ménagés  a  M.  Louis 
Ruyssen,  un  l"'  prix  de  violoncelle  certain  pour  juillet  prochain.  —  Les  chœurs 
mixtes  sont  très  en  progrès. 

—  De  La  Rochelle  :  Grand  succès  pour  Mllc  Marguerite  Achard,  la  char- 
mante harpiste,  au  3e  concert  de  la  Société  symphonique.  Le  talent  de  la 
remarquable  virtuose  s'est  affirmé  surtout  dans  le  Noyer,  de  Schumann,  qu'elle 
a  interprété  d'une  façon  exquise,  et  dans  une  de  ses  compositions.  Caprice 
oriental,  où  son  double  talent  a  fait  merveille. 

—  Les  Matinées  Maxime  Thomas  se  poursuivent  avec  un  égal  succès.  Aux 
dernières  auditions  on  applaudit  notamment  des  compositions  nouvelles  de 
Henri  Maréchal,  Gabriel  Dupont,  Charles  René,  G.  Falkenberg,  C.  Gilles  et 
Emile  Dens.  La  prochaine  matinée  sera  donnée  en  l'honneur  et  avec  le  con- 
cours de  M.  Théodore  Dubois  dont  on  jouera  notamment  le  quintette  pou- 
piano,  hautbois,  violon,  alto  et  violoncelle. 


AS 


LE  MÉNESTREL 


NÉCROLOGIE 
Nous  apprenons  la  mort  de  Mme  Eugénie  Mauduit  qui  appartint  à  l'Opéra 
pendant  onze  années.  Après  d'excellentes  études  au  Conservatoire,  études  que 
récompensèrent  trois  premiers  prix.  Mme  Mauduit  avait  débuté  à  l'Académie 
nationale  de  musique  dans  le  rôle  d'Alice,  de  Robert-le-Diable,  et  le  public 
avait  apprécié,  en  elle,  de  précieuses  qualités.  A  la  suite  de  ces  heureux 
débuts,  sa  carrière  se  fît  presque  tout  entière  à  l'Opéra;  elle  y  fut  surtout 
applaudie  daus  la  Juivs  (elle  chanta  plus  de  cent  fois  le  rôle  de  Rachel).  l'Afri- 
caine, Hainlei  et  Don  Juan.  Elle  s'était  consacrée  depuis  à  l'enseignement,  et 
ses  élèves  perdent  en  elle  un  excellent  professeur. 

—  Nous  apprenons  la  mort  de  M.  G-eorges  Street,  compositeur  de  musique 
et  homme  de  lettres.  Il  était  né  à  Vienne  (Autriche),  en  1854,  de  parents 
français.  Il  avait  été  à  la  fondation  du  journal  le  Malin  secrétaire  de  la  rédac- 
tion, fonction  qu'il  occupa  jusqu'au  changement  de  direction.  Excellent  musi- 
cien, il  avait  écrit  plusieurs  œuvres  lyriques  dont  l'une  surtout,  Scaraniouche, 
écrite  en  collaboration  avec  M.  Messager,  obtint  au  Nouveau-Théâtre  un  très 
grand  succès.  Mignonnette,  une  opérette  représentée  au  théâtre  des  Nouveau- 
tés, ne  fut  pas  moins  bien  accueillie  et  aussi  un  petit  acte,  Fidès,  drame 
mimé  sur  un  livret  de  MM.  Roger-Miles  et  Rossi  et  représenté  à  l'Opéra- 
Comique  en  1894.  Ses  intimes  seulement  connaissaient  et  appréciaient  son 
véritable  talent  de  virtuose  sur  le  violon.  D'une  santé  délicate,  notre  regretté 
confrère  a  été  enlevé  presque  subitement,  il  y  a  deux  jours. 

—  Le  31  décembre  1907  est  mort  à  Trieste  un  artiste  fort  distingué,  Giu- 
seppe  Sinico,  qui  était  né  en  cette  ville  le  10  février  1836.  Fils  de  Francesco 
Pinico,  artiste  lui-même  fort  remarquable  qui  consacra  toute  son  existence  à 


doter  Trieste  d'institutions  musicales  florissantes,  et  à  qui  celte  ville  doit  une 
profonde  reconnaissance,  il 'fut  élève  de  son  père,  qu'il  aida  dans  ses  travaux, 
surtout  en  publiant  une  Méthode  de  chant  élémentaire  à  l'usage  des  écoles  popu- 
laires, il  se  consacra  ensuite  à  la  composition  et  fit  représenter  à  Trieste  plu- 
sieurs opéras  dont  certains  obtinrent  un  succès  retentissant  :  i  Moschettieri 
(26  mars  1S59),  Auront  di  Xevers  (18611,  Marinella  (décembre  1861).  Alessandm 
St.radella,  Sparlaco  (20  novembre  1886).  Dans  Marinella,  dont  le  poème  pré- 
sentait une  page  de  l'histoire  de  Triesle,  Sinico  écrivit  surlout  un  hymne 
patriotique,  l'hymne  de  San  Giusto,  qui  devint  le  chant  populaire  de -la  cité. 
On  connaît  aussi  de  Giuseppe  Sinico  des  romances,  des  mélodies  à  deux 
voixetdescompositionsreligicuses.il  dirigeait  encore,  à  sa  mort,  l'Ecole 
communale  de  chant. 

—  On  télégraphie  de  New-York  la  nouvelle  de  la  mort  du  compositeur 
Edouard  Mac  Dowell,  le  musicien  le  mieux  doué  peut-être  du  Nouveau-Monde. 
Né  à  New-York,  vers  1861,  il  avait  fait  ses  études  à  Paris  et  à  Francfort. 
Devenu  un  pianiste  fort  habile,  il  passa  plusieurs  années  comme  professeur 
au  Conservatoire  de  Darmstadt  et  à  "Wiesbaden,  puis  retourna  en  Amérique, 
où  il  fut,  jusqu'er  1904,  professeur  à  l'Université-Colombia.  C'est  a  cette 
époque  qu'il  fut  frappé  d'aliénation  mentale  et  c'est  dans  l'asile  où  il  avait 
été  recueilli  qu'il  est  mort  tout  récemment.  Il  laisse  un  certain  nombre  de 
compositions  symphoniques  qui,  pour  manquer  d'originalité,  ne  sont  pour- 
tant pas  sans  mérite.  Parmi  ses  œuvres  pour  le  piano,  il  faut  citer  surtout 
plusieurs  suites  et  des  concertos. 

Henri  Heugei,.  directeur-gérant. 


Pour  paraître   AU   MÉNESTREL,    2  bis,   rite    Vivienne,    HEUGEL   ET   Cic .    éditeurs 

Le  jour  de  la  première  représentation  à  Monte-Carlo  (15  février 
-    PROPRIÉTÉ   POUR   TOUS    PAYS    - 


BALLET 


ES  PA  D A 


BALLET 


La    partition    pour   piano    seul,    net    :    6    francs.    —    Le    livret    de    René    Maugars,    net  :    1    franc 


PIÈCES    EXTRAITES    POUR    PIANO 


1.  Madrileua 1  50 

II.   Panaderos 1  SO 

III.  Petite  Valse I     » 


IV.   Boléro 1  50 

V.   Toréador  et  Andalouse 2     » 

VI.   La  Danse  de  la  Mercedes 2     >• 


Musique  de 


J.     MASSENET 


En   préparation  :   SUITE    DORCHESTRE 


En  rente  AU  MÉNESTREL,  2  bis.  rue   Vivienne,  HEUGEL  et  Cie,  éditeurs-propriétaires . 


REPRISE    DU    THÉÂTRE    DES    VARIÉTÉS 

GENEVIÈVE  DE  BRABA^T 


LIVRET 

De  MM.   HECTOR  CRÉMIEUX 

et    ETIENNE    TRÉFEU 


Grand   Opéra   Bouffe 

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J„   OFFENBACH 


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De  MM.   HECTOR   CRÉMIEUX 

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Partition  piano  et  chant,  net  :  12  francs.  —  Partition  piano  solo,  net  :  7  francs 

MORCEAUX    DE    CHANT    DÉTACHÉS  -  ARRANGEMENTS    POUR    PIANO 

MUSIQUE   DE   DANSE 


4012.  -  W  AWÉE.  -  .V  7. 


PARAIT  TOUS   LES   SAMEDIS 


Samedi  i:j  Février  1908. 


(Les  Bureaux,  2  b'8,  rue  Vivienne,  Paris,  «•  uv) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


lie  fluméro  :  o  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Le  Numéro  :  0  fr.  30 


Adresser  fhanco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Boas-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.— Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paria  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  ea  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  18"  article!,  Julien  Tiersot.  —  II.  Petites  notes  sans 
portée  :  Questions  embarrassantes  sur  l'évolution  de  l'orchestre,  Raymond  Bouyer. 
—  III.  Kcvue  des  grands  concerts.  —  IV.  Nouvelles  diverses. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

PANADEROS 

danse  espagnole  extraite  du  nouveau  ballet  de  J.  Massenet,  Espada,  qui  sera 

représenté  ce  soir  même  au  théâtre  de  Monte-Carlo.  —  Suivra  immédiatement  : 

Toréador  et  Andalouse,  danse  extraite  du  même  ballet. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
Langage  d'amour,  mélodie  de  Jean  Défié,  sur  des  paroles  de  Mmc  Carmen 
Codou.  —  Suivra  immédiatement  :  La  Grâce  suprême,  nouvelle  mélodie  de 
René  Lenormand,  poésie  de  E.  Beadfils. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 

(±T±-4:-±'7'T-4) 


CHAPITRE  III 


GLUCK    COMPOSITEUR    ITALIEN 

Dès  la  première  page  de  Demofoonte,  nous  nous  trouvons  en 
présence  d'une  réelle  beauté. 

En  effet,  après  le  dialogue  obligé,  l'opéra  de  Gluck  commence 
par  un  air  qui  a  grande  allure.  Il  n'appartient  pourtant  pas  à 
l'un  des  principaux  rôles  :  c'est  llatusio  (ténor)  qui  le  chante. 
L'orchestre,  en  exposant  la  ritournelle,  et  plus  tard  en  concer- 
tant avec  la  voix,  déroule  un  rythme  énergique,  dont  la  conti- 
nuité fait  penser  à  l'emploi  qu'en  avait  fait  autrefois  Kuhnau 
dans  sa  sonate  descriptive  du  combat  de  David  et  Goliath,  où 
la  même  figure  est  destinée  à  représenter  la  force  et  la  jac- 
tance du  géant.  Ici  le  sentiment  est  un  peu  différent,  mais  non 
sans  analogie  :  c'est  la  protestation  indignée  du  père  contre  la 
contrainte  où  il  est  de  trembler  toujours  pour  la  vie  de  son 
enfant;  et  il  y  a,  dans  la  musique  de  Gluck,  un  mélange  de 
fermeté  et  d'angoisse  dont  le  public  italien  n'avait  dû  trouver 
que  peu  d'exemples  dans  la  production  antérieure  de  ses  maiëstri. 
Des  accents  plaintifs  contrastent  par  moments  avec  l'allure  impé- 
rieuse du  mouvement  général.  Les  cadences  finales  sont  forte- 
ment dessinées,  avec  un  caractère  d'affirmation.  Ce  premier 
morceau  de  l'opéra  de  Gluck  serait  presque  digne  d'être  signé 
Haendel. 


Toujours  mis  au  bout  des  récitatifs,  les  autres  airs  continuent 
de  se  développer  en  un  excellent  style,  les  dessins  vocaux  con- 
certant volontiers  avec  ceux  des  violons,  sans  permettre  ces 
libertés  avec  la  mesure  que  les  chanteurs  aiment  d'ordinaire  à 
revendiquer.  Le  talent  des  virtuoses  n'en  parait  que  plus  hardi. 
L'énergie  domine  dans  cette  musique.  C'est  de  la  musique  de 
fer. 

Mais  voici,  à  la  cinquième  scène,  un  chant  d'une  beauté 
accomplie,  par  lequel  le  génie  de  Gluck  apparaît  déjà  dans  sa 
plénitude.  Il  appartient  encore  à  un  personnage  de  second  plan, 
le  jeune  prince  Cherinto,  dont  l'interprète  à  la  création  était 
une  femme,  Agata  Elmi.  Une  voix  de  contralto  solide  et  pleine 
est  nécessaire  à  l'interprétation  de  cette  plainte  d'amour,  aussi 
belle  par  la  courbure  de  sa  ligne  mélodique  que  par  son  accent 
expressif.  Et  voyez  comme  Gluck  sait  déjà  s'affranchir  des  con- 
ventions :  il  a  jugé  que  le  sentiment  du  personnage  est  trop 
pressant  pour  lui  permettre  d'attendre,  comme  il  dit,  «  la  fin 
d'une  ennuyeuse  ritournelle  »,  et,  contre  toute  règle,  il  la  sup- 
prime. Je  ne  puis  résister  au  désir  de  faire  connaître  cet  exemple 
inédit  d'un  chant  dont  la  beauté  fait  pressentir  par  endroits  les 
cantilènes  d'Orphée  :  en  voici  le  développement  principal,  pris  à 
la  dernière  reprise,  de  façon  à  poursuivre  la  phrase  jusqu'à  sa 
conclusion  (1). 

f  Voir  ci-après  :  Air  de  Cherinlo.) 

Et  maintenant,  nous  allons  voir  s'affirmer  cet  art  des  con- 
trastes qui  forme  une  part  du  génie  de  Gluck  :  à  celte  plainte 
d'un  amant  désespéré  va  s'opposer  immédiatement  le  chant 
d'une  coquette  qui  se  moque.  Yoici  les  premières  mesures  du 
sixième  air,  appartenant  au  rôle  de  la  princesse  Creuse. 
(Voir  ci-après  :  Air  de  Creuse. 

Nous  ne  pouvons  songer  à  analyser  ces  airs  un  à  un.  Il  y  en 
a,  avons-nous  dit,  vingt-cinq,  plus  un  duo  et  l'ensemble  final, 
tous  bâtis  dans  la  forme  immuable  de  l'air  à  l)a  Capo  avec 
milieu.  Du  moins  cette  forme  mérite-t-elle  qu'on  la  décrive. 

C'est  d'abord  une  longue  ritournelle,  véritable  exposition  de 
concerto  (2).  Lorsqu'elle  est  terminée,  la  voix  se  mêle  au  con- 
cert, se  superposant  à  la  trame  instrumentale,  généralement  très 
peu  compliquée,  de  l'orchestre,  qui  prend  à  tache  de  reproduire 
aussi  exactement  que  possible  l'exorde  précédemment  joué  à 
découvert.  Le  développement  se  poursuit  tranquillement,  en 
allant  du  ton  principal  à  celui  de  la  dominante.  Parfois  une 
longue  vocalise  prend  place  ici,  et  ce  n'est  pas  toujours  la  moins 

il,  On  a  gravé  la  partie  de  chant  en  grosses  notes,  et  en  petites  notes  les  parties 
purement  instrumentales. 

(21  Dans  le  Maître  de  chapelle,  Paêr,  se  souvenant  des  traditions  du  XVII I 
fait  la  parodie  de  cette  forme  en  composant  pour  l'air  de  bravoure  de  sa  prima- 
donna  un  interminable  prélude  :  mais  ce  qu'un  italien  taisait  alors  dans  une  inten- 
tion satirique,  tous  ses  prédécesseurs  '.'avaient  pratiqué   le  plus  sérieusement  du 
monde. 


50 


LE  MÉNESTREL 


TÏnJen.do,t'in-tendo,in  ■     gra.tatin    gra.tal 
Adagio 


AIR  DE  CHEKINTo    Demotoon  n-: 


bonne  partie  de  l'air  :  tout  au  contraire,  le  meilleur  de  la  subs- 
tance musicale  réside  souvent  dans  ces  longs  dessins  sans  pa- 
roles, comme  si  l'auteur,  débarrassé  de  la  contrainte,  pourtant 
si  légère,  du  texte,  en  profitait  avec  joie  pour  s'ébattre!  En  tout 
cas,  ces  sortes  de  mélismes  ne  sont  pas  des  superfétations  ni  des 
broderies  adventices,  comme  les  roulades  de  l'opéra  rossinien  ; 
ce  sont  de  véritables  dévelop- 
pements, où  la  voix,  devenue 
elle-même  instrument,  se  mêle 
à  l'orchestre,  pour  aboutir  en 
parfaite  harmonie  à  la  cadence, 
but  final  à  atteindre .  J'y  crois 
apercevoir  une  influence  loin- 
taine des  chants  ornés  de  la 
musique  grégorienne,  qui  ont 
souvent  tant  de  grâce,  tant  d'ex- 
pression, tant  de  mystère. 

Arrivée  à  ce  point,  la  voix  se 
repose  pendant  quelques  mesu- 
res, remplies  par  l'orchestre,  et, 
s'il  se  peut,  par  les  bravos  de 
l'auditoire  ;  puis  elle  repart,  et 
après  un  nouveau  développement  symétrique  au  premier,  sur 
les  mêmes  paroles,  le  discours  musical  revient  au  ton  principal, 
enfin  conclut. 

Cette  forme  de  l'air  serait  encore  admissible  si  tout  s'arrêtait 
là.  Mais  gardons-nous  de  l'espérer  :  nous  n'en  sommes  encore 
qu'à  la  première  partie  ;  il  faut  maintenant  entendre  la  seconde, 
pour  laquelle  d'autres  vers  ont  été  préparés  (sur  commande)  par  le 
poète.  Cette  seconde  partie  ou  «  milieu  »,  écrite  dans  un  ton 
voisin,  est  cependant  plus   courte  que  la  première.  Les  paroles  y 


AIR  DE  CREUSE  iDï 


sont  moins  répétées.  Parfois  le  mouvement  est  modifié  :  il  devient 
lent  au  milieu  d'un  air  vif,  ou  vif  au  milieu  d'un  air  lent  ;  le 
cas,  rare  chez  Gluck,  est  fréquent  au  contraire  chez  Haendel, 
qui  trouve  dans  cette  opposition  des  ressources  dont  il  sait  tirer 
bon  parti. 
Et  quand  cette  seconde  partie  est  terminée,  on  revient  à  la 
première,  qui  est  recommencée 
d'un  bout  à  l'autre,  sans  qu'il 
soit  fait  grâce  d'une  seule  note! 
Au  contraire,  les  chanteurs  en 
ajoutent  de  leur  façon.  Et  cela 
se  reproduit  vingt-six  fois  au 
cours  d'un  opéra  comme  Demo- 
foonte,  —  car  le  duo,  lui  aussi, 
est  un  morceau  à  reprise. 

L'on  comprend  mieux,  après 
l'exposé  des  règles  si  tyran- 
niques,  ce  que  voulait  dire  Gluck 
quand,  dans  sa  préface  d'Alceste, 
il  déclarait  se  refuser  à  «  arrêter 
un  acteur  dans  la  plus  grande 
chaleur  du  dialogue  pour  lui 
faire  attendre  une  ennuyeuse  ritournelle  »,  ou  à  «  passer 
rapidement  sur  la  seconde  partie  d'un  air  quand  elle  est  la 
plus  importante  et  la  plus  passionnée,  afin  d'avoir  lieu  de 
répéter  régulièrement  quatre  fois  les  paroles  de  la  première 
partie  et  fixer  l'air  où  peut-être  ne  finit  pas  le  sens  ».  Il  pré- 
tendait ainsi  se  soustraire  à  l'humiliation  de  voir  son  art  assi- 
milé à  la  besogne  inférieure  d'un  manœuvre  travaillant  sur 
mesure,  d'un  tailleur  chargé  d'habiller,  non  pas  même  des  corps 
vivants,  mais  des  mannequins,  et  il  exprimait  justement  son 


LE  .UENESTIŒL 


indignation  dédaigneuse  en  concluant:  «En  somme  j'ai  cherché 
à  bannir  tous  ces  abus  contre  lesquels  depuis  longtemps  crient 
en  vain  le  bon  sens  et  la  raison  ». 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


PETITES   NOTES   SANS   PORTÉE 


cxxvnr 


D'EMBARRASSANTES    QUESTIONS    SUR   L'ÉVOLUTION 
DE    L'ORCHESTRE 

A  mon  confrère  musical,  M.  Pierre  Charrier. 

Aux  vœux  de  saison  se  joignent  souvent  de  brèves  et  curieuses  re- 
quêtes :  l'un  l'ait  une  amusante  observation  sur  la  physionomie  de  la 
musique;  un  autre  demande  en  quoi  la  musique  est  une  métaphore: 
intrigues  par  l'instrumentation  de  la  Pastorale  (II.  quelques  lecteurs 
reviennent  à  la  rescousse  et  voudraient  nous  interviewer  à  distance,  en 
plusieurs  points,  sur  l'évolution,  trois  fois  séculaire  déjà,  de  l'orchestre. 

Belles,  mais  redoutables  questions  que  vous  nous  posez  là!  Le  temps 
manque,  aujourd'hui,  pour  y  répondre.  C'est  par  un  volume  qu'il  fau- 
drait vous  faire  une  réponse  loyale,  adéquate  à  ce  grand  sujet.  Et 
•peut-être,  un  jour,  l'écrirons-nous...  Mes  chers  lecteurs,  en  voici  la 
table  : 

1°  Ce  que  je  pense  des  transformations  subies  par  l'orchestre  depuis 
trois  cents  ans  ?  —  J'en  pense  énormément  de  choses,  résumées,  de 
prime-saut,  dans  cette  phrase  que  je  sens  quelconque  :  L'évolution  de 
l'orchestre  a  suivi  l'évolution  de  la  musique  môme,  qui,  de  la  beauté 
purement  formelle,  s'est  constamment  élevée  à  l'expression  psychique, 
non  sans  aspirer  parfois  à  descendre  jusqu'à  la  description  pittoresque, 
cherchant  à  caractériser,  tour  à  tour,  des  âmes  ou  des  choses... 

L'évolution  de  l'orchestre  serait  donc  un  effet.  Elle  va  devenir  une 
cause. 

Aussi  bien,  n'est-ce  pas  la  fonction  qui  crée  l'organe,  ou,  plus  idéa- 
lement, la  pensée  qui  grave  la  physionomie,  lame  qui  se  crée  sa  forme  ? 
Mais,  réciproquement,  l'enrichissement  de  la  forme  est-il  sans  action 
sur  l'âme?  Un  bel  organe  ne  favorise-t-il  point  la  fonction  ?  Posses- 
seur d'un  triple  estomac,  un  Pantagruel  géant  n'aurait-il  pas  quelque 
mérite  supérieur  à  demeurer  frugal  et  végétarien? 

Or,  depuis  soixante  hivers,  et  surtout  dans  ces  derniers  soirs,  l'or- 
chestre moderne  a  grandi  démesurément,  comme  le  Satyre  païen  du 
poème  : 

Place  à  tout!  Je  suis  Pan  :  Jupiter  à  genoux  ! 

2°  Et  votre  seconde  question  me  demande  quelle  a  été  l'influence  de 
l'évolution  de  l'orchestre  sur  le  développement  de  l'art  musical...  — 
Cette  influence  sonore  a  été  remarquable,  quoique  insensible;  elle  a  été 
naturellement  moins  intérieure  qu'extérieure,  mais  elle  a  transformé  la 
symphonie  et  créé  le  concert;  elle  a  permis  le  poème  symphoniqne. 
impossible  sans  une  grande  palette:  elle  a  favorisé  la  musique  céré- 
brale ou  visuelle,  littéraire  ou  pittoresque  ;  à  l'architecture  abstraite  elle 
a  substitué  l'élément  pictural  :  elle  a  donc  réagi  sur  l'expression  môme, 
en  offrant  aux  désirs  de  l'âme  un  vocabulaire  nouveau;  et,  comme 
toujours,  l'évolution  technique  du  dictionnaire  influence,  à  son  heure, 
l'évolution  expressive  de  la  pensée.  Des  luthiers  de  Crémone  aux  inven- 
tions, longtemps  méconnues,  d'Adolphe  Sax,  écoutez  le  crescendo  du 
progrès  en  marche...  Et  les  cuivres  chromatiques  n'autorisent-ils  pas  des 
effets  qui  manquaient  encore  à  la  palette  enrichie  par  le  Beethoven  de 
la  Neuvième  ?  Car  il  y  a  des  trous,  quelques  lacunes,  dans  la  «  furibonde 
ritournelle  »  avant  l'exposé  du  thème  de  la  Joie  ;  et  c'est  pour  avoir- 
voulu  les  combler  que  Richard  Wagner  a  passé  pour  sacrilège. 

Enfin,  l'évolution  de  l'orchestre  a  bouleversé  le  théâtre,  ruinant  le 
vieil  opéra,  le  remplaçant,  à  ses  risques  et  périls,  par  le  drame  noté... 
Sans  l'orchestre,  point  de  wagnérisme  possible. 

Souhaitez- vous  quelques  notes  en  marge  de  ce  beau  sujet  ? 

Tous  les  novateurs,  tous  les  maîtres  ont  favorisé  le  développement 
de  l'orchestre  :  Monteverde,  Rameau,  Gluck,  Mozart,  Beethoven,  etc., 
sans  parler  de  tous  les  professionnels  modernes  du  coloris.  —  Il  y  a 
trois  cents  ans,  VOrfeo  de  Claudio  Monteverde  (1607)  possédait,  au 
déclin  de  la  Renaissance,  une  très  riche  palette:  mais  l'érudition  d'un 
Romain  Rolland  nous  dirait  que  le  coloriste  employait  les  tons  moins 
simultanément  que  successivement  :  pas  d'ensemble.  En  génie  clas- 
sique, Haydn  organise  plus  qu'il  n'enrichit;  mais  voici  Mozart  qui 
réinstrumente  les  grands   oratorios  de  llaendel...  Son  Enlèvement  au, 

(1)  Voir,  dans  le  Ménestrel  du  25  janvier  190$,  notre  précédente  Note  dont  celle-ci 
l'orme  la  suite. 


Sérail,  de  1782,  qui  s'évaporait  naguère  à  notre  grand  Opéra,  passa  lui- 
même  pour  une  audace  orchestrale  :  «  Trop  il:  noies,  Mozart  !  » 
grondait  l'empereur  Joseph  II,  l'italianisant...  Mozart  mélodiste  '-st  un 
novateur  en  orchestration  :  ne  l'oublions  pas! 

D'instinct,  cependant,    tous  les  grands  maître  oent  les 

forées  orchestrales  qu'en  proportion  de  l'intérêt,  de  l'effet  :  c'est  la  loi 
posée  par  le  grand  Gluck,  un  novateur,  un  bruyant  (aux  oreilles  cha- 
touilleuses de  ses  contemporains  poudrés)  ;  consultez  l'épitre 
toire  d'Alcesle,  que  notre  Berlioz  savait  par  co;ur...  Gluck  obéit  ;i  s;i 
propre  loi,  ce  qui  n'est  point  sans  mérite!  Et  le  Mozart  de  h  on  Gio 
vanni  (1787)  ne  fait  clamer  les  trombones  que  pour  souligner  l'entrée 
mineure  du  Convive  de  pierre...  Ce  finale  de  son  Don  Juan,  qui  »  sent 
le  fantôme  »  (I  |,  présage,  en  puissance,  tout  le  Schumann  .le  Manfred 
et  de  Faust:  c'est  du  classique  vivant,  de  l'art  immortel...  1.  , 
ans  après,  le  Beethoven  de  la  Pastorale  (op.  68)  réserve  plus  i  a 
ment  les  timbales  pour  son  orage...  Scolastiques  et  théoriciens  pros- 
crivaient les  trombones  de  toute  symphonie  :  Beethoven  y  recourt  dans 
trois  chefs-d'œuvre  (2)  pour  accroitre  ou  soutenir  l'intérêt  du  drame 
inelf'able.  Ce  que  les  conservateurs  timorés  ne  comprennent  pas  mieux 
que  les  novateurs  exaspérés,  c'est  que  le  vrai  génie  créateur  est  ;■  |a 
fois  riche  et  ménager  de  ses  richesses,  sobre  et  prodigue  quand  î!  faut 
l'être.  Et  notre  volcanique  Berlioz  est  lui-même  un  sobre  :  témoin  sa 
Fantastique  môme  ;  témoin  surtout  son  Enfance  du  Christ,  que  les  amis 
de  Mozart  ou  de  M.  Debussy  doivent  chérir  entre  toutes  ses  œuvres 
inégales,  mais  géniales,  dont  le  coloris  est  toujours  juste.  Berlioz 
romantique  est  un  gluckiste  :  son  Requiem  proportionne  la  clameur  nu 
drame  universel  de  la  Mort. 

Avec  Berlioz,  la  percussion  s'affine,  s'anime  et  devient  pittoresque 
ou  psychologique.  Chez  Mozart,  comme  chez  Haydn  (3),  la  musique 
turque  n'est  qu'une  percussion  grosso  modo,  sans  subtilité  :  relisez  l'ou- 
verture banale  de  l'Enlèvement  au  Sérail  ;  ce  n'est  point  là  que  le  plus 
sensuel  des  anges-musiciens  a  déployé  les  nuances  de  ses  ailes... 
Consultez  ses  cinq  dernières  symphonies,  plutôt  bruyantes  pour  les 
idées  menues  qu'elles  expriment,  et  l'ouverture  «  sans  mélodie  »  des 
Noces  de  Figaro  :  trompettes  et  timbales  n'interviennent  que  pour 
frapper  fort,  pour  faire  des  forte  dans  un  passage  de  vigueur  comme 
dans  un  finale  d'opéra.  Chez  Beethoven,  la  batterie  reste  rare  et  plutôt 
neutre  ;  mais  les  timbales  émancipées  s'exaspèrent  pour  blouser  la 
foudre. 

Berlioz,  après  Beethoven  et  Weber,  a  fait  de  la  percussion  toute  une 
palette  — -  et,  qui  plus  est,  une  palette  dramatique,  —  intervenant  avec 
sobriété,  brio,  fantaisie,  justesse,  à  propos  :  la  cymbale  y  devient  sata- 
nique  ;  le  triangle  même  a  des  trésors  d'ironie...  Il  faudrait  interroger, 
à  ce  point  de  vue  très  spécial,  mais  suggestif,  chacune  de  ses  œuvres, 
et  chaque  partie  dans  chacune  d'elles,  en  soulignant  des  comparaisons, 
sans  oublier  son  fameux  Traité  d  Instrumentation  moderne,  daté  de  1844. 
où  la  poésie  ne  perd  jamais  ses  droits.  Berlioz  «  joue  de  l'orchestre  »  ; 
il  en  est  le  «  virtuose  »  :  en  musique,  il  est  peintre.  Et  le  colossal 
Richard  Wagner  lui  doit  énormément  sur  ce  point...  C'est,  sans  doute, 
pour  l'en  remercier  qu'il  l'appelle  un  monstre:  car  les  génies  possèdent 
rarement  la  mémoire  des  bienfaits. 

Grâce  à  l'évolution  de  l'orchestre,  le  piédestal  est  resté  sur  la  scène 
et  la  statue  est  descendue  parmi  les  instrumentistes  :  c'était  fatal.  Au 
demeurant,  n'y  aura-t-il  pas  toujours  de  bonnes  gens,  comme  le  bon 
Grétry,  pour  adresser  ce  reproche  aux  innovateurs  '.'  On  l'a  fait  à  Duni 
lui-même,  à  Gluck,  à  Mozart,  au  Beethoven  de  Fidelio.  qui  nous  parait, 
aujourd'hui,  superbement  traditionnel...  Les  points  de  vue  changent 
au  moins  tous  les  trente  ans  ;  et.  de  nos  jours,  la  vitesse  augmente. 

Grâce,  à  l'évolution  de  l'orchestre,  l'action  théâtrale  s'est  résumée 
dans  l'ouverture,  le  drame  sans  paroles  a  conquis  la  symphonie,  puis 
inventé  le  poème  symphoniqne  :  et  toutes  les  aspirations  expressives  de 
l'âme  contemporaine  ont  versé  leur  espoir  sans  fin  dans  ce  nouveau 
cadre  :  avec  l'enrichissement  de  la  palette  orchestrale,  on  peut  être  à  la 
fois  banal  et  brillant,  indigent  et  somptueux,  médiocre  et  grandiose, 
attribuer  à  la  science  qui  s'apprend  les  apparences  de  l'idée  que  rien  ne 
remplace,  et  cacher  sous  la  pourpre  de  la  couleur  la  pauvreté  du  dessin. 
L'orchestre,  à  l'instar  du  costume,  est  un  grand  dispensateur  d'illu- 
sions... S'enrichira- t-il  encore  ? —  C'est  la  première  question  qui  uous 
sollicitera  la  prochaine  fois. 
(A  suivre.)  Raymond  Bolyer 

il)  C'est  le  mot  d'Auber  sur  le  début  analogue  de  l'ouverture  de  Don  Juan,  lois  de 
la  reprise  du  chef-d'œuvre  en  1834,  au  grand  Opéra. 

(2)  L'Ut  mineur,  la  Pastorale  (1808-1809)  et  la  .Xeuvième  de  1S24    trio  du  scherzo  el 
finale  avec  chœur). 

(3)  Dans  le  joyeux  finale  de  la  Symphonie  en  ut,  inédite,  et  propriété  de  la  Société 
des  Concerts  qui  la  joue  depuis  trente  ans. 


32 


LE  MÉNESTREL 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts-Colonne.  —  Le  principal  attrait  de  la  séance  résidait  dans  la 
réalisation  d'un  rêve  enfin  obtenu  par  l'habileté  du  célèbre  facteur  Mutin. 
L'installation  sur  la  scène  du  Châtelet  d'un  orgue  —  portatif  à  cause  des  exi- 
gences du  théâtre  —  mais  suffisamment  important  pour  remplir  l'immense 
vaisseau  et  lutter  avec  les  sonorités  de  l'orchestre.  Grâce  à  cet  adjuvant  pré- 
cieux, des  œuvres  jusqu'ici  interdites  aux  Concerts-Colonne  vont  pouvoir  se 
donner  couramment  et  le  répertoire  se  varier  et  s'enrichir  d'autant.  C'est 
ainsi  que  dimanche  la  belle  symphonie  en  ut  mineur  de  M.  Saint-Saëns  a  pu 
figurer  au  programme  ainsi  que  l'intéressante  Fantaisie  pour  piano,  orgue  et 
orchestre,  de  M.  Périlhou,  excellemment  jouée  par  MM.  Georges  de  Lausnay  et 
G.  Pierné,  et  très  bien  accueillie  du  public.  On  a  fait  bon  accueil  à  deux  mélodies 
de  M.  Georges  Brun  :  la  Neige  et  Marine  fort  bien  chantées  par  Mme  Laute  Brun 
et  qui,  instrumentées  avec  discrétion  et  habileté,  témoignent  chez  leur  auteur 
de  qualités  de  charme  et  d'expression  dignes  d'être  encouragées.  Le  reste  du 
programme  partagé  entre  Wagner,  Bach  et  Richard  Strauss  avec  des  œuvres 
dont  on  ne  peut  plus  rien  dire,  parce  que  trop  connues,  excita  l'enthousiasme 
du  nombreux  auditoire,  qui  fit  aussi  grand  succès  à  l'excellent  violoniste 
Firmin  Touche  dans  le  Rondo  capriccioso  de  M.  Saint-Saëns.  .T.  Jemain. 

—  Concerts-Lamoureux.  —  Avec  une  réelle  élégance  et  beaucoup  de  dis- 
tinction, M.  André  Messager  a  dirigé  l'ouverture  de  la  Flûte  enchantée,  le 
prélude  du  deuxième  acte  de  Gwendoline  d'Emmanuel  Chabrier  et  deux  frag- 
ments de  Miarka  de  M.  Alexandre  Georges,  «  Mort  de  Tiarko  »  et  «  Pastorale 
et  Marche  romane  »  ;  il  a  su  mettre  au  service  de  ces  œuvres  d'un  caractère 
simple,  et  très  purement  musicales,  ce  talent  plein  de  poésie  et  de  délicatesse 
qui  fait  le  charme  très  vif  de  ses  propres  compositions.  Cette  musicalité  a  une 
influence  toute  particulière  sur  le  mode  d'interprétation  des  ouvrages  qui, 
comme  Maseppa  de  Liszt,  rentrent  dans  le  domaine  descriptif.  Dans  cette  com- 
position ultra-violente,  dont  l'origine  fut  une  simple  élude  pour  piano,  on 
peut  envisager  de  deux  manières  la  perspective  musicale,  soit  que  l'on  suppose 
que  le  supplice  du  condamné  qui  va  devenir  roi,  commence  sous  nos  yeux  et 
que  le  cheval,  en  entraînant  sa  victime,  s  éloigne  toujours  de  nous,  soit  que 
l'on  imagine  que  nous  accompagnons  la  course  fatale  et  que  nous  sommes 
toujours  immédiatement  témoins  de  chacun  de  ses  épisodes,  y  compris  le 
dernier.  Celui-là  est  indiqué  par  la  marche  triomphale  de  Liszt  et  par  les  vers 
de  Victor  Hugo  : 

Enfin  le  terme  arrive,  il  courl,  il  vole.il  tombe, 
El  se  relève  roi. 
M.  Messager  n'a  pas  voulu  entrer  dans  la  voie  d'une  exécution  figurative; 
il  a  mis  simplement  en  grand  relief  la  substance  musicale  de  l'œuvre, 
adoptant  en  cela  un  point  de  vue  que  M.  Camille  Saint-Saëns  a  très  judi- 
cieusement mis  en  lumière  dans  une  belle  étude  sur  Liszt,  dont  la  conclusion 
est  que  l'artiste  hongrois  a  été  un  maître  éminent  dans  l'art  de  la  description 
orchestrale,  mais  que  ses  œuvres  peuvent  être  comprises  indépendamment  de 
toute  idée  extra-musicale  et  peuvent,  sans  programme,  se  suffire  à  elles- 
mêmes.  L'auteur  de  Fortunio  parait  avoir  partagé  cette  manière  de  voir,  et 
c'est  pour  cela  sans  doute  qu'il  a  tellement  ralenti  le  mouvement  du  thème 
des  trombones  au  milieu  du  poème  symphonique,  Je  telle  sorte  que  le  aalop 
du  cheval  de  la  légende  semblait  s'être  arrêté  pour  nous  permettre  d'écouter 
un  adagio  délicieusement  rendu.  Il  est  difficile  de  présenter  la  même  obser- 
vation en  ce  qui  concerne  la  Symphonie  en  ré  de  César  Franck;  pourtant  le 
premier  morceau  en  a  paru  long  et  difficile  a  suivre,  peut-être  parce  que  l'im- 
pression pathétique  dont  nous  devons  sentir  de  plus  en  plus  l'enveloppement 
à  chaque  reprise  du  thème  n'a  pas  été  suffisamment  prévue,  préparée  et 
graduée.  M.  Ricardo  Vifiès  a  remarquablement  joué  un  concerto  pour  piano 
de  M.  Rimsky-Korsakow,  composé  en  1882.  L'ouvrage  comprend  un  allegro 
à  quatre  temps  et  un  presto  à  deux,  reliés  entre  eux  par  une  transition 
brillante  et  humoristique  de  trompette.  Très  nuancé,  très  recueilli  dans  la 
première  partie,  le  jeu  du  pianiste  a  été  nerveux  et  plein  de  fougue  dans  la 
seconde.  En  entendant  M.  Vifiès,  nous  avons  pu,  comme  l'assistance  qui  l'a 
triomphalement  fêté,  avoir  l'impression  que  nous  étions  en  présence  d'un 
artiste  joignant  à  une  intelligence  musicale  développée  une  technique 
irréprochable.  Amédée  Boutakel. 

—  Programmes  des  concerts  de  dimanche  : 

Concerts  du  Conservatoire  du  dimanche  16  février,  à  2  heures  1/4  très  précises  : 
Ouverture.de  Lconore  (n°  2)  (1™  audition  au  Conservatoire)  (Beethoven).  —  Platée. 
fragments  (1"  audition;  (J.-Ph.  Rameau);  la  Folie:  M"- Suzanne  Cesbron,  de  l'Opéra- 
Comique,  M""  Coquelet;  Mil.  Mille   et  Boussagol.  —  Concerto  en  la  majeur  (n°  2, 
pour  piano  (1™  audition  au  Conservatoire)  (F.  Liszt)  :  M.  Arthur  de  Greef.  —  Suite 
en  re  majeur  (n°4)  (1™  audition)  (J.-S.  Bachj.  —  Psaume  iï  (Mendelssohnj  :  soprano 
solo,  M1"  Suzanne  Cesbron;  MM.  Mille,  Rouhier,  David  et  |Narçon.—  Le  concert  sera 
dirigé  par  M.  Georges  Marty. 
Concerts  Colonne  (Théâtre  du  Châtelet),  à  deux  heures  et  demie  : 
Ferma/,  Introduction  du  lf  acte  (V.  d'Indy).  —  Symphonie  en  fa  (1"  audition)  (H. 
Dallier)  :  I.  Largo  et  allegro,  II.  Allegretto  et  Final.  —  Air  de  Didon   (Piccini)  : 
M-  Georgette  Leblanc.  —  Concerto  pour  violon  et  violoncelle,  op.  102  (J.  Brahms;  • 
I.  Allegro,  H.  Andante,  III.  Final  :  M.  Jacques  Thibaud,  M.  Pablo  Casais.  -  Quatre 
poèmes  [1«  audition)   (Gabriel   Fabre)  :  a)  Jai  cherché  Imite  ans  (Maeterlieck),  b)  les 
Sept  filles  <l  Orlamonde  (Maeterlinck),  c)  Cantique  ,1e  la  Vierge  (Maeterlinck)    d)  'ivresse 
,1  amour   (M-  Judith  Gautier,  :  M»-  Georgette  Ler.lanc.   -  Concerto  pour  piano, 
violon  et  violoncelle,  1™  audition  aux   Concerts-Colonne  (Beethoven)  :    M.  Alfred 
Cortot,  M.  Jacques  Thibaud,  M.  Pablo  Casais.  —  Lohengrin,  prélude  du  3<  acte  (R 
Wagner).  —  L'orchestre  sera  dirigé  par  M.  Ed.  Colonne. 


Concerts-Lamoureux  (salle  Gaveau,  45,  rue  La  Boëtie),  à  3  heures  précises  : 
Ouverture  i'Obéron  (Weber).  —  Troisième  Symphonie  (1"  audition  aux  Concerts- 
Lamoureux)  (Rimsky-Korsakow).—  a)  Trois  mélodies  russes  (Rachmaninoiï)  ;  b)  le 
Rossignol  (Aliabiefl)  :  M"'  Marie  Kousnietzoff;  au  piano,  M.  Straram.  —  Prélude  à 
l'après-midi  d'un  faune  (Debussy).  —  Concerto  en  sol  miDeur,  pour  orgue  et  orchestre 
(Haendel)  :  M.  Eugène  Gigout.  —  Shyloch,  musique  de  scène  pour  le  drame  d'Ed 
mond  Haraucourt  (Fauré)  :  a)  Entr'acle;  b)  Nocturne;  e)  Finale.  —Orchestre  sous  la 
direction  de  M.  André  Messager. 

—  Nouveaux-Concerts-Populaires.  —  Sous  la  direction  de  M.  de  Léry,  l'or- 
chestre a  exécuté  la  «  Symphonie  inachevée  »  de  Schubert,  le  prélude  de 
Lohengrin  et  donné  une  vibrante  interprétation  de  l'ouverture  de  Patrie,  de 
Bizet,  et  de  plusieurs  fragments  de  Manfred.  Le  cor  anglais  de  M.  Mathieu 
phrasa  admirablement  le  délicieux  Ranz  des  vaches.  L'intérêt  du  concert  était 
surtout  dans  l'audition  du  concerto  en  ut  majeur  pour  deux  pianos,  de  Bach, 
œuvre  superbe  et  que  l'on  entend  trop  rarement.  Quoi  ce  plus  sublime  après 
l'exquis  adagio,  pendant  lequel  l'orchestre  se  tait  pour  laisser  dialoguer  les 
deux  pianos. que  la  merveilleuse  fugue  qui  termine  l'œuvre?  L'interprétation, 
confiée  à  M1Ie  Mary  Weingaertner,  la  pianiste  bien  connue,  et  à  Mlle  Sakoff 
Grunwaldt  fut  de  tous  points  parfaite.  Deux  mélodies  de  M.  Combe,  fort  bien 
chantées  par  MUe  Luquiens,  et  la  Danse  Persane,  de  Guiraud.  terminaient  le 
concert. 

—  La  septième  matinée  musicale  du  Gymnase  (fondation  Danbé)  fut  parti- 
culièrement attrayante  et  obtint  un  succès  marqué.  Mmc  Roger-Miclos-Bat- 
taille  fit  applaudir  son  jeu  puissant  et  délicat  en  des  pièces  de  Borodine, 
Mendelssohn  et  Chopin.  L'éminente  pianiste  interpréta  ensuite  ces  deux 
pièces  exquises  des  Poèmes  Sylvestres,  de  M.  Théodore  Dubois,  le  Banc  de 
mousse  et  les  Myrtilles  qui  lui  valurent  de  longues  acclamations.  Puis  M.  Th. 
Dubois  occupa  lui-même  le  reste  du  programme  avec  une  importante  suite  de 
six  mélodies.  Odelettes  antiques,  dont  c'était  la  première  audition  et  qui,  excel- 
lemment chantées  par  M110  Demougeot  et  M.  Plamondon,  ont  eu  un  énorme 
succès.  Il  se  dégage  de  ces  six  poèmes,  dont  les  vers  savoureux  sont  du  fils 
du  compositeur,  M.  Charles  Dubois,  comme  un  parfum  ancien  et  pénétrant, 
un  charme  très  particulier:  Chanson  de  Pâtre,  Incantation,  le  Jeune  Oiseleur,  le 
Pécheur  de  Syracuse,  la  Jeune  Fille  à  la  Cigale,  qui  fut  bissé,  Prière  de  ÏEphèbe 
forment  autant  de  petits  tableaux  de  genre,  évocateurs  magiques  d'un  monde 
disparu.  L'Amiante  et  le  Scher;o-VaIse.  brillamment  enlevé  par  le  violon  de 
M.  Soudant,  et  le  Duettino  d'Amore  pour  violon  et  violoncelle,  avec  M.  J.  Be- 
detti,  complétaient  la  séance  qui  comprenait  encore  le  beau  quatuor  à  cordes 
en  mi  bémol  de  Mozart  et  le  final  du  quatuor  n°  73  d'Haydn,  interprétés  par 
MM.  Soudant,  de  Bruyne,  Migard  et  Bedetti.  —  La  huitième  matinée auralieu 
mercredi  19  février,  à  4  heures  et  demie,  avec  le  concours  de  MUe  Marcella 
Pregi,  MM.  Louis  Diémer,  Jean  Batalla,  Gaubert  et  les  chanteurs  de  la  Re- 
naissance dirigés  par  M.  H.  Expert.  M.  Diémer  y  jouera  une  importante  par- 
tie de  clavecin. 

—  C'est  hier  soir  vendredi  que  Raoul  Pugno  a  donné  sa  première  séance  à 
la  salle  Pleyel  avec  le  concours  de  Mlle  Suzanne  Cesbron  et  de  MM.  Ed.  Nadaud 
et  Pli.  Gaubert.  Nous  en  donnerons  le  compte  rendu  dans  notre  prochain 
numéro.  La  seconde  séance  aura  lieu  mardi  18  et  la  troisième  vendredi 
21  février.  On  trouve  des  billets  à  la  salle  Pleyel  et  au  Ménestrel,  2  bis,  rue 
Vivienne. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 
(pour  les  seuls  abonnés  a  la  musique) 


Ce  soir  même,  au  théâtre  de  Monte-Carlo,  on  va  représenter  le  nouveau  ballet  de 
Massenet  :  Espada.  Saisissant  au  vol  l'actualité,  à  la  minute  même,  nous  donnons  à 
nos  abonnés  un  numéro  de  cette  petite  œuvre  d'un  grand  musicien,  où  revit  toute  la 
verve  colorée  et  scintillante  du  ballet  fameux  dut'»/.  Cette  danse  intitulée  Panaâeros 
est  toute  de  délicatesse  et  de  morbidesse,  destinée  à  faire  contraste  avec  les  pages 
plus  animées,  plus  emportées  de  la  partition  dont  nous  donnerons  aussi  quelques- 
unes. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (12  février): 

La  reprise  du  Mépliistophélès  de  Boito  a  obtenu,  à  la  Monnaie,  tout  le  succès 
que  l'on  pouvait  souhaiter.  L'œuvre,  qui  n'avait  plus  été  jouée  à  Bruxelles 
depuis  vingt-deux  ans  (il  y  en  a  vingt-cinq  que  la  première  en  français  y 
avait  été  donnée),  a  conservé  son  éclat  de  belle  fresque  décorative,  haute  en 
couleur,  son  mouvement  intense,  son  incohérence  un  peu,  tout  ce  qui  enfin 
pendant  longtemps  fit  sa  fortune  quand  on  s'avisa,  après  la  chute  initiale  de 
l'ouvrage  en  Italie,  de  les  reconnaître.  Le  souille  et  l'ampleur  majestueuse  du 
prologue  et  de  l'épilogue,  —  qui  sont  décidément  les  deux  plus  belles  pages 
de  l'opéra,  —  le  quatuor  du  jardin,  la  mort  de  Marguerite,  la  nuit  du  sabbat 
et  la  mort  de  Faust  suffiraient  au  succès,  et  y  ont  suffi,  cette  fois  encore,  si 
l'œuvre  n'offrait  en  outre  au  décorateur  et  au  metteur  en  scène  des  ressources 
multiples  d'effet,  composant  un  spectacle  brillant  et  animé.  Ce  spectacle,  à  la 


LE  MÉNESTREL 


53 


Monnaie,  est  vraiment  plein  d'attraits.  L'exécution,  par  les  chœurs  et  l'or- 
chestre, n'est  pas  moins  remarquable.  Du  cùté  des  artistes,  elle  manque  un 
peu  d'élan  et  de  chaleur,  et  aussi  de  puissance  vocale.  Nos  chanteurs  do 
langue  française  ne  sauraient  suppléer,  par  leurs  habituels  mérites  de  diction 
et  de  correction,  à  l'indispensable  «  foyer  »  que  demande  la  musique  ita- 
lienne; et  dece  côté,  il  faut  bien  l'avouer,  l'interprétai  ion  de  Méphistophélii  à  la 
Monnaie  pèche  évidemment.  Ce  qui  n'empêche  cependant  M.  Marcoux  d'être 
un  Méphistophélès  de  superbe  allure  et  de  déclamation  large,  MUe  Mazzonnelli 
une  Marguerite  jolie  et  de  voix  fraîche,  M.  Lallitte  un  Faust  pareil  à  la  plu- 
part de  ses  autres  incarnations,  et  Mme  Blancard  et  M.  Dua  très  satisfaisants 
en  des  rôles  modestes.  —  Et  maintenant,  c'est  au  tour  du  Cliemineau,  dont  la 
première,  réservée  en  gala  à  l'Association  de  la  Presse,  aura  eu  lieu  quand 
paraîtront  ces  lignes.  M.  Xavier  Leroux  a  passé  quinze  jours  a  Bruxelles,  pour 
surveiller  les  dernières  répétitions.  J'ai  assisté  aujourd'hui  à  la  «  générale  ■>, 
qui  a  produit  une  très  grande  impression.  L'interprétation,  avec  M"c  Croiza, 
MM.  Decléry,  Bourbon  et  Dua  est  absolument  remarquable.  Ce  sera,  sans 
aucun  doute,  un  succès  de  grosse  émotion. 

Près  de  trois  mois  encore  nous  séparent  de  la  clôture  de  la  saison  théâtrale, 
et  déjà  l'on  parle  des  représentations  nombreuses  qui  tiendront  la  Monnaie 
ouverte  cet  été.  La  troupe  de  la  Porte-Saint-Martin,  avec  l'Affaire  des  Poisons, 
de  M.  Sardou,  et  la  troupe  de  M"10  Sarah  Bernhardt,  avec  les  derniers  rôles  de 
la  belle  tragédienne,  occuperont  la  scène  pendant  plusieurs  semaines;  après 
quoi,  pendant  une  quinzaine  de  jours,  à  la  fin  de  juin,  M.  Emile  Mathieu 
offrira  au  public  bruxellois  la  primeur  de  son  nouveau  drame  lyrique, 
la  Reine  Vastki,  dont  il  organisera  lui-même  les  représentations,  avec  l'or- 
chestre, les  chœurs  et  une  partie  des  artistes  de  la  Monnaie  ;  les  rôles  princi- 
paux seront  chantés  par  Mmos  Croiza  et  Carlhaut.  —  Le  1CT  juillet,  toute  la 
troupe  de  la  Monnaie  partira  pour  Ostende,  où  le  directeur  du  Kursaal, 
M.  Marquet,  l'a  engagée  pour  donner  au  théâtre  de  cette  ville  une  série  de 
représentations  sensationnelles. 

Les  deux  semaines  écoulées  ont  été  fertiles,  à  Bruxelles,  en  concerts  inté- 
ressants. Le  Conservatoire  a  honoré  la  mémoire  de  Grieg,  mort  récemment, 
en  donnant  un  concert  de  symphonie  moderne,  dont  le  numéro  principal 
était  la  Suite  de  Peer  Gynt.  On  sait  que  les  compositeurs  modernes  ne  sont 
admis  à  figurer  sur  les  programmes  du  Conservatoire  qu'après  leur  mort  ; 
mais  tous  les  morts  ne  sont  pas  admis  ;  leur  admission  constitue  en  quelque 
sorte  un  diplôme  d'immortalité,  particulièrement  précieux,  décerné  par 
M.  Gevaert.  Ainsi  furent  jugés  digni  inlrare,  parmi  les  dernières  illustrations, 
Wagner  et  César  Franck.  M.  Gevaert  avait  inscrit  ceux-ci  également  sur  le 
programme  de  ce  concert,  le  premier  avec  l'ouverture  des  Maîtres  Chanteurs 
et  le  second  avec  la  belle  symphonie  en  ré  mineur.  Toutes  deux,  ainsi  que  la 
suite  de  Grieg,  exécutés  admirablement  par  l'incomparable  orchestre  de 
M.  Gevaert,  ont  obtenu  un  très  grand  succès,  qui  déterminera  sans  doute  le 
maître  à  faire  entendre  une  fois  encore  ces  mêmes  œuvres  au  quatrième 
concert  de  cet  hiver.  Le  troisième  sera  consacré  à  la  neuvième  symphonie  de 
Beethoven,  avec  un  quatuor  de  solistes  tout  à  fait  supérieur,  composé  de 
jjmes  Croiza  et  de  Tréville,  de  MM.  Laffitte  et  Blancard.  —  Aux  Concerts- 
Populaires,  nous  avons  eu,  dimanche  dernier,  une  exécution  —  un  peu  terre 
à  terre  et  molle  —  du  Paradis  et  la  Péri  de  Schumann.  —  Aux  Concerls- 
Ysaye,  en  l'absence  de  son  chef  habituel,  c'est  M.  Steinbach,  de  Cologne,  qui  a 
dirigé  la  cinquième  symphonie  de  Beethoven,  de  consciencieuses  variations 
inédites  de  M.  Delune  sur  un  thème  de  Haendel,  le  Cjncerto  en  ut  mineur  de 
Beethoven  et  les  Variations  Symphoniques  de  M.  Vincent  d'Indy,  exécutées  par 
M.  Corlot  avec  sa  fougue  coutumière. 

D'Anvers,  nous  arrive  la  confirmation  du  succès,  de  plus  en  plus  grand, 
du  nouvel  opéra  de  M.  Jean  Blockx,  Baldie,  au  Théâtre- Lyrique  flamand.  Ce 
vaillant  et  infatigable  théâtre  ne  s'endort  pas  sur  ses  lauriers.  Voici,  en  effet, 
la  liste  des  œuvres  qui  sont  prêtes  à  êtres  exécutées  :  le  Faust  de  M.  Zôllner, 
un  compositeur  allemand,  dont  on  a  joué  l'an  dernier  un  drame  lyrique 
remarquable,  la  Cloche  engloutie,  d'après  Hauptmann  ;  Reinaert  de  Vos,  drame 
lyrique  en  trois  actes,  par  MM.  August  de  Boeck  et  Raf.  Verhulst  ;  lialewyn, 
quatre  actes,  par  MM.  Jef  Vander  Meulen  et  René  Declercq  ;  Rosemarijntje, 
trois  actes,  par  MM.  Arthur  Van  Oost  et  Raf  Verhulst  et  Kludde,  trois  actes, 
par  MM.  Oscar  Roels  et  Maurits  Sabbe.  En  outre,  M.  Paul  Gilson  travaille 
aclivement  à  Mariolyn,  trois  actes,  de  R.  Verhulst;  M.  Léon  "Walpot,  direc- 
teur de  la  musique  du  1er  guides,  à  une  comédie  lyrique  en  trois  actes,  De 
Prinius,  poème  de  J.  Moruan  ;  et  M.  Emile  Wambach,  à  Loreley,  traduit  d'un 
texte  allemand.  L.  S. 

—  C'est  dans  la  seconde  quinzaine  de  mars  que  sera  donnée,  au  théâtre  de 
la  Monnaie  de  Bruxelles,  la  première  représentation  des  Deux  Jumeaux,  l'opéra- 
comique  de  M.  .Taques-Dalcroze,  dont  le  principal  rôle  sera  créé  par  Mme  Ja- 
ques-Dalcroze. 

—  Le  Théàtre-Royalde  Gand  a  donné  la  première  représentation  d'un  grand 
drame  lyrique,  intitulé  Astarté,  dont  les  auteurs  sont  M.  Jules  Guégnier  pour 
les  paroles  et  M.  Edouard  Criel  pour  la  musique.  L'œuvre,  interprétée  par 
jjmes  Frémont  et  Daura,  MM.  Génicot  et  Montfort  pour  les  rôles  principaux, 
parait  avoir  obtenu  un  vif  succès. 

—  De  notre  correspondant  de  Liège  :  Le  public  des  grands  concerts  sympho- 
niques a  fait  un  chaleureux  accueil  au  poème  symphonique  la  Voie  de  lu 
mort  de  M.  Armand  Marsick  dont  M.  Colonne  avait,  sous  le  titre  A'Élégie 
symphonique,  donné  la  première  audition  à  Paris.  Cette  œuvre  a  été  rendue 
avec  une  émotion  et  une  conviction  peu  communes  par  M.  Debefve  et  ton 
remarquable  orchestre. 


—  On  a  publié  récemment  a  Milan  le  projet  de  décret  réglant  les  disposi- 
tions organiques  du  Conservatoire  de  cette  ville,  projet  précédé  d'un  exposé 
des  motifs  présenté  par  M.  Rêva,  ministre  de  l'instruction  publique.  Quoique 
réalisant,  dit-on,  un  progrès  réel,  ce  document  n'a  pas  excité  une  satisfaction 
générale,  et  a  même  fait  naître  des  critiques  assez  vives.  La  preuve  en  est 
dans  cette  note  que  publie  un  journal  de  Milan:  «  Le  -i  de  ce  mois,  se  sont 
réunis  à  l'Hôtel  central  de  Rome  MM.  les  professeurs  Quintavalle  et  de  Gua- 
rinoni,  représentants  du  Conservatoire  de  Milan  -,  P'ano,  directeur;  Piacentini 
et  Gasperini,  professeurs  du  Conservatoire  de  Parme  ;Trapani,  Morelli,  Taglia- 
cozzi  et  Aglialori,  professeurs  du  Conservatoire  de  Palerme.  On  a  discuté  tout 
au  long  la  question  du  décret  organique  proposé  par  le  gouvernement  pour  le 
Conservatoire  de  Milan,  et  on  a  décidé  d'un  commun  accord  d'empêcher  que 
cette  proposition  soit  adoptée,  et  de  présenter  à  sa  place  un  nouveau  projet 
qui  pourrait  servir  à  tous  les  Conservatoires  d'Italie.  On  espère  atteindre  le  but 
grâce  à  l'appui  de  nombreux  députés,  qui  prennent  intérêt  à  l'affaire  ».  Heu- 
reux pays  où  les  députés  s'intéressent  aux  Conservatoires  ! 

—  «  Il  n'y  a  plus,  dit  notre  confrère  le  Trouatore,  il  n'y  a  plus  ni  on  dit,  ni 
suppositions,  ni  si,  ni  mais  ;  l'engagement  du  maestro  Arturo  Toscanini  au 
Métropolitain  de  New- York  est  absolument  certain.  Et  non  seulement  cela, 
mais  un  autre  fait  accompli  est  l'engagement  aussi  de  M.  Gatti-Casazza  comme 
directeur  de  ce  même  grand  théâtre.  Notre  Scala  perdra  ainsi  d'un  seul  coup 
son  illustre  concerlatore  et  directeur  d'orchestre  et  son  accort  et  intelligent 
directeur  général  ».  De  cette  nouvelle  il  résulte  que  le  maestro  Toscanini  ne 
dirigera  pas  à  la  Scala  la  saison  1908-1909. 

—  Voici  que  les  frères  Paganini,  fils  du  baron  Achille  Paganini  et  petits- 
fils  de  l'illustre  violoniste  Nicolo  Paganini,  démentent  la  nouvelle  donnée  par 
plusieurs  journaux  italiens  (et  reproduite  par  nous  d'après  eux),  relativement 
à  la  prétendue  découverte  de  plusieurs  manuscrits  autographes  de  composi- 
tions de  leur  aïeul.  Ces  autographes,  qui  sont  en  leur  possession,  figurent, 
disent-ils,  dans  le  catalogue  par  eux  déposé  chez  un  notaire  de  Parme, 
M.  Cesare  Datta. 

—  Le  Théâtre-National  de  Rome  a  donné  le  jour  à  une  opérette  nouvelle, 
il  Caporal  Susine,  dont  la  musique  est  due  au  maestro  Luigi  Dall'Argine, 
et  qui  a  été  très  bien  accueillie. —  D'autre  part,  on  a  représenté  à  Sienna  une 
opérette  pour  enfants,  intitulée  un  Colpo  di  forluna,  dont  la  musique  a  été 
écrite  par  le  compositeur  G.-B.  Pollini. 

—  M.  Puccini,  qui  vient  de  se  rendre  en  Egypte  pour  y  faire  une  villégia- 
ture de  quelque  durée,  a  confié  avant  son  départ,  à  un  ami,  qu'il  travaille  en 
ce  moment  à  un  nouvel  opéra  intitulé  lu  Fille  de  l'Ouest,  dont  le  livret  a  été 
tiré  du  drame  du  même  nom  de  Belasco,  par  M.  Zangarini. 

—  C'est  à  Crémone  que  naquit,  en  156"  ou  1568,  le  grand  compositeur 
Claudio  Monteverde,  justement  considéré  comme  le  père  et  l'initiateur  du 
drame  musical  moderne,  auquel  il  a  su  donner,  grâce  à  son  inspiration  su- 
perbe et  à  son  génie  novateur,  toute  son  ampleur  pathétique  et  sa  puissance 
expressive.  Crémone  s'en  est  souvenue,  et  récemment  un  comité  s'est  formé 
en  cette  ville  dans  le  but  de  procéder  à  la  publication  d'une  édition  complète 
des  œuvres  de  l'illustre  artiste,  déjà  réunies  et  coordonnées  à  cet  effet  par  le 
maestro  Gaetano  Cesari.  Cette  heureuse  pensée  a  été  vivement  encouragée 
par  M.  Arrigo  Boito,  l'auteur  de  Meftstofek,  qui,  dans  une  lettre  adressée  à 
l'un  des  membres  du  comité,  M.  le  professeur  Novaii,  exaltait  en  ces  termes, 
qui  n'ont  rien  d'excessif,  l'admirable  génie  de  Monteverde  :  —  «...  Avoir  été 
dans  son  temps  un  conquérant  audacieux  d'éléments  inexplorés  dans  le  do- 
maine de  l'harmonie,  un  amplificateur  de  l'ensemble  physique  du  mélodrame 
(l'opéra),  un  précurseur  de  l'orchestre,  avoir  été  le  personnificateur  des 
timbres,  le  peintre  de  la  parole,  l'agitateur  de  son  nouveau  style  que  j'appel- 
lerai animé  (eoncitulo)  et  qui  tend  à  accroîtra  les  moyens  expressifs  du  rvthme 
et  des  intervalles  dans  le  sens  de  l'énergie,  avoir  méprisé  et  vaincu  l'opposi- 
tion des  pédants,  tous  ces  titres  d'honneur  présentent  Monteverde  au  musi- 
cien moderne  comme  un  maître  glorieux  de  toute  forte,  saine  et  savante 
audace.  S'il  arrive  enfin  que  dans  Crémone,  sa  patrie,  on  soulève  l'idée  d'une 
nouvelle  édition  des  œuvres  dues  à  l'auteur  d'Or/eo  et  des  iladrigali  guerrieri, 
et  qu'elle  trouve  son  accomplissement,  la  ville  de  Monteverde  aura  consacré  à 
la  gloire  de  son  enfant  un  monument  supérieur  au  bronze...  » 

—  Quand  on  prend  de  l'opérette  on  n'en  saurait  trop  prendre.  Un  dilettante 
napolitain,  connu  déjà  par  quelques  ouvrages  de  ce  genre,  M.  Francesco  Mi- 
relli,  prince  de  Teora,  vient  d'en  écrire  trois  d'un  seul  coup,  dont  voici  les 
titres  :  l'Assedio  di  Montauban,  la  Cicala,  il  Manieotio. 

—  Immédiatement  après  la  mort  de  Joseph  Joachim,  la  question  d'ériger  un 
monument  à  sa  mémoire  fut  soulevée  ;  on  la  jugea  prématurée.  Depuis,  elle  a 
pris  consistance  ;  avant  la  fin  de  ce  mois,  un  concert  sera  donné  par  les  trois 
membres  survivants  du  Quatuor-Joachim,  et  le  bénéfice  en  sera  consacré  à 
l'érection  du  monument.  L'emplacement  désiré  pour  le  buste  du  maître  serait 
le  vestibule  du  Conservatoire  ou  une  des  cours  de  l'établissement. 

—  M.  Félix  Weingartner  a  l'intention  de  remettre  en  honneur  à  l'Opéra  de 
Vienne  le  genre  opéra-comique  un  peu  délaissé  avant  lui;  il  va  prochaine- 
ment remettre  en  scèoe  Don  Pasquale  de  Donizetti.  En  même  temps  que 
Lakmé,  dont  il  prépare  la  reprise,  il  montera  le  Cliemineau  de  M.  X.  Le- 
roux. 


LE  MÉNESTREL 


'  —  Le  concours  ouvert  à  Vienne  pour  le  prix  Beethoven  n'a  pas  été  brillant 
cette  année.  Ce  concours  comporte,  on  le  sait,  un  prix  de  2.000  couronnes. 
Douze  élèves  ou  anciens  élèves  du  Conservatoire  y  avaient  pris  part  cette  fois, 
mais  le  résultat  a  été  lamentable,  et  le  jury,  en  présence  de  travaux  notoire- 
ment insuffisants,  n'a  pas  cru  pouvoir  accorder  le  prix. 

—  Un  scandale  à  Vienne.  On  signale  de  cette  ville  la  fuite  de  Mmc  Frieda 
Strindberg,  épouse  divorcée  du  célèbre  auteur  dramatique.  Elle  s'est  efforcée 
ainsi  d'échapper  aux  suites  d'une  instruction  ouverte  contre  elle  pour  mena- 
ces, tentative  de  meurtre,  vol,  etc.  Cette  aventurière,  âgée  aujourd'hui  de 
trente-six  ans,  avait  épousé  il  y  a  dix-sept  ans  le  poète  Strindberg,  avec 
lequel  elle  ne  tarda  pas  beaucoup  à  divorcer.  S'étant  fixée  alors  à  Vienne,  elle 
sut  s'introduire  dans  la  meilleure  société  de  la  capitale  autrichienne.  Devenue 
l'intime  amie  d'une  ex-actrice  du  Théâtre-Impérial,  Mme  Catherine  Schratt, 
qui,  grâce  à  ses  grandes  relations,  recevait  chez  elle  beaucoup  de  personnages 
de  la  haute  aristocratie,  elle  fit  la  connaissance  du  prince  Charles  Fugger 
Babenhausen.  avec  lequel  elle  noua  une  liaison,  dans  le  but  d'en  retirer  des 
avantages  matériels,  fût-ce  en  le  menaçant  d'un  scandale.  Celui-ci,  fatigué  de 
ses  exigences,  se  décida  à  une  rupture.  Mais  alors  elle  lui  fit  un  jour,  à  l'hôtel 
Bristol,  une  scène  épouvantable,  qu'elle  termina  par  des  coups  de  revolver. 
Assez  heureux  pour  ne  pas  être  atteint,  le  prince  jugea  à  propos  de  porter 
plainte  contre  cette  virago.  On  se  rappela  à  ce  moment  à  la  police  que  deux 
ans  auparavant,  dans  des  circonstances  analogues,  elle  avait  aussi  tenté  de  tuer 
le  romancier  VanOesteren,  qui  avait  opportunément  réussi  à  la  désarmer.  Et 
en  même  temps  une  ex-actrice  berlinoise,  Mme  Gemberg,  déposait  de  son  coté 
une  plainte  contre  la  Strindberg,  qu'elle  avait  chargée  de  vendre  deux  tableaux 
de  Lucas  Cranach  et  de  Bellini,  et  qui  les  avait  vendus  en  effet,  en  s'appro- 
priant  l'argent  qu'elle  en  avait  reçu. 

—  De  Berlin  :  Une  panique  s'est  produite  hier  soir  au  nouveau  Lortzing- 
Theater,  au  cours  d'une  représentation  de  l'Enlèvement  au  Sérail  de  Mozart. 
Pendant  le  premier  acte,  une  odeur  de  fumée  se  répandit  dans  la  salle  ;  quel- 
qu'un se  mit  à  crier  :  «  Au  feu  !»  ;  le  public  se  rua  vers  les  issues  malgré  les 
objurgations  du  chef  d'orchestre  et  de  plusieurs  artistes  qui  étaient  bravement 
restés  en  scène,  et  la  salle  se  vida  sans  accident  grave  toutefois.  Voici  ce  qui 
s'était  passé  :  Un  spectateur,  en  arrivant  au  théâtre,  avait  mis  dans  une 
poche  de  son  pardessus  un  cigare  qu'il  croyait  avoir  éteint  et  confié  le  tout  au 
vestiaire.  Le  pardessus  se  mit  à  flamber  et  avec  lui  plusieurs  autres  pardessus 
qui  se  trouvaient  à  proximité.  Le  tout  fut  éteint  en  quelques  minutes,  mais 
l'alerte  avait  été  vive. 

—  M.  Richard  Strauss  fait  démentir  la  nouvelle  publiée  par  plusieurs  jour- 
naux italiens  que  1" éditeur  M.  Sonzogno  l'aurait  chargé  de  mettre  en  musique 
la  Fête  de  la  Moisson,  le  livret  de  M.  Salvadori,  qui  a  été  primé  au  concours  de 
M.  Sonzogno  et  dont  M.  Mascagni  refuse  d'écrire  la  partition. 

—  L'intendance  générale  du  nouveau  théâtre  grand-duca!  de  la  Cour,  à 
Weimar.  prépare  une  reprise  de  l'Opéra  de  Méhul  Joseph  avec  des  récitatifs 
de  M.  Max  Zenger.  Sur  ce  même  théâtre,  dont  la  scène  peut  être  aménagée 
pour  contenir  un  orchestre,  ainsi  que  nous  l'avons  expliqué,  a  eu  lieu  le  pre- 
mier concert  donné  dans  ce  local.  M.  Peter  Raabe  en  avait  pris  la  direction. 
Cette  expérience,  dont  le  résultat  était  attendu  avec  une  certaine  anxiété,  a 
donné  satisfaction  à  tous  et  le  succès  en  a  été  complet.  L'acoustique  de  la 
salle  a  été  trouvée  excellente  pour  la  musique.  A  cette  séance  d'essai,  M.  Fe- 
ruccio  Busoni  s'est  fait  beaucoup  applaudir  dans  le  concerto  en  mi  bémol  de 
Liszt. 

—  Une  opérette  nouvelle  en  trois  actes,  le  Concours  de  beauté,  paroles  de 
M.  Auguste  Ûlleadorf,  musique  de  M.  Ferdinand  Hoff,  vient  d'être  jouée  pour 
la  première  fois  au  Théâtre-Municipal  de  Barmen. 

—  M.  Rimsky-Korsakow,  le  célèbre  compositeur  russe,  qui  est  décidément 
infatigable,  vient,  dit-on,  de  terminer  un  nouvel  opéra,  qui  a  pour  titre  le 
Coq  d'or. 

—  La  grande  saison  lyrique  italienne  se  prépare  à  Saint-Pétersbourg.  Ori 
annonce  les  engagements  de  Mlnes  Sigrid  Arnoldson,  Rosina  Storchio,  Lina 
Cavalieri  et  Boronat,  des  ténors  Anselmi  et  SobinolV,  des  barytons  Nani  et 
Battistini,  de  la  basse  Navarrini  et  du  chef  d'orchestre  Gino  Golisciani.  Le 
répertoire  comprendrait  les  ouvrages  suivants  :  Manon,  Don  Pasquale,  la  Favo- 
rite, Mignon,  Faust,  Rigoletlo,  Maria  di  Rohan,  Thaïs,  Roméo  et  Juliette,  Zaz-a, 
Werther,  Ernani,  Carmen,  la  Bohème,  les  IJècheurs  de  Perles  et  la  Traviata. 

—  Du  Roull  de  Moscou  (13/26  janvier  1908):  Le  12/25  janvier  1908,  l'orches- 
tre du  Conservatoire  de  la  Société  Impériale-Musicale  Russe  a  donné,  sous  la 
direction  de  M.  Francis  Casadesus.  un  concert  d'œuvres  françaises  modernes. 
Nous  avions  eu  en  novembre  1907  le  plaisir  d'entendre  ce  même  orchestre  di- 
rigé par  MM.  Edouard  Colonne  et  Georges  Marty,  les  célèbres  chefs  d'orches- 
tre français.  M.  Francis  Casadesus,  par  ses  qualités  musicales  et  sa  puissance 
d'expression,  ne  doit  rien  à  ses  illustres  prédécesseurs,  et  le  concert  d'hier  soir 
présentait  un  intérêt  considérable,  les  œuvres  inscrites  au  programme  étant 
toutes  nouvelles  pour  nos  oreilles.  D'abord  une  ouverture  de  M.  Eugène 
d'Harcourt,  le  Tasse.  Cet  ouvrage  bien  ordonnancé,  d'une  facture  nette,  est 
bien  orchestré.  Ensuite  un  poème  délicat  de  M.  Georges  Marty,  Nuit  d'été, 
écrit  à  la  manière  de  Saint-Saèns,  avec  des  sonorités  simples  claires  et  pleines 
de  charme.  Après  cette  pièce,  la  première  audition  de  la  symphonie  Scandi- 
nave de  M.  Francis  Casadesus.  Trois  parties  seulement  ;  la  première  d'un  style 
sévère  aux  harmonies  étranges,  aux  thèmes  originaux,  nous  a  un  peu  surpris, 


mais  la  deuxième  partie,  un  Largo  expressif  et  mélodique,  où  la  phrase  se  dé- 
roule et  s'enfle  sans  défaillance,  coupée  par  un  mouvement  rapide  aboutissant 
à  une  reprise  du  thème  principal  est  émolionnante.  Quant  à  la  troisième  partie, 
deux  thèmes  principaux  très  opposés  la  composent.  Le  premier,  énergique, 
brutal,  au  rythme  syncopé,  fait  ressortir  le  deuxième.  Ce  dernier,  mélodique, 
large,  se  développant  avec  ampleur  pour  aboutir  à  une  reprise  du  premier 
thème,  avec  lequel  se  mélange,  comme  en  une  apothéose,  le  thème  principal, 
du  premier  morceau.  —  En  la  seconde  partie  du  programme,  les  Impressions 
d'Italie,  de  M.  Gustave  Charpentier,  une  série  de  tableaux  intensivement  poé- 
tiques. M.  Francis  Casadesus  a  su  mettre  en  valeur  les  beautés  tour  à  tour 
réalistes  et  pastorales  de  cette  œuvre  colorée.  L'entr'acte  symphonique  de 
Messidor,  de  M.  Alfred  Bruneau,  chantant  les  moissons  fécondes  des  jours 
d'été,  et  les  Perses,  de  M.  Xavier  Leroux,  terminaient  ce  beau  programme.  — 
M.  Francis  Casadesus  a  été  accueilli  avec  enthousiasme  ;  sa  franchise,  sa  fou- 
gue, la  vie  dont  il  anime  tout  ce  qu'il  dirige,  font  que  les  sympathies  du  pu- 
blic moscovite  étaient  amplement  méritées. 

—  Du  Tchass,  Moscou  (1S/29  janvier  1908  j  :  Au  nouvel  Opéra-Zimine  la 
septième  représentation  de  Carmen  était  dirigée  par  le  musicien  français 
M.  Francis  Casadesus.  Nous  ne  pouvons  que  louer  la  direction  de  ce  théâtre 
d'avoir  profité  de  la  présence  de  ce  symphoniste  à  Moscou  pour  nous  faire 
entendre  un  opéra  français,  dirigé  par  lui.  L'œuvre  était  vivante,  active  ;  sur 
la  scène  comme  à  l'orchestre  tout  vibrait  sous  l'impulsion  de  ce  bras  vigou- 
reux. On  a  acclamé  le  chef-d'œuvre.  De  nombreux  rappels  ont  récompensé 
M.  Francis  Casadesus'de  ses  efforts. 

—  Au  Théàtre-Apolo  de  Madrid  a  eu  lieu,  sans  succès,  la  représentation 
d'un  opéra  nouveau,  intitulé  el  Paleo  de  la  presidencia,  paroles  de  M.  Michel 
Echegaray.  musique  de  M.  Jimenez.  L'ouvrage  a  été  accueilli  de  telle  façon 
par  le  public  que  les  auteurs  l'ont  retiré  aussitôt. 

—  Un  journal  étranger  annonce,  sans  en  dire  davantage,  que  MPe  Xellie 
Melba,  aidée  des  conseils  de  M.  Hammerstein,  directeur  du  théâtre  Man- 
hattan de  New-York,  est  en  train  de  former  eu  Australie  une  grande  com- 
pagnie lyrique.  Les  chœurs  eux-mêmes  seront  composés  d'Australiens. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

Le  Journal  Officiel  publie  les  deux  arrêtés  suivants  : 

Par  arrêté  en  date  du  11  février  1908,  du  ministre  de  l'instruction  publique 
et  des  beaux-arts,  M.  Guy  Ropartz,  directeur  de  l'Ecole  de  musique,  succur- 
sale du  Conservatoire  national,  à  Nancy  (Meurthe-et-Moselle),  est  nommé 
membre  du  Conseil  supérieur  d'enseignemeot  du  Conservatoire  na'ional  de 
musique  et  de  déclamation  (section  des  études  musicales),  en  remplacement 
de  M.  Messager,  devenu  membre  de  droit  de  ladite  section  en  sa  qualité  de 
directeur  du  théâtre  national  de  l'Opéra. 

Par  arrêté  en  date  du  10  février  190S,  le  ministre  de  l'instruction  publique 
et  des  beaux-arts  a  nommé  M.  de  Grammont  professeur  titulaire  du  cours 
d'histoire  et  de  littérature  dramatiques  au  Conservatoire  national  de  musique 
et  de  déclamation,  en  remplacement  de  M.  Marcel  Fouquier,  démissionnaire. 

—  Le  Musée  Carnavalet  vient  de  s'enrichir,  grâce  à  d'heureuses  libéralités, 
de  trois  portraits  particulièrement  intéressants:  un  portrait  de  Dugazon,  le 
célèbre  comique  de  la  Comédie-Française,  peint  par  Riesener,  offert  par 
M.  Félix  Doistiu  ;  un  portrait  de  Balzac  sur  son  lit  de  mort,  pastel  de  Girau- 
det,  offert  par  Mmo  Marie  Kolb.  et  le  beau  portrait  d'Alexandre  Dumas  fils, 
dû  à  M.  Edouard  Détaille,  que  M1"0  Malza,  née  Colette  Dumas,  fille  de  l'auteur 
du  Demi-Monde  et  de  la  Princesse  Georges,  a  légué  au  musée  par  testament. 

—  Signalons  à  l'Opéra  les  très  hsureux  débuts  du  ténor  Gauthier  dans  (es 
Huguenots.  Voix  chaude  et  puissante,  jeu  intelligent,  tout  a  contribué  à  son 
succès.  Très  bonne  acquisition  pour  les  nouveaux  directeurs  de  l'Opéra. 

—  A  l'Opéra-Comique,  le  ténor  Salignac  a  chanté  pour  la  première  fois  le 
rôle  de  Werther,  et  il  s'y  est  montré  le  grand  artiste  qu'on  sait.  Son  succès  a 
été  des  plus  vifs.  Très  heureux  aussi  les  débuts  de  Mlle  Chenal  dans  Aphrodite. 
Son  intelligence  scénique  et  sa  belle  voix  ont  su  triompher  des  difficultés 
d'un  ouvrage  pénible  et  sans  inspiration. 

—  Le  Comité  du  Salon  d'Automne,  qui  s'efforce  de  fournir  à  tous  les  talents 
originaux  l'occasion  de  se  produire,  annonce,  pour  son  exposition  de  1908, 
des  séances  de  musique  et  de  littérature  dont  les  programmes  seront  en 
grande  partie  composés  d'œuvres  inédites.  Le  Comité  musical  se  compose  de 
MM.  Bourgault-Ducoudray,  A.  Bruneau,  Cl.  Debussy,  Paul  Dukas,  G.  Fauré, 
Vincent  d'Indy,  A.  Magnard,  O.  Maus,  A.  Parent  et  A.  Roussel  (que  de 
musiciens  automnals  !).  Le  Comité  littéraire  comprend  M",c  de  Noailles  et 
MM.  Léon  Dierx,  A.  France,  Ch.  Gide,  G.  Kahn,  A.  Mithouard,  Ch.  Morice, 
Ch.-L.  Philippe,  .1.  Renard,  Rouché,  R.  de  Souza,  Verhaeren,  F.  Viélé- 
Griflin.  Les  jeunes  auteurs  ou  compositeurs  qui  désirent  leur  soumettre  des 
œuvres  sont  priés  de  faire  parvenir  leurs  manuscrits  -avant  le  SI  mai.  au 
secrétaire  du  Salon  d'Automne,  M.  Paul  Cornu,  4,  rue  Antoine-Roucher  (XVIe). 

—  De  M.  Jules  Râteau  dans  l'Écho  de  Paris  : 

Le  fait  est  aujourd'hui  certain  :  au  mois  d'octobre  1909,  le  Tout-Paris  sera  convo- 
qué à  l'inauguration  d'un  nouveau  théâtre.  Et  quel  théâtre  ! 

Dans  la  rue  Cambon,  en  face  les  jardins  du  ministère  de  la  Justice,  se  trouvent, 
aux  numéros  45  et  47,  deux  vieux  hôtels  avec  cours  et  jardins.  —  Cour  et  jardin, 
voilà  qui  est  bien  pour  un  théâtre  ! 

Ces  deux  immeubles  et  leurs  dépendances  couvrent  une  superficie  considérable. 
Or  une  Société  financière,  aujourd'hui   régulièrement  constituée  au  capital   de  six 


LE  MÉNESTKEL 


raillions  de  francs,  vient  d'acquérir  les   immeubles  en  question.  L'option  qui  avait      | 
été  prise  sur  cette  affaire  a  été  levée  cette  semaine,  les  signatures  ont  été  échangées. 
Les  actionnaires  de  la  Société  sont  peu  nombreux  —  pas  plus  de  douze  —  puisque 
les  participations  sont  de  cinq  cent  mille  francs  au  minimum.  Les  démolitions  vont 
commencer  incessamment  et  les  travaux  seront  poussés  activement. 

A  la  place  des  vieux  bâtiments  existants  on  verra  s'élever:  d'abord  un  superbe 
hôtel,  dont  le  luxe  ne  le  cédera  en  rien  au  lu.xe  des  grands  hôtels  récemment  cons- 
truits dans  le  quartier  des  Champs-Elysées  et  de  l'Arc-de-Triomphe,  et  puis  un  grand 
et  beau  théâtre  bâti  suivant  toutes  les  régies  du  confortable  moderne,  théâtre  comme 
nous  n'en  possédons  pas  encore  à  Paris. 

Ce  théâtre  pourra  contenir  de  quinze  cents  a  deux  mille  spectateurs.  11  sera  truqué, 
combiné  de  façon  à  ce  qu'on  puisse  y  jouer  indifféremment  la  comédie,  le  drame  ou 
la  féerie. 

—  Du  même  journal,  deux  jours  plus  tard,  sous  la  signature  de  R. 
Trébor : 

Nous  avons  annoncé  à  plusieurs  reprises  qu'il  ne  serait  pas  impossible  que 
M.  Antoine  quittai,  dans  dix-huit  mois  environ,  la  direction  de  l'Odéon,  pour  prendre 
celle  d'un  théâtre  construit  à  son  intention,  rue  Cambon. 

Une  question  se  posera  donc  à  cette  époque  :  Qui  sera  directeur  de  l'Odéon  ? 

Plusieurs  noms  ont  déjà  été  mis  en  avant,  mais  je  suis  en  mesure  d'aflirmer 
aujourd'hui  que  celui  qui  a  le  plus  de  chance  de  diriger  notre  second  Théâtre- 
Français,  dans  un  an  et  demi,  est...  M.  Jules  Claretie. 

Bien  entendu,  l'éminent  académien  n'abandonnerait  pas  son  poste  d'adminis- 
trateur de  la  Comédie-Française.  L'Odéon  serait  adjoint  à  la  Maison  de  Molière. 

Et  qu'on  ne  croie  pas  cette  idée  nouvelle.  Il  y  a  une  quinzaine  d'années,  MM.  Mark 
et  Desbeaux,  qui  venaient  d'être  nommés  directeurs  de  l'Odéon,  n'arrivaient  pas  à 
a  boucler  »  leur  commandite.  Le  ministre  d'alors  proposa  à  M.  Jules  Claretie  d'ad- 
joindre l'Odéon  a  la  Comédie.  M.  Jules  Claretie  était  consentant;  il  ne  manquait  plus 
que  l'adhésion  de  l'Assemblée  générale  des  sociétaires.  L'Assemblée  générale  allait 
être  réunie  quand  MM.  Mark  et  Desbeaux  finirent  par  compléter  leur  commandite. 

Espérons  que  ce  projet,  qui  sourit  autant  à  M.  Doumergue  qu'à  M.  Jules  Claretie, 
aboutira.  L'Odéon  reprendrait  ainsi  sa  première  destination,  qui  était  de  préparer  des 
artistes  pour  la  Comédie  et  de  donner  les  œuvres  de  jeunes  autours  et  poètes  de 
talent  que,  faute  de  place,  on  ne  peut  jouer  rue  Richelieu. 

Bref,  le  public  serait  heureux  et  de  voir  M.  Antoine  revenu  sur  les  boulevards  et  de 
voir  XI.  Jules  Claretie  qui,  depuis  bientôt  vingt-trois  ans,  dirige  si  heureusement  la 
Maison  de  Molière,  prisider  également  aux  destinées  de  l'Odéon. 

—  C'est  vers  le  milieu  de  la  semaine  qu'on  compte  pouvoir  donner  au 
théâtre  des  Variétés  la  reprise  de  la  grande  opérette  populaire  d'Offenbaeh  : 
Geneviève  de  Brabant.  La  mise  en  scène  de  l'opéra-féerie  de  Jacques  Offenbach 
sera  considérable  :  il  n'y  a  pas  moins  de  cent  soixante  exécutants  et  de  quatre 
cents  costumes  dessinés  par  les  maitres  du  genre  :  Edel  et  Gerbault.  Le.s  dé- 
cors sont  au  nombre  de  cinq  :  1°  La  grande  place  de  Curaçao,  décor  de  Le- 
meunier:  "2"  Le  boudoir  de  Geneviève  de  Brabant,  décor  d'Amable  ;  3°  Le 
départ  pour  la  Croisade,  décor  de  Paquereau  ;  4°  La  grotte  de  la  sorcière,  dé- 
cor de  Chambouleron  et  Mignard  ;  5°  Les  jardins  d'Armide,  décor  d'Amable. 
—  Geneviève  de  Brabant  fut  créé  aux  Bouffes-Parisiens,  le  19  novembre  1859, 
par  Désiré,  Bonnet,  Léonce  et  MUe  Tautin  et  comportait  deux  actes  et  sept 
tableaux.  Cet  opéra  bouffe,  agrandi  et  remanié  par  ses  auteurs,  fut  repris  au 
théâtre  des  Menus-Plaisirs,  le  -20  décembre  1867,  avec  Zulma  Bouffar  comme 
étoile,  et  il  fut  encore  l'objet  d'une  transformation  presque  complète  et  converti  en 
opéra-féerie  en  cinq  actes  et  quatorze  tableaux  pour  les  représentations  en 
18"S,  au  théâtre  de  la  Gaité,  dont  Jacques  Offenbach  était  devenu  le  directeur. 
Les  rôles  principaux  étaient  joués  à  cette  reprise  par  MM.  Christian,  Montau- 
bry,  Habay,  Grivot,  Legrenay,  Gabel,  Scipion,  M1™  Thérésa,  Berthe  Perret 
et  Matz-Ferrare.  C'est  cette  dernière  version  resserrée  en  trois  actes  que  vont 
représenter  les  Variétés.  Les  rôles  des  deux  célèbres  hommes  d'armes  intro- 
duits dans  la  pièce  pour  la  reprise  aux  Menus-Plaisirs  seront  interprétés  avec 
grande  fantaisie  par  MM.  Brasseur  et  Moricey. 

—  Le  15e  samedi  de  la  Société  de  l'Histoire  du  Théâtre  aura  lieu  aujourd'hui 
15  février,  à  cinq  heures,  au  Théàtre-Sdrah-Bernhardt.  Il  comprendra  une 
causerie  de  M.  Georges  Loiseau  sur  «  les  Poèmes  d'Edmond  Rostand  »  et  le 
proeramme  suivant  de  récitations  et  d'auditions  de  poésies  de  l'auteur  de 
Cyrano  : 

An  ciel,  par  XI.  Jacques  de  Féraudy;  la  Brouette,  par  XI.  Xlaurice  de  Féraudy; 
Vieu r  conte,  par  Xt"°  Andrée  Pascal;  la  Ballade  du  petit  manchon,  par  M""  Gabrielle 
Robinne  ;  le  Pare  (avec  adaptation  musicale  de  M.  André  Fijani,  par  XI.  Albert  Lam- 
bert 111s;  l'Oublieuse,  par  XI.  de  Max;  la  Pastorale  des  cochons  roses  imusique  de 
Chabrieri,  par  XI.  Dutilloy;  Ballade  des  dindons  (musique  de  Chabrier),  par  M"°  Dié- 
terle. 

—  A  la  salle  Monceau,  lundi  dernier,  concert  entièrement  consacré  aux 
œuvres  de  Théodore  Dubois.  On  y  entendit  son  beau  quatuor  pour  instru- 
ments à  cordes,  dont  l'allégro  tut  bissé,  ses  deux  pièces  pour  violoncelle 
Andante-Canlabile  et  Menuet,  ses  deux  pièces  pour  violon,  Andnnle  et  Scherzo- 
valse,  le  charmant  duettino  d'amore  pour  violon  et  violoncelle,  l'Hymne  nuptial 
en  quatuor,  —  toutes  pièces  remarquablement  interprétées  par  Mil.  Lederer, 
Michaux  et  Liégeois.  L'excellente  pianiste,  Ml,c  Mary  Weingartner,  qui  s'était 
déjà  distinguée  dans  l'exécution  du  quatuor,  a  interprété  seule  et  avec  un 
gros  succès  la  superbe  »  Étude  de  concert  »  en  ré  bémol  et  la  Source  enchantée 
des  Poèmes  sylvestres.  Mnlc  Guionie  de  l'Opëra-Comique  a  chanté  excellem- 
ment Écoute  la  Symphonie  et  Dormir  et  rêver  (bissé),  et  M.  Mauguière  Au  bord 
de  l'eau  et  Poème  de  mai  (bissé).  Enfin  les  deux  chanteurs  réunis  ont  encore, 
fait  bisser  le  duo  de  Xavière.  Tout  un  programme  de  saine  musique' qui  a  été 
vivement  apprécié. 

—  A  la  dernière  matinée  du  «  Lied  Moderne  »,  vif  succès  pour  les  œuvres 
d'Ernest  Moret.  D'abord  tout  un  cycle  de  belles  mélodies  chantées  par 
M.  G.  Mauguière  et  Mme  Marteau  de  Milleville  :  Tendresse,  Sérénade  florentine, 


l'Heure  inoubliable,,  A  vous  ombre  légère,  Devant  le  ciel  (Pété  (bissé),    /"   Lettre, 

Il  pleut  d'-s  priâtes  de  fleurs.  Soir  d'i-i,-,  etc.,  etc.   Ensuite  quelques  pi 
violon   remarquablement  exécutées  par   M.  Bilewski  :  Ariette,  Lied,    I 
pour  un  soir  d'automne    (bissée).  On  finissait  par  des   œuvres  d'Arthur    Co- 
quard. 

—  Les  Trente  Ans  de  Théâtre,  qui  reprendront  ce  mois-ci,  comme  chaque 
année,  les  représentations  de  faubourgs,  donneront  le  mardi  ïi,  au  Théàlre- 
Fémina,  une  soirée  hors  série  en  l'honneur  de  la  création  de  leur  dispen- 
saire. Cette  soirée  de  gala  sera  composée  d'un  superbe  programme  réservé 
aux  artistes  non  professionnels.  On  y  entendra  le  dernier  acte  d'O 
Verdi,  chanté  en  costumes,  à  orchestre,  sous  la  direction  de  M.  Paul  Vidal, 
avec  la  mise  en  scène  de  l'Opéra,  par  la  délicieuse  cantatrice  acclamée  dans 
toutes  les  réunions  mondaines  :  M""'  Charles  Max,  et  c'est  M.  Le  Lubez. 
l'exquis  ténor,  qui  chantera  le  rùle  d'Othello.  L'art  dramatique  sera  repré- 
senté par  le  ravissant  Bohémos,  de  M.  Zamacoïs,  qui  aura  pour  interprètes  — 
et  cela  est  tout  dire  —  MM.  Marcel  de  Germiny,  Henri  de  Bermingham  et 
M"e  Barretta,  la  charmante  nièce  des  éminents  artistes  de  la  Comédie-Fran- 
çaise.  Enfin,  M.  Paul  Ferrier  a,  pour  la  circonstance,  fait  une  comédie  qui 
est,  parait-il,  un  chef-d'œuvre  de  grâce  souriante,  la  Suit  <!■■  Février,  dont 
l'interprétation  sera  confiée  à  deux  de  nos  artistes  les  plus  aimés.  On  peut  dès 
aujourd'hui  s'inscrire  pour  cette  représentation  (2)  francs  la  place),  soit  .i 
Fémina,  soit  au  siège  des  Trente  Ans  de  Théâtre,  o,  rue  Molière. 

—  Le  concert  donné,  salle  Erard,  par  M"c  Henriette  Renié,  fut  particulière- 
ment brillant.  Jamais  la  jeune  et  célèbre  harpiste  ne  fut  plus  justement  accla- 
mée pour  son  jeu  si  personnel,  sa  merveilleuse  technique.  Parmi  les  pièces 
les  plus  applaudies  citons  une  pièce  de  concert  pour  harpe  et  six  instruments, 
de  M.  Henri  Busser,  une  Fantaisie,  de  M.  Cesare  Galeolti,  très  captivante  en 
son  chromatisme  savoureux  et  lu  Ballade  fantastique  de M"e Renié.  Mmc  Georges 
Marty  eut  sa  bonne  part  de  succès  avec  les  Stances  de  Sapho,  de  Gounod,  et 
quatre  mélodies  charmantes  de  son  mari  :  Brunelte,  Chanson,  Fleurs  fonces  et 
la  Sieste,  que  celui-ci  lui  accompagnait. 

—  Du  journal  lu  Dépêche  de  Toulouse,  à  propos  du  dernier  concert  sym- 
phonique  dirigé  par  M.  Crocé-Spinelli  :  «  ....  Mais,  il  faut  bien  le  reconnaître, 
toutes  les  faveurs  du  public  sont  allées,  dans  la  soirée  d'hier,  aux  Chants  de 
Fètc,  de  notre  distingué  compatriote,  M.  Georges  Guiraud,  fils  de  notre  confrère 
en  critique,  M.  Orner  Guiraud.  On  sentait  que  l'auditoire  retrouvait  dans  ces 
deux  pièces  quelques-unes  des  qualités  du  terroir,  ordre,  clarté,  émotion  et 
pureté  mélodiques.  En  tous  cas,  malgré  leur,  modernisme  harmonique,  ces 
deux  œuvres  ont  été  à  la  fois  comprises  et  aimées  du  premier  coup,  par  le 
nombreux  public  de  connaisseurs,  qui  assistait  à  ce  quatrième  concert.  Les 
deux  pièces  se  déroulent  dans  le  décor  breton.  La  première,  Pour  lo  Toussaint, 
évoque  la  longue  théorie  des  veuves,  des  amantes  et  des  mères  de  marins, 
allant  déposer  des  fleurs  et  des  couronnes  à  la  chapelle  des  Trépassés  près  de 
Paimpol.  La  marche  qui  se  déroule  est  lente,  grave,  évocatrice.  Et  la  voix  du 
récitant  qui  s'élève  au-dessus  de  ce  rythme  de  procession,  dominant  aussi  le 
bruit  des  vagues  qui  viennent  battre  le  pied  de  la  falaise  et  parfois  s'écrasent 
en  tempête,  décrit  avec  élégance  la  grandeur  triste  de  ce  souvenir  aux  ■  Morts 
en  mer  '.  »  La  deuxième,  Pour  l'Assomption,  déjà  interprétée  par  la  Société  du 
Conservatoire  il  y  a  quelques  années,  est  encore  dans  la  note  bretonne.  Mais 
ici  les  thèmes  sont  tout  à  la  joie  :  habilement  traités  par  le  jeune  maître,  ils 
passent,  repassent,  disparaissent  pour  reparaître  encore,  dans  toute  leur  bon- 
homie naïve,  comme  les  rustiques  farandoles  des  «  pardons  ■>  de  Bretagne. 
Largement  déclamés  par  M.  Boulogne,  le  talentueux  baryton,  qui  reparaissait 
hier,  en  pleine  forme,  après  quelques  semaines  de  maladie,  ces  deux  poèmes 
ontvalu  au  jeune  compositeur  et  à  ses  interprèles,  M.  Boulogne,  M.  Crocé- 
Spinelli  et  les  artistes  de  la  Société,  le  plus  vif  et  le  plus  franc  succès.  Accla- 
mé, M.  Georges  Guiraud  a  du,  par  deux  fois,  paraître  sur  la  scène.  Nous 
joignons  bien  sincèrement  nos  compliments  à  ceux  du  public. 

A  un  grand  concert  organisé  à  Lyon  par  Mme  Mauvernay,  tout  un  lot  de 

mélodies  do  Louis  Diémer  ont  obtenu  un  vrai  succès  :  Les  Ailes,  Menuet, 
Inquiétude,  Essor,  etc.,  etc. 

Louis  Diémer    a  été   fort  acclamé  au  dernier  concert  symphonique  de 

Grenoble  où  il  exécuta  le  quatrième  concerto  de  Saint-Saëns,  quelques  pièces 
de  Chopin,  Rameau  et  Liszt  et  avec  son  brillant  élève  déjà  maître,  Georges 
de  Lausnay,  sa  ravissante  Sérénade  à  deux  pianos  et  le  Scherzo  de  Saint- 
Saëns. 

De  Toulouse  :  le  Conseil  municipal  a  nommé  MM.  Broca  frères,  pour  une 

période  de  trois  ans.  directeurs  du  théâtre  du  Capitole,  en  remplacement  de 
M.  Justin  Bover,  directeur  actuel.  MM.  Broca  frères  sont  actuellement  direc- 
teurs du  théâtre  de  Montpellier.  M.  Justin  Boyer,  qui  était  en  fonctions  depuis 
six  années   sera  vivement  regretté  par  le  public  de  Montpellier. 

De   Nice,  on   nous   signale   la   profonde  impression    produite,   l'autre 

semaine,  aux  Capucines-Niçoises,  par  Mmc  Georgette  Leblanc,  dans  une  série 
de  poèmes  de  M.  Maurice  Maeterlinck  et  de  Mmc  Judith  Gautier  mis  eu  mu- 
sique par  Gabriel  Fabre  (Chansons  de  Maeterlinck  et  Poèmes  île  jade).  Tour  à 
tour  comme  conférencière  et  comme  cantatrice,  la  brillante  artiste  s'est  fait 
longuement  applaudir. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

petit   orgue  à  tuyaux  ou  harmonium, 
système  américain,  2  claviers,  pédalier, 
rue  Réaumur,  Paris. 


ON  DÉSIRE  ACHETER 

Ecrire  avec  détails,  M.  Guillot.  1 


56  LE  MÉNESTREL 


En  vente  AU  MENESTREL.    2  bis,   rite    Vivienne,    HEUGEL  ET   Ç%    éditeurs 

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BALLET  Jp        ^^        |— ^       Zjk  J        /\  BALLET 

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PIÈCES    EXTRAITES    POUR    PIANO 

Prix  nets. 


I.  Madrilena I  50 

II.  Panaderos 1  50 

III.  Petite  Valse 1     » 


IV.   Boléro 1  50 

V.   Toréador  et  Andalouse 2     » 

VI.  La  Danse  de  la  Mercedes 2     » 


Musique  de 

J.     M  AS3_E  NET 

En   préparation  :   SUITE    D'ORCHESTRE 


En  pente  AU  MENESTREL,  2  bis,  rue  Vivienne,  HEUGEL  et  C'e,  éditeurs-propriétaires . 


REPRISE    DU    THÉÂTRE    DES    VARIÉTÉS 

GENEVIÈVE  DE  Bf^ABflflT 

"*"*'  Grand    Opéra   Bouffe                                      *^4' 

LIVRET  m                                                     LIVRET 

De   MM.   HECTOR   CRÉMIEUX  t        ApppMRflfH  De   MM'   HECT0R   CRÉMIEUX 

et    ETIENNE    TRÉFEU  "                                                                       et    ETIENNE    TRÉFEU 

Partition  piano  et  chant,  net  :  12  francs.  —  Partition  piano  solo,  net  :  7  francs 

MORCEAUX    DE    CHANT    DÉTACHÉS  -  ARRANGEMENTS    POUR    PIANO 

MUSIQUE  DE   DANSE 

En    vente   AU  MÉNESTREL,    2    bis,    rue    Vivienne,    HEUGEL   ET   C'c,    éditeurs 

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Pour  être  exécuté  prochainement  aux  Concerts-Lanioureux 


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Poème    de    Paul    REBOUX 
MUSIQUE    DE 

REYNALDO      HAH1X 

Partition  piano  et  chant Prix  net    10  francs. 

Chaque  partie  de  chœurs —  2  francs. 

N.  B.    —    S'adresser   AU    MÉNESTREL    (2  bis,    rue    Vivienne),    pour    la    location    des    parties    d'orchestre 

et    des    parties    de   choeurs. 


Samedi  ii  Février  i!)08. 


4(M3.  -  74°  ANNÉE.- N°  8.  PARAIT  TOUS   LES   SAMEDIS 

(Les  Bureaux,  2 b,s,  rue  Tivienne,  Paris,  n-  m') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


Ite  HoméFo  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Ite  fluméro  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  — Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  ea  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (9«  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  première  représentation  iVEspada  et  reprise  de  Thérèse  au  Théâtre  de  Monte-Carlo,  Paul-Emile 
Chevalier;  première  représentation  des  Tribulations  d'un  Gendre  3.1  Théàtre-Cluny,  Amédf.e  Boutarel.  —  III.  Revue  des  grands  concerts.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  "i 
nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

LANGAGE  D'AMOUR 

mélodie  de  Jean  Déké,  sur  des  paroles  de  Mmc  Carmen  Codou.  —  Suivra 

immédiatement  :    La  Grâce  suprême,  nouvelle  mélodie  de  René  Lenormand. 

poésie  de  E.  Beaufils. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 

TORÉADOR  ET  ANDALOUSE 

danse  extraite  du  ballet  de  J.  Massenet,  Espada.  —  Suivra  immédiatement: 

Gavotte,    extraite    du    ballet    Zino-Zina,    de   Paul    Vidal,    livret    de    Jean 

RlCIIEI'lN. 


SOIXANTE     ANS     DE     LA    VIE     DE     GLUCK 


(±T  X^-±TT^) 


CHAPITRE   III  :    Gluck   compositeur   italien 


Il  fallait  pourtant  bien  que  les  compositeurs  s'ingéniassent  à 
tirer  parti  de  ces  formes,  puisque  l'emploi  leur  en  était  ordonné. 
De  fait,  ces  airs  d'opéras  n'étaient  autre 
chose  que  des  sonates  vocales  :  il  appar- 
tenait aux  auteurs  de  les  mettre  en  valeur 
par  des  oppositions  analogues  à  celles  de 
la  musique  instrumentale.  A  cette  ordon- 
nance purement  musicale,  Gluck  s'enten- 
dait très  bien  :  toute  la  partition  de  Demo- 
foonte    en     témoigne.     Les    mouvements 
vifs  et  lents  s'y  entremêlent.  Tantôt  la  voix 
chante  presque  à  découvert,  sur  un  accom- 
pagnement simple,  tantôt    au    contraire 
elle  concerte  avec  les  instruments.  Dans 
l'air   de  bravoure  de  la  fin  du  premier 
acte,  un  de  ces  chanteurs  extraordinaires 
comme  en  vit  le  dix-huitième  siècle,  Gio- 
vanni Carestini  (sa  voix  avait  l'étendue  du 
ténor  et  du  soprano  tout  ensemble,  de  ré2 
à  sol1)  luttait  bravement  avec  les  fanfares 
des  trompettes  et  des  cors,  et  prolongeait 
clans  le  grave  de   longues  tenues  tandis 
que  les  violons  faisaient  circuler  à  l'aigu 
des  dessins  brillants  aux  notes  nombreu- 
ses. Puis,  à  côté,  Cherinto,  le  jeune  prince 
que  nous  avons  vu  naguère  si  désespéré, 
chantait   une   tendre    cantilène,   dans   le 
dessin  de  laquelle  il  nous  semble  recon- 
naître la  jolie  ligne  mélodique   du    menuet   sur   lequel,    aux 
Champs-Elysées,  les  Ombres  heureuses  ramènent  discrètement 
Eurydice  à  Orphée.  Matusio,  qui  avait  si  excellemment  ouvert 
l'opéra  par  le  premier  air,  en  chante  un  autre,  au  troisième  acte, 


BENEDETTO  MARCELLO  auteur  du  Teatro  alla  Moda. 


qui  ne  le  cède  en  rien  :  un  véritable  morceau  de  situation,  d'une 
rondeur  joviale,  presque  comique,  et  cela  est  fort  bien,  puisque 
c'est  par  cet  air  que  le  vieillard  vient 
révéler  que  Dircea  est  la  fille  du  roi, 
pensant  ainsi  remplir  d'aise  tout  le  monde. 
Voici  l'exposition  de  ce  morceau. 

|  Voir  ci-après,  air  de  Matusio.' 

Parmi  les  cantilènes  traitées  avec  le 
plus  d'amour  par  les  nombreux  maestri 
qui  mirent  en  musique  le  Demofoonte  de 
Métastase,  il  faut  compter  celle  qui  com- 
mence par  le  vers  :  Misero  pargoletto.  Ce 
morceau  est  chanté  par  Timante  au  mo- 
ment où,  venant  d'apprendre  que  la 
femme  qu'il  a  rendue  mère  est  sa  sœur, 
il  aperçoit  l'enfant,  qu'on  lui  amène  juste 
à  la  même  minute.  Il  s'apitoie  sur  ce  pro- 
duit du  fâcheux  inceste  :  «  Pauvre  petit  ! 
Tu  ne  sais  pas  quel  est  ton  malheur  !  » 
Un  public  moderne  ne  laisserait  pas 
d'accueillir  cette  situation  par  quelques 
sourires,  mais  cela  suffisait  au  XVIII 
cle  pour  déterminer  le  summum  de  l'émo- 
tion, et  comme  il  s'agit  du  cantabilc  d'onze 
heures  du  soir,  les  compositeurs  se  sont 
mis  en  grands  frais  d'inspiration  pour  ha- 
biller ces  pauvres  paroles.  Hasse  a  écrit 
pour  elles  un  bel  andante.  dont  la  pureté 
mélodique  et  l'élégance  d'ornementation  l'ont  pressentir  Mozart. 
Je  connais  aussi  une  jolie  canzone  de  Léo,  du  meilleur  style  de 
mélodie  italienne.  Gluck,  dont  l'inspiration  est  toujours  grave, 
a  mis  là  un  chant  d'un  beau  style    classique,  qui   peut  faire 


58 


LE  MÉNESTREL 


1      l 


AIR  DE  -MATDSIO  iDébuii 


pressentir  de  loin  les  chants  d'Orphée  :  «  Laissez-vous  toucher 
par  mes  pleurs.  »  En  voici  les  premières  mesures  : 


Largo 


Quant  à  l'unique  duo  chanté  à  la  fin  du  second  acte  par  les 
époux  que  la  fatalité  sépare,  la  plupart  des  compositeurs  l'ont 
écrit  de  manière  à  donner  raison  à  l'auteur  du  Théâtre  à  la  mode, 
lorsqu'il  posait  en  précepte  que,  dans  ces  sortes  de  situations,  il 
faut  faire  entendre  une  musique  gaie  pour  dissiper  la  tristesse 
du  public.  Les  paroles  écrites  par  Métastase  s'y  prêtaient  à  mer- 
veille :  Timante  et  Dircea  vont  être  jetés  en  prison;  ils  n'en 
sortiront  que  pour  mourir:  ils  se  font  donc  leurs  adieux,  mais 
en  quels  termes  galants!  L'époux  requiert  de  sa  femme  la  licence 
de  lui  prendre  la  main  ;  et  ils  se  chantent,  en  unissant  les  voix, 
les  choses  les  plus  aimables!  Encore,  chez  Gluck,  le  style  mu- 
sical garde -t-il  quelque  chose  de  son  austérité  naturelle;  mais 
combien  peu  d'autres  observent  la  même  réserve  1  Les  Gloires 
de  l'Italie  ont  donné  la  transcription  du  duo  que  Léo  a  écrit  sur 
les  mêmes  paroles,  pour  Naples  :  la  musique  en  est  agréable  et 
légère;  elle  serait  parfaitement  à  sa  place  dans  un  opera-buffa, 
interprétée  par  Léandre  et  Zerbinette. 

L'analyse  que  nous  venons  de  faire  de  cet  opéra  de  Gluck, 
le  premier  dont  l'ensemble  soit  venu  jusqu'à  nous,  pourrait  suffire 
à  donner  une  idée  de  son  art  pendant  cette  partie  de  sa  carrière, 
et  nous  nous  en  tiendrions  là,  complétant  seulement  ces  indi- 
cations musicales  par  quelques  autres  tirées  d'œuvres  moins 
intégralement  conservées,  si  nous  ne  nous  trouvions  obligés  de 
nous  arrêter  pour  élucider  un  point  d'histoire  qui  vient  s'offrir 
à  notre  attention  ici  même,  et  sur  lequel,  par  surcroît,  il  n'y  a 
que  très  peu  de  temps  que  la  lumière  a  été  portée. 

Les  précédents  biographes  ont  établi  que,  Demofoonte  ayant  été 
donné  à  Milan  pour  le  carnaval  de  1743,  Gluck  occupa  les  mois 
qui  suivirent  à  l'élaboration  d'un  autre  opéra,  qui  fut  repré- 
senté, à  l'automne  de  la  même  année,  dans  une  autre  ville. 
Schmid,  Fétis,  et  tous  ceux  qui  les  ont  copiés,  ont  désigné  pour 
titre  de  cet  opéra  :  Artamène,  et  pour  lieu  de  représentation  : 
Crémone.  En  rédigeant  son  catalogue  thématique,  M.  Wotquenne 
a  été  amené  à  constater  qu'aucun  opéra  de  Gluck  n'a  été  joué  à 
Crémone,  tandis  qu'un  recueil  de  ses  airs  porte,  sur  plusieurs 
titres,  l'indication  du  théâtre  de  Crema,  et  parfois  la  date  de 
1743,  ainsi  que  certains  noms  de  chanteurs.  De  là  à  conclure 
qu'on  avait  confondu  à  tort  Crémone  avec  Crema,  il  n'y  avait 
qu'un  pas.  C'était  bien,  mais  ce  n'était  pas  encore  assez  :  il  aurait 


fallu  dire,  pour  être  tout  à  fait  dans  la  vérité,  que  Y  Artamène  de 
Crémone,  non  seulement  n'est  pas  de  Crémone,  mais  encore 
n'est  pas  Artamène.  C'est  ce  qui  nous  a  été  démontré  récemment,, 
et  ce  que  nous  allons  confirmer  à  notre  tour. 

D'après  le  catalogue  de  M.  Wotquenne,  Artamène,  quatrième 
opéra  de  Gluck,  aurait  été  représenté  à  Crema,  à  une  époque 
incertaine  de  l'année  1743,  et  aurait  eu  pour  interprètes  quatre 
artistes  dont  les  noms  sont  désignés  ;  il  serait  écrit  sur  un  livret 
du  vénitien  Bartolomeo  Yitturi,  déjà  mis  en  musique  par  deux 
compositeurs  :  Fiorillo  et  Albinoni,  et  dont  le  principal  person- 
nage estunprinceindien.il  convient  d'ajouter  que,  au  commence- 
ment de  mars  1746,  Gluck  fit  représenter  à  Londres  xm  Artamène 
dont  la  musique  est  tout  autre  que  celle  de  l'ouvrage  donné 
à  Crema  en  1743  :  il  aurait  donc  ainsi  composé,  à  quelques 
mois  de  distance,  deux  ouvrages  différents  sous  le  même  titre 
et  sur  le  même  sujet. 

Malheureusement,  le  livret  imprimé  pour  les  représentations 
de  Crema  avait  échappé  à  toutes  les  recherches.  Par  contre,  le 
recueil  manuscrit  du  Conservatoire  de  Paris  contenait  clés  airs 
dont  vingt  (y  compris  un  duo)  parurent  à  M.  Wotquenne  appar- 
tenir à  cet  opéra  :  il  en  inscrivit  donc  les  thèmes  sous  le  titre 
d' Artamène,  et,  aucun  document  ne  lui  permettant  de  connaître 
la  place  que  chaque  morceau  devait  occuper  dans  la  pièce,  il 
les  classa  par  ordre  alphabétique. 

Il  ne  m'avait  pas  échappé  que  les  raisons  d'attribuer  à  l'opéra 
de  Crema  plusieurs  morceaux  compris  dans  cette  énumération 
étaient  assez  faiblement  déduites,  ou,  pour  mieux  dire,  complète- 
ment omises.  Tout  d'abord,  aucun  des  airs  (du  moins  ceux  de  cette 
période)  qui  forment  l'ensemble  de  notre  précieux  manuscrit  ne 
porte  le  titre  de  l'opéra  d'où  il  est  tiré.  Quand  le  livret  est  là, 
tout  va  le  mieux  du  monde  :  il  suffit  de  comparer  les  vers 
imprimés  et  copiés  de  part  et  d'autre  pour  mettre  chaque  air  à 
sa  place.  Mais  dans  le  cas  présent,  ce  document  faisant  défaut,  il 
faut  bien  s'en  tenir  aux  indications  des  copies  ;  or,  les  seules 
qu'on  y  trouve  sont  la  mention  du  théâtre  de  Crema,  inscrite  sur 
six  morceaux,  parfois  avec  la  date  de  1743,  et  les  noms  des  inter- 
prètes, ceux-ci  inscrits  encore  sur  quatre  autres  morceaux:  au 
total,  dix  sur  la  nature  desquels  notre  document  renseigne.  Pour 
les  dix  autres  compris  sous  le  même  titre,  je  n'ai  pas  connais- 
sance que  rien  ait  pu  autoriser  à  les  grouper  avec  les  précé- 
dents. 

D'autres  objections  m'apparaissaient  encore.  Cette  composition 
de  deux  Artamène  à  trente  mois  de  distance  était  bien  peu  vrai- 
semblable. Un  air,  sur  lequel  des  raisons  tout  particulièrement 
intéressantes  ont  attiré  l'attention,  commence  par  ce  vers  : 
«  Presso  l'onda  d'Acheronte  »  ;  mais  que  vient  faire  l'Achéron  dans 
un  sujet  indien  ?  11  ne  fallait  rien  moins  que  la  connaissance 
approfondie  du  sujet  qu'a  M.  Wotquenne,  et  la  haute  autorité  de 
M.  Gevaert  (qui,  dans  la  préface  de  son  édition  d'Armide,  assure 
que  l'air  dont  on  vient  de  lire  les  premières  paroles  provient 
d'Artamène)  pour  m'incliner  à  tenir  pour  fondé  ce  qui  ne  me 
paraissait  être  qu'une  hypothèse   fragile,  et  je  me   disposais  à 


LE  MENESTREL 


l'écrire  quand  —  le  jour  même  où  je  m'y  préparais  —  j'eus 
connaissance  d'une  étude  qui,  en  corroborant  tous  mes  doutes, 
a  permis  d'apercevoir  enfin  toute  la  vérité. 

{A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Monte-Carlo  :  Éspada,  ballet  en  un  acte,  de  M.  René  Maugars, 
musique  de  M.  J.  Massenet  ;  reprise  de  Thérèse. 

Pour  accompagner  sur  l'affiche  la  reprise  de  Thérèse,  le  triomphe  de 
la  saison  dernière,  et  faire  ainsi  une  «  soirée  Massenet  »,  la  direction  a 
décidé  l'auteur  de  Werther  à  composer,  sur  un  scénario  de  M.  René 
Maugars,  le  ballet  en  un  acte  dont  nous  venons  d'avoir  la  première 
représentation.  Et  cette  «  soirée  Massenet  »  comptera  encore,  et  dou- 
blement cette  fois,  parmi  les  soirées  sensationnelles  de  l'Opéra  de 
Monte-Carlo. 

Espaça,  c'est  espagnol;  il  semble  inutile  d'y  insister.  Donc  en  une 
posada,  proche  la  plaza  de  toros,  règne  toute  séduisante  la  belle  Anitra, 
•dont  les  danses  lascives  et  la  souple  beauté  captivent  tous  les  habitués 
•de  l'endroit  populaire., Seul  Alvear,  l'espada  renommée,  reste  indiffé- 
rent. Anitra  s'offense  de  pareille  froideur.  Il  faut  qu'Alvear  soit,  lui 
aussi,  à  ses  genoux.  Ce  que  femme  veut...  Et  le  beau  toréador  est  pris 
aux  filets  de  l'enchanteresse  qui,  elle-même,  se  met  à  le  profondément 
aimer. 

La  fanfare  annonçant  le  commencement  de  la  corrida  résonne  au 
dehors.  Alvear  doit  aller  combattre  le  taureau  et  Anitra,  hantée  de 
fâcheux  pressentiments,  supplie  le  nouvel  adoré  de  ne  point,  aujour- 
d'hui tout  au  moins,  risquer  sa  chère  vie.  Alvear  est  l'esclave  du  devoir. 
Il  part.  Et  voilà  que,  soudain,  rentrent  des  hommes  à  la  mine  sombre, 
une  rumeur,  dont  la  signification  n'échappe  pas  à  Anitra,  parvient 
jusqu'à  la  posada.  Il  y  a  eu  un  accident  à  la  plaza.  Si  c'était  Alvear  ! 
Mais  les  habitués,  indifférents  et  tapageurs,  réclament  leur  danseuse 
préférée,  et  le  patron,  brutalement,  force  Anitra,  inquiète,  anxieuse, 
•éplorée,  à  redanser  le  «  Pas  de  la  Mercedes  ».  L'oreille  aux  aguets,  le 
cœur  serré,  les  jambes  flageolantes,  elle  tourbillonne  entre  les  tables 
■des  buveurs  excités,  jusqu'au  moment  où  l'on  rapporte  le  corps  san- 
glant d'Alvear  !  Alors  la  danse  de  la  belle  devient  frénétique,  incohé- 
rente, sublime  dans  sa  folie  douloureuse,  jusqu'au  moment  où  elle 
tombe  inanimée  à  côté  du  cadavre  de  l'espada. 

Il  est  aisé  de  pressentir  tout  ce  qu'un  artiste  tel  que  M.  Massenet  a 
pu  dépenser  de  fougue,  de  couleur,  de  jeunesse,  de  débordante  passion 
■en  un  pareil  sujet:  de  sa  merveilleuse  palette  orchestrale  sortent 
toutes  les  rutilances  de  l'Espagne  ensoleillée,  remuante,  populaire  et 
sensuelle.  La  lumière,  la  joie,  le  désir,  comme  aussi  la  douleur,  sur- 
gissent en  tons  chauds,  en  rythmes  enivrants,  en  sonorités  éclatantes. 
Les  dauses  vous  entraînent,  les  élans  amoureux  vous  prennent;  et 
l'oeuvre  s'achève,  dans  son  mouvement  endiablé,  alors  que  l'on  s'ima- 
gine qu'elle  vient  à  peine  de  commencer  ! 

Pour  établir  le  personnage  d'Anitra,  il  fallait  une  danseuse  qui  fût 
inoins  danseuse  que  mime  dramatique  :  M"e  Trouhanowa,  que  nous 
n'avons  pas  à  présenter  aux  Parisiens,  puisqu'elle  parut  à  l'Opéra  à  la 
fin  de  la  direction  Gailhard,  a,  en  cette  occasion,  prouvé  des  qualités 
d'intelligence  et  d'expression  particulières.  On  l'a  légitimement  associée 
au  grand  succès  de  la  partition.  Elle  est,  d'ailleurs,  fort  joliment  en- 
cadrée par  le  corps  de  ballet  de  Monte-Carlo  et  par  une  mise  en  scène 
dans  laquelle  M.  Gunsbourg  a  pu  donner  libre  cours  à  son  goût  pour 
les  figurations  nombreuses  et  turbulentes. 

Et  nous  avons  très  grand  plaisir  à  noter,  une  fois  encore  en  ces 
■colonnes,  les  applaudissements,  les  ovations  et  les  bis  qui  saluèrent 
la  reprise  de  Thérèse.  Faut-il  rappeler  toute  la  poésie,  tout  le  charme, 
toute  l'éloquente  évocation  d'un  passé  aimable  et  séduisant  qui  se  dégagent 
•du  premier  acte,  et,  contraste  supérieurement  théâtral,  l'impression  de 
trouble,  de  saisissement,  de  terreur  qui  vous  étreint  au  second  acte  "? 
Faut-il  redire  l'empreinte  humainement  vibrante  et  superbement  tra- 
gique donnée  par  M"e  Lucy  Arbell  au  rôle  de  Thérèse,  dont  elle  fut 
l'inoubliable  créatrice  ?  Tout  cela  est  encore  trop  présent  à  la  mémoire, 
—  un  an  à  peine  s'est  écoulé  depuis  la  première  représentation  —  pour 
qu'il  soit  utile  d'y  revenir  autrement  que  pour  constater  que  l'œuvre 
exquise  et  émotionnante  et  sa  très  personnelle  interprète,  à  qui  on  a 
redemandé,  au  second  acte,  la  belle  phrase  :  «  Ah  !  viens,  partons  », 
ont  retrouvé,  de  la  part  des  spectateurs,  le  même  bel  enthousiasme. 


A  M.  Clément,  «jui  l'ut  le  premier  Armand,  élégant,  enjôleur,  à  la 
voix  de  caresses,  à  M.  Dufranne,  qui  fat  le  premier  André,  mâle,  gran- 
diloquent, à  l'organe  tour  à  tour  viril  et  ému,  ont  suça 
son.  MM.  Roussëlière  et  Bouvet.  Si  M.  Bouvet  se  rapproche  de  M.  Du- 
franne, ayant  conservé  au  représentant  du  peuble  son  allure  il 
civisme,  encore  qu'il  y  ait  dans  sa  personne  et  dans  son  chant  moins 
de  saine  rudesse,  M.  Roussëlière  a  surtoul  marqué  d'intensiti 
vaillance  le  rôle  du  jeune  marquis;  au  premier  acte  on  lui  a  fait  re- 
chanter :  «  Le  passé,  mais  c'est  ta  jeunesse  »,  el  e'étail  justice. 

Paii.-1C.mile  Chevalier. 


Théâtre- Cllny.   —  Première   représentation    des   Tribulalioru  d'un   Gendre, 

comédie-vaudeville  en  trois  actes,  de  MM.  Grenet-Dancourt    et    Eugène 

Héros. 

Le  condiment  du  très  modeste  festin  qu'est  la  représentation  de  cette 
pièce,  nous  le  trouverons  dans  le  gentil  modèle  italien  Zita,  non  dé- 
pourvu de  grâce  et  pourvu  de  jolis  yeux  noirs  d'une  amusante  expres- 
sion mutine.  On  devine  que  nous  sommes  chez  un  peintre.  Il  se  nomme 
Lucien  Rinel.  Les  combats  de  la  vie  d'artiste  ont  été  si  âpres  pour  lui 
qu'il  en  est  réduit  à  vendre  ses  toiles  au  maitre  usurier  Isaac.  Il  vient 
de  perdre  sa  femme  et  celle-ci  lui  a  laissé,  avec  un  fils  encore  au  ber- 
ceau, une  belle-mère,  vis-à-vis  de  laquelle  d  a  ce  crue  l'on  nomme,  en 
langage  juridique,  une  dette  d'aliments.  Tenant  compte  de  sa  déclara- 
tion, qu'il  n'a  pas  de  ressources  suffisantes  pour  payer  une  pension  en 
argent,  le  tribunal  l'a  condamné  à  recevoir  à  son  foyer  sa  belle- mère, 
et  celle-ci.  sans  se  faire  attendre  ni  se  faire  annoncer,  vient  en  triom- 
phatrice, prendre  la  place  que  les  magistrats  lui  ont  octroyée.  A  son 
arrivée  le  vide  se  fait  autour  de  Rinel,  un  oncle  à  succession  s'enfuit, 
une  jeune  fille  charmante,  Cécile  Moulavent,  qu'il  voulait  épouser,  lui 
est  arrachée  à  cause  des  charges  nouvelles  qui  lui  incombent,  tout  le 
cercle  d'intimité  se  disperse,  c'est  le  comble  de  la  désolation,  a  0  Adam  ! 
toi  qui  n'eus  jamais  de  belle-mère,  je  t'implore,  viens  à  mon  secours  !  » 
s'écrie  le  malheureux  peintre,  se  croyant  sûr  que  sa  maison  va  devenir 
un  enfer. 

Il  se  trompe  ;  c'est  en  paradis  que  son  home  se  transforme.  Sa  belle- 
mère,  Mme  Brunois,  est  pour  lui  une  providence.  Elle  a  introduit  dans 
l'atelier  d'abord  la  propreté,  puis  l'aisance,  enfin  le  luxe  et  la  richesse. 
Elle  a  su  faire  rendre  des  points  au  vieux  juif  Isaac,  réduit  a  payer  dix 
mille  francs  les  tableaux  qu'il  avait  naguère  pour  trois  cents.  Le  bon- 
heur rè^ne  maintenant  où  trônait  précédemment  la  misère,  car  Rinel. 
traité  en  fils  par  sa  tutélaire  compagne,  l'aime  à  son  tour  comme  une 
mère  ;  tellement  que  notre  pièce  risquerait  de  s'affadir  au  milieu  de 
cette  félicité  sans  incidents,  si  les  personnages  que  Mme  Brunois  a  précé- 
demment mis  en  fuite  ne  revenaient  un  à  un,  tous  séduits  par  ses 
bonnes  qualités,  tous  amoureux  d'elle,  tous  la  demandant  en  mariage. 
Mais  elle  est  la  perfection  même,  cette  femme  qui  a  su  si  bien  conquérir 
son  rendre.  Elle  éconduit,  sans  en  blesser  aucun,  tous  les  imprudents 
qui  la  sollicitent.  Elle  sait  même  mettre  le  comble  à  ses  bons  offices  en 
conduisant  jusqu'au  dénouement  le  plus  heureux  une  petite  intrigue 
renouée  subrepticement  après  la  rupture  violente  du  premier  acte. 

Cécile  Moulavent  aimait  en  effet  Rinel  qui  le  lui  rendait  bien,  mais 
le  hasard  des  circonstances  avait  séparé  les  deux  jeunes  gens.  Au 
dernier  acte,  la  belle- mère,  toujours  affectueuse  et  prévenante,  rappro- 
che Lucien  et  Cécile,  et  c'est  sous  son  regard  maternel  qu'ils  échangent 
leur  baiser  de  fiançailles,  lui  promettant  bien,  à  elle,  de  la  considérer 
toujours  comme  leur  bienfaitrice  et  leur  providence.  L'enfant  de  Lucieu 
sera  élevé  par  la  présente  belle-mère,  et  la  future  épouse  promet  de  le 
chérir  autant  que  ceux  qu'elle  aura  plus  tard,  peut-être  plus,  dit-elle 
avec  un  suave  sourire,  afin  de  lui  faire  oublier  qu'il  n'a  plus  de  mère. 
Cette  scène  finale,  qui  aurait  pu  rester  toute  délicate  et  intime,  a  été 
o-àtée  comme  à  plaisir  par  l'intervention  de  trois  dés  amoureux  de 
Mme  Brunois  :  ils  arrivent,  déguisés  en  conducteurs  d'automobdes  et 
vêtus  d'énormes  peaux  d'ours,  s'effondrer  ensemble  aux  pieds  de  leur 
idole.  Le  succès  de  la  pièce  eu  a  été.  très  compromis. 

L'interprétation  a  été  vraiment  excellente.  Mme  Gilberte,  très  expéri- 
mentée, très  naturelle  et  d'une  tenue  parfaite,  a  soutenu  les  deux  der- 
niers actes  en  leur  prêtant  un  caractère  de  semi-distinction  nullement 
désagréable.  M.  G.  Saulieu  s'est  bien  comporté  à  côté  d'elle,  sans  tou- 
tefois posséder  la  même  aisance  et  la  même  habitude  du  théâtre. 
Mmc  Frank-Mel  provoque  toujours  le  rire  par  ses  attitudes,  ses  jeux  de 
physionomie  et  ses  gestes  saugrenus.  Mlle  Benda  a  été  un  attrayant 
modèle;  sa  manière  d'estropier  la  langue  italienne  a  pu  paraître 
piquante  presque  autant  que  sa  mimique  toujours  vive  et  sa  physio- 
nomie incessamment  mobile  et  changeante.  M1Ie  M.  Meunier  a  été  gra- 
cieuse en  ingénue.  Les  autres  rôles  ont  été  remplis  avec  talent  par 


GO 


LE  MÉKE^TRKL 


MM.  Armand   Marie,   Valût,    Perret,    Marius,   G.    Mori,    G.   Barrai, 
Mmos  Limery,  G.  Girardot  et  L.  Ariette. 

Sans  être  une  pièce  bien  faite  dans  le  sens  que  l'on  attache  à  ces 
mots,  celle-ci  a  pourtant  des  qualités  moyennes.  Elle  mérite  la  bien- 
veillance de  cette  partie  du  public  qui  sait  trouver  du  plaisir  à  la  repré- 
sentation d'un  vaudeville,  même  quand  celui-ci  ne  fait  pas  appel  à  la 
gaité  grossière  et  se  contente  d'en  côtoyer  les  domaines,  non  sans  y 
tenter  d'ailleurs  quelques  incursions  sous  forme  d'équivoques  plus  ou 
moins  finement  déguisées.  Les  Tribulations  d'un  Gendre  constituent  un 
titre  entièrement  trompeur  ;  la  pièce  devrait  s'appeler  le  Plus  Heureux 
des  Gendres.  Le  personnage  de  la  belle-mère  y  est  entièrement  sympa- 
thique ;  c'est  le  monde  renversé  du  vaudeville. 

Amédée  Boutarel. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts-Colonne.  —  Mme  Georgette  Leblanc-Maeterlinck  a  chanté,  selon  sa 
manière  et  avec  tout  son  talent,  l'air  de  Castor  et  Pollux  de  Rameau:  «  Tristes 
apprêts,  pâles  flambeaux  »,  qui  sera  dans  trente  ans  bicentenaiie,  et  l'œuvre 
toute  moderne  que  le  programme  intitule  Quatre  p aimes.  Trois  de  ces  poèmes, 
J'ai  -marché  trente  ans,  les  Sept  Filles  d'Orlamonde  et  Cantique  à  la  Vierge,  sont 
de  M.  Maeterlinck;  le  quatrième,  Ivresse  d'amour,  est  de  Mme  Judilh  Gautier. 
Il  est  peut-être  superflu  de  nommer  le  compositeur,  M.  Gabriel  Fabre,  car  les 
morceaux  qui  ont  été  joués  au  Chàtelet  y  arrivaient  précédés  d'une  réputation 
établie  en  France  et  à  l'étranger.  Ce  ne  sont  pas  de  grands  ouvrages,  mais 
tous  ceux  qui  possèdent  l'art  de  dire  en  sauront  tirer  très  agréablement  parti. 
Le  dernier  sort  tout  à  fait  de  l'ordinaire  ;  c'est  une  petite  mélopée  infiniment 
douce,  voluptueuse  et  languissante,  que  Mmc  Georgette  Leblanc  a  mimée  en 
même  temps  que  chantée  et  qui  convient  à  son  tempérament  d'une  façon 
complète.  —  Une  symphonie  nouvelle  de  M.  Henri  Dallier  nous  ramène  aux 
formes  classiques.  Elle  est  correctement  écrite  dans  la  tonalité  de  fa,  rap- 
pelle un  peu  les  procédés  de  Beelhoven,  et  aussi  ceux  de  Schumann  et  de 
César  Franck  ;  mais,  si  les  thèmes  n'en  sont  pas  d'une  inspiration  très  élevée, 
ils  produisent  néanmoins  une  impression  de  calme  repos  et  dénotent  un  sen- 
timent artistique  très  noble  quand  on  ne  les  sépare  point  de  leurs  développe- 
ments. Le  public  a  fait  un  chaleureux  accueil  à  cette  composition  nouvelle  du 
sympathique  organiste  de  l'église  de  la  Madeleine.  —  Le  prélude  de  Fervaal 
de  M.  Vincent  d'fndy  est  une  de  ces  petites  choses  qui  peuvent  valoir  beau- 
coup lorsque  leur  interprétation  correspond  bien  à  la  pensée  qui  les  a  fait 
naître.  A  ce  point  de  vue,  l'intellectualité  de  M.  Colonne  n'est  jamais  en 
défaut  et  il  a  su,  cette  fois  encore,  nous  donner,  par  la  musique,  une  vision 
très  intime  de  cette  ambiance  parfumée  de  fleurs  et  de  verdure  dans  laquelle 
un  adolescent  malade  renaît  peu  à  peu  à  la  vie.  —  Pourquoi  faut-il  qu'un 
concerto  pour  violon  et  violoncelle,  op.  102  de  Brahms,  se  soit  imposé  ici  à 
l'assistance  et  l'ait  mise  dans  la  situation  désagréable  de  désirer  acclamer 
deux  artistes  en  protestant  contre  le  compositeur  dont  ils  exécutaient  la 
musique!  MM.  Jacques  Thibaud  et  Pablo  Cazals  se  sont  montrés  dans  cet 
ouvrage  incomparables  de  virtuosité  bien  coordonnée  et  d'ensemble  magis- 
tralement ferme  et  puissant.  Lorsque  plusieurs  interprètes  jouant  de  con- 
cert arrivent  à  laisser  croire  qu'ils  sentent  exactement  de  même  et  n'ont  plus 
qu'une  àme  musicale,  c'est  alors  qu'ils  provoquent  l'émotion  la  plus  profonde 
et  la  plus  pénétrante,  leur  conviction  gagne  peu  à  peu.  devient  éloquente, 
irrésistible.  On  l'a  vu  surtout  lorsque  M.  Alfred  Cortot,  s'adjoignant  à 
MM.  Jacques  Thibaud  et  Pablo  Cazals,  a  exécuté  avec  eux  le  concerto  pour 
piano,  violon  et  violoncelle,  op  56  de  Beethoven.  La  tache  était  pour  lui  par- 
ticulièrement délicate  ;  il  s'est  préoccupé  de  ne  pas  laisser  éteindre  l'éclat  de 
son  instrument  par  la  sonorité  plus  soutenue  des  deux  autres,  tout  en  évitant 
l'exagération  dans  l'effet,  le  déséquilibre  et  l'emphase.  Rien  de  plus  parfait 
comme  compréhension  générale.  Quant  à  l'ouvrage  en  lui-même,  il  appartient 
au  premier  style  du  maître,  et  est,  dans  toutes  ses  parties,  d'une  admirable 
beauté.  Le  largo  a  été  interrompu  par  les  applaudissements:  il  s'enchaîne  au 
final  par  une  transition  d'une  merveilleuse  aisance  et  chaque  instrumentiste 
présente  ensuite  tour  à  tour  et  comme  en  se  jouant  les  phrases  musicales 
alertes  et  vives  de  ce  final  écrit  en  forme  de  «  Rondo  alla  Polacca  ».  Dire  que 
les  interprètes  ont  eu  du  succès  serait  peu:  leur  triomphe  a  été  unanime  et 
sans  réserves  :  après  cela,  le  prélude  du  troisième  acte  de  Lohengrin  qui  ter- 
minait le  concert  ne  pouvait  plus  être  qu'une  sortie.  On  en  est  du  reste  un 
peu  las.  Amédée  Boutarel. 

—  Concerts-Lamoureux.  -  Sous  l'élégante  et  précise  direction  de  M.  Messa- 
ger, l'orchestre  a  donné  une  exécution  chaude  et  vibrante  de  la  belle  ouver- 
ture à'Obéron  de  Weber,  puis  en  première  audition,  à  Paris,  la  3e  symphonie 
de  Rimsky-Korsakow.  Cette  symphonie,  construite  dans  le  moule  classique  et 
avec  des  thèmes  sans  grand  relief,  est  honorable,  intéressante  même,  mais  ne 
laisse  pas  deviner  le  merveilleux  coloriste  de  sons  qu'est  l'auteur  à'Ântar  et 
surtout  de  Sehéhèrazade.  Ce  fut  une  surprise,  presque  une  déception,  de  ne 
plus  rencontrer  ici  ces  éblouissants  jeux  sonores  auxquels  le  maître  russe  nous 
avait  accoutumés.  —  M11'-  Marie  Kousnielzoff  chanta  d'une  voix  claire  et  habi- 
lement conduite  trois  mélodies  assez  ternes  de  Rachmaninofî  et  un  fâcheux 
air  à  roulades  d'Alabieff  qui  a  paru  oeu  à  sa  place  dans  un  programme  sérieux. 


Le  beau  concerto  pour  orgue  et  orchestre  de  Haendel,  magistralement  joué 
par  M.  Gigout,  et  le  délicieux  Shylock  de  M.  Gabriel  Fauré,  au  charme  prenant 
et  évocateur,  terminaient  la  séance.  J.  Jemain. 

—  Programmes  des  concerts  de  dimanche  : 

Au  Conservatoire  même  programme  que  dimanche  dernier. 

Concerts-Colonne.  (Théâtre  du  Chàtelet).  à  deux  heures  et  demie  : 

Ouverture  de  Benvenvlo  Cellini  (Berlioz).  —  Nocturne,  première  audition  (Jean 
Huré),  pour  orchestre  et.  piano  :  M.  Raoul  Pugno.  —  Concerto  en  la  majeur  (Mozart), 
pour  contrebasse  et  orchestre,  Allegro,  Amiante,  Rondo:  M.  S.  Koussevitzky.  — 
Omêa,  quatrième  acte,  première  audition  (Arthur  Coquard)  :  Oméa,  M"e  Louise 
Grandjean  ;  Aram,  M.  Muratore;  un  berger,  M.  Rocco.  —  Les  Djinns,  poème  sympho- 
nique  (César  Franck)  :  M.  Raoul  Pugno.  —  Tristan  et  Yseult  (R.  Wagner),  a)  Prélude 
(orchestre),  6)  Mort  d'Yseult  :  M"1  Louise  Grandjean.  —  Eol  Kiirei  (Max  Bruch)  : 
M.  S.  Koussevitzky.  —  Lohengrin,  Prélude  du  troisième  acte  (R.  Wagnerj. 

L'orchestre  sera  dirigé  par  M.  Ed.  Colonne. 

Concerts-Lamoureux  (salle  Gaveau,  45,  rue  La  Boétie),  à  trois  heures  pré- 
cises. 

Ouverture  à.'Euryanlhe  (Webor).  —  Huitième  Symphonie  en  fa  majeur  (Beetho- 
ven). —  Siegfried  (les  Murmuras  de  la  forêt)  (Wagner).  —  Deuxième  poème  lyrique 
sur  le  Livre  de  Job  (H.  Rabaud)  :  Job,  M.  Vilmos-Beck  (première  audition  aux 
Concerts-Lamoureux).  —  Deuxième  Concerto,  pour  violon,  flûte,  hautbois,  trompette 
et  orchestre  (J.-S.  Bach),  arrangé  par  M.  Félix  Mottl  (première  audition  aux  Con- 
certs-Lamoureux). —  La  Jeunesse  d'Hercule,  poème  symphonique  (Saint-Saëns). 

Le  concert  sera  dirigé  par  M.  Henri  Rabaud. 

—  Troisième  concert  mensuel  de  la  Schola  Cantorum  :  Euryanthe  à  la  Salle 
Gaveau.  —  Serait-ce  la  faute  de  l'exécution  dans  une  salle  décidément  défec- 
tueuse (et  malgré  la  très  musicale  direction  de  M.  Vincent  d'Indy,  chef  d'or- 
chestre) ou  de  l'ouvrage  lui-même,  vicié  par  un  livret  encore  plus  naïvement 
mélodramatique  que  Fidelio?  Serait-ce  la  faute  de  ces  «  morceaux  choisis  » 
qui  gâtent  la  perspective?  car  le  second  acte  intégral,  que  le  vaillant  Eugène 
d'Harcourt  nous  donnait  au  concert,  en  mars  1895,  avait  paru  plus  poignant... 
Toujours  est- il  que  la  «  sélection  »  d'Euryanthe,  «  opéra  romantique  «de 
1823,  composé  par  l'auteur  du  Freischûtz  sur  les  dialogues  insipides  d'un  bas- 
bleu  de  la  Restauration,  ne  semble  guère  avoir  emballé,  comme  dit  notre 
argot,  les  auditeurs  exigeants  de  190S  !  Encore  une  fois,  malgré  la  haute 
musicalité  du  chef,  malgré  la  jolie  voix  tendre  du  noble  Adolar  (M.  Plamon- 
don),  la  basse  loyalement  chantante  du  sombre  Lysiart  (M.  Monys)  et  les 
talents  contrastés  de  Mlles  Mary  Pironnay  et  Jeanne  Lacoste,  dans  un  ensem- 
ble instrumental  et  vocal  assez  terne  il  est  vrai,  nous  n'avons  plus  retrouvé  le 
particulier  frisson  de  grand  art  que  nous  avait  communiqué,  le  30  novem- 
bre 1906,  la  magistrale  exécution  A'Egmont;  l'ouverture  même,  si  juvénile, 
avec  son  court  largo  mystérieux,  n'a  point  sonné;  l'auditeur  semblait  regret- 
ter le  fantastique  allemand  du  Freischûtz  ou  le  fantastique  oriental  à'Obéron, 
violence  Et  volupté...  Dramatiquement,  oui,  sans  doute,  le  poème  est  plutôt 
candide  :  et  lors  de  la  reprise  française  de  1857,  au  Théâtre-Lyrique,  le  feuil- 
letonniste  des  Débats,  admirateur  du  musicien,  puisqu'il  s'appelait  Hector 
Berlioz,  avouait  n'avoir  jamais  vu  plus  niais  librettiste...  Et  puis,  musicale- 
ment, les  ultra-wagnériens  que  nous  sommes  devenus  sur  le  tard  ne  goûtent 
plus,  même  chez  Wagner,  les  cavatines  et  morceaux  faciles...  Mais,  aussitôt 
que  l'oreille  contemporaine  a  surmonté  la  première  impression  fâcheuse  de 
l'ensemble,  où  le  rossinisme  intempestif  de  l'époque  arrête  à  trop  d'instants 
la  force  expressive  d'un  germanique  génie,  précurseur  plus  ou  moins  conscient 
d'un  avenir  prochain,  l'àme  découvre  de  grandes  beautés  saisissantes,  des 
concisions  tragiques,  des  oasis  d'exquise  fraîcheur  :  le  poétique  début,  l'amé- 
nité chevaleresque,  la  première  cavatine  élégiaque  d'Euryanthe,  l'admirable 
et  nocturne  frémissement  de  la  mineure  apparition  d'Emma,  le  sombre  duo 
des  traîtres,  qui  présage  Ortrude  et  Frédéric,  avec  l'invocation  grandiose  à  la 
nuit  :  Dunkle  Nacht,  le  zéphyr  qui  Hotte  autour  de  l'héroïque  jeunesse  d'Ado- 
lar,  la  touchante  prière  d'Euryanthe  accusée,  le  prélude  du  troisième  acte  et 
plus  d'une  page  des  dernières  scènes  révèlent  un  maître  d'avant-garde  et  qui 
ne  saurait  vieillir  ;  sujet  légendaire  français,  tiré  de  «  l'histoire  de  Gérard  de 
Nevers  et  de  la  belle  et  chaste  Euryanthe,  sa  mie  »,  emploi  du  leit-motiv, 
couleur  mystérieuse  du  quatuor  et  des  timbres,  orchestre  sobrement  coloré, 
chœur  agissant,  ouverture  qui  prépare  et  qui  résume,  mais  tout  cela  n'est-ce 
point,  vingt-sept  ans  plus  tôt,  Geneviève  et,  qui  plus  est,  Lohengrin  ?  Et  je  le 
demande  à  M.  Georges  Servières,  dernier  biographe  du  musicien,  la  respon- 
sabilité de  notre  tiédeur  du  mercredi  soir  12  février  1908  n'incomberait-elle 
pas  en  partie  au  lyrisme  critique  de  Robert  Schumann  qui  nous  chantait 
monts  et  merveilles  de  l'opéra  romantique  de  Carl-Maria  von  Weber  ? 

Ravmoxd  Bouveii. 

—  En  trois  séances  données  à  la  salle  Pleyel,  Raoul  Pugno  s'est  affirmé  à 
nouveau  le  maître  pianiste  qu'acclame  tout  l'univers.  Il  avait  pour  très  dignes 
partenaires  Mu°  Suzanne  Cesbron,  MM.  Nadaud  et  Gaubert.  La  première 
séance  était  consacrée  aux  maîtres  du  passé  comme  Rameau,  Couperin. 
Scarlatti,  Gluck,  le  vieux  Bach,  etc.,  etc.  ;  la  seconde  exclusivement  à 
Schumann  et  à  Schubert:  la  troisième  aux  maîtres  modernes,  César  Franck, 
Fauré,  Duparc  et  autres.  Cette  troisième  séance  fut  particulièrement  intéres- 
sante en  ce  qu'elle  nous  initia  à  quelques  œuvres  récentes  de  Pugno,  qui  est 
aussi  un  compositeur  inspiré,  quand  la  pratique  du  clavier  lui  en  laisse  le 
loisir.  Ce  fut  d'abord  une  suite  de  pièces'  de  piano  réunies  sous  le  titre  de 
Paysages,  pièces  d'une  coloration  intense  et  d'une  force  technique  surpre- 
nante. Le  Tintement  de  clochettes  est  vraiment  prodigieux.  Puis  M"0  Cesbron 
chanta  de  façon  émouvante  un  cycle  de   sept  mélodies   composées  sur  des 


L\L  MENESTREL 


Gl 


poésies  de  Maurice  Vaucaire  :  Les  Cloches  du  souvenir.  Elles  furent  toutes 
applaudies  furieusement  et  on  les  rapprochait  de  cette  autre  série  do  mélodies 
si  prenantes  de  Pugno  :  Amours  Brèves,  —  dont  M"'*-'  Arger  fit  le  succès.  — 
Au  résumé,  ces  trois  séances  tournèrent  pour  Raoul  Pugno  a  l'apothéose. 

—  Mercredi  dernier,  au  Théâtre  des  Arts,  on  a  donné  un  petit  festival 
Reynaldo  Hahn,  où  l'exquis  musicien  a  triomphé  tout  le  long  d'un  programme 
qui  ne  fut  qu'un  enchantement.  MIIIC  Bartet,  oui  M"10  Bartet  de  la  Comédie- 
Française,  a  d'abord  lu  de  sa  voix  divine  une  notice  sur  la  vie  et  les  œuvres  du 
jeune  compositeur,  qui  est  déjà  un  maître  consacré.  Puis  Mn,c  Jane  Bathori 
et  Reynaldo  Hahn  lui-même  ont  sorti  les  plus  jolies  perles  de  l'écrin  mélo- 
dique qu'il  s'agissait  de  mettre  en  lumière.  Ils  y  ont  réussi  excellemment,  et 
les  bravos  et  les  bis  n'ont  pas  cessé  de  crépiter.  A  mettre  hors  de  pair  le  Pays 
musulman  et  le  Bal  de  Béatrice  d'Esté,  —  celui-ci  exécuté  par  une  petite  troupe 
de  symphonistes  triés  sur  le  volet.  Le  succès  fut  tel  etl'afflnence  du  public  si 
grande  qu'il  a  fallu  refuser  l'entrée  du  théâtre  à  une  foule  suffisante  pour 
l'emplir  une  seconde  fois,  si  bien  qu'une  autre  matinée  est  d'ores  et  déjà 
fixée  pour  le  4  mars.  On  peut  louer  dès  à  présent. 

—  La  Fondation  J.-S.  Bach,  instituée  et  dirigée  depuis  six  ans  par  l'érudit 
violoniste  Charles  Bouvet,  donnera  sa  troisième  séance  le  samedi  29  février, 
salle  Pleyel,  à  9  heures  du  soir.  Outre  la  première  audition  d'une  des  suites 
d'orchestre  du  XVIIe  siècle  français,  extraite  du  remarquable  ouvrage  publié 
par  M.  J.  EcorcheviUe,  le  programme  de  cette  soirée  comportera  :  le  concerto 
pour  trois  et  quatre  violons  aux  XVIIe  et  XVIIIe  siècles.  Mme  Jane  Arger  s'y 
fera  entendre  dans  un  air  de  J.-S.  Bach  avec  hautbois,  deux  violons  et  alto 
(sans  basse)   et  M.  Julien  Tiersot  dirigera  l'orchestre. 

—  Mercredi  soir,  26  février,  à  la  Salle  des  Agriculteurs,  8,  rue  d'Athènes, 
œuvres  de  MM.  Claude  Debussy  et  Gabriel  Dupont,  exécutées  par  Mme  Ca- 
mille Fourrier,  M"e  Renée  Lénars,  M.  Maurice  Dumesnil  et  le  «  quatuor 
Luquin  ».  Le  valeureux  pianiste  Dumesnil  exécutera  toute  la  série  des 
fameuses  Heures  dolentes  de  Gabriel  Dupont. 

—  Festival  Wagner.  Sous  la  direction  de  Félix  Mottl  et  avec  le  concours  de 
jjmo  Kaschowska.  les  Concerts-Lamourcux  donneront  jeudi  soir,  27  février, 
un  festival  consacré  aux  œuvres  de  Wagner.  Félix  Mottl  dirigera  les  préludes 
et  ouvertures  de  ses  principaux  ouvrages,  et  Mme  Kaschowska  interprétera  les 
quatre  poèmes  pour  chant  du  maître,  la  ballade  de  Senta  et  la-  Mort  d'Yseult. 
La  location  des  places  pour  ce  concert  est  déjà  ouverte  salle  Gaveau  et  chez 
les  principaux  éditeurs  de  musique. 

—  Le  10  mars  prochain,  le  violoniste  hongrois  Alexandre  Sébald  donnera 
à  la  Salle  des  Agriculteurs,  S,  rue  d'Athènes,  un  récital  de  violon  dans  lequel 
il  exécutera  les  2i  caprices  de  Nicolo  Paganini.  C'est  la  première  fois  que  pa- 
reil programme  sera  donné  à  Paris. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(pour  les  seuls  abonnés  a  la  musique) 


M.  Jean  Déré,  dont  nous  avons  déjà  donné  ici  des  mélodies  qui  furent  bien 
accueillies,  vient  d'en  composer  une  nouvelle,  Langage  d'amour,  du  succès  de 
laquelle  on  peut  bien  augurer.  Cela  a  tout  le  charme,  le  velouté  et  la  fraîcheur  d'ins- 
piration de  la  jeunesse.  Sans  doute  M.  Déré,  en  avançant  daos  la  vie,  écrira  des 
mélodies  plus  fortes  et  plus  nourries,  il  n'en  écrira  pas   qui  aient  plus  d'agrément. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (19  février)  :  Ainsi  que  je  l'avais  prévu 
dans  ma  précédente  correspondance,  le  C'iemineau  de  MM.  Richepin  et  Leroux 
a  remporté  à  la  Monnaie  un  très  grand  succès,  auquel  l'interprétation  n'est 
certes  pas  étrangère.  Tout  le  monda  a  pu  constater  ce  fait  éclatant,  c'est  que 
les  artistes  lyriques,  généralement  habitués  à  interpréter  des  rôles  héroïques, 
distingués,  exigeant  un  souci  de  tenue  et  de  composition,  sont  presque  toujours 
excellents  quand  ils  représentent  des  rustres  ou  des  ouvriers.  Il  est  rare 
qu'une  œuvre  dont  le  sujet  est  «  peuple  »  ne  soit  pas  interprétée  excellem- 
ment... Cela  tient  à  ce  que  les  sentiments  simples,  même  quand  cette  simpli- 
cité est  un  peu  artificielle  (et  c'est  le  cas  du  Chemineau),  sont  beaucoup  plus 
faciles  à  exprimer  avec  force  et  justesse,  parce  qu'ils  sont  plus  faciles  à  com- 
prendre et  à  éprouver,  que  des  sentiments  qui  exigent  une  préparation  et, 
dirais-je,  une  sorte  de  divination.  Mais  encore  faut-il,  même  pour  communi- 
quer au  public  ces  émotions  très  simples,  de  la  voix  et  du  talent.  Or,  il  s'est 
trouvé  que  la  troupe  de  la  Monnaie  possédait  justement  des  artistes  ayant 
toutes  qualités  voulues  pour  donner  au  Chemineau  l'interprétation  rêvée. 
MM.  Bourbon  et  Decléry  ont  été  —  celui-ci  surtout  —  admirables  dans  les 
rôles  du  Chemineau  et  de  François,  et  Mlle  Croiza  a  été  une  Toinette  émou- 
vante et  pathétique  ;  tous  les  petits  rôles  ne  sont  pas  moins  bien  tenus  par 
MM.  Dua  (Toinel),  Blancard  (maître  Pierre),  La  Taste  et  Caisso,  et  M"e  Ey- 


reams.  Ajoutons  que  l'orchestre  de  M.  Dupuis  a  été  tout  à  fait  supérieur,  et 
que  la  mise  en  scène  est  d'un  pittoresque  qui  sent  à  plein  nez  l'odi 
campagne.  La  première  représentation  était  donnée,  on  grand  ;.'ala.  au  béné- 
fice de  la  mutualité  do  la  Presse;  le  prince  héritior  Albert  de  Belgique,  la 
princesse  Albert  et  la  princesse  Clémentine,  fille  du  roi.  y  assistaient  dans  la 
grande  loge  royale;  tous  les  ministres  étaient  là  aus*i,  ainsi  qu'un  grand 
nombre  d'autorités  et  tout  ce  que  les  mondes  bruxellois,  —  le  grand,  le  demi 
et  l'artistique  —  comptent  de  mieux.  Il  y  a  eu  quatre  ou  cinq  rappels  après 
chaque  acte;  pendant  un  entr'acte,  le  prince  a  fait  appeler  M.  Leroux  et  les 
directeurs  de  la  Monnaie  pour  les  féliciter,  et  à  la  fin  une  ovation  enthousiaste, 
à  laquelle  les  «  augustes  spectateurs  »  ont  été  les  premiers  à  prendre  part,  a 
forcé  le  compositeur,  quoi  qu'il  eût  fait  pour  résister,  à  venir  saluer  <ur  la 
scène  le  public  en  délire.  Bref,  c'a  été  une  belle  fête.  —  Cette  semaine,  nous 
aurons  les  débuts  d'une  troupe  italienne  qui  nous  vient  d'Amsterdam,  avec 
des  éléments,  parait-il,  de  premier  ordre  et  conduits  par  un  chef  d'orchestre 
italien;  cette  troupe  nous  donnera,  en  matinée,  la  Tosca,  Paillasse  et  Caval- 
leria.  Puis  viendront  les  Jumeaux  tle  Bergame  de  M.  Jaques-Dalcroze,  qui 
accompagneront  sur  l'affiche  la  Marie-Magdeleine  de  Massenet.  C'est  la  pre- 
mière fois  que  nous  verrons  sur  la  scène  ce  délicieux  dreme  sacré,  que  nous 
applaudîmes   depuis   longtemps  au  concert. 

Les  Concerts-Populaires  nous  ont  présenté  dimanche  un  violoniste  russe, 
inconnu  encore  sur  nos  rivages,  M.  Mischa  Elman.  Malgré  sa  jeunesse  (il  n'a 
pas  vingt  ans),  il  est  doué  des  qualités  les  plus  précieuses  :  une  justesse  de 
son  absolue,  une  sûreté  exlraordinaire,  du  sentiment,  du  stylo  même  et  une 
virtuosité  déliant  tous  les  obstacles.  M.  Elman  a  joué  le  concerto  en  ré  majeur 
de  Brahms,  le  Rondo  capriccioso  de  Saint-Saëns  et  des  fantaisies  acrobatiques, 
qui  lui  ont  valu  un  petit  triomphe.  L'orchestre  de  M.  Dupuis  a  exécuté,  à  ce 
concert,  la  belle  et  radieuse  symphonie  en  ut  mineur  de  Saint-Saëns  et  une 
œuvre  inédite  d'un  de  nos  derniers  prix  de  Rome,  M.  Martin  Lunssens,  un 
«  tableau  musical  »  d'après  le  Roméo  et  Juliette  de  Shakespeare,  très  long,  très 
dramatique  et  très  intéressant,  —  une  véritable  œuvre  de  compositeur  sym- 
phonique  et  d'homme  de  théâtre  à  la  fois.  —  Au  Cercle  artistique.  M.  Stein- 
bach,  de  Cologne,  dirigera  un  «  festival  Bach  »,  qui  prendra  deux  soirées  et 
où  sera  exécuté,  avec  le  concours  des  chœurs  de  la  Deutsclter  Gesaui/i^n'in 
de  Bruxelles,  un  copieux  programme  de  cantates  et  de  concertos  du  maître, 
notamment  la  Kajfee-Cdntate  et  Eole  apaisé,  rarement  entendues.  Enfin 
MM.  Dern  et  Lauweryns  ont  repris,  avec  un  vif  succès,  leurs  très  attachantes 
séances  de  1'  »  Histoire  de  la  Sonate  »  pour  violon  et  piano,  et  M.  Durant 
poursuit  avec  un  zèle  que  rien  n'arrête  ses  «  Concerts  historiques  »  de  sym- 
phonie et  de  virtuosité.  Il  en  est  arrivé  à  Schumann,  après  Bach,  Haydn, 
Mozart  et  Beethoven;  il  abordera  prochainement  Liszt,  Chopin.  Berlioz. 
Wagner,  Brahms,  César  Franck,  puis  la  musique  contemporaine,  française, 
slave  et  belge. 

Le  Théâtre-Royal  de  Liège  fait,  lui  aussi,  à  l'exemple  de  ses  confrères  de 
Bruxelles  et  de  province,  de  la  décentralisation  française.  Jeudi  prochain. 
27  courant,  il  donnera  la  première  représentation  d'un  drame  lyrique  inédit 
de  M.  Henri  Hirchmann,  le  jeune  auteur  de  l'opérette,  les  Hirondelles.  Le  titre 
et  le  sujet  de  ce  drame  lyrique  suffiraient  à  attirer  l'attention  :  Hernaui.  C'est, 
en  effet,  du  drame  de  Victor  Hugo  que  le  poème  a  été  tiré,  avec  l'autorisation 
expresse  de  la  famille  Hugo  et  de  ses  éditeurs,  qui  n'avaient  jamais  consenti, 
vous  le  savez,  à  ce  que  les  œuvres  du  grand  poète  servissent  de  texte  à  de  la 
musique  d'opéra.  M.  Hirchmann  avait  présenté  sa  partition  aux  directeurs  de 
la  Monnaie;  mais  leur  programme  était  déjà  surchargé  :  alors,  le  composi- 
teur, impatieut  de  prouver  qu'il  sait  faire  autre  chose  que  de  l'opérette  lil  est 
sorti  d'ailleurs  du  Conservatoire  de  Paris  en  remportant  à  l'Institut  le  prix 
do  composition  musicale!  n'a  pas  hésité  à  confier  au  théâtre  liégeois  le  soin 
de  sa  nouvelle  gloire.  Voici  quelle  est  la  distribution  d'Hernani  :  Mme  Fel- 
tesse,  Dona  Sol;  M.  Redon,  Hernani:  M.  Cremel,  Don  Carlos;  M.  Malherbe. 
Don  Ruy  Gomez.  Je  me  rendrai  à  Liège  pour  cette  très  curieuse  première,  et 
je  vous  ferai  part  du  résultat.  L.  S. 

—  On  vient  de  mettre  à  l'étude,  à  la  Monnaie  de  Bruxelles.  Marie-Magde- 
leine de  Massenet  transformée  en  action  dramatique  comme  on  l'a  vue  à  Xice 
d'abord,  à  l'Opéra-Comique  de  Paris  ensuite.  Les  deux  rôles  de  Méryem  et 
de  Jésus  seront  tenus  par  Mlle  Lina  Pacary  et  M.  Verdier  qui  les  ont  créés 
à  Nice  lorsque  l'ouvrage  y  fut  donné  sous  cette  forme  en  1903. 

—  La  commune  d'Ixelles-lez-Bruxelles  (Belgique)  organise,  pour  les  di- 
manches 3  et  12  juillet  1908,  un  grand  festival  international  pour  sociétés 
d'harmonies,  fanfares,  de  chant  d'ensemble,  chorales  mixtes,  symphonies  et 
trompettes.  De  nombreuses  primes,  dont  la  première  est  de  1.500  francs,  se- 
ront réparties  entre  les  sociétés  participantes.  Des  couronnes  en  vermeil 
sont  réservées  aux  sociétés  possédant  le  plus  beau  drapeau,  cartel  ou  ban- 
nière, ainsi  qu'aux  sociétés  ayant  la  plus  belle  tenue  civile,  militaire  ou  de 
fantaisie.  Chaque  société  recevra  une  médaille  commémorative  de  grand 
module.  Outre  les  primes  ci-dessus,  les  sociétés  étrangères  participeront 
entre  elles  à  une  répartition  spéciale  de  primes.  Des  démirches  seront  faites 
auprès  des  administrations  de  chemins  de  fer  pour  l'obtention  des  réductions 
d'usage  sur  les  prix  des  transports.  Pour  renseignements  et  bulletins  d'adhé- 
sion, s'adresser  à  il.  Emile  Duray,  bourgmestre,  hôtel  de  ville  d'Ixelles- 
Bruxelles  (Belgique). 

—  A  l'occasion  du  vingt-cinquième  anniversaire  de  la  mort  de  Wagner 
(13  février  1883),  on  va  publier  très  prochainement  à  Berlin  deux  cent 
soixante-neuf  lettres  adressées  par  le  maître  à  sa  première  femme,  la  comé- 
dienne Minna  Planer. 


62 


LE  MENESTREL 


—  La  commission  du  budget  de  la  chambre  prussienne  des  députés  a  exa- 
miné la  situation  financière  du  Conservatoire  de  musique  de  Berlin  et  reçu  la 
déclaration  du  commissaire  du  gouvernement  faisant  connaître  que  les 
fonctions  de  Joseph  Joachim  étaient  doubles,  car  il  remplissait  à  la  fois  celle 
de  directeur  de  l'établissement  et  celle  de  professeur  de  violon.  Pour  l'avenir, 
ces  fonctions  seront  séparées.  M.  Henri  Marteau  a  été  chargé  de  la  classe  de 
violon,  mais  aucune  décision  n'a  encore  été  prise  en  ce  qui  concerne  la  direc- 
tion du  Conservatoire.  Tout  cela  concorde  bien  avec  ce  qui  a  été  dit  au 
moment  de  la  mort  de  Joseph  Joachim. 

—  Le  quatrième  Congrès  de  Pédagogie  musicale  aura  lieu  à  Berlin,  pendant 
la  semaine  de  Pâques.  Il  sera  organisé  de  la  même  façon  que  les  précédents, 
c'est-à-dire  que  les  travaux  seront  répartis  dans  les  quatre  sections  suivantes  : 
Pédagogie  générale  de  la  musique  —  Questions  scientifiques  —  Art  du  chant 
—  Enseignement  du  chant.  H  a  été  décidé  que  les  questions  qui  intéressent 
l'activité  du  Congrès  ne  seront  plus  débattues  en  sections  par  plusieurs  ora- 
teurs, mais  que  l'étude  préalable  en  sera  confiée  à  des  commissions  qui  sou- 
mettraient leurs  résolutions  au  vote  des  divers  groupes.  Les  adhésions  au 
Congrès  sont  nombreuses.  Il  promet  de  présenter  un  réel  intérêt. 

—  La  soirée  donnée  à  l'Opéra  de  Berlin  à  l'occasion  du  jour  de  la  nais- 
sance de  l'empereur  a  offert  une  véritable  splendeur.  La  salle  était,  de  haut 
en  bas,  garnie  de  milliers  de  roses  et  d'œillets.  Les  ministres,  le  corps  diplo- 
matique, les  représentants  des  États  confédérés  étaient  tous  présents.  Les 
dames  étaient  couvertes  de  joyaux  et  de  diamants.  C'était  ruisselant  de  ri- 
chesses. L'entrée  des  souverains  eut  lieu  avec  une  grande  solennité  ;  les  trom- 
pettes se  firent  entendre  du  haut  de  la  salle,  tandis  que  l'orchestre  attaquait 
la  Marche  royale.  Guillaume  II  avait  choisi  pour  spectacle  un  opéra-comique 
français,  Jean  de  Paris  de  Boieldieu,  qui  n'a  cessé  d'être  au  répertoire  de  tous 
les  théâtres  allemands,  tandis  qu'on  ne  l'a  pas  entendu  à  Paris  depuis  plus 
d'un  demi-siècle.  L'ouvrage  avait  été  remonté  pour  la  circonstance,  et  la 
mise  en  scène,  entièrement  renouvelée,  offrait  des  tableaux  charmants. 

—  M.  Félix  Weingartner  abandonne  définitivement  la  direction  des  con- 
certs de  la  Chapelle  Royale  à  Berlin.  Il  conduira  encore  l'orchestre  pendant 
les  deux  derniers  concerts  de  la  saison,  puis  un  successeur  lui  sera  donné 
pour  l'année  prochaine.  Le  concert  qui  a  eu  lieu  le  7  février  dernier  a  été 
l'occasion  d'un  grand  succès,  pour  le  chef  d'orchestre  intérimaire,  M.  Robert 
Laugs,  de  Hagen. 

—  Il  a  été  question  depuis  longtemps  déjà  d'un  concerto  inédit  de  Schu- 
mann, dont  Joseph  Joachim  possédait  le  manuscrit.  Dans  une  biographie  du 
célèbre  violoniste,  dont  une  nouvelle  édition  a  paru  récemment,  M.  Andréas 
Moser  a  publié  la  lettre  suivante  dans  laquelle  Joachim  analyse  ce  concerto. 

Vous  me  demandez  des  éclaircissements  sur  un  concerto  de  violon  de  Schumann^ 
dont  je  possède  le  manuscrit.  Je  ne  puis  vous  en  parler  sans  émotion  :  il  a  été  com- 
posé en  effet  pendant  la  dernière  demi-année  qui  a  précédé  la  crise  dans  laquelle  a 
sombré  la  raison  du  maître  si  aimé  dont  je  fus  l'ami  (Dusseldorf,  11  septembre- 
3  octobre  1853),  c'est  là  ce  que  l'on  peut  lire  sur  la  page  titre. 

Après  avoir  formulé  quelques  réserves  sur  la  valeur,  toute  relative  à  son 
avis,  de  l'œuvre,  Joachim  l'analyse  ainsi  : 

Le  premier  morceau,  «  dans  un  mouvement  énergique  mais  pas  rapide  »  en  ré  mi- 
neur, mesure  C  barré,  a  quelque  chose  de  capricieux  dans  le  rythme,  tantôt  prenant 
un  élan  impétueux,  tantôt  s'attardant  avec  obstination.  L'on  arrive  ainsi  rapidement 
au  premier  tutti  et  à  un  second  thème  doux  et  d'une  beauté,  d'un  charme  exquis. 
C'est  du  vrai  Schumann  !  Pourtant  la  construction  musicale  du  passage  ne  donne  pas 
une  satisfaction  complète.  Il  survient  peu  à  peu  des  épisodes  destinés  à  conduire, 
avec  variété,  à  des  traits  de  virtuosité;  mais  ces  traits  ne  permettent  pas  à  l'instru- 
ment solo  de  fournir  une  conclusion  brillante  avant  le  deuxième  tutti,  parce  que  la 
phrase  de  violon  est  souvent  peu  avantageuse  pour  le  soliste  et  reste  sans  effet.  Le 
second  tutti  reprend  dans  la  tonalité  de  fa  majeur  le  début  du  morceau.  Le  solo  qui 
suit  parait  d'un  sentiment  presque  trop  intime  pour  un  concerto.  Il  s'y  trouve  un 
point  d'orgue  sur  la  dominante  du  ton  principal  très  délicatement  écrit.  Gela  pour- 
rait être  beau  et  significatif,  mais  il  ne  semble  pas  possible  de  le  mettre  tout  à  fait 
en  valeur,  parce  que  la  région  dans  laquelle  est  noté  le  passage  et  la  manière  dont 
il  est  accompagné  par  l'orchestre  ne  soutiennent  pas  suffisamment  l'impression. 
Profonde,  virginale  et  pleine  d'âme  apparaît  la  seconde  partie  qui  porte  l'indication 
«  lentement  ».  "Vient  ensuite  une  mélodie  pleine  d'expression.  Que  n'a-t-il  pu  durer 
ce  moment  de  conception  beau  comme  un  rêve  du  maître  divin!  La  mélodie  en  est 
si  chaleureuse,  si  intime,  telle  que  Schumann  en  écrivait  aux  anciens  jours  d'inspi- 
ration !  Mais  la  fantaisie  florissante,  il  m'en  coûte  beaucoup  de  l'avouer,  fait  place 
bientôt  à  des  tâtonnements  maladifs;  le  flot  s'arrête,  le  motif  se  développe  thémati- 
quement,  et,  comme  si  le  compositeur  avait  hâte  de  s'arracher  à  la  monotonie  de  ses 
idées,  il  reprend  son  élan  pour  arriver  à  uoe  accélération  de  mouvement  qui  aboutit 
au  dernier  morceau,  à  trois  temps,  en  forme  de  polonaise,  portant  l'indication  :  a  Avec 
vivacité  mais  pas  vite  ».  Le  motif  principal  revient  avec  une  impulsion  nouveLe, 
mais  sans  variété  dans  les  développements.  Le  rythme  manque  alors  de  souplesse. 
D'intéressants  détails  abondent  pourtant  ici,  par  exemple  les  réminiscences  gra- 
cieuses de  l'adagio,  formant  contraste  avec  le  motif  un  peu  pompeux  du  final.  Mais 
l'on  ne  peut  éprouver  un  moment  de  satisfaction  complète;  on  sent  que  c'est  de 
l'habitude,  et  non  plus  d'une  inspiration  joyeuse,  qu'émanent  les  développements. 
Les  répétitions  deviennent  fatigantes  et  les  traits,  qui  voudraient  être  brillants, 
exigent  du  violon  solo  un  travail  excessif  et  ingrat.  Vous  comprenez  maintenant, 
mon  cher  Moser,  pourquoi  vous  avez  dû  m'éerire  si  souvent  pour  obtenir  les  rensei- 
gnements que  je  vous  donne.  On  se  résigne  difficilement  à  faire  des  restrictions  sur 
les  œuvres  d'un  maître  que  l'on  s'est  habitué  à  aimer  et  à  vénérer  de  tout  son  cœur. 
Berlin,  5  août  1898.  Joseph  Joachim. 

Le  concerto  inédit  de  Schumann  sera  essayé  prochainement  à  Berlin  devant 
des  auditeurs  admis  sur  invitations.  On  craint  de  nuire  à  la  gloire  du  maître 
en  le  faisant  entendre  dès  l'abord  en  public. 


—  De  Vienne  :  à  l'occasion  du  soixantième  anniversaire  de  l'avènement  au 
trône  de  l'empereur  François-Joseph,  la  direction  de  la  Volksoper  organise, 
pour  le  mois  de  mai  prochain,  des  «  Kestspiele  »  dont  le  programme  est  ainsi 
fixé  ;  2  mai,  Lohengrin  ;3  mai,  les  Noces  de  Figaro  ;  o  mai,  Tannhâuser:  6  mai, 
Lohennrin  :  7  mai,  Fidelio  :  8  mai,  Tannhâuser  ;  10  mai,  Don  Juan  ;  12  mai, 
Fidelio.  Parmi  les  artistes  qui  prêteront  leur  concours  à  ces  représentations 
de  gala,  citons  :  Mmes  Burk-Berger  et  Preuse-Matzenauer,  de  l'Opéra  de  la 
Cour  de  Munich  ;  Fleischer-Edel  (Hambourg),  Leffler-Burkhard  (Opéra  de  la 
Cour  de  Wiesbaden),  Minnievon  Nast  (Opéra  de  la  Cour  de  Dresde).  Margue- 
rite Siems  (Prague).  Svaerdstroem-Werbeck  (Tbéàtre-Royal  de  Stockholm)  ; 
MM.  Henri  Albers  (Paris),  Alfred  de  Bary  (Dresde),  Frédéric  Brodersen 
(Munich)  et  de  tous  les  artistes  de  la  Volksoper.  La  direction  musicale  a  été 
confiée  aux  kapellmeisters  de  la  Cour,  Karl  Gille  et  Alexandre  von  Zem- 
linsky. 

—  Il  parait  quel'un  des  plus  gros  succès  à  Vienne,  en  ce  moment,  est  celui 
qu'obtient  une  ballerine  marocaine  nommée  Sulamite  Rahu,  qui,  nu-pieds,  nu- 
jambes,  nu-bras  et  nu...  poitrine  (que  pourrait-on  demander  de  plus?  dit  un 
journal),  exécute  avec  habileté  les  danses  de  son  pays,  entre  autres,  la  danse 
des  épées  et  la  danse  du  ventre.  Le  publie  chaque  soir  accourt  en  foule. 
Grand  bien  fasse  aux  Viennois.  Nous  savons  à  quoi  nous  en  tenir  là-dessus, 
après  nos  Expositions. 

—  Un  concert  a  été  donné  à  Vienne  le  10  février  dernier  par  le  club  des  femmes 
viennoises.  Au  programme  n'avaient  été  admises  que  des  œuvres  de  compo- 
siteurs féminins.  On  a  entendu  un  Stabat  mater  de  la  vicomtesse  deGrandval; 
un  chant  religieux  de  Louise  Reichardt,  la  fille  de  l'écrivain  musical  du  même 
nom.  morte  en  1826;  un  psaume  pour  solo  et  chœur  de  femmes,  de  Kitty  von 
Escherich:  des  pièces  pour  piano  de  Clara  Wieck,  l'épouse  de  Schumann,  de 
C.  vonHerzogénburg  et  de  MIle  Cécile  Chaminade.  Les  compositrices  de  lieder 
étaient  représentées  par  Fanny  Mendelssohn,  sœur  du  maitre,  morte  le  17 
mai  1847. 

—  L'Union  des  entreprises  de  théâtre  et  de  concert  de  l'Autriche,  suivie 
en  cela  par  l'Association  des  scènes  théâtrales  autrichiennes  et  par  la  Société 
musicale  d'Autriche  Hongrie,  a  décidé  que  chaque  coupon  pour  une  place  de 
théâtre  ou  de  concert  serait  majoré,  selon  son  prix,  d'un  supplément  variant 
entre  quatre  et  dix  centimes.  On  espère  que  le  public  acceptera  cette  petite 
surtaxe,  qui  est  destinée  à  grossir  le  fonds  des  retraites  pour  les  vieillards  et 
les  invalides  ayant  appartenu  au  monde  artiste,  et  pour  les  veuves  et  les 
orphelins  de  ces  derniers.  La  perception  a  commencé  le  15  février. 

—  Une  fête  musicale  presque  intime  a  été  donnée  à  Munich  à  la  mémoire 
d'Edouard  Grieg  et  au  profit  du  monument  qui  doit  être  élevé  en  l'honneur 
du  compositeur.  La  séance  était  ouverte  par  un  discours,  ou  plutôt  une  simple 
allocution  du  fils  de  Bjoernstjerne  Bjoernson,  rappelant  la  vie  et  la  carrière 
de  Grieg.  Le  programme  du  concert  comprenait  simplement  le  quatuor  en  sol 
mineur,  op.  27,  quelques  lieder  et  la  sonate  pour  violoncelle  en  la  mineur, 
op.  36. 

■ —  Malgré  ses  occupations  nombreuses  qui  l'obligent  à  des  déplacements 
fréquents  entre  Leipzig,  Berlin  et  Hambourg,  M.  Arthur  Nikisch  a  voulu 
témoigner  sa  sympathie  à  M.  Franz  Kaim  de  Munich  à  l'occasion  de  la  crise 
que  traverse  son  orchestre.  Il  lui  a  offert  d'entreprendre  avec  cet  orchestre, 
pendant  le  cours  de  l'automne  prochain,  une  tournée  de  concerts  dans  plu- 
sieurs grandes  villes  de  l'Europe. 

—  Le  théâtre  de  la  Place  Gaertner,  à  Munich,  a  donné  le  S  février  dernier 
la  première  représentation  de  l'opérette  nouvelle  la  Bonne  à  tout  faire,  musi- 
que de  M.  Henri  Reinhardt,  paroles  de  MM.  Waldberg  et  A. -M.  Willner. 

—  On  a  donné  à  Copenhague,  à  la  mémoire  d'Edouard  Grieg,  un  concert 
dont  le  programme  offrait  un  intérêt  tout  particulier,  car  il  ne  comprenait 
que  des  œuvres  écrites  par  Grieg  lui-même,  mais  qu'il  avait  cru  perdues  au 
cours  de  ses  voyages  et  qui  ont  été  retrouvées  depuis  sa  mort  par  sa  veuve, 
jjme  Nina  Grieg.  Ces  œuvres,  pour  la  plupart  récentes,  comprennent,  outre  un 
quatuor  à  cordes  et  un  certain  nombre  île  lieder,  toute  une  série  de  pièces  de 
piano  qui  ont  été  exécutées  à  souhait  par  le  pianiste  Jules  de  Rœntgen.  Elles 
sont,  au  dire  des  journaux  allemands,  plus  intéressantes  encore  par  leur 
valeur  propre  que  par  le  fait  de  la  curiosité  qui  s'y  rattache. 

—  On  va  fonder  un  Conservatoire  au  Pirée,  port  historique  d'Athènes,  qui 
est  aujourd'hui  une  ville  de  près  de  -iO.OUO  habitants.  C'est  M.  G.  Masos,  le 
directeur  du  Conservatoire  d'Athènes,  qui  a  été  chargé  de  l'organisation  du 
nouvel  établissement. 

—  Les  journaux  italiens  nous  apprennent  que  M.  Gabriele  d'Aununzio  écrit 
en  ce  moment  un  livret  d'opéra  pour  le  maestro  Ildebrando  Pizzetti,  le  compo- 
siteur qui  fut  son  collaborateur  pour  son  drame  la  Nave,  dont  il  écrivit  les 
chœurs,  les  danses  et  la  musique  de  scène.  L'ouvrage,  dont  la  donnée  est  à  la 
fois  historique  et  légendaire,  aura  pour  titre  la  Rosa  di  Cipro.  Le  maestro 
Pizzetti,  qui  paraît  avoir  en  ce  moment  tous  les  bonheurs,  vient  d'être  nommé, 
après  concours,  professeur  de  contrepoint  et  fugue  à  l'Institut  royal  musical 
de  Florence. 

—  Don  Fino,  le  prêtre  compositeur  qui  s'est  déjà  fait  connaître  par  divers 
ouvrages,  termine  en  ce  moment  deux  œuvres  importantes.  L'une,  intitulée 
Noemi  et  Rulh,  est  un  véritable  oratorio,  dans  toutes  les  conditions  du  genre; 
l'autre,  qui  a  pour  titre  Deborah  et  qui  est  aussi  inspirée  par  la  Bible,   est  ce- 


LE  MÉNESTREL 


03 


pendant  empreinte  de  passion,  de  sorte  qu'elle  forme  un  opéra  proprement 
dit.  Le  style  de  celle-ci  diffère,  par  conséquent,  complètement  de  celui  de 
la  première.  Noémi  et  Ruth  doit  être  exécutée  dans  le  cours  do  la  présente 
année. 

—  Depuis  plusieurs  années  la  Suisse  est  lasse  de  son  chant  national,  Rufst 
Du  mein  Vaterland...,  c'est-à-dire  :  Si  tu  mfappelles,  ô  ma  patrie!  que  l'on 
chante  sur  le  même  air  que  le  God  save  the  King;  mais  jusqu'à  présent  aucun 
autre  chant  n'a  paru  présenter  les  conditions  désirées  pour  remplacer  celui-là. 
L'hymne  bien  connu  TriU'st  im  Morgenroth  daher  (Quand  tu  Vacances  dans  la 
/unir  de  l'aube)  a  été  proposé  par  la  Suisse  française,  mais  ou  en  trouve  la 
poésie  trop  contemplative  et  l'on  regrette  que  la  musique  offre,  dès  le  déhut, 
une  ressemblance  assez  frappante  avec  la  Saulu  lucia  napolitaine.  En  atten- 
dant l'on  se  prépare  à  célébrer  cette  année  le  centième  anniversaire  de  la 
naissance  des  deux  poètes  Alberich  Zwissig,  né  le  17  novembre  1808,  auteur 
des  paroles  Rufst  Du  mein  Vaterland,  qui  ont  été  adaptées  à  la  musique  du  God 
save  the  King,  et  Leonhard  Widger,  né  le  12  juin  de  la  même  année,  qui  a 
écrit  le  texte  du  TriU'st  im  Morgenroth  daher.  Un  monument  commémoratif 
sera  érigé  à  ces  deux  poètes  dans  la  ville  de  Zurich,  sur  les  bords  du  lac. 

— ■  A  Zurich,  au  9°  concert  de  la  Tonhalle.  très  grand  succès  et  longues 
acclamations  pour  le  2e  concerto  de  Widor,  remarquablement  interprété  par 
Emile  Frey.  L'orchestre  était  dirigé  par  le  maître  Widor  lui-même,  qui  est 
reparti  dès  le  lendemain  pour  Leipzig,  où  il  va  diriger  au  Conservatoire  sa 
nouvelle  symphonie  avec  orgue. 

—  Apparition,  au  Théâtre-Principal  de  Barcelone,  d'une  nouvelle  zarzuela, 
intitulée  la  Reina  Volln.  «  Le  livret  de  Guimera,  dit  un  journal,  est  mille  fois 
supérieur  à  la  musique  qu'écrivit  pour  celte  fantaisie  le  maestro  Morera  ».  Il 
n'empêche  que  ce  petit  ouvrage  a  obtenu  un  grand  succès. 

—  On  annonce  que  la  prochaine  saison  d'opéra  au  Covent  Garden  de  Lon- 
dres commencera  le  30  avril  pour  prendre  fin  le  30  juillet.  Les  chefs  d'or- 
chestre seront  MM.  Richter,  Campanini  et  Panizza. 

—  On  télégraphie  de  Londres  que  le  Théâtre-Royal  de  Windsor  a  été  détruit 
par  un  incendie  qui  a  éclaté  hier  matin  à  cinq  heures.  Les  causes  du  sinistre 
ne  sont  pas  encore  nettement  déterminées. 

—  On  a  publié  récemment  à  Cambridge  la  biographie  du  musicien  anglais 
William  Sterndale  Bennett  (1816-1875).  Parmi  les  documents  que  nous  ren- 
controns dans  cet  ouvrage  se  trouve  une  lettre  de  Schumann  relative  à  un 
voyage  projeté  en  Angleterre.  Ce  voyage  ne  put  avoir  lieu,  mais  la  lettre 
indique  combien  étaient  modestes  les  prétentions  du  compositeur,  alors  à 
l'apogée  de  la  réputation  qu'il  put  acquérir  de  son  vivant,  et  celles  de  Clara 
Schumann  qui  avait  obtenu  pendant  sa  carrière  déjà  longue  de  glorieux  suc- 
cès de  pianiste.  Nous  reproduisons  le  fragment  suivant  de  la  lettre  : 

Dusseldorf,  S  janvier  1854. 

Nous  arriverions  à  Londres  au  commencement  de  mai  et  rentrerions  pour  le 

1"  juin.  La  question  se  pose  :  Pourrions-nous,  en  si  peu  de  temps,  gagner  assez 
pour  couvrir  les  dépenses  de  notre  voyage  et  de  Dotre  entretien  quotidien  que  nous 
évaluons  au  moins  à  2.500  francs.  Si  vous  pensez  que  nous  pouvons  avoir  cela,  nous 
ne  demanderons  rien  de  plus.  Je  voudrais  mentionner  une  autre  chose;  vous  n'en 
serez  pas  surpris  puisque  vous  m'en  avez  parlé  déjà  dans  votre  lettre- Je  ne  voudrais 
pas  rester  oisif  à  coté  de  ma  femme,  mais  je  voudrais  me  faire  connaître  comme 
compositeur  et  comme  chef  d'orchestre  ;  c'est  là  mon  plus  grand  désir.  Pourriez- 
vous  négocier  en  ce  sens.  Il  y  aurait  peut-être  chance  d'aboutir  avec  la  société  phil- 
harmonique. J'ai  beaucoup  d'o-uvres  qui  pourraient,  je  l'espère,  trouver  bon  ac- 
cueil en  Angleterre  :  te  Paradis  et  la  Péri,  une  ouverture,  la  musique  mélodrama- 
tique pour  Manfred  de  Byron,  une  symphonie  nouvelle  récemment  achevée  et 
beaucoup  d'autres  choses  qu'avant  tout  j'aimerais  à  vous  faire  connaître. 

Clara  Schumann  ne  put  aller  en  Angleterre  que  cinq  ans  après,  en 
juin  1836;  elle  y  donna  quelques  concerts  et  dut  même  revenir  en  toute  hâte, 
ayant  été  prévenue  que  son  mari  touchait  à  sa  dernière  heure,  dans  la  mai- 
son de  santé  d'Endeuich.  près  de  Bonn.  Elle  conserva  toujours  la  plus  vive 
reconnaissance  à  la  famille  de  Slerndale  Bennett.  Trente-trois  ans  après,  elle 
écrivait  à  son  fils  :  «  Je  n'oublierai  jamais  combien  vos  parents  ont  été  bons 
pour  moi  quand  je  suis  venue  pour  la  première  fois  en  Angleterre.  » 

—  Le  retentissant  succès  de  Louise  en  Amérique  a  eu  cet  effet  inattendu  de 
soulever  dans  les  journaux  et  dans  le  public  une  polémique  vive  et  prolongée 
entre  les  partisans  de  l'art  ancien,  admirateurs  exclusifs  des  opéras  italiens  du 
répertoire,  et  les  adeptes  de  l'art  nouveau,  dont  M.  Gustave  Charpentier  se 
trouve  être  à  New-York  le  représentant  le  plus  en  vue.  La  belle  interprète  de 
Louise,  MUe  Mary  Garden,  bien  Française  par  son  éducation  artistique,  mais 
Américaine  de  naissance,  ne  pouvait  manquer  d'être  entraînée  dans  la  mêlée. 
Elle  a  exprimé  ses  vues  sur  l'art  vocal  scénique  avec  beaucoup  de  compétence, 
les  résumant  ainsi  dans  des  lignes  publiées  par  le  Musical  America  :  «Mon 
art  diffère  entièrement  de  celui  des  autres  chanteurs  d'opéra.  Les  succès  que 
j'ai  remportés,  et  ceux  que  j'espère  obtenir  encore,  ne  sont  pas,  ne  seront  ja- 
mais des  succès  rie  cordes  vocales.  J'ai  trouvé  le  genre  qui  convient  à  ma  voix: 
je  veux  être  jugée,  non  point  seulement  d'après  mon  chant,  mon  jeu  ou  ma 
tenue  sur  la  scène,  mais  d'après  la  résultante  de  toutes  ces  choses  combi- 
nées. »  Quant  à  l'œuvre  qui  a  fourni  à  Mlle  Mary  Garden  l'occasion  de  se  pré- 
senter à  ses  compatriotes  sous  un  jour  entièrement  favorable,  voici  comment 
elle  a  été  jugée  tout  récemment  par  M.  Gustave  Mahler.  qui  en  donna  la  pre- 
mière représentation  à  l'Opéra  de  Vienne  le  24  mars  1903  :  «  Louise  est  une 
œuvre  caractéristique  de  l'époque.  Charpentier  est  un  musicien  de  génie. 
Louise  est  un  modèle  que  les  compositeurs  feraient  bien  d'étudier.  Elle  vivra». 


—  On  câble  de  New-York  au  Daily  Mail  qu'un  comité  international  de  di- 
recteurs d'Opéras  y  est  en  formation,  qui  se  donnerait  comme  lâche  de 
réduire  les  gages  exagérés  qu'on  paie  actuellement  aux  chanteurs  et  canta- 
trices. Une  réunion,  à  laquelle  plusieurs  représentants  d'Opéras  européens 
auraient  pris  part,  aurait  m  lieu  ces  jours-ci  au  Metropolitan-Opera,  réunion 
au  cours  de  laquelle  on  aurait  désigné  une  commission  permanente  chargée 
rie  veiller  sur  les  intérêts  du  comité  directorial  international.  Ce 
première  fois  qu'une  information  do  ce  genre  est  mise  eu  circulation.  Nom 
croyons  que  cette  fuis  encore  un  peu  de  réserve  est  rie  circonstance. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 
Le   fait   saillant  de   la  semaine  à  l'Opéra  a  consisté  dans   les   débuts  de 
Mllc  Lapeyrette  dans  Samson  et  Dalila.  i  in  sait  que  cette  jeune   artiste  fut  une 
des  triomphatrices  des  derniers  concours  du  Conservatoire,  el 
tenu  l'autre  soir  devant  le  public  le  drapeau  de  l'École.  Il  y  a  certes  beaucoup 
à  espérer  de  M"'-  Lapeyrette. 

—  Pourquoi  l'Opéra  ne  reprendrait-il  pas  une  ancienne  tradition  que  la 
direction  Gailhard,  qui  eu  a  abandonné  bien  d'autres,  a  laissé  fâchi 
tomber  en  désuétude.  Cette  tradition  consistait  à  indiquer  sur  l'affiche,  en 
chiffres  très  apparents,  le  nombre  de  représentations  dfi  o  ragi  -présenté. 
On  a  annoncé,  pour  la  réouverture,  la  1299  de  Faust:  pourquoi  ne  pas  faire 
de  même,  comme  cela  se  faisait  naguère,  pour  tous  les  ouvrages  du  réper- 
toire? Il  n'est  pas    sans  intérêt,  même  pour  le  specteur  vulgaire,  de 

de  savoir  que  les  Huguenots,  par  exemple,  ont  dépassé  leur  1050e  représenta- 
tion, et  que  Guillaume  Tell  approche  de  sa  900'-'.  Ce  sont  là  d'ailleurs  des  litres 
de  gloire,  non  seulement  pour  ces  ouvrages  et  pour  leurs  auteurs,  mais  pour 
l'Opéra  lui-même,  et  nul.  parmi  le  public,  ne  songerait  assurément  à  se 
plaindre  du  petit  renseignement  historique  qui  lui  serait  ainsi  offert.  Même 
observation  est  faite  à  l'Opéra-Comique,  très  intermittent  sous  ce  rapport. 

—  A  l'Opéra-Comique.  la  répétition  générale  de.  lu  Habituera,  de  M.  Raoul 
Laparra  elie  Gligslaine,  de  M.  Marcel  Bertrand,  parait  fixée  à  lundi  prochain  et 
la  première  représentation  à  mercredi.  Spectacle  de  jeunesse  puisque  M.  La- 
parra  a  trente  et  un  ans  et  M.  Bertrand  vingt-trois.  Que  la  fortune  leur  soit 
légère  '. 

—  Spectacles  de  dimanche  à  l'Opéra-Comique  :  en  matinée,  Manon;  le  soir, 
la  Traviata  et  Cavatleria  ruslicana.  Lundi,  en  représentation  populaire  à  prix 
réduits  :  Mignon. 

—  Après  Mireille,  après  Mignon  et  /'■  Rarbier  de  Séoilte,  le  Théâtre-Lyrique 
municipal  passe  à  Lahmé.  C'est  toujours  d'un  intérêt  palpitant.  Quand  la 
municipalité  que  l'Europe  nous  envie  se  mêle  de  choses  d'art,  on  voit 
comme  elle  y  réussit  '.  Ces  gens-là  sont  tout  au  plus  bons  pour  organiser  des 
orphéons  ou  des  fanfares  et  ils  ont  la  prétention  de  faire  vibrer  la  lyre  d'Or- 
phée. Oh  1  les  maladroits  ! 

—  Hier  soir  vendredi,  au  théâtre  des  Variétés,  on  a  dû  donner  la  première 
représentation  (reprise)  de  Geneviève  de  Rrabant,  d'Offenbach,  grande  édition 
revue,  agrandie  et  illustrée  par  le  directeur  Fernand  Samuel.  Samedi  prochain 
nous  rendrons  compte  de  toutes  ces  merveilles. 

—  Trop  longtemps  négligé.  Rameau,  par  un  juste  retour  de  faveur,  a  repris 
depuis  quelques  années  la  place  qui  lui  est  due  parmi  les  fondateurs  du  drame 
lyrique.  Après  la  réédition  de  ses  œuvres,  après  l'hommage  unanime  de  la 
jeune  école  musicale  et  delà  critique  française,  il  ne  lui  manquait  plus  qu'une 
étude,  digne  de  son  génie,  pour  ressusciter  sa  grande  figure.  Cette  étude, 
M.  Louis  Laloy  nous  la  donne  aujourd'hui  dans  un  Rameau,  publié  à  lalibrairie 
Félix  Alcan  (collection  des  Maîtres  de  la  Musique).  M.  Louis  Laloy  étudie 
d'abord  la  vie  de  son  héros,  dont  il  caractérise  ensuite  l'esprit  par  des  traits 
justes  et  sobres,  pour  montrer  dans  son  œuvre  le  type  achevé  de  cet  art  clas- 
sique français,  celui  de  Racine  ou  de  Poussin,  où  s'équilibrent  dans  une 
parfaite  harmonie  la  raison  et  la  sensibilité.  Consacré  au  Maître  qui,  entre 
tous,  fut  à  la  fois  un  savant  et  un  artiste,  cet  ouvrage  est  lui-même  d'un 
savant  et  d'un  artiste.  (1  vol.  in-8  écu,  3fr.  50  c.) 

—  Aujourd'hui,  à  cinq  heures,  au  Théàtre-Sarah-Bernhardt.  16e  samedi  de 
la  Société  de  l'histoire  du  théâtre.  Causerie  de  M.  Pierre  Soulaine  sur  lu  Ro- 
mance, accompagnée  du  programme  suivant  : 

Charmante  Gabrielle  (attribué  àHenri  Vf),  par Jl»°Rollin;Sout«n<"rs (Victor Massé), 
par  M.  Nansen;  Plaisir  d'amour  (Martini),  par  M"1  Mancini;  Femme  sensible  Méhul  . 
par  M.  Nansen  ;  Un  jeune  Troubadour  qui  chante  et  fait  la  guerre  (Ltelamare),  par 
Mu«  Mancini;  Adieu  (Schubert),  par  M""  Borgo;  le  Soleil  de  ma  Bretagne  Loisa  Pu- 
get),  par  M""  Jeanne  Darlays;  le  Luc  NiedermeyerJ,  par  M11"  Borgo;  VAndaloust 
(Monpou),  par  M.  Nucelly;  Mu  Normandie  (Frédéric  Bérat),  par  M""  Mancini;  te 
Myrtes  sont  flétris  (J.  Faure-  ;  te  Illusions  (poésies  du  prince  de  Tarente,  musique  de 
M.  L.  Broussan),  par  M.  Nucelly  ;  lu  Muison  grise  (tiré  de  Forlunio,  Audit  Messa- 
ger), par  M.  Nansen. 

—  Correspondance  : 

Monsieur  le  Rédacteur, 

Permettez-moi  de  présenter  quelques  mots  de  rectification  an  sujet  du  bienveil- 
lant article  que  le  Ménestrel  du  samedi  8  février  a  consacré  à  mes  recherches  sur 
l'origine  de  la  mélodie  du  God  saee  llie  King. 

1°  En  ce  qui  concerne  Eaendel,  je  n'ai  pas  dit  qne  ce  compositeur  avait  fait  une 
version  pour  le  roi  George  de  Hanovre,  mais  qu'on  avait  aussi  mis  son  nom  en 
avant  dans  la  nomenclature  présumée  des  auteurs  delà  mélodie  du  God  save  Ou 
King. 

2»  Je  ne  prétends  point  que   Zwyssig  d'auteur  de  la  musique  du  Cantiq 
ait  adapté  à  la  mélodie  un  texte  nouveau  qui  aurait  été  ensuite  traduit  en  français  e: 
en  italien. 


64 


LE  MENESTREL 


Le  texte  allemand  de  notre  Rufst  du,  mein  Vaterland,  qui  se  chante  comme  hymne 
officiel  dans  la  Suisse  allemande,  est  de  Jean-Rodolphe  Wyss  (né  à  Berne,  le  4  mars 
1782  et  mort  dans  cette  mémo  ville,  le  21  mars  18301,  tandis  que  le  texte  français, 
très  populaire  dans  la  Suisse  romande,  est  de  M.  Henri  Roehrich  père,  pasteur  à 
Genève. 

En  résumé,  je  crois,  mais  sans  pouvoir  l'affirmer  d'une  manière  absolue,  que  la 
mélodie  du  God  save  a  pour  origine  notre  vieux  chanl  genevois  de  l'Escalade,  qui 
fut  chanté  pour  la  première  fois  à  un  banquet  en  1603.  L'auteur  des  paroles,  comme 
celui  de  la  musique,  est  resté  inconnu. 

Je  conclus  que  la  mélodie  ci-dessus  a  pu  être  empruntée  à  un  air  populaire  déjà 
connu  avant  1603,  que  l'auteur  ou  les  auteurs  ont  modifié  et  accommodé  à  leurs  inten- 
tions. En  tout  cas,  la  ressemblance  entre  notre  vieil  air  genevois  et  la  mélodie  du 
God  save  est  très  frappante.  Cela  est  tellement  vrai,  qu'un  jour,  ayant  fait  chanter 
la  mélodie  du  Ce  qu'é  l'aino,  parles  élèves  de  ma  classe  de  solfège  au  Conserva- 
toire, un  monsieur  anglais,  qui  assistait  à  ma  leçon,  s'approcha  de  moi,  me  disant  : 
«  Cet  air,  c'est  le  God  save  à  l'envers  !  » 

En  vous  remerciant  de  l'hospitalité  que  vous  voudriez  bien  accordera  ces  quelques 
rectifications,  veuillez  agréer,  Monsieur  le  Rédacteur,  l'assurance  de  ma  haute  con- 
sidération. 

H.  Kling, 
Genève,  12  février  1908.  Professeur. 

—  Le  Grand-Théâtre  de  Lyon  a  donné,  le  11  février,  la  première  représen- 
tation d'un  opéra  inédit  en  trois  actes  et  quatre  tableaux,  Madeleine,  paroles  de 
M.  Louis  Payen,  musique  de  M.  Valentin  Neuville,  dont  les  principaux  rôles 
ont  pour  interprètes  M"es  Glaessens  et  de  Wailly  et  MM.  Gaidan  et  Faure- 
Fernet.  M.  Valentin  Neuville,  qui  a  fait  son  éducation  musicale  au  Conserva- 
toire de  Bruxelles,  où  il  a  obtenu  les  premiers  prix  d'harmonie  et  d'orgue, 
est  depuis  longtemps  fixé  à  Lyon,  où  il  remplit  les  fonctions  d'organiste  à 
l'église  Saint-Nizier.  Il  a  déjà  fait  représenter  au  Grand-Théâtre,  en  1906,  un 
premier  ouvrage  intitulé  Tiphaine,  et  il  a  fait  exécuter  le  mois  dernier,  aux 
Grands-Concerts,  un  «  triptyque  »  musical  sous  le  titre  de  Fourvières. 

—  D'Alger,  on  nous  télégraphie  l'énorme  succès  remporté  par  la  Tlié'èse 
de  Massenet,  qui  fut  tout  un  triomphe  pour  sa  principale  interprète, 
Mme  Bawlers.  tragique  et  émouvante.  La  pièce  a  été  montée  avec  grand  soin 
par  le  directeur  Carvalho  et  toute  la  presse  constate  cette,  belle  réussite. 

—  La  vaillante  Société  chorale  d'amateurs  Guillot  de  Sainbris,  actuellement 
dirigée  par  M.  J.  Griset  avec  grand  talent  et  grand  succès,  nous  a  donné  un 
concert  très  intéressant,  selon  sa  coutume.  Il  s'ouvrait  par  le  prologue  et  la 
6e  partie  des  Béatitudes  de  César  Franck,  que  la  Société  exécuta  la  première, 
croyons-nous,  en  1880,  l'auteur  tenant  l'orgue  à  la  chapelle  du  Palais  de  Ver- 
sailles. Car  le  bon  César  Franck  fut  pendant  vingt  ans  l'accompagnateur  atti- 
tré de  la  Société  d'amateurs,  qui  s'en  souvient  avec  fierté.  Venaient  ensuite  le 
joli  chœur  Sur  la  mer  de  M.  d'Indy;  deux  chansons  chorales  du  XVIe  siècle  et 
le  Miserere  du  regretté  Alpb.  Duvernoy.  Dans  la  2°  partie,  deux  chœurs  dans 
le  genre  ancien  de  M.  Reynaldo  Ilahn,  tout  à  fait  délicieux  :  Pleurez  avec 
moi  (Agrippa  d'Aubigné)  et  les  Fourriers  d'été  (Cb.  d'Orléans),  lre  audition,  ont 
été  brillamment  tétés.  Puis  le  2e  acte  de  la  Jacquerie,  de  M.  Arthur  Coquard,  a 
retrouvé  tous  les  bravos  qui  l'accueillaient  aux  représentations  de  l'Opéra- 
Comiquo  il  y  a  quelque  douze  ans.  Enfin,  un  chœur  très  enlevé  deTschaïkowsky. 
L'exécution  de  tous  ces  morceaux  si  divers  a  été  remarquable  par  les  chœurs 
dont  le  rôle  était  prépondérant  et  les  plus  chaleureux  éloges  sont  dus  aussi 
aux  solistes  :  Mmos  Judith  Lassalle,  Herbelin,  Lasseline-Grisy;  MM.  Et.  Millot, 
Boucrel,  Laurent-Lasson,  etc. 

—  Au  dernier  concert  H.  Lefort,  salle  des  Agriculteurs,  Mme  Bureau-Ber- 
thelot  a  chanté,  de  façon  à  se  la  faire  bisser,  la  mélodie  de  Ch.  Levadé  :  Sur 

la  Montagne. 

—  Au  concert  de  M1,e  Magdeleine  Trelli,  gros  succès  pour  les  Abeilles,  de 
Théodore  Dubois,  et  le  Caprice  en  ré  mineur  d'Antonin  Marmontel. 

—  M.  Léon  Moreau  nous  prie  de  prévenir  les  amis  et  admirateurs  du  re- 
gretté chanteur  Paul  Daraux  si  souvent  applaudi  à  Paris  qu'une  souscription 
publique  est  ouverte  en  faveur  de  sa  veuve  et  que  les  souscriptions  doivent 
être  adressées  à  M.  Serge  Basset,  26,  rue  Drouot. 

—  Soirées  et  concerts.  —  Le  barytoa  Paul  Seguy  vient  de  donner  sa  3"  matinée  de 
la  saison,  avec  son  succès  habituel.  La  première  partie  de  la  séance  fut  consacrée  à 
l'audition  de  quelques  élèves  :  M""'  et  M""  Barlet,  Barry,  Godol'e,  Guibbert,  Saville, 
Tresse,  M.  Maunoury,  qui  ont  tous  fait  montre  de  véritables  qualités.  La  seconde 
partie  fut  occupée  par  M"1  Germaine  Dienne,  l'excellente  violoncelliste, M""  Blanche 
Huguet,  l'admirable  soprano  dramatique  et  enfin  le  maître  de  la  maison.  Parmi  les 
morceaux  chaudement  applaudis  :  le  l'1  air  d'Hérodiade  et  VHeure  douce  de  Massenet  ; 
Prxerpine  de  Paisiello;  Iphigcnic  do  Campra;  le  Nil  de  X.  Leroux;  les  couplets  de 
Chérubin  dî  Mozart,  etc.,  etc.  —  A  l'audition  artistique  chez  M—  J.  Aron,  succès  pour 
M.  Béral  dans  Pluie  en  mer  de  L.  Filliaux-Tiger  accompagné  par  l'auteur  et  pour 
M"1  Demougeot  et  M.  Gautier  dans  le  duo  de  Sigurd.  —  Chez  l'excellent  professeur 
M""  Touzard,  qui  tenait  avec  maitrise  le  piano,  matinée  musicale  consacrée  aux  œu- 
vres de  M.  Henri  Maréchal;  on  a  chaudement  applaudi  M""  Péri  dans \  Malgré  moi , 
M""  Geist  dans  l'arioso  de  Daphnis  et  Clûoè,  M™1  Poinsot  dans  celui  de  la  Taverne  des 
Trabans,  M"'  Gautier  avec  une  prière  de  Calendal,  M.  Choinet,  enlin,  dans  des  pièces 
de  violoncelle  qui  ont  même  obtenu  les  honneurs  du  bis.  —  Dimanche  dernier  a  eu 
lieu,  salle  Erard,  l'audition  des  élèves  des  cours  supérieurs  de  M.  Girardin  Marchai, 
sous  la  présidence  de  M.  I.  Philipp,  professeur  au  Conservatoire,  avec  le  gracieux 
concours  de  M""  Achard,  Bourgarel,  Baron,  Schaefer  et  de  MM.  Lafleurance  et 
Courras  de  l'Opéra  et  Bernard  et  Schaefer.  Grand  succès  pour  les  élèves  de  M"'  Gi- 
rardin Marchai  dont  la  plupart  sont  déjà  des  virtuoses  accomplies  ainsi  que  pour  les 
excellents  interprètes.  Parmi  les  élèves  les  plus  applaudies  citons  :  LelyLamyfFa/se- 


capriee  de  I.  Philipp) ,  Jeanne  Lafleurance  (Mandolinata  de  Saint-Saêns-Paladilhe) , 
Nathalie  Radesse  (Paraphrase  sur  Rigolelto),  Jeanne  Lefèvre  (concerto  de  Grieg) , 
Lucienne  Schneider  (12-  Rapsodie  de  Liszt).—  Très  belle  matinée  chez  M""  Blanche 
Huguet,  l'admirable  cantatrice  qui  fit  applaudir,  après  VAIcesle  de  Gluck,  Noël  de 
neige  et  Vers  les  fleurs  de  Fourdrain,  des  mélodies  de  G.  Paulin,  puis  Chanson  de  ma 
mie,  Mélancolie,  le  Vin  de  l'Amour  et  Promenade  de  Paul  Puget  qui  obtinrent  les  honneurs 
du  bis  par  acclamation.  Les  auteurs  tenaient  le  piano.  A  coté  de  l'exquise  chanteuse- 
professeur,  on  applaudit  :  M"'  Bl.  Marot  qui  chanta  du  Paulin,  du  Paisiello  ;  M.  Paul 
Seguy  qui  chanta  de  grand  style  et  de  belle  voix  le  trio  i'Hamlet,  ayant  pour  parte- 
naire M-"  Huguet  et  Marot.  Gros  succès  pour  les  poésies  dites  si  puissamment  par 
M"'  Nancy  Verriet.  —  Très  intéressante  audition  d'élèves  chez  M™"  Duez,  et  vif  succès 
pour  les  airs  d'IIérodiade  iM""  Rheims),  à'Esclarmonde  (M"'  Tournieri  et  de  Thaïs 
(M"'  Cadet-Labb.  M"'  Plocque  a  très  bien  chanté  Moi  de  Beynaldo  Hahn,  et 
M""  Donatelli  et  M"°  Cadet-Lubi  ont  uni  leurs  jolies  voix  dans  le  duo  du  Roi  d'Ys.  — 
Dans  les  salons  de  la  rue  de  Ponthieu,  très  intéressante  audition  des  élèves  du 
distingué  violoniste  M.  André  Tracol,  dont  quelques-uns  sont  en  passe  de  deve- 
nir de  véritables  virtuoses.  Accompagnés  par  leur  professeur,  ils  ont  joué  des 
œuvres  de  Beethoven,  Schumann,  Saint-Saëns,  Dvorak,  etc. 

NÉCROLOGIE 
Encore  un  vieux  compagnon,  un  bon  camarade  auquel  il  me  faut  adres- 
ser ici  le  dernier  adieu.  Georges  Pfeifi'er,  qu'une  maladie  cruelle  et  doulou- 
reuse tenait  éloigné  de  tout  depuis  plusieurs  mois,  a  succombé  le  14  de  ce 
mois.  Fils  d'une  pianiste  justement  renommée,  M"1"  Clara  Pfeiffer,  à  qui  il  dut 
son  remarquable  talent  de  virtuose,  il  était  né  à  Versailles  le  12  décembre 
183S,  et  reçut  pour  la  composition  les  leçons  de  Maleden  et  de  Damcke.  Il  se 
produisit  de  bonne  heure  en  public  et  y  obtint  de  vifs  succès,  grâce  à  un  jeu 
plein  d'élégance,  dans  lequel  la  délicatesse  n'excluait  pas  la  vigueur.  Ses  trois 
concertos  avec  orchestre,  exécutés  par  lui  à  Paris  et  à  Londres,  furent 
accueillis  avec  une  grande  faveur.  En  même  temps  il  se  faisait  connaître 
comme  compos'iteur  de  musique  de  chambre,  avec  des  œuvres  intéressantes, 
écrites  avec  une  grande  pureté  de  forme  :  trio,  quatuor  el  quintette  avec 
piano,  sextuor  pour  instruments  à  vent,  sonate  à  deux  pianos,  sonates  avec 
violon  et  avec  violoncelle.  Puis  vinrent  des  œuvres  plus  importantes  encore: 
une  symphonie  :  un  Allegro  symphoniqite  pour  piano  et  orchestre;  Jeanne  d'Arc, 
poème  symphonique  (Cbàtelet  1872)  ;  Agar,  «  scènes  lyriques  »  (Mars  1875). 
Il  avait  aussi  le  désir  d'aborder  le  théâtre,  ce  qui  ne  lui  fut  donné  que  plus 
tard,  bien  que  dès  1S62  il  ait  fait  exécuter  dans  un  concert  un  petit  opéra- 
comique  intitulé  le  Capitaine  Pioch.  Il  réussit  enfin  à  faire  représenter  à 
l'Opéra-Comique  un  gentil  acte,  l'Enclume  (23  juin  1884),  et  plus  tard  un 
ouvrage  plus  important,  le  Légataire  universel  (6  juillet  1901),  dont  la  partition 
joignait  aune  inspiration  aimable  de  bonnes  qualités  de  facture  et  un  véri- 
table sentiment  scénique.  (Il  laisse  d'ailleurs  trois  opéras  inédits,  Jeanne  de 
Naples,  Kénilworth  et  les  Truands.)  A  tout  cela  ne  se  réduit  pas  son  bagage  con- 
sidérable de  compositeur,  qui  comprend  encore,  outre  de  nombreux  morceaux 
de  concert  (Polonaise  brillante,  Valse  rêveuse, Variations  artistiques,  Tarentelle 
a  deux  pianos,  etc.),  des  études,  des  sonatines,  des  romances  sans  paroles,  des 
mélodies  vocales...  Très  longtemps  recherché  comme  professeur,  Georges 
Pfeiffer  avait  renoncé  à  l'enseignement  pour  se  consacrer  à  ses  travaux,  et 
aussi  aux  soins  de  la  maison  Pleyel,  dont  il  était  le  principal  associé.  Il  était 
aussi,  depuis  la  mort  du  regretté  Samuel  Rousseau,  notre  président  à  la 
Société  des  compositeurs  de  musique,  du  comité  de  laquelle  il  faisait  partie 
depuis  plus  de  trente  ans,  et  à  laquelle  il  apportait  tout  son  dévouement. 
Enfin,  il  s'était  fait  connaître  aussi  comme  critique,  et  sous  ce  rapport  avait  été 
collaborateur  du  Voltaire  et  de  divers  journaux  de  modes.  —  Arthur  Pohgin. 

—  Le  mois  dernier  est  mort  dans  une  maison  de  santé  de  Reggio  d'Emilio, 
où  il  était  interné  depuis  plusieurs  années,  un  artiste  qui  avait  joui  naguère 
d'une  grande  et  légitime  renommée,  le  pianiste  Carlo  Andreoli.  Né  en  1840  à 
Mirandola,  d'une  famille  qui,  comme  celle  des  Puccini,  est  depuis  longtemps 
consacrée  à  la  musique,  il  étudia  d'abord  avec  son  père  et  un  de  ses  frères, 
puis  vint  à  Milan  et  fut,  au  Conservatoire,  élève  du  fameux  Angeleri.  Sorti 
de  l'école,  il  se  fit  connaître  bientôt  comme  virtuose,  obtint  de  très  grands 
succès  non  seulement  on  Italie,  mais  à  l'étranger  et  particulièrement  à 
Londres,  où  il  se  produisit  souvent  en  compagnie  de  Bazzini  et  de  Piatti.  Au 
bout  de  quelques  années  pourtant  il  revint  se  fixer  à  Milan,  où  il  fonda  des 
concerts  populaires,  puis  succéda  à  sen  maître  Angeleri  comme  professeur  au 
Conservatoire.  Il  conserva  ces  fonctions  jusqu'au  jour  où  sa  raison  sombra  et 
où  la  démence  obligea  à  l'enfermer.  Et  alors  il  fut  l'objet  d'un  bien  joli  acte 
de  tendresse  et  de  générosité  de  la  part  d'un  de  ses  élèves,  M.  Frugatta,  qui, 
pour  ne  lui  faire  perdre  ni  son  traitement  ni  son  droit  à  la  pension,  le  rem- 
plaça gracieusement  pendant  plusieurs  années. 

—  Un  professeur  de  piano  au  Conservatoire  de  Vienne,  Wilhelm  Dorr,  est 
mort  le  30  janvier  dernier.  Il  était  estimé  pour  son  enseignement  et  aussi 
comme  compositeur  de  mélodies  et  de  musique  religieuse. 

—  Karl  Nehe,  basse  à  l'Opéra-Royal  de  Berlin,  vient  de.  mourir  dans  cette 
ville  à  l'âge  de  50  ans.  Il  avait  obtenu  de  brillants  succès  à  Wio:baden,  à 
Dessau,  à  Karlsruho  et  dans  d'autres  villes.  On  l'appréciait  beaucoup  dans  les 
rôles  bouffes. 

—  Un  chanteur  de  talent,  Denis  O'Sullivan,  né  en  1868,  vient  de  mourir  à 
Colombus  (Ohio).  Bien  connu  à  Londres,  cet  artiste  qui  était  excellent  acteur, 
a  tenu  le  rôle  principal  dans  l'opéra-comique  de  M.  Charles  Stanford,  Shatnus 
O'Brien,  joué  en  1876. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


4014.  —  74e  àHÉE.  —  l\°  9. 


PARAIT  TOUS   LES   SAMEDIS 


Samedi  -29  Février  1908. 


(Les  Bureaux,  2 bls,  rue  Vivienne,  Paris,  n-  arr) 
(Le?  manuscrits  doivent  ôlrc  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


ENESTREL 


lie  flaméro  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL.     Directeur 


lie  fluméro  :  0  fi».  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  LettreB  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  — Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paria  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de   Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.   —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  ea  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (10*  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine  théâ- 
trale :  première  représentation  de  Gliyslàine  et  de  la  Habanera  à  l'Opéra-Comique, 
A.MÉDSE  Bol-tarel;  reprise  de  Genwiive  de  Brabant,  aux  Variétés,  Paul-Émile  Che- 
valier. —  111.  Revue  de?  grands  concert?.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 


MUSIQUE   DE   PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

TORÉADOR  ET  ANDALOUSE 

•danse  extraite  du  ballet   de  J.  Massknet,  Espada.  —  Suivra  immédiatement: 

G-ivotle,  extraite  du  ballot  de  Pall  Vidal  :  Zino-Zina. 


MUSIQUE  DE   CHANT 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
Lu  Grâce  suprême,  nouvelle  mélodie  de  René  Lexormand,  poésie  de  E.  Beaefils. 
—  Suivra  immédiatement:  Rose  du  bpisjoli,  chanté  dans  les  Jtimeaux  de  Befgame, 
de  Jaques-Dalcroze,  dont  la  représentation  est  prochaine  au  théâtre  de  la 
Monnaie  de  Bruxel'es. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 


CHAPITRE  III 


GLUCK    COMPOSITEUR    ITALIEN 

Dans  le  Recueil  de  la  Société  Internationale  de  musique  qui  porte 
la  date  de  «  Janvier-Mars  1908  »  (1),  M.  Francesco  Piovano,  de 
Rome,  a  donné,  sous  le  titre  :  Un  opéra  inconnu  de  Gluck,  un 
article  dans  lequel,  apportant  les  preuves  les  plus  décisives,  il 
a  établi  que  Gluck  n'a  jamais  écrit  qu'un  Arlamène,  celui  de 
Londres  en  1746,  et  que  l'opéra  qu'il  a  fait  représenter  àCrema 
en  1743  se  nomme  /(  Tigrane,  titre  resté  inconnu  antérieurement 
dans  l'énumération  des  œuvres  de  Gluck.  Pour  preuve,  il  présente 
un  exemplaire  du  livret  imprimé,  qui,  après  les  titres,  lieuj 
date,  dédicace,  etc.,  porte  à  la  place  accoutumée  la  mention  : 
«  La  Musica  sara  di  nuova  composizione  del  Sig.  Cristoforo  Gluck  »  ; 
il  y  retrouve  en  outre  les  paroles  de  dix  airs  qui  sont  parmi  les 
vingt  inscrits  au  catalogue  Wotquenne  sous  la  rubrique  Arlamène, 
et  il  y  a  toute  apparence  que  deux  pages  manquant  à  ce  livret 
contenaient  les  paroles  de  deux  autres  airs,  ce  qui  porte  à  douze 
le  nombre  des  morceaux  de  ce  Tigrane,  inconnu  hier,  dont  le 
manuscrit  du  Conservatoire  a  conservé  la  musique. 


il)  Nous  avons  déjà  cité  cet  article,  dont  on  remarquera  la  date,  dans  l'énuméra- 
tion des  œuvres  de  Gluck  paru  dans  le  numéro  du  1"  février  1908.  L'on  ne  nous 
reprochera  pas  d'être  en  retard  avec  les  publications  récentes,  pour  les  utiliser  et 
les  signaler  à  nos  lecteurs  ! 


Mais  ce  n'est  pas  tout,  et  le  titre  même  de  l'article  de  M.  Piovano, 
trop  modeste,  n'en  dit  pas  assez:  ce  n'est  pas  «  un  »:  opéra 
inconnu  de  Gluck  dont  il  nous  révèle  l'existence,  mais,  sinon 
deux,  tout  au  moins  un  et  demi  !  Nous  apprenons,  en  effet,  par 
la  suite  de  son  étude,  cette  autre  particularité  inédite  :  que 
l'opéra  de  Milan,  pour  inaugurer  sa  saison  de  174-3- 1 i-  (dont  le 
deuxième  spectacle  devrait  être  la  Sofonkba  de  Gluck)  avait 
représenté,  en  décembre,  un  Arsace  dont  la  musique  était  due  à 
la  collaboration  de  plusieurs  compositeurs,  non  nommés.  Or,  six 
des  airs  compris  dans  le  catalogue  thématique  à  l'article  Arlamène 
sont  écrits  sur  des  paroles  de  cet  Arsace  :  ils  sont  donc  de  Gluck  ; 
et  deux  autres  qu'on  retrouve  dans  d'autres  parties  du  recueil 
manuscrit  sont  dans  le  même  cas,  ce  qui  porte  à  huit  le  nombre 
des  airs  que  nous  savons  avoir  été  composés  par  Gluck  pour 
cet  opéra  non  moins  ignoré  hier  que  ne  l'était  Tigrane.  Ces  huit 
airs  appartiennent  tous  au  premier  acte,  qui,  d'après  le  livret, 
devrait  en  compter  dix,  plus  un  chœur  d'introduction  :  il  est 
permis  de  supposer  que  ce  chœur  et  les  deux  airs  qui  man- 
quent ont  été  perdus,  et  que  Gluck  a  composé  toute  la  musi- 
que du  premier  acte  (TArsace. 

Avant  de  poursuivre,  puisque  ce  manuscrit  du  Conservatoire 
de  Paris,  dont  il  est  tant  question  depuis  quelques  pages,  est  à 
peu  près  l'unique  source  qui  nous  renseigne  sur  la  musique  des 
premières  œuvres  de  Gluck,  il  convient  que  nous  l'étudiiuns 
dans  son  ensemble  et  avec  quelque  attention.  Aucune  descrip- 
tion n'en  a  encore  été  faite  (son  existence  même  a  fait  l'objet 
de  quelques  mystères  jusqu'à  ces  derniers  temps). M.  Wotquenne 
est,  à  ma  connaissance,  le  seul  qui  en  ait  fait  usage,  et  c'est 
d'après  ses  seules  indications  qu'en  a  pu  parler  M.  F.  Piovano. 
Il  convient  donc  de  traiter  ce  document  comme  on  fait  pour  les 
manuscrits  du  moyen  âge,  car  il  en  a  la  même  importance,  et 
la  même  rareté.  Bien  que  sortant  un  peu  du  cadre  d'une  biogra- 
phie et  plutôt  destinée  à  un  travail  purement  bibliographique, 
cette  étude  est  trop  intimement  liée  à  notre  sujet,  et  en  même 
temps  trop  nécessaire,  inédite  aussi,  pour  que  nous  craignions 
de  l'entreprendre  ici. 

L'ensemble  du  recueil  se  compose  de  cinq  volumes  reliés  :  la 
reliure  est  moderne  (des  environs  de  ISiO),  et  les  feuillets  des- 
tinés à  recevoir  des  inscriptions  particulières  (titres,  tables,  cotes) 
sont  remplis  d'écritures  successives  de  trois  sous-bibliothécaires: 
Leroy,  Octave  Fouque,  et  moi-même.  Sur  les  dos  sont  inscrits 
les  titres  suivants  :  pour  les  trois  premiers  volumes  :  Gluck  : 
Airs,  Scènes,  Duos  italiens,  Vol.  A,  B,  C;  pour  les  deux  derniers, 
simplement  :  Airs,  Scènes;  la  lettre  [E  n'est  pas  gravée  sur  le 
dos  du  cinquième  volume,  où  elle  est  inscrite  seulement  sur 
une  collette  apposée  à  une  époque  récente. 

Ces  cinq  volumes  réunissent  sous  la  même  reliure  des  copies 
(distinctes  entre  elles)  d'airs  pour  chant  avec  accompagnement 
d'orchestre,  écrits  uniformément  (sauf  quelques  exceptions)  sur 


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LE  MENESTREL 


papier  du  même  format  oblong,  dit  à  l'italienne.  La  collection 
semble  avoir  appartenu  au  Conservatoire  depuis  sa  fondation  : 
la  cote  d'inventaire  indique  qu'elle  fut  comprise  dans  le  pre- 
mier catalogue  des  livres  de  la  Bibliothèque.  Nous  ne  savons 
rien  de  plus  sur  sa  provenance.  Mais  il  résulte  du  contenu 
même  qu'elle  fut  établie  par  un  contemporain  ayant  une 
connaissance  très  exacte  de  l'œuvre  de  Gluck,  particulièrement 
de  sa  première  partie,  si  peu  connue  :  la  méthode  suivie  dans 
le  classement  en  est  la  preuve  certaine.  Aucun  nom  d'opéra 
n'est  inscrit  sur  les  registres  (sauf  pour  les  deux  derniers  vo- 
lumes, qui  sont  comme  un  supplément  postérieurement  cons- 
titué) ;  cependant  les  airs,  dont,  à  deux  ou  trois  exceptions  près, 
nous  connaissons  maintenant  toutes  les  provenances,  sont  géné- 
ralement groupés  par  œuvres. 

Un  rapide  coup  d'œil  sur  la  composition  de  l'ensemble,  main- 
tenant que  nous  voyons  clair  sur  le  détail,  va  nous  permettre 
de  rendre  compte  de  sa  composition. 

Le  volume  A  commence  par  une  série  de  cinq  airs  qui,  les 
plus  récemment  identifiés,  sont  parmi  ceux  qui  proviennent  de 
cet  Ai-sace  dont  l'existence  vient  d'être  révélée  par  notre  con- 
frère italien.  Il  importe  que  nous  nous  arrêtions  particulièrement 
sur  les  morceaux  appartenant  à  cette  œuvre  ainsi  qu'à  Tigrane  : 
nous  en  indiquerons  donc  les  titres  en  détail. 

N°  1,  Benchè  copra  al  sole  il  volto,  Aria  ciel  Sic/'  Gluch  (c'est  l'air 
final  de  la  8e  scène  du  1er  acte  d'Arsace).  Notons  que  le  chiffre 
•1749  inscrit  sur  ce  titre  du  morceau,  qui  est  aussi  la  première 
page  du  manuscrit,  n'est  pas,  comme  l'ont  cru  MM.  "Wotquenne 
et  Piovano,  une  date,  mais  la  cote  d'inscription  du  livre  à  l'in- 
ventaire de  la  Bibliothèque  du  Conservatoire. 

N°  2,  5e  ficlo  l'adorai,  Aria  ciel  Sig'  Cluch  (2e  scène  d'Arsace). 

N°  3,  Becitativo  :  No  che  non  hà  la  sorte  Piu  sventure  p.  mi,  con 
l'Aria  :  Fra  il  rimorso  e  fret  Vaffanno,  ciel  Sig1  Cluch.  Cette  dernière 
indication  est  une  erreur  du  copiste  :  les  premières  paroles  de 
l'air  sont  :  Si  vedro  cpiell'alma  ingrata;  c'est  l'air  final  du  premier 
acte  d'Arsace. 

N°  4,  Si  cadra  con  grave  scempio,  Aria  del  Sig'  Cluch  (4e  scène 
d'Arsace). 

N°  5,  Perfido,  traditore,  Aria  del  Sig'  Cluch  (10e  scène  d'Arsace). 

Ces  cinq  airs  sont  suivis  de  cinq  autres  empruntés  à  différents 
ouvrages,  savoir  :  L'Innocensa  justificata,  Ipermestra,  Orfeo,  C atone 
(air  détaché),  Esio. 

Puis  vient  la  série  complète  des  airs  de  Tigrane,  dont  nous  don- 
nons, comme  pour  Arsace,  les  titres  complets  : 

N°  10.  —  Sig'  Giudita  Fabiani  —  Nel  Teatro  di  Crema  —  del  Sig. 
Christoforo  Gluck.  Les  premières  paroles  sont  :  Vezsi  lùsinghe  e 
sguardi  (Tigrane,  acte  I,  scène  9).  Cet  air  a  été  introduit  plus  tard 
dans  la  La  Caduta  dei  giganti. 

N°  11.  —  Aria  Canto  solo  con  sinfonia  del  Sig1'  Xforo  Gluck.  — 
Sig'  Salembeni.  —  Paroles  :  Rasséréna  il  mesto  ciglio  (Acte  III, 
scène  11).  Paroles  reproduites  postérieurement  dans  Artamène, 
mais  avec  une  autre  musique. 

N°  12.  —  Il  Sig'  Felice  Salimbeni.  —  Del  Cristoforo  Cluch.  — 
In  Crema,  4743.  —  Paroles  :  Si  ben  mio  morro  se  il  moi  (Acte  I, 
scène  12). 

N°  13.  —  Sig"  Giuditta  Fabiani  —  nel  Teatro  di  Crema,  4743.  — 
Del  Sig'  Cristoforo  Gluck.  —  Paroles  :  Troppo  ad  un  aima,  e  caro 
(Acte  1,  scène  1).  Reproduit  dans  la  Finta  Schiava. 

N°  14.  —  //  Sig'  Giuseppe  Galieni.  —  Del  Sig'  Cristoforo  Cluch. 

—  In  Crema  4743.  Paroles  :  Care  pupille  amate  (Acte  II,  scène  15). 
N°  15.  —  Aria  Canto  Solo  con  sinfonia  de!  Sig'  Christoforo  Gluck. 

—  Sig"  Schieri  (Aschieri).   Paroles   :  Priva  del  Caro  bene  (proba- 
blement Acte  II,  scènes  13  à  15,  page  déchirée  du  livret). 

N°  16,  —  Sig'  Giuseppe  Gallieni,  nel  Teatro  di  Crema,  4743,  Del 
Sigr Xforo  Gluch.  Paroles  :  5e  spunta  arnica  Stella  (Acte  I,  scène  10). 

N°  17.  —  Sig*  Giuditta  Fabiani  Nel  Teatra  di  Crema.  Der  Sig'. 
Cristoforo  Cluch.  C'est  un  double  de  l'air  Vessi  lusinghe  e  sguardi, 
déjà  copié  sous  le  n°  10. 

No  ig_ — Il  Sic/ Giuseppe  Gallieni. —  Der  SigT  Cristoforo  Cluch. 
In  Crema,  4743.  —  Paroles  :  Se  in  Grembo  a  lieta  aurora  (Acte  II, 
scène  7). 


N°  19.  —  Aria  Canto  solo  con  Sinfonia  del  Sig'  Xforo  Gluck.  — 
Sig'  Salimbeni,  Paroles:  Parto  da  te  mio  bene  (Acte  II,  scène  H). 

N°  20.  —  Duello  con  Sinfonia  del  Sig' Cristoforo  Cluck.-  Paroles  : 
Lungi  da  te  ben  mio  (Acte  II,  scène  18). 

N°  21.  —  Aria  Canto  solo  con  Sinfonia  del  Sig'  Xforo  Gluck. 
Paroles  :  Presso  fonda  d'Acheronte  (Acte  III,  scène  12). 

N°  23.  —  Aria  Canto  solo  con  Sinfonia  del  Sig'  Cristoforo  Gluck. 
Paroles  :  Nero  turbo  in  Cielo  imbruna  (Acte  I,   scène  13). 

Le  numéro  22,  intercalé  à  sa  place  ci-dessus,  est  l'air  de 
la  Clemensadi  Tito  :  Se  mai  senti.  Enfin,  le  volume  s'achève  par  huit 
airs,  dont  les  paroles  de  six  ont  été  retrouvées  dans  Ippolito, 
tandis  que  celles  des  deux  autres  fPadre  rameuta  et  Sparge  almar) 
n'ont  pas  encore  pu  être  identifiées  exactement.  Vu  leur  grou- 
pement dans  une  série  consacrée  à  Ippolito,  ne  pourrait-on  pas 
croire  que  ces  airs  ont  pu  appartenir  à  ce  dernier  opéra,  fût-ce 
en  tant  qu'airs  ajoutés  au  livret' original  ? 

Le  volume  B  commence  par  l'air  de  Sofonisba  :  La  sul  margine 
del  Lete,  —  après  quoi  il  est  entièrement  consacré  à  des  airs,  un 
récitatif,  un  duo  et  une  marche  orchestrale  de  Demofoonle,  au 
total  vingt  morceaux. 

Le  volume  C  complète  la  série  Demofoonle,  par  neuf  morceaux 
encore.  Puis  viennent  isolément  un  air  d'Arsace  :  Ternaquell'alma 
audace,  scène  4, —  un  d'Alceste,  —  une  série  d'onze  fragments  de- 
Sofonisba  (dont  deux  replacés  dans  Artamène  et  la  Clemensa  di  Tito), 
un  d'Ipermes'tra,  et  encore  deux  cl' Arsace  :  Quando  ruina  con  le  sue 
spume  (scène  6)  et  Colomba  innamorata  (scène  7)  ;  un  dernier  de 
Tigrane:  Parto  da  te  (déjà  copié  dans  le  volume  A,  n°  19,  avec  le 
même  titre),  enfin  un  air  de  Semiramidericonosciula. 

Le  volume  D,  plus  récent  et  de  composition  plus  diverse, 
renferme  deux  airs  d' Ipermestra,  deux  de  la  Finta  schiava,  dont 
l'un  :  Troppo  ad  un  aima  e  cara,  a  été  signalé  précédemment 
comme  provenant  de  Tigrane  (vol.  A,  n°  13),  mais  se  présente 
ici  sous  son  affectation  nouvelle,  ainsi  qu'en  témoigne  cette  ins- 
cription sur  le  titre  :  1744,  In  S.  Angelo  nella  Ascensa  (même 
inscription  en  tête  de  l'autre  morceau  du  même  ouvrage)  ;  puis 
des  airs  de  la  Clemensa  di  Tito,  Orfeo,  Alceste.  Au  n°  3  est 
inséré  un  certain  Aria  con  cavatina  nell'  Orfeo,  Napoli  S.  Carlo, 
4774,  étranger  aux  deux  partitions  d'Orphée  de  Gluck,  et  d'un 
tout  autre  style  musical  (non  admis  par  M.  Wotquenne  sur  le 
catalogue  des  œuvres  de  Gluck),  morceau  qui  mériterait  d'être 
étudié  de  près,  et  d'avoir  son  attribution  discutée  :  je  me 
réserve  de  le  faire  dans  une  autre  partie  de  ce  travail. 

Le  volume  E,  postérieur  encore,  ne  donne  plus  que  des  frag- 
ments d'opéras  français  :  Armide  et  Alceste. 

Nous  voilà  donc  exactement  fixés,  et  sans  hésitation  possible, 
sur  la  provenance  de  toute  cette  musique  de  Gluck,  —  et  mainte- 
nant il  nous  est  permis  de  reprendre  notre  examen  critique 
sans  craindre  les  erreurs.  Au  reste,  nous  en  avons  déjà  presque 
assez  dit  pour  définir  le  caractère  de  l'œuvre  de  Gluck  en 
cette  première  partie  de  sa  carrière  ;  quelques  nouvelles  cita- 
tions d'œuvres  postérieures  à  Demofoonle  suffiront  pour  compléter 
les  observations  précédentes  :  Tigrane  et  Arsace,  les  deux  opéras 
découverts  récemment,  nous  en  fourniront  les  éléments  essen- 
tiels. 

[A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Opéra-Comique.  —  La  Sabanera,  drame  lyrique  en  trois  actes,  paroles  et 
musique  de  M.  Raoul  Laparra.  —  Ghyslaine,  drame  lyrique  en  un  acte, 
paroles  de  MM.  Gustave  Guiches  et  Marcel  Frager,  musique  de  M.  Marcel 
Bertrand.  (Premières  représentations  le  26  février  1908.) 

Conduits  par  les  fluctuations  capricieuses  d'une  musique  toujours  la 
'  même  et  toujours  changeante,  nous  allons  avoir,  pendant  trois  saisis- 
sants tableaux,  la  vision  intense  de  la  vie  du  peuple  dans  un  village 
castillan.  En  Espagne,  la  danse  fait  partie  des  mœurs  populaires  plus 
peut-être  qu'en  d'autres  pays  ;  elle  se  mêle  aux  souvenirs  de  deuil 


LE  MENESTREL 


67 


presque  autant  qu'aux  réjouissances  ;  elle  devient  comme  un  enivre- 
ment que  l'on  respire  dans  l'atmosphère,  quelque  chose  né  du  sol,  une 
institution  nationale.  Sur  cette  terre  d'Espagne,  sous  les  feux  du 
soleil  on  dans  l'ombre  du  soir,  au  sein  des  joies  ou  des  tristesses,  il  se 
trouve  toujours  des  couples  pour  danser  et  un  aveugle  pour  les  ac- 
compagner aux  sons  de  sa  guitare.  C'est  là  ce  qu'a  très  fidèlement 
observé  M.  Raoul  Laparra,  c'est  là  ce  qu'il  a  excellemment  montré  pen- 
dant les  trois  actes  de  son  drame  lyrique.  Nous  commençons  à  deviner 
quelle  peut  être  la  signification  du  titre  adopté  par  lui  pour  sou  œuvre, 
et  quel  rôle  va  jouer  constamment  le  motif  de  la  danse  insulaire  en 
s'adaptant  à  toutes  les  situations  du  drame,  Habanera. 

Dans  la  grande  salle  d'un  vieux  palais,  habité  maintenant  par  des 
paysans,  Ramon  a  essayé  vainement  de  trouver  l'oubli  de  son  mal 
d'amour  au  milieu  de  joyeux  compagnons  ;  ils  ont  foi,  le  laissant  seul. 
Le  ciel  est  radieux  sous  un  soleil  d'été  ;  les  maisons  du  village  s'offrent 
aux  regards  par  une  fenêtre  ouverte,  comme  resplendissantes  pour  une 
fête;  le  branle  joyeux  des  cloches  vibre  au  loin  ;  des  musiques  passent 
au  dehors,  jouant  des  airs  populaires.  La  belle  jeune  fille  Pilar  entre 
en  costume  de  mariée  castillane,  tout  animée,  tout  heureuse.  Elle  vou- 
drait apporter  le  bonheur  au  jeune  homme  qui  se  consume  sans  qu'elle 
connaisse  la  cause  de  son  tourment,  car  il  va  devenir  presque  son  pa- 
rent. Le  mariage  qui  se  prépare  doit  en  effet  l'unir  à  Pedro,  le  frère  de 
Ramon.  Mais  Ramon  semble  atteint  de  folie,  il  prend  dans  ses  bras  la 
fiancée  de  son  frère,  comme  entraîné  par  le  balancement  de  la  Haba- 
nera, et  resserre  de  plus  en  plus  l'étreinte.  Pedro  survient  et  prodigue 
à  l'aimée,  qui  va  devenir  sa  femme,  baisers  et  marques  de  tendresse. 
Celle-ci  s'éloigne,  et  lorsque  son  fiancé  se  hâte  pour  la  suivre,  Ramon 
se  dresse  et  veut  l'en  empêcher.  Une  querelle  s'engage  ;  Pedro  s'affaisse 
frappé  d'un  coup  de  poignard.  Nul  ne  soupçonne  qui  a  pu  être  le 
meurtrier,  car  les  deux  frères  avaient  l'un  pour  l'autre  la  plus  vive 
affection.  Le  vieux  père  trempe  sa  main  dans  le  sang  de  la  victime,  et, 
l'appliquant  sur  le  visage  de  son  autre  fils,  devenu  assassin,  lui  fait 
jurer  de  tirer  vengeance  du  forfait.  Pilar,  inerte,  est  tombée  sur  le  ca- 
davre. Une  longue  clameur  s'élève  dans  la  foule. 

La  lune  d'aulomne  laisse  tomber  ses  pales  clartés  dans  la  cour  inté- 
rieure d'une  vaste  maison.  La  famille  en  deuil  est  là  réunie.  Troisformes 
noires  se  projettent,  éclairées  par  la  lueur  d'un  falot;  ce  sont  le  père,  le 
frère  et  la  fiancée  du  mort.  De  l'autre  côté  se  montre  la  tranquille  assis- 
tance des  serviteurs,  écoutant,  faisant  leurs  réflexions,  fumanl  et  ne 
demandant  pas  mieux  que  d'être  entraînés  vers  des  idées  moins  tristes 
par  l'arrivée  des  aveugles  et  des  mendiauts  portant  des  guitares.  Na- 
guère, cette  habitation  était  pleine  d'allégresse.  Maintenant  il  semble 
impossible  d'oublier  jamais  le  drame  sanglant  dont  la  famille  reste 
inconsolable  et  dont  la  jeune  fille  a  le  plus  souffert.  Pourtant,  c'est 
cette  même  jeune  fille,  c'est  Pilar,  qui  provoque  à  la  danse  quelques 
étrangers  perdus  dans  des  coins  d'ombre.  Les  groupes  s'ébranlent;  le 
rythme  vague  de  la  Habanera  se  dessine,  et  des  couples  se  forment, 
s'agitant  à  peine  au  sein  de  la  douleur  âpre  et  persistante.  Ces  hommes, 
cette  jeune  fille  n'ont  pu  oublier  entièrement  toute  joie,  parce  que  leur 
conscience  est  saine.  Un  seul  d'entre  eux  est  irrémédiablement  perdu, 
c'est  Ramon.  Tourmenté  de  remords,  il  voit  constamment  le  spectre  de 
sa  victime.  Comme  cela  s'observe  parfois  dans  les  contrées  du  Midi,  le 
misérable  se  croit  hanté.  Au  rythme  de  la  Habanera  se  sont  ravivées 
ses  craintes  ;  il  devient  blême  d'effroi  quand  le  blême  fantôme  de  Pedro 
se  place  en  face  de  lui,  derrière  un  pilier,  et  qu'il  entend  ces  mots  sor- 
tant de  la  bouche  livide  du  mort  :  «  Si  tu  n'avoues  pas  demain  ton  forfait 
à  Pilar,  je  la  prendrai  avec  moi  dans  ma  tombe.  »  Pilar  en  effet  l'a  en- 
traîné à  la  danse  ;  le  jour  suivant,  elle  doit  l'épouser.  Aura-t-il  la  force 
d'obéir  à  l'injonction  du  spectre  et  de  confesser  son  crime  à  la  fiancée 
qu'il  adore?  On  ne  le  sait,  on  ne  le  devine  pas  ;  la  situation  est  belle  et 
tragique. 

Au  cimetière,  les  derniers  reflets  d'un  jour  d'automne  tombent  sur 
la  sépulture  de  Pedro.  Chaque  tombeau  porte  une  petite  lampe  funé- 
raire, selon  l'usage  de  certaines  provinces  méridionales  :  les  allées  sont 
jonchées  de  feuilles  mortes  :  un  cortège  passe  en  longeant  les  murs. 
On  chante,  on  psalmodie;  ce  sont  là  d'étranges  voix.  Le  cré- 
puscule s'étend,  les  lumières  pâlissent  et  s'éteignent,  les  cimes  des 
collines  les  plus  proches  sont  devenues  noires.  Noirs  aussi ,  en 
leurs  vêtements  de  deuil,  Ramon  et  Pilar  sont  là.  Tous  les  deux,  ils 
paraissent  en  proie  à  un  mal  intérieur  :  ses  lèvres  à  lui  s'ouvrent,  et 
des  paroles  entrecoupées  s'en  échappent,  comme  un  aveu  qu'il  ne  peut 
achever.  Quant  à  elle,  affaiblie  et  souffrante,  elle  se  traîne,  agenouillée 
d'abord  sur  la  tombe,  ensuite  immobile  et  prosternée.  La  nuit  est  venue  ; 
plus  un  souille,  plus  un  bruit.  L'obscurité  est  complète,  quelques  étoiles 
brillent  seulement  en  haut.  Un  petit  glas  sonne  quelque  part  dans  la 
campagne,   si   imperceptible,  si  persistant,  si  lointain  !  Ramon  veut 


emmener  Pilar  et  s'aperçoit  qu'elle  est  morte.  Il  prend  l'allure  des 
aveugles  qui,  le  soir  précédent,  jouèrent  la  Habanera,  et  se  pe*d  dans 
les  ténèbres.  Il  mourra  de  ses  remords. 

La  musique  de  M.  Raoul  Laparra  u'a  pas  encore  en  elle  ces  germes 
étincelants  par  lesquels  s'affirme  une  œuvre  de  maitre.  Elle  a  pourtant 
son  style  propre  et  y  reste  fidèle  depuis  le  commenceni 
fin.  Le  motif  de  la  Habanera,  toujours  présent  à  l'espril  car  tout  ie 
remémore,  est  habilement  tisse  à  travers  la  partition,  et  cela  seul  montre 
que  le  compositeur  possède  à  fond  sa  technique  et  ne  fait  que  ce  qu'il  a 
bien  voulu  faire.  Il  souhaite  assurément  que  l'on  n'isole  point  sa  musi 
que  des  situations  pour  lesquelles  il  l'a  conçue,  et  c'est  pour  cela  sans 
doute  qu'il  a  évité  de  parti  pris  toute  envolée  de  pur  lyrisme  et  a  laissé 
les  sonorités,  sauf  quelques  exceptions  rareset  peu  heureuses,  dans  une 
teinte  neutre  et  discrète.  Cela  ne  les  empêche  point  de  produin 
impression  des  choses  qui  arrivent  à  leur  heure  et  sont  exactement  ce 
qu'elles  doivent  être.  Quant  aux  fragments  de  déclamation  musicale, 
leur  forme  est  toujours  appropriée  aux  sentiments,  aux  situations,  i  in 
est  frappé  par  la  persistance  du  mode  mineur  et  par  l'expression  dou- 
loureuse qui  se  dégage  de  certains  passages  instrumentés  dans  un 
coloris  particulièrement  sombre. 

L'œuvre  de  M.  Laparra,  bordelais  de  naissance,  prix  de  Rome  de  1963 
et  actuellement  âgé  de  trente  et  un  ans,  est  l'une  des  plus  intéressantes 
que  nous  ayons  entendues  depuis  longtemps.  Elle  a  son  originalité,  son 
caractère  ;  tous  ses  éléments,  paroles,  musique  et  mise  en  scène,  ton»  ni 
un  ensemble  artistique  d'une  rare  homogénéité.  U-s'agit  maintenant  pour 
le  compositeur  d'élargir  ses  horizons  et  de  trouver  des  issues  plus  vas*  s 
pour  des  élans  auxquels  un  texte  littéraire  imparfait  et  une  musique 
un  peu  trop  subjuguée  n'ont  pu  donner  tout  leur  essor.  Le  charme  de 
T-œuvre  réside  dans  l'observation  scrupuleuse  de  la  réalité.  Jouée  de- 
vant le  public  d'un  théâtre  populaire  de  Naples  ou  de  Tolède,  la  Haba- 
nera exciterait  un  indicible  enthousiasme.  L'homme  méridional  y  re- 
connaîtrait ses  passions.  C'est  là,  croyons-nous,  une  louange  peu 
banale. 

L'interprétation  a  été  remarquable  par  l'intelligence  avec  laquelle 
ont  été  réalisés  les  caractères  si  vivants  des  personnages.  M.  Séveilhac. 
sous  les  traits  de  Ramon,  s'est  livré  avec  exubérance,  ne  ménageant 
ni  sa  voix,  ni  son  jeu.  M"''  Demellier,  dans  le  rôle  de  Pilar,  est  arrivée  a 
incarner  une  Espagnole  au  sang  chaud,  mais  toujours  gracieuse  et 
n'exagérant  en  rien  le  côté  passionné  ou  sensuel  du  tempérament  de  la 
Castillane.  Elle  a  chanté  avec  art  et  mesure  une  musique  qui  ne  doit 
point  briller  pour  elle-même.  MM.  Salignac  et  Vieuille  méritent  d'être 
compris  aussi  dans  l'élite  de  celte  interprétation  où  nul,  à  la  vérité,  ne 
s'est  montré  médiocre.  La  mise  en  scène  a  été  parfaite;  nous  l'avons 
indiquée  assez  minutieusement  pour  ue  point  y  revenir.  L'orchestre, 
dirigé  par  M.  Ruhlmaim,  a  soutenu  hautement  sa  réputation. 

Ghyslaine,  petit  ouvrage  intéressant  mais  peu  original  d'un  composi- 
teur de  vingt-trois  ans,  met  en  scène  une  histoire  d'amour  de  l'époque 
du  moyen  âge.  Christiane,  épouse  infidèle,  est  supplantée  par  unedouce 
jeune  fille,  Ghyslaine.  Longtemps  absente,  elle  vient  redemander  sa 
place  au  foyer  et  se  frappe  d'un  coup  de  poignard  en  apprenant  que  le 
pape  a  prononcé  l'annulation  de  son  mariage.  Dans  la  partition,  plu- 
sieurs morceaux  très  agréables  ont  conservé  la  forme  traditionnelle  de 
F  opéra-comique.  D'autres  s'offrent  avec  des  tendances  plus  modernis- 
tes. Il  y  a  là  un  mélange,  uu  manque  d'unité  de  style  qui  inquiète  un 
peu  et  semble  obliger  à  retenir  l'éloge  que  l'on  aimerait  à  prodiguer 
sans  autant  de  réserve  à  un  artiste  jeune  et  d'un  véritable  talent. 

Tout  à  fait  charmante  et  fraîche,  M,le  B.  Lamare  a  chanté  avec  un 
grand  charme  et  une  véritable  distinction  le  rôle  de  Ghyslaine. 
MUe  Kowska  lui  a  été  peu  inférieure  et  MM.  Ghasne,  Guillamat. 
Lavarenne  et  Souchon  se  sont  efforcés,  non  sans  succès,  de  mettre  en 
relief  leurs  personnages,  tous  assez  difficiles  à  soutenir,  parce  qu'ils 
font  partie  d'un  scénario  trop,  peu  vivant. 

Amédée  Boutarel. 


Variétés.  —  Geneviève  de  Brabant,  opéra-féerie  en  3  actes  et  "i  tableaux. 
d'Hector  Oémieux  et  E.  Tréfeu,  musique  d'Oltenbach. 

M.  Samuel  a  un  faible  pour  Offenbach,  et  les  Parisiens  ont  un  faible 
pour  M.  Samuel  quand  il  monte,  si  joliment,  les  ouvrages  «lu  plus 
étonnant  compositeur  de  musique  légère  que  la  France  ait,  avec  Hervé, 
connu  jusqu'à  ce  jour.  Donc,  aux  Variétés,  ce  fut,  cette  fois,  le  tour  de 
Geneviève  de  Brabant  ;  et  comme  la  pièce,  dont  la  première  remonte  à 
novembre  1859,  ne  fut  jamais  reprise  à  Paris  depuis  les  représentations 
qu'en  donna  Offenbach  lui-même  à  la  Gaité,  en  1875,  cela  avait  pour 
beaucoup,  si  non  pour  presque  tous,  l'attrait  d'une  vraie  nouveauté. 
Faut-il  dire  que  la  soirée  fut  triomphale  pour  la  partition,  éblouissante 


68 


LE  MENESTREL 


d'entrain  et.  de  gaité,  avec  des  coins  d'inspiration  délicieuse  et  des  pages 
de  belle  envolée  comme  l'étonnant  finale  du  «  départ  pour  la  Palestine  »  ? 
Encore  une  fois,  c'est  de  l'Offenbach  et  du  très  bon  Offenbach,  comme 
la  mise  en  scène  luxueuse  et  de  goût  raffiné  est  du  Samuel  et  du  très 
bon  Samuel.  A  ceux  que  la  musique  pourrait  laisser  indifférents  — 
où  sont-ils,  qu'on  les  montre  au  doigt?  —  on  doit  conseiller  d'aller 
quand  même  aux  Variétés  :  ils  seront  éblouis  par  des  décors  superbes, 
des  costumes  merveilleux  signés  Gerbault  et  Edel,  et  ils  ne  pourront 
qu'être  captivés  par  la  voix  sûre  et  prenante  de  Mlle  Geneviève  Vix, 
transfuge  del'Opôra-Comique.  qui,  le  soir  de  la  première,  a  révolutionné 
les  vieux  habitués  de  la  salle  du  boulevard  Montmartre,  mal  habitués  à 
entendre  si  remarquablement  chanter  et  qui  bissèrent  tant  qu'ils 
purent.  Ils  applaudiront  au  charme  toujours  captivant,  à  l'organe  tou- 
jours charmeur  de  Mme  Germaine  Gallois,  à  la  joliesse  infinie  de 
M"-"  Jeanne  Saulier,  aux  notes  cristallines  de  M"e  Melsa,  à  la  fantaisie 
tivs  fine  de  M.  Guy,  à  la  fantaisie  épique  de  M.  Brasseur,  à  la  fantaisie 
primesautière  de  M.  Max  Dearly,  au  bon  comique  de  M.  Prince  et  au 
respect  des  traditions  de  M.  Petit.  Et,  bien  qu'ils  en  aient  ces  réfrac- 
taires,  ils  sentiront  que,  tout  malgré  eux,  leurs  jambes  se  mettront  en 
branle  et  leurs  pieds  en  trémoussements  au  seul  entrainement  des 
rythmes  irrésistibles. 

«  Ohé  !  Ohé!  de  la  fenêtre,  ohé  !  »  avouez  aussi,  enfile-notes  gentils 
et  de  bonne  compagnie,  qu'elle  vous  fait  un  tantinet  loucher,  la  vieille 
Geneviève  de  Brabant,  ô  vous  qui  vous  essoufflez  à  vouloir  dérober  à  votre 
Maitre  ses  secrets  de  verve  endiablée  et  d'esprit  .bouleversant  !  Ah  !  si 
vous  pouviez  vous  tailler  une  tranche,  si  petite  soit-elle,  de  ce  pâté,  ce 
mirifique  «  pâté  qui  renferme  du  veau  et  du  jambon  »  et  bien  autre 
chose  avec  !  Mais  il  est  à  croire  qu'il  a  été  emporté  en  Palestine  par  le 
duc  de  Sifroy  et  qu'il  y  est  resté.  Qui  de  vous  aura  le  courage  de  faire 
le  voyage  pour  rapatrier  avec  lui  la  belle  gaité  française  ?  Il  ne  s'en- 
nuiera pas  celui-là,  qui,  peut-être  bien,  point  à  un  horizon  ass.ez 
proche,  et,  je  vous  le  jure,  il  ne  nous  ennuiera  pas  non  plus. 

Paul-Emile  Chevalier. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts-Colonne.  —  Il  faut  féliciter  M.  Colonne  de  nous  avoir  donné  la 
primeur  d'un  important  fragment  lyrique  inédit  — tout  un  acte  entier  —  d'un 
ouvrage  du  à  M.  Arthur  Coquard,  poème  et  musique.  Oméa,  qui  fut  excellem- 
ment interprété  par  M11-"  Grandjean,  MM.  Muratore  et  Rocca,  a  obtenu 
dimanche  un  légitime  succès.  Ce  quatrième  acte,  le  dernier  de  l'ouvrage  de 
M.  Coquard.  apparaît  puissant  et  dramatique,  solidement  charpenté,  rehaussé 
d'une  instrumentation  éclatante  et  pondéré.».  Le  compositeur,  sans  cesser 
d'être  fidèle  à  la  mélodie  expressive  libre,  emploie  avec  aisance  des  thèmes 
conducteurs  qui  donnent,  à  sa  partition  une  unité,  une  cohésion  remarquables. 
Le  héros  Aram  est  une  sorte  de  Prométhée,  victime  de  la  haine,  qui  meurt 
enchaîné  à  son  rocher.  La  consolatrice  parait  :  c'est  Oméa.  Elle  calme  le 
désespoir  d'Aram  en  lui  montrant  qu'il  laisse  une  œuvre  immortelle.  Scène 
de  passion  ardente  et  conclusion  épique:  la  mort  dans  la  fou  ire  et  l'apo- 
théose. Cette  page  est  vraiment,  belle  et  le  public  l'a  senti.  -  M.  Raoul  Pugno 
a  interprété,  comme  il  sait  le  faire,  les  admirables  Djinns  de  César  Franck  et 
en  première  audition  un  Nocturne  avec  orchestre  de  M.  Jean  Huré.  Ce  mor- 
ceau, qui  n'est  pas  sans  charme  et  contient  de  jolis  détails  pour  l'instrument 
solo,  m'a  paru  manquer  d'un  plan  bien  établi  et  semble  plutôt  une  improvi- 
sation qu'une  œuvre  pensée  et  réfléchie.  Néanmoins  on  lui  a  fait  bon  accueil. 
—  M.  Koussevilzky.  qui  joue  de  la  contrebasse  comme  d'autres  du  violon  et  en 
tire  des  effets  étonnants,  a  été  fort  acclamé  dans  un  concerto  de  Mozart  et  le 
Kol  Xidrci  de  MaxBruch.  écrits  tous  deux,  si  je  ne  me  irompe,  pour  le  violon- 
celle. M"0  Grandjean  a  été  superbe  dans  la  Mort  d'Yseull  et  l'orchestre  non 
moins  digne  d'éloges  dans  l'ouverture  de  Benvenuio  Cellini  de  Berlioz  et  le 
prélude  du  3e  acte  de  Loltengria.  J.  Jemain. 

—  Concerts-Lamoureux.  —  M.  Henri  Rabaud  s'est  montré  chef  d'orchestre 
énergique  en  même  temps  qu'artiste  très  sincèrement  convaincu.  Il  dirige 
avec  des  mouvements  de  bras  expressifs  et  des  flexions  de  toute  sa  personne 
qui  font  penser  parfois  qu'il  va  bondir  sur  certains  groupes  d'instrumentistes. 
Au  point  de  vue  métier,  il  possède  une  qualité  très  frappante,  l'absolue  pré- 
cision; au  point  de  vue  art,  il  montre  qu'il  y  a  en  lui  beaucoup  de  jeunesse 
et  d'entrain,  de  la  sensibilité,  l'amour  de  la  belle  amplitude  sonore,  et  le 
sentiment  juste  des  nuances.  Il  a  bien  fait  ressortir  le  caractère  dramatique 
de  l'ouverture  d'Euryanthe,  sachant  distinguer  avec  un  sens  délicat  les  mo- 
ments chevaleresques,  les  moments  de  tendresse  et  les  moments  pathétiques, 
par  exemple,  la  plainte  douloureu-e  à  laquelle  succède  la  triomphante  péro- 
raison. Il  a  de  même  appliqué  tous  ses  soins  aux  effets  gracieux  de  la  huitième 
symphonie  de  Beethoven,  la  conduisant  avec  beaucoup  de  iinesse  et  donnant 
une  jolie  fluidité  à  l'allégro  scherzando.  Comme  compositeur,  nous  avons  pu 
apprécier  M.  Henri  Rabaud  dans  son  «  Deuxième  poème  lyrique  sur  le  Livre 
de  Job  ».  C'est  une  œuvre  véhémente  écrite  pour  orchestre  avec  partie  vocale 


prépondérante,  sur  la  traduction  même  d'Ernest  Renan.  M.  Vilmos-Beck  a 
chanté  cet  ouvrage  d'une  voix  forte  et  vibrante,  mais  l'accueil  du  public  a  été 
un  peu  indécis.  Cela  ne  saurait  surprendre  quand  il  s'agit  de  la  première  au- 
dition d'un  morceau  assez  long  mais  très  intéressant  au  début,  qui  exige  en 
somme  de  l'auditeur  un  véritable  effort  d'attention.  Une  petite  merveille,  c'est 
le  deuxième  concert ■>  de  Bach  pour  violon,  flûte,  hautbois,  trompette  et 
orchestre.  M.  Félix  Mottl  en  a  réalisé  la  basse  et  en  a  transcrit  la  partie  de 
trompette  afin  de  la  rendre  exécutable  sur  les  instruments  d'aujourd'hui.  Exé- 
cutable, sans  doute,  mais  pas  facile  pourtant;  on  s'en  est  aperçu  à  quelques 
légers  accidents.  Tous  les  mouvements  sont  écrits  dans  le  beau  style  fugué 
du  maitre,  sauf  l'andante.  Dans  ce  dernier,  le  violon  domine  superbement,  la 
trompette  apparaît  à  peine  et  l'orchesire  se  fait  infiniment  discret.  Tout  ici 
est  douceur,  phrases  poétiques  et  presque  solennelles.  On  a  applaudi  avec  fré- 
nésie. Le  programme  comprenait  encore  tes  «  Murmures  de  la  forêt  »  do  Sieg- 
fried et.  fe  poème  symphonique  de  Saint-Saëns,  la  Jeunesse  d'Hercule. 

Améoée  Boutarel. 

—  Programmes  des  concerts  de  demain  dimanche  : 

Conservatoire  :  Ouverture  de  Coriolan  (Beethoven)  ;  l'Enfance  du  Christ  (Berlioz), 
so'i  par  MM.  Plamondon,  Bartet,  d'Assy,  Narçon,  Delmont,  Millot,  M™1  Mellot- 
Joubert;  Ouverture  du  Freisehûts  (Weber). 

Concerts-Lamoureux,  à  3  heures,  orchestre  sous  la  direction  de  M.  Henri  lïabaud  : 

1°  Symphonie,  en  ré  majeur,  de  Mozart;  2°  concerto  de  Bach  pour  violon,  flûte, 
hautbois,  trompette  et  orchestre  (réalisation  du  continuo  par  Félix  Mottl)  ;  Prométhée 
triomphant,  poème  de  Paul  Reboux,  musique  de  Reynaldo  Hahn  (voir  aux  nouvelles 
diverses  pour  le  détail  et  les  exécutants  de  cette  œuvre). 

Concerts-Popu'aires  (à  3  heures,  Marigny)  :  1°  Symphonie  en  ré  mineur  (C.  Franck)  :: 
2°  Hérodiade,  air  (Massenet)  :  M™"  Laute-Brun,  de  l'Opéra;  3°  Poème  hongrois  (Ed. 
Nissarès)  :  M.  E.  Mendels,  sous  la  direction  de  l'auteur;  Danse  du  Faune  et  du  Satyre- 
(A.  Bernn)  ;  5°  Concerto,  piano  et  orchestre  (Pierné)  :  M"°  Jane  Weil  ;6°  La  Flûte  enchan- 
tée, ouverture  (Mozart)  ;  7°  a)  La  Neige  :  b}  Marine  (Georges  Brun)  :  M"'  Laute-Brun, 
sous  la  direction  de  l'auteur;  8°  a)  Romlo  capriccioso  (Mendelssohn),  orchestré  par 
A.  Deslandres  ;  b)  Polonaise  (A.  Deslandres),  sous  la  direction  de  l'auteur.  Chef" 
d'orchestre  :  M.  Fernand  de  Léry. 

—  A  la  huitième  matinée  Daubé,  au  Théâtre  du  Gymnase,  on  a  fait  fête- 
au  maitie  Diémer.  qui  «  clavecinait  »  dans  les  trios  de  Rameau  avec  le  flûtiste 
Gaubert  etle  violoncelliste  Bedetli,  puis,  seul,  en  d'exquises  piécettes  d'anciens- 
maitres  qu'il  joue  d'incomparable  manière.  Avec  son  élève  Balada,  l'illustre 
virtuose  donna  à  deux  pianos  une  étourdissante  interprétation  de  sa  valse  en 
octaves.  On  applaudit  encore  MUc  Marcella  Pregi  en  d'aimables  mélodies  de 
Diémer  chantées  avec  un  art  consommé,  MM.  Soudant  et  Bedetti,  et  les  chan- 
teurs de  la  Renaissance,  qui,  dirigés  par  M.  H.  Expert,  furent  excellents- 
d'ensemble  et  de  précision.  —  A  la  neuvième  matinée,  grand  succès  pour 
Mmc- Marie  Gauthier,  qui  interpréta  des  pièces  de  Mozart,  Chopin  et  Liszt  avec 
sa  maestria  coutumière,  pour  M.  Mauguière  chantant  de  poétiques  et  fines 
mélodies  de  M.  Georges  Hue  que  celui-ci  accompagnait,  pour  Mme  Jane  Ba- 
thori  détaillant  avec  son  lalent  coutumier  d'expressifs  lieder  de  M.  de  Brôville, 
pour  M.  Jean  Bedetti  en  des  pièces  de  violoncelle  de  G.  Fauré  et  Davidoff, 
enfin  pourMM.de  Bruyne,  Bedetti  et  Jemain  dans  le  beau  quatuor  avec  piano- 
de  Beethoven  et  l'amusant  Scherzo-Valse  de  Ch.  Levadé. —  La  dixième  matinée 
aura  lieu  mercredi  4  mars  avec  le  concours  de  Mme  Mellot-Joubert,  Mlle  C  liny 
Richez,  M.  Brémont,  M.  Puyans,  le  quatuor  de  harpes  Tassu  Spencer, 
MM.  Ch.  Lefebvre,  Paul  Rougnon  et  M",p  de  Faye-Jozio,  compositeurs. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 


(pour 


AROXXÉS    A    LA    MUSIQUE) 


De  nouveau  nous  puiserons  dans  le  nouveau  ballet  de  Massenet  :  Espada,  pour  en 
tirer  ce  Toréador  et  Andalouse  aux  tons  vibrants,  qui  fait  penser  à  la  fameuse  Ara- 
r/onaise  du  Cid  et  qui  est  de  la  même  famille  assurément.  Cependant,  quand  on  les 
rapproche  l'un  de  l'autre,  on  voit  que  les  deux  morceaux  sont  tout  différents.  Leur 
père-leur  a  insufflé  la  même  vie  exubérante,  mais  leurs  traits  restent  divers. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


L'empereur  Guillaume  If  vient,  dit-on,  à  l'occasion  du  soixante-dixième 
anniversaire  de  naissance  du  compositeur  Max  Bruch,  de  le  nommer  chevalier 
de  l'ordre  du  Mérite  pour  les  sciences  et  les  arts. 

Il  avait  été  question,  depuis  assez  longtemps  déjà,  delà  démolition  éven- 
tuelle des  bâtiments  actuels  de  l'Opéra-Royal  de  Berlin  lorsque  le  nouveau 
monument  aurait  été  construit.  On  vient  d'annoncer  que  ce  projet  est  défini- 
tivement abandonné.  Selon  le  désir  manifesté  par  t'empereur,  on  s'efforcerait 
de  rendre  le  plus  possible  au  vieil  immeuble  l'aspect  qu'il  avait  avant  l'in- 
cendie de  1842.  On  pense  que  fe  nouvel  Opéra  sera  construit  sur  l'emplace- 
ment occupé  maintenant  par  le  Théàtre-Kroll. 


LE  MÉNESTREL 


69 


—  Voici  qu'un  journal  autrichien,  le  Theater  Courier,  prétend  connaître  et 
l'aire  connaître  les  «  dessous  »  de  l'affaire  Mahler,  c'est-à-dire  les  véritables 
causes  qui  ont  obligé  l'artiste  à  abandonner  la  direction  de  l'Opéra-Impérial 
de  Vienne.  Il  raconte  ainsi  les  faits.  L'engagement  du  chanteur  Schrôd  ter  arri- 
vait à  expiration,  et  M.  Mahler  ne  voulait  point  le  renouveler,  à  moins  d'une 
réduction  des  appointements  de  l'artiste.  Celui-ci  ne  l'entendait  point  de  cette 
façon,  et  s'en  alla  dans  la  circonstance  porter  ses  doléances  à  l'intendant  du 
théâtre,  M.  le  princo  de  Montenuovo,  qui  fit  comme  Ponce  Pilale.  Le 
Schrôdter  s'adressa  alors  à  un  très  haut  personnage,  qui  lui  donna  raison,  si 
bien  que  le  prince  dut  s'exécuter  et  déclarer  à  M.  Mahler  que  l'engagement 
en  question  devait  être  renouvelé  dans  les  mêmes  conditions;  le  plus  curieux, 
c'est  qu'il  lui  exprimait  en  même  temps  son  déplaisir  de  la  fâcheuse  situa- 
tion financière  dans  laquelle  se  trouvait  le  théâtre.  Là-dessus,  M.  Mahler  pré 
tendit  donner  sa  démission.  Or,  on  assure  que  de  1000  à  1907  il  avait  déjà 
donné  cinq  fois  cette  démission,  à  laquelle  l'intendant  n'avait  jamais  voulu 
donner  suite.  On  peut  se  rendre  compte  de  son  étonnement  et  de  son  dépit 
lorsque  après  avoir,  le  matin,  joué  de  nouveau  de  cette  démission,  il  lut  dans 
le  Journal  officiel  du  soir  qu'elle  était  acceptée  ! 

—  Un  jubilé  de  la  Création  d'Haydn.  Le  mois  prochain  aura  lieu  à  Vienne 
une  fête  intéressante;  elle  est  destinée  à  commémorer  un  concert  qui  eut  lieu 
le  '27  mars  1808  dans  la  salle  d'honneur  de  l'université.  On  exécuta  la  Création 
et  ce  fut  à  la  fois  la  dernière  séance  de  la  société  dite  «  Concerts  d'amateurs  >■ 
et  la  dernière  audition  de  l'ouvrage  à  laquelle  ait  assisté  le  compositeur.  On 
se  propose  do  donner  le  27  mars  1908  la  Création  telle  qu'on  l'interprétait 
autrefois,  avec  un  petit  chœur  et  un  petit  orchestre.  Des  chanteurs  de  pre- 
mier ordre  seront  chargés  des  soli. 

—  Un  membre  de  la  famille  Mendelssohn,  M.  Ernest  Mendelssohn-Bar- 
tholdy,  de  Berlin,  a  offert  à  l'empereur  d'Allemagne  une  villa  qu'il  possède 
aux  environs  de  Home,  sous  condition  que  cette  villa  servirait  d'habitation 
de  convalescence  pour  les  artistes  musiciens  qui  se  rendraient  à  Rome. 
L'empcreur.en  acceptant  cette  condition, a  fait  connaître  qu'uneannexe  serait 
ajoutée  aux  constructions  existant  déjà  et  que  l'on  y  recevrait  des  peintres  et 
des  sculpteurs  afin  qu'ils  puissent  y  travailler  en  toute  liberté. 

—  Le  Stradivarius  de  M. Eugène  Ysaye  retrouvé.  Le  violon  de  Stradivarius 
«  l'Hercule  »,  jui  avait  été  volé  à  M.  Eugène  Ysaye  à  la  fin  du  mois  de 
décembre  dernier,  pendant  un  concert  donné  au  Théâtre- Marie  de  Saint- 
Pétersbourg,  vient  d'être  retrouvé.  La  police  autrichienne  a  pu  saisir  ce 
précieux  instrument  dans  la  ville  de  Prérau,  sur  la  frontière  polonaise.  Un 
aubergiste  de  la  localité  l'avait  acheté  pour  quarante-trois  couronnes,  c'est-à- 
dire  moins  de  quarante-six  francs.  Le  violon  a  été  transporté  à  Vienne  où  son 
heureux  propriétaire  a  pu  sans  doute  déjà  en  reprendre  possession,  car  il  a  du 
se  rendre  dans  cette  ville  après  avoir  donné,  à  la  fin  de  la  semaine  dernière, 
des  concerts  à  Berlin. 

—  Les  amis  du  pianiste  Alfred  Reisenauer,  que  nous  avons  entendu  à  Paris 
au  printemps  de  l'année  dernière,  et  qui  est  mort  il  y  a  cinq  mois,  s'occupent 
d'ériger  un  monument  en  son  honneur  à  Koenigsberg,  sa  ville  natale.  L'idée 
en  a  été  mise  en  avant  par  une  protectrice  de  l'artiste,  Mme  la  comtesse 
Joséphine  de  Schwerin. 

—  Une  nouvelle  opérette  en  trois  actes,  le  Baron  Trenck  ou  le  Pandour,  pa- 
roles de  MM.  A. -M.  Willner  et  R.  Bobansky,  musique  de  M.  Félix  Albini,  a 
été  jouée  pour  la  première  fois  le  15  février  dernier  au  vieux  Théâtre-Munici- 
pal de  Leipzig.  On  en  a  trouvé  la  musique  charmante.  Elle  S3  rapproche, 
comme  genre,  beaucoup  moins  do  l'opérette  que  de  l'opéra-comique.  Le  ba- 
ron Trenck,  colonel  d'un  régiment  de  Pandours  est  un  personnage  historique. 
Il  vécut  au  temps  de  Marie-Thérèse  d'Autriche,  de  1711  à  1749. 

—  Un  «  nouveau  théâtre  national  suédois  »  a  été  inauguré  à  Stockholm  le 
18  février  dernier  en  présence  du  roi,  des  membres  du  gouvernement  et  des 
représentants  de  té,  littérature  et  des  arts.  On  joua  d'abord  un  prologue  de 
M.  Thor  Hedburg  et  ensuite  le  drame  de  jeunesse,  Master  Olaf,  de  M.  Auguste 
Strindberg.  On  vante  beaucoup  l'édifice  au  double  point  de  vue  architectural 
et  scénique. 

—  On  a  donné  récemment  au  théâtre  de  Bakou  (Caucase  russe)  la  représen- 
tation d'un  opéra  inédit  intitulé  Lsila  et  Meciun.  On  ne  nous  fait  malheureuse- 
ment pas  connaître  le  nom  de  l'auteur,  qui  a  écrit  tout  à  la  fois  les  paroles  et 
la  musique.  Mais  les  journaux  russes  nous  apprennent  que  cet  auteur  est 
Persan,  et  font  remarquer  que  cet  ouvrage  est  le  premier  opéra  du  à  un  com- 
positeur persan. 

—  Le  violoniste  Bronislaw  Hubermann,  qui  fait  en  ce  moment  une  tournée 
de  concerts  en  Russie,  a  eu  dernièrement  une  désagréable  surprise.  Son  cor- 
respondant d'Odessa  lui  fit  savoir  que  les  autorités  de  la  ville  exigeaient,  pour 
!ùi  permettre  de  jouer,  qu'il  déposât  une  caution  de  mille  roubles,  pour 
répondre  des  manifestations  politique i  auxquelles  pourraient  donner  lieu  ses 
concerts.  L'artiste,  comme  on  pouvait  s'y  attendre,  s'est  empressé  d'aller  jouer 
ailleurs. 

—  De  notre  correspondant  de  Genève:  La  Thérèse  de  J.  Massenet,  donnée  pour 
la  première  fois  mardi  dernier,  sur  notre  scène  municipale,  a  produit  une  profonde 
impression  que  la  presse  genevoise  est  unanime  à  constater.  La  fertilité,  la  fraî- 
cheur d'invention  d'un  maître  qu'on  peut  à  bin  droit  qualifier  de  fécon  3,  a  posi- 


tivement émerveillé  ;  on  l'admire  dans  lu  partie  vocale  de  l'œuvre,  on  la  retrouve, 
admirable  au  même  degré,  dans  l'orchestration.  Si  émouvant  qu'ait  été  le  Mas- 
senet de  Werther  et  de  la  Nauarraise,  son  œuvre  nouvelle  nous  donne,  pourrait-on 
dire,  un  frisson  nouveau.  Tendre,  sentimentale  dans  le  premier  acte,  dont  les 
points  culminants  nous  ont  semblé  être  la  «  chute  des  feuilles  »  et  le  grand 
duo  des  souvenirs,  la  partition  évoque,  au  second  acte,  avec  une  impression- 
nante réalité,  la  Terreur  avec  tout  ce  que  cette  époque  contint  d'angoisses,  de 
pleurs  et  de  sang.  L'interprétation  fut  de  premier  ordre  :  Thérèse:  M""-  Rose 
Soïni  ;  Armand  de  Clairval  :  M.'  Bruzzi  ;  André  Thorel  :  M.  Michel  Dufour. 
Excellente  mise  en  scène  de  MM.  Huguet  et  Poyard.  M.  Miranne  conduisait 
notre  orchestre,  auquel  il  fait  accomplir  des  prodiges.  —  Thérèse  était  accom- 
pagnée sur  l'affiche  d'Yvonne,  dramatique  petit  acte  plein  de  sentiment  et  de 
mélodie,  de  Max  Sergent,  musique  de  Georges  de  Seigneux,  qu'on  a  beaucoup 
applaudi.  !•;.  D. 

—  De  la  Gazette  de  Liège  :«  La  symphonie  de  M.  Widor,  dont  la  partie 
d'orgue  a  été  parfaitement  interprétée  par  M.  0.  Waitz,  est  l'une  des  œuvres 
les  plus  distinguées  et  Bien  modernes  de  l'auteur;  il  a  condensé  dans  sa  parti- 
tion les  données  essentielles  de  sa  conception  de  l'orgue  et  des  effets  qu'il  at- 
tend de  l'instrument.  Conception  élevée,  pensées  attrayantes,  facture  magis- 
trale même  dans  ses  plus  intrépides  libertés,  opulente  variété  de  moyens  et 
de  développements,  combinaisons  mêlées  de  rythmes  et  de  sonorités,  dans 
lesquels  l'orgue  reste  toujours  au  premier  plan  lorsqu'il  survient,  grâce  au 
tact  du  compositeur,  quia  su  l'isoler  de  l'ensemble  en  employant  des  sonorités 
de  timbre  essentiellement  différents  et  ei  maintenant  toujours  les  autres 
parties  orchestrales  importantes  à  une  certaine  distance  de  la  partie  princi- 
pale. Tout  cela  s'y  trouve,  tout  cela  s'y  enchaîne,  s'y  déploie  avec  une  par- 
faite lucidité!  L'œuvre  a  produit  un  effet  grandiose,  surtout  par  la  solennelle 
ampleur  et  l'imposant  éclat  de  son  final!  —  L'auditoire  a  écouté  avec  un 
recueillement  absolu  celte  superbe  composition  magnifiquement  exécutée, 
laquelle  est  loin  d'être  à  la  portée  des  esprits  vulgaires  ;  il  a  compris  ce  qu'il 
y  avait  non  pas  s  ulement  d'ingénieux,  mais  de  majestueux  dans  l'œuvre  du 
maître  français.  Il  a  été  ému,  notamment  dans  la  seconde  partie,  par  ces 
chants  choraux  pénétrants  et  nobles,  transformés  à  chaque  instant  par  des 
artifices  de  rythme,  d'intonation  ou  de  contrepoint  et  gardant  leur  profonde 
unité.  Sous  cette  diversité  apparente,  l'intérêt  allait  croissant,  et  quand  la  der- 
nière note  était  dite,  le  public  faisait  à  l'œuvre,  à  l'orchestre  et  au  composi- 
teur, rappelé  cinq  fois  par  la  salle  entière,  une  ovation  qui  semblait  ne  devoir 
jamais  finir.  » 

—  De  Milan  :  Les  successeurs,  à  la  Scala,  de  MM.  Gatti-Casazza  et  Arturo 
Toscanini,  nommés  le  premier,  directeur,  le  second,  chef  d'orchestre  du 
Metropolitan  Opéra  de  New-York,  ne  sont  pas  encore  désignés,  mais  il  est 
probable  que  M.  Gatti-Casazza  sera  remplacé  par  M.  Thémistocle  Pozzali. 
directeur  du  Teatro  Régie  de  Turin,  tandis  que  les  fonctions  de  chef  d'orchestre 
seront  partagées  entre  deux  jeunes  maestri,  MM.  Barone  et  Serafini. 

—  De  Milan  on  signale  le  très  grand  succès  remporté  à  la  Scala  par  la 
Louise  de  Charpentier,  avec  MUe  Frances  Aida  pour  principale  interprète 
acclamée. 

—  A  l'occasion  du  centenaire  du  Conservatoire  de  Milan,  le  maestro  Galli- 
gnani,  directeur  de  cet  établissement,  avait  ouvert  un  concours  pour  la 
composition  d'un  opéra  en  un  acte  sur  un  livret  de  M.  Carlo  Zangarini,  entre 
tous  les  élèves  des  classes  de  compo-ition  licenciés  de  la  dernière  année  ou 
de  l'année  en  cours.  Le  jury  chargé  de  juger  ce  concours,  formé  de  MM.  Um- 
berto Giordano,  Armando  Seppilli  et  Giacomo  Oreûce,  a  attribué  le  prix  au 
jeune  compositeur  Emanuele  Gennai,  élève  du  professeur  Gaetano  Coronaro. 

—  Dans  le  but  de  rechercher,  de  découvrir  et  de  faire  connaître  les  trésors 
d'art  musical  qui,  oubliés  et  ignorés,  restent  enfouis  dans  les  archives 
publiques  ou  privées,  M.  Guido  Gasperini,  bibliothécaire  et  professeur  d'his- 
toire de  la  musique  au  Conservatoire  royal  de  Parme,  voudrait  voir  réunir  à 
Ferrare  une  assemblée  de  musicologues  à  l'occasion  des  fêtes  qui  auront  lieu 
en  cette  ville,  au  printemps  prochain,  en  l'honneur  du  célèbre  Frescobaldi.  A 
cet  effet,  il  publie  un  appel  à  ses  collègues  et  amis,  en  les  priant  de  donner 
leur  adhésion  à  cette  assemblée.  Le  comiLé  ferrarais  des  fêtes  de  Frescobaldi 
prête  tout  son  appui  au  projet  conçu  par  l'excellent  professeur,  et  se  prépare 
déjà  à  organiser  une  réception  chaleureuse  à  tojs  ceux  qui  répondront  à  son 
appel. 

—  Les  journaux  italiens  racontent  qu'il  y  a  quelques  jours,  à  l'École  Sainte- 
Cécile  de  Rome,  pendant  une  répétition,  un  élève  présenta  à  M.  Richard 
Strauss  une  partition  do  Salomé  en  le  priant  de  vouloir  bien  y  mettre  sa  signa- 
ture, à  quoi  le  compositeur  répondit,  en  français  :  s  Non,  non.  pas  de  Salomé 
aux  élèves!...  Mozart!  Mozart!  Beethoven!...  ■■  L'élève  obtint  pourtant  sa  si- 
gnature, mais  il  s'éloigna  un  peu  contrit.  Si  l'anecdote  est  vraie,  M.  Richard 
Strauss  renouvelait  ainsi  le  mot  du  bon  curé  à  ses  ouailles  :  s  Faites  ce  que  je 
dis,  mais  ne  faites  pas  ce  que  je  fais.  » 

—  Au  théâtre  de  la  Zarzuela  de  Madrid,  première  représentation  d'une 
zarzuela  en  troi  ;  tableaux,  Sanlos  e  msigas,  paroles  de  M.  Linares  Rivas,  mu- 
sique du  maestro  Baldomir,  jouée  par  M'""  Irène  Alba,  Joaquina  Pino.  Ma! 
donaldo  et  MM.  Guel,  Cava,  Rifart,  etc.  Succès. 

—  Une  preuve  de  courage  et  de  présence  d'esprit  vient  d'être  donnée  par 
une  jeune  Australienne,  miss  Olive  Moore,  en  représentation  au  théâtre  de 


70 


LE  MENESTREL 


Manille,  dans  les  îles  Philippines.  Pendant  une  représentation  du  Mikado, 
l'orchestre  s'arrêta  tout  à  coup,  les  chaises  furent  projetées  l'une  sur  l'autre,  et 
les  murs  du  hàtiment  parurent  ébranlés.  Déjà  les  spectateurs  se  précipitaient 
vers  les  issues  et  une  panique  peut-être  terrible  allait  se  produire.  C'est  alors 
que  miss  Moore.  qui  était  en  train  de  chanter  l'air:  Seule  et  pourtant  vivante, 
rassura  tout  le  monde  par  son  sang-froid.  En  la  voyant  continuer  de  chanter, 
l'orchestre  se  remit  à  jouer,  les  spectateurs  reprirent  leurs  places  et  la  repré- 
sentation put  s'achever.  L'incident  qui  avait  provoqué  les  inquiétudes  était  un 
léger  tremblement  de  terre  comme  il  en  arrive  souvent  dans  les  régions  aus- 
trales. Mlle  Moore  venait  probablement  d'éviter-  une  véritable  catastrophe  en 
ne  se  laissant  pas  effrayer.  On  lui  fit  une  ovation  triomphale  à  la  fin  de  la 
soirée. 

—  Un  rédacteur  d'un  journal  de  Londres,  le  Daily  Mail,  a  fait  une  enquête 
auprès  des  principaux  chefs  de  bandes  musicales  pour  savoir  quel  était  le 
genre  de  musique  préféré  des  auditeurs  de  concerts  en  plein  air.  Les  artistes 
interrogés  ont  tous  affirmé  que  le  goût  du  public  s'affine  incontestablement. 
Assurément  certains  airs  de  danse  sont  toujours  en  vogue,  et  l'on  écoute  aussi 
avec  beaucoup  de  plaisir  les  fragments  d'opéreltes  qui  ont  le  plus  grand  succès 
dans  les  théâtres  spéciaux.  Mais  les  auditeurs  accordent  beaucoup  d'attention 
et  montrent  une  grande  sympathie  aux  transcriptions  des  œuvres  wagné- 
riennes.  en  même  temps  qu'ils  goûtent  la  musique  de  Beethoven,  de  Liszt,  de 
"Weber,  de  Mozart,  et  même  de  Bach.  La  musique  française  est  aussi  de  leur 
part  en  grand  honneur.  Toutefois,  la  première  place  reste  à  la  musique  ita- 
lienne, et  spécialement  à  la  contemporaine,  qui  est  décidément  la  plus  popu- 
laire. Les  vieux  maîtres  italiens  sont  en  décadence:  parmi  eux  Bossini  seul 
se  maintient  très  populaire  dans  le  public  des  concerts  militaires,  mais  unique- 
ment par  l'ouverture  de  Guillaume  Tell,  qui  obtient  toujours  de  vifs  applau- 
dissements. On  aime  beaucoup  les  arrangements  des  opéras  de  Verdi.  Mais  ce 
qui  plait  surtout  au  public,  ce  sont  les  transcriptions  des  ouvrages  de  Puccini, 
ainsi  que  ceux  de  l'a  Cavalleria  rusticana  de  Mascagni,  de  Pagliacci  de  Leon- 
cavallo  et  do  la  Gioconda  de  Ponchielli.  —  Des  goûts  et  des  couleurs... 

—  De  New-York  on  cable  encore  un  succès  français  à  l'actif  de  M.  Ham- 
merstein,  le  directeur  du  Manhattan  Opéra.  Après  Thaïs  et  Louise,  c'est  le  tour 
de  Pelléas  et  Mèlisande,  toujours  avec  la  même  interprète  acclamée.  Mlie  Garden. 
On  voit  combien  le  répertoire  français  a  assuré,  cette  saison,  la  réussite  bril- 
lante du  second  théâtre  lyrique  de  New -York.  Aussi  le  Metropolitan,  qui 
jusqu'ici,  sous  l'hostile  direction  de  M.  Conried,  l'avait  écarté  de  parti  pris, 
veut  s'y  mettre  à  son  tour.  Et  déjà  il  annonce  pour  la  saison  prochaine 
l' Attaque  du  moulin  de  M.  Bruneau!  C'est  un  coup  rude  pour  M.  Hammerstein, 
qui  devra  se  contenter  de  représenter  Cendrillon,  Hérodiade,  Grisélidis  et  Sapha. 
Toutefois  sa  part  semble  encore  assez  belle. 

—  L'exislence  des  acteurs  chinois  ne  saurait  être  comparée  à  celle  de  nos 
comédiens  européens,  soit  que  ceux-ci  exercent  leur  profession  dans  une 
capitale  ou  une  ville  importante,  soit  qu'ils  fassent  de  grandes  tournées  dans 
divers  pays  du  continent  ou  au  delà  des  mers.  En  aucun  pays  du  monde 
n'existe  pour  les  comédiens  un  mépris  pareil  à  celui  dont  ils  sont  l'objet  on 
Chine,  où,  tout  d'abord,  ils  sont  exclus  des  examens  pour  le  mandarinat  et  de 
toute  espèce  de  fonctions  publiques.  Dans  les  villes  où  ils  séjournent,  les 
théâtres  sont  relégués  dans  les  faubourgs  les  plus  mal  famés  et  placés  auprès 
de  certaines  maisons  qu'il  est  inutile  de  caractériser  davantage.  Une 
troupe  de  comédiens  ne  peut  d'ailleurs  pénétrer  dans  une  ville  sans  en 
avoir  obtenu  l'autorisation  d'une  autorité  municipale  ou  autre.  Il  arrive  par- 
fois qu'un  personnage  important  ait  l'envie  d'ajouter  le  spectacle  aux  divertis- 
sements qu'il  offre  à  ses  invités  :  il  engage  alors  une  troupe  d'acteurs,  qui 
n'ont  d'autre  salaire  que  le  logement  et  la  nourriture.  Pour  gagner  quelque 
chose  en  plus,  il  faut  qu'ils  aient  la  chance  de  plaire  beaucoup  aux  spectateurs. 
Alors,  au  cours  de  la  représentation,  un  domestique  de  confiance,  délégué  par 
le  mécène,  s'arme  d'un  gong  et  d'un  bâton,  se  met  en  devoir  de  faire  la  quête 
et  à  chaque  groupe  de  sapèques  recueilli  par  lui,  frappe  sur  le  gong  avec  son 
bâton.  C'est  là  le  casuel  des  comédiens.  Dans  chaque  théâtre  public  se  trouve 
une  loge  d'honneur,  et  lorsque  quelque  mandarin  y  vient  prendre  place,  les 
acteurs,  avant  de  commencer,  se  présentent  tous  en  rang  sur  l'estrade,  se 
prosternent  et  s'écrient  en  chœur  :  «  Seigneur,  nous  vous  saluons  trois  fois  ». 
Il  n'y  a  d'ailleurs  dans  ces  théâtres  ni  rideau,  ni  souffleur,  ni  rampe,  ni 
décors,  jii  mobilier.  L'esprit  des  spectateurs  doit  suffire  à  toute  illusion. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

Concours  pour  des  emplois  de  chef  et  sous-chef  de  musique  militaire.  On 
lit  dans  le  Bulletin  Officiel  du  ministère  de  la  guerre  : 

Un  concours  pour  les  emplois  de  chef  et  de  sous-cbef  de  musique  dans  l'armée 
aura  lieu  cette  année.  Le  jury,  formé  de  professeurs  du  Conservatoire  national  de 
musique,  de  compositeurs  et  de  deux  chefs  de  musique  militaires,  sera  présidé  par 
M.  Gabriel  Fauré,  directeur  dû  Conservatoire.  L'épreuve  éliminatoire  (harmonie) 
qui  constitue  la  première  partie  du  concours  est  fixée  au  12  mars  prochain,  et 
sera  passée  comme  précédemment  au  chef-lieu  ie  chaque  corps  d'armée;  les 
épreuves  définitives  (épreuve  instrumentale  et  épreuve  d'orchestration)  seront 
subies  à  Paris,  dans  un  local  désigné  par  le  gouvernement  militaire  de  Paris.  Il 
n'est  apporté  aucune  modification  pour  le  concours  de  la  présente  année  à  l'instruc- 
tion du  l'i  février  1903,  ainsi  qu'au  programme  qui  s'y  trouve  annexé. 

—  Le  ministre  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts  a  accepté  la  pré- 
sidence d'honneur  de  1"«  Association  amicale  des  professeurs  de  musique  vocale 
des  Lycées  et  Collèges  de  l'État  ».  Bésultat  du  référendum  pour  la  constitution 


du  bureau  :  Président  :  M.  Louis  Pister,  professeur  au  lycée  Buffon  à  Paris  ; 
Vice-Président  :  M.  Clérisse,  professeur  au  lycée  d'Évreux-;  Secrétaires  : 
MM.  Louis  Luigini,  profe-seurau  lycée  d'Auch,  Laffont,  professeur  au  ljcée 
d'Albi  :  Trésorier  :  M.  Labatut,  professeur  au  lycée  d'Agen  ;  Membres  du  bu- 
reau :  MM.  Py,  professeur  au  lycée  de  Montauban,  Nivert,  professeur  au  lycée 
d'Alençon  ;  Hansen,  professeur  au  lycée  de  Beims;  Bousse,  professeur  au 
collège  de  Le  Quesnoy  :  Thierry,  professeur  au  lycée  de  La  Bochelle  :  Boche, 
professeur  au  lycée  de  Marseille;  Graff,  professeur  au  collège  de  Saumur; 
Chavet,  professeur  au  lycée  d'Alger:  Gourdet,  professeur  au  collège  de  Meaux. 

—  La  commission  de  la  Société  des  auteurs  et  compositeurs  dramatiques  a 
tenu  cette  semaine  une  importance  séance  sous  la  présidence  de  M.  Alfred 
Capus.  Étaient  présents  :  MM.  Paul  Ferrier,  Pierre  Decourcelle,  Jean  Biche- 
pin,  Paul  Milliet,  Gaston  de  Caillavet,  Alexandre  Bisson,  Maurice  Ordonneau 
et  Paul  Gavault.  Assistaient  en  outre  a  la  séance  les  deux  agents  généraux, 
MM.  Bobert  Gangnat  et  Pellerin.  A  la  suite  de  la  lecture  de  l'important 
rapport  de  M.  Pierre  Decourcelle,  lecture  qui  n'avait  pas  pris  moins  de  trois 
séances,  la  commission,  après  discussion,  a  décidé  l'adoption  d'un  ensemble 
de  réformes  touchant  la  perception  des  droits  d'auteur  en  province.  Ces  ré- 
formes seront  codifiées  en  dix  articles.  El'es  seront  prochainement  communi- 
quées aux  membres  sociétaires  sous  la  forme  d'une  circulaire.  Et  pour  assu- 
rer et  surveiller  l'exécution  de  ces  mesures,  la  commission  a  décidé,  en  outre, 
la  création  de  trois  postes  d'inspecteurs  placés  sous  sa  direction  exclusive. 
Les  agen's  généraux  se  sont  trouvés,  dans  la  discussion,  d'accord  avec  la 
commission  sur  tous  les  points  qui  pouraient  les  concerner.  Autre  décision 
qui  avait  été,  on  s'en  souvient,  très  réclamée  dans  une  des  dernières  assem- 
blées générales  de  la  Société  :  conformément  au  rapport  de  la  sous-commis- 
sion nommée  à  cet  effet,  à  l'unanimité,  la  commission  a  voté  la  création  d'un 
bulletin  mensuel  destiné  à  mettre  les  sociétaires  au  courant  des  travaux  de  la 
commission  et  à,  entretenir,  entre  eux  et  elle,  les  rapports  nécessaires  au  bon 
fonctionnement  et  à  la  prospérité  de  la  Société. 

—  Le  conseil  d'administration  de  la  Société  des  auteurs,  compositeurs  et 
éditeurs  de  musique  a  procédé  au  renouvellement  de  son  bureau  pour 
l'année  190S.  Ont  été  élus  :  Président,  M.  Joubert,  éditeur  ;  vice-président, 
M.  Pessard.  compositeur;  secrétaire  général,  M.  Victor  Meusy,  auteur;  secré- 
taire adjoint,  M.  Chillemont.  compositeur;  trésorier,  M.  Gaudet,  éditeur. 

—  Spectacles  de  la  semaine  à  l'Opéra  :  ce  soir  samedi,  Ariane  (59e  représen- 
tation) ;  lundi,  Samson  et  Dalila  et  Coppélia;  mercredi,  la  Valkyrie  :  vendredi, 
le  Prophète:  samedi,  Tannhâuser. 

—  En  même  temps  que  les  répétitions  du  ballet  d'Éi.  Lalo,  Xamouna,  qu 
doit  passer  dans  le  milieu  de  mars,  les  études  d'Hippolylc  et  Aride  se  poursui  • 
vent  à  l'Opéra  avec  la  plus  grande  activité.  Les  décors,  dont  les  maquettes 
furent  établies  sous  la  direction  de  M.  Pierre  Lagarde,  ont  été  commandés  à 
M.  .Tusseaume,  qui  fera  ainsi  ses  débuts  à  l'Opéra,  et  à  MM.  Carpezat,Bonsin, 
Bochette  et  Landrin,  qui  se  sont  engagés  à  livrer  tous  ces  décors  le  15  mars. 
Bippoli/te  el  Aride  passera  donc  au  plus  tard  dans  les  premiers  jours  d'avril. 

—  Spectacles  des  jours  gras  à  l'Opéra -Comique  : 

Dimanche  :  matinée,  le  Chalet,  Werther  ;  soirée,  Manon. —  Lundi  :  matinée,  la  Fille 
du  Régiment,  la  Traviala;  soirée  (au  tarif  ordinaire),  Carmen.  —  Mardi  :  matinée, 
les  Noces  de  Jeannette,  Madame  Butterfly  :  soirée,  à  huit  heures,  Cavalleria  rusticana , 
la  Vie  de  Bohème.  —  Mercredi  :  à  huit  heures  et  demie,  la  Habanera,  Gityslaine.  — 
Jeudi  :  matinée,  Manon;  soirée,  la  Habanera,  Gityslaine. 

—  Aujourd'hui  29  février,  à  cinq  heures,  dix-septième  samedi  de  la  Société 
de  l'histoire  du  théâtre.  Au  programme  : 

Une  causerie  de  M.  Ernest  Tissot  sur  «  le  Pardon  au  théâtre  »  avec  les  récitations 
ou  auditions  suivantes  :  Ariane,  de  Thomas  Corneille  (scène  III  de  l'acte  4),  par 
M™' Renée  Parny,  du  Théâtre- Sarah-Bernhardt,  et  M.  Rouyer,  du  théâtre  Antoine. 
La  Nuit  d'octobre  (fragment),  par  M"*  Marcelle  Géniat,  de  la  Comédie-Française. 
a)  Ich  tjrolle  nicltt  [J'ai  pardonné),  de  Schumann  ;  b)  Le  Voyageur,  de  Gabriel  Fauré, 
par  M"1  Elise  Kutscherra.  Le  Pardon,  de  M.  Jules  Lemaitre  (1"  acte),  par  M""  Julia 
Bartet,  Renée  du  Minil  et  M.  Raphaël  Duflos,  sociétaires  de  la  Comédie-Française. 

—  C'est  demain  dimanche,  qu'aura  lieu  aux  Concerts-Lamoureux  la  pre- 
mière audition  de  Prométhée  triomphant,  poème  de  M.  Paul  Behoux,  musique 
de  M.  Beynaldo  Habn.  qui,  nous  dit-on,  n'a  jamais  écrit  d'oeuvre  plus  vi- 
brante, plus  colorée  et  plus  puissante.  Pour  interpréter  la  remarquable  parti- 
tion du  jeune  et  brillant  compositeur,  une  distribution  hors  de  pair  a  été 
choisie,  la  suivante  : 

M""  Lindsay,  Vénus;  Lapeyrette,  Minerve;  Heilbrdnner,  Diane  ;  MM.  Delmas, 
Jupiter;  Carbelly,  Prométhée;  Chanoine-Davranches,  Vulcain;  C;rdan,  Neptune; 
Sardel,  Mars. 

Les  chœurs  et  l'orchestre  (2C0  exécutants)  seront  placés  sous  l'habile  direc- 
tion de  M.  Henry  Babaud. 

—  De  Nicolet.  du  Gaulois  :  «  La  deuxième  éliminatoire  du  concours  deténors, 
organisé  par  Comœdia  et  Musica,  a  eu  lieu  hier  soir.  Cent  vingt-cinq  candidats 
étaient  inscrits.  Soixante -quatorze  se  sont  fait  entendre,  devant  un  jury  où 
l'on  remarquait  MM.  A.  Carré,  Muratore,  Salignac,  Isnardon  et  G.  Pioch.  La 
salle  s'est  fort  divertie  en  écoutant  et  en  regardant,  surtout,  certains  concur- 
rents. Qui  célébrera  dignement  le  brave  ouvrier  qui,  d'une  main  noire  de 
cambouis,  fit  signe  qu'il  ne  voulait  pas  d'accompagnement  :  «  Pas  d'musi- 
que!  »  et  ëcorcha  l'air  de  Mignon!  le  timide  éphèbe  qui  ne  put  trouver  la 
première  note  de  la  cavatins  de  Mireille,  et  poussa,  en  la  cherchant,  des  cris 
inarticulés  !  d'autres  encore  !  Je  ne  sais  qui  le  jury  élira.  Voici  les  noms  de 
ceux  qui  m'ont  paru  dignes  d'être  retenus  :  MM.  Soissons,  Marcelin,  Barré, 
Platovicb,  Bapper,  Thénard,  Mario   —  grand    favori  du     public  —  Balland, 


LE  MÉNESTREL 


Toussains,  Delacarrière,  Pasquet,  Classens,  Robert.  Aucun  «  oiseau  rare  » 
là-dedans,  mais  quelques  voix  généreuses  ou  jolies  de  timbre.  La  séance,  en 
tout  cas,  fut  extrêmement  réjouissante.  Rires,  applaudissements  crépitaient  ». 

—  Ceux  qui  ont  connu  naguère  le  fameux  critique  P.  Scudo,  célèbre  en  son 
temps  à  la  R-vuc  des  Deux  Mondes  et  mort  fou  en  1864,  n'ont  pas  oublié  cet 
homme  d'un  extérieur  très  correct,  à  cheveux,  moustache  et  barbiche  complè- 
tement blancs,  sanglé  dans  sa  redingote  comme  un  ancien  capitaine  de  cava- 
lerie retiré  des  affaires.  Scudo,  qui,  avant  (l'entrera  la  Revue  des  Deux  Mondes 
avait  collaboré  à  divers  journaux  et  recueils,  l'Ordre,  le  Sied*,  l'ancienne 
Revue  de  Paris,  la  Revue  indépendante,  etc.,  et  qui  était  doué  d'unî  forte  dose 
de  vanité,  avait  ébauché  à  l'École  de  Choron  une  éducation  musicale  restée 
malheureusement  incomplète.  11  avait  été  là  le  condisciple  d'Hippolyte  Mon- 
pou,  du  grand  chanteur  Duprez,  de  la  future  M",L'  Stoltz  et  de  quelques  autres. 
Mais  il  n'apparaît  pas  que,  pour  une  raison  ou  pour  une  autre,  il  ait  été 
compté  parmi  les  favoris  de  ce  grand  honnête  homme,  martyr  de  son  art,  que 
fut  le  brave  et  excellent  Choron.  C'est  ce  qui  résulterait  tout  au  moins  d'une 
lettre  que  celui-ci  adressait  justement  à  son  ancien  élève  Duprez,  le  ïï  août 
1831,  et  dans  laquelle  il  nous  fait  une  révélation  posthume  aussi  singulière 
qu'inattendue.  Elle  est  analysée  dans  un  récent  catalogue  d'autographes  en 
ce  peu  de  mots,  qui  suffisent  à  nous  donner  une  idée  de  la  valeur  morale 
que  Choron  attribuait  audit  Scudo:  —  «  Intéressante  lettre  dans  laquelle  il 
lui  donne  des  détails  sur  la   deslinée  de  quelques  artistes   de  leurs  amis.  Il 

lui  conseille  de  se  méfier  de   Scudo,  qui  est  un  escroc  fieffé >   Et  du  coup, 

voilà  un  homme  à  la  mer. 

—  Les  Fêtes  et  les  Chants  de  la  Révolution  française  (1).  Ce  qu'a  voulu 
M.  Julien  Tiersot,  l'auteur  de  ce  livre,  il  nous  le  dit  dans  une  préface  d'une 
belle  tenue  littéraire  dont  la  pensée  peut  se  résumer  dans  cette  phrase  :  «  La 
musique  est  le  seul  de  tous  les  arts  qui  remplisse  à  la  fois  le  double  but 
poursuivi  par  l'institution  des  fêtes  nationales.  Elle  participe  à  leur  éclat 
extérieur,  en  même  temps  qu'elle  en  sait  exprimer  le  sentiment  intime.  » 
Quelques  mots  encore  et  l'idée  apparaîtra  dans  toute  sa  netteté  :  «  Toutes  les 
religions  ont  connu  la  vertu  du  chant  et  considéré  son  usage  comme  légitime  et 
nécessaire.  »  La  musique  a  donc  été,  dans  le  passé  révolutionnaire,  en  même 
temps  que  la  saisissante  expression  du  culte  de  la  patrie,  le  meilleur  élément 
d'éducation  nationale  pour  le  peuple.  Elle  devra  continuer  d'être  cela  dans 
l'avenir.  On  voit  que  M.  Tiersot  n'est  pas  un  sceptique;  au  besoin,  il  sait  ne 
point  pousser  la  crainte  d'être  «  dupe  »  jusqu'à  méconnaître  ce  qu'il  y  a  de 
noble  et  d'élevé,  de  sentimental  même,  dans  un  beau  mouvement,  soit  chez 
un  homme,  soit  dans  l'acte  imposant  d'une  collectivité.  On  calomnie  souvent 
son  semblable  quand  on  se  laisse  dominer  par  la  préoccupation  de  tout  inter- 
préter en  prenant  pour  base  l'intérêt.  D'ailleurs,  les  recherches  de  notre  auteur 
sont  empreintes  d'une  critique  historique  judicieuse,  méticuleuse  même.  Il 
nous  conduit  à  travers  les  journées  mémorables  de  la  Révolution,  journées  de 
fête  et  journées  de  deuil,  et  nous  fait  connaître'  l'origine  des  hymnes,  expres- 
sion du  génie  de  musiciens  comme  Gossec,  Méhul,  Cherubini,  Lesueur,  et 
celle  des  chansons,  voix  anonyme  du  peuple,  tantôt  sarcastique,  tantôt  patrio- 
tique et  guerrière.  On  reste  stupéfait  en  voyant  combien  l'esprit  de  tolérance 
s'alliait,  en  littérature,  aux  revendications  en  faveur  d'un  ordre  nouveau.  La 
veille  de  la  fête  de  la  Fédération,  13  juillet  1790,  on  exécuta  dans  l'église 
Notre-Dame  la  Prise  de  la  Bastille,  hiérodrame  tiré  des  livres  saints,  paroles  et 
musique  de  Marc-Antoine  Désaugiers.  Le  texte  était  emprunté  aux  psaumes 
de  David,  à  l'épitre  de  Jacques  et  au  livre  apocryphe  de  Judith.  Plus  tard, 
l'inspiration  de  Gossec  produisit  un  véritable  chef-d'œuvre,  te  Chant  du 
44  Juillet,  «  le  plus  beau  type  que  nous  ait  laissé  l'art  lyrique  de  la  Révolution  », 
exprimant  un  «  rêve  sublime  de  fraternité  ».  Les  cérémonies  funèbres  donnent 
naissance  à  des  œuvres  très  caractéristiques,  dont  la  meilleure  peut-être  fut  la 
Marche  lugubre  du  même  compositeur.  Le  Chant  du  départ  de  M»hul  est  l'objet 
d'une  prédilection  particulière  de  la  part  de  M.  Tiersot;  il  la  mérite  presque 
autant  que  la  Marseillaise.  Puis,  nous  arrivons  au  Ça  ira,  pièce  instrumentale 
du  musicien  de  bals  publics  Bécourt,  agrémentée  d'un  texte  dont  les  deux 
premiers  mots  auraient  été  dits  par  Franklin,  et  à  la  Carmagnql-,  couplets  à 
danser  sur  la  musique  desquels  nombre  de  poètes  ont  adapté  des  paroles.  Le 
doux  Florian  en  fil  un  appel  à  la  fraternité.  Deux  strophes  de  lui  sont  particu- 
lièrement curieuses  : 


Que  faut-il  au  républicain? 

Une  arme,  du  cœur  et  du  pain. 
L'arme  pour  l'étranger, 
Du  cœur  pour  le  danger 
Et  du  pain  pour  ses  frères. 


Il  fut  un  cheval  de  renom, 
Celui  des  quatre  fils  Aymon. 
Pourquoi  l'Antiquité 
L'a-t-elle  tant  vanté? 
C'est  qu'il  portait  des  frère 


Le  livre  abonde  en  ingénuités  de  ce  genre.  Nous  ne  pouvons  malheureuse- 
ment pas  insister.  Il  suffit  d'avoir  signalé  aux  personnes  désireuses  de  connaître 
notre  époque  révolutionnaire  dans  ses  manifestations  littéraires  et  musicales 
un  ouvrage  intéressant  et  consciencieux  sous  tous  les  rapports.  La  lecture  en 
sera  pour  elles  pleine  d'attrait.  An.  B. 

—  M.  Léopold  Bellan,  le  distingué  syndic  du  conseil  municipal  de  Paris, 
nous  informe  qu'il  vient  de  charger  Mme  Marteau  de  Milleville,  la  cantatrice 
et  professeur  de  chant  bien  connue,  de  la  direction  générale  de  l'Enseignement 
moderne  dont  il  est  le  Président  Fondateur  et  qui  comprend  tant  à  Paris  que 
dans  la  banlieue  103  sections  en  plein  fonctionnement. 

—  h'Estucliantina,  courrier  des  Sociétés  mandolinistiques,  organise  son  troi- 
sième concours  international   de   composition  pour   instruments   à   plectre 

(1)  Paris,  Librairie  Hachette,  1908. 


[mandolines,  guitares,  etc.).  Des  prix  consistant  en  diplômes,  médailles  de 
bronze,  d'argent,  de  vermeil,  d'or  et  ISO  francs  en  espèces,  seront  accordés 
aux  lauréats.  Pour  tous  renseignements,  écrire  à  M.  de  Houe-.  H,  Fanbourg- 
Saint-Martin,  Paris. 

—  M.  Alex.  Guilmantest  de  retour  de  Mannheim,  où  il   a  fait  entendre,   au 
milieu  d'unanimes  bravos,  à  la  »  Musikalischr;  Akademie  -,  sa  premii 
phonie  pour  orgue  et  orchestre,  ainsi  que  plusieurs  pièces  de  Bach.   I 

naux  de  Mannheim  sont  unanimes  pour  constater  son  très  brillant  succès. 

—  Lundi  2  mars,  à  0  heures  du  soir,  salle  de  Géographie,  184,  boulevard 
Saint-Germain,  M.  Éd.  Risler  donnera  un  concert  au  profil  du  Patronage  ie 
Nazareth,  avec  le  concours  de  M""  Marcella  Pregi  et  de  M.  Armand  Parent. 

—  Mercredi  i  mars,  salle  Erard,  à  9  heures  du  soir,  concert  de  chai 

par  Mllc  Magdeleine  Trelli,  avec  le  concours  de  M.   Gabriel  Fauré:    au    pro- 
gramme, des  œuvres  de  J.-S.  Bach,  R.  Schumanii,  Th.   Dubois,  G 
R.  Chansarel,    C.-M.    "Widor,   G.    Pierné   forment   la   première     partie,    la 
deuxième  partie  étant  consacrée  aux  œuvres  de  G.  Fauré  accompagnée-  par 
l'auteur. 

—  Vendredi  6  mars,  à  9  heures  du  soir,  salle  Pleyel,  séance  de  Préludes  el 
de  Sonates  donnée  par  M.  Pablo  Casais,  violoncelliste,  M"1,  Hélène  Zielinska, 
harpiste  et  M.  Bienvenidu  Socias.  pianiste.  Œuvres  de  J.-S.  Bach  et  de  Em- 
manuel Moor. 

—  D'Alger  :  Après  un  début  de  saison  très  agité,  le  calme  e.-t  revenu 
complet  à  notre  Municipal,  et  avec  la  calme  le  succès.  Et  parmi  les  plus  gros 
succès  de  la  présente  campagne,  il  faut  signaler  celui  de  Thérèse,  que  M.  Henri 
Carvalho  a  monté  avec  beaucoup  de  soins  et  de  goût.  Le  triomphe  fut  spontané 
et  sera  durable  pour  l'œuvre  nouvelle,  exquise  et  angoissante,  du  maître 
Massenet,  donnée  dans  deux  jolis  décors  neufs  et  interprétée  avec  beaucoup  de 
charme  et  d'émotion  par  M"le  Bawlers,  très  bien  secondée  par  MM.  Gautier, 
Valdor  et  Désesquier.  Ce  même  soir,  et  avant  Thérèse,  nous  avons  eu  la 
primeur  du  Fou,  en  un  acte  de  M.  Félix  Maire,  musique  de  M.  Maiiziu.  qui, 
de  bonne  facture  et  de  saine  simplicité,  a  très  agréablement  réussi,  avec, 
comme  interprètes,  M"105  Looze,  Bawlers,  MM.  Delpret  et  Gautier.  —  A 
signaler  aussi,  parmi  les  très  bonnes  représentations,  celles  de  Werther,  cet 
autre  chef-d'œuvre  de  Massenet,  avec,  comme  ténor,  M.  Gibert,  et  comme 
chanteuse,  d'abord  Mme  Bawlers,  puis  Mme  Marie  Lafargue,  qu'une  indis- 
position avait  tenue  éloignée  du  théâtre  et  qui  nous  revient  à  la  grande  joie 
du  public. 

—  De  Bordeaux  :  Soirée  d'inoubliable  éclat  arlistique  au  Cercle  philharmo- 
nique. Le  glorieux  maître  Francis  Planté  et  son  ami  Léon'Delafosse  ont  inter 
prêté,  comme  seuls  ils  savent  le  faire,  quinze  œuvres  admirables  à  deux 
pianos.  Ce  fut  un  enchantement,  un  éblouissement...  Mêlée  de  puissance,  de 
maîtrise,  d'étincelante  virtuosité,  l'exécution  des  deux  merveilleux  pianistes  a 
soulevé  la  salle  entière,  qui,  debout,  a  fait  à  MM.  Francis  Planté  et  Léon 
Delafosse  une  immense  ovation. 

—  On  nous  signale  de  Nantes  le  gros  succès  remporté  par  M.  F'ernand 
Lemaire,  le  gendre  de  l'illustre  doyen  de  l'Opéra-Comique,  M.Lucien  Fugère. 
Sa  voix  superbe,  son  style,  l'ont  fait  longuement  applaudir  dans  Werther  et 
Roméo  et  Juliette.  Les  Nantais  lui  ont  prodigué  les  bravos  et  les  rappels. 
M.  Lemaire  retournera  à  Nantes,  dans  quelques  jours,  pour  y  chanter  Manon, 
Lakmé,  Lohengrin.  Il  se  fera  entendre  aussi  comme  pianiste. 

—  On  vient  de  donner  avec  grand  succès  à  Calais,  au  Théâtre-Municipal, 
une  série  de  représentations  du  Caprice,  opéra-comique  en  deux  actes  de 
M.  Georges  Andrique,  pour  le  livret,  et  pour  la  musique  de  M.  Fernand 
Masson,  chef  de  chant  à  l'Opéra-Comique  de  Paris. 

—  Soirées  et  Concerts.  —  M.  et  M"'  Chavagnat  ont  donné  une  matinée  de  leurs 
élèves  pour  l'audition  d'œuvres  de  M.  Périlhou,  qui  ont  été  chaleureusement  applau- 
dies. Citons  en  passant  Scherzo-Ballade,  Chanson  de  Guillot-Martin,  Pastorale.  Conte, 
Divertissements  sur  des  Laendler  de  Schubert,  Nell,  Rigaudon,  Promenade,  Passepied, 
Dans  les  bois,  Gigue,  la  Primavera,  Valse  en  sourdine  et  le  Moulin  fort  bien  inter- 
prétées par  M""  Martin,  Manent,  Thuillant,  0.  Marienkoff,  M.  Ortion,  M""  Houdas, 
M.  Paringaud,  Cavallier,  Badaire  et  Carayon.  Au  même  programme,  succès  pour 
Course  fantastique,  Caprice  d'enfant  et  Un  sourire  de  M.  Chavagnat.  —  Belle  soirée 
chez  M"*  Marty  pour  l'audition  de  ses  élèves  dans  des  mélodies  de  Théodore  Du- 
bois, parmi  lesquelles  les  plus  applaudies  ou  les  mieux  interprétées  furent  Au  jardin 
d'amour,  Rosées,  la  Lune  s'effeuille  sur  l'eau,  Ecoute  la  symphonie,  Trimaso  et  surtout 
le  Jeune  Oiseleur  et  la  Jeune  Fille  à  la  cigale  (Odelettes  antiques).  M"'  Micheline  K«hn 
interpréta  remarquablement  la  Fantaisie  pour  harpe  et  M.  Gabriel  Willaume  les 
Deuc  pièces  pour  violon. 

NÉCROLOGIE 

C'est  avec  un  réel  chagrin  qu'il  me  faut  annoncer  ici  la  mort  de  M.  Salvator 
Castrone,  marquis  de  la  Rajata,  connu  artistiquement  sous  le  nom  deMarchesi, 
époux  de  Mme  Mathilde  Marches!,  l'éminent  professeur  de  chant.  Chanteur, 
compositeur,  professeur  et  écrivain,  M.  Marchesi.  qui  était  né  le  lb'jan  .  iei  1822 
àPalerme,  d'une  famille  d'origine  princière,  avait  été  obligé  de  s'éloigner  de  la 
Sicile  en  raison  de  ses  principes  libéraux,  et  s'était  consacré  à  l'art.  Après  avoii 
reçu  à  Milan  des  leçons  de  chant  de  Lamperti  et  de  Fontana,  il  se  vit  obligé 
de  s'enfuir  en  Amérique  pour  avoir  pris  part  ;<  la  révolution  de  1848  contre 
les  Autrichiens.  Là,  il  fit  son  premier  début  à  New-York  dans  Ernani,  mais  ayant 
reconnu  que  son  éducation  musicale  était  incomplète,  il  devint,  de  retour  en 
Europe,  l'élève  de  Manuel  Garcia.  Il  profita  grandement  des  conseils  de  son 


12 


LE  MÉNESTREL 


nouveau  taaitre,  et  bientôt  il  se  fit  une  belle  réputation  à  Londres  dans  les 
concerts  par  sa  splendide  vojs  de  baryton  et  son  élégante  manière  de  chan- 
ter. Après  une  brillante  tournée  à  travers  toute  l'Allemagne,  au  cours  de 
laquelle  il  épousa,  à  Francfort,  Mlle  Mathilde  Graumann,  il  fut  engagé  avec 
elle  dans  les  troupes  italiennes  de  Berlin,  de  Bruxelles  et  de  Londres,  où 
leurs  succès  furent  éclatants.  En  1854,  tous  deux  donnent  des  concerts  à 
Vienne,  puis  s'établissent  en  cette  ville,  où  ils  deviennent  professeurs  au 
Conservatoire.  Plus  tard  ils  firent  des  -voyages  à  Londres,  où  M.  Marcbesi 
se  fait  applaudir  dans  Faust  et  dans  Don  Juan,  puis  à  Paris,  où  ils  donnent  des 
concerts  historiques,  sont  engagés  ensuite  comme  professeurs  au  Conserva- 
toire de  Cologne,  et  enfin,  après  avoir  repassé  par  Vienne,  se  fixent  décidé- 
ment à  Paris,  où  Mn,e  Marchesi  ouvre  une  école  dont  on  connaît  l'universelle 
renommée.  M.  Marchesi  ne  fut  pas  seulement  un  chanteur  et  un  professeur 
hors  de  pair.  Artiste  instruit,  il  a  écrit  nombre  de  romances  françaises,  de 
Ueder  allemands,  de  canzonneltes  napolitaines;  il  a  publié  une  Méthode  et 
des  études  de  chant,  et  il  a  donné  des  traductions  italiennes  d'un  grand 
nombre  d'opéras  allemands  et  français  :  Abou-Hassan,  Tannhduser,  Lqhengrin, 
le  Vaisseau-Fantôme,  Iphigënie  en  Tauride,  Médée,  la  Vestale,  etc.  Vice- président 
de  la  ligue  franco-italienne,  il  était  chevalier  de  la  Légion  d'honneur,  com- 
mandeur de  la  Couronne  d'Italie  et  de  divers  ordres  étrangers.  Il  laisse  à 
tous  ceux  qui  l'ont  connu  le  souvenir  d'un  homme  de  cœur,  d'un  homme  de 
bien  et  d'un  galant  homme.  Arthur  Pougi.v. 

—  Maurice  Schirmann,  professeur  de  chant  à  Berlin,  est  mort  dans  cette 
ville  à  l'âge  de  48  ans.  Russe  de  naissance,  il  avait  commencé  sa  carrière  à 
Vienne.  Un  opéra  de  lui,  ÏOndine,  a  été  joué  au  Théàtre-Kroll,  à  Berlin. 

—  Il  vient  de  mourir  à  Bordeaux  un  honorable  fonctionnaire,  M.  Louis 
Clesse,  directeur  de  la  manufacture  de  tabacs  de  cette  ville,  à  qui  un  souvenir 
est  dû  en  raison  de  l'amour  qu'il  portait  à  la  musique  et  qui  se  traduisait 
d'une  façon  vraiment  exceptionnelle. 

M.  Clesse,  dit  un  journal,  outre  qu'il  était  fonctionnaire  distingué  —  et 
dont  la  mort  sera  vivement  regrettée  —  était  un  grand  amateur  de  musique. 
Depuis  quelques  années,  en  effet,  il  avait  réuni  à  Bordeaux  un  orchestre 
d'amateurs  qui  passait  pour  le  seul  du  genre.  L'originalité  de  cet  orchestre, 
composé  d'excellents  musiciens,  au  nombre  de  60  ou  80,  était  qu'ils  jouaient 


pour  M.  et  Mme  Clesse  seuls,  sans  aucun  invité.  M.  Clesse  avait  une  biblio- 
thèque musicale  très  remarquable  et  variée  à  ce  point  qu'en  plus  de  deux  ans 
les  musiciens,  qui  jouaient  une  fois  par  semaine,  ne  répétèrent  jamais  le  même 
morceau. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Viennent  de  paraître  chez  E.  Fasquelle  :  L'Autre,  pièce  en  3  actes,  de  P  et  V. 
Margueritte,  représentée  à  la  Comédie-Française  (3  fr.  50  c.)  ;  Théâtre  en  prose  Les 
Frères  d'armes,  Justice,  les  Mères  innemies,  la  Femme  de  Tabarin),  de  Catulle  Men- 
dès  (3  fr.  50  c.)  ;  Théâtre  (Le  Masque,  la  M  arche  nuptiale),  d'Henry  Bataille  (3  fr.  50  c.)  ; 
Deux  fantômes,  roman,  de  Jules  Perrin  (3  fr.  50  e.)  ;  Notes  de  roule,  Maroc,  Algérie, 
Tunisie,  d'Isabelle  Eberhard,  publiées  avec  une  préface  par  Victor  Barrucand, 
illustrations  de  Rochegrosse,  Dinet,  Noire  et  Bonnaud  (3  fr.  50  c.)  ;  M.  Dupont, 
chauffeur,  nouveau  roman  comique  de  l'automobilisme,  d'Henri  Kis'emaeckers 
(3  IV.  50  c.)  ;  Un  Vieux  Bougre,  roman,  de  Ch.-H.  Hirsch  (3  fr.  50  c). 

En  vente  AU  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Vivienne.  HEUGEL  ET  O,  éditeurs 


iDYliLiES  ET  CHANSONS 

Sur  des  poèmes  de  GABRIEL  VICAIRE 


I.  Robin  et  Marion 3    » 

II.  La  Chanson  des  Regrets 3     >• 

III.  Au  bois  de  l'amour I  50 

IV.  La  belle  morte • 1  50 

V .  Adieu  la  rose 1     » 

VI.  Petite  Marie 2  50 

Le  recueil.    .    .    .   Prix  net    6  francs 
Musique   dé 

E.   JAQUES-DALCROZE 


En   J'ente   AU  MÉNESTREL.    2    bis.    nie    Vivienne.    HEUGEL  ET  Ck\    Editeurs 

—     PROPRIÉTÉ    POUR   TOUS    PAYS    - 


Ballet -Pantomime 


EN    DEUX   ACTES 


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Représenté    à   Monte-Carlo 


Ballet-  Pantomime 


EN    DEUX   ACTES 


La   Partition    complèle    pour    piano    solo.    Prix    net   :    6    francs  —   Le   Livret  de   Jean  Riciieimn,   net  :    1    franc 


SUITES     EXTRAITES 

TRANSCRIPTIONS    POUR    PIANO 
_A_  .      —      ë»  cènes      G-  a  1  si  xx  t  e  s 


1.   Marche '  30  :i-  Musette 

-2.   Ballabile 2     »  V  Tambourin. 

0.  Volte .     1  50 


G.  Menuet.  .   . 
".   Sarabande. 


J3  anses      _A_  n.  c  1  e  xx  xx  e 

2    »  8.   Gourante 

1     »  9.   Gavotte 


1  50 
1  50 


10.   Danse  des  Ménades 


CZ  .      —      3D  a.  xx  s  e  s      T  anagréenne 

2     »  11.   Danse  d'Aphrodite    .    .    . 

VI.  Danse  des  Crotales 


Musique  de  Paul  VIDAL 

CHACUNE    DES    SUITES    A.  B.  C.    POUR    ORCHESTRE  : 

Partition  d'orchestre.  Net    15  fr.    Parties  séparées.  Net    20  fr.    Chaque  partie  supplémentaire.  Net    1  fr.  50  c. 


,  —  (Encre  LoriLiGi). 


4(M!>.  —  74 


Samedi  7  Mars  1908. 


-  N°  10.        PARAIT  TOUS   LES   SAMEDIS 

(Les  Bureaux,  2  "",  rue  Vivienne,  Paris,  h-  arr>) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


ENESTREL 


lie  Numéro  :  o  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Le  Numéro  :  Ofp.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Boas-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 

SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (118  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Petites  notes  sans  portée  :  Autres  problèmes  soulevés  par  l'évolution  de  l'orcbeslrc,  Raymond  Rouyer.  — 
III.  Revue  des  grands  concerts.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
LA  GRACE  SUPRÊME 
nouvelle  mélodie  deRENÉLENORMAND. —  Suivra  immédiatement  :  Rose  du  bois  joli, 
chanté  dans  les  Jumeaux  de  Bergame,  de  Jaques-Dalcroze. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano: 

GAVOTTE 

extraite  du  ballot  de  Pail  Vidai.  :  Zino-Zina,  sur  un  livret  de  Jean  Ricuepin.  — 

Suivra  immédiatement  :  Menuet,  extrait  du  même  ballet. 


SOIXANTE    ANS     DE     LA    VIE     DE     GLUCK 

(±7  1  «4  -  ±  7"  T -4  ) 


CHAPITRE   III  :    Gluck    compositeur   italien 


Voici  d'abord  un  air  dont  le  contour  gracieux  et  l'expression 
tendre  contrastent  avec  la  sévérité  des  premiers  exemples 
donnés  :  excellent  modèle  du  style  XVIIP  siècle  en  ce  qu'il  a  de 


meilleur,  et  auquel  il  me  semble  apercevoir  un  air  de  famille 
commun  à  d'autres  beaux  chants,  dont  les  plus  définitifs  sont 
de  Gluck  lui-même  (l'air  de  la  Naïade  d'Armide,  par  exemple), 


|J#H#T         1             -fy 

rTi 

— 

j     ri 

y  Ji  h  i 

J^,T 

pg  e  a    g        f^ 

T*"" — F — r — r~~ 

m    m y .   1 

b    -1  r     ur 

Ras   .    se  . 

i4^#Tl#-3 — ■ — f — p ' 

re    -     na  il 

u^  r 

mes    .     to 

ci.glio 

Non          è 

ver,  non  vado  a 

mor  . 

(e. 

-4  4- 

r  r  ' 

Yo      .       con 

/  »  &  r  ! — F — 

'f  r  r  ' 

H 

r  r  r 

H 

\0-^ 

J-Aï 

J 

iH-i 

-M-i 

12  n 

rW- 

!i 

lie    . 

c):i,tf — f — f 

ta  è 

fans    .      ta 

sor.  te 

J      J 

r 

La     . 

-f- 

m  i'a 

Hff— 

Je.  de  a 

r  x4 

co.ro. 

nar 

u 

|r  Vf 

Vo .          -  con 

u 

r  "r 

ta  e 

r  ^  j 

—s — 

Rasséréna  il  raesto  ciglio  (Tigrane). 


tandis  que  d'autres,  plus  anciens,  pourraient  être  retrouvés 
dans  les  airs  de  danse  ou  la  musique  tle  clavecin  de  Rameau, 
et  qu'enfin  le  plus  illustre  type  nous  en  est  fourni  par  le  grand 
Bach  :  je  songe  à  ce  cantique  spirituel,  moitié  chant  d'amour 


et  moitié  prière,  qu'on  a  retrouvé  noté  dans  l'album  de  musique 
d'Anna  ilagdalena,  la  compagne  du  vieux  maître;  avec  son  inti- 
mité, dont  l'émotion  est  profonde,  j'y  retrouve  presque  exactement 
la  même  ligne  qui  forme  le  meilleur  du  chant  de  Glu  ck. 


74 


LE  MÉNESTREL 


Cette  exposition,  que  nous  avons  donnée  jusqu'à  sa  cadence  à  la 
dominante,  est  celle  d'un  air  du  troisième  acte  de  Tigrane.  Voici 
un  autre  fragment  du  même  opéra,  brève  citation,  ayant  seule- 
ment pour  raison  de  présenter  la  ligne  élancée,  qui  révèle  un 
artiste  de  race,  par  laquelle  s'expose  l'air  final  du  premier  acte  : 


im .  bru -lia . 

Ces  premières  mesures  d'un  air  d'Arsace  ont,  de  leur  côté, 
l'aspect  d'une  danse  du  vieux  temps.  Les  premières  notes  évo- 
quent le  souvenir  du  rigodon  de  Dardanus  de  Rameau,  tandis 
que  les  cadences  et  la  répétition  musicale  du  second  vers  sont 
des  formules  familières  de  l'école  napolitaine,  dont  Gluck  ne 
craignait  pas  parfois  d'emprunter  les  procédés. 


pri.  va  delca.ro       be  _     ne,         pri.vadelca.ro 


Nous  avons  signalé  que  certains  morceaux  de  ces  opéras  sont 
des  airs  de  haute  virtuosité,  où  le  principal  du  développement 
musical  est  dans  la  vocalise.  Voici,  pour  donner  une  idée  de  la 
hardiesse  des  chanteurs  qui  les  interprétaient,  les  parties  les 
plus  caractéristiques  d'un  de  ces  airs  :  d'abord  l'attaque  de  la 
voix,  puis  le  principal  développement  vocalisé.  C'est  à  un  des 
deux  seuls  airs  du  manuscrit  dont  il  reste  à  déterminer  les 
origines  que  cet  exemple  est  emprunté.  La  voix  commence  par 
une  longue  tenue  formant  pédale  intérieure  au  milieu  des  bro- 
deries contrepointées  des  instruments,  procédé  familier  à  Bach  : 


L'exposition  du  premier  motif  s'achevant,  le  chanteur  poursuit 
,insi  : 


De  tels  passages  notés  suffisent  à  faire  comprendre  au  lecteur 
quelles  étaient  les  hautes  qualités  des  virtuoses  chanteurs  ca- 
pables de  les  interpréter  :  l'étendue  de  leurs  voix,  la  puissance 
-du  souffle,  la  sûreté  et  la  souplesse  de  la  méthode,  tout  un 
ensemble  de  qualités  transcendantes  dont  le  secret  est  depuis 
longtemps  perdu,  et  qui  explique  leur  prédominance  tyrannique 
à  l'époque  où  ils  brillaient  de  tout  leur  éclat. 

Revenant  à  Tigrane,  voici  que  nous  rencontrons  un  air  dont  la 
forme  générale  est  bien  connue  de  quiconque  est  familier  avec 
les  derniers  chefs-d'œuvre  de  Gluck.  C'est  un  air  de  Sofonisba, 
dont  les  premières  paroles  sont  :  «  Presso  fonda  d'Acheronte.  » 
Voici  la  première  attaque  de  l'orchestre,  suivie  de  l'entrée  de 
la  voix  qui  répond  exactement  aux  instruments  : 


"'    ^ ujI'I'lu  "JjlUUjuj 


nii^iiiinijijjjjj  'Tiiji  i 


»«'.  ro    navfra 


fia   .     gai 


Il  faudrait  poursuivre  la  citation  pour  reconnaître  à  coup 
sur  le  morceau  dont  celui-ci  est  l'ébauche;  c'est  l'invocation 
à'Àrmide  :  «  Venez,  venez,  haine  infernale  !  »  En  continuant, 
nous  retrouverions  le  développement  complet  :  le  rauque  appel 
des  cors  et  des  hautbois,  que  nous  entrevoyons  déjà  ici,  la  fan- 
fare arpégeant  l'accord  parfait  à  la  voix  et  aux  cors,  et  surtout 
la  dissonance  si  expressive  des  deux  hautbois.  «  Sauvez-moi 
de  l'amour  !  »  clame  Armide  en  cet  endroit,  et  l'héroïne  de 
l'opéra  italien  exhalait  de  même  un  cri  de  desespoir  amoureux  : 
«  Mi  giurasti,  oh  Dio  !  d'amarmi,  E  qui  vengo  or  senza  te.  —  Tu  me 
jurais,  ô  Dieu!  de  m'aimer,  et  ici  je  reviens  sans  toi!  »  Mais  ce 
n'est  pas  tant  sur  la  justesse  du  rapprochement  expressif  que 
j'appelle  l'attention  sur  cet  accent,  c'est  sur  l'invention  musicale 
elle-même.  Il  n'est  personne  qui,  à  notre  époque  où  les  oreilles 
ont  le  droit  d'être  blasées  sur  les  sonorités,  n'ait  été  touché,  en 
entendant  la  musique  de  Gluck,  par  le  son  d'une  simple  note 
de  hautbois  venant  se  piquer  par-dessus  la  trame  des  violons  et 
apportant  ainsi  la  sensation  subite  d'une  plainte  aiguë.  Il  im- 
porte de  constater  que  cette  trouvaille  géniale  est  le  produit  des 
premières  réflexions  de  l'auteur,  que  l'on  en  trouve  le  premier 
emploi  dans  son  quatrième  opéra,  écrit  pour  une  petite  ville  de 
la  province  italienne,  et  tel  qu'il  sera  reproduit  dans  l'œuvre 


LE  MENESTREL 


75 


de  sa  puissante  maturité.  Au  reste,  l'écriture  des  deux  versions 
est  bien  différente  :  ébloui  par  l'éclat  de  la  première  inspiration, 
le  jeune  compositeur  a  voulu  trop  bien  faire,  multipliant  les 
dessins  secondaires,  notant  des  accompagnements  touffus.  Assagi 
par  trente-cinq  ans  de  pratique,  après  avoir  déclaré  explicite- 
ment qu'il  voulait  «  réduire  ses  efforts  à  rechercher  une  belle 
simplicité  »,  il  transformera  de  la  manière  suivante,  dans 
YArmide  de  1777,  les  premières  mesures  notées  ci-dessus  d'après 
le  Tigrane  de  1743  : 


Cors  et  Bassons 


(A  suivre.) 


Julien  Tiersot. 


PETITES   NOTES   SANS   PORTEE 


CXX1X 


AUTRES  PROBLEMES  SOULEVES  PAR  L'ÉVOLUTION 

DE  L'ORCHESTRE  (1) 

À  la  mémoire  de  notre  confrère  musical 
Eugène  de  Solenière. 

Musicalement,  le  cuivre  est  uue  importante,  mais  dangereuse 
valeur;  et  si  l'histoire  instrumentale  a  ses  périodes  de  hausse  et  de 
baisse,  nous  sommes  évidemment  ou  nous  semblons  être  dans  une  ère 
de  richesse,  en  fait,  du  moins,  d'orchestration.  C'est  un  éblouissement, 
si  «  l'oreille  aussi  a  sa  vue  »  :  cuve  immense  où  se  reflètent  tous  nos 
songes,  creuset  gigantesque  où  s'élaborent  vaguement  toutes  nos  rêve- 
ries, «  et  dites  si  vous  connaissez  au  monde  quelque  chose  de  plus 
riche,  de  plus  joyeux,  de  plus  doré,  de  plus  éblouissant  que  ce  tumulte 
de  cloches  et  de  sonneries  ;  que  cette  fournaise  de  musique  ;  que  ces 
dix  mille  voix  d'airain  chantant  à  la  fois  dans  des  flûtes  de  pierre 
hautes  de  trois  cents  pieds;  que  cette  cite  qui  n'est  plus  qu'un  orchestre; 
que  cette  symphonie  qui  fait  le  brait  d'une  tempête  (2)...  »  Vous  vous 
rappelez,  dans  la  Notre-Dame  de  Paris  de  1831,  cette  évocation  de  la 
capitale  moyenâgeuse  par  le  moins  musical  et  le  plus  plastique  des 
poètes,  —  «  masse  de  bruits  sublimes  »  et  «  sons  de  toute  forme  » 
qu'il  voit  «  passer  »  dans  l'air  lumineux  :  or,  cette  image  nous  hante 
toujours  dans  la  congestionnante  «  fournaise  »  de  l'orchestre  moderne. 

Peut-il  s'enrichir  encore  ?  —  Et  c'est  là,  je  crois,  mes  assidus  lec- 
teurs, la  troisième  de  vos  questions...  Mais,  pour  entrevoir  l'avenir, 
ne  faut-il  pas  revoir  très  brièvement,  d'abord,  comment  l'orchestration 
s'est  enrichie  dans  le  passé  ? 

Il  y  a  trois  cent  un  ans,  au  crépuscule  incertain  de  la  Renaissance, 
l'Orfeo  de  Monteverde  (1607)  était,  nous  le  savons  maintenant,  très 
riche  en  cuivres,  en  trombones,  en  instruments  singuliers  et  désuets, 
mais  toujours  employés  par  groupes,  par  familles,  par  petits  paquets, 
successivement,  jamais  simultanément  :  ce  que  nous  appelons  l'ensemble 
était  ignoré.  Même  un  siècle  plus  tard,  au  début  du  XVIIIe,  Bach  et 
Haendel  choisissent  les  instruments  appropriés  à  la  physionomie  sévère 
ou  pastorale  du  morceau,  puis  les  traitent  en  solistes,  rivaux  obligés  des 
voix.  Mais,  à  la  période  d'opulence,  a  succédé  promptement  une 
période  d'organisation  :  n'est-ce  point  la  loi  de  toutes  les  littératures 
et  de  tous  les  arts,  à  leur  instant  classique?  C'est  Malherbe  après  Ron- 
sard; c'est  la  régularité  du  XVIIe  siècle  après  la  floraison  du  XVIe;  or, 
la  musique,  art  jeune,  donc  retardataire,  ne  connaît  pas  aussitôt  cet 
âge  de  docte  «  appauvrissement  »,  et  cette  période  n'arrive  à  son  apogée 
qu'après  1730,  avec  Haydn  :  aperçu  que  nous  pouvons  qualifier  d'ingé- 

(1)  Voir  le  Ménestrel  du  samedi  15  février  1908. 

(î)  Cette  citation,  comme  tous  autres  passages  entre  guillemets,  est  empruntée  à  la 
prose  de  Victor  Hugo  qui  voyait,  comme  Théophile  Gautier,  de  très  matérielles  cor- 
respondances entre  la  forme  sonore  et  la  forme  colorée. 


nieux, puisque  nous  le  devons  à  la  sagacité  de  M.Romain  Rolland,  qui 
dit  positivement  :  «  11  s'est  un  peu  passé,  dans  l'orchestn  ,  çra 
s'est  passé  dans  les  grands  Etats  modernes  :  l'unité  du  pouvoir  central 
a  tué  la  vie  des  provinces.  »  Au  savant  audacieux,  cette  «  centralisa- 
lion  »  parait  «  excessive  ». 

Quoi  qu'il  eu  soit,  quand  l'art  classique  est  devenu  scolastique,  le 
retour  à  la  richesse  correspond  à  la  revanche  romantique, 
Renaissance  :  il  brille  avec  Weber,  fantastique  ami  du  Freischtits,  avec 
Berlioz,  gigantesque  décorateur  du  Requiem,  du  Te  Deum  et  de  la  Mar- 
seillaise, aux  refrains  encadrés  d'une  légion  de  timbales,  où  se  mêle 
éperdùment  «  tout  ce  qui  possède  un  cœur  et  une  voix  ».  Voici  l'âme 
contemporaine  qui  revêt  sa  forme.  De  Bach  à  Beethoven,  et  de 
ven  à  Wagner,  c'est  le  crescendo  'Je  l'orchestre  qui  domine  tout  :  à 
mesure  qu'un  art  d'agrément  accroît  son  empire  sérieux  sur  le 
la  technique  s'enrichit;  à  la  chanson,  qui  suffisait  à  la  candeur  des 
ancêtres,  à  l'opéra,  qui  désennuyait  la  frivolité  des  dilettanti.  le  beau 
panthéisme  de  l'orchestration  nouvelle   a  substitué   -a  fournaise  et  sa 
tempête.  Depuis  l'Ut  mineur,  demain  centenaire,  les  sonorités  ont  enflé 
leur  marée  montante.  Le  crescendo  fut  continu  pendant  un  îiècli  de 
science  positive  et  de  fiévreux  lyrisme. 

Et  l'âme,  à  son  tour,  a  profité  des  progrès  de  la  technique;  des  ins- 
truments nouveaux  ont  mis  de  nouveaux  tons  sur  la  palette  orchestrale  : 
la  clarinette,  au  déclin  du  siècle  de  Mozart,  puis  la  clarinette-basse, 
déjà  si  romantique  au  dernier  acte  des  Huguenots  1 1836);  le  contre-bas- 
son, connu  du  Beethoven  de  la  Cinquième  et  de  la  Neuvième:  la  petite 
flûte  sifflant  dans  la  Pastorale;  le  cor  anglais,  qui  prélude  à  ia  plainte 
agreste  de  Tristan;  les  cors  et  tous  les  cuivres  enfin  chromatiques;  la 
robuste  famille  des  saxhorns, ces  cuivres  doux;  la  personnalité  ->  ante 
du  tuba,  ce  Fafner  de  la  forêt  sonore  dont  la  flûte  sensuelle  est  l'oiseau; 
toute  l'armée  de  l'invasion  wagnérienne,  et  le  saxophone  qui,  depuis 
1872,  chante  douloureusement  au  prélude  de  notre  Artésienne  avant  de 
célébrer,  dix  ans  plus  tard,  dans  Parafai,  l'Enchantement  du  Vendredi- 
Saint,  et,  succédané  du  contre-basson,  le  sarrusophone.  cher  au  Don  Juan 
vieilli,  mais  toujours  incandescent,  de  Richard  Strauss  dont  l'Electra 
promet  à  nos  oreilles  éblouies  (dirait  Hugo)  de  détrôner  Salomé... 

Le  xylophone,  ou  claque-bois,  que  Saint-Saëns,  poète  symphonique, 
réservait,  il  y  a  trente-trois  ans,  aux  claquements  d'os  de  sa  Danse 
macabre,  s'estglissé  moins  spécialement  dans  la  danse  ultra-voluptueuse 
de  cette  petite  Salomé  géante  comme  l'éternelle  Volupté:  la  harpe,  cette 
chaste  Éloa  des  timbres,  a  quitté  le  paradis  musqué  des  salons  pour 
l'enfer  sauvage  de  l'orchestre;  et  ne  devient-elle  pas  chromatique  à 
son  tour  ?  Le  célesta  pique  des  étoiles  dans  le  noir  azur  du  quatuor  :  le 
Glockenspiel  égrène  ses  étincelles  dans  l'Incantation  du  feu  ;  sans  compter 
les  piments  et  le  cayenne  et  tous  les  pickles  de  la  percussion  :  la  grosse 
caisse  renversée  par  Berlioz,  pour  renforcer  le  tonnerre  caverneux  des 
timbales;  la  lourde  mailloche  de  la  grosse  caisse  ou  la  dure  baguette  de 
la  timbale  frappant  la  cymbale  phrygienne;  les  cymbales  infiniment 
nuancées;  le  triangle  trillant  éperdùment  dans  la  fusée  d'un  tutti  ;  le 
tam-tam  fatal,  le  tambour  et  le  tambourin,  tout  l'arsenal  militant  que 
mobilise  Une  Vie  de  héros  (1)... 

Il  est  vrai  que  beaucoup  d'unités  sont  tombées  en  désuétude,  avec  le 
hautbois  d'amour  on  de  chasse  et  toute  la  famille  galante  des  violes  et 
des  luths  ;  on  n'emploie  plus  guère  que  des  trombones  ténors,  des  clari- 
nettes en  si  bémol,  des  cors  en  fa  et  des  trompettes  en  ut  :  l'unification 
se  poursuit  dans  la  féodalité  des  groupes  instrumentaux.  Mais  d'an- 
ci  ens  instruments  deviennent  des  personnages  nouveaux  dans  l'orches- 
tre :  après  l'orgue,  comme  auxiliaire,  voici  le  piano  comme  timbre, 
non  seulement  dans  la  dernière  partie  de  la  puissante  symphonie  en 
ut  mineur  de  Saint-Saëns,  mais  dans  la  première  symphonie  (sur  un 
thème  montagnard  français)  et  dans  le  Chant  de  la  cloche  (1886)  de  Vin- 
cent d'Indy;  voici  le  premier  des  instruments,  la  voix  humaine,  qui  se 
mêlait  souverainement  au  finale  de  la  Neuvième  beethovénienue  et  des 
symphonies  plus  descriptives  de  Liszt  ou  de  Mahler,  pour  s'introduire 
ensuite,  au  simple  titre  d'instrument,  dans  Fervaal  et  dans  l'Étranger, 
de  même  que  dans  le  troisième  des  Nocturnes,  très  ichistlériens,  de 
Claude  Debussy;  le  Berlioz  de  Lelio.  qui  a  tout  prévu,,  comme  son 
colossal  contemporain  Balzac,  ne  pressentait-il  pas  ce  timbre  et  cet 
emploi  du  chœur  à  bouche  fermée  que  l'érudition  retrouve  au  Conser- 
vatoire, eu  1845,  dans  les  Druides  oubliés  de  Limnander  ?  Les  voix  sans 
paroles  de  nos  Sirènes  debussystes  ont  des  aïeules...  Et  tel  émule  de 
Richard  Strauss  réclame  la  trompe  d'auto,  pour  noter  la  physionomie 
d'un  enlèvement  très  moderne... 

Et  vous  me  demandiez  si  la  composition  présente  de  l'orchestre  se 
modifierait  bientôt? 


î)  Et  non  pas  :  la  Vie  d'un  lu- 


76 


LE  MÉNESTREL 


—  Bientôt  ?  Non,  je  ne  crois  pas  ! 

Après  l'ère  de  richesse  romantique  et  son  apogée  wagnéro-straus- 
sienne,  nous  semblons  traverser  une  nouvelle  période  d'organisation 
stationnaire.  Techniquement,  le  progrès  orchestral  de  la  symphonie 
classique  n'est  pas  très  sensible  de  1824  à  1876  par  exemple,  de  la  Neu- 
vième immense  de  Beethoven  à  la  première,  en  ut  mineur,  de  Brahms, 
que  ses  admirateurs  appellent  très  hyperboliquement  la  Dixième  (1)  :  et 
la  palette  sonore  des  crépuscules  romantiques  peut-elle  dépasser  l'am- 
ple et  grandiose  péroraison  transfigurée  du  poème  instrumental  :  Tod 
und  Verklœrung,  de  l'Allemand  Richard  Strauss,  qui  se  jouait  le  même 
dimanche  que  les  fiers  Souvenirs  de  Vincent  d'Indy,  le  magistral 
Apprenti  sorcier  de  Paul  Dukas  et  la  Mer  sournoise  de  Claude  Debussy  ? 
Chabrier,  déjà,  fut  éblouissant.  Et,  dès  le  "2.1  avril  1877.  à  notre 
Opéra,  dans  le  finale  du  troisième  acte  du  Roi  de  Lahore,  où  la  rutilante 
armée  des  cuivres  et  le  gong  scandent  l'envolée  des  voix,  Massenet 
juvénile  ne  réalisait-il  pas  un  maximum  d'incantation  symphonique? 

Enfin,  le  statu  quo  présent  n'aurait-il  point  d'autres  causes,  moins 
techniques  et  plus  générales  :  Expressivement,  l'art  musical,  comme 
tous  les  autres  arts,  se  réfugie  désormais  dans  l'intimité.  Les  œuvres 
contemporaines  ont  l'air  d'être  obscurément  éclairées  par  un  jour 
d'orage...  On  parle  à  voix  basse,  presque  mystérieusement.  On  recher- 
che moins  le  grand  «chambard  »  des  poèmes  symphoniquesdeLisztetde 
ses  remarquables  héritiers  originaux  de  la  musique  russe  (si  savou- 
reuse pourtant,  dans  son  allure  dansante  ou  sa  mélancolie  pittoresque, 
et  dont  l'harmonie  (2)  semble  avoir  beaucoup  préoccupé  les  veilles  de 
nos  dédaigneux  Debussystes)  que  le  recueillement  subtil  et  les  combi- 
naisons plus  rares  entre  les  plus  aériens  des  timbres.  De  là  le  succès, 
encore  une  fois,  de  notre  Enfance  du  Christ  et  la  vogue  renaissante  de 
Mozart,  de  Rameau,  des  anciens  qui  furent  les  jeunes,  —  et,  dans  la 
littérature,  du  théâtre,  si  fin,  de  Musset!  —Tout  se  tient,  dans  la  parure 
et  le  goût  d'un  temps. 

Et,  alors,  quelle  a  été  l'influence  de  l'orchestre  sur  la  littérature  ou 
de  la  littérature  sur  l'évolution  de  l'orchestre?  Quatrième  et  dernière 
question,  qui  fera  l'objet  de  notre  prochaine  étude. 

(A  suivre.)  Raymond  Bouyer. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts-Lamoureux.  —  C'est  un  plaisir  rare  et  dont  il  convient  d'apprécier 
le  prix  que  celui  qu'on  éprouve  en  découvrant  chez  un  artiste  de  marque  un 
stade  nouveau  de  développement  parcouru  et  l'affirmation  d'une  maîtrise 
définitive.  C'est  le  cas  de  M.  Reynaldo  Hahn  dont  on  connaissait  surtout  jus- 
qu'ici la  muse  aimable,  gracieuse,  intime,  qui  paraît  se  complaire,  comme 
par  amour,  aux  harmonies  fines,  aux  phrases  caressantes  et  alanguies.  Son 
Prométhée  triomphant,  révèle  chez  le  jeune  compositeur  une  puissance,  une 
ampleur,  une  noblesse  des  lignes  qui  seront  pour  beaucoup  une  révélation. 
Sur  le  mythe  de  Prométhée,  M.  Paul  Reboux  a  écrit  un  poème  dialogué  glo- 
rifiant et  magnifiant  le  travail,  l'effort  moderne,  l'énergie.  Enchaîné  sur  son 
roc,  le  Titan  s'offre  en  holucauste  aux  serres  et  au  bec  du  vautour  qui  le 
dévore.  Vainement  les  dieux,  auteurs  de  son  supplice,  viennent-ils  le  supplier 
de  leur  rendre  leur  puissance  déchue  en  faisant  de  nouveau  s'incliner  le  front 
des  hommes.  Prométhée  reste  sourd  à  leur  voix  :  qu'importe  sa  propre  tor- 
ture, si,  par  elle,  l'humanité  enfin  affranchie  reste  maîtresse  de  ses  destins! 
Sur  ce  thème  suggestif  exprimé  en  vers  harmonieux,  M.  Reynaldo  Hahn  a 
établi  une  partition  copieuse  dont  l'exécution  intégrale  sans  arrêt  dépasse  une 
heure  de  durée,  et  l'on  peut  dire  que  pendant  ce  long  laps  de  temps  l'intérêt 
ne  languit  pas  un  seul  instant.  Le  compositeur  ayant  à  traiter  une  cantate  a 
eu  la  sagesse  de  demeurer  dans  les  traditions  du  genre  tout  en  l'enrichissant 
des  ressources  d'une  imagination  fertile  en  inventions  mélodiques,  et  d'une 
technique  fort  avisée.  Il  a  ainsi  brossé  une  suite  de  tableaux  ou  mieux  de 
fresques  dont  plusieurs  sont  d'une  coloration  intense,  d'un  pittoresque  achevé, 
comme  le  chœur  des  nymphes:  «  Que  ta  parole  d'amour  s'accomplisse  »,  la 
marche  des  dieux  d'une  si  noble  allure,  l'air  de  Minerve  avec  son  curieux  et 
persistant  dessin  de  flûte, l'air  de  Diane  et  celui  deVénus,  le  premier  rapide  et 
lumineux,  le  second  d'une  exquise  fraîcheur,  l'épisode  si  caractéristique  où 
Vulcain  et  ses  cyclopes  se  refusent  à  accompagner  les  dieux  et,  au  bruit  des 
marteaux  et  des  enclumes,  les  trahissent  au  profit  des  hommes  dont  la  plainte 
et  les  chants  d'espérance  s'élèvent  du  fond  de  l'horizon.  Cette  partie,  et  le 
monologue  de  Prométhée  qui  la  suit  :  «  Que  le  monde  est  désert  d'où  sont  partis 
les  dieux  »,  sont  empreints  d'une  véritable  grandeur  tragique,  et  l'œuvre 
s'achève  en  un  ensemble  majestueux  développé  avec  une  souveraine  maî- 
trise. Interprété  de  remarquable  manière  par  M"es  Lindsay,  Lapeyrette,  Heil- 

(1)  En  passant  par  la  Septième,  en  ut  majeur,  de  Schubert,  —  cinquante  minutes 
d'inspiration  sentimentale  et  cuivrée,  —  du  pathétique  en  marche. 

(î)  Étudier,  à  ce  point  de  vue,  ta  Fille  de  neige,  de  Rimsky-Korsakow,  et  l'opéra 
de  Moussorgski,  Boris  Godounoff,  que  les  Parisiens  entendront  bientôt. 


bronner,  MM.  Delmas,  Carbèlly,  Chanoine-d'Avranches,  Sardet,  Cerdan  et  les 
chœurs  sous  la  direction  intelligente  et  précise  de  M.  Henri  Rabaud,  le  Pro- 
méthée triomphant  de  M.  Reynaldo  Hahn  a  été  longuement  acclamé  par  un 
public  exceptionnellement  nombreux  qui,  auparavant,  avaitfait  fête  à  la  Sym- 
phonie en  ré  majeur  de  Mozart,  et  à  l'adorable  concerto  de  Bach  pour  violon, 
flûte,  hautbois  et  trompette,  joué  en  toute  perfection  par  MM.  Soudant,  Des- 
champs, Gillet  et  Yvain.  —  J.  Jemain. 

—  Concerts-Lamoureux.  —  Festival  Wagner-Mottl.  du  jeudi  soir  27  février. 
—  Au  rebours  des  premiers  festivals  du  jeudi  soir  qui,  faute  d'auditeurs,  ces- 
sèrent promptement,  cette  séance  avait  attiré  toutes  les  élégances  du  Tout- 
Paris  mélomane.  Sous  un  déluge,  une  noire  mêlée  dans  la  rue  boueuse  où  les 
autos  aveuglants  interceptent  les  tramways  en  panne  ;  et,  dans  la  blanche 
bonbonnière  Gaveau,  les  décolletés  les  plus  emperlés  parfument  les  habits 
noirs  à  revers  de  soie  :  on  est  venu  moins  pour  "Wagner  que  pour  Mottl,  que 
dis-je"?  pour  Wagner  dirigé  par  Mottl...  En  effet,  ce  fut  très  beau.  Sans 
préalables  répétitions,  après  une  simple  lecture  ininterrompue  des  sept  nu- 
méros wagnériens  du  programme,  on  était  d'accord,  le  général  était  sûr  de 
ses  nouvelles  troupes;  et  quel  superbe  orchestre  aussitôt  qu'il  retrouve  un 
chef!  L'absence  péniblement  prolongée  de  l'excellent  musicien  Camille  Che- 
villard  nous  a  valu,  cet  hiver,  «  une  exposition  internationale  universelle  » 
de  Kapetlmeister  de  toute  provenance  et  d'inégale  autorité.  Jeudi  soir,  le  geste 
autoritaire  et  toujours  noblement  animé  de  l'Allemand  Félix  Mottl  a  galva- 
nisé soudain  cette  admirable  armée  sonore  en  nous  faisant  revivre,  pendant 
deux  trop  brèves  heures  de  belle  fièvre,  les  plus  beaux  instants  français  des 
Camille  Chevillard  et  des  Charles  Lamoureux  :  ne  serait-ce  pas  son  meilleur 
éloge '.'  Ouvertures  et  préludes  ont  défilé,  rajeunis,  comme  si  nous  venions  de  les 
découvrir  :  cela,  c'est  le  privilège  de  la  beauté.  De  la  vibrante  ouverture  du 
Vaisseau-Fantomé  au  prélude  austère  de  Parsifal,  de  1842  à  1882,  quarante 
ans  d'évolution,  despotique  et  de  génie  !  Le  pur  prélude  de  Lohengrin,  entre 
tous,  fut  un  moment  souverain,  dont  le  lent  crescendo,  lentement  déroulé, 
nous  versa  la  splendeur  du  ciel...  Au  milieu  de  cette  carrière  orchestrale,  qui 
fut  elle-même  un  crescendo  sans  pareil,  se  placent  les  quatre  poèmes  vocaux 
que  Richard  Wagner  appelait  des  «  esquisses  pour  Tristan  »  :  le  premier,  Der 
Enqel.  présage  la  mort  d'Isolde;  le  second,  Im  Triebhaus,  est  bâti  sur  les 
thèmes  du  douloureux  prélude  du  troisième  acte,  avec  les  tierces  espacées 
comme  la  solitude  et  que  le  prélude  webérien  du  troisième  acte  d'Euryanthe 
avait  entrevues;  le  troisième,  Schmerzen,  a  l'accent  héroïque  de  l'entrée  de 
Tristan,  parente  du  thème  de  l'Epée  (ces  trois  poèmes  orchestrés  par  Mottl); 
le  quatrième,  Traume,  orchestré  par  Wagner  en  personne,  est  connu  :  voici, 
déjà,  les  intervalles  de  l'hymne  a  la  Nuit,  avec  leur  «  physionomie  »  d'extase 
morbide...  Précédés  de  la  dramatique  ballade  de  Senta,  ces  quatre  poèmes 
furent  bien  dits  par  Mme  F.  Kaschowska,  qui  termina  la  séance  en  chantant 
la  mort  d'Isolde  avec  plus  de  conviction  que  de  voix.  Wagner  avait  raison 
d'écrire  :  «  On  ne  refait  pas  Tristan  et  Isolde.  »  En  revivant  cette  musique 
furieuse  et  pâmée,  on  sent  ce  qui  manque  aux  plus  parnassiens  de  ses  imita- 
teurs :  l'amour  de  Mathilde  Wesendonck,  la  solitude  angoissée  des  nuits  de 
Venise  et,  d'abord,  le  génie.  Raymond  Bouyer. 

—  Programmes  des  concerts  de  demain  dimanche  : 

Conservatoire  :  Ouverture  de  Coriolan  (Beethoven).  —  L'Enfance  du  Christ  (Ber- 
lioz), soli  par  MM.  Plamondon,  Bartet,  Paty,  Narçon,  Delmont,  Millot,  Mm0  Mellot- 
Joubert.  —  Ouverture  du  Freischiitz  (Weber). 

Chàtelet,  concert  Colonne,  Festival  Shakespeare-Berlioz  :  Fragments  de  Itoméo  et 
Juliette  (Berlioz),  avec  le  concours  de  M  ""' Judith  Lassalle  et  M.  Mauguière.  —  La  Tem- 
pête (Berlioz),  pour  chœurs,  orchestre  et  piano  à  quatre  mains,  par  M"'  Riss-Arbeau 
et  M.  Monteux-Barrière  —  Ouverture  du  Roi  Lear  (Berlioz),  duo  de  Béatrice  et  Béné- 
dict  (Berlioz),  par  M"'1  Maud  Herlenn  et  Judith  Lassalle.  —  Fragments  d'Hamlet 
(Berlioz). 

Salle  Gaveau,  concert  Lamoureux  :  Symphonie  en  ut  mineur,  n°  5  (Beethoven).  — 
Prélude  du  Déluge  (Saint-Saëns).  —  Promilhée  triomphant,  poème  de  Paul  Reboux, 
musique  de  Reynaldo  Hahn  (deuxième  audition)  : 

Jupiter  MM.    Delmas  (de  l'Opéra) 

Prométhée  Carbèlly  (le  l'Opéra) 

Vulcain  Chanoine-d'Avranches 

Neptune  Cerdan 

^ars  ,.      \  Sardet 

Un  jeune  apprenti      ) 

Vénus  M„„    Lindsay  (de  l'Opéra) 

Une  Mère  ) 

Minerve  Lapeyrette  (de  l'Opéra) 

Diane  Heilbronner  (del'Opéra-Comique). 

Dryades,  Sylvains,  Chœurs  des  hommes. 
Orchestre  et  chœurs  :  200  exécutants. 
Le  concert  sera  dirigé  par  M.  Henri  Rabaud. 

Concerts-Populaires  (Marigny,  3  heures):  Euryanthe  (Weber)  ;  Rodelinde  (Haendel): 
M"  E.  de  Marco;  Symphonie  la  Reine  ^aydn)  ;  la  .Calandrina  (Jomelli)  :  M»°  E.  de 
Marco;  Rapsodie  (Laloi,  Nocturne  (G.  Fauré):  M"«  Cella  Delavrancea;  Romance,  violon 
et  orchestre  (G.  Fauré)  :  M.  Mendels,  sous  la  direction  de  l'auteur  ;  Pelléas  et  Méli- 
sande,  Marche  au  Supplice  (Berlioz).  —  Chef-d'orchestre,  M.  Fernand  de  Léry. 

—  Le  programme  de  dimanche,  chez  M.  de  Léry,  était  copieux.  Il  faut  en 
détacher  la  symphonie  de  César  Franck,  dont  l'exécution  a  été  vraiment 
bonne  l'ouverture  de  la  Flûte  enchantée  dite  avec  précision  et  grâce,  l'air 
d'Uérodiade  et  des  mélodies  intéressantes,  de  M.  Georges  Brun,  chantés  avec 
talent  par  Mme  Laute-Brun,  et  finalement  le  Concerto  (op.  12)  de  M.  Gabriel 
Pierné,  interprété  par  Mlle  Jane  Weil,  qui   a  obtenu,  cette  année  même,  un 


LE  MÉNESTREL 


brillant  premier  prix  dans  la  classe  de  M.  I.  Philipp.M"e  Weil  a  été  accueillie 
avec  la  plus  grande  faveur:  elle  a  remarquablement  joué  la  spirituelle  œuvre 
de  M.  Pierné.  Succès  aussi  pour  M.  Ad.  Deslandres  qui  conduit  en  première 
audition  une  vivante  Polonaise  de  sa  composition  et  le  Rondo  Capriccioso  de 
Mendelssohn  qu'il  a  très  finement  orchestré. 

—  En  un  gala  de  charité,  sous  la  présidence  de  S.  A.  H.  Mmc  la  duchesse 
de  Vendôme,  au  Théâtre  Marigny,  a  eu  lieu  la  création  de  trois  ouvrages  inté- 
ressants et  qui  ont  obtenu  un  réel  succès.  Lu  Pèlerin  d'amour  est  un  drame 
lyrique  en  un  acte,  tiré  d'une  poétique  légende  par  M.  Paul  Hugounet  et 
Charles  Lancelin,  mis  en  musique  par  M.  Joseph  Jemain.  Tour  à  tour 
rêveuse  ou  dramatique,  mélodique  sans  banalité,  recherchée  sans  être  obscure, 
cette  partition  a  beaucoup  plu.  Les  principaux  rôles  étaient  chantés  par 
Mmes  Périllardet  Jackson.  MM.  L.  Bourgeois  et  P.  Margueritte.  Le  compositeur 
dirigeait  l'orchestre,  ainsi  que  pour  un  ballet  également  inédit,  {Impatient, 
musique  de  M.  J.  Jemain,  œuvre  légère  et  spirituelle  qui  fut  dansée  congru- 
ment  par  des  amateurs  dont  la  charité  fit  des  artistes.  Une  comédie  de  M.  d'Es- 
paron,  un  Cas  de  conscience  fort  bien  jouée  par  M"0'  Herval  et  May,  MM.  de 
Beaupierre  et  Dallix,  eut  aussi  un  grand  succès.  Une  assistance  nombreuse  et 
particulièrement  brillante  remplissait  le  Théâtre  Marigny. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(pour  les  seuls  abonnes  a  la  musique) 


C'est  la  première  fois  que  nous  donnons  ici  une  mélodiB  du  musicien  si  distingué 
qu'est  M.  René  Lenormand.  Nous  sommes  heureux  de  le  compter  parmi  les  nôtres 
et  l'on  verra  par  cette  Grâce  suprême  que  nous  publions  aujourd'hui,  d'un  contour  si 
lin  et  d'une  tendresse  si  délicate,  qu'il  doit  prendre  sa  place  tout  à  côté  des 
Reynaldo  Hahn  et  des  Ernest  Moret.  Et  nous  ne  pensons  pas  lui  donner  là  un  mince 
éloge. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 
De  noire  correspondant  de  Belgique  (i  mars).  —  La  première  représenta- 
tion à'Hernani,  opéra  en  cinq  actes  de  M.  Henri  Hirchmann,  au  Théàtiv- 
Royal  de  Liège,  a  été  un  nouveau  succès  pour  la  musique  française  et  l'occa- 
sion d'une  véritable  manifestation  de  sympathie  pour  l'art  français.  Les  Lié- 
geois avaient  tenu  à  recevoir  dignement,  en  lui  faisant  fête  dès  le  matin,  le 
représentant  de  la  France.  M.  Dujardin-Beaumetz,  sous-secrétaire  d'État  aux 
Beaux-Arts,  venu  expressément  en  Belgique  pour  la  circonstance,  en  même 
temps  qu'un  assez  grand  nombre  de  critiques  parisiens,  de  M.  le  comte  d'Or- 
messon,  minisire  de  France  à  Bruxelles,  et  d'autres  notabilités  officielles  et 
artistiques,  sans  oublier  M.  Gustave  Rivet,  sénateur,  et  adaptateur  du  drame 
de  Victor  Hugo.  C'est  assurément  à  M.  Rivet,  un  familier  de  la  famille  Hugo, 
que  M.  Hirchmann  a  du  d'obtenir  une  autorisation  qui  fut  toujours  refusée  aux 
composileurs;  car  si  Verdi  mit  en  musique,  lui  aussi,  Hernani,  il  le  fît,  vous 
le  savez,  en  dépit  du  poète.  On  comprend  que  celui-ci,  qui  avait  en  horreur 
les  musiciens,  n'ait  pas  été  très  satisfait  de  la  désinvolture  avec  laquelle  les 
librettistes  italiens  avaient  tripatouillé  son  drame.  Il  eut  été,  certes,  moins 
mécontent  de  la  façon  dont  s'y  est  pris  M.  Gustave  Rivet.  Toute  la  marche  du 
drame,  la  succession  des  scènes,  et  jusqu'au  texte  même,  ont  été  respectés.  A 
peine  l'adaptateur  a-t-il  modifié  certains  vers  ça  et  là,  et  supprimé  ceux  qui 
faisaient  longueur.  Le  travail  a  été  fait  très  adroitement.  Ainsi  présentée, 
l'œuvre  s'offre  sous  l'aspect  d'un  excellent  livret  d'opéra,  où  les  situa- 
tions abondent  et  sont  vraiment  musicales,  non  peut-être  comme  l'enten- 
dent les  adeptes  du  drame  psychologique  wagnérien  ou  debussyste,  mais  avec 
du  mouvement,  de  la  couleur  et  de  l'éclat.  M.  Hirchmann  n'apas  cherché  à  lui 
donner  une  autre  musique  que  celle  qu'elle  réclamait.  C'est  de  la  vraie  mu- 
sique d'opéra  ne  se  chargeant  d'aucun  vain  travail  thématique,  et  avant  tout 
scénique  et  théâtrale  dans  son  mouvement,  son  coloris,  la  forme  de  ses  idées, 
claires  et  chantantes,  et  de  son  orchestration,  distinguée,  brillante  et  sans 
lourdeur,  ce  qui  ne  l'empêche  pas  d'être  presque  toujours  intéressante.  Le 
spirituel  auteur  de  la  Petite  Bohème  et  des  Hirondelles  ne  se  donne  pas  pour 
un  novateur;  ce  n'est  pas  un  réactionnaire  non  plus.  Son  seul  but,  c'est  de 
faire  du  théâtre  qui  plaise  au  public,  qui  l'émeuve  et  le  charme  parles  moyens 
les  plus  sûrs.  Tout  en  bannissant  les  vieilles  formules  surannées,  les  airs,  les 
morceaux  détachés,  les  chœurs  insuffisamment  justifiés,  il  ne  craint  pas  de 
faire  de  la  mélodie  comme  en  ont  fait  la  plupart  des  maîtres  français  desquels 
il  se  réclame  —  ô  courage!  —  sans  rougir:  les  Massenet.  les  Gounod  et  les 
Delibes.  Les  cinq  actes  de  sa  partition  sont  vivants,  variés,  et  ils  n'ennuient 
jamais.  Après  deux  premiers  actes,  courts  et  rapides,  qui  sont  comme  un  pro- 
logue, l'intérêt  se  développe  dans  une  heureuse  gradation.  Le  troisième  acte, 
auquel  l'amour  du  vieux  Ruy  Gomez  donne  une  teinte  mélancolique  péné- 
trante, est  remarquable  à  tous  égards.  Ls  quatrième,  avec  la  scène  des  tom- 
beaux et  son  final  décoratif  de  grand  effet,  a  beaucoup  d.1  caractère.  Le  cin- 
quième enfin,  aussi  doux  et  aussi  calme  que  le  précédent  était  bruyant,  est 
d'une  poésie  exquise  et  s'achève  en  un  duo  d'amour  absolument  délicieux. 
—  Le  succès  a  été  chaleureux,  voire  enthousiaste.   Dès  le  quatrième  acte,  ou 


appelait  le  compositeur  sur  la  scène;  après  le  cinquième,  on  appelait  svec 
lui  les  artistes,  le  directeur,  le  régisseur  et  le  chef  d'orchestre  '.  L'interpréta- 
tion A'IIemani  au  Théâtre  de  Liège  est  très  satisfaisante.  A côti  ]  M-  i  -i- 
lesse.  une  Doua  Sol  de  voix  facile,  et  M.  Rebel,  un  Don  Carlos  de  boum; 
volonté,  il  faut  citer  surtout  le  baryton.  M.  Kedoo,  dont  l'organe  superbe  et 
la  belle  allure  ont  fait  merveille  dans  le  rôle  d'IIernani.  L'orchestre,  uu  peu 
maigre,  est  habilement  conduit  par  M.  Kochs,  et  la  mise  en  scènf  i  I 
convenable.  Inutile  d'ajouter  que  les  autorités  ont  vivement  félicité  l'auteur 
et  les  interprètes.  Pendant  un  entr'acte,  M.  Dujardin-Beaumetz  a  remis  au 
directeur  du  théâtre,  M.  Dechesne.  la  rosette  d'Officier  de  l'Instruction  pu- 
blique, et  au  régisseur  et  au  chef  d'orchestre  les  palmes  académiques. 

Lucien  Solvay. 

—  Eh  bien,  non,  décidément,  et  quoi  qu'on  en  ait  dit,  le  fameux  Hercule 
n'est  pas  retrouvé,  et  la  petite  histoire  de  sa  découverte  û  Prerau  était  fausse. 
M.  Ysaye,  qui  est  en  ce  moment  a  Vienne,  a  vu  en  ellet  un  violon  que  l'on 
avait  cru  un  instant  être  son  célèbre  Stradivarius  et  qu'on  lui  a  présenté, 
mais  il  a  déclaré  ne  pas  reconnaître  son  instrument.  L'Hercule  continue  de 
courir  le  monde. 

—  Ainsi  que  nous  l'avons  annoncé  en  janvier  dernier,  le  Conseil  municipal 
de  Vienne  a  fait  des  démarches  pour  obtenir  l'autorisation  de  transférer  les 
restes  mortels  de  Joseph  Haydn  au  cimetière  central  de  cette  ville,  où  une 
place  était  déjà  réservée  au  maitre  dans  l'endroit  appelé  le  bosquet  des  musi- 
ciens. Celte  autorisation  vient  d'être  refusée.  On  sait  que  Haydn  mourut  à 
Gumpendorf,  faubourg  de  Vienne,  le  :il  mai  ISO!)  et  fut  enterré  dans  le  cime- 
tière local  de  l'endroit.  Son  corps  fut   exhumé  ensuite  et  transport''  à 

tadt,  en  Hongrie.  Si  le  refus  de  permettre  de  procéder  à  une  nouvelle  exhu- 
mation est  maintenu,  les  cendres  du  maitre  resteront  dans  l'église  du  Calvaire 
où  elles  se  trouvent  depuis  quatre-vingt-sept  années. 

—  M.  Feruccio  Busoni,  qui  s'est  fait  entendre  à  Paris  aux  Concerts-Sechiari 
le  "20  février  dernier,  vient  d'être  relevé  des  fonctions  de  directeur  des  classes 
de  piano  au  Conservatoire  de  Vienne,  qu'il  avait  acceptées  et  dont  il  avail  pris 
possession  en  septembre  1907.  M.  Busoni  avait  été  appelé  à  ce  poste  en  rem- 
placement de  M.  Emile  Sauer.  Le  motif  de  sa  radiation  des  cadres  du  profes- 
sorat, c'est  une  absence  prolongée  qui  a  duré  plusieurs  mois.  Mais  l'éminenl 
artiste  se  défend  dans  le  passage  suivant  d'une  lettre  publiée  par  le  <  Courrier 
de  la  Bourse  »  de  Berlin  :  «  Lorsque  j'acceptai,  dit-il,  après  une  longue  résis- 
tance, les  fonctions  de  professeur  à  Vienne,  je  fis  remarquer  à  ces  messieurs 
de  là-bas  qu'il  me  serait  impossible,  tant  que  je  n'aurais  pas  rempli  tous  les 
engagements  par  moi  contractés,  de  m'assujettir  à  un  enseignement  régulier. 
Je  signifiai  moi-même  que  cette  première  année  devait  être  considérée  comme 
une  année  d'essai,  et  que  lorsqu'elle  serait  expirée,  je  pourrais,  en  cas  de 
satisfaction  réciproque  de  leur  part  et  de  la  mienne,  m'établir  à  Vienne  et 
signer  un  contrat  de  plus  longue  durée.  Sur  ces  entrefaites,  je  tombai  malade 
et  dus  remettre  un  concert  annoncé  à  Vienne.  Je  fus  obligé  aussi  de  renvover 
à  une  date  ultérieure  un  voyage  artistique  pendant  lequel  je  devais  jouer  de 
nouveau  dans  cette  ville.  J'eus  l'honneur  d'écrire  à  la  direction  du  Conserva- 
toire que  je  ferais  tous  les  efforts  possibles  pour  me  trouver  à  Vienne  en 
mars,  et  que,  quels  que  soient  les  événements,  j'y  resterais  sans  interruption 
du  21  avril  jusqu'à  la  fin  de  l'année  scolaire,  qui  se  clôt  le  15  juillet.  En 
réponse  à  cette  communication,  je  reçus,  à  ma  grande  surprise,  l'avis  formel 
que  l'on  me  rayait  des  cadres  comme  ayant  manqué  aux  clauses  de  mon 
contrat.  Ce  contrat  m'accordait  d'ailleurs  en  tout  état  de  cause  un  congé 
annuel  de  deux  mois  pendant  la  période  des  études  scolaires.  En  cette  cir- 
constance, ma  pensée  se  reporte  vers  mes  élèves  du  Conservatoire  de  Vienne, 
qui  sont  devenus  chers  à  mon  cœur,  et  je  dois,  à  cause  d'eux,  ne  point  laisser 
tomber  cetle  affaire  sans  exiger  qu'il  lui  soit  donné  les  éclaircissements 
qu'elle  comporte  ».  Rappelons  que  M.  Busoni  a  écrit  des  transcriptions  que 
l'on  classe  aujourd'hui  parmi  les  meilleures  du  genre  et  aussi  des  œuvres 
originales,  notamment  un  concerto  dont  le  final  est  avec  chœur.  H  s'occupe 
en  ce  moment  de  la  composition  de  son  premier  opéra,  Choix  de  fiancée, 
d'après  une  nouvelle  du  célèbre  conteur  Th. -A.  Hoffmann. 

—  Le  successeur  de  M.  Feruccio  Busoni,  comme  directeur  de  l'enseigne- 
ment du  piano  au  Conservatoire  de  Vienne,  sera  probablement  M.  Léopold 
Godowsky.  Cet  artiste  s'est  acquis  une  grande  réputation  comme  musicien  et 
comme  virtuose;  on  l'a  souvent  nommé  i  un  spécialiste  de  la  main  gauche  ». 
Il  passe  pour  être  un  interprète  hors  ligue  de  Chopin.  Parmi  ses  paraphrases 
de  concert  le?  plus  connues,  on  peut  citer  la  Vie  d'arlistc  et  le  Beau  Danube 
bleu  d'après  Johann  Strauss. 

—  La  cantatrice  Pauline  Lucca,  dont  nous  annonçons  plus  loin  la  mort,  a 
laissé  un  testament  qui  a  été  ouvert  par  les  soins  de  l'autorité  judiciaire.  Elle 
a  institué  pour  légataire  universelle  sa  fille  unique,  la  baronne  Marie  de 
Rhaden,  née  de  son  premier  mariage.  Elle  a  fait,  en  outre,  un  certain  nombre 
de  legs  particuliers.  Sous  forme  de  fidéicommis,  une  substitution  a  été  or- 
donnée. Dans  le  cas  où  MllcMarie  de  Rhaden  mourraitsans  avoir  été  mariée,  un 
tiers  de  la  succession  devrait  revenir  à  la  Société  de  sauvetage  de  Vienne,  un 
sixième  à  la  Fondation-Lucca  d'Ischl  pour  les  enfants  pauvres,  un  sixième  à 
l'hôpital  des  frères  de  la  miséricorde  de  Vienne.  Quant  au  tiers  restant,  il  est 
destiné  à  l'exécution  des  legs  divers  que  doit  distribuer  dès  à  présent  la  léga- 
taire. L'ensemble  de  la  succession  est  évalué  à  2  millions.  Les  biens  de  Pau- 
line Lucca  comprenaient  des  sommes  d'argent  déposées  à  Vienne,  une  villa  à 
Reichenau  et  des  valeurs  mobilières.  Lorsqu'en  1890  la  grande  artiste  arriva 
très  malade  à  Vienne,  c'est  la  Sociélé  de  sauvetage  qui  la  transporta  de  la 


78 


LE  MÉNESTREL 


gare  à  son  habitation.  Depuis  cette  époque,  elle  a  témoigné  un  intérêt  très 
vif  et  une  sympathie  toute  particulière  pour  cette  société,  à  laquelle  un  tiers 
de  la  succession  est  éventuellement  attribué  comme  nous   venons   de  le  voir. 

—  Une  affaire  de  plagiat  fait  en  ce  moment  beaucoup  de  bruit  dans  les  cer- 
cles musicaux  viennois.  Pendant  l'automne  de  190b,  un  jeune  compositeur  du 
nom  de  Frédéric  Habn  s'établit  à  Vienne.  Il  racontait  qu'il  avait  été  élevé 
dans  un  couvent  de  Jésuites,  a  Zeckau,  mais  que,  poussé  par  une  irrésistible 
vocation  musicale,  il  s'était  résolu  à  dire  adieu  à  ses  professeurs,  afin  de  se 
vouer  entièrement  à  la  composition.  Il  parvint  à  intéresser  à  ses  prétendus 
ouvrages  quelques  personnalités  éminentes  appartenant  au  cercle  des  arts, 
notamment  la  princesse  Clémentine  de  Metternich  et  une  autre  dame  de 
grande  distinction.  Il  fit  entendre  dans  deux  concerts  plusieurs  œuvres  musi- 
cales dont  il  s'attribuait  la  paternité  ;  après  quoi,  le  succès  qu'il  obtint  décida 
ses  protectrices  à  l'aider  de  leur  bourse.  Elles  se  déclarèrent  prêtes  à  former 
un  fonds  au  moyen  duquel  ses  compositions  pourraient  être  éditées.  On  lui 
trouva,  en  outre,  une  place  de  professeur  de  musique  dans  une  institution 
dirigée  par  les  Jésuites.  Il  apparut  alors  que  ce  M.  Frédéric  Hahn  n'était  qu'un 
maladroit  plagiaire  et  qu'il  avait  donné  comme  siennes  des  compositions  de 
Joseph  Rheinberger  (1839-1901),  qu'il  s'était  contenté  de  copier  note  pour 
note.  C'est  au  violoniste  Ondriczek  et  à  l'ancien  chanteur  d'opéra  Schittenhelm 
que  l'en  doit  la  découverte  de  la  fraude.  On  s'étonne  un  peu  qu'un  pareil 
manège  ait  pu  faire  illusion  pendant  plus  de  deux  années. 

—  L'empereur  d'Autriche  François-Joseph  a  accepté  le  protectorat  des 
grandes  fêtes  qui  doivent  avoir  lieu  à  Vienne  en  mai  -1909,  à  l'occasion  du 
centième  anniversaire  de  la  mort  de  Joseph  Haydn. 

—  Le  conseil  municipal  de  Vienne  a  décidé,  dans  sa  séance  du  27  février 
dernier,  qu'un  tombeau  serait  érigé  dans  le  cimetière  central  de  la  ville,  pour 
recevoir  les  restes  mortels  de  Charles  Czerey.  l'auteur  d'environ  deux  milliers 
et  demi  de  compositions,  parmi  lesquelles  64  pour  piano  à  six  mains,  4S9pour 
piano  à  quatre  mains  et  '1574  pour  piano  à  deux  mains. 

—  La  Chauve-Souris  de  Johann  Strauss  est  en  permanence  à  l'Opéra-Comique 
de  Berlin  depuis  les  jours  du  carnaval  ;  on  l'a  jouée  dimanche,  lundi,  mer- 
credi et  vendredi  de  cette  semaine  ;  on  la  donne  encore  ce  soir. 

—  A  la  salle  Mozart  de  Berlin,  M.  Léon  Rinskopf,  chef  d'orchestre  des 
concerts  d'Ostende.  a  fait  entendre  le  Carnaval  de  Princesse  d'Auberge,  de  Jan 
Blockx,  dont  le  succès  a  été  très  grand.  Au  même  concert  on  a  donné  une 
ouverture  d'Edgar  Tinel,  pour  le  drame  lyrique  Godolewa  et  quelques  autres 
œuvres  de  compositeurs  flamands. 

—  La  Société  internationale  de  musique,  section  de  Berlin,  vient  d'organiser 
une  audition  des  plus  intéressantes  de  «  compositions  pastorales  »  des  seizième, 
dix-septième  et  dix-huitième  siècles.  Le  programme  comprenait  des  œuvres 
françaises,  anglaises,  italiennes  et  allemandes  de  Couperin,  Rameau,  Daquin, 
Pasquini,  Peerson,  John  Bull,  Scarlatti,  Martini,  D'Anglebert,  J.-S. 
Bach,  Francisque,  J.-K.  Fischer  et  Chambonnières.  M"10  Wanda  Landowska 
a  joué  différents  ouvrages  de  ces  maîtres  sur  un  clavecin  construit  à  Paris. 

—  Dans  un  concert  donné  dans  la  salle  Blûthner  de  Berlin,  pour  l'inaugu- 
ration d'un  orgue  nouvellement  installé,  M.  Wilhelm  Leupold  a  fait  entendre 
des  œuvres  de  Haendel  et  la  cinquième  symphonie  de  Ch.-M.  Widor  qui  a 
produit  une  impression  des  plus  vives.  Mlle  Fanny  Opfer  a  chanté  ensuite  un 
psaume  de  Liszt. 

—  La  nouvelle  persécution  imaginée  par  le  chancelier  allemand  contre  les 
Polonais  sujets  de  la  Prusse  commence  à  porter  des  fruits  qu'il  n'attendait 
peut-être  pas.  En  attendant  le  boycottage  de  toutes  les  marchandises  alle- 
mandes dans  la  Pologne  russe,  les  pianos  ont  ouvert  la  marche.  Dans  tout  le 
pays,  les  pianos  allemands  sont  mis  à  l'index.  Vingt-cinq  pianistes  de  Varso- 
vie ont  pris  l'engagement  de  ne  donner  ni  concerts  ni  leçons  sur  des  pianos 
de  fabrique  allemande,  et  ils  invitent  tous  leurs  confrères  compatriotes  à  faire 
de  même. 

—  Les  fêtes  du  carnaval  à  Munich  ont  été  l'occasion  de  représentations 
de  gala  au  Théâtre-National  de  la  Cour,  et,  cette  année  comme  les  précé- 
dentes, car  il  s'agit  d'une  véritable  tradition,  c'est  la  Chauve-Souris  qui  a  dé- 
frayé les  spectacles.  Le  chef-d'œuvre  de  Johann  Strauss  a  été  interprété  par 
les  éminents  artistes  de  l'Opéra  MIIes  Martha  Bommer,  Fladung,  Mme  Preuse- 
Matzenauer.  MM.  Brodersen,  Felmy,  Geis.  etc.  Une  danse  serpentine  «  à  la 
Loïe  Fûller  »  a  été  introduite  dans  le  scénario  pour  former  un  nouvel  épisode, 
un  peu  inutile  a-t-on  pensé.  C'est  le  chef  d'orchestre  des  théâtres  de  Munich 
et  de  Bayreuth.  M.  Franz  Fischer,  qui  a  dirigé  les  représentations. 

—  De  Leipzig  :  «  Au  Théâtre-Municipal,  où  l'on  prépare  une  reprise  de 
Louise  de  Charpentier,  M,ne  Sigrid  Arnoldson  a  obtenu,  dans  Mignon,  l'appro- 
bation enthousiaste  du  public  et  de  la  critique  ». 

—  Les  sœurs  du  Sacré-Cœur  de  Budapest  organisent  tous  les  ans  sur  leur 
théâtre  particulier  une  représentation  qui  permet  aux  meilleures  élèves  de 
l'établissement  de  montrer  à  un  public  d'invités  leur  habileté  dans  l'art  de  la 
déclamation,  du  chant  et  de  la  danse.  Ces  jours  derniers  a  eu  lieu  dans  la 
salle  des  fêtes  une  représentation  des  scènes  de  la  vie  de  sainte  Elisabeth. 
Cette  représentation  avait  un  attrait  particulier,  parce  que  l'archiduchesse 
Sophie,  une  petite-fille  de  l'empereur  d'Autriche,  et  une  des  meilleures  élèves 
du  Sacré-Cœur. jouait  le  rôle  principal:  elle  y  fut,  parait-il,  remarquable.  La 
mère  de  la  jeune  actrice,  l'archiduchesse  Auguste,  assistait  à  la  représentation. 


—  Le  compositeur  Henri  de  Kaan  vient  d'être  nommé  directeur  du  Conser- 
vatoire de  musique  de  Prague,  auquel  il  était  attaché  depuis  1890  comme 
professeur  de  piano.  Né  en  1852,  à  Tornopol.  en  Galicie,  il  fut  l'élève  de  Blo- 
dek  et  de  Skuhersky  à  Prague,  et  accompagna  Dvorak  à  Londres  en  1884. 
Membre  de  l'Académie  François-Joseph  pour  l'art  et  les  sciences,  il  a  écrit  de 
la  musique  de  chambre,  un  poème  symphonique,  Sakuntala,  une  suite  d'or- 
chestre, une  fantaisie  pour  orchestre  intitulée  Églogues  de  printemps,  des 
études  et  des  concertos  pour  piano,  et  deux  opéras,  le  Fugitif  et  Germinal. 

—  Signalons  à  Genève,  sons  la  direction  de  M.  Léopold  Ketten,  une  très 
belle  exécution  A'Athalie,  avec  la  musique  de  Mendelssohn.  Trois  cents  cho- 
ristes. «  Le  premier  soprano,  dit  un  journal  de  l'endroit,  était  MUe  Verdan, 
dont  on  connaît  la  voix  charmante  ;  MUes  Gautier,  Culoz  et  Sautier  étaient  ses 
partenaires  et  le  succès  des  quatre  cantatrices  et  de  leur  interprétation  si  fine 
et  si  nuancée  a  été  des  plus  vifs.  L'orchestre  a  deux  pages  à  lui  tout  seul,  une 
copieuse  ouverture  un  peu  poncive  et  la  célèbre  Marche.,  qui  fut  bien  rendue. 
Toute  cette  partie  musicale  avait  été  préparée  par  M.  Léopold  Ketten,  avec 
sa  haute  compétence  et  sou  zèle  accoutumés,  et  ce  n'était  pas  une  petite  affaire 
que  de  mener  à  bien  cette  incursion  scénique  :  le  résultat  a  fait  honneur  aux 
artistiques  efforts  de  l'excellent  directeur.  » 

■ —  M.  Mathis  Lussy  a  publié  récemment,  dans  un  numéro  de  la  Vie  musi- 
cale (Lausanne),  sous  ce  titre  :  De  l'Accent  esthétique,  un  article  fort  intéressant, 
dans  lequel  on  retrouve  toutes  les  qualités  de  l'auteur  du  Traité  de  l'Expression 
musicale  et  de  tant  d'autres  ouvrages  précieux. 

—  A  la  Fenice  de  Venise,  énorme  succès  pour  la  Thaïs  de  Massenet,  «  le 
succès  le  plus  prompt,  le  plus  continu  et  le  plus  cordial  de  toute  la  saison  », 
dit  un  journal  vénitien.  L'œuvre  est  admirablement  interprétée  par  sa  belle 
protagoniste  italienne  Mlle  Carmen  Mélis  et  le  célèbre  baryton  Kaschmann. 
Le  violoniste  Hector  Cassellari  a  soupiré  délicieusement  la  Méditation,  qu'il  a 
dû  bisser  au  milieu  de  l'enthousiasme  général. 

—  L'Association  italienne  des  Amis  de  la  musique,  présidée  par  le  comte 
Guido  Visconti  di  Modrone,  avait  ouvert  récemment  un  double  concours  de 
composition  pour  un  quatuor  pour  piano  et  instruments  à  cordes  et  pour  un 
poème  chanté.  Les  prix  consistaient  en  deux  médailles  d'or,  et  les  œuvres 
couronnées  devaient  être  exécutées  publiquement  dans  les  concerts  de  l'Asso- 
ciation. Ce  concours  vient  d'être  jugé  :  le  prix  du  quatuor  a  été  attribué  à 
M.  Mario  Tarenghi,  de  Milan,  et  celui  du  poème  chanté  à  Mlle  Élisabetta 
Oddone,  aussi  de  Milan. 

—  M.  Gabriele  d'Annunzio,  à  qui  l'on  a  reproché  souvent  ses  emprunts  aux 
œuvres  littéraires  du  présent  ou  du  passé,  vient  d'être  pris  à  partie  par  le 
journal  de  Florence  Rivista  christiana  pour  avoir  mis  à  contribution  avec  trop 
de  persistance,  parait-il,  le  texte  des  livres  saints.  Un  rédacteur  de  cejournal, 
M.  Giovanni  E.  Meille,  a  cité  deux  cents  vers  de  la  dernière  pièce  du  poète, 
laNave,  qui  auraient  été  copiés  dans  la  Bible,  soit  exactement  tels  quels,  soit 
avec  de  légers  changements. 

—  Cette  fois,  c'est  une  avalanche  de  premières  représentations  dont  la  nou- 
velle nous  arrive  d'Italie.  Procédons  par  ordre,  pour  ne  pas  faire  d'erreurs. 
Au  théâtre  Ponchielli  de  Crémone,  le  18  février,  Terra  promessa,  poème  dra- 
matique en  trois  parties,  paroles  de  M.  Carlo  Zangarini,  musique  de  M.  Arrigo 
Pedrolla,  élève  de  M.  Coronaro  au  Conservatoire  do  Milan.  Accueil  favorable. 
—  Au  théâtre  Dal  Verme  de  Milan,  le  25  février,  Jeba,  drame  lyrique  en  un 
acte,  paroles  et  musique  d'un  jeune  compositeur  Argentin,  M.  Rodriguez 
Socas.  Vers  fâcheux,  musique  sans  originalité,  dit  un  journal.  —  Au  théâtre 
Victor-Emmanuel  de  Turin,  aussi  le  25  février,  la  Principessa,  drame  lyrique, 
en  trois  actes  et  quatre  tableaux,  paroles  de  MM.  A.  Cantone  et  De  Angelis, 
musique  de  M.  Gaetano  Capozzi.  Le  sujet  n'est  autre  que  l'aventure  bizarre 
qui  a  illustré  les  noms  de  la  princesse  de  Caraman-Chimay  et  du  violoniste 
tzigane  Rigo.  Succès.  —  Au  Politeama  de  Bari,  Yelda,  opéra  en  deux  actes, 
musique  de  M.  Léopoldo  Gassane.  Applaudissements  au  compositeur  malgré 
une  fâcheuse  exécution.  —  Au  Politeama  de  Gènes,  la  Tradita,  opéra,  musi- 
que de  M.  Luigi  Camelleni,  dont  le  succès  parait  avoir  été  médiocre.  Dans 
cette  Tradita,  dit  un  critique,  il  y  a  plus  de  musique  de  Donizetti,  de  Bellini, 
de  Verdi  et  de  Rossini  que  du  maestro  Camelleni,  ce  qui  prouve  au  moins  que 
celui-ci  est  doué  d'une  bonne  mémoire.  —  A  Rome,  à  l'Association  de  la 
Presse,  la  Pupilla,  opéra-comique,  poème  tiré  de  la  comédie  de  Goldoni.  qui 
porte  le  même  titre,  musique  de  M.  Giuseppe  Mancini.  —  Enfin,  au  théâtre 
Morlacchi  de  Pérouse,  il  Monumento  a  Pietro  Perugino,  musique  «  peu  vivace 
et  peu  originale  »  de  M.  Tei.  —  Et  c'est  tout. 

—  Le  Trovatore  nous  apprend  que  «  le  ténor  Masini,  vu  son  âge  avancé, 
quittera  la  scène  le  mois  prochain.  Il  donnera  sa  représentation  d'adieux  à 
l'Opéra  italien  de  Saint-Pétersbourg,  et  se  retirera  ensuite  à  Naples,  dans  sa 
splendide  villa  au  Vomero.  » 

—  On  nous  écrit  de  Milan  : 

Alfredo  Testoni  vient  de  terminer  sa  pièce  intitulée  Gioacchino  Rossini.  Il  l'a  lue  i. 
y  a  quelques  jours  à  Bologne  à  son  ami  Zicconi,  l'acteur  présumé  du  rôle  principa- 
le premier  acte  se  passe  en  l'automne  de  l'année  1820.  Rossini  triomphe  à  Naples  e 
dans  toutes  les  villes  d'Italie  ;  il  est  aussi  traité  en  héros  à  Paris,  lors  des  représen- 
tations du  Barbier  de  Séville.  C'est  un  jeune  homme  de  vingt-huit  ans,  beau,  élégant, 
pas  encore  riche,  en  chicane  continuelle  avec  l'imprésario  Barbaja,  occupé  chaque 
jour  par  une  nouvelle  amourette.  Ces  premières  années  de  Rossini  se  passent  au 
milieu  de  querelles  et  d'aventures  amoureuses,  pour  se  terminer  par  le  mariage  du 
maître.  Testoni  a  essayé  de  mettre  à  la  scène  la  vie  musicale  si  variée  de  cette 


LE  MÉNESTREL 


7:> 


époque  et  Ton  voit  déliler  les  types  les  plus  turieux  :  comiques,  ténors,  prima  donna, 
compositeurs,  etc.  Entre  le  premier  et  second  acte,  neuf  années  se  sont  écoulées  : 
nous  nous  trouvons  à  Paris  au  mois  d'août  1329,  pendant  les  représentations  de 
Guillaume  Tell,  accueillies  avec  enthousiasme.  Rossini  est  reçu  à  la  cour  comme  un 
souverain.  Le  troisième  acte  se  passe  à  Bologne,  en  mai  1851  ;  Rossini  y  a  pris  domi- 
cile au  palazzo  Donizelli.  Au  quatrième  acte  nous  sommes  do  nouveau  à  Paris.  Le 
maitre,  alors  âgé  de  soixante-huit  ans,  est  devenu  irritable.  Il  ne  pense  plus  qu'aux 
bons  repas.  C'estun  jour  de  mars  de  l'année  18G1).  Rossini  reçoit  une  visite.  Richard 
Wagner  est  chez  lui  !  Les  deux  géants  sont  assis  en  face  l'un  de  l'autre  :  le  passé  et 
l'avenir.  Le  maitre  allemand,  qui  est  encore  méconnu  malgré  ses  quarante-sept  ans, 
a  le  public  et  la  presse  contre  lui;  il  ne  parvient  pas  à  vaincre  les  difficultés  qui 
s'opposent  à  la  représentation  de  son  Tannhiiuser;  le  maitre  italien,  par  contre,  a  été 
célèbre  dès  les  premières  années  de  sa  vie  artistique.  La  première  représentation  de 
Gwaechino  Rossini  aura  probablement  lieu  à  Milan. 

—  LTn  concert  historique  dont  le  programme  était  singulièrement  intéressant 
à  été  donné  récemment  à  Florence  avec  le  plus  grand  succès.  Voici  ce  pro- 
gramme :  1.  Chant  grégorien  :  Hodie  Christus,  répons;  —  2.  Palestrina 
(1624-94)  :  Tardumergo  (polyphonie)  ;  — 3.  Gregorio  Allegri  (1380...)  :  Cor  mun- 
dum,  du  Miserere  ;  —  4.  Palestrina  :  Sanctus  de  la  Messe  Iste  Confesser;  — 
5.  Palestrina  :  Queste  sarannoben,  madrigal  (la polyphonie  hors  de  la  liturgie)  ; 
—  6.  Clari  (1679-1754)  :  Addio,  campagne  amené,  madrigal  (l'instrumentation 
dans  la  polyphonie);  —  7.  Lulli  (1633-1687)  :  Air  de  Zéphir  de  l'Opéra  d'Atys 
(le  lyrisme  dans  la  polyphonie)  ;  —  8.  Mozart  (1736-17911  :  Lacryinosa  de  la 
Messe  de  Requiem  ;  —  9.  Cherubini  (1760-1844)  :  Ave  Maria,  solo  de  ténor 
(l'élément  dramatique  au  service  de  la  liturgie)  ;  —  10.  Charles  Gounod 
(181S-1S93)  :  Benedictus  de  la  Messe  de  Sainte-Cécile  (le  romantisme  dans  le 
chant  sacré)  ;  —  11.  Lorenzo  Perosi  (vivant)  :  Agnus  Dei  de  la  2e  Messe  ponti- 
ficale; —  12.  Lorenzo  Perosi  :  Hymne  de  la  paix  du  Giudiz-io  universale (carac- 
tère musical  de  l'oratorio  moderne)  ;  — 13.  Marche  antique  (1200).  L'exécution 
de  ce  programme,  très  remarquable,  était  dirigée  par  M.  Virginio  Cappelli,  le 
distingué  directeur  de  la  chapelle  de  la  S.  Annunziata. 

—  On  a  représenté  au  Théâtre-Principal  de  Barcelone  un  «tableau  lyrique  » 
intitulé  Vora'lmar,  dont  la  musique  est  due  à  un  jeune  compositeur  nommé 
Alfonso,  encore  à  son  début.  Cette  saynète  a  été  bien  accueillie,  et  on  y 
signale  surtout  une  certaine  «  chanson  de  la  cloche  »,  qui  est,  dit  un  journal, 
«  pleine  de  poésie  ». 

—  Au  théâtre  Avenida  de  Lisbonne  on  a  donné  la  première  représentation 
d'une  «  féerie  maritime  »  et  musicale  intitulée  a  Filha  dus  Ondas,  paroles  de 
M.  Luiz  d'Aranjo,  musique  de  M.  Calderon.  La  succès  a  été  médiocre. 

—  Les  auteurs  londoniens  demandent  la  suppression  de  la  censure,  ou  plu- 
tôt du  censeur,  unique  fonctionnaire  qui  décide  sans  appel  du  sort  des  pièces, 
lis  désireraient  la  création  d'un  tribunal  d'appel,  qui  se  prononcerait  en  der- 
nier ressort.  Ce  tribunal  se  composerait  de  trois  personnes  :  la  première  nom- 
mée par  l'Association  des  auteurs  dramatiques,  la  deuxième  par  le  lord  chan- 
celier, la  troisième  choisie  par  les  deux  précédentes. 

—  Le  3  février  dernier,  c'était  la  dixième  représentation  de  Thais  au  Man- 
hattan Opéra  de  New-York.  Salle  bondée  et  succès  enthousiaste  pour  Mary 
Garden  :  «  Tout  New-York  court  voir  Thaïs,  nous  écrit  un  correspondant  ». 
Il  en  est  de  même  pour  Louise.  Voilà  donc  deux  réussites  exceptionnelles  pour 
l'art  français  en  Amérique. 

—  M.  Charles  Pohlig  et  une  vingtaine  de  musiciens  de  l'orchestre  de  Phila- 
delphie ont  été  victimes  d'un  accident  de  chemin  de  fer.  Ils  revenaient  d'un 
concert  donné  à  Widmington  lorsque  le  train  dérailla  près  de  la  station  de 
Chester.  M.  Pohlig  reçut  des  contusions  assez  sérieuses  et  dut  remettre  à  plus 
tard  les  concerts  annoncés  à  Philadelphie.  Les  autres  artistes  ont  à  regretter 
la  perte  de  plusieurs  instruments  de  valeur  qui  ont  été  mis  en  pièces. 

—  L'excellent  directeur  de  l'Opéra  de  Buenos-Ayres,  M.  Bonetti,  vient  de 
traiter  pour  les  opéras  français  Ariane,  Tlui'is,  Manon  et  Mignon  qu'il  représen- 
tera au  cours  de  la  saison  prochaine.  H  les  portera  aussi  à  Montevideo. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

A  l'Opéra,  nous  avons  eu  la  rentrée,  dans  Samson  et  Dalila,  du  ténor 
Alvarez  toujours  vaillant,  toujours  vibrant.  On  annonce  pour  lundi  la  60e  re- 
présentation A' Ariane  (rentrée  de  M"L'  Arbell). 

—  Spectacles  de  dimanche  à  l'Opéra-Comique,  en  matinée  Alceste  (avec 
Mme  Litvinne)  ;  le  soir  Carmen.  Lundi,  en  représentation  populaire  à  prix 
réduits  :  Mireille. 

—  Aujourd'hui,  à  cinq  heures,  au  Théàtre-Sarah-Bernhardt,  18e  samedi  de 
la  Société  de  l'histoire  du  théâtre.  Causerie  de  M.  Robert  Eude  sur  «  la  Fan- 
taisie »,  avec  le  programme  de  récitations  et  d'auditions  suivant: 

Mise  au  point  (Tristan  Bernard),  par  M-'  Marthe  Régnier;  Galipettes,  par  M.  F.  Ga- 
lipaux  ;  Chansons,  par  M""  Marguerite  Deval  ;  Bon  conseil  aux  amants  i  Victor  Hugo), 
par  M""  Clairville  ;  Cadet  Roussel  (scène  VII,  acte  III i  (J.  Richepini,  par  M""  Mitzy- 
Dalti  et  M.  Armand  Bour  ;  les  Eors-d' œuvre  et  le  dîneur  (Xavier  Roux),  par  M""  Yrven  : 
a)  le  Rondeau  de  l'opérette  (Xanrof),  b)  la  Vie  de  château  (Zamacoïs),  par  II""  Lise 
Berty  ;  Vieilles  légendes,  par  M"c  Cora-Laparcerie-Richepin  ;  le  Marquis  de  Carabas 
(acte  III,  scène  II)  (Romain  Coolus),  par  M.  de  Max  et  M"«  Pascal  ;  Fantaisies  pari- 
siennes (H.  de  Fleurigny),  par  11"  Anna  Thibaud  ;  entin,  duo  des  hommes  d'armes  de 
Geneviève  de  Brabant,  par  MM.  Brasseur  et  Moricey,  des  Variétés. 

—  M.  Henri  Michel,  conservateur  de  la  Bibliothèque  dAmiens,  vient  de 
réunir  en  un  volume  sous  ce  titre  :  La  Sonate  pour  clavier  avant  Beethoven,  le 


texte  d'une  série  de  cinq  conférences  faites  par  lui  en  cette  ville  sur  ce  sujet 
fort  intéressant  (Fischbacher,  éditeur,  un  vol.  in-8°).  Ce  livre  est  une  sorte 
d'introduction,  très  substantielle,  a  une  seconde  étude  que  l'auteur  se  propose 
de  faire  des  sonates  de  Beethoven.  Cette  introduction  offre  un  résumé  très 
complet  de  l'histoire  de  la  formation  de  la  sonate  de  piano,  dont  l'origine 
première  est  dans  la  «  suite  «   instrumentale,  qui  se  cou  lement 

d'une  série  de  quatre  ou  cinq  airs  de  danse  (pavane,  passacailh',  gaillarde, 
gigue,  etc.),  qui  n'avaient  aucun  rapport  direct  et  que  rien  ne  reliaii 
eux.  C'est  a  Kuhnau  que  l'on  doit  le  premier  essai  de  transformation 
suite  en  sonate,  et  c'est  Charles-Philippe-Emmanuel  Bach  qui  a  donné 
ensuite  a  la  sonate  sa  véritable  forme.  Tout  ceci  est  bien  exposé  dan-  le  livre 
de  M.  Henri  Michel,  qui  envisage  ensuite  ia  sonate  dans  les  œuvres  des 
maîtres  qui  ont  précédé  Beethoven,  c'est-à-dire  Haydn,  Mozart,  Clementi  et 
Rust.  Le  point  historique  est  bien  tracé,  le  récit  est  très  clair  et  la  forme 
vraiment  élégante  sans  manifester  aucune  prétention.  C'est  une  étude  hés 
précise,  à  recommander  à  tous  ceux  qui  admirent  cette  forme  admirable  de  la 
sonate,  la  plus  belle  manifestation  du  génie  musical  en  dehors  de  la  sympho- 
nie. Je  ne  chercherai  qu'une  petite  chicane  à  l'auteur,  à  propos  de  son  titre. 
Pourquoi  imiter  les  Allemands  en  disant  «  clavier  »  au  lieu  de  »  piano  •. 
Chez  eux,  klavier  veut  dire  piano;  mais  nous  autres  Français  nous  faisons  une 
distinction,  parce  que  le  clavier  n'est  qu'une  partie  du  piano.  D'ailleui 
titre  :  sonate  de  clavier,  prête  pour  nous  à  amphibologie,  car  l'orgue  est  aussi 
un  instrument  à  clavier.  Une  fois  faite  cette  petite  observation,  le  livre  de 
M.  Henri  Michel  n'en  reste  pas  moins  utile  et  vraiment  intéressant.     A.  P. 

—  A  la  49e  matinée  musicale  du  violoncelliste  Maxime  Thomas,  toute  la 
deuxième  partie  du  programme  était  consacrée  aux  œuvres  de  M.  Théodore 
Dubois.  Très  vif  succès  pour  le  beau  quintette  excellement  interprété  par 
M,uc  Bleuzet,  Mllc  R.  Billard,  MM.  Bleuzet,  Videix  et  Maxime  Thomas.  —  et 
pouria  si  remarquable  interprète  des  lieder  modernes,  Mm"  Durand-Texte, 
qu'on  a  applaudie  dans  V  Effeuilleincnl  et  le  duo  de  Xavière  avec  M.  Béral.  puis 
dans  la  grande  scène  lyrique  :  l'Enlèvement  de  Proserpine. 

—  La  27e  assemblée  générale  de  la  Société  des  employés  du  commerce  d>- 
musique  a  eu  lieu  le  1er  mars  à  la  mairie  Drouot  sous  la  présidence  de 
M.  Paul  Girod.  Après  avoir  donné  lecture  des  rapports  et  conlirmé  dans  leurs 
fonctions  les  membres  du  bureau  sortants,  nous  avons  été  heureux  de  cons- 
tater que  les  compositeurs,  amateurs  et  éditeurs  de  musique,  continuent 
d'encourager  par  leur  adhésion  ces  modestes  employés  qui  déploient  une  si 
grande  activité  pour  la  diffusion  de  leurs  œuvres.  Aussi,  est-ce  grâce  au  géné- 
reux concours  de  ses  membres  honoraires  que  cette  belle  Société  a  vu  son 
capital  de  43.748  fr.  04  c.  en  1903  passer  à  73.208  fr.  48  c.  en  1907.  La  réu- 
nion a  pris  fin  sur  un  vote  de  remerciements  adressés  aux  membres  bienfai- 
teurs. 

—  M.  A.  Dorival,  élève  de  M.  I.  Philipp,  a  remporté  il  y  a  deux  ans  un 
brillant  premier  prix.  H  vient  de  donner  un  premier  concert  chez  Erard  et  a 
fait  apprécier  une  belle  assurance  technique,  un  jeu  vivant  et  intelligent.  Son 
succès  a  été  réel  et  mérité.  Son  programme  se  composait  de  Prélude  et  fugue 
en  mi  mineur  de  Mendelssohn,  Carnaval  de  Schumann,  Ballade  op.  22  et  Po- 
lonaise, op.  33,  de  Chopin,  de  la  Valse-Étude  de  Saint-Saëns  et  de  la  sonate 
pour  piano  et  violon  de  M.  Enesco.  Dans  ce  dernier  morceau  M.  Dorival  avait 
pour  partenaire  l'auteur,  et  les  deux  artistes  ont  joué  la  sonate  avec  une  belle 
conviction,  une  grande  ardeur. 

—  La  Société  J.-S.  Bach  donnera,  le  mercredi  11  mars,  son  cinquième 
concert  avec  un  magnifique  programme  :  1°  Cantate  pour  le  dimanche  Esta 
mihi  n°  139  (première  audition)  ;  2°  Concerto  italien,  joué  sur  le  clavecin  par 
Mme  Wanda  Landowska  ;  3°  Ode  funèbre.  Les  soli  seront  chantés  par  quatre 
remarquables  artistes  étrangers  spécialement  engagés  :  MIle  von  Ghlen  (de 
Londres),  Mme  de  Haan-Manifarges  (de  Rotterdam).  MM.  Rohmann  (de  Franc- 
fort) et  Zalsman  (d'Amsterdam).  Orchestre  et  chœur  de  la  Société  J.-S.  Bach, 
sous  la  direction  de  M.  Gustave  Bret.  Répétition  publique,  le  mardi  10  mars, 
à  quatre  heures. 

—  Le  prochain  concert  de  la  Société  philharmonique,  le  dernier  de  l'abon- 
nement, aura  lieu  mardi  10  mars,  à  9  heures,  salle  Gaveau.  C'est  un  grand 
festival  Franck  qui  aura  lieu  à  cette  occasion  avec  le  concours  de  Mme  Mellot- 
Joubert,  M.  Ch.  Clark,  M.  Alfred  Cortot,  M.  Louis  Vierne,  des  chœurs  et 
orchesti'3  sous  la  direction  d'Edouard  Colonne.  Au  programme,  cantahile  et 
pièce  héroïque  pour  orgue.  Variations  symphoniques  (Cortot),  Rébecca,  ora- 
torio (chœurs,  orchestre  et  solistes).  Psaume  130  (orgue,  chœurs  et  orchestre). 

—  Extrait  du  Courrier  républicain  de  Douai,  au  sujet  d'un  concert  donné 
par  la  Société  «  La  Lyre  »  pour  l'audition  d'œuvres  de  Théodore  Dubois  :...  s  En 
dehors  des  choristes,  M.  Théodore  Dubois  avait  d'excellents  interprèles:  iSP"  Mar- 
celle Demougeot  chanta  ses  «  odelettes  »  (Jeune  fille  à  la  Cigale,  bissée)  avec  un 
art  infini  et  des  délicatesses  extrêmes  et  je  sais  peu  de  cantatrices  qui  auraient 
mis  une  intensité  de  sentiments  plus  grande,  une  virtuosité  plus  brillante,  un 
coloris  plus  puissant  dans  les  pages  admirables  de  Notre-Dame  de  la  Mer.  Accla- 
mée et  bissée  par  nos  «  dilettanti  »  enthousiasmés,  elle  a  été  la  triomphatrice 
de  cette  soirée  dont  elle  en  fut  aussi  le  charme.  M.  Mauguière  s'efforça  d'égaler  le 
talent  de  sa  partenaire  et  on  lui  bissa,  avec  elle,  le  fameux  ><  duo  de  la  Grive 
de  Xavièrc.  Enfin  l'archet  merveilleusement  souple  et  sur  de  M.  Willaume 
rendit  intéressant  et  agréable  un  long  Concerto  réputé  pour  sa  difficulté  et  fit 
apprécier  le  son  très  chaud,  très  enveloppant  de  ce  violoniste  de  valeur.  Inter- 
prètes et  auteur  ont  été  confondus  dans  les  mêmes  applaudissements,  fré- 


LE  MENESTREL 


quents  et  unanimes.  L'assistance  se  devait  d'ailleurs  à  elle-même  de  manifester, 
aussi  sincèrement  qu'elle  l'éprouvait,  son  admiration  pour  ces  mélodies  d'un 
rythme  piquant,  pour  ces  chœurs  au  chant  noble  et  large,  pour  cette  Notre- 
Dame  de  la  Mer  si  intensément  colorée,  si  invinciblement  impressionnante, 
pour  toute  cette  musique  d'une  composition  impeccable,  claire,  limpide,  élé- 
gante, bien  française.  » 

—  Du  Courrier  de  Versailles  :  «  Marie-Magdeleine  ne  fut  pas  un  succès,  ce  fut 
un  triomphe  :  exécution  parfaite,  salle  pleine,  enthousiasme  de  l'assistance, 
rappel  des  artistes  et  surtout  admirable  beauté  de  l'œuvre  interprétée,  tout 
fera  de  cette  soirée  une  soirée  mémorable  dans  les  annales  de  la  jeune  salle 
Notre-Dame.  S'il  fallait  distribuer  tous  les  éloges  mérités,  nous  prendrions 
trop  de  place;  nous  tenons  cependant  à-  féliciter  d'une  manière  spéciale  le 
jeune  chef  d'orchestre  qui  a  vraiment  révélé  sa  maîtrise  au  milieu  de  ses 
120  exécutants.  » 

—  On  écrit  de  Colmar  :  «  Notre  théâtre  prend,  sous  la  direction  très  artis- 
tique et  très  éclairée  de  son  directeur,  M.  Goldberg,  un  brillant  essor  et  nous 
avons  eu  d'admirables  représentations  du  Bal  masqué  de  Verdi  et  de  la  Flûte 
enchantée.  Comme  nouveauté  toute  prochaine  et  de  tout  premier  rang,  nous 
allons  avoir  Manon  de  Massenet,  avec  une  mise  en  scène  entièrement  belle  et 
pleine  de  vie,  réglée  par  le  directeur  lui-même.  L'orchestre  sera  conduit  par 
M.  Schilling-Ziemsen,  dô*nt  un  opéra  nouveau  en  trois  actes,  Sonuenwendglut, 
sera  joué  pour  la  première  fois  le  2S  mars  prochain.  » 

—  Soirées  et  Concerts.  —  Intéressante  séance  donnée  par  le  violoniste  brésilien 
Francisco  Chiaffitelli,  à  la  Salle  Pleyel.  Après  le  trio  en  mi  majeur  de  Mozart,  joué 
avec  un  ensemble  remarquable  par  MM.  L.  Delune,  Chiaffitelli  et  M""  Delune, 
M.  Chiaffitelli  a  remporté  un  très  vif  succès  dans  la  Ciaccona,  pour  violon  seul,  de 
Bach.  Nous  l'avons  encore  beaucoup  apprécié  pour  sa  belle  sonorité,  son  mécanisme 
pur  et  son  interprétation  toute  personnelle  dans  différentes  pièces  classiques  et 
modernes.  —  Très  belle  audition,  dans  les  salons  de  M.  et  M™'  Jacques  Rouché,  des 
élèves  de  M.  Jules  Chevallier.  Elle  était  surtout  consacrée  à  des  œuvres  de  Bachet 
de  M.  Gabriel  Grovlez.  Toutefois,  le  succès  parait  avoir  été  pour  deux  mélodies 
d'Henry  Février,  chantées  en  intermède  :  Elle  avait  trois  couronnes  et  VIntruse.  —  A 
la  matinée  d'élèves  de  M.  Georges  Cuignache,  on  a  fort  goûté  la  «  Grande  valse  de 
concert  »  de  Louis  Diémer,  interprétée  par  M""  Rachel  Gaisenbaud,  et  «  l'Étude  n°  1  » 
de  Théodore  Dubois,  exécutée  par  M""  Suzanne  Endrès.  —  Au  Théâtre  des  Arts, 
tout  à  fait  charmante  audition  des  œuvres  de  Charles  Levadé.  La  jolie  voix  de 
M"1  Bureau-Berthelot  fait  merveille  dans  les  Cloches  du  pays  du  charmant  composi- 
teur. 

NÉCROLOGIE 

La  cantatrice  Pauline  Lucca  est  morte  à  Vienne  le  28  février  dernier. 
Elle  souffrait  depuis  huit  années  d'un  cancer  intestinal.  La  dernière  opération 
avait  eu  lieu  en  novembre  1907  et  n'avait  laissé  que  bien  peu  d'espérance. 
Depuis  cinq  semaines  la  malade  ne  supportait  plus  aucune  nourriture.  Née  le 
25  avril  1841,  à  Vienne,  Pauline  Lucca  montra  dès  l'âge  de  trois  ans  qu'elle 
avait  une  voix  juste  et  de  belle  sonorité.  A  dix  ans,  elle  attirait  déjà  l'atten- 
tion par  son  chant.  En  1848,  son  père  perdait  toute  sa  fortune  pendant  une 
crise  financière  ;  dès  lors,  on  compta  sur  l'enfant  pour  apporter  plus  tard  un 
soulagement  à  la  famille.  Elle  trouva  en  effet  à  utiliser  sa  voix  dans  les 
églises  et  se  fit  admettre,  en  1836,  parmi  les  choristes  de  l'Opéra  de  Vienne. 
Sa  grâce  et  sa  gentillesse  l'ayant  fait  remarquer  peu  à  peu,  on  lui  confia  trois 
ans  plus  tard  un  tout  petit  rôle  dans  la  Flûte  enchantée,  et,  presque  aussitôt 
après,  elle  fut  engagée  comme  prima  donna  à  Olmûtz,  y  obtint  un  grand 
succès  dans  Valentine  des  Huguenots  et  se  rendit  ensuite  à  Prague,  où  elle 
joua  le  répertoire.  C'est  là  que,  pendant  une  représentation  de  la  Vestale  de 


Spontini,  donnée  à  son  bénéfice,  M.  de  Hulsen,  qui  était  dans  une  loge,  appré- 
cia tellement  son  talent  qu'il  lui  offrit  un  brillant  engagement  à  l'Ûpéra-Royal  de 
Berlin.  Elle  y  débuta  le  1er  avril  1S61  et  y  chanta  des  rôles  de  caractères  très  diffé- 
rents, depuis  Fra  Diavalo  jusqu'à  Don  Juan,  depuis  le  F'reischûl:  jusqu'à  l'Africaine, 
qu'elle  y  interpréta  la  première.  Plus  tard,  Mignon  et  Carmen  devinrent  ses  rôles 
de  prédilection.  A  l'Opéra-Royal,  son  nom  suffisait  à  remplir  la  salle.  A  partir  de 
1872,  époque  à  laquelle  un  conflit  avec  sa  rivale  Mathilde  Mallmger  l'obligea  à 
quitter  Berlin,  elle  chanta  en  Angleterre,  en  Amérique,  en  Russie,  en  Italie  et  à 
Vienne.  «  Elle  passait  pour  un  phénomène,  a  écrit  d'elle  un  critique,  et  elle 
l'était  en  réalité.  Son  originalité  exclut  toute  comparaison  avec  d'autres  can- 
tatrices; on  ne  saurait  mieux  définir  sa  personnalité  qu'en  lui  appliquant 
l'expression  française  :  elle  a  le  diable  au  corps  ».  Son  organe  était  d'une  puis- 
sance exceptionnelle  à  l'aigu  et  d'une  sonorité  particulièrement  belle.  Le  son 
vibrait  avec  force  et  frappait  l'oreille  même  de  très  loin,  toujours  avec  fraî- 
cheur et  netteté.  On  en  était  saisi  parfois,  a-t-on  dit,  avec  la  soudaineté  d'une 
secousse  électrique.  L'engouement  que  l'on  éprouva  pour  l'artiste  fut  tel  que 
l'on  voulut  voir  en  elle  toutes  les  qualités,  et  que  l'on  n'hésita  point  à  la  com- 
parer à  Rachel  pour  la  puissance  dramatique.  Pauline  Lucca  épousa  en  1865 
le  lieutenant,  baron  Adolphe  de  Rhaden,  et  se  remaria  en  1S74,  après  divorce, 
au  major  de  Wallhofen,  qui  mourut  en  1879.  Elle  se  retira  définitivement  de 
la  scène  au  commencement  de  1890.  Elle  a  vécu  depuis  à  Vienne  avec  le  titre 
de  chanteuse  de  la  Chambre  impériale  et  royale  d'Autriche  et  de  Prusse  et 
cantatrice  honoraire  de  l'Opéra  de  Vienne. 

—  Les  funérailles  provisoires  de  Pauline  Lucca  ont  eu  lieu  à  Vienne  lundi 
dernier.  Le  corps,  placé  dans  un  cercueil  de  plomb  a  été  transporté  de  la  mai- 
son mortuaire  à  l'église  dite  Dorotheerkirche,  où  les  élèves  des  classes  de  chant 
du  Conservatoire  s'étaient  réunis  pour  le  recevoir.  La  cérémonie  était  dès 
lors  achevée,  car  les  restes  de  la  cantatrice  doivent,  dit-on,  être  conduits  à 
Gotha  pour  y  être  incinérés,  après  quoi,  ils  seront  ramenés  à  Baden,  près  de 
Vienne,  pour  y  recevoir  la  sépulture  définitive.  La  fille  de  Pauline  Lucca,  la 
baronne  Marie  de  Rhaden,  a  reçu  de  l'Intendance  générale  des  théâtres 
royaux  de  Berlin  le  télégramme  suivant  :  «  Du  plus  profond  de  mon  cœur  je 
vous  plains  sincèrement  de  la  perte  que  vous  avez  éprouvée,  et  je  pense  aux 
relations  d'art  et  d'amitié  qui,  pendant  de  longue  années,  ont  existé  entre 
madame  votre  mère  et  mon  père  et  moi.  Mais  avant  tout,  je  prends  part  à  ce 
deuil  au  nom  de  l'Opéra-Royal  qui  fut  le  berceau  de  la  gloire  de  cette  artiste 
unique  dans  son  genre  que  fut  Pauline  Lucca  et  qui  lui  doit  une  des  plus 
brillantes  époques  de  son  histoire.  Pénétré  de  ces  sentiments,  je  fais  déposer  sur 
le  cercueil  de  la  cantatrice  qui  ne  sera  jamais  oubliée,  une  couronne  de  lauriers 
comme  témoignage  de  fidélité  dans  l'affection  et  la  reconnaissance.  Georges  de 
Hulsen.  t 

—  Le  17  février  est  mort  à  Londres,  a  l'âge  de  93  ans,  le  doyen  des  facteurs 
de  piano  d'Angleterre,  John  Brinsmead,  qui  était  né  à  Wear-Gifford  (North 
Devon)  le  19  octobre  1814.  Il  avait  fondé  en  1835  sa  fabrique  de  pianos,  qni 
prit  rapidement  une  importance  considérable  et  atteignit  une  très  grande 
renommée.  Il  avait,  au  mois  de  juin  1907,  fêté  le  70e  anniversaire  de  son 
mariage;  mais  dès  la  Noël  suivante  il  perdit  toute  sa  connaissance,  qu'il  ne 
recouvra  pas  depuis  lors,  si  bien  qu'il  ne  connut  pas  la  mort  de  sa  femme, 
qui  s'éteignait  il  y  a  quelques  semaines.  De  ses  deux  fils,  Thomas  et  Edgard, 
qui  étaient  ses  deux  associés  depuis  1863,  le  second,  Edgard,  a  publié  en 
1868  une  Histoire  du  Piano,  dont  une  seconde  édition,  complétée,  parut  en 
1879. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


En  vente  AU  MENESTREL.    2  bis,   rue    Vivienne,    HEUGEL  ET  Cic,    éditeurs 

—   PROPRIÉTÉ   POUR   TOUS   PAYS    - 

PROMÉTHÉE   TRIOMPHANT 

Poème    de    Paul    REBOUX 
MUSIQUE    DE 

EY1NALDO      HAHN 

Partition  piano^et  chant Prix  net    10  francs. 

Chaque  partie  de  chœurs —  2  francs. 


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et    des    parties    de   choeurs. 


4016.  -  74°  ANNÉE,-  N°  11.        PARAIT  TOUS   LES   SAMEDIS 


Samedi  M  flars  1908. 


(Les  Bureaux,  2b,s,  rue  Vivienne,  Paris,  u-arf) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 


lie  fluméFo  :  0  fi».  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEOGEL,     Directeur 


lie  Huméro  :  Ofp.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


S0MMAIEE-TE1TE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (12e  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Antoine  Stradi- 
varius, il  propos  d'un  livre  récent,  Arthur  Poûgin.  —  III.  Revue  des  grands  concerts. 
—  IV.  Nouvelles  diverses  et  concerls. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

GAVOTTE 

extraite  du  ballet  de  Paul  Vidai.  :  Zino-Zina,  sur  un  livret  de  Jean  Riciiepin.  — 

Suivra  immédiatement  :  Menuet,  extrait  du  mémo  ballet. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
Rose  du  bois  joli,  chanté  dans  les  Jumeaux  de  Bergdme,  de  E.  Jaques-Dalcroze 
(poème  de  Maurice  Lena,  d'après  Florian).  qui  vont  être  représentés  prochai- 
nement au  Théâtre  de  la  Monnaie  de  Bruxelles.  —  Suivront  immédiatement  : 
les  Couplets  de  l'aiguille,  chantés  dans  le  mémo  ouvrage  par  Mme  E.  Jaques- 
Dalcroze. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 


CHAPITRE  III 

GLUCK    COMPOSITEUR    ITALIEN 

Mystères  capricieux  du  génie  !  Voilà  qu'Armide  nous  offre 
un  autre  morceau  que  Gluck  s'est  emprunté  à  lui-même,  le  repre- 
nant encore  à  une  œuvre  de  cette  première  période.  Un  air  de 
Sofo7iisba  commence  ainsi  : 


\  y  ki    -  l* 

^^ — 

-            Hautbois 

/  Jéforr  "r    m — i ' 

sul 
Si. 

ynar.  gi .  ne    del 

Violons 
Basses 

-ffirtÊff" 

tfcftHr 

Cors 

*  «  f  m  1*  0  m 

l    /bl,t<    pj-|_^._[Lp- 

(Il  Une  faute  de  gravure,  que  je  regrette  d'avoir  laissé  échapper  à  la  correction, 
est  restée  dans  la  notation  de  l'air  :  Rasséréna  il  meslo  ciglio,  de  Tigrane,  dont  la  pre- 
mière page  du  précédent  numéro  du  Ménestrel  donnait  le  début  :  il  fallait  quatre 
dièses  à  la  clef,  et  non  trois.  La  plupart  de  nos  lecteurs  auront  sans  doute  rectifié 
d'eux-mêmes,  tant  le  ton  de  mi  est  naturel  et  franchement  établi  dans  l'exposition 
de  cet  air.  Je  prie  ceux  qui  collectionnent  le  journal  de  faire  la  correction  nécessaire, 
en  ajoutant  à  la  plume  l'accident  oublié.  J.  T. 


J-û-J. 

Le    . 

te            mille 

e 

roi 

J 

•  r :  * 

— 9^-m 

r#  r  f  0 

lîLïll 

"fwé*0  — 

LLLJ^ 

•0  *r 

Nous  y  reconnaissons  le  véhément  dessin  des  instruments  à 
cordes  et  l'appel  alterné  des  voix  et  des  instruments  qui  ont 
reparu  dans  le  duo  :  «  Esprits  de  haine  et  de  rage!  ».  Comme 
pour  l'invocation  à  la  haine,  le  développement  entier  confirme 
la  ressemblance.  Et  il  n'est  pas  jusqu'au  «  milieu  »  de  l'air  (ici, 
par  exception,  écrit  dans  un  autre  mouvement)  où  nous  ne 
retrouvions  encore  des  accents  connus,  et  si  différents  : 


ve  .    drai  s  io    t  in    _    gan  .    nai 

Ces  quatre  mesures  ne  nous  offrent-elles  pas  le  dessin,  par- 
faitement formé,  du  chœur  d'Orphée  :  «  Euridice  va  paraître  »  ? 

Ainsi,  les  traits  qui  caractérisent  Gluck  jusque  dans  ses 
œuvres  les  plus  définitives  se  trouvent  déjà  indiqués,  mieux  que 
cela,  nettement  dessinés  à  plusieurs  places  dans  les  premiers 
essais  de  sa  jeunesse.  A  travers  les  métamorphoses  par  les- 
quelles il  passera, nous  entrevoyons  un  génie  qui  restera  toujours 
identique  à  lui-même.  Sa  nature  musicale  est  une  :  s'il  est  vrai 
qu'en  apparence  elle  aura  à  subir  la  fluctuation  de  tendances 
successives,  c'est  elle  pourtant  qui  commandera  toujours,  et  qui 
présidera  à  l'évolution  générale.  Au  moment  de  l'effort  que  nous 
considérons  ici,  le  jeune  artiste  en  est  encore  aux  tâtonnements 
du  début  ;  mais  son  instinct  le  guide  si  justement  que,  dans  trente- 
cinq  ans,  il  reviendra  souvent  toucher  à  son  point  de  départ, 
et  empruntera  à  ses  productions  premières  les  matériaux  dont 
il  formera  l'édifice  complet  destiné  à  faire  l'admiration  de  la 
postérité. 

Telle  est,  très  ignorée  jusqu'à  ce  jour,  et  pour  la  première 
fois  étudiée  avec  l'attention  qu'elle  mérite,  l'œuvre  de  la  tren- 
tième année  de  Gluck.  Nous  y  avons  constaté  un  singulier  mé- 
lange d'hésitation  et  d'assurance.  La  sincérité  y  est  manifeste  ; 
mais  elle  ne  craint  pas  de  se  laisser  guider  par  l'exemple 
d'autres  qui  passent  pour  expérimentés.  Il  est  manifeste  qu'à  ce 
moment  de  sa  vie  Gluck  recherche  principalement  ce  qui  doit 
le  .mettre  hors  de  pair,  et  pour  tout  dire,  le  succès.  Venu  en 
Italie  à  l'époque  du    grand   prestige   de  l'art  de  ce  pays,  il  ne 


82 


LE  MENESTREL 


prétend  qu'à  faire  de  la  musique  italienne  :  il  en  accepte  les 
formes   consacrées,  et  fait  de  son  mieux  pour  s'y  façonner. 

Mais  voilà  que,  sans  qu'il  le  veuille,  il  se  trouve  incapable  de 
tomber  au  rang  d'un  vulgaire  imitateur.  Trop  robuste  est  sa 
nature  :  il  a  beau  faire,  la  musique  qu'il  compose  sur  des  paroles 
de  Métastase  reste,  malgré  tout,  celle  dont  il  a  apporté  de  son 
pays  d'origine  l'inspiration  première. 

L'accident  d'ailleurs  est  commun  :  Haendel,  Hasse,  et  les  fils 
de  Bach,  et  bientôt  Mozart,  auront  beau,  comme  lui,  se  confor- 
mer à  toutes  les  règles,  ils  ne  composeront  point  du  tout  la 
même  musique  que  Tergolèse,  Stradella  ou  Jomelli.  Au  reste 
ils  sont  tous  parfaitement  inconscients  de  cela.  Les  hommes  du 
XVIIIe  siècle  avaient  des  idées  si  élémentaires  quant  à  la  nature 
du  génie  musical  chez  les  diverses  nations  !  Pour  eux,  tout  se 
réduisait  à  des  formes  extérieures,  tout  se  résumait  en  des  pré- 
ceptes. Dans  dix  ans,  nous  verrons,  à  Paris,  la  grande  querelle 
se  déclarer,  non  pour  rechercher  si  le  génie  musical  français 
est  plus  ou  moins  grand  que  le  génie  musical  italien  (pour 
celui  de  l'Allemagne,  il  était  tenu  pour  inexistant,  nul  n'en 
avait  cure),  mais  pour  savoir  si  la  langue  française  est  apte  à 
la  musique,  et  si  les  chanteurs  de  l'Opéra  de  Paris  peuvent  être 
encore  écoutés  quand  on  a  eu  le  bonheur  d'entendre  chanter 
les  virtuoses  émasculés  d'Ausonie. 

Donc,  qu'il  en  eût  ou  non  conscience,  et  de  même  que  Monsieur 
Jourdain  faisait  de  la  prose,  Gluck,  à  Milan,  faisait  de  la  musi- 
que allemande.  Si  quelques  airs  de  ses  premiers  opéras  renfer- 
ment clans  leur  parties  extérieures  des  formules  du  style  napo- 
litain, dans  aucun  on  ne  pourrait  trouver  ce  charme  facile,  cette 
grâce  doucement  mélancolique,  cette  amabilité  tour  à  tour  mu- 
tine et  turbulente,  qui  caractérisent  la  véritable  musique  ita- 
lienne. Le  fond  de  son  inspiration  reste  austère.  Les  analyses  pré- 
cédentes ont  plus  d'une  fois  amené  le  nom  de  Bach,  pour  faire 
comprendre  l'inconnu  parla  comparaison  avec  le  connu.  Certes 
le  style  de  Gluck  n'a  rien  des  qualités  transcendantes  du  génial 
cantor,  ni  l'abondance  de  ses  ressources,  ni  la  puissance  de  son 
imagination  harmonique,  ni  sa  science  des  combinaisons.  Ses 
qualités  sont  autres.  Et  cependant  il  garde  avec  lui  un  tel  air 
de  famille  que  c'est  à  lui  qu'à  cette  minute  il  nous  fait  le  plus 
spontanément  penser.  Il  le  rappelle  même  par  des  procédés  : 
telles  ses  longues  tenues  de  la  voix  autour  desquelles  se  déroule 
la  symphonie,  tels  encore  ses  dialogues  contrapointés  du  chant 
et  de  l'orchestre,  et  l'importance,  sinon  la  richesse,  de  ce  der- 
nier élément.  Ainsi,  même  par  les  formes  extérieures,  il  ne 
peut  s'empêcher  de  témoigner  qu'il  reste  musicien  allemand. 

Mais  en  même  temps  il  nous  semble  apercevoir  en  lui  des 
qualités  que  nous  chercherions  en  vain  clans  l'art  de  l'Alle- 
magne non  plus  qu'en  celui  de  l'Italie  :  un  souci  de  logique,  une 
aptitude  à  exprimer  un  état  d'âme,  à  donner,  par  un  rythme 
ou  une  tournure  de  phrase,  l'impression  d'une  physionomie,  à 
composer,  en  un  mot,  une  musique  de  caractère.  Cette  autre 
tendance,  il  semble  bien  que  nous  en  pourrions  reconnaître  quel- 
ques traits  si  nous  regardions  ailleurs  :  c'est  celle  de  l'esprit 
français,  et  que  nos  auteurs  nationaux  n'ont  pas  laissé  de  mani- 
fester déjà  en  quelques  circonstances.  Le  génie  puissant  qui  lui 
devait  donner  sa  consécration  définitive  ne  s'était  pas  encore 
révélé.  Mais  patientons  quelque  trente  ans:  celui  qui  n'est 
aujourd'hui  que  l'auteur  de  Demofoonte  et  de  Sofonisba  doit  être 
le  messie  qui  viendra  régénérer  la  musique  française.  Le  pays 
qu'il  aura  à  conquérir  lui  est  encore  inconnu;  mais  voyez  :  il 
fait  déjà  des  provisions  pour  ses  campagnes  à  venir  ! 

Et  précisément  voici  que,  pour  la  première  fois,  il  va  toucher 
le  sol  de  la  France,  théâtre  futur  de  son  triomphe.  Dix  ans 
presque  entiers  passés  dans  la  Haute-Italie,  autant  d'opéras  écrits 
pour  les  mêmes  villes,  c'était  beaucoup  pour  la  coutume  et  pour 
les  caprices  du  public.  Il  était  temps  que  Gluck  allât  voir  d'au- 
tres pays. 

L'état  général  de  l'Europe  se  trouvait  d'ailleurs  avoir  son  con- 
trecoup sur  sa  situation  particulière.  La  guerre,  à  ce  moment, 
sévissait  partout.  Une  fois  de  plus,  la  Bohème  était  en  feu:  l'Au- 
triche,   gouvernée   par   une  femme,    semblait  une    proie    sur 


laquelle  s'acharnaient  les  convoitises  de  l'Europe  coalisée  ;  Fran- 
çais et  Anglais  étaient  aux  prises,  et  à  Fontenoy.  disputaient  à 
qui  des  deux  tireraient  les  premiers,  tandis  qu'une  autre  armée 
de  Français  et  d'Espagnols  réunis  envahissait  l'Italie  et  venait 
jusque  sous  Milan  inquiéter  les  autorités  autrichiennes,  les 
repousser  même  pour  un  temps. 

C'est  en  cette  même  année  1745,  où  tous  ces  événements  se 
passèrent,  que  Gluck  quitta  pour  la  première  fois  l'Italie  hospi- 
talière à  sa  jeunesse.  Nous  pouvons  penser  qu'ils  ne  furent 
pas  étrangers  à  ce  départ,  car  c'est  avec  un  prince  de  la  famille 
de  ses  anciens  protecteurs,  retrouvée  naguère  au  gouvernement 
de  l'Etat  de  Milan,  qu'il  va  se  mettre  en  route  :  le  prince  Ferdi- 
nand-Philippe de  Lobkowitz  partait  pour  un  voyage  en  France 
et  en  Angleterre  (1  )  :  il  l'accompagna. 

Mais  cette  guerre,  la  «  guerre  en  dentelles  »,  comme  on  l'a 
appelée,  n'était  pas  faite  pour  arrêter  l'essor  des  arts;  elle 
n'empêchait  personne  de  chanter  ni  d'aller  à  l'Opéra.  N'est-ce 
pas  le  temps  où  le  Maréchal  de  Saxe  se  faisait  accompagner  par 
une  troupe,  d'acteurs  et  d'actrices  d'opéra- comique,  communi- 
quait parfois  ses  ordres  de  bataille  sous  la  forme  d'un  couplet  de 
vaudeville  rimé  par  Favart  sur  un  air  connu,  et,  dans  les  jours 
de  calme,  avait  la  politesse  d'envoyer  ses  comédiens  au  camp 
ennemi  pour  le  distraire  ?  La  carrière  de  Gluck  n'en  devait 
pas  être  interrompue  :  tout  au  contraire,  il  allait  trouver  dans 
cet  accident  de  la  politique  une  occasion  d'étendre  son  champ 
d'opérations  et  de  visiter  de  nouveaux  pays  en  y  faisant  enten- 
dre sa  musique. 

L'Opéra  italien  de  Londres,  après  beaucoup  d'aventures,  aux- 
quelles Haendel  avait  été  mêlé,  pas  toujours  fort  à  son  profit, 
était  alors  gouverné  par  un  comité  de  nobles  anglais,  sous 
la  direction  effective  de  l'un  d'eux,  lord  Middlesex.  Cette  aris- 
tocratie était  favorablement  disposée  pour  le  descendant  des 
forestiers  de  la  famille  Lobkowitz,  devenu  compositeur  à  succès: 
Gluck  fut  engagé  à  venir  à  Londres  pour  composer  les  opéras  de 
la  saison  1746.  Dans  le  courant  de  l'année  précédente,  à  la  suite 
cle  son  prince,  il  s'achemina  vers  l'Angleterre,  en  traversant  le 
Piémont  et  la  France. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


ANTOINE    STRADIVARIUS 

PROPOS     D'UN     LIVRE     RÉCENT 


Voici  un  véritable  monument  élevé  à  la  gloire  du  plus  grand  artiste 
dont  l'histoire  de  la  lutherie  fasse  mention  :  Antoine  Stradivarius,  sa 
vie  et  son  œuvre,  par  MM.  Henry,  Arthur  et  Alfred  Hill  (2).  Chose  sin- 
gulière, ce  n'est  pas  dans  son  pays  que  l'auteur  de  tant  d'admirables 
chefs-d'œuvre  a  trouvé  des  historiens.  Les  plus  récentes  publications 
faites  en  Italie  sur  les  luthiers  célèbres  (et  elles  sont  assez  nombreuses, 
quoique  d'une  importance  secondaire)  s'occupent  bien  de  Stradivarius, 
cela  va  sans  dire,  mais  non  point  d'une  façon  spéciale  et  personnelle  en 
ce  qui  le  concerne.  C'est  à  l'étranger  que  Stradivarius  a  trouvé  des 
historiens  et  des  biographes.  En  France  d'abord,  avec  la  monographie 
publiée  par  Fëtis   à   l'instigation  de  Vuillaume  :  Antoine  Stradivari, 

(1)  Dans  sa  relation  de  voyage  en  Allemagne  en  1772.  Burney  parle  de  ce  certain 
prince  de  Lobkowitz,  renommé  pour  sa  bonté,  et  qui  était  en' Angleterre,  en  1735  et 
1746  fort  lié  avec  le  fameux  comte  Saint-Germain  qui  Dt  tant  de  bruit  dans  ce  temps- 
là  non  seulement  par  son  talent  sur  le  violon,  mais  par  sa  conduite  mystérieuse  et 
son  caractère  équivoque.  Ce  prince,  ajoute  Burney,  s'est  à  présent  retiré  du  monde, 
et  ne  veutpas  voir  ses  connaissances  ni  même  ses  meilleurs  amis  pendant  quelques 
mois  de  suite.  Il  avait  cultivé  la  musique,  dont  il  avait  poussé  l'étude  assez  loin, 
non  seulemeut  pour  la  bien  juger  et  jouer  de  plusieurs  instruments,  mais  pour  com- 
poser, ce  qu'il  faisait  d'une  manière  supérieure.  Sa  nièce,  la  comtesse  de  Thun,  me 
donna  plusieurs  de  ses  pièces,  qui  avaient  un  grand  mérite  de  nouveauté,  particuliè- 
rement un  air  pour  deux  orchestres,  qu'aucun  maître  en  Europe  n'aurait  désavoué.  » 
État  présent  de  la  musique,  11,  255.  La  comtesse  de  Thun  nous  est  bien  connue  d'autre 
part  par  la  protection  qu'elle  accorda  tour  à  tour  à  Haydn  et  à  Mozart.  Nous  retrou- 
vons ces  nobles  familles  bohémiennes  dans  toute  l'histoire  de  la  musique  au 
_XVIII"  siècle. 

(2)  Traduction  française  de  M.  Maurice  Reynold,  précédé  d'une  Introduction  de 
M.  Camille  Barrère,  ambassadeur  de  France  en  Italie  (Paris,  Fischbacher,  un  vol. 
in-4°  avec  superbes  illustrations). 


LE  MÉNESTREL 


83 


luthier  célèbre,  connu  sous  le  nom  de  Stradivarius  (Paris,  Vuillaume, 
1856,  in-8°).  En  Allemagne  on  a  eu  ensuite  non  une  biographie  pro- 
prement dite,  mais  un  travail  intéressant  de  M.  Cari  Schulze  sous  ce 
titre  :  St7-adivaris  Geheimniss  (le  Secret  de  Stradivarius),  publié  à  Berlin 
en  1901.  Enfin,  voici  venir  en  Angleterre  un  livre  définitif  sur  le  glo- 
rieux luthier  de  Crémone,  qui  a  été  aussi  célébré  en  vers  de  différentes 
façons  et  en  différentes  langues  :  en  français  par  Edmond  Roche,  en 
anglais  par  l'anglais  George  Eliot,  par  l'américain  Longfcllow,  d'au- 
tres encore  (1). 

Il  faut  dire  que  l'Angleterre  s'est  toujours  montrée  particulièrement 
passionnée  pour  les  chefs-d'œuvre  de  la  lutherie,  qu'elle  a  toujours 
professé  une  grande  admiration  pour  les  grands  luthiers  italiens,  et 
qu'elle  a  manifesté  cette  admiration  par  des  publications  et  des  écrits 
nombreux  dont  les  uns  et  les  autres  étaient  le  sujet.  Le  beau  livre  de 
George  Hart  sur  le  Violon,  traduit  en  français  par  Alphonse  Royer,  est 
fort  bien  fait,  plein  d'intérêt  et  d'une  importance  capitale;  MM.  Ilill 
ont  publié  déjà,  avant  leur  superbe  étude  sur  Stradivarius,  un  ouvrage 
intitulé  Giovanni-Paolo  Maggini,  sa  vie  et  ses  œuvres.  Davidson  a 
donné  de  son  côté  le  Violon,  traité  théorique  et  pratique  de  sa  construc- 
tion (1801)  (2).  Et  il  existe  à  Londres  divers  journaux  spécialement 
consacrés  à  la  lutherie;  j'en  ai  connu  un,  entre  autres  qui,  prenant 
pour  titre  le  nom  môme  abrégé  de  Stradivarius,  s'intitulait  theStracl  (3). 
En  France  on  s'est  aussi  beaucoup  et  très  sérieusement  occupé  de 
lutherie  depuis  ces  dernières  années.  L'ouvrage  superbe  d'Antoine 
Vidal,  les  Instruments  à  archet  (3  vol.  in-i°  avec  100  planches  et  por- 
traits à  Peau-forte  de  Frédéric  Hillemacher),  n'a  d'analogue  dans 
aucune  langue,  et  l'auteur  l'a  fait  suivre  d'un  autre  volume  sur  la  Luthe- 
rie.  Mon  vieil  ami  Auguste  Tolbecque,  outre  deux  brochures  intéres- 
santes, a  publié  récemment  un  excellent  livre,  très  bien  illustré  aussi, 
sur  l'Art  du  luthier.  Enfin,  sans  parler  de  l'ouvrage  de  Laurent  Grillet, 
les  Ancêtres  du  violon  et  du  violoncelle,  qui  n'est  qu'une  copie  effrontée  de 
celui  de  Vidal,  il  faut  mentionner  les  publications  intéressantes  de 
Jules  Gallay  et  de  MM.  Constant  Pierre,  Eugène  de  Bricqueville,  Léon 
Mordret,  etc. 

Le  livre  que  j'annonce  ici  sur  Antoine  Stradivarius,  qui  se  présente 
dans  des  conditions  matérielles  d'une  rare  beauté,  dignes  du  maitre 
qui  en  est  l'objet,  est  plein  d'intérêt,  non  seulement  par  son  sujet,  mais 
par  la  façon  dont  il  est  traité.  Ses  auteurs,  fils  et  successeurs  de  feu 
M.  William  Hill,  l'un  des  plus  importants  négociants  en  instruments 
de  Londres,  où  ce  commerce  est  très  florissant  par  suite  du  grand 
nombre  d'amateurs  qui  existent  en  Angleterre,  ont  été  élevés  dans  la 
religion  des  beaux  produits  de  l'ancieune  lutherie  italienne,  qu'ils  ont 
étudiés  professionnellement  avec  l'attention  et  le  soin  les  plus  scrupu- 
leux, et  surtout  avec  un  véritable  sentiment  artistique.  Leur  critique 
comparative  est  très  serrée,  non  seulement  des  instruments  de  tel 
maitre  par  rapport  à  tel  autre,  mais  de  ceux,  quant  à  leur  valeur  rela- 
tive, d'un  même  artiste  selon  les  différentes  phases  de  sa  carrière.  Et 
quand  cette  carrière  active  s'est  prolongée,  comme  il  est  arrivé  pour 
Stradivarius,  pendant  les  trois  quarts  d'un  siècle  (Stradivarius  est  mort 
à  93  ans  et  n'a  cessé  de  travailler  jusqu'à  son  dernier  jour),  on  comprend 

(1)  L'atelier  écnit  vaste  et  calme.  —  Le  vieux  maitre 

Aussitôt  que  le  jour  venait  à  reparaître, 
Entrait,  et,  revêtant  son  tablier  de  peau, 
S'asseyait  gravement  sur  l'antique  escabeau. 

Il  prenait  un  compas,  mesurait  une  éclisse, 

Frappait  du  doigt  la  table,  ou  du  manche  tigré 

Caressait  le  contour.  —  Ou  son  œil  inspiré, 

Grandi  parla  recherche,  aiïermi  par  les  luttes, 

Suivait  complaisamment  la  courbe  des  volutes. 

Puis,  après  ce  moment  de  rêve,  l'action 

Reprenait.  —  Calme  et  sans  préoccupation, 

Le  vieillard,  pour  finir  son  œuvre  commencée, 

Se  hâtait  de  la  main  comme  de  la  pensée. 

Ce  modeste  savant,  cet  artiste  accompli, 

Dont  le  nom  immortel  a  surmonté  l'oubli, 

Que  le  temps  a  grandi,  que  la  gloire  couronne, 

C'était  Stradivarius,  le  luthier  de  Crémone. 
(Edmond  Roche  :  Poésies  Posthumes,  avec  préface  de  M.  V.  Sardou). 
Edmond  Roche  était  violoniste,  et  avait  été  élève  d'Habeneck  au  Conservatoire. 

(2)  A  signaler  encore  ;  le  Violon  et  les  Luthiers,  dictionnaire  biographique  des  grands 
artistes  italiens,  par  Pearce  ^1866);  Musical  noies,  par  Adye  (1869)  ;  les  Ancêtres  du 
Violon,  par  Heron-Allen  (1882);  Soles  sur  la  construction  du  violon,  par  YV.-B.  Coven- 
try  il902). 

(3)  George  ilarth  nous  donne,  entre  autres,  une  preuve  assez  bizarre  de  l'admira- 
tion, on  pourrait  dire  de  l'adoration  de  ses  compatriotes  pour  Stradivarius  :  —  «  Les 
habitants  de  Crémone,  dit-il,  se  forment  à  peine  une  idée  de  l'entraînement  que 
nous  ressentons  pour  leur  illustre  concitoyen.  Ils  s'étonneraient  bien  d'apprendre 
que  le  nom  de  Stradivarius  est  le  nom  de  baptême  de  plus  d'un  anglais.  »  (Le  Violon, 
p.  181.) 


l'intérêt  qui  peut  s'attacher  à  des  remarques  faite  ;  la  plus 

judicieuse  et  avec  une  expérien  -  L'appré- 

ciation est  très  intéressante  des   produ  le  £    adivarius  selon 

les  différentes  époques  de  la  longi  p  iodi  u  tvi  i  maitre,  en  ce 
qu'elle  nous  met  au  fait  des  modificatio  qu'il  apportait  dan-;  su  ma- 
nière par  suite  de  ses  recherches  in''  son  désir  d'atteindre 
à  la  perfection  absolue,  désir  grâce  auquel  il  put  enfanter  un  si  grand 
nombre  de  chefs-d'œuvre. 

Quant  à  la  partie  historique  de  leur  travail,  rien  n'a 
les  auteurs  pour  la  rendre  aussi  exacte  et  aussi  compli  te 
voyages  en  Italie,  correspondance  active,  recherches  de  I 
lations  de  toutes  sortes  et  avec  tous  pays,  rien  n'ai 
but,  et  l'on  peut  croire  qu'il  est  atteint  de  la  façon  la  plus  heureuse. 
L'existence  de  Stradivarius,  tranquille  et  sédentaire,  est  d'ailleurs  com- 
plètement exempte  de  romanesque  et  sevrée  de  tout  incident  ;  '-11"  peul 
se  résumer  en  ces  deux  seuls  mots:  famille  et  travail.  Né  en  1644  a 
Crémone,  où  il  mourut  aux  derniers  jours  de  1737,  Stradivarius  entra 
dès  l'âge  de  douze  ou  quatorze  ans,  comme  élève  dan3  l'atelier  de 
Nicolo  Amati,  le  plus  fameux  luthier  d'alors,  des  lui  uns  duquel  il  sut 
largement  profiter  tout  en  conservant  sa  personnalité  el  en  se  laissant 
entraîner  par  son  génie.  Marié  en  1007  avec  une  jeune  veuve,  sa  ca- 
dette de  deux  années,  dont  le  mari  s'était  suicidé,  il  vit  bientôt  ses 
affaires  prospérer  assez  pour  pouvoir,  en  1680,  acheter  au  prix  de 
7.000  lires  impériales  une  maison  sise  sur  la  piazza  San  Domenico 
(aujourd'hui  piazza  Roma),  qu'il  habita  jusqu'à  sa  morl  I  i.  lui  1698, 
après  trente  et  un  ans  de  mariage,  il  perd  sa  femme,  qui  lui  avail 
donné  cinq  enfants.  L'année  suivante  il  se  remarie,  voit  son  ménage 
s'augmenter  encore  de  six  enfants,  perd  sa  seconde  femme  dans  les 
premiers  jours  de  mars  1737  (elle  avait  73  ans),  et  meurt  lui-même  de 
vieillesse  le  18  décembre  de  la  même  année. 

Dans  l'atelier  de  Nicolo  Amati,  Stradivarius  se  trouvait  avoir  pour 
condisciples,  avec  Jérôme,  le  fils  de  celui-ci,  Fraucesco  Ruger,  Giovau 
Battista  Rogeri  et  sans  doute  quelques  autres.  Les  premiers  instru- 
ments signés  de  lui  datent  de  1060  et  1667.  alors  qu'il  était  encore  chez 
son  maître,  et  ils  sont  conçus  dans  la  forme  d'Amati;  ce  n'est  qu'un 
peu  plus  tard  qu'il  conquerra  son  indépendance  et  affirmera  sa  person- 
nalité, et  c'est  surtout  entre  1670  et  1680  que  son  style  commence  à  se 
faire  jour. 

Une  fois  établi  chez  lui,  peu  de  temps  après  son  mariage,  la  période 
de  fécondité  commence  pour  ne  s'arrêter  qu'à  son  dernier  jour.  Sait-on 
combien,  après  de  longues  et  consciencieuses  recherches,  on  lui  attri- 
bue d'instruments  ?  plus  de  onze  cents  !  tant  violons  qu'altos  et  violon- 
celles, sans  compter  quelques  instruments  de  fantaisie  (2  violes  de 
gambe,  2  guitares,  2  pochettes,  et  peut-être  quelques  luths  et  man- 
dores),  et  sans  compter  encore  ce  qu'il  laissa  à  sa  mort  dans  son  atelier, 
soit  91  violons,  2  violoncelles,  plusieurs  altos  et  un  quiutette  d'instru- 
ments incrustés.  En  dix  ans.  de  1000  à  1700,  il  produit  77  violons, 
3  altos  et  13  violoncelles;  de  1700  à  1710,  98  violons.  2  altos  et  5  vio- 
loncelles; de  1710  à  1720,  125  violons  et  II  violoncelles.  La  seule  année 
1709,  la  plus  féconde,  donne  21  violons  et  1  violoncelle.  Et  quand  on 
songe  à  la  qualité  de  tous  ces  instruments,  à  la  perfection  que  leur 
auteur  avait  atteinte,  aux  soins  qu'il  apportait  à  chacun,  au  génie  dont 
il  y  faisait  preuve,  on  reste  confondu  d'une  t  jlle  production. 

MM.  Hill  nous  apprennent  que  lorsqu'il  devint  très  vieux.  S 
rius,  qui  avait  bien  la  conscience  de  sa  valeur  et  qui  n'ignorait  pas 
que  son  nom  était  célèbre,  eut  la  coquetterie  de  son  aie  et  voulut  s'en 
faire  gloire  auprès  du  public,  en  l'indiquant  sur  ses  étiquetti  s, 
de  la  date  des  instruments  qu'il  continuait  de  construire.  C'est  ainsi 
qu'un  violon  de  1732  porte  cette  mention  :  fait  à  89  ans:  un  autre,  de 
1733,  à  91  ans;  un  violoncelle  de  1736,  d  92  ans:  enfin,  un  violon  de 
1737,  l'année  de  sa  mort,  à  93  ans! 

Un  certain  nombre  des  violons  de  Stradivarius  sont  connus  dans  le 
public  spécial,  sous  un  nom  qui  leur  a  été  attribué  et  qu'ils  doivent, 
soit  à  une  particularité  quelconque,  soit  au  nom  même  de  l'artiste 
célèbre  ou  de  l'amateur  auquel  ils  ont  appartenu.  On  connaît  ainsi, 
d'une  part  le  Messie,  la  Pueelle,  le  Sancy,  te  Dauphin,  le  Uédicis,  le  Tos- 
can, puis  le  Violli,  le  Rode,  le  Vieuxtemps,  l'Alard,  le  Eabeneck,  enfin  le 
Betls,  le  l'arke,  le  Boissieu,      Il   lier.  etc. 


(I)  Sur  cetta  maison,  aujourd'hui  reconstruite,  le  marbre 

portant  cotte  inscription  : 

1. 1  s'élevait  la  maison  ou 

DIYA81 

PORTA    LE   VIOLON    AU    PLUS   II  UT   DEGRÉ   DE   LA  rEnFE.  TIOS 

LÉGUANT  AINSI   A  CREMONE 

LE   NOM   IMPERISSABLE   D'iN   MAITRE   SANS   RIVAL 

DANS   SUN   ART. 


84 


LE  MENESTREL 


On  sait  la  manie  de  certains  amateurs,  surtout  anglais,  qui,  par 
simple  gloriole,  s'amusent  à  collectionner  et  à  conserver  chez  eux  de 
beaux  instruments,  principalement  des  Stradivarius,  qu'ils  enferment 
précieusement  dans  des  vitrines  et  qui  sont  ainsi  rendus  inutiles.  On 
cite  ainsi,  entre  autres,  pour  le  passé,  les  noms  des  ducs  de.  Hamilton, 
de  Marlborough.  de  Cambridge,  du  comte  de  Falmouth,  de  lord  Mac- 
donald...  Aujourd'hui  on  connait  trois  de  ces  amateurs,  MM.  Charles 
Oldham,  Brandt  et  le  baron  Knoop,  qui  sont  en  possession  chacun 
d'un  quatuor  de  Stradivarius  ainsi  immobilisé.  C'est  la  rage  de  ces 
amateurs  fortunés  qui  fait  monter  les  prix  des  instruments  d'une  façon 
fantastique  et  qui  les  rend  inabordables  pour  les  artistes  en  vue  des- 
quels ils  ont  pourtant  été  faits,  qui  sauraient  en  tirer  parti  pour  leur 
plus  grande  joie  et  celle  du  public,  et  qui  ne  peuvent  pas  disposer  de 
30,  40  ou  50.000  francs  pour  acquérir  un  bel  instrument.  MM.  Hill, 
qui  sont  peut-être  un  peu  trop  intéressés  dans  la  question,  s'expriment 
ainsi  à  ce  sujet  :  —  «  Tout  récemment,  quelques  écrivains  ont  exprimé 
avec  une  grande  vivacité  leurs  sentiments  pour  et  contre  la  formation 
de  collections  de  ce  genre,  et  certes  il  y  -a  beaucoup  à  dire  des  deux 
côtés.  Quant  à  nous,  les  ravages  causés  par  le  temps,  et  surtout  par  la 
maladresse,  l'incurie  dont  tant  de  beaux  instruments  ont  été  victimes, 
nous  font  préconiser  les  collectionneurs  qui  par  leurs  soins,  leur  res- 
pect attentif,  ont  conservé,  et  conservent  encore,  pour  la  joie  de  la  pos- 
térité, quelques-uns  des  chefs-d'œuvre  d'antan.  » 

Je  ne  vois  pas  trop  l'avantage  et  le  profit  que  la  postérité  pourra 
tirer  d'instruments  parfaitement  conservés  et  qui  ne  serviront  à  rien. 
Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'un  violon  n'est  pas  comme  un  tableau,  des- 
tiné à  être  encadré  pour  être  offert  aux  regards  du  public.  C'est  un 
engin  sonore,  fait  pour  charmer  les  oreilles  par  la  richesse  et  la  beauté 
des  sons  qu'il  porte  dans  ses  flancs,  pour  émouvoir  l'âme  grâce  aux 
accents  pénétrants  et  passionnés  que  lui  prête  le  talent  d'un  grand 
artiste.  A  quoi  sert-il  de  le  conserver  avec  un  soin  si  jaloux  s'il  doit 
rester  toujours  inutile  et  muet?  En  fait,  le  violon  est  créé  pour  le  vio- 
loniste, et  non  pour  l'amateur  qui  le  capitonne  tendrement  et  le  tient 
sous  verre  et  sous  clef,  pour  le  montrer  avec  orgueil  comme  il  montre 
un  beau  chien  ou  un  cheval  de  race. 

Cette  réflexion  faite,  et  c'est  la  seule  critique  que  j'adresserai  au  beau 
livre  de  MM.  Hill,  je  le  recommande  vigoureusement  à  tous  ceux  qui 
aiment  le  violon,  à  tous  ceux  qui  joignent  à  leur  affection  l'admiration 
que  mérite  ce  roi  des  instruments,  dont  la  grâce,  la  noblesse  et  la 
beauté  extérieures  accompagnent  et  complètent  si  heureusement  les 
incomparables  qualités  musicales.  Et  je  n'ignore  pas  que  ceux-là  sont 
nombreux. 

Arthur  Pougin. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts-Larcoureux.  —  Le  Promèthée  triomphait!  de  M.  Reynaldo  Hahn,  sur 
le  poème  de  M.  Paul  Reboux,  vient  exactement  à  son  heure;  c'est  la  glorifi- 
cation du  travail  dans  les  temps  nouveaux.  On  se  figure  quel  enthousiasme 
pourrait  soulever  une  œuvre  aussi  largement  conçue  et  d'une  aussi  belle  réali- 
sation musicale,  si  les  circonstances  permettaient  un  jour  de  la  faire  entendre 
dans  une  très  vaste  enceinte  à  l'occasion  d'une  solennité  nationale.  Le  carac- 
tère pathétique  des  successions  musicales,  partant  au  début  de  la  tonalité  d'ut 
dièse  mineur,  produit  une  impression  des  plus  vives;  mais  Promèthée,  acca- 
blé d'abord,  se  ressaisit  en  songeant  aux  hommes  ses  frères,  et  son  espérance 
en  l'avenir  est  exprimée  par  le  joli  dessin  rythmique  répondant  à  la  phrase 
«  Vous  que  j'illuminai  de  la  céleste  flamme...  »  Alors  l'humanité  s'éveille  et 
le  titan  crucifié  tressaille  : 

Mon  supplice  est  donc  pris  pour  une  apothéose, 
Mon  sang  pour  la  pourpre  d'un  roi. 
Et,  de  très  loin,  un  chœur  ravissant  s'élève  sur  ces  fraîches  paroles  : 
Déjà,  couronné  d'or  par  l'aube  à  peine  éclose 
Ton  front  rayonne  !  Gloire  à  toi  ! 
Promèthée  qui  a  donné  le  feu  aux  hommes,  pressentant  déjà  leur  victoire, 
voit  à  ses  pieds  les  dieux  déchus.  Ils  viennent  le  supplier   de   restaurer   leur 
ancien  culte  en  forçant  de  nouveau  l'humanité  à  s'incliner  devant  leurs  autels. 
Vénus,  Diane  et  Minerve,  en  un  trio  d'une  grâce  exquise,  cherchent  à  le   flé- 
chir, mais  il  répond  dédaigneusement  : 

Non,  vous  n'êtes  pas  l'harmonie, 
Yous  n'êtes  pas  la  volupté, 
Et  l'on  peut  embellir  la  vie 
Sans  votre  orgueilleuse  beauté. 
Les  déesses  pensent  être  plus  heureuses  en   agissant   isolément-    chacune 
d'elles  cherche  à  séduire  par  le  charme   qui   lui  est  propre.  Minerve    c'est 
MUc  Lapeyrette,  dit  un  chant  calme   et   noble,   maintenu   toujours   dans   le 
timbre  grave  de  la  voix.  Diane  lui  succède  alerte  et  vive,  sous  les  traits  de 


Mllc  Heilbronner.  Un  orchestre  où  d'ingénieux  dessins  se  succèdent  l'accom- 
pagne; il  semble  faire  assaut  avec  la  voix  dans  une  petite  cavalcade  toute  de 
caprice  et  d'imprévu.  Enfin  Vénus  met  en  œuvre  tout  l'attrait  de.  ses  séduc- 
tions. En  écoutant  Mlle  Lindsay  dire  amoureusement  ces  jolis  vers  : 

Dans  un  discret  battement  d'ailes,      |     Et  mettais,  comme  une  aube  pure, 
Sur  le  front  des  amants  fidèles  Le  bleu  flottant  de  ma  ceinture 

J'envoyais  ma  félicité,  I     A  l'horizon  des  nuits  d'été. 

la  salle  entière  a  été  saisie,  et  un  frémissement  d'admiration  n'a  pu  se  conte- 
nir quand,  sur  les  derniers  mots,  un  délicieux  arpège,  qui  commence  au 
grave  et  que  les  violons  achèvent  à  l'aigu,  s'est  élevé  doucement  avec  une 
suave  sonorité.  Il  est  écrit  dans  une  forme  qui  rappelle  vaguement  la  succes- 
sion des  harmoniques  constitutifs  delà  gamme,  telle  qu'on  les  obtient  sur  un 
cor.  en  n'utilisant  pas  le  mécanisme  chromatique.  Les  pages  d'une  expression 
pénétrante  abondent  dans  la  partition  de  M.  Reynaldo  Hahn,  alternant  avec 
des  passages  humoristiques  très  curieusement  imaginés.  L'on  ne  peut  man- 
quer de  remarquer  sous  ce  rapport  l'air  de  Mars,  dont  les  sauts  répétés  de  neu- 
vièmes, de  septièmes  et  de  dixièmes  nous  font  penser  à  un  dieu  pourvu  de 
bottes  de  sept  lieues.  Parmi  les  grotesques,  Vulcain  et  ses  cyclopes  ne  pou- 
vaient être  oubliés.  Le  tumultueux  et  amusant  vacarme  que  fait  l'orchestre 
pour  agrémenter  leurs  voix  est  une  trouvaille  des  plus  baroques,  mais  très 
bien  en  situation.  Tout  redevient  d'une  sereine  beauté  à  l'entrée  du  chant 
magistral  en  fa  majeur,  sur  lequel  Promèthée  signifie  aux  dieux  son 
refus.  «  Allez,  maîtres  déchus  »,  s'écrie-t-il,  et  la  scène  s'achève  en  un  superbe 
monologue  dans  lequel  M.  Carhelly,  servi  par  un  solide  organe  et  par  l'inspi- 
ration la  plus  élevée  du  compositeur,  a  montré  d'éminentes  qualités  en  l'art  de 
dire,  avec  les  nuances  justes,  une  musique  dont  choque  note  a  sa  signification 
particulière.  Dans  le  personnage  de  Jupiter,  M.  Delmas  s'est  montré,  comme  tou- 
jours, artiste  de  premier  ordre.  Il  était  intéressant  de  comparer  entre  elles  les 
voix  des  deux  artistes,  l'un  baryton  et  l'autre  basse  chantante;  lutte  courtoise 
dans  laquelle  il  y  eut  deux  vainqueurs.  Promèthée  triomphant,  se  termine  par  un 
chœur  d'une  énergie  et  d'une  vigueur  extrêmes,  rehaussé  par  la  variété  des 
rythmes  d'accompagnement  et  le  coloris  parfois  étincelant  de  l'instrumenta- 
tion. Nous  avons  désigné  déjà  les  principaux  interprètes:  il  faut  citer  encore 
MM.  Chanoine-d'Avranches,  Cerdan  et  Sardet,  qui  méritent  bien  de  n'être 
pas  oubliés.  L'orchestre,  conduit  avec  autorité  par  M.  Henri  Rabaud,  a  été  su- 
perbe de  cohésion  et  de  puissance.  Le  public  a  fait  un  accueil  enthousiaste  à 
l'œuvre  de  M.  Reynaldo  Hahn.  L'a  solide  et  magistrale  structure  de  toutes  les 
parties  qui  la  composent,  et  l'invention  mélodique  toujours  soutenue  qui 
l'anime,  ne  pouvaient  manquer  de  s'imposer  à  l'admiration.  Vers  le  milieu, 
les  délicieux  épisodes  où  se  rencontrent  les  soli  chantés  par  des  voix  fémi- 
nines reposent  l'esprit  qui  voudrait  s'y  attarder  avec  prédilection,  mais  l'unité 
de  l'ensemble  en  serait  compromise  et  le  maître  nous  entraîne  avec  un  redou- 
blement d'énergie  vers  la  péroraison.  L'intérêt  ne  faiblit  jamais.  Le  concert 
avait  commencé  par  une  excellente  audition  de  la  symphonie  en  ut  mineur  de 
Beethoven  et  le  prélude  du  Déluge  de  M.  Saint  Saêns,  d'un  sentiment  si  intime 
et  profond  dans  sa  forme  simple  et  pure.  L'introduction  du  troisième  acte  de 
rin  a  terminé  la  séance.  Amédée  Botjtarel. 


—  Concerts-Colonne.  —  L'anniversaire  de  la  mort  de  Berlioz  avait  suggéré  à 
M.  Colonne  l'idée  de  grouper  en  un  programme  exclusivement  consacré  au 
maitre  français  celles  de  ses  œuvres  qui  furent  directement  inspirées  de  Sha- 
kespeare. C'est  ainsi  que  nous  avons  eu  l'ouverture  du  Roi  Lear,  œuvre  de 
jeunesse,  mais  qui  contient  plus  que  des  espérances;  une  importante  sélection 
de  Roméo  et  Juliette  (scène  d'amour,  strophes  où  triompha  le  beau  contralto  de 
Mml?  Judith  Lassalle,  scherzo  de  la  Reine  Mab,  scherzetlo  chanté  d'exquise  manière 
parM.  Mauguière  et  les  chœurs  et  qui  fut  hissé,  Fêle  clie:  Capulet)  :  puis  laFan- 
taisie  sur  la  Tempête  pour  chœur,  orchestre  et  piano  à  4  mains  dont  l'intérêt  ne 
masque  pas  assez  la  longueur,  mais  où  Berlioz  utilise  un  piano  à  4  mains 
comme  partie  orchestrale,  de  très  heureuse  manière  ;  les  voix  conjuguées  de 
Mmes  Maud  Herlem,  au  timbre  vibrant  et  clair,  et  Judith  Lassalle  détaillèrent 
de  façon  à  ravir  tout  l'auditoire  du  Chàtelet  l'expressif  et  sentimental  duo  de 
Béatrice  et  Bénédict:  et  la  séance  prit  fin  avec  le  chœur  pour  voix  de  femmes, 
assez  anodin,  sur  la  mort  d'Ophélie  et  la  Marche  funèbre })Our  la  dernière  scène 
il  Hamlet,  qui  est  une  page  assez  peu  connue,  mais  grandiose  en  sa  morne 
splendeur  tragique,  impressionnante  intensément  avec  sa  psalmodie  plain- 
tive des  voix  éloignées  et  sa  longue  progression  aboutissant  à  un  feu  de  salve. 
C'est  là  du  Berlioz  de  la  bonne  veine,  qui  devrait  figurer  souvent  au  réper- 
toire de  nos  grands  orchestres.  Tout  ce  programme  fut  dirigé  par  M.  Colonne 
et  exécuté  pir  ses  musiciens  avec  une  belle  ardeur  romantique. 

J.  Jesiain. 

—  Programmes  des  concerts  de  demain  dimanche  : 
Conservatoire  :  Relâche. 

Chàtelet,  concert  Colonne:  Ouverture  du  Roi  d'Ys  (Lalo).  —  Symphonie  inachevée 
(Schubert).  —  Fragments  de  la  Nuit  de  Noël  (Rimsky-Korsakoff),  chantés  par  M"»  de 
Wieniawski.  —  Ballade  (Gabriel  Fauré),  par  M.  Alfred  Cortot.  —  Rapsodie  espagnole 
(Maurice  Ravel).  —  Deux  mélodies  (Rimsky-KorsakofT;,  par  M""  de  Wieniawski.  — 
Variations symplwniques  (César  Franck),  par  M.  Alfred  Cortot.  —Marche  de  Tannhau- 
ser  (R.  Wagner). 

Salle  Gaveau,  concert  Lamoureux,  sous  la  direction  de  M.  André  Messager  :  Ou- 
verture de  Fidélio  (Beethoven).  —  Anlàr  (Rimsky-KorsakofT).  —  Prélude  du  4°  acte 
de  la  Catalane  (Le  Borne).  —  Scène  finale  du  Crépuscule  des  Dieux  (R.  Wagner),  avec 
le  concours  de  M""  Kaschowska.  —  Prélude  du  3"  acte  de  Tristan  et  Yseult 
(R.  Wagner).  —  Ouverture  des  Maîtres  Chanteurs  (R.  Wagner). 

—  Une  partie  du  programme  du  Concert  de  Léry  de  dimanche  était  consa- 
crée aux  œuvres  de  M.  Gabriel  Fauré  qui   a  tenu  à  présenter  lui-même  au 


LE  MÉNESTREL 


83 


public  une  très  intéressante  et  remarquable  jeune  virtuose  sortie  cette  année 
même  avec  un  beau  premier  prix  de  la  classe  de  M.  I.  Philipp  :  M"°  Gella 
Delavrancea,  interprète  parfaite  de  ce  délicat  chef-d'œuvre  la  Ballade  (op.  19). 
M"0  Delavrancea  a  dit,  en  plus,  avec  une  sonorité  prenante,  un  stylo  person- 
nel, une  technique  très  pure  le  noble  Nocturne  en  mi  bémol.  Son  succès  a 
été  extrêmement  brillant.  On  a  redemandé  la  délicieuse  «  romance  o  jouée 
avec  art  par  M.  Mendels,  et  M.  Fauré  a  dirigé,  pour  terminer,  sa  musique 
pour  Pelléas,  si  expressive,  si  fine,  si  émouvante.  —  Dans  la  première  partie 
du  concert,  M.  de  Léry  avait  fait  entendre  la  Symphonie  la  Heine  de  Haydn, 
Euryanthe  de  Weber,  et  la  pittoresque  Rajisadie  Norvégienne  de  Lalo,  et 
M"10  di  Marco  a  chanté  avec  talent  un  air  de  Haendel  et  In  Calandrina  de 
Jomelli. 

—  La  dixième  et  dernière  matinée  Daubé  au  théâtre  du  Gymnase  a  eu  lieu 
mercredi.  Programme  très  varié,  et  cependant  d'une  excellente  tenue  artis- 
tique, justifiant  une  fois  de  plus  le  caractère  populaire  et  éducateur  de  ces 
intéressantes  matinées  musicales  qui  voient  clore  leur  huitième  année  d'exis- 
tence. Ce  fut  d'abord  Mmc  Mellot-Joubert.  dont  la  voix  pure,  le  style  parfait 
mirent  en  valeur  de  charmantes  mélodies  de  M.  Paul  Rougnon  et  Charles 
Lefebvre  accompagnées  par  les  auteurs.  Du  même  M.  Lefebvre  on  avait  ap- 
plaudi, à  l'ouverture  de  la  séance,  un  quintette  pour  piano  et  instruments  à 
cordes  du  plus  bel  effet,  excellemment  joué  par  le  jeune  pianiste  Paul  Gay- 
raud  (dont  on  a  apprécié  ensuite  la  technique  brillante  dans  la  MéphistoVa  Ise 
de  Liszt)  et  MM.  Soudant,  de  Bruyne,  Migard  et  Bedetti.  Le  quatuor  Soudant 
fît  encore  entendre  la  jolie  Sérénade  de  Mozart,  VEymne  Autrichien  d'Haydn,  et 
M.  Migard  interpréta,  avec  sa  maîtrise  coutumière,  une  agréable  fantaisie 
pour  alto,  accompagnée  au  piano  par  l'auteur  M.  P.  Rougnon.  M.  Brémont 
déclama,  avec  l'art  consommé  qui  le  distingue,  deux  poésies  de  MmL-  de  Faye- 
Jozin,  d'un  charmant  sentiment,  une  Pastorale  avec  flûte  par  M.  Puyans,  Sur 
un  vieux  cadran  solaire  avec  quatuor,  mises  en  musique  par  le  poète  lui-même 
qui  tenait  la  partie  de  piano.  La  seconde  adaptation  fut  bissée.  Enfin  le  qua- 
tuor de  harpes  chromatiques  (Mme  Tassu-Spencer,  Mlles  R.  L'énars,  Labatut 
et  Chalot),  donna  une  exécution  parfaite  de  pièces  transcrites  de  Grieg  aux- 
quelles le  public,  charmé,  fit  ajouter  un  Menuet  de  Mozart.  —  Ainsi  prit  fin 
cette  nouvelle  série  de  matinées  artistiques,  dont  il  convient  de  féliciter 
M.  Jemain,  qui  les  organisa,  et  ses  dévoués  partenaires,  MM.  Soudant,  de 
Bruyne,  Migard  et  Bedetti. 

—  Poursuivant  ses  captivantes  reconstitutions  archaïques,  M.  Charles 
Bouvet,  en  la  troisième  séance  de  la  Fondation  Bach  chez  Pleyel,  a  donné 
une  sélection  avisée  des  concertos  pour  trois  et  quatre  violons  aux  XVHe  et 
XVIIIe  siècles.  Très  bien  secondé  par  M.  et  Mmi-  G.  Wagner,  MM.  Jemain, 
Gravrand,  Bleuzet  et  Mmc  Laloy-Babaïan,  le  distingué  violoniste  exécuta  des 
œuvres  fort  remarquables  de  Léo  et  Vilvaldi,  les  unes  avec  piano,  les  autres 
avec  orchestre  à  cordes.  —  Une  suite  française  du  XVIIe  siècle  (auteur  in- 
connu, version  J.  Ecorcheville).  que  dirigea  aussi  M.  Julien  Tiersot,  complé- 
tait le  programme  que  le  talent  délicat,  la  voix  pure  de  Mme  Jane  Arger  (air 
de  Bach  :  «  O  flammes  cruelles  !  »  avec  hautbois,  Giasone  de  Cavalli  et  Pastorale 
de  Couperin)  diversifia  fort  agréablement. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(pour  les  seuls  abonnés  a  la  musique) 


Le  nouveau  billet  de  Paul  Vidal,  Zino-Zina,  est  à  peine  publié  que  les  scènes  de 
France  et  d'Allemagne  s'en  emparent  déjà  avec  empressement,  tant  la  partition  en 
est  fraîche  et  bien  venue.  Nos  orchestres  aussi  en  recherchent  les  «  suites  symphoni- 
ques  »,  et  partout  on  en  bisse  surtout  la  jolie  Gavotte  que  nous  offrons  aujourd'hui  à 
nos  abonnés.  Ni  Rameau,  ni  Lulli  n'ont  rien  écrit  de  plus  fin  et  de  plus  délicat. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


Dans  l'après-midi  du  S  mars  dernier,  le  théâtre  de  la  Cour,  à  Meiningen 
a  été  la  proie  des  flammes.  On  devait  jouer  le  soir  la  Fiancée  de  Messine,  de 
Schiller.  La  répétition  du  matin  avait  fini  vers  une  heure  et  quart.  Presque 
aussitôt  après,  on  vit  filtrer  à  travers  les  jointures  de  toutes  les  portes  et  fenê- 
tres d'épais  nuages  de  fumée.  L'alarme  fut  aussitôt  donnée,  mais  le  feu 
sévissait  avec  une  grande  intensité,  précisément  sous  la  garde-robe  des  artistes, 
ayant  probablement  pris  naissance  dans  les  sous-sols  où  se  trouvent  les 
appareils  de  chauffage.  Qjelques  vêtements  ou  costumes  ont  pu  être  sauvés. 
On  est  parvenu  aussi  à  déménager  la  plus  grande  partie  de  la  bibliothèque  et 
à  mettre  à  l'abri  des  ouvrages  précieux,  grâce  à  la  rapidité  avec  laquelle  une 
partie  du  32e  régiment  d'infanterie  est  accourue  sur  le  lieu  du  sinistre.  Toute- 
fois, deux  beaux  pianos  à  queue,  dont  l'un  était  estimé  six  mille  francs,  ont 
été  détruits,  leur  poids  et  leurs  dimensions  n'ayant  pas  permis  d'en  essayer  le 
sauvetage.  A  cinq  heures,  tout  l'intérieur  du  théâtre  était  consumé.  Les  bâti- 
ments brûlaient  encore  à  sept  heures.  Le  duc  de  Meiningen  avait  quitté  sa 
résidence  depuis  quelques  jours  et  se  trouvait  au  Cap-Martin.  Les  dégâts  maté- 


riels seront  couverts  par  les  compagnies   d'assurances.  —   Le  théâtre  qui  dis- 
parait avait  été  construiten  1830-1831  par  le  duc  Bernhard  :  il  fut  inauguré  le 
17  décembre  1831,  dixième  anniversaire  de    on  couronnement,  par  une  repré- 
sentation de  l'ra  Diavolo.  La  troupe,  comprenant  un  il.nl.!-  pei 
et  de  drame, était  sous  la  direction  privée  d'un  nommé  Bethmann.  Les  direc- 
teurs changèrent  souvent  jusqu'en  18G0,  époque  à  partir  de  laquelle  lu  i 
doté  d'une  subvention,  fut  placé  sous   le  haut  protectorat  du  Duc.  avec  un 
intendant  à  sa  tête.  Après  l'avènement  de  Georges   H.  20  septembre  Is 
troupe  des  Meininger  acquit  la  grande  célébrité   qu'elle  a  toujours  cor. 
depuis.  Le  prince,  qui  avait  longtemps  pratiqué  la  peinture,  et  avec  un  talent 
qui  fit  dire  à  Wilhelm  Kaulbach  :  «  S'il  n'était  pas  né  prince,  il  serait  d 
un  plus  grand  peintre  que  moi  »,  s'adonna  cœur  et  àme  aux  choses  théâtrales 
et  contracta  en  1873  une  alliance  morganatique  avec  une  des  actrices  les  plus 
remarquables  de  sa  troupe,  Hélène  Franz,  qu'il  fit  baronne  de  Heldburg.  On  a 
célébré  le  2  avril  19013,  à  Meiningen,  le   quatre-vingtième   anniversaire  de  sa 
naissance.  La  troupe  des  Meininger  a  commencé  à  faire  des  tournées  en  1874. 
Dans  les  dix-sept  années  qui  suivirent,  elle   en   fit   quatre  vingt-une  dans 
trente-huit  villes  :  vingt  en  Allemagne,  deux  en  Hollande,  cinq  en  Bussie, 
cinq  en  Autriche,  deux  en  Belgique  et  une  en  Suisse,  Angleterre,  Danemark 
et  Suède.  Ces  tournées  prirent  fin  en  1S90,  abolies  par  une  ordonnance  du 
prince. 

—  A  la  suite  de  l'incendie  du  théâtre  grand-ducal  de  Meiningen,  le  duc 
Georges  a  décidé  que,  jusqu'à  la  fin  de  la  saison  d'hiver,  la  troupe  des  Mei- 
ninger ferait  des  tournées.  Quoi  qu'en  aient  dit  plusieurs  journaux,  aucune  déter- 
mination n'a  encore  été  prise  quanta  la  reconstruction  des  bâtiments  détruits. 
La  cause  exacte  du  sinistre  n'a  pu  être  encore  déterminée  d'une  façon 
précise. 

—  La  mesure  qu'a  prise  U  direction  du  Conservatoire  de  Vienne  contre 
M.  Feruccio  Busoni,  en  le  relevant  de  ses  fonctions  comme  professeur  de 
piano,  aura  cette  conséquence,  un  peu  inattendue  peut-être,  qu'un  certain 
nombre  des  élèves  de  l'éminent  pianiste,  qui  l'avaient  suivi  de  Berlin  à 
Vienne,  vont  quitter  le  Conservatoire  en  même  temps  que  leur  professeur,  ou 
du  moins  en  ont  témoigné  l'intention  en  protestant  contre  la  décision  qui  les 
prive  de  l'enseignement  qu'ils  aimaient.  Leur  attitude  et  les  démarches  qu'ils 
ont  faites  dans  le  but  de  manifester  publiquement  leur  estime  et  leur  atta- 
chement pour  M.  Busoni  ne  semblent  pas  devoir  produire  le  résultat  désiré 
puisque  le  poste  rendu  vacant  a  déjà  été  attribué  à  M.  Godowsky,  ainsi  que 
nous  l'avons  annencé. 

—  On  écrit  de  Vienne  que  le  ministère  de  l'instruction  publique  et  des 
cultes  vient  d'établir,  pour  les  élèves  qui  fréquentent  les  cours  de  composi- 
tion dans  toutes  les  écoles  de  musique  d'Autriche  et  de  Hongrie,  deux  prix 
d'Etat  de  mille  couronnes  chacun. 

—  D'après  une  communication  faite  par  voie  d'afUcbe  par  l'Intendance  des 
théâtres  royaux  de  Berlin,  M.  Félix  Weingarlner  aurait  rompu  le  contrat  qui 
l'engageait  avec  cette  administration  théâtrale  pour  la  direction  des  concerts 
de  l'Opéra-Royal,  sous  prétexte  qu'un  arriéré  pécuniaire,  qu'il  considérait 
comme  lui  étant  dû,  n'avait  pas  été  payé. L'affiche  ajoutait  qu'un  procès  serait 
fait  à  l'artiste  el  que,  les  concerts  symphoniques  ne  devant  plus  être  dirigés 
par  lui,  le  prochain  serait  conduit  par  M.  Ernest  von  Schucb,  de  Dresde. 
M.  Weingarlner,  à  qui  une  somme  de  16.000  francs,  payable  par  mensualités, 
était  allouée  comme  honoraires  pour  les  dix  concerts  de  la  saison,  n'ayant 
pas  été  payé  le  31  janvier,  a  adressé  une  réclamation  à  l'Intendance  le  19  fé- 
vrier suivant.  N'ayant  point  reçu  de  réponse,  il  a  écrit  de  nouveau  le  ±\  lé- 
vrier, déclarant  qu'il  considérait  comme  rompu  l'engagement  contracté.  De 
son  coté,  l'Intendance  estime  que  M.  Weingartner  n'ayant  pas  dirigé  de 
concert  en  janvier,  il  ne  lui  était  point  du  d'honoraires  pour  ce  mois.  Les 
choses  en  sont  là  et  s'arrangeront  peut-être  à  l'amiable.  Il  faut  du  moins 
l'espérer. 

—  Voici  quelques  renseignements  précis  sur  Eleklra.  Ils  ont  été  commu- 
niqués par  M.  Richard  Strauss  lui-même,  pour  couper  court  à  de  fausses  nou- 
velles qui  avaient  circulé.  La  partition  sera  terminée  au  plus  tùt  à  la  fin  de 
1908.  La  première  représentation  aura  lieu  vraisemblablement  à  Dresde,  au 
commencement  de  1909.  Aussitôt  après,  l'œuvre  sera  donnée  à  Munich,  ville 
natale  du  compositeur  qui  espère  venir  l'y  diriger  lui-même.  M.  Richard 
Strauss  écrit  ta  musique  sur  le  texte  même  du  poète  Hugo  von  Hoffmanns- 
thal,  mais  il  a  fait  de  très  nombreuses  coupures  dans  ce  texte.  Eleklra  sera  en 
un  acte  comme  Salomé  et  aura  la  même  durée.  Elle  comprendra  en  tout  neuf 
scènes.  Le  rôle  d'Elektra  est  pour  soprano,  celui  de  la  reine  pour  mezzo-so- 
prano,  celui  d'Oreste  pour  baryton  et  celui  d'Egisthe  pour  ténor. 

—  Dans  le  cours  de  cette  année,  si  nous  en  croyons  le  «  Standard  »,  un 
théâtre  anglais  sera  fondé  à  Berlin.  On  y  jouerait  des  pièces  d'auteurs  britan- 
niques, morts  ou  vivants.  On  ne  dit  pas  dans  quel  local  auront  lieu  les  repré- 
sentations. 

—  D'après  le  Berlin?!-  Tageblatt,  M.  Hans  Gregor,  le  directeur  de  l'Opéra- 
Comique  de  Berlin,  dont  l'intelligence  et  l'esprit  d'initiative  se  sont  si  sou- 
vent affirmés,  aurait  l'intention  de  fonder  à  Berlin  un  grand  théâtre  sur 
lequel  on  pourrait  faire  entendre  le  même  répertoire  qu'à  l'Opéra-Royal-. 

—  A  la  suite  des  incidents  suscités  par  les  musiciens   de  l'orchestre  Kaim 
rie  Munich  et  dont  nous  avons  parlé  il  y  a  quelques  semaines,  le  comité  musi- 
cal de  l'Exposition  qui  doit  avoir  lieu  cette  année  à  Munich  a  donné  sa  démis- 
sion. Il  comprenait  parmi  ses  membres,  entre  autres  notabilités,  MM.  ! 
Mottl,  Siegmund  von  Hausegger  et  Max  Schillings. 


86 


LE  MENESTREL 


—  La  grande  artiste,  Pauline  Lucea,  qui  vient  de  mourir,  a  été  l'une  des 
cantatrices  au  talent  le  plus  souple  que  l'on  ait  vues  au  théâtre.  Elle  fut,  dans 
la  vie  privée,  une  personnalité  féminine  entièrement  aimable  et  gracieuse. 
Belle  comme  interprète  de  Meyerbeer,  elle  était  adorable  dans  Mignon.  Le 
chef-d'œuvre  d'Ambroise  Thomas  eut  en  elle  une  fervente  admiratrice  ;  elle 
le  chanta  beaucoup  à  Londres  et  en  fit  un  de  ses  opéras  de  prédilection  en 
Allemagne.  Plus  tard,  elle  adopta  aussi  Carmen  et  beaucoup  ont  assuré  n'avoir 
jamais  entendu  chanter  cet  ouvrage  d'une  façon  aussi  saisissante  que  par  elle. 
Pauline  Lucca  exerçait  une  sorte  de  séduction  par  sa  bonne  humeur  franche 
et  cordiale.  On  trouvait  très  piquant  de  l'entendre  parler  en  dialecte  viennois. 
Un  jour  de  l'année  1SS6,  peu  de  temps  après  la  bataille  de  Sadowa,  l'empereur 
Guillaume  étant  venu  la  saluer  sur  la  scène  de  l'Opéra  de  Berlin,  reçut  d'elle 
cette  répartie  faite  précisément  en  ce  dialecte  :  «  Oh  '.  Majesté,  comme  vous 
avez  vilainement  maltraité  mes  compatriotes  !  »  L'empereur  se  mit  à  rire  et 
continua  de  s'entretenir  familièrement  avec  la  jeune  femme  qu'il  intimidait  si 
peu.  L'histoire  du  portrait  de  Pauline  Lucca  avec  Bismarck  à  ses  côtés,  que 
nous  avons  racontée  au  mois  d'août  dernier,  a  fait  le  tour  de  la  presse.  La 
cantatrice  est  représentée  avec  une  ample  jupe  soutenue  par  la  crinoline  de 
rigueur  à  l'époque  impériale  ;  la  figure  vue  de  trois  quarts  est  fort  jolie  et  le 
bras  droit  tient  une  petite  ombrelle.  Bismarck  est  de  profil,  le  visage  tourné 
vers  sa  belle  compagne.  Cette  photographie  fut  faite  à  Ischl  en  1865.  Pauline 
Lucca  avait  parmi  ses  faiblesses  celle  de  se  croire  un  éminent  cordon  bleu. 
Lorsque  l'on  critiquait  son  chant,  cela  l'impressionnait  fort  peu,  car  elle  était 
sûre  d'elle-même;  mais  si  l'on  mettait  en  question  ses  capacités  de  maîtresse 
de  maison  sachant  au  besoin  préparer  elle-même  un  repas,  alors  elle  devenait 
inflammable  comme  la  poudre;  un  rien  la  jetait  dans  des  exaspérations  d'en- 
fant. Ses  amis  s'avisèrent  un  jour  d'exploiter  à  ses  dépens  ce  petit  travers. 
Elle  en  avait  invité  à  diner  quelques-uns  en  signant  ses  lettres  «  Baronne  de 
Wallhofen  »  comme  c'était  son  habitude,  et  elle  avait  déployé  à  cette  occasion 
tous  ses  talents  culinaires.  Les  convives  s'étaient  donné  le  mot.  On  se  met  à 
table.  Le  premier  service  est  apporté,  chacun  mange  et  se  tait.  Après  le  se- 
cond, nul  ne  dit  un  mot  sur  l'excellence  des  mets.  Le  troisième  service  suc- 
cède aux  deux  premiers  et  le  silence  est  encore  plus  profond  qu'auparavant  ; 
on  se  serait  cru  dans  un  sépulcre.  C'en  était  trop.  Pauline  Lucca  se  lève, 
comme  mue  par  un  ressort,  et.  ne  pouvant  plus  contenir  sa  fureur,  éclate  en 
invectives  contre  ces  invités  qui  engloutissent  les  meilleures  choses  comme  si 
c'était  une  pitance  faite  pour  nourrir  des  oisons.  Un  éclat  de  rire  homérique 
accueille  aussitôt  cette  sortie.  Surprise  d'une  attitude  aussi  singulière,  la  can^ 
tatrice  regarde  un  à  un  tous  ses  hôtes,  finit  par  comprendre  la  situation  et  se 
livre  elle-même  à  un  rire  inextinguible.  On  devine  combien  la  fin  du  dîner  fut 
joyeuse  et  si  les  louanges  manquèrent  dans  la  bouche  des  convives  pour  ap- 
précier en  véritables  gourmets  tous  les  plats.  Les  scènes  de  ce  genre  n'étaient 
point  rares  chez  Pauline  Lucca.  Son  caractère  enjoué,  son  entrain  extraordi- 
naire semblaient  répandre  la  joie  autour  d'elle.  A  diverses  époques  pourtant, 
elle  connut  la  tristesse,  et,  pendant  les  vingt  années  qui  précédèrent  sa  mort, 
la  maladie  lui  rendit  parfois  l'existence  bien  amère.  Elle  reprenait  courage 
après  les  périodes  pénibles.  On  raconte  qu'elle  chanta  pour  la  dernière  fois  le 
30  octobre  1899,  jour  de  la  mort  de  son  mari,  le  baron  de  Wallhofen.  Il  avait 
désiré  l'entendre  encore  une  fois.  Elle  dit  quelques  morceaux  de  son  réper- 
toire, et  ajouta,  pour  finir,  une  élégie  universellement  connue  en  Allemagne 
sous  le  titre  Jour  des  Morts  et  commençant  par  ces  mots  :  «Still  auf  den  Tisch, 
die  diiflenden  Reseden  »  (Calmes  sur  la  table,  les  résédas  odorants...).  Au 
milieu  de  son  chant,  la  cantatrice  éclata  en  sanglots  et  ne  put  l'achever  qu'en 
entrecoupant  chaque  mot  de  ses  larmes.  Depuis,  cette  voix  qui  avait  enchanté 
les  foules  se  tut  pour  toujours. 

On  a  installé  depuis  quelque  temps  au  théâtre  de  la  Cour,  à  Stuttgart,  un 

appareil  ozonateur  destiné  à  rendre  l'air  plus  respirable  en  lui  conservant  un 
état  de  pureté  aussi  complet  que  possible.  L'expérience,  maintenue  dans  de 
justes  limites,  car  l'air  trop  chargé  de  gaz  prend  une  odeur  de  phosphore,  a 
donné  des  résultats  satisfaisants.  Les  chanteurs  ont  trouvé,  parait-il,  que  le 
mélange  de  l'ozone  à  l'atmosphère  facilite  l'émission  de  la  voix.  Quant  au 
public,  on  a  déjà  essayé  de  lui  faire  envisager  le  théâtre  où  fonctionne  l'appa- 
reil comme  un  sanatorium  où  il  pourra  trouver  un  repos  très  hygiénique 
pour  le  corps,  en  même  temps  que  des  délassements  pour  l'esprit.  Certains 
médecins  ont  approuvé  ces  essais  sur  lesquels  nul  ne  peut  se  prononcer  défi- 
nitivement encore. 

—  De  Cobourg  :  D'après  une  dépêche  de  M.  Siegfried  Wagner,  Mme  Cosima 
"Wagner  serait  tombée  gravement  malade  à  Santa  Margherita  (Riviera  di 
Levante)  et  son  étal  inspirerait  des  inquiétudes.  La  veuve  de  Richard  Wagner 
villégiature  à  Santa  Margherita  depuis  le  commencement  de  février.  On  se 
rappelle  qu'en  décembre  1900,  Mmc  Cosima  Wagner  eut,  au  château  de  Lan- 
«enburg.  une  première  attaque  qui  a  mis  ses  jours  en  danger.  Au  mois  d'oc- 
tobre dernier,  il  s'est  produit  une  deuxième  attaque,  de  beaucoup  moins 
violente  que  la  première  et  dont  toute  trace  avait  disparu  le  23  décembre  der- 
nii-r.  "ù  M"  Cosima  Wagner  a  célébré  le  70'  anniversaire  de  sa  naissance 
dans  un  état  de  santé  excellent. 

Cest  avec  une  sorte  d'enthousiasme  qu'a   été  accueillie,  à  Budapest,  la 

première  représentation,  attendue  avec  curiosité,  i'Eliane,  opéra  dû  à  l'un  des 
doyens  des  compositeurs  hongrois,  M.  Edmond  Mihalovich.  Le  sujet,  tiré  du 
cycle  de  nos  légendes  du  moyen  ège,  sans  être  très  dramatique,  a  Eéanmoins 
inspiré  le  compositeur  de  la  façon  la  plus  heureuse,  et  lui  a  permis  d'écrire 
une  musique  d'une  forme  solide  et  superbe,    en  même  temps   que  d'une  rare 


originalité.  L'effet  a  été  immense,  et  le  succès  s'est  traduit  par  trente  rappels 
à  l'auteur. 

—  Le  poète  d'Annunzio  prépare  en  ce  moment  une  trilogie  historique  pour 
la  scène.  Cette  trilogie  est  destinée  aux  fêtes  de  1911.  La  première  partie,  por- 
tant le  titre  «  Le  Roi  Numa  »,  décrit  la  Rome  des  Rois;  la  deuxième,  Rome- 
République,  et  la  troisième,  la  Rome-Impériale,  sera  intitulée  :  «  Néron  ». 

—  La  Société  du  Quartetto  de  Milan  vient  de  donner  un  concert  exclusive- 
ment composé  d'oeuvres  de  M.  Gabriel  Faurë.  Très  gros  succès  pour  les 
œuvres  si  finement  musicales  du  maître  français  et  notamment  pour  la  mélo- 
die, le  Don  silencieux,  qu'on  a  bissée  d'acclamation. 

—  On  a  donné  avec  beaucoup  de  succès,  au  théâtre  Carlo-Felice  de  Gènes, 
un  opéra  intitulé  Eidelberga  mia,  dont  M.  Alberta  Colantuoni  a  tiré  le  livret 
du  drame  de  M.  Meyer-Fœrster,  Viel  Heidelberg,  et  dont  la  musique  a  été 
écrite  par  M.  Usaldo  Pacchierotti.  On  dit  cette  musique  fort  élégante,  em- 
preinte tour  à  tour  de  gaîté  et  de  mélancolie,  parfois  d'une  expression  pro- 
fonde, comme  il  convient  au  sujet,  d'une  forme  très  moderne,  avec  un 
orchestre  brillant  et  coloré.  L'œuvre  a  été  soutenue  d'ailleurs  par  une  inter- 
prétation excellente,  qui  comprend  les  noms  de  Mmes  Mathilde  Biuschini, 
Marenzi,  Algos  et  de  MM.  Palet,  Quercia,  Cappa,  Checci,  Federici,  Foglia, 
Sdssa  et  Ceriani. 

—  Nous  avons  fait  connaître  la  représentation  à  Gênes  d'un  opéra  intitulé 
Tradita,  paroles  et  musique  de  M.  Camellini,  en  relatant  l'opinion  d'un  de  nos 
confrères  italiens,  disant  qu'il  y  avait  dans  cet  ouvrage  plus  de  musique  de 
Donizetti,  de  Bellini,  de  Verdi  et  de  Rossini  que  de  l'auteur.  Un  autre  nous 
apprend  aujourd'hui  que  le  spectacle  a  été  empreint  d'une  forte  dose  d'origi- 
nalité. «  Rarement,  dit-il,  il  arrivera  d'assister  à  une  première  —  et  unique  — 
représentation  comme  celle  de  Tradita.  J'ai  dit  assister,  mais  ce  n'est  pas  le 
mot  propre  ;  car  le  public,  nombreux  et  de  bonne  humeur,  n'a  pas  vraiment 
assisté  au  spectacle,  il  en  est  devenu  partie  intégrante,  chantant  avec  les  ar- 
tistes presque  tout  l'opéra.  C'est  la  première  fois  que  le  public  émeute  et  com- 
pose, et  le  fait  mérite  une  mention  dans  l'histoire  du  théâtre.  Ce  qui  est  vrai, 
c'est  que  pendant  le  cours  de  trois  actes  l'auteur  a  fait  défiler  devant  nos... 
oreilles,  quoique  pourtant  assez  détérioré,  tout  notre  répertoire  lyrique  de 
]S"20  à  1860  et  au  delà.  D'abord,  ne  comprenant  pas,  le  public  a  commencé  à 
siffler,  mais  ensuite,  familiarisé  avec  l'idée  (ou  les  idées)  de  l'autour,  il  s'est 
mis  à  chanter  la  Tradita  avec  les  acteurs.  Admirable  communion  de  sympa- 
thie. Toutefois,  à  la  fin,  et  le  rideau  tombé  sur  le  dernier  acte,  l'inexorable 
sifflet,  le  sifflet  vengeur  a  repris  ses  droits,  et  s'en  est  donné  à  cœur  joie  ». 

—  Le  théâtre  de  la  Renaissance,  à  Liège,  a  donné  le  7  mars  la  première 
représentation  de  la  Malonita,  opérette  en  trois  actes,  paroles  de  MM.  Léon 
Rabbe  et  Paul  Monconsin,  musique  de  M.  Marius  Lambert,  qui  a  été  chaleu- 
reusement accueillie. 

—  Une  nouvelle  assez  singulière.  Aucun  directeur  français  ou  belge  ne 
s'étant  présenté  pour  prendre  l'an  prochain  la  direction  du  Grand-Théâtre  de 
Gand,  M.  Castellano,  directeur  de  la  troupe  italienne  qui  a  parcouru  la  Bel- 
gique, il  y  a  trois  ans,  seul  candidat,  a  obtenu  la  concession.  Gand  aura  donc 
une  troupe  italienne. 

—  Le  Grand-Théâtre  de  Genève  a  représenté  tout  récemment  un  opéra  nou- 
veau, le  Nain  du  Hasli,  paroles  de  MM.  Baud-Bovy  et  Henri  Cain,  musique 
de  M.  Gustave  Doret.  La  partition  est,  dit-on,  charmante  et  d'une  très  heu- 
reuse couleur. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

La  soixantième  représentation  à'Àriane  à  l'Opéra  eut  son  incident.  Voici 
qu'au  dernier  moment  Mlle  Féart,  subitement  grippée,  se  vit  dans  l'impossibi- 
lité de  chanter  le  rôle  de  Phèdre.  Avec  la  plus  charmante  bonne  grâce, 
Mlte  Louise  Grandjean,  bien  que  son  engagement  avec  la  nouvelle  direction 
de  l'Opéra  n'eût  pas  encore  commencé,  accepta  de  remplacer  sa  camarade.  On 
sait  avec  quel  art  et  quel  magnifique  talent  Mllc  Louise  Grandjean  avait  créé 
le  rôle;  elle  y  a  retrouvé  l'éclatant  succès  de  la  première  représentation;  pen- 
dant toute  la  soirée,  elle  a  été  très  fêtée  par  un  public  ravi  de  son  admirable 
interprétation  autant  que  de  son  dévouement  souriant  à  l'Opéra  et  à  l'œuvre 
de  MM.  Catulle  Mendès  et  Massenet.  Que  cette  aimable  manière  d'agir  change 
agréablement  des  procédés  aigres  et  bizarres  en  usage  chez  certaines  de  nos 
«  étoiles  »  du  chant  qui,  uniquement  préoccupées  de  leur  intérêt  person- 
nel et  de  leur  gloire  déclinante,  pensent  si  peu  aux  obligations  morales  et 
aux  responsabilités  qu'elles  ont  prises  vis-à-vis  d'eeuvres  qui  servirent  pour- 
tant à  leur  réputation  !  Espérons  que  les  futurs  auteurs  de  Bacchus,  suite 
à'Ariane,  sauront  s'en  souvenir.  —  Le  même  soir  on  a  applaudi  furieusement 
à  la  réapparition  de  Mlle  Luey  Arbell  dans  Perséphone.  Que  de  rappels  au  mi- 
lieu des  «  roses  »  ! 

—  Excellente  nouvelle  pour  l'Opéra.  Le  remarquable  baryton  Renaud  vient 
d'y  signer  pour  une  série  de  représentations  de  Tannhâuser,  Rigolelto  et  Bam- 
lel.  Mlle  Mary  Garden,  de  retour  d'Amérique  après  les  triomphes  que  nous 
avons  enregistrés  dans  Thaïs  et  Louise,  chantera  sans  doute  avec  M.  Renaud. 
Serait-elle  Ophélie?  —  Les  débuts  de  M""  Brozia  dans  Rigolelto  sont  fixés  au 
23  mars,  et  le  même  soir  on  donnera  ,1a  reprise  du  ballet  Xamouna. 

—  Concours  d'un  décor  pour  l'Opéra:  Sur  la  demande  de  nombreux  artistes, 
la  direction  de  l'Opéra,  qui  met  au  concours  le  décor  du  quatrième  acte  de 
Samson  et  Dalila  (scène  du  Temple),  fait  savoir  que  la  remise  des  maquettes  de 


LE  MÉNESTREL 


87 


ce  concours  se  fera  au  Grand-Palais,  porte  B,  au  siège  de  la  Société  natio- 
nale des  beaux-arts,  dans  la  journée  du  1er  mai,  et  non  dans  celle  du  27  mars, 
ainsi  que  cela  avait  été  précédemment  annoncé.  Ces  maquettes  figureront  au 
salon  de  la  Société  nationale  des  beaux-arts,  dont  le  comité  désignera  le  lau- 
réat qui  recevra  une  prime  de  bOû  francs  et  aussi  la  commande,  aux  frais  de 
la  direclion  de  l'Opéra,  s'il  offre   les  garanties  de  pratique  nécessaires. 

—  Dans  le  courant  de  la  semaine  prochaine  on  reprendra  à  l'Opéra-Co- 
mique  l'Ariane  et  Barbe-Bleue  de  M.  Dukas  avec  tous  les  créateurs,  M"1C  Geor- 
gettc  Leblanc  et  M.  Vieuille  en  tète.  —  Spectacles  de  dimanche  :  en  matinée, 
Galathée  el  Werther]  le  soir,  Cavalleria  rusticana  et  Madame  Butterfly.  Lundi,  en 
représentation  populaire  à  prix  réduits  :  Mignon. 

—  Le  comité  de  la  Société  des  compositeurs  de  musique  avait  à  nommer, 
dans  sa  dernière  séance,  son  président,  en  remplacement  du  regretté  Georges 
Pfeifl'er.  C'est  M.  Alexandre  Guilmant,  l'un  des  vice-présidents,  qui  a  été  élu. 
Par  ce  fait,  un  vice-président  se  trouvant  à  élire  en  remplacement  de 
M.  Guilmant  pour  compléter  le  bureau,  le  choix  du  comité  s'est  porté  sur 
M.  Jules  Mouquet. 

—  L'assemblée  générale  annuelle  de  l'Association  mutuelle  des  secrétaires 
généraux  des  théâtres  et  concerts  de  France  a  eu  lieu  au  foyer  du  public  des 
Variétés,  mis  gracieusement  à  la  disposition  de  l'Association  par  M.  Fernand 
Samuel.  Après  lecture  des  rapports  annuels,  il  a  été  procédé  aux  élections.  Le 
comité,  pour  l'exercice  1908-1909,  a  été  ainsi  constitué  :  Présidentd'honneur: 
M.  Georges  Boyer;  président  :  M.  Jules  Brasseur;  vice-présidents  :  MM.  Du- 
b'erry  et  Edmond  Stoullig:  secrétaire  général  :  M.  Charles  Akar;  secrétaire- 
trésorier  :  M.  P.  François  :  secrétaire  du  comité  :  M.  P.  Bréban  ;  membres  : 
MM.  Fursy,  Deglise,  Fernand  Lefebvre  et  Camille  Malacan.  L'Association  a 
décidé  de  donner, -au  Trocadéro,  le  jeudi  30  avril,  une  grande  matinée  au  béné- 
fice de  sa  caisse  de  retraites  ;  il  paraîtrait  que  le  programme  de  cette  repré- 
sentation nous  promet  d'inédites  surprises. 

—  Une  vente  aux  enchères,  intéressante  et  curieuse,  aura  lieu  à  l'Hôtel 
Drouot  les  jeudi  19  et  vendredi  "20  mars,  qui  attirera  certainement  un  grand 
nombre  d'amateurs.  C'est  la  vente,  après  décès,  des  collections  de  M.  Arthur 
Maury,  qui  donna  un  si  grand  élan  au  commerce  des  timbres-poste.  M.  Maury 
était  lui-même  un  amateur  très  curieux  et  averti,  qui  avait  porté  ses  efforts 
de  divers  cotés,  comme  on  peut  le  voir  par  l'intéressant  catalogue  illustré  de 
sa  vente.  Nous  n'avons  pas  à  parler  ici  de  ses  collections  militaires  (armes, 
coiffures,  harnachements,  drapeaux,  emblèmes),  mais  nous  pouvons  signaler 
tout  ce  qui  a  trait  aux  marionnettes,  spécialité  particulièrement  chère  à 
M.  Maury,  et  qu'il  avait  réussi  à  rendre  très  riche.  Il  avait  eu  la  bonne  for- 
tune d'acquérir  tout  le  matériel  de  l'ancien  et  célèbre  théâtre  d'ombres  chi- 
noises de  Séraphin,  dont  un  grave  magistrat  a  publié  à  Lyon,  en  1875,  sous 
le  couvert  de  l'anonyme,  avec  les  beaux  types  de  l'imprimeur  Scheuring,  une 
histoire  abondamment  illustrée.  M.  Maury  avait  exhibé  tout  ce  matériel  vrai- 
ment curieux  à  l'Exposition  universelle  de  1S89,  et  notre  collaborateur  Arthur 
Pougin  en  avait  longuement  rendu  compte  ici-même.  Depuis  lors,  il  avait 
encore  enrichi  sa  riche  collection  de  marionnettes  ;  il  avait  même  eu  l'idée 
de  faire  revivre  l'ancien  théâtre  de  Séraphin,et,  il  y  a  une  dizaine  d'années,  il 
l'avait  en  effet  ressuscité  dans  la  petite  salle  du  passage  de  l'Opéra  ;  mais  le 
gcùt  n'y  était  plus,  et  l'entreprise  dura  quelques  jours  à  peine  pour  s'éteindre 
dans  l'indifférence.  Ce  n'était  pas  seulement  les  poupées,  ce  n'était  pas  seule- 
ment les  décors  du  théâtre  Séraphin  qu'il  avait  pu  recueillir  :  il  avait  trouvé 
aussi  un  portrait  au  pastel  de  ce  grand  homme  méconnu,  une  maquette  du 
rideau  du  théâtre,  nombre  de  manuscrits  des  pièces  représentées  (de  Guille- 
min,  de  Dorvigny,  d'Amédée  Noizette  et  autres),  des  recueils,  manuscrits 
aussi,  d'airs  de  danse  et  de  chansons  de  Mozin  «  chef  d'orchestre  »,  du  théâtre, 
enfin  des  affiches,  des  «  billets  de  faveur  »,  et  jusqu'au  brevet  sur  parchemin, 
daté  du  22  avril  1784,  permettant  au  «  sieur  Séraphin  d'établir  un  spectacle 
d'ombres  chinoises  ».  Mais  la  collection  Arthur  Maury  comprenait  encore  des 
centaines  et  des  centaines  de  marionnettes  de  toutes  sortes,  marionnettes  des 
théâtres  des  foires  Saint-Germain  et  Saint-Laurent,  du  Guignol  Lyonnais, 
pupaz-zi  et  buratlini  italiens,  silhouettes  en  métal  découpé  chinoises,  siamoi- 
ses, javanaises,  turques,  poupées  de  tout  genre  et  de  tous  pays,  et  jusqu'à  des 
silhouettes  de  Willette  provenant  du  Chat  noir,  de  burlesque  mémoire.  C'est 
tout  un  coté  du  théâtre  intime  qui  passe  sous  nos  yeux  et  qui  va  disparaître 
au  veut  des  enchères,  de  ce  théâtre  évidemment  sans  importance  artistique 
ou  littéraire,  mais  qui  lient  sa  place,  et  une  place  à  part,  dans  l'histoire  de 
la  civilisation. 

—  Comment  Wagner  est  mort.  A  propos  du  2b"  anniversaire  de  la  mort  de 
Wagner,  la  Revue  musicale  de  Lyon  publie  ce  récit  curieux  des  derniers  jours 
du  maître  à  Venise  et  de  sa  fin  foudroyante  : 

Le  15  septembre  1882,  la  famille  Wagner  arrivant  à  Venise,  s'installait  dans  le 
magnifique  palais  Vendramin  (loué  au  duc  délia  Grazia,  Dis  de  la  duchesse  de  Beri'y)_ 
Le  maître  venait,  au  grand  repos  de  Venise,  fortifier  ses  forces  déclinantes,  calmer 
ses  pressentiments  attristés,  apaiser  ses  angoisses  fréquentes,  dans  la  tranquillité 
absolue  et  la  dour-e  vie  familiale.  Très  entouré  et  soigné  par  sa  femme  Cosima,  par 
sa  belle-Ulle  Daniela  von  Biilovv,  ses  filles  Eva  et  Isolde,  amusé  par  son  fils  adoré 
Siegfried,  rejoint  bientôt  par  l'admirable  ami,  devenu  beau-père,  le  noble,  excellent 
Liszt,  Wagner,  heureux,  calmé,  reprenait  meilleure  mine  et,  avec  un  entrain  gran- 
dissant, travaillait  à  son  drame  les  Pénitents  ou  les  Vainqueurs,  d'inspiration  boud- 
dhique. Chaque  jour,  les  promeneurs  de  la  place  Saint-Marc  voyaient  arriver  l'illustre 
vieillard  enveloppé  dans  son  vaste  pardessus,  avec  le  fameux  béret  de  velours  noir 
sur  la  tête,  venant  s'asseoir  au  café  Lavena;  près  de  lui,  Cosima,  l'épouse  bien- 
aimée,  très  grande,  très  maigre,  aux  yeux  si  beaux,  si  lumineux  de  pensées;  leurs 


deux  filles  blondes,  très  blondes,  Dncs  i  dans  sa 

quatorzième  année.  Là,  paisib  e,  .  mine, 

avec  Liszt,  des  amis,  souriait  à  ses  enfants   -•  ■ 
ramiers  familiers. 

C'était  toujours  au  Tramonto,  lorsque  les  llumi- 

neni  inuie  la  Basilique  :  alors    -  maiti  par  la 

vision  unique,  splendide,  des  mosaïques  en  Qammi  -  où    'or,  subi 
ruisselle  ;  leur  fulgurant  rayonnement  embrase       I  i     | , 

auréolaient  déjà  les  cheveux  blam  -  du  viei   ard.  -  Pi 
de  Lavena  I 

Pendant  quatre  mois,  celte  chère  intimité  familiale  remplit  Ve  tbique 
bienveillance;  tous  les  -promeneurs   connaissaient  e(   saluaient   Wi 
santé  raffermie,  la  bonne  humeur,  les  longues  el  quotidii  nnes                            liaient 
éloigner,  dissiper  craintes  ou  inquiétudes.  Pour  fêler  Noël,  le  maître, 
tant,  organisa  même  une  soirée  musicale.  Dans  la  belle 
cello,  absolument  vide,  mais  fleurie,  éc'airée  à  giorno,  pour  Cosima,  la   fan 
quelques  intimes,  II.  Wagner  dirigea,  avec  un,    fougue  el   une  animation  surpre- 
nantes, une  symphonie  inédite,  composer  dan*  >.i  vingtiè année;   puis  Liszt  au 

piano  joua  avec  son  âme,  qui  était  d'essence  supérieure,  i  i  son  co  m  de  bonté  fran- 
ciscaine. 

Le  matin  du  mardi,  du  fatal  mardi  111  février,  H.  Wagnei    fc 
accoutumée,  puis,   revêtu  de  la  somptueuse  simarre  de  soie 
vénitien,  coiffé  du  béret  de  même  couleur,  il  se  promena  dan 
palais  Vendramin,  travailla,  causa  ave  les  siens  el,  vers  une  heure,  recul  son  fidèle 
gondolier  Ganasseta  pour  fixer  avec  lui"  la  promenade  de  la  jou  i  trdage 

quotidien  amusait  beaucoup  le  maître,  enchanté,  disait-il,  de  faire  quelques  progrès 
dans  le  dialecte  vénitien  et  de  mieux  comprendre  ainsi    les  mille  légendes,   i    - 

riettes,  plaisanteries,  tendres,  salées,  mélancoliques,  des  fils  de  la  lag 

là,  R.  Wagner  était  particulièrement  enjoué,  il  riait  aux  farces  contées  pai 
gondolier,  lorsqu'on  sonna  le  dîner  de  deux  heures.  Toujours  lidèlb  à  son  immua- 
ble tradition  d'exactitude,  le  maître  se  leva  pour  rejoindre  aussitôt  sa  famille,  en 
traversant  sa  chambre  à  coucher.  Ganasseta  le  vit  tout  à  coup  porter  la  main  à  son 
cœur,  et  s'affaisser  sur  un  fauteuil;  le  pauvre  gondolier  éperdu  courut,  reçut  dans 
ses  bras  le  maitre,  dont  les  yeux  étaient  déjà  éteints  et  qui  murmurait  :  «  Frau, 
Doctor,  Frau,  Doctor...  » 

Ce  furent  ses  dernières  paroles.  Aidé  par  la  vieille  et  fidèle  Betly.  Gauassela 
étendit  R.  Wagner  sur  le  lit,  l'enveloppant  de  ses  soieries  éclatâmes.  A  ce  moment- 
là,  accourureDt  Cosima  Wagner,  Liszt.  Siegfried,  les  trois  jeunes  li  les,  le  médecin, 
la  maison  entière,  tous  terrifiés,  anéantis.  Tout  soin  éta  t  inutile,  tout  espoir  vain,  le 
voyage  de  l'esprit  sublime  vers  l'immortalité  était  déjà  commencé...  R.Wagner  avait 
été  foudroyé  par  une  dilatation  du  cœur. 

Quelques  jours  après,  dans  le  petit  jardin  de  Wahnfried,  la  terre  allemande  reci 
vait  les   dépouilles  d'un  de  ses  plus  glorieux  enfants;   au-dessus  de  la  tombe  de 
granit,  dans  les  arbres  des  solitaires  allées  du  Hof-Garten,  les  oiseaux  innombra- 
bles continuent  les  perpétuels  Murmures  de  la  Forêt... 

—  Je  suis  en  retard  avec  une  brochure  substantielle  et  fort  intéressante  de 
M.  P.  Fromageot  sur  le  Théâtre  de  Versailles  et  la  Montansier,  qui  m'intéressait 
d'autant  plus  que  j'ai  publié  dans  le  dernier  Bulletin  de  la  Société  de  l'histoire 
du  théâtre  une  notice  très  complète  sur  le  Théàtre-Montansier  à  Paris  (aujour- 
d'hui les  Variétés)  pendant  la  période  révolutionnaire,  c'est-à-dire  depuis  sa 
fondation  au  Palais-Royal  en  1790  jusqu'à  son  transfert  au  boulevard  Mont- 
martre en  1807.  En  consultant  les  Archives  de  Seine-et-Oise  et  ses  riches  col- 
lections personnelles,  M.  Fromageot  a  pu  nous  faire  connaître  des  détails 
nombreux  et  jusqu'ici  inconnus  sur  le  long  séjour  de  la  Montansier  à  Ver- 
sailles avant  son  établissement  à  Paris,  sur  son  occupation  de  la  première 
salle  de  spectacle  de  la  rue  Royale  à  pariir  de  1738,  et  sur  la  salle  de  la  rue 
des  Réservoirs  construite  par  elle  en  1777.  Il  nous  familiarise  encore  avec  la 
physionomie  si  curieuse  et  si  originale  de  cette  femme  étonnante,  intrigante 
fieffée,  intelligente  jusqu'au  bout  des  ongles,  et  qui  avait  vraiment  le  génie  du 
théâtre.  Sa  brochure,  ornée  de  deux  jolies  vues  extérieures  des  deux  théâtres 
de  Versailles,  ne  contient  malheureusement  pas  de  portrait  de  la  Montansier, 
pour  cette  excellente  raison  qu'il  n'en  existe  aucun.  M.  Fromageot  en  a  cher- 
ché, M.  Lenôtre  aussi,  qui  a  longuement  parlé  d'elle,  moi  aussi,  et  nous 
n'avons  rien  trouvé.  A.  P. 

—  Festival  Gounod-Massenet  :  Demain  dimanche,  lb  mars,  à  2  h.  1  2.  au 
Trocadéro,  216e  et  dernière  matinée  de  gala  de  la  Société  des  Concerts  classi- 
ques modernes  :  Faust,  Roméo,  Mireille,  lu  Reine  de  Saba,  le  Roi  de  iMhore, 
Manon,  Ariane.  Thais.  le  Cid,  Hérodiade,  avec  M"'1  Demougeot,  de  l'Opéra  ; 
Mme  Marie  Boyer,  de  l'Opéra-Comique  :  M.  Xuibo.  M.  et  Mm0  Dubois,  de 
l'Opéra  ;  Mme  Theysson.  Intermèdes  :  G.  Secrétan,  Grandmougin,  Coye, 
M"°  Tamisier.  Prix  des  places  :  2  fr.,  1  fr.  50  et  0  fr.  30.  Mêmes  prix  en  loca- 
tion :  au  Trocadéro. 

—  AuThéâlre-Sarah-Bernhardt,  aujourd'hui,  à  cinq  heures,  19e  samedi  de 
la  Société  de  l'histoire  du  théâtre;  causerie  de  M.  Paul  Meunier  sur  les  Can- 
tatricis  et  les  Tragédiennes,  avec  le  programme  de  récitations  et  d'auditions  sui- 
vant : 

Phèdre  (acte  1",  scène  III  :  Racine),  par  M™  S.  Weber  et  II"'  Madeleine  Roch.  — 
Le  Florentin  tune  scène;  La  Fontaine). —  Oreste  acte  1",  scène  II;  Voltaire),  par 
M"'  Segond-Weber,  M1"  Madeleine  Roch  et  M.  Dessonnes.  —  Hippolijte  et  Ari< 
(  <t  Rossignols  amoureux  »,  avec  accompagnement  de  flûte;  Rameau;,  par  M°"  Aline, 
Vallandri.  —  Si'roe  (air  du  «  Lent  oubli  »,  avec  accompagnement  de  violon:  Haendel), 
par  M11'  Marguerite  Vinci  ;  Céphale  et  Procris  air  de  l'Aurore  ;  Grétryl.  par  M""  Aline 
Valandri.  —  Paris  et  Hélène  icantilène:  n  O  ma  beauté  que  j'aime  !  »  Gluck),  par 
M1"  Marguerite  Vinci.  —  Un  air  de  Grèlry,  par  M.  Noté.  —  Castor  et  Pollux  passe- 
pied;  Rameau  s  par  M""  Sandrini  et  Bauvais. 

—  Après  l'important  Récital  qu'il  donnera  jeudi  soir,  19  mars,  à  Bruxelles 
dans  la  salle  de  la  Grande-Harmonie,  M.  Joseph  Wieniawski  doit  se  rendre  à 


LE  MÉNESTREL 


Berlin  pour  y  diriger,  le  9  avril,  sa  Symphonie,  en  y  exécutant  son  Concerto 
en  sol  mineur.  Ce  voyage  fait  d'avance  quelques  bruits  dans  le  monde  musical, 
car  voilà  plusieurs  années  que  l'éminent  pianiste  et  compositeur  n'était  plus 
retourné  dans  la  capitale  allemande,  depuis  le  succès  triomphal  qu'il  y  avait 
remporté,  en  jouant  avec  Joachim  sa  belle  sonate  pour  piano  et  violon. 

—  Au  magnifique  concert  donné  dans  le  grand  amphithéâtre  de  la  Sor- 
bonne,  par  le  lycée  Louis-le-Grand,  on  a  particulièrement  remarqué  à  côté 
de  nos  premières  actrices  et  chaleureusement  applaudi  une  jeune  et  jolie 
cantatrice,  Mlle  Eva  Olchanski,  brillante  élève  de  M™  Eslher  Chevalier  de 
l'Opéra-Comique,  qui  possède  une  superbe  voix  de  soprano  dramatique  et  est 
douée  d'un  véritable  tempérament  de  théâtre.  Elle  chanta  avec  un  style  et  un 
art  parfaits,  notamment  le  grand  air  de  YÏphigénie  de  Gluck  et  aussi  le  duo 
du  troisième  acte  de  Sigurd.  où  elle  avait  pour  excellent  partenaire  M.  Caze- 
neuve.  Et  toute  l'assistance,  composée  de  plus  de  4.000  personnes,  l'a  accla- 
mée d'enthousiasme. 

—  Une  matinée- concert  très  brillante,  organisée  par  les  soins  de  Mme  Marie 
Bôze,  a  eu  lieu  au  Trocadéro  au  profit  de  l'Orphelinat  de  Bourse  et  de  Banque. 
L'organisatrice  avait  voulu  prendre  part  elle-même  à  la  fêle  en  se  faisant 
applaudir  d'abord  dans  VAve  Maria  (Bach-Gounod),  et  en  jouant,  avec  M.  Le- 
quien  la  scène  de  la  prison  de  Faust,  qui  lui  a  valu  un  grand  succès.  Le  pro- 
gramme, très  abondant,  comprenait  le  Passant,  par  MUcs  Boch  et  Bobinne  de 
fa  Comédie-Française  avec  Mlle  Jeanne  Pihuit  chantant  la  sérénade;  une  opé- 
rette: Amour  et  Sport,  par  Mlles  Lambrecht,  Franck  et  Ducan,  MM.  Bourgeois 
et  Victor  Henry;  puis  toute  une  série  de  virtuoses,  MllK  Juliette  Dantin  (vio- 
lon), Lénars  (harpe),  M.  Schmitz  (piano),  et  de  chanteurs,  M»8  Duval,  M.  Du- 
peyron,  et  encore  MUe  Ludgar,  de  l'Odéon,  M.  Lemarchand,  du  Théàtre-Sarab- 
Bernhardt,  disant  des  poésies,  etc.  Inutile  de  dire  que  la  séance  a  été 
extrêmement  fructueuse  pour  la  caisse  de  l'Orphelinat.  Ajoutons  que 
Mme  Marie  Boze  a  reçu  la  médaille  d'argent  de  la  Mutualité,  pour  les  services 
rendus  par  elle  au  cours  de  sa  longue  carrière. 

—  Du  Petit  Provençal,  au  sujet  de  l'exécution  de  la  «  Symphonie  néo-clas- 
sique »  de  M.  Eugène  d'Harcourt,  exécutée  à  Marseille  par  o  l'Association 
artistique  des  concerts  classiques  »  :  «  Après  notre  avant  première  d'hier 
matin,  il  est  permis  de  constater,  sans  préambule,  que  la  Symphonie  néo-clas- 
sique de  M.  Eugène  d'Harcourt  a  obtenu,  sous  la  direction  de  son  auteur,  une 


franche  réussite,  un  de  ces  succès  bien  faits  pour  réjouir  l'àine  d'un  composi- 
teur et  le  récompenser  du  travail  que  lui  a  causé  son  œuvre.  » 

—  Intéressant  concert  symphonique  à  Épinal,  samedi  dernier.  Au  pro- 
gramme l'ouverture  du  Roman  d'Elvire  d'Ambroise  Thomas,  deux  Scènes 
lyriques  de  Grieg,  les  Impressions  d'Italie  de  Charpentier,  et  l'Inde  de  Weckér- 
lin,  ode-symphonie  en  deux  parties  avec  chœurs  et  soli. 

Soirées  et  Coxcerts. —' Chez  M.  et  M™. Louis  Diémer,  soirée  musicale  des  plus 
réussies  avec,  au  programme,  le  maitre  de  maison,  toujours  d'exécution  admirable, 
M™° Georges  Marty,  M"*MarcellaPregi,  MM.  Emil  Frey,  Hayot,  Salmon  etDenayer.Très 
gros  succès  pour  tous  et  notamment  pour  les  Cimes,  Essor,  mélodies  de  Diémer,  la  Sieste,- 
mélodie  de  Georges  Marty,  et  la  transcription  pour  piano  par  M. Emil  Frey  du  Cavalier  de 
Diérner,  qu'on  a.bissée.  —Matinée  très  musicale  chez  M.  et Mmc  Colonne,  avec,  comme 
clou,  M"°  Demellier  qui  a  très  jotiment  chanté  les  Poèmes  de  Jade  de  Gabriel  Fabre, 
l'auteur  au  piano.  —  Salle  Pleyel,  tout  à  fait  intéressante  séance  donnée  par 
Mmc  Catherine  Laennec.  Le  remarquable  professeur  s'est  fait  vivement  applaudir  dans 
diverses  œuvres  d'Ernest  Moret  :  Prélude,  en  ré  majeur,  A  VAube,  Mazurkas  en  la  mi- 
neur, en* ré  majeur,  en  sol  tlièse  mineur,  en  la  majeur  et  en  mi  mineur.  Gros  succès 
aussi  pour  M"'  Lyvenat  dans  l'air  i'Hërodiade  de  Massenet.  —  M"'  Magdeleine  Trelli, 
qui  s'était  déjà  fait  applaudir  comme  pianiste  en  un  concert  récent  salle  Erard,  vient 
de  se  produire  à  nouveau,  mais  cette  fois  comme  cantatrice.  En  un  programme  qui 
ne  comportait  pas  moins  de  vingt  mélo  lies  d'auteurs  classiques  et  modernes,  elle  a 
montré,  en  même  temps  qu'une  voix  pure  et  bien  timbrée  conduite  avec  un  art  con- 
sommé, une  remarquable  souplesse  s'adaptant  avec  un  rare  bonheur  au  style  propre 
à  chaque  composition.  M.  Gabriel  Fauré  a  accompagné  à  la  jeune  artiste  sept  de  ses 
mélodies  (Automne,  Poème  d'un  jour,  au  Cimetière',  le  Parfum  impérissable,  Pleur  jetée)  et 
a  joué  avec  elle  à  deux  pianos  sa  Ballade  aux  contours  si  délicats,  au  charme  si 
pénétrant.  Auteur  et  interprète  ont  été  longuement  fêtés.  Parmi  les  autres  numéros 
de  chant  les  plus  goûtés,  qu'accompagnait  M.  Jemain,  citons  la  Marguerite  de 
Schubert,  Joies  et  Douleurs  de  A.  Coquard,  Aurore  de  J.  Jemain,  Effeuillement  de  Th. 
Dubois,  l'Embarquement  pour  Cythère  de  E.  Chansarel,  la  Petite  couleuvre  bleue  de 
Ch.-M.  Widor,  etc. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


cause  de  santé,  dans  une  grande  ville  du  Nord,  un  fonds 
de    commerce    de    musique,     à    des    prix    extrêmement 


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En   j'ente   AU   MÉNESTREL,    2   bis,   rue    Yivienne,    HEUGEL   ET   C< 

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éditeurs 


LES  JUMEAUX  DE  BERGAME 


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(D'après    FLORIAN) 


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O^TV^EOGKUE      DES      lUEOE-CE^TJX:      EET^OHES 


X°s  1.     Rosette,  ma  Rosette  :  «  Douce  et  mutine  à  la  fois  » 4     » 

2.  Duetto  :  «Ah!  que  la  veillé  d'un  beau  jour  est 'longue!  » 4    » 

3.  Duo  du  portrait  :  «  Ami,  depuis  longtemps  je  l'ai  donné  mou  cœur  »  7  S0 

4.  Air  de  la  fiancée  :  «  Fiancée,  le  joli  mot!  ». 4     » 

4ki*.  Le  même  transposé  un  ton  plus  bas 4     » 

5.  Je  suis  étranger!  :  «  Toujours  joyeux,  toujours  content!  »   .    .    ,    .  7  50 


Nos  0.     Maitre  et  maîtresse  :  «  Ah  !  que  c'est  chose  différente!  »   .....  5     » 

7.  Duo  d'Arlequin  et  Rosette  :  «  Avec  l'amour  on  ne  badine  pas  »   .    .  7  S0 

8.  Couplets  de  l'aiguille  :«  Cours  vite,- petite  aiguille  » 4     » 

'J .     Sérénade  :  «  Rose  du  bois  joli  » 3    » 

9"'.  Le  même  pour  ténor  et  soprano 3     » 

10.     Quatuor  à  la  lune  :  «  Coucou,  madame  la  lune  .........  S     » 


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Prix  net  :  10  francs 


N.  B.   —  S'adresser   AU    MENESTREL,    2   bis,    rue   Vivienne,    pour    la    location    des    parties    d'orchestre, 
de    la    mise    en    scène    et    des    dessins    des    costumes    et    du    décor 


4017.  -  74«  A\.\ÉE.-  [\°  12.        PARAIT  TOUS   LES  SAMEDIS 


Samedi  21  Mars  11108. 


(Les  Bureaux,  2 bl",  rue  Vivienne,  Paris,  u«  m') 
(Le?  iiiniiu<i  riis  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  ei,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs. 


MÉNESTREL 


Ite  Numéro  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  Numéro:  Ofr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bù,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement 
Un  an, Texte  seul:  10  francs, Paris  et  Province.— Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, 20  fr., Paria  et  Province. 
Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  ea 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (13e  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Semains  théâ- 
trale :  première  représentation  d'Occi/pe-toi  d'Amélie!  aux  Nouveautés,  Paul-Emile 
Chevalier.  —  1H.  Petites  notes  sans  portée  :  Orchestre  et  littérature,  Raymond 
Bouyer.  —  IV.  Revue  des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 


MUSIQUE   DE  CHANT 
Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
ROSE  DU  BOIS  JOLI 
chanté    dans    les   Jumeaux   de    Bergame,  de  E.   Jaqies-Dalcriize    ipoème  de 
Maurice  Lena,  d'après  Florian).  qui  vont  être  représentés  prochainement  au 
Théâtre  de  la  Monnaie  de  Bruxelles.  — Suivront  immédiatement:  les  Couplets 
de  l'aiguille,  chantés  dans  le  même  ouvrage  par  Mme  E.  Jaques-Dalcroze. 


MUSIQUE  DE  PIANO 
Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
Menuet,  extrait  du  ballet  de  Paul  "Viual  :  Zino-Zina.  sur  un  livret  de  Jean 
Richepin.  —  Suivra  immédiatement  :  Entf  acte-Gavotte  du  Chevalier  d'Êon, 
nouvelle  opérette  de  Rodolphe  Berger  (livret  cTAhmand  Silvestre  it  Henri 
Cain),  qui  va  être  représentée  au  Théâtre  de  la  Porte-Saint-Maitin. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 

(l^l-i-lTT^) 


CHAPITRE  IV 

YOYAGE      EN      ANOLETERRE 

L'année  1745,  pendant  laquelle  Gluck  fît  son  voyage  d'Italie 
en  Angleterre,  est,  pour  la  France,  une  de  ces  époques  d'ac- 
calmie qui  précèdent  toujours  les  grands  événements.  La  guerre, 
si  peu  nationale,  n'occupait  personne,  si  ce  n'est  ceux  qui  y 
étaient  directement  intéressés.  Le  pays  était  généralement  calme. 
La  future  marquise  de  Pompadour  n'était  encore  que  Mme  Lenor- 
mand  d'Étiolés.  Et  le  grand  mouvement  philosophique  ne  s'était 
pas  encore  prononcé.  Les  encyclopédistes  se  recueillaient.  Seul 
Voltaire  avait  commencé  des  escarmouches,  dont  personne  ne 
soupçonnait  les  conséquences  futures;  lui-même  était  en  grand 
crédit.  Il  régnait  sans  conteste  au  Théâtre-Français,  admiré 
comme  l'héritier  de  Corneille  et  de  Racine.  Deux  tragédiennes, 
l'une  déjà  mûre,  M"e  Dumesnil,  l'autre  dans  tout  l'éclat  triom- 
phant de  son  début,  Mlle  Clairon,  rivalisaient  pour  les  interpré- 
ter, tandis  que  Molière  continuait  à  former  la  base  du  répertoire 
comique. 

A  l'Opéra,  quelques  années  en  deçà,  Rameau  avait  donné  ses 
cinq  premiers  chefs-d'œuvre,  les  meilleurs  :  Hippohjle  et  Arir.ie, 
Castor  et  Pollux,  les  Indes  galantes,  les  Fêles  d'Hébé,  Dardanus.  Mais 


depuis  cinq  ans  il  s'était  arrêté  dans  sa  production,  et  ses 
œuvres  étaient  encore  si  peu  établies  au  répertoire  qu'au 
celles  qui  viennent  d'être  nommées  ne  fut  jouée  en  17î-'i  :  Glucli 
ne  put  donc  pas  les  entendre  au  passage.  A  la  vérité,  ce  fut  en 
cette  année  même  que  le  maître  français  fil  sa  rentrée  au  théâtre, 
donnant  coup  sur  coup  des  ouvrages  de  moindre  importance, 
mais  en  grand  nombre  pour  un  temps  si  courl  :  la  Pritu 
Navarre,  sur  un  poème  de  Voltaire,  le  23  février,  à  la  coar; 
Platée,  à  Versailles  aussi,  cinq  semaines  après  (31  mars):  [mis. 
à  l'Opéra  de  Paris,  les  Fe'les  de  Polgmnie,  le  12  octobre,  et  le  Temple 
de  la  Gloire  (encore  avec  Voltaire)  le  '.)  décembre  :  quatre  opéras 
en  une  seule  année.  Mais  ces  titres  seuls  indiquent  que  les 
hautes  visées  dont  témoignent  les  premières  œuvres  se  - 
abaissées  devant  les  exigences  du  goût  présent.  De  fait,  en  cette 
année  174S,  le  répertoire  de  l'Opéra  fut  presque  exclusivement 
composé  de  ballets  ou  de  pièces  comiques  :  VÉcok  des  Amants,  de 
Niel  ;  Zaïde,  de  Royer  :  les  Fêtes  de  Thalie,  de  Mouret  ;  Zèlindw^ 
roi  des  Sylphes,  de  Rehel  et  Francœur,  avec  l'acte  de  la  Provençale, 
de  Mouret;  puis  encore,  à  Versailles,  les  Amours  de  Ragonde,  la 
comédie  lyrique  de  Mouret  à  laquelle  songeait  Jean-Jacques 
Rousseau  lorsqu'il  composait  le  Devin  du  village,  non  pour  l'imiter, 
certes,  mais  au  contraire  pour  montrer  le  peu  dont  l'opéra 
français  avait  été  capable  dans  le  domaine  de  la  musique  bouffe. 
Quant  à  l'ancien  réperloire  tragique,  il  était  fort  négligé  :  seul 
Thésée  de  Quinault  et  Lulli  avait  été  remis  à  la  scène  à  la  fin  de 
1744  et  s'y  était  maintenu  jusqu'en  mars  suivant;  en  mars  aussi 
on  donna  quelques  représentations  de  l'Amodia  de  Grèce,  de 
Destouches  ;  et  ce  furent  les  seuls  souvenirs  que  l'année 
où  Gluck  passa  à  Paris  consacra  à  la  production  classique  du 
XVIIe  siècle  (I). 

Au  Concert  spirituel,  les  motets  de  Mondonville,  à  grand 
chœur  et  grand  orchestre,  s'imposaient  avec  éclat  à  la  faveur  du 
public,  partageant  les  programmes  avec  les  concertos  et  les 
sonates  qu'exécutaient  les  instrumentistes  les  plus  renommés 
d'Europe,  ainsi  qu'avec  les  airs  d'opéras  italiens  qui,  en  atten- 
dant l'invasion  prochaine  des  Bouffons,  prenaient  cette  voie 
détournée  pour  initier  les  Français  aux  séductions  de  la  mélodie 
d'outre-monts  ("2).  Gluck  en  aurait  pu  profiter  pour  offrir  au 
public  parisien  les  prémices  de  son  génie,  sous  la  forme  des 
airs  de  ses  opéras  de  Milan  ou  de  Venise  :  il  n'en  fit  rien;  il 
fallut  dix-huit  ans  encore  pour  que  son  nom,  avant  de  s'inscrire 
triomphalement  sur  l'affiche  de  l'Opéra,  parût  pour  la  première 
fois  au  concert,  avec  un  motet  pour  voix  seule  (qui  ne  nous  est 
point  connu),  —  en  attendant  celte  autre  occasion,  postérieure 
encore,  où,  le  programme  ayant  annoncé  un  air  de  lui,  gluc- 

(1)  M.  Charles  Malherbe  abien  voulu  nous  donner,  d'après  les  Archives  de  l'Opéra. 
la  liste  des  ouvrages  composant  le  répertoire  de  l'année  1745. 

(2)  Sur  le  réperloire  du  Conceit  spirituel,  voy.  Michel   Brevet,  les  Concerta  ■: 
Frame . 


90 


LE  MÉNESTREL 


kistes  et  piccinnistes  furent  aux  prises,  les  uns  acclamant,  les 
autres  témoignant" hautement  leur  mépris,  — jusqu'au  moment 
où  on  leur  apprit  que  l'air  chanté  était  de  Jomelli...  (I). 

Il  y  avait  aussi  la  Foire,  dont  les  spectacles,  en  1745,  furent 
tout  particulièrement  agités.  Depuis  quelque  dix  ans,  Favart  en 
était  le  grand  fournisseur  ;  il  y  avait  donné  en  1741  la  Chercheuse 
d'esprit.  A  ce  moment,  ce  n'était  plus  l'Opéra,  mais  la  Comédie 
qui  s'efforçait  de  réfréner  l'insolence  de  ces  acteurs  de  tréteaux, 
coupables  de  parodier  les  Sociétaires  :  elle  obtint,  la  fermeture 
du  théâtre  de  la  foire  Saint- Germain  à  la  suite  d'une  représen- 
tation scandaleuse  où  le  public  brisa  les  barrières  et  monta  sur 
la  scène,  et  n'autorisa  la  saison  de  la  foire  Saint-Laurent  qu'à  la 
condition  qu'on  n'y  jouerait  que  la  pantomime.  Une  jeune  fille 
de  dix-sept  ans,  Justine  Duronceray,  venait  d'y  débuter,  ignorant 
encore  si  elle  serait  danseuse,  chanteuse  ou  comédienne,  et 
Favart,  auteur,  régisseur  et  directeur  tout  ensemble,  lui  tenait 
des  propos  si  tendres,  que  l'année  ne  s'acheva  pas  sans  qu'elle 
eut  changé  son  nom  en  celui  de  M"'c  Favart.  C'est  elle  qui,  clans 
l'été,  se  montra  sous  le  galant  travesti  d'un  berger  dans  la  jolie 
pantomime  des  Vendanges  de  Tenvpè,  dont  son  futur  mari  avait 
tracé  le  scénario,  sur  des  airs  de  vaudeville,  et  ce  spectacle 
donnait  une  si  charmante  impression  d'art  que  Boucher 
voulut  fixer  sur  la  toile  plusieurs  tableaux  qu'il  représen- 
tait (2). 

Telles  sont  les  manifestations  de  la  vie  nationale  auxquelles 
il  put  être  donné  à  Gluck  d'assister  en  traversant  la  France. 
L'on  jugera,  par  ce  résumé,  de  l'impression,  probablement  très 
diverse,  qu'il  dut  éprouver  à  ce  premier  contact  avec  la  ville 
qui,  dans  trente  ans,  sera  en  guerre  à  cause  de  lui,  et  deviendra 
le  champ  de  bataille  de  ses  plus  décisives  victoires.  Observateur 
attentif,  s'il  n'eut  pas  la  bonne  fortune  de  trouver  au  répertoire 
les  grandes  œuvres  qui  auraient  pu  le  plus  utilement  lui  servir 
de  modèles,  il  ne  manqua  pas,  soyons-en  assurés,  de  faire  des 
remarques  fécondes.  Il  apprit,  par  exemple,  que  la  musique  ne 
tenait  pas  tout  entière  dans  les  opéras  de  l'école  napolitaine  ;  il 
subit  aussi  le  premier  frottement  avec  la  société  parisienne, 
dont  l'esprit,  malgré  quelques  incompatibilités  extérieures,  était 
bien  plus  sympathique  à  sa  nature  que  celui  des  autres  nations, 
y  compris  la  sienne.  —  Au  reste,  nous  ne  saurions  dire  exacte- 
ment le  temps  qu'il  passa  à  Paris.  Nous  savons  seulement,  par 
les  dates  de  sa  carrière,  qu'il  fut  libre  de  quitter  Milan  à  la  fin 
du  carnaval,  et  qu'il  était  à  Londres,  prêt  à  faire  exécuter  un 
nouvel  opéra,  en  janvier  de  l'année  suivante.  La  grand'ville 
ayant  toujours  eu  pour  les  princes  étrangers  des  charmes  irré- 
sistibles, nous  pouvons  penser  que  celui  qu'il  accompagnait 
d'Italie  en  Angleterre  y  voulut  passer  toute  la  belle  saison,  et 
que  Gluck,  d'autant  mieux  placé  pour  aller  partout  qu'il  était 
de  la  compagnie  d'un  seigneur  d'importance,  put  se  familiariser 
déjà  par  un  assez  long  séjour  avec  la  vie  française. 

Ayant  passé  le  détroit,  il  se  trouva  dans  un  nouveau  milieu, 
tout  différent  encore.  Cette  fois,  il  faillit  en  être  tout  désorienté. 
Vingt-cinq  ans  plus  tard,  dans  un  entretien  particulier  avec 
Burney  (qui,  sans  le  connaître  encore,  avait  été  un  de  ses  pre- 
miers auditeurs  en  Angleterre),  il  contait  les  souvenirs  de  ses 
tribulations  à  Londres.  «  Il  y  était  allé,  disait-il,  à  une  époque 
très  défavorable  pour  lui,  alors  qu'Haendel  était  dans  une  si 
haute  réputation  que  l'on  n'était  guère  disposé  à  entendre 
d'autres  compositions  que  les  siennes.  La  rébellion  éclata;  tous 
les  étrangers  furent  regardés  comme  dangereux  au  gouverne- 
ment.; la  salle  de  l'Opéra  avait  été  fermée  par  ordre  supérieur, 
et  ce  ne  fut  qu'avec  beaucoup  de  difficulté  et  d'adresse  que  Lord 
Middlesex  avait  obtenu  la  permission  de  la  faire  rouvrir,  et 
seulement  pour  y  jouer  la  Caduta  de  Giganti  qui  fut  regardée 
comme  une  pièce  de  circonstance  et  politique.  Gluck  n'y  avait 
travaillé  qu'avec  crainte ,  soit  par  rapport  au  petit  nombre 
d'amis  qu'il  avait  alors  en  Angleterre,  soit  parce  qu'il  redoutait 


il)  Correspondance  littéraire  de  Grimm,  Uiierot,  etc.  Juin  1781. 
(2)  Mémoires  de  Favart.  —  Cf.  A.  Font,  Favart,  l Opéra-comique  et  la  Comédie-Vt 
deville. 


la  fureur  de  la  populace  à  l'ouverture  du  théâtre,  opération 
à  laquelle  on  n'avait  employé  que  des  étrangers .  et  des 
papistes  (1)  ». 

Ce  que  ne  disait  pas  Gluck,  et  dont  sans  doute  il  ne  se  ren- 
dait pas  clairement  compte  lui-même,  tout  occupé  de  son  art, 
c'est  que  cette  effervescence  dont  il  faillit  devenir  victime  avait 
des  causes  générales,  et  bien  plus  sérieuses  que  celles  qui  pou- 
vaient provenir  de  la  situation  musicale,  si  désavantageuse 
qu'elle-  fut.  En  cette  année  1746  où  il  donna  à  Londres  deux 
opéras  nouveaux,.  l'Angleterre  passait  par  une  des  crises  les 
plus  graves  dont  son  histoire  fasse  mention.  Tandis  que,  sur  le 
continent,  ses  armées  venaient  de  se  faire  battre  à  Fontenoy,  à 
l'intérieur  la  guerre  civile  était  déchaînée  :  le  prétendant  de  la 
dynastie  des  Stuarts,  Charles-Edouard,  soulevait  l'Ecosse,  et, 
avant  de  livrer  la  bataille,  désastreuse  pour  lui,  de  Culloden, 
s'était  avancé  avec  ses  bandes  jusqu'à  deux  journées  de  Londres. 
Beau  moment  pour  chanter  l'opéra  !  L'on  comprend  de  reste  que 
le  peuple  n'ait  pas  vu  d'un  œil  très  sympathique  ces  étrangers, 
débarquant  de  France  pour  faire  de  la  musique,  tandis  qu'on  se 
battait  aux  portes.  Il  pouvait  donc  être  très  légitimement  ques- 
tion de  fermer  le  théâtre  en  un  pareil  moment.  S'il  en  eût  été 
ainsi,  Gluck  en  aurait  été  pour  ses  peines  et  sa  traversée  de  l'Eu- 
rope. Nous  allons  voir  que  le  dommage  fut  moindre  ;  mais  cette 
nouvelle  expérience  lui  fit  faire  plus  ample  connaissance  avec 
les  difficultés  de  la  vie  publique,  et  lui  apprit  à  s'armer  contre 
elles  de  la  cuirasse  d'un  triple  airain  ! 

tA  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Nouveautés.  —  Occupe-toi  d'Amélie  !  pièce  en  3  actes  et  4  tableaux, 
de  M.  Geoi'ges  Feydeau. 

«  Occupe-toi  d'Amélie  !  »  c'est  en  ces  ternies  que  le  jeune  Etienne, 
appelé  à  faire  une  période  de  vingt-huit  jours,  recommande,  à  son  très 
bon  ami  Marcel  Courbois,  la  toute  blonde  Amélie,  ancienne  femme  de 
chambre  promue  femme  de  luxe.  Marcel  sera  donc  le  mentor  et  l'ange 
gardien  de  la  fragile  personne,  d'autant  mieux  qu'il  a  précisément 
besoin  d'elle  pour  toucher  le  très  fort  héritage  déposé  entre  les  mains 
d'un  sien  oncle  de  Hollande,  héritage  qui  ne  lui  sera  remis  que  le  jour 
où  il  se  mariera,  volonté  expresse  du  papa  défunt.  Amélie  sera  présen- 
tée comme  fiancée  au  Van  Putzeboum  —  c'est  le  Hollandais  —  qui, 
précisément,  doit  filer  pour  les  Amériques;  et,  alors  qu'il  sera  par  delà 
l'Océan,  on  n'aura  qu'à  lui  télégraphier  que  la  cérémonie  a  eu  lieu  et 
il  n'aura,  lui,  qu'à  envoyer  le  chèque  tant  attendu. 

Voilà  qui  se  présenterait  classiquement  et  laisserait  prévoir  une  issue 
heureuse  et  prompte,  si  Etienne  ne  revenait  à  l'improviste  du  régiment 
et  n'apprenait  que  le  bon  Marcel  s'est  beaucoup  trop  intimement  occupé 
d'Amélie,  et  si  l'oncle  Van  Pulzeboum  ne  renonçait  à  son  voyage  pour 
avoir  le  plaisir  d'assister  au  mariage.  «  Une  seule  solution,  s'écrie 
Etienne,  qui  a  sur  le  cœur  l'infidélité  d'Amélie  et  de  Marcel  ;  il  faut  au 
Putzeboum  un  mariage,  nous  allons  lui  en  donner  un».  Et  c'est  fort 
simple,  en  effet  :  Etienne  louera  une  salle  de  mairie  et  grâce  à  un 
excellent  copain  très  pince-sans-rire  qui,  pour  un  jour,  jouera  les  mai- 
res, on  simulera  la  légale  cérémonie.  Hurrah  ! 

Au  jour  dit,  les  acteurs  de  la  petite  farce,  leurs  amis  et  connaissances, 
sont  réunis  dans  la  salle  austère  et  tous  s'amusent  et  s'étonnent  du 
beau  sérieux  avec  lequel  l'ami  complaisant  tient  son  personnage  de 
marieur  officiel.  C'est  fini  !  Van  Putzeboum  a  été  bien  roulé  !  Marcel 
se  tord  ;  et  Etienne  se  tord,  et  il  se  tord  d'autant  plus  que  ce  n'est  point 
seulement  Van  Putzebjum  qui  a  été  roulé,  mais  aussi  le  bon  Marcel... 
Certainement  Marcel,  puisque  le  maire  était  un  vrai  maire  et  qu'il  est 
marié  pour  de  bon  à  Amélie  !  Ah  !  Ah  !  mon  malin,  tu  as  voulu  en  goû- 
ter du  ii'uit  défendu,  eh  bien  maintenant  te  voilà  forcé  d'en  manger 
toute  ta  félone  dévie  ! 

Que,  cependant,  les  moralistes  superbes  ne  se  hâtent  pas  trop 
d'applaudir  à  la  faute  punie.  Marcel  arrive  à  se  débarrasser  d'Amélie, 
qui  le  gène  pour  d'autres  amours,  en  la  faisant  pincer  en  soi-disant 
fragrant  délit  avec  Etienne  lui-même.  Battu...  et  pas  content,  le  pau- 
vre Etienne  en  aura  doncélé  pour  ses  seuls  frais  d'esprit  machiavélique. 

(I)  Burneï  :  État  présent  de  lamusique,  III,  230. 


LE  MÉNESTREL 


!M 


Ceci  c'est  le  fond  de  l'histoire,  la  trame  vaudevillesque  avec  laquelle 
M.  Georges  Feydeau,  roi  du  rire  et  des  inventions  les  plus  comique- 
ment  burlesques,  a  bâti  quatre  tableaux  d'une  drôlerie  intense  et  d'un 
étonnant  imprévu,  enfilant  les  scènes  aux  scènes  avec  une  dextérité  et 
une  maestria  remarquables,  campant  les  personnages  d'un  mot  drôle 
ou  d'un  geste,  bizarre,  et  dépensant  sans  compter  une  verve  jamais  tarie 
et  une  belle  humeur  toujours  renouvelée. 

Occupe-loi  d'Amélie  !  est  fort  piaisamment  joué  par  la  troupe  des 
Nouveautés.  M.  Germain,  policier  retraité,  père  d'Amélie,  type  de  papa 
Cardinal  tout  à  fait  trouvé;  M.  Marcel  Simon,  Marcel  adroitement  tur- 
bulent; M.  Baron  fils,  Etienne  très  en  dehors  ;  M.  Girier,  Van  Putze- 
boumon  ne  peut  plus  réjouissant;  MllcCassive,  Amélie  vivante  et  capti- 
vante ;  M"c  Carlix,  petite  femme  du  monde  douce  et  séduisante,  indiquent 
gaillardement  le  .chemin  de  la  belle  victoire  à  leurs  camarades, 
MM.  Landrin,  Decori,  Ardot,  Grêlé  et  Gaillard. 

Paui.-Emile  Chevalier. 


PETITES   NOTES   SANS   PORTÉE 


cxxx 

ORCHESTRE  ET  LITTÉRATURE  (1) 

A  M.  Henri  Lichtenbergcr, 
le  philosophe-musicien. 

Nous  laisserons  aujourd'hui  le  progrès  technique  et  les  prouesses  des 
facteurs  ou  des  instrumentistes,  qu'il  faut  nommer  pourtant  :  car  le 
progrès  de  la  lutherie  silencieuse  ou  de  l'exécution  musicale  a  toujours 
accompagné  les  métamorphoses  de  l'orchestration;  là  encore,  il  faudrait 
noter  les  influences  réciproques,  des  rapports  variés  de  cause  à  effet. 
Le  grand  Gluck,  qui  a  sobrement  enrichi  les  Champs-Elysées  mélodieux 
ou  les  Enfers  sonores  de  son  temps,  tremblait  de  confier  certaines  par- 
ties à  certains  instruments,  vu  la  faiblesse  notoire  des  instrumentistes  : 
c'était  l'heure  candide  et  vieillotte  «  où  l'ut  au-dessus  des  portées  faisait 
trembler  les  violons,  le  la  aigu  les  flûtes,  et  le  ré  les  hautbois...  ».  Lui- 
même  semblait  ignorer,  malgré  son  intuition  de  poète,  les  sons  graves 
de  la  clarinette,  du  cor  et  des  trombones  olympiens.  On  se  tenait,  alors, 
dans  l'éternel  médium  :  «  In  medw  tutissimus  ibis  »,  disait  le  dieu  d'Ovide 
à  l'haéton... 

Phaéton,  maintenant,  sans  choir  ni  déchoir,  risque  tout:  on  ne  re- 
cherche plus  seulement,  comme  Berlioz,  la  quantité,  la  rareté,  la  nou- 
veauté des  timbres;  on  essaie,  avec  les  musiciens  russes,  leurs  dialogues 
les  plus  subtils  ;  la  polyphonie  renaissante  ou  l'harmonisation  nouvelle 
ose  les  effets  les  plus  éthérés  en  divisant  indéfiniment  le  quatuor:  on 
obtient  des  pianissimos  avec  la  masse  entière  des  instruments;  on 
exploite  les  mines  inexplorées  des  combinaisons  sans  fin.  Richard 
Strauss,  renchérissant  sur  Richard  Wagner,  a  complété  les  familles  ou 
les  groupes  :  on  veut  couramment  trois  clarinettes,  trois  flûtes,  quatre 
cors;  et  l'exécution  se  fait  un  jeu  des  complexités  de  l'orchestration. 
Elevés  ou  graves,  les  registres  les  plus  scabreux  n'effarouchent  plus- la 
précision  ni  la  solidité  des  exécutants  :  on  joue  suave  avec  une  armée 
sonore;  on  frappe  fort,  on  joue  gros,  avec  l'orchestre  classique  :  Haydn 
et  Mozart  lui-même  sonnent  vigoureusement  dans  la  bonbounière  Ga- 
veau.  C'est  un  renouvellement  de  la  palette  orchestrale.  Et  n'est-ce  pas 
là  l'une  des  dernières  originalités  de  l'art  ultra-byzantin  qui  devient  le 
nôtre  ?  Aux  bas  siècles,  les  poètes  ont  le  cœur  pauvre  et  la  rime 
riche. . . 

Est-ce  à  dire  que  tout  soit  pour  le  mieux  dans  le  meilleur  des  or- 
chestres possible?  Au  lieu  de  chercher  luxurieusement  du  nouveau,  les 
sages  se  préoccupent  de  la  pondération,  de  l'équilibre  à  trouver  dans 
les  rapports  def'harmonie  avec  le  quatuor  ou  plutôt  le  quintette  à  cordes, 
tour  à  tour  écrasant  ou  chétif  ;  on  cherche  des  intermédiaires  entre,  les 
différentes  voix  du  quatuor  ;  ou  perfectionne  les  bois;  dans  la  centrali- 
sation des  pouvoirs  sonores,  commencée  par  Haydn,  achevée  par  Wa- 
gner, on  se  permet  de  rêver  un  retour  à  plus  d'individualité  dans  les 
groupes.  Mais,  très  inspirés  par  la  poésie,  depuis  Verlaine,  ces  rêves 
pour  ainsi  dire  fédéralistes  nous  ramènent  de  la  technique  à  l'expression 
qui  la  domine;  et  nous  ne  pourrons  éluder  le  précipice. double  et  trouble 
de  la  quatr.ème  question  que  le  sphynx  contemporain  nous  impose  : 
Quelle  a  été  l'influence  de  l'orchestre  sur  la  littérature  ou  de  la  littérature 
sur  l'orchestre  ? 
Influence  nulle,  à  première  vue  ^puisque  «  l'oreille  aussi  a  sa  vue  »)... 

(1)  Voir  le  Ménestrel  du  samedi  7  mars  1908. 


Longtemps,  la  musique  parut  insignifiante  aux  poètes.  Dans  l'an- 
tiquité, musique  et  poésie  oe  faisaienl  qu'un;  mais  le  romantisme 
apparaît,  là  comme  ailleurs,  aux  antipodes  de  l'antiquité.  Nous  avons 
dit  maintes  fois,  ici  mèmi!,  ce  qu'un  Victor  Hugo,  ci  qu'un  Théophile 
Gautier  pensaient  du  plus  cher  de  tous  les  bruits  ;  Stendhal,  Mérimée, 
Musset,  même  Delacroix,  étaient  surtout  dilettantes  ;  Vigny, 
deviné  Berlioz  et  son  'Requiem  (1).  Sous  Louis-Philippe,  encore  plus 
que  sous  Louis  XIV,  les  musiciens  faisaient  bande  â  part;  l'oreille 
française  avait  perdu  le  sens  de  la  difficulté;  tout  précurseur  qu'il 
s'était  montré,  noire  vieil  Obermann  (que  M.  Faguel  bannit  s;ms 
remords  (2)  de  l'histoire  littéraire)  ne  dépassait  poinl  les  séductions  de 
la  mélodie. 

Eu  France  du  moins,  les  littérateurs  ne  fréquentaient  que  les  peintres; 
et  quelques  peintres,  seulement,  frappaient  chez  les  musiciens  :  c'esl 
le  moment  de  citer  le  violon  d'Ingres  ou  le  violoncelle  d'Harpignies, 
sans  oublier  que  la  pâleur  sourcilleuse  et  quasi  monacale  d'Ernest 
Hébert  honore  toujours  nos  soirées  de  musique  de  chambre...  l'eu 
de  lettrés,  au  demeurant,  se  montrent  sensibles  au  baiser  de  la  Musique, 
cette  reine  aveugle,  qui  ne  sait  rien  du  monde  extérieur;  sa  subjectivité 
native  semble  un  déli  sans  trêve  à  l'objectivité  des  arts  plastiques  et  des 
lettres  :  que  signifie  cette  palette  où  l'exécutani  ne  puise  que  du  vague  •' 
Elle  est  suspecte  aux  musiciens  mêmes,  aux  plus  coloristes  des  musi- 
ciens; et  c'est  Berlioz  qui  nous  prévient  «  qu'il  ne  faut  pas  attribuer 
une  telle  importance  aux  moyens  matériels  de  l'art  des  sons  ».  Le  vir- 
tuose de  l'orchestre  ajoute,  en  littérateur,  «  qu'une  sonate  de  Beethoven, 
exécutée  sur  une  ôpinette,  n'en  restera  pas  moins  une  merveille  d'ins- 
piration... ». 

Bref,  la  littérature  rivalise  plus  volontiers  avec  la  peinture  ;  les 
Orientales  ont  devancé  Decamps.  Et  ce  n'est  que  tout  récemment  que  la 
peinture  essentiellement  concrète  a  voulu  se  faire  musicienne,  avec  les 
nocturnes  de  l'impressionnisme  ou  les  camaïeux  d'un  Carrière... 
C'est  seulement  de  nos  jours,  j'allais  écrire  de  nos  soirs,  que  la  poésie. 
wagnénisée  comme  le  reste,  demande  a  l'orchestration  des  effets  nou- 
veaux. Songer  à  l'orchestre  !  Imiter  l'orchestre  !  Voilà  bien  le  «  frisson 
nouveau  »  d'un  crépuscule  où  les  yeux  croient  voir  les  nuances  des 
voyelles  et  des  sentiments,  où  l'oreille  visionnaire  aperçoit  «  la  couleur 
des  sons  »  !  (3). Ou  en  connaît  ici  les  précurseurs  et  le  Baudelaire  des  Poèmes 
en  prose  ou  du  mystique  sonuet  des  Correspondances,  l'un  des  premiers 
Wagnériens  français...  Richard  Wagner,  «  grand  homme  et  peu 
wa°nérien  »,  a  semé  partout  la  fusion  des  arts  ;  l'univers  des  songes  a 
fleuri  singulièrement  au  souille  de  Bayreuth...  Depuis  Verlaine  et 
Mallarmé,  nos  poètes  décadents  sont  tous  mélomanes  :  «  De  la  musique 
avant  toute  chose...  »,  dit  l'Art  poétique,  essentiellement  musical,  de 
Verlaine  ;  et  Mallarmé,  ce  frère  mystérieusement  parisien  du  transa- 
tlantique James  Whistler,  qui  ne  veut  rien  garder  des  choses  que  la 
suggestion,  goûte  éperdûment  «  la  musique  du  silence  »...  Il  devait 
avoir  des  remords,  en  se  trouvant  trop  clair.  On  connaît  le  dandysme 
orchestral  d'un  Swinburne  ou  d'un  Gabriele  d'Annunzio. 

Et  le  vers  libre  du  ci-devant  symbolisme,  n'est-ce  pas  la  mélodie 
continue?  Ce  fut  une  poésie  très  invertébrée  qui  correspondait  à  notre 
inquiétude  entichée  des  impressions  plus  ou  moins  suggestives,  des 
escamotages  de  l'ébauche,  de  l'abus  général  de  l'esquisse  et  de  la 
fausse  note,  des  dessins  de  Rodin,  de  l'estompe  de  Carrière  ou  des 
sirènes  debussystes...  Déchet  discret  de  la  splendeur  wagnérienne,  le 
Debussysme,  qu'ost-il  à  son  tour,  sinon  le  symbolisme  et  l'impression- 
nisme réconciliés  tardivement  dans  l'art  musical,  la  Damoiselle  élue  des 
Préraphaélites  anglais  qui  s'accommode  enfin  du  néant  de  Whistler? 
Le  30  avril  1902.  Pelléas  et  Mèlisande  ont  délicieusement  anémié  plus 
d'un  poète  convalescent  qui  revenait  à  la  sauté... 

Depuis  le  Nordau  de  Dégénérescence  ou  le  Nietzsche  du  Cas  Wagner, 
tous  les  philosophes,  comme  tous  les  poètes,  se  préoccupent  de  la  musi- 
que, ue  serait-ce  que  pour  la  maudire  (A)  ;  on  y  reconnaît  la  dernière 
étoile,  avec  l'ultime  religion  des  hommes;  bannis  de  la  vie,  le  mystère 
et  l'au-delà  se  sont  réfugiés  dans  l'orchestre  :  et  c'est  dans  la  nuit  de 
l'Inconscient  que  la  Muse  nous  invite  à  descendre  afin  d'entrevoir  bril- 
lerson  «  secret  ». 

Mais,  en  fait  d'influences,  n'est-ce  point  la  littérature  qui  a  com- 
mencé ?  La  poésie  romantique  n'a-t-elle  pas  inconsciemment  incendié 


(1)  Voir  notre  Nore  du  21  août  1907,  Alfred  de  Vigny  mélomane. 

(2)  Lesnomsde  Sénancour  et  i'Obermann  ne  figurent  pas  dans  les  chapitres  lit- 
téraires de  l'Histoire  générale  publiée  par  Armand  Colin. 

(3)  Klanrjfarbe,  disent  les  Allemands.  —  CI'.,  dans  le  Ménestrel,  notre  série  des  Pein- 
tres mélomanes  1900-1901)  elles  derniers  chapitres  i'Obermann  précurseur  et  inusicien 
(1906). 

(4)  Tel  Victor  de  Laprade,  le  poète-philosophe,  auteur  d'un  petit  livre  intitulé 
sans  remords  :  ConMe  la  Musique. 


92 


LE  MÉNESTREL 


l'orchestre  à  sa  flamme  ?  La  musique,  tardive  et  passive,  a  subi  la 
splendeur  ambiante  ;  elle  a  reflété  le  crépuscule  des  dieux  qui  s'en 
vont...  N'a-t-elle  point  reçu  plus  qu'elle  n'a  donné  ?  Question  d'échan- 
ges, toujours  délicate;  action  et  réaction  perpétuelles,  mais  difficiles  a 
départager!  Nous  l'essaierons  bientôt,  pourtant,  à  seule  fin  de  sauver 
l'honneur  de  nos  conclusions. 
(A  suivre.)  Raïiiond  Bouïeb. 


iNOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 
(pour  les  seuls  abonnés  a  la  musique) 


Mercredi  prochain,  on  annonce  au  théâtre  delà  Monnaie  de  Bruxelles,  qui  devient 
de  plus  en  plus  une  véritable  scène  parisienne,  U  première  représentation  des 
Jumeaux  de  Bergame,  une  nouvelle  œuvre  de  M.  E.  Jaques-Dalcroze,  le  charmant 
compositeur  du  Bonhomme  Jadis.  Nous  pouvons  annoncer  à  l'avance  qu  on  la  trou- 
vera pleine  de  verve  et  de  saine  gaieté.  C'est  un  petit  chef-d'œuvre  enfanté  dans  la 
joie.  Devançant  l'actualité,  nous  détachons,  dès  aujourd'hui,  de  la  partition  une  des 
pages  les  plus  fraiches  :  Rose  du  bois  joli.  Cela  vous  a  un  parfum  de  vieille  et  douce 
chanson  qui  vous  prend  au  cœur. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts-Colonne.  —  L'ouverture  du  Roi  d'Ys  a  été  acclamée  par  la  salle 
entière,  ravie  de  l'entendre  interprété*;  avec  tant  d'éclat,  et  aussi  tant  de 
charme  poétique,  car  le  sentiment  suave  et  rêveur  avec  lequel  a  été  rendu 
l'adagio  emprunté  au  rôle  de  Rozenn  (1er  acte,  En  silence  pourquoi  souffrir?  ), 
a  valu  au  violoncelle  solo  une  approbation  flatteuse.  Le  récitatif  et  air  d'Oxana 
dans  la  Nuit  de  Noël,  opéra  de  M.  Rimsky  Korsakow,  et  deux  airs  d'un  autre 
opéra  du  même  maitre,  Snégourotchka  ou  In  Fille  de  neige,  ont  reçu  un  accueil 
lavorable  ;  ce  sont  des  morceaux  d'une  inspiration  simple  et  d'une  grâce 
mélancolique.  Mme  de  Wieniawski,  née  Mouromtseff,  fille  du  président  de  la 
première  Douma,  a  su  les  mettre  en  lumière  par  l'aimable  séduction  de  sa 
jolie  voix  pure  et  de  sa  diction  délicate.  —  La  Rapsodie  espagnole  de  M.  Mau- 
rice Eavel  était  entendue  pour  la  première  fois.  Elle  a  été  saluée  par  les 
acclamations  de  toute  une  partie  du  public.  Si  l'on  se  rappelle  l'extrême  froi- 
deur avec  laquelle  on  écouta,  l'année  dernière,  une  pièce  sympbonique  du 
même  compositeur,  la  Rarqw.  sur  l'eau,  il  faut  se  réjouir  de  ce  revirement  que 
justifie  pleinement  la  valeur  de  l'œuvre  nouvelle.  Les  quatre  parties  de  cette 
rapsodie  —  pourquoi  rapsodie,  puisque,  d'après  le  programme,  tous  les  thè- 
mes en  sont  originaux  ?  —  forment  autant  de  petites  descriptions  symphoni- 
ques  ou  tableaux,  qui  se  succèdent  rapidement  les  uns  aux  autres  et.  malgré 
certains  défauts  d'écriture,  ne  cessent  guère  d'être  captivants.  Bien  qu'il  y  ait 
dans  tout  cela  peu  de  musique  proprement  dite,  il  s'en  dégage  une  jeunesse, 
un  coloris,  un  mouvement  contre  lesquels  on  ne  résiste  pas,  une  sincérité  très 
grande  aussi,  qui  fait  songer  aux  Impressions  d'Italie  de  Charpentier.  Il  sem- 
ble que  M.  Ravel,  de  retour  d'Espagne,  la  tête  rempli?  de  rythmes,  de  bruits 
de  castagnettes,  de  parfums  respires  pendant  les  belles  nuits,  ait  cherché  à 
extérioriser  musicalement  toute  l'éblouissante  poésie  dont  il  se  trouvait 
comme  imprégné.  Ce  sont  tour  à  tour  des  effluves  langoureuses,  des  rires 
joyeux,  des  remous  de  foules,  des  danses  échevelées  où  toutes  les  ressources 
instrumentales  sont  habilement  employées.  Un  bis  impétueux  a  obligé 
M.  Colonne  à  faire  redire  la  seconde  partie,  Malaguina.  —  M.  Alfred  Cortot 
artiste  de  grande  intelligence  et  d'un  savoir  étendu,  a  triomphé  magistrale- 
ment dans  la  Ballade  en  fa  dièse,  op.  19,  de  M.  Gabriel  Fauré.  La  "sonorité 
qu'il  tire  du  piano  est  merveilleusement  timbrée  et  impressionne  comme 
quelque  chose  de  vivant  et  d'expressif  en  soi.  Il  a  su  éviter  l'écueil  de  U 
monotonie,  si  dangereux  d'ordinaire  quand  on  interprète  ce  morceau,  et  l'a 
maintenu  dans  une  note  rêveuse  avec  des  nuances  pleines  de  poésie.  Il  a 
rendu  ensuite  les  Variations  symphoniques  de  César  Franck,  tantôt  avec  une 
douceur  pénétrante,  tantôt  avec  une  puissance  presque  solennelle.  Les  mani- 
festations les  plus  enthousiastes  lui  ont  montré  combien  sou  talent  si  intellec- 
tuel, et  si  impeccable  par  son  coté  technique,  a  porté  sur  l'assistance.  Ce  fut 
là  uu  magniuque  succès  pou,  le  pianiste  et  pour  le  musicien.  Le  programme 
comprenait  encore  la  Symphonie  inachevée  de  Schubert  et  la  marche  de 
Tannhâmer.  Amédée  Bjuiaiu.:,„ 

—  Concerts-Lamoureux.  —  M.  André  Messager  reprenait  la  baguette  direc- 
trice qu'il  manie  avec  une  aisance  en  même  temps  qu'une  précision  tout  à 
lait  agréables  à  voir.  Après  l'ouverture  de  Fidelio  de  Beethoven,  Ântar,  la  cap- 
tivante symphonie  de  Rimsky-Korsakow.  a  obtenu  son  succès  accoutumé. 
Cette  musique,  où  la  plus  noble  inspiration  s'allie  à  toute  la  magie  rythmique 
et  orchestrale  d'un  maitre  incontesté,  est  de  celles  qui  s'imposent  et  dont  le 
charme  prenant  ne  se  discute  pas.  L'interprétation  en  fut  merveilleuse 
et  valut  à  M.  Messager  et  à  son  orchestre  une  ovation  méritée.  —  La  scène 


linale  du  Crépuscule  des  Dieux  de  Wagner  est  toujou 


rs  impressionnante  par  sa 


majesté;  M°'«  Kaschowska  y  montra  dans  le  rôle   de   Brunehilde  des  qualités 
de  cantatrice,  encore  que  la  voix  un  peu  mince  ait  été  parfois  submergée  sous 


la  poussée  orchestrale.  —  L'ouverture  des  Maîtres  Chanteurs  et  le  prélude  du 
troisième  acte  de  Tristan,  dont  la  longue  mélopée  du  cor  anglais  fut  superbe- 
ment rendue  par  M.  Gundstoett,  complétaient  la  sélection  wagnérienne  servie 
à  l'admiration  du  public.  On  a  fait  bon  accueil  au  Prélude  du  quatrième  acte 
de  la  Catalane  de  M.  F.  Leborne,  qui  est  une  page  composite,  contenant,  habi- 
lement traités  et  se  pénétrant  les  uns  les  autres  de  curieuse  manière,  les 
thèmes  sur  lesquels  la  partition  entière  est  bâtie.  Le  compositeur  y  montre 
une  grande  habileté  et  par  cela  même  intéresse  plus  qu'il  n'arrive  à  émouvoir. 

J.  .Iemain. 
—  Programmes  des  concerts  de  demain  dimanche  : 

Conservatoire  :  Symphonie  en  la,  n°  7  (Beethoven).  —  Réiemption  (César  Franck), 
avec  le  concours  de  M""  Rose  Féart  et  de  M.  Brémont. 

Chàtelet,  concert  Colonne  consacré  aux  œuvres  suivantes  de  Richard  Strauss  et 
sous  sa  direction  :  Prélude  du  1"  acte  de  Guntram.  —  a)  Heimliche  Au/forderjmg  et 
b)  Stœndchen,  chantées  par  Mm"  de  Wieniawski.  —  Mort  et  Transfiguration.  —  Sinfonia 
Domestica.  —  a)  Die  Naeht  ;  b)  Ail'  mein  Gedanken  ;  c)  Zueignung,  chantés  par  Mn,c  de 
Wieniawski.  —  Danse  de  Salomé. 

Salle  Gaveau,  concert  Lamoureux,  sous  la  direction  de  M.  Vincent  d'Indy  :  Ouver- 
ture de  Manfred  (Schumann).  —  Viviane  (Chausson).  —  Jour  d'été  à  la  montagne 
(d'Indy).  —  Concerto  en  ré  majeur  pour  piano,  violon  et  flûte  (Bach),  par  M11'  Selva, 
MM.  Soudant  et  Deschamps.  —  Symphonie  en  sol  mineur,  n°  40  (Mozart). 


NOUVELLES     DIVERSES 


ÉTRANGER 
De  notre  correspondant  de  Belgique  :  La  Monnaie  annonce  pour  la  semaine 
prochaine  la  première  des  Jumeaux  de  Bergame,  l'opéra  inédit  de  M.  Jaques- 
Dalcroze,  qui  avait  du  être  r -lardé  par  l'indisposition  d  un  des  principaux 
interprèles,  M.  Decléry.  Il  n'y  a  eu,  ces  jours  derniers,  à  signaler  qu'une 
reprise  assez  incolore  de  Saimon  et  Ditila  et  une  représentation  d'une  jeune 
artiste  de  l'Opéra,  M"'-'  Dube!,  qui  est  venue  s'essayer,  non  sans  succès  d'ail- 
leurs, dans  Faust.  —  Tout  l'intérêt  de  cette  semaine  s'est  porté  sur  les 
concerts,  extraordinairement  copieux  et,  je  me  hâte  d'ajouter,  très  «  attractifs  ». 
Le  Conservatoire  nous  a  donné,  sous  la  direction  du  toujours  jeune  kapellmeis- 
ter  le  baron  Gevaert,  une  admirable  exécution  do  la  neuvième  symphonie, 
avec  un  quatuor  de  choix,  composé  de  Mmes  de  Tréville  et  Croiza,  de 
MM.  Lalfitte  et  Blancard,  tous  pensionnaires  de  la  Monnaie  ;  elle  était  pré- 
cédée du  concerto  pour  piano  en  mi  bémol  de  Mozart,  joué  à  ravir  par 
M.  Arthur  De  Greef.  —  A  la  nouvelle  et  très  peu  confortable  salle  Patria, 
nous  avons  eu  un  concert  symphon  que,  dirigé,  avec  une  correction  sans 
flamme,  par  le  chef  hollandais  M.  Viotta,  et  auquel  prenait  part  heureusement 
l'excellent  violoniste  M.  Thibaud;  puis,  un  concert  Bach  (il  y  en  aura  trois, 
composant  un  «  festival  »),  où  l'on  a  beaucoup  applaudi  un  autre  violoniste, 
M.  Smit,  remplaçant  M.  Eugène  Ysaye  e:i  voyage,  et  que  précédait  une 
conférence  de  M.  Vincent  d'Indy.  Celui-ci  était  venu  à  Bruxelles  pour  pré- 
sider aux  premières  séances  musicales  annuelles  de  la  «  Libre  Esthétique  ». 
consacrées  e:i  majeure  partie  à  ses  œuvres;  on  y  a  entendu  notamment  une 
transcription  inédite,  par  M"1'  Blanche  Selva,  du  poème  symphonique,  Sou- 
venirs, et  une  sonate  nouvelle  pour  piano  (op.  63),  qui  n'avait  pas  encore  été 
exécutée  en  public.  Ou  sait  quelle  part  M.  Vincent  d'Indy  a  toujours  prise 
aux  séances  de  la  Libre  Esthétique,  qui  a  célébré  cette  année  son  dixième 
anniversaire,  et. à  celles  des  «  Vingt  »  qui  la  précédèrent.  U  était  juste  qu'elle 
lui  rendit  à  cette  occasion  un  hommage  spécial,  —  sans  oublier  d'autres 
maîtres,  qu'elle  a  contribué  aussi  à  faire  connaître,  tels  que  Chausson,  et  à 
faire  aimer,  tels  que  César  Franck.  —  Lundi  prochain,  au  Concert  annuel  de 
la  très  importante  Ecole  de  musique  de  Saint-Josse-ten-wood-Schaerbeck,  on 
entendra,  pour  la  première  fois  en  Belgique,  l'œuvre  nouvelle  de  M.  Gabriel 
Pierné,  les  Enfants  à  Jérusalem.  La  veille,  la .Société  de  musique  de  Tournai 
consacrera  son  grand  concert  au  célèbre  oratorio  de  M.  Edgar  Tinël,  Franciscus; 
avec  le  concours  de  M"1'  Auguez  de  Montalant,  de  MM.  Plamondon,  Frôlich, 
etc.  —  Enfin,  la  ville  de  Bruxelles,  choisissant  l'œuvre  destinée  à  être  exé- 
cutée à  la  cirémonie  patriotique  annuelle  de  la  Place  des  Martyrs,  le  23  sep- 
tembre (a  l'occasion  de  nos  «  trois  glorieuses  »),  a  porté  ses  préférences  sur 
une  Cantate  patriotique  di  notre  jeu:ie  compositeur  M.  Georges  Lauweryns,  — 
œuvre  de  grand  effet  et  d'inspiration  vibrante.  Elle  aura  pour  interprètes 
quatorze  cents  enfants  des  écoles  communales,  avec  accompagnement  des 
musiques  militaires,  sous  la  direction  de  M.  H.iyoio.  L.  S. 

—  La  villa  Falconieri,  près  de  Frascati,  dans  la  campagne  romaine,  que 
M.  Ernest  Mendelssohn-Bartholdi  a  donnée  à  l'empereur  Guillaume  pour 
servir  de  lieu  de  convalescence  à  des  artistes  et  à  des  littérateurs,  va  étie  res- 
taurée et  aménagée  d'après  les  plans  de  l'architecte  de  Ihne.  Le  professeur 
Bruno  Paul,  à  qui  l'on  s'était  adressé  d'abord,  a  soumis  un  projet  que  l'on  a 
rejeté  comme  étant  d'uu  style  trop  peu  historique.  Quelques  personnes  ont 
pensé  qu'il  y  aurait  lieu  peut-être,  du  moins  en  ce  qui  concerne  la  disposition 
intérieure,  de  ne  pas  imiter  avec  trop  de  rigueur  les  constructions  d'autrefois. 
Les  pièces  de  dimensions  énormes  sont  difficiles  à  chauffer  et  se  prêtent  mal  à 
l'adaptation  du  confort  moderne.  L'Italie  n'est  pas  toujours  chaude  et  ensoleillée; 
il  ne  faudrait  pas  que  les  convalescents  imitassent  les  dames  romaines  de  la 
décadence,  qui,  pendant  l'hiver,  restaient  toute  la  journée  couchées  afin  de 
ne  point  se  geler.  QuelqiiesTiTs  de  plus  sërontmieux  appréciés  parles  malades 
que  le  style  architectural. 


LE  MÉNESTREL 


93 


—  De  Berlin  :  La  comtesse  Wilma  Festetics,  dont  le  mariage  avec  le  tzi- 
gane Nyary  Rudi,  qu'elle  avait  connu  à  Munich,  provoqua,  l'année  derniers-, 
une  si  grosse  sensation,  est  engagée,  avec  son  mari,  pour  une  série  de  con- 
certs, au  Splendid  Café,  à  Berlin.  C'est  du  moins  ce  qu'annonce  la  Berliner 
Zeitung  am  Mittag,  en  ajoutant  que  le  traité  est  signé  pour  deux  mois  et  que 
le  couple  touchera  212  fr.  50  c.  par  soirée.  La  comtesse  s'est  engagée  a  pa- 
raître chaque  soir  à  coté  do  son  mari. 

—  M.  Siegfried  "Wagner  vient  d'annoncer  à  ses  amis,  paraît-il,  qu'il  est  en 
train  de  mettre  la  dernière  main  à  son  septième  opéra,  Dielfich  de  Berne,  dont 
il  a  écrit  le  texte  et  la  musique.  On  dit  que  cet  ouvrage  sera  joué  à  la  lin  de 
la  saison  prochaine,  non  pas  à  Hambourg  comme  les  précédents  opéras  de 
l'auteur,  ni  à  Dresde  comme  on  l'a  dit,  mais  à  l'Opéra-Royal  de  Berlin. 

—  Pauline  Lucca,  la  créatrice  de  Mignon  à  l'Opéra-Royal  de  Berlin,  le 
10  décembre  1868,  a  occupé  en  ces  dernières  semaines  toute  la  presse  alle- 
mande, tant  sa  mort  a  réveillé  de  souvenirs.  Nous  avons  raconté  en  janvier 
1905  l'histoire  d'une  tasse  de  thé  présentée  à  la  jeune  chanteuse  dans  les  cou- 
lisses de  ce  même  théâtre  par  l'empereur  d'Allemagne,  ce  qui  valut  à  ce 
monarque  d'être  traité  de  «  vieil  officier  «par  la  carriériste  de  l'artiste.  Mais  si 
Guillaume  Ier  se  montrait  empressé  auprès  de  Pauline  Lucca,  l'impératrice 
Augusta  n'acceptait  qu'avec  peine  ses  manières  simples  et  quelque  peu  dédai- 
gneuses de  l'étiquette.  Elle  avait  réussi,  par  son  opposition,  à  lui  fermer 
longtemps  l'accès  des  concerts  de  la  Cour.  On  l'y  invita  pourtant  unjouretla 
souveraine,  désirant  se  conformer  aux  usages,  s'approcha  de  l'artiste  pendant 
un  entr'acte  et  lui  posa  cette  question  :  a  Avec  qui  aimez-vous  mieux  chanter, 
Madime  Lucca,  avec  Niemann  ou  bien  avec  Wachtel? —  Oh  !  Majesté,  s'écria 
étourdiment  la  jeune  femme,  je  m'en  soucie  comme  d'une  saucisse  ».  Cette  ex- 
pression, dite  en  dialecte  viennois,  équivaut  à  la  pire  manière  de  paraphraser 
en  français  la  locution  :  «  Je  m'en  moque  ».  L'impératrice  s'éloigna  en  mur- 
murant en  français  :  «  Quelle  horreur!  »  0  i  sait  que  Pauline  Lucca  quitta 
l'Opéra  do  Berlin  en  1812,  rompant  son  engagement  dont  elle  avait  en  vain 
demandé  la  résiliation,  et  justifiant  sa  décision  dans  une  lettre  qui  renfermait 
ca  passage  :  «  Mon  honneur  d'artiste  a  été  trop  profondément  blessé  et  la 
coterie  ennemie  s'estmontrée  trop  peu  délicate  dans  les  moyens  qu'elle  a  em- 
ployés contre  moi.  »  Il  s'agissait  d'une  hostilité  violente  dirigée  contre  l'ar- 
tiste en  faveur  de  la  cantatrice  rivale  Mathilde  Mallinger.  Pauline  Lucca,  qui 
ne  fut  jamais  wagnérienne,  quitta  la  place,  mais  elle  eut  les  rieurs  de  son 
coté.  Un  jour  qu'elle  jouait  Chérubin  dans  les  Noces  de  Figaro  tandis  que 
Mathilde  Mallinger  représentait  la  comtesse,  elle  répondit  à  cette  exclama- 
tion :  «  Mais,  Chérubin,  qu'y  a-t-il  donc?»  par  cette  boutade  qui  n'était  pas 
dans  le  rôle  :  «  Il  y  a  des  impertinences  ».  Pauline  Lucca  termina  la  lettre 
dans  laquelle  est  formulé  son  adieu  au  public  de  Berlin  par  ce  vers,  extrait 
d'un  chant  que  lui  avait  dédié  Frédéric  Gumbert  :  «  C'était  si, beau  et  cela 
dut  Unir  pourtant  ».  N'est-ce  pas  li  un  des  premiers  indices  de  cette 
mélancolie  qui  jeta  quelques  ombres  sur  une  vie  heureuse,  bien  qu'attristée 
par  la  dissolution  d'un  premier  mariage,  la  naissance  d'uue  enfant  infirme, 
et  surtout  le  deuil  qui  termina  une  seconde  union  jusque-là  sans  nuages. 
Nous  avons  raconté  c^lte  scèna  samedi  dernier,  mais  l'erreur  d'une  seule 
lettre  nous  a  fait  rapporter  inexactement  le  chant.  C'était  l'avant-veille  de  la 
Toussaint  de  1899.  Le  baron  de  Wallhofen.se  sentant  mourir  voulut  en- 
tendre une  dernière  fois  la  voix  de  sa  femme.  Elle  chanta  plusieurs  airs.  et. 
pour  finir,  une  élégie  du  poète  Hilm  commençant  par  ces  mots  :  «  S  tell'  auf 
den  Tisch  die  duftenden  Reseden...  ».  c'est-à-dire  :  «  Mets  sur  la  table  les 
résédas  odorants,  porte  ici  les  derniers  chrysanthèmes  rouges  et  parlons  encore 
une  fois  d'amour  comme  autrefois  en  mai  ».  On  aime  à  penser  que  ce  fut 
bien  en  ce  jour,  ainsi  qu'en  l'a  dit,  que  chanta  pour  la  dernière  fois  la  canta- 
trice qui  eut  parmi  ses  plus  beaux  rôles  Mignon,  Marguerite,  la  Fille  du  régi- 
ment, les  deux  Zerlines  de  Don  Juan  et  de  Fra  Diavolo,  Valentine,  Sélica,  etc. 
Pauline  Lucca  avait  quatre-vingt-dix-sept  rôles  d'opéras  à  son  répertoire. 
Grâce  à  ces  ouvrages,  son  nom  est  resté  attaché  à  l'une  des  périodes  les  plus 
brillantes  de  l'histoire  de  la  musique.  Un  détail  amusant  montre  combien  ce 
nom  est  resté  populaire  :  les  confiseurs  viennois  vendent  encore  des  bonbons 
connus  sous  la  désignation  de  «  Lucca-Augon  »,  yeux  de  la  Lucca. 

—  Dans  le  cours  de  l'été  prochain  doit  commencer  à  Vienne  la  construc- 
tion d'une  nouvelle  salle  de  concerts  dont  les  dimensions,  dit-on,  seront 
énormes.  L'État,  la  Société  des  concerts  de  Vienne,  la  Société  des  Amis  de  la 
musique  et  la  Société  chorale  supporteront  les  frais  de  la  construction.  Un 
pense  que  la  nouvelle  salle  pourra  être  inaugurée  en  1910. 

—  La  nouvelle  opérette  de  M.  Franz  Lehar,  t'Humme  aux  Irois  femmes,  texte 
de  M.  Julius  Bauer,  dont  la  première  représentation  a  été  donnée  à  l'occasion 
des  dernières  fêtes  deNoél  et  du  nouvel  an  au  théâtre  An  der  Wien,  àVienne. 
a  été  jouée  pour  la  première  fois  en  Allemagne,  au  théâtre  Wilhelm  de  Mag- 
debourg,  le  12  mars  dernier.  On  en  a  trouvé  la  musique  originale  et  mélodi- 
que. L'instrumentation  soignée  et  la  bonne  structure  des  «  finales  »  ont  été 
beaucoup  appréciées. 

—  Le  duc  d'Anhalt  a  conféré  à  M?e  Sigrid  Arnoldson,  pendant  la  représen- 
lation  de  Carmen,  au  théâtre  de  la  cour  à  Dessau,  l'ordre  du  mérite  pour  arts 
et  sciences.  C'est  la  plus  haute  distinction  qu'une  artiste  peut  recevoir  dans 
ce  pays.  La  représentation  n'a  été  qu'une  suite  d'ovations  pour  la  célèbre 
diva  suédoise. 

—  La  section  des  instruments  de  musique  du  Musée  industriel  de  Stuttgart 
vient  de  s'enrichir  de  trois  pièces  importantes  et  précieuses  qui   lui  ont  été 


offertes  par  M.  Georges  Steingraeber,  do  Munich.  Ce  sont  trois  instruments 
anciens  à  clavier,  décorés  d'une  façon  délicieuse.  Le  premier  est  une  êpinette 
du  seizième  siècle,  qui  porte  la  signature  de  «  Francesco  Poggio,  Rome  ». 
D'une  forme  qu'en  Italie  on  appelle  ordinairement  a  lucerna,  il  est  artistique- 
ment et  richement  décoré,  et  il  présente  cette  particularité  que  les  touché; 
inférieures  sont  couleur  de  café,  les  supérieures  étant  noires.  De  décorations 
beaucoup  plus  riches  est  un  cimbalone,  qui  porte  la  signature  de  «  Giovanni 
Ferrini,  Florence  »  avec  la  date  de  1G99.  Ses  décorations,  très  historiées,  dé- 
rivent directement,  dit-on,  de  l'art  de  Raphaël.  Le  troisième  instrument, 
aussi  très  jolimeDt  orné  de  peintures,  est  un  clavecin  qui  a  un  manuel  et 
deux  cordes  par  note. 

—  L'Opéra  de  Leipzig  prépare  activement  les  reprises  prochaines  de  VEnlé- 

vemenl  au  sérail,  de  Mozart,  et  de  Louise,  de  Charpentier. 

—  Les  essais  tentés  déjà  depuis  bien  des  années  par  les  auteurs  dramatiques 
de  l'Allemagne,  pour  former  une  corporation  destinée  à  protéger  leurs  intérêts, 
paraissent  être  enfin  sur  le  point  d'aboutir.  On  dit  qu'une  association  va  être 
fondée  sur  le  modèle  de  la  Société  des  auteurs  de  France.  Les  statuts  eu 
seront  très  prochainement  élaborés.  On  parle,  pour  la  présidence,  de  M.  Mas 
Dreher.  et  de  M.  Walter  Bloem  comme  conseil  judiciaire.  Un  grand  nombre 
d'écrivains  distingués,  parmi  lesquels  se  trouve  M.  Sudermann,  ont  accepté 
d'entrer  dans  le  comité  d'organisation. 

—  On  annonce  que  l'intendance  de  l'Opéra  de  Francfort  vient  de  s'assurer 
le  droit  de  faire  représenter  pour  la  première  fois  en  Allemagne  la  Habanera 
de  M.  Raoul  Laparra.  Disons  à  cette  occasion  que  le  jeune  compositeur  aérril 
originairement  son  livret  en  langue  espagnole,  utilisant  les  observations  qu'il 
avait  recueillies  en  1900.  pendant  un  séjour  à  Madrid,  et  surtout  en  19<)3 
pendant  qu'il  résidait  à  Burgos.  Il  avait  été  séduit  par  cette  forme  de  pièce 
théâtrale  espagnole  nommée  zarzuela.  La  scène  du  troisième  acte  de/"  //»'/./- 
nera,  avec  les  lumières  sur  les  tombes,  a  été  vue  par  lui  à  Madrid  un  jour  des 
morts,  au  campo-santo  de  San  Isdro. 

—  Le  propriétaire  d'une  des  salles  de  concerts  de  Dresde  envoie  aux  artistes  une 
circulaire  pour  leur  faire  connaître  qu'il  met  à  leur  disposition,  s'ils  veulent 
utiliser  son  local,  un  accompagnateur  au  piano,  des  musiciens  pouvant  prêter 
leur  concours  pour  jouir  des  duos,  trios  ou  quatuors,  enfin  un  public  nom- 
breux pour  remplir  h  salle.  De  cette  façon,  les  virtuoses  dont  le  talent  n'a  pas 
encore  fait  sensation  sont  sûrs  de  ne  pas  jouer  devant  des  banquettes  vides. 
La  précaution  n'est  peut-être  pas  inutile,  car,  à  Dresde  comme  en  beaucoup 
d'autres  villes  où  sévissent  trop  de  concerts,  le  public  commença  à  ne  plus  se 
déranger  aussi  volontiers  qu'autrefois  pour  entendre  de  la  musique  de 
chambre. 

—  Au  théâtre  de  la  place  Gaertner,  à  Munich,  Miss  Ruth  Saint-Denis,  que 
l'on  a  pu  apprécier  à  Paris  il  y  a  deux  ans,  obtient  un  grand  succès  en  ce 
moment  par  ses  danses  sur  la  musique  de  Lakmé,  Elle  voyage  accompagnée  de 
six  Hindous  qui  lui  servent  de  figurants,  d'un  régisseur  et  d'un  chef  d'or- 
chestre. Elle  attache  beaucoup  d'importance  à  la  partie  musicale  destinée 
à  marquer  le  rythme  en  faisant  valoir  ses  pas  et  sa  mimique. 

—  Des  fêtes  musicales  commenceront  à  la  fin  du  printemps  à  l'Opéra  de 
Cologne.  On  jouera  des  œuvres  allemandes  sous  la  direction  de  MM.  Ernest 
von  Schuch,  Steinbach  et  Félix  Mottl;  une  représentation  de  Pelléas  et  Mèli- 
sande  de  M.  Claude  Debussy  sera  donnée  par  la  troupe  du  théâtre  de  la  Mon- 
naie de  Bruxelles  et  les  fêtes  se  termineront  pendant  la  dernière  semaine  de 
juin  par  le  Falslaff  de  Verdi. 

—  Tous  les  biographes  d'Ibsen  ont  raconté  que  le  célèbre  dramaturge  a  eu. 
dans  sa  jeunesse,  un  penchant  pour  le  dessin  et  la  peinture.  On  ne  connaissait 
pourtant,  jusqu'à  présent,  de  lui  que  deux  tableaux  et  deux  aquarelles  qui  font 
partie  de  collections  privées.  Or,  on  vient  de  découvrir  chez  un  propriétaire 
de  Nitedalen,  dont  la  femme  est  la  veuve  d'un  ami  d'enfance  d'Ibsen,  sept 
autres  aquarelles  et  deux  grands  tableaux  d'une  authenticité  incontestable. 
Toutes  ces  oeuvres  datent  de  la  jeunesse  du  poète. 

—  Des  touristes  américains  formant  une  nombreuse  société  visitèrent  un 
jour  la  maison  natale  de  Beethoven.  Ils  manifestèrent  bruyamment  leur  ad- 
miration pour  le  génie  du  maitre,  regardèrent  tout  avec  une  curiosité  presque 
indiscrète,  posèrent  mille  questions  au  gardien.  A  la  fin,  une  jeune  miss  se 
mit  au  piano  et  commença  le  premier  morceau  de  la  sonate  en  ul  dièse 
mineur,  voulant  ainsi  faire  montre  des  sentiments  d'enthousiasme  qu'elle 
éprouvait  à  sa  manière.  Le  gardien  restait  muet,  ne  paraissant  aucunement 
ému  par  le  jeu  de  cette  étrangère.  Un  peu  déçje  et  impatientée,  elle  s'adressa 
directement  à  lui  :  «  Je  pense,  dit-elle,  que  beaucoup  de  musiciens  sont 
venus  ici  et  ont  joué  sur  cet  instrument?  —  Certainement,  madame,  répondit 
le  gardien,  l'année  dernière  Paderewski  a  visité  cette  maison  et  la  chambre 
où  nous  som  nés.  —  Ah!  lit  la  jeune  personne  un  peu  interdite.  —  Mais, 
ajouta  le  gardien,  Paderewski  refusa  de  jouer  lorsque  ses  amis  le  lui  deman- 
dèrent: il  dit  simplement  :  Non,  je  n'ensuis  pas  digne  ». 

—  Le  Théâtre-Municipal  de  Hambourg  vient  de  donner  pour  la  première 
fois  avec  un  très  grand  succès  la  Manon  du  maitre  Massenet. 

—  Le  Conservatoire  Hoch,  de  Francfort-sur-le-Mein.  semble  en  ce  moment 
traverser  une  crise  très  grave.  On  annonce  que  deux  professeurs  des  classes 
de  violon,  M"e  Anna  Hegner  et  M.  Félix  Berber.  viennent  de  donner  leur  dé- 
mission, et  le  directeur  lui-même,  M.  Bernhard  Scholz,  le  compositeur  très 
distingué,  résigne  ses  fonctions,  qu'il  occupait  depuis  ISS3,  c'est-à-dire  depuis 


94 


LE  MÉNESTREL 


vingt-cinq  ans.  On  va  jusqu'à  parler  tout  bas  —  ceci  pourtant  n'est  encore 
qu'un  bruit  —  d'une  dissolution  possible  de  l'établissement. 

—  Une  opérette  nouvelle  en  trois  actes,  la  Fièvre  du  mariage,  paroles  de 
M.  Pordes-Milo.  musique  de  M.  Franz  Rumpel,  a  été  donnée  le  14  mars  der- 
nier à  Breslau,  sous  la  direction  du  compositeur,  et  a  obtenu  beaucoup  de 
succès. 

—  De  Christiania  :  Les  restes  du  célèbre  compositeur  Edouard  Grieg  seront 
transportés  cette  semaine  dans  une  tombe  qui  a. été  acquise  par  la  famille  du 
défunt  et  qui  ne  manque  pas  d'originalité.  C'est  une  grotte  naturelle,  située 
dans  un  rocher  à  Troldhangen,  près  de  Bergen,  sur  la  pointe  extrême  d'un 
fjord  donnant  sur  un  lac.  De  terre,  la  grotte  est  inabordable  et  du  coté  du  lac, 
sur  lequel  le  rocher  tombe  à  pic,  elle  n'est  accessible  qu'en  barque  et  après 
avoir  escaladé  une  vingtaine  d'échelons  fixés  dans  la  pierre.  C'est  dans  cette 
grotte,  qui  n'est  visible  que  du  côté  du  lac  et  qui  sera  fermée  pour  toujours 
ces  jours-ci  par  une  plaque  en  marbre,  que  Grieg  dormira  son  dernier  sommeil. 
Un  monument  tout  aussi  original  lui  sera  érigé  à  Bergen,  sa  ville  natale.  Le 
comité,  qui  s'y  est  formé  pour  commémorer  sa  mémoire,  a  renoncé  à  l'idée  de 
lui  faire  élever  une  statue.  A  la  place,  on  construira  un  hall  musical  qui 
portera  le  nom  de  Grieg  et  dans  lequel  on  cultivera  de  préférence  sa 
musique. 

—  Un  fait  assez  rare  :  deux  virtuoses,  mari  et  femme,  violoncellistes  tous 
deux,  se  présentant  ensemble  au  public.  C'est  ce  qui  vient  de  se  produire  au 
dernier  concert  de  la  Société  Diligentia,  à  La  Haye,  où  l'excellent  violoncel- 
liste Pablo  Casais  et  sa  femme  (née  Guilhermina  Suggia)  ont  remporté  un 
grand  succès  en  exécutant  d'une  façon  superbe  un  concerto  pour  deux  violon- 
celles du  compositeur  hongrois  Emmanuel  Moor. 

—  Voici  le  programme  des  oeuvres  de  musique  sacrée  qui  ont  été  et  seront 
exécutées  pendant  le  carême  par  la  chapelle  du  dôme  de  Milan  :  —  S  Mars  : 
Messe  Jesu  nostra  redemptio,  à  4  voix  mixtes,  de  Pierluigi  de  Palestrina  ;  — 
15  Mars:  Missa  ad  usum  capellœ  Ponlificiœ,  à  4  voix  mixtes,  d'Alessandro  Scar- 
lalti;  —  22  Mars  :  Messe  de  S  tons,  à  S  voix  mixtes,  d'Antonio  Gruce  ('?;;  — 
29  Mars  :  Messe  Quai  donna,  à  5  voix  mixtes,  de  Roland  de  Lattre:  —  5  Avril  : 
Messe  0  quam  gloricsum  estregnum,  à  4  voix  mixtes,  de  Luis  de  Vittoria;  — 
12  Avril  :  Missa  inhonorem  S.  Sebastiarii,  à  4  voix  mixtes,  de  Cari  Thiele  ;  — 
19  Avril:  Pontificale  de  Pâques  (quand les  orgues  sont  complètement  éteints)  : 
Missa  Pontificalis  in  honorent  S.  Carnli  Borromei,  pro  canonizationis  solemnis 
centenaris,  à  6  voix  inégales,  de  Salvatore  Gallotti.  —  Les  deux  Messes  de 
Scarlatti  et  de  Salvatore  Gallotti  n'ont  encore  jamais  été  exécutées  au  dôme. 

—  A  la  Scala  de  Milan  un  nouveau  ballet  en  un  acte  et  trou  tableaux,  les 
Porte-bonheur  (en  français),  avec  musique  brillante  de  M.  Ricardo  Drigo,  a 
obtenu  un  vif  succès.  Le  scénario  est  du  chorégraphe  Pratesi. 

—  A  la  Fenice  de  Venise,  le  1er  mars,  première  représentation  d'un  opéra 
en  trois  actes,  il  Figlio  del  mare,  poème  de  MM.  Antonio  Beltramelli  et  Luigi 
Orsini,  musique  de  M.  Giuseppe  Cigognani.  joué  par  Mmcs  Elvira  Magliulo  et 
Maria  Avezza  et  MM.  Garcia  Minolfi  et  Guaccarini.  Musique  bien  faite,  mais 
lourde,  sans  air  et  sans  émotion.  Peu  de  succès.  —  Et  au  Théâtre-Royal  de 
Parme,  le  5,  apparition  d'un  opéra  en  deux  actes,  le  Base  rosse  (les  Roses 
rouges),  paroles  de  MM.  Cesare  Hanau  et  Gustavo  Micchi,  musique  assez 
agréable  d'un  jeune  compositeur,  M.  Edoardo  Lobegott,  avec  Mmes  Poli-Rar.- 
dacio  et  Rolando  et  MM.  lschierdo,  Mazza  et  Birdi  comme  interprètes. 
Accueil  favorable. 

—  Le  Conservatoire  de  Pesaro,  fondé  par  les  soins  de  Rossini  dans  sa  ville 
natale,  a  l'été  dignement,  par  deux  grands  concerts,  le  116°  anniversaire  de  la 
naissance  de  l'illustre  artiste  (29  février).  Le  programme  du  premier  de  ces 
concerts,  organisé  par  M.  Amilcare  Zanella,  le  jeune  directeur  de  l'école, 
comprenait,  après  un  entretien  d'un  des  professeurs,  M.  D'Angeli,  sur  l'œuvre 
et  le  génie  de  Rossini,  l'ouverture  de  Guillaume  Tell,  la  Prière  de  Moïse,  le 
finale  de  Norma,  de  Bellini,  l'air  :  Selva  opaca  (Sombre  forêt)  de  Guillaume 
Tell,  chanté  par  M"c  Oliva  Petrella,  le  Menuet  du  Bourgeois  gentilhomme,  de 
Lully,  le  chœur  populaire  d'ï  Lombardi,  et,  comme  œuvre  absolument  incon- 
nue de  Rossini,  une  Aria  ail'  antica  pour  quatre  sopranos,  dont  l'effet  a  été 
considérable.  A  l'exécution  de  ce  programme  prenaient  part  250  artistes,  or- 
chestre et  chœurs. 

—  Un  «  tableau  lyrique  »  en  deux  actes,  le  Campane  (les  cloches),  musique 
de  M.  Antonio  Corsini,  a  été  exécuté  à  Bari,  au  Cercle  Saint-Vincent-de-Paul. 
—  Et  au  théâtre  de  Bénévent  on  a  représenté  une  opérette  pour  enfants, 
genre  de  spectacle  qui  depuis  quelques  années  paraît  eu  grande  faveur  en 
Italie;  cette  opérette,  intitulée  Cenerentola  (Cendrillon),  est  en  trois  actes  et  a 
pour  auteurs  MM.  L.  Corradi,  pour  les  paroles,  et  Carmelo  Castagnino,  pour  la 
musique. 

De  notre  correspondant  de  Lisbonne  :  Au  Théàtre-San-Carlos,   l'opéra 

Eaulo  e  Francesm  de  Mancinelli  a  été  bien  reçu.  Le  célèbre  baryton  Titta  Ruffo 
l'a  fort  bien  chanté.  Les  autres  artistes  Piccaletti  et  Krismer  médiocres.  — 
Madame  Butterfly  de  Puccini  eut  du  succès  au  deuxième  acte.  MUe  Krusceniska 
fut  une  «  Butterfly  »  superbe. 

La  maison  Puttick  et  Simpson,   de  Londres,  a  vendu  récemment  aux 

enebères  plusieurs  violons  de  grands  auteurs.  Trois  Stradivarius  ont  atteint 
un  prix  moyen  de  420  livres  sterling;  pour  l'un  d'eux,  le  prix  s'est  élevé  à 
450  livres  (11.250  francs).  Un  Guarnerius  (on  ne  dit  pas  lequel,  il  y  a  cinq 
luthiers  de  la  même  famille)  a  fait  285  livres  (7.12b  francs)  et  un  Guauagnini 
(même  observation)  a  atteint  seulement  125  livres  (3.125  francs). 


—  On  a  donné  dernièrement,. au  Brixton-Theatre  de  Londres,  la  première 
représentation  d'un  opéra  romantique  nouveau  en  trois  actes,"  Nigel,  libretto 
de  M.  Percy  Pinkerton.  musique  de  M.  Stephen  R.  Philipott». 

—  On  vi»nt  de  reprendre  à  Londres,  au  Théàtre-Adelphi,  un  joli  opéra- 
comique  de  M.  André  Messager,  Mirette,  quifut  créé  enl894au  Savoy-Theatre. 
et  qui  n'avait  pas  reparu  à  la  scène  depuis  lors.  Cet  ouvrage,  écrit  sur  un 
livret  de  M.  Michel  Carré,  n'a  jamais  été  joué  à  Paris. 

—  M.  Hammerstein  vient  d'annoncer  que  leManhattan-Opera  de  New- York 
a  engagé  pour  vingt  représentations,  qui  auront  lieu  au  cours  de  la  saison  pro- 
chaine, Mlle  Mary  Garden,  la  cantatrice  qui  a  chanté  cette  année  avec  un 
triomphal  succès  thaïs,  Louise  et  Pëllëas  et  Mélisande. 

—  Une  saison  d'opéra  et  d'opérette,  qui  doit  commencer  à  la  lin  d'avril  et 
durer  pendant  le  resle  du  printemps  et  l'été,  a  été  organisée  par  MM.  Stair. 
Havlin  et  Achille  Alberti,  au  West  End  Théâtre  de  New-York,  sous  la  déno- 
mination de  «  The  Helena  Noldi  Opéra  Company  ».  Les  vingt  cinq  meilleurs 
artistes  des  orchestres  des  «  Manhattan  et  Metropolitan  Opéras  »  ont  été  en- 
gagés. Mme  Noldi  chantera  les  principaux  rôles. 

—  Voici  le  grand  ténor  Caruso  transformé  en  défenseur  de  la  morale  ou- 
tragée. Qui  l'aurait  pu  croire?  Si  l'on  doit  s'en  rapporter  au  New-York 
Amerimn,  le  célèbre  virtuose  se  serait  fait  là-bas  sociétaire  et  patron  d'une 
«  Association  pour  l'abolition  du  vice  ».  Le  bilan  moral  de  cette  Association, 
qui  compte  trente-quatre  années  d'existence,  est  des  plus  brillants.  Dans  le 
cours  de  la  dernière  année  elle  a  fait  détruire  environ  douze  tonnes  de  livres 
et  de  dessins  immoraux,  et  provoqué  l'arrestation  de  beaucoup  de  commer- 
çants indignes,  faisant  confisquer  dans  une  seule  maison  180.000  cartes  pos- 
tales illustrées.  Le  nombre  des  arrestations  s'est  élevé  à  185,  et  les  amendes 
infligées  atteignent  30.000  francs.  Ah  !  c'est  qu'en  Amérique  on  ne  plaisante 
pas  avec  la  morale.  C'est  égal,  en  apprenant  l'enrôlement  de  Caruso  dans  cette 
association  bienfaisante,  un  journal  italien  ne  peut  s'empêcher  de  dire: 
Quantum  mutatus... 

—  Les  directeurs  de  théâtres  d'opéra  de  New-York  ont  déclaré  la  guerre  aux 
demandes  formulées  par  l'Union  protectionniste  musicale  de  cette  cité,  et 
l'automne  prochain  il  est  probable  que  les  pianos,  les  pianolas  et  même  les 
gramophones  remplaceront  les  orchestres  dans  les  théâtres  (à  moins  que  la 
réconciliation  ne  se  soit  effectuée  dans  l'intervalle).  Les  musiciens  unionistes 
réclament  une  augmentation  de  salaire  que  les  directeurs  considèrent  exor^ 
bitante  et,  comme  chaque  directeur  de  théâtre  de  New-York  appartient  à 
l'Association  de  direction  théâtrale,  l'organisation  croit  qu'elle  est  assez 
puissante  pour  lutter  contre  l'Union.  Les  directeurs  déclarent  qu'ils  paient 
déjà  des  salaires  assez  élevés  et  qu'ils  ne  veulent  point  avoir  une  échelle  à 
plusieurs  prix.  En  ce  qui  concerne  les  deux  théâtres  d'opéra  de  New-York,  les 
musiciens  contestent  qu'il  soit  légal  d'importer  des  musiciens  étrangers 
«  jaunes  »  et  déclarent  que  les  directions  doivent  acquiescer  à  leur  demande, 
sans  quoi  la  métropole  américaine  devra  si  contenter  de  pianos  et  des  divers 
échantillons  de  «  musique  de  conserve  ». 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

Par  ordre  du  général  commandant  la  place  de  Paris,  les  chefs  de  corps 
viennent  d'être  prévenus  que  les  musiques  militaires  des  régiments  d'infante- 
rie et  les  fanfares  devraient  être  en  état  de  jouer  sur  les  places  publiques  et 
les  squares  de  la  Ville  à  partir  du  T'r  mai. 

—  M.  Marcel  Hutin  de  l'Écho  de  Paris  a  pris  aux  frères  Isola  une  interview 
qui  n'est  pas  sans  importance,  comme  on  va  voir  : 

Dans  l'après-midi  d'hier,  j'ai  conversé  avec  les  Trères  Isola  au  sujet  de  l'Opéra- 
Populaîre. 

—  Notre  intention,  m'ont-ils  dit,  est  de  continuer  la  saison  prochaine  l'œuvre  que 
nous  avons  entreprise  et  pour  laquelle  M.  Carré  s'est  employé  avec  une  si  intelli- 
gente activité.  Jusqu'à  présent,  nous  n'avons  pas  demandé  le  concours  de  MM.  Mes- 
sager et  Broussan  pour  les  œuvres  du  répertoire  de  l'Opéra,  que  nous  sommes 
décidés  à  monter.  Ce  concours,  nous  sommes  dès  à  présent  certains  de  le  rencon- 
trer auprès  de  ces  messieurs,  qui  nous  ont  fait  déjà  connaître  les  ouvrages  popu- 
laires parmi  lesquels  nous  pourrons  faire  notre  choix. 

»  L'Opèra-Populaire  nous  intéresse.  Le  public  aussi  prend  goût  à  nos  repré- 
sentations. Ce  n'est  pas  seulement  par  devoir,  mais  aussi  par  plaisir,  que  nous 
poursuivons  cette  entreprise.  Nous  sommes  persuadés  que  M.  Albert  Carre  conti- 
nuera à  collaborer,  avec  l'ardente  conviction  et  le  beau  désintéressement  qui  carac- 
térisent cet  homme  de  cœur  et  cet  artiste,  au  Lyrique-Populaire.  Dans  quelle 
mesure?  Nous  nous  entendrons  certainement  avec  le  directeur  de  l'Opéra-Comique. 

»  Nous  avons  fait  cette  année  un  essai.  Il  fallait  tàter  le  public.  Vous  avez  pu 
juger  parnos  salles  bondées  combien,  avec  le  prix  des  places  si  abordable  que  nous 
avons  consenti,  le  public  a  pris  goût  à  notre  expérience.  Après  la  Traviata,  nous 
donnerons,  avec  le  concours  de  la  troupe  de  l'Opéra-Comique  et  dès  lundi,  Galalliée 
et  la  Fille  du  Régiment.  Le  lundi  suivant,  nous  allons. tàter  un  peu  de  l'opéra  avec 
Lucie  de  Lammermoor,  qui  sera  chantée  par  M"'  Alice  Verlet  et  des  artistes  que 
nous  avons  engagés  spécialement  et  dans  des  décors  à  nous.  Enfin,  avant  le  15  juin 
date  de  notre  clôture,  on  jouera  les  Dragons  de  Villars,  la  Basoche,  de  Messager,  avec 
l'élégant  ténor  Francell  (tans  le  rote  de  Clément  Marot,  et  nous  finirons  notre  saison 
d'essai  avec  Paul  et  Virginie,  à  moins  que  nous  ne  commencions  par  la  belle  œuvr 
de  Victor  Massé  notre  saison  prochaine.. .  : 

—  Et  vous  allez  jouer,  la  saison iprochaine,  des  œuvres  nouvelles? 

—  Parfaitement.  Notre  intention  est  bel  et  bien  de  donner  des  ouvrages,  inédits, 
à  côté  de  reprises  intéressantes  ou  de  représentations  d'oeuvres  musicales  françaises 
ou  étrangères,  inédiles,  où  à  peu  prés,  en  France,  après  avoir  triomphe  partout 
ailleurs  qu'à  Paris. 


LE  MÉNESTREL 


—  Avec  des  artistes  nouveaux  ? 

—  Des  artistes  réputés  que  nous  sommes  déjà  en  train  d'engager. 

—  Mais  il  vous  faudra  une  subvention  très  forte  du  Conseil  municipal,  comme 
l'Opéraet  l'Opéra-Comique  sont  subventionnés  par  l'État? 

—  Nous  verrons  cela.  A  chaque  jour  sa  peine.  » 

Ce  sont  là  d'excellents  projets.  Tous  les  Parisiens  approuveront  les  Isola  et  con- 
tribueront, j'i'n  suis  sur,  au  succès  du  Lyrique-Populaire. 

—  L'Association  des  directeurs  de  théâtre  a  voté  la  résolution  suivante  : 
L'Association  des  directeurs  de  théâtres  de  Paris,  repoussant  toute  solidarité  à 
l'égard  de  ceux  de  ses  adhérents  qui  auraient  pu  se  livrer  à  des  manœuvres 
ayant  pour  but  de  priver  l'Assistance  publique  ou  la  Société  des  Auteurs 
d'une  partie  des  droits  qui  leur  sont  reconnus  sur  les  recettes  des  spectacles, 
délègue  :  M.  Albert  Carré,  président  de  l'Association,  MM.  Micheau  et 
Crémier  auprès  du  directeur  de  l'Assistance  publique  avec  mission  de  prendre 
connaissance  des  rapports  qui  lui  ont  été  adressés,  à  ce  sujet,  par  ses  inspec- 
teurs, et  de  s'associer  à  l'enquête  faite  pour  en  rechercher  le  bien-fondé. 

—  Vendredi  dernier,  à  l'Opéra,  Ml,c  Borgo  a  repris  le  rôle  do  Valentine 
des  ffuguenos  dans  lequel  elle  a  retrouvé  tout  le  succès  auquel  elle  est  habi- 
tuée. 

—  A  signaler  à  l'Opéra-Comique  la  rentrée  si  atlendue  de  Mu,c  G-eorgelte 
Leblanc  dans  Ariane  et  Barbe-Bleue.  On  a  fêté  de  la  belle  manière  la  magni- 
lique  et  pathétique  artiste.  —  Spectacles  de  dimanche  :  en  matinée  Ariane  et 
Barbe-Bleue;  le  soir,  Aphrodite.  Lundi,  en  représentation  populaire  à  prix  ré- 
duits :  Le  Barbier  de  Séville  et  Ghyslaine. 

—  Le  Théâtre  de  l'Opéra-Comique  prend  l'initiative  d'une  souscription  des- 
tinée à  élever  un  monument  sur  la  tombe  de  son  regretté  directeur  de  la 
musique.  Alexandre  Luigini.  Il  s'adresse  à  tous  ceux  qui  ont  conservé  un 
souvenir  reconnaissant  à  cet  excellent  musicien,  à  ce  noble  artiste,  et  il  leur 
demande  do  participer  au  juste  hommage  qu'il  voudrait  rendre  à  sa  mémoire. 
Les  fonds  seront  centralisés  à  la  caisse  de  l'Opéra-Comique,  rue  Marivaux.  On 
pourra  souscrire  de  2  à  6  heures. 

—  Un  petit  point  amusant  d'histoire  semi-artistique,  établi  par  Flntermé- 
diaire.  Récemment,  notre  collaborateur  Arthur  Pougiti  posait  dans  ce  journal 
la  question  suivante  : 

Le  petit  almanach  les  Spectacles  de  Paris  de  1785  donnait  la  liste  complète  non 
seulement  des  artistes,  mais  de  tous  les  employés  de  l'Opéra.  Or,  dans  celle  des 
a  Ouvreurs  et  ouvreuses  »,  on  trouve  ceci  : 

Le  sieur  Pigoreau  j    Ouvrant  la  baignoire,  les  timbales, 
La  D"'  Menghini      S     les  crachoirs,  au  rez-de-chaussée. 

Malgré  toutes  mes  recherches,  il  m'a  été  jusqu'ici  impossible  de  découvrir  ce 
qu'étaient  les  timbales  et  les  crachoirs.  On  voit  seulement  que  c'était  des  loges  au 
rez-de-chaussée  ;  mais  quel  en  était  le  nombre,  quelle  place  occupaient-elles  rela- 
tivement à  la  baignoire  —  l'unique  baignoire  —  quel  en  était  le  prix,  combien  de 
places  comportaient-elles  ?  Autant  de  questions  qui  restent  pour  moi  sans  réponse. 
Qui  pourra  me  renseigner  sur  les  timbales  et  les  crachoirs  de  l'Opéra? 

La  question  a  reçu  une  réponse  au  moins  partielle  de  la  part  de  M.  Eugène 
Grécourt  dans  le  dernier  numéro  de  l'Intermédiaire  ;  la  voici  : 

Je  retrouve,  dans  mes  notes,  des  indications  qui  me  permettent  de  donner  satis- 
faction à  M.  Arthur  Pougin,  en  ce  qui  concerne  bs  crachoirs  et  les  timbales.  La  salle 
du  boulevard  Saint-Martin,  construite  par  Lenoir  après  l'incendie  de  l'Opéra  en 
1781,  comprenait  un  certain  nombre  de  loges  établies  directement  sur  la  scène:  Il  en 
existait  deux  de  chaque  cùté  du  trou  du  souffleur;  elles  étaient  disposées  comme 
celui  ci  et  désignées  sous  le  nom  de  crachoirs.  Deux  autres  lo^es  étaient  situées  de 
chaque  coté  de  la  scène.  Celles  qui  étaient  contigués  à  l'orchestre  portaient  le  nom 
de  timbale,  et  les  deux  autres  plus  près  de  U  scène  étaient,  en  raison  de  leur 
forme,  dénommées  chaises  de  poste. 

Voilà  un  petit  mystère  éclairci.  Mais  on  avait  do  drôles  de  noms,  à  la  fin 
du  dix-huitième  siècle,  pour  caractériser  certaines  loges  de  l'Opéra.  Timbales, 
crachoirs,  chaises  de  poste,  qui  diable  fut  l'inventeur  de  ces  dénominations 
bizarres  ? 

—  L'Assemblée  générale  annuelle  des  Trente  Ans  de  Théâtre  a  eu  lieu, 
à  la  mairie  de  l'Hôtel  de  Ville,  sous  la  présidence  de  M.  Adrien  Bernheim. 
Le  rapport  moral  du  président-fondateur,  constatant  la  pleine  prospérité  de 
l'œuvre  et  rappelant  la  reconnaissance  d'utilité  publique  par  le  conseil  d'État, 
a  été  adopté  a  l'unanimité,  ainsi  que  le  rapport  financier  du  trésorier,  M.Charles 
Reynaud,  iudiquant  que,  du  1er  janvier  au  31  décembre  1907,  81.022  fr.  80  c. 
ont  été  distribués  (41.930  francs  aux  pauvres  du  théâtre  et  39.072  fr.  80  c.  aux 
personnels  des  théâtres).  Le  dispensaire  des  Trente  Ans  de  Théâtre  sera  inau- 
guré le  lundi  4  mai. 

—  M.HénriHirchmann.qui  obtient  en  ce  moment  un  vif  succès  à  Liège  avec 
son  nouvel  opéra,  Hernani,  peut  se  flatter  d'avoir  déjà  un  bagage  considérable. 
Voici  en  effet,  sauf  omissions,  la  liste  des  ouvrages  qu'il  a  fait  représenter 
jusqu'ici  :  If  Siècle,  légende  en  un  acte.  Boite  à  musique,  4  novembre  1896; 
—  l'Amour  à  la  Bastille,  un  acte,  Opéra-Comique,  14  décembre  1897  ;  —  le 
Retour,  pantomime  en  un  acte,  Boite  à  musique,  20  mars  1898  ;  —  Folles 
Amotirs,  divertissement  en  deux  tableaux  (avec  M.  de  Lagoanère),  Olympia. 
11  septembre  1S9S  ;  —  Lovelace,  drame  lyrique  en  quatre  actes,  Théâtre  de  la 
République,  19  septembre  1898; —  Néron,  ballet  en  un  acte  (avec  M.  de  La- 
goanère), 31  octobre  1898  ;  —  Les  Sept  Péchés  capitaux,  ballet  en  un  acte  (avec 
le  même),  Olympia,  28  janvier  1S99  ;  —  l'ers  les  Étoiles,  ballet-féerie,  Olympia, 
1899  :  —  les  Mille  et  Nuits,  ballet  en  un  acte,  Olympia,  7  octobre  1899  ;  — 
Paillasse,  pantomime  en  un  acte,  Folies-Bergère,  19ll2  ;  —  Colette  et  le  Cheva- 
lier, pantomime  en  un  acte.  Salle  de  Géographie.  1902  :  —  Joujoux  perfection- 


nés, ballet  en  un  acte,  Salle  du  Journal,  1903;  —  les  Hirondelles,  opéra-comique 
en  trois  actes,   Berlin.  Central-Théâtre,   févriei    I90i;    —  la   Petite  Bohême, 
opérette  en  trois  actes,  Variétés,  20  janvier  1905;  —  Rolande,  drame  musical 
en  trois  actes,  Opéra  de  Nice,  mars  1905;  —  Hernani,  opéra   en  oii 
Théâtre-Royal  de  Liège,  mars  1908. 

—  Nous  apprenons  que.  sous  le  patronage  de  la  Société  des  grandes  audi- 
tions musicales  de  France,   un  grand  festival  sera   donné  en   l'honn 
mémoire  d'Edouard   Grieg.   La  grande   cantatrice  d  Bayrentb, 
M""-  Filon  Gulbranson,  se  ferait,  parait-il.  entendn                 ilenn'té,  qui  aurait 
lieu  le  samedi  11  avril,  à  la  salle  Gaveau,  Vi,  rue  de  Laii 

—  Aujourd'hui,  à  .'i  heures,  au  Théâtre-Sàrâh-Bernhardt,  21e samedi  d-:  la 
Société  de  l'histoire  du  théâtre.  Causerie  de  M.  Léopold  Lacour  sur  la  Jeu 
Fille,  avec  récitations  et  auditions  suivantes  : 

Lu  Jeune  Fille  (Th.  Gautier)  ;  Sylvie  (fragment)  (Gérard  de  Neriral  ,  par  M'"  Valois  : 
duo  du  Roi  cTYs  (Lalo),  par'H™  Laute-Brun  el  M"  Marguerite  Vinci;  le  ' 
Séville  (scène  de  Rosine  et  de  Figaro)  (Beaumarchais),  par  M"1  Alice  Clairville  et 
M.  Pillot;  Chant  hindou  (Bemberg),  par  M"'  Marguerite  Vinci  Elle  aimait  trop  /<•  bal, 
c'ésteequi  l'a  tuée  (Victor  Hugo);  Sarah,  belle d'indalenee  { Victor  flugo),  par  M"- du 
Minil  ;  air  du  t'id  (Massenetl,  par  M™"  Laute-Brun  ;  On  ne  badine  pat  avec  Vamour 
(A.  de  Musset),  par  M"'  Géniat  ;  Romance  (Gharaînade),  par  M11-  Marguerite  Vinci . 

—  Il  y  a  quelques  jours  à  peine,  une  toute  jeune  et  jolie  cantatrice,  dont 
nous  avons  eu  souvent  l'occasion  d'enregistrer  les  succès  dans  les  concerts  et 
dans  les  salons,  M"0  Eva  Olchanski  partait  pour  Bruxelles,  où  les  directeu  rs 
du  Théâtre-Royal  de  la  Monnaie,  sollicités  parles  maitres  Massenet  et  Cli.-M. 
Widor  l'avaient  priée  de  venir  se  faire  entendre.  L'audition  eut  lieu. 
Mlle  Olchanski  chanta  tour  à  tour  d'importants  fragments  de  Sigurd,  de  Faust, 
à'IIérodiade,  i'Iphigénie  en  Tauride  et  d'Ariane.  MM.  Kufferalh  et  Guidé  furent 
frappés  tout  de  suite  par  la  superbe  voix  de  soprano,  par  le  style  et  la 
méthode  de  cette  jeune  fille  et  surtout  par  le  tempérament  de  théâtre  qu'ils 
observèrent  en  elle.  La  cause  était  gagnée.  L'engagement  a  été  signé  au  cours 
de  la  semaine  pour  trois  ans  et  dans  de  très  belles  conditions.  M11*  Olchanski 
fera  son  premier  début  très  probablement  dans  Hérodiade  ou  Ariane.  Ajoutons 
qu'elle  est  une  des  brillantes  élèves  de  Mnlc  Esther  Chevalier,  de  l'Opéra- 
Comique,  le  distingué  professeur  qui  a  réussi  à  développer  en  elle  toutes  les 
belles  qualités  d'artiste  dont  cette  jeune  fille  est  douée.  C'est  là  un  début  qui 
promet  d'être  sensationnel. 

—  Lundi  dernier,  salle  des  Agriculteurs,  Mml!  M.  Long  de  Marliave  et 
M.  Maurice  Hayot  ont  donné  une  superbe  audition  des  sonates  pour  piano  et 
violon  de  César  Franck  et  de  M.  Gabriel  Fauré,  suivies  de  la  Sonate  à 
Kreutzer  de  Beethoven.  Mme  Long  de  Marliave  a  joué  avec  des  nuances 
exquises,  un  fini  et  une  délicatesse  de  toucher  tout  à  fait  remarquables; 
M.  Hayot  avec  un  beau  son  et  un  style  très  sobre  et  très  pur.  Les  deux  ar- 
tistes ont  obtenu  un  magnifique  résultat  d'ensemble.  La  sonate  de  M.  Gabriel 
Fauré  a  été  particulièrement  bien  rendue;  le  second  morceau,  très  difficile, 
et  le  final,  très  vivant,  ont  provoqué  les  applaudissements  de  toute  l'assistance. 
Dans  la  Sonate  à  Kreutzer,  l'andante  con  variazioni  a  été  pour  ses  brillants 
interprètes  un  véritable  triomphe.  Les  notes  de  chaque  phrase  musicale,  égre- 
nées avec  une  finesse  et  une  minutie  charmantes,  ont  ravi  l'oreille  sans  jamais 
nuire  par  leur  grâce  un  peu  coquette  au  beau  sentiment  de  la  mélodie.  On 
ne  pouvait  mieux  comprendre  et  mieux  interpréter  le  chef-d'œuvre  de  Bee- 
thoven et  les  deux  autres  sonates  qui  figurent  parmi  les  plus  belles  qu'ait 
produites  l'art  moderne.  Au.  B. 

—  Le  concert  annuel  donné  par  les  élèves  du  Conservatoire  de  Perpignan 
a  été  un  des  meilleurs  que  nous  ayons  entendus.  Au  riche  programme  figu- 
raient une  Romance  sans  paroles  de  Mendelssohn  pour  instruments  à  cordes 
et  harpe  chromatique,  fort  bien  tenue  par  M""  Louise  Rey  ;  le  duo  i'Aîda 
bien  chanté  par  Mlles  Vaills  et  Llech  ;  le  redoutable  concerto  peur  violon  de 
Beethoven,  eulevé  avec  une  maestria  étonnante  par  la  jeune  et  charmante 
violoniste.  Mlle  Gabrielle  Baille,  et  la  Symphonie  pastorale  du  menu  auteur  . 
Le  talent  de  tous  les  jeunes  artistes  qui  se  sont  fait  entendre  nous  a  prouvé 
que  notre  école  de  musique  était  en  grand  progrès  et  cela  grâce  à  la  compé- 
tence de  son  infatigable  directeur,  M.  Gabriel  Baille. 

—  Le  Grand-Théâtre  de  Bordeaux  a  donné  avec  succàs  la  représentation 
d'un  ballet  inédit  intitulé  An  Pays  d'Armor,  scénario  de  MM.  Belloni  et  de 
A.-P.  deLannoy,  musique  de  M.  N.-T.  Ravera. 

—  Le  27  mars  aura  lieu,  à  la  salle  des  Agriculteurs,  rue  d'Athènes, 
le  concert  de  Mme  Regina  d'Artelly,  la  remarquable  cantatrice  russe,  avec 
le  concours  des  compositeurs  Diémer,  Paul  Vidal,  Coquart,  du  violoniste 
Enesco  et  du  pianiste  Lortat-Jacob. 

—  Mme  Juliette  Toutain-Grûn,  la  remarquable  virtuose,  donnera  un  concert 
avec  l'orchestre  Colonne,  le  mardi  24,  à  9  heures,  salle  Érard.  Au  programma  : 
Concertos  de  Schumann,  Chopin,  Litoltï,  Saint-Saéns. 

—  SotaÉES et  Concerts. —L'audition  des  élèves  de  M.  et  M—  Jean  Canivet  était 
tout  entière  consacrée  aux  œuvres  de  Théodore  Dubois.  Crand  succès  pour  les 
pièces  de  piano  :  Daphnis,  le  Lèlhè,  l'Allée  solitaire,  le  Réveil,  Danse  el  chœur  des  lutins, 
le  Banc  de  mousse,  les  Abeilles,  Risette,  les  Myrtilles,  Roses  et  Papillons,  les  Oiseaux,  Clin- 
conne,  Danse  rustique.  Éludes  de  concert,  etc.,  exécutées  avec  beaucoup  de  goût. 
M"»  Durand-Texte  prêtait  le  concours  de  son  beau  talent,  en  guise  d'intermède,  i 
cette  intéressante  matinée.  Elle  fut  merveilleuse  dans  les  mélodies  Ce  qui  dure, 
Effeuitlement,  ta  Voie  lactée,  et  dans  les  délicieuses  Musiques  sur  l'eau  :  Écoute  ta  sym- 


96 


LE  MENESTREL 


phonie  et  la  Lune  s'effeuille  sur  l'eau.  —  A  Versailles,  l'audition  des  élèves  de 
M"'  taure  Taconnel  était  également  consacrée  aux  œuvres  dû  même  maître.  L"  ce 
fut  uniquement  le  chant  qui  triompha  et  l'on  parut  goûter  fort  la  Jeune  fille  à  la  cigale, 
le  Jeune  Oiseleur  et  Y  Incantation  fdes  Odelettes  antiques),  l'Air  était  doux,  Effeuillement. 
Printemps,  etc.,  etc.  Le  violoncelliste  Liégeois  lit  merveille  dans  le  Menuet.  VAndanti 
cantabile  >  t  l'Entr'acte-Bigaudon  de  Xavière.  On  termina  par  une  importante  sélection 
cX'Abeii-Hamel  où  se  di>tinguèrent  M""Gonse,  Jouart,  Yincenot,  Liure  Taconnet  et 
M.  Stéphane  Austin.  Le  grand  duo  final  fit  une  profonde  impression.  —  Au  Lyceum- 
Club,  succès  pour  les  œuvres  de  L.  Filliaux-Tiger,  interprétées  par  l'auteur: 
Impromptu,  Sourie  <o/  rieieuse  furent  plus  applaudis  que  jamais;  M1""  Fernand  Depas 
a  été  hissée  dans  Suis  ta  Morrinniers.  —  Salle  Pleyel,  très  intéressante  audition  du 
«  Choral  Le  Grix  »  i;ui  nous  a  donné  une  trèsbonne  audition  de  tout  lepremier  acte 
de  Marie-Magtlekii  c,  de  Messenet,  avec  comme  solistes  Mr  Eliet,  MM.  Marquai  rc  »t 
Legrand. 

NÉCROLOGIE 

On  annonce  la  mort,  à  l'âge  de  49  ans,  d'un  compositeur  d'opérettes  anglais, 
daller  Slaughter.  dont  certains  ouvrages  de  ce  genre  ont  obtenu  de  vifs  suc- 
cès :  Gentleman  Joe,  the  French-Maid,  Her  Royal  Higlvess,  Orlando  Dando,  Majo- 
'  rie,  S.  M.  le  Roi,  Lady  Tattees,  etc. 


—  Le  8  mars  dernier  est  mort  à  Vienne  Joseph  Stritzko,  compositeur  de 
chœurs  pour  voix  d'hommes  et  d'opérettes,  parmi  lesquelles  deux  ont  eu  du 
succès,  Tip,  Top  et  Hochzeit  auf  sacramentel. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

cause  de  santé,  dans  une  grande  ville  du  Nord,  un  fonds 
de    commerce    de    musique,     à    des    prix    extrêmement 
avantageux.  Prendre  l'adresse  et  les  renseignements  au  bureau  du  journal. 

Chemins  de  fer  de  l'Ouest.  —  Voyage  circulaire  en  Bretagne.  —  La  Com- 
pagnie des  Chemins  de  fer  de  l'Ouest  fait  délivrer  toute  l'année  par  ses  gares 
et  bureaux  de  ville  de  Paris  des  billets  d'excursion  de  I'e  et  2e  classes,  vala- 
bles 30  jours,  aux  prix  1res  réduits  de  :  (io  francs  en  lre  classe  et  50  francs  en 
2e  classe,  permettant  de  faire  le  tour  de  la  presqu'île  bretonne. —  Itinéraire  : 
Rennes,  Saint-iIalo,Saiiit-Servan,  Dinard-Saint-Êno'gat,  Binon,  Snint-Brienc, 
Guingamp,  Lànnion,  Moiiaix,  Roscoff,  Brest,  Quimper,  Douarnenez,  Pont-l'Abbé, 
Concarneau,  Lorient,  Auray,  Qiiiberon.  Vannes,  Savenay,  Le  Croisic,  Guérande, 
Saint-Xazaire,  Pont-Château,  Redon,  Rennes.  —  Ces  billets  peuvent  être  pro- 
longés trois  fois  d'une  période  de  10  jours,  moyennant  le  paiement,  pour 
chaque  prolongation,  d'un  supplément  de  10  0/0  du  prix  primitif. 


Pour    paraître    AU    MÉNESTREL.    2   bis,    rue    Vivionne,    HEUGEL    ET    G10,     éditeurs 

Le  jour  de  la  première  représentation  au  Théâtre  de  la  Porte-Saint-Martin 
-    PROPRIÉTÉ   POUR   TOUS   PAYS    - 


LE  CHEVALIE 

OPÉRA-COMIQUE  EH  QUATRE  ACTES 
PARTITION  CHANT  ET  PIANO  b« 

Prix net. .15 francs  A^JVIfl^D    SIllVEST^E    et  HEN^I     CRlfi 


PARTITION  CHANT  ET  PIANO 
Prix  net  :  15  francs 


MORCEAUX     IDE     G  H  .A.  2ST  T     DÉTACHÉS 


Couplets  du  lieutenant  de  police  :  «  Ah  !  quel  plaisir.  » 1  50 

Duetto  :  « :  II. faut  ni  amour  au  but  courir,  vite,  v 1  30 

Final-valse  :  «  On  te  cachera,  on  t'arrangera.  » 2    » 

Couplets  de  la  toilette  :  «  Un  peu  de  air  m  in  sur  la  bouche.  »...  1  75 

Le  Chagrin  de  Rosita  :  «  Mon  Éon  a  disparu.  » 1 

Rêverie  de  la  Dubarry  :  «  Parfois  f  éprouve  une  tristesse.  »   .    .    .   .  1 

2pscoupletsdulieutenantdepolice:«Pour(eshommes/esuw(en-;6;e.  »  l  73 

Couplets  d'Éon  :  «  Un  insolent  coin  me  tantôt.  « 1  75 

Romance  d'Annette  :  «  Mais  crois-tu  donc  que  c'est  bien  ilrô'e.  « .    .  1  30 

Est-ce  oui?  Est-ce  non?:  «  Le  sort  de  ton  ami  dépend  de  to:.  •>  .   .  '2    » 

Petits  oiseaux  :«  Emplisses  d'un  murmuré  d'ailes.  » I     » 

22.  Duo  comique  (le  lieutenant  de  police,  WandcrlloclO  :  «  Si  i 
(Les  numéros  1.  3,  4.  7.  8.  9,  li,  15,  I  i  et  2'  p  mi 


N° 


Pi 


neige  et  froidure.  ». 


Cavatine 

Daetto  :  «  Je  ne  sais  pas  écrire.  »   . 

La  lettre  de  Rosita  :  o  Si  lu  suçais,  mon  chevalin-.  »  .    .    . 

Romance  de  la  fleur  :  «  Tiens,  reprends  la  petite  fleur.  »,   . 

Couplets  de  Wanderflock  :  «  Ôk!  Celte  Anneite,  quel  trésor I 

Valse  de  la  Parisienne  :  «  Ah!  qu'c'est  bon!  » 

Menuet  de  la  Dubarry  :  «  Que  tout  est  charme.  »'.  ■ .    .    .    . 

Chanson  d'Éon  :  «  Vivent  les  folles  escapades.  » 

Air  de  Rosita  :  «  Vous  mentez!  » 

Lettre  de  Russie  (2  voix)  :  «  Sain1,  mon  beau  cousindéFra 

La  même  pour  une  seule  voix 

ons  continuez  à  me  turlupiner.  » 1  50 

chant  seul  sans  accompagnement,  chaque  net  :    0  33) 


1  » 
1  50 

1  75 

1  » 

2  50 
1  50 
1  30 
l     » 


TRANSCRIPTIONS    POUR    PIANO    SEUL 
!.  Entr'acte-Gavotte.  .....     1     »    |    •'!.  Entr'acte-Lamento 1     i 


Marche  triomphale 


3.  Mazurka. 


AIRS    DE    BALLET.    -    LE    MARIAGE    D'UNE    ROSE 

1  30    |    G.  Boutons  de  ns-)r,  staccato 

S.  Rose  de  France,  bciiqrzetto 2    »         | 


1     »    |    7.  Adoration,  andante 

I.   Strette-Finale 1  50 


IVtXJSIQTJB      HZ»  E; 


SUITE   DE  VALSES 
Net  :  2  francs 


GRANDE   POLKA 
Net  :  1  fr.  50 


y     g    S'adresser  au   MÉNESTREL,   2  bis,   rue  Vivienne,  pour  la  location  des  parties   d'orchestre 

de  la  mise  en  scène,  et  des  dessins  des  costumes  et  décors 

EN  PRÉPARATION  DES  TRADUCTIONS  ALLEMANDE  ET  ANG-LAISE 


18.  -  74'  ANNÉE.—  i\°  13. 


PARAIT  TOUS   LES   SAMEDIS 


Samedi  28  Mars  4908. 


(Les  Bureaux,  2  b:%  rue  Vivienne,  Paris,  h-  an') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 


lie  fluméro  :  o  ft>.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  flumépo  :  0  ft».  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  — Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, 20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  posté  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (IV'  article),  Julien  Tiersot.  —  II. 
Flirt,  au  Gymnase,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Petites  notes  i 
concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

MENUET 

extrait  de  Zino-Zina,  ballet  de  Paul  Vidal.  —  —    Suivi  a  immédiatement  : 

Entracte-Gavotte,  extrait  du  Chevalier  d'Éon,   opérette  de  Rodolphe   Berger, 

qui  va  être  prochainement  représentée  à  la  Porte-Saint-Marlin. 


taine  théâtrale  :  première  représenlalion  de 
portée  :  Orchestre  et  littérature;  échange 


la  Poudre  aux  Moiiu-uu. 
de  bons  procédés,  Ra 


au  Palais-Royal,  et  reprise  de  Madame 
■  i\i>  Bouver.  —  IV.  Revue  des  grands 


MUSIQUE  DE  CHANT 
Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
COUPLETS  DE  L'AIGUILLE 
exlrails  des  Jumeaux   de    Bergame,  arlequinade   de  E.   Jaqies-Dalcroze.  — 
Suivra  immédiatement  :  La  Lettre  de  Rositu,  exlraite  du  Chevalier  d'Éon,  opé- 
rette de  Rodolphe  Berger. 


SOIXANTE     ANS     DE     LA    VIE     DE     GLUCK 


(±T  1-4-1774) 


Quant  à  Haendel,  c'est  bien  à  tort 
expliquer  le  froid  accueil  reçu  par 
Gluck.  Il  avait  assez  affaire  de 
s'occuper  de  lui-même  et  de  sa 
propre  situation  sans  chercher  à 
faire  obstacle  à  la  carrière  d'un 
jeune  artiste  qui  n'était  aucune- 
ment en  conflit  avec  lui. 

En  174(3,  il  y  avait  huit  ans  que 
Haendel  avait  fini  d'écrire  son 
dernier  opéra.  Entrepreneur  de 
spectacles,  en  concurrence  avec 
les  théâtres  rivaux,  en  lutte  per- 
pétuelle avec  la  noblesse  et  les 
artistes,  il  s'était  ruiné  deux  fois, 
en  avait  pensé  mourir,  et  toujours 
s'était  relevé  de  ses  chutes  comme 
par  miracle.  Depuis  longtemps,  il 
ne  donnait  plus  que  les  concerts 
auxquels  nous  avons  dû  la  pro- 
duction de  ses  admirables  orato- 
rios. Au  moment  où  Gluck  aborda 
dans  l'île,  il  venait  de  subir  une 
nouvelle  faillite,  pour  n'avoir  pas 
pu  achever  la  saison  précédente  ; 
et  ce  furent  cette  fois  les  événe- 
ments politiques  qui  le  sauvèrent, 
grâce  à  l'idée  qu'il  eut  de  composer 
un  «  Oratorio  de  circonstance  »  où 
étaient  exaltés  les  sentiments 
patriotiques  du  peuple  anglais, 
tandis  que  Judas  Macchabée,  donné, 
par    une    coïncidence    heureuse. 


CHAPITRE   IV    :    Voyage  en  Angleterre. 

qu'on  l'a  mis  en  cause  pour     |     comme  le  chant   triomphal  que   tout   le  monde  voulut  accla- 
mer. 

Ces  œuvres  étaient  exécutées  à 
Covent-Garden,  tandis  que  Gluck, 
au  théâtre  d'Hay-Màrkèt,  donnait 
la  Cadula  de'  Giganti  et  Artamène.  Ils 
ne  se  gênaient  donc  aucunement 
l'un  l'autre,  et  les  circonstances 
étaient  telles  que  Haendel  n'avait 
point  à  prendre  ombrage  de  la  pré- 
sence de  Gluck. 

Mais  les  mots  historiques  ?  11  est 
vrai  qu'il  en  est  un  beaucoup  plus 
connu  (surtout  en  France,  où  l'on 
aime  tant  ces  sortes  de  propos) 
que  le  Afessie,  Sanison  et  la  Fêle. 
d'Alexandre.  Un  le  résume  généra- 
lement en  cette  courte  phrase  : 
«  Gluck,  aurait  dit  Haendel,  est 
musicien  comme  mon  cuisinier.  » 
Quand  il  s'agit  d'aussi  graves  affai- 
res, il  importe  de  remonter  aux 
sources  et  ne  se  point  prononcer 
à  la  légère.  Conscient  de  mon 
devoir,  j'ai  donc  procédé  à  l'en- 
quête indispensable  :  c'est  dans 
Bukney.  Life  of  Hiindel,  178S,  p.  33, 
que  j'ai  trouvé  pour  la  première, 
fois  imprimée  la  phrase  illustre  ; 
et  voici,  traduits  avec  le  respect 
qui  sied,  les  termes  exacts  de  ce 
combien  précieux  document  : 

après    la    victoire,    apparut     |         «  Quand  Gluck  vint  pour  la  première   fois  en  Angleterre,  il 


98 


LE  MENESTREL 


n'était  pas  encore  un  grand  et  célèbre  maître  comme  il  le 
devint  par  la  suite.  Je  me  souviens  que  Mmc  Cibber  demanda 
une  fois  en  ma  présence  à  Haendel  ce  qu'il  pensait  de  lui  comme 
compositeur.  Il  répondit  avec  un  juron  :  «  Il  s'entend  au  contre- 
point autant  que  mon  cuisinier  Waltz.  » 

Je  me  fais  gloire  d'avoir  révélé  à  mes  .contemporains,  par  cette 
citation  Adèle,  1°  le  nom  de  la  dame  anglaise  à  qui  Haendel  a 
fait  cette  confidence  sensationnelle;  2°  l'habitude  qu'avait  l'au- 
teur au  Messie  de  jurer  dans  la  société  des  femmes  du  monde 
(il  prononçaprobablement':  Goddam!  mot  dont  Figaro  allait  bientôt 
célébrer  l'illustration)  ;  3°  et  surtout,  le  nom  injustement  oublié 
du  cuisinier  qui  supportait  la  comparaison  avec  Gluck  quant  à 
l'entente  du  contrepoint,  talent  qui  devait  lui  être  d'un  impor- 
tant secours  pour  la  préparation  de  ses  sauces.  Quant  à  la  cri- 
tique qui  se  mêle  à  ces  accessoires,  reconnaissons  qu'elle  est 
parfaitement  fondée,  et  que,  surtout  à  cette  époque  de  sa  jeu- 
nesse, après  des  études  faites  presque  sans  maître,  avec  la  seule 
pratique  de  l'opéra  italien,  celui  qui  devait  écrire  Armide 
n'était  pas  très  grand  clerc  en  matière  scolastique.  Ses  qualités 
étaient  autres. 

Au  reste,  les  biographes  ont  rapporté  un  autre  mot  de  Haendel, 
adressé  à  Gluck  lui-même,  aussi  bien  vraisemblable,  quoique 
d'un  esprit  parfaitement  diffèrent.  Gluck,  étant  allé  respec- 
tueusement visiter  le  vieux  maître,  dont  il  savait  bien  admirer 
le  génie,  —  voire  l'habileté  de  contrapunctiste,  —  lui  faisait 
confidence  de  ses  désillusions  après  son  peu  de  succès.  A  quoi 
Haendel,  avec  un  flegme  qu'explique  un  séjour  de  près  d'un 
demi-siècle  chez  les  Anglais,  répondit  : 

«  Vous  vous  êtes  donné  trop  de  mal  avec  votre  opéra,  mais 
c'est  ici  bien  hors  de  propos  !  Pour  les  Anglais,  il  faut,  de  toute 
façon,  concevoir  une  musique  qui  marche  droit  et  puisse  se 
battre  sur  la  peau  d'un  tambour  (I).  » 

Ces  mots  sont  le  cri  du  cœur  exhalant  le  désenchantement 
d'un  maître  qui  s'était,  toute  sa  vie,  vu  aux  prises  avec  l'incom- 
préhension, et  savait  que  les  oreilles  où  tombaient  maintenant  ses 
paroles  étaient  bien  faites  pour  les  entendre.  Ce  sont  eux  seuls 
qui  méritent  d'être  retenus.  Quant  aux  petites  médisances  mon- 
daines, il  faut,  vinssent-elles  d'un  Haendel,  n'y  attacher  que 
l'importance  qu'elles  méritent,  c'est-à-dire  point  du  tout. 

Les  opéras  que  Gluck  donna  à  Londres  sont  la  Caduta  de'  Giganli 
et  Artamene.  Nous  ne  connaissons  rien  des  représentations 
de  ces  œuvres,  si  ce  n'est  les  dates,  et  les  quelques  indications 
que  donne  Burney,  soit  dans  son  Histoire  de  la  musique,  soit 
dans  son  récit  de  voyage  :  Étal  présent  de  la  musique,  où  il 
consigne  les  souvenirs  dont  Gluck  lui  fit  confidence  lors  de 
l'entretien  qu'ils  eurent  à  Vienne  en  1772  (2). 

La  Caduta  de'  Giganli  fut  représentée  au  Théâtre  d'Hay-Market 
de  Londres  pour  la  première  fois   le    7   janvier    1746  (3).   Le 

(1)  Reichardt,  ap.  Scumid.  Ce  dernier  auteur  dit  (p.  29)  faire  la  citation  d'après  le  Ton- 
kunstler-Lexicon  de  Gerber  ;  mais  je  ne  l'ai  trouvée  ni  dans  l'édition  de  1790  ni  dans 
celle  de  1812  de  ce  dictionnaire.  J'ai  lu  dans  deux  biographies,  l'une  allemande, 
l'autre  française  (les  meilleures  que  nous  possédions  sur  Gluck),  l'observation  sui- 
vante appliquée  sérieusement  à  la  boutade  de  Haendel  :  »  Le  conseil  ne  fut  pas 
perdu,  et  c'est  de  ce  moment  que  Gluck  conçut  l'idée  de  renforcer  ses  chœurs, 
notamment  par  des  trombones.  »  Ce  que  c'est  que  de  comprendre  !  Je  n'aurais  jamais 
cru  que  l'idée  d'écrire  une  musique  imitantle bruitdu tambour  eùtpour  conséquence 
l'introduction  des  trombones  dans  l'accompagnement  des  chœurs  funèbres  i'Orphée 
et  éL'Alceste  !  La  méprise  est  d'autant  plus  piquante  que,  jusqu'alors,  et  pour  long- 
temps encore,  Gluck  n'eut  pas  à  composer  de  chœurs  pour  ses  opéras,  et  que  le 
premier  emploi  qu'il  fit  des  trombones  unis  aux  voix  est  de  seize  ans  postérieur, 
ayant  eu  lieu  en  1762,  dans  Or/eo,  d'après  une  fort  ancienne  tradition  de  la  musique 
religieuse  allemande,  qui  n'a  aucune  relation  avec  le  conseil  ironique  donné  par 
Haendel  en  1746  ! 

(2)  Burney,  A  General  Hislory  of  musk,  1789,  t.  IV,  pp.  452-454.  —  De  l'Étal  présent 
de  la  musique,  etc.,  1810,  t.  III.  pp.  229  et  suiv. 

i3)  Voy.  Burney,  History,  et  Wotquenne,  Catalogue  GlueU.  Je  tiens  en  outre  de 
M.  .1.  S.  Shedlock,  notre  excellent  confrère  de  Londres,  des  renseignements  qu'il  a 
bien  voulu,  à  mon  intention,  chercher  dans  les  documents  anglais  contemporains. 
Voici  d'abord  l'annonce  de  la  première  représentation  telle  qu'elle  est  libellée  par 
un  journal  trois  jours  avant  l'ouverture  du  théâtre  : 
■  Général  Adverliser,  1740. 
Jan  4.  —  Thursday. 

Haymarket     La  Caduta  de'  Giganti. 
Théâtre  .   .     The  Fait  of  the  Giants. 
A  Musical  Brama  in 
two  parts.  » 


duc  de  Cumberland  assistait  à  cette  représentation;  il  y 
écouta  un  compliment  composé  en  son  honneur.  Des  danses 
nouvelles  composées  par  Auretti,  où  parut  la  charmante  Violetta, 
plus  tard  Mistress  Garrick,  furent  applaudies.  Parmi  les  chan- 
teurs, Gluck  retrouva  trois  de  ses  anciens  interprètes  de  Milan 
et  de  Venise  :  les  castrats  Monticelli  et  Jozzi,  et  la  cantatrice 
Thérèse  Imer.  Du  poème,  nous  ne  savons  pas  un  mot,  pas  même 
le  nom  de  l'auteur  ;  toute  trace  du  libretto  a  disparu.  Quant  à 
la  musique,  Burney  l'apprécie  dans  son  histoire  en  analysant  un 
à  un  les  six  morceaux  qu'en  ut  graver  un  marchand  de  musique 
de  Londres  ;  mais  c'est  plutôt  d'après  cette  lecture  qu'il  en  parle 
qu'en  évoquant,  semble-t-il,  ses  propres  souvenirs  de  la  repré- 
sentation. 

Il  n'est  pas  exact,  comme  il  l'a  rapporté  plus  tard  d'après  les 
communications  de  Gluck  (nous  avons  déjà  cité  le  passage),  que 
le  théâtre  n'ait  pu  représenter  dans  la  saison  que  la  Caduta 
de'  Giganti,  à  la  faveur  des  applications  fortuites  du  poème  aux 
circonstances  politiques,  car  un  opéra-buffa  de  Galuppi,//  Trionfo 
délia  Continenza,  prit  sa  place  le  28  janvier  (1).  Le  4  mars  fut 
donné  un  second  opéra  de  Gluck,  Artamene,  qui  eut  dix  repré- 
sentations, jusqu'au  12  avril  (2)  ;  nous  n'en  savons  rien  de  plus 
que  pour  la  Caduta.  Enfin  la  saison  fut  terminée  avec  Alessandro 
nelf  Indie,  de  Lampugnani,  que  suivit  encore  un  autre  ouvrage 
de  Galuppi,  Antigono. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Palais -Royal  :  Lu  Poudre  aux  Moineaux,  vaudeville  en  3  actes,  de 
MM.  Maurice  Desvallières  et  Lucien  Gleize.  —  Gymnase  :  Madame  Flirt, 
comédie  eu  4  actes,  de  MM.  Paul  Gavault  e(  Georges  Berr. 

Mongrésin  est  un  charmant  garçon,  architecte  de  son  état  et  horri- 
blement volage  de  sa  nature,  encore  qu'il  aime  énormément  sa  jeune 
femme,  liais,  voilà,  il  ne  peut  pas  rencontrer  un  jupon  sans  immédia- 
tement s'enflammer  et  jeter  «  sa  poudre  aux  moineaux  »  ;  et  lorsque, 
le  soir,  il  rentre  au  domicile  conjugal,  il  a  usé  toute  cette  précieuse 
poudre,  ce  dont  se  plaint  assez  justement  Mnlc  Mongrésin.  Il  a  beau  se 
raisonner,  le  pauvre,  se  cabrer  pour  échapper  à  la  tentation,  il  est  sans 
volonté  pour  éviter  le  danger.  Ah  !  si  seulement  il  y  avait  encore  des 
couvents  d'hommes!  Il  irait  bien  vite  là  emprisonner  sa  fragile  fidélité. 
Emprisonner...  prison  !  Si  les  couvents  ont  disparu,  les  prisons  demeu- 
rent !  C'est  cela  !  Il  se  fera  coffrer  aux  lieu  et  place  d'un  sien  ami, 
condamné  à  huit  jours  pour  excès  de  vitesse  en  automobile  ;  il  fera,  dans 
le  calme  de  sa  cellule,  provision  de-  «  poudre  »  et,  à  sa  libération, 
Mmi'  Mongrésin  n'aura  plus  rien  à  lui  reprocher  et,  lui,  aura  enfin 
rendu  la  paix  à  sa  conscience  alarmée. 

Or.  Mongrésin,  qui  n'a  vraiment  pas  de  chance,  est  écroué  à  la 
«  Santé  »  dans  un  pavillon  nouveau  exclusivement  destiné  aux  auto- 
mobilistes et  dont  le  directeur,  -mondain,  aimable  et  très  parisien,  a 
tout  mis  en  œuvre  pour  faire  oublier  aux  chauffeurs  éternellement 
braqués,  les  injustices  trop  souvent  répétées  des  contraventions  ineptes. 
Il  est  permis  d'y  recevoir  des  dames  en  ce  paradis  nouveau  ;  aussi 
Mongrésin  s'empresse-t-il  de  convoquer  sa  femme.  Pourquoi  est-ce 
Navarette,  des  Folies-Bergère,  qui  franchit  le  seuil  de  la  geôle  et  non 
Mmc  Mongrésin  ?  Tour  de  passe-passe,  cher  aux  vaudevellistes,  qui  fait 
rebondir  la  pièce,  l'embrouille  de  plus  belle  et  la  rendrait  interminable 
sans  l'adresse  et  l'esprit  des  auteurs  qui  finissent,  après  mille  amu- 
santes péripéties,  à  rendre  l'époux  à  l'épouse. 

La  Poudre  aux  Moineaux  estjouée  avec  entrain,  belle  humeur,  etmème 
quelque  originalité,  par  M.  Le  Gallo,  avec  infiniment  de  talent  et  de 

En  ce  qui  concerne  la  correspondance  de  la  date  avec  celle  du  calendrier  en  usage 
sur  le  continent,  rappelons,  d'après  M.  A.  Wotquenne,  qUe  le  calendrier  anglais 
retardait  de  onze  jours  sur  le  calendrier  grégorien,  lequel  ne  fut  adopté  dans  les 
Iles  Britanniques  qu'en  1752.  —  Les  représentations  de  la  Caduta  de'  Giganti,  au 
nombre  de  six  seulement,  eurent  lieu  les  7, 11,  14,  18,  21  et  25  janvier. 

(1)  Sur  les  représentations  des  opéras  de  Galuppi  à  Londres,  voy.  Burney,  History, 
etc.,  pp.  453  et  454,  et  Wotouexne,  Baldassare  Galuppi,  Elude  bibliographique^  19Û2,p.  20. 

(2)  Le  General  Adverliser  annonce  en  effet,  sous  la  date  du  4  mars  : 
«  A  New  Opéra  eall'd  Artamene  *. 

Et  les  représentations  suivantes  sont  mentionnées  aux  dates  de  8,  11,  15,  18, 
22  mars,  et  1,  5,  8  et  12  avril  (Communication  de  M.  J.-S.  Shedlock). 


LE  MÉNESTREL 


99 


discrétion  par  M"c  Madeleine  Dolley,  avec  chic  et  amabilité  par 
M.  Cooper.  Mlles  Corciade,  Yrven,  MM.  Reschal  et  Diamand  complètent 
un  honnête  ensemble. 

C'est  à  l'Athénée  que  le  Gymnase  a  emprunté  cette  Madame  Flirt 
qu'il  vient  de  remonter,  on  est  tenté  de  se  demander  pourquoi.  Non 
que  la  comédie  de  MM.  Paul  Gavau't  et  Georges  Berr  ne  soit  tout  à 
fait  charmante,  plus  que  charmante  même  en  plusieurs  passages,  mais 
parce  que  son  apparition  remonte  à  peine  à  six  ou  sept  années  et  que 
le  nombre  de  ses  représentations,  au  square  de  l'Opéra,  fut  tout  à  fait 
respectable,  car  ce  fut  un  très  grand  succès.  Qui  donc  à  Paris  n'a  pas 
été  séduit  encore  par  la  nature  exquise  de  M"K'  de  Varigny  et  quels 
doux  yeux  ne  se  sont  pas  embellis  d'une  larme  furtive  à  la  belle  sim- 
plicité de  son  dévouement  ? 

Donc  c'est  surtout  dans  l'interprétation  que  réside,  cette  fois,  le  plus 
grand  intérêt,  et  il  n'est  point  mince  puisque  les  deux  principaux  rôles 
sont  confiés  à  Mmo  Marthe  Régnier  et  à  M.  Tarride.  Il  n'est  point  pos- 
sible d'être  plus  joliment  mutine  et  plus  délicieusement  attendrie  que 
la  première,  et  plus  largement  naturel  et  fin  que  le  second.  La  direction 
du  Gymnase  a  encadré  les  deux  remarquables  protagonistes  de  femmes 
jolies  et  d'élégance  raffinée,  telles  M"''s  Madeleine  Charny  et  Bérangère, 
et  de  comédiens  d'excellente  volonté,  tels  MM.  Jean  Dax,  Gaston  Des- 
champs, Arvel,  Rabiot  et  Baûer. 

Paul-Emile  Chevalier. 


PETITES   NOTES   SANS   PORTÉE 


CXXXI 

ORCHESTRE   ET   LITTÉRATURE  :    ÉCHANGES   DE   BONS 

PROCÉDÉS  (1). 

.1  .1/"L'  Hélène  Dentellier,  dramatique 
interprèle  de  la  Habanera. 

Influences  réciproques  de  l'orchestre  sur  la  littérature  et  de  la  litté- 
rature sur  l'orchestre  :  telle  est  donc  la  double  donnée  du  problème  à 
la  fois  expressif  et  technique,  dont  il  faut  très  nettement  distinguer  les 
deux  termes. 

1°  En  résumé,  quelle  a  été  l'influence  de  l'orchestre  sur  la  littérature  ? 
Nulle  à  première  vue,  et  médiocre  d'abord,  en  effet,  même  en  1830;  car 
les  plus  grands  poètes,  et  surtout  les  poètes  français,  sont  rarement 
sensibles  à  la  musique  pure.  Et  notre  Victor  Hugo,  dans  deux  pièces 
célèbres  (2),  a  décrit  plastiquement  la  musique,  voire  même  la  sympho- 
nie, mais  en  sculpteur  du  vers,  en  rhétoricien  souverain  de  la  rime... 
Alto  sonne  richement  avec  chapiteau,  etc.  ;  et,  pour  rimer  avec  amour 
(au  lieu  de  le  remplacer  comme  au  couvent),  c'est  l'évocation  toute 
pittoresque  d'un  «  orage  de  bruit  »,  suivi  d'une  «  musique  ailée  », 
Où  la  basse,  en  pleurant,  apaise  le  tambour. 

Or,  il  s'agit  du  puissant  Palestrina,  «  père  de  l'harmonie  »,  qui  n'a 
jamais  écrit  que  pour  les  voix  a  capella...  Bientôt,  pour  argenter  les 
dômes  merveilleux  de  la  sainte  architecture  qui  va  sombrer  dans  la 
nuit  des  temps,  la  Musique  devient  à  propos  «  la  lune  de  l'Art  ».  Et 
quand  il  veut  célébrer  l'hymne  qui  «  sort  du  monde  »,  le  plus  sculptural 
des  poètes  évoque 

Un  pâtre  sur  sa  llùte  abaissant  sa  paupière... 

Bref,  si  les  grauds  écrivains  en  général,  et  les  poètes  en  particulier, 
sont  d'instinct  des  visuels  ou  des  auditifs,  Hugo,  comme  Flaubert  et 
Gautier,  comme  Gœthe  lui-même,  et  j'allais  ajouter  Berlioz,  est  un 
regard  qui  voit  la  musique...  Toutefois,  de  plus  en  plus  mélomanes,  les 
peintres  contemporains  et  nos  récents  littérateurs  d'avant-garde  doivent 
beaucoup  à  la  fréquentation  des  concerts,  à  leur  commerce  amoureux 
avec  l'orchestration  moderne.  L'ouverture  des  Maîtres-Chanteurs,  par 
exemple,  nous  est  apparue,  voici  vingt-sept  ans  déjà,  comme  une 
seconde  Nature,  un  autre  monde,  une  merveilleuse  coupe  de  panthéisme 
où  tous  nos  sens  buvaient  la  vie  à  pleins  bords,  avec  dévotion  !  Audi- 
teur, exécutant,  quelle  volupté  d'être  une  monade,  une  unité  pensante 
en  cet  univers!  Personnifiant  la  Renaissance  ivre  de  vie,  le  Satyre  du 
poète  sculptural  n'était  pas  soudain  plus  grand  que  notre  humble  moi 
plongé  par  le  génie  des  sons  dans  ce  radieux  abime...  Ivresses  domini- 
cales du  passé  !  Joies  juvéniles  et  spirituel  enchantement  des  soirs  de 


(1)  Voir  le  Ménestrel  du  samedi  21  mars  1908. 

(2)  Que  la  Musique  date  du  seizième  sièele  (Les  Hayons  et  les  Ombres.  XXXV  ;  mai  1837i; 
—  Ecrit  sur  la  plinthe  tFun  bas-relief  anli/pie.  à  W'.  Louise  Bertin  Les  Contemplations, 
III,  21;  juin  1833). 


Vendredi-Saint  1  Les  fragments, alors  inédit-:,  de  Tristan  et  la  voluptueuse 
mort  d'Isolde  ne  nous  exaltaient  pas  moins,  dans  l'atmosphère  nais- 
sante d'un  printemps  plus  doux...  11  y  a.  maintenant,  plus  d'un  quart 
de  siècle,  l'orchestre  a  rayonm  véritablement  sur  la  Littérature 
éblouie. 

Et,  2°  (comme  nous  l'avons  fait  pressentir),  la  littératuiv  n'avait  pas 
attendu  cette  heure  d'éblouissement  wagnérien  pour  inlluen 
chestre. 

Assurément,  les  bons  musiciens  poudres  de  jadis  se  souciaient  aussi 
peu  de  la  littérature  que  les  plumitifs  à  catogan    -  lient  des 

progrès  enfantins  de  l'orchestration;  et  c'était  l'heureux  âge  d'or  ou  le 
bon  vieux  temps  de  la  musique  absolue.  Mais,  de  bonne  heui 
1S30,  voyez  la  domination  de  la  littérature,  écoute/,  le  crescendo  de 
l'intellectualité  !  Le  XIV"  siècle  veut  attacher  un  sens  a  la  note.  El  le 
nom  seul  de  Shakespeare  ne  suffit-il  pas  é  composer  ing 
ment  tout  un  programme  Berlioz,  de  même  qu'il  suffirait  à  fournir 
toute  une  exposition  Delacroix  ?  La  musique  littéraire  est  paralli  le  â  La 
floraison  de  la  peinture  littéraire.  Une  même  cause  a  lleuii  deux  ra- 
meaux. Et  déjà.  Mendelssohn,  le  sage  lettré  du  romantisme,  n'avait-il 
point  musique,  dés  l'avril  de  ses  dix-sept  ans,  le  Songe  d'une  Nuit  d'été? 
Sans  parler  du  dieu  Beethoven  qui  songeait  à  Shakespeare  en  prolon- 
geant un  adagio  mineur  de  quatuor  ou  de  sonate,  avanl  de  so  -  < 
Faust!  Berlioz,  le  romantique  par  excellence,  est  un  peintre  lettré, 
nourri  de  Shakespeare  et  de  Virgile,  un  volcan  qui  recèle  en  son  ombre 
incandescente  un  tombeau  virgilien.  Littérature,  la  pauvre  clarinette  <-n 
mi  bémol  qui  caricature,  au  sabbat  de  la  Fantastique,  la  sentimentale 
poésie  de  la  Femme  aimée  !  Littérature,  l'Idée  fixe  qui  parcourt  les 
symphonies  évocatrices  !  Littérature,  le  quadruple  orchestre  ôveilleur 
du  Requiem  et  les  cymbales  pianissimo  du  Sanctus.  avant-courrières 
séraphiques  des  demi-sonorités  du  prélude  majeur  de  Lohengrin  .'  Vio- 
lence ou  douceur,  la  littérature  est  l'àme  de  cet  art:  et  c'est  elle  que  l'o- 
reille soupçonne  dans  la  llùte,  au  duo  des  jeunes  filles  shakespeariennes, 
autour  d'un  pâle  jet  d'eau,  dans  la  nuit. ..  Et  Schumann  littérateur  et  poète, 
«  le  poète  des  sons  »,dont  l'harmonie  fut  plus  expressive  que  l'orchestre  ! 

Et  Wagner,  donc  ?  Avec  le  géant  de  Munich  et  de  Bayreuth,  n'est-ce 
pas  le  poème  viril  qui  s'impose  à  la  musique  «  qui  est  femme  »  ?  Et 
Debussy,  maintenant,  ce  petit-maitre  es  voluptés  morbides,  dont  la 
subtilité  s'emmêle  aux  cheveux  de  nuit  de  Bililis,  tandis  que  la  Damoi- 
selk  Élue  soupire  accoudée  aux  balcons  d'or  du  ciel  ?  Que  d'emprises 
littéraires  depuis  Baudelaire  jusqu'à  Maeterlinck,  depuis  les  Fleurs  du 
Mal  jusqu'au  Trésor  des  Humbles,  en  passant  par  la  Sagesse,  maintes  fois 
cynique,  de  Verlaine  !  Que  nous  voici  déjà  loin  de  la  lyrique  nuit  verte 
de  Siegfried  ou  de  l'orchestration  «  rouge-feu  »  du  Nibelheim  !  A  l'ita- 
lianisme empourpré  de  la  Tétralogie,  à  son  u  boltin  des  leit-motive  ».  les 
humbles  préfèrent,  et  pour  cause,  le  silence  d'un  nouvel  orchestre  :  et 
Wagner  a  lui  musicalement  comme  la  foudre  en  un  jour  de  neige... 

Aux  grandes  synthèses  de  la  fresque  wagnérienne,  à  ses  belles  avalan- 
ches sonores,  se  substitue  clandestinement  une  mosaïque  nouvelle, 
un  pointillisme  orchestral,  assez  byzantin  d'allure  ;  à  la  polyphonie 
scolastico-franckiste,  à  ses  complexités  touffues,  succèdent  trop  mièvre- 
ment  les  harmonies  éparpillées  ;  wagnériens  d'hier,  les  admirateurs 
décadents  de  YOrfeo  ressuscité  du  vieil  Italien  Monteverde  se  font  au- 
jourd'hui les  avocats  de  la  demi-teinte;  et  n'est-ce  pas  l'individua- 
lisme qui  réagit  partout  contre  les  excès  de  la  centralisation  ?  Tout 
s'effrite  et  s'émiette...  A  peu  près  seul,  isolé  dans  sa  classique  et  fa- 
rouche indépendance,  Paul  Dukas  traite  orchestralement  la  légende  de 
Maeterlinck  comme  la  légende  de  Goethe  :  il  l'ait  pénétrer  le  soleil, 
qu'adorait  Rameau  (1),  dans  le  dédale  moyenâgeux  des  lourds  piliers 
romans,  et  la  magistrale  orchestration  de  sa  symphonie  en  trois  actes 
dépasse  de  toute  sa  fierté  la  trop  symbolique  indolence  d'Ariane  et  Barle- 
Bleue.  C'est  ici  l'orchestre  affranchi  du  joug  littéraire  :  est-ce  le  XX-  siè- 
cle,est-ce  l'avenir?  Est-ce,  au  théâtre,  une  exception  qui  confirme  larègle 
nouvelle  du  drame  musical,  en  affirmant,  comme  au  concert  non  plus 
vocal  mais  symphonique,  la  revanche  de  la  musique  absolue?  Est-ce 
un  progrès,  uu  pas  en  avant  ?  Ne  serait-ce  pas  plutôt  un  regret  du  passé 
robuste  et  de  la  santé  des  maîtres  ? 

En  tous  cas  i  et  ce  sera  notre  prochaine  conclusion  de  ce  dangereux 
sujet  i,  n'est-ce  pas  encore  et  toujours  le  mot  progrés  qui  sert  de  leit- 
motiv, chaque  fois  qu'il  est  parlé  d'orchestration  ?  Comme  s'il  fallait 
éternellement,  bon  gré  mal  gré,  progresser...  Dans  un  siècle  où.  l'avenir 
de  l'art  pur  est  menacé  par  le  présent  de  la  science  pratique,  il  n'y  a 
plus  d'autre  idéal.  —  ou  plutôt  l'idéal  devient  synonyme  d'appoint  tout 
matériel. 

Aujourd'hui,  résumons-nous  en  constatant  cette  loi  :  quelle  que  soit 

(li  Dans  la  superbe  invocation  des  Indes  galantes  23  août  1735 


400 


LE  MENESTREL 


l'influence  intermittente  de  l'orchestration  sur  les  littérateurs,  c'est 
toujours  la  muse  littéraire  qui  devance  la  muse  symphonique,  car 
l'ainée  est  plus  active  comme  la  pensée  même.  Au  temps  du  Beethoven 
de  la  Pastorale,  à  l'heure  où  le  paysage  se  fait  musique,  il  y  a  beau 
temps  déjà  qu'il  s'est  fait  littérature  avec  Jean-Jacques  et  ses  posthumes 
amies:  et.  de  nos  jours  (ne  craignons  point  de  le  répéter),  Debussy 
après  Wagner,  c'est  Verlaine  après  Hugo  ;  c'est  le  crépuscule  discret 
que  nous  prenons  pour  l'aube,  après  un  crépuscule  éblouissant  que 
nous  prenions  pour  une  aurore...  Tardive  éclosion  de  symbolisme  ou  de 
vers-librisme  instrumental,  tous  ces  petits  poèmes  rustiques  ou  senti- 
mentaux, toutes  ces  impressions  qui  veulent  évoquer  la  Bretagne  magi- 
que ou  l'Espagne  en  fête  !  Répercussion  de  la  vieille  littérature  sur  l'art 
jeune  des  sons  !  Quand  le  vérisme  s'est  emparé  de  l'antique  Italie  de 
Palestrina,  nous  avons  eu  des  tranches  de  vie  musicales,  depuis  la  Ca- 
valleria  rusticana  d'hier  jusqu'à  la  Habanera  d'aujourd'hui;  — quand 
le  prérapliae'litisme  de  Florence  ouvre  un  jardin  secret  dans  les  brumes 
positives  de  Londres,  c'est  un  prélude  littéraire  au  chuchotement  de- 
bussysle  qui  frissonnera  plus  tard  :  littérature,  l'extrême  réalité  ;  litté- 
rature, l'extrême  rêve  ;  et,  de  part  et  d'autre,  peu  de  musique,  car  l'âme 
du  temps  n'ose  guère  chanter...  La  musique  de  chambre  est  un  sanc- 
tuaire, à  l'écart  ;  et,  symphoniste  au  théâtre,  Dukas  est  exceptionnel. 

Mais  voici  le  Mœterlinck  dolent  d'Ariane  et  de  Mélisandc  qui  se  con- 
vertit sans  remords  à  la  virgilienne  clarté  de  la  Fie  des  Abeilles,  à  l'ita- 
lienne plasticité  de  Uonna  Vanna:  serait-il  désormais  permis  d'entrevoir 
le  musicien  lumineux,  rêvé  par  Nietzsche  au  rythme  azuré  des  flots 
méditerranéens? 

Tout  arrive  ici -bas,  même  la  beauté. 

(A  suivre.)  Raymond  Bouyer. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts-Colonne.  —  C'est  décidément  mal  comprendre  les  intérêts  d'un 
compositeur  que  de  lui  consacrer  la  totalité  d'un  programme  symphonique. 
Déjà  dans  la  récente  séance  consacrée  exclusivement  à  Berlioz,  ce  défaut 
s'était  manifesté,  engendrant  la  monotonie  ;  dimanche,  ce  fut  une  réelle  fati- 
gue que  procura  l'audition  ininterrompue  d'œuvres  de  M.  Richard  Strauss, 
malgré  le  grand  intérêt  de  ces  compositions,  —  ou  à  cause  de  cet  intérêt 
même.  —  On  connaît  «  la  manière  »  du  maître  allemand,  sa  complexité 
d'écriture,  sa  prodigieuse  habileté  dans  l'agencement  de  thèmes  qu'il  semble 
choisir  comme  à  plaisir  dénués  de  toute  valeur  intrinsèque  et  empreints  sou- 
vent d'une  surprenante  vulgarité,  son  orchestration  rutilante  et  riche  en  trou- 
vailles ingénieuses  et  spirituelles  ;  pour  tout  dire  en  un  mot  :  un  talent 
colossal  mis  au  service  d'une  conscience  artistique  que  l'on  voudrait  moins 
soucieuse  de  l'effet  immédiat  et  brutal.  —  Une  audition  nouvelle  de  la  Sym- 
phonie domestique  n'est  point  faite  pour  changer  cette  opinion,  et  si  je  demeure 
très  admirateur  du  beau  poème  instrumental  Mort  et  Transfiguration  où  l'élé- 
vation et  le  lyrisme  du  sujet  ont  pu  maintenir  le  musicien  dans  une  sphère 
de  réelle  beauté,  je  persiste  à  considérer  la  «  Domestica  »  comme  une  erreur 
regrettable,  en  dépit  de  la  maîtrise  incomparable  qui  a  présidé  à  sa  composi- 
tion. Outre  ces  deux  œuvres,  le  programme  comprenait  encore  le  Prélude  de 
Guntran,  une  œuvre  de  jeunesse  de  M.  Strauss,  jouée  en  1894  à  Weimar.  et 
où  l'auteur,  qui  n'a  pas  encore  donné  sa  mesure,  s'affirme  déjà  par  les  plus 
sérieuses  qualités  en  trois  actes  fort  dramatiques;  puis  la  Danse  de  Salomé,  déjà 
célèbre,  et  en  toute  justice,  car  c'est  une  page  d'un  éblouissant  éclat.  M.  Ri- 
chard Strauss  dirigeait  l'orchestre  avec  l'autorité  et  l'habileté  qu'on  lui  con- 
naît, et  le  succès  qu'il  remporta,  succès  dont  une  large  part  revient  à  la  belle 
phalange  de  M.  Colonne,  fut  vraiment  digne  de  sa  puissante  personnalité.  A 
signaler  encore  plusieurs  mélodies  que  le  compositeur  accompagna  lui-même 
au  piano  et  qui  valurent  une  ovation  méritée  àMme  de  Wieniawski  qui,  d'une 
voix  un  peu   menue,  mais  avec  un  grand  charme,  les  interpréta. 

J.  Jemai.v. 

—  Concerls-Lamoureux.  —  Sous  la  direction  de  M.  Vincent  d'Indy.  l'ou- 
verture de  Manfred,  de  Schumann.  et  le  morceau  symphonique  de  Rédemption. 
de  César  Franck,  ont  paru  manquer,  l'un  de  tendresse  passionnée  et  d'élans 
dramatiques,  l'autre  de  cette  beauté  mystique  dont  la  première  phrase,  digne 
de  Sébastien  Bach,  doit  nous  donner  immédiatement  l'impression.  Ce  dernier 
a  pourtant  été  joué  dans  la  note  émue  et  fervente  qui  fait  rarement  défaut  aux 
disciples  de  Franck  lorsqu'ils  exécutent  ou  font  exécu'.er  ses  œuvres. 
M.  d'Indy  s'est  retrouvé  mieux  dan3  sa  sphère  en  dirigeant  son  poème  pour 
orchestre,  Jour  d'ètè.à  la  montagne.  Cette  jolie  composition  mérite  une  petite 
analyse  détaillée.  Premier  tableau,  Aurore:  au  début  (violons),  un  son  aigu, 
voix  désolée;  c'est  la  tristesse  de  l'ombre  qui  s'en  va.  Seul,  le  cri  de  l'orfraie 
résonne  dans  la  nuit  (basson),  puis  la  sonorité  change,  s'élève,  un  chant 
d'alouette  (flûte)  monte  vers  le  ciel.  Tout  frémit,  un  air  léger  passe  sur  les 
plaines  (harpe,  piano),  le  soleil  apparaît  radieux  (cuivres).  Deuxième  tableau, 
Jour  :  adagio  de  violons,  hautbois  champêtres,  danses  de  paysans,  menaces 
d'orage  au  loiD,  roulements  de  tonnerre.  Troisième   tableau,  Soir  :  le  retour. 


thèmes  montagnards,  tristes  comme  presque  toutes  les  chansons  d'Auvergne. 
Charmants  effets  d'orchestre  pour  dépeindre  l'éparpillement  des  troupeaux 
(piano  etpizzicati  de  cordes).  Rêverie  du  poète  qui  célèbre  en  son  cœur  la 
gloire  de  Dieu.  Retour  du  son  aigu  exprimant  la  nuit  et  du  cri  de  l'orfraie. 
L'obscurité  s'étend...  L'œuvre  de  M.  d'Indy,  jouée  aux  Concerts-Colonne  en 
février-mars  1906,  y  réussit  fort  peu  ;  son  succès  a  été  au  contraire  unanime 
dimanche  dernier.  C'est  une  sorte  de  peinture  musicale  très  mélodique,  un 
hymne  à  la  joie,  à  la  vie,  à  la  nature  et  au  créateur.  Ici,  tout  se  maintient 
dans  un  sentiment  toujours  noble,  élevé,  tranquille  et  calme.  Viviane,  poème 
symphonique  d'Ernest  Chausson,  est  une  musique  de  conte  de  fée,  gracieuse, 
agréable,  simple  et  fraîche.  —  Nous  rentrons  dans  le  domaine  des  classiques 
avec  le  concerto  en  ré  majeur  de  Bach  pour  piano,  violon  et  flûte,  fort  bien 
joué  par  MM.  Th.  Soudant,  P.  Deschamps,  et  surtout  par  M11'-  Blanche  Selva. 
qui  a  été  acclamée  à  cause  de  son  style  entièrement  impersonnel  tout  en 
restant  d'une  magistrale  beauté.  Le  concert  s'est  terminé  par  une  interpré- 
tation sans  mièvrerie  ni  fadeur  de  l'admirable  Symphonie  en  sol  mineur  de 
Mozart.  Elle  est  écrite  sans  parties  de  trompettes  ni  de  timbales,  mais  en 
l'écoutant,  nul  ne  songe  à  s'en  apercevoir.  Amédée  Boetarel. 

—  La  présence  de  M.  Théodore  Dubois,  venu  pour  diriger  ses  œuvres, 
avait  attiré,  dimanche  dernier,  une  foule  énorme  au  concert  populaire  Mari- 
gny.  MUe  Magdeleine  Trelli,  qui  joua  fort  bien  le  Lamento  capriccioso,  le  Léthé 
et  les  Abeilles  pour  piano,  Mme  Bureau-Berlhelot,  dont  la  voix  délicieuse  fit 
merveille  dans  la  Lune  s'effeuille  sur  l'eau  et  la  Jeune  Fille  à  la  cigale,  que  l'on 
bissa,  M.  Pascal,  flûtiste  au  son  joli,  fin  et  distingué  à  qui  l'auteur  accompa- 
gna la  suite  pour  flûte  et  piano,  et  l'orchestre  dans  la  Marche  héroïque  parta- 
gèrent le  très  grand  succès  de  M.  Théodore  Dubois.  Dans  la  première  partie 
fort  bonne  exécution,  sous  la  direction  de  M.  de  Léry,  des  Scènes  alsaciennes 
de  Massenet,  avec' M.  Ronchini  au  pupitre  de  violoncelle  et  M.  Bâton  à  celui 
de  clarinette. 

—  Programmes  des  concerts  de  demain  dimanche  ; 

Concerts  du  Conservatoire,  à  deux  heures.  —  Symphonie  en  la,  n"  7  (Beethoven). 
—  Rédemption  (César  Franck),  poème-symphonie  en  deux  parties  d'Edouard  Blau  : 
L'Archange,  M"'  Féart,  de  l'Opéra;  le  Récitant,  M.  Brémont.  Le  concert  sera  dirigé 
par  M.  Georges  Marty. 

Concerts  Colonne  (Théâtre  du  Chàtelet),  à  deux  heures  et  demie.  —  La  Damnation 
de  Faust,  légende  dramatique  en  quatre  parties,  d'Hector  Berlioz:  Marguerite, 
M"' Louise  Grandjean  ;  Faust,  M.  Emile  Cazeneuve;  Méphislophélès,  M.  Fournets; 
Brander,  M.  Paul  Eyraud.  Orchestre  et  chœurs  sous  la  direction  de  M.  Ed.  Colonne. 

Concerts-Lamoureux  (salle  Gaveau),  à  trois  heures.  —  Troisième  symphonie,  Rhénane 
(Schumann)  :  1,  allegro:  2,  scherzo  ;  3,  andante  ;  4,  maestoso  ;  5,  allegro.  —Joie, 
poème  symphonique  (AU.  Bachelet),  première  audition.  —  Quatrième  béatitude  (César 
Franck)  :  ténor  solo,  M.  R.  Plamondon  ;  la  voix  du  Christ,  M.  Alb.  Gébclin.  —  Pre- 
mière symphonie  (en  trois  parties),  sur  un  «  air  montagnard  français»  (Vincent  d'Indy), 
au  piano,  M.  Ed.  Risler.  Concert  sous  la. direction  de  M.  Vincent  d'Indy. 

—  M.  Gotlfried  Galston,  l'excellent  pianiste  hongrois  qui  a  donné  l'année 
dernière  cinq  récitals  à  Paris,  se  fera  entendre  de  nouveau,  salle  des  Agricul- 
teurs, les  2  et!  avril  prochain.  Il  jouera  des  œuvres  de  Bach,  Chopin,  Liszt, 
Schubert,  Schumann  et  Brahms. 

—  On  annonce  pour  le  14  avril,  au  Trocadéro,  une  audition  de  la  Passion 
selon  saint  Mathieu  de  J.-S.  Bach  qui,  sous  le  patronage  de  la  «  Société 
J.-S.  Bach  »  de  Paris,  aura  lieu  avec  le  concours  du  «  Chœur  de  la  Toonkunst  » 
et  de  l'orchestre  du  «  Concertgebouw  »  d'Amsterdam,  placés  sous  la  direction 
de  M.  Willem  Mengelbert.  Chœurs  et  orchestre  formeront  un  ensemble  d'en- 
viron 400  exécutants. 


NOTRE    SUPPLEMENT    MUSICAL, 

(POUR    LES    8EULS    ABOIVNÉS    A    LA    MUSIQUE) 


Devant  le  succès  qui  a  accueilli  la  Gavotte  extraite  de  Zino-Zina,  nous  offrons  à 
nouveau  aujourd'hui  à  nos  abonnés  une  des  pages  les  plus  charmantes  du  charmant 
ballet  de  M.  Paul  Vidal,  un  Menuet  tout  de  grâce  et  de  joliesse  qui  ne  pourra  que 

séduire  tous  les  amateurs. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


Do  notre  correspondant  de  Belgique  (25  mars).  —  En  attendant  les  Jumeauxr 
de  Bergame,  retardés  encore  une  fois  (il  faut  espérer  qu'ils  viendront  enlin  au 
monde  lundi  prochain),  la  Monnaie  a  fait  cette  semaine  une  excellente  reprise 
de  Siegfried.  C'est  à  Bruxelles,  on  s'en  souvient,  que  l'œuvre  de  Wagner  fut 
donnée  pour  la  première  fois  on  franc  lis  (comme  toute  la  Tétralogie  d'ailleurs), 
sous  la  direction  artistique  de  M.  Franz  Servais;  et  c'est  M.  Lafarge  qui 
chantait  le  rôle  principal.  Depuis,  Siegfried  fut  repris  avec  M.  Dalmorès.  Cette 
fois,  le  jeune  héros  est  incarné  par  M.  Verdier,  qui  y  dépense  sa  voix  sonore 
et  des  qualités  dramatiques  vraiment  remarquables.  M.   Laffitle  joue  le   rôle 


LE  MÉNESTREL 


LOI 


de  Mime,  qu'il  avait  interprété  à  l'Opéra,  et  c'est  Mlle  Pacary  qui  personnifie 
Brunehilde,  où  elle  applique  ses  précieux  dons  de  cantatrice  et  son  art  de 
parfaite  musicienne.  A  part  cela,  tout  marche  bien.  M.  Delmas  vient  aussi,  de 
temps  en  temps,  nous  chanter  la  Valbjrie.  On  répète  la  Marie-Magdeleine  de 
M.  Massenet,  que  l'on  compte  donner  pour  la  semaine  sainte,  et  l'on  prépare 
les  reprises  de  Pelléf/s  et  Métisande  et  de  Salomé,  pour  MUc  Marie  Garden.  A  ce 
propos,  nous  avons  appris  avec  curiosité,  par  un  journal  de  théâtres  parisien, 
que  MM.  Messager  ol  Broussan  ayant  décidé  de  monter  à  l'Opéra  l'œuvre  de 
de  M.  Richard  Strauss,  avec  la  même  interprète,  les  représentations  que 
celle-ci  va  nous  donner  bientôt  seront  simplement  une  «  répétition  générale  ». 
L'euphémisme  est  charmant.  Les  Bruxellois  auraient  certainement  mauvaise 
grâce  en  se  figurant  qu'ils  puissent  avoir  la  primeur  de  quelque  chose  avant 
Paris.  Ceux  qui  l'on  cru  se  sont  fait  d'étranges  illusions.  Ils  s'imaginaient,  par 
exemple,  avoir  eu  la  primeur  i'Hérodiadc,  de  Sigurd,  de  Salammbô,  de  Fervaal, 
de  l'Étranger,  de  bien  d'autres  encore.  Quelle  erreur!  Ce  n'étaient  la  que  de 
simples  «  répétitions  générales  »,  et  c'est  bien  à  Paris  qu'ont  eu  lieu  les  pre- 
mières représentations.  Voici  un  point  d'histoire  enfin  établi.  Il  ne  peut, 
d'ailleurs,  que  flatter  infiniment  notre  amour-propre. 

Le  Concert-Populaire  de  dimanche  dernier  nous  a  fait  entendre  une  sym- 
phonie inédite  d'un  compositeur  liégeois,  qui  est  une  «  compositrice  », 
M""1  Henriette  Van  den  Boorn-Coclet,  —  œuvre  honorable,  sagement  écrite, 
dont  le  féminisme  se  réjouira,  sans  trop  d'orgueil  —  puis,  le  Poème  de  la  Forêt 
de  M.  Albert  Roussel,  et  le  deuxième  concerto  de  Brahms,  pour  piano,  joué 
excellemment  par  un  pianiste  allemand  de  bonne  école,  M.  Schnabel.  La 
Libre  Esthétique  a  donné  cette  semaine  deux  matinées  consacrées  à  la  jeune 
musique  française  et  belge  (œuvres  de  MM.  Wilkowski,  Vincent  d'Fndy, 
Roussel,  de  Bréville,  Delcroix,  etc.).  Enfin,  on  nous  promet  pour  lundi  (le 
même  soir  malheureusement  que  la  première  des  Jumeaux  de  Bergame  à  la 
Monnaie)  une  séance  consacrée  entièrement  à  M.  Gabriel  Fauré,  qui  accom- 
pagnera lui-même  toute  une  série  de  mélodies  anciennes  et  nouvelles  (il  n'y 
en  aura  pas  moins  de  vingt-sept,  sans  compter  deux  duos!)  chantées  par 
M"c  Mockel  et  M.  Austin. 

A  Tournai,  l'exécution,  à  la  Société  de  musique,  de  l'oratorio  de  M.  Edgar 
Tinel,  Francisais,  a  été  tout  simplement  admirable,  et  le  succès  fait  au  compo- 
siteur et  à  son  œuvre  a  pris  les  proportions  d'un  véritable  triomphe.  Rarement 
nous  vimes  pareil  enthousiasme.  Une  juste  part  de  ce  succès  revient  à  l'inter- 
prétation, dirigée  avec  une  chaleureuse  vaillance  par  M.  De  Loose.        L.  S. 

—  D'Anvers  :  On  vient  de  donner  avec  un  très  grand  et  très  légitime 
succès  la  première  représentation  des  Pêcheurs  de  Saint-Jean.  De  nombreux 
rappels  saluèrent,  après  chaque  acte,  l'œuvre  très  remarquable  de  M.  Widor, 
dirigée  avec  beaucoup  de  fougue  et  de  sentiment  par  M.  de  la  Fuente.  Parmi 
les  interprètes,  MM.  Campagnola  et  Close,  MUes  Fournier  et  Rodhain  méri- 
tent des  éloges. 

—  Les  fantaisies  de  l'électricité.  Un  accident  bizarre  s'est  produit  cette 
semaine  à  la  station  centrale  d'électricité  de  la  ville  de  Liège.  Un  tuyau  de 
vapeur  reliant  la  conduite  principale  au  moteur  qui  actionne  les  dynamos  a 
sauté,  provoquant  une  interruption  du  courant.  Immédiatement  tout  le  centre 
de  la  ville  et  tous  les  abonnés  de  la  compagnie  ont  été  privés  d'éclairage.  Les 
théâtres  n'ont  pu  donner  leurs  représentations.  On  se  rappelle  que  pareille 
mésaventure  s'est  produite  à  Paris. 

—  Le  jury  du  concours  pour  le  pensionnat  musical  à  Rome,  jury  composé 
de  MM.  Giuseppe  Martucci,  président  ;  Falchi.  Scontrino,  Mascagni.  Zanella. 
Coronaro  et  Bolzoni,  a  décerné  le  prix  au  jeune  compositeur  Corrado  Bar- 
bieri.  ex-élève  du  Lycée  musical  Rossini  à  Pesaro.  où  il  fit  ses  études  sous  la 
direction  de  MM.  Mascagni  et  Ciccognani.  Il  obtint  son  diplôme  de  «  maestro  » 
en  190i,  pour  une  Cantate  à  Rossini  pour  soli,  chœurs  et  orchestre.  Celle  avec 
laquelle  il  vient  de  sortir  vainqueur  du  concours  est  intitulée  ta  Notte  de 
Natale;  c'est  un  épisode  chrétien  des  catacombes  de  Rome,  mis  en  vers  par 
M.  Carcano. 

—  Nous  avons  déjà  fait  connaître  que  le  projet  de  réorganisation  du  Con- 
servatoire de  Milan  élaboré  par  le  ministre  de  l'Instruction  publique  était 
loin  do  satisfaire  les  intéressés,  qui  ont  fait  entendre  à  ce  sujet  d'énergiques 
réclamations.  La  question  a  été  portée  à  la  Chambre,  où  elle  a  fait  l'objet 
d'une  interpellation  du  député  Torrigiani  sur  l'avenir  des  Conservatoires,  in- 
terpellation à  laquelle  le  ministre  a  fait  une  réponse  jugée  peu  satisfaisante. 
Le  projet  ministériel  devant  s'appliquer  successivement  à  tous  les  Conserva- 
toires, une  protestation  s'est  élevée  aussitôt  de  la  part  du  personnel  enseignant 
de  celui  de  Parme,  qui,  dans  une  réunion  spéciale,  a  adopté  l'ordre  du  jour 
suivant  : 

Le  personnel  du  Conservatoire  royal  de  musique  de  Parme,  réuni  aujourd'hui  en 
séance  extraordinaire  pour  déterminer  la  ligne  de  conduite  à  suivre  en  suite  de  l'in- 
terpellation discutée  hier  à  la  Chambre  italienne  relativement  aux  réformes  néces- 
saires dans  les  Instituts  de  musique  de  l'État,  en  même  temps  qu'il  félicite  l'hono- 
rable Torrigiani  et  les  autres  députés  d'avoir  soulevé  au  Parlement  une  si  noble 
question,  proteste  contre  les  déclara, ions  du  ministre,  et  affirme  son  énergique 
vo'onlé  de  résister  à  l'approbation  d'un  projet  partiel  et  qui  ne  répond  ni  aux  néces- 
sités artistiques  ni  aux  exigences  économiques  du  Conservatoire  de  Milan;  déclare 
sa  méfiance  dans  l'œuvre  lente  de  commissions  et  d'inspections  boiteuses  et  néces- 
sairement incompétentes.  Invile  enfin  les  honorables  députés  qui  ont  pris  à  cœur  la 
question  à  opérer  une  pression  énergique  sur  le  gouvernement  afin  que  celui-ci 
veuille  :  1°  renoncer  au  dessein  de  résoudre  un  problème  qui  estde  caractère  natio- 
nal, complexe  et  très  élevé,  de  façon  hâtive  et  partiale  autant  que  contraire  à  l'opi- 
nion unanimement  manifestée  par  la  fédération  du  personnel  des   Conservatoires 


royaux;  2»  mettre  la  réforme  à  l'élude  d'un  point  de  vue  large  et  en  complet  accord 
avec  les  directions  et  les  représentant?  des  divers  Instituts.  Le  même  personnel, 
convaincu  des  bontés  de  la  cause,  supérieure  à  toules  petites  rivalités  d'intéri 
de  personnes,  convaincu  que  les  études  musicales  comme  on  prétend  les  organiser 
ne  peuvent  donner  les  fruits  qu'on  en  attend,  convaincu  que  l'approbation  du  projet 
concernant  Milan  serait  un  obstacle  à  la  solution  entière  du  problème,  fait  des  vo;ux 
pour  que  soit  évité  le  recours  à  des  moyens  extrêmes  pour  obtenir  un  résultat  de 
noble  et  haute  culture. 

—  On  se  préoccupe  beaucoup  à  Florence  de  l'état  de  décadence  dans  lequel 
est  tombé  le  théâtre  en  cette  ville,  et  particulièrement  le  théâtre  musical. 
Le  conseil  communal,  qui  récemment  s'est  beaucoup  occupé  de  cette 
question,  avait  nommé  une  commission  chargée  par  lui  d'étudier  le.' causes 
de  cette  décadence  et  de  proposer  le3  moyens  d'y  remédier.  Contraire- 
ment aux  habitudes  invétérées  des  commissions,  celle-ci  a  travaillé,  et  elle  a 
présenté  au  conseil  un  rapport  dans  lequel,  après  avoir  fait  un  ample  examen 
des  conditions  actuel'es  du  théâtre  à  Florence,  elle  conclut  en  émettant  les 
propositions  suivantes  :  1°  créer  le  plus  promptement  possible  un  orchestre 
municipal  stable  qui  puisse  donner  chaque  année  une  série  de  concerts  popu- 
laires, et,  d'autre  part,  pourrait  être  concédé  à  une  entreprise  qui,  avec  des 
idées  élevées  sur  l'art,  serait  appelée  à  diriger  une  des  grandes  scènes  lyriques 
de  Florence  ;  2°  mettre  la  ville  en  état  de  dispoFer  d'un  théâtre  qui  corresponde, 
par  sa  structure  intérieure,  aux  exigences  des  spectacles  modernes;  -i0  confier 
l'exploitation  de  ce  théâtre  a  une  ou  plusieurs  directions  annuelles  qui,  suc- 
cessivement, donneraient  des  spectacles  d'opéra,  de  prose  (comédie)  ou  d'opé- 
rette; 4°  aider  l'action  commerciale  de  semblables  directions  en  leur  donnant 
gratuitement  le  théâtre,  l'éclairage,  l'orchestre,  les  masses  chorales  et  les 
comparses,  ou  en  fournissant,  selon  les  cas,  une  partie  seulement  de  ces  élé- 
ments gratuits,  pour  le  théâtre  de  musique,  ou,  pour  la  comédie  ou  l'opérette, 
assurer  aux  compagnies  un  minimum  de  recette  quotidienne;  5°  imposer, 
dans  ces  conditions,  un  chiffre  minimum  de  représentations,  avec  l'assurance 
que  ces  spectacles  soient  particulièrement  consacrés  à  la  culture  intellectuelle 
du  peuple. 

—  La  municipalité  de  Velletri  s'est  souvenue. qu'elle  avait  donné  le  jour  à 
un  grand  artiste,  Ruggiero  Giovanelli,  qui  fut  le  successeur  de  l'illustre  Pales- 
trina  dans  la  direction  de  la  chapelle  de  Saint-Pierre-du-Vatican,  et  elle  vou- 
drait lui  rendre  un  hommage  digne  de  lui  en  publiant  celles  de  ses  œuvres  qui 
sont  restées  inédites,  et  elles  sont  nombreuses.  Giovanelli,  qui  était  né  à 
Velletri  vers  1560  et  quj.  vivait  encore  en  1613,  fut  d'abord  maître  de  chapelle 
à  l'église  Saint-Louis-des-Français  à  Rome,  puis  à  celle  du  collège  allemand, 
et  fut  nommé  au  Vatican  le  12  mars  1394. Chose  singulière,  il  n'a  guère  publié 
que  des  compositions  profanes,  c'est-à-dire  cinq  recueils  de  madrigaux,  deux 
recueils  de  villanelles  et  un  de  canzonettes,  auxquels  il  faut  ajouter  seulement 
deux  livrets  de  motets.  Mais  il  va  sans  dire  qu'il  a  écrit  un  grand  nombre  de 
compositions  religieuses  d'une  très  haute  valeur,  messes,  psaumes,  Mise- 
rere, etc.,  qui  sont  toutes  restées  en  manuscrit.  De  nombreuses  copies  de  ses 
madrigaux  et  villanelles  se  trouvent  dans  les  bibliothèques  de  Bologne,  Fer- 
rare,  Bruxelles,  Londres,  Dresde.  Quant  aux  manuscrits  de  ses  œuvres  reli- 
gieuses, ils  sont  conservés  avec  soin  dans  les  archives  de  la  basilique  du 
Vatican  et  dans  celles  de  la  chapelle  Sixline,  et.  fait  assez  étrange,  malgré  les 
instances  faites  auprès  du  pape  Pie  X  dans  un  but  assurément  fort  honorable 
le  pontife  a  formellement  refusé  jusqu'ici  de  donner  communication  de  ces 
manuscrits,  si  bien  que  l'édition  projetée  par  la  ville  de  Velletri  ne  pourra 
probablement  comprendre  que  des  œuvres  profanes  de  Giovanelli.  On  a  peine 
à  s'expliquer  le  motif  d'un  refus  pareil,  lorsqu'il  s'agit  d'une  entreprise  des. 
tinée  surtout  à  faire  revivre  la  gloire  d'un  artiste  illustre  qui  a  été  l'honneur 
de  la  chapelle  pontificale.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  municipalité  de  Velletri  a 
chargé  un  jeune  musicien  fort  distingué,  M.  Vincenzo  Argenti,  de  rechercher 
de  tous  côtés  les  œuvres  du  vieux  maître,  d'en  prendre  des  copies  exactes,  de 
les  collationner  avec  soin  et  d'en  diriger  et  surveiller  la  publication. 

—  Une  revue  allemande  donne  la  description  de  la  chambre  du  palais  Ven- 
dramin,  à  Venise,  dont  Wagner  avait  fait  un  cabinet  de  travail.  Six  cents 
mètres  de  précieuses  étoffes  de  soie  couvraient  les  murs,  disposés  en  festons 
et  en  cascades  fantastiques  :  soie  rose,  azur,  jaune,  qui  donnait  à  la  chambre 
un  aspect  étrange;  parmi  ces  festons  couraient  des  guirlandes  de  roses,  aussi 
en  soie.  Six  rideaux  de  diverses  nuances,  de  l'azur  au  bleu  céleste,  amortis- 
saient la  lumière  éblouissante  des  fenêtres. Un  divan  antique,  couvert  d'étoffes 
précieuses,  occupait  le  milieu  de  la  pièce.  Sur  le  sol  étaient  étendus  des  lapis 
moelleux  de  peaux  de  bètes.  Un  parfum  pénétrant  était  dans  l'air.  C'est  là  que 
travaillait  Wagner,  le  visage  tourné  du  côté  du  jour.  Un  jour,  un  poète  vien- 
nois lui  envoie  un  livret  d'opéra  en  lui  demandaut  une  réponse.  Il  lui  répond 
en  effet  :  «  J'ai  lu  votre  livret,  je  l'ai  examiné,  je  l'ai  trouvé  bon,  mais  pas 
assez  pour  me  faire  renoncer  au  principe  auquel  je  suis  resté  fidèle  toute  ma 
vie,  c'est-à-dire  d'écrire  moi-même  mes  livrets.  Vous  saurez  que  je  suis  très 
avare;  si  vous  venez  à  Venise,  vous  verrez  que  votre  manuscrit,  qui  est  plutôt 
volumineux,  a  une  place  honorable  dans  ma  bibliothèque  :  je  lui  ai  donné  le 
n°  2983  ;  c'est  le  dernier  numéro  des  livrets  qu'on  m'a  envoyés  jusqu'à  ce  jour. 
Un  chiffre  respectable,  n'est-il  pas  vrai  ? 

—  Depuis  l'époque  de  sa  révocation  comme  directeur  des  classes  de  piano 
au  Conservatoire  de  Vienne,  M.  Feruccio  Busoni  s'est  rendu  dans  cette  ville  et  a 
pris  contact  avec  ses  élèves.  Douze  d'entre  eux  ont  quitté  l'élablissement  pour 
suivre  le  maitre  et  profiter  de  son  enseignement  privé.  D'autre  part,  M.Léopold 
Godowsky,  choisi  pour  occuper  le  poste  vacant,  a  décliné  l'honneur  que  l'on  vou- 
lait lui  faire,  bien  que  la  direction,  pour  obtenir  son  acceptation,  ait  élevé  le 


:I02 


LE  MÉNESTREL 


fr-aitement  de  l'emploi  à  4.000  couronnes.  MM.  Eugène  d'Albert  et  Maurice 
Rosenthal,  vers  qui  l'on  s'est  alors  retourné,  ont  refusé  tous  les  deux  de  rem- 
placer M.  Busoni.  Dans  ces  conditions,  l'état  de  l'enseignement  du  piano  au 
Conservatoire  de  Vienne  devient  si  précaire  et  les  élèves  si  peu  nombreux,  que, 
pour  celte  fin  d'Année  du  moins,  les  classes  pourraient   bien  être  supprimées. 

—  On  doit  inaugurer  le  16  mai  prochain  un  monument  en  l'honneur  de 
Johcnnès  Brahms,  sur  le  Karlsplatz  de  Vienne. 

—  Le  Tonki'us'ler-Orchester  de  Vienne,  sous  la  direction  de  M.  Oscar 
•Nedbal,  vient  de  clore  son  premier  cycle  de  concerts  par  une  superbe  audi- 
tion des  Impressions  d'Italie,  de  M.  Gustave  Charpentier. 

—  Quelques  détails  sur  la  façon  de  travailler  de  Wagner  sont  donnés  à  un 
journal  par  un  de  ses  intimes,  M.  Wilhelm  Weissheimer.  C'est  dans  l'hôtel 
delà  Cour  d'Europe,  à  Briebrich,  dit  celui-ci,  que  fut  écrit  Siegfried.  Le  maitre 
travaillait  seulement  le  mitin;il  consacrait  l'après-midi  à  ses  amis,  àSchnorr 
de  Carolsfeld  et  à  moi.  C'était  une  vraie  jouissance  d'entendre  Schnorr  répéter 
la  chanson  de  l'épée. Quand  l'idée  venait  à  Wagner  do  faire  Mime,  lequel  était 
admirable,  Wagner  était  superbe  dans  ce  rôle  ;  il  s'enveloppait,  puis  tournait 
et  criait  dans  un  fausset  à  faire  trembler  les  murs.  Il  faisaitcertainesgrimar.es 
à  vous  faire  civire  qu'on  avait  devant  les  yeux  le  plus  horrible  nain  qui  fût 
snr  la  terre.  M.  Weissheimer  était  l'hôte  de  Wagner  lorsqu'il  composa  les 
Maîtres  Ùlùintcurs.  Wagner,  poursuit-il,  écrivait  chaque  jour  environ  six  pages 
de  partition.  La  scène  entre  Eva,  Madeleine  et  le  chevalier  fut  tracée  tout 
d'un  trait.  Il  s'amusait  beaucoup  en  imaginant  l'ensemble  des  enfants,  et  il 
était  curieux  de  le  voir  courir  et  sauter  par  la  chambre  en  chantant  leur 
chœur.  Pe  idant  son  travail,  il  était  très  agité.  Quand  il  était  en  veine  de 
trouver  quelque  chose  de  nouveau,  il  fallait  le  laisser  seul  et  ne  le  point 
déranger.  Il  oivrait  le  balcon  et  criait  :  «  Ne  me  tro.iblez  pas  ;  je  suis  en 
en'anlement  ». 

—  Un  opîra  bouffe  nouveau  en  trois  actes,  Carmencita,  musique  de 
51.  Paul  Zschorlich,  vient  d'être  joué  pour  la  première  fois  à  Prague  avec  un 
succès  discuté. 

—  Ainsi  que  nous  l'avons  annoncé,  un  théâtre  anglais  va  être  fondé  à  Ber- 
lin. L'entreprise,  dont  l'initiative  appartient  à  la  comédienne  M"R'  Meta  Illing, 
a  déjà  trouvé,  parait-il,  l'appui  financier  qui  lui  est  nécessaire  et  l'on  espère 
pouvoir  commencer  les  prenrères  représentions  en  octobre  prochain.  Mm5  Illing 
s'occupa  en  ce  moment  de  la  location  d'une  des  salles  de  théâtre  existant 
â  Berlin.  Le  nouveau  théâtre  jouerait  tous  les  jours  de  la  semaine  et  donne- 
rait, le  mercredi  et  le  samedi,  comme  cela  se  fait  en  Anglctere,  des  matinées 
pour  les  élèves  des  institutions  d'enseignement  de  la  ville.  Quant  au  réper- 
toire, il  comprendrait  les  œuvres  de  la  littérature  anglaise  auxquelles  s'ad- 
joindraient quelques  pièces  américaines.  Une  des  originalités  de  ce  théâtre 
eonsisterait  en  ce  qu'jl  porterait  ses  choix  de  préférence  sur  des  pièces  ins- 
tructives par  les  tableaux  de  mœurs  ou  les  descriptions  qu'elles  pourraient 
renfermer. 

—  Plusieurs  journaux  de  Munich,  estimant  qu'à  la  suite  des  circonstances 
que  nous  avons  relatées  il  y  a  quelques  semaines,  les  membres  de  l'orchestre 
Kaim  n'ont  pas  toujours  agi  conformément  aux  convenances  professionnelles, 
et  ont  porté  obstacle  à  l'organisation  des  concerts  qui  devaient  avoir  lieu  cette 
année  à  l'exposition  de  Munich,  oat  décidé  de  ne  plus  donner  aucune  publi- 
cité aux  débats  qui  pourraient  s'élever  désormais  sur  l'irritante  question  des 
Goncerts-Kaim.  Toutefois,  le  bruit  qui  a  été  fait  autour  de  cette  affaire  a 
fourni  l'occasion  d'examiner  quelle  est  la  situation  des  musiciens  d'orchestre 
en  Allemagne.  M.  Kaim  nia  que  les  artistes  de  son  orchestre  soient  moins 
bien  payés  que  ceux  des  autres  institutions  analogues  de  concerts  symphoni- 
qnes  dans  son  pays;  les  chiffres  suivants  peuvent  donc  être  considérés  comme 
eonstituant  une  indication  générale  pour  les  grandes  villes  de  l'Allemagne. 
Le  traitement  le  moins  élevé,  dans  l'orchestre  Kaim,  serait  de  159  francs  par 
mois,  soit  1.800  francs  par  au,  mais  ce  n'est  là  qu'ua  traitement  de  début  que 
l'on  conserve  peu  de  temps.  Le  traitement  de  3.000  francs  peut,  au  contraire, 
être  consi  1ère  comme  supérieur  à  la  moyenne,  car,  dit-on,  deux  musiciens 
seulement  ont  pu  le  dépasser.  Quant  à  celui  de  5.030  francs,  mentionné 
somme  étant  le  maximum,  on  ne  dit  pas  dans  quelles  conditions  il  a  été 
attribué.  On  peut  se  faire  une  idée,  par  ce  qui  précède,  des  appointements 
gue  reçoivent  en  Allemagne  les  musiciens  des  orchestres  symphoniques.  Eu 
Angleterre,  leur  situation  est  plus  avantageuse,  du  moins  d'après  ce  que  nous 
apprend  un  rédacteur  du  Daily  Express,  M.  S.  L.  Bensusan.  Il  a  fait  le  relevé 
de  ce  que  reçoivent  les  artistes  des  deux  grands  orchestres  de  Londres,  celui 
de  Queen'sIIall  et  du  London  Symphony  Orchestra.  D'après  lui,  les  membres  de 
ces  deux  orchestres  touchent  en  moyenne  une  guinée  par  concert,  c'est-à- 
dire  26  fr.  2b  c,  et  les  chefs  de  pupitre  le  double.  Une  répétition  est  duo  gra- 
tuitement par  les  musiciens,  mais  chacune  des  autres  leur  est  payée  13  francs. 
M.  Bensusan  pense  que  l'audition  d'une  œuvre  importante  devrait  coûter,  à 
Londres,  environ  4.000  franc*,  tandis  que  sur  le  continent,  le  même  ouvrage 
serait  joué  moyennant  2.000  francs,  et  il  attribue  à  cette  différence  la  rareté 
des  exécutions  d'ouvrages  nouveaux  en  Angleterre.  Quoi  qu'il  en  soit,  pour 
arriver  à  des  conclusions  plus  précises  en  ce  qui  concerne  la  situation  faite 
anx  artistes  anglais  et  allemands,  il  faudrait  savoir  exactement  le  nombre  de 
concerts  auxquels  doivent  participer  ceux  qui,  comme  cela  se  fait  en  Alle- 
magne, sont  payés  mensuellement. 

—  Le  dernier  concert  d'abonnement  de  la  Chapelle  de  la  Cour,  à  Stuttgart, 
a  été  consacré  à  la  musique  française  moderne.  Un  public  chaleureux  a  fait  le 


plus  brillant  accueil  aux  Impressions  d'Italie  de  Charpentier  et  à  la  deuxième 
suite  du  Conte  d'avril  de  Widor.  MUe  Dennery,  de  l'Opéra  de  Cologne,  a  chanté 
avec  le  plus  vif  succès  des  airs  d'opéras  de  Massenet  (Hérodiade)  et  de  Gounod. 
Enfin  M.  Widor  a  joué  lui-même  plusieurs  morceaux  pour  orgue  de  sa  compo- 
sition et  dirigé  sa  troisième  Symphonie  en  mi  bémol  pour  orgue  et  orchestre. 
L'art  français  et  le  maitre  français  ont  été  toute  la  soirée  acclamés. 

—  M.  Edward  Elgar  nous  communique  les  statuts  d'une  nouvelle  société 
musicale  qui  vient  de  se  constituer  à  Londres  sous  le  titre  The  Musical  League 
et  dont  il  est  le  président.  Cette  Société  a  commencé  à  fonctionner  à  partir 
du  23  mars  dernier.  Elle  a  pour  but  de  donner  chaque  année  un  grand  festi- 
val dans  une  ville  dont  elle  fera  choix,  en  prenant  en  considération  les  avan- 
tages que  les  municipalités  voudront  bien  accorder.  On  fera  entendre  à  ce  fes- 
tival d'importants  ouvrages  inédits  ou  peu  connus  de  compositeurs  de  toutes 
nationalités.  Tous  les  membres  adhérents  de  la  ligue  verseront  une  cotisation 
annuelle  d'une  guinée,  soit  26  fr.  25  c,  moyennant  quoi  ils  pourront  soumettre 
au  comité  les  manuscrits  de  leurs  œuvres.  Ces  œuvres  auront  droit  à  l'examen, 
et,  si  cet  examen  leur  est  favorable,  elles  seront  inscrites  aux  programmes  des 
festivals.  On  fera  appel  autant  que  possible,  pour  cesfestivals,  au  concours  des 
artistes  et  des  sociétés  musicales  des  villes  ou  centres  musicaux  où  ils  auront 
lieu,  et  la  direction  en  sera  offerte  aux  compositeurs  ou  chefs  d'orchestre  les 
plus  en  vue.  La  ligue  évitera  tout  conflit  avec  les  organisations  musicales  exis- 
tantes; elle  s'efforcera  de  faciliter  les  relations  et  les  contacts  permettant  aux 
musiciens  d'échanger  leurs  idées.  Elle  viendra  en  aide,  dans  des  conditions 
qui  seront  déterminées,  aux  artistes  ayant  à  lutter  contre  des  difficultés  de 
carrière  ou  des  embarras  momentanés.  Les  membres  du  comité  de  la  ligue 
musicale  sont  les  compositeurs  dont  les  noms  suivent  :  MM.  Edward  Elgar, 
président  :  Frédéric  Delius,  vice-président;  Alexandre  Mackenzie.  Adolphe 
Brodsky,  W.-G.  Mac  Naught,  Henry  J.  Wood,  Granville  Bantock,  Philippe 
Agnew,  Percy  Pitt,  Norman  O'Neill,  Harry  Evans. 

—  L'administration  du  British  Muséum  de  Londres  vient  de  donner  une 
preuve  de  bon  goût  et  de  sens  artistique  malheureusement  trop  rare.  Elle  a 
refusé  le  legs  que  lui  avait  fait  par  testament  le  docteur  Oidham,  mort  récem- 
ment, legs  consistant  en  cinq  violons  admirables  de  maitres,  parmi  lesquels  le 
fameux  Toscan,  de  Stradivarius.  Le  Conseil  du  Musée  a  déclaré,  dit-on,  pour 
expliquer  son  refus,  qu'il  serait  criminel  d'enfermer  dans  des  vitrines  ces 
merveilleux  instruments  de  musique,  et  qu'il  vaut  mieux  les  laisser  jouer 
pour  la  plus  grande  joie  deï  musiciens.  Avis  aux  égoïstes  et  farouches  collec- 
tionneurs anglais,  qui,  par  vanité,  accaparent  ainsi  des  centaines  de  violons 
et  de  violoncelles  du  plus  grand  prix  et  de  la  plus  grande  beauté,  qu'ils  lais- 
sent tranquillement  dormir  au  grand  détriment  des  artistes  trop  peu  fortunés 
pour  les  leur  disputer.  En  ce  qui  concerne  le  Toscan,  dont  il  est  question  ici,' 
disons  que  cet  instrument  superbe,  acheté  à  Florence  en  1794  par  un  cerlain 
Kerrau  prix  de  50  zecchini  (environ  1.000  francs),  était  vendu  en  1865  pour 
6.230  fraucs,  et  vingt-trois  ans  plus  tard,  en  1888,  était  payé  25.000  francs 
par  la  maison  Hill,  de  Londres. 

—  Uu  procès  assez  singulier  se  poursuit  en  ce  moment  à  Londres.  Le  di- 
recteur et  le  gérant  d'une  Société  qui  prend  le  titre  d'  «  Académie  de  la  voix 
naturelle  »  sont  appelés  devant  le  tribunal  pour  répondre  du  délit  d'escroque- 
rie. Cette  Société  préconisait  et  prétendait  posséder  une  méthode  sûre  pour 
produire  la  voix  et  former  un  chanteur  de  quiconque,  lut-il  sourd  et  jouit-il 
de  l'organe  le  plus  faux  de  la  terre.  L'Académie  de  la  voix  naturelle  s'enga- 
geait à  transformer  le  gosier  le  plus  rebelle,  de  façon  à  en  faire  un  Faure  ou 
une  Bellincioni.  Les  élèves  ne  se  firent  point  prier,  parait-il,  pour  verser  entre 
les  mains  du  directeur  (!)  et  du  gérant  (!)  des  dizaines  et  des  centaines  de 
livres  sterling  ;  mais  ils  finirent  par  s'apercevoir  qu'ils  ne  faisaient  aucun 
progrès  sur  la  route  de  la  gloire  et  de  la  fortune,  et,  complètement  désillu- 
sionnés, se  convainquirent  qu'ils  étaient  dupes  de  simples  filous.  De  là  à 
porter  plainte,  il  n'y  avait  qu'un  pas  :  ce  pas  est  franchi,  et  l'Académie  de  la 
voix  naturelle  semble  se  trouver  dans  de  mauvais  draps,  en  compagnie  de 
son  directeur  et  de  son  gérant. 

—  De  Chicago  :  Le  charmant  baryton  Léon  Rennay  continue  ici  le  cours 
de  ses  nombreux  succès.  A  son  dernier  récitai,  il  s'est  fait  très  vivement 
applaudir  dans  nombres  d'œuvres  françaises,  notamment  dans  l'Heure  exquise 
de  Reynaldo  Hahn,  Marquise  et  Chant  provençal  de  Massenet. 

—  Le  jeune  et  déjà  célèbre  violoniste  hongrois  dan  Kubelik,  celui-là  même 
qui,  on  se  le  rappelle,  avait  «  assuré  sa  main  gauche  pour  50.000  francs  », 
accomplit  en  ce  moment  une  tournée  aux  Etats-Unis  qui  lui  rapporte 
SO.000  dollars  (soit  400.000  francs).  M.  Kubelik,  qui  possède  aujourd'hui  plu-, 
sieurs  millions,  s'occupe  lui-même  du  placement  des  sommes  qu'il  gagne  avec 
son  archet.  Il  vient  de  donner  ordre  à  la  Banque  américano-hongroise  i 
New-York  d'acheter  pour  son  compte  une  mine  de  cuivre  située  dans  l'Arizona. 
L'ordre  a  été  télégraphié  au  vice-président  de  la  Banque  habitant  Budapest, 
qui  l'a  fait  immédiatement  exécuter.  Dans  ces  conditions-là,  il  n'est  pas  désa- 
gréable de  posséder  un  certain  talent  sur  le  violon. 

—  Les  Américains  sont  féroces  en  matière  de  moralité.  On  annonce  de 
là-bas  que  cinq  artistes  viennent  d'être  arrêtés  à  Newark  (New-Jersey)  pour 
avoir  joué  une  pièce  intitulée  la  Vengence  du  Millionnaire,  qui  est  tout  simple- 
ment l'affaire  Thavv,  arrangée  pour  la  scène.  Le  juge  Howel  a  ordonné  l'arres- 
tation immédiate  de  tout  artiste  qui  se  permettrait  d'interpréter  en  public 
«  celte  pièce  immorale  et  dangereuse  pour  les  mœurs  des  citoyens  ». 


LE  MÉNESTREL 


103 


—  Celle-ci  se  passe  en  Amérique,  il  est  à  peine  besoin  de  le  dire,  et  elle 
nous  est  rapportée  par  le  Talking  Machine  Wortd  de  New-York.  Ce  journal  nous 
apprend  qu'à  Portland  un  individu  cité  devant  le  juge  pour  le  paiement  d'une 
dette  contractée  par  un  emprunt,  s'oblstinait  à  nier  qu'il  eût  jamais  reçu  un 
centime  de  son  prétendu  créancier,  tandis  que  celui-ci  affirmait  que  le  prêt 
avait  été  fait  par  lui  dans  sa  maison,  et  que  le  débiteur  avait  promis  verbale- 
ment de  rendre  la  somme  dans  le  délai  d'un  mois.  C'est  ici  que  l'affaire  se 
corse.  L'inculpé  ayant  juré  solennellement  que  tout  ce  qu'on  lui  reprochait 
était  pure  invention,  l'avocat  du  créancier  lit  avancer  et  paraître  à  la  barre... 
un  phonographe  qui  se  trouvait  dans  la  chambre  de  celui-ci  au  moment  de  la 
scène  de  l'emprunt,  et  lui  lit  prononcer  textuellement  les  paroles  prononcées 
en  la  circonstance  par  les  deux  interlocuteurs.  Le  juge,  reconnaissant  alors 
parfaitement  la  voix  de  l'un  et  de  l'autre,  condamna  séance  tenante  le  débi- 
teur peu  scrupuleux.  Qu'on  vienne  donc  dire  maintenant  que  le  phonographe 
n'est  pas  un  instrument  de  progrès  :  le  voici  appelé  en  justice  comme  témoin 
victorieux. 

—  Pourquoi  les  grandes  cantatrices  sont-elles  grasses?  Un  journal  amé- 
ricain pose  cette  question,  et  pour  prouver  que  les  grandes  voix  féminines 
sont  toujours  accompagnées  d'un  embonpoint  respectable,  il  publie  les  por- 
traits quelque  peu  rebondis  d'un  certain  nombre  de  chanteuses  renommées, 
Mmes  Tetrazziui,  EmmaCalvé,  Marcella  Sembrich,  Nordica.  Destina.  Et  quelle 
est  la  cause  de  cet  embonpoint,  demanJe-t-il;  est-ce  la  faute  du  chant?  Une 
célèbre  cantatrice,  M""'  Lilli  Lehmann,  qui  est  dans  le  cas  des  précédentes, 
répond  que  les  grandes  chanteuses  ne  deviennent  généralement  renommées 
qu'après  la  quarantaine  (aïe!),  que  c'est  d'ordinaire  à  cet  âge  que  les  femmes 
commencent  à  engraisser,  et  que  les  chanteuses,  qui  vivent  peut-être  plus 
largement,  engraissent  plus  que  les  autres.  Une  autre  exprime  l'avis  que  ses 
collègues  engraissent  trop  facilement  parce  qu'elles  ne  serrent  pas  assez  leur 
corset,  dans  la  crainte  d'altérer  leur  voix. 

PARIS   ET  DÉPARTEMENTS 

A  l'Opéra  :  MM.  Messager  et  Brou^san  sont  rentrés  à  Paris  mercredi  de 
retour  de  leur  voyage  à  Berlin,  où,  comme  nous  l'avons  dit  déjà,  ils  étaient 
allés  assister  à  une  représentation  des  Huguenots,  dont  la  mise  en  scène  a  été 
complètement  remaniée. 

C'est  demain  soir  dimanche  qu'aura  lieu  la  reprise  de  Xamouna,  le  ballet  de 
Lalo.  Première  représentation,  le  lendemain  lundi. 

On  compte  que  Mllc  Mary  Garden  sera  rentrée  à  Paris  vers  la  fin  de  la  se- 
maine prochaine  et  on  espère  qu'elle  débutera  sur  la  scène  de  notre  Académie 
nationale  de  musique  aux  alentours  du  13  avril.  Il  est  fortement  question, 
avant  de  faire  aborder  à  l'exquise  artiste  le  rôle  d'Ophélie  dans  VHamlel 
d'Ambroise  Thomas,  où  elle  aurait  pour  partenaire  M.  Renaud,  de  la  laisser 
paraître  d'abord  dans  la  Thaïs  de  M.  Massenet;  on  sait  quels  triomphes  elle  vient 
de  remporter  à  New-York  dans  cet  ouvrage  qu'elle  chanta  toujours  avec  grand 
succès,  en  France  même,  notamment  à  Aix-les-Bains. 

Nous  avons  annoncé  déjà  les  représentations  russes  qui  seront  données,  au 
nombre  de  six,  du  15  mai  au  13  ju  n.  M.  Serge  de  Diaghilew,  qui  est  l'im- 
présario de  l'affaire,  a  ainsi  arrêté  la  distribution  de  Boris  Godounow,  l'opéra 
de  Moussorgsky  : 

Boris  Godounow  MM.  Chaliapine  (Opéra-Impérial  Russe). 

Le  faux  Dimitri  Smirnuw  (Opéra-Impérial  de  Moscou). 

Pioiène  Kastorski  (Opéra-Impérial  de  Saint-Pétersbourg). 

Varlaam  Charoriov»  (Opéra-Impérial  de  Saint-Pétersbourg). 

Marina  Mra™  Félia  Litvinne  (Opéra  de  Paris). 

La  Nourrice  Pétrenko  (Opéra-Impérial  de  Saint  Pétersbourg). 

Le  Tsarévitch  Féodor  Fougarinova  (Opéra-Impérial  de  Moscou). 

Le  chef  d'orchestre  sera  M.  Félix  Blumenfeld,  de  l'Opéra-Impérial  de  Saint- 
Pétersbourg,  que  les  Parisiens  ont  déjà  pu  apprécier  aux  concerts  russes  de 
l'an  dernier.  Les  décors  seront  l'œuvre  du  peintre  Golovine  :  M.  de  Diag- 
hilew s'est  également  assuré  le  concours  de  M.  Alexandre  Sauine,  metteur 
en  scène  des  théâtres  impériaux,  et  des  chœurs  du  Grand-Théâtre  de 
Moscou. 

Et  puisque  nous  parlons  des  projets  «  étrangers  »  des  directeurs  de  l'Opéra, 
répétons  le  bruit  diaprés  lequel  ils  se  seraient  assurés  non  seulement  de  la 
Salomé,  de  M.  Richard  Strauss,  mais  encore  de  son  Electre  inédite.  Les  Pari- 
siens n'auront  vraiment  plus  le  droit  de  se  plaindre  qu'on  ne  les  tient  pas  au 
courant  du  mouvement  musical 'extérieur  ! 

—  A  l'Opéra-Comique  :  Tandis  que  les  répétitions  de  Snegourotchka  sont 
poussées  très  activement,  on  vient  de  mettre  en  train  les  éludes  du  Clown  de 
M.  de  Camondo. 

M.  Albert  Carré  vient  d'engager  une  cantatrice  du  Théâtre-Impérial  de 
Moscou,  M,le  Elisabeth  Baratoff.  Ajoutons  que  la  jeune  chanteuse,  qui  n'est 
rien  moins  que  princesse,  travailla  avec  M.  Emile  Bourgeois.  M1'1'  Henriette 
Solner  vient  également  de  signer  pour  deux  années,  à  partir  de  septembre 
prochain. 

Spectacles  de  demain  dimanche.  En  matinée  :  le  Jongleur  de  Notre-Dame  et  la 
Habanera;  en  soirée  :  Mignon.  Lundi,  en  représentation  populaire  à  prix  réduits  : 
Ariane  et  Barbe-Bleue. 

—  MM.  Isola  ont  été  reçus,  cette  semaine,  parla  1°  Commission  du  Conseil 
municipal,  à  laquelle  ils  ont  déclaré  que,  eu  présencj  des  résultats  obtenus, 
ils  étaient  décidés  à  demander  à  la  Ville  de  Paris  la  transformation  en  exploi- 
tation définitive  de  l'exploitation  provisoire  de  la  Gaité  en  Lyrique  populaire. 
Mais  alors  les  directeurs,  obligés  d'envisager  l'éventualité  d'une  collaboration 


moins  efficace  de  l'Opéra-Comique,  ont  manifesté  leur  intention  de  i 
une  troupe  complète.  Dans  ce  cas,  ils  voudraient  que  les  modifications  qu'ils 
se  proposent  de  faire  eussent  l'assentiment  de  la  Ville  de  Paris  avec  laquelle 
ils  désirent  rester  en  parfait  accord.  La  4°  Commission  statuera  dans  quelque* 
jours.  Nous  pouvons  ajouter  que  MM.  Isola  ont  déjà  entendu  plusi 
vrages  inédits  en  vue  de  leur  prochaine  campagne  théâtrale.  TienJrions-nouj 
enfin  le  vrai  Lyrique,  tant  souhaité  qui  pourra  voler  de  ses  propres  ailes  et  ne 
point  demeurer  une  pâle  et  inutile  succursale  de  nos  scène-  subventijnaées? 

—  On  annonce  pour  les  premiers  jours  du  mois  d'avril,  à  la  Porte  S  uni 
Martin,  la  première  représentation  de  l'opérette  n  mvelle  de  M.  Im  pli  : 
Berger,  le  Chevalier  d'Eon,  Sur  un  livret  d'Armand  Silvestre  t  de  M.  11  al 
Cain.  M.  Edmond  Brouette,  d'après  les  on-dit,  prépare  des  merveilles  d.;  mis? 
en  scène  et  a  assuré  à  l'œuvre  une  interprétation  di  prinv)  car  ello  qui  com- 
prend les  noms  de  MUes  Thévenet.  Anne  Dancrey,  ltachel  Lauuay,  Germaine 
Huber,  M.  Fairy,  de  MM. .  Félix  Huguenet,  Gaston  Dubosc  et  Ferval,  pour 
ne  citer  que  les  principaux.  Les  déçois,  que  l'on  commence  a  livrer  au 
théâtre,  ont  été  brossés  par  MM.  Lemeunier  (1er acte),  Jambon  (2*  et  3"  actes) 
et  Amable  (4e  acte),  et  la  maison  Landolf  prépare  un  nombre  cmsi  1  Srabl  d 
costumes  neufs  qui  seront  une  très  fidèle  reconstitution  de  l'époq  m  il 
Louis  XV. 

—  Aujourd'hui  28  mars,  à  cinq  heures,  au  Théàtre-Sarah-Berahurdt,  ■!'.'  sa- 
medi de  la  Société  de  l'histoire  du  théâtre.  Causerie  de  M.  Paul  Ginisly  sur 
le  Directeur  d"  théâtre,  avec  le  programme  de  récitations  et  d'auditions  sai- 
vant  : 

Monsieur  Nicotel  (XXXi,  par  M""  Lutzi.  —  Les  Fiançiilles  delà  M  •  r  r.t ,  ■.  Barras), 
par  M.  Janvier.  —  La  Mort  de  Piaf-Piaf  (A.  Damusi,  par  M.  Gazalis.  —  lu  h  ■  > 
qui  connaît  son  publie  (Th.  de  Banville),  par  M"°  J.  Bellanger.  —  Le  Figura  <  <i<>  h  i 
leur  Véron  (Albéric  Second),  par  M""  M.  Cartier.  —  Nestor  Roqmplan  (Th.  do  Bm- 
ville)  par  M""  J.  Bellanger.  —  L'Huissier  du  Dire -leur  (A.  Houssaye),  par  M  Pai  i  L 
—  Rondeau  de  Madame  Favart  (Offenbach),  par  M"0  Simo  i-Girard.  —  Air  de  Pail- 
lasse (Leoncavallo),  par  M.  Pascual,  de  l'Opéra -Royal  de  Madril.  —  Chanso  i  à  bhre 
de  Tabarin  (Emile  Pessard),  par  M.  Carbelly,  accompagné  par  l'auteur. 

—  M.  Fallières  a  accepté  l'invitation  qui  lui  a  été  faile.  par  le  Comité  de 
l'Association  pour  le  Développement  du  chant  choral  et  de  l'orchestre  d'har- 
monie, d'assister  à  la  solennité  artistique  que  l'Association  organise  au  Troca- 
déro,  le  dimanche  5  avril,  à  2  h.  1/2,  pour  célébrer  la  Franc.)  héroïque  à  tra- 
vers les  siècles.  Les  œuvres  de  M.  Bjurgault-Dacoudray  seront  interprétées  sous 
la  direction  de  l'auteur  par  1.300  c'.ioristes  et  avec  le  concours  de  M""  Lipey- 
rette,  de  MM.  Duclos  et  Vérin,  de  l'Opéra.  La  musique  militaire  du  103:  et 
l'Harmonie  des  anciens  musiciensde  l'armée  accompagneront. MM.  Alexandre 
Guilmant  et  Bonnet  tiendront  l'orgue. 

—  Mardi  dernier  était  le  centième  anniversaire  de  la  naissance  de  Maria- 
Felicita  Malibran.  C;tte  cantatrice,  morte  à  vingt-huit  ans  des  suites  d'uae 
chute  de  cheval  après  laquelleon  la  releva  le  visage  en  sang  et  la  tète  cju  . 
verte  de  contusions,  car  elle  avait  été  traînée  pendant  une  longue  distance,  a 
mené,  pendant  onze  années,  une  existence  presque  triomphale.  Née  à  Paris, 
le  24  mars  1808,  elle  mourut  le  23  septembre  1836.  à  Manchester,  où  elle  avait 
été  appelée  pour  prendre  part  à  un  festival.  Ou  lui  fit  là  des  funérailles  prin- 
cières  et  on  voulut  lui  ériger  un  tombeau  définitif,  mais  ses  restes  durent  être 
rendus  à  sa  famille;  ils  ont  été  inhumés  avec  pompe  au  cimetière  de  Laekja, 
à  Bruxelles,  dans  un  mausolée  où  une  statue  de  marbre,  par  Greefs,  a  été 
placée.  Maria-Felicita.  fille  de  Manuel  del  Popolo  Vicente  Garcia,  était  douée 
des  dons  les  plus  précieux.  Conduite  a  Naples  dès  l'enfance  par  son  père,  qui 
lui  enseigna  le  chant  quand  le  moment  fut  venu,  elle  joua,  dès  l'âge  de  cinq 
ans,  dit  Fétis,  au  théâtre  Fiorentini,  le  rôle  de  l'enfant  dans  l'Agnese  de  Paer. 
Deux  ans  après,  Panseron  et  Herald,  se  trouvant  à  Naples,  lui  enseignèrent 
l'un  le  solfège  et  l'autre  le  piano.  Les  années  passèrent.  Garcia  ayant  été 
appelé  à  Londres  en  qualité  de  premier  ténor  du  Théâtre  du  Roi,  une  indis- 
position de  M"'e  Pasta  lui  fournit  l'occasion  de  faire  débuter  sa  fille  sur  cette 
scène,  le  7  juin  1823,  dans  le  rôle  de  Rosine  du  Barbier  d"  Séuille.  Appréciée 
dès  l'abord,  elle  fut  engagée  pour  le  reste  de  la  saison.  Son  père  la  conduisit 
ensuite  à  New-York,  où  elle  excita  l'enthousiasme  du  public  et  contracta, 
malgré  sa  répugnance,  un  mariage  avec  le  négociant  français  Malibran,  qui  fit 
de  mauvaises  affaires  et  dont  sa  femme  se  sépara  l'année  suivante.  Maria 
Malibran  revint  en  Europe  et  se  présenta  pour  la  première  fois  devant  u:i 
public  théâtral  parisien  dans  Sémiramis,  donnée  à  l'Opéra  au  bénéfice  de  GallL 
Engagée  aussitôt  au  Théâtre-Italien  au  chiffre  de  1.073  francs  par  soirée,  elle 
en  chanta  triomphalement  le  répertoire,  sans  cesser  de  voyager  en  Angleterre 
et  en  Italie.  A  Londres,  en  1833,  le  théâtre  Drury-Laue  lui  donna  88.0UO  francs 
pour  quarante  représentations;  pour  vingt-quatre,  l'Opéra-Italien  de  la  même 
capitale  lui  paya,  en  mai-juin  1833.  la  somme  de  67.373  francs.  La  même 
année  elle  souscrivit  à  Milan  un  engagement  pour  cent  quatre-vingt-cinq 
représentations,  aux  appointements  de  42J.O0O  francs.  Le  rôle  dans  lequ  1  elle 
a  laissé  le  plus  de  souvenirs  est  celui  de  Desiemona  dans  Ulelto.  On  a  dit 
parfois  que  Maria  Malibran  s'était  épuisée  en  s,.'  livrant  avec  trop  de  passion 
aux  sentiments  qu'elle  avait  à  exprimer  au  théâtre.  Allie  J  de  Musset  a  soutenu 
poétiquement  cette  légende  : 

Que  ne  détournais-tu  la  tète  pour  sourire 
Comme  on  en  use  ici  quand  oa  feint  d'être  ému? 
Hélas!  on  t'aimait  tant  qu'on  n'eu  aurait  rien  \u. 
Quand  tu  chantais  le  Saule,  au  lieu  de  ce  délire, 
Que  ne  t'occupais-tu  de  bien  porter  ta  lyre? 
—    La  Pasta  fait  ainsi  :  que  ne  I  imitais  tu  ? 


104 


LE  MENESTREL 


Maria  Malibran  épousa,  le  29  mars  1886,  Charles  de  Bériot,  après  jugement 
portant  annulation  de  son  premier  mariage,  prononcé  par  les  tribunaux  de 
Paris.  Les  deux  époux  se  rendirent  à  Bruxelles  et  y  donnèrent  ensemble  un 
concert  au  bénéfice  des  Polonais.  Moins  de  six  mois  après,  la  mort  venait 
mettre  fin  à  tous  les  rêves  de  bonheur  et  de  gloire  que  la  jeune  femme  s'était 
promis  à  la  suite  de  cette  union.  La  Malibran  a  composé  beaucoup  de  noc- 
turnes, de  romances  et  de  chansons,  dont  plusieurs  ont  été  gravés.  Après  sa 
mort,  les  productions  de  ses  dernières  années  ont  été  publiées  en  un  album 
portant  ce  titre  :  Dernières  pensées  musicales  de  Marie -Félicité  Garcia  de  Bériot. 
On  a  exécuté  le  17  mars  1837  à  la  Scala  de  Milan  une  cantate  funèbre,  A 
la  Malibran.  du  poète  Piazza,  dont  la  musique  a  été  écrite  par  Goppola.  Doni- 
zetti,  Mercadante,  Paccini  et  Yaccaj. 

—  Le  9  avril  prochain,  M.  E.  Jaques-Dalcroze,  1  auteur  du  Bonhomme  Jadis 
et  des  Jumeaux  de  Bergame,  donnera,  salle  des  Agriculteurs,  8,  rue  d'Athènes, 
une  séance  de  gymnastique  rythmique.  Comme  il  le  fit  l'année  dernière  au 
Conservatoire  national  de  musique,  M.  E.  Jaques-Dalcroze  y  exposera  sa 
curieuse  et  très  nouvelle  méthode  et  Mllc  M.  Bréchoux  présentera  ses  élèves. 
On  trouvera  des  invitations  au  Ménestrel. 

—  A  la  suite  de  deuils  récents  qui  viennent  de  la  frapper,  MmeAstruc  Doria 
a  prié  le  quatuor  vocal  Battaille  d'accepter  sa  démission.  L'emploi  de  soprano 
sera  maintenant  tenu  par  M"e  Mary  Garnier,  l'éminente  et  renommée  canta- 
trice; son  talent  et  les  travaux  d'ensemble  qu'elle  a  déjà  faits  avec  le  quatuor 
vocal  Battaille  assurent  à  cette  belle  association  la  continuation  des  succès 
qu'elle  recueille  partout. 

—  Le  17  mars  dernier  a  eu  lieu  à  Metz  la  première  représentation  d'un 
opéra  nouveau  en  trois  actes,  le  Duc  Réginald,  musique  de  M.  Otto  Brucks, 
directeur  du  théâtre  municipal,  où  a  été  joué  l'ouvrage.  Le  compositeur  a  été 
rappelé  après  chaque  acte.  L'action  se  passe  au  temps  des  croisades  et  est  dé- 
veloppée dans  la  forme  du  grand  opéra. 

—  Soirées  et  Concerts. —  Au  Théâtre-Mondain,  charmante  audition  des  élèves 
de  M"'  Pdiiline  Vaillant.  On  applaudit  à  de  foit  intéressantes  exécutions  de  scènes 
importantes  de  Mignon,  d'Ambroise  Thomas,  de  Cendrillon,  de  Massenet,  de  Jean  de 
Xivelle,  de  Léo  Delibss,  et  d'Hamlet,  d'Ambroise  Thomas. 

NÉCROLOGIE 
Le   11  mars   dernier  est  mort  à  Leipzig  le  compositeur  et  écrivain  musi- 
cal Fr.  Th.  Cursch-Biihren.  Né  le  10  janvier  1839  à  Troppau,  en  Autriche,  il 
apprit  dès  l'âge  de  cinq  ans  le  violon  et  l'orgue  et  essaya  bientôt  après  de 
composer.  Il  se  fit  admettre  plus  tard  parmi  les  membres  de  l'orchestre  de 


Johann  Strauss,  et  devint  ensuite  lui-même  chef  d'orchestre  au  théâtre  de 
Worms  et  à  celui  de  Trêves.  Il  a  laissé  des  intermèdes  chantants,  des  mélo- 
dies et  de  très  beaux  chœurs,  d'hommes. 

—  De  Turin  on  annonce  la  mort,  à  l'âge  de  71  ans,  du  compositeurGaetano 
Foschini,  ex-professeur  d'harmonie  au  Lycée  musical  de  cette  ville.  Auteur 
d'un  bon  Traité  d'harmonie,  il  avait  fait  représenter  à  Constantinople,  en 
1864,  un  opéra  sérieux  intitulé  Giorgio  il  bandito.  Dans  sa  jeunesse  il  avait 
publié  un  assez  grand  nombre  de  morceaux  de  piano,  consistant  surtout  en 
variations  et  fantaisies  sur  des  thèmes  d'opéras. 

—  Morte  par  amour!  Une  jeune  artiste  italienne,  Maria-Francesca  Pertusio, 
qui  était  chef  d'attaque  des  premiers  violons  dans  l'orchestre  de  Monte-Carlo, 
s'est  suicidée  dans  des  conditions  dramatiques.  La  belle  Italienne  s'était  ren- 
contrée avec  un  de  ses  collègues,  elle  lui  plut,  et  ils  s'aimèrent.  Mais  l'in- 
constance devaitmettre  fin  à  cette  passion.  L'amoureux  se  détacha  peu  à  peu  de 
l'aimée,  puis  l'abandonna,  et  elle,  désespérée  de  cet  abandon,  résolut  de  mou- 
rir. Elle  acheta  un  revolver,  monta  dans  une  voiture,  se  fit  conduire  au 
cimetière,  et  là.  appliquant  l'arme  sur  sa  poitrine,  se  tira  deux  balles  dans  le 
cœur.  La  mort  de  la  pauvrette  fut  instantanée. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Tl"n ■»! ili ri  le  3  avril  1908,  1  heure  après-midi,  en  l'étude  de  Me  Plcche, 
I  Il  11  1  £l  notaire  à  Paris,  33,  rue  de  la  Chapelle. 

FONDS    DE 
COMMERCE     DE 
exploité  à  Saint-Denis  (Seine),  boulevard  de  Chàleaudun,  46,  et  à  Noisy- 
le-Grand  (S.-et-O.),  impasse    Chilpéric,  4. 

Mise  à  prix  :   73  francs. 

Consignation  pour  enchérir  :  1.300  francs. 

Matériel  et  marchandises  en  sus  du  prix,  à  dire  d'expert. 

S'adresser  pour  renseignements  :  à  Paris,  au  dit  Me  Pluche,  notaire, 
dépositaire  du  cahier  des  charges;  à  Pontoise,  à  Mcs  Piere.ns,  Mali.et 
et  Dlpont,  avoués.  —  Et  pour  visiter,  sur  les  lieux. 

Viennent  de  paraître  chez  E.  Fasquelle  :  La  Belle  au  bois  dormant,  féerie  lyrique 
en  vers,  de  J.  Richepin  et  II.  Cain,  représentée  au  Théàlre-Sarah-Bernhardt  (3  fr.  50  c). 
La  Séparation,  discussion  de  la  loi,  de  A.  Briand  (3  fr.  50  c).  Les  Rendez-vous  stras- 
bourgeois...  et  autres,  théâtre,  de  Romain  Coolus  (3  fr.  50  c).  Travail  et  Travailleurs 
de  A.  Millerand  (3  fr.  50  c);  Correspondance,  les  Lettres  et  les  Arls,  d'Emile  Zola 
(Sfr.  50  c.i. 

Chez  Migault  et  C".  à  Blois  :  l'n  Poêle  biaisais,  Edouard  Blau  (1836-190$*. 


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Rosette,  ma  Rosette  :  «  Douce  et  mutine  à  la  fois  » 4     » 

Duetto  :■  'Ah!  que  la  veille  d'un  beau  jour  est  longue!  ».    ....  4     » 

Duo  du  portrait  :  0  Ami,  depuis  longtemps  je  t'ai  donné  mon  cœur  »  7  30 

Air  de  la  fiancée  :  «  Fiancée,  le  joli  mot!  » 4     » 

Le  même  transposé  un  ton  plus  bas i     » 

Je  suis  étranger!  :  «  Toujours  joyeux,  toujours  content!  »-.--...  7  30 


s  6.     Maître  et  maîtresse  :  «  Ah!  que  c'est  chose  différente!  » 5    » 

7.  Duo  d'Arlequin  et  Rosette  :  «  Avec  l'amour  on  ne  badine  pas  »   .    .  7  30 

8.  Couplets  de  l'aiguille  :  «  Cours  vite,  petite  aiguille  » 4     » 

9.  Sérénade  :  «  Rose  du  bois  joli  » 3    » 

9Li".  Le  même  pour  ténor  et  soprano 3    » 

10.     Quatuor  à  la  lune  :  «  Coucou,  madame  la  lune  » S     » 


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N.  B.  —  S'adresser    AU    MÉNESTREL,    2   bis,    rue   Vivienne,    pour    la    location    des    parties    d'orchestre, 
de    la    mise    en    scène    et    des    dessins    des    costumes    et    du    décor. 


—  CEncrt  Lonlilu). 


4019.  -  74e  ANIMÉE.  —  N°  14.        PARAIT  TOUS   LES   SAMEDIS 


Samedi  \  Avril  1908. 


(Les  Bureaux,  2b'%  rue  Vivienne,  Paris,  u-arr') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


ENESTREL 


Le  flaméFo  :  o  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  Numéro  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  ea  ans. 


SOMMAIEE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (15"  article),  Julien  Tierso 
reprise  de  Namouna,  à  l'Opéra,  A.  Boutarel.  —  III.  Rev 
IV.  Nouvelles  diverses  et  concerts. 


—  II.  Semaine  Ihéi'itrale  : 
;  des  grands  concerts.  — 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  les 
COUPLETS  DE  L'AIGUILLE 
chantés  par  Mme  Jaques-Dalcroze  dans  les  Jumeaux  de  Bergàme,  l'arlequinade 
nouvelle  de  E.  Jaques-Dalcroze  (poème  de  Maurice  Lena,  d'après  Florian). 
qui  vient  d'être  représentée  au  Théâtre  de  la  Monnaie  de  Bruxelles.  —  Suivra 
immédiatement  :  la  Lettre  de  Rosita,  chantée  dans  le  Chevalier  d'Éon,  opérette 
nouvelle  de  M.  Rodolphe  Berger  (poème  d'ARMAND  Silvestre  et  Henri  Gain), 
qui  va  être  représentée  au  Théâtre  de  la  Porte-Saint-Màrtin. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
XEnlf  acte-Gavotte  du  Chevalier  d'Éon,  l'opérette  nouvelle  de  Rodolphe  Berger. 
—  Suivra  immédiatement  la  mazurka  extraite  du  ballet  (Le  Mariage  d'une 
rose)  de  la  même  opérette. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 


CHAPITRE  IV 


VOYAOE      EN     ANGLETERRE 

Les  découvertes  de  documents  et  d'oeuvres  se  rapportant 
à  la  première  période  de  la  vie  de  Gluck  se  multiplient,  en  ce 
moment,  nous  dirions  presque  de  jour  en  jour.  Au  lendemain 
de  l'apparition  du  dernier  numéro  du  Ménestrel,  où  il  était  fait 
usage  du  petit  nombre  de  documents  présentement  connus  sur  la 
Cadula  de'  Giganli,  M.  A.  Wotquenne,  dont  le  Catalogue  thématique 
des  œuvres  de  Gluck  nous  est  si  précieux,  a  bien  voulu  m'écrire 
pour  me  donner  le  renseignement  complémentaire  que  voici  : 

«  Le  livret  de  cet  opéra  est  actuellement  connu;  on  vient  de 
le  retrouver  à  la  Bibliothèque  Victor-Emmanuel  à  Rome.  Ce 
livret  est  de  Fr.  Vaneschi...  » 

Suivent  d'autres  détails  sur  la  composition  des  parties  lyri- 
ques du  poème.  Ils  arrivent  parfaitement  à  temps  pour  être 
utilisés  dans  la  suite  de  ce  travail,  où  ils  vont  compléter  les 
données  déjà  acquises.  Il  ne  reste  donc  qu'à  rectifier  ce  qui  a 
été  imprimé  dans  le  dernier  numéro, -d'après  des  indications 
remontant  à  1904,  relativement  à  l'ignorance  où  l'on  était  du 
poème  de  la  Caduta  de'  Giganli  et  du  nom  de  son  auteur. 


Six  airs  de  chacun  des  deux  opéras  de  Gluck  représentés  en 
Angleterre  furent  gravés,  sous  ce  titre  :  The  /avourite  Somjs 
in  the  opéra  calFd  la  Caduta  de'  Giganti  [Artamene]  ;  London, 
Wakh  (1).  Ce  fut  la  première  musique  de  l'auteur  d'Armide  qui 
ait  été  admise  aux  honneurs  de  l'impression.  Etait-ce  la  meil- 
leure qu'il  eût  composée  jusqu'alors  ?  Celle  que  nous  ont  précé- 
demment fait  connaître  les  manuscrits  est  là  pour  nous  répondre, 
sans  que  d'ailleurs  nous  ayons  à  constater  une  notable  diversité 
de  style,  que  les  chants  de  ses  premiers  opéras  italiens  ont 
souvent  plus  de  beauté.  Sans  doute  est-ce  l'effet  d"un  choix 
commandé  par  les  circonstances;  peut-être  aussi  l'impression 
que  nous  éprouvons  à  cette  lecture  provient-elle  simplement  de 
l'arrangement  fait  au  goût  anglais,  uniformément  à  trois  parties 
(deux  violons  et  basse,  la  voix  marchant  toujours  avec  le  premier 
violon).  Toujours  est-il  que  cette  musique  nous  apparaît  sèche 
et  formulaire.  La  virtuosité  n'en  est  pas  complètement  écartée  ; 
mais  ce  n'est  plus  cette  virtuosité  hardie  dont  nous  avons  noté 
antérieurement  de  remarquables  exemples  :  celle-ci  est  modérée, 
prudente,  et  ne  se  hasarde  pas  à  des  prouesses  trop  incertaines  ! 

Au  reste,  il  se  pourrait  que  l'éditeur  n'eût  pris  que  les  airs 
les  plus  faciles,  et  que  son  choix  ne  donnât  pas  une  idée  fidèle 
du  style  général.  Presque  tous  ceux  qu'il  a  choisis  ont  une 
allure  dansante,  le  plus  souvent  à  trois  temps,  en  stvle  de 
menuet.  Aucun  morceau  de  haut  style  n'a  été  compris  dans  la 
sélection.  Est-ce  à  dire  que  Gluck  n'en  avait  admis  aucun  dans 
ses  opéras  anglais  ?  Nous  ne  saurions  l'assurer. 

Pourtant  il  est  un  air  dont  nous  connaissons  déjà  les  paroles: 
Basserena  ilmesto  cig/ii;  elles  avaient,  dans  Tigrane,  inspiré  une 
charmante  cantilène.  Ces  vers  se  retrouvent  clans  Artamene  mais 
avec  une  autre  musique,  moins  suave  et  sensiblement  infé- 
rieure (2).   Et  cette  dernière  obtenait  à  Londres  le  plus  çrand 


(1)  Le  Général  Advertiser-  du  25  mars  1746  publie  l'annonce  suivante,  doot  nous 
retenons  seulement  ici  les  articles  1  et  3  : 

New  Misic 
Tliis  Day  is  publis'ied 
1  The  favourito  Songs  in  the  Opéra  c  iltfd  Artamene. 
3  The  favourite  Songs  in  La  Caduta  de'  Giganli. 
Being  ail  the  Opéras  perform'd  tliis  Winter. 

Communication  de  M.  J.-S.  Shedlock. 
(■2i  L'on  se  souvient  que  les  biographes  ont  cru  longtemps  qu'un  opéra  de  Gluck 
avait  été  représenté  en  1743,  sou*  le  nom  d'.lrfa  mène,  h  Crémor  i  disaient  les  uns,  à 
Crema  rectifiaient  les  autres.  A  ce  propos,  M.  Wotquenne  a  écrit  dans  son  catalogua 
des  œuvres  de  Gluck  :  «  11  ne  faut  pas  confondre  VArtamène  de  Londres  avec  celle  de 
Crema.  A  mon  avis  ces  deux  œuvres  sont  entièrement  dissemblables,  et  je  suis  per- 
suadé que  le  libretto  primitif  (1743)  —  si  on  parvient  à  .en  retrouver  un  exemplaire 
—  confirmera  ma  conjecture.  .  Voilà  qui  étail  parler  en  vrai  prophète  !  La  conjecture 
était  mieux  fondée  encore  que  ne  le  pensait  l'écrivain:  en  effet,  nous  savons  aujour- 
d'hui que  non  seulement  l'opéra  de  Crema  1743'  diffère  totalement,  par  son  libretto 
comme  par  sa  musique,  de  VArtamène  de  Lon  1res  (1746),  mais,  mieux  èni 
n'est  pas  Artamene,  ayant  pour  nom  Tigrane. 


106 


LE  MÉNESTREL 


succès  :  Burney  rapporte  que,  chantée  par  Monticelli,  elle  était 
bissée  à  toutes  les  représentations.  Comme  le  motif  principal  y 
est,  dit  l'historien  musical,  exposé  d'abord  sept  fois,  puis  redit 
sept  fois  encore  au  Da  capo,  c'était  donc,  après  le  bis,  vingt-huit 
fois  que  les  spectateurs  l'avaient  entendu  !  Est-ce  pour  plaire  au 
goût  anglais  que  Gluck  avait  ainsi  renoncé  à  la  belle  ordon- 
nance de  la  première  composition  pour  y  substituer  des  redites 
bonnes  uniquement  à  faire  entrer  de  gré  ou  de  force  sa  musique 
dans  les  oreilles  récalcitrantes  des  insulaires  ? 

Mais  ce  n'est  pas  tout,  et  la  comparaison  des  airs  de  la  Caduta 
de'  Giganli  et  i'Arfamène  avec  ceux  des  opéras  italiens  antérieurs 
vient  nous  éclairer  sur  une  autre  intéressante  particularité.  Des 
six  airs  connus  de  la  Caduta,  trois  reproduisent  purement  et 
simplement  trois  airs  de  Tigrane,  paroles  et  musique  ;  un  duo 
est  pris  dans  Ippolito  ;  la  musique  d'un  cinquième  air  est  celle 
d'un  morceau  d'Ipermeslra  adaptée  à  un  texte  nouveau. 

Le  livret  complète  et  corrobore  ces  premières  observations  : 
les  textes  des  airs  que  Gluck  dut  mettre  en  musique  pour  for- 
mer son  premier  opéra  de  Londres  sont  généralement  emprun- 
tés à  des  poèmes  antérieurs  d'auteurs  divers.  L'un  est  extrait 
d'Endimione  de  Métastase,  inséré  déjà  dans  Tigrane;  un  autre 
provient  de  VIssipile  du  même  poète,  et  se  rencontre  également 
dans  la  Sofoyiisba.  Un  emprunt  a  été  fait  à  Ipermestra,  un  autre 
à  Achille  de  Métastase;  enfin  un  duo,  qui  termine  le  premier 
acte,  est  extrait  deY  Ippolito  (1). 

Dans  Artamène,  deux  airs  sont  empruntés,  l'un  à  Demofoonte, 
l'autre  à  Sofonisba.  Les  textes  de  trois  autres  proviennent  de 
deux  opéras  de  Métastase,  Ezio,  Adriano  in  Siria  et  du  Tigrane 
que  nous  connaissons  d'autre  part  ;  mais  ici  la  musique  ne  sem- 
ble pas  provenir  de  précédents  ouvrages  de    Gluck. 

Les  opéras  londoniens  de  Gluck,  surtout  le  premier  (car 
Artamène  semble  déjà  accuser  un  changement  de  système),  nous 
offrent  donc  un  exemple  parfaitement  authentique  de  ce  que, 
dans  l'opéra  italien  du  xvmc  siècle,  on  appelait  un  pasticcio, 
œuvre  disparate,  sorte  de  manteau  d'Arlequin,  composé  de 
fragments  épars  réunis  arbitrairement  à  la  faveur  d'un  scénario 
qui,  on  le  devine,  devait  emprunter  aux  circonstances  de  sa 
création  peu  de  naturel  et  de  spontanéité. 

L'on  a,  au  sujet  de  ces  compositions  factices,  raconté  une 
histoire,  dont  le  fond  sans  doute  est  vrai,  mais  qui,  dans  la 
plupart  de  ses  rédactions,  contient  une  erreur  importante  à 
rectifier.  Après  les  représentations  de  ses  deux  opéras  à  Londres,. 
Gluck  aurait  été  requis  de  composer  un  pasticcio  avec  les 
meilleurs  airs  de  ses  opéras  antérieurs,  réunis  sur  un  poème 
nouveau  dont  le  sujet  était  la  légende  de  Pyrame  et  Thisbé;  or, 
cette  œuvre  aurait  subi  un  échec  complet,  dont  Gluck  fut 
d'abord  étonné,  ne  pouvant  comprendre  comment  une  musique 
estimée  à  si  haut  prix  à  Milan  et  à  Venise  pouvait  ainsi  laisser 
indifférent  un  autre  public.  Il  réfléchit  pourtant,  et  comprit 
que  la  raison  du  succès  d'abord,  de  l'échec  ensuite,  provenait 
de  ceci  :  dans  les  œuvres  originales,  chaque  air  était  à  sa  vraie 
place,  exprimant  le  sentiment  d'une  situation  déterminée  ;  dans 
le  pasticcio  au  contraire,  ces  airs  étaient  sortis  de  leur  milieu 
naturel  :  ils  perdaient  donc  toute  leur  signification,  et  n'étaient 
plus  qu'un  vain  bruit  de  notes  plus  ou  moins  ingénieusement 
agencées.  Cette  circonstance  occasionnelle  aurait  été  la  cause 
première  des  idées  de  Gluck  sur  l'expression  de  la  musique 
dramatique,  et  le  point  de  départ  de  sa  réforme  future. 

C'est  Suard,  notable  champion  de  la  cause  gluckiste,  qui  a 
rapporté  cette  anecdote,  d'après  une  communication  du  maître, 
plusieurs  années  d'ailleurs  après  sa  mort  (-2).  Elle  n'a  rien  en  soi 


(1)  Communication  de  M.  Alfred  Wotquenne.  Ajoutons  qu'un  programme  de  con- 
cert, dont  on  lira  le  détail  ci-après,  nous  fait  encore  connaitre  les  premiers  vers  de 
trois  airs  de  la  Caduta  île  Giganti,  dont  l'un  est  précisément  celui  dont  nous  retrou- 
vons trace  dans  le  livret  comme  avant  été  utilisé  par  Gluck  dans  Ipermestra  en 
1744. 

(2)  Encyclopédie  méthodique,  partie  Musique  (t.  I,  1788j,  article  Allemagne,  signé 
Suard.  «  Ce  fut  en  Angleterre,  dit  l'écrivain,  que  Gluck  conçut  la  première  idée 
d'une  musique  vraiment  dramatique  ;  voici    comment   il  l'a  raconté    lui-même  à 


que  d'acceptable  :  elle  est  en  accord  parfait  avec  l'esprit  de 
l'auteur  d'Alceste  et  la  logique  des  événements.  Elle  a  pour- 
tant un  défaut,  que  voici  :  le  prétendu  pasticcio  de  Piramo  e  Tisbe, 
sur  des  airs  de  Gluck,  représenté  à  Londres  en  1746,  n'a  jamais 
existé.  Ce  petit  point  d'histoire  est  hors  de  contestation  aujour- 
d'hui :  les  écrivains  les  mieux  avertis,  tels  que  M.  Wotquenne, 
et.  plus  récemment,  M.  F.  Piovano,  ont  renoncé  à  comprendre 
au  nombre  des  œuvres  de  Gluck  ce  Piramo  e  Tisbe,  dont,  sauf 
l'unique  mention  de  Suard,  si  postérieure  et  si  lointaine,  personne 
n'a  jamais  su  retrouver  la  moindre  trace.  La  preuve  de  sa  non- 
existence  m'a  été  confirmée  récemment  par  M.  Shedlock,  qui,  en 
m'envoyant  obligeamment  les  détails  que  les  documents  anglais 
contemporains  lui  ont  permis  de  recueillir  sur  la  Caduta  de'  Gi- 
ganti  et  Artamène,  a  constaté  l'absence  de  toute  mention  d'un 
Piramo  e  Tisbe,  soit  de  Gluck,  soit  de  tout  autre  auteur,  œuvre 
nouvelle  ou  musique  parodiée,  comme  ayant  été  représenté  sur 
la  scène  anglaise  en  1746  (I). 

Mais  cette  circonstance  accessoire  n'infirme  en  rien  le  fond  du 
récit  :  changeons  un  titre,  en  remplaçant  l'imaginaire  Piramo  e 
Tisbe  par  l'authentique  Caduta  de'  Giganli,  et  nous  apercevrons 
la  vérité  tout  entière.  Oui,  le  pasticcio  composé  d'airs  des 
anciens  opéras  italiens  de  Gluck,  c'est  la  Caduta  de'  Giganti :  nous 
en  avons  retrouvé  à  d'autres  sources  tous  les  éléments  consti- 
tutifs; tout  ce  qu'on  vient  de  lire  en  l'attribuant  à  Piramo  s'y 
applique  parfaitement.  L'insuccès  avait  laissé  des  souvenirs  pro- 
fonds dans  l'esprit  du  compositeur,  car,  muet  sur  tant  d'ouvra- 
ges du  même  temps,  il  y  revenait  sans  cesse  dans  des  entretiens 
postérieurs  :  nous  le  savons  par  Burney  et  par  Suard.  Ses  confi- 
dences étaient  toujours  accompagnées  de  commentaires  signifi- 
catifs, pour  prouver  qu'il  avait  compris  la  leçon  : 

«  Il  s'appliqua,  rapporte  Burney,  à  bien  connaitre  le  goût 
anglais.  Il  observa  surtout  à  quoi  l'auditoire  semblait  prendre 
le  plus  de  plaisir,  et  trouvant  que  le  naturel  et  la  simplicité 
faisaient  le  plus  grand  effet  sur  les  spectateurs,  il  s'est  tou- 
jours attaché  depuis  à  écrire  pour  la  voix  plus  dans  les  tons 
propres  des  affections  humaines  et  des  passions  qu'à  flatter 
les  amateurs  de  la  science  ou  de  la  difficile  exécution  ;  et 
l'on  peut  remarquer  que  la  plupart  des  airs  d'Orphée  sont 
aussi  simples,  aussi  naturels  que  des  ballades  anglaises  (2)  ». 


(A  suivre.) 


Julien  Tiehsot. 


l'auteur  de  cet  article.  »  Quant  au  titre  du  pasticcio,  le  rédacteur  l'indique  en  des 
termes  peu  aflirmatifs  :  «...le  poème,  qui  était,  autant  que  nous  pouvons  7ious  le 
rappeler,  Pyrame  et  Thisbé.  »  Fétis,  dans  la  première  édition  de  sa  Biographie,  n'a 
guère  fait  que  reproduire  l'article  de  cette  Encyclopédie  pour  tout  ce  qui  concerne  la 
première  partie  de  la  vie  de  Gluck  ;  il  dit  donc,  de  son  côté  :  a  ...  le  poème  qui  s'ap- 
pelait, à  ce  qu'on  croit,  Pyrame  et  Thisbé.  »  Cette  formule  dubitative  ne  l'empêche 
pas  d'inscrire  bravement  et  sans  hésitation  ce  titre,  dans  sa  seconde  édition,  au  cata- 
logue des  œuvres  de  Gluck,  à  son  rang  chronologique,  —  et  tous  les  moutons  de 
Panurge  de  la  musicographie  ontsuivi.  C'est  ainsi  que  se  forment  les  vérités  histo- 
riques. —  Mentionnons  à  cette  occasion  que  le  prétendu  Artamène  de  1743  (qui  est 
Tigrane)  est  bien  indiqué  par  Suard  comme  ayant  été  donné  à  Crema,  et  que  la  pre- 
mière édition  de  Fétis  reproduit  cette  indication,  qui  est  exacte;  mais  la 
deuxième  édition  imprime  «  Crémone  »,  ce  qui  ne  fait  qu'ajouter  une  seconde 
erreur  à  celle  qui   déjà  était  en   cours. 

(1)  Il  ressort  des  communications  obligeantes  qu'a  bien  voulu  m'adresser  notre 
excellent  confrère  londonien,  et  dont  j'ai  déjà  fait  bon  usage,  qu'en  1745,  le  25  jan- 
vier, c'est-à-dire  pendant  que  Gluck  était  en  Italie,  fut  donnée  au  théâtre  de 
Covent-Garden  la  première  représentation  d'un  opéra  de  Pijramis  and  Thisbé, parodie 
tirée  du  Songe  d'une  nuit  d'été  de  Shakespeare  ;  et  l'annonce  du  General  Advertiser 
indiquait  le  nom  de  l'auteur  en  ces  termes  :  «  The  Music  compos'd  by  Mr. Lampe.  »  Cet 
ouvrage  fut  donné  en  janvier  et  février  de  la  même  année,  puis  repris  à  l'automne, 
où  il  eut  encore  quelques  représentations,  jusqu'en  décembre.  Mais  pendant  tout  ce 
temps  (sauf  peut-être  aux  dernières  représentations)  Gluck  n'était  pas  en  Angleterre, 
et  il  n'est  pour  rien  dans  la  production  de  cet  opéra  anglais,  qui  n'est  pas  un  pas- 
ticcio, et  ne  fut  pas  donné  en  1746,  non  plus  qu'aucun  autre  Piramo  e  Tisbe.  — 
L'annonce  des  publications  musicales  insérée  dans  le  General  Advertiser  du 
25  mars  1746,  et  où  nous  avons  déjà  trouvé  la  citation  des  airs  de  la  Caduta  de* 
Giganti  et  Artamène  (voir  ci-dessus),  s'achève  par  cet  article  : 

5.  Pyramas  and  Tltisbe  by  Mr.  Lampe. 
Le  nom  du  véritable  auteur  est  donc,  on  le  voii,  exactement  rapporté,  et  cet  auteur 
n'est  pas  Gluck.  —  Cf.  aussi  F.  Piovano.   Un  opéra  inconnu  de  Gluch,  Recueil  de  la 
Snriélc  internationale  de  musique,  janvier-mars  1908,  p.  273. 


I  (2)  Bubney,  État  présent  de  la  musique,  etc.,  III,  230. 


LE  MÉNESTREL 


m: 


SEMAINE  THÉÂTRALE 


Opéra.  —  Reprise  de  Namouna,  ballet  en  deux  actes  et  trois  tableaux  de 
Ch.  Nuitter  et  Petipa,  musique  d'Edouard  Lalo  (30  mars  1908). 

A  l'époque  de  la  première  représentation  du  Roi  d'Ys  à  l'<  )péra- 
Comique,  en  mai  1888,  on  racontait  que,  plusieurs  années  auparavant, 
M.  Vaucorbeil,  inspecteur  des  beaux-arts,  avait  terminé  un  rapport  au 
ministre  en  déclarant,  à  propos  de  ce  bel  ouvrage  qu'aucun  théâtre 
n'avait  encore  accepté,  que  la  France  «  se  déshonorerait  en  ne  jouant 
pas  une  pareille  musique  ».  On  sait  que  M.  Vaucorbeil,  devenu  direc- 
teur de  l'Opéra,  s'est  refusé  à  monter  le  Roi  d'Ys,  et  imposa  non  seule- 
ment à  Lalo  la  composition  d'un  ballet,  mais  exigea  qu'il  accepterait  le 
scénario  de  Namouna,  sur  un  sujet  tiré  des  Mémoires  de  Casanova. 
Tout  refus  était  impossible,  il  fallait  être  joué.  On  était  au  30  juillet 
JiS.si  :  la  partition  devait  être  livrée  le  31  octobre.  Le  maitre,  alors  âgé 
de  cinquante-neuf  ans,  ne  put  résister  à  l'excès  de  travail  auquel  il  dut 
s'astreindre  ;  une  attaque  d'hémiplégie  l'obligea  au  repos  avant  que  la 
tâche  ne  fut  terminée.  11  restait  trois  morceaux  à  orchestrer;  Gounod 
voulut  bien  s'en  charger.  La  répétition  générale  eut  lieu  le  7  février 
1882,  mais  une  indisposition  de  Mm''  Sangalli.  à  laquelle  tout  le  monde 
n'a  pas  ajouté  foi,  vint  tout  remettre  en  question.  Il  parait  toutefois  que 
la  danseuse  tomba  ensuite  réellement  malade,  de  sorte  que  la  première 
représentation  ne  put  être  donnée,  que  le  6  mars.  Namouna  était,  sur 
l'affiche,  accompagnée  du  Comte  Ory.  L'œuvre  ne  réussit  pas  et 
n'occupa  la  scène  que  pendant  seize  soirées.  Elle  reparait  aujourd'hui, 
non  sans  éclat,  vingt-six  ans  après  sa  création. 

Dès  le  début,  la  musique  de  Namouna  se  pose  en  larges  couches  so- 
nores. Un  joli  cantabile  leur  succède  ;  nous  l'entendrons  souvent  dans 
la  suite,  et  c'est  sur  son  rythme  ondoyant  que  nous  verrons,  au  dénoue- 
ment, s'éloigner  sur  les  eaux  de  la  mer  Ionienne  la  tartane  avec  sa 
grande  voile  latine  teintée  de  rouge  et  de  rose,  qui  portera  vers  quelque 
ile  de  rêve  Namouna,  l'esclave  rachetée,  et  Don  Ottavio  enlacés.  Car 
c'est  une  toute  simple  histoire  d'amour  qui  va  passer  sous  nos  yeux 
au  moyen  de  belles  pantomimes. 

Namouna,  l'esclave  charmante,  appartenait  au  forban  Adriani.  Ayant 
perdu,  au  casino  de  Corfou,  sa  barque  et  le  produit  de  ses  rapines,  il  l'a 
offerte  comme  dernier  enjeu,  et  la  chance  a  tourné  contre  lui.  Don 
Ottavio,  devenu  le  maitre  de  la  jeune  fille,  s'empresse  de  lui  rendre  la 
liberté,  car  elle  l'intéresse,  mais  non  pas  toutefois  par  amour  ;  il  aime 
en  effet  une  grande  dame  du  nom  d'Héléna.  Namouna,  au  contraire,  est 
subjuguée  par  lui  :  elle  n'aura  plus  qu'un  désir,  qu'un  but,  attirer  son 
attention  et  prendre  une  place  dans  son  cœur.  La  musique,  brusque  et 
tumultueuse  pendant  la  scène  du  jeu,  laisse  s'exhaler  ce  sentiment 
tendre  dans  une  mélodie  langoureuse,  dont  chaque  membre,  bien  symé- 
trique, comprend  huit  mesures,  et  dont  le  second,  avec  ses  timides 
montées  par  demi-tons,  est  un  ravissement  pour  l'oreille.  Ainsi  finit  le 
prologue. 

Au  lever  de  la  toile  d'avant-scène,  pour  le  premier  acte,  l'orchestre 
•exécute  un  prélude  symphonique  de  très  noble  allure.  Les  violons  et 
les  harpes  scintillent  â  l'aigu,  pendant  que  se  développe  un  large  thème 
de  violoncelles,  auquel  répond  bientôt  le  cantabile  du  début  qui  main- 
tenant se  passionne  et  s'exalte.  On  est  étonné  de  trouver  là  ce  morceau 
si  ferme  et  si  fort;  c'est  un  prélude;  il  devrait  être  placé  en  tète  de 
l'ouvrage,  car  il  en  résume  musicalement  l'action  tout  entière. 

Quand  le  second  rideau  s'écarte,  nous  sommes  dans  une  sorte  de 
carrefour,  à  Corfou.  C'est  le  temps  et  le  lieu  de  la  foire.  Ottavio  fait 
exécuter  une  sérénade  sous  le  balcon  d'Héléna.  Adriani,  le  joueur 
malheureux,  met  en  fuite  les  ménétriers  et  provoque  Ottavio. 
Namouna.  déguisée  en  bouquetière,  intervient  auprès  des  duellistes, 
danse  en  leur  offrant  des  fleurs  et  les  oblige  à  se  séparer.  Ils  jurent  de 
se  revoir  l'épée  à  la  main.  La  fête  foraine  s'ouvre  par  d'éclatantes  fan- 
fares; on  en  entendra  de  tous  côtés,  sur  le  balcon  d'Héléna,  au  fond  du 
carrefour,  puis  à  droite,  sur  des  tréteaux  disposés  pour  une  parade 
populaire.  La  musique  est  ici  extrêmement  perçante,  mais  ingénieuse 
comme  effet,  et  agrémentée  de  très  heureux  divertissements. 

C'est  d'abord  un  pas  très  gracieux,  dans  lequel  chaque  danseuse 
agite  en  ses  mains  et  frappe  en  cadence  de  petites  cymbales.  Vient 
ensuite  une  pantomime  de  Namouna  cherchant  à  inspirer  un  sentiment 
à  Ottavio.  Elle  se  présente  à  lui  en  déployant  une  grâce  espiègle  et 
mutine,  secondée  en  ses  poses  exquises  par  une  mélodie  de  valse 
lente  qui  est  une  merveille  de  style.  Vers  la  fin,  M1Ie  Zambelli  achève 
son  jeu  de  séduction  en  acceptant  une  cigarette  qu'elle  porte  à  ses 
lèvres  et  dont  elle  imite  les  tourbillonnantes  fumées  sur  les  dernières 
phrases  de  son  joli  thème,  jouées  en  prestissimo.  On  se  souvient  peut- 


être  qu'en  1.S82  il  fut  interdit  d'allumer  la  cigarette;  l'interdiction  a  été 
maintenue,  mais  cela  n'a  nullement  nui  au  succès  de  M'1  Zambelli 
dont  la  mimique  a  été  charmante  et  la  virtuosité  très  remarqui    . 

Quelques  pages  moins  captivantes  prolongenl  avec  variété  ce  final 
d'acte;  ce  sont  un  Tambourin,  deux  Airs  marocains  notés  pendanl 
l'exposition  universelle  de  1878,  une  Gitane,  enfin  les  parades  de 
foires,  qui  jettent  de  nouveau  leurs  stridents  appel  .  Li  peuple  envahi I 
les  alentours  des  voitures  foraines:  au-dessus  du  tumulte  de  la  rue 
planent,  par  intermittences,  quelques  phrases  passionnées  :  elles  indi- 
quent les  prières  et  supplications  qu'Otlavio  adresse  a  Héléna.  Mais, 
tout  à  coup,  l'amoureux  se  voit  entouré  de  spadassins  conduits  par 
Adriani  ;  ces  bandits  sont  a  leur  tour  mis  en  fuite  par  les  marins  de 
Namouna,  qui  se  saisissent  d'Ottavio  et  L'entraînent  jusque  sur  une 
tartane  amarrée  au  rivage,  en  lui  montrant  une  dame  voilée  qui  observe 
et  commande.  Il  s'agit  d'un  enlèvement.  La  dame,  qui  n'est  autre  que 
Namouna,  monte  également  en  barque,  laissant  aux  brises  le  soin  de 
conduire  sa  petite  flottille,  pendant  que  la  Eéte  populaire  bat  son  plein 
dans  une  sorte  de  vertigineux  tournoiement. 

Une  ile  de  la  mer  Ionienne,  offrant  aux  regards  des  ruines  de  temples 
antiques,  est  la  demeure  d'Ali,  marchand  d'esclaves.  Toutes  belles, 
toutes  paresseusement  couchées,  ses  captives  se  livrent  aux  lan- 
gueurs d'un  demi-sommeil  pendant  l'heure  de  la  sieste.  Entre  temps 
quelques-unes  dansent  séparément  ou  forment  des  ensembles.  Au  loin, 
sur  les  flots  tranquilles,  apparait  une  barque  balancée  mollement, 
pendant  qu'un  long  motif,  au  grave  de  l'orchestre,  semble  traduire  les 
murmures  sourds  de  l'eau  dans  les  profondeurs  à  travers  les  récifs. 
C'est  là  une  musique  imitative  d'un  genre  original,  dont  on  n'a  pas 
encore  abusé.  Mais  qui  donc  arrive,  qui  débarque  ?  C'est  une  dame 
voilée;  elle  vient  acheter  toutes  les  esclaves,  ses  anciennes  compagnes, 
et  leur  rend  la  liberté.  Ottavio  s'approche  d'elle,  touché  de  sa  généro- 
sité ;  elle  laisse  tomber  son  voile,  il  reconnaît  la  belle  bouquetière,  il 
tombe  dans  les  bras  de  Namouna.  L'orchestre  chante  délicieusement 
pendant  cette  scène  d'amour.  Un  thème  varié  d'une  poésie  rêveuse 
s'élève  doucement,  c'est  comme  l'épithalame  de  ces  fiançailles  commen- 
cées. Ottavio  et  Namouna  dansent  au  milieu  de  gerbes  de  fleurs;  c'est 
délicat  et  charmant.  Un  solo  de  flûte,  étincelant  et  chatoyant  à  la  fois. 
emporte  Namouna  dans  un  rythme  binaire  d'un  tour  aussi  léger 
qu'imprévu.  Des  pirates  viennent  troubler  cette  fête  :  Adriani  les  con- 
duit, mais  les  dieux  veillent  sur  les  amoureux  et  favorisent  la  beauté  ! 
Les  belles  affranchies  enivrent  de  volupté  les  corsaires,  et  leur  chef  qui 
a  voulu  s'élancer  sur  Namouna  est  poignardé  par  une  des  jeunes  filles. 
Aussitôt  Ottavio,  Namouna  et  leur  joli  cortège  féminin,  montent  sur 
la  tartane  aux  voiles  roses  et  s'éloignent  à  travers  les  flots  bleus,  pen- 
dant que  la  musique  exprime,  dans  une  tonalité  plus  passionnée  qu'au 
début,  le  charme  de  cette  course  d'amour  au  bercement  des  vagues. 
Tout  est  fini  et  tout  commence.  Namouna  a  conquis  Ottavio. 

Le  libretto  de  Namouna  n'est  pas  un  chef-d'œuvre  ;  il  a  permis 
d'établir  une  mise  en  scène  de  bon  goût,  mais  sans  aucun  de  ces  grou- 
pements somptueux  et  d'une  belle  ligne,  qui  forment,  pour  les  yeux, 
un  spectacle  dont  l'effet  d'ensemble  n'est  pas  à  dédaigner,  surtout  vu 
de  loin.  Namouna  est  un  ballet  à  regarder  plutôt  de  près.  M"e  Zambelli 
en  est  l'étoile  presque  constamment  devant  nous.  Elle  a  le  sens  du 
rythme,  qui  semble  vivre  en  elle  et  animer  tous  ses  mouvements.  Ils 
prennent  ainsi  une  signification  et  rendent  la  musique  suffisamment 
parlante,  captivante  et  précise.  M1105  Meunier.  G.  Couat,  L.  Piron, 
Sirède,  MM.  L.  Staats,  excellent  Ottavio.  Girodier  et  Ferouelle  ont  très 
agréablement  dansé  ou  mimé  leurs  personnages. 

La  musique  de  Lalo  est  essentiellement  remarquable  par  la  fermeté 
du  contour.  Des  morceaux  comme  le  thème  varié,  la  valse  lente  en  la 
mineur',  le  solo  de  flûte,  ont  une  incontestable  valeur  d'invention,  de 
style  et  d'orchestration.  Ce  sont  de  petits  chefs-d'œuvre  par  l'ingé- 
niosité de  leur  facture  et  par  le  tour  original  qui  les  distingue.  Le 
nombre  des  pages  médiocrement  venues  est  très  restreint  dans  Namouna. 
mais  il  est  impossible  de  ne  point  remarquer  une  sorte  de  déséquilibre 
entre  la  sonorité  très  crue  de  certains  morceaux  et  la  suavité,  la  dis- 
crétion, la  finesse  et  l'élégance  des  autres.  Les  situations,  il  est  vrai,  ne 
sont  pas  les  mêmes  :  cependaut  le  défaut  subsiste  :  il  fut  vivement  senti 
en  1882.  La  fécondité  d'imagination  de  Lalo  pour  varier  les  rythmes 
parait  rarement  s'épuiser  :  on  vole  de  surprise  en  surprise  â  travers  la 
partition  de  Namouna,  et,  si  parfois  la  puissance  créatrice  y  faiblit  faut 
soit  peu,  le  prestige  de  quelque  effet  imprévu  orchestral,  ou  rythmique 
rehausse  singulièrement  telle  ou  telle  partie  moins  réussie  qu'une 
autre,  et  lui  prête  un  charme  d'imprévu  tout  particulier.  Ainsi,  surune 
jolie  personne,  un  bijou,  une  parure  placés  au  bon  endroit,  ajoutent  a 
sa  démarche,  à  ses  attitudes,  un  attrait  neuf  et  piquant. 

L'interprétation  de  Namouna  par  l'orchestre  a  été  animée  et  chaleu- 


108 


LE  MENESTREL 


reuse;  d'un  grand  charme  parfois.  M.  Paul  Vidal  l'a  dirigée  avec  une 
magistrale  sûreté  de  main,  donnant  la  plus  complète  impression  d'une 
vie  musicale  intense. 

Cette  reprise  s'est  affirmée  comme  un  succès.  Sera-t-il  durable?  Il 
faut  l'espérer.  Elle  a  toujours  un  double  mérite,  l'œuvre  qui  peut 
renaitre  et  réussir,  en  reprenant  pour  la  seconde  fois  son  essor  plus 
d'un  cruart  de  siècle  après  son  heure. 

Amédée  Boutarel. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts-Colonne.  —  La  cent  cinquante-cinquième  audition  de  la  Damnation 
de  Faust  avait  pour  interprètes  MUe  Louise  Grandjean,  MM.  Emile  Cazeneuve, 
Henri  Dangès  et  Paul  Eyraud.  En  Marguerite,  M1,e  Grandjean  est  restée 
l'interprète  passionnée  de  Phèdre  et  d'Isolde  à  l'Opéra;  elle  dramatise  le 
rôle  plus  que  la  plupart  de  ses  devancières,  et  surtout  en  soigne  la  diction; 
ses  inflexions  sont  justes  et  chaque  détail,  même  ceux  qui  exigent  la  plus  pure 
articulation,  sont  impeccablement  rendus.  Elle  sait  d'ailleurs  chanter  le  lied; 
on  a  pu  s'en  apercevoir  en  écoutant  la  ballade  du  Roi  de  Thulé,  qui  a  été 
bissée.  M.  Cazeneuve  est  bien  en  possession  du  rôle  de  Faust;  s'il  se  permet 
un  changement  très  discutable  dans  la  musique  du  récitatif  qui  précède  la 
Marche  hongroise,  du  moins,  à  une  tenue  près,  il  chante  le  duo  avec  Margue- 
rite tel  que  l'a  écrit  Berlioz,  ce  que  peu  d'autres  ont  fait  avant  lui.  M.  Henri 
Dangès,  qui  tient  le  personnage  de  Méphistophélès,  n'a  pas  une  voix  très  mé- 
lodieuse, mais  elle  est  bien  posée  et  porte  admirablement  quand  les  notes  ne 
s'écartent  pas  trop  de  son  registre  moyen.  L'artiste  a  eu  beaucoup  de  succès 
dans  la  sérénade,  si  entièrement  italienne  de  forme  mélodique  et  d'accom- 
pagnement; il  a  dû  la  répéter  tout  entière.  M.  Paul  Eyraud  a  été  un  excel- 
lent Brander.  Les  deux  solistes,  M.  Monteux  (alto)  et  M.  Gaudard  (cor  anglais) 
ont  parfaitement  joué  comme  toujours.  M.  Colonne  et  son  orcheslre  ont  é  é 
acclamés  après  la  Marche  hongroise  et  le  Ballet  des  Sylphes  qui  ont  été  rede- 
mandés. Asiédée  Borrr.vnEt.. 

—  Concerts-Lamoureux.  —  La  Symphonie  Rhénane  de  Schumann,  dont 
M.  "Vincent  d'Indy  dirigeait  l'exécution,  fut  traduite  par  l'orchestre  avec  un 
soin  scrupuleux  et  une  émotion  contenue  du  meilleur  effet.  Evidemment 
l'orchestration  en  parait  toujours  massive,  compacte  et  terne  surtout  pour  nos 
oreilles  habituées  aux  chatoiements  éblouissants  de  l'instrumentation  mo- 
derne, mais  quel  charme,  quelle  grâce,  quelle  noblesse  aussi  ne  dégage  pas 
cette  symphonie,  quelle  invention,  quelle  ingéniosité  dans  les  détails  !...  Une 
autre  œuvre,  non  moins  digne  d'être  louée  —  un  fragment  plutôt  —  la 
4e  Béatitude  de  César  Franck,  excellemment  rendue  par  MM.  Plamondon  et 
A.  Gébelin,  excita  un  véritable  enthousiasme,  que  la  belle  exécution,  par 
M.  Risler  et  l'orchestre,  de  la  symphonie  de  M.  V.  d'Indy  sur  un  air  monta- 
gnard cévenol 'put  seule  égaler.  Auteur  et  interprète  furent  longuement  accla- 
més.—  Il  me  reste  à  parler  de  la  première  audition  d'un  poème  symphonique  de 
M.  Alfred  Bachelet,  intitulé  «Joie».  Cette  joie  est  personnifiée  par  le 
poète  qui  révèle  la  toute-puissance  de  l'art  «  à  ceux  qui  souffrent,  à  ceux  qui 
peinent,  à  ceux  qui  pensent,...  et  tous,  ravis,  s'arrachant  à  la  torpeur  oppri- 
mante de  l'ombre,  avides  de  repos,  d'oubli,  de  joie,  suivent  le  pcète  vers 
l'Idéal  que  dans  leur  nuit  il  fait  resplendir.  »  Sur  celte  donnée  assez  vague, 
le  jeune  chef  d'orchestre  de  l'Opéra  a  échafaudé  un  important  ouvrage  dont 
il  faut  louer  sans  réserve  la  sincérité,  l'orchestration  ingénieuse  et  recherchée 
tout  en  regrettant  que  des  thèmes  mieux  choisis  et  plus  caractéristiques 
n'aient  pas  fourni  au  compositeur  un  plus  grand  relief  et  un  élément  de  va- 
.riété  dont  l'absence  se  fait  sentir.  Le  violon  solo  de  M.  Tb.  Soudant  person- 
nifiait le  Poète  en  une  partie  d'une  véritable  difficulté  et  dont  l'artiste  se 
tira  fort  habilement.  L'accueil  fait  à  la  «  Joie  »  de  M.  Bachelet  par  le  public 
fut  assez  contradictoire  :  ce  poème,  qui  abonde  cependant  en  détails  char- 
mants, en  subtilités  orchestrales  peut-être  excessives,  a  paru  long  et  diffus. 
D'autres  pages  de  M.  Bachelet,  comme  sa  Fiona,  ou  encore  Légende  d'Ondine, 
jadis  entendues  et  où  se  révélait  la  nature  fine  et  poétique  du  musicien, 
eurent  un  meilleur  sort.  .1.  Jemain: 

Ce  programme  clôturait  la  saison  régulière  de  concerts.  It  n'est  donc  pas 
sans  intérêt  de  jeter  un  regard  d'ensemble  sur  les  «  acquisitions  »  de  l'année. 
Par  ce  mot  il  faut  entendre  des  œuvres  réellement  révélées  au  public  parisien, 
et  non  simplement  transportées  du  théâtre  au  concert,  qu'il  s'agisse  de  com- 
positions françaises  ou  étrangères.  Des  premières  on  eut  :  une  Ouverture  drama- 
tique de  M.  J.  Mazelier  :  une  petite  Suite  de  M.  Debussy,  orchestrée  par 
M.  Busser  ;  Faunes  et  Dryades  de  M.  Roussel  ;  une  Étude  symphonique  de 
M.  G.  Samazeutlh;  Fuma,  suite  d'orchestre  de  M.  J.  Poneigh  :  Joie  de 
M.  Bachelet,  et  enfin  le  Prométhée  triomphant  de  M.  Reynaldo  Hahn  ;  plus  des 
mélodies  de  M.  Pierre  Hermant.  Du  coté  étranger:  une  Suite  de  Grieg;  Carna- 
val ouverture  de  Dvorak;  En  Bohême,  poème  symphonique  de  Balakirew  ; 
le  Barbier  de  Bagdad  de  P.  Cornélius  ;  lre  Symphonie  de  Brahms  ;  Variations  et 
Fugues  de  Max  Reger  ;  3e  Symphonie  de  Rimsky-Korsakovv  :  Concerto  Brande- 
bourgeois  de  J.-S.  Bach.  Ce  tableau  témoigne  de  la  louable  activité  qui  anime 
l'association  des  Concerts-Lamoureux  à  laquelle  on  ne  saurait  faire  un  grief 
de  l'éclectisme  qui  préside  à  ses  choix.  J.  J. 


—  Programmes  des  concerts  de  demain  dimanche  : 

Conservatoire  :  Symphonie  en  la  majeur  n°  4  (Mendelssohn).  —  Concerto  en  sol 
mineur,  pour  orgue  (Haendel),  1™  audition  au  Conservatoire:  M.  Alexandre  Guil- 
mant.  —  Quatre  cho3urs  anciens,  1"  audition  :  a)  Regina  Cœli,  à  6  voix  (R.  de  Lassusi  ; 
b)  Laboravi,  à  5  voix,  avec  accompagnement  d'orgue  (J.-Ph.  Rameaui  ;  c)  Je  voy  des 
glissantes  eaux  (G.  Costeley)  ;  d)  Villageoise  de  Gascogne  (Claude  Le  Jeune).  —  Rapso- 
die  mauresque  (M.  Eug.  Humperdinck) ;  a)  Tarifa:  Élégie  au  coucher  du  soleil; 
b)  Tanger  :  Une  nuit  au  café  maure  ;  c)  Tétuan  :  Chevauchée  dans  le  désert.  Le  con- 
cert sera  dirigé  par  M.  Georges  Marty. 

Salle  Gaveau  (concert  Lamoureux),  sous  la  direction  de  M.  André  Messager  :  la 
Damnation  de  Faust  (Berlioz)  :  M™  Jeanne  Raunay  (Marguerite),  MM.  Renaud  (Mé- 
phistophélès), Fernand  Lemaire  (Faust),  Carbelly  (Brander). 

—  Au  dernier  concert  populaire  du  Théâtre  Marigny,  l'excellent  chef  d'or- 
chestre M.  F.  de  Léry  a  fait  entendre  pour  la  première  fois  une  œuvre 
importante  de  M.  Edouard  Chavagnat.  la  Nuit,  poème  symphonique  en  deux 
parties  divisées  en  six  épisodes.  Cette  composition  intéressante  a  obtenu  un 
succès  très  vif  et  très  sincère. 

'-■  Trois  des  plus  grands  maîtres  de  notre  École  française  :  MM.  Camille 
Saint-Saëns,  Théodore  Dubois.  Ch.-M.  Widor,  participeront  au  superbe  concert 
que  donnera  l'éminent  violoncelliste  Pierre  Destombes,  à  la  salle  Pleyel.  le 
lundi  4  mai,  à  neuf  heures.  Avec  le  concours  des  auteurs,  Pierre  Destombes 
interprétera  les  Sonates  pour  piano  et  violoncelle  :  op.  SO  de  Widor,  celle  de 
Th.  Dubois  et  l'op.  123  de  Saint-Saëns. 

—  La  salle  Erard  donnera,  les  samedis  4  et  11  avril,  deux  concerts  qui  ne 
peuvent  manquer  d'intéresser  au  plus  haut  point  le  monde  musical.  Le  cé- 
lèbre pianiste  Edouard  Risler  s'y  fera  entendre  en  compagnie  de  MM.  A.  Pa- 
rent et  G.  Enesco  dans  des  œuvres  de  Beethoven,  P.  Dukas,  Théodore  Dubois 
(nouvelle  sonate  pour  piano).  Reynaldo  Hahn  (Sonatine).  V.  d'Indy.  Chop  in, 
Liszt.  On  peut  retenir  ses  bille's  au  prix  de  20,  10  et  o  francs,  à  la  salle  Érard, 
à  l'Agence  Démets,  2,  rue  Louvois,  et  chez  les  éditeurs  Durand  et  Grus. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL, 

(pour  les  seuls  aboiynés  a  la.  musique) 


C'est  lundi  dernier  qu'on  a  donné  à  la  Monnaie  de  Bruxelles  la  première  repré- 
sentation des  Jumeaux  de  Bergame,  de  Jaques-Dalcroze,  et  la  «  soirée  fut  délicieuse  », 
nous  écrit-on,  ce  qui  n'est  pour  surprendre  personne  de  ceux  qui  sont  au  courant 
des  gestes  artistiques  de  ce  fin  musicien.  Sa  nouvelle  petite  œuvre  est  une  merveille 
de  vie  pimpante  et  spirituelle.  Nous  en  détachons  aujourd'hui  pour  nos  abonnés  les 
Couplets  de  V aiguille  qui  ont  valu  à  leur  charmante  interprète,  M™'  Jaques-Dalcroze, 
un  succès  des  plus  vifs.     . 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (1er  avril)  : 

La  première  des  Jumeaux  de  Bergame,  à  la  Monnaie,  a  pris  les  proportions 
d'un  événement,  auquel  le  nom  du  compositeur,  M.  Jaques-Dalcroze,  dont  les 
jolies  chansons  d'enfants  sont  ici  populaires,  et  l'attente  impatiente  de  cette 
«  première  »,  depuis  longtemps  annoncée  et  sans  cesse  reculée,  avaient  donné 
une  importance  particulière.  Si  M.  Jaques-Dalcroze  est  épris  de  simplicité,  il 
n'est  rien  moins  qu'un  compositeur  banal.  Il  l'a  prouvé  en  maintes  occasions. 
Mais  cette  fois,  il  a  voulu  montrer,  j'imagine,  qu'il  est  possible  de  faire  œuvre 
d'artiste  très  moderniste,  même  dans  une  matière  où  se  développent  naturel- 
lement des  sentiments  très  peu  compliqués. 

Le  sujet  des  Jumeaux  de  Bergame  a  été  emprunté  par  M.  Maurice  Lena,  le 
librettiste  du  Jongleur  de  Notre-Dame,  à  Florian.  Seulement,  là  où  celui-ci  avait 
indiqué  a  peine  une  action  frêle,  fantaisiste,  sans  autre  intérêt  que  celui  d'un 
quiproquo  tout  au  plus  ébauché,  M.  Lena  a  écrit  une  piécette,  où  l'intrigue  se 
corse  d'incidents  spirituels,  plaisants  et  tendres  à  souhait.  Arlequin  doit 
épouser  demain  Rosette  qu'il  aime.  Ce  soir  même,  elle  a  promis  de  lui  donner 
son  portrait,  avec  quelques  écus.  Mais  avant  qu'il  ne  vienne  chercher  le  gage 
d'amour,  un  autre  est  venu,  à  qui  Rosette,  par  méprise,  l'a  donné.  Cet  autre, 
c'est  le  frère  d'Arlequin,  arrivé  de  Bergame  à  l'improviste.  Même  taille,  même 
visage,  même  costume  :  Rosette,  dans  l'obscurité,  l'a  pris  tout  naturellement 
pour  son  fiancé.  Arlequin  cadet,  bouche  bée,  s'est  laissé  faire.  Et  elle  s'étonne 
fort  lorsqu'elle  entend  ensuite  Arlequin  aine  lui  dire  qu'il  n'a  rien  reçu  d'elle. 
Serait-il  fou'?  Ou  Rosette  le  tromperait-il...  déjà?  Il  se  cache  et  fait  le  guet. 
Arlequin  cadet  revient,  heureux  d'une  bonne  fortune  qu'il  ne  cherche  pas  à 
s'expliquer  et  donne  à  la  belle  une  sérénade  passionnée.  Arlequin  aine,  sans 
chercher  à  reconnaître  l'intrus,  tombe  sur  lui  à  bras  raccourcis  et  le  met  en 
fuite.  Rosette  entend  des  cris.  Elle  accourt  à  la  \oix  aimée  qui  gémit  et  se 
plaint...  Elle  trouve  Arlequin...  Eh  quoi!  Ce  n'est  pas  lui  qui  criait!...  Qui 
donc,  alors'.'... 

Une  autre  femme  cependant  s'est  mêlée  à  l'aventure,  Nérine,  qu'Arlequin 
repousse  et  qui  a  juré  de  se  venger.  Elle  aussi  a  rencontré  Arlequin  cadet,  et 


LE  MÉNESTREL 


109 


a  pris,  pour  le  vrai,  celui  qu'elle  croit  le  seul.  Elle  lui  a  fait  une  scène  de 
jalousie,  et  lui  a  dérobé  le  portrait  avec  les  écus.  Elle  veut  arracher  les  yeux 
au  traître  qui  n'en  peut  mais.  Et  alors,  dans  la  nuit,  les  quatre  personnages 
se  poursuivent  à  tatous,  se  prenant  les  uns  pour  les  autres,  enchevêtrant 
l'intrigue,  jusqu'à  ce  que,  à  la  fin,  sous  la  clarté  d'un  falot,  le  mystère  se 
découvre...  Les  deux  Arlequins  s'embrassent.  Nérine,  qui  avait  dérobé  le 
portrait  et  les  écus  de  Rosette,  restitue;  et  vous  pensez  bien  que  tout  finit  par 
deux  mariages,  au  lieu  d'un. 

Floriari  n'avait  tiré  qu'un  faible  parti  du  rôle  de  Nérine  et  surtout  de  ce  que 
la  méprise  de  Rosette  a  de  plaisant;  le  chassé-croisé  de  la  lin,  dans  l'obscurité, 
n'existe  guère  non  plus  dans  sa  pièce.  M.  Lena  a  embrouillé  la  chose  à  plaisir, 
très  adroitement,  selon  les  meilleures  règles  du  quiproquo,  et  coloré  l'ingé- 
nuité du  dialogue  florianesque  d'un  peu  de  mignardise  ironique  et  malicieuse, 
voire  d'anachronique  modernité.  La  prose  rythmée  dans  laquelle  le  livret  est 
écrit  se  colore  de  vagues  assonances.  Et  tout  cela,  même  à  la  simple  lecture, 
est  charmant. 

Sur  ce  joli  et  fragile  canevas,  M.  Jaques-Dalcroze  a  brodé  une  partition  qui 
en  suit  pas  a  pas,  non  seulement  les  incidents,  mais  les  moindres  mouvements 
et  les  moindres  aspects.  Figurez-vous  une  sorte  de  pantomime  chantée,  où 
l'orchestre  souligne  les  mots  et  les  gestes,  exprime  ce  qui  se  passe  dans  les 
cœurs  et  traduit  même  ce  qui  se  passe  dans  les  estomacs,  avec  d'amusants 
détails  d'instrumentation,  spirituels  et  pittoresques.  Toute  la  partition  est 
pleine  de  distinction,  de  vivacité,  de  grâce  doucement  passionnée,  et  surtout 
d'intentions. 

L'œuvre  reste  donc  des  plus  intéressantes,  et  vraiment  nouvelle,  dans  ses 
aspirations  même  un  peu  ambitieuses.  Elle  a  charmé  d'abord,  puis  attaché  le 
public  par  son  abondance  mélodique,  sa  forme  ingénieuse  et  la  curiosité  de 
ses  rythmes,  si  variés  que  l'exécution  en  est  difficile.  Cette  exécution  a  trouvé, 
par  bonheur,  des  artistes  qui  l'ont  fait  paraître  facile,  au  contraire,  tant  ils  y 
ont  mis  d'adresse  et  de  talent.  C'est  Mme  Jaques-Dalcroze,  la  femme  du  com- 
positeur, qui  créait  le  rôle  de  Rosette;  encore  peu  expérimentée  comme 
comédienne,  elle  est,  en  revanche,  cantatrice  délicieuse,  de  voix  charmante  et 
do  diction  exquise.  M11'-  Symiane  faisait  Nérine,  excellemment.  Quant  aux 
deux  Arlequins,  ils  ont  trouvé  en  MM.  Dua  et  Decléry  des  interprètes  absolu- 
ment remarquables.  Mais  que  dire  de  l'orchestre,  dont  la  tache  était  particu- 
lièrement ardue?  Il  a  été  simplement  admirable. 

Des  applaudissements  et  des  rappels  ont  salué  les  deux  actes  des  Jumeaux 
de  Bergame;  et,  à  la  fin,  une  ovation  a  été  faite  au  compositeur,  caché  au 
fond  d'une  seconde  loge.  En  somme,  voilà  encore  une  bonne  répétition  géné- 
rale pour  Paris,  comme  diraient  Comœdia...  et  mon  éminent  confrère  M.  Ca- 
tulle Mendès. 

Quelques  jours  auparavant,  nous  avons  eu,  à  l'Ecole  de  Musique  de  St-Josse- 
ten-noode-Schaerbeek,  l'audition,  également  fort  belle,  d'un  petit  ouvrage  nou- 
veau, les  Enfants  à  Bethléem,  de  M.  Gabriel  Pierné,  sur  un  poème  de 
M.  Gabriel  Nigond.  Exécutée  admirablement  par  quatre  cents  voix  de  jeunes 
filles  et  d'enfants,  l'œuvre  a  obtenu  un  très  grand  succès.  Elle  est  d'ailleurs 
tout  à  fait  délicieuse,  dans  son  charme  ingénu,  pleine  de  sensibilité,  de  gra- 
cieuse tendresse  et  de  mysticisme  naïf,  et  elle  a  produit  une  profonde  impres- 
sion. —  Grand  succès  aussi  pour  le  récital  vocal  consacré  à  l'œuvre  de 
M.  Gabriel  Fauré,  à  la  Salle  Patria.  M'"e  Marie  Mockel  et  M.  Austin  ont 
chanté,  avec  de  mauvaises  voix,  mais  infiniment  de  goût  et  de  sentiment,  les 
nombreuses  mélodies  anciennes  et  nouvelles  inscrites  au  programme.  Il  n'y 
a  eu  à  regretter  que  la  détestable  acoustique  de  la  salle,  qui.  comme  toujours, 
a  compromis  gravement  le  charme  de  diction  des  interprètes  et  empêché 
qu'on  ne  comprit  un  mot  des  paroles.  Le  public  a  fait  à  l'illustre  compositeur 
—  qui  accompagnait  lui-même  ses  œuvres   au   piano  —  un  accueil  triomphal- 

L.  S. 

—  Un  écrit  d'Anvers  au  Gaulois  :  On  vient  de  donner  avec  un  très  grand  et 
très  légitime  succès  la  première  représentation  des  Pécheurs  de  Saint-Jean.  De 
nombreux  rappels  saluèrent,  après  chaque  acte,  l'œuvre  très  remarquable.de 
M.  Widor,  dirigée  avec  beaucoup  de  fougue  et  de  sentiment  par  M.  de  La 
Fuente.  Parmi  les  interprètes,  MM.  Campagnola  et  Close,  Mlles  Fournier  et 
Rodhain  méritent  des  éloges. 

—  Il  vient  de  paraître  à  Berlin,  dans  le  vingt-cinquième  cahier  des 
«  Communications  de  la  Société  Mozart  »  publié  par  M.  Rodolphe  Gênée,  la 
reproduction  d'un  livre  de  musique  donné  par  Léopold  Mozart  en  cadeau  à 
son  fils,  l'auteur  de  Don  Juan,  à  l'occasion  du  sixième  anniversaire  de  sa  fête 
patronale,  31  octobre  1762.  Le  livre  comprend  cent-soixante-seize  pages, 
sur  lesquelles  sont  réparties  cent-vingt  six  petites  pièces  de  piano  arrangées 
en  forme  de  «  Suites  ».  Lj  but  que  sa  uroposait  le  père  de  Mozart,  c'était  do 
constituer  un  document  précieux  pour  l'instruction  de  l'enfant,  tant  en  ce  qui 
concernait  le  développement  systématique  de  la  technique  au  point  de  vue 
clavier  que  par  rapport  à  l'éducation  de  l'oreille  et  au  maniement  des  har- 
monies pour  la  composition.  L'éditeur  fait  remarquer  que  les  compositeurs 
des  pièces  ne  sont  que  rarement  indiqués.  Parmi  les  plus  connus  se  trouvent 
Ph.-E.  Bach,  Hasse  et  Telemann  ;  Gottfried  Kirchhoff,  artiste  ancien  presque 
oublié  figure  dans  le  recueil  avec  une  ravissante  sonatine.  Les  appellations 
des  pièces  sont  généralement  celles-ci  :  Menuet,  Polonaise,  Gigue,  Sara- 
bande et  Allemande.  On  voit  qu'il  s'agit  là  d'une  publication  éminemment 
intéressante,  comme  tout  ce  qui  a  rapport  à  la  culture  musicale  d'un  cerveau 
comme  celui  rie  Mozart. 

—  Il  vient  de  paraître  à  Berlin,  en  deux  forts  volumes,  deux  cent  soixante- 
neuf  lettres  de  Wagner,  adressées  à   sa  première    femme  Wilhelmine,   ou, 


d'après  l'abréviation  usuelle,  Minna  Planer,  qu'il  avait  épousée  le  24  no- 
vembre 1836,  à  Kœnigsberg,  après  avoir  fait  sa  connaissance  deux  ans  aupa- 
ravant, au  théâtre  de  Magdebourg.  Cette  publication  n'a  pas  donné  entière 
satisfaction  sous  tous  les  rapports.  Il  y  manque  les  notes  qui  eussent  été  né- 
cessaires pour  faire  connaître  certains  personnages  dont  le  nom  seul  est  cité, 
pour  donner  l'explication  de  certaines  allusions  et  pour  rattacher  entre  elles 
bien  des  circonstances  de  la  vie  du  maître.  L'on  n'y  trouve  pas  non  plus  l'in- 
dex alphabétique  des  noms  et  des  faits,  qui  est  indispensable  pour  permettre 
de  consulter  utilement  un  ouvrage  documentaire  quelconque.  Mais  surtout,  le 
caractère  unilatéral  de  cette  correspondance,  les  réponses  de  Minna  Planer  aux 
lettres  reçues  faisant  absolument  défaut,  en  fausse  évidemment  l'esprit  et 
confirme  l'opinion  générale  que  Wagner,  dont  l'égoïsme  envers  des  amis  dé- 
voués comme  Liszt,  comme  Bulow,  est  aujourd'hui  bien  avéré,  a 
aussi,  en  beaucoup  d'occasions,  manqué  d'égards  vis-à-vis  de  Minna.  Les 
lettres,  telles  qu'elles  sont  présentées,  ne  laissent  pas  d'ailleurs  cett'.-  impres- 
sion; elles  semblent  démontrer  l'affection  du  maitre  pour  sa  femme  pendant 
les  vingt-deux  années  de  leur  union.  Aussitôt  qu'il  était  éloigné  d'elle,  il  sen- 
tait le  besoin  de  lui  écrire  régulièrement.  La  correspondance  commence  en 
1842,  époque  de  la  première  représentation  de  Bienzi  à  Dresde;  elle  s'arrête 
avec  le  séjour  de  Wagner  à  Vienne,  en  1863,  avant  qu'il  ait  reçu  de  Louis  II 
cet  appel  pressant  qui  commença  pour  lui  une  nouvelle  existence,  en  lui  don- 
nant, à  Munich,  une  situation  exceptionnelle.  Les  lettres  qui  viennent  de 
paraître,  et  qui,  sans  doute,  ne  constituent  pas  l'ensemble  complet  de  celles 
que  l'on  possède,  ne  présentent  pas  un  intérêt  considérable  au  point  de  vue 
du  développement  du  génie  du  maitre  ou  de  la  filiation  de  ses  œuvres;  elles 
éclairent  seulement  le  côté  biographique;  l'artiste  y  disparait  un  peu  derrière 
l'homme  privé.  Wagner  s'y  montre  avec  les  défauts  de  son  caractère  qui 
n'excluent  pas  toujours  une  certaine  bonté  de  cœur.  Il  est  vrai  que  bien  des 
traits  de  sa  vie  démentent  cette  impression  que  laissent  plusieurs  passages  de 
la  correspondance,  mais  en  face  du  révolutionnaire  aux  passions  violentes  que 
fut  Wagner  en  art  et  en  politique,  rien  ne  doit  étonuer,  pas  même  l'incohé- 
rence et  la  contradiction.  Minna  Planer  parait  s'être  conduite  en  épouse  dé- 
vouée pendant  le  séjour  que  fit  Wagner  à  Paris  et  à  Meudon  de  1839  à  1842. 
Elle  connut  tous  les  tourments  de  la  pauvreté,  de  la  misère  même,  qu'elle  sut 
rendre  supportable,  et  se  montra  vaillante  et  énergique  au  milieu  de  tous  les 
déboires  de  carrière  que  son  mari,  et  elle  plus  encore  peut-être,  eurent  à 
subir  pendant  de  longues  années.  Toutefois,  les  événements  politiques  de 
1S49  et  le  rùle  que  Wagner  y  joua  semblent  avoir  ébranlé  sa  confiance  et  elle 
paraît  avoir  hésité  beaucoup  avant  de  se  décider  à  suivre  en  exil  l'artiste  dont 
peut-être  le  talent  si  contesté  ne  lui  en  imposait  plus.  Entre  eux,  la  vie  com- 
mune cessa  en  1S5S.  Pourtant  Wagner  n'avait  pas  perdu  toute  idée  d'une  ré- 
conciliation ou  d'un  rapprochement  dans  l'avenir.  Pendant  l'année  1861, 
époque  des  trois  représentations  tumultueuses  de  Tannhâuser  à  Paris,  il  y 
songeait  encore.  Minna  Planer  termina  sa  vie  à  Dresde  et  mourut  le  23  janvier 
1866.  Elle  était  née  le  5  septembre  1809  à  Oederan,  en  Saxe. 

—  A  l'occasion  de  la  reprise  des  Huguenots  à  l'Opéra-Royal  de  Berlin,  à 
laquelle  ont  assisté  l'Empereur  d'Allemagne  et  les  directeurs  de  l'Opéra  de 
Paris,  il  est  intéressant  de  savoir  que  le  chef-d'œuvre  de  Meyerbeer  a  été 
joué  jusqu'à  présent  trois  cent  douze  fois  à  ce  théâtre,  depuis  le  30  mai  1842, 
date  de  la  première  représentation,  jusqu'au  23  mars  1908,  c'est-à-dire  dans 
un  intervalle  de  soixante-six  ans.  Les  cantatrices  et  les  chanteurs  qui  ont  tenu 
le  plus  souvent  les  rôles  principaux  sont  :  pour  Valentine,  Nm0  von  Vogger- 
huber;  pour  Marguerite  de  Valois,  Mmc  Herrenburg-Tnczek  et  M1"'  Lilli  Leh- 
manu;  coïncidence  singulière,  ces  trois  cantatrices  ont  tenu  chacune  quatre- 
vingt-une  fois  ces  rôles  respectifs.  M"c  Dietrich  a  figuré  vingt-sept  fois  sur  la 
scène  sous  les  traits  du  page  Urbain;  Raoul  de  Nangis  a  eu  pour  interprètes 
cinquante-quatre  fois  M.  Th.  Formes  et  quarante-cinq  fois  M.  Niemann  : 
M.  Fricke  a  joué  cent  treize  fois  Marcel;  M.  Salomon  cent  vingt-quatre  fois 
Saint-Bris  et  M.  Schmidt  quatre-vingt-cinq  fois  Nevers.  Parmi  les  artistes 
qui  ont  interprété  les  Huguenots  à  l'Opéra-Royal  à  titre  de  chanteurs  ou  canta- 
trices de  passage,  il  faut  citer  Mmc  Schroeder-Devrient  et  M"le  Pauline  Viar- 
dot  qui  ont  joué  Valentine  quatorze  et  treize  fois  ;  M.  Wachtel  qui  a  joué  dix- 
huit  fois  Raoul;  M.  Formes  qui  a  paru  trois  fois  en  Marcel;  M.  Franscher 
une  fois  en  Saint-Bris,  et  MM.  Nollet,  Kruze  et  Rehlkopf,  qui  ont  représenté 
Nevers  chacun  une  fois. 

—  Un  expert  comptable,  M.  Rodolphe  Putz,  vient  de  léguer  ce  qu'il  pos- 
sédait, estimé  à  120.000  couronnes,  aux  artistes  de  la  Philharmonie  de 
Vienne. 

—  Les  journaux  viennois  s'entretiennent  d'un  petit  fait  qui  a  donné  lieu  à 
quelques  cancans.  Le  13  mars  on  donnait  à  l'Opéra-Impérial  une  représenta- 
lion  de  Tannhâuser.  dans  laquelle  M.  Herman  Winckelmann  remplissait  le 
rôle  principal.  M.  Weingartner  était  à  la  tête  de  l'orchestre  et  conduisait  sur 
une  partition  qui  avait  servi  jadis  à  Wagner  lui-même  et  dont  on  avait  en- 
levé le  feuillet  de  titre.  Or,  sur  ce  feuillet  était  imprimé  ce  qui  suit  : 
h  Tannhâuser  et  le  concours  des  chanteurs  à  la  Wartburg,  grand  opéra  roman- 
tique en  trois  actes,  de  Richard  Wagner.  Partition  imprimée  en  lithographie 
sur  le  manuscrit  de  la  main  du  compositeur.  Seule,  la  possession  de  cet 
exemplaire  donne  le  droit  d'exécuter  cet  opéra,  après  accord  avec  le  compo- 
siteur. Dresde,  1845.  »  Et  de  sa  propre  main,  Wagner  avait  écrit  :  «  Le 
7  février  1847  j'ai  dirigé  la  treizième  représentation  de  cet  opéra,  sur 
cette  partition.  Richard  Wagner.  «  Comme  on  connaissait  l'histoire  de  celle 
partition  et  de  ton  feuillet  de  titre,  les  journaux  s'emparèrent  du  fait,  ut 
demandèrent  ce  qu'était  devenu  ce  feuillet  précieux  et  comment  et  par  qui  il 


410 


LE  MENESTREL 


avait  été  enlevé.  On  sut  bientôt  qu'il  était  dans  les  bureaux  de  la  direction 
du  théâtre,  d'où  il  devait  passer  sous  peu,  à  titre  de  document  historique, 
dans  les  archives  de  l'intendance.  Mais  encore,  par  qui  avait-il  été  détaché  de 
la  partition  '?  Par  l'ancien  chef  d'orchestre,  M.  Gustave  Mahler,  qui.  le  consi- 
dérant comme  une  relique  précieuse,  l'avait  enlevé  et  emporté  chez  lui.  Après 
quoi,  en  quittant  l'Opéra,  il  l'avait  rendu  à  l'administration. 

—  Un  aimable  souvenir  d'Haydn.  Le  27  mars  1808  on  donnait  à  Vienne, 
dans  la  salle  académique  de  l'Université,  devenue  aujourd'hui  le  Palais  des 
Académies,  une  exécution  de  la  Création,  l'oratorio  d'Haydn,  en  présence  du 
vieux  maître,  alors  âgé  de  76  ans.  et  qui,  pour  la  dernière  fois  peut-être,  se 
montrait  en  public.  Pour  commémorer  ce  souvenir  à  un  siècle  de  distance,  la 
Société  des  Amis  de  la  musique  a  donné,  à  la  date  exacte,  le  27  mars  der- 
nier, dans  la  même  salle,  une  audition  du  célèbre  oratorio,  avec  chœur  et 
orchestre  réduits.  C'était  un  pieux  hommage  rendu  à  la  mémoire  de  l'artiste 
illustre  qu'on  néglige  peut-être  un  peu  trop  aujourd'hui  au  profit  de  musiciens 
plus  tapageurs  et  d'un  génie  plus  discutable.  Remarquons  toutefois  que  cette 
exécution  de  1808  était  loin  d'être  la  première,  de  la  Création.  Lors  du  second 
voyage  d'Haydn  à  Londres,  en  1793,  il  avait  reçu  le  livret  de  la  Création,  que 
le  poète  Lidley  avait  tiré  du  Paradis  perdu  de  Milton  et  l'avait  rapporté  à 
Vienne,  où  son  ami  van  Swieten,  administrateur  de  la  Bibliothèque  impé- 
riale, lui  en  avait  fait  la  traduction  allemande.  Il  mit  deux  années  à  écrire  sa 
partition.  Lorsqu'elle  fut  terminée,  la  Création  fut  exécutée  pour  la  première 
fois,  sous  sa  direction,  dans  le  palais  du  prince  de  Sehwarzemberg,  aux  frais 
de  la  Société  des  amateurs,  qui  avait  réuni  un  ensemble  de  ISO  exécutants, 
chœurs  et  orchestre.  Les  plus  hauts  personnages  de  la  cour,  l'élite  de  la  so- 
ciété de  Vienne,  des  artistes,  des  gens  de  lettres,  avaient  tenu  à  honneur 
d'assister  à  cette  audition,  dont  le  succès  fut  complet  et  retentissant.  Le  poète 
Garpani,  l'ami  et  lebiographe  d'Haydn,  parlant  de  cette  séance  mémorable, 
écrivait  :  —  «  Nous  vîmes  se  dérouler  devant  nous  une  longue  suite  de  beau- 
tés inconnues  jusqu'à  ce  moment  :  les  âmes,  étonnées,  ivres  de  surprise  et 
d'admiration,  éprouvèrent  pendant  deux  heures  consécutives  ce  qu'elles 
avaient  senti  bien  rarement  :  une  existence  heureuse,  produite  par  des  désirs 
toujours  plus  vifs,  toujours  renaissants  et  toujours  satisfaits.  »  Carpani  lui- 
même  fit  une  traduction  italienne  du  livret  des  Saisons,  et  quelques  années 
après  l'ouvrage  fut  ainsi  exécuté  chez  le  prince  de  Lobkowitz,  Salieri  diri- 
geant l'orchestre  et  les  soli  étant  chantés  par  Weitmûller,  Radichi  et 
M"lc  Fischer.  Ce  fut  un  triomphe  pour  le  vieux  composiseur,  dont  l'entrée 
dans  la  salle  fut  annoncée  par  des  fanfares,  tandis  que  la  princesse  Esterhazy 
et  son  ancienne  élève.  M"]ede  Kurbeck.  couraient  au-devant  de  lui  pour  l'in- 
trcduire. 

—  Un  journal  de  Vienne  a  publié  les  lignes  suivantes  extraites  d'un  ordre 
de  la  police  daté  du  2l:i  juillet  1S33  :  «  Wagner,  Richard,  sujet  dangereux  au 
point  de  vue  politique.  Cet  individu  est  un  ancien  capellmeister  de  Dresde  et 
l'un  des  adhérents  les  plus  en  vue  du  parti  révolutionnaire:  il  est  poursuivi 
pour  avoir  participé  au  mouvement  insurrectionnel  de  Dresde  en  1849  et  doit 
avoir  l'intention  de  se  rendre,  de  Zurich,  où  il  est  actuellement  domicilié,  à 
Dresde.  Il  a  maintenant  quarante-deux  ans  (c'est  quarante  ans  qu'il  eût  fallu 
écrire),  est  de  moyenne  taille,  porte  des  cheveux  bruns  et  parfois  des  lunettes. 
Dans  le  cas  où  on  pourrait  le  saisir,  il  faudrait  le  remettre  entre  les  mains  de 
la  police  de  Dresde  ». 

—  On  vient  de  reprendre  Louise  à  Breslau  et  avec  un  très  grand  succès. 
L'œuvre  vivante  et  attachante  de  Gustave  Charpentier,  remontée  avec  un  grand 
soin  par  le  directeur  Loewe.  a  trouvé  en  MUe  Berhunk  une  Louise  remar- 
quable, imprimant  au  personnage  son  véritable  caractère  d'amoureuse  roma- 
nesque. Exécution  orchestrale  de  tout  premier  ordre,  avec  M.  Pruvver  comme 
kapellmeister. 

—  M.  Franz  Lehar,  le  compositeur  de  la  Veuve  joyeuse,  écrit  en  ce  moment 
une  nouvelle  opérette,  Vilja,  la  jeune  fille  de  la  forêt  dont  la  première  repré- 
sentation aura  lieu  simultanément  au  théâtre  An  der  Wien,  de  Vienne,  à 
Londres  et  à  Berlin. 

—  Les  vieux  contes  de  fées  renferment,  on  le  sait,  des  trésors  inépuisables: 
la  poésie,  le  dessin  et  la  peinture  s'en  inspirent:  le  théâtre  aussi,  mais  non 
sans  rencontrer  bien  des  difficultés.  Il  s'est  formé  l'année  dernière,  à  Munich, 
une  société  dont  le  but  est  de  faire  représenter  sur  la  scène,  avec  un 
personnel  d'artistes  et  d'amateurs  dévoués,  les  minuscules  chefs-d'œuvre  de 
la  littérature  enfantine.  Le  premier  essai  en  ce  sens  a  eu  lieu  le  27  mars  der- 
nier :  on  a  joué  un  petit  ouvrage  lyrique  écrit  d'après  un  conte  d'Andersen. 
le  Garieur  de  porcs.  M.  Edgar  Istel  a  écrit  pour  cette  Muette  une  musique 
gracieuse  et  M.  Th.  Herrmann  a  fourni  les  dessins  pour  la  mise  en  scène. 

—  Le  théâtre  de  la  Cour,  à  "Wiesbaden,  donnera  du  10  au  20  mai  des  repré- 
sentations de  fête  auxquelles  assistera  l'empereur  d'Allemagne.  On  jouera  les 
Contes  d'Hoffmann  d'Offenbach.  Obéron,  Annide.  Lohengrin  et  quelques  pièces 
dramatiques  saDs  musique. 

—  La  reconstruction  du  théâtre  de  la  Cour,  à  Meiningen.  paraît  devoir  être 
bientôt  commencée  et  menée  ensuite  très  rapidement.  L'idée  de  couvrir  les 
frais  d'érection  de  la  nouvelle  scèoe  au  moyen  d'une  souscription  nationale  à 
laquelle  toute  l'Allemagne  serait  appelée  à  participer  a  été  préconisée  par  quel- 
ques personnes,  mais  le  duc  de  Saxe-Meiningen  a  télégraphié  du  Cap-Martin, 
où  il  est  actuellement  en  villégiature,  qu'il  ne  donnait  pas  son  assentiment  à 
un  pareil  projet.  En  fait,  on  espère  que  l'inauguration  du  théâtre  que  l'on  va 
construire  pourra  s'effectuer  en  octobre  1009.  Pendant  la  saison  prochaine,  la 
troupe  des  Meininger  jouera  dans  les  deux  théâtres  de  la  Cour,  à  Gotha  et  à 


Cobourg.  —  Le  duc  Georges  vient  d'adresser  aux  habitants  de  Meiningen  l'ex- 
pression des  sentiments  qu'il  a  éprouvés  après  le  sinistre  qui  a  détruit  le 
théâtre  de  la  Cour.  Il  l'a  fait  dans  les  termes  suivants  :  «  Lors  de  l'incendie 
qui  a  complètement  anéanti,  à  mon  grand  chagrin,  mon  vieux  théâtre,  tout 
secours  humain  a  été  impuissant  à  sauver  le  sanctuaire  d'art  oue  nous  aimions; 
il  n'existe  plus.  Ma  consolation  dans  ce  malheur  est,  avant  toutes  choses,  de 
n'avoir  à  déplorer  la  perte  d'aucune  vie  humaine,  et  aussi  de  penser  que, 
malgré  les  plus  sérieux  dangers,  tout  a  été  fait  pour  arracher  aux  flammes 
tout  ce  qui  pouvait  leur  être  arraché.  Remercier  ceux  qui  ont  risqué  leur  vie 
pour  conjurer  la  catastrophe  est  un  besoin  de  mon  cœur  qui  veut  maintenant 
ne  plus  subir  aucun  retard.  Mais  je  dois  aussi  penser  aux  autres,  à  ceux  qui 
ont  contribué  avec  dévouement  à  porter  secours,  où  ils  ont  pu  et  comme  ils 
ont  pu.  A  tous,  je  serre  la  main,  car  tous  m'ont  fait  éprouver  un  sentiment 
qui  rend  heureux,  celui  de  la  reconnaissance  pour  ce  qu'ils  ont  tenté  pour 
moi.  » 

—  M.  Eugène.  d'Albert,  le  célèbre  pianiste  auteur  des  opéras  Tiefland, 
Flauto  solo  et  Tragaldabas,  travaille  en  ce  moment  à  une  nouvelle  œuvre 
lyrique,  Izeil,  dont  le  sujet  est  emprunté  aux  légendes  de  l'Inde. 

—  Un  journal  de  Leipzig  nous  apprend  qu'on  vient  de  retrouver,  par  hasard, 
une  épinette  qui  a  appartenu  à  l'impératrice  Marie-Thérèse  d'Autriche.  C'est 
à  Aussig,  sur  l'Elbe,  qu'on  a  découvert  co  joli  instrument,  accompagné  d'une 
lettre  autographe  de  l'impératrice,  par  laquelle  la  souveraine  en  faisait  don  à 
une  de  ses  dames  de  compagnie.  L'administration  de  la  cour  impériale  de 
Vienne,  avisée  du  fait,  s'est  montrée  aussitôt  disposée  à  faire  l'acquisition  de 
ce  souvenir  précieux  pour  elle. 

—  Un  fait  unique  dans  les  annales  de  théâtre,  s'est  produit  la  semaine  passée 
à  l'occasion  de  la  première  représentation  de  Mignon  à  l'Opéra-Italien  de  Saint- 
Pétersbourg.  Dès  que  le  chef-d'œuvre  d'Ambroise  Thomas  fut  annoncé  avec 
Mme  Sigrid  Arnoldson  dans  le  rôle  de  la  protagoniste,  les  billets  furent  enle- 
vés dans  la  journée  même,  malgré  les  prix  énormes  (200  francs  les  loges. 
3b  francs  les  fauteuils,  etc.).  Plusieurs  familles  appartenant  à  l'aristocratie  de 
Varsovie  et  de  Riga,  qui  avaient  fait  expressément  le  voyage  à  Saint-Péters- 
bourg pour  applaudir  la  diva  suédoise,  n'ont  pu  obtenir  de  places  à  aucun 
prix.  L'imprésario  se  trouva  alors  obligé  de  faire  placer  une  cinquantaine  de 
fauteuils  sur  la  scène  même,  derrière  les  coulisses,  au  prix  de  30  roubles  par 
place.  En  une  demi- heure  il  n'en  restait  plus  un  seul.  Est-il  nécessaire  de 
dire  que  la  diva  fut  couverte  d'applaudissements  et  de  Heurs?  On  lui  a  bissé 
tous  les  morceaux  principaux.  La  semaine  prochaine  M"'e  Sigrid  Arnoldson 
chantera  à  Saint-Pétersbourg,  à  I'Opéra-Italien,  Ophélie  A'IIamlet  et  Manon. 

—  On  nous  signale  de  Rome  le  triomphe  que  vient  de  remporter  Mlle  Far- 
netti  dans  Madame  Butterfly,  au  théâtre  Costanzi.  Mllc  Farnetti  fut  déjà,  on 
s'en  souvient,  une  délicieuse  Ariane  à  Turin,  d'une  tendresse  et  d'une  poésie 
infinies.  Elle  est  aujourd'hui  l'artiste  la  plus  en  lumière  de  toute  l'Italie,  et 
comme  elle  chante  très  bien  le  français,  il  ne  serait  pas  impossible  que  nous 
l'entendions  avant  peu  à  Paris  dans  une  très  importante  création.  Ce  serait 
une  joie  et  un  triomphe. 

—  Un  archet  précieux  par  le  souvenir  qui  s'y  attache,  celui  dont  le  grand 
violoniste  Paganini  se  servit  dans  son  dernier  concert,  est  en  ce  moment,  s'il 
faut  en  croire  un  journal  allemand,  la  Musildiistrumeulen  Zeitung,  l'objet  d'une 
convoitise  acharnée.  Cet  archet  avait  été  donné,  dit-on,  par  Paganini,  à  un  de 
ses  élèves  amateurs,  le  comte  de  Cassole,  qui,  à  son  tour,  en  avait  fait  don  à 
Verdi.  On  en  a  déjà  offert,  dit  le  journal  en  question,  à  qui  nous  laissons  la 
responsabilité  de  cette  nouvelle,  la  somme  de  10.000  livres  sterling,  c'est-à-dire 
230.000  francs;  mais  le  possesseur  actuel  en  exige  15.000  livres.  Le  plus  haut 
prix  d'un  archet  de  Tourte,  le  fameux  fabricant,  n'a  jamais  dépassé  1.000  francs. 
On  voit  que  le  souvenir  de  Paganini  se  paierait  cher  ! 

—  Du  dernier  numéro  de  l'Italie  et  la  France,  l'intéressante  revue  publiée 
à  Paris  par  notre  excellent  confrère,  M.  Pietro  Mazzini,  nous  détachons  ces 
lignes  intéressantes  sur  les  théâtres  en  Italie  : 

L'Italie  compte  en  tout  1.517  théâtres,  c'est-à-dire  un  théâtre  par  22.068 habitants. 
Mantoue  a  le  maximum  avec  un  théâtre  pour  7.761  habitants;  la  province  de  Potenza 
a  le  minimum  avec  un  théâtre  pour  102.142  habitants.  Les  villes  qui  en  ont  le  plus 
grand  nombre  sont:  Naples  avec  21  théâtres;  Milan  avec  17  théâtres;  Turin  avec 
12  théâtres;  Gènes,  Bologne  et  Florence  avec  11  théâtres  chacune;  Rome  avec  9; 
Catane  avec  7;  Venise,  Livourne  et  Païenne  avec  6  chacune;  Bergame,  Padoue,  Fer- 
rare,  Modanc  et  Catanzare  avec  5  chacune.  Le  théâtre  italien  qui  contient  le  plus 
grand  nombre  de  spectateurs,  c'est  la  Scala  de  Milan  (3.500  places);  viennent  après 
le  Vittorio  Emmanuele  de  Turin  (3.200  places)  et  le  San  Carlo  de  Naples  (3.000  places). 
Mais  ces  chiffres  peuvent  encore  être  augmentés,  car,  comme  on  sait,  dans  les  théâtres 
italiens,  on  admet  des  spectateurs  debout.  Ainsi  le  Politeama  Gcnovese,  avec  les 
places  debout,  peut  contenir  3.300  personnes. 

—  La  Gazzetta  Ferrarese  annonce  que  le  maestro  Ettore  Ravegnani  vient  de 
découvrir,  en  examinant  les  rares  manuscrits  que  contient  la  Bibliothèque 
communale  de  Ferrare,  celui  d'une  messe  complète  d'un  musicien  Ferrarais 
presque  inconnu,  Paolo  Isnardi,  qui  vivait  au  XVIe  siècle.  En  parcourant  ce 
manuscrit,  M.  Ravegnani  eut  l'impression  que  l'œuvre  était  fort  belle  ;  mais, 
ne  se  liant  pas  à  ses  seules  lumières,  il  envoya  la  Messe  à  «  des  personnes 
compétentes  »  de  Rome,  qui  lui  répondirent  qu'en  effet  l'œuvre  était 
superbe,  imposante,  qu'on  désirait  des  détails  sur  ce  musicien  jusqu'ici  ignore 
qui  avait  nom  Isnardi,  et  que  la  Messe,  dans  laquelle  on  rencontrait  jusqu'à  des 
procédés  à  la  Wagner  (!).  pourrait  être  signée  Palestrina  (!!).  Là-dessus,  le  maestro 
Ravegnani  conçut  le  projet  de  préparer  une  grande  exécution  de  cette  Messe  à 


LE  MENESTREL 


111 


l'occasion  des  prochaines  grandes  fêtes  données  en  mémoive  de  l'illustre  orga- 
niste Frescobaldi,  fêtes  qui  réuniront  à  Ferrare  un  grand  nombre  d'artistes. 
—  Nous  ajouterons,  pour  notre  part,  que  si  le  compositeur  Isnardi  est  peut- 
être  fort  oublié,  il  n'est  pas  aussi  complètement  inconnu  qu'on  le  prétend.  Il 
est  mentionné  dans  le  Lexique  des  musiciens  de  Gerber,  dans  la  Biographie 
universelle  des  musiciens  de  Fétis,  dans  d'autres  encore,  où  nous  apprenons 
qu'il  naquit  à  Ferrare,  fut  moine  et  supérieur  de  l'abbaye  du  Mont-Gassin, 
maître  de  chapelle  de  la  cathédrale  de  Ferrare,  et  enfin  qu'il  publia  des 
Messes  à  5  et  6  voix,  des  Psaumes,  des  Magnificat,  Lamentations,  motets,  etc., 
ainsi  que  trois  recueils  de  madrigaux  à  5  voix. 

—  On  a  représenté  à  Ghieti  un  petit  opéra  intitulé  le  Noël  de  Pierrot,  dont  la 
musique  est  due  à  un  jeune  compositeur,  M.  V.  Monti. 

—  Certains  êtres  ont  des  idées  au  moins  bizarres.  Celle  dont  il  est  ici  ques- 
tion a  amené  un  événement  tragique.  La  chose  se  passe  à  Lisbonne,  où,  à 
l'occasion  du  carnaval,  un  petit  théâtre  populaire  s'est  avisé  de  représenter 
une  action  scénique  dont  le  sujet  n'était  autre  que  la  reproduction  du  sinistre 
attentat  dont  le  roi  Carlos  et  sou  jeune  fils  ont  été  les  victimes.  Mais  voici 
que  pendant  la  représentation,  F  «  acteur  »  chargé  du  rôle  de  Buica,  l'assas- 
sin terroriste,  ayant  en  main  une  carabine  que  sans  doute  on  ne  croyait  pas 
chargée,  visant  son  frère  qui  personnifiait  le  roi  Carlos,  le  vit  tomber  mortel- 
lement blessé.  L'assassin,  involontaire,  cette  fois,  voyant  son  frère  inanimé, 
se  suicida  immédiatement. 

—  Nous  lisons  dans  le  Musical  News  :  «  L'Opéra-Royal  de  Covent-Garden 
atteint  cette  année  le  centième  anniversaire  de  sa  reconstruction  après  l'in- 
cendie de  sa  première  salle.  Le  syndicat  de  ce  théâtre  a  l'intention  de  commé- 
morer cet  événement  un  peu  plus  tard.  » 

—  Nous  sommes  heureux  de  signaler  les  succès  de  Mllc  Gerville-Réache  au 
Manhattan  Opéra  de  New-York  où  elle  a  eu  dans  le  répertoire  italien  et  le 
français,  notamment  dans  laNavarraise,  un  véritable  triomphe.  Les  grands  con- 
certs ne  l'ont  pas  moins  acclamée  dans  diverses  villes  telles  que  Boston  dont 
la  célèbre  association  symphonique  lui  a  fait  fête. 

—  De  Saigon.  Nous  venons  d'avoir,  devant  uue  salle  enthousiaste,  la  pre- 
mière représentation  de  Louise,  qu'on  nous  promettait  depuis  plusieurs  saisons 
déjà.  Il  a  fallu  toute  la  ténacité  et  toute  la  foi  artistique  de  notre  actif  direc- 
teur, M.  Baroche,  pour  que  nous  puissions  enfin  applaudir  l'œuvre  superbe- 
ment humaine  de  Gustave  Charpentier,  qui  a  été  montée  avec  beaucoup  de 
soins  et  unsouci  très  heureux  de  pittoresque  et  de  réalisme. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 
La  ¥  commission  da  Conseil  municipal  s'est  occupée  du  Théàtra-Lyrique- 
Municipal.  L'exploitation  provisoire  de  MM.  Isola  devant  prendre  fin  le 
15  juin,  on  a  arrêté  les  bases  de  l'exploitation  définitive  qui  commencera  à 
celte  époque.  Le  concours  de  l'Opéra  et  de  l'Opéra-Comique  paraissant  assuré, 
le  bail  courra  jusqu'en  191"  aux  conditions  actuelles.  La  commission  a  en 
outre  émis  le  vœu  «  que  les  pouvoirs  publics  déclarent  illicite  le  commerce 
habituel  des  billets  de  théâtre  et  prescrivent  entre  autres  sanctions  la  ferme- 
ture des  agences  publiques  ou  clandestines,  sous  réserve  d'autorisation  à  des 
établissements  exerçant  la  simple  fonction  de  commissionnaire.  » 

—  Les  délégués  des  auteurs  dramatiques  et  des  directeurs  de  théâtre  se 
sont  réunis  au  siège  de  la  Société  des  Auteurs,  8,  rue  Hippolyte-Lebas.  Étaient 
présents:  MM.  Alfred  Capus,  Henry  Bernstein,A.  de  Caillavet.Paul  Gavault  et 
Pierné  pour  les  auteurs  et  les  compositeurs,  MM.  Albert  Carré,  Micheau,  Po- 
rel,  Franck  et  Richemond  pour  les  directeurs.  On  a  examiné  la  question  des 
billets  de  faveur.  La  discussion,  commencée  à  neuf  heures,  durait  encore  à 
minuit;  elle  continuera  ces  jours-ci.  Si  auteurs  et  directeurs  sont  tout  à  fait 
d'accord  sur  les  mesures  à  prendre,  aucune  réglementation  définitive  n'a  pu 
encore  être  formulée. 

—  A  l'Opéra  nous  avons  eu  les  débuts  de  Mlle  Brozia  dans  Rigoletlo.  On 
sait  que  cette  excellente  artiste  nous  vient  de  la  Monnaie  de  Bruxelles  et 
appartenait  encore  la  saison  dernière  à  l'Opéra-Comique.  où  elle  avait  de 
grand  succès.  Elle  ne  semble  pas  devoir  moins  réussir  à  l'Opéra,  si  on  juge 
par  l'accueil  très  chaleureux  qui  lui  a  été  fait. 

—  A  l'Opéra-Comique,  on  a  vu  reparaître  non  sans  plaisir  l'exquis  Jongleur 
de  Noire-Dame  de  Massenet,  qui  est  venu  fort  à  propos  étayer  sur  la  même 
affiche  le  jeune  succès  de  l'Habanera  de  M.  Laparra.  La  centième  représenta- 
tion du  Jongleur  est  bien  prochaine.  —  L'Opéra  russe  de  Rimsky-Korsakow, 
Snegourotchku ,  passera  vraisemblablement  vers  le  15  avril.  M.  Albert  Carré  a 
voulu  se  hâter  d'arriver  avant  la  saison  russe  de  l'Opéra.  —  Spectacles  de 
dimanche:  en  matinée,  Werther:  le  soir,  Manon.  Lundi,  en  représentation 
populaire  à  prix  réduits  :  Barbe-Bleue. 

—  L'Opéra-Comique  a  porté  son  choix  sur  le  statuaire  Auguste  Maillard 
pour  l'exécution  du  monument  à  élever  au  regretté  compositeur  et  chef  d'or- 
chestre Luigini. 

—  Comme  c'était  à  prévoir,  après  la  direction  aventureuse  de  M.  Antoine 
à  l'Odéon,  les  malheureux  actionnaires  ont  dû  voter  la  liquidation  de  la 
Société  actuelle.  Sur  le  rapport  lu  par  M.  Antoine  lui-même  à  ses  actionnai- 
res et  sur  les  conclusions  adoptées,  voici,  d'après  notre  confrère  le  Temps, 
quelques  détails  complémentaires. 

Dans  son  rapport,  M.  Antoine  constate  que  le  capital  social,  qui  était  de 
600.000  francs,  comprenant  les  décors  du  Théâtre  du  boulevard  de  Strasbourg, 
l'apport  personnel  de  M.  Antoine  et  200.000  francs  d'espèces,  a  été  entièrement 
absorbé. 


Ce  qui  l'a  entamé  principal m.        on  t  les  fraie  qu'a  « 

la  salle,  ei  qu'on  peul  évaluer  1200. an       Pendan  r3S  années 

d'exploitation,  M.  Antoine  a  fait  de  très  bel                       630.000     u       pour  la  pre- 
mière année  :  pour  la  seconde  on  dépassera  le  chiffre  de  750. i   n       M 

frais  quotidiens  onl  été  très  élevés  :  de  3.300  fi  in  :s  par  jour  la  pi 
sont  actuellement  de  2.600  francs  par  joui'. 

M.  Antoine  a  obtenu  cinq  ans  des        m  'Odéon  pour  acquitte! 

nellement  le  passif,  qui  ssl  -!<■  lin  uni  Irik,  .-h  viron. 

...Et  lout  aussitôt  M.  Antoine,  qui  ne  se  décourage  pas  pour  si  pi 
d'une   nouvelle  Société,  qui  est  déjà   en  voie  de  formation,  au  capital  de 
300.000  francs.  600.000  ci  300.000  feront  900 .000  francB.  Ce  n.'esl  pas  encore  lie 
chiffre  rond. 

—  Le  Théâtre  de  la  Porte- Saint-Martin  fait  relâche  pour  les  répétitions 
d'ensemble  du  Clievaiier  d'Eon.  Rappelons  que  les  principaux  interprètes  de 
cet  «  opéra-comique  à  grand  spectacle  »  sont  MM.  Huguenet,  Gaston  Dubosc, 
Mllcs  Anne  Dancrey,  Cécile  Thévenel.  Rachel  Launay  .  Germaine  Huber, 
M.  Ferval,  etc.  La  répétition  générale  aura  lieu  lundi  prochain,  0  avril,  en 
soirée.  Le  lendemain,  7  avril,  première  représentation. 

—  Au  Théàtre-Sarah-Bernhardl,  ii"  et  dernier  '<  Samedi  de  la  Société  de 
l'Histoire  du  Théâtre»,  aujourd'hui  4  avril,  à  cinq  heures.  Causerie  de  M.  Jean 
d'Estournelies  de  Constant  sur  la  Musique  sous  la  Révolution,  avec  le  programme 
suivant  : 

PREMIÈRE   PARTIE 

Romances  de  salon. 
Languir  d'amour  (1792)  (Ch. -H.  Plantadei,  par  M"'  Demougeot.  —  Te  lien  aima 

(1791)  (Ch.-H.  Plantade)  ;  Ah!  gardez-vous  de  me  guérir  (1793;  (Garat.i,  par  .M     i,  ■    . 
Chansons  de  la  rue. 
Ahlçaira!  (1790)  (Bécourt),  par  M.  Gilly.  —   L%   Carmagnole      1792      X...  .  pi: 
M.  Gresse  et  l'École  de  chant  choral. 

Chants  patriotiques. 
Hymne  de  Roland  à  Roncevaux  (1792)  (Rouget  de  l'islei,  par  M.  Gilly.  —  Veillons  au 
salut  de  l'Empire  (1792)  (Dalayrac),  par  M.  Gresse. 

Chants  pour  les  fêtes  nationales  et  décadaires. 
Hymne  pour  la  fête  des  époux  ilO  floréal  1798)  (Méhul),  par  AI"C  Vinci,  avec  accom- 
pagnement de  clarinettes,  cor  et  bassons.  —  Hymne  pour  la  fête  de  la  reconnaissano 
(10  prairial  1799)  (Cherubini),  par  M""  Demougeot. 

DEUXIÈME   PARTIE 

OEuvres  de  théâtre. 

LaCaverne  (1793),  drame  lyrique,  paroles  de  Darey  (Le  Sueur)  :  air  de  Séraphine. 

parM""Gall.  de  l'Opéra.  —   Dniis  le  Tyran,  ma  lire  d'école  à  Corinlhe    1795  .  opéra. 

paroles  de  Sylvain  Maréchal  (Grétry)  :    duo  de   Géronte  et  de   Chrysoslome,  par 

MM.  Azéma  et  Bouteloup. 

TROISIÈME   PARTIE 

Hymnes  de  la  Révolution  /musique  choralei. 
Hymne  à  la  Liberté,  dit  ensuite  Hymne  à  la  Nature  (1793t,  paroles  de  Yaron  (Gossec). 
—  Ode  patriotique  à   la   Bataille  de  Fleuras  (1793),  paroles  de    Lebrun    fCatelj,  par 
l'École  de  chant  choral,  avec  accompagnement  du  quintette  éo  lien  (clarinettes,  ilùte. 
cor,  clarinette  basse  et  bassons.1. 

—  Correspondance  : 

Monsieur  le  Directeur, 
Permettez-moi,  tout  en  vous  remerciant  d'avoir,  à  propos  d'Hernani,  mentionné  les 
ouvrages  que  j'ai  déjà  donnés,  d'ajouter  à  la  liste  crue  vous  avez  fait  paraître,  les 
noms  suivants  : 

Ahasvérus,  oratorio  en  deux  actes,   couronné  par  l'Institut  au    concours  Rossini 

et  exécuté  au  Conservatoire  par  la  Société  des  Concerts. 
Une  suite  symphonique  en  quatre  parties,  aux  Concerts  de  l'Opéra. 
Les  Meules,  pièce  d'ombres  en  huit  tableaux.  —  Paris. 
Pierrot  poêle,  ballet  en  un  acte.  —  Théâtre  de  la  Gaité. 
Le  Mariage  au  Mannequin,  ballet  en  un  acte.  —  Casino  de  Royan. 
Les  Favorites,  ballet  en  un  acte.  —  Olympia. 
Paillasses,  mimodrame  en  un  acte.  —  Folies-Bergère. 
Au  temps  de  la  poudre,  ballet  en  un  acte.  —  Monte-Carlo. 
L'Amoureux  de  la  lune,  opéra-comique  eu  un  acte.  —  Cercle  Volney. 
Recevez,  Monsieur  le  Directeur,  l'expression  de  mes  sentiments  distingués. 

Henri  Hirchmann. 

—  La  commission  du  prix  biennal  institué  par  l'Association  de  la  critique 
dramatique  et  musicale,  sur  la  proposition  de  M.  Maxime  Vitu ,  s'est  réunie, 
sous  la  présidence  de  M.  Camille  Le  Senne,  et  a  décerné  ce  prix,  d'une 
valeur  de  cinq  mille  francs,  à  un  travail  manuscrit  de  M.  Jules  Guillemot,  sur 
«  les  préfaces  d'auteurs  dramatiques  célèbres  ». 

—  Rappelons  que  pour  l'intéressante  solennité  artistique  qui  aura  lieu  au 
Trocadéro.  dimanche  prochain,  M.  Bourgault-Ducoudray  a  composé  une  série 
d'œuvres  pour  soli,  chœurs,  orgue  et  harmonie  à  la  gloire  de  la  France.  Ce 
monument  consacrant  la  France  Héroïque  sera  exécutée  par  plus  de  l.oOO 
chanteurs  et  la  répétition  qui  a  eu  lieu  dimanche  dernier  fait  présager  un  succès 
colossal.  La  recette  est  au  bénéfice  du  monument  élevé  à  la  mémoire  de 
Wilhem,  fondateur  de  l'Enseignement  musical  populaire  en  France. 

—  Avant-hier,  M.  Gottfried  Galston  a  donné  son  premier  récital,  salle  des 
Agriculteurs.  Le  programme  comprenait  la  sonate  en  sol  de  Schumann.  douze 
Laer.dler  entièrement  ravissants  de  Schubert,  quatre  pièces,  op.  119.  de 
Brahms,  la  Ballade  op.  US  et  les  Variations  sur  un  thème  de  Paganini  du 
même  maître.  Ces  morceaux  de  Brahms,  à  laquelle  semble  étranger  le  senti- 
ment si  profond  et  si  pénétrant  qui  se  dégage  des  Laendler  de  Schubert,  ont 
des  qualités  d'une  autre  nature.  La  variété  des  efforts  pianistiques,  l'imprévu 
qui  s'en  dégage  et  intéresse  constamment  l'esprit,  font  de  chacun  d'eux  de  vérita- 


442 


LE  MENESTREL 


Lies  boites  à  surprises.  Un  public  nombreux  a  longuement  applaudi  M.  Gais- 
ton  après  chaque  numéro  de  son  beau  programme,  reconnaissant  par  là  la 
magistrale  puissance  technique  de  son  jeu  et  sa  grande  intelligence  musicale 
qui  lui  permet  de  s'assimiler  le  style  de  tous  les  maîtres.  An.  B. 

—  De  Lyon,  on  nous  signale  les  applaudissements  chaleureux  qui  accueilli- 
rent le  jeune  ténor  Fernand  Lemaire,  gendre  et  élève  de  Fugère.  Le  succès  fut 
tel,  dans  Werther  et  Lakmé,  que  les  directeurs  du  Grand-Théâtre  ont  fait  signer 
à  M.  Lemaire  un  engagement  pour  quarante  représentations  adonner  au  cours 
de  la  saison  prochaine  :  parmi  les  ouvrages  qu'il  chantera,  citons,  outre  ceux 
joués  cette  saison,  Manon,  le  Jong'eur  de  Notre-Dame  et  Fidelio. 

—  A  Lille,  au  Grand-Théàlre,  magnifique  succès  de  Marie-il  a  gdeleine. 
Après  chaque  acte  nombreux  rappels  et  enthousiasme  débordant.  Très  bonne 
interprétation.  Orchestre  et  chœurs  remarquables. 

—  De  Nancy.  C'est  sur  les  applaudissements  de  la  salle  entière  que  le  rideau 
tombe  à  la  fin  de  la  première  représentation  du  Bonliomme  Jadis,, de  M.  Jaques- 
Dalcroze.  La  délicate  et  spirituelle  partition,  bien  exécutée  par  l'orchestre  de 
M.  Alloo,  a  été  rendue  à  souhait  par  M.  Grimaud,  et  aussi  par  M1Ie  Bon  et 
M.  Gérard. 

—  En  même  temps  que  ce  bulletin  de  victoire  de  Nancy,  nous  en  arrive  un 
autre  de  Tunis,  toujours  pour  ce  même  Bonhomme  Jadis,  qui  a  ravi  par  sa  jeu- 
nesse, son  esprit  et  sa  grâce  tous  les   spectateurs,  il.  Alberti  s'est  montré 


plein  de  verve  et  de  belle  humeur,  M"°  Rolland  tout  à  fait  charmante,  M.  Cou- 
mont  fort  agréable  et  l'orchestre  de  M.  Bergalonn.e  excellent. 

—  De  Nice.  Très  belle  reprise  d'Ariane  dont  on  se  rappelle  le  retentissant  et 
prolongé  succès  de  la  saison  dernière.  Cette  fois,  le  rôle  de  Thésée  a  été  joué 
et  chanté  par  M.  Muratore,  qui  le  créa  à  l'Opéra  de  Paris,  et  l'on  sait  tout  ce 
que  le  vibrant  artiste  y  déploie  de  belle  fougue  juvénile,  de  charme  et  de 
vaillance  vocale.  A  ses  côtés  on  a  fait  fête  aussi  à  M"e  Borgo,  également 
prêtée  par  l'Opéra,  qui  a  été  une  attendrie  et  touchante  Ariane,  et  on  a  réap- 
plaudi et  à  l'apparition  de  M1,e  Degeorgis  dans  Perséphone,  et  à  la  belle  exé- 
cution orchestrale  de  M.  Dobbelaere  et  à  la  remarquable,  et  très  belle  et  très 
heureuse  mise  en  scène  de  M.  Villefranck. 

—  Thérèse,  la  triomphante  Thérèse  du  maître  Massenet  qui,  deux  saisons 
durant,  fournit  les  soirées  sensationnelles  de  l'Opéra  de  Monte-Carlo,  fait 
maintenant  son  victorieux  tour  de  France.  Nos  correspondants  nous  signalent 
des  représentations  enthousiastes  à  Marseille  et  à  Tunis.  Dans  la  cité  pho- 
céenne, c'est  M1Ie  Marié  de  Lisle  qui  fut  l'héroïne  acclamée  du  drame  si  pre- 
nant, fort  bien  entourée  par  MM.  Codou  et  Boyer  ;  à  Tunis  c'est  Mllc  Billaut 
qui  a  interprété  le  personnage  tout  à  son  honneur,  MM.  Cormetty  et  Saimprey 
s'élant  montrés  artistes  de  mérite  dans  leurs  rôles  respectifs. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


Pour    paraître    AU    MENESTREL,     2   bis,    rue    Vivienne,    HEUGEL    ET    G",    éditeurs 

Le  jour  de  la  première  représentation  au  Théâtre  de  la  Porte-Saint-Martin 
-   PROPRIÉTÉ   POUR   TOUS    PAYS- 

LE  CHEVALIER  D'ÉON 

_^._  OPÉRA-COMIQUE  EN  QUATRE  ACTES  ~U^_ 

PARTITION  CHANT  ET  PIANO  ™  PARTITION  CHANT  ET  PIANO 

Brix^t:  15  francs  AÎflVTAflD    SILiVEST^E    et  HE^I     Cfll^  Prix  net  :  15  francs 

Livret,  prix  net  :   2  francs 


MOE-aE^Tjrx    e  e    chant    détaches 


Nosl.  Couplets  du  lieutenant  de  police  :«  Ah!  quel  plaisir.  >< lot) 

2.   Duetto  :  «  Il  faut  en  amour  au  but  courir  vite.  » 1  50 

Final-valse  :  «  On  te  cachera,  on  t'arrangera.  » 2 

Couplets  de  la  toilette  :  «  Un  peu  de  carmin  sur  la  bouche.  »... 

Le  Chagrin  de  Rosita  :  «  Mon  Êon  a  disparu.  » 

Rêverie  de  la  Dubarry  :  «  Parfois  j'éprouve  une  tristesse.  »   .    .    .    . 
2"s  couplets  du  lieutenant  de  police  :  <i  Pour  les  hommes  je  suis  terrible.  » 

Couplets  d'Éon  :  o  Un  insolent  comme  tantôt.  » 

Romance  d'Annette  :  «  Mais  crois-tu  donc  que  c'est  bien  drôle.  » .    . 
Est-ce  oui?  Est-ce  non?:  »  Le  sort  de  Ion  ami  dépend  de  toi.  ••   .    . 

Petits  oiseaux  :  «  Emplissez  d'un  murmure  d'ailes.  » 

22.  Duo  comique  (le  lieutenant  de  police,  "Wanderflock; 


1 

1  » 
1  » 
1  73 
1  7b 
1  50 


'12.  Cavatine  :  «  Pourquoi  malgré  neige  et  froidure.  » 2 

13.  Duetto  :«  Je  ne  sais  pas  écrire.  » 2 

14.  La  lettre  de  Rosita  :  «  Si  tu  savais,  mon  chevalier.  .......  1 

15.  Romance  de  la  fleur  :  «  Tiens,  reprends  la  petite  fleur.  » 1 

16.  Couplets  de  Wanderflock  :  «  Oh!  Cette  Annelte,  quel  trésor!  »    .    .  2 

17.  Valse  de  la  Parisienne  :  «  Ah!  qu' c'est  bon!  » 1 

18.  Menuet  de  la  Dubarry  :  «  Que  tout  est  charme.  » 1 

19..   Chanson  d'Éon  :  «  Vivent  les  folles  escapades.  » 2 

20.  Air  de  Rosita  :  «  Vous  mentez!  » 1 

21.  Lettre  de  Russie  (2  voix)  :  «  Salut,  mon  beau  cousin  de  France.  ».  1 
21'"  La  même  pour  une  seule  voix 1 

Si  vous  continuez  à  me  turlupiner.  » 1  50 

sans  accompagnement,  chaque  net  :     0  35) 


(Les  numéros  1.  3,  4.  7,  8.  9.  14,  15,  17  et  21  pour  chant  seul 

TRANSCRIPTIONS    POUR    PIANO    SEUL 

,   ,   .  •  2    »    |    2.  Entr'acte-Gavotte 1     «    |    3.  Entr'acte-Lamento 1     »    | 


Marche  triomphale 


AIRS    DE    BALLET. 


LE    MARIAGE    D'UNE    ROSE 


5.  Mazurka 1  50    |    6.  Routons  de  roses,  staccato 1     »    |    7.   Adoration,  andante 1 

S.    Rose  de  France,  scherzetlo 2     »         |         '.).  Strette-Finale 1  50 


SUITE   DE  VALSES 
Net  :  2  francs 


MUSIQUE       DE 


RODOLPHE  BERGER 


GRANDE   POLKA 
Net  :  1  fr.  50 


N.   B.  —   S'adresser  au   MÉNESTREL,   2  bis,   rue   Vivienne,  pour  la  location  des  parties  d'orchestre 
de  la  mise  en  scène,  et  des  dessins  des  costumes  et  décors 

EN     PRÉPARATION     DES     TRADUCTIONS     ALLEMANDE     ET     ANOLAISE 


ie,  20, 


4020.  -  74e  ANNEE.  —  iV  13.        PARAIT  TOUS    LES   SAMEDIS  Samedi  If  Avril  1908. 

(Les  Bureaux,  2 bls,  rue  Vivienne,  Paris,  «•  an") 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LB 


ENESTREL 


Le  fluméfo  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEDGEL,     Directeur 


Le  Numéro  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henhi  HEUGKL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province. —  Texte  ot  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Eour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  ea  sas. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (10"  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine  théâ- 
trale :  première  représentation  de  Qui  qu'a  vil  Ninette,  au  Théâtre  Cluny,  A.  Bouta- 
rel.  —III.  Petites  notes  sans  portée:  L'appréhension  de  la  décadence  ou  la  superstition 
du  progrès,  Raymond  Bouter.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

ENTRACTE-GAVOTTE 

du  Chevalier  d'Èon,  opérette  nouvelle  de  Rodolphe  Berger  (poème   d'ÂRMAND 

Silvestre  et  Henri  Gain).   —  Suivra  immédiatement  la  mazurka  extraite  du 

ballet  (Le  Mariage  d'une  rose)  de  la  même  opérette. 


MUSIQUE  DE   CHANT 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
a  Lettre  de  Rosita,  chantée  dans  le  Chevalier  d'Éon,  l'opérette  nouvelle  de 
Rodolphe  Berger  (poème  d'ARMAND  S:lvestre  et  Henri  Cain).  —  Suivra 
immédiatement  :  La  Rêverie  de  la  Dubamj,  extraite  de  la  même  opérette. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 


CHAPITRE  IV 


V  O  YA GE      EN      ANGLETERRE 

De  fait,  ce  voyage  en  Angleterre,  qui  fut  un  échec  artistique, 
ne  fut  pas  sans  avoir  eu  une  influence  heureuse  sur  le  dévelop- 
pement de  l'esprit  de  Gluck.  A  défaut  d'un  succès  professionnel 
et  immédiat,  l'expédilion  eut  pour  lui  l'importance  d'un  voyage 
d'observations  et  d'étude.  Le  Bohémien  qu'il  était  continuait  à 
courir  le  monde,  mais  il  n'y  passait  pas  en  indifférent.  Resté  en 
Italie,  il  se  fût  engourdi  en  continuant  à  satisfaire  les  dilellanli  : 
quand  il  en  fut  sorti,  il  s'aperçut  qu'il  y  avait  d'autres  lieux  sur 
terre  que  les  opéras  de  Milan  et  de  Venise,  d'autres  êtres  humains 
que  les  castrats  et  les  prims  donne.  Et  voici  que  chez  un  peuple 
moins  musicien  il  trouvait  des  exemples  d'un  art  plus  sévère,  et 
manifestement  plus  durable.  Put-il  rester  insensible  à  la  beauté 
sereine,  grave  et  forte,  des  chants  de  Haendel  ?  Les  opéras  anglais 
d'Ame,  de  leur  côté,  lui  offraient  d'autres  modèles  et  pouvaient 
l'aider  à  fixer  sa  pensée  déjà  hantée  par  l'idée  de  «  la  noble  sim- 
plicité ».  Du  même  Arne,  il  entendit  sans  aucun  doute,  en  cette 
année  où  le  sentiment  patriotique  du  peuple  anglais  eut  tant 
d'occasions  de  se  surexciter,  le  chant  national,  presque  alors 
dans  sa  nouveauté  :  Raie  Britannia;  ne  doutons  pas  qu'il  ait  res- 
senti encore  une  vive  impression  de  cet  hymne  aux  lignes  pré- 


cises, non  sans  raideur,  mais  où  vibre  un  enthousiasme  latent, 
et  qui  sonne  comme  un  chant  de  trompette.  C'était  un  spécimen 
de  plus  à  ajouter  aux  «  ballades  anglaises  »,  dont  Barney  veut 
qu'il  ait,  dans  ses  œuvres  postérieures,  retrouvé  la  naïveté. 

Il  ne  faut  pas  oublier  enfin  qu'il  venait.de  faire  un  assez  long 
séjour  en  France,  sans  avoir  eu  d'autre  occupation  que  de  regarder 
et  d'écouter.  Outre  que,  là  encore,  il  avait  constaté  l'existence 
d'une  musique  autre  que  celle  de  l'opéra  italien,  il  avait 
surpris  au  passage  certaines  prédispositions  de  l'esprit  français 
qui  étaient  bien  pour  le  faire  réfléchir.  Si,  par  exemple,  il  alla 
au  Théâtre-Français,  il  put  entendre  le  misanthrope  critiquer  le 
mauvais  style  du  sonnet  d'Oronte,  «  ce  style  figuré  dont  on  fait 
vanité  »,  et  «  la  pompe  fleurie  de  tous  ces  faux  brillants  où 
chacun  se  récrie  »,  traiter  cela  de  «  colifichets  dont  le  bon  sens 
murmure  »,  et  y  préférer  la  vieille  chanson  où  la  passion  «  parle 
toute  pure  ».  La  vieille  chanson  !  N'avait-il  pas  toujours  pré- 
sente à  la  mémoire  celle  de  la  Bohème,  —  en  attendant  qu'il 
apprit  à  connaître  les  ballades  anglaises?  Quant  aux  «  colifi- 
chets», en  était-il  de  pires  que  ces  airs  à  roulades,  uniquement 
destinés  à  satisfaire  la  vanité  des  virtuoses  et  «  le  méchant  goût 
du  siècle  »  ?  Alceste  disait  encore  :  «  Ce  n'est  point  ainsi  que  parle 
la  nature  ».  La  naturel  Gluck  n'avait  jamais  entendu  parler 
de  cela  dans  les  écoles  où  il  avait  été  élevé.  Et  pourlant,  le  mot 
allait  être  bientôt  répété  par  tous  les  gens  capables  de  penser, 
et  lui-même  était  des  mieux  aptes  à  en  comprendre  le  sens. 
Homme  du  dix-huitième  siècle,  pendant  que  les  écrivains  et 
les  philosophes  suivaient  une  voie  parallèle,  il  était,  lui,  le  mu- 
sicien prédestiné  à  prendre  la  nature  pour  principe  de  son  art. 
Il  y  songeait  déjà  obscurément. 

Mais  que  d'obstacles  il  devait  trouver  devant  lui  !  Ces  vains 
artifices  de  virtuosité,  cet  arbitraire  de  conventions  passées  à 
l'état  de  dogmes,  il  lui  faudrait  d'abord  renverser  tout  cela!  Que 
pouvait-il,  à  lui  seul,  contre  de  telles  forces  de  résistance? 
D'abord,  il  fallait  vivre,  et  aussi  conquérir  le  succès,  —  fut-ce 
dans  un  genre  faux,  —  afin  d'avoir  l'autorité  nécessaire  pour  faire 
ensuite  triompher  la  cause. 

Nous  allons  donc  voir  Gluck,  pendant  vingt-huit  ans  encore, 
s'appliquer  à  préparer  cette  conquête.  A  quelles  compromissions 
il  fut  obligé  de  céder  pour  parvenir  à  ses  fins,  c'est  ce  dont  son 
séjour  en  Angleterre  va  nous  donner  un  premier  exemple.  Des 
concerts  furent  donnés,  où  l'on  exécuta  sa  musique  :  l'ouverture 
de  la  Caduta  de'  Giganti  (perdue),  et  des  airs  du  même  opéra  (1). 

(1)  Voici,  d'après  le  General  Advertiser,  le  programme  d'un  de  ces  concerts  : 
Entertainment  of  Vocal  and  Instrumentai.  Misic 
Overture  Délia  Caduta  de  Giganti,  compOs'd  by  Signor  Gluck. 
Airs  :  Care  Pupille. 
Volgo  Dubbioso. 
Pensa  clie  il  cielo  tréma 
front  that  opéra. 
Ce  concert  est  annoncé  dans  sept  numéros  du  General  Advertiser,  depuis  le  11  mars 


114 


LE  MÉNESTREL 


Mais  voici  de  quoi  nous  surprendre  :  tandis  que  se  poursuivaient 
les  répétitions  d'Artamène,  les  journaux  annoncèrent  sa  participa- 
tion à  un  concert  en'  les  termes  suivants  : 

Dans  la  grande  salle  de  Mr.  Hickford,  Brewer's  street,  le  mardi 
44  avril,  M.  Gluck,  compositeur  d'opéras,  donnera  un  concert  de  mu- 
sique avec  les  meilleurs  acteurs  de  l'Opéra  ;  particulièrement  il  créditera, 
accompagné  par  l'orchestre,  un  Concerto  pour  26  verres  à  boire  accor- 
dés par  l'eau  de  source:  c'est  un  nouvel  instrument  de  sa  propre  inven- 
tion, sur  lequel  on  peut  exécuter  ce  qui  peut  être  joué  par  le  violon  ou 
le  clavecin.  Il  espère  satisfaire  ainsi  les  curieux  et  les  amateurs  de 
musique  (1). 

Un  concerto  pour  verres  à  boire  !  On  a  vu  cette  prouesse  re- 
nouvelée de  nos  jours  par  des  virtuoses  de  spectacles  forains  ; 
et  l'on  raconte  que  Rossini,  ayant  été  invité  à  venir  entendre 
ses  œuvres  ainsi  transcrites,  s'en  revint  en  disant  :  «  Je  viens 
d'entendre  mon  ouverture  de  Guillaume  Tell  joliment  rincée.  » 
Gluck  «  rinça  »  donc  aussi  sa  musique  avec  accompagnement 
d'orchestre.  Peut-être  même  il  récidiva,  car  le  même  concert 
fut  annoncé  de  nouveau,  le  19  avril,  «  à  la  demande  de  personnes 
de  qualité,  dans  la  salle  du  Petit-Théâtre  de  Hay-Market  »  (2). 

Mais  comment  s'étonner?  Le  public  n'a-t-il  pas  toujours  re- 
gardé l'art  comme  un  amusement,  et  les  artistes  comme  ses 
jouets  ?  Rappelons-nous  Lulli  jouant  Pourceaugnac,  et,  à  la 
course  des  apothicaires,  défonçant  un  clavecin  sous  le  poids  de 
sa  chute,  pour  dérider  le  roi.  Un  poète  faisait  au  grand  Corneille, 
déjà  auteur  du  Cid,  ce  beau  compliment  :  »  Et  que  ta  bonne  hu- 
meur ne  se  lasse  jamais!  »  L'on  avait  vu  jadis  Roland  de  Lassus, 
à  la  cour  de  Bavière,  organiser  des  mascarades  et  y  prendre 
part  en  personne;  et  le  premier  de  la  lignée  des  Bach,  Hans, 
arrière-grand'père  de  Jean-Sébastien,  s'était  fait  la  réputation 
du  musicien  ■<  qu'on  ne  peut  entendre  sans  rire  »  ;  son  portrait, 
conservé  par  Philippe-Emmanuel,  le  représente  en  costume 
burlesque,  agitant  les  grelots  de  la  Folie  !  Il  fallait  en  passer 
par  là  dans  ce  temps,  pour  avoir  le  succès.  Et  Gluck  voulait  le 
succès  :  cela  lui  était  nécessaire. 

Au  reste,  la  variété  de  ses  ressources  lui  permettait  de  ne  pas 
rester  trop  longtemps  à  ce  degré  d'infériorité.  Nous  allons  le 
voir  maintenant  devenir  auteur  de  sonates  :  ce  sera  mieux.  Il 
avait  trouvé  à  Londres  un  éditeur  pour  faire  paraître  les  airs 
favoris  de  ses  opéras  :  il  s'en  présenta  un  second  qui  ne  craignit 
pas  de  publier  six  sonates  de  sa  façon,  pour  deux  violons  et 
basse  (3).  Avec  cette  production  nouvelle,  l'art  de  Gluck  va  nous 
apparaître  sous  un  aspect  encore  différent.  N'y  comptons  pas 
trouver  la  révélation  d'un  génie  inconnu  :  quelle  que  soit  la 
diversité  de  son  effort,  il  reste  toujours  le  maître  de  la  tragédie 
lyrique,  et  rien  autre.  Mais  il  n'en  est  pas  moins  intéressant  de 
savoir  de  quelle  manière  il  s'est  essayé  à  la  pratique  de  la  mu- 
sique pure.  De  fait,  ces  sonates  sont  manifestement  des  essais 
d'écolier,  un  écolier  des  mieux  doués,  certes,  et  très  soucieux 

jusqu'au  25,  jour  rnème  du  concert.  Cf.  dans  Wotquexne,  Catalogue  Gluck,  p.  191, 
l'annonce  d'un  programme  de  concert  presque  identique,  pour  le  11  mars,  d'après  le 
Daily  Advertiser.  Il  est  probable  qu'il  s'agit,  comme  dans  le  cas  précédent,  de  la 
première  annonce  du  même  concert,  qui  n'eut  lieu  que  le  25.  —  M.  Schedlock,  en 
m'adressant  cette  communication,  ajoute  que  la  mention  du  nom  de  Gluck  faite  à 
l'occasion  de  ce  concert,  comme  auteur  de  l'ouverture  de  la  Cadula  de'  Giganti,  est 
la  seule  qu'il  ait  trouvée  dans  les  journaux  du  temps;  partout  ailleurs  les  représen- 
tations de  ses  opéras  sont  annoncées  sans  qu'il  soit  nommé. 

(1)  Daily  Advertiser  du  31  mars  1746,  d'ap.  Wotquenke,  Cat.  de  Gluck,  p.  191, 
note  1. 

(2)  Wotqdenne,  loc.  cit.  —  M.  Schedlock  me  fait  observer  que  le  General  Advertiser 
annonce,  de  même  que  le  Dailij  Advertiser,  le  concert  de  Gluck  pour  le  U  avril,  mais 
seulement  dans  son  numéro  du  31  mars,  et  cette  annonce  ne  fut  pas  répétée  les  jours 
suivants;  il  pense  donc,  non  sans  apparence  de  raison,  en  pouvoir  conclure  que  ce 
concert  n'eut  pas  lieu  et  qu'il  fut  remis  à  une  date  ultérieure  (23  avril).  En  effet,  le 
même  journal  annonce  cet  autre  concert  dans  ses  numéros  des  19,  22  et  23  avril  (ce 
dernier  pour  le  jour  même),  indiquant  pour  local  The  Utile  Théâtre  in  the  Uaymarkel. 
Gluck  n'aurait  donc  donné  à  Londres  qu'une  seule  audition  de  sa  musique  pour 
verres  à  boire. 

(3)  Six  Sonatas  for  Iwo  Violins  and  a  thorougli  Bass  composed  by  Sig'  Gluck  composer 
(O  the  Opéra,  London,  Simpson.  Ces  sonates  ont  été  rééditées  dernièrement  en  Alle- 
magne, et  ont  pris  place  dans  la  collection  dite  Collegïiim  musicum,  sous  le  titre 
inexact  de  trios,  et  avec  l'addition,  non  d'une  réalisation,  mais  d'un  accompagne- 
ment de  piano  dont  l'indiscrétion  et  l'importunité  ôteraientà  la  composition  originale 
tout  son  caractère  propre,  si  les  exécutants  n'avaient  la  faculté  de  le  supprimer 
complètement,  ce  qui  est  certainement  leur  devoir  strict. 


de  bien  faire,  mais  qui  cherche  sa  voie.  S'il  est  une  partie  de 
son  œuvre  où  l'influence  de  Sammartini,  son  maitre  de  Milan, 
se  fasse  sentir,  c'est,  bien  plus  que  ses  opéras,  cette  production 
de  sa  jeunesse  qui  la  révèle  :  aussi  énoncerais-je  volontiers  l'hy- 
pothèse que  ces  sonates,  éditées  à  Londres  en  1746,  étaient 
apportées  d'Italie,  composées  depuis  longtemps  peut-être,  comme 
exercice  pratique  pour  la  préparation  à  l'art  d'écrire. 

Les  six  sonates  sont  coulées  clans  le  même  moule,  uniformé- 
ment divisées  en  trois  parties,  savoir  :  1°  un  mouvement  lent 
et  grave;  2°  un  allegro;  3°  un  menuet.  Chaque  partie  se  partage 
elle-même  en  deux  reprises,  la  première  s'achevant  sur  une 
cadence  à  la  dominante  ou  au  relatif,  la  seconde  aboutissant  à 
la  tonique  :  forme  déjà  archaïque  au  milieu  du  XVIIIe  siècle, 
plus  italienne  qu'allemande,  rappelant  plutôt  Corelli  que  Bach, 
et  qui  laisse  vraiment  trop  peu  de  prise  à  l'invention.  L'on  re- 
marquera dans  ce  plan  l'absence  de  l'andante  dont  la  place  est 
toujours  réservée  au  milieu  des  sonates  classiques,  commenças- 
sent-elles par  une  introduction  lente.  Les  morceaux  sont  peu 
développés.  C'est,  en  somme,  une  musique  d'école,  où  le  souci 
des  artifices  du  contrepoint  et  du  développement  selon  les  règles 
l'emporte  sur  celui  de  l'invention  thématique  et  de  l'expression. 
Les  deux  violons  sont  presque  toujours  disposés  en  réponses  à 
la  quinte  ou  à  l'unisson.  Dans  un  menuet  (celui  de  la  première 
sonate),  ils  marchent  en  canon  d'un  bout  à  l'autre  du  morceau. 
Les  thèmes  ont  souvent  la  futilité  des  broderies  italiennes;  on 
pourrait  à  bon  droit  leur  adresser  le  même  reproche  qu'à 
Sammartini  :  trop  de  notes,  trop  de  turbulence  et  d'extériorité. 
Pourtant  on  sent  parfois  une  nature  inventive,  une  imagination 
chaleureuse  et  dont  les  ressources  sont  variées.  Malgré  leur 
identité  de  formes,  ces  six  sonates  ne  se  ressemblent  pas, 
car  ce  que  l'auteur  y  a  mis  de  lui-même  les  diversifie.  L'une 
développe  un  motif  chromatique,  traité  avec  un  soin  qui  sent 
bien  son  jeune  compositeur  ;  elle  se  continue  par  un  allegro 
d'un  bon  style  classique,  où  le  génie  allemand  ne  peut  s'empê- 
cher de  transparaître  malgré  tout.  Une  autre  commence  par  un 
gracieux  six-huit  qui  évoque  déjà  la  pensée  de  Mozart.  D'autres 
enfin  sont  construites  sur  les  dessins  d'opéras  bouffes  comme  il 
s'en  trouve  à  profusion  dans  Pergolèse,  clans  Léo,  dans  Jomelli. 

Ainsi,  toujours  cherchant  sa  voie  en  faisant  des  incursions 
dans  les  domaines  les  plus  divers,  Gluck  passa  ce  temps  de  sa 
vie,  dix-huit  mois  environ,  durant  lesquels  il  fut  éloigné  de 
l'Allemagne,  son  pays  natal,  et  de  l'Italie,  qui  semblait  être  de- 
venue sa  patrie  d'adoption.  S'il  ne  put  rapporter  de  cette  cam- 
pagne le  souvenir  d'un  triomphe,  du  moins  n'y  perdit-il  pas  ses 
peines.  Ce  fut  pour  lui  une  époque  de  méditations  et  d'épreu- 
ves :  elle  compte  pour  beaucoup  dans  l'évolution  de  sa  pensée 
et  de  son  génie  ;  les  réflexions  qu'il  y  fit  nous  ont  valu  sans  doute 
les  chefs-d'œuvre  futurs. 

L'achèvement  de  la  season  mit  fin  à  ces  occupations  diverses. 
Gluck  reprit  la  mer  pour  revenir  sur  le  continent.  Vers  la  fin 
de  1746,  il  débarqua  à  Hambourg. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SEMAINE  THÉÂTRALE 


Tuéatre  de  Cluny.  —  Première  représentation  de  Qui  qu'a  vu  Ninelle?  vaude- 
ville-opérette en  trois  actes  et  quatre  tableaux,  de  MM-.  Jules  Oudot  et  Jean 
Drault,  musique  arrangée  par  M.  Lebailly. 

Cette  pièce  a  répandu  toute  la  soirée  une  franche  gaité  sur  la  salle 
entière.  Emaillée  de  couplets  lestement  conduits  sur  des  airs  d'opé- 
rettes célèbres,  comportant  aussi  de  petits  finals  anodins,  elle  sollicite 
le  spectateur  sans  le  violenter  et  le  divertit  avec  une  variété  de  moyens 
constamment  renouvelée  ;  rien  ne  choque  ici,  ni  situations  risquées, 
ni  fâcheux  équivoques,  ni  mots  malsonnants  :  nous  sommes  égayés 
par  une  aventure  des  plus  banales,  dont  les  suites  sont  présentées 
avec  une  toute  cordiale  bonhomie  et  un  sens  du  pittoresque  parisien 
des  plus  réjouissants. 

La  pâtisserie  Bouriquet.  rue  du  Faubourg-Poissonnière,  est  aujour- 


LE  MENESTREL 


iio 


d'hui  plus  animée  que  de  coutume  ;  c'est  le  jour  du  concours  d'opéra- 
comique  au  Conservatoire  de  musique,  jour  qui  doit  décider  de  la  des- 
tinée de  Ninette  Bouriquet,  élève  de  la  classe  de  M.  Isnardou.  Si  elle 
manque  son  premier  prix,  sa  famille  la  donnera  en  mariage  au  mitron 
Hildefonse;  si  elle  revient  lauréate  du  concours,  son  père  lui  laissera 
suivre  la  carrière  théâtrale.  Mais  voici  Ninette  ;  elle  entre  en  coup  de 
vent,  furieuse  de  n'avoir  pas  obtenu  de  prix.  Des  couplets  piquants 
nous  révèlent  quelles  furent  les  causes  de  sa  mésaventure  ;  elle  a  péché 
par  excès  de  réserve  pendant  les  visites  qu'elle  a  faites  aux  membres  du 
jury;  ils  se  sont  vengés  de  son  attitude  vertueuse  en  lui  préférant  une 
rivale.  Partageant  l'indignation  de  sa  fille,  la  mère  chante  à  son  tour 
une  chanson  bouffonne  sur  l'air  du  sabre  de  la  Grande  Duchesse.  Trois 
protecteurs  de  la  jeune  fille  prennent  fait  et  cause  pour  elle  dans  un 
rataplan  expressif:  Viennent  ensuite  les  strophes  du  roi  Wladimir  XIX 
de  Thérapie,  suivies  d'un  quatuor  espagnol  et  du  final  de  l'enlèvement. 

Ce  prince  Wladimir  XIX  s'ennuie  prodigieusement  à  Paris,  et  nous 
le  dit  sans  euphémismes;  après  avoir  promené  sa  neurasthénie  dans 
tous  les  bouges,  lassé  de  sa  vie  dissolue,  il  veut  un  oiseau  rare,  une 
divette  de  théâtre,  mais  irréprochable  comme  l'héroïne  française 
Jeanne  d'Arc.  Son  premier  ministre  doit  lui  procurer  cette  merveille,  à 
laquelle  il  offrira  sa  main  et  son  trône.  Ninette  est  tout  indiquée  dans 
la  circonstance,  ayant  manqué  son  prix  par  excès  de  vertu.  Il  faut  seu- 
lement la  faire  débuter  sur  une  scène  parisienne,  et  c'est  dans  ce  but 
qu'on  l'a  soustraite  à  la  pâtisserie  familiale  par  un  enlèvement  en  auto. 
Précisément  le  théâtre  de  Cluny,  où  doit  avoir  lieu  la  première  repré- 
sentation de  l'opérette  anglaise  Ta  Girl,  Bébé,  vient  de  perdre  l'étoile  de 
sa  troupe.  Ninette,  mise  à  l'épreuve,  chante  son  morceau  de  concours, 
un  air  de  Manon.  Le  régisseur  émerveillé  l'engage  séance  tenante. 

Elle  débute  en  effet,  ce  qui  nous  procure  l'avantage  de  voir,  pendant 
tout  un  acte,  une  parodie  joyeuse  d'opérette  anglaise,  avec  trucs  de 
scène,  clowneries,  tours  de  passe-passe,  machineries  féeriques  et  mu- 
sique appropriée.  Mais  la  représentation  de  cette  parodie  est  double- 
ment troublée  :  d'abord  par  le  roi  Wladimir,  qui,  dans  une  avant- 
scène,  déclare  son  amour  à  la  prima  donna  Ninette,  ensuite  par  trois 
spectateurs  des  fauteuils  qui  invectivent  terriblement  la  pauvrette.  Ce 
sont  les  époux  Bouriquet  et  le  mitron  Hildefonse.  Exaspérés,  ils  finis- 
sent par  envahir  la  scène  ;  alors  le  chef  machiniste  fait  s'ouvrir  sous 
leurs  pas  des  trappes  de  plancher  et  ils  disparaissent  dans  les  dessous 
comme  des  dieux  de  féerie. 

Au  troisième  acte,  tout  le  monde  se  retrouve  au  bal  Tabarin  et 
l'accord  se  fait  d'une  façon  touchante.  Wladimir  demande  à  Bouriquet 
la  main  de  sa  fille.  Ninette  sera  reine,  et  Bouriquet,  pourvu  de  titres 
de  noblesse,  fera  figure  à  la  cour.  M.  Fallières  donnera  les  palmes 
académiques  à  Hildefonse,  pour  le  dédommager  d'avoir  perdu  sa  fiancée. 

MUe  Reine  Leblanc,  qui  a  passé,  dit-on,  par  le  Conservatoire,  a  chanté 
très  gentiment  et  bien  tenu  son  personnage  ;  Mme  Franck-Mel,  en  mère 
d'élève,  a  eu  beaucoup  de  succès  ;  Mlle  Ethel  a  parodié  un  jeune 
Anglais  amoureux  avec  une  aimable  désinvolture.  M.  Hamilton,  vieux 
beau  ;  M.  Lureau,  pâtissier  comiquement  vulgaire  ;  M.  Geo,  acrobate 
excentrique;  M.  Saulieu,  prince  d'opérette;  M.  Kovai,  mitron,  et 
MM.  Perret,  Mari,  Remongin,  Marius,  Mmes  Chrysias,  Darcia.  Hai- 
mard,  Benda,  Limery...  ont  constitué  une  interprétation  parfaitement 
bonne  dans  l'ensemble  et  excellente  de  la  part  des  premiers  rôles.  La 
musique,  sans  prétention  aucune,  a  remplacé  avantageusement  les 
plates  facéties  au  milieu  desquelles  se  traînent  tant  de  vaudevilles 
depuis  des  années.  Celle  de  la  Bous-Bous-Mee,  au  quatrième  tableau, 
est  de  M.  Borel-Clerc.  Le  reste  consiste  en  emprunts  à  des  ouvrages 
connus.  La  mise  en  scène  est  jolie.  Le  succès  a  été  très  vif  et  très 
spontané.  Il  ne  peut  manquer  de  se  maintenir. 

A.MÉDÉE    BOUTAREL. 


PETITES   NOTES   SANS   PORTÉE 


CXXXII 

L'APPRÉHENSION  DE  LA  DÉCADENCE  OU  LA  SUPERSTITION 

DU  PROGRÈS  (1). 

A  notre  grand  poète, 
5fme  Lucie  Delarue-Mardmts. 

Ce  sera  notre  conclusion  de  ce  grand  sujet  ! 

Une  petite  remarque,  un  document  inaperçu  sur  l'orchestration  des 
maitres,  à  propos  de  Beethoven  et  du  paysage  si  sobrement  nuancé 
de  la  Pastorale,  a  réveillé  tout  un  monde  d'embarrassantes  questions 

(1)  Voir  le  Ménestrel  des  11  et  25  janvier  1908;  et,  plus  spécialement,  sur  YÉvolution 
de  Vorehestre,  les  n"  des  15  février,  7,  21  et  28  mars. 


sur  l'Évolution  de  l'orcliestre.  Et  délaissant  pour  une  saison  le  problème 
plus  étendu  de  la  physionomie  de  la  Musique  où  l'auteur  se  reflet!  in- 
consciemment dans  son  œuvre,  nous  n'avons  pas  craint  d'évoquer 
devant  nos  lecteurs  les  transformations  subies  par  L'orchestre  des  temps 
modernes  depuis  Monteverde,  pendant  trois  siècles,  en  essayant  de 
noter  au  passage  les  influences  inégalement  réciproques 
sur  la  technique  et  de  la  technique  sur  l'expression,  de  l'orchestre  sur 
la  littérature  et,  d'abord,  de  la  littérature  sur  l'orchestre. 

En  effet,  vaguement  littéraire  ou  strictement  musicale,  c'est  presque 
toujours  l'évolution  psychologique  qui  devauce  l'évolution  matérielle 
et  qui  la  conduit:  au  théâtre,  au  concert  même,  le  choix  d'un  livret  ou 
d'une  poésie  fugitive  est  révélateur;  interrogez  Mozart  et  sou  Don  Juan, 
ce  chef-d'œuvre  de  «  romantisme  »,  au  gré  d'Eugène  Delacroix  !  Mais 
l'inlluence  expressive  de  l'àme  ou  de  la  littérature  ambiantes  ne  se 
manifeste  pas  moins  sur  le  secret  de  la  pure  musique  orchestrale  et  du 
moderne  «  poème  symphonique  »  :  après  Beethoven,  après  Weber, 
après  Berlioz,  elle  éclate  chez  Liszt,  le  plus  Littéraire  des  musiciens, 
fiévreux  interprète  du  romantisme  de  notre  Oberm/mn  ut  de  nos  plus 
grands  poètes  français.  Toutefois,  cette  prépondérance  livresque  n'esi 
point  le  monopole  du  virtuose  échevelé  des  sonorités  :  une  épigraphe 
la  révèle  à  la  première  page  des  Heures  Dolentes  de  Gabriel  Dupont, 
aussi  nettement  que  les  paroles  dans  une  mystérieuse  mélodie  de 
Gabriel  Fabre;  et  Maeterlinck  ou  "Verlaine  ont  remplacé  les  poètes 
laurés  du  Parnasse  dans  le  souci  des  jeunes.  Depuis  l'intimité  pianis- 
tique  du  Poème  des  Montagnes  jusqu'au  poème  orchestral  des  Souvenirs, 
une  même  pensée,  tout  intérieure,  élève  le  savoir  franrais  de  Vincent 
d'Indy.  «  Dis-moi  qui  tu  mets  en  musique,  et  je  te  dirai  qui  tu  es...  » 

Et,  parmi  tant  de  problèmes  béants,  un  sphynx  malicieux  s'est  permis 
de  nous  demander  si  la  composition  présente  de  l'orchestre  se  modi- 
fierait bientôt...  Chi  lo  sa?  Notre  modeste  enquête  n'a  pu  qu'observer 
une  sorte  de  régression,  sinon  de  réaction,  contre  l'abus  ou  l'excès  de 
la  richesse;  écouter  Fauré,  puis  Debussy,  qui  «  tintent  d'argent  à  côté 
des  ors  décoratifs  de  Wagner;  après  l'automne  empourpré,  constater 
la  longue  indécision  d'un  hiver  frileux,  ultima  Thu/e...  *  La  peur  de 
l'emphase  »,  comme  nous  l'a  démontré  récemment  Aurel  !  (1).  Il 
devient  de  bon  ton  de  répudier  tout  lyrisme.  Et  nos  snobs  emboitent  le 
pas  neigeux  des  ironistes  qui  ne  veulent  plus  «  hurler  avec  les  loups  »  : 
compositeurs,  exécutants  mettent  la  sourdine;  à  force  d'être  exigeantes, 
l'oreille  et  l'àme  contemporaines  ne  pourront  plus  tolérer  que  la  mu- 
sique du  silence... 

—  Oubliez-vous  Richard  Strauss  ? 

—  Pas  le  moins  du  monde  !  Et  l'ardente  Symphonie  domestique  évoque 
plutôt  un  ménage  bruyant,  que  dis-je  ?  «  une  vie  de  héros!  ù  Mais,  ici, 
Paul  Dukas,  l'architecte  indépendant  de  la  belle  Symphonie  en  ut,  sem- 
ble à  peu  près  le  seul  à  s'affranchir  d'un  Debussysme  envahissant.  Et 
la  dernière  question  ne  nous  fait  pas  grâce  :  Est-ce  un  progrès  ?  Où 
donc  est  le  progrès  ?  Et  faudra-t-il  éternellement  progresser?  Tout  pro- 
grès matériel  ne  contiendrait-il  pas,  au  contraire,  un  germe  de  déca- 
dence idéale  ? 

Décadence  ou  progrès,  —  l'Évolution  de  l'orchestre,  comme  toute 
humaine  évolution,  peut  être  envisagée  sous  ces  deux  points  de  vue  ; 
et  revoici  les  deux  avocats  qu'un  peintre  intelligent  (2)  entendait  au 
fond  de  toute  cause.  Opposition  fatale  !  N'est-ce  pas  l'Absolu  toujours 
aux  prises  avec  le  Relatif  ? 

Les  doctrinaires  se  présentent  d'abord.  Écoutons-les  :  «  Le  Beau  ne  se 
trouve  qu'une  fois  »,  écrivait  M.  Ingres...  non  point,  mais  Delacroix 
versatile  et  puriste,  alors  qu'il  prêtait  l'oreille  aux  déductions  de  son 
dogmatique  ami  Chenavard  :  et  Marie  Bashkirtseff,  en  artiste,  a  pres- 
senti, dans  son  Journal,  que  la  beauté  de  l'Acropole  fut  l'éclat  d'un 
moment  qui  ne  se  retrouvera  plus  jamais...  Gluck,  de  même,  au 
théâtre,  en  Tragique  exilé  d'Athènes,  et  Beethoven,  Apollon  sourcil- 
leux des  neuf  Muses  symphoniques,  ont  atteint  cette  heure  de  perfec- 
tion souveraine  où  la  sobriété  s'impose  à  la  puissance  :  et  ce  n'est 
qu'exceptionnellement  que  leurs  drames  ou  leurs  symphonies  recou- 
rent à  la  voix  olympienne  des  trombones.  Que  dire  après  eux  ?  Com- 
ment mieux  dire  ?  Or,  voici  l'antique  lance  de  Wotan  qui  s'embusque 
afin  d'arrêter  le  jeune  glaive  de  Siegfried... 

De  peur  d'être  dupes,  les  vieux  amis  du  Beau  se  méfient  de  toute 
innovation  violente  ou  mystérieuse.  Ou  bien,  de  crainte  d'être  injuste, 
on  admet  assez  aveuglément  toutes  les  nouveautés:  on  admire  toute 
innovation  confondue  avec  l'originalité,  pourtant  très  différente  :  on 
voit  partout  des  personnalités;  on  découvre  du  génie  partout,  jusqu'en 

(1)  M""  Alfred  Mortier,  dans  une  spirituelle  réponse  à  la  causerie  de  M.  Alfred 
Mortier  sur  le  snobisme  musical  et  la  nouvelle  école  (Concert-Rou^e,  les  7  et  21  fé- 
vrier 1908). 

(2)  Le  mélomane  Eugène  Delacroix,  dans  ses  Agendas. 


416 


LE  .MÉNESTREL 


soi-même...  Compositeur,  on  voudrait  dépasser  Wagner,  ou  se  distin- 
guer discrètement  aux  antipodes  ;  auditeur,  exécutant,  on  n'a  de  goût 
que  pour  le  rare,  le  subtil  :  vive  le  progrès  !  Tout  ce  qui  est  nouveau, 
par  cela  seul,  parait  beau;  les  génies  furent  contestés  :  donc,  tout 
novateur  que  l'on  conteste  est  un  génie.  En  vertu  de  ce  beau  raisonne- 
ment d'avant-garde,  on  monte  dans  tous  les  trains  où  il  est  décent 
d'être  vu,  car  la  vanité  s'en  môle  et  corrobore  l'appréhension  d'une 
injustice.  Ailleurs,  nous  avons  déjà  dit,  sans  arrière-pensée,  comment 
le  philistin  s'est  fait-snob  (1)... 

Or,  n'est-ce  pas  la  môme  évolution  réelle  qui  revêt,  dans  le  prisme 
humain  des  cerveaux,  les  deux  aspects  contrastés  de  la  décadence  ou  du 
progrès  ?  D'une  part,  des  remords  et  des  regrets,  le  «  remords  du  passé  », 
le  regret  de  l'ordre  et  des  «  belles  époques  »  ;  —  de  l'autre,  des  ova- 
tions sans  fin  pour  la  richesse  acquise  et  pour  tous  les  tons  inédits  de 
la  palette  orchestrale!  Bravo,  le  Debussy  déchaîné  de  la  Mer,  bravo  le 
Richard  Strauss  de  la  Sa/ome  récente  ou  de  la  prochaine  Electra!  Bee- 
thoven ou  Wagner,  ces  anciens,  ne  soupçonnaient  pointchose  pareille... 
Et  le  progrès  bruyant  nous  enivre. 

On  retrouverait  partout  ce  duel  d'opinions,  car  il  réside  à  la  hase 
même  de  l'Esthétique.  Même  dualité  de  vues  sur  l'art  grec  :  autrefois, 
on  nejuraitquepar  leconwi  de  Polyclôte,  par  la  froideur,  qu'on  croyait 
immuable  autant  qu'absolue,  d'un  profil;  dorénavant,  on  est  tout  près 
de  ne  voir  dans  la  régularité  du  dogme  hellénique  qu'un  moment  de 
l'histoire  de  l'art,  incessamment  modifié  lui-même,  et  peut-être  dépassé 
par  la  moderne  expi-ession.  L'histoire  mieux  approfondie  a  «  déplacé  » 
nos  jugements  :  aucun  Winckelmann  ne  croit  plus  à  l'Absolu,  qu'il 
veuille  rayonner  sur  l'acropole  dorienue  d'Athènes  ou  sur  la  colline 
sonore  de  Bayreuth... 

L'antinomie  est-elle,irréductible?Il  faudrait,  en  tous  cas,  pour  tenter 
la  conciliation,  l'espace  d'un  livre,  d'une  thèse,  ou  plutôt  l'art  cérébral 
d'un  Lichtenberger.  d'un  Bergson  !  Nos  auditeurs,  plus  rassis,  se  trou- 
vent simplement  partagés  entre  la  crainte  judicieuse  d'être  dupes  et  de 
tomber  dans  chacun  des  panneaux  que  la  roublardise  contemporaine 
offre  au  snobisme,  —  ou  la  peur  inavouée  de  paraître  bourgeois  en 
méconnaissant  le  progrès. 

Le  progrès!  On  le  voit  partout,  on  ne  trouve  plus  d'autre  mot  ;  c'est 
l'entité  qui  survit  à  tous  les  dogmes.  On  ne  s'imagine  pas  assez  volon- 
tiers que  le  changement,  beaucoup  mieux  que  le  progrés,  est  la  loi  de 
l'art  qui  fait  partie  de  la  vie;  ou  semble  oublier  que  l'art,  comme  le 
mot,  est  «  un  être  vivant  »  : 

La  main  du  songeur  vibre  et  tremble  en  l'écrivant... 
Et  n'est-ce  pas  cotte  loi  fondamentale  des  contrastes  qui  fait  succé- 
der insensiblement  le  murmure  au  tapage,  la  précision  constructive  au 
flou  de  l'impressionnisme  et  la  ligne  renaissante  à  la  couleur  épuisée  ? 
De  Wagner,  qu'on  brûle,  ou  de  Rameau,  qu'on  adore,  lequel  eut  rai- 
son?— Peut-être  bien  chacun  d'eux,  mais  à  son  heure...  Le  grand 
Gluck,  qui  transportait  la  romantique  jeunesse  de  Berlioz,  apparaît 
solennellement  glacial,  comme  David  ou  M.  Ingres,  à  nos  Debussystes. 
adorateurs  très  imprévus  de  Mozart:  affaire  de  perspectives  et  de  points 
de  vue  !  Tout  passe  et  tout  change,  et  seule  demeure  la  magistrale  pro- 
bité du  sentiment.  Gluck  et  Phidias  brillent  immortels,  au-dessus  du 
brouillard  des  temps,  comme  un  éclair  d'absolu  :  car  leur  àme  altiôre 
a  trouvé  sa  forme  impérissable  ;  malgré  les  progrés  du  coloris,  la  Pas- 
torale de  Beethoven  est  encore  la  reine  des  interprétations  de  la  nature, 
au  même  titre  profond  qu'un  paysage  obscurci  du  Poussin.  Oui,  Ber- 
lioz le  coloriste  avait  raison  de  laisser  «  les  moyens  matériels  »  à  leur 
place,  qui  ne  sera  jamais  la  première. 

Au  même  concert  de  l'année,  après  avoir  applaudi  l'essor  vertigi- 
neux par  où  Richard  Strauss  évoque  la  Transfigura/ion  dans  la  Mort,  il 
nous  est  arrivé  de  tressaillir  davantage  à  l'ingénuité  du  concerto  en  sol 
(op.  58)  de  Beethoven,  merveilleux,  en  effet,  toujours,  par  la  sobre 
émotion  qu'il  exhale  ;  et  ce  jeune  centenaire  de  1806  a  gardé  sa  verdeur 
auprès  des  colosses  contemporains.  Pareillement,  aucune  des  grandes 
symphonies  beethovéniennes  ne  suggère  l'impression  d'avoir  été  dé- 
passée :  affirmons  hardiment  qu'elle  ne  le  sera  point.  C'est  qu'à  la  fois 
expressive  et  technique,  l'incessante  métamorphose  de  l'orchestration 
manifeste  avant  tout,  comme  la  musique  même,  l'auteur  reflété  dans 
son  œuvre,  avec  son  lyrisme  intangible  sous  le  costume  de  son  temps  : 
l'art,  comme  le  visage,  est  le  miroir  de  l'âme.  «  Quand  les  géants 
rient,  la  terre  tremble  »  (2)  ;  et  la  Symphonie  en  la,  qui  précédait,  aux 
dernières  séances  du  Conservatoire,  la  Rédemption  franckiste  nous  criait 
mystérieusement  à  l'oreille  que  l'évolution  de  l'orchestre  n'est  que 
l'évolution  pathétique  de  l'àme  humaine. 

(A  suivre.)  Raymond  Bouyer 


(1)  Dans  la  Revue  Bleue  du  25  août  1906. 

(2)  Vieux  proverbe  saxon,  cité  dans  le  programme  par  M.  Maurice  Emmanuel. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(pour  les  seuls  abosnés  a  la  musique) 


Voilà  le  Chevalier  d'Éon  lancé  déjà  à  grand  fracas  dans  le  monde  du  théâtre;  c'est 
un  petit  diable  charmeur  qui  ne  rencontrera  pas  de  cruelles  évidemment  et  qui 
remportera  le  succès  de  vive  force  à  coups  d'estoc  et  de  taille.  Nous  donnons  donc 
aujourd'hui  à  nos  abonnés  un  Entracte-gavotte  qui  a  cet  avantage  de  renfermer  deux 
des  motifs  qui  seront  les  plus  populaires  de  la  nouvelle  opérette,  de  ceux  qui 
restent  obstinément  dans  l'oreille.  Rodolphe  Berger  en  a  peu  écrit  d'aussi  ave- 
nants. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 
L'inauguration  du  monument  de  Brahms  sur  le  Karlsplatz  de  Vienne, 
annoncée  précédemment  pour  le  10  mai,  aura  lieu  le  7  du  même  mois,  à 
l'occasion  du  soixante-quinzième  anniversaire  de  la  naissance  dumaitre.  Pour 
cette  solennité,  on  chantera,  pour  la  première  fois  à  Vienne,  un  chœur  de 
Brahms  intitulé  :  Paroles  de  fête  et  de  siuvenir.  La  veilla  de  la  cérémonie  on 
donnera  une  audition  du  Requiem  allemand,  et  le  lendemain  on  fera  entendre 
le  cycle  de  mélodies,  d'après  Ludwig  Tieck,  qui  porte  pour  titre  :  Maguelone. 
La  Société  Brahms  de  Vienne  prépare  d'autres  auditions. 

—  Le  Conservatoire  de  Vienne  semble  décidément  avoir  été  mal  inspiré  en 
se  séparant  aussi  brutalement  qu'il  l'a  fait  de  M.  Ferruccio  Busoni.  Après  le 
refus  de  M.  Godowski  d'accepter  l'héritage  de  son  confrère,  l'existence  de  la 
classe  supérieure  de  piano  semble  mise  en  question.  Il  n'y  reste  plus,  en 
effet,  que  deux  élèves,  tous  les  autres,  très  attachés  à  leur  professeur,  ayant 
suivi  M.  Busoni  à  Berlin, —  de  sorte  qu'il  se  pourrait  que  la  classe  fut  appelée 
à  disparaître. 

—  A  la  réunion  annuelle  de  l'Association  des  chanteurs  de  Vienne,  le  pré- 
sident a  lu  une  lettre  dans  laquelle  le  ministre  de  l'Intérieur  félicite  les  so- 
ciétés musicales  d'avoir,  ainsi  que  nous  le  disions  il  y  a  quinze  jours,  pris 
l'initiative  de  faire  construire  un  vaste  bâtiment  comportant  des  salles  d'au- 
dition pour  les  concerts  de  toute  nature  et  des  annexes  destinées  à  permettre 
d'installer  des  classes  pour  l'enseignement  musical.  L'appui  du  gouvernement 
est  assuré  à  l'entreprise  et  le  Conservatoire  sera  transporté  dans  le  nouveau 
local. 

—  Un  journal  de  Vienne,  Erdgeist,  vient  de  publier  une  lettre  humoristique 
de  Beethoven  qu'il  croit  inédite.  Elle  est  adressée  à  un  rédacteur  de  la  Wiener 
Zeitung  nommé  Bernhard  et  a  rapport  à  une  distinction  honorifique  reçue  • 
par  Beethoven  d'une  Société  Scandinave.  Le  maître  prie  son  ami  de  parler  de 
l'événement  dans  son  journal.  Voici  la  lettre  :  «  A  sa  très  noble  Excellence 
H.  de  BerDhard,  directeur  de  toutes  les  entreprises  de  journaux  et  le  meilleur 
poète  d'opéra  de  l'Europe,  Dominm  Bernardus  non  sanctus.  Nous  vous  prions 
de  bien  vouloir  rédiger  les  lignes  relatives  à  notre  promotion  comme  membre 
d'une  Société  Scandinave,  de  les  remettre  à  l'imprimeur,  d'en  hâter  l'insertion 
au  journal,  de  donner  à  la  nouvelle  toute  publicité,  de  la  faire  afficher  dans 
les  lieux  les  mieux  fréquentés,  etc.,  etc.,  etc.  Je  suis  affreusement  absorbé 
par  les  notes  de  musique  à  écrire  et  par  des  embarras  de  toutes  sortes 
(Beethoven  joue  sur  les  deux  mots  Noten,  noies  de  musique,  et  Nôten,  em- 
barras) ;  c'est  la  raison  pour  laquelle  je  ne  ne  puis  aller  vous  voir,  Amice 
optiine.  Veuille  le  ciel  que  je  ne  tarde  pas  longtemps  à  le  faire.  Dans  cet 
espoir,  je  reste  toujours  votre:  Amiens  optimus  Beethoven  Bonnensis.  a 

—  M.  Félix  Weingartner  vient  d'écrire  le  texte  d'un  grand  poème  lyrique 
en  deux  parties  auquel  il  donne  le  titre  de  Gotgotha  et  qu'il  compte  mettre 
prochainement  en  musique. 

—  Le  plagiaire  Frédéric  Hahn,  dont  nous  avons  parlé  récemment,  se  voyant 
menacé  de  poursuites  judiciaires,  à  la  suite  d'une  mise  en  demeure  énergique 
d'avoir  à  produire  ses  manuscrits  pour  être  examinés,  s'est  décidé  à  les 
brûler  tous.  L'imposture  est  donc  manifeste  et  l'on  peut  même  s'expliquer 
maintenant  comment  elle  a  pu  se  prolonger  environ  deux  années.  M.  Hahn 
avait  toujours  la  précaution  de  ne  faire  entendre  ses  œuvres  prétendues  qu'en 
petit  comité,  renonçant  à  l'audition  dès  qu'il  apprenait  qu'un  homme  compé- 
tent viendrait  y  assister.  Il  avait  aussi  le  soin  de  donner  à  ses  coexécutants 
des  parties  d'accompagnement  et  de  jouer  lui-même  de  mémoire  les  mélo- 
dies principales.  Un  jour  qu'il  avait  produit  comme  sienne  une  symphonie  de 
Rheinberger,  op.  163,  réduite  à  quatre  mains  et  qu'il  avait  exécuté  sans  mu- 
sique selon  son  habitude  les  parties  essentielles,  il  répondit  à  quelqu'un  qui 
le  questionnait  sur  sa  prodigieuse  facilité  :  «  L'ouvrage  est  devant  mon  esprit 
aussi  clair  et  aussi  distinct  que  le  tableau  d'un  peintre  peut  l'être  devant  les 
yeux;  je  puis  en  écrire  toutes  les  parties  quand  et  comme  il  me  plaît.  »  On 
se  souvient  que  dans  cette  misérable  affaire,  le  coupab'e  ne  recherchait  pas 
précisément  une  gloire  même  frelatée,  mais  simplement  des  subsides  de  la 
part  de  ceux  dont  il  trompait  la  confiance.  Espérons  que  ses  pareils  seront 
découragés  pour  longtemps. 

—  La  visite  que  l'Orchestre  philharmonique  de  Berlin  va  faire  à  la  fin  de  ce 
mois  à  Paris,  sous  la  direction  de  M.  Richard  Strauss,   ne  sera  que  la  pre- 


LE  MÉNESTREL 


mière  étape  d'une  grande  tournée  que  ces  artistes  entreprendront  en  France 
et  dans  l'Europe  méridionale  pour  retourner  ensuite  dans  le  Nord.  Ils  visite- 
ront ainsi  successivement  Bordeaux,  Madrid,  Lisbonne,  Oporto,  Santander, 
Bilbao,  Barcelone  Marseille,  Lyon,  Genève,  Neucliàtel,  Lausane,  Fribnurg, 
Berne,  Baie,  Galsruhe,  et  enfin  La  Haye,  où,  pendant  l'été,  ils  donneront, 
comme  de  coutume,  leurs  concerts  annuels. 

—  Un  technicien  de  Munich,  qui  s'est  fait  une  réputation  par  ses  travaux 
pour  garantir  les  monuments  contre  les  dangers  d'incendie,  a  écrit  ce  qui  suit 
relativement  au  rideau  de  fer  des  théâtres  :  «  Quoiqu'il  existe  de  rigoureuses 
prescriptions  dans  le  but  d'assurer  en  cas  de  sinistre  la  séparation  de  la  scène 
et  de  la  salle,  on  ne  peut  la  réaliser  que  très  imparfaitement,  parce  que 
l'on  ne  possède  pas,  pour  constituer  l'obstacle,  une  matière  suffisamment  ré- 
fractaire  contre  lefeu.  Fermer,  comme  on  l'a  fait  jusqu'à  présent,  une  ouver- 
ture do  plus  de  deux  cents  mètres  carrés  par  des  rideaux  de  fer  ou  d'asbeste, 
est  tout  à  fait  iilu  oire;  le  foyer,  s'il  est  actif,  les  consumera  facilement, 
comme  onl'a  vu  lors  de  l'incendie  du  théâtre  de  Stuttgart.  On  est  arrivé  à  fabri- 
quer aujourd'hui  de  puissants  rideaux  mobiles  en  béton  de  fer;  ils  résistent  a 
toutes  les  épreuves  et  l'on  peut  espérer  qu'en  les  utilisant  l'on  parviendra  à 
séparer,  en  cas  de  danger,  la  scène  et  la  salle  en  deux  parties  dont  l'isolement 
ne  sera  plus  précaire  ». 

—  A  Leipzig,  tout  près  de  l'église  Saint-Thomas,  où  Sébastien  Bach  rem- 
plit autrefois  les  fonctions  de  cantor  et  d'organiste,  l'on  s'occupe  en  ce  mo- 
ment de  l'érection  d'un  monument  en  l'honneur  de  ce  maitre,  qui  doit  être 
inauguré  le  dimanche  17  mai.  La  veille  aura  lieu  dans  l'église  une  audition 
de  musique  religieuse  comportant  deux  cantates  et  le  Magnifiait.  Le  lendemain 
il  y  aura  dans  la  salle  du  Gewandhaus,  l'après-midi,  un  concert  de  musique  de 
chambre  et  le  soir  une  exécution  intégrale  et  sans  les  coupures  d'usage  de  la 
Passion  selon  saint  Mathieu.  Une  représenta'ion  de  fête  sera  donnée  au  Nou- 
veau-Théàtre-Municipal  à  l'occasion  de  ces  solennités. 

—  La  musique  subit  actuellement  une  sorte  de  crise  en  Allemagne.  Après 
les  démêlés  dont  l'orchestre  Kiim  a  été  l'occasion  et  qui  ont  eu  pour  consé- 
quence de  compromettre  l'organisation  des  concerts  à  l'Exposition  de 
Munich,  voici  que  l'un  des  chefs  d'orchestre  les  plus  estimés  des  provinces  du 
Nord,  M.  Julius  Buths,  se  trouve  contraint  de  renoncer  à  la  situation  qu'il 
occupait  depuis  dix-huit  ans  à  Dusseldorf  et  que,  par  suite,  le  festival  du 
Bas-Rhin  n'aura  sans  doute  pis  lieu  cette  année.  Cette  fête  musicale  tradi- 
tionnelle a,  pour  la  première  fois,  parait-il,  laissé  l'aanée  dernière  un  déficit, 
et  une  campagne  a  été  aussitôt  dirigée  contre  M.  Buths,  que  l'on  rendait 
moralement  responsable  de  l'insuccès  des  concerts,  faisant  valoir  ce  fait  qu'il 
n'est  pas  considéré  comme  une  des  célébrités  de  l'orchestre.  L'opinion  géné- 
rale est  que  la  situation  précaire  d'institutions  musicales  jusqu'ici  en  posses- 
sion de  la  faveur  publique  a  d'autres  causes  que  le  plus  ou  moins  de  noto- 
riété d'un  chef  dirigeant.  On  pense  que  l'interprétation  sincère  et  respec- 
tueuse des  grands  ouvrages  peut  mériter  les  applaudissements,  beaucoup  plus 
que  ces  exécutions  brillantes  qui  font  de  toute  musique  une  sorte  de  morceau 
de  concours  destiné  à  faire  valoir  les  exécutants.  A  la  suite  des  incidents  de 
Dusseldorf,  M.  Arthur  Nikisch  a  été  sollicité  de  prendre  la  direction  Ai  fes- 
tival du  Bas-Rhin,  mais  il  a  décliné  les  offres  qui  lui  ont  été  faites  en  ce 
sens. 

—  Nette  Orchestervereinigung,  tel  est  le  titre  d'une  société  symphonique 
d'amateurs  instrumentistes  qui  vient  de  se  fonder  à  Berlin,  sous  le  patronage 
de  M.  le  conseiller  Heinthal,  et  qui  se  propose  d'organiser,  à  des  dates  indé- 
terminées, des  concerts  dont  la  direction  sera  confiée  à  M.  G.  Zimmer.  Tout 
amateur  désireux  de  faire  de  la  musique  d'orchestre  peut  faire  parlie  de  cette 
société.  Il  a'a  même  pas  besoin  de  se  munir  d'instruments,  M.  le  conseiller 
Heinthal  mettant  tous  ceux  nécessaires  à  la  disposition  des  exécutants.  C'est 
jeudi  dernier,  9  avril,  que  le  nouvel  orchestre  a  dû  donner  son  premier  concert. 

—  A  l'église  de  la  Croix  de  Dresde,  le  380e  anniversaire  de  la  naissance  de 
Giovanni  Gabrieli  (1557-1612)  vient  d'être  célébré  avec  pompe.  On  a  exécuté 
plusieurs  oeuvres  du  vieux  compositeur  vénitien,  parmi  lesquelles  une  sonate 
pour  trois  violons,  violoncelle  et  orgue,  des  motets  et  autres  pièces  religieuses 
extraites  des  recueils  portant  pour  titres  Symphoniae  sacras,  Intonation?  e 
Ricercari,  etc.  L'art  du  contrepoint  a  paru  très  grand  chez  Gabrieli  et  maints 
passages  de  ses  ouvrages  ont  pu  être  considérés  comme  renfermant  l'indica- 
tion do  bien  des  effets  dont  la  musique  moderne  a  tiré  largement  parti. 

—  Le  Conservatoire  de  Coblentz  va  célébrer,  pendant  les  fêtes  de  Pâques,  le 
centième  anniversaire  de  son  existence.  De  grandes  fêtes  musicales  y  sont 
organisées  à  cet  effet,  auxquelles  on  exécutera,  entre  autres  œuvres,  la  Messe 
solennelle  de  Beethoven,  ainsi  que  des  fragments  du  Parsifal  de  Wagner  et  la 
Sinfonia  domestica  de  M.  Richard  Strauss. 

—  Correspondance  de  Francfort  (3  avril)  : 

MoNsiEun, 

Le  numéro  du  Ménestrel  du  21  mars  contient  aux  «  Nouvelles  diverses  de  l'Étran- 
ger »  une  note  annonçant  «  une  crise  très  grave  »  au  Conservatoire  de  Francfort, 
crise  qui  pourrait  même  amener  la  dissolution  de  l'établissement.  Les  Curateurs 
de  l'Institution  croient  de  leur  devoir  de  rectifier  cette  note.  La  démission  de 
plusieurs  professeurs  et  de  M.  Bernhari  Scholz,  le  directeur,  n'a  rien  à  voir  avec  la 
vie  intérieure  du  Conservatoire.  Chacun  de  ces  messieurs  a  un  motif  particulier  et 
dilTérent,  qui  a  donné  lieu  à  leurs  démissions.  Tous  quittent  la  Conservatoire 
accompagnés  des  meilleurs  vœux  de  l'Administration.  Aucun  désaccord  ne  s'est 
produit,  et  on  se  sépare  dans  les  meilleurs  fermes. 

Le  bruit  que  l'établissement    pourrait    être  dissous  est  absurde,  vu  le   grand 


nombre   de   professeurs   excellents    qui    gardent    leur    position,    l'affluence    non 
diminuée  des  élèves  et  le  capital  important  qui  donne  une  base  assurée  à  l'institu- 
tion. 
Veuillez  agréer,  Monsieur,  l'expression  de  nos  sentiments  les  plus  distingués. 

Dr.  Iloeh's  Conserva! 
Les  Curateur*  - 
Emile  Sulzbacii,  Ara.  Pester! 

—  On  avait  annoncé  pour  la  semaine  de  Pâques,  à  Berlin,  la  tenue  du 
quatrième  congrès  de  pédagogie  musicale,  dans  lequel  doivent  se  traiter  toutes 
les  questions  intéressant  l'enseignement  musical  :  composition  des  programmes 
d'étude,  réforme  de  l'art  du  chant,  organisation  des  cours  pratiques,  etc.  Ce 
congrès  est  remis  aux  fêtes  de  la  Pentecôte,  et  se  réunira  du  7  au  10  juin 
prochain.  Les  artistes  désireux  de  suivre  ces  travaux  peuvent  s'adresser  pour 
obtenir,  sans  frais,  les  renseignements  utiles,  à  la  direction  du  congrès, 
37,  Ansbacherstrasse,  a  Berlin. 

—  De  Saint-Pétersbourg  on  nous  signale  le  véritable  triomphe  remporté  au 
Théâtre-Italien  par  Mmc  Arnolison  dans  Werther. 

—  Une  aventure  presque  dramatique  est  arrivée  à  une  jeune  cantatrice  fort 
aimée  en  Italie,  M"°  Bel  Sorel,  qui  donnait  des  représentations  à  Lemberg. 
Au  sortir  du  spectacle  du  Théâtre-Municipal,  elle  fait  avancer  sa  voiture  pour 
se  rendre  chez  elle.  Le  cocher  était  sans  doute  d'accord  avec  un  individu  qui 
sauta  sur  le  siège  tandis  que  la  voiture  s'en  allait  à  fond  de  train.  Bientôt,  la 
course  se  prolongeant,  la  jeune  femme  fut  prise  d'inquiétude,  d'autant  qu'elle 
se  voyait  arriver  en  pleine  campagne.  Elle  mit  la  tête  à  la  portière,  il  appela 
au  secours  en  italien  et  en  français.  Fort  heureusement  elle  fut  entendue  par 
un  particulier  qui,  lui-même  dans  sa  voiture  qu'il  conduisait,  accourut  à  son 
aide  pendant  que  le  cocher  et  son  compagnon  s'enfuyaient  au  plus  vite.  M"'' Bel 
Sorel,  évanouie  de  frayeur,  put  cependant  indiquer  son  hôtel,  où  elle  fut 
reconduite  par  son  sauveu/.  C>mm2  elle  avait  sur  elle  tous  ses  bijoux,  repré- 
sentant une  valeur  de  200.00J  couronnes,  outro  12.000  couronnes  en  argent, 
on  suppose  naturellement  que  les  malandrins  avaient  projeté  de  la  dépouiller 
et  de  la  voler.  La  police,  mise  au  courant  de  l'affaire,  a  fait  des  recherches  qui 
jusqu'ici  sont  restées  infructueuses. 

—  De  Bruxelles,  on  nous  écrit  le  grand  succès  remporté  par  M"'  Minnie 
Tracey,  à  qui  l'on  bisse  les  Fleurs  de  Massenet  et  que  l'on  rappelle  plusieurs 
fois  après  Elégie,  du  même  maitre,  M.  Jacobs  accompagnant  mag'slralement 
au  violoncelle. 

—  Après  les  Anversois,  les  Louvanistes  viennent  de  faire  un  grand  succès 
à  la  nouvelle  œuvre  de  M.  Jan  Blockx,  Baldie,  qui  continue  de  triompher  au 
Théâtre-Lyrique  d'Anvers.  Représentée  mardi  dernier  au  théâtre  flamand  de 
Louvain,  Baldie  a  été  acclamée  par  un  public  enthousiaste.  Les  confrères  de 
M.  Blockx  sont  les  premiers  à  lui  rendre  hommage.  Quand  l'œuvre  fut  repré- 
sentée à  Anvers,  il  y  a  deux  mris,  le  compositeur  Paul  Gilson  publia  dans  un 
grand  journal  bruxellois  un  compte  rendu  très  détaillé  et  très  élogieux.  Cette 
fois  c'est  M.  Léon  Du  Bois,  directeur  de  l'École  de  musique  de  Louvain,  qui 
prend  la  plume  pour  analyser  et  exalter  le  nouveau  drame  lyrique.  Voici  un 
extrait  de  ce  très  chaleureux  article  : 

Nous  sommes  heureux  de  constater  que  décidément  notre  Art  national  commence 
à  prendre  la  place  qui  lui  est  due,  et  que  le  public  rend  enfin  justice,  malgré  quel- 
ques aristarques  grincheux,  à  nos  poètes  et  musi  'iens  dramatiques. 

Le  poème  de  Nestor  de  Tière  a  dé  la  vie,  de  l'action,  des  conflits  de  passion,  des 
oppositions  très  vives  de  caractères  tantôt  tendres,  tantôt  d'une  énergie  farouche... 
La  scène  tragique  finale  au  milieu  de  la  fête  laisse  une  très  grande,  une  très  forte 
impression. 

Quant  à  la  partition  de  Jan  Blo:kx,  elle  est  bien  digne  de  ses  deux  aînées, 
Princesse  d'Auberge  et  la  Fiancéi  de  la  Mer.  Peut-être  mi  préférence  irait-elle  à 
Baldie. 

Dans  cette  œuvre-ci,  Blockx  s'est  plus  attaché  à  décrire  les  sentiments  intimes  des 
personnages.  Sous  ce  rapport,  le  rôle  de  Veerle  est  admirablement  traité.  11  est 
d'une  émotion  réellement  poignante.  La  scène  de  la  mort  de  Veerle,  —  alors  que 
dans  le  lointiin  on  eatend  des  échos  de  fête  —  est  certes  une  des  belles  pages, 
sinon  la  plus  belle  de  la  partition.  D'ailleurs,  tout  le  second  acte  qui  débute  par 
une  belle  prière  à  la  Vierge,  chantée  par  Dina,  est  à  mettre  hors  pair. 

On  sait  avec  quelle  miestr  a  Jan  Blockx  s'entend  à  faire  vibrer  l'àme  des  foules... 
Pour  s'en  onvaincre,  il  n'y  a  qu'à  écouter  le  final  du  premier  acte  avec  ses  rondes 
entraînantes  d'une  vie  débordante  de  joie  populaire,  d'un  rythme  curieux,  original 
et  surtout  de  caractère  si  véritablement  flamand,  ensuite  la  fête  du  tir  à  l'arc,  avec 
son  pittoresque  cortège  et  les  chants  facétieux  de  Hattske-de-Zot,  fêle  qui  se  termine 
par  la  scène  tragique  du  coup  de  couteau  de  Dina,  et  dans  laquelle  le  maitre  Blockx 
a  pu  affirmer  une  fois  de  plus  ses  étonnantes  facultés  de  compositeur  dramatique.  » 

—  Le  Théàtre-Verdi,  de  Florence,  a  donné  la  première  représentation  d'un 
drame  lyrique  en  trois  actes.  Fnusta,  dont  M.  RenzoBianchi  a  écrit  la  musique 
sur  un  livret  de  M.  Mario  Cerati,  et  qui  avait  pour  principaux  interprètes 
jyrmes  xicci  et  Masnata,  MM.  Palet  et  Pacini.  —  Et  le  Casino  municipal  deSau 
Remo  a  offert  à  son  public  un  opéra  en  trois  actes,  Jocelyn,  dont,  il  n'est  pas 
besoin  de  le  dire,  le  livret  posthume  de  Luigi  -Alberto  Villanis  a  été  tiré  du 
délicieux  poème  de  Lamartine,  et  dont  la  musique  a  pour  auteur  M.  Luigi 
Tedeschi.  Celui-ci  était  joué  par  Mmcs  Ricci  et  Garelli,MM.Fiore  et  DiMarchi. 
Il  ne  semble  pas  que  l'un  ou  l'autre  de  ces  deux  ouvrages  soit  destiné  à  révo- 
lutionner l'art. 

—  Un  artiste  italien  fort  distingué,  M.  Lorenzo  Parodi,  qui  s'est  fait  con- 
naître comme  compositeur  et  comme  écrivain  spécial,  vient  de  lancer  le  pre- 
mier numéro,  très  intéressant,  d'une  revue  nouvelle,  la  Rassegna  internazionala 
di  musica,  qui  paraîtra  mensuellement,  à  Gènes,  par  les  soins  des  éditeurs 
Serra. 


118 


LE  MENESTREL 


—  Le  mariage  Toselli-Louise  de  Saxe,  qui  a  déjà  fait  couler  tant  d'encre, 
menace  d'occuper  encore  sérieusement  la  publicité.  Les  deux  époux,  pianiste 
italien  et  princesse  allemande,  ne  paraissent  pas,  dans  leur  ménage,  jouir 
d'une  entente  parfaite.  Un  journal  de  Carlsruhe,  la  Presse  Badoise,  croit  savoir 
que  MmeToselli  a  annoncé  à  des  amis  à  Lindau  qu'elle  était  décidée  à  se  sépa- 
rer de  son  nouvel  époux  et  à  rentrer  en  Allemagne. 

—  C'est  le  30  avril  que  doit  commencer  à  Londres  la  saison  lyrique  du 
théâtre  Covent-Garden.On  y  jouera,  comme  les  années  précédentes,  des  opéras 
en  français,  en  italien  et  en  allemand.  Les  ouvrages  de  Wagner  seront  dirigés 
par  M.  Hans  Richter.  La  troupe  sera  extrêmement  riche,  comme  on  peut  le 
voir  par  cette  liste  des  artistes  engagés  :  Mme*  Lina  Cavalieri,  Nellie  ftlelba, 
Maria  Destinn,  Bryhn,  Dereyne,  Gilibert-Lejeune,  Endorf,  Gulbranson,  Seve- 
rina,  Tetrazzini,  Knûpper-Egli,  Sparkes,  Osborn-Hannah,  Halchard,  Miranda, 
Rider-Kelsey,  Walker  (soprani);  Maria  Gay,  Archibald,  Santley,  Sones, 
Thornton,  Lunn,  Kirkby,  Wilkham  (mezzo-soprani) ;  MM.  Bonci,  MacGormak. 
Cornélius  Henke,  Zenatello,  Knote,  Zocchi.  Nietan.  Hyde,  Jûrn  (ténors); 
Gilibert,  Fournets,  Crabbe,  Galetti,  Creswold,  Geis,  Kniipfer,  Mang,  Scotti, 
Van  Rooy.  Marcoux,  Zadon,  Radford,  Sammarco,  Navarrini,  Scandiani, 
Whitehill  (barytons  et  basses). 

—  Au  Brixton-Theatre  de  Londres,  apparition  d'un  opéra  romantique  en 
trois  actes  intitulé  Nigel,  dû  à  la  collaboration  de  M.  Percy  Pinkerton  poul- 
ies paroles  et  de  M.  Stephen  R.  Philipotts  pour  la  musique. 

—  Un  concert  de  musique  française  a  eu  lieu  le  mois  dernier  à  Manchester. 
La  première  partie  du  programme  comprenait  des  compositions  de  Lully, 
Rameau,  Marais  et  Caix  d'Herveloix.  Ce  dernier  était  un  musicien  de  la  cham- 
bre du  duc  d'Orléans,  joueur  de  viola  da  gamba,  qui  apubliédes  «  Pièces  de 
"Viole  »  en  1725-1732  et  des  «  Pièces  pour  la  flûte  »  en  1726-1731.  La  seconde 
partie  du  concert  a  été  consacrée  tout  entière  à  M.  Reynaldo  Hahn.  Le  Musical 
Times  en  rend  compte  en  ces  termes  :  «  La  musique  sur  des  poésies  de  Leconte 
de  Lisle,  Verlaine  et  M.  Henri  de  Régnier,  montre  que  M.  Reynaldo  Hahn 
est  un  lyrique  d'une  originalité  saillante  et  dont  la  force  expressive  se  traduit 
avec  délicatesse.  Onze  de  ses  mélodies  ont  été  chantées  par  Mme  Durand- 
Texte  accompagnée  par  le  compositeur;  lui  même  en  a  interprété  trois,  parmi 
lesqu elles AûPays  musulman  a  été  la  plus  remarquée.  M.  Hahn  a  exécuté  avec 
M.  Georges  Pitsch  ses  variations  pour  violoncelle  et  piano,  et  avec  M.  Louis 
Fleury  ses  variations  pour  flûte  et  piano.  » 

—  A  l'église  Saint-Georges,  à  New-York,  a  eu  lieu  au  commencement  du 
mois  d'avril  une  très  bonne  interprétation  de  l'oratorio,  pour  soli,  choeurs  et 
orchestre,  les  Sept  Paroles  du  Christ,  de  M.  Théodore  Dubois.  Le  Russian  Sym- 
phony  Orchestra  avait  été  engagé  spécialement  pour  la  circonstance.  Le  choeur 
comprenait  plus  de  cent  exécutants  dirigés  par  l'excellent  organiste  M.  Homer 
Norris. 

—  De  Boston,  on  nous  écrit  le  grand  succès  remporté  par  le  charmant 
baryton  Léon  Rennay  que  l'on  ovationne  après  Chantons  les  amours  de  Jean, 
et  Maman  dites-moi,  de  Weckerlin,  un  Rondel  et  la  Bonne  chanson,  de  Rey- 
naldo Hahn. 

— ■  Encore  une  qui  nous  vient  en  droite  ligne  d'Amérique.  La  scène  se  passe 
à  Boston,  à  moins  que  ce  ne  soit  à  Philadelphie.  Un  violoniste,  qui  a  donné  la 
veille  un  concert,  se  présente  dans  les  bureaux  du  premier  journal  de  la  ville, 
pour  se  plaindre  d'un  oubli  qui  lui  est  préjudiciable:  «  Qu'est-ce  donc?  lui 
demande-t-on.  —  Eh  bien,  j'ai  répété  hier  trois  ou  quatre  fois  à  votre  repor- 
ter que  mon  violon  était  un  Stradivarius,  et  ce  matin  il  n'en  a  pas  dit  un  seul 
mot.  —  Ah  !  pardon,  répond  le  rédacteur,  ceci  c'est  une  affaire;  si  M.  Stra- 
divarius désire  qu'on  parle  de  son  violon,  c'est  deux  dollars  la  ligne  ;  autre- 
ment, rien  !  »  Tête  du  violoniste  ! 

—  En  voici  une  autre  de  la  même  cuvée,  comme  disait  Montaigne.  Cette 
fois,  nous  sommes  bien  à  Boston,  et  c'est  à  l'orchestre  de  cette  ville  que  par- 
venait une  lettre  avec  cette  suscription  :  A  M.  A.  Bruckner,  aux  soins  de  l'Or- 
cliestre  de  Boston,  «  Symplwny  Hall  »  Boston  (Mnss).  La  lettre,  émanant  d'une 
sorte  d'Argus  de  la  presse,  était  ainsi  conçue  :  —  «  Monsieur,  nous  consta- 
tons avec  plaisir  que  vos  symphonies  sont  beaucoup  jouées  cette  année-ci  par 
les  orchestres  américains,  et  nous  venons  vous  offrir  de  vous  adresser,  pour 
la  somme  de...  tous  les  articles  qui  paraîtront  dans  les  journaux  des  États- 
Unis  concernant  l'exécution  de  ces  œuvres.  »  L'excellent  Argus  ignorait  que 
ledit  Bruckner  avait  rendu  son  âme  au  ciel  voici  déjà  douze  années. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

A  l'Opéra,  on  pousse  ferme  les  dernières  études  d'Hippolyte  et  Aricie, 
dont  on  pense  donner  la  première  représentation  vers  la  fin  du  mois. 

—  Al'Opéra-Comique  c'est  avec  la  Fille  déneige  de  Rimsky-Korsakow  qu'on 
compte  en  finir  d'abord  (première  vers  le  20  avril),  avant  d'en  arriver  au 
Clown  de  M.  de  Camondo.  —  Spectacles  de  dimanche  :  en  matinée,  la  cruelle 
Aphrodite;  le  soir,  Carmen.  Lundi,  en  représentation  populaire  à  prix  réduits  : 
Barbe-Bleue. 

—  Nous  avons  déjà  publié  les  avis  favorables  à  l'exploitation  du  Théâtre- 
Lyrique  émis  par  les  deux  commissions  municipales  compétentes.  Le  conseil 
municipal  a  ratifié  à  l'unanimité,  avant  de  clore  sa  session,  ces  conclusions, 
on  accordant  à  MM.  Isola  le  privilège  de  dix  années,  avec  le  concours  des 
artistes,  des  ouvrages  et  du  matériel  de  l'Opéra  et  de  l'Opéra-Comique.  L'ère 
de  l'exploitation  régulière  est  dès  maintenant  ouverte  et  MM.  Isola  s'occupent 


sans  tarder  de  constituer  leur  troupe  personnelle.  Le  premier  engagement 
signé  a  été  celui  de  M.  David  Devriès,  le  charmant  ténor  de  l'Opéra-Comique, 
qui  sera  désormais  attaché  au  Théàtre-Lyrique-Municipal  où  il  a  déjà  remporté 
de  si  brillants  succès. 

—  Les  présidents  d'honneur  de  la  Société  des  auteurs  et  compositeurs  dra- 
matiques, MM.  Victorien  Sardou  et  Ludovic  Halévy  ;  le  président  actuel, 
M.  Alfred  Capus  ;  MM.  Massenet,  Saint-Saëns,  Paul  Hervieu,  Henri  Lavedan, 
Maurice  Donnay,  Jean  Richepin  et  tous  leurs  collègues  de  la  commission 
s'occupent  d'organiser  une  représentation  de  gala  au  profit  de  la  caisse  des 
retraites  de  la  Sociélé  des  auteurs.  De  tels  patronages  font  prévoir  quel  sera 
l'éclat  de  cette  fête  à  laquelle  les  plus  illustres  artistes  seront  heureux  d'ap- 
porter leur  concours.  Elle  aura  lieu  le  10  mai  prochain,  dans  la  salle  de 
l'Opéra,  gracieusement  offerte  par  MM.  Messager  et  Broussan.  Ajoutons  que 
M.  Gabriel  Pierné,  spécialement  chargé  d'établir  le  programme  avec  l'aide 
précieuse  de  M.  Gabriel  Astruc,  est  en  pourparlers  avec  les  directeurs  des 
plus  grandes  scènes  d'Europe,  et  notamment  avec  S.  Exe.  le  comte  de  Hûl- 
sen,  intendant  général  des  théâtres  royaux  d'Allemagne  ;  M.  F.  Weingartner, 
directeur  de  l'Opéra  de  Vienne;  M.  Higgins,  président  du  Covent  Garden 
Opéra  de  Londres;  M.  Raoul  Gunsbourg,  directeur  de  l'Opéra  de  Monte- 
Carlo,  etc.,  etc.  C'est  dire  qu'on  peut  prévoir  pour  la  représentation  des 
Auteurs  dramatiques  un  programme  incomparable. 

—  Nous  avons  assisté  dimanche  à  une  solennité  musicale  pour  laquelle  la 
première  épithète  qui  vienne  à  l'esprit  est  celle  de  réconfortante.  Ce  fut,  sous 
le  titre  :  «  La  France  héroïque  »,  un  concert  vocal  et  instrumental  auquel  ont 
participé  quinze  cents  chanteurs,  hommes  et  dames,  appartenant  à  diverses 
sociétés  d'ensemble  choral  de  Paris,  une  musique  d'harmonie  formée  d'élé- 
ments civils  et  militaires,  des  chanteurs  de  l'Opéra  (MM.  Duclos  et  Vérin, 
M1Ie  Judith  Lassalle),  et,  sous  les  doigts  de  M.  Guilmant.  l'orgue;  toutes  ces 
forces  musicales  sous  le  commandement  de  M.  Bourgault-Ducoudray,  dont 
elles  interprétèrent  les  œuvres.  Celle;-ci,  uniquement  œuvres  de  musique  na- 
tionale, sont  apparues,  par  leur  groupement  même,  avec  une  signification  par- 
ticulièrement haute,  résumant  la  vie  d'un  artiste  qui,  sans  se  soucier  des 
fluctuations  de  la  mode,  n'a  jamais  cessé  de  viser  le  but  qui,  dès  sa  jeunesse, 
lui  était  apparu  comme  le  plus  digae  :  associer  les  voix  du  peuple  en  un 
ensemble  propre  à  exprimer  harmonieusement  les  sentiments  collectifs  les 
plus  élevés.  Quelques-uns  des  morceaux  inscrits  sur  le  programme  avaient 
trente-huit  années  d'âge,  ayant  été  (date  significative)  écrits  pendant  la  guerre 
de  1870;  d'autres,  marquant  les  diverses  étapes  de  la  même  carrière,  ont  en 
même  temps  permis  d'apercevoir  la  continuité  de  l'effort  :  tels  un  Hymne  à  la 
Patrie,  pour  le  11  juillet,  composé  quand  cette  date  redevint  la  fête  de  la  troi- 
sième République;  Au  Souvenir  de  Roland,  VApothéosedeshéros,  nos  pères  (pro- 
ductions plus  récentes)  ;  puis  encore,  transcrites  en  chœur,  des  chansons  bre- 
tonnes, affirmant  la  vitalité  inépuisable  du  génie  populaire,  et  encore  la 
Bapsodie  cambodgienne,  si  colorée,  dont  les  éléments  thématiques  sont  em- 
pruntés aux  traditions  musicales  d'une  contrée  lontaine.  Sur  tout  cela  passe  un 
souffle  de  lyrisme  qui  vivifie  l'inspiration;  les  compositions  sont  tracées  à 
grandes  ligues  et  en  larges  plans,  avec  des  oppositions  de  sonorité  nettement 
marquées,  des  harmonies  simples  et  tonales,  où  domine  l'accord  parfait  —  et 
cela  est  fort  bon,  car  un  art  populaire  ne  doit  pas  se  perdre  dans  les  subtilités, 
et  nous  avons  bien  vu  l'autre  jour  qu'avec  ces  simples  accords  des  voix,  cet 
art  est  encore  le  plus  vivant.  De  fait,  je  serais  fort  tenté  de  penser  que  l'art 
conçu  dans  cet  esprit,  tout  en  se  rattachant  intimement  au  passé,  redeviendra 
l'art  de  l'avenir.  Tel  motif  de  M.  Bourgault-Ducoudray,  comme  son  Hymne  à 
la  Liberté,  (un  des  chants  de  1870),  semble  un  écho  du  XVIII0  siècle  ;  pourquoi 
non,  si  c'est  au  XVIIIe  siècle  que  s'est  exprimée  le  plus  fortement  la  pensée 
vers  laquelle  il  se  reporte  aujourd'hui.  Si  l'artiste  en  a  su  retrouver  l'accent, 
c'est  donc  qu'il  a  réussi.  Le  progrès  de  la  musique  ne  consiste  pas  uniquement 
à  agencer  de  savantes  dissonances  :  il  peut  avoir  des  visées  plus  hautes  et 
plus  véritablement  sérieuses.  Bref,  il  y  aurait  fort  à  philosopher  là-dessus,  et 
ce  ne  fut  pas  là  un  des  moindres  avantages  que  nous  a  offerts  l'exemple  donné 
par  M.  Bourgault-Ducoudray  et  son  armée  lyrique.  Saluons  donc  la  manifesta- 
tion d'art  à  laquelle  ils  nous  ont  permis  d'assister,  non  seulement  pour  elle- 
même,  mais  pour  les  lendemains  qu'elle  nons  promet.  Julien  Tiersot. 

—  Une  intéressante  appréciation  de  Tschaïkowsky  sur  Bizet  et  sa  Carmen, 
en  même  temps  que  sur  les  tendances  des  compositeurs  modernes  : 

Plier,  pour  me  reposer  de  mes  propres  œuvres,  j'ai  joué  la  Carmen  de  Bizel,  d'un 
bout  à  l'autre.  C'est  un  chef-d'œuvre  dans  toute  l'acception  du  mot,  c'est-à-dire 
une  des  rares  créations  qui  traduisent  les  efforts  de  toute  une  époque  musicale.  11 
me  semble  que  notre  époque  présente  se  distingue  du  passé  par  un  signe  caracté- 
ristique :  les  compositeurs  recherchent  des  effets  jolis  et  piquants,  ce  que  n'ont  fait  m 
Mozart,  ni  Beethoven,  ni  Schubert,  ni  Schumann.  La  nouvelle  école  russe  est-elle 
autre  chose  qu'un  ensemble  d'harmonies  piquantes,  de  combinaisons  originales  d'or- 
chestration et  d'autres  choses  aussi  superficielles?  Autrefois,  quand  on  composait, 
on  créait,  —  maintenant  on  cherche  à  découvrir.  Ce  progrès  de  la  pensée  musicale 
est  un  produit  de  la  pure  intelligence;  c'est  pourquoi  la  musique  contemporaine 
est  pleine  d'esprit,  piquante  et  curieuse,  mais  aussi  froide  et  dénuée  de  senti- 
ment. 

Mais  voilà  qu'un  Français  vient,  chez  qui  tout  ce  piment  et  tous  ces  excitants  ne 
paraissent  pas  être  le  résultat  de  la  recherche  et  de  la  pensée,  mais  qui  coulent 
comme  de  source,  qui  flattent  l'oreille  et  en  même  temps  émeuvent  le  cœur,  comme 
s'il  nous  disait  :  «  Vous  ne  voulez  pas  quelque  chose  de  grandiose,  de  puissant,  — 
vous  voulez  quelque  chose  de  joli,  voilà  —  vous  avez  un  joli  opéra.  En  vérité,  je  ne 
connais  rien  qui  puisse  être  appelé,  avec  plus  de  justesse,  joli.  Bizet  n'est  pas  seu- 
lement un  compositeur  bien  de  notre  temps,  mais  aussi  un  artiste  qui  ressent  pro- 


LU  MENESTREL 


149 


fondement,  un  maître.  Je  suis  persuadé  que  dans  dix  ans  Carmen  sera  l'opéra  le  plus 
populaire  du  monde  entier.  Mais  nul  n'est  prophète  dans  sou  pays.  A  Paris,  Carmen 
n'a  pas  eu  un  grand  succès. 
Ceci  était  écrit  en  1880. 

—'Nous  venons  de  donner  l'opinion  de  Tschaïkbwsky  sur  Bizet  et  sur 
Carmen.  Voici  comment,  dans  une  aulre  lettre  écrite  à  son  frère,  vingt-quatre 
heures  après,  il  lui  parlait  de  Massenet  et  de  Marie-Magdeleine, 

Hier,  je  t'écrivais  sur  Bizet  ;  aujourd'hui,  c'est  Massenet.  J'ai  trouvé  son  oratorio, 
Muric-Mui/deleine,  chez  N.  F.  Après  avoir  lu  le  texte,  où  non  seulement  on  présente 
les  circonstances  dans  lesquelles  se  trouvent  le  Christ  avec  Madeleine,  Judas  et  le 
Golgotha,  et  même  la  Résurrection,  j'eus  comme  un  préjugé  contre  cette  œuvre, 
car  elle  me  semblait  trop  audacieuse.  Mais  quand  je  commençai  à  la  jouer,  je  vis  de 
suite  que  je  n'avais  pas  affaire  à  une  œuvre  de  moyenne  valeur.  Le  duo  entre  le 
Christ  et  la  Magdeleine  est  un  chef-d'œuvre.  Je  fus  si  émotionné  de  cette  profonde 
musique  que  je  versai  des  lorrents  de  larmes...  En  musique,  les  français  sont  main- 
tenant les  maîtres.  Aujourd'hui,  j'ai  tout  le  temps  pensé  à  ce  duo,  et  j'ai  composé, 
sous  cette  impression,  une  mélodie  qui  rappelle  beaucoup  Massenet... 

—  M.  Camille  Le  Senne  a  brillamment  clôturé  lundi  dernier  à  l'École  des 
hautes  études  sociales  la  première  série  de  ses  conférences  hebdomadaires 
sur  le  mouvement  dramatique  et  musical  par  une  causerie  qui  avait  réuni 
une  très  nombreuse  assistance.  Après  avoir  remercié  le  public  de  l'indul- 
gente attention  qui  lui  a  permis  de  passer  en  revue  au  cours  de  vingt-deux 
leçons  les  genres  les  plus  différents,  le  drame  moderne  avec  Samson,  Coeur  à 
cœur,  la  Femme  une.  la  comédie  avec  l'Éventail,  les  Dcu.r  Hommes,  l'Amour 
mille,  Charnu  sa  va',  la  pièce  à  spectacle  avec  l'Affaire  drs  poisons,  Sherloclc 
Holmes,  l'Apprentie,  et  même  le  grand  vaudeville  avec  Occupe-toi  d'Amélie,  res- 
suscitant ainsi  le  feuilleton  parlé  d'Henri  de  Lapommcrayo  et  de  Sarcey, 
notre  excellent  collaborateur  a  donné  rendez-vous  à  ses  auditeurs  pour  le 
premier  lundi  de  novembre,  au  milieu  des  plus  vifs  applaudissements. 

—  A  la  suile  de  la  mort  du  regretlé  Amand  Chevé,  qui  avait  succédé  à 
son  père  comme  directeur  de  l'École  Galin-Paris-Chevé,  une  reconstitution 
de  la  Société  civile  de  l'École,  dont  la  fondation  remontait  à  1895,  fut  jugée 
indispen;able.  Cette  reconstitution  a  été  effectuée  récemment,  après  quoi  on 
a  procédé,  en  Assemblée  générale,  à  une  réorganisation  complète  des  divers 
comités,  ainsi  qu'à  la  nomination  du  nouveau  directeur  appelé  à  prendre  la 
succession  de  M.  Amand  Chevé.  C'est  M.  Alfred  Giraudet,  ancien  artiste  de 
l'Opéra,  ex-professeur  de  la  classe  d'opéra  au  Conservatoire,  que  l'Assemblée 
a  choisi  et  nommé  directeur  par  acclamation. 

—  On  sculp'eur  alsacien.  M.  Ringel  d'Ilzacli,  vient  d'achever  neuf  bustes 
allégoriques  destinés  à  personnifier,  sur  des  figures  humaines,  le  caractère 
spécial  que  l'on  attribue  à  chacune  des  symphonies  de  Beethoven.  Les  deux 
premières  sont  représentées  sous  l'aspect  de  deux  télés  de  jeunes  gens  aux 
visages  animés  de  gracieux  sourires.  Le  buste  qui  correspond  à  la  troisième, 
l'Héroïque,  a  des  traits  forts  et  puissants  :  il  éveille  l'idée  d'un  titan  comme 
embelli  parla  victoire.  Le  caractère  que  Berlioz  nomme  «  archangélique  » 
dans  l'adagio  de  la  quatrième  symphonie  a  été  heureusement  reproduit  pour 
la  personnification  de  cette  œuvre  ;  l'artiste,  en  créant  le  type  qu'il  rêvait, 
semble  avoir  été  hanté  par  quelque  vision  idéale,  comme  le  furent  les  maîtres 
italiens  de  la  Renaissance  en  modelant  certains  de  leurs  ouvrages  destinés  à 
orner  les  églises.  Le  cinquième  buste  est  une  allégorie  de  la  symphonie  en  ut 
mineur.  On  peut  voir  une  sorte  de  Prométhée  pas  encore  triomphant,  en  lutte 
avec  le  destin  et  représentant  l'humanité.  La  Pastorale  s'offre  naturellement 
sous  un  aspect  tout  autre,  étant  figurée  par  une  figure  empreinte  de  sérénité, 
comme  si  le  plus  doux  rayon  de  lumière  l'éclairait  doucement.  L'artiste  alsa- 
cien s'est  efforcé  de  rappelerle  mot  de  Wagner  :  «  Apothéose  de  la  danse  »  dans 
les  traits  et  l'attitude  du  buste  représentant  la  Septième  symphonie.  La  hui- 
tième ne  lui  a  inspiré  naturellement  que  des  idées  de  calme  et  de  douceur 
qu'il  a  essayées  de  rendre  sur  le  marbre.  Quant  au  huste  de  la  neuvième,  on 
doit  y  voir,  parait-il,  un  spectateur  en  train  de  contempler  la  vie  et  la  beauté 
humaines,  et  II  faut,  en  le  regardant,  songer  à  ce  vers  de  l'Oie  à  la  joie  : 
«  Embrassez-vous,  millions  d'êtres  !  » 

—  La  librairie  Laurens  vient  de  faire  paraître  une  nouvelle  série  de  son 
élégante  collection  si  gentiment  illustrée  des  «  Musiciens  célèbres  »  :  Grétry, 
par  Henri  deCurzon;  Mendelssohn,  par  Paul  de  Stœcklin;  et  Paganini,  par 
J.-G.  Prod'homme.  M.  de  Curzon  nous  a  donné  un  Grétry  fort  aimable,  étudié 
avec  soin  et  résumant  bien  la  vie  et  l'œuvre  d'un  des  patriarches  de  l'opéra- 
comique,  œuvre  vivante  encore,  quoique  certains  en  puissent  penser,  car  lé 
jour  où  l'on  nous  rendrait  Richard  et  l'Amant  jaloux,  Zémire  et  Azor  et  l'Épreuve 
villageoise,  sans  compter  le  Tableau  vivant,  on  verrait  le  public  y  prendre  un 
autre  plaisir  qu'à  certains  ouvrages  de  ce  temps-ci,  ambitieux  et  vides,  prô- 
nés par  des  admirateurs  de  convention,  dont  l'enthousiasme  débordant  ne 
saurait  en  imposer  aux  auditeurs  sincères  et  désintéressés.  En  disant  tout  le 
bien  qu'il  pense  et  qu'il  a  raison  de  penser  de  Grétry,  l'écrivain  ne  peut  s'em- 
pêcher de  constatai  ce  qu'on  pourrait  appeler  parfois  le  «  lâché  »  de  son 
orchestre;  il  ignore  peut-être  que  Grétry  avait  fini  par  se  désintéresser  telle- 
ment de  cette  partie  de  son  travail  qu'il  avait  confié  l'orchestration  de  ses 
vingt  derniers  ouvrages  à  Panseron,  le  père  de  l'auteur  de  VA  B  C  musical. 
En  somme,  le  petit  volume  de  M.  de  Curzon  est  fort  bien  venu.  —  J'en  dirai 
autant  de  celui  que  M.  Paul  de  Stœcklin  a  consacré  à  Mendelssohn,  en  ren- 
dant à  ce  musicien  exquis  la  justice  qui  lui  est  due  et  que  lui  marchande  un 
peu  trop  aujourd'hui  un  certain  clan  où  il  est  de  mode  de  faire  les  renchéris 
à  son  égard,  alors  qu'on  semble  se  pâmer  devant  les  œuvres  lourdes,  épaisses 


et  indigestes  d'un  Johannes  Brahms.   En  ce  qui  me  concerne,  et  à  rencontre 
de  divers  critiques  français  et  allemands,  je  tiens  l'auteur  du  Songe  <i  une  mai 
d'été,  de  la  Symphonie  écossaise  et  d.-s  ouvertures  de  /.'».</  IUn   et  di     Hébridi 
pour  l'un  des  plus  grands  artistes  qu'ait  produits  le  dix-neuvième  siècle,  ef  je 
suis  aise  de  l'entendre  dire  de  si  heureuse  façon  par  M.  Paul  de  Stœcklin.  — 
Le  Paganini  de  M.  Prod'homme  est  un   peu  bien  san<  véritable   intéi 
me  semble  qu'il  y  avait  mieux  à  faire,  au  sujet  de  ce   virluo  e   éloi 
cette  espèce  de  simple  procès-verbal  de  ses  voyages   et  de 
puis,  s'il  est  permis  de  n'être  pas  violoniste,  il   n'est  vraiment  pas  permis, 
quand  on   veut  parler  sérieusement,    d'accueillir   sans   s'informer   certaines 
calembredaines,  et  de  prétendre,  par  exemple,  que  Paganini   montait   parfois 
son  violon  avec  des  cordes  de  violoncelle  (celle-là  est  par  trop  roide  :  .  el  que 
dans  un  concert  il  lui  arriva  de  se  servir  d'une  canne  de  jonc   en    gui 
chet!...  C'est  se  fier  un  peu  trop  à  la  crédulité  des  lecteurs,  si  ignorants  qu'on 
les  puisse  supposer,  et  c'est  faire  rire  à  se3  dépens  par  ceux  qui  savent  ce  que 
c'est  qu'un  violon.  y\,  [> 

—  Les  grands  concerts.  Le  Conservatoire  reste  seul  sur  la  brèche.  Voilé  -~on 
programme  pour  demain  dimanche: 

Symphonie  en  ta  majeur,  rr  'i  Mendelssohn).—  Concerto  en  sol  mineur,  pour 
orgue  (Haendel.i,  1"  audition  au  Conservatoire:  M.Alexandre  Guilmant.  —  Quatre 

chœurs  anciens,  1"  audition:   a)  Regina  Cœli,  à  6  voix  (R.  de  Lassus  ;  b   l 

5  voix,  avec  accompagnement  d'orgue  (J.-Ph.  Rameau)  ;  c)  Je  voy  de  gli  anb  eam 
(G.  Costeley)  ;  d)  Villageoise  de  Gascogne  (Claude  Le  Jeune).—  Rapsodie  mauresque 
(M.  Eug.  Huinperdinck)  :  a)  Tarifa  :  Élégie  au  coucher  du  soleil;  h  Tanger:  Une 
nuit  au  café  maure;  c)  Téluan  :  Chevauchée  dans  le  désert.  Le  concert  sera  dirigé 
par  M.  Georges  Marty. 

—  M.  Gottfried  Galston  a  donné  mardi  dernier,  salle  des  Agriculteurs,  son 
second  et  dernier  récital,  consacré  aux  œuvres  de  Chopin,  de  Liszt  et  de  Bach. 
Cet  artiste  n'interprète  pas  Chopin  comme  M.  Paderewrki  ou  M.  d'Albert, 
c'est-à-dire  avec  une  sensibilité  profonde,  presque  maladive  comme  la  pos- 
séda le  mailre  polonais  ;  il  ne  semble  pas  avoir  une  prédilection  marquée 
pour  les  impressions  de  demi-teinles  ou  les  douceurs  du  legato,  qui  ne  lui 
sont  d'ailleurs  nullement  inaccessibles;  son  véritable  domaine,  ce  sont  les 
grandes  transcriptions  exigeant  une  exécution  transcendante,  celles  de 
M.  Busoni  entre  toutes.  Dans  les  ouvrages  de  ce  caractère,  son  talent  d'assi- 
milation et  sa  technique  souveraine  s'imposent  par  la  puissance  dans  l'effet,  la 
largeur  dans  le  jeu,  la  hardiesse  et  le  feu  dans  l'exécution  e t  la  compréhen- 
sion grandiose  du  style  d'orgue  et  du  style  d'orchestre.  M  Galslon  est  un 
batailleur  de  grands  combals  :  il  l'a  montré  superbement  dans  le  Prélude  et 
Fugue  en  ré  mineur  et  la  Chaconne  de  Bach,  et  dans  la  Valse  de  Méphisto  de 
Liszt.  Des  Chorals  de  Bach  el  la  Fantaisie  de  Liszt  sur  un  fragment  de  la 
basse  continue  de  la  canlate  Weinen,  klagen,  sorgen,  zagen...  (Pleurer,  gémir, 
douter,  pâtir,  c'est  le  pain  quotidien  des  hommes)  sont  aussi  parmi  les 
œuvres  dont  il  fait  supérieurement  ressortir  la  noble.beauté.  Rappelé  nombre 
de  fois  à  la  fin  du  concert,  il  a  répondu  aux  acclamations  en  détaillant  avec 
délicatesse  un  laendler  de  Brahms,  rêveur  comme  une  valse  de  Schubert  ou 
de  Strauss,  et  nne  petite  pièce  également  de  Brahms.  Ce  fut  un  délicieux  re- 
pos. Amédëe  Boutarel. 

—  M.  Pierre  Destombes  donnera  le  lundi  27  avril  un  concert  à  la  salle 
Pleyel.  A  cette  soirée  qui  promet  d'être  des  plus  brillantes,  l'éminent  violon- 
celliste interprétera  trois  sonates  pour  piano  et  violoncelle  de  nos  grands  maî- 
tres français,  Camille  Saint-Saèns,  Théodore  Dubois  el  Ch.-M.  Widor.  avec 
le  concours  des  auteurs. 

—  Au  Châtelet,  les  26  et  27  avril,  deux  concerts  de  gala  avec  l'orchestre  de 
la  Philharmonie  de  Berlin,  sous  la  direction  de  M.  Richard  Strauss.  Au  pro- 
gramme deux  symphonies  de  Beethoven  et  des  œuvres  de  Wagner.  Weber, 
B?rlioz  et  Richard  Strauss. 

—  Rappelons  que  c'est  mardi  prochain  que  sera  exécutée  au  Trocadéro  la 
Passion  selon  saint  Mathieu  de  Bach,  sous  la  direction  de  M.  Mengelberg,  avec 
des  chœurs,  un  orchestre  et  des  interprètes  de  premier  ordre. 

—  Aux  Concerts-Touche,  très  remarquable  séance  consacrée  aux  œuvres  de 
M.  Théodore  Dubois.  M"e  Demougeot  a  très  gros  succès  avec  l'Invocation  de 
Notre-Dame  de  la  mer  et  Dormir  et  récer,  qu'on  lui  bisse,  comme  on  bisse  à 
l'orchestre  la  Petite  Marche  extraite  de  la  Suite  Miniature.  M.  Théodore  Dubois 
a  non  seulement  accompagné  ses  solistes,  mais  encore  il  a  dirigé  l'excellent 
orchestre.  Le  public  ne  lui  a  ménagé  ni  rappels  ni  ovations. 

—  De  Nancy  :  Malgré  l'inégalité  de  l'artiste  chargée  du  rôle  principal,  la 
Thérèse,  du  maître  Massenet,  vient  de  triompher  sur  la  scène  de  notre  Muni- 
cipal. Il  n'y  a  que  des  éloges  à  adresser  à  MM.  Grimaud  et  Breton-Caubet  et 
à  l'orchestre  de  M.  Alloo,  qui  a  nuancé  délicieusement  ou  tragiquement 
l'émotionnante  partition. 

—  Le  Théâtre-Municipal  de  Strasbourg  a  donné  avec  beaucoup  de  succès,  le 
31  mars  dernier,  un  opéra  nouveau  en  un  acte  Paria,  musique  de  M.  Félix 
Gorter.  Le  compositeur  a  lui-même  écrit  son  livret,  d'après  un  drame  de 
Michel  Béer,  le  frère  de  Meyerbeer. 

—  L'École  nationale  de.  musique  de  Boulogne-sur-Mer  vient  délie,  par  un 
décret  récent,  érigée  en  succursale  du  Conservatoire  national  de  musique  et 
de  déclamation. 

—  Nous  apprenons  que  la  maison  Rouart,  Lerolle  et  Cie,  qui  vient  d'acqué- 
rir le  fonds  Louis  Gregh,  et  la  représentation   des    .<    Editions  LTniverselles 
et  Scblesinger,  a  décidé  de  créer  à  sa  Succursale  du  78  de  la  rue  d'Anjou^  une 


iâO 


LE  MENESTREL 


Section  de  Musicologie,  qui  sera  placée  sous  la  haute  direction  de  M.  Jules 
Ecorcheville.  Les  publications  annexes  de  la  Société  internationale  de  musi- 
que (section  de  Paris)  feront  désormais  partie  de  ce  tonds  d'ouvrages  sur  la 
musique. 

—  Soiuées  et  Concerts.  —  Salle  Erard,  concert  tout  à  fait  réussi  donné  par  M.  Louis 
Fournier  et  M"'  Fournier  de  Noce,  avec  le  concours  du  maître  Louis  Diémer.  Beau- 
coup de  bravos  pour  les  très  excellentes  exécutions  de  plusieurs  airs  classiques  et 
des  mélodies  de  Diémer,  Chanson  du  soirel  Menuet,  par  M""  Fournier  de  Noce,  pour 
Il  délicieuse  interprétation  de  la  Gavolle  pour  les  Heures  et  les  Zéphyrs,  de  Rameau, 
par  M.  Louis  Diémer,  et  pour  la  belle  ampleur  de  son  du  vio'oncelljste  Fournier. — 
M"'  Esther  Chevalier,  de  l'Opéra-Comique,  a  donné  une  brillante  audition  de  quel- 
ques-unes de  ses  élèves  de  chant,  en  présence  d'une  assemblée  d'élite.  On  a  tour 
à  tour  applaudi  des  jeunes  filles  et  des  jeunes  femmes  toutes  admirablement  stylées 
et  qui  font  honneur  à  l'enseignement  si  universellement  apprécié  de  leur  distingué 
professeur.  Citons  :  M""  Olchanski,  Lucy  Nancey,  Weil,  Warin,  de  Lisle,  Th. 
Lcoceur;  M""  Henry  Reyne  et  Iiispal;  M""  A..  Mayer  et  de  Fontêle,  et,  en  plu-',  un 
jeune  baryton  bas-c,  M.  A.  Clair.al,  duuô  d'une  très  belle  voix.  M"'  S.  Goldîtein, 
de  la  Porte-Saint-Marlin.M.  L.  Bélières,  du  Théâtre  des  Nouveautés,  et  le  violon- 
celiste  Hewilt,  a-.'.ompagné  par  sa  jeunj  sneir,  prétiient  leur  cpa'.iirs  à  cette 
solennité  qui  a  été  pour  tous  l'occasion  de  chaleureux  succès.  Au  pi  in  o,  M""  Georges 
Chrétien,  la  fi  lèle  et  distinguée  accompagnatrice  des  ours  qui  a  eu  sa  large  part  des 
applaudissements.  —  Très  réussi  le  concert  donné  par  Mme  Regina  d'Artelli,  salle 
des  Agriculteurs.  La  cantatrice  russe  a  interprété  d'une  belle  voix  sympathique, 
avec  style  et  émotion,  du  Gluck,  des  chansons  anciennes,  du  Diémer,  accompagné 
par  l'auteur,  et  du  Coquard.  M.  Enesco  a  été  incomparable  dans  l'Aria  de  Bach. 
Grand  succès  aussi  pour  l'excellent  pianiste  Lortat-Jacob.  —  M.  M°,c  et  M"*  Wein- 
gaertner  viennent  de  donner,  salle  Erard,  une  fort  jolie  matinée  musicale  consacrée 
en  majeure  partie  aux  œuvres  de  Théodore  Dubois.  Les  Poèmes  sylvestres,  les  Poèmes 
virgiliens,  la  suite  Au  jardin,  des  extraits  d'Aben  Hainet  et  de  la  Farandole,  l'Hymne 
nuptial,  le  final  du  concerto  et  l'andante  de  la  sonate  pour  violon,  les  mélodies 
A  Do'.arnenez  et  Par  le  sentier  valurent  de  mérités  applaudissements  aux  élèves  des 
excellents  professeurs.  On  a  fait  fête  à  M110  Marie  Weingaertner  qui  a  joué  supérieu- 
rement les  Éludes  de  concert  en /«majeur  et  en  la  bsmil  majeur.  —  Charmante  audi- 
tion des  élèves  de  M"»  Péraldi,  au  ours  de  laquelle  on  applaudit  M""  G.  de  G.  fies 
Phéniciennes  (VHérodiade,  J.  Massenet),  L.  A.  (Aragonaise  du  Cid,  J.  Massenet),  R.  L. 
(Le  Pdtre,  Chavagnat),  L.  B.  [Mazurka  de  Coppélia,  Delibes),  M.  G.  (Source  capricieuse, 
Filliaux-Tiger),  E.P.  (.Valse/ente  de  Coppélia,  Delibes).  M"" Péraldi  a  eu  grandsuccès 
en  exécutant  la  Grande  Valse  de  concert  de  Diémer.  —  Au  concert  de  M""  Chave- 
Praly,  exécution  excellente  d'œuvres  de  Théodore  Dubois.  M""  Bureau-Berthelot  a 
chanté  de  façon  exquise  les  Musiques  sur  l'eau,  Dormir  et  rêver,  la  Prière  de  l'Ephèbe 
et  ta  Jeune  Fille  à  la  cigale  (Odelettes  antiques)  qu'il  a  fallu  bisser.  On  terminait  parle 
beau  quintette  (violon,  clarinette,  alto,  violoncelle  et  piano),  très  chaudement 
accueilli.  —  M.  Vaillant  vient  de  faire  entendri  les  élèves  de  ses  cours  classiques  de 
piano  et,  parmi  les  nombreuses  exécutantes,  il  comient  de  mentionner  M"0'  G.  F. 
(Pizzicati  de  Sylvia,  Delibes),  S.  H.  (Smvenir  d'Alsace,  Lack),  B.  D.  (te  Roide  Lahore, 
Massenet-Périlhou)  et  G.  D.  [Les  Myrtilles,  Th.  Dubois).  —  Salle  Mustel,  très 
agréable  intermède  au  cours  de  l'audition  des  élèves  de  M.  Maurice  Galabert. 
M"1  Meininger  s'y  fait  applaudir  en  chantant  Je  t'aime  de  Massenet  et  l'air  de 
Cavalleria  Ruslicana  de  Mascagni.  —  Chez  M.  et  M»"  Louis  Diémer,  remarquable 
soirée  musicale  tout  au  long  de  laquelle  on  ovationne  le  maître  de  la  maison  et 
M.  Edouard  Risler  qui  jouent  d'unique  façon  la  Sérénade  de  Diémer,  transcrite  à 
deux  piaios  par  M.  G.  de  Lausnay.  M"1  Kinen  et  M.  Wa-mbrodt  remportent  un 
gros  succès  dans  des  fragments  de  Marie-Magdeleine  de  Massenet  et  MM.  Sechiari  et 
Fournier  retrouvent  tous  les  applaudissements  auxquels  ils  sont  habitués.  —  Au 
concert  donné  par  M"1  Levilly  et  ses  élèves,  l'excellent  professeur  a  fort  joliment 
interprété  les  Poèmes  de  Jade,  de  Gabriel  Fabre,  accompagnée  par  l'auteur.  —  Chez 
Mm0  Vieuxtemps  matinée  musicale  consacrée  aux  œuvres  de  M.  Henri  Maréchal  : 
fragments  d'opéras  ou  d'oratorios,  mélodies  et  chœurs  furent  très  applaudis.  Trois 
bis,  notamment,  accueillirent  le  terzetto  de  la  Taverne  des  Trabans,  la  Chanson  béar- 
naise, brillamment  enlevée  par  M.  Mary,  et  le  duo  de  Daphnis  et  Chloé  délicieuse- 
ment chanté  par  M"°  A.  Duclos  et  M.  Moncla.  —  Salle  Hoche,  très  intéressant 
concert  donné  par  M"0  Madeleine  £reux  qui  a  particulièrement  bien  interprété  le 
Concerto  de  Mendelssohn,  avec  accompagnement  de  quintette,  et  Primavera  de 
Périlhou.  On  a  aussi  beaucoup  applaudi  M™'  Berthe  Leblanc  qui,  d'une  voix  chaude 
et  bien  timbrée,  a  fait  entendre  un  air  de  Sigurd  et  Rêve  de  Moret.  —  M""  Cadot- 
Laffitte  vient  de  faire  entendre  ses  élèves  parmi  lesquels  nous  avons  tout  spéciale- 
ment remarqué  MM.  R.  et  J.  D.  (Sonatine,  Lack),  M""  P.  A.  (Da)is  les  bois,  Périlhou, 
et  Danse  de  Colombine,  Ad.  David),  MM.  R.  D.  (Rigaudon,  Chavagnat),  P.  F.  (Menuet, 
Dedieu-Peters),  et  M""  M.  G.  (Chanson  du  Meunier,  Schubert-Lange),  L.  H.  (Taren- 
telle, Marmontel),  M""  M.  et  M""  B.  C.  (Valse  Caprice,  Strauss-Philipp).—  La  dernière 
matinée  de  M11'  Marguerite  Touzard,  le  distingué  professeur,  a  été  des  plus  bril- 
lantes. Les  œuvres  de  M.  Georges  Hue,  accompagnées  par  l'auteur,  ont  été  remar- 
quablement interprétées  par  M"»1  Ch.  Boichin,  Alice  Gautier,  MM.  Choinet,  violon- 
celliste, et  Pyans,  flûtiste.  Grand  succès  pour  M"°  S.  Richebourg  qui  a  délicieuse- 
ment chanté  Croquis  d'Orient  et  Jeunes  chansons  sur  de  vieur  airs;  très  nombreux 
bis.  —  Dimanche  dernier,  brillante  matinée  chez  M.  et  M™5  Chavagnat  pour  l'audi- 
tion d'œuvres  d'auteurs  divers,  transcrites  à  4  mains  et  exécutées  par  Mm3  Filliaux- 
Tiger  ayant  pour  partenaire  Mllc  de  Gentils.  Gros  succès  pour  les  dix  pièces  de 
genre  et  le  Romin  d'Arlequin  du  maître  Massenet,  ainsi  que  pour  diverses  pièces 
de  Rameau,  Viardot,  Alary  et  Armingaud.  Chaleureusement  applaudies  aussi 
plusieurs  délicieuses  compositions  de  M—  Filliaux-Tiger  pour  chant,  violon  et 
et  piano  remarquablement  interprétées  par  M™"  Barroux,  Drouin  et  Lehericy 
Guyonnet;  sans  oublier  deux  gracieuses  adaptations  musicales  dites  par  M"1  Marie 
Féraud,  des  Mathurins,  et  accompagnée  par  l'auteur,  Mra0  Filliaux-Tiger. 

NÉCROLOGIE 

Uu  pianiste  élégant  qui  s'était  fait  depuis  longtemps  à  Paris  une  excel- 
lente réputation  de  professeur,  M.  Cb.  Neustedt,  est  mort  le  3  de  ce  mois  à 
Neuilly.  Il  était  né,  croyons-nous,  à  Saumur,  vers  183$.  Il  a  publié,  outre  un 


grand  nombre  de  transcriptions  et  de  fantaisies  sur  des  airs  d'opéras  faites 
avec  goût,. une  centaine  de  compositions  originales  écrites  avec  délicatesse  par 
une  main  légère  et  exercée.  Parmi  ces  dernières,  on  peut  citer  surtout  20  études 
progressives, Feuillets  d'album,  Bluettes  musicales,  Pièces  musicales,  transcriptions 
classiques,  etc. 

—  De  Bruxelles,  on  annonce  la  mort,  dans  un  âge  très  avancé,  de  l'ancien 
ténor  Deligne,  qui  fut  le  premier  époux  de  Mlle  Pauline  Lautcrs.  Ce  mariage 
ne  tarda  pas  beaucoup  à  se  rompre  par  un  divorce,  et  la  jeune  cantatrice,  qui 
débuta  en  1833  à  l'ancien  Tnéàtre-Lyrique  sous  le  nom  de  M'"0  Deligne- 
Lauters,  dans  un  opéra  de  M.  Gevaert,  le  Billet  de  Marguerite,  devint  par  la 
suite  Mmc  Gueymard  et  se  fit  à  l'Opéra  la  renommée  que  l'on  sait. 

—  On  nous  apprend  do  Rome  la  mort,  à  l'âge,  de  90  ans,  d'une  cantatrice 
qui  eut,  dans  la  première  moitié  du  dix-neuvième  siècle,  son  heure  de  véri- 
table célébrité.  Clara  Novello,  devenue  plus  tard  comtesse  Gigliucci,  était  la 
plus  jeune  des  quatre  filles  de  Vincent  Novello,  organiste  de  talent,  né  à 
Londres  de  famille  italienne,  qui  fut  le  londateur  en  cette  ville  de  la  fameufe 
maison  d'éditions  musicales  qui  porte  son  nom.  Elle-même  naquit  à  Londres  le 
15  juin  ISIS,  et  dès  sa  plus  tendre  enfance  fut  mise  entre  les  mains  de  pro- 
fesseurs qui  commencèrent  son  éducation  musicale.  Conduite  ensuite  à  Paris, 
elle  passa  quelque  temps  à  l'Ecole  classique  de  Choron  :  après  quoi,  de  retour 
à  Londres,  elle  devint  l'élève  de  Mo-chelès  pour  le  piano  et  de  Michael  Costa 
pour  le  chant.  Dès  1836  elle  commençait  à  se  faire  connaître  dans  les  concerts 
et  festivals,  à  Londres  et  dans  les  provinces,  et  ses  succès  la  firent  bientôt 
appeler  en  Allemagne.  Sa  belle  voix  et  son  grand  style  lui  valurent  de  vrais 
triomphes  à  Leipzig,  à  Dresde,  à  Munich,  à  Vienne,  à  Weimar,  à  Berlin,  et 
aussi  à  Sdint-Péter.-bourg.  Etant  rentrée  en  Angleterre,  elle  fut  engagée  à 
l'Opéra  italien  de  Londres,  et  après  une  saison  très  br. liante  fut  appelée  en 
Italie.  Elle  se  fit  applaudir  alors  à  Bologne,  à  Padoue,  à  Gènes,  à  Rome,  à 
Modène,  puis  alla  faire  une  nouvelle  saison  au  théâtre  de  Drury-Lane  et  prit 
part,  en  1844,  au  grand  festival  de  Birmingham.  C  est  alors  qu'elle  épousa  le 
comte  Gigliucci  et  renonça  à  la  carrière  arlistique.  Ce  ne  devait  être  que  pour 
un  'temps,  et  des  circonstances  l'obligèrent,  en  1830,  à  paraître  de  nouveau 
devant  le  public.  Elle  retrouva  alors  ses  succès  passés  en  se  produisant  dans 
les  concerts,  en  faisant  apprécier  son  grand  style  dans  les  séances  d'oratorios 
et  en  se  montrant  encore  au  théâtre,  non  seulement  à  Londres,  mais  à  Rome, 
Lisbonne,  Madrid,  Milan  et  même  en  Allemagne.  Cette  seconde  partie  de  son 
existence  artistique  prit  fin  en  1860.  Elle  lit  alors  définitivement  ses  adieux 
au  public,  et  alla  se  retirer  en  Italie,  où  elle  a  vécu  encore  pendant  près  d'un 
demi-siècle.  Clara  Novello  a  été  certainement  l'un  des  derniers  représentants, 
et  des  plus  accomplis,  de  l'ancienne  et  belle  école  de  chant  italien. 

—  Emile  Heckel,  éditeur  des  lettres  de  Wagner  et  fondateur  du  patronat 
de  Bayreuth,  est  mort  le  30  mars  dernier  à  Mannheim,  à  l'âge  de  76  ans. 

—  Un  musicien  qui  exerça  successivement  les  fonctions  de  maître  de  cha- 
pelle à  Mayence,  à  Berne,  à  Bàle,  à  Wurtzbourg,  à  Cassel  et  à  Wiesbaden, 
Karl  Reiss,  vient  de  mourir  à  Francfort  à  l'âge  de  79  ans.  Il  est  l'auteur  d'un 
opéra,  Otlo  l'archer,  qui  fut  représenté  à  Mayence  en  1836. 

—  Joseph  Sucher,  ancien  chef  d'orchestre  à  l'Opéra  de  Berlin,  où  il  avait 
été  appelé  en  1888,  à  l'époque  où  sa  femme,  la  cantatrice  Rosa  Sucher,  née 
Hasselbeck,  y  était  engagée  comme  chanteuse  dramatique,  vient  de  mourir 
dans  cette  ville.  Né  le  23  novembre  1843,  à  Dœbœr,  en  Hongrie,  il  étudia  le 
droit  à  Vienne  avant  de  se  vouer  complètement  à  la  musique.  Nommé  chef 
d'orchestre  au  Théâtre-Municipal  de  Leipzig  en  1876,  il  s'y  maria  l'année  sui- 
vante et  vint  deux  ans  après  prendre  les  mêmes  fonctions  à  Hambourg  où 
Tyjme  Rosa  Sucher  fut  engagée  comme  prima  donna  et  où  les  deux  artistes 
vécurent  dix  années,  après  lesquelles  des  offres  leur  furent  faites  pour  Berlin. 
Mme  Rosa  Sucher  fit  ses  adieux  à  la  scène  le  3  novembre  1903,  au  Théâtre- 
Royal  de  Berlin. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Viennent  de  paraître  :  chez  E.  Fasquelle  :  Les  Royautés,  poème,  d'Abel  Bonnard 
(  3  fr.  50)  ;  Ce  qu'il  fallait  savoir,  roman,  d'Ernest  Tissot  (3  fr.  50)  ;  Comment  on  devient 
Colon,  de  Charles  Géniaux  (3  fr.  50). 

Chez  Hach3tte,    Musiciens  d'aujourd'hui,  de  Romain  Rolland  (3  fr.  50  c). 

Chemins  de  fer  de  l'Ouest. 

Dans  le  but  de  faciliter  les  relations  entre  Le  Havre,  la  Basse -Normandie 
et  la  Bretagne,  il  sera  délivré,  du  1er  avril  au  2  octobre  1908,  par  toutes  les 
gares  du  réseau  de  l'Ouest  et  aux  guichets  de  la  Compagnie  normande  de 
navigation  à  vapeur,  des  billets  directs  comportant  le  parcours  par  mer  du 
Havre  à  Trouville  et  par  voie  ferrée  de  la  gare  de  Trouville-Deauville  au 
point  de  destination  et  inversement.  Le  prix  de  ces  billets  est  ainsi  calculé  : 
Trajet  en  chemin  de  fer,  prix  du  tarif  ordinaire  ;  trajet  en  bateau,  1  fr. 70 
pour  les  billets  de  lre  et  2e  cl.  (chemin  de  fer)  et  lre  cl.  (bateau).  Un  service 
spécial  de  trains  est  organisé  entre  Trouville-Deauville  et  Le  Mans,  pour 
assurer  les  relations  ci-dessus.  MM.  les  voyageurs  sont  priés  de  consulter  les 
affiches  concernant  ces  trains  qui  sont  apposées  dans  toutes  les  gares  et  haltes 
du  réseau  de  l'Ouest. 


,  —  l'HiiniMiii:  < 


F-,  20, 


(Encre  Lonli-m). 


Samedi  IX  Avril  1908. 


4021.  -  14'  A.WÉE.  -  N»  16.         PARAIT  TOUS   LES   SAMEDIS 

(Les  Bureaux.  2 b!",  rue  Vivienne,  Paris,  u-  an") 
(Le?  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


ENESTREL 


lie  5améro  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Le  fluméfo  :  0  fi».  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Boas-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  Î0  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  ea  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  il7e  article),  Jclien  Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  premières  représentations  de  Simone,  à  la  Comédie-Française,  et  du  Chevalier  d?Éon,  à  la 
Porte-Saint-Martin,  Paul-Emile  Chevalier;  première  représentation  de  la  Courtisane  de  Corinlhe,  au  Théâtre-Sarah-îïernhardl.  Amédée  Boitarel. —  III.  La  Musique  et  le  Théâtre 
aux  Salons  du  Grand-Palais  (1"  article!,  Camille  Le  Sensé.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
LA  LETTRE  DE  ROSITA 
chantée  dans  le  Chevalier  d'Éon,  l'opérette  nouvelle  de  Rodolphe  Berger.   — 
Suivra  immédiatement   :    Rêverie   de   la  Dubnrnj,  extraite  de  la  même  par- 
tition. 


MUSIQUE   DE  PIANO 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 

MAZURKA 

extraite  du  ballet  du  Chevalier  d'Éon,  l'opérette  nouvelle  de  Rodolphe  Berger. 

—  Suivra  immédiatement   :    Roses   de   France,   scherzetto   extrait   du    même 

ballet. 


SOIXANTE     ANS     DE     LA    VIE     DE     GLUCK 


CHAPITRE  V 


Gluck  à  Vienne. 


Revenu  sur  la  terre  d'Allemagne,  il  fallut  que  Gluck  s'éveillât 
de  son  rêve  d'émancipation,  encore  vague  d'ailleurs,  pour 
retomber  dans  la  vulgaire  réalité.  Les  difficultés  de  la  vie  le 
guettaient  ;  le  seul  moyen  qu'il  eût  d'en  sortir  était  de  suivre 
l'ornière.  Il  se  mit  derechef  en  quête  d'un  engage- 
ment pour  écrire  l'opéra  de  la  saison  dans  une 
ville  quelconque,  quitte  à  recommencer  ailleurs 
l'année  suivante,  et  ainsi  de  suite  jusqu'à  la  fin 
de  sa  vie.  Il  eut  la  bonne  fortune  de  trouver  im- 
médiatement ce  qu'il  cherchait  :  l'imprésario 
Mingotti,  dont  la  troupe  donnait  les  représenta- 
tions d'opéra  à  Dresde,  le  prit  avec  lui.  Son  bio- 
graphe bohémien  Dlabacz  spécifie  qu'il  fut  nommé 
musicien  de  la  chapelle  de  la  cour  de  Dresde  «  avec 
un  traitement  important  »  (1).  Toujours  est-il 
qu'un  .double  mariage  princier  ayant  eu  lien,  le 
même  jour,  à  la  cour  de  Saxe.il  fut  chargé  de 
composer  l'opéra,  complément  nécessaire  des 
fêtes  ..nuptiales,  —  car,  notons-le,  les  opéras 
nouveaux,  dans  l'Allemagne  de  ce  temps-là. 
n'avaient  guère  d'autre  raison  d'être  que  de  faire 
l'ornement  des  fêtes  seigneuriales,  et  Gluck  eut 
maintes  fois  l'occasion  d'asservir  son  génie  à  ces 
sortes  de  nécessités.  L'ouvrage  qu'il  produisit 
cette  fois  avait  pour  titre  :  Le  Xozze  d'Ercole  e 
d'Ebe  :  il  fut  représenté  au  château  de  Pillnitz,  le 
29  juin  1747.  Au  nombre  de  ses  interprètes,  il 
eut  la  bonne  fortune  de  trouver  une  artiste  d'un  rare  mérite, 
Regina  Mingotti,  une  des  plus  célèbres  cantatrices  italiennes 
du  XVIIIe  siècle.  Celle-ci,  par  une  exception  presque  unique, 

1    Gottfried  Johann  Dlabacz,  KûnstlerLexileoa  fur  Bohmen,  Prague,  1815,  col.  470. 


GLUCK  JELNE 


ne  bornait  pas  son  effort  à  faire  entendre  les  sons  de  sa  voix,  si 
beaux  qu'ils  fussent  :  elle  avait  le  souci  de  composer  un  rôle, 
de  représenter  une  action  (1),  qualités  rares  en  ce  temps-  là,  et 
dont  Gluck  ne  put  manquer  d'être  vivetnent  frappé. 

Quelques  copies  de  la  partition  desNozze  d'Ercole 
e  d'Ebe  nous  ont  été  conservées,  notamment  par 
la  bibliothèque  de  Dresde.  Celle-ci  possède  aussi 
l'exemplaire  unique  d'une  autre  œuvre  de  Gluck: 
le  manuscrit  d'une  septième  sonate  pour  deux 
violons  et  basse,  distincte  de  la  suite  de  six  so- 
nates gravées  à  Londres.  Le  style  en  est  assez 
notablement  différent,  et  la  coupe  n'est  pas  la 
même  ;  les  trois  morceaux  se  succèdent  dans 
l'ordre  suivant  :  Allegro,  Andanle,  et  Finale  à  trois 
temps,  plus  développé  qu'un  menuet.  Cette  sonate 
est  encore  plus  surchargée  d'ornements  que  les 
précédentes.  C'est  bien  de  la  musique  de  cour 
allemande  à  la  mode  du  XVIIIe  siècle.  Elle  a  des 
atours  qui  font  penser  à  ceux  que  portait 
Mlle  Cunégonde,  fille  du  baron  Thunder-Tentronckh 
en  'Westphalie,  les  jours  où  elle  était  en  habit 
d'apparat.  En  vérité,  Gluck  n'était  pas  l'homme 
prédestiné  à  donner  la  vie  à  cette  forme  d'art. 

Un  événement  de  famille  vint  modifier  ses 
projets.  Son  père  mourut.  Il  était  à  ce  moment 
maitre-forestier  à  Reichstadt,  cette  petite  ville  de 
Bohême  qui  devait  être  un  jour  érigée  en  duché 
pour  «  l'Aiglon  ».  La  part  d'héritage  de  l'artiste  consistait  en  un 
débit  de  boissons  dans  levillage  de  Johnsdorf,  près  Georgenthal. 

(1)  Voy.  Burnet,  État  présent  de  ta  musique,  111,  137.  «  Ses  talents  comme  actrice 
lui  valurent  autant  d'applaudissements  que  son  chant.  Elle  rendit  le  rôle   . 
manière  originale  et  forte  avec  laquelle  Garrick  surprit  à  son  début.  » 


122 


LE  MENESTREL 


Gluck  s'en  fut  encore  une  fois  en  Bohême,  pour  y  vendre  son 
débit  ;  et,  comme  la  Bohême  est  à  moitié  chemin  entre  Dresde 
et  Vienne,  il  rentra  dans  cette  dernière  ville. 

Là,  toujours  recherché  pour  ses  talents,  il  fut  chargé  d'écrire 
l'opéra  nouveau  destiné  à  célébrer  l'anniversaire  de  naissance  de 
l'Impératrice  Marie-Thérèse  :  Semiramide  riconosciuta,  poème  de 
Métastase  (représenté  au  Théâtre -Impérial  le  14  mai  1748).  La 
partition  a  été  conservée,  et  l'on  a  de  nos  jours  réédité  six 
airs,  sans  que  nous  puissions  dire  quelle  raison  a  pu  déterminer 
cette  faveur  accordée  à  une  œuvre  d'intérêt  secondaire,  au 
détriment  d'autres  morceaux  qui  eussent  plus  dignement  repré- 
senté la  production  de  Gluck  en  cette  partie  de  sa  carrière. 

Et  comme  il  n'avait  pas  à  Vienne  une  position  stable,  il  fallut 
bien  qu'il  partit  encore.  Mingotti  le  reprit  comme  Ka/pdhneisler  de 
sa  troupe,  laquelle,  cette  année-là,  s'en  alla  faire  la  saison  à 
Copenhague.  Ce  fut  pour  célébrer  la  venue  au  monde  d'un  prince 
danois  que  sa  musique  fut  cette  fois  employée  :  il  écrivit 
la  Contesa  de'Numi  (que  la  plupart  des  biographes  intitulent 
Totale,  sans  que  l'on  puisse  savoir  pourquoi),  et  cet  opéra  en 
deux  parties,  qui  ne  se  compose  que  de  douze  airs  et  deux  en- 
sembles, fut  représenté  au  château  de  Charlottenbourg  le 
9  avril  1749,  deux  mois  et  demi  après  la  naissance  du  prince 
héritier,  futur  roi  Christian  VII,  qu'il  s'agissait  de  fêter  en  mu- 
sique. —  Entre  temps,  il  renouvela  dans  un  concert  (19  avril)  sa 
prouesse  de  Londres,  la  jugeant  sans  doute  excellente  pour  les 
peuples  du  nord,  en  donnant  une  nouvelle  audition  de  ses  œu- 
vres sur  le  Glas-harmonica. 

De  nouveau  installé  à  Vienne,  il  se  fiança,  ou  du  moins  tenta 
de  le  faire  :  la  fille  d'un  riche  marchand,  Maria-Anna  Pergin, 
attira  ses  hommages,  et  ne  les  découragea  point.  «  Ce  fut,  a-t-il 
avoué,  l'époque  la  plus  heureuse,  et  en  même  temps  la  plus 
malheureuse  de  sa  vie  »  (1);  car  le  père  ne  voulut  pas  d'un 
gendre  dont  la  position  était  aussi  peu  assurée  qu'était  encore 
celle  de  Gluck.  Il  s'éloigna.  Il  n'alla  pas  à  Rome,  et  n'y 
donna  pas  Telemacco  (postérieur  de  quinze  années),  comme 
le  veulent  les  biographes  ;  mais  (ce  qu'ils  ont  ignoré)  il  retourna 
en  Bohême,  et  composa  pour  Prague  un  opéra  plus  impor- 
tant que  tout  ce  qu'il  avait  éparpillé  aux  quatre  vents  de 
l'Europe  depuis  son  départ  d'Italie  :  Ez-io,  représenté,  dit  le 
libretto,  au  «  Nuovo  Teatro  di  Praga  nell'  Carnavale  dell'  auno 
1750  ».  Il  n'était  pas  alors  question  de  théâtre  tchèque  dans 
la  capitale  bohémienne  ;•  c'est  donc  sur  un  texte  italien  (de  Mé- 
tastase) que  Gluck,  comme  plus  tard  Mozart,  fut  obligé  de 
composer  la  musique  destinée  par  lui  à  être  offerte  à  ses 
compatriotes  comme  hommage  de  sa  maturité  (2). 

Il  nous  avait  bien  dit  qu'il  cherchait  à  adapter  son  art  à  la 
diversité  du  goût  des  nations,  et  cette  préoccupation,  dange- 
reuse pour  de  moins  forts,  fut  cause  que  son  génie  s'accrut  de 
tout  ce  qu'il  lui  fut  donné  d'observer  et  de  retenir  chez  les  diffé- 
rents peuples,  pour  s'élever  plus  tard  à  la  compréhension  de  la 
complète  humanité.  Dans  la  Bohême  germanisée  du  XVIIIe  siè- 
cle, presque  aux  confins  de  la  Saxe,  non  loin  de  Leipzig  où, 
dans  le  moment  même,  Sébastien  Bach  achevait  sa  carrière,  il 
fit  de  la  musique  allemande  :  non  de  la  musique  de  Bach  (mais 
d'abord,  qui  donc  a  fait  du  Bach,  si  ce  n'est  Bach  lui-même?), 
mais  une  musique  sensiblement  différente  de  ce  qu'il  avait 
produit  en  Italie  et  en  Angleterre,  d'un  style  plus  serré  et  plus 
fort.  Dans  la  plupart  des  morceaux  d'Ezio,  la  voix  fait  corps  avec 
la  symphonie,  sans  avoir  souvent  plus  d'indépendance  que  dans 
les  airs  du  grand  cantor  où  elle  concerte  avec  les  instruments 
obligés.  Les  harmonies  chromatiques  ne  sont  pas  rares;  les 
basses  ont  plus  de  mouvement,  moins  de  monotonie  que  dans 
les  airs  accoutumés  du  répertoire  italien.   Peut-être  aussi   Par- 


ti) Schmid,  C.  W.  R.  v.  Gluck,  p.  46. 

(2)  A  partir  d'à  présent,  nous  pourrons  étudier  les  opéras  de  Gluck  dans  des  par- 
titions complètes,  bien  que  rares  encore.  C'est  ainsi  que  pour  Ezio,  le  catalogue  de 
M.  Wotquenne  mentionne  trois  partitions  anciennes  conservées  dans  les  Bibliothè- 
ques de  Dresde,  Berlin  et  Londres  (British  Muséum),  ainsi  que  la  copie  du  Conser- 
vatoire de  Bruxelles.  Il  convient  d'y  ajouter  une  autre  copie  (moderne),  provenant. 
d'Otto  Jahn,  et  appartenanl  ii  la  Bibliothèque  du  Conservatoire  de  Paris. 


deur  intérieure  que  nous  avons  signalée  parfois  dans  les  pre- 
mières compositions  s'est-elle  affaiblie  :  le  jeune  maître,  conti- 
nuant son  éducation  pratique,  a  fini  de  jeter  son  premier  feu,  et 
s'assagit.  Mais  si  la  fougue  est  retenue,  il  acquiert  d'autres  qua- 
lités de  forme,  une  autorité  plus  grande;  et,  pour  ses  dons 
naturels  et  primesautiers,  il  saura  bien  les  retrouver  quand  il 
faudra. 

Il  y  a  dans  cet  opéra  un  morceau  qui  mérite  d'être  signalé 
avec  une  attention  particulière,  d'abord  pour  sa  valeur  propre, 
puis  à  cause  des  destinées  qui  lui  furent  réservées.  C'est  l'air  : 
«  5e  povero  il  ruscello...  —  Si  le  pauvre  petit  ruisseau  mur- 
mure lentement  et  à  voix  douce,  un  rameau  ou  une  pierre 
arrête  presque  son  cours.  »  Pour  exprimer  cette  tranquillité, 
Gluck  a  confié  aux  violons  un  dessin  obstiné  en  sextolets  de 
doubles  croches,  tandis  qu'un  hautbois  s'y  superpose  en  un 
chant  contemplatif  auquel  la  voix  répondra  bientôt.  A  lire  cette 
description,  il  semble  que  nous  parlions  de  tel  de  ces  beaux 
airs  de  Bach  où  le  hautbois  dialogue  éloquemment  avec  la  voix 
sur  un  rythme  continu  des  instruments  à  cordes  ou  de  la  basse. 
Or,  cet  air,  ceux-là  même  le  connaissent  qui  ne  sont  familiers 
qu'avec  les  chefs-d'œuvre  français  de  Gluck  :  c'est  l'air  d'entrée 
d'Orphée  dans  les  Champs-Elysées  :  «  Quel  nouveau  ciel  pare 
ces  lieux  1  ».Et  c'est  bien,  dans  les  paroles,  le  même  sentiment 
de  calme.  Mais  combien  les  modifications  apportées  en  dernier 
lieu  ont  affiné,  épuré  la  notation  première!  Dans  son  premier 
état,  l'air  est  encore  tout  scolastique,  avec  des  formules  de 
cadences  en  style  rococo  :  c'est  un  air  à  reprise,  avec  un  milieu 
qui,  pour  produire  l'antithèse  obligée,  oppose  l'agitation  des 
éléments  au  calme  précédemment  décrit,  après  quoi  les  violons, 
le  hautbois  et  la  voix,  retournant  au  commencement,  déroulent] 
une  seconde  fois,  et  avec  quel  flegme,  le  tableau  du  ruisseau 
qui  murmure!  Dans  Orphée,  toutes  ces  anomalies  ont  disparu  :  ' 
retouchant  sa  première  ébauche,  supprimant  les  parties  qui 
datent,  et,  avec  un  bonheur  incroyable,  les  remplaçant  par  des 
inflexions  si  heureuses  qu'on  ne.  pourrait  pas  croire,  si  la  preuve 
n'était  là,  qu'elles  ne  sont  pas  le  produit  du  premier  jet,  ren- 
dant enfin  le  chant  plus  libre  et  moins  subordonné,  Gluck  arrive 
à  tracer  un  tableau  musical  dont  nous  n'avons  pas  à  dire  ici 
quelle  est  la  poétique  impression  :  tout  le  monde  l'a  éprouvée. 
Mais  si,  dans.É'sio  cette  impression  est  encore  imparfaite,  il  n'en 
est  pas  moins  vrai  que  tous  les  éléments  du  chef-d'œuvre  défi- 
nitif y  sont  déjà  contenus. 

Un  autre  air  du  même  opéra  a  joui  d'une  faveur  d'un  autre 
genre.  Au  dernier  acte  de  l'Akeste  française  est  un  épisode  ajouté 
après  coup  pour  compléter  le  dénouement,  jugé  insuffisant  par 
le  public  de  la  première  représentation.  On  a  dit  que  la  musique 
de  ce  remaniement  n'avait  pas  été  écrite  par  Gluck,  obligé  de 
s'éloigner  de  Paris,  et,  en  son  absence,  suppléé  par  Gossec  ; 
aussi  a-t-on  attribué  à  ce  dernier  la  composition  de  l'air  que 
chante  Hercule  devant  le  palais  d'Admète  :  «  C'est  en  vain 
que  l'enfer  compte  sur  sa  victime.  »  C'est  une  erreur  :  l'air 
provient  d'Ezio.  Pourtant  il  n'est  pas  dit  que  Gossec  n'a  pas 
contribué  à  lui  donner  sa  forme  dernière,  car  l'air  d'Alceste  est 
sensiblement  différent  de  celui  d'Ezio,  et  la  retouche  fut  loin  de 
constituer  une  amélioration,  ce  qui  n'est  pas  habituel  quand 
Gluck  reprenait  lui-même  une  de  ses  anciennes  compositions. 
L'air  d'Hercule,  aux  allures  de  marche  quelque  peu  poncive, 
était  à  l'origine  un  cantabik  d'un  style  soutenu,  chantant  les 
adieux  émus  d'un  héros  captif  (le  primo  uomo)  à  celle  qu'il  aime. 
Cet  air  :  «  Ecco  aile  mie  catene  »,  qui  fait  pendant  au  Misero  par- 
goletto  de  Demofoonte,  mérite  d'être  retenu  par  sa  belle  forme 
de  chant  classique  et  son  expression  pathétique  :  la  dernière 
partie,  notamment,  est  fort  belle,  quand,  sur  un  vibrato  des  vio- 
lons, la  voix  chante  avec  un  accent  de  désespoir  :  «  Caro  mio 
bene,  addio  !  »  C'est  déjà  du  vrai  Gluck  (1). 

Comme  nous  l'avons  déjà  constaté  en  analysant  un  précédent 


(1)  Cet  air  est  de  ceux  que  Gluck  avait  principalement  retenus  de  sa  production 
initiale.  Il  en  avait  fait  lui-même  une  copie  pour  l'offrira  Klopstock.  Berlin  possède 
cet  autographe. 


LE  MÉNESTREL 


123 


opéra  italien,  les  airs  sont  placés  dans  un  ordre  destiné  à  les 
faire  ressortir  les  uns  par  les  autres.  Mais  les  formes  ne  sont 
pas  plus  variées  qu'autrefois.  Pourtant,  cette  partition  compte 
déjà  quatre  airs  sans  reprise.  C'est  déjà  un  progrès  !  Le  second 
acte  s'achève  par  un  trio,  le  troisième  par  un  ensemble  (cette 
dernière  partie  insignifiante  dans  tous  les  opéras  de  ce  temps). 
Tout  au  débul,  l'orchestre  fait  entendre  une  marche  très  courte, 
surchargée  de  notes,  dans  un  style  un  peu  tzigane.  Dix-sept  airs 
avec  reprise  obligée,  ritournelle  et  milieu,  complètent  l'œuvre, 
dont  l'ensemble  est  d'ailleurs  très  honorable. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SEMAINE  THEATRALE 


Eomédie-Française.  Simone,  pièce  en  3  actes,  de  M.  Brieux. —  Pobte-Saiht- 
Maiitin.  Le  Chevalier  d'Éon ,  opéra-comique  en  i  actes.  d'Armand  Silvcstre 
et  M.  Henri  Cain,  musique  de  M.  Rodolphe  Berger. 

Un  matin,  dans  leur  demeure  provinciale,  on  a  trouvé  inanimés  les 
corps  de  M.  et  M""'  de  Sergeac,  l'un  et  l'autre  percés  d'une  balle  de 
revolver.  M",e  de  Sergeac  élait  morte  sur  le  coup;  M.  de  Sergeac  a 
survécu  à  sa  blessure.  Qui  a  tué  ?  Pourquoi  a-t-on  tué  ?  Problèmes  que 
seul  le  survivant  pourrait  résoudre;  mais  M.  de  Sergeac,  par  un  phé- 
nomène dont  la  science  peut  citer  plusieurs  exemples,  a  totalement 
perdu  la  mémoire  depuis  le  moment  où  le  drame  s'est  produit.  On  va 
cependant  tenter  un  dernier  effort  et  essayer  de  réveiller  les  souvenirs 
de  celui  qui  croit  sa  femme  partie.  M.  de  Lorsy,  le  malheureux  père  de 
la  victime,  M.  de  Sergeac  père,  un  avocat  venu  de  Paris  et  le  médecin 
qui  a  soigné  le  blessé  forment  un  espèce  de  tribunal  familial  ;  le  méde- 
cin se  réserve  le  droit  de  conduire  seul  et  à  sa  guise  l'interrogatoire, 
l'état  du  convalescent  exigeant  encore  de  grandes  précautions.  Et  peu  â 
peu  les  ténèbres  qui  encombrent  l'esprit  de  Sergeac  se  dissipent:  il 
revit  et  revoit  les  moments  qui  précédèrent  immédiatement  la  scène 
sanglante  ;  mais  il  ne  pourrait  reconstituer  le  drame  lui-môme  si  M.  de 
Lorsy,  incapable  de  se  maîtriser  plus  longtemps,  ne  lui  sautait  à  la 
gorge  en  l'accusant  d'être  le  meurtrier!  ..Oui,  oui!  C'est  vrai,  c'est 
bien  lui  qui  a  assassiné  !  Use  rappelle  maintenant...  Et  s'il  a  tiré  sur 
sa  femme  qu'il  adorait,  c'est  qu'en  rentrant  à  l'improviste  chez  lui,  il 
l'a  trouvée  dans  les  bras  de  son  meilleur  ami... 

Quinze  ans  se  passent.  On  a  fait  le  silence  sur  la  tragique  fin  de 
Mmc  de  Sergeac,  ou  a  quitté  la  petite  ville  de  province  aux  souvenirs 
trop  cruels  et  Sergeac  a  élevé  sa  fille  unique,  Simone,  dans  l'amour  et 
le  respect  d'une  mère  qu'elle  a  à  peine  connue.  Les  douleurs  et  les 
remords  s'endorment  jusqu'au  jour  où  Simone  aime  et  veut  se  marier. 
On  a  raconté  au  futur  beau-père  une  histoire  de  chute  de  cheval:  mais 
on  l'a  racontée  si  mal,  car  on  n'a  pas  l'habitude  du  mensonge,  que  le 
bonhomme  intrigué  enquête  à  droite  et  à  gauche  et  finit  par  apprendre 
la  vérité.  11  s'oppose  nettement  au  mariage  de  son  fils.  Quelle  sera 
l'attitude  de  Sergeac  vis-à-vis  de  Simone  ?  Et  quelle  sera  celle  de 
Simone  vis-à-vis  de  son  père  ? 

Simone  exige  d'abord  que  son  père  lui  explique  un  refus  que  ne  lais- 
sait pas  prévoir  toute  la  sollicitude  dont  elle  a  été  entourée.  Sergeac  se 
refuse  à  ternir  la  mémoire  adorée  d'une  mère.  Alors  Simone,  elle  aussi, 
finit  par  arracher  d'uue  vieille  servante  l'épouvantable  secret  de  famille. 
Peut-elle  juger  la  conduite  de  son  père  et  a-t-elle  le  droit  de  le  con- 
damner !  M.  Brieux  avait  pensé  oui.  Mais  le  public  de  la  répétition 
générale  n'a  point  voulu  le  suivre;  et,  comme  c'était  son  droit,  il  a  fait 
jouer  sa  pièce  devant  le  public  de  première  avec  un  nouveau  dénoue- 
ment. C'est  M.  de  Lorsy,  —  il  a  le  droit  de  parler  puisque  sa  fille  fut 
la  victime — .  qui  affirme  à  Simone  qu'elle  peut  et  doit  garder  toute  son 
affection  a.  son  père. 

Après  un  premier  acte  de  netteté  absolue,  de  moyens  brutalement 
terre  à  terre  mais  impressionnants  et  de  sobriété  fort  angoisante,  la 
pièce  de  M.  Brieux  semble  s'embarrasser  d'un  problème  de  résolution 
lente  et  difficultueuse  ;  la  précision  des  caractères  s'estompe,  l'intérêt 
s'éparpille  en  des  scènes  inutiles  et  la  curiosité,  si  énergiquement  et 
adroitement  éveillée  au  début,  s'émousse. 

Simone  est  jouée  supérieurement  en  son  début,  alors  que  M.  Grand 
d'abord,  puis  MM.  Leitner,  Numa,  Ravet  et  M11''  Kolb  trouvent,  pour 
se  mouvoir,  un  terrain  supérieurement  préparé.  Il  y  eut,  par  la  suite, 
quelque  chose  d'hésitant,  puis  d'outré  dans  le  jeu  des  interprètes  ; 
Mme  Piérat  et  M.  Grand,  la  première  la  moins  bien  partagée,  tout  en 
demeurant  les  parfaits  et  impressionnables  artistes  que  l'on  sait  et  que 


l'on  aime,  abusèrent  de  sanglots  et  de  cris  impuissants  à  suppléer 
l'émotion  trop  factice  de  l'auteur,  visiblement  gêné  par  un  sujet  dan- 
gereux. 

Il  n'y  a  pas  de  problème  ardu,  il  n'y  a  pas  de  larmes  à  la  Porte-Saint- 
Martin,  théâtre  de  drame  pourtant,  que  la  baguette  d'un  magicien, 
M.  Brouette,  vient  de  temporairement  transformer  en  théâtre  de  musi- 
que aimable,  et  de  quelle  fai-on  !  Mais  procédons  par  ordre. 

Vous  savez  l'histoire  véridique  du  Chevalier  d'Eon.  Armand  Silvestre 
et  M.  Henri  Cain  s'en  servirent  pour  trousser  un  élégant  opéra-comique 
que  M.  Rodolphe  Berger,  musicien  d'infinies  ressources  et  d'inventions 
multiples,  para  à  profusion  de  joliesse,  de  sentiment  ou  de  gaiti 

Donc  Eon,  pour  suivre  à  la  cour  de  Versailles,  une  danseuse  d'Opéra, 
Rosita,  dont  il  est  épris,  se  déguise  en  femme  et  le  travestissement  lui 
va  si  bien  que  tout  le  monde  s'y  trompe,  même  MnK  Dubarry.  Cette  fan- 
taisie vaudrait  même  quelque  prison  à  l'aventureux  amoureux,  si,  pré- 
cisément, on  ne  cherchait,  dans  l'entourage  du  roi.  une  femme  assez 
adroite  pour  arriver  jusqu'à  l'impératrice  de  Russie  qui,  trompée  tui- 
les vrais  sentiments  de  Louis  XV,  vient  d'interdire  à  tout  français 
l'entrée  de  son  empire.  Eon  gardera  donc  sa  robe  à  paniers  et,  malgré 
les  larmes  de  Rosita,  partira  pour  Pétersbourg  afin  de  regagner  la  con- 
fiance de  la  tzarine  Elisabeth. 

L'ambassade  réussie,  Eon  revient  à  Paris  embrasser  sa  Rosita  jamais 
oubliée,  et  apporter  un  bon  et  beau  traité  d'alliance  avec  la  Russie. 

Voici  le  thème.  Mélangez-y  un  Lieutenant  de  Police  coureur  et  tenant 
à  sa  place  un  diplomate  étranger  très  méchant  qui  essaie  d'empêcher 
Eon  de  réussir,  des  amies  de  Rosita,  comme  elle  danseuses  à  l'Opéra, 
et  comme  elle  joliment  gazouillantes,  des  amis  d'Eon  bons  et  joyeux 
lurons,  et  vous  aurez  la  formule  avec  laquelle  Armand  Silvestre  et 
M.  Henri  Cain  ont  bâti  ces  quatre  actes  que,  fait  assez  rare  par  le 
temps  qui  court,  tout  le  monde  pourra  aller  applaudir. 

Nous  avons  dit  déjà  combien  M.  Rodolphe  Berger,  dont  c'était  le 
début  dans  un  théâtre  classé,  avait  été  heureusement  inspiré  par  le 
sujet.  Ce  qui  domine  le  plus  dans  son  importante  partition  c'est  le 
charme  et  un  perpétuel  souci  d'écriture  distinguée  et  soignée  dans  ses 
moindres  détails.  Mais  il  n'y  a  pas  là  que  du  charme,  il  s'y  trouve 
aussi  de  la  fantaisie  et  de  l'amusement  fort  spirituel,  et  le  premier 
acte,  à  lui  seul,  montre  bien  toutes  les  ressources  dont  il  dispose  :  que 
ce  soit  le  chœur  comique  des  policiers,  la  délicieuse  entrée  de  Rosita 
et  des  danseuses,  avec,  un  peu  après,  la  poétique  scène  de  déclaration, 
l'ensemble  très  carré  et  d'allure  martiale  du  duel,  le  fin  duetto  d'Éon 
et  de  Rosita  :  «  Il  faut  en  amour  au  but  courir  vite  »,  ou  l'entraînant 
final-valse  bissé  par  toute  la  salle  et  déjà  populaire,  tout  est  merveil- 
leusement en  place  et  dénote  chez  le  compositeur  une  étonnante  facilité 
et  un  entendement  très  juste  des  coupes  convenables  au  théâtre.  Et  si 
l'on  pousse  plus  avaut  dans  l'œuvrette,  il  faut  signaler  la  rêverie  de  la 
Dubarry,  avec  son  accompagnement  au  lointain,  les  couplets  du  Lieu- 
tenant de  police  qu'on  redemande  à  M.  Huguenet,  les  endiablés  cou- 
plets d'Éon  :  «  Je  l'ai  rossé,  blessé,  cassé  »,  l'entracte-lamento  avec  son 
solo  de  violon,  la  romance  de  Flore  soupirée  aux  oiseaux  de  Rosita,  la 
«  lettre  de  Rosita  »  et  la  «  romance  de  la  Fleur  »,  le  point  culminant 
de  la  soirée,  la  «  Valse  de  la  Parisienne  »,  le  petit  chœur  des  rats  de 
l'Opéra,  l'éblouissant  ballet,  sans  compter  les  sonores  finales  du  second 
et  troisième  acte.  En  voilà,  n'est-il  pas  vrai  ?  beaucoup  plus  qu'il  n'en 
faut  pour  assurer  le  succès. 

Et  si  le  succès  n'était  point  venu  de  l'œuvre  elle-même,  M.  Brouette 
l'eût  très  certainement  forcé  tant  il  se  montra  superbement  prodigue 
non  seulement  pour  la  distribution,  mais  encore  pour  la  mise  en 
scène.  Réunir  sur  une  même  affiche  les  noms  de  M.  Huguenet,  qui, 
comme  on  l'a  dit  fort  à  propos,  enterre  ici  sa  vie  de  garçon  avant  son 
entrée  à  la  Comédie-Française,  de  M.  Gaston  Dubosc,  l'un  et  l'autre 
pleins  de  verve  et  de  finesse,  de  M"e  Thévenet,  qui  apporte  sa  science 
de  chanteuse  et  s-jn  allure  royale,  de  M"1'  Anne  Dancrey,  qui.  transfuge 
du  café  concert,  fait  son  entrée  sur  une  vraie  scène  avec  tant  de  bel 
entrain  et  une  voix  si  sympathiquement  solide,  de  M"es  Rachel  Launay 
et  Fairy,  '  oiseaux  gazouilleurs  empruntés  à  l'Opéra-Comique,  de 
M"e  Germaine  Huber.  une  toute  jeune  débutante  quia  conquis  le  public 
par  son  charme  et  sa  voix  très  fraîche,  de  M.  Ferval,  un  baryton  de  la 
belle  école,  n'était  déjà  point  à  la  portée  de  n'importe  qui  ;  mais  encadrer 
cette  distribution  vraiment  unique  de  décors  et  de  costumes  comme  on 
n'en  a  jamais  vus,  tant  le  luxe  s'y  marie  étroitement  au  bon  goût  et  à 
l'exactitude,  la  corser  d'un  défilé  éblouissant,  et  d'un  ballet  aux  tona- 
lités précieuses  où  l'on  bisse  M110  Yette  Rianza,  où  l'on  fête  le  capti- 
vant sourire  de  M"0  Suzy  Deguez  et  où  on  acclame  des  petites  filles  tout 
à  fait  surprenantes,  cela  c'est  le  fait  d'un  Mécène,  et  ce  qui  est  encore 
beaucoup  plus  rare,  d'un  Mécène  doublé  d'un  homme  du  goût  le  plus 
averti  et  le  plus  parfait.  Paul-Emile  Chevalier. 


d2i 


LE  MENESTREL 


TnÉATRE-SAïun-BERNHARbT. —  La  Courtimne  de  Corinthe,  drame  en  cinq  actes  et 

un  prologue,  en  vers,  de  MM.  Michel  Carré  et  Paul  Bilhaud,  musique  de  scène 

de  M.  Ch.  Levadé. 

Cléonice.,  courtisane  de  Corinthe,  reçoit  chez  eile  des  amis,  et  parmi 
eux  le  gracieux  èphèbe  Dinias  qui  la  supplie.  Elle  l'attire  d'un  mouve- 
ment maternel,  laisse  reposer  sa  tète  sur-ses  genoux,  lui  fait  raconter 
son  histoire.  Puis,  tout  à  coup  tremblante,  elle  s'écarte,  rajuste  ses 
voiles  sur  sa  poitrine,  s'enroule  dans  ses  vêtements,  et,  se  dressant 
soudain,  montre  le  plus  grand  égarement.  En  Dinias  qui  l'adore  et  que 
son  cœur  allait  aimer,  elle  a  reconnu  son  propre  fils.  Le  jeune  homme 
est  né  en  effet  des  suites  d'une  violence  atroce  qu'elle  a  subie  de  la 
part  de  Pausanias,  vainqueur  de  Platées.  Pour  se  venger  de  cet  outrage 
sur  les  Grecs,  elle,  d'origine  phénicienne,  elle  affole  d'amour  les 
hommes  de  Corinthe,  ruine  les  familles  et  désole  les  foyers.  Sa  haine 
vise  surtout  le  jeune  Pausanias,  fils  du  stratège  de  Sparte,  qui  la  pour- 
suit avec  une  farouche  ardeur.  Elle  se  promet  à  lui,  le  rend  voleur  et  traî- 
tre à  son  pays,  se  refuse  ensuite  et  l'avilit  en  le  dénonçant  à  l'archonte. 
Il  est  jeté  en  prison.  Dinias,  chassé  par  sa  mère  qui  ne  peut  ni  tolérer 
ses  transports  passionnés,  ni  lui  dire  la  vérité  parce  qu'un  oracle  a  prédit 
sa  mort  pour  le  jour  où  il  l'apprendrait,  est  tombé  dans  un  délire 
voisin  de  la  folie.  Il  cherche  son  rival  que  les  juges  ont  acquitté  eu 
haine  de  Cléonice  ;  il  le  rencontre  déjà,  ils  en  viennent  aux  mains. 
Entre  eux  la  courtisane  se  précipite  et  dit  tout  bas  à  Pausanias  : 
o  arrête,  il  est  mon  fils  !  »  Mais  Pausanias  ne  croit  pas  à  cet  aveu  et  n'y 
voit  qu'une  ruse  de  femme  désireuse  de  le  tromper  ;  il  crie  à  la  foule 
ce  qu'il  vient  d'entendre,  et  alors  Cléonice,  craignant  que  son  fils 
n'apprenne  qu'elle  est  sa  mère  et  ne  meure,  selon  le  mot  de  l'oracle, 
poignarde  Pausanias  et  est  lapidée  par  le  peuple.  Sa  mort  est  douce 
pourtant,  car  Dinias  est  daus  ses  bras  et  gardera,  le  reste  do  sa  vie,  le 
sentiment  de  la  suprême  étreinte  de  sa  mère,  suave  pour  son  àme 
comme  une  caresse  d'amour. 

Avec  Mme  Sarah  Bernhardt,  il  faut  toujours  se  souvenir  du  passé,  du 
passé  très  lointain  surtout,  de  l'aurore  d'une  carrière  dont  les  heures 
du  jour  et  le  crépuscule  n'out  point  dépassé  l'éclat.  Son  intuition  du 
grand  art  se  reconnaît  toujours,  malgré  les  artifices  qu'elle  emploie  à 
présent.  Apprécier  sa  manière  dans  une  nouvelle  interprétation  est 
aujourd'hui  sans  objet  ;  elle  fut,  en  ses  heureux  moments,  une  des 
gloires   de  la  scène  française,    nous  voulons  en  garder  le  souvenir. 

M.  de  Max  a  fait  de  Pausanias  une  figure  romaine  et  non  grecque  ; 
elle  en  est  d'autant  plus  frappante  au  théâtre  et  étonnamment  caracté- 
ristique. M.  Maxudian  a  prêté  une  dignité  noble  et  simple  au  philo- 
sophe Démophon,  dont  M.  Le  Roy,  êphèbe  amoureux  très  sympathique, 
s'est  posé  en  disciple  modeste  et  charmant.  MM.  Ch.  Krauss,  Maury. 
Chameroy,  Mmes  Renée  Parny  et  Léo  Misley  restent  un  peu  dans  la 
pénombre.  Cette  dernière  pourtant  représente  avec  un  véritable  charme 
la  fiancée  de  Dinias  et  dit  très  bien  les  vers. 

La  mise  en  scène  de  la  Courlimne  de  Corinthe  est  fraîche  et  bien  en 
perspective.  La  musique  de  M.  Levadé  se  perd  dans  le  cadre  ;  elle 
aurait   mérité  d'être  moins  reléguée. 

En  résumé,  cette  pièce  met  enjeu  de  beaux  sentiments  et  de  belles 
situations  ;  elle  est  adroitement  conduite,  mais  l'action  parait  lente  au 
cours  des  cinq  actes  précèdes  d'un  prologue.  Rien  dans  la  versification 
ne  fait  étinceler  les  pensées  et  c'est  vraiment  dommage. 

AmÉDÉE  BoUTAIIEL. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THEATRE 

ElixaE.     Setlons     du     Grand-Palai! 


(P?,emier  article.) 

A  qui  reviendra  la  propriété  définitive  du  Grand-Palais?  Il  a  été  bâti 
pour  le  compte  de  l'État,  avec  les  deniers  des  contribuables,  mais  sur 
un  terrain  appartenant  à  la  Ville  (Charles  X,  en  un  jour  de  munificence, 
lit  l'abandon  à  la  municipalité  parisienne  pour  un  prix  dérisoire  de 
l'immense  lagune,  d'ailleurs  marécageuse,  qui  bordait  le  Cours-la- 
Reine).  Le  bail  prendra  bientôt  fin  et,  si  nos  édiles  se  refusaient  à  le 
renouveler,  ils  deviendraient  légalement  propriétaires  du  monument 
édifié  par  l'architecte  Thomas.  Ce  quadrilatère  n'est  pas  très  beau  (la 
partie  la  plus  intéressante,  celle  qui  regarde  la  Seine,  est  un  pastiche 
de  la  façade  des  appartements  impériaux  sur  la  cour  de  Diane,  à  Fon- 


tainebleau) ;  sa  façade  rappelle  la  classique  devanture  du  Kursaal  ;  le 
dos  d'une  de  sa  toiture  serait  plutôt  un  dos  de  mammouth  ;  .sa  nef  est 
baignée  d'un  jour  si  cru  que  les  plus  épaisses  superpositions  de  vélums 
ne  parviennent  pas  à  l'adoucir  ;  le  plan  intérieur  manque  de  clarté... 
et  aussi  l'immense  rotonde  de  l'avenue  d'Antin.  Tel  quel  cependant  il 
a  un  grand  mérite  pour  les  artistes  qui  regrettent  et  regretteront  jusqu'à 
la  quatrième  génération  le  Palais  de  l'Industrie  aux  dispositions  si 
pratiques  :  il  existe  et  c'est  le  seul  cadre  d'art  favorable  aux  grandes 
exhibitions  esthétiques.  Aussi  n'envisagent-ils  pas  sans  quelque 
inquiétude  la  prochaine  échéance.  L'Etat  est  un  propriétaire  fastueux 
qui  se  contente  d'une  redevance  en  quelque  sorte  fictive.  La  Ville 
serait-elle  aussi  accommodante  et  surtout  ne  compliquerait-elle  pas  sa 
générosité  d'exigences  particulières  difficiles  à  satisfaire? 

En  attendant  que  l'affaire  soit  réglée,  en  ne  changera  rien  à  la  tradi- 
tion —  ou  à  la  routine  ;  les  deux  associations  jadis  rivales,  mainte- 
nant à  peu  près  fraternelles,  de  la  Nationale  des  Beaux-Arts  et  des 
Artistes  français  se  partageront  le  Grand-Palais  sous  l'œil  neutrale- 
ment  bienveillant,  si  j'ose  dire,  de  M.  Dujardin-Beaumelz.  Comme 
d'ordinaire,  la  Nationale  ouvre  la  marche  avec  une  exposition  assez 
sélectionnée,  car  les  tableaux  ne  sont  pas  au  nombre  de  plus  de 
douze  cents,  chiffre  modeste  parce  temps  d'exhibitions  foisonnantes.  La 
rubrique  qui  nous  intéresse  s'y  trouve  du  reste  plus  abondamment 
représentée  que  d'habitude.  Je  commencerai  donc  sans  autre  préambule 
notre  promenade  annuelle  eu  faisant  pour  cette  première  excursion  un 
prélèvement  sur  chaque  série  avant  d'adopter  le  classement  rigoureux. 
La  peinture  symbolique  et  en  même  temps  symphonique,  car  elle 
évoque  tout  un  monde  d'idées  dans  une  ambiance  aussi  musicale  que 
picturale,  où,  suivant  l'admirable  définition  de  Baudelaire,  les  couleurs 
et  les  sons  se  répondent,  a  pour  principal  représentant  le  président  de 
la  S.  B.A.,  M.  Roll.  La  vaste  toile,  d'une  exécution  à  la  fois  vigoureuse 
et  souple,  qu'il  intitule  :  Vers  la  Nature,  pour  l'Humanité,  est  ifne  marche 
à  l'idéal,  un  cadre  de  rêve  dans  lequel  chaque  fervent  du  progrès  peut 
faire  entrer  ses  aspirations  personnelles.  Sous  un  ciel  d'automne,  d'un 
gris  bleuté,  qu'illumine  au-dessus  de  l'horizon  la  blancheur  d'une 
forme  féminine,  l'Isis  éternelle,  des  groupes,  aux  regards  extasiés  ou 
suppliants,  aux  mains  tendues,  ascensionnent  vers  la  nature,  vers  la 
vérité;  éloquent  commentaire  delà  strophe  célèbre  d'Alfred  de  Musset: 

Et  pourtant  elle  est  éternelle 

Et  ceux  qui  se  sont  passés  d'elle 

Ici-bas  ont  tout  ignoré.... 

La  caravane  passe  ;  l'idéal  se  rapproche.  Il  reste  des  victimes  sur  le 
sable  du  désert.  M.  Roll  les  a  symbolisées  à  droite  de  son  tableau  dans 
le  groupe  formé  par  une  veuve  et  le  mort  étendu  sans  linceul  dont  elle 
fait  la  veillée  funéraire  toute  à  son  deuil,  à  l'écart  de  la  foule 
indifférente.  Parmi  les  groupes  de  nombreux  portraits  :  le  physiologiste 
Dastre,  le  professeur  Metchnikoff,  Daniel  Berthelot,  le  chirurgien  Hart- 
mann. Ou  voit  quelle  ampleur  et  quelle  portée  lyrique  M.  Roll  a  données 
à  sa  composition.  C'est  bien  une  symphonie,  comme  je  le  disais  tout  à 
l'heure  ;  toute  la  tonalité  des  gris  dégradés  avec  une  merveilleuse  finesse 
y  chante  lyriquement. 

M.  Auburtin,  le  panoramiste  dont  l'Aube  des  cygnes  remplit  le 
panneau  central  d'une  autre  salle,  est  également  préoccupé  des 
combinaisons  harmonieuses  qui  assimilent  ou  tout  au  moins  appa- 
rentent le  peintre  et  le  musicien  ;  il  a  orchestré  sa  toile  en  artiste 
familier  avec  toutes  les  ressources  de  l'instrumentation  colorée.  Mais 
il  n'a  aucune  visée  philosophique  ;  sa  conception  demeure  plastique. 
Il  a  voulu  nous  montrer,  dans  la  buée  que  les  premiers  rayons  du 
soleil  font  flotter  sur  un  lac  ombragé  par  des  frondaisons  pâles  aux 
découpures  menues,  la  similitude  de  lignes  qui  offrent  la  souple  nudité 
des  naïades  se  dressant  sur  les  ilôts  de  rochers  et  la  grâce  élégante  des 
cygnes  fendant  le  flot  de  leur  poitrail  évasé  comme  une  proue  de  galère. 
L'effet  est  délicat  et  charmant  du  mélange  des  femmes-cygnes  et  des 
cygnes  féminisés.  Les  reflets  de  l'aube,  tamisés  par  l'atmosphère 
humide,  estompent  du  même  velouté  la  candeur  laiteuse  des  duvets  et 
la  nacre  des  épidermes.  L'ensemble  se  compose  avec  une  souple 
élégance. 

Le  panneau  décoratif  de  M.  Victor  Koos  :  la  Forêt  chante  est  compris 
dans  un  parti  pris  tout  différent,  celui  du  carton  de  tapisserie  :  très 
peu,  trop  peu  d'air  circule  à  travers  ces  épaisses  frondaisons  au  milieu 
desquelles  trône  un  Pan,  joueur  de  flûte.  Une  nymphe  aux  appas  épa- 
nouis vocalisa  sur  cet  accompagnement  primitif.  Les  échos  répondent. 
Dans  un  coin  du  tableau  une  mère,  vraiment  gigogne,  allaite  d'innom- 
brables enfants.  Et  nous  devons  en  conclure  que  le  continuel  renouveau 
du  genre  humain  est  une  des  principales  modalités  de  l'harmonie  uni- 
verselle. Cette  conception  ne  manque  pas  de  poésie.  M.  Koos  aurait  pu 
la  traduire  avec  plus  de  légèreté;  en  revanche  le  tableau  se  recommande 


LE  MENESTREL 


125 


par  une  réelle  somptuosité  ;  les  Gobelins  ou  Beauvais  sauraient  la 
traduire  avantageusement  grâce  aux  matières  substantielles  et  riches 
dont  ils  disposent.  Les  artistes  tels  que  M.  Koos  n'ouvrent  aucune 
perspective  sur  l'idéal  aux  horizons  infinis,  mais  ils  sont  d'excellents 
collaborateurs  des  metteurs  en  scène  esthétiques  et  des  grands 
tapissiers. 

La  fantaisie  comique  a  beaucoup  de  représentants  à  la  Nationale. 
C'est  M.  Jean  Veber  qui  occupe  le  plus  de  place  et  qui  aura  le  plus 
fervent  public  avec  la  Guinguette.  Ce  panneau  décoratif,  «  destiné  à 
l'Hôtel  de  Ville  »  dit  le  livret,  ou  plutôt  commandé  par  la  municipalité 
parisienne,  n'a  rien  d'académique  et  même  échappe  complètement  à  la 
solennité  bourgeoise,  troisième  République,  protocole  démocratique, 
pompes  Élyséeunes,  à  la  mode  depuis  quelques  années  pour  la  décora- 
tion monumentale.  Si  les  dimensions  du  panneau  à  remplir  ont  forcé 
M.  Jean  Veber  a  faire  de  la  peinture  au  kilomètre,  du  moins  a-t-il 
voulu  que  ce  vaste  espace  devint  une  frise  aux  aspects  multiples.  Sa 
kermesse  se  décomposerait  aisément  en  feuillets  d'album. 

Décor  :  uu  restaurant  de  Robinson  ;  grands  arbres,  munis  de  plates- 
formes  pour  les  clients  qui  ne  récalcitrent  pas  aux  suppléments.  Les 
frondaisons  rousses  où  tirebouchonnent  les  escaliers  en  vis  bornent  la 
scène  de  chaque  côté.  L'auberge  étale  une  face  camarde  mais  bien 
vivante,  gros  nez,  lourdes  paupières  comme  les  maisons  animées 
qu'évoque  M.  Jean  Veber  dans  la  plupart  de  ses  paysages  fantastiques. 
Comme  toile  de  fond,  la  vue  de  Paris  et  l'inévitable  tour  Eiffel  dressant 
son  mat  sans  agrès  au-dessus  des  toits  moutonnants.  Une  tonalité 
ambrée  que  souligne  la  crayeuse  aridité  du  sol  enveloppe  ce  panorama 
de  fin  d'été.  Et  tout  le  long  de  la  cour  d'hôtellerie,  longue  comme  une 
plage  du  Calvados  à  marée  basse,  foisonnent  des  groupes  de  fantoches 
d'une  cocasserie  originale  :  automobilistes  énormes  et  trapus  sous  leurs 
peaux  de  bique  comme  des  ours  du  pôle  qui  auraient  changé  de  four- 
rure ;  cyclistes  appareillés,  l'homme  suant  et  soufflant,  la  femme 
outrageusement  bombée  dans  sa  culotte  de  zouave  ;  mariés  du  samedi 
campés  devant  le  photographe;  soldats  en  permission  faisant  vis-à-vis 
à  des  trottins  en  vadrouille  dans  un  quadrille  aussi  lourd  qu'une 
bourrée,  au  rythme  marqué  par  un  orchestre  de  rencontre  où  les 
cuivres  sont  plus  cabossés  que  de  vieux  chaudrons  ;  joueurs  de  boules 
en  bras  de  chemise  qui  se  rapprochent  pour  discuter  un  coup  douteux  ; 
couples  folâtres  perpétuant  la  tradition  des  personnages  de  Paul  de 
Kock  ;  déjeuneurs  qui  cuvent  le  vin  poisseux  et  digèrent  péniblement 
les  nourritures  épaisses  ;  garçons  affairés  ;  enfants  geignards  —  enfin, 
au  coin  du  tableau,  le  peintre  qui  trace  pour  la  postérité  ce  croquis  des 
humbles  joies  des  gens  de  petite  vie. 

L'inspiration  de  M.  Willette  —  il  figure  aussi  parmi  les  fournisseurs 
de  l'Hôtel 'de  Ville  et  laissera  plus  d'une  page  notablement  calligraphiée 
sur  les  murs  de  l'ancien  parloir  aux  bourgeois  —  s'est  mise  en  demi- 
deuil  dans  la  Vision  funéraire  de  Pierrot...  Ce  ne  sont  pas  tout  à  fait  les 
pompes  funèbres,  bien  que  Pierrot,  étendu  sur  sou  matelas  dont  un 
dossier  de  chaise  remplace  le  traversin,  paraisse  mort  et  bon  à  enterrer  ; 
le  peintre  ordinaire  de  l'amant  deColombine  et  de  toute  sa  dynastie  n'a 
pas  voulu  sonner  un  glas  romantique  pour  le  pantin  désarticulé  de  la 
commedia  dell'arle.  Il  a  remplacé  la  grosse  cloche  par  un  carillon  pres- 
que joyeux  et  aussi  (car  la  grâce  Hellène  hante  et  affole  ce  Montmar- 
trois irréductible)  par  la  flûte  à  neuf  trous,  la  syrinx  sur  laquelle  un 
petit  faune  chèvre-pieds  promène  ses  doigts  agiles  et  ses  lèvres  mo- 
queuses. Quant  aux  dernières  prières,  elles  sont  dites  sur  un  rythme 
presque  joyeux  par  de  belles  personnes  à  peu  près  uniquement  vêtues 
d'immenses  chapeaux  à  plumes,  de  bas  noirs  et  de  ceintures  dorées. 
Une  petite  danseuse  est  également  venue  apporter  comme  suprême 
hommage  la  guirlande  de  ses  bras  nus  et  la  ligne  souple  de  ses  attitudes. 
A  titre  d'intermède  reposant  après  ces  toiles  où  les  personnages 
grouillent  jusqu'à  déborder  sur  le  cadre,  voici  un  tableau  de  M.  René 
Mènard,  Poestum,  qui  serait  une  admirable  maquette  de  décor  pour  un 
drame  antique,  avec  son  temple  aux  architectures  d'un  jaune  de  rouille, 
ses  arbres  aux  ramures  compactes,  ses  rochers  de  relief  si  âpre  qu'ils 
semblent  taillés  au  ciseau  par  quelque  statuaire  surhumain  et  ses 
nuages  aux  flancs  chargés  de  givre  qui  roulent  leurs  épaisses  volutes 
sur  la  ligne  de  l'horizon.  Mais  au  cours  d'une  première  visite  à  ces 
salles  encombrées  on  n'échappe  pas  à  la  sollicitation  des  tableaux 
animés  ;  ils  vous  happent  pour  ainsi  dire  au  passage  ;  certains  d'ailleurs 
sont  de  petites  galeries  parisiennes  où  fourmillent  les  figures  connues  : 
par  exemple,  ce  hall  de  grand  cercle  de  M.  Jean  Béraud  qui  fait  songer 
au  Club  de  Félix  Cohen,  un  des  durables  succès  de  l'ancien  Vaudeville. 
On  retrouve  la  précision  un  peu  sèche  mais  aussi  le  sentiment  très  vif 
de  la  distinction  mondaine,  qui  caractérise  toutes  les  évocations  moder- 
nistes du  plus  répandu  de  nos  peintres  de  genre,  dans  ce  groupement 
et  ce  grouillement  autour  du  lapis  vert  des  joueurs  passionnés  ou 


distraits  parmi  lesquels  les  valets  de  pied  promènent  leur  solennité 
morne  avec  la  coupe  impeccable  de  leurs  livrées.  Et  j'en  veux  rappro- 
cher de  suite  le  seul  portrait  qu'ait  envoyé  M.  Guirand  de  Scœvola, 
celui  d'un  grand  clubman  dont  le  nom  a  figuré  sur  plus  d'une  affiche 
de  revue  d'amateurs  :  le  marquis  de  Massa,  étude  très  poussée,  d'an 
relief  caractéristique  avec  de  jolis  détails  d'exécution. 

Entre  les  portraits  de  théâtre  qui  sont  assez  nombreux,  choisissons 
aujourd'hui  une  discrète,  très  discrète  effigie  (car elle  ne  figure  au  cata- 
logue qu'avec  des  initiales)  de  M"10  Berthe  Cerny,  par  M.  Bracquemond. 
L'éminenle  pensionnaire  et  imminente  sociétaire  de  la  Comédie- 
Française  est  représentée  dans  un  décor  neutre,  en  simple  toilette 
d'intérieur,  jaune  pale  et  blanc  délicat  ;  une  rose  à  la  main  :  sur  les 
lèvres  le  sourire  prometteur  qui  voltigeait  déjà,  en  des  Odéonies  révo- 
lues, sur  la  bouche  en  fleur  du  petit  mitron  de  Numa  Iiou.me.slan.  La 
physionomie  spirituelle,  mobile  et  toujours  un  peu  étonnée,  s'affirme 
en  élégance  mondaine  et  en  grâce  charmeresse  dans  cette  ambiance 
bourgeoise  aux  reflets  apaisés. 

Le  Roi  de  théâtre  de  M.  Roger  Jourdain  nous  transporte  au  contraire 
en  plein  réalisme  artificiel  du  tripot  comique.  L'acteur  qui  va  représen- 
ter au  naturel  un  porte-couronne,  gros  homme  bedonnant,  aux  traits 
gonflés,  au  crâne  chauve,  est  installé  dans  sa  loge,  devant  la  table  de 
toilette  où  traînent  les  fards  et  les  cosmétiques, et,  consciencieusement,  il 
procède  à  son  maquillage.  Une  petite  femme,  assise  à  sa  droite  sur  un 
siège  inconforlable,  lui  débite  les  potins  de  la  maison.  Il  dessine  l'arc 
des  sourcils  et  le  prolonge  d'un  coup  de  crayon  jusqu'aux  joues  luisan- 
tes d'onguents.  Debout  derrière  sa  chaise,  l'habilleur  tient  la  perruque. 
Sur  les  meubles  trainent  le  manteau  de  pourpre,  et  tous  les  accessoires 
du  déguisement  historique  tandis  qu'aux  patères  de  la  muraille  s'accro- 
che le  feutre  cabossé  et  pend  le  mac-farlane  aux  plis  fatigués. 

Les  modèles  de  M"0  Madeleine  Lemaire  n'appartiennent  pas  au  sexe 
des  tragédiens  videurs  de  bocks  mais  figurent  au  premier  plan  dans  les 
pièces  à  spectacle,  sous  le  ruissellement  de  lumière  électrique,  parmi 
les  défilés  et  les  ballabiles.  Ce  sont  deux  Fées  professionnelles,  deux  fées 
de  féerie,  Chàtelet  ou  music-hall.  Le  peintre  les  a  vêtues  d'étoffes 
pailletées,  de  soies  chatoyantes  dont  chaque  cassure  a  des  luisants  de 
métal,  et  la  richesse  de  es  oripeaux  s'harmonise  avec  la  somptuosité 
du  fond  qui  semble  tendu  des  mêmes  satins  à  reflets. 

Aussi  épris  de  belles  étoffes,  mais  les  chiffonnant  d'une  main  plus 
souple  et  les  traduisant  avec  une  palette  moins  lumineuse,  car  le  pas- 
telliste transparait  toujours  sous  le  peintre,  M.  Pierre  Carrier-Be  leuse 
évoque  un  jeu  de  scène  de  comédie  italienne  sous  ce  titre  :  le  Maraudeur. 
Dans  uu  décor  de  parc  dix-huitième  siècle,  une  très  jeune  Colombine 
aux  yeux  de  pervenche,  à  l'attitude  sensuellement  iûgénue  de  petit 
Greuze,  est  assise  sur  un  banc,  face  au  spectateur.  Un  éphèbe,  en  cos- 
tume Watteau,  s'est  glissé  derrière  elle  et,  lentement,  glane  un  baiser 
sur  l'épaule  nue.  Maraude  et  marivaudage.  Il  ne  manque  à  l'épisode  si 
galamment  conté  que  des  rimes  de  Rostand  et  des  pizzicati. 

Pour  finir  plus  solidement,  empruntons  à  la  peinture  d'histoire  dra- 
matisée les  deux  toiles  de  M.  Abbey  et  celle  de  M.  de  La  Perche  Boyer. 
Celui-ci  expose  avec  un  Tolstoï  d'énergique  relief  une  lady  Macbeth  qui 
se  recommande  par  l'intensité  expressive.  M.  Edwin-Austin  Abbey  a 
envoyé  deux  panneaux  en  longueur,  peu  aérés,  très  garnis.  Le  premier 
représente  le  duc  de  Glocester  et  lady  Anne  aux  funérailles  d'Henri  \'I  :  les 
personnages  principaux,  l'ambitieux  et  féroce  avorton  qui  a  charge  offi- 
cielle de  tenir  l'épée  nue  du  roi  défunt,  lady  Anne,  blême  sous  ses 
coiffes  empesées  et  traînant  derrière  elle  le  lourd  manteau  de  deuil,  se 
détachent  sur  une  frise  très  décorative,  de  surabondante  figuration  :  le 
défilé  des  femmes  qui.  conformément  au  rite  des  funérailles,  portentsur 
l'épaule  la  hallebarde  renversée. 

L'autre  composition,  les  Filles  du,  roi  Lear,  offre  le  même  parti  pris 
de  rouges  profonds  et  de  noirs  agatisés,  mais  le  grouillement  de  figu- 
rants ne  se  retrouve  qu'à  la  droite  du  tableau  où  le  monarque  imbécile 
s'éloigne  suivi  de  ses  chevaliers.  Les  trois  quarts  de  la  toile  sont  rem- 
plis par  Cordelia  dont  le  roi  de  France  baise  respectueusement  la  main 
et  par  ses  sœurs.  Celles-ci.  hautaines  sous  leurs  harnais  de  roi  des  bro- 
cards, toisent  dédaigneusement  l'enfant  assez  sotte  pour  n'avoir  pas 
voulu  sauver  sa  part  d'héritage  au  prix  de  basses  flagorneries.  Les  gestes 
sont  dramatiques  et  les  étoffes  habilement  traitées,  si  la  lumière  est 
factice  et  l'atmosphère  raréfiée...  Aussi  bien  je  n'accepte  pas  sans 
réserves  la  formule,  d'ailleurs  très  personnelle,  de  M.  Abbey,  mais  je 
ne  saurais  trop  le  féliciter  de  l'appliquer  avec  conviction  à  illustrer 
Shakespeare.  11  donne  là  un  exemple  que  devraient  bien  suivre  nos 
peintres  de  genre  ou  d'histoire  qui  recourent  à  de  continuels  et  insipi- 
des emprunts  au  Larousse,  laissant  en  friche  l'incomparable  répertoire 
de  sujets  qu'est  la  collection  de  nos  grands  écrivains  de  théâtre. 

(A  suivre.)  Camille  Le  Senne. 


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LE  MENESTREL 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(POUB    LES    SEULS    ABONNÉS    A    LA    MUSIOUE) 


Puisons  encore  dans  l'inépuisable  partition  du  Chevalier  cTÉon, puisqu'aussi  bien 
ces  représentations  sont  l'événement  théâtral  de  la  saison  printanière  à  Paris,  et 
qu'on  ne  parle  partout  que  de  la  musique  de  Rodolphe  Berger  et  de  la  prodigalité 
de  goût  exquis  du  directeur  Brouette.  A  la  jolie  Gavotte  que  nous  avons  donnée  la 
semaine  dernière,  ajoutons  pour  nos  abonnés  celte  exquise  Lettre  de  Rosita  que  la 
mignonne  danseuse  adresse  à  son  cher  chevalier  pendant  qu'il  remplit  sa  périlleuse 
ambassade  auprès  de  la  Cour  de  -Russie.  C'est  une  des  pages  les  plus  chaudement 
applaudies;  il  est  juste  d'ajouter  qu'elle  est  soupirée  de  façon  charmante  par 
M"'  Germaine  Huber,  une  débutante  dont  les  jolies  notes  cristallines  ont  ravi  le 
public. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (14  avril).  —  La  «  première  »  de  la 
Marie-Magdeleine  de  M.  Massenet  aura  lieu  demain,  Jeudi-Saint,  à  la  Monnaie. 
Tout  fait  prévoir  un  gros  succès.  C'est  Mme  Pacary  et  M.  "Verdier,  les  inter- 
prètes de  l'œuvre  à  Nice,  quand  elle  parut  tout  d'abord  sur  la  scène,  qui 
chanteront,  ici  aussi,  les  rôles  de  Meryem  et  de  Jésus.  La  mise  en  scène  a 
été,  de  la  part  de  M.  Kufferath,  l'objet  des  soins  les  plus  intéressants  ;  elle 
sera  scrupuleusement  conforme  aux  récits  des  Evangélistes  et  aux  mœurs  de 
l'époque.  Samedi,  reprise  de  Pelléas  et  Mélisatide,  avec  MUc  Mary  Garden,  qui 
vient  d'arriver  à  Bruxelles  et  y  restera  jusqu'au  dernier  jour  de  la  saison, 
c'est-à-dire  jusqu'au  4  mai.  Outre  Pelleas,  la  charmante  artiste  chantera  Manon 
et  la  Traviata.  Vous  savez  qu'elle  devait  chanter  aussi  —  et  même  danser  !  — 
Salomé  ;  mais,  rentrée  un  peu  tardivement  d'Amérique,  elle  n'a  pas  eu  le 
temps  de  mettre  le  rôle  au  point  et  de  le  répéter  ;  il  a  donc  fallu  remettre 
l'épreuve  au  mois  d'octobre  prochain.  Je  ne  sais  si  M"e  Garden  la  tentera, 
comme  on  Fa  annoncé,  à  l'Opéra  ;  mais  il  est  certain  qu'elle  la  tentera  à  la 
Monnaie,  sa  gloire  ne  dut-elle  pas  y  gagner  grand'chose.  Eu  attendant,  c'est 
Mme  Charles-Mazarin  qui  reprendra,  ces  jours  prochain,  l'œuvre  de  M.  Richard 
Strauss,  dont  elle  fut,  l'an  dernier,  la  créatrice  à  la  Monnaie,  en  français. 
M""'  Mazarin  chantera  également  la  Tosca  et  Carmen,  et  reprendra  raDg  dans 
la  troupe  l'an  prochain. 

Nous  avons  eu  lundi,  à  l'Alhambra,  une  admirable  exécution  de  la  Passion 
selon  saint  Mathieu,  de  J.-S.  Bach,  par  la  Société  Maalschappij  tôt  brondering 
der  Toonkiinsl,  d'Amsterdam,  accompagnée  de  l'orchestre  du  ■■  Concertgebouw», 
et  sous  la  direction  du  célèbre  chef  d'orchestre,  M.  Mengelherg.  L'œuvre  nous 
était  depuis  longtemps  familière,  grâce  au  Conservatoire  de  Bruxelle?,  où 
M.  Gevaert  l'a  fait  entendre  souvent  en  ces  dernières  années.  Mais,  quelle 
que  fut  la  perfection  de  ces  interprétations,  celle  des  Hollandais  les  a 
dépassées  au  point  de  vue  de  la  beauté  de  la  sonorité,  de  la  délicatesse  des 
nuances,  de  la  pureté  et  de  l'onction  du  sentiment.  L'orchestre,  les  chœurs, 
les  solistes  (M"ies  Nordeurer  et  De  Haan,  MM.  Urlus  et  Meeschaerts,  des 
autistes  absolument  supérieurs)  composent  un  ensemble  réellement  incom- 
parable, où  tout  se  fond,  s'harmonise,  dans  une  expression  profondément  et 
religieusement  impressionnante.  Vous  entendrez  d'ailleurs  ces  merveilleux 
interprètes  au  Trocadéro.  L'effet  qu'ils  ont  produit,  dans  la  salle  de  l'Alham- 
bra (idéale  au  point  de  vue  de  l'acoustique)  a  été  très  grand  et  leur  succès 
triomphal. 

Quelques  jours  auparavant,  M.  Théodore  Radoux  avait  exécuté,  au  Conser- 
vatoire de  Liège,  la  Passion  selon  saint  Jean,  qui  est  beaucoup  moins  connue. 
La  réussite  de  cette  tentative  hardie  et  difficile  a  été  complète.  Exécution 
excellente,  d'ailleurs,  qui  a  valu  à  l'éminent  directeur  des  ovations  et  des 
louanges  bien  méritées. 

Comme  on  le  voit,  Bach  jouit  en  ce  moment,  en  Belgique,  d'une  vogue 
toute  spéciale.  Il  y  a  eu,  cet  hiver,  à  Bruxelles,  en  son  honneur,  de  nom- 
breux concerts,  et  même  plusieurs  festivals  comprenant  chacun  une  série 
d'auditions.  Dans  l'évolution  de  la  musique  contemporaine,  et  à  l'issue  vrai- 
semblable de  la  crise  qu'elle  a  traversée,  ce  retour  au  plus  austère  des  maîtres 
anciens  est  assez  caractéristique  pour  être  signalé.  L.  S. 

—  De  Magdebourg  :  La  première  représentation  en  langue  allemande  de 
Chérubin  vient  d'avoir  lieu  au  Stadttheater.  La  délicieuse  comédie  musicale  de 
M.  Massenet,  très  soigneusement  mise  en  scène,  a  été  chaleureusement 
accueillie  par  le  public  littéralement  ravi  qui  emplissait  la  salle.  L'orchestre, 
sous  la  direction  de  M.  Goellrich,  a  enUvé  la  fine  partition  avec  tout  l'entrain 
nécessaire.  Parmi  les  interprètes,  M"e  Bauer,  dans  le  rôle  de  Chérubin  : 
M,ne  Elbe,  dans  celui  de  la  danseuse  Soledad.  et  M.  Fraenkel,  en  Jacopo,  ont 
eu  la  plus  grosse  part  des  applaudissements.  La  traduction  allemande  de 
M.  Otto  Neitzel  témoigne  d'une  grande  habileté. 

—  A  propos  des  représentations  si  brillantes  de  Chérubin  de  Massenet,  au 
théâtre  de  Magdebourg,  les  «  Dernières  nouvelles  de  Munich  »  ont  publié, 
sous  la  signature  de  M.  A.  Eisert,  un  article  dont  nous  reproduisons  seule- 
ment ce  court  passage  :  «  ...  Tandis  que  Mozart  a  traité  l'histoire  de  Chérubin 
en  simple  épisode,  Massenet  a  fait  de  ces  amours  de  page  le  fond  même  d'une 


œuvre  qui  a  captivé  l'auditoire  pendant  la  soirée  entière.  L'ouverture  com- 
mence par  des  trilles  pleins  d'éclat,  et  prend  ensuite  un  coloris,  espagnol 
étincelant.  Comme  sortant  d'un  rêve  qu'il  se  hâte  de  réaliser,  Chérubin,  dans 
son  désir  d'aimer,  semble  voltiger  d'une  fleur  à  l'autre.  Malgré  les  désappoin- 
tements amers  qui  surviennent,  le  grand,  le  pur  délire  d'amour  ressort  tou- 
jours en  une  sorte  d'apothéose.  Massenet  s'est  montré  optimiste  avec  une 
constante  sérénité;  pour  cette  raison  même,  sa  musique  sera  une  satisfaction 
exquise  pour  tous  ceux  qui  savent  goûter  dans  toute  leur  expansion  la  joie 
et  le  bonheur  de  vivre.  « 

—  Le  Stadttheater  de  Cologne  annonce  la  première  représentation  de  ce 
même  Chérubin  pour  les  environs  du  13  mai. 

—  M.  Richard  Strauss  n'a  pas  une  prédilection  très  marquée  pour  les  Amé- 
ricains depuis  les  incidents  qui  ont  signalé  les  vaines  tentatives  d'acclimata- 
tion de  Salomé  à  l'Opéra  métropolitain  de  New- York.  Sollicité  de  contribuer 
par  quelque  fragment  de  musique  ou  quelques  lignes  de  prose  à  la  rédaction 
d'un  fascicule  destiné  à  commémorer  une  fête  en  l'honneur  de  Gœthe  donnée 
par  une  association  chorale  de  New-York,  M.  R.  Strauss  signifia  son  refus 
par  la  lettre  suivante  :  «  A  l'honorable  comité  du  Liederkranz  allemand.  De 
tous  les  vices  de  l'humanité,  ceux  que  j'abhorre  le  plus  sont  le  manque  de 
talent  (Talentlosigkeit)  et  la  flagornerie.  Que  servent  à  ce  beau  pays  d'Amé- 
rique les  œuvres  d'art  européennes,  si  l'esprit  qui  pourrait  s'en  dégager  reste 
confiné  dans  le  vieux  monde.  Puisse  la  fête  si  opportune  en  l'honneur  d'un 
libre  et  brillant  esprit  (Gœthe)  réussir  complètement  pour  votre  société.  C'est 
ce  que  je  souhaite,  en  souvenir  reconnaissant  des  belles  heures  passées  dans 
votre  cercle.  Votre  sincèrement  dévoué  Richard  Strauss.  »  Profilons  de  la 
circonstance  pour  dire  que  M.  R.  Strauss  a  renoncé  récemment  à  collaborer  à 
la  revue  «  Morgen  ».  dans  laquelle  a  paru,  il  y  a  onze  mois  cet  écrit  singulier 
que  l'on  a  nomme  le  manifeste  de  Fontainebleau  et  qui  semblait  nier  la  pos- 
sibilité du  progrès  en  musique. 

—  Un  festival-Wallenstein  se  prépare  en  ce  moment  dans  la  ville  d'Eger, 
en  Bohème,  où  le  général  si  célèbre  pendant  la  guerre  de  Trente  ans  fut 
assassiné  en  1634.  Pour  la  reconstitution  de  l'entrée  de  Wallenstein  à  Eger 
en  1625,  la  musique  se  composera  de  fragments  authentiques  du  seizième  et 
du  dix-septième  siècle.  Tout  à  fait  exact  en  ce  sens  sera  la  bande  militaire 
des  lansquenets,  comprenant  les  instruments  suivants  :  petites  flûtes,  flûtes, 
six  cornets  à  bouquin  fabriqués  d'après  un  vieux  modèle  du  musée  national 
de  Munich,  bassons,  tambours  et  timbales.  On  jouera  la  marche  historique 
des  lansquenets,  remontant  à  1S09  environ,  et  une  autre  marche  dite  le 
o  Schwartenhals  de  1349  ».  Dans  le  trio  de  ces  deux  marches,  les  lansquenets, 
formant  un  chœur  d'hommes,  chantaient  en  même  temps  que  jouaient  les 
instruments.  Les  fanfares  de  la  suite  de  Wallenstein  présenteront  un  intérêt 
tout  particulier:  elles  seront  exécutées  par  dix  trompes  d'alarme  employées 
autrefois  en  cas  d'incendie,  et  par  trois  trombones.  Malgré  le  peu  d'étendue 
dont  disposent,  dans  leur  registre,  les  premiers  de  ces  instruments,  les  vieilles 
sonneries  qu'ils  auront  à  jouer  offrent  une  variété  de  rythme  extraordinaire. 
Non  moins  curieuse  sera,  au  point  de  vue  historique,  la  musique  des  corpo- 
rations, celle  du  conseil,  le  branle-bas  des  drapeaux,  la  ronde  des  patriciens, 
la  danse  des  glaives  des  lansquenets,  la  danse  des  bergers,  le  train  des  labou- 
reurs, car  tout  cela  sera  reconstitué  avec  des  airs,  à  peu  près  inconnus  main- 
tenant, des  seizième  et  dix-septième  siècles,  la  plupart  pour  instruments  à 
vent  en  bois.  A  deux  concerts  qui  ont  eu  lieu  samedi  dernier  et  le  dimanche 
des  Rameaux  au  Théâtre-Municipal  d'Eger,  on  a  exécuté,  en  attendant  la  fête, 
les- fanfares  d'entrée  de  l'armée,  un  prélude  pour  orchestre  écrit  pour  la  cir- 
constance par  M.  Henri  Schmidt,  et  la  marche  historique  avec  chœur  des 
lansquenets. 

—  Un  nouveau  théâtre,  de  genre  grandiose,  s'élève  en  ce  moment,  à  Milan, 
à  la  Porta  Venezia.  La  salle  comptera  23  mètres  de  long  sur  20  de  large.  Au 
premier  étage  se  trouvera  un  balcon  à  deux  rangs  de  fauteuils,  qui,  face  à  la 
scène,  se  continuera  en  amphithéâtre.  L'éclairage  naturel,  comprenant  dix 
larges  fenêtres  au  rez-de-chaussée  et  autant  au  premier  étage,  permettra  les 
spectacles  diurnes.  Un  promenoir  servira  de  dégagement  au  parterre,  et,  d'une 
vaste  terrasse  ouverte  sur  le  premier  étage,  une  partie  du  public  pourra,  durant 
la  saison  d'été,  assister  au  spectacle.  A  l'étage  de  la  galerie  et  derrière  celle-ci 
on  aura  deux  salons  de   retraite  et  un  promenoir  octogonal.  A  l'angle  de  la 

rue  Mascagni  et  de  la  rue  Sirtori,  en  contiguïté  avec  la  scène,  surgit  un  édi- 
fice spécial  à  quatre  étages  où  seront  disposées  2i  loges  pour  les  artistes, 
•S  loges  pour  les  comprimari  (rôles  accessoires),  et  deux  autres  grandes  loges 
pour  les  «  masses  ».  Le  gros  de  la  construction  est  déjà  terminé  depuis  quel- 
que temps,  et  l'on  commence  les  travaux  de  décoration.  Tel  qu'il  apparaît, 
l'ensemble  de  ce  nouveau  théâtre,  qui  s'élève  sur  l'emplacement  du  Bain  de 
Diane,  semble  très  heureux  et  très  harmonieux. 

—  Au  Théàtre-Garibaldi,  de  Trévise,  première  représentation  d'un  opéra  en 
trois  actes,  Yvon,  du  maestro  Guarnieri,  joué  par  M",es  Elisa  Allegri  et  Maria 
Avezza,  MM.  Tasca  et  Vinci.  La  musique,  dit  un  critique,  a  le  caractère  delà 
composition  de  l'école  allemande;  souvent  pourtant  y  domine  le  sentiment  de 
la  musique  italienne.  L'ouvrage,  dont  l'exécution  était  dirigée  par  l'auteur, 
parait  avoir  été  bien  accueilli. 

—  Et  au  Théàtre-Paganini.  de  Gênes,  apparition  d'un  drame  lyrique  en 
trois  actes,  Ester,  dont  le  livret  a  été  tiré  par  M.  Aldo  Martinelli  d'une  tragé- 
die biblique  de  Silvio  Pellico,  Ester  d'Engaddi,  et  dont  la  musique  est  l'œuvre 
d'une  jeune  compositrice,  Mlle  Joie  Gasparini,  déjà  connue  par  un  petit  ouvrage 


LE  MENESTREL 


127 


en  un  acte,  Lista,  représenté  il  y  a  quelques  années  au  Politeama  Génois.  Il 
semble  que  la  critique,  par  galanterie,  se  montre  très  courtoise  et  très  indul- 
gente à  l'égard  de  la  jeune  maestro.  En  réalité,  son  œuvre  parait  avoir  obtenu 
ce  que  nous  avons  coutume  d'appeler  un  succès  d'estime,  et  surtout  un  succès 
local.  Elle  avait  pour  interprètes  Mm"  Clara  Joanna,  le  ténor  Lagustena.  le 
baryton  Minolfi  et  la  basse  Stefani. 

—  Le  compositeur  Lorenzo  Parodi  écrit  en  ce  moment  une  grandiose  trilo- 
gie inspirée  des  trois  grandes  manifestations  de  la  civilisation  humaine  : 
Athines-Rome-Paris.  C'est  un  triptyque  symphonique  avec  choeurs  et  soli,  et 
aussi  danses  et  scènes  mimées,  qui  formera  un  spectacle  plein  de  grandeur  et 
d'un  genre  nouveau.  Pour  Athènes,  reconstitution  des  danses  et  des  fêtes  dyo- 
nisiaques,  sur  une  musique  écrite  selon  le  système  grec;  poai  Rome,  cortèges 
guerriers  et  marches  triomphales,  avec  les  chants  dans  les  catacombes;  pour 
Paris,  «  toute  la  raffinerie  de  la  pensée  moderne  ». 

—  M.  Guido  Gasperini.  bibliothécaire  et  professeur  d'histoire  de  la  musique 
au  Conservatoire  royal  de  Parme,  vient  de  prendre  une  initiative  intéressante, 
de  l'importance  de  laquelle  on  peut  se  rendre  compte  par  la  lecture  de  la 
circulaire  suivante,  qu'il  adresse  à  ses  collègues  et  aux  érudits  de  toute 
l'Italie  : 

Dans  les  bibliothèques  publiques  et  particulières,  dans  les  archives  des  vieilles 
églises,  des  couvents,  des  anciennes  familles  patriciennes,  reposent  inexplorés, 
négligés  ou  inconnus,  beaucoup  et  beaucoup  de  trésors  de  l'ancien  art  musical 
italien.  Rechercher,  reconnaître,  enregistrer  ces  trésors,  et  ensuite  les  divulguer  et, 
s'il  est  possible,  les  publier,  serait  un  acte  souverainement  utile  aux  études,  souve- 
rainement avantageux  pour  le  renom  de  notre  art  et  pour  le  patrimoine  national. 
Mais  un  tel  travail  ne  peut  être  accompli  par  l'effet  d'efforts  isolés.  Pour  que  les 
monuments  de  l'art  musical  italien  soient,  dans  leur  immense  variété,  étudiés  et 
remis  en  lumière,  il  est  nécessaire  que  les  efforts  se  réunissent,  que  les  études,  les 
recherches  soient  coordonnées  sous  le  guide  d'un  consentement  commun.  Pour 
obtenir  cela  et  obtenir,  d'autre  part,  que  ces  recherches  et  ces  études  soient  tenues 
en  très  grande  considération  et  soient  encouragées  et  soutenues  par  qui  peut  les 
encourager  et  soutenir,  il  est  nécessaire  que  les  travailleurs  s'unissent  en  une 
association  qui  veuille  et  sache  activement  tracer  la  voie  et  partager  les  travaux,  afin 
que  cette  grande  œuvre  s'accomplisse  avec  sécurité  pour  ses  résultats. 

Je  propose,  par  conséquent,  aux  collègues  et  amis  de  former  cette  association;  et 
puisque  au  printemps  prochain  doit  être  célébrée  à  Ferrare  la  glorieuse  mémoire  de 
Gerolamo  Frescobaldi,  et  puisque  le  comité  Ferrarais  des  fêtes  Frescobaldiennes  a, 
avec  un  noble  élan,  accueilli  et  approuvé  mon  projet,  en  offrant  son  appui  précieux 
à  l'association  proposée,  je  propose  que  notre  première  réunion  se  tienne  à  Ferrare 
même,,  à  l'occasion  de  ces  fêtes. 

Ce  n'est  point  le  moment  ni  le  lieu  d'exposer  mes  idées  particulières  relativement 
au  programme  des  travaux  à  discuter  dans  cette  première  réunion.  Je  ne  voudrais 
pas  les  exposer  sans  avoir,  auparavant,  entendu  les  opinions  et  les  conseils  de  nos 
honorables  collègues.  Je  vous  prie  donc,  pour  cela,  de  vouloir  bien  maintenant 
accorder  votre  consentement  à  mon  projet,  en  l'accompagnant  des  considérations  qui 
vous  paraîtront  opportunes.  Après  quoi  je  pourrai  vous  soumettre  le  programme  par 
moi  préparé. 

—  De  Montreux  :  M.  Mathis  Lussy,  auteur  du  Traité  de  l'Expression  musi- 
cale, de  l'Anacrouse,  et  de  tant  d'œuvres  si  personnellement  remarquables,  vient 
de  fêter  son  80e  anniversaire.  Malgré  son  âge,  son  activité  est  demeurée  mer- 
veilleuse et  il  travaille  en  ce  moment  à  un  nouvel  ouvrage  qui,  comme  ses 
aines,  fera  sensation  dans  le  monde  musical.  Le  comité  de  l'Association  des 
musiciens  suisses  a  envoya  à  M.  Mathis  Lussy  un  joli  souvenir  en  témoignage 
d'estime  et  d'atl'ection. 

—  Le  nouveau  St.  James's  Hall,  de  Londres,  sera  ouvert  le  25  de  ce  mois 
et  la  première  série  des  Promenades-Concerts  y  commencera  aussitôt.  Le 
chef  d'orchestre  sera  M.  Lyell-Tayler.  D'autres  chefs  d'orchestre  alterneront 
avec  lui. 

—  Discussions  très  animées  à  Londres,  touchant  le  projet  de  la  célébration 
du  troisième  centenaire  de  Shakespeare  en  1916.  Il  semble  désormais  certain 
qu'on  réunira  les  200.000  livres  sterling  nécessaires  (3  millions)  ;  il  reste  à 
décider  de  quelle  façon  elles  seront  employées.  La  première  idée  avait  été 
d'élever  au  poète  un  monument  sur  une  place  de  Londres;  beaucoup  la  com- 
battent maintenant,  estimant  que  ce  monument  serait  une  chose  inutile  et  qui 
n'ajouterait  rien  à  la  gloire  de  Shakespeare.  M.  Bernard  Shaw,  le  célèbre  écri- 
vain, dit  que  l'Angleterre  n'a  pas  un  sculpteur  capable  de  concevoir  un  monu- 
ment vraiment  shakespearien  ;  il  ne  voit  dans  toute  l'Europe  qu'un  seul  artiste 
capable  d'une  telle  entreprise,  c'est  M.  Rodin,  et  il  croit  ses  compatriotes  trop 
chauvins  pour  permettre  qu'un  étranger  soit  chargé  de  glorifier  le  divin  Will. 
Avec  beaucoup  d'autres,  M.  Bernard  Shaw  soutient  que  la  meilleure  façon 
d'honorer  la  mémoire  de  Shakespeare  serait  la  création  d'un  théâtre  national 
où  ses  œuvres  seraient  représentées  avec  une  mise  en  scène  parfaite,  une  sorte 
de  Bayreuth  shakespearien.  D'autres  proposent  une  publication  populaire  des 
œuvres  de  Shakespeare  accompagnées  de  notes,  à  distribuer  dans  toutes  les 
écoles... 

—  C'est  demain  dimanche,  jour  de  Pâques,  que  doit  s'ouvrir  la  saison 
lyrique  de  printemps  au  grand  théâtre  du  Lycée  de  Barcelone.  C'est  Bamlet, 
d'Ambroise  Thomas,  qui  inaugure  cette  saison  avec  l'excellent  baryton  Titta 
RulTo  dans  le  rôle  principal.  Parmi  les  artistes  qui  font  partie  de  la  troupe, 
on  cite  les  noms  de  M™3  Maria  Pozzi  et  Graziella  Pareto,  de  MM.  Garbin. 
Ghilardini,  Fazzini,  Schiavazzi,  Guido  Vaccari,  etc.  Le  chef  d'orchestre  est 
M.  Edoardo  Vitale. 

—  Au  Théâtre-Principal  de  Barcelone  on  a  donné  une  œuvre  nouvelle, 
intitulée  ta  Liai;  vision  lyrique  en  six  tableaux,  musique  de  M.  Bartoli. 


—  De  New-York  :  Les  deux  Opéras  viennent  de  terminer  leur  saison.  Le 
chiffre  total  des  représentations  qui  ont  eu  lieu  au  Métropolitain  et  au 
Manhattan  est  de  250,  dont  131  au  Métropolitain  et  125  au  Manhattan.  Dans 
ces  256  représentations,  les  compositeurs  italiens  tiennent  encore  la  tète  avec 
143  soirées.  La  musique  française  a  fait  les  frais  de  71  représentations,  tandis 
que  les  compositeurs  allemands  n'ont  eu  que  quarante  fois  eu  tout  les  hon- 
neurs de  l'affiche.  Les  mélomanes  new-yorkais  ont  dépensé  pendant  la  saison 
qui  vient  de  prendre  fin  la  somme  de  3.960.000  dollars,  soit  près  de  vingt  mil- 
lions de  francs.  Sur  cette  somme,  2.310.000  dollars  ou  1 1 .350.000  francs  ont 
été  encaissés  par  les  deux  Opéras,  le  restant  est  allé  aux  organisateurs  des 
grands  concerts  et  aux  autres  manifestations  musicales.  Da  tous  les  artistes 
qui  ont  chanté  cet  hiver  à  New- York,  M""'  Tetrazzini  a  gagné  la  plus  grosse 
somme  :  200.000  fr.  pour  vingt  représentations.  M"*  Mary  Garden  a  eu 
1.500  dollars,  ou  7.500  fr.  par  soirée,  et  emporte  à  Paris  la  bagatelle  de 
187.500  fr.  M"0  Géraldine  Farrar  a  touché  103.000  fr.  pour  trente  représenta- 
tions. M""-'  Emma  Calvé  n'a  chanté  que  trois  fois  à  l'Opéra,  à  raison  de 
1.500  dollars,  mais  elle  a  gagné  plus  de  75.000  fr.  à  chanter  dans  les  grands 
concerts.  Ne  parlons  pas  de  M.  Caruso.  qui  va  nous  revenir  avec  30.000  dol- 
lars. Ajoutons  seulement  que  les  kapellmeisters  des  deux  Opéras  ont  gagné 
chacun  cent  mille  francs  et  que  de  tous  les  virtuoses  qui  se  sont  produits  ce 
hiver,  M.  Padercwski  a  été  le  mieux  partagé  :  il  n'a  gagné  que 300.000  francs! 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

A  l'Opéra  : 

C'est  le  22  de  ce  mois  que  M.  Renaud  fera  sa  rentrée  dans  Wolfram  de 
Tannhaiiser.  Il  chantera  la  semaine  suivante  Rigolello. 

Quant  à  M"0  Mary  Garden  ses  débuts  sont  fixés  au  4  mai  dans  Thaïs;  elle 
aura  comme  partenaire,  dans  le  rôle  d'Athanaêl.  M.  Renaud. 

La  reprise  de  l'Huinlel  d'Ambroise  Thomas,  qui  aura  lieu  dans  la  dernière 
semaine  de  mai,  servira  de  second  début  à  la  délicieuse  artiste.  C'est  M.  Re- 
naud qui  chantera  Hamlet  et  Mlle  Paquot  d'Assy  la  mère.  Mlle  Zambelli  fera 
les  honneurs  du  célèbre  ballet  de  la  Fête  du  printemps. 

M.  Henry  Février  a  signé  définitivement  avec  la  direction  pour  la  repré- 
sentation de  Monna  Vanna,  drame  lyrique  en  quatre  actes,  écrit  d'après  la 
pièce  exquise  de  M.  Maurice  Maeterlinck.  Cet  ouvrage  sera  donné  à  l'Opéra 
dès  le  début  de  la  saison  1909  et  mis  très  prochainement  en  répétitions. 
M.  Pierre  Lagarde  s'occupe  dès  maintenant  des  décors. 

—  A  l'Opéra-Comique  : 

M.  Léon  David,  revenu  au  théâtre  de  ses  débuts,  où  il  se  fera  entendre  dans 
Werther,  Manon,  Carmen  et  Lakmê,  a  donné  la  première  de  ces  représenta- 
tions dans  Werther,  qu'il  a  chanté  de  façon  tout  à  fait  exquise. 

On  active  les  dernières  répétitions  de  Snegourotchka  qui.  sauf  imprévu, 
passera  avant  la  fin  de  ce  mois.  M.  Chérépine.  le  chef  d'orchestre  de  Saint- 
Pétersbourg,  préside  aux  ensembles  musicaux. 

Voici  quels  seront  les  spectacles  pendant  les  fêtes  de  Pâques  : 

Dimanche,  matinée  à  1  h.  1/2  :  le  Jongleur  de  Notre-Dame  (MM.  Salignac,  L.  Fugère, 
Allard);  la  Habanera:  soirée,  à  8  heures  :  Cavalleria  rustieana,  Werther  (M""  B.  La- 
mare,  Lucy  Vauthrin  ;  MM.  Léon  David,  Allard,  Guillamati  ;  lundi,  matinée,  à  1  heure, 
les  Noces  de  Jeannette  (M""  A.  Pornot,  M.  Vigneau)  ;  le  Chemineau;  soirée,  à  8  heures  : 
Manon  (M""  Vix,  MM.  Léon  Beyle,  Ghasne,  Delvoye);  mardi,  à  8  h.  3/4,  12'  représen- 
tation de  l'abonnement  du  mardi  A  :  Laknvi  (M"'  Marie  Thiérv,  MM.  Léon  David, 
Dufranne);  mercredi,  à  8  heures  :  la  Vie  de  Bohème  (Mm'  Marguerite  Carré,  M.  Ed. 
Clément,  M""Tiphaine,  MM.L.  Fugère,  Delvoye,  Jean  Périer);  Cavalleria  rustieana. 

—  Les  directeurs  de  théâtres  de  Paris  réunis,  la  semaine  dernière,  au  foyer 
du  Vaudeville,  en  assemblée  générale,  ont  pris  la  décision  de  supprimer  tota- 
lement tous  les  billets  de  faveur  de  quelque  nature  qu'ils  soient  à  partir  du 
1er  septembre  prochain.  M"10  Sarah  Bernhardt.  M.  Héros,  directeur  du  Palais- 
Royal,  et  M.  Max  Maurey,  directeur  du  Grand-Guignol,  ont  seuls  voté  contre. 
M.  Antoine,  directeur  de  l'Odéon,  s'est  aussi  déclaré  hostile  à  cette  mesure. 
Il  convient  également  d'enregistrer  l'abstention  au  vote  de  M.  Abel  Deval, 
directeur  de  l'Athénée,  de  M.  Lucien  Richemond,  directeur  des  Folies-Dra- 
matiques, et  de  MM.  Isola  frères,  directeurs  du  Lyrique-Municipal  de  la  Gaité, 
des  Folies-Bergère  et  de  l'Olympia.  Ces  messieurs,  bien  que  parfaitement 
d'accord  avec  leurs  confrères  et  pensant  comme  eux  que  le  billet  de  faveur 
est  la  plaie  vive  du  théâtre,  estiment  qu'avant  de  s'engager  pour  six  années, 
laps  de  temps  fixé  par  le  syndicat  des  directeurs,  il  serait  préférable  de  pra- 
tiquer un  essai  avant  l'application  d'une  réforme  aussi  radicale.  Les  décisions 
prises  par  l'assemblée  des  directeurs  ont  été  soumises  à  la  commission  des 
auteurs.  En  voici  l'énumération  :  1°  Les  billets  d'auteurs  seront  supprimés  et 
remplacés  par  un  droit  fixe  par  jour,  variant  selon  l'importance  du  théâtre  et 
qui  sera  versé  à  l'agence  Prudhommeaux,  où  les  auteurs  toucheront  leur 
redevance  (Conséquence  :  suppression  du  trafic  des  marchands  de  billets). 
2°  Les  directeurs  de  théâtres  pourront  disposer  quotidiennement  et  pour  leurs 
amis  de  vingt  places  de  faveur,  exonérées  de  tous  droits.  Ces  places  seront 
déposées,  aux  noms  des  titulaires,  au  contrôle  du  théâtre,  pour  leur  être 
remises  à  leur  arrivée  au  spectacle.  Pour  les  autres,  ils  devront  acquitter  les 
droits  afférents  aux  billets  payants.  3°  Les  contrats  consentis  par  la  Société 
seront,  dorénavant,  conclus  pour  une  période  de  six  années  (au  lieu  de 
trois). 

—  L'exercice  des  élèves  du  Conservatoire  a  laissé  une  agréable  impression 
de  jeunesse  et  de  fraîcheur.  Les  classes  instrumentales  ont  fourni  un  orchestre 
d'une  sonorité  fondue  et  homogène,  capable  de  faire  sentir  les  nuances  et  les 
coloris  les  plus  délicats.  On  aurait  aimé  à  l'entendre  dans    une  ouverture 


428 


LE  MENESTREL 


romantique,  celle  du  Freischùtz  par  exemple,  ou  celle  i'Obérôh;  celle  de  la 
Flûte  enchantée,  qui  figurait  au  programme  et  qui  a  été  rendue  avec  finesse, 
n'a  pas  eu  le  succès  triomphal  qu'aurait  obtenu  sans  nul  doute  une  interpré- 
tation plus  subtilement  vivante  de  cet  organisme  musical  aux  fibres  si  ténues, 
tissées  en  arabesques  si  cipricieuses.  Le  poème  symphonique  de  Psyché,  de 
César  Franck,  exigeait  une  exécution  d'un  grand  style  et  d'une  extrême  flui- 
dité; la  jeune  phalange  orchestrale  s'y  est  montrée  constamment  attentive 
avec  une  sorte  de  ferveur,  et  la  musique  du  maître,  toujours  aérienne  et 
transparente  non  sans  quelque  monotonie,  a  produit  une  impression  très  vive 
et  toute  favorable  à  ses  interprètes.  Les  chœurs  ont  charmé  l'assistance  par  la 
juvénile  ardeur  des  voix;  ils  étaient  renforcés  par  des  basses  prises  en  dehors 
du  Conservatoire.  Un  intermède  charmant  a  été  l'audition  du  concerto  de 
Bach  en  ré  mineur  pour  deux  violons,  par  Mlles  Talluel  et  Pollet,  bonnes  mu- 
siciennes et  virtuoses  toutes  gracieuses.  Des  fragments  de  la  Flûte  enchantée, 
comprenant  deux  finals,  nous  ont  permis  de  faire  plus  spécialement  connais- 
sance avec  le  personnel  des  classes  de  chant.  M.  Jourde,  basse  noble,  s'est 
placé  au  premier  rang,  dans  l'invocation  et  l'air  de  Sarastro.  Mlle  Lambert, 
soprano  d'un  joli  timbre,  M.  Coulomb,  doué  de  go  Ci  t  et  possédant  une  bonne 
méthode,  M.  Vaurs,  basse  comique;  Mmes  Rénaux.  Thévenet,  Garchery; 
M1I|!S  Bonnard,  Jurand,  Raveau,  Pradier,  Demougeot,  Lalotte,  Amoretti, 
Robur,  Gustin,  Bourdon,  Daumas,  Duvernay,  Fraisse,  Yvon;  MM.  Paulet. 
Ponzio,  Tareria,  Imbert,  ont  lous  contribué  excellemment  à  l'interprétation 
du  chef-d'œuvre  de  Mozart.  Le  chœur  des  prêtres  a  été  dit  avec  un  très  bel 
équilibre  dans  toutes  les  parties.  Un  flûtiste  de  l'orchestre  a  été  très  remar- 
qué. M.  Henri  Busser  et  M.  Tafl'anel  ont  préparé  avec  zèle  et  dirigé  cette  belle 
séance,  toute  à  l'honneur  de  notre  grande  institution  musicale. 

Amédée  Boltarel. 

—  C'est  une  exposition  bien  curieuse,  bien  charmante,  et  surtout  bien  pa- 
risienne, que  l'exposition  théâtrale  qui  vient  de  s'ouvrir,  par  les  soins  de 
M.  Georges  Berger,  dans  les  salles  du  Musée  des  arts  décoratifs,  au  pavillon 
de  Marsan.  C'est  comme  une  sorte  de  résumé  animé  de  l'histoire  du  théâtre, 
qui  se  déroule  devant  les  yeux  éblouis  et  fascinés  par  tant  de  jolies  choses. 
La  série  —  nombreuse  et  exquise  — des  portraits,  est  à  elle  seule  un  véritable 
enchantement,  par  la  beauté  et  1»  variété  des  objets  :  toiles,  pastels,  gouaches, 
miniatures.  Nous  y  relevons,  pour  les  morts,  les  elfigies  de  Molière  et  d'Ar- 
mande  Béjart,  du  fameux  arlequin  Dominique  de  la  Comédie-Italienne,  de  La 
Fontaine,  d'Adrienne  Lecouvreur.  de  Lekain,  de  Marie  Fel,  de  la  Champ  - 
meslé,  l'amie  de  Racine,  de  la  Duclos,  par  Largillière,  puis  ceux  de  Mllc  Ran- 
court,  de  Talma,  par  Riesener,  de  Dueis.par  le  baron  Gérard,  de  M"G  George, 
d'Eileviou,  par  Boilly,  de  Mlle  Mars,  par  le  même,  de  la  Grassiui,  par  M"ie  Vi- 
gée-Lebrun,  de  Mole,  de  la  Malibran,  par  Pedrazzi,  de  Marie  Taglioni,  par 
Lépaulle,  de  Casimir  Delavigne,  par  Ary  Schefl'er,  de  Victor  Hugo  et 
d'Alexandre  Dumas  fils,  de  Bonnars,  de  Déjazet,  par  Eugène  Devéria,  de 
Berlioz,  par  Gustave  Courbet,  d;  Richard  Wagner,  par  Rmoir,  de  Barroilbet 
par  Couture,  de  Paganini  (sur  un  couvercle  de  tabatière),  d'Alice  Ozy,  par 
Chassériau... 

On  pense  bien  que  les  vivants  ne  sont  pas  oubliés.  Nous  trouvons  parmi 
eux,  Mme  Segond- Weber,  par  Gilbert  ;  M'"=  Julia  Barlct  et  Mlie  Brandès,  par 
Chartran  :  M"e  Bréval,  par  Bonnat  ;  Mme  Louise  Sylvain,  par  Hawkins  : 
M",c  Sarah-Bernbardt,  par  La  Gandara  ;  M",c  Reichenberg.  par  Saintin  : 
Mlle  Sorel,  par  François  Flameng  :  M11»  Zambelli,  par  Carrier-Belleuse  ; 
Mme  Rachel  Boycr,  par  Boutet  de  Monvel  ;  Mme  Héglon,  par  Humbert  ; 
Mme  Jeanne  Hading,  par  Rolshoven;  M"e  Brindeau,  par  Besnard.  etc. 

Et  les  bustes  ne  sont  pas  moins  nombreux  ni  moins  intéressants.  Ici  nous 
trouvons  les  figurés  de  Poisson,  de  Rameau,  de  Voltaire,  de  George  Sand,  de 
Verdi,  de  Bouffé,  de  Bocage,  de  la  Taglioni,  de  Fanny  Ellsler,  de  Gab.-ielle 
Krauss,  de  Mmt  Rose  Caron,  que  sais-je? 

Puis,  pour  les  sujets  spéciaux  (aquarelles,  dessins,  etc.),  l'Exposition  nous 
offre  une  vue  de  la  Foire  St-Laurent,  de  Gravelot;  deux  scènes  du  Malade 
imaginaire  et  du  Bourgeois  gentilhomme,  de  Boucher;  la  Fosse  aux  lions  au 
théâtre  de  Coreid-Garden  :  le  Foyer  de  la  danse  à  l'Opéra,  d'Eugène  Lami;  hi 
Loge  d'Hortcnse  Schneider,  par  Edmond  Morin  ;  la  Leçon  de  danse  à  l'Opéra,  de 
Renoir. 

Il  n'est  pas  besoin  de  dire  que  la  série  des  maquettes  de  décors,  éclairées 
de  façon  spéciale,  fera  aussi  la  joie  des  curieux  et  des  amateurs.  Elle  est  déli- 
cieuse, cette  série,  avec  les  noms -de  S.rvandoni,  Carpezat,  Poisson,  Rubé. 
Visconti,  Chaperon  père  et  fils,  Jambon,  Amable,  Bénédite,  Crucbet,  Lemon- 
nir,  Bersounet,  Jules  Chère!,  Le  Meunier. 

.  Et  les  marionnettes,  les  pantins,  les  poupées,  les  pupazzi,  les  fantoches  de 
toute  sorte,  et  les  curiosités  de  tout  genre  ;  et  les  bibelots  divers  ;  les  objets 
ayant  appartenu  à  tel  ou  tel  artiste,  comme  la  montre  de  Rachel,  les  casta- 
gnettes de  Marie  Taglioni,  l'éventail  de  M"c  Mars  ;  tout  cela,  pour  n'être  pas 
absolument  artistique,  n'est  pas  moins  amusant  et  n'en  piquera  pas  moins 
la  curiosité.  Nous  ne  saurions  en  dire  davantage,  car  la  place  nous  manque; 
mais  allez  à  l'exposition  théâtrale,  et  vous  ne  perdrez  pas  voire  temps,  et 
vous  en  reviendrez  enchanté. 

—  Correspondance  : 

Paris,  9  avril  190 i 

MOX   CHER    DIRECTEUR, 

Il  est  toujours  regrettable  de  dissiper  les  illusions.  Celles  d'un  collectionneur 
s'appellent  douces  manies,  el  méritent  au  moins  qu'on  les  épargne";  mais  cellesdu 
brocanteur  s'appellent  mauvaises  farces  quelquefois,  et,  la  vérité  oblige  alors  à  en 
faire  prompte  justice. 


Dans  son  dernier  numéro,  le  Ménestrel  rapporte,  d'après  un  journal  allemand,  Die 
Musikinstrummien  Zeitung,  la  nouvelle  d'un  archet  dont  Pagaoini  se  serait  servi 
•i  dans  son  dernier  concert  j>  et  qu'on  chercherait  à  vendre  le  plus  cher  possible,  cela 
se  devine.  «Cet  archet  avait  été  donné,  dit-on,  par  Paganini  a  un  de  ses  élèves 
amateurs,  le  comte  de  Cassole  (sic),  qui  à  son  tour,  en  avait  fait  don  à  Verdi.  »  Et, 
soi-disant,  le  possesseur  aurait  déjà  refusé  pour  cette  merveille  250.000  francs  ! 

On  voit  bien  qu'une  telle  information  a  été  lancée  par  la  gazette  allemande  aux 
environs  du  premier  avril.  Les  archets  ne  valent  tout  de  même  pas  autant  que  les 
violons,  et  les  violons  les  plus  fdmeux  n'ont  jamais  atteint  ce  prix-là  !  Mais  voici  le 
côté  piquant  de  l'affaire  :  c'est  que  ce  fameux  archet  n'est  pas  entre  les. mains  de 
celui  qui  croit  le  posséder  ;  il  est  tout  simplement  sous  vitrine  dans  le  musée  de 
l'Opéra,  et  ce  cadeau  nous  fut  fait  par  les  héritiers  du  comte  nonde  Cassole,  mais 
de  Cessole,  lequel  était  maire  de  Nice,  au  temps  de  la  domination  italienne.  Grand 
amateur  de  musique,  le  comte  entretenait  avec  le  célèbre  virtuose  les  relations  les 
plus  amicales  ;  il  lui  donnait  même  l'hospitalité,  ce  qui  explique  la  présence  de  cet 
archet  entre  ses  mains  ;  d'autant  plus  que  ledit  archet,  s'il  m'en  souvient  bien, 
appartenait  au  comte,  et  fut  seulement  prêté  par  lui  à  Paganini,  pour  la  séance 
musicale  qui  avait  lieu  dans  ses  salons. 

Il  me  parait  donc  utile,  et  j'espère  que  la  publicité  du  Méntstrel  y  contribuera,  de 
mettre  en  garde  les  acquéreurs.  11  nî  faut  pas  qu'il  en  soit  maintenant  de  l'archet  de 
Paganini  comme  jadis  de  la  canne  de  Voltaire,  et  qu'on  en  tire  autant  d'exemplaires 
qu'on  trouvera  de  naïfs  admirateurs. 

Bien  cordialement  à  vous. 

Ch.  Malherbe,  Archiviste  de  VOpéra. 

—  La  Revue  théâtrale  vient  de  publier  sous  ce  litre  :  L'Opéra  nouveau,  un 
numéro  spécial  très  curieux,  imprimé  avec  un  grand  luxe,  et  qui  sera  pour 
l'avenir  un  document  d'autant  plus  précieux  que  le  texte  est  accompagné 
d'Une  centaine  de  superbes  illustrations  qui  font  passer  sous  les  yeux  tout  le 
personnel  de  cette  immense  maison  :  direction,  administration,  artistes  du 
chant  et  de  la  danse.  ch=fs  d'orchestre,  chefs  de  chant,  régisseurs,  peintres, 
dessinateurs,  et  jusqu'aux  choristes  et  aux  machinistes.  Le  côté  pittoresque  n'est 
pas  négligé,  non  seulement  celui  qui  est  en  vue  du  public,  décors,  costumes, 
etc.,  mais  celui  qui  lui  est  forcément  caché  :  les  coulisses,  les  dessus,  les 
dessous,  le  théâtre  des  répétitions,  le  service  d'électricité,  «  le  coin  des 
cloches  »,  tout  ce  qui  concourt  enfin  au  plaisir  du  spectateur  tout  en  restant 
invisible  pour  lui. 

—  Salle  Erard.  M.  Paul  Braud,  avec  le  concours  de  MM.  Louis  Dutten- 
hofer,  Emile  de  Bruyn,  Bleuzet,  Mimart,  A.  Delgrange  et  Léon  Letellier,  a 
consacré  à  la  musique  de  Beethoven  une  très  belle  soirée.  Toujours  au  piano, 

J'excellent  artiste  a  montré  ses  grandes  qualités  de  style  dans  le  trio  de 
l'Archiduc,  la  sonate  en  ut  mineur  avec  violon,  celle  en  ré  majeur  avec  vio- 
loncelle et  dans  le  quintette  en  mi  bémol  avec  hautbois,  clarinette,  cor  et 
basson.  Il  a  été  très  applaudi  ainsi  que  tous  ses  partenaires  par  une  assistance 
charmée  du  talent  dont  chaque  interprète  a  fait  preuve.  M.  Duttenhofer  avait 
exécuté  la  veille,  avec  M.  Galtfried  Galston,  salle  des  Agriculteurs,  la  sonate 
pour  piano  et  violon  de  M.  Ferruccio  Busoni,  œuvre  forleet  d'une  belle  allure 
dont  c'était,  croyons-nous,  la  première  audition  à  Paris. 

—  De  Lille  :  Mlle  Jeanne  Faucher  vient  de  donner,  dans  la  salle  du  Conser- 
vatoire et  avec  le  concours  de  quelques-unes  de  ses  élèves,  de  Mmes  Monteux- 
Barrière  et  Bruguière-Hardel,  de  MM.  Blanquart  et  Elcus.  un  très  joli  concert 
qui  a  enchanté  tous  les  auditeurs.  M.  Périlhou  avait  fait  le  voyage  pour 
accompagner  ses  œuvres  et  on  l'a  ovationné,  en  même  temps  que  ses  inter- 
prètes, après  Musette,  Au-dessous,  Nell,  Iselina,  Nocturne,  les  Heureuses  funé- 
railles, Chanson  de  Guillot-Marlin  et  Ballade.  Très  charmante  exécution  aussi 
du  trio  et  du  chœur  de  la  Vierge  de  Masscnet  et  du  duo  du  Roi  d'Ys  de  Lalo. 

NÉCROLOGIE 
Un  artiste  modeste  et  fort  distingué,  Gaetano  Coronaro,  professeur  de 
haute  composition  au  Conservatoire  de  Milan,  est  mort  en  cette  ville  le 
5  avril.  Né  à  Vienne  en  1S52,  il  avait  fait  son  éducation  musicale  sous  la 
direction  de  Franco  Faccio,  alors  chef  d'orchestre  de  la  Scala.  H  en  sortit  en 
1873,  après  avoir  fait  exécuter  dans  un  des  exercices  de  l'école,  sous  sa  direc- 
tion, une  scène  lyrique  intitulée  un  Tramonlo,  dont  M.  Arrigo  Boito  lui  avait 
fourni  les  paroles,  et  dont  le  succès  fit  presque  événement  a  Milan,  où  l'on  en 
parla  durant  plusieurs  semaines.  A  ce  moment.  M'ne  Lucca,  le  grand  éditeur 
de  musique,  avait  mis  à  la  disposition  de  l'administration  du  Conservatoire 
une  somme  destinée  à  faciliter  le  voyagea  l'étranger  de  l'élève  qui  semblerait 
le  plus  apte  à  profiter  de  cette  faveur.  Coronaro  fut  appelé  à  bénéficier  de 
cette  libéralité  intelligente,  et  grâce  à  elle  il  pat  visiter  plusieurs  des  grands 
centres  artistiques  de  l'Europe  :  à  Paris,  Vienne,  Berlin,  Cologne,  Leipzig 
et  Dresdd.  De  retour  à  Milan,  il  s'occupa  de  composition,  publia  un  Album 
vocal  formé  de  six  morceaux  de  chant,  et  écrivit  la  musique  d'un  opéra  inti- 
tulé la  Creolu,  qui  fut  représenté  au  théâtre  communal  de  Bologne,  le  24  no- 
vembre. 1S78,  par  Pétrovich,  Kascbmann.  Mmcs  Fricci  et  Gargano.  A  ce  mo- 
ment il  était  devenu,  depuis  1S76,  second  chef  d'orchestre  à  la  Scala.  Il  écrivit 
encore  deux  opéras,  Malamme,  donné  au  Grand-Théâtre  de  Brescia  le  20  jan- 
vier 1894  et  un  Çurioso  Accidente  qui  fut  joué  à  Turin  il  y  a  quelques  années. 
Déjà  professeur  d'harmonie  au  Conservatoire  de  Milan,  il  fut  appelé,  à  la 
mort  d'Alfredo  Catalani,  à  lui  succéder  comme  professeur  de  haute  composi- 
tion, et  sa  classe,  qui  lui  valut  de  nombreux  succès,  était  une  des  plus  renom- 
mées de  l'école. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


Samedi  i'.î  Avril  1*108. 


4022.  -  74e  ANNÉE.-  IV0  17.        PARAIT  TOUS   LES   SAMEDIS 

(Les  Bureaux,  2  "'%  rue  Vivienne,  Paris,  «•  arr') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.» 


LE 


ENESTREL 


lie  fluméyo  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEDGEL,     Directeur 


lie  flaméFo  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivieune,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  ea  ans. 


SOMMAIRE-TEXTE 


1.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (18"  article),  Jïlien  Tiersot.  —  II.  Semaine  théâ- 
trale :  première  représentation  du  Coup  de  Foudre,  aux  Folies-Dramatiques,  Amédée 
Boutahel.  —  III.  La  Musique  et  le  Théâtre  aux  Salons  du  Grand-Palais  (2"  article), 
Camille  Le  Senne.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE   DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

MAZURKA 

extraite  du  ballet  du  Chevalier  d'Êon,  opérette  nouvelle  de  Rodolphe  Berger. 

—  Suivra  immédiatement   :   Roses   de   France,   scherzetto   extrait   du    même 

ballet. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
Rêverie  de  la  Dubarry,  extraite  du  Chevalier  d'Èon,  opérette  nouvelle  de 
Rodolphe  Berger.  —  Suivra  immédiatement  :  Petits  oiseaux,  romance  extraite 
de  la  même  opérette. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 


CHAPITRE  Y 

GLUCK      A    VIENNE 

Quand  Gluck  revint  à  Vienne,  un  événement  s'était  produit,  qui 
lui  importait  grandement  :  l'insensible  Joseph  Pergin  avait  passé 
de  vie  à  trépas,  et  sa  veuve  avec  ses  deux  filles  quittant  la  belle 
maison  du  Graben  étaient  allées  s'installer  plus  modestement 
dans  la  banlieue  de  Vienne,  à  Neustift.  C'est  là  que  les  retrouva 
le  jeune  maitre,  toujours  épris,  et  ayant  à  son  actif  un  succès  de 
plus.  L'accord  fut  vite  établi,  et,  le  15  septembre  1750,  Christo- 
phoriM  Gluckh  et  Maria  Anna  Pergin  furent  unis  par  les  liens  du 
mariage  en  l'église  catholique  de  Saint-Ulrich.  L'acte  qualifie 
tous  ceux  qui  y  sont  nommés  :  «  Très  noblement  nés  »,  Wold- 
edelgeborene  (1),  depuis  Joseph  Pergin,  le  marchand  enrichi  en 
Hollande,  jusqu'à  Alexandre  Gluck,  l'ancien  garde-forestier  de 
Weidenwang  en  Bavière,  dont  l'épouse  Anna  Walburga,  mère 
du  nouveau  marié,  servait  naguère,  des  verres  de  bière  aux 
paysans  de  Bohème  en  leur  débit  de  boissons  à  Johnsdorf  près 
Georgenthal.  L'union,  bien  qu'elle  n'ait  été  consacrée  par  aucune 
postérité,  fut,   à  ce  qu'il  semble,   des  plus  heureuses  :  Gluck 

(1)  A.  Schmid,  Ritter  von  Gluck,  reproduit  le  texte  de  cet  acte  de  mariage,  suppl.  B, 
page  'i62. 


passa  tout  le  reste  de  sa  vie  auprès  de  cette  épouse  aimable, 
fidèle  et  dévouée,  aux  côtés  de  laquelle,  après  trente-sept  ans, 
il  mourut. 

L'année  suivante  ne  fut  marquée  par  aucun  événement  nota- 
ble dans  la  vie  artistique  de  notre  héros.  Serait-ce  la  lune  de  miel 
qui  causa  cet  arrêt  momentané  de  son  activité?  (1).  Au  reste,  les 
succès  de  ses  œuvres  antérieures  commençaient  à  s'affirmer 
hors  de  sa  présence.  Prague,  après  Esio,  donna  dans  l'automne 
ITpermestra  de  Venise  qui  remontait  déjà  à  six  ans.  Esio  même 
fut  joué  à  Leipzig  en  1751. 

Au  carnaval  de  1752,  nous  retrouvons  Gluck  à  l'œuvre,  de 
nouveau  à  rrague,  où  il  donne  Issipi.le,  sur  un  poème  de  Méta- 
stase, opéra  dont  la  partition  n'a  laissé  après  elle  que  quelques 
épaves. 

Enfin,  dans  le  courant  de  la  même  année,  il  entreprend  une 
nouvelle  campagne  en  Italie,  et  non  sans  gloire  :  il  donne  à 
Naples  la  Clemenza  di  Tilo,  dont  le  poème  de  Métastase  avait 
déjà  été  mis  en  musique  par  des  maîtres  tels  que  Caldara,  Léo, 
Hasse,  et  devait  l'être  encore  par  Mozart.  La  partition  est  une 
des  plus  importantes  et  des  plus  remarquables  de  tout  son 
répertoire  d'opéras  italiens'(2).  C'est  toujours  une  collection  de 
sonates  vocales  entrecoupées  de  récitatifs  :  au  total  vingt-trois 
airs  (pas  même  un  seul  duo)  et  un  ensemble  final.  Sur  ces  airs, 
deux  seulement  ne  sont  pas  à  reprise,  mais  se  développent  d'un 
seul  jet,  sur  un  plan  analogue  à  celui  de  la  cantilène  posté- 
rieure :  «  Unis  dès  la  plus  tendre  enfance  ».  Les  vingt  et  un 
autres  sont  écrits  uniformément  dans  la  coupe  obligée  qui 
nous  fut  familière  dès  son  premier  ouvrage  :  ritournelle  de 
concerto,  exposition  formée  d'un  double  développement,  milieu, 
et  reprise  de  l'exposition  tout  entière.  Plusieurs  de  ces  airs 
renferment  de  longs  passages  en  style  orné,  où  la  vocalise,  loin 
d'être  une  superfétation,  fait  partie  intégrante  de  la  composition, 
constituant  la  musique  même,  la  musique  pure.  Nous  avions 
déjà  fait  pareille  observation  sur  les  premières  œuvres  :  nous 
avons  ici  l'occasion  de  la  renouveler,  et  par  là  de  montrer  que, 
depuis  dix  ans,  Gluck  en  était  encore  aux  mêmes  pratiques. 

Tout  à  la  fin  de  l'œuvre,  nous  reconnaissons  un  dessin  dont 
nous  avons  déjà  entrevu  l'ébauche,  et  que  nous  retrouverons 

(1)  Les  biographes  llxent  à  1751  la  représentation  de  la  Clemenza  di  Tilo  a  Naples, 
et  à  la  fin  de  la  môme  année  l'entrée  de  Gluck  comme  kàpellmeister  chez  le  prince 
de  Saxe-IIildburghausen.  Mais  les  plus  récentes  recherches  Cnore.  /  Teatri  di 
Napoli,  VoTo.LE.NNi;,  Catalogue  GlucU:  ont  fait  reculer  d'une  année  la  date  de  cette 
représentation;  et  comme  l'entrée  de  Gluck  chez  le  prince  sus-nommé  est,  d'après 
le  seul  document  qui  nous  renseigne  (l'autobiographie  de  Dilt3rsdorf),  subordonnée  à 
cette  représentation,  il  faut  donc  reporter  à  1752  tout  ce  que,  dans  la  vie  de  Gluck, 
on  avait  cru  jusqu'ici  appartenir  à  1751.  Cela  étant,  il  conviendrait  de  rectifier  la 
note  1  page  19S  du  catalogue  Wotquenne,  qui,  après  avoir  donné  1752  comme  date 
de  la  Clemenza,  maintient  cependant  1751  pour  l'entrée  chez  le  prince,  mais 
postériorité  reconnue. 

(S)  La  Bibliothèque  du  Conservatoire  de  Paris  possède  une  partition  ancienne  de 
la  Clemenza  di  Tito. 


130 


LE  MÉNESTREL 


encore  plus  tard,  dans  Armide,  au  duo  :  «  Esprits  de  haine  et  de 
rage».  Le  tracé  en  est  déjà  plus  assuré  que  dans  Sofonisba,  et 
se  rapproche  de  la  version  définitive.  Le  morceau  n'en  est  pas 
moins  encore  ici  un  grand  air  de  bravoure,  avec  milieu  et  Da  Capo. 

La  Clemensa  di  Tito  contient  une  très  belle  page  de  musique  pure 
et  expressive  à  la  fois,  un  des  meilleurs  airs  de  Gluck  et  un  des 
plus  admirables  modèles  qu'on  puisse  offrir  du  beau  chant  ita- 
lien. C'est  l'air:  Semaisenti  spirarti  sulvolto,  que  chantait  Caffa- 
relli  à  la  fin  du  second  acte. 

Cet  air  a  une  histoire. 

Après  que  le  hautbois,  instrument  obligé,  a  déroulé  les  amples 
lignes  d'une  ritournelle  au  grand  style,  la  voix  commence  et 
soutient  un  chant  large,  se  combinant  aux  dessins  divers,  parfois 
agités,  de  l'orchestre  :  soudain,  quand  il  semble  que  tout  est  près 
de  finir,  elle  s'élance  sur  une  note  aiguë,  et  s'y  maintient  pendant 


plusieurs  mesures  en  clamant  des  paroles  désespérées  :  «  Son  questi 
g(  estremi,  gV  estremi  sospiri»,  tandis  que  les  hautbois,  les  violons 
et  la  basse  l'enveloppent  d'âpres  dissonances.  C'était  d'une  im- 
pression si  poignante,  d'une  forme  si  inusitée  et  si  hardie,  que 
les  interprètes,  auxquels  s'étaient  peut-être  joints  quelques  bons 
confrères,  n'osèrent  pas  risquer  l'audition  publique  sans  être 
couverts  par  l'approbation  d'un  maître. 

Ils  s'adressèrent  à  Durante. 

C'était  un  maître  en  effet  :  il  le  prouva  par  sa  réponse.  «  Je 
ne  puis  décider,  déclara-t-il,  si  ce  passage  est  entièrement  con- 
forme aux  règles  de  la  composition;  mais  ce  que  je  puis  vous  dire, 
c'est  que  nous  tous,  et  moi  pour  commencer,  nous  devrions  très 
hautement  nous  faire  gloire  si  nous  l'avions  conçu  et  écrit  (1).  » 

L'harmonie  litigieuse  n'est  nullement  en  désaccord  avec  les 
règles.  'Voici  les  quatre  mesures  qui  la  contiennent  (2)  : 


C'est  simplement,  tout  le  monde  l'aura  reconnu,  une  pédale 
supérieure  de  dominante  sur  laquelle  viennent  se  heurter  des 
dissonances  ;  mais  celles-ci  sont  d'une  correction  parfaitement 
classique.  Cependant  on  n'avait  jamais  employé  ce  procédé 
harmonique  avec  une  telle  acuité,  et  l'on  ne  peut  s'étonner 
de  l'espèce  d'effroi  qu'il  a  causé  tout  d'abord  dans  un  milieu 
où  l'on  ne  savait  guère  s'écarter  des  consonances  les  plus 
fades. 

Plus  tard,  reprenant  l'air  entier,  Gluck  l'introduisit  dans  Iphi- 
génie en  Tauride,  où  il  est  devenu  :  «  0  malheureuse  Iphigénie  ». 
Il  redoubla  l'effet  de  la  dissonance  en  faisant  chanter  la  note 
aiguë. par  toutes  les  voix  du  chœur  intervenant  en  ce  seul  en- 
droit pour  dire  ces  paroles  :  «  Mêlons  nos  cris  plaintifs  à  ses 
gémissements  »,  et  nous  avons  tous  admiré  la  puissance  et  la 
beauté  de  la  composition  sous  cette  "forme  dernière.  Encore  l'air 


original  laisse-t-il  peut-être  une  impression  plus  complètement 
satisfaisante,  soit  que  les  paroles  italiennes  auxquelles  fut  subs- 
titué un  texte  français  médiocre  s'accordent  mieux  avec  le 
style  de  son  chant,  soit  qu'il  s'en  dégage  une  fraîcheur  de  pre- 
mier jet  dont  le  charme  ne  peut  nous  laisser  insensibles. 

L'air  est  malheureusement  encore  à  reprises.  Combien  ces  re- 
dites devaient  être  fastidieuses  à  l'audition  !  Celle-ci  pourtant 
eut  un  avantage  :  puisqu'il  y  avait  «  reprise  »,  il  devait  nécessai- 
rement y  avoir  «  milieu  »  ;  or,  celui  que  Gluck  a  trouvé  pour 
compléter  cette  exposition,  tout  en  en  différant  complètement, 
lui  a  paru  si  intimement  lié  à  la  mélodie  principale  qu'il  n'a 
pas  voulu  l'abandonner  en  composant  Iphigénie  :  il  l'a  repris 
pour  faire  suite  à  l'air  :  c'est  le  thème  du  choeur  du  sacrifice  aux 
mânes  d'Oreste  :  «  Contemplez  ces  tristes  apprêts  ».  En  voici  le 
chant  sous  sa  forme  première  : 


Al  mio     spir.to  dal      se.no    dis.cial.to  La  me.   mo.ria    de        tan  .  ti     mar  .   ti    .    ri, 


La         me  .  mo.ria         de     tan.ti    mar.  ti  .  ri 


JMb 


tmr 


* 


Sa.ra       dol .  ce  con    ques.ta  mer  .    ce. 


à 


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à 


g 


m 


Ainsi  Gluck,  continuant  à  semer  les  productions  de  son  génie 
à  travers  le  monde,  faisait  des  provisions  qui  devaient  lui  servir 
plus  tard  à  édifier  ses  chefs-d'œuvre  définitifs.  Et  déjà  il  apparais- 
sait que,  sous  leur  première  forme,  ses  œuvres  ne  devaient  point 
être  éphémères.  Il  n'était  pas  encore  revenu  de  Naplesque  déjà 
les  copies  de  l'air  :  5e  mai  senti  circulaient  à  Vienne.  Une  chan- 
teuse de  concert  renommée,  Mlle  Heinisch,  le  fit  entendre  dans 
les  réunions  musicales  du  prince  de  Saxe-Hildburghausen  : 
celui-ci,  émerveillé,  n'ignorant  pas  d'ailleurs  le  haut  mérite  du 
compositeur,   voulut,  lorsqu'il    revint,    faire  sa  connaissance 


personnelle.  Ses  bonnes  manières  et  sa  culture  générale  ache- 
vèrent de  le  gagner  ;  Gluck  devint  l'ami  de  la  maison,  et  le 
prince  le  nomma  son  maître  de  chapelle. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 

(1)  Cette  anecdote,  rapportée  par  Reichardt,  a  été  reproduite  dans  Gerber,  Lexikon 
der  Tonkunstler,  édition  de  1812,  t.  II,  col.  345,  346. 

(2)  Nous  avons  dû,  pour  la  clarté  de  la  réduction,  transposer  à  l'octave  grave  la 
partie  d'alto  (batterie  de  croches),  et  supprimer  11  partie  de  1"  violon  qui,  dans  la 
partition,  suit  à  l'unisson  le  1"  hautbois,  en  y  mêlant  un  rythme  syncopé  formé  d'une 
croche  suivie  de  noires. 


LE  MENESTREL 


131 


SEMAINE  THÉÂTRALE 


Folies-Dramatiques.  —  Le  Coup  de  Foudre,    comédie-vaudeville  en  3   actes, 
de  M.  Xanrof. 

M.  Léon  Xanrof  a  retenu  de  ses  années  de  droit  et  de  stage  le  point 
de  départ  de  cette  pièce.  L'article  234  du  Code  civil  exige,  pour  la 
reconnaissance  d'un  enfant,  une  seule  condition,  l'authenticité  de  la 
déclaration.  Par  suite,  toute  personnne  qui  se  déclare,  devant  un  offi- 
cier de  l'état-civil,  père  d'une  autre,  est  réputée  l'être  légalement  tant 
que  les  intéressés  n'ont  pas  établi  la  preuve  du  contraire.  Nous  allons 
voir  un  impudent  valet  devenir,  de  par  la  loi,  lepère  desonmaitre.  Ce 
dernier  est  un  excellent  jeune  homme  sans  parents  connus  ;  on  dirait 
presque  sans  nom,  car  il  a  été  inscrit  sur  les  livres  de  l'état-civil  sous 
celui  de  Vigile-Jeûne  par  un  magistrat  facétieux  qui,  cherchant  le  saint 
du  quantième  sur  le  calendrier,  avait  trouvé  à  la  date  l'indication 
d'abstinence  relative  aux  quatre-temps.  Donc,  le  jeune  Vigile  aurait 
besoin  d'un  père  et  désirerait  beaucoup  avoir  une  famille.  Approchant 
de  sa  majorité,  il  recherche  en  mariage  M"c  Jeannine  Brétisel,  fille 
d'un  membre  de  l'Académie  des  Sciencas.  Celui-là,  grand  savant, 
regarde  plus  volontiers  au-dessus  de  sa  tête  qu'à  ses  pieds.  Se  trouvant, 
il  y  a  vingt  et  un  ans  déjà,  en  voyage  avec  sa  sœur  Aglaure  dont  il 
avait  la  surveillance,  ils  descendirent  ensemble  dans  un  hôtel  pour  y 
passer  la  nuit.  Un  terrible  orage  éclata.  Brétisel,  pour  observer  le  phé- 
nomène, monta  vite  sur  le  toit  de  la  maison,  laissant  Aglaure  toute 
seule  au  salon.  Que  se  passa-t-il  alors  ?  Elle-même  nous  le  raconte 
avec  exubérance,  car  c'est  un  moment  heureux  de  sa  vie.  Lorsqu'elle  se 
précipita  dans  sa  chambre,  un  inconnu  s'y  trouvait,  ils  s'aimèrent  ; 
ce  fut  vif  comme  l'éclair  qui  jaillissait  au  dehors,  violent  comme  un 
coup  de  foudre.  En  se  réveillant  le  matin,  elle  se  trouva  seule,  éprise 
d'amour  pour  celui  qu'elle  n'avait  vu  qu'à  peine  aux  lueurs  de  la  nuit 
d'orage.  Depuis  elle  l'a  cherché  vainement.  Un  fils  lui  est  né,  c'est 
Vigile  ;  elle  ne  l'a  pas  reconnu,  mais  l'aime  tendrement  et  cherche 
toujours  son  père. 

Cependant,  le  valet  de  Vigile,  Alfred,  prend  tout  à  coup  des  airs  de 
hautaine  protection  chez  son  maître,  et,  lorsque  celui-ci  veut  rappeler 
à  ses  devoirs  ce  domestique  insolent,  il  en  reçoit  la  réponse  qu'un  fils 
doit  à  son  père  obéissance  et  aliments.  Alfred  compte  bien  vivre  gras- 
sement sur  les  revenus  de  Vigile.  Il  réussirait  sans  doute  si  son  jeu 
ne  gênait  Aglaure  ;  mais,  malgré  sa  bonne  volonté,  celle-ci  ne  peut 
reconnaître  en  ce  malotru  l'homme  qui  lui  a  laissé  un  si  vivant  sou- 
venir  d'amour.  Là-dessus  intervient  un  commandant  séduisant  et 
brave  ;  il  flaire  avec  un  dégoût  méprisant  la  fourberie  au  milieu  de 
laquelle  sa  bonne  étoile  l'a  conduit,  se  déclare  Le  héros  de  lanuit  d'orage, 
reconnaît  Vigile  pour  son  fils,  et  demande  la  main  d'Aglaure.  Vigile  a 
donc  maintenant  deux  pères  et  Aglaure  deux  prétendants.  Une  seconde 
nuit  d'orage,  toute  semblable  à  la  première,  permet  de  reconstituer  la 
scène  de  séduction  et  de  démasquer  l'imposture  d'Alfred. 

L'interprétation  a  été  excellente  avec  Mmcs  Augustine  Leriche,  Daus- 
mont,  Marie-Louise  Roger,  MM.  Milo,  Rouvière.  Némo,  Félix  Ander, 
Prévost  et  Arnaudy.  La  pièce  a  obtenu  un  beau  succès. 

Amédée  Boutabel. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THÉÂTRE 

st-u-x.     Salons     c3L"w.    C3rJrstxL<3L-'F>sk.lsi±s 


(Deuxième  article) 

Le  règlement  de  la  Nationale  ne  limite  qu'à  six  pour  les  sociétaires 
et  à  quatre  pour  les  associés  et  les  simples  exposants,  dans  toutes  les 
sections,  le  nombre  des  envois  (exception  faite  pour  la  section  d'art 
décoratif  et  d'arts  appliqués  dont  le  nombre  n'est  pas  limité).  Cette 
méthode,  plus  libérale  que  celle  des  Artistes  Français,  a  le  grand  avan- 
tage de  permettre  la  composition  de  panneaux  où  se  révèle  sous  tous 
ses  aspects  la  physionomie  des  talents  individuels.  C'est  ainsi  que 
M.  Zuloaga  a  fait  une  brillante  rentrée  avec  trois  envois  qui  montrent 
en  réel  progrès  de  virtuosité  ce  jeune  maître  d'un  «  genrisme  »  supé- 
rieur. Ou  admirera  dans  sa  réunion  d'espagnoleries  truculentes  le 
Nain  marchand  d'outrés  —  il  porte  là-bas  le  nom  de  Gregorio  el  botero 
—  superbe  morceau  à  la  Velasquez,  face  hébétée,  corps  difforme  mais 
robuste,  chemise  de  grosse  toile  écrue,  pantalon  de  velours  brun  et 
l'accessoire  obligé  des  deux  outres  en  peau  de  bouc. 


Les  Sorcières  de  Ségovie  ne  nous  montrent  plus  un  monstre  isolé 
mais  une  collection  de  monstres,  qui  tiennent  un  sabbat  en  guenilles. 
Le  peintre  les  a  groupées  sur  un  promontoire  de  roches  et  elles  ne  col- 
lectionnent pas  seulement  tous  les  types  de  laideurs  grotesma  -.  elles 
échantillonnent  aussi  une  surprenante  variété  de  rouges,  de  verts,  de 
bleus  qui  donnent  les  plus  originaux  rapports  de  tons.  M.  Zulo 
un  coloriste  vraiment  habile.  Sou  éclairage  seul  demeure  contestable. 
Plus  rêvé  que  vrai  (et  d'un  rêve  fébrile)  il  évoque  une  ambiance  de 
cauchemar  autour  du  nain  comme  autour  des  larves  caricaturales  cepen- 
dant présentées  dans  le  plein  jour.  En  revanche,  on  ne  s'étonnera  pas 
de  voir  dans  le  troisième  tableau  une  gitane  se  découper  sur  le  sombre 
décor  d'une  posada,  accrochant  à  ses  oripeaux  des  traînées  de  lumière 
électrique,  car  il  s'agit  cette  fois  d'une  composition  théâtrale.  Ou  y 
reconnaîtra,  non  sans  la  curiosité  amusée  d'un  spectacle  d'originale  lan- 
terne magique,  la  grande  cantatrice  M"'  Lucienne  Bréval  dans  le  cos- 
tume de  Carmen  au  deuxième  acte  du  drame  lyrique  de  Bizet  :  châle 
brodé  à  fond  noir,  fleurs  de  grenade  piquant  la  chevelure,  physio- 
nomie d'une  âpre  vitalité  tragique  ressortant  en  vigueur  d'un  fond  à 
la  Goya. 

On  s'arrêtera  longtemps  —  et  ce  ne  sera  pas  une  méditation  super- 
flue par  ce  temps  de  fantaisies  déliquescentes,  d'art  diffluent  et  dis- 
persé —  devant  la  muraille  où  les  six  envois  de  M.  Raffaelli  composent 
un  ensemble  de  tout  premier  ordre,  solide,  substantiel,  d'une  haute  et 
impressionnante  maîtrise.  Point  de  tricherie  ni  d'appel  aux  petites 
ressources  du  métier,  mais  le  plein  triomphe  delà  difficulté  vaincue  par 
un  beau  peintre  qui  est  en  même  temps  un  merveilleux  observateur. 
L'Apprentie  de  M.  Gustave  Geffroy,  qui  fut  un  des  succès  de  l'Odéon 
au  cours  de  cette  saison  si  agitée  sur  la  rive  gauche,  revit  au  naturel, 
dans  la  première  de  ces  toiles.  Elle  déambule  le  long  du  quai  du  Lou- 
vre, le  carton  tenu  d'uue  main,  le  parapluie  serré  de  l'autre,  sur  le  dos 
une  casaque  de  la  Samaritaine,  sur  la  tète  un  chapeau  à  quatre  quatre- 
vingt-dix  garni  de  fournitures  indigentes,  aux  pieds  de  lourds  «  ribouis  », 
des  godillots  pour  trottin.  Un  chef-d'œuvre  de  réalisme  et  aussi  tout 
un  symbole,  celui  de  la  destinée  des  petites  plébéiennes  qui  vont  faire 
à  la  fois  l'apprentissage  de  l'existence  et  celui  du  gagne-pain.  — A  titre 
de  robuste  pendant,  pris  toujours  dans  la  vie  humble  mais  qui,  celte 
fois,  ne  comporte  ui  rêve  d'avenir  ni  radieuses  échappées,  un  bûcheron 
à  bourgeron  rouge  et  son  chien,  lequel  a  une  physionomie  curieusement 
humaine,  bien  personnelle.  Et  vous  retrouverez  encore  avenue  d'Antin 
le  Raffaelli  non  moins  magistral  de  la  banlieue  rendue  loyalement 
sous  ses  aspects  les  plus  austères  et  du  Paris  grouillant  des  environs 
de  l'Opéra,  maintenant  centre  et  cœur  de  la  grande  ville  (cœur  agité  et 
centre  cosmopolite).  Regardez  le  boulevard  des  Italiens  pris  devant  le 
pavillon  de  Hanovre.  C'est  un  tableau  de  musée  et  un  document  saus 
prix  pour  les  historiens  futurs  de  notre  foisonnant  vingtième  siècle. 

M.  Courtois  n'a  exposé  qu'un  tableau,  mais  il  a  dû  le  faire  grand, 
très  grand  pour  garnir  la  salle  des  mariages  de  l'Hôtel  de  Ville  de 
Neuilly.  Son  Paradis  perdu  garnit  les  trois  quarts  de  la  muraille  qui 
fait  face  au  panneau  symbolique  de  M.  Roll.  C'est  une  toile  immense  : 
un  arc-en-ciel  la  divise  en  deux  parties  à  peu  près  égales.  D'un  côté  un 
Adam  très  en  chair,  et  qui  a  pu  sans  inconvénient  prêter  une  de  ses 
côtes  pour  dédoubler  l'humanité,  est  étendu  sur  le  gazon  dans  la  pose 
avantageuse  d'un  baryton  préhistorique.  Il  accepte  nonchalamment 
la  pomme  que  vient  de  cueillir  une  Eve  grassouillette  aux  branches 
d'un  pommier  couvert  à  la  fois  de  fleurs  et  de  fruits,  réunion  vraisem- 
blable sous  un  climat  paradisiaque.  Dans  l'autre  partie  du  tableau, 
Eve,  enveloppée  d'un  grand  manteau  brun  qui  la  drape  en  chanteuse 
d'opéra,  serre  sur  sa  poitrine  le  petit  Cain,  premier  fruit  de  ses  en- 
trailles, et  dirige  un  regard  mélancolique  vers  l'Éden  perdu.  Elle  est 
visiblement  maigre,  mais  Adam,  qui  nous  apparaît  de  dos,  a  gardé 
toute  sa  carrure,  et  il  en  a  besoin  car  nous  le  voyons  porter  de  lourds 
filets  vers  la  barque  amarrée  au  rivage. 

Ce  second  groupe  symbolise  évidemment  les  conséquences  du  péché 
originel.  L'ensemble —  où  nous  devons  voir  une  contre-partie  sincère 
et  par  conséquent  respectable  du  procédé  de  décoration  Puvis  de  Cha- 
vannes  —  n'est  pas  sans  lourdeur  avec  ses  figures  par  trop  ressenties  ; 
mais  le  paysage  se  compose  poétiquement,  et  la  dégradation  lumineuse 
des  fonds  met  en  valeur  le  jolis  clos  normand  —  d'une  Normandie 
d'Asie-Mineure  —  où  s'épanouit  le  pommier  fleuri. 

M.  Maurice  Denis  chavannise  au  contraire,  mais  avec  des  qualités 
très  personnelles  d'exécution  souple  et  des  colorations  charmantes, 
dans  son  Éternel  printemps  destiné  à  la  décoration  d'un  hôtel  particulier. 
où  il  évoque  aussi  le  répertoire  d'harmonieuses  attitudes  des  primitifs 
italiens.  Trois  panneaux,  dont  les  cadres  de  grisailles  représentent 
les  douze  signes  du  zodiaque,  contiennent  les  épisodes  caractéris- 
tiques des  saisons.  La  premier  est  consacré  à  la  musique  et  à  la  danse  ; 


432 


LE  UENË-TREL 


une  théorie  de  vierges  aux  longs  voiles  blancs  évolue  autour  d'une  vio- 
loniste en  tunique  bleue  ;  des  fleurettes  avivent  de  touches  pointillées 
cette  scène  de  rêve  située  dans  un  décor  poétique.  Le  second  nous 
montre  une  jeune  femme  cueillant  des  roses  et  ses  compagnes  qui 
tressent  des  couronnes.  Dans  la  dernière  composition,  la  chasse  et  la 
vendange  servent  de  prétexte  à  de  gracieux  groupements.  L'exécution 
reste  volontairement  sommaire  et  cet  archaïsme  prémédité  n'est  pas 
sans  engendrer  quelque  monotonie,  mais  il  y  a  un  concert  vraiment 
harmonieux  d'assemblage  de  lignes  et  d'unisson  de  tonalités. 

M.  Lerolle  demeure  fidèle  aux  colorations  blondes  où  s'estompent  et 
flottent,  en  gardant  leur  rythme  charmeur,  des  figures  féminines  péné- 
trées de  la  grâce  antique.  Les  deux  panneaux  qu'il  intitule  Douces 
journées  sont  des  compositions  virgiliennes  à  l'ambiance  brumeuse 
que  soulignent  des  traînées  transparentes  de  blanc  et  d'indigo.  L'une 
dispose  une  réunion  de  jeunes  femmes  sur  un  cap  qui  domine  la  mer 
bleue  :  deux  musiciennes  en  tunique  flottante  et  un  petit  cercle  d'audi- 
trices rêveuses;  dans  l'autre  le  paysage  s'argente  autour  des  baigneuses 
presque  uniquement  vêtues 

De   ces  brouillards  légers   que  l'aurore  soulève 

Et  qu'avec  1;  matin  on  voit  s'évanouir... 

M.  Osbert  donne  à  ses  personnages  des  contours  de  statues  polychro- 
mées  par  le  reflet  de  la  mer  et  des  verdures.  Toutes  ses  femmes  sont 
des  Muses,  et  Apollon  reconnaîtrait  ses  préférées  dans  le  très  beau 
groupe  du  Soir  antique  qui  regarde  le  soleil  mourir  à  l'horizon  d'une 
lente  et  souveraine  agonie.  Douleur,  la  Brume  du  matin,  Coin  solitaire 
se  composent  décorativement  et  se  prêteraient  à  être  grandis  pour 
meubler  de  vastes  surfaces  monumentales. 

L'idéal  antique  garde  un  autre  fidèle  en  M.  Alexandre  Séon.  Son 
Orphée  pleurant  Eurydice  est  d'une  noble  simplicité  de  lignes,  avec 
l'habituelle  surenchère  d'austérité  des  procédés,  et  sa  Beauté  un  com- 
mentaire grave  de  la  célèbre  strophe  de  Baudelaire  : 

Je  trône  dans  l'azur  comme  un  sphynx  incompris  ; 

J'unis  un  cœur  de  neige  à  la  blancheur  des  cygnes. 

Je  hais  le  mouvement  qui  déplace  les  lignes, 

Et  jamais  je  ne  pleure  et  jamais  je  ne  ris. 

Les  peintures  de  M.  Séon  ne  sont  pas  indifférentes.  Elles  font  penser 
tour  à  tour  à  des  dessins  d'Ingres  sommairement  teintés  et  à  des  mo- 
dèles de  Gustave  Moreau  dépouillés  de  leur  harnais  de  pierres  pré- 
cieuses. M.  Marzocchi  de  Bellucci  a  traité  en  fresque  le  Rêve  du  faune 
et  suffisamment  rajeuni  cette  donnée  classique.  M.  Walter  Crâne 
rappelle  Burne  Jones  (et  l'obscurcit)  dans  son  allégorie  de  l'Art  et  la  Vie 
qui  ne  dit  plus  rien  à  force  d'en  vouloir  trop  dire.  M.  Crébassa  s'offre 
au  contraire  la  joie  des  claires  couleurs  et  des  notations  franches  dans 
son  plafond  de  la  Danse  (destiné  à  une  salle  de  mairie)  où  les  étoffes  et 
les  chairs  chantent  avec  la  même  allégresse. 

M.  Gervex  expose  l'esquisse  d'un  plafond  pour  le  palais  de  l'Elysée 
qui  parait  extrêmement  chargé  d'une  richesse  et  d'un  foisonnement 
tout  vénitiens.  Maquettes  ou  compositions  entièrement  réalisées, 
voici  quelque  chose  de  moins  fastueux  mais  d'une  grâce  plus  enve- 
loppante, plus  charmeresse,  les  études  des  plafonds  exécutés  au  Caire 
par  M.  Hippolyte  Berteaux  :  La  Jeunesse  invoquant  les  lumières  des 
sciences,  des  lettres  et  des  arts,  «  pour  le  palais  de  Son  Excellence  Seifoul- 
lah  Yousry  Pacha  »  nous  apprend  le  catalogue.  Voilà  un  pacha  qui  a 
le  goût  des  allégories  édifiantes  !  Du  moins  en  aura-t-il  été  récom- 
pensé, caries  esquisses  annoncent  des  œuvres  d'une  souplesse  d'exécu- 
tion et  d'une  qualité  lumineuse  vraiment  rares  que  reproduisent  la 
Primavera  et  le  Réveil  de  Vénus  du  même  peintre. 

Revenons  à  la  modernité  en  nous  arrêtant  devant  le  panneau  consi- 
dérable établi  par  M.  Caro- Del  vaille  pour  l'hôtel  Westminster  et 
intitulé  le  Paon  blanc.  Cette  toile  recouvrira  le  mur  d'un  hall.  Elle  repré- 
sente une  salle  commune  ;  elle  y  fera  donc  office  de  miroir.  Le  peintre 
a  groupé  des  personnages  d'âges  et  de  sexes  différents,  de  types 
généralement  amorphes,  de  physionomies  en  quelque  sorte  anonymes, 
ainsi  qu'il  convenait  ;  à  gauche,  des  jeunes  gens  au  profil  anglo-saxon, 
gourmés,  rasés  suivant  la  mode  qui  crée  des  messieurs  tout  en  peau 
d'aspect  peu  récréatif  ;  à  droite  une  mère,  une  chambrière,  des  enfants. 
Au  milieu  uu  voyageur  d'une  quarantaine  d'années,  assis  dans  un 
fauteuil  d'osier  à  l'horrible  carcasse  en  forme  de  bain  de  siège,  caresse 
un  paon  blanc  dont  le  plumage  s'éventaille  sur  les  marches  basses  d'un 
escalier  intérieur.  Ces  comparses  de  la  période  d'attente  qui  précède  le 
diner  sont  rendus  avec  quelque  sécheresse  et  témoignent  un  peu  trop 
d'indifférente  placidité  dans  leurs  rôles  de  tenue.  Mais  il  y  a  un  mor- 
ceau vraiment  délicieux,  dont  la  grâce  anime  le  tableau  :  une  jeune 
femme  â  demi  penchée.  Elle  monte  d'un  pas  souple,  et  sa  robe  d'étoffe 
légère  ondule  comme  la  roue  ocellée  du  paon. 

M.  Weerts  évoque  avec  une  ferveur  émouvante  qui  donne  un  véri- 


table élan  lyrique  à  son  procédé  d'ordinaire  sec,  concentré  et  même  un 
peu  étriqué,  l'Instant  étemel,  celui  où  l'aveu  fleurit  sur  les  lèvres  des 
amants  dans  une  aube  printanière.  Cet  instant  est  commenté  au  bas  du 
cadre  par  un  quatrain  dont  les  intentions  sont  excellentes  et  les  alexan- 
drins médiocres.  L'auteur  l'a  rimé  en  forme  d'apostrophe  de  l'Élu  à 
l'Aimée  (ce  genre  de  poésie  réclame  des  majuscules  comme  il  exige 
des  points  d'exclamation). 

Ah  !  je  l'ai  votre  aveu,  grand  de  tout  son  mystère  ! 
Notre  instant  fugitif  plus  qu'un  ciel  a  valu. 
Entre  nous  a  passé  la  beauté  de  la  terre 
Et  l'ampleur  du  silence  où  plane  l'absolu. 

Illuminant  ce  pathos  d'un  rayon  de  son  soleil  intérieur  ou  témoi- 
gnant à  la  mauvaise  littérature  une  indifférence  qui  serait  bien  de  son 
âge,  la  jeune  fille  vient  de  se  donner  pour  la  vie  et  se  tient  debout  près 
d'une  fenêtre  ouverte.  Son  regard  glisse  au  dehors,  cherchant  l'avenir, 
tandis  que  l'amant  agenouillé  pose  sa  bouche  sur  la  main  tremblante. 
Une  ambiance  délicatement  attendrie  enveloppe  la  scène. 

Trois  immenses  compositions  de  M.  Rachou  sont  destinées  à  la 
mairie  de  Toulouse.  Elles  ont  le  mérite  d'être  sérieuses  et  remplies, 
ce  qui  les  empêche  de  paraître  encombrantes.  Le  peintre  y  célèbre  sans 
emphase  ni  déclamation  le  travail  des  populations  des  rives  de  la 
Garonne.  Nous  y  retrouvons  les  tonalités  d'un  blond  rosé  qui  poudrent 
les  arbres  et  le  sol  de  cet  heureux  pays  d'une  cendre  d'or  où  s'étein- 
drait un  lointain  couchant.  La  Famille,  de  M.  Lhermitte,  nous  ramène 
à  la  gravité  de  Millet  avec  plus  de  précision  dans  le  style  et  un  foison- 
nement de  détails  dans  la  composition.  Le  cadre  est  d'une  grande 
beauté:  des  laboureurs  au  repos,  des  bœufs  blancs  sur  lesquels  on 
pose  le  joug,  une  meule  que  les  rayons  bas  enveloppent  et  baignent 
d'une  lumière  dorée  filtrant  jusqu'à  l'ombre  portée.  Le  moissonneur 
dont  la  journée  est  finie  et  dont  la  faux  pèse  sur  l'épaule  regarde  avec 
une  tendresse  inconsciemment  recueillie  le  nourrisson  allaité  par  sa 
mère.  Une  fillette  qui  regarde,  une  mère-grand  complètent  le  groupe. 
Ce  tableau  émouvant  ramènera  sur  les  murailles  du  Luxembourg  la 
tradition  des  Géorgiques  de  France. 

Dans  la  pose  un  peu  théâtrale  que  comportent  la  somptuosité  de  la 
décoration  du  Vatican  et  le  caractère  d'un  costume  datant  de  Velasquez, 
Don  Fernando  F..  «  chambellan  de  cape  et  d'épée  de  Sa  Sainteté  Pie  X  », 
arbore  avec  une  fringante  élégance  un  pourpoint,  des  hauts  de  chausses, 
un  mantelet,  une  fraise  tuyautée.  Le  directeur  de  l'école  de  Rome, 
M.  Carolus  Duran,  s'est  offert  la  joie,  très  vive  pour  un  coloriste  aussi 
maître  de  sa  palette  et  de  sa  pâte,  de  faire  passer  toute  la  série  des 
noirs  savoureux,  ternes  ou  profonds  en  cette  image  protocolaire.  Le 
morceau  est  délicieux  et  l'on  peut  dire,  sans  crainte  d'associer  les 
contraires,  que  le  peintre  français,  le  plus  apparenté  â  Rubens,  a  mis 
tout  son  métier  comme  toutes  ses  complaisances  dans  cette  page  sobre- 
ment fastueuse. 

Si  M.  Carolus  Duran  semble  le  traducteur  prédestiné  des  dernières 
pompes  souveraines,  M.  Friant  a  le  tempérament  d'un  fabricant  de 
mélodrames  populaires  ou  d'un  illustrateur  de  romans- feuilletons.  Il 
voit  gros  —  et  en  gros.  Il  peint  de  même,  il  ne  cherche  guère  à  figno- 
ler, et  d'ailleurs  son  talent,  très  spécial,  ne  se  prêterait  pas  aux  re- 
cherches psychologiques,  mais  il  a  le  sentiment  dramatique  et  se  soucie 
par-dessus  tout  d'impressionner  le  spectateur.  Sa  Peine  Capitale  — 
dont  l'actuel  parti  pris  de  clémence  fait  une  composition  archaïque  — 
est  le  procès-verbal  d'une  des  anciennes  matinées  de  la  Louisette  relé- 
guée maintenant  au  magasin  d'accessoires.  Devant  la  porte  de  la 
Roquette  se  découpent,  sur  un  ciel  d'aube  strié  de  bandes  livides,  les 
deux  montants  de  la  guillotine.  Le  condamné  sort  delà  prison,  l'aide 
du  bourreau  a  jeté  un  bourgeron  sur  sa  chemise  échancrée  d'où  sort 
un  col  de  taureau  aux  vertèbres  saillantes.  L'aumônier  cherche  à  lui 
masquer  l'échafaud,  mais  il  écarte  le  crucifix  et  regarde  avidement, 
hypnotisé  par  la  sinistre  machine.  Les  bourreaux  attendent,  impassi- 
bles et  muets  comme  des  agents  du  destin  ;  les  gendarmes  ont  formé 
le  cercle.  Au  demeurant,  une  vulgarité  brutale  qui  n'est  pas  sans 
grandeur.  —  Pour  contraster  avec  cette  violente  enluminure,  voici  la  • 
Leçon  de  mandoline  du  même  peintre  —  une  mère  et  sa  fillette  dans  un 
jardin  —  toute  en  joliesse  de  contours  et  gaitê  de  lumière,  sans  aucune 
trace  des  bitumes  qui  endeuillent  le  décor  de  l'exécution  capitale. 

Le  talent  très  réel  de  M.  Lévy-Dhurmor  a  subi  cette  année  une  sorte 
d'infiltration  métallique.  Le  peintre  ne  s'est  pas  contenté  d'évoquer  les 
Fondeurs  dans  la  gloire  ardente  des  fournaises  et  des  tourbillons  de 
rouge  fumée,  il  leur  a  emprunté  une  coulée'  de  bronze  pour  son  Bee- 
thoven au  masque  puissant,  au  crâne  qu'on  voit  bouillir  comme  une 
chaudière  et  dont  les  yeux  lancent  des  flammes  à  la  façon  des  tètes  de 
morts  de  la  mise  en  scène  du  Freischûlz.  L'effort  est  excessif,  mais  le 
résultat  intéressant  et  l'on  éprouve  quelque  satisfaction  à  voir  surgir 


LE  MENESTREL 


133 


;iu  milieu  de  tant  d'œuvres  neutres  cette  caboche  colossale  forgée  sur 
l'enclume  romantique. 

Arrêtons-nous  cependant  sur  des  impressions  plus  douces  à  la  fin  de 
cette  nouvelle  promenade.  M.  Guillaume  Dubufe,  grand  organisateur 
du  Salon  de  la  Nationale,  ne  se  contente  pas  de  mettre  en  valeur  les 
envois  de  ses  confrères  avec  un  goût  très  sûr  et  un  méritoire  éclectisme  ; 
il  expose  d'aimables  notations  de  Capri,  Athènes  et  Interlaken,  où  son 
tempérament  de  fin  coloriste  peut  faire  jouer  harmonieusement  les 
tons  de  pierres  précieuses  depuis  la  lapis-lazuli  jusqu'à  l'émeraude  et 
à  la  topaze  brûlée.  Mais  on  goûtera  tout  particulièrement  dans  la 
section  des  dessins  la  Madone  en  bleu  d'un  galbe  très  pur  sous  ses 
voiles  de  lin.  Une  impression  subtile,  teintée  de  mélancolie,  se  dégage 
également  de  l'exposition  de  M.  Jean  Gounod.  La  grâce  aristocratique 
d'un  modèle  fémiuin  et  ses  attaches  uu  peu  frêles  font  penser  au 
maître  Hébert,  mais  l'exécution  est'bien  personnelle  avec  la  délicatesse 
des  tons  transparents  sur  les  chairs  nues.  Et  les  deux  autres  toiles, 
Soir  d'été  et  Tendresse  sont  des  visions  poétiques,  légèrement  formulées, 
sous  lesquelles  semble  courir  un  rapide  accompagnement  musical. 
(A  suivre.'  Camille  Le  Senne. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(pour  les  seuls  adonnés  a  la  musique) 


Les  extraits  du  Chevalier  cV-Èon  ayant,  auprès  de  nos  abonnés,  aussi  grand  succès 
que  la  partition  elle-même  auprès  du  public  de  la  Porte-Saint-Martin,  continuons 
nos  emprunts  à  l'œuvre  charmante  de  Rodolphe  Berger.  Voilà  donc  un  nouveau 
fragment  du  Ballet  des  Roses,  une  mazurka  tout  à  fait  entraînante  et  franche  de  rythme 
sur  laquelle  font  leur  entrée  les  «Roses  mousses  ».  Au  théâtre,  le  plaisir  des  oreilles 
ne  le  cède  en  rien  à  celui  des  yeux  tant  les  costumes  rivalisent  de  charme,  d'élégance 
et  de  richesse  avec  la  musique.  Nous  n'avons  qu'un  regret,  celui  de  ne  pouvoir 
envoyer  à  nos  lecteurs,  en  même  temps  que  cette  Mazurka,  un  bouquet  des  fleurs 
délicieuses  qui  la  mettent  si  bien  en  valeur. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  ("2-2  avril).  —  Le  beau  drame  sacré  de 
M.  Massenet,  Marie-Magdeleine,  a  obtenu,  le  jeudi-saint,  à  la  Monnaie,  un 
gros  succès,  devant  un  public  extrêmement  brillant  et  clialeureux.  L'œuvre 
avait  été  mise  en  scène  par  la  direction  avec  des  soins  particulièrement 
curieux  et  artistiques,  qui  en  réalisaient  aussi  fidèlement  que  possiblel'atmos- 
phère  religieuse  et  pittoresque.  Plastiquement,  les  quatre  parues  de  Marie- 
Magdeleine  faisaient  quatre  tableaux  merveilleusement  composés  et  réglés. 
Musicalement,  ils  ont  été,  pour  les  interprètes,  l'occasion  d'une  belle  victoire. 
Mme  Pacary  ebante  avec  un  art  et  un  sentiment  remarquables  le  rôle  de 
l'héroïne,  qu'elle  créa  à  Nice  ;  M.  Verdier,  également  créateur  à  Nice,  prête 
sa  belle  voix  à  celui  de  Jésus;  et  Mme  Blaucard  et  M.  Artus  ont  complété  cet 
excellent  ensemble.  Une  mention  toute  spéciale  doit  être  accordée  aux  chœurs, 
dont  la  tache  est  exceptionnellement  importante,  et  qui  ne  se  distinguèrent 
jamais  par  autant  de  conviction,  d'expression  nuancée,  délicate  et  colorée,  et 
à  l'orchestre,  admirable,  comme  il  sait  l'être  sous  le  bâton  de  M.  Sylvain 
Dupuis.  Il  n'en  a  pas  fallu  davantage  pour  que  les  grandes  pages,  tendres  et 
émouvantes,  de  l'œuvre  produisissent  une  impression  très  douce  de  charme  et 
de  ferveur.  Le  deuxième  acte  surtout,  délicieusement  interprété,  a  été  acclamé, 
ainsi  que  les  touchantes  déplorations  de  la  Madeleine,  au  troisième,  et  la 
scèue  finale  delà  résurrection,  dont  l'effet,  rendu  par  un  curieux  jeu  de  glaces. 
a  été  très  grand.  —  MUe  Mary  Garden,  après  sa  «  rentrée  »  dans  Pellêas  et 
Mélisande.  a  repris  Manon,  où  elle  est  si  pleine  de  vie  et  de  passion.  C'est  mer- 
veille de  voir  avec  quelle  souplesse  une  artiste  est  capable  de  se  transformer 
à  ce  point,  de  passer  d'un  extrême  à  l'autre,  de  la  candeur  naïve  d'une  «  petite 
princesse  »  de  Maeterlinck  à  la  coquetterie  frémissante  de  la  courtisane 
amoureuse  de  l'abbé  Prévost,  et  d'être,  avec  cela,  toujours  personnelle  et  tou- 
jours intéressante,  parce  que  toujours  vraie.  MUe  Garden  nous  a  dit  sa  joie 
d'incarner  des  personnages  si  divers.  L'hiver  prochain,  à  New-York,  elle 
compte  chanter,  outre  Manon,  où  elle  ne  s'est  pas  encore  montrée  aux  Amé- 
ricains, un  autre  rôle  de  M.  Massenet,  bien  différent,  celui  du  Jonglsur  de  Notre- 
Dame...  Oui,  le  jongleur,  en  travesti  !...  Le  personnage  demande  une  inter- 
prétation claire,  jeune,  légère  et  vibrante,  tout  ensemble;  cela  ne  se  trouve 
pas  toujours  chez  un  ténor,  chez  un  fort  ténor,  car  le  rôle  exige  des  «  moyens  » 
peu  ordinaires;  —  et  cela  se  trouvera  tout  naturellement  chez  un  soprano, 
servi  par  une  intelligence  comme  celle  de  MlleMary  Garden.  —  Une  autre 
artiste,  d'intelligence  pénétrante,  Mme  Georgette  Leblanc,  est  venue  donner  à 
l'Alcazar  une  sorte  de  récital  composite,  causerie,  drame  et  chant,  dans  lequel 
elle  a  fait  entendre  quelques-uns  des  beaux  «  poèmes  de  M.  Maeterlinck  », 
mis  en  musique  de  façon  si  expressive  par  M.  Fabre.  Le  lendemain  elle  a 
joue  Monna  Vanna.  Succès  enthousiaste.  L.  S. 


—  Un  portrait  pittoresque  de  chef  d'orchestre  tracé  dans  un  journal  belge; 
il  s'agit  do  M.  Alex.  Birnbaum,  qui  diriges  à  Bruxelles  le  dernier  concert 
Ysaye  : 

Sa  manière  est  expressive  et  héroïque,  superlativement,  Il  pa  une 

symphonie  comme  un  colonel  des  cuirassiers  pour  charj       Une  fo  m  tra- 

vail est  terrible!  Il  sabre,  il  lutte,  il  boxe,  il  soulèvi    les  poids,  rdeaux 

sur  les  épaules,  il  porte  le  monde  :  c'est  Hercule  Ulas.  Il  per- 

suade, il  dissuade,  il  insinue,  et  suggère,  il  ordonne,  il  fascine,  léfend: 

c'est'aussi  Eschine  et  Démosthène.  11  lève  les  bras  au  ciel,  i.  prend  les  dieu 
témoin,  il  offre  son  ànie  an  Tiùs-llaut;  ou  bien  il  bénit    ■ 

à  moins  qu'il  ne  tourne  une  mayonnaise  ou  môle  une  salade.  Parfois  aussi  il  con- 
duit à  quatre,  et  son  bâton  devient  une  chambrière;  ou  bien  c'est  une  <  a.nne  i  pèche 
dont  il  ferre'et  amène  quelque  mystérieux  poisson.  Parfois  il  se  ruche,  empoigne, 
terrasse,  écrase  son  adversaire;  il  fait  des  coups  de  jiu-jitsn;  ou  bien  il  i 
comme  Miss  Isadora  Duncan  ;  à  moins  qu'il  ne  se  torde  de  douleur  ou  qu'il  n'exulte 
de  joie. 

—  M.  Richard  Strauss  vient  d'être  nommé  chef  d'orchestre  des  concerts 
symphoniques  de  la  Chapelle  royale  de  Berlin,  en  remplacement  de  M.  I'élix 
Weingartner.  Cette  nomination  a  surpris  tout  le  monde  et  M.  Richard  Strauss 
lui-même,  car,  étant  déjà  l'un  des  kapellmeister  de  l'Opéra-Royal,  rien, 
jusqu'à  la  dernière  heure,  ne  lui  avait  fait  supposer  que  le  choix  put  tomber 
sur  lui.  On  sait  aussi  que  l'empereur  n'a  jamais  apprécie  beaucoup  la  musique 
de  M.  Richard  Strauss,  et  cela  seul  paraissait  devoir  écarter  pour  un  temps 
indéfini  sa  candidature.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  compositeur  s'est  empressé 
d'accepter  les  propositions  qui  lui  étaient  faites  et  s'est  déclaré  disposé  à 
signer  un  engagement  de  trois  années.  Il  a  tenu  toutefois  à  se  réserver  pour 
la  prochaine  saison  d'hiver,  la  faculté  de  se  faire  suppléer  pendant  quelques 
séances.  La  question  du  répertoire  des  concerts  a  été  abordée;  on  jouera  en 
1908-09  plusieurs  symphonies  de  Haydn  et  de  Mozart,  et  toutes  celles  de 
Beethoven. 

—  Il  parait  que  le  superbe  stradivarius  du  grand  violoniste  .Toacbim  a  été 
acquis  par  M.  Robert  Mendelssohn,  le  riche  banquier  de  Berlin  qui  appartient 
à  la  famille  de  l'auteur  de  la  Symphonie  écossaise,  et  qu'il  a  confié  cet  instru- 
ment, sa  vie  durant  (!)  au  violoniste  Cari  Klinger,  qui  fut  l"un  des  meilleurs 
élèves  de  Joaehim. 

—  Une  vente  intéressante  d'autographes  musicaux  vient  d'avoir  lieu  à 
Berlin.  Les  plus  hauts  prix  ont  été  atteints  par  ceux  de  Beethoven.  Une  lettre 
de  lui  de  onze  pages,  la  plus  longue  qu'il  ait  écrite  d'après  ce  que  l'on  croit,  a 
été  adjugée  à  M.  Kanka,  de  Prague,  au  prix  de  2.562  francs  ;  une  autre,  por- 
tant au  bas  ces  mots  :  «  Votre  ami  souffrant,  Beethoven  »,  est  montée  à 
1.230  francs  ;  une  troisième,  adressée  à  son  frère  Jean  et  portant  en  marge 
cette  indication  :  «  Venez  d'abord,  il  y  a  des  affaire;  d'une  grande  impor- 
tance »  a  été  vendue  en  lot  avec  deux  autres,  et  a  obtenu  2.623  francs.  Un 
billet  envoyé  à  Grillparzer  a  été  payé  875  francs  ;  en  voici  le  contenu  :  a  La 
direction  souhaiterait  vivement  de  connaître  vos  conditions  au  sujet  de 
Melusine.  Mon  intérieur  est  depuis  quelque  temps  dans  un  grand  désordre. 
Après-midi,  vous  me  trouverez  au  café  de  l'Abeille  d'Or  ;  si  vous  voulez  bien 
venir,  je  vous  prie  de  venir  seul,  cir  votre  importun  satellite.  Monsieur 
Schindler.  est  extrêmement  contraire  à  mes  idées  ».  Parmi  les  autres  manus- 
crits, un  fragment  de  la  cantate  de  Bach  Es  isl  dos  Heil  uns  kornmen  lier  (C'est 
le  Sauveur  qui  nous  vient)  a  obtenu  230  francs  ;  une  lettre  de  Chopin  à 
Mme  "Wodczinska  :  «  Le  piano  vous  a-t-il  plu  ?  S'il  en  est  autrement,  je 
consens  à  ce  que  vous  me  mettiez  en  pièces  »,  a  été  poussée  jusqu'à  775  francs. 
Une  lettre  de  Gluck  a  excité  beaucoup  de  curiosité;  elle  a  été  acquise  au  prix 
de  1.937  francs.  Un  contrat,  signé  du  même  maître,  relatif  à  ses  opéras 
Iphigénie  en  Tauride  et  Eclio  et  Narcisse,  cédés  moyennant  20.000  livres,  a 
trouvé  acheteur  pour  375  francs. 

—  Il  y  a  tout  de  même  des  gens  qui  usent  de  singuliers  procédés  pour  se 
faire  des  rentes,  sans  recourir  à  l'élevage  classique  des  lapins.  Une  chanteuse 
de  théâtre,  Mme  Eichbaum-Deultoff,  et  son  mari,  M.  Eichbaum,  architecte  à 
Charlottenbourg  (Berlin),  avaient  imaginé  un  truc  pour  vendre  très  cher  des 
pianos  achetés  à  très  bas  prix,  en  faisant  annoncer  qu'une  cantatrice  d'opéra 
offrait  de  vendre  d'occasion  le  piano  qui  lui  avait  servi.  Ils  en  vendaient 
comme  ça  des  tas,  parait-il,  si  bien  que  la  ligue  des  négociants  allemands  de 
pianos  s'émut  de  cette  concurrence  déloyale,  et  porta  plainte  contre  ses  auteurs, 
qui  furent  condamnés  par  le  tribunal  de  première  instance,  lequel  s'exprimait 
ainsi  :  —  «  Il  est  fait  défense  aux  accusés,  sous  peine  d'une  amende  de 
400  marks  pour  chaqu«  récidive,  d'offrir  publiquement  en  vente  des  pianos, 
avec  cette  déclaration,  qu'une  chanteuse  d'opéra  offre  à  vendre  d'occasion 
son  inst-ument,  ou  avec  d'autres  déclarations  semblables  contraires  à  la 
vérité.»  Les  dits  accusés  firent  appel  de  ce  jugement;  mais  il  fut  prouvé  que, 
par  le  moyen  employé  par  eux.  ils  étaient  arrivés  à  vendre  jusqu'à  cinq  pianos 
en  un  seul  jour,  et  que  dans  1  espace  d'une  année  ils  en  avaient  placé  plus  de 
cent.  Or  ces  pianos,  que  les  experts  ont  qualifié  de  «  pianos  de  menuisiers  », 
étaient  achetés  par  eux.  365  marks,  et,  sous  prétexte  d'  «  occasion  »,  vendus 
aux  amateurs  433  marks.  Ils  ont.  cherché  à  s'excuser  en  affirmant  qu'ils 
avaient  fait  un  traité  avec  une  fabrique,  par  lequel  celle-ci  s'engageait  à 
fournir  à  la  chanteuse  un  piano  neuf  pour  chaque  concert  qu'elle  donnait  en 
différentes  villes  au  prix  de  363  marks,  alors  que  cette  même  fabrique  ven- 
dait ces  mêmes  pianos  750  marks  au  public.  Rien  n'y  fit,  et  la  cour  d'appel 
confirma  purement  et  simplement  le  premier  jugement. 

—  Plusieurs  manuscrits  encore  inconnus  du  compositeur  Anton  Bruckner 
(1821-1806)  viennent  d'être  offerts  par  un  de  ses  anciens  camarades.  M.  Joseph 


134 


LE  MENESTREL 


Seiberl,  au  musée  municipal  de  Lintz;  ce  sont  :  une  messe  chorale  sans  Kyrie 
ni  Gloria,  datée  de  1844;  une  autre  messe  chorale  en  ut  majeur,  pour  orgue, 
alto  et  deux  cors;  un  chœur  à  quatre  voix  en  fa  mineur;  un  chant  funèbre 
pour  quatre  voix  d'hommes  et  trois  trombones  intitulé  Devant  le  tombeau 
d'Arneth  (Arnetb  était  un  prélat  de  l'église  Saint-Florian,  à  Lintz);  un  chœur 
mixte  à  quatre  voix,  le  Noble  cœur,  texte  de  Marinelli  ;  un  chœur  d'hommes  à 
quatre  voix,  écrit  pour  un  anniversaire  de  naissance  ;  deux  motets  pour 
chœurs  d'hommes;  deux  chants  funèbres  pour  chœurs  mixtes  à  quatre  voix; 
enfin  une  lettre  adressée  par  Bruckner  à  son  ami  M.  Seiberl,  à  Saint-Florian, 
du  19  mars  1852. 

—  Un  monument  en  l'honneur  de  Bach,  dont  l'auteur  est  M.  Charles 
Seriner,  sera  dévoilé  à  Leipzig  le  17  mai  prochain.  Des  fêtes  musicales  d'une 
durée  de  trois  jours  seront  organisées  à  cette  occasion. 

—  A  l'Opéra-Populaire  de  Vienne  a  eu  lieu,  le  14  avril  dernier,  la  première 
représentation  d'un  opéra  nouveau  en  trois  actes,  Frau  Holda.  Le  compositeur, 
M.  Max  Egger.  a  composé  lui-même  son  livret,  d'après  une  nouvelle  de 
Rodolphe  Baumbach,  publiée  en  1881.  Le  même  théâtre  annonce,  pour  le 
milieu  du  mois  de  mai.  des  représentations  de  Werther  et  de  Pelléas  et  Méli- 
sunde,  avec  des  chanteurs  de  l'Opéra-Comique  de  Paris. 

—  A  l'occasion  des  fêtes  du  jubilé  de  l'empereur  François-Joseph,  l'asso- 
ciation des  chanteurs  de  la  Basse-Autriche  donnera  le  7  mai  prochain,  dans 
le  parc  du  château  de  Schœnbrunn,  une  sérénade  à  laquelle  prendront  part  un 
chœur  de  plus  de  quatre  mille  voix  et  toutes  les  musiques  militaires  de 
Vienne. 

— -  Il  faut  que  la  politique  se  mêle  sottement  aux  questions  artistiques, 
même  les  plus  intéressantes.  A  l'occasion  des  fêtes  du  jubilé  de  l'empereur 
François-Joseph,  on  avait  projeté,  à  Vienne,  de  donner,  au  Théâtre  An  der 
Wien,  une  série  de  représentations  d'œuvres  données  dans  la  langue  et 
dans  les  costumes  des  diverses  parties  de  l'empire.  Naturellement,  l'art  tchèque 
devait  avoir  sa  part  dans  cette  manifestation  curieuse,  et  la  troupe  du  Théâtre- 
National  de  Prague  s'apprêtait  à  se  rendre  â  Vienne  à  cet  effet.  Mais  on  avait 
compté  sans  les  pangermanistes,  qui  ont  menacé  de  faire  du  scandale  aux 
spectacles  tchèques  s'ils  se  produisaient,  et  l'on  a  du  y  renoncer.  Et  l'on  pré- 
tend que  les  Viennois  sont  très  artistes  !... 

—  Le  beau  monument  du  sculpteur  Hellmer  en  l'honneur  de  Johann 
Strauss,  dont  nous  avons  parlé  en  janvier  dernier,  est  en  pleine  voie  d'exécu- 
tion. Il  sera  érigé  dans  le  parc  municipal  de  Vienne  où  sont  déjà  les  statues 
de  Schubert  et  du  peintre  Makart.  B  aura  sept  mètres  de  haut  sur  onze  de 
large.  Sa  forme  est  celle  d'une  vaste  arcade  au  milieu  de  laquelle  on  voit,  sur 
un  piédestal,  le  jeune  Johann  Strauss,  très  svelte  et  très  élancé,  dans  une  de 
ses  attitudes  favorites  lorsqu'il  jouait  du  violon.  Des  deux  côtés  de  l'arcade 
s'élève  une  double  théorie  de  jeunes  femmes  et  de  jeunes  filles  dansantes; 
deux  d'entre  elles,  qui  se  rencontrent  au  sommet,  s'étreignent  avec  passion 
dans  un  baiser.  En  bas,  deux  figures  méditatives  complètent  harmonieuse- 
ment le  cadre.  Ce  monument  sera  tout  entier  en  marbre  des  carrières  de 
Siebenbùrgen,  à  l'exception  de  la  statue  de  Johann  Strauss  qui  sera  faite  en 
bronze.  Les  frais  s'élèveront  à  150.000  couronnes,  sur  lesquelles  une  somme 
de  30.000  a  été  souscrite  par  le  ministère  de  l'instruction  publique.  L'œuvre 
est  déjà  baptisée  ;  on  l'appelle  à  Vienne  le  monument  de  la  valse,  Walzer- 
Monumcnt. 

—  La  dernière  fille  de  Lortzing,  M"10  Lina  Krafft,  établie  à  Vienne  depuis 
1848,  époque  où  son  père  remplissait  les  fonctions  de  chef  d'orchestre  au 
théâtre  An  der  Wien,  est  maintenant  âgée  de  quatre-vingts  ans,  et  ses 
moyens  d'existence  sont  si  précaires  que  l'Opéra-Populaire  de  Vienne  a  du 
organiser  à  son  bénéfice  une  représentation  de  l'Armurier,  l'un  des  ouvrages 
les  plus  appréciés  du  maître.  On  a  souvent  rappelé  cette  épitaphe,  gravée  sur 
le  tombeau  de  Lortzing  :  «  Son  chant  fut  allemand  et  de  l'Allemagne  lui  vint 
sa  souffrance;  sa  vie  fut  une  lutte  contre  la  misère  et  l'envie.  La  souffrance  a 
fui  maintenant  loin  de  ce  lieu  de  repos  ;  le  combat  est  fini,  le  chant  résonne 
encore  ».  On  sait  que  Lorlzing  mourut  dans  l'indigence;  des  funérailles  pom- 
peuses lui  furent  faites,  mais  sa  famille  n'en  resta  pas  moins  dans  la  gêne. 
Un  monument  en  son  honneur  a  été  inauguré  au  mois  de  décembre  1906  au 
Jardin  des  Plantes  de  Berlin,  près  de  l'île  Jean-Jacques  Rousseau. 

—  Le  Deutsches-Theater  de  Prague  organise  pour  le  mois  prochain,  sous  la 
direction  de  M.  Angelo  Neumaun,  des  représentations  de  gala  auxquelles  parti- 
ciperont les  troupes  les  plus  célèbres  de  l'Europe.  Le  corps  de  ballet  de  l'Opéra  et 
la  troupe  de  l'Opéra-Comique  de  Paris  donneront  chacun  deux  représentations  ; 
le  Lessing-Theater  de  Berlin,  trois;  l'Opéra-Comique  de  Berlin,  deux;  l'Opéra 
de  la  Cour  de  Dresde,  une;  l'Opéra  de  la  Cour  de  Vienne,  une;  le  Hofburg- 
Theater  de  Vienne, une;  le Bofschauspielhaus  de  Dresde,  une;  le  théâtre  de 
la  Cour  de  Schwerin,  deux  représentations.  L'Opéra-Comique  de  Paris  jouera 
Werther  et  Pelléas  et  Mèïisancle;  le  corps  de  ballet  de  l'Opéra  de  Paris,  la  Kor- 
rigane et  la  Muladetta. 

—  Un  journal  étranger  nous  apprend  que  la  succession  de  M.  Henri  Marteau 
comme  professeur  de  la  classe  supérieure  de  violon  au  Conservatoire  de 
Genève  sera  très  vivement  disputée.  Parmi  les  nombreux  candidats  en  pré- 
sence on  cite  surtout,  entre  autres,  les  noms  de  MM.  Hugo  Heermann  et  Cari 
Flesch.  Ce  dernier  ne  nous  est  pas  inconnu.  Hongrois  d'origine,  il  est  né  à 
Mosonyi  en  1873  et  il  a  fait  son  éducation  de  violoniste  au  Conservatoire  de 
Paris,  d'où  il  est  sorti  en  1894  avec  un  très  brillant  premier  prix.  Le  même 
journal  croit  savoir  qu'il  serait  aussi  question,  au  Conservatoire  de  Genève, 


«  de  confier  une  classe  de  chant  au  célèbreFugère  ».I1  ne  donne  toutefois  cette 
nouvelle  que  «  sous  toute  réserve  ».  Nous  savons  cependant  que  l'offre  a  été 
réellement  faite  au  remarquable  artiste. 

—  Le  Théâtre-Verdi,  de  Florence,  a  donné,  le  11  avril,  la  première  repré- 
sentation de  Rhea,  opéra  en  quatre  actes,  paroles  de  M.  Paul  Milliet,  musique 
de  M.  Spiro  Samara,  qui  parait  avoir  obtenu  un  vif  succès.  L'action,  très  dra- 
matique, se  déroule  à  Chio  dans  la  seconde  moitié  du  XIVe  siècle,  en  un 
temps  où  la  patrie  (l'une  des  patries  !)  d'Homère  formait  une  sorte  de  répu- 
blique instituée  par  des  aventuriers  génois.  Le  compositeur,  qui  est  Grecd'ori-  ' 
gine,  s'est  servi  avec  habileté  de  diverses  mélodies  de  son  pays  qui  donnent  à 
sa  partition  une  couleur  caractéristique.  On  cite,  parmi  les  pages  les  mieux 
venues,  au  premier  acte  une  romance  de  ténor  et  un  duo  d'amour  impression- 
nant, au  second  un  intermezzo  et  un  quatuor  dramatique,  et  au  troisième 
1'  «  hymne  à  l'astre  delà  nuit  »,  un  second  duo  et  un  trio  bien  venu.  L'exécu- 
tion, excellente,  réunissait  les  noms  deMmK Del  Signore  et  Tandi.de  MM.  Gar- 
bin,  Benedetti  et  Cocchi. 

—  On  vient  de  placer,  à  Livourne,  dans  le  vestibule  du  Théâtre-Rossini, 
une  plaque  commémorative  portant  une  inscription  ainsi  conçue  : 

Pour  honorer  Gioacchino  Rossini 

ici  oii  s'élevait  l'ancienne  enceinte  de  Livourne 

fut,  par  l'œuvre  de  G.-B.  et  Innocenzo  Gragnani,  ingénieurs, 

érigé  ce  théâtre 

que  l'Académie  des  Fulgidi  acquérait 

et  avec  les  divines  mélodies  du  Mosè 

le  soir  du  75  octobre  IS42 

ouvrait  solennellement. 

—  Le  syndic  de  Rome,  M.  Nathan,  et  une  délégation  de  députés  se  sont 
rendus  auprès  de  M.  Rava,  ministre  de  l'instruction  publique,  renouvelant 
leurs  instances  pour  que  soit  résolue  la  question  de  la  transformation  du 
Lycée  musical  Sainte-Cécile  en  un  Conservatoire  d'État.  Le  ministre  a  promis 
de  porter  la  question  au  Conseil  des  ministres  et  d'appuyer  le  projet  de  tout 
son  pouvoir. 

—  On  donne  comme  imminente,  en  Italie,  la  publication  d'un  Scherzo  pour 
piano  inconnu  et  inédit  de  Rossini,  que  celui-ci  offrait,  à  Florence  en  1850.  à 
la  marquise  Teresa  Menafoglio,  veuve  du  chevalier  Giuseppe  Ricci,  victime  de 
la  politique  de  François  IV,  duc  de  Modène.  L'édition,  très  élégante,  adressée 
au  ministre  Luigi  Rava,  qui  avait  autorisé  l'acquisition  du  manuscrit,  sera 
accompagnée  d'un  fac-similé  de  la  dédicace  autographe  de  Rossini,  d'un  por- 
trait de  l'intelligente  et  cultivée  marquise  Menafoglio  et  d'une  notice  histo- 
rique préliminaire.  Elle  est  faite  avec  l'autorisation  du  Lycée  musical  de  Pesaro, 
propriétaire,  comme  ou  sait,  des  œuvres  de  Rossini. 

—  C'est  étonnant  les  découvertes  qu'on  fait  depuis  quelque  temps  concer- 
nant la  musique  et  les  grands  musiciens;  elles  abondent  de  tous  côtés.  Une 
nouvelle  parvenue  cette  semaine  à  Paris  nous  apprend  qu'on  vient  de  trouver 
à  Chiavari  (province  de  Gènes),  chez  un  médecin,  «  quatre  nocturnes  pour 
violon  et  piano  de  la  main  de  Pagauini  »,  ainsi  qu'une  série  de  vingt-cinq 
lettres  de  l'illustre  virtuose  «  et  son  violon  préféré  ».  Il  est  surprenant  que 
Paganini,  qui  tenait  sa  musique  aussi  secrète  que  possible,  ne  voulant  pas 
qu'un  violoniste  y  pût  jeter  les  yeux,  ait  laissé  s'égarer  ainsi  quatre  composi- 
tions intéressantes.  Quant  à  «  son  violon  préféré  »,  c'est  l'admirable  Joseph 
Garnerius  qu'il  jouait  dans  tous  les  concerts  et  qui  l'accompagna  dans  toutes 
ses  pérégrinations  à  travers  l'Europe.  Or,  il  ne  saurait  se  trouver  chez  un  mé- 
decin à  Chiavari,  attendu  qu'il  repose  tranquillement  dans  une  vitrine  expo- 
sée à  l'hôtel  de  ville  de  Gênes,  Paganini  l'ayant  légué  par  testament  à  la 
municipalité  de  cette  ville,  où  il  était  né.  Ce  simple  détail  nous  rend  méfiant 
pour  le  reste  de  la  nouvelle. 

—  Un  de  nos  confrères  italiens  publie  ce  qui  suit  :  «  Aux  premiers  feux  de 
l'aurore  du  mois  d'avril,  un  vendredi,  le  Secolo  XIX  a  lancé  à  ses  lecteurs  la 
nouvelle  d'un  grand  projet  d'après  lequel  on  verrait  bientôt  réunis  sous  une 
direction  unique  les  principaux  théâtres  lyriques  d'Italie,  sans  compter  qu'on 
construirait  un  nouveau  grand  théâtre  à  Rome.  Les  adhérents  et  les  sous- 
cripteurs ne  manqueraient  pas.  Le  comte  de  San  Martino  verserait 
200.000  francs,  à  la  condition  d'être  président;  l'éditeur  Sonzogno,  100.000; 
le  commandeur  Florio,  300.000;  le  chevalier  De  Sanna,  300.000.  L'imprésario 
Frattini  disposait,  parait-il,  par  lui-même  et  pour  le  compte  de  ses  amis,  d'un 
capital  d'un  demi-million,  mais  au  moment  de  se  décider  il  quitta  la  séance. 
M.  Walter-Mocchi  aurait  promis  un  million  de  la  Société  Italo-Argentine  et 
serait  directeur  général  artistique  du  nouveau  trust,  lequel  prendrait  pour  lui 
les  théâtres  de  laScala  de  Milan,  San  Carlo  de  Naples,  Regio  de  Turin,  Massimo 
de  Palerme,  Costanzi  et  Adriano  de  Rome,  Fenice  de  Venise,  etc.  Nous  avons 
lu  tout  cela  avec  stupéfaction  et  même  avec  une  sérieuse  préoccupation.  Où 
finirons- nous,  nous,  agents  de  théâtre?  Où  finiront  les  impresarii?  Par  cha- 
rité, ne  nous  abandonnez  pas,  vous  de  la  «  Maison  de  repos  »  Giuseppe 
Verdi!  »  Tout  cela  ne  parait  pas  absolument  sérieux,  malgré  les  précisions 
énoncées.  Cependant,  il  y  a  longtemps  déjà  que  certains  projets  de  ce  genre 
sont  dans  l'air  et  qu'on  en  parle  chez  nos  voisins. 

—  Sous  ce  titre  :  Trésors  musicaux  destinés  à  la  destruction,  le  Giornale  d'Italie 
publie  quelques  extraits  d'une  lettre  adressée  par  le  Dr  Johannes  Wolff,  écri- 
vain musical  berlinois,  à  la  Kirchcnmusikulisches  Sahrbruch.  L'importance  de 
celte  lettre  est  considérable  en  raison  des  révélations  qu'elle  apporte  sur  Fin- 


LE  MÉNESTREL 


133 


curie  et  le  manque  de  soins  dont  sont  l'objet  à  Rome,  au  Vatican,  les  trésors 
que  l'art  musical  a  accumulas  là  depuis  plusieurs  siècles,  et  dont  la  destruction, 
par  suite  d'une  coupable  impéritie,  serait  une  véritable  calamité. 

On  devrait  croire,  dit  le  docteur  WolIT,  qu'une  institution  qui  a  une  histoire  lumi  - 
neuse  comme  celle  de  la  chapelle  Julia  (il  Saint-Pierre)  conserverait  jalousement  et 
avec  orgueil  tous  les  souvenirs  de  son  noble  passé.  Mais  quand  je  fus  introduit  dans 
la  bibliothèque  musicale  de  la  chapelle  pour  y  chercher  le  recueil  manuscrit  de 
quelque  canliones,  recueil  qui  avait  appartenu  à  Léon  X,  je  fus  épouvanté  de  voir 
l'incurie  avec  laquelle  on  trailo  l'héritage  artistique  d'un  temps  si  glorieux. 

Dans  une  salle  située  au  point  le  plus  élevé  de  Saint-Pierre,  insuffisamment  pro- 
tégée contre  la  poussière  et  contre  l'humidité,  enfermés  dans  de  primitives  armoires 
rainées  par  le  temps,  je  trouvai,  dans  un  désordre  confus  de  précieux  manuscrits, 
précisément  le  recueil  que  je  cherchais  :  de  magniliques  chorals  tellement  imprégnés 
d'humidité  ot  de  saleté  que  l'on  pouvait  à  peine  détacher  un  feuillet  de  l'autre.  C'est 
ainsi  que  vont,  dépérissant  de  façon  irréparable,  des  manuscrits  contenant  des 
messes  de  Josquin  Deprés,  de  Jean  Mouton,  de  Verdelot,  de  Lhéritier,  sans  compter 
le  précieux  legs  de  Pitoni,  qui,  outre  32  volumes  d'œuvres  théoriques  et  historico- 
musicales,  comprend  près  de  200  messes,  parmi  lesquelles  des  compositions  colos- 
sales à  48  voix  en  13  chœurs.  De  splendides  missels  avec  de  précieuses  miniatures 
sont  ici  voués  à  une  destruction  certaine;  d'autres  imprimés,  mais  pourtant  de 
grande  valeur,  gisent  dispersés  ça  et  la  dans  des  armoires,  souillés  et  abimés.  Des 
exemplaires  des  premières  éditions  des  œuvres  de  Josquin,  de  Vittoria,  de  Pales- 
trina,  ces  derniers  en  quantité  particulièrement  considérable,  sont  traités  comme  des 
papiers  de  rebut. 

Et  après  avoir  complété  une  longue  liste  d'ouvrages  abandonnés  de  la  sorte, 
le  docteur  WolIT  conclut  ainsi  : 

Nous  espérons  que  finalement  les  gardiens  de  tan  t  de  trésors  se  rappelleront  ce 
qu'ils  doivent  aux  grands  maîtres,  qu'ils  voudront  reconnaître  le  dommage  dont  ils 
sont  eux-mêmes  la  cause,  afin  de  ne  plus  laisser  davantage  détruire  ce  que  d'autres 
bibliothèques  acquerraient  avec  joie  à  quelque  prix  que  ce  fût.  Beaucoup  de  choses 
parmi  les  plus  précieuses,  comme  les  autographes  de  Palestrina,  semblent  déjà 
irrémédiablement  perdues.  Que  la  chapelle  Julia  prenne  au  moins  dans  la  considé- 
ration qui  leur  est  due  les  derniers  témoignages  de  son  ancienne  gloire.  Autrement, 
il  sera  désirable  que  l'intervention  d'une  main  puissante  pourvoie  énergiquement  à 
une  plus  décente  conservation  de  la  bibliothèque. 

—  Une  ode,  dont  les  paroles  ont  été  composées  par  le  duc  d'Argyll  et  la 
musique  par  sir  Charles  Villiers  Stanford,  sera  jouée  à  Londres  pour  l'ouver- 
ture de  l'exposition  franco-britannique,  le  M  mai  prochain. 

—  M.  Nicolay,  de  la  Scala  de  Milan,  vient  de  donner  à  Londres  plusieurs 
récitals  dans  lesquels  il  s'est  fait  applaudir  dans  un  répertoire  excessivement 
bien  choisi  et  varié.  Parmi  les  morceaux  les  plus  appréciés  se  trouvaient  des 
airs  de  Lucrezia  Borgia,  de  Donizetti,  du  Songe  d'une  nuit  d'été,  d'Ambroise 
Thomas,  de  la  .lotir  fille  de  Perth,  'de  Bizet,  les  stances  de  Lakmé,  de  Léo 
Delibes,  les  Deux  Grenadiers  de  Schumann,  etc. 

—  La  cantatrice  Géraldine.  Farrar  vient  de  courir  uu  grave  danger.  A  la  fin 
d'une  représentation  au  théâtre  de  Baltimore,  elle  s'était  avancée  sur  le 
devant  de  la  scène  pour  répondre  aux  acclamations  et  aux  rappels  du  public, 
lorsque  tout  à  coup  le  rideau  tomba  brusquement.  Un  chanteur  se  précipita 
sur  elle  et  l'attira  en  arrière  avec  violence.  Le  rideau  heurta  le  diadème  qui 
ornait  les  cheveux  de  la  chanteuse  et  le  mit  en  pièces,  mais  ni  elle,  ni  l'artiste 
qui  l'avait  sauvée  n'en  éprouvèrent  aucun  mal. 

—  Le  ténor  Dippel,  qui  vient  d'être  adjoint,  pour  la  direction  artistique  du 
Metropolitan  Opéra  de  New-York,  à  M.  Gatti-Casazza,  ancien  directeur  de  la 
Scala  de  Milan,  a  répondu  à  un  rédacteur  du  New-York  Américain  qui  le  ques- 
tionnait sur  ses  projets:  —  «Jusqu'à  l'arrivée  de  mon  futur  collègue  M.  Gatti- 
Casazza,  il  ne  me  convient  pas  de  faire  entendre  ce  que  nous  entendons  faire 
dans  la  prochaine  saison.  Je  puis  dire  pourtant  que  nous  nous  efforcerons  de 
maintenir  l'équilibre  entre  l'opéra  allemand,  français  et  italien,  et  que  peut- 
être  nous  nous  aventurerons  à  un  essai  ou  deux  d'opéra  anglais,  par  exemple 
avec  celui  encore  inconnu  de  VAngelus,  qui  a  remporté  le  prix  du  concours  de 
l'éditeur  Ricordi.  J'ai  grand  espoir  que  l'opéra  américain  et  les  chanteurs 
américains  acquerront  un  jour  de  l'importance,  et  quoique  jusqu'à  présent  je 
n'aie  pas  eu  la  chance  d'entendre  une  œuvre  américaine  adaptée  au  genre  de 
l'opéra,  je  n'en  serai  pas  moins  toujours  disposé  à  encourager  la  cause  de  la 
musique  américaine  ». 

—  Pendant  les  semaines  du  carême,  les  œuvres  de  compositeurs  modernes 
qui  ont  été  jouées  le  plus  souvent  dans  les  églises  de  New-York  sout  celles 
de  MM.  Elgar.  Théodore  Dubois.  Saint-Saêns,  Guilmant,  Brahms,  Bossi  et 
même  Wagner,  dont  l'ouverture  de  Taunhauser  a  été  entendue  dans  l'église 
du  Tabernacle  de  Broadway  en  même  temps  que  la  Marche  héroïque  de  Jeanne 
d'Arc  de  M.  Théodore  Dubois.  Dans  l'amalgame  bizarre  que  forme  le  réper- 
toire de  la  musique  religieuse  à  New- York,  Bach  et  Palestrina  ont  tenu 
naturellement  une  place  importante. 

—  De  New-York  on  nous  signale  les  succès  obtenus  par  M.  Gustave  Borde 
et  comme  professeur  et  comme  chanteur.  Parmi  les  morceaux  de  son  réper- 
toire les  plus  applaudis,  on  nous  signale  :  Vision  fugitive  d' Hérodiade  de  Masse- 
net,  Stances  de  Lakmé  de  Delibes,  Toast  de  Marty,  la  Pluie  de  J.  Hubert, 
l'Arioso  du  Roi  de  Lahore  de  Massenet,  Purgatoire  de  Paladilhe,  etc. 

—  On  continue  à  publier  des  chiffres  sur  la  saison  musicale  qui  vient  de  se 
terminer  à  New-York.  Le  Manhattan  Opéra,  que  dirige  M.  Hammerstein,  a 
donné  cent  vingt  cinq  représentations  et  a  encaissé  4.300.000  francs,  tandis  que 
le  Metropolitan  Opéra  de  M.  Conried  a  eu  une  recette  totale  de  o. 800.000  francs 
avec  cent  trente  et  une  représentations.  Abstraction  faite  des  sommes  énormes 
que  coûtent  les  étoiles  européennes,  les  frais   des  deux  Opéras  new-yorkais 


sont  énormes.  C'est  ainsi  que  les  chœurs  du  Manhattan  qui  comprennent 
cent  trente  personnes  coûtent  par  semaine  10.300  francs,  tandis  que  l'or- 
chestre, composé  de  quatre-vingts  exécutants,  coûte  18.OH0  francs  par  semaine. 
Au  Metropolitan,  les  chœurs,  moins  nombreux,  reviennent  à  7.200  francs 
par  semaine,  mais  l'orchestre  coûte  également  18.000  francs  par  semaine. 
Parmi  les  artistes  qui  ont  gagné  la  forte  somme  durant  la  saison  qui  vient 
de  unir,  citons  l'excellent  baryton  français.  M.  Renaud  qui,  en  vingt-sept 
représentations,  a  gagné  120.000  francs:  la  célèbre  basse  russe.  M.  Chaliapine, 
qui  a  joui''  vingt  fois  et  qui.  tout  comme  M.  Caruso,  a  été  payé  5.000  francs 
par  représentation;  M.  Bonci,  le  ténor  rival  de  Caruso,  qui  u  touché  3.500 
francs  par  représentation  et  le  ténor  allemand  Dippel, le-  nouveaux  direc- 
teurs du  Metropolitan,  qui  a  chanté  quatre  fois  pour  le  modeste  total  de 
80.000  francs.  M.  Dippel  remplaçait  les  ténors  malades,  dans  n'importe  quel 
rôle. 

—  M.  Hammerstein;  a  raconté  l'anecdote  qui  suit.  «  Un  imprésario  engagea 
une  troupe  d'artistes  pour  jouer  dans  plusieurs  villes  de  l'Amérique  du  Sud. 
Le  steamer  parti,  les  passagers  (irent  connaissance.  L'un  des  chanteurs 
s'adressant  à  un  autre  lit  cette  réflexion  :  0  Mais,  vous  êtes  un  ténor;  moi, 
j'ai  été  engagé  comme  devant  être  le  seul  ténor.  »  —  «  C'est  exactement 
comme  moi  »,  répondit  l'autre.  Entendant  ces  propos,  trois  nouveaux  artistes 
s'avancèrent,  chacun  d'eux  déclarant  qu'il  avait  été  engagé  comme  seul  ténor. 
Le  cas  devenait  inexplicable:  on  alla  trouver  l'imprésario.  Il  reçut  les  cinq 
ténors  avec  son  plus  gracieux  sourire  et  leur  dit  d'un  air  satisfait  :  «  Tran- 
quillisez-vous, tout  est  pour  le  mieux;  vous  êtes  cinq  en  ce  moment-ci,  mais 
attendez  seulement  que  nous  ayons  débarqué  ;  je  suis  très  sûr  que  dés  les 
premiers  jours  de  noire  arrivée,  la  fièvre  jaune  aura  emporté  au  moins  quatre 
d'entre  vous.  Les  choses  s'arrangeront  donc  tout  naturellement  et  avant 
même  que  nous  ayons  donné  notre  première  représentation.  A  vos  ordres, 
messieurs.  » 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

L'Académie  des  Beaux-Arts  a  arrêté,  comme  suit,  les  époques  des  diverses 
épreuves  auxquelles  seront  soumis  les  concurrents  pour  le  grand  prix  de 
Rome  (composition  musicale). 

Samedi  2  mai  :  Concours  d'essai;  sujets  de  fugues  et  de  chu-ors  (au  Palais  de 
Compiègne). 

Samedi  9  mai  :  Jugement  du  concours  d'essai  (au  Conservatoire  de  musique  . 

Mercredi  13  mai  :  Terme  de  rigueur  pour  le  dépùt  des  cantates  ià  l'Institut). 

Jeudi  14  mai  :  Examen  des  cantates,  paroles  fà  l'Institut). 

Vendredi  15  mai  :  Concours  définitif;  choix  de  la  canlate  (à  l'Institut). 

Samedi  16  mai  :  Concours  définitif;  mise  en  loges  (au  Palais  de  Compiègne  . 

Vendredi  20  juin  :  Jugement  préparatoire  (au  Conservatoire). 

Samedi  27  juin  :  Jugement  définitif  (à  l'Institut). 

—  A  l'Opéra,  la  rentrée  du  baryton  Renaud  a  été,  comme  il  fallait  s'y 
attendre,  tout  à  fait  éclatante.  Ses  amis  et  admirateurs  l'ont  fêté  la  soirée 
entière  dans  le  rôle  de  Wolfram  de  Tannhaûser  où  il  excelle,  et.  à  la  fin  du 
spectacle,  le  public  a  grandement  manifesté  sa  joie  de  voir  revenu  à  notre 
Académie  nationale  le  très  personnel  artiste. 

—  A  l'Opéra-Comique,  la  première  représentation  de  Snégourolclika,  qui 
devait  avoir  lieu  ces  jours-ci,  est  renvoyée  aux  premiers  jours  du  mois  de 
mai. 

Spectacles  de  dimanche.  Eu  matinée  :  Forlunio;  en  soirée  :  Manon.  Lundi, 
en  représentation  populaire  à  prix  réduits  :  le  Chcmineau. 

—  C'est  aujourd'hui  samedi  que  les  «  Trente  ans  de  Théâtre  •■■  donnent,  à  la 
Gaité,  leur  matinée  annuelle  de  Pâques.  M.  Massenet  accompagnera  la 
seconde  audition  de  ses  Chansons  des  bois  d'Anuirantlw  (Mlla  Marie  Leconte,  de 
la  Comédie-Française  ;  MUes  Louise  Grandjean,  Lucy  Arbell  ;  MM.  Muratore 
et  Gilly,  de  l'Opéra),  des  fragments  de  Chérubin,  la  romance  de  la  Sauge  du 
Jongleur  de  Noire-Dame,  des  airs  de  Werther,  du  Roi  du  Lahore,  à'Hérodiade  et 
des  mélodies,  qui  auront  peur  interprètes  les  mêmes  artistes  que  les  Bois 
d'Amaranlhe  auxquels  se  joindra  M.  Lucien  Fugère,  de  l'Opéra-Comique.  On 
donnera  aussi  la  seconde  représentation  de  la  Revue  de  Pâques,  de  M.  A.  Vélv. 
avec  Wm  Robinne,  Campton,  Cernay.  Deval.  Faber,  Leriche,  Marly,  Anna 
Thibaud;  MM.  Baillet,  Cooper,  Guyon.  Maurel,  Pougaud  et  Regnaud.  Au  pro- 
gramme également,  le  Misanthrope  et  VAuvergnai  (M.  Polin),  ClutmoU  IS30 
(Mme  Pierrat),  la  lettre  de  la  PèriclioU  (M""'  Germaine  Gallois)  et  les  Blindes 
enfantines  (M110  Vaillant  et  ses  élèves). 

—  Concerts-Colonne.  —  Vendredi-Saint.  —  L'idée  de  placer  à  la  suite 
d'un  très  long  programme  wagnérien  un  seul  morceau  de  Berlioz  très  courl. 
/o  Marche  funèbre  pour  la  dernière  scène  d'Humlet,  a  pu  être  considérée  comme 
impliquant  une  petite  nuance  de  regret.  Assurément  M.  Colonne  aimerait  à 
donner  des  séances  comportant  une  plus  large  place  pour  l'art  français,  mais 
la  puissante  polyphonie  orchestrale  de  Wagner  a  déshabitué  nos  oreilles  de 
bien  des  œuvres  simples,  et  notre  admiration  a  besoin  d'être  forcée.  Chose 
étrange  pourtant,  après  la  marche  funèbre  du  Crépuscule  des  Dieux,  honnie  en 
1876,  applaudie  maintenant,  la  marche  funèbre  A'Hamlet  ne  pâlit  point,  ne 
perd  rien.  La  première  met  en  jeu  une  bande  complète  d'instruments  de 
cuivre  supplémentaires,  utilise  dans  leur  épanouissement  toutes  les  ressources 
d'orchestration  créées  par  Berlioz  et  par  Liszt,  réunit  les  thèmes  de  trois  par- 
titions; la  seconde  n'a  besoin  pour  se  produire  que  d'un  orchestre  ordinaire, 
mais  les  instruments  y  sont  utilisés  avec  un  tel  sentiment  de  l'expression  que 
chaque  note  parle  et  contribue  à  émouvoir.  Berlioz,  dont  le  caractère  est  si 


136 


LE  MÉNESTREL 


méconnu,  composa  cet  ouvrage  unique  en  son  genre  à  l'une  des  heures  les 
plus  lamentables  de  sa  vie; il  y  a  mis  son  âme  shakespearienne,  et  quiconque 
l'écoutera  sans  parti  pris  de  scepticisme  en  sera  profondément  remué.  L'ova- 
tion qu'a  soulevée  ce  morceau  sur  le  coup  de  minuit  l'a  suffisamment  prouvé. 
Qn  avait  auparavant  acclamé  dans  le  répertoire  wagnérien  M.  Van  Dyck  dou- 
blement bissé  avec  le  Chant  de  la  forge  dé  tSiègfriêdiet  le  lied  de  la  Walkgrie, 
et JIme  Félia  Litwinne,  qui  a  chanté  avec  une  conviction  et. un  sens  pathétique 
bien  rares  la  scène  finale  du  Crépuscule  des  Dieux.  L'interprétation  orchestrale 
de  ce  concert  a  été  toujours  belle  et  parfois  grandiose.      Ajiédée  Boutarei,. 

—  Programme  du  concert  du  Conservatoire  de  demain  dimanche ,  à 
2  heures  : 

Symphonie  en  ttt  mineur,  n-  3  (Saint-Saêns).  —  Concerto  pour  violoncelle  (Ed. 
Lalo)  :  M.  André  Hekking.  —  Joseph  (fragments!  (Méhul)  :  M.  R.  Pfamondon,  de 
l'Opéra.  —  Scherzo  du  Songe  d'une  nuit  a'êté  (Mendelssohn)  :  flûte,  M.  Ilennebains. 

—  Le  Prince  Igor  (Borodine)  :  Danse  polovtsienne  avec  choeurs.  —  Le  concert  sera 
dirigé  par  M.  Georges  Marty. 

— -  Voici,  d'autre  part!  le  programme  de  chacun  des  deux  concerts  que  don- 
nera la  Philharmonie  de  Berlin,  sous  la  direction  de  M.  Richard  Strauss,  le 
dimanche  26,  en  matinée,  à  2  h.  1/2.  et  le  lundi  27,  en  soirée,  à  9  heures,  au 
théâtre  du  Chàtelet  : 

.  Premier  concert.  —  Ouverture  du  Roi  Lear  (Berlioz).  —  Symphonie,  n°  7,  en  ^(Bee- 
thoven). —  Till  Eulenspiegel  (R.  Strauss).  —  Prélude  de  Tristan  et  Yseult  (R.  Wagner). 

—  Enchantement  du  Vendredi-Saint,  Parsifal  (R.  Wagner).  —  Ouverture  d'Obéron 
(Weber). 

Deuxième  concert.  —  Ouverture  du  Vaisseau  fantôme  (R.  Wagner).  —  Symphonie 
héroïque  (Beethoven).  —  Ouverture  de  Benvenuto  Cellini  (Berlioz).  —  Don  Juan, 
poème  symphonique  (R.  Strauss).  —  Ouverture  des  Maîtres  chanteurs  (R.  Wagner). 

—  Cosi  fan  lutte,  le  célèbre  opéra  de  Mozart,  dont  le  texte  littéraire  a  été 
l'objet  de  bien  des  transformations,  modifications  ou  arrangements,  va  subir 
encore  un  nouvel  avatar.  M.  Charles  Scheidemantel  écrit  en  ce  moment,  pour 
la  musique  de  cet  ouvrage,  un  livret  sans  aucun  rapport  avec  l'ancien,  et 
c'e^t  à  la  comédie  de  Calderon  Dame  Kobold,  qu'il  en  emprunte  les  péripéties. 
On  sait  que  la  partition  de  Cosi  fan  lutte  fut  commandée  à  Mozart  par  l'empe- 
reur Joseph  II;  ce  qui  en  avait  donné  l'idée,  c'était  une  certaine  histoire 
compliquée  d'un  pari,  qui  s'était  passée  à  Vienne.  L'empereur  mourut  avant 
la  première  représentation,  qui  eut  lieu  le  26  janvier  1790,  ce  qui  priva 
Mozart  du  poste  de  second  maître  de  chapelle  de  la  Cour  qu'il  attendait 
comme  récompense.  C'est  Lorenzo  da  Ponte,  le  librettiste  des  Xoces  de  Figaro 

'et  de  Don  Juan,  qui  composa  les  paroles  de  l'opéra-comique  en  deux  actes 
Cosi  fan  tulle  ossia  la  scuola  deç/li  amanti,  dont  l'action  se  passe  à  Naples  dans 
le  courant  du  dix-huitième  siècle.  Lorsqu'il  fut  question  de  monter  l'ouvrage 
à  Paris  en  1807,  le  sujet  parut  peu  moral  et  l'on  adapta  la  musique  de  Mozart 
à  une  pièce  portant  pour  titre  le  Laboureur  chinois.  Plus  lard,  en  1862,  le  texte 
original  de  da  Ponte  fut  joué  au  Théâtre-Italien,  mais  il  produisit  sur  le  public 
une  impression  très  peu  favorable;  aussi,  lorsque  le  Théâtre-Lyrique  voulut 
faire  entrer  le  chef-d'œuvre  dans  son  répertoire,  les  librettistes  Michel  Carré 
et  Jules  Barbier  furent-ils  chargés  de  confectionner  un  nouveau  scénario.  Ils 
l'empruntèrent  à  la  comédie  de  Shakespeare  Love's  labours  lost;  la  première 
représentation  fut  donnée  le  31  mars  1863.  Comme  on  aurait  dû  s'y  attendre, 
le  résultat  ne  répondit  pas  à  l'effort  que  l'on  avait  tenté;  la  musique  avait 
perdu  trop  de  sa  vie  et  de  son  charme  en  s'appliquant  à  d'autres  épisodes  que 
ceux  pour  lesquels  Mozart  l'avait  créée.  En  Allemagne,  où  l'on  joue  constam- 
ment Cosi  fan  lutte,  il  n'existe  peut-être  pas  deux  théâtres  sur  lesquels  l'œuvre 
soit  représentée  d'une  façon  absolument  identique.  Une  des  versions  le  plus 
souvent  adoptées  est  celle  du  chef  d'orchestre  Hermann  Levi,  mort  le  13  mai 
1900;  mais  celle-là  non  plus  n'est  pas  à  l'abri  des  retouches  ou  changements 
que  peut  y  apporter  la  fantaisie  des  directeurs  et  des  régisseurs.  Il  est  curieux 
de  constater  que  cent  dix-huit  années  n'ont  pas  suffi  pour  Gxer  définitivement 
le  texte  à  chanter  sur  la  musique  si  vivace  de  Cosi  fan  lutte. 

—  L'illustre  violoniste  Ysaye  donnera  deux  concerts,  avec  l'orchestre 
Colonne,  dirigé  par  MM.  Ed.  Colonne  et  Jacques  Thibaud,  le  dimanche  3  mai, 
en  matinée,  et  le  jeudi  7  mai,  en  soirée,  45,  rue  La  Boetie. 

—  De  retour  d'Allemagne  et  d'Italie,  où  ils  viennent  de  donner  une  série 
de  59  concerts,  M.  Sarasate  et  M"  Berthe  Marx-Goldschmidt,  qui  ne  se  sont 
pas  fait  entendre  à  Paris  depuis  plusieurs  années,  donneront,  les  jeudi,  7  et 
14  mai,  à  trois' heures,  deux  séances  musicales  au  Trocadéro. 

—  Le  célèbre  pianiste  I.éon  Delafosse  donnera,  le  mercredi  20  mai,  au 
Théàtre-Réjane,  un  concert  avec  orchestre;  il  y  interprétera  entre  autres 
œuvres  le  concerto  pour  piano  et  deux  flûtes  de  Bach,  l'allégro  de  concert  de 
Chopin,  avec  l'orchestration  d'Ed.  Malherbe,  et  sa  belle  et  pittoresque  fan- 
taisie. 

—  jSoslecteurs  saventles  hautes  espérances  que  nous  a  données,  depuis  son  prix 
au  Conservatoire,  le  jeune  talent  de  Mlle  Geneviève  Dehelly  :  cette  brillante  et 
sincère  pianiste,  qui  faithonneur  à  sonvieux  et  vaillant  maître  Delaborde,  est  du 
petit  nombre  de  celles  qui  tiennent  leurs  promesses.  Elle  nous  l'a  récemment 
prouvé,  chez  Erard,  dans  un  récital  où  le  sentiment  le  plus  délicat  s'alliait  à 
la  virtuosité  la  plus  robuste,  depuis  la  Pathétique  de  Beethoven  jusqu'à  l'étour- 
dissante, mais  regrettable  fantaisie  de  Liszt  sur  le  Don  Juan  de  Mozart,  en 
passant  par  plusieurs  pièces  de  Chopin,  quelques  études,  le  subtil  prélude  (n°  17) 
et  la  quatrième  ballade  (op.  32)  en  fa  mineur,  dont  l'interprétation  fit  resplendir 
toute  la  beauté.  Raymond  Bouter. 


—  Une  revue  anglaise,  Strand,  rend  compte  d'un  référendum  ouvert  entre 
les  grands  pianistes  pour  connaître  leurs  œuvres  préférées.  C'est  surtout 
Chopin  qui  sort  victorieux  de  cette  épreuve.  Paderewski  déclare  que  les  deux 
compositions  préférées  par  Un,  et  à  grande  distance  de  toute  autre,  sont  la 
Ballade  en  sol  mineur  et  la  Fantaisie  de  Chopin.  D'autres,  parmi  lesquels 
MM.  Emile  Sauer,  Léopold  Godowski  et  Max  Hambourg,  manifestent  leur 
préférence  pour  la  sonate  en  si  bémol  mineur  et  la  Marche  funèbre.  Après 
Chopin,  les  compositeurs  favoris  sont  Jean-Sébastien  Bach,  Brahms  (concerto 
en  ré)  et  Schumann  (Fantaisie,  op.  17).  «  Chose  étrange  à  constater,  dit  le 
journal,  Beethoven  a  obtenu  peu  de  suffrages  ».  Beethoven  est  trop  «  vieux 
jeu  ». 

—  Au  dix-huitième  siècle  se  fondèrent  dans  nombre  de  villes  de  province 
des  entreprises  de  concerts  fort  intéressantes  et  qui  étaient  assez  générale- 
ment modelées  sur  celle  duConcert  spirituel,  créé  à  Paris  par  Anne  Philidor. 
C'est  ainsi  que  fut  formé  le  Concert  de  Lille,  à  l'histoire  duquel  se  trouve 
étroitement  mêlée  la  création  du  Conservatoire  de  cette  ville,  et  qui  vécut 
pendant  près  d'un  siècle,  de  1726  à  1816.  Et  c'est  cette  histoire,  qui  est  loin 
d'être  sans  intérêt,  que  nous  raconte  dans  une  charmante  plaquette  agréable- 
ment illustrée,  simplement  intitulée  le  Concert  de  Lille,  M.  Léon  Lefebvre, 
dont  j'ai  eu  plusieurs  fois  à  faire  connaître  les  nombreux  et  solides  travaux 
sur  le  théâtre  et  la  musique  dans  l'ancienne  capitale  de  la  Flandre.  Ce  travail, 
moins  important  sans  doute  que  l'Histoire  du  Théâtre  de  Lille,  dont  j'ai  rendu 
compte  ici  même  il  y  a  quelques  mois,  n'en  est  pas  moins  précieux,  et  nous 
donne,  entre  autres,  certains  détails  curieux  sur  les  commencements  de  Mon- 
donville  qui.  avant  de  venir  à  Paris  et  de  triompher  au  Concert  spirituel,  fit 
ses  débuts  de  virtuose  et  de  compositeur  à  Lille,  où  il  arrivait  à  peine  âgé  de 
vingt  ans.  Très  documenté,  comme  tous  ceux  du  même  auteur,  ce  petit  écrit 
apporte  une  heureuse  contribution  à  l'histoire  de  la  musique  en  province. 

A.  P. 

—  De  Saint-Quentin  :  les  orphéonistes  Saint-Quentinois,  sous  la  direction 
de  M.  Ludovic  Créty,  viennent  de  donner,  au  Théâtre-Municipal,  une  soirée 
musicale  tout  à  fait  réussie  et  qui  fait  grand  honneur  à  celte  vaillante 
société  chorale.  Beaucoup  d'applaudissements  aussi  pour  Mme  Marga  Theys- 
son,  MM.  Teodoroff  et  Duclos  dans  les  airs  d'Hérodiude,  de  Sigurd  et  les  duos 
d'Hamlet  et  de  Sigurd. 

—  Soirées  et  Concerts.  —  La  dernière  audition  des  élèves-pianistes  de  l'Ecole 
classique  dirigée  par  M.  Chavagnat  était  exclusivement  consacrée  aux  œuvres  de 
M.  Théodore  Dubois,  qui  présidait.  il"»  Badaire  (Ombres  et  Lumières),  M.  delà  Presle 
(Eludes  de  concert),  Mllc  André  (Clair  de  lune  et  Danse  rustique),  M""  Drouin  (la  Source 
enchantée  et  les  Myrtilles),  M"°  de  Gentile  (Galatea)  et  M1"  Favre  (Scherzo  et  les  Abeilles) 
se  sont  particulièrement  fait  remarquer.  —  Comme  tous  les  hivers,  Mllc  Poulalion 
a  donné  une  série  de  soirées  qui  ont  été  fort  suivies.  Parmi  les  artistes  applaudis, 
citons  M""  Vilma  dans  l'Eventail  de  Masse-net,  et 'le  fabliau  de  Manon,  M"' Renée 
Dantèze  dans  Werther,  M"1  Gerfhuis  dans  Lakmé,  M""  Hélène  Sirbain  dans  Pensée 
d'Automne  de  Massenet  et  M""  Jarland  dans  Marie-Magdeleine.  —  Au  10"  concert  de 
musique  de  chambre  donné  par  Y  «  Action  internationale  »,  très  belle  interprétation 
de  la  Sonate  pour  violon  et  piano  de  Théodore  Dubois  par  M.  Willaume  et 
M"c  Weingaertner,  qui  joue  de  façon  charmante  Chaconne  et  la  Source  enc/tan/eV, 
tandis  que  M.  Bizet,  vil tuose  remarquable  sur  l'orgue  Mustel,  interprète  Offertoire 
et  Toccata  et  que  M.  Willaume  obtient  grand  succès  avec  Saltarello.  —  Salle  Le- 
moine,  très  intéressante  audition  des  élèves  de  M.  et  M™  Jules  Chevallier.  M""  G., 
L.-T.,  M""  E.,  F..  A.-L.,  MM.  S.  et  V.,  ont  prouvé  l'excellence  de  l'enseignement  de 
leurs  maîtres  dans  des  fragments  de  Manon,  d'IIérodiade,  de  Werther  de  Massenet, 
d'Hamlet  d'Ambroise  Thomas  et  de  Lakmé  de  Delibes  —  Le  «  Quatuor  Luquin  » 
a  donné  une  excellente  audition  du  Quatuor  en  la  mineur  avec  piano  de  Théodore 
Dubois;  interprètes:  M""Alvair,  MM.  Luquin,  Jurgensen  et  JullieD,  et  la  «  Société 
moderne  d'instruments  à  vents  »  a,  de  son  coté,  fort  joliment  interprété  la  petite 
suite  Au  Jardin  du  même  maître.  C'était  une  première  audition  qui  a  eu  giand 
succès  et  a  fait  applaudir  MM.  Fleury,  Blanquart,  Gaudard,  Cahuzac,  Capdevielle  et 
Hermans. 

NÉCROLOGIE 

On  annonce  de  Bologne  la  mort,  à  l'âge  de  86  ans,  du  compositeur  Fran- 
cesco  Zecchini.  Cet  artiste  avait  fait  représenter  en  1856,  sur  le  théâtre  de 
Sira  (iles  Ioniennes),  un  opéra  sérieux  intitulé  Matilde  d'Ihghillàrra. Treize  ans 
après,  en  1869,  cet  ouvrage  ayant  été  reproduit  à  Bologne,  au  théâtre  Conta- 
valli,  l'auteur  fut  chargé  d'écrire  une  nouvelle  partition  pour  une  autre  scène 
de  la  ville,  le.  théâtre  Brunetti.  Il  mit  cette  fois  on  musique  un  livret  bouffe, 
intitulée  la  Conversaziorie  al  bulo,  et  cette  nouvelle  œuvre  fut  offerte  au  public 
dans  la  saison  du  printemps  de  1871. 

—  De  Pignerol,  on  apprend  la  mort  d'un  dilettauti  passionné,  Giovanni 
Carlo  Rospigliosi,  qui  était  âgé  de  8b  ans.  Les  diverses  fonctions  qu'il  avait 
occupées  d'assesseur  communal,  de  président  de  la  Caisse  d'épargne,  etc.,  ne 
l'avaient  pas  empêché  de  s'occuper  de  musique  et  d'y  prendre  le  plus  vif 
intérêt.  Possesseur  d'une  très  riche  collection  d'eeuvres  musicales  anciennes  et 
modernes,  il  avait  publié  un  petit  écrit  sous  ce  titre  :  Notifie  dei  maeslri  ed 
artisti  di  musica  Pisloiesi  (Pistoie,  1878,  in-12). 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Vient  de  paraître  chez  E.  Fasquelle  :  La  Dentelle  de  Thermidor,  de  Georges  Rivol- 
let  (3  fr.  50  c.). 


4023.  -  74°  AMÉE.-  i\°  18.        PARAIT  TOUS   LES   SAMEDIS 

(Les  Bureaux,  2  "'",  rue  Vivienne,  Paris,  u-  an') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


i  2  Mai  1908. 


LE 


MENESTREL 


Ite  JluméFo  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 


lie  fluméro  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  ÎO  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  ans. 


SOMMAIRE-TEXTE 


1.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  il9e  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale  : 
premières  représentations  de  l'Incendiaire  eldu  Scandale  de  Monte-Carlo,  au  Gymnase  ; 
du  Roi  aux  Variétés,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  La  Musique  et  le  Théâtre  aux 
Salons  du  Grand-Palais  (3"  article!,  Camille  Le  Senne.  —  IV.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

RÊVERIE  DE  LA  DUBARRY 

extraite  du  Chevalier  d'Èon,  l'opérette  nouvelle  de  Rodolphe  Berger.  —  Suivra 
immédiatement  :  Petits  oiseaux,  romance  extraite  de  la  même  opérette. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
Roses  de  France,  scherzetto  extrait  du  ballet  le  Mariage  d'une  rose  de  Rodolphe 
Bercer.  —  Suivra  immédiatement  une  Gavotte  de  Haendel,  transcrite  pour 
piano  par  A.  Périliiol". 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 


CHAPITRE  Y 


GLUCK      A    VIENNE 

Ce  n'était  point  un  amateur  ordinaire  que  le  Feld-Maréchal 
Joseph  Friedrich  prince  de  Saxe-Hildburghausen,  au  nom  de  qui 
lesbiographes  ajoutent  habituellement  la  qualité  de  favori  de  l'Im- 
pératrice Marie-Thérèse.  Les  «  Académies  »  (le  mot  était  encore  en 
usage  à  Yienne  au  temps  de  Mozart  et  de  Beethoven)  qu'il  donnait 
dans  ses  salons  du  palais  Rofrano,  sur  le  glacis  de  Josephstadt, 
étaient  de  véritables  concerts  de  symphonies  comme  on  n'en 
pouvait  pas  souhaiter  de  plus  hautement  artistiques,  et  étaient 
fréquentées  par  la  plus  brillante  société  de  la  capitale.  Le 
prince  avait  réuni  sous  son  toit  les  artistes  capables  de  consti- 
tuer le  meilleur  orchestre  :  Schmidt,  hautbois  et  cor  de  basset, 
Tune,  bassoniste,  les  frères  Hubaczek  au  pupitre  des  cors,  le 
violoncelliste  Gentsch,  et,  comme  premier  violon,  Karl  Ditters, 
dit  Dittersdorf,  futur  compositeur  de  symphonies  et  d'opéras- 
comiques  (parmi  lesquel  un  certain  Doklor  und  Apoteker  est 
resté  au  répertoire),  compagnon  de  Gluck  dans  un  de  ses 
voyages  en  Italie,  et  à  qui  nous  devons  un  récit  autobiogra- 
phique auquel  sont  empruntés  la  plupart  des  détails  que  nous 
rapportons  présentement  (1). 

Gluck  dirigea  cette  troupe    harmonieuse   pendant  plusieurs 

(I)  Karl  von  Dittersdorf,  Seine  latrie  Biographie...  Erfurt,  1810,  pp.  23  et  suiv. 


années.  Que  lui  fit-il  jouer  ?  Des  concertos,  des  airs  d'opéras, 
et,  nous  dit-on,  des  symphonies.  Mais  quelles  symphonies? 
Nous  ne  sommes  encore  qu'en  1752,  et  le  «  père  de  la  sympho- 
nie »,  Joseph  Haydn,  n'avait  pas  encore  commencé  d'écrire.  Sa 
première  symphonie,  en  effet,  n'est  datée  que  de  1750  :  les 
recherches  les  plus  récentes  ont  confirmé  cette  date  (1),  que 
Fétis  avait  indiquée  depuis  longtemps  :  «  Haydn  écrivit  dans 
les  premiers  mois  de  1159  sa  première  symphonie  (en  ré)  •>, 
cependant  qu'à  un  autre  article  le  même  biographe  général 
des  musiciens  nous  annonce  que  Gossec  publia  sa  première 
symphonie  «  la  même  année,  en  475A  ».  J'ai  déjà  conté  plusieurs 
fois  cette  petite  historiette,  et  je  la  redirai  certainement  encore, 
car  j'y  trouve  beaucoup  de  plaisir.  Bref,  1752,  année  où  Gluck 
eut  à  diriger  des  symphonies  chez  le  prince  de  Saxe-Hildburg- 
hausen, est  antérieur  soit  à  1759,  soit  à  1754.  Quelles  sym- 
phonies étaient-ce  donc,  si  les  authentiques  «  pères  de  la 
symphonie  »,  en  France  et  en  Allemagne,  n'en  avaient  point 
encore  écrit? 

La  vérité  est  qu'au  milieu  du  XVIIIe  siècle  il  y  avait  beau 
temps  que  les  orchestres  d'Allemagne  et  d'ailleurs  possédaient 
un  répertoire  de  symphonies.  L'école  de  Mannheim  était  floris- 
sante et  renommée  :  son  meilleur  maitre,  Johann  Stamitz  (un 
bohémien  comme  Gluck,  mort  avant  que  ni  lui  ni  Haydn  eussent 
rien  produit  qui  importe)  peut  passer  à  juste  titre  comme  ie 
précurseur  du  genre  en  Allemagne.  Emmanuel  Bach  avait  donné 
à  Berlin,  dès  1741,  plusieurs  Sinfonie,  dont  les  manuscrits, 
voire  une  partition  gravée  sur  cuivre  en  1759,  nous  sont  con- 
nus (2).  Et  déjà,  en  Italie,  Gluck  avait,  dès  ses  premiers  pas, 
rencontré  Sammartini,  dont  les  symphonies  faisaient  dire  cin- 
quante ans  plus  tard  à  un  voyageur  :  «  J'ai  trouvé  le  père  du 
style  d'Haydn.  » 

Mais,  dira-t-on,  si  le  véritable  père  de  la  symphonie  était 
Sammartini,  cette  forme  d'art  ne  serait  donc  pas,  comme  on  le 
prétend  toujours,  essentiellement  allemande  ?  Mon  Dieu,  non. 
La  symphonie  est  un  genre  allemand  parce  qu'Haydn,  Mozart, 
Beethoven  et  Schumann  en  ont  créé  les  chefs-d'œuvre  ;  mais 
l'invention  n'en  appartient  aucunement    à  l'Allemagne  (3).  La 

(1)  Voir  notamment  la  collection  complète  des  œuvres  de  Joseph  Haydn,  dont 
le  piemier  volume  vient  de  paraître,  précédé  d'une  préface  de  M.  Eusebius  Man- 
dyczewski . 

(2)  Voy.  Wotquenne,  Catalogue  thématique  des  œuvres  de  C.-Ph.-Em.  Bach,  p.  6i. 

(3)  Le  fait  est  que  la  symphonie  pré-haydnique  jouissait  de  peu  de  considéra- 
tion en  Allemagne  ;  nous  en  pouvons  juger  par  cette  observation  recueillie  par 
Burney  au  cours  de  son  voyage  en  ce  pays  :  «  Les  symphonies  de  Mannheim,  tout 
excellentes  qu'elles  sont,  passent  dans  l'esprit  des  personnes  de  bon  goût  pour 
être  maniérées  et  ennuyantes  quand  ou  les  entend  pendant  quelque  temps  de  suite, 
étant  presque  toutes  d'un  seul  jet,  et  parce  que  leurs  auteurs  donnent  trop  à  l'imi- 
tation. •>  Burney.  Etat  présent  de  la  musique,  III,  191.  Cette  opinion  s'est  perpétuée  en 
France  jusqu'au  commencement  du  XIX'  siècle  :  à  l'époque  où  Méhul  s'essayait  à 
écrire  des  symphonies  (qui  sont  loin  de  contenir  le  meilleur  de  son  génie),  le  genre 
passait  pour  secondaire  et  essentiellement  scolastique  :  et  pourtant,  à  la  même  épo- 
que, Beethoven  composait  la  Symphonie  en  ut  mineur  ! 


138 


LE  MÉNESTREL 


symphonie  primitive  n'est  pas  autre  chose  que  l'ouverture  d'opéra 
italien, Sinfonia,  en  opposition  avec  l'Ouverture  française,  dont  la 
forme  est  autre.  Celle-ci,  chez  Cambert,  Lulli  et  ses  successeurs,, 
et  dans  les  premiers  opéras  de  Rameau,  est  composée  de  deux 
mouvements  qui  s'enchaînent  :  une  introduction  lente  et  grave, 
et  un  mouvement  animé  en  style  généralement  fugué.  La  Sin- 
fonia des  opéras  italiens,  en  usage  dès  la  fin  du  XVIIe  siècle,-  est 
une  composition  en  trois  morceaux  séparés,  que  Jean-Jacques 
Rousseau  a  très  exactement  définie  en  ces  termes  : 

«  Ils  (les  Italiens)  débutent  par  un  morceau  saillant  et  vif,  à 
deux  ou  à  quatre  temps;  puis  ils  donnent  un  aMante  à  demi- 
jeu,  dans  lequel  ils  tâchent  de  déployer  toutes  les  grâces  du 
beau  chant,  et  ils  unissent  par  un  brillant  allegro,  ordinaire- 
ment à  trois  temps  »  (1). 

C'est  ainsi  qu'Àlessandro  Scarlatti  se  trouve  avoir  fait  des 
Symphonies  longtemps  avant  Haydn;  et  je  sais  un  certain  ma- 
nuscrit du  dix-huitième  siècle  contenant  seize  symphonies  à 
orchestre  de  Domenico  Scarlatti,  dont  les  formes  correspondent 
exactement  à  la  description  ci-dessus,  et  qui  n'ont  certainement 
pas  été  écrites  pour  servir  d'ouvertures  à  des  opéras  (2).  Les 
premiers  français  qui  voulurent  faire  de  la  musique  italienne 
ont  composé  ainsi  des  symphonies  sans  le  savoir  :  l'ouverture 
du  Devin  du  village,  pourrai1-  elle-même  passer  pour  une  sym- 
phonie —  pauvre  symphonie  !  Quoi  qu'il  en  soit,  la  définition 
de  Rousseau  est  également  applicable  aux  productions  de  la 
symphonie  primitive,  et  jusqu'aux  premières  œuvres  d'Haydn 
et  de  Mozart,  de  Gossec  aussi;  et  si  ces  derniers  maîtres  ajou- 
tèrent à  la  triade  une  quatrième  unité,  le  menuet,  ils  ne  firent 
en  cela -que  dédoubler  le  troisième  morceau,  qui,  d'abord 
«  brillant  allegro  à  trois  temps  »,  se  subdivisa  en  menuet  main- 
tenant la  tradition  du  «  trois  temps  »,  et  en  finale  continuant 
d'être  «  un  brillant  allegro  » . 

Dittersdorf,  dont  l'autobiographie  donne  quelques  renseigne- 
ments intéressants  sur  les  manifestations  musicales  auxquelles 
il  prit  part  aux  côtés  de  Gluck,  écrit  sur  lui  cette  phrase  tex- 
tuelle : 

«  Gluck  laissa  le  prince  prendre  copie  de  beaucoup  de  ses 
compositions,  symphonies  et  airs,  et  chaque  morceau  de  la 
plume  de  ce  merveilleux  compositeur  était  un  nouveau  et  déli- 
cat régal  pour  nos  oreilles.  » 

D'autre  part,  plusieurs  bibliothèques  musicales  d'Allemagne 
(à  Vienne,  Berlin,  Dresde,  Wolfenbùttel)  possèdent  de  lui  plu- 
sieurs compositions  orchestrales  classées  sous  le  titre  de  sym- 
phonies. 

Allons-nous  donc  avoir  maintenant  à  regarder  Gluck  comme 
.  un  des  fondateurs  du  genre  porté  par  Beethoven  au  plus  haut 
degré  de  sa  splendeur  ?  Pourquoi  non  ?  Déjà  des  ouvertures 
d'opéras  qui  nous  ont  passé  sous  les  yeux  nous  étaient  apparues 
comme  de  véritables  symphonies  italiennes,  en  trois  morceaux, 
•excellents  modèles  du  genre.  Celle  A'Ezio ,  notamment,  est 
remarquable.  Son  premier  mouvement  a  bien  le  caractère 
«  saillant  et  vif  »  décrit  par  Rousseau  :  il  se  développe  brillam- 
ment et  logiquement  en  passant  du  ton  principal  à  la  dominante^ 
puis,  après  un  court  développement,  rentrant  dans  le  ton  et 
s'y  arrêtant  :  Mozart  ne  procédait  pas  autrement.  L'andante  est 
d'un  heureux  style  «  vieil  allemand  »,  qui  nous  fait  songer  que 
l'œuvre  fut  écrite  pour  Prague,  et  dans  les  derniers  temps  de 
la  vie  de  Bach,  à  qui  il  semble  rendre  un  instinctif  hom- 
mage ;  enfin  le  morceau  à  trois  temps,  plutôt  finale  que  menuet, 
termine  la  composition  avec  l'éclat  qui  convient. 

Gluck  a  replacé  cette  symphonie  en  tète  de  la  Clemenza  di  Tito; 

(lj  J.-J.  Rousseau  :  Dictionnaire  de  Musique,  art.  Ouverture.  —  Voici,  d'autre  part, 
en  quels  termes  le  Théâtre  à  la  mode,  satirique  à  son  ordinaire,  s'exprime  sur  le 
même  sujet.  :  «  La  symphonie  consistera  en  un  tempo  francesi  très  accéléré  de  dou- 
bles croches,  à  tierce  majeure,  qui  sera  suivi  d'un  lento  à  tierce  mineure,  et  se  ter- 
minera par  un  menuet,  une  gavotte  ou  une  gigue,  de  nouveau  ii  tierce  majeure;  le 
maestro  renoncera  aux  fugues,  aux  imitations,  etc.,  comme  choses  antiques  et  com- 
plètement opposées  aux  habitudes  modernes.  »  Traduction  E.  David,  p.  73. 

(2)  Ce  manuscrit,  que  j'ai  sous  les  yeux  en  écrivant  cette  note,  n'a  été  connu  d'au- 
cun  musicographe,  et  n'est  mentionné  dans  aucune  bibliographie,  ni  de  Fétis,  ni  de 
Riemann,  ni  d'Eitner. 


mais,  dans  l'œuvre  écrite  pour  Nâples,  il  renonça  à  la  sévérité 
de  l'andante  et  substitua  un  autre  morceau,  d'un  ton  plus 
clair  et  d'un  style  plus  orné,  mieux  fait  pour  plaire  en  Italie. 
Par  là,  il  manifesta  qu'il  n'avait  pas  encore  sur  l'ouverture  les 
idées  qu'il  exposa  et  réalisa  magnifiquement  par  la  suite .;  mais 
en  même  temps  il  montra  qu'il  était  loin  d'être  sans  aptitude 
pour  la  musique  instrumentale.  Les  sonates  de  Londres  sont 
sensiblement  dépassées  par  ses  symphonies.  S'il  se  peut  que 
quelques-unes  de  ces  œuvres,  parmi  celles  qu'on  a  retrouvées 
sous  ce  simple  titre,  ne  soient  que  des  ouvertures  d'opéras  qu'on 
n'a  pas  pu  identifier,  il  est  probable  aussi  que  d'autres  fnrentécri- 
tes  spécialement  en  vue  du  concert.  L'une  porte  des  sous-titres 
(en  français)  qui  sont  bien  dans  le  goût  musical  du  XVIII'' 
siècle  :  «  La  Tempête.  —  Le  Calme.  —  La  Réjouissance  »  ~(\). 
C'est  déjà  presque  le  programme  de  la  Symphonie  pastorale  !  Bref, 
la  production  de  ces  pages  instrumentales  représente  un  nouvel 
effort  à  compter  en  faveur  de  l'activité  artistique  de  Gluck  ; 
celle-ci,  nous  le  voyons,  s'est  exercée  dans  tous  les  domaines 
de  l'art. 

Ce  fut  à  constituer  ce  répertoire  de  concert  qu'il  occupa  prin- 
cipalement, semble-t-il,  les  quelques  années  qu'il  passa  chez  le 
prince  de  Saxe-Hildburghausen.  Il  y  était  aimé  et  considéré. 
Dittersdorf  nous  le  montre  dans  l'intimité  de  la  maison,  pre- 
nant part  'aux  entretiens  familiers,  lançant  parfois  quelque 
réflexion  humoristique,  en  italien,  pour  n'être  compris  que  des 
initiés  ;  puis,  aux  jours  d'exécution,  en  habit  de  cérémonie,  le 
violon  a  la  main,  à  la  tête  de  son  orchestre,  .ayant  autour  de 
lui  tout  ce  que  Vienne  comptait  de  plus  noble  et  de  plus  éclairé 
dans  la  haute  société.  Si  Joseph  Pergin  avait  vécu  assez  pour 
le  voir  ainsi  dans  sa  gloire,  il  n'aurait  plus  hésité  maintenant  à 
lui  donner  sa  fille  ! 

A  vrai  dire,  dans  cette  futile  ville  de  Vienne,  le  répertoire 
musical  ne  se  soutenait  pas  toujours  à  de  grandes  hauteurs  ;  il 
y  fallait  souvent  sacrifier  à  des  dieux  moins  sévères.  Par  deux 
fois  au  moins,  Gluck  dut  prendre  une  part  active  aux  fêtes  que 
son  prince  offrait  à  Marie-Thérèse  en  son  château  de  Schlosshof, 
fêtes  dont  l'éclat,  si  l'on  s'en  rapporte  aux  descriptions,  pourrait 
presque  soutenir  la  comparaison  avec  celui  des  fêtes  données 
en  France  par  Fouquet  à  Louis  XIV.  Dans  l'une  comme  dans 
l'autre  circonstance,  la  musique  sérieuse  fut  bannie.  Le  futur 
auteur  d'^4/ces(e  n'eut  à  écrire  que  des  bagatelles  :  le  Cinesi 
(24  septembre  1754),  sorte  de  divertissement  chanté,  cinq  airs 
seulement,  et  la  Dansa  '(5  mai  17SÎ5),  pastorale  d'aussi  peu  d'im- 
portance, prétexte  à  faire  entendre  la  célèbre  prima-donna 
Caterina  Gabrielli.  Des  ballets-pantomimes,  l'Orfano  délia  China, 
Alessandro furent,  ajoutés  pour  compléter  les  spectacles  quand  ces 
petits  actes  furent  donnés  au  théâtre  de  la  Cour  de  Vienne,  ce 
qui  eut  lieu,  comme  de  coutume,  à  des  jours  de  fêtes  prin- 
cières. 

Cette  position  prépondérante  que,  par  une  lente  accession, 
Gluck  prenait  dans  les  hautes  sphères  musicales  de  la  capitale 
autrichienne,  le  conduisit  à  la  plus  haute  situation  qu'il  put 
alors  ambitionner.  Depuis  trois  ans,  Marie-Thérèse  s'occupait  de 
réorganiser  les  théâtres  impériaux.  En  1752,  elle  en  avait  confié 
la  direction  générale  aux  comtes  Franz  Esterhazy  et  Jacob  Du- 
razzo  ;  deux  ans  plus  tard  (juin  1754),  ce  dernier  devint  seul 
directeur  général  du  Théâtre  de  la  Cour  :  il  nomma  Gluck 
kapellmeister  de  l'Opéra  avec  un  traitement  de  2000  florins  (2). 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 

(1)  Cette  symphonie  compte  dans  son  orchestre  les  instruments  à  cordes',  deux 
hautbois,  un  basson  et  deux  cors.  C'est  exactement  la  composition  de  l'orchestre  du 
prince  de  Saxe-Hildburghausen  dont  nous  avons  pu  citer  par  leurs  noms  les  prin- 
cipaux exécutants.  Cela  seul  serait  une  raison  de  croire  que  ce  fut  spécialement  pour 
cet  orchestre  que  la  symphonie  fut  composée.  Cf.  Wotqcekne,  Catalogue  de  Gluck, 
pp.  164  et  220. 

(2)  Voy.  Schjud,  pp.  51,  52  et  67.  Au  sujet  des  dates  indiquées  par  cet  auteur, 
M.  A.  Wotquenne  a  fait  cette  observation  :  «  Un  détail  reste  obscur  dans  cette  période 
de  la  vie  de  Gluck.  Schmid  nous  dit  que  le -compositeur1  avait  été  nommé  lsapell- 
meisler  der  Oper,  à  Vienne,  en  1754.  Mais  alors  on  ne  comprend  pas  que  le  rédac- 
teur du.libretto  romain  de ÏAntigono  assigne  encore  à  Gluck. en  1756  les  fonctions  de 
Maître  de  chapelle  du  Duc  de  Saxe-Hildburghausen,  tandis  qu'il  indique  soigneu- 


,E  MENESTREL 


loMi 


SEMAINE  THEATRALE 


Gymnase.  —  L'Incendiaire,  drame  en  I  acte,  d'IIeyermaiis ,  adaptation  de 
M.  Schurmann.;  Le  Scandale  de  Monte-Carlo,  comédie  en  3  actes,  de 
M.  Sacha  Guitry.  —  Variétés.  Le  Roi,  comédie  en  4  actes,  de  MM.  G. -A. 
de  Gaillavet,  R.  de  Fiers  et  E.  Arène. 

C'est  un  spectacle  inattendu  évidemment  en  tel  endroit  que  celui  que 
nous  donne,  en  ce  moment,  le  Gymnase  avec  une  exhibition  étrangère, 
qui  figurerait  avantageusement  sur  une  scène  de  music-hall,  et  une 
petite  pochade,  non  sans  agréments,  qui  aurait  gagné  à  être  poussée 
au  comique  et,  ainsi,  aurait  pu  faire  florès  aux  Nouveautés  ou  au 
Palais-Royal. 

Cet  Incendiaire,  traduit  en  français  à  notre  intention  par  M.  Schur- 
mann, sert  de  prétexte  quelconque  aux  transformations  de  M.  Théo 
Bouwmeester,  un  acteur  extrêmement  goûté  par  delà  la  Manche,  et  qui, 
à  une  certaine  habileté  de  comédien,  joint  une  particulière  et  vertigi- 
neuse aptitude  à  se  diversement  grimer,  et  cela  en  moins  de  temps 
certes  qu'il  n'en  faut  pour  l'écrire.  Frégoli  d'ordre  plus  relevé,  M.  Bouw- 
meester ne  joue  pas  moins  de  sept  rôles  à  lui  tout  seul  et  y  accuse  du 
pittoresque  et  de  la  facilité. 

Le  Scandale  de  Monte-Carlo,  avec  un  premier  acte  tout  plaisant,  avec 
beaucoup  d'inventions  drolatiques,  avec  des  qualités  de  vie  et  d'imprévu, 
pose  M.  Sacha  Guitry,  qui  ne  s'était  encore  essayé  que  dans  de  courtes 
piécettes,  en  auteur  comique  avec  lequel  on  aura  probablement  à 
compter  lorsqu'il  aura  usé  un  trop-plein  de  jeunesse  et  de  gaminerie 
qui  l'empêche  d'être  suffisamment  maitre  de  soi,  de  sa  plume  et  de  sa 
pensée  ;  encore  mal  conscient  de  ses  forces,  il  s'essouflle  généreuse- 
ment bien  avant  que  d'arriver  au  but,  et  c'est  là  le  défaut  de  débutant 
dont  il  aura  à  se  corriger  d'abord. 

M.  Tarride,  M"1''  Marie  Magnier  et  M"''  Clairville  présentent  joliment 
l'anecdote  de  la  petite  Rosette  Vignon  lâchée  à  Monte-Carlo  par  un 
ami  de  rencontre,  qui,  ayant  .triché  au  jeu,  s'empresse  de  quitter  nui- 
tamment la  principauté,  et  recueillie  par  son  voisin  de  chambre,  vieux 
beau  aimablement  galant.  L'histoire  demeure  banale,  sauf  en  son 
point  de  départ  d'allure  amusante. 

Si  la  pièce  de  M.  Sacha  Guitry  s'avère  tout  inconsistante,  le  Roi  de 
MM.  A.  de  Caillavet,  R.  de  Fiers  et  E.  Arène  ne  se  recommande 
pas  par  beaucoup  plus  de  solidité.  Mais  le  succès  va,  de  nos  jours,  aux 
choses  superficielles,  et  le  public  a  appris  à  se  contenter  de  mots 
heureux  et  de  dialogue  scintillant.  Ici,  il  a  large  mesure,  et  les  auteurs 
lui  ont  fourni,  en  outre,  le  malin  plaisir  d'entendre  fronder  les  gens  au 
pouvoir.  Penseront-ils  à  se  fâcher  nos  ministres  si  galamment  égra- 
tignès  ?  Ils  auraient  tort  ;  car,  en  y  regardant  de  près,  ils  verront  que 
le  Roi  n'est  guère  mieux  traité  qu'eux  et  que  la  noblesse  n'échappe  pas 
non  plus  aux  coups  droits  de  nos  tout  modernes  satiriques. 

Il  vient  de  Cerdagne  ce  Roi  à  la  belle  barbe  blonde  ;  et  s'il  vient 
pour,  sans  doute,  nous  taper  grâce  à  quelque  gigantesque  emprunt,  il 
n'oublie  pas  que  Paris  est  la  ville  de  tous  les  plaisirs  et  que  les  femmes 
y  sont  plus  jolies  et  plus  ensorcelantes  que  nulle  part  ailleurs.  C'est 
pourquoi  il  met  à  mal  et  la  bonne  amie  du  député  socialiste  Bourdier, 
une  belle  et  célèbre  comédienne,  qu'il  connut  d'ailleurs  lors  d'un  pré- 
cédent séjour,  et  la  femme  même  du  dit  député.  Que  voulez-vous  que 
fasse  Bourdier  contre  une  tète  couronnée  ?  Tout  socialiste  qu'il  est,  il 
finira  bien  par  se  convaincre  que  Sa  Majesté  lui  fit  très  grand  honneur, 
d'autant  que  cet  accident  lui  permet  de  réaliser  les  deux  plus  beaux 
rêves  de  sa  vie  de  politicien  démocrate  :  marier  sa  fille  au  fils  de 
son  voisin,  le  marquis  de  Chamarande,  et  devenir  ministre. 

Le  Roi  est  excellemment  joué  par  la  troupe  des  Variétés ,  d'autant 
plus  excellemment  que  tous  les  rôles  en  évidence  sont  fort  adroitement 
présentés,  et  MM.  Brasseur,  Guy,  Prince,  Numès.  Moricey,  Petit, 
Mmes  Lender  et  Diéterle  peuvent  garder  pour  eux  une  grande  part  des 
applaudissements  de  la  soirée.  Mais  le  triomphe  est  allé  à  Mlle  Laval- 
lière et  à  M.  Max  Dearly  si  pleius,  l'un  et  l'autre,  de  débordante, 
originale  et  jolie  fantaisie  ;  qu'ils  parlent  ou  qu'ils  gesticulent,  leur 
art  est  si  primesautier,  en  même  temps  que  si  toujours  vraisemblable, 
que  les  rires  ne  diminuent  qu'alors  qu'ils  sortent  de  scène. 

Paul-Emile  Chevalieii. 


sèment  que  Métastase  est  attaché  a  la  Cour  Impériale.  »  On  pourrait  objecter  que 
le  nouveau  titré  de  Gluck  a  pu  être  ignoré  des  impresarii  de  Rome  quand  ils 
l'engagèrent  pour  le  carnaval  de  1756,  tandis  que  les  qualités  de  Métastase  étaient 
acquises  et  connues  depuis  de  longues  années.  Il  n'est  pas  moins  vrai  qu'un  supplé- 
ment d'informations,  avec  production  de  textes  authentiques,. né  serait  point  super- 
flu. N'est-ce  pas  aux  musicographes  de  Vienne  qu'il  appartiendrait  d'élucider  les 
points  encore  obscurs  de  l'existence  de  Gluck  dans  leur  ville  : 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THEATRE 

emat     Salons     dix     Grand-Pal; 


(Troisième  article 

Plus  la  concurrence  devient  âpre  et  meurtrière  dans  le  domaine  des 
arts  libéraux,  plus  les  producteurs  sentent  la  nécessité 
dans  un  genre  bien  défini.  Ils  s'en  évadent  parfois  comme  d'une  pri- 
son, mais  il  faut  bien  vite  y  rentrer  comme  dans  un  asile.  C'est  ainsi 
que  M.  Caro-Delvaille,  si  discuté,  je  dirais  presque  si  diffamé  a  propos 
de  sa  grande  composition  destinée  a  la  salle  commune  d'un  hôtel  de 
voyageurs  —  les  duretés  y  abondent  en  ellét  et  aussi  les  sécheresses, 
compensées  d'ailleurs  par  quelques  morceaux  de  choix  —  retrouve  le 
bon  public  et  la  critique  louangeuse  des  Salons  précédents  avec  le  glo- 
rieux tableau  de  nu  exposé  dans  une  galerie  voisine  :  académie  féminine 
harmonieuse  et  ferme,  d'un  modelé  délicieux,  d'une  pâte  onctueuse  et 
d'un  coloris  ambré,  la  vraie  traduction  du  célèbre  alexandrin  : 
Chair  de  la  femme,  argile  idéale,  ô  merveille  ! 

M.  Bracquemond,  dont  j'ai  déjà  signalé  l'intéressant  portrait  de 
M""!  Berthe  Cerny,  a  également  envoyé  une  savoureuse  élude  de  nu. 
M.  Armand  Berton  enveloppe  ses  modèles  d'une  pénombre  laiteuse  et 
les  campe  en  des  attitudes  familières  ;  l'un  relève  sa  chevelure,  l'autre 
se  regarde  dans  un  miroir  à  main.  C'est  un  accessoire  obligé  depi  is  le 
Titien.  M.  Emile  Brin  dont  la  maitrise  s'affirme,  teintée  d'un.'  grâce 
Hellène  subtilement  archaïque,  étend  une  femme  sans  voiles  sur 
les  coussins  d'une  chaise  longue.  A  signaler  la  femme  au  sofa  de 
M.  Friesck  et  les  études  de  Mme  Dubufe  Wehrlé,  dont  un  délicat  profil 
d'enfant.  Les  sujets  antiques  ne  surabondent  pas  comme  dans  les  salles 
de  la  Société  voisine  et  rivale  où  se  dégorge  annuellement  le  trop-plein 
des  dictionnaires  de  mythologie  comparée:  voici  cependant,  car  tout  se 
retrouve,  même  à  la  Nationale,  une  Petite  Conrliaane  de  M.  Tête  qui 
figurerait  avec  honneur  dans  lecortège  d'Aphrodite,  un  Sommeil  de  Diane 
de  M.  Alfred  de  Glehn  dont  la  donnée  classique  est  rajeunie  par  d'heu- 
reuses trouvailles  de  détail  dans  le  groupement  des  nudités  féminines, 
enfin  une  Faunesse  de  M.  Maurice  Eliot  qui  se  coiffe  au-dessus  d'une 
fontaine,  à  l'ombre  des  lauriers-roses.  L'invention  du  peintre  se  com- 
plique ici  de  quelques  réminiscences  littéraires,  mais  elles  n'alourdis- 
sent pas  le  tableau,  restant  en  quelque  sorte  à  la  surface. 

Encore  un  peu  de  chairs  blondes  et  de  cheveux  dénoués  à  la  section 
des  dessins  où  d'ailleurs  le  nu  se  pastellise  et  s'aquarellise  délicatement  : 
femme  à  sa  toilette  de  M.  Bottini,  Cigale  de  M.  Pierre  Carrier-Belleuse. 
les  études  de  maternité  de  M.  Jean  Dedina  et  celles  de  Mmr  Béatrice 
How,  l' Hébé  endormie  et  la  Raccliante  de  Mmc  Mac-Monnies,  les  ligures 
mythologiques  de  M.  Osbert  en  sa  foisonnante  composition  du  Retour 
du  jour,  qui  symbolise  le  réveil  de  la  terre  dans  l'harmonie  et  la  clarté. 

On  composerait  un  salonnet  séparé  avec  les  envois  des  humoristes. 
Il  ne  serait  pas  sans  prétention  car  l'humour  demande  un  effort  continu, 
mais  il  offrirait  beaucoup  d'agrément  et  de  variété.  Dans  An  eerele  de 
M.  Jean  Béraud  on  retrouve  sa  précision  un  peu  sèche  et  en  somme 
peu  renouvelée.  En  revanche,  M.  Jeanniot  s'amuse  et  nous  amuse.  Il 
nous  intéresse  aussi  avec  la  fantaisie  délicieusement  harmonisée.  le  fin 
bariolage  de  ses  baigneuses  dont  la  tonalité  blonde  du  sable  fin  fait 
ressortir  le  galbe  élégant,  s&Professionnal  Reauty  vaincue  parles  ardeurs 
d'une  chaude  journée  et  nonchalamment  étendue  sur  des  coussins 
devant  la  mer,  son  souvenir  de  Versailles,  sa  Landaise  et  sa  Campine 
belge.  Il  y  a  là  les  plus  séduisants  bouquets  de  jaunes,  de  roses,  de  verts, 
dont  chacun  s'épanouit  librement,  mais  concourt  à  l'effet  d'ensemble. 
M.  Jeanniot  expose  aussi,  aux  dessins,  une  série  d'illustrations  pour 
une  étude  du  Misanthrope  :  profils  penchés  de  l'opportuniste  Philinte. 
sourires  béats  du  susceptible  Oronteenmal  de  sonnet,  mines  railleuses 
de  Célimène,  gros  dos  de  l'homme  aux  rubans  verts,  arêtes  aiguës 
d'Arsinoé,  grâces  sautillantes  des  petits  marquis,  la  Cour  et  la  Ville 
évoquées  en  plein  relief....  Artiste  exquis, celui-là.  artiste  rare,  car  son 
originalité  n'a  rien  de  factice  et  n'est  que  l'extériorisation  d'un  tempé- 
rament bien  personnel. 

Un  Carnaval  Bruxellois  de  M.  Charles-Nicolas  Lambert  mérite  ..de 
retenu-  l'attention:  c'est  le  meilleur  des  tableaux  un  peu  fâcheusement 
exilés  dans  le  pourtour  d'un  des  paliers  du  double  escalier.  Les  mas- 
ques y  grouillent  avec  une  curieuse  intensité  de  vie:  descente  de 
la  Courtille  au  pays  belge  dont  certains  détails,  notamment  la  rencon- 
tre d'un  vieux  marcheur  et  d'un  déguisé  à  tète  de  mort  semblent  traités 
à  l'eau-forte.  De  M.  Guillaume  Roger  une  originale  Farandole  aux 
lanternes,  qui  pourrait  figurerdansles  mises  en  scène  de  l'Opéra-Comique. 
M.  Louis  Picard  occupe  un  panneau  avec  des  compositions  originales 


140 


LE  MENESTREL 


et  lumineuses,  mais  d'une  lueur  apaisée,  plus  transparente  qu'épandue, 
portraits  d'enfants  et  de  petite  marchande  d'oranges,  rayons  de  lune, 
contemplation.  Voici  encore  deux  artistes  de  tempéraments  très  divers: 
M.  Tony  Minartz,  qui  s'amuse  surtout  aux  touches  et  aux  taches  bario- 
lées, dans  l'Ovation  au  torero  vainqueur,  d'une  harmonie  jaune  et  rouge 
piquée  de  points  crayeux,  et  dans  le  quadrille  réaliste  des  Clodoches 
d'une  dégaine  à  la  Daumier;  M.  Louis  Legrand,  bon  peintre  et  dessi- 
nateur spirituel.  Ses  notations  resteront  comme  autant  de  documents 
précieux  pour  l'histoire  de  nos  mœurs  au  XXe  siècle.  Elles  sont  d'une 
égale  abondance  et  d'un  aussi  curieux  raffinement  à  la  peinture  où 
M.  Legrand  a  envoyé  une  Danseuse  et  d'élégantes  mondanités,  femme 
au  gant,  femme  au  corset,  deux  visiteuses  qui  échangent  des  commé- 
rages, et  aux  dessins  où  l'on  remarquera,  avec  les  Arabesques  et  les 
Inséparables,  un  très  souple  pastel  de  Petite  Ballerine,  fleurette  chorégra- 
phique cueillie  d'une  main  légère. 

Le  pinceau  de  M.  Hochard  écrase  comme  un  trait  de  fusain  les 
contours  des  types  remarquablement  observés  des  promeneurs  de  la 
terrasse  des  Tuileries,  des  Badauds  si  bien  formulés  qu'en  effet  ils  mé- 
ritent la  majuscule,  du  Thé  à  Bagatelle  où  les  snobinettes  évoquent,  en 
gentillesse  amusée,  les  souvenirs  de  leurs  aïeules  du  XVIIIe  siècle,  la 
réception  à  l'Académie  française  où  le  profil  de  M.  Barrés  se  détache 
sur  le  médiocre  fond  architectural  de  la  grande  salle.  Cette  "  première  " 
académique,  qui  eut  son  public  parisien  comme  une  "générale  "  du  Vau- 
deville ou  de  Réjane,  est  répétée  par  un  dessin  du  même  artiste.  On  le 
trouvera  au  rez-de-chaussée  dans  le  voisinage  intéressant  de  beaucoup 
d'autres  fantaisies  humoristiques:  la  Femme  au  théâtre  de  M.  Bottini, 
la  Course  de  Taureaux  de  M.  Jacques  Brissaud,  qui  a  le  sens  de  la  mise 
en  scène,  les  pastels  très  chargés  de  M.  Charles  Dufresne,  Loge,  Cirque, 
Beuglant,  feuillets  d'album  du  cabotinisme  provincial,  croquis  d'expres- 
sion de  M.  Hector  Dumas,  la  Fin  du  Morceau,  étude  de  violoniste  fine- 
ment aquarellisée  par  M™  Florence  Fontaine  (le  piano  est  en  baisse 
cette  année,  â  la  Nationale;  c'est  le  violon  qui  l'emporte),  les  deux 
Midi-nettes  de  M.  Isaac  Israels  qu'on  pourra  comparer  au  triomphant 
trottin  des  Variétés,  Eve  Lavallière,  les  poétiques  nocturnes  de 
M.  Etienne  de  Lierres  dont  l'accompagnement  musical  glisse  jusqu'aux 
lointains  rivages  où  s'étend  sur  le  vieux  quai,  les  très  ibséniens  nuages 
dans  le  Fjord  de  M.  Lunois,  le  Moulin  de  la  Galette  de  M.  Martel,  la  tète 
de  gitane  et  la  Carmen  de  M.  Edouard  Morero,  le  mélancolique  et  déli- 
cieux pastel,  Après  l'orage,  d'Ana  Osterlind,  maintenant  M"10  Edouard 
Sarradin,  les  petits  Trotlins  très  trottinants  de  M.  Pezen.  Dédions  aux 
amateurs  de  Salomés  (nous  n'en  chômerons  pas  avant  longtemps)  la 
tète  coupée  de  Iochanaan  que  Mmc  Ripa  de  Roveredo  a  traitée  dans  un 
parti  pris  romantique. 

M.  Albert  Guillaume  demeure  fidèle  à  ses  notations  gaies  et  à  son 
idéal  gras.  A  l'inverse  de  M.  Boldini.qui  ne  voit  que  des  maigres,  et  de 
M.  de  la  Gandara,  qui  inventerait  au  besoin  des  décharnées,  il  n'aperçoit 
dans  la  nature  que  des  femmes  trapues,  mafflues,  à  estomacs  de  canti- 
nières,  à  poignets  aussi  boudinés  que  la  cuisse  d'un  petit  enfant,  à 
doubles  mentons  prolongés  jusqu'aux  oreilles.  Il  leur  prête  d'ailleurs 
une  graisse  distinguée,  cherchant  ses  modèles  parmi  les  gens  du  monde. 
Le  morceau  le  plus  réussi  est  intitulé  Plaisir  sévère.  Il  détaille  le  contenu 
d'une  logo  d'entre-colonnes  à  l'Opéra.  Quelle  est  l'affiche?  Le  peintre 
a  la  discrétion  de  ne  pas  s'expliquer:  mais  tous  les  auditeurs  semblent 
hypnotisés  par  un  auguste  et  religieux  ennui;  les  figures  sont  tendues, 
les  bouches  luttent  avec  angoisse  contre  la  montée  des  bâillements;  les 
crânes  même  sur  lesquels  se  joue  le  reflet  des  ampoules  électriques 
apparaissent  cruellement  déprimés.  Le  recueillement  plane  et,  dans  un 
autre  cadre,  le  sommeil  ne  serait  pas  loin. 

D'autres  fantaisies  de  M.  Albert  Guillaume  nous  promènent  à  travers 
des  milieux  plus  divertissants,  couples  qui  tournoient  au  jardin  de 
Paris,  orchestre  de  tziganes  féminins  dont  la  maestria  et  les  œillades 
tiennent  sous  le  charme  un  consommateur  sensible,  jeune  femme  écou- 
tant le  téléphone,  peintre  bedonnant  qui  indique  «  le  mouvement  »  d'une 
pose  de  Diane  chasseresse  à  un  gentil  modèle.  L'artiste  cherche  la 
diversité  des  impressions,  mais  pour  les  ramener  au  même  point  de 
satire  sans  méchanceté  et  de  moquerie  tempérée  par  la  belle  humeur. 
Notre  guignol  forain  ou  boulevardier  a  d'ailleurs  toute  une  série  de 
peintres  attitrés  qui  le  connaissent  réellement  dans  les  coins.  M.  Isaac 
Israël,  Callot  des  saltimbanques  et  des  «  arpètes  »,  M.  José  Belon  qui 
évoque  gaiement  le  jeu  de  massacre  du  Retour  des  Perdants  (côté  pelouse). 
M.  Léon  Carré  qui  note  avec  raison  cette  antithèse  éphémère  (car  ceci 
aura  bientôt  tué  cela)  du  cocher  et  du  chauffeur.  Cà  et  là  l'inévi- 
table mais  déjà  caduc  Diabolo  par  M»«  Dannenberg,  Au  Concert  de 
M.  Slillingford  et,  sous  l'étiquette  de  l'entente  cordiale,  The.  Gipsy  de 
M""'  Boughton-Leigh  et  Liltle  Girl  in  Curlpapers  de  M""'  Ardron. 
Le  Ramuntcho  de  M.  Pierre  Loti  nous  a  valu  un  intéressant  grand 


spectacle  et  une  pièce  médiocre  en  Odéonie.  A  titre  de  compensation. 
le  maitre  Gustave  Colin  expose  le  commentaire  animé  d'un  des  passa- 
ges les  plus  caractéristiques  du  roman  et  les  plus  inutiles  du  drame;  il 
nous  montre  une  partie  de  pelote  au  rebot  sur  la  place  de  Sare.  Le  jeu 
de  rebot  est  le  jeu  classique  des  basques.  Le  peintre  reconstitue,  grâce 
à  sa  merveilleuse  connaissance  de  la  race  pyrénéenne,  l'ambiance 
recueillie  de  ces  «  assemblées  »  silencieuses  où  coup  pour  coup  on 
n'entend  que  le  sifflement  aigu  de  la  balle  chassée  le  long  des  gantelets 
ou  le  bruit  sec  du  projectile  s 'écrasant  sur  le  fronton  avec  une  force 
qui  jetterait  à  terre  l'homme  le  plus  vigoureux.  Et  les  adversaires  qu'il 
groupe  en  des  poses  nobles,  lanceurs  ou  «  rechasseurs  ».  comme  on  dit 
là-bas,  symbolisent  vraiment  ce  peuple  aux  lèvres  cousues,  avare  de 
ses  paroles  jusque  dans  la  fièvre  du  jeu  national.  Aussi  bien  il  considère 
que  cette  langue,  isolée  parmi  tous  les  idiomes  européens,  ne  doit  pas 
être  jetée  aux  quatre  vents  du  chemin,  ayant  une  origine  sacrée.  Son 
historien  national,  l'abbé  d'Iharce  de  Bidassouet,  n'est-il  pas  tenté 
d'affirmer  que  Dieu  parlait  basque  dans  l'Eden:  «  Je  ne  sais  pas,  dit-il, 
si  la  langue  du  Père  éternel  était  escuarra  ;  je  ne  serais  pas  assez  hardi 
pour  soutenir  que  le  créateur  parlait  basque:  ce  qu'il  y  a  de  certain 
c'est  que  le  nom  de  l'arche,  en  basque  ark,  arkha,  et  celui  du  bois  dont 
l'arche  ou  arkha  devait  être  construite  sont  des  mots  basques...  que 
l'on  se  souvienne  donc  enfin  qu'il  n'y  a  aucune  langue  dans  tout  l'uni- 
vers qui  approche  plus  de  la  langue  que  le  Père  éternel  a  inspirée  à 
Adam.  » 

Parlait-on  basque  autour  du  pommier  fatal?  Le  couple  adamique 
du  grand  tableau  de  M.  Courtois  hésiterait  peut-être  à  répondre,  mais 
les  joueurs  de  rebot  de  M.  Gustave  Colin  diraient  oui,  sans  barguigner. 
M.  Charles  Cottet  nous  conduit  dans  une  contrée  moins  ensoleillée, 
mais  aussi  grave  que  le  pays  basque.  Son  tableau,  composé  de  types 
que  le  peintre  a  étudiés  à  l'Ile  de  Sein  et  à  Douarnenez,  est  intitulé  : 
Au  pays  de  la  mer,  Douleur.  Nous  sommes  toujours  en  plein  répertoire 
de  M.  Loti  ;  de  Ramuntcho  nous  revenons  à  Pécheurs  d'Islande.  C'est 
Gaud,  la  fière  héroïne,  qui  se  penche  sur  la  civière  où  s'allonge  le 
cadavre  enfin  retrouvé  du  mari  victime  de  l'océan.  Plus  généreux  que 
le  romancier,  le  peintre  lui  a  rendu  celui  qu'elle  appelait  en  gémissant 
sur  la  grève.  Autour  d'elle  sont  groupés  la  mère,  l'aïeule,  un  trio  de 
pécheurs,  silencieux  et  sombres,  des  femmes  en  pleurs  :  épilogue  de 
drame  bien  mis  en  scène  et  robustement  formulé.  M.  Cottet  lui  a 
donné  l'impressionnante  simplicité  d'une  mise  au  tombeau  avec  la 
disposition  classique  des  saintes  femmes.  L'Ile  de  Sein  et  son  pano- 
rama coupé  par  les  lignes  droites  des  mâts  et  des  agrès,  se  détachant 
sur  un  ciel  brumeux  qui  se  reflète  dans  l'eau  glauque,  mettent  bien  à 
leur  plan  les  figurants  de  cette  scène  d'un  réalisme  symbolique. 

Les  modes  second  Empire  ont  gardé  un  groupe  de  notateurs  amusés. 
M.  Charles  Guérin,  dont  la  virtuosité  très  personnelle  donne  de  la 
grâce  aux  lourds  chignons  écrasés  sur  la  nuque  et  de  l'envolée  au 
ballon  des  crinolines  à  cerceaux  d'acier,  résume  leur  effort  dans  son 
Duo  sur  la  terrasse.  Mais  les  costumiers,  nombreux  même  à  la  Nationale, 
préfèrent  généralement  la  splendeur  des  oripeaux  asiatiques.  L'Évo- 
cation de  Kundry  de  M.  Egusquiza  n'apparait  eu  réalité  que  comme  un 
morceau  de  ce  genre  :  le  peintre  a  sacrifié  le  sens  wagnérien  au 
plaisir  de  manier  de  souples  étoffes  dans  un  décor  suggestif.  C'est 
également  le  but  poursuivi  par  Mme  Lee  Robins  dans  ses  deux  études 
d'espagnoles,  l'une  au  châle  noir,  l'autre  à  la  mante  de  crêpe  bleu,  par 
M.  Petroff-Vodkine  dans  la  Danse  arabe,  par  M.  Albert  Aublet  dans  sa 
mendiante  tunisienne  et  M.  Antoni  dont  le  Fou  sur  le  marché  de 
Blidah  fait  songer  à  Dehodeucq.  M.  Anthonissen  expose  aussi  un 
croquis  très  caractéristique  ;  mais  le  panneau  le  plus  intéressant,  car 
le  rendu  des  tulles  roses,  des  soies  vertes,  des  velours  d'un  rouge 
profond  est  relevé  par  une  adroite  disposition,  se  compose  des  envois 
de  M.  Dinet.  Son  Oulei-Naid  en  costume  de  fête  a  la  finesse  d'un 
Tanagra  oriental,  et  les  chairs  de  ses  petits  modèles  ont  des  luisants 
d'or  rouge  à  travers  le  feuillage  des  lauriers-roses.  M.  Girardet  entoure 
du  même  trait  précis  que  ses  autres  figurines  le  galbe  élégant  de  sa 
Mauresque  sur  la  terrasse. 

Ces  Bédouineries  sont  innombrables.  Les  bretonneries  se  contentent 
d'être  nombreuses  :  au  hasard  Danse  bretonne  de  M.Bartlett;  le  Calvaire 
de  M.  Lucien  Gros  ;  le  souvenir  de  Roscoff.  de  M.  Léon  Couturier;  les 
jeunes  Bigoudines  de  M.  Norselius  (l'intérieur  Bigoudin  est  à  la  mode; 
qu'on  se  le  dise  dans  la  jeune  école)  ;  la  Sortie  de  l'église  de  M.  Pierre 
Boyer;  les  Lavandières  de  M.  Piet;  les  Tricoteuses  de  MUe  Nourse. 
Tout  un  album  du  Finistère  auquel  il  convient  de  joindre  les  délicates 
berrichonneries  de  M.  Delachaux  dont  l'accent  très  Petite- Fadelte,  très 
Mare-au-Diable,  voire  François  le  Champi,  serait  allé  droit  au  cœur  de  la 
bonne  Mme  Sand  à  l'heure  apaisée  où  elle  ne  vivait  plus  qu'une  vie  de 
rêve  parmi  les  fileuses  et  les  dentellières. 


LE  MÉNESTREL 


141 


Le  grand  décor  a  gardé  ses  régionalistes.  Les  peintres  de  Venise 
forment  un  groupe  compact  et  —  phénomène  qui  prouve  l'incompa- 
rable variété  d'aspects  de  la  ville  des  lagunes  —  pas  un  observateur  n'a 
la  même  vision  colorée.  Que  M.  Guillaume  Roger  évoque  le  palais  des 
Doges  ou  Saint- Georges,  que  M.  Koopman  note  les  irisations  de  l'eau 
dormante  d'un  canalà  Chioggia,  queM.  Iwil  nuance  les  jeux  de  l'aurore 
sur  les  dômes  et  les  façades  de  marbre  patinées  par  les  siècles,  que 
M.  Desmoulin  s'attarde  à  dessiner  la  maison  du  Tintoret  ou  que 
M.  Stewart  affile  dans  l'air  le  clocher  des  Frari,  dans  la  lanterne  magique 
passe  une  Venise  tour  à  tour  rose,  violet  pale,  bleu  teinté,  rouge- 
orange.  Les  peintres  de  notre  Midi  ont  plus  de  fixité.  Ainsi  M.  Monte- 
nard  s'en  tient  à  l'indigo  cru  daus  ses  vues  de  Beaulieu,  de  la  Crau,  du 
Var.  Et  il  est  bien  vrai  que  notre  ciel  de  Provence  travaille  pour  le 
bleu  de  Prusse  ! 


(A  suivre.) 


Camille  Le  Senne. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(pour  les  seuls  abonnés  a  la  musique) 


Parmi  les  plus  jolies  pages  du  Chevalier  d'Éon,  de  Rodolphe  Berger,  il  faut  certai- 
nement citer  la  Rêverie  que  murmure  La  Dubarry  sur  un  orches're  de  danse  au 
lointain.  M""  Cécile  Thévenet  y  était  exquise.  Nous  pensons  donc,  être  agréables  à 
nos  abonnés  en  la  leur  soumettant. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


Réponse  du  berger  à  la  bergère.  Nous  avons  dit  de  quelle  façon  brutale 
,es  représentations  du  Théâtre-National  de  Prague  s'étaient  trouvées  exclues 
des  fêtes  jubilaires  de  l'empereur  François-Joseph  à  Vienne.  Par  contre,  on 
organise  en  ce  moment,  à  Prague,  un  cycle  de  représentations  d'où  la  langue 
allemande  sera  rigoureusement  exclue.  Ces  représentations  seront  données 
par  un  ensemble  polonais  de  Lemberg.  un  ensemble  croate  d'Agram,  un 
ensemble  serbe  de  Neusaltz,  un  ensemble  slovène  de  Laibach  et  deux  troupes 
de  dilettantes,  dont  une  petite-russienne  et  l'autre  slovaque. 

—  Le  grand  violoniste  Joachim  était  possesseur  d'une  importante  collection 
de  manuscrits  de  musique  de  grands  maîtres  qui  comprenait  certaines  œuvres 
considérables,  entre  autres  une  cantate  de  Bach,  le  concerto  de  violon  en  la 
majeur  de  Mozart,  une  romance  de  Beethoven,  un  trio  de  Franz  Schubert, 
le  Lobgesang  de  Mendelssohn.  la  Fantaisie  pour  violon  de  Scliumaun,  etc.  A 
l'exception  des  manuscrits  de  Mendelssohn  et  Schumann,  cette  collection, 
d'autant  plus  précieuse  que  certaines  pièces  portaient  des  dédicaces  des 
auleurs  à  Joachim,  a  été  vendue  par  les  héritiers  à  la  maison  G. -G.  Boerner, 
de  Leipzig,  qui,  elle-même,  l'a  aussitôt  revendue  à  un  riche  amateur  autri- 
chien. 

—  Petit  procès  de  théâtre.  Un  médecin  qui  avait  pris  une  place  au  bureau 
pour  assister  à  une  représentation  de  Carmen,  à  l'Opéra-Gomique  de  Berlin,  a 
intenté  contre  l'administration  du  théâtre  une  action  en  remboursement  du 
prix  de  sa  place,  pour  ce  motif  que  M"0  Maria  Labi,  qui  devait  jouer  le  rôle 
principal  et  dont  le  nom  figurait  sur  les  affiches  du  jour,  avait  été  remplacée 
au  dernier  moment  par  une  autre  cantatrice,  et  que  le  changement  n'avait  été 
porté  à  la  connaissance  du  public  qu'au  moyen  d'un  imperceptible  petit 
placard,  suspendu  au  mur,  dans  le  voisinage  du  guichet  de  perception.  Le 
médecin,  n'ayant  pu  obtenir,  le  soir  de  la  représentation,  le  remboursement 
du  prix  d'entrée  payé  par  lui.  s'était  adressé  aux  tribunaux,  alléguant  qu'il 
n'avait  pas  vu  le  placard  apposé.  Devant  deux  juridictions,  il  a  obtenu  gain 
de  cause.  Le  jugement  a  été  motivé  de  la  manière  suivante  :  «  Considérant 
que,  dans  l'ensemble  d'une  représentation  d'opéra,  l'interprétation  des  rôles 
principaux  est  chose  essentielle,  et  que,  par  suite,  la  représentation  peut 
perdre,  de  son  intérêt  et  de  sa  valeur  si  C3  ne  sont  plus  des  artistes  remar- 
quables qui  remplissent  les  rôles  principaux,  condamne,  etc.  »  En  consé- 
quence, le  plaignant  a  été  remboursé  du  montant  de  ses  débours.  Il  en  aurait 
été  de  même  en  France,  car  la  jurisprudence  est  fixée  depuis  longtemps  chez 
nous  dans  le  sens  de  celle  établie  par  les  tribunaux  de  Berlin.  Toute  modifica- 
tion de  dernière  heure  sur  f  affiche  doit  être  faite  d'une  façon  très  apparente 
et  avant  l'ouverture  des  guichets. 

—  Une  jolie  aubaine  pour  la  Philharmonie  Viennoise.  On  annonce  qu'un 
dilettante  passionné,  nommé  Rodolphe  Putz,  qui  vient  de  mourir  à  Vienne, 
a  prouvé  son  amour  pour  la  musique  en  léguant  toute  sa  fortune,  soit  plus 
d'un  million,  à  la  Philharmonie. 

—  L'affaire  de  plagiat  dont  on  s'est  tant  occupé  à  Vienne  depuis  quelques 
semaines  vient  de  se  terminer  définitivement  par  l'aveu  du  coupable.  M.  Fré- 
déric Hahu  a  écrit  la  lettre  suivante  au  chanteur  d'opéra.  M.  Schittenhelm,un 


des  artistes  qui  avaient  contribué  le  plus  résolument  à  le  démasquer  :  «  Je 
déclare  par  ces  lignes  que  j'ai  effectivement  copié  toutes  mes  prétendues  com- 
positions dans  les  œuvres  originales  de  Rheinberger.  Je  vous  prie  de  vous  dé- 
sister dès  à  présent  de  toute  action  contre  moi.  Je  regrette  profondément  de 
vous  avoir  trompé  et  d'avoir  trompé  le  public  avec  vous.  Frédéric  Ilahn.  i 
Quand  cette  lettre  a  été  connue,  l'administration  du  collège  des  Jésuites  de 
Kalksburg,  près  de  Vienne,  a  retiré  à  M.  Hahn  les  fondions  qu'il  occupait 
comme  préfet  des  études  musicales  dans  cette  institution. 

—  L'Association  Goethe,  se  conformant  à  une  résolution  r<ri ^r»  antérieure- 
ment par  son  comité,  vient  de  faire  placer  sur  le  tombeau  de  la  cantatrice 
Corona  Schrœter,  dans  le  cimetière  d'ilmenau,  en  Thuringe,  une  plaque  de 
cuivre  de  grande  dimension,  portant  à  sa  partie  supérieure  une  lyre  avec  une 
torche  renversée.  Au-dessous  on  lit  cette  inscription  :  »  Ici  repose  Corona 
Schrœter,  morte  le  23  août  1902.  »  Cette  artiste,  supérieurementdouée,  obtint 
de  grands  succès  comme  chanteuse  et  comme  tragédienne  à  Weimar,  où  elle 
fut  amenée  par  Gœthe  qui  l'avait  entendue  à  Leipzig.  Ce  grand  poète  i-t  beau- 
coup d'autres,  ses  contemporains,  lui  ont  prodigué  les  louanges  les  plus  eni- 
vrantes. La  première,  elle  mit  en  musique  la  ballade  du  liai  des  Aulnes  et 
composa  aussi  un  certain  nombre  de  lieder  qui  ont  été  gravés  de  son  vivant 
et  dont  une  édition  de  luxe  a  été  faite  il  y  a  seulement  quelques  années. 
Corona  Schrœter  fut  en  outre  un  peintre  d'un  certain  talent,  ainsi  qu'en  témoi- 
gnent deux  portraits  d'elle-même  de  sa  propre  main  qui  ont  été  reproduits 
dans  le  Ménestrel  en  juillet  I90o.  Corona  Schrœter  eut  plusieurs  frères  ou  sœurs. 
L'ainé.  nommé  Jean  Samuel,  était  un  pianiste  remarquable.  Il  voyagea  en 
Angleterre  vers  1780,  et  obtint  au  concert  de  la  reine  une  place  distinguée 
comme  successeur  de  Chrétien  Bach.  On  fit  courir  le  bruit  que.  dans  le  ceref' 
de  ses  élèves  qui  appartenaient  tous  à  la  noblesse,  il  s'éprit  d'une  jeune  lille 
et  l'épousa  secrètement.  Les  parents  parvinrent  à  faire  rompre  cette  union  et 
dédommagèrent,  dit-on,  l'artiste  en  lui  faisant  une  rente  de  douze  mille  francs. 
Rien  ne  prouve  absolument  la  vérité  de  cette  histoire  romanesque.  Plus  tard. 
Samuel  Schrœter  obtint  d'être  présenté  au  roi  Georges  IV,  amateur  passionné 
de  musique,  et  fut  attaché  à  sa  chapelle.  Il  mourut  en  1788.  d'une  maladie  de 
poitrine.  Comme  sa  sœur,  il  écrivit  plusieurs  compositions  dont  quelques-unes 
furent  publiées. 

—  Le  musée  Bach,  à  Eisenach,  vient  de  recevoir  en  cadeau  plusieurs 
vieux  instruments  à  vent  et  à  cordes  très  précieux.  On  a  l'espoir  maintenant 
de  réunir  avant  peu  toute  la  collection  des  instruments  de  musique  usités  du 
temps  de  Bach.  Le  musée  Bach  a  été  visité,  il  y  a  peu  de  temps,  par  l'abbé 
Lorenzo  Perosi,  qui  a  inscrit  sur  le  livre,  d'or  cet  hommage  au  maître  : 
«  Magno  magislro  parvus  discipului.  —  Laurentius  Perosi.  » 

—  Voici  le  programme  des  solennités  musicales  en  l'honneur  de  Bach,  qui 
doivent  avoir  lieu  pendant  ce  mois  à  Leipzig  :  16  mai,  après-midi  :  motets  de 
fête  à  l'église  Saint-Thomas  ;  soir  :  concert  religieux  dans  la  même  église, 
cantates  et  magnificat:  1"  mai,  matin  :  service  divin  à  l'église  Saint-Thomas, 
selon  la  liturgie  en  usage  du  temps  de  Bach  ;  immédiatement  après,  dévoile- 
ment du  monument;  soir  :  concert  de  musique  de  chambre  dans  la  salle  du 
Gewandhaus  ;  18  mai,  double  concert  religieux  à  l'église  Saint-Thomas  ;  de 
trois  heures  et  demie  à  six  heures,  première  partie  de  la  Passion  selon  saint 
Mathieu  ;  de  huit  heures  à  dix  heures,  deuxième  partie  du  même  ouvrage. 
Cette  grande  œuvre,  qui  dure  plus  de  quatre  heures,  comme  on  le  voit,  sera 
exécutée  sans  aucune  coupure.  Les  directeurs  des  concerts  seront  MM.  Gus- 
tave Schreck,  cantor  de  l'église  Saint-Thomas,  et  Cari  Straube,  directeur  de 
la  Société-Bach  (Bachverein).  La  veille  de  la  fête,  M.  Adolphe  Hamm.  orga- 
niste de  la  cathédrale  de  Bàle,  donnera  dans  l'église  Saint-Thomas  un  concert 
d'orgue  composé  entièrement  des  œuvres  du  maitre. 

—  Samedi  dernier,  dans  l'après-midi,  le  théâtre  de  la  Place  Gaertner,  à 
Munich,  a  donné  devant  une  salle  comble  une  représentation  de  gala  de  la 
Chauve-Souris,  ayant  pour  interprètes  des  artistes  de  l'Opéra  de  la  Cour,  unis 
à  ceux  de  la  troupe  ordinaire  du  théâtre.  C'étaient  Mn,e  Bosetti,  MUes  Linda, 
Menge.  MM.  Koppe,  Walter,  Basil,  Koenig,  Zeder  et  Glonny.  Le  public  n'a 
cessé  de  prodiguer  ses  applaudissements  à  ces  chanteurs  d'élite,  qui  ont  joué 
avec  autant  de  talent  musical  et  scénique,  autant  de  finesse  dans  la  diction, 
que  de  verve  et  de  gaieté  joyeuse  et  franche.  L'orchestre  et  les  ensembles  ont 
été  superbes  d'entrain  sous  l'habile  direction  de  M.  Steinbôck.  La  toile  est 
tombée,  à  la  fin  du  spectacle,  sur  une  scène  toute  couverte  de  fleurs  et  de 
couronnes. 

C'est  les  3,  4  et  5  mai  qu'aura  lieu  à  Kœnigsberg  le  premier  festival  de 

la  Prusse  orientale,  qui  est  organisé  sous  la  présidence  du  prince  Frédéric  - 
Guillaume  de  Prusse,  et  auquel  le  comité  s'est  efforcé  de  donner  le  plus  vif 
intérêt.  Le  programme  comprendra  exclusivement  de  grandes  œuvres  classi- 
ques allemandes.  On  y  exécutera  le  premier  jour  la  cantate  de  Bach,  le  Défi 
de  Phœbus  et  de  Pan,  la  symphonie  en  si  bémol  de  Schubert  et  le  concerto 
de  violon  de  Brahms,  le  second  jour,  la  symphonie  avec  chœurs  de  Beethoven, 
avec  le  concerto  de  piano  en  sol  majeur  et  deux  ouvertures  du  même  maitre  : 
enfin,  le  troisième  jour,  la  symphonie  en  ut  majeur  de  Schubert  et  diverses 
œuvres  de  Mozart. 

—  Une  petite  fête  vient  d'avoir  lieu  dans  le  village  d'Absam,  près  d'Ins- 
pruck,  en  l'honneur  du  luthier  Jacob  Stainer,  qui  y  naquit  le  14  juillet  1621, 
et  y  mourut  en  1683.  A  l'auberge  Ebner.  qui  jouit  d'une,  vieille  réputation,  a 
été  inaugurée  une  sorte  de  chambre-musée,  «  Jakob.  Stainer  Stube  >,  dans 
laquelle  on  a  réuni  quelques  souvenirs  du  vieux  maitre.  La  cérémonie  ne  pou- 


142 


LE  MENESTKEL 


vait  se  terminer  sans  un  peu  de  musique.  Un  violoniste,  M.  de  Kundratitz,  a 
joué  les  deux  romances  de  Beethoven  et  la  cavatine  de  Rail',  sur  un  violon  de 
Stainerl  prêté  par  le  musée  »  Ferdinandeum  »  d'Inspruck.  Stainev,  après 
avoir  manifesté  dès  son  enfance  de  grandes  aptitudes  pour  la  construction  des 
violons,  entra  dans  l'atelier  de  Nicolas  Amati,  à  Crémone,  et  y  fabriqua 
d'excellents  instruments  devenus  très  rares.  L'un  de  ces  derniers,  daté  de  164  f-, 
appartint  à  M.  Desentelles,  ancien  intendant  des  menus-plaisirs  du  roi,  et 
devint  plus  tard  la  propriété  de  Gardel.  premier  maître  de  ballets  à  l'Opéra. 
Stainer,  ayant  épousé  une  fille  d'Amati.  s'établit  avec  elle  à  Absam,  mais, 
obligé  de  travailler  trop  vite  afin  de  pouvoir  céder  ses  violons,  ses  altos  et  ses 
basses  aux  plus  bas  prix  possibles,  sa  réputation  en  reçut  quelque  atteinte.  Il 
sut  la  relever  pourtant,  trouva  de  bonnes  commandes,  et  monta  un  atelier  en 
s'attacbant  quelques  élèves.  Les  instruments  de  cette  deuxième  époque  de  la 
vie  de  Stainer  sont  datés  d'Absam,  1650  à  1667.  On  dit  qu'à  la  mort  de  sa 
femme.  Stainer  se  relira  dans  un  couvent  de  Bénédictins  et  y  passa  le  reste 
de  ses  jours.  Il  y  lit  seize  violons  en  choisissant  ses  bois  avec  le  plus  grand 
soin,  en  envoya  quatre  à  l'empereur  et  un  à  chacun  des  douze  électeurs  de 
l'empire.  Ce  sont  ces  violons  qui  été  ont  connus  depuis  sous  la  dénomination  de 
Stainer-électeur.  Le  roi  de  Prusse  Frédéric-Guillaume  II  en  a  possédé  un. 
Tous,  à  l'exception  de  trois,  ont  été  perdus  de  vue  depuis  longtemps.  Des 
esquisses  biographiques  de  Stainer  out  été  publiées  par  S.  Ruf,  à  Inspruck 
en  1872,  et  par  F.  Leutner,  en  189S.  D'après  une  tradition  qui  n'est  peut-être 
pas  absolument  certaine,  Stainer  serait  mort  dans  le  dénuement,  et  après 
avoir  perdu  la  raison. 

—  De  Saint-Pétersbourg,  on  télégraphie  que  Mlk'  Lina  Cavalieri  vient  de 
chanter  au  Petit-Théâtre  la  Manon  de  Massenet  avec  un  succès  triomphal. 

—  On  annonce  que  le  grand  pianiste  Paderewsky  est  définitivement  nommé 
directeur  du  Conservatoire  de  Moscou. 

—  Un  spectacle  original  a  été  donné  pendant  la  semaine  sainte,  au  théâtre 
de  la  ville  d  :  Deventer,  en  Hollande.  On  a  représenté  les  épisodes  principaux 
de  l'histoire  de  la  Passion,  en  établissant  une  mise  en  scène  d'après  des 
tableaux  de  peintres  célèbres,  et,  pendant  le  temps  nécessaire  pour  changer 
les  décors,  un  orchestre  et  des  chanteurs  invisibles  exécutaient  des  morceaux 
de  Gounod,  A.  Houck,  Mendelssohn,  Schubert,  Prume,  Wensink  et  Richard 
Hol.  choisis  de  façon  à  exprimer  des  sentiments  conformes  à  ceux  que  de- 
vait faire  naitre  la  vue  des  reproductions  scéniques.  Toute  la  partie  musicale 
a  été  dirigée  par  M.  Wensink.  Le  public  a  paru  s'intéresser  très  vivement  à 
ces  représentations  d'un  genre  original. 

—  Le  Théàtre-Verdi,  de  Vicence,  adonné,  le  même  soir,  la  première  repré- 
sentation de  deux  opéras  dus  au  même  compositeur,  M.  Andréa  Ferretto. 
L'un,  Fantasma,  est  en  un  acte  et  écrit  sur  un  sujet  tiré  des  lyriques  d'Emilio 
Praga.  Le  second,  qui  compte  deux  actes,  a  pour  titre  la  Violiimta,  et  son 
livret  a  pour  auteur  M™8  Anita  Zappa.  L'un  et  l'autre  out  été  favorablement 
accueillis. 

—  A  San  Sepolero  on  a  représenté  pour  la  première  fois  un  opéra  bouffe 
intitulé  Don  Chrisciotte.  dont  les  auteurs  sont  MM.  Lorenzo  Coleschi  pour  les 
paroles  et  Simone  Besi  pour  la  musique. 

—  Un  compositeur  turinois,  M.  Giuseppe-Paolo  Ruggeri,  a  fait  exécuter  au 
Théàtre-Donizetti  de  Bergame  une  composition  importante,  une  «  epo-sym- 
phonie  »  intitulée  Pielro  Mi'cca.  L'œuvre  a  été  très  sympathiquement  accueillie, 
surtout  dans  sa  seconde  partie. 

—  La  comédie  en  quatre  actes  de  M.  Alfredo  Testoni,  Gioacchino  Rossini, 
dont  nous  avions  annoncé  la  prochaine  apparition  en  en  faisant  connaître  le 
sujet,  vient  d'être  représentée  au  Théàtre-Niccolini  de  Florence.  Le  nom  et  la 
gloire  universelle,  de  son  héros  n'ont  pas  suffi  à  lui  porter  bonheur.  Elle  est 
tombée  tout  à  plat. 

—  La  statistique  est  toujours  une  belle  science.  Elle  nous  fait  connaître 
aujourd'hui  (ou  a  la  prétention  de  nous  faire  connaître)  le  nombre  actuel  des 
artistes  lyriques  italiens.  Si  nous  devons  nous  en  rapporter  à  elle,  l'art  italien 
serait  représenté,  a  l'heure  présente,  par  430  soprani,  130  mezzo-soprani  ou 
contralti,  350  ténors,  240  barytons,  130  basses,  30  basses  comiques,  130  com- 
primari  (rôles  secondaires),  et  200  maestri  chefs  d'orchestre.  On  remarquera 
que  tous  ces  chiffres  sont  ronds  et  ne  comportent  aucunes  fractions.  La  statis- 
tique est  toujours  une  belle  science. 

—  L'Orchestre  symphonique  de  Madrid  vient  de  publier  le  programme  des 
six  concerts  qu'il  va  donner  au  Théâtre-Royal,  sous  la  direction  de  M.  Enri- 
que-Fernandez  Arbos.  Comme  œuvres  de  résistance,  ce  programme  comprend 
trois  symphonies  de  Beethoven,  Scltéhérasade,  de  Rimsky-Korsakow,  la  sym- 
phonie en  ré  mineur  de  César  Franck,  le  Concerto  Brandebourgeois  de  Bach, 
Finlanda  de  Sibelius,  Mort  et  Transfiguration  de  Richard  Strauss,  avec  diverses 
productions  espagnoles  de  Villar,  Arregui  et  Lavina. 

—  Toute  une  série  de  zarzuelas  nouvelles  sur  les  diverses  scènes  de  Barce- 
lone. Au  Théâtre-Martin,  Emisa  la  comedianta,  deux  actes  et  quatre  tableaux, 
musique  accorte  et  légère  de  M.  Calleja,  dont  on  a  redemandé  plusieurs  mor- 
ceaux. Succès. —  A  l'Apollo,  el  Ccloso  extrcmeno,  adaptation  lyrique  d'une  nou- 
velle de  Cervantes,  musique  de  M.  Barrera,  dans  laquelle  on  a  distingué 
surtout  deux  morceaux  fort  agréables.  —  Et  à  la  Zarzuela,  Pepe  Botella,  deux 
actes,  paroles  de  M.  Ramos  Carrion,  musique  de  M.  Vives,  le  compositeur 
très  populaire.  L'œuvre  était  attendue  avec  impatience;  le  succès  n'a  pas 
répondu  à  cette  attente.  Poème  et  partition  ont  été  froidement  accueillis  ;  et 
on  a  remarqué  seulement,  pour  la  seconde,  quelques  airs  populaires  et  le 
prélude  du  second  acte,  écrit  sur  un  motif  attribué  au  roi  Joseph  Bonaparte. 


—  Nous  recevons  le  premier  numéro  d'un  nouveau  journal  spécial  qui  vient 
de  paraître  à  Barcelone  sous  le  titre  de  Musical  Emperium,  et  qui  se  publiera 
chaque  mois. 

—  La  musique  militaire  du  Royal  Artillery  de  Newcastle-nn-Tyne,  sous  la 
direction  de  M.  Robert  Smith,  vient  d'être  engagée  pour  une  tournée  de  six 
mois  en  Australie.  Cette  bande,  dont  les  solistes  sont  de  premier  ordre,  sles-t 
acquis  une  grande  réputation  en  donnant  des  concerts  dans  différentes  villes 
de.  l'Angleterre.  Avant  leur  départ  pour  l'Océanie,  les  musiciens  se  sont  fait 
entendre  au  Tyne-Theatre  avec  un  programme  comprenant  les  Scènes  pitto- 
resques de  Massenet,  l'ouverture  i'Obéron  et  celle  de  Tannhduser;  le  public 
leur  a  fait  un  accueil  enthousiaste. 

—  Une  association  d'Oxford  a  organisé  récemment  une  représentation  théâ- 
trale d'un  genre  particulier,  et  jusqu'ici  sans  doute  inédit.  C'est-à-dire  que 
tous  les  acteurs  étaient  des  sourds-muets,  et  aussi  les  spectateurs,  ce  qui 
complétait  l'originalité.  Les  quelques  personnes  douées  de  l'oreille  et  de  la 
parole  qui  assistaient  à.  cette  représentation  racontent  que  l'impression  était 
étrange  du  silence  de  cette  foule  qui  suivait  avec  une  attention  passionnée  les 
mouvements  et  jusqu'aux  jeux  de  physionomie  les  plus  délicats  et  les  plus 
imperceptibles  des  acteurs.  L'idée  d'un  spectacle  de  sourds-muets  surgit  évi- 
demment de  la  pantomime.  Mais  il  ne  s'agit  pas  ici  de  pantomimes,  mais  de. 
comédies  et  de  drames  véritables,  avec  de  longs  dialogues  développés  à  l'aide 
des  doigts  et  suivis  avec  une  tension  d'esprit  surprenante  par  des  spectateurs 
familiers  avec  ce  langage,  dont  ils  ne  perdent  pas  un  détail,  pas  une  particu- 
larité. La  représentation,  on  peut  le  constater,  obtint  un  énorme  succès.  Mais 
il  va  sans  dire  que  l'enthousiasme  des  spectateurs  ne  se  manifesta  pas,  comme 
nous  avons  coutume  de  le  faire,  avec  des  applaudissements  et  des  battements 
de  mains.  La  représentation  terminée,  tous  se  levèrent  d'un  seul  mouvement, 
et,  une  fois  debout,  agitèrent  longuement  les  bras  en  l'air  pour  témoigner 
ainsi  aux  acteurs,  leurs  camarades,  tout  le  plaisir  et  toute  la  satisfaction  qu'ils 
leur  avaient  fait  éprouver. 

—  La  troupe  du  Metropolitan  Opéra  Company  de  New- York  vient  de 
donner  à  Boston  une  «  grande  semaine  d'opéra  ».  Mme  Géraldine  Farrar  a 
obtenu  de  véritables  triomphes,  notamment  dans  Mignon,  dans  la  Bohème  et 
dans  Bon  Giovanni. 

—  Une  très  brillante  saison  de  concerts  vient  d'avoir  lieu,  à  Montréal 
(Canada),  où  le  public  a  acclamé  tour  à  tour,  avec  la  Symphonie  de  New- 
York,  le  jeune  violoncelliste  Jean  Gérardy,  le  pianiste  Pachmann,  M"ie  Nor- 
dica,  Mme  Marcella  Sembrich,  et  aussi  M.  Paderewsky,  dont  la  présence  a  été 
la  cause  d'une  sorte  de  scandale.  Il  va  sans  dire  que  le  célèbre  pianiste  a 
obtenu  le  succès  auquel  il  était  habitué.  Mais  justement,  la  foule  était  si  con- 
sidérable pour  l'entendre  que  le  manager,  M.  Veitch,  a  voulu  mettre  à  profit  la 
circonstance  en  exigeant  de  ceux-mèmes  qui  avaient  pris  leur  billet  d'avance 
un  supplément  d'entrée  d'un  dollar.  On  conçoit  les  réclamations  très  légi- 
times et  les  discussions  ardentes  provoquées  par  cette  façon  de  procéder.  Il 
en  est  résulté  un  tel  tumulte  dans  la  salle  que  le  virtuose  a  dû  s'interro  mpre 
pour  obtenir  enfin  le  silence  et  l'attention  des  auditeurs. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

Par  17  voix  contre  6  et  3  bulletins  blancs,  le  conseil  supérieur  du 
Conservatoire,  réuni  mardi  matin  au  sous-secrétariat  des  Beaux-Arts,  a  décidé 
de  supprimer,  à  la  fin  de  la  période  d'essai  décidée  en  1903,  c'est-à-dire  dans 
quelques  mois,  la  classe  de  harpe  chromatique. 

—  Lundi  prochain  nous  aurons  à  l'Opéra  une  belle  reprise  de  Thaïs,  pour 
les  débuts  de  Mlle  Mary  Garden.  On  sait  le  grand  succès  que  l'originale  artiste 
a  remporté  dans  cet  ouvrage  à  New-York.  A  Paris  elle  aura,  pour  Athanaél, 
le  même  partenaire  qu'elle  avait  trouvé  chez  les  Américains,  le  baryton v 
Renaud.  La  soirée  s'annonce  donc  exceptionnelle.  Le  vendredi  suivant1 
deuxième  représentation  de  cette  même  Thaïs. 

—  A  l'Opéra,  la  répétition  générale  à'BUppolyte  et  Aride  est  fixée-  au 
dimanche  10  Mai  et  la  première  représentation  au  mercredi  suivant. 

—  A  l'Opéra-Comique,  répétition  générale  de  Snegourotchka,  l'opéra  russe 
de  Rimsky-Korsakoff,  mercredi  prochain  6  Mai  ;  première  représentation  le 
vendredi    suivant. 

—  Spectacles  de  dimanche  à  l'Opéra-Comique  :  en  matinée  :  Werther  et 
les  Noces  de  Jeannette;  le  soir,  Lakmé  et  Gavalleria  rusticana.  Lundi,  en  repré- 
sentation populaire  à  prix  réduits  :  le  Cliemineau. 

—  La  lecture  des  catalogues  d'autographes  n'est  jamais  sans  quelque  utilité. 
Dans  l'un  des  plus  récents,  nous  trouvons  l'analyse  d'une  lettre  de  Choron, 
dont  1  École,  restée  justement  célèbre,  a  formé  un  grand  nombre  d'artistes 
parmi  lesquels  Duprez,  Rosine  Sloltz,  Hippolyte  Monpou,  Dietsch,  Scudo, 
Clara  Novello,  Mme  Hébert-Massy,  etc.  Dans  cette  lettre,  datée  du.  21  octo- 
bre 1908  et  adressée  à  Napoléon,  Choron  demandait  à  l'empereur  la  grâce  de 
lui  accorder  l'inspection  générale  de  l'Université.  Aux  états  de  service  qu'il 
invoquait  en  faveur  de  cette  demande  il  joignait  la  date  de  sa  naissance  : 
21  octobre  1771,  ce  qui  permet  d'opérer  une  rectification  à  la  notice  sur  Choroa 
de  la  Biographie  universelle,  des  musiciens  de  Fétis,  qui  indique  1772. 

—  Mme  Wanda  Landowska,  l'excellente  pianiste  au  jeu  si  fin  et  si  délicat, 
avait,  au  cours  d'une  tournée  récemment  faite  par  elle  en  Russie,  élé  invitée 
par  le  vieux  poète  Tolstoï  à  aller  passer  les  fêtes  de  Noël  auprès  de  lui,  dans 


LE  MENESTREL 


L4I 


son  ermitage  de  .Tasnaga-Poljana.  Ce  qu'on  ignore  assez  généralement,  c'est 
que  le  comte  Léon  Tolstoï  est  un  passionné  de  musique,  et  qu'il  en  fait  sou- 
vent lui-même.  M'"c  Landowska  ayant  l'ait  part  des  impressions  que  lui  avait 
laissées  cette  visite  a  une  rédactrice  d'une  publication  allemande,  Welt-Spiegel, 
M"10  Stéphanie  Goldenring,  celle-ci  les  reproduisit  dans  ce  journal,  auquel 
nous  empruntons  une  partie  du  récit  qu'elle  prête  à  l'aimable  artiste  : 

...  Le  comte  se  porte  bien.  Il  fait  chaque  jour  de  longues  promenades  ii  pied  ou  à 
cheval,  puis  lit  sa  nombreuse  correspondance.  A  midi  nous  nous  réunissions  pour  le 
repas.  Je  jouais  ensuite  pendant  une  heure  ou  une  heure  et  demie,  après  quoi 
Tolstoï  retournait  à  son  travail.  Après  diner,  vers  sept  heures,  je  recommençais  a 
jouer,  chaque  jour,  jusqu'à  onze  heures  et  demie  ou  minuit.  Tolstoï  s'entend  extra- 
ordinairoment  en  musique.  Encore  aujourd'hui  il  joue  souvent  tout  seul,  ou  à  quatre 
mains  avec  sa  Lille,  et  il  aime  spécialement  la  musique  classique.  Ses  compositeurs 
préférés  sont  Haydn  et  Mozart;  de  Beethoven  tout  ne  lui  plail  pas,  et  de  l'époque 
postérieure  à  Beethoven  son  auteur  favori  est  Chopin. 

La  musique  ancienne  de  Bach,  Haendel,  Couperin,  Rameau,  Scarlatti,  l'enflamme 
d'un  enthousiasme  extraordinaire.  «  C'est  incroyable,  dit-il,  que  de  pareils  joyaux 
restent  enfouis  dans  les  bibliothèques,  et  soient  si  peu  connus  môme  des  artistes, 
qui  exécutent  toujours  les  mêmes  œuvres.  Cette  musique  me  transporte  dans  un 
autre  monde,  je  ferme  les  yeux  et  il  me  semble  que  je  vis  dans  les  siècles  passés.  » 
Les  anciennes  danses  nationales  françaises  le  charment  aussi  tellement  que  je 
devais  lui  en  jouer  tous  les  jours.  La  musique  populaire  l'émeut  profondément. 
Lui-même  a  recueilli  en  son  temps  des  motifs  populaires  russes,  dont  il  envoyait  un 
certain  nombre  à  Tsohaïkowsky  avec  prière  de  les  transcrire  à  la  manière  de  Haendel 
et  de  Mozart,  non  à  celle  de  Schumann  ou  de  Berlioz. 

Quelquefois  je  lui  faisais  de  la  musique  pendant  cinq  heures  de  suite.  Je  craignais 
même  de  le  fatiguer  avec  tant  de  musique  ancienne;  mais  il  me  rassurait,  en  me 
disant  qu'au  contraire  cette  musique  tranquillisait  ses  nerfs,  tandis  qu'au  contraire 
la  musique  moderne  est  surtout  propre  à  exciter  le  système  nerveux.  Si  quelques- 
unes  des  œuvres  que  je  lui  faisais  entendre  ne  lui  plaisait  pas,  il  me  le  disait  d'une 
façon  délicate,  mais  décidée.  Et  chaque  morceau  entendu  était  par  lui  analysé  avec 
beaucoup  de  justesse  et  d'intérêt... 

—  On  a  soutenu  que  le  génie  était  une  forme  de  la  démence,  et,  à  l'appui 
de  cette  théorie,  on  a  parfois  cité  l'exemple  de  Schumann,  dont  toute  la  vie 
fut  troublée  de  désordres  cérébraux.  Le  docteur  Pascal,  dans  le  Journal  de 
Psychologie,  démontre  que  cet  exemple  n'est  rien  moins  que  concluant.  D'après 
les  biographes  de  l'illustre  musicien,  les  récits  de  sa  femme,  les  rapports  de 
ses  médecins,  le  procès-verbal  de  l'autopsie,  il  a  pu  reconnaître  toutes  les 
phases  des  maladies  de  Schumann  et  en  rétablir,  en  quelques  sorte,  le  dia- 
gnostic posthume.  Suivant  le  docteur  Pascal,  Schumann  aurait  été  atteint  de 
deux  affections  distinctes.  De  vingt-trois  à  quarante-deux  ans.  il  a  souffert 
d'une  psycho-névrose  constitutionnelle,  se  manifestant  par  des  crises  où  l'on 
a  vu,  à  tort,  les  signes  d'une  démence  précoce.  Ces  crises  d'exaltation  et 
d'abattement  sont  communes  à  toutes  les  maladies  nerveuses,  et  l'on  ne  trouve, 
pendant  cette  première  période,  aucun  symptôme  de  folie.  Les  facultés 
intellectuelles,  la  personnalité,  la  conscience  demeuraient  absolument 
intactes  ;  chacune  de  ces  crises  s'explique  historiquement  par  quelque  surme- 
nage, excès  de  travail  ou  de  vie  sentimentale.  Les  plus  graves  furent  causées 
par  le  Paradis  et  la  Péri,  Manfred,  Faust,  les  symphonies;  il  est  d'ailleurs  à 
remarquer  que,  pendant  la  durée  de  ces  crises,  Schumann  n'a  composé  aucun 
ouvrage;  il  a  écrit  tous  ses  chefs-d'œuvre  dans  des  périodes  de  santé,  et  cela 
même  va  contre  la  théorie  qui  veut  confondre  la  démence  avec  le  génie.  En 
1S50  apparaissent  des  symptômes  nouveaux,  embarras  de  la  parole,  hallucina- 
tions de  l'ouïe,  rictus  épileptiques,  affaiblissement  du  jugement,  délire.  Le 
malade  voit  des  anges,  des  démons  ;  il  se  sent  poursuivi  par  des  hyènes  ou  des 
tigres;  il  entend  un  lu  perpétuel;  tantôt  il  est  obsédé  par  la  peur  de  la  mort 
et  tantôt  par  l'idée  du  suicide;  il  se  croit  coupable,  il  s'accuse  de  crimes 
imaginaires  ;  par  horreur  de  lui-même,  il  se  jette  dans  le  Rhin.  On  le  sauve, 
on  l'enferme  dans  une  maison  de  santé  où  il  meurt  après  quatre  années  de 
déchéance  continue.  C'est  le  processus  ordinaire  de  la  paralysie  générale, 
maladie  absolument  distincte  de  la  première,  de  cette  psycho-névrose  qui  avait 
affligé  la  jeunesse  du  musicien.  Cette  fois,  c'est  la  vraie  folie.  Elle  commence 
en  1830,  et,  dès  qu'elle  commence,  Schumann  cesse  d'écrire.  Chez  lui  comme 
chez  le  Tasse,  Newton,  Volta,  Nietzsche  et  tant  d'autres,  le  génie  s'éteint  en 
même  temps  que  la  raison. 

•—  Programme  du  20"  et  dernier  concert  du  Conservatoire,  demain  diman- 
che : 

Symphonie  en  ut  mineur,  n"  3  (C.  Saint-Saëns).  —  Concerto  pour  violoncelle  (Ed. 
Laloi,  par  M.  André  Hekking.  —  Joseph,  iragments  (Méhul),  par  M.  R.  Plamondon. 
—  Scherzo  du  Songe  dkme  Nuit  d'Eté  (Mendelssohn).  —  Danse  polovtsienne  avec 
chœurs  du  Prince  Igor  (Borodine). 

—  La  Société  J.-S.  Bach  (salle  Gaveau),  clôturera  sa  saison  le  mercredi 
6  mai,  avec  un  superbe  programme  et  une  magnifique  interprétation. 

1"  Cantate  H'err  wie  du  willsl  (MM.  George  Walter  (de  Berlin)  et  Hans  Vaterhaus 
(de  Francfort)  ;  2»  Première  sonnle  pour  piano  et  violon  (MM.  Ed.  Risler  et  Jacques 
Thibaud);  5"  cinq  préludes  et  fugues  du  Clavecin  bien  tempère  (M.  E.  Risler);  4"  Clm- 
conne,  pour  violon  seul  (M.  Jacques  Thibaud);  5"  cantate  Sie  werden  ans  Sabn 
(MM.  Walter  et  Vaterhaus). 

Orchestre  et  chœurs  sous  la  direction  de  M.  Gustave  Bret.  Le  mardi  3  mai. 
à  quatre  heures,  répétition  publique. 

—  La  linale  du  concours  des  ténors  organisé  par  nos  confrères  Comœdia  et 
Musica  a  eu  lieu  mardi  après-midi  devant  un  jury  de  notabilités,  dans  la  salle 
de  l'Opéra-Comique,   obligeamment  mise  à  la  disposition  des  organisateurs 

Jiax_.iL -Albert  Carré.  La  liste  des  ténors  inscrits  pour  cette  épreuve  décisive 
ne  comprenait  pas  moins  de  vingt-cinq  noms.  «Tout  d'abord,  dit  judicieusement 


Nicolet  du  Gaulois,  il  faut  constater  qu'à  deux  ou  trois  exceptions  près,  forts 
ténors,  ténors  de  demi-caractère  ou  ténors  légers,  ont  été  très  intéressants  a 
entendre.  Il  y  a  évidemment  parmi  eux  beaucoup  d'organes  violents  a  l'émis- 
sion bruiale.  qui  ont  besoin  d'être  dégrossis,  polie  et  édnqués.  Il  y  eu  a 
d'autres  pour  lesquels  il  reste  bien  peu  de  chose  a  faire  pour  qu'ils  suient  en 
état  de  paraitre  sur  la  scène.»  Voici  les  récompenses  qui  ont  été  décernées  : 
M.  Falandry,  le  vainqueur,  âgé  de  vingt-doux  ans.  originaire  de  Montpellier, 
mi  il  exerce  la  profession  de  garçon  limonadier,  a  reçu  le  prix  de  1.000  francs 
offert  par  M.  Pierre  Ladite.  Aux  dix  suivants  :  MM.  Dominique  (Toulouse., 
Paul  Franz  (Paris),  Villeneuve  (Béziors),  Loubressac  (Pari-  .  Mario  d'ans  . 
Robert  Lassalle  (Paris),  Georges  Foy  (Hordeauxi,    Ani  Marthe 

(Bordeaux),  et  Accard  (Dijon),  des  médailles  de  vermeil  offertes  par  Comœdia 
et  Musica.  Un  diplôme  est  décerné  à  chacun  des  participants  à  l'épreuve 
finale.  L'éducation  du  vainqueur  sera  assurée  par  Musica,  pendant  deu 
auprès  d'un  professeur  éminent.  Ce  concours  de  ténors  non  professionnels  se 
renouvellera  tous  les  cinq  ans.  Il  sera  suivi,  l'année  prochaine,  d'un  concours 
de  contralti. 

—  Dimanche  dernier  on  a  posé,  à  Rodez,  la  première  pierre  du  musée  des 
Artistes  aveyronnais  que  la  ville  fait  construire,  sur  une  de  ses  places,  avec  le 
concours  du  sculpteur  Denys  Puech  el  de  la  cantatrice  Emma  Calvé,  qui  ont 
donné,  le  premier,  40.000  francs,  et  la  seconde,  20.000  francs.  Cette  cérémo- 
nie était  présidée  par  M.  Denys  Puech.  Elle  a  eu  lieu  en  présence  des  autori- 
tés locales,  de  plusieurs  personnages  politiques  et  de  nombreux  artistes.  Elle 
a  été  suivie  à  midi  d'un  grand  banquet.  Plusieurs  orateurs  ont  signalé  le 
réveil  de  l'art  dans  le  Rouergue  et  ont  constaté  que  M.  Puech,  Mm,:  Emma 
Calvé  et  d'autres  artistes  y  avaient  largement  contribué.  Cette  fête  s'est  termi- 
née par  une  soirée  de  gala  au  théâtre,  où  M™  Emma  Calvé  s'est  fait  entendre 
et  a  été  chaleureusement  applaudie.  Au  moment  où  la  fête  se  terminait,  le 
maire  a  annoncé  que  le  conseil  municipal  avait  décidé  de  donner  le  nom  de 
Denys  Puech  à  un  boulevard  et  celui  d'Emma  Calvé  à  une  place  de  la  ville. 

—  M.  Gaston  Bernheimer,  le  distingué  pianiste  et  compositeur,  vient  de  se 
faire  entendre  à  la  salle  Pleyel,  et  a  été  accueilli  par  le  nombreux  et  élégant 
public  avec  un  enthousiasme  très  légitime.  Son  jeu.  tout  de  charme,  de  sou- 
plesse et  de  virtuosité  a  séduit  le  public,  qui  a  chaleureusement  applaudi  le 
virtuose.  Le  programme,  du  plus  haut  intérêt  artistique,  comportait  plusieurs 
œuvres,  inconnues  à  Paris,  de  Théodore  Leschetitzky  et  des  pages  de 
M.  Bernheimer  lui-même. 

—  Salle  archicomble,  chez  Pleyel,  pour  la  séance  de  sonates  donnée  par 
M.  Pierre  Dostombes  et  public  très  artiste  attiré  sans  doute  aussi  par  la  pré- 
sence des  trois  auteurs.  MM.  Saint-Saéns,  Théodore  Dobois  et  (.'.h. -M.  Widor, 
jouant  chacun  leur  œuvre  avec  le  très  remarquable  violoncelliste.  Dire  qu'on  a 
acclamé  les  trois  maitres,  leur  brillant  interprète  et  leurs  œuvres  remarquables, 
semble  inutile.  Il  faut,  cependant,  noter  que  c'était  la  première  fois  que 
M.  Théodore  Dubois  se  produisait  en  public  comme  pianiste-exécutant  et. 
comme  il  était  facile  de  le  prévoir,  il  s'en  est  tiré  tout  à  son  honneur. 

—  M.  Clarence  E.  Shepard,  un  organiste  tout  à  fait  remarquable,  vient  de 
donner,  salle  Gaveau,  un  concert  qui  lui  a  valu  très  grand  succès  après  l'exé- 
cution de  diverses  pièces  de  Bach,  Mendelssohn,  Couperin  et  Haendel.  Miss 
Charlotte  Lund  a  fort  joliment  chanté  des  mélodies  modernes,  notamment 
Mai  deReynaldo  Hahn. 

—  Le  concert  donné  à  Villeneuve-sur-Lot.  à  l'occasion  du  Congrès  des 
Fédérations  mutualistes,  a  obtenu  le  plus  éclatant  succès.  Plus  de  deux  mille 
spectateurs  assistaient  à  cette  soirée.  M.  Fugère.  M"''  La  Palme  et  M.  Francell 
y  ont  fait  merveille.  M.  Fugère  a  été  incomparable,  comme  toujours,  dans  le 
Bonhomme  Jadis  el  ses  vieilles  chansons  ;  M.  Francell  et  M1K'  La  Palme,  dans 
le  Bonhomme  Jadis  et  Lakmé,  ont  été  vigoureusement  applaudis.  Le  public 
enthousiasmé  a  fait  des  ovations  à  tous  les  artistes. 

—  L'Opéra  de  Nice  vient  de  donner  la  première  représentation  d'un  drame 
lyrique  en  un  acte,  la  Marana,  dont  la  musique  est  due  à  un  jeune  composi- 
teur jusqu'ici  complètement  inconnu,  M.  Florencio  Odéro.  Ce  petit  ouvrage 
avait  pour  interprètes  Mmes  Charlotte  Wyns  et  Degeorgis,  MM.  Moore  et 
Sorrèze. 

—  De  Dijon  :  La  réputée  maîtrise  de  Sainte-Bénigne  (Société  Palestrina),  si 
habilement  dirigée  par  M.  l'abbé  Moissonet,  a  fait  entendre  le  jour  de  Pâques, 
en  première  audition  et  avec  succès,  le  Kyrie,  Gloria  et  Agnus  d'une  messe 
inédite  de  M.  Joseph  Baume.  Au  Salut,  on  a  donné  Surrexit  a  Mortuis  de 
M.  Widor,  Vivants  et  Glorieux  de  Haendel,  et  Tu  es  Petrus  de  M.  Th.  Dubois. 

—  A  propos  des  Concerts  Rosenthal  :  Moriz  Rosenthal  se  trouvant  légère- 
ment souffrant,  les  organisateurs  de  ses  concerts  ont  décidé  de  reculer  de 
quelques  jours  la  date  de  son  premier  récital.  Les  quatre  concerts  que  le  grand 
pianiste  doit  donner  à  la  salle  des  Agriculteurs  sont  donc  définitivement  fixés 
comme  suit  :  les  3.  9.  14  mai  en  soirée,  et  le  21  mai  en  matinée.  Les  porteurs 
de  billets  pour  le  concert  du  30  avril  devront  s'adresser  à  l'administration  des 
Concerts  Rosenthal.  maison  Moullé.  1,  rue  Blanche,  pour  l'échange  des  billets. 
Les  abonnés  aux  quatre  concerts  conserveront  leurs  billets  du  30  avril  ;  ces 
billets  seront  valables  pour  le  récital  du  -21  mai. 

—  M"10  Blanche  Marchesi,  la  remarquable  cantatrice,  qui  depuis  trop  long- 
temps déjà  n'a  pas  été  entendue  à  Paris,  voulant  répondre  aux  sollicitations 
des  nombreux  admirateurs  de  son  superbe  talent,   donnera  un  Récital  à  la 


1U 


LE  MENESTREL 


—  Les  dimanche  3  et  jeudi 
Orchestre  sous  la  direction  de  i 


Salle  Erard,  le  mardi  19  mai.  Nous  publierons  prochainement  le  programme 
de  cette  soirée  artistique. 

—  Parmi  les  musiciens  de  l'école  allemande  moderne,  Anton  Bruckner 
occupe  une  place  considérable.  Grâce  à  l'artistique  initiative  de  M.  Louis 
Hasselmans,  dont  le  talent  et  l'autorité  de  kapellmeister  se  sont  déjà  si 
incontestablement  affirmés,  la  «  Huitième  Symphonie  »  du  maître  viennois 
sera  exécutée,  pour  la  première  fois  en  France,  au  concert  qui  aura  lieu  salle 
Gaveau.  à  trois  heures,  le  jeudi  14  mai,  avec  le  concours  des  .  Concerts- 
Lamoureux.  Le  programme  de  cette  très  intéressante  séance  comporte,  en 
outre,  la-  Procession  nocturne,  de, H.  Rabaud,  les  «  Chants  d'épreuve  »  des 
Maîtres  chanteurs,  de  Richard  Wagner,  interprétés  par  M.  Emile  Cazeneuve, 
l'Après-midi  d'un  Faune  de  C.  Debussy  et  Catalonia  de  I.  Albeniz. 

—  Les  jeudi  7  et  14  mai,  au  Trocadéro,  concerts  de  M.  Sarasate  et  de 
Mme  Berthe  Max-Goldschmidt. 

mai.  à  la  salle  Gaveau,  Concerts  Ysaye. 
Colonne  et  Jacques  Thibaud. 

—  M.  J.  Bilevski,  le  jeune  et  déjà  renommé  violoniste,  annonce  pour  le 
5  mai,  à  la  salle  Erard,  un  concert  au  cours  duquel  il  fera  entendre  les 
concertos  pour  violon  et  accompagnement  de  double  quintette  de  Bach  et  de 
Lalo,  la  belle  sonate  pour  violon  et  piano  de  Widor,  accompagnée  par 
l'auteur,  les  Airs  russes  de  Wieniawski  et  la  Berceuse  pour  un  soir  d'automne 
d'Ernest  Jloret. 

—  Le  samedi  9  mai  prochain,  à  9  heures  du  soir,  le  «  Maennerchor  »  de 
Zurich  donnera,  avec  le  concours  de  l'orchestre  Lamoureux,  un  grand  concert 
au  Trocadéro  en  faveur  d'ceuvres  de  bienfaisance.  Cette  société,  composée  de 
chanteurs  de  premier  ordre,  présente  un  intérêt  tout  particulier  non  seule- 
ment au  point  dé  vue  artistique  mais  encore  au  point  de  vue  de  l'enseigne- 
ment populaire  du  chant,  aujourd'hui  de  pleine  actualité,  et  de  l'éducation 
musicale  telle  qu'elle  est  pratiquée  en  Suisse.  Elle  fut,  en  effet,  fondée  par 
Naegeli,  l'initiateur  du  chœur  d'hommes  à  quatre  voix,  qui  est  cultivé  surtout 
en  Allemagne,  en  Autriche  et  en  Suisse.  Wagner  en  fit  partie,  comme 
membre  honoraire,  lors  de  son  séjour  à  Zurich.  Pour  la  première  fois  le 
Maennerchor  de  Zurich,  qui  jouit  à  l'étranger  d'une  grande  réputation,  se  fera 
entendre  en  France.  On  peut  se  procurer  des  billets  jusqu'au  8  mai  chez 
M.   Ernest  Relier,  3.  Cité  d'Hauteville  et  le  9  mai  au  Trocadéro. 

—  Soirées  et  Concerts. —  A  la  deuxième  séance  de  sonates  donnée  salle  Erard,  par 
M.  et  M"'  E.  Loiseau,  très  bonne  exécution  de  la  sonate  pour  violoncelle  et  piano 
de  Théodore  Dubois  par  M"  Loiseau  et  M.  Fournier.  On  a  fait  un  chaleureux 
accueil  à  l'œuvre  et  à  ses  interprètes.  —  A  Reims,  charmante  audition  des  élèves  de 
M"  A.  de  Beaujeu.  On  applaudit  M""  M.,  B.  et  M"' C.  {Avril,  Lefebvre),  M-  B., 
M"'  B.  (duo  du  Roi  d'Ys,  LalO!,  M™  M.  (air  de  Cendrillon,  Masseneti    et  M"'  C. 


(Mehuef  d  Exaitdét,  Wekerlin).  —  M"1  Blanche  Huguet  a  donné  salle  Pleyel  un  inté- 
ressant concert  au  cours  duquel  elle  s'est  fait  vivement  applaudir  dans  Voie  laclée, 
Dormir  et  river,  Désir  d'Avril,  de  Théodore  Dubois,  que  l'auteur  lui  accompagnait. 
Gros  succès  aussi  pour  le  trio  de  la  G«;to  de  l'Emir,  chanté  par  M"°  Huguet  et 
MM.  Moncla  et  Seguy,  et  pour  Promenade  sentimentale,  du  même  maître,  trio  pour 
violon,  violoncelle  et  piano,  fort  joliment  exécuté  par  M.  F.  de  la  Haulle,  M""  Dienne 
et  M.  Masson.  —  M™  Marquet  vient  de  faire  entendre  ses  nombreuses  élèves  en  deux 
séances  données  à  Nevers  et  à  Bourges  et  devant,  comme  toujours,  un  public'd'élite 
qui  a  fait  fête  au  vaillant  et  renommé  professeur.  Parmi  les  élèves  qu'il  convient  de 
citer  particulièrement,  nommons  M""  de  S.  V.  (air  du  Sommeil  de  Psyché,  A.  Thomas), 
R.  (Par  le  Sentier,  Dubois'i,  P.  («  Se  Consoler  »,  de  Jean  de  Nivelle,  Delibes),  d-'A.  [Si 
mes  vers  avaient  des  ailes,  Hahni,  de  S.  V.  {Elégie,  Massenet),  R.  (Stella,  Faurej, 
Mmt  B.  («  Pleurez  mes  yeux  »  du  Cid,  Massenet),  M"  M.  G.  («  Jours  de  Juin  »  de 
Thérèse,  Massenet),  M""  M.  (Pitclwunelte,  Massenet),  P.  (air  de  Psyché,  A.  Thomas), 
T.  (air.de  Thérèse,  Massenet),  de  G.  (air  d'Eunoé  (l'Ariane,  Massenet),  M.  de  V.  lair 
d'Hérode  d'Hérodiade,  Massenet),  M11"  P.  (Mai,  Hahn),  R.  (L'Heure  exquise,  Hahni, 
B.  (air  du  Roi  de  Lahore,  Massenet),  D.  (Stella,  Faurei,  et  M""  G.  et  M.  de  V.  (duo 
d'Hamlet,  A.  Thomas).  —  A  la  sixième  séance  de  musique  ancienne  et  moderne  pour 
harpe,  salle  Pleyel,  il™  Brun-Fontaneau,  MM.  JolTroy  et  Brun  ont  délicieusement 
joué  le  Terzettino  de  Th.  Dubois,  pour  harpe,  llùte  et  alto,  et  Mm0  Brun-Fontaneau, 
MM.  "Wollf,  JolTroy  et  un  charmant  quatuor,  sous  la  direction  de  l'auteur,  n'ont  pas 
eu  moins  de  succès  avec  la  Fantaisie  pour  harpe  et  orchestre  du  même  compositeur. 

NÉCROLOGIE 

Le  7  avril  dernier,  est  mort,'à  l'âge  de  33  ans,  Georges -Frédéric  Cawthorne, 
organiste,  pianiste,  compositeur  et  professeur  à  Sheffield. 

—  De  Turin  on  annonce  la  mort,  le  12  mars,  du  compositeur  Gaetano 
Foschini,  qui  fut  aussi,  en  son  temps,  un  chef  d'orcheslrc  exercé.  Né  à 
Po'esella  le  25  Août  1836,  il  fut  d'abord  élève  de  son  père,  puis  de  Domenico 
I-'oroni.  A  la  niort  de  son  père,  il  lui  succéda  comme  organiste  du  dôme  de 
Cologna  Yeneta  (1850),  et  quelques  années  après  entreprit  la  carrière  de  chef 
d'orchestre,  qui  le  conduisit  à  Gonstantinople,  où  il  fit  représenter,  en  1864, 
un  opéra  intitulé  Giorgo  il  baniito.  En  1873  il  était  nommé  directeur  de  l'Ecole 
de  musique  d'Asti,  et  en  1S89  il  devenait  professeur  d'harmonie  et  de  contre- 
point au  Lycée  musical  de  Turin,  qu'il  ne  quitta  qu'en  1900.  Outre  un  certain 
nombre  de  compositions  :  pièces  d'orchestre  et  de  piano,  morceaux  religieux, 
etc.,  cet  artiste  a  écrit  un  ouvrage  didactique  très  important  :  Traité  raisonné 
de  li  Théorie  et  de  la  Pratique  de  l'Harmonie,  en  trois  volumes,  dont  le  succès 
fut  considérable. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


Vient  de  paraître  chez  Dujarric  et  G" 
d'Amv  Fav,  traluction  française  de  M" 


:  Lettres  intimes  d'une  musicienne 
B.  Sourdillon. 


EN   VENTE,   AU    MÉNESTREL,   i  bis,   RUE    VIVIENNE,    HEUGEL    et    C",   ÉDITEURS  —  Propriété  pour  tous  pays 


Pièces   Enfantines 

POUR    PIANO 

PREMIÈRE     SÉRIE  DEUXIÈME    SÉRIE 

(Du   très  facile  au  facile.)    (Du  facile  à  la  moyenne  difficulté.) 


MES  POUPÉES 

MES   JOUETS 

1. 

Bébé  poupart. 

11. 

Polichinelle. 

2. 

Bébé  jumeau. 

12. 

Tambour  et  trompette. 

3. 

Bébé  maillot. 

13. 

Jeu  de  massacre. 

4. 

Bébé  baby. 

14. 

Lanterne  magique. 

S. 

Bébé  marcheur. 

15. 

Boite  à  musique. 

6. 

Poupée  dormeuse. 

16. 

Le  chemin  de  fer 

7. 

Poupée  valsante. 

17. 

Jeu  de  grâce. 

8. 

Poupée  nageuse. 

1S. 

Guignol. 

9. 

Poupée  parlante. 

19. 

Le  volant. 

10 

Ponpée  merveilleuse. 

20. 

Le  diabolo. 

ED.    MALHERBE 

Chaque  numéro.    .    .   net    1  franc. 
Chaque  série.    .    .   net    3  francs.  —  Les  deux  séries  réunies.    .   net    8  francs 

Ch. -M.    WIDOR 

LA  NUIT  DE  WALPURGIS 

Partition  d'orchestre Prix  net    30  francs. 

Parties  séparées  d'orchestre —  50    — 

Chaque  partie  supplémentaire —  3     — 

En  préparation  :  Transcription  pour  deux  pianos. 


iDYliliES  ET  C^AflSO^S 

Sur  des  poèmes  de  GABRIEL  VICAIRE 

Prix  nel. 

I .  Robin  et  Marion 3    » 

II.  La  Chanson  des  Regrets 3     » 

III.  Au  bois  de  l'amour 1  50 

IV.  La  belle  morte 1  «0 

V .  Adieu  la  rose 1     » 

VI.  Petite  Marie 2  SO 

Le  recueil ....  Prix  net    6  francs 

Musique  do 

E.   JAQUES-DALCROZE 


GABRIEL  DUPONT 


LE  CHANT  DE  LA  DESTINÉE 

Partition  d'orchestre Nel    10     » 

Parties  séparées  d'orchestre Net    15    » 

Chaque  partie  supplémentaire Nel      1  50 


VERSION  POUR  PIANO.   .   Prix  net    4 


EN  PRÉPARATION:  Transcription  pour  deux  pianos 


IMPRMIEIUE   CE\TRA 


mu.  —  74e  A.WÉE.  -  Y  19. 


PARAIT  TOUS   LES   SAMEDIS  Samedi  9  Mai  1908. 

(Les  Bureaux,  2"",  rue  Vivienne,  Paris,  ii'arr>) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


ENESTREL 


lie  flaméro  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


E 


lie  Numéro  :  0  fp.  30 


Adresser  franco  à  M.  Hbnbi  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francB,  Paris  et  Province.  — Texte  ot  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, 20  fr., Paria  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sna. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (20"  article),  Julien  Tieusot.  —  II.  Bulletin  théâtral  : 
première  représentation  de  Madame  Gribouille,  au  Palais-Royal,  P.-É.  C.  —  III.  La 
Musique  et  le  Théâtre  aux  Salons  du  Grand-Palais  (4' article),  Camille  Le  Senne.  — 
IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
ROSE  DE  FRANCE 
scherzetlo  extrait  du  ballet  le  Mariage  d'une  rose  de  Rodolphe  Berger.  —  Sui- 
vra   immédiatement   une   Gavotte    de   Haendel,    transcrite  pour   piano   par 

A.  PÉRILHOU. 


MUSIQUE   DE  CHANT 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
Petits  oiseaux,  romance  extraite  du  Chevalier  d'Éon,  la  nouvelle  opérette  de 
Rodolphe  Berger.  —  Suivra  immédiatement  :  Étoile  filante,  n°  2  des  Cloches 
dit  souvenir,  de  Raoul  Pugno.  poésies  de  Maurice  Vaucaire.       .    . 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 


CHAPITRE  V 


OLTJCK     A.    VIENNE 

Jusqu'alors  Gluck  n'avait  donné  à  Vienne,  comme  ouvrage 
nouveau,  que  Semiramide  rieonosciuta.  Il  était  temps  qu'il  affir- 
mât sa  direction  par  une  production  inédite  :  il  fit  représenter 
i'fnnnocensa  jt/stificata  (S  décembre  17oo). 

Ce  n'était  qu'un  acte,  destiné  surtout,  semble-t-il,  à  faire 
briller  la  Gabrielli.  Nous  avons  déjà  entrevu  cette  virtuose  célè- 
bre aux  fêtes  de  Schlosshof.  Vingt-cinq  ans  plus  tard,  Mozart 
parlera  longuement  d'elle  dans  une  lettre,  non  sans  tempérer 
les  louanges  qu'il  lui  décerne  par  quelques  réserves  assez 
sérieuses  : 

«  Quiconque  a  entendu  la  Gabrielli  dit  et  dira  toujours  qu'elle 
n'était  qu'une  chanteuse  de  traits  et  de  roulades.  Elle  méritait 
l'admiration  par  la  manière  très  particulière  dont  elle  rendait 
la  musique,  mais  cetle  admiration  ne  durait  pas  au  delà  de  la 
quatrième  audition  :  elle  ne  pouvait  pas  plaire  à  la  longue,  car 
on  est  vite  fatigué  des  roulades.  Elle  avait  le  malheur  de  ne 
savoir  pas  chanter  ;  elle  n'était  pas  en  état  de  savoir  filer  un 
son  convenablement  d'un  bout    à  l'autre  ;  elle  n'avait  pas  de 


messa  di  voce,  elle  ne  savait  pas  soutenir  la  voix,  en  un  mot, 
elle  chantait  avec  art,  mais  sans  intelligence  »  (1). 

Pour  satisfaire  cette  chanteuse  à  mécanique  perfectionnée, 
Gluck  dut  combiner  une  suite  d'airs  dosés  d'après  les  propor- 
tions suivantes  :  sur  dix  morceaux  que  contient  la  partition,  la 
Gabrielli  en  avait  cinq,  dont  un  duo  ;  le  castrat  lui  donnait  la 
réplique  dans  le  duo,  et  chantait  deux  airs;  les  trois  airs 
restants  étaient  le  partage  des  deux  autres  chanteurs  :  ainsi 
le  voulait  la  hiérarchie.  Quant  au  poème,  c'était  encore  un  de 
ces  composés  hétérogènes  de  strophes  lyriques  empruntées  à 
Métastase  pour  les  airs,  et,  pour  les  récitatifs,  d'un  dialogue  sans 
aucun  rapport  avec  l'autre  élément.  Il  était  écrit  que  Gluck  ne 
pourrait  sortir  sans  un  effort  considérable  de  ces  errements  de 
l'opéra  italien,  «  contre  lesquels  réclament  le  bon  sens  et  la 
raison  »,  grondait-il  à  part  soi,  avant  de  le  déclarer  ouver- 
tement dans  la  préface  d'Alceste. 

Et  pourtant,  malgré  tant  de  circonstances  défavorables,  nous 
allons  surprendre  en  quelques  endroits  les  premiers  symptômes, 
obscurément  manifestés,  d'une  tendance  nouvelle. 

V limocenza  justijicala  (2),  c'est  la  Vestale,  une  vestale  qui  n'a 
pas  commis  la  faute.  Malgré  toutes  les  atténuations,  la  situation 
fondamentale  reste  tragique  et  passionnée.  Or,  que  trouvons- 
nous  dans  les  dernières  scènes  de  l'opéra,  après  que  nous 
avons  subi  l'enfilade  obligatoire  d'airs  selon  la  formule  ?  Des 
chœurs  !  Des  chœurs  mêlés  à  l'action  !  Le  peuple  a  envahi  le 
temple,  il  réclame  le  châtiment  de  l'infidèle,  et  il  chante  ses 
menaces,  sa  colère  !  La  prétresse  lui  répond,  non  par  un  air  à 
roulades,  mais  par  une  prière,  —  Preghiera,  dit  en  propres  termes 
la  partition,  —  et  son  invocation  à  la  Casta  diva  est  un  Cantabile 
du  plus  beau  style  expressif,  dont  la  convenance  dramatique  est 
d'autant  plus  remarquable  que  le  chant  est  interrompu  par 
l'action  avant  d'avoir  atteint  la  cadence  finale  :  procédé  fort 
usité  aujourd'hui,  mais  dont  je  crois  bien  avoir  trouvé  là  le  pre- 
mier exemple.  Le  peuple  répond  encore  par  un  chant  de  grâces. 
La  musique  des  chœurs  n'est  pas  bonne  ;  mais  il  n'importe  : 
voilà  pour  la  première  fois  une  volonté  nettement  manifestée, 
celle  de  faire  de  l'opéra  autre  chose  qu'un  concert  en  costumes, 
et  des  morceaux  de  chant  autre  chose  que  des  sonates  vocales. 
C'est  à  cela  que  Gluck  s'emploiera  désormais  avec  une  ténacité 
qui  devra  trop  souvent  encore  céder  devant  les  obstacles.  En 
tout  cas,  notons  la  date  :  celle  du  jour  où,  pour  la  première 
fois,  nous  le  voyons  entrer  dans  la  voie  d'une  réforme  qu'il 
saura  bien  finir  par  imposer. 


(1)  Lettres    de  Mozart,   trad.  de  CunzON,  p.    17S.   II   faut  remsrquer  que   l'extrait 
ci-dessus  fait  partie  d'un  parallèle  entre  la  virtuose  vieillie  et  Aloysia  v\ 

Mozirt  était  fort  amoureux:  cetle  considération  pourrait  ùler  quelque  ■ 
critiques. 

(2)  La  Bibliothèque  du  Conservatoire  de  Paris  possède  une  partition  ancienne  de 
l'Innocenta  justifi  ala. 


146 


LE  MÉNESTREL 


Voici,    pour  donner  une  idée  du  beau  style  classique   de  ce 
chant,  l'exposition  de  la  prière  de  la   Yestale  gluckiste.   Elle 


semble  d'une  forme  et  d'un  accent  tout  modernes  en  comparai- 
son des  productions  qui  lui  sont  contemporaines. 


CLAUDIA 


Notons  deux  particularités  clans  d'autres  parties  de  la  même 
œuvre.  L'invocation  de  la  vestale  :  «  Fiamma  ignola  »  est  le 
deuxième  état  de  l'air  :  «  Presso  l'onda  $  Adhérante  »,  que  nous 
avons  déjà  trouvé  dans  Ticjrane,  et  qui  prendra  dans  Armide 
sa  forme  définitive  :  «  Yenez,  venez,  haine  implacable  !  »  Les 
dessous,  surchargés  de  notes  dans  l'opéra  de  1743,  sont  ici  déjà 
éclaircis. 

Dans  un  autre  air,  il  y  a  un  dessin  dont  le  long  déroulement 
nous  est  bien  connu  :  l'orchestre  le  fait  entendre  dans  la  ritour- 
nelle, et,  après  lui,  la  voix  le  répète.  Le  voici  : 


C'est  une  des  inflexions  mélodiques  les  plus  heureuses  de 
l'air  du  sommeil  de  Renaud,  dans  Armide  déjà  nommée.  Gluck 
savait  reprendre  son  bien  où  il  le  trouvait,  et  c'était  toujours 
dans  de  bons  endroits. 

Aussitôt  après  qu'il  eût  donné  YInnocenza  juslifcala,  Gluck  se 
rendit  pour  la  troisième  fois  en  Italie,  où  il  eut  à  composer 
l'opéra  pour  le  carnaval  de  Rome.  Ce  nouvel  ouvrage  fut 
Antigono,  sur  un  poème  de  Métastase,  dont  la  première  repré- 
sentation eut  lieu  au  Théâtre  Argentina  le  9  février  1756. 

S'il  est  vrai,  comme  il  nous  l'a  dit,  que  Gluck  se  conformait 
au  goût  des  nations  en  écrivant  dans  le  style  qui  convenait  à 
chacune,  il  faut  conclure  que  le  goût  des  Romains  était  fort 
mauvais,  car  Antigono  (1)  est  assurément,  entre  toutes  les  parti- 
tions de  Gluck  qu'il  m'a  été  donné  de  lire,  celle   qui  révèle  la 

(1)  La  Bibliothèque  du  Conservatoire  de  Paris  possède  un  exemplaire  manuscrit 
(ancien)  $  Antigono, 


moindre  préoccupation  d'art.  Une  ouverture,  avec  de  gros  éclats 
de  trompettes,  vingt  et  un  airs  d'un  style  poncif,  tous  à  reprises, 
une  marche  et  un  ensemble  final,  voilà  tout  cet  opéra,  où  il  est 
impossible  de  retrouver  trace  des  nobles  efforts  commencés 
par  ailleurs.  Le  milieu,  sans  doute,  ne  les  eût  pas  permis. 

Parmi  les  anomalies  déjà  signalées  comme  traits  de  moeurs 
dans  l'opéra  italien,  en  voici  une  que  nous  n'avions  pas  encore 
vu  se  produire  avec  une  pareille  effronterie.  Parfois  (rarement), 
dans  les  premiers  opéras  de  Gluck,  nous  avons  pu  constater 
que  des  rôles  d'hommes,  écrits  pour  voix  de  soprano,  eurent 
des  femmes  pour  titulaires  (Agata  Elmi  :  Cherinto  de  Demofoonte  ; 
Rosalia  Andrejdes  :  Massinissa  de  Sofonisba:  Mad.  Frasi  :  Briarée 
de  la  Caduta  di"  Giganti;  Regina  Mingotti  même  :  Hercule  des 
Nosze  d'Ercole  e  d'Ebe).  Cette  pratique  efféminée,  pour  laquelle 
la  grâce  du  travesti  est  la  seule  excuse,  n'est  point  encore 
abolie  aujourd'hui,  surtout  dans  l'opérette.  Mais  que  dire  de 
cette  autre,  qui  consistait  à  donner  des  rôles  de  femmes,  de 
grandes  amoureuses  d'opéra,  à  des  hommes,  ou,  pour  parler 
plus  congrument,  à  des  castrats  ?  L: 'Antigono  de  Gluck  nous  en 
apporte  un  double  témoignage  :  Bérénice  y  était  chantée  par 
«  Gio.  Belardi,  virtuoso  di  caméra  di  S.  A.  S.  E.  di  Baviera  »,  et 
Ismène  par  «  Vicenzo  Caselli  »  (1).  La  consigne  de  cet  opéra 
romain  était  évidemment  :  «  Pas  de  femmes!  »,  car,  sur  six 
rôles,  dont  cinq  sont  écrits  dans  la  tessiture  de  soprano  ou  con- 
tralto (un  seul  est  pour  ténor),  aucun  n'était  tenu  par  une  per- 
sonne du  beau  sexe.  Cela  eût  probablement  offusqué  la  mo- 
rale..- (2). 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


(1)  Voy.  Wotquesse,  Catalogue  de  Gluck,  p.  198. 

(2)  L'usage  de  confier  les  rôles  féminins  aux  castrats  était  à  peine  exceptionnel 
dans  l'opéra  italien.  Le  Théâtre  à  la  mode  le  raillait  en  ces  termes  :  «  Si  le  virtuose  a 
l'habitude  de  jouer  des  rôles  de  femme,  il  portera  toujours  un  corset  et  aura  sur  lui 
des  mouches,  du  fard,  un  miroir,  et  se  fera  la  barbe  deux  fois  par  jour.  »  Traduction 
E.  David,  p.  82. 


LE  MENESTREL 


IAT> 


BULLETIN    THÉÂTRAL 


Palais-Royal.  —  Madame  Gribouille,  comédie-vaudeville  en  trois  actes, 
de  MM.  Abel  Tarride  et  A.  Cheuevière. 

Pour  empêcher  Honore  Dignei'eu.v,  qu'elle  enchante  de  ses  faveurs, 
de  devenir  ridicule  en  suite  d'une  faute  probable  de  madame  son  épouse, 
Gilberte  Boulard  11'hésile  pas  à  se  sacrifier  en  accaparant  à  son  profit  le 
jeune  et  papillotant  Lucien  Fonlal.  L'honneur  conjugal  de  1)i,liu-ivii\ 
est  sauf,  mais  son  honneur  extra-conjugal  est  très  sérieusement  mis  à 
mal  et  le  ridicule  n'en  est  que  plus  notoire,  ce  à  quoi  n'avait  pas  songé  la 
petite  Madame  Gribouille.  Or  Gilberte  ne  peut  vivre  aux  côtés  d'un  homme 
trompé  par  elle  sans  être  prise  d'immenses  fous  rires  ;  c'est  pour  cela 
qu'elle  quitta  naguère  le  gros  M.  Boulard  pour  s'attacher  à  la  destinée 
du  long  M.  Digncreux,  et  c'est  pourquoi  elle  rendra  ce  Dignereux  à  sa 
femme  pour  essayer  de  faire  le  bonheur  de  Fontal.  Il  y  a  gros  à  parier, 
bien  que  les  auteurs  ne  nous  le  disent  pas.  pour  qu'avant  peu  la  sen- 
sible et  nerveuse  personne  ne  puisse  regarder  sans  rire  le  dernier  élu... 
Alors  vous  pensez  ce  qui  arrivera. 

Madame  Gribouille,  qui  se  recommande  par  une  tenue  fort  agréable 
et  dans  l'invention  et  dans  le  dialogue,  a  paru  un  peu  calme  aux  habi- 
tués du  Palais-Royal.  M"os  Yahne  et  Dolley,  artistes  de  finesse,  n'ont 
pu  qu'accentuer  le  coté  «  comédie  »  de  l'affaire.  M.  Le  Gallo,  très  en 
dehors,  avec  MllE  Corciade.  MM.  Coquet.  Rablet,  Reschal  et  Diamand 
forment,  par  ailleurs,  un  ensemble  comique  honorable. 

P.-É.  C. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THÉÂTRE 

€t"«.3K.     Salons     du     Grand-Palai: 


(Quatrième  article) 

Il  n'apparait  pas  que  la  peinture  ait  tiré  grand  profit  du  voisinage  de 
la  littérature  dans  l'intimité  des  cénacles  constitués  un  peu  partout  en 
ces  premières  années  du  vingtième  siècle.  Les  bonnes  volontés  étaient 
réciproques,  mais  les  deux  arts  sont  restés  isolés  et  même  à  des  plans 
très  distants.  En  revanche  deux  formes  spéciales  de  la  peinture  et  de  la 
musique,  l'impressionnisme  et  la  symphonie,  auront  presque  fusionné 
au  cours  de  la  même  période.  L'impressionnisme  pictural  appliqué  au 
rendu  des  grands  effets  architecturaux  et  décoratifs  s'était  longtemps 
réduit  à  des  notations  documentaires  patiemment  réunies,  sommaire- 
ment juxtaposées.  Nos  impressionnistes  actuels  ont  accompli  un  pro- 
grès décisif  en  empruntant  à  la  composition  musicale  ses  procédés  les 
plus  subtils,  combinaisons  de  nuances,  recherches  d'accords,  plénitude 
d'harmonie. 

Considérés  à  ce  point  de  vue  de  la  pénétration  réciproque  des  arts 
fraternels,  les  grands  ensembles  décoratifs  de  M.  Le  Sidaner  sont  essen- 
tiellement musicaux.  Qu'il  évoque  les  jardins  mélancoliques  et  les 
vieilles  façades  de  Hampton-Court —  qui  seraient  le  merveilleux  décor 
d'un  drame  lyrique  sur  un  livret  de  Maeterlinck,  —  le  jardin  du  vivier, 
la  cour  de  la  Fontaine,  le  Palais,  la  Balustrade,  dans  leur  pénombre 
chaudement  colorée  ou  sous  uue  couche  de  givre,  ce  sont  de  véritables 
symphonies  qu'il  réalise.  De  même  il  fait  musicalement  vibrer  l'at- 
mosphère autour  de  Saint-Paul  dont  11  transforme  les  lignes  précises 
en  architectures  de  rêve,  et  les  dimensions  restreintes  de  ces  tableaux 
donnent  l'impression  troublante  d'une  sorle  de  quintessence  d'infini. 
M.  Maurice  Lobre  obtient  les  mômes  effets,  avec  plus  de  simplicité 
mais  un  égal  souci  de  l'accord  mélodique,  dans  ces  admirables  inté- 
rieurs d'églises  :  Verrière  de  Saint-Louis,  dite  Rose  de  France,  cha- 
pelles de  la  cathédrale  de  Chartres  aux  fines  ogives,  chapelle  du  châ- 
teau de  Versailles.  Il  y  fait  chanter  les  vitraux  qui  donnent  toute  la 
gamme  des  rouges,  des  violets,  des  verts  tendres,  des  jaunes  safraués 
et  les  lignes  pures  des  arabesques  architecturales  sont  autant  de  thèmes 
lyriquement  développés. 

Symphonie  encore  la  Cérémonie  religieuse  à  Assise  qui  datera  dans 
l'œuvre  déjà  considérable  de  M.  Lucien  Simon  comme  composition  fas- 
tueuse bien  plutôt  que  comme  réunion  de  figures  animées.  Les  person- 
nages sont  pourtant  nombreux  :  archidiacre,  prêtres,  jeunes  sémina- 
ristes semblables  à  des  collégiens  ensoutanés;  mais  les  corps  paraissent 
modelés  sommairement,  les  faces  machurées.  II  n'y  a  de  parfaitement 
rendu  —  c'est  d'ailleurs  le  comble  de  l'art  —  que  l'harmonieux  et 


somptueux  accord  des  colonnes  de  marbre  rose,  du  dais  de  velours 
d'une  pourpre  profonde,  des  lourdes  orfèvreries  de  l'autel,  de  la  chape 
d'or  de  l'officiant  el  des  moires  blanches  à  bordures  d'or  que  portent  les 
acolytes,  sans  oublier  les  dessous  mystérieux  d'une  pénombre  brouillée 
de  reflets  où  les  flammes  des  cierges  tremblen  -   larmes  ar- 

dentes. 

Mentionnons  encore,  —  hors  série,  mais  les  œuvres  sont  appan 

par  leur  tendance,  —  les  envois  de  M""  Suzanm    I  aj -Grassot  et  de 

M.  Burnand.  Ne  retrouve-t-on  pas  un  peu  de  la  filiation  morale  de  la 
touchante  grand'maman  de  la  Robe  rougee\  di  la  Cota  e  du  flan 
dans  le  triptyque  exposé  par  l'artiste  qui  porte  son  nom  .'  Le  titre  est 
humanitaire  :  Fraternité,  mais  une  exécution  sobre  el  des  détails  d'une 
réelle  finesse  commentent  la  légende  o  les  fortunés  s'honon 
rir  les  indigents  ».  Quant  à  M.  Burnand,  on  a  réservé  une  salle  au 
premier  étage,. sous  le  pourtour  de  la  coupole  aux  compositions  d'un 
beau  caractère  où  il  commente  les  paraboles,  qui  rayonnent  autour  de 
l'évangélique  «  aimez-vous  les  uns  les  autres  »  comme  les  comparti- 
ments mystiques  d'une  rosace  de  verrière.  Les  vm-s  de  \ 
M.  Guirand  de  Scévola,  parterre  d'eau,  parterre  du  nord,  sur  la  ter- 
rasse et  surtout  l'Heure  dorée,  d'un  ton  d'ambre  fondue,  rentrent  dans 
la  série  des  ensembles  décoratifs  très  harmonisés  dont  je  parlais  tout  à 
l'heure,  ainsi  que  les  vues  d'antiques  chàtellen  es  de  M.  Marius  Michel. 
A  signaler  un  diptyque —  ils  sont  aussi  rares  que  les  triptyques  se 
montrent  indiscrètement  foisonnants  —  le  Matin  et  le  Soir  de  M.  Albert 
Dagneaux. 

Le  portrait  mondain  n'est  pas  en  baisse  :  au  contraire,  il  n'a 
jamais  mieux  nourri  son  homme  et  c'est  une  spécialité  plus  fructueuse 
que  l'élevage  des  lapins  ou  des  pintades.  Mais  il  parait  en  voie  de  trans- 
formation ;  les  maitres  du  genre,  M.  Boldini  et  M.  de  La  Gandara  l'orien- 
tent vers  le  phénomène  d'histoire  naturelle.  Il  ne  leur  suffit  plus,  de 
contourner  en  volutes,  en  arabesques,  en  festons,  en  astragales  les 
femmes  du  monde  qui  font  le  généreux  abandon  de  leur  anatomie  dans 
un  but  esthétique  :  ils  les  apparentent  aux  sirènes,  lesquelles,  comme 
vous  savez,  d'après  les  documents  les  plus  sérieux  de  l'encvclopédie 
mythologique,  élaient  moitié  créatures  humaines,  moitié  poissons.  Re- 
gardez la  femme  aux  prunelles  songeuses  que  M.  de  La  Gandara  a  cam- 
pée de  profil.  La  main  sur  laquelle  s'appuie  cette  exquise  personne  n'est 
pas  une  main,  mais  une  nageoire  solidement  palmée.  Regardez  aussi 
la  femme  au  corsage  décolleté  dont  M.  Boldini  tord  le  col  avec  une  vio- 
lence si  inquiétante  :  ce  n'est  pas  l'ossature  qui  tend  l'épidémie  mais 
une  arête,  une  double  arête  tranchante.  L'illusion  est  si  complète  qu'on 
craint  de  voir  ces  monstres  délicieux  dépérir  hors  de  leur  ambiance 
native  et  qu'on  voudrait  prier  l'un  des  voisins  de  la  S.  A.  F..  M.  Louis 
Béroud,  à  qui  ce  tour  de  force  est  familier,  d'amener  à  leurs  pieds  les 
vagues,  ourlées  d'écume,  où  se  retrempent,  du  matin  au  soir,  les  Né- 
réides de  Rubens.  Et  à  défaut  de  M.  Béroud,  M.  La  Lyre,  qui  dispose 
d'un  aquarium  mobile,  pourrait  leur  rendre  le  même  office  charitable. 

Si  M.  La  Gandara  (vous  ai-je  dit  qu'au  nombre  de  ses  envois 
figure  Mm''  Dolley'.''  et  M.  Boldini,  son  frère  d'armes,  changent  leurs 
modèles  en  compagnes  des  Tritons,  sans  leur  donner,  hélas  !  les  formes 
puissantes  des  robustes  matrones  de  la  salle  du  Louvre,  M.  Agache  les 
minéraliss.  Son  portrait  de  femme  est  sculpté  dans  la  pierre  la  plus 
précieuse  et  la  plus  dure,  avec  incrustation  d'yeux  d'émail.  Arrivons  à 
des  formules  moins  exceptionnelles  :  le  portrait  aristocratique  sismé 
par  M.  Dagnan-Bouveret,  jeune  femme  en  robe  de  soirée  dont  la  blan- 
cheur est  soulignée  par  la  note  à  la  fois  vive  et  profonde  d'un  manteau 
de  peluche  incarnat,  l'harmonie  blanc-bleuté  du  portrait  de  J/me  Gervex 
par  son  mari,  l'impressionnante  sobriété  du  groupe  familial  peint  par 
M.  Prinet  dans  un  décor  très  observé,  le  portrait  de  jeune  homme  de 
M.  Aman  Jean,  le  maitre  graveur  Jiraequemond  devant  sa  plaque  de 
cuivre,  sous  l'écran  qui  lamise  et  rabat  la  lumière,  par  son  dise. pie 
La  Touche  représenté  modestement  assis  dans  un  coin  de  la  toile.  Ça 
et  là  les  portraits  de  famille  de  M.  Guiguet,  MaK  Agathe  Léonard  par 
M.  Henri  Bénard,  une  étude  de  jeuue  fille  de  M.  Cornillier,  une  autre 
de  M.  André  Davids,  une  Altesse  impériale  et  royale.  M™'  l'Archidu- 
chesse Marie-Joseph  d'Autriche,  peinte  par  M""'  Mathilde  de  Flolow 
avec  simplicité  et  sûreté  ;  le  sculpteur  Bartholomé  se  détachant  sur  les 
verdures  du  Père -Lachaise  et  le  bas-relief  symbolique  de  son  monu- 
ment aux  morts,  œuvre  robuste  et  sobre  de  M.  Charles  Giron; 
M""  Marthe  Ponsot,  par  Hawkins:  le  peintre  Agache.  par  M.  Rosset 
Granger,  Mm"  Rima  Barcali  et  M'""  Alfina  Angeli  par  M.  Julius 
Rolshoven. 

L'étude  de  femme  en  toilette  de  style,  de  M.  Rixens,  la  solide  série 
des  Anquetin  et  des  Brissaud  nous  ramènent  aussi  à  la  tradition  du 
grand  portrait  français,  formulé  avec  largeur  et  simplicité.  De  M.  Os- 
terlind  un  envoi  tout  à  fait  séduisant  dans  sa  grâce  sans  apprêt  et  la 


148 


LE  MÉNESTREL 


souplesse  de  l'exécution  où  l'on  sent  la  science,  non  l'effort.  Mme  Bres- 
lau  a  intitulé  Vie  pensive  les  deux  portraits  de  femmes  qu'elle  a 
groupés  dans  un  intérieur  de  décoration  stylisée,  mais  sobre.  L'artiste 
y  figure  en  personne  avec  une  compagne  d'enfance  au  faciès  énergique 
et  songeur  et  un  grand  lévrier  blanc  dont  la  souple  anatomie  dessine 
une  arabesque  vivante  au  milieu  du  tableau.  Une  des  deux  femmes  est 
vue  de  dos,  mais  la  figure  apparaît  de  profil  grâce  au  mouvement  indi- 
qué pour  tendre  une  lettre  à  l'autre  femme  accoudée  sur  la  table  au 
premier  plan.  Composition  admirable  pour  l'intensité  de  vie  amicale  et 
esthétique  qu'elle  révèle  au  moyen  des  procédés  les  plus  simples,  sans 
brutalité  de  dessin  ni  violence  de  couleur. 

Quelques  portraits  d'artistes  plus  spécialement  caractérisés  retien- 
nent les  curieux  et  «  font  de  l'argent  »  pour  employer  le  vocabulaire 
des  jours  de  vernissage.  Voici  d'abord  notre  Galipatix  national,  par 
M.  Alaux.  11  est  très  vivant,  très  nature,  le  nez  au  vent,  la  riposte  en 
arrêt  sur  les  lèvres  minces,  le  regard  direct  et  gouailleur,  moitié  gamin 
de  Paris,  moitié  gavroche  des  Transatlantiques,  les  pouces  dans  les 
entournures  du  gilet.  Il  monologue  sans  parler.  M.  Jean  Sala  nous  mont  re 
un  Coquelin  aine  qui  a  dépouillé  le  Cyrano  picaresque  et  le  grand 
valet.  Il  est  anémié  et  pour  ainsi  dire  amenuisé  :  on  cherche,  sans  le 
retrouver  dans  cette  iigure  au  sourire  banal,  l'àpre  relief  de  ce  masque 
si  personnel  du  Scapiu  idéal  qui  est  en  môme  temps  l'incomparable 
amant  de  Roxane.  M.  Edouard  Sain  s'est  montré  excellent  peintre  et 
aussi  observateur  loyal  en  campant  la  grande  cantatrice  Félia  Litvinne 
sans  tricherie,  sans  artifices  de  lumière  dans  le  décor,  rendu  au  na- 
turel, de  son  rôle  A' Hélène. 

M.  Bellery-Desfontaines  a  portraituré  solidement,  mais  avec  quelque 
surenchère  de  mise  en  scène  romantique,  le  virtuose-compositeur 
Georges  Encsco.  M.  Armand  Point  prête  une  suggestive  étrangeté  à 
J/Ile  Lilly  Jacobsen  de  Copenhague  et  Mmc  Hitz  a  tracé  un  robuste  cro- 
quis de  Jl/m0  Gerha rdl-Hauplman.  L'Henry  Maret  de  M.  Delécluse  est  à  la 
fois  accueillant  et  moqueur.  YEmile  Verhaeren  de  M.  Tribout  énigma- 
tique  et  songeur.  M.  Dedina  a  envoyé  une  bonne  étude  d'après 
Mme  J.-H.  Rosny.  Dans  l'exposition  de  M.  John  Lavery,  qui  n'a  pas 
renoncé  à  la  préciosité,  qui  semble  même  s'y  complaire  mais  en  tire 
des  effets  curieux  sinon  des  colorations  très  vraisemblables,  il  faut  rete- 
nir, pour  le  rythme  de  la  démarche  et  l'élégance  de  la  ligne,  Miss  Lily 
Elsie,  as  ihe  Merry  Widow. 

Nous  retrouverons  bientôt  au  Salon  des  Artistes  français  le  prosateur 
le  plus  envié,  le  plus  exalté,  le  plus  pastiché  par  les  nouvelles  généra- 
tions, l'auteur  du  Lys  rouge  et  de  ['Histoire  comique,  M.  Anatole  France, 
dans  une  vaste  toile  de  M.  Henri  Martin  où  les  rayons  du  soleil  Tou- 
lousain pleuvent  sur  son  chapeau  mou  et  son  mac-farlane  comme  les 
giboulées  printanières  sur  les  Parisiens  de  1908.  Mais  il  figure  déjà  à  la 
Nationale.  M.  Woog  ne  lui  a  pas  ménagé  la  ressemblance  de  détail. 
Seulement  pourquoi  l'a-t-il  serré  entre  deux  portes  et  lui  a-t-il  donné 
un  n°z  lumineux  ?  C'est  d'ailleurs  un  des  phénomènes  les  plus  singu- 
liers de  ce  premier  Salon.  Plus  les  contemporains  évoqués  dans  le 
quadre  ou  l'ovale  réglementaires  sont  notoires,  plus  le  peintre  croit 
devoir  augmenter  l'intensité  expressive  en  élargissant  le  pain  à  cache- 
ter lumineux  qu'il  leur  colle  au  milieu  de  la  face.  Nous  avons  ainsi, 
avenue  d'Antin,  une  douzaine  d'effigies  qui  éclairent  à  distance  comme 
les  nez  incandescents  des  clowns  anglais. 

Aux  dessins,  une  très  fine  étude  d'après  Mme  Jeanne  Lion  de  l'Odéon, 
le  délicieux  trottin  de  l'Apprentie,  la  vaillante  ingénue  de  l'Alibi,  par 
M™  Marguerite  ILrold;  M.  Rcynaklo  Hahn,  par  Mme  la  baronne  Lam- 
bert, née  de  Rothschild,  qui  a  mis  en  relief  la  caractéristique  person- 
nalité du  compositeur  de  la  Carmélite;  un  solide  portrait  de  Mme  Jeanne 
Brindeav,  par  M.  Brindeau  de  Jarny,  qui  expose  aussi  deux  vivants 
portraits  de  nos  confrères  Maurice  Level  et  René  Fraudet ;le  très  applaudi 
conférencier  Léo  Clarelie,  «  lecturer  »  à  clientèle  mondiale,  parMmeSta- 
sia  Kviatowska  ;  M.  Jules  Gauthier,  par  M.  Auguste  Berlon  ;  Mm°  Car- 
rier-Belleuse,  par  M.  Pierre  Carrier-Belleuse  :  le  pianiste  Montoriol- 
Tarrès,  dessin  énergique  de  M.  Charles  Milcendeau.  M.  René  Ouillon- 
Carrère  n'a  pu  se  dispenser  d'asseoir  le  très  mobile  Pierre  Mortier  et  de 
le  fixer  dans  une  pose  naturelle  chez  tout  autre  ;  mais  c'est  la  seule  in- 
vraisemblance de  ce  remarquable  pastel  à  reflets  de  lumière  frisante, 
d'un  dessin  élégant  et  d'un  fin  coloris. 

La  gravure  contient  quelques  numéros  intéressants  à  noter  sous 
notre  rubrique  :  J.-S.  Bach,  d'un  relief  énergique  et  le  ressemblant  Bau- 
delaire de  M.  Jacques  Beltrand,  qui  reste  fidèle  à  la  formule  menacée  de 
la  gravure  sur  bois  ;  jWlle  Lily  Arena  et  Mn"  Cyclone  de  M.  Edgar  Cha- 
hine;  le  l'uvis  de  Chavannes  et  le  Rodin,  lithographies  par  M.  Hochard  : 
les  compositions  gravées  par  M.  Kupka  pour  illustrer  les  Erinnyes  de 
Leconte  de  Lisle  :  le  Molière  de  M.  Jules  Letoula,  malheureusement 
inauthentique  comme  toutes  les  effigies  du  grand  Poqueliu.  N'est-il  pas 


navrant  de  penser  que  les  traits  du  moindre  cabot  des  temps  modernes 
passeront  à  la  postérité,  avec  garantie  du  gouvernement,  je  veux  dire 
sous  cachet  du  cabinet  des  estampes,  et  qu'il  faut  nous  contenter  de 
portraits  de  Molière  dont  le  meilleur  est  un  travail  de  seconde  main? 
J'ai  sur  ma  table  le  catalogue  de  la  vente  de  l'excellent  Péricaud  qui  va 
porter  au  feu  des  enchères  la  bibliothèque  théâtrale  formée  par  lui  pen- 
dant un  demi-siècle.  Le  portrait  y  domine  ;  pas  de  troupe  de  l'ancien 
boulevard  du  Crime  ou  des  plus  modernes  entreprises  qui  n'y  figure 
au  grand  complet,  en  des  suites  de  gravures,  de  lithographies  ou  de 
dessins.  Ces  albums,  ces  portefeuilles  iront  tôt  ou  tard  à  la  Bibliothèque 
Nationale,  et  nos  arrière-petits-neveux  n'aurout  pas  le  droit  d'ignorer 
comment  Alcide  Touzez  avait  le  nez  fait,  tandis  que  nous  sommes  cou- 
damnés  à  ne  jamais  savoir  jusqu'à  quel  point  l'auteur  d'Elomire  et  les 
autres  pamphlétaires  ont  calomnié  le  mari  de  la  Béjart  dans  leurs  cari- 
catures à  la  plume  ! 

M.  Alexandre  Lunois  évoque  le  très  curieux  gigotement  d'une  danse 
espagnole,  le  Panadcros  ;  il  y  a  un  Germinal  caractéristique  de  M.  Ha- 
rold  Percival.  d'amusantes  charges  de  M.  Jean  Veber,  un  cadre  de  trois 
eaux-fortes  formant  la  suite  de  Fauteuils  et  Couloirs  du  spirituel  observa- 
teur montmartrois  Tony  Minartz.  Et  voici,  dans  la  section  d'art  décoratif 
et  arts  appliqués,  le  théàtrelui-mèmereprésenté  par  quelques  maquettes 
de  décor:  premier  acte  de  Carmen  de  M.  Bersonnet;  projets  pour  les 
opéras  russes  de  Rimsky-Korsakoff.  La  suite  la  plus  complète  a  été  ex- 
posée par  M.  Ménessier;  elle  comprend  les  quatre  principaux  décors  de 
la  pièce  à  spectacle  qui  réalisa  cette  année  les  plus  belles  recettes  en 
Odéon^e  :  l'Apprentie,  de  M.  Gustave  Geffroy.  On  sait  que  les  invités 
de  M.  Antoine  emportèrent  de  cette  œuvre  copieuse  une  impression  de- 
panorama  mouvant  et  rétrospectif.  Leur  rétine  emmagasina  le  con- 
tenu de  deux  recueils  d'Epinaleries  aux  touches  violentes,  d'ailleurs  très 
curieusement  contrastées  et  dont  le  dessin,  creusé  dans  le  cuivre  par  un 
maitre  aquafortiste,  subsiste  sous  l'empâtement  des  coloris  :  un  album 
militaire,  genre  Margueritte,  résumant  les  péripéties  tragiques  des  deux 
sièges  et  un  album  de  croquis  plébéiens  :  grandeur  et  décadence  de  la 
famille  Pommier. 

La  première  maquette  de  M.  Ménessier  nous  montre  le  rempart  à  la 
fin  de  décembre  1871,  la  nuit,  du  côté  de  Mônilrnontant,  talus  ouatés- 
do  neige,  feux  allumés  à  l'abri  des  casemates.  Ce  bivouac  de  gardes- 
nationaux  a  pour  pendant  le  décor  du  Père-Lachaise  (cinquième  ta- 
bleau), le  cimetière  au  matin  du  28  mai  1871  —  aube  sanglante  delà 
déroute  de  la  Commune,  la  fin  de  la  bataille,  les  sépultures  saccagées, 
les  portes  brisées  des  chapelles  où  gisent  des  cadavres  de  fédérés  tués 
dans  leur  cachette.  Des  lueurs  pâles  flottent  sur  le  faubourg  silen- 
cieux qu'occupent  méthodiquement  les  troupes  régulières.  Voici  encore 
la  rue  des  Amandiers,  le  jour  d3  la  capitulation  de  Paris  (pre- 
mier siège)  ;  la  boucherie  devant  laquelle  les  femmes  vont  former  de 
lamentables  files  pour  attendre  la  distribution  de  viande,  le  mur  où  un 
afficheur  va  coller  le  placard  annonçant  la  reddition  de  la  ville  après 
quatre  mois  d'héroïsme  inutile.  Cette  maquette  est  l'impressionnante 
reconstitution  d'un  coin  du  vieux  Belleville  si  modernisé  par  les  tram- 
ways et  les  funiculaires.  Une  vision  moins  tragique  termine  la  série  : 
la  rue  devant  l'Elysée  Ménilmontant.  une  terrasse  de  mastroquet,  un 
pavé  raboteux  sur  lequel  a  échoué  une  voiture  de  marchande  des  quatre- 
saisons,  et  le  mur,  l'affreux  mur,  derrière  lequel  s'épanouit  toute  la  flo- 
raison des  refrains  de  1878,  date  mémorable  dans  l'histoire  des  chansons 
de  café-concert,  car  elle  marqua  l'apothéose  de  l'Amant  d'Amanda. 
(A  suivre.)  Camille  Le  Senne. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 


(pour 


SEULS   ABONNES    A    LA    MUSIQUE) 


Encore  ce  scherzetto  du  joli  ballet  de  Rodolphe  Berger  :  Le  Mariage  d'une  rose.  Il 
est  plein  de  verve  et  d'esprit  et  rappelle  la  meilleure  manière  de  Léo  Delibes.  Il 
donnait  des  ailes  à  M"'  Rianza,  la  danseuse-étoile,  qui  s'y  couvrait  de  gloire. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


Do  nolro  correspondant  de  Belgique  (6  mai)  : 

Le  théâtre  de  la  Monnaie  a  clôturé  lundi  soir  la  saison  par  la  soirée  tradi- 
tionnelle, dite  «  d'adieux  ».  Soirée  abondamment  fleurie,  très  enthousiaste  et 
très  cordiale.  E'ie  avait  ceci  de  caractéristique  pour  une  soirée  d'adieux,  c'est 


LE  MÉNESTREL 


149 


qu'aucun  des  artistes  qui  y  ont  pris  part,  dans  le  spectacle  coupé  d'usage,  ne 
nous  quitte  l'an  prochain...  Tous  les  adieux  étaient  donc  de  simples  «  au 
revoir  ».  Ils  n'en  ont  pas  été  moins  chaleureux.  La  majeure  partie  de  la 
troupe  est,  en  effet,  réengagée,  notamment  les  deux  chefs  d'orchestre, 
MM.  Dupuis  et  Ernaldy,  M1™5  Pacary,  Croiza,  de  Tréville,  Eyreams,  Bourgeois 
et  Symiane,  MM.  LalElte,  Verdier,  Morati,  Decléry,  Bourbon,  Petit,  Artus, 
La  Taste,  Naudès,  Gaisso,  Delrue  et  Dua.  Seuls,  M'"™  Seynal,  Garlyle,  Blari- 
card,  Rozann,  Manzonelli,  MM.  Layolle,  Marcoux  et  Blancard  s'en  vont. 
Parmi  les  nouveaux  engagements,  citons  ceux  de  M"">  Mazarin,  qui  fit  partie 
de  la  troupe  l'année  dernière,  de  M"8  Lily  Dupré,  une  chanteuse  légère,  qui 
nous  arrive  d'Anvers,  de  MM.  Saldon,  ténor,  Castelly,  baryton,  Gallin  et  Billot, 
basses.  Et  n'oublions  pas  le  réengagement  de  Mllc  Mary  Gard  en,  en  représen- 
tations, avant  son  départ  d'Amérique  et  à  son  retour.  —  Le  programme  des 
ouvrages  qui  seront  montés  l'hiver  prochain  n'est  pas  encore  arrêté,  et  ne 
pourrait  l'être  encore,  'cela  va  sans  dire.  En  tout  cas,  MM.  Guidé  et  Kufl'erath 
y  ont  inscrit  déjà  l'Ariane  et  Barbe-Bleue  de  M.  Paul  Dukas  (que  créera  très 
probablement  M"e  Mary  Garden)  et  le  drame  lyrique  inédit  de  M.  Edgar  Tinel. 
Catherine  d'Alexandrie,  dont  l'audition  donnée  cette  semaine  aux  directeurs  de 
la  Monnaie  a  produit  une  très  grande  impression,  —  œuvre  d'inspiration 
puissante  et  élevée,  de  caractère  à  la  fois  très  décoratif  et  très  expressif,  et 
tout  à  fait  digne,  en  somme,  de  l'auteur  de  l'admirable  oratorio,  Franciscus. 
MM.  Guidé  et  Kufferalh  ont  reçu  également,  pour  être  monté  dès  le  début  de 
la  saison,  un  charmant  ballet  en  un  acte  de  M.  Georges  Lauwpryns,  dont  ce 
sera  le  début  au  théâtre;  le  scénario,  très  original,  est  de  M.  Ambrosiny;  titre  : 
Quand  les  citais  sont  partis...  Du  même  jeune  compositeur  nous  avons  entendu, 
cette  semaine,  à  la  dernière  séance  de  «  l'Histoire  de  la  Sonate  ».  une  Sonate 
pathétique  pour  violon  et  piano,  exécutée  par  M.  Deru  et  l'auteur,  et  dont  le 
succès  a  été  considérable  ;  M.  Eugène  Ysayc  doit  la  faire  entendre,  le  mois 
prochain,  à  Paris,  avec  M.  Raoul  Pugno. 

La  Monnaie,  à  peine  fermée,  se  rouvrira  lundi,  pour  donner  asile  à  la  troupe 
complète  du  théâtre  de  la  Porte-Saint-Martin,  qui,  M.  Coquelin  aîné  en  tète, 
vient  y  donner  une  série  de  représentations  de  l'Affaire  des  poisons  de 
M.  Sardou,  du  Mariage  de  Figaro,  de  Cyrano  de  Bergerac  et  de  l'Abbé  Constantin. 
A  ces  représentations,  qui  dureront  du  11  au  17  mai,  succéderont  celles  que 
nous  donneront  Mme  Sarah-Bernhardt  et  sa  troupe  :  la  Belle  au  bois  dormant, 
les  Bouffons,  la  Sorcière,  la  Courtisane  île  Corinthe,  l'Aiglon  et.  naturellement 
aussi,  la  Dame  aux  Camélias.  —  Vous  savez  que  M.  Emile  Mathieu,  le  gracieux 
compositeur  belge,  auteur  de  Bachilde  et  de  la  Fille  de  Roland,  se  proposait  de 
monter  prochainement  à  la  Monnaie  son  nouveau  drame  lyrique,  la  Reine 
Vasthi,  que  des  difCcul'és  de  mise  en  scène  avaient  empêché  MM.  Guidé  et 
Kufferalh  de  jouer  dans  le  cours  de  la  saison  ;  malheureusement,  au  moment 
où  tout  était  décidé,  M.  Mathieu  n'a  pu  réunir  l'interprétation  qu'il  souhaitait, 
et  le  projet  a  été  abandonné,  pour  être  réalisé  dans  deux  ans,  au  printemps 
de    1910,  année  de  l'Exposition  universelle  de  Bruxelles. 

Le  mois  prochain,  l'orchestre  et  la  troupe  de  la  Monnaie,  avec  sou  chef, 
M-  Sylvain  Dupuis,  se  reformeront  et  iront  à  Cologne  donner  une  représen- 
tation de  la  Bohème  et  une  représentation  de  Pelléas  et  Mélisande,  —  celle-ci 
avec  M11'-  Garden  et  M.  Périer.  Puis,  au  mois  de  juillet,  la  plupart  de  nos 
artistes  partiront  pour  Ostende.  où  aura  lieu,  au  nouveau  théâtre,  une  saison 
d'opéra. 

La  direction  de  la  Monnaie  vient  de  publier  une  statistique  intéressante  : 
c'est  celle  des  ouvrages  qui  ont  été  donnés  dans  le  cours  de  la  saison  écoulée 
et  du  nombre  de  représentations  que  ces  ouvrages  ont  eues.  Il  résulte  de  cette 
statistique  que  c'est  Massenet  qui  tient  le  record  avec  CO  représentations  ; 
suivent  Wagner,  avec  30  représentations,  Gounod  et  Ambroise  Thomas 
(chacun  29),  Ganne  (28)  et  Delihes  (22).  Les  ouvrages  le  plus  joués  ont  été 
Faust  (29  fois),  Ariane  (23  fois),  le  petit  ballet  do  Ganne  Au  Japon  (28  fois), 
Lakmè  (22  fois),  Werther  (19  fois)  et  le  Chemineau  (17  fois).  L.  S. 

—  Gros  succès  à  Bruxelles  pour  M"e  Delaunois  qui  chanta,  a  la  salle  Patria, 
des  Chansons  de  Maeterlinck  mises  en  musique  pai  Gabriel  Fabre,  notamment  : 
J'ai  marché  trente  ans  et  Elle  l'enchaîna. 

—  La  célébration  du  centenaire  de  la  mort  de  Haydn,  à  Vienne,  au  mois 
mai  1909,  coïncidera  avec  le  troisième  congrès  de  la  Société  internationale 
de  musique.  Le  programme  définitif  de  ce  congrès  n'est  pas  encore  élaboré, 
mais  jusqu'à  présent,  les  sujets  suivants  ont  été  proposés  :  1°  A  quelle  date 
faut-il  placer  les  débuts  et  l'apogée  de  la  Renaissance  en  musique  ?  —  2°  De 
la  reconstitution  des  œuvres  de  musique  ancienne  en  vue  de  l'exécution.  — 
3°  L'indépendance  de  la  musique  à  l'égard  du  drame  lyrique.  —  4°  Prépara- 
tion de  missions  musicologiques  déléguées  par  des  corps  savants.  —  5°  La 
documentation  rigoureuse  de  la  musicologie  actuelle.  —  6°  L'instruction 
musicale  dans  les  établissements  d'enseignement  supérieur  et  secondaire.  — 
7°  La  polyphonie  a-t-elle  son  origine  dans  les  spéculations  des  théoriciens  ou 
dans  la  pratique  des  musiciens  ?  —  8°  «  Thésis  et  Dyuamis  »  dans  la  théorie 
antique.  —  9°  Le  rythme  mesuré  et  le  rythme  oratoire  dans  le  chant  gré- 
gorien. —  10°  Les  accidents  au  quinzième  et  au  seizième  siècles.  —  11°  Con- 
sonance et  dissonance.  —  12°  Influence  des  instruments  non  tempérés  sur 
l'avenir  de  la  musique.  —  13"  Les  caractéristiques  de  la  musique  sacrée.  — 
14°  Réformes  dans  la  construction  des  orgues. 

—  A  la  fin  de  l'une  des  dernières  représentations  des  Contes  d'Hoffmann 
d'ûffenbach  à  l'Opéra-Populaire  de  Vienne,  le  directeur,  M.  Rainer  Simons.  a 
été  grossièrement  insulté  par  le  ténor  Adolphe  Gussmann,  que  les  choristes 
du  théâtre  et  les  machinistes  saisirent    au -sitôt  et   jetèrent    à    la  porte.   Des 


observations  que  M.  Rainer  Simons  avait  cru  devoir  Caire  a  son  pensionnaire, 
et  qui  ne  portaient  que  sur  l'interprétation  artistique  de  son  rôle,  avaient 
été  l'origine  du  contlit.  A  la  suite  de  cet  incident,  le  directeur  du  théâtre 
An  der  Wien,  où  M.  Gussmann  devait  chanter  cet  été,  a  refusé  de  traiter 
avec  lui. 

—  A  l'Opéra-Royal  de  Berlin,  ou  a  donné,  le  30  avril  dernier,  la  première 
représentation  d'un  opéra  nouveau  de  M.  Reznicek,  Donna  Diana.  Malgré 
quelques  faiblesses  d'interprétation,  l'ouvrage  a  été  bien  mis  en  lumière  par 
l'orchestre,  sous  la  direction  de  M.  Edmond  Strauss,  et  a  obtenu  du 
succès. 

—  Une  grande  fête  musicale  aura  lieu  le  19  mai  prochain,  à  Munich,  à 
l'occasion  de  l'ouverture  de  l'Exposition.  La  Symphonie  avec  chœurs  de 
Beethoven  sera  donnée  dans  la  salle  de  l'Odéon  sous  la  direction  de  M.  Félix 
Mottl,  en  présence  des  représentants  du  Gouvernement  et  des  personnalités 
les  plus  importantes  de.  toutes  les  branches  de  l'art  et  de  la  littérature.  Les 
soli  de  la  symphonie  seront  chantés  par  Mmcs  Anna  Stronk-Kappel,  Adrienne 
Krauss-Osborne,  MM.  Hess  et  Félix  Krauss. 

—  La  fête  annuelle  de  la  Société  générale  allemande  de  musique  aura  lieu 
décidément  du  l'-1  au  5  juin  à  Munich.  Cette  date  a  pu  être  fixée,  en  dépit  des 
difficultés  considérables  qu'avait  rencontrée  l'organisation  de  cette  solennité. 
Y  participeront  les  deux  orchestres  de  la  Cour  do  Stuttgart  et  de  Munich 
même. 

—  Après  les  pianos  mécaniques,  nous  ne  pouvions  manquer  d'avoir  des 
violons  pourvus  d'un  système  permettant  de  jouer  sans  avoir  appris.  Les 
journaux  allemands  donnent  la  description  d'un  instrument  pareil.  Comme 
pour  la  vielle,  l'archet  est  remplacé  par  un  disque  frottant  sur  les  cordes  en 
tournant,  et,  pour  suppléer  au  jeu  des  doigts  de  la  main  gauche,  on  a  disposé 
des  crochets  en  nickel  qui  sautillent  sur  le  manche.  Naturellement  le  résultat 
est  complètement  antimusical  et  inexpressif,  comme  celui  qu'ont  donné  les 
pianos  construits  pour  répondre  à  des  besoins  analogues. 

—  Une  chanteuse  qui  fit  sa  réputation  au  théâtre  de  la  Cour,  à  Munich,  et 
qui,  depuis  plusieurs  années,  s'est  fait  remarquer  en  Amérique  par  ses 
excentricités  autant  que  par  ses  succès,  Mmc  Fritzi  Scheil',  vient  d'obtenir 
gain  de  cause  dans  un  procès  en  divorce  intenté  à  son  mari,  le  lieutenant  de 
hussards  M.  von  Bardeleben.  C'est  elle  qui,  il  y  a  un  an,  s'improvisa  conduc- 
trice de  locomotives  et  fit  plusieurs  voyages  montée  sur  une  machine  portant 
le  n°  19.  Naturellement,  elle  n'oublia  pas  de  se  faire  photographier  dans  ce 
o  nouveau  rôle  ». 

—  La  reconstruction  du  théâtre  de  la  Cour,  à  Meiningen,  parait  entrer 
dans  une  phase  d'exécution  définitive.  Le  duc  Georges  vient  de  donner  son 
assentiment  au  projet  de  monument  qui  lui  a  été  soumis  par  M.  Behlert, 
architecte  de  la  ville.  La  construction  sera  établie  dans  le  style  corinthien,  en 
forme  d'amphithéâtre  avec  deux  rangs  de  loges  ou  galeries. 

—  On  annonce  comme  imminente  en  Italie  la  représentation  de  deux 
ouvrages  nouveaux  :  auThéàtre-Victor-Emmanuel  de  Turin,  Maria-AnlonietUi. 
drame  lyrique,  musique  de  M.  Giuseppe  Galli  ;  et  à  Gerignola,  Omoniza, 
opéra,  paroles  et  musique  de  M.  Litterio  Butti. 

—  Un  journal  italien  fait  connaître  ainsi  l'œuvre  importante  à  laquelle 
s'attache  en  ce  moment  don  Lorenzo  Perosi  :  «  Complètement  rétabli,  le 
maestro  Perosi  a  commencé,  en  la  menant  déjà  assez  avant,  une  œuvre  im- 
portante dont  il  a  déjà  été  parlé,  nous  voulons  dire  les  dix  suites  d'orchestre 
qui  doivent  porter  les  noms  de  villes  d'Italie.  Trois  de  ces  suites  sont  déjà  écrites, 
celles  sur  Florence,  Borne  et  Venise.  La  dixième  sera  dédiée  à  l'Italie.  Cette 
dernière  se  distinguera  des  autres  en  ce  que.  au  lieu  d'être  purement  sympho- 
nique,  elle  comprendra  des  chœjrs.  Une  œuvre  de  cette  ampleur  et  de  cette 
importance  coûtera  au  compositeur  environ  trois  années  de  travail.  Elle  ne 
comptera  pas  moins  de  2.500  pages,  dont  900  sont  déjà  écrites,  et  le  désir 
d'arriver  à  son  accomplissement  fait  refuser  au  maestro  toutes  les  offres  et  les 
propositions  de  concerts  qui  lui  ont  plu  et  qui  lui  pleuvent  de  toutes  parts. 
Actuellement  il  écrit  la  suite  intitulée  Bologne.  Il  n'a  pas  encore  arrêté  les 
noms  des  villes  qu'il  donnera  aux  autres  suites,  mais  certainement  il  choisira 
parmi  les  plus  artistiques  de  l'Italie.  » 

—  Un  congrès  féminin  s'est  teuu  récemment  à  Rome,  dans  lequel  de  nom- 
breuses questions  de  divers  genres  ont  été  traitées  et  développées  par  plu- 
sieurs dames  de  haute  culture  intellectuelle.  Particulièrement  la  musique  et  le 
théâtre  ont  fait  l'objet  de  discussions  intéressantes  dans  une  section  spéciale 
de  ce  congrès,  présidée  par  un  écrivain  bien  connu,  Mme  Dora  Melegari. 
Nous  empruntons  à  notre  confrère  de  Milan,  il  Monde-  artistico,  le  résumé  de 
ces  discussions  : 

La  comtesse  Toresina  Franchi -Verney-Tua,  la  célèbre  violoniste  (1),  résume  les 
études  faites  parles  différentes  rapporteuses^  et  exprime  cette  idée  que  la  culture 
musicale  n'imp  ique  chez  la  femme  aucune  diminution  de  ses  qualités  morales  et 
cite  à  ce  sujet  l'exemple  d'illustres  virtuoses  féminins.  Il  appartient,  dit-elle,  au 
tempérament  italien,  d'approfondir  l'instruction  musicale   et  de  la  répandre  avec 

i  11  M"0  la  comtesse  Franchi -Verney,  bien  connue  de  tous  les  artistes  français  qui 
vont  à  Rome,  a  fait  son  éducation  musicale  à  Paris  comme  élève  de  Massart  au 
Conservatoire,  où,  sous  son  nom  de  jeune  lille,  Teresina  Tua,  elle  obtint,  à  peine 
âgée  de  treize  ans,  seule  et  à  l'unanimité,  un  superbe  premier  prix  (1880). 


[50 


LE  MENESTREL 


patience  et  persévérance.  —  M"  Zaira  Cortini-Falchi,  professeur,  parlant  aussi  de 
la  musique,  a  proposé  la  constitution  d'une  association  nationale  rie  musique, 
ayant  pour  objet  l'amélioration  artistique  et  économique  de  la  classe.  —  La  question 
de  la  femme  compositeur  a  fait  l'objet  d'un  rapport  de  M""'  Elisabetta  Oddone,  qui 
fait  ressortir  le  scepticisme  auquel  se  heurtent  les  tentatives  féminines.  Au  reste, 
dit-elle,  la  femme  ne  prétend  pas  égaler  le  génie  masculin.  A  elie  une  place  plus 
modeste  :  intéresser  par  la  délicatesse  des  sons,  par  une  particulière  manifestation 
du  monde  intérieur  féminin.  Elle  conclut  en  disant  qu'une  voie  est  tracée  à  l'acti- 
vité musicale  féminine,  et  que  le  triomphe  sera  certain  si  l'on  veut  s'intéresser  à 
l'éducation  des  femmes  en.  ce  sens.  —  M»'  Edvige  Ghibaude  a  traité  ia  question  du 
chant  choral  à  l'école.  Elle  constate  que  le  chant  choral  est  trop  négligé  dans  les 
écoles  élémentaires.  Elle  fait  ressortir  pourtant  les  effets  bienfaisants  qu'il  produit 
sur  les  jeunes  âmes,  ce  qui  est  si  vrai  que  les  principaux  Etals  civilisés  l'ont  rendu 
obligatoire  et  ne  cessent  de  l'encourager.  Giez  nous,  continue-t-elle,  le  chant  cho- 
ral est  peu  et  mal  pratiqué.  Elle  demande  enlin  qu'il  soit  législativement  obliga- 
toire dans  les  écoles  primaires  et  secondaires,  et  que  les  aspirants  professeurs 
subissent  des  examens  sérieux  pour  pouvoir  consciencieusement  enseigner  le 
chant.  —  M"*  Guazzaroni  lit  une  communication  de  M""  Adajevvsky  relative  au 
folklore  musical,  puis  on  passe  à  la  question  de  «  la  femme  à  l'orchestre  »,  dont 
parle  Mm0  Sarli-Montessori,  qui  soutient  qu'il  faut  vaincre  le  préjugé  que  la  femme 
exécutante  puisse  faire  concurrence  à  l'homme;  la  femme,  pour  des  raisons  phy- 
siques et  esthétiques,  ne  jouera  jamais  certains  instruments  qui  ne  conviennent 
qu'à  l'homme.  On  approuve  sa  proposition  pour  une  plus  grande  participation  de 
la  femme  dans  l'orchestre,  en  la  recommandant  surtout  pour  les  instruments  à 
archet.  —  Une  ex  actrice,  JIm"  Virginia  Marini,  a  parlé  de  la  femme  dans  l'art  dra- 
matique, démontrant  son'influence  sur  cet  art  comme  inspiratrice,  surtout  comme 
artiste,  et  l'a  encouragée  à  se  maintenir  pure,  parce  que  l'art  n'est  pas  le  résultat 
d'une  mentalité  morbide,  mais  au  contraire  d'une  haute  et  saine  mentalité.  Elle  a 
cité  l'exemple  de  la  belle  Isabella  Andreini,  la  célèbre  comédienne  du  seizième 
siècle,  qui  fut  louée  par  le  Tasse,  par  Marini  et  par  Chiabrera,  mère  et  femme 
exemplaire,  et  celui  d'Adélaïde  Ristori,  qui  brilla  parmi  les  femmes  les  plus  dis- 
tinguées, comme  elle  avait  brillé  parmi  les  plus  grandes  actrices  tragiques  de  son 
temps.  —N'oublions  pas,  en  terminant,  de  mentionner  l'ordre  du  jour  relatif  au 
folklore  musical,  qui  fut  adopté  par  acclamation  sur  la  proposition  de  M""  Adajewsky 
et  qui  était  ainsi  conçu  :  «  L'assemblée  exprime  le  vœu  qu'il  se  constitue  une 
association  entre  les  femmes  de  tous  les  pays,  pour  qu'elles  s'occupent  de  recher- 
cher et  de  réunir  les  airs  populaires.  » 

—  La  Chitarra  francese  ria  Guitare  française),  c'est  le  titre  d'un  opuscule 
plus  intéressant  qu'il  n'est  gros,  et  dont  l'auteur  est  M.  Oscar  Chilesotti, 
l'excellent  musicographe  ilalien  qui  s'est  fait  une  sorte  de  spécialité  de  tout 
ce  qui  concerne  l'étude  et  l'histoire  des  anciens  instruments  à  cordes  pincées 
et  de  leur  musique,  et  dont  j'ai  eu  plus  d'une  fois  l'occasion  de  louer  ici  les 
excellents  travaux.  Il  s'agit,  dans  celui-ci.  de  la  crise  que  subit  le  luth,  entre 
le  seizième  et  le  dix-septième  siècle,  et  de  l'abandon  progressif  de  cet  instru- 
ment, devenu  insuffisant  en  présence  des  progrès  opérés  dans  la  musique,  au 
profit  delà  guitare,  plus  mélodique  par  elle-même,  d'une  sonorité  plus  corsée, 
et  qui  offrait  à  l'exécutant  des  ressources  beaucoup  plus  considérables.  Je  ne 
saurais  entrer  ici  dans  plus  de  détails  à  ce  sujet;  il  me  suffit  d'avoir  fait 
connaître  le  but  de  l'auteur,  très  bien  exposé  par  lui,  et  de  recommander 
eomme  il  le  mérite  son  modeste  travail,  aussi  intéressant  que  tous  ceux  qui 
l'ont  précédé.  A.  P. 

—  L'Association  musicale  de  Barcelone  avait  organisé,  pendant  le  carême, 
huit  grands  concerts  symphoniques  qui  ont  été  donnés  dans  la  salle  du  grand 
théâtre  du  Lycée,  les  trois  premiers  sous  la  direction  de  M.  Crocé-Spinelli, 
ancien  prix  de  Rome,  directeur  du  Conservatoire  de  Toulouse,  les  autres  sous 
celle  de  M.  Lamotc  de  Grignon.  directeur  artistique  de  l'Association,  avec  le 
concours  de  M.  Sainl-Saèns  et  de  MM.  Granados  et  Lliurat.  piani  tes,  et  de 
l'Orphéon  Graciench.  Parmi  les  œuvres  importantes  exécutées  aux  six  pre- 
miers concerts,  il  faut  signaler  :  les  Béatitudes,  de  César  Franck;  Maiifred,  de 
Sehumann:  la  symphonie  en  tni  b  de  Glazonnow;  le  concerto  de  piano  en  la 
mineur,  de  Grieg;  la  symphonie  en  ré  mineur,  de  Schumann;  le  concerlo  de 
piano  en  la.  du  même;  la  Forêt  enchantée,  de  Vincent  d'Indy;  la  Mer.  de 
Gilson;  Fantaisie  un  ri-,  de  Guy  Ropartz;  Lëiwre,  d'Henri  Duparc.  etc. 
M.  Saiut-Saéns  prenait  part  aux  deux  dernières  séances  ;  il  y  a  exécuté  le 
concerto  en  ut  mineur  et  la  sonate  en  mi  b,  op.  31,  de  Beethoven,  son  propre 
quatrième  concerto,  la  partie  de  piano  de  son  septuor  de  la  Trompette,  et, 
avec  M.  Granados,  une  transcription  pour  deux  pianos  de  la  sonate  en  si  b 
mineur,  de  Chopin.  Il  a  fait  entendre  aussi  son  poème  symphonique  la  .Jeu- 
nesse d'flercule. 

—  La  compagnie  lyriquj  catalane,  qui  occupe  en  ce  moment  le  Théâtre- 
Principal  de  Barcelone  sous  la  direction  du  maestro  Lambert,  a  donné 
récemment  plusieurs  œuvres  nouvelles  :  el  Miracle  de  Santa  Agnes,  musique 
de  M.  Montserrnt;  la  Llar,  musique  de  M.  Bartoli;  et  el  Testament  d'Amelia. 
de  M.  Espadaler.  Ce.,  diverses  œuvres  ont  alterné  avec  les  représentations  de 
la  Sonia  Espina  et  de  la  Reinavella,  du  poète  Guimera  et  du  compositeur 
Morera. 

—  Au  dernier  concert  symphonique  donné  par  le  Grand  Orchestre  Portu- 
gais, sous  la  direction  de  M.  Michel  Angelo  Lambertini,  au  théâtre  Dona 
Amelia  de  Lisbonne,  on  a  exécuté  avec  beaucoup  de  succès  les  Impressions 
£  Italie  de  Gustave  Charpentier  et  le  prélude  du  Déluge  de  Saint  Saëns,  dont 
l'interprétation  a  été  excellente. 

—  On  vient  d'inaugurer  à  Londres  une  nouvelle  salle  de  concerta.  St-Jume's- 
Hull.  qui  contient  1200  places.  Cet'e  salle  est  destinée  à  remplacer  l'ancien 
St-Jame"s-Hall  de  Regentstreet,  bien  connue  de  tous  les  artistes  qui  ont 
joué    à   Londres.    A   l'extérieur,   le   bâtiment,    en  style   renaissance  anglais, 


rappelle  le  ci  Victoria-Hall  »  de  Genève,  en  plus  simple.  Dans  le  sous-sol, 
un  restaurant,  où  deux  cents  personnes  peuvent  prendre  place.  La  salle  de 
concert  proprement  dite  a  un  parterre  et  une  galerie.  Les  sièges  sont,  à  toutes 
les  places,  de»  stalles  aménagées  pour  que  l'on  puisse  y  déposer  manteaux  et 
chapeaux.  Au  lieu  du  vulgaire  velours  rouge,  ce  nid  à  microbes  et  à  pous- 
sières, une  étoffe  faite  de  poils  de  chèvres,  de  fort  bonne  apparence,  les 
recouvre.  La  plate-forme  de  l'orchestre  peut  contenir  quatre-vingts  exécutants, 
et  ses  deux  cotés  sont  occupés  par  un  orgue  construit  par  Brindley  et  Poster, 
de  Sheffield.  La  ventilation  est  admirablement  réalisée.  L'air  frais,  tiré  du 
dehors,  passe  d'abord  dans  un  filtre  humide  où  il  se  débarrasse  de  ses  pous- 
sières, de  là  dans  les  tuyaux  chauffés  par  la  vapeur  (en  été  rafraîchis  par 
l'eau)  et  finalement  dans  la  salle  où  des  ventilateurs  électriques  le  distribuent 
par  vingt-six  ouvertures  grillées.  A  la  hauteur  du  plafond,  un  moteur  et  des 
extracteurs  pompent  l'air  vicié  et  le  rejettent  au  dehors.  Enfin,  ce  qui  a  son 
importance  en  cas  de  panique,  toutes  les  portes  s'ouvrent  indifféremment  en 
dedans  et  en  dehors.  Cette  salle  va  servir  tout  d'abord  à  une  série  de  «  Pro- 
menade-Concerts »  journaliers. 

—  Le  phonographe  appliqué  au  théâtre.  Celle-ci  nous  arrive  en  droite  ligne 
d'Angleterre,  et  elle  comporte  un  procédé  nouveau  dans  la  perfection  de  la 
mise  en  scène,  où  le  naturalisme  pourra  être  porté  à  sa  plus  haute  expression. 
Le  manager  d'un  théâtre  des  provinces  anglaises  était  fort  embarrassé  pour 
résoudre  une  grave  difficulté  scéuique.  Dans  un  drame  pathétique  il  avait, 
pour  un  épisode  de  grande  chasse,  à  faire  entendre  à  diverses  reprises  le 
rugissement  d'un  lion,  ce  qui  est  assez  difficile  â  reproduire  au  naturel.  Aucun 
de  ses  artistes  n'avait  les  poumons  assez  puissants  pour  remplir  le  rôle  du 
lion,  et  d'autre  part  il  avait  dû,  par  suite  de  l'opposition  de  son  personnel, 
abandonner  l'idée,  caressée  un  instant,  de  se  faire  prêter  un  fauve  et  de  l'ins- 
taller dans  les, coulisses  pour  en  obtenir  les  rugissements  nécessaires.  Tout  à 
coup  une  idée  lui  vint  :  faire  enregistrer  dans  un  phonographe  les  cris  du  roi 
du  désert.  Il  s'adresse  à  un  directeur  de  ménagerie,  tout  prêt  à  lui  rendre 
service.  On  place  l'instrument  dans  la  cage  de  l'animal,  mais  celui-ci.  après 
avoir  regardé  d'abord  d'un  air  soupçonneux  ce  meuble  étrange,  au  lieu  de 
rugir  essaie  d'entrer  sa  tète  dans  le  pavillon,  puis  bientôt  la  secoue  et  le  met 
en  pièces.  C'était  à  recommencer.  Cette  fois  on  s'y  prend  autrement.  On  place 
l'engin  seulement  devant  la  cage,  à  une  distance  suffisamment  respectueuse, 
et  en  mémo  temps  on  excite  le  lion  en  lui  montrant,  de  loin,  une  pièce  de 
viande  dont  la  vue  provoquait  ses  désirs  et  sa  colère,  si  bien  qu'il  se  mit  à 
grogner  d'abord  et  à  rugir  ensuite  comme  on  le  désirait.  Notre  manager  n'en 
demandait  pas  davantage;  il  emporta  son  instrument  dûment  approvisionné, 
et,  le  soir,  les  spectateurs  furent...  tellement  épouvantés  quand  ils  entendirent 
les  terrib'es  rugissements  qui  sortaient  du  phonographe  qu'ils  se  précipi- 
tèrent hors  de  la  salle  en  masse  et  comme  affolés.  Ce  fut  le  vide  instantané. 

—  Un  journal  deNew-York  prétend  que  des  pourparlers  sont  engagés  en  ce 
moment  pour  organiser  une  tournée  de  concerts  en  Amérique  de  l'orchestre 
philharmonique  de  Berlin,  sous  la  direction  de  M.  Siegfried  Wagner. 
Mmc  Cosima  Wagner  accompagnerait  son  fils.  Les  journaux  allemands  ont 
accueilli  cette  nouvelle  sans  y  croire  plus  que  nous. 

—  Les  Américains  n'ont  pas  de  rancune.  On  sait  la  petite  mercuriale  que 
leur  a  adressée  récemment  M.  Richard  Slrauss  à  propos  de  l'interdiction  qui 
a  frappé  les  représentations  de  Salomé  à  New-York  pour  cause  d'immoralité. 
Cela  n'a  pas  empêché  M.  Oscar  Hammerstein  de  demander  à  M.  Strauss  ses 
conditions  pour  l'exécution  en  cette  ville  de  son  nouvel  opéra,  Electre,  aussi- 
tôt qu'il  sera  achevé.  L'au\eur  de  Salomé,  qui  est  bon  prince  et  dont  la  mo- 
destie est  connue,  a  répondu  qu'il  se  contenterait  d'une  redevance  de 
10.000  dollars,  soit  30.000  francs.  On  ne  sait  pas  encore  si  M.  Hammerstein  a 
accepté. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

C'est  samedi  dernier  que  les  aspirants  au  concours  de  Rome  ont  subi,  à 
Compiègne.  la  pieinière  épreuve,  cellj  du  ejneours  d'essai  qui  décide  du 
choix  des  élèves  qui  participeront  au  concours  définitif.  Ceux-ci  ne  peuvent 
être  que  six  au  maximum,  qui  doivent  être  choisis  parmi  les  dix  jeunes 
artistes  qui  se  sont  présentés  cette  fois  et  dont  voici  les  noms  :  M,k'  Nadia 
Boulanger.  MM.  Mazellier,  André  Gailhard,  Tournier,  Marc  Delmas,  Flament, 
Niverd,  Raymond  Saurai.  Galan  et  Chevaillier.  Le  sujet  de  la  fugue  a  été 
dicté  aux  candidats  par  AI.  Camille  Saint-Saëns,  après  quoi  M.  Théodore 
Dubois  leur  a  lu  le  poème  sur  lequel  ils  doivent  écrire  un  chœur  à  quatre 
parties;  c'est  une  poésie  de  Sully-Prudhomme,  intitulée  :  .1  l'Hirondelle. 

—  Snegourotchka  joue  de  malheur  à  TOpéra-Comique.  Voici  Mme  Marguerite 
Carré  atteinte  de  la  grippe  et  la  présentation  de  cette  œuvre  remise  à  la 
saison  prochaine.  Par  suite  c'est  le  Clown  de  M.  Camondo  avec  M"cFarrar  qui 
va  prendre  les  devants.  On  en  annonce  la  répétition  générale  pour  jeudi 
et  la  «  première  »  pour  le  samedi  16.  —  Spectacles  prochains  :  ce  soir  samedi, 
le  Jongleur  de  Notre-Dame  et  (es  Noces  de  Jeannette.  Dimanche,  en  matiDée: 
In  Vie  de  Bohème  et  la  Habituera  :  le  soir  Carmen;  Lundi,  en  représentation 
populaire  â  prix  réduits  ;  Mireille. 

—  L'Opéra  n'a  pas  eu  beaucoup  plus  de  chance.  M"e  Mary  Garden  devait 
chanter  Tlui'is.  lundi  dernier,  en  compagnie  de  M.  Renaud,  et  voici  qu'au  der- 
nier moment  elle  fut  prise  d'une  subite  attaque  d'inlluenza,  qui  obligea  à 
changer  le  spectacle  et  à  rendre  une  partie  d'une  formidable  recelte.  On 
espère  pouvoir  la  retrouver  lundi  prochain,  si,  comme  tout  le  fait  supposer, 


LE  MÉNESTREL 


loi 


Mllc  Garden  est,  cette  fois,  en  état  de  chanter.  A  propos  de  Tluiis,  l'originale 
artiste  vient  de  donner  à  l'un  de  nos  confrères  (Nicolet  du  Gaulois)  une  cu- 
rieuse interview  : 

C'est  par  Tluiis  que  j'ai  débuté  à  New- York  et  c'est  par  la  même  œuvre  que  je 
débute  à  l'Opéra,  dit-elle.  Une  grande  émotion  encore,  ce  début  à  l'Opéra  !  Décidé- 
ment, je  devrai  bien  des  émotions  à  Thaïs.  Vous  comprenez  :  on  n'affronte  pas  ainsi 
tout  un  public  gâté,  sceptique  aussi,  qui  exige  d'autant  plus  que  l'on  est  plus 
connu,  sans  ressentir,  ati  fond  de  soi,  la  petite  é|>nn\ ;mj!i\  Ou  se  ilil  que  c'es'  !.. -f . ■ . 
que  tout  ira  bien.  Mais  on  a  beau  dire  :  ça  vous  lienl  la,  dans  le  cœur,  '-t  ça  vous 
mord  et  ça  vous  serre...  Mais  quel  rù  e  superbe,  Thaïs  !  Ce  m'est  une  passion.  Voilà 
une  courtisane!  Ah  !  celle-ci  l'est  magniliquemenl.  Ce  n'est  pas  de  la  fanfreluche,  ce 
n'est  pas  la  poupée  d'amour  comme  Aphrodite,  comme  Phrynô.  Ah  !  non,  ce  n'est 
pas  la  courtisane  de  sucre...  Thaïs,  c'est  la  bête  féroce! 

Et  la  belle  cantatrice  nous  apprend  ensuite  qu'elle  chantera  Hrmilet  avec 
M.  Renaud,  puis  Faust:  qu'après  cela  elle  ira  donner  à  Cologne  des  représen- 
tations de  Pelléas  et  Mélisande  avec  ses  camarades  MM.  Dufranne  et  Jean 
Périer,  et  enfln  qu'elle  fera,  le  16  novembre  prochain,  l'inauguration  de  son 
théâtre  à  Philadelphie  : 

Je  dis  mon,  parce  qu'il  est  bâti  à  cause  de  moi.  Le  directeur  du  Manhattan 
Opéra,  M.  Hammerstein,  a  été  si  heureux  dans  cette  dernière  campagne,  qu'il  a  tout 
de  suite  imaginé  d'avoir  un  autre  théâtre  à  Philadelphie,  un  auditorium  de 
A. 000  places,  où  il  m'a  fait  promettre  d'aller  tous  les  hivers  le  plus  longtemps  pos- 
sible. J'ai  passé  un  contrat  pour  quatre  ans,  cinq  mois  chaque  saison.  Je  partagerai 
mon  temps  entre  le  Manhattan  de  New- York  et  le  nouvel  opéra  de  Philadelphie.  Je 
jouerai  Sapho,  Grisétidis,  le  Jongleur  de  Notre-Dame  en  travesti,  Salomé... 

—  Nous  aurons  encore  à  l'Opéra  quelques  autres  belles  soirées  avec 
M""  Rose  Caron.  notre  grande  Caron,  qui  va  y  donner  des  représentations 
de  Salammbô  et  de  Sir/unl.  Enfin  ne  dit-on  pas  que  Caruso,  oui  Caruso  lui- 
même,  va  chanter  chez  MM.  Messager  et  Broussan  au  bénéfice  de  la  caisse 
des  retraites  de  la  Société  des  auteurs.  Ce  serait  pour  1  ■  Il  juin.  Caruso  sortira 
pour  cette  occasion  un  de  ses  opéras  italiens  les  moins  défraîchis. 

—  A  1  Opéra  encore  la  locat:on  est  ouverte  pour  les  représentations  de 
Boris  Godounow  qui  auront  lieu,  sous  le  patronage  de  LL.  AA.  IL  le  grand-duc 
et  la  grande-duchesse  Wladimir.  les  19.  "21,  2i,  26,  31  mai,  2  et  4  juin. 
M.  FélixBlumenfeld.  l'éminent  chef  du  Théâtre-Impérial  de  Saint-Pétersbourg. 
a  dirigé  déjà  quelques  répétitions  d'orchestre.  Aux  ateliers  du  boulevard 
Berthier.  on  achève  le  montage  des  sept  décors  envoyés  de  Russie. 

—  La  troisième  Chambre  du  tribunal,  que  présidait  hier  M.  Allaire,  a  solu- 
tionné ce  curieux  procès  intenté  par  un  éditeur  allemand  contre  la  direction 
de  la  Scala  de  Paris,  parce  que  les  auteurs  d'une  revue,  jouée  dans  cet  éta- 
blissement, s'étaient  permis  d'emprunter  plusieurs  airs  à  une  opérette  autri- 
chienne sur  laquelle  il  a  tous  droits  de  propriété.  L'Écho  de  Paris  rappelle  en 
quelques  mots  l'affaire.  Il  y  a  plusieurs  mois,  dans  la  revue  l'nitr  ms  beaux 
yeux,  les  auteurs  avaient  intercalé  quatre  airs  empruntés  à  In  Joyeuse  Veuve. 
Ils  auraient  ainsi  défloré  en  France  une  œuvre  qui,  ayant  à  peine  vingt  mois 
d'existence,  fut  représentée  avec  un  immense  succès  sur  de  nombreuses 
scènes  de  l'étranger  et  a  rapporté  des  sommes  extrêmement  considérables 
comme  droits  d'auteur.  L'éditeur,  M.  Adolf  Sliwinski,  a  donc  assigné  la  direc- 
tion de  la  Scala  en  36.000  francs  de  dommages-intérêts  pour  le  préjudice 
causé,  préjudice  qu'il  a  été  amené  ainsi  à  établir  : 

Le  concert  de  la  Scala  contient  1.200  places.  La  revue  Pour  vos  beaux  yeux  a  eu 
120  représentations.  Et,  comme  j'estime  à  0  fr.  25  par  place  le  dommage  qui  m'a  été 
causi  du  chef  de  l'emprunt  de  quatre  ou  cinq  passages  de  la- Joyeuse  Veuve,  je 
n'ai  qu'a  multiplier  1.200  par  12j,  et  le  total  par  25  centimes,  soit  :  36.000  francs. 

Le  tribunal  n'a  pas  pris  en  considération  cet  ingénieux  raisonnement,  et, 
déboutant  l'éditeur  de  sa  demande,  il  l'a  condamné  en  tous  les  dépens  de  son 
téméraire  procès.  A  l'argument  que  faisait  valoir  M.  Sliwinski,  à  savoir  que 
l'opérette  autrichienne  avait  été  publiée  concurremment  à  Vienne  et  à 
Leipzig  et  que  l'œuvre  dès  lors  devait  rentrer  dans  la  sphère  d'application 
de  la  Convention  de  Berne  du  9  septembre  1886,  à  laquelle  ont  adhéré 
l'Allemagne  et  la  France,  le  jugement  répond  : 

Attendu  que  Sliwinski,  contrairement  aux  prescriptions  formelles  de  la  Conven- 
tion de  Berne,  ne  justifie  pas  l'accomplissement  en  Allemagne  d'aucune  des  forma- 
lités prescrites  par  ia  législation  de  ce  pays; 

Attendu,  dans  ces  conditions,  qu'on  ne  peut  pas  dire  que  le  pays  d'origine  de 
l'œuvre  soit  l'Allemagne; 

Attendu  que  les  auteurs  de  la  partition  et  les  prétendus  auteurs  du  livret  sont 
tous  Autrichiens  ; 

Que  la  pièce  a  été  éditée,  comme  il  vient  d'être  dit,  à  Vienne; 

Que.  de  plus,  avant  d'être  ainsi  éditée  à  Vienne,  elle  y  avait  été  représentée  au 
théâtre  ; 

Attendu,  dès  lors,  qu'il  y  a  doublement  Heu  de  mettre  l'opérette  susdite  sous 
l'empire  de  la  convention  conclue  à  Vienne,  le  11  décembre  1866,  entre  la  France  et 
l'Autriche,  des  œuvres  d'esprit  et  d'art; 

Attendu  que  la  déclaration  prescrite  par  cette  convention  n'a  pas  été  faite  au 
ministère  de  l'intérieur,  en  France,  pour  l'opérette  :  la  Joueuse  Veuve,  dans 
les  trois  mois  de  sa  première  représentation  ou  de  sa  première  publication  en  Au- 
triche ; 

Qu'en  conséquence,  Sliwinski  est  mal  fondé  à  poursuivre  la  direction  de  la  Scala 
pour  représentations  en  France  d'airs  dépendant  de  la  partition  de  cette  opé- 
■rettè  ; 

Attendu  d'un  autre  côté,  que  c'est  vainement  que  Sliwinski  invoque  la  protection 
de  la  loi  française,  en  disant  que  le  livret  est  tiré  d'une  comédie  française  de 
Meilhac... 

Et  le  jugement  conclut  en  disant  qu'en  raison  du  défaut  d'enregistrement 
au  ministère  de  l'intérieur  à  Paris,  dans  les  trois  mois  de  la  première  repré- 


sentation  au   public,  a   Vienne  (Autriche),  dj  la  r   ■ 

jouir  en  Francedu  bénéfice  delà  propriété  littéraire  au  pr)fit  d     - 

ou  de  leurs  cessionnaires. 

—  L'Assemblée  générale  de  l'Association  des  Artistes  musiciens    : 
Taylor)  aura  lieu  le  mardi  12  mai,  à   une  heure  el    i  ■un  ■   préci 

grande  salle  du  Conservatoire  de  musique  ei  de  déclam  ition  entrée  par  la  rua 
du  Conservatoire).  Ordre  du  jour  ;  1"  Compte  rendu  sur  la  gestion    ! 
pendant  l'année  190"!  et  la  situation  financier-'  el    a  Vssoci  ition,  par 

M.  Paul  Bougnon,  vice-président;  2"  Approbation  i-  l'année 

1907;  3"  Vote  du  projet  de  budget  de  l'année   1909     i         setion  de  quinze 
membres  du  Comité. 

—  Le  premier  des  quatre  récitals  de  M.  Moriz  Rosenthal  a  eu  lieu  uurdi  ;i 
la  salle  de  la  rue  d'Athènes.  Le  célèbre  pianiste  viennois,  qui  ne  s'était  pis 
produit  à  Paris  depuis  plusieurs  années,  nous   revient   toujours  en   pi 

d'une  technique  prodigieuse,  d'une  gamme  de  colorations  éblouissantes,  avec 
en  plus  d'autrefois  une  note  de  charme  et  d'émotion  qui  lui  manquait  un  peu 
jadis.    Auparavant  M.   Rosenthal,  qu'il    le  cherchât  ou  non.  étonnait    sans 
émouvoir  ;  cette    fois   il   a  su.  en   des  accents   tendres    ou   pathétiques,    Caire 
vibrer  tout  son  auditoire  en  une  communion  de   pensée  et  de  sentia 
constitue  le  plus  bel  éloge  qu'on  puisse  décerner  :i  -on  superbe  et  prestigieux 
talent.  Le  Prélude  et  Fugue  de  Bach,  la  sonate  op.  109  de  Beelb 
naval  de  Schumann.  surtout  les    ;  /'    lutte  .  la  Valse  et  la  Berceuse  de  Chopin 
ainsi  que  le  Sclierzo  du  même  maître;  le  poétique  Vo  lurne  en  mi  bémol  et  le 
délicat  Impromptu  de  Gabriel  Fauré:  enfin  de  l'artiste  même,  une  amusante 
pièce.  Papillons,  qui  fut  bissée,   une  Eumoreske  et  Fuguto  sur  des   motifs   de 
J.  Strauss,  dont  le  virtuosisme  effréné  ne  masqu?  pas  la  pauvreté  a 
et  un  Chanl  polonais  de  Chopin  que  M.  Rosenthal   dut  ajouter  au  programme, 
valurent  à  l'admirable   pianiste  des  ovations   sans   fin.  Le  %■  récital  a  li  iu  ce 
samedi  9  mai,  et  les  autres  les  1  i  et  21 . 

—  Un  violoniste  de  talent  et  de  race,  tout  jeune  encore.  M.  Bilewski, 
vient  de  donner  à  U  salle  Erard  un  très  brillant  concïrt  qui  lui  a  valu  un 
gros  succès  comme  interprète  et  du  concerto  en  mi  majeur  de  Baeh  et  de  la 
%*■  sonate,  op.  79.  pour  piano  et  violon  de  Widor.  que  l'auteur  lui  accompa- 
gnait, et  qui  valut  quatre  rappels  aux  deux  interprètes,  et  du  concerto  de 
Lalo,  et  de  l'émotionnante  Berceuse  pour  an  soir  d'automne  d'Ernest  Moret.  Il  a 
joué  tout  son  programme  avec  une  sonorité  tout  à  fait  particulière,  une 
technique  et  un  style  absolument  remarquables  et.  par-dessus  tout,  un 
charme  intense  et  pour  ainsi  dire  douloureux  qui  en  fait  une  des  personna- 
lités les  plus  marquantes  parmi  les  grands  virtuoses  modernes. 

—  MM.  Alfred  Cortot,  Jacques  Thibau  I.  Pablo  Casais,  les  trois  célèbres 
virtuoses,  vont  donner  trois  séances  à  Paris.  Les  dates  sont  fixées  aux  13.  16 
et  19  mai  en  soirée,  salle  des  Agriculteurs.  Deux  séances  seront  consacrées  aux 
œuvres  de  Rameau,  Corelli,  Beethoven.  Mendelisohn.  Brahms,  Dvorak  et 
Lalo.  el  la  troisième  exclusivement  à  l'audition  des  trios  de  Schumann. 

—  La  Société  des  concerts  classiques  de  Marseille  a  donné,  pjur  la  clôture 
de  sa  saison,  la  première  audition  d'un  poème  symphoniqne  de  M.Jules  Gou- 
dareau.  Voix  d'eu  haut,  œuvre  considérable  et  digne  d'intérêt,  dont  l'exécutioa 
a  obtenu  un  très  vif  succès. 

—  Oa  nous  écrit  de  Mulhouse  que  le  2  mai,  au  concert  de  »  Coacordia  ». 
à  eu  lieu  la  première  audition  d'une  œuvre  importante  de  M.  Charles  Lefeb- 
vre,  la  Fille  de  Jephté,  poème  lyrique  pour  soli.  chœurs  et  orchestre,  écrit  sur 
une  poésie  d'Alfred  de  Vigny.  Le  programme  du  concert  comprenait  aussi  le 
bel  oratorio  de  Ma=senet,  Marie-Magdeleine.  Les  deux  œuvres,  exécutées  d'uni 
façon  remarquable  sous  l'excellente  direction  de  M.  J.  Ehrarl,  ont  été  accla- 
mées, et  leur  succès  a  été  complet.  Ce  succès  a  été  partagé  par  M.  Piamo  1- 
don.  l'excellent  chanteur  qui  était  l'interprète  principal  de  l'une  et  de  l'autre. 

—  Soirées  et  Concerts.  —  Audition  des  élèves  de  M.  et  M""  Billard,  de  l'Opéra,  e; 
grand  succès  pour  M'1"  N...  dans  Cavalleria,  M1"  B.  et  M.  Berquierre  dans  le  duo  de 
Lakmc,  Mrae  D...  dans  l'air  de  la  Vierge,  de  Massenet,  et  dans  nombre  de  mélodies 
du  maître  toujours  applaudi. 

NÉCROLOGIE 
Un  pianiste  distingué  qui  s'était  fait  chanteur  d'opéra  d'abord,  d'opé- 
rette  ensuite,  Henri  Emmanuel,  est  mort  cette  semaine  à  Paris,  à  l'à"e  de 
66  ans.  Né  à  Paris  le  15  mai  1842,  il  était  entré  de  bonne  heure  au  Conserva- 
toire, où  il  avait  obtenu  successivement  le  second  et  le  premier  accessit,  le 
second  prix  et  enfin  le  premier  prix  de  piano  (1862).  Puis  il  avait  pris  le 
théâtre,  s'était  engagé  comme  ténor  à  Bordeaux,  à  Strasbourg,  avait  fait  une 
apparition  à  l'Opéra-Comique  en  1869,  puis  était  allé  à  Marseille,  de  là  au 
Caire,  et,  de  retour  à  Paris,  s'était  montré  aux  Variétés  et  aux  Bjulïes-Pari- 
siens.  Dans  ces  dernières  années  il  s'était  livré  à  l'enseignement.  Comme 
compositeur.  Emmanuel  avait  publié  un  certain  nombre  de  morceaux  de  chant. 

—  Augusta  Gôlze,  chanteuse  de  la  Cour  de  Saxe,  vient  de  mourir  à  Leip- 
zig. Nommée  en  1874  professeur  de  chant  au  Conservatoire  de  cette  ville. 
elle  abandonna  bientôt  ses  fonctions  dans  cet  établissement  tout  en  conti- 
nuant ses  leçons  privées.  Liszt  l'appréciait  beaucoup,  principalement  pour  sa 
manière  de  présenter  les  parties  déclamées  de  ses  mélodrames.  Elle  fut  en 
effet  un  excellent  professeur  de  diction.  On  compte  parmi  ses  élèves 
jimes  Panny  Moran-Olden.  Adrienne  Kraus-Osborne,  etc. 

Henri  Heigel,  directeur-gérant. 


loi 


LE  MÉNESTREL 


Paris,    AU    MÉNESTREL,    2  bis,   rue    Vivienne,    HEUGEL   et  Ge,   éditeurs-propriétaires. 

lUOTETS  POUR  LE  ]H0IS  DE  JUARIE 


C.  ANDRÈS.  Ave  Maria,  à  2  voix  égales 6    » 

E.  BATISTE.  Ave  Maria,  à  2  voix  (S.  et  T.  ou  B.)  .       1  50 
H.  BEMBERG.  Ave  Maria,  1  voix 4    » 

F.  BENOIST.  Ave  Maria  (M.  S.) 3    » 

G.  BERARDI.  ArsJtforta,  1  voix  avec  harmonium 

et  piano 5    » 

_  Are  Maria,  1  voix  avec  harmonium 

et  violoncelle b    » 

E.  BERGER.  Aue  Mono,  1  voix 5    » 

BIENAIMÉ.  Are  njni»  cœlorum,  4  voix    .....      3    » 
BLIN  (abbé).  Salve  regina,  3  voix 2  50 

_  Sub  tuum,  2  voix 2  50 

BOUICHÈRE.  Aie  Maria  (S.  ou  T.) 3    » 

—  Salve  regina,  4  voix  (S.  A.  T.  B.i  .   .       4  50 
_  Sancla  Maria,  4  voix  (S.  A.  T.  B.).  .      7  50 

Parties  séparées. 
L.  BROCHE.  Aie  Maria,  1  voix,  violon  ad  lib  ...      5    » 
BRIDAYNE  (Père).  Litanies  de  la  Sainte  Vierge  .   .      3  75 
CAZENAUD.  Ave  Maria,  1  voix,  orgue  et  violoncelle 

ad  lib 6    * 

CHEROUVRIER.  Litanies,  spli  et  chœur,  3  voix.   .      9    » 
CHERUBINI.  Célèbre  Ave  Maria  : 

>"°9  1  pour  soprano  ou  ténor 5    » 

2  pour  contralto  ou  baryton 5    j> 

3  pour  soprano  ou  ténor  avec  violon.   .      6    » 

4  pourcontralto  ou  baryton  avec  violon.      6    » 

5  avec  orchestre 15    » 

-.           Regina  cœli,  posthume.  2  ou  3  \oix  .      7  50 
_  Benedkta  lu,  trio  (S.  T.  B.) 6    » 

L.  COHEN.  Ave  Maria  (T.  ou  S.) 3  "a 

C.  CCI.  Ave  Maria,  2  v.  (S.  etC),  avec  chœur  ad  lib.      6    » 

_      Le  même,  lv.  (S.  ou  C),  avec  chœur  ad  lib.      5    » 

L.  DE  CR0ZE.  Regina  cœli,  3  voix 9     » 

F.  DANJOU.  Salve  regina,  4  voix  (S.  A.  T.  B.).  .   .      6    » 

—  Célèbre  Sub  tuum,  4  voix  (S.  A.  T.  B.).      6    » 

Parties  séparées. 

L    DELIBES.  Are  Maris  Stella,  2  voix 6    » 

A.  DESLANDRES.  Ave  Maria  (T.  ou  S.),  avec  violon 

ou  violoncelle 6    * 

—  Inviolata  (T.  ou  S.)  avec  clari-      _  _ 

nette  ou  violon  ou  cor  anglais.       t  oO 

—  Tota  pulchra  es,  ténor  et  chœur 

avec  harpe 9    » 

Parties  séparées,  chacune,  net.   .       »  30 

—  Ave  Maris  Stella,  duo  (S.  et  T.)  .      6    » 

—  Sub  luutn,  trio  (S.  T.  B.),  avec  cor, 

violon,  violoncelle,  1  arpe,  orgue 
et  C.  B.    Partition  et    parties 
d'instruments  (le  cor  ad  lib).  .     12    » 
_  Sancta  Maria,  duo  pour  2  sopr.       G    » 

DIETSCH  Sancta  Maria,  4  voix 4  50 

TH   DUBOIS    Ave  Maria  en  la  b  solo  (S.  ou  T.)  .    .      5    » 
là  M.  Bosquin). 

Le  même  en  fa,  mezzo-sop 5    » 

Le  même  en  mi  p  pour  C.  ou  B  .   .   .      5    » 
Le  même  en  la  b  pour  S.  ou  T.  avec 

violon  ou  violoncelle  et  harpe.  .    .       7  50 
Le  même  en  fa  pour  mezzo-sop.  a\ec 

les  mêmes  instruments 7  50 

—  Ave  Maria  en  sol  (S.  ou  T.) 5    » 

(à  M.  Miquel). 

Le  même  en  fa,  mezzo-sop 5    » 

Le  même  en  mi  b  pour  C.  ou  B.    .   .      5    » 
Ave  Maria  en  mi  b ^    ? 

—  Ave  Maria  en  la  majeur 5    » 

(à  Ch.  Lefebvrc. 

—  Ave  Maria  en  mi  b,  baryton  ....       5    » 

—  Ave  Maria  en  sol,  duo  (S.  et  T.).   .   .      5    » 
Ave  Maria  en  mi  b  min.,  duo  2  sop.       5    » 

_  Ave  Maria   en  sol  majeur,   chœur 

(S.  A.  B.  T.) 5    » 

Parties  séparées. 

—  Ave  Maria  en  la  b,  chœur  (S.A.T.B.).      5    s 
Parties  séparées. 

—  Ave  Maria  en  la  mineur,  solo  de  so- 

prano et  chœur  (S.  A.  T.  B.}  .   .    .      5    » 
Parties  séparées. 

—  Are  Maria  en  ta  b.  duo  (T.  et  B.), 

chœur  (S.  A.  T.  B.) 6    » 

Parties  séparés. 
_  Sub  tuum  en  re  o.  trio   S.  T.  B.)  .    .       ô     » 

—  Sub  tuum  en  la  b,  quatuor  (S.C.T.B.).      G    » 

—  Regina  Cœli  en  si  b,  solo,  duetto  et 

et  chœur  à  3  voix  (S.  T.  B. ,.  .   .   .      6    » 
Parties  séparées. 
Le  même  avec  orchestre  .......       »    » 

—  Non  fecit  tailler,  motet  solennel,  soli, 

chœurs  (S.  A.  T.  B.)  et  orchestre. 
Partition  réduite  par  l'auteur,  net.   .      4    » 
Chaque  partie  vocale  séparée,  net.   .      »  50 

Partition  et  parties  d'orchestre. 

—  Ego  Mater    (Extrait  du   précédent), 

solo  de  soprano * 

Le  même  avec  orchestre. 

E.  DUVAL.  Sub  tuum,  antienne,  4  voix 3  75 

D'ETCHEVERRY.  Ave  Maria,  1  voix 2  50 


D'ETCHEVERRY.  Sub  tuum,  1  voix 

J.  FAURE.  Ave  Maria  en  mi  b  ponr  M.  S.  ou  T., 
orgue  ou  piano  et  chœur  ad  lib  .   .   . 

—  Ave  Maria  en  mi  j?  (S.  ou  T.)  et  ch.  ad  lib 
Parties  dé  chœur. 

Ave  Maria  en  la  mineur,  avec  violon  ou 
violo'icelle 

—  Ave  Maria,  avec  violon  ad  lib 

—  Mater  divinœ  gratiœ 

—  Sancla  Maria  (1.  21,  1  voix 

Le  même  avec  piano,  violon  et  orgue 
ad  lib 

—  Sub  tuum  (B.  ou  M.  S.),  chœur  ad  lib. . 

Parties  de  chœur. 
GABRIEL  FAURÉ,  Ave  Maria,  à2v.  de  femmes,  net 

C.  FRANCK.  Ave  Maria,  à  4  voix 

F.  A.  GEVAERT.  Tota  pulchra  es 

GLUCK.  Ave  Maria, 'i  voix 

—      Mater  divinœ  gratice,  solo  et  chœur  ad  lib  . 

CH.  G0UN0D.  Célèbre  Ave  Maria  sur  le  premier 

Prélude  de  Bach  : 

N"  1        Pour  soprano  ou  ténor   .... 

1  bis  Pour  mezzo-soprano 

1  ter  Pour  contralto  ou  baryton  .    .    . 

2  Pour  soprano  avec  violon  ou  vio- 

loncelle, orgue  ad  lib.  et  piano. 
2  bis  Même  édition  pour  M.  S.   .   .    . 

2  ter  Même  édition  pour  C.  nu  B.    . 

3  Avec  orchestre  pour  sopr., violon 

solo,  orgue  et  piano. 
Partition  et  parties  d'orch.  net. 
3  bis  Pour  orchestre  et  chœur  avec 
violon  principal  .   ...    net. 

Le  chœur  séparé '    . 

—  Inviolata,  à  2  voix  égales 

GUGLIELMI.  Monstra  le,  à  2  voix 

F.  HALÉVY.  Ave  Maria,  soprano 

H£NDEL.  Eece  concipies,  4  voix 

—  Hymne  à  la  Sainte  Vierge 

J.  HENRY.  Ave  Maria,  1  ou  2  voix 

G.  HÉQUET.  Salve  regina,  4  voix 

HIMMEL.  Sancta  Maria,  soprano  et  chœur  ad  lib  . 
HUMMEL.  O  Virgo  intemeruta,  solo  et  chœur  ad  lib. 

KERVAL.  Ave  Maria 

P.  KUNC.  Regina  cœli 

—  Ave  Maria,  4  voix 

LABAT  DE  SÉRÈNE.  C:i;brs  "eaina  cal:,  à  3  voix 

égales 

Parties  séparées  in-16. 

A.  LAFFITTE.  Aie  Maria,  2  voix 

LAF0RESTERIE.  Ave  Maria,   1  voix,  avec  orgue, 

piano  ou  harpe  ad  lib  .... 

E.  LAL0.  Litanies,  choral   pour  dessus,    ténor  et 

busse,  orgue  ou  piano 

LAMBILLOTTE.  Ave  Maria,  mi  b,  chœur    .... 

—  Ave  Maria,  solo  mi  b 

—  Ave  Maria,  duo 

—  Ave  Maria,  canon 

—  Ave  Maria  (de  Doosl 

—  Ave  Maria  (duo  dialogué) .   .   .   . 
Ave  Maria,  pastorale  3  voix  .    .   . 

—  Ave  Maris  Stella,  chœur,  4  voix  . 

—  Ave  Maris  Stella,  chœur,  3  voix  . 

—  Ave  Maris  Stella,  2  chœurs  .    .    . 

—  Ave  regina,  trio.  . 

—  Benedkta  Maria,  solo  et  chœur.  . 
Recordare,  o  Virgo,  chœur.   .   .   . 

—  Regina  cœli,  chœur 

—  Regina  cœli,  en  sot,  solo  et  chœur. 

—  Regina  cœli,  en  la  b,  chœur  .   .    . 

—  Salve  regina,  solo  et  chœur    .    .    . 

—  Salve  regina  (Diàbelli) 

—  Tota  pulchra  es,  en  mi  b,  solo  et 

chœur 

—  Tota  pulchra  es 

—  Tota  pulchra  es,  en  ut,  solo  avec 

hautbois 

Tota  pulchra  es  en  ta,  solo  avec 
hautbois 

—  Sub  tuum,  chœur 

Parties  vocales  de  ces  divers  mor- 
ceaux, chaque net. 

0RLAND0  LASSO.  Salve  regina,  4  voix 

LEFÉBURE-WÉLY.  Ave  Maria 

X.  LEROUX.  Ave  Maria  (1,  2,  3) 

LIMNANDER.    Ave  Maria,. 2  ou  3  voix 

—  Regina  cœli.,  2  ou  3  voix 

—  Salve  regina,  1  voix 

R.  LINDAU.  Ave  Maria,  pour  C.  et  S 

CH.  LOISEL.  Ave  Maria  en  la  b  (S.  ou  T.)  .... 

—  Ave  Maria  en  fa  (S.  ou  T.) 

—  Ave  Maria  en  ta  mineur  (Si.  S.'.    .    ■ 

Ave  Maria  en  re  (B.  ou  C.) 

Ave  Maria  e^  ut,  4  voix 

—  Ave  Maria  en  sot,  4  voix 


1  50 

2  50 


CH.  LOISEL.  Sub  tuum  (S.  ou  M.-S.) 

—  Aima  redemptoris,  4  voix.    .    .    .    .    . 

—  Ave  Maris  Stella,  4  voix 

—  Monstra  te,  4  voix .   . 

—  Regina  cœli,  4  voix ........   . 

—  Célèbre  Salve  regina,  4  voix.  .    .'.    . 
DE  LONGPÉRIER.  Sub  tuum 

F.  LUÇON.  Ave  Maria,  3  voix  (S.  T.  B.) 

—  Sub  tuum,  3  voix  (S.  T.  B.) 

—  Tota  pulchra  es,  4  voix 

CH.  MAGNER.  Ave  Maria  (M.-S.  ou  B.) 

H.  MARÉCHAL.  Ave  Maria  S.,  solo  et  chœur  a\ec 

orgue  (contrebasse  ad  lib.  ) .   .   . 

Parties  de  chœurs,  chaque net. 

MARM0NTEL.  Ave  Maria  (S. i 

—  Sancta  Maria 

G.  MARTY.  Ave  Maria  (T.) 

MASCAGNI.  Célèbre  Ave  Maria  (intermezzo)  : 

N09  1.  Soprano  ou  ténor  avec  piano 

2.  Soprano  ou  ténor  avec  piano,  harmo- 

nium, harpe,  violon,  violoncelle  ad  lib. 

3.  M.-S.  ou  B.  avec  piano 

4.  M.-S.  ou  B.  avec  piano,  harmonium, 

harpe,  violon,  violoncelle  ad  lib..   .   . 

5.  C.  ou  basse  avec  piano 

6.  C.  ou  basse  avec    piana,   harmonium, 

harpe,  violon,  violoncelle  ad  lib.   .   . 
J    MASSENET.  Célèbre  AveMaria  (Méditation)  : 
N™1.       M.-S.  avec  piano  ou  orgue  .   . 

1  bis.  Sop.  avec  piano  ou  orgue  .    .   . 
2.       M.-S.    avec   violon,    piano   ou 

harpe  et  orgue  ad  lib.   .   .   . 

2  tas.  Sop.  avec  violo  .piano  ou  harpe 

et  orgue  ad  lib 

—  Ave  Maris  Stella,  2  voix 

MELIANI.  AveMaria,  3  voix 

MENDELSSOHN.  Sub  tuum,  duo 

A.  MINÉ  Célèbre  Ave  Maria  : 

N°!  1.  En  sol  mineur  pour  T.  ou  S 

2.  En  fa  mineur  pour  M.-S.   ...... 

3.  En  sol  mineur  pour  T.  avec  violon  .   . 

4.  En  fa  mineur  pour  M.-S.  avec  violon  . 

Parties  de  chœur  ad  lib. 
DE  M0NGE.  Ave  Maria,  pour  M.-S 

—  Sub  tuum,  4  voix 

Parties  séparées. 
G.  M0UREN.  Ave  Maria,  1  voix 

—  Ave  Maria,  4  voix 

S.  NEUK0MM.  Ave  Maria,  4  voix 

—  Salve  regina,  4  voix    ....... 

NICOU-CH0RON.  Regina  cœli,  soli  et  chœur  ad  lib. 

N1EDERMEYER.  Ave  Maria  (S.  ou  T.) 

Ave  Maria  (M.-S.  ou  B.),  avec 
chœur ,   ._  . 

—  Inviolata,  2  voix  . 

—  Monstra  le,   4  voix  a\cc  solo  de 

ténor  ou  soprano 

Sancta  Maria,  5  voix 

PALADILHE.  Salve  regina  (S.  ou  T.) 

PALESTRINA.  Dèi  mater  aima,  4  voix 

PAN0FKA.  Ave  Maria  (S.  ou  T.) 

PÉRILHOU.  Ave  Maria 

PILOT.  Félix  es  Sacra 

P0RET.  Ave  Maria,  4  voix 

S.  ROUSSEAU.  Ave  Maria  en  ta,  S.  ou  T.  et  chœur 
ad  lib.  à  4 voix  mixtes  avec  orgue, 
viulon,  violoncelle,  harpe,  con- 
trebasse. Partition 

Pa-ties  de  chœur. 
Le  même,  en  solo  avec  orgue  seul  . 

—  AveMaria, Icn/'u.fM.-S.  ouB.).  .   . 
Le  même,  pour  T.  ou  S 

—  Ave  Maria,  trio  pour  voix  égales.   . 

—  Sub  tuum  (S.  ou  T.) 

Ave  Maris  Stella  (S.  ouï.)  .    .    .   . 

—  Mater  divinœ  gratiœ,  duo  voix  égales. 

—  Tota  pulchra  es, duo  ou  chœur  pour 

v.  égales  avec  une  3°  partie  ad  lib. 

D.  RUBINI.  .Ire.l/arta  (S.j 

RUBINSTEIN.  A. e  Maria,  duo 

H.  DE  RUOLZ  Ave. Maria,  3  voix 

G.  DE  SAINBRIS.  Ave  Maria  (S.  ou  T.),  avec  violon 

ou  violoncelle  ad  lib 

—  Salve  regina,  G  voix 

SAINT-QUENTIN.  Sub  tuum 

SCHMITT.  Ave  Maria,  chœur  hommes 

—  Alrnu  redemptoris  (T.),  avec  chœur.  .    . 
SCHUMANN.  Ave  Maria,  duo  avec  violonc"°  art  (ita 

STRELETSKI.  AveMaria 

CH.  DE  TRY.  Ave  Maria  (T.  ou  S.) 

—  Maria  Mater,  3  voix 

L.  VALANCOURT.  Sub  tuum  (M.-S.  ou  B.).    .   .   . 

WHITE  Ave  Maria  (S.) 

CH.-M.  WIDOR.  Ave  Maria,  2  voix,  S.  et  C.  avec 

piano  ou  harpe  et  orgue  ad  lib. 


1  50 

2  50 

2  50 


7  50 
7  50 


7  50 
7  50 


2  50 

3  50 


6  » 
4  50 
4  50 

6    » 

1  50 

2  » 

4  50 

4    » 


3    » 
3  75 


—  (£ocrt  LonL.ui>. 


4023.  -  74e  AMÉE.  -  ,\°20.        PARAIT  TOUS   LES   SAMEDIS  Samedi  16  Mai  1908. 

(Les  Bureaux,  2 bla,  rue  Vivienne,  Paris,  u-  arc-) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


lie  flaméro  :  o  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Le  Numéro  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Pari3  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEXTE 


I.  Bippolyte  et  Aricie  à  l'Opéra,  Arthur  Pocgin.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  premières 
représentations  de  Mariage  d'Étoile,  au  Vaudeville;  de  la  Conquête  des  fleurs,  à  l'Athé- 
née ;  d'Autour  de  la  lampe  et  de  l'Invitation  à  Vamour,  aux  Escholiers,  Paul-Emile 
Chevalier.  —  III.  La  Musique  et  le  Théâtre  aux  Salons  du  Grand-Palais  (5e  article), 
Camille  Le  Senne.  -■  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

PETITS  OISEAUX 

romance  extraite  du  Chevalier  d'Éon,  la  nouvelle  opérette  de  Rodolphe  Berger. 

—  Suivra  immédiatement  :  Étoile  filante,  n°  2  des  Cloches  du  souvenir,  de  Raoul 

Plgno,  poésies  de  Maurice  Vaucaire. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
une  Gavotte  de  Haendel,  transcrite  pour  piano  par  A.  Périlhoc.  —  Suivra 
immédiatement  :  Les  Yeux  clos,  valse  lente  de  Nazare-Aga. 


A.  l'Opéra 

HIPPOLYTE    ET    ARICIE 

ar>e     of*.  .a.  3Vi  e:  -a_  xj 


Lorsque,  le  13  mai  1908,  le  rideau  s'est  levé  à  l'Opéra  sur  la 
première  représentation  de  la  «  reprise  s  à' Bippolyte  et  Aricie, 
il  y  avait  cent  soixante-quatorze  ans  que  l'ouvrage  avait  fait  sa 
première  apparition  sur  ce  théâtre  (1er  octobre  1733),  et  il  y  en 
avait  cent  vingt-quatre  que  le  nom  de  Rameau  avait  complète- 
ment disparu  de  l'affiche  (Castor  et  Pollux  fut  le  dernier  de  ses 
ouvrages  qui  fut  représenté,  en  1784).  Il  y  a  lieu  de  croire 
que  dans  tout  le  répertoire  lyrique  européen,  Hippolyte  et  Aricie 
est  l'unique  exemple  d'un  opéra  jugé  digne  de  reparaître  devant 
le  public  après  cent  soixante-quatorze  ans  d'existence. 

Il  y  avait  dix  ans  que,  depuis  son  établissement  définitif  à 
Paris  au  retour  de  Glermont-Ferrand,  où  il  avait  fait  fonctions 
d'organiste  à  la  cathédrale,  Rameau  sollicitait  vainement  les 
poètes  pour  en  obtenir  un  livret  d'opéra  (il  y  a  eu  une  lettre  de 
lui  à  Houdard  de  Lamotte  qui  est  singulièrement  instructive  et 
intéressante).  Tous  s'étaient  dérobés  à  ses  instances,  tous,  hor- 
mis un  seul,  et  celui-là  était  Yoltaire.  L'auteur  de  Mérope,  qui 
avait  confiance  en  lui,  avait  écrit  à  son  intention  le  poème  d'un 
opéra  intitulé  Smnson,  et  Rameau  s'était  mis  aussitôt  à  l'œuvre. 
Malheureusement,  le  sujet  de  Samson  était,  comme  l'indique  son 
titre,  tiré  de  l'Ecriture  sainte.  Il  n'en  fallut  pas  davantage  pour 


allumer  certaines  passions,  et  la  cabale  des  dévots,  celle-là 
même  qui,  soixante  ans  auparavant,  avait  failli  étouffer  Tartuffe, 
réussit,  en  haine  de  Yoltaire,  à  étrangler  Samson,  sous  prétexte 
qu'il  était  indigne  de  transporter  à  la  scène  un  sujet  aussi 
auguste.  Or,  à  quelques  années  de  là,  on  l'avait  précisément 
mis  à  la  scène,  ce  sujet,  non  d'une  façon  noble  et  dramatique, 
comme  on  le  voulait  faire  à  l'Opéra,  mais  d'une  façon  burlesque 
et  beaucoup  moins  respectueuse,  dans  une  sorte  de  parade 
représentée  à  la  Comédie-Italienne.  Yoltaire  le  constatait  lui- 
même  en  ces  termes,  lorsqu'il  fit  imprimer  son  livret  de  Samson 
dans  le  recueil  de  ses  œuvres: 

Une  comédie  de  Samson  fut  jouée  longtemps  en  Italie.  On  en  donna  une 
traduction  à  Paris  en  1717,  par  un  nommé  Romagnesi.  On  la  représenta  sur 
le  théâtre  français  de  la  Comédie  prétendue  italienne,  anciennement  le  palais 
du  duc  de  Bourgogne.  Elle  fut  imprimée  et  dédiée  au  duc  d'Orléans,  Régent 
de  France.  Dans  cette  pièce  sublime.  Arlequin,  valet  de  Samson.  se  battait 
contre  un  coq  d'Inde,  tandis  que  son  maître  emportait  les  portes  de  la  ville 
de  Gaza  sur  ses  épaules.  En  1732.  on  voulut  représenter  à  l'Opéra  de  Paris  une 
tragédie  de  Samson,  mise  en  musique  par  le  célèbre  Rameau:  mais  on  ne  le 
permit  pas.  Il  n'y  avait  ni  Arlequin  ni  coq  d'Inde  :  la  chose  parut  trop 
sérieuse.  On  était  bien  aise  de  morliGer  Rameau,  qui  avait  de  grands  talents. 

Yoici  donc  Rameau,  qui  avait  cru  toucher  au  port,  redevenu 
Gros-Jean  comme  devant.  Mais  il  avait  la  rage  du  théâtre,  sentant 
bien  qu'il  était  né  pour  lui,  et  il  ne  se  découragea  pas.  Grâce  à 
son  ami,  l'opulent  financier  Leriche  de  la  Popelinière,  qui  était 
un  dilettante  passionné,  il  put  se  mettre  en  relations  avec  un 
poète  médiocre,  mais  qui  avait  l'avantage  de  relations  suivies 
avec  l'Opéra,  où,  en  dépit  de  sa  qualité  de  prêtre,  il  s'était  fait 
jouer  à  diverses  reprises.  Je  veux  parler  de  ce  fameux  abbé 
Pellegrin,  objet  de  tant  de  brocards,  celui-là  même  dont  on 
disait  que  : 

Le  matin  catholique  et  le  soir  idolâtre. 

Il  dine  de  l'autel  et  soupe  du  théâtre. 

ce  qui  lui  était  parfaitement  égal. 

Pellegrin  avait  donné  à  l'Opéra,  en  compagnie  de  divers  com- 
positeurs, Lacoste,  Berlin,  Salomon,  Montéclair,  Desmarets,  une 
douzaine  d'ouvrages,  entre  autres  Télérnaque,  Médée  et  Jason,  les 
Fêtes  de  l'Été,  Renaud  ou  la  Suite  d'Armide,  et  surtout  Jepktê,  dont 
le  succès  venait  d'èLre  retentissant,  grâce  à  la  musique  de  Mon- 
téclair. C'était  donc,  en  son  genre,  un  personnage,  et  qui  pou- 
vait, d'une  façon  particulièrement  utile,  satisfaire  aux  désirs  de 
Rameau. 

Mais  l'abbé  était  méfiant  de  sa  nature,  de  plus  très  besogneux, 
et  avant  de  complaire  à  la  Popelinière  il  entendit  prendre  ses 
précautions.  Il  consentit  donc  à  fournir  un  poème  à  Rameau  : 
seulement,  il  y  mit  une  condition  dont  il  ne  pouvait  démordre. 
Comme,  disait-il,  il  n'avait  aucunes  garanties  au  sujet  des  apti- 
tudes dramatiques  du  compositeur,  il  exigeait  de  celui-ci  qu'il 
lui  souscrivit  une  obligation  de  50  pistoles  pour  le  cas  où,  par 


454 


LE  MÉNESTREL 


sa  faute,  l'opéra  n'aurait  point  de  succès.  C'était  à  prendre  ou  à 
laisser  :  pas  d'argent,  pas  de  livret. 

Rameau  se  soumit  sans  trop  de  peine  à  cette  exigence,  et 
bientôt,  en  échange  de  sa  signature,  il  recevait  de  Pellegrin  le 
livret  d'un  opéra  intitulé  Hippolyte  et  Aride,  dont  le  sujet  n'était 
autre  que  celui  de  la  Phèdre  de  Racine,  que  ce  dernier  avait 
emprunté  lui-même  à  Euripide.  Je  n'oserais  dire  que  les  vers 
de  l'abbé  peuvent  entrer  en  comparaison  avec  ceux  de  Racine. 
Le  sujet  même  avait  été  quelque  peu  bouleversé  par  lui  pour 
se  conformer  aux  usages  de  l'Opéra  et  amener  les  tableaux,  les 
divertissements  (!)  et  les  épisodes  somptueux,  tantôt  tragiques, 
tantôt  souriants,  auxquels,  depuis  Quinault  et  Lully,  le  public 
de  ce  théâtre  était  habitué  :  tels,  entre  autres,  le  tableau  de  la 
descente  de  Thésée  aux  Enfers  (deuxième  acte)  et  celui  de  la 
mort  d'Hippolyte  (quatrième  acte).  Avec  tout  cela,  et  au  milieu 
de  ce  poème  bizarre,  on  trouve  certaines  situations  vraiment  dra- 
matiques, comme  celle  qui  a  inspiré  à  Rameau  l'admirable  duo 
du  troisième  acte,  entre  Phèdre  et  Hippolyte  :  Ma  fureur  va  tout 
entreprendre.  Mais  ce  qu'il  y  a  d'étrange,  c'est  le  dénouement 
imaginé  par  Pellegrin  pour  terminer  cette  tragédie  de  façon  à 
satisfaire  les  exigences  des  âmes  sensibles  et  les  convenances  de 
l'Opéra.  Ici,  nous  sommes  en  pleine  féerie,  et,  selon  la  mode 
antique,  le  Deus  ex  machina  va  faire  son  office  ordinaire.  Dans 
un  jardin  délicieux,  Aricie  se  lamente  et  pleure  la  mort  d'Hip- 
polyte. Diane  parait,  recueille  ses  plaintes,  et  la  console 
aussitôt  : 

Ne  t'afflige  pas  de  sa  mort  ! 

Grâce  à  ma  bonté  secourable, 

Bientôt  tu  n'auras  rien  perdu. 


Bientôt  un  tendre  époux  va  paraître  à  tes  yeux. 

Et  l'on  voit  alors  «  les  zéphyrs  »  qui  «  amènent  Hippolyte  dans 
un  char.  »  Joie,  reconnaissance,  embrassements,  et,  pour  finir, 
chœur  des  habitants  de  ce  pays  enchanté,  dont  les  paroles  sont 
le  chef-d'œuvre  de  la  poésie  de  Pellegrin  : 

Chantons  sur  la  musette, 

Chantons  ! 
Au  son  de  la  musette 
Dansons  ! 
Que  l'Écho  répète 
Nos  tendres  chansons. 
Croissez,  naissante  herbette. 
Paissez,  bondissants  moutons.. 
Chantons,  etc. 

Tout  cela  est  inepte,  mais  tout  cela,  fort  heureusement,  n'a 
pas  empêché  Rameau  d'écrire  une  œuvre  superbe  et  ruisselante 
de  génie,  d'une  nouveauté  puissante,  une  œuvre  vivante,  pathé- 
tique et  nerveuse,  dans  laquelle  il  accumulait  des  moyens  et 
des  procédés  inconnus  jusqu'alors,  et  qui,  en  sonnant  le  glas  de 
l'opéra  tel  que  l'avaient  entendu  Lully  et  ses  successeurs,  pré- 
paraient la  réforme  que  le  grand  maître  allait  achever  avec 
Castor  et  Pollux,  Dardanus  et  Zoroastre. 

C'est  ce  qui  arrachait  à  Campra,  le  seul  musicien  vraiment 
original  qu'on  eût  connu  depuis  Lully,  à  Campra  devenu  vieux 
et  connu  par  trente  ans  de  succès,  un  cri  d'admiration  à  l'audi- 
dition  d' Hippolyte  et  Aricie,  en  dépit  de  l'opposition  que  témoi- 
gnait le  public,  surpris  et  décontenancé  par  la  nouveauté  d'une 
telle  œuvre.  Comme  le  prince  de  Conti,  dont  il  dirigeait  la  mu- 
sique, indécis  lui-même,  lui  demandait  son  opinion  sur  cette 
œuvre  :  «  Il  y  a  dans  cette  partition,  répondit  Campra,  de  quoi 
faire  dix  opéras  comme  les  nôtres;  croyez-moi,  Monseigneur,  cet 
homme-là  nous  éclipsera  tous.  » 

C'est  qu'en  effet  une  opposition  violente  se  déchaîna  contre 
Hippolyte  et  Aricie  dès  son  apparition.  Rameau  avait  cependant 
voulu  s'assurer  en  quelque  sorte  contre  toute  surprise;  et  comme 
la  Popelinière  avait  chez  lui  un  théâtre  et  à  son  service  des 
chanteurs  et  un  très  bon  orchestre,  il  avait  voulu  faire  chez  son 
ami  une  exécution  de  son  œuvre,  de  la  beauté  de  laquelle  Pelle- 
grin lui-même  avait  été  frappé  ;  si  bien  qu'après  le  premier  acte 
l'abbé,  Rapprochant  de  Rameau,  lui  dit,  en  présence  de  toute 
l'assemblée  :  —  «  Monsieur,  quand  on  fait  de  si  belle  musique, 


on  n'a  pas  besoin  de  donner  de  garanties.  Si  l'ouvrage  que  voici 
ne  réussit  pas,  ce  sera  ma  faute  et  non  la  vôtre.  Voilà  votre 
billet.  »  Et  ce  disant,  il  déchirait  le  billet  que  le  maître  lui  avait 
souscrit. 

Il  n'en  fut  pourtant  pas  de  même  du  public,  malgré  une  inter- 
prétation superbe  qui  réunissait  dans  Hippolyte  et  Aricie,  pour  les 
rôles  principaux,  les  noms  de  M"e  Pélissier  (Aricie),  de  Mlk'Antier, 
(Phèdre),  de  Mlle  Monville  (OEnone),  de  Tribou  (Hippolyte)  et  de 
Chassé  (Thésée).  L'opposition  des  spectateurs  fut  telle,  et  si  vives 
furent  leurs  marques  d'improbation,  que  Rameau  en  fut  sur  le 
moment  découragé.  Il  le  fut  à  ce  point  qu'il -songea  à  renoncer 
a  une  carrière  qu'il  devait  faire  pourtant  si  brillante  et  si  belle  : 
«  Je  me  suis  trompé,  s'écriait-il  ;  j'ai  cru  que  mon  goût  réussi- 
rait, et  je  vois  qu'il  n'en  est  rien.  Mais  je  n'en  ai  point  d'autre, 
et  je  ne  ferai  plus  d'opéras.  »  Fort  heureusement,  un  revirement 
se  produisit  dans  le  public  à  mesure  que  l'œuvre  s'établissait, 
ses  beautés  éclatèrent  aux  yeux  les  moins  prévenus,  et  la  mu- 
sique cYHippolxjte  et  Aricie,  sans  vaincre  les  hostilités  particulières, 
s'imposa  à  l'admiration  générale. 

Nous  venons,  après  tantôt  deux  siècles  écoulés  depuis  sa  pre- 
mière apparition,  de  revoir  cette  œuvre  intéressante,  qui  se 
fait  remarquer  par  sa  chaleur,  son  accent  et  son  mouvement 
passionné.  Mais  nous  sommes  obligés,  pour  la  juger  sainement 
aujourd'hui- et  en  discerner  la  réelle  valeur,  de  nous  mettre  au 
point,  si  l'on  peut  dire,  et  de  nous  reporter  au  temps  où  elle  fut 
conçue.  Les  hardiesses  qui  faisaient  froncer  le  sourcil  aux  ama- 
teurs de  1733  ne  sauraient  inquiéter  actuellement  notre  esprit, 
et  depuis  lors  on  en  a  vu  bien  d'autres.  Il  faut  seulement  se  rap- 
peler que  lorsque  surgit  Rameau  avec  son  tempérament  nerveux 
et  pathétique,  l'Opéra  en  était  encore  aux  formes  lentes  et  solen- 
nelles de  Lully  et  de  ses  pâles  successeurs,  les  Colasse,  les 
Bertin,  les  Lacoste,  les  Gervais,  les  Bourgeois,  les  Colin  de  Bla- 
mont,  qui  suivaient  servilement  la  route  tracée  par  le  vieux 
maître  sans  avoir  même  la  monnaie  de  son  génie.  Un  seul 
musicien  de  valeur,  doué  d'une  inspiration  pleine  de  noblesse 
et  d'un  véritable  sens  dramatique,  Campra,  avait  montré,  sur- 
tout dans  deux  œuvres  superbes,  Tancrède  et  Hésione,  que  le 
style  de  Lully  n'était  pas  le  seul  à  employer.  Mais  Campra, 
artiste  de  premier  ordre,  n'était  pourtant  point  un  homme  de 
génie. 

Il  était  réservé  à  Rameau  de  venir  bousculer  et  bouleverser 
ce  qui  s'était  fait  jusqu'alors  à  l'Opéra.  Il  arrivait  avec  des  har- 
monies neuves  et  audacieuses,  des  rythmes  inconnus,  pleins  de 
nerf  et  de  vigueur,  un  orchestre  vivant,  coloré,  agité,  inquiet, 
un  style  et  un  phrasé  absolument  personnels,  et  par- dessus  tout 
une  déclamation  d'une  chaleur  intense  et  un  sentiment  pathé- 
tique d'une  incomparable  puissance.  Mais  tout  cela,  naturelle- 
ment, n'est  plus  nouveau  pour  nous,  et  nous  devons  nous  en 
rendre  compte  pour  comprendre  l'immense  service  que  Rameau 
a  rendu  à  l'art  lyrique  français  en  renouvelant  ses  moyens  d'ac- 
tion et  en  lui  apportant,  avec  l'indépendance  des  formes,  l'air, 
la  lumière  et  la  vie. 

Veut-on  savoir  ce  que  pensaient  d' Hippolyte  et  Aricie  ceux  des 
contemporains  qui  n'étaient  pas  confits  dans  la  molle  admiration 
du  passé  ?  Voici  ce  qu'en  disait  Daquin,  le  fils  de  l'organiste  qui 
avait  été  précisément  le  rival  de  Rameau  : 

Je  veux  aujourd'hui  vous  transporter  dans  une  salle  magique  ;  il  faut  vous 
imaginer  entendre  cent  musiciens  ;  c'est  à  vos  oreilles  auxquelles  je  vais  offrir 
les  tableaux  d'un  autre  Lebrun  et  d'un  autre  Rubens.  Un  peintre,  tel  grand 
qu'il  soit,  ne  cause  que  des  émotions  douces  (!).  M.  Rameau  remue  et  trans- 
porte l'àme  ;  vous  allez  trouver  de  la  variété  dans  l'invention  et  de  la  force  dans 
l'exécution.  Tout  est  vivant  et  caractérisé. 

Soyez  attentif  à  ce  premier  tableau,  c'est  le  second  acte  d'Hippolyte  et  Aricie. 
Les  Enfers  s'ouvrent,  j'entends  les  cris  lugubres  des  coupables,  les  hurlemens 
des  Parques,  les  Démons  sont  déchaînés.  Que  l'image  de  la  Furie  avec  Thésée 
est  effrayante  !  Que  de  vérité  dans  l'expression  !  Vous  êtes  saisi,  et  l'impres- 
sion que  font  les  sons  sur  votre  oreille  passe  jusqu'à  votre  àme  et  la  remplit 
d'horreur.  Au  troisième  acte,  le  monologue  de  Thésée,  son  invocation  à  Nep- 
tune et  le  soulèvement  des  flots  augmentent  votre  trouble.  La  peinture  n'ex- 
primerait ces  images  qu'imparfaitement,  parce  que  la  toile,  toute  vivante  qu'elle 
paroisse,  est  toujours  muette;  la  musique  parle.  Au  quatrième  acte,  le  bruit 
des  cors,  les  symphonies  brillantes  invitent  à  prendre  le  plaisir  de  la  chasse  ; 


LE  MÉNESTREL 


158 


vous  croyez  être  au  milieu  des  forêts Il  faut  joindre  aux   tableaux  que  je 

viens  de  vous  offrir  l'entrée  des  Amours  au  prologue,  le  chœur  et  la  sympho- 
nie du  tonnerre;  eu  dernier  morceau  est  d'une  beauté  sublime.  On  a  lieu  de 
regretter  le  trio  des  Parques,  qui,  par  l'attention  singulière  qu'il  demande 
pour  l'exécution,  n'a  pu  être  entendu  à  l'Opéra  tel  que  l'auteur  l'avait  fait 
d'abord.  Ce  trio  affecte  tellement  les  sens,  que  les  cheveux  se  hérissent;  il  n'y 
a  point  de  terme  pour  bien  rendre  tout  l'effet  qu'il  produit;  c'est,  au-dessus 
de  l'agitation,  de  L'effroi;  do  la  terreur;  il  semble  que  la  nature  s'anéantisse 
et  que  tout  aille  périr....  (I). 

Daquin,  il  faut  le  reconnaître,  ne  choisissait  pas  mal  ses 
exemples.  Dans  cette  partition  très  fournie  d'Hippolyte  et  Aricie, 
les  pages  qu'il  cite  sont  assurément  parmi  les  plus  remarqua- 
bles. Sans  vouloir  faire  de  jeu  de  mots,  on  peut  dire  de  l'acte 
de  l'Enfer,  dont  le  mouvement  est  superbe,  qu'il  est  plein  de 
flamme  et  de  chaleur  :  la  scène  de  Thésée  avec  Tisiphone  et 
l'ensemble  vigoureux  qui  la  termine,  son  dialogue  avec  Pluton, 
les  chœurs,  tout  cela  est  beau  ;  malheureusement,  le  trio  si  cé- 
lèbre des  Parques,  qui  est  l'un  des  épisodes  principaux  de  ce 
tableau,  n'a  pas  été  rendu  avec  toute  la  correction  et  surtout 
la  justesse  désirables.  Quant  au  monologue  de  Thésée,  c'est  une 
page  d'une  inspiration  pleine  de  noblesse  et  d'une  déclamation 
pleine  de  grandeur;  mais  elle  est  empreinte  aussi  d'un  grand 
sentiment  dramatique,  et  malgré  le  talent  qu'il  y  déploie,  je 
trouve  que  M.  Delmas  lui  donne  parfois  un  ton  trop  solennel, 
principalement  dans  le  passage  :  Puissant  maître  des  flots,  favo- 
rable Neptune,  que  sa  lenteur  alourdit  plus  que  de  raison.  De 
l'ampleur,  d'accord;  mais  la  grandiloquence  est  de  trop.  Ce 
n'est  plus  Wotan  qui  parle  ici,  c'est  Thésée. 

Mais  il  y  a  d'autres  pages  encore  à  signaler,  et  par-ci  par-là 
certains  fragments  à  mettre  en  lumière.  D'abord,  le  duo  d'un 
rythme  et  d'un  caractère  si  pathétiques  de  Phèdre  etHippolyte, 
au  troisième  acte  :  Ma  fureur  va  tout  entreprendre:  puis,  au  qua- 
trième, la  déploration  de  Phèdre  sur  la  mort  d'Hippolyte  :  Non, 
sa  mort  est  mon  seul  ouvrage,  dont  l'accent  est  profondément  dra- 
matique; et  précédemment,  dans  ce  même  acte,  une  phrase' 
d'un  sentiment  délicieux  d'Aricie  à  Hippolyte  :  Ah!  prince, 
croyez-en  l'amour  que  j'en  atteste,  délicieusement  chantée  par  la 
débutante,  Mlle  Gall,  et  un  chœur  de  chasseurs  (rien  du  Frei- 
sehiïtz)  d'une  très  belle  sonorité. 

On  a  pratiqué  certaines  coupures  dans  la  partition,  particu- 
lièrement dans  le  prologue  et  dans  le  cinquième  acte.  On  eût 
pu  sans  doute  en  faire  davantage.  Non  que  l'ouvrage  soit  long;  il 
n'y  a  pas  un  acte  dont  la  durée  dépasse  trente-cinq  minutes; 
mais  il  y  a  trop  de  hors-d'œuvre,  surtout  trop  de  danses,  qui 
ralentissent  l'action  et  amortissent  l'effet  scénique.  Le  livret  est 
littéralement  bourré  de  cette  indication  :  On  danse,  qui  se  repro- 
duit à  chaque  instant;  on  la  trouve  quatre  fois  dans  le  prologue, 
deux  fois  dans  chacun  des  trois  premiers  actes,  trois  fois  dans 
le  quatrième  et  deux  fois  encore  dans  le  cinquième.  On  danse 
trop  dans  cet  opéra.  Je  crois  que  c'est  de  ce  côté  qu'on  pour- 
rait utilement  faire  des  éclaircies,  et  l'ensemble  y  gagnerait  à 
coup  sûr.  Ce  qui  n'empêche  qu'il  n'y  ait  des  airs  de  ballet  char- 
mants. 

L'ouvrage  a  été  monté  avec  un  luxe  de  grand  goût.  Les  dé- 
cors, particulièrement  ceux  du  prologue  et  du  premier  acte, 
dont  il  faut  louer  le  sentiment  pratique  et  la  délicieuse  colora- 
tion, sont  très  réussis.  L'interprétation,  généralement  bonne  en 
son  ensemble,  a  été,  on  le  voit,  l'objet  des  plus  grands  soins. 
Elle  n'était  pas  facile  à  obtenir  pour  une  œuvre  dont  le  style 
tranchait  de  façon  si  complète  avec  les  coutumes  ordinaires,  et 
je  sais  que  M.  Messager  n'a  pas  été  sans  se  heurter  à  certaines 
difficultés  pour  faire  réaliser  à  nos  artistes  ce  qu'il  jugeait  né- 
cessaire. Ils  auraient  volontiers  chanté  cela  comme  du  Gluck. 
Mais  Gluck  est  large,  pompeux  et  solennel;  il  donne,  ainsi  qu'il 
le  voulait  d'ailleurs,  l'idée  de  la  tragédie  antique,  tandis  que 
Rameau  est  mouvementé,  tourmenté,  et  par-dessus  tout  plein 
de  vigueur  et  d'action.  Il  est  le  drame,  et  non  la  tragédie,  et 
l'on  ne  doit  exagérer  avec  lui  ni  la  lenteur  des  mouvements  ni 
la  lourdeur  de  la  déclamation. 


(1)  Daqui: 


de  Louis  XV.  1732 


C'est  M'1,  Bréval  qui  joue  Phèdre.  Elle  y  témoigne,  à  son  ordi- 
naire, d'un  beau  sentiment  dramatique  et  d'une  belle  articula- 
tion, auxquels  elle  joint  le  sens  de  la  plastique  et  la  noblesse 
des  attitudes.  Le  joli  rôle  d'Aricie  a  trouvé  une  interprète  char- 
mante en  la  personne  d'une  jeune  débutante,  M"c  Gall,  qui  en 
fait  ressortir  avec  grâce  toute  la  poésie  et  le  charme  mélanco- 
lique. Elle  est  exquise.  Il  faut  bien  dire  qu'étant  données  les 
qualités  physiques  de  M.  Plamondon,  dont  le  costume  n'est  pas 
heureux  d'ailleurs,  on  a  peine  à  imaginer  que  deux  femmes 
puissent  ainsi  se  disputer  le  cœur  de  ce  héros.  Je  dois  ajouter 
que  le  théâtre  lui  convient  moins  que  le  concert:  son  accent 
n'a  rien  d'agréable,  la  voix  sort  vraiment  trop  de  la  gorge,  i  I 
son  insuffisance  au  point  de  vue  scénique  est  notoire  dans  ce 
rôle  d'Hippolyte  qui  exigerait  tant  de  qualités  diverses.  Je  n'ai 
plus  à  louer  M.  Delmas  comme  acteur  et  comme  chanteur. 
et  sa  belle  voix,  son  beau  talent,  font  toujours  merveille 
dans  celui  de  Thésée  ;  mais,  je  lui  reprocherai  sa  trop  grande 
propension  à  la  lourdeur.  Ici,  je  l'ai  dit,  nous  n'avons  plus 
affaire  à  Wagner,  et  les  personnages  de  Rameau  sont  autre- 
ment vivants,  autrement  agissants,  autrement  émouvants  que 
ceux  de  la  Tétralogie  ;  il  faut  s'en  rendre  compte  pour  être  dans 
le  ton  et  ne  pas  s'écarter  de  la  vérité.  Mme  Caro-Lucas  tire  tout 
le  parti  possible  du  rôle  ingrat  et  difficile  d'OEnone.  qu'elle  tient 
avec  intelligence.  Quant  aux  personnages  épisodiques.  qui  tous 
ont  leur  importance,  il  n'y  a  que  des  éloges  à  adresser  à  leurs 
interprètes  :  M1Ies  Hatto  (Diane),  Mastio  (l'Amour),  MM.  Gresse 
(Pluton),  Nucelli  (Jupiter),  Dubois  (Tisiphone)  et  Xansen  (Mer- 
cure). Tous  ont  fait  preuve  de  talent,  d'un  grand  soin  et  d'un 
grand  zèle.  Orchestre  et  chœurs,  bien  stylés,  bien  dirigés,  ont 
fait  de  leur  mieux;  ce  mieux  a  été  généralement  très  bien. 

A  ce  propos,  je  dois  faire  remarquer  que  l'orchestre  d'Hip- 
polyte et  Aricie  a  dû  être  reconstitué  par  M.  Vincent  d'Indy,  les 
partitions  de  Rameau  ne  le  donnant  jamais  au  complet,  et 
n'offrant,  avec  les  basses  et  les  parties  de  violons,  que  certaines 
parties  essentielles  et  les  rentrées  importantes  ;  le  corps  même 
de  l'orchestre  était  donc  à  compléter,  et  le  travail  était  d'autant 
plus  difficile  à  effectuer  qu'il  existait  à  l'Opéra  même  plusieurs 
versions,  Rameau  ayant  considérablement  retouché  son  œuvre 
à  l'occasion  de  telle  ou  telle  reprise  qui  en  était  faite.  Il  fallait 
donc  choisir  au  milieu  de  ces  différentes  versions  pour  réaliser 
un  ensemble  satisfaisant,  et  il  n'est  pas  besoin  de  dire  si  une 
main  sûre  et  expérimentée  était  nécessaire  à  ce  sujet.  Nul  mieux- 
que  M.  d'Indy,  qui  avait  déjà  donné  l'excellente  réduction  au 
piano  de  la  partition  d'Hippolyte  et  Aricie,  ne  pouvait  se  livrer 
avec  succès  à  ce  travail  de  reconstitution,  qu'il  a  accompli  de  la 
façon  la  plus  satisfaisante,  en  s'efforçant  de  maintenir  à  l'or- 
chestre de  Rameau  sa  couleur  et  sa  personnalité. 

Arthur  Pougix- 


SEMAINE  THEATRALE 


YAUDEVir.LE  :  Mariage  d'Étoile,  comédie  en  3  actes,  de  MM.  A.  Bisson  et 
G.  Thurner.  —  Athénée  :  La  Conquêtedes  fleurs,  comédie  fantaisiste  en  3  acles. 
de  M.  Grillet.  —  Escholiers  (Théàtre-Femina)  :  Autour  de  lu  lampe,  pièce 
en  3  actes  de  M.  André  Ibels  ;  l'Invitation  «  l'amour,  comédie  en  I  acte,  de 
M.  G.  Loiseau. 

Voici,  au  Vaudeville,  une  comédie  fort  agréable,  dont  la  douce  sim- 
plicité n'exclut  ni  l'agrément,  ni  même  la  pointe  d'émotion,  et  qui,  par 
surcroit,  est  délicieusement  jouée.  Elle  fera  la  joie  des  personnes  qui 
vont  chercher,  au  théâtre,  autre  chose  qu'un  cassement  de  tète  ou 
d'anormales  émotions  :  et  si  elle  a  paru,  le  soir  de  la  première  repré- 
sentation, un  peu  longuette  par-ci  par-là,  il  y  a  gros  à  parier  que,  dès 
maintenant,  ces  longueurs  ou  ont  disparu  ou  ont  été  atténuées. 

Florence  Bell  n'est  point  que  la  comédienne  la  plus  applaudie  du 
moment,  elle  est  aussi  la  femme  la  plus  captivante  de  Paris  ;  mil  ne 
peut  l'approcher  sans  être  conquis  par  son  charme,  et  ce  charme  est 
d'autant  plus  dangereux  que  la  femme  est  tout  à  la  fois  audacieusement 
et  inconsciemment  coquette.  Florence  a  une  grande  fille  de  dix-neuf 


do6 


LE  MÉNESTREL 


ans,  Gilberte,  qui  vit  en  province,  gardée  avec  une  affection  jalouse  par 
le  papa,  qui  passe  pour  l'oncle,  le  brave,  timide  et  modeste  Ildefonse 
Lacrampe,  qu'elle  aima  naguère  alors  qu'elle  fréquentait  au  Conserva- 
toire et  que,  lui,  se  préparait  à  devenir  petit  fonctionnaire  en  province. 
Or,  voilà  que  Gilberte  aime  et  qu'elle  veut  se  marier,  e!  que  son  choix 
s'est  nettement  arrêté  sur  André  Lamberthier,  qui  demeure  avec  ses 
parents  dans  le  même  trou  de  Normandie  ou  de  Bretagne,  très  conve- 
nablement arriéré.  M.  et  Mme  Lamberthier  poussent  les  hauts  cris  :  la 
fille  d'une  comédienne  !  Elle  est  adorable  là  jeune  fille,  c'est  vrai  ;  mais 
la  mère  fait  énormément  parler  d'elle.  Et  puis,  quel  est  le  père?  Le  bon 
Lacrampe  avoue  que  c'est  lui  ;  et,  pour  régulariser  une  situatiou  que  la 
sous-préfecture  ne  saurait  admettre,  il  promet  de  décider  Florence  à 
devenir  sa  femme,  Florence  qu'il  n'a  cessé  d'aimer,  mais  à  qui,  depuis 
bien  longtemps  déjà,  il  est  devenu  tout  à  fait  indifférent. 

Pour  faire  plus  ample  connaissance,  les  deux  familles  passent  les 
mois  d'été  sur  une  petite  plage  de  l'Océan.  Le  charme  de  Florence  opère 
immédiatement:  Lamberthier  père  et  Lamberthier  fils  sont  invincible- 
ment pris.  MmE  Lamberthier  en  éprouve  du  dépit;  Gilberte  en  souffre 
douloureusement.  Et  la  douleur  de  la  jeune  fille  est  si  vive  que  Flo- 
rence est  obligée  de  s'en  apercevoir,  d'autant  qu'André,  mal  maître  de 
lui.  devient  trop  entreprenant.  Florence,  justement  indignée,  le  chasse. 

Voilà  Gilberte  cruellement  meurtrie,  et  Lacrampe  affolé  du  mal  fait 
à  sa  fille.  Plus  timide  du  tout,  il  montre  à  Florence  tout  le  vide  de  sa 
vie  tapageuse  et  les  devoirs  qu'elle  a  envers  son  enfant.  Et  Florence, 
bonne  nature,  renoncera  au  théâtre,  à  la  folie,  se  transformera,  si  possible, 
en  rangée  Madame  Lacrampe,  tandis  qu'André,  revenu  d'un  moment 
d'affolement,  sera  pour  Gilberte  un  exquis  petit  mari. 

Florence,  c'est  Mme  Granier  et  c'est  le  charme,  l'esprit  et  l'émotion 
mis  au  service  d'une  maîtrise  et  d'un  tact  difficilement  surpas- 
sables. M.  Lérand,  M.  Joffre.  M.  Louis  Gauthier,  Mmes  Marguerite  et 
Cécile  Caron,  Mlle  Carèze,  qui  s'essaie  très  heureusement  dans  les 
grandes  ingénues,  M"e  Ellen  Andrée  et  Mlle  de  Mornand,  sont  parfaits  et 
parfaites  dans  leurs  rôles  respectifs  et  contribuent  pour  leur  très  grande 
part  au  succès  de  Mariage  d'Etoile. 

A  l'Athénée,  la  fantaisie  de  M.  Gustave  Grillet,  la  Conquête  des  fleurs, 
semble  devoir,  pour  un  court  moment,  interrompre  les  heures  heu- 
reuses de  cet  heureux  théâtre.  Histoire  très  naïve  et  assez  prétentieu- 
sement présentée,  qui,  pour  échapper  à  l'indifférence  qu'elle  engendre, 
aurait  eu  besoin,  peut-être,  du  secours  d'une  poésie  miraculeuse  et 
d'une  transcendante  mise  en  scène.  Tels  qu'ils  sont,  ces  trois  actes 
passent  enfantins  et  monotones  ;  on  ne  gardera,  de  la  soirée,  que  le 
souvenir  de  la  grâce  bien  disante  de  Mme  Duluc,  du  sourire  exquis  de 
Mlle  Brésil,  de  la  jeunesse  perverse  et  chaste  tout  à  la  fois  de  Mlle  Greuze 
et  du  comique  adroit  de  Mllc  Claudie  de  Sivry. 

<>  Les  Escholiers  »,  qui  n'ont  point  fait  parler  d'eux  cet  hiver,  enten- 
dent rattraper  le  temps  perdu,  puisqu'ils  n'annoncent  rien  moins  que 
trois  spectacles  pour  cette  fin  de  saison.  Ils  viennent  de  donner  le 
premier,  salle  Femina,  composé  d'un  acte  de  M.  Georges  Loiseau. 
l'Invitation  à  l'Amour,  et  de  trois  actes  de  M.  André  Ibels,  Autour  de  la 
lampe. 

L'acte  de  M.  Loiseau  est  une  sorte  de  proverbe  très  moderne,  d'esprit 
parisien,  de  psychologie  mondaine  et  de  littérature  raffinée.  Il  analyse 
le  premier  rendez-vous  d'amour  du  romancier  à  la  mode,  Jacques  de 
Guilde.  et  de  Suzy.  qui  a  de  l'élégance  et  des  lettres,  et  est  joué  tout  à 
fait  délicatement  par  Mlle  Jeanne  Thomassin  et  par  M.  Georges  Mauloy. 

Autour  de  la  lampe  est  beaucoup  plus  grave,  extrêmement  grave 
même,  en  suite  d'une  situation  effroyablement  scabreuse  :  un  fils  qui 
vole  sa  femme  à  son  père.  L'homme,  doublement  et  si  atrocement 
trahi,  en  meurt,  et  les  deux  coupables,  rivés  l'un  à  l'autre  par  leur 
félonie  et  leur  crime,  sont  condamnés  à  mener  l'existence  peu  agréable 
que  vous  pouvez  pressentir. 

L'idée  de  M.  André  Ibels  n'était  point  sans  quelque  chose  de  gran- 
diose dans  son  horreur  même  et  de  très  osé,  puisqu'ici  il  n'est  plus 
nullement  question  de  la  fatalité  chère  aux  tragiques  grecs  ;  les  cou- 
pables raisonnent  avant,  pendant  et  après,  ils  savent  où  ils  vont  et  se 
rendent  compte  de  leurs  atroces  responsabilités.  Le  sujet  dangereux  et 
pénible  demandait  à  être  traité  avec  d'infinies  précautions  et  de  subtiles 
adresses;  M.  André  Ibels,  sans  doute  dédaigneuxde  telles  tricheries,  n'a 
entendu  que  frapper  fort,  et  la  brutalité  dont  il  fait  montre,  jointe  à  pas 
mal  d'inexpérience,  rendent  son  drame  d'audition  difficile,  malgré  l'in- 
térêt qui  s'en  peut  dégager.  Cela  s'appelait  encore,  il  y  a  quelques 
années,  du  «  théâtre  d'avant-garde  :>. 

M.  Marié  de  l'Isle  et  Mme  Suzanne  de Behr  jouent  avec  conviction,  le 
premier  parfait  toujours  en  ces  personnages  de  moralité  et  d'énergie 
plutôt  louches,  la  seconde  très  en  progrès,  encore  que  de  débit  si  pré- 


cipité qu'on  perd  une  grande  partie  de  ce  qu'elle  dit.  M.  Gabriel  Frère 
et  MUe  Marthe  Meunier,  d'abord,  puis  MM.  Damorès,  Chauot  et  Lan- 
zerte  complètent  une  bonne  interprétation. 

Paui.-Kmile  Chevalier. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THÉÂTRE 

e».ti-:x.     Salons     du     Grand-Pàlai 


(Cinquième  article) 

La  section  de  statuaire  de  la  Nationale  est  plus  considérable  qu'à 
l'ordinaire  et  d'ailleurs  beaucoup  mieux  organisée.  Elle  occupe  trois 
emplacements,  le  jardin  en  bordure  des  Champs-Elysées,  la  galerie  qui 
prend  jour  sur  ce  jardin  et  qu'on  a  eu  l'heureuse  idée  de  diviser  en 
petits  salonnets  d'aspect  très  esthétique  où  les  envois  sont  rangés  à 
peu  près  par  catégories,  enfin  la  grande  rotonde  faisant  face  à  l'escalier 
de  l'avenue  d'An  tin. 

C'est  au  milieu  de  celle-ci  que  M.  Rodin  a  exposé  ses  trois  envois, 
un  Orphée,  le  Monument  à  Whistler,  enfin  un  groupe  :  Triton  et  Néréide... 
Telles  sont  les  désignations  du  catalogue  ;  ne  les  prenez  pas  au  pied  de  la 
lettre.  Il  n'y  a  là  que  des  morceaux,  indéniablement  admirables,  mais 
très  fragmentaires.  On  ne  saurait  contester  qu'ils  imposent  à  l'immense 
majorité  du  public  un  effort  de  compréhension  d'autant  plus  fatigant 
que  nos  visiteurs  des  salons  annuels  ne  sont  pas  habitués  comme  les 
Italiens  à  déchiffrer  des  ruines  monumentales  et  à  donner  un  sens  aux 
tronçons  glorieux  découverts  dans  les  fouilles.  Ces  envois  du  maître,  à 
qui  nous  devons  tant  d'œuvres  d'un  caractère  héroïque,  leur  feront 
l'effet  de  rébus.  Cependant  ils  seront  récompensés  de  leur  méditation 
s'ils  veulent  bien  s'astreindre  à  quelques  minutes  de  recueillement. 
Rien  de  plus  clair,  quand  on  s'est  mis  dans  la  disposition  d'esprit  et 
de  vision  nécessaire  à  cette  espèce  de  conquête  intellectuelle,  que  la 
ligne  douloureuse  du  gémissant  Orphée  dont  la  lyre  demeure  engainée 
par  la  matière  fruste.  Dans  la  figure  pour  le  monument  de  Whistler 
qui  se  dressera  sur  une  place  de  Londres,  le  dos  est  un  chef-d'œuvre 
de  modelé  ;  on  devine  enfin  —  mais  cette  fois,  moins  facilement,  il 
faut  l'avouer  —  le  cachet  pittoresque  de  ce  groupe  de  divinités  fluviales 
où  s'évoque  la  grâce  antique.  M.  Rodin  nous  doit  de  les  renvoyer  l'an 
prochain  à  l'état  de  complet  achèvement. 

M.  Lamourdedieu,  l'auteur  de  la  plus  importante  figure  nue  exposée 
dans  les  environs,  est  de  ceux  qui  rodinisent  mais  qui  finissent.  Il  a 
raison,  car  le  caprice  michelangesque  permis  au  maître  serait  moins 
acceptable  chez  les  disciples.  Sa  grande  académie  porte  le  titre  de 
Vénus  moderne  parant  ses  charmes;  c'est  en  réalité  une  Aphrodite  natura- 
liste, de  visage  inexpressif,  presque  animal  et  d'attaches  vulgaires, 
mais  qui  donne  une  impression  de  force,  et,  si  elle  n'a  point  de 
charmes  qu'elle  puisse  «  parer  »  suivant  la  bizarre  expression  de  la 
notice,  du  moins  est-elle  vraiment  moderne  et  plébéienne.  L'Hiver  de 
de  M.  Jules  Desbois,  destiné  à  quelque  square,  car  l'Etat  a  eu  l'excel- 
lente inspiration  d'acheter  cette  composition  décorative,  nous  ramène 
au  style  classique  et,  si  on  le  transportait  à  Versailles  sur  la  rampe  de 
verdure  des  grands  escaliers,  il  serait  en  parfaite  harmonie  avec  la 
lignée  de  Coustou  et  de  Puget.  Ce  vieillard,  courbé  et  grelottant  qui 
ramène  sur  son  corps  une  peau  de  bête,  est  traité  à  la  façon  de  la 
grande  allégorie  stylisée  des  chefs  d'école  du  dix-septième  et  du  dix- 
huitième  siècle. 

Il  serait  plus  difficile  de  «  situer  »  en  lui  donnant  un  cadre  conve- 
nable l'Avalanche  du  statuaire  hongrois  Julius  Steiner,  figure  de 
femme  accroupie  ou  plutôt  ramassée  en  boule  au  bord  d'uue  roche 
abrupte  et  qui  se  retient  d'uue  main  à  la  crête  avant  de  se  laisser  tom- 
bera pic.  Si  on  la  place  au  niveau  des  autres  statues,  elle  ne  sera  pas  à 
sa  place;  si  on  la  hisse  au  sommet  d'un  monticule,  le  spectateur 
cherchera  instinctivement  l'abîme  où  elle  doit  terminer  sa  course.  Et,  s'il 
arrive  bien  qu'en  France  nous  inaugurions  des  «  gouffres  »  sous  la  pré- 
sidence du  ministre  compétent,  du  moins  le  service  des  Beaux-Arts  ne 
les  décore-t-il  pas  de  statues.  En  revanche,  pour  continuer  la  série 
macabre,  rien  ne  serait  plus  facile  que  de  caser  les  envois  de  M.  Eugène 
Bourgoin  et  de  M.  Lazare.  L'un  a  représenté  sous  ce  titre  le  Mort,  la  Mer, 
en  haut-relief,  un  cadavre  roulé  par  le  flot,  motif  d'une  fontaine  destinée 
à  symboliser  l'élément  tour  à  tour  bienfaisant  et  néfaste,  et  l'ensemble 
du  monument  pourrait  figurer  sur  une  des  places  de  nos  grandes  cités 
maritimes.  Quant  à  la  Destinée  humaine  de  M.  Lazare,  qui  s'apparente 
sans  tricherie  au  grand  bas-relief  de  M.  Bartholomé.  sa  place  est  tout 
indiquée  au  cimetière  du  Sud  encore  peu  fourni  de  statuaire  allégo- 
rique. 


LE  MENESTREL 


157 


L'Adam  et  Eve  de  M.  Pierre  Gras  sont  toujours  engagés  dans  la 
matière  dure;  ils  luttent  pour  s'évader  d'une  sorte  de  limon  de  granit 
et  la  conception  allégorique  ne  manque  pas  de  grandeur.  Cà  et  là  l'Au- 
rore el  les  Ombres  de  M.  Dejean,  qui  rappelle  les  grâces  un  peu  mièvres 
de  Chapu,  la  Douleur  assez  banale  et  l 'Inspiration,  mieux  caractérisée, 
de  M.  Gaston  Toussaint,  le  Printemps,  peu  printanier  de  M.  de  Nieder- 
hausen-Rodo  qui  a  tout  simplement  sculpté  une  robuste  tête  d'éludé, 
la  Détresse,  presque  waguérienne,  de  M""'  Bernières-IIenraux  et  le  Cré- 
puscule de  M.  José  Clara,  figure  de  femme  d'un  beau  sentiment  décoratif, 
les  Nymphes,  de  M.  Lucien  Schncgg.  Le  Monument  Dalou,  de  M.  Pierre 
Roche,  comporte  deux  allégories  de  détail  :  le  peuple  et  l'idée  répu- 
blicaine. C'est  le  peuple  qui  porte  le  buste  et  l'idée  républicaine  qui  le 
gloriûe.  Ainsi  tout  change,  ainsi  tout  passe,  ainsi  tout  revient.  La 
Nation  et  la  Monarchie  jouent  exactement  le  même  rôle  dans  les  vastes 
compositions  de  Versailles  inspirées  par  Lebrun. 

La  sculpture  aimable  a  de  nombreux  représentants.  M.  Injalbert 
vient  en  tête  avec  un  satyre  et  un  faune  du  modelé  le  plus  savoureux 
et,  comme  toujours,  d'un  exquis  sentiment  décoratif.  Dans  la  même 
série  et  offrant  les  mêmes  qualités  de  charme,  le  Berger  de  Lemnos  de 
M.  Escoula,  l'académie  de  M"G  Poupelet,  lo  joueur  de  billes  de  M.  Ca- 
vaillou,  qui  serait  Pompéien  si  les  éphèbes  antiques  avaient  connu  ce 
sport  inoffensif,  la  statue  pour  fontaine  de  M.  Aronson,  d'un  galbe 
très  pur,  la  statue  de  Harpiste  de  M.  Francis  Warrain.  Le  lot  des 
figurines  est  abondant  avec  mélange  du  classique  et  du  moderne.  Eu 
effet,  si  M.  Ha'.ou  évoque  la  grasse  hellène  dans  son  Aphrodite  résignée, 
sa  Baigneuse  et  sa  Jeune  fille  au  buisson,  statuettes  en  marbre  grec  ou 
en  bronze  à  cire  perdue,  M.  Wladimir  Perelmagne  assied  devant  un 
piano  à  queue  la  jeune  mère  qui  apprend  Au  clair  de  la  lune  à  sa  fillette, 
et  la  Femme  de  ballet^  de  M.  Anders  Oison,  pourrait  figurer  dans  les 
ensembles  du  Chàtelet  et  des  Folies-Bergère.  La  Salomé,  de  M.  Agathon 
Léonard,  et  sa  Danseuse  sont  deux  élégants  motifs  où  l'or,  l'argent, 
l'émail  et  le  bronze  s'associent  harmonieusement.  Un  statuaire  vien- 
nois, M.  Ferdinand  Oblinger,  expose  une  gracieuse  Chanson  en  faïence 
et  M.  Clostre  un  menu  Troltin  qui  semble  échappé  d'un  tableau  de 
Raffaèlli.  Autre  céramique  (de  Lachenal),  la  Danse,  de  M11*  Julie 
Svirsky.  et  autre  type  parisien,  la  Modiste,  de  M.  Henry  Arnold. 

M.  Fix-Masseau  évoque  une  amusante  Silhouette  IS30 ;  les  sportswo- 
men  de  Mn)C  Camille  de  Sainte-Croix,  se  livrant  à  des  jeux  variés  dans  un 
jardin,  sont  au  contraire  de  la  plus  actuelle  modernité.  Encore  quelques 
petits  groupes  :  le  Sacrale  et  ses  élèves  de  M.  Lerche,  qui  pourrait 
fournir  une  jolie  vignette  pour  le  frontispice  de  la  pièce  de  M.  Charles 
Richet  représentée  l'autre  jour  à  l'Odéon  au  bénéfice  de  la  maison  des 
étudiants,  les  Femmes  dansant  de  Mlle  Derruys  (huit  figurines  pour  un 
surtout  de  table),  la  grande  jardinière  en  bronze  de  M.  Carabin  autour 
de  laquelle  des  Bretons  dansent  la  gavotte.  M"°  Odette  Dulac,  qui 
cumule  la  petite  statuaire  et  le  théâtre,  a  modelé  en  cire  deux  aimables 
petites  tètes.  Le  Fruit  défendu  de  Mmc  de  Frumerie  est  ingénieux  et 
spirituel.  A  signaler  parmi  les  animaliers  —  si  nombreux  qu'ils  pour- 
raient se  syndiquer  —  M.  Jacques  Froment-Meurice  (Cheval  de  picador 
et  transport  du  marbre  à  Carrare),  M.  Rausen  de  Traulinborg,  qui  a 
envoyé  un  chevalier  colossal  monté  sur  un  coursier  énorme,  un 
percheron  croisé  de  mammouth.  L'Ours  blanc  de  M.  Frisendahl 
figurerait  avec  ampleur  et  autorité  dans  la  collection  d'Emile  Bergerat 
et  le  Petit  chat  en  marbre  noir  de  Dampt  serait  un  joli  cadeau  à  faire  à 
la  prochaine  Agnès  primée  aux  concours  du  Conservatoire.  M.  Louis 
de  Monard  a  traduit  en  bronze,  non  sans  ferveur  romantique,  la  tra- 
gique Chasse  de  l'Aigle  de  Leconte  de  Lisle  : 

L'Aigle  tombe  sur  lui  comme  un  sinistre  rêve, 

S'attache  au  col  troué  par  ses  ongles  de  fer, 

Et  plonge  son  bec  courbe  au  fond  des  yeux  qu'il  crève. 

Cabré,  de  ses  deux  pieds  convulsifs  battant  l'air, 

Et  comme  empanaché  de  la  bète  vorace 

L'étalon  fuit  dans  l'ombre  ardente  de  l'enfer. 

Beethoven  hante  le  cerveau  des  statuaires  comme  celui  des  peintres, 
mais  les  inspire  diversement.  Le  «  Beethoven  d'impression  »  —  ainsi 
l'a  étiqueté  M.  Imétinoff —  est  de  l'iconographie  de  cauchemar.  Celui 
de  Mme  Mina  Homolacs  est  jeune,  au  contraire,  nullement  infernal  et 
même  poupin.  M.  Bourdelle  a  transformé  en  césar  romain  pour  galerie 
des  antiques  le  bon  bourgeois  de  génie  que  fut  Ingres.  Cett3  majoration 
posthume  tourne  à  l'apothéose;  le  morceau,  qui  se  recommande  par  de 
magistrales  qualités  d'exécution,  nous  étonnerait  moins  s'il  faisait  par- 
tie d'un  ensemble  monumental  où  figureraient  la  Source  et  l'Œdipe. 
De  M.  François  d'Aulnay  de  très  beaux  bustes,  bronze  à  cire  psrdue, 
fonte  Hébrard.  M.  Stapfer  a  envoyé  une  tète  de  Jean-Baptiste, 
M.  Durousseau  un  Méphistophélès,  M.  Wernhes  un  portrait  ressem- 
blant et  même  parlant  de  M.  'Widor.  Du  prince  Troubetzkoï.  le  docteur 


Pozzi;  de  M.  Paul  Paulin,  le  peintre  Guillaumin:  de  -M.  Alfred  Lenoir, 
Adolphe  Moreau  père,  dont  la  galerie  fut  l'origine  de  la  collection 
léguée  au  Louvre  par  M.  Moreau-Nélaton. 

Passons  sans  transition  — aussi  bien  maintenant  les  communica- 
tions sont  directes  et  l'on  fraternise  avec  la  plus  aimable  cordialité  — 
à  la  Société  des  Artistes  français.  C'est  l'immense  déballage  du  Salon 
officiel,  le  seul  qui  soit  brevet;  par  le  gouvernement,  le  Beul 
distribue  des  médailles  et  des  prix  d'honneui  élève!    pour  le 

moins  quadragénaires.  Écourtons  également  les  considérations  prélimi- 
naires. Cette  exhibition  annuelle,  qu'on  la  visite  à  la  bouscule  ou  qu'on 
y  fasse  de  calmes  promenades  à  l'heure  dorée,  je  veux  dire  quand  les 
vélums  tamisent  les  premiers  rayons  de  l'aube,  n'a  et  ne  peut  avoir 
rien  de  synthétique.  Les  trente-deux  salles  encombrées  comme  de 3 
rayons  de  bazar  ne  laissent  sur  la  rétine  et  dans  la  mémoire  qu'une 
série  de  visions  fragmentées.  La  Nationale  a  eu  des  origines  dissi- 
dentes :  elle  est  née  d'une  divergence  d'opinions,  d'un  conflit  de 
tendances,  et  si  la  période  héroïqu3  est  passée,  du  moins  peut-on  se 
figurer,  en  faisant  un  effort  d'imagination,  que  la  S.  B.  A.  garde  un 
peu  de  la  vitesse  acquise;  il  y  a  des  tressaillements,  des  secousses;  ca 
et  là  des  courants  semblent  se  dessiner.  Chez  les  Artistes  français,  au 
contraire,  la  pleine  possession  d'état,  le  bénéfice  d'une  tradition  sécu- 
laire ont  tout  assagi;  il  n'y  a  pas  de  fièvre  dans  l'air;  on  exploite 
confraternellement  une  situation  inattaquée.  A  l'ombre  du  vieux 
pavillon  chacun  apporte  sa  marchandise  plus  ou  moins  neuve,  plus 
ou  moins  précieuse,  sans  se  préoccuper  de  concourir  à  un  effort 
commun. 

Le  lot  est  mêlé  et  doit  l'être.  Personne  ne  supposera  que  sur  1.923 
toiles  exposées  —  pour  ne  prendre  que  le  total  d'une  section  —  il 
puisse  y  avoir  la  moitié  ou  le  tiers  de  chefs-d'œuvre,  de  demi-chefs- 
d'œuvre,  de  quarts  de  chefs-d'œuvre.  L'important  est  que  les  tableaux 
recommandables  à  certains  titres  et  ayant  une  raison  d'être  en  dehors 
de  la  satisfaction  naïve  de  leurs  signataires  ou  du  brocantage  des  mer- 
cantis  ne  disparaissent  pas  sous  une  couche  trop  épaisse  d'irréductibles 
médiocrités.  A  ce  point  de  vue  le  Salon  de  1908,  très  méthodiquement 
organisé  par  M.  Thoumy,  l'infatigable  secrétaire  général,  et  somptueu- 
sement meublé  (la  Société  a  dû  faire  un  héritage  :  il  y  a  des  kilo- 
mètres de  tapis  havane  et  des  centaines  d'aunes  de  rideaux  tabac 
d'Espagne,  couleurs  reposantes  pour  l'œil),  est  consolant  et  méritoire. 
S'il  faut  y  chercher  les  bonnes  choses,  du  moins  les  trouve-t-on  assez 
vite. 

Il  en  est  d'ailleurs  qui  s'imposent  par  leurs  dimensions  mêmes.  Au 
sommet  du  grand  escalier,  en  passant  le  seuil  de  la  salle  d'entrée, 
vaste  comme  la  carène  retournée  d'un  vaisseau  de  haut  bord,  nous 
sommes  immédiatement  face  à  face  avec  le  plus  colossal  spécimen  de 
peinture  décorative  :  les  trois  panneaux  de  M.  Edouard  Détaille 
destinés  au  Panthéon. 

Ce  triptyque  de  dimensions  colossales  est  intitulé  le  Chant  du  Départ, 
musique  de  Méhul,  paroles  de  Marie-Joseph  Chénier  : 

La  victoire  en  chantant  nous  ouvre  la  barrière  ! 

Il  se  compose  à  la  façon  d'un  panorama,  parties  réelles  d'un  relief 
apparent  et  parties  simplement  indiquées,  en  décor,  pour  former  le 
fond  du  tableau.  Au  premier  plan,  trois  groupes  de  canonniers  trainent 
de  vieilles  bombardes  de  cuivre,  face  au  public  qui  dans  l'espèce  repré- 
sente l'ennemi.  Ils  sont  râblés,  trapus,  très  vivants  sous  leurs  glo- 
rieuses guenilles  de  traine-savates  des  journées  héroïques  de  Fleurus  et 
Yalmy;  le  peintre  les  a  traités  avec  le  plus  consciencieux  réalisme, 
qu'ils  pointent  les  pièces,  qu'ils  manient  l'écouvillon  ou  qu'ils  poussent 
aux  roues  embourbées.  Derrière  eux  s'étend  un  rideau  de  spectres, chefs 
et  soldats  sortis  des  tranchées  où  ils  dormaient  leur  glorieux  sommeil. 
Comme  dans  la  légende  de  Raffet  : 

C'est  la  grande  revue 
Qu'aux  Champs-Elysées. 
A  l'heure  de  minuit, 
Tient  César  décédé. 

Seulement  le  Xapoléon  des  revues  macabres  est  remplacé  par  la  Vic- 
toire des  armées  républicaines,  montée  sur  un  coursier  ailé  comme 
Pégase.  Elle  chante  l'hymne  appelé  à  juste  titre  notre  seconde  Mar- 
seillaise (car  celui  de  Rouget  de  Lisle  était  déjà  un  chant  du  départ)  et 
ne  manque  pas  d'envol  lyrique.  Reconnaissons  d'ailleurs  que  dans  la 
galerie  du  Grand-Palais  le  groupe  et  son  entourage  semblent  un  peu 
crayeux  par  la  faute  des  toiles  papillotantes  qui  l'avoisinent,  mais  l'en- 
semble prendra  toute  sa  valeur  une  fois  en  place  et  s'harmonisera  avec 
le  cadre  architectural  du  Panthéon.  M.  Edouard  Détaille  compte-t-il 
allégoriser  aussi  le  Chant  des  Victoires,  de  Méhul  et  Chénier,  ou  leur 
Chant  du  Retour,  dont  la  poésie  a  un  faux  air  de  cantate  officielle  ? 


158 


LE  MÉNESTKEL 


Tu  fus  longtemps  l'effroi,  sois  l'amour  de  la  terre, 

0  République  des  Français  ! 
Que  le  chant  des  plaisirs  succède  aux  cris  de  guerre  ! 

La  Victoire  a  conquis  la  Paix... 

Il  reste  là-bas  assez  de  surfaces  décorables  pour  y  évoquer  tout 
notre  répertoire  de  chants  héroïques.  Et  ce  serait  au  moins  un  sem- 
blant d'unité  pour  cet  ensemble  disparate. 

(A  suivre.)  Camille  Le  Senne. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(pour  les  seuls  abonnés  a  la  musique) 


Détachons  une  dernière  page  de  la  partition  du  Chevalier  cVEon.  C'est  une  romance 
dans  le  goût  de  celles  qui  avaient  tant  de  vogue  en  1830  pour  la  plus  grande  joie  de 
nos  grand'mères  et  qui,  à  tout  prendre,  avaient,  dans  leur  ingénuité,  du  charme 
et  de  la  sensibilité.  Ces  Petits  oiseaux  étaient  chantés  à  la  Porte-Saint-Martin  d'une 
voix  fraîche  et  sûre  par  M"»  Fairy  et  on  les  écoutait  avec  plaisir. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


A  l'occasion  du  jubilé  de  l'Empereur  François-Joseph,  une  sérénade  a 
été  donnée  au  souverain,  à  sa  famille  et  à  ses  hôtes,  dans  les  jardins  du  châ- 
teau de  Schœnbrunn,  par  l'Association  des  chanteurs  de  la  Basse-Autriche. 
L'ensemble  vocal  et  instrumental  comprenait  six  mille  six  cents  voix  appar- 
tenant à  plus  de  deux  cents  Sociétés  et  la  musique  de  cinq  régiments. 

—  Le  7  mai  dernier,  a  été  dévoilé  à  Vienne,  en  présence  d'un  public  nom- 
breux, le  monument  érigé  en  l'honneur  de  Brahms,  sur  le  Karlsplalz,  pour 
fêter,  par  un  souvenir  durable,  le  soixante-quinzième  anniversaire  de  sa  nais- 
sance. A  cette  occasion  un  concert  a  été  donné  dans  lequel  on  a  fait  entendre 
des  oeuvres  chorales  du  maitre  et  le  cycle  de  mélodies  intitulé  la  Belle  Ma- 
guelone,  paroles  de  Ludwig  Tieck. 

—  De  Vienne  :  Le  programme  des  quatre  représentations  que  le  corps  de 
ballet,  du  Grand  Opéra  de  Paris  (avec  MUc  Sandrini)  donnera  au  Thoater  an  der 
Wien  est  arrêté  comme  suit  :  Le  18  et  le  19  mai  on  jouera  le  ballet  la  Korri- 
gane; le  20  et  le  21,  la  MaladeUa. 

—  Gomme  il  fallait  s'y  attendre,  M.  Siegfried  Wagner  a  démenti  la  nou- 
velle, lancée  par  un  journal  américain,  qu'il  dût  faire  une  tournée  de  concerts 
dans  le  Nouveau-Monde  avec  l'orchestre  philharmonique  de  Berlin  et  que 
Mm<?  Cosima  Wagner  dût  l'accompagner. 

—  Un  monument  sera  élevé  prochainement  en  l'honneur  de  Louis  Spohr,  à 
Brunswick,  où  il  naquit  le  5  avril  1784.  Ce  maître,  qui  fut  à  la  fois  violoniste 
et  compositeur,  a  laissé  dix  opéras  parmi  lesquels  on  connait  encore  principa- 
lement Faust  (1819)  et  Jessonda  (1823),  cinq  oratorios,  neuf  symphonies,  des 
concertos  et  un  grand  nombre  d'oeuvres  de  musique  de  chambre.  Il  mourut 
à  Cassel,  le  2»  octobre  1SS9. 

—  Le  Cmservatoire-Ralï,  de  Francfort,  a  célébré,  le  3  mai  dernier,  le 
vingt-cinquième  anniversaire  de  sa  fondation.  JoachinRaff,  l'auteur  des  deux 
symphonies  Dans  la  forêt  et  Lénore,  pour  ne  citer  que  celles  qui  ont  été  jouées 
à  Paris,  avait  été  nommé  en  1877,  directeur  du  Conservatoire  Hoch.  Après  sa 
mort,  survenue  le  24  juin  1882,  M.  Bernhard  Scholz  lui  ayant  été  donné 
comme  successeur,  plusieurs  des  anciens  collaborateurs  du  maitre  se  reti- 
rèrent, et  ouvrirent,  au  printemps  de  l'année  1883,  un  nouvel  institut  qu'ils 
nommèrent  Conservatoire-Raff.  Le  nombre  des  élèves  n'était  alors  que  de 
soixante-dix.  Parmi  les  fondateurs  se  trouvaient  MM.  Maximilien  Fleisch  et 
Max  Schwarz,  qui  sont  encore  aujourd'hui  à  la  tête  de  l'établissement.  L'en- 
treprise prospéra  grâce  au  concours  d'éminents  professeurs,  notamment  de 
Hans  de  Bùlow,  qui,  quatre  années  durant,  de  1884  à  1887,  y  fit  régulière- 
ment des  cours  de  piano  pendant  une  période  déterminée.  Parmi  les  élèves 
du  Conservatoire-Raff,  on  peut  compter  M.  Richard  Strauss  et  parmi  les 
anciens  professeurs,  M.  Frédéric  Steinbach.  A  la  date  de  l'anniversaire,  un 
concert  a  eu  lieu  pendant  lequel  on  a  fait  entendre  des  œuvres  de  Raff  et  de 
Bûlow. 

—  A  l'occasion  de  la  quarante-quatrième  réunion  de  l'Association  générale 
des  musiciens  allemands,  qui  aura  lieu  cette  année  à  Munich,  au  commence- 
ment de  juin,  des  représentations  de  fête  seront  données  au  théâtre  du  Prince- 
Régent.  On  jouera  le  Ier,  le  3  et  le  b  juin  :  Moloch  de  M.  Max  Schillings, 
Ilsebill  de  M.  Frédéric  Klose,  et  les  Troyens  de  Berlioz.  Cette  dernière  œuvre 
sera  donnée  telle  que  l'écrivit  Berlioz,  c'est-à-dire  que  l'on  entendra,  en  une 
seule  soirée,  la  Prise  de  Troie,  divisée  en  deux  actes,  dont  le  premier  doit 
durer  cinquante  deux  minutes  et  le  second  vingt-deux,  et  1rs  Troyens  à  Car- 
tilage, répartis  en  trois  actes,  avec  des  durées  respectives  de  quarante,  qua- 
ran'.e-sept  et  quarante-cinq  minutes.   L'ensemble  formera  donc  un  total  de 


deux  cent  six  minutes  et  devra  durer,  sans  les  entr'actes,  trois  heures  et 
vingt-six  minutes.  C'est  M.  Félix  Mottl  qui  dirigera  les  représentations. 

—  La  Neue  Miisiek-Zeitung  publie  une  liste  de  plus  de  deux  cents  musiciens 
qui  s'étaient  destinés,  ou  mieux,  avaient  été  destinés  à  d'autres  professions. 
Nous  détachons  de  cette  liste,  à  titre  de  simple  curiosité,  quelques  noms  signi- 
ficatifs. On  verra  que,  pour  aucun  des  artistes  dont  il  s'agit,  il  ne  peut  être 
question  de  vocation  manquée  puisque  tous  ont  été  des  compositeurs  célè- 
bres. Voici  notre  extrait,  de  la  longue  nomenclature  dressée  en  Allemagne  : 
Berlioz,  étudiant  en  médecine;  Borodine,  médecin  professeur;'  Bruckner, 
maitre  d'éco'e;  Bulow,  juriste;  Peter  Cornélius,  comédien;  César  Cui,  ingé- 
nieur; Dvorak,  boucher;  César  Franck,  étudiant  (figure  à  tort  dans  la  liste, 
car  il  n'a  jamais  étudié  professionnellement  que  la  musique);  Gouvy,  étudiant 
en  droit;  Grisar,  négociant;  Kienzl,  docteur  en  philosophie:  Conradin 
Kreutzer,  juriste:  Loewe,  théologien;  Lwoff,  major  général;  Marsclmer, 
juriste;  Métra,  comédien;  Muck,  juriste;  Nessler,  théologien;  Perosi,  prêtre: 
Proch,  étudiant  en  droit;  Raff,  maitre  d'école  ;  Reissiger,  étudiant  en  théo- 
logie; Riemann,  droit  et  philosophie;  Rimsky-Korsakow,  officier  de  ma- 
rine; Rouget  de  l'Isle,  officier;  Schumann,  étudiant  en  droit  (non  compris 
sur  la  liste  mais  qui  devrait  y  figurer);  Tartini,  juriste:  Taubert,  étudiant 
en  théologie:  Tschaïkowsky,  juriste;  Vaccaï,  étudiant  en  droit;  Wagner, 
étudiant  en  philosophie  (il  semble  que  son  inscription  à  ce  titre  à  l'univer- 
sité de  Leipzig  ne  fut  qu'une  formalité  sans  importance  et  qu'il  n'entrevit 
jamais  d'autre  carrière  que  celle  de  musicien  ou  de  dramaturge);  Wein- 
gartner,  étudiant  (?)  ;  Zelter,  maitre  maçon  ;  Zumpe,  professeur.  On  pourrait 
continuer  longtemps  ce  petit  jeu  si  l'on  voulait  faire  entrer  en  ligne  les  chan- 
teurs, particulièrement  les  ténors. 

—  Une  opérette  nouvelle,  Principessa,  paroles  de  MM.  Frédéric  Grùnbaum 
et  Georges  Burghardt,  musique  de  M.  Rodolphe  Nelson,  vient  d'être  jouée 
avec  succès  au  Théâtre  de  la  Résidence,  à  Francfort. 

—  Vous  connaissez  1'  «  espéranto  »,  la  nouvelle  langue  universelle  qui  a 
remplacé  le  volapûk,  de  burlesque  mémoire  ?  Or,  urf  congrès  international 
d'esperantistes  doit  se  tenir  à  Dresde  au  mois  d'août  prochain,  congrès  à 
l'occasion  duquel  sera  donnée  une  série  de  représentations  théâtrales  dans  la 
langue  nouvelle.  Un  professeur,  M.  Zamenhof,  qui  a  traduit  en  espérant i 
toutes  les  œuvres  de  Gcethe  (pardonnez -lui,  seigneur  '■)  et  beaucoup  de  tragé- 
dies grecques,  prépare  dès  aujourd'hui  la  représentation  de  VIphigénie  en  Tau- 
ride  d'Euripide,  qui  sera  jouée  sur  le  Grand-Théâtre  de  Dresde  en  espéranto, 
par  une  troupe  composée  d'artistes  de  toutes  nationalités.  Ce  sera  évidem- 
ment d'un  intérêt  palpitant,  avec  cet  avantage  que  dans  la  nouvelle  langue 
viendront  se  fondre  et  disparaître  les  accents  divers  de  ces  artistes  si  divers. 
C'est  égal,  Euripide  ne  s'attendait  pas  à  celle-là! 

—  De  Leipzig,  on  nous  signale  le  très  gros  succès  remporté  par  Louise,  au 
Stadtheater.  M.  Gustave  Charpentier  s'est  déclaré  particulièrement  touché 
des  témoignages  de  sympathie  et  d'admiration  qu'il  a  reçus  à  l'occasion  de 
cette  première. 

—  L'ensemble  de  l'Opéra  de  Saint-Pétersbourg  doit  commencer  ses  repré- 
sentations au  nouvel  Opéra-Royal  de  Berlin,  le  20  mai  prochain.  On  donnera 
la  Vie  pour  le  Tzar  de  Glinka. 

—  D'une  correspondance  de  Saint-Pétersbourg  nous  détachons  ce  qui  suit  : 
«  Les  prix  des  loges  et  des  fauteuils  se  sont  élevés  subitement  à  notre  Opéra 
italien,  comme  le  mercure  sous  l'effet  d'un  rapide  changement  de  température, 
quand  on  a  annoncé  Mignon  avec  M™10  Sigrid  Arnoldson  :  200  francs  une  loge, 
35  un  fauteuil,  et  ainsi  du  reste.  Les  amateurs,  et  de  la  plus  haute  aristo- 
cratie, qui  avaient  fait  expressément  le  voyage  de  Varsovie  et  de  Riga,  ne 
voulurent  pas  renoncer  au  plaisir  d'entendre  et  d'applaudir,  à  quelque  prix 
que  ce  fut,  la  diva  suédoise,  et  obtinrent  du  directeur  de  faire  placer  une 
cinquantaine  de  fauteuils  sur  la  scène  même,  à  30  roubles  chacun.  On  se 
serait  cru  chez  vous,  à  Paris,  au  temps  de  Molière.  Le  susdit  directeur  se 
demande  maintenant  si  ce  n'est  pas  le  cas  d'élargir  le  théâtre  pour  les  autres 
représentations  de  la  charmante  artiste,  qui  va  jouer  successivement  Hinnlet. 
et  Manon.  » 

—  Sans  grand  fracas,  sans  tambour  ni  trompette,  la  petite  Suisse,  très 
artiste,  très  musicale,  fait  des  efforts  méritoires  pour  encourager  l'art.  C'est  ainsi 
que  la  Confédération  a  accordé  en  1907  à  l'Association  des  musiciens  suisses 
une  subvention  de  5.000  francs,  que  cette  Association  a  employée  et  partagée 
de  la  façon  suivante  :  Subside  à  la  Société  cantonale  des  chanteurs  vaudois 
pour  l'organisation  d'un  cours  de  directeurs,  500  francs.  Subside  aux  frais  de 
copie  pour  la  fête  de  musique  à  Lucerne,  579  fr.  8b.  Subside  à  la  bibliothèque 
de  musique  de  Bàle,  300  francs.  Pour  trois  bourses  d'élèves,  ensemble 
1.100  francs.  Versement  de  fonds  pour  l'édition  d'oeuvres  musicales,  2.000  fr. 
Total,  4.479  fr.  S5. 

—  D'autre  part,  la  «Société  suisse  des  professeurs  de  chant  et  de  musique» 
a  consacré  le  subside  de  1.000  francs  qui  lui  a  été  alloué  à  un  cours  pour 
organistes  qui  a  eu  lieu  dans  la  seconde  moitié  de  1907,  dans  la  Suisse 
septentrionale  et  orientale,  et  dont  les  frais  se  sont  élevés  à  913  fr.  50.  Ce  cours 
intercantonal  a  été  donné  par  sept  professeurs  dans  les  églises  de  Baden, 
Bàle,  Rorschach,  Soleure,  Sachseln  et  Zug.  Winterthur  et  Zurich  :  il  a  été 
suivi  par  29  élèves. 

—  L' Hérodiade  de  Massenet  vient  d'être,  bien  innocemment,  la  cause  d'un 
procès  qui  vient  de  se  plaider  à  Milan  entre  artiste  et  imprésario,  et  qui  s'est 


LE  MENESTREL 


159 


terminé  au  désavantage  de  celui-ci.  Le  motif  du  procès  est  d'ailleurs  assez 
curieux.  Un  chanteur.  M.  Carlo  Walter.  avait  été  engagé  par  M.  Camillo 
Bonetti,  directeur  de  l'Opéra  de  Buenos-Ayres,  avec  obligation  pour  ce  der- 
nier de  renouveler  l'engagement  à  la  lin  de  la  première  saison.  Mais,  le 
terme  arrivé,  le  directeur  annonça  à  son  pensionnaire  qu'il  se  refusait  à  dou- 
bler le  traité,  celui-ci  ayant  formellement  refusé  lui-même  de  chanter  le  rôle 
de  Phanuel  dans  Eérodiade,  qui  rentrait  dans  sou  emploi  de  première  basse. 
Le  chanteur  répondit  alors  que  s'il  n'avait  pas  voulu  jouer  dans  Sérodiade, 
c'est  qu'on  avait  pratiqué  dans  la  partition  des  coupures  trop  considérables. 
Ne  croyez  pas  toutefois  que  ce  soit  par  respect  pour  l'œuvre  d'un  maître  que 
M.  Carlo  Walter  ait  déploré  ce  procédé;  oh  !non,  les  chanteurs  n'ont  pas  de  ces 
scrupules.  C'est  simplement  parce  que  les  coupures  en  question  faisaient 
perdre  au  rôle  de  Phanuel  une  partie  de  son  importance  et  qu'il  n'était  plus 
digne  d'une  première  basse  !  Et  le  tribunal  lui  a  donné  raison,  et  a  condamné 
le  directeur  à  payer  à  l'artiste  les  appointements  de  l'engagement  non  renou- 
velé par  son  fait. 

—  Enok  Arden, le  dernier  opéra  du  regretté  GaelanoCoronaro,  dont  nous  avons 
annoncé  récemment  la  mort,  sera  joué  au  Théàtre-Verdi  de  Florence,  dans  la 
grande  saison  d'aoùt-septembre,  si  les  pourparlers  qui  ont  cours  entre  le 
comité  des  élèves  du  maestro  et  la  présidence  du  théâtre  aboutissent,  comme 
on  l'espère,  à  un  bon  résultat.  Le  maestro  SeraQn  s'est  offert  immédiatement 
et  de  la  façon  la  plus  désintéressée  à  monter  et  à  diriger  l'exécution  de  l'ou- 
vrage, exauçant  ainsi  le  vœu  suprême  que  l'excellent  Coronaro  exprimait  à  la 
fin  de  sa  vie.  Les  décors  et  les  costumes  sont  tout  prêts,  car  l'ouvrage  en  était 
déjà  arrivé  aux  répétitions  générales  au  Théâtre-Lyrique  de  Milan,  où  finale- 
ment il  ne  put  être  joué  par  suite  de  la  faillite  de  l'entreprise. 

—  De  Palerme  :  Notre  «  Teatro  Massimo  »  vient  de  nous  donner  la  pre- 
mière représentation  de  Thaïs,  et  l'œuvre  exquise  du  maître  Massenet  a  rem- 
porté un  triomphe  de  plus  en  Italie.  Profonde  impression  artistique,  dit 
notre  correspondant,  enthousiasme  pour  la  partition  et  pour  sa  belle  inter- 
prète, Mllc  Carmen  Melis,  la  remarquable  Thaïs  italienne.  On  a  fêté  aussi  le 
baryton  Cigada.  le  ténor  Dammacco  elle  maestro  Marinuzzi  qui,  superbement, 
a  conduit  tout  le  monde  à  la  victoire. 

—  Le  théâtre  de  Monte-Carlo  vient  d'offrir  à  son  publie  la  primeur  d'un 
op^ra-comique  inédit  en  trois  actes,  la  Princesse  voilée,  dont  les  auteurs  sont 
M.  Paul  Lancret  pour  les  paroles  et  Charles  Egly  pour  la  musique.  Cet 
ouvrage,  qui  avait  pour  interprètes  Mlles  Alice  Kervan,  Charley  et  Marie 
Théry,  MM.  Bertrand,  Poudrier,  Alberthal,  Bruney  et  Maury,  a  été  très 
favorablement  accueilli. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 
Sur  les  dix  aspirants  au  concours  de  Rome  qui  se  sont  présentés,  comme 
nous  l'avons  fait  connaître,  à  l'épreuve  préparatoire,  six  ont  été  admis  au  con- 
cours définitif,  dans  l'ordre  suivant  :  1er  M.  André  Gailhard.  2e  prix  de  1906, 
élève  de  M.  Charles  Lenepveu  ;  2e  M.  Mazellier,  2e  prix  de  1907,  élève  de 
M.  Ch.  Lenepveu;  3e  M.  Delmas,  élève  de  M.  Charles  Lenepveu;  4e  M.  Fla- 
mant, élève  de  M.  Gh.  Lenepveu:  5e  Mlle  Nadia  Boulanger,  élève  de  M.  Wi- 
dor;  6e  M.  Tournier,  élève  de  M.  Ch.  Lenepveu.  Ces  six  concurrents  entrent 
en  loge  aujourd'hui  même,  samedi  16  mai,  au  château  de  Compiègne,  et  y 
resteront  jusqu'au  16  juin. 

—  Au  Conservatoire.  Voici  quel  était  le  programme  de  l'exercice  public  des 
élèves  qui  fut  donné  .jeudi  : 

—  Quatuor  à  cordes,  op.  76  (J.  Haydn):  Allegretto,  Allegro,  Largo,  Menuet,  Presto. 
—  Duo  de  la  Passion  (Haendel).  —  a)  Sa  voix,  b)  Le  Noyer  (R.  Schumanni.  —  Trio 
pour  deux  violons  et  violoncelle,  avec  accompagnement  de  piano  iPh.-Emni.  Bach)  : 
Allegretto,  Andantino,  Allegro.  —  a)  Le  Chant  de  la  fiancée  (R.  Schumann),  b)  Désir  de 
Printemps  (Schubert).  —  a)  L'Esclave  (E.  Lalo),  b)  Près  de  ma  tombe  obscure  (Beetho- 
ven). —  Andante  du  quintette  en  mi  bémol,  pour  piano  et  instruments  à  vent  (Bee- 
thoven). —  a)  Souvenir,  b)  Venise  (Ch.  G-ounod).  —  Chœurs  sans  accompagnement 
(seizième  siècle)  :  a)  Noël  :  Un  enfant  nous  est  né,  chœur  à  quatre  voix  mixtes  (Eus- 
tache  du  Caurroy)  ;  b}  Fuyons  tous  d'amour  le  jeu,  à  quatre  voix  mixtes  (Claude 
Le  Jeune)  ;  c)  Il  est  bel  et  bon,  à  quatre  voix  mixtes  (Passereau!.  —  Symphonie  en  ré 
majeur,  K.  V.  385  (W.-A.  Mozart):  Allegro  con  spirito,  Andante,  Minuetto,  Finale, 
Presto.  —  a)  L'Heure  du  mystère,  b)  Si  je  vous  parlais  de  ma  peine  (R.  Schumanm.  — 
La  Truite  (Schubert) .  — Le  Roi  des  Aulnes  (Schubert).—  Morceaux  de  fantaisie  pour 
piano,  violon  et  violoncelle  (R.  Schumann)  :  a)  Romance  et  Humoresque,  b)  Duetto 
et  Finale.  —  Air  de  Thésée  (J.-B.  Lulli).  —  Concerto  pour  orgue  et  orchestre 
(Haendel). 

Notre  excellent  collaborateur  Boutarel  nous  fera  samedi  prochain  un  petit 
compte  rendu  de  cet  exercice. 

—  La  Société  mutuelle  des  professeurs  du  Conservatoire  annonce  pour  le 
13  juin,  au  profit  de  sa  caisse  de  retraites,  une  matinée  à  laquelle  la  Comédie- 
Française,  l'Opéra  et  le  Conservatoire  prêteront  leur  concours.  Elle  aura  lieu 
au  Théàtre-Sarah-Bernhardt,  mis  obligeamment  à  la  disposition  de  la  Société. 
M.  L.  Leloir,  de  la  Comédie-Française,  en  organise  le  programme.  Nous  pou- 
vons annoncer  dès  maintenant  qu'il  a  été  autorisé  à  y  comprendre  une  pièce 
inédite  de  M.  Jules  Claretie,  l'Êpée. 

—  A  l'Opéra,  comme  on  pouvait  s'y  attendre,  les  représentations  de  Thaïs 
avec  MUe  Mary  Garden  et  M,  Maurice  Renaud  sont  des  plus  brillantes.  On 
s'arrache  les  moindres  coins  de  la  salle  à  prix  d'or.  M.  Renaud  a  posé  d'auto- 
rité et  avec  un  soin  raffiné  d'art  le  personnage  compliqué  d'Athanaël,  tandis 
que  Mllc  Garden  donnait,  de  son  coté,  à  celui  de  la  courtisane  Thaïs  une  ligure 
plus  curieuse,  plus  originale,  plus  tourmentée  aussi  que  celle  qu'on  lui   avait 


vue  jusqu'à  ce  jour  sur  la  scène  de  l'Opéra.  Il  faut  dire  que  les  deux  artistes 
ont  su  se  rapprocher  bien  plus  du  livre  d'Anatole  France  qu'on  no  l'avait  fait 
encore  et,  comme  la  musique  imagée  et  colorée  du  maître  Massenet  s'y  est 
toujours  adaptée  parfaitement,  il  en  résulte  une  intensité  d'émotion  bien  plus 
grande.  C'est  donc  un  succès  tout  artistique  auquel  il  convient  d'applaudir  des 
deux  mains.  —  Maintenant  la  nouvelle  direction  do  l'Opéra,  dont  ou  doit 
admirer  vraiment  une  activité  si  bien  employée,  est  toute  aux  prochaines  re- 
présentations de  l'opéra  russe  lliris  Godounow.  La  première  en  sera  à 
mardi  prochain  19  mai  et  là  encore  on  peut  s'attendre  à  des  merveilles.  Tous 
les  échos  qui  nous  arrivent  des  répétitions  sont  excellents. 

—  L'Opéra-Comique  russifiera  également  de  son  cùté.  Voici  qu'on  annonce 
pour  vendredi  prochain 22  mai  la  première  de  SnegouTolchàa,  L'opéra  de  Rimskj  - 
Korsakow  (répétition  générale  mercredi  dans  la  journée  a  1  heure).  Aimez- 
vous  la  Russie  ?  On  en  a  mis  partout.  —Spectacles  prochains  :  ce  soir  samedi, 
le  Barbier  de  Séuille  et  Cavalleria  rustimna.  Dimanche  en  matinée  :  Carmen  |,. 
soir,  Werther.  Après-demain  lundi,  en  représentation  populaire  à  prix  réduits: 
la  Hubunera  et  la  Fille  du  régiment. 

—  L'Assemblée  générale  de  l'Association  des  artistes  musiciens  (fonda- 
tion Taylor)  a  eu  lieu  dans  la  grande  salle  du  Conservatoire.  La  séance 
était  présidée  par  M.  Callon.  M.  Paul  Rougnon,  vice-président,  a  donné 
lecture  du  rapport  annuel,  et  quand  il  a  exprimé  les  regrets  du  conseil 
d'avoir  reçu  la  démission  de  l'ancien  président,  M.  Réty,  il  a  été  vivement 
applaudi.  Il  a  été  procédé  ensuite  à  l'élection  des  quinze  nouveaux  membres 
du  comité.  Ont  été  nommés  :  MM.  Henri  Carré,  Vernaelde,  Charles  Callon, 
Henri  Rabaud,  Arthur  Pougin,  Seitz,  Gurt,  Wael-Munk,  Polonus.  Migard, 
Bouvet,  Falkenberg,  Tournier,  Villard  et  Alexandre  Petit.  M.  Paul  Xaffanel  a 
été  nommé  président. 

—  Les  résultats  des  concours  ouverts  en  1907  par  la  Société  des  composi- 
teurs de  musique  sont  les  suivants  : 

1°  OEuvre  symphonique  pour  piano  et  orchestre,  en  une  ou  plusieurs  parties. 
—  Pas  de  prix. 

2°  Deus  Abraham,  duo  pour  ténor  et  baryton  avec  accompagnement  d'orgue 
et  chœur  à  3  ou  4  voix  inégales.  —  Prix  Samuel  Rousseau  (300  francsi, 
offert  par  M"10  Samuel  Rousseau,  décerné  à  M.  Georges  Kriéger,  Paris. 

La  Société  met  au  concours,  réservé  aux  seuls  musiciens  français,  pour 
l'année  190S,  les  œuvres  ci-après  : 

1'  Quintette  pour  piano  et  instruments  à  cordes.  —  Prix  500  francs  (Fonda- 
tion Pleyel-Wolff-Lyon)  et  exécution  à  l'un  des  concerts  de  la  société. 

2°  Pie  Jesu  pour  baryton  solo  et  chœur  à  trois  voix  (sopranos,  ténors  et 
basses)  avec  accompagnement  d'orgue.  —  Prix  Samuel  Rousseau  (300  francs), 
offert  par  Mluc  Samuel  Rousseau. 

3°  Suite  pour  piano  et  un  ou  deux  instruments  au  choix  du  concurrent.  — 
Prix  300  francs  offert  par  la  Société. 

—  Après  l'exposition  théâtrale  du  Pavillon  de  Marsan,  que  nous  avons  fait 
connaître  sommairement,  voici  une  exposition  rétrospective  de  portraits  de  la 
seconde  moitié  du  dix-neuvième  siècle  qui  s'ouvre  à  Bagatelle,  et  dont  cer- 
taines pièces  nous  offrent  un  intérêt  particulier.  A  signaler  ici  :  un  Pananini 
d'Eugène  Delacroix;  un  Liszt  de  Leyman  :  un  Rossini  d'Ingres;  puis  Marie 
Malibran,  de  Bouclot;  Pauline  Garcia  (Mme  Yiardot),  sa  sœur,  d'Arv  Scheffer; 
Alexandre  Dumas  père,  d'Eugène  Delacroix;  deux  George  Sand,  dont  un  de 
Thomas  Couture;  Alphonse  Baudet,  d'Eugène  Carrière;  Edmond  About,  de  Paul 
Baudry  ;  Coquelin  aîné,  de  Bastien  Lepage.  Et  en  sculpture,  Charles  Gounoil, 
Alexandre  Dumas,  Charles  Garnier,  de  Carpeaux,  etc.  Cette  exposition  orga- 
nisée par  MM.  Roll,  Rodin,  Gervex,  Jeau  Béraud,  Dubufe  et  une  délégation 
de  la  Société  nationale  des  beaux-arts,  va  faire  courir  tout  Paris  à  Bagatelle. 

—  Caruso,  Melba,  Renaud  sur  la  même  affiche  !  Nous  avons  annoncé  que 
Caruso  chanterait  à  l'Opéra,  le  mois  prochain,  au  gala  organisé  par  la  Société 
des  auteurs  et  compositeurs  dramatiques.  C'est  dans  Rigolello  que  paraîtra  le 
célèbre  ténor.  Il  aura  comme  partenaire  Mme  Nelly  Melba,  la  célèbre  étoile 
de  Covent-Garden,  et  Maurice  Renaud.  Fête  d'art  incomparable  et  absolument 
unique.  Ajoutons  que  le  comité  a  tenu  à  réserver,  dans  cette  représentation 
admirable,  une  place  importante  à  l'École  française.  Des  démarches  ont  été 
faites  auprès  des  maîtres  Camille  Saint-Saëns  et  M.  Massenet  pour  obtenir 
d'eux  la  direction  de  deux  fragments  de  leurs  œuvres.  Le  prix  des  places, 
pour  cette  représentation  de  gala,  sera  fixé  d'ici  peu  :  nous  pouvons  annoncer 
d'ores  et  déjà  que  les  place  d'avant-scènes  et  de  premières  loges,  ainsi  que  les 
fauteuils  d'orchestre  et  d'amphithéâtre,  coûteront  100  francs.  Les  abonnés 
des  trois  jours  de  l'Opéra  auront,  jusqu'au  20  mai,  le  droit  d'option  sur  leurs 
places  habituelles. 

—  Quelques  détails  sur  le  Tarare  de  Salieri,  à  propos  d'nn  autographe  de 
son  collaborateur  Beaumarchais.  On  sait  que  celui-ci  avait  fait  du  poème  de 
cet  ouvrage  (dont  la  préface  est  si  curieuse  au  point  de  vue  de  l'esthétique  du 
drame  lyrique)  une  sorte  de  satire  politique.  On  le  savait  dans  le  public,  et  la 
curiosité  était  vivement  excitée.  Aussi,  la  répétition  générale  payante  qu'on 
en  fit  au  profit  du  personnel  donna-t-elle  une.recette  de  3.076  livres  C  sols. 
La  première  représentation  eut  lieu  le  S  juin  1787,  et  Beaumarchais,  s'il  faut 
l'en  croire,  n'eut  à  se  louer  ni  de  la  direction  de  l'Opéra  ni  des  interprètes  de 
Tarare.  Dans  une  lettre  adressée  au  baron  de  Breteuil,  sous-secrétaire  d'État, 
en  date  du  4  novembre  1787,  il  se  plaint  amèrement  qu'on  ait  brusquement 
interrompu  les  représentations  de  Tarare,  auxquelles,  dit-il,  le  public  n'a  cessé 
de  se  porter  en  foule.  Il  accuse  le  directeur  (Dauvergne)  et  les  acteurs,  et 
s'exprime  ainsi  :  «  L'Opéra  sera  toujours  à  la  charge  du  Roi;~rant  qu'une  juste 


m 


LE  MENESTREL 


rigueur  ne  le  mettra  pas  sur  un  autre  pié.  Les  comédiens-français  n'eussent 
pas  gagné  700.000  livres  avec  la  Folle  Journée  (le  Mariage  de  Figaro)  s'ils  eussent 
quitté  le  public  à  la  43e  représentation.  »  Il  exige  donc  qu'on  retire  du  réper- 
toire cet  opéra,  qu'il  n'a  pas  désiré  qu'on  jouât  et  qui  a  couvert  ses  frais;  c'est 
la  seule  récompense  qu'il  demande  des  soins  qu'il  s'est  donnés,  et  il  ajoute  : 
«  J'en  avais  commencé  un  autre;  je  viens  de  le  jeter  au  feu,  et  que  le  dieu  des 
vers  m'écorche  vif  comme  Marsyas  si  jamais  je  fais  rien  jouer  à  celte  indigne 
pétaudière!  C'est  ce  que  j'ai  dit  hautement  en  quittant  ce  soir  le  spectacle.  » 
Il  est  certain  que  Beaumarchais  n'avait  pas  lieu,  notamment,  d'être  satisfait 
de  Laine,  qui  jouait  Tarare,  et  qui,  parait-il,  avait  son  rôle  en  horreur.  Le 
26  juin,  jour  de  la  sixième  représentation,  il  refusait  de  chanter,  et  il  fallut 
la  menace  de  la  prison  pour  l'y  contraindre;  et  le  «  journal  »  de  Francœur, 
sous-directeur  de  l'Opéra,  nous  apprend  ceci  cinq  mois  après  :  «  Le  samedi 
15  novembre  (1787),  le  lendemain  delà  vingt-cinquième  représentation  de  Ta- 
rare, Laine  fut  arrêté  par  ordre  du  roy  et  conduit  à  la  Force,  au  secret,  pour 
s'être  plusieurs  fois  refusé  de  jouer  son  rôle,  la  veille,  la  vendredi  notam- 
ment. »  On  conçoit  la. fureur  de  Beaumarchais,  peu  endurant  de  sa  nature, 
comme  on  sait,  et  dont  la  patience  n'était  pas  la  vertu  dominante. 

—  Autorisés  par  M.  le  Ministre  de  l'Instruction  publique  et  des  Beaux- 
Arts,  MM.  Messager  et  Broussan  mettront  gracieusement  la  salle  de  l'Acadé- 
mie nationale  de  musique  à  la  disposition  du  comité  Beethoven,  pour  y 
donner,  le  mardi  16  juin  prochain,  une  représentation  de  gala  dont  le  produit 
est  destiné  à  l'achèvement  du  monument  consacré  à  la  gloire  de  l'illustre 
musicien.  Nous  ferons  connaître  prochainement  le  programme  de  cette 
représentation  qui,  si  nous  en  croyons  certaines  indiscrétions,  sera  bien  plus 
belle  encore  que  celle  de  l'an  dernier,  dont  le  succès  est  encore  présent  à  la 
mémoire  de  tous. 

—  M.  Arthur  Shattuch  a  donné,  salle  des  Agriculteurs,  deux  concerts,  dont 
l'un  avec  le  concours  de  l'orchestre  Colonne,  au  cours  desquels  il  a  fait 
montre  de  précieuses  qualités  de  style  et  d'exécution,  tant  dans  des  pièces 
classiques  que  dans  des  morceaux  modernes.  Dans  le  Liszt,  et  notamment 
dans  Saint-François  de  Paule  marchant  sur  les  flots,  il  a  déployé  énormément 
de  fouge  et  d'heureuse  fantaisie. 

—  M.  Alexandre  Guilmant  vient  d'être  nommé  membre  de  la  célèbre 
Académie  Boyale  Suédoise  de  musique. 

—  La  Société  chorale  «  Maennerehor  Zurich  »,  fondée  en  1826  par  Naegeli, 
dirigée  ensuite  par  Baumgartner,  et  par  Cari  Attenhofer  de  1866  à  1904,  nous 
a  été  présentée  samedi  dernier  au  Trocadéro  par  son  chef  actuel,  M.  Wolk- 
mar  Andréa?.  Des  chœurs  de  Schumann,  Grieg,  Silcher,  Hegar,  Gustave 
Weber,  Baumgartner,  Attenhofer,  G.  Doret,  Siegmund  von  Hausegger  et 
Volkmar  Andreœ  ont  été  chantés  dans  la  plus  grande  simplicité  de  style  et 
le  sentiment  le  plus  sincère  de  l'expression  juste.  Toute  cette  musique  pour 
voix  d'hommes,  généralement  à  quatre  parties,  respire  avec  intensité  la  vie 
libre  et  captivante;  de  chaque  morceau  se  dégage  un  ensemble  d'impressions 
nées  comme  d'elles-mêmes  chez  le  compositeur,  parce  qu'elles  sont  l'àme 
même  du  pays  qu'il  a  aimé,  du  sol  qu'il  a  foulé.  Envisagés  à  ce  point  de  vue, 
les  chœurs  de  Silcher  et  d'Attenhofer  sont  de  touchants  chefs-d'œuvre.  La 
sincérité,  déjà  moins  spontanée  chez  Grieg,  descend  encore  d'un  degré  avec 
\aMarche  des  morts  de  M.  S.  von  Hausegger;  c'est  l'ouvrage  d'un  composteur 
de  talent,  qui  dirige  son  inspiration  au  lieu  de  se  laisser  conduire  par  elle. 
M.  G.  Doret,  au  contraire,  a  décrit  ce  qu'il  sentait  et  ce  qu'il  voyait,  sans 
reculer  devant  la  vulgarité  populaire  des  tableaux.  Il  nous  en  offre  un,  Fête  des 
Vignerons,  dans  lequel  s'épanche,  aux  sons  des  tambours,  des  timbales  et  des 
cors  de  chasse,  la  joie  de  vivre  au  grand  air  et  de  goûter  dans  sa  plénitude 
l'ivresse  d'une  communion  villageoise  quelque  peu  dionysiaque  avec  la  nature. 
Les  chanteurs  du  «  Maennerehor  Zurich  »  ont  la  précision  des  instrumentistes 
d'un  excellent  orchestre  :  chez  eux,  l'émission  est  très  sûre,  la  justesse  irré- 
prochable, et  une  certaine  àpreté  virile  dans  la  sonorité  ne  déplait  pas.  Ces 
hommes,  qui  appartiennent  à  toutes  les  professions,  montrent,  par  une  diction 
intelligente  et  bien  sentie  que  le  chant  est  pour  eux  un  langage  plus  expressif 
que  la  parole,  une  conviction.  Ce  concert  a  été  rehaussé  par  une  interpréta- 
tion ûère  et  grandiose  de  la  Symphonie  en  ut  mineur  de  M.  Saint-Saéns,  avec 
M,  Vierne  à  l'orgue,  MM.  Heuberger  et  Castelberg  au  piano,  et,  au  pupitre. 
M.  Wolkmar  Andréas.  Nous  pouvons  dire  que  l'exécution  donnée  de  cette 
œuvre  par  M.  Andreœ  ne  le  cède  à  aucune  de  celles  que  nous  avons  entendues 
jusqu'ici.  La  puissance  de  l'orgue  y  était  pour  beaucoup,  mais  les  qualités 
musicales  du  chef  d'orchestre,  son  enthousiasme  jeune  et  communicatif,  par- 
dessus tout,  son  exubérance  passionnée  vers  le  milieu  de  la  seconde  partie, 
ont  agi  sur  l'auditoire  irrésistiblement.  Il  a  dirigé  aussi  l'ouverture  du  Carna- 
val romain  de  Berlioz  avec  une  compréhension,  une  fougue  admirables;  mais 
cette  œuvre  dont  le  filet  mélodique  se  précipite  avec  tant  de  vivacité  ne  peut 
résister  sans  dommage  aux  défectueuses  conditions  d'acoustique  de  la  salle 
du  Trocadéro.  La  séance  s'est  terminée  par  l'audition  avec  chœurs  de  la  Mar- 
seillaise orchestrée  par  Berlioz.  Amédée  Boutarel. 

—  Happelons  que  le  célèbre  pianiste  Léon  Delafosse  donnera,  le  mardi 
20  mai,  au  Théâtre  Réjane,  un  très  beau  concert  avec  orchestre.  Au  pro- 
gramme figureront  dts  œuvres  de  Bach,  Schumann,  Chopin,  Saint-Saéns, 
Debussy,  Tschaïkowsky  et  Liszt,  ainsi  que  la  Fantaisie  pour  piano  et  orchestre 
de  L.  Delafosse. 


—  Les  quatre  séances  de  Sonates  anciennes  et  modernes  (piano  et  violon) 
données  par  Eugène  Ysaye  et  Raoul  Pugno  auront  lieu,  à  la  salle  Pleyel,  les 
samedi  16  mai,  à  quatre  heures,  jeudi  21  mai,  a  neuf  heures,  samedi  23  mai, 
à  quatre  heures,  mardi  26  mai,  à  neuf  heures  —  deux  matinées  et  deux 
soirées.  Aux  programmes  sont  inscrits  les  noms  de  Bach,  Mozart,  Beethoven, 
Brahms,  Schumann,  F'ranck,  Saint-Saéns,  Lazzari,  Ropartz,  Vierne.  Pour  re- 
tenir les  places,  soit  en  abonnement  aux  quatre  séances,  soit  par.  concert, 
s'adresser  à  la  salle  Pleyel.  chez  MM.  Durand,  Grus  et  A.  Dandelot,  orga- 
nisateur des  séances  Ysaye-Pugno,  83,  rue  d'Amsterdam,  qui 'recevra  égale- 
ment les  demandes  par  correspondance  et  téléphone  (n°  113.2b). 

—  Edouard  Risler  donnera,  salle  Gaveau,  trois  concerts  d'orchestre,  où  il 
apparaîtra  en  même  temps  comme  kapellmeister  et  comme  pianiste.  La  pre- 
mière séance  aura  lieu  le  2b  mai,  avec  le  concours  du  célèbre  chanteur  d'ora- 
torios Jch.  Messchaert.  Pour  tous  renseignements  s'adresser  à  la  Société  mu- 
sicale et  chez  les  principaux  éditeurs. 

—  Mme  Salmon  ten  Hâve,  M.  Jean  ten  Hâve  et  M.  Joseph  Salmon  donneront 
une  seule  séance  de  musique  de  chambre  chez  Pleyel  le  mercredi  20  mai,  à 
neuf  heures  du  soir.  Au  programme  :  Trio  de  Lalo,  Sonate  en  ut  mineur 
(piano  et  violon)  de  Beethoven  et  le  Trio  en  mi  bémol  de  Brahms.  Bille's 
chez  MM.  A.  Durand,  Grus,  éditeurs,  salle  Pleyel  et  chez  A.  Dandelot,  8\ 
rue  d'Amsterdam.  Téléphone  (n°  113.2b.) 

—  Mme  Blanche  Marchesi  fera  entendre  le  beau  programme  suivant  au  ré- 
cital qu'elle  donnera  le  mardi  49  mai,  à  la  salle  Erard,  avec  le  concours  de 
MM.  Henri  Lefebvre  et  Ponsot  : 

Le  Pdtre  (avec  clarinette  obligato,  M.  Henri  Lefebvre);  Si  tu  es  nrh  de  moi 
(Bach);  Dans  la  terre  (Wagner)  ;  Oh!  viens  en  rêve  (Liszt);  Personne  ne  l'a  vu  iLowe); 
Chanson  de  la  harpiste  (Siegmund  von  Hausegger)  ;  Dédicace  (Richard  Strauss- 
Neige);  Chanson  norvégienne  impressionniste  (Sigur  Lie)  ;  le  Forgeron  (Brahms)'; 
C'est  lui  (Hugo  Wolff)  ;  Introduction  et  Rondo  (Wirton,  M.  Henri  Lefebvre; 
.1  la  nuit  iGounod);  Azael  (Air  de  l'Enfant  prodigve,  Debussy);  Rêve  (Ernest 
Moret);  Mandoline  (Debussy);  le  Bonheur  est  chose  légère  (Saint-Saëns)  (avec  clari- 
nette obligato,  M.  Henri  Lefebvre)  ;  Air  de  la  Tosca  (Puccini). 

—  L'éminent  pianiste  Lucien  "Wurmser  donnera,  les  dimanches  17  et 
24  mai,  à  3  heures,  salle  des  Agriculteurs,  deux  superbes  matinées  musicale.-. 
Mme  Jeanne  Raunay  et  Jacques  Thibaud  participeront  à  la  première  ;  la 
seconde  bénéficiera  du  concours  de  Mme  Jane  Balhori,  de  M.  Emile  Engel,  et 
du  merveilleux  quatuor  Hayot. 

—  Malc  Lucy  Vaulhier  donnera,  lundi  prochain,  à  huit  heures  et  demie  du 
scir,  salle  Berlioz,  un  concert  dont  le  programme  est  des  plus  attrayants,  soli, 
chœurs,  orchestre,  et  dans  lequel  elle  fera  entendre  son  cours  d'ensemble. 

—  Les  29,  30  et  31  mai,  sera  célébré  en  l'église  Sainte-Clotilde,  le  cinquan- 
tième anniversaire  de  l'inauguration  de  cette  belle  église,  par  un  «  triduum 
solennel  »,  où  l'on  exécutera,  outre  certaines  œuvres  des  maîtres  des  XV0  et 
XVIe  siècles,  celles  aussi  de  tous  les  maîtres  modernes  qui  se  sont  succédé 
au  grand  orgue  de  cette  église  :  César  Franck,  Théodore  Dubois,  Tourne- 
mire,  etc.,  les  chœurs  seront  sous  la  direction  de  l'excellent  maître  de  cha- 
pelle Jules  Meunier. 

NÉCROLOGIE 

Un  homme  de  talent  et' d'esprit,  un  écrivain  charmant  qui,  pendant  un 
demi-siècle,  a  connu  le  succès,  Ludovic  Halévy,  est  mort  à  la  fin  de  la  semaine 
dernière,  à  l'âge  de  74  ans.  Fils  du  poète  Léon  Halévy,  neveu  de  l'illustre 
compositeur  de  la  Juive,  appartenant  par  son  mariage  à  la  famille  du  célèbre 
horloger  Bréguet,  il  avait  commencé  sa  carrière  dans  l'adminislration  et  était 
devenu  secrétaire-rédacteur  au  Corps  législatif.  Gela  ne  l'empêchait  pas  de 
faire  ses  débuts  d'auteur  dramatique  en  donnant  aux  Bouffes-Parisiens,  dès  les 
commencements  de  ce  théâtre,  toute  une  série  de  petites  opérettes  que  sa 
situation  officielle  l'obligea  seulement  de  signer  d'un  pseudonyme.  C'est  donc 
sous  le  nom  de  Jules  Servières  qu'il  fit  jouer  aux  Bouffes,  outre  le  prologue 
d'ouverture  :  Fuirez,  messieurs,  mesdames  (avec  Méry),  Une  Pleine  Eau,  Madame 
Papillon,  Ba-Ta-Clan,  l'Imprésario,  le  Docteur  Miracle,  l'Opéra  aux  fenêtres,  sans 
compter  Orphée  aux  Enfers,  qu'il  laissa  signer  seul  à  son  collaborateur  Hector 
Crémieux.  Mais  bientôt  il  abandonna  l'administration  pour  se  livrer  entièrement 
à  son  goût  pour  le  théâtre.  C'est  alors  qu'il  rencontra  Henri  Meilhac,  qu'à  eux 
deux  ils  agrandirent  et  transformèrent  le  genre  de  l'opérette,  et  qu'avec  la 
collaboration  d'Offenbach  d'abord,  de  M.  Lecocq  ensuite,  ils  donnèrent  en  ce 
genre  toute  une  série  de  gentils  chefs-d'œuvre  :  Barbe-Bleue,  la  Belle  Hélène, 
la  Vie  parisienne,  la  Grande-Duchesse  de  Gérolslein,  la  Périchole,  les  Brigands,  le 
Petit  Duc,  la  Petite  Mademoiselle,  Janot...  Là  ne  se  borna  pas  l'association 
Meilhac-Halévy  ;  on  lui  doit  encore,  outre  le  livret  de  Carmen,  d'exquises 
comédies  :  l'Été  de  la  Saint-Martin,  la  Clé  de  Métella,  Ij>toltc.  la  Veuve,  la  Boule, 
la  Petite  Marquise,  la  Cigale,  Loulou,  l'Ingénue,  Froufrou,  le  Mari  de  la  débutante, 
la  Boussotte,  etc.  Puis,  Ludovic  Halévy  renonça  au  théâtre  comme-  il  avait 
renoncé  aux  emplois,  et  s'adonna  au  roman,  on  sait  avec  quel  succès,  succès 
qui  le  conduisit  tout  droit  à  l'Académie  Française,  où  son  ami  Meilhac,  qui 
devait  mourir  avant  lui,  ne  tarda  pas  à  aller  le  retrouver.  Qui  ne  connaît 
Madame  Cardinal  et  l'Abbé  Constantin? 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


f.:..  i  ■  LoriKBT, 


402ti.  -  74- ANNÉE.  -  V  21.        PARAIT  TOUS   LES   SAMEDIS 


Samedi  23  Mai  1908. 


(Les  Bureaux,  2  bl»,  rue  Vivienne,  Paris,  u-  an') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


ENESTREL 


lie  flaméro  :  o  fi».  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Le  fluméro  :  Ofp.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henbi  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bit,  rue  Vivieune,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Boas-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs, Paris  et  Province.— Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, Î0  fr., Paria  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  ans. 


SOMMAIEE-TEXTE 


1.  Semaine  théâtrale  :  premières  représentations  de  Boris  Godounow,  à  l'Opéra,  et  du 
Clown,  à  rOpéra-Comiquc,  Arthur  Pougin;  reprise  de  Jeûneuse,  au  Gymnase,  P.-E.  C. 
—  II.  La  Musique  de  Gluck,  correspondance,  Camille  Saint-Saens.  —  III.  La  Musique 
et  le  Théâtre  aux  Salons  du  Grand-Palais  (6e  article),  Camille  Le  Senne.  —  IV.  Nou- 
velles diverses  et  concerts. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour 
GAVOTTE  DE  HAENDEL 
transcrite  pour  piano  par  A.  Périliiou.  —  Suivra  immédiatement  :  Les  Yei 
dos,  valse  lente  de  Y.-K.  Nazare-Aga. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
Étoile  filante,  n°  2  des  Cloches  du  souvenir,  de  Raoul  Pugno,  poésies  de  Maurice 
Vaucaire.  —  Suivra  immédiatement  :  Je  ne  sais  pas  où  va  la  feuille  morte,  nou- 
velle mélodie  d'ER.NEST  Moret,  poésie  de  Klixgsor. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Opéra  :  Boris  Godounow,  opéra  en  trois  actes  et  sept  tableaux,  d'après  Pousch- 
kine,  musique  de  Moussorgsky  (19  mai  1908).  —  Opéra-Comique  :'Le  Clown, 
nouvelle  musicale  en  deux  actes,  paroles  de  M.  Victor  Capoul,  musique  de 
M.  I.  de  Camondo  (16  mai  1908). 

Entendons-nous  bien,  dès  l'abord,  et  ne  nous  emballons  pas  plus  que 
de  raison.  Depuis  plusieurs  semaines  qu'il  est  question  de  l'arrivée  ici 
d'une  troupe  russe,  de  Moussorgsky  et  des  représentations  de  Boris  Go- 
dounow, on  nous  rebat  les  oreilles  du  mot  de  chef-d'œuvre,  et  il  semble 
que  ledit  Moussorgsky  représente  le  summum  et  l'idéal  de  la  musique 
proprement  russe.  Pardon  !  je  connais  un  peu  l'état  de  la  musique 
russe  pour  avoir  pris  la  peine  de  l'étudier  pendant  dix  ans,  pour  en 
avoir  suivi  avec  attention  le  mouvement,  ce  qui  m'a  permis  de  publier 
le  livre  le  plus  complet  qui  ait  encore  paru  en  France  à  son  sujet;  en 
particulier,  j'ai  étudié  avec  soin  Moussorgsky,  non  dans  sa  musique  de 
théâtre,  que  je  ne  connaissais  pas.  mais  dans  sa  musique  de  chant  et  sa 
musique  de  piano  (et  elle  est  drôle,  sa  musique  de  piano  !).  Quant  à 
Boris  Godounow,  je  savais  dans  quelles  conditions  l'ouvrage  avait  été 
fait  —  et  surtout  refait,  par  une  main  qui  n'était  pas  la  sienne,  de  façon 
à  la  rendre  possible  après  le  premier  insuccès  qui  l'avait  accueilli, 
Moussorgsky  n'étant  pas  musicien.  Aussi,  la  représentation  ne  m'a-t-elle 
causé  aucun  étonnement.  Grâce  aux  retouches  considérables  dont  elle  a 
été  l'objet,  la  partition  de  Boris  Godounow  est  devenue  une  œuvre  inté- 
ressante par  son  accent,  par  sa  couleur  ;  mais  un  chef-d'œuvre,  comme 
on  prétend  nous  le  faire  croire?  ah!  non,  par  exemple. 

Permettez-moi  d'abord  de  vous  faire  connaître  l'auteur,  dont  je  ne 
veux  pas  nier  les  rares  facultés  naturelles  au  point  de  vue  musical. 


mais  que  l'indépendance  de  sou  caractère  et  la  versatilité,  de  son  esprit 
empêchèrent  toujours  de  se  plier  à  la  discipline  et  aux  règles  sévères 
d'un  art  qui  veut  être  respecté  lorsqu'on  prétend  l'exercer  d'une  façon 
sérieuse.  Artiste  étrange,  incomplet,  à  l'éducation  insuffisante  et  tron- 
quée, maladroit  par  ignorance  dans  sa  façon  de  rendre  et  de  traduire 
ses  idées,  il  était  doué  d'une  faculté  mélodique  singulièrement  savou- 
reuse, profondément  originale  et  d'un  caractère  parfois  saisissant  il). 

L'existence  de  Moussorgsky  est  celle  d'un  bohème  pour  qui  les  pas- 
sions et  l'esprit  d'indépendance  poussé  jusqu'à  la  sauvagerie  ne  con- 
naissent pas  de  frein.  Elève  de  l'Ecole  militaire  de  Saint-Pétersbourg,  il 
en  sort  officier  à  dix-sept  ans,  mais  donne  sa  démission  au  bout  d'une 
année.  Comme  il  n'était  point  riche  pourtant  et  qu'il  lui  fallait  vivre,  il 
se  livre  d'abord  à  des  travaux  rebutants  de  traduction,  après  quoi  il  de- 
vient successivement,  ne  pouvant  se  tenir  nulle  part,  employé  au  dépar- 
tement du  génie  civil,  puis  au  département  des  forêts  (ministère  des 
domaines),  puis  au  département  du  contrôle.  Et  enfin,  las  de  toute 
espèce  de  contrainte,  il  dit  décidément  adieu  à  l'administration  et  re- 
nonce à  toute  fonction  assujettissante. 

Mais  Moussorgsky  s'était  toujours  occupedemusique.il  faisait  partie 
du  fameux  cénacle  des  cinq  qui  comprenait,  avec  lui,  M.  Balakirew. 
Borodine,  M.  César  Cui  et  M.  Rimsky-Korsakow,  ce  petit  clan  intran- 
sigeant qui  mettait  hors  la  loi  musicale  russe  des  arlistes  comme  Ru- 
binstein  et  Tschaïkowsky,  et  qui  prétendait  qu'en  dehors  de  leurs  prin- 
cipes farouches  il  n'y  avait  point  de  salut.  C'est  là  qu'il  connut 
M.  Rimsky-Korsakow.  qui  eut  le  bon  esprit  de  se  séparer  un  jour  de 
ses  compagnons,  et  c'est  là  qu'il  fut  pris  en  affection  par  celui-ci.  qui 
reconnaissait  ses  rares  dons  naturels,  mais  qui  ne  put  jamais  l'as- 
treindre à  un  travail  sérieux  et  aux  études  indispensables.  Ici,  je  prends 
la  liberté  de  me  citer  moi-même,  ne  pouvant  mieux  faire  connaitre  ce 
qu'était,  en  tant  que  musicien,  l'auteur  de  Boris  Godounow: 

C'est  de  celui-là  qu'on  peut  dire,  qu'il  fut  toujours  un  indépendant.  S'il 
occupe,  ainsi  qu'on  l'a  fait  entendre,  une  place  à  part,  isolée,  parmi  les  musi- 
ciens russes  de  son  temps,  s'il  échappe  à  toutes  les  influences,  s'il  déploie 
toutes  les  audaces,  ce  n'est  pas  seulement  parce  qu'il  avait  un  tempérament 
artistique  tout  particulier,  mais  aussi,  mais  surtout,  parce  que,  resté  volon- 
tairement ignorant  des  principes  de  l'art,  de  l'orthographe  même  du  métier, 
il  se  permettait,  comme  sans  y  penser,  les  licences  les  plus  étonnantes  et  tra- 
duisait sa  pensée  telle  qu'elle  se  présentait,  sans  se  soucier  de  lui  donner  une 
forme  quelconque.  I!  y  a  vraiment,  sous  ce  rapport,  une  analogie  frappante 
entre  les  productions  de  Moussorgsky  et  celles  de  nos  prétendus  poètes  déca- 
dents, avec  cette  différence  pourtant  qu'on  ne  peut  nier  les  superbes  éclairs 
d'inspiration  du  musicien  russe,  et  que  ses  chants,  tout  bizarres,  tout  diffor- 
mes même  qu'on  les  peut  trouver,  ont  souvent  en  eux  une  force  d'expression 
et  un  accent  dramatique  dont  nul.  ne  saurait  méconnaître  l'intensité.  Il  y 
aurait  injustice  à  prétendre  que  celui-là  parlait  pour  ne  rien  dire  :  malheu- 
reusement, il  se  contentait  trop  souvent  de  balbutier.  Son  éducation  était  à 
ce  point  incomplète  qu'il  ne  savait  même  pas  tirer  d'une  idée  le  parti  qu'elle 
comportait,  donner  même  un  plan  à  une  simple  mélodie  vocale.  Ses  roman- 
ces ne  sont  pas  écrites,  elles  n'ont  aucun  développement  rationnel,  et  la  plu- 
part du  temps   elles  finissent  à  peine  commencées,   brusquement,  tournant 

1)  Modeste    il  ne  justifiait  guère  ce  prûnoml  Petrovich  Moussorgsky  étail  né  à 

Karvo,  dans  le  gouvernement  de  Pskov,  le  28  mars  183'J.  Tué  pat  l'ivresse  et  ies 
.-xcés,  il  mourut  le  28  mars  1881.  précisément  le  jour  où  i!  accomplissait  sa  quarante- 
deuxième  année. 


462 


LE  MÉNESTREL 


court  et  sans  que  l'on  sache  pourquoi.  Voyez  'le  Dit  de  l'innocent,  la  Prière  de 
l'enfant.  Dans  lesflin,  Sans  soleil,  Chanson  d'enfant,  d'autres  encore.  Avec  cela, 
des  idées  musicales  d'une  saveur  étrange,  d'une  poésie  souvent  exquise  et 
d'un  sentiment  dramatique  d'une  étonnante  profondeur  ;  de  vrais  cris  de  l'àme, 
d'une  intensité  parfois  tragique  et  toujours  émouvante. 

Moussorgsky  était  sans  doute  bien  doué,  et  il  eût  pu  faire  parler  de  lui 

s'il  avait  consenti  à  travailler  et  à.  se  familiariser  avec  la  pratique  de  son  art. 
L'intérêt  que  ne  cessa  de  lui  porter  M.  Rimsky-Korsakow  ne  pouvait  évidem- 
ment s'adresser  à  une  intelligence  ordinaire,  et  l'on  sait  d'ailleurs  que  Mous- 
sorgsky avait  l'àme  d'un  poète.  Mais  il  se  figurait  trop  que  l'imagination 
suffit  à  un  poète,  et  à  une  confiance  aveugle  en  lui-même  il  joignait  un  trop 
grand  mépris  du  savoir  et  de  ceux  qui  ont  pris  la  peine  de  l'acquérir  (1). 

Un  de  ses  biographes,  qui  n'est  qu'un  panégyriste,  croyant  excuser 
son  ignorance,  disait  de  lui  :  —  «  Sans  s'attacher  à  grandir  les  moyens 
d'expression.  Moussorgsky  cherchait  simplement  à  traduire  les  cris  de 
l'âme  qui  frappaient  son  oreille  ou  sonnaient  en  lui.  Certes,  il  foula  les 
lois,  mais  fatalement,  sous  la  pesée  de  sa  pensée.  »  C'est  bientôt  dit.  Mais 
encore,  pour  fouler  les  lois  d'une  langue  de  façon  à  se  le  faire  pardonner, 
parfois  même  à  se  faire  admirer,  il  faut  précisément  les  connaître,  et 
connaître  cette  langue  dont  on  veut  se  servir.  C'est  ce  qu'ont  fait  les 
artistes  immortels,  les  Rameau,  les  Beethoven,  les  Rossini,  les 
Wagner.  Quant  à  Moussorgsky,  il  ne  connaissait  pas  la  langue  musi- 
cale, et  lorsqu'il  a  péché  ce  n'est  point  par  génie,  c'est  par  ignorance. 
Si  vous  voulez  faire  des  vers  sans  savoir  ni  l'orthographe,  ni  la  syntaxe, 
rii  la  métrique,  quelque  poésie  que  vous  ayez  dans  l'àme  vous  ne  par- 
viendrez au  point  de  vue  littéraire  qu'à  faire  des  monstres.  C'est  là,  au 
point  de  vue  musical,  le  cas  de  Moussorgsky,  qui  ne  connaissait  ni 
l'orthographe  ni  la  syntaxe,  et  qui,  par  conséquent,  ne  pouvait  produire 
que  des  œuvres  informes  et  incomplètes.  J'avais  écrit  à  ce  sujet  à  un 
de  mes  amis  de  Saint-Pétersbourg,  en  lui  disant  ce  que  je  pensais  de 
ce  compositeur,  à  mon  sens  trop  illettré,  il  me  répondit  : 

Ce  que  vous  me  dites  de  Moussorgsky  est  on  ne  peut  plus  juste,  et  c'est 

pourquoi  il  est  méconnaissable  dans  ses  œuvres  posthumes,  qui  ont  été  corrigées 
et  remaniées  par  M.  Rimsky-Korsakow,  très  fort  au  point  de  vue  de  la  forme. 
Il  en  est  ainsi  de  ses  chœurs,  de  lu  Xuil  un  Mont-Ghauve,  de  la  Khuvanlschina. 
Rimsky  vient  de  refaire  aussi  le  Boris  Godounow  de  Moussorgsky,  et  cette 
refonte  doit  être  représentée  cet  hiver  par  une  société  d'amateurs  (et  l'ouvrage 
a  été  représenté  ainsi  en  décembre  1896).  Certains  ont  parlé  du  caractère 
populaire  de  îa  musique  de  ce  compositeur.  Quiconque  voit  les  choses  de 
près  sait  cependant  que  pas  une  idée  musicale  de  Moussorgsky  n'a  passé  ni 
ne  peut  passer  dans  le  peuple,  et  que  quand  les  idées  de  cet  artiste  s'élucident 
et  acquièrent  quelque  saveur,  c'est  de  la  muse  populaire  elle-même  ou  de 
l'inspiration  si  éminemment  nationale  de  Glinka  qu'elles  procèdent.  Tout  le 
reste  est  difforme  et  bizarre,  à  moins  que  M.  Rimsky-Korsakow  ne  l'ait  purifié 
et  remanié... 

Ceci  m'amène  enfin  à  Boris  Godounow,  dont  la  première  représentation 
eut  lieu  au  Théâtre-Marie  de  Saint-Pétersbourg  le  6  février  1874. 
L'œuvre  suscita  à  son  apparition  des  discussions  assez  ardentec,  mais, 
finalement,  n'obtint  aucun  succès.  Moussorgsky  avait  fait  entrer  dans 
sa  partition  quelques  morceaux  d'un  premier  opéra  commencé  par  lui, 
Salammbô,  et  qu'il  n'acheva  jamais.  C'est  son  ami  le  professeur  Nikolsky 
qui  lui  avait  suggéré  l'idée  de  traiter  le  sujet  historique  et  national  de 
Boris,  dont  Pouschkine  avait  fait  un  drame  en  prose  et  en  vers,  comme 
le  Jules  César  de  Shakespeare.  Moussorgsky  s'empara  du  drame  de 
Pouschkine  pour  en  l'aire  un  poème  musical,  conservant  çà  et  là  cer- 
tains de  ses  vers  et  écrivant  lui-même  le  reste  en  prose.  L'œuvre  était 
de  larges  proportions  et  comportait  quatre  actes  et  un  prologue.  (On 
nous  l'a  donnée  à  l'Opéra  seulement  en  trois  actes  et  sept  tableaux, 
c'est-à-dire  avec  de  fortes  coupures,  entre  autres  la  suppression  du 
tableau  de  l'auberge,  qui  semble  devoir  être  caractéristique,  aussi  bien 
au  point  de  vue  scénique  que  musical.) 

Boris  Godounow  fut  d'abord  une  sorte  de  maire  du  palais,  c'est-à-dire 
régent  de  l'empire  russe  pendant  le  règne  de  Féodor,  fils  d'Ivan  le 
terrible.  Un  second  fils  d'Ivan,  nommé  Dimitri.  qui  avait  été  exilé,  fut. 
à  la  mort  de  Féodor,  trouvé  la  gorge  percée.  On  accusa  de  ce  crime 
Boris,  qui,  ambitieux,  avait  voulu  laisser  le  trône  libre  pour  y  monter 
lui-môme  et  devenir  tsar.  Mais  son  règnefut  court,  et  il  mourut  au  moment 
où  le  peuple,  révolté  par  ses  cruautés,  s'apprêtait  aie  chasser  pour  couron- 
ner tsarun  usurpateurqui  se  faisait  passer  pour  Dimitri  sauvé  parmiracle. 
Ceci  est  une  tradition.  Disons  que,  d'autre  part,  le  crime  attribué  a 
Boris  n'est  nullement  prouvé  historiquement,  non  plus  que  sa  cruauté. 
On  croit,  au  contraire,  qu'il  rendit  son  peuple  heureux  et  agit  pour  le 
bien  de  l'empire. 

Quoi  qu'iLen  soit,  le  sujet  avait  été  traité  par  Pouschkine  dans  le 
sens  de  la  tragédie  grecque,  sans  donner  à  la  personnalité  de  Boris  une 

il)  Arthur  PôUGiN  :  Essai  historique  sur  la  musique  en  Russie. 


importance  prépondérante,  maïs  en  faisant  du  peuple  russe,  à  l'imita- 
tion du  chœur  antique,  un  être  collectif  impersonnel  prenant  une  part 
essentielle  à  l'action.  Son  drame,  d'ailleurs,  n'était  pas  par  lui  destiné 
à  la  représentation.  En  lui  empruntant  son  œuvre.  Moussorgsky  laissa 
au  chœur  son  rôle  important,  et  c'est  là  certainement  l'une  des  origi- 
nalités de  Boris  Godounow. 

D'action  proprement  dite,  suivie  et  continue,  il  n'y  on  a  pas  dans  ce 
poème  scénique,  dont  la  construction  est  à  peu  près  nulle.  Il  n'offre 
guère  qu'une  succession  de  tableaux,  de  scènes  et  d'épisodes  servant 
de  texte  et  de  prétexte  à  la  musique,  et  que  ne  relie  entre  eux  aucun 
lien  solide,  aucune  apparence  de  charpente  dramatique.  Il  est  facile  de 
concevoir  que  l'œuvre  primitive  n'a  pas  été  conçue  en  vue  du  théâtre 
et  du  public.  En  voici  le  sommaire  : 

1"  tableau.  —  La  cour  du  monastère  Novo-Diévitchi,  où  Boris  s'est 
retiré  après  l'assassinat  du  tsarévitch  Dimitri.  Le  peuple  estlà,  deman- 
dant un  tsar.  Des  officiers  de  police  circulent  dans  la  foule,  qui  gémit 
et  implore.  Mouvement,  tumulte,  grouillement,  cris,  exclamations.  Un 
diacre  vient  dire  que,  malgré  l'insistance  des  boyards,  Boris  refuse  le 
trône.  Désespoir  de  la  foule.  Puis  passe  une  procession  de  pèlerins, 
et  les  paysans  s'agenouillent  en  leur  demandant  leur  bénédiction. 

2e  tableau  (qui  devrait  être  le  3e,  mais  qui  est  transposé).  —  Une 
cellule  du  monastère  de  Moscou.  Un  vieux  moine,  Pimène,  sorte  de 
bénédictin,  rédige  la  chronique  de  la  Russie  et  enregistre  l'histoire.  Il 
en  est  à  l'assassinat  de  Dimitri  par  Boris,  et  il  incite  son  jeune  com- 
pagnon, Grégory,  à  continuer  sa  tâche  lorsqu'il  ne  sera  plus  là.  Le 
vieux  Pimène  s'éloigne  pour  aller  à  la  prière,  et  Grégory,  resté  seul, 
s'écrie  : 

—  Boris  !  tu  es  puissant,  tous  te  craignent,  nul  n'ose  te  reprocher 
ton  crime,  et  ici,  dans  cette  cellule,  seul,  un  moine  te  dénonce  au 
jugement  des  hommes  et  de  Dieu  ! 

3'  tableau.  —  La  grande  place  du  Kremlin,  entre  les  cathédrales  de 
l'Assomption  et  des  Archanges.  C'est  le  jour  du  couronnement  de 
Boris,  qui  a  enfin  accepté.  Le  peuple  est  là.  agenouillé,  acclamant  le 
nouveau  tsar.  Carillon  de  grande  fête.  Pendant  que  résonne  l'hymne 
traditionnel  de  la  Slava,  le  cortège  se  déroule  :  les  gardes,  les  enfants 
des  boyards,  les  strelzi,  un  officiai  tenant  le  bâton  du  tsar,  puis  les 
boyards,  les  diacres,  etc.  Enfin  parait  Boris.  Longue  acclamation.  Mais 
Boris  est  triste.  Ses  remords  l'accablent.  11  se  lamente  intérieurement 
et  implore  la  bénédiction  du  ciel.  Puis,  s'adressaut  à  la  foule  :  «  Saluons 
les  souverains  défunts  de  notre  Russie.  Après,  le  peuple  aura  sa  fête. 
Tous,  du  boyard  au  pauvre  mendiant,  tous  entreront  ;  tous,  le  tsar  les 
invite  ».  Et  la  foule  reprend  ses  acclamations  et  ses  chants. 

4'  tableau.  —  Un  parc  du  château  d'un  voïvode  à  Sandomir,  en. 
Lithuanie.  Celui-ci  n'est  pas  très  compréhensible,  d'autant  que  son 
inutilité  est  flagrante  et  qu'il  ne  répond  à  rien  de  ce  qui  précède  et  de 
ce  qui  suit.  Nous  y  voyons  seulement  qu'il  est  question  d'une  conspi  - 
ration  polonaise  contre  Boris,  et  que  l'un  des  conjurés,  Grégory,  est 
amoureux  de  la  belle  Marina,  fille  du  seigneur  de  céans,  ce  qui  donne 
lieu  à  un  duo  d'amour. 

.5e  Tableau.  —  Dans  un  appartement  du  palais  de  Boris,  où  se  trou- 
vent son  fils  Féodor  et  sa  fille  Xénia.  Xénia  pleure,  parce  que  son 
fiancé  est  mort.  Pour  la  consoler,  sa  nourrice  lui  chante  une  chanson. 
Puis  les  deux  enfants  jouent  et  entraînent  la  nourrice  dans  le  jeu, 
lorsqu'arrive  Boris  ;  Boris  caresse  sa  fille,  donne  des  conseils  à  son  fils, 
et  bientôt,  resté  seul,  est  en  proie  à  une  hallucination  terrible.  Il  croit 
voir  sa  victime,  le  tsarévitch  qu'il  a  fait  égorger,  il  voit  sa  plaie  béante, 
il  a  peur,  il  invoque  le  ciel...  Soudain  arrive  un  conseiller,  Chomsky, 
annonçant  à  Boris  qu'une  révolte  se  prépare,  fomentée  par  un  usurpa- 
teur, qui  soulève  le  peuple  en  se  faisant  passer  pour  Dimitri,  le  tsaré- 
vitch tué  par  ses  ordres.  Fureur  de  Boris. 

6e  Tableau.  —  Une  clairière  dans  la  forêt  de  Kroumy.  la  neige  tombe. 
Une  bande  de  serfs  révoltés,  hommes  et  femmes,  amènent  un  boyard, 
messager  de  Boris,  surpris  par  eux,  le  bâillonnent  et  le  tourmentent. 
Arrive  un  innocent,  pauvre  mendiant,  auquel  les  enfants  font  mille 
misères.  Puis  ce  sont  deux  moines  vagabonds,  qui  excitent  la  foule  à  se 
joindre  à  Dimitri,  puis  deux  pères  jésuites,  chantant  un  hymne  de 
l'Eglise  latine,  et  enfin  parait  Dimitri  lui-même,  àla  tète  de  ses  soldats, 
qui  invite  tous  ses  partisans  à  le  suivre.  Cris,  enthousiasme,  clameurs, 
acclamations,  tous  escortent  le  prétendant,  qui  marche  sur  Moscou. 
L'innocent,  resté  seul,  pleure  sur  sa  patrie  :  «  Larmes,  coulez,  larmes 
amères!  Pleure,  mon  âme  endolorie!  L'ennemi  viendra,  et  le  sang 
coulera  !  Partout  le  feu  régnera.  Oh  !  malheur  '.  Laisse  couler  tes  larmes, 
peuple  affamé  !  » 

7e  Tableau.  —  La  grande  salle  du  Kremlin.  Conseil  des  boyards,  qui 
discutent  le  châtiment  à  infliger  à  l'usurpateur,  au  faux  Dimitri.  Leur 


LE  MENESTREL 


163 


entretien  est  animé.  Arrive  Chomsky,  qui  leur  annonce  que  Boris  est 
malade,  qu'il  a  des  visions  terribles,  qu'il  crie,  pleure,  et  semble  vouloir 
fuir  en  vain  la  vue  d'une  image  qui  le  poursuit  sans  cesse,  l'image 
vengeresse  du  tsarévitch  Dimitri.  Boris  entre,  en  effet,  pâle,  écumant, 
le  regard  terrifié.  A  la  vue  des  boyards,  il  se  ressaisit  un  instant,  mais 
c'est  pour  retomber  bientôt  dans  ses  songes  lugubres  :  «  J'étouffe, 
s'écrie-t-il  !  Grâce!  Amenez  le  tsarévitch!  »  On  court  appeler  Féoilor, 
qui  vient  se  jeter  daus  les  bras  de  son  père.  Mais  tout  est  fini.  Pris  d'un 
spasme  suprême,  Boris  chancelle,  tombe  et  meurt  épuisé. 

Telle  est  cette  pièce  singulière,  dont  l'intérêt  est  nul.  mais  qui  avait, 
pour  le  public  russe,  l'avantage  de  lui  rappeler  une  page  obscure  et 
légendaire  de  son  histoire,  et  pour  le  musicien  celui  de  lui  permettre 
de  faire  vibrer  l'àme  slave  dans  le  souvenir  toujours  cher  de  ses 
.ancêtres. 

Moussorgsky  en  a  tiré  sans  doute  tout  le  parti  qu'il  en  pouvait  tirer, 
dans  la  mesure  que  lui  permettait  son  éducation  trop  imparfaite.  J'ai 
dit  que  son  Boris  Godounow  n'avait  point  eu  de  succès  à  son  apparition,  et 
•que  ce  n'est  que  lorsque  M.  Rimsky-Korsakow  y  eut  mis  la  main,  qu'il 
eut  apporté  de  l'ordre  dans  son  désordre,  qu'il  eut  refait  l'orchestration, 
qu'il  eut  refait  même  certaines  parties,  que  l'ouvrage  put  reparaître  à  la 
scène.  Ce  n'est  pas  à  dire,  assurément,  que  l'œuvre  ait  été  complète- 
ment transformée,  mais  c'est  à  dire  que  pour  juger  Moussorgsky  d'après 
elle,  il  en  faut  considérer  le  fond  plutôt  que  la  forme.  A  ne  la  prendre 
que  de  cette  façon,  on  en  peut  citer  certaines  pages  qui  font  honneur  â 
l'auteur.  Au  premier  tableau,  toute  la  scène  populaire,  qui  est  vivante 
et  animée,  avec  des  chœurs,  dont  l'harmonie,  qui  rappelle  les  anciens 
modes  grecs,  produit  un  heureux  effet:  au  second,  le  long  monologue 
du  moine  Pimène,  qui  est  bien  venu  et  d'un  bon  sentiment,  avec  son 
système  obstiné  dans  l'accompagnement;  au  troisième,  l'épisode  du  cor- 
tège impérial  et  du  couronnement  du  tsar,  avec  les  cris  de  la  foule,  le 
chaut  de  l'hymne,  le  bruit  des  cloches,  etc.;  Moussorgsky  avait  évidem- 
ment le  sens  du  mouvement,  comme  il  l'a  prouvé  encore  plus  loin,  à  la 
scène  de  la  révolte  dans  la  forêt.  A  signaler  aussi  la  curieuse  chanson  de 
la  nourrice  au  cinquième  tableau,  que  je  crois  empruntée  â  un  rythme 
populaire,  mais  qui  est  bien  mise  en  œuvre.  Il  y  a  un  certain  sentiment 
dramatique,  sans  plus,  dans  l'épisode  de  la  vision  de  Boris,  et  quant  au 
duo  d'amour  du  quatrième  tableau,  il  ne  sort  guère  de  la  banalité.  Ce 
qui  est  à  remarquer,  dans  la  partition  de  Boris  Godounow,  c'est  l'accent, 
•c'est  la  couleur  générale  :  la  est  sa  vraie  originalité.  Quant  à  l'orchestre, 
qui  n'est  pas  symphonique.  mais  qui  est  ce  qu'il  doit  être,  ce  qui  est 
excellent,  si  j'en  parle,  c'est  pour  complimenter  M.  Rimsky-Korsakow, 
car  qui  connaît  Moussorgsky  sait  bien  qu'il  était  incapable  de  l'écrire 
ainsi. 

Nous  sommes  donc,  comme  je  l'ai  dit  en  commençant,  en  présence 
d'une  œuvre  intéressante,  mais  dont  il  ne  faut  pas  exagérer  la  portée, 
et  à  propos  de  laquelle  il  ne  faut  pas,  surtout,  crier  au  chef-d'œuvre, 
comme  quelques-uns  s'efforcent  de  le  faire.  Accordons-lui  la  place 
qu'elle  mérite  et  qui  est  honorable,  sans  chercher  à  nous  tromper  nous- 
mêmes. 

Ce  qui  est  bien  intéressant  aussi,  c'est  le  spectacle  délicieux  que  nous 
a  offert  cette  représentation  de  Boris  Godounow,  chantée  en  russe  devant 
un  public  français.  L'interprétation  est  excellente.  Il  faut  d'abord  tirer 
de  pair  M.  Chaliapine,  grand  chanteur,  grand  comédien,  pour  tout 
dire  grand  artiste  dans  ce  rôle  de  Boris,  qui  réclame  tant  de  qualités. 
il.  Kastorsky,  excellent  dans  celui  du  moine  Pimène  :  M.  Smirnow,  très 
chaleureux  dans  celui  du  faux  Dimitri  :  Mme  Ermolenko.  charmante  en 
Marina,  et  M""-'  Petienko.  absolument  parfaite  en  nourrice.  Je  ne  puis 
que  citer  leurs  compagnons,  en  distribuant  à  tous  les  éloges  qu'ils  mé- 
ritent pour  leur  soin,  leur  zèle  et  leur  talent  :  MM.  Charonow  (Varlaam). 
Altchewsicy  (Chomsky),  Chouprinikow  d'Innocent),  et  Mmes  Touga- 
rinova  (Féodor).  etDagmara  Renine  iNenia).  Chœurs  excellents  et  pleins 
d'entrain.  Direction  superbe  de  la  part  de  M.  Félix  Blumenfeld,  chef 
d'orchestre  de  l'Opéra-Impérial  de  Saint-Pétersbourg.  Les  décors  sont 
très  curieux.  Mais  ce  qui  est  surtout  curieux,  ce  qui  est  intéressant,  ce 
qui  mérite  l'éloge  le  plus  complet,  c'est  la  mise  en  scène.  Dans  cette 
pièce  où  la  foule  joue  un  si  grand  rôle,  cette  foule  est  vivante,  grouil- 
lante, animée,  pleine  de  mouvement,  prenant  vraiment  part  à  l'action, 
toujours  agissante,  sans  jamais  un  moment  de  trouble  ou  de  confusion. 
C'est  parfait,  et  ce  spectacle  est  plein  d'intérêt.  Nous  aurions,  si  nous 
voulions  en  prendre  la  peine,  quelques  leçons  à  prendre  de  ce  côté. 

Arthur  Pougin. 


Le  Clown,  à  l'Opéra-Comicpie. 
On  se  rappelle  le  bruit  qui  courut  naguère  que  Meyerbeer,  pour  en- 
gager Yéron,  alors  directeur  de  l'Opéra,  à  monter  Robert  le  Diable,  s'était 


engagé  lui-même  a  faire  les  frais  de  l'orgue  nécessaire  a  l'exécution  de 
l'ouvrage.  Il  fit  démentir  le  bruit,  qui  était  assurément  faux.  M.  de  Ca- 
mando,  qui  est  puissamment  riche,  comme  Meyerbeer,  et  qui  fait  aussi 
de  la  musique,  pas  la  même,  n'a  pas  fait  démentir,  il  y  a  deux  ans, 
qu'il  avait  dépensé  trois  ou  quatre  cent  mille  francs  pour  s'offrir  le  luxe 
de  donner  au  Nouveau-Théâtre  i aujourd'hui  Théâtre-Réjane)  trois  re- 
présentations du  Glown  au  bénéfice  de  la  Société  des  an 
dont  il  est  un  des  membres  les  plus  influents  et  les  mieux  cotés.  C'étai 
un  beau  geste,  et  plein  d'élégance.  Le  fait  est  que  l'auteur  lu  <  /,,„„,  qln 
s'était  déjà  produit  devant  le  public  dans  uu  concert  où  un  excellent  or- 
chestre,  dirigé  par  M.  Camille  Chevillard,  avait  tait  entendre  plusieurs 
de  ses  compositions,  avait,  pour  cette  nouvelle  et  plus  importante  ten- 
tative, fait  choix  d'une  interprétation  di  primo  carlello,  <\ui  réunissait  les 
noms  de  MM.  Rousselîére.  Renaud,  Delmas.  joints  à  ceux  de  M"''  Gé- 
raldine Farrar,  Mérentié  et  Margyl. 

M.  de  Camondo,  qui  a  véritablement  la  passion  de  la  musique  et  qui 
s'est  astreint  à  des  études  suivies,  est,  me  dit-on.  élève  de  M.  Gaston 
Salvayre,  avec  qui  il  a  travaillé  activement  pendant  plusieurs  années. 
Lorsque,  après  s'être  essayé  dans  divers  genres,  il  eut  l'idée  de  s'alta- 
qaer  au  théâtre,  il  s'adressa  à  son  ami  Capoul  en  lui  demandant  de  lui 
construire  uu  livret  d'opéra.  Capoul,  qui.  lui,  depuis  qu'il  ne  chante 
plus,"n'en  a  pas  moins  conservé  la  passion  du  théâtre,  répondit  a  son 
désir  et  lui  fabriqua  le  livret  du  Clown,  qui  n'a  rien  de  bien  neuf  et  qui  n'est 
guère  autre  chose  qu'un  fait-divers  mis  en  action,  un  de  ces  faits-divers 
comme  nous  en  trouvons  le  récit  chaque  matin  dans  les  journaux,  agré- 
menté de  titres  et  de  sous-titres  destinés  à  donner  le  frisson  au  lecteur. 
Cela  rentre  dans  la  catégorie  des  Cavalleria  Ruslicana  et  des  Paillasse, 
avec  la  note  du  vérisme  italien,  mais  cela  a  surtout  le  défaut  d'être  trop 
long.  Au  lieu  de  deux  actes  trop  développés  pour  une  action  qui  n'en 
offre  guère,  il  eût  fallu  se  contenter  de  deux  tableaux  brefs  et  rapides, 
dont  précisément  la  rapidité  aurait  augmenté  la  puissance.  En  peu  de 
mots,  voici  le  sujet. 

Nous  sommes  à  la  fête  de  Neuilly,  devant  le  cirque  de  M.  Barbazan, 
dont  nous  voyons  les  principaux  sujets.  C'est,  avec  M.  et  Mme  Barbazan. 
dont  le  rôle  est  assez  effacé,  la  gentille  Zéphirine,  le  clown  Maxim, 
l'étoile  de  la  troupe,  et  l'ignoble  pitre  Auguste,  qui,  dans  la  vie  privée, 
est  beaucoup  moins  gai  que  Boum-Boum.  Maxim  est  amoureux  de 
Zéphirine,  qui  d'abord  le  fait  poser,  et  qui  semble  prendre  plaisir  ensuite 
à  se  laisser  aimer,  ce  qui  n'est  pas  du  goût  d'Auguste,  lequel  en  tient 
lui-même  pour  Zéphirine,  et  semble  méditer  un  mauvais  coup.  Le  pre- 
mier acte  se  termine  avec  fracas,  sur  le  boniment  du  Cirque,  l'aunonce 
bruyante  de  la  représentation,  l'appel  véhément  aux  spectateurs,  les 
cris,  les  danses,  l'orchestre,  la  grosse  caisse,  l'entrée  et  la  bousculade 
de  la  foule,  etc.  C'est  le  réalisme  scénique  tel  que  nous  le  connaissons 
de  longue  date. 

Au  second,  nous  nous  trouvons  dans  l'intérieur  même  du  Cirque. 
c'est-à-dire  dans  «  les  loges  des  artistes  » .  Le  spectacle  a  commente 
(Capoul  a  respecté  les  trois  unités  classiques  de  temps,  de  lieu  et 
d'action  i,  et  tandis  qu'il  suit  son  train,  nous  voyons  Maxim  qui  vient 
faire  sa  cour  à  Zéphirine  et  batifoler  avec  elle.  Auguste,  qui  les  guette 
sournoisement  et  que  la  jalousie  ronge,  est  furieux,  et  son  exaspération 
est  au  comble  lorsqu'il  voit  les  deux  amants  s'embrasser  tendrement.  Il 
disparait  alors,  et  l'on  sent  qu'il  va  commettre  une  infamie.  Bientôt,  le 
tour  vient  pour  Maxim  de  se  présenter  devant  le  publie.  Ou  entend 
les  applaudissements,  les  bravos  de  la  foule  qui  admire  sa  souplesse  et 
son  agilité:  on  crie,  on  trépigne,  les  acclamations  redoublent...  puis 
un  immense  cri  d'horreur  se  fait  entendre,  et  des  exclamations  de  pitié, 
et  l'on  sent  que  cette  foule,  tout  à  l'heure  joyeuse  et  admirative,  est 
remplie  d'angoisse...  Que  s'est-il  donc  passé  ?  L'infâme  Auguste,  pour 
se  venger  de. Maxim,  a  scié  le  tremplin  sur  lequel,  dans  ses  exercices. 
Maxim  doit  rebondir,  et  le  malheureux,  en  tombant,  s'est  brisé  les 
reins.  Et  voici  qu'on  rapporte  le  pauvre  clown,  ensanglanté,  qui,  après 
une  longue  agonie  i  trop  longue),  vient  mourir  dans  les  bras  de  celle 
qu'il  aime. 

•  Mon  Dieu,  à  tout  prendre,  ce  scénario  ne  vaut  ni  plus  ni  moins  que 
tant  d'autres  que  nous  avons  vu  passer  devant  nos  yeux.  Banal,  sans 
doute,  mais  pas  maladroit  en  somme;  seulement,  je  l'ai  dit.  trop  déve- 
loppé, parce  que  dépourvu  d'incidents,  de  telle  sorte  qu'au  milieu  de 
longueurs  inutiles,  l'intérêt  qu'il  peut  inspirer  s'émousse  et  disparait. 

Que  dire  de  la  musique  de  M.  de  Camondo  ?  Musique  d'amateur 
assez  instruit  assurément,  sans  trop  d'originalité  ni  de  personnalité  (ce 
qu'on  ne  saurait  exiger  d'ailleurs  de  la  part  d'un  débutant),  mais 
paraissant  déjà  connaître  jusqu'à  un  certain  point  les  ressources  d'un 
métier  encore  nouveau  pour  lui.  De  nouveauté  dans  l'accent,  dans  le 
dessin  mélodique,  il  faut  bien  déclarer  qu'il  n'y  en  a  aucune.  Cette 
remarque  faite,  ou  doit  reconnaître  crue  cette  partition  du  Clown  se 


164 


LE  MÉNESTREL 


tient  passablement  sur  ses  jambes,  qu'elle  est  assez  bien  comprise  dans 
son  ensemble,  et  que  l'entente  même  de  l'orchestre,  pour  un  peu  lourd 
qu'il  soit,  n'est  pas  moins  sans  un  semblant  d'habileté. 

Ici  encore,  comme  naguère  au  Nouveau-Théâtre,  l'interprétation  est 
de  premier  ordre.  On  y  retrouve  d'abord  MIle  Géraldine  Farrar,  déjà 
familière  avec  sou  rôle  de  Zéphirine.  qu'elle  joue  et  chante  d'une  façon 
délicieuse,  en  y  déployant  toutes  les  ressources  de  sa  jolie  voix  argen- 
tine, dont  le  timbre  est  si  séduisant.  C'est  M.  Salignac  qui  personnifie 
le  Clown,  et  il  s'y  montre  aussi  remarquable  comme  chauteur  que 
comme  comédien.  Il  a  rendu  surtout  la  scène  de  la  mort  du  pauvre 
saltimbanque  en  véritable  artiste.  Quant  à  M.  Pèrier,  il  a  fait  un  type 
étonnant  de  l'ignoble  Auguste,  le  pitre  amoureux  et  criminel.  A  M.  Fu- 
gère,  à  M,les  Thévenet  et  Bailac,  sont  échus  des  rôles  de  comparses 
qui  ne  sont  pas  à  la  hauteur  de  leur  talent. 

Arthur  Pougin. 


Gymnase.  —  Jeunesse,  comédie  en  3  actes,  de  M.  André  Picard. 
Le  Gymnase  vient  de  prendre  à  l'Odéon  Jeunesse,  la  charmante 
comédie  de  M.  André  Picard  qui  futjouée,  par  delà  la  Seine,  endécembre 
1905  et  y  obtint  un  fort  joli  succès.  Et  il  n'y  a  pas  de  raison  pour  que 
ce  succès  ne  se  retrouve  au  boulevard  Montmartre,  d'autant  que 
Mme  Marthe  Régnier,  la  si  adorable Mauricette,  et  M.  Tarride,  le  remar- 
quable Dautran,  ont  repris  les  rôles  qu'ils  avaient  crées.  A  coté  d'eux. 
M.  Henry  Burguet  s'est  affirmé  comédien  sûr  de  lui  et  d'allure  toute 
personnelle,  et  M"e  Fériel  a  déployé  énormément  de  charme,  de  dou- 
ceur et  d'émotion  discrète.  Vous  pensez  bien  que,  eu  trois  années  à 
peine,  la  pièce  n'a  pu  perdre  aucune  de  ses  qualités  de  facture,  de 
précision  et  de  sentiment  :  le  recul  permet  même  de  mieux  apprécier 
toutes  ces  qualités,  agréablement  réunies  surtout  dans  le  premier  acte, 
un  des  plus  heureusement  venus  qui  soit. 

P.-É.  C. 


LA    MUSIQUE    DE    GLUCK 

CORRESPONDANCE 


Mon  cher  Ueugel, 

Je  lis,  dans  le  Ménestrel,  cette  phrase  : 

«  Gluck  est  large,  pompeux  et  solennel  ;  il  donne  l'idée  de  la  tragédie 
»  antique,  tandis  que  Rameau  est  mouvementé,  tourmenté,  plein  de 
»  vigueur  et  d'action...  » 

Laisser  passer  cela  sans  protester  là  contre  est  au-dessus  de  mes 
forces;  et  le  signataire  de  l'article  me  pardonnera,  car  ma  critique 
passe  par-dessus  sa  tète  sans  l'atteindre:  il  n'a  fait  que  traduire,  en  la 
condensant,  l'opinion  de  la  presque  totalité  du  public. 

Depuis  quelques  années,  avec  les  meilleures  intentions  du  monde,  par 
suite  de  l'oubli  des  traditions,  d'une  interprétation  inexacte  des  indica- 
tions de  l'auteur,  on  nous  a  donné  des  œuvres  de  Gluck  une  idée  si 
différente  de  leur  nature  véritable,  que  le  public,  en  les  admirant  de 
confiance,  n'admire  que  l'ombre  des  chefs-d'œuvre  qu'il  croit  connaître. 
Gluck  n'est  ni  large,  ni  pompeux,  ni  solennel;  Gluck,  c'est  la  vie. 
c'est  la  passion,  c'est  le  sentiment  dramatique  dans  ce  qu'il  a  de  plus 
intense. 

A-t-il  voulu  reproduire  la  iragédie  antique  ?  mais  la  tragédie  antique, 
c'est  l'Orestie,  c'est  OEdipe  Roi.  Il  me  semble  qu'il  aurait  eu  plutôt  pour 
objectif  la  tragédie  Cornélienne  et  Racinienne.  Celle-ci  a  passé  pour 
ennuyeuse,  dans  un  temps  où  de  plats  imitateurs  l'avaient  discréditée, 
et  lorsque  des  exécutions  misérables  la  trahissaient  indignement;  lors- 
que dans  Andromaque,  par  exemple,  le  seul  rôle  d'Hermione  était  bien 
rendu.  Il  n'en  est  plus  ainsi  depuis  que  M.  Claretie,  Mme  Sarah 
Bernhardt,  nous  ont  fait  voir  des  tragédies  jouées  d'ensemble  dont  tous 
les  rôles  sont  interprétés  comme  il  convient;  et  quand  on  parle  main- 
tenant du  Cid,  de  Phèdre,  de  Britannicus,  il  n'est  plus  question  de 
solennité  ni  d'ennui. 

Il  ne  devrait  pas  en  être  question  davantage  quand  il  s'agit  de  Gluck. 
Mais  quoi  !  alors  que  d'ordinaire  on  intlige  aux  œuvres  musicales  du 
passé  des  mouvements  trop  précipités,  inconnus  dans  le  temps  où  ces 
œuvres  furent  écrites,  dés  que  l'on  s'attaque  aux  opéras  de  Gluck, 
c'est  tout  le  contraire;  on  croit  devoir  procéder  avec  une  majestueuse 
lenteur;  et  ces  pages  brûlantes  s'éteignent  sous  un  manteau  de  glace. 
Pour  citer  un  exemple  au  hasard,  l'air  de  Thoas  :  De  noirs  pressenti- 
ments..., le  morceau  le  plus  fiévreux  qui  se  puisse  imaginer,  dont  la 
fièvre  confine  ;i  la  démence,  est  toujours  exécuté  largement  et  solennel- 
lement, contrairement  aux  intentions  de  l'auteur. 


Comment  savez-vous  tout  cela,  me  dira-t-on?  Vous  n'avez  pas  connu 
Gluck.  Non,  mais  j'ai  beaucoup  connu  Berlioz,  et  Berlioz,  dans  sa  pre- 
mière jeunesse,  avait  vu  représenter  à  l'Opéra  les  ouvrages  de  Gluck, 
encore  au  répertoire,  alors  que  les  traditions  n'étaient  pas  perdues, 
alors  que  la  «  diction  large  »,  qui  a  tué  le  récitatif,  n'était  pas  encore 
inventée;  il  avait  de  ces  représentations  un  souvenir  très  précis,  et  ce 
souvenir,  je  puis  l'affirmer,  n'était  nullement  celui  de  la  largeur  et  de 
la  solennité. 

Nul  auteur  lyrique  plus  que  Gluck  ne  fut  jamais  plus  mouvementé, 
plus  tourmenté,  plus  plein  de  vigueur  et  d'action.  Ce  n'est  pas  sa  faute 
si  les  œuvres  qu'on  nous  présente  sous  son  nom  sont  dépourvues  de 
vigueur  et  de  mouvement. 

Et  pourtant  ces  œuvres,  ainsi  présentées,  ont  un  grand  succès.  Cela 
tient  à  ce  que  des  œuvres  du  génie,  même  mutilées,  de  la  beauté  se 
dégage  toujours;  cela  tient  aussi  à  ce  que  ces  exécutions  erronées  sont 
confiées  à  d'admirables  artistes.  Mais  combien  ces  artistes  seraient 
plus  admirables  encore,  si  on  ne  les  égarait  pas  sur  de  fausses  pistes, 
en  attachant  à  leurs  cothurnes  des  semelles  de  plomb  ! 

C.  Saint-Saëns. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THEATRE 

»vi-:x.     Salons     cLu.     Grancl-Falai! 


(Sixième  article) 

Le  temps  est  un  grand  justicier,  mais"  les  réparations  qu'il  apporte 
ne  sont  pas  toujours  exemptes  d'ironie.  Quand  Baudelaire  proclama 
l'intime  fraternité  des  beaux-arts  et  posa  la  loi  des  parfums,  des  cou- 
leurs, des  sons,  distincts  pour  le  vulgaire,  en  réalité  confondus  dans 
toutes  les  manifestations  esthétiques  «  comme  de  longs  échos  qui  de 
loin  se  répondent  »,  cette  théorie  qui  plus  tard  devait  prendre  force  de 
dogme  fut  violemment  contestée  par  les  peintres  tandis  que  les  musi- 
ciens gardaient  une  neutralité  plutôt  bienveillante.  Les  protestations 
les  plus  indignées  éclatèrent  dans  le  «  sein  »  académique  de  la  Société 
du  Salon  annuel,  vestale  des  traditions.  Or,  aujourd'hui  vous  trouverez 
au  Grand-Palais  une  vingtaine  de  toiles  de  dimensions  considérables 
appartenant  à  la  peinture  décorative  et  exposées  sous  les  auspices  de 
la  même  vénérable  association  des  Artistes  français.  Pas  une  qui  n'ap- 
plique le  principe  baudelairien  des  correspondances  artistiques  pour 
donner  un  sens  et  un  but  au  développement  pictural  :  c'est  le  monde 
des  sons,  évoqué  dans  la  Musique,  de  M.  Jean-Paul  Laurens,  et  le  Sens 
de  l'ouïe,  de  M.  Moreau-Néret  ;  ce  sont  les  odeurs,  dans  les  Parfums  du 
soir,  de  M.  Henri-Eugène  Delacroix,  le  Pare,  de  M.  Quost,  le  Prin- 
temps, de  M.  Paul-Albert  Laurens,  les  forces  mystérieuses  de  l'univers, 
dans  le  Magnétisme  et  l'Astronomie,  de  M110  Dufau...  Et  Baudelaire  ne 
triomphe  pas  seul.  Visiblement  notre  peinture  académique  veut  se 
retremper  aux  sources  Lamartiniennes  ;  elle  a  pris  pour  devise  une 
strophe  des  Méditations  : 

Car  la  nature  est  là  qui  t'appelle  et  qui  t'aime  : 
Plonge- toi  dans  le  sein  qu'elle  t'ouvre  toujours... 
Quand  tout  change  pour  toi,  la  nature  est  la  même. 
La  nature  était  la  même  il  y  a  quarante  ans.  mais  les  peintres  «  de 
style  »  s'y  plongeaient  moins  volontiers.   Aujourd'hui  ils  y  font  la 
pleine-eau.  M.  Jean-Paul  Laurens.  artiste  digne  de  tous  les  respects, 
développe,   épanouit,  extravase  sa  maîtrise  dans  le  monde  des  sons, 
comme  je  le  disais  tout  à  l'heure.  La  Musique  est  une  vaste  toile  qu'en- 
cadreront des  architectures,  car  elle  est  destinée  à  la  décoration  du 
théâtre  de  Castres  où  le  peintre  Toulousain  a  déjà  mis  toutes  ses  com- 
plaisances :  et  en  effet,  comme  pour  le  tableau  de  M.  Edouard  Détaille, 
un  entourage  austère  justifiera  seul  ce  parti  pris  de  tons  neutres  et  de 
teintes  plates. 

Un  Beethoven  titanesque,  changé  en  ogre  aux  bottes  de  sept 
lieues  par  ses  proportions  qui.  au  Salon,  paraissent  démesurées,  rêve 
sur  son  piédestal.  Autour  du  géant  s'enroule  la  farandole  lyrique  des 
héros,  des  Muses,  des  allégories  aux  longs  voiles  flottants,  la  Vie,  la 
Mort,  la  Gloire,  la  Détresse,  la  Liberté,  l'Amour.  l'Espérance,  espacés  ■ 
depuis  le  socle  du  piédestal  jusqu'à  l'azur  du  ciel  sur  la  ligne  zig- 
zagante  d'une  spirale  sans  fin.  Ce  mirage,  qui  effleure  les  genoux  du 
sublime  pensieroso  musical,  est  la  zone  supérieure,  traitée  en  grisaille. 
Au  premier  plan,  et  dans  le  bas  du  tableau,  l'orchestre  de  la  vieille 
Société  du  Conservatoire,  en  costumes  Restauration,  redingotes  à  cols 
de  velours,  épaisses  cravates  blanches,  conduit  par  un  kapellmeister 
qui  semble  un  portrait  décroché  du  musée  de  la  rue  Sainte-Cécile,  exé- 


LE  MÉNESTREL 


165 


cute  la  Neuvième  Symphonie  dontla  ral'ale  passe  sur  toutes  ces  échines 
courbées.  Il  y  arlà  des  dos  admirables  d'instrumentistes,  des  dos  qui 
vivent,  qui  respirent,  qui  jouent!  et  si  l'ensemble  accuse  quelque 
froideur  dans  le  cadre  très  médiocre  de  la  petite  salle  du  Grand-Palais 
où  l'on  a  juché  l'œuvre,  il  prendra  sans  doute  à  Castres  sa  vitalité 
intense  d'évocation  lyrique. 

C'est  pour  la  mairie  du  dixième  arrondissement,  située  en  bordure 
d'un  des  plus  bruyants  faubourgs  de  Paris,  que  M.  Adrien  Moreau- 
Néret  a  peint  sa  grande  toile'décorative  du  Sens  de  l'ouïe,  composée  avec 
délicatesse,  malheureusement  peu  équilibrée.  Du  moins  ce  concert 
italien,  cet  hémicycle  de  marbre,  cette  vasque  où  s'éventaillent  des 
paons  donneront-ils  l'illusion  de  reposantes  harmonies  aux  adminis- 
trés du  quartier  Saint-Lazare  assourdis  par  le  tumulte  des  autos  et  des 
camions.  Le  même  immeuble  municipal  hospitalisera  le  panneau  déco- 
ratif de  M.  Henry-Eugène  Delacroix  étiquelé  Parfums  du  soir  :  trois 
femmes  nues  cueillant  des  fleurs  dans  une  ambiance  vraiment  printa- 
nière,  couleur  d'aubépine  fleurie.  M.  Quost  évoque  aussi  avec  une 
remarquable  virtuosité,  car  c'est  un  très  beau  peintre  de  fleurs,  la  déco- 
ration chatoyante  du  parc  de  Saint-Cloud  où  se  fondent  dans  la  même 
harmonie  la  pourpre  des  géraniums,  les  tons  ardents  des  roses  tré- 
mières  et  les  taches  multicolores  de  la  foule  en  habits  de  fête.  Même 
légèreté  aérienne  avec  de  bons  détails  de  nature  morte  dans  les  Fleurs, 
de  M.  Mengin,  pour  la  salle  à  manger  du  préfet  de  la  Haute-Vienne 
(l'Etat  comble  ses  fonctionnaires  !).  Mais  le  plus  délicieux  Printemps  est 
celui  de  M.  Paul-Albert  Laurens,  un  des  représentants  de  la  filiation 
du  grand  dynasto  :  paysage  gaimeut  décoratif,  arbres  d'un  vert  naissant, 
rivière  bleue,  une  mère  qui  dort  avec  son  enfant,  une  baigneuse  dont 
les  chairs  tendres  gardent  encore  le  frisson  de  l'eau,  un  jeune  père  qui 
enseigne  à  son  fils  l'art  de  moduler  sur  la  flûte  â  sept  trous.  Un  parfum 
subtil  émane  de  ce  néo-Puvis  de  Chavannes  aux  proportions  réduites. 
L'humanité  y  goûte  le  bonheur  de  vivre  avec  la  candeur  de  l'âge  d'or. 

Il  y  a  au  contraire  de  la  rêverie  purement  cérébrale  dans  le  panneau 
décoratif  que  M.  Henri  Martin  destine  à  la  Sorbonne  :  l'Étude,  une  de 
ces  visions  que  le  maitre  idéaliste  aime  à  encadrer  dans  les  bordures  de 
pierre,  sous  les  arbres  à  feuillages  transparents  d'uue  sorte  de  jardin 
d'Académus  où  une  stèle  porte  la  statuette  de  Minerve  armée  en  guerre 
'  —  sans  doute  contre  les  profanes  —  mais  où  déambulent  des  prome- 
neurs en  jaquettes  et  vestons  et  où  M.  Anatole  France  prêche  la  bonne 
parole.  Il  s'adresse  à  un  groupe  d'auditeurs  parmi  lesquels,  sans  trop 
serrer  la  ressemblance,  on  reconnaîtrait  plus  d'un  type  familier;  il 
parle  avec  douceur  et  continuité;  les  disciples  lui  prêtent  une  attention 
recueillie.  L'ensemble,  harmonieux  et  que  relèvent  de  jolies  trouvailles 
impressionnistes,  serait  tout  à  fait  inattaquable  si  M.  Henri  Martin 
n'exagérait  le  parti  pris  du  tachisme  lumineux  au  point  de  barbouiller 
les  costumes  de  ses  péripatéticiens  néo-style. 

Notre  Platon  du  vingtième  siècle  parait  s'être  frotté  à  un  treillage 
fraîchement  peint,  et  ses  fidèles  ont  quitté,  pour  venir  l'entendre,  des 
bancs  traîtreusement  enduits  de  jaune  et  de  vert.  Les  personnages, 
disposés  à  droite  et  à  gauche,  jeune  homme  qui  songe  un  livre  à  la 
main,  autre  liseur  étendu  sur  l'herbe,  trio  de  causeurs  assis,  ont  été 
moins  éprouvés  par  ces  jeux  de  la  philosophie  et  de  la  peinture  fraîche. 
Autour  d'eux  flotte  une  atmosphère  blonde  et  rosée  propice  aux  son- 
geries, quelque  chose  comme  une  lueur  d'aube  où  s'épanouiraient  des 
âmes. 

L'action  des  forces  naturelles  commence  également  à  préoccuper  les 
peintres.  Elle  a  inspiré  ;i  M11'-  Dufau  un  symbole  et  même  —  car  il 
s'agit  d'un  double  panneau,  commandé  par  M.  Henry  Marcel,  pendant 
son  trop  court  passage  à  la  direction  des  Beaux-Arts,  et  destiné  à  une 
galerie  de  la  Sorbonne  qui  porte  le  nom  pompeux  mais  obscur  de  salle 
des  Autorités — deux  symboles.  L'un  est  intitulé:  Astronomie,  Mathéma- 
tiques ;  légende  :  «  L'échange  égal  de  forces  opposées  crée  l'équilibre  et 
le  rythme  infini.  »  L'autre,  étiqueté  Radio-activité,  Magnétisme,  comporte 
ces  deux  lignes  de  commentaire:  «Toutes  les  forces  radiantes  unissent 
pour  l'éternelle  activité  la  matière  pondérable  et  l'impondérable.  » 

Mlle  Dufau  s'attaquait  à  des  thèmes  singulièrement  abstraits.  Elle 
leur  a  prêté  une  forme  concrète  en  les  apparentant,  sans  rien  abdiquer 
d'une  personnalité  originale  et  intéressante  entre  toutes,  aux  nobles 
modèles  de  symbolique  plasticité  qu'offrent  les  grands  ensembles  dé- 
coratifs de  M.  Albert  Besnard  (exécutés  pour  la  même  Sorbonne  et  pour 
l'Hôtel  de  Ville).  Rien  n'y  subsiste  des  poncifs  de  l'ancienne  allégorie. 
Ici  un  homme  et  une  jeune  femme  marquent  un  rythme  de  danse  en 
mouvement  giratoire,  les  mains  dans  les  mains  ;  deux  figures  nues, 
d'un  galbe  délicieux,  dont  l'une  sonne  sur  un  triangle  la  brève  cadence 
de  l'équilibre  balancé  issu  de  l'échange  des  forces  contraires,  soulignent 
la  mesure  du  geste  et  de  la  voix.  Le  paysage  est  paradisiaque  :  ciel  de 
saphir  que  diamantent  les  étoiles,  eaux  dormantes,  arbustes  où  mon- 


tent des  lianes  fleuries.  Là,  les  forces  magnétiques,  représentées  par  les 
éléments  qui  s'étreignent  dans  le  ciel  sous  la  forme  de  visions  colossales, 
se  répercutent  sur  la  terre  en  ferveur  passionnelle:  car  scientifique- 
ment l'Amour  qui  perpétue  la  race  n'est  qu'un  afflux  magnétique,  le 
rayonnement  de  la  substance  universelle  sous  la  forme  tangible  et  sous 
l'impondérable. 

La  voûte  d'un  arc-en-ciel  traversant  la  nue  abrite  un  couple  Adami- 
que  en  marche  vers  la  forêt  profonde  au  pas  de  deux  blancs  coursiers  : 
«  Si  tu  veux  faisons  un  rêve  —  montons  sur  deux  palefrois...  »  Seule- 
ment ce  n'est  pas  l'oiseau  qui  chante  au  fond  des  bois  comme  dans  les 
strophes  idylliques  de  Victor  Hugo  ;  on  entend  la  voix  impérieuse  et 
tyrannique  du  génie  de  l'espèce.  M.  Eugène  Chigot  salue  plus  simple- 
ment la  nature  bienfaisante  dans  son  triptyque  (c'est  le  second  que 
nous  rencontrons,  ce  ne  sera  pas  le  dernier;  du  Retour  à  ta  vie  par  la 
mer  et  les  cluimps  destiné  à  un  sanatorium.  On  pourrait  supprimer  sans 
inconvénient  un  des  trois  volets,  celui  qui  représente  le  défilé  des 
clients  à  la  porte  de  la  clinique;  la  souffrance  des  «  petits  »,  étant, 
comme  on  l'a  dit  avec  raison,  une  des  anomalies  les  plus  extraordinaires 
de  l'ordre  providentiel,  est  aussi  un  des  plus  déprimants  spectacles  : 
mais  le  panneau  où  les  enfants  guéris  jouent  parmi  les  fleurs  et  les 
légumes  dans  un  verger  de  Picardie  et  la  page  centrale  où  ils  se  deta- 
chent  en  vigueur,  soit  dit  sans  métaphore,  sur  le  sable  jaune  et  le  ciel 
rosé  d'une  plage  normande,  sont  d'un  sentiment  très  délicat. 

Symboliste  comme  les  peintres  dont  je  viens  de  signaler  les  envois, 
mais  d'une  façon  inopportune  et  malavisée,  M.  Louis  Béroud,  l'auteur 
d'une  toile  immense  accrochée  dans  la  grande  galerie  au-dessus  de  la 
porte  d'entrée  :  la  Ruée.  Pourquoi  s'applique-t-il  aussi  frénétiquement 
à  compromettre  sa  maîtrise  de  nature-mortier  affirmée  une  fois  de  plus 
dans  le  même  dépotoir  par  le  délicieux  petit  quadre  de  la  Salle  Van  Dyck 
en  trompe-l'œil  ?  Chaque  année  M.  Béroud  dérange  bon  gré,  malgré, 
déloge  de  leurs  bordures,  sous  les  prétextes  les  plus  variés  et  généra- 
lement les  plus  obscurs,  des  personnages  considérables  de  notre  musée 
de  Louvre.  Il  réveille  la  Joconde.  il  arrache  à  leurs  lits  d'herbes  ma- 
rines les  Néréides  et  les  Tritons  de  Rubens,  il  décadre  les  Madones  et 
les  Saint-George,  il  mobilise  les  figurants  des  noces  de  Cana.  Au- 
jourd'hui c'est  dans  la  galerie  d'Apollon,  dont  la  porte  aux  délicates 
ferronneries  cède  sous  la  poussée  d'une  étrange  jacquerie,  qu'il  lance  le 
peuple  des  arrivistes  assoiffés  de  gloire  ou  de  richesse  à  l'assaut  d'une 
énorme  dondon  allégorisant  la  Fortune.  Ils  ont  appliqué  des  échelles 
au  piédestal  de  la  déesse  ;  ils  lui  grimpent  aux  jambes.  Et  ce  serait 
attendrissant  à  force  de  puérilité  si  ce  gaspillage  de  talent  n'était  démo- 
ralisant pour  les  jeunes. 

Comme  Mlle  Dufau.  M.  Paul  Steck  croit  à  l'intime  union  de  l'Art  et 
de  la  Science.  Il  n'imagine  pas  que  ceci  doive  tuer  cela.  Son  plafond 
destiné  à  la  salle  des  mariages  de  l'Hôtel  de  Ville  de  Saint-Brieuc  nous 
montre  une  Science  qui  n'a  rien  de  rébarbatif  dans  son  ambiance  d'un 
vert  bleuté  et  s'entendra  fort  bien,  au  point  de  vue  esthétique,  avec  la 
Fraternité  également  commandée  par  l'État.  M.  Zwiller  est  beaucoup 
moins  rassuré.  Le  maître  alsacien  groupe  dans  son  ingénieuse  compo- 
sition des  Arts  vaincus  par  la  Science  des  Muses  à  la  Henner,d'un  dessin 
élégant,  d'une  chair  nacrée,  que  terrifie  le  passage  d'un  dirigeable. 
M.  Santos-Dumont,  chevauchant  l'aéroplane,  outrage  Diane  comme  un 
autre  Actéon  et  elle  lance  dans  la  profondeur  du  firmament  des  flèches 
impuissantes.  Quant  à  ses  compagnes,  ce  cigare  géant  —  qui  ne  sera 
jamais  fumé  —  leur  présage  des  catastrophes.  Elles  voient  l'humanité 
en  marche  vers  un  idéal  de  laideur  ;  elles  se  sentent  inutiles  sur  la 
terre  à  l'approche  des  temps 

Où  le  globe  rasé,  sans  barbe  ni  cheveux, 
Comme  un  gros  potiron  roulera  dans  les  deux. 
Et  dans  un  coin  du  tableau  la  Statuaire,  inconsolable,  mêle  ses  pleurs 
à  ceux  de  l'Architecture,  non  moins  déprimée.  Excusons-les  d'ailleurs, 
car  elles  sont  élégantes,  stylisées,  convaincues  —  et  bien  peintes. 

Il  y  a  de  grandes  et  belles  qualités  de  dessin,  des  lignes  souples,  un 
idéal  sobrement  académique,  une  méritoire  sobriété  de  groupement 
dans  les  deux  immenses  toiles  allégoriques  peintes  par  M.  Raphaël 
Collin  pour  la  salle  des  fêtes  de  la  préfecture  de  Limoges.  Mais  pour- 
quoi les  a-t-il  accommodées  à  la  sauce  crevette?  Cette  tonalité  de  potage 
bisque  très  étendu  affadit  particulièrement  les  deux  superbes  personnes 
qui  tiennent,  celle-ci  l'écusson  de  la  ville,  celle-là  les  tables  de  la  Loi. 
Un  parti  pris' du  même  genre,  mais  plus  violent  —  plus  légitime  aussi 
en  raison  du  sujet  —  ensanglante  de  lueurs  pourprées  l'Aurore,  de 
M.  Darrien,  plafond  commandé  par  le  Conseil  général  de  la  Seine  et 
qui  d'ailleurs  ne  manque  pas  d'intérêt  romantique. 

Le  Chant  du  soir,  de  M.  Ferdinand  David  (pour  le  théâtre  d'Agen). 
est  harmonieusement  composé.  On  trouvera  une  fastueuse  entente  des 
effets  décoratifs,  une  véritable  prodigalité  de  belles  étoffes  et  de  ma- 


166 


LE  MÉNESTREL 


tières  riches  dans  la  Fontaine  de  Jouvence,  de  M.  Paul  Gervais,  un  motif 
conforme  aux  exigences  des  ouvriers  d'art  de  notre  manufacture  natio- 
nale dans  les  Arts  du  feu  du  Limousin,  panneau  de  M.  Tapissier,  poul- 
ies Gobelins.  Autre  sujet  qui  pourrait  être  lyriquement  développé, 
l'Heure  du  soir,  de  M.  Emile  Noirot  : 

La  Terre 

Yers  le  Soleil,  ainsi  qu'un  fabuleux  trésor. 
Hausse  ses  monts  altiers  chargés  de  neige  et  d'or. 

Un  grandissement  de  cette  page  poétique  varierait  d'une  façon  heu- 
reuse l'album  un  peu  usagé  de  nos  toiles  de  fond  théâtrales.  On  devrait 
y  joindre  les  nobles  lignes  des  Ruines  du  théâtre  grec  de  Taormine,  que 
M.  Dupain  étage  sur  la  pente  de  l'Etna,  et,  dans  une  note  plus  violem- 
ment tragique,  le  Brame  de  la  mer,  de  M.  Alexis  de  Hanzen,  triptyque 
où  s'évoque  toute  l'existence  de  cette  créature  animée  qu'est  une  carène  : 
le  départ  à  pleines  voiles,  l'effort  suprême  au  milieu  de  la  tourmente, 
le  squelette  de  l'épave. 

L'allégorie  politique  —  et  même  internationale  —  est  représentée  au 
Salon  par  la  Pologne,  de  M.  Alfred  Plauzeau  :  «  dévorée  par  les  «  trois 
aigles  »,  et  ses  enfants  expropriés,  la  Pologne  reste  immortelle  ». 
Un  Prométhée  féminin  dont  trois  becs  aiguisés  déchirent  le  flanc,  des 
chariots  qui  s'éloignent  portant  de  mornes  émigrants,  tel  est  le  tableau, 
évidemment  convaincu,  mais  dont  la  sincérité  aurait  eu  besoin  d'être 
relevée  par  une  exécution  plus  personnelle.  Ce  spécimen  reste  isolé.  De 
même  la  décoration  fantastique  n'est  représentée  que  par  deux  envois, 
d'ailleurs  intéressants.  Le  Rêve  de  beauté,  du  peintre  anglais  Joy,  réunit 
la  belle  Hélène.  Iphigénie,  Cléopàtre.  la  fille  de  Jephté  et  Rosemonde, 
dans  le  bois  enchanté  de  Tennyson  (qui  pourrait  être  aussi  un  des 
mobiles  décors  du  second  Faust).  M.  Edgard  Maxence,  dont  l'art  se 
rattache  à  celui  des  primitifs,  fait  surgir  une  figure  symbolique  d'Égi- 
pan,  aux  yeux  moqueurs,  aux  lèvres  rouges  et  cruelles  parmi  les  fron- 
daisons folles  et  les  lianes  d'un  parc  abandonné. 

(A  suivre*  Camille  Le  Senne. 


NOTRE    SUPPLEMENT    MUSICAL 

(pour  les  seuls  abouties  a  la  musique) 


M.  Périlhou  excelle  dans  ces  petites  transcriptions  de  morceaux  classiques  pour 
piano,  dans  le  genre  de  cette  Gavotte  de  Haendel  que  nous  publions  aujourd'hui. 
Elle  était  peu  connue,  bien  qu'elle  soit  charmante,  faisant  partie  d'une  suite  du 
maître  pour  instruments  à  cordes  bien  peu  souvent  exécutée.  Elle  va  devenir  popu- 
laire grâce  à  l'ingénieuse  transcription  de  M.  Périlhou. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


On  écrit  de  Rome  qu'un  compromis  a  été  signé  par  lequel,  à  partir  du 
1er  juillet  prochain,  le  théâtre  Costanzi  de  cette  ville  passerait  aux  mains  d'une 
Société  dont  feront  partie  la  maison  Sonzogno  et  le  comte  de  San  Marlino. 
Le  journal  l'Italie  dit  à  ce  sujet  : 

Le  prix  convenu  serait  de  trois  millions,  dont  un  serait  payé  le  1"  juillet,  c'est-à- 
dire  à  l'échéance  du  compromis.  Au  paiement  de  ce  million  contribuerait  pour 
500.000  francs  M.  Edouard  Sonzogno.  et  pour  250.000  francs  le  comte  de  San  Mar- 
tino.  Les  derniers  250.000  francs  seraient  versés  par  la  Société  Italo-Argentine  repré- 
sentée par  M.  Walter  Mocchi.  La  participation  de  la  Société  Italo-Argentine  à 
cette  combinaison  donnerait  au  Costanzi  l'avantage  de  lui  assurer  le  concours  des 
plus  célèbres  chanteurs  en  vogue,  dont  on  déplore  l'exode  vers  l'étranger,  puisque 
ladite  Société  a  déjà  engagé  pour  les  prochaines  saisons  d'Amérique  quelques-uns 
de  nos  plus  fameux  artistes  à  des  conditions  qu'ils  ne  pourraient  jamais  trouver 
dans  les  théâtres  italiens.  En  outre,  le  Costanzi  donnerait  de  grandioses  représenta- 
tions préparées  par  les  théâtres  de  Buenos-Ayres,  les  spectacles  ainsi  préparés 
là-bas  pouvant  être  transportés  à  Rome. 

Selon  le  même  journal,  les  nouveaux  propriétaires  du  Costanzi  se  propose- 
raient d'acheter  le  terrain  qui  est  derrière  le  théâtre,  sur  la  via  "Viminale,  ter- 
rain qui  appartient  à  M.  Sciolle,  avocat  du  théâtre.  De  ce  terrain  on  profite- 
rait pour  construire  une  nouvelle  façade  monumentale  au  Costanzi,  devant 
laquelle  on  ouvrirait  une  place  ornée  déplantes  et  de  fontaines.  Naturelle- 
ment, toutes  ces  grandioses  nouveautés  dépendent  de  la  transformation  en 
contrat  définitif  du  compromis  signé  entre  les  propriétaires  actuels  du  théâtre 
et  ceux  qui  leur  seraient  subtitués. 

—  M.  le  comte  Malaguzzi-Valeri,  inspecteur  de  la  Pinacothèque  de  Brera  à 
Milan,  a  découvert,  parait-il,  chez  un  marchand  de  curiosités,  un  petit  portrait 
à  l'huile,  sur  toile,  exécuté  avec  une.  rare  finesse,  et  représentant  Rossini  à 
l'âge  de  vingt-cinq  ans  environ,  en  grande  toilette  :  habit  noir,  chemise  ornée 
de  boutons  de  perles  et  saphirs,  longue  chaîne  d'or  sur  la  poitrine,  etc.  Net- 


toyée avec  soin,  on  a  trouvé  sur  le  dos  de  la  toile  la  trace  d'une  inscription  à 
la  plume  qui  prouverait  que  le  portrait  a  été  fait  à  PesarU,  ville  natale  du 
maître.  Il  est  précieux  en  ce  qu'il  présente  Rossini  dans  la  pleine  vigueur  de 
sa  jeunesse  et  explique  les  succès  qu'il  rencontrait  auprès  du  monde  féminin. 
On  suppose  qu'il  fut  fait  en  1819,  quand  Rossini,  ayant  alors  un  peu  plus.de 
vingt-cinq  ans  et  ayant  écrit  déjà,  avec  tant  d'autres  œuvres,  la  Pietra  dipara- 
gone,  l'Italiana  in  Algeri,  le  Barbier  de  Séville,  passa  par  Pesaro,  où  il  reçut, 
avec  l'hospitalité  de  la  famille  Perticari.  un  accueil  enthousiaste  de  l'Académie 
locale  qui  lui  fit  ériger  un  buste. 

—  Le  conseil  communal  de  Venise  a  approuvé  le  projet  qui  lui  a  été  pré- 
senté d'élever  une  statue  à  Richard  Wagner,  au  milieu  des  Jardins  publics. 
Un  comité,  composé  de  Vénitiens  et  de  membres  de  la  colonie  allemande, 
s'emploie  activement  à  recueillir  les  fonds  nécessaires  à  l'édification  du  mo- 
nument. 

—  A  l'occasion  du  cinquantième  anniversaire  de  sa  fondation,  l'Académie  de 
chant  de  Vienne  a  fait  graver  une  médaille  reproduisant  les  traits  de  Bach, 
d'après  le  buste  que  le  sculpteur  C.  Seffner  a  reconstitué,  en  se  servant -du 
crâne  qui  fut  découvert  eu  1S94  dans  le  vieux  cimetière  de  l'église  Saint-Jean, 
à  Leipzig,  et  dont  le  Ménestrel  a  donné  plusieurs  reproductions.  La  médaille 
sera  offerte  aux  personnes  qui  ont  mérité  par  quelque  service  la  reconnais- 
sance de  l'Académie  de  chant. 

—  De  Budapest  ou  nous  télégraphie  que  Mme  Sigrid  Arnoldson  a  obtenu 
dans  Manon  un  véritable  triomphe.  La  brillante  cantatrice  n'a  pas  été  rappe- 
lée moins  de  dix-huit  fois.  Après  le  tableau  de  Sainl-Sulpice,  notamment, 
elle  a  été  longuement  acclamée. 

—  Les  chefs  d'orchestre  qui  dirigeront  à  Bayreuth  pendant  la  saison  des 
fêtes  seront  cette  année  MM.  Hans  Richter,  Cari  Muck,  Michel  Balling  et 
Siegfried  Wagner. 

—  Tandis  que  d'excellents  chanteurs  russes  nous  donnent  d'intéressantes 
représentations  du  Boris  Godounow  de  Moussorgsky,  une  autre  troupe  russe  a 
commencé  au  nouvel  Opéra  de  Berlin  une  série  de  représentations,  dont  la 
première  a  eu  lieu  mercredi  dernier  20  mai.  La  troupe  du  théâtre  de  Saint- 
Pétersbourg  interprétera,  au  cours  de  cette  saison,  la  Vie  pour  le  Czar,  de 
Glinka,  le  Démon  de  Rubinstein,  Eugène  Onéguine,  la  Dame  de  Pique  et  ilfo- 
zeppa  de  Tschaïkowsky  et  Dombrowsky  du  compositeur  Naprawnik.  Ces  œuvres 
seront  chantées  par  les  chœurs  et  les  pensionnaires  de  l'Opéra-Impérial  de 
Saint-Pétersbourg. 

—  Le  ballet  du  Théâtre-Impérial-Marie,  de  Saint-Pétersbourg,  donnera 
les  26  et  27  mai  prochain,  deux  représentations  à  l'Opéra-Comique  de  Berlin. 
La  danseuse  principale  est  M1Ie  Paulowa.  La  troupe  se  compose  de  cinq 
danseuses-solo,  de  trois  premiers  danseurs,  de  huit  danseurs-solo  et  du  corps 
de  ballet;  elle  doit  se  rendre  à  Prague  après  son  séjour  à  Berlin.  Le  directeur 
est  M.  Otto  Bolm. 

—  Le  8  mai  dernier,  a  commencé,  dans  le  magasin  d'antiquités  artistiques 
C.-&.  Boerner,  â  Leipzig,  la  vente  aux  enchères  des  autographes  et  manuscrit1; 
précieux  faisant  partie  de  la  succession  de  Joseph  Joachim  et  de  celle  de  Phi- 
lippe et  Hedwige  von  Holstein.  Les  prix  atteints  dans  cette  vente  n'ont  pas  été 
aussi  élevés  que  l'on  aurait  pu  s'y  attendre.  Ainsi  le  manuscrit  autographe 
complet  de  la  cantate  de  Bach  en  sol  mineur,  «  Où  dois-je  m  envoler?  »  n'a  été 
poussé  que  jusqu'à  6.937  francs;  celui  de  la  sonate  de  Beethoven,  op.  78,  en 
fa  dièse  majeur,  que  sa  dédicace  à  Thérèse  de  Brunswick,  l'immortelle  bien- 
aimée,  rend  particulièrement  intéressante,  n'a  pu  obtenir  que  6.375  francs.  Les 
principaux  achats  out  été  faits  pour  des  marchands  de  Vienne  et  de  Berlin. 

—  Le  spectacle  de  gala  qui  sera  offert  le  27  mai  au  Président  de  la  République 
française  par  le  Roi  d'Angleterre,  à  Covent-Garden,  se  composera  du  premier 
acte  "des  Pêcheurs  de  Perles  avec  Mme  Tetrazzini,  M.  Marcoux  chantant  le  rôle 
de  Nurabad,  du  deuxième  acte  de  Faust,  avec  Mme  Melba,  et  de  danses 
Louis  XV  par  Mllcs  Cerny  et  Legrand.  Les  directeurs  de  Covent-Garden  ont 
commandé  une  décoration  florale  de  la  salle  qui  ne  coûtera  pas  moins  de 
37.300  francs.  Des  guirlandes  de  roses  coureront  tout  le  long  des  balcons  et  le 
plafond  sera  entièrement  recouvert  de  roses.  La  loge  royale,  au  fond  de  la 
salle,  sera  tendue  de  peluche  rouge  recouverte  d'orchidées.  En  Angleterre,  la 
Cour  n'intervient  pas  dans  les  frais  des  galas  qui  sont  considérables.  La  direc- 
tion les  supporte  exclusivement,  mais  elle  vend  les  places  au  prix  qui  lui 
plaît.  C'est  ainsi  que  les  loges  sont  payées  1.040 francs,  les  fauteuils  183  fr.  75; 
le  reste  est  à  l'avenant  et  tout  est  pris.  Aussi,  malgré  les  frais,  le  bénéfice  sera 
encore  d'environ  80.000  francs. 

L'idée  de  remplacer  la  statue  banale  que  l'on  voulait  ériger  à  Londres  en 

l'honneur  de  Shakespeare,  à  l'occasion  du  trois-centième  anniversaire  de  sa 
mort,  par  une  marque  d'hommage  d'une  signification  bien  autrement  grandiose 
qui  ne  serait  rien  moins  que  la  construction  d'un  vaste  «  théâtre  national  », 
où  l'on  jouerait  les  œuvres  du  grand  dramaturge  anglais,  vient  de  donner  lieu 
à  une  manifestation  imposante.  Une  réunion  des  adhérents  ayant  été  annoncée 
au  Lyceum-Theatre,  toutes  les  places  ont  été  retenues  dès  l'abord  et  un 
nombre  considérable  d'orateurs  se  sont  fait  inscrire  pour  prendre  la  parole.  A 
la  tète  du  mouvement  se  trouvent  plus  de  soixantes  délégués,  six  évêques 
et  des  personnes  éminentes  appartenant  à  toutes  les  classes  de  la  société. 
L'époque  de  l'anniversaire  n'est  d'ailleurs  pas  encore  très  proche,  car  Shakes- 
peare mourut  à  Stratford-sur-Avon  le  23  avril  1616. 


LE  MÉNESTREL 


—  La  danse  des  millions  dans  les  deux  théâtres  d'opéra  de  New-York,  le 
Métropolitain  et  le  Manhattan.  Les  journaux  américains  nous  apportent  en- 
core quelques  détails  à  ce  sujet.  Le  total  des  frais  de  la  saison  s'est  élevé  à 
environ  10  millions,  dépassant  de  t.SOOiOOO  francs  celui  de  la  saison  précé- 
dente. De  ces  10  millions,  six  ont  été  dépensés  par  le  Métropolitain  et  quatre 
par  le  Manhattan.  Ce  qui  a  coûté  très  cher  au  Métropolitain  sans  lui  rien  rap- 
porter, c'est  une  troupe  de  chanteurs  allemands  «  commandés  »  par 
MM.  Mailler  et  Hertz,  tous  très  coûteux  et  dont  le  produit,  disent  les  journaux, 
«  a  été  ténébreux  comme  les  opéras  wagnériens  interprétés  par  eux  au  milieu 
du  vide  désolant  du  parterre  et  des  galeries.  »  Le  Manhattan,  de  son  coté, 
était  en  déficit  de  540.000  francs  lorsqu'il  s'est  relevé,  aux  premiers  jours  de 
janvier,  avec  les  grands  succès  de  Thaïs  et  de  Louise  et  l'arrivée  de  la  canta- 
trice Luisa  Tetrazzini,  engagée  pour  quinze  représentations  à  raison  de 
13.000  francs  par  soirée,  et  dont  le  succès  fut  tel  qu'on  lui  demanda  cinq 
représentations  supplémentaires.  En  réalité,  la  lutte  à  coups  de  dollars  des 
deux  théâtres  a  été  homérique.  Le  nombre  total  des  représentations  données 
par  eux  a  été  de  256,  dont  131  pour  le  Métropolitain  et  123  pour  le  Manhattan. 
Dans  ce  total,  la  musique  italienne  compte  145  représentations,  la  musique 
française  71  (Thaïs,  Louise,  la  Damnation, de  Faasl,  Pe/léas  etUèlisande,  les  Coules 
dllïoffmann),  et  la  musique  allemande  40. 

—  Le  directeur  d'une  Société  musicale  formée  à  New- York,  il  y  a  un  an  et 
demi,  dans  le  but  de  faciliter  les  efforts  des  compositeurs  américains  pour  la 
création  d'un  art  national,  a  fait  publier  par  les  journaux  une  liste  des  musi- 
ciens les  plus  en  vue  de  son  pays,  avec  l'indication  du  genre  adopté  par  cha- 
cun d'eux.  Voici  les  noms  qui  ligurent  dans  cette  liste:  MM.  Arne  Oldberg. 
d'Evanston  (Illinois),  musique  de  chambre  et  musique  symphonique;  Camp- 
belle-Tipton,  de  Chicago,  résidant  à  Paris,  auteur  de  deux  grandes  sonates  et 
de  beaucoup  de  chants  ou  mélodies;  John  Beach,  de  Boston,  qui  a  mis  en 
musique  plusieurs  poésies  du  célèbre  peintre  Dante-Gabriel  Rossetti;  Arthur 
Shepard,  de  Sait  Lake  City,  compositeur  d'œuvres  orchestrales  et  chorales, 
de  sonates,  etc.;  Kreider  Noble,  de  Goshen  (Indiana),  auteur  de  musique 
pour  piano;  Frederick  Ayres,  de  Colorado  Springs,  mélodies  vocales;  Henry 
Gilbert,  de  Boston,  œuvres  d'orchestre  et  mélodies  ;  William  Mac  Coy.  de 
San  Francisco,  auteur  d'un  opéra,  Cleopatra  ;  Edwin  Schneider,  également  de 
San  Francisco,  sonates  pour  piano  et  violon;  Chester  Ide,  de  Springûeld  (Illi- 
nois), musique  vocale  et  instrumentale;  Lawrence  Gilman,  mélodies;  Philip 
Clap,  de  Roxbury,  symphonies  et  sonates  ;  Sidney  Homer  et  Kurt  Schindler.  de 
New-York,  mélodies;  enfin  Edgar  Stillmann  Kelley,  Arthur  Anderson  et 
Henry  Hadley,  résidant  à  Berlin,  et  Cari  Engel,  de  New-York  :  le  genre  de 
composition  de  ces  derniers  n'est  pas  indiqué. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 
Un  incident  s'était  produit  au  jugement  du  concours  préparatoire  pour 
le  prix  de  Rome,  relativement  à  Mlle  Nadia  Boulanger,  qui,  quoique  ayant 
écrit  une  fugue  instrumentale  au  lieu  d'une  fugue  vocale,  fut  néanmoins 
admise  au  concours  définitif.  Cependant  tout  n'était  pas  fini,  et  l'affaire  fut 
portée  devant  l'Académie  des  beaux-arts  elle-même.  Celle  ci,  dans  sadernière 
séance,  a  statué  sur  l'incident  et  ratifié  le  jugement  du  jury.  De  tout  cela  il 
résulte  que  l'entrée  on  loge  des  six  concurrents  pour  le  concours  définitif,  qui 
avait  été  fixée  au  16  mai,  a  dû  être  reculée.  Elle  a  eu  lieu  au  palais  de 
Compiègne  seulement  le  mardi  19. 

—  La  cantate  imposée  pour  le  concours  du  grand  prix  de  Rome  (composi- 
tion musicale)  a  pour  titre  ta  Sirène  et  pour  auteurs  MM.  Eugène  Adenis  et 
Gustave  Desvaux.  Le  jugement  définitif  est  fixé  au  samedi  4  juillet  prochain. 

—  Au  Conservatoire  :  A  la  suite  des  examens  semestriels  de  solfège,  ont 
été  admis    aux  concours  de  fin  d'année  les  élèves  dont  les  noms  suivent  : 

SOLFÈGE.  —  INSTRUMENTISTES 

Elèecs  hommes. 

Classe  de  M.  Rougnon  :  MM.  Poiré,  Casadesus  (Marins),  Sauvaget,  Demailly,  Vau- 
geois,  Crout,  René,  Langevin,  Grenaud. 

Classe  de  i[.  Schwartz  :  Mil.  Lambert,  Mullot  André),  Bellanger,  Crinière,  Charon, 
Dandelot,  Bernard. 

Classe  de  M.  Kaiser  :  MM.  Burgunder,  Rodet  (Charles),  Menu, 

Classe  de  M.  Cuignache  :  MM.  Girardier,  Crégut,  Fournier,  Siohan,  Guittet,  Lévy 
(Claude),  Camus,  Morel,  Taine  Jules),  Friscourt,  Artière,  Dervaux. 

Elèves  femmes. 

Classe  de  M"'  Hardouin  :  il""  Coller,  Gild'ès-Gleizes,  Lanta,  Paravicini,  Maillard. 

Classe  de  il""  Renart  :  M11"  Ducros,  Dretz,  Gilinski  (Bellinie),  ûehelly,  Durony, 
Varhouver,  Darnault,  Girauld  (Marguerite),  Gérard. 

Cfasse  de  Mm"  Marcou  :  M""  Vilaret,  Longuet,  Quincy,  Oppenheimer,  Sapin,  Che- 
valier, Giraud  (Yvonne),  Charvet,  Dubois  (Marcelle),  Claveau,  Faigle. 

Classe  de  il-'  Roy  :  M""  Daltrof  (Fernande),  Daltrof  (Germaine),  Galli,  Pazcry, 
Follet,  Delorme  (Lucette),  Halary,  Buchet,  Ridemale,  Guigard,  Couras,  Malvoisin. 

SOLFÈGE.    —  CHANTEURS 

Élèves  hommes. 
■    Classe  de  il.  Xernaelde  :  MM.  Yillaret,   Teissier,   Ponzio,   Auguste  Castel,  Chah- 
Mouradinn. 

Classe  de  il.  Amende  :  MM.  Bellet,  Imbert,  Pierre  Dupré,  de  Laromignière,  Ber- 
trand, Collard,  Toraille. 

Elèves  femmes. 

Classe  de  il""  Piffaretli  :  M""  .G-ustin,  Sylla,  Jurand,  Arné,  Gabrielle  Demougeot, 
Daumas,  Gautier,  Raveau. 


Classe  de  M™  Vinol  :  M11-  Kobur,  Ghantar,  Menant,  Panis,  Duvenray,  Amoretti, 
Bouruon,    Soucbon,    Fraisse,    Alavoinc,    Bcnuard,    Vivier-des-Vallons,    Cébron- 

Xorbens. 
Classe  de  M"  Sujpl  :  M""  Lambresse,  Jeanne  Lalotte,  Louj     tte 

—  Le  dernier  exercice  des  élèves  du  Conservatoire  a  eu  le  caractère  d'une 
séance  d'intimité.  Le  programme  comprenait  un  nombre  important  de  mélo- 
dies de  Beethoven,  Schumann.  Schubert,  Gounod  et  Lalo,  pour  lesquelles 
M.  Gabriel  Fauré  a  tenu  la  partie  de  piano  avec  la  Une  et  délicate  musicalité 
qui  le  distingue.  Malheureusement  les  jeunes  partenaires  du  maitre  ne  sem- 
blaient aucunement  se  douter  de  la  valeur  poétique  et  musicale  des  petits 
chefs-d'œuvre  dont  l'interprétation  leur  avait  été  confiée  :  si  médiocres  que 
soient  les  paroles  chantées,  il  l'an. Irait  pourtant  ne  pas  les  dire  en  paraissant 
ignorer  que  les  poé.-ies  originales  sont  presque  toutes  de  grande  poètes,  ù 
Roi  des  aunes,  pour  lequel  M.  Alfred  Cortot  a  remplacé  au  piann  M.  Gabriel 
Fauré,  n'est  certainement  pas  connu,  autrement  que  pour  la  musique,  par 
l'élève  qui  l'a  chanté;  c'est  du  moins  l'impression  que  nous  avons  ressentie, 
en  même  temps  que  beaucoup  d'autres  auditeurs.  Il  nous  semblait  qu'au  mo- 
ment où  tant  d'artistes  considèrent  comme  le  but  de  leurs  efforts  de  com- 
prendre et  d'exprimer  la  musique  aussi  intellectuellement  que  possible,  tout 
en  perfectionnant  au  plus  haut  degré  la  technique,  nous  pouvions  espérer 
trouver,  dans  la  manière  de  chanter  des  élèves  du  Conservatoire,  une  indica- 
tion si  affaiblie  soit-elle  de  cette  tendance.  Considérons  donc  la  présence  au 
piano  de  M.  Fauré  et  de  M.  Cortot  comme  significative  sous  ce  rapport,  et 
attendons.  Ce  qui  n'a  pu  être  réalisé  cette  fois  viendra  peu  à  peu.  La  ques- 
tion est  d'ailleurs  plus  complexe  qu'il  ne  parait  au  premier  rapport;  caria 
première  condition  requise  pour  pouvoir  dire  une  mélodie  sans  contresens, 
c'est  d'avoir  un  texte  s'adaptant  bien  à  la  musique,  et  si  c'est  possible,  litté- 
rairement intéressant.  Le  répertoire  vocal  ancien,  représenté  par  un  duo  de 
la  Passion  de  Haendel  et  par  l'air  de  Thésée,  Revenez,  Amours,  revenez,  a  été. 
du  reste,  beaucoup  mieux  rendu  que  les  œuvres  modernes;  cela  n'a  rien  de 
surprenant,  car  le  genre  de  difficulté  n'est  pas  le  même  chez  Lully  et  Haendel 
que  chez  les  compositeurs  plus  rapprochés  de  nous;  avec  les  premiers,  un 
bon  style  et  une  émission  correcte  suffisent  à  produire  l'effet;  les  seconds 
exigent  que  l'âme  entière  vibre  et  se  livre  et,  de  plus,  la  pose  de  la  voix  y  est 
beaucoup  moins  facile.  Quoi  qu'il  en  soit,  nous  pouvons  louer  MIlM  Raveau. 
Cébron-Norbens,  Daumas,  MM.  Coulomb  et  Collard  qui  ont  fait  preuve  de 
sérieuses  qualités.  Trois  chœurs  à  quatre  voix  mixtes,  du  seizième  siècle,  par 
Eustache  du  Caurroy,  Claude  Le  Jeune  et  Passereau,  permettent  de  citer 
avec  éloge  l'ensemble  vocal  du  Conservatoire,  que  M.  Bùsser  a  dirigé  avec 
autorité.  La  partie  instrumentale  du  programme  comprenait  la  symphonie  en 
ré  majeur  de  Mozart,  n°  385  du  catalogue  de  Kcechel,  les  Phan/usieslûcke  pour 
piano,  violon  et  violoncelle,  de  Schumann.  le  quatuor,  op.  76  de  Havdn.  un  trio 
pour  deux  violons  et  violoncelle  de  Ph.-Em.  Bach  et  l'Andante  du  quintette 
en  mi  bémol  de  Beethoven  pour  piano,  flûte,  hautbois,  cor  et  basson.  Tous  ces 
morceaux  ont  été  mis  en  valeur  par  des  instrumentistes  déjà  très  maitres  de 
leur  art  et  qui  font  grand  honneur  à  l'institution  qui  les  a  formés.  Pour  finir. 
M.  Marcel  Dupré  a  exécuté  brillamment  un  concerto  pour  orgue  et  orchestre 
de  Haendel.  Amédée  Boutarel. 

—  A  l'Opéra,  Boris  Godounow  et  Thaïs  alternent  sur  l'affiche  avec  un  pareil 
éclat  et  devant  des  salles  enthousiastes.  Malgré  cela,  on  commence  à  s'occu- 
per i'Hamlet,  avec  la  même  belle  interprétation  que  celle  de  Thaïs  :  Mary 
Garden  et  Renaud.  Encore  de  chaudes  soirées  en  perspective. 

—  A  l'Opéra-Comique  on  a  dû  donner  hier  vendredi  la  première  représen- 
tation de  Snegowotchka.  Force  nous  est  donc  de  renvoyer  à  samedi  prochain 
le  compte  rendu  de  notre  collaborateur  Arthur  Pougin.  Signalons,  à  titre 
documentaire,  qu'à  ce  théâtre,  la  600e  représentation  de  Manon  fut  donnée 
mercredi  dernier.  —  Spectacles  de  dimanche  :  en  matinée  (à  prix  réduits! 
Carmen;  le  soir  Cavalleria  ruslicana  et  la  Vie  de  Bohème.  Lundi,  représentation 
ordinaire  :  Snegowotchka. 

—  M.  Hammerstein  a  quitté  Paris  lundi  dernier  pour  se  rendre  à  Londres 
d'où  il  s'embarquera  pour  l'Amérique.  Avant  de  regagner  New- York,  le  très 
actif  manager  du  Manhattan-Opera,  ira  à  Philadelphie  jeter  un  coup  d'œil 
sur  les  travaux  de  son  nouvel  Opéra  qu'il  inaugurera  la  prochaine  saison  et 
dont  les  fondations  et  toute  la  charpente  en  fer  sont  déjà  terminées.  Avant  de 
quitter  Paris, M. Hammerstein  asigné  les  engagements  nouveaux  de  M.Yieuille. 
de  l'Opéra-Comique.  de  M.  Vallès,  un  ténor  qui  se  fit  applaudir  à  Marseille, 
de  Mlle  Lespinasse,  qui  eut  de  grands  succès  à  Genève,  et  de  M11''  Maria  Lahia. 
qui  est  l'étoile  de  l'Opéra-Comique,  de  M.  Hans  Gregor  à  Berlin.  Il  s'est  aussi 
assuré  le  concours  de  M""  Odette  Valéry,  car  il  a  l'intention  de  donner  des 
pantomimes  au  lieu  et  place  des  ballets,  pour  accompagner  les  opéras  de  petite 
durée.  Comme  nouveautés.  M.  Hammerstein  compte  monter  la  saison  pro- 
chaine le  Jongleur  de  Notre-Dame.  Grisëlidis  et  Cendrillon  de  Masssnet,  Princesse 
d'Auberge  de  Jan  Blockx,  Salomé  de  Richard  Strauss  et  Monna  Vanna  de  Henxv 
Février.  Il  reprendra,  bien  entendu.  Thaïs,  Louise  et  Pelléas  et  Mélisande  qui 
furent  ses  grands  succès  de  l'année  dernière.  Ajoutons  enfin  que  Mme  Melba 
lui  a  promis  dix  représentations. 

—  L'assemblée  générale  des  auteurs  dramatiques  s'est  fort  bien  passée  sans 
aucun  des  gros  orages  qu'on  avait  annoncés.  M.  de  Caillavet  y  lut  un  rapport 
substantiel  où  bien  des  questions  intéressantes  étaient  abordées.  La  première 
partie  de  ce  rapport  est  consacrée  au  budget  de  la  Société  des  auteurs,  budget 
plus  florissant  que  jamais  puisque  les  droits  s'élèvent  cette  année  à  plus  de 
cinq  millions.  Le  rapport  aborde  ensuite  la  réforme  des  traités  qui,  à  Paris. 


■1H8 


LE  MENESTREL 


lient  les  directeurs  et  les  auteurs.  Il  donne  les  raisons  qui  ont  décidé  la  Com- 
mission à  supprimer  les  billets  d'auteur,  les  billets  à  droits  et  les  billets  de 
faveur,  pour  arriver  à  n'avoir  plus  dans  les  théâtres  que  des  spectateurs  ayant 
payé  leur  place.  Il  passe  ensuite  à  une  importante  décision  concernant  les 
pays  étrangers.  On  sait  en  effet  que  les  écrivains  français  sont  dépouillés  de 
tous  leurs  droits  d'auteur  dans  les  pays  qui  n'ont  pas  adhéré  à  la  convention 
de  Berne,  tels  que  la  Hollande,  la  Roumanie,  la  Grèce.  En  Russie,"  où  des 
milliers  de  représentations  d'oeuvres  françaises  sont  données  chaque  année, 
aucune  rétribution  n'est  payée  aux  auteurs.  En  attendant  la  protection  de  la 
propriété  littéraire  dans  ces  pays,  la  Commission  des  auteurs  dramatiques  a 
décidé  d'user  désormais  de  réciprocité  et  de  ne  plus  accorder  le  bénéfice  de 
ses  traités  à  des  auteurs  étrangers  que  lorsque  leur  pays  d'origine  reconnaîtra 
les  droits  des  auteurs  français. —  Après  la  lecture  du  rapport,  M.  Pierre 
Wolff  est  venu  faire  part  à  l'assemblée  d'une  grande  bonne  nouvelle  :  la  fon- 
dation par  M.  le  baron  Henri  de  Rothschild  de  la  Maison  des  Auteurs  dra- 
matiques. Cette  nouvelle  a  été  accueillie  par  l'assemblée  avec  le  plus  recon- 
naissant enthousiasme.  —  L'assemblée  a  procédé  ensuite  à  l'élection  de  cinq 
membres  du  Comité.  Ont  été  élus  au  premier  tour  : 

M.  Paul  Hervieu IS5  voix 

M.  Robert  de  Fiers 120    — 

M.  Maurice  Donnay 96    — 

Au  second  tour,  M.  Hennequin  a  été  élu  par  51  voix,  et  M.  Hirschmann, 
aux  applaudissements  de  l'assemblée,  s'étant  désisté  au  profit  de  M.  Saint- 
Saêns,  l'illustre  compositeur  a  été  élu  à  l'unanimilé. 

—  Le  2  mai,  le  Tribunal  de  commerce  condamnait  par  défaut  la  Société 
des  auteurs  à  rendre,  aux  héritiers  de  Donizetti.  compte  des  droits  d'auteur 
payés  depuis  ISOo.  tant  en  France  qu'à  l'étranger,  sur  les  représentations  de 
Donizetti  et,  en  particulier,  sur  Lucie  de  Lammermoor,  la  Favorite,  la  Fille  du 
Régiment,  Don  Pasquale,  etc.,  et  à  payer  dès  à  présent,  et  par  provision. 
10.000  francs  à  valoir  auxdits  héritiers  Donizetti.  Me  Meignen,  agréé,  vient  de 
faire  opposition  à  ce  jugement,  au  nom  de  la  Société  des  auteurs.  On  assure, 
en  outre,  que  ladite  Société  des  auteurs  s'apprête  à  demander  en  référé  l'auto- 
risation de  toucher,  nonobstant  la  saisie-arrét  pratiquée  par  ME  Briouve,  huis- 
sier, dans  les  théâtres  de  Paris,  le  1  0/0  de  droits  d'auteur  qui  lui  est  conféré 
par  les  traités. 

—  L'Assemblée  générale  annuelle  de  l'Association  dos  Artistes  dramatiques 
aura  lieu  au  théâtre  des  Nouveautés,  le  samedi  30  mai,  à  une  heure  et  demie. 
Ordre  du  jour  : 

1.  Rapport  des  travaux  de  l'exercice  1907-C8,  rédigé  et  lu  par  M.  Péricaud,  et  ap- 
probation des  comptes  ; 

2.  Élection  du  président  et  de  six  membres  du  Comité. 

Membres  sortants  et  rééligibles  :  MM.  A.  Carré,  Brémont,  Numès,  Carbonne. 
Delaunay  et  Huguenet. 

—  L'Assemblée  générale  annuelle  de  l'Association  professionnelle  de  la 
critique  aura  lieu  le  mardi  2  juin,  à  3  h.  1/2,  à  la  salle  Pleyel. 

Ordre  du  jour: 

1°  Lecture  et  approbation  du  rapport  du  secrétaire; 
2°  Lecture  et  approbation  du  rapport  du  trésorier  ; 
3°  Vote  de  vingt  pensions  anciennes  et  de  trois  pensions  nouvelles  ; 
4°  Proposition  de  modifications  aux  articles  3  et  -\  des  statuts,  sur  l'initiative  du 
comité  et  après  avis  conforme  du  conseil  de  jurisconsultes  ; 
5°  Renouvellement  de  la  série  sortante  du  comité  ; 
6"  Élection  d'un  président  et  de  deux  vice-présidents  choisis  dans  le  comité. 

—  Le  comité  de  l'Association  des  artistes  musiciens  a  procédé,  dans  sa  der- 
nière séance,  au  renouvellement  de  son  bureau.  M.  Paul  Taflanel  a  été  nommé 
président,  en  remplacement  de  M.  Emile  Réty.  démissionnaire.  Ont  été  élus 
vice-présidents:  MM.  Arthur  Pougin,  Charles  Câllon,  Polonus.  Paul  Rougnon, 
Nadaud,  Auge  de  Lassus:  secrétaires:  MM.  Paul  Girod.  O'Kelly,  Brun, 
Wael-Munk.  Mimart,  Saïler. 

—  A  la  dernière  séance  de  la  Société  Internationale  de  musique,  M  Julien 
Tiersot  a  donné  communication  d'une  étude  sur  Gluck,  compositeur  d'opéras- 
comiques  français,  dont  le  Ménestrel  commencera  la  publication  dans  un  de  ses 
prochains  numéros.  Cette  lecture  a  été  accompagnée  d'une  audition  de 
fragments  de  l'Ile  de  Merlin.  CytMre  assiégée,  YArbre  enchanté,  la  Rencontre 
imprévue,  etc.,  à  laquelle  M""'  Marie  Mockel  a  prêté  son  excellent  concours. 

—  Séances  Ysaye-Pugno.  "Voici  onze  printemps  que  la  salle  Pleyel  voit 
accourir,  de  plus  en  plus  assidus,  les  fidèles  admirateurs  de  MM.  Ysaye  et  Raoul 
Pugno.  Samedi  dernier,  ce  fut  un  bel  enthousiasme  soulevé  par  les  vibrantes 
exécutions  des  sonates  de  Bach.  Mozart,  Franck.  Cne  nouvelle  œuvre  deM. Louis 
Vierne  obtint  aussi  le  plus  franc  succès  :  l'auteur  et  ses  interprètes  furent  asso- 
ciés dans  le  même  triomphe.  A  la  seconde  audition  qui  a  eu  lieu  le  jeudi 
21  mai  à  neuf  heures  du  soir,  les  deux  maîtres  ont  fait  connaître  une  sonate 
de  Guy  Ropartz,  encadrée  entre  celle  de  Brahms  {ré  mineur,  op.  108)  et  la 
grande  sonate  (ré  mineur),  de  Schumann. 

—  Extrait  du  feuilleton  de  M.  Arthur  Coquard  (Écho  de  Paris),  à  propos  des 
beaux  concerts  Risler: 

Il  ne  faut  pas  qu'un  enthousiasme  légitime  nous  rende  injuste  pour  les  grands 
Français.  J'ai  admiré,  il  y  a  quelques  jours,  le  noble  talent  de  M.  Edouard  Risler, 


qui  a  joué,  en  musicien  accompli  et  en  maitre  pianiste,  deux  œuvres  nouvelles  : 
une  sonatine  de  M.  Reynaldo  Hahn,  d'une  rare  élégance,  d'une  jolie  écriture  pianis- 
tiqne,  toute  parfumée  de  dix-huitième  siècle,  et  une  sonate  en  la  mineur  de  M.  Th. 
Dubois,  sur  laquelle  je  ne  saurais  passer  légèrement.  C'est,  à  coup  sur,  une  des 
pages  les  plus  fortes  et  les  plus  personnelles  qu'ait  écrites  l'auteur  de  Xavière.  Je 
signale  cette  belle  œuvre  à  ceux  qui  prétendent  que  M.  Th.  Dubois  n'est  pas  dans 
le  mouvement...  et  d'abord  le  premier  morceau,  avec  ses  deux  thèmes  si  caractéris- 
tiques, le  premier  fougueux,  le  second  poétique,  enveloppé  d'harmonies  charmantes  ; 
le  tout  trituré,  développé  avec  une  étonnante  habileté  ;  puis  ce  bel  Andante,  à  l'ins- 
piration toute  beethovénienne,  que  M.  Risler  a  dit  avec  un  admirable  sentiment;  enfin 
le  final,  si  bien  rythmé,  ardent,  passionné,  qui  fit  éclater  la  salle  en  applaudisse- 
ments enthousiastes.  Je  le  répète  avec  autant  de  franchise  que  de  joie  :  une  belle 
œuvre,  magnifiquement  interprétée. 

—  Nous  avons  dit  que  M.  Edouard  Risler  donnera  avec  le  concours  de 
l'orchestre  des  Concerls-Lamoureux,  à  la  salle  Gaveau,  les  2b.  30  mai  et  4  juin, 
en  soirée,  trois  grands  concerts  symphoniques.  Le  célèbre  pianiste,  quia  rem- 
porté à  Genève  un  si  grand  succès  comme  chef  d'orchestre,  a  inscrit  à  son 
programme  des  symphonies  de  Beethoven  et  de  Schubert,  et  plusieurs  œuvres 
de  Wagner,  Berlioz,  Liszt,  César  Franck  et  Brahms  (la  jolie  suite  des  valses 
intitulée  Germania  et  orchestrée  par  Reynaldo  Hahn),  etc.  Mme  Jeanne  Raunay. 
M.  Joh.  Messchaert,  que  tout  Paris  a  acclamé  dernièrement  au  Trocadéro.  le 
maitre  Louis  Diémer  et  M.  Rodolphe  Plamondon  prendront  part  à  ces  séances. 
Le  lundi  2b  courant,  M.  Messchaert  chantera  en  entier  l'Amour  du  Poète,  de 
Schumann,  et  c'est  M.  Edouard  Risler  qui  tiendra  la  partie  de  piano. 

—  Le  récital  qu'a  donné,  à  la  salle  Érard,  Mm0  Blanche  Marchesi  a  été  vrai- 
ment triomphal,  et  depuis  longtemps  il  ne  nous  avait  été  donné  d'entendre 
une  pareille  chanteuse  de  lieds,  également  supérieure,  on  pourrait  même  dire 
géniale,  dans  tous  les  genres  et  dans  toutes  les  couleurs.  Et  il  est  curieux  de 
voir  ce  qu'avec  de  l'étude  et  des  soins  intelligents  l'artiste  a  pu  faire  d'une 
voix  qui  n'avait  certes  rien  d'exceptionnel,  comme  elle  a  su  la  rendre  souple 
et  la  plier  à  toutes  les  exigences.  C'est  merveilleux.  Et  qu'elle  chantât  de 
l'allemand,  de  l'anglais,  du  russe  ou  du  français,  Mn,c  Blanche  Marchesi  fut 
acclamée  d'un  bout  à  l'autre  de  la  soirée.  Il  ne  nous  déplaît  pas  d'insister  ici 
sur  les  mélodies  françaises  dont  le  succès  fut  des  plus  vifs.  Debussy  et  Moret 
ne  furent  jamais  à  pareille  fête  et  ne  comptèrent  plus  de  bis.  Oh  !  ce  Rêve  de 
Moret  ! 

—  Mercredi  dernier,  M.  Léon  Delafosse  a  donné  en  matinée  au  Théàtre-Réjane 
un  très  intéressant  concert  avec  l'orchestre  Lamoureux  sous  la  direction  de 
M.  Paul  Vidal.  D'une  exquise  élégance  dans  les  ouvrages  d'intimité,  comme  le 
ravissant  concerto  de  Bach  pour  piano  et  deux  flûtes  et  le  Nocture,  op.  23, 
n°  4,  de  Schumann,  l'artiste  a  joué  avec  un  délicieux  coloris  la  pièce  char- 
mante et  très  difficile  de  Liszt,  au  Rord  d'une  source,  et  a  tenu  l'attention  de 
l'assistance  constamment  en  éveil  par  la  façon  magistrale  dont  il  a  interprété 
sa  Fantaisie  pour  piano  et  orchestre.  Il  a  rendu,  avec  un  style  poétique,  noble 
et  plein  d'élévation,  l'Allégro  de  concert,  de  Chopin,  pour  lequel  M.  Ed.  Mal- 
herbe a  écrit  une  orchestration  très  fournie  et  d'une  belle  sonorité.  Le  pro- 
g-amme  de  cette  séance  comprenait  encore  des  pièces  de  Liszt,  Tschaïkowsky, 
et  de  MM.  Saint-Saëns  et  Debussy.  M.  Delafosse  a  été  rappelé  plusieurs  fois  et 
acclamé  avec  persistance  à  la  fin  du  concert.  Asi.  B. 

—  Concert  de  la  Tarentelle.  —  Le  mercredi  13  mai  a  eu  lieu  le  38e  concert 
de  la  Société  instrumentale  d'amateurs  «  la  Tarentelle  ».  Comme  toujours, 
M.  Ed.  Tourey  a  conduit  en  excellent  musicien  et  en  chef  expérimenté,  et 
l'orchestre  a  soutenu  vaillamment  sa  vieille  réputation.  La  Tarentelle,  la  plus 
ancienne  des  Sociétés  instrumentales  d'amateurs,  se  renouvelle  et  se  rajeunit 
sans  cesse;  artistes  et  gens  du  monde  lui  donnent  leur  appui,  et  l'aident  à  ne 
pas  se  laisser  distancer  par  des  Sociétés  semblables  qui  sont  nées  après  elle, 
qui  se  sont  taillées  sur  son  modèle,  et  qui.  en  lui  faisant  concurrence,  par 
cel  a  même  lui  font  honneur.  —  Le  concert  du  13  mai,  le  deuxième  de  cette 
année,  avait  un  intéressant  programme  :  Symphonie  écossaise  de  Mendelssohn; 
Harmonie  du  soir,  de  G.  de  Saint-Quentin,  remarquablement  chantée  par 
Mme  Azéma  Billa;  Prélude  et  Scherzo.de  G.-R.  Simia;  Concerto  pour  violon- 
celle, de  Haydn,  exécuté  avec  talent  par  M.  A.  Cruque  ;  Toccata  de  Paul  Four- 
nier;  air  d' Alceste  (Divinités  du  Slj/x)  de  Gluck,  par  Mmc  Azéma  Billa;  enfin  la 
deuxième  suite  de  l'Artésienne,  de  Bizet. 

— L'excellent  professeur,  M. Paul Braud,  fera  entendre  le31  mai  prochain,  en 
matinée  dans  la  salle  du  théâtre  de  l'Odéon,  neuf  de  ses  meilleurs  élèves,  avec 
le  concours  de  l'orchestre  de  la  Société  des  Concerts  du  Conservatoire,  dirigé 
par  M.  Marty. 

—  Le  1er  juin,  à  la  salle  Femina,  M"11,  Helena  Theodorini  donnera  un  concert 
sous  le  haut  patronage  de  M",c  la  Comtesse  d'Eu  et  au  bénéfice  de  deux  jeunes 
artistes  fort  dignes  d'intérêt.  Le  nom  de  Mme  Theodorini  est  célèbre  en  Italie, 
en  Espagne,  en  Portugal,  en  Amérique.  Il  le  sera  demain  en  France.  Auprès  de  la 
grande  cantatrice  d'autres  artistes  de  valeur  se  feront  entendre.  Citons  en  premier 
lieu  le  nom  de  Mllc  Brozia,  si  appréciée  à  l'Opéra,  dont  le  brillant  talent  fait 
des  pas  de  géants  dans  la  marche  ascendante  à  la  gloire  ;  M.  "Vinche,  qui  pos- 
sède une  voix  de  basse  profonde  d'une  puissance  rare,  et  qui  a  remporté  de 
très  grands  succès  en  France  et  à  l'étranger;  M.  White,  violoniste  émérite', 
prix  du  Conservatoire,  et  autres  artistes  dont  nous  donnerons  bientôt  les  noms. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


(Incre  Loril^ixl. 


4027.  —  74e  AÎ\[\ÉE.  —  ^0  22.         PARAIT   TOUS    LES   SAMEDIS 


Samedi  30  Mai  4908. 


(Les  Bureaux,  2  b'a,  rue  Vivienne,  Paris,  u.  arr') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


MÉNESTREL 


lie  HuméFo  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Ite Numéro:  Oîr. 30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  où,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.— Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  Î0  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 

SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (21°  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  première  représentation   de  Snegourotchka,  à  l'Opéra-Comique,  Arthur  Poucin.  —  III.  La 
Musique  et  le  Théâtre  aux  Salons  du  Grand-Palais  (""  article),  Camille  Le  Senne.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

ÉTOILE  FILANTE 

de  Raoul  Pugno.  —  Suivra  immédiatement  :  Je  ne  sais  pas  où  va  la  feuille 
morte,  nouvelle  mélodie  d'EiixEST  Moret. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 

LES  YEUX  CLOS 

nouvelle  valse  lente  de  Y.-K.  Nazare-Aga.  —  Suivra  immédiatement  :  Adagio, 

de  Théodore  Dubois. 


SOIXANTE     ANS     DE     LA    VIE     DE     GLUCK 

{XT  X-^-XTT^) 


CHAPITRE   V    :    Gluck  à  Vienne. 


Emprisonnée,  de  gré  ou  de 
force,  dans  des  formes  dont  la 
continuité  lasse  à  la  longue,  la 
musique  de  Gluck  pour  Antigono 
devient  banale  et  se  contente  de 
gros  effets.  L'auteur  dispose  d'un 
orchestre  important,  avec  des 
trompettes,  dont  sont  privées  la 
plupart  de  ses  précédentes  par- 
titions :  mais  il  n'en  profite  guère, 
et  ne  fait  pas  effort,  comme  à 
Prague,  pour  s'élever  à  la  diver- 
sité du  style  symphonique.  Les 
instruments  en  sont  réduits  à  de 
banales  batteries  d'accompagne- 
ment ;  les  trompettes  et  les  cors 
sont  employés  par  paquets,  et  non 
dans  un  style  concertant.  Dans 
un  seul  air,  la  trompette  dialo- 
gue avec  la  voix  de  ténor  ;  mais 
cet  air,  d'assez  mauvais  style 
d'ailleurs,  est  repris  à  un  ouvrage 
antérieur  (Vlnnocenza  justifcata). 
Il  semble  que  ce  soit  pour  Anti- 
gono et  pour  le  public  de  Rome 
que  Gluck  ait  mis  à  profit  le 
conseil  de  Haendel,  donné  pour 
les  Anglais  :  «  Faire  une  musique 
qui  imite  le  roulement  du  tam- 
bour !  » 

Dans  cette  collection  d'airs 
d'un  éclat  extérieur  et  factice, 
deux  pages  seulement  se  distin- 
guent, tranchant  sur  l'ensemble. 


- 

PORTRAIT  DE  GLUCK 


L'une  est  un  remaniement  de 
l'air  d'Ezio,  prototype  de  l'air 
d'entrée  d'Orphée  aux  Champs- 
Elysées,  avec  sa  symphonie  d'un 
sentiment  si  intimement  poétique. 
Intermédiaire  entre  les  deux 
œuvres,  il  n'a  pour  nous  d'autre 
intérêt  ici  que  sa  présence. 

L'autre  est  un  air  de  Bérénice. 
Il  commence  par  un  magnifique 
récitatif  obligé  où  s'intercale  le 
chant  interrompu  de  la  Preghiera 
de  Vlnnocenza  justificata,  que  nous 
connaissons.  Mais  l'intérêt  le  plus 
curieux  que  l'air  présente  en  lui- 
même  est  qu'il  est  bâti  sur  un 
thème  de  Bach  :  la  gigue  à  mains 
croisées  du  premier  livre  des 
Parti  tas.  Comment  cette  intro- 
duction d'un  élément  étranger 
(nullement  nécessaire,  semble- 
t-il)  s'est-elle  produite  à  cette 
place  ?  C'est  une  singularité 
qu'on  n'a  pas  encore  expliquée 
d'une  façon  satisfaisante.  Obser- 
vons simplement  que  des  em- 
prunts de  cette  nature  n'étaient 
pas  rares  au  XVIIIe  siècle.  On  en 
a  reproché  bien  d'autres  à  Haen- 
del (1). 


(1)  Voir  notamment  l'ouvrage  récent  : 
TaïLOR,  The  Indebtedncss  of  Haendel;  Cam- 
briçe,  1906. 


170 


LE  MENESTREL 


qui,  pour  les  avoir  commis,  ne  s'en  croyait  pas  plus  coupable. 
Souvent  le  compositeur  n'avait  fait  que  céder  aux  exigences  du 
virtuose  en  admettant  dans  son  œuvre  une  phrase  de  chant 
étrangère,  si  l'interprète  voulait  reproduire  un  effet  déjà  connu. 
Gluck  lui-même  fut  un  jour  l'objet  d'une  accusation  de  plagiat 
qui,  par  une  ironie  singulière,  se  retourna  contre  ceux  qui 
l'avaient  formée  :  on  lui  avait  reproché  d'avoir  introduit  un 
motif  de  Sacchini  dans  Alceste  :  la  vérité  était  au  contraire 
qu'une  phrase  d' Alceste  s'était  retrouvée _  dans  un  opéra  de 
Sacchini.  Gluck  en  donna  l'explication  sans  amertume  :  «  Un 
compositeur  italien  est  souvent  forcé  de  s'accommoder  au  caprice 
et  à  la  voix  du  chanteur,  écrivit-il  au  Mercure  de  France  :  c'est  le 
sieur  Millico  qui  a  obligé  M.  Sacchini  à  insérer  les  susdites 
phrases  dans  son  air...  M.  Sacchini,  génie  comme  il  est,  et  plein 
de  belles  idées,  n'a  pas  besoin  de  piller  les  autres;  mais  il  a  été 
assez  complaisant  envers  le  chanteur  pour  emprunter  ces  pas- 
sages, où  le  chanteur  croyait  qu'il  brillerait  le  plus  »  (1).  Telles 
étaient  en  ce  temps  là  les  mœurs  musicales.  Notons  d'ailleurs 
que  ces  emprunts  n'allaient  jamais  jusqu'au  plagiat.  Un  pareil 
reproche  n'eût  été  fondé  que  si  les  compositeurs  se  fussent 
emparés  de  compositions  entièrement  formées  pour  se  les 
attribuer  ;  mais  il  n'en  était  point  ainsi  ;  ils  se  bornaient  à  em- 
prunter des  thèmes,  et  les  traitaient  à  leur  manière.  Dans  le  cas 
dont  il  s'agit,  le  morceau  de  clavecin  de  Bach  n'est  qu'une 
trame  sur  laquelle  la  voix  brode  des  dessins  nouveaux.  C'est 
le  même  procédé  qu'a  repris  Gounod  quand  des  arpèges  du 
premier  prélude  du  Clavecin  bien  tempéré  il  fit  sortir  un  chant 
soutenu  :  quoi  qu'il  doive  à  Bach,  dont  les  harmonies  ont  engen- 
dré son  chant,  on  ne  saurait  dire  pourtant  que  VAve  Maria  de 
Gounod  soit  une  composition  de  Bach. 

Si  nous  ignorons  les  raisons  pour  lesquelles  Gluck  a  rendu 
cet  hommage  indirect  au  plus  génial  de  ses  prédécesseurs, 
nous  pouvons  au  moins  présenter  quelques  observations  qui 
porteront  sur  la  question  une  lueur  assez  particulière.  La  gigue 
de  Bach  est,  avons-nous  dit,  tirée  du  premier  cahier  des  Parhtas 
(Clavier  Uebung),  seule  œuvre  instrumentale  que  le  vieux  maître 
ait  publiée  en  sa  vie.  Ce  cahier  fat  mis  en  vente  en  1826.  A  cette 
époque,  Gluck,  âgé  de  douze  ans,  était  élève  du  collège  de 
Kommotau.  Le  nord  de  la  Bohême  est  proche  de  Leipzig  :  il  y  a 
tout  lieu  de  penser  que  l'ouvrage  fut  introduit  dans  l'école 
dès  son  apparition.  Gluck  devrait  donc  à  la  musique  de  Bach 
une  impression  de  jeunesse,  presque  d'enfance  :  sans  doute 
c'est  là  persistance  de  celle-ci  qui  l'a  déterminé  à  introduire 
dans  son  œuvre  un  motif  resté  familier  à  sa  mémoire.  Quant 
à  l'air  auquel  ce  motif  a  servi  de  base,  il  en  fait  le  même  usage 
qu'avec  les  meilleurs  morceaux  de  ses  opéras  :  il  l'a  replacé, 
d'abord  dans  Telemacco,  puis  jusque  dans  son  dernier  chef- 
d'œuvre,  Iphigénie  en  Tauride.  A  constater  cette  fidélité  à  ses 
plus  anciens  souvenirs  musicaux,  j'en  viendrais  volontiers  à 
penser  que  Gluck  finit  par  croire  lui-même  que  l'invention  de 
Bach  était  de  lui  I 

Cet  Antigono,  écrit  pour  le  public,  non  pour  l'art,  valut  à  Gluck 
un  bénéfice  auquel  il  fut  sensible  :  le  pape  le  fit  Chevalier  de 
l'Eperon  d'or.  Plusieurs  maîtres  de  la  musique  (parfois  de  petits 
maîtres)  ont  obtenu  cette  distinction.  Roland  de  Lassus  en  fut 
un  des  premiers  honoré ,  et  Mozart ,  encore  presque  enfant, 
reçut  la  même  faveur.  Ce  dernier  n'attribua  jamais  à  cette  déco- 
ration une  importance  supérieure  à  ce  quelle  valait,  et  ne  prit 
point  le  titre  de  chevalier,  auquel  elle  lui  donnait  droit.  Il  ne 
portait  la  croix  qu'aux  jours  de  cérémonie.  Parfois  même  il  eut 
à  soutenir  des  discussions  piquantes  avec  de  bonnes  gens  qui, 
dans  leur  vanité  provinciale,  s'étonnaient  qu'il  jouît  de  préro- 
gatives auxquelles  ils  ne  pouvaient  prétendre  :  tel  ce  jeune 
monsieur  d'Augsbourg  qui,  parce  qu'il  était  fils  de  M.  le  Bourg- 
mestre, voulait,  «  pour  aller  de  pair  avec  M." Mozart»,  faire 
venir  la  croix  pour  lui,  demandait  à  combien  il  en  reviendrait 
pour  l'avoir,  et  si  cela  ne  coûterait  pas  moins  cher  en  ne  prenant 
pas  l'éperon,  —  à  quoi  Mozart  répondit  vertement  qu'il  n'avait 

(1)  Voy.  Vjesnoirestehres,  Gluck  et  Piccinni,  p.  140. 


pas  besoin  de  cela  en  effet,  attendu  que,  l'éperon,  il  l'avait 
dans  la  tête.  Parole  irrespectueuse,  et  que  Gluck'  ne  se  fût 
pas  permis  de  prononcer,  car  il  savait  combien  les  vains  orne- 
ments ont  d'importance  aux  yeux  des  sots,  c'est-à-dire  de  beau- 
coup de  gens.  Nous  pouvons  penser  même  que  son  sentiment 
intime  de  prolétaire  parvenu  à  la  fortune  en  fut  flatté,  et  qu'il 
ressentit  quelque  orgueil  de  l'apparence  de  noblesse  que  lui 
conférait  son  nouveau  titre,  lui  fils  d'un  garde-chasse.  C'est 
pourquoi  nous  le  verrons  désormais  se  faire  appeler  cérémo- 
nieusement :  le  Chevalier  Gluck. 

De  retour  à  Vienne,  il  resta  plusieurs  années  (jusqu'à  1762) 
presque  sans  produire  d'opéras,  du  moins  d'opéras  italiens 
sérieux  :  quatre  actes  seulement  forment  tout  son  bagage  pen- 
dant, ces  six  ans,  les  trois  d'/(  Re  pastore  (8  décembre  1756) 
et  la  sérénade  intitulée  Tetide  (8  octobre  1760),  ces  deux  ouvra- 
ges représentés,  comme  de  coutume,  à  l'occasion  d'anniver- 
saires ou  de  noces  de  princes.  Sans  doute  ses  absorbantes  fonc- 
tions de  kapellmeister  contribuaient  pour  une  grande  part  à  le 
distraire  de  la  composition  sérieuse. 

Aussi  bien,  la  continuation  de  l'effort  de  ses  premières  années 
n'était  plus  alors  indispensable.  Agé  d'un  peu  plus  de  quarante 
ans,  Gluck  est  maintenant  un  homme  arrivé.  Il  a  obtenu  tout  ce 
à  quoi  peut  prétendre  l'ambition  d'un  musicien  quelconque.  Il 
est  riche,  jouit  de  son  traitement,  touche  le  prix  de  ses  opéras, 
les  revenus  de  la  fortune  de  sa  femme.  Il  place  de  l'argent, 
il  achète  des  propriétés.  Il  est  décoré.  Il  s'embourgeoise.  Il 
s'enlise.  Et  nous  allons  voir  bientôt  à  quoi  il  va,  sinon  tomber, 
du  moins  condescendre. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Opéra-Comique.  —  Snegourotchka  (la  Fille  de  neige),  conte  de  printemps  en 
quatre  actes  et  un  prologue,  tiré  d'Ostrowsky,  traduction  de  Mmc  Halpérine, 
adaptation  française  de  M.  P.  Lalo,  musique  de  M.  Rimsky-Korsakow 
(22  mai  1908). 

La  Russie  musicale  est  en  train  de  faire  sa  campagne  de  France,  qui 
semble  devoir  être  brillante.  Après  Boris  Godounow,  représenté  en  russe 
à  l'Opéra,  voici  venir  Snegourotchka,  chantée  en  français  à  l'Opéra- 
Comique,  et  la  seconde  n'est  pas  moins  bien  accueillie  que  le  premier. 
A  vrai  dire,  je  ne  crois  pas  à  une  invasion  complète  du  répertoire  russe 
en  France,  mais  je  pense  que  ce  répertoire  peut  nous  offrir  quelques 
ouvrages  que  nous  aurions  intérêt  à  connaître  et  plaisir  à  applaudir. 
Certains  de  ces  ouvrages,  commo  Rousslan  et  Ludmilla,  de  Glinka,  le 
Démon  et  Néron,  de  Rubinstein,  Eugène  Onéguine  et  la  Dame  de  Pique, 
de  Tschalkowsky,  auraient  chance  assurément  d'être  bien  reçus  chez 
nous,  présentés  dans  de  bonnes  conditions  d'interprétation  et  de  mise 
en  scène,  comme  les  deux  que  nous  venons  d'entendre.  Maintenant  que 
la  furie  wagnérienne  commence  à  se  calmer,  que  l'on  s'aperçoit  que 
l'abus  cruel  du  leitmotiv  et  l'annihilation  complète  du  chant  par  l'or- 
chestre ne  constituent  pas  le  but  suprême  de  l'art  lyrique,  il  serait  bon 
sans  doute  d'essayer  d'autre  chose  et  de  se  retremper,  en  se  reposaut, 
dans  un  art  plus  calme  en  son  essence  et  moins  féroce  dans  ses  pro- 
cédés. Le  contraste  a  parfois  du  bon,  et  la  nouveauté  n'est  point  du 
tout  méprisable.  Je  suis  loin  de  demander  une  inondation  de  la  musique 
russe  comme  nous  avons  eu  une  avalanche  de  la  musique  wagnérienne; 
mais  il  me  semble  tout  de  même  qu'on  pourrait  tourner  un  peu  les 
oreilles  de  ce  côté,  ne  fût-ce  que  pour  les  calmer  apivs  l'excitant  qu'on 
leur  a  prodigué  outre  mesure,  et.  sans  jeu  de  mots,  tacher  de  changer 
un  peu  d'air.  Cela  n'aurait-il  d'autre  effet  que  de  détourner  un  peu  les 
regards  de  nos  jeunes  musiciens,  hypnotisés  depuis  vingt  ans  par  la 
contemplation  hallucinante  des  murs  de  Bayreuth,que  le  résultat  m'en 
paraîtrait  tout  autre  que  méprisable. 

Snegourotchka  (la  Fille  de  neige),  dont  nous  avons  à  nous  occuper  en 
ce  moment,  est  le  troisième  en  date  des  treize  opéras  que  M.  Rimsky- 
Korsakow  a  fait  représenter  jusqu'ici.  Mais  avant  d'en  parler  plus  lon- 
guement, il  n'est  pas  inutile  de  faire  connaître  le  compositeur  (I). 

(1)  Voici  la  liste  complète  des  ouvrages  dramatiques  de  M.  Rimsky-Korsakow  :  La 
Pskovitaine,  4  actes,  poème  d'après  Meï,  Saint-Pétersbourg,  th.  Marie,  1S73  ;  " —  La 


LE  MENESTREL 


471 


Nicolas- And réiewitch  Rimsky-Korsakow,  justement  considéré 
aujourd'hui  comme  le  chef  de  l'école  musicale  russe,  est  âgé  de 
soixante-quatre  ans,  étant  né  à  Tiekhwine,  le  18  mars  1844.  Artiste 
laborieux  et  fécond,  plus  fécond  peut-être  que  largement  inspiré,  mais 
doué  d'heureuses  facultés  et  pourvu  d'une  instruction  solide,  il  s'est 
produit  dans  tous  les  genres  :  musique  dramatique,  symphonie,  mu- 
sique instrumentale,  chant  seul  ou  en  chœur.  Il  n'avait  cependant, 
comme  plusieurs  de  ses  confrères,  étudié  d'abord  la  musique  qu'en 
amateur,  et  c'est  après  avoir  l'ait  ses  preuves  comme  officier  de  marine 
que.  tout  jeune  encore,  il  renonça  ;i  cette  carrière  pour  se  livrer  sans 
réserve  à  ses  goûts  artistiques.  On  peut  croire  que,  même  dans  ces 
conditions,  il  avait  travaillé  de  la  façon  la  plus  sérieuse,  puisqu'il  était 
âgé  de  vingt-sept  ans  seulement  lorsque,  en  1871,  il  fut  chargé  d'une 
classe  de  composition  et  d'instrumentation  au  Conservatoire  de  Saint- 
Pétersbourg,  dont  il  devait  être  plus  tard  le  directeur.  Plus  jeune  que 
tous  les  membres  du  fameux  cénacle  des  Cinq,  il  y  entra  le  dernier  et 
subit  dès  l'abord  l'influence  de  MM.  Balakirew  et  César  Cui,  ce  qu'il 
est  facile  de  reconnaître  dans  ses  premières  œuvres  dramatiques.  Mais 
son  robuste  tempérament  musical  le  mit  à  l'abri  de  certaines  exagéra- 
tions, tandis  que  son  intime  connaissance  de  la  musique  populaire  et 
l'emploi  qu'il  en  faisait  d'une  façon  très  heureuse  daus  ses  composi- 
tions de  divers  genres  lui  donnaient  une  incontestable  originalité.  Et 
puis...  et  puis  il  arriva  un  moment  où  M.  Rimsky-Korsakow,  se  sen- 
tant maître  de  lui-même  et  se  laissant  tout  naturellement  entrainer  par 
sa  belle  nature  artistique,  finit  par  marcher  droit  devant  lui,  sans  plus 
s'inquiéter  des  principes  de  ses  bons  amis  du  cénacle,  ces  principes  que 
Borodine  lui-môme  .n'avait,  comme  lui,  acceptés  que  jusqu'à  un  cer- 
tain point. 

La  Pskovilaine,  qui  fut  le  début  au  théâtre  du  compositeur,  n'obtint 
guère  qu'un  succès  d'estime.  Eut-il  alors  un  moment  d'hésitation? Tou- 
jours est-il  qu'il  laissa  s'écouler  sept  années  avant  de  reparaitre  à  la 
scène.  Mais  avec  la  Nuit  de  Mai,  où  une  grâce  mélancolique  s'allie  àun 
humour  plein  de  fantaisie,  il  conquit  les  sympathies  du  public,  qui 
s'affirmèrent  avec  Snegourotchka.  Je  ne  saurais  passer  ici  en  revue  tout 
le  répertoire  scénique  de  M.  Rimsky-Korsakow  ;  je  me  bornerai  à  citer, 
parmi  ses  ouvrages  les  plus  heureux.  Mlada,  dont  la  partition,  très  inté- 
ressante, est  pleine  de  poésie  et  de  couleur,  avec  un  jet  mélodique  plein 
d'élégance  ;  la  Nuit  de  Noël,  dont  le  caractère  fantastique  est  très  bien 
saisi,  et  dont  la  musique,  bien  qu'un  peu  lourde  parfois,  se  fait  remar- 
quer par  de  rares  qualités,  surtout  en  ce  qui  concerne  l'orchestre  ;  enfin 
Sadko  de  Nowgorod  et  surtout  la  Fiancée  du  Tsar,  œuvre  de  caractère  très 
pathétique,  qui  ont  obtenu  l'un  et  l'autre  un  succès  retentissant. 

Mais  le   théâtre,   on  le  sait,   n'a  pas   absorbé  toute    l'activité  de 
M.  Rimsky-Korsakow,  et  peut-être  est-ce  en  dehors  de  lui,  et  particu- 
lièrement comme  symphoniste,    qu'il  a  remporté   ses   plus  éclatants 
triomphes.  Nous  savons  ici  en  effet,  et  depuis  longtemps,  quel  étonnant 
manieur  d'orchestre  est  le  compositeur,  et  quelle  verve,  quelle  puis- 
sance, quelle  couleur,  quel  éclat  il  sait  donner  à  ses  œuvres  instrumen- 
tales; ses  symphonies  et  ses  poèmes  symphoniques  :    Antar,   Sadko, 
Shéhérazade,  le  Capriccio espagnol,  tout  cela  est  vivant,  brillant,  sédui- 
sant, élincelaiit,  et  d'une  lumière  orchestrale  éblouissante.  Il  me  faut 
signaler  aussi  le  superbe  concerto  de  piano  en  ut  dièse  mineur,  dédié  à 
la  mémoire  de  Liszt,  composition  de  premier  ordre,  d'un  caractère  très 
mâle  et  très  hardi,  puis  mentionner  des  ouvertures,  des  chœurs  a  capella 
pour  voix  d'hommes  on  de  femmes,  d'autres  chœurs,  pour  voix  mixtes, 
avec  orchestre  ou  piano,  puis  des  fantaisies  pour  instruments  solos  avec 
orchestre,  etc. 
Dans  la  plupart  de  ses  œuvres,  quel  qu'en  soit  le  genre,  M.  Rimsky- 
.     Korsakow  a  mis  largement  à  contribution  la  mine  si  riche  des  chants 
'     populaires  et  des  mélodies  nationales,  qu'il  connaissait  mieux  que 
personne  pour  en  avoir  recueilli  lui-môme  un  grand  nombre,  et  dont 
:     l'abondante  variété  est  presque  inépuisable  (1).  Et  lorsqu'il  ne  les  em- 

Nuit  de  mai,  3  actss,  poème  d'après  Nicolas  Gogol,  Saint-Pétersbourg,  th.  Marie, 
\      janvier  1880;   —    Snegourotchka,  4   actes,   paroles   d'Ostrowsky,  Saint-Pétersbourg, 
janvier  1882; — Mlada,  opéra-ballet  féerique  en  4  actes,  paroles  d'Etienne  Guédéo- 
now,  Saint-Pétersbourg,  novembre  1892  ;  —  La  Nuit  de  Noël,  4  actes  et  9  tableaux 
I      (paroles  et  musique),  d'après  un  conte   de   Gogol,    Saint-Pétersbourg,    th.   Marie, 
I      10  décembre  1895;  —  Sadko  de  Nowgorod,  opéra-légende  en  7  tableaux,  Moscou,  th. 
Impérial,  6  janvier  1898;  —  Le  Conte  du  roi  Sallan,  poème  d'après  Pouschkine,  Mos- 
cou, 10  novembre  1900;  —  La  Fiancée  du  Tsar,  3  actes  et  4  tableaux,  paroles  de  Meï, 
Saint-Pétersbourg,  th.  Marie,  novembre  1901  ;   —  Mozart  et  Salieri,  un  acte,  paroles 
de  Pouschkine,  Saint-Pétersbourg,  th.  de  l'Ermitage,  1902  ;—  Servilia,  5  actes,  Saint- 
Pétersbourg,  th.  du  Conservatoire,  décembre  1902  ;  —  L'Immortel  Kalsclischey,  légende 
d'automne  (paroles   et   musique),   Moscou,    Grand-Théâtre,  1905;  —  Pan    Yoevoda, 
paroles  de  J.  Tiumenew,  Moscou,  Grand-Théâtre,  1905  ;  —  La  Légende  de  la  ville  invi- 
\      sible  de  Kilej  et  de  la  vierge  Fevronia,   paroles  de  W.-J.  Bielsky,  Saint-Pétersbourg, 
th.  Marie,  février  1901. 
(1)  M.  Rimsky-Korsakow  a  publié  un  excellent  recueil  de  100  chansons  populaires 


ploie  pas  directement,  il  s'inspire  si  bien  de  leur  accent,  s'imprègne  si 
profondément  de  leur  couleur,  que  sa  musique  eu  prend  une  saveur 
sut  generis,  un  caractère  vraiment  original  et  tout  à  fait  particulier.  Sous 
ce  rapport  il  a  suivi  les  traditions  de  Glinka  et  est  entré vigoureusemeat 
dans  le  sillon  creusé  par  lui. 

On  en  trouve  des  preuves  dans  cette  aimable  Snegowolchlca,  dont 
M.  Rimsky-Korsakow  a  repris  le  sujet  après  le  regretté  Tschaîkowsky, 
qui,  sur  ce  même  poème  d'Ostrowsky,  avait  donné  une  Snegourotchka 
dix  ou  douze  ans  avant  lui.  Ce  sujet,  il  faut  bien  le  dire,  est  un  peu 
mince  et  sans  grand  intérêt.  C'est  une  légende,  un  simple  conte  -l-  Eées, 
de  caractère  assez  enfantin  malgré  sa  couleur  poétique,  et  d'une 
substance  scénique  quelque  peu  indigente.  On  peut  croire  que  le  musi- 
cien s'est  inspiré,  plutôt  que  du  sujet  lui-môme,  du  milieu  fantastique 
dans  lequel  évoluent  fés  personnages.  L'action  se  déroule  dans  une 
contrée  imaginaire,  aussi  inconnueque  le  pays  du  Tendre  de  Mllc  de  Scu- 
déry.  Elle  nous  transporte  dans  une  Russie  préhistorique,  au  milieu  des 
États  minuscules  d'un  brave  bonhommo  de  prince  qui  s'appelle  le 
tsar  Berendey,  lequel  siège  dans  une  capitale  qui  n'est  qu'un  gros  village 
et  porte  le  nom  de  Berendeyef. 

Au  prologue,  nous  nous  trouvons  à  l'orée  d'une  forêt  qui  prend 
naissance  sur  le  bord  d'un  fleuve.  Le  fleuve  est  glacé,  les  arbres  sont 
couverts  de  neige,  il  fait  nuit  encore.  C'est  la  fin  de  la  rude  saison,  et 
la  nature  ne  va  pas  tarder  à  se  transformer.  Arrive  la  fée  Printemps, 
bientôt  entourée  d'une  multitude  d'oiseaux  qui  accourent  de  toutes  parts 
(mais  ceux-ci  ne  parlent  pas,  comme  dans  le  futur  Chanteclair,  et  se 
contentent  de  danser).  La  fée,  qui  est  familière  avec  eux,  leur  raconte 
qu'elle  a  eu  la  faiblesse  d'accueillir,  un  beau  jour,  les  hommages  galants 
du  bonhomme  Hiver,  et  qu'ilen  est  résulté  la  naissance  d'une  belle  enfant. 
Snegourotchka,  la  Fille  de  neige,  âgée  aujourd'hui  de  seize  ans.  L'en- 
fant est  charmante,  mais  elle  a  un  ennemi,  le  dieu  Soleil,  qui  ajuré  sa 
perte  (on  ne  sait  pourquoi)  :  le  jour  où  elle  connaîtra  l'amour,  elle  est 
destinée  par  lui  à  mourir. 

Par  la  suite,  nous  voyons  Snegourotchka,  dont  la  grâce  et  la  beauté 
éveillent  les  désirs,  courtisée  par  deux  des  gars  du  village  :  le  gentil 
berger  Lel,  qui  dit  de  si  jolies  chansons,  et  le  beau  Mizguir,  qui  a  indi- 
gnement abandonné  sa  fiancée  Koupawa  pour  s'attacher  à  ses  charmes. 
Mais,  en  véritable  fille  de  l'Hiver,  elle  reste  de  glace  à  l'égard  des  amou- 
reux, qui  se  morfondent  auprès  d'elle.  Pourtant,  le  brave  homme  de 
tsar  est  désolé  et  humilié  pour  ses  sujets  de  la  froideur  de  Snegou- 
rotchka. Après  avoir,  sur  la  plainte  de  Koupawa,  condamné  Mizguir  à 
l'exil  pour  sa  lâche  conduite,  il  lui  pardonnera  cependant  s'il  vient  à 
bout  de  la  froideur  de  Snegourotchka  et  réussit  à  se  faire  aimer  d'elle. 
Mizguir  renouvelle  alors  ses  assiduités,  mais  en  vain.  C'est  plutôt  à 
Lel  que  vont  les  sympathies  de  la  jeune  fille,  mais  Lel,  blessé  de  ses 
dédains,  cherche,  une  revanche,  qu'il  obtient,  du  côté  de  Koupawa. 
Alors,  en  voyaut  leur  tendresse,  Snegourotchka  est  prise  de  désirs  et 
supplie  sa  mère,  la  fée  Printemps,  de  lui  faire  connaître  l'amour,  dût- 
elle  en  mourir.  En  effet,  son  cœur  commence  à  battre,  et  ce  Mizguir 
qu'elle  avait  désespéré,  comme  elle  avait  découragé  Lel,  lui  devient 
cher  par-dessus  tout.  Elle  répond  à  sa  passion,  lui  jure  sa  foi  et  tombe 
amoureusement  dans  ses  bras. 

Devant  ce  résultat,  le  tsar  est  enchanté.  En  présence  de  son  peuple 
assemblé,  il  va  faire  procéder  à  l'union  des  deux  amants.  Mais  hélas  ! 
l'hiver  a  fait  place  à  la  saison  riante,  le  Soleil,  qui  a  juré  la  perte  de 
Snegourotchka,  brille  au  ciel  de  tous  ses  feux,  et  lorsque  la  tendre 
enfant  assure  de  nouveau  Mizguir  de  son  amour  et  veut  lui  donner  son 
baiser  de  jeune  épousée,  tout  est  fini  pour  elle.  La  gentilleFille  de  neige 
fond  sous  les  rayons  de  l'astre  brûlant,  et  s'évapore  en  jetant  un  der- 
nier regard  à  celui  qui  lui  a  fait  connaître  l'amour.  Sur  quoi  Mizguir, 
désespéré,  se  jette  dans  le  lac,  tandis  que  le  peuple  Berendey  chante 
un  hymne  au  soleil. 

La  partition  de  Snegourotchka  est  conçue  têt  je  ne  vois  aucune  raison 
de  l'en  blâmer)  dans  le  système  qu'on  est  convenu  d'appeler  a  l'ancien 
opéra  ».  C'est-à-dire  qu'elle  est  divisée  en  morceaux  reliés  entre  eux  par 
des  récitatifs  :  chansons,  duos,  chœurs,  airs  de  ballet,  etc.  On  y  ren- 
contre même  —  ô  horreur  !  —  une  cavatine.  De  plus  (ce  compositeur 
est  fou-,  vraiment  !),  les  voix  y  sont  traitées  comme  elles  doivent  l'être, 
et  ne  sont  pas  étouffées  par  le  fracas  de  l'orchestre.  Et  ce  gredin  de 
public  est  a  ce  point  réactionnaire  qu'il  trouve  cela  charmant  et  qu'il 
applaudit  à  tout  rompre  —  et  moi  aussi.  De  fait,  si  cette  partition  est 
peut-être  un  peu  inégale,  si  surtout  elle  a  le  défaut,  commun  à  toute 
la  musique  russe,  d'être  trop  longue,  elle  renferme  nombre  de  pages 

russes,  recueillies  et  harmonisées  par  lui.  Il  a  introduit  les  thèmes  de  quelques- 
unes  de  ces  chansons  dans  sa  partition  de  Snegourotchka,  notamment  celles  qui  por- 
tent les  numéros  16,  4t,  46,  78  et  100.  Elle  en  contient  d'autres  qui  proviennent 
d'autres  sources. 


172 


LE  MÉNESTREL 


bien  venues  et  d'une  jolie  veiue  mélodique.  Au  prologue,  la  scène  des 
oiseaux  et  le  cortège  du  carnaval  ;  au  premier  acte,  les  deux  délicieuses 
chansons  de  Lel,  si  originales,  l'ariette  plaintive  de  Snegourotchka  et 
le  finale  très  vivant  ;  au  second,  la  cavatine  du  tsar,  un  peu  trop  ita- 
lienne de  forme,  mais  joliment  accompagnée  par  le  violoncelle  solo  ; 
au  troisième,  la  merveilleuse  danse  des  histrions,  avec  son  mouvement 
endiablé  et  son  orchestre  étonnant,  et  la  nouvelle  chanson  de  Lel, 
encore  bien  jolie  ;  enfin,  au  quatrième,  le  chœur  des  Fleurs  et  l'hymne 
final.  Ce  qui  manque  là-dedans,  il  faut  bien  le  dire,  c'est  la  note  pas- 
sionnée, c'est  le  sentiment  pathétique,  qui  auraient  pu  se  donner  car- 
rière en  certains  épisodes,  particulièrement  dans  les  duos  d'amour  de 
Snegourotchka  et  de  Mizguir.  Cela  prouve  que  nous  n'avons  pas  affaire 
à  un  chef-d'œuvre,  mais  à  une  œuvre  colorée,  vivante,  variée,  bien  en 
scène  et  digne  d'intérêt,  ce  qui  est  déjà  quelque  chose. 

L'interprétation  de  Snegourotchka.  excellente  du  côté  des  hommes, 
avec  MM.  Beyle  (le  Tsar),  Vigneau  (Mizguir)  et  Vieuille  (l'Hiver),  est 
exquise  du  côté  des  femmes,  qui  sont  plus  charmantes  les  unes  que  les 
autres.  M""-  Marguerite  Carré  est  une  Fille  de  neige  délicieuse,  comme 
femme  et  comme  artiste,  et  elle  a  fait  de  ce  joli  personnage  de  Snegou- 
rotchka un  type  enchanteur  ;  Mlle  Brohly  chante  d'une  façon  adorable 
les  poétiques  chansons  du  petit  berger  Lel,  dont  elle  porte  gentiment  le 
travesti;  M,lc  Marié  de  l'Isle  est  absolument  séduisante  en  fée  Prin- 
temps, et  M11''  Lamare  fait  preuve  de  son  talent  délicat  dans  le  rôle,  de 
Koupawa.  Quant  à  l'ensemble,  il  est  parfait  en  ce  qui  concerne  l'or- 
chestre et  les  chœurs,  sans  oublier  la  danse,  qui  a  sa  part,  et  une  bonne 
part,  dans  le  succès  général.  Car  il  faut  bien  mentionner  aussi,  et  sur- 
tout, le  curieux  ballet  des  histrions,  au  troisième  acte,  qui  est  un  chef- 
d'œuvre  en  son  genre,  chef-d'œuvre  pour  lequel  il  faut  féliciter 
Mme  Mariquita,  Mllc  Regina  Badet,  nos  gentilles  danseuses  et  aussi  les 
danseurs  russes  qui  s'étaient  joints  à  elles  et  qui  sont  vraiment  endia- 
blés. Il  y  a  là  un  grand  diable  de  comique  qui  semble  disloqué,  qui 
fait  le  grand  écart  en  l'air,  et  qui  est  absolument  impayable.  Ce  ballet 
a  été  un  des  gros  succès  de  la  soirée. 

Il  n'est  pas  besoin  de  dire  si,  ayant  une  féerie  à  présenter  au  public. 
M.  Albert  Carré  s'en  est  donné  à  cœur-joie  au  point  de  vue  delà  mise  en 
scène,  et  s'il  a  opéré  des  prodiges.  Les  décors  (peintures  de  M.  Jus- 
seaume),  les  costumes  (dessins  de  M.  Félix  Fournery).  les  effets  de 
lumière,  les  groupements  des  personnages,  tout,  tout  est  merveilleux, 
et  le  spectacle  des  yeux  n'a  rien  à  envier  au  spectacle  des  oreilles. 

Arthur  Pougin. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THÉÂTRE 

aux     Salons     <5L\jl    C3-ra,aa.ci-I=»a,l  s 


(Septième  article) 

Il  n'y  a  pas  de  bon  Salon,  de  Salon  vraiment  traditionnaliste  et  digne 
de  l'estampille  officielle  sans  Orphée,  sans  sirènes  et  sans  cigales.  Si 
l'article  venait  à  manquer,  messieurs  les  membres  du  comité  se  char- 
geraient de  le  fournir,  et  en  effet,  vous  trouverez  dans  l'angle  d'une 
salle,  à  fleur  de  cimaise,  une  délicate  et  discrète  petite  toile,  tout  à  fait 
exquise,  de  M.  Jules  Lefebvre  que  l'auteur  intitule  /'Abandonnée  mais 
dont,  à  la  rigueur,  on  eût  fait  une  cigale.  Cette  transformation  n'a  pas 
été  nécessaire,  M.  Albert  Matignon  ayant  envoyé  un  Rêve  de  cigale 
dûment  étiqueté.  Le  principe  était  sauf. 

Plus  nombreuses  sont  les  sirènes  ;  on  en  trouverait  même  assez,  dans 
la  suite  des  galeries,  pour  monter  un  ballabile  aux  Folies-Bergère. 
C'est  d'abord  tout  La  Lyre .—  et  toute  la  lyre,—  sirènes  à  musfque, 
Sirène  charmeuse  et  sirènes  domptant  les  dauphins,  le  déballage  coutu- 
mier,  à  la  Rubens,  de  gorges  copieuses,  d'épaules  dodues  et  d'autres 
richesses  anatomiques  étalées  avec  ostentation.  Les  néréides  de 
M.Adolphe  La  Lyre  ne  sont  pas  discrètes  eteependant  il  y  aurait  injus- 
tice à  les  taxer  d'immodestie  ;  elles  gardent  en  effet  une  certaine  imper- 
sonnalité académique;  elles  ont  de  la  ligne  et  du  style.  Autres  sirènes 
de  M.  Raymond  Glaize  groupées  sur  un  récif  et  attendant  leur  proie. 
Elles  sont  bien  mises  en  scène.  Isolée  et  dodue,  la  Nymphe  des  eaux 
de  M.  Pinchart,  pose  pour  le  photographe...  J'en  oublie;  nous  les' 
retrouverons  l'année  prochaine.  Quant  aux  Orphées,  ils  peuvent  se 
ramener  à  deux  types  principaux  dont  chacun  accomplit  une  des  fonc- 
tions essentielles  du  veuf  d'Eurydice  :  Dompter  les  bètes  féroces  (envoi 
du  peintre  autrichien  Thade  Styka)  et  Mourir  en  beauté  (tableau  de  la 
peintresse  britannique  Mlk'Dinah  Little). 

M.  Antonin  Mercié,  qui  continue  à  faire  fraterniser  les  beaux-arts  et 


que  nous  retrouverons  à  la  statuaire  avec  le  délicieux  groupe  de  la 
Bourrée,  expose  au  premier  étage  un  nu  charmant  de  Diane  endormie. 
La  divine  chasseresse  s'évoque  dans  une  ambiance  poétique;  l'enve- 
loppe lumineuse,  tiède  et  caressante,  toute  dans  la  demi-teinte,  estompe 
les  contours  où  l'on  reconnaît  le  coup  de  pouce  et  le  modelé  du  sculp- 
teur. M.  Comerre  donne  un  commentaire  poétique  à  son  Triomphe  de 
Jupiter,  une  Léda  lutinée  par  le  cygne,  morceau  académique  élégant  et 
souple,  d'un  ton  d'ambre  fondue  qui  s'harmonise  aux  verdures  tendres 
du  sous-bois  où  la  future  maman  de  la  Belle  Hélène 

Offre  au  bel  oiseau  blanc  son  corps  comme  un  lac  rose. 
M.  Diogène-Ulysse-Napoléon  Maillart,  doyen  de  la  peinture  allégo- 
rique, reste  fidèle  au  symbolisme  d'antan;  son  Étoile  du  berger,  compo- 
sition dont  le  sentiment  et  la  couleur  nous  paraissent  aujourd'hui 
également  surannées,  mais  qui  garde  de  belles  qualités  de  dessin,  est 
représentée  par  une  femme  blanche,  debout  devant  un  pâtre  brun.  Sur 
les  ailes  de  rêve,  autre  allégorie,  signée  par  Mme  Consuelo-Fould  dont  la 
facture  est  grasse,  mais  la  palette  surchargée  de  tons  voyants,  nous 
montre  une  femme  nue  chevauchant  une  chimère  verte.  Mme  Philip- 
part-Quiuet  symbolise  agréablement  et  spirituellement  l'automne  par 
un  torse  de  femme  aux  seins  lourds  dans  un  encadrement  de  grappes 
gonflées  et  de  fruits  mûrs.  M.  Zier,  en  empruntant  à  l'Histoire  de  Psyché 
d'Apulée  l'épisode  tragico-comique  de  la  rivale,  se  complaît  aussi  à 
choisir  des  modèles  aux  appas  surengorgés.  Le  nu  de  la  Salomé,  de 
M.  Marcel  Beronneau, .  offre  au  contraire  la  chasteté  et  la  maigreur 
hiératique  des  Gustave  Moreau. 

Plusieurs 'scènes  composées  :  la  Bucolique  de  M.  Loys  Prat  qui  ras- 
semble autour  d'une  fontaine,  dans  l'hémicycle  de  marbre  d'un  décor 
antique,  un  joueur  de  flûte,  des  danseuses  et  d'autres  figures  d'une 
grâce  hellène;  la  Tentation  de  Saint  Antoine,  de  M.  Thivet,  où  les  tenta- 
trices passent  en  tourbillon  dans  un  coup  de  lumière  de  feu  de  forge, 
le  Nirvana,  du  peintre  hongrois  Czok,  où  l'on  voit  au  contraire  des 
pécheresses  très  déprimées  dans  l'attente  de  ce  repos  éternel  dont  le 
poème  dramatique  de  M.  Paul  Verola  nous  vantait  les  charmes  l'autre 
soir,  en  Odéonie.  L'anecdotisme  historique  fusionne,  lui  aussi,  avec  le 
déshabillé  dans  la  Femme  du  roi  Candaule,  de  M.  Adolphe  Weisz  (la 
belle  Nyssia,  contemplée  par  Gygès  et  Candaule,  ressemble  d'ailleurs 
trait  pour  trait,  nu  pour  nu,  à  une  Suzanne  entre  les  deux  vieillards  ou 
à  une  Bethsabée),  et  dans  un  épisode  du  très  surfait  Quo  vadis?  de 
Sienkiewicz,  Lygie  délivrée  par  Ursus,  où  M.  Joseph  Aubert.  dont  on 
connaît  la  maitrise,  fait  ressortir  la  blanche  nudité  de  la  martyre  sur  le 
sombre  pelage  de  l'aurochs. 

La  Fontaine  de  Jouvence,  de  M.  Paul  Gervais,  fait  jouer  avec  virtuosité 
dans  une  harmonie  chatoyante  les  reflets  des  riches  étoffes,  des  chairs 
nacrées  et  des  scintillantes  orfèvreries  :  composition  d'apparat  qui  four- 
nirait aux  Gobelins  un  beau  carton  de  tapisserie.  Les  envois  de  M.  Rn- 
chegrosse  sont  fins  et  cassants  comme  des  porcelaines  passées  au 
grand  feu.  Il  y  a  môme  un  commencement  de  vitrification  dans  la  Pro- 
menade des  Courtisanes  qui  semble  un  frontispice  pour  l'Aphrodite  de 
M.  Pierre  Louys.  Les. promeneuses  aux  bras  découverts,  aux  tuniques 
flottantes  passent  sur  la  jetée  d'Alexandrie,  traînant  des  singes  fami- 
liers ;  la  jeunesse  «  dorée  »  les  suit  tout  le  long  du  môle  ;  des  tourlou- 
rous  antiques,  aux  casques,  aux  cuirasses  et  aux  jambières  de  cuivre 
bien  astiqués  sont  assis  sur  la  bordure  de  granit.  C'est  agréable  et 
spirituel,  assez  conforme  aux  indications  du  Satyricon,  mais  précieux, 
maniéré,  au  demeurant  sans  très  notable  intérêt.  L'Ethiopienne  du  même 
peintre,  qui  se  regarde  dans  un  miroir,  nous  rend  au  contraire  la  pâte 
souple,  le  dessin  gras,  la  riche  matière  des  meilleurs  Rochegrosse. 
L'esclave  nue  et  brune,  effilée  comme  les  statuettes  en  bois  durci  du 
musée  égyptien,  est  debout  devant  un  rideau  jaune,  dont  un  coin  sou- 
levé laisse  voir  une  échappée  de  jardin  incendié  par  le  soleil.  Et  cette 
féerie  lumineuse  est  un  régal  pour  les  yeux. 

On  goûtera  encore  la  grâce  sensuelle,  le  charme  un  peu  provocant  de 
la  Figure  païenne  de  M.  Watelet,  étude  de  femme  en  tunique  bleue  très 
ouverte,  pâmée  près  d'un  brûle-parfums.  L'œuvre  est  harmonieuse  et 
subtile.  Plus  sévère  le  Temps  de  Checa,  d'allure  romantique,  qui  passe 
sur  un  cheval  fougueux  comme  un  fantôme  de  ballade  d'une  vignette 
de  Célestin  Nanteuil,  et  a  trempé  sa  faux  dans  le  sirop  de  groseille  pour 
nous  donner  l'illusion  du  sang.  M.  Louis  Roger  a  eu  une  idée  plus 
originale,  il  a  peint,  sous  le  titre  Armor,  une  sorte  d'Homère  de  l'âge 
de  pierre.  Au  bord  de  l'Océan  la  tribu  préhistorique  a  fait  cercle  autour 
du  vieil  aède  qui  doit  raconter  les  premières  rencontres  de  l'humanité  > 
avec  les  monstres  issus  du  limon  natal.  Hommes,  femmes,  enfants, 
exhibent  la  même  radicale  absence  de  costumes,  mais  ce  nu  essentiel, 
absolu,  intégral,  est  en  même  temps  le  nu  le  plus  innocent  du  monde, 
toutes  ces  petites  bonnes  gens  étant  en  terre  cuite  passée  au  grand  feu. 
Parmi  tant  de  réalistes  atténués  M.  Georges  Berges  a  cette  individua- 


LE  MENESTREL 


173 


lité  bien  franche  d'être  un  naturaliste  ennemi  des  concessions  hypo- 
crites. Sa  Conchita  la  danseuse  est  un  superbe  morceau,  de  robuste 
facture  et  de  vitalité  débordante,  apparenté  à  l'Olympia  de  Manet, 
nullement  pastiché.  La  ballerine  espagnole  repose  sur  une  chaise 
longue,  de  très  mauvais  style,  moitié  Restauration,  moitié  second 
Empire;  elle  n'est  pins  vêtue  que  d'un  seul  bas  blanc  et  d'un  soulier 
verni  à  la  jambe  droite;  tout  le  reste  s'exhibe  à  l'état  de  costume  para- 
disiaque dans  un  extraordinaire  et  savoureux  fouillis  de  jupons,  de 
crêpes,  de  dentelles.  Et  malgré  la  précision  de  tous  ces  détails,  ce  n'est 
pas  du  déshabillé,  mais  de  la  nudité  robuste  et  saine.  Un  caniche  noir, 
silhouetté  sur  la  natte,  sert  de  repoussoir  à  ces  tonalités  de  rose  pale  et 
de  blanc  crayeux.  Çà  et  là  d'autres  nus,  moins  caractérisés  malgré  leurs 
diverses  étiquettes  :  nu  romantique,  la  Rosalinde  de  M.  Benner,  autre- 
ment dit  la  Mademoiselle  de  Maupin  de  Théophile  Gautier  ;  nu  d'Opéra- 
Comique,  pour  mise  en  scène  de  M.  Albert  Carré,  les  Fées  aux  vers 
luisants  de  M.  Bernet  ;  nu  d'atelier,  la  grande  toile  où  M""'  Roudenay 
nous  décrit  une  séance  de  modèle  à  l'école  des  Beaux-Arts  avec  le  lot 
de  jeunes  filles  installées  devant  leur  chevalet  autour  de  la  montmar- 
troise qui  pose  une  Diane  sans  voiles;  nus  académiques  de  M.  de  Sy- 
nave,  de  M.  Stephen  Jacob,  de  M.  Gaensslen  ;  nu  plébéien  et  grassouillet 
de  M.  Sézille  des  Essarts,  prenant  un  bain  de  pieds  dans  une  terrine  ; 
nu  intimiste  de  M.  Victor  Lecomte  maintenant  en  pleine  possession 
d'une  manière  très  personnelle  et  curieusement  suggestive  de  traiter  les 
effets  de  lumière.  M.  de  Schryder  jette  en  avant,  avec  force  mais  avec 
grâce,  sur  un  rythme  voluptueux,  le  modèle  Retour  du  bal  qui  embrasse 
à  pleine  lèvres  son  portrait  reflété  par  la  psyché. 

Avant  d'aborder  les  subdivisions  de  la  peinture  de  genre,  mention- 
nons deux  grandes  toiles  d'un  caractère  à  la  fois  religieux  et  dramatique. 
Un  peintre  marseillais,  M.  Guindon,  a  envoyé  une  composition  de 
réelle  valeur  :  A  la  mort  de  Jésus.  C'est  le  drame  du  Golgotha  réglé 
comme  pour  une  représentation  sur  la  scène  d'un  théâtre  de  verdure, 
la  croix  vue  par  derrière,  le  théorie  des  Saintes  femmes  autour  du  cal- 
vaire, la  foule  tumultueuse,  partagée  entre  l'émotion  et  le  sarcasme,  au 
milieu  de  laquelle  s'effarent  les  chevaux  des  soldats  romains  quand  un 
coup  de  tonnerre  déchire  le  voile  du  Temple.  La  disposition  est  originale 
et  l'ensemble  impressionnant  dans  son  ampleur  de  frise  allongée.  Un 
artiste  américain,  M.  Henri  Tanner,  a  interprété  dans  un  style  plus 
intimiste  la  parabole  des  Vierges  sages  et  des  Vierges  folles.  Draperies 
blanches,  écharpes  flottantes,  galbes  élégants  et  figures  affinées,  c'est 
un  peu  de  la  gravure  en  couleur,  mais  avec  des  dessous  plus  robustes. 
Ai-je  besoin  de  dire  que  l'intérêt  se  porte  presque  tout  entier  sur  les 
Vierges  folles  aux  raides  attitudes  de  somnambules,  semblables  à  des 
héroïnes  de  Mœterlinck  ?  La  vertu  est  rarement  récompensée,  même 
en  peinture. 

Un  autre  tableau  de  grande  dimension  et  aussi  d'arrangement  dra- 
matique, Glorieux  bûcher,  domine  toute  la  série  militaire.  L'auteur, 
M.  Henry  Jacquier,  y  commente  ce  douloureux  épisode  de  la  première 
capitulation  de  Paris  raconté  par  le  maréchal  Suchet,  duc  d'Albuféra. 
dans  ses  Mémoires  :  «  Le  30  mars,  à  neuf  heures  du  soir,  à  la  veille  de 
l'entrée  des  armées  ennemies  à  Paris,  le  maréchal  Sérurier,  gouverneur 
des  Invalides,  donna  l'ordre  de  détruire  et  de  brûler  dans  la  principale 
cour  de  l'hôtel  les  quatorze  cent  dix-sept  drapeaux  et  étendards  pris  sur 
les  ennemis  ainsi  que  l'épée  et  les  décorations  du  Grand  Frédéric  confiés 
à  sa  garde.  Ce  soir-là  furent  anéantis  les  trophées  de  Denain,  de  Fon- 
tenoy,  de  Jemmapes.  de  Fleurus,  d'Arcole,  d'Aboukir,  de  Marengo, 
d'Austerlitz,  de  Wagrani  !  »  Un  vieux  soldat  jette  par  brassées  dans  la 
flamme  les  hampes  entourées  de  glorieux  haillons  que  lui  passent  d'au- 
tres invalides  ;  les  officiers  assistent  à  l'autodafé,  silencieux  et  mor- 
nes; œuvre  éloquente  malgré  une  certaine  insuffisance  dans  les  moyens 
d'exécution,  surtout  au  point  de  vue  du  coloris. 

J'ajouterai  que  si  l'hervéisme  fait  des  progrès  quelque  part,  ce  n'est 
pas  au  Salon  des  Artistes  français.  Non  seulement  il  est  présidé  dans 
la  grande  galerie  parla  gigantesque  composition  de  M.  Edouard  Détaille 
où  le  Chant  du  départ  groupe  les  glorieux  va-nu-pieds  de  notre  épopée  ; 
mais  partout  foisonnent  les  tableaux  militaires.  Un  des  plus  intéres- 
sants comme  arrangement  scénique  est  la  toile  de  M.  Alphouse  Lalauze 
qui  représente  les  défenseurs  de  Mayence  sortant  de  la  ville,  le 
24  juillet  1793,  avec  les  honneurs  de  la  guerre.  «  Ils  étaient,  dit  Gœthe, 
petits,  noirs,  bariolés,  déguenillés.  On  aurait  cru  que  le  roi  Edwin  avait 
ouvert  sa  montagne  et  lâché  sa  joyeuse  armée  de  nains.  »  L'ouvrage 
est  bien  traité,  non  sans  quelque  surenchère  théâtrale.  J'en  dirai 
autant  du  Bonaparte,  de  M.  Boislecomte,  qui  gravit  la  pente  du  grand 
Saint-Bernard  dans  la  matinée  brumeuse  du  20  mai  1800.  Visiblement, 
il  songe  à  la  postérité  plus  qu'à  la  difficile  opération  en  cours.  Et  voici 
encore,  pour  le  musée  de  l'armée,  les  chasseurs  d'Orléans  de  M.  Raoul 
Arus,les  maraudeurs  premier  Empire  de  M.Louis  Baader,  la  rencontre 


pendant  l'étape  de  M.  Berne-Bellecour,  le  passage  de  la  Bérésina  de 
M.  Hoynck,  le  fusilier  marin  de  M.  Jobert,  le  chasseur  de  la  garde  de 
M.  Lacault,  le  tambour  de  M.  Lybaert,  les  cuirassiers  <J'.-  M.  Perboyre, 
les  hussards  de  M.  Sigriste,  fougueusement  lancés  à  la  poursuite  de 
l'ennemi,  le  retour  de  permissionnaires  de  M.  Larteau,  très  curieuse- 
ment observés  dans  leur  compartiment  de  troisième  classe.  Ou  trouvera 
à  la  section  des  dessins  une  amusante  aquarelle  de  M.  Maurice  Orange, 
d'exécution  très  aisée:  le  goûter  de  l'état-major  sur  le  sable  du  désert 
aux  pieds  du  sphynx,  pendant  la  campagne  d'Egypte  de  1798. 
M.  Alphonse  Chigot  a  dramatiquement  groupe  dans  un  décor  de  neige 
les  héros  et  les  comparses  d'un  duel  entre  deux  officiers  de  chasseurs  à 
pied.  Et  notre  peintre  de  batailles  maritimes  —  le  seul,  l'unique,  qui 
abuse  de  cette  situation  à  la  fois  isolée  et  prépondérante  pour  endeuiller 
tous  ses  personnages  sous  une  couche  de  cendres  fines  —  M.  Charles 
Fouqueray  représente'  le  dénouement  tragique  de  la  campagne  de 
Leissègues  en  1806,  l'échouement  volontaire  et  l'incendie  de  notre 
escadre  après  une  lutte  désespérée  contre  les  vaisseaux  de  sir  John 
Duckworth. 

Les  drames  de  la  Révolution  française  ont  un  prologue  émouvant 
dans  les  Derniers  Jours  d'une  Reine.  L'auteur  de  ce  tableau  anecdotique, 
M.  Jules'Girardet,  est  le  peintre  de  Marie-Antoinette  comme  Victor 
Cousin  était  l'historien  des  femmes  de  la  Fronde  ;  il  a  ouvert  ses  armoi- 
res, scruté  ses  coffrets  à  bijoux  et  il  étale  toute  la  garde-rolio  de  la 
princesse  «  déplorable  »  dans  le  cadre  fleuri  de  ce  hameau  de  Trianon 
où  une  attirance  magnétique  fait  se  succéder  tous  les  souverains  de 
passage  en  France.  Et  voici  une  sinistre  composition  de  M.  Massin,  le 
muet  et  impressionnant  défilé  du  peuple  en  marche  vers  les  Tuileries 
pendant  la  nuit  du  10  août  1792  :  très  belle  veillée,  éclairée  de  la  lune, 
toutes  les  fenêtres  illuminées  ;  effet  angoissant,  observe  Michelet.  car 
on  sentait  que  ce  n'était  pas  là  l'illumination  d'une  fête.  Cette  toile,  sobre 
et  dramatique,  est  en  quelque  sorte  le  décor  extérieur  du  prologue  de 
Madame  Sans-Gène  ;  elle  figurerait  en  bonne  place  dans  les  couloirs  du 
Théàtre-Réjane  après  la  fermeture  du  Salon.  M.  Maxime  Faivre  décrit 
ou  plutôt  esquive  les  indescriptibles  horreurs  qui  suivirent  l'assassinat 
de  la  princesse  de  Lamballe  «  étalée  au  coin  d'une  borne,  nue  comme 
Dieu  l'avait  faite  »,  écrit  également  Michelet  dans  sa  prose  de  vision- 
naire. La  disposition  du  tableau  est  ingénieuse  mais  froide  ;  ces  person- 
nages bien  groupés,  ce  sans-culotte  qui  brandit  un  sabre,  cette  tricoteuse 
qui  semble  débiter  son  rôle  n'incarnent  pas  les  tumultueux  et  féroces 
comparses  des  grandes  ruées  populaires. 

(A  suivre.)  Camille  Le  Senne. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(POUR    LES    SEULS    ABONNÉS    A    LA    MC8IQUE") 


Raoul  Pugno  est  un  compositeur  rare,  dans  les  deux  sens  du  mot.  Il  produit  fort 
peu,  étant  toujours  par  monts  et  par  vaux,  appelé  ici  et  là  par  la  renommée  de  son 
prestigieux  talent  de  virtuose.  Il  produit  peu  et  c'est  dommage!  S'il  n'avait  été  un 
grand  pianiste,  il  eut  été  un  grand  compositeur.  Voici  venir  une  nouvelle  série  de 
lieds,  les  Cloches  du  souvenir,  qui  le  prouve  encore  une  fois.  On  en  a  peu  écrit  de  cet 
accent  puissant  et  douloureux.  Cette  Éloile  filante,  que  nous  donnons  aujourd'hui, 
vous  étreint  le  cœur. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


Le  voyage  du  Président  de  la  République  à  Londres  :  Une  grande  repré- 
sentation de  gala  a  été  donnée  mercredi  dernier  en  l'honneur  de  M.  Fallières, 
au  théâtre  Covent-Garden,  dont  la  salle  a  été  transformée,  comme  à  l'ordinaire, 
en  un  bosquet  de  fleurs.  Le  programme  comprenait  le  premier  acte  des 
Pécheurs  de  perles  et  la  scène  du  jardin  de  Faust,  chantés  en  italien.  Cette 
représentation  avait  cela  de  particulier  que.  pour  la  première  et  la  seule  fois, 
on  voyait  sur  le  même  programme  les  noms  de  Mme  Tetrazzini  et  de  Mmt:  Melba, 
la  première  dans  le  rôle  de  Leila,  la  seconde  dans  celui  de  Marguerite.  Les 
autres  artistes  qui  ont  pris  part  à  cette  représentation  sont  M1"™  Hatchard  et 
Thomton  et  MM.  Mac  Gormack  (Nadir),  Zenatello  (Faust),  Sammarco  (Zurga), 
Marcoux  (Nourabad)  et  Journet  (Mephistophélès).  C'est  le  maestro  Campanini 
qui  dirigeait  l'orchestre.  Le  prix  des  places  était  ainsi  fixé  :  Loges  de  rez-de- 
chaussée,  1.300  francs;  premières  loges,  787  fr.  50  c;  deuxièmes  loges, 
393  fr.  75  c;  fauteuils  d'orchestre,  183  fr.  75  c:  fauteuils  de  balcon,  105  francs. 

—  Au  dernier  festival  de  la  Société  chorale  de  Manchester  (États-Unis),  qui 
a  eu  lieu  les  5  et  6  mai   dernier,   on   a  entendu  les  Sept  paroles  du  Christ    de 


174 


LE  ME.NESTREL 


M.  Théodore  Dubois,  Schon  Elleh  (la  Belle  Hélène)  de  M.  Max  Brucb,  la  Nuit 
de  Walpurgis  de  Mendelssohn  et  plusieurs  compositions  de  l'école  anglaise 
moderne. 

—  D'après  son  dernier  rapport,  la  Sociélé  des  Musiciens  allemands  pour  la 
perception  des  droits  d'auteur  est  en  pleine  prospérité.  En  1907,  elle  a  payé 
plus  de  100.000  marks  aux  compositeurs,  librettistes  et  éditeurs  de  musique 
dont  elle  gère  les  intérêts.  Les  frais  d'administration,  qui  s'élevaient  la  pre- 
mière aDnée  (1904)  à  40  %  des  profits,  ne  s'élèvent  plus  aujourd'hui  qu'à 
2o  %•  Depuis  qu'elle  existe,  la  Société  a  distribué  à  deux  cent  quatre-vingt- 
quinze  auteurs  et  à  soixante-dix  maisons  d'édition  plus  de  230.000  marks.  A 
sa  dernière  assemblée  générale,  elle  a  maintenu  dans  leurs  fonctions  les 
membres  du  bureau  actuel,  qui  est  composé  de  MM.  Richard  Strauss,  Friedrich 
Rœsch,  Philippe  Riiper,  Georges  Schumann  et  Engelbert  Humperdinck. 

—  M.  Gustave  Mahler,  de  retour  à  Vienne  après  avoir  dirigé  des  concerts 
dans  plusieurs  villes  d'Amérique,  s'est  montré  satisfait  de  son  voyage  et  a 
déclaré  qu'il  avait  contracté  pour  l'année  prochaine  un  engagement  de  trois 
mois  à  New-York. 

—  L'inauguration  du  nouveau  monument  érigé  à  Leipzig  en  l'honneur  de 
Sébastien  Bach  a  eu  lieu  solennellement  dimanche  dernier.  Le  prince  Frédé- 
ric Henri  de  Prusse,  le  prince  et  la  princesse  de  Reuss-Koestritz,  le  prince 
héritier  de  Reuss-Gera  et  tous  les  hauts  fonctionnaires  de  la  ville  assistaient 
à  la  cérémonie.  Le  conseiller  intime,  docteur  Wach,  et  le  maire  de  Leipzig, 
M.  Trœndlin,  qui  a  reçu  le  monumeot  au  nom  de  la  ville,  ont  prononcé  des 
discours.  Le  monument  a  été  placé  sur  des  terrains  de  l'ancien  cimetière 
Saint-Thomas.  Il  est  du  sculpteur  Charles  Seffaer.  Bach  y  est  représenté 
comme  un  homme  d'une  cinquantaine  d'années;  il  est  debout  à  côté  d'un 
petit  orgue  sur  lequel  sa  main  gauche  semble  s'appuyer  négligemment,  tandis 
que  la  droite  tient  un  cahier  de  musique.  Un  bas  relief  reproduit  une  vue  de 
la  vieille  église  Saint-Thomas. 

—  Le  quarante-quatrième  festival  de  l'Association  des  musiciens  allemands 
aura  lieu  cette  année  à  Munich  du  30  mai  au  5  juin.  Les  premières  journées 
seront  consacrées  à  des  réunions  dans  lesquelles  on  discutera  les  intérêts  de 
l'Association. 

—  La  cantatrice  Sophie  Stehle,  qui  fut  très  fêtée  de  1860  à  1874  au  théâtre 
de  la  Cour,  à  Munich,  et  qui,'  en  abandonnant  la  carrière  scénique,  s'était  éta- 
blie à  Hanovre  après  avoir  épousé  le  baron  Wilhelm  de  Knigge,  un  des  mem- 
bres de  la  noblesse  de  cette  ville,  vient  de  profiter  d'un  séjour  qu'elle  a  fait 
tout  dernièrement  à  Munich  pour  laisser  un  bienfaisant  souvenir  au  personnel 
le  plus  humble  du  théâtre  de  ses  anciens  succès.  Sur  la  pension  qui  lui  était 
due  par  l'intendance,  les  termes  non  touchés  depuis  1890  s'élevaient  à  23.000 
francs  ;  elle  a  déclaré  non  seulement  renoncer  à  cette  somme,  mais  aussi  à 
toute  autre  qui  pourrait  lui  revenir  au  même  titre  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie, 
demandant  qu'une  fondation  soit  constituée  au  profit  des  veuves  et  des 
orphelins,  des  choristes,  des  figurants  et  des  machinistes  du  théâtre  de  la  Cour. 
Mme  de  Knigge  devient  ainsi  une  bienfaitrice  du  théâtre  où  elle  fut  pendant 
treize  ans  applaudie  sous  son  nom  de  Sophie  Stehle. 

—  Un  général  en  activité  de  service,  le  baron  van  der  Goltz,  commandant 
de  brigade  à  Francfort,  voulant,  dit  un  journal  étranger,  ci  passer  du  Champ 
de  Mars  à  celui  d'Orphée  »,  vient  de  terminer  la  composition  d'un  opéra  inti- 
tulé Wittichs,  dont,  à  l'instar  de  Wagner,  il  a  écrit  tout  ensemble  les  paroles  et 
la  musique.  Cet  ouvrage  serait  déjà  acquis  par  la  direction  de  l'Opéra  de  la 
cour  de  Schwerin.  Le  général  n'en  est  pas  d'ailleurs  à  s?s  premières  armes 
musicales.  Il  a  déjà  fait  représenler,  il  y  a  quelques  années,  sur  ce  même 
théâtre  de  Schwerin,  un  premier  opéra  intitulé  Mina,  dont  le  succès,  il  est 
vrai,  fut  médiocre. 

—  L'archiviste  d'Etat  de  Frauenfeld  (canton  de  Thurgovie)  a  mis  au  joui- 
un  précieux  parchemin  qui  servait  jusqu'ici  à  envelopper  des  pièces  d'archives. 
C'est  un  fragment  d'un  livre  d'heures  noté,  remontant  au  douzième  siècle, 
•lue  l'on  suppose  avoir  été  écrit  dans  un  couvent  suisse  ou  allemand.  Ce 
fragment  a  été  étudié  par  deux  professeurs  de  l'Université  de  F'ribourg, 
MM.  Biichi  et  Wagner,  par  M.  Max  de  Diesbach,  bibliothécaire  cantonal,  et 
par  un  religieux  paléographe  de  la  Valsainte. 

—  Le  parlement  norvégien  a  dernièrement  refusé  de  voter  une  somme 
de  1.60O  couronnes,  qui  avait  été  précécemment  attribuée,  à  titre  honorifique, 
à  M.  Johann  Svendsen,  que  l'on  peut  considérer,  depuis  la  mort  de  Grieg. 
comme  le  plus  illustre  des  compositeurs  de  son  pays.  Cette  décision  a  été 
généralement  blâmée.  On  a  fait  remarquer  en  effet  que,  tant  que  M.  Svendsen 
occupa  uu  emploi  au  Théâtre-Royal  de  Copenhague,  il  pouvait  paraître  très 
compréhensible  qu'aucune  pension  ne  lui  fut  payée  puisqu'il  avait  d'autres 
ressources,  mais  l'on  trouve  très  dur  de  lui  refuser  un  subside  pécuniaire  à 
l'époque  où  son  âge  ne  lui  permet  plus  de  parer  à  ses  besoins  par  son  travail. 
Pour  protester  contre  la  parcimonieuse  rigueur  du  Parlement,  un  groupe 
d'amis  de  la  musique  s'est  substitué  à  lui  et  a  pris  à  sa  charge  l'annuité 
de  1.600  couronnes,  qui  continuera  d'èlre  payée  au  compositeur  sa  vie  durant. 

—  Ainsi  que  nous  l'avons  annoncé,  l'ensemble  de  l'Opéra-Impérial  de  Saint- 
Pétersbourg  s'est  assuré  la  disposition  de  la  salle  du  nouvel  Opéra-Royal  de 
Berlin  (Théàtre-Kroll)  pour  y  donner  des  représentations  jusqu'au  10  juin. 
Après  la  Via  pour  le  Tzar,  de  Glinka,  l'on  jouera  :  le  Démon,  d'Antoine 
Rubinstein,  la  Dame  de  Pique,  Eugène  Onéguine  et  Mazeppa,  de  Tschaïkowsky, 
et  Dombrowski,  de  Naprawnik.   Voici  les    noms    des  artistes   désignés    pour 


l'interprétation  des  rôles  principaux  ;  sopranos  :  Mracs  Medea  Fiegner,  Maria 
Konsnetzowa,  Maria  Aleschko,  M.  Fadejewa,  M.  Drusiakina  ;  mezzo-soprano< 
et  contraltos  :  Mmea  E.  Sbroujewa,  A.  Makarowa,  R.  Karamsina-Schukowskaja. 
E.  Tikschomirowa  ;  ténors  :  MM.  A.  Dawidoff,  A.  Bolsehjakow, 
A.  Bouatschich,  L.  Klementjew,  N.  Andrejew  ;  barytons  :  MM.  J.  Tartakow, 
G.  Baklanow,  A.  Bragin,  P.  Slroschkiewitsch  ;  basses  :  MM.  W.  Petro\v_ 
S.  Worinin,  N.  Tischonow.  Les  chefs  d'orchestre  sont  :  MM.  Edouard 
Kruschewski  et  Th.  Pochitonow.  L'ensemble  se  compose  de  cent  vingt  per- 
sonnes. 

—  Un  journal  étranger  croit  savoir  que  le  fameux  chanteur  russe  Chaliapine, 
que  nous  entendons  à  l'Opéra  dans  le  Boris  Godounow  de  Moussorgsky. 
aurait  l'intention  de  se  faire  directeur  et  se  proposerait  d'ouvrir  l'hiver 
prochain,  à  Moscou,  un  théâtre  auquel  il  donnerait  son  nom. 

—  A  Deventer  (Hollande),  durant  la  semaine  sainte,  a  eu  lieu  un  spectacle 
d'un  genre  particulier.  Ce  spectacle  consistait  dans  la  représentation  des  épi- 
sodes principaux  de  la  Passion  du  Christ,  dont  la  mise  en  scène  était  établie 
d'après  les  tableaux  des  peintres  les  plus  célèbres,  tandis  qu'un  orchestre  caché 
exécutait,  sous  la  direction  de  M.  Wensink,  des  fragments  importants  de 
musique  choisis  de  façon  à  répondre  aux  sentiments  que  la  vue  des  repro- 
ductions devait  faire  naitre  chez  les  spectateurs.  Le  succès  a  été  très  grand. 

— La  petite  ville  de  Mézières  (Suisse!  s'est  offert,  le  7  mai,  la  primeur  d'une 
œuvre  nouvelle  importante,  Henriette,  drame  en  trois  actes,  de  M.  René  Morax, 
avec  musique  de  M.  Gustave  Doret.  La  musique  de  ce  drame,  conçu  dans  la 
forme  du  théâtre  antique,  avec  intervention  du  choeur  comme  personnage 
collectif  prenant  une  part  essentielle  à  l'action,  consiste  précisément  en  huit 
chœurs  mixtes  a  cappella  dont  l'effet  parait  avoir  été  considérable  et  qui  ont 
produit  une  vive  impression. 

—  De  Naples  :  Notre  Théàtre-Mercadante  vient  de  représenter  la  Manon  de 
Massenet,  avec  une  exécution  vraiment  parfaite  de  la  part  des  artistes  et  de 
l'orchestre.  L'œuvre  exquise  du  grand  maître  français  a  donc  remporté  un 
triomphe  de  plus  en  Italie.  Le  rôle  de  Manon  était  chanté  par  M"e  Isaia,  une 
jeune  et  charmante  artiste,  très  estimée  sur  les  théâtres  d'Italie  et  de 
l'étranger. 

—  Le  Théàtre-Yictor-Emmanuel  de  Turin  a  donné,  le  12  mai,  la  première 
représentation  d'un  drame  lyrique  en  trois  actes,  Maria-Antonietta,  paroles  de 
M.  Pasquale  de  Luca,  musique  de  M.  Giuseppe  Galli.  Le  compositeur,  qui 
faisait  avec  cet  ouvrage  ses  débuts  à  la  scène,  est  élève  du  compositeur  russe 
Tschaïkowsky.  Sa  partition,  un  peu  inégale,  a  été  bien  accueillie  dans  son  - 
ensemble.  Les  rôles  principaux  sont  tenus  par  Mmes  Clara  Joanna  (Maria-Anto- 
nietta) et  Julia  (Andreina),  MM.  Daneo  (Oliviero),  Tegani  (Louis  XVI)  et 
Venturini  (il  Duca). 

—  L'Académie  philharmonique  de  Bologne  avait  ouvert  un  concours  inter- 
national pour  la  composition  d'un  quatuor  pour  instruments  à  cordes.  Ce  con- 
cours vient  d'être  jugé  par  un  jury  présidé  par  M.  Luigi  Torchi  et  comprenant 
les  noms  de  MM.  Marco  Bossi,  Wolf-l''errari,  Bruno  Mugeliini  et  Nestore 
Morini.  Le  prix  unique  étiit  de  1.000  francs  pour  le  vainqueur;  il  a  été  attri- 
bué à  l'œuvre  de  M.  Michèle  Esposito,  résidant  à  Dublin.  Une  mention  hono- 
rable a  été  accordée  à  M.  François  Dupont,  résidant  à  Londres.  Les  examina- 
teurs n'avaient  pas  eu  à  juger  moins  de  67  compositions. 

—  Une  jeune  cantatrice  qui  s'est  fait  depuis  quelques  années  une  très  bril- 
lante renommée  en  Italie,  MUe  Regina  Pinkert,  et  qui,  croyons-nous,  est 
Portugaise  de  naissance  et  d'origine,  renonce  à  la  carrière  théâtrale  au  milieu 
de  ses  grands  succès  pour  épouser  un  riche  banquier  milanais. 

—  I  Decurioni,  tel  est  le  titre  d'une  opérette  nouvelle  qui  a  été  représentée  à 
Giovinazzo,  et  dont  les  auteurs  sont  MM.  Saverio  Dacanto  pour  les  paroles  et 
Luigi  Preite  pour  la  musique. 

—  Au  Théàtre-Rubini,  de  Bergame,  a  eu  lieu,  le  10  mai,  la  première  exécu- 
tion de  Noemi  e  Huth,  nouveau  drame  biblique  du  jeune  prêtre  compositeur 
don  Giocondo  F'ino,  écrit  par  lui  sur  un  poème  de  son  frère,  l'avocat  Saverio 
Fino.  Avantageusement  connu  par  un  ouvrage  du  même  genre,  Battista,  qui 
avait  été  très  bien  accueilli,  le  compositeur  a  vu  sa  nouvelle  œuvre  fort  bien 
reçue  du  public  qui  lui  a  fait  fête  ainsi  qu'à  ses  interprètes,  M"e  Maria  Alexina, 
jeune  cantatrice  russe  (Ruth),  Mlle  Anna  Gramegna  (Noémi)  et  le  baryton 
Bériel  (Booz). 

—  On  nous  écrit  de  Madrid  :  L'éminentc  pianiste  M"R'  Clotilde  Kleeberg- 
Samuel  vient  de  remporter  à  la  Société  philharmonique  un  grand  succès  dans 
une  série  de  quatre  concerts  historiques  dont  le  dernier  était  consacré  aux 
compositeurs  modernes.  Au  programme  :  les  Abeilles  de  Th.  Dubois  ont  été 
particulièrement  acclamées. 

— ■  A  Madrid,  deux  artistes  fort  distingués,  M.  Manuel  Calvo  et  MmeVicenta 
Torno-Calvo,  l'un  premier  violoncelle  à  l'orchestre  du  Théâtre-Royal,  l'autre 
professeur  de  harpe  au  Conservatoire,  ont  eu  l'idée  ingénieuse  d'exécuter 
ensemble  des  œuvres  de  musique  classique  pour  harpe  et  violoncelle  et  de 
passer  ainsi  en  revue  le  répertoire  de  ce  genre  depuis  le  seizième  siècle  jus- 
qu'au temps  présent.  Leur  interprétation  très  artistique  et  très  personnelle  de 
ces  œuvres  fort  peu  connues  leur  a  valu  un  succès  éclatant. 

—  La  fin  des  ouvreuses.  Un  directeur  de  théâtre  américain,  M.  Baumfeld, 
qui  se  fait  construire  en  ce  moment  à  New-York  un  théâtre  nouveau  dont 
l'inauguration  aura  lieu  en  automne  prochain,_a  décidé  de  remplacer  les  ou- 


LE  MÉNESTREL 


175 


vreuses  par  des  vestiaire  automatiques.  Ces  vestiaires,  d'accès  très  facile,  sont 
réservés  par  moitié  aux  hommes  et  par  moitié  aux  femmes.  Us  contiennent  — 
en  quantité  suffisante  même  pour  les  jours  où  la  salle  sera  comble  —  des  ar- 
moires d  une  forme  spéciale  où  pardessus,  manteaux,  cannes  et  aussi  les  cha- 
peaux les  plus  volumineux  pourront  être  remisés.  A  leur  arrivée  au  théâtre, 
les  spectateurs  glisseront  dans  une  fente  pratiquée  dans  l'armoire  automatique 
une  pièce  de  monnaie,  en  échange  de  laquelle  le  mécanisme  leur  remettra 
une  clef.  Us  ouvrent  l'armoire,  rangent  eux-mêmes  leurs  effets,  la  ferment  et 
à  la  fin  de  la  représentation,  sans  qu'ils  aient  besoin  d'attendre,  de  se  bous- 
culer, de  se  mettre  en  colère  et  de  se  disputer  avec  les  ouvreuses,  vont 
reprendre  les  objets  qui  leur  appartiennent. 

—  A  un  concert  d'oeuvres  chorales,  donné  dernièrement  à  Buffalo,  on  a 
chanté,  comme  intermèdes,  plusieurs  morceaux  de  compositeurs  français  et 
auglais,  parmi  lesquels  l'arioso  à'Hérodiade,  Par  le  sentier,  de  M.  Théodore 
Dubois,  un  air  de  Suzanne,  de  M.  Paladilhe,  Rencontre,  de  M.  Gabriel  Fauré, 
le  Plongeur,  de  M.  Ch.-M.  Widor,  etc. 

—  La  ville  de  Boston,  qui  est  certainement  la  plus  artiste  et  la  plus  musi- 
cale des  Etats-Unis,  possédera  prochainement  un  nouveau  et  grand  théâtre, 
exclusivement  consacré  au  genre  lyrique.  C'est  un  très  riche  citoyen  qui  le 
fait  construire  à  ses  frais,  et  qui  le  confie  à  une  société  qui  prendra  le  nom 
de  Boston  Opéra  C°.  La  construction,  qui  coûtera  trois  millions  et  demi  de 
dollars,  sera  terminée  pour  l'automne  de  1909.  Le  Boston-Opera  s'ouvrira  par 
une  saison  de  quinze  semaines  consacrée  surtout  au  répertoire  italien. 

—  Une  matinée  des  plus  intéressantes  a  été  donnée  à  New- York  par 
Mnlc  Bollie  Borden-Low.  Le  programme  comprenait  trois  mélodies  norvé- 
giennes de  Grieg,  trois  chants  danois  de  Cornélius  Hùbner,  trois  pièces  vo- 
cales françaises,  le  Vitrail  de  M.  Théodore  Dubois,  la  Cloche  de  M.  Saint-Saèns, 
et  la  Légende  de  la  Sauge  du  Jongleur  de  Notre-Dame  de  M.  Massenet,  enfin  des 
fragments  de  Belliui,  extraits  de  Xorma. 

PARIS   ET   DEPARTEMENTS 

Au  Conservatoire  :  A  la  suite  des  examens,  le  jury  a  admis  aux  concours 
de  fin  d'année  les  élèves  dont  les  noms  suivent  : 

TRAGÉDIE 

Classe  de  il.  Silvain  :  MM.  Renoir,  Soarez;  M"1  Bernard. 
Classe  de  M.  Leloir  :  M.  Karl  ;  M""  Mancini. 

Classe  de  M.  Paul  Mounet  :  MM.  Alexandre,  Tellegen  ;   M""  Châtelain,  Schmitt, 
Deroxe. 
Classe  de  M.  G.  Berr  :  W"  Du-Eyner. 

Classe  de  M.  Truffer  :  M.  Yoris-Valtère  ;  M""  Roselle,  Albane. 
Classe  de  M"'  Sarah  Bernhardt  :M.  de  Gravone;  M""  Dumoulin  et  Norma. 


Classe  de  M.  Silvain  :  MM.  Charnbreuil,  Renoir,  Roger  Lévy,  Soarez;  M"" Reuver, 
Lestrange,  Bernard  Deréval. 

Classe  de  M.  Leloir  :  MM.  Brousse,  Karl  ;  M""  Guyon,  Marialise. 

Classe  de  M.  P.  Mounet  :  MM.  Becquart,  Alexandre,  Tellegen;  W"  Châtelain, 
Schmitt,  Céliat. 

Classe  de  M.  G.  Berr  :  MM.  Guilhem,  Puylagarde  ;  M""  Dantès,  Du-Eyner,  Pacitti, 
Beauval. 

Classe  de  M.  Truffier  :  M.  Stephen  ;  M11"  Fillacier,  Samary-Lagarde,  Albane. 

Classe  de  M""  Sarah  Bernhardt  :  M.  Gandéra;  M""  Relsv,  Chanove,  Norma. 

ACCOMPAGNEMENT   DE   PIANO 

Classe  de  M.  Paul  Vital:  MM.  Flament  (Edouard),  Krùger,  Fauehet  (Paul.); 
MlkJ  Delmasure  et  Dauly. 

—  Le  relevé  des  receltes  brutes  des  principaux  théâtres  et  spectacles  de 
Paris  en  1901  vient  d'être  établi.  Les  recettes  se  sont  élevées,  au  total,  à 
45.753.048  francs  contre  43.209.584  francs  en  1906.  C'est  le  chiffre  le  plus 
élevé  qui  ait  jamais  été  atteint,  sauf  pendant  l'Exposition  de  1900  où  les 
recettes  des  théâtres  atteignirent  37.923.040  francs.  Voici  quelles  ont  été  les 
recettes  dans  les  théâtres  suivants  : 


Opéra 

Français 

Opéra-Comique.  .   . 

Odéon 

Ambigu 

Antoine       

Athénée  

Boîte  à  Fursy  .   .    . 
Bouires-Parisiens.   . 

Capucines 

Chàtelet 

Cluny 

Déjazet 

Folies-Bergère  .   .   . 
Folies-Dramatiques. 

Gaité 

Grand-Guignol  .    .    . 

Gymnase 

Jardin  de  Paris.  .    . 

Marigny 

Moulin-Rouge  .   .   . 

Nouveautés 

^Olyrngia^ 

Palais  de  Glace.  .    . 


3.217.324  39 

2.293.340  20 

2.562.831  69 
856.350  92 
599.030  50 
763.790  » 
529.902  » 
204.847  » 
76.061  50 
311.984  50 

1.884.605  75 
264.649  » 
300.214  75 

1.104.791  25 
501.009  40 

1.018.628  » 
197.177  50 

1.132.421  50 
247.912  50 
811.279  » 

1.006.863  » 
767.107  50 

1.203.075  96 
Ï5Ï."Û06"'  ï 


Palais-Royal 

Porte-Saint-Martin.    .    . 

Renaissance 

Sarah-Bernhardt .    .    .    . 

Variétés 

Vaudeville 

Arts 

Théâtre-Grévin 

Réjane 

Comédie-Royale  .   .   .   . 

Apollo 

Alcazar  d'Été 

Ambassadeurs 

Cigale 

Gaité-Rochechouart    .    . 

Parisiana 

Scala 

Tabarin 

Apollo 

Cirque-Médrano  .  .  .  . 
Nouveau-Cirque  .  .  .  . 
Conc.  du  Conservatoire. 
Concerts-Colonne  .  .  . 
Concerts-Lamoureùx  T~. 


502.463  50 
1.003.597  50 

991.160  50 
1.318.200  50 
1.404.852  25 
1.055.247  50 

104.626  10 
98.801     » 

1.051.811  27 
69.190  » 
421.893  » 
301.817  » 
369.223  » 
777.309  25 
320.697  45 
866.838  50 
663.107  25 
409.679     » 

188.627  50 
487.260  50 
486.143  97 
145.203  » 
230.340  » 
196.250     5 


—  Sur  les  demandes  qui  lui  ont  été  régulièrement  adressées,  la  commission 
de  la  Société  des  Auteurs  et  Compositeurs  dramatiques,  réunie  sous  la  prési- 
dence de  M.  Paul  Hervieu,  a  décidé  de  convoquer  une  assemblée  générale 
extraordinaire  pour  statuer  sur  l'objet  de  ces  diverses  demandes  indiquées  à 
l'ordre  du  jour  ci- après  : 

1"  Discussion  et  vote  sur  la  demande  de  révision  de  l'article  15  des  statuts  sociaux; 

2°  Discussion  ut  vote  sur  la  demanJe  de  révision  de  l'article  22  des  mômes  statuts; 

3°  Perception  des  droits  en  province. 

Cette  assemblée  générale  extraordinaire  des  membres  sociétaires  aura  lieu 
le  vendredi  12  juin  19uS  â  deux  heures  très  précises,  à  la  salle  des  ingénieurs 
civils,  19,  rue  Blanche. 

—  Nos  théâtres  lyriques  continuent  à  se  russifier  de  plus  en  plus,  pour  la 
plus  grande  joie  d'ailleurs  des  Parisiens,  à  ce  qu'il  semble.  Après  Snegourotchka 
à  l'Opéra-Comique  et  Boris  Godounow,  que  MM.  Messager  et  Broussan  songent  a 
mettre  définitivement  au  répertoire  de  l'Opéra  avec  une  traduction  française, 
voici  venir  encore  dans  ce  dernier  théâtre  deux  danseurs  russes,  M"'-'Kschesinska 
et  M.  Légat,  qui  ont  triomphé,  l'autre  soir,  dans  l'adorable  Coppélia  de  Léo 
Delihes  :  «  Dès  son  entrée,  dit  M.  Robert  Brussel,  du  Figaro,  l'exquise  Svva- 
nilda  a  conquis  le  public  ;  sa  technique  souple  et  déliée,  sa  virtuosité  sûre  cl 
délicate  ont  d'emblée  rallié  les  suffrages.  La  jolie  valse  du  début,  la  scène  du 
dépit,  où  son  geste  est  plein  de  la  plus  tendre  éloquence,  la  scène  de  la 
Ballade,  le  thème  slave  varié,  la  scène  et  la  valse  de  la  Poupée  ont  mis  en 
relief  les  dons  naturels  et  la  science  de  l'exquise  danseuse.  Son  éclatant  succès 
a  été  partagé  par  son  valeureux  partenaire  :  M.  Légat,  un  des  plus  experts 
chorégraphes  de  Pétershourg,  qui  donnait  la  réplique  à  M"';  Kschesinska  dans 
le  pas  de  deux.  » 

—  Pourtant,  voici  pour  notre  Opéra  un  projet  qui  va  rester  bien  français. 
Après  les  curieuses  représentations  qu'ils  donnent  en  ce  moment  de  Thaïs 
(goût  américain,  extra-dry),  M"e  Mary  Garden  et  M.  Renaud  vont  faire  une 
reprise  de  la  belle  œuvre  d'Ambroise  Thomas,  Hamlel,  si  injustement  écarté 
du  répertoire  par  le  précédent  directeur  M.  Gailhard  (question  de  comman- 
ditaire et  d'interprétation).  Et  enfin  voici  annoncée  pour  le  mois  de  mars  1909 
la  première  représentation  du  Bacchus  de  MM.  Massenet  et  Catulle  Mendès,  — 
une  belle  suite  pour  Ariane. 

—  Demain  dimanche  dans  l'après-midi,  aura  lieu  dans  la  rotonde  de  l'Opéra, 
gracieusement  offerte  par  MM.  Messager  et  Broussan,  un  ûve  o'clock  stricte- 
ment réservé  aux  membres  de  la  Société  des  artistes  et  amis  de  l'Opéra,  dont 
font  partie,  on  le  sait,  tous  les  commanditaires  de  l'Académie  nationale  de 
musique  et  une  notable  partie  des  abonnés  de  la  maison.  Mlle  Farrar,  la  cé- 
lèbre cantatrice,  a  bien  voulu  s'inscrire  dans  le  programme  qui  réunit  déjà  les 
noms  de  Mllcs  Zambelli,  Louise  et  Suzanne  Mante,  LéaPiron,  Ricotti,  Barbier, 
L.  Couat  et  Urban  et  de  MM.  A.  Brun,  A.  Catherine,  Georges  de  Lausnay, 
Hennebains,  Bas,  Lefebvre,  Vizentini,  Reine,  Staats,  etc. 

—  A  propos  à'Hippolyte  et  Aricie,  qui  vient  de  reparaître  sur  la  scène  après 
cent  soixante-quatorze  ans  d'existence,  V Atlienaeum  de  Londres  cite  un  ou- 
vrage anglais  de  Henry  Purcell  (1638-1695).  Dido  and  Mneas,  dont  la  première 
représentation  remonte  à  1680  selon  les  uns,  à  1693  selon  d'autres,  et  dont 
M.  Charles  Villiers  Stanford  a  dirigé  une  audition  donnée  par  les  élèves  du 
Collège  royal  de  musique,  il  y  a  seulement  quelques  années,  c'est-à-dire  plus 
de  deux  cents  ans  après  la  première  représentation.  Dans  le  même  ordre 
d'idées,  on  pourrait  mentionner  YOrfeo  de  Claudio  Monteverde,  qui  remonte  à 
1607  et  dont  laScholacantorum  a  donné  une  audition,  salle Pleyel,  le  6  février 
1905,  mais  dans  les  cas  de  Purcell  et  de  Monteverde,  il  ne  s'agissait  pas  de 
véritables  représentations  théâtrales.  Purcell  est  considéré  comme  le  plus 
génial  musicien  qu'ait  produit  la  Grande-Bretagne.  Organiste  à  l'âge  de  dix- 
huit  ans,  il  avait  seulement  un  an  de  plus  lorsqu'il  composa  Dido  and  .Eneas 
dont  la  représentation  n'eut  pas  lieu  immédiatement.  Pendant  sa  vie  si  courte 
il  écrivit  une  quarantaine  d'oeuvres  musicales  dont  les  sujets  sont  tirés  des 
ouvrages  de  Dryden,  de  Shakespeare  et  de  beaucoup  d'autres  dramaturges  de 
l'époque. 

—  M.  Albert  Carré  nous  avise  que,  pour  la  saison  1908-1909,  les  abonne- 
ments à  l'Opéra-Comique  recommenceront  le  3  novembre  1900  et,  comme 
d'usage,  se  diviseront  en  six  séries  de  quinze  représentations,  les  mardi,  jeudi 
et  samedi  de  chaque  semaine,  chaque  série  donnant  droit  à  quinze  spectacles 
différents.  En  voici  le  tableau  complet  : 

SAMEDI   A  MARDI    B        )        JEIDI     B  SAMEDI   B 


3  novemb . 
17         — 

1  décemb. 
15       — 
29       - 
12  janvier. 


9  février. 
23        — 

9  mars. 
23  - 
20  avril. 

4  mai. 
18       — 

1  juin." 


JEIDI  A 

5  novemb. 
19       — 

3  décemb. 
17        — 
31        — 
14  janvier. 
28        — 
11  lévrier. 


3  juin. 


7  novemb. 

21  — 

5  décemb. 
19       — 

2  janvier. 
16  — 
30  — 
13  février. 
27  — 
13  mars. 
27  — 
24  avril. 

8  mai. 

22  - 
5  juin. 


10  novemb. 
24        - 

8  décemb. 
22        - 

5  janvier. 
19        — 

2  février. 
16        — 

2  mirs. 
16  — 
30  — 
27  avril. 

11  mai. 


8  juin. 


12  novemb. 

26  — 

10  décemb. 
2i        — 

7  janvier. 
21        — 

4  février. 
18        — 
4  mars. 
18        - 

1  avril. 
29       — 

13  mai. 

27  — 
111  juin: 


novemb. 

décemb. 

janvier. 

février. 

mars. 

avril, 
mai. 


12  juin.  - — 


476 


LE  MENESTREL 


II  n'y  aura  pas  de  soirées  d'abonnement  enlre  le  3  et  le  20  avril  à  cause  des 
fêtes  de  Pâques.  Le  bureau  des  abonnements  est  ouvert,  rue  Marivaux,  de 
11  heures  à  6  beures  ;  on  peut  aussi  s'adresser  par  correspondance  à  Mme  Bin. 
Rappelons  que  les  prix  sont  de  180  francs  pour  une  place  de  loge,  de  bai- 
gnoire ou  un  fauteuil  de  balcon  (premier  rang)  et  de  ISO  francs  pour  un 
fauteuil  d'orchestre  ou  un  fauteuil  de  balcon  deuxième  et  troisième  rangs,  de 
120  francs  pour  une  place  de  loge  de  face  ou  un  fauteuil  de  face  du  deuxième 
étage,  etc. 

—  Spectacles  de  dimanche  à  l'Opéra-Gomique  :  en  matinée,  Snegourotchka  : 
le  soir,  Manon.  Lundi,  en  représentation  populaire  :  Lakmé. 

—  Une  nouvelle  association  vient  de  naître,  celle  des  Concerts  de  musique 
française  ancienne  et  moderne.  Le  but  qu'elle  poursuivra  sera  la  vulgarisation 
des  chefs-d'œuvre  anciens  plus  ou  moins  oubliés,  ou  même  inconnus,  et  des 
œuvres  intéressantes  de  production  moderne,  sans  distinction  d'école.  Le 
comité  de  patronage  réunit  les  noms  de  M.  G.  Saint-Saëns.  président,  et  de 
MM.  Cb.  Bordes.  Bourgault-Ducoudray,  Gabriel  Fauré,  Vincent  d'Indy,  Guy 
Ropartz. 

—  Afin  de  venir  en  aide  aux  jeunes  chanteurs  que  les  difficultés  matérielles 
ont  si  souvent  entravés  au  début  de  leur  carrière,  M.  Lassalle,  l'ancien  artiste 
de  l'Opéra,  avec  le  concours  de  personnalités  artistiques  et  mondaines,  a  fondé 
l'œuvre  des  <•  Pupilles  du  Chant  ».  Plusieurs  fois  l'an,  des  représentations 
d'opéras  inédits  seront  données  et,  en  même  temps  que  les  élèves  perfection- 
neront leur  éducation  scénique,  ils  vulgariseront  les  pièces  de  jeunes  auteurs 
qui  n'ont  pour  se  produire  que  des  occasions  fort  rares.  La  première  repré- 
sentation est  dès  maintenant  fixée  au  13  juin  prochain,  en  matinée.  Elle  aura 
lieu  au  Tbéàtre-Femina.  Le  programme  comprendra  deux  ouvrages  lyriques: 
Maître  Jean,  drame  lyrique  en  trois  actes  d'Albert  Boucheron,  musique  de 
Robert  Broche,  et  Manoël,  drame  lyrique  en  un  acte,  de  Gabriel  Montoya. 
musique  d'Emile  Nerini. 

—  Les  œuvres  françaises  jouissent  en  ce  moment  en  Angleterre  et  en 
Amérique  d'une  vogue  extraordinaire.  Nous  rencontrons  sur  les  programmes 
des  concerts  au  Bechstein  Hall  et  à  lVEolian  Hall  de  Londres  de  nombreuses 
mélodies  d'Ambroise  Thomas,  de  Léo  Delibes,  de  MM.  Messager,  Vincent 
d'Indy  et  A.  Bachelet.  Miss  Charlott  Lund  a  chanté  avec  un  très  brillant 
succès  J'ai  pleuré  en  rêve,  de  M.  Georges  Hue,  Mai,  de  M.  Reynaldo  Hahn, 
Chanson  triste,  de  Henri  Duparc,  et  la  Chanson  des  baisers,  valse  vocale  de 
Bemberg.  A  New-York,  M.  Kubelika  donné  un  concert  d'adieu,  car  il  ne  doit 
pas,  parait-il,  revenir  dans  cette  ville  avant  trois  années;  le  New-York 
Symphony  orchestra,  qui  prêtait  son  concours  au  célèbre  violoniste,  a  fait 
entendre  le  duo  pour  clarinette  et  violoncelle,  Sous  les  tilleuls,  des  Scènes 
Alsaciennes,  de  Massenet.  Cette  délicieuse  inspiration  a  fait  sensation  là-bas. 
Un  fragment  de  la  symphonie  de  Ra£f,  Lénore.  figurait  aussi  au  programme  de 
cette  séance.  A.  Newark,  Mme  Cumming  et  M.  Hofmann  ont  chanté  plusieurs 
airs  de  maîtres  classiques  et  des  œuvres  modernes,  parmi  lesquelles  se  trou- 
vaient Vieille  chanson,  de  Bizet,  l'Heure  exquise,  de  M.  Reynaldo  Hahn,  et  des 
morceaux  de  compositeurs  appartenant  à  toutes  les  nationalités.  Dans 
beaucoup  d'autres  villes,  on  joue  avec  succès  des  œuvres  de  MM.  Massenet, 
Saint-Saëns,  Théodore  Dubois,  Charpentier,  Debussy,  etc.,  etc.  ;  enfin,  la 
musique  française  est  pleinement  en  honneur  là-bas  et  ce  n'est  que  justice. 

—  La  soirée  que  viennent  de  donner  M.  et  Mme  Louis  Tinayre  pourra 
compter  parmi  les  plus  séduisantes  manifestations  de  la  saison.  Il  nous  fut 
donné  d'assister  à  la  première  audition  de  Cybelia,  songe  antique  en  quatre 
tableaux,  dû  à  la  collaboration  de  MM.  Paul  Géraldy  et  Pierre  Gusman  pour  le 
livret,  Armand  Marsick,  pour  la  musique  et  Louis  Tinayre  et  P.  Gusman  pour 
les  ombres  qui  sont  venues  accentuer  l'action  scénique  avec  beaucoup  d'origi- 
nalité. La  musique  de  M.  Armand  Marsick  fut  très  appréciée.  La  partition 
d'une  variété  infinie  de  motifs  place  ce  ferme  musicien  parmi  les  compositeurs 
d'avenir.  Le  musicien  qui  dirigeait  lui-même  l'exécution  a  été  fort  bien 
secondé  par  l'orchestre  choisi  qu'il  avait  formé.  Lés.  rôles  principaux  ont  été. 
tenus  remarquablement:  celui  de  Cybelia,  par  Mme  Caro-Lucas,  de  l'Opéra,  à 
la  voix  caressante  et  vibrante;  M.  Samara,  de  l'Opéra,  au  tempérament  ardent, 
nous  a  donné  un  Atys  jeune  et  passionné  ;  M.  Gilly,  de  l'Opéra,  représentait 
un  Mercure  imposant  et  de  grande  almre.  M.  Alexandre,  de  l'Odéon,  disait 
les  parties  récitées  du  poème. 

—  MM.  Louis  Diémer  et  Jules  Boucherit  viennent  de  se  faire  entendre  avec 
très  grand  succès  à  Clermont-Ferrand  et  à  Limoges.  Au  programme,  des 
œuvres  pour  violon  de  Beethoven,  J.-S.  Bach,  Diémer,  Saint-Saëns  et  des 
œuvres  pour  piano  de  Beethoven,  Haendel,  Rameau,  Daquin.  Mozart,  Chopin, 
Stojowski,  Fauré  et  Diémer,  dont  la  Grande  Valse  de  Concert  a  été,  comme  tou- 
jours, acclamée. 

—  A  Niort  M.  Jean  Déré  vient  de  donner  deux  belles  auditions  musicales. 
Au  programme  deux  chœurs  pour  voix  de  femmes  :  l'Ile  fortunée  de  Moreau 
et  Caligula  de  Fauré.  Dans  cette  dernière  œuvre  la  partie  de  piano  à  quatre 
mains  était  tenue  par  M.  J.  Déré  et  M.  René  Jousset,  un  de  ses  meilleurs  élèves. 
Une  autre  élève  de  M.  J.  Déré,  W"  Garrouste,  a  joue  d'une  façon  remarquable 
le  premier  morceau  du  concerto  de  Saint-Saëns.  Le  magnifique  trio  de  Bee- 
thoven «  à  l'Archiduc  »  a  été  rendu  d'une  façon  impeccable  par  lestrois  ar- 
tistes niortais  :  M.  J.  Déré  au  piano,  Calame  au  violon  et'  Conte  au  violoncelle. 
Puis  M""  C.  Cuirblanc  a  chanté  deux  mélodies  du  jeune  composieur  Jean  Déré. 


Enfin  ce  dernier  a  soulevé  son  auditoire  en  exécutant  au  piano  la  sonate 
op.  111  de  Beethoven,  la  3e  ballade  de  Chopin  et  la  Polonaise  de  Liszt,  qu'il  a 
jouée  avec  un  brio  qui  lui  a  valu  une  véritable  ovation. 

—  Soirées  et  concerts.  —  Chez  M.  Ernest  Charles,  soirée  tout  à  fait  artistique 
consacrée  aux  Chansons  de  Maurice  Maeterlinck,  mises  en  musique  par  M.  Gabriel 
Fabre.  Leur  très  remarquable  interprète,  M-'  Georgette  Leblanc,  ne  s'est  point  con- 
tentée de  chanter,  comme  elle  seule  sait  le  faire,  mais  encore  elle  a  commenté,  dans 
une  très  jolie  causerie,  J'ai  marché  trente  ans,  les  Sept  Filles  d'Orlamonde,  Elle  l'en- 
chaîna et  S'il  revenait  un  jpur.  M.  Gabriel  Fabre  l'accompagnait  au  piano.  —  Ch-z 
M"1  Reine  Laurent,  très  bonne  audition  d'œuvres  de  René  Lenormand  ;  on  bisse  la 
Grâce  suprême  à  M"'  H.  B. '  —  Salle  de  l'Union,  concert  annuel  donné  par  le  «  Choral 
Laffitte  ».  Beaucoup  d'applaudissements  pour  l'Ouverture  du' Roi  d'Ys,  de  Lalo, 
jouée  à  deux  pianos  par  M""  de  Closmé'nil,  Michel,  Ruzé  et  M.  de  Closménil;  pour 
le  duo  du  Roi  d'Ys  chanté  par  M""  Tournier  et  Mojon,  pour  l'air  de  l'Archange  et  les 
chœurs  des  Anges  de  Rédemption  de  César  Franck,  chanté  par  M™'  Hess  et  le  choral, 
pour  Ivresse  d'amour  d'e  Gabriel  Fabre,  chanté  par  M"c  Joveneau  et  accompagnée  par 
l'auteur  et  le  violoncelle  de  M.  Pistch,  enfin  pour  l'air  des  clochettes  de  Lakmé  de 
Delibes,  chanté  par  M""  Naudellis.—  M""  Léa  et  Annette  Cortot  viennent  de  faire 
entendre  leurs  élèves,  parmi  lesquelles  on  a  remarqué  M1'"  J.  H.  (Danse  de  Colombine, 
A.  David),  M.  B.  (entr'acte  de  Manon,  Massenet),  0.  P.  (Arioso  du  Roi  de  Lahore, 
Massenet-Delioux),  J.-B.  {Sérénade  tunisienne,  PfeifTerj,  G.,  C,  B.  et  T.  (Entr'acte- 
Sevillana  de  Don  César  de  Bazan,  Massenet),  M.  J.  G.  {Valse  des  Fleurs  de  Coppélia, 
Delibes),  M"™  G.  S.  (Chant  du  Nautonier,  Diémer)  et  M.  T.  (Cajirice,  Diémer) .  —  Chez 
M»'  Ancel-Guyonnet,  audition  d'œuvres  d'Henri  Maréchal.  Gros  succès  pour  les 
Sonnets  du  XVII'  siècle,  Mona  et  Malgré  moi.  —  Bonne  audition  des  élèves  de 
M"°  Legrand  dans  les  œuvres  de  M1""  L.  Filliaux-Tiger.  î'urent  très  applaudis: 
Roman  d'Arlequin,  les  artistiques  transcriptions  à  4  mains  de  L.  Filliaux-Tiger-Mas- 
senet,  Source  capricieuse  et  Pluie  en  Mer,  qui  fut  rendue  par  M"*  Charlotte  Merlin  avec 
tout  le  talent  et  toute  la  beauté  classique  da  son  excellent  maître  Faure.  —  Beau 
concert  donné  par  M"c  Minnie  Tracey,  salle  Gaveau.  Des  œuvres  très  intéressantes  de 
Rameau,  Beethoven  et  du  compositeur  suédois  Sjôgren,  ont  été  admirablement 
chantées  par  la  cantatrice,  et  un  beau  quintette  de  Simia  a  été  remarquablement  joué 
par  le  pianiste  Th.  Bernard  et  le  quatuor  Chailley.  —  M.  Paul-Silva  Hérard  vient  de 
faire  entendre  ses  élèves,  salle  Monceau,  dans  une  importante  sélection  d'œuvres 
de  Théodore  Dubois  qui  a  joué  avec  M"°  Marie-Louise  Hude  son  Concerto  en  fa 
mineur.  Très  gros  succès.  Beaucoup  d'applaudissements  pour  le  Prélude  sur  un  air 
Irlandais,  à  quatre  mains,  de  Reynaldo  Hahn,  joliment  interprété  par  M""  M.  L.  et 
J.  P.  —  Salle  de  Photographie,  M.  Derivis  a  présenté  ses  élèves  en  une  audition 
très  réussie.  Des  bravos  mérités  vont  à  M""  G.  et  M.  V.  (duo  de  Xavière,  Dubois),  à 
M"e  Y.  de  L.  P.  (Si  mes  vers  avaient  des  ailes,  Hahn),  M.  V.  (Stances  de  Lakme, 
Delibes),  M11"  G.  (air  du  Roi  d'Ys,  Lalo),  de  L.  (strophes  de  Lakmé,  Delibes),  M—  C. 
(air  de  Marie-Magdeleine,  Massenet),  M""  F.  (air  de  Jean  de  Nivelle,  Delibes),  W.  (air 
de  Lakmé,  Delibes),  R.  (Purgatoire,  Paladilhe),  M"  A.  et  M.  R.  (duo  d'Atala,  Grand- 
val),  M-  B.  (L'Été,  Chaminade),  M""  S.  (air  deJeande  Nivelle,  Delibes),  M-A.  (airde 
Manon,  Massenet),  M";  B.  (Le  Nil,  Leroux).  On  a  joliment  terminé  la  séance  par  Nar- 
cisse, de  Massenet,  très  agréablement  chanté  par  M™"  B.  et  M""  J.  Q.  —  M"'  B.  Picard 
et  M.  Rouyer  ont  fait  entendre  leurs  élèves  au  Journal.  Des  scènes  de  Eamlet, 
Werther,  ta  Navarraise,  Lakmé,  Mignon,  Sigurd,  Manon,  Thaïs,  etc.,  fort  adroitement 
présentées  et  rendues,  ont  prouvé  l'excellence  de  l'enseignement  de  M.  Rouyer.  — 
Matinée  des  plus  artistiques  chez  M.  et  M™0  Louis  Diémer.  Au  programme 
Mmc  Henri  Lavedan,  exquise  dans  Mon  cœur  soupire,  Jeunes  fillettes  et  l'Amour  est 
tin  enfant  trompeur,  versions  Weçkerlin,  et  Pastorale  de  Périlhou,  délicieusement 
accompagnée  au  clavecin  par  Louis  Diémer,  qui  joue  seul,  non  moins  délicieuse- 
ment, des  pièces  de  Rameau,  Couperin,  Dandrieu  et  Mozart;  M™  Lamoureux 
(les  Ailes,  Diémer),  M.  David  Devriès  (Dernières  roses  et  tes  Cimes,  Diémer;  Que 
l'heure  est  donc  brève,  Massenet)  et  ïe  maître  violoniste  Johannès  Wolll.  Superbe 
succès  pour  tous.  —  Mme  Tarquini  vient  de  présenter  dans  des  scènes  de  Sigurd,  de 

.  Reyer,  de  Cavalleria  ruslicana,  de  Mascagni,  et  de  Manon,  de  Massenet,  toute  une 
série  d'élèves  qu'on  a  applaudis  en  compagnie  de  leur  excellent  professeur.  —  Salle 
Pleyel,  intéressante  séance  de  musique  de  chambre  donnée  par  MMo  Gabrielle  Stei- 
ger,  avec  le  concours  de  M""  Bureau-Berthelot,  de  MM,  Parent  et  Feuillard.  On 
fête  le  maître  Théodore  Dubois,  venu  pour  accompagner  ses  mélodies,  la  Lune 
s'e/l'euille  sur  l'eau,  Dormir  et  rêver,  la  Prière  de  l'ëphèbe  et  la  Jeune  fille  à  la  Cigale, 
ainsi  que  ses  interprètes,  après  la  belle  exécution  de  son  Trio  pour  piano,  violon  et 
violoncelle.  —  Salle  Pleyel,'  également,  M"'  Georges  Marty  a  fait  entendre  ses  élèves 
dans  des  œuvres  de  son  mari.  A  signaler  notamment  M**"1  A.  V.  (Chanson  d'Avril  et 
Brunette),  M""  J.  P.  (Chanson),  P.  M.  (Sonnet  mélancolique),  C.  P.  (Idylle)  et  M.  G. 
(in  Sieste). 

NÉCROLOGIE 
Jacques  Blumenthal,  compositeur  de  mélodies  vocales,  né  à  Hambourg 
en  1829,  est  mort  le  17  mai  dernier  à  Chelsea,  faubourg  de  Londres.  Il  fut,  en 
1816.  l'élève  de  Henri  Herz  à  Paris.  Ses  chants  ont  eu  beaucoup  de  succès  en 
Angleterre,  où  il  se  retira  en  compagnie  d'autres  artistes,  tels  que  Manns, 
Halle...  à  l'époque  de  la  révolution  de  18iS. 

—  On  annonce  de  Berlin  la  mort  en  cette  ville  d'un  jeune  artiste,  Georges 
Munzer,  à  la  fois  écrivain  et  compositeur,  qui  s'était  déjà  distingué  par  des 
travaux  intéressants.  Auteur  d'une  excellente  biographie  de  Marschner,  de 
divers  essais  sur  l'Anneau  du  Nibelung,  de  Wagner,  sur  l'art  des  anciens  maîtres 
chanteurs,  etc.,  il  a  publié  aussi  plusieurs  romans  humoristiques,  ainsi  que 
certaines  compositions  musicales.  Il  était  né  à  Breslau. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Viennent  de  paraître,  chez  E.  Fàsquelle  :  la  Marjolaine,  pièce  en  5  actes,  en  vers,  de 
Jacques  Richepin  (3  fr.  50)  ;  là  Première  Tentation  de  Saint  Antoine,  de  Gustave  Flau- 
bert, publiée  par  Louis  Bertrand  (3  fr.  50);  tes  Deux  Hommes,  pièce  en  4  actes,  d'Alfred 
Ca'pus,  représentée  à  la  Comédie-Française  (3  fr.  50)  ;  l'Alibi,  pièce  en  3  actes,  de 
Gabriel  Trarieux  (2'fri  50)".  ' . 


IMPRIMERIE   CENTRAL 


IMPRIMERIE   I 


20, 


En.  r.  loriliiHTl 


4028.  —  74e  AME.—  V  23.         PARAIT  TOUS    LES    SAMEDIS  Samedi  6  Juin  19(18. 

(Les  Bureaux,  2  "",  rue  Vi  vienne,  Paris,  h-  arr) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


ENESTREL 


lie  flamépo  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Le  Numéro  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  où,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs, Paris  et  Province.  — Texte  ot  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, 20  fr.,Pari3  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.   —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  su». 


SOMMAIEE-TEXTE 


1.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (22°  article',  Julien  Tiersot.  —  II.  Bulletin  théâtral 
première  représentation  AumCltant  du  Cygne,  à  l'Athénée,  Paul-Emile  Chevalier.  — 
III.  La  Musique  et  le  Théâtre  aux  Salons  du  Grand-Palais  i.S-articlei,  Ca.mii.i.k  Le  Senne 
—  IV.  Nouvelles  diverses  et  concerts. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

LES  YEUX  CLOS 

nouvelle  valse  lente  de  Y.-K.  Nazare-Aga.  -  Suivra  immédiatement  :  Adagio 
de  Théodore  Dubois. 


MUSIQUH   DE   CHANT 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
Je  ne  sais  pas  oit  L'a  la  feuille  morte,  nouvelle  mélodie  d'EnNEST  Moret,  poésie  de 
Kli.ngsor.  —  Suivra  immédiatement  :  Dors,  nouvelle  mélodie  de  René  Lenor- 
jiand,  poésie  de  Fernand  Gregh. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 


CHAPITRE  VI 


GLUCK  COMPOSITEUR  DOPERAS-COMIQUES 

Transportons-nous  au  château  de  Schônbrunn,  le  3  octobre 
1758.  On  y  célèbre  la  fête  de  l'Empereur  Franz,  et,  comme  de 
raison,  il  y  a  à  la  cour  spectacle  de  gala.  Par  une  dérogation 
aux  coutumes  on  ne  chante  pas  ce  soir  l'opéra  italien.  Commen- 
cerait-on à  s'en  lasser,  et  avouer  tout  bas  que  le  genre  est 
décidément  maussade  '?  Bien  entendu,  ce  n'est  pas  non  plus  en 
allemand  que  l'on  chante  :  il  y  a  huit  ans  que  Bach  est  mort, 
et  tout  le  monde  sait  bien  que  l'allemand  n'est  pas  une  langue 
musicale. 

La  toile  vient  de  se  lever  :  regardons  et  écoutons.  L'ouverture 
a  grondé  sur  un  ton  bien  terrible  pour  ce  que  le  premier  coup 
d'œil  semble  annoncer.  Scapin  et  Pierrot  sont  en  scène,  venant 
d'échapper  à  la  tempête  (voilà  l'explication  des  éclats  tumul- 
tueux de  l'ouverture)  ;  ils  chantent,  en  français,  sur  l'air  du 
vieux  vaudeville  :  Tes  beaux  yeux  ma  Nicole  : 

Hélas!  qu'allons-nous  faire 
Mon  cher  Pierrot  ici  ? 


Quand  ils  ont  fini  leurs  doléances,  ils  voient  tomber  du  ciel, 
c'est-à-dire  du  cintre,  un  saucisson,  au  bout  d'une  ficelle  ;  une 
bouteille  suit  la  même  route  ;  une  table  servie,  portant  uni- 
volaille  en  carton,  fait  encore  son  apparition.  Et  Scapin  de 
chanter,  sur  l'air  :  Belle  brune  : 

Aperçois- tu  ce  dindon 
D'une  grosseur  sans  pareille  ? 
O  merveille  ! 

A  quoi  Pierrot,  attaquant  un  «  air  nouveau  »,  répond  par  ces 
paroles  : 

Ah  !  le  bon  pays.  Scapin  '. 
Passons  y  gaiment  la  vie. 

Leur  festin  terminé,  il  arrive  deux  jolies  filles,  répondant  aux 
noms  d'Argentine  et  Diamantine.  Ces  appellations  significatives, 
aussi  bien  que  les  charmes  appétissants  des  donzelles,  font 
ouvrir  l'oeil  et  dresser  l'oreille  à  nos  deux  naufragés  repus.  Ils 
ont  grand  peur  que  leurs  hommages  soient  repoussés,  car  ils  sont 
seigneurs  de  la  bourse  plate;  et  leur  étonnement  redouble  quand 
ils  s'entendent  déclarer  que,  dans  le  pays  où  ils  ont  abordé,  les 
lois,  soucieuses  de  la  juste  répartition  des  fortunes,  obligent  les 
jeunes  filles  riches  à  épouser  des  garçons  qui  n'ont  pas  le  sou. 
Bien  entendu,  tous  les  hommes  sont  fidèles,  les  femmes  aussi, 
et  dociles,  et  aimables,  sans  quereller  jamais  :  bref,  «  le  monde 
renversé  »  !  Le  lieu  où.  Pierrot  et  Scapin  ont  été  jetés  par  la  mer 
en  furie  est,  en  effet,  une  ile  enchantée,  l'Ile  de  Merlin.  Et  ils 
continuent  à  chanter,  maintenant  qu'ils  sont  quatre,  tantôt  seuls, 
tantôt  en  unissant  leurs  voix  en  quatuors,  entremêlant  les  vieux 
«  timbres  »   de  vaudevilles  français  avec  la  musique  nouvelle. 

Mais  cette  musique  nouvelle,  qu'est-elle  donc  ?  Et  d'abord  qui 
est  ce  maître  de  chapelle,  en  bel  habit  de  cour,  que  nous  aper- 
cevons au  clavecin,  dirigeant  gravement  ces  fantoches  ?  Il  nous 
semble  le  reconnaitre  :  eh  !  oui  !  C'est  Gluck  en  personne  I 
Nous  nous  attendions  si  peu  à  le  trouver  en  pareille  compagnie 
qu'un  peu  d'étonnement  est  bien  permis  ! 

Au  fait,  il  est  au  poste  où  l'obligent  de  se  tenir  ses  attribu- 
tions de  kapellmeisler.  C'est  la  fête  de  l'Empereur  :  à  nul  autre 
que  lui  ne  pouvait  incomber  le  devoir  de  fournir  le  spectacle. 
Et  c'est  ainsi  que  nous  voyons  ce  soir  Gluck  occupé  à  diriger 
l'exécution  de  son  œuvre  nouvelle  :  l'Ile  de  Merlin,  opéra- 
comique  français  en  un  acte,  dont  le  poème,  diversement  remanié 
depuis  quarante  ans,  était  à  l'origine  une  pièce  en  vaudevilles 
de  Le  Sage  et  d'Orneval,  le  Monde  renversé,  représenté  pour  la 
première  fois  à  Paris,  à  la  foire  Saint-Laurent,  en  1718. 

Voici  comment  il  avait  été  conduit  à  mêler  aux  ponts-neufs 
des  anciens  spectacles  de  la  Foire  l'inspiration  plus  moderne 
d'où  allait  bientôt  sortir  Orphée.  Nous  pouvons  en  sourire  :  mais 
ne  nous  hâtons  pas  trop  de  crier  à  la  profanation  ni  à  l'abaisse- 
ment du  génie.  Si  Gluck  a  fait  des  opéras-comiques,  l'influence 
qui  l'y  a  poussé   n'est  qu'une  preuve  nouvelle  de  l'estime  en 


478 


LE  MÉNESTREL 


laquelle  l'esprit  français  était  tenu  dans  les  cours  étrangères  au 
milieu  du  XVIIIe  siècle.  Frédéric  appelait  à  lui  Voltaire,  et 
Catherine  Diderot  ;  plus  modeste  en  ses  visées,  la  cour  d'Autriche, 
se  contentait  de  faire  venir  à  elle  l'opéra-comique. 

Bientôt,  —  dès  l'année  qui  va  suivre  cette  représentation  de 
Schônhrunn,  —  nous  allons,  voir  le  directeur  des  spectacles  de 
Vienne,  comte  Durazzo,  imitant  l'exemple  des  princes  à  qui 
Grimm  et  Diderot  écrivaient  les  nouvelles  de  Paris,  entreprendre 
une  correspondance  analogue  avec  Favart,  dans  le  double 
but  d'être  renseigné  au  jour  le  jour  sur  le  mouvement  litté- 
raire et  théâtral,  et  d'avoir  un  intermédiaire  éclairé  pour  les 
engagements  d'artistes  français  dont  il  lui  fallait  composer  la 
troupe  du  théâtre  de  la  Cour  (l).Dès  la  première  lettre  qu'il  écrira 
à  FauteuTde  la  Chercheuse  d'esprit,  le  20  décembre  4759,  nous  lui 
verrons  exposer  ses  plans  :  désireux  d'acclimater  sur  les  scènes 
qu'il  dirige  les  œuvres  du  répertoire  français,  il  s'efforcera  de 
faire  comprendre  à  son  correspondant  la  différence  des -goûts 
parisien  et  viennois,  vantera  les  ressources  du  Théâtre  de  la 
Cour  sous  les  rapports  de  la  musique,  de  la  décoration,  du 
chant,  des  ballets  ;  enfin,  après  avoir  signalé  l'exemple  des_ 
opéras- comiques  qui  ont  été  déjà  représentés  à  Vienne,  il  pré-" 
cisera  ses  intentions  en  ces  termes  : 

'i  Quand  M.  Favart  aura  fait  un  opéra-comique  nouveau, 
quoiqu'il  le  destine  pour  Paris,  cela  n'empêchera  pas  qu'il  ne 
l'envoie  à  Vienne.  Le  comte  Durazzo  le  fera  mettre  en  musique 
par  le  chevalier  Gluck  ou  d'autres  habiles  compositeurs  qui 
seront  charmés  de  travailler  sur  de  si  jolis  vers.  Le  poète  et  le 
musicien  étendront  ainsi  leur  réputation  par  un  secours  réci- 
proque, et  gagneront  doublement  à  travailler  l'un  pour  l'autre  ; 
et  il.  Favart  aura,  sans  rien  dépenser,  de  la  musique  nouvelle 
comme  il  la  souhaitera  (2).  » 

Voilà  donc  Gluck  passé  grand  fournisseur  d'opéras-comiques 
à  Vienne.  La  représentation  de  l'Ile  de  Merlin  avait,  au  moment 
où  Durazzo  écrivait  ces  lignes,  été  la  principale  manifestation 
antérieure  de  cet  épisode  de  sa  carrière.  Nous  n'en  avons  vu 
que  les  premières  scènes  ;  reprenons  donc  notre  place  pour 
connaître  le  reste  (3). 

Nous  en  étions  au  moment  où  Pierrot  et  Scapin  apprenaient 
de  leurs  aimables  et  fortunées  confidentes  quelle  est  la  consti- 
tution de  l'Ile  de  Merlin,  et  leur  entretien  n'allait  pas  sans  de 
nombreux  couplets  se  résolvant  parfois  en  ensembles  vocaux  : 
morceaux  très  libres  de  formes,  où  la  musique  suit  rigoureuse- 
ment la  parole,  et  constituant  plutôt  un  dialogue  musical  qu'un 
véritable  quatuor.  Parfois  le  groupement  et  l'alternance  des 
voix  y  fait  songer  aux  combinaisons  du  quintette  de  la  Flûte 
enchantée,  entre  ïamino,  Papageno  et  les  Fées,  avec  sa  conclu- 
sion fuyante  ;  et  cette  évocation,  plus  de  trente  ans  à  l'avance, 
du  dernier  chef-d'œuvre  de  Mozart  n'est  pas  pour  faire  tort  à 
Gluck  considéré  comme  compositeur  d'opéras-comiques. 

Mais  continuons  à  regarder  le  spectacle.  La  situation  étant 
bien  et  dûment  définie,  tous  les  personnages  de  File  se  présen- 
tent à  tour  de  rôle  à  nos  yeux  étonnés.  C'est  d'abord  un  philo- 
sophe, habillé  en  cavalier  galant  ;  il  entre  en  dansant  et  chantant, 
accompagné  par  sa  guitare.  Dans  le  vieil  opéra-comique  de  la 
Foire  Saint-Laurent,  ses  couplets  étaient  dits  sur  le  timbre  : 
«  Le  joli,  belle  meunière,  le  joli  moulin  ».  Mais  à  Schônhrunn, 
nous  avons  des  airs  nouveaux,  musique  de  Gluck  !  Voici  donc 
sur  quel  rythme,  fort  différent  de  ceux  à'lphigénie,se  chantait  la 
chanson  du  philosophe,  dont  la  brève  formule  mélodique  était 
soutenue  par  les  accords  pizzicato  du  quatuor  à  cordes,  répétés 
mesure  par  mesure  continuellement  jusqu'à  la  fin. 

(  I  )  Celle  correspondance  a  paru  dans  les  Mémoires  et  correspondances  littéraires, 
dramatiques  eta  necdotiques  de  G.  S.  Favart,  3  ;  vol..  Paris,  1808. 

(2)  Favart,  Mémoires,  t.  I,  p.  4. 

(3)  Sur  ce. le  œuvre,  nous  possédons,  d'abord  la  pièce  originale  de  Le  Sage  et 
d'Orneval  {le  Monde  renversée  imprimée  dans  le  tome  III  du  Théâtre  de  la  Foire  ou 
l'Opèra-Cotiiqu',  1723  ;  puis  le  livret  conforme  à  la  représentation  de  Schônbruon  : 
i  Liste  de  Merlin  ou  le  Monde  renversé,  opéra-comique  en  un  acte  mêlé  d'ariettes, 
Vienne  en  Autriche,  dans  l'imprimerie  do  Léop.  Noble  de  Ghelen,  MDCCLVIII  »  ; 
enfin  une  partition  d'orchestre,  rare  et  jusqu'ici  unique  document  complet,  possédée 
par  la  Bibliothèque  du  Conservatoire  de  Bruxelles. 


Après  trois  couplets,  la  voix  conclut,  toujours  avec  le  même 
accompagnement,  par  ce  refrain  final  : 


Ensuite  il  y  a  un  dialogue  en  musique  où  est  parodié  le  style 
de  la  musique  française.  Gillier,  l'auteur  des  airs  nouveaux  de 
1718,  n'avait  pas  manqué  d'y  reproduire  les  imitations  en  usage 
en  son  temps  :  Gluck,  en  1758,  se  conforma,  fidèlement  à  son 
exemple,  et  se  moqua  de  la  musique  française  comme  il  conve- 
nait que  le  fit  un  musicien  de  cour  d'Autriche. 

Et  les  personnages  défilent  toujours.  Ce  sont  d'abord  deux 
femmes  que  ni  Pierrot  ni  Scapin  n'avaient  jamais  vues,  bien 
qu'ils  en  eussent  vaguement  entendu  parler  :  Innocence  et 
Bonne  Foi.  Après  elles,  un  Procureur,  en  habit  galonné,  avec 
un  chapeau  à  plumes  et  une  épée  :  son  nom  est  «  La  Candeur  »  ; 
puis  une  femme-médecin,  Hippocratine,  qui  rit  toujours,  chante 
et  danse,  ce  qui  est  sa  manière  de  guérir  les  malades  ;  et  un 
notaire,  M.  Prud'homme,  vêtu  d'une  robe  blanche,  immaculée. 
Enfin  Merlin  apparaît  dans  les  airs,  sur  un  char  volant,  et  tout 
se  termine  par  les  mariages  obligatoires. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


BULLETIN    THÉÂTRAL 


Athénée.  Le  Chant  dit  Cygne,  comédie  ea  3  actes, 
de  MM.  Georges  Duval  et  Xavier  Roux. 

C'est  une  tout  à  fait  exquise  revanche  que  l'Athénée  vient  de  prendre 
avec  la  nouvelle  comédie  de  MM.  Georges  Duval  et  Xavier  Roux,  ce 
dernier  nouveau  venu  aux  théâtres  d'ordre,  sauf  erreur.  Trois  actes  de 
jolie  tenue  littéraire,  d'agencement  fort  adroit,  d'amusement,  de  senti- 
mentalité et  d'originalité  dans  l'invention  heureusement  amalgamés  et 
d'interprétation  tout  à  fait  soignée  jusqu'en  ses  moindres  détails,  voilà, 
certes,  de  quoi  permettre  de  lutter  avantageusement  contre  les  chaleurs 
menaçantes. 

Veuf,  après  quelques  années  de.  mariage  seulement,  le  marquis  de 
Sambré  fut  toujours  un  joyeux  vivant,  grand  chasseur  et  grand  amou- 
reux ;  il  aime  la  nature  et  adore  la  femme,  mais  il  a,  par-dessus  tout,  le 
culte  de  sa  fille,  qu'il  a  élevée  de  façon  plutôt  poétique  et  que,  faute 
grave,  il  a  mariée  au  plus  terre-à-terre  et  au  plus  positif  des  savants.  Ce 
qui  devait  arriver,  arrive.  Simonne,  c'est  la  jeune  mariée,  parle  art, 
s'enthousiasme  pour  uu  beau  coucher  de  soleil  ou  un  sonnet  bien  serti  ;  et 
Laverdière,  c'est  le  mari,  répond  par  des  chiffres  ardus  ou  des  théories 
sur  le  potentiel.  Simonne  n'est  point  heureuse  ;  Laverdière  non  plus. 
L'un  et  l'autre  chercheront  donc  au  dehors  lame  sœur.  Simonne  la 
trouve  en  quelque  sorte  en  son  père  qui  continue  à  lui  bourrer  l'esprit 


LE  MENESTREL 


17!) 


de  douces  chimères  ce  qui,  nouvelle  faute,  contribue  à  l'éloignerde  plus 
en  plus  de  son  mari.  Laverdière,  lui,  croit  rencontrer  les  atomes  cro- 
chus chez  une  sorte  d'aventurière,  Jessy  Cordier,  jeune,  jolie  et  quelque 
peu  savante,  qui  a  fondé  une  revue  scientifique  marchant  mal  et  pour 
laquelle  elle  court  perpétuellement  après  le  riche  commanditaire  auquel, 
après  versement  de  la  forte  somme,  elle  se  croit  honnêtement  obligée  de 
ne  rien  refuser. 

Simonne  et  Sambré  découvrent  l'intrigue  ;  la  première  parle  de  ter- 
ribles représailles  ;  le  second,  toujours  souriant,  prend  vite  son  parti. 
Laverdière  veut  conquérir  Jessy  Cordier  à  coups  de  billets  de  mille  ; 
Sambré  s'y  prendra  tout  autrement.  Et,  grâce  à  son  exquise  galanterie, 
au  charme  des  mots  tendres  qu'il  sait  susurrer,  aux  baisers  qu'il  sait 
donner  à  propos,  il  conquiert  de  haute  lutte  la  positive  et  prétentieuse 
Jessy.  Et  le  vieux  renard,  qui  sait  qu'il  n'est  plus  d'âge  à  prolonger  une 
aimable  aventure,  avec  les  formes  les  plus  enjôleuses  renvoie  la  direc- 
trice à  sa  revue  et  rejette  dans  les  bras  l'un  de  l'autre  les  deux  jeunes 
époux. 

Le  Chant  du  Cygne  a  trouvé  en  M.  Huguenet,  Sambré,  et  en  Mmc  Duluc, 
Jessy  Cordier,  les  deux  interprètes  rêvés.  Il  semble  impossible  déjouer 
plus  délicatement  et  tout  à  la  fois  plus  naturellement,  plus  habilement 
la  scène  au  cours  de  laquelle  Sambré  séduit,  alors  que  Jessy  se  laisse 
séduire.  Il  faut  complimenter  aussi  M.  André  Lefaur,  Laverdière 
d'allure  amusante  ;  M"e  Rosny,  sympathique  Simonne  :  MM.  Benedict 
et  Térof,  de  silhouettes  pittoresques  et  Mlles  Greuze,  Prince,  de  Sivry, 
Gauthier,  Barat,  spirituelles,  jolies  et  élégantes  comme  il  convient. 

.    Paul-Emile  Chevalier. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THÉÂTRE 

a,Ta.a£.     Salons     du    G-i-si.xxca.-IE^silsii! 


(Huitième  article) 


Bans  le  spirituel  parallèle  entre  les  étudiants  d'hier  et  ceux  d'aujour- 
d'hui qu'il  «  causait  »  l'autre  jour  à  l'Odéon  —  loin  de  nous  le  vilain 
mot  de  conférence  !  —  M.  Alfred  Capus  prononçait  (en  termes  jolis  et 
avec  toutes  les  atténuations  convenables,  mais  sans  dissimuler  la 
macabre  vérité)  l'oraison  funèbre  de  la  bohème.  Il  souhaitait  que  les 
étudiants  du  XXe  siècle  n'en  vinssent  pas  à  donner  l'exemple  de  toutes 
les  vertus  «  car  s'ils  étaient  rangés  à  leur  âge,  à  quel  âge  se  dérange- 
raient-ils ?  Et  s'ils  étaient  déjà  sérieux,  ils  se  prépareraient  une  vieil- 
lesse bien  frivole  ».  Mais,  vertueux  ou  non,  ils  ne  sont  plus  bohèmes  et 
ne  peuvent  plus  l'être  :  «  On  ne  saurait  mener  la  vie  de  bohème  dans 
des  quartiers  neufs,  entre  des  maisons  à  cinq  étages  et  dans  des  rues 
sillonnées  d'automobiles.  Il  faut  pour  cela  des  pavés  pointus,  des  trot- 
toirs étroits,  et  des  passants  familiers  :  il  n'y  en  a  plus  ». 

Ces  conditions  nouvelles  de  la  vie  au  quartier  latin  rejettent  dans  le 
passé  les  scènes  comiques  ou  sentimentales  du  répertoire  d'Henri 
Murger,  et  l'anecdote  larmoyante  du  manchon  de  Franchie  parait  main- 
tenant quelque  chose  de  romantiquement  fantaisiste  à  l'instar  d'une  fin 
d'acte  de  Casimir  Delavigne  ou  d'un  tableau  de  Paul  Belaroche.  Aussi 
M.  Thiéry  est-il  très  excusable  de  l'avoir  commentée  avec  beaucoup  de 
sérieux  et  un  aussi  minutieux  rendu  des  accessoires  que  dans  la  Mort 
de  Marie  Stuart  ou  l'Assassinat  du  Duc  de  Guise. 

On  peut  classer  au  même  plan  —  entre  l'histoire  proprement  dite  et 
le  genre  —  les  Tyrans  de  M.  Jean-Paul  Laurens,  petite  toile  délicate 
et  fine,  très  supérieure  à  son  immense  composition  du  Beethoven  planant 
■sur  l'orchestre  des  concerts  du  Conservatoire.  Ces  tyrans  sont  deux 
poupées  byzantines,  deux  fantoches  de  Césarions  ;  l'un  porte  l'orbe  d'or 
et  le  glaive  impérial  ;  l'autre  tient  le  parchemin  sacré  :  et  la  mosaïque 
des  voûtes,  le  bois  peint  et  la  marqueterie  du  trône,  le  détail  des  cos- 
tumes, tout  est  exécuté  avec  une  précision  minutieuse.  Il  y  a  là  maitrise 
spéciale  ou  plutôt  extraordinaire  virtuosité,  rappelant  les  meilleures 
œuvres  du  peintre  de  l'Interdit.  M.  Tattegrain  a  cherché  au  contraire 
un  effet  nouveau.  Si  nous  le  retrouvons  tout  entier,  lui  et  sa  rudesse 
d'émotion  naturaliste  dans  Tiot  frère  Nanne,  un  vieux  pécheur  qui  vide 
son  verre,  la  Garenne  où  nous  voyons  le  roi  de  France  prendre  «  le 
divertissement  de  la  chasse  »,  en  16S7,  dans  les  dunes  de  Berck,  au 
grand  dam  des  pauvres  lapins  que  ramassent  les  manants  requis  pour 
la  corvée,  donne  l'impression  amusante  d'un  panneau  de  tapisserie 
claire. 

C'est  une  chasse  plus  périmée  qu'évoque  M.  Wagrez  dans  sa  cour  du 
château  de  Laurent  de  Médicis  où  nous  saisissons  quelques  vestiges 
de  la  gloire  abolie  des  fauconniers.  Mais  cette  composition  est  surtout 


un  travail  de  costumier  de  théâtre  ainsi  que  le  Cbarlemagne  de  M.  Paul 

Flandrin  recevant  des  mai  as  des  ambassadeurs  du  calife  les  clefs  du 
Saint-Sépulcre,  le  grand  tableau  de  M.  Jean  Styka,  d'une  disposition 
intéressante  mais  d'une  coloration  bien  terne  qui  représi  nte  les  ambas- 
sadeurs polonais  à  la  cour  de  France  proclamant  L'élection  du  duc 
d'Anjou  comme  roi  de  Pologne,  et  la  tumultueuse  mort  de  Charles  le 
Téméraire  de  M.  Bàude.  Xuus  arrivons  à  l'anecdotisme  avec  la  Germaine 
de  Foix  recevant  Jules  Romain  et  les  NUces  de  Sixte-Quint  de  M.  Ra;  - 
mond  Balze;  la  Mort  de  Pétrone  et  de  Eunice  empruntée  par  M.  Cons- 
tantin Makowski  a  l'encombrant  Quo  Vadii?  ce  copieux  démarquage 
des  Martyrs  et  de  Fabiola  ;  la  Ninon  de  Lenclos  de  M"'  Georges-Achille 
Fould,  blonde,  blanche,  bien  en  chair,  bionda.  bianca,  grassotta,  signant 
le  fameux  billet  à  La  Châtre  ;  le  Doux  parfum  au.v  visées  idylliques  et 
l'auberge  galante  de  M.  Deully  qui  sont  d'un  couturier  bien  documenté 
et  d'un  coloriste  agréable. 

M.  Saint-Germier  est  un  petit-maitre.  Ses  tableaux  survivront  à 
l'actuel  grand  déballage  de  bazar  et  prendront  place  dans  les  galeries 
d'amateurs.  Il  montre  cette  fois  les  deux  aspects  de  son  talent,  le  n  i  ros- 
pectif  et  le  moderne  :  l'antichambre  du  Palais  des  Doges  où  des  seigneurs 
vénitiens  en  tricorne,  domino  et  grand  «  loup  »  blanc  couvrant  la  lèvre 
supérieure,  attendent  une  audience,  et  les  préparatifs  de  la  procession, 
où  le  peintre  fait  jouer  dans  une  somptueuse  symphonie,  l'écarlate  des 
soutanes,  l'or  des  broderies  et  l'argent  des  encensoirs.  Nous  sommes 
ramenés  à  la  comédie  italienne  par  le  Pierrot  jaloux  de  M.  Paul-Alberl 
Laurens  dont  j'ai  déjà  signalé  le  Printemps  et  qui  n'a  pas  grand  laurier 
à  cueillir  dans  le  petit  bois  réservé  de  M.  Pierre  Carrier-Belleuse. 
M.  Gustave  Jacquet  a  intitulé  Don  Juan  et  Zerline  un  jeune  seigneur  et 
une  soubrette,  très  peu  caractérisés,  qui  marivaudent  sous  les  ombrages 
d'un  parc.  Le  burlador  de  Sêville,  l'amant  des  mille  et  Ire  a  peu  de 
chose  à  voir  dans  cette  composition  anecdotique  trop  agrandie,  et  la 
Zerline  de  Mozart  se  reconnaîtrait  malaisément  dans  cette  camériste  au 
tablier  de  dentelles  ;  mais  les  étoffes  sont  rendues  avec  souplesse,  les 
satins,  les  brocards  et  le  décor  s'harmonisent. 

M.  Jules  Cayron  nous  donna  l'année  dernière  un  très  ressemblant  et 
très  vivant  portrait  de  Mme  Cerny.  Il  reste  fidèle  au  théâtre  en  exposant 
un  Pardon  qui  semble  la  dernière  scène  d'une  comédie  du  Gymnase. 
Dans  une  chambre  bien  meublée,  quoique  les  tentures  ne  soient  pas 
d'un  goût  absolument  pur,  sont  réunies  deux  jeunes  femmes  en  toilette 
de  soirée,  jupes  pailletées  et  décolletage.  L'une  s'agenouille,  à  la  fois 
implorante  et  reconnaissante  ;  l'autre  sourit  avec  une  douceur  mélan- 
colique voilée  de  résignation.  Quel  est  le  mot  de  l'énigme  ?  Il  faudrait 
le  demander  à  M.  Maurice  Donnay  ou  à  M.  Bernstein. 

Ne  quittons  pas  les  costumiers  sans  mentionner  rapidement  ce  qui 
leur  appartient  dans  la  section  des  dessins:  trois  fins  pastels:  Mignon 
par  M"c  de  la  Guerra,  Manon  par  M.  Jules  Girardet.  Mimi-Pinson  par 
Mme  Fauchot-Ballion.  A  signaler  aussi  un  poétique  Paradou  de 
II"  Minoggio-Roussel,  l'intéressante  suite  de  dessins  pour  l'illustra- 
tion des  œuvres  d'Alfred  de  Musset,  de  M.  Maillarl,  et  les  compositions 
originales  de  M.  Eugène  Chaperon  pour  les  Chants  du  Soldat  de  M.  Paul 
Déroulède.  D'ailleurs,  l'album  d'aquarelles  militaires  est  très  rempli:  il 
contient  même  des  pages  vraiment  pittoresques,  les  chasseurs  à  cheval 
de  M.  Dupray,  le  hussard  de  la  première  République  de  M.  Eugène 
Deully  et  surtout  la  Musique  Ecossaise  en  marche  de  M.  Maurice  Orange. 
.  Les  orientalistes  sont  en  plus  petit  nombre  qu'à  l'ordinaire.  Sans 
doute  pour  les  rallier,  M.  Clairiu  tire  un  joyeux  feu  d'artifice,  uDe 
véritable  pétarade  de  bruits  et  de  couleurs  :  Allah  .'  Allah  .'  régie  comme 
uns  fantasia  et  de  tonalité  ardente  dans  son  enveloppe  de  poussières 
dorées.  Une  autre  composition,  plus  austère,  mais  toujours  de  caractère 
théâtral,  représente  un  conseil  de  guerre  tenu  par  des  révoltés  dans  une 
forêt  où  l'on  prêche  le  massacre  des  rouinis  : 

Sous  les  arbres  tordus  par  les  chaos  divers, 

Le  chef  prêche  la  guerre  et  chaute  les  revanches. 

L'écbo  répond,  faisant  frémir  les  cèdres  verts. 

C'est  l'aine  des  aïeux  qui  passe  entre  les  branches. 

Même  note  violente  mais  avec  un  sentiment  différent  des  valeurs 
harmoniques  dans  le  Lendemain  du  Phamadan  de  M.  Cauvy  :  réunion, 
sur  une  place  tunisienne  bordée  d'arcades,  des  femmes  aux  robes  pein- 
turlurées, aux  chevelures  emmêlées  de  grappes  de  sequins.  et  de  cava- 
liers aux  burnous  rouges  montés  sur  des  chevaux  dont  les  robes  sont 
Bien  lissées  ;  le  galbe  élégant  de  grands  lévriers  se  détache  sur  l'en- 
semble. Les  Fanatiques  Persan-s  de  M.  Boudoux  qui  se  tailladent  la 
ligure  semblent  en  représentation  sur  la  scène  de  quelque  music-hall, 
et  voici  encore  un  final  d'opérette,  le  Dormeur  de  M.  Paul  Leroy, 
l'Abou-Hassan  des  Mlle  et  une  Nuits,  le  Sancho  Pança  oriental,  victime 
d'une  savante  mystification,  qui  apostrophe  les  commères  rangées 
autour  de  son  lit  :  «  Tous  êtes  des  fâcheuses  et  des  importunes  :  je  ne 


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LE  MÉNESTREL 


suis  pas  le  Commandeur  des  croyauts  ».  M.  Saint-Pierre  a  fait  un 
moindre  effort  de  composition  ;  il  s'est  contenté  de  camper  dans  une 
pose  de  modèle  et  de  vêtir  d'une  garde-robe  opulente  (où  semble  pour- 
tant dominer  le  velours  de  colon)  une  femme  arabe  de  Tlemcen  qui  a 
mis  ses  plus  beaux  atours  pour  aller  au-devant  de  l'aimé.  Coloriste  aussi 
mais  plus  original,  M.  Hoffbauer  dont  le  Bateleur  arabe  sert  de  centre  et 
de  numéro  sensationnel  à  un  amusant  grouillement  de  marche. 

Les  Espagnoleries  de  cette  année  ne  sont  pas  seulement  robustes  et 
précisées,  elles  joignent  encore  à  leur  caractère  dramatique  des  dimen- 
sions supérieures  ;i  celles  de  la  peinture  de  genre.  Je  fais  exception 
pour  M.  Worms  dont  le  talent  est  classé,  l'anecdotisme  spécialisé  et 
qui  n'a  aucune  raison  pour  transformer  sa  manière  ;  dans  la  Ruse  fémi- 
nine, tableautin  qui  représente  une  Célimène  andalousc  entre  deux 
toreros,  laissant  tomber  son  éventail,  on  retrouvera  ses  qualités  habi- 
tuelles de  minutieux  rendu.  Mais  M.  Carlos  Vazquez,  dont  les  gen- 
darmes catalans  ramenant  un  couple  de  gitanes  en  maraude  furent  un 
des  succès  du  Salon  de  l'année  dernière,  a  donné  des  proportions 
presque  excessives  à  la  scène  tragico-comique  de  la  Belle-Mère.  Quatre 
personnages  :  le  beau-père  qui  ne  semble  pas  aimer  les  explications  de 
famille  et  se  dirige  vers  la  porte,  la  belle-maman  qui  apostrophe  son 
gendre  ennuyé  et  perplexe,  la  jeune  femme  aux  yeux  rougis  mais  au 
coup  d'œil  sournois,  évidemment  rassurée  sur  les  suites  de  la  discus- 
sion. Tout  concourt  à  l'effet  théâtral;  on  peut  même  dire  que  tout  l'exa- 
gère, les  meubles  trop  vernis,  les  costumes  trop  neufs,  les  ornements 
métalliques  des  vestes  ou  des  corsages  soigneusement  astiqués. 

Cette  propreté,  cet  éclat  se  comprennent  mieux  dans  l'autre  grande 
toile  que  M.  Zo  intitule  A  la  Plaza,  l'arrivée  en  Victoria  de  deux  femmes 
aux  mantilles  à  larges  mailles,  aux  yeux  de  velours,  à  la  porte  de  la  plaza, 
encombrée  parle  foisonnement  des  marchandes  d'oranges  et  des  aficio- 
nados. Le  blanc  et  le  noir  des  résilles,  l'écarlate  des  fleurs  de  gre- 
nade, le  jaune  ardent  d'un  chàle  à  fleurs,  l'uniforme  voyant  d'un  gen- 
darme vissé  sur  son  cheval  près  de  la  voûte  composent  an  bouquet  de 
colorations  ardentes  à  leur  place  dans  ce  milieu  de  fête  presque  foraine. 
On  voudrait  les  personnages  plus  souples,  mais  apparemment  notre 
jeune  école  Franco-Espagnole  vise  surtout  à  se  montrer  robuste,  car 
M.  Etcheverry  formule  avec  une  précision  fatigante  ses  paysans  espa- 
gnols vendeurs  de  légumes  et  de  volailles.  Marchands  et  marchandises 
aussi  minutieusement  rendus  semblent  les  mêmes  natures  mortes.  Le 
Campement  do  bohémiens  de  M.  Pierre  Benoit  en  devient  reposant. 

Il  fut  un  temps  où  les  humoristes,  sévèrement  exclus  du  Salon  officiel 
où  leur  fantaisie  aurait  paru  offenser  la  gravité  académique,  n'avaient 
d'autre  asile  que  les  salles  de  l'avenue  d'Antin.  Ce  préjugé  a  fait  son 
temps;  les  notations  humoristiques  abondent  au  premier  étage  du 
Grand-Palais;  elles  prennent  même  un  accent  d'opérette  genre  Belle- 
Hélène  dans  le  très  amusant  Ulysse  de  M.  Adrien  Devambez  :  un  petit 
bonhomme  pas  plus  haut  qu'çâ  accroupi  au  milieu  d'une  plage,  des 
myrmidons  qui  font  cercle,  une  trirème  grande  comme  un  joujou  de 
Nuremberg,  le  tout  vu  de  trois  cents  mètres  de  hauteur.  L'Odyssée  tra- 
vestie à  l'usage  du  vingtième  siècle,  musique  de  Claude  Terrasse.  Autre 
humoriste,  assez  inattendu  celui-là,  M.  Gorguet.  Il  a  spirituellement 
groupé  les  grenouilles  qui  demandent  un  roi  autour  du  héron  occupé  à 
gober  ses  sujets.  Le  décor  est  exquis  dans  la  tonalité  de  faïence  passée 
au  grand  feu.  M.  Vogal,  le  dessinateur  célèbre,  a  également  commenté, 
pour  ses  débuts  de  peintre,  une  ÎMe  de  La  Fontaine,  le  Loup  et  le  Re- 
nard; mais  il  a  fait  des  deux  «  ctrangc*  voisins  »  des  créatures  à  la  fois 
animées  et  symboliques.  Le  loup  est  un  î-ni're  aux  fortes  épaules,  à  la 
poigne  brutale  ;  le  renard  un  sinistre  robiu.  lia  conversent  parmi  les 
ruines  qu'a  faites  la  guerre,  et  nous  devinons  que  ces  rudes  profiteurs 
sauront  encore  tirer  quelque  chose  de  ce  pays  dévasté.  Peinture  fine. 
un  peu  sèche  et  sans  reflets,  mais  dessin  spirituel. 

M.  Brispot  continue  la  réjouissante  série  de  ses  Bancs  où  vient 
échouer  l'humanité  sous  les  aspects  les  plus  divers.  Il  nous  conduit  au 
parc  Monceau  pour  nous  montrer  un  couple  bourgeois,  d'âge  mûr,  à  la 
fois  scandalisé  et  hypnotisé  par  le  voisinage  d'une  belle  personne,  à 
toilette  voyante,  en  quête  d'aventure.  Le  mari  dessine  un  geste  de  ré- 
probation; la  femme  regarde  à  travers  son  face-à-main,  mais  la  moue 
est  presque  indulgente.  Mme  Virginie  Demont-Breton  a  intitulé  les 
Petits  Goélands  un  trio  d'enfants  aux  anatomies  ingrates  mais  aux  gestes 
drôles,  nichés  dans  un  trou  de  sable  au  bord  de  la  mer.  M.  Geoffroy 
ajoute  deux  bons  feuillets  à  son  album  de  figures  enfantines  expressi- 
vement  caractérisées  :  le  remarquable  Noèl  des  petits  en  extase  devant 
une  représentation  théâtrale,  au  dispensaire  de  la  goutte  de  lait  de 
Belleville  et  l'anecdotique  mais  amusant  Écolier  embarrassé  resté  en 
panne  devant  le  tableau  noir  pendant  que  ses  camarades  rient  de  sa 
confusion.  Dans  la  même  note,  avec  moins  de  finesse  et  plus  d'effet 
sur  le  public  du  dimanche,  les  Petits  Pécheurs  de  M.  Chocarne  Moreau, 


mettant  à  flot  des  bateaux  minuscules  et  son  mitron  jovial  qui  fait 
goûter  une  écrevisse  à  un  petit  Savoyard,  ainsi  que  les  Deux  gosses  — 
Fanfan  et  Claudinet,  —  de  M.  Lobrichon,  s'embrassant  à  pleines  lèvres 
sur  les  marches  d'un  escalier. 

Il  y  a  de  l'apostolat  anti-alcoolique  dans  le  sinistre  Groupe  d'amis  du 
peintre  américain  Cameron.  Le  décor  représente  une  salle  basse  d'esta- 
minet; autour  des  verres  d'absinthe,  luisants  et  glauques  comme  des 
blocs  de  jade,  sont  groupés  une  femme  et  deux  hommes  au  teint  plombé, 
aux  regards  ternes,  aux  gestes  mécaniques,  portant  tous  trois  le  stig- 
mate de  la  fee  Verte.  Comme  M.  Brieux  fera  jouer  tôt  ou  tard  boulevard 
de  Strasbourg  une  pièce  sur  et  contre  l'abus  du  Pernod,  voilà  une 
excellente  vignette  de  programme  illustré.  Les  envois  de  M.  Jules 
Adler  sont  plus  gais  malgré  une  certaine  austérité  d'exécution  :  le  Trot- 
tin,  mince  et  transparente  figure  de  Montmartroise  anémiée,  qui  pour- 
rait jouer  son  rôle  daus  le  Ruisseau,  mais  garde  une  souple  grâce 
d'ingénuité  rieuse,  et  la  Chanson  de  la  grand'roule,  autrement  dit  M.De- 
cori  égrenant  les  chansons  du.  chemineau  sous  le  ciel  du  bon  Dieu  ; 
motif  connu. 

Le  Marchand  de  jouets  de  M.  Richard  Mille  faisant  marcher  ses  pou- 
pées mécaniques  sur  le  trottoir  devant  le  cercle  habituel  des  badauds 
est  une  petite  scène  foraine  de  disposition  originale.  Quant  à  l'album 
théâtral  proprement  dit,  il  a  gardé  ses  peintres  et  ses  dessinateurs 
habituels.  Je  ne  veux  pas  les  séparer,  car  ils  obtiennent  les  mêmes 
effets  avec  des  moyens  différents.  Le  plus  remarquable  envoi  est  la 
Parade  de  M.  Franck  Boggs,  croquis  de  la  fête  de  Neuilly  traité  dans 
un  parti  pris  de  lumière  blafarde.  Les  personnages  s'estompent  comme 
des  silhouettes  de  Callot  et  composent  une  sorte  de  frise  indéfinie  mal- 
gré l'exiguïté  de  la  toile.  M.  Ulysse  Caputo  (Avant  la  répétition),  M.  Hip- 
polyte-Lucas  (Modem-Dame),  M.  Avy  (un  spirituel  Entr'acteel  le  Miroir 
qui  montre  en  trompe-l'œil  le  défilé  des  abonnés  venant  présenter 
leurs  hommages  à  la  «  grande  artiste  »  d'un  théâtre  évidemment  sub- 
ventionné), M.  Lefort  (une  Matinée  au  concert  des  Ambassadeurs)  font 
preuve  de  la  même  virtuosité  humoristique.  Les  danseuses  de  M.  Mes- 
plès  sont  un  excellent  dessin  rehaussé  auquel  on  peut  appareiller  la 
petite  ballerine  dans  l'attente  et  l'émoi  de  la  dernière,  minute  agréable- 
ment pastellisée  par  Mme  Lamiral,  la  Danse  au,v  crotales  de  M.  Raphaël 
Collin  pour  les  «  Chansons  de  Bilitis  »  de  M.  Pierre  Louys,  le  Chant 
des  sirènes,  copieuse  sanguine  de  M.  Adolphe  La  Lyre,  la  pittoresque 
Schola  cantorum  de  M.  Georges  Kennedy,  le  Chanteur  de  complaintes  de 
M.  Maurice  Leloir,  et,  pour  terminer  en  gerbe  de  feu  d'artifice,  la  Fée 
radium  de  M.  Ferry. 

(A  suivre.)  Camille  Le  Senne. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(P0UH    LES    SEULS    ABONNÉS    A    LA    MUSIQUE) 


Voici  une  valse  délicieuse  de  Nazare-Aga,  laquelle  ne  peut  manquer  de  devenir 
promptement  populaire  :  Les  Yeux  clos.  Elle  est  aussi  bien  venue  assurément  dans 
sa  mélodie  et  dans  son. rythme  que  les  plus  grands  succès  du  genre.  Pourquoi  donc 
ne  réussirait-elle  pas  tout  autant? 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 
La  ville  de  Vienne  vient  d'acquérir  moyennant  un  prix  de  103.000  cou- 
ronnes la  maison  dans  laquelle  est  né  Schubert,  le  31  janvier  1797,  douze 
jours  avant  que  le  lied  le  plus  populaire  de  l'Autriche,  ['Hymne  autrichien  de 
Haydn,  ait  été  chanté  sur  tous  les  théâtres  de  Vienne  et  ait  pris  ainsi  son  vol 
vers  la  célébrité.  La  maison  natale  de  Schubert  est  une  bâtisse  à  trois  portes, 
avec  cinq  fenêtres  au  premier  et  unique  étage.  Elle  est  située  dans  le  neuvième 
district  de  Vienne,  Nussdorferstrasse,  n°  54. 

—  Une  scène  tragique  s'est  passée  samedi  dernier  à  Vienne,  dans  un  café  delà 
Theresenstrasse.  A  l'heure  delà  sortie  des  théâtres,  on  vit  entrer  dans  l'éta- 
blissement une  actrice  appartenant  à  la  troup  :  du  Raimundtheater,  qui  avait 
été  engagée  pour  jouer  le  rôle  de  la  princesse  Viciowsko  dans  une  pièce  inti- 
tulée le  Favori  des  Dam«s.  L'artiste  était  accompagnée  de  deux  do  ses  cama- 
rades. Tous  les  trois  causaient  et  paraissaient  être  en  bonne  intelligence.  Ils 
s'installèrent  à  une  table  et  demandèrent  des  consommations.  Tout  à  coup,  l'un 
des  comédiens,  nommé  Hofer,  sortant  de  sa  poche  un  revolver,  lit  feu  à  bout 
portant  sur  la  jeune  femme.  Heureusement,  celle-ci  avait  vu  le  geste  et  s'était 
vivement  jetée  de  coté.  La  balle. alla  frapper  le  mur  :  mais  l'artiste  ressentant 
une  vive  douleur  dans  la  tète,  causée  sans  doute  par  la  commotion,  se  croyait 


LE  MÉNESTREL 


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blessée  et  poussait  des  cris  de  frayeur.  On  l'cnlraina  hors  de  la  salle  pendant 
que  l'un  des  garçons  de  service  courait  chercher  la  garde  et  que  les  autres 
s'efforçaient  de  désarmer  l'acteur  Hofer.  Ce  dernier  résistait  et,  tournant  son 
arme  contre  lui-même,  tira  un  second  coup  que  l'on  Dt  dévier;  la  balle  lui 
effleura  seulement  le  visage,  laissant  une  égratignure  au  nez.  Toutefois,  bien 
décidé  à  mourir,  il  parvint  à  déjouer  la  surveillance  de  ceux  qui  avaient  enfin 
réussi  à  lui  arracher  son  revolver,  tira  un  couteau  de  sa  poche,  l'ouvrit  et, 
l'appuyant  contre  une  table,  se  précipita  sur  la  lame  avec  fureur.  Il  se  blessa 
ainsi  assez  profondément  dans  la  région  du  cœur,  mais  ne  parvint  pas  à  se 
donner  la  mort.  On  le  conduisit  dans  une  clinique  voisine  pour  y  recevoir 
les  soins  des  chirurgiens.  L'opinion  générale  est  qu'il  a  dit  agir  par  jalousie. 
Il  souffrait,  parait-il,  de  dérangements  cérébraux. 

—  Après  un  séjour  de  cinq  mois  dans  le  midi,  Mme  Gosima  Wagner  vient 
de  rentrer  à  Bayreuth.  Sa  santé  s'est  améliorée,  parait-il,  pendant  le  temps 
qu'elle  a  passé  à  Sainte-Marguerite. 

—  La  partition  de  l'Electra,  de  M.  R'chard  Strauss,  dont  l'éditeur  est 
M.  Adolphe  Fûrstner,  l'éditeur  déjà  de  Salomé  et  de  Fewrnot,  du  même  auteur, 
sera  publiée  simultanément  en  allemand,  en  italien,  en  français  et  en  anglais. 
On  sait  que  la  première  représentation  à'Eleclra  à  Dresde  est  définitivement 
fixée  au  mois  de  janvier  1809  et  que  l'ouvrage  sera  donné  dès  le  mois  suivant 
à  Monte-Carlo. 

—  L'opéra  en  trois  actes  de  C.-F.  Naprawnik,  Dumbrowsky,  texte  d'après 
Pouchkine,  a  été  joué  pour  la  première  fois  en  Allemagne  le  28  mai  dernier 
par  l'ensemble  de  l'Opéra  de  Saint-Pétersbourg,  actuellement  en  représentation 
à  Berlin. 

—  La  fondation  internationale  «  Mozarteum  »,  réunie  à  l'Association  Mozart, 
et  ayant  son  siège  àSalzbourg,  vient  de  décider  que  des  fêtes  seraient  données 
les  17  et  18  août  prochains  pour  célébrer  le  soixantième  anniversaire  de  l'avè- 
nement au  trône  de  l'empereur  d'Autriche  François-Joseph.  Un  concert  de 
gala  sera  donné  au  Théâtre-Municipal  de  Salzbourg,  avec  le  concours  de  M""'Lili 
Lehmann,  et  une  audition  solennelle  de  la  Messe  du  couronnement  aura  lieu 
dans  la  cathédrale. 

—  Un  compositeur  allemand,  d'origine  polonaise,  M.  Nowowiekly,  qui,  quoi- 
que fort  jeune  encore,  a  déjà  obtenu  deux  fois  le  prix  de  l'Académie  de  Berlin 
et  le  prix  Meyerbeer,  a  tiré  du  fameux  roman  de  M.  Sienkiewicz,  Quo  vadis  ? 
la  matière  d'un  poème  symphonique  en  quatre  parties  et  une  fugue  finale,  pour 
soli,  chœurs,  orchestre  et  orgue.  A  l'aide  de  tous  ces  moyens  phoniques,  l'ar- 
tiste a  mis  en  lumière  quatre  épisodes  importants  du  célèbre  roman  :  l'incen- 
die de  Rome,  la  révolte  populaire  contre  les  chrétiens,  la  réunion  chrétienne 
dans  les  catacombes  et  la  rencontre  de  Pierre  avec  le  Nazaréen  ressuscité.  Pour 
épilogue,  une  fugue  symphonique  chorale,  qui  résume  le  contenu  du  poème  et 
le  couronne. 

—  Le  Père  Hartmann,  de  son  nom  de  famille  Paul  Von  An  der  Lan-Hochbrun, 
vient  de  donner  à  Amberg  la  première  audition  de  son  nouvel  oratorio  la  Mort 
du  Sauveur. 

—  Nous  sommes  en  ce  moment  en  pleine  musique  russe;  profitons-en  pour 
donner  quelques  détails,  d'ailleurs  de  circonstance,  sur  un  instrument  natio- 
nal, la  balalaïka,  qui  retrouve  là-bas  un  regain  de  succès  et  de  popularité.  La 
balalaïka  est  une  sorte  de  guitare  à  caisse  sonore  triangulaire,  dont  le  manche, 
très  long,  est  monté  de  trois  cordes  de  boyau  à  l'accord  assez  variable.  Elle 
est  particulièrement  en  faveur  auprès  des  paysans  russes,  qui  s'en  servent 
pour  accompagner  leurs  chants  si  caractéristiques,  et  surtout  leurs  danses. 
Un  amateur  de  cet  instrument  curieux,  M.  W.  Andrejew,  s'en  est  fait  l'apùtre 
depuis  une  vingtaine  d'années,  dans  le  but  de  le  remettre  en  honneur  dans 
les  maisons  russes.  Il  a  obtenu,  sur  la  cassette  privée  du  tsar,  une  subvention 
annuelle  de  23.000  roubles,  et  il  emploie  cette  subvention  à  donner  partout 
des  concerts  spéciaux  auxquels  les  plus  pauvres  peuvent  assister  moyennant 
un  prix  d'entrée  de  deux  kopeks.  Son  travail  de  propagande  a  fait  revivre  une 
industrie  devenue  très  florissante  grâce  à  ses  efforts,  ceù-*  de  la  construction 
et  de  la  fabrique  des  balalaikas.  Il  s'en  vend  actuellement  en  Russie  200.000 
par  année,  pour  une  somme  d'un  million  400.000  roubles.  Une  b  Jalaika  pri- 
mitive et  commune  ne  dépasse  pas,  comme  prix,  deux  roubles,  mais  une  ba- 
lalaika  de  concert  coûte  jusqu'à  85  roubles.  Le  ministère  de  la  guerre  prend 
un  grand  intérêt  à  la  diffusion  de  cet  instrument  dans  les  casernes,  et  dans 
beaucoup  de  régiments  il  s'est  formé  des  orchestres  de  balalaikas,  comme 
ailleurs,  hélas  !  il  se  forme  des  orchestres  de  mandolines. 

—  En  1827,  le  sullan  Mahmoud  II,  désireux  de  réorganiser  ses  musiques 
militaires,  s'adressa  au  marquis  Groppallo,  alors  ministre  de  Sardaigne  près 
la  Sublime-Porte,  pour  le  prier  de  lui  procurer  ua  musicien  qu'il  chargerait 
de  cette  mission.  Celui-ci  lui  indiqua  Giuseppc  Donizetti,  frère  de  l'illustre 
compositeur,  qui  avait  été  chef  de  musique  d'un  régiment  italien  au  service  de 
l'Autriche,  et  Giuseppe  Donizetti  fut  appelé  en  effet  à  Constantinople,  en  qua- 
lité d'«  instructeur  général  des  musiques  impériales  ottomanes  ».  Il  conserva 
cette  situation  jusqu'à  sa  mort  (10  février  ISoii).  C'est  de  cette  époque  que  vit 
à  Constantinople  une  famille  composée  des  neveux  de  l'auteur  de  lu  Favorite 
et  de  Lucie  de  Limmermoor .  dont  ils  devinrent  les  héritiers  et  qui  ont  consacré 
une  salle  de  leur  habitation  à  la  réunien  des  souvenirs  du  grand  artiste.  On 
voit  dans  cette  salle  le  plus  beau  portrait  que  l'on  connaisse  du  maitre,  une 
toile  de  deux  mètres  de  hauteur,  où  il  est  représenté  assis  devant  un  bureau, 
offrant  à  qui  le  regarde  un  visage  sans  moustaches,  entouré  d'un  collier  de 
barbe  courte  et  épineuse.  Au  bas,   ou  lit  :   Ronn,  Goglittti.  IS3S.   A  coté,   une      I 


autre  toile,  où  sourit  d'une  façon  délicieuse  le  portrait  de  l'adorable  femme  de 
Donizetti,  la  charmante  Virginia  Vasielli.  morto  à  la  fleur  de  l'âge,  duchagrin 
que  lui  avait  causé  la  porte  de  ses  enfants.  Puis,  dans  des  vitrines,  sur  des 
tables  du  dix-huitième  siècle  provenant  de  l'héritage,  ses  petits-neveux  ont 
disposé  avec  religion  les  reliques  :  autographes,  bagues,  montres,  statuettes 
de  bronze  et  de  terre  cuite,  le  cachet  orné  de  brillants,  don  de  la  cour  dé 
Vienne,  les  boutons  de  chemise  donnés  parRossini  à  Donizetti  pour  le  remer- 
cier d'avoir  dirigé  son  Stabjt,  la  montre  d'or  qu'il  reçut  pour  la  transcription 
d'un  opéra  de  son  maitre  Mayr,  la  clef  avec  laquelle  il  accordait  son  piano,  un 
bâton  de  chef  d'orchestre  en  nacre  incrustée,  la  coupe  de  cristal  offerte  à  son 
maitre  par  la  grande  cantatrice  Carolina  L'nger,  etc.  Quelques  photographies  de 
petit  format  dans  ses  moments  de  cruel  délire,  les  pupilles  dilatées  regardant 
l'invisible,  la  bouche  horriblement  contractée.  Un  numéro  du  CUarivari  de  1840, 
le  représente,  cruel  contraste,  en  caricature,  dirigeant  un  orchestre  ridicule. 

—  Il  parait  qu'à  Constantinople  le  service  particulier  de  la  compagnie 
lyrique  italienne  du  sultan  n'est  pas  sans  offrir  quelques  difficultés,  d'après 
les  caprices  du  souverain.  Il  arrive  souvent  que  les  artistes  sont  appelés  en 
toute  hâte  pour  jouer,  par  exemple,  la  Forza  del  Destina;  tous  aussitôt  s'ha- 
billent, les  machinistes  disposent  les  décors  et  apprêtent  les  accessoires, 
lorsque  tout  d'un  coup  le  souverain  change  d'idée  et  demande  la  Traviala.  Il 
faut  se  déshabiller  et  se  rhabiller  pour  changer  de  costumes,  et  apprêter  tout 
de  nouveau;  les  musiciens  descendent  à  l'orchestre  et  attaquent  le  prélude... 
Vlan!  nouveau  contretemps  :  Sa  Majesté  donne  un  nouvel  ordre;  cette  fois, 
c'est  la  Grau  Via  qu'il  lui  faut,  et  le  branle-bas  recommence.  C'est  que  le 
sultan  s'ennuie,  et  qu'il  ne  sait  jamais  ce  qu'il  veut.  Mais  on  comprend  que 
son  service  est  malaisé.  Le  journal  la  Nazione,  qui  nous  fait  eonnaitre  ces 
délails,  y  ajoute  une  anecdote.  Le  souverain,  en  regardant  l'orchestre,  vovait 
toujours  tous  les  artistes  assis  hormis  un  seul,  le  contrebassiste.  Il  s'informa, 
et,  ayant  appelé  le  chef  d'orchestre,  lui  ordonna  de  dire  au  contrebassiste 
qu'il  lui  savait  gré  de  cette  marque  de  respect  qu'il  lui  donnait,  mais  qu'il 
l'en  dispensait  désormais  et  qu'il  pouvait  s'asseoir  comme  les  autres.  Le  chef 
d'orchestre  s'efforça  de  faire  comprendre  au  padischah  que  le  musicien  devait 
être  debout  à  cause  des  proportions  de  son  instrument.  Le  maitre  approuva 
de  la  tête,  mais  à  la  représentation  suivante  le  contrebassiste  trouva  près  de 
sa  contrebasse  un  siège  énorme,  haut  comme  un  monument,  et  auquel  on 
accédait  par  un  petit  escalier. 

—  De  Bruxelles  :  De  passage  à  Bruxelles,  nous  avons  eu  la  bonne  fortune 
de  pouvoir  assister  à  une  audition  d'élèves  que  Mme  Clotilde  Kleeberg  donnait 
dans  ses  salons  de  l'avenue  "Washington.  C'était  une  vraie  réjouissance  artis- 
tique d'entendre  le  Concerto  en  ut  mineur  de  Beethoven,  interprété  par 
Mme  Vantkver  et  celui  en  la  mineur  de  Schumann,  par  Mlle  Yservef,  le  second 
piano,  remplaçant  l'orcheslre,  tenu  par  Mmc  Clotilde  Kleeberg.  Mentionnons 
encore  la  première  partie  de  la  Sonate  en  si  bémol  de  Chopin,  adorablement 
jouée  par  M.Ue  Rogel  et  les  Variations  de  Schumann.  pour  deux  pianos,  joués 
à  la  perfection  par  Mme  Yerôfy  et  MUe  Yservef. 

—  On  écrit  de  Francfort-sur-le-Mein  que  c'est  M.  Félix  Berber,  professeur 
au  Conservatoire  Hoch  de  cette  ville,  qui  est  appelé  à  prendre  la  succession 
de  M.  Henri  Marteau  comme  professeur  supérieur  de  violon  au  Conserva- 
toire de  Genève.  Élève  des  Conservatoires  de  Dresde  et  de  Leipzig,  M.  Félix 
Berber,  qui  est  né  à  Iéna  le  11  mars  1872,  a  été  concertmeister  à  Magdebourg, 
puis  au  Gewandhaus  de  Leipzig,  jusqu'au  jour  où  il  accepta  une  classe  au 
Conservatoire  de  Francfort. 

—  La  direction  du  Théâtre  Municipal  de  Carlsbad  a  décidé  de  donner  des 
fêtes  musicales  en  l'honneur  de  Mozart  pendant  le  mois  de  juillet  prochain. 
On  entendra  :  Don  Juan,  les  Noces  de  Figaro,  l'Enlèvement  au  sérail  et  la  Flûte 
enchantée. 

—  De  Milan  :  La  question  des  chapeaux  de  dames  au  théâtre  va  avoir  ici 
une  solution  décisive.  Depuis  plusieurs  années  déjà  la  direction  de  la  Scala 
a  interdit  radicalement  aux  spectatrices  de  garder  leurs  chapeaux  pendant  la 
représentation  et  cette  mesure  d'interdiction  a  été  énergiquement  exécutée. 
Mais  dans  les  théâtres  du  trust  Suvini-Zerboni.  qui  dispose  d'une  demi- 
douzaine  de  grandes  salles  de  spectacle  milanaises,  on  s'était  contenté  de 
«  prier  »  les  dames  de  ne  venir  au  théâtre  qu'avec  des  chapeaux  minuscules, 
demi-mesure  qui  a  eu  à  Milan  le  résultat  qu'elle  a  obtenu  ailleurs,  c'est-à-dire 
aucun.  Spectateurs  et  spectatrices  ne  sont  jamais  parvenus  à  se  mettre  d'accord 
sur  ce  qu'on  doit  appeler  un  grand  ou  un  petit  chapeau.  Tous  les  soirs  il  y 
eut  des  discussions  qui,  il  y  a  quelques  jours,  dégénérèrent  en  rixes  et  pugilats 
au  théâtre  Olympia.  Pendant  deux  heures,  malgré  l'intervention  des  repré- 
sentants de  la  police,  malgré  les  objurgations  du  directeur  et  du  régisseur,  il 
fut  impossible  de  commencer  la  représentation  et  lorsqu'à  dix  heures  et  demie 
les  chapeaux  monstres  eurent  battu  en  retraite,  et  qu'il  fut  possible  de  lever 
le  rideau,  il  n'y  avait  plus  personne  dans  la  salle.  Ce  scandale  a  déterminé  les 
autorités  à  intervenir.  La  préfecture  vient  de  décider  qu'à  l'avenir  les  chapeaux 
seront  interdits  dans  les  'héàtres  proprement  dits,  tels  que  la  Scala,  le 
Manzoni,  le  Lirico,  le  Dal  Vernie,  et  le  Filodrammatici,  mais  seront  tolérés 
dans  les  music-halls  et  cafés-concerts. 

—  Durant  le  mois  d'avril  et  la  première  quinzaine  de  mai,  on  a  donné  dans 
les  théâtres  de  Madrid  les  premières  représentations  des  ouvrages  suivants  : 
à  l'Apollo,  la  Dama  roja,  zarzjela  en  un  acte,  paroles  de  MM.  Pont  et  Solillo, 
musique  de  M.  Chapi;  succès.  —  au  Théâtre  Comique,  los  Xinos  de  Teluan, 
saynète  de  forme  gracieuse,  musique  de  MM.  Calleja  et  Torregrosa.   —   A   la 


182 


LE  MENESTREL 


Zarzuela,  el  Rolo  de  la  perla  negra,  épisode  sans  prétention  pour  lequel  le 
maestro  Vives  a  écrit  une  musique  très  agréable;  et  Episodios  nationales,  revue 
historique  en  sept  tableaux,  «  dont  la  musique,  dit  un  journal,  due  à  MM.  Vives 
et  Lleo,  s'est  fait  applaudir  pour  ses  airs  populaires  ». 

—  L'Académie  de  San  Fernando,  de  Madrid,  avait  ouvert  toute  une  série 
de  concours,  entre  autres  pour  un  opéra,  pour  une  collection  de  chants  popu- 
laires et  pour  une  suite  d'orchestre.  Pour  l'opéra,  le  prix  a  été  attribué  à  un 
ouvrage  intitulé  Amor  de  perdition,  dont  la  musique  a  pour  auteur  M.  Manuel 
M.  Fabla.  La  collection  de  chants  populaires  qui  a  été  couronnée  est  un 
recueil  de  Gantos  salmanlinos  du  à  M.  Damaso  Ledesma,  dont  une  audition 
partielle,  dirigée  par  l'auteur,  a  eu  lieu  à  l'Athénée.  Enfin,  le  prix  de  la  suite 
d'orchestre  a  été  obtenu  par  une  composition  de  M.  Bartolomé  Pérez  Casas, 
qui  a  été  exécutée  dans  une  séance  de  l'Académie  même  de  San  Fernando,  où 
elle  a  été  très  vivement  accueillie.  Elle  se  fait  remarquer,  dit  un  critique,  par 
une  vigueur  et  une  robustesse  de  vrai  maître,  et  elle  est  digne  d'entrer  en 
parallèle  avec  los  Gnomos  de  Chapi  et  avec  las  Esœnas  andalusas  de  Breton. 

—  La  question  de  savoir  par  quel  monument  «  peu  banal  »  on  devra  rendre 
hommage  à  la  mémoire  de  Shakespeare,  en  1916,  à  l'occasion  du  trois  cen- 
tième anniversaire  de  sa  mort  (23  avril  1616),  ne  sera  pas  résolue  avant  long- 
temps, semble-t-il,  car  la  grande  démonstration  qui  a  eu  lieu  le  mois  dernier 
au  Lyceum-Théâtre  de  Londres  et  pendant  laquelle  des  personnages  occupant 
de  hautes  situations  dans  les  arts  et  les  sciences,  des  membres  du  clergé  et  du 
parlement,  des  poètes  et  des  artistes  dramatiques  ont  pris  la  parole,  n'a  obtenu 
qu'un  résultat  négatif.  Le  projet  d'une  statue  grandiose  à  ériger  à  Londres  sur 
la  place  Portland  est  actuellement  abandonné.  Reste  l'idée  d'un  grand  «  théâtre 
national  ».  Elle  rallie  tous  les  suffrages  des  admirateurs  du  dramaturge  anglais, 
mais  l'énormité  des  frais  en  rend  la  réalisation  presque  impossible  sans  l'appui 
pécuniaire  de  l'État.  Deux  tentatives  pour  obtenir  une  subvention  du  Gouver- 
nement ont  échoué  jusqu'à  présent;  néanmoins  l'idée  reste  et  l'espoir  aussi.  Avant 
l'échéance  de  1916  bien  des  mouvements  d'opinion  peuvent  se  produire  et 
peut-être  dans  un  sens  favorable. 

—  Il  nous  parait  intéressant  d'indiquer  les  œuvres  françaises  qui  ont  été  le 
plus  jouées  dans  les  églises  d'Angleterre  pendant  cette  fin  de  printemps  ;  ce 
sont  :  fragments  de  plusieurs  suites  d'orchestre,  de  Massenet  :  symphonies  pour 
orgue,  de  Widor;  Marche  militaire,  de  Gounod  ;  Gantilène  nuptiale  de  Théo- 
dore Dubois;  Marche  funèbre,  Chant  séraphique  et  autres  morceaux  de  Guil- 
mant;  Offertoire  de  Lefebure-Wely  :  te  Sœur  Monique,  de  Couperin  ;  Offertoire 
n°  8  et  Fanfare  de  Théodore-César  Salomé,  etc. 

—  Le  Daily  Mail  de  Londres  rapporte  la  petite  anecdote  suivante  :  «  Un 
homme,  se  disant  commis-voyageur  en  marchandises,  se  présenta  un  jour  chez 
M.  Jean  de  Reszké,  sollicitant  de  lui  une  audition  aux  fins  de  soumettre  à  son 
appréciation  «  une  voix  de  ténor  qu'il  croyait  posséder  ».  M.  Jean  de  Reszké 
ne  fit  aucune  difficulté  pour  le  recevoir  et  l'entendre  ;  il  lui  déclara  même 
pendant  l'audition  qu'avec  un  si  bel  organe  il  était  parfaitement  ridicule  qu'il 
passât  sa  vie  à  colporter  des  ballots  de  drap,  «  Travaillez  seulement  quinze 
jours  avec  moi,  lui  dit-il,  et  je  vous  ferai  obtenir  un  engagement  à  l'Opéra  ». 
Le  voyageur  lui  répondit  qu'il  était  obligé  de  repartir  le  soir  même  pour  l'Al- 
lemagne et  qu'il  donnerait  plus  tard  de  ses  nouvelles.  Il  en  donna  en  effet,  car 
M.  Jean  de  Reszké  reçut  au  bout  de  quelques  jours  un  journal  renfermant  le 
récit  de  la  visite  du  soi-disant  commii-voyageur  au  célèbre  ténor  ;  on  y  fai- 
sait connaitrele  nom  du  visiteur  qui  n'était  autre  que  M.  Henri  Knote.de  l'Opéra 
de  Munich.  Il  avait  passé  à  Paris  en  revenant  de  New -York,  où  il  avait 
chanté  au  Metropolitan  Opéra  House,  et  il  avait  trouvé  plaisant  d'avoir  l'opi- 
nion de  M.  Jean  de  Reszké  sur  son  organe,  opinion  qui,  comme  on  l'a  vu, 
s'était  trouvée  toute  favorable  ». 

—  Une  artiste  anglaise.  Miss  Alys  Lorraine,  désireuse  de  varier  les  pro- 
grammes de  ses  auditions,  va  donner  le  10  juin  un  concert  d'œuvres  musicales 
ayant  pour  auteurs  des  monarques,  des  princes  ou  des  princesses  dont  voici 
les  noms  :  princesse  Henry  de  Battenberg,  le  défunt  prince  consort,  le  duc- 
Ernest  II  de  Saxe-Cobourg-Gotba,  le  roi  de  Saxe  Clément -Théodore-Antoine, 
mort  le  26  juin  1836,  la  reine  Marie-Antoinette,  et  l'empereur  d'Allemagne. 
Une  notice  intéressante,  publiée  à  l'occasion  de  ce  concert  et  reproduite  par 
]e  Musical  Xews  renferm9  une  lettre  adressée  par  la  princesse  Amélie,  sœur 
du  roi  compositeur  et  flûtiste  Frédéric  H,  à  son  professeur  qui  lui  avait  envoyé 
de  la  musique  de  Gluck  ;  nous  la  reproduisons  car  elle  ne  manque  pas  de 
piquant  et  montre  que  toutes  les  princesses  n'ont  pas  le  monopole  de  la  clair- 
voyance dans  leurs  appréciations  ;  la  voici  :  «  M.Gluck  ne  passera  jamais  pour 
un  homme  habile  en  matière  de  composition  musicale.  Il  n'a  premièrement 
pas  la  moindre  invention  ;  deuxièmement,  il  ne  trouve  que  des  mélodies  mau- 
vaises et  misérables  ;  enfin,  en  troisième  lieu,  on  ne  rencontre  chez  lui  ni 
accent,  ni  expression.  Tout  se  ressemble  dans  son  œuvre.  La  pièce  intitulée 
introduction  devrait  être  écrite  dans  lî  forme  d'une  ouverture,  mais  le  bon- 
homme n'aime  pas  les  contrepoints  en  imitation;  il  a  raison,  car  ils  exigent 
de  sérieux  efforts.  Il  aime  au  contraire  à  reproduire  ses  motifs  en  les  trans- 
posant. Il  n'y  aurait  pas  lieu  de  lui  en  faire  un  reproche,  car  si  un  thème  est 
souvent  répété,  l'auditeur  le  retient  plus  aisément  ;  mais  si  M.  Gluck  trans- 
pose la  même  idée,  cela  parait  être  uniquement  parce  qu'il  n'en  trouve  pas 
d'autres.  Ce  que  vous  m'avez  envoyé  répond  à  un  goût  nouveau,  qui  a  beau- 
coup d'adhérents  ;  je  vous  en  remercie  dans  tous  les  cas.  Par  les  fautes  des 
autres,  on  apprend  à  voir  les  siennes  propres.  »  Veut-on  savoir  maintenant  à 
quel  ouvrage  de  Gluck  s'appliquait  la  critique  de  la  princesse  Amélie  ;  à 
l'ïphicjénie  en  Autide,  tout  simplement. 


—  Une  jeune  musicienne  anglaise,  miss  Ethel  Smyth,  qui  a  donné  ces  jours 
derniers,  salle  Erard,  un  concert  de  musique  anglaise,  dans  lequel  elle  a  fait 
entendre,  avec  ses  œuvres  personnelles,  des  compositions  de  MM.  Narmann 
O'Neil,  York  Bowen  et  Cyril  Scott,  adresse  au  Morning  Post  une  lettre  où  elle 
se  plaint  du  peu  d'accueil  qu'on  fait  en  Angleterre  aux  compositeurs  natio- 
naux. Miss  Etbel  Smyth  est  auteur  de  deux  opéras,  le  Bois  et  tes  Naufrageurs, 
qui  ont  été  joués  avec  succès  à  Berlin,  à  Leipzig,  à  Prague,  à  Weimar  et  à 
Carlsruhe  et  qu'elle  ne  peut  réussir  à  produire  dans  son  pays.  Elle  déplore  amè- 
rement, dans  sa  lettre,  qu'aucun  théâtre  anglais  ne  consente  jamais  à  jouer  une 
œuvre  nationale.  Les  troupes  qui  desservent  les  théâtres  d'Angleterre,  dit-elle, 
sont  aux  mains  de  spéculateurs  qui  les  emploient  à  représenter  des  œuvres 
productives  et  ignorent  de  parti  pris  les  opéras  dont  le  succès  n'a  pas  été  con- 
sacré à  l'étranger.  En  présence  do  cette  situation  décourageante,  miss  Ethel 
Smyth  conseille  à  ses  confrères  anglais  de  renoncer  à  écrire  pour  la  scène  tant 
que  Londres  ne  possédera  pas  un  théâtre  lyrique  national  subventionné. 

—  Les  Américains  sont  gens  pratiques.  L'un  d'eux, nommé  Polk,a  fondé,  dans 
une  ville  de  l'Etat  d'Indiana,  une  école  d'accordeurs  de  piano  qu'il  a  appelée 
Polk's  School  of  Piano  Euning.  Cette  école,  qui  est  pourvue  d'une  grande  biblio- 
thèque, compte  sept  professeurs  qui  enseignent  aux  élèves  la  théorie  et  la 
pratique  de  l'accord  du  piano  ;  elle  a  déjà  délivré  à  plus  de  400  jeunes  gens  le 
n  diplôme  de  maturité  ».  Bécemment,  son  fondateur  a  ouvert  une  section 
pour  les  pianos  avec  auto-pianiste,  pour  rendre  familiers  aux  élèves  la  cons- 
truction, le  maniement  et  la  réparation  de  ce  genre  d'instruments,  qui,  aux 
États-Unis,  acquièrent  chaque  jour  une  plus  grande  diffusion. 

—  De  Buenos- Ayres  :  On  vient  d'inaugurer  ici  le  nouveau  théâtre  municipal 
Colon,  qui  est  certainement  un  des  plus  vastes,  des  plus  modernes  et  des  plus 
grandioses  du  monde.  Il  a  été  construit  par  l'architecte  Meano,  sur  le  modèle 
du  Grand  Opéra  de  Paris.  L'inauguration  a  eu  lieu  en  présence  du  président 
de  la  République,  des  ministres,  du  corps  diplomatique  et  d'une  foule  im- 
mense. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

L'Académie  des  Beaux-Arts  a  décerné  les  prix  suivants  : 

Prix  Trémont  (composition  musicale)  de  la  valeur  de  1.000  francs,  partagé  également 
entre  MM.  Ganaye  et  Philipp,  anciens  lauréats  du  Conservatoire  de  musique. 

Prix  Charrier  (500  francs),  M.  Amédée  Reuschel,  compositeur  de  musique  à  Lyon, 
•  pour  ses  diverses  oeuvres  de  musique  de  chambre. 

Prix  Monbinne  (3.000  francs),  à  M.  André  Messager,  pour  son  opéra-comique  For- 
lunio. 

Le  montant  de  la  fondation  veuve  Buchère,  de  la  valeur  de  700  francs,  a  été  partagé 
de  la  manière  suivante  :  350  francs  à  M.  Garchery,  deuxième  prix  du  Conservatoire 
en  1907  et  350  francs  à  M1"  Chanove,  premier  accessit  de  comédie  du  même  établisse- 
ment en  1907. 

—  Au  Conservatoire.  A  la  suite  des  examens,  ont  été  admis  à  prendre  part 
aux  concours  de  fin  d'année  les  élèves  suivants  : 

chant  (Hommes). 
Classe  de  M.  Duvernoy  :  M.  Paulet. 

Classe  de  M.  Dubulle  :  MM.  Jourde,  de  La  Rochemiguière,  Tareria. 
Classe  de  M.  Lassa  lie  :  MM.  Vaurs,  Audiger. 
Classe  de  M.  Cazeneuve  :  M.  Chah-Mouradian. 
Classe  de  M.  Engel  :  MM.  Imbert,  Logeât. 

Classe  de  M.  Heltich  :  MM.  Villaret,  Coulomb,  Pierre  Dupré,  Combes. 
Classe  de  M.  de  Martini  :  MM.  Teissier,  Castel. 
Classe  de  M""  Rose  Caron  :  M.  Laloye. 
Classe  de  M.  Manoury  :  MM.  Decourcelle,  Ponzio. 
Classe  de  M.  Lorrain  :  MM.  Bellet,  Félisaz,  Collard. 

chant  (Femnies). 

Classe  de  M.  Duvernoy  :  M11"  Gustin,  Jurand;  M"1  Rénaux. 

C/«sse  de  M.  Dubulle  :  M""  Panis,  Alice  Raveau,  Bonnard. 

Classe  de  M.  Lassalle  :  M""  Bourdon,  Yvon,  Alavoine. 

Classe  de  M.  Cazeneuve  :  AI""  Syla,  Le  Senne,  Cebron-Norbens,  Vivier  des  Vallons, 
Wiltz,  Kaiser. 

Classe  de  M.  Engel  :  M""  Arné,  Amoretti. 

Classe  de  M.  Heltich  :  M""  Gabrielle  Demougeot,  Daumas,  Pradier. 

Classe  de  M.  de  Martini  :  M11"  Delph,  Billard,  Denuery. 

Classe  de  .1/™"  Rosi •Caron  :  M""  Robur,  Chantai  ;  M™"  Delisle  ;  M""'  Fraisse,  Lam- 
bert. 

Classe  de  M.  Manoury  :  M»'  Garchery;  M"™  Borione,  Ménard. 

Classe  de  M.  Lorrain  :  M""  Erya,  Duvernay,  Souchon,  Gautier. 

OPÉRA 

Classe  de  M.  Melchissêdee  :  M""  Le  Senne. 

Classe  de  M.  Bouvet  :  MM.  Teissier,  Vaurs,  Imbert,  Pierre  Dupré  ;  il""  Bourdon, 
Alice  Raveau,  Kaiser,  Wiltz,  Vivier  des  Vallons. 

Classe  de  M.  Isnardon  :  MM.  Audiger,  Combes,  Chah-Mouradian;  M""  Jurand, 
Robur,  Cebron-Norbens. 

Ctese  de  M.  Dupeyron  :  M.  Laloye;  M""  Panis,  Sylla;  M»"  Garchery,  Delisle. 

OPÉtU-COMIQUE 

Classe  de  M.  Melchissêdee  :  M.  Ponzio. 

Classe  de  M.  Bouvet:  MM.  Vaurs,  Félisaz,  Coulomb,  Pierre  Dupré;  M""  Alice 
Raveau,  Lambert. 

Classe  de  M.  Isnardon  :  MM.  Paulet,  Villaret,  Audiger,  Taréria,  Combes;  M""  Ju- 
rand, Chantai,  Robur,  Gabrielle  Demougeot,  Gustin,  Cebron-Norbens,  Duvernay, 
Pradier. 

C7ns.se  de  M.  Dupeyron  :  MM.  Laloye,  Bellet,  Amoretti  ;  M""  Garchery  ;  M11'  Ménard. 


LE  MÉNESTREL 


[83 


piano  Feiïimés}. 

Classe  de  M.  Deluburde  :  II""  Chardard,  Marx,  Piltan,  Abadic,  Laridsmann,  Isnard, 
Bompard,  Ratez,  Pereira,  Laeuffer. 

Classe  de  M.  Philipp  :  M""  Pennequin,  Morin,  Déroche,  Vargues,  Fourgeaud, 
Michel  Jeanne,  Lewinsohn,  Fritsch,  Guller,  Heinemann. 

Classe  de  M.  Carlot  :  M""  Bouvaist,  Chassaing  (Anne-Marie),  Boucheron,  Guillou, 
Parody,  Bouclier  de  Vernicourt,  Davin,  Dienne,  Duchesne,  Haskil,  Bossus,  Schulhof 
(Madeleine). 

—  L'assemblée  générale  de  la  Société  des  artistes  dramatiques,  sous  la  pré- 
sidence de  M.  Coquelin  aîné,  a  eu  lieu  samedi  aux  Nouveautés,  M.  Péricaud 
a  lu  le  rapport  annuel.  L'Association  comprend  3.770  sociétaires  (1.865  hommes 
et  1.905  femmes).  Elle  a  304.341  francs  de  rente.  Elle  a  servi,  cette  année,  5-2 
pensions  pour  des  sociétaires  âgés  de  60  ans  et  12  pour  des  sociétaires-femmes 
âgées  de  55  ans.  M.  Coquelin  aine  a  été  réélu  président  à  l'unanimité.  Ont  été 
élus  membres  du  comité  :  MM.  Albert  Carré,  Brémont,  Numés,  Carbonne,  De- 
launay,  Huguenet. 

—  Le  comité  du  Syndicat  professionnel  des  ailleurs  et  compositeurs  dramatiques 
était  composé  de  vingt  membres;  mais  les  musiciens  n'y  étaient  point  repré- 
sentés. A  la  dernière  assemblée  générale,  il  fut  décidé  que  le  bureau  s'adjoin- 
drait deux  compositeurs  de  musique,  et,  à  la  dernière  réunion  du  comité,  à 
l'unanimité  des  membres  présents,  furent  élus  :  MM.  Henri  Hirchmann  et 
Sylvio  Lazzari. 

—  Au  Congrès  international  des  Editeurs,  qui  vient  de  se  tenir  à  Madrid, 
et  qui  fut  des  plus  intéressants,  les  vœux  suivants  ont  été  adoptés  : 

1°  L'abolition  de  toute  formalité  pour  la  garantie  du  droit  de  propriété  littéraire, 
artistique  et  musicale  ; 

2°  L'assimilation  pleine  et  entière  du  droit  de  traduction  au  droit  de  reproduction  ; 

3°  L'unification  de  la  durée  du  droit  de  l'auteur  pour  un  délai  de  cinquante  ans  à 
partir  de  la  mort  de  l'auteur; 

A"  Protection  pleine  et  entière  des  auteurs  et  compositeurs  contre  la  reproduction 
de  leurs  œuvres  au  moyen  d'instruments  mécaniques  de  tout  genre. 

Le  congrès  a  ensuite  proposé  la  nomination  d'une  commission  interna- 
tionale chargée  d'empêcher  la  contrefaçon  musicale,  particulièrement  au 
Canada  et  dans  diverses  républiques  sud-américaines.  Au  commencement  de 
la  séance,  lecture  avait  été  donnée  d'un  rapport  de  Mr.  Patman,  éditeur 
nord-américain,  empêché  d'assister  au  congrès,  rendant  compte  de  ses  efforts 
dans  le  but  d'assurer  la  protection  des  droits  des  auteurs  aux  Etats-Unis  et 
annonçant  le  dépôt  au  Parlement  américain  de  cinq  projets  de  loi  concernant 
le  «  Copyright  ».  Du  coté  français  ont  été  lus  des  rapports  extrêmement  inté- 
ressants et  fort  documentés  de  MM.  William  Enoch,  Bertrand  et  Emile  Leduc 
sur  des  questions  de  contrefaçons  en  Europe,  au  Canada  et  dans  les  républi- 
ques du  Sud-Américain. 

—  A  l'Opéra,  nous  avons  eu  jeudi  la  dernière  représentation  de  Boris  Godou- 
now.  On  a  fait  aux  chanteurs  russes  des  adieux  chaleureux.  —  La  présence  à 
Paris  de  la  délicieuse  danseuse  du  même  pays,  M"''  Kschesinska,  nous  a  valu 
une  reprise  du  charmant  ballet  de  Widor,  la  Korrigane,  où  son  extraordinaire 
virtuosité  et  sa  verve  joyeuse  ont  soulevé  l'enthousiasme  de  toute  la  salle, 
surtout  dans  le  pas  de  deux  du  2e  acte  où  son  brillant  partenaire,  M.  Légat, 
a  partagé  son  véritable  triomphe.  —  Ce  soir  samedi,  nous  aurons  dans  Lohen- 
yrin  les  débuts  du  ténor  Godard,  dont  on  dit  le  plus  grand  bien.  MM.  Mes- 
sager et  Broussan  l'ont  découvert  au  théâtre  de  Rennes. — Vendredi  prochain, 
rentrée  de  M",e  Rose  Caron  dans  Salammbô.  —  Et  maintenant,  on  est  tout  à  la 
préparation  du  fameux  «  gala  des  auteurs  »,  qui  doit  avoir  lieu  le  11  juin.  Au 
programme  :  Rigoletto,  avec  le  flamboyant  trio  d'interprètes  :  Melba-Caruso- 
Renaud. 

—  Matinées  annoncées  pour  les  fêtes  de  la  Pentecôte  : 

Comédie-Française  :  Tartuffe.  —  Le  Malade  imaginaire. 

Lyrique  Municipal  :  La  Basoche. 

Nouveautés,  Palais-Royal,  Porte-Saint-Martin,  Théàtre-Réjane,  Théàtre-Sarah- 
Bernhardt,  Athénée,  Théâtre-Antoine,  Bouffes-Parisiens,  Folies-Dramatiques,  Am- 
bigu, Déjazet  :  mêmes  spectacles  que  le  soir. 

LUNDI 

Comédie-Française  :  Au  Palais  Cardinal.  —  Britannicus.  —  Le  Médecin  malgré  lui. 
Lyrique  Municipal  :  Le  Barbier  de  Sécitle.  —  Les  Noces  de  Jeannette. 
Porte-Saint-Martin,  Palais-Royal,  Théàtre-Réjane,  Théâtre-Antoine,  Folies-Drama- 
tiques, Ambigu,  Déjazet  :  mêmes  spectacles  que  le  soir. 

—  Berlioz!  Berlioz!!  Berlioz!!!  Nom  fatidique,  qui  depuis  quelques  années 
sonne  obstinément  à  nos  oreilles,  et  nous  poursuit  sans  cesse,  sans  trêve  et 
sans  relâche!  Articles  de  journaux,  articles  de  revues,  brochures,  recueils  de 
lettres,  études,  biographies,  apologies,  analyses,  il  pleut  du  Berlioz  de  tous 
côtés,  et  l'on  finira  par  nous  en  fatiguer,  comme  on  nous  a  fatigués  de  Wag- 
ner. Les  Grecs  étaient  las  d'entendre  appeler  Aristide  «le  juste»;  nous 
•serons  bientôt  las  d'entendre  parler  de  Berlioz.  Nous  avions  déjà  le  volume 
d'Alfred  Ernst,  et  les  deux  d'Edmond  Hippeau,  et  les  deux  de  M.  Ad.  Jullien, 
et  les  brochures  de  G.  de  Massougnes,  de  Noufflard,  de  Galibert,  de  Michel 
Brenot,  sans  compter  les  autres;  nous  avons  depuis  quelque  temps  les  trois 
volumes  de  M.  Prod  homme,  les  deux  de  M.  Tiersot,  qui  nous  en  promet 
deux  autres,  le  premier  de  M.  Adolphe  Boschot,  dont  voici  le  second,  qui 
sera  suivi  d'un  troisième,  sinon  d'un  quatrième.  A  qui  le  tour  maintenant, 
et  qui  va  entrer  dans  la  danse  ?  Franchement,  n'est-ce  pas  uu  peu  trop,  et  ne 
peut-on  le  croire  -et  le-dire-sans-étre  accusé  àe-berliosoplwbie?  Le  premier  vo-- 
lume  de  M.  Boschot  avait  pour   titre   la  Jeunesse  d'un  romantique;  voici  venir 


le  second,  qui  s'appelle  un  Romantique  sons  Louis-Philippe,  en  attendant  le 

troisième,  qui  s'intitulera /<■  dv/, //,«■«/<•  ./',/,/  /.,//,/»'../».■.    i;  ,    . 

après  cela  que  l'Apothéose  d'un  romantique.  Le  premier  avait  540  pages;  le  se- 
cond en  compte  672:  le  troisième  aura  sans  doute  l'ampleur  d'un  diction- 
naire. Assurément,  celui  qui  nous  arrive  aujourd'hui  est  intéressant;  mais, 
tout  de  môme,  on  en  pourrait  trouver  les  proportions  excessives.  Votez  que 
j'admire  le  labeur  plein  de  conscience  auquel  s'est  livré  l'auteur.  £1  a  suivi 
Berlioz  pas  à  pas,  il  s'est  accroché  à  sa  piste,  il  l'a  accompagné  par  toute 
l'Italie,  il  est  revenu  avec  lui  en  France,  où  il  ne  l'a  |jas  lâché  d'un  instant, 
soit  chez  miss  Smithson,.soit  à  l'Opéra  (Benvenuto  Cellini),  soit  aux  cotés  de 
Paganini,  soit  dans  ses  concerts  [Roméo  et  Juliette,  etc.),  -"il  dan-  sa  liaison 
avec  Marie  Recio,  sa  future  seconde  femme,  et  son  récit  est  complet,  complet, 
complet  autant  qu'il  peut  l'être,  avec  des  trouvailles  et  de  véritables  révéla- 
tions; mais  il  est  trop  long  ce  récit,  et  il  ne  nous  fait  grâce  de  rien,  et  aussi 
il  tourne  trop  au  panégyrique.  Et  puis,  l'écrivain  ne  se  dissimule  pas  assez, 
et  on  le  sent  trop  toujours  derrière  son  héros,  dont  il  emprunte  le  langage 
excessif,  et  les  expressions  familières  et  truculentes,  et  les  formules  bizarres. 
La  recherche  de  la  couleur  fait  que  la  biographie  devient  trop  romantique  et 
la  critique  absolument  romanesque.  Je  crois  que  M.  Boschot  s'est  grisé  lui- 
même  en  se  grisant  de  Berlioz.  Ce  qui  n'empêche  qu'il  y  a  là  un  travail 
énorme,  plein  de  conscience,  et  que  le  livre  est  vraiment,  extrêmement  cu- 
rieux. Mais  aussi,  il  faut  en  convenir,  la  lecture  n'en  va  pas  sans  une  véri- 
table fatigue,  parce  que  l'écrivain  ne  sait  pas  se  borner  et  qu'il  a  oublié 
l'axiome  de  Boileau.  Tout  en  lui  sachant  gré  de  la  peine  qu'il  a  prise  et  du 
mal  qu'il  s'est  donné,  on  voudrait  chez  lui  un  peu  de  sobriété,  dans  le  fond 
aussi  bien  que  dans  la  forme.  Mais  quand  on  a  lu  ses  672  pages,  et  les  5i0 
qui  les  précèdent,  on  peut  dire  qu'on  commence  à  connaître  Berlioz,  et  on  le 
connaîtra  tout  à  fait  assurément  quand  le  troisième  volume  aura  paru.  Mais 
qui  aura,  clans  l'avenir,  le  courage  de  lire  d'affilée  2.000  pages  sur  Berlioz  ? 

A.  P. 

—  L'assemblée  générale  de  l'Association  professionnelle  de  la  crit:que  dra- 
matique et  musicale  s'est  réunie  hier,  salle  Pleyel,  dans  l'après-midi,  sous  la 
présidence  de  M.  Adolphe  Brisson.  Soixante-dix-huit  sociétaires  étaient 
présents.  La  séance  a  commencé  par  la  lecture  des  rapports  annuels  de 
M.  Maxime  "Vitu,  secrétaire  général,  et  de  M.  Théodore  Henry,  trésorier.  Ces 
rapports,  qui  constatent  la  prospérité  croissante  de  l'Association,  ont  été 
unanimement  applaudis  et  approuvés.  Après  les  félicitations  votées  au  pré- 
sident en  exercice,  pour  les  résultats  obtenus  au  cours  de  l'année  théâtrale, 
particulièrement  en  ce  qui  concerne  les  relations  établies  entre  les  directeurs 
et  les  membres  de  l'Association,  M.Adolphe  Brisson  a  proposé  à  l'assemblée, 
qui  les  a  ratifiées,  une  série  de  modifications  aux  statuts.  Elles  auront  pour 
résultat  d'assurer  au  recrutement  de  l'Association  un  caractère  exclusivement 
professionnel.  L'assemblée  a  procédé  au  renouvellement  par  moitié  du  comité. 
Ont  été  élus  :  MM.  Maurice  Quentin-Bauchart,  Albert  Soubies,  Maurice 
Lefèvre,  Edmond  Stoullig,  Georges  Visinet,  Charles  Martel,  Emile  de  Saint- 
Auban  et  Armand  d'Artois.  Elle  a  proclamé  ensuite,  par  voie  d'acclamation, 
M.  Adolphe  Brisson,  président  sortant  rééligible,  président  de  l'Association, 
pour  le  nouvel  exercice  1908  1909. 

—  D'une  statistique  dressée  par  un  de  nos  confrères  d'Outre-Manche,  il 
ressort  que  New-York  est  désormais  la  ville  du  monde  qui  contient  le  plus  de 
théâtres,  de  cafés-concerts  et  de  cirques.  A  New- York,  le  nombre  de  places 
«  assises  »  que  les  établissements  peuvent  mettre  dans  la  même  soirée  à  la  dis- 
position du  public  est  de  123.795  ;  ce  chiffre  est  de  120.930  à  Londres  et  de 
82.331  à  Paris.  Londres  contient  le  plus  de  théâtres  proprement  dits,  39:  New- 
York  en  a  31,  Paris  24.  Notre  Châtelet  tient  le  record  de  la  capacité  avec  ses 
3.600  places  ;  l'Opéra  de  New-York  n'en  compte  que  3.349  ;  à  Londres,  le  Drury 
Lane  et  le  Standard  ont  chacun  3.300  places.  Mais  c'estNew-York  quia,  d'une 
part,  les  plus  petits  théâtres,  avec  son  Madison  Square  (646  places)  et  son  Lv- 
ceum  (650)  ;  de  l'autre,  les  plus  spacieuses  salles  de  concert,  avec  le  Madison 
Square  (9.000  places  assises)  et  le  Grand-Central  (S.000). 

—  Mmc  Aino  Ackté,qui  vient  de  passer  quelque  temps  parmi  nous,  s'en  est 
allée  passer  l'été  dans  sa  délicieuse  propriété  de  Turholm  près  de  Helsino-fors. 
Au  mois  d'octobre  prochain,  la  brillante  cantatrice  entreprendra  une  «rande 
tournée  à  travers  le  continent:  elle  interprétera  sur  les  principales  scènes 
d'Europe  les  divers  rôles  de  son  beau  répertoire.  Mme  Aïuo  Ackté  vient  enfin 
de  signer  avec  M.  Gunsbourg  un  brillant  contrat  pour  la  prochaine  saison  de 
Monte-Carlo.  Quand  la  grande  artiste  se  fera-t-elle  réentenlre  à  Paris  ? 

—  Mm|,Lina  Cavalieri,  après  une  triomphale  saison  au  Metropolitan  de  New- 
Yo.k,  vient  de  passer  quelque  temps  en  Russie.  La  charmante  cantatrice  a 
chanté  successivement  avec  un  immense  succès,  à  Varsovie  et  à  Pétersbour" 
ces  grands  rôles  qu'elle  a  fait  siens  par  la  profonde  originalité  de  soninterpré- 
tation  :  Manon,  Marguerite,  Violetta,  Thaïs.  Tout  le  monde  se  souvient  com- 
bien elle  fut  admirable  dans  ce  beau  rôle  de  Thaïs,  qui  mettait  si  bien  en  va- 
leur les  qualités  incomparables  de  sa  voix  et  sa  grande  beauté.  C'est  dans  Thais 
qu'elle  vient  de  se  faire  applaudir  au  gala  offert  à  l'occasion  du  mariage  de  la 
grande-duchesse  Marie  Paulowna.  Le  roi  de  Grèce,  la  grande-duchesse  Wladi- 
mir,  les  princes  et  les  princesses  de  Grèce,  plusieurs  membres  de  la  famille 
impériale  assistaient  à  cette  représentation  et  ont  pris  large  part  à  la  véritable 
ovation  faite  à  la  délicieuse  interprète  du  chef-d'œuvre  de  Massenet.  M™'  Lins 
Cavalieri  va  partir  bientôt  pour  Londres,  où  elle  débutera  à  l'Opéra  de  Covent- 
Garden. 

—  On  se  rappelle  qu'il  y  a  trois  ans  la  Société  de  l'Histoire  du   Théâtre 


184 


LE  MENESTREL 


restitua  une  scène  oubliée  et  charmante,  le  théâtre  de  Verdure  du  Bois  de 
Boulogne,  où  elle  organisa  une  représentation  délicieuse.  Cette  année,  la 
Société  reviendra  au  théâtre  de  Verdure  du  Pré  Catelan.  La  représentation 
aura  lieu  le  lundi  22  juin,  dans  l'après-midi.  Le  programme,  qui  sera  très 
prochainement  publié,  se  composera  uniquement  d'oeuvres  du  XVIIIe  siècle. 
M.  Albert  Carré,  directeur  de  l'Opéra-Comique,  assurera  à  celle  fête  de  poésie 
et  de  musique  son  précieux  concours. 

—  Au  50e  anniversaire  de  l'inauguration  de  l'Église  Sainte-Clotilde,  on  a 
fort  goûté  les  œuvres  religieuses  de  Théodore  Dubois  :  Punis  angelicus,  Ave. 
Maria  et  Tantum  ergo.  On  sait  que  M.  Théodore  Dubois  fut  maître  de  chapelle 
à  Sainte-Clotilde  de  1863  à  1S69. 

— '■  A  Saint-Séveriu  un  Salut  en  musique  fut  donné  pour  F  «  OEuvre  des 
pauvres  vieillards  ».  Avec  succès  on  y  exécuta  des  fragments  de  la  Vierge  de 
Massenet  et  son  Souvenez-vous.  Très  remarqué  aussi  l'O  salutaris  de  Périlhou 
chanté  par  Mlle  Faucher. 

-  —  Pour  la  clôture  du  mois  de  Marie,  à  NoIre-Dame-de-Gràce  de  Passy,  la 
superbe  voix  de  Mn,c  de  Valgorge  fut  très  remarquée  dans  le  beau  Tantum 
ergo  du  maître  Th.  Dubois. 

—  Les  séances  que  M.  Moriz  Rosenlhal  donnait  à  la  salle  des  Agriculteurs, 
et  dont  la  dernière  a  eu  lieu  jeudi  21  mai,  ont  vu  croître  le  succès  de  cet 
éminent  virtuose.  Un  auditoire  exceptionnellement  nombreux  et  enthousiaste 
a  salué  de  bis  et  de  rappels  sans  fin  l'étonnant  pianiste  et  l'on  ne  sait  ce 
qu'il  faut  le  plus  admirer  de  son  éblouissante  technique,  de  la  variété  de 
ses  effets  ou  des  jeux  d'opposition  de  sonorités  dans  lesquels  il  excelle.  Encore 
que  quelques-uns  de  ces  effets  aient  surpris  nos  oreilles  prévenues,  comme  dans 
la  sonate  de  Weber  ou  celle  de  Chopin,  où  la  recherche  fut  peut-être  exces- 
sive, on  n'en  subit  pas  moins  le  charme  impérieux  de  cette  personnalité  puis- 
sante qui  s'impose  et  ne  se  discute  pas. 

—  Le  premier  concert  de  M™'  Roger-Miclos  et  de  M.  L.-Cb.  Battaille  a  été 
fort  réussi.  La  charmante  et  talentueuse  pianiste  a  interprété  avec  son  jeu  fait 
de  grâce,  de  mesure  et  de  pureté  de  style  et  d'expression,  nombre  d'oeuvres 
d'auteurs  modernes:  parmi. les  numéros  les  plus  fêtés,  nous  citerons  une 
ravissante  étude  (dédiée),  dé  M.  Théodore  Dubois,  une  Suite  écossaise  en  quatre 
numéros,  de  M.  Ch.-M.  Widor,  riche  d'idées  et  de  pittoresque,  les- Reg.ircls 
amoureux  et  la3me  Valse,  de  M.  R.  Hahn,  la  Fée,  de  M.  P.Le  Borne,  des  pièces 
de  MM.  Léo  Sachs,  de  Polignac,  D.  de  Sévérac,  Fauré,  Debussy.  Pierné  et 
Saint-Saëns.  M.  Battaille  consacrait  sa  part  du  programme  à  nous  faire  con- 
naître un  musicien  moderne  allemand,  M.  Hans  Herman,  dont'o'n  peut  dis- 
cuter les  tendances  mais  non  méconnaître  le  mérite.  Une  déclamation  netle 
et  précise,  une  voix  mordante  et  expressive  ont  bien  mis  en  valeur  ces  petits 
tableaux  de  genre.  Ballade  et  Lieder  populaires,  d'un  tour  poétique  sentimen- 
tal ou  dramatique  qui  a  vivement  intéressé  un  nombreux  auditoire,  et  valu  à 
l'éminent  interprète  des  ovations  méritées.  ,1.  J. 

—  Gros  succès  pour  la  première  des  causeries  de  Mme  Georgette  Leblanc,  . 
au  théâtre  des  Arts.  Avec  le  charme  poétique  qu'elle  apporte  à  toutes  les-' 
manifestations  de  son  art  si  personnel,  l'éminenle  artiste  a  parlé  des  «  Poèmes 
de  Jade  »,  des  «  chansons  de  Maeterlinck  »,  et  chanté,  comme  elle  seule  saitle 
faire,  les  musiques  de  Gabriel  Fabre.  On  a  prodigué  les  bravos  et  les  rappels 

à  M"'e  Georgette  Leblanc  et,  à  la  fin  de  la  soirée,  une  belle  ovation  a  exprimé 
le  plaisir  du  public. 

—  Au  cercle  le  Lyreum  bien  intéressante  audition  d'œuvros  de  Gabriel 
Fabre,  où  Mllc  Demellier  chanta  d'une  voix  généreuse  et  avec  un  rare  talent 
trois  des  chansons  de  Maekrlinck  (J'ai  marché  trente  ans.  Cantique  de  la  Vierge, 
S'il  revenait  vn  jour)  et  trois  Poèmes  de  Jade  [De  l'autre  côté  du  fleuve,  A  la  plus 
belle,  Ivresse  d'amour).  Bien  charmantes  aussi  les  Images  d'enfants  pour  piano 
seul. 

—  Ce  fut,  récemment,  une  instructive  soirée  d'art,  et  dont  nous  garderons 
le  reconnaissant  souvenir,  que  celle  où  le  maître  Delaborde  joua  par  cœur, 
chez  Pleyel,  les  deux  livres  i'Étildès  et  les  vingt-quatre  Préludes  de  Chopin. 
L'éminent  professeur  ne  se  contente  pas,  en  effet,  d'avoir  formé  toute  une 
pléiade  où  se  distinguent  M"e  Marthe  Dron.  l'intelligente  partenaire  du  qua- 
tuor Parent  dans  les  cycles  Franck,  Schumann  et  Brahms,  Mlle  Geneviève 
Dehelly,  qui  s'annonce  comme  une  des  virtuoses  les  plus  musiciennes  de  son 
temps.  Et  si  nous  l'appelons  «  le  vieux  vaillant  maître  »,  c'est  uniquement 
parce  qu'il  est  le  doyen  de  nos  pianistes,  l'aîné  de  Diémer  et  de  Planté.  C'est 
un  jeune,  aussitôt  que,  parmi  tant  de  frais  visages  qui  l'écoutent,  il  évoque, 
d'un  toucher  sûr  comme  sa  mémoire,  la  juvénile  musique  du  plus  spontané 
des  poètes-musiciens,  ces  pages  brèves  ou  développées,  bien  connues  de  ses 
auditrices,  et  qui  semblent  neuves  sous  ses  doigts,  ces  études  si  musicales,  ces 
préludes  dolents  et  fougueux,  de  quelques  mesures,  ou  si  poétiquement  pro- 
longés comme  le  quatrième  ou  le  dix-septième,  un  enchantement  sous  ces 
fortes  mains  qui  se  font  si  douces  !  En  faisant  suivre  Chopin  de  quelques  dif- 
ficiles fantaisies  de  Relier  ou  de  Liszt,  le  grand  intorprè  e  de  Beethoven  a 
voulu  prouver  que  la  virtuosité  bien  comprise  est  beaucoup  moins  l'ennemie 
que  l'auxiliaire  du  sentiment.  Ray.mo.nd  Bùuyer. 

—  Dimanche  dernier  a  eu  lieu,  au  Théâtre  de  l'Odéon,  la  brillante  audition 
qu'avait  organisée  M.  Paul  Braud,  avec  le  concours  de  l'orchestre  delà  Société 


des  Concerts  du  Conservatoire  pour  faire  entendre-quelques-uns  de  ses  élèves. 
Il  faut  citer  parmi  les  plus  applaudis  M""'s  Ronée  Dargier-Peltiér,  Marguerite 
Garës-Willemin,  MM.  Jean  Verd,  Edouard  Garés,  Yves  Nat  et  Pierre  Lucas. 
Ils  ont  exécuté  en  véritables  artistes  les  Variations  symphoniquis  de  Franck,  la 
Fantaisie  de  Schubert,  le  Concerto  en  ré  mineur  de  Mozart,  la  Fantaisie  Hon- 
groise de  Liszt,  le  Concerto  en  ré  mineur  de  Rubinstein  et  la  Rapsodie  d'Au- 
vergne de  Saint-Saëns.  Une  grande  part  dans  le  succès  des  élèves  revient  na- 
turellement à  leur  éminent  professeur. 

—  La  dernière  audilion  d'élèves  donnée  à  la  salle  Hoche  par  M'ne  Marchesi 
a  été,  comme  toujours,  extrêmement  brillante  et  tout  à  l'honneur  des  jeunes 
artistes  et  dé  leur  éminent  professeur.  Avec  de  nouvelles  venues,  nous  avons 
retrouvé  là  plusieurs  jeunes  femmes  dont  les  progrès  sont  remarquables  et  qui 
sont  prêtes  à  entrer  dans  la  carrière  :  MUe  Valentine  Philo  ophoff,  toute  char- 
mante dans  des  mélodies  de  Schubert,  de  Rimsky-Korsakofl'et  Saint-Saëns; 
Mlle  Sybill  Tancredi,  très  émouvante  dans  l'air  de  Louise  et  le  duo  de  Manon 
(avec  M.  Dubois)  ;  Mn,e  Baird,  qui  s'est  fait  remarquer  dans  l'air  de  la  Traviata 
et  le  duo  an  Roméo  et  Juliette  (avec  M.  Dubois);  MlleEdaMennie,  dans  un  bel  air 
deHaendeletleduo  deiaAméi'avecle  même);  Mlle  Julie  Lucey,  dramatique  dans 
un  air  à'Bérodiade  et  le  duo  d'Henri  VIII  (avec  M.  Gilly)  :  puis  encore  M"es  Fé- 
licie  Lyne,  Dolly,  Wilson,  Klara  Erler.  La  séance  s'est  terminée  surtout  sur  un 
gros  succès:  le  quatuor  de  Rigoletlo,  chanté  d'une  façon  très  dramatique  par 
Miles  Marguerite  Claire  et  Julie  Lucey  et  MM.  Dubois  et  Gilly,  dont  la  vaillance 
et  l'entrain  ont  produit  une  impression  profonde  sur  les  auditeurs. 

—  Le  très  brillant  concert  donné  à  la  salle  Gaveaupar  M'™  Elise  Kutscherra 
et  M.  et  Mme  Georges  de  Lausnay  a  été  pour  ces  trois  remarquables  artistes  une 
soirée  triomphale.  L'admirable  talent  de  M1""  Kutscherra  fut  salué  d'applau- 
dissements unanimes  pendant  que  l'impeccable  maîtrise  de  M.  et  M"le  Georges 
de  Lausnay  soulevait  dans  la  salle  un  véritable  enthousiasme. 

—  En  une  séance  de  sonates,  le  prestigieux  violoncelliste  Hollman  a  allirmé 
une  fois  de  plus  sa  merveilleuse  technique,  sa  sonorité  puissante  et  expres- 
sive, son  style  chaud  et  pénétrant.  Dans  les  sonates  de  Saint-Saëns,  de  Haen- 
del  et  de  Grieg,  l'éminent  artiste  a  recueilli  un  succès  d'enthousiasme  légiti- 
mement partagé  par  M1"'  Jeanne  Blancart  dont  le  jeu  net  et  précis,  les  qualités 
de  pianiste  doublée  d'une  musicienne  accomplie  ont  été  très  appréciés  dans  ' 
l'accompagnement  des  sonates  et  dans  le  Prélude,  Choral  et  Fugue  de  César 
Franck,  magistralement  rendu.  J.  J. 

—  Fort  intéressante  matinée  de  harpe  donnée  par  Mllc  Henriette  Renié  à  la 
salle  Erard,  où  le  cours  d'ensemble  du  remarquable  professeur  a  fait  merveille 
dans  des  pièces  de  Haendel,  Rachmaninoff  et  Dvorak.   A   signaler   encora  le 

/  Divertissement  grec  très  curieux  de  M.  Mouquet,  écrit  pour  flûte  et  harpe,  et  les 
deux  Pièces  symphoniques  de  M"e  Renié  pour  harpe  et  orchestre.  Dans  la  partie 
vocale  du  concert,  gros  succès  pour  deux  mélodies  de  Théodore  Dubois:  Au 
jardin  d'amour  et  la  Jeune  Fille  à  la  Cigale,  chantée  remarquablement  par 
Mme  Marceline  Herman. 

—  Le  30  mai,  en  la  salle  Lemoine,  a  été  donné  le  premier  spectacle  d'Une 
heure  d'art.  Très  applaudie,  M"e  Rose  Ferrand,  du  Grand-Théâtre  de  Marseille, 
dans  tes  Saisons  de  Stephen  Liégeard,  des  mélodies  de  Léo  Sachs,  et  Avril 
est  là,  une  délicieuse  page  du  maître  Massenet.  —  Gros  succès  pour  Mmc  Mel- 
lot-Joubert,  de  l'Opéra-Comique,  dans  des  mélodies  de  Léo  Sachs,  et  dans  le 
Psaume  Païen,  d'Enrycle,  dont  M"e  Suzanne  Horden,  de  l'Odéon,  fit  valoir,  fort 
acclamée,  les  strophes  poétiques.  Pour  ce  poème,  une  partie  symphonique  de 
belle  venue,  signée  J.  Lefaulne,  était  confiée  aux  talents  éprouvés  de  M"10  Clé- 
ment Comettant,  organiste,  et  MUe  Jeanne  Chareau.  pianiste,  qui,  auparavant, 
avaient  interprété  ensemble  avec  charme  le  nocturne  de  la  Xavarraise,  de  Mas- 
senet, et  Contemplation,  do  Gigout. 

—  On  écrit  de  Strasbourg  :  Dans  un  des  sites  les  plus  merveilleux  des  envi- 
rons de  Strasbourg,  à  La  Rothmilhl,  on  inaugurera  le  14  juin  prochain,  un 
théâtre  de  verdure  sous  la  direclion  de  M.  Vierne,un  professeur  de  notre  ville. 
La  première  représentation  aura  pour  programme  Phèdre,  avec  la  musique  de 
Massenet.  C'est  Mme  Suzanne  Després  qui  interprétera  le  rôle  de  Phèdre. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Chemins  de  fer  de  l'Ouest.  —  Voyages  a  pmx  réduits.  —  La  Compa- 
gnie des  Chemins  de  fer  de  l'Ouest  qui  dessert  les  stations  balnéaires  et  ther- 
males de  la  Normandie  et  de  la  Bretagne  fait  délivrer  jusqu'au  31  octobre, 
par  ses  gares  et  bureaux  de  ville  de  Paris,  les  billets  ci-après  qui  comportent 
jusqu'à  30  0/0  de  réduction  sur  les  prix  du  tarif  ordinaire  :  1°  Bains  de  mer  et 
eaux  thermales.  Billets  valables  suivant  la  distance.  3.  4,  10  ou  33  jours; 
ces  derniers  donnent  le  droit  de  s'arrêter  à  l'aller  et  au  retour,  à  une  gare  au 
choix  de  l'itinéraire  suivi  et  peuvent  être  prolongés  d'une  ou  deux  périodes- 
de  30  jours,  moyennant  supplément  de  10  0/0  pour  chaque  période.  — 
2°  Excursions  sur  les  côtes  de  Normandie,  en  Bretagne  et  à  l'île  de  Jersey.  Bil- 
lets circulaires  valables  un  mois  (non  compris  le  jour  du  départ)  et  pouvant 
être  prolongés  d'un  nouveau  mois  moyennant  supplément  de  10  0/0.  Dix 
itinéraires  différents  dont  les  prix  varient  entre  50  et  115  francs  en  1"  classe 
et  40  et  100  francs  en  2e  classe,  permettent  de  visiter  les  points  les  plus  inté- 
ressants de  la  Normandie,  de  la  Bretagne  et  l'Ile  de  Jersey. 


e,  20, 


Knc r,  I  nnl.-grV 


4029    —  74e  AMVÉE.  —  !\°  24.        PARAIT  TOUS   LES   SAMEDIS 


Samedi  13  Juin  IttilS 


(Les  Bureaux,  2b",  rue  Vivienne,  Paris,  u- m') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


ENESTREL 


lie  Numéro  :  0  fp.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  fluméro  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  FTEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  au,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  — Texte  ot  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Pari3  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de   poste  en  bu». 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  dé  la  vie  de  Gluck  (23e  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale: 
reprise  i'Amoureuse  à  la  Comédie- Française,  A.  Boitarel.  —  III.  La  Musique  et  le 
Théâtre  aux  Salons  du  Grand-Palais  (98  article),  Camille  Le  Senne.  —  IV.  Deux  nou- 
velles sonates  de  Cli.-M.  Widor.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

JE  NE  SAIS  PAS  OÙ  VA  LA  FEUILLE  MORTE 

nouvelle  mélodie  d'Eii.NESi  Moret,  poésie   de  Klingsor.  —  Suivra  immédiate- 
ment: Dors,  nouvelle  mélodie  de  René  Lenormand,  poésie  de  Febnand  Greuh. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
Adagio,  de  Théodore  Dubois.  —  Suivra  immédiatement  :  Tristesse  et  Sauterelles, 
nocturne  et  scherzo  de  la  marquise  de  Negrûne. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 

{.±.T  ±  ^  -  ±  T  T--4L) 


CHAPITRE  YI 


GLUCK  COMPOSITEUR  D'OPÉRAS-COMIQUES 

Nous  avons  déjà  donné  un  échantillon  de  la  musique  que 
ce  poème  inspira  à  Gluck.  Les  chants  syllabiques  y  abondent, 
alertes  et  pleins  de  rondeur,  parfois  avec  une  pointe  de  senti- 
ment, faisant  songer  à  la  manière  de  Grétry  qui  n'avait  pas 
encore  débuté.  Les  rythmes  de  danse  tiennent  une  large  place, 
comme  il  convient  dans  toute  bonne  opérette  :  plusieurs  chan- 
sons à  trois  temps  sont  de  véritables  menuets  ;  d'autres,  en 
mouvement  binaire,  semblent  des  gavottes,  des  branles,  des 
rigodons.  Tout  cela  s'accorde  parfaitement  avec  les  vieux  timbres 
de  vaudevilles  français  qui  voisinent  avec  les  nouveaux  airs  de 
Gluck,  tels  que  :  «  Réveillez-vous,  belle  endormie,  —  La  ber- 
gère de  nos  hameaux,  —  Ma  tourlourette,  en  amourette,  —  Or, 
écoutez,  petits  et  grands,  —  Ton  humeur  est,  Catherine,  — 
Comme  un  coucou  que  l'amour  presse,  —  De  Jean  de  Vert  en 
France,  —  L'amour,  l'amour,  la  nuit  et  le  jour.  »  Il  y  a  tout 
lieu  de  penser  que  ces  couplets  étaient  chantés  au  clavecin 
(ils  ne  figurent  pas  dans  la  partition  d'orchestre,  qui  ne  contient 
que  la  musique  nouvelle)  et  que  Gluck  eut  à  pourvoir  à  leur 
accompagnement. 

Le  futur  auteur  des  grands  opéras  parisiens  ne  semble  avoir 
été  aucunement  offusqué  par  ce  mélange  où  l'élément  populaire 
tient  une  large  place.  Bien  mieux,  lui-même  y  a  contribué,  uti- 


lisant dans  sa  propre  musique  des  formules  et  des  rythmes  de 
danses,  où  il  nous  semble  reconnaître  une  influence  du  pays 
natal  et  des  souvenirs  de  jeunesse.  «  Qu'une  servante  tchèque 
danse,  à  Vienne,  un  pas  que  ses  maîtres  trouvent  original,  et  la 
polka  devient  une  danse  noble.  »  Ainsi  s'exprimait  récemment 
le  biographe  de  Smetana,  M.  William  Ritter.  Mais  il  y  avait 
beau  temps  que  le  rythme  de  la  polka  avait  été  introduit  sur 
les  théâtres  de  la  cour  d'Autriche,  et  du  fait  de  leur  plus 
illustre  kapellmeister,  sorti  de  la  Bohême.  Lisez  par  exemple 
ce  thème  d'un  couplet  chanté  par  La  Candeur,  le  procureur 
enrubanné  : 


La.vo.cat,  le       pro.cu.reur,       Du  bien  d'au.Lru 


leur. 


Ailleurs,  nous  reconnaîtrons  une  ,u.ire  forme  mélodique  qu'un 
génie  beaucoup  plus  récent  a  rendue  populaire  en  France. 
Voici  ce  que  chante  l'Argentine  de  Gluck  : 


Pour  répartir  é 


lementLes    biensquicilesortdis  -  pen.se, 


Or,  c'est  au  début,  note  pour  note,  le  refrain  :  «  Très  jolie,  — 
peu  polie,  —  telle  était  Madame  Angot  !...  »  Certes,  je  suis  loin 
d'accuser  M.  Lecocq  d'avoir  commis  la  faute  de  plagier  Gluck, 
voire  d'en  avoir  subi  une  simple  réminiscence:  je  tiens  trop  à 
l'honneur  de  mes  découvertes  musicales  pour  admettre  qu'il  ait 
connu  l'Ile  de  Merlin  à  l'époque,  déjà  lointaine,  où  il  composait 
son  chef-d'œuvre  classique  de  l'opérette;  il  n'y  a  donc  eu,  cela 
est  de  toute  évidence,  entre  Gluck  et  lui,  qu'une  rencontre 
d'idées.  Mais  n'esl-il  pas  piquant  que  l'on  puisse  trouver  dans 
une  œuvre  de  l'auteur  à'Alcesle  le  prototype  de  la  Fille  de  Madame 
Angot,  et  considérer  en  Gluck  l'inventeur  de  la  polka  ? 

Au  reste,  dans  l'Ile  de  Merlin  il  n'y  a  pas  que  des  polkas.  Nous 
avens  dit  qu'avant  le  lever  du  rideau  l'orchestre  avait  des  éclats 
dont  on  comprenait,  le  sens  lorsque  l'on  apprenait  que  l'ouver- 
ture a  pour  but  de  décrire  une  tempête.  Et  d'abord  prenons  note 
du  fait  même  :  c'est  la  première  fois  que  nous  voyons  la  sym- 
phonie se  rattacher  directement  au  drame,  et,  comme  dira  plus 
tard  la  préface  i'Alcesle,  «  prévenir  les  spectateurs  sur  l'action 
qui  va  être  représentée  ».  Ce  n'est  pourtant  pas  sans  quelque 
timidité  que  Gluck  prélude  à  cette  importante  réforme,  tentée 
pour  la  première  fois  dans  une  opérette  française  :  V Allegro 
tumultueux  n'est  encore  que  le  morceau  «  saillant  et  vif  »  de  la 
Sin/onia  italienne  décrite  par  Jean-Jacques  Rousseau,,  et  le  mor- 
ceau final  est,  conformément  à  la  règle,  en  mesure  de  menuet. 
Mais  vingt  ans  plus  tard,  ayant  à  mettre  en  musique  une  traeédie 


186 


LE  MÉNESTREL 


dont  la  première  scène  représente  aussi  un  naufrage,  il  repren- 
dra à  l'œuvre  antérieure  les  éléments  constitutifs  du  prélude 
instrumental  de  nouveau  nécessaire  :  intervertissant  l'ordre  des 
mouvements,  il  commencera  par  le  morceau  à  trois  temps,  qui,., 
épuré,  élagué  d'éléments  trop  mondains,  servira  pour  peindre 
le  calme,  tandis  que  les  dessins  tumultueux  de  l'autre  partie 
seront  développés  et  prendront  un  accent  plus  terrible  encore, 
donnant  l'impression  que  l'action  commence  en  pleine  tempête, 
—  et  c'est  ainsi  que,  par  un  simple  remaniement,  l'ouverture 
de  l'Ile  de  Merlin  sera  transformée  en  celle  d'Iphigénie  en  Tauride. 

Si  nous  avons  choisi  l'Ile  de  Merlin  pour  donner,  par  une  ana- 
lyse attentive,  une  idée  de  la  manière  et  du  style  de  Gluck 
comme  compositeur  d'opéras-comiques  français,  c'est  que  cette 
œuvre  est  significative  pour  nous  révéler  à  la  fois  le  goût  de  la 
société  viennoise  et  l'aptitude  du  maître  lui-même,  et  qu'en 
outre,  c'est  une  des  premières  qu'il  ait  produites  en  ce  genre, 
la  première  même  dont  nous  connaissions  exactement,  la  date  et 
dont  la  partition  complète  nous  soit  parvenue.  Pourtant  ce  ne 
fut  pas  absolument  le  coup  d'essai  de  Gluck.  Si  nous  nous 
reportons  aux  dates  que  nous  fournissent  les  catalogues  de  ses 
œuvres,  nous  trouverons  que,  dans  la  même  année  1758,  mais, 
quelques  mois  plus  tôt  (au  carnaval,  tandis  que  l'Ile  de  Merlin  est 
du  3  octobre),  il  avait  déjà  donné  une  composition  analogue:  La 
Fausse  esclave,  opéra-comique  en  deux  actes,  d'après  une  pièce 
.  d'Anseaume  et  Marcouville,  sur  des  airs  parodiés,  représentée 
pour  la  première  fois  à  Paris,  à  la  Foire  Saint-Germain,  l'année 
précédente  (1757). 

Antérieurement  encore,  la  Cour  de  Vienne  avait  représenté 
des  opéras-comiques  empruntés  au  même  répertoire  français, 
mais  dont  la  musique  était  simplement  composée  d'airs  connus  ; 
et  comme  Gluck  avait  dû  présider  à  leur  exécution,  que  peut- 
être  les  basses  ajoutées  pour  accompagner  les  vaudevilles  sont 
de  sa  façon,  le  catalogue  de  la  Bibliothèque  Palatine,  où  les 
manuscrits  en  sont  conservés,  a  inscrit  à  son  nom  les  pièces 
suivantes  : 

Les  Amours  champêtres  (1755).  On  relève  dans  cette  composi- 
tion, outre  les  timbres  de  provenance  ordinaire,  deux  airs  du 
Devin  du  village,  alors  dans  toute  sa  nouveauté  (1). 

Le  Chinois  poli  en  France  (Laxenbourg,  1756),  d'après  une 
parodie  d'un  intermède  italien,  par  Anseaume  (1754,  Foire 
Saint-Laurent). 

Le  Déguisement  pastoral  (Schônbrunn,  1756),  poème  de  Bret 
(1744,  Foire  Saint-Laurent). 

Reichardt  ajoute  à  ces  trois  pièces  le  Diable  à  quatre,  opéra- 
comique  de  Sedaine,  représenté  pour  la  première  fois  à  la 
Foire  Saint-Laurent  le  19  août  1756,  et  donné  à  Laxenbourg  le 
25  mai  1759,  avec  des  morceaux  nouveaux  à  la  composition 
desquels  Gluck  parait  avoir  participé  (2). 

Il  est  l'auteur  de  la  musique  des  autres  opéras-comiques 
dont  les  noms  suivent  : 

L'Arbre  enchanté,  un  acte,  d'après  une  pièce  de  Vadé  (le  Poirier, 
Foire  Saint-Laurent,  1752),  représenté  à  Schônbrunn  un  an 
après  l'Ile  de  Merlin,  pour  le  nouvel  anniversaire  de  l'Empereur 
(3  octobre  1759)  ; 

Cythère  assiégée ,  un  acte ,  poème  de  Favart  (diversement 
remanié,  mais  qui,  sous  sa  première  forme,  avait  paru  à  la 
Foire  Saint-Laurent  en  1738),  donné  en  1759  à  Sclrwetzingen, 
résidence  d'été  de  l'Electeur  palatin  Charles-Théodore  de  Bavière; 

(1)  Une  représentation  des  Amours  champêtres  fut  donnée  à  Vienne  en  mai  1888,  à 
l'occasion  de  l'inauguration  de  la  statue  de  Marie-Thérèse  :  à  cette  occasion,  la  cri- 
tique, convaincue  que  les  vieux  airs  de  vaudevilles  français,  aussi  bien  que  ceux  de 
Jean-Jacques  Rousseau  et  de  Mouret,  étaient  de  Gluck,  ne  manqua  pas  de  vanter 
-  la  langue  musicale  limpide  et  gracieuse  du  maestro  classique  ».  Il  est  vrai  qu'on 
avait  ajouté,  pour  corser  la  représentation,  des  morceaux  de  la  Fausse  esclave  et  de 
l'Ile  de  .Merlin,  voire  d'Eclw  et  Narcisse,-ce  qui  était  un  peu  prématuré.  Voir  à  ce  sujet 
la  «Correspondance  de  Vienne»  signée  O.Berggruén  dans  le. Ménestrel  du  20  Mai  1888. 

(2)  Le  catalogue  de  la  Bibliothèque  Palatine  attribue  encore  à  Gluck  une  parti- 
tion à'On  ne  s'avise  jamais  de  tout,  dont  la  musique  est  deMonsigny  (voy.  Wotquenne, 
Cat.de  Gluck,  p.  225).  Il  convient  d'ajouter  à  celte  énumération  trois  airs  nouveaux 
d'Isabelle  et  Gertrude,  comédie  de  Favart,  musique  de  Biaise,  représentée  en  1765, 
airs  qui  figurent  dans  la  partition,  et  dont  deux  sont  des  ariettes  de  la  Rencontre 
imprévue,  le  troisième,  de  provenance  inconnue,  également  de  Gluck. 


L'Ivrogne  corrigé  (opéra-comique  d'Anseaume,  Foire  Saint- 
Laurent,  1759),  donné  avec  la  musique  de  Gluck,  à  Vienne 
(ou  Schônbrunn)  en  1760; 

Le  Cadi  dupé  (un  acte  de  Le  Monnier,  '  Foire  Saint-Laurent, 
4  février  1761),  représenté  à  Vienne  (ou  Schônbrunn),  avec  la 
musique  de  Gluck,  dans  l'année  même  où  il  venait  d'être  donné 
à  Paris  avec  la  musique  de  Monsigny; 

La  Rencontre  imprévue,  trois  actes,  tirés  d'une  ancienne  pièce 
de  la  Foire,  par  Le  Sage  et  d'Orneval  (Foire  Saint-Laurent, 
1726),  remaniée  par  le  comédien  Dancourt,  musique  de  Gluck, 
représentée  sous  cette  dernière  forme  à  Vienne  en  janvier 
1764. 

{A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Comédie  Française   :    Première    représentation    à    ce    théâtre     d'Amoureuse, 
comédie  en  trois  actes,  en  prose,  de  M.  Georges  de  Porto-Riche. 

Etienne  Fériaud  est  un  médecin  de  talent.  Sa  fortune  lui  permettant 
de  ne  point  faire  de  clientèle,  il  a  voué  sa  vie  aux  occupations  scienti- 
fiques. Sa  femme  Germaine  a  livré  la  sienne  tout  entière  à  l'amour. 
Elle  est  amoureuse  avec  acharnement,  à  toute  heure,  à  chaque  minute, 
sans  trève.ni  relâché.  Le  cabinet  où  son  mari  voudrait  travailler  est 
constamment  occupé  par  elle  manu  amoroso,  ;  elle  en  fait  son  boudoir, 
veut  qu'on  y  serve  les  repas.  Pendant  huit  années  de  mariage,  l'épouse 
et  l'époux  ont  vécu  les  yeux  dans  les  yeux,  elle,  ingénieuse  à  tourmenter, 
lui.  résigné  d'abord,  puis,  peu  à  peu  impatient  sous  le  joug  dont  il  ne 
sent  plus  la  douceur.  C'est  qu'en  Germaine,  le  costume,  l'attitude,  les 
gestes,  le  babillage,  tout  provoque  l'intimité  avec  une  hardiesse  si 
dépourvue  de  modestie  et  de  réserve  que  cela  même  éloigne  et  repousse. 
Puis,  Etienne  Fériaud  aspire  à  quelque  liberté  d'action,  voudrait 
prendre  part  au  mouvement  de  l'érudition  moderne,  peut-être  publier 
quelque  ouvrage.  Germaine,. sentant  une  froideur  de  plus  en  plus 
accentuée  se  manifester  dans  leurs  rapports,  redouble  ses  assiduités  ; 
c'est  une  Phèdre  dont  les  feux  auraient  été  légitimes  ;  ses  tendresses 
sont  devenues  une  passion,  un  paroxysme  ;  son  mari  est  pour  elle 
une  proie  ;  elle  ne  le  quitte  plus  une  seconde.  Pendant  deux  actes  nous 
assistons  à  cette  lutte  entre  deux  personnages.  Un  troisième  intervient 
parfois  ;  c'est  Pascal  Delannoy,  ami  intime  des  deux  époux.  Épris  au- 
trefois de  Germaine,  il  la  tient  en  observation,  attendant  avec  sang-froid 
le  moment  où  la  jeune  femme,  énervée,  exaspérée,  dépitée  surtout 
après  quelque  scène  conjugale  qu'elle  aura  suscitée,  tombera  haletante 
et  fiévreuse  n'ayant  d'autre  désir  que  de  se  venger.  Alors,  il  lui  offrira 
des  consolations,  recevra  ses  confidences,  l'aura  peut-être  à  sa  merci. 
Si  vilain  que  soit  ce  calcul,  l'événement  eu  démontre  pleinement  la 
justesse.  Après  une  explication  violente,  Etienne  Fériaud  n'est  plus 
maitre  de  lui  ;  il  s'éloigne,  va  respirer  l'air  au  dehors,  et  Germaine,  se 
réfugiant  dans  sa  chambre,  n'en  chasse  point  Pascal  qui  l'y  a  suivie. 

Des  paroles  irréparables  ont  été  prononcées,  un  pas  décisif  a  été  fait, 
il  semble  impossible  de  revenir  en  arrière.  L'auteur  nous  y  ramène 
pourtant,  et  c'est  là  qu'apparait  le  vice  capital  de  la  pièce.  Le  caractère 
de  cette  Germaine,  si  bienfait  pour  conduire  un  mari  au  divorce  ou  au 
désespoir,  apparaît  comme  exceptionnel  et  môme  contre  nature.  Nous 
ne  croyons  pas  que  l'optique  théâtrale  exige  de  semblables  exagéra- 
tions ;  nous  pensons  au  contraire  qu'en  choisissant  un  cas  plus  ordi- 
naire, tel  que  chacun  de  nous  eu  a  rencontré  dans  sa  vie,  M.  de  Porto- 
Riche  se  fût  ménagé  la  possibilité  de  réconcilier  avec  vraisemblance  à 
la  fin  l'homme  de  science  et  l'amoureuse.  Dans  l'état  actuel  de  la 
pièce,  cette  réconciliation  nous  laisse  sceptiques  ;  nous  ne  voyons  pas 
qu'elle  puisse  définitivement  rapprocher  les  cœurs. 

Amoureuse,  jouée  pour  la  première  fois  à  l'Odéon  le  25  avril  1891, 
avait  Mme  Réjane  pour  principale  interprète.  Aujourd'hui  c'est 
Mllc  Marie  Lecomte  qui  personnifie  Germaine.  A-t-elle  voulu  accentuer 
par  tous  les  moyens,  y  compris  le  costume  bien  à  la  mode  de  nos  jours 
et  si  peu  discret  pourtant,  les  côtés  antipathiques  du  rôle  ?  Nous  le 
croirions  volontiers.  Mais,  puisqu'il  s'agit,  a-t-on  dit,  d'une  histoire 
«  vécue  »,  un  peu  moins  d'exubérance  dans  la  mimique,  compensée 
pas  une  diction  plus  vibrante,  aurait  mieux  donné  le  sentiment  de  la 
réalité.  M.  Grand,  moins  préoccupé  que  sa  partenaire  de  l'effet  immé- 
diat, a  bien  pénétré  le  caractère  faible  d'abord,  mais  déterminé  dès 
qu'il   s'est  ressaisi,   d'Etienne   Fériaud  ;    quelques    imperfections   de 


LE  MENESTREL 


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détail  disparaîtront  sans  doute  dès  les  prochaines  représentations  et 
I'élocution  chez  tous  les  acteurs  en  deviendra  plus  consistante. 

M.  Raphaf'l  Duflos  a  peut-être  exagéré  le  sans-gène  de  l'ami  familier 
de  lajmaison  à  qui  l'on  pardonne  tout.  Sa  trahison  au  troisième  acte 
est,  il  est  vrai,  si  peu  délicate,  qu'il  est  difficile  de  lui  demander 
pendant  les  deux  premiers  la  tenue  correcte  d'un  homme  bien  élevé. 
Mlnes  Franchie  Clary,  Maille.  Suzanne  Devoyodet  Provost  complétaient 
l'interprétation  sans  l'élever  au-dessus  d'une  moyenne  convenable.  La 
mise  en  scène,  unique  pour  les  trois  actes,  est  élégante  et  riche  sans 
rien  qui  retienne  spécialement  l'attention. 

Amédée  Boutahel. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THÉÂTRE 

aux.     Salons     du     Grand-Palaii 


(Neuvième  article) 
Que  de  triptyques  !  s'ils  avaient  des  joints  à  charnières,  tous  ces 
volets  repliables  pourraient  s'écouler  comme  paravents  esthétiques 
(rayon  des  articles  de  choix)  dans  nos  magasins  de  nouveautés,  au  cas 
où  ils  n'auraient  pas  trouvé  preneur  dans  les  galeries  de  la  S.  A.  F. 
L'envoi  de  M""  Henriette  Desportes,  Quand  ils  ne  vont  plus  en  me?;  est 
un  des  plus  remarquables  comme  enchaînement  de  composition  et 
variété  d'expression.  M.  Callot  n'a  pas  été  moins  heureux  dans  Gens  de 
mer,  enfants  qui  lancent  des  miniatures  d'esquifs,  marins  sur  l'Océan, 
ménagères  de  Brest  errant  le  long  des  quais.  Et  combien  d'autres  ! 

Le  Pardon  de  Saint-Cado  de  M.  Désiré  Lucas  et  ses  groupes  de  fidèles 
se  détachant  sur  un  ciel  clair  devant  le  porche  de  la  vieille  église  de 
granit  couchée  au  nord  des  landes  sous  un  large  capuchon  d'ardoises 
et  de  mousses  sont  la  meilleure  bretonnerie  bretonnante  d'un  Salon  où 
la  Bretagne  éclipse  toutes  les  autres  provinces  françaises.  Je  signalerai 
encore  une  étude  d'observation  très  rare  et  de  rendu  adroitement  carac- 
térisé, Au  pays  breton,  signé  Gonyn  de  Lurieux  (Mme  Yvanhoë  Ram- 
bosson).  Le  talent  de  M.  Henri  Royer  se  renouvelle  dans  une  vaste 
composition  genre  Charles  Cottet,  émouvante  juste  au  point  où  la  senti- 
mentalité confinerait  à  la  pleurnicherie  :  Devant  la  grande  mer.  Le' Jour 
du  Pardon  au  Faouet,  de  M.  Alizard,  ne  vise  au  contraire  qu'à  l'effet 
pittoresque,  mais  voici  deux  sujets  dramatiquement  traités,  chacun  à 
sa  manière  :  les  Landes  en  feu,  de  M.  Mondineu,  qui  rougeoyent  et 
pétillent,  et  la  Procession  de  la  Vierge  miraculeuse,  de  M.  Alfred  de 
Richemont,  dont  le  morceau  le  plus  intéressant  est  la  figure  de  malade 
extatique  étendue  sur  un  brancard,  les  mains  jointes,  lame  tout  entière 
sur  les  lèvres,  tandis  que  passe  le  cortège  des  mitres  dorées  et  des 
chapes  fleuries. 

En  tète  des  études  intimistes  vient  le  Repas  du  soir  où  M.  Joseph 
Bail  fait  preuve  de  la  même  virtuosité  impeccable,  dans  la  même 
ambiance  de  poussière  d'or.  Leblanc  des  coiffes,  le  rouge  d'un  corsage, 
les  étincelles  jaillies  des  cuivres  s'y  harmonisent  avec  une  extraordi- 
naire maîtrise.  M.  Franck  Bail  a  moins  d'éclat,  mais  son  Jour  des 
cuivres  et  la  Laitière  au  chat  ne  sont  pas  négligeables.  M.  Kowalsky 
fait  jouer  Au  diabolo,  sous  un  arbre  rosé  par  un  effet  de  soleil  couchant 
emprunté  au  répertoire  de  M.Henri  Martin,  une  ingénue  qui  s'applique 
de  tout  cœur  à  ce  fatigant  exercice.  Dans  une  autre  toile  il  groupe 
une  théorie  virginale  de  danseuses  à  la  corde.  Les  Feuilles  d'automne,  de 
M.  Léonce  de  Joncières,  rappellent  une  des  plus  charmantes  inspira- 
tions de  Théophile  Gautier  recueillies  par  l'anthologie  du  Parnasse  : 

Au  fond  du  paix,  dans  une  ombre  indécise 

Il  est  un  banc  solitaire  et  moussu 

Où  l'on  croit  voir  la  rêverie,  assise 

Triste  et  songeant  à  quelque  amour  déçu. 

Le  souvenir  dans  les  arbres  murmure... 

.  Il  murmure  aussi  à  travers  les  frondaisons  que  M.  de  Joncières 
évoque  en  sa  composition  mélancolique,  d'un  lyrisme  discret  et  péné- 
trant; mais  le  peintre  a  précisé  et  situé  la  rêverie  ;  elle  est  symbolisée 
avec  beaucoup  de  grâce  par  une  jeune  fille  qui  songe  dans  l'étemelle 
solitude  du  parc  de  Versailles,  parmi  les  feuilles  mortes  de  l'allée  des 
marmousets,  assise  sur  la  margelle  du  bassin. 

Très  jeunes  aussi  les  modèles  de  M.  Paul  Chabas,  ingénues  modernes, 
fines  et  presque  transparentes,  qui  manient  l'aviron  avec  une  sorte  de 
préciosité  voluptueuse  le  long  des  rives  fleuries  frôlées  par  leur  barque. 
Elles  s'inscrivent  délicatement,  en  rose  pâle,  en  bleu,  en  Vert  tendre 
sur  l'azur  délavé  d'un  ciel  de  printemps  où  glissent  des  brumes  légères 
comme  des  fumées.  La  Partie  de  Daines,  de  M.  Victor  Guétin.  est  d'un 


beau  caractère  familial  et  d'une  plus  robuste  intimité.  Et  voici  encore 
une  composition  vraiment  puissante  non  seulement  par  le  rendu  des 
figures  des  jeunes  gens  installés  devant  le  piano,  mais  par  La  ferveur 
d'attention  peinte  sur  toutes  ces  physionomies  d'artistes  en  attente  et 
en  arrêt  devant  l'œuvre  nouvelle:  la  Première  Audition,  de  M.  Brémond. 

C'est  à  un  portrait,  à  un  «  grand  portrait  ...  de  haut  style,  Ii  Henri 
Roche  fort,  de  M.  Marcel  Baschet,  que  les  peintres  ont  décerné  la 
médaille  d'honneur.  Le  célèbre  polémiste,  qui  appartient  à  l'histoire  de 
nos  temps  divisés  par  sa  tumultueuse  carrière,  mais  plus  encore  è  La 
peinture  et  à  la  statuaire  par  le  relief  d'une  physionomie  individuelle 
entre  toutes,  a  trouvé  là  son  effigie  définitive.  La  figure  se  détache 
sur  un  fond  neutre  ;  le  reflet  de  la  houppe  blanche  et  la  llamrne 
du  regard  éclairent  les  carnations  patinées,  bistrées  p»  l'âge  ;  le 
torse  s'incruste  avec-  une  sorte  de  violence  dans  un  fauteuil  de 
velours  d'une  prestigieuse  exécution.  Autres  grands  morceaux,  les 
deux  envois  de  M.  Bonuat,  qui  gardent  une  tenue  magistrale,  de 
vigueur  toujours  impressionnante  et  presque  tyraunique  :  portrait 
d'homme  fortement  étoffé  dans  sa  maturité  grisonnante,  portrait  de 
femme  à  étole  de  fourrure  ;  les  Hébert,  d'un  charme  pénétrant,  surtout 
la  Femme  à  la  harpe  qui  se  détache  sur  un  fond  de  verdure  ;  les  deux 
.  numéros  de  M""  Louise  Abbéma  :  un  portrait  de  l'archevêque  de 
Palmyre  et  une  délicieuse  étude  lleurie  d'après  M""'  Carrie  Wisler  :  les 
Frédéric  Lauth  :  le  Docteur  Favre  et  la  Jeune  femme  au  voile  gris,  qui 
semblent  des  Carrière  aux  contours  plus  précisés.  Il  convient  encore  de 
mettre  au  premier  plan  le  Gabriel  Ferrier  :  Monseigneur  Herscher, 
évéque  de  Langres,  où  l'apparat  est  réduit  au  minimum  :  le  très 
vivant  et  très  ressemblant  Eugène  Lautier,  de  M.  Lelong  ;  le  portrait 
de  Madame  Viviani,  dont  M.  Henri  Martin  a  fait  une  étude  brillante  et 
forte  enveloppée  de  l'atmosphère  subtile  des  intérieurs  modernes. 

M.  Emmanuel  Fauré-Frémiet  s'annonce  comme  un  très  bel  artiste, 
très  français,  dans  le  portrait,  où  il  évoque  la  physionomie  si 
personnelle  de  son  grand-père  le  statuaire  Frémiet.  La  figure  est 
traitée  avec  une  simplicité  robuste,  mais  la  ligne  du  corps  reste 
en  valeur  sous  l'ample  pèlerine  qui  corrige  la  laideur  du  costume 
de  l'Institut  ;  tous  les  acecessoires  concourent  à  l'impression  d'en- 
semble par  leur  rendu  très  minutieux  en  laissant  au  premier  plan  le 
caractère  particulier  du  modèle  :  œuvre  de  facture  souple  et  vraiment 
révélatrice  d'un  talent.  Mme  Geraldy  expose,  vivant  et  parlant,  M.  Paul 
Escudier,  l'ancien  président  du  Conseil  municipal  à  qui  le  Paris  esthé- 
tique doit  tant  de  gratitude.  M.  Giacomotti  nous  rend  un  sobre  et 
d'autant  plus  émouvant  profil  du  regretté  sculpteur  Just  Becquet  dont 
le  Joseph  en  Egypte  eut  la  médaille  d'honneur  à  l'un  des  derniers 
Salons. 

A  ranger  aussi  dans  la  séria  des  portraits,  car  leur  intérêt  est  l'as- 
semblage des  ressemblances  officielles,  les  divers  envois  protocolaires  : 
pose  de  la  première  pierre  du  théâtre  d'Agen  par  le  Président  de  la 
République  (Antonin  Calbet) ,  MM.  Dujardin-Beaumetz ,  Georges 
Leygues  et  Lanes  ;  Fête  de  Mézin,  3  octobre  1906  (Abadie)  ;  Arrivée  à 
Mézin,  l'avant-veille  (Abel  Boyé)  ;  Garden-Party  offerte  au  Président  par 
le  Conseil  général  de  Lot-et-Garonne,  à  Ageu  (Guillonnet).  Dans  ces 
diverses  toiles  M.  Fallières  apparaît  tour  à  tour  sur  un  balcon,  dans 
une  voiture,  enfin  pied  à  terre  pour  cimenter  la  traditionnelle  «  pre- 
mière pierre  »  avec  ou  sans  accompagnement  d'orphéon.  Ces  effigies 
sont  intéressantes,  animées,  et  diffèrent  peu  entre  elles,  ce  qui 
n'arrive  pas  toujours  ni  même  souvent  dans  l'inconographie  d'Etat. 

M.  Paul  Dupuy  a  trouvé  dans  une  étude  de  femme  au  perroquet  un 
motif  décoratif  à  la  fois  amusant  et  somptueux.  M.  Ferdinand  Humbert 
garde  aussi  une  tendance  au  faste  et  â  l'apparat  dans  son  portrait  de 
Madame  Jane  Hatto  qu'il  a  campée  au  bord  de  la  mer,  dans  une  atti- 
tude de  rêverie.  Le  portrait,  d'une  facture  tout  à  fait  distinguée,  a  grand 
air,  mais  l'ambiance  lui  donne  quelque  chose  de  factice.  L'étude  de 
M.  Jules  GrQn  d'après  Mademoiselle  Renée  Maupin  est  d'une  bonne 
qualité  de  réalisme.  Ça  et  là  M.  Marcel  Butin  par  M"e  Lavrat.  M.  Louis 
Ravel  par  M.  Faurie,  le  distingué  chef  du  cabinet  de  M.  Dujardin- 
Beaumetz.  M.  Gabriel  Faure,  très  spirituellement  portraituré  par 
M.  Adolphe  Broet,  la  Princesse  Louise  de  Baltenberg  par  M.  Laszlo, 
M.  Henry  Marel  par  Mme  Milleraud-Aubazet,  le  poète  Mousseron,  mineur 
de  la  Compagnie  d'Anzin,  par  M.  Moreau-Deschanvres,  le  compositeur 
Claude  Gaillon  par  M.  Péquier,  Jean  Périer  de  l'Opéra-Comique  dans  le 
rôle  du  capitaine  Bernard  de  la  Vivandière  par  M.  Henry  Farré.  André 
Brunot,  de  la  Comédie-Française,  en  Crispin,  par  M.  Bedorez. 

Le  portrait  de  M.  Louis  Diémer  par  M.  Joseph  AVencker  nous  montre 
le  grand  pianiste  assis  non  devant  le  clavecin  où  il  évoquait  l'autre 
jour  avec  tant  de  virtuosité,  dans  l'orangerie  de  Versailles,  pour  le  plus 
grand  ravissement  des  eousinettes  de  l'Université  des  Annales,  les 
mânes  de  Mozart,  de  Daquiu  et  de  Rameau,  mais  devant  le  piano  de 


LE  MÉNESTREL 


palissandre  d'un  bien  médiocre  effet  pictural  en  tant  que  nature  morte. 
L'attention  se  concentre  d'ailleurs  tout  entière  sur  la  physionomie  si 
curieusement  expressive  dans  son  discret  recueillement.  M.  Ernest 
Bordes  a  campé  en  un  fauteuil  de  peluche  verte,  un  livre  à  la  main, 
sur  un  fond  de  tentures  «  riches  »  trop  chargé,  le  spirituel  doyen  de 
nos  auteurs  gais,  Abraham  Dreyfus  :  effigie  de  style  soutenu,  d'inté- 
ressante vitalité.  Et  je  note  tout  de  suite  dans  la  section  des  dessins  un 
excellent  portrait  de  M.  Thoumy,  l'habile  et  dévoué  commissaire  général 
de  la  Société  des  Artistes  frauçais  par  M.  Lard  ;  une  délicate  miniature 
d'après  Mmc  Emile  Ollivier  par  Mme  Odérieu  ;  Son  Altesse  impériale 
la  Grande-Duchesse  Wladimir,  physionomie  familière  aux  habitués 
de  toutes  les  grandes  premières,  par  Mmc  Bocher  ;  Mme  Ballieu-Clovis- 
Hugues  par  M'"' Debillemont-Chardon  ;  MmeMagdeleine  Godard,  pastel 
très  stylisé  de  Mllc  Zillhardt  :  un  autre  pastel  d'exécution  poussée, 
Mme  Taillade  de  l'Odéon,  par  M",e  Boissière  ;  une  fine  miniature  de 
M""  Pauline  Lazard,  portrait  de  M'le  Louise  Mante,  la  gracieuse  balle- 
rine de  l'Opéra  :  enfin  un  dessin  de  M.  Henri  Boyer  où  se  profile  en 
jeunesse  et  en  gaité  la  silhouette  de  Mme  Blanche  Dussane. 

Donnons  un  coup  d'ceil  aux  envois  des  paysagistes  avant  de  quitter 
la  peinture.  M.  Guillemet,  qui  a  failli  obtenir  cette  année  la  médaille 
d'honneur  et  qui  recevra  certainement  la  suprême  récompense  à  l'issue 
du  Salon  prochain,  a  résumé  son  œuvre  considérable  et  si  riche  en 
notations  caractéristiques  dans  la  vue  de  Moret  au  soleil  couchant. 
Toute  la  poésie  de  cette  admirable  lisière  de  la  forêt  de  Fontainebleau 
où  le  ciel,  les  arbres,  l'atmosphère  composent  une  harmonie  subtile 
et  diffuse  revit  sur  cette  toile  d'une  beauté  de  matière  et  d'une  qualité 
de  style  vraiment  exceptionnelles.  Saluons  encore  toute  une  suite  de 
vues  d'un  grand  caractère,  les  envois  du  vieux  maître  Harpignies,  le 
poétique  Effet  d'automne,  de  M.  Albert  Depré,  plein  d'un  sentiment 
attendri  de  la  nature,  le  fulgurant  Coucher  de  soleil  sur  la  mer,  de 
M.  Adrien  Demont.  les  Environs  de  Berck,  de  M.  Nozal.un  Paysage  limousin, 
de  M.  Henry  Mouren,  d'une  sobriété  et  d'une  solidité  d'exécution  qui 
en  font  un  véritable  tableau  de  musée,  les  Marines,  de  M.  Olive,  bien 
observées  et  mouvementées,  la  Cale  d'embarcation,  de  MIle  Dujardin- 
Beaumelz,  d'une  facture  souple  et  libre,  la  Marée  basse,  de  M.  Berthelon, 
la  Lisière  de  bois,  de  M.  Paul  Buffet,  et  le  Crépuscule  aux  Martigues,  de 
M.  Amédôe  Buffet,  qui  maintiennent  leur  maîtrise  et  leur  personnalité, 
avec  un  sentiment  plus  nerveux  de  la  forme. 

La  sculpture  nous  appelle  et  d'abord  sous  son  aspect  le  plus  impé- 
rieusement meublant,  si  j'ose  dire  :  la  statuaire  monumentale.  Les 
monuments  occupent  une  place  considérable  dans  la  nef  du  Grand- 
Palais  dont  la  lumière  crue  a  été  corrigée  par  une  meilleure  disposition 
du  vélum  disposée  en  vastes  nappes  de  mousseline  et  descendu  jusqu'à 
mi-hauteur.  Mentionnons  d'abord  les  projets  et  maquettes  répondant 
aux  commandes  de  M.  Dujardiu-Beaumetz  pour  la  décoration  de  ce 
Sahara  encadré  de  pierres  qu'est  la  place  de  la  Concorde. 

M.  Fréniiet  expose  deux  figures  en  bronze,  éminemment  décoratives. 
Ce  sont  des  Victoires  que  la  misère  des  temps  a  empêché  de  dorer  et 
que  gâte  une  affreuse  patine  de  candélabres.  Il  faudrait  les  débarrasser 
de  cet  enduit,  dùt-on  ouvrir  une  souscription  nationale.  Elles  auront 
alors  tout  l'envol  lyrique  signifié  par  leurs  palmes  triomphales  et  leurs 

buccins  sonneurs  de  fanfares.  Le  Temps  et  le  Génie,  de  M.   Ségoffin 

celui-ci  écartant  celui-là  d'un  geste  résolu,  sans  doute  pour  le  gagner 
de  vitesse  —  laissera  le  public  assez  froid  en  tant  que  rébus  allé- 
gorique, mais  s'imposera  par  le  robuste  équilibre  de  la  composition. 
M.  Landowski,  l'auteur  des  Fils  de  Caïn  qui  font  déjà  partie  delà  déco- 
ration monumentale  de  la  cour  du  Louvre,  a  symbolisé  V Architecture. 
La  déesse  est  plus  propre  à  hospitaliser  les  œuvres  des  statuaires  qu'aies 
inspirer,  mais  la  figure  est  originale  et  nous  repose  des  poncifs  de 
l'École  des  Beaux-Arts  ;  M.  Landowski  a  représenté  un  primitif  tailleur 
de  pierres,  une  sorte  d'Hercule  hiératique,  dressé  au  milieu  des  blocs 
que  sa  pensée  toute-puissante  va  disposer  en  assises  ou  en  gradins. 
C'est  le  héros  de  La  Reine  de  Saba  «  plus  grand  dans  son  obscurité 
qu'un  roi  paré  du  diadème  ».  Ce  renouvellement  du  mythe  vaut  bien 
la  classique  grosse  dame  tenant  une  équerre  à  bout  de  doigts  comme 
un  instrumentiste  d'orchestre  secoue  son  triangle. 

La  médaille  d'honneur  a  été  décernée  à  M.  Jean  Boucher  pour  le 
Monument  Trarieux,  et  en  effet  cet  ensemble  considérable  ne  manque  ni 
de  caractère  ni  d'ampleur  ;  il  contient  même  deux  figures  de  grand 
style,  un  ouvrier  en  tablier  de  cuir  et  un  «  penseur  »  accoudés  à  la 
stèle  qui  supportera  le  buste  de  l'aucien  garde  des  Sceaux.  Mais  on  a 
surtout  récompensé  l'autre  envoi  du  mémo  artiste,  le  Victor  Hugo  en 
marche  sur  les  rochers  de  Guornesey.  Le  poète  n'est  pas  immobilisé  à 
la  façon  d'un  génial  dessus  de  pendule  ;  il  va,  tète  nue,  la  main  droite 
affleurant  les  lèvres  d'un  geste  méditatif,  la  gauche  tenant  le  chapeau 
de  feutre  bossue  et  le  bâton  à  la  rude  écorce.  C'est  la  joie  des  forts  de 


voler  contre  le  vent  ;  aussi  la  bourrasque  s'engouffre-t-elle  aux  plis 
du  manteau,  le  seul  détail  romantique  de  cette  composition  puissam- 
ment réaliste.  Le  front,  lourd  de  pensée,  baigne  et  se  rafraîchit  dans  la 
tempête.  M.  Jean  Boucher  nous  a  donné  là  notre  Homère  et  aussi 
notre  Juvénal  au  bord  de  l'Océan. 

Le  monument  à  Watteau,  de  M.  Henry  Lombard,  doit  concourir  — 
ainsi  parle  le  catalogue,  rédigé  en  style  administratif  —  à  la  décoration 
du  jardin  du  Carrousel.  Marbre  préciosé,  gratiné,  ratissé  à  la  manière 
italienne  et  dont  on  peut  critiquer  l'exécution  au  point  de  vue  d'un 
excès  de  fignolage  ;  mais  l'inspiration  reste  élégante,  spirituelle  et  bien 
française.  Il  aurait  plu  aux  Goncourt  qui  n'ont  pas  eu  la  joie  de  voir 
magnifier  le  peintre  des  Grâces  du  XVIIIe  siècle.  Aussi  bien  il  serait 
amusant  de  faire  contraster  dans  le  même  cadre  de  verdures  le  fin 
buste  de  Parisienne  1507,  de  M.  Philippe  d'Arlhez,  avec  cette  Marqui- 
sette  Louis  XV.  Le  monument  à  Charles  Perrault  est  destiné  aux 
Tuileries.  Ai-je  besoin  de  vous  dire  que  le  statuaire  Gabriel  Pech  n'a 
pas  songé  un  instant  à  commémorer  le  vaillant  contradicteur  de 
Boileau  dans  la  querelle  des  anciens  et  des  modernes,  l'érudit  et 
surtout  l'intuitif  qui  le  premier  prêcha  la  substitution  d'un  lot  d'Ho- 
mérides  successifs  à  un  Homère  unique  (hypothèse  universellement 
admise  aujourd'hui),  et  s'attira  cette  semonce  du  bilieux  satiriste  : 
«  M.  Perrault  va  jusqu'à  cet  excès  d'absurdité  de  soutenir  qu'il  n'y  a 
jamais  eu  d'Homère,  que  ce  n'est  point  un  seul  homme  qui  a  fait 
l'Iliade  et  l'Odyssée,  mais  plusieurs  pauvres  aveugles  qui  allaient, 
dit-il,  de  maison  en  maison,  réciter  pour  de  l'argent  de  petits  poèmes 
qu'ils  composaient  au  hasard...  C'est  ainsi  que,  de  son  autorité  privée, 
il  métamorphose  tout  à  coup  ce  vaste  et  bel  esprit  en  une  multitude  de 
misérables  gueux  » . 

M.  Gabriel  Pech  a  laissé  de  côté  et  ce  Charles  Perrault  coupable 
d'avoir  eu  raison  et  le  fonctionnaire,  investi  d'une  grande  charge, 
qu'entouraient  d'innombrables  solliciteurs.  Il  n'a  pu  lui  retirer  sa 
perruque  dont  l'honnête  homme  de  ce  temps-là  ne  se  séparait  qu'à 
huis  clos,  mais,  au  pied  de  la  stèle  qui  porte  le  buste,  il  groupe  une 
ronde  de  fillettes.  Il  a  également  accoté  au  marbre  un  Chat  botté.  Ce 
chat  est  un  maitre  chat,  le  mistigri  dont  nous  parle  le  conte,  «  lequel 
devint  grand  seigneur  et  ne  courut  après  les  souris  que  pour  se 
divertir  ».  Il  a  le  costume  Louis  XIII,  les  bottes  à  chaudron,  le  feutre 
empanaché,  le  manteau  à  petit  collet,  le  large  baudrier  dont  héritèrent 
les  Suisses  de  cathédrale.  C'est  un  vrai  petit  capitaine  Fracasse.  Toute 
cette  «  garniture  »  nous  montre  que  le  statuaire  a  voulu  glorifier  l'au- 
teur des  contes  de  fées,  et  il  y  est  parvenu  avec  un  réel  bonheur.  Le 
gracieux  monument  figurera  à  merveille  dans  ce  jardin  des  Tuileries 
dont  Charles  Perrault  réserva  la  jouissance  au  public  envers  et  contre 
Colbert.  '<  Il  n'y  vient  que  des  fainéants  !  »  disait  le  ministre.  «  Il  y 
vient  des  personnes  qui  relèvent  de  maladie,  pour  y  prendre  l'air  » 
répondait  le  contrôleur  général  des  bâtiments.  «  On  s'y  réunit  pour 
parler  d'affaires,  de  mariages  et  de  toutes  choses  qui  se  traitent  plus 
convenablement  dans  un  jardin  que  dans  une  église...  Je  suis  persuade 
que  les  jardins  du  roi  ne  sont  si  grands  et  si  spacieux  qu'afiu  que  tous 
les  enfants  puissent  s'y  promener.  »  Colbert  était  moins  entêté  que 
Boileau,  ou  plus  indifférent.  Cette  fois  Charles  Perrault  eut  le  dernier 
mot. 

(A  suivre.';  Camille  Le  Senne. 


Ch.-M.    WIDOR 

DEUX      SONATES      NOUVELLES 


Les  deux  sonates  Violon  et  piano,  op.  79  (dédié  à  Massenet),  et  Violoncelle  et 
■piano,  op.  80  (à  Jules  Loeb),  que  ces  jours  derniers  nous  avons  entendu  inter- 
préter par  les  violonistes  Bilewski,  Capet,  Marsick  et  les  violoncellistes  Loeb, 
Destombes,  Hekking,  ont  été  écrites  l'une  immédiatement  après  l'autre, 
obéissant  toutes  les  deux  à  la  même  volonté,  aux  mêmes  lois  de  construction, 
mais  en  absolu  contraste  d'idées  et  de  sentiment  :  la  Sonate  de  violon,  très 
pathétique,  très  dramatique,  ses  deux  uniques  thèmes  (qui  se  développent  et 
se  transforment  pendant  les  trois  morceaux  de  l'œuvre)  de  tonalité  mineure; 
majeure  au  contraire,  la  Sonate  de  violoncelle,  de  caractère  mélodieux  et  calme, 
ses  trois  morceaux  bàlis  sur  des  thèmes  différents. 

Il  y  aurait  une  intéressante  étude  à  écrire  sur  l'influence  des  inventions 
modernes  dans  l'Art;  sur  l'effet,  dans  la  littérature  et  la  musique,  de  la  vapeur 
et  de  l'électricité.  La  solennelle  période  de  Bossuet  étonnerait  quelque  peu  et 
ferait  même  sourire  aujourd'hui;  les  rigoureuses  symétries  de  la  symphonie 
classique  semblent  parfois  malaisément  coïncider  avec  notre  nervosité  qui 
s'impatiente,  et  dès  qu'elle  a  pressenti  le  dénouement,  l'exige  aussitôt.  Moins 
de  rhétorique,  moins  d'épithètes;  nous  voulons   aller  vite,   droit  au  but   que 


LE  MÉNESTREL 


189 


nous  promet  le  compositeur;  s'il  y  a  doute  sur  la  roule  qu'il  nous  fait  suivre, 
nous  le  lâchons. 

Les  dernières  productions  symphoniques  de  Widor  laissent  deviner  une 
constante  préoccupation  d'obéir  à  ces  nécessités  ;  je  n'aurai  qu'à  citer  son 
quatuor  en  la,  son  quintette,  op.  69,  et  surtout  son  dernier  concerto  de  piano 
(ut  mineur)  dans  lequel,  au  lieu  de  se  succéder  sur  la  tonique  finale,  les  deux 
thèmes  viennent  se  fondre  pour  n'opérer  qu'une  seule  et  unique  rentrée; 
procédé  lout  neuf,  mais  dont  il  ne  faudrait  pas  user  inconsidérément,  car  il 
tend  à  modifier  l'architecture  traditionnelle  de  la  symphonie  et  à  rompre  son 
équilibre  en  abrégeant  ainsi  l'une  des  trois  divisions  du  morceau,  la  péroraison. 

Dans  ses  deux  sonates  nouvelles  où  les  thèmes  gardent  leur  indépendance, 
les  proportions  restent  justement  équilibrées  et  très  classiques  malgré  certaines 
tendances  modernes.  Quant  aux  thèmes  eux-mêmes,  ils  sont  de  doux  sortes  : 
ceux  de  la  Sonale  de  violon  courts  et  rythmiques,  faits  pour  être  développés; 
ceux  de  la  Sonate  de  violoncelle  d'un  dessin  plus  mélodique  et  par  conséquent 
moins  riches  en  déductions,  mais  plus  nombreux. 

C'est  le  violon,  dans  l'op.  79,  qui  impose  le  premier  thème,  idée  principale 
de  la  sonale  que  nous  verrons  développée  et  commentée  dans  Vallegro  et 
mmdante,  puis  transformée  dans  le  final;  quant  au  second  thème,  c'est  le  piano; 
le  premier  des  deux  pathétique  et  haletant,  le  second  plus  calme  et  comme 
résigné,  en  progressive  dégradation  de  sonorité  et  de  mouvement.  Ce  second 
thème, nous  le  retrouverons  encore  «second  thème»  dans  le  dernier  morceau, 
mais  alors  développé;  il  n'apparait  que  deux  fois  dans  l'allégro  et  sans  autre 
modilication  que  sa  transposition  à  la  tierce. 

Si  nous  comparons  maintenant  les  trois  divisions  de  cet  allegro,  nous  consta- 
terons que  la  plus  courte  est  celle  du  milieu,  conformément  aux  lois  de  l'équi- 
libre architectural,  période  du  «  travail  de  l'idée  »  resserrée  entre  l'exposition 
et  la  péroraison,  comme  une  \oùte   de  cathédrale  soutenue  par  deux  tours 


NOUVELLES    DIVERSES 


h'andante,  fragment  très  expressif  du  premier  thème,  à  peine  interrompu  çà 
et  là  par  un  rapide  épisode  du  piano.se  développe  doucement  et  sans  secousse 
pour  s'en  aller,  de  déduction  en  déduction,  vers  sa  conclusion  logique.  J'ai 
entendu  critiquer  la  concision  relative  du  morceau,  assez  injustement  à  mon 
avis,  car  il  était  difficile  de  lui  donner  de  plus  amples  proportions  sans 
rompre  son  unité  par  des  éléments  nouveaux. 

Quant  au  final,  il  repose  tout  entier  sur  les  deux  thèmes  du  début,  le  pre- 
mier changeant  de  rythme  et  momentanément  de  caractère,  le  second  conser- 
vant son  aspect,  mais  s'agrandissant  peu  à  peu.  Vers  la  péroraison,  alors  que 
le  piano  revient  sur  la  tonique  avec  le  premier  thème  transformé,  le  violon  se 
hâte  de  lui  répondre  en  lui  opposant  le  même  thème  sous  sa  forme  originale, 
synthèse  assez  nouvelle  des  métamorphoses  de  l'idée. 

Une  analyse  aussi  sommaire  suffit  à  peine  à  montrer  le  plan  général  de 
l'œuvre  et  la  solidité  des  liens  qui  en  rattachent  les  morceaux.  Rien  d'inutile 
dans  ce  triptyque  où  tout  concourt  à  créer  la  même  impression  :  le  ton  de  ré 
mineur,  une  ambiance  d'agitation  et  de  drame... 

En  la  majeur,  au  contraire,  est  écrite  la  Sonate  de  violoncelle  contenant, 
comme  l'autre,  trois  numéros.  Ainsi  que  nous  le  constations  tout  à  l'heure, 
plus  un  thème  est  mélodique,  moins  il  se  prête  au  développement;  impossible 
de  morceler  ou  de  modifier  une  phrase  bien  dessinée  sans  lui  faire  perdre  de 
sa  signification  ou  de  son  caractère.  Or,  le  violoncelle  est  un  chanteur  habitué 
aux  sentimentales  cantilènes  et  aux  phrases  bien  dessinées.  De  là,  pour  les 
divers  morceaux  d'une  sonate  à  son  usage,  la  nécessité  de  thèmes  spéciaux, 
voire  même  d'épisodes  pouvant  servir  de  matière  à  «  travail  »,  lorsque  les 
vrais  thèmes  ne  donnent  pas  assez. 

Tandis  que  sur  la  sonate  de  violon  règne  une  idée  unique,  ici,  dans  le  seul 
allegro  trois  thèmes  se  succèdent  ou  s'opposent,  deux  dans  Validante  et  deux 
encore  dans  le  final,  sans  compter  les  conclusions  fort_ chantantes  des  premiers 
morceaux  qui  pourraient  passer  pour  de  vrais  thèmes. 

Ce  n'est  donc  pas  l'unité  de  l'idée,  mais  celle  du  sentiment  que  nous  devons 
chercher  dans  la  sonate  de  violoncelle,  ce  qui  n'implique  point  à  son  préjudice 
une  déclaration  d'infériorité.  Il  y  a  parfaite  harmonie  entre  les  lumineuses 
colorations  de  Vallegro  et  la  printanière  gaieté  du  final;  un  contraste  très 
voulu  entre  la  mélancolie  touchante  de  Validante  et  la  chaleur  des  deux  mor- 
ceaux qui  l'encadrent.  Par  la  similitude  de  leurs  proportions  et  la  différence 
des  moyens  employés,  l'étude  de  ces  deux  œuvres  jumelles  offre  un  réel 
intérêt. 

Non  moins  intéressante  la  technique  de  l'écriture  et  de  l'instrumentation 
toujours  claire  et  sonore. 

If  importait  de  s'étendre  un  peu  sur  deux  œuvres  aussi  importantes  et  qui 
font  tant  d'honneur  à  leur  auteur  et  par  suite  à  l'école  de  musique  française 
tout  entière.  Le  répertoire  moderne  de  la  musique  de  chambre  en  compte  peu 
de  cet  ordre  et  de  cette  haute  valeur.  H.   il. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(POUR    LES    SEULS    ABOiV.VÉS    A    LA    MUSIQUE) 


De  la  nouvelle  série  de  précieuses  mélodies  que  vient  de  publier  Ernest  Moret, 
nous  choisissons  d'abord  la  plus  simple  pour  la  donner  à  nos  abonnés  :  Je  ne  sais 
pas  où  va  la  feuille  morte.  Elle  est  d'une  jolie  envolée  douce  et  rêveuse.  Et,  pour 
simple  qu'elle  soit,  i!  ne  faudrait  pas  croire  cependant  qu'elle  s'en  va  dans  la  vie 
musicale  nue  comme  un  petit  Saint-Jean.  Elle  a  peu  d'oripeaux  autour  d'elle,  c'est 
vrai,  mais  ils  sont  de  soie  et  de  velours  chatoyant. 


ÉTRANGER 

A  l'occasion  du  cinquantième  anniversaire  de  la  délivrance  de  Milan  de 
la  domination  autrichienne,  une  exposition  théâtrale  se  prépare  pour  1909  en 
cette  ville,  qui  est  la  véritable  capitale  artistique  de  l'Italie  et  le  milieu  où 
viennent  se  concentrer  toutes  les  affaires  relatives  au  théâtre  soil  lyrique,  soit 
littéraire  Qui  connait  Milan  sait  que  la  Galleria  Villorio-Emanuele  est,  au 
moment  de  la  saison,  le  rendez-vous  de  tous  les  impresarii,  de  tous  les  artistes 
et  de  tous  les  maestri  en  quête  d'engagements,  de  tous  ceux  qui,  en  matière 
de  théâtre,  ont  des  affaires  à  préparer  et  à  traiter.  Les  promoteurs  de  la  pro- 
chaine exposition  théâtrale,  que  l'on  veut  faire  aussi  brillante  que  possible, 
ont  déjà  formé  leur  comité  d'organisation,  qui  lui-même  a  formé  son  bureau, 
lequel  est  ainsi  composé  :  Président  du  comité  général.  M.  Kttore  Candiani: 
Président  général  du  comité  exécutif,  duc  Guido  Visconti  di  Modrone;  vice- 
présidents  du  comité  exécutif,  MM.  Camillo  Boito,  Pompeo  Cambiasi,  Giulio 
Rico-di,  Lorenzo  Sonzogno  ;  directeur  général,  M.  Colombo  Virgiglio.  Dans 
sa  prochaine  séance,  le  comité  abordera  la  discussion  du  programme  général 
de  l'exposition,  à  laquelle  tous  désirent  donner  le  plus  grand  éclat  possible. 

—  L'on  se  souvient  sans  doute  qu'au  mois  de  septembre  dernier,  à  l'une  des 
séances  de  l'Institut  de  France, M.Maurice Croiset  annonça  la  découverte  isihono- 
rable  pour  la  science  frarcaise  »,  selon  le  mot  du  président,  de  fragments  très 
importants  de  quatre  pièces  perdues  du  poêle  comique  Ménandre,  qui  naquit  à 
Athènes,  342  années  avant  l'ère  chrétienne,  et  mourut  en  200.  Ces  fragments, 
ainsi  que  nous  l'avons  dit  déjà,  ont  été  trouvés  par  M.  Gustave  Lcfebvre  en 
Egypte,  au  lieu  dit  Kôm-Ichkaon,  sur  les  bords  du  Nil,  à  l'endroit  où  s'éle- 
vait autrefois  l'ancienne  Aphroditopolis.  Un  archéologue  allemand  de  Halle 
vient  de  traduire  ces  fragments  et  de  reconstituer  les  comédies  auxquelles  ils 
appartiennent.  D'après  ce  que  nous  apprend  la  «  Halleschen  Zeitung  »,  deux 
de  ces  comédies,  l'Arbitrage  et  la  Sainienne,  seront  représentées  le  20  juin  pro- 
chain sur  le  théâtre  historique  de  Lauclnlâdt.  Ce  théâtre,  une  construction 
des  plus  simples,  avait  acquis  une  grande  célébrité  au  commencement  du 
dix-neuvième  siècle.  C'est  là  qu'après  la  mort  prématurée  de  Schiller,  Goethe 
organisa  lui-même  une  fête  funèbre  et  fit  représenter,  le  10  août  ISOb,  drama- 
tisée pour  la  circonstance,  la  ballade  la  plus  populaire  de  son  ami,  le  Citant 
de  la  cloche.  Les  fêtes  théà' raies  d'été  de  Lauchslàdt  ont  été  souvent  de  véri- 
tables événements  qui  ont  pris  place  dans  les  annales  dramatiques:  le  choix 
de  cette  ville  pour  mettre  en  scène  deux  pièces  de  Ménandre  s'explique  donc 
fort  bien  et  a  réuni  tous  les  suffrages. 

—  De  Berlin  :  La  dernière  représentation  de  la  troupe  d'opéra  russe  a  été 
troublée  par  une  grève  de  musiciens  de  l'orchestre.  Pendant  l'entr'acte  précé- 
dant le  dernier  acte  à'Onéguine,  les  musiciens  déclarèrent  au  prince  Zeretelli. 
organisateur  de  la  tournée,  que,  si  on  ne  les  payait  pas  immédiatement,  ils  se 
retireraient.  Il  y  eut  des  scènes  de  tumulte  dans  la  salle,  qui  prit  partie  contre 
les  musiciens,  mais,  sur  les  instances  d'une  des  principales  artistes  de  la 
troupe,  Mme  Kouznetzoff,  ceux-ci  consentirent  finalement  à  venir  reprendre 
leurs  places  à  l'orchestre.  Quant.aux  artistes  russes,  ils  ne  reviendront  pas  de 
sitôt  à  Berlin  où  on  les  a  plutôt  froidement  accueillis. 

— ■  Pendant  la  saison  prochaine,  les  concerts  philharmoniques  de  Berlin 
feront  entendre  comme  solistes,  sous  la  direction  de  M.  Arthur  Nikisch, 
M"1L'S  Ernestine  Schumann-Heink,  Julia  Culp,  Teresa  Carrefio,  Suggia-Casals, 
MM.  Edouard  Risler,  Arthur  Schnabel,  Henri  Marteau,  Frédéric  Kreisler  et 
Pablo  Casais. 

—  On  commence  à  s'occuper  activement  à  Berlin  des  préparatifs  du  ballet 
Sardanapule.  Le  peintre  théâtral,  M.  Kautsky,  s'est  mis  en  relations  avec  le 
savant  professeur  Delitzsch  pour  la  confection  des  décors  et  l'on  dit  que  leurs 
devis,  soumis  à  l'approbation  de  l'empereur,  ont  élé  acceptés.  Le  scénario  do 
ce  ballet  a  été  emprunté  à  la  tragédie  de  Lord  Byron  qui  porte  le  même  titre. 
L'œuvre  durera  une  soirée  entière  et  sera  représentée  à  l'Opéra-Royal.  Jusqu'ici 

l'on  ne  nous  a  pas  renseigné  sur  le  nom  du  musicien.  S'agirait-il  simplement 
de  la  remise  en  scène  d'un  vieil  ouvrage,  par  exemple  de  ce  ballet  italien 
iniitulé  Sardanapalo,  qui  fut  joué  à  Milan  le  13  janvier  1S67,  et  dont  le  livret 
était  de  Paul  Taglioni  et  la  musique  de  Hertel  ?  Cela  ne  serait  pas  impossible 
car  l'Opéra-Royal  n'a  pas  dédaigné  autrefois  de  jouer  souvent  cette  composi- 
tion chorégraphique  à  grand  spectacle. 

—  De  Munich  :  Les  fêtes  du  congrès  des  musiciens  viennent  de  prendre  fin 
avec  une  superbe  représentation  des  Troyens  d'Hector  Berlioz,  qui  a  eu  lieu 
au  Prinz-Regentenlheater,  sous  la  direction  de  M.  Félix  Mottl,  et  qui  n'a  pas 
duré  moins  de  sept  heures.  L'interprétation,  avec  Mme  Matzenauer  en 
Cassandre,  MUe  Fasshender  en  Didon,  MM.  Bender,  Lohofing,  Brodersen, 
Buysson,  etc.,  a  été  de  tout  premier  ordre.  Les  chœurs,  puissants  et  bien 
stylés,  ont  également  eu  leur  part  d'applaudissements.  Quant  à  M.  Mottl,  et 
à  son  orchestre,  la  salle,  bondée  jusqu'à  la  dernière  place,  lui  a  fait  des  ova- 
tions enthousiastes. 

—  De  Munich  :  Moloch,  musique  de  M.  Max  Schillings,  livret  de  M.  Emile 
Gerhauser,  dont  la  première  représentation  vient  d'avoir  lieu  au  Théàtre-duT 
Prince-Régent,  à  l'occasion  de  •  fêtes  de  l'Union  générale  des  compositeurs 
allemands,  semble  avoir  obtenu  un  très  gros  succès.  M.  Feinhals  a  supérieu- 


190 


LE  MÉNESTREL 


rement  chanté  le  principal  rôle.  A  l'issue  de  la  représentation,  M.  Schillings 
a  été  appelé  en  scène  avec  les  principaux  interprètes  et  a  été  frénétiquement 
applaudi.  Le  compositeur  a  pris  la  première  gerbe  de  fleurs  qui  lui  a  été  ' 
offerte  et  l'a  tendue  par-dessus  la  rampe  à  M.  Félix  Mottl,  dont  l'orchestre  a 
été  réellement  au-dessus  de  tout  éloge. 

—  On  vient  de  donner,  au  théâtre  de  la  place  Gaertner,  à  Munich,  la  pre- 
mière représentation  d'une  opérette  nouvelle,  les  Oiseaux  de  paradis,  texte  de 
MM.  A.-M.  Willner  et  Julius  "Wilhelm,  musique  de  M.  Philippe  Silber. 

—  Le  chef  d'orchestre,  M.  Cari  Muck,  vient  de  rentrer  à  Berlin  où  il  re- 
prendra, l'hiver  prochain,  les  fonctions  qu'il  occupait,  depuis  1892,  comme 
l'un  des  chefs  d'orchestre  de  l'Opéra-Royal.  Il  avait  momentanément  quitté 
ses  fonctions  à  la  Cn  de  1906,  pour  aller  diriger  l'orchestre  symphonique  de 
Boston  et  faire  une  longue  tournée  de  concerts  à  travers  l' Amérique.  Avant  de 
reparaître  à  Berlin,  M.  Cari  Muck  dirigera  quelques-unes  des  représentations 
de  fête  à  Bayreuth. 

—  La  ville  de  Mayence  a  décidé  de  consacrer  une  somme  d'un  million  à  la 
restauration  de  son  théâtre  municipal. 

—  Une  audition  de  l'oratorio  d'Antoine  Bubinslein.  le  Paradis  perdu,  vient 
d'être  donnée  à  Oppeln  avec  un  grand  succès  par  la  Société  musicale  de  la 
ville. 

—  A  la  dernière  session  de  l'Académie  royale  de  Suède,  MM.  Gabriel 
Fauré,  Alexandre  Guilmant,  Max  Reger,  Eugène  d'Albert,  Léopold  Auer, 
Ludvvig  Wûllner,  Frédéric  Hegar  et  Armas  Jàrnefeld  ont  été  élus  membres 
étrangers  de  cette  académie. 

— :  Un  théâtre  allemand  vient  de  se  constituer  à  Saint-Pétersbourg  et  don- 
nera ses  représentations  dans  la  salle  Catherine.  On  jouera  tous  les  jours  à 
partir  du  15  septembre  prochain. 

—  Le  directeur  du  Conservatoire  de  Bruxelles  vient  d'inviter  l'excellent 
Tioloniste  .T.  Wnite  à  faire  partie  du  jury  au  concours  de  violon  qui  doit  avoir 
lieu  à  la  fin  de  juin. 

—  Trois  œuvres  nouvelles  ont  été  représentées  dans  ces  derniers  temps  au 
Théâtre-Principal  de  Barcelone  :  el  Miracle  de  santa  Agnès,  en  trois  actes,  pa- 
roles de  M.  S.  Vilaregut,  musique  de  M.  Montserrat  Ayarbe;  la  Llar,  en  six 
tableaux,  paroles  de  MM.  Brosa  et  Sangerman,  musique  de  M.  S.  Bartoli,  et 
el  Testament  de  n'Amelia,  eu  trois  tableaux,  paroles  de  M.  Ll.  Via.  musique  de 
MM.  Carme  Karr  et  J.-B.  Espadaler.  La  première  de  ces  trois  œuvres,  et  la 
plus  importante,  due  à  un  jeune  compositeur,  est  considérée  comme  fort  dis- 
tinguée et  tout  particulièrement  originale. 

—  Un  exercice  intéressant  a  eu  lieu  au  Conservatoire  de  Barcelone,  orga- 
nisé par  le  compositeur  Thomas  Breton,  commissaire  royal  de  l'établissement, 
dans  le  but  de  faire  entendre  quelques  productions  des  élèves  des  classes 
d'harmonie  et  de  composition.  C'est  là,  nous  l'avons  dit  et  répété  plusieurs 
fois,  une  excellente  coutume,  qu'il  serait  fort  utile  de  voir  adopter  chez  nous. 
Six  élèves  se  sont  ainsi  produits,  MM.  Calés,  Abelardo  Breton  (fils  du  com- 
missaire), Fuster,  Garcia  de  la  Parra,  Gomez  et  Arenal.  Les  travaux  des  trois 
premiers,  deux  scherzi  et  une  ouverture,  ont  été  surtout  remarqués,  ceux  des 
élèves  Calés  et  Breton  se  distinguant  particulièrement  «  par  leur  couleur  lo- 
cale et  par  leur  expression  proprement  espagnole  •>.  Les  diverses  œuvres  ont 
été  exécutées  de  la  façon  la  plus  satisfaisante  par  l'orchestre,  composé  des 
classes  instrumentales  de  l'Ecole,  qui  ont  su  se  faire  vivement  applaudir  par 
leur  verve  et  leur  entrain. 

—  Au  cours  d'une  conférence  qu'il  vient  de  faire  à  l'Université  d'Oxford, 
le  célèbre  peintre  anglo-allemand  Hubert  von  Herkomer  a  raconté  comment  il 
a  fait  jadis  le  portrait  de  Richard  Wagner.  L'anecdote  est  inédite. 

Le  grand  maître  —  c'est  von  Herkomer  qui  parle  —  était  venu  pour  la  première 
fois  diriger  en  Angleterre  les  répétitions  d'une  de  ses  œuvres,  et  je  m'étais  mis  dans 
la  tête  de  faire  son  portrait.  Des  wagnériens  enthousiastes  m'avaient  encouragé  dans 
mon  projet  et  m'avaient  fourni  toutes  les  occasions  possibles  de  voir  et  de  rencon- 
trer le  maître.  Mais  Wagner  était  tellement  pris  par  ses  occupations  qu'il  me  refusa 
net  de  poser  même  une  seule  fois. 

—  Je  ferai  tout  pour  vous,  mon  cher  Herkomer,  me  disait-il,  tout  ce  qui  pourra 
vous  être  agréable  ;  mais  vous  n'arriverez  jamais  à  me  faire  poser  dans  votre  atelier. 

J'étais  tenace  et  je  ne  lâchais  pas  Wagner  d'une  semelle.  Je  faisais  ses  commissions, 
je  déjeunais  avec  lui,  je  le  réveillais  le  matin,  j'allais  à  l'Opéra  quand  il  dirigeait,  je 
l'aidais  à  faire  sa  correspondance  —  je  peux  dire  que  j'étais  plus  tenace  que  le 
plus  tenace  des  reporters.  Rien  n'y  lit. 

A  la  fin,  voyant  que  je  n'arriverais  jamais  à  mon  but,  je  me  levai  un  jour  de 
grand  matin  et,  avec  le  courage  du  désespoir,  je  me  mis  à  faire  le  portrait  de  Wag- 
ner de  mémoire.  Je  fis  démon  mieux,  je  me  donnai  toutes  les  peines  pour  me  rap- 
peler le  Wagner  que  j'avais  vu,  observé,  étudié  pendant  plusieurs  jours.  Je  travaillai 
du  matin  au  soir  pour  recommencer  le  lendemain,  après  une  nuit  sans  sommeil.  Le 
soir,  le  portrait  était  terminé.  Ma  joie  fut  immense...  Je  le  trouvai  ressemblant.  La 
poitrine  gonflée  d'orgueil,  je  me  précipitai  chez  Wagner. 

—  Tous  voilà,  dit-il.  Je  croyais  que  vous  m'étiez  devenu  infidèle. 

—  Au  contraire,  lis-je;  je  ne  me  suis  jamais  autant  occupé  de  vous  que  ces 
jours-ci... 

Et,  sur  de  ma  victoire,  j'exhibai  le  portrait.  Quefe  déception  fut  la  mienne! 

—  C'est  tout  simplement  grandiose,  grandiose,  grandiose,  ne  cessa  de  répéter 
Wagner;  c'est  exactement  cet  air-là  que  je  me  suis  toujours  souhaité! 

—  Un  acteur  anglais,  M.  Sothern,  vient  de  publier  dans  le  Cassels  Magazine 


un  article  intéressant  sur  la  communication  qui  s'établit  au  théâtre  entre  l'ar- 
tiste représentant  un  personnage  de  drame  ou  de  comédie  et  les  spectateurs 
de  la  salle.  «  Quand  le  jeuno  acteur,  dit  M.  Sothern,  parait  sur  la  scène  au 
moment  de  ses  débuts,  il  est  tellement  ébloui  par  lalumière  crue  de  la  rampe, 
qu'il  ne  voit  dans  le  public  qu'une  vaste  mer  de  têtes  dont  il  ne  peut  distin- 
guer séparément  aucune.  Et  c'est  là  pour  lui  une  excellente  protection  contre 
la  peur.  Mais,  peu  à  peu,  l'artiste  apprend  à  reconnaître  son  public.  Il  voit 
sur  chaque  visage  quelle  impression  il  a  produite,  et,  bien  qu'il  ne  puisse  net- 
tement distinguer  que  les  spectateurs  des  premiers  rangs,  il  s'établit  pourtant 
des  communications  singulièrement  étroites  entre  lui  et  le  public.  Ce  qu'a- 
joute aux  forces  de  l'acteur  la  certitude  que  l'assistance  comprend  et  s'impres- 
sionne dépasse  toute  croyance.  Ainsi,  îl  est  arrivé  au  tragédien  anglais  Henry 
Irving,  et  à  beaucoup  d'autres  également,  de  se  trouver  complètement  anéan- 
tis, brisés  après  une  représentation.  Au  dire  des  médecins,  Irving  a  souvent 
joué  ses  rôles  dans  un  état  d'exaltation  tel  qu'il  aurait  pu  en  mourir,  mais,  ni 
lui,  ni  personne  ne  s'en  apercevaient.  Il  arrive  souvent  que  l'acteur  porte  son 
attention  sur  un  spectateur  en  particulier.  Si  c'est  sur  un  de  ses  amis,  il  de- 
vient alors  très  irritant  pour  lui  et  presque  insupportable  de  voir  cet  ami 
applaudir  indistinctement  aux  bons  et  aux  mauvais  endroits.  C'est  au  con- 
traire un  grand  réconfort  pour  lui,  si,  en  observant  un  inconnu,  il  peut 
s'apercevoir  de  l'intérêt  intense  que  celui-ci  prend  à  la  pièce,  car  cela  aug- 
mente immensément  sa  conviction  et  par  suite  la  vérité  de  son  jeu,  Il  peut  se 
dire  :  «  Cet  homme-là  a  senti  et  vécu  ce  que  j'exprime  ?. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

Le  ministère  des  affaires  étrangères  vient  de  notifier  à  l'ambassade  d  Al- 
lemagne à  Paris  la  liste  des  délégués  que  le  conseil  des  ministres  a  désignés 
pour  représenter  la  France  à  la  conférence  internationale  qui  doit  se  réunir  à 
Berlin  le  14  octobre  prochain,  en  vue  de  reviser  les  actes  de  l'Union  de 
Berne.  En  raison  de  la  place  importante  occupée  dans  le  monde  civilisé  par 
notre  littérature  et  nos  arts,  et  afin  d'affirmer  l'intérêt  que  la  France  porte  aux 
œuvres  de  l'esprit,  le  gouvernement  de  la  République  a  tenu  à  faire  appel  au 
concours  de  personnalités  marquantes  et  il  a  choisi,  pour  prendre  part  aux 
travaux  de  la  Conférence  et  y  soutenir  les  desiderata  de  nos  auteurs  et  de  nos 
artistes  :  MM.  Jules  Cambon,  ambassadeur  de  la  République  à  Berlin  ;  Victo- 
rien Sardou,  de  l'Académie  française  ;  Ernest  Lavisse,  de  l'Académie  fran- 
çaise, professeur  à  la  Faculté  des  Lettres  de  Paris  ;  Paul  Hervieu,  de  l'Académie 
française,  président,  de  la  Société  des  auteurs  et  compositeurs  dramatiques; 
Louis  Renault,  membre  de  l'Institut,  ministre  plénipotentiaire  honoraire; 
Léon  Bonnat,  membre  de  l'Institut,  directeur  de  l'Ecole  nationale  des  beaux- 
arts;  J.  Massenet,  membre  de  l'Institut:  Fernand  Gavarry,  ministre  plénipo- 
tentiaire de  lre  classe,  directeur  des  affaires  administratives  et  techniques  au 
ministère  des  affaires  étrangères  ;  Georges  Lecomte,  président  de  la  Société 
des  gens  de  lettres. —  Le  gouvernement  tunisien  sera  représenté  à  la  conférence 
de  Berlin  par  M.  Jean  Goût,  consul  général,  conseiller  commercial  et  finan- 
cier du  département  des  affaires  étrangères. 

—  Voici  quelles  seront  les  dates  des  prochains  concours  du  Conservatoire  : 
Dimanche  14  juin,  mise  en  loge,  de  6  heures  du   matin  à  minuit  :   harmonie 

(hommes)  ; 

Dimanche  21  juin,  mise  en  loge,  de  6  heures  du  matin  à  minuit  :  harmonie 
(femmes)  ; 

Dimanche  28  juin,  mise  en  loge,  de  6  heures  du  matin  à  minuit  :  contrepoint  ; 

Vendredi  19  juin,  mise  en  loge,  de  6  heures  du  matin  à  minuit  :  fugue. 

CONCOURS     A     HUIS    CLOS 

Vendredi  12  juin,  à  9  heures,  dictée  et  théorie  ;  samedi  13  juin,  à  9  heures,  lecture 
(solfège  chanteurs)  ; 

Lundi  15  juin,  à  1  heure,  harmonie  (hommes)  ; 

Mercredi  17  juin,  à  9  heures,  dictée  et  théorie  ;  jeudi  18  juin,  à  9  heures,  lecture 
(solfège  instrumentiste)  ; 

Vendredi  19  juin,  à  1  heure,  orgue  ; 

Samedi  20  juin,  à  1  heure,  accompagnement  au  piano  ; 

Lundi  22  juin,  à  1  heure,  harmonie  (femmes)  ; 

Lundi  29  juin,  à  1  heure  contrepoint  ; 

Samedi  18  juillet,  à  9  heures,  piano  préparatoire  ;  samedi  18  juillet,  à  1  heure, 
violon  préparatoire  ; 

Lundi  20  juillet,  à  9  heures,  fugue. 

—  Au  Conservatoire.  Liste  des  élèves  admis  aux  concours  de  fin  d'année 
dans  les  classes  d'instruments  à  vent  : 

FLUTE 

Classe  de  M.  Taffanel  :  MM.  Paul  Lespès,  Raoul,  André  Castel,  Friscuort,  René, 
Michaux,  Dansque,  Marchand,  Clouet. 

HAUTBOIS 

Classe  de  M.  Gillet :  MM.  André  Tournier,  Riva,  Stien,  Durivaux,  Morel,  Rigot, 
Burgunder,  Bonneau,  Lamorlette,  Duvoir. 

CLARINETTE 

Classe  de  M.  Mimart:  MM.  Corbet,  Chaffini,  Rouillard,  Séguret,  Jauffrion. 

Classe  de  M.  Bourdeau  :  MM.  Jean-Baptiste  Taisne,  Thauvin,  Chastelain,  Pleurquin, 
Letellier,  Petrot,  Guilloteau,  Picard,  Verdier. 
coa 

Classe  de  M.  Bremoml:  MM.  Bacquier,  Bordet,  Julin,  Van  Bedaf,  Michel  Guillaume,. 
Doyen,  Stermann,  Fabre,  Fosse,  Fumierre. 


LE  MENESniËL 


191 


Classe  de  M.  Franquin, :  MM.  Perret,  Séguélas,  Delaltre,  Dubois,  Gilis,  Champen- 
la!,  Boiie,  Paniez,  Cherrière,  Boissy,  Barthélémy. 


Classe  de  M.  Mellet:  MM.  de  Lathouwer,  Peyron,  Beghin  (Auguste),  Mue,  Minet. 
Rodet,  Sinoquet,  Bonne,  Delmotte,  Kauiïmaun. 


Classe  de  M.  Allard  :  MM.  Lacroix,  Meyer,  Marin,  Douzalat,  Tudosq,  Munio,  Der- 
vaux,  Duchesse,  Lafosse,  Lagrange,  Barat. 

Les  morceaux  adoptés  pour  les  concours  des  instruments  de  cuivre  sont  les 
suivants  : 

Con  :  Morceau  de.concert  de  M.  Camille  Saint-Saëns. 

Trompette  :  Solo  de  M.  Alexandre  Georges. 

Cornet  a  pistons  :  Légende  héroïque,  de  M.  J.  Mouquet. 

Trombone;  Pièce  en  mi  bémol  mineur,  de  M.  Guy  Ropartz. 

—  On  sait  qu'à  la  suite  d'un  rapport  de  M.  de  Caillavet,  la  commission  de 
la  Société  des  Auteurs  a  décidé  de  ne  plus  payer  de  droits  aux  nations  qui  ne 
nous  en  reconnaissent  aucuu.  C'est  la  Russie  qui  a  fait  la  première  l'expé- 
rience  de  ce  nouveau  principe.  L'héritier  de  Moussorgsky,  qui  comptait  tou- 
cher de  13  à  16.000  francs  pour  les  droits  d'auteur  de  Boris  Godounow,  ne 
touchera  rien  du  tout  et  il  en  sera  ainsi  tant  que  la  Russie  n'aura  pas  adhéré 
à  la  Convention  de  Berne.  Les  droits  de  ses  nationaux  seront  simplement 
versés  dans  les  caisses  de  secours  et  de  retraites  de  la  Société.  Et  ce  sera 
justice. 

—  Le  premier  Cve  o'clock  de  la  Société  des  Artistes  et  Amis  de  l'Opéra  a  eu 
lieu  mercredi  dans  la  rotonde  de  l'Opéra,  et  jamais  fête  ne  fut  plus  réussie. 
Le  comte  de  Camondo,  président  de  la  Société,  et  le  comité,  assistés  de 
MM.  Messager  et  Broussan .  directeurs  de  l'Opéra,  ont  reçu  les  invités, 
qui  comprenaient  l'élite  de  la  société  parisienne.  Ravissant  programme  : 
MM.  Georges  de  Lausnay,  Hennebains,  Bas,  Lefèvre,  Reine  et  Vizentini  ont 
joué  la  gavotte  en  sextuor  de  Thuille  et  le  quintette  de  Beethoven  avec  un 
art  exquis.  Mlles  Zambelli,  Couat,  Johnson,  L.  et  S.  Mante,  Piron,  Ricotti, 
Barbier,  Billon,  Urban  et  de  Moreira  ont  dansé  avec  M.  Aveline  le  Rêre  de 
Gastinel,  le  Tambourin  de  Namouna  et  la  Pavane  de  Patrie,  accompagnés  par 
M.  A.  Catherine.  Après  un  solo  de  violon  très  applaudi  de  M.  Brun,  vice- 
président  de  la  Société,  Mlle  Mary  Garden  s'est  fait  hisser  dans  la  valse  de 
Madame  Chrysanthème,  que  M.  André  Messager  accompagnait  au  piano. 

—  On  pense  quel  enthousiasme  débordant  a  accueilli  jeudi  au  gala  de 
l'Opéra  la  trinité  astrale  Melba-Caruso-Renaud,  interprétant  Rigoletto.  C3  fut 
un  véritable  délire.  Mais  ces  trois  artistes  rutilants,  scintillants,  prestigieux 
sont  trop  renommés  vraiment  pour  que  nous  devions  nous  étaler  longuement 
sur  la  pureté  de  leur  voix  et  leur  virtuosité  transcendante.  Au  contraire  nous 
voudrions  dire  quelques  mots  du  jeune  chef  d'orchestre.  M.  Sérafin,  qui  diri- 
geait l'exécution  et  qui  est  aujourd'hui  le  premier  d'Italie,  depuis  le  départ  de 
son  maître  Toscanini  pour  l'Amérique.  Il  n'a  que  29  ans  et  a  conduit  déjà 
tcus  les  grands  orchestres  de  son  pays,  à  Bologne,  à  Venise,  à  Trieste,  à  Pa- 
lerme  et  tout  dernièrement  à  Turin  où  il  présida  magistralement  aux  études 
et  à  la  représentation  d'Ariane,  le  beau  chef-d'œuvre  de  Massenet.  Notre 
maître  français  fut  fort  étonné  à  son  arrivée  que,  sans  en  avoir  conféré  avec 
lui,  M.  SéraQn  ait  tout  deviné  à  l'avance  de  ses  intentions.  Ce  fut  merveilleux 
et  Massenet  eut  la  même  surprise  avec  sa  principale  interprète  MIle  Farnetti, 
qui  fut  une  surprenante  Ariane,  elle  aussi,  ayant  tout  deviné.  Voilà  des 
artistes  rares,  comme  on  n'en  rencontre  pas  souvent. 

—  A  l'Opéra,  les  débuts  du  ténor  Godart  sont  à  signaler.  Sans  doute,  il  a 
encore  de  l'inexpérience  scénique  et  quelque  gaucherie,  mais  la  voix  est  belle 
d'ampleur  et  monte  avec  facilité.  Et  déjà  il  y  a  du  goût  dans  sa  manière  de 
chanter.  Voilà  des  qualités  avec  lesquelles  on  peut  aller  loin. 

—  Du  coté  de  l'Opéra-Comique  signalons  les  nouveaux  engagements  du 
ténor  Nuibo,  qui  fut  à  l'Opéra,  et  de  MI,e  Marie  Tissier,  qui  est  une  des 
meilleures  élèves  de  Mme  Rose  Caron. 

—  Le  Théâtre-Lyrique  Municipal  a  fermé  ses  portes  sur  une  représentation 
de  Mignon,  qui  St  le  maximum.  Pendant  les  mois  de  fermeture,  MM.  Isola  vont 
préparer  la  saison  prochaine.  Bien  que  le  concours  précieux  de  l'Opéra  et  de 
l'Opéra-Comique  lui  reste  assuré,  le  Théâtre-Lyrique  aura  désormais  une  troupe 
autonome,  avec  laquelle  il  montera  des  ouvrages  inédits  et  fera  des  reprises 
d'œuvres  importantes  et  consacrées,  comme  Paul  et  Virginie,  de  Victor  Massé, 
la  Bohème,  de  Leoncavallo,  et  le  délicieux  Jean  de  Nivelle,  de  Léo  Delibes, 
qu'on  n'a  pas  entendu  depuis  longtemps.  La  réouverture  de  la  saison  1908- 
1909  aura  lieu  dans  les  premiers  jours  de  septembre  avec  l'un  de  ces  trois 
ouvrages. 

—  La  représentation  que  la  Société  de  l'Histoire  du  Théâtre  organise  pour 
le  lundi  22  juin  après  midi,  au  théâtre  de  verdure  du  Bois  de  Boulogne, 
s'annonce  comme  très  brillante.  Le  programme,  essentiellement  composé, 
comme  nous  l'avons  dit,  d'œuvres  du  XVIIP  siècle,  comprendra  des  fragments 
de  YAlceste  de  Gluck,  des  œuvres  de  Rameau  (chants  et  danses),  d'André 
Chénier,  etc.,  interprétées  par  M=nra  Litvinne,  Vallandri,  les  artistes  de  la 
Comédie-Française,  l'orchestre,  les  chœurs  et  le  corps  de  ballet  de  l'Opéra- 
Comique. 


—  La  première  matinée  de  gala  donnée  au  bénéfice  de  la  Maison  de  retraite 
des  vieux  comédiens  sur  le  théâtre  du  pan:  de  Pont-aux-Dames  a  été  favori- 
sée par  un  temps  merveilleux  et  le  programme,  sous  la  direction  de 
M.  Regnard,  présentait  des  attraits  multiples  et  variés  qui  avaient  attiré  tous 
les  amateurs  de  la  région  et  aussi  beaucoup  de  parisiens.  La  salle  était  comble, 
s'il  est  permis  de  s'exprimer  ainsi,  lorsqu'il  s'agit  d'un  théâtre  en  plein  air.  11 
n'en  est  pas  moins  vrai  que  devant  uni:  assistance   nombreuse  et  choi 

le  coquet  petit  théâtre  et  dans  un  cadre  de  verdure,  on  a  tour  à  tour  applaudi 
les  chanteurs  et  les  comédiens  qui  avaient  bien  voulu  prêter  leur  gracieux 
concours  à  cette  représentation.  C'a  été  d'abord  M.  Coqueliri  aîné,  l'inimitable 
diseur;  puis  des  artistes  de  l'Opéra  :  MM.  Dangès,  Xuibo  et  Xivette; 
M.  Mouliérat,  dont  la  voix  est  toujours  charmante  et  expressive:  M1  A  1- 
gusta  Pouget,  Alice  Dennery  et  Marie  Tissier;  l'humoriste  Cnepfer;  M.  André 
Brunot,  de  la  Comédie-Française,  et  d'autres.  M"'8  Chasles  et  Urban  ont  dansé 
à  ravir  un  délicieux  divertissement  du  dix-huitième  siècle,  et  M"'  Jeanne 
Faber  et  M.  Duard  ont  beaucoup  amusé  toute  l'assistance  avec  une  parade  de 
M.  Georges  Berr.  Cette  belle  matinée,  qui  a  valu  à  tous  nos  artistes  de  cha- 
leureux applaudissements,  sera  suivie  de  trois  autres,  dont  la  prochaine  le 
dimanche  19  juillet. 

—  Le  théâtre  des  Arts  organise  un  concert  sur  le  canal,  à  Versailles,  de 
6  heures  à  10  heures,  le  lundi  18,  soir  de  la  pleine  lune  de  juin,  au  profit  des 
pauvres  de  la  ville.  M.  Reynaldo  Hahn  a,  sur  le  désir  de  M.  Gabriel  l-'nuré, 
consenti  à  se  faire  entendre  dans  les  œuvres  du  maitrj  qui  l'accompagnera 
lui-même.  Un  orchestre  dissimulé  dans  les  arbres  alternera  avec  les  musiciens 
embarqués  ou  s'unira  à  eux.  On  dira  quelques  vers  avant  le  diner  qui  précé- 
dera le  départ  sur  une  flottille  illuminée.  Sauf  pour  les  abonnés  du  théâtre 
des  Arts,  qui  sont  priés  de  se  considérer  comme  invités,  le  prix  d'une  carte, 
comprenant  l'heure  de  poésie,  le  diner  et  la  promenade  sur  l'eau  est  de 
20  francs.  Les  cartes  seront  délivrées  à  domicile,  sur  demande;  écrire  au 
théâtre. 

—  La  revue  italienne  Ars  et  Labor  (ancienne  Gazzetla  musicale  di  Miiano  a 
publié  dans  son  dernier  numéro,  sous  ce  titre  :  Ignace  Pleyel  et  son  œuvre,  un 
petit  travail  intéressant  de  M.  G.  Mainielli,  qui  n'est  autre  chose  qu'un 
résumé  historique  de  la  grande  maison  de  pianos  fondée  par  Ignace  Pleyel  et 
dirigée  successivement  par  son  fils  Camille,  par  Auguste  Wolff  et  aujourd'hui 
par  M.  Gustave  Lyon.  C'est  dans  les  tout  derniers  jours  du  XVIIIe  siècle 
qu'Ignace  Pleyel,  arrivant  de  Strasbourg  à  Paris,  fondait  d'abord  une  maison 
d'édition  de  musique  destinée  surtout  à  la  publication  de  ses  œuvres  (char- 
mantes, et  trop  oubliées  aujourd'hui),  puis  une  fabrique  de  pianos.  Il  se  lia 
tout  naturellement  avec  ses  confrères  les  compositeurs,  dont  il  se  faisait 
aussi  l'éditeur,  notamment  avec  Méhul,  et  comme  il  avait  besoin  de  capitaux 
pour  son  entreprise,  il  fit  à  celui-ci  un  emprunt  de  10.000  livres  à  six  pour 
cent  d'intérêt,  emprunt  dont  M.  Mainielli  reproduit  autographiquement  l'acte 
curieux.  Voici  la  teneur  de  cet  acte,  qui  n'a  pas  été  écrit  par  Méhul  (on  s'en 
douterait  à  l'orthographe,  que  je  respecte  scrupuleusement),  et  qui  porte  les 
signatures  de  Pleyel,  de  sa  femme  et  de  Méhul  lui-même. 

Entre  nous,  Etienne  Nieola  Mehul  d'une  part,  et  Ignace  Pleyel  et  son  épouse 
Gabrielle  Lefebure  d'autre  part,  il  a  été  reconnu  que  moi  Etienne  Nieola  Mehul  j'ai 
ce  jour  prêté  à  Ignace  Pleyel  et  son  épouse  Gabrielle  Lefebure  la  somme  de  dix 
mille  livres  en  numéraire  edectif,  sous  l'intérêt  de  six  pour  cent  par  an  ;  laquelle 
some  je  m'oblige  à  ne  retirer  des  mains  du  dites  Ignace  Pleyel  et  son  épouse 
Gabrielle  Lefebure  qu'en  les  prévenant  six  mois  d'avance.  —  Et  nous  Ignace  Pleyel 
Gabrielle  Lefebure  reconnaissons  avoir  reçu  à  titre  de  prêt  du  dit  Etienne  Nieola 
Mehul  la  dite  some  de  dix  mille  livres  en  numéraire  effectif;  pourquoi  nous  payerons 
l'intérêt  de  six  pour  cent  par  an  ;  3t  nous  obligeons  solidairement,  et  sous  l'hipo- 
teque  de  tous  nos  biens  présents  et  futurs  à  rembourser  la  dite  some  également  en 
numéraire  au  citoyen  Etienne  Nieola  Mehul,  quand  il  nous  en  fera  la  demande, 
conditioné  cependant  que  dans  ce  cas,  il  nous  préviendra  de  son  intention  six  mois 
avant  de  retirer  ses  fonds. 
Fait  double  entre  nous 

Paris  le  16  Messidor  l'an  S  (1) 

approuve  l'écriture  ci  dessus         Ignace  Pleyel 
approuve  l'écriture  ci  dessus  Gabrielle  Lefebvre 

femme  Pleyel 
approuvé  l'écriture  ci  dessus  Mébul 

Et  Méhul  n'était  pas  pressé  de  rentrer  dans  son  argent,  car  à  sa  mort 
l'emprunt  n'était  pas  encore  remboursé.  Il  n'en  fut  pas  de  même  de  sa  femme 
qui,  bien  que  depuis  longtemps  séparée  de  lui,  s'empressa  d'arriver  à  Paris 
dès  qu'elle  sut  que  son  mari  n'était  plus,  et  ne  perdit  pas  de  temps  pour 
s'emparer  de  sa  succession.  Méhul  était  mort  le  1S  octobre  1817,  et  quatre 
mois  et  demi  après,  le  5  mars  1818,  elle  se  faisait  régler  par  Pleyel  au  moven 
de  trois  billets  signés  par  celui-ci,  ainsi  qu'en  témoigne  cette  note  inscrite  en 
marge  de  l'acte  ci-dessus  :  —  «  La  présente  reconnaissance  annulée  par  les  trois 
billets  que  j'ai  rtçus.  A  Paris,  le  o  mars  ISIS.  Ve  Méhul.  b  Madame  Méhul 
était  une  maîtresse  femme,  dont  son  mari  n'avait  eu  que  modérément  à  se 
louer,  mais  qui  ne  s'endormait  pas  sur  ses  intérêts.  A.  P. 

—  Il  y  a  une  quinzaine  d'années  un  écrivain  qui  connaît  la  Russie.  M.Pierre 
d'Alheim,  et  qui  s'est  fait  le  panégyriste  et  l'admirateur  impénitent  de  Mous- 
sorsgki.  donnait,  à  la  Bodinière,  une  série  de  conférences  d'ailleurs  fort 
intéressantes  sur  cet  artiste  curieux  et  incomplet,  qui  devenait  ensuite,  de  sa 
part,  l'objet  d'un  livre  assez  étrange  dont  je  rendis  compte  à  cette  place.  Pour 

(L  5  juillet  1800. 


192 


LE  MENESTREL 


l'aider  dans  ses  conférences  il  avait  le  concours  d'une  jeune  et  fort  aimable 
cantatrice  russe,  M"e  Marie  Olénine,  qui  faisait  entendre,  en  y  mettant  tout 
son  talent  et  toute  son  âme,  avec  une  conviction  très  sincère,  les  chants  et 
les  mélodies  de  Moussorgski,  en  leur  donnant  l'accent  et  la  couleur  qu'une 
artiste  française,  même  égale  en  talent,  n'aurait  certainement  pas  pu  leur 
communiquer.  C'était  une  àme  slave  qui  interprétait  une  âme  slave,  et  qui 
communiait  avec  elle.  Depuis  lors,  Mlle  Marie  Olénine  est  devenue  Mme  Pierre 
d'Alheim,  et  il  va  sans  dire  que  l'admiration  de  l'un  et  de  l'autre  n'a  pu 
que  grandir  encore  pour  l'artiste  qu'ils  s'efforçaient  de  faire  connaître.  Il  en 
résulte  qu'aujourd'hui  Mme  Marie  Olénine  d'Alheim  nous  arrive  à  son  tour 
avec  un  petit  livre  intitulé  le  Legs  de  Moussorgski  (Paris,  Rey,  in-16),  livre  qui 
n'est,  ainsi  que  celui  de  son  mari,  qu'un  plaidoyer  ardent  et  enthousiaste 
pour  l'artiste  dont  elle  fut  la  très  intéressante  interprète.  L'opinion  que  j'ai 
exprimée  ici  sur  l'art  du  musicien  russe  montre  suffisamment  que  je  ne  par- 
tage pas  le  sentiment  admiratif  de  l'écrivain  pour  l'auteur  de  Boris  Godounow, 
tout  en  rendant  justice  à  ses  rares  facultés.  Mais  le  livre  de  Mme  d'Alheim  est 
curieux,  même  en  tenant  compte  de  ses  exagérations  et  du  dédain  qu'il 
montre  pour  ceux  qui,  comme  moi,  persistent  à  ne  pas  considérer  Moussorgski 
comme  un  grand  homme  et  le  premier  des  musiciens.  A.  P. 

—  Chez  Mme  Charles  Max,  l'autre  jeudi,  petit  raout  musical  pour  l'audition 
d'oeuvres  charmantes  de  Gabriel  Dupont.  Au  programme,  deux  séries  de  ses 
Heures  dolentes,  si  pénétrantes,  merveilleusement  interprétées,  au  piano,  par 
Maurice  Dumesnil,  qui  sait  en  rendre  tous  les  désespoirs  et  toutes  les  lueurs 
de  joie  mieux  qu'en  virtuose,  en  véritable  artiste.  Puis  ce  fut  une  gerbe  de 
mélodies  chantées  dans  le  ravissement  par  cette  magicienne  du  chant  aux 
nuances  multiples  qu'est  Mme  Charles  Max.  A  retenir  surtout  les  Caresses  et 
l'amusante  Chanson  des  Noisettes  qui  furent  bissées  avec  beaucoup  d'insistance. 
Gabriel  Dupont  dut  être  satisfait  de  sa  journée. 

—  De  Nimes  :  Une  tentative  que  nous  suivrons  avec  intérêt  s'ébauche  à 
Nimes.  On  sait  la  gravité  de  la  crise  que  traverse  le  théâtre  en  province. 
Malgré  les  sacrifices  que  s'imposent  les  assemblées  communales,  il  devient  de 
plus  en  plus  difficile  d'assurer  une  campagne  artistique  satisfaisante  dans  la 
plupart  de  nos  grandes  villes.  Un  groupe  de  diletlanti  et  d'anciens  abonnés  a 
donc  décidé  de  se  constituer  en  société  civile  pour  l'exploitation  du  théâtre  à 
eux  accordé  par  le  Conseil  municipal.  Leur  apport,  joint  à  la  subvention  de  la 
ville,  élève  à  près  de  23.000  francs  par  mois  la  subvention  totale.  La  Société 
des  Amis  du  théâtre  a  chargé  M.  Joël  Fabre  de  la  direction  artistique. 

—  On  télégraphie  de  Marseille:  «  Mardi  matin  s'est  ouvert  le  concours  in- 
ternational de  musique,  sous  la  présidence  d'honneur  de  M.  Massenet  et  la 
la  présidence  effective  de  M.  Tobaldini,  ancien  directeur  du  Conservatoire  de 
Parme,  et  de  M.  "Vialet,  chef  d'orchestre  d'opéra-comique  à  Monte-Carlo. 
Cent  soixante-seize  Sociétés  musicales  et  orphéoniques,  parmi  lesquelles  des 
Sociétés  d'Italie,  d'Espagne,  de  Suisse  et  de  la  principauté  de  Monaco,  pren- 
nent part  à  cette  manifestation  artistique.  La  plus  grande  animation  règne  en 
ville.  » 

—  De  l'Avenir  de  Bernay  :  A  Notre-Dame-de-la-Couture,  Mme  M.-F.  Merlin, 
le  distingué  professeur  de  chant  parisien,  a  donné,  avec  le  concours  de  ses 
élèves  de  notre  ville,  un  très  intéressant  concert  spirituel,  entièrement  consa- 
cré à  d'importantes  parties  de  la  délicieuse  œuvre  de  Massenet  la  Vierge.  — 
Le  rôle  de  la  Vierge  a  été  une  fois  de  plus  brillamment  mis  en  valeur  par 
Mllc  Charlotte  Merlin,  qui,  de  sa  belle  voix,  en  a  souligné  tous  les  détails  avec 
son  art  et  son  charme  habituels.  A  ses  côtés  Mlle  Suzanne  R.  fut  un  Ange 
Gabriel  parfait.  M.  Ruyssen,  violoncelliste,  a  joué  le  Dernier  sommeil  et  accompa- 
gné l'Extase  en  artiste  consommé,  et  MM.  Bugnot,  Bassy  et  Martin  ont  accom- 
pagné avec  maestria  soli  et  chœurs.  Au  salut  qui  suivit  superbe  audition  du  Tu 
esPelrus  et  du  Laudate  de  Faure  par  Mllc  Merlin  et  les  chœurs  si  habilement 
conduits  par  M"1L  Merlin. 

—  Soirées  ei  Concerts.  —  M""  Marthe  Duroziez  a  donné  une  audition  de  ses 
élèves  consacrée  aux  œuvres  de  Paul  Vidal,  sous  la  direction  de  l'auteur.  M""  Fia- 
haut,  de  l'Opéra,  et  Thérèse  Duroziez,  MM.  Gaubert,  Bleuzet,  Cahuzac,  Courras,  Loi- 
seau,  Gaillard  et  Dumont,  de  l'orchestre  de  l'Opéra,  prêtaient  leur  concours  à  cette 
solennité  musicale  et  ont  délicieusement  interprété  la  Suite  espagnole,  les  fragments 
de  Zino-Zina  et  des  mélodies  parmi  lesquelles  Soupir,  Je  t'ai  suivie  et  Appel  au  bien- 
ahnii  ont  été  particulièrement  goûtées.  —  Chez  M—  Charles  Max,  audition  de  lanou- 
velle  sonate  pour  violoncelle  et  piano  de  Ch.-M.  Widor.  Œuvre  remarquable,  remar- 
quablement interprétée  par  l'auteur  et  M.  Hekking.  M"°  Charles  Max  a  chanté  avec 
tout  l'art  qu'on  lui  sait  des  mélodies  de  Widor.  —  Et  au  Salon  de  musique  de  la 
Société  Nationale  des  Beaux-Arts,  ce  fut  un  nouveau  triomphe  pour  Widor,  cette 
fois  avec  sa  sonate  pour  violon  et  piano,  op.  79,  supérieurement  jouée  par  MM.  Ba- 
talla  et  Bilewski.  —  M-«  Ernest  Ameline  a  terminé  ses  réceptions  par  une  délicieuse 
matinée  dont  le  programme  réunissait  les  noms  de  M"'  Ameline,  la  charmante  lille 
de  la  mBilresse  de  la  maison,  qui  a  dit  avec  grand  talent  quelques  poésies  ;  de 
M11"  Armande  Bourgeois  et Jehanne  Vaussard,  dans  leurs  compositions;  de  MM.  Du- 
tilloy,  Ponzio  et  Fabert,  de  l'éminent  violoniste  H.  Casadesus  sur  la  viole  d'amour, 
et  de  Dominique  Bonnaud  dans  ses  œuvres.  — Dans  toute  audition  du  très  personnel 
et  très  distingué  professeur  de  chant,  M""  Pelletier,  il  y  a  une  telle  note  d'art,  qu'il 
convient  de  signaler  celle  qu'elle  vient  de  donner  dans  la  salle  de  l'Institut  d'Or- 
léans ;  entre  autres  choses  très  bonnes,  on  y  a  particulièrement  remarqué  l'excel- 
lente exécution  du  quatuor  de  Bornéo  et  Juliette,  les  progrès  de  M""  Marguerite  Ar- 
chambaud,  Brondy  et  François,  la  puissance  habile  et  aisée  de  M.  Leroy  et  surtout 
le  talent  presque  parfait,  et  presque  égal  à  des  titres  divers  de  M"»  de  Charbonnière 
et  de  M"'  Marie  Archambaud.  —  Très  belle  matinée  que  celle  donnée  par  M»«  Gi- 


raud  Latarse,  avec  le  concours  de  ses  élèves,  pour  l'exécution  d'oeuvres  de  Raoul 
Pugno.  On  entendit  avec  le  plus  grand  plaisir  les  belles  suites  de  piano  intitulées  : 
Les  Soirs  (4  n<")  et  Paysages  (4  n°'),  sans  compter  beaucoup  d'autres  petites  pièces  élé- 
gantes et  d'une  grâce  infinie  :  Palcinella,  Vais?  lente,  Marivaudage,  Valse-Impromptu, 
Libellule,  Caprice  badin,  etc.,  etc.  M"«  Olivier  chanta  excellemment  C'était  un  rêve  et 
Pourquoi  vous  raconter  ma  peine,  et  Mme  Claura-Ermerie  ne  lui  céda  en  rien  en 
chantant  Malgré  moi  et'  Voleuse  d'amour.  Oii  termina  par  le  Coheertsliick  pour  deux 
pianos  et  des  poésies  récitées  par  Mllc  Madeleine  Roch  de  la  Comédie-Française.  — 
Salle  Hoche,  audition  des  plus  réussies  des  élèves  de  Mllc  Emilie  Roux,  avec  au 
piano  l'excellente  accompagnatrice  Mma  Martelly.  On  fait  fête  aux  élèves  du  remar- 
quable professeur  et  notamment  à  M"1  M.  (Myrto,  Delibes),  A.  B.  et  H.  (duo  de 
Jean  de  Nivelle,  Delibes),  M""  F.  et  M.  C.  (duo  de  Marié-Magdeleine,  Massenet),  M'"L. 
(air  du  Cid,  Massenet),  M"'  R.  et  M.  B.  (duo  du  Poème  d'amour,  Massenet),  M""  P. 
(air  d'Ariane,  Massenet),  M™  G.  et  M"1  R.  (duo  d'Ariane,  Massenei).  M""  L.  (air  de 
Marie-Magdeleine,  Massenet).  P.  {L'Esclave,  Lalo,  et  Je  t'ai  suivie,  Vidal),  M""."  G.)  Sonnez 
les  matines,  Hùe),  S.  (air  des  lettres  de  Werther,  Massenet),  et  M"'  A.  B.  (air  de  Thaïs, 
Massenet).  Pour  terminer  cette  fort  jolie  séance,  un  chœur  à  la  sonorité  choisie  a 
chanté  les  Nymphes  des  bois,  de  Delibes.  —  Mme  Paul  Vizentini  vient  de  faire  enten- 
dre, salle  Pleyel,  ses  élèves  de  piano,  parmi  lesquelles  on  a  justement  remarqué 
M""  Y.  M.  (Valse  arabesque,  Lack),  M.  L.  (Papillons  blancs,  Massenet),  E.  M.  fies  Myr- 
tilles, Dubois)  et  G.  L.  (Étude  de  concert,  Dubois).  —  A  l'audition  des  élèves  de 
M.""  Marie  Française,  il  y  eut  de  vifs  applaudissements  pour  toute  une  série  de  mélo- 
dies de  Théodore  Dubois  :  Trimazo,  Par  le  sentier,  Tarentelle,  air  de  Xavicrc,  duo 
à'Aben-IIamet,  etc.,  etc.  Toutes  les  élèves  ontfait  grand  honneur  à  l'enseignement  de 
leur  professeur.  —  Le  cours  de  mise  en  scène  de  M.  et  M"'  Jules  Chevalier  a  eu  le 
27  mai  une  séance  sensationnelle,  où  l'on  vit  défiler  tour  à  tour  tous  les  actes  de 
Manon,  le  4"  acte  de  te  Traviata,  le  2"  acte  de  Thaïs,  où  M.""  François  Flameng  se 
montra  tout  à  fait  remarquable  et  d'une  rare  intelligence  artistique,  le  4°  acte  de 
Carmen,  le  4'  acte  de  Louise  et  le  3'  acte  de  Higoletto.  Ci  fut  vraiment  une  audition 
des  plus  intéressantes  et  qui  captiva  l'auditoire.  —  Dimanche  dernier  a  eu  lieu  à 
la  salle  de  Géographie  l'audition  des  élèves  de  M""  Girardin-Marchal.  Grand  succès 
pour  l'excellent  professeur  ainsi  que  pour  M™"  GilUrt,  Jacquenot,  Wallère  et  pour 
_JU".  Alban  Daret  qui  prêtaient  leur  concours  à  cette  séance.  Vifs  applaudissements 
"pour  Nathalie  Radisse  (Rapsodie  de  Liszt),  Jeanne  Lefèvre  (Saint-F)-antpis.-de- 
Paule,  de  Liszt),  Jeanne  Lalleurance  (Cluxnt  du  Nautonier  de  Diémer),  Lucienne 
Schneider  (Sérénade  tunisienne,  Pfeilfer). 


NÉCROLOGIE 

Adolphe  L' Arrange,  auteur  d'intermèdes  et  de  pièces  populaires  avec  mu- 
sique, e»t  mort  le  25  mai,  dans  le  sanatorium  de  Bjllevue,  à  Kreuzlingen,  sur 
le  lac  de  Constance.  Il  était  né  le  8  mars  1838  à  Hambourg,  où  son  père  était 
directeur  de  théâtre  et  comédien.  Il  étudia  la  musique  au  Conservatoire  de 
Leipzig  et  occupa  ensuite  des  places  de  chef  d'orchestre  dans  différentes  villes, 
et  enfin  au  Théàtre-Kroll,  de  Berlin.  Il  écrivit  alors  sa  première  pièce,  le  Gros 
Lot,  dont  le  succès  le  décida  bientôt  à  renoncer  à  la  musique  sérieuse.  De  1S67 
à  1872,  il  rédigea  un  journal  judiciaire,  prit  en  1874  la  direction  du  Lobe- 
Theater,  à  Breslau,  et  vécut  depuis  1878  à  Berlin,  où  il  dirigea  pendant  treize 
années,  de  1881  à  1S94,  le  Théâtre-Frédéric-Guillaume.  Plusieurs  de  ses  ou- 
vrages ont  obtenu  un  nombre  considérable  de  représentations.  Les  principaux 
sont  Doctor  Klaus,  Multer  Thiele,  les  Femmes  bienfaisantes,  etc. 

—  A  Weimar  vient  de  mourir,  à  l'âge  de  81  ans,  Wilhelm  Gottschalg, 
l'un  des  meilleurs  amis  de  Franz  Liszt  et  de  Richard  Wagner.  Il  s'était  fait 
une  réputation  comme  organiste. 

—  Le  doyen  des  éditeurs  de  musique  allemands,  M.  Adolphe  Furstner, 
vient  de  mourir  à  Bad-Nauheim,  à  l'âge  de  76  ans.  Le  défunt,  homme  affable 
et  érudit.  a  édité  une  bonne  partie  des  œuvres  de  la  plupart  des  compositeurs 
allemands  modernes  en  renom.  C'est  chez  lui  qu'a  paru  Salomé  et  que  va 
paraître  Elektra,  de  M.  Richard  Strauss.  Il  a  également  introduit  dans  le 
commerce  allemand  les  œuvres  de  plusieurs  célèbres  compositeurs  français, 
entre  autres  celles  de  Massenet  et  de  Léo  Delibes. 

—  Il  y  a  quelques  semaines  est  mort  à  Brighton,  où  il  était  né  le  15  juin 
1837,  le  compositeur  anglais  Frank-Joseph  Sawyer,  qui  fut  organiste  et  pro- 
fesseur de  chant.  Ses  principaux  ouvrages  sont:  Mary,  the  Virgin,  oratorio 
qui  fut  jopé  sous  ce  titre  en  1884,  et  qui  prit  en  1869  celui  de  l'Étoile  </<■  l'Est, 
à  l'occasion  d'auditions  nouvelles;  Jérusalem,  le  Pardon  de  l'âme  et  la  Veuve 
de  Nain,  cantates  ;  Orphée,  cantate  dramatique  qui  obtint  un  prix  de 
2.500  francs,  offert  par  MM.  Methven  et  Simpson  en  1893;  enfin  plusieurs 
pièces  vocales  ou  instrumentales  et  des  ouvrages  techniques. 

—  La  Revisla  musical  Câtalana  annonce  la  mort  à  Barcelone,  le  31  Mars, 
d'un  artiste  fort  distingué,  Francisco  Alio,  qui  était  né  en  cette  ville  le  27 
mars  1862.  Élève  pour  le  piano  du  professeur  Vidiella,  il  étudia  ensuite  la 
composition  avec  Anselme  Barba  et  Nicolau.  Il  se  fit  connaître  dès  18S7  par 
un  recueil  remarquable  de  chansons  originales,  après  quoi  il  publia  un  autre 
recueil  de  Chansons  populaires  catalanes  transcrites  et  harmonisées  par  lui.  C'est 
à  cet  artiste  qu'on  doit  la  fondation  de  la  Société  Catalane  de  concerts,  dont  il 
confia  la  direction  artistique  à  son  maître  Nicolau  et  qui  commença  ses 
séances  en  1892.  Francisco  Alio  s'occupa  aussi  de  critique  musicale  et  donna 
particulièrement  au  journal  el  Poble  Calala  de  nombreux  articles  dans  lesquels 
il  soutenait  et  préconisait  le  mouvement  musical  nationaliste. 


nENRi  Heugel,  directeur-gérant. 


4030.  —  74e  Ai\I\ÉE.  —  N°  2a.        PARAIT  TOUS   LES   SAMEDIS  Samedi  20  Juin  1908. 

(Les  Bureaux,  2"'",  rue  Vivienne,  Paris,  wut>) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


lie  flamét-o  :  o  fp.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  flaméFo  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province. —Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  tr.,Pari3  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  ea  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (24°  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  La  Musique  et  le 
Théâtre  aux  Salons  du  Grand-Palais  1 1 0°  et  dernier  article),  Camille  Le  Senne.  — 
III.  Une  lettre  inédite  de  Rossini,  Julien  Tiersot.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts 
et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

ADAGIO 

de  Théodore  Dubois.  —  Suivra  immédiatement  :  Tristesse  et  Sauterelles,  nocturne 
et  scherzo  de  la  marquise  de  Neurone. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
Dors,  nouvelle  mélodie  de  René  Lenormand,  poésie  de  Fernand  Gregii.  — 
Suivra  immédiatement  :  Aubade,  mélodie  de  la  marquise  de  Neurone,  poésie 
de  Victor  Hugo. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 


CHAPITRE  VI 

GLUCK  COMPOSITEUR  DOPERAS-COMIQUES 

Or,  si  nous  rapprochons  ces  dates  de  celles  de  l'histoire  de 
l'opéra-comique  français,  nous  serons  amenés  à  faire  une  nou- 
velle constatation  tout  à  l'honneur  de  l'esprit  d'initiative  dont 
Gluck  a  déjà  donné  maint  autre  témoignage.  En  1758,  année  où 
il  écrivit  la  musique  de  la  Fausse  esclave  et  Me  de  Merlin,  ni 
Monsigny,  ni  Philidor,  les  deux  premiers  maîtres  que  l'on  puisse 
nommer  dans  l'ordre  du  temps  comme  représentants  de  notre 
école  française  d'opéra-comique,  n'avaient  encore  rien  donné  au 
théâtre  :  leur  début  à  tous  deux  date  seulement  de  l'année  suivante, 
1759,  avec  les  Aveux  indiscrets  (7  février)  et  Biaise  le  savetier  (9  mars). 
A  peine  l'année  d'avant  peut-on  citer  Duni,  qui  avait  donné  à 
la  Foire  Saint-Laurent  de  1757  le  Peintre  amoureux  de  son  modèle, 
où  les  vaudevilles  se  mêlent  à  ses  airs  nouveaux,  comme  dans 
les  premiers  opéras-comiques  de  Gluck.  Grétry  n'entrera  en 
scène  que  dix  ans  plus  tard,  en  1768.  Il  faudra  attendre  jusqu'à 
1769  pour  que  Monsigny  produise  l'œuvre  vraiment  significative 
qui  consacrera  le  genre,  le  Déserteur.  Bref,  pendant  les  années 
où  Gluck  écrivait  pour  la  cour  de  Vienne  l'ensemble  des 
ouvrages  énumérès,  à  Paris  l'opéra-comique  en  était  encore  à 
sa  période  de  tâtonnements  et  d'obscurités.  Et  ce  fut  assurément 
en  toute  sincérité,  non  dans  une  intention  de  vain  compliment, 


que  l'écrivain  qui  a  le  plus  efficacement  contribué  pour  sa  par 
à  la  constitution  du  genre,  Favart,  répondit  à  l'envoi  des  pre- 
mières partitions  venues  de  Vienne: 

«  Il  me  parait  que  M.  le  chevalier  Gluck  entend  parfaitement 
cette  espèce  de  composition.  J'ai  examiné  et  fait  exécuter  les 
deux  opéras-comiques  Cythère  assiégée  et  l'Ile  de  Merlin  :  je  n'y  ai 
rien  trouvé  à  désirer  pour  l'expression,  le  goût  et  l'harmonie, 
et  même  pour  la  prosodie  française.  Je  serais  flatté  que  .M.  Gluck 
voulût  exercer  ses  talents  sur  mes  ouvrages,  je  lui  en  devrais  le 
succès  (1).  » 

C'est  ainsi  que  Gluck,  que  nous  avons  déjà  vu  composer 
des  symphonies  avant  Haydn,  se  trouve  être  encore  un  des  pré- 
curseurs, un  des  initiateurs  réels  de  l'opéra-comique  français. 

Sa  participation  à  ce  mouvement  viennois,  parallèle  à  celui 
de  Paris,  mais  plus  rapide  (d'ailleurs  d'une  moindre  portée),  est 
d'autant  plus  intéressante  à  observer  qu'elle  est  en  quelque 
sorte  un  raccourci  de  ce  dernier.  Les  huit  années  qu'y  consacra 
Gluck  résument  l'œuvre  de  la  France  pendant  trois  quarts  de 
siècle.  Il  faut  remonter  en  effet  jusqu'au  règne  de  Louis  XIV 
pour  trouver  les  origines  de  l'opéra-comique,  à  la  Foire,  avec 
ses  pièces  en  vaudevilles  :  peu  à  peu  des  airs  nouveaux,  composés 
ordinairement  par  des  musiciens  d'assez  bas  étage,  s'ajoutèrent 
aux  timbres  traditionnels  ;  puis  vint  l'invasion  italienne,  et  les 
ariettes  parodiées  d'après  le  répertoire  des  Bouffons  apportèrent 
encore  un  autre  élément  musical  ;  enfin  tout  cela  se  trouva 
réuni  et  fondu  dans  les  ^inventions  nouvelles  des  maîtres  qui 
donnèrent  au  genre  sa  constitution  définitive. 

De  même  Gluck,  venu  à  la  fin  de  cette  évolution,  l*a 
recommencée,  en  quelque  sorte,  en  présentant  à  son  public 
autrichien,  friand  de  ces  légers  spectacles,  des  opéras-comiques 
dont  les  premiers  ne  faisaient  entendre  d'autre  musique  que  les 
vieux  airs  français.  L'opéra  italien  étant  dès  longtemps  accli- 
maté à  Vienne,  l'addition  de  la  musique  de  son  répertoire  fut 
vite  et  facilement  opérée.  Enfin  le  maitre  en  arriva  au  dernier 
degré,  en  composant  lui-même  de  la  musique  nouvelle,  laquelle 
fut  mélangée  d'abord  aux  éléments  antérieurs,  puis,  dans  les 
dernières  œuvres,  finit  par  régner  sans  partage. 

Il  résulte  de  laque  les  premiers  opéras-comiques  dont  les 
titres  ont  été  cités  précédemment  offrent  un  assemblage  d'élé- 
ments composites  et  hétérogènes,  parmi  lesquels  la  muse  de 
Gluck  se  trouve  être  parfois  compromise  en  étrange  compagnie  ! 

Pour  donner  une  idée  de  ces  mélanges  déconcertants,  arrêtons- 
nous  un  instant  (fût-ce  en  nous  bornant  pour  un  instant  à  tutoyer 
notre  sujet  principal)  sur  une  des  œuvres  comprises  dans  l'énu- 
mération  ci-dessus,  et  dont]  les  succès  prolongés  et  divers 
méritent  qu'on  lui  donne]  une  attention  particulière.  Nous 
apprendrons  par  là  de  quelle  [manière  on  s'y  prenait  au  XVIIIe 


(1)  Favart,  Mémoires  et  Correspondait!  e,  I,  11. 


d94 


LE  MÉNESTREL 


siècle  pour  composer  un  opéra-comique,  et  nous  verrons  que 
cette  manière  n'est  pas  aussi  simple  qu'on  pense. 

Les  observations  qui  seront  faites  à  cette  occasion  pourraient 
être  généralisées  et  étendues  à  d'autres  productions.  C'est  ainsi 
que  nous  constaterions  des  pratiques  analogues  si,  remontant 
plus  haut,  nous  avions  à  étudier  les  farces,  qui  n'étaient  en 
général  que  des  canevas  sur  lesquels  brodaient  les  acteurs. 
Qu'un  de  ceux-ci  soit  Molière  à  ses  débuts,  et  le  Médecin  volant 
ou  la  Jalousie  du  barbouillé  s'enrichiront  de  traits  dus  au  génie  du 
futur  auteur  du  Misanthrope.  Il  en  sera  de  même  pour  l'œuvre 
dont  nous  allons  étudier  les  transformations  diverses,  et  qui, 
née  dans  les  théâtres  forains,  verra  s'associer  à  sa  fortune  les 
plus  grands  noms  de  l'histoire  de  la  musique,  jusqu'à  celui  de 
Gluck. 

Le  Diable  à  quatre  ou  la  Double  métamorphose,  opéra- comique  en 
trois  actes,  fut,  rappelons-le,  représenté  pour  la  première  fois 
à  la  foire  Saint-Laurent  le  19  août  1756.  Le  livret,  imprimé 
l'année  suivante  (1),  fait  mention  de  l'auteur  par  ces  simples 
mots:  «  Par  M.  S...  »  On  sait  par  des  témoignages  postérieurs 
que  l'initiale  désigne  Sedaine,  dont  c'était  la  première  œuvre 
au  théâtre.  Longtemps  après,  l'on  exprimait  encore  l'opinion 
que  si  l'auteur  a  produit  de  meilleures  pièces,  il  n'en  avait 
jamais  écrit  de  plus  gaies  (2).  Le  fait  est  qu'il  s'y  donne  beaucoup 
de  gifles.  Le  sujet  est  une  variante  de  la  Mégère  apprivoisée, —  et 
l'on  sait  aus^si  que  la  critique  du  XVIIIe  siècle  comparait  volontiers 
Sedaine  à  Shakespeare. 

Pour  la  forme,  sinon  pour  le  style,  la  pièce  ne  diffère  pas  des 
opéras-comiques  des  cinquante  années  antérieures.  Les  couplets 
sur  des  airs  connus,  en  grand  nombre,  constituent  la  plus 
grande  partie  du  texte.  Même  une  vieille  chanson  :  «  Rossignolet 
des  bois,  rossignolet  sauvage  »  est  introduite  dans  une  scène 
d'allure  toute  populaire,  semblant  accuser  un  retour  aux  plus 
antiques  traditions  du  théâtre  français.  Un  épisode  bouffon,  où 
sont  évoqués  des  diables  d'opéra-comique,  reproduit  les  couplets 
de  la  Tentation  de  Saint  Antoine  :  «  Ciel  !.  l'Univers  va-t-il  donc 
se  dissoudre  ?  —  Gourez  vite,  prenez  le  patron  »,  ce  pot-pourri 
qui  avait  valu  à  Sedaine  son  premier  succès,  prolongé  jusqu'à 
nos  jours  par  la  même  œuvre,  car  la  Tentation  de  Saint  Antoine, 
quelque  peu  atténuée,  est  restée  (qui  a  pu  l'oublier?)  le 
chef-d'œuvre  classique  du  théâtre  de  Guignol. 

Il  est  donc  manifeste  qu'en  écrivant  sa  pièce,  sans  autre  musi- 
que que  les  airs  français  du  vieux  répertoire,  Sedaine  n'eut  pas 
d'autre  intention  que  d'ajouter  un  opéra-comique  semblable  à 
ceux  qui,  depuis  un  demi-siècle,  charmaient  les  spectateurs 
ordinaires  de  la  foire.  Mais  il  tombait  juste  au  moment  du 
changement  de  goût  dû  à  la  vogue  des  intermèdes  italiens,  que 
déjà  l'on  avait  commencé  d'adapter  à  des  paroles  françaises. 
Pour  obéir  à  la  mode,  le  Diable  à  quatre  fut  donc  enrichi  d'airs 
italiens,  très  probablement  ajoutés  après  coup,  comme  nous 
allons  nous  en  rendre  compte  distinctement. 

(A  suivre.)  Julien  Tiehsot. 


LA  MUSIQUE  ET  LE  THEATRE 

a,-u.3K-    S£*.lon.s     dix    Grand.-I»alais 


(Dixième  et  dernier  article) 

Ce  qu'il  y  a  de  vraiment  délicieux  chez  les  statuaires  classiques,  les 
traditiomialistes  du  Salon  officiel,  c'est  leur  résolution  arrêtée  de  prendre 
au  grand  sérieux  les  métaphores  allégoriques.  Ils  entendent  traduire 
fidèlement  les  légendes  mentionnées  au  catalogue,  et  ce  respect  du  texte 
écrit  est  lui-même  très  respectable,  mais  il  risque  d'induire  en  erreur 
le  promeneur  qui  n'a  pas  eu  soin  de  se  munir  d'un  livret.  Supposez  ce 

(1)  A  Paris,  chez  Duchesne,  Libraire,  rue  Saint-Jacques...  au  Temple  du  Goût, 
MDCGLVII. 


(2}  Voyez  l'avis  imprimé  en  tête  du  i 
donnée  en  1809  avec  musique  de  Solié. 


ûeiit    de   la  pièce  telle  qu'elle  fut 


visiteur  économe  —  ou  désireux  de  supprimer  tout  intermédiaire  — 
arrêté  devant  l'envoi  de  M.  Marcel  Fouquergne.  Il  verra  une  jeune 
femme  étendre  le  bras  vers  un  enfant  qui  sommeille  dans  la  partie 
supérieure  de  ce  groupe  élégant  et  décoratif.  Et  il  se  dira  :  «  Voilà  une 
mère  qu'on  a  négligé  de  mettre  au  courant  des  préceptes  les  plus  élé- 
mentaires de  l'hygiène  infantile.  On  ne  doit  jamais  réveiller  le  baby 
qui  dort  !  »  Jamais,  au  grand  jamais,  il  ne  pourra  deviner  que  le  sculp- 
teur a  voulu  représenter  la  Nature  éveillant  le  génie  des  lettres  ! 

Conduisez  le  même  visiteur  devant  le  bas-relief  en  marbre  de  M.  Ter- 
roir, statuaire  robuste  qui  a  le  sentiment  du  style.  Il  y  verra  dans  le 
fond  un  lot  de  bonnes  gens,  père,  mère,  enfant,  un  petit  ménage  qui 
semble  s'être  mis  à  l'aise  pour  déjeuner  sur  l'herbe  ;  au  premier  plan 
un  vieillard  fort  décharné  dont  l'anatomie  décrit  i'arc  de  cercle  emblé- 
matique d'une  profonde  dépression  morale.  11  pensera  :  «  Ces  déjeu- 
neurs  du  bois  de  Vincennes  auraient  bien  dû  envoyer  une  aile  de 
volaille  au  pauvre  vieux  !  »  Et  il  se  trompera  jusqu'à  la  gauche,  comme 
dirait  le  capitaine  des  Gaîtés  de  l'escadron.  Le  bas-relief  de  M.  Terroir  se 
rattache  à  la  propagande  de  M.  Piot  en  faveur  de  l'accroissement  de  la 
natalité  française.  Il  est  intitulé  Seul  dans  la  vie;  le  macrobite  d'un  si 
minable  aspect,  qui  en  occupe  les  deux  tiers,  symbolise  le  célibataire  en 
proie  à  d'amers  regrets  devant  le  groupe  enchanteur  formé  par  le 
ménage  populaire  en  douce  ribotte  où  l'on  ne  se  casse  pas  encore  sur  la 
_tête  les  litres  vides. 

Plus  réjouissant,  sinon  beaucoup  plus  clair,  le  Baiser  du  Soleil  à  la 
Tare  endormie  —  c'est  un  vers,  et  qui  pourrait  être  d'Albert  Samain  — 
de  M"°  Noémie  Debienne.  En  réalité  il  s'agit  d'un  modèle  assez  dodu 
(lui  se  détend  au  réveil  dans  le  grand  plein-air  de  sa  mansarde  du 
sixième.  Et  le  groupe  de  M.  Desruelles,  destiné  au  parc  de  Rambouillet 
nous  apprend  le  catatogue,  serait  une  animalerie  tout  à  fait  recomman- 
dable,  bien  étudiée,  adroitement  rendue,  si  le  sculpteur  n'avait  cru 
devoir  l'intituler  le  Printemps.  On  peut  encore  s'amuser  au  petit  jeu 
des  rébus  avec  la  Pitié  de  M.  Diosi,  la  Folie  de  l'abîme  de  M.  Viggo  Jarl, 
l'Humanité  de  M.  Alfred  Boucher,  l'Effort  de  la  pensée  de  M.  Rauner,  les 
Premières  chimères  de  M.  Sauve.  A  tout  coup  l'on  perd,  et  cependant  on 
reste  en  bénéfice,  car,  si  les  allégories  sont  décevantes,  l'exécution  offre 
un  réel  intérêt  artistique.  M.  Grenier  a  groupé  Devant  le  crépuscule  deux 
figures  romantiques  et  Lamartiniennes,  de  beau  style.  Autre  ensemble  : 
les  Fatales  sœurs  de  Mmc  Ducrot-Icard  (en  collaboration  avec  M.  Henri 
Icard),  composition  ingénieuse  où  les  Parques  ne  sont  plus  présentées 
comme  d'horribles  mégères  mais  comme  des  sphynges  de  la  galerie 
Gustave  Moreau,  cruellement  insouciantes. 

Les  grandes  figures,  avec  ou  sans  étiquette  allégorique,  sont  en 
nombre.  M.  Hector  Lemaire  a  modelé,  pour  le  parc  de  Saint-Cloud,  un 
Soir,  de  robuste  facture,  où  joue  son  rôle  classique  le  petit  mouton 
rentrant  à  l'étable.  La  Nuit,  de  M.  Sicard,  souple,  vivante,  d'un  admi- 
rable sentiment  de  divinité  païenne,  est  également  une  commande  de 
l'Etat.  La  Mère  de  l'humanité,  de  M.  Sinayeff-Bernstein,  allaite  Caïn  et 
Abel  avec  une  placidité  de  ruminante  ;  la  Madeleine  de  M.  Salles 
(Après  le  péché)  est  plus  contrite  qu'amaigrie  dans  la  caverne  où  elle 
fait  pénitence.  Purement  décoratifs  le  Recueillement  de  M.  Escoula,  la 
Fleur  florentine  de  M.  Pallez,  gracieuse  étude  de  femme  tenant  la  fleur 
chère  à  M.  Anatole  France,  le  lys  rouge,  le  Chant  rustique  de  M.  Durand, 
l'Harmonie  de  Mmc  Damagne,  d'une  ligne  élégante. 

M.  Greber  dresse  son  Narcisse  au-dessus  d'une  fontaine  :  ligure  mince, 
anémiée,  presque  transparente  mais  qui  se  profilerait  agréablement  sur 
un  fond  de  verdure.  Le  baby  rieur  de  M.  Blondat  campe  sa  robuste 
anatomie  au  sommet  d'un  motif  architectural  du  même  genre.  Asso- 
cions aux  envois  de  ces  divers  fonta.iniers  le  Baiser  à  la  source  de 
M.  Coutulhas,  d'une  inspiration  poétique  et  d'une  souple  exécution,  la 
Baigneuse  de  M.  David,  dont  l'épidémie  garde  la  caresse  de  l'eau,  la 
Byblis  en  larmes  de  M.  Camus,  Gretchen  païenne  que  guette  un  groupe 
d'enfants  moqueurs,  le  Triomphe  de  Vénus  de  M.  Saulo,  le  délicieux 
Bacchus  enfant  de  M.  Cariés,  le  pompéien  petit  Faune  aux  raisins  de 
M.  Raoul  Larche,  le  buste  de  bacchante  de  M.  Breton,  la  nymphe  de 
M.  Delannoy,  la  bacchanale  de  M.  Pierre  Devaux. 

L' Ariane  du  maître  Massenet  a  inspiré  plusieurs  statuaires.  M.  Loi- 
seau-Rousseau  l'évoque,  souple  et  marmoréenne.  Mme  Tollenaar  a 
représenté  Perséphone  disant  adieu  à  la  terre,  et  voici  un  groupe  de 
M.  Chauvet  :  le  Minotaure.  Du  reste,  les  sujets  de  drames  lyriques  ont 
leur  commentaire  sculptural  à  chaque  tournant  du  jardin  de  la  grande 
nef.  Une  fine  statuette  de  M.  Ferdinand  Faivre  représente  l'évanouisse- 
ment de  Psyché,  une  plaquette  de  M.  Lucien  Duseaux  montre  Orphée 
entraînant  Eurydice  ;  Prométhée  invective  les  dieux  dans  le  groupe  en 
bronze  à  cire  perdue  de  M.  Villeneuve.  ;  la  buveuse  de  M.  Fidencio 
Nava  étendue  sur  la  mosaïque  «  après  l'orgie  »  est  une  comparse  de 
Y  Aphrodite  de  M.  Erlanger  ;  la  Diane  et  ses  suivantes  de  M.  Carrier- 


LE  MENESTREL 


195 


Belleuse.  d'un  dessin  élégant  et  spirituel,  et  le  char  des  amours  du 
même  statuaire  figureraient  esthétiquement  au  prologue  â'Hippotyte  et 
Aride  ;  et  l'on  voit  très  bien  le  Pan  et  Syrinx,  de  M.  Nicol,  embusqués 
dans  un  coin  du  môme  décor. 

L'inspiration  patriotique  est  brillamment  représentée  par  plusieurs 
groupes.  Le  plus  remarquable,  le  Soir  de  victoire  de  M.  Léo  Laporte- 
Blaisy,  un  cuirassier  montant  la  garde  devant  un  trophée  de  drapeaux 
conquis  sur  l'ennemi,  a  le  caractère  saisissant  d'une  étude  de  Rude 
traduite  ou  plutôt  transposée  en  style  moderne.  M.  Georges  Colin  — 
plus  voisin  d'Etex  —  allègorise  dans  le  groupe  où  nous  voyons  quatre 
guerriers  gaulois,  de  robuste  stature,  élever  la  paix  sur  un  pavois. 
M.  Henri  Gauquié,  qui  a  un  sentiment  très  juste  des  grands  ensembles, 
a  érigé  un  monument  en  pierre  sobre,  et  saisissant,  aux  soldats  du  canton 
de  Semur  morts  pour  la  patrie.  La  Résistance,  de  M.  Edmond  Desca, 
destinée  à  la  ville  de  Périgueux,  rappelle,  non  sans  vigueur,  le 
môme  souvenir  héroïque.  Les  souvenirs  d'Afrique  semblent  avoir  été 
ranimés  par  la  campagne  du  Maroc  :  prise  de  Constantine  en  octobre 
183",  une  très  foisonnante  esquisse  de  M.  Cadoux.  le  Lamoricière  à 
l'assaut  de  Constantine  de  M.  Belloc,  pour  la  ville  de  Constantine,  le 
groupe  de  M.  Delandre  pour  honorer  la  mémoire  des  soldats  morts 
pendant  la  conquête  du  Sud-Oranais.  M.  Boverie  rénove  le  sujet  déjà 
classique  de  la  défense  de  Verdun  en  nous  montrant  deux  soldats  de 
l'aunée  terrible  qui  trament  un  canon  démonté.  Parmi  les  figures,  le 
Grand-Ferré  à  Rivecourt,  fauchant  l'ennemi,  de  M.  Henri  Vidal,  le 
La  Tour  d'Auvergne  mourant  de  M.  Hector  Lemaire  pour  la  ville  de 
Ouimper,  le  volontaire  de  la  première  république  de  M.  Carillon 
et  surtout  une  émouvante  composition  de  M""'  Laure  Coutan-Montor- 
gueil.  le  Petit  Tambour  Beyle,  qui  réconciliera  les  visiteurs  du  Salon  avec 
les  commandes  de  l'Etat. 

La  statuaire  pittoresque  apporte  son  contingent  habituel  tantôt  par 
unités,  tantôt  par  séries.  Parmi  celles-ci  une  des  plus  fournies  vise  un 
sujet  souvent  traité  au  théâtre  depuis  la  Petite  Paroisse  d'Alphonse 
Daudet  jusqu'au  répertoire  de  M.  Brieux  :  le  Pardon.  On  pardonne 
énormément  au  Salon  des  Artistes  Français.  M.  Vérez,  il.  Albert  Roze, 
M.  Wilhem  de  Scharfenberg  ont  repris  ce  thème  sentimental,  les  uns 
en  faisant  intervenir  le  baby,  les  autres  en  le  laissant  à  la  cantonade. 
Et  M.  Raoul  Verlet,  voulant  rajeunir  l'antique  donnée  biblique,  nous 
montre  non  plus  l'Enfant  mais  la  Fille  Prodigue,  dont  le  tendre  et  dou- 
loureux élan  fait  songer  aux  Rodin  de  la  première  manière.  La  Leçon 
de  botanique,  deMme  Morin,  est  un  groupe  de  facture  sobre  dont  le  thème 
sérieux  sans  pédantisme  figurera  en  bonne  place  au  Lycée  Molière. 
C'est  au  contraire  dans  un  foyer  de  théâtre  qu'il  faudrait  placer  le 
séduisant  Moineau  de  Lesbie,  de  Mme Laure  Coutan-Montorgueil.  dont  j'ai 
déjà  signalé  le  patriotique  petit  tambour. 

M.  Allouard  a  envoyé  une  savoureuse  réduction  en  marbre  de  sa 
Musique  profane,  autour  de  laquelle  on  devrait  grouper  la  petite  Muse 
de  M.  Henri  Godet,  la  lyrique  Chanson  du  printemps  de  M.  Jean  Chorel, 
l'élégante  statuette  de  M.  Eugène  Mariéton,  Muse  des  eaux,  le  petit 
bronze  de  M.  Morin,  une  marchande  d'étoiles  qui  ne  placera  pas  facile- 
ment cet  article  de  luxe.  Certains  sujets  classiques,  et  obligatoires  pour 
tout  Salon  qui  se  respecte,  figurent  sous  un  seul  numéro  ;  ainsi  nous 
n'avons  qu'une  Ophélie  (Georges  Wagner),  qu'une  Sapho  (Mathet), 
qu'une  Phryné  (Levasseur),  qu'une  Cendrillon  (Pech).  qu'une  Cigale 
(Guéniot),  qu'un  Frisson  d'Avril  (Caron).  Mais  la  ballerine  foisonne 
comme  s'il  en  pleuvait,  danseuses  de  Dussart,  de  Lombard,  d'Aste,  de 
Gossin.  d'Henri  Proszinski,  danseuse  au  voile  de  Paul  Philippe,  petites 
bacchantes  d'Albert  Guérin.  M.  Rosales  a  envoyé  des  pantins,  M  °,e  Lau- 
rent les  marionnettes  qui  «  font  trois  petits  tours  et  puis  s'en  vont  ». 
M.  Antonin  Mercié  a  traité  sans  prétention,  mais  non  sans  style,  la 
donnée  classique  de  la  Bourrée  :  une  Auvergnate  en  fleur,  si  j'ose  dire, 
dont  un  petit  amour  joueur  de  vielle  scande  le  rythme.  Les  binious  de 
Pont-1'Abbé,  de  M.  René  Quillivic,  sont  des  instrumentistes  moins 
mythologiques,  rendus  avec  un  réalisme  serré,  et  le  petit  joueur 
d'orgue,  de  M.  Philippe  Perrotte.  ne  dépare  pas  la  collection. 

Si  le  Chantecler  de  M.  Rostand  voit  enfin  le  feu  de  la  rampe  au 
début  de  l'automne,  les  animaux  animés,  genre  Granville,  pulluleront 
au  Salon  prochain.  Voici  déjà  un  coq  chantant  â  la  lumière  de  M"1"  Ber- 
trand, un  chant  du  coq  de  M.  Chrétien.  Signalons  aussi  le  groupe  des 
modernistes,  désireux  de  concilier  le  vieux  jeu  et  le  uouveau.  M.  Albert 
Lefeuvre  vient  en  tète.  C'est  un  artiste  qui  aie  goût  du  compromis  aca- 
démique et  en  possède  la  formule  ;  ses  deux  amoureux  qui  plantent  un 
arbuste  Pour  l'avenir  sont  néo-style,  mais  avec  de  curieuses  réminis- 
cences de  l'Ecole  des  beaux-arts.  De  M.  Lorieux,  groupe  très  original 
de  Sainte-Catherine.  Il  a  pris  ses  figurantes  sur  la  pente  de  Montmartre  ; 
c'est  une  sortie  d'atelier,  un  lot  de  rieuses  ouvrières  aux  robes  lâches, 
aux  chapeaux  épingles  à  la  diable,  légèrement  émonstillées    par   la 


coupe  dr  Champagne  au  rabais  qu'elles  viennent  de  rider  i  La  fin  d'une 

dinette.  Elles  déambulent  en  se  tenant  par  le  bras  à  la  façon  des 
Escholiers  de  Panurge,  et  c'est  le  trottin  dépeigné  qui  conduit  la  petite 
bande. 

Cette  œuvre,  d'un  modelé  nerveux,  est  la  meilleure  modernité  du 
Salon,  mais  on  peut  lui  apparenter  quelques  fantaisie»  agréables  : 
le  Flirt,  de  M.  Roger  Bloche,  la  Bataille  de /leurs,  de  M.  Engrand,  le 
Diabolo,  de  M,  Lenorman  de  icelui  de  M.  Verschneider,  la  Sortie  de  bal, 
de  M.  Cacciapuoti...  Et  maintenant  qui  veut  des  monuments  .'  De  quoi 
garnir  un  petit  Panthéon.  On  a  môme  évoqué  des  oubliés  qui  ne 
comptaient  certainement  plus  sur  cet  honneur.  Pierre  Montereau,  «  le 
maître  de  l'œuvre  »,  le  constructeur  de  la  Sainte-Chapelle  ou  plutôt 
son  ciseleur,  car  c'est  le  plus  merveilleux  des  bijoux  ajoures,  a  inspiré 
une  statue  très  intéressante  à  M.  Bouchart.  Voici  encore  un  Jean 
de  Maubeuge  par  M.  Bertrand-Boutée,  un  Jehan  de  Menng  par 
M.  Desvergnes,  un  Rutebeuf  par  M.  Rivet,  un  Xaini railles  par 
M.  Bacqué,  un  Honoré  d'Urfé  par  M.  Paul  Fournier,  un  Mansart  par 
M.Ernest  Dubois,  sans  compter  le  Prince  de  Condé  <M""  Boero)  et 
Mozart  pour  qui  cet  hommage  est  moins  nouveau. 

M.  Albert  Roze  a  correctement  composé  le  monument  à  la  mémoire 
de  Jules  Verne  qui  doit  être  élevé  à  Amiens.  Peut-être  aurait-il  mieux 
valu  sacrifier  le  style  et  s'orienter  dans  le  sens  de  la  fantaisie  même 
outrancière,  car.  chez  le  savant  contestable  qu'était  Jules  Verne,  il  y 
avait  un  imaginalif  fougueux.  Au  contraire,  la  fillette  et  l'ouvrier,  que 
M.  Gustave  Michel  a  groupés  au  pied  du  monument  d'Eugène  Manuel, 
suffisent  à  caractériser  le  Coppée  du  prolétaire  que  fut  ce  poète  univer- 
sitaire et  bien  intentionné.  M.  Paul  Chevré  a  hissé  sur  une  stèle  le 
buste  d'Alphonse  Allais,  humoriste  mélancolique  tôt  fatigué  de  l'effort 
littéraire  (on  n'est  pas  des  bœufs  !).  M.  Houssin  a  rendu  avec  bonheur 
la  physionomie  songeuse  de  Jules  Breton  et  M.  Déchin  a  fortement 
académisé  Eugène  Guillaume,  qui  appartenait  à  deux  sections  d>'  l'Ins- 
titut. De  M.  Pcchinô  un  ressemblant  Jean  Macé  ;  de  M.  Laethier  un 
bon  Just  Becquet  ;  de  M.  Bernstamm  un  sévère  Marcelin  Berthelot  : 
de  M.  Descamps  un  oratoire  Charles  Floquet  ;  de  M.  Mathurin  Moreau 
un  Garibaldi  suivant  la  formule  ;  de  Mme  Marguerite  Syamour  un 
ressemblant  André  Theuriet. 

En  tète  de  la  série  des  portraits  contemporains  il  faut  placer,  proto- 
colairement  et  aussi  parce  que  l'œuvre  très  vivante  témoigne  de  rares 
qualités  de  style,  l'Armand  Fallières  de  M.  Antoine  Cariés.  Et  voici 
maintenant  l'habituel  pêle-mêle  de  célébrités  politiques,  artistiques, 
littéraires  et  théâtrales  (dont  quelques  simples  notoriétés)  :  M.  Camille 
Saint-Saens  et  M.  Sée  (Marqueste),  M.  Camille  Pelletan  (Maurice 
Favre),  le  prince  de  Monaco  à  la  barre  de  son  navire  (Puechi, 
Mme  Adolphe  Maujan  (Carlusi.  le  général  Davoust  (Mlne  Montéguti, 
M.  Hennion  (Paul  Moreau- Vauthier),  M.  Eugène  Rostand  (Jean  Hugues), 
M.  Carolus  Duran  et  M.  Barrère  (Piron),  Me  Lagasse  et  M'  Coulon 
(Cipriani).  M"1-  Sarah  Bernhardt  (Achard).  Arrêtons-nous  un  instant 
devant  le  buste  singulièrement  expressif  et  vivant  de  M.  Raoul  de  Saint- 
Arroman  par  M.  Georges  Récipon,  qui  a  rendu  avec  beaucoup  de  saveur 
le  relief  original  du  modèle,  et  reprenons  notre  course  à  travers  les 
contemporains.  A  droite,  à  gauche,  M.  Victorien  Sardou  (Paris), 
M.  Henri  WelsehingeriMulleri,  M.  Pierre  Margueritte  (Maurice  Marx), 
M.  Jules  Gauthier  (Henri  Maillard).  M.  Emile  Blémont  (Mairie), 
M.  Eugène  Larcher  (Grouillet).  le  sénateur  Piot  (Gary).  M""'  Vellini  de 
l'Odéon  (Nadille  de  Buffoni,  M.  Lucien  Noël  (Legastelois),  Ccquelin 
aine  dans  le  rôle  de  l'abbé  Griffard  qu'il  a  si  bien  «  griffé  »  d'une 
empreinte  personnelle  (Passe).  Sada-Yacco  (Renée  de  Vériane), 
Mme  Tassu-Spencer  (Alphonse  Cagna),  M1"  Nina  Brozia,  de  l'Opéra 
(Victor  Rossiï,  et  le  violoncelliste  Tkalt-Chitch  (Lhommeau). 

Des  portraits  encore  à  la  gravure  :  Maxime  Gorki  par  M.  Greuse, 
M.  Muratore  et  Mme  Jane  Hatto.  en  Faust  et  Marguerite,  par 
M.  Rudeaux,  qui  expose  aussi  un  ressemblant  Jules  Ciaretie  :  aux 
médailles,  un  Mistral  de  M.  Georges  Dupré,  un  Camille  Saint-Saêns 
de  M.  Boulongne.un  Hector  Berlioz  de  M.  Brûlé.  Et  nous  voici  presque 
au  bout  de  l'excursion  annuelle  â  travers  les  magasins  —  réunis  du 
double  bazar  esthétique.  Les  steppes  de  l'architecture  nous  appellent, 
mais  ne  nous  retiendrons  pas  longtemps  ;  elles  contiennent  cependant 
quelques  documents  d'un  réel  intérêt  :  le  relevé  du  pavillon  de  concert 
au  Petit-Trianon  de  M.  Barlett,  la  Galerie  de  la  maison  d'Agnès  Sorel 
à  Orléans  de  M.  Benard,  la  reconstitution  de  ce  château  de  Clagny  où 
l'altiore  Vasthi  du  moderne  Assuérus,  l'Athénais  de.  l'Affaire  des  poisons, 
traiua  pendant  tant  d'années  son  orgueil  et  ses  remords  (M.  Charles 
Harlay),  trois  aquarelles  du  vieux  Paris  (M.  Gut),  des  pages  sugges- 
tives de  l'album  de  Florence  signées  Pierre  Guidetti.  Quant  aux 
galeries  d'art  décoratif  qui  s'étendent  sur  le  pourtour  de  la  nef  centrale, 
je  ne  saurais  trop  les  recommander  aux  visiteurs  qui  voudraient  faire 


196 


LE  MÉNESTREL 


une  promenade  hygiénique  agrémentée  de  découvertes  utiles   ou   de 
trouvailles  amusantes. 

L'utile,  l'agréable,  la  fantaisie  !  Les  motifs  pratiques  ne  manquent 
pas.  Ils  rencontreront  des  pianos  à  caisses  pyrogravées,  des  lutrins  en 
chêne  sculpté,  des  rouleaux  de  musique  en  cuir  d'art,  des  broderies 
pour  dessus  de  clavier.  Ils  apprendront  encore  que  le  Gouvernement 
Brésilien  a  commandé  un  «  triple  panneau  »  symbolisant  le  Capital  et 
notre  ministère  des  Affaires  étrangères  un  vitrail  représentant  la  Rosée. 
Ils  admireront  «  l'épée  de  M.  Gabriel  Ferrier,  membre  de  l'Institut  », 
dont  je  ne  voudrais  pas  médire  comme  épéiste,  mais  qui  tout  de  môme 
s'avère  supérieur  dans  le  maniement  du  pinceau,  et  divers  autres 
objets  parmi  lesquels  «  une  urne  on  bronze  pour  le  Sénat  ».  Ils  décou- 
vriront enfin  (je  cite  textuellement  les  indications  officielles)  un  «  projet 
de  mouchoir  s,  une  «  Ophélie,  gravure  décorative  sur  marbre  à  l'eau- 
forte  »,  un  «  paravent  en  ficelles  »,  une«  Geneviève  de  Brabant,  tableau 
à  l'aiguille  »,  un  «  cognassier,  arbuste  exclusivement  modelé  en  mie 
de  pain...  »  Oh  !  ce  «  paravent  en  ficelles  »,  cette  «  Geneviève  »  au  petit 
point,  ce  «  cognassier  »  en  mie  de  pain  !  Était-ce  la  chaleur  de  l'après- 
midi  de  juin,  la  fatigue  d'un  dernier  voyage  à  travers  les  salles  ?  Quand 
je  les  ai  découverts,  j'ai  eu  l'impression  troublante  d'un  cauchemar 
éveillé.  Sous  le  reflet  blanc-verdàtre  de  l'immense  vélum,  j'ai  cru  voir 
étalé,  dans  une  lueur  d'Au-delà,  des  choses  menues,  falotes  et  presque 
macabres,  le  contenu  fantasmagorique  de  l'armoire  aux  jouets  de 
Mélisande. 

Camille  Le  Senne. 


UNE  LETTRE  INÉDITE  DE  ROSSINI 

ET    L'INTERRUPTION    DE     SA    CARRIÈRE 


La  Bibliothèque  du  Conservatoire  vient  d'acquérir,  àuue  récente  vente 
d'autographes,  une  lettre  inédite  de  Rossini  qui  apporte  un  nouvel  élé- 
ment à  la  discussion  si  souvent  ouverte  relativement  au  brusque  arrêt 
de  la  carrière  du  maestro  après  Guillaume  Tell.  Cette  lettre  est  adressée 
au  vicomte  Sosthène  de  La  Rochefoucauld,  surintendant  des  Beaux- 
Arts  sous  le  règne  de  Charles  X,  tout  dévoué  à  Rossini.  En  voici  le 
texte  : 

Monsieur  le  Vicomte, 

Je  ne  veux  pas  laisser  partir  Robert  sans  me  rappeler  à  votre  bon  souvenir 
et  m'informer  de  vos  nouvelles  ;  ses  affaires  théâtrales  l'ont  retenu  ici  bien  plus 
longtems  qu'il  ne  comptait,  mais  il  n'a  pas  dû  partir  avant  de  les  avoir  termi- 
nées. Il  a  formé  une  excellente  troupe  ;  il  vous  fera  entendre  des  talens  nou- 
veaux pour  Paris  et  j'espère  qu'il  réussira. 

J'en  suis  toujours  à  recevoir  mon  poème  que  j'attends  depuis  neuf  mois 
passés  que  j'ai  quitté  Paris.  J'aurais  surtout  voulu  profiter  des  beaux  jours  du 
printemps  et  de  mon  séjour  à  la  campagne,  où  je  suis  installé  depuis  quelque 
temps,  pour  pousser  vivement  mon  opéra,  car  je  tiens  à  vous  prouver,  par  mon 
travail  et  mon  zèle,  tout  mon  dévouement,  mon  attachement  et  le  désir  que 
j'ai  toujours  de  vous  plaire,  mais  je  ne  puis  travailler  sans  poème  !  Et  cepen- 
dant, sauf  Chambord,  on  n'a  rien  donné  depuis  mon  départ  à  l'Opéra  ! 

J'espère,  Monsieur  le  Vicomte,  que  vous  vous  portez  bien  et  que  vous  m'aimez 
toujours  un  peu.  Ma  femme  a  été  bien  sensible  à  votre  aimable  souvenir  ;  sa 
santé  s'améliore  et  j'espère  que  l'air  de  Castenaso  achèvera  de  la  rétablir. 

Recevez.  Monsieur  le  Vicomte,  l'assurance  de  mon  dévouement  et  de  mon 
attachement  bien  sincères. 

G.  Rossini  (I). 
Castenaso,  près  Bologne,  le  4  mai  1830. 

Le  plus  important  de  cette  lettre,  c'est  le  dernier  mot  :  la  date,  4  mai 
1830.  Ce  jour-là,  Guillaume  lell  entrait  dans  le  dixième  mois  de  sa  vie 

(1)  Le  premier  paragraphe  de  cette  lettre  est  le  tribut  payé  par  Rossini  à  ses  fonc- 
tions de  directeur  du  Théâtre-Italien  de  Paris,  qui  ne  l'occupèrent  jamais  beaucoup. 
L'imprésario  Robert,  dont  il  annonce  l'arrivée,  amena,  en  effet,  dans  l'été  de  1830,  une 
troupe  où  ligurait,  entre  autres»  talens  nouveaux  »,  Lablache;  M"" Malibran  en  faisait 
aussi  partie;  des  opéras  de  Bellini,  Pacini  et  le  Fauslo  de  M1"  Louise  Bertin  furent 
représentés  pendant  la  saison.  —  Rossini  force  un  peu  la  note  quand,  le  4  mai  1830,  i  1 
dit  avoir  quitté  Paris  depuis  neuf  mois  passés;  il  y  était  certainement  Se  soir  du 
3aoùt  1829,  date  de  la  première  représentation  de  Guillaume  Tell  et  même  encore 
plusieurs  jours  après.  Chambord,  ou  plus  exactement  François  I"  à  Chambord,  opéra 
en  deux  actes  de  Prosper  de  G...  (Ginestet),  qui  succéda  à  Guillaume  Tell,  mais  n'eut 
pas  le  même  succès,  est  en  effet  le  seul  ouvrage  nouveau  qu'on  ait  donné  à  l'Opéra 
pendant  ces  neuf  mois  (15  mars  1830)  ;  un  ballet  d'Halévy,  Manon  Lescaut,  fut  repré- 
senté en  outre  la  veille  même  du  jour  où  Rossini  écrivait  sa  lettre  :  (3  mai  1830). 
A  propos  de  cet  opéra,  on  lit  dans  le  Catalogue  de  la  Bibliothèque  de  l 'Opéra 
de  ïb.  de  Lajarte  :  a  La  toile  du  château  de  Chambord,  peinie  par  Giceri  et  une 
partie  de  la  décoration  ont  servi  au  premier  acte  des  Huguenots  jusqu'à  l'incendie 
de  la  rue  Le  Peletier  ».  Nous  avions  toujours  cru  que  l'action  des  premiers  actes  des 
Huguenots  se  passait  à  Chenonceaux... 


publique.  Or,  nous  voyons  dans  le  second  paragraphe  Rossini  mani- 
fester son  impatience  de  ne  pouvoir  point  composer,  faute  d'un  poème 
qu'il  attend,  et  qui,  cela  est  sous-entendu,  eût  procuré  à  l'Opéra  de  Paris 
son  nouvel  ouvrage. 

Il  n'avait  donc  pas  résolu  de  s'arrêter  d'écrire  après  Guillaume  Tell  ? 

Voilà  qui  le  prouve  péremptoirement. 

Mais  la  date  dit  autre  chose  encore  et  impose  un  nouveau  rapproche- 
ment. Postérieure  des  trois  quarts  d'une  année  à  la  première  représen- 
tation do  Guillaume  Tell,  elle  précède  de  moins  de  trois  mois  un  événe- 
ment historique  qui  eut  un  contre-coup  important  sur  la  situation  per- 
sonnelle de  Rossini  :  la  Révolution  de  juillet.  Voici  de  quelle  façon  Fétis 
rapporte  ce  qu'était  alors  cette  situation  et  ce  qu'elle  devint  par  la  suite 
des  circonstances.  Précisément,  le  premier  nom  inscrit  dans  la  cita- 
tion est  celui  du  même  personnage  administratif  à  qui  la  lettre  ci-dessus 
était  adressée. 

La  place  de  directeur  du  Théâtre-Italien  qu'on  avait  donnée  à  Rossini  lors- 
qu'il arriva  à  Paris  ne  convenait  point  à  sa  paresse.  M.  de  La  Rochefoucauld, 
malgré  ses  préventions  pour  lui,  finit  par  comprendre  qu'un  homme  de  ce 
caractère  était  le  moins  capable  de  conduire  une  administration  et,  de  concert 
avec  lui,  il  le  nomma  intendant  général  de  la  musique  du  roi  et  inspecteur 
général  du  chant  en  France;  sinécures  qui  ne  lui  imposaient  d'autre  obligation 
que  celle  de  recevoir  un  traitement  annuel  de  vingt  mille  francs  et  d'être  pen- 
sionné si,  par  des  circonstances  imprévues,  ses  fonctions  venaient  à  cesser.  Ces 
arrangements,  si  favorables  au  compositeur,  avaient  pour  but  de  l'obliger  à 
écrire  pour  l'Opéra,  mais  ils  lui  laissaient  la  propriété  de  ses  ouvrages  et  ne 
diminuaient  nullement  le  produit  qu'il  devait  en  tirer.  Si  les  choses  fussent 
demeurées  en  cet  état.  Rossini  aurait  fait  succéder  à  Guillaume  Tell  cinq  ou  six 
opéras.  Mais  la  révolution,  qui  précipita  du  trône  Charles  X  et  sa  dynastie  au 
mois  de  juillet  1830.  rompit  les  liens  qui  attachaient  l'artiste  au  monarque  et 
le  rendit  à  sa  paresse  en  le  privant  de  tout  traitement.  Dés  lors  une  discussion 
s'éleva  pour  la  pension  de  six  mille  francs  réclamée  par  Rossini.  La  révolution 
de  juillet,  disait-il.  était  le  moins  prévu  des  événements  qui  devaient  faire  cesser 
ses  fonciions  :  il  demandait  donc  le  dédommagement  stipulé  pour  ce  cas.  De 
leur  coté,  les  commissaires  de  la  liquidation  de  la  liste  civile  prétendaient  assi- 
miler son  sort  à  celui  des  autres  serviteurs  de  l'ancien  roi  qui,  privés  de  leurs 
emplois,  avaient  perdu  tous  leurs  droits;  mais  le  malin  artiste  avait  obtenu, 
comme  un  titre  d'honneur,  que  l'acte  de  ses  engagements  avec  la  cour  fùtsigné 
par  le  roi  lui-même  et,  par  là.  avait  rendu  personnelles  les  obligations  de 
Charles  X  envers  lui  :  cette  habile  manœuvre  lui  valut  le  gain  de  son  procès. 

«  Pendant  les  cinq  ou  six  années  que  durèrent  les  contestations  à  ce 
sujet,  poursuit  Fétis,  Rossini  avait  continué  de  résider  à  Paris.  »  Il  y  était 
revenu  en  effet  en  septembre  1830  (la  Revue  Musicale  de  ce  mois  annon- 
çait que,  le  12,  Rossini  était  arrivé  au  château  de  Petitbourg,  chez 
M.  Aguado).  Il  avait  laissé  à  Bologne,  sous  la  garde  de  son  père,  sa 
femme,  la  cantatrice  Isabella  Colbran  (il  en  est  fait  mention  dans  la 
lettre  du  4  mai)  et  cette  séparation, qui  semblait  d'abord  n'être  que  mo- 
mentanée, prit  bientôt  le  caractère  d'un  abandon  définitif.  Et  ce  furent 
encore,  à  cette  même  époque  de  sa  vie,  des  préoccupations  nouvelles. 

Une  série  de  lettres  du  père,  publiées  il  y  a  quelques  années,  nous 
renseigne  abondamment  sur  cette  situation  et  donne  sur  les  incidents 
qu'elle  causa  des  détails  parfois  comiques.  M.  Romain  Rolland  a  résumé 
naguère  cette  correspondance  en  ces  lignes,  dont  la  fidélité  n'exclut  pas 
l'humour  : 

Il  ne  s'occupait  plus  de  rien  ;  il  ne  revenait  pas  à  Bologne  et  n'écrivait 
presque  jamais.  Son  père  et  sa  femme  le  suppliaient  en  vain  de  donner  de  ses 
nouvelles.  Mais  le  plus  paresseux  des  artistes  restait  plusieurs  mois  sans  écrire, 
et,  quand  il  écrivait,  i!  parlait  d'autre  chose.  Pour  se  débarrasser  des  éternelles 
demandes  d'argent  de  sa  femme,  il  décida  de  lui  faire  servir  régulièrement  par 
son  père  une  rente  mensuelle  de  cent  écus.  La  situation  n'en  devint  que  pire. 
La  femme,  exaspérée  de  l'abandon  de  son  mari  et  mourant  d'ennui,  se  mit  à 
faire  de  grandes  dépenses  et  à  jouer.  Les  créanciers  vinrent  harceler  le  père 
qui  voulut  faire  la  leçon  à  sa  bru.  Celle-ci  qui,  autrefois,  comme  chanteuse  à 
Naples.  gagnait  jusqu'à  cent  mille  lire  par  arj,  s'indigna  qu'on  voulût  la  mettre 
à  la  ration  et  fit  répandre  le  bruit  par  ses  nombreux  adorateurs  qu'elle  avait 
apporté  soixante  mille  écus  de  dot  à  Rossini  et  qu'il  la  laissait  manquer  du 
nécessaire.  Le  vieux  Rossini  s'arrachait  les  cheveux,  se  lamentait,  bataillait, 
suppliait  son  fils  de  venir  à  Bologne  pour  arranger  les  choses,  pour  veiller  sur 
son  honneur,  sur  l'honneur  de  sa  maison.  Mais  l'étonnant  Juachim  restait 
tranquille  à  Paris,  indifférent  et  impassible,  se  gardant  bien  d'écrire  et  encore 
moins  de  bouger.  On  eût  dit  qu'il  ne  s'agissait  point  de  lui  et  il  regardait  de 
loin,  avec  une  ironie  narquoise,  la  dispute  de  son  père  et  de  sa  femme,  comme 
si  cela  ne  le  concernait  en  rien.  Je  ne  crois  pas  qu'on  ait  nulle  part  ailleurs 
de  plus  frappant  et  de  plus  comique  exemple  de  la  nonchalance  égoïste  de 
Rossini  que  dans  cette  correspondance  (1). 


(1)  Romain  Rolland,  Rossini,  dans  la  Revue  d'histoire  et  de  critique  musicales,  sep- 
tembre 1902.  L'ouvrage  où  a  paru  la  correspondance  résumée  est  intitulé  :  Onoranze 
Fioranline  a  Gioachino  Ros-ini. . .  Memorie  publicate  du  Riccardo  Gandolfi.  Florence, 
1902  (à  l'occasion  de  l'inauguration  à  Santé  Croce  du  monument  de  Rossini). 


LE  MENESTREL 


L97 


Cette  mésintelligence  des  deux  époux  fut  sanctionnée,  en  1837,  par 
une  séparation  légale.  Quelque  indifférence  apparente  que  Rossini  en 
ait  témoignée,  il  est  assez  probable  que  cet  autre  souci,  survenant  en 
même  temps  que  les  précédents,  contribua  à  l'éloigner  des  idées  de  tra- 
vail et  d'art. 

Sa  santé,  vers  la  même  époque,  fut  atteinte  assez  gravement. 

Enfin,  c'est  encore  au  cours  de  la  même  période  que  commença  le 
«  Sabbat  des  Juifs  ». 

Il  résulte  de  cet  ensemble  de  faits  que  les  raisons  de  Rossini  pour 
renoncer,  à  trente-sept  ans,  à  poursuivre  la  carrière  dans  laquelle  il 
s'était  avancé  avec  gloire  lurent  d'ordre  multiple  et  que,  si  sa  légendaire 
paresse  y  fut  pour  quelque  chose,  elle  eut  pour  complices  des  dégoûts 
de  nature  diverse  et  nombreuse.  Le  principal,  nous  n'en  doutons  pas, 
fut  le  mécontentement  causé  par  la  perte  de  ses  places  et  sinécures  en 
1830.  La  France  avait  contracté  des  engagements  avec  lui  ;  elle  ne  les 
tenait  pas  ;  il  se  mettait  donc  en  grève  !  En  Italie  il  avait  déjà  joué  le 
même  jeu  plusieurs  années  auparavant.  La  lettre  qu'on  vient  de  lire 
prouve  en  tout  cas  que,  quelques  semaines  avant  que  se  produisissent 
les  événements  qui  l'interrompirent  pour  toujours,  il  était  encore  par- 
faitement disposé  à  continuer  son  œuvre. 

Julien  Tiersot. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 
(pour  les  seuls  abonnés  a  la  musique) 


Cet  Adagio  de  M.  Théodore  Dubois  est  une  véritable  œuvre  de  maître.  La  phrase 
mélodique  initiale  est  d'un  grand  sentiment  et  d'une  large  envergure.  Elle  se 
développe  ensuite  en  des  dessins  et  en  des  rythmes  très  intéressants,  et  qui  pour- 
raient paraitre  compliqués  au  pointde  vue  de  l'exécution,  si  le  mouvement  lent  du 
morceau  et  l'écriture  toujours  si  claire  du  musicien  ne  les  rendaient  parfaitement 
accessibles  à  tous  les  pianistes  de  quelque  acquis. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


Dans  une  des  récentes  séances  de  la  Chambre  des  Députés,  à  Rome,  un 
membre,  M.  Faelli,  a  signalé  la  nécessité  d'empêcher  la  ruine  de  la  maison  où 
naquit  Verdi  à  Busseto.  C'est  une  modeste  petite  maison  que  le  gouvernement 
a  déclaré  monument  national  et  qu'il  abandonna  ensuite  à  elle-même,  si  bien 
qu'en  ce  moment  elle  court  le  risque  de  devenir  une  caserne  pour  les  carabi- 
niers royaux.  M.  Prava,  ministre  de  l'Instruction  publique,  répond  que  les 
dépenses  pour  l'entretien  des  monuments  nationaux  ne  peuvent  rester  entière- 
ment à  la  charge  de  l'État,  mais  que  néanmoins  il  prendra  note  de  l'observa- 
tion. 

— -Dans  sa  dernière  séance,  tenue  à  Rome,  la  Société  italienne  des  auteurs  a 
discuté  une  proposition  du  conseil  général  relative  à  l'abolition  de  la  censure 
préventive  pour  les  théâtres.  L'assemblée  a  émis  le  vœu,  à  l'unanimité,  que  la 
censure  soit  supprimée,  en  invitant  le  conseil  de  la  Société  à  employer  les 
moyens  les  plus  opportuns  pour  obtenir  ce  résultat. 

—  Un  journal  de  Naples,  la  Riballa.  annonce  que  M.  Edoario  Sonzogno,  le 
grand  éditeur  de  Milan,  vient  de  se  rendre  acquéreur  d'un  grand  nombre 
d'actions  du  théâtre  San  Carlo  et  devient  ainsi  le  principal  actionnaire  de  ce 
théâtre,  qui  sera  dirigé  artistiquement  par  un  homme  de  la  confiance  de 
M.  Sonzogno.  Celui-ci  n'aurait  pas  agi  d'ailleurs  exclusivement  pour  son 
compte  personnel,  mais  pour  le  compte  du  trust  connu  qui  se  serait  emparé 
déjà  du  Grand-Théâtre  de  Palerme  et  de  la  Fenice  de  Venise  et  qui  se  propo- 
serait de  faire  de  même  pour  le  Costanzi  de  Rome. 

—  Au  Théâtre -Mercadante,  de  Naples,  première  représentation  d'un  drame 
lyrique  en  un  acte,  la  Vedova,  paroles  de  M.  Menotti  Buia,  musique  de 
M.  Pinna,  joué  par  Mmis  Lina  Fleron  et  Carlotta  Marini,  MM.  Abela, 
Giuseppe  Rossi.  Conforti  et  Marino.  Encore  du  vérisme,  encore  du  noir,  une 
mort  et  un  suicide.  Les  librettistes  italiens  ne  savent  donc  plus  faire  autre 
chose?  L'œuvre,  dont  l'exécution  était  dirigée  par  le  compositeur,  parait  cepen- 
dant avoir  été  favorablement  accueillie. 

—  Au  Théâtre-Social  de  Bellune,  apparition  d'une  opérette  intitulée  Madré 
miu,  écrite  par  le  maestro  Domenico  Montico  spécialement  pour  une  troupe 
enfantine,  sur  un  livret  inspiré  par  un  conte  bien  connu  d'Edmondo  De 
Amicis.  —  Et  au  théâtre  Alighieri  de  Ravenne,  exécution  d'un  poème  sym- 
phonique,  Gianfre  Rudel,  du  compositeur  Adolfo  Gandino, 

—  Plusieurs  opéras  nouveaux  semblent  devoir  naitre  aux  feux  de  la  rampe 
sur  les  théâtres  italiens,  au  cours  de  la  prochaine  saison  :  au  Regio  de  Turin, 
HMera,  de  M.  Italo  Montemezzi  ;  au  Carlo-Felice  de  Gènes,  il  Principe  Zilah. 
de  M.  Frank  Alfano;  à  Lucques,  Nora,  de  M.  Luporini,  sans  compter  les 
autres. 


—  Il  vient  de  paraitre  en  Italie,  sous  la  signature  du  professeur  Giuseppe 
Lisio,  un  opuscule  intéressant  consacré  à  la  superbe  série  de  lettres  auto- 
graphes provenant  de  la  célèbre  maison  d'édition  musicale  de  Francesco  Lucca, 
qui  durant  un  demi-siècle  fut  l'une  des  plus  importantes  de  l'Italie  et  se  trouva 
mêlée  à  tous  les  événements  artistiques  de  ce  pays.  On  comprend  l'intérêt  que 
peut  offrir,  pour  l'histoire  de  l'art  lyrique  au  dix-neuvième  siècle,  un  tel 
ensemble  de  correspondance,  qui  fait  passer  sous  les  yeux  le  nom  et  la  signa- 
ture de  tant  de  personnages  activement  mêlés  au  mouvement  artistique  de 
l'époque  :  compositeurs  illustres  ou  obscurs,  chanteurs  célèbres,  virtuoses 
fameux,  chefs  d'orchestre,  librettistes,  journalistes,  critiques,  qui  avaient  des 
rapports  d'affaires,  de  profession  ou  d'amitié  avec  le  chef  d'une  entreprise  si 
importante,  dont  les  commencements  remontent  aux  premiers  triomphes  de 
Bellini  et  de  Donizetti  pour  se  prolonger  jusqu'à  l'introduction  des  œuvres  île 
Wagner  en  Italie,  due  à  l'énergie  et  à  l'opiniâtreté  de  Francesco  Lie 

n'était  pas.  d'ailleurs,  un  homme  ordinaire,  et  sa  fortune  ne  l'ut  pus  lue  au 
hasard.  Musicien  très  modeste,  né  à  Crémone  en  1802,  il  était  simple  seconde 
clarinette  à  l'orchestre  de  la  Scala  de  Milan  lorsqu'il  entra  comme  graveur,  à 
raison  d'un  franc  par  jour,  chez  le  fameux  éditeur  Giovanni  Riconli,  l'ami  de 
Rossini.  Il  était  alors  âgé  de  vingt  ans  et  non  sans  ambition.  Après  avoir 
amassé  péniblement  un  petit  pécule  de  6i0  francs,  il  eut  le  courage  de  s'en- 
fermer chez  lui  pendant  six  mois,  afin  de  graver,  pour  son  propre  compte, 
toute  une  série  de  Méthodes  et  de  Traités  qui  lui  servirent  de  premier  fonds 
pour  un  commerce  de  musique  qu'il  voulait  créer.  Il  s'établit  bientôt,  en  effet, 
lutta  avec  courage  contre  toutes  les  difficultés  et  finit  par  réussir,  devenant 
ainsi  l'émule  et  l'heureux  rifal  de  celui  dont  il  avait  été  le  très  modeste 
employé.  Après  plusieurs  voyages  en  Allemagne,  il  s'assura  la  propriété  pour 
l'Italie  des  œuvres  de  Thalberg,  de  Chopin,  de  Schulhoff,  de  Czerny.  puis  se 
mit  aussi  à  publier  des  opéras  de  Donizetti,  Mercadante,  Pacini,  Coppola,  et 
fut  le  premier  éditeur  de  ceux  de  Petrella,  Marchetti,  Gomes,  Usiglio,  etc., 
jusqu'au  jour  où,  à  force  de  volonté,  il  fit  pénétrer  en  Italie  les  œuvres  de 
Wagner.  C'est  aussi  lui  qui  introduisit  en  ce  pays  un  certain  nombre  d'ou- 
vrages français,  entre  autres  Faust.  la  Juive,  l'Africaine.  Lalla  Roukh...  Lorsqu'il 
mourut,  en  1872,  le  nombre  de  ses  publications  s'élevait  à  plus  de  20.000.  Sa 
femme,  Mmc  Giovannina  Lucca,  qui  l'avait  puissamment  secondé  dans  son 
entreprise,  continua  elle-même  activement  les  affaires  de  la  maison  jusqu'à  sa 
mon,  arrivée  il  y  a  quelques  années.  Lucca.  qui  n'éait  pas  seulement  un 
commerçant  habile,  mais  un  homme  de  cœur,  était  adoré  de  ses  ouvriers 
qu'il  traitait  comme  un  père.  Entre  les  nombreux  amis  qu'il  s'était  faits  parmi 
les  compositeurs,  il  avait  voué  une  all'ection  fraternelle  à  Donizetti.  C'est  lui 
qui  fit  don  à  la  municipalité  de  Milan  d'une  statue  de  l'auteur  i'Anna  Bolena 
et  de  Lucie  de  Lainmermoor,  destinée  à  être  placée  dans  le  vestibule  du  théâtre 
de  la  Scala. 

—  Les  deux  grandes  associations  chorales  genevoises,  la  «  Société  de  chant 
sacré  ■>  et  la  «Société  de  chant  du  Conservatoire  »  ont  porté  leur  choix,  pour 
la  saison  prochaine,  sur  deux  œuvres  aussi  importantes  que  différentes  :  les 
Béatitudes  de  C.  Franck  et  le  Paradis  et  la  Péri  de  R.  Schumann. 

—  De  Lausanne  on  annonce  que  M.  E.-R.  Blanchet  vient  de  donner  sa 
démission  de  directeur  du  Conservatoire  de  cette  ville.  M.  Blanchet,  qui  est 
un  pianiste  fort  distingué,  et  qui  n'avait  accepté  ces  fonctions  de  directeur 
qu'à  son  corps  défendant,  veut  se  consacrer  désormais  entièrement  à  son 
instrument. 

—  D'autre  part,  un  autre  artiste  fort  distingué  de  Lausanne,  M.  Alexandre 
Birnbaum,  a  donné  sa  démis  sion  de  chef  de  l'Orchestre  symphonique,  ayant 
contracté  un  engagement  avec  la  direction  de  l'Opéra-Comique  de  Berlin. 

—  Tandis  que,  par  les  soins  de  M.  Gailhard,  la  Juive  a  complètement  dis- 
paru du  répertoire  de  l'Opéra  depuis  quinze  ans  (1893),  on  s'occupe,  au  théâtre 
de  la  Monnaie  de  Bruxelles,  de  remonter  le  chef-d'œuvre  d'Halévy  dans  des 
conditions  toutes  nouvelles  de  mise  en  scène.  A  cet  effet,  on  en  refait  complè- 
tement les  décors  et  les  costumes,  et  les  commandes  nécessaires  viennent  d'être 
faites  pour  tout  ce  matériel. 

—  On  annonce  que  l'Opéra  de  Vieunefera  représenter  à  titre  de  nouveautés 
pendant  la  saison  prochaine  les  œuvres  suivantes  :  un  opéra  de  Massenet  et 
un  opéra  d'Eugène  d'Albert  dont  les  titres  ne  sont  pas  indiqués;  la  Cabrera. 
de  M.  Gabriel  Dppont;  le  Chemineau,  de  M.  Leroux  :  der  Pfeifertag,  de  M.  Max 
Schillings;  enfin  l'Elisire  d'amore  de  Donizetti,  d'après  la  version  de  Félix 
Mottl.  De  soncùlé,  l'Opéra-Populaire  jouera  comme  principaux  ouvrages  n'ap- 
partenant pas  encore  au  répertoire  courant  de  ce  théâtre:  la  Navarraise,  Je 
Massenet:  Russalka,  de  Dvorak;  André  Chénier,  de  Giordano;  Rij>-Rij>,  de  Plan- 
quette,  etc. 

—  Voici  quelques  renseignements  sur  la  maison  natale  de  Schubert,  acquise 
tout  récemment  par  la  ville  de  Vienne  au  prix  de  iOô.OÛO  couronnes.  Cette 
maison  de  très  modeste  apparence  et  à  un  seul  étage  portait  au  temps  de  Schu- 
bert cette  enseigne  :  ><  A  l'Écrevisse  rouge.  ,>  Une  plaque  en  marbre  rouge, 
portant  le  numéro,  avait  été  placée  autrefois  juste  au-dessus  de  la  petile  porte, 
et  retirée  en  1838,  lorsque  l'on  fixa  dans  le  mur  l'inscription  commémorative 
qui  subsiste  encore.  M.  Rodolphe  Wittmann  vient  d'en  faire  cadeau  a  la  ville 
de  Vienne,  qui  était  déjà  en  possession  d'un  grand  nombre  de  souvenirs  du 
maître,  et  qui  maintenant  prend  sous  sa  garde  la  maison  où  la  fille  d'un  ser- 
rurier du  village  de  Zuckmantel,  M",;'  Elisabeth  Vilz.  devenue  Mme  Schubert, 
mit  au  monde,  le  31  janvier  1797,  le  petit  «  Franzl  »,le  futur  auteur  du  Roi  des 
Aulnes.  Il  eut  treize  frères  ou  so?urs,  dont  cinq  seulement  vécurent.  L'extérieur 


198 


LE  MÉNESTREL 


de  la  maison  est  humble  et  modeste,  mais  la  cour  et  le  jardin  qui  s'étendent 
sur  une  colline  à  pente  raide.  sont  pleins  de  poésie.  Aucun  étranger  s'inté- 
ressant  à  la  musique  n'oublie  de  venir  visiter  cette  cour  avec  ses  deux  escaliers 
en  galerie  et  dejeter  un  coup  d'œil  sur  le  petit  jardin.  Toutle  monde,  à  Vienne, 
se  réjouit  de  penser  qu'à  présent  la  maison  natale  de  Schubert  ne  court  plus 
le  danger  d'être  rasée  et  d'être  remplacée  par  des  bâtisses  modernes. 

—  Voici,  paraît-il,  qu'à  Vienne  aussi- surgit  un  trust  théâtral  sur  l'initiative 
d'un  éditeur  berlinois,  M.  Slivinski.  Ce  trust  engloberait,  dit-on,  le  Raimundd- 
tbeater,  l'An  der  Wien  et  le  Garltbeater. 

—  On  assure  que  M.  Conried,  ancien  directeur  du  Métropolitain  de  New- 
York,  en  ce  moment  au  repos  dans  une  confortable  villa  qu'il  possède  auprès 
de  VieDne,  s'occupe  activement,  pour  charnier  ses  loisirs,  de  dicter  ses 
Mémoires.  Ceux-ci  pourront  être  curieux.   M.  Conried  ayant  appartenu   à    la 

.vie  théâtrale  pendant  trente-cinq  années,  dont  trente  passées  en  Amérique. 
S'il  nous  fait  connaître  toutes  les  coutumes  et  s'il  nous  révèle  tous  les  mystères 
de  ce  milieu  théâtral  au  delà  de  l'Atlantique,  il  n'aura  pas  perdu  son  temps. 

—  Les  dates  des  représentations  des  œuvres  de  Mozart  et  de  "Wagner,  que 
l'on  entendra  cette  année  au  théâtre  de  la  Résidence  et  au  théâtre  du  Prince- 
Bégent,  pendant  la  période  des  fêtes  à  Munich,  ont  été  fixées  ainsi  qu'il  suit: 
les  Noces  de  Figaro,  1er et  6  Août:  Don  Juan,  3  et  8  Août;  l'Enlèvement  au  sérail, 
4  Août;  Cosi  fan  tutle,  9  Août;  les  Maîtres  Chanteurs,  11  et  24  Août;  Tristan  et 
Isolde,  13  et  26  Août,  7  Septembre;  Tannhàuser,  15  Août, -i  Septembre;  l'Or  du 
fihin,  -11  et  28  Août,  9  Septembre;  la  Walkyrie,  18  et  29  Août,  dO  Septembre; 
Siegfried.  20  et  31  Août,  12  Septembre  ;  le  Crépuscule  des  Dieux,  22  Août.  2  et 
14  Septembre.  Le  23  Août  aura  lieu  un  concert  wagnérien  sous  la  direction 
deM.Mottl;  on  jouera:  Marche  d'hommage  dédiée  au  roi  Louis  IL  de  Bavière; 
symphonie  en  ut  majeur:  cinq  mélodies  pour  voix  de  femmes  avec  orchestre; 
récit  du  Graal  de  Lohengrin  dans  sa  forme  originale,  avec  les  parties  qui  ont 
été  coupées  au  théâtre  :  ouverture  de  Polonia. 

—  Sous  la  direction  de  M.  Richard  Strauss  on  a  exécuté  récemment  à 
Munich,  au  théâtre  du  Prince-Régent,  une  symphonie  de  M.  Frédéric  Ixlose, 
intitulée  IlsebilL  L'orchestre  était  invisible.  Certains  assurent  que  cette  œuvre 
constitue  «  un  monument  de  la  musique  allemande  ». 

—  De  Bayri'uth  :  Le  programme  définitif  et  la  distribution  des  rôles  des 
Festspiele  de  cette  année  viennent  d'être  publiés.  La  direction  de  l'orchestre 
appartiendra  alternativement  à  MM.  Hans  Richter,  K.  Muck,  M.  Balling  et 
Siegfried  Wagner.  Ce  dernier,  secondé  par  Mme  L.  Reuss-Belce,  de  l'Opéra 
de  la  Cour  de  Dresde,  sera  chargé  également  de  toute  la  direction  artistique 
et  de  la  mise  en  scène.  M.  K.  Muller.  successeur  du  professeur  Kniese,  à 
Bayreuth,  aura  la  haute  direction  musicale  et  M.  le  professeur  Rudel,  de 
Berlin,  celle  des  chœurs.  Les  principaux  rôles  ont  été  distribués  comme  suit  : 

1.  L'Or  du  Rhin  :  "Wotan,  M.  Soomer  de  Leipzig;  Loge,  M.  Briesemeister,  de  Ber- 
lin; Albérich,  M.  Dawison,  de  Hambourg;  Mime,  M.  Hans  Breuer,  de  Vienne; 
Fricka,  M"'  Louise  Eeuss-Belce,  de  Dresde;  Freia,  M"'  Ruscbe,  de  Hanovre;  Floss- 
hilde,  M""  von  Kraus-Osborne,  de  Munich. 

2.  La  Walkyrie:  Siegmund,  M.  von  Bary,  de  Dresde;  Hunding,  M.  Atlen 
C.  Hinckley,  de  Hambourg;  Sieglinde,  il"-  Fleischer-Edel,  de  Hambourg,  et 
M""  Leliler-Burckard,  de  Wiesbaden;  Brunhilde,  M™"  Gulbranson,  de  Christiania. 

Z.Siegfried  :  Siegfried,  M.  Aloïs  Burgstaller,  de  Holzkirchen;  Fafner,  M.  Karl 
Braun,  de  Wiesbaden;  les  autres  rôles  comme  ci-dessus. 

4.  Le  Crépuscule  des  Dieux  :  Siegfried,  M.  Burgstaller;  Gunther,  MM.  Berger,  de 
Hagen, et Mayr,  de  Vienne;  Waltraute,  M™"  von  Krauss-Osborne  et  Fleischer-Edel. 

5.  Parsifal  :  Parsifal,  MM.  Burrian,  de  Dresde,  et  M.  A.  Hadwiger;  Kundry, 
M-1*  Leffler-Burckard  et  E.  Walker,  de  Hambourg;  Gurnemanz,  MM.  Hinckley  et 
von  Krauss,  de  Munich;  Klingsor,  MM.  Berger,  Sehutzendorf  et  Soomer. 

6.  Lohengrin  :  Lohengrin,  MM.  von  Bary  et  Charles  Dalmorès,  de  New-York;  Eisa, 
M—  Fleischsr-Edel  ;  Ortrud,  M™"  Gulbranson  et  Walker. 

Les  dates  des  représentations  sont  fixées  comme  suit  :  Parsifal  sera  joué  le 
23  juillet,  les  1e1',  4,  7,  8.  11  et  20  août;  Lohengrin,  les  22  et  31  juillet,  o,  12 
et  19  août;  l'Anneau  du  Nibelung,  les  25,  26,  27  et  28  juillet,  14,  13,  16  et 
17  août.  Les  chœurs  se  composeront  de  119  et  l'orchestre  de  126  membres. 

—  Motif,  thème,  mélodie.  Au  mois  d'octobre  dernier,  nous  avons  parlé 
d'un  procès  alors  pendant  devant  le  tribunal  de  Leipzig.  Nous  rappelons 
brièvement  les  faits.  M.  Henri-G.  Noren  avait  composé  et  fait  exécuter  une 
œuvre  intitulée  Kaléidoscope,  variations  et  double  fugue.  La  dixième  et  der- 
nière variation,  portant  pour  dédicace  «  A  un  contemporain  célèbre  »,  ren- 
ferme deux  motifs,  dits  du  «  Héros  »  et  de  «  l'Antagoniste  du  héros  »,  qui  ont 
été  empruntés  au  poème  syaiph.oniq.ie  la  Vie  d'un  héros,  de  M.  Richard 
Strauss.  L'auteur  de  ces  motifs  ne  jugea  pas  que  ce  petit  larcin  pût  porter 
préjudice  à  sa  gloire;  il  félicita  même  son  confrère  du  succès  qu'avait  obtenu 
l'ouvrage  en  question.  Mais  l'éditeur,  que  l'on  n'avait  pas  songé  à  consulter 
dans  cette  affaire,  se  jugeant  lésé  dans  ses  droits,  porta  plainte  devant  les 
juges,  se  basant  sur  l'article  13  de  la  loi  du  19  juin  1901,  ainsi  conçu  : 
«...  Pour  les  œuvres  musicales,  toute  utilisation  en  est  interdite  lorsque,  dans 
cette  utilisation,  figure  une  mélodie  reconnaissable  qui  leur  est  empruntée  et 
qui  devient  la  basa  d'une  œuvre  nouvelle  ».  Ainsi  que  nous  l'avons  fait 
remarquer,  on  admet  généralement  que  cet  article  interdit  la  publication  de 
variations,  pots-pourris,  fantaisies...  sur  des  mélodies  empruntées  à  l'œuvre 
protégée  par  la  loi,  mais  qu'il  ne  s'oppose  point  à  ce  qu'un  thème  ou  même 
une  mélodie  figurent  «  à  titre  de  citation  »  dans  une  parodie  ou  une  satire 
musicale,  parce  que,  dans  ce  cas,  dit  un  commentateur,  l'intention  reste  pure- 
ment humoristique.  Dans  l'espèce  sur  laquelle  vient  de  se  prononcer  le  tribu- 
nal de  Dresde,  l;s  juges  ont  distingué  entre   le   mot  mélodie,  employé  par  la 


loi  et  les  mots  motif  et  thème,  qui  n'ont  pas  exactement  la  même  signification 
technique.  Voici  en  abrégé  ce  que  dit  le  jugement  :  «.  Au  point  de  vue  de  la 
théorie  de  la  composition  musicale,  ni  le  thème  principal,  ni  le  thème  con- 
trastant de  la  Vie  d'un  héros  ne  sont  des  mélodies;  quant  au  thème  contras- 
tant, il  a  été  écrit  volontairement  de  telle  sorte  que  l'on  peut  le  considérer 
comme  la  dérision  même  d'une  mélodie.  Maintenant,  puisque  la  mélodie  cons- 
titue toujours  le  côté  attrayant  et  populaire  d'une  composition,  c'est  à  la 
mélodie  seule  que  s'applique  la  protection  accordée  par  la  loi  sur  les  droits 
d'auteur  contre  toute  usurpation  non  justifiée.  Par  suite,  l'emploi  de  motifs  et 
de  thèmes,  pris  dans  des  compositions  déjà  publiées,  est  permis  librement 
pourvu  que  la  mise  en  œuvre  en  soit  artistique  et  qu'il  puisse  en  résulter  une 
composition  nouvelle.  »  L'opinion  du  tribunal  est  ainsi  exprimée  d'une  façon 
suffisamment  claire,  mais,  dans  la  pratique,  la  distinction  entre  une  mélodie 
et  un  thème  ou  motif  pourra  être  difficile  à  établir  parfois;  cela  deviendra 
une  question  d'appréciation.  Dans  la  Symphonie  en  ut  mineur  de  Beethoven 
par  exemple,  il  est  évident  que  les  quatre  notes  rythmiques  du  début  sont  un 
simple  motif,  tandis  que  la  première  phrase  de  l'andante  est  incontestable- 
ment une  mélodie.  Rien  n'est  plus  facile  que  de  se  prononcer  ici,  mais  la 
question  ne  sera  plus  aussi  simple  si  l'on  se  trouve  en  face  d'une  œuvre 
wagnérienne,  et  s'il  s'agit  d'un  ouvrage  de  M.  Strauss,  la  mélodie  véritable, 
la  mélodie  chantante,  sera  presque  toujours  bien  vague  et  bien  effacée.  Quoi 
qu'il  en  soit,  M.  G.  Noren  a  obtenu  gain  de  cause  et  pourra  continuer  à  pro- 
duire au  concert  son  Kaléidoscope. 

—  Dans  quelques  cercles  influents  de  Christiania  et  dans  la  presse  de  cette 
ville  a  été  mise  en  avant  l'idée  d'aménager  en  Musée-Ibsen  la  maison 
qu'habita  longtemps  le  grand  dramaturge  norvégien  dans  la  capitale  du 
Danemark.  On  réunirait  dans  ce  local  des  souvenirs,  des  autographes  et  autres 
objets  intéressant  l'art  dramatique  ou  simplement  la  piété  des  admirateurs. 
La  veuve  d'Ibsen  se  montre,  dit-on,  favorable  au  projet. 

—  Un  écrivain  espagnol,  M.  Cecilio  de  Roda,  critique  musical  du  journal 
la  Epura  de  Madrid,  vient  de  publier  sous  ce  titre  :  'Las  Sonatas  de  piano  de 
Beethoven,  notes  pour  l'audition  donnée  à  la  Société  philharmonique  Madrilène, 
un  livre  qui  n'est  autre  que  le  recueil  des  analyses  données  par  lui  sur  les 
programmes  des  concerts  dans  lesquels,  au  mois  d'Avril  1907,  M.  Risler  fit 
entendre  à  la  Société  philharmonique  de  Madrid  la  série  entière  des  sonates 
de  l'illustre  maître.  Ce  volume  n'est  point  mis  dans  le  commerce;  il  a  été  j 
formé  seulement  pour  complaire  aux  membres.de  la  Société  philharmonique, 
qui  désiraient  conserver  ces  «  notes  »  en  souvenir  des  auditions  et  du  succès 
de  M.  Risler. 

—  A  Saragosse,  première  représentation  et  grand  succès  de  Zaragosa,  opéra 
nouveau  dû  à  la  collaboration  du  célèbre  écrivain  Perez  Galdos  pour  les 
paroles  et  du  maestro  Lapuerta  pour  la  musique. 

—  De  Lisbonne  :  Dans  la  salle  du  Conservatoire  royal,  brillant  concert 
donné  par  la  «  Schola  Cantorum  »,  sous  la  direction  de  M.  Alberto  Sarti. 
Très  joli  succès  pour  une  scène  biblique,  A  Moabita,  paroles  de  M.  Alfredo 
Pinto,  musique  du  jeune  maestro  Thomaz  de  Lima,  et  pour  les  interprètes  : 
Mlk's  Laura  Madeira  (Noémie),  Irène  Guedes  Annorim  (Ruth),  Esther  Mon- 
teiro  Torres  (Orpha)  et  M.  Léon  Jamet  iBooz).  M.  Thomas  de  Lima  a  achevé, 
également  sur  un  livret  de  M.  Pinto,  Ahandonada  !  dont  le  sujet  a  été  emprunté 
à  François  Coppée.  un  opéra  en  d  acte  et  2  tableaux,  qui  sera  prochainement 
représenté  au  théâtre  Sau-Carlos  de  notre  ville. 

—  On  se  rappelle  l'incendie  qui  détruisit  récemment  le  Théàtre-Saint-.Tean  à 
Oporto,  l'un  des  plus  importants  du  Portugal.  Un  groupe  d'habitants  de  cette 
ville  vient  de  se  faire  l'initiateur  d'une  Société  qui  se  propose  pour  objet  la 
construction  et.  l'exploitation  d'un  nouveau  et  magnifique  théâtre  d'Opéra.  Les 
plans  sont  prêts  et  les  travaux  vont  commencer,  de  façon  que  le  nouvel  édifice 
puisse  être  inauguré  dans  les  derniers  mois  de  l'année  1909.  Cette  inaugura- 
tion se  ferait  avec  une  grande  saison  d'opéra  italien. 

—  Un  des  récitals  les  plus  réussis  de  la  dernière  saison  musicale  de  Londres 
a  été  celui  de  Miss  Susan  Strong  au  Bechstein  Hall.  Il  comprenait  trois 
parties.  La  première  a  été  consacrée  à  de  vieux  chants  des  XVIe  et  XVIIe  siè- 
cles ;  la  deuxième  à  des  mélodies  de  M.  Korbay;  la  troisième  au  délicieux 
lied  de  Liszt  «  Freudvoll  und  leidvoll  »,  à  deux  autres  pièces  vocales,  le 
Fleuve  endormi,  de  Tschaïkowsky.  et  Psyché  de  Paladilhe,  enfin  à  l'air  célèbre 
d' Bèrodiad-t,  Il  est  doux,  il  est  bon,  qui  a  été  acclamé  frénétiquement  par  toute 
l'assistance. 

' —  Au  concours  ouvert  par  la  maison  Ricordi,  de  Milan,  pour  la  composi- 
tion d'un  opéra  anglais,  le  prix  (500  livres  sterling,  soit  12.500  francs)  fut  rem- 
porté, on  se  le  rappelle,  par  M.  Edward  Woodall  Naylor,  pour  un  opéra 
intitulé  the  Angélus,  écrit  sur  un  livret  de  M.  Wilfrid  Thornely.  Un  journal 
étranger  nous  apporte  des  détails  intéressants  sur  l'auteur  de  cet  ouvrage. 
M.  Woodall  Naylor,  né  à  Scarborough  le  9  Février  1867,  fut  d'abord  élève  de 
son  père  pour  le  piano,  l'orgue  et  la  composition.  En  188i  il  entra  à  l'Em- 
manuel Collège  de  Cambridge,  d'où  il  sortit  en  1S88  pour  aller  prendre,  à 
l'église  Saint-Michel  de  Londres,  la  succession  de  sir  Arthur  Sullivan  comme 
organiste.  En  même  tmipsil  devenait  élève  du  Collège  royal  de  musique,  et 
faisait  exécuter  en  1892,  dans  un  des  concerts  du  Collège,  une  cantate  écrite  sur 
une  poésie  de  Tennyson,  Merlin  and  the  Gleam.  Un  peu  plus  tard  il  était 
nommé  professeur  d'esthétique  musicale  à  l'Emmanuel  Collège  de  Cambridge, 
et  son  cours  eut  assez  de  succès  pour  qu'il  publiât  les  différents  recueils  de 
ses  leçons  :  Shakespare  et  la  musique,  Browning  et  la  musique,  Heinrirh  Sc/râfej 


LE  MENESTItEL 


199 


le  Romantisme  iluns  la,  musique  moderne,  etc.  Comme  compositeur,  M.  Woodall 
Navlor  s'est  fait  connaître  surtout  dans  le  genre  religieux,  entre  autres  par  un 
Te  Deum  écrit  pour  la  cathédrale  de  Saint-Paul,  et  aussi  par  un  grand 
nombre  de  romances  que  l'on  dit  charmantes.  Son  opéra  couronne,  t'Angelu», 
sera  représenté  au  théâtre  Cuvent  Garden,  dans  la  prochaine  saison  d'opéra 
anglais. 

—  L'audition  d'oeuvres  musicales  ayant  pour  auteurs  des  monarques,  des 
princes  et  des  princesses,  dont  nous  avons  parlé  récemment,  a  eu  lieu  à 
Londres  le  10  juin  dernier.  Miss  Alys  Lorraine  a  fait  entendre  successivement  : 
trois  mélodies  attribuées  au  roi  d'Angleterre  :  Henry  VIII  (1491-1547)  et  une 
du  roi  Charles  Ier  (1600-1619)  ;  une  cavatine  du  roi  Antoine  de  Saxe,  mort 
en  1S36  ;  Charmante  Gabrielle,  de  Henri  IV;  C'est  mon  ami,  de  Marie-Antoinette, 
et  Fuite,  de  la  princesse  Louise  de  Saxe  ;  deux  airs  du  duc  Ernest  II  de  Saxe- 
Cobourg  Gotha  ;  enfin  le  Chant  à  A'gir  de  l'empereur  d'Allemagne  Guillaume  II. 
Rien  de  tout  cela  n'a  paru  vraiment  remarquable. 

—  Un  buste  de  Joseph  Haydn  a  été  inauguré  le  6  juin  dernier  dans  le  parc 
de  Fairmont,  à  Philadelphie.  Toutes  les  autorités  de  la  ville,  le  personnel  du 
paquebot  s  Bremen  »  qui  se  trouvait  dans  le  port,  et  le  consul  allemand  ont 
assisté  à  la  cérémonie.  Un  choeur  de  mille  chanteurs  a  fait  entendre  plusieurs 
ouvrages  du  maître. 

—  Les  journaux  nous  apportent  des  nouvelles  concernant  les  deux  grandes 
entreprises  lyriques  rivales  de  New-York,  le  Manhattan-Theatre  et  le  Métro- 
poli  tan-Opo-ra.  M.  Hammerstehi,  directeur  du  Manhattan,  fait  tous  ses  efforts 
pour  lutter  avec  succès  contre  M.  Gatti-Casazza,  à  qui  sont  confiées  les  desti- 
nées artistiques  du  Metropolitan.  Sa  saison  était  à  peine  terminée  qu'il  s'em- 
barquait pour  l'Europe  et  se  rendait  à  Paris  et  à  Londres  pour  s'occuper  de  la 
formation  de  sa  troupe.  A  Londres,  il  fit  un  coup  de  maître,  non  seulement 
en  engageant  la  Melba  et  la  Tetrazzini,  qui  ont  là-bas  une  influence  immense 
sur  le  public,  mais  en  obtenant  qu'elles  consentissent  à  paraîtra  ensemble 
dans  un  même  opéra,  qui  sera  probablement  les  Huguenots.  M"10  Tetrazzini  fera 
une  saison  de  vingt  semaines;  Mme  Melba  arrivera  à  New-York  en  janvier, 
pour  y  rester  jusqu'à  la  fin  de  la  campagne.  Comme  nouveautés,  M.  Hammers- 
tein compte  donner  le  Jongleur  de  Notre-Dame,  Grisélidis  et  Cendrillon,  de 
Massenet;  Princesse  d'auberge  de  Jan  Blockx.  Monna  Vanna  de  Février  et 
Sabine  de  Richard  Strauss,  tout  en  remontant  Thaïs,  Louise  et  Pelléas  et  Méli- 
sunde,  qui  furent  les  trois  grands  succès  de  la  saison  dernière,  laquelle,  on  le 
voit,  sera  surtout  consacrée  à  l'école  française.  —  De  son  coté,  M.  Gatti-Ca- 
sazza s'occupe  de  la  troupe  du  Métropolitain,  tantôt  à  Paris,  tantôt  à  Milan,  ce 
qui  ne  l'empêche  pas  de  donner  aux  journalistes  des  interviews  dans  lesquelles 
il  n'hésite  pas  à  faire  la  critique  du  public  italien  :  —  «  Un  jour,  dit-il  à  l'un 
d'eux,  ce  public  montre  une  prédilection  folle  pour  la  Gioeonda  de  Ponchielli. 
et  le  lendemain  il  accueille  avec  une  froideur  glaciale  une  œuvre  comme  la 
Louise  de  Charpentier  !  Et  puis,  le  public  italien  prétend  entendre  chaque  jour 
des  œuvres  nouvelles.  Mais  où  trouver  tant  d'oeuvres  pour  pouvoir  satisfaire 
cette  soif  insatiable  de  nouveautés  ?  Nos  maestri  contemporains  ne  sont  pas 
aussi  féconds  que  l'étaient  jadis  Rossini,  Donizetti  et  Verdi.  Nous  devons  donc 
nous  aider  avec  des  productions  de  compositeurs  étrangers,  même  si  les 
créations  de  ceux-ci  ne  nous  sont  pas  toujours  sympathiques.  En  somme,  avec 
ce  public,  la  saison  théâtrale  d'une  entreprise  peut  être  aujourd'hui  propice, 
et  demain  désastreuse.  Il  est  impossible  de  la  prévoir  avec  certitude;  c'est 
absolument  une  loterie.  Et  pourtant,  malgré  tout,  il  est  encore  possible  en 
Italie  d'aimer  l'art  pour  l'art,  d'aspirer  à  un  idéal  sublime,  et  d'oublier  quel- 
quefois les  chiffres,  les  calculs  et  la  prose  des  affaires...  ». 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

Voici  les  dates  des  prochains  concours  publics  du  Conservatoire  : 

Jeudi  2, juillet,  à  midi  et  demi  :  chant  ihommes). 

Vendredi  3,  à  midi  et  demi  :  chant  (femmes). 

Samedi  4,  à  9  heures  :  contrebasse,  alto,  violoncelle. 

Lundi  6,  à  midi  :  piano  (femmes). 

Mardi  7,  à  midi  et  demi  :  opéra-comique. 

Mercredi  8,  à  midi  :  violon. 

Jeudi  9,  à  9  heures  :  harpes,  piano  (hommes). 

Vendredi  10,  à  9  heures  :  tragédie-comédie. 

Samedi  11,  à  midi  et  demi  :  opéra. 

Jeudi  16,  à  midi  :  flûte,  hautbois,  clarinette,  basson. 

Vendredi  i7,  à  midi  :  cor,  cornet  à  pistons,  trompette,  trombone. 

Et  voici  quels  sont  les  morceaux  choisis  pour  ces  concours  : 

Violon  :  Concerto  (op.  53)  de  Dvorak  ; 

Alto  :  Concertstuck  de  M.  Georges  Rnesco  ; 

"Violoncelle  :  Concerto  de  Schumann  ; 

Piano  (hommes)  :  4«  Ballade  de  Chopin  ; 

Piano  ifemmes)  :  2"  sonate  de  M.  Saint-Saëns  ; 

Harpe  à  pédales  :  Fantaisie  de  M.  Cesare  Galeotti  ; 

Harpe  chromatique  :  Fantaisie-Ballade  de  Georges  Pfeilfer. 

—  M"'»  Sarah  Bernbardt  a  donné  sa  démission  de  professeur  au  Conserva- 
toire. Il  y  a  près  d'un  mois  que  la  grande  artiste,  qui  est  en  ce  moment  en 
tournée  en  Ecosse,  avait  adressé  de  Bruxelles  à  M.  Gabriel  Fauré  la  lettre 
par  laquelle  elle  renonçait,  à  la  veille  des  concours,  à  la  classe  de  déclamation 
où  elle  avait  été  placée,  il  y  a  environ  dix  huit  mois,  à  la  suite  du  décès  du 
pauvre  Laugier.  Et  le  directeur  du  Conservatoire,  d'accord  avec  le  minisire 
des  beaux-arts,  avait  immédiatement  désigné  M.  Leitner,  sociétaire  de  la 
Comédie-Française,  pour  la  remplacer,  en  attendant  que  le  conseil  supérieur 
eut  statué  sur  le  choix  du  nouveau  titulaire. 


—  Voici  les  résultats  du  concours  d'harmonie  (hommes  i  qui  a  été  jugé 
lundi  au  Conservatoire  : 

/•■•prix.  —  M.  Gallon,  élève  de  M.  A.  Lavignac;  M-  Paray,  élève  de  M.  \.  Leroux. 

f  prix.  —  M.  Riehepin  (Tiarko) ,  élève  do  M.  X.  Leroux;  M.  Stermann,  élève  de 
M.  Lavignac. 

I"  accessit.  —  M.  Grandjany,  élève  de  M.  I Hidou. 

2"  accessit.  —  M.  Bigot,  élève  de  M.  X.  Leroux;  M.  Becker,  élève  de  M.  :.■■ . 

Le  jury  était  composé  de  MM.  Gabriel  Fauré.  président,  Cb.  Lenepveu, 
A.  Chapuis,  Piffaretti,  Alfrod  Bachelet,  Max  d'Ollone,  Florent  Schmitt, 
Marc-Samuel  Rousseau,  Roger  Ducasse,  J.  Morpain,  Luuis  Aubert,  membres; 
M.  F.  Bourgeal,  secrétaire. 

La  basse  et  le  chant  donnés  pour  l'épreuve  du  concours  étaient  de 
ges  Marty. 

—  Le  célèbre  chanteur  russe  Chaliapine,  si  remarquable  dans  Boris  Goiou- 
non;  vient  d'être  nommé  chevalier  de  la  Légion  d'honneur  par  le  ministre  des 
affaires  étrangères. 

—  A  l'Opéra,  l'apparition  de  M11"  Mary  Garden  dans  Faust  a  été  pour  l'ori- 
ginale artiste  un  véritable  triomphe.  Jamais  elle  ne  manifesta  mieux  ses 
qualités  de  charme  et  même  sa  puissance  dramatique.  Et  quel  bel  ensemble 
autour  d'elle  !  Moratore  dans  Faust  et  Gresse  dans  Méphistophélès.  La  délicieuse 
Mllc  Martyl  chantait  Siebel.  —  Et  voici  que  M.  Renaud  est  obligé,  sur  le 
conseil  formel  de  son  médecin,  de  prendre  quelque  repos,  ce  qui  met  la 
direction  dans  l'obligation  de  reporter  au  mois  de  septembre  la  belle  reprise 
d'Humlet,  qui  déj  i  était  presque  au  point.  On  reprendra,  en  attendant,  Roméo 
et  Juliette  avec  Mlle  Garden  et  M.  Muratore. 

—  On  s'est  occupé,  cette  semaine,  à  l'Opéra-Comique,  de  la  Solange,  de 
M.  Gaston  Salvayre,  qui  semble  devoir  être  la  première  nouveauté  que  mon- 
tera M.  Albert  Carré  au  commencement  de  la  prochaine  saison  théâtrale. 

—  Spectacles  de  dimanche  à  l'Opéra-Comique  :  en  matinée,  Pelléas  et 
Mélisande.  Le  soir,  J^akmé  et  Gavalleria  rusticana.  —  Lundi,  en  représentation 
populaire  à  prix  réduits  :  la  Basoche. 

—  L'Assemblée  générale  annuelle  de  la  Société  des  compositeurs  de  musique 
aura  lieu  le  lundi  22  juin,  à  9  heures  précises  du  soir,  au  siège  de  la  société, 
rue  Rochechouart.  22.  —  Ordre  du  jour  :  1°  Lecture  du  rapport  annuel,  par 
M.  Arthur  Pougin,  secrétaire-rapporteur;  2°  Allocution  du  président;  '■''•  Rap- 
port du  Trésorier;  i°  Élection  de  dix  membres  du  comité  pour  trois  ans,  en 
remplacement  de  MM.  Emmanuel,  Ganaye,  Gedalge,  Pierre  Kunc.  Letocart, 
Quef.  Rougnon,  Marcel  Rousseau,  Tournemire,  "Wiernsberger,  membres  sor- 
tants rééligibles:  5°  Nomination  de  la  commission  des  concerts. 

—  Voici  la  liste  des  recettes  brutes,  réalisées  en  1907  par  nos  grands  con- 
certs : 

Concerts  du  Conservatoire.   .   .   .      145.203  francs. 

Concerts-Colonne 230. 240      — 

Concerts-Lamoureux 196.250      — 

—  Pour  leur  dernière  matinée  —  qui  sera  donnée  jeudi  prochain  23  juin, 
au  Trocadéro  —  les  Trente  Ans  de  théâtre  offriront,  à  leur  public,  cinq 
numéros  hors  de  pair.  Qu'on  en  juge  : 

1°  Le  2«  acte  de  Grisélidis,  avec  M"'  Bartet,  qui  reprendra,  à  cette  occasion,  le  rùle 
de  Grisélidis  où  elle  fut  admirable.  Elle  aura  pour  partenaires  MM.  Leloir  et  Leitner, 
M""  Dussane  et  Bovy; 

2»  Le  2"  tableau  de  Parsifal,  chanté  par  M™"  Félia  Litvinne  et  M.  Le  Lubez  (au 
piano,  M.  Niederhoffein'  ; 

3°  Les  Deux  Pigeons,  le  délicieux  ballet  de  M.  André  Messager.  M""  Zambelli  y  sera 
entourée  de  K'u  Aida  Boni,  M""  Meunier,  G.  Couat,  Barbier,  Billon,  Johnson,  Urban, 
deMoreira,  Lozeron,  B.  Mante,  et  du  corps  de  ballet  de  l'Opéra.  Orchestre  dirigé  par 
M.  Paul  Vidal; 

4"  Fragments  du  Don  Juan  de  Mozart  (M.  Delmas  chantera  don  Juan;  M.  Fdgère, 
Leporello;  M"'  Mastio,  Zerline)  ; 

5"  Chansons  de  Paulus,  par  Max  Dearly. 

Le  Comité  des  Trente  Ans  de  théâtre  a,  dans  sa  séance  d'hier  matin,  voté 
d'unanimes  remerciements  aux  artistes  qui  prennent  part  à  cette  fête  et  aux 
directeurs,  MM.  Jules  Claretie,  Messager,  Broussan  et  Albert  Carré,  grâce  à 
l'obligeance  desquels  ces  cinq  numéros  peuvent  être  offerts  au  public  sous 
forme  de  premières  représentations. 

—  A  peine  de  retour  de  son  grand  voyage  d'Amérique,  M.  Paderewsky 
vient  de  partir  pour  Varsovie,  où  il  passera  quelques  jours  seulement  pour 
prendre  contact  avec  les  différents  membres  de  la  direction  du  Conservatoire. 
On  sait,  en  effet,  que  les  fonctions  de  directeur  auxquelles  le  grand  pianiste 
vient  d'être  appelé  sont  presque  exclusivement  honorifiques  et  ne  l'obligeront 
qu'à  un  très  court  séjour  annuel  à  Varsovie. 

—  La  date  de  naissance  de  Chopin.  Nous  lisons  dans  les  «  Signale  »  de 
Berlin  :  «  Chopin  est,  comme  on  le  sait,  enterré  au  cimetière  duPère-Lachaise, 
à  Paris.  Le  Comité-Chopin,  de  Varsovie,  a  résolu  de  faire  transporter  dans 
cette  ville  les  restes  mortels  du  grand  compositeur.  Ainsi  disparaîtrait  l'indi- 
cation erronée  qui  a  été  inscrite  sur  la  tombe  et  d'après  laquelle  Chopin  serait 
né  en  1810  ;  il  est  né  en  l'année  1809  ».  C'est  précis  et  tout  à  fait  catégoriqne. 
Malheureusement,  le  journal  allemand  ne  nous  dit  pas  à  quelle  source  il  a 
puisé  ses  renseignements  pour  pouvoir  se  prononcer  d'une  façon  aussi  absolue. 
D'autre  part,  le  lexique  de  Riemann,  dans  son  édition  de  1903,  rectifie  les 
dates  des  édifions  précédentes  et  donne  celle  du  22  février  1810.  De  même, 
la  dernière   édition   de   l'Histoire  illustrée  de  la  musique,  par  Emile  Naumann, 

'dont  la  publication  est  terminée  depuis  deux  mois  à  peine,  rectifie  également 


200 


LE  MÉNESTREL 


ce  quiavaitété  dit  dans  l'édition  précédente  et  porte  textuellement,  page  S69  : 
«  Frédéric  Chopin,  qui  n'est  pas  né  en  1809,  comme  on  le  croit  généralement, 
mais  le  22  février  1S10,  à  Varsovie,  etc.  »  Le  reste  de  la  phrase  importe  peu  ; 
on  voit  seulement  que  la  date  de  1809  parait  abandonnée  en  Allemagne.  En 
France,  le  monument  du  Luxembourg,  par  G.  Dubois,  porte  la  même  date  que 
le  tombeau  du  Père-Lachaise  :  1810.  Ajoutons  que  si  les  restes  de  Chopin 
devaient  être  transportés  hors  du  cimetière  où  ils  reposent  depuis  1S49,'  on 
ferait  vraisemb'ablement  pour  le  maître  polonais  ce  que  l'on  a  fait  pour 
Bellini  et  pour  Rossini  ;  on  laisserait  subsister  le  monument  et  l'inscription 
ne  serait  modifiée  qu'après  complète  démonstration  de  sa  fausseté.  Il  faut  la 
tenir  pour  bonne  en  attendant. 

—  Mlle  Juliette  Dantin  est  de  retour  à  Paris  après  une  tournée  en  Angle- 
terre et  en  Hollande,  où  elle  a  remporté  les  plus  grands  succès  en  chantant 
le  Nil  et  la  Nuit  consolatrice  de  Xavier  Leroux,  qu'elle  s'accompagne  elle- 
même  sur  le  violon.  Cette  personnalité  artistique  double  et  simultanée  est 
une  chose  bien  curieuse,  encore  inentendue.  L'air  de  la  folie  à'Hamlet  a  valu 
aussi  à  M'"  Dantin  de  véritables  ovations.  Comme  violoniste  pure,  elle  a  fait 
entendre  le  beau  concerto  romantique  de  Benjamin  Godard,  le  lamenlo 
d'Ariane  et  la  méditation  de  Thaïs.  Avec  le  même  programme  elle  va  se  pro- 
duire à  présent  en  Allemagne. 

—  Le  deuxième  concert  de  Mme  Roger-Mie  los  n'a  pas  été  moins  réussi  que 
le  premier.  La  brillante  pianiste  a  excellé  dans  les  Variations  symphoniques  de 
Schumann,  des  pièces  de  Chopin,  Henselt,  Grieg,  Meodelssobn  et  Liszt.  Le 
quatuor  vocal  Battaille  (M"""3  Mary  Garnicr,  Olivier,  MM.  Drouville  et  L.-Ch. 
Baltaille)  a  interprété  à  la  même  séance,  avec  un  ensemble  parfait  et  une  rare 
variété  de  nuances,  des  œuvres  de  Schumann,  Bach,  un  charmant  Hiver  de 
P.  Locard  et  les  Poèmes  d'amour  de  Brahms. 

—  Une  cantatrice  d'un  réel  talent,  à  la  voix  souple  et  harmonieuse,  à  la 
diction  parfaite,  miss  Elyda  Russell,  a  donné,  salle  Erard.  un  concert  fort  in- 
téressant et  qui  lui  valut  grand  succès.  Elle  a  interprété  nombre  d'œuvres, 
en  six  langues  différentes,  avec  un  égal  bonheur.  A  citer  les  Citants  populaires 
français  de  Merikanto.  le  Premier  Baiser  de  Sibelius,  Nuit  d'étoiles  de  Widor, 
Je  t'aime  de  Massenet,  le  Centenaire  de  G.  Marty,  les  Perles  de  J.  Jemain,  les 
Ailes  et  Essor  de  Diémer,  des  pièces  de  Haydn.  Schumann  et  Richard  Sirauss. 
*-  M.  Lortat-Jaeob  a  fait  apprécier  son  jeu  délicat  et  nuancé,  son  excellente 
technique,  dans  Réveil  sous  bois  de  son  maître  L.  Diémer,  la  Polonaise  et  la 
Rap'sodie  de  Liszt. 

—  A  l'audition  des  élèves  du  cours  de  mise  en  scène  de  M.  et  Mme  Jutes 
Chevallier,  à  propos  de  laquelle  nous  avons  déjà  mentionné  le  grand  succès 
remporté  par  M,le  F.  Flameng,  on  a  beaucoup  applaudi  dans  le  dernier  acte 
de  Louise  Mlle  A.  Lagarde  et  M.  Corhumel  auxquels  s'était  joint  leur  excellent 
professeur  M.  Jules  Chevallier.  M°««  Laurent-Tailhade,  Courtit,  Colas. 
M"e  Breymard,  MM.  Lehl,  Rémier  dans  des  scènes  de  Manon  et  de  Carmen. 
Mlle  Froment,  experte  comédienne  dans  la  Traviala,  MM.  Balutu,  Caillaux,  etc. 

—  On  écrit  de  Strasbourg  :  «.La  représentation  française  de  Phèdre,  avec  la 
belle  musique  de  Massenet,  donnée  à  Rothmùhl,  dans  le  théâtre  de  verdure  que 
les  Strasbourgeois  inauguraient  dimanche  au  profit  des  colonies  scolaires,  a 
provoqué  un  grand  enthousiasme  dans  toute  l'assistance.  Le  statthalter  d'Alsace- 
Lorraine,  en  tournée  officielle,  s'était  fait  représenter  au  spectacle.  Commencée 
à  cinq  heures  dans  un  site  unique  dAlsace,  la  représentation  se  terminait  à 
sept  heures  et  demie,  au  milieu  des  ovations.  Mme  Suzanne  Després  fut  rap- 
pelée un  nombre  incalculable  de  fois  et,  le  soir,  fut  accompagnée  à  la  gare 
par  une  délégation  réclamant  son  prochain  retour.  A  ses  côtés  Mme  Grunbach 
(OEnone),  M.  Segond  (Hippolyte)  et  M.  Vierne  (Thésée)  étaient  associés  à  son 
succès. 

—  De  Lille  :  Au  quatrième  concert  d'abonnement,  au  Palais-Rameau,  beau- 
coup d'applaudissements  mérités  saluent  M"?  Palasara  qui  chante  l'air,  du 
Cid,  de  Massenet,  «  Pleurez  mes  yeux  »,  et  le  Nil,  de  Xavier  Leroux,  accom- 
pagné par  le  violon  de  M.  Seiglet.  L'orchestre,  sous  la  direction  de  M.  Julien 
Dupuis,  joue  très  joliment  l'ouverture  du  Roid'Ys,  de  Lalo,  avec  M.  Plaquet 
comme  violoncelle  solo,  le  Dernier  Sommeil  de  la  Vierge  et  la  Marche  héroïque  de 
Szabady  de  Massenet. 

—  Soirées  et  Concerts.  —  Très  artistique  matinée  musicale  chez  M.  et  M"'  Louis 
Diémer,  avec,  en  plus  du  maître  ds  la  maison,  M.»"  Kutscherra,  MM.  David  Devriès, 
Lefort,  Louis  Hasselmans,  Gaubert,  comme  interprètes  remarquables  d'œuvres  de 
Bach,  Haendel,  Schumann,  Schubert,  Weber,  Fauré,  Diémer  et  Saint-Saëns,  qui  a 
accompagné  des  mélodies  à  M-  Kutscherra'  et  joué  à  deux  pianos  avec  M.  Louis 
Diémer.  —  Brillant  concert  donné,  salle  Berlioz,  par  M"°  Lucy  Vauthier.  Grand 
succès  pour  M""  Skeust,  Godofc,  Rablet,  pour  le  chant,  pour  M""  Dumont,  Dienne 
et  M.  L.  Folley.  M11"  Lucy  Vauthier  a  été  fêtée  et  comme  professeur  et  comme  com- 
positeur dans  plusieurs  œuvres.  -  Chez  Érard,  très  intéressante  séance  donnée  par 
M.  G.  Falkenberg  pour  l'audition,  dans  leurs  morceaux  d'examen,  des  élèves  de  sa 
classe  de  piano  du  Conservatoire.  Succès  des  plus  vifs  pour  l'enseignement  du  remar- 
quable professeur.  —  Salle  Mustel,  très  jolie  séance  musicale  donnée  par  M11'  Made- 
leine Creux  qui  fait  applaudir  plusieurs  de  ses  élèves,  notamment  M""  S.  G.  (Souve- 
nir de  Vienne,  Lack),  M.  B.  (Valse  arabesque,  Lack),  L.  T.  (Danse  slave,  Lack),  L.  T., 
M.  H.,  S.  H.  et  X.  (Entr'aete  Sevillana  de  Don  César  de  Bdzan,  Massenet).  Comme 
intermèdes,  on  fait  grand  succès  à  M-«  Eva  Roland  dans  Par  le  sentier  de  Dubois  et 
surtout  à  une  charmante  sélection  de  la  Vierge,  de  Massenet.  —  A  l'institut  Rudv, 
audition  des  élèves  de  M"' Jacquot,  le  distingué  professeur  de  piano,  avec  le  concours 
de  M.  Michélon,  violoniste,  et  de  M.  Voisin,  chanteur  humoristique.  On  a  surtout 


applaudi  M11"  G.Leroy  et  M.  Blondet<airdeballetd'fle/m/i'«</e,Masseiiet), M.  Dégrange 
(Impromptu,  Chopin),  A.  Aucomte  (Sérénade  à  la  lune,  Pugno),  H.  Mercier  (Valse, 
Chopin),  M.  Hugot  (Chasse,  Mendelssohn),  et  la  Baladine  (Lysberg),  à  8  mains. 
M"'  Jacquot  a  brillamment  exécuté  un  concerto  de  Mendelssohn  à  2  pianos  avec 
M,le  Granville. 

NÉCROLOGIE 

De  Milan  on  annonce  la  mort  d'un  artiste  extrêmement  distingué,  le  pia- 
niste et  compositeur  Luca  Fumagalli,  l'un  des  derniers  survivanls  de  toute 
une  famille  de  pianistes  et  organistes  éméntes.  Adolfo,  Disma,  Polibio.  Carlo 
Giulio  et  Amalio,  ses  frères  et  sœur.  Né  le  29  Mai  1837  à-Inzago,  Luca  Fuma- 
galli fut  élève,  au  Conservatoire  de  Milan,  du  fameux  pianiste  Antonio  Ange- 
lori.  aux  leçons  duquel  il  fit  honneur.  Artiste  sérieux,  doué  d'un  véritable 
idéal,  dédaigneux  des  succès  frivoles,  il  acquit  de  bonne  heure  un  talent  solide, 
et  fut  un  interprète  brillant  et  inspiré  de  Beethoven,  de  Schumann,  de  Chopin 
et  de  Mendelssohn.  Dès  1860  il  venait  se  produire  avec  beaucoup  de  succès  à 
Paris,  comme  virtuose  et  compositeur,  puis  se  faisait  connaître  ensuite  en  An- 
gleterre et  en  Amérique,  faisant  véritablement  honneur  à  l'art  de  son  pays.  De 
retour  en  Italie,  il  fut  pendant  plusieurs  années  le  pianiste  excellent  de  la  Société 
du  quatuor  de  Milan.  Il  voulut  aussi  s'essayer  au  théâtre,  et  le  29  Mars  1875  il 
donnait  à  la  Pergola  de  Florence  un  drame  lyrique  intitulé  Louis  XI,  qui  fut 
bien  accueilli  par  la  critique,  mais  qui  laissa  le  public  un  peu  froid.  Il  ne  re- 
nouvela pas  cette  tentative,  ayant  d'autre  part  de  quoi  se  consoler.  Depuis 
quelques  années  son  âge  et  l'état  de  sa  santé  l'avaient  fait  se  retirer  de  la  vie 
militante.  Néanmoins  il  s'occupait,  lorsque  la  mort  vint  le  suprendre,  de  ter- 
miner une  symphonie  à  grand  orchestre.  Luca  Fumagalli  était  le  père  de 
M.  Mario  Fumagalli,  ex-baryton,  qui  se  borne  aujourd'hui  à  jouer  la  comédie. 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


Chemins  de  fer  de  l'Ouest.  —  Excursions  de  Paris  et  de  Rouen  au  Havre 
et  vice  versa  par  chemin  de  fer  et  bateau  à  vapeur.  —  L'une  des  plus  charmantes 
excursions  qu'il  soit  possible  de  faire  sans  déplacement  important  est  certai- 
nement la  descente  de  la  Seine  entre  Rouen  et  Le  Havre.  Les  rives  verdoyantes 
du  fleuve  et  les  admirables  poinls  de  vue  qui  se  déroulent  aux  yeux  du  voya- 
geur en  rendent  le  parcours  des  plus  agréables.  En  vue  de  faciliter  cette 
excursion,  la  Compagnie  de  l'Ouest  délivre  jusqu'au  30  septembre  1908,  de 
Paris,  de  Rouen  ou  du  Havre,  des  billets  spéciaux  d'aller  et  retour  à  prix 
très  réduits,  qui  permettent  d'accomplir  en  bateau  à  vapeur  le  trajet  de  Rouen 
au  Havre,  ou  vice  versa,  et  le  reste  du  voyage  en  chemin  de  fer.  Les  prix  de 
ces  billets  sont  ainsi  fixés  : 


l"  classe. 
32  fr. 


lre  classe. 
13  fr. 


1°  De  Paris  au  Havre  ou  vice  versa 

ï<-  classe.  3e  classe.  Durée  de  validité. 

23  fr.  16  fr.  50.  5  jours. 


2°  De  Rouen  au  Havre  ou  vice  versa 


2e  classe. 
9  fr. 


3e  classe. 
7  fr.  50. 


Durée  de  validité. 

3  jours. 


Viennent  de  paraître  chez  E.  Fasquelle  :  Adrienne  Lecouvreur,  drame   en  6  actes, 
de  Sarah  Bernhardt  {3  fr.  50  c);  le  Vaisseau  des  Caresses,  de  Jules  Bois  (3  fr.  50  a). 


En  vente  AU  MENESTREL,  2  bis,  rue  Vivienne,  HEUGEL  et  C'»,  éditeurs. 

PROPRIÉTÉ    POUR    TOUS    PAYS 


REYNALDO    HAHN 


CHR^SOfiS  et  JVIflD^IGflUX 

A  TROIS  ET  QUATRE  VOIX 
Avec  accompagnement   de   piano   ad   libitum 


sl.  Un  loyal  Cœur  (3  voix,  S.,  T.,  et  Bse) 1     » 

2.  Vivons,  Mignarde!  (4  voix,  S.,  C,  T.  et  B.) 1  50 

3.  Pleurez  avec  moi!  (4  voix,  S.,  C,  T.  et  B.) 1  50 

4.  En  vous  disant  adieu  (4  voix,  S.,  C,  T.  et  B.) 1  50 

5.  Comment  se  peut-il  faire?  (3  voix,  S.,  C.  et  T.) 1     » 

6.  Les  Fourriers  d'Été  (4  voix,  S.,  C.  T.  et  B.) 150 


—  iiirnniERir  < 


4031.  -  74e  ANNÉE.--  N°  26.  PARAIT  TOUS  LES  SAMEDIS 


Samedi  27  Juin  1908. 


"I 


(Les  Bureaux,  2bls,  rue  Vivienne,  Paris,  u-arr') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


lie  fluméfo  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Le  flamépo  :  0  îf.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (2àa  article!,  Julien  Tiersot.  —  II.  Une  famille  de 
grands  luthiers  italiens  :  Les  Guarnerius  (1"  article),  Arthur  Pougin.  —  III.  Quelques 
souvenirs  sur  le  grand  violoniste  Rode,  AnTHuri  Pougin.  —  IV.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

DORS 

nouvelle  mélodie  de  René  Lenormand,  poésie  de  Fernand  Gregh.  —  Suivra 

immédiatement  :  Aubade,  mélodie  de  la  marquise  de  Negrone,  poésie  de  Victor 

Hugo. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
Tristesse  et  Sauterelles,  nocturne  et  scherzo  de  la  marquise  de  Negrone.  —  Sui- 
vra immédiatement  :  Sur  les  coteaux,  de  F.  Binet. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 


CHAPITRE   VI 


GLUCK  COMPOSITEUR  DOPERAS-COMIQUES 

Nous  reviendrons  sur  plusieurs  particularités  du  livret  :  exa- 
minons maintenant  celles  que  nous  offre  la  partition. 

Celle-ci  parut  (chez  de  La  Chevardière)  au  plus  tôt  dans 
l'année  qui  suivit  la  première  représentation,  car  son  titre  spé- 
cifie que  l'ouvrage  était  représenté  sur  le  théâtre  de  la  Foire 
Saint-Germain,  ce  qui  n'eut  lieu  qu'en  17S7,  les  représen- 
tations de  1756  ayant  été  données  à  la  Foire  Saint-Laurent.  Au 
.  reste,  il  n'y  est  fait  mention  d'aucun  nom  d'auteur,  poète  ou 
musicien  :  «  Le  Diable  à  quatre,  opéra-comique  »,  voilà  tout  ce 
Ique  nous  annonce  la  gravure.  Mais  des  mains  empressées  et 
diverses  ont  pris  soin  d'inscrire  sur  certains  exemplaires  des 
indications  qu'elles  pensèrent  de  nature  à  nous  éclairer. 

La  Bibliothèque  du  Conservatoire  possède  trois  exemplaires 
complets  de  cette  partition,  plus  un  quatrième  qui  porte  des 
remaniements  notables. 

Sur  le  premier  de  ces  exemplaires,  au  verso  de  la  feuille  de 
garde,  on  lit,  d'une  écriture  que  j'ai  reconnue  pour  celle  d'un 
des  anciens  bibliothécaires,  Bottée  de  Toulmon  : 

«  Dans  le  catalogue,  on  a  mal  à  propos  attribué  cette  musique 
à  Pergolèse,  elle  est  de  Beauran.  Voy.  pour  preuve  la  pièce 
portant  le  même  nom  à  la  collection  des  pièces  de  théâtre  ;  les 
ariettes  se  trouvent  à  la  fin,  elles  sont  les  mêmes  que  celles  de 
cette  partition,  et  après  la  dernière  M.  Beauran  est  indiqué 
comme  étant  l'auteur  —  B.  T.  » 


Et,  sur  le  titre  même,  la  même  main  a  inscrit  bravement  : 
«  Musique  de  Beauran  ». 

Sur  le  second  exemplaire,  on  lit,  d'une  écriture  plus  ancienne, 
à  la  suite  des  mots  «  Opéra-comique  »  : 

«  De  Sedaine,  mis  en  musique  par  A.  D.  Philidor  ». 

Sur  le  troisième,  outre  les  mots  :  Au  Roy,  qui  en  sont  le  pre- 
mier titre  de  propriété,  il  y  a  des  traces  regrettables  de  grattages, 
des  mélanges  d'écritures  anciennes  et  modernes,  parmi  les- 
quelles on  distingue,  par  deux  fois,  et  de  deux  écritures  diffé- 
rentes, le  nom  de  Beauran,  et,  au  bas,  d'une  troisième  écriture, 
cette  note  au  crayon  :  «  Provisoirement  classé  à  Philidor  ». 

Voilà  déjà  qui  nous  promet  de  bons  moments  pour  la  chicane  ! 
Trois  exemplaires,  trois  attributions  :  Pergolèse,  Beauran,  Philidor. 

Si  nous  nous  reportons  au  livret  imprimé  dans  l'année  qui 
suivit  la  première  représentation,  nous  y  lisons,  à  la  fin  d'un 
appendice  musical  où  est  noté  le  chant  de  sept  morceaux,  cette 
indication  précise,  celle  qu'a  relevée  Bottée  de  Toulmon  : 

«  Les  Ariettes  sont  de  M.  de  Beauran.  » 

Il  nous  souvient  qu'il  y  a  déjà  fort  longtemps  (près  de  vingt 
ans,  ma  foi  !)  une  discussion  s'éleva  entre  deux  écrivains,  colla- 
borant au  même  journal  de  musique,  au  sujet  de  la  paternité 
musicale  de  ce  très  vieil  opéra-comique,  question  à  laquelle  la 
date  donne  une  importance  assez  particulière,  puisqu'il  s'agit 
d'un  ouvrage  antérieur  à  la  constitution  définitive  du  genre.  L'un 
disait  :  «  Le  Diable  à  quatre  est  de  Philidor.  »  L'autre  ;  «  Il  est 
de  de  Beauran  ».  Et  de  fait,  dans  l'état  des  connaissances  à  cette 
époque,  il  était  assez  difficile  d'en  sortir  avec  une  complète 
assurance. 

L'attribution  à  Philidor  est  donnée  par  plusieurs  écrits  du 
XVIIIe  siècle  concernant  le  théâtre  :  Annales  dramatiques  ou  Dic- 
tionnaire général  des  théâtres  ;  Dictionnaire  portatif  des  théâtres  de 
Léris  (1763)  ;  Anecdotes  dramatiques  de  Laporte  (1775)  ;  Dictionnaire 
dramatique  de  Chamfort  (1776)  (1).  Elle  a  été  maintenue  dans  plu- 
sieurs ouvrages  modernes,  comme  le  Dictionnaire  des  opéras,  de 
Félix  Clément,  VOpern  Handbuch  de  Riemann,  ainsi  que  dans  des 
biographies  de  Sedaine.  Cependant  des  biographies  de  Philidor 
(à  commencer  par  la  notice  des  Essais  de  La  Borde)  ne  l'ont  pas 
admise,  et  Fétis,  dans  une  note  de  l'article  consacré  à  l'illustre 
joueur  d'échecs,  y  fait  allusion,  mais  pour  affirmer  positivement 
que  «  l'erreur  est  évidente  ».  Ii  faut  remarquer  que,  parmi 
tous  ces  témoignages,  il  n'en  est  pas  un  seul  qui  ne  soit  posté- 
rieur de  plusieurs  années  à  la  première  représentation  du  Diable 
à  quatre. 

Le  nom  de  Beauran,  au  contraire,  est  inscrit  sur  la  première 
édition  de  l'œuvre  parue  dans  sa  nouveauté. 

(1)  Je  m'en  rapporte  pour  ces  détails  aux  indications  données  au  cours  de  :a 
discussion  dont  j'ai  rappelé  le  souvenir.  Mais  je  dois  ajouter  qu'ayant  consulté 
le  dictionnaire  de  Léris  et  celui  de  Chamfort,  je  n'ai  pas  trouvé  dans  les  articles 
consacrés  au  Diable  à  quatre  qu'il  y  fut  fait  aucune  mention  du  nom  de  Philidor. 


202 


LE  MÉNESTREL 


Mais,  a-t-on  pu  objecter,  quel  est  donc  ce  de  Beauran,  musi- 
cien dont  on  ne  connaît  pas  une  note,  et  auquel  se  trouve  ainsi 
généreusement  prêtée  la  composition  d'un  de  nos  premiers  opéras- 
comiques  ?  Ce  point  fut  heureusement  élucidé  tout  d'abord  par 
l'observation  que  ce  personnage  ne  pouvait  être  autre  que 
Baurans,  l'adaptateur  à  la  scène  française  de  la  Servante  maltresse 
et  des  autres  intermèdes  italiens.  C'était  donc  un  parolier,  non 
un  musicien  :  pour  cette  raison,  l'on  crut  pouvoir  rejeter  le 
témoignage  donné  par  le  livret  quant  à  sa  coopération  au  Diable 
àquatre,  et  l'on  affirma  que,  si  peut-être  il  avait  fourni  des  vers, 
la  musique  ne  pouvait  pas  être  d'un  autre  que  de  Philidor. 

C'est  là  qu'était  l'erreur.  Il  est  aisé  de  la  rendre  évidente, 
aujourd'hui  que  nous  sommes  mieux  familiarisés  avec  les  pra- 
tiques d'une  époque  qui  mériterait  presque  d'être  qualifiée 
«  préhistorique  »,  puisqu'elle  est  antérieure  aux  premières  pro- 
ductions reconnues  officiellement  pour  avoir  inauguré  le  genre. 
La  thèse  que  je  soutenais,  en- effet  (car  l'un  des  deux  champions 
de  la  discussion, 

C'est  moi-même,  Messieurs,  sans  nulle  vanité) 

c'est  qu'à  cette  époque  de  tâtonnements  et  d'obscurités,  la  com- 
position des  pièces  du  théâtre  de  la  Foire  ressemblait  fort  à 
celle  des  chansons  populaires,  dont  on  ne  sait  jamais  qui  sont 
les  auteurs,  et  auxquelles  chacun  à  sa  fantaisie  ajoute  ou 
retranche  quelque  trait,  conformément  au  principe  du  vaude- 
ville, créé  par  «  le  Français  né  malin  »,  et  qui,  a  dit  justement 
Boileau,  «  s'accroît  en  marchant  ».  Et  certes  je  ne  pensais  pas 
si  bien  dire,  car  ceux  qui  ont  mis  la  main  au  Diable  à  quatre  sont 
en  si  grand  nombre,  et  d'une  telle  diversité,  que  je  me  suis 
trouvé,  en  définitive,  avoir  bien  plus  raison  que  je  ne  le  pensais 
tout  d'abord  ! 

Eh  bien,  non  :  la  musique  des  ariettes  notées  à  la  fin  du 
livret  et  dans  la  partition  du  Diable  à  quatre  n'est  pas  de  Philidor  ; 
et  si  Baurans  ne  l'a  pas  composée,  ce  n'en  est  pas  moins  à  lui 
qu'elle  est  due,  car  il  en  fut  l'adaptateur  et  l'introducteur. 

Cette  musique  est  empruntée  à  des  intermèdes  italiens,  du 
répertoire  desquels,  après  avoir  porté  sur  la  scène  française  des 
ouvrages  entiers,  notre  auteur  tirait  maintenant  des  morceaux 
pris  de  part  et  d'autre  :  ce  sont  ces  morceaux  qui,  associés  à 
ses  paroles,  étaient  les  «  ariettes  de  M.  de  Beauran  »,  notées 
pour  le  chant  seul  à  la  fin  du  livret,  et  avec  leur  accompagne- 
ment instrumental  dans  la  partition. 

Nous  avons,  pour  affirmer  cette  conclusion,  plusieurs  raisons 
parfaitement  péremptoires.  D'abord  ce  qui  vient  d'être  exposé 
est  parfaitement  d'accord  avec  les  pratiques  habituelles  de 
Baurans  et  son  rôle  dans  l'histoire.  Si  cela  n'est  qu'une  hypo- 
thèse, elle  est  confirmée  expressément  par  un  témoignage  con- 
temporain, celui  d'un  périodique  plus  digne  de  créance  que  la 
plupart  des  publications  fugitives  qui  donnèrent  le  nom  de 
Philidor  :  VAlmanach  des  spectacles  ou  Spectacles  de  Paris.  Ce  petit 
livre  (dont  la  publication  est  continuée  aujourd'hui  par  notre 
confrère  Albert  Soubies)  avait  coutume  en  effet  de  reproduire 
chaque  année  les  noms  des  œuvres  du  répertoire  :  à  partir  de 
1762,  il  inscrit  au  «  Catalogue  des  pièces  qui  se  jouent  commu- 
nément sur  le  théâtre  de  l'Opéra-Comique  »  :  Le  Diable  à  quatre, 
par  M.  Sedaine,  avec  des  ariettes  parodiées.  L'Almanach  continue  à 
reproduire  annuellement  la  citation,  dans  les  mêmes  termes, 
jusqu'en  1791,  où  il  modifie  l'attribution  musicale  ainsi  qu'il  suit  : 
«  Remise  avec  une  musique  nouvelle  » .  En  effet,  une  nouvelle 
musique  avait  été  composée  en  1790  par  Porta,  —  en  attendant 
que  Solié  en  fit  encore  une  autre,  ce  qui  eut  lieu  en  1809. 
Enfin,  dans  l'année  qui  suivit  la  première  représentation, 
YAlmanach  était  plus  explicite  encore  :  son  compte  rendu  est 
conçu  en  ces  termes  concis,  mais  positifs  : 

«  Le  Diable  à  quatre,  comédie  Angloise,  accommodée  à  notre 
théâtre  et  mêlée  d'ariettes  italiennes  sur  lesquelles  M.  Baurans 
a  mis  des  paroles  françaises,  a  fait  honneur  à  M.  Sedaine  qui 
en  est  le  principal  auteur  (1).  » 

(1)  Spectacles  de  Paris,  1757,  p.  102. 


Voilà,  par  ces  quelques  lignes,  le  rôle  de  chacun  parfaite- 
ment défini,  notamment  celui  de  Baurans.  Et,  preuve  dernière 
et  définitive,  plusieurs  des  ariettes  ont  été  identifiées  et  recon- 
nues pour  appartenir  aux  intermèdes  italiens  du  genre  de  ceux 
que  les  Bouffons  avaient  naguère  représentés  à  Paris  (1).  L'on 
comprend  par  là  l'erreur  de  ceux  qui  avaient  cru  que  cette 
musique  était  de  Pergolèse  :  prise  au  même  répertoire,;  elle 
pouvait  passer  en  effet,  auprès  de  gens  médiocrement  informés, 
comme  ayant  eu  pour  auteur  le  maître  dont  le  nom  semblait 
en  résumer  le  mouvement  tout  entier  (2). 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


UNE  FAMILLE  DE  GRANDS  LUTHIERS  ITALIENS 

LES    GUARNERIUS 


Les  anciens  artisans  italiens  de  l'époque  héroïque  de  la  lutherie 
formèrent  presque  tous  des  dynasties.  Le  plus  illustre  d'entre  eux, 
Antoine  Stradivarius,  eut  deux  fils,  Francesco  et  Omobono,  qui  suivi- 
rent, la  même  carrière,  sans  malheureusement  posséder  son  génie.  On 
connaît  cinq  Amati  (André,  Antoine,  Jérôme  Ier,  Nicolas  et  Jérôme  II), 
cinq  Bergonzi  (Charles  Ier,  Michel-Ange,  Nicolas,  Zozime  et  Charles  II), 
trois  Guadagnini  (Laurent,  Jean-Baptiste  et  Joseph),  puis  encore 
quatre  Rugeri,  trois  Testore,  quatre  Grancino,  etc.  Enfin,  la  famille 
dont  je  veux  ici  m'occuper,  celle  des  Guarnerius,  ne  comprend  pas 
moins  de  cinq  membres  luthiers,  dont  l'un,  dit  del  Gesù,  égale  presque 
en  talent  et  eu  renommée  son  glorieux  maître  Stradivarius. 

La  plus  ancienne  de  ces  dynasties,  celle  à  qui  revient  l'honneur 
d'avoir  fondé  la  grande  école  de  lutherie  de  Crémone,  est  celle  des 
Amati,  dont  le  chef,  André,  exerçait  sa  profession  en  cette  ville  dès  le 
milieu  du  XVIe  siècle.  On  connaît  de  lui  deux  instruments,  datés  l'un 
de  1346,  l'autre  de  lool.  Le  talent  très  réel  d'André  Amati  lui  avait 
valu  une  renommée  telle  qu'elle  franchit  les  frontières  de  l'Italie  et 
parvint  jusqu'en  France.  Si  bien  que  Charles  IX,  qui,  on  le  sait,  était 
aussi  amateur  de  musique  que  de  poésie,  lui  confia,  dit-on,  le  soin  de 
lui  construire  toute  une  série  d'instruments  destinés  au  service  de  sa 

(1)  M.  Wotquenne,  dans  son  Catalogue  des  œuvres  de  Gluck,  signale  l'ouverture  du 
Diable  à  quatre  comme  étant  celle  du  Fitosofo  di  campagna  de  Galuppi  ;  l'ariette 
n°  1,  parodiée  d'après  un  air  de  Bertoldo  in  Corte  de  Ciampi  ;  le  n"  3,  d'un  opéra- 
comique  de  G-.  Scarlatti  ;  le  n°  7,  de  Ninette  à  la  Cour,  parodie  de  Favart,  et  le  n°  10  i 
du  Chinois,  autre  parodie  de  Favart.  Le  fait  que  les  autres  morceaux  n'ont  pas  pu 
être  identifiés  ne  me  parait  pas  établir  qu'ils  sont  originaux  :  dans  l'amas  de  la  pro- 
duction italienne  à  cette  époque,  il  est  bien  évident  que  le  mieux  informé  ne  peut 
pas  prétendre  à  tout  connaître  et  reconnaître  ! 

(2)  A  la  discussion  rétrospective  à  laquelle  il  est  fait  allusion  ci-dessus  avait  cru 
devoir  prendre  part  un  de  nos  confrères  de  province,  aujourd'hui  disparu,  sans  que 
cette  disparition  ait  paru  causer  un  grand  vide,  car  je  ne  l'ai  vu  signaler  en  son 
temps  à  la  nécrologie  d'aucun  de  nos  journaux  de  musique  :  Anatole  Loquin,  de 
Bordeaux. Il  avait  pris  parti  pour  l'opinion  contraire  à  la  mienne,  sans  en  dire  la  raison, 
et  je  crois  fort  qu'il  n'en  avait  guère  d'autre,  si  ce  n'est  qu'il  désirait  que  j'eusse  tort. 
Mais  il  était  homme  consciencieux  et  honnête,  —  un  peu  naïf,  je  crois.  J'en  eus  la 
preuve  en  recevant  un  jour  la  lettre  que  voici  : 

Bordeaux,  26  octobre  1891. 
Monsieur, 

Je  viens  de  faire  une  découverte  étourdissante.  J'ai  trouvé  ce  matin  la  partition 
manuscrite  du  Diable  ci  quatre,  Musique  de  Baurans. 

La  vérité  m'impose  le  devoir  de  vous  informer  tout  aussitôt  et  de  reconnaître 
loyalement  qu'en  vous  plaisantant  dans  Mélusine  au  sujet  de  cette  attribution  je 
mettais  les  rieurs  de  l'avenir  de  votre  coté.  J'avais  complètement  tort,  vous  aviez 
absolument  raison. 

Rien  n'est  beau  que  le  vrai.  Aussi  je  vous  autorise  à  faire  de  cette  lettre  l'usage 
que  bon  vous  semblera. 

Recevez  je  vous  prie,  Monsieur,  l'assurance  de  mes  salutations  très  empressées. 

Anatole  Loquin. 

Je  me  conforme  aux  intentions  du  signataire  en  publiant  sa  lettre  aujourd'hui 
que  l'occasion  s'en  présente,  un  peu  tard  il  est  vrai,  mais  il  n'y  avait  pas  d'urgence. 
M'est-il  permis  de  faire  observer  doucement  que  cette  «  découverte  »  qu'il  faisait  à 
la  fin  de  1891,  et  dont  il  se  déclarait  «  étourdi  »,  était  la  même  que  j'avais  commu- 
niquée aux  lecteurs  du  Ménestrel  en  188S  ?  Elle  n'avait  alors  compté  pour  rien  dans 
son  esprit,  et  il  fallut  qu'il  eut  lui-même  une  occasion,  évidemment  fortuite,  d'avoir 
sous  les  yeux  le  même  document,  pour  reconnaître  qu'il  existait  en  elfet,  ce  qui  dès 
lors  fut  hors  de  doute  pour  lui.  Particularité  réjouissante  :  c'était  tout  juste  au 
moment  où  je  venais  de  reconnaître  que  la  musique  du  Diable  à  quatre  n'était  pas 
de  Baurans  que  mon  incrédule  contradicteur  venait,  dans  l'intention  de  me  faire 
amende  honorable,  m'allirmer  qu'elle  était  de  lui  !  Et  j'ai  admiré  par  cet  exemple 
comment  se  forment  les  opinions  humaines  en  général,  et  celles  de  la  critique 
musicale  en  particulier.  ) 


LE  MENESTREL 


203 


chambre.  Fétis  nous  donne  à  ce  sujet  ces  renseignements  intéressants  : 
■ —  «  Ces  instruments  consistaient  en  vingt-quatre  violons,  dont  douze 
étaient  de  grand  patron  et  douze  plus  petits,  six  violes  et  huit  basses. 
Cartier  (le  fameux  violoniste),  qui  a  vu  deux  de  ces  violons,  affirme  que 
rien  ne  surpasse  la  perfection  de  leur  travail.  Ils  étaient  revêtus  d'un 
vernis  à  l'huile  d'un  ton  doré,  avec  des  reflets  d'un  brun  rougeàtre. 
Sur  le  dos  de  l'instrument  on  avait  peint  les  armes  de  France,  compo- 
sées d'un  cartel  renfermant  trois  fleurs  de  lis  sur  un  champ  d'azur, 
entourées  d'un  cordon  de  saint  Michel  et  surmontées  de  la  couronne 
royale  fleurdelisée  et  supportées  par  deux  anges.  Deux  colonnes  entou- 
rées de  liens  en  ruban  blanc,  avec  cette  devise  :  Justice  et  pitié,  étaient 
placées  aux  deux  côtés  des  armoiries,  et  étaient  aussi  surmontées  de 
couronnes  royales  que  portaient  des  anges  ;  la  tête  de  ces  instruments 
était  décorée  d'une  sorte  d'arabesque  "dorée,  d'un  goût  fort  élégant. 
Cartier  et  M.  de  Boisgelou  conjecturent  que  les  violons  de  grand 
patron  étaient  destinés  à  la  musique  de  la  chambre,  et  que  les  autres 
servaient  pour  les  bals  des  petits  appartements  de  la  cour.  » 

Ces  détails,  on  le  voit,  sont  très  précis  et  particulièrement  circons- 
tanciés. Les  écrivains  spéciaux  sont  cependant  divisés  au  sujet  de 
cette  commande  d'instruments  faite  par  Charles  IX  à  André  Amati. 
Antoine  Vidal  est  bien  près  de  révoquer  en  doute  son  exactitude  (.1)  : 
—  «  Une  légende  veut,  dit-il,  qu'il  (Amati)  ait  fourni  au  roi  de  France 
Charles  IX,  pour  sa  chapelle,  un  certain  nombre  d'instruments  marqués 
aux  armes  royales,  qu'il  serait  venu  livrer  lui-même,  et  en  aurait  ter- 
miné une  partie  à  Paris.  La  chose  n'est  pas  impossible,  mais  je  n'ai 
pu  en  recueillir  aucune  preuve.  Je  me  suis  livré  à  des  recherches 
longues  et  minutieuses  dans  les  documents  de  nos  Archives,  qui 
contiennent  une  grande  quantité  de  noms  d'artistes  et  d'artisans  ayant 
eu  des  rapports  avec  le  trésor  royal  :  nulle  part  je  n'ai  pu  découvrir  le 
nom  d'Amati  ou  la  moindre  piste  qui  pût  y  conduire.  Quant  aux 
fameux  instruments  dits  de  Charles  IX.  j'en  ai  vu  plusieurs.  Il  en 
existe  même  beaucoup,  mais  pour  les  faire  sortir  du  domaine  de  la 
légende,  il  faudrait  quelque  preuve,  et  malheureusement  il  n'en 
existe  aucune.  Les  inventaires  du  mobilier  royal  sont  également  muets  ; 
ils  mentionnent  un  certain  nombre  d'instruments  de  musique,  mais  on 
n'y  rencontre  absolument  rien  de  ceux  d'Amati  ». 

D'autre  part.  .T .  Gallay,  dans  les  notes  dont  il  a  accompagné  la  réim- 
pression donnée  par  lui  du  livre  curieux  de  l'abbé  Sibire  :  La  Chélo- 
nomie  ou  le  Parfait  Luthier  (2),  ne  met  pas  en  doute  l'exactitude  du 
récit  de  Fétis,  et  en  s'y  référant  le  complète  par  le  nom  du  luthier 
français  qui  aurait  aidé  André  Amati  dans  l'achèvement  des  instru- 
ments apportés  par  lui  à  Paris  :  —  «  M.  Fétis.  dit-il,  dans  son  étude  sur 
Stradivarius,  rappelle  la  commande  que  fit  Charles  IX  à  André  Amati 
(1566)  ;  il  parait  certain  qu'Amati  vint  lui-même  à  Paris  à  cette  époque 
pour  livrer  ses  beaux  instruments,  dont  quelques-uns  n'étaient  pas 
complètement  terminés.  Il  se  serait  fait  aider,  dans  cette  circonstance, 
par  Nicolas  Renault  ». 

Quoi  qu'il  en  soit  de  tout  ceci,  il  faut  constater  qu'André  Amati, 
artisan  fort  distingué  et,  je  l'ai  dit,  véritable  fondateur  de  cette  admi- 
rable école  de  lutherie  de  Crémone  fameuse  aujourd'hui  dans  le  monde 
entier  et  qui  est  l'honneur  de  l'Italie,  n'est  pourtant  pas  le  plus  célèbre 
des  membres  de  la  famille,  non  plus  qu'aucun  de  ses  deux  fils,  Antoine 
et  Jérôme.  C'est  à  son  petit-fils.  Nicolas,  fils  de  ce  dernier,  que  revient 
cette  qualification  due  à  son  très  grand  talent,  et  à  laquelle  il  joint  la 
gloire  d'avoir  été  le  maître  de  celui  qu'on  peut  appeler  le  roi  des 
luthiers,  Antoine  Stradivarius.  C'est  en  effet  dans  son  atelier  que 
celui-ci  apprit  les  principes  de  l'art  que  son  génie  devait  porter  au 
plus  haut  degré  de  la  perfection.  Et  c'est  aussi  chez  Nicolas  Amati  que 
le  chef  de  la  dynastie  des  Guarnerius,  Audré,  fit  son  apprentissage, 
mais  bien  avant  Stradivarius,  qui  était  de  vingt  ans  plus  jeune  que 
lui  (3). 

Il  faut  remarquer  ici  que  l'école  de  lutherie  de  Crémone,  la  plus  glo- 
rieuse assurément  et  la  plus  importante  par  le  nombre  de  ses  adeptes, 
n'est  pas  cependant  la  première  en  date  ;  elle  fut  précédée  par  l'école  de 
Brescia,  dont  le  plus  ancien  représentant  est  le  fameux  Gaspar  da  Salô 
■lui  passe  pour  avoir,  le  premier,  transformé  l'ancien  rebec  en  lui 
donnant  à  peu  près  la  forme  du  violon  moderne.  Gaspar  da  Salo,  ainsi 
nommé  parce  qu'il  était  natif  de  la  petite  ville  de  Salo,  située  sur  les 

il)  Dans  son  live  :  La  Lutherie  et  les  Luthiers  (Paris,  1889,  in-8"),  p.  41. 

(2)  Les  Luthiers  italiens  aux  XVII"  et  XVIII'  siècles  (Paris,  1869,  in-12),  p.  160 

(3)  Parmi  les  autres  élèves  de  Nicolas  Amati  on  cite  les  noms  de  Jean-Bapliste 
-Rugeri,  de  Joseph  Sneider,  de  Santo  Serafino  et  de  Paolo  Grancino,  qui,  tous,  sans 
égaler  leur  maître,  devinrent  des  luthiers  fort  distingués  et  dont  les  instruments 
sont  justement  recherchés.  Né  le  3  décembre  1596,  Nicolas  Amati  mourut  le  12  avril 
1681,  âgé  de  84  ans.  Son  disciple  Stradivarius  devait  prolonger  sa  vie  et  ses  travaux 
msqu'à  93  ans  !  Ça  conserve,  la  lutherie  ! 


rives  du  lac  de  Garde  (aujourd'hui  province  de  Brescia),  s'appelait,  de 
son  nom  de  famille,  Bertalotti.  On  le  croit  né  vers  1542,  et  l'on  sait 
aujourd'hui  qu'il  mourut  à  Brescia  le  14  avril  1009.  Il  se  distingua 
surtout  et  montra  un  véritable  talent  dans  la  construction  des  violes, 
basses  de  viole  et  contrebasses  de  viole,  a  Ou  connait  peu  de  violons 
de  Gaspar  da  Salô,  dit  Fétis  ;  cependant  il  s'en  est  trouvé  un  très  bon, 
portant  la  date  de  1576,  dans  une  collection  d'instruments  précieux  qui 
fut  vendue  à  Milan  en  1807.  Le  baron  de  Bagge  en  possédait  uu  dont 
Rodolphe  Kreutzer  parlait  souvent  avec  admiration.  Je  connais  aussi, 
entre  les  mains  de  M.  E.  Forster,  amateur  anglais,  un  violon  qui  porte 
intérieurement  l'inscription  Gasparo  ili  Salo  in  Brescia,  1013  '1).  Sa 
qualité  de  son  est  claire,  mais  courte.  C'est  un  produit  dégénéré  de  la 
vieillesse  de  l'auteur.  Le  patron  des  violons  de  cet  artiste  est  plus 
allongé,  et  les  voûtes  sont  plus  élevées  que  dans  les  instruments  de 
Crémone  ».  Le  fameux  violoniste  norvégien  Ole  Bull,  mort  en  1880, 
possédait  aussi,  dit-on,  un  très  bon  et  très  intéressant  violon  de  Gaspar 
da  Salô. 

Gaspar  fut  donc,  en  réalité,  sinon  le  fondateur,  au  sens  propre  du 
mot,  du  moins,  comme  je  l'ai  dit,  le  plus  ancien  représentant  de  l'école 
de  Brescia,  beaucoup  moins  nombreuse  que  celle  de  Crémone,  mais 
qui  se  recommande,  entre  autres,  par  un  artiste  justement  célèbre, 
Giovanni-Paolo  Maggini  (et  non  Magini,  comme  l'écrit  Fétis  i,  dont  les 
violons,  à  la  sonorité  douce  et  pénétrante,  sont,  depuis  longtemps  déjà, 
recherchés  avec  activité. 

Dans  sa  notice  sur  le  célèbre  contrebassiste  Dragonnetti,  qui  possé- 
dait une  superbe  contrebasse  de  viole  de  Gaspar  da  Salô,  Fétis  fait  de 
celui-ci  «  le  maitre  d'André  Amati  ».  Un  musicographe  allemand, 
M.  Hugo  Riemann,  prétend  que  c'est  là  une  erreur,  Amali.  dit-il, 
ayant  travaillé  «  de  1546  à  1577  »,  et  Gaspar  da  Salô  étant  né  en 
1542.  Le  plus  ancien  violon  connu  d'André  Amati  porte,  en  effet,  la  date 
de  1546  ;  mais  qui  nous  dit  que  ce  soit  le  premier,  et  que  ce  luthier  n'ait 
pas  commencé  à  travailler  quelques  années  plus  tôt,  ce  qui  ne  laisserait 
pas  impossible  son  apprentissage  chez  Gaspar  da  Salô  ?  La  vérité  est 
qu'on  ne  peut  rien  dire  de  précis  à  ce  sujet,  et  qu'il  est  fort  difficile, 
sinon  impossible,  de  savoir  quel  fut  le  maitre  du  premier  des  Amati. 
Quoi  qu'il  en  soit,  si  André,  Amati  fut,  comme  on  l'a  dit,  «  le  premier 
luthier  italien  qui  commença  à  donner  au  violon  l'élégance  de  sa  forme 
actuelle  »,  son  petit-fils  Nicolas  est  aussi  celui  à  qui  l'on  doit  le  premier 
progrès  notable  dans  la  construction  de  cet  admirable  instrument. 
Avec  lui  le  violon  prend  une  grâce  nouvelle,  la  ligne  des  contours 
acquiert  une  rare  pureté,  la  coupe  de  la  volute  est  irréprochable,  et  si 
le  coffre  est  peut-être  un  peu  plus  étroit  qu'il  ne  faudrait,  l'ensemble 
est  vraiment  harmonieux  et  déjà  d'un  grand  style.  Le  son,  pur  et 
mélancolique,  laisse  seulement  à  désirer  au  point  de  vue  de  la  vigueur 
et  de  la  puissance.  (Il  ne  faut  pas  oublier  toutefois  que  sous  ce  rapport 
on  demandait  moins  alors  au  violon  qu'on  ne  lui  demande  aujourd'hui, 
avec  l'élévation  qu'on  a  donnée  progressivement  au  diapason).  Stradi- 
varius, qui  n'imitera  pas  son  maitre,  étant  homme  de  génie  et  d'esprit 
novateur,  mais  qui  profitera  intelligemment  de  ses  leçons,  saura,  par 
ses  recherches  constantes,  par  ses  travaux  toujours  raisonnes,  donner 
au  violon,  avec  sa  forme  définitive  et  l'exquise  harmonie  de  ses  propor- 
tions, cette  sonorité  tout  ensemble  moelleuse  et  mâle,  pure  et  vigou- 
reuse, pleine  à  la  fois  de  douceur  et  d'éclat,  qui,  avec  sa  prodigieuse 
égalité,  est  la  marque  de  fabrique  de  ses  produits  incomparables  et 
dont  nul  n'a  pu  atteindre  la  perfection. 

Quant  à  André  Guarnerius,  le  chef  de  la  brillante  dynastie  de  ce 
nom,  s'il  est  loin  de  pouvoir  être  comparé  à  Stradivarius,  il  n'en  resta 
pas  moins  digne  de  son  maitre  Nicolas  Amati  et  ne  laissa  pas,  comme 
nous  le  verrons,  de  faire  honneur  à  son  enseignement.  Avec  lui,  nous 
entrons  dans  l'histoire  de  cette  famille  qui  se  rendit  justement  célèbre 
dans  les  fastes  de  la  lutherie  et  dont  les  travaux  se  poursuivirent  durant 
un  siècle  entier. 

On  sait  que  le  véritable  nom  de  cette  famille  était  Guarneri.  nom 
que  ceux  de  ses  membres  qui  furent  luthiers  latinisèrent  en  Guarnerius 
en  l'inscrivant  ainsi  sur  les  étiquettes  de  leurs  instruments,  de  même 
que  le  fit  de  son  côté  Stradivarius,  qui  s'appelait  réellement  Stradi- 
vari(2).  Les  Guarneri  descendaient  d'une  ancienne  maison  noble  de 
Crémone,  probablement  ruinée  et  déchue  par  suite  des  événements  qui 
troublèrent  et  ensanglantèrent  l'Italie  pendant  tant  de  siècles,  et  dont 
un  riche  amateur  qui  employait  ses  loisirs  à  s'occuper  curieusement 
de  lutherie,  M.  le  marquis  de  Sommi-Picenardi,  a  relevé  les  armoiries 
(li  La  date  donnée  ici  est  manifestement  erronée,  Gaspar  da  Salù  étant  mort,  on 
l'a  vu,  en  1609. 

(2)  Il  faut  remarquer  cependant,  selon  ce  que  dit  Vidal,  qu'ils  altérèrent  la  forme 
de  leur  nom  :  «  Dans  tous  les  actes  authentiques  concernant  cette  famille  et  conservés 
dans  les  archives  de  Crémone,  le  nom  patronymique  est  toujours  Guarnieri  ».  (La 
Lutherie  et  les  Luthiers). 


204 


LE  MENESTREL 


dans  les  archives  de  cette  ville  (1).  Avant  d'entreprendre  leur  histoire, 
je  ne  crois  pas  inutile  de  dresser  tout  d'abord  la  liste  des  cinq 
membres  auxquels  la  famille  doit  sa  grande  renommée,  grâce  au  talent 
qu'ils  déployèrent  dans  l'art  de  la  lutherie  ;  la  voici  : 

André  le  chef  de  la  dynastie,  né  à  Crémone  vers  1625,  élève  de  Nicolas 
Amati,  mort  à  Crémone  le  16  décembre  1698  ; 

Pierre  Ier,  fils  aine  d'André  et  son  élève,  né  à  Crémone  le  18  février 
1655,  mort  le...  ; 

Joseph  I"'  Jean-Baptiste,  deuxième  fils  d'André  et  son  élève,  né  à 
Crémone  le  25  novembre  1666,  mort  vers  1740  ; 

Joseph  II.  dit  ciel,  Gesù,  le  plus  célèbre  de  tous,  fils  de  Jean-Baptiste 
(neveu  d'André  et  non  luthier),  né  à  Crémone  le  17  octobre  1686,  mort 
le...  ; 

Pierre  II,  fils  de  Joseph  Ie'  Jean-Baptiste,  né  à  Crémone  le  14  avril 
1695,  mort  le... 

Comme  on  le  voit,  cette  liste  laisse  subsister  nombre  de  points 
obscurs,  soit  pour  la  naissance,  soit  pour  la  mort  de  tel  ou  tel  de  ses 
membres.  Encore,  est-ce  par  le  fait  de  recherches  incessantes  qu'on  est 
parvenu,  grâce  à  la  découverte  de  certains  actes  d'état  civil,  à  redresser 
un  certain  nombre  d'erreurs  et  à  obtenir  diverses  précisions.  Ainsi, 
jusqu'à  ces  derniers  temps  on  avait  désigné  Pierre  Ier  comme  second 
fils  d'André  et  il  était  ainsi  caractérisé  dans  le  commerce  de  la  lutherie, 
tandis  que  de  nouveaux  documents  dont  on  ne  saurait  contester  l'au- 
thenticité ont  prouvé  qu'il  était  au  contraire  l'aîné  de  Joseph-Jean- 
Baptiste,  dont  on  l'avait  fait  à  tort  le  cadet.  Peut-être  de  nouvelles  et 
intéressantes  découvertes  apporteront-elles  la  lumière  sur  quelques 
points  restés  douteux  ou  encore  ignorés.  Pour  le  moment,  on  doit  s'en 
tenir  à  ce  que  l'on  sait  de  certain  et  de  positif  (2). 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


QUELQUES  SOUVENIRS 

SUR    LE    GRAND    VIOLONISTE    RODE 


Récemment,  et  sur  une  demande  de  renseignements  faite  à  l'Inter- 
médiaire relativement  à  la  descendance  du  grand  violoniste  Rode, 
j'avais  répondu  autant  qu'il  m'était  possible.  D'autres  détails  concer- 
nant l'illustre  artiste  furent  ensuite  adressés  à  l'excellent  journal  par 
deux  autres  correspondants,  et  ces  détails  sont  particulièrement  inté- 
ressants, par  leur  précision,  pour  la  biographie  de  Rode,  venant  heureu- 
sement compléter  ceux  donnés  par  moi  naguère  dans  ma  Notice  sur  Rode, 
grand  violoniste  français  (1874).  L'un  des  correspondants,  M.  Pierre 
Meller,  nous  apprend  que  Rode  avait  épousé  à  Berlin  (où  il  séjourna 
pendant  plusieurs  années)  «  une  jeune  veuve,  Mme  Galliri,  fille  aînée 
du  décorateur  Vérona  ».  Or,  on  savait  bien  que  Rode  s'était  marié  à 
Berlin,  mais  on  ignorait  qui  il  avait  épousé,  et  le  renseignement  est 
aussi  précieux  qu'inconnu.  Mais  M.  Pierre  Meller  laisse  croire  que  le 
château  de  Bourbon,  où  Rode  mourut  en  1830,  était  sa  propriété,  et  ici 
il  est  dans  l'erreur,  comme  on  va  le  voir. 

En  effet,  un  autre  correspondant,  M.  J.  R.  Marboutan,  se  borne  à 
reproduire  l'acte  de  décès  de  Rode,  extrait  par  lui  des  registres  de  l'état 
civil  de  la  commune  de  Nicole,  et  ce  document  surtout  est  précieux. 
Le  voici  : 

L'an  mil  huit  cent  trente,  et  le  vingt-cinq  novembre,  à  quatre  heures  et 
demie  après  midi,  par  devant  nous,  maire,  officier  public  de  l'Etat  Civil  de  la 
Commune  de  Nicole,  canton  de  Port-Sainte-Marie,  arrondissement  d'Agen, 
département  de  Lot-et-Garonne,  sont  comparus  sieur  Baptiste    Mazat.  chargé 

(1)  Antoine  Vidal  a  reproduit  ces  armes  au  premier  volume  (page  101)  de  soa 
grand  et  bel  ouvrage  :  Les  Instruments  à  archet,  véritable  monument  élevé  à  la  gloire 
delà  lutherie  (Paris,  imp.  J.Claye,  1876-1878,  3  vol.  in-4°). 

(2)  Justement  fiers  de  leur  glorieux  passé  et  de  la  place  unique  que  les  leurs  ont 
occupée  dans  cet  art  charmant  de  la  lutherie  où  ils  ont  multiplié  les  chefs-d'œuvre 
les  Italiens  se  sont  livrés,  depuis  plus  de  quarante  ans,  à  de  nombreuses  et  intelli- 
gentes investigations  concernant  la  vie  et  les  travaux  de  tous  ces  artisans  fameux 
qui  pendant  deux  siècles  ont  valu  à  leur  patrie  une  renommée  impérissable  et  que 
nul  ne  pourrait  songer  à  lui  contester.  Plusieurs  d'entre  eux  ont  publié  le  résultat 
de  leurs  intéressantes  recherches,  et  voici  une  liste,  incomplète  sans  doute,  des 
écrits  parus  sur  ce  sujet  : 

Paolo  Lombardini  (prêtre)  :  Cenni  sulla  célèbre  scuola  cremonese  degli  strumenli  ad 
arco,  non  che  suoi  lavori  e  sulla  famiglia  del  sommo  Antonio  Stradivari  (Cremona,  tipo- 
grafia  Dalla  Noce,  1872).  —  Luigi  Francesco,  conte  Valadrighi  :  Rlcerche  sulla  liu- 
îeria  e  violineria  modenese  antica  e  moderna  (Modena,1878).  —  Giovanni  de  Piccolellis  : 
Mutai  antichi  e  moderni  (Firenze,  Le  Monnier,  1885)  ;  Note  aggiunte  (id.  1886).  — 
Maurizio  Villa  :  1  miei  viotini,  monagrafia  dei  liutai  antichi  e  moderni  (Savigliano,  tip. 
Bressa,  1888).  —  F.  Sacchi  :  Ilconle  Salabue.  Ceuni  e  saggio  critico  sulla  linteria  cremo. 
nese  (Londra,  Hart  e  figlio,  1898).  —  Angelo-Berenzi  :  I  Liutai  Bresciani  (Brescia, 
Appolloni).  —  Jeanne  Okraszewska  :  Liutai  eviolinisti  (Roma).  —  Mattio  Butturini  : 
Gaspano  da  Salv,  studio  critico  (Salo,  tip.  Gio.  Devoti,  1901). 


d'affaires  de  M.  David  Johnston  à  Lafon-Bourbon,  âgé  de  quarante-sept  ans, 
domicilié  de  cette  commune,  premier  témoin,  non  parent,  Pierre  Descomps, 
vigneron  chez  M.  Johnston,  à  Bourbon,  âgé  de  trente-deux  ans,  second  témoin, 
non  parent,  domicilié  de  cette  commune,  et  Jean  Leyrisson,  métayer  à 
Bourbon,  âgé  de  soixante-cinq  ans,  troisième  témoin,  non  parent,  domicilié 
de  cette  commune,  lesquels  nous  ont  déclaré  que  M.  Jacques-Pierre-Joseph 
Rode,  propriétaire,  âgé  de  cinquante-sept  ans,  né  à  Bordeaux,  département  de 
la  Gironde,  de  feus  Pierre-Joseph  Rode,  décédé  à  Bordeaux  le  cinq  mai 
mil  sept  cent  quatre-vingt-dix,  et  de  Suzanne  Turneaux  décédée  à  Paris  le  vingt- 
huit  octobre  mil  huit  cent  sept,  époux  de  Caroline  Sophie- Wilhemine  Rode, 
née  Vérona,  à  Berlin,  en  Prusse,  est  décédé  ce  jour  vingt-cinq  novembre  à 
une  heure  et  demie  après-midi,  dans  le  château  de  Bourbon,  appartenant  à 
M.  David  Johnston,  sis  dans  cette  commune,  où  il  habitait  avec  son  épouse 
et  sa  demoiselle,  depuis  deux  ans.  Les  trois  témoins  ont  signé  avec  nous 
après  leur  avoir  donné  lecture  du  présent  acte. 

Ont  signé  au  registre  :  Baptiste  Mazat,  Pierre  Descomps,  Jean  Leyrisson  et 
Gasquet,  maire,  officier  public. 

Cet  acte  précise  d'une  façon  certaine  plusieurs  faits  intéressants. 
Premièrement,  il  nous  fait  connaître,  à  n'en  pas  douter,  le  nom  de 
l'épouse  de  Rode  ;  secondement,  il  nous  apprend,  à  l'encontre  de  ce 
qu'on  croyait  jusqu'ici,  que  le  château  de  Bourbon,  où  il  mourut, 
n'était  point  sa  propriété,  mais  celle  de  M.  David  Johnston  (1)  ;  enfin, 
fait  surtout  important,  il  fixe  d'une  façon  absolue  la  date  de  la  mort  de 
Rode,  restée  incertaine  jusqu'à  ce  jour.  Troublé  par  certains  rensei- 
gnements contemporains  contradictoires,  indiquant  la  mort  de  Rode 
soit  à  Bordeaux,  soit  à  Tonneins,  et  la  fixant  tantôt  au  25,  tantôt  au 
27  novembre,  j'avais  cru  devoir  dans  ma  Notice,  m'en  rapporter  à  la 
note  donnée  par  Baillot,  son  vieil  ami,  dans  son  Art  du  violon,  note 
ainsi  conçue  :  —  «  Rode  (Jacques-Pierre-Joseph),  né  à  Bordeaux  le 
16  février  1774,  mort  au  château  de  Bourbon,  entre  Tonneins  et  Aiguillon, 
le  26  novembre  1830  ».  Aujourd'hui,  le  doute  n'est  plus  permis,  et 
l'on  sait  de  façon  certaine  à  quoi  s'en  tenir. 

Ce  n'est  pas  tout.  L'acte  ci-dessus  nous  apprend  que  Rode  laissait 
une  fille,  habitant  alors  avec  lui.  Mais  il  laissait  un  fils  aussi,  et  c'est 
ce  fils  qui  faisait  l'objet  de  ma  communication  à  l'Intermédiaire,  en 
réponse  à  cette  demande  adressée  au  journal  :  —  «  Quelque  collègue 
intermédiairiste  connaitrait-il  des  descendants  ou  des  héritiers  actuels 
du  célèbre  musicien  Rode,  mort  à  Tonneins  en  1830  ?  »  Je  répondis 
ainsi  :  —  «En  1874,  je  publiais  une  Notice  sur  Rode,  violoniste  français, 
qui  avait  été  couronnée  par  l'Académie  des  sciences,  belles-lettres  et 
arts  de  Bordeaux.  Je  reçus  à  cette  occasion  une  lettre  de  félicitations  et 
de  remerciements  du  fils  de  Rode,  colonel  en  activité,  qui  signait 
«  colonel  Rode  ».  Mais  colonel  dans  quelle  arme,  dans  quel  régiment? 
c'est  ce  que  je  ne  saurais  dire,  et  qui  serait  d'ailleurs  facile  à  retrouver. 
Autant  que  je  me  rappelle,  le  colonel  prit  sa  retraite  peu  d'années 
après  l'époque  dont  je  parle,  sans  être  devenu  général.  J'ai  certaine- 
ment conservé  sa  lettre,  mais  je  ne  la  retrouve  pas  en  ce  moment.  Elle 
ne  donnait  d'ailleurs  aucun  détail  de  famille  ». 

Le  colonel  Rode  doit  être  mort  aujourd'hui.  A-t-il  laissé  des  enfants  ? 
c'est  ce  que  j'ignore.  Quant  à  sa  sœur,  la  fille  de  Rode,  qui  vivait 
auprès  de  leur  père  au  château  de  Bourbon,  elle  était  sans  doute  morte 
elle-même  lorsque  le  colonel  m'écrivit,  car  il  aurait,  semble-t-il,  joint 
les  compliments  de  sa  sœur  à  ceux  qu'il  m'adressait  au  sujet  de  ma 
Notice.  Fut-elle  mariée  ?  eut-elle  des  enfants  ?  Autant  de  questions 
auxquelles  il  est  impossible  de  répondre. 

Mais  puisque  j'ai  eu  l'occasion  de  rappeler  le  nom  de  Rode,  peut-être 
n'est-il  pas  sans  quelque  intérêt  de  reproduire  ce  petit  document,  que 
je  retrouve  dans  mes  papiers  ;  ceci  est  une  formule  imprimée,  dont  les 
blancs  sont  remplis  à  l'encre  : 

Théâtre  de  la  rue  Feydeau. 

Délibération  du  30  Frimaire  an  3e. 

Il  sera  payé  à  la  caisse  du  théâtre,  au  C?"  Rode, 
la  somme  de  cent  vingt  livres,  savoir  :  60  livres  pour  sa  gratif011    du  9  Fri- 
maire (2)  et  pareille  somme  de  60  livres  pour  celle  du  29  (3)  du  même  mois. 

Suivant  l'arrêté  qui  a  été  fait  au  Comité  de  l'Administration  ;  laquelle  somme 
sera  allouée  en  dépense  dans  les  comptes  de  l'Administration. 

Fait  au  bureau  généra!  du  Comité,  le  trente  Frimaire  an  troisième  de  la 
République  française  une  et  indivisible. 

Vu  bon  pour  cent  vingt  livres 
Chagot 

P.  Rode. 

(1)  M-  David  Johnston  était  un  compatriote  et  un  ami  de  Rode,  à  qui  celui-ci 
dédia  son  onzième  concerto  (en  ré  majeur).  Si  je  ne  me  trompe,  la  famille  Johnston 
était  une  famille  de  grands  armateurs  de  Bordeaux,  dont  un  membre,  M.  Daniel 
Johnston,  devint,  autant  que  je  me  rappelle,  député  officiel  de  Bordeaux,  aux  der- 
nières années  de  l'empire,  ayant  pour  concurrent  républicain  André  Lavertujeon, 
alors  directeur  du  journal  la  Gironde. 

(2)  29  novembre  1794. 

(3)  19  décembre  1794. 


LE  MÉNESTREL 


£05 


A  cette  époque,  c'est-à-dire  à  la  fin  de  1794,  Rode  ne  faisait  plus 
partie  de  l'orchestre  du  théâtre  Feydeau,  auquel  il  avait  appartenu, 
avec  son  ami  Baillot,  jusqu'en  1792  ;  mais,  quoique  à  peine  âgé  de 
vingt  ans,  il  continuait  d'obtenir  d'éclatants  succès  de  virtuose  dans  les 
concerts,  restes  si  célèbres,  que  ce  théâtre  donnait  périodiquement,  et 
dans  lesquels  on  entendait  les  artistes  les  plus  fameux  de  ce  temps  : 
Garât,  Viganoni,  Rovedino,  Mengozzi,  Rodolphe  Kreutzer,  Devienne, 
Punto,  Delcambre,  M"1CS  Barbier -Walbonne,  Morichelli,  Baletti,  etc.  Il 
y  a  lieu  de  supposer  que  les  deux  «  gratiO  cation  s  »  de  soixante  livres 
chacune,  mentionnées  dans  -le  petit  document  ci-dessus,  n'étaient 
autres  que  le  cachet  (modeste  assurément)  qui  lui  était  alloué  pour  les 
concerts  où  il  se  faisait  entendre.  C'est  encore  là  un  renseignement  qui 
n'est  pas  sans  intérêt  sur  la  jeunesse  de  Rode. 

Arthir  Pougin. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(POUR    LES    SEULS    ABONNÉS    A    LA    MU8IQUE) 


Cette  berceuse  de  René  Lenormand  :  Dois,  est  un  petit  poème  achevé  de  tendresse 
et  de  douceur,  comme  noyé  dans  des  accords  harmoniques  en  sourdine.  L'effet  est 
délicieux,  quand  cette  musique  passe  dans  la  voix  chaudement  co  lorée  de  M""  Ces- 
bron,  à  qui  l'œuvrette  est  dédiée. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


On  savait  déjà  que  M.  Weingartner  avait  résolu  de  pratiquer  certaines 
coupures  dans  la  partition  très  touffue  de  la  Walkyrie,  et  il  en  avait  donné 
publiquement  les  raisons.  Mais  il  parait  que  les  wagnériens  de  Vienne  sont 
irréductibles  dans  leur  admiration  pour  le  maître,  et  qu'ils  considèrent  toute 
atteinte  à  son  œuvre  comme  une  monstrueuse  profanation.  Or,  l'autre  soir, 
on  donnait  la  Walkyrie  à  l'Opéra  de  Vienne  ;  les  fanatiques  s'étaient  donné 
rendez-vous,  et  à  peine  M.  Weingartner  fit-il  son  apparition  qu'il  fut  accueilli 
par  une  bordée  de  sifflets  accompagnés  de  huées  formidables.  Mais  d'autres 
,  spectateurs,  qui  ne  partageaient  pas  sans  doute  cette  intransigeance,  s'élevè- 
rent contre  les  siffleurs,  et  il  en  résulta  un  effroyable  tapage,  auquel  M.  Wein- 
gartner coupa  court  en  donnant  à  l'orchestre  le  signal  de  l'attaque,  la  puis- 
sance bien  connue  de  celui-ci  étouffant  par  elle-même  tout  autre  bruit.  Le 
premier  acte,  où  précisément  des  coupures  avaient  été  opérées,  put  donc 
se  poursuivre  jusqu'à  la  fin  sans  encombre.  Mais  au  second,  le  tapage  et  les 
violences  recommencèrent,  et  de  telle  sorte  qu'enûn  la  police'  dut  intervenir, 
pour  permettre  aux  spectateurs  paisibles  d'entendre  tranquillement  l'œuvre 
pour  laquelle  ils  avaient  payé  leur  place.  Il  fatlut,  manu  militari,  expulser  de 
la  salle  les  amateurs  du  Wagner  intégral,  parmi  lesquels  se  trouvaient  un 
chef  de  musique,  un  professeur  de  philosophie  et  trois  étudiants  en  philoso- 
phie, qui  semblaient  en  manquer  un  peu  trop  dans  la  circonstance.  On  assure 
pourtant  que  les  émeutiers  ne  désarmèrent  pas  complètement,  et  qu'à  la  fin 
du  spectacle  et  hors  du  théâtre  ils  firent  entendre  des  cris  et  des  sifflets.  — 
La  musique  de  Wagner  adoucit  les  mœurs  ! 

—  L'Opéra  populaire  de  Vienne,  qui  a  clôturé  sa  saison  théâtrale  à  la  date 
du  15  mai  dernier,  a  donné,  depuis  le  15  septembre  1907,  290  représentations 
comprenant  des  œuvres  du  répertoire  classique,  comme  Fidelio,  des  opéras 
contemporains  comme  Ariane  et  Barbe-Bleue  de  M.  Dukas,  enfin  des  opérettes 
comme  les  Cloches  de  Corneville  de  Robert  Planquette. 

—  Vers  le  19  novembre  prochain,  à  l'occasion  du  quatre-vingtième  anniver- 
saire de  la  mort  de  Schubert,  des  auditions  musicales  seront  données  à  Vienne 
pour  célébrer  la  mémoire  du  maitre.  Elles  dureront  une  semaine  entière.  Il 
y  aura  un  festival  dans  la  grande  salle  de  l'Hôtel  de  Ville,  une  exécution 
solennelle  de  la  messe  en  ut  majeur  à  l'église  Saint-Etienne  ;  et  plu>ieurs 
fragments  d'œuvres  destinées  à  la  scène  par  Schubert  seront  donnés  dans  les 
théâtres.  Pour  clore  les  fêtes,  une  excursion  au  moulin  de  Hôldrich  sera 
organisée.  C'est  en  effet  dans  ce  lieu,  non  loin  de  la  vieille  ville  de  Mœdling, 
dans  la  vallée  de  Hinterbrûhl,  que  Schubert  a  composé  le  cycle  de  vingt 
mélodies  intitulé  la  Belle  Meunière,  sur  des  poésies  de  W.  Millier.  La  première 
édition  de  ce  recueil  célèbre  a  paru  en  1824. 

—  Le  nouveau  Théàtre-Johann-Strauss,  à  Vienne.  —  La  première  pierre  du 
Théàtre-Johann-Strauss,  à  Vienne,  vient  d'être  posée  et  l'on  espère  qu'à  la 
lin  de  l'automne  la  construction  sera  bien  près  d'être  achevée.  Cette  pierre  est 
creuse  et  l'on  y  a  renfermé  un  parchemin  sur  lequel  des  indications  commé- 
moratives  ont  été  inscrites.  Elles  sont  rédigées  en  ces  termes  :  «  Portant  à  son 
frontispice  le  nom  de  Johann  Strauss,  que  ce  théâtre  soit  un  monument  à  la 
mémoire  du  prince  de  toutes  les  gracieuses  muses  viennoises,  dont  il  a  été  l'in- 
comparable interprète.  Que  le  calme  de  l'esprit,  que  l'humour  capricieux, 
folâtre,  trouvent  ici  droit  de  cité,  afin  que  l'homme,  s'échappant  du  manteau 


de  plomb  de  la  vie  quotidienne,  apprenne  ici  à  connaître  la  joie  qui  IransB- 
gure  la  vie,  la  joie  vers  laquelle  les  grâces  aux  mains  roses  sauront  le  con- 
duire. Tout  entiers  remplis  de  ce  sentiment,  nous  avons  [.lacé  cette  pierre 
au  sein  de  la  terre,  espérant  que  cette  construction  pourra  toujours  ren- 
fermer dans  son  enceinte  des  hommes  parfaitement  heureux  ».  Ce  petit  écrit, 
caché  dans  les  fondations  de  l'édifice  et  destiné  à  y  être  retrouvé  dans  quel- 
ques siècles,  lorsque  la  pierre  et  le  for  ne  pourront  plus  résister  aux  atteintes 
du  temps,  a  été  rédigé  par  l'écrivain  viennois  M.  Wolfgang  Madjera;  nombre 
d'admirateurs  de  Johann  Strauss  y  ont  apposé  leur  signature. 

—  La  zizanie  se  poursuit,  au  point  de  vue  artistique,  entre  les  pangerma- 
nistes  intolérants  d'Autriche  et  les  Hongrois.  Les  journaux  de  Budapest 
mènent  en  ce  moment  une  campagne  très  vive  contre  les  représentations  de 
troupes  allemandes  en  cette  ville.  Il  y  a  là.  selon  eux,  «  un  courant  périlleux 
pour  le  développement  de  l'art  dramatique  hongrois,  courant  qu'il  faut  arrêter 
à  tout  prix  o. 

—  De  Bayreuth  :  Jusqu'à  présent,  la  Burgerreutherstrassc,  qui  conduit  au 
«  Festspielhaus  »,  n'était  interdite  aux  automobiles  que  pendant  les  après- 
midi  où  avaient  lieu  les  représentations.  Cette  année,  la  municipalité  a  décidé 
de  l'interdire  également  pendant  les  répétitions,  c'est-à-dire  dès  à  présent. 

—  Le  prince  Philippe  d'Eulenbourg,  dont  les  hauts  faits  ont  acquis  récem- 
ment en  Allemagne  une  si  fâcheuse  célébrité,  courtisait  la  muse,  parait-il.  et 
ne  dédaignait  même  pas  les  triomphes  du  théâtre.  Non  seulement  on  connaît 
de  lui  des  poésies  lyriques  et  épiques,  mais  il  fit  représenter  au  Théâtre-Royal 
de  Munich,  sous  un  pseudonyme  très  transparent,  une  comédie  en  trois  actes 
intitulée  Margot,  et  plus  tard,  en  1S87,  donna  à  Berlin  un  drame  en  trois  actes 
sous  le  titre  de  l'Etoile  de  la  mer,  qui  obtint  un  certain  succès.  L'action  de  ce 
dernier  se  déroulait  en  Suède,  et  l'on  dit  que  la  princesse  d'Eulenbourg,  qui 
est  d'origine  suédoise,  avait  été  le  collaborateur  de  son  époux  pour  cet 
ouvrage. 

—  On  a  donné  le  21  juin  dernier,  au  théâtre  national  de  la  Cour,  à  Munich, 
une  représentation  des  Maitres-Clianteurs  de  Wagner,  en  souvenir  de  la  pre- 
mière représentation  de  cet  opéra,  qui  eut  lieu  à  Munich,  il  y  a  eu  quarante 
ans  à  cette  même  date.  Malgré  la  tempête  qui  grondait  déjà  contre  lui,  Wagner 
put  entendre  son  œuvre  assis  dans  la  loge  royale,  à  côté  de  Louis  IL  Hans  de 
Bulow  conduisait  l'orchestre.  La  distribution  fut  la  suivante  : 

Hans  Sachs  Betz 

Veit  Pogner  Bausewein 

Sixtus  Beckmesser  Hôlzel 

Fritz  Rothner  Fischer 

Walter  von  Stoltzing  Nachbaur 

David  Schlosser 

Eva  M11"  Mathilde  Mallinger 

Magdalene  Mmc  Diez 

Le  21  juin  dernier,  le  rôle  de  Sachs  était  tenu  par  M.  Feinhals,  qui  le  jouait 
pour  la  centième  fois,  celui  d'Eva  par  Mme  Bosetti.  M.  Hans  Richter  a  dirigé 
l'orchestre. 

—  On  annonce  la  reconstitution  pour  la  saison  prochaine  des  concerts  de  la 
Salle  Kaim,  à  Munich.  Une  société  anonyme  s'est  constituée,  avec  un  capital 
important,  pour  reprendre  à  son  compte  concerts  symphoniques  et  concerts 
populaires.  Elle  a  loué  la  salle  pour  une  période  de  vingt  années,  chargé  le 
Dr  Kaim  de  la  direction  artistique  de  l'entreprise  et  appelé  M.  F.  Lœwe,  dé 
Vienne,  en  qualité  de  premier  chef  d'orchestre. 

—  Une  lettre  de  Schumann,  encore  inédite,  vient  d'être  publiée  par  un 
journal  de  Bonn.  Elle  a  rapport  à  la  deuxième  symphonie  en  ut  majeur,  et 
est  adressée  au  maitre  de  chapelle  Wilhelm  Taubert,  à  Berlin.  En  voici  le 
contenu  :  «  Cher  ami,  je  vous  envoie  la  symphonie  ;  puisse-t-elle  vous  plaire  ! 
C'est  un  morceau  de  caractère  tout  à  fait  sérieux.  Dans  le  dernier  mouvement, 
seulement,  j'ai  laissé  percer  quelques  rayons  lumineux  de  joiî  ;  je  suis  sur 
que  vous  comprendrez  cela!  N'oubliez  pas  non  plus  de  m'envoyer  vos  nou- 
velles compositions.  Vous  savez  combien  je  me  suis  toujours  intéressé  à  ce  que 
vous  faites  et  avec  quelle  satisfaction  j'ai  suivi  les  progrès  de  votre  développe- 
ment artistique.  Votre  R.  Schumann.  » 

—  Les  représentations  de  l'Arbitrage  et  de  la  Soutienne,  de  Ménandre,  que 
nous  avons  annoncées  comme  prochaines  au  théâtre  de  Lauchstàdt,  près  de 
Halle,  ont  été  données  le  19  juin  dernier.  Le  professeur  Karl  Robert  avait 
traduit  les  fragments  trouvés  en  Egypte,  au  lieu  dit  Kôm-Ichkaon,  par 
M.Gustave  LeTebvre,  et  il  avait  complété  les  pièces  de  façon  à  faire  disparaître 
les  lacunes  qui  restaient  encore  à  combler.  Ce  sont  des  étudiants  de  Halle  qui 
s'étaient  partagé  les  rôles:  ils  ont  joué  devant  la  «  civitas  academica  »,  c'est-à- 
dire  tout  le  corps  enseignant  de  Halle.  Les  deux  ouvrages  de  Ménandre  ont 
paru  pleins  de  gaité  et  de  joyeuse  ironie,  malgré  les  vingt-deux  siècles  d'exis- 
tence qui  semblent  ne  leur  avoir  rien  enlevé  de  leur  première  fraîcheur. 

—  Du  1er  au  15  août  aura  lieu  à  Genève  un  cours  normal  de  Gymnastique 
rythmique  donné  par  M.  Jaques-Dalcroze,  inventeur  d'une  méthode  dont  on 
parle  beaucoup  depuis  quelque  temps  et  dont  le  but  est  de  développer  le 
sentiment  rythmique  chez  les  enfants,  l'instinct  de  la  mesure,  du  phrasé  et 
des  nuances,  de  régulariser  les  habitudes  motrices  et  d'éveiller  le  sens  esthé- 
tique et  la  compréhension  plastique  et  musicale.  Dans  un  grand  nombre  de 
pays,  l'Allemagne,  la  Hollande,  la  Suisse.  l'Angleterre,  etc.,  les  exercices 
rythmiques  de  M.  Jaques-Dalcroze  sont  pratiqués  dans  les  conservatoires  et 


206 


LE  MÉNESTREL 


•aussi  dans  les  lycées  et  écoles  primaires.  L'on  sait  que  le  rythme  est  un 
puissant  éducateur  de  l'esprit  et  un  précieux  régulateur  des  mouvements 
corporels.  Au  congrès  pédagogique  musical  de  Berlin  qui  vient  d'avoir  lieu 
•du  8  au  9  Juin  au  Reichstag,  il  n'y  a  pas  eu  moins  de  quatre  conférences  et 
démonstrations  de  musiciens  de  psycho-physiologistes  sur  la  méthode  Jaques- 
Dalcroze  dont  nous  recommandons  vivement  le  cours  aux  professeurs  de 
musique  ainsi  qu'aux  instituteurs  et  pédagogues.  Pour  tous  renseignements 
s'adresser  à  M.  Jaques-Dalcroze,  directeur  de  1'  «  Institut  de  gymnastique 
rythmique  »  à  Genève. 

—  On  a  dit  qu'à  l'occasion  des  fêtes  qui  se  préparent  pour  célébrer  le  cen- 
tenaire du  Conservatoire  de  Milan,  on  mettrait  en  scène,  au  théâtre  de  la 
Scala,  un  ouvrage  d'un  ancien  élève  de  l'institution.  De  fait,  ce  n'est  pas  un, 
mais  deux  opéras  d'anciens  élèves  du  Conservatoire  qu'il  est  question  aujour- 
d'hui de  représenter  à  cet  effet,  et  ces  deux  opéras  sont  la  Manon  de  M.  Puc- 
cini  et  l'Iris  de  M.  Mascagni,  ce  qui  inspire  à  un  de  nos  confrères  italiens  les 
réflexions  suivantes  :  —  «  Donc,  en  une  occasion  qui  ne  se  présente  que  tous 
les  cent  ans,  parmi  tous  les  compositeurs  diplômés  d'un  Conservatoire  qui  en 
a  produit  depuis  son  origine  plusieurs  centaines,  on  choisit  précisément  les 
plus  fortunés,  ceux  qui  ont  été  le  plus  représentés  dans  ces  vingt  dernières 
années.  Pourquoi  tous  les  autres  sont-ils  oubliés?  Quel  critérium  a-t-on  suivi 

'dans  ce  choix  ?  Voilà  ce  que  nous  voudrions  savoir,  si  la  demande  n'était  pas 
indiscrète  ?  ». 

—  Le  comité  du  monument  national  qui  doit  être  érigé  à  Milan  à  la  mé- 
moire de  Verdi  est  en  ce  moment  dans  un  grand  embarras.  Le  sculpteur 
Antoine  Carminati,  à  qui  l'exécution  de  ce  monument  avait  été  confiée,  vient 
de  mourir.  Or,  l'esquisse  laissée  par  lui  est  très  incomplète  et  il  n'avait  point 
d'élève  qui  soit  de  taille  à  terminer  son  projet  et  à  se  charger  du  travail  qu'il 
avait  commencé.  On  conçoit  que  le  comité  soit  fort  ennuyé  et  qu'il  ne  sache 
comment  se  tirer  d'une  situation  aussi  difficile. 

—  Les  fêtes  données  à  Ferrare  à  l'honneur  et  en  mémoire' de  l'illustre  Gero- 
lamo  Frescobaldi,  le  plus  grand  organiste  du  XVII''  siècle,  ont  été  très  bril- 
lantes. Le  dimanche  31  mai  on  a  inauguré  sur  la  maison  natale  du  maître, 
située  dans  la  rue  qui  désormais  portera  son  nom,  une  pierre  commémorative 
portant  cette  inscription  :  Dans  cette  maison  paternelle  s'écoula  la  jeunesse  de 
Gerolamo  Frescobaldi,  qui,  fort  de  son  génie,  ouvrit  une  voie  nouvelle  à  l'esprit  et  aux 
formes  de  l'art  musical.  1583-1643.  Ces  deux  dates  rectifient  et  font  connaître 
de  façon  précise  celles  de  la  naissance  et  de  la  mort  du  grand  artiste,  restées 
indécises  jusqu'à  ces  derniers  temps.  C'est  aux  recherches  et  aux  travaux  du 
docteur  Franz  Haberl,  le  savant  musicographe  allemand,  que  l'on  doit  d'être 
fixé  d'une  façon  certaine  à  ce  sujet.  On  sait  aujourd'hui  que  Frescobaldi  fut 
baptisé  à  Ferrare  le  9  septembre  1583,  c'est-à-dire  plusieurs  années  avant 
celle  qu'on  avait  approximativement  adoptée  pour  sa  naissance.  Il  avait  donc 
vingt-cinq  ans  lorsque  son  admirable  talent  le  Et  nommer,  en  1(308,  organiste 
de  l'église  Saint-Pierre  de  Rome,  fonction  dans  laquelle  il  succédait  à  Ercole 
Pasquini.  Le  lundi  1er  juin,  on  inaugura  solennellement  au  Théâtre-Commu- 
nal le  buste  de  Frescobaldi.  et  un  discours  fut  prononcé  par  le  professeur 
Gasperini,  du  Conservatoire  de  Parme.  Pendant  les  fêtes  s'est  tenu  au  palais 
Pareschi  le  premier  congrès  Emilien  de  musique  sacrée,  qui  réunissait  envi- 
ron 150  adhérents.  Dans  la  première  séance  on  lut  un  mémoire  du  maestro 
Bas,  intitulé  le  Chant  grégorien  et  i 'Esthétique  de  la  Musique  moderne,  après  quoi 
le  professeur  Cecconi,  de  Bologne,  prit  la  parole  et  résuma  les  progrès  de  l'or- 
ganisation et  du  développement  de  la  musique  sacrée  selon  les  dispositions 
pontificales.  Dans  la  seconde  séance  on  entendit  le  chanoine  Bignardi,  de 
Provence,  qui  prit  pour  thème  la  Musique  sacrée  dtms  ses  rapports  avec  le  clergé, 
et  le  P.  Antolisei,  qui  avait  pour  sujet  :  Pour  retourner  ri.  l'antique;  puis,  le 
congrès  prit  un  avec  un  discours  de  M.  Colamosca,  de  Provence,  sur  l'Orgue 
et  sa  fonction  dans  l'église.  Dans  l'après-midi  eut  lieu,  dans  la  cathédrale,  un 
grand  concert  de  musique  «  frescobaldienne  »,  avec  le  concours  du  maestro 
Bossi  et  des  Scholœ  cantorum  de  Ferrare. 

—  Ce  n'est  pas  au  Conservatoire  de  Barcelone,  mais  bien  à  celui  de  Madrid 
qu'eut  lieu  le  si  intéressant  «  exercice  d'élèves  »  sous  la  direction  de  M.  Tho- 
mas Breton,  dont  nous  avons  parlé  dans  notre  numéro  du  13  juin. 

—  Dimanche  dernier  a  eu  lieu  à  Londres  un  concert  monstre  (c'est  le  cas 
de  le  dire)  auquel  participèrent  1.400  (quatorze  cents)  enfants  violonistes,  tant 
garçons  que  fillettes,  des  écoles  du  London  Çounty  Council.  L'orchestre  de  ce 
concert  comprenait  850  premiers  violons  et  550  seconds.  Et  l'on  dit  que  l'An- 
gleterre n'est  pas  un  peuple  musical!  et  elle  vous  exhibe  comme  ça,  d'un 
seul  coup,  1.400  moutards  et  moutardes  violonistes!  Bien  plus  :  on  assure 
qu'il  y  a  actuellement  390.000  enfants  qui  en  Angleterre  apprennent  le  vio- 
lon, et  que  le  nombre  en  augmente  chaque  jour.  Qui  sait  si  on  ne  s'avisera 
pas  bientôt  de  les  réunir  tous  et  de  donner  un  concert  dans  lequel  ces 
390.000  bambins  exécuteront  avec  un  ensemble  prodigieux  le  Mouvement  per- 
pétuel de  Paganini  ou  la  Fantaisie  appassionata  de  Vieuxtemps?  C'est  ça  qui 
serait  gai  ! 

—  Extrait  curieux  d'une  correspondance  de  Londres  :  «  Le  violoniste  Zaka- 
rewitch  annonce  un  Récital,  par  une  affiche  où,  au  centre,  figure  son  portrait 
avec,  à  l'arrière-plan  un  masque  de  Beethoven,  à  sa  gauche,  un  portrait  de 
Tschaikowsky  et  à  sa  droite  un  de  Wieniawski.  Et  au-dessous,  en  grosses 
lettres  on  lit  :  «  Proclamé  par  Tschaikowsky  l'égal  de  Wieniawski  ».  A  la 
•bonne  heure,  on  est  modeste  ou  on  ne  l'est  pas.  Tschaikowsky  devait  être 
atteint  de    urdité  temporaire  quand  il  a  fait  cette  remarque...   s'il  l'a  jamais 


faite.  Quant  à  moi,  j'avoue  ne  pas  même  trouver  de  point  de  comparaison 
entre  le  souvenir  que  j'ai  gardé  de  Wieniawski  et  cette  nouvelle  étoile  que 
son  talent  n'élève  pas  au-dessus  de  la  bonne  moyenne  de  ce  que  l'on  entend 
chaque  jour  ». 

—  La  musique  fait  des  siennes  jusqu'en  Egypte.  Nous  apprenons  qu'il 
existe  à  Alexandrie  un  Conservatoire,  que  ce  Conservatoire  a  pour  directeur 
un  artiste  italien  distingué,  M.  Gianni  Galletti,  et  qu'il  a  donné  récemment  un 
exercice  dont  l'orchestre  était  formé  des  élèves  de  l'établissement,  exercice 
dout  le  programme  comprenait,  avec  un  fragment  de  quatuor  à  cordes  dû  au 
directeur  lui-même,  un  Prélude  symphoriique  dont  l'auteur,  M.  Enrico  Terni, 
est  aussi  un  élève  de  l'école  et  de  la  classe  du  directeur. 

—  Le  nouveau  théâtre  Colon,  qu'on  a  inauguré  récemment  à  Buenos-Ayres, 
est  un  des  plus  grands  que  l'on  connaisse.  Il  peut  abriter  3.500  spectateurs, 
tandis  que  la  Scala  de  Milan  et  le  San  Carlo  de  Naples  ne  contiennent  que 
3.000  places  et  notre  Opéra  un  peu  plus  de  2.000.  L'inauguration,  attendue 
avec  impatience,  s'est  faite  solennellement  avec  Aida,  et  la  recette  de  cette 
première  soirée  de  gala  a  atteint  près  de  100.000  francs.  On  doit  donner  pro- 
chainement la  première  représentation  d'un  opéra  inédit  intitulé  Aurora,  dont 
le  sujet  est  patriotique  et  qui  a  été  commandé  par  le  gouvernement  argentin  à 
N.  Illicapour  les  paroles  et  à  M.  Ettore  Panizza  pour  la  musique.  Toutefois, 
le  nouveau  théâtre  éprouve  déjà  des  embarras  par  suite  de  la  maladie  de  deux 
ténors,  MM.  Paoli  et  Borgatti,  qui  vient  entraver  le  répertoire.  L'administra- 
tion a  écrit  en  Europe  pour  avoir  M .  Caruso,  en  lui  offrant  18.000  francs  par 
représentation;  mais  l'offre  est  insuffisante,  ledit  Caruso  ne  pouvant  déployer 
les  trésors  de  sa  voix  à  moins  de  20.000  francs.  En  effet,  M.  Caruso  est  aux 
mains  d'un  entrepreneur  dont  il  est  la  chose,  qui  lui  assure  un  million  par 
an,  et  qui  ne  le  lâche  pas  à  moins  de  20.000  francs  par  soirée.  C'est  par  excep- 
tion et  parce  qu'il  s'agissait  d'une  bonne  œuvre,  que  l'entrepreneur  en  question 
a  laissé  chanter  M.  Caruso  pour  12.000  francs  seulement  dans  la  récente  et 
fameuse  représentation  de  l'Opéra  où  le  célèbre  artiste  a  joué  Rigoletto  avec 
M.  Renaud  et  M",e  Melba.  Il  va  sans  dire  que  M.  Caruso  fut  le  seul  payé  en 
cette  circonstance. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

Dans  une  de  ses  dernières  séances,  l'Académie  des  beaux-arts,  présidée 
par  M.  L.-O.  Merson,  président,  a  rendu  son  jugement  sur  le  concours  pour 
le  prix  biennal  de  12.000  francs,  fondé  par  le  baron  Alphonse  de  Rothschild, 
et  destiné  à  encourager  les  travaux  d'un  artiste  de  mérite  ou  à  récompenser 
une  carrière  artistique.  Ce  prix  a  été  partagé  également  entre  M.  Urbain 
Bourgeois,  artiste  peintre,  et  M.  Alexandre  Georges,  compositeur  de  musique, 
pour  l'ensemble  de  leurs  travaux. 

—  Le  régime  des  théâtres  et  la  commission  chargée  de  le  modifier.  Il  nous 
semble  intéressant  de  reproduire  la  note  que  voici  sur  ce  sujet  : 

L'ordonnance  du  1"  septembre  1898,  relative  aux  théâtres  et  cafés-concerts,  avait 
été  faite  pour  une  durée  de  dix  années.  Il  était,  par  suite,  indispensable  qu'une 
nouvelle  ordonnance  entrât  en  vigueur  le  1"  septembre  1908.  Dès  le  mois  de  janvier 
dsrnier,  la  commission  supérieure  des  théâtres,  présidée  par  le  préfet  de  police, . 
avait  désigné  une  sous-commission  composée  de  huit  de  ses  membres  pour  élaborer 
le  nouveau  projet.  Cette  sous-commission,  après  avoir  élu  comme  président  M.  Yves 
Durand,  directeur  du  cabinet  de  M.  Lépine,  et  désigné  comme  rapporteurs  M.  Pray, 
architecte  de  la  préfecture  de  police,  et  M.  Turot,  conseiller  municipal,  a  tenu  de 
nombreuses  séances  et  a  terminé  ses  travaux  au  mois  de  mai  dernier.  Le  projet 
élaboré  par  la  sous-commission  est  actuellement  soumis  à  la  commission  supérieure 
qui  l'a  examiné  cette  semaine.  Il  comporte  deux  cent  quarante  articles,  et  son  exa- 
men nécessite  un  travail  approfondi.  La  commission  supérieure  se  réunira  désormais 
deux  fois  par  semaine,  pour  hâter  la  rédaction  définitive  de  l'ordonnance.  Sans 
entrer  dans  les  nombreux  détails  qu'elle  comporte,  nous  pouvons  signaler  dès  main- 
tenant que  les  établissements  ont  été  départagés  sur  des  bases  différentes  de  l'or- 
donnance de  1898,  qui  divisait  les  spectacles  en  théâtres  et  en  cafés-concerts.  Cette 
dénomination  a  disparu  dans  la  nouvelle  rédaction.  Le  projet  actuel  scinde  les  éta- 
blissements en  trois  catégories,  sans  spécifier  s'il  s'agit  de  théâtres  ou  de  cafés- 
concerts,  suivant  les  dangers  que  peuvent  présenter  les  installations  et  les  aména- 
gements de  la  scène. 

Sont  de  la  1™  catégorie  :  Les  établissements  ayant  une  scène  machinée  avec  dessus 
et  dessous. 

.  Sont  de  la  2"  catégorie  :  Les  établissements  ayant  une  scène  non  machinée,  sans 
dessus  ni  dessous.  Cette  catégorie  comprend  également  les  cirques,  les  hippodromes, 
les  vélodromes  et  les  autres  établissements  analogues  qui  n'ont  pas  de  scène,  mais 
une  piste  pouvant  recevoir  des  décors,  des  praticables  et  des  accessoires  de  scène. 

Sont  de  la  3"  catégorie  :  Les  établissements  n'ayant  pas  de  scène,  mais  pouvant 
comporter  une  simple  estrade  fixe  ou  mobile. 

Présidée  par  le  préfet  de  police,  la  commission  supérieure  des  théâtres  se  com- 
pose, comme  on  sait,  de  M.  Laurent,  secrétaire  général,  vice-président,  de  dix  con- 
seillers municipaux,  du  colonel  des  sapeurs-pompiers  et  du  lieutenant-colonel,  des 
directeurs  du  cabinet,  de  la  police  municipale,  du  laboratoire  municipal,  du  com- 
missaire du  gouvernement  près  les  théâtres  subventionnés,  de  quatre  directeurs  ou 
anciens  directeurs  de  théâtres,  etc. 

—  Résultats  des  concours  à  huis  clos  du  Conservatoire  : 
harmonie  (Femmes). 

Pas  de  premier  prix. 

Second  prix.  —  M."'  Suzanne  Dreyfus,  élève  de  M.  Chapuis. 

Premiers  accessits.  —  M""  Legras,  élève  de  M.  Chapuis,  et  M"1  Marguerite  Canal, 
élève  de  M.  G.  Marty. 

Basse  et  chant  donnés  de  M.  André  Gédalge. 

Le  jury  était  composé  de  MM.  Gabriel  Fauré,  président;  A.  Lavignae,  A.  Taudou, 
G.  Caussade,  André  Gédalge,  Xavier  Leroux,  Lucien  Hillemacher,  Cesare  Galeotti 
Jules  Mouquet,  Pierre  de  Bréville,  Roger  Ducasse. 


LE  MENESTREL 


20" 


—  M.  Jean  Richepin,  de  l'Académie  française,  est  nommé  membre  du  con- 
seil supérieur  d'enseignement  du  Conservatoire  de  musique  et  de  déclamation 
(section  des  études  dramatiques),  en  remplacement  de  Ludovic  Halévy, 
décédé. 

—  C'est  mardi  prochain  que  l'Opéra-Comique  fermera  ses  portes  —  clôture 
annuelle  —  sur  une  représentation  de  Manon,  interprétée  par  Mme  Marguerite 
Carré,  MM.Beyle,  Fugère  et  Delvoye.  La  saison  avait  commencé  avec  Mignon, 
chantée  par  M"1LS  Berthe  Lamare,  Guionie,  MM.  Francell,  Jean  Périer  et 
Vieuille.  —  Spectacles  de  dimanche:  en  matinée,  Pelléaset  Mélisandc;\e  soir, 
Gavalleria  ruslicana  et  la  Vie  de  Bohème.  —  Lundi,  eu  représentation  populaire 
à  prix  réduits  :  La  Basoche. 

—  A  l'Opéra,  mercredi,  très  belle  représentation  des  Huguenots  avec 
M"':  Louise  Grandjean,  qui  a  chanté  avec  un  succès  éclatant  le  rôle  de  Valen- 
tine  et  a  été  rappelée  et  acclamée  d'enthousiasme  par  toute  la  salle.  Mlk'  B. 
Mendès  a  été  également  chaleureusement  applaudie  dans  le  personnage  de 
Marguerite.  Ce  n'était  pas  le  moindre  intérêt  de  la  soirée  que  les  débuts  du 
ténor  russe  Altchinsky  (très  remarqué  déjà  dans  Bons  Godounow)  dans  le  rôle 
de  Raoul  de  Nangis.  Ces  débuts  ont  été  excellents  ;  le  nouveau  pensionnaire 
de  MM.  Messager  et  Broussan  est  doué  d'une  voix  superbe  qu'il  conduit  avec 
un  art  consommé.  Après  M.  Godart,  voilà  une  précieuse  recrue  pour  la  di- 
rection de  l'Opéra.  M.  Dangès  a  été  tout  à  fait  remarquable  sous  le  pourpoint 
du  comte  de  Nevers  ;  M"'-  Agussol,  MM.  d'Assy,  A.  Gresse,  complétaient  une 
interprétation  excellente. 

—  On  ne  chômera  pas  pendant  les  chaleurs  à  l'Opéra.  Les  études  du 
Crépuscule  des  Dieux  (dont  les  ensembles  vont  prochainement  commencer)  et 
les  leçons  sûr  Mouna-Vanua  se  continueront,  en  juillet  et  en  août.  MM.  Messa- 
ger et  Broussan  comptent  faire  passer,  au  mois  de  septembre,  le  Crépuscule 
des  Dieux  et,  en  novembre,  les  trois  actes  de  Monna- Vanna.  Mlie  Lucienne 
Bréval  créera,  dit-on,  le  principal  rôle  de  cet  ouvrage.  A  la  fin  de  l'année 
1908,  la  nouvelle  direction  de  l'Opéra  aura  donc  monté  ou  remonté,  en  dix 
mois,  cinq  grands  ouvrages  :  Faust,  Hippolyte  et  Aricie,  Xamouna,  le  Crépus- 
cule des  Dieux  et  Monna-Vanna.  —  Bacchus  suivra  au  printemps  de  1909. 

—  Rencontré  M.  Renaud.  Encore  que  sous  le  coup  de  la  fièvre  des  foins  qui 
l'incommode  toujours,  l'éminent  artiste  va  mieux,  et  il  partira  dans  quelques 
jours  pour  Londres.  Il  doit  y  chanter  dans  trois  concerts  dont  il  n'a  pas  pu 
se  dégager.  De  Londres,  il  ira  en  Suisse  pour  prendre  quelque  repos,  avant 
de  faire  sa  rentrée,  au  mois  de  septembre,  à  l'Opéra,  dans  Jlainlet.  On  l'enten- 
dra sur  notre  première  scène  lyrique  jusqu'en  octobre,  époque  à  laquelle  il 
s'embarquera  pour  New-York,  en  vue  de  la  saison  du  Manhattan-Opera,  où  il 
doit  chanter  Louise,  Thaïs,  le  Jongleur  de  Notre-Dame,  Grisélidis,  etc.,  etc. 

—  MM.  Isola  frères  viennent  d'engager  ponr  leur  saison  prochaine,  à  la  Gaité, 
Mlk'  Bilbaut-Vauchelet  qui  débutera  dans  Jean.de  Mue/le,  l'œuvre  de  Léo  De- 
libes,  créée  jadis  à  l'Opéra-Comique,  avec  tant  de  succès,  par  MniL'  Bilbaut- 
Vauchelet,  sa  mère.  A  cet  engagement  ajoutons  celui  du  ténor  Soubeyran. 

—  La  charmante  chanteuse,  MUe  Géraldine  Farrar,  vient  de  signer  avec 
M.  Dippel  un  contrat  qui  la  lie  pendant  cinq  ans  au  Metropolitan  Opéra  de 
New-York,  mais  cet  engagement  n'empêchera  pas  la  grande  artiste  de  se 
faire  entendre  tous  les  ans  à  Paris  et  à  Berlin.  Mlle  Farrar  a  pris,  en  effet,  ses 
dispositions  de  façon  à  chanter  —  ainsi  qu'elle  l'a  fait  du  reste  cette  année  — 
cinq  mois  à  New-York,  |deux  mois  à  Paris  et  deux  mois  à  Berlin. 

—  En  raison  du  mauvais  temps,  la  fête  du  Pré-Catelan,  donnée  par  la 
Société  de  l'histoire  du  théâtre,  qui  devait  avoir  lieu  le  mercredi  24  juin,  est 
remise  au  lundi  29  juin.  Les  billets  délivrés  pour  la  date  du  24  juin  sont 
valables  pour  cette  représentation  (la  location  reste  ouverte  à  l'Opéra,  à 
l'Opéra-Comique,  au  Théâtre-Français,  chez  Durand,  éditeur,  4,  place  de  la 
Madeleine,  aux  pavillons  d'Armenonville  et  du  Pré-Catelan). 

—  En  rendant  compte  de  la  récente  Assemblée  annuelle  de  l'Association 
professionnelle  de  la  critique  dramatique  et  musicale  nous  avons  omis  de 
dire  que  les  deux  vice-présidents,  pour  l'exercice  1908-1909,  étaient  MM.  Albert 
Soubies  et  Maurice  Lefèvre. 

—  On  sait  que  parmi  ses  grandes  qualités  artistiques,  Bizet  possédait  à  un 
très  haut  degré  le  don  de  lecture  à  première  vue.  Il  n'eut  jamais  peut-être 
une  meilleure  occasion  de  le  prouver  que  dans  les  circonstances  suivantes. 
C'est  par  un  journal  américain  que  nous  revient  ce  récit.  Le  compositeur 
Halévy,  secrétaire  de  l'Académie  des  Beaux-Arts,  avait  invité  à  diner  quelques 
amis  parmi  lesquels  se  trouvaient  Liszt  et  Bizet.  Le  repas  terminé,  on  passa 
au  salon  pour  prendre  le  café.  Dans  le  courant  de  la  soirée,  Liszt  se  mit  au 
piano  et  fit  entendre  une  de  ses  grandes  compositions  dont  la  fin  exigeait 
une  virtuosité  tout  à  fait  exceptionnelle.  De  longues  acclamations  accueillirent 
l'ouvrage  et  l'admirable  artiste  fut  félicité  de  tous,  et  aussi  questionné.  On 
voulait  avoir  quelques  détails  sur  sa  nouvelle  œuvre  ;  on  était  intrigué 
surtout  par  le  passage  de  virtuosité  avec  lequel  s'achevait  la  péroraison. 
«  C'est  en  effet  très  peu  abordable,  dit  Liszt,  et,  de  tous  les  pianistes  que  je 
connais,  deux  seulement  pourraient  s'en  tirer  dans  le  mouvement  voulu,  ce 
sont  Hans  de  Bulow^  et  moi  ».  Halévy,  qui  avait  à  cette  époque  Bizet  parmi 
ses  élèves,  et  qui  connaissait  bien  son  habileté  technique  et  son  excellente 
mémoire,  lui  demanda  tout  haut  :  «  Avez-vous  retenu  le  casse-cou  de  la  fin, 
et  ne  voudriez-vous  pas  l'essayer  à  votre  tour  '?  »  En  parlant  ainsi,  Halévy 
s'était  rapproché  du  piano  et  frappait  quelques  accords  formaut  l'harmonie  du 
passage  en  question.  Il  céda  la  place  à  Bizet  qui  exécuta  sans  hésitation  les 
quelques  mesures  qui  avaient  paru  si  difficiles.  Halévy  triomphait   discrète- 


ment ;  Liszt,  étonné,  voulut  assurer  à  son  jeune  confrère  un  succès  complet. 
«  Attendez  un  moment  dit-il,  j'ai  là  le  manuscrit  ;  il  pourra  aider  votre 
mémoire  ■>.  Ayant  sous  les  yeux  le  morceau,  Bizet  L'interpréta  depuis  le 
commencement  avec  une  incomparable  aisance  et  arriva  jusqu'au  bout  sans 
la  moindre  faiblesse  et  sans  avoir  dû  jamais  ralentir  le  mouv'-mcni.  Halévy 
ne  cachaitplus  sa  joie.  Liszt  dit  alors  à  Bizet  avec  le  charme  irrésistible  que 
lui  prétait  toujours  en  pareil  cas  sa  nature  exempte  d'envie  :  «  Jeune  ami,  je 
pensais  il  n'y  a  qu'un  instant  encore  que  deux  hommes  seulement  pou  ■■'. 
interpréter  irréprochablement  mon  morceau  ;  je  me  trompais  :  il  y  en  a  trois, 
moi  compris.  Maintenant  je  dois  ajouter,  pour  être  juste,  que  le  plus  jeune 
d'entre  nous  trois  est  peut-être  bien  aussi  le  plus  habile  ». 

—  Du  Journal:  II  est  question  de  fonder  à  Paris,  à  partir  de  la  saison  prochaine, 
un  théâtre  anglais  permanent.  Ce  projet  a  sa  raison  dans  les  nombreuses  inter- 
dictions faites  par  la  censure  anglaise;  les  pièces  refusées  depuis  q  lelque 
temps  par  la  Dame  aux  ciseaux  de  la  Grande-Bretagne  forment  un  véritable 
répertoire,  capable  d'alimenter  un  théâtre  de  premier  ordre.  Un  jeune  auteur, 
M.  Maxime  Schottland,  a  donc  eu  l'idée  de  transporter  à  Paris  ce  répertoire 
d'œuvres  interditesà  Londres.  M.  Schottland  est  soutenu  dans  cette  intention 
par  quelques  amis  très  influents,  et  il  espère  que  ce  nouveau  théâtre  pour- 
rait ouvrir  le  1er  septembre.  M.  Schottland  est  persuadé  que  le  public  de  Paris 
qui  parle  anglais  est  suffisant  pour  fournir  une  clientèle  de  tout  rop'i-.  Il  ne 
sait  pas  encore  de  quel  établissement  parisien  il  pourra  se  rendre  acquéreur, 
mais  il  sera  fixé  sur  ce  point  d'ici  peu  de  jours. 

—  Afin  d'élaborer  les  principales  lignes  du  programme  général  de  sa  saison 
prochaine,  le  comité  de  l'Association  des  Concerts-Lamoureux,  présidé  par 
M.Camille  Chevillard,  prie  les  compositeurs  qui  se  proposent  de  lui  soumettre 
des  œuvres  inédites  de  vouloir  bien  les  faire  parvenir  au  siège  de  l'Associa- 
tion, 2,  rueMoncey,  du  15  au  30  septembre  prochain. 

—  Notre  confrère,  M.  Pierre  Charrier,  critique  musical  de  la  Gazette  du 
Palais,  vient  d'être  chargé  de  la  critique  des  représentations  de  l'Opéra  et  de 
l'Opéra-Comique  dans  Paris-Théâtre. 

—  C'est  encore  à  un  «  jeune  »,  à  Reynaldo  Hahn,  à  l'audition  de  son 
exquise  série  à'Études  latines,  d'un  archaïsme  si  fin,  d'une  intellectualité  si 
délicatement  poétique,  que  Mme  Charles  Max  consacrait  lundi  dernier  sa  der- 
nière matinée  musicale  de  la  saison.  Et  rien  ne  saurait  dire  le  charme  de 
cette  demi-heure  de  musique  —  demi-heure  d'enchantement,  —  ni  le  succès 
qu'elle  obtint.  Tour  à  tour  Mmc  Charles  Max  chanta,  avec  cet  art  subtil  et  pre- 
nant qui  fait  d'elle  l'incomparable  cantatrice  du  lied  français;  elle  chanta  des 
poèmes  de  tendresse,  d'amour,  de  soleil  et  de  mélancolie.  L'auteur  et  l'excel- 
lente basse  qu'est  M.  Laurent  Lasson  apportèrent  également  à  cette  audition 
le  concours  de  leur  talent,  et  des  chœurs  mêlèrent  leurs  voix  à  ces  voix 
exquises.  On  a  bissé  presque  tous  les  numéros  de  cette  délicieuse  série  :  Xécre, 
Salinum,  Lydie,  Tijndaris,  Pholoé,  Phidylé,  Phi/llis,  etc. 

—  Oublieuse  déjà  des  fatigues  d'une  longue  saison,  la  collaboratrice  infati- 
gable du  quatuor  Parent,  MUe  Marthe  Dron,  rendait  récemment  hommage  à 
deux  de  ses  maîtres  préférés  :  Vincent  d'Indy,  Robert  Schumann.  Ce  sont 
deux  puissants  maîtres,  et  si  différents  !  Il  ne  nous  déplairait  point  d'opposer, 
en  quelques  mots  bien  sentis,  l'émouvant  génie  de  Schumann  au  noble  talent 
de  M.  d'Indy,  car  le  plus  vif  attrait  de  ces  deux  soirées,  c'était  l'interpréta- 
tion de  la  nouvelle  sonate  pour  piano  seul,  écrite,  l'an  dernier,  par  le  plus 
austère  héritier  du  maître  César  Franck.  Mais  n'est-ce  pas  M.  d'Indv  «qui 
considère  la  critique  comme  absolument  inutile,  et  même  nuisible?  »  La  cri- 
tique, selon  lui,  n'est,  en  général,  que  l'opinion  d'un  monsieur  quelconque 
sur  une  œuvre...  A  la  bonne  heure,  si  ce  monsieur  s'appelle  Gœthe  ou  Schu- 
mann, Sainte-Beuve  ou  Michelet!  Résignons-nous  donc  à  ne  jamais  savoir, 
ici-bas  du  moins,  ce  que  Schumann  penserait  de  la  nouvelle  sonate  monumen- 
tale de  M.  d'Indy...  Qu'il  nous  suffise,  aujourd'hui,  de  constater  que  des  bra- 
vos unanimes  ont  souligné  l'élégante  vaillance  de  sa  jeune  interprète,  sa  belle 
conviction,  le  brio  sérieux  qu'elle  a  montré  comme  traductrice  du  Poème  des 
Montagnes  et  des  deux  poétiques  sonates  de  Schumann  pour  piano  seul,  ou 
comme  partenaire  du  ponctuel  et  pur  violoniste  Armand  Parent.  Serait-ce 
encore  faire  de  la  critique  que  d'avouer  l'émotion  contenue  dans  la  sonate  de 
Schumann  en  ré  mineur?  Raymond  Bouyer. 

—  MmeMariska  Aldrich,  un  nouveau  mezzo-contralto  que  M.  Hammerstein  a 
engagé  pour  son  opéra  de  New- York,  lors  de  son  dernier  voyage  à  Paris,  est 
une  élève  de  M.  Giraudet  de  l'Opéra,  l'ex-professeur  du  Conservatoire. 
Mme  Mariska  Aldrich  possède,  dit-on,  les  plus  beaux  dons  pour  la  carrière 
lyrique  :  voix,  talent  et  physique. 

—  L'exquise  cantatrice,  M"e  Suzanne  Decourt.  vient  de  remporter  un  grand 
succès  à  Angouléme  et  à  Poitiers;  elle  a  été  acclamée  dans  le  duo  de  Sigurd 
de  Reyer,  et  surtout  dans  le  grand  air  d'Ariane  de  Massenet,  Ah  !  le  ruel  I 
Son  style  impeccable  et  sa  belle  voix  ont  été  très  appréciés. 

—  Très  intéressante  audition  des  élèves  de  M1"'  de  Miramont-Tréogate,  à 
la  salle  Mustel,  mercredi  dernier.  On  a  fort  goûté  le  Noël  paien  de  Massenet 
(Mm-Nadot),  l'air  de  Lakmé  (MmeDeck),  l'Ane  blanc  de  Georges  Hue  (M.  Cayla'l. 
le  duo  de  Xavière  (MUe  Delmyra  et  M.  José-Mario ),  VArioso  de  Delibes 
(Mme  Nadot),  le  Crucifix  de  Faure,  etc.,  etc. 

—  A  l'Académie  nationale  de  Reims,  jeudi  dernier,  audition  d'œuvres  de 
Théodore  Dubois.  Au  programme  :  l' Allegro  et  l'adagio  du  trio  en  ut  mineur 
(MM.  Yaysman,    Aubert   et  l'auteur),   deux  Odelettes  antiques  [Incantation  et  le 


208 


LE  MÉNESTREL 


Pêcheur  de  Syracuse)  chantées  par  Mlle  Bardot,  un  Andante-Cantabile  et  l'entr'acte 
de  Xaviére  pour  violoncelle  (M.  Aubert),  l'air  A'Aben-Amet  (M.  François)  et  le 
grand  duo  du  même  ouvrage  (Mlle  Bardot  et  M.  François).  Très  gros  succès 
et  longues  ovations  pour  le  maître  qui  tenait  le  piano  d'accompagnement. 

NÉCROLOGIE 


g    RIMSKY-KORSAKOW 

Une  dépêche  parvenue  de  Russie  à  Paris  lundi  dernier  et  publiée  par  les 
journaux  du  soir  nous  apportait  une  nouvelle  inattendue  et  terrifiante  : 
l'auteur  de  Snegourotchka,  l'excellent  Rimsky-Korsako\v,.le  plus  grand  mu- 
sicien de  la  Russie  et  l'un  des  plus  grands  musiciens  de  ce  temps,  venait  de 
mourir;  où?  comment?  la  dépêche  ne  le  disait  pas  et  ne  donnait  aucuns  détails. 
Tout  ce  que  je  savais,  pour  ma  part,  par  mon  excellent  confrère  Michel  Delines, 
l'auteur  des  traductions  françaises  de  Boris  Godounow  et  de  Sadko.  et  l'intime 
ami  du  grand  artiste,  c'est  qu'il  était  atteint  d'une  maladie  de  cœur,  à  laquelle 
sans  doute  il  avait  succombé.  Au  reste,  dès  le  lendemain.  Delines  communi- 
quait au  journal  le  Temps  la  dernière  lettre  qu'il  avait  reçue  de  Rimsky  quel- 
ques jours  à  peine  auparavant,  et  dont  voici  le  texte  : 
Cher  Mikhaël  Ossopovitch, 
.Je  vous  remercie  de  tout  cœur  pour  vos  félicitations  à  l'occasion  de  la  première 
représentation  de  Snegourotchka  à  l'Opéra-Comique  de  Paris,  et  pour  l'envoi  des 
journaux  contenant  les  comptes  rendus.  Voici  un  mois  et  même  plus  que  j'ai  -eu 
coup  sur  coup  deux  accès  d'asthme  cardiaque,  et  que  je  me  trouve  dans  la  situation 
d'un  homme  pas  tout  à  fait  bien  portant:  je  ne  sors  pas,  j'évite  tout  mouvement 
brusque,  la  marche,  de  me  pencher,  etc.,  etc.  Dans  quelques  jours  je  partirai  pour 
la  campagne  (chemins  de  fer  de  Varsovie,  station  Plioussa,  propriété  Lioubensk)  où 
je  compte  pendant  l'été  reprendre  -des  forces.  Quant  à  mon  voyage  à  Paris  cet 
automne  pour  la  représentation  de  Sadko,  je  ne  peux  en  ce  moment  rien  dire,  ni 
promettre.  Ménagez  votre  santé  à  Paris  et  pensez  à  votre  tout  dévoué, 

N.  Rs.  Korsakof. 

Bien  que  dans  cette  lettre  il  ne  se  montrât  pas  très  satisfait  de  sa  santé. 
rien  ne  pouvait  faire  prévoir  la  disparition  si  rapide  de  Rimsky-Korsakow. 
Aucun  coup  plus  cruel  ne  pouvait  frapper  la  Russie  musicale  depuis  la  mort 
de  Rubinstein  et  d«  Tschaïkowsky,  qui  l'avait  laissé  à  la  tète  du  mouvement 
artistique  de  son  pays,  où  sa  situation  était  devenue  absolument  prépondé- 
rante. Depuis  l'époque  déjà  lointaine  de  sa  rupture  avec  le  fameux  cénacle  des 


Cinq,  Rimsky  avait  recouvré  toute  sa  liberté  d'esprit,  et  l'on  sait  ce  qui  en 
était  résulté  :  l'abandon  des  idées  sectaires  et  l'éclosion  d'oeuvres  aussi  inté- 
ressantes par  la  splendeur  de  la  forme  que  par  la  richesse  du  fond.  Je  me  suis 
efforcé,  en  rendant  compte  de  la  représentation  de  Snegourotchka  à  l'Opéra- 
Comique,  de  faire  connaître  le  compositeur,  j'ai  dit  ce  que  je  pensais  de  cet 
artiste  superbe  et  si  généreusement  doué,  et  je  ne  saurais  à  cette  heure  que 
me  répéter.  Je  ne  puis,  en  ce  jour,  qu'exprimer  les  regrets  profonds  que  me 
cause  sa  mort,  regrets .  que  partageront  surtout  tous  ceux  qui  savent  que 
Rimsky  n'était  pas  seulement  un  artiste  de  premier  ordre,  mais  aussi  un 
homme  de  cœur  et  un  grand  caractère.  Il  en  donna  la  preuve,  on  se  le  rappelle, 
par  sa  noble  conduite  lors  de  la  situation  troublée  de  Saint-Pétersbourg  en 
ces  dernières  années  et  par  le  courage  avec  lequel  il  défendit,  devant  des 
excès  d'autorité,  les  élèves  et  les  professeurs  du  Conservatoire  confié  à  ses 
soins,  courage  qui  lui  valut  sa  révocation  de  directeur  de  cette  institution.  La 
France,  qui  depuis  longtemps  déjà  a  salué  de  ses  applaudissements  le  génie 
de  Rimsky-Korsakow  (cela  date  des  grands  et  superbes  concerts  russes  de 
l'Exposition  universelle  de  1878)  prend  sa  part  du  deuil  qui,  en  sa  personne, 
frappe  d'une  façon  si  douloureuse  la  Russie  artistique.         Arthur  Poogin. 

—  Mardi  dernier  est  mort  subitement  à  Paris,  à  l'âge  de  S4  ans,  un  compo- 
siteur qui  s'était  fait  connaître  sous  le  pseudnnyme  de  Ludo  Ratz,  et  dont  le 
vrai  nom  était  Louis  Saraz.  M.  Ludo  Ratz  était  un  des  fournisseurs  attitrés 
des  petits  théâtres  «  à  côté  »,  Mathurins,  Parisiana,  Littl  Palace,  etc.,  où  il 
donna  un  assez  grand  nombre  de  saynètes  et  d'opérettes  :  les  Petits  Pantins, 
ta  Rage,  Mam'zell  Saint-Louis,  Madame  Clown,  le  Satyre,  Miss  Fauvette,  et  bien 
d'autres  dont  les  titres  nous  échappent. 

— Le  15  juin  dernier  est  morte  à  Vienne,  à  l'âge  de  82  ans,  Karoline  Pruck- 
ner,  cantatrice  qui  se  fit  rapidement  une  réputation  il  y  a  un  peu  plus  d'un 
demi-siècle  et  qui  s'était  vouée  au  professorat  après  avoir  quitté  la  scène  à 
cause  d'une  maladie  du  larynx. 

—  Adolphe-Emile  Bùchner,  maître  de  chapelle  à  Erfurt,  vient  de  mourir 
dans  cette  ville  à  l'âge  de  81  ans.  Né  le  27  septembre  1826,  àOsterfeld,  près  de 
Naumbourg,  il  fut  chef  d'orchestre  de  la  Cour,  à  Meiningen,  en  1866.  Il 
dirigea  ensuite  des  société  musicales,  notamment  à  Erfurt.  On  peut  citer  de 
lui  deux  opéras,  Lancel  t  et  Dame  Kobold,  un  poème  en  musique,  Wittekind, 
des  ouvertures,  des  symphonies,  de  la  musique  de  chambre,  etc. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


EN   VENTE,   AU    MÉNESTREL,   "1  bis,   RUE    VIVIENNE,    HEUGEL    et    C"!,   ÉDITEURS  —  Propriété  pour  tous  pays 


NOUVELLES    COMPOSITIONS 


THÉODORE   DUBOIS 

ODELETTES  ANTIQUES 

Sur.  des  poésies  de  CHARLES  DUBOIS 


I.  Chanson  de  pâtre 
II.  Incantation, 
ni.  Le  jeune  oiseleur. 

Chaque  numéro.    .    .    . 


IV.  Le  Pêcheur  de  Syracuse. 
V.  La  jeune  fille  à  la  cigale. 
VI.  Prière  de  l'éphèbe. 


.    .  Net  2     ».  —  Le  recueil Net  5     » 

ŒUVRES    POUR    PIANO 

Sonate Net    5     » 

Menuet Net    2     »   |       Adagio Net    2  50 

ORGUE 

Entrée  (Grand  orgue)  .    .   Net    1  7b   |       Postlude  (harmonium).   .   Net    1     » 

DEUX     CHŒURS 

BR^CflfvOLtLtE  RÉVEILt 

Ténor  solo  et  chœur  mixte.  Chœur  mixte  et  soli. 

La  partition Net    2     »       En  partition Net    2  50 

Chaque  partie  de  chœur    .  Net     »  50   |   Chaque  partie  de  chœur  .   Net    1  50 
Avec  accompagnement  de  piano 

AU    JARDIN 

PETITE     SUITE     POCR     INSTRU5IENTS     A.     VENT 
(2  flûtes,  I  hautbois,  2  clarinettes,  I  cor  et  I  basson) 

I.  Les  Oiseaux.  I       II.  Les  Petites  visites. 

III.  Gouttes  de  pluie. 

Partition  d'orchestre.   .  Net    3     ».  —  Parties  séparées.   .  Net  6     » 


Y.-K.     NAZARE-AGA 

VALSES 


Les  yeux  clos. 
Charme  d'automne. 
Éblouissement. 


Fragilité. 
Radieux  éveil. 
Valse  de  Paradis. 


Édition  pour  piano  seul net  2    » 

Édition  pour  chant  et  piano  (vers  de  P.  d'Amor)  .  net  2     » 

Édition  pour  chant  seul net  »  35 

Édition  pour  orchestre  complet net  2     » 


Deux  Sonnets  de  Paul  VERLAINE 

N°  1.    Je  fais  souvent  ce  rêve.                 N°  2.    A  vous,  ces  vers. 
Chaque  numéro,  net    1  50 
Madrigal  archaïque,  poésie  d'Edouard  Saint-Léon net    1  50 


NOUVEAUX    EXERCICES 

Prix, 7^:  3  fr.         PoQP     le     PlcXlTtO         ?™  «£?>>. 

—  COMPLÉMENT    DE    TOUTES    LES   MÉTHODES  — 


CARMEN    DALMAS 


4032.  -  U<  ANNÉE.-  i\°  27.  PARAIT  TOUS  LES  SAMEDIS 


Samedi  i  Juillet  1908. 


(Les  Bureaux,  2blB,  rue  Vivienne,  Paris,  u°  arr-) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


lie  Numéro  :  Ofp.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEDGEL,     Directeur 


lie  Numéro  :  Ofr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  IIF.UGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province. —  Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano,  20  ir.,  Paris  et.  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte.   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  Irais  de  poste  ea  SU3. 


SOMMAIRE-TEXTE 


.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (26°  article, .  Julien-  Tiersot.  —  II.  Une  famille  de 
grands  luthiers  indiens  :  Les  Guarnerius  (2°  article),  Arthur  Poi'Gix. —  III.  Comment 
je  devins  bibliothécaire  du  Conservatoire,  J.-B.  Weckerlin,  avec  une  préface  de 
Charles  Malherre.  —  IV".  Nouvelles  diverses  et  concerts. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
TRISTESSE  et  SAUTERELLES 
nocturne  et  scherzo  de  la  marquise  de  Negrone.  —  Suivra  immédiatement: 
Sur  les  coteaux,  de  F.  Bixet. 


MUSIQUE  DU   CHANT 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
Aubade,  mélodie  de  la  marquise  de  Negrone,  poésie  de  Victor  Hugo.  —  Suivra 
immédiatement:  Le  Clwmineau,  mélodie  d'ÉDOUARD  Tournon,  poésie  de  Fer- 
nand  Giiegh. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 


CHAPITRE   VI 

GLUCK  COMPOSITEUR  DOPERAS-COMIQUES 

Est-ce  à  dire  que  Philidor  soit  complètement  étranger  à  la  pro- 
duction du  Diable  à  quatre  ?  Point  du  tout,  je  ne  l'ai  jamais  nié. 
Outre  qu'on  peut  admettre  que,  jeune  compositeur  n'ayant  pas 
encore  débuté  au  théâtre,  il  fut  chargé  du  travail  de  raccords 
nécessaires  pour  réunir  ensemble  des  éléments  hétérogènes,  il 
n'est  point  impossible  qu'il  ait  fait  encore  œuvre  plus  person- 
nelle; et  voici  une  nouvelle  particularité  qui  parait  de  nature  à 
préciser  son  rôle. 

I  La  musique  du  Diable  à  quitre  est,  nous  l'avons  vu,  prise  à 
ïdeux  sources  principales  :  les  vieux,  airs  français,  désignés  dans 
le  livret  par  leurs  timbres  traditionnels.  «  Air  :  Quand  je  liens  ce 
jus  d'octobre,  —  La  bergère  un  peu  coquette,  —  Xous  sommes  précep- 
teurs d'amour  »,  etc.,  et  les  airs  italiens  parodiés,  auxquels  le 
même  livret  renvoie  par  des  chiffres  :  «  Ariette  notée,  n°  1  », 
etc.  Quelques-unes  de  ces  dernières  indications  portent  les  traces 
d'indécisions  confirmant  l'hypothèse  que  cette  partie  musicale 
fut  ajoutée  après  coup.  Ainsi  un  couplet  écrit  par  Sedaine  sur 
l'air  :  Belle  princesse,  est  suivi  de  celte  observation  :  «  Il  y  a 
dans  les  airs  notés  à  la  fin  une  Ariette  n°  3,  qui  se  chante  à  la 
place  du  couplet  ci-dessus,  lorsque  l'actrice  y  est  disposée  »  (I). 

(1 1  l'ans  ie  supplément  musical  du  même  livret,  on  litsur  un  air  noté  :  a  Ariette  qui 
a  été  chantée  à  la  première  représentation,  Acte  111  ».  Mais  il  n'est  pas  possible  d'en 


Cet  appel  au  bon  plaisir  des  interprètes  implique  de  leur  part 
une  véritable  coopération.  L'ariette  dont  il  est  question  est  celle 
que  Baurans  a  parodiée  sur  un  air  de  G.  Scarlatti,  d'un  style 
brillant  d'opéra  buffa. 

Or,  trois  pages  plus  loin,  le  livret  annonce  un  autre  «  Air 
noté  n°  o  »,  et  quand  nous  nous  reportons  au  supplément,  nous 
ne  trouvons  aucune  musique  correspondante,  non  plus  que  dans 
la  partition  gravée.  C'est  l'Ariette  :  «  Je  n'aimais  pas  le  tabac 
beaucoup  ».  Par  sa  place  dans  l'action,  celle-ci  semble  faire 
corps  avec  la  scène;  elle  ne  doit  donc  pas  être  comprise  dans  la 
série  musicale  ajoutée  après  coup,  mais  on  peut  croire  qu'elle 
a  toujours  eu  sa  place  là,  et  que  Sedaine  en  avait  écrit  les  vers 
dans  l'intention  d'en  faire,  parmi  les  couplets  de  vaudevilles, 
un  «  air  nouveau  »  à  composer  par  un  musicien  d«  l'entourage 
des  théâtres  de  la  Foire.  Cette  particularité  serait  l'explication 
de  son  absence  parmi  les  airs  notés  à  l'appendice  ainsi  que  dans 
la  partition,  ces  deux  publications  donnant  seulement  la  série 
des  ariettes  parodiées  par  Baurans  (1). 

L'air  :  «  Je  n'aimais  pas  le  tabac  »  est  pourtant  celui  qui  a 
prolongé  le  plus  longtemps  la  vogue  du  Diable  à  quatre.  Il  devint 
populaire  :  la  Clef  du  caveau,  en  donne  le  timbre,  avec  deux 
musiques,  celle  refaite  par  Solié  en  1809,  et  l'originale  ;  et  pour 
celle-ci,  la  table  des  auteurs  inscrit  l'attribution  suivante  : 
«  Duny.  le  Diable  à  quatre,  opéra-comique  ».  Allons,  bon!  Dont 
maintenant!  Un  de  plus  !  La  postériorité  du  renseignemenl,  nul- 
lement confirmé  par  ailleurs,  ne  permet  d'ailleurs  pas  de  le 
prendre  en  considération.  Mais,  le  nom  de  Philidor  ayantétémis 
en  avant  avec  des  apparences  plus  sérieuses,  n'est-ce  pas  plutôt 
à  lui  qu'il  faudrait  rendre  la  paternité  de  l'air  présentement 
en  cause?  Tout  concorde  à  nous  y  engager  :  Philidor,  nous  l'avons 
dit,  en  était  encore  à  ses  débuts  :  on  dut,  pour  le  mettre  à 
l'essai,  lui  confier  la  composition  d'un  couplet;  et  la  tentative 
ne  fut  pas  malheureuse,  car  le  morceau,  d'allure  bien  française. 

retrouver  la  place  dans  la  pièce.  Lu  partition  l'insère  au  premier  acte.  Le  catalogue 
Votquenne  iGlucki  omet  (p.  173i  de  le  signaler  dans  son  énumération  dés  morceaux 
de  celte  partition  où  il  est  gravé  pourtant  à  la  page  9,  sous  le  titre  d'Ariette  u°  'i  ;  il 
semble,  à  la  vérité,  que  cet  article  ait  été  rédigé  non  d'après  la  partition  gravée  chez 
Li  Chevardière,  mais  sur  une  copie  manuscrite.  Relevons  enfin  cette  autre  particula- 
rité :  la  partition  compte  quatre  morceaux  déplus  que  l'appendice  musical  du  livret, 
onze  au  lieu  de  sept.  Cela  veut-il  dire  que  ces  morceaux,  peut-être  ajoutés  postérieure- 
ment à  la  première  série  de  représentations,  sont  des  compositions  nouvelles  ne 
rentrent  pas  dans  la  série  d'airs  italiens,  parodiés  par  Baurans.  qui  constituait  la 
partie  musicale  primitive  ?  Non,  car  l'identification  faite  par  M.  Wotquenne  a  abouti 
précisément  à  reconnaître  un  de  ces  quatre  nouveaux  morceaux  comme  provenant 
d'une  œuvre  antérieure. 

i  L'air  original  :  «  Je  n'aimais  pas  le  tabac  »  ne  fait  pas  d'ailleurs  complètement 
défaut  dans  les  documents  musicaux  contemporains.  C'est  ainsi  que  la  Bibliothèque  du 
Conservatoire  possède,  outre  les  Irois  partitions  signalées,  un  quatrième  exemplaire 
avant  servi  à  diriger  les  représentations  du  Diable  à  quatre  à  la  Comédie-Italienne, 
où  sont  inscrits  beaucoup  de  remaniements,  coupures  ou  additions  :  parmi  ces  dernières 
est  l'air  en  question,  copié  et  intercalé.  De  même  deux  copies  allemandes,  dont  nous 
aurons  bientôt  à  nous  occuper,  le  repro  luisent  l'une  et  l'autre  fvoy.  Wotqusmxi 
luyue  de  Gluck,  pp.  175.  178  tt  l-i  ■ 


210 


LE  MÉNESTREL 


est  tout  à  fait  dans  la  note  des  opéras-comiques  dont  il  entre- 
prendra bientôt  la  composition  :  Biaise  le  savetier,  le  Maréchal- 
ferrant,  et  ce  Sorcier  où  il  sut  si  adroitement  accommoder  à  son 
profit  la  musique  de  Gluck. 

Ce  nom  nous  offre  une  transition  toute  trouvée  pour  revenir 
à  ce  qui  reste  toujours  notre  sujet  principal,  dont  nous  sommes 
moins  éloignés  qu'on  ne  le  pouvait  croire.  Car  Gluck,  lui  aussi, 
est  un  des  auteurs  de  la  musique  du  Diable  à  quatre  ! 

Il  est  à  la  Bibliothèque.  Rnyale  de  Dresde  deux  partitions 
manuscrites,  datant  du  XVIIP  siècle,  dont  l'une  porte  ce  titre  : 
Airs  nouveaux  du  Diable  à  quatre,  opéra-comique  composé  /par  M.  le 
Chevalier  de  Gluck. 

L'autre,  partition  d'orchestre  complète,  ne  porte  pas  de  nom 
d'auteur;  mais  la  plupart  des  airs  de  la  précédente  y  figurent  (1). 

Enfin,  s'il  est  vrai  que  la  Bibliothèque  Impériale  de  Vienne, 
qui  possède  ses  autres  opéras-comiques,  n'a  pas  conservé  celui-ci, 
nous  savons  tout  au  moins,  par  Reichardt  (2),  que  le  Diable  à  quatre 
est  une  des  œuvres  qu'il  dirigea  à  la  cour,  et  nous  en  connais- 
sons la  date  de  représentation  :  Laxenbourg,  25  mai  17o9  (3). 

Les  partitions  de  Dresde  renferment  plusieurs  morceaux  em- 
pruntés à  la  composition  parisienne  originale  ;  mais  il  s'y  trouve 
aussi  des  airs  nouveaux,  notamment  une  partie  de  danse  assez 
développée,  et  il  n'y  a  aucune  raison  d'en  contester  la  paternité 
à  Gluck,  puisque  le  titre  la  lui  attribue.   Ces  airs  ont  générale- 
ment pour  paroles  les  couplets  que  Sedaine  avait  mesurés  sur 
les  vieux  vaudevilles  français  :  c'est  précisément  le  même  cas 
que  nous  avons  constaté  pour  File  de  Merlin,  et  que  nous  retrou- 
verons appliqué  jusque  dans  le  dernier  opéra-comique  de  Gluck. 
Mais  la  musique  nouvelle  a  parfois  un  caractère  déclamé  qui  en 
révèle  l'origine.  Un  exemple  significatif  nous    est   donné  par 
l'air  du  Magicien  (ou  du  Docteur),  qui,  à  la  Foire  Saint-Laurent, 
se  chantait  sur  :  J'ai  bien  la  plus  simple  femme. 
Non,  jamais  méchante  femme 
Ne.  le  fut  à  cet  excès  ; 
Je  serais  cligne  de  blâme 
Si  je  ne  la  punissais. 

Jusqu'à  ce  vers  la  musique  du  manuscrit  allemand  conserve  un 
caractère  mélodique  qui  n'a  pas  une  originalité  particulière  ; 
mais  voici  la  suite  : 

Elle  verra  la  vengeance 
Que  prend  un  sot  tel  que  moi. 
Moi,  dont  la  haute  puissance 
Tient  tout  l'enfer  sous  sa  loi  ! 

Sur  ces  idées  plus  fortes,  le  ton  de  la  musique  se  hausse  :  la 
«  haute  puissance  »  s'exclame  sur  une  note  aiguë  ;  une  fusée  de 
tout  l'orchestre  à  l'unisson  monte  pour  éclater  sur  le  mot 
«  enfer  »,  et  le  dernier  vers  est  d'une  allure  déclamatoire  que 
les  paroles  ont  provoquée,  mais  que  le  début  n'annonçait  point. 
C'est  du  Gluck. 

Le  morceau  qui  commence  la  pièce  :  ;<  Oh  !  la  méchante 
femme  !  »  qui,  à  la  Foire,  se  chantait  sur  le  timbre  :  Ah  !  Madame 
Anrou ,  est,  dans  les  manuscrits  de  Dresde,  un  air  nouveau 
précédé  par  u  ne  introduction  d'orchestre  si  développée  qu'on 
ne  peut  la  prendre  pour  une  simple  ritournelle  :  elle  semble  un 
instant  annoncer  une  véritable  ouverture,  — jusqu'au  moment  où, 
la  toile  levée,  le  discours  instrumental  s'en  chaîne  au  premier 
chant,  —  comme  ce  sera  le  cas  plus  tard  pour  les  commence- 
ments à'Alceste  et  des  Iphigénies. 

L'air  du  troisième  acte  :  «  Un  air  fin  (4),  un  souris  malin  »  est 
une  sorte  de  menuet  lent,  qui  fait  songer  au  chant  de  la  Naïade 
dans  Armide. 

Le  suivant,  accompagnant  les  exorcismes  du  Docteur  magicien, 
est  dans  un  style  imitatif,  nullement  incompatible  avec  les 
conceptions  ordinaires  de  Gluck. 

Quant  aux  trois  autres  airs   qu'on  lit  dans  le  choix  d' «  Airs 

il)  La  Bibliothèque  du  Conservatoire  di  Bruxelles  a  fait  prendre  copie  de  ces  deux 
partitions,  du  contenu  desquelles  nous  avons  pu  ainsi  prendre  connaissance. 

(2)  SluJien  fur  Tuukunsller  uiul  Musilifreunde,  juillet  1792,  p.  72. 

(3)  .V.  Wotquenne,  Catalogue  îles  œuvres  de  Gluck,  p.  "22V. 

(4)  Et  non  :  «  Va  œil  fin  ».  Wotquex.ne,  pp.  176,  170. 


nouveaux  composés  par  le  Chevalier  Gluck  » ,  s'il  est  vrai  qu'ils 
n'ajoutent  rien  à  sa  gloire,  ils  n'en  retranchent  rien  non  plus, 
étant  d'un  style  clair  et  sobre  qui  ne  contredit  en  rien  sa 
manière  habituelle. 

Enfin  une  grande  partie  de  la  partition  d'orchestre  est  formée 
de  ballets  dont  le  principal  se  passe  en  enfer  (comme  ceux 
A' Orphée,  du  ballet  Don  Juan,  et  de  bien  d'autres  œuvres  théâtrales 
de  ce  temps,  où  l'enfer  était  un  lieu  fort  à  la  mode).  Si  nous  nous 
rappelons  que  Gluck  était  toujours  prêt  à  enrichir  le  répertoire 
du  théâtre  confié  à  ses  soins  par  ces  sortes  de  compositions 
annexes,  nous  ne  trouverons  nulle  invraisemblance  à  conclure 
que  cette  musique  est  encore  de  lui  (1). 

Les  dernières  pages  des  deux  manuscrits  de  Dresde  nous 
réservent  une  ultime  surprise. 

Au  temps  où  l'on  chantait  Béranger,  il  y  avait  une  certaine 
chanson  du  «  Carillonneur  »  qui  jouissait  d'une  grande  vogue:, 
je  me  rappelle  comme  un  des  plus  anciens  souvenirs  de  mon 
enfance  la  voix  douce  d'une  bonne  tante  qui  me  la  chantait, 
sur  un  air  guilleret,  avec  des  paroles  dont,  heureusement,  je  ne 
comprenais  pas  alors  le  sens  caché  : 

Digue   digue  digue,  dig  ding  don, 
Ah  '  que  j'aime  à  sonner  un  baptême  ! 
Aux  maris  j'en  demande  pardon... 

Quelle  .ne  fut  pas  ma  stupéfaction,  quand,  à  la  fin  des  deux, 
partitions  conservées  en  Allemagne,  je  trouvai  la  notation  de  cet 
air,  un  des  premiers  qui  soient  entrés  dans  ma  mémoire  (en  en* 
attendant  quelques  autres!)  L'attribuer  à  Gluck?...  Non,  ce  serait 
trop  drôle  !  Et  de  fait,  cela  ne  peut  pas  être  :  les  partitions,  era 
l'intitulant  «  Vaudeville  et  Contredanse  finale  »,  affirment  assez 
son  origine  française,  et  le  livret  de  la  Foire  en  contenait  déjà 
les  paroles,  devenues  timbre  à  leur  tour  :  «  Mon  système  estj 
d'aimer  le  bon  vin  ».  On  retrouvera  en  effet  ce  titre  dans  la 
Clef  du  caveau,  avec  la  triple  attribution  :  Contredanse  du  Diable 
à  quatre,  ou  Du  matin  au  soir  et  contre  tous,  ou  Tique  tique  tac  et' 
tin  tin  tin,  et,  pour  nom  d'auteur,  Duni,  déjà  cité,  aussi  bien 
à  tort  cette  fois  que  l'autre. 

En  tout  cas,  voilà  un  nom  de  plus,  celui  de  Béranger,  à  ajouter 
à  ceux,  très  divers,  que  nous  avons  été  amenés  à  rencontrer  âm 
courant  de  cette  étude  ;  et  par  là  se  complète  cette  salade' 
extraordinaire  de  musiciens,  de  poètes  et  de  gens  quelconques 
que  nous  avons  trouvés  à  la  base  du  Diable  à  quatre  et  dans  ses 
alentours  :  Sedaine,  avec  Shakespeare,  Baurans  ou  de  Beauran, 
Pergolèse,Scarlatti,Ciampi,Favart,  les  vieux  vaudevilles  français, 
la  chanson  du  Mossignolet.  la  Foire,  Guignol,  la  Cour,  Duni, 
Philidor,  Anatole  Loquin,  Porta,  Solié,  Mouret,  musicien  des 
Grâces,  le  Chevalier  Gluck,  et  le  chansonnier  Béranger  ! 

Après  cet  intermède,  où  nous  avons  vu  Gluck  jouer  son  rôle, 
et  appris  à  connaître  tout  ce  qu'il  fallait  mêler  ensemble  pour 
arriver  à  présenter  un  opéra-comique  devant  la  Cour  d'Autriche 
au  XVIIIe  siècle,  revenons  à  notre  sujet  principal. 

[A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


UNE  FAMILLE  DE  GRANDS  LUTHIERS  ITALIENS 

LES    GUARNERIUS 


ANDRÉ  GUARNERIUS 

Pas  plus  que  le  premier  des  Amati,  ce  n'est  au  premier  des  Guarneri 
que  la  famille  doit  son  lustre  et  la  renommée  qui  s'est  attachée  à  son 
nom.  Ce  n'est  point  qu'André  Guarnerius  fût  un  artiste  sans  talent 
et  sans  valeur  :  son  seul  titre  d'élève  rie  Nicolas  Amati,  ainsi  que 

il)  En  résumé  lés  deux  partitions  de  Dresde  contiennent,  l'une  (la  partition 
d'orchestre  complète)  vingt-neuf  numéros,  dont  six  font  partie  de  la  série  d'ariettes 
introduites  par  Baurans,  — une  septième  est  l'air  original  :  «  Je  n'aimais  pas  le  tabac 
beaucoup  »,  —  trois  autres  sont  des  timbres  de  vaudevilles  français  (l'un  est  noté 
ffagmentairement  dans  la  partition  conductrice  de  la  Comédie-Italienne),  au  total, 
sur  les  vingt-neuf,  dix  numéros  qui  ne  sont  pas  de  Gluck.  L'autre  partition  (Airs 
nouveaux,  etc.),  sur  douze  numéros  qu'elle  comprend,  renferme  deux  airs  nouveaux 


LE  MENESTREL 


■2  M 


Festinie  et  l'affection  que  lui  témoignait  son  maître  suffiraient  à  prouver 
le  contraire  ;  mais  il  faut  bien  constater  que  la  réputation  d'André  el 
celle  de  ses  deux  fils  pâlissent  devant  la  gloire  de  son  petit-neveu, 
Joseph  Guarnerius  del  Gesit,  dont  les  beaux  produits  rivalisent  presque 
aujourd'hui  avec  ceux  de  Stradivarius. 

On  n'a  rien  d'absolument  précis  sur  la  date  de  sa  naissance,  mais  on 
le  dit  né  à  Crémone  vers  1623,  et  l'on  sait  que  c'est  en  ltiil  qu'il  eairtra 
dans  l'atelier  de  Nicolas  Amati,  dont  il  fut  à  la  fois  l'élève  et  le  com- 
mensal, car  il  vivait  et  habitait  chez  lui.  Il  est  certain  qu'il  se  fit 
prendre  en  affection  par  son  maître,  car  lorsque  Nicolas  Amati  se 
maria,  en  1643,  il  le  choisit  pour  un  de  ses  témoins,  ce  qui  est  assuré- 
ment un  signe  d'estime  et  de  confiance  (1).  Quels  compagnons  trouva- 
t-il  dans  l'atelier  du  célèbre  luthier,  et  quels  furent  ses  camarades  ?  Il 
serait  difficile  de  le  dire,  car  ceux  des  élèves  de  Nicolas  Amati  dont  on 
a  retenu  les  noms  :  Paolo  Grancino,  Sneider,  J.-B.  Etugàeri,  Santo- 
Serafino,  étaient  tous  beaucoup  plus  .jeunes  que  lui  et  ne  purent  que 
lui  succéder  auprès  du  maître.  Aussi  peut-on  être  étonné  de  l'erreur 
vraiment  singulière  dans  laquelle  est  tombé  George  Hart  dans  un  livre 
imparfait,  mais  néanmoins  précieux  et  fort  intéressant  :  Le  Violon,  et 
fait  avec  un  véritable  amour  du  sujet  (2).  En  faisant  connaître  l'entrée 
du  jeune  Guarnerius  chez  Nicolas  Amati,  Hart  s'écrie,  dans  un  élan 
de  lyrisme  :  —  «  De  quel  intérêt  pour  nous  seraient  les  plus  petits  évé- 
nements de  la  vie  d'atelier  d'Andréa,  s'il  nous  avaient  été  conservés  ! 
Nous  savons  que  dans  ses  premières  années  Guarnerius  travaillait 
côte  à  côte  avec  Stradivarius  dans  l'atelier  de  leur  maître  commun 
.Nicolo  Amati.  Quel  charme  n'aurait  pas  pour  les  véritables  amateurs 
du  violon  un  souvenir  ou  une  anecdote  de  cet  âge  d'or  de  la  fabrication 
du  premier  des  instruments  !  L'idée  seule  que  ces  trois  hommes  vivaient 
ensemble  dans  un  commerce  journalier  éveille  dans  le  cœur  des  adora- 
teurs du  violon  le  sentiment  d'une  vive  émotion.  Malheureusement,  un 
'Boswell  n'était  pas  là  pour  prendre  note  des  petits  événements  de 
chaque  jour,  insignifiants  alors,  mais  qui  seraient  si  pleins  d'intérêt 
aujourd'hui  ».  Malheureusement  aussi,  cet.  enthousiasme  n'a  pas  de 
raison  d'être,  car  lorsque  André  Guarnerius  entra  chez  Nicolas  Amati 
en  1641  il  ne  pouvait  encore  être  question  de  Stradivarius,  qui  ne 
devait  naitrc  que  trois  ans  plus  tard,  en  1644.  Hart  avait  négligé  de 
consulter  les  dates.  J'aurai  plus  de  plaisir  à  reproduire  tout  à  l'heure 
l'opinion  qu'il  exprime  sur  le  talent  et  les  produits  d'André  Guarnerius, 
opinion  raisonnée  et  d'un  vrai  connaisseur. 

Onze  ans  après  son  entrée  dans  l'atelier  de  Nicolas  Amati,  André 
songea  à  son  tour  à  se  marier.  Le  31  décembre  1632  il  épousait,  dans 
l'église  de  San  Clémente,  Anna-Maria  Orcelli,  qui  ne  devait  pas  lui 
donner  moins  de  sept  enfants,  dont  quatre  filles  et  trois  garçons.  De 
ces  derniers,  deux  seulement  suivirent  la  carrière  paternelle  et  devin- 
rent luthiers,  Pierre  et  Joseph-Jean- Baptiste.  C'est  seulement,  sans 
doute,  à  la  suite  de  son  mariage  qu'André  ouvrit  lui-même  un  atelier 
•et  s'établit  non  loin  de  son  ancien  maître,  à  l'enseigne  de  Sainte- 
'"Thérése(3i. 

Les  spécimens  des  instruments  d'André  Guarnerius  sont  aujourd'hui 
devenus  fort  rares.  On  connaît  cependant  encore  de  lui  des  violons  et 
des  violoncelles  d'un  excellent  travail  et  d'un  beau  fini.  En  réalité,  sa 
lutherie  est  plus  qu'honorable  ;  on  peut  s'en  rendre  compte  par  cette 
appréciation  de  George  Hart,  qui  le  juge  en  ces  termes  :  —  «  André 
Vfiuarneri  travailla  quelques  années  sur  le  modèle  de  son  maître  Nicolo 
Amati  ;  il  changea  plus  tard  le  caractère  des  Jf,  en  même  temps  qu'il 
■  ■abaissa  les  voûtes  et  qu'il  donna  à  sa  volute  une  plus  grande  origina- 
lité. Son  vernis  est  d'une  nature  très  variée,  la  couleur  en  est  généra- 

Étte  la  partition  précédente  (  «  Ali  !  la  méchante  femme  »  et  «  Un  air  lin  »,  qu'un 
double  témoignage  attribue  ainsi  à  Gluck), —  trois  autres  airs  nouveaux  qui  ne  sont  pas 
Ens  l'autre  partition,  et  dont  la  musique  est  écrite  sur  des  vers  de  Baurans,  rempla- 
çant ainsi  les  airs  italiens  primitivement  adaptés,  —  trois  des  ariettes  de  la  série 
Baurans.  avec leurmusique  parodiée,  —  l'air  du  tabac, —  enfin  trois  vaudevilles,  dont 
l'un  est  un  air  de  Mouret.  les  Fêtes  de  Ttialie.  Ce  sont  donc,  de  la  première  partition. 
dix-neuf  airs,  de  la  seconde,  trois  autres  airs,  au  total  vingt-deux,  que  l'on  peut 
attribuer  à  Gluck  comme  ayant  été  composés  par  lui  pour  les  représentations  du 
Diable  à  quatre  à  la  cour  d'Autriche  en  1759. 

(1)  Nicolas  Amati  épousa,  le  23  mai  1645,  une  demoiselle  Lucrezia  Pagliari.  Son 
aulre  témoin  était  un  sieur  Lorenzo,  chevalier  du  Saint-Sépulcre. 

■2  The  riolin.  ils  famous  makers  and  their  imilatei's  (Le  violon,  ses  fameux  feseurs 
et  leurs  imitateurs  .  London,  1SÎ5,  in-4°.  Une  traduction  française  de  cet  ouvrage 
fcrjortant,  due  à  Alphonse  Rover  (ancien  directeur  de  l'Opéra),  a  paru  à  Paris,  chez 
Schott,  en  1880.  Georges  Hart,  luthier  et  l'un  des  plus  fameux  marchands  d'instru- 
ments de  Londres,  très  expert  sous  ce  rapport,  parce  qu'il  avait  beaucoup  étudié  et 
comparé,  était  plus  à  même  qu'aucun  autre  d'écrire  un  livre  de  ce  genre.  Ce  livre 
esi  imparfait,  je  l'ai  dit,  en  quelque  sens,  mais  il  est  plein  de  détails  et  de  rensei- 
gnements que  l'auteur  est  allé  chercher  lui-même  en  Italie,  et  il  reste  indispen- 
sable à  consulter  pour  qui  vent  s'occuper  sérieusement  de  lutherie. 

3  Comme  l'indiquent  ses  étiquettes,  toutes  rédigées  en  latin,  et  dont  l'une  est 
ainsi  conçue:  —  Andréas  Guarnerius  fecit  Cremonœ  sub  tilulo  Sanctœ  Teresiœ,  16. 


lement  d'un  omii^..  pâle  -l'une  charmante  nuance:  il  ;i  quelquefois 
beaucoup  de  corps,  mais  alors  il  perd  la  transparence  des    ■.■mi-  d'un 

ton  clair.  Andréa  a  fait  des  violoncelle     le  deux- gr leurs;  li 

présente  point  d'ondes  naturelles,  mais  il  possède  des  qualités  acousti- 
ques du  •plus  haut  degré.  Les  viciions  de- ce  maître  soni   la  plus  haute 
expression  de  son  talent  ;  la  main-d'œuvre  >'si  admirât 
pas  cependant  au  beau  fini  d'Amati  ... 

André  dul  produire,  beaucoup,  bien  que  >es  instruments,  je 
soient  devenus  d'une  grande  rareté,  car  il  a  travaillé  plus  de  quarante 
ans.' Nous  en  avons  la  preuve  par  une  de  ses  étiquettes  que  Vidal  a 
reproduite  dans  son  livre  et  qui  porte  la  date  de  1696,  deux  a 
sa  mort.  Il  était  déjà  septuagénaire.  Ses  violoncelles  sonl  devenus  plus 
rares  encore  que  ses  violons,  selon  ce  qu'en  disent  MM.  Ilill  dans  leur 
beau  livre  sur  Stradivarius  (1)  :  —  «  Nous  ne  pouvons  parler  qu'avec 
une  certaine  réserve  des  violoncelles  produits  par  André  Guarnerius  ; 
du  reste,  il  n'en  fit  apparemment  que  très  peu  :  nous  n'en  avons  ren- 
contré que  cinq  ou  six  d'une  indiscutable  authenticité.  Le  patron  nous 
rappelle  un  peu  les  Maggini  ;  la  largeur  n'est  pas  en  proportion  avec  la 
longueur  ».  Bares  ou  non,  il  est  certain  qu'ils  ont  acquis  une  valeur 
considérable.  J'en  trouve  la  preuve  dans  un  livre  ri  ce  '  de  M.  Albert 
Fuchs  :  Taxe  (1er  Streich-lnstrumenle  (Leipzig,  1907,  in-8°),  qui  est 
comme  une  sorte  de  guide  commercial  du  luthier.  Cet  écrivain,  après 
avoir  indiqué  que  le  prix  des  violons  d'André  Guarnerius  est  d'environ 
3.000  marks  (3.730  francs),  et  que  celui  de  ses  violoncelles  est  beaucoup 
plus  élevé,  ajoute  :  «  Quant  à  l'instrument  solo  de  la  Société  des  vio- 
loncellistes Bôckmann  de  Dresde  (<las  Dresdner  cellisten  Bbchmann  , 
œuvre  d'Andréas  Guarneri  de  1794,  d'une  supériorité  égale  pour  le  son 
et  pour  la  beauté,  c'est  en  vain  qu'un  négociant  anglais  en  olfril 
40.000  marks  ».  soit  30.000  francs.  On  peut  donc  juger  que  celui-là  est 
en  effet  d'une  valeur  exceptionnelle. 

Ou  ne  cite  point  d'autres  élèves  d'André  Guarnerius  que  ses  deux  lils, 
Pierre  et  Joseph;  il  est  cependant  probable  qu'il  en  dut  former  plusieurs 
au  cours  d'une  carrière  qui  se  prolongea  pendant  un  demi-siècle.  Il 
perdit  sa  femme  après  quarante-trois  ans  de  mariage,  le  13  janvier 
1695  (2).  Il  ne  devait  pas  très  longtemps  lui  survivre,  car  il  mourut  lui- 
môme  le  16  décembre  1698,  âgé  d'environ  73  ans.  Il  fut  inhumv  à  côté 
d'elle,  dans  l'église  San  Domenico. 

(A  suivre.*  Arthur  Pougin. 


UNE      PRÉFACE 


Il  vient  de  paraître,  tiré  à  petit  nombre  et  pour  quelques  amis  seulement, 
le  catalogue  d'une  bibliothèque  musicale  qui,  par  le  nombre  et  l'importance 
des  volumes,  ne  saurait  passer  inaperçue.  On  trouve  là  des  pièces  raivs.  des 
éditions  anciennes  d'ouvrages  recherchés,  des  curiosités  de  toute  nature  : 
livres  d'études  et  livres  de  luxe,  attestant  à  la  fois  la  patience  du  chercheur,  le 
goût  de  l'artiste  et  l'autorité  du  savant.  Tout  s'explique  si  l'on  songe  que  cette 
précieuse  collection  appartient,  ou  plutôt  appartenait  (car,  depuis  hier,  elle  à 
passé,  d'un  trait  de  plume,  en  des  mains  étrangères)  àl'éminent  bibliothécaire 
du  Conservatoire.  M.  J.-B.  Weckerlin.  Depuis  plus  de  quarante  ans.  il  furetait 
chez  les  bouquinistes,  ou  fréquentait  les  salles  de  vente;  son  o  flair  »  naturel, 
comme  aussi  l'expérience  acquise,  lui  avait  permis  de  mettre  à  profit  les 
bonnes  occasions:  il  savait  acheter,  et  l'objet  qu'il  avait  acquis,  parfois  non 
sans  peine,  il  l'aimait  d'une  passion  qui  demeurait,  en  somme,  la  grande  joie 
de  sa  vie.  Ses  livres  étaient  ses  enfants,  et,  pour  se  séparer  d'eux,  il  a  fallu 
que  la  maladie  l'éloignât  de  Paris  et  l'obligeât  d'achever  sa  lungue  conva- 
lescence au  pays  natal,  sur  cette  terre  d'Alsace  où  saignera  jusqu'à  son 
dernier  jour  son  cœur  de  patriote. 

De  ce  catalogue,  dont  le  tirage  restreint  l'ait  d'avance  une  rareté  bibliogra- 
phique, nous  extrayons  pour  les  lecteurs  du  Ménestrel  la  piquante  préface  ou 
l'auteur,  avec  cette  bonhomie  spirituelle  dont  le  tour  lui  est  propre,  raconte 
l'un  des  incidents  notables  de  sa  carrière.  C'est  une  petite  page  A' 
musicale,  qui  a  son  intérêt,  et  dont  je  me  permettrai  ensuite  de  tirer  une 
conclusion  en  guise  de  morale. 

COMMENT  JE  DEVINS  BIBLIOTHÉCAIRE  DU  CONSERVATOIRE 


C'était  au  mois  de  mars  1869.  un  soir  où  je  donnais  un  concert  dans 
•la  salle  Pleyel.  Entre  deux  numéros  du  programme,  Ambroise  Thomas 
vint  me  trouver  au  foyer,  et  le  dialogue  suivant  s'engag 

[\)  Antoine.  Stradivarius,  sa  vie  et  son  œuvre,  .par  Henry,  A 
duction  française  de  M.Maurice  Reynold  (Paris,  Fiscbbacher,  1908,  un  vol.  in-4- 
richement  illustré..   C'est,  avec  la  brochure    de   Fi     -  il    .       ■ 

consacré  à  l'illustre  luthier. 

2)  L'acte  d'inhumation  n'est  pas  sans  quelques  originalité  au  poinl  .le  vue  de  sa 
rédaction  :  il  est  ainsi  conçu  ;  —     Donné  la  sépulture  à  la  femme 
Guarnieri  (sic;,  qui  fait  les  violons   che  lai  uioliai)  ». 


212 


LE  MENESTREL 


—  Vous  eavez,  mon  cher  ami,  que  Berlioz  vient  de  mourir  ? 

—  Mais,  non  !  Voilà  cinq  jours  que  j'ai  été  le  voir  ;  il  n'allait  pas 
bien,  certes,  il  souffrait  beaucoup,  il  gémissait  plus  encore,  mais  il  ne 
semblait  pas  si  près  de  sa  fin. 

—  Eh  bien,  Monsieur  Auber  que  j'ai  vu  aujourd'hui  à  l'Institut. 
m'a  chargé  d'une  commission  pour  vous,  et  vous  offre  de  remplacer 
Berlioz  dans  ses  fonctions  de  bibliothécaire  du  Conservatoire;  et  il 
vous  demande  d'aller,  dès  demain,  chez  Camille  Doucet. 

—  Ma  foi.  voilà  un  honneur  auquel  je  ne  m'attendais  guère  ;  du 
diable,  si  j'y  avais  jamais  songé  !  Il  est  vrai  que  j'aime  les  bouquins 
lorsqu'ils  parlent  de  musique  ;  j'en  possède  même  un  certain  nombre, 
que  je  ne  sais  déjà  plus  où  fourrer  dans  ce  petit  appartement  de  la  rue 
Saint-Georges  où  je  me  trouve  si  bien,  où  de  mes  fenêtres  je  vois 
chaque  matin  dans  la  cour  atteler  Figaro  à  la  voiture  de  Monsieur  Auber. 
Seulement,  cher  ami,  ce  que  vous  me  proposez  là  va  bien  changer  ma 
manière  de  vivre.  Vous  n'ignorez  pas  que  je  fais  des  cours  de  musique 
dans  un  important  pensionnat  de  jeunes  filles  ;  alors  il  va  falloir... 

—  Bast  !  vous  savez  bien  que  Berlioz  n'allait  pas  souvent  à  cette 
bibliothèque  du  Conservatoire  ;  c'est  tout  au  plus  s'il  en  connaissait 
l'emplacement. 

—  Pourtant  je  confesse  à  son  honneur  que  je  l'y  ai  vu  une  fois  :  il 
avait  besoin  d'accompagnements  d'orchestre  pour  des  airs  italiens  ou 
allemands,  imposés  par  les  cantatrices  qui  se  faisaient  entendre  dans 
ses  concerts.  Il  fouillait  dans  un  tas  de  musique.  Quant  aux  livres... 

—  Oh  !  vous  avez  raison  ;  ce  n'est  pas  là  ce  qu'il  aimait. 
Là-dessus  Ambroise  Thomas  me  quitta,   et  le  concert  suivit  son 

cours. 

Le  lendemain,  j'étais  chez  Camille  Doucet,  dans  les  attributions 
duquel  rentraient  les  affaires  du  Conservatoire.  Cet  aimable  et  impor- 
tant fonctionnaire  semblait  embarrassé  pour  avouer  la  modestie  du 
traitement  qu'il  me  destinait  ;  puis,  délaissant  les  artifices  oratoires,  il 
me  dit  avec  un  sourire  : 

«  Autant  vous  avouer  franchement  ce  qui  se  passe.  Trois  députés 
ont  demandé  au  Ministre  des  Beaux-Arts  une  pension  de  3.000  francs 
pour  M"0  Déjazet  qui  n'est  pas  très  en  fonds  pour  le  momeut.  Nous 
allons  faire  passer  sur  sa  tôte  la  pension  de.  3.000  francs  que  touche 
Félicien  David,  et  comme  ce  dernier,  lui  non  plus,  n'est  guère  en 
fonds,  nous  lui  rendrons  cette  somme  sous  forme  d'appointements,  en 
lui  confiant  la  bibliothèque  du  Conservatoire.  Vous  serez  sous-bibliothc- 
caire,  et  vous  toucherez  1.800  francs.  Entendu,  n'est-ce  pas  ?...  » 

Ces  combinaisons  de  chiffres  me  laissaient  au  fond  assez  indiffèrent, 
quoique  je  ne  fusse  pas  riche.  Félicien  David  s'était  un  peu  rebiffé 
tout  d'abord,  puis  avait  accepté  ;  moi,  j'acceptai  aussitôt  sans  faire  la 
grimace,  heureux  de  servir  près  d'un  maitre  que  j'admirais  et  qui  était 
pour  moi  un  ami  de  cœur. 

Toutefois,  je  dois  l'avouer,  il  n'aimait  pas  plus  les  livres  que  Berlioz, 
et  depuis  six  mois  il  était  nommé  bibliothécaire,  sans  savoir  encore  où 
se  trouvait  sa  bibliothèque.  Je  finis  par  le  décider  à  accepter  la  corvée 
d'une  visite,  et,  certain  matin,  j'allais  le  cueillir  à  son  petit  lever. 
Résigné  à  son  sort,  il  voulut  bien  admirer  notre  grande  galerie,  dont 
les  boiseries,  certes,  méritent  l'attention,  puis  il  ajouta  :  «  A  propos, 
ces  jours-ci,  un  monsieur  est  venu  me  soumettre  un  système  musical 
de  son  invention  !  »  Et,  tirant  de  sa  poche  une  carte  (c'était  un  as  de 
cœur,  je  m'en  souviens),  il  y  traça  quelques  signes  en  guise  d'expli- 
cation. «  Mais,  fis-je  aussitôt,  c'est  du  vieux  neuf  que  votre  monsieur  a 
fabriqué  là.  »  Et  je  lui  montrai  la  prétendue  invention  dans  une  bro- 
chure imprimée  au  moins  depuis  quinze  ans.  Pour  se  consoler  de  cette 
déconvenue,  l'auteur  du  Désert  me  demanda  d'emporter  la  partition 
d'orchestre  de  Guillaume  Tell.  Les  livres  ne  doivent  pas  se  prêter  au 
dehors  ;  mais  il  était  mon  chef  et  je  ne  pouvais  refuser.  Quel  souci  ! 
Nous  nous  rencontrions  dans  quelques  comités,  et,  chaque  fois,  j'avais 
soin  de  rafraîchir  sa  mémoire.  «  Soyez  tranquille,  me  répondait-il, 
pour  votre  partition  de  Rossini  ;  mais  les  jours  d'orage,  quand  il  y  a 
des  éclairs  et  du  tonnerre,  je  lis  quelques  pages  de  Guillaume  Tell  : 
cela  fait  diversion  et  me  fournit  un  agréable  passe-temps.  » 

Le  temps  passé  ainsi  se  chiffra  par  des  années.  Le  volume  revint  à  la 
Bibliothèque,  mais  non  point  rapporté  par  celui  qui  l'avait  emprunté 
C'est  moi  qui  le  retirai  des  mains  d'un  notaire,  Mc  Hyver,  au  moment 
ou  on  l'emportait  pour  le  vendre  aux  enchères  a  l'Hôtel  Drouot  avec 
d'autres  objets  provenant  d'une  succession... 

Dans  l'intervalle,  en  effet,  Félicien  David  était  mort  :  c'était  au  tour 
du  second  de  passer  le  premier...  et  voilà  comment  je  devins  Bibliothé- 
caire du  Conservatoire.  J.-B.  Weckerlin. 

Le  hasard,  on  le  sait,  préside  souvent  à  la  destinée  des  mortels;  il  fit  do' 
M.  Weckerlin  un  bibliothécaire,  quand  la  nature  tout  d'abord  l'avait  fait 
musicien. 


Né  à  Guebwiller  (Haut  Rhin),  le  9  novembre  1821,  fils  d'un  teinturier  en 
soie  qui  le  destinait  à  l'industrie,  Jean-Baptiste  Weckerlin  manifesta  de  bonne 
heure  des  dispositions  telles  que  malgré  l'opposition  de  la  famille,  il  se  tourna 
vers  la  musique  et  voulut  s'y  consacrer  exclusivement.  Presque  sans  maitre,  il 
apprit  un  peu  de  tous  les  instruments,  et  pouvait  ainsi  tenir  sa  partie  dans  les 
concerts  improvisés  entre  parents  et  amis;  il  jouait  tour  à  tour,  et  à  volonté, 
piano,  violon,  contrebasse,  flûte,  cor  ou  trombone.  Il  avait,  en  outre,  une  jolie 
voix;  aussi  lorsqu'il  vint. à  Paris  en  18  i4  pour  entrer  dans  la  classe  d'Halévy, 
il  sut  mettre  à  profit  ses  talents  variés  et  gagner  son  pain  quotidien  en  chan- 
tant dans  les  choeurs  et  en  donnant  des  leçons.  En  1849,  il  quitta  le  Conserva- 
toire, et,  l'année  suivante,  il  fondait  avec  Seghers  cette  fameuse  Société 
Sainte-Cécile  qui  fut  comme  l'embryon  de  nos  grands  concerts  symphoniques, 
et  où  furent  exécutés  pour  la  première  fois  tant  d'ouvrages  anciens  ou  nou- 
veaux inconnus  alors  et,  depuis,  devenus  populaires.  Mais  il  ne  se  contentait  pas 
de  diriger  les  chœurs;  il  écrivait  pour  les  chœurs,  et  pour  les  solistes,  et  pour 
les  instruments;  il  composait  des  œuvres  charmantes,  où  la  grâce  le  disputait 
à  l'esprit,  où,  sous  le  manteau  de  la  simplicité,  se  cachait  modestement  beau- 
coup de  finesse;  il  avait  étudié  con  amorels.  chanson  populaire,  et  il  s'en  était 
approprié  le  tour  aimable,  la  netteté  rythmique,  la  franchise  mélodique.  Il 
avait  donné  au  Théâtre-Lyrique,  et  avec  succès,  en  1853  l'Organiste  et  en  1877 
Après  Fontenoy:  il  avait  fait  entendre  soit  au  Théâtre-Italien,  soit  à  la  Société 
des  concerts,  soit  aux  concerts  du  Grand-Hôtel,  dirigés  par  Daubé,  d'impor- 
tantes partitions,  vocales  et  symphoniques,  comme  les  Poèmes  de  la  Mer,  Dans 
la  Forêt,  la  Fête  d'Alexandre,  l'Inde,  etc.;  enfin,  il  avait  publié  des  mélodies 
dont  beaucoup  devinrent  populaires. 

Mais  il  ne  s'agit  pas  d'énumérer  ici  toutes  ses  œuvres;  le  nombre  en  est  tel 
que  plusieurs  colonnes  du  Ménestrel  y  suffiraient  à  peine.  Je  m'amuse  présen- 
tement à  en  dresser  le  catalogue  thématique,  et  je  demeure  confondu  devact 
une  telle  pruduc'ion.  Chœurs,  duos,  pièces  symphoniques,  œuvres  dramatiques, 
morceaux  pour  piano  seul  et  pour  piano  à  quatre  mains,  tout  cela  se  compte, 
ou  plutôt...  ne  se  compte  plus.  Quant  aux  mélodies,  s'il  en  existe  bien  six  cents 
qui  sont  éditées,  j'en  connais,  parce  que  j'ai  les  autographes  entre  les  mains, 
au  moins  autant  qui  ne  le  sont  pas. 

Tel  était  le  musicien  qui,  par  un  coup  du  sort,  devenait  bibliothécaire,  et, 
il  faut  ajouter,  pour  le  plus  grand  profit  du  Conservatoire;  car  M.  "Werkerlin 
tacha  de  ne  pas  ressembler  à  ses  illustres  prédécesseurs,  Berlioz  et  Félicien 
David.  Ceux-ci  avaient  accepté  des  fonctions  et  ne  les  remplissaient  point.  Lui, 
bieu  au  contraire,  il  prit  son  rôle  au  sérieux,  et,  sous  sou  impulsion,  la 
Bibliothèque  du  Conservatoire  devint  l'une  des  plus  riches  du  monde  entier. 
En  Allemagne,  en  Belgique,  en  Italie,  il  faisait  les  acquisitions  les  plus 
utiles  et  les  plus  avantageuses;  aux  imprimés,  il  ajoutait  les  estampes  et  les 
manuscrits  originaux  dont  la  valeur  est  aujourd'hui  inestimable;  il  recueillait 
d'innombrables  brochures,  délaissées  jusque-là,  et  transformées,  grâce  à  lui, 
en  sources  abondantes  de  renseignements;  il  accumulait  et  il  classait  avec  un 
inlassable  zèle.  A  dix  heures  du  matin,  il  arrivait  à  la  Bibliothèque,  et  ne  la 
quittait  qu'à  six  heures  du  soir,  le  premier  à  venir,  le  dernier  à  partir,  donnant 
l'exemple  de  la  ponctualité  et  de  l'assiduité,  travaillant  toujours  et  mettant 
son  érudition  au  service  de  tous  les  vrais  travailleurs,  ne  s'appliquant  à  éloigner 
que  les  oisifs,  les  indifférents,  les  gêneurs.  On  a  répété  qu'il  gardait  jalouse- 
ment ses  trésors  et  ne  les  livrait  que  contraint  et  forcé.  Ce  sont  les  étrangers 
qui  ont  répandu  ce  bruit,  car,  plus  d'une  fois,  ils  avaient  dû  compter  avec  sa 
vigilante  sévérité;  mais  au  profit  des  Français,  de  ceux  qui  voulaient  le 
consulter  en  s'éclairant  de  ses  lumières,  il  se  dépensait  avec  un  empressement 
auquel  plus  d'un,  moi  tout  le  premier,  doit  rendre  hommage.  Avec  ceux  qui 
l'intéressaient,  il  devenait  la  complaisance  et  la  bonté  mêmes  :  on  ne  pouvait 
pénétrer  dans  son  intimité  sans  l'aimer. 

Il  se  peut  que  l'âge  et  la  maladie  le  forcent  à  quitter  son  poste.  Ce  jour-là, 
une  récompense  devrait  lui  être  attribuée,  comme  au  doyen,  au  plus  fidèle, 
au  plus  digne  des  serviteurs  du  Conservatoire.  Depuis  plus  de  trente  années 
qu'il  est  chevalier  de  la  Légion  d'honneur,  à  quatre-vingt-sept  ans  d'âge,  ce 
modèle  des  fonctionnaires,  ce  musicien  distingué,  ce  bibliophile  averti,  a  bien 
le  droit  de  voir  son  ruban  rouge  se  transformer  en  rosette.  Paissent  ces  lignes 
tomber  sous  les  yeux  de  M.  le  Ministre  de  l'Instruction  publique,  afin  de 
signaler  à  sa  bienveillance  et  à  sa  justice  un  artiste  dont  la  vie  demeure  un 
exemple,  car  son  ambition  s'est  toujours  bornée  à  aimer  son  pays  et  à  le  ser- 
vir par  son  infatigable  labeur.  Charles  Malherbe. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 
(pour  les  seuls  abonnés  a  la  musique) 


Les  grandes  dames  de  nos  jours  ne  font  pas  seulement  de  la  poésie,  elles  conti- 
nuent a  écrire  de  la  musique,  et  souvent  non  sans  talent.  Le  maitre  Massenet  avait 
appelé  notre  attention  sur  quelques  compositions  de  la  marquise  de  Negrone,  ei  en 
effet  ce  Nocturne  est  mélodique  assurément  sans  banalité,  et  ces  Sauterelles,  y  jointes, 
sont  un  galant  badinage. 


LE  MÉNESTREL 


a  Vi 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


II  est  question  de  commencer  à  Berlin,  dès  le  courant  de  l'automne  pro- 
chain, la  construction  d'unOpéra-Populaire  pouvant  contenir  deux  mille  cinq 
cents  personnes.  Le  projet  est  dès  à  présent  élaboré,  parait-il,  les  plans  sont 
achevés  et  le  terrain  aurait  même  été  acheté.  C'est  M.  Pasti,  le  directeur  du 
nouveau  théâtre  d'opérette,  qui  prendrait  la  direction  de  l'Opéra-Populaire;  il 
y  annexerait  une  sorte  d'institut  supérieur  destiné  à  préparer  les  artistes.  Le 
prix  des  places  les  plus  chères  ne  dépasserait  pas  4fr.  30.  Le  théâtre  sera  cons- 
truit avec  élégance,  dans  le  «  Barockstil  »  moderne,  comme  on  dit  en 
Allemagne. 

—  Un  don  de  précieux  autographes  à  la  Bibliothèque-Royale  de  Berlin.  — 
Le  conseiller  intime  de  commerce,  M.  Ernest  von  Mendelssohn-Bartholdy, 
lils  de  M.  Paul  Mendelssohn-Bartholdy,  qui  était  lui-même  le  frère  du  célèbre 
compositeur,  vient  d'offrir  à  l'Empereur  d'Allemagne,  pour  qu'il  en  dispose 
en  faveur  d'une  institution  publique,  des  autographes  de  J.-S.  Bach,  de  Jo- 
seph Haydn,  de  Mozart  et  de  Beethoven,  qu'il  avait  en  sa  possession.  L'Em- 
pereur a  décidé  que  ces  documents  de  premier  ordre  pour  l'histoire  de  la 
musique  seraient  conservés  à  la  Bibliothèque-Royale  de  Berlin.  La  livraison 
en  a  été  faite  le  26  juin  dernier.  Les  pièces  les  plus  importantes  de  la  collec- 
tion sont  :  Une  cantate  et  un  cahier  de  chorals  de  Bach;  quatre  symphonies 
et  une  messe  de  Haydn:  la  partition  complète  de  l'Enlèvement  au  Sérail  de 
Mozart  et  un  livre  d'esquisses  de  la  jeunesse  de  ce  maitre;  les  autographes  de 
Beethoven  sont  d'une  valeur  inestimable;  il  y  a  :  trois  symphonies,  la  qua- 
trième, en  si  bémol,  la  cinquième,  en  ut  mineur,  la  septième,  en  la;  toutes  les 
trois  sont  complètes  et  écrites  de  la  main  de  Beethoven;  le  septuor,  op.  20; 
le  quintette,  en  ut  majeur,  op.  20;  le  trio,  en  si  bémol  majeur,  pour  deux 
hautbois  et  cor  anglais,  op.  97;  sept  quatuors,  en  fa,  op.  591,  en  mi  bémol, 
op.  74,  en  mi  bémol,  op.  127,  eu  si  bémol,  op.  130,  en  ut  dièse  mineur, 
op.  131,  en  lu  mineur,  op.  132;  parmi  ces  quatuors,  trois  sont  complets: 
l'ouverture  en  mi  majeur  de  Fidelio,  le  premier  et  ie  deuxième  finals  de  cet 
opéra;  enfin  un  livre  d'esquisses  excessivement  intéressant.  M.  Ernest  Men- 
delssohn  a  encore  ajouté  à  tout  cela  le  manuscrit  original  du  concerto  pour 
violon  de  son  oncle,  Félix  Mendelssohn-Bartholdy.  Si  quelque  erreur  s'était 
glissée  dans  cette  liste  dressée  hâtivement,  nous  nous  empresserions  de  la 
rectifier.  Il  y  a  par  exemple  un  doute  pour  le  septuor,  op.  20,  que  l'on  a 
qualifié  sextuor. 

—  De  Berlin  :  Au  Schillertheater,  qui  est  loué  tous  les  étés  par  l'Opéra- 
Morwitz,  a  eu  lieu  hier  la  première  représentation,  en  Allemagne,  d'un  opéra- 
comique  vieux  de  plus  d'un  demi-siècle  :  il  s'ag.t  de  Si  j'étais  Roi,  d'Adolphe 
Adam.  On  ne  connaissait  jusqu'à  présent  en  Allemagne  que  deux  des  nom- 
breuses compositions  de  l'auteur  du  Chalet  :  le  Posti/l  n  de  Lonjumeau  et  la 
Poupée  de  Nuremberg,  qui  se  trouvent  au  répertoire  de  plusieurs  théâtres 
allemands  et  qui  ont  encore  tous  les  ans  de  nombreuses  représentations.  Si 
j'étais  Roi,  qui  a  été  adroitement  traduit,  mis  en  scène  et  dirigé  hier  par  le 
kapellmeister  et  directeur  Je  la  Morwitz  Oper,  M.  Paul  Wolff,  a  obtenu  un 
très  gros  succès  et  aura  certainement,  lui  aussi,  de  multiples  représenta- 
tions. 

—  Des  concerts  du  soir  seront  donnés  pendant  la  saison  prochaine  dans  le 
Choralion  Saal  de  Berlin.  Le  distingué  violoncelliste,  M.  Marx  Lœwenson, 
qui  en  a  pris  l'initiative,  fait  ainsi  connaître  son  but  et  ses  intentions  :  «Nous 
désirons  fournir  aux  compositeurs  les  plus  remarquables  de  toutes  les  natio- 
nalités l'occasion  de  se  faire  connaître  de  l'élite  du  public  musical  de  Berlin, 
et  cela,  grâce  à  des  interprètes  choisis  par  eux-mêmes  et  placés  sous  leur 
propre  direction.  Nous  nous  sommes  assurés  dans  ce  but  un  local  de  dimen- 
sions modestes,  le  plus  convenable  à  ce  qu'il  nous  a  semblé,  pour  permettre 
d'entrer  dans  l'intimité  des  œuvres  et  de  les  exécuter  d'après  leur  véritable 
sentiment  et  leur  caractère  particulier.  Les  conditions  de  simplicité,  d'élé- 
gance et  de  calme  que  nous  tenons  à  conserver  à  notre  entreprise,  nous  pen- 
sons pouvoir  les  réaliser  dans  le  Choralion  Saal,  qui  nous  offre  encore  l'avan- 
tage d'y  pouvoir  disposer  d'un  très  bel  orgue.  Pour  la  saison  1907-08,  nous 
avons  fait  appel  à  plusieurs  maîtres  de  l'école  française;  ils  dirigeront  leurs 
œuvres  pendant  six  séances.  »  Parmi  les  compositeurs  français  auxquels  il  est 
fait  allusion,  les  noms  de  quatre  ont  été  prononcés  déjà;  ils  dirigeront  leurs 
œuvres  pendant  les  quatre  premières  séances.  Ce  sont  MM.  Gabriel  Fauré, 
Ch.-M.  Widor.  Alexandre  Guilmant  et  Claude  Debussy. 

—  De  Vienne  :  Parmi  les  œuvres  nouvelles  que  la  direction  de  l'Opéra  de 
la  Cour  montera  la  saison  prochaine  figure  celle  d'un  compositeur  américain, 
M.  Albert  Mildenberg.  Cet  opéra  s'appelle  Michel-Ange  et,  comme  le  titre  le 
laisse  supposer,  son  action  est  puisée  dans  la  vie  et  dans  l'œuvre  du  célèbre 
peintre,  sculpteur  et  architecte  italien.  M.  Mildenberg  avait  d'abord  soumis 
son  opéra  aux  directeurs  du  Metropolitan  de  New-York  qui,  n'osant  pas  pré- 
senter au  public  américain  un  compositeur  complètement  inconnu,  lui  ont 
conseillé  de  se  faire  jouer  d'abord  en  Europe.  La  première  représentation 
aura  probablement  lieu  au  commencement  de  novembre  et  le  ride  de  Michel- 
Ange  sera  créé  par  M.  Bonci.le  célèbre  ténor. 

—  L'Association  Richard  Wagner,  de  Gralz,  dans  une  séance  tenue  le 
20  juin  dernier,  a  voté,  à  l'unanimité  de  ses  membres  présents,  l'ordre  du  jour 


suivant  destiné  à  protester  contre  les  coupures  faites  à  l'Opéra  de  Vienne  dans 
la  partition  de  laWalkyrie.  «  Pendant  les  dix  années  qui  viennent  de  s'écouler, 
lesceuvres  de  Richard  Wagner  ont  été  exécutées  à  l'Opéra  de  Vienne  avec  le 
respect  que  méritent  les  ouvrages  do  cotte  valeur.  On  avait  rompu  avec  les 
errements  d'autrefois,  consistant  à  couper  et  à  omettre  certaines  pariiesaBn 
de  gagner  du  temps,  et.  depuis  le  Vaisseau  fantôme,  tous  les  drames  lyriques 
de  Wagner  étaient  joués  sans  coupures,  aux  applaudissements  du  public. 
Jamais  Wagner  n'a  laissé  sous  ce  rapport  subsister  aucun  doute  sur  ses  in- 
tentions. Il  était  convaincu  que  ses  ouvrages  ne  pourraieni  être  compris  qu'à 
la  condition  d'être  exécutés  intégralement.  Or,  aujourd'hui  que  les  scènes 
théâtrales,  même  quand  elles  sont  réduites  à  de  faibles  ressources,  disposent 
de  moyens  bien  plus  considérables  qu'autrefois,  il  n'y  a  plus  rien  qui  puisse 
excuser  ceux  qui  voudraient  en  revenir  aux  anciens  abus.  Ce  qui  se  passe  a 
Vienne  parait  d'autant  plus  étrange  et  d'autant  plus  regrettable  que  c'est  le 
nouveau  directeur  de  notre  première  institution  d'art,  M.  Félix  Weingartner, 
qui  a  essayé  ce  retour  en  arrière  et  a  exécuté  la  Walkyrie  en  y  pratiquant 
seize  coupures  formant  ensemble  plus  de  deux  cents  mesures.  Cette  façon 
d'agir  ne  peut  rester  sans  protestation,  et  notre  association,  qui  a  pour  objet 
de  veiller  à  ce  que  les  intérêts  de  l'art  wagnérien  ne  soient  point  lésés,  ne 
remplit  en  la  circonstance  que  le  devoir  très  naturel  qui  lui  incombe,  en 
blâmant  de  telles  pratiques  et  en  exprimant  l'espoir  que  cette  mutilation 
de  l'œuvre  de  Wagner,  précieux  patrimoine  artistique  de  la  nation,  ne  soit 
plus  continuée  désormais...  Le  spectateur,  qui  ne  peut  supporter  la  représen- 
tation de  la  Walkyrie  sans  coupures,  ne  verra  certainement  aucun  inconvé- 
nient à  ce  que  cet  ouvrage  disparaisse  entièrement  du  répertoire.  Tous  lès 
amis  de  l'art  espèrent  avec  nous  que  M.  Weingartner,  qui  est  lui  aussi  un 
artiste  créateur,  ne  voudra  pas  prendre  appui  chez  cette  partie  du  public,  qui 
ne  voit  dans  le  spectacle  qu'un  moyen  de  se  défendre  contre  l'ennui  pendant 
une  soirée  ». 

—  L'«  Allgemeine  Musik-Zeitung  »  nous  apporte  les  renseignements  statis- 
tiques suivants  sur  la  dernière  saison  musicale  des  doux  théâtres  royaux 
d'opéra  de  Berlin.  Les  représentations  commencées  le  20  août  1907  avec  le 
Vaisseau  fantôme  se  sont  terminées  le  21  juin  dernier  par  Madame  Butterfly. 
On  a  donné  pendant  ces  dix  mois,  tant  à  l'ancien  qu'au  nouvel  Opéra-Roval, 
trois  cent-trente-deux  représentations  des  compositeurs  suivants  :  Adam, 
Auher,  Beethoven.  Bizet,  Blech,  Boicldieu,  Cornélius,  Donizetti,  Gluck,  Gou- 
nod,  Humperdinck,  Kienzl,  Leoncavallo,  Lortzing,  Mascagni,  Masenct, 
Meyerbeer,  Mozart,  Nicolai,  Offenbach,  Puccini,  Rossini,  Reznicek.  Saint- 
Saèns,  R.  Strauss,  Ambroise  Thomas,  Verdi,  Wagner.  Weber.  Sur  ces  vingl- 
neuf  compositeurs,  dont  cinquante-qu-Urc  ouvrages  ont  été  représentés.  Ie3 
neuf  français  ont  à  leur  actif  soixante  représentations  comprenant  les  œuvres 
suivantes  :  Mignon,  Carmen,  Faust.  Roméo  et  Juliette,  Manon.  Thérèse,  In  Ifavàr- 
raise,  Samsou  et  Dalila,  la  Dame  blanche,  Jean  de  Paris,  le  Postillon  :!'■  Lonju- 
meau, Fra  Diavolo.  le  Domino  noir.  On  remarquera  que  les  opéras  de  Gluck, 
Meyerbeer  el  Offenbach  ne  figurent  pas  ici,  ces  maitres  n'étant  pas  nés  eu 
France;  il  est  juste  pourtant  de  considérer  que  leurs  œuvres,  du  moins,  celles 
qui  restent  au  répertoire,  sont  bien  exclusivement  françaises. 

—  Le  23  juin  dernier,  à  Leipzig,  les  amis  de  M.  Charles  Reinecke  ont  célé- 
bré le  quatre-vingt-quatrième  anniversaire  de  sa  naissance.  Parmi  les  per- 
sonnes empressées  à  rendre  hommage  au  vieux  maitre,  on  a  remarqué  le  duc 
Georges  Alexandre  de  Mecklembourg,  qui  a  passé  deux  heures  auprès  de  lui. 
Comme  compositeur,  Charles  Reinecke  n'a  pas  fait  preuve  d'une  grande  ori- 
ginalité, mais  il  a  produit  des  ouvrages  intéressants  dans  tous  les  genres  :  ce 
sont  l'opéra  le  Roi  Manfred,  les  opéras-comiques  le  Factionnaire  de  quatre  ans, 
Par  ordre  supérieur  et  le  Gouverneur  de  Tours,  l'oratorio  Ballhasar.  l'intermède 
Une  aventure  de  Haendel,  la  musique  mélodramatique  pour  Guillaume  Tell  de 
Schiller,  deux  messes,  des  cantates,  trois  symphonies,  des  ouvertures,  de  la 
musique  de  chambre,  quatre  concertos  pour  piano,  des  sonates  pour  piano  ou 
autres  instruments,  des  morceaux  de  genre  en  grand  nombre,  des  ballades 
pour  chant,  des  mélodies,  etc.  Charles  Reinecke  se  fit  connaître  en  1843 
comme  pianiste  et  obtint  de  grands  succès  dans  les  concerts.  Il  fut  attaché 
pendant  deux  an?  à  la  cour  du  roi  de  Danemark  Christian  VIII,  se  rendit  à 
Paris  vers  1848  et  devint  en  1831  professeur  au  Conservatoire  de  Cologne.  De 
1834  à  1839,  il  remplit  les  fonctions  de  directeur  de  la  musique  à  Barmen, 
occupa  ensuite  un  emploi  analogue  à  Breslau  et  fut  nommé,  en  1860.  chef 
d'orchestre  des  concerts  du  Gewandhaus  de  Leipzig  et  professeur  de  piano  et 
de  composition  au  Conservatoire  de  cette  ville.  Il  abandonna  en  1893  la  direc- 
tion des  cuncens,  et  eut  pour  successeur  M.  Arthur  Xikiscb.  Nommé  direc- 
teur des  études  au  Conservatoire  en  1897.  il  ne  prit  définitivement  sa  retraite 
qu'en  1902.  On  a  de  lui  plusieurs  ouvrages  d'enseignement,  des  notices  sur 
Mozart,  Beethoven,  Haydn,  Weber,  Schumann,  Mendelssohn,  etc.,  etc.  Une 
de  ses  œuvres  d'orchestre  a  éié  consacrée  à  la  mémoire  de  Félicien  David  ; 
elle  a  pour  titre  :  In  memorium,  introduction,  fugue  et  choral  pour  orchestre  Aux 
mânes  de  Félicien  David.  » 

—  On  peut  lire  dans  Y  Allgemeine  musilailisclie  Zeitung  de  l'année  1833 
les  ligues  suivantes  :  o  La  nouvelle  symphonie,  —  il  s'agit  de  celle  en  ut  ma- 
jeur qui  vient  d'être  exécutée  au  Gewandhaus  de  Leipzig,  —  est  du  jeune 
musicien  Richard  Wagner,  qui  n'a  pas  plus  de  virjet  ans.  Tous  les  morceaux, 
à  l'exception  du  deuxième,  ont  été  bien  accueillis  et  appréciés  selon  leur 
mérite...  Le  jeune  artiste  a  quitté  depuis  quelques  semaines  la  maison  de  son 
père  pour  se  rendre  à  Wurtzbourg,  chez  un  de  ses  frères  qui  y  est  professeur 
de  chant.  »  M.  Hermann  Rilter  a  publié  dans  les  «   Dernières  nouvelles  de 


244 


LE  MENESTREL 


Munich  »  quelques  renseignements  sur  ce  séjour  de  Wagner  à  Wurtzbourg. 
Son  fiera  se  nommait  Albert.  La  maison  qu'il  occupait,  au  coin  de  la  rue 
Hubert  et  de  la  rue  des  Capucins,  a  été  munie  d'une  inscription  ainsi  conçue  : 
«  Dans  cette  maison  habita  en  1833  Richard  Wagner  ».  La  Maison  est  petite 
et  de  très  modeste  apparence.  Ou  ignore  généralement  qu'en  1860.  lorsque  les 
projets  de  Wagner,  pour  l'érection  d'un  théâtre  de  fêtes,  parurent  définitive- 
ment anéantis,  le  maitre  entreprit  d'intéresser  à  sa  cause  le  bourgmestre 
de  Wurtzbourg,  lui  proposant  de  faire  ériger  sur  une  hauteur,  au  Sud-Est  de 
la  ville,  un  théâtre  construit  selon  ses  idées  et  ses  plans.  Le  magistrat  muni- 
cipal répondit  simplement  :  «  Nous  avons  déjà  ici  un  théâtre  ;  nous  n'avons 
pas  besoin  de  nous  embarrasser  d'un  autre,  »  A  l'époque  où  Wagner  fit  un 
séjour  à  Wurtzbourg,  son  frère  était  à  la  fois  chanteur,  comédien  et  régis- 
seur au  théâtre  de  cette  ville.  Le  futur  auteur  de  Parsifal  acquit  là,  par  expé- 
rience, bien  des  notions  utiles  relativement  à  l'art  de  la  'mise  en  scène,  Il 
remplit  au  théâtre  les  fonctions  de  directeur  des  chœurs  pendant  quelques 
mois,des  années  1S33  et  1834,  et  toucha  dix  florins  d'appointements  mensuels. 
Il  osa  même,  pour  être  agréable  à  son  frère,  qui  possédait  une  voix  élevée  de 
ténor,  ajouter  à  l'air  n°  15  de  de  la  partition  du  Vampire  de  Marschner  une 
terminaison  de  cent  quarante-deux  mesures,  au  lieu  des  cinquante-huit  qui 
existaient  dans  l'original.  Cette  amplification  de  rhéthorique  musicale  est 
datée  du  23  septembre  1S33.  C'est  probablement  le  premier  fragment  de  lui- 
même  que  Wagner  ait  entendu  chanter  sur  la  scène.  Lorsque  le  maitre 
quitta  Wurtzbourg,  en  1834,  il  se  rendit  à  Leipzig,  dans  l'espoir  d'y  voir 
représenter  son  opéra  en  trois  actes,  les  Fées,  qu'il  avait  écrit  chez  son  frère 
d'après  la  Femme  serpent  de  Gozzi;  mais  une  forte  déception  l'attendait;  son 
oeuvre  ne  put  arriver  jusqu'aux  feux  de  la  rampe  et  ne  fut  jouée,  à  Munich, 
que  cinquante-cinq  ans  plus  tard,  en  1888.  Un  amusant  souvenir  se  rattache 
au  séjour  que  fit  Wagner  à  Wurtzbourg  dans  la  maison  de  son  frère  Albert. 
Il  a  été  raconté  par  la  fille  de  ce  dernier,  M""'  Johanna  Jachmann- Wagner, 
qui  fut  une  cantatrice  de  renom  et  une  excellente  tragédienne.  «  Je  fus  très 
souvent,  dit-elle,  envoyée  près  de  mon  oncle  Richard,  pour  lui  dire  qu'il 
devait  venir  plus  ponctuellement  se  mettre  à  table  avec  nous  à  l'heure  des 
repas,  car  sans  cela  il  ne  trouverait  plus  que  des  mets  refroidis.  Un  jour  que 
j'avais  été  chargé  de  cette  commission,  je  le  trouvai  réfléchissant  dans  sa 
petite  chambre  tout  encombrée  de  livres.  Il  ne  fit  d'abord  aucune  attention 
à  moi,  mais  lorsque  je  me  rapprochai  de  lui  en  insistant,  et  que  je  lui  dis 
qu'il  devait  se  montrer  plus  ponctuel,  il  se  leva  soudain  de  sa  chaise  en  proie 
à  une  véritable  fureur  et  me  gratifia  d'un  soufflet  ».  L'oncle  et  la  nièce  se 
réconcilièrent,  car  Wagner  a  écrit  des  lignes  très  élogieuses  sur  la  cantatrice 
■Tobanna  Wagner. 

—  Comme  on  l'a  annoncé  déjà,  la  seconde  exposition  technique  musicale 
aura  lieu  au  Palais  de  cristal  de  Leipzig  du  l,r  au  13  juin  1909,  et  aura  pour 
objet  de  donner  le  tableau  aussi  complet  que  possible  de  tous  les  moyens  qui 
servent  à  apprendre  et  à  pratiquer  l'art  musical.  Instruments  du  passé  et  du 
présent,  fragments  d'instruments,  méthodes,  outils  et  machines  pour  leur 
construction,  littérature,  impression  et  gravure  musicales,  perfectionnement;, 
éprouvés  ou  non,  nouvelles  inventions,  etc.,  tout  doit  être  présenté  dans  un 
ordre  méthodique  et  clair  pour  le  spectateur.  L'exposition  sera  donc  intéres- 
sante et  instructive  pour  le  connaisseur  aussi  bien  que  pour  le  profane.  On 
tiendra  compte,  dit  une  note  officieuse,  de  l'expérience  déjà  acquise  dans  la 
première  exposition.  Les  instruments  mécaniques  seront  placés  dans  un  local 
à  part,  pour  éviter  les  troubles  constatés  précédemment,  et  l'on  aura  soin  qu'il 
n'y  ait  plus  ni  erreurs  ni  abus  dans  la  distribution  des  récompenses.  Le  pro- 
duit net  de  l'exposition  sera  versé  cette  fois,  comme  la  première,  dans  la 
caisse  de  bienfaisance  de  la  Ligue  centrale  allemande  des  musiciens  et  des 
sociétés  musicales. 

—  Une  opérette  nouvelle  en  trois  actes,  Bredow  le  fou,  paroles  de  M.  Bruno 
Harprecht,  musique  de  MM.  Bruno  Harprecht  et  Hans  Seifriz,  vient  d'être 
représentée  avec  succès  au  Théâtre-Municipal  de  Nuremberg. 

—  De  Christania  :  Le  ministre  d'Etat,  M.  Sigurd  Ibsen,  lils  d'Henryk 
Ibsen,  actuellement  en  visite  ici,  n'est  nullement  partisan  du  projet  de  trans- 
former en  musée  la  maison  que  son  illustre  père  a  habitée  jadis.  M.  Sigurd 
Ibsen  estime  que  cette  idée  est  peu  pratique,  parce  que  la  maison  qu'on  veut 
transformer  en  musée  est  une  maison  privée  dont  son  père  n'a  été  que  loca- 
taire et  dont  l'achat  exigerait  des  sommes  considérables.  Il  propose  de  créer  à 
la  place  des  «  Archives  Ibsen  »,  dans  lesquelles  on  réunirait  toutes  les  lettres 
et  tous  les  manuscrits  du  poète.  Il  existe  déjà  des  collections  de  ce  genre  dont 
la  plus  célèbre  est  la  collection  Collin,  à  Copenhague.  Il  suffirait  défaire  l'achat 
de  ces  collections  privées  et  d'y  joindre  les  documents  qui  se  trouvent  à  la  biblio- 
thèque de  l'Université  de  Christiania,  ainsi  que  ceux  qui  sont  encore  en  la 
possession  de  la  famille  Ibsen.  Cependant  les  partisans  du  «  Musée  Ibsen  »  ne 
se  tiennent  pas  pour  battus.  Parmi  ceux-ci  se  trouve  M.  Arctander,  ancien 
ministre  d'Etat,  qui  jouit  d'une  grosse  influence  et  qui  estime  qu'un  musée 
Ihsen  ne  manquerait  pas  d'attirer  tous  les  ans  des  touristes  dans  la  capitale 
norvégienne. 

—  Dans  une  polémique  qui  s'est  élevée  récemment  en  un  journal  italien 
entre  son  directeur  et  son  critique  musical,  à  propos  de  la  musique  qui  s'exé- 
cute dans  les  théâtres  et  dans  les  concerts,  le  hasard  a  fait  évoquer  certaines 
pages  presque  ignorées  de  la  vie  théâtrale  italienne  d'il  y  a  cent  ans.  Toutes 
les  armes  de  la  critique  étaient  alors  réunies  et  dirigées  contre...  Rossini,  qui 
était  appelé  tour  à  tour  novateur  extravagant  et  fou,  musicien  sans  fondement 
aucun  d'art  ni  do  science,  ou  encore,  comme  le  définissait  le  fameux  Zinga- 


relli,  «  divulgateur  de  la  musique  en  pilules  ».  Mais  une  pire  chose  arriva  à 
Milan,  et  ici  l'aventure  pouvait  être  tragique  et  ne  devint  comique  que  par 
l'esprit  du  maestro.  Rossini,  avec  une  audace  inouïe,  avait  introduit  des  tam- 
bours dans  l'orchestre!  On  jouait  la  Gazza  ladra,  et  le  public  était  resté  scan- 
dalisé d'une  innovation  aussi  irrévérencieuse.  Des  tambours  dans  l'orchestre!  — 
s'écrièrent  les  critiques  épouvantés  et  le  public  offensé,  du  même  ton  de  voix 
avec  lequel  les  bons  Romains  hurlaient  :  On  mettra  aussi  des  canons  dans  l'or- 
chestre! lorsqu'ils  entendirent  l'instrument  fragoroso  du  Barbier,  en  regrettant 
la  douceur  de  Paisiello.  Qui  ne  hurla  pas,  mais  devint  féroce,  ce  fut  un  élève 
de  Rolla,  violoniste  à  la  Scala,  qui  conçut  le  projet  île  poignarder  le  maestro 
novateur  pour  sauver  la  dignité  de  l'art  et  lui  faire  ainsi  atrocement  expier  ce 
crime  de  lèse-musique.  La  promptitude  d'esprit  sauva  Rossini.  Pendant  que 
Rolla,  le  chef  d'orchestre  de  la  Scala,  lui  conseillait  d'éviter  la  rencontre  de  ce 
farouche  gardien  des  saines  traditions,  le  hasard  tout  justement  le  mit  en  sa 
présence.  Alors  Rossini  lui  demanda  à  brùle-pourpoint  :  —  Y  a-t-il  oui  ou 
non,  des  soldats  dans  la  Gazza  ladra?  —  Il  n'y  a  que  des  gendarmes,  lui  ré- 
pondit sèchement  son  ennemi.  —  A  pied  ou  à  cheval?  —  A  pied.  —  Eh  bien, 
s'ils  sont  à  pied,  ils  doivent  avoir  des  tambours,  et  pourquoi  voulez-vous  me 
poignarder,  moi  qui  ne  peux  pas  les  en  priver  ?  Poignardez  plutôt  le  libret- 
tiste... Le  violoniste  farouche  finit  par  s'adoucir,  mais  il  ne  démordit  pas  de 
son  idée,  et  Rossini  dut  lui  promettre  de  ne  plus  jamais  faire  usage  de  tam- 
bours. Pourtant  la  Gazza  ladra  triompha  et  la  promesse  fut  violée. 

—  Un  orchestre  original.  Il  existe,  dit  un  journal  italien,  dans  la  commune 
de  Caravaggio.  province  de  Bergame,  une  bande  musicale  que  nous  croyons 
unique  en  son  genre  Nous  voulons  parler  d'un  corps  de  zampognari  (la  zam- 
pogna  est  une  sorte  de  cornemuse)  qui  sont  fournis  d'une  série  d'instruments 
de  toutes  les  grandeurs  et  de  toutes  les  tonalités,  de  façon  à  former  un  corps 
de  musique  parfait,  avec  instruments  adaptés  pour  l'exécution  de  la  partie 
cantabile  et  les  autres  pour  l'accompagnement.  La  bande  a  à  sa  tête  un  brave 
maestro  et  elle  est  complétée  par  des  tambourins  et  des  cymbales.  De  la 
fusion  des  timbres  divers  des  zampogne  (et  il  y  en  a  de  gigantesques)  résulte 
un  son  haut,  fort,  harmonieux,  comme  celui  d'une  multitude  de  flûtes  et 
d'octavins  (petites  flûtes).  Les  pièces  de  musique  exécutées  par  cette  très 
curieuse  bande  de  zampognari  sont  des  chansons  champêtres,  des  airs  de  danse, 
des  marches,  des  villanelles,  qui  ont  une  curieuse  cadence  mélancolique,  très 
sympathique,  et  qui  peut-être  ont  la  même  origine  mystérieuse  que  l'instru- 
ment avec  lequel  on  les  exécute.  Comme  on  le  voit,  ajoute  notre  confrère,  la 
gracilis  avena  chantée  par  Virgile  dure  et  persiste  jusque  dans  le  siècle  du 
phonographe.  Et  il  est  vraiment  singulier  que  la  tradition  du  très  antique 
instrument  se  soit  ainsi  maintenue,  tenace,  dans  un  petit  pays  de  la  contrée 
hergamasque,  pendant  que  partout  ailleurs  la  zampogna  est  complètement 
oubliée  et  ignorée,  ou  jouée  seulement  par  quelque  berger  solitaire.  La  bande 
dont  nous  parlons  a  donné  récemment  plusieurs  concerts  à  Vicence,  en  pro- 
duisant une  véritable  admiration. 

—  Le  24  juin  dernier,  à  Covent-Garden  de  Londres,  M1™  Melba  a  chanté 
en  matinée  pour  célébrer  le  vingtième  anniversaire  de  son  début  à  ce  théâtre. 
EUe  s'est  montrée  au  public  dans  des  fragments  de  la  Travinla,  aux  côtés  de 
M11'  Emmy  Destinn  qui  a  interprété  des  morceaux  de  Madame  Butteifly.  La 
recette  de  cette  séance  a  été  très  importante.  Elle  a  été  attribuée  tout  entière 
«.  l'hôpital  de  Londres. 

—  Dans  toutes  les  salles  de  concert  de  Londres,  au  Bechstein  Hall,  à 
l'.Eolian  Hall,  dans  la  salle  Erard,  on  entend  presque  chaque  soir  de  la  mu- 
sique française.  On  a  donné,  entre  autres  choses,  dans  les  dernières  séances 
du  mois  de  juin,  l'air  i'Hérodiade,  de  Massenet,  "Vision  fugitive,  chanté  par 
M.  Cafetto  ;  Marquise,  également  de  M.  Massenet,  a  eu  les  honneurs  du  bis  ; 
Marine,  de  Lalo,  a  obtenu  un  chaleureux  accueil  au  concert  de  M.  Brabazan 
Lowther.  La  musique  de  piano  de  M.  Théodore  Dubois  a  été  jouée  excellem- 
ment par  miss  Louise  Desmaisons.  Les  Myrtilles,  lu  Source  enchantée,  le  Banc 
de  mousse,  Dame  rustique,  des  Poèmes  Sylvestres,  ont  été  écoutés  avec  ravisse- 
ment et  longuement  applaudis.  Les  mélodies  populaires  n'ont  pas  été  oubliées; 
plusieurs  de  celles  qu'a  recueillies  M.  Veckerlin  ont  charmé  par  leur  fraîcheur 
un  nombreux  auditoire  qui  les  a  longuement  applaudies. 

—  A  l'École  Columbia  de  Chicago  a  eu  lieu,  le  lb  juin  dernier,  -un  très  in- 
téressant concert.  On  a  entendu  l'ouverture  à'Euryanlhe,  un  concerto  .de 
Rachmaninoff,  le  quatrième  concerto  en  ré  mineur,  de  Rnbinstein,  le  concerto 
pour  violon  en  sol,  de  Max  Brucb,  les  Variations  symphoniques  de  César 
Franck  et  l'air  du  Roi  de  Lahore  de  Massenet,  chanté  par  M.  Georges  Nelson 
Holl  avec  un  style  et  un  sentiment  de  l'expression  qui  lui  ont  valu  le  suffrage 
de  la  salie  entière. 

—  Encore  une  invention  américaine  !  Il  s'agit  d'un  instrument  de  nouveau 
genre  auquel  son  inventeur,  un  ouvrier  de  Milton  (dans  l'Etat  d'Indiana),  a 
donné  le  nom  de  Vandèau.  et  pour  lequel  il  a  pris  un  brevet.  C'est  un  instru- 
ment mécanique  qui,  tout  ensemble,  chante,  s'accompagne  au  piano  et  joue 
du  violon.  Il  consiste  en  un  piano,  muni  d'un  appareil  trotteur  qui  donne 
l'effet  du  violon,  le  tout  combiné  avec  une  machine  parlante  qui  se  charge  du 
chant.  L'instrument  est  mis  en  action  à  l'aide  d'un  cylindre  musical  perforé, 
du  type  ordinaire.  L'effet  doit  être  délicieux.  Les  Américains  sont  un  grand 
peuple. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

La  commission  supérieure  des  théâtres,  réunie  sous  la  présidence  de 
M.  Lépine,  préfet  de  police,  a  adopté,  avec  quelques  modifications  de  détail, 
les  conclusions  de  M.  Turot  sur  une   refonte   de  l'ordonnance   de   police   des 


LE  MÉNESTREL 


i'l. 


théâtres.  Parmi  ces  conclusions  —  que  nous  avons  publiées  —  ligure,  on  s'en 
souvient,  l'interdiction  de  gêner  les  spectateurs,  de  quelque  façon  que  ce  soit, 
et  notamment  par  le  port  de  chapeaux  de  dimensions  excessives.  C'est,  prati- 
quement, la  suppression  des  chapeaux  dits  «  de  théâtre  ». 

—  Résultats  des  concours  à  huis  clos  au  Conservatoire  : 

CONTRE POINT 

Premiers  prisK  —  MM.  Ribollot,  élève  de  M.  Gedalge:  Gallon,  élève  de  M.  Caus- 
sade;  Matignon,  élève  de  M.  Caussade. 

2"  prix.  —  MM.  Rauliu,  élève  de  M.  Gedalge  ;  Bourdon  (Emile),  élève  de  M  Caus- 
sade; Scotto,  élève  de  M.  Gedalge;  Boucher  (Roger),  élève  de  M.  Gedalge. 

Premiers  accessits.  M""  Delmazine,  élève  de  M.  Caussade;  Guérin  (Marie),  élève  de 
M.  Caussade. 

Chant  donné  et  thème  pour  quatuor  à  cordes,  de  M.  Gabriel  Fauré. 

Le  jury  était  composé  de  MM.  Gabriel  Fauré,  président,  Charles  Lenepveu, 
André  Wormser,  Lucien  Hilbmacher,  Camille  Erlanger.  Max  d'Ollone,  Cesare 
Galeotti,  Henri  Dallier, ,T.  Planchet,  Alexandre  Georges,  Charles  Tournemire. 
Pierre  de  Bréville,  Maurice  Emmanuel. 

—  La  série  des  concours  publics  s'est  ouverte  au  Conservatoire,  jeudi  der- 
nier, par  le  concours  de  chant  (hommes),  suivi,  vendredi,  par  le  chant 
(femmes),  et  aujourd'hui  samedi  par  le  concours  de  contrebasse,  alto  et  vio- 
loncelle. Notre  collaborateur  Arthur  Pougin  rendra  compte,  dans  le  numéro 
prochain,  de  ces  trois  séances  et  de  celles  qui  suivront. 

—  Le  ministre  des  beaux-arts  vient  d'inviter  l'Académie  des  beaux-arts  à 
lui  fournir  une  liste  de  cinq  noms  d'anciens  prix  de  Rome  de  composition 
musicale  classés  par  ordre  de  mérite.  Sur  cette  liste,  le  ministre  choisira 
le  compositeur  qui  sera  chargé  de  composer  un  opéra  que  les  directeurs 
de  l'Opéra,  MM.  Messager  et  Broussan.  sont  tenus,  aux  termes  de  leur 
cahier  des  charges,  de  faire  représenter.  La  section  de  composition  mu- 
sicale de.  l'Académie  des  beaux-arts,  composée  de  MM.  Reyer,  Massenet, 
Saint-Saèns,  Paladilhe.  Dubois  et  Lenepveu,  va  donner  cette  liste  et  elle  la 
soumettra  à  l'approbation  de  l'Académie  tout  entière,  qui  statuera  dans  sa 
séance  du  samedi  H  juillet. 

—  A  l'Opéra,  mercredi,  très  intéressante  représentation  du  Tannhauser,  en  ce 
qu'elle  nous  a  permis  d'apprécier  le  grand  mérite  d'une  jeune  artiste  M"cJane 
Henriquez.  qui  abordait  pour  la  première  fois  le  rôle  d'Elisabeth.  Fort  belle 
voix  et  jeu  intelligent.  Le  baryton  Albers  paraissait  aussi,  ce  soir-là,  pour  la 
première  fois  sur  la  scène  de  l'Opéra.  C'est,  comme  on  sait,  un  artiste  de  belle 
tenue  et  de  haut  talent.  Il  a  remarquablement  réussi  dans  le  rôle  de  Wolfram. 
M.  "Van  Dyck,  avec  sa  maestria  accoutumée:  Mlle  Louise  Grandjean.  magni- 
fique artiste,  qui  voulut  bien  chanter  le  rôle  de  Vénus;  M"e  Agussol, 
MM.  Gresse,  Dubois,  Delpouget,  Cerdan  et  Nansen,  achevaient  de  former  un 
fort  bel  ensemble. 

—  Lundi,  continuation  des  débuts  à  l'Opéra  du  baryton  Albers  dans  Thaïs. 
—  Le  14  juillet  (Fête  nationale),  on  donnera  en  spectacle  gratuit  Hippolyte  et 
Aricie . 

—  Mercredi,  à  l'Opéra,  lecture  aux  artistes  par  le  compositeur  Henri  Fé- 
vrier, de  la  partition  de  Monna  Vanna,  dont  la  première  représentation  est 
fixée  au  mois  de  novembre.  Les  interprètes  déjà  désignés  sont  M""-'  Bréval, 
MM.  Muratore  et  Delmas.  Gros  succès  de  lecture. 

—  L'Opéra-Comique,  comme  nous  l'avions  annoncé,  a  fermé  ses  portes 
mardi  dernier  sur  une  très  belle  représentation  de  Manon,  où  M"11'  Marguerite 
Carré,  MM.  Beyle  et  Fugère  se  sont  surpassés.  —  M.  Albert  Carré  ne  quittera 
point  Paris  avant  quelques  jours.  Il  ne  partira  pour  la  Bretagne  avec  Mme  Mar- 
guerite Carré  qu'après  avoir  arrêté,  dans  le  détail,  sa  saison  prochaine. 
Parmi  les  engagements  renouvelés  par  M.  Albert  Carré,  nous  pouvons  citer 
les  suivante  :  ceux  de  MM.  Ed.  Clément,  Salignac.  Jean  Périer,  Azéma. 
Gourdon,  Cazeneuve.  Delvoye  et  Guillamat:  de  M""s  Geneviève  Vis,  Berthe 
Lamare.  Vallandri.  Demellier.  Lucy  Vauthrin.  Parmi  les  nouveaux  engage- 
ments, citons  ceux  de  Mm"  Lucette  Korsoff,  Jane  Pernyn,  Bailac,  Lassalle, 
Ratti  et  Berthe  Mendès  (de  l'Opéra),  de  MM.  Nuibo,  Bourillon,  Blaocard,  Bel- 
homme  et  de  M.Katchenovsky,  un  jeune  artiste  russe  qui  possède  une  magnifique 
voix  de  basse.  —  On  a  dit  que  M.  Lucien  Fugère  quittait  l'Opéra-Comique. 
La  nouvelle  était  inexacte.    M.   Lucien  Fugère  continuera  à   appartenir  à  la 

.  salle  Favart,  pour  le  plus  grand  plaisir  de  ses  habitués  :  mais  l'éminent  artiste 
sera  en  représentation,  et  il  s'est  réservé  sa  liberté  pendant  une  partie  de  la 
saison. 

—  A  l'issue  de  l'Assemblée  générale,  le  comité  de  la  Société  des  composi- 
teurs de  musique  a  procédé  à  l'élection  de  son  bureau  pour  l'année  1908-1909. 
Sont  nommés:  président,  M.  Alex.  Guilmant:  vice-présidents.  MM.  Arthur 
Coquard.  Charles  Lefebvre,  J.  Mouquet,  Charles  Tournemire  :  secrétaire  gé- 
néral, M.  D.-C.  Planchet;  secrétaire-adjoint,  archiviste,  M.  Georges  Guiot  ; 
secrétaire  rapporteur.  M.  Arthur  Pougin;  secrétaires,  MM.  Marc  Delmas. 
Bertrand,  Ach.  Philip.  Marcel  Tournier:  Bibliothécaire.  M.  Anselme  Vinée  ; 
trésorier,  M.  Maurice  Emmanuel:  trésorier-adjoint.  M.  Anatole  Lefébure. 

—  La  cérémonie  du  «  Couronnement  de  la  Muse  ■>  d'Eaghien  a  pu  enfin 
avoir  lieu,  dimanche,  sur  la  place  du  Marché,  devant  une  al'lluence  considé- 
rable. L'œuvre  très  populaire,  quoique  très  symbolique,  du  maitre  Gustave 
Charpentier,  avec  ses  grandes  lignes  musicales  superbement  décoratives,  ses 
colossales  masses  orchestrales  et  chorales,  les  appels  stridents  des  innombra- 
bles trompettes,  les  grandes  envolées  vocales,  tout  cela  plein  de  vie,  d'exubé- 
rance, de  foi  et  de  santé,  devait  forcément  emballer  la  fouU  pour  qui  l'œuvre 


lut   écrite.    Le  compositeur  fut   donc  acclamé,  et,  avec  lui, 
M""    A.  Meunier,  de  l'Opéra,  admirable  et  suggestive  «  Beaut"  »;  le  grand 
mime  Sévèrm;  qui  fit  couler  bien  de-  larmes;  lee  toutes  gracieuses  Ri 
Kubler;  MM.  Marcel  Legay,  Boucrel,  Sizes.  Lachanau.J,  Faothoux,  le   maitre 
de    ballet  Sicard  et  le   Conservatoire   do  Mimi   Pinson,  dont  les  chants  et  les 
danses  furent  acclamés. 

—  L'Association  pour  l'enseignement  du  piano  pour  les  femmes,  fondée  en 
188:!  par  M"e  Hortense  Parent,  tiendra  son   assemblée  générale   le 

soir  :i  juillet  chez  la  fondatrice.  On  sait  que  l'école  préparât 

rat  du  piano  et  les  cours  d'amateurs  i rue  de  Tournou.  9  l    >l      l'a 

lent,  ''"pendent  de  cette  association. 

—  Correspondance  : 

Cher  Monsi!  i  n  (Ie\  cei 

Je  ne  puis  laisser  passer  -ans  la  rectifier  une   information  parue  dan 
numéro  du  Ménestrel,  et  d'après  laquelle  «  l'entrepreneur  de  M.  Caruso  »  l'aurait 
laissé  chanter  a  titre  exceptionnel  pour  la  somme  de  12.000  francs  dans  la 
représentation  de  Rigoletlo  que  j'ai  organisée  i  l'Opéra  au  bénéfice  de  la  I 
Retraites  de  la  Société  des  Auteurs. 

L'entrepreneur  en  question,  qui  n'est  autre  que  la  Metropolitan  Opéra  Company  de 
New- York,  a  cédé  Caruso  ao  prix  que  lui  coule  cet  arti-t",  et  aucune  Société  finan- 
cière sérieuse  ne  pouvait  agir  autrement. 

Le  premier  geste  de  Caruso  en  arrivant  à  Paris  a  été  de  renvoyer  à  M.  Pan'  Iler- 
vieu,  président  de  la  Société  des  Auteurs,  le  montant  de  sou  cachet,  ce  qui  porterait 
la  recelte  de  la  représentation  à  plus  de  150.000  francs  '.  '. 

Vous  voyez  donc  que  M.  Caruso,  pas  plus  d'ailleurs  que  M—  Melba  et  M.  Renaud, 
n'a  touché  aucun  cachet  dans  cette  circonstance. 

Je  vous  serais  reconnaissant  de  vouloir  bien  iosérer  cette  rectifica'ion.  Caruso  est 
est  un  homme  de  cœur  qui  serait  très  peiné  en  lisant  votre  information. 

Croyez,  cher  Monsieur  Heugel,  à  mes  sentiments  les  meilleurs. 

(..  ASTHl'C. 

—  Le  7e  volume  de  VAiinuaire  international  de  lu  Musique  est  en  préparation. 
Nous  engageons  nos  lecteurs  à  proposer  dès  maintenant  à  notre  confrère 
Baudouin  La  Londre  (16,  rue  des  Martyrs)  des  textes  d'insertions  nouvelles  et 
à  lui  signaler  les  rectifications  et  changements  utiles. 

—  A  Mantes,  brillante  audition'  des  élèves  des  cours  de  piano  de  Mmc  Nico- 
iini.  Au  programme,  des  œuvres  classiques  et  modernes  très  musicalement 
interprétées,  qui  ont  mis  en  valeur  le  bel  enseignement  de  M""  NicolinL  Le 
scherzo  de  Saint-Saéns,  à  deux  pianos,  4  mains,  a  été  très  applaudi.  Appré- 
ciés aussi  le  duo  de  Werther  de  Massenet,  l\4ir  des  bijoux  de  Faust,  chantés 
par  M"es  H.  T.  et  M.  S.,  élèves  de  l'excellent  professeur  de  chant  M.  T.  Miu- 
rizio.  Très  remarqués  aussi  dans  les  morceaux  de  piano  Bonjour  ColineUe  de 
"Wachs.  Rigaudon  de  Périlhoti.  I<o&e  aérienne  de  Lack.  etc. 

—  Roubaix.  — Cours  classiques  de  piano.  —  Nous  avons  déjà  eu  le  plaisir  de 
signaler  les  cours  classiques  de  piano,  organisés  par  notre  sympathique  conci- 
toyen. M.  Henry  Vaillant.  La  première  année  vient  de  se  terminer  mardi  par 
les  concours  des  diverses  classes:  de  9  heures  du  malin  à  1  heure  de  l'après- 
midi,  puis  de  i  heures  à  6  heures,  62  élèves  ont  défilé  devant  le  solennel  aréo- 
page. Le  jury  était  composé  de  M.  Gigout.  le  célèbre  organiste  de  Saint- 
Augustin,  à  Paris,  et  professeur  à  l'Ecole  Niedermeyer;  de  M.  I.  Philipp,  le 
délicat  et  brillant  pianiste,  professeur  au  Conservatoire  de  Paris:  de  M.  Rous- 
sel, un  jeune  musicien  de  talent,  professeur  à  la  Schola  Cantorum  :  de 
M.  Bruggman,  professeur  au  Conservatoire  de  Lille:  enfin  de  musiciens...  et 
de  musiciennes,  professeurs  et  amateurs,  de  Roubaix  et  de  Lille.  Il  a  tenu  à 
se  montrer  très  strict  et  très  rigoureux  dans  l'attribution  des  récompenses  : 
c'est  un  hommage  par  lui  rendu  à  la  valeur  des  élèves  et  de  leur  distingué 
professeur.  M.  Henry  Vaillant.  Néanmoins,  beaucoup  d'élèves  ont  obtenu  des 
prix  très  mérités.  Le  jury  a.  de  plus,  été  appelé  à  décerner  h  quelques  con- 
currentes le  diplôme  de  pédagogie  pour  l'enseignement  musical.  Apn-s  Je 
longues  et  minutieuses  épreuves,  d'exécution,  de  lecture  à  vue.  de  théorie 
musicale,  d'analyse,  et  même  après  une  leçon  faite  devant  lui.  ce  diplôme  a 
été  attribué  à  M"M  Germaine  Deslombes.  Germaine  Dhalluin  et  Marie-Louise 
P  ayelle. 

—  Soirées  et  Concerts.  —  La  jolie  salle  du  théâtre  de  l'Athénée  présentait  jeudi,  en 
matinée,  un  aspect  exceptionnellement  gracieux.  A  peine  deux  heures  ont-elles 
sonné,  toutes  les  places,  toutes  les  loges,  tous  les  cintres  sont  occupes  :  élégantes 
femmes  du  monde  en  toilettes  claires,  amateurs  d'art  les  accompagnant,  sont 
accourus  à  l'invitation  de  M""  Esther  Chevalier,  le  brillant  professeur  qui  dirige,  avec 
le  concours  de  M.  Lorant,  l'aimable  et  expert  régisseur  de  l'Opéra,  la  remarquable 
école  de  chant,  opéra  et  opéra-comique,  à  laquelle  on  devra,  en  majeure  partie, 
l'évolution  actuelle  de  nos  soirées  mondaines.  Cette  matinée,  où  l'on  entendit  à  peu 
près  quinze  jeunes  élèves  dans  des  scènes  délicieusement  choisies  parmi  les  meilleures 
de  l'Opéra  et  de  l'Opéra-Comique,  fut  un  véritable  triomphe  pour  le  remarquable 
professeur  qui  fut  une  des  étoiles  de  l'Opéra-Comique.  Mais,  et  l'on  comprendra 
notre  réserve,  il  ne  nous  semble  pas  permis  de  citer  par  leur  nom  les  intelligentes 
interprètes  instruites  par  M!10  Chevalier  ;  nous  étions  convié  à  une  solennité  à  peu 
près  exclusivement  familiale,  solennité  agrémentée  cependant  du  concours  de  quel- 
ques artistes  de  nos  grandes  scènes.  C'est  pour  rendre  hommage  avant  tout  à  la 
valeur  exceptionnelle  de  ce  concours  très  recherché  que  nous  nous  sommes  l'ait  un 
plaisir  d'enregistrer  son  nouveau  succès.  —  Jeudi  dernier,  à  N'euilly,  très  brillante 
audition  des  élèves  de  M"°=  et  de  M""  Andrée  et  Louise  Audousset.  Grand  succès 
pour  le  Cantique  de  Racine,  de  Reynaldo  Hahn,  chanté  par  les  élèves  du  cours  de 
M"'  Andrée  Audousset  qui,  elle-même,  a  fait  très  grand  plaisir  avec  un  trio  de 
Mcrie-Magdeleine,  de  Massenet.  et  la  Chanson  de  Colin,  de  Ta.  Dubois.  M.  Savelski, 
s'est  fait  apprécier  dans  «Chérubin  >,  de  Massenet,  et  M.  Franeesco  Perrachio  a  inter- 
prété avec  un  charme  exrpiis   les  Erinnyes  du  même  maitre.  —  Mardi  dernier,  à  la 


2Ï6 


LE  MENESTREL 


salle  de  l'Athénée  Saint-Germain,  très  intéressante  audition  des  élèves  de  l'excellent 
professeur  Douaillier,  de  l'Opéra.  Au  programme  :  les  airs  de  Sigurd,  de  Mignon,  du 
Roi  de  Lahore,  des  fragments  d'IIamlel,  de  Lakmé,  etc:,  etc.  Véritable  succès  pour 
tous  ces  jeunes  élèves,  qui  tous  ont  le  haut  style  et  la  belle  tenue  qui  caractérisaient 
leur  professeur  à  l'Opéra.  —  La  réunion  des  Lamartiniens  chez  M™'  Ernest  Ameline, 
en  son  hôtel,  rue  Chaptal,  a  été  très  brillante.  On  a  beaucoup  applaudi  le  baron 
Carra  de  Vaux  pour  son  intéressante  causerie  sur  Lamartine  ;  Mlle  Ameline  qui  adit 
à  merveille  des  poésies  de  Lamartine  ;  MM.  Dutilloy  et  Fabert,  de  l'Opéra-Comique, 
dans  le  Lac  et  le  Soir  de  Lamartine  ;  M"'  Delmyra-Tréogate,  dont  la  voix  est  si  déli- 
cieuse, et  M.  Gabriel  Frère  dans  ses  poèmes  gais.  —  L'Exercice  public  des  élèves 
de  M"'  Péraldi  a  été  des  plus  brillants.  On  a  fort  applaudi  les  jolies  pièces  pour  piano 
extraites  du  poème  'Avril  de  M.  Chavagnat:  Les  Violoneux,  le  Paire,  le  Poète,  etc.,  et 
celles  extraites  de  la  suite  Réception  à  la  Cour  :  Les  Fiançailles,  le  Pas  des  Bouquets, 
Fin  de  bal,  etc.  Mm°  Filliaux-Tiger  a  eu  sa  part  de  succès  avec  Crépuscule,  Source 
capricieuse,  Lamento,  Impromptu,  Danse  russe,  etc. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


ARGUS    de    la   PRESSE 

FONDÉ  EN  1879 

Le  plus  ancien  bureau  de  coupures  de  Journaux 

«  Pour  être  sûr  de  ne  pas  laisser  échapper  un  journal  qui  l'aurait  nommé, 
il  était  abonné  à  VArgus  de  la  Presse,  qui  lit,  découpe  et  traduit  tous  les  jour- 
naux du  monde,  et  en  fournit  des  extraits  sur  n'importe  quel  sujet.  » 

Hector  Malot  (Zyte,  p.  70  et  323). 
«  De  ce  flot  montant  d'articles  de  journaux  que  l'Argus  de  la  Presse  envoyait 
à  Vallobra,  matin  et  soir,   un   tiers   environ  était  étranger  ;    il  y  en  avait  de 
toutes  les  nations  et  dans  toutes  les  langues:  les  anglais,  les  allemands  domi- 
naient ;  ils  étaient  même  les  plus  sérieusement  faits.  » 

Paul  Alexis  (Vallobra,  p.  183  186). 
«  Continuez-moi  ponctuellement  l'envoi   de  vos  Argus,  qui  m'ont  toujours 
rendu  de  réels  services.  » 

(Lettre  du  marquis  de  Mores,  1893.) 

L'Argus  de  la  Presse  se  charge  de  toutes  les   recherches  rétrospectives  et  do- 
cumentaires qu'on  voudra  bien  lui  confier. 
L'Argus  lit  8.000  journaux  par  jour. 
Écrire  14.  rue  Drouot,  Paris. 
Adresse  télégraphique  :  Achambure-Paris. 


En  vente  AU  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Vivienne,  HEUGEL  ET  Cil',  éditeurs 

PROPRIÉTÉ    POUR    TOUS    PAYS 


CHANSONS    DflUVE^GflE 

En  dialecte  et  avec  traduction  française 
NOUVELLES     SÉRIES 


SAPINS  ET  FOUGÈRES    BROUSSE  ET  GENÊTS 


1. 

Regret  (Là-bas.  au  fond  du 

bois). 

10. 

Jeannette  (Jouonnetto). 

0. 

Sérénade  (Il  a  sonné  minu 

il). 

17. 

Le  mal  marié. 

3. 

Taisez-vous,  petite  sotte. 

18. 

Avec  toi  toujours. 

4. 

Pauvre  Pierre  (Paoura  Pie 

rrou). 

111. 

Mai. 

5. 

Au  Clair  de  lune. 

20. 

Père  Noël  chez  nous. 

6. 

Le  Chapeau. 

21. 

Veux-tu  te  louer? 

7. 

Julie,  ma  Julie. 

22. 

Les  Reinages. 

S. 

La  Robe  de  soie. 

23 

Les  Menettes. 

0. 

La  coiffe  de  ma  mie. 

21. 

Le  Berceau  (Lou  Bret). 

10 

Beïléro. 

2o 

Quand  tu  voulais. 

11 

La  ïoyette. 

20 

Amour  de  pâtre. 

1-2 

Les  Fuseaux. 

27. 

L'amour  qui  nous  mène. 

13 

La  Marion  et  l'amour. 

28 

Confession  de  la  Poulelte 

14 

Euissons  faisaient  piquette. 

20 

Les  Bceufs. 

13 

La  Font-sainte. 

30. 

La  mère  avec  la  fille. 

RECUEILLIES,  NOTÉES  ET  HARMONISÉES 


MARIUS.  VERSEPUY 

Chaque  série  (15  n0i).  —  Prix  net  :  4  francs. 
Chaque  numéro Prix  net  :  1  franc. 


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Petite  suite  pour  T=»I.A.]>S"0 

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I .  Minuit »  "io 

II.  Apparition  de  la  fée : .  1     » 

III.  Sérénade  d'un  lutin 1     » 

IV.  Danse  sous  la  lune '     " 

V.  Ronde  des  Korrigans 1  73 

VI.  Tout  disparaît 1     " 

Le  recueil.    .  Prix  net    3  francs 


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I .  Cygnes  noirs 3  » 

II.  Sérénade  grotesque • •     ?>  » 

III.  Marche  des  gnomes '  " 

IV.  Feux  follets *  " 

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l'enseignement  moderne  du  PIANO 

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N°  1.  Bruges.  —  LE  GLAS 


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Edition  pour  piano "et    *     " 

Les  deux  numéros  réunis,  ÉDITION  POUR  ORCHESTRE 
Partition  d'orchestre.   .   .  Net    15    ».  —  Parties  séparées.   .   .   .  Net    25 
Chaque  partie  supplémentaire.    .  Net    2     ï> 


4033.  -  74e  ANNÉE.-  N°  28.  PARAIT  TOUS  LES  SAMEDIS 


Samedi  11  Juillet  4908. 


(Les  Bureaux,  2bls,  rue  Tivienne,  Paris,  u-  m') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


Le  Numéro  :  Ofr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  Numéro  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  a  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  4»,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnemer' 
Un  an,  Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province. -Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano,  20  Ir    Paris  ci  Prov-nce  ""' 
Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  -  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  ea  sus 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Les  concours  du  Conservatoire,  AnTHun  Poucix.  —  II.  Nouvelles  diverses,  concer 
et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
AUBADE 
mélodie  de  la  marquise  de  Negrone,  poésie  de  Victor  Hugo.  —  Suivra  immé- 
diatement :   Le   Chemineau,  mélodie  d'ÉDOUARD  Tournon,  poésie  de  Fernand 
'Gregii. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
Sur  les  coteaux,  de  F.  Binet.  —  Suivra  immédiatement  :  Marche  des  petits 
magots  de  R.  "Vollstedt. 


LES  CONCOURS  DU  CONSERVATOIRE 


Et  le  petit  scandale  des  années  précédentes  continue  de  se  produire 
tranquillement  et  sans  vergogne.  Depuis  que  les  concours  publics  ont 
été  sottement  transportés  dans  la  salle  de  l'Opéra-Comique,  l'adminis- 
tration des  beaux-arts  en  a  fait  sa  chose  propre,  elle  s'est  emparée  de 
leur  organisation  matérielle,  et  le  Conservatoire  n'est  plus  maitre  chez 
lui.  Le  Conservatoire,  qui,  semble-t-il,  est  une  institution  musicale,  se 
croyait  naturellement  tenu  à  certains  égards  envers  les  artistes.  Il 
existe,  en  effet,  à  Paris,  un  certain  nombre  de  musiciens  qui  ne  sont 
pas  les  premiers  venus  :  compositeurs,  virtuoses,  professeurs,  que  les 
concours  intéressent  d'une  façon  directe  ou  indirecte,  et  qui  ont  comme 
une  sorte  de  droit  moral  à  y  assister  lorsqu'ils  en  expriment  le  désir. 
Il  arrivait  que  quelques-uns  de  ceux-là  demandaient  parfois  des  billets 
pour  telle  ou  telle  séance  qui  les  touchait  d'une  façon  spéciale,  et  le 
Conservatoire,  qui  savait  à  qui  il  avait  affaire,  leur  faisait  la  galanterie 
de  les  satisfaire.  Même  certains  grands  artistes  étrangers,  de  passage 
à  Paris  et  désireux  de  voir  comment  les  choses  se  passent  dans  une 
Ecole  glorieuse  et  dont  le  renom  est  européen,  exprimaient  le  môme 
désir,  qui  était,  en  somme,  un  hommage,  et  se  voyaient  aussitôt  satis- 
faits, cela  va  sans  dire. 

Il  n'en  est  plus  de  même  aujourd'hui,  et  l'administration  des  beaux- 
arts  a  changé  tout  cela.  Depuis  que  les  concours  sont  sous  sa  coupe, 
adieu  les  traditions  courtoises  du  Conservatoire  envers  les  artistes. 
C'est  qu'en  effet  les  artistes  n'existent  pas  pour  cette  excellente  admi- 
nistration, et  ils  se  voient  proprement  exclus  de  ces  séances  qui  les 
intéressent  de  façon  si  sérieuse.  Songez  donc  !  Il  faut  satisfaire  avant 
tout  messieurs  les  sénateurs,  messieurs  les  députés,  messieurs  les 
conseillers  municipaux,  et  messieurs  les  chefs  de  bureau  des  minis- 
tères, et  messieurs  du  service  des  beaux-arts,  etc.,  etc.,  etc.,  tous  gens 
qui  d'ailleurs  se  soucient  de  la  musique  comme  un  poisson  d'une  botte 
d'asperges,  mais  qui  veulent  des  billets  et  qui  repassent  ceux  qu'on 


leur  octroie  à  leurs  fournisseurs,  à  leurs  amis.àleurs  amies,  à  d'autres 
encore.  Ce  qui  fait  (rue  la  salle  de  l'Opéra-Comique  est  remplie  d'un 
tas  d'épiciers  —  et  d'épicières  —  qui  viennent  là  sans  savoir  pourquoi, 
qui  y  sont  tout  dépaysés,  qui  ne  comprennent  rien  à  ce  qui  se  passe  et 
qui  s'y  ennuient  à  tire-larigot,  pendant  que  les  artistes  sont  éconduits 
avec  plus  ou  moins  de  formes  et  se  voient  privés  d'une  satisfaction  qui 
devraient  leur  revenir  de  droit.  Et  c'est  ainsi  que  les  choses  se  passent 
dans  «  l'Athènes  moderne  »,  sous  un  gouvernement  ennemi  de  la 
fraude  et  de  tcute  espèce  de  sentiment  artistique. 

Maintenant  que  j'ai  dit  ce  que  j'avais  sur  le  cœur  (vous  me  direz  que 
c'était  bien  inutile,  et  j'en  suis  comme  vous  persuadé),  nous  allons 
causer  un  peu  des  concours.  Celui  qui  a  ouvert  la  série  était  le  con- 
cours de 

CHANT  (Hommes) 

Je  prétendrais  qu'il  a  été  particulièrement  brillant  que  je  mentirais  à 
ma  conscience.  Oncques  n'en  vis  de  plus  insignifiant,  de  plus  banal  et 
de  plus  nul,  en  dépit  des  récompenses  qui  se  sont  abattues  —  sans  les 
blesser  —  sur  la  tête  de  onze  des  concurrents  en  cause.  Ceux-ci.  qui 
dsvaient  être  au  nombre  de  vingt  et  un,  se  sont  trouvés  réduits  à 
vingt  par  l'absence  de  l'un  d'eux,  M.  Castel,  élève  de  M.  de  Martini. 
Comme  il  arrive  presque  toujours,  le  nombre  des  lauréats  a  été  en  sens 
inverse  de  la  valeur  de  la  séance. 

Le  jury  tenait  sans  doute  beaucoup  à  décerner  un  premier  prix,  puis- 
qu'il l'a  attribué  à  M.  Paulet.  élève  de  M.  Edmond  Duvernoy.  Non  que 
je  trouve  que  ce  jeune  artiste  soit  sans  valeur,  mais  il  m'est  avis  que 
son  enjambée  du  second  accessit  de  l'an  dernier  à  la  suprême  récom- 
pense de  cejourd'hui  est  tout  de  même  un  peu  extraordinaire.  M.  Pau- 
let est  un  simple  ténorino,  qui  s'est  fait  entendre  dans  un  air  à'Alceste. 
La  voix  est  assez  bien  posée,  mais  elle  manque  de  force  et  de  volume. 
D'ailleurs,  l'artiste  a  du  goût,  du  sentiment  et  de  la  grâce,  avec  un 
bon  phrasé.  Que  lui  manque-t-il  donc  ?  me  dira-t-on.  Mon  Dieu,  il  lui 
manque...  ce  qu'il  n'a  pas  encore,  la  supériorité  dans  ces  diverses  qua- 
lités. Tout  ça  est  très  gentil,  assurément  :  mais  c'est  encore  incomplet. 

Deux  seconds  prix  ont  été  confiés,  l'un  à  M.  Vaurs,  élève  de  M.  Las- 
salle,  l'autre  à  M.  Teissier,  élève  de  M.  de  Martini,  tous  deux  premiers 
accessits  de  1907.  M.  Vaurs  a  chanté  un  air  de  Sévère  du  Polyeucte  de 
Gounod.  lia  de  l'acquis,  de  l'expérience,  et  se  fait  remarquer  par  une 
excellente  prononciation.  Il  a  de  la  chaleur  et  parait  avoir  aussi  le 
sentiment  du  style.  Mais  je  ferai  observer  que  c'est  là  un  morceau  bien 
court  pour  permettre  déjuger  un  élève  en  connaissance  de  cause. — 
M.  Teissier  a  développé,  dans  un  air  de  YÉlie  de  Mendelssohn,  une 
bonne  voix  de  baryton.  Lui  aussi  a  de  l'acquis.  Son  exécution  est  assez 
bonne  en  son  ensemble,  sans  aucune  particularité  remarquable. 

Trois  premiers  accessits,  à  MM.  Coulomb,  élève  de  M.  Hettich,  Chah 
Mouradian,  élève  de  M.  Cazeneuve,  et  Ponzio,  élève  de  M.  Manoury. 
La  nomination  de  M.  Coulomb,  je  le  confesse,  m'a  un  peu  surpris,  et 
peut-être  ne  suis-je  pas  le  seul.  Voix  de  ténor  blanche  et  sans  caractère, 
qui  s'est  produite  dans  un  chef-d'œuvre,  l'Adélaïde,  de  Beethoven,  à 
laquelle  l'exécutant  parait  n'avoir  absolument  rien  compris,  ni  moi  non 
plus.  N'en  parlons  pas  davantage.  —  Mais  parlons  de  M.  Chah  Moura- 
dian, un  Arménien,  je  crois,  ou  un  Persan,  qui,  en  dépit  d'un  certain 
accent  exotique,  non  exagéré  d'ailleurs,  est  pour  moi  le  meilleur  sujet 
du  concours.  Celui-là,  je  crois,  fera  un  artiste.  Doué  d'une  jolie  voix  de 


248 


LE  MÉNESTREL 


ténor,  très  franche,  qui  joint  la  douceur  à-la  solidité,  il  a  fort  joliment 
chanté  le  délicieux  air  de  Joseph,  avec  de  la  chaleur,  du  charme  et  un 
bon  sentiment.  Bonne  prononciation,  hon  phrasé,  et  déjà  le  sens  du 
style.  Il  me  parait  qu'il  y  a  là  un  tempérament,  ou  tout  au  moins  une 
nature.  —  C'est  dans  un  air  des  Indes  galantes,  de  Rameau,  que  s'est 
fait  entendre  M.  Ponzio.  Bonne  voix  de  baryton,  assez  bon  phrasé. 
Chante  cet  air,  pas  commode,  non  sans  largeur  et  non  sans  goût.  Il  y  a 
du  bon. 

Pas  moins  de  cinq  seconds  accessits,  dont  voici  les  titulaires  : 
MM.  Bellet,  élève  de  M.  Lorrain  ;  Pierre  Dupré,  élève  de  M.  Hettich  : 
.Tourde,  élève  de  M.  Dubulle  ;  Imbert,  élève  de  M.  Engel  ;  et  Félisaz, 
élève  de  M.  Lorrain.  M.  Bellet,  de  la  voix,  mais  trop  de  gorge  ;  assez 
bon  phrasé  ;  a  le  tort,  en  dépit  de  la  mesure  et  du  style,  de  s'étaler 
ridiculement  sur  ses  finales  pour  faire  briller  ce  qu'il  croit  être  les 
bonnes  notes  de  sa  voix.  J'allais  oublier  de  dire  qu'il  a  chanté  un  air 
de  Polyeucte.  —  M.  Pierre  Dupré,  éducation  encore  bien  imparfaite. 
Chante  d'une  façon  bien  insignifiante,  avec  une  assez  bonne  voix  de 
basse,  un  air  de  la  Passion  selon  saint  Mathieu,  du  vieux  Bach.  A  revoir 
l'an  prochain.  —  M.  Jourde,  la  Reine  de  Saba.  Bonne  basse,  solide. 
Une  certaine  ampleur  dans  le  phrasé.  Rien  de  particulier,  mais  le 
désir  de  bien  faire.  Bu  courage  et  du  travail  pour  l'avenir. —  M.  Imbert. 
air  d'Hippohjte  et  Aricie.  de  Rameau.  Encore  une  basse.  Bonne  voix, 
franche  et  bien  sortante.  Bonne  articulation,  bon  phrasé,  assez  bon 
ensemble,  malgré  la  gène  que  pouvait  lui  causer  un  accompagnateur 
inopiné,  le  sien  étant  absent.  —  M.  Félisaz,  air  de  Faust.  Voix  blanche 
et  de  gorge,  mais  exagère  la  mezza  voce  de  telle  façon  qu'on  finit  par  ne 
plus  l'entendre.  Faut  de  la  délicatesse,  pas  trop  n'en  faut. 

A  distinguer,  pour  l'avenir,  M.  Combes,  élève  de  M.  Hettich,  qui 
s'est  tiré  à  son  honneur  de  l'air  admirable  de  Dardanus,  de  Rameau, 
Monstre  affreux,  monstre  redoutable,  et  M.  Audiger,  élève  de  M.  Lassalle, 
qui  a  montré  de  bonnes  qualités  dans  un  air  de  la  Fête  d'Alexandre,  de 

Haendel. 

Le  reste  ne  vaut  pas  l'honneur  d'être  nommé. 

Jury  de  ce  concours  :  MM.  Gabriel  Fauré,  président,  Gabriel  Pierné, 
André  Messager,  Broussan,  Salignac.  Delmas,  Renard,  Gailhard.  Im- 
bart  de  la  Tour,  Adrien  Bernheim,  D'Estournelles  de  Constant,  Mou- 
liérat.  Vilmos  etBeck. 

CHANT  (Femmes) 

Pas  beaucoup  plus  brillant  que  le  précédent,  bien  qu'on  eût  pourtant, 
des  raisons  d'espérer  mieux.  En  effet,  tandis  que  du  côté  des  hommes 
nous  n'avions,  en  fait  de  lauréats  des  années  précédentes,  que  deux 
premiers  et  deux  seconds  accessits,  nous  trouvions,  dans  la  liste  des 
femmes,  cinq  seconds  prix  antérieurs.  Nous  pouvions  donc  croire  nous 
trouver  en  présence  au  moins  de  cinq  sujets  formés  ou  bien  près  de 
l'être,  et  prêts  à  entrer  dans  la  carrière.  Hélas  !  il  n'en  était  rien,  et  la 
déception  a  été  grande.  De  ces  cinq  seconds  prix,  un  seul  a  décroché  la 
timbale,  et  les  quatre  autres  sont  restés  sur  le  carreau  ;  et  je  ne 
crois  pas  qu'il  se  trouve  (en  dehors  des  intéressées)  une  seule  voix 
pour  s'élever  contre  le  jugement  du  jury.  La  vérité  est  que  sur  les 
trente-cinq  concurrentes  inscrites,  réduites  à  trente-trois  par  l'absence 
de  deux  élèves,  MIlcs  Gautier  et  Erya  (je  crois  que  ce  chiffre  n'avait 
jamais  été  atteint),  il  ne  s'est  point  trouvé  non  seulement  de  ces  sujets 
brillants  qui  s'imposent  aussitôt  à  l'attention  et  à  la  sympathie,  mais  de 
véritable  supériorité.  D'autre  part,  il  est  certain  que  sur  les  trente-trois 
participantes  à  cette  séance  à  la  fois  monotone  et  fatigante,  un  bon  tiers 
aurait  pu  nous  être  épargné,  ces  jeunes  filles  n'étant  manifestement 
pas  en  état  de  s'y  produire  utilement.  Alors,  à  quoi  bon  les  fatiguer,  et 
aussi  le  jury,  et  nous  par-dessus  le  marché  ? 

Au  reste,  voici  la  liste  nombreuse  (trop,  à  mon  sens)  des  récompenses 
décernées  : 

y,rs  Prix.  —  Mné  Raveau,  élève  de  M.  Dubulle,  et  Mme  Garchery, 
élève  de  M.  Manoury. 

2"  Prix.  —  MUes  Kaiser,  élève  de  M.  Cazeneuve,  Le  Senne,  élève  du 
même,  Gustin,  élève  de  M.  Edmond  Duvernoy,  et  Bourdon,  élève  de 
M.  Lassalle. 

/prs  Accessits.  —  Mllcs  Pradier,  élève  de  M.  Hettich,  Amoretti,  élève 
de  M.  Engel,  Billard,  élève  de  M.  Martini,  et  Mme  Delisle,  élève  de 
Mme  Rose  Caron. 

2*s  Accessits.  —  Mllcs  Daumas,  élève  de  M.  Hettich,  Alavoine,  élève 
de  M.  Lassalle,  Gabrielle  Demougeot,  élève  de  M.  Hettich,  Rénaux, 
élève  de  M.  Duvernoy,  et  Fraisse,  élève  de  MT  Rose  Caron. 

Mme  Garchery  est  le  seul  des  seconds  prix  précédents  qui  ait  réussi  à 
atteindre  la  suprême  récompense.  Elle  s'est  fait  entendre  dans  le  grand 
air  si  difficile  d'Armide,  qu'elle  a  dit  sinon  avec  un  grand  style,  du 
moins  en  lui  donnant  de  l'accent,  en  y  montrant  de  la  vigueur  avec  un 
bon  sentiment  dramatique.  —  Mae  Alice  Raveau  est  venue,  elle  a  vu  et 


elle  a  vaincu.  Elle  était  à  son  premier  concours,  et  cela  lui  a  suffi  pour- 
distancer  toutes  ses  rivales.  Le  fait  est  qu'elle  a  chanté  une  mélodie  de 
M.  Saint-Saëns,  la  Cloche,  d'une  façon  bien  remarquable  et  en  déployant 
de  rares  qualités,  une  bonne  diction,  un  beau  phrasé,  de  la  sobriété,  du 
goût,  du  style  et  de  l'émotion.  Elle  a  visiblement  échauffé  la  fin  d' une- 
séance  un  peu  morne. 

Passons  aux  seconds  prix.  Mlle  Kaiser  n'a  pas  craint  de  se  mesurer 
avec  l'un  des  chefs-d'œuvre  de  Beethoven  :  Perfide,  parjure  !  qui  exige 
un  si  grand  sentiment  dramatique.  La  voix  est  un  beau  soprano,  étendu 
et  corsé  ;  le  phrasé  n'avait  malheureusement  pas  la  même  vigueur. 
Comme  ensemble,  ce  n'était  pas  mauvais,  et  pourtant  ce  n'était  pas  ça, 
outre  que  la  justesse  laissait  par  instants  à  désirer.  Malgré  tout,  on  sent 
qu'il  y  a  de  l'étoffe  chez  cette  jeune  femme,  et  un  certain  sentiment. 
Qu'elle  travaille  encore.  —  Mlle  Le  Senne  est  déjà  plus  formée.  Elle  l'a 
prouvé  dans  un  air  de  Renaud,  de  Sacchini.  La  voix  est  belle  et  solide  ; 
l'élève  a  fait  de  grands  progrès  depuis  l'an  dernier.  Elle  a  mis  de  l'accent, 
de  l'énergie,  de  la  chaleur  et  un  vrai  sentiment  dramatique  au  service 
de  cette  page  de  grand  style.  J'ajoute  qu'elle  chante  très  juste,  ce  qui 
n'était  pas,  malheureusement,  il  s'en  faut,  le  fait  de  toutes  ses  compa- 
gnes.—  MIle  Gustin  est  une  belle  grande  personne,  élégante  et  jolie r 
douée  d'une  physionomie  intéressante,  qui  s'est  attaquée  bravement  à 
un  air  d'Héraclès,  oratorio  écrit  par  Haendel  en  1744,  air  qui  exige  de- 
grandes  qualités  de  style.  Elle  l'a  chanté  avec  une  sobriété  qui  n'excluait 
pas  l'émotion,  en  le  phrasant  avec  intelligence.  Sa  voix  est  bonne  et 
bien  posée,,  mais....  qu'elle  se  méfie  du- chevrotement  qui  la  guette.  — 
M"e  Bourdon  est  pourvue  aussi  d'une  voix  bonne  et  solide,  qu'elle  a 
fait  briller  dans  un  air  d'Alceste.  Ce  n'est  pas  mal  d'exécution,  mais 
cela  ne  dépasse  pas  ce  «  pas  mal  ».  Il  y  a  beaucoup  à  travailler 
encore. 

Eu  tète  des  premiers  accessits,  nous  trouvons  M"e  Pradier,  qui  a 
chanté  un  air  iucidentaire  d'Hippolyle  et  Aricie,  de  Rameau.  Cela  est 
bien  jeunet,  non  sans  grâce  ni  gentillesse,  mais  ne  présentant  rien  de 
personnel.  Vocalisation  encore  hésitante,  trille  assez  brillant.  A  revoir. 

—  Mllc  Amoretti  a  chanté  le  joli  air  de  la  Belle  Arsène,  qui  fut  célèbre 
durant  quatre-vingts  ans.  sans  avoir  l'air  d'y  rien  comprendre,  et  en 
l'agrémentant  d'un  point  d'orgue  prétentieux  et  interminable  qui  jurait 
avec  le  style  de  cette  musique  aimable,  et  qui  aurait  fait  dresser  les 
cheveux  sur  la  tête  de  l'auteur  du  Déserteur  et  de  Rose  et  Colas.  — 
M""' Delisle  nous  a  fait  entendre  (pourquoi  en  italien?)  les  fameuses 
Variations  du  grand  violoniste  Rode,  qui  étaient,  il  y  a  prés  d'un 
siècle,  le  cheval  de  bataille  de  Mme  Catalani,  l'ennemie  de  Napoléon,  et 
dont  la  vogue  fut  prodigieuse.  Elle  y  a  fait  preuve  d'agilité  dans  la  voca- 
lisation et  d'une  véritable  virtuosité,  accompagnée  d'un  certain  goût. 

—  Et  c'est  dans  un  air  de  Judas  Machabée,  de  Haendel,  que  s'est  pro- 
duite Mlle  Billard.  Gentil  physique,  gentille  voix,  assez  gentille  vocali- 
sation. Bien  à  faire  encore,  mais  le  fond  ne  parait  pas  manquer. 

C'est  M"''  Daumas  qui  ouvre,  sans  éclat,  la  série  des  seconds  acces- 
sits, avec  l'air  d'Alceste,  «  Divinités  du  Styx  ».  A  moi,  Au  clair  de  la 
lune .'  Elle  aie  sang  figé  dans  les  veines,  cette  jeune  fille  !  Pas  d'accent, 
pas  d'élan,  pas  de  chaleur,  pas  l'ombre  d'émotion  dans  cette  page  admi- 
rable et  si  profondément  pathétique.  On  ne  peut  pas  dire  que  ce  soit 
mauvais,  mais  au  point  de  vue  du  rendu,  cela  n'existe  pas.  —  Sa  com- 
pagne, M"e  Alavoine,  qui  est  douée  d'une  belle  voix  de  mezzo-soprano, 
s'est  distinguée  de  tout  autre  façon  dans  un  bel  air  de  Mitrane,  opéra 
de  l'abbé  Francesco  Rossi  représenté  au  Théàtre-San-Mosé  de  Venise 
en  1689,  air  que  Fétis  remit  heureusement  en  lumière  il  y  a  soixante- 
dix  ans.  MIk'  Alavoine  l'a  dit  avec  goût,  avec  style,  avec  sagesse  et 
sobriété,  en  le  phrasant  fort  bien,  et  en  chantant  juste  !  —  Mlk'  Ga- 
brielle Demougeot,  sœur  de  l'artiste  de  l'Opéra,  a  chanté  avec  beau- 
coup d'habileté  l'air  de  Zerline  dans  Don  Juan,  d'une  jolie  voix  claire  et 
cristalline,  en  y  montrant  du  goût,  de  la  grâce,  de  l'esprit,  avec  un 
excellent  phrase  et  une  bonne  vocalisation.  Elle  méritait  assurément 
mieux,  et  beaucoup  mieux  que  ce  second  accessit.  Je  me  suis  laissé 
dire  que  cette  jeune  personne  avait  déjà  tâté  du  théâtre  en  province,  ce 
qui  lui  donnait,  avec  l'assurance  devant  le  public,  une  certaine  supé- 
riorité sur  ses  camarades.  Est-ce  là  la  cause  de  la  sévérité  du  jury  à 
son  égard  ?  Mais  alors,  il  ne  fallait  pas  la  recevoir  au  Conservatoire.  — 
Pas  de  style,  pas  d'accent,  pas  de  couleur  dans  l'air  superbe  d'OEdipe 
à  Colone,  de  Sacchini,  qu'est  venue  chanter  M1"'  Rénaux.  De  cette  page 
si  profondément  émouvante,  la  jeune  artiste  n'a  su  rien  tirer,  rien  !  — 
MllL'  Fraisse  a  dit  d'une  façon  assez  agréable,  sans  faire  montre  de  qua- 
lités particulières  et  personnelles,  l'air  d'Annette  du  Freischutz. 

Je  n'ai  rien  à  dire  des  quatre  seconds  prix  de  l'année  précédente, 
M1Us  Robur,  Cebroa-Nordens,  Panis  et  Chantai,  sinon  pour  approuver 
la  décision  du  jury  à  leur  égard.  Chez  aucune  je  n'ai  pu  constater  les 
progrès  qu'on  était  en  droit  d'attendre  et  d'espérer.  Parmi  les  élèves 


LE  MENESTREL 


21!» 


non  couronnées,  je  signalerai  simplement  M"'"  Arné,  Bonnard  et  Lam- 
bert, qui  ne  manquent  pas  de  quelques  qualités,  la  dernière  surtout. 
Jury  de  ce  concours  :  MM.  Gabriel  Fauré,  président,  André  Messa- 
ger, Paul  Dukas,  Broussan,  Henri  Bùsser,  de  La  Nux,  Delmas, 
Renaud,  Dufranne,  Escalaïs,  Gunsbourg,  Adrien  Bernheim,  Lalo, 
d'Estournelles  de  Constant. 

CONTREBASSE 

On  sait  que  les  trois  concours  de  contrebasse,  d'alto  et  de  violoncelle 
ont  lieu  le  même  jour,  et  que  le  jury  est  le  même  pour  ces  trois  séances 
successives.  Il  était  cette  fois  ainsi  composé  :  MM.  Gabriel  Fauré.  prési- 
dent. Edouard  Colonne,  Xavier  Leroux,  Caussade,  Hasselmans,  E.  de 
Bailly,  Louis  Baillé,  Salmon,  Schidenhelm,  Migard,  Alfred  Bruneau, 
Cliavy,  Fournier. 

Huit  élèves  de  la  classe  de  M.  Charpentier  se  présentaient  au  con- 
cours de  contrebasse,  pour  lequel  le  morceau  d'exécution  était  une  fan- 
taisie de  M.  Emile  Ratez,  l'excellent  directeur  du  Conservatoire  de 
Lille.  Je  ne  ferai  qu'un  reproche  à  ce  morceau  intéressanl,  c'est  de  ne 
pas  contenir  un  de  ces  traits  de  grand  détaché  et  à  large  envergure,  qui 
permettent  à  l'élève  de  déployer  cette  sonorité  grasse  et  puissante 
qui  doit  être  le  principe  même  de  ce  mastodonte  de  l'orchestre,  sur  qui 
repose  le  sentiment  du  rythme  et  de  la  mesure.  Le  morceau  de  lecture 
à  vue,  très  court,  était  dû  aussi  à  M.  Ratez. 

Sur  les  huit  concurrents  il  en  était  un,  M.  Herson-Macarel,  second 
prix  de  l'année  précédente,  qui  fit  preuve  d'une  véritable  et  incontes- 
table supériorité.  Exécution  expérimentée,  joli  son,  de  la  facilité,  bon 
phrasé,  poignet  excellent,  sûreté,  franchise  et  solidité  dans  le  jeu,  il 
réunissait  toutes  les  qualités.  Aussi...  le  jury  décida-t-il  qu'il  n'y  avait 
pas  lieu  à  décerner  de  premier  prix.  Toujours  impénétrable,  ce  brave 
jury,  avec  des  décisions  vraiment  déconcertantes,  selon  son  humeur, 
l'heure  qu'il  est  et  le  temps  qu'il  fait.  Pourquoi,,  tel  jour,  une  sévérité 
injustifiée,  et  tel  autre,  des  indulgences  qu'on  ne  peut  expliquer?  Allez 
lui  demander.  Pour  moi,  je  renonce  à  comprendre.  —  Poursuivons. 

Mais  si  cet  excellent  jury  s'est  refusé  à  décerner  un  premier  prix,  en 
revanche,  il  en  a  distribué  trois  seconds  :  à  MM.  Juste,  Anrès  et  Du- 
mont.  Je  n'y  vois,  pour  ma  part,  aucun  inconvénient.  M.  Juste  me 
parait  peut-être  supérieur  à  ses  deux  camarades.  Il  a  de  la  facilité,  de 
Ions  doigts,  de  la  grâce  (autant  que  la  contrebasse  peut  faire  bon  mé- 
nage avec  la  grâce);  très  bonne  exécution  d'ensemble.  —  M.  Anrès,  lui 
aussi,  a  le  jeu  facile  et  aisé  ;  il  manque  seulement  de  vigueur  dans  le 
son.  —  L'ensemble  est  très  bon  chez  M.  Léonce  Dumont,  dont  l'exécu- 
tion, très  sûre,  n'est  pas  dépourvue  d'élégance. 

ALTO 

La  classe,  toujours  remarquable,  de  M.  Laforge,  ne  mettait  cette  fois 
en  ligne  que  six  concurrents.  J'ajoute  que  ces  six  concurrents  ont  été 
tous  récompensés,  ce  qui  était  justice,  car  l'ensemble  de  la  séance  était 
excellent  et  fort  intéressant.  Ils  ont  eu  à  faire  entendre  un  concerlstiick, 
de  M.  Georges  Enesco,  dont  j'ai  cherché  vainement  à  comprendre  le 
plan,  peut-être  parce  qu'il  n'y  en  avait  pas.  En  revanche,  un  certain 
nombre  de  sons  harmoniques,  mais  pas  l'ombre  d'une  phrase  un  peu 
chantante  pour  ce  bel  instrument  mélancolique  qu'est  l'alto.  M.  Enesco, 
qui  est  un  modeste  et  qui  fuit  toutes  les  occasions  de  faire  parler  de 
lui,  avait  cependant  consenti  à  accompagner  lui-même  au  piano  le 
morceau  qu'il  avait  écrit  pour  le  concours,  et  l'aimable  abandon  avec 
lequel  il  s'acquittait  de  ce  soin  montrait  le  peu  d'importance  qu'il  y 
attachait.  Le  morceau  à  déchiffrer  était  de  M.  Xavier  Leroux. 

Trois  premiers  prix  ont  été  décernés  :  à  M.  Lucien  Rousseau,  à 
Mlle  Dumont  (l'un  et  l'autre  seconds  prix  de  l'an  dernier),  et  à  M.  Jules 
Taine,  qui  avait  eu  un  premier  accessit.  Si,  parmi  les  trois,  il  existe 
une  supériorité,  elle  me  semble  appartenir  à  M.  Rousseau,  qui  est  un 
artiste  vraiment  formé.  Il  a  de  l'acquis,  de  la  sûreté,  de  l'autorité  et 
une  réelle  virtuosité.  —  M"''  Dumont  se  fait  remarquer  par  un  joli  son, 
un  bon  bras  droit,  des  doigts  agiles  et  une  exécution  d'ensemble  très 
sûre.  Plus  de  vigueur  que  de  grâce.  —  M.  Taine,  lui  aussi,  a  de  l'agi- 
lité, avec  un  archet  solide  et  bien  à  la  corde.  Il  manque  un  peu  de 
flamme  et  d'élan,  et  a  besoin  de  s'animer. 

M.  Barrier,  qui  a  rencontré  le  second  prix  sur  son  passage,  a  de  l'ha- 
bileté et  un  jeu  solide,  mais  malheureusement  dépourvu  de  charme.  Et 
puis,  pourquoi  se  balance-t-il  incessamment  de  droite  à  gauche  et  de 
gauche  à  droite,  comme  s'il  était  sur  un  hamac  ?  Ça  finit  par  donner 
mal  au  cœur. 

M.  Mayeux,  à  qui  a  été  attribué  un  premier  accessit,  a  un  joli  son. 
de  la  grâce  et  de  l'élégance.  —  Et  MUe  Desnoyers  qui  méritait  peut-être 
mieux  qu'un  second  accessit,  a  montré  aussi  un  joli  son,  un  bras  très 
souple  et  des  doigts  tèrs  obéissant?.  —  En  résumé,  excellente  séance. 


VIOLONCELLE 

Le  concours  de  violoncelle  a  brillé  celte  fois  d'un  éclat  beaucoup 
moins  vif  qu'à  l'ordinaire.  Ce  n'est  pas  à  dire  qu'il  ait  été  faible  en  son 
ensemble  et  que  nos  concurrents  n'aient  pas  fait  preuve  de  talent  et 
d'habileté;  mais  simplement  que  nous  n';ivous  eu  affaire  à  aucune  de 
ces  personnalités,  à  aucun  de  ces  tempéraments  doués  d'une  façon  par- 
ticulière, comme  il  s'en  trouve  parfois  et  qui,  par  leur  supériorité  natu- 
relle, donnent  presque  le  ton  à  une  séance  et  projettent  la  lumière 
autour  d'eux.  Et  puis,  faut-il  le  dire?  le  concerlo  de  Schumann,  fâcheu- 
sement choisi,  est  mal  écrit  pour  l'instrument.  Le  génie  de  Schumann 
n'a  rien  à  voir  dans  cette  constatation,  et  je  ne  juge  pas  la  valeur  de 
l'œuvre  ;  ce  n'est  pas  une  critique  au  point  de  vue  musical,  mais  au 
point  de  vue  technique  et  du  mécanisme  de  l'instrument.  Lé  pianiste 
qui  s'est  familiarisé,  théoriquement,  avec  les  principes  du  doigté  des 
instruments  à  cordes,  peut  sans  doute  écrire  très  correctement  et  très 
convenablement  pour  l'orchestre.  Mais  c'est  tout  autre  chose  lorsqu'il 
s'agit  d'un  morceau  de  virtuosité,  où  il  lui  arrive  d'accumuler  les  gau- 
cheries et  les  irrégularités.  C'est  là  ce  qu'on  peut  reprocher  à  Schumann 
pour  son  concerto,  et  ce  qui  fait  que  le  choix  d'une  telle  œuvre  est  mau- 
vais pour  un  concours.  N'y  a-t-il  donc  pas  dans  le  répertoire  du  vio- 
loncelle assez  de  concertos  écrits  par  des  maîtres  de  cet  instrument, 
et  n'en  peut-on  choisir  dans  les  œuvres  de  Romberg,  de  Duport,  de 
Davidow,  de  Goltermann,  de  Grutzmacher  et  de  tant  d'autres  ? 

C'est  la  classe  de  M.  Cros-Saint-Ange  qui  a  triomphé  cette  fois,  avec 
les  deux  premiers  prix  attribués  a  MM.  Mas  et  Vau'geois,  le  premier 
étant  second  prix  de  l'an  dernier,  le  second,  âgé  seulement  de  quatorze  ans. 
en  étant  à  son  premier  concours.  M.  Mas,  sans  faire  preuve  d'une 
grande  personnalité,  est  un  artiste  formé,  sûr  de  lui  et  dont  les  quali- 
tés d'étude  et  d'expérience  sont  incontestables.  —  Le  jeune  Vaugeois 
est  un  enfant  aimable,  bien  doué,  dont  l'exécution  ne  manque  ni  de 
charme  ni  d'élégance,  mais  dont  le  son  un  peu  maigre  manque  de 
souffle  et  de  consistance. 

Deux  élèves  de  M.  Loeb,  MM.  Jamin  et  Ruyssen,  ont  obtenu  deux 
seconds  prix.  On  retrouve  chez  l'un  et  l'autre  les  qualités  de  style  et  de 
largeur  dans  le  phrasé  qui  distinguent  leur  maître.  Ils  n'ont  plus  qu'à 
travailler  pour  gravir  le  dernier  échelon. 

Trois  premiers  accessits  :  à  MM.  Challet  et  Dussol;  élèves  de  M.  Cros- 
Saint-Ange,  et  Dumont,  élève  de  M.  Loeb  ;  et  quatre  seconds  accessits: 
à  MM.  Maréchal,  Mangot  et  Alaux,  élèves  de  M.  Loeb.  et  Martin,  élève 
de  M.  Cros-Saint-Ange.  Rien  de  bien  particulier  à  dire  de  tous  ces  jeu- 
nes gens,  qui  sont  doués  de  qualités  diverses,  mais  chez  qui  la  personna- 
lité n'est  pas  encore  accusée  d'une  façon  quelconque. 

J'ai  regretté  l'échec  de  M.  Gervais.  second  prix  de  1907,  qui  cette  fois 
a  manqué  le  premier.  M.  Gervais  avait  fait  preuve  de  qualités  remar- 
quables :  un  joli  son,  un  archet  excellent,  des  doigts  brillants,  de  la 
chaleur.  Par  malheur,  il  a  péché  de  façon  assez  grave  dans  la  lecturedu 
morceau  à  vue  écrit  par  M.  Paul  Vidal,  et  le  voilà  remis  à  l'anprochain. 
C'est  dommage. 

PIANO  (Femmes) 

Dure,  la  séance,  oh!  mais  dure!  Trente-deux  jeunes  filles,  dont  l'âge 
variait  de  douze  à  vingt  et  un  ans,  pour  nous  faire  entendre  trente-deux 
fois  l'allégro  du  deuxième  concerto  de  M.  Camille  Saiut-Saêns,  et  trente- 
deux  autres  fois  une  page  (je  me  trompe  :  deux  pages)  de  lecture  à  vue 
de  M.  Gabriel  Pierné.  Voulez-vous  d'ailleurs  connaître  l'économie  'le 
la  séance?  la  voici  :  à  midi  20  minutes,  ouverture  de  la  solennité  par 
l'arrivée  sur  la  scène  de  M"e  Boucher  de  Vernicourt  ;  à  2  heures  cin- 
quante, entr'acte  de  vingt  minutes,  dû  à  la  longanimité  de  M.  Gabriel 
Fauré  ;  à  3  heures  dix,  reprise  de  la  séance,  par  l'audition  de 
MUi!  Fritsch  ;  à  3  heures  trente-cinq,  alerte  assez  vive,  juste  au  moment 
où  Mllc  Bouvaist  fait  sonner  les  premiers  accords  de  son  morceau  : 
quelques  nez  délicats  et  bien  informés  prétendent  qu'on  sent  le  roussi  : 
l'information  se  répand  avec  rapidité,  et  bien  que  personne  ne  crie  : 
Au  feu  !  l'émotion  croit,  les  sièges  commencent  à  se  vider  et  plusieurs 
(pas  les  sièges)  se  dirigent  prudemment  vers  les  portes  ;  à  ce  moment 
les  pompiers  font  leur  entrée  en  scène  et  font  baisser  le  rideau  de  fer. 
Qu'est-ce  qu'il  y  a  eu?  personne  n'en  sait  rien,  mais  la  présence  des 
hommes  à  pompe  suffit  à  indiquer  qu'il  y  avait  certainement  un  com- 
mencement de  quelque  chose,  et.  dame  !  vous  savez,  on  se  rappelle 
1887!....  Enfin,  dix  minutes  se  passent,  tout  danger  est  écarté,  on 
relève  le  rideau  de  fer.  la  salle  se  re-remplit,  et  la  pauvre  Mlle Bouvaist. 
encore  un  peu  émue,  peut  y  aller  de  son  morceau,  qu'elle  n'en  joue  pas 
moins  fort  agréablement.  En  voilà  pour  jusqu'à  S  heures  un  quart,  où 
la  première  partie  de  la  séance  est  terminée.  Ici,  nouvel  entr'acte  de 
dix  minutes,  pour  donner  le  temps  aux  nerfs  de  se  calmer.  Reprise  de 
ladite  séance  aux  entours  de  S  heures  et  demie,  pour  l'épreuve  de  lec- 


220 


LE  MÉNESTREL 


ture  à  vue,  qui  se  termine  à  7  heures  moins  vingt.  Alors,  délibération 
du  jury,  qui  ne  dure  guère  moins  de  trois  quarts  d'heure,  après  quoi 
proclamation  des  récompenses,  cris,  bravos,  embrassades  et  tout  ce  qui 
s'ensuit,  et  enfin,  à  7  heures  et  demie,  fin  de  la  séance  et  évacuation  de 
la  salle  au  milieu  du  brouhaha  ordinaire.  C'est  fini  pour  cette  fois  et 
jusqu'à  demain,  après  qu'on  eût  craint  un  instant  d'avoir  plus  chaud 
encore  qu'à  l'ordinaire. 
Je  vais,  moi  aussi,  à  la  suite  de  M.  Fauré,  proclamer  les  récompenses. 
En  voici  la  liste  généreuse  : 

/ers  Prix.  —  M'k's  Piltan,  élève  de  M.  Delaborde  :  Déroche,  élève  de 
M.  Philipp  ;  Pennequin,  élève  de  M.  Philipp  ;  Boucheron,  élève  de 
M.  Cortot  ;  Chassaing,  élève  de  M.  Cortot,  et  Lewinsohn,  élève  de 
M.  Philipp. 

2M  Prix.  —  M11"  Guller,  élève  de  M.  Philipp  :  Guillou,  élève 
de  M.  Cortot  ;  Bouvaist,  élève  de  M.  Cortot;  Morin,  élève  de  M.  Phi- 
lipp ;  et  Bompard,  élève  de  M.  Delaborde. 

/ers  Accessils.  —  M11"  Fourgeaud,  élève  de  M.  Philipp  ;  Boucher  de 
Vernicourt,  élève  de  M.  Cortot;  Duchesne,  élève  de  M.  Cortot  ;  Marx. 
élève  de  Delaborde  ;  Laeuffer,  élève  de  M.  Delaborde  ;  et  Schulhcf, 
élève  de  M.  Cortot. 

2K  Accessits. —  Mlles  Parody,  élève  de  M.  Cortot  ;  Vargues,  élève  de 
M,  Philipp  ;  Haskil,  élève  de  M.  Cortot  ;  Fritsch,  élève  de  M.  Philipp  ; 
.Teanne  Michel,  élève  de  M.  Philipp  ;  et  Heinemann,  élève  de 
M.  Philipp. 

En  somme,  vingt-trois  récompenses  sur  trente-deux  sujets  présentés. 
La  proportion  n'est  pas  désagréable  pour  ces  demoiselles. 

C'est  Mllc  Piltan  qui  vient  en  tète  des  premiers  prix,  avec  un  jeu 
franc  et  solide,  un  son  bien  plein,  de  l'acquis,  une  grande  facilité,  un 
joli  phrasé  et  des  traits  brillants.  — M"'1  Déroche  n'a  fait  qu'un  saut 
de  son  premier  accessit  de  l'an  dernier  à  la  grande  recompense.  Elle  a 
de  la  solidité,  de  bons  doigts  et  de  véritables  qualités  d'exécution.  — 
A  remarquer  chez  M"''  Pennequin  de  la  finesse,  de  la  grâce,  de  l'élé- 
gance sans  mièvrerie,  une  exécution  bien  musicale  et  bien  égale  dans 
son  ensemble.  —  Un  beau  son,  de  l'ampleur  dans  le  phrasé,  des  poi- 
gnets vigoureux,  telles  les  qualités  excellentes  de  M1'1'  Boucheron,  chez 
qui  l'on  souhaiterait  un  peu  plus  de  personnalité.  —  J'ai  un  faible 
pour  M11''  Chassai-ng,  chez  qui  je  distingue  un  beau  son  plein  d'am- 
pleur, un  jeu  sûr  et  corsé,  un  style  excellent,  avec  la  grùce  unie  à  la 
vigueur.  Cela  est  charmant.  —  MllG  Lewinsohn,  qui  n'a  pas  encore 
treize  ans,  s'est  offert  un  premier  prix  à  son  premier  concours.  Je  n'y 
vois  nul  inconvénient.  Son  jeu  sans  doute  est  encore  un  peu  jeune, 
mais  il  y  a  de  la  grâce,  de  la  finesse,  de  jolis  détails  et  un  bon  ensem- 
ble d'exécution. 

Mlle  Guller  méritait  bien  d'ouvrir  la  série  des  seconds  prix.  Elle 
est  charmante,  cette  enfant  dont  la  treizième  année  est  à  peine 
accomplie.  Un  joli  son,  bien  pur,  de  l'égalité,  de  la  grâce,  du  goût, 
avec  un  vrai  sentiment  musical  et  de  rares  qualités  de  mécanisme.  Une 
nature.  —  Mlle  Guillou  est  ce  qu'on  peut  appeler  une  bonne  élève,  sans 
qu'on  lui  reconnaisse  rien  de  particulier.  —  M"°  Bouvaist,  que  les 
craintes  d'incendie  auraient  pu  émouvoir  plus  que  toute  autre,  puis- 
qu'elle aurait  été  la  première  à  la  fête,  n'en  a  pas  moins  montré  un 
sou  bien  clair  et  bien  pur,  de  la  vigueur  sans  brutalité,  de  la  clarté 
dans  les  traits  et  un  ensemble  très  flatteur.  —  On  sent  bien  de  l'expé- 
rience chez  M"1'  Morin,  par  le  sou  et  par  l'habileté  des  doigts,  avec 
parfois  d'heureux  détails,  et  cependant  il  manque  encore  quelque 
chose  pour  le  véritable  équilibre.  —  L'exécution  de  Mile  Bompard 
est  fort  aimable,  sans  que  surgisse  aucune  qualité  bien  personnelle 
encore. 

Je  n'ai  pas  grand'chose  à  dire  de  Mlle  Fourgeaud,  qui  prend  la  tête  des 
premiers  accessits.  —  Mais  je  louerai  chez  M"e  Boucher  de  Vernicourt 
une  heureuse  exécution  d'ensemble,  avec  uu  joli  son,  de  la  finesse,  de 
la  grâce  et  une  vigueur  suffisante.  —  M'k'  Duchesne,  euh  !  euh  !...  — 
M1"'  Marx,  ah  !  ah  !...  —  M'";  Laeuffer,  du  bon  et  du  moins  bon;  une 
certaine  délicatesse,  un  ensemble  assez  agréable,  bien  que  certains 
détails  soient  manques.  —  M"c  Schulhof.  aïe!  aïe!... 

Finissons  par  les  seconds  accessits.  M"''  Parody.  jeu  assez  banal,  de 
la  vulgarité  dans  le  style,  pas  de  clarté  dans  les  traits.  —  Mlk'  Vargues, 
un  son  bien  clair,  de  jolis  doigts  bien  agiles,  les  poignets  souples,  de  la 
tinesse  dans  les  détails,  bon  ensemhle.  —  Mlle  Haskil,  uu  son  mat  et 
sans  transparence,  un  jeu  un  peu  pâteux,  ensemble  sans  distinction.— 
MIlc  Fritsch,  jeu  pas  toujours  clair  et  correct, oh!  non  :  mais  de  lagràce 
et  un  certain  goût.  —  M"''  Jeanne  Michel,  pas  de  clarté  non  plus.  De 
bonnes  intentions,  mais  ça  ne  suffit  pas.  —  MIIe  Heinemann,  un  jeu 
sûr,  solide  et  corsé,  un  joli  son,  de  bons  doigts,  un  bon  phrasé.  Bel 
ensemble. 
Jury  de  ce  concours  :  MM,  Gabriel  Fauré,  président,  Albert  Lavi- 


gnac,  Staub,  Thibaud,  Harold  Bauer,  Pierret,  Léon  Moreau,  Pierné. 
Bruneau,  de  La  Nux,  Canivet. 

OPERA-COMIQUE 

Très  inégal  cette  fois,  le  concours  d'opéra-comique,  et  beaucoup  plus 
brillant  du  côté  des  femmes  que  du  côté  des  hommes,  à  qui  le  jury,, 
dans  un  sentiment  d'équité  dont  personne  n'a  songé  même  à  s'étonner, 
s'est  refusé  à  accorder  un  seul  premier  prix.  C'est  qu'en  effet  il  n'y- 
avait  là  pas  un  élève  .même  à  demi  formé,  tandis  que  l'élément  féminin 
nous  offrait,  même  en  dehors  de  la  reine  du  concours,  M11''  Raveau. 
plusieurs  sujets  déjà  plus  ou  moins  distingués  dans  la  personne  de 
M"es  Gustin,  Cébron-Norbens,  Chantai,  et  même  Mmc  Garchery,  envers 
qui  l'on  aurait  pu  peut-être  user  de  moins  de  sévérité,  mais  qui  avait 
eu  la  mauvaise  chance  de  se  montrer  dans  le  troisième  acte  de  Wer- 
ther,  justement  comme  Mllcs  Raveau  et  Gustin,  qui  lui  étaient  vraiment 
supérieures.  C'était  pour  elle  un  hasard  malheureux. 

Voici  d'ailleurs  la  liste  des  récompenses  décernées  : 

Hommes. 

Pas  de  1er  prix. 

2e  Prix.  —  MM.  Vaurs,  élève  de  M.  Bouvet,  et  Coulomb,  élève  du 
même. 

•/™s  Accessits.  —  MM.  Ponzio,  élève  de  M.  Melchissédec,  Bellet,  élève 
de  M.  Dupeyron,  Paulet,  élève  de  M.  Isnardon.  et  Dupré,  élève  de 
M.  Bouvet.  . 

2es  Accessits.  —  MM.  Villaret,  élève  de  M.  Isnardon,  et  Audiger,. 
élève  du  même. 

Femmes. 

4"  Prix,  à  l'unanimité.  —  MUc  Raveau,  élève  de  M.  Bouvet. 

2es  Prix.  —  M"es  Gustin,  élève  de  M.  Isnardon,  Cebron-Norbens. 
élève  du  même,  et  Chantai,  élève  du  même. 

/ers  Accessits.  —  M"cs  Amoretti,  élève  de  M.  Dupeyron,  Lambert, 
élève  de  M.  Bouvet,  et  Duvernay,  élève  de  M.  Isnardon. 

2"  Accessit.  —  Mlle  Pradier,  élève  de  M.  Isnardon. 

Le  jury  de  ce  concours  comprenait  les  noms  de  MM.  Gabriel  Fauré, 
président,  Henri  Maréchal,  Georges  Hue,  Paul  Vidal,  Albert  Carré, 
Salignac,  Jean  Périer,  Alexandre  Georges,  Gabriel  Pierné,  Paul  Dukas, 
Adrien  Bernheim,  d'Estournelles  do  Constant  et  Gheusi. 

Si  les  concurrents  mâles  n'ont  pas  su  mériter  de  premier  prix,  je  ne 
saurais  prétendre  que  les  deux  seconds  prix  soient  particulièrement 
brillants.  M.  Vaurs  nous  a  donné,  dans  le  Barbier  de  Séville,  un  Bar- 
tholo  assez  amusant,  et  qui  ne  manque  pas  de  verve.  C'est  tout.  — 
Quant  à  M.  Coulomb,  qui  n'avait  pas  besoin  de  partenaire  dans  la 
scène  d'entrée  de  Corentin  au  premier  acte  du  Pardon  de  Ploermel,  il  dit 
assez  juste,  mais  parle  trop  vite.  Cela  est  un  peu  insignifiant. 

M.  Ponzio  a  mis  de  la  verve,  de  l'entrain,  de Ja  chaleur  et  de  la  légè- 
reté au  service  du  Figaro  du  Barbier,  qu'il  a  bien  joué  et  bien  chanté, 
avec  de  la  désinvolture  et  de  la  grâce,  en  dépit  de  sa  lourdeur  physique; 
Très  en  progrès.  —  M.  Bellet  a  fait  preuve  d'adresse,  d'aisance  et  de 
gaité  dans  une  scène  des  Noces  de  Jeannette,  malheureusement  trop 
longue...  Il  est  bien  eu  scène.  —  M.  Paulet  n'était  pas  mal  dans  le 
fragment  choisi  par  lui  de  l'Epreuve  villageoise.  Mais  pourquoi  prendre 
une  scène  où  il  n'y  a  rien  à  chanter  ?  —  Pour  ce  qui  est  de  M.  Dupré 
(Basile  du  Barbier),  il  ne  m'en  voudra  pas  de  ne  rien  dire  de  la  façon 
dont  il  a...  massacré  l'air  de  la  Calomnie. 

De  l'aisance,  de  l'adresse,  de  la  jovialité,  telles  sont  les  qualités  que 
M.  Villaret  a  montrées  dans  la  scène  du  marquis  de  Moncontour  au 
premier  acte  de  le  Boi  l'a  dit.  Il  a  très  gentiment  joué  cette  scène 
charmante.  —  Et  M.  Audiger  a  rendu  avec  un  accent  assez  dramatique 
le  rôle  de  Ramon  dans  la  scène  de  la  demande  en  mariage  de  Mireille. 
Ce  serait  tout  si  je  ne  voulais  pas  exprimer  mon  étonnement  d'avoir 
vu  rester  sur  le  carreau  un  des  meilleurs  participants,  sinon  le  meil- 
leur, de  ce  concours  très  faible.  M.  Combes,  élève  de  M.  Isnardon,  a 
joué  avec  un  sentiment  dramatique  très  vrai  et  plein  de  sobriété,  en 
véritable  comédien,  la  grande  scène  du  second  acte  de  la  Tosca,  scène 
très  difficile,  qu'il  a  rendue  avec  vigueur  et  passion.  Il  n'y  en  avait 
pourtant  pas  beaucoup,  de  comédiens,  dans  cette  séance.  Mystère... 

Passons  au  côté  féminin,  en  constatant  aussitôt  le  gros  succès  obtenu 
auprès  du  public  comme  auprèsdujury  par  MUc  Raveau,  dont  le  premier 
prix,  décerné  à  l'unanimité,  vient  se  joindre  au  premier  prix  de  chant 
qu'elle  avait  obtenu  cinq  jours  auparavant.  Mlle  Raveau  est  douée  d'une 
voix  superbe  de  mezzo-soprano  dont  le  timbre,  à  la  ibis  moelleux  et  solide, 
rappelle  celui  de  Mmc  Delna,  une  voix  chaude  et  émouvante,  un  ins- 
trument merveilleux  et  souple  qui  est  une  fortune  pour  une  artiste,  car 
il  s'impose  de  prime  abord  à  la  sympathie  de  l'auditeur.  Mais  encore 
faut-il  savoir  employer  cet  instrument,  ce  que  M"-  Raveau  nous  avait 


LE  MENESTREL 


221 


prouvé  dans  son  premier  concours,  et  ce  qu'elle  nous,  a  prouvé  de  nou- 
veau cette  fois,  en  y  joignant  des  qualités  dramatiques  que  nous 
n'avions  pu  lui  soupçonner  encore.  Elle  s'est  montrée  à  nous  dans 
la  grande  scène  des  lettres  de  Werther,  où  son  ancienne  camarade  de 
classe,  l'aimable  M"0  Mathieu-Lutz,  aujourd'hui  à  l'Opéra-Comique, 
est  venue  gentiment  lui  donner  la  réplique.  Elle  a  joué  cette  scène  en 
véritable  artiste,  avec  un  sentiment  profond,  s'y  révélant  touchante  et 
pathétique,  tant  par  l'accent  que  par  la  diction,  avec  une  simplicité, 
une  sobriété  de  moyens  qu'on  ne  saurait  trop  louer.  On  peut  bien 
dire  que  son  succès  a  été  aussi  grand  qu'il  était  mérité,  et  que  du  coup 
elle  se  mettait  complètement  hors  de  pair.  Aussi,  son  nom  a-t-il  été 
acclamé  par  toute  la  salle  lorsque  l'unique  premier  prix  lui  a  été 
décerné. 

C'est  aussi  dans  cette  scène  de  Werther  que  l'un  des  trois  seconds 
prix,  Mlle  Gustin,  a  passé  son  concours,  avec  M110  Chantai  comme 
«  répliqueuse  ».  Je  me  garderai  de  chercher  à  établir  une  comparaison 
parfaitement  inutile.  Je  me  bornerai  à  constater  que  M"'  Gustin,  grande 
élégante  et  douée  d'un  excellent  physique  théâtral,  pourvue  aussi  d'une 
très  belle  voix,  a  montré  du  sentiment,  de  la  chaleur,  avec  une  réelle 
intelligence  scénique  et  une  diction  musicale  expressive  et  touchante. 
Mllc  Cebron-Norbens  a  fait  sensation  en  se  montrant  dans  le  costume 
transparent  qu'elle  avait  endossé  pour  représenter  Chrysis  dans  Aphro- 
dite. Le  ramage  ne  me  semblait  pas,  dans  cette  scène,  répondre  suffi- 
samment au  plumage;  mais  je  dois  remarquer  que  la  jeune  artiste  a 
fait  preuve  de  très  réelles  qualités  dramatiques  eu  donnant  la  réplique 
à  M.  Combes  dans  une  scène  de  la  Tosca.  — M""  Chantai  a  joué  sobre- 
.  ment  et  d'une  façon  assez  toucliante  un  fragment  du  troisième  acte  de 
la  Vie  de  Bohème,  et  elle  a  donné  plusieurs  bonnes  répliques,  une  entre 
autres  à  M"e  Amoretti  dans  H'ànsel  et  Gretel. 

C'est  dans  cette  scène  à'Hànsel  et  Gretel  que  Mlle  Amoretti  a  obtenu 
son  premier  accessit.  Elle  s'y  est  montrée  gaie,  vive,  alerte  et  spiri- 
tuelle, en  somme  fort  gentille  et  vraiment  amusante.  —  Dans  la  scène 
du  premier  acte  avec  Des  Grieux,  Mlle  Lambert  nous  a  offert  une 
Manon  pleine  de  grâce  et  de  légèreté,  pas  maladroite  du  tout,  bien  en 
scène  et  chantant  avec  goût.  —  C'est  dans  un  tout  autre  genre  que  s'est 
produite  Mlle  Duvernay,  qui  a  déployé  un  bon  sentiment  dramatique 
eu  jouant  le  rôle  de  Santuzza  dans  un  fragment  de  Cavalleria  rusticana. 

M"°  Pradier,  qui  nous  a  dit  une  scène  de  Jean  de  Nivelle,  est  une 
grande  et  belle  personne  qui  fait  preuve  d'intelligence,  qui  dit  bien  et 
qui  chante  agréablement,  son  second  accessit  est  un  encouragement 
bien  mérité. 

MlleRoburet  Mme  Garchery,  deux  premiers  accessits  de  l'an  dernier, 
ont  été  l'une  et  l'autre  négligées  parle  jury,  je  ne  saurais  dire  pourquoi. 
Mlle  Robur  a  joué  intelligemment,  avec  chaleur,  une  scène  de  Louise, 
qu'elle  a  fort  bien  chantée.  Quant  à  M""5  Garchery,  en  dehors  de  la 
scène  de  Werther,  qui  lui  servait  de  concours,  elle  avait  prouvé  de  la 
chaleur  et  un  grand  sentiment  dramatique  en  donnant  la  réplique  à 
M.  Laloye  dans  une  scène  de  Carmen.  Que  toutes  deux  se  consolent  : 
elles  sont  dans  la  bonne  voie,  elles  forceront  la  chance. 

VIOLON 

Par  quelle  idée  singulière  et  bizarre  s'en  est-on  allé  choisir,  pour 
morceau  du  concours  de  violon  de  l'an  de  grâce  1908,  le  seul  concerto 
de  violon  qu'ait  écrit  le  compositeur  tchèque  Anton  Dvorak,  mort  il  y 
a  quelques  années,  qui  n'était  lui  même  qu'un  violoniste  médiocre  et 
qui  dut  se  contenter,  dans  sa  jeunesse,  d'une  simple  place  d'alto  au 
Théâtre-National  de  Prague.  Sommes-nous  donc  décidément  à  ce  point 
dépourvus  de  bonne  musique  de  violon  qu'il  nous  faille  aller  chercher 
n'importe  quoi,  n'importe  où,  pour  faire  les  frais  de  uos  concours?  Je 
sais  bien  que  pour  certains  de  nos  professeurs,  qui  sont,  sans  doute, 
des  esprits  avancés,  Viotti,  et  Rode,  et  Kreutzer,  et  Baillot,  n'étaient 
que  de  pauvres  violonistes  de  pacotille,  qui  ne  savaient  pas  écrire  pour 
leur  instrument,  et  dont  toute  la  musique  est  bonne  à  jeter  au  feu. 
Tout  cela  est  «  vieux  jeu  »,  nous  dit-on  maintenant,  et  le  grand  Joa- 
chim  n'avait  que  le  tort  de  s'entêter  à  jouer  encore  des  concertos  de 
Yiotti,  ce  qui  prouve  bien  qu'il  n'y  entendait  rien.  Mais  enfin,  en 
dehors  de  ces  concertos  classiques,  on  a  encore  le  choix  dans  ceux, 
plus  modernes,  de  Vieuxtemps,  de  Léonard  et  de  Bôriot;  on  en  connaît 
aussi  d'autres  en  Allemagne,  car  il  en  existe  quatre  de  Mayseder,  qua- 
tre de  Ferdinand  David,  quinze  de  Spohr,  trois  de  Max  Bruch,  sans 
compter  ceux  que  j'oublie. 

Et  l'on  s'en  va  précisément  choisir  l'unique  concerto  de  Dvorak, 
dont  je  ne  veux  pas  absolument  médire,  mais  qui  est  tout  de  même  une 
composition  singulière,  pas  très  désagréable  à  entendre  sans  doute, 
.mais  de  caractère  déhanché,  sans  style  et  sans  distinction,  avec  un 
thème  principal  d'ordre  vulgaire,   qui    rappelle   les   Danses  slaves,  du 


même  auteur.  Or,  ces  Danses  slaves,  colorées  et  pittoresques  à  l'or- 
chestre, n'ont  rien  de  la  noblesse  qui  convient  au  violon  et  à  la  forme 
du  concerto.  Bien  écrit  d'ailleurs  dans  les  ressources  de  l'instrument, 
le  concerto  de  Dvorak  a  sans  doute  l'avantage,  pour  les  amateurs 
d'acrobatie  et  de  virtuosité  transcendante,  de  présenter  des  doubles 
et  triples  cordes,  des  suites  de  tierces,  de  sixtes,  d'octaves,  de 
dixièmes,  des  fusées  incessantes  et  d'interminables  promenades  à 
l'extrême  extrémité  du  manche.  Mais  où  le  style,  où  l'apparence 
d'une  phrase  de  chant  quelconque?  Impossible,  avec  cette  musique  de 
fond  plutôt  banal,  impossible  à  un  exécutant  de  faire  savoir  s'il  sait 
phraser.  s  il  possède  un  moyen  quelconque  de  sentiment  ou  d'expres- 
sion, s'il  sait  ce  que  c'est  que  la  grâce  et  s'il  a  jamais  entendu  parler 
de  l'élégance  de  l'archet.  D'où  il  suit  que  des  vingt-huit  jeunes  gens 
de  l'un  et  de  l'autre  sexe  que  nous  avons  entendus,  il  n'en  est  pas  tin 
seul  qui  ait  pu  faire  preuve  d'un  semblant  de  personnalité  et  donner 
l'idée  de  son  tempérament  musical.  Tout,  chez  eux  —  et  ce  n'était 
vraiment  pas  leur  faute  —  tout  était  forcément  uniforme  et  grâce  à 
cette  musique  aucun  ne  pouvait  révéler  quelqu'une  de  ces  qualités  par- 
ticulières qui  sont  le  fond  même  d'une  nature  d'artiste.  Tous  étaient 
réduits  à  l'état  de  mécanique,  de  machine  à  tours  de  force,  sans  que  le 
charme,  le  goût,  la  grâce  aient  un  instant  la  parole  et  leur  permettent 
de  se  montrer  eux-mêmes.  Demandez  donc  à  un  seul  d'entre  eux  s'il 
aura  jamais  l'idée  biscornue  de  jouer  ça  en  public,  en  dehors  du 
Conservatoire  ? 

Le  jury  chargé  déjuger  ce  concours  (je  rends  honneur  à  son  courage!) 
était  ainsi  composé:  MM.  Gabriel  Fauré,  président,  Ed.  Colonne, 
Jacques  Thibaud,  Hayot,  Sechiari.  Touche,  Boucherit,  Arthur  Coquard, 
Paul  Viardot,  Lalo,  Bruneau.  Il  a  décerné  les  récompenses  suivantes  : 

/ers  prlXi  —  MM.  Michelon,  élève  de  M.  Berthelier;  Carembat,  élève 
de  M.  Lefort;  Mlles  Wolf,  élève  de  M.  Lefort;  et  Talluel,  élève  de 
M.  Nadaud. 

2CS  Prix.  —  Mlle  Roussel,  élève  de  M.  Berthelier  ;  MM.  Tinlot,  élève 
de  M.  Nadaud,  Poirrier,  élève  de  M.  Lefort;  et  Krettly,  élève  de 
M.  Berthelier. 

/era  Accessits.  —  MM.  Carruette,  élève  de  M.  Rémy;  Hémery,  élève 
de  M.  Nadaud;  Mlk"s  Goyon,  élève  de  M.  Rémy;  de  la  Hardrouyère, 
élève  de  M.  Berthelier;  et  M.  Olmazu,  élève  de  M.  Rémy. 

2es  Accessits.  —  M.  Duran,  élève  de  M.  Lefort,  M"C!  Didier,  élevé  de 
M.  Nadaud;  Ehvell,  élève  de  M.  Lefort;  et  M.  Yillain,  élève  de 
M.  Rémy. 

Dans  son  ensemble,  le  concours  a  été  brillant  et  maintient  la  supé- 
riorité de  notre  admirable  école  de  violon.  Mais  je  ne  puis  parler  ici 
qu'au  point  de  vue  technique,  en  ce  qui  touche  la  virtuosité,  l'habileté 
pour  tout  ce  qui  rattache  à  la  difficulté  vaincue.  Les  principes  sont  gé- 
néralement bons:  la  justesse  du  sou,  l'agilité  des  doigts,  le  maniement 
de  l'archet.  Pour  ce  qui  est  du  style,  de  l'expression,  de  la  sensibilité, 
du  chant  soutenu,  je  n'en  saurai  rien  dire;  avec  une  telle  musique  il 
est  impossible  d'en  rien  savoir.  En  entendant  Uthal,  un  opéra  dans 
lequel  Mehul  avait  remplacé  dans  son  orchestre  les  violons  par  des 
altos,  Grètry  s'écriait:  «  Je  donnerais  un  louis  pour  en  teudre  une  chan- 
terelle. »  En  entendant  vingt-huit  fois  le  concerto  de  Dvorak,  j'en  aurais 
donna  plusieurs  pour  entendre  une  simple  phrase  de  chant,  bien  claire, 
bien  limpide  et  bien  expressive. 

Que  dire  de  tous  ces  jeunes  gens  ?  Ils  ont  tous  du  talent,  parbleu  !  ce 
n'est  qu'une  question  de  plus  ou  de  moins,  et  ceux  qui  n'ont  pas  été 
couronnés  en  ont  tout  autant  que  les  autres.  Je  déclare  même  que, 
contre  ce  qui  se  produit  parfois,  il  n'eu  est  pas  un  seul  qui  ue  fût  capa- 
ble de  prendre  part  à  la  lutte.  Mais  j'en  reviens  à  mon  dire  :  aucun  ne 
pouvait  donner  ce  que  le  morceau  ne  lui  permettait  pas  de  mettre  en 
lumière,  des  qualités  vraiment  personnelles,  de  ces  qualités  qui  décè- 
lent autre  chose  qu'un  virtuose,  c'est-à-dire  un  artiste  doué  d'émotion, 
de  sens  musical,  et  brillant  à  la  fois  par  le  charme  et  par  le  style. 

Parmi  ceux  que  j'ai  surtout  remarqués,  je  citerai  M.  Carembat,  qui 
me  parait  avoir  du  tempérament  ;  MUe  Wolf,  qui  se  distingue  par  une 
grande  facilité  de  doigts  et  d'archet  :  M.  Tinlot,  dont  l'exécution  est 
intéressante;  M.  Krettly,  qui  fait  preuve  de  qualités  brillantes: 
M.  Poirrier,  dont  le  jeu  solide  et  sûr  semble  promettre  un  artiste  ;  puis, 
à  uu  degré  un  peu  moindre,  M"1'  Roussel.  M.  Olmazu,  M.  Duran. 
Mlle  de  la  Hardrouyère,  M"''  Didier...  Que  ceux  que  je  ne  nomme  pas  ne 
me  tiennent  pas  rigueur  et  ne  croient  pas  à  de  l'indifférence  de 'ma 
part.  C'est  la  faute  au  concerto  de  Dvorak.  Diable  de  concerto  ! 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


222 


LE  MÉNESTREL 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(POUR    LES    SEULS   ABONNÉS   A    LA    MUSIQUE) 


11  ne  faudrait  pas  croire  que  la  marquise  de  Negrone  s'en  tienne  à  caresser  jdli- 
mentl'ivoire  d'un  clavier;  elle  sait  aussi  taire  chanter  la  voix.  On  en  jugera  par 
.cette  Aubade  toute  de  grâce  et  de  fraîcheur. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


Au  cours  de  la  dernière  saison,  qui  a  commencé  le  18  août  1907  et  qui 
s'est  terminée  le  22  juin  1908,  l'Opéra  de  la  Cour,  à  Vienne,  a  donné  .'112  re- 
présentations dont  301  représentations  du  soir  et  11  matinées.  Pendant  toute 
cette  période,  l'Opéra  de  la  Cour  n'a  fait  relâche  que  durant  neuf  jours:  le 
9  septembre,  anniversaire  de  la  mort  de  l'impératrice  Elisabeth  ;  le  24  dé- 
cembre, veille  de  Noël;  le  22  janvier,  à  l'occasion  des  obsèques  du  grand-duc 
Léopold  de  Toscane  ;  les  14, 13, 16,  17  et  18  avril  précédant  les  fêtes  de  Pâques 
et  le  18  juin  dernier,  jour  de  la  Fête-Dieu.  80  œuvres  diverses,  opéras  et  ballets, 
de  53  compositeurs  différents,  ont  eu  un  total  de  405  représentations  :  50  œuvres 
de  29  compositeurs  allemands  ont  été  jouées  20S  fois;  15  œuvres  de  8  italiens. 
113  fois;  16  œuvres  de  13  français,  74  fois,  3  œuvres  d'un  hongrois  (Liszt), 
6  fois;  une  œuvré  d'un  tchèque  et  une  œuvre  d'un  russe,  chacune  deux  fois. 
De  tous  les  compositeurs,  c'est  Richard  Wagner  qui  a  eu  le  plus  de  représen- 
tations. Dix  de  ses  œuvres  ont  été  jouées  59  fois.  Parmi  les  compositeurs  français, 
Delibes  a  eu  14  représentations  ;  Bizet,  11,  avec  Carmen  :  Saint-Saëns ,  8,  avec 
garnison  et  Balila;  Ambroise  Thomas,  6, avec  Mignon;  Auber,  S, avec Fra Diavolo 
et  la  Muette  de  Portici,  et  Massenet.  3,  avec  Manon. 

Les  travaux  de  construction  du  Johann-Strauss  Theater  de  Vienne   sont 

poussés  avec  activité.  On  espère  bien  pouvoir  inaugurer  cette  nouvelle  scène 
dès  l'automne  prochain.  Les  premières  œuvres  jouées  seront  naturellement 
celles  de  Johann  Strauss;  ensuite  on  donnera  une  opérette  nouvelle  du 
compositeur  viennois  Bruno  Granichstiitter,  Fille  ou  garçon. 

De  Vienne  :  Un  incident  a  marqué  la  représentation  de  dimanche  soir,  à 

Ischl,  la  première  à  laquelle  a  assisté  l'empereur  François-Joseph  depuis  qu'il 
a  commencé  sa  villégiature  d'été.  L'Empereur  était  arrivé  au  début  de. la 
représentation,  sans  s'être  fait  annoncer,  et  les  artistes  avaient  à  peine  com- 
mencé à  jouer  quand,  brusquement,  la  scène  et  la  salle  furent  plongées  dans 
l'obscurité  la  plus  complète.  L'éclairage  électrique  avait  cessé  de  fonctionner. 
On  apporta  des  bougies  et  des  lampes  et  le  directeur  du  théâtre,  armé  d'une 
chandelle;  vint  présenter  ses  excuses  à  l'Empereur  qui,  prenant  la  chose  du 
bon  côté,  se  fit  accompagner  à  sa  voiture  et,  en  souriant,  prit  congé  dn  direc- 
teur en  lui  souhaitant  une  «  nuit  bonne,  mais  un  peu  plus  éclairée  ».  A  onze 
heures  du  soir,  l'électricité  fit  sa  réapparition. 

Ds  Vienne  :  La  Société  wagnérienne  de  Gratz  ayant  publiquement  criti- 
qué M.  Félix  von  Weingartner,  à  propos  des  coupures  qu'il  a  pratiquées  dans 
la  Valkyrie,  le  directeur  de  l'Opéra  de  la  Cour  vient  de  répondre  par  une  lettre 
ouverte,  dont  voici  les  passages  essentiels  : 

Il  eût  peut-être  été  indiqué,  avant  de  prendre  la  parole  publiquement  et  d'une 
façon  un  peu  hâtive,  de  se  mettre  en  rapport  avec  moi,  à  qui  les  plus  acharnés 
adversaires  n'ont  jamais  reproché  jusqu'à  présent  de  la  légèreté  en  matière  d'art.  Je 
vous  aurais,  dans  le  cas,  volontiers  exposé  ce  qui  m'a  incité  à  faire  des  coupures.  Je 
vous  aurais  appris,  entre  autres,  que  jamais  l'idée  ne  me  viendrait  de  faire  des  cou- 
pures dans  les  très  longs  Maîtres  Chanteurs  et  dans  le  tout  aussi  long  Tristan,  sans  y 
être  forcé  par  des  circonstances  extérieures,  comme  l'indisposition  d'un  chanteur, 
par  exemple.  Peut-être  vous  aurais-je  convaincu  ainsi  que  je  ne  mesure  pas  la  valeur 
de  Wagner  avec  ma  montre. 

Je  vous  aurais  dit  aussi  que  trente  années  de  théâtre  et  de  pratique  ont  établi 
entre  les  œuvres  de  Wagner  et  moi  une  intimité  que  même  les  Sociétés  wagné- 
riennes  ne  me  contesteront  pas  et  qui  a  fait  naître  en  moi  la  conviction  que  maintes 
parties  des  Nibdun'jen,  du  Tannhwser  et  même  du  «  court  »  Vaisseau  Fantôme,  sont 
trop  longues,  non  pas  en  ce  qui  comerne  11  durée  de  l'exécution,  mais  au  point  de 
vue  organique,  de  la  nécessité  dramatique  et  de  l'unité  de  style. 

Je  considère  que  pratiquer  des  coupures  bien  comprises  en  de  pareils  endroits  est 
un  devoir  artistique  qui  ne  peut  ètra  qu'éminemment  profitable  à  lajouissance  esthé- 
tique, à  la  compréhension  et  à  l'assimilation. 

Habitué,  depuis  longtemps,  à  poursuivre,  autant  que  la  possibilité  m'en  est  donnée, 
la  réalisation  de  toute  chose  dont  je  puis  assumer  la  responsabilité  vis-à-vis  de  moi- 
même,  pas  plus  atteint  d'ivresse  autoritaire  que  de  sulfismce  béate  qui  se  croit, 
Dieu  sait,  quelle  importance,  je  vous  déclare  que  je  pratiquerai  les  coupures  qui  me 
paraîtront  nécessaires  daas  plusieurs  œuvres  de  Wagner,  sans  me  laisser  le  moins 
du  monde  troubler  par  les  protestations,  quelles  qu'elles  soient. 

Permettez-mai  d'ajouter  à  cette  déclaration  que  je  cansidère  les  termes  «  Wagner  » 
et  «  wagnérien  »  comme  deux  conceptions  diamétralement  opposées.    Je   vénère 
Wagner  à  tel  point  que  je  dois  avoir  l'honneur  de  me  dire  un  and'-wagnërien  litté- 
ralement enthousiaste. 
Agréez,  etc. 

Félix  Weingartner. 
Bad-Kreuth,  28  juin  1908. 


—  A  l'occasion  du  quarantième  anniversaire  de  la  première  représentation 
des  Maîtres  Chanteurs,  à  Munich,  M.  Hans  Richter,  qui  a  dirigé  l'ouvrage  au 
Théâtre  de  la  Cour,  vient  d'être  décoré  de  l'ordre  du  mérite  de  Saint-Michel, 
deuxième  classe. 

—  Le  théâtre  historique  de  Lauchstâdt,  près  de  Halle,  sur  lequel  l'attention 
a  été  attirée  dans  ces  dernières  semaines,  à  cause  des  représentations  de 
l'Arbitrage  et  de  la  Samienne,  de  Ménandre,  a  été  non  seulement  une  scène 
littéraire  importante,  mais  aussi  une  scène  musicale  dont  les  fastes  ne  sont 
pas  négligeables.  On  y  a  entendu  dans  d'excellentes  condi  tions  d'interprétation  : 
Iphigénie  en  Tauride,  de  Gluck,  l'Enlèvement  au  Sérail,  la  Flûte  enchantée,  Don 
Juan,  Cosi  fan  tuile,  les  Noces  de  Figaro  et  la  Clémence  de  Titus,  de  Mozart,  le 
Porteur  d'eau,  Lodoiska  et  Faniska,  de  Gherubini,  Richard  Cœur  de  Lion,  de 
Grétry,  le  Trésor  supposé,  de  Méhul,  le  Déserteur,  de  Monsigny,  Maison  à  vendre, 
de-  Dalayrac,  etc.  H  faut  ajouter  à  cette  liste  un  grand  nombre  d'opéras 
italiens  et  allemands  de  Salieri,  Cimarosa,  Martini,  Paèr,  Pa:siello,  Dittersdorf, 
Wenzel  Mtiller,  Wranitzki,  Winter,  Weigl,  Schenck,  Kauer,  Beichardt, 
Himmel,  Siissmayer,  Gyrowetz  et  Zumsteeg.  On  peut  suivre  historiquement 
les  annales  du  théâtre  de  Lauchstiidt  depuis  l'année  1761,  époque  où  un 
comédien  de  Leipzig,  nommé  J.-E.  Wilde,  forma,  pour  la  petite  ville,  une 
troupe  avec  sept  camarades  et  y  joua  principalement  les  ouvrages  de  Gellei't. 
Plus  tard,  vers  1769,  ce  fut  un  nommé  Francesco  Claudio  Perrin,  qui 
remplaça  le  précédent  avec  des  acteurs  nouveaux,  et  à  qui  se  substitua  sept 
ans  après  le  directeur  Koberwein,  lequel,  pour  lui  et  «  sa  bande  »,  Et  ériger 
un  hangar  en  bois  de  cinquante  pieds  de  long  sur  trente  de  large.  Le  directeur 
bien  connu  Joseph  Bellomo  vint  en  17S5,  fit  construire,  toujours  en  bois,  une 
maison  plus  spacieuse  qu'il  céda,  en  1791.  à  Goethe,  et  qui  subsista  jusqu'à 
l'ouverture  du  nouveau  théâtre,  bâti  en  pierre  cette  fois,  et  qui  fut  inauguré 
le  26  juin  1802.  Ce  fut  une  véritable  solennité.  La  salle,  pouvant  contenir  un 
millier  de  personnes,  était  comble.  On  joua  un  prologue  de  Goethe  intitulé  : 
Ce  que  nous  cous  apportons,  et  la  Clémence  de  Titus,  de  Mozart.  Parmi  les  nota- 
bilités présentes,  on  comptait,  en  dehors  des  princes,  Goethe,  Frédéric-Auguste 
Wolf.  Reichardt.  Wilhelm  Schlegel,  Schelling.  Hegel.  Frommann.  La  femme 
de  Goethe,  née  Christiane  Vulpius.  assise  à  côté  du  grand  poète,  a  écrit  ce 
qui  suit  sur  la  représentation  :  «  Le  théâtre  d'ici  est  maintenant  très  beau  ;  il 
peut  contenir  mille  spectateurs.  Dans  la  première  pièce,  qui  était  un  prologue 
du  Conseiller  intime  (Goethe)  intitulé  :  Ce  que  nous  vous  apportons,  liguraientun 
grand  nombre  de  personnes.  Nous  étions  au  balcon,  dans  une  très  belle  loge, 
et.  lorsque  le  prologue  fut  terminé,  des  étudiants  s'écrièrent  :  «  Vive  Gœthe. 
le  grand  artiste!  »  Mon  mari  s'était  reculé  vivement  et  caché  derrière  moi; 
mais  je  me  levai,  et  il  dut  s'avancer  pour  remercier  l'assistance.  Après  le 
spectacle,  on  lit  des  jeux  de  lumière  sur  la  scène  et  le  portrait  du  Conseiller 
intime  fut  illuminé.  Gœthe  s'inclina  de  sa  loge  et  dit  ces  paroles  :  «  Puisse, 
ce  que  nous  apportons,  suffire  très  longtemps  à  un  public  amoureux  d'art  ». 
Le  théâtre  qui  fut  inauguré  avec  tant  de  pompe  en  1802  tomba  tout  à  fait  en 
ruines  dans  ces  dernières  années  et  a  dû  être  entièrement  restauré.  On  tient 
beaucoup  à  le  conserver  à  cause  des  vieux  souvenirs  qu'il  rappelle. 

—  La  «  Neue  Musik-Zeitung  »  a  recueilli,  sur  Weber,  la  jolie  anecdote  sui- 
vante :  Au  commencement  du  siècle  dernier,  un  sacristain  de  village,  direc- 
teur du  chant  dans  son  église,  s'était  mis  dans  la  tète,  à  l'occasion  d'une  petite 
fête  locale,  d'obtenir  d'un  maître  avéré  une  musique  nouvelle  qui  put  faire 
honneur  au  goût  des  personnages  influents  de  l'endroit,  et  flatter  la  vanité  de 
tous  les  paroissiens.  Le  village  où  devait  avoir  lieu  la  fête  n'étant  pas  éloigné 
de  Dresde,  il  semblait  tout  naturel  de  s'adresser  à  Weber.  Notre  excellent 
cantor.  peu  timide  et  ne  doutant  de  rien,  débarqua  donc  un  jour  chez  le  futur 
auteur  du  Freiscliiit:  et  lui  exposa  son  désir.  Weber  connaissait  par  expérience 
l'incapacité  musicale  des  chanteurs  dans  les  petites  églises  de  la  Saxe  ;  il 
chercha  donc  des  prétextes  pour  se  soustraire  à  la  tâche  que  l'on  prétendait 
lui  imposer.  Tout  fut  inutile.  Le  cantor  avait  une  réponse  prête  à  toutes  les 
objections.  Il  considérait  que  son  honneur  était  engagé  dans  la  circonstance, 
car  il  avait  annoncé  d'avance  à  tout  le  pays  que  l'on  chanterait  dans  l'église, 
le  jour  de  la  fête,  uu  morceau  de  musique  nouveau,  composé  par  «  son  ami 
Weber  ».  On  comprend  donc  avec  quel  acharnement  il  tourmenta  le  maître, 
qui  finit  par  s'écrier  :  «  Eh  bien,  soit  ;  quel  texte  voulez-vous  que  je  vous 
mette  en  musique?»  —  «  Celui  qu'il  vous  plaira  de  choisir  »,  répondit  le 
cantor  en  s'inclinant  jusqu'à  terre  ;  «  un  verset  de  la  Bible,  ou  toute  autre  chose 
si  cela  vous  convient  mieux.  »  —  «  Vous  aurez  la  musique,  dit  Weber; 
veuillez  seulement,  quand  vous  l'aurez  reçue  et  étudiée,  me  faire  savoir  le 
jour  et  l'heure  de  la  répétition  générale  :  j'irai  vous  entendre  dans  votre 
église  ».  Ainsi  fut  fait.  Weber  envoya  une  fugue  sur  les  paroles  :  Nous  ne 
pouvons  rien,  rien  du  tout,  absolument  rien  contre  la.  colère  du  Seigneur.  Bientôt 
après  il  reçut  avis  que  le  morceau  serait  répété  pour  la  dernière  fois  le  matin 
même  de  la  fête,  immédiatement  avant  l'office.  «  Bien,  se  dit-il,  je  liens  mes 
larrons,  ils  vont  maintenant  expier  leurs  péchés.  »  H  vint  à  l'heure  dite 
avec  un  grand  nombre  d'amis  ou  connaissances.  Les  choristes  de  l'église 
commencèrent  aussitôt,  mais,  dès  les  premières  mesures,  tous  détonnèrent  à 
l'envi  :  s'eft'orçant  de  se  ressaisir  avec  l'énergie  du  désespoir,  ils  criaient  dans 
leur  détresse  les  paroles  que  Weber  avait  malicieusement  choisies,  et  répétées 
plusieurs  fois  à  chaque  partie,  en  les  agrémentant  de  quelques  adjonctions 
produisant  un  effet  comique.  «  Nous....  nous....  nous  ne  pouvons  rien....  rien, 
moins  que  rien....  nons  ne  pouvons  rien  dn  tout,  absolument  rien....  »  Ce  fut 
une  horrible  mêlée  antimusicale,  et  persistante  aussi,  car  les  chanteurs  avan- 
çaient 'toujours  dans  le  dédale  de  leur  fugue,  ne  s'apercevant  même  pas  'qu'ils 


LE  MÉNESTREL 


223 


avaient  été  mystifiés.  Enfin  Weber,  voyant  ses  compagnons  sur  le  point 
d'éclater  en  rires  bruyants,  s'écria  tout  à  coup  :  «  Hélas  non,  vous  ne  pouvez 
rien;  laissez-nous  donc  prendre  votre  place  et  chanter  pour  l'amour  de  Dieu  ». 
Il  tira  de  sa  poche  un  cahier  de  musique  ;  ses  amis  l'imitèrent  et,  formant  un 
groupe  compact,  entonnèrent  à  leur  tour  le  morceau  et  le  chantèrent  irrépro- 
chablement jusqu'à  la  fin,  pendant  que  lui,  Weber,  battait  la  mesure.  Alors,  il 
dit  au  cantor,  sa  vieille  connaissance  :  «  Voyez,  la  répétition  est  terminée  ;  si 
vous  nous  jugez  suIFisamment  préparés  pour  chanter  pendant  l'office  par  lequel 
doit  commencer  la  fête  de  votre  village,  nous  vous  remplacerons  volontiers  ». 
L'offre  fut  acceptée  avec  reconnaissance  et  le  succès  des  nouveaux  chanteurs 
fut  complet.  Quant  au  Cantor,  ses  concitoyens  le  portèrent  en  triomphe  à  la 
sortie  de  l'église,  pour  la  bonne  idée  qu'il  avait  eue  d'inviter  Weber  à  le  rem- 
placer. Il  se  garda  bien  d'avouer  comment  les  choses  s'étaient  passées,  et  laissa 
croire  que  Weber  était  venu  à  sa  prière,  par  bonne  amitié  pour  lui. 

—  Mme  Louise  Ramann,  qui  s'est  fait  connaître  dans  le  monde  musical  par 
une  intéressante  et  très  complète  biographie  de  Liszt,  et  qui  a  traduit  en  alle- 
mand tous  les  ouvrages  que  le  maître  avait  écrits  en  français,  vient  de  célébrer 
à  Munich  le  75v  anniversaire  de  sa  naissance.  Une  petite  fête  a  eu  lieu  chez  elle 
dans  la  plus  stricte  intimité. 

—  De  Londres:  la  reconstruction  du  vieux  Drury-Lane  Theater,  qu'un  in- 
cendie a  détruit,  il  y  a  quelques  mois,  est  activement  poussée  et  la  réouverture 
pourra  avoir  lieu  dès  l'automne  prochain.  Comme  il  n'est  resté  que  peu  de 
choses  de  l'ancien  immeuble,  on  a  profilé  de  la  réédification  pour  y  introduire 
de  nombreux  agrandissements  et  des  améliorations  essentielles.  C'est  ainsi 
que  la  scène  sera  agrandie  de  32  pieds  dans  le  sens  de  la  largeur  et  de  10  pieds 
dans  celui  de  la  hauteur  et  deviendra,  de  ce  fait,  la  plus  vaste  scène  du  monde 
entier. 

—  De  New-York  :  la  réouverture  du  Métropolitan-Opera  aura  lieu  le  16  no- 
vembre, avec  Aida,  dont  les  principaux  rôles  seront  interprétés  par  Mme  Des- 
tinn  et  M.  Caruso  et  qui  servira  de  débuts  à  M.  Toscanini.  l'ancien  chef  d'or- 
chestre de  la  Scala  de  Milan.  La  première  nouveauté  qu'on  jouera  sera 
Tieflund,  de  M.  Eugène  d'Albert,  pour  laquelle  M.  Schmedes,  le  célèbre  ténor 
de  l'Opéra  de  la  Cour  de  Vienne,  a  été  spécialement  engagé  pour  deux  mois. 
M.  Gustave  Mailler  commencera  ses  fonctions  de  chef  d'orchestre  vers  la  mi- 
décembre.  Il  dirigera  d'abord  les  Noces  de  Figaro  et  ensuite  Tristan  et  Isolée; 
avec  les  coupures  qu'il  a  pratiquées  dans  l'œuvre  de  Wagner  quand  il  l'a 
montée  à  Vienne.  Comme  chef  du  corps  de  ballet,  la  direction  a  engagé 
M.  Ludovic  Saracco  du  Teatro  San  Carlo  de  Naples. 

—  De  Philadelphie  :  On  vient  de  poser  ici  la  première  pierre  du  nouvel 
Opéra  :  un  bloc  de  marbre  dans  lequel  M.  Hammerstein,  directeur  du  Man- 
hattan Opéra  de  New-York,  qui  prendra  également  la  direction  de  celui  de 
Philadelphie,  a  l'aU  sceller  des  rouleaux  de  phonographe  qu'il  a  apportés  de 
Paris  et  de  Londres  et  qui  perpétueront  les  voix  des  principaux  artistes  de  sa 
compagnie.  Mme  Melba  y  figure  avec  un  air  de  Rigoletto  :  Mlle  Tetrazzini,  avec  une 
chanson  de  Lucie  de  Lammermoor  :  M"''  Mary  Garden,  avec  un  air  de  Thaïs,  et  à 
côté'  des  voix  superbes  de  ces  trois  grandes  artistes  reposent  celles  des  ténors, 
MM.  Dalmorès  et  Zenatello  et  des  barytons  MM.  Renaud  et  Sammarco. 
L'avenir  du  nouvel  Opéra  parait  d'ores  et  déjà  assuré.  Les  souscriptions 
d'abonnement  aux  loges  et  aux  fauteuils  d'orchestre  ont  atteint  à  ce  jour  le 
joli  total  de  073.000  francs. 


PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

C'est  samedi  dernier  qu'a  eu  lieu  à  l'Académie  des  beaux-arts,  toutes 
sections  réunies,  le  jugement  du  concours  de  Rome.  Les  paroles  de  la  cantate 
intitulée  la  Sirène  avaient  pour  auteurs  MM.  Eugène  Adenis  et  Gustave  Des- 
veaux-Vérité. Les  compositions  des  six  concurrents  ont  été  exécutées  dans 
l'ordre  suivant,  d'après  le  tirage  au  sort,  avec  les  interprètes  que.  voici  : 

I"  M.  Tournier,  élève  de  M.  Ch.  Lenepveu,  interprété  par  M""  Hélène  Demelier, 
de  l'Opéra-Comique  ;  M""  Laute-Brun,  de  l'Opéra  ;  M.  Fernand  Lemaire.  Au  piano, 
M.  Joseph  Boulnois. 

2°  M""  Boulanger,  élève  de  M.  Widor,  interprétée  par  M"°  B.  Lamare,  de  l'Opéra- 
Comique  ;  M""  Winsbach  ;  M.  R.  Plamondon,  de  l'Opéra.  Au  piano,  Jt.  Marcel  Du- 
pré  et  l'auteur. 

3"  M.  Gailhard,  élève  de  M.  Ch.  Lenepveu,  interprété  par  M11*'  Chenal,  de  l'Opéra  ; 
M""  Verlet,  de  l'Opéra;  M.  Devriès,  de  l'Opéra-Comique.  Au  piano,  MM,  Chadeigne, 
de  l'Opéra,  et  Maxime  Dardignac. 

4°  M.  Flament,  élève  de  M.  Ch.  Lenepveu,  interprété  par  M"c  Rose  Féart,  de 
l'Opéra  ;  M™'  Judith  Lassalle,  de  l'Opéra-Comique  ;  M.  Corpait,  de  l'Opéra.  Au  piano 
M.  Galabert  et  l'auteur. 

5°  M.  Mazellier,  élève  de  M.  Ch.  Lenepveu,  interprété  par  M"0  Louise  Grand- 
jean,  de  l'Opéra;  M""  Henri  Cain-Guiraudon  ;  M.  Muratore,  de  l'Opéra.  Au  piano, 
MM.  Léon  Moreau  et  Salomon. 

6°  M.  Marc  Delmas,  élève  de  M.  Ch.  Lenepveu,  interprété  par  M11"  Y.  Gall,  de 
l'Opéra  ;  M"'  Lucy  Vauthrin,  de  l'Opéra-Comique  ;  M.  Georges  Dantu,  des  Concerts- 
Colonne  et  des  Concerts  du  Conservatoire.  Au  piano,  M""'  de  Faye-Jozio. 

La  lutte  pour  le  premier  prix  était- circonscrite,  dès  le  premier  moment, 
entre  deux  des  concurrents,  M.  André  Gailhard,  second  prix  de  1906.  et 
M.  Mazellier.  second  prix  de  1907.  En  effet,  dans  l'audition  préparatoire  qui 
avait  eu  lieu  la  veille   au  Conservatoire,  devant  les  membres  de  la  section  de 


musique  de  l'Académie  et  les  jures  adjoints,  les  voix  s'étaient  partagées  de 
façon  presque  égale,  cinq  se  réunissant  sur  André  Gailhard,  et  quatre  sur 
M.  Mazellier.  Finalement,  le  premier  grand  prix  a  été  décerné  à  M.  André 
Gailhard.  qui  l'emportait  avec  dix-huit  voix,  contre  neuf  à  M.  Mazellier. 
L'Académie  n'a  pas  cru  devoir  attribuer  de  premier  second  grand  prix,  mai» 
elle  a  décerné  un  deuxième  second  grand  prix  à  M""  Nadia  Boulanger,  et  elle 
a  accordé  une  mention  honorable  à  M.  Flament.  —  Tout  le  monde  sait  que 
M.  André  Gailhard,  âgé  aujourd'hui  de  vingt-trois  ans,  est  le  fils  de  l'ancien  direc- 
teur de  l'Opéra.  M11" Nadia  Boulanger,  qui  en  a  vingt,  est  la  fille  d'Ernest  Bou- 
langer, ancien  prix  de  Rome  lui-même  et  auteur  de  plusieurs  opéra-comiques 
qui  jadis  obtinrent  du  succès,  et  la  petite-fille  de  M""'  Boulanger,  une  canta- 
trice charmante  qui  fut,  au  commencement  du  dernier  siècle,  une  de3  gloires 
de  l'Opéra-Comique.  Quant  à  M.  Flament,  c'est  un  bassoniste  qui  a  obtenu  un 
premier  prix  de  basson  en  1898.  On  a  dit  à  tort  qu'il  était  arrivé  à  la  limite 
d'âge;  c'est  une  erreur,  en  effet.  Etant  né  à  Douai  le  27  août  1880,  M.  Fla- 
ment pourra  parfaitement,  si  cela  lui  plait.  concourir  encore  l'année  pro- 
chaine. On  a  dit  aussi  que  M"8  Nadia  Boulanger  était  la  première  femme  qui 
obtenait  un  prix  au  concours  de  Rome  ;  c'est  encore  une  erreur.  Il  y  a  trois 
ans,  M""  Hélène  Fleury  se  voyait  décerner  un  second  prix  à  ce  concours. 

—  A  titre  documentaire  et  comme  complément  des  intéressants  articles  de 
notre  collaborateur  Arthur  Pougin  sur  les  concours  du  Conservatoire,  il  peut 
être  intéressant  de  reproduire  la  liste  des  scènes  qui  furent  chantées  au  concours 
d'opéra-comique,  avec,  à  côté,  les  noms  des  jeunes  élèves  qui  les  interprétaient  : 

1.  M"'  Ménard  (classe  Dupeyron).  —  Manon  11"  acte»,  rôle  de  Manon.  Réplique 
M.  Paulet. 

2.  M.  Coulomb  (classe  Bouvet).  —  Le  Pardon  de  Ploérmel  II"  acte  ,  rôle  de 
Corentin. 

3.  M""  Pradier  (classe  Isnardon).  —  Jean  de  Nivelle  (l"  acte),  rôle  d'Ariette.  Répli- 
ques :  M.  Paulet  et  M""  Cébron-Norbens. 

4.  M.  Taréria  (classe  Isnardon).  —  Sapho  de  Massenet  (Jtf  actei,  rôle  de  Gaussin. 
Répliques  :  M.  Audiger,  M""  Cébron-Norbens,  Duvernay  et  Pradier. 

5.  M.  Bellet  (classe  Dupeyron).  —  Les  Xaces  de  Jeannette,  rôle  de  Jean.  Réplique  : 
M11"  Amoretti. 

6.  M"°  Gustin  (classe  Isnardon).  —  Werther  (3«  acte),  rôle  de  Charlotte.  Réplique  : 
M"c  Chantai. 

7.  M.  Félisaz  (classe  Bouvet).  — Manon  (2e  acte),  rôle  de  Des  Grieux.  Réplique  : 
M""  Lambert. 

8.  M?"  Jurand  (classe  Isnardon),  2"  ace.  1907.  —  Les  Soees  de  Figaro  (2-  acte  .  rôïe 
de  Suzanne.  Répliques  :  M"""  Chantai  et  Gustin. 

9.  M"e  Duvernay  (classe  Isnardon).  —  Caealleria  ruslieana,  rôle  de  Santuzza.  Ré- 
pliques :  M.  Tai'eria,  il"0"  Gabrielle  Demougeot  et.  Gustin. 

10.  M"c  Garchery  (classe  Dupeyron),  1"  ace.  1907.  —  Werllu-r  (3"  acte),  rôle  de 
Charlotte.  Réplique  :  M""  Amoretti. 

11.  Audiger  (classe  Isnardon).  —  Mireille  (2"  acte),  rôle  de  Ramon.  Répliques: 
MM.  Villaret,  Combes,  Ancelin,  M""  Robur  et  Duvernay. 

12-  M"'  Gabrielle  Demougeot  (classe  Isnardon),  l"r  ace.  1907.  —  Carmen  II"  acte, 
rôle  de  Carmen.  Répliques  :  MM.  Taréria,  Villaret,  M""  Devriès  et  M""  Rénaux. 

13.  M"°  Chantai  (classe  Isnardon).  —  La  Vie  de  Boliéme  (3"  acte),  rôle  de  Mimi. 
Répliques  :  MM.  Paulet,  Villaret  et  M"'  Jurand. 

14.  M""  Robur  (classe  Isnardon),  1" ace.  1907.  —Louise  (3" acte),  rôle  de  Lonise. 
Réplique  :  M.  Taréria. 

15.  JSL  Ponzio  (classe  Melchissédec),  2"  ace.  1907.  —  Le  Barbier  de  Sëeille  (1"  acte), 
rôle  de  Figaro.  Réplique  :  M.  Ancelin. 

16.  M""  Cébron-Norbens  (classe  Isnardoni,  2"  ace.  1907.  —  Aphrodite  (l«r  acte),  rôle 
de  Chrysis.  Réplique  :  M.  Taréria. 

17.  M"c  Lambert  (classe  Bouvet).  —  Manon  (1"  acte),  rôle  de  Manon.  Réplique: 
M.  Coulomb. 

18.  M.  Laloye  (classe  Dupeyron).  —  Carmen  (2e  acte),  rôle  de  Don  José.  Réplique  : 
M™"  Garchery. 

19.  M.  Villaret  (classe  Isnardon).  —  Le  Roi  l'a  dit,  rôle  du  marquis  de  Moncontour. 
Répliques  :  M.  Paulet,  M""  Robur,  G.  Demougeot,  Chantai,  Cébron-N'orbens,  Jurand 
et  Devriès. 

20  et  21 .  M.  Vaurs (classe  Bouvet),  1"  ace.  1907  et  M.  Pierre  Dupré  (classe  Bouvet). 
—  Le  Barbier  de  Séville  (2e  acte),  rôles  de  Bartholo  et  de  Basile.  Réplique  :  M'  Lam- 
bert. 

22.  M.  Combes  (classe  Isnardon).  —  La  Tosca  (2»  acte',  rôle  de  Scarpia.  Répliques: 
MM.  Audiger,  Paulet  et  M1"  Cébron-Norbens. 

23.  M"1  Alice  Raveau  (classe  Bouvet).  —  Werther  (3'  acte),  rôle  de  Charlotte.  Ré- 
plique :  M""  Mathieu-Lutz. 

24.  M.  Paulet  (classe  Isnardon).  —  L'Épretuv  villageoise  (rôle  d'Andréi.  Réplique  : 
M""  G.  Demougeot. 

25.  M"0  Amoretti  (classe  Dupeyron).  —  H'ùnsel  et  Gretel,  rôle  de  Gretel.  Réplique  : 
M1"  Chantai. 

—  A  l'occasion  des  concours  du  Conservatoire,  il  n'est  peut-être  pas  sans 
intérêt  de  rappeler  dans  quelles  circonstances  M.  Saint-Saèns  composa  son 
concerto  en  sol  mineur,  dont  le  premier  mouvement  a  été.  exécuté  lundi  dernier 
par  les  trente-deux  élèves  femmes  des  classes  de  piano.  C'était  vers  l'époque 
où  Antoine  Rubinstein  se  fit  entendre  à  Paris  pour  la  première  fois.  Il  était 
alors  âgé  de  vingt-huit  ans.  M.  Camille  Saint-Saèns  devint  son  admirateur 
enthousiaste,  un  peu  son  disciple  et  beaucoup  son  ami.  Les  armées  qui  suivi- 
rent, Rubinstein  revint  presque  chaque  hiver  et  son  amitié  pour  M.  Saint- 
Saèns  s'était  doublée  d'une  grande  estime  pour  le  jeune  artiste  français,  si 
bien  qu'un  jour  il  lui  proposa  de  diriger  des  concerts  avec  orchestre  qu'il  se 
proposait  de  donner.  Ici,  nous  laissons  la  parole  à  M.  Saint-Saèns  :  «  J'avais. 
peu  dirigé  encore,  et  j'hésitais  à  accepter  cette  tâche,  a-t-il  écrit  dans  ses  Por- 
traits et  Souvenirs  ;  je  l'acceptai  cependant  et  fis  dans  ces  concerts  (il  y  en  eut 
huit)  mon  éducation,  de  chef  d'orchestre.  Rubinstein  m'apportait  à  la  répéli- 


224 


LE  MENESTREL 


lion  des  partitions  manuscrites,  griffonnées,  pleines  de  ratures,  de  coupures, 
de  «  paysages  »  de  toutes  sortes  ;  jamais  je  ne  pus  obtenir  qu'il  me  fit  voir  la 
musique  à  l'avance  ;  «c'était  trop  amusant,  disait-il,  de  me  voir  aux  prises 
avec  toutes  ces  difficultés  ».  De  plus,  lorsqu'il  jouait,  il  ne  se  préoccupait  en 
aucune  façon  de  l'orchestre  qui  l'accompagnait  ;  il  fallait  le  suivre  au  petit 
bonheur, et  parfois  un  tel  nuage  de  sonorités!  s'élevait  du  piano  queje  n'enten- 
dais plus  rien  et  n'avais  d'autre  guide  que  la  vue  de  ses  doigts  surle  clavier. 
Après  cette  magnifique  série  de  huit  soirées;  nous  étions  un  jour  dans  le  foyer 
de  la  salle  Pleyel,  assistant  à  je  ne  sais  quel  concert,  quand  il  me  dit  :  «  Je 
n'ai  pas  encore  dirigé  d'orchestre  à  Paris  ;  donnez  donc  un  concert  pour  que 
j'aie  l'occasion  détenir  le  bâton!  —  Avec  plaisir.  »  Nous  demandons  quel 
jour  la  salle  serait  libre  ;;il  fallait  attendre  trois  semaines.  «  Nous  avons  trois 
semaines  devant  nous,  lui  dis-je.  C'est  bien,  j'écrirai  un  concerto  pour  la  cir- 
constance ».  Et  j'écrivis  le  concerto  en  sol  mineur,  qui  fit  ainsi  ses  débuts 
sous  un  illustre  patronage.  N'ayant  pas  eu  le  temps  de  le  travailler  au  point 
de  vue  de  l'exécution,  je  le  jouai  fort  mal,  et,  sauf  le  scherzo,  qui  plut  du  pre- 
mier coup,  il  réussit  peu  ;  on  s'accorda  à  trouver  la  première  partie  incohé- 
rente et  le  final  tout  à  fait  manqué.  »  L'on  est  bien  revenu  depuis  sur  cette 
opinion,  car  ce  concerto  et  le  quatrième  sont  adoptés  au  Conservatoire  comme 
oeuvres  classiques  et  acclamés  partout  à  chaque  nouvelle  audition. 

—  On  s'ément,  au  Parlement,  du  projet  barbare  du  ministre  de  la  guerre 
touchant  la  suppression  des  musiques  d'artillerie  et  du  génie.  Sur  l'initiative 
de  MM.  Maurice  Faure  et  Nègre,  les  sénateurs  représentant  les  villes  où  se 
trouvent  ces  musiques  se  sont  réunis  pour  protester  contre  leur  suppression, 
que  le  ministre  a  prévue  et  indiquée,  sous  prétexte  d'économie,  par  voie  bud- 
gétaire. Après  discussion,  ils  ont  décidé  de  se  joindre  aux  députés  des  mêmes 
villes  intéressées  dans  leurs  démarches  et  protestations.  Ceux-ci  se  sont  réunis 
de  leur  côté  dans  le  but  de  combattre  de  tous  leurs  efforts  ce  projet  malen- 
contreux. Ils  ont  décidé  de  constituer  un  groupe  parlementaire  qui,  sans 
perdre  de  temps,  va  s'occuper  activement  et  par  tous  les  moyens  possibles 
d'obtenir  et  d'assurer  le  maintien  des  musiques  de  l'artillerie  et  du  génie. 

—  Un  certain  nombre  d'auteurs  avaient  intenté  un  procès  à  une  grande 
maison  de  cinématographes.  Ils  soutenaient  que  le  fait  de  représenter  leurs 
œuvres  au  moyen  de  films  constitue  une  contrefaçon.  Ils  ont  obtenu  gain  de 
cause.  La  première  chambre  du  tribunal  a  décidé  que  les  lois  de  1791  et  1793, 
qui  protègent  la  propriété  littéraire,  doivent  être  interprétées  dans  le  sens  le 
plus  large,  et  que  tout  procédé  par  lequel  la  conception  d'un  auteur  est  mise 
à  jour  devient  une  usurpation  de  son  droit  de  propriété.  Un  film  doit  donc 
être  considéré  comme  une  sorte  d'édition,  et  sa  projection  en  public  comme 
une  représentation  —  illicites  l'une  et  l'autre  si  elles  n'ont  été  autorisées  par 
l'auteur.  En  conséquence,  les  films  incriminés  devront  être  détruits,  et  la  mai- 
son défenderesse  paiera  aux  demandeurs,  savoir:  aux  héritiers  des  auteurs  de 
Faust,  représentés  par  MeSignorino,  1.500  francs,  à  M.  Courteline  (pour  Bou- 
bouroche),  à  M.  Pierre  Wolfl' (pour  le  Secret  de  Polichinelle),  à  MM.  Gavault, 
"Varney  et  de  Cottens  (pour  le  Papa  de  Francine)  chacun  1.000  francs.  M'Mille- 
rand  plaidait  pour  le  fabricant  de  cinématographes  et  Me  José  Théry  pour  les 
cinq  derniers  auteurs. 

—  Le  monument  de  Beethoven.  —  Sous  les  grands  arbres  du  parc  du  dépùt 
des  marbres  s'élève  depuis  hier  la  maquette  en  plâtre  du  monument  qui  doit 
être  érigé  au  Ranelagh  à-Ia  mémoire  de  Beethoven.  Quatre  génies  ailés,  de 
taille  colossale,  soutiennent  une  immense  plate-forme  sur  laquelle  Beetho- 
ven, étendu  et  s'accoudant  à  un  cube  de  pierre  semble  rêver.  L'oeuvre,  d'une 
conception  et  d'une  facture  très  originales,  est  du  sculpteur  José  de  Charmoy, 
qui  la  présentera  celte  semaine  au  comité  Beethoven  avant  de  la  reproduire 
en  pierre  pour  la  promenade  de  la  Muette. 

—  Toute  la  semaine  de  l'Opéra  a  été  consacrée  aux  représentations  de 
MlleMary  Garden,  qui  a  chanté  tour  à  tour,  avec  un  égal  succès,  Thais.  Faust 
et  Roméo.  Dans  Thaïs  elle  avait  pour  partenaire  le  baryton  Albers,  qui  s'est 
tiré  à  son  avantage  du  rôle  d'Athanaél,  qu'il  chantait  pour  la  première  fois  à 
Paris.  Dans  Roméo,  c'était  le  ténor  russe  Altchersky  qui  lui  donnait  vaillam- 
ment la  réplique.  Tlàns  Faust,  le  ténor  Muratore  reste  incomparable. 

—  Ce  soir  samedi,  au  parc  de  Versailles,  grand  gala  donné  par  la  Société 
des  Grandes  Auditions  musicales,  au  bénéfice  de  l'oeuvre  de  l'Assistance  par 
le  travail.  En  voici  le  programme  : 

A  neuf  heures  précises,  au  bosquet  d'Apollon  :  M™  Félia  Litvinne,  M.  Mounet- 
Sully,  M.  Albart  Lambert  fils.  —  Danses  grecques  et  daDses  antiques  :  le  ballet  de 
l'Opéra,  sous  la  direction  de  M.  Staats. 

A  dix  heures,  à  la  Colonnade  :  Psyché,  de  Molière,  avec  M11"  Bovy  et  Lifraud.  — 
Danses  des  dix-septième  et  dix-huitième  siècles,  avec  le  ballet  de  l'Opéra.  —  Musi- 
que militaire  du  génie  et  de  l'artillerie. 

A  onze  heures,  grand  feu  d'artifice  par  Ruggieri. 

Le  programme  sera  orné  d'une  eau-forte  inspirée  du  parc  de  Versailles  par 
M.  Gaston  La  Touche,  avec  deux  notices  de  M.  Pierre  de  Nolhac. 

—  Le  jury  du  concours  de  piano  de  l'École  Classique  composé  de  :■ 
M>°»  Filliaux-Tiger,  Ch.  René,  H.  Collin  ;  MM.  Falkenberg  et  Wurmser, 
a  décerné  les  récompenses  comme  suit  :  Division  élémentaire  :  lre  mention, 
M.  Pierre  Pechin  ;  2e  mention,  Mllc  Y.  Manent;  3e  mention,  M.  J.  Badaire. 


élèves  de  Mme  Chavagnat.  —  Supérieure  2e  division  :  lr0  mêniion,  Mlle  Thuil- 
lant  ;  3e  mention,  Mlle  G.  Manent  et  M.  Ed.  Ortion.  —  Supérieure  lre  divi- 
sion :  1er  prix,  Mlles  André  Marlin  et  Olga  Marienhoff  ;  2e  accessit,  M1Ie  Piron 
et  Mme  Couchard.  —  Division  d'honneur  :  1er  prix,  M.  Jacques  de  la  Presle 
et  Mme  Ed.  Drouin,  élèves  de  M.  Ed.  Chavagnat,  directeur  de  l'École. 

,  —  Dans  son  Assemblée  générale,  V  Association  artistique  de  Marseille  vient  de 
confier  pour  la  sixième  fois  les  destinées  des  concerts  classiques  aux  mains 
autorisées  de  M.  Gabriel  Marie. 

—  Extrait  d'un  journal  d'Épinal  :  l'«  Orchestre  cosmopolite  ■>  a  donné  samedi 
soir  à  l'Hôtel  de  la  Poste  une  audition  fort  remarquable  d'une  œuvre  grandiose 
de  Massenet  :  la  Terre  promise.  Beaucoup  de  musiciens  ont  réclamé  tout  aussitôt 
une  seconde  audition  de  ce  superbe  oratorio,  laquelle  fut  donnée  le  samedi 
4  juillet,  au  milieu  d'un  enthousiasme  encore  plus  grand. 

—  Soirées  et  Concerts. —  Dimanche  dernier  au  cours  Girardin-Marchal,  les  concours 
de  lin  d'année  ont  eu  lieu  sous  la  présidence  de  M.  I.  Philipp  assisté  de  MM.  Paul 
Braud,  Hérard,  Bernardel  et  M""  Galliano.  Des  médailles  ont  été .  décernées  à 
M"™  Lefèvre,  Schneider,  Radesse,  etc.  La  semaine  précédente  concours  de  solfège 
sous  la  présidence  de  M™"  L.  Filliaux-Tiger.  Médailles  à  M"™  Thanoin,  Radesse, 
Bourlet,  etc. 

NÉCROLOGIE 

Un  compositeur  très  populaire  en  Espagne,  Frederico  Chueca,  est  mort 
récemment  à  Madrid,  à  l'âge  de  62  ans.  Élève  de  Francisco  Barbieri,  depuis 
plus  de  vingt-cinq  ans  Chueca  s'était  montré  l'un  des  zarzueleristes  les  plus 
heureux  et  les- plus  féconds  de  son  pays,  et  il  avait  écrit  un  grand  nombre  de 
zarzuelas,  soit  seul,  soit,  souvent,  en  société  avec  M.  Valverde  fils.  Entre 
autres  pièces  qu'il  composa  avec  ce  dernier,  il  faut  citer  surtout  la  Gran  Via, 
qui  fut  jouée  à  Paris  et  dont  le  succès  est  européen,  Cadice,  où  se  trouve  la 
fameuse  Marche  de  Cadix,  qui  est  devenue  comme  une  sorte  de  chant  national, 
et  Acjua  yCuernos.  Parmi  ses  autres  ouvrages,  nous  mentionnerons  los  Desce- 
midos,  kis  Zepalillas,  los  Arrastraos,  la  Alegria  de  la  huerta,  Agita,  azucariltos  y 
aguardiente,  ci  Rateo,  el  Manton  de  Manila,  etc.  Chueca.  comme  Berlioz,  avait 
commencé  par  étudier  la  médecine,  mais  il  ne  prit  pas  goût  à  la  science,  et 
comme  Berlioz  aussi,  abandonna  l'amphithéâtre  pour  entrer  au  Conserva- 
toire. 

—  Il  nous  faut  annoncer  aussi  la  mort,  à  l'âge  de  68  ans,  d'un  excellent 
artiste  belge  depuis  longtemps  fixé  à  Paris,  Louis  Van  Waefelghem,  qui  était 
né  à  Bruges.  Excellent  virtuose  sur  l'alto,  il  s'était  fait  une  réputation  méritée 
en  adoptant  la  viole  d'amour,  et  l'on  se  rappelle  les  succès  qu'il  obtint  sur  cet 
instrument  dans  la  «  Société  des  instruments  anciens  »,  en  compagnie  de 
M.  Louis  Diémer,  de  Delsart  et  de  Laurent  Grillet,  ces  deux  derniers  dispa- 
rus avant  lui. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


En  vente  AU  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Vivienne,  HEUGEL  ET  CiB,  éditeurs 

Pièces   Enfantines 

POUR    PIANO 


PREMIÈRE     SÉRIE 
(Du   très  Jacile  au  facile.) 

JVIES  POUPÉES 

1 .  Bébé  poupart. 

2.  Bébé  jumeau. 

3.  Bébé  maillot. 

4.  Bébé  baby. 

5.  Bébé  marcheur. 

6.  Poupée  dormeuse. 

7.  Poupée  valsante. 

8.  Poupée  nageuse. 

9.  Poupée  parlante. 
10.  Poupée  merveilleuse. 


DEUXIÈME    SÉRIE 
(Du  facile  à  la  moyenne  difficulté.) 

JVIES   JOUETS 

11.  Polichinelle. 

12.  Tambour  et  trompette. 

13.  Jeu  de  massacre. 

14.  Lanterne  magique. 

15.  Boite  à  musique. 

16.  Le  chemin  de  fer. 

17.  Jeu  de  grâce. 

18.  Guignol. 

19.  Le  volant. 

20.  Le  diabolo. 


ED.    MALHERBE 

Chaque  numéro.   .   .  net    1  franc. 
Chaque  série.   .   .  net    S  francs.  —  Les  deux  séries  réunies.   .  net    8  francs 


4034.  —  74» 


N°  29.  PARAIT  TOUS  LES  SAMEDIS 


Samedi  48  Juillet  4908. 


(Les  Bureaux,  2bls,  rue  Vi vienne,  Paris,  h<  air') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


MÉNESTREL 


lie  Numéro  :  o  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  Numéro:  Ofp.  30 


Adresser  fiu.nco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivieiine,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  — Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, 20  fr., Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (27'  article),  Juuen  Tietisot.  —  II.  Les  concours  du  Conservatoire  (lin),  Arthur  Poui:i 


III.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
SUR  LES  COTEAUX 

de  Frédéric  Bixet.  —  Suivra  immédiatement  :   Marche  des  petits  magots  de 
Robert  Vollstedt. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 

CHEMINEAU 

d'ËDOUARD  Toi'RNox.  —  Suivra  immédiatement  :  Ole  ton  voile,  nouvelle  mélodie 

d'ERXEST  Moret. 


SOIXANTE    ANS     DE     LA    VIE     DE     GLUCK 


iXT  ±  -4=  -  ±  T  T  -4  ) 


CHAPITRE   V    :    Gluck  compositeur  d'opéra-comiques. 


Achevons  d'examiner  rapidement  les  autres  opéras-comiques 
de  Gluck    qui    ont    fait 
l'objet  de  rémunération        %-TI  tt- / <\i> '/~~ 
précédente. 

Les  deux  qui  se  pré- 
sentent après  Vile  de 
Merlin  sont  Cythère  assié- 
gée et  V Arbre  enchanté. 
Gluck  les  reprendra  plus 
tard  pour  les  offrir  au 
public  français,  pensant 
ainsi  lui  plaire  par  une 
aimable  diversion  aux 
sévérités  à'iphigénie  et 
d'Orphée,  —  en  quoi  il 
se  trompa,  car  le  public 
ne  voulut  pas  admettre 
que  le  maitre  qui  venait 
d'imposer  son  autorité 
dans  le  domaine  de  la 
noble  tragédie  aspirât  à 
descendre  et  s'adonnât 
aux  futilités  du  genre 
né  au  théâtre  de  la  Foire. 
La  Cythère  assiégée  de 
Paris  fut  d'ailleurs  alour- 
die par  les  machines  de 
toute  espèce  qui  sont  le 
complément  indispensa- 
ble de  toute  représenta- 
tion   de     grand    opéra. 


Gluck,  sans  perdre  son  temps  en  de 


autographe  de  l'Arbre  enchante,  opéra  comique  de  fîluck   1). 


nouveaux  travaux,  avait 
mêlé  aux  ariettes  de  la 
composition  première 
des  airs  de  ses  opéras 
italiens,  en  assez  grand 
nombre.  Combien  l'opé- 
ra-comique  viennois 
original  a  plus  de  légè- 
reté et  d'agrément  !  On 
y  trouve  déjà  le  mor- 
ceau qui  est  la  perle  de 
la  partition  :  un  récit 
d'une  bergère  contant, 
avec  plus  de  grâce  que 
d'effroi,  comment,  dor- 
mant sous  l'ormeau,  elle 
fut  réveillée  par  les 
guerriers  inhumains  et 
cruels  venus  pour  assié- 

(1)  Cette  reproduction  a  été 
exécutée  d'après  la  partition 
autographe  de  l'Arbre  enchante, 
appartenant  à  la  Bibliothèque 
du  Conservatoire.  Pour  donner 
un  spécimen  plus  complet  de 
l'écriture  de  Gluck,  on  a  ajouté 
en  haut  de  la  page  les  mots 
suivants,  rapportés  d'après  le 
titre  inscrit  sur  la  première  page 
du  manuscrit  :  Allegro,  L'Arbre 
enchanté,  Ouverture,  ainsi  que 
les  noms  de  l'auteur  et  de  l'édi- 
teur, tracés  d'une  autre  main  à 
la  Un  de  la  ligne. 


220 


LE  MÉNESTREL 


ger  Cythère.  C'est  une  page  exquise,  modèle  d'art  du  XVIIIe  siè-, 
de,  un  des  plus  charmants  exemples  du  tour  d'esprit  de  Gluck 
quand  il  consentait  à  se  montrer  aimable,  et  qui  montre  bien 
qu"Hercule  eût  été  parfaitement  apte  à  manier  les  fuseaux  à 
son  heure,  s'il  n'eût  été  convenu  à  l'avance  que  cela  ne  lui 
était  pas  permis. 
Dans  V Arbre  enchanté,  plus  d'antiquité,  même  au  goût  moderne. 
Le  sujet  de  ce  petit  acte  est  celui  d"un  conte  fort  gaulois, 
traité  d'abord  par  La  Fontaine,  repris  par  Vadé,  qui  en  avait  fait 
un  opéra-comique  pour  la  Foire,  et  que  Moline,  futur  traducteur 
à'Orphée,  avait,  semble-t-il,  adapté  spécialement  pour  Gluck  (1). 
C'est  l'histoire  du  tuteur  de  comédie,  amoureux  de  sa  jeune 
pupille,  berné  par  son  entourage  et  tombant  facilement  dans 
les  pièges.  Il  a  clans  son  jardin  un  poirier  qu'on  lui  fait  croire 
être  un  arbre  enchanté,  du  haut  duquel  ceux  qui  ont  grimpé 
dans  ses  branches  peuvent  contempler  des  spectacles  aussi 
étonnants  qu'imaginaires  :  il  monte  à  l'arbre,  et  les  amoureux 
en  profitent  pour  partir  ensemble,  non  sans  s"ètre  donné 
au  préalable  le  plaisir  de  quelques  libertés  prises  sous  les  yeux 
du  barbon.  Rien  de  plus  léger,  certes,  que  ce  canevas.  Mais  la 
musique  de  Gluck  est  également  légère.  Ses  ariettes,  encore 
mêlées  d'airs  connus  (en  grand  nombre)  peuvent  être  mises  en 
parallèle  avec  les  meilleures  que  Grétry  commencera  d'écrire 
dix  ans  plus  .tard. 

Il  y  a,  par  exemple,  tout  à  la  fin,  un  air  que  chante  un  per- 
sonnage raillant  le  tuteur  perché  sur  son  arbre,  lui  demandant 
s'il  est  un  oiseau  : 

Mi,  mi,  mi,  mi, 

Chantez,  mon  ami  : 

Sol,  sol,  sol,  sol, 

Chantez,  rossignol  ! 

Le  rythme  à  six-huit,  très  familier  au  genre  (encore  en  trou- 
verait-on peu  d'exemples  à  cette  époque  contemporaine  du 
début)  prête  une  allure  dégagée  qui  convient  à  l'expression 
satirique  ;  l'acteur  chantant  et  sifflant  tour  à  tour,  dialogue  avec 
la  flûte,  qui  lui  donne  la  réplique  d'aimable  manière.  Dire 
qu'ici  la  musique  de  Gluck  fait  penser  aux  Noces  de  Jeannette 
n'est  peut-être  pas  en  faire  un  éloge  hyperbolique  :  c'est  montrer 
au  moins  que  l'auteur  d'Alceste  .ne  dédaignait  pas  la  note 
aimable,  et,  comme  toujours,  était  en  avance  surson temps. 

Au  reste,  avec  un  tel  sujet,  n'était-ce  pas  le  cas  de  faire  appel 
aux  rythmes  populaires  ?  Aussi  allons-nous  voir  Gluck  revenir 
sans  vergogne  à  la  polka  de  son  pays  d'origine,  et  en  employer 
les  formules  sans  se  demander  si,  cent  vingt  ans  après  sa  mort 
on  s'aviserait  d'y  trouver  des  réminiscenses...  anticipées  des  opé- 
rettes de  la  fin  du  XIXe  siècle.  Voici  par  exemple  sur  quel  ton  le 
tuteur  chante  la  joie  que  lui  inspirent  ses  projets  matrimoniaux. 
Je  reconnais  là,  pendant  deux  mesures  entières,  le  thème  de 
certaine  Polka  nationale  que  toutes  les  «  petites  mains  »  jouaient, 
d'après  leur  méthode  de  piano,  il  y  quelque  quarante  ans,  —  ce 
pendant  que  le  déplacement  de  la  première  note  à  l'octave 
pouvait  faire  penser  d'abord  à  ces  autres  paroles  :  «  Le  grand 
singe  d'Amérique  »  : 


Tonminois  fin,tesjeuxbril.lantsFontrenaitreen  moi   leprin. temps 


Le  thème  par  lequel  le  même  personnage  s'ébaudit  en  son- 
geant aux  vertus  récréatives  de  son  arbre  est  dans  le  même 
style.  Le  voici  dans  la  principale  partie  de  son  développement. 

(1)  Voici  le  litre  du  livret  imprimé  à  Vienne,  d'après  un  exemplaire  que  j'ai  sous  les 
yeux  :  L'Arbre  enchanté  ou  le  Tuteur  dupé,  opéra-comique  mêlé  d'ariettes  de  la  compo- 
sition de  Monsieur  le  Ci.ev.  Gluck.  —  Vienne  en  Autriche,  dans  l'imprimerie  de  Ghf.lek. 
MBCCL1X.  —  11  n'est  l'aitmention  du  nom  de  Aloline  que  dans  les  publications  faites  à 
l'occasion  de  la  représentation  à  Versailles  en  1775. 


La.ventureest  très  co_mi_que;     Ah,  ah.ah,  est  très  coimi.que, 

lre  fois 


Et   le  cas  fort     cu-ri.eux,  Et  le     cas  fort  eu. ri  .    eux. 
2e  fo.s 


_  eux.  Maispour  m'en  con.vaincre  mieux,  Met.tons    nosyeuxen  pra. 


-  ti_que,Et  voyions  si    ce  ni  .  gaudN'estpas     le  plus  franc  lour.daud. 

Volontiers  ferais-je  aussi  mention  des  couplets  par  lesquels 
ia  fausse  ingénue  appelle  l'attention  du  tuteur  sur  son  arbre 
enchanté.  Son  amoureux  lui  a  donné  pour  instruction  : 

«  Paraissez,  dans  quelques  instants,  désirer  du  fruit  de  ce 
poirier  »  ;  et  en  effet,  elle  chante,  concluant  ainsi  : 

Permettez-moi 
S'il  vous  plait  de  manger... 

—  Quai  ? 
—  Des  poires  !  Des  poires  !  Des  poires  '. 

Il  y  aurait  sans  doute  aujourd'hui  un  certain  «effet  ><  à  pro- 
duire avec  cette  conclusion  ;  mais  il  faut  avouer  qu'ici  la 
musique  de  Gluck  n'y  serait  pour  rien,  ces  vers  étant  de  ceux 
qui  se  chantaient  sur  des  timbres  connus  :  ici,  l'air  «  Des  frai- 
ses »...  autre   fruit  de  saison. 

Enfin,  s'il  nous  est  impossible,  à  cause  de  ses  développements 
de  citer  l'air  :  «  Chante  rossignol  »,  précédemment  décrit, 
nous  avons  du  moins  l'avantage  de  pouvoir  présenter  à  nos 
lecteurs,  en  première  page,  le  commencement  d'un  autre  air, 
reproduit  d'après  l'autographe  même  de  Gluck.  Il  nous  a 
semblé  qu'il  était  assez  piquant  de  lire,  écrite  de  la  même 
main  qui  traça  «  Divinités  du  Styx  »  et  «  Le  Perfide  Renaud  me 
fuit  »,  la  musique  composée  sur  les  paroles  que  voici  : 

Ah  !  Monsieur  Thomas  ! 

Ça  n'se  fait  pas, 
Vous  ôtez  l'échelle, 
Ah  !  Monsieur  Thomas. 

Gluck  a  écrit  sa  partition  du  Cadi  dupé  (1),  dans  l'année  même 
où,  sur  le  même  poème,  Monsigny  avait  donné  la  sienne  à  Paris  : 
celle-ci  avait  été  représentée  à  la  Foire  Saint-Germain  le 
4  février  1761 ,  et  une  lettre  écrite  par  le  Comte  Durazzo  à  Favart 
le  12  décembre  parlait  de  celle  de  Gluck  qui,  disait-il,  avait  eu 
«  toute  la  réussite  imaginable  »  (2).  Il  serait  intéressant  de 
comparer  entre  elles  ces  deux  productions  des  tout  premiers 
temps  de  l'opéra-comique;  j'eus  l'occasion  d'en  faire  l'expé- 
rience directe  sur  un  morceau,  celui  qui  se  prête  le  mieux  à 
l'expression  musicale  :  la  romance  amoureuse  :  «  Si  votre  flamme 
est  trahie  »,  qui  fut  chantée  à  ia  Société  Internationale  de 
musique  successivement  avec  les  deux  musiques.  On  aurait 
pu  croire  que  Monsigny  aurait  trouvé  là  l'occasion  de  manifester 
ses  qualités  naturelles  de  tendresse  et  de  charme  sentimental  : 
mais  non,  dans  cette  œuvre  qui  est  une  de  ses  premières,  il 
montre  encore  delà  timidité,  cherche  ses  modèles  dans  le  passé, 
écrit  dans  le  style  rococo.  Chez  Gluck,  au  contraire,  le  chant 
jaillit  naturel,  expressif  et  mélodieux,  se  soutenant  de  lui-même 
sans  faiblesse,  jusqu'à  la  dernière  note  ;  et  si  cette  musique 
n'est  encore  qu'une  romance  (elle  ne  pouvait  être  autre  chose), 
elle  fait  moins  songer  au  passé  qu'elle  ne  donne  l'idée  des 
formes    de   l'art    de    cinquante    années    postérieur,    celui   de 


(1)  Il  a  paru  il  y  a  quelques  années  à  Leipzig  une  partition  du  Cadi  dupé  de  Gluck, 
pour  piano  et  chant,  avec  traduction  allemande  [Der  betronene  Kadi),  conforme  à  une 
représentation  donnée  à  Hambourg  en  1878,  et,  comme  tous  les  arrangements  de  ce 
genre,  fort  infidèle  à  l'original. 

(2)  Mémoires  et  Correspondance  de  Favori,  I,  213. 


LE  MENESTREL 


Méhul,  de  Dalayrac  ou  de  Boieldieu.  Placé  à  la  base  del'opéra- 
comique,  l'auteur  d'Armide  lui  imprime  donc    du  premier  coup 
une  impulsion  dont  ses  contemporains  de  France  n'osaient  pas 
encore  se  montrer  capables. 
(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


LES  CONCOURS  DU  CONSERVATOIRE 


HARPE  CHROMATIQUE 

Comme  trois  jours  auparavant,  nous  avions  encore  trois  concours 
dans  la  même  journée  :  harpe  chromatique,  harpe...  classique,  et  piano 
(hommes).  Et  voici  quel  était  le  jury  de  cette  séance  en  partie  triple  : 
MM.  Gabriel  Fauré,  président,  Raoul  Pugno,  Moszkowsky,  Harold 
Bauer.  Santiago  Riera,  Cesare  Galeotti,  Albert  Lavignac,  de  Lausnay, 
Jean  Risler,  J.  Franck.  Vôronge  de  la  Nux  et  Alfred  Bruneau  —  un 
vrai  jury  international. 

La  classe  de  M""  Tassu-Spencer,  qui,  comme  on  le  sait,  se  présen- 
tait pour  la  dernière  fois  devant  ce  jury,  mettait  en  ligne  cinq  élèves 
chargés  de  faire  entendre,  comme  morceau  d'exécution,  une  Fantaisie- 
Ballade  de  Georges  Pfeiffer.  et,  pour  la  lecture  à  vue,  une  jolie  impro- 
visation de  M.  Albert  Lavignac.  Deux  premiers  prix  ont  été  décernés. 
l'un  à  M.  André  Mullot.  l'autre  à  M"e  Chalot.  M.  André  Mullot  a  des 
doigts  habiles,  une  bonne  sonorité,  et  son  exécution  est  corsée.  —  Je 
serais  tenté  de  lui  préférer  M110  Chalot,  qui  a  beaucoup  de  sûreté,  un 
son  très  ample,  une  grande  agilité  de  doigts,  et  dont  l'exécution  est 
bien  artistique,  bien  nuancée  et  bien  finie.  —  Je  ne  sais  par  quelle 
malencontre  le  jury  n'a  pas  cru  devoir  accorder  aussi  un  premier  prix 
à  M"c  Goudeket,  qui  avait  obtenu  le  second  l'au  dernier.  Cette  enfant 
me  semblait,  le  mériter  aussi  bien  que  ses  deux  camarades  :  elle  a  un 
joli  son.  elle  joint  l'ampleur  à  la  grâce,  et  son  jeu  est  très  expérimenté. 
Un  tel  oubli  me  parait  à  la  fois  injuste  et  fâcheux. 

Il  n'y  a  pas  eu  lieu  à  donner  de  second  prix,  mais  un  premier  acces- 
sit a  été  accordé  à  Mlle  Montmartin,  dont  je  ne  vois  pas  grand'chose  a 
dire. 

HARPE 

Les  élèves  de  la  classe  de  M.  Hasselmans,  toujours  excellente  et  en 
état  de  constante  supériorité,  étaient  cette  fois  au  nombre  de  sept,  six 
jeunes  filles  et  un  garçon,  qui  tous  ont  été  couronnés.  Le  morceau  de 
concours  était  une  Fantaisie  de  M.  Cesare  Galeotti,  qui  avait  écrit  aussi 
la  page  de  lecture  à  vue. 

Trois  premiers  prix  ont  été  décernés  :  à  M11"  Pierre-Petit,  Laggé  et 
Delgado-Perez.  C'était  le  cas  de  dire  :  aux  derniers  les  bons,  car 
Mllc  Pierre-Petit,  nomnU-e  la  première,  avait  paru  dans  la  séance  la 
huitième  et  dernière,  ce  qui  ne  l'avait  pas  empêchée  de  se  distinguer 
d'une  façon  toute  particulière.  Elle  a  un  joli  son,  des  doigts  brillants, 
de  l'ampleur  dans  le  jeu.  et  son  exécution  est  à  la  fois  bien  pleine  et 
bien  moelleuse.  Je  ne  saurais  lui  souhaiter  qu'un  peu  plus  de  délica- 
tesse dans  certaines  attaques  de  la  corde,  mais  l'ensemble  est  char- 
mant et  ne  laisse  rien  à  désirer.  —  M""'  Laggé.  qui,  ainsi  qu'elle,  avait 
obtenu  un  second  prix  l'an  dernier,  a  du  brillant,  de  la  grâce,  de  bons 
doigts  et  un  jeu  très  sur.  —  Chez  M"°  Delgado-Perez  le  son  est  parfois 
un  peu  gros;  mais  elle  aussi  a  des  doigts  habiles,  de  la  grâce  dans 
l'exécution  avec  d'heureux  détails. 

A  la  suite  des  trois  premiers  prix  nous  avons  trois  seconds  prix, 
attribués  à  Mu,s  Hélène  Inghelbrecht,  Gaulier  et  Dretz.  L'exécution  de 
M11'  Inghelbrecht  est  aimable,  avec  de  jolis  détails.  —  M11''  Gaulier  a 
de  la  gentillesse,  de  bonnes  qualités  générales  d'exécution  et  un  rythme 
excellent;  on  lui  voudrait  plus  de  moelleux  et  de  délicatesse  dans  le 
son.  —  M"''  Dretz  se  distingue  par  un  joli  son  délicat,  des  doigts  sen- 
sibles et  pleins  d'agilité,  un  heureux  sentiment  musical,  des  nuances 
heureuses  et  un  ensemble  plein  de  grâce.  —  L'une  de  ces  demoiselles, 
à  qui  je  ferai  la  grâce  de  ne  point  la  nommer,  s'est  rendue  coupable 
d'une  petite  inconvenance.  Très  ambitieuse  sans  doute  et  trouvant  un 
second  prix  au-dessous  de  sa  valeur,  elle  est  venue,  à  l'appel  de  son 
nom,  en  rechignant  et  en  faisant  la  moue,  et  en  se  tenant  ostensible- 
ment à  l'écart  de  ses  deux  gentilles  camarades.  Si  j'avais  l'honneur 
d'être  directeur  du  Conservatoire,  mademoiselle,  je  serais  moins  pater- 
nel que  M.  Fauré,  et  pour  vous  punir  d'une  telle  incartade,  je  vous 
mettrais  à  pied  et  vous  priverais  de  leçons  pendant  trois  mois.  Cela 
vous  apprendrait  la  modestie  et  la  politesse. 

Un  premier  accessit  a  été  attribué  à  M.  Pré,  qui  est  uu  bon  élève,  au 


jeu  sur  et  solide.  Et  il  n'v  a  pas  eu  de  seco  td  accessit,  le  c  >mbal  Unis- 
sant faute  de  combaltanls. 

PIANO  Homme» 

Toujours  brillant,  le  concours  de  piano  pour  les  classes  masculines, 
qui  réunissait  cette  fois  quinze  concurrents,  demi  six  él<  es  de  SI.  Dié- 
mer  et  neuf  de  M.  Risler.  Le  morceau  d'exécution  était  la    i'"    Ballade 

de  Chopin  ;  le  morceau  de  lecture  était  écrit  par  M.  Widor. 

Je  ne  m'élèverai  pas  une  fois  de  plus  contre  ce  que  je  crois  une 
erreur,  c'esl-à-dire  contre  le  choix  que  l'on  persiste  i  faire  d'oeuvres  de 
Chopin  pour  les  concours.  J'ai  dit  déjà  ce  que  je  pensais  i  ce  sujet  : 
qu'il  faut  être  un  artiste  formé,  el  plus  encore,  pour  saisir,  pour  com- 
prendre et  pour  interpréter  la  pensée  de  Chopin,  pensée  qui  reste 
fermée  jusqu'à  un  certain  âge,  jusqu'à  l'âge  où  le  cœur  a  pu  parler,  où 
il  a  souffert  et  où  il  peut  pénétrer  la  souffrance  d'autrui.  Jouer  Chopin 
techniquement,  cela  est  donné  a  quiionque  a  fait  de  l'instrument 
l'étude  pratique  nécessaire;  le  jouer  poétiquement,  c'est  une  autre 
affaire,  et  je  répète  qu'il  y  faut  certaines  conditions  non  seulement 
artistiques,  mais  morales,  qui  ne  peuvent  se  rencontrer  chez  déjeunes 
êtres  entrant  à  peine  dans  la  vie  et  n'en  connaissant  encore  que  les 
sourires.  Ceci  dit  une  fois  de  plus,  —  et  inutilement,  —  j'entre  en 
matière,  en  faisant  connaître  d'abord  les  récompenses  décernées  par  le 

JU1T  •' 

fm  Prix.  —  MM.  Trillat,  élève  de  M.  Risler;  Gayraud,  élève  du 
môme,  et  Eustratiou,  élève  de  M.  Diémer. 

2,'s  Prix.  —  MM.  Gallon,  élève  de  M.  Risler,  et  Gauntlett,  élève  du 
même. 

/,ls  Accessits.  —  MM.  Moretti.  élève  de  M.  Diémçr;  Schmitz,  élève  de 
M.  Diémer;  Schwab,  élève  de  M.  Risler,  et  Laporte,  élève  de  M.  Dié- 
mer. 

Pas  de  deuxième  accessit. 

M.  Trillat  a  un  jeu  à  la  fois  moelleux,  plein  et  corsé,  vigoureux  et 
coloré.  —  M.  Gayraud  est  remarquable  non  seulement  par  la  sur  lié  et 
l'habileté  de  son  mécanisme,  mais  aussi  par  sou  sentiment  musical  et 
ce  qu'on  pourrait  appeler  sa  personnalité.  —  Chez  M.  Eustratiou  je 
trouve  plus  de  vigueur  que  de  grâce,  une  vigueur  qui  frise  parfo  s  la 
brutalité.  D'ailleurs,  du  feu  et  du  brio. 

Les  deux  seconds  prix  sont  tous  deux  fort  distingués.  Si  le  jeu  de 
M.  Gallon  ne  témoigne  pas  encore  d'unegraude  personnalité,  du  moins 
il  est  d'un  joli  fini,  d'une  correction  parfaite,  et  l'élégance  du  style  et 
du  phrasé  complète  un  excellent  ensemble.  —  Beau  son  de  la  part  de 
M.  Gauntlett,  jeu  sobre,  non  sans  grâce  et  sans  linesse,  exécution  bien 
coulante  et  bien  équilibrée,  sans  à  coups,  et  d'une  égalité  rare. 

De  la  grâce  et  de  la  délicatesse,  des  doigts  légers  et  caressants,  avec 
de  la  verve  et  de  la  vigueur  quand  basoin  est,  telles  sont  les  qualités 
déployées  par  M.  Moretti.  —  M.  Schmitz,  qui  a  du  brillant  et  une 
excellente  technique,  y  joint  de  la  chaleur  et  de  la  sensibilité.  —  Du 
côté  de  M.  Schwab,  un  joli  toucher,  des  traits  pleins  de  délicatesse,  uu 
phrasé  élégant  et  une  grande  égalité.  —  De  la  grâce  aussi  chez 
M.  Laporte,  des  doigts  moelleux,  ce  c{ui  n'exclut  ni  la  vigueur  ni  la 
chaleur. 

Mais  je  regrette  le  silence  du  jury  envers  quelques-uns  de  ces  jeunes 
gens.  M.  Ramondo,  dont  le  phrasé  élégant,  le  toucher  délicat  et  l'exé- 
cution d'ensemble  méritaient  bien,  me  semble-t-il.  le  second  prix 
auquel  il  devait  aspirer;  envers  aussi  M.  de  Brazol,  dont  on  aurait  pu 
récompenser,  au  moins  par  un  encouragement,  le  jeu  bien  égal  et  bien 
fourni,  la  sonorité  pleine  et  grasse,  et  la  fougue  peut-être  pourtant  uu 
peu  excessive.  Quant  à  M.  Ciampi,  qui  a  manquéson  premier  prix,  qu'il 
ne  se  décourage  pas  :  il  aura  son  tour  l'an  prochain. 

TRAGÉDIE-COMÉDIE 

Ouf!  quelle  journée  I  Celle-ci  a  été,  de  toute  la  série,  la  plus  chaude 
sous  tous  les  rapports.  Songez  donc  !  d'abord.  1237  degrés  centigrades  à 
l'abri  des  verts  ombrages  de  la  salle  Favart.  Ensuite,  dix-huit  scènes  de 
tragédie  et  trente  scènes  de  comédie  à  supporter,  en  tout  quarante- huit, 
si  je  sais  encore  compter  sur  mes  doigts.  Des  premiers  rôles,  des  reines, 
des  grandes  princesses  qui  défilent  en  premier  lieu  sous  vos  yeux, 
pour  faire  place  à  des  raisonueurs,  à  des  jeunes  premiers,  à  des  comi- 
ques, à  des  amoureuses,  à  des  ingénuités,  à  des  coquettes,  a  des 
soubrettes,  que  sais-je  ?  Une  séance  qui  commence  à  neuf  heures 
dix  minutes  du  matin  pour  se  prolonger  jusqu'à  neuf  heures  un  quart 
du  soir,  avec  l'interruption  forcée  pour  le  déjeuner,  pendant  laquelle, 
n'ayaut  pas  le  temps  de  rentrer  au  logis,  nous  envahissons  en  masses 
serrées  tous  les  restaurants  voisins,  ahuris  devant  ce  flot  et  perdant  la 
tète  en  présence  de  cette  invasion  folle  et  inattendue.  Voilà  le  bilan  de 
cette  journée  homérique  et  qui  comptera  dans  les  annales  des  concours. 


228 


LE  MÉNESTREL 


Et  vous  figurez- vous  les  nerfs  de  ces  pauvres  enfants  dont  l'avenir  est 
enjeu,  de  ceux-là  surtout  qui  sur  le  coup  de  huit  heures,  ou  huit  heu- 
res et  demie,  se  présentent  devant  un  jury  et  un  public  énerves  eux- 
mêmes,  fatigués  par  une  chaleur  torride,  par  la  longueur  d'une  séance 
abominable  qui  dure  depuis  plus  de  douze  heures,  par  l'attention  qu'il 
faut  accordera  chacun,  par  la  tension  d'esprit  qui  en  résulte,  vous  figu- 
rez-vous leur  situation,  et  croyez  vous  .que  ceux-là,  malgré  leurdésir  et 
leur  zèle,  fussent  bien  en  train  de  venir  débiter  tranquillement  leur 
petite  scène  et  de  chercher  encore  les  effets  que  pourtant  ils  avaient 
soigneusement  et  consciencieusement  travaillés? 

Ceci  n'est  que  la  chronique  du  concours.  Si  l'on  en  veut  aborder  la 
critiquî.  on  n'a  qu'à  renouveler  les  observations  qui  se  présentent  à 
l'esprit  chaque  année  touchant  le  choix  des  scènes  adoptées  par  les 
élèves  —  et  par  leurs  professeurs.  Pour  la  tragédie,  passe  encore  pour 
cette  fois,  et  ne  nous  plaignons  pas  trop  :  sur  dix-huit  scènes,  nous  en 
avons  eu  sept  de  nos  classiques,  soit  deux  de  Corneille  et  cinq  de 
Racine,  et  pour  le  reste  c'était  Shakespeare.  Victor  Hugo,  Leconte  de 
Lisle.  Louis  Bouilhet,  Ponsard...  Mais  pour  la  comédie,  nos  classiques 
étaient  représentés  par  une  scène  de  Corneille,  trois  (trois  !)  de  Molière 
et  trois  de  Marivaux,  avec  une  de  Florian.  On  conviendra  que  c'est 
peu.  Et  si  l'on  met  à  part  Musset,  dont  la  belle  langue  peut  presque 
être  considérée  comme  classique,  on  m'accordera  bien  que  ce  n'est  pas 
avec  les  œuvres  de  Meilhac,  de  Banville,  de  MM.  Maurice  Donnay, 
Paul  Hervieu,  Octave  Mirbeau.  Henry  Bernstein,  que  nos  élèves  peu- 
vent acquérir  l'autorité,  le  style  et  l'ampleur  de  diction  qui  leur  sont 
nécessaires.  Quand  je  vois  M.  Chambreuil  choisir  une  scène  de  la 
Griffe  (pourquoi  pas  les  Saltimbanques  ou  Passé  minuit?).  M'1''  Chanove  se 
présenter  dans  les  A ffaires  sont  les  Affaires,  et  M.  Roger  Lévy  nous 
offrir  une  scène  de  (fringoire,  je  dis  que  cela  n'est  pas  sérieux  et  que  ce 
n'est  pas  avec  un  tel  répertoire  qu'on  se  prépare  à  affronter  la  scène  de 
la  Comédie-Française.  Il  me  semble  que  c'est  là  une  question  dont  on 
ne  saurait  exagérer  l'importance,  et  qui  devrait  appeler  l'attention  du 
Comité  des  études  du  Conservatoire. 

Occupons-nous  enfin  directement  du  concours.  Pour  celte  séance 
mémorable  consacrée  à  la  tragédie  et  à  la  comédie,  le  jury  était  formé 
de  la  sorte  :  M.  Gabriel  Fauré,  président,  Mn,c  Julia  Bartet,  MM.  Vic- 
torien Sardou,  Paul  Hervieu,  Jules  Claretie,  Maurice  Donnay,  Mounet- 
Sully,  Jean  Richepin,  Alfred  Capus.  Brieux,  André  Antoine,  Adrien 
Bernheim  et  d'Estournelles  de  Constant.  Ce  jury  a  décerné  pour  la  tra- 
gédie les  récompenses  suivantes: 

Hommes. 

/ers  Prix.  —  MM.  Alexandre,  élève  de  M.  Paul  Mounet.  et  Cham- 
breuil, élève  de  M.  Silvain. 

9es  prix  —  jiM.  Karl,  élève  de  M.  Leloir,  et  Renoir,  élève  de 
M.  Silvain. 

/cr  Accessit.  —  M.  Poarez,  élève  de  M.  Silvain. 

2e  Accessit.  —  M.  de  Gravone,  élève  de  MmeSarah-Bernhardt. 

femmes. 

Pas  de  premier  prix. 

2e3  Prix.  —  Mlles  Bernard,  élève  de  M.  Silvain;  Châtelain,  élève  de 
M.  Paul  Mounet.  et  Du  Eyner,  élève  de  M.  Georges  Berr. 

Ier  Accessit.  —  M""  Albane,  élève  de  M.  Truffier. 

2e  Accessit.  —  Mlle  Roselle,  élève  de  M.  Truffier. 

Du  côté  des  hommes.  M.  Alexandre  est  le  héros  de  la  journée,  car 
nous  verrons  plus  tard  qu'à  son  premier  prix  de  tragédie  il  a  joint  le 
premier  prix  de  comédie,  en  montrant  une  égale  supériorité  dans  les 
deux  genres.  Ce  jeune  homme  de  vingt-deux  ans,  qui,  après  avoir 
obtenu  un  premier  accessit  en  1908,  n'avait  pu  concourir  l'an  dernier 
parce  qu'il  faisait  son  service  militaire,  est  aujourd'hui  artiste  tout  à  fait 
formé.  Doué  d'une  voix  excellente  et  chaude,  il  a  joué  de  façon  remar- 
quable une  scène  à'Iphigênie,  avec  une  belle  diction,  un  accent  à  la  fois 
juste  et  sobre  et  une  belle  prononciation  à  laquelle  on  ne  peut  reprocher, 
comme  a  beaucoup  de  ses  camarades,  que  sa  trop  grande  rapidité. Il  a  l'au- 
torité, l'énergie  et  l'ampleur  dans  le  jeu.  Je  le  répète,  c'est  un  artiste. 
—  M.  Chambreuil,  qui  n'est  pas  le  premier  venu,  a  déployé,  dans  le 
Danton  de  Charlotte  Corday.  une  vigueur  qui  confinait  à  la  brutalité.  Je 
sais  bien  qu'il  était  dans  le  caractère  du  personnage;  mais  c'est  égal, 
on  se  serait  cru  un  peu  trop  à  l'Ambigu.  Ceci  soit  dit  sans  vouloir  nier 
ses  qualités,  qui  sont  très  réelles. 

M.  Karl,  le  premier  des  seconds  prix,  a  mis  de  l'émotion,  du  pathéti- 
que et  de  la  tendresse  dans  la  scène  d'Hamlet  avec  sa  mère;  il  parle 
parfois  un  peu  trop  vite.  —  M.  Renoir,  lui  aussi,  parle  un  peu  vite,  tout 
en  prononçant  fort  bien.  Il  a  joué  avec  beaucoup  d'intelligence  une 
scène  de  liicliard  III,  où  M"c  Bernard  lui  donnait  une  excellente 
réplique. 


M.  Soarez.  qui  a  le  don  d'une  voix  expressive  et  touchante,  a  montré 
d'assez  bonnes  qualités  dans  Polyeucte;  mais  il  chante  vraiment  trop  les 
vers.  —  Quant  à  M.  de  Gravone...,  je  n'ai  rien  à  en  dire. 

Mllc  Bernard,  qui  est  aidée  par  une  voix  expressive  et  touchante,  a 
montré  de  l'intelligence  en  jouant  Monime  de  Mithridate.  où  elle  a  fait 
preuve  d'une  bonne  diction,  empreinte  de  sentiment  et  d'émotion.  — 
M"e  Châtelain,  belle  brune  à  la  physionomie  expressive,  a  dit  non  fans 
quelque  habileté  une  scène  de  la  Médée  d'Ernest  Legouvé.  Il  faudra 
qu'elle  acquière  un  peu  de  personnalité.  —  C'est  aussi  dans  la  Monime 
de  Mi'hridate  que  s'est  produite  M110  Du  Eyner,  qui  n'est  pas  dénuée  de 
sensibilité.  Elle  devra  s'efforcer  de  donner  du  corps  à  sa  voix,  si  faible 
qu'on  a  peine  à  l'entendre. 

M"1,  Albane  nous  a  présenté  une  Iphigénie  fort  intéressante.  La  voix 
est  bonne  et  empreinte  d'émotion,  la  diction  est  expressive  et  touchante. 
Mais  on  voudrait  aussi  l'entendre  mieux.  —  Il  faut  noter  de  la  sensi- 
bilité chez  M"e  Roselle  dans  Alkestis.  L'ensemble  est  bon.  la  diction  un 
peu  trop  chantante. 

Passons  à  la  comédie,  eu  faisant  connaître  d'abord  les  lauréats  : 

Hommes. 

4'rs  Prix.  —  MM.  Guilhen-Puylagarde,  élève  de  M.  Georges  Berr,  et 
Alexandre,  élève  de  M.  Paul  Mounet. 

2e5  Prix.  —  MM.  Renoir,  élève  de  M.  Silvain,  et  Chambreuil, 
élève  du  même. 

-/crs  Accessits.  —  MM.  Stephen,  élève  de  M.  Truffier,  et  Brousse, 
élève  de  M.  Leloir. 

2"s  Accessits.  —  MM.  Karl,  élève  de  M.  Leloir.  et  Becquart,  élève  de 
M.  Paul  Mounet. 

Femmes. 

I"  Prix.  —  M"1'  Reuver.  élève  de  M.  Silvain. 

Pes  Pfjx,  —  jolies  Bernard,  élève  de  M.  Silvain;  Pacitle,  élève  de 
M.  Georges  Berr,  et  Guyon.  élève  de  M.  Leloir. 

■Im  Accessits.  —  M"05  Du  Eyner,  élève  de  M.  Georges  Berr;  Fillacier, 
élève  de  M.  Truffier,  et  Beauval,  élève  de  M.  Georges  Berr. 

2PS  Accessits.  —  M"es  Châtelain,  élève  de  M.  Paul  Mounet:  Albane, 
élève  de  M.  Truffier;  Célat.  élève  de  M.Paul  Mounet.  et  Marialise. 
élève  de  M.  Leloir. 

C'est  M.  Guilhen-Puylagarde  qui  ouvre  la  série,  avec  l'Aiglon,  où  il 
représente  le  duc  de  Reichstadt.  Intelligent  assurément,  de  l'autorité, 
de  la  chaleur,  mais...  je  lui  préfère  M.  Alexandre.  —  Celui-ci,  sans  con- 
teste, est  né  comédien,  et  il  a  le  sens  du  théâtre.  L'aisance  en  scène, 
une  diction  nette  et  juste,  la  tenue,  le  geste,  la  démarche,  il  a  tout.  Il 
ajoué  excellement  une  scène  du  Dédale,  en  joignant,  à  l'accent  qu'exi- 
gent le  drame  et  la  passion,  nue  sobriété  singulièrement  méritoire. 
L'ensemble  est  parfait.  Voilà  un  vrai  jeune  premier,  qui  ne  tardera  pas 
sans  doute  à  conquérir  le  public. 

M.  Renoir  a  fait  preuve,  dans  Lorenzaceio.  d'un  bon  sentiment  dra- 
matique, en  ayaut  le  tort,  parfois,  de  crier  un  peu  trop.  —  Dans  la 
scène  si  fâcheusement  choisie  de  la  Griffe,  M.  Chambreuil  a  déployé 
d'excellentes  qualités.  Il  dit  et  joue  en  vrai  comédien,  il  a  l'action,  le 
mouvement  et  la  vie,  avec  une  rare  sobriété  dans  le  pathétique.  Mais, 
chose  singulière,  après  l'avoir  entendu  crier  plus  que  de  raison  dans 
la  tragédie,  ici  on  avait  toujours  envie  de  lui  dire  :  plus  haut  ! 

M.  Stephen,  Frontin  de  la  Fausse  Suivante  (Marivaux).  Un  gamin  de 
dix-huit  ans,  drôle  comme  tout,  gentil,  gai,  amusé  et  amusant.  De  la 
distinction  dans  le  comique.  Une  nature.  —  M.  Brousse,  Lorenzaccio. 
Pas  mal  du  tout.  Du  mouvement,  de  la  chaleur,  une  diction  assez  juste. 
Bien  en  scène. 

M.  Karl,  Jacques  du  Fils  naturel.  De  la  chaleur,  de  la  tendresse,  de 
la  passion.  Dit  bien,  parfois  un  peu  vite.  Méritait  mieux  qu'un  second 
accessit.  —  M.  Becquart.  Arlequin  de  la  Bonne  Mère  (Florian).  Très 
gentil.  De  la  chaleur  et  de  la  tendresse  aussi,  de  la  jeunesse  et  delà 
grâce. 

Côté  des  femmes.  Ici  une  nature.  M1|L'  Reuver,  qui  saute  de  son 
second  accessit  de  1907  à  l'unique  premier  prix  de  cette  année.  Une 
soubrette  exhilarante  et  folle,  qui  a  mis  toute  la  salle  en  joie  par  sa 
gaminerie,  sa  gaité,  ses  exclamations  bizarres,  ses  gestes  ahurissants. 
Elle  est  impayable.  Et  quel  organe  nerveux  et  superbe  !  Ça  n'est  peut- 
être  pas  très  classique,  ce  qu'elle  a  fait  dans  le  Cœur  et  la  Dot,  mais 
c'est  d'une  drôlerie  épique  et  d'un  naturel  charmant.  Quand  celle-là 
jouera  Toinon  du  Malade  imaginaire  ou  la  feinte  Gasconne  de  M.  de 
Pourceaugnac,  ce  sera  à  se  rouler.  Aussi,  quel  succès  dès  qu'elle  a  eu 
montré  sa  petite  figure  futée  et  qu'elle  a  fait  éclater  les  fusées  de  sa 
voix  ! 

Mlle  Bernard,  que  nous  avons  retrouvée  aussi  jolie  que  dans  le  con- 
cours de  tragédie,  a  joué  avec  chaleur  une  scène  du  Retour  de  Jérusalem. 


LE  MÉNESTREL 


ii'.i 


où  elle  a  montre  de  bonnes  qualités  de  diction.  —  M"''  Pacitte  manque 
peut-être  un  peu  de  distinction  dans  la  Marquise  des  Sincères  (Mari- 
vaux), mais  elle  ne  manque  pas  de  qualités.  Elle  a  de  Ja  gaité.  du 
trait,  de  la  légèreté,  et  fait  présager  une  comédienne  spirituelle.  — 
Ceux  qui  ont  eu  la  bonne  fortune  d'entendre  un  seul  mot  de  MUeGuyon 
dans  le  Mariage  de  Victorinc  ont  été  favorisés  des  dieux.  La  première 
condition  au  théâtre,  mademoiselle,  c'est  de  parler  de  façon  à  se  faire 
comprendre. 

M"e  Du  Eyner,  Angélique  du  Malade  imaginaire.  De  la  grâce,  de  la 
distinction,  voire  de  la  dignité.  Fort  agréable.  —  M"°  Fillacier,  Argante 
du  Dénouement  impn-vu  (Marivaux).  De  la  verve,  de  la  fantaisie,  du 
mouvement.  Fera  son  chemin.  —  M"'-  Beauval  (un  vrai  nom  de  théâtre), 
Rose  de  lïiquel  à  la  houppe  (Banville).  Une  ingénue  de  seize  ans,  blonde, 
mignonne,  gentille,  qui  ne  demande  qu'à  bien  faire,  mais  qui  est  tout 
de  même  encore  un  peu  novice. 

M"c  Châtelain.  Germaine  dans  Paraître,  jeu  assez  aisé,  assez  facile. 
sans  qu'on  en  puisse  dire  grand'chose.  —  M11''  Albane,  Nella  de 
Margarita  (Victor  Hugo).  Encore  un  peu  d'indécision,  d'hésitation, 
ce  qui  n'empêche  qu'on  pressent  chez  cette  jeune  femme  unefuture  comé- 
dienne. —  M11*  Céliar.  Camille  d'On  ne  badine  pas  avec  l'amour.  A  le 
tort  involontaire  d'occuper  le  numéro  trente  et  dernier  du  concours,  â 
un  moment  où  l'attention  est  épuisée.  Aimable  et  distinguée,  non  sans 
grâce  et  sans  émotion.  —  Mlle  Marialise,  le  même  rôle  de  la  même 
œuvre.  Charmante  comme  femme,  promet  comme  comédienne.  Du  sen- 
timent et  du  pathétique.  Bonne  diction. 

OPÉRA 

Et  nous  voici  au  concours  d'opéra,  le  dernier  de  la  grande  série,  avant 
ceux  des  instruments  à  vent.  Les  dieux  en  soient  loués,  et  M.  Faurô 
aussi  !  Il  y  fait  chaud  encore  ;  mais  au  lieu  de  quarante-huit  scènes, 
comme  dans  le  précédent,  nous  n'en  avons  que  vingt  et  une,  ce  qui  est 
encore  suffisant  pour  la  joie  des  amateurs.  Voici,  pour  cette  fois,  la 
composition  du  jury:  MM.  Gabriel  Fauré.  président,  Delmas.  Renaud, 
Escalaïs.  André  Messager,  Broussan.  Lucien  Hillemacher.  Camille 
Erlanger.  Alfred  Bruneau,  Adrien  Bernheim,  d'Estournelles  de  Constant, 
Gunsbourg.  Lalo.  Et  voici  la  liste  des  récompenses  : 

Hommes. 

/"s  l'/ix.  —  MM.  Vaurs,  élève  de  M.  Bouvet,  et  Teissier,  élève  du 
même. 

Pas  de  2''  prix. 

1er  Accessit.  —  M.  Dupré,  élève  de  M.  Bouvet. 

J!cs  Accessits.  —  MM.  Laloye,  élève  de  M.  Dupeyron  ;  Chah-Moura- 
dian.  élève  de  M.  Isnardon  ,  et  Combes,  élève  du  même. 

Femmes. 

1"'  Prix.  —  M"05  Raveau,  élève  de  M.  Bouvet,  et  Le  Senne,  élève  de 
M.  Melchissédec. 

2"  Prix.  —  M"es  Cebron-Norbens.  élève  de  M.  Isnardon;  Kaiser, 
élève  de  M.  Bouvet;  Bourdon,  élève  de  M.  Bouvet,  et  Panis,  élève  de 
de  M.  Dupeyron. 

•/"  Accessit.  —  Mmc  Garchery,  élève  de  M.  Dupeyron. 

2CS  Accessits.  —  Mmc  Delisle,  élève  de  M.  Dupeyron;  Mu,s  Robur, 
élève  de  M.  Isnardon,  et  Jurand.  élève  du  même. 

M.  Vaurs  s'est  montré  cette  fois  supérieur  à  ses  deux  précédents 
concours,  et  le  premier  prix  lui  a  été  décerné  fort  justement,  non  seu- 
lement pour  sa  scène  personnelle  (le  Bal  -masqué),  mais  pour  les  excel- 
lentes répliques  qu'il  a  données  à  ses  camarades,  M"05  Raveau,  Le  Senne 
et  Kaiser.  Avec  de  l'aisance  en  scène,  de  la  chaleur,  une  belle  articula- 
tion, un  bon  débit,  il  a  montré  qu'il  pouvait  chanter  avec  une  belle 
expression,  parfois  avec  un  sentiment  plein  de  tendresse.  Son  nom  a 
été  justement  acclamé,  et  sa  supériorité  était  évidente.  —  J'en  dirai 
presque  autant  de  M.  Teissier,  irai  s'est  distingué  dans  le  Nelusko  du 
second  acte  de  l'Africaine,  où  il  a  mis  de  l'élan,  de  la  chaleur,  avec  une 
bonne  ampleur  de  diction  et  une  véritable  habileté  de  chanteur.  Il  a 
donné  aussi  une  excellente  réplique  â  M"1'  Vivier  des  Vallons  dans 
Aïda. 

Peu  de  chose  à  dire  de  M.  Dupré  dans  sa  scène  à'OEdips  à  Colone. 
C'est  encore  un  peu  neuf  et  inexpérimenté. 

Même  observation  pour  M.  Laloye  pour  la  scène  du  Cid.  La  voix  est 
bonne,  mais  l'élève  a  encore  fort  à  faire.  —  De  même  aussi  pour  M.  Chah- 
Mouradian,  bien  pâle  et  bien  insignifiant  dans  la  grande  scène  à'Armide. 
—  Quant  à  M.  Combes,  qui  avait  donné  une  réplique  remarquable  â 
M.  Audiger  dans  Don  Carlos,  où  il  avait  déployé  un  excellent  sentiment 
dramatique,  il  a  tout  gâté  pour  son  compte  en  détonant  d'une  façon 


fâcheuse  dans  la  scène  de  la  pomme  deVuillaumc  Tell.  C'est  dommage; 
il  y  a  quelque  chose  chez  celui-là.  Il  se  rattrapera. 

M"''  Raveau  a  triomphé  pour  la  troisième  fois,  en  enlevant  son  troi- 
sième premier  prix  à  son  premier  concours.  Il  est  pourtant  juste  de 
remarquer,  à  l'honneur  du  Conservatoire  de  Lille,  si  bien  dirigé  par 
M.  Emile  Ratez,  que  M""  Raveau  sort  île  cette  Ecole,  où  elle  a  obtenu 
les  premiers  prix  de  chant  et  de  déclamation  lyrique.  Elle  nous  est 
apparue  cette  fois  dans  la  Cassandre  des  Troyens  de  Berlioz.  Bell?  dic- 
tion, beau  phrasé  dans  le  récit,  de  l'émotion  et  de  l'expression  dans  le 
chant,  de  l'ampleur  au  point  de  vue  général  de  l'exécution  scénique,  elle 
réunit  l'ensemble  des  meilleures  qualités.  Cette  jeune  femme  est  vrai- 
ment douée  d'une  façon  exceptionnelle.  —  M"c  Le  Senne  a  passé  aussi 
un  excellent  concours  -en  jouant  le  premier  acte  d'AlcesIe  avec  une 
certaine  grandeur  et  en  lui  donnant  un  bel  accent  pathétique.  Tour  à 
tour  touchante  et  vigoureuse,  elle  a  mis  de  la  chaleur  et  un  sentiment 
profondément  expressif  au  service  de  ce  tableau  émouvant  et  superbe. 

C'est  dans  un  bizarre  arrangement  de  deux  scènes  de  Salammbô,  appar- 
tenant à  deux  actes  différents,  que  nous  avons  retrouve  M,""  Cébron- 
Norbens,  avec  sa  physionomie  expressive  et  son  commencement  d'ha- 
bileté scénique.  Elle  ne  manque  ni  d'accent  ni  de  sentiment,  et  l'en- 
semble est  plutôt  satisfaisant.  Quelques-uns  ont  remarqué  que  cette 
jeune  personne,  qui  n'est  peut-être  pas  la  modestie  même,  s'était  ùi. 
comme  au  concours  d'opéra-comique,  dispensée  de  venir  répondre  à 
son  nom  et  à  l'appel  du  jury,  estimant  sans  doute  qu'un  second  prix 
était  une  récompense  au-dessous  de  son  incomparable  talent.  Vous  avez 
tort,  mademoiselle;  vous  avez  eu  précisément  ce  que  vous  méritiez,  rien 
de  plus,  rien  de  moins,  et  votre  manque  de  convenance  ne  vous  donnera 
pas  ce  qui  vous  manque  encore  et  que,  seul,  le  travail  pourra  vous 
procurer. — Comme  MlleLeSenne,  M'-c  Kaiser  a  concouru  dans  le  premier 
acte  d'Alceste.  Il  y  a  du  bon  chez  elle  et  elle  ne  manque  point  de  qua- 
lités; mais  l'ensemble  sera  beaucoup  meilleur  lorsqu'elle  consentira  a 
observer  le  rythme  et  la  mesure,  et  à  ne  point  rester  trois  semaines  sur 
mi-nis-tres  de  la  mort.  —  M"0  Bourdon  nous  a  fait  faire  connaissance 
avec  le  Méphistophélès  de  M.  Boito.  Avec  de  l'adresse  scénique,  elle  y  a 
montré  de  la  chaleur  et  déjà  de  bonnes  qualités.  Elle  s'est  distinguée 
ensuite  en  donnant  de  très  bonnes  répliques  à  M.  Vaurs  et  à  M.  Dupré. 
Il  y  a  de  l'avenir  chez  cette  jeune  femme.  —  M"e  Panis,  qui  est  fort 
agréable  à  voir,  a  manqué  d'énergie  dans  l'Attaque  du  Moulin,  où  son 
élan  était  un  peu  factice.  A  travailler  encore. 

C'est  encore  dans  Alcesle,  mais  cette  fois  au  troisième  acte,  que  nous 
avons  vu  applaudir  M"'0  Garchery.  Jeu  intelligent,  sens  dramatique, 
qualités  à  développer,  mais  qui  sont  loin  de  manquer. 

Mmc  Delisle,  troisième  acte  de  Faust.  Intelligente,  mais  encore  un 
peu  neuve.  Scène  assez  mal  choisie  d'ailleurs.  —  Mlle  Robur.  qua- 
trième acte  d'Olliello.  De  bonnes  intentions,  de  l'expression  dans  la 
prière,  assez  bon  ensemble. —  M"e  Jurand,  troisième  acte  de  Romeo  et 
Juliette. 

Et  me  voici  arrivé  au  terme  de  ce  procès- verbal.  Sans  être  précisé- 
ment paresseux  par  nature,  je  puis  bien  dire  pourtant  que  je  suis 
étonné  moi-même  de  ce  que  j'ai  pu  faire  et  de  l'activité  que  j'ai 
déployée  dans  le  seul  espace  de  neuf  journées.  J'ai  vu,  en  effet,  défiler 
successivement  268  élèves,  lant  chanteurs,  tragédiens  et  comédiens 
qu'instrumentistes  divers  ;  j'ai  entendu  293  morceaux  de  genres  diffé- 
rents ;  j'ai  assisté  à  94  scènes  théâtrales  plus  ou  moins  variées  ;  enfin, 
j'ai  vu  distribuer  36  premiers  prix.  45  seconds  prix,  44  premiers  acces- 
sits et  42  seconds,  ce  qui  forme  un  total  de  167  récompenses.  Tout  cela, 
je  le  répète,  dans  l'espace  de  n3uf  jours.  Aussi,  ce  devoir  noblement 
accompli,  je  puis  assurer  que  j'ai  l'âme  tranquille  et  que  ma  conscience 
ne  trouve  rien  à  se  reprocher.  Et  puisque  une  fois  encore  j'en  ai  ter- 
miné avec  les  concours. 

C'est  ainsi  qu'en  partant  je  leur  fais  mes  adieux, 
en  caressant  l'espoir  de  ne  pas  me  rencontrer  de  nouveau  avec  eux 
avant  l'an  1909. 

Ahtuiu  Poif.IN. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(pour  les  seuls  abonnés  a  la  musique) 


Elle  est  toute  charmante  dans  sa  simplicité,  cette  petite  pièce  que  M.  Binot  intitule 
Sur  les  co/cauj.  Et  l'on,  s'y  croirait  en  elTet,  par  une  matinée  de  printemps,  où  la  brise 
est  caressante  et  où  le  thym  embaume.  L'extrême  facilité  du  morceau  n'empêche 
pas  que  la  forme  en  reste  d'une  élégance  pure  et  châtiée. 


-2W 


LE  MÉNESTREL 


NOTJVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 
Il  vient  de  se  constituer  à  Varsovie,  formé  en  grande  partie  de  mem- 
bres des  plus  grandes  familles  polonaises,  un  comité  qui  se  propose  d'élever 
en  cette  ville  un  monument  à  la  gloire  de  Chopin.  Il  parait  que  jusqu'ici  le 
gouvernement  russe  —  on  se  demande  pour  quelle  raison  vraiment  singu- 
lière !  —  s'était  obstinément  opposé  à  tout  projet  de  ce  genre.  Voici  que  fina- 
lement on  annonce  que  le  veto  a  disparu,  grâce  à  l'intervention  auprès  du 
gouvernement  de  Mme  la  comtesse  Brochoka,  connue  eu  art  sous  le  nom  d'Adé- 
laïde Bolska  et  première  chanteuse  de  l'Opéra- Impérial  de  Saint- Péiersbourg. 
Le  comité  en  question  va  presser  ses  travaux  de  la  façon  la  plus  active,  de 
manière  à  pouvoir  inaugurer  le  monument  de  Chopin  le  22  février  1910.  pre 
mier  centenaire  de  la  naissance  de  l'illustre  artiste. 

—  Au  moment  même  où  l'on  s'apprêie  à  ériger  à  Paris  un  monument  à 
Beethoven,  la  municipalité  de  Heiligenstadt,  près  de  Vienne,  nous  apprend 
Nicolet,  du  Gaulois,  va  faire  disparaître,  en  le  couvrant  de  maisons  de  rapport, 
un  des  plus  charmants  sites  des  environs  de  la  capitale  autrichienne,  «le 
Beethovengang  »,  l'allée  de  Beethoven,  qui  longe  un  petit  ruisseau,  le  Schrei 
berbach.  C'est  dans  cette  allée,  couché  à  l'ombre  d'un  gigantesque  noyer,  que 
Beethoven  a  composé  une  grande  partie  de  ses  œuvres,  en  compagnie,  comme 
il  l'a  dit  lui-même,  «  des  merles,  des  cailles,  des  rossignols  et  des  coucous 
qui  compcsaient  avec  moi  tout  alentour».  A  partir  de  1802,  Beethoven  est  allé 
tous  les  ans  à  Heiligenstadt  prendre  des  bains  froids  pour  se  guérir  de  son 
affection  de  l'ouïe.  Les  habitants  le  connaissaient  bien,  mais  personne  ne  le 
saluait,  parce  que  Beethoven,  toujours  absorbé,  pensif  et  rêveur,  ne  répondait 
à  aucun  salut.  Beethoven  a  eu  à  Heiligenstadt  de  nombreux  domiciles  dont  un 
se  trouve  dans  la  Grinzingerstrasse  où,  en  1808,  le  célèbre  compositeur  avait 
comme  colocataire  le  grand  poète  autrichien  Franz  Grillparzer.  Voici  ce  que 
celui-ci  a  raconté  sur  son  voisin  de  palier  :  «Notre  petit  appartement  donnait 
sur  le  jardin,  les  chambres  donnant  sur  la  rue  avaient  été  louées  à  Beethoven. 
Les  deux  appartements  débouchaient  sur  un  corridor  commun  conduisant  à 
l'escalier.  Mon  frère  et  moi,  nous  nous  souciions  fort  peu  de  cet  homme 
bizarre  —  il  était  très  négligé,  même  malproprement  habillé —  quand  il  passait 
à  coté  de  nous  en  grognant.  Mais  ma  mère,  passionnée  de  musique,  se  laissait 
entraîner  de  temps  à  autre,  quand  elle  l'entendait  jour  du  piano,  àentr'ouvrir 
une  porte  et  aller  écouter,  non  pas  à  sa  porte,  mais  sur  le  seuil  de  la  nuire. 
Tout  alla  bien  pendant  quelque  temps,  quand  un  jour  l'huis  de  Beethoven 
s'ouvrit  brusquement  et  le  maître  parut.  Dès  qu'il  aperçut  ma  mère,  il  fit  demi- 
tour,  s'empara  de  son  chapeau,  dégringola  l'escalier  et  se  précipita  dehors.  A 
partir  de  ce  moment  et  bien  que  ma  mère  lui  eût  fait  donner  l'assurance  que 
jamais  plus  personne  ne  l'écouterait  sur  le  corridor.  Beethoven  n'a  plus  ouvert 
son  piano  durant  tout  l'été.  »  Beethoven  était  d'ailleurs  détesté  comme  loca- 
taire. Pendant  les  trente-cinq  années  qu'il  a  habité  à  Vienne  —  et  il  n'y  habi- 
tait qu'en  hiver—  il  n'a  pas  changé  moins  de  vingt-huit  fois  d'appartement. 
Bans  les  villes  d'eaux,  il  en  a  eu  trois  fois  autant.  Tout  lui  était  prétexte  à 
changer  de  demeure.  A  Hetzendorf  il  a  donné  congé  à  son  propriétaire,  le 
baron  Pronay,  parce  que  celui-ci  s'était  permis  de  le  saluer.  Et  pourtant  il  ne 
trouvait  pas  toujours  facilement  à  se  loger,  surtout  pendant  les  dernières 
années  de  sa  vie  où,  devenu  presque  complètement  sourd,  il  s'accompagnait 
pendant  des  heures  entières  au  piano  en  frappant  le  plancher  du  pied.  Une 
anecdote  pour  finir:  Au  printempsdel821,  où  il  était  en  villégiature  à  Baden, 
il  se  présenta  un  jour  chez  le  conseiller  municipal  Johann  Bayer  pour  louer 
deux  pièces.  Celui-ci  remarqua  que  Beethoven  était  sans  chapeau,  mais  avant 
qu'il  ait  pu  lui  en  faire  l'observation  —  il  connaissait  le  compositeur  —  un 
agent  de  police  et  un  garçon  de  restaurant  firent  irruption  et  conduisirent 
Beethoven  au  poste.  Lî  tout  s'expliqua.  Le  musicien  était  parti  du  restaurant 
en  oubliant  son  chapeau,  mais  en  oubliant  aussi —  oh!  bien  involontairement 
—  de  régler  son  addition... 

—  Caruso  commencera  le  1er  octobre  une  tournée  à  travers  l'Allemagne  qui 
durera  quatre  semaines.  Le  célèbre  ténor  chantera  d'abord  au  Théâtre  de  la 
Gour  de  Wiesbaden  et  donnera  des  représentations  à  l'Opéra-Royal  de  Berlin 
dans  la  seconde  quinzaine  d'octobre. 

—  Comment  la  conduite  d'un  compositeur  de  musique,  blâmée  par  tous 
ceux  qui  ont  le  respect  de  la  parole  donnée,  peut  échapper  aux  sanctions  des 
tribunaux,  c'est  ce  que  nous  montre  le  récit  suivant  d'un  fait  qui  vient  de  se 
passer  à  Vienne.  M.  Charles  Lafite,  l'auteur  de  l'opéra  le  Cœur  froid,  s'était 
engagé  vis-à-vis  de  MM.  Mannheimer  et  Hartwich,  librettistes,  à  mettre  en 
musique  un  de  leurs  ouvrages  et  cela  dans  un  espace  de  temps  de  trois  mois. 
Tout  bien  considéré,  le  compositeur  jugea  s'être  trompé  en  acceptant  le 
libretto  et  fit  connaître  aux  auteurs  et  au  public  son  intention  de  ne  pas  le 
mettre  en  musique.  Furieux  de  ce  manque  de  parole,  MM.  Mannheimer  et 
Hartwich  se  rendirent  chez  le  juge,  contrat  en  poche.  Le  magistrat  ainsi 
appelé  à  trancher  le  différend  s'adressa  au  compositeur  Bitlner  lui  demandant 
de  donner  à  titre  d'expert  son  avis  sur  le  cas  qui  lui  était  soumis.  Celui-ci 
déclara  que  l'inspiration  d'un  compositeur  n'admet  pas  d'être  contrainte,  en 
conséquence  de  quoi  le  juge  donna  raison  au  compositeur  et  condamna  les 
plaignants  aux  frais  du  procès.  C'est  du  moins  là  ce  que  rapportent  les  jour- 
naux viennois,  mais  nous  devons  supposer,  si  toutefois  le  texte  du  jugement 
est  bien  ce  qu'ils  ont  dit,  que  les  faits  de  la  cause  nî  nous  ont  pas  été  exacte- 


ment rapportés  par  eux.  La  sentence  parait,  en  effet,  bien  contestable  en 
équité,  car  s'il  est  vrai  qu'un  compositeur  n'est  pas  maître  de  commander  à 
son  inspiration,  du  moins  lorsqu'il  a  pris  un  engagement  imprudent  et  ne  le 
remplit  pas.  on  peut  évaluer  le  dommage  que  son  inspiration  revéche  a  causé 
aux  intéressés  et  le  condamner  à  payer  une  somme  correspondante  à  l'évalua- 
tion de  ce  dommage.  Le  renvoyer  indemne  et  mettre  les  frais  du  procès  au 
compte  des  plaignants  semblé  un  procédé  digne  de  l'opérette  beaucoup  plus 
que  d'an  tribunal  sérieux.  Mais,  nous  le  répétons,  les  circonstances  du  procès 
ont  été  sans  doute  inexactement  rapportées. 

—  Un  amateur  de  musique,  le  baron  Robert  de  Hornsteio.  a  laissé  en  mou- 
rant des  mémoires  qui  ont  été  publiés  récemment  à  Munich.  Il  y  est  question 
des  relations  personnelles  que  l'auteur  et  un  de  ses  amis,  Karl  Ritter,  eurent 
avec  Richard  Wagner  en  Suisse  pendant  quelques  jours,  à  l'occasion  de  fêtes 
musicales  qui  eurent  lieu  en  1853  à  Sion.  La  rencontre  se  fit  à  Martigny,  où 
étaient  arrivés  ensemble  Wagner  et  Ritter.  Le  baron  de  Hornstein  s'exprime 
ainsi  :  «  Ils  avaient  pour  eux  deux  une  voiture  à  trois  places  ;  je  fus  invité  à 
voyager  en  leur  compagnie.  De  Martigny  jusqu'à  Sion.  Wagner  parla  constam- 
ment et  avec  une  grande  volubilité  d'un  projet  qui  lui  tenait  à  cœur.  Le  lec- 
teur sera  surpris  quand  il  saura  ce  dont  il  s'agit.  Le  texte  littéraire  des  Xib;- 
lungen  était  achevé.  Des  exemplaires  avaient  été  imprimés  et  envoyés  par 
Wagner  à  ses  amis.  La  musique  du  Bheingold  était  complètement  écrite  et 
celle  de  la  Walkyrie  déjà  commencée.  Dans  les  conditions  les  plus  favorables,  il 
fallait  compter  une  dizaine  d'années  pour  que  l'ouvrage  entier  fût  sur  pied. 
Pendant  tout  le  trajet,  Wagner  ne  parla  que  d'une  chose,  la  construction  du 
théâtre  dans  lequel  il  voulait  que  la  tétralogie  fût  jouée.  Il  avait  en  vue  un 
emplacement  à  Zurich.  Il  supputait  les  frais  d'édification,  il  escomptait  les 
subventions  ou  cotisations  éventuelles  destinées  à  les  couvrir.  Il  réservait  à 
Wesendonk  le  rôle  de  Mécène  que  devait  assumer  plus  tard  le  roi  de  Bavière. 
Un  homme  non  prévenu  aurait  pris  notre  compagnon  pour  un  Barnum,  un 
Strousberg,  mais  non  pour  le  compositeur  de  Taiinhauser  et  de  Loheiigrin.  Il 
nous  apparut  bientôt  que  le  talent  révolutionnaire  de  Wagner  dépassait,  si 
possible,  tous  ses  autres  talents.  Ses  forces  s'étaient  presque  épuisées  dans  la 
chaleur  de  son  monologue;  il  s'arrêta,  se  tut  un  instant,  et  reprit  soudain  ce 
qu'il  avait  déjà  ressassé.  «  Pardonnez-moi,  dit-il,  si  je  reviens  encore  une  fois 
sur  cette  affaire,  mais  j'en  ai  vraiment  la  tête  si  remplie  !  »  Il  exposa  de  nou- 
veau ses  plans  et  nous  étions  à  Sion  avant  qu'il  eût  cessé  de  parler.  Nous 
trouvâmes  à  l'hôtel  trois  chambres  peu  éloignées  les  unes  de  l'autre.  Les  fêtes 
musicales  comprenaient  l'audition  de  la  Symphonie-Cantate  de  Mendelssohn  et 
celle  delà  Symplionï? héroïque  de  Beethoven.  Wagner  devait  diriger  ce  dernier 
ouvrage,  Methfessel  s'étant  réservé  le  premier.  Après  s'être  informé  des 
moyens  dont  on  disposait  pour  l'exécution,  Wagner  revint  vers  nous  de 
mauvaise  humeur.  Dans  l'après-midi,  nous  fîmes  à  trois  une  promenade  sur 
une  hauteur  du  côté  sud  de  la  vallée  du  Rhône.  Là,  nous  nous  arrêtâmes  pour 
prendre  quelque  repos.  De  la  conversation  que  nous  eûmes  alors,  il  me  reste 
le  souvenir  des  propos  que  nous  avons  échangés  sur  Schubert.  Ritter  ne  put 
s'empêcher  de  rire  avec  éclat  lorsque  Wagner  fit  la  déclaration  suivante  :  «  Ce 
Schubert  doit  avoir  été  une  éponge  d'où  la  musique  sortait  de  toutes  parts 
lorsque  l'on  voulait  la  presser  ».  Sans  doute,  cela  pourrait  être  pris  en  bonne 
part,  s'appliquant  à  la  puissance  d'invention  mélodique  si  extraordinaire  chez 
Schubert.  Cependant  le  ton  sur  lequel  c'était  dit  avait  quelque  chose  de  bles- 
sant. On  y  sentait  la  malveillance  du  compositeur  dramatique  contre  le 
compositeur  lyrique,  et  l'antagonisme  du  littérateur-musicien  contre  le  maitre 
n'écrivant  que  de  la  musique  pure.  Wagner  se  moqua  ensuite  des  éloges  pos- 
thumes que  l'on  décernait  à  Lortzing  et  se  montra  choqué  de  l'entendre 
qualifier  de  g  musicien  allemand  ».  Le  lendemain,  nous  avons  déjeuné 
ensemble,  après  quoi,  Ritter  et  moi,  nous  nous  rendîmes  à  la  répétition  du 
premier  concert.  Wagner  ne  nous  suivit  point.  A  notre  retour,  nous  ne  le  trou- 
vâmes plus  à  l'hôtel.  N'augurant  rien  de  bon,  nous  allâmes  dans  la  cour  de  la 
poste,  d'où  partaient  les  voitures  publiques.  Nous  grimpâmes  tous  les  deux 
ensemble  de  chaque  côté  d'une  berline  attelée  et  prête  à  partir.  Wagner 
paraissant  très  contrarié  s'était  effondré  dans  un  coin.  «  Ètes-vous  donc  de  la 
police  pour  courir  ainsi  après  moi"?  »  nous  dit-il.  Nous  essayâmes  en  vain  de 
l'empêcher  de  partir,  mais  ce  fut  parfaitement  inutile.  Quand  la  voiture 
s'éloigna,  Ritter  lui  cria  :  «  Où  nous  reverrons-nous  ?  »  Il  répondit  :  «  A  Col- 
longe  ».  Il  avait  laissé  une  lettre  adressée  au  Comité  des  fêtes,  disant  qu'on 
l'avait  trompé  sur  les  ressources  musicales  dont  on  disposait  dans  l'endroit, 
et  que,  les  conditions  étaut  telles,  il  n'avait  plus  aucune  envie  de  diriger  la 
Symphonie  héroïque  de  Beethoven.  Un  homme  qui  aurait  prophétisé  alors 
qu'en  Suisse  pas  un  seul  chien  n'aurait  voulu  donner  un  morceau  de  pain  à 
Wagner,  aurait  partout  trouvé  créance.  Il  n'en  fut  rien  cependant.  Sur  ce 
personnage  extraordinaire  tout  glissait  sans  laisser  longtemps  de  traces.  Ce 
qui  aurait  suffi  à  discréditer  un  autre  pour  toujours,  lui  servait  d'échelon  pour 
arriver  au  temple  de  la  célébrité.  » 

—  On  vient  dedônner  dans  la  salle  du  Schillertheater,  à  Berlin,  la  première 
représentation  en  Allemagne  d'un  opéra  de  M.  Charles  Grelinger,  Espoir  de 
bénédiction,  dont  le  livret  a  été  tiré  d'un  ouvrage  de  l'écrivain  hollandais 
Heijerman. 

—  La  ville  de  Hambourg  vient  d'inaugurer  une  salle  de  concerts  qui  a  été 
construite  au  moyen  d'une  somme  de  1.250.000  francs,  léguée  par  un  riche 
armateur,  M.  Charles-Henri  Laeisz,  mort  en  1903,  et  d'une  donation  de 
250.000  francs,  ajoutée  par  sa  veuve  pour  permettre  de  parfaire  dans  les 
meilleures  conditions  les  travaux.   Les  premières  œuvres  entendues  dans  le 


LE  MÉNESTREL 


231 


nouveau  local  ont  été.  l'Alleluia  du  Messie  de  Haendel  el  la  Symphonie  en  m 
mineur  de  Beethoven.  La  salle  destinée  aux  grandes  auditions  peut  contenir 
500  exécutants,  orchestre  et  chœurs,  et  un  public  de  1000  personnes.  La  grand 
orgue  a  coulé  50.000  francs.  La  salle  destinée  aux  auditions  de  musique  de 
chambre  contient  500  places.  On  peut  admirer  dans  le  loyer  un  buste  colossal 
de  Brahms,  modelé  par  Max  Klinger,  et  d'autres  bustes  de  musiciens  célèbres, 
parmi  lesquels  ceux  de  Hans  de  Bulow,  Joseph  .loacbim,  Clara  Schumann, 
etc.  La  disposition  électrique  pour  l'éclairage,  et  l'aménagement  des  vestiaires 
ne  laissent  rien  à  désirer. 

—  Xous  lisons  dan-;  la  Zeitsolirift fiir  Instrumenlalbau  de  Leipzig:  «  Le  musi- 
cien anglais  Charles-.Tames  Oldham,  mort  en  '1907,  avait  mis  son  point  d'hon- 
neur à  posséder  les  quatre  violons  de  Stradivarius  les  plus  remarquables  qui 
fussent  au  monde,  et  il  introduisit  dans  son  testament  des  dispositions  minu- 
tieuses au  sujet  de  ces  instruments.  11  est  certain  que  tous  les  quatre  sont  au- 
thentiques. Le  défunt  a  laissé  un  de  ces  violons  à  l'État,  si  toutefois  aucun 
acheteur  ne  se  présentait,  qui  fût  disposé  à  le  payer  "5.000  francs.  Ce  violon 
ii  été  construit  en  1600  et  se  vendit  mille  francs  en  1794.  On  le  paya 
25.000  francs  en  1888.  Tin  autre  violon,  que  Charles-James  Oldham  a  légué 
au  British  Muséum,  est  daté  de  1722.  Il  fut  acheté  en  1836  moyennant 
-i  000  francs  et  son  prix  s'éleva  quelques  années  plus  tard  à  25.000  francs.  En 
plus  de  ses  quatre  violons,  Oldham  possédait  un  violoncelle  de  l'année  1700, 
qui  est  une  pièce  unique  en  son  genre.  Il  n'y  a  que  la  Cour  d'Espagne  qui 
possède  un  autre  instrument  d'une  valeur  égale.  Les  journaux  anglais  et  fran- 
çais se  plaignent  avec  juste  raison  que  de  tels  chefs-d'œuvre  du  célèbre  luthier 
soient  condamnés  à  demeurer  muets  dans  leurs  écrins  précieux,  au  lieu  de 
servir  à  charmer  les  oreilles  de  milliers  de  personnes  entre  les  mains  d'artistes 
célèbres.  La  manie   des  collectionneurs  anglais  de   confisquer  et   d'enfermer 

■  chez  eux  les  plus  magnifiques  spécimens  de  la  facture  instrumentale,  dans  le 
simple  but  de  pouvoir  permettre  de  temps  en  temps  à  quelques  rares  visiteurs 
de  jeter  dessus  un  coup  d'œil,  est  un  égoïsme  stupide  (stupider  Egoismusj. 
justiciable  seulement  de  la  maison  des  fous  ». 

—  De  Genève  :  La  cérémonie  de  la  fête  des  promotions  de  l'Ecole  secondaire 
et  supérieure  des  jeunes  filles  est  toujours  une  joie  pourles  yeux  et  un  agré- 
ment pour  les  oreilles  des  assistants.  Cette  année,  les  élèves,  sous  la  direction 
M.  H.  Kling,  ont  chanté  un  hymne  Vaincre  ou  Mourir,  paroles  de  M.  E.  de 
Budé,  musique  de  lï.  Kling.  Une  mélodie  aisée  à  retenir,  simple,  franche- 
ment rythmée,  entraînante,  un  texte  qui  s'y  adapte  fort  bien  et  exalte  joyeu- 
sement le  sentiment  patriotique,  tels  sont  les  caractères  de  ce  chant  suisse  La 
preuve  en  est  dans  les  nombreuses  éditions  qui  l'ont  accueilli  et  le  plaisir  avec 
lequel  les  élèves  l'ont  interprété.  Pour  Unir,  on  a  entendu  avec  non  moins  de 
plaisir  VE/iitlvrfanie  de  Lolwngrin,  de  R.  Wagner,  dans  lequel  les  voix  fraîches 
des  élèves  ont  fait  merveille. 

—  La  ville  de  Rome  se  propose  aussi  d'avoir  prochainement,  à  son  tour, 
une  grande  Exposition  d'art  théâtral.  Ce  ne  sera  pas,  nous  dit  un  journal, 
une  froide  série  de  documents,  mais  une  chose  vivante.  Selon  le  programme 
étudié  par  M.  le  comte  de  San  Martino  et  par  le  directeur  de  la  «  Compagnie 
stable  ».  M.  Hugo  Falena,  on  verra  se  dérouler  au  Théàtre-Argentina.  dans  l'es- 
pace de  cinq  mois,  des  cycles  de  représentations  propres  à  illustrer  l'histoire 
de  l'art  dramatique.  On  donnera  des  essais  de  tragédies  grecques  et  romaines  ; 
on  fera  des  reproductions  de  mystères  du  moyen  âge  et  de  primitives  repré- 
sentations champêtres  ;  les  gaies  comédies  du  seizième  siècle  s'avoisineront 
a^ec  celles  des  théâtres  français  et  espagnols  du  dix-septième.  Viendront  en- 
suite les  tragédies  d'Alûeri.les  comédies  de  Goldoni  et  les.pièces  fiabesques  de 
Gozzi,  pour  terminer  avec  le  théâtre  romantique  de  nos  pères  et  avec  les  essais 
modernes.  Parmi  ces  derniers  seront  la  tragédie  de  D'Annunzio  sur  les 
origines  de  Rome  et  une  comédie  de  Gerolamo  Rovetta  encadrée  dans  les 
temps  glorieux  du  Risorgimente  national.  Dans  ce  programme  on  ne  donnera 
pas  au  théâtre  étranger  une  place  moindre  qu'à  l'art  italien  :  on  organisera 
une  série  anglaise  qui  ira  d'un  cycle  shakespearien  jusqu'aux  comédies  de 
Pinero  et  deShaw;  une  série  espagnole  qui  s'étendra  de  Calderon  et  Cervantes 
jusqu'à  Echegaray;  une  série  française  qui,  partant  de  Pierre  Gringoire  et  des 
comédies  de  Cyrano  de  Bergerac,  et  passant  par  Corneille.  Molière,  Racine  et 
Voltaire,  aboutira  aux  productions  les  plus  récentes:  une  série  allemande 
dont  Schiller.  Sudermann  et  Hauptmann  feront  les  honneurs;  et  on  n'oubliera 

||     ni  le  théâtre  norvégien  avec  Ibsen  et  Bjôrnson,  ni  les  théâtres  danois  et  russe. 
Il     Le  programme  est  très  beau,  mais  aussi  quelque  peu  inquiétant  par  son  am- 
pleur. L'Exposition  aura  lieu  en  1911,  pour  les  fêtes  cinquantenaires  de  I'in- 
;     dépendance  italienne. 

—  La  signora  Luisa  Consola, sœur  de  l'excellent  violoniste  et  pianisteFede- 
M  rigo  Consolo,  mort  il  y  a  dix-huit  mois  environ,  vient  de  faire  don  à  l'Aca- 
I  demie  de  l'Institut  royal  de  musique  de  Florence  d'une  quantité  de  lettres 
i      autographes  de  grands  artistes,  entre  autres  Wagner,    Verdi,   Gounod,   Am- 

brnise  Thomas,  etc.,  ainsi  que  de  nombreux  manuscrits  d'archéologie  musi- 
cale et  de  documents  historiques  de  très  haute  valeur  concernant  la  musique 
.qui avaient  été  réunis  par  son  frère.  C'est  une  collection  précieuse  pour  l'Aca- 
démie florentine. 

—  Un  journal  italien  nous  apprend  que  l'harmonie  ne  règne  pas  toujours 
entre  les  vieux  pensionnaires  de  la  «  Maison  de  repos  «  fondée  par  Verdi  à 
Milan.  Parmi  ces  pensionnaires  se  trouvent  deux  anciens  chanteurs,  Felice 
Picchielli,  de  Rome,  el  Pietro  Riccioli,  de  Casalmaggiore,  tous  deux  âgés  de 
76  ans.  Récemment,  une  discussion  artistique  s'élevait  entre  eux  d'une  façon 


plutôt  violente,  si  bien  que  quelques-uns  de  leurs  compagnons  essa 
s'interposer  pour  les  calmer,  lorsque  tout  à  coup  Picchielli.  saisissant  un  cou- 
teau, s'élança  Bur  son  contradicteur  pour  le  frapper.  On  >-ul  tontes   1 
du  moude  à  le  relenir.  Ce  n'est  pas  précisément  pour  cela  que   Vi 
créé  sa  maison  de  refuge. 

—  A  l'exemple  de  la  mitre,  dont  les  succès  ont  été  aussi  -  datants  â  l'étran- 
ger qu'en  France,  il  vient  de  se  former  à  Madrid  une  Société  d  instrumenta  à 
vent,  composée  de  MM.  Gregorio  Baudot  (flûte),  Mariano  Miguel  clarinette), 
Fermin  Adan  (hautbois),  Antonio  Romo  (basson),  Valeriano  Buslos  (trom- 
pette) el  Luis  Nogueras  (piano).  Celte  Société  a  donné  son  premier  concert  à 
l'Athénée  avec  un  succès  extraordinaire,  faisant  applaudir  entre  auli 

le  joli  quintette  de  M.  Talfinel  qui  fut  jadis  couronné  par  la  Société  des 
compositeurs. 

—  A  signaler  un  assez  grand  nombre  de  productions  nouvelles  qui  ont  fait 
leur  apparition  sur  les  divers  théâtres  de  Madrid.  Au  Grand-Théâtre,  l-.nin 
TOcas,  zarzuela  en  un  acte,  paroles  de  M.  Dicenta,  musique  du  maestro  Cliapi. 
qui  n'est  que  la  refonte  d'un  ouvrage  plus  important  représenté  il  y  a  quel- 
ques années  sous  le  titre  de  Juan  Francisco. —  A  l'Apolo,  toi   O) 

«  passe-temps  comico-lyrique  »,  livret  de  M.  Paso  et  musique  de  M.  Calleja, 
de  beaucoup  supérieure  à  celui-ci,  et  tos  Madrilenos,  zarzuela.  paroles  de 
MM.  Perrin  et  Palacios,  musique  du  maestro  Chapi  qui,  dit  un  journal, 
n'offre  pas  un  seul  numéro  saillant.  —  Au  théâtre  Eslava,  deux  zarzuelas  du 
compositeur  Lleo  :  Mayo  jiorido  et  In  Vuelta  dcl  presidio,  cette  dernière  surtout, 
sur  des  paroles  du  poète  populaire  Lopez  Silva,  très  applaudie.  —  Au  théâtre 
de  la  Zarzuela,  el  Nino  de  Brenes,  saynète  en  un  acte,  paroles  de  la  cantatrice 
très  aimée  M"IG  Lola  Ramos,  musique  de  M.  Cordoba  :  très  grand  succès  pour 
cette  petite  pièce  «  présentant  des  types  andalous  et  parfaitement  accompa- 
gnée d'une  musique  allègre  et  correctement  écrite.» — Au  Théâtre- Martin, 
Holmes  y  Raffles,  a  fantaisie  mélodramatique  »,  paroles  de  MM.  .lover  et  Cas- 
tillo,  musique  du  maestro  Badia,  de  beaucoup  supérieure  et  justement  applau- 
die. —  Enhn.  à  l'Apolo  encore,  Icis  Bribonas,  paroles  de  M.  Antonio  ViergoL 
musique  de  M.  Callejà,  zarzuela  en  un  acte  qui  a  obtenu  un  succès  extraordi- 
naire et  qui  est  destinée  à  devenir  populaire. 

—  On  vient  de  tenter  un  effort  sérieux  pour  améliorer  la  ventilation  du 
Queen'sHall  de  Londres.  Un  appareil  installé  dans  une  vaste  chambre  voisine 
de  l'emplacement  réservé  à  l'orchestre  aspire  l'air  du  dehors,  l'échauffé  ou  le 
refroidit  selon  le  cas  pour  qu'il  soit  à  la  température  convenable  et  le  projette 
dans  la  grande  salle  de  concerts.  On  peut  ainsi  obtenir  1. 500.000  mètres  cubes 
à  la  minute  et  toute  l'atmosphère  du  monument  entier  peut  être  renouvelée  en 
dix  minutes.  En  ralentissant  la  marche  de  l'appareil  afin  d'éviter  ou  de  ré- 
duire au  minimum  l'agitation  de  l'air  et  le  bruit,  il  est  possible  de  changer 
tous  les  quarts  d'heure  l'air  de  la  salle.  L'évacuation  se  fait  au  moyen  d'aspira- 
teurs placés  sous  les  galeries.  Il  parait  que  les  chanteurs  ont  déclaré  que  ce 
procédé  de  ventilation  leur  permettait  de  maintenir  en  bonne  disposition  leur 
organe  pendant  toute  la  durée  des  concerts.  Le  public,  de  son  coté,  apprécie 
l'avantage  de  n'avoir  plus  à  respirer  un  air  vicié. 

—  On  annonce  qu'un  orchestre,  mexicain  doit  se  rendre  prochainement  à 
Londres,  où  il  se  propose  de  donner  une  série  de  cent  concerts  au  cours  des- 
quels aucuo  morceau  ne  sera  répété  deux  fois  (Tudieu  !  quel  répertoire  !|. 
Cet  orchestre  a  été  formé,  parait  il,  par  un  millionnaire  américain,  M.  Roach. 
un  des  «  rois  du  sucre  »,  qui  fut  naguère  musicien  et  chef  des  musiques  de  la 
flotte  des  États-Unis.  Ayant  fait,  il  y  a  quelques  années,  un  très  gros  héritage, 
la  fantaisie  lui  vint  de  créer  un  orchestre  purement  mexicain,  réunissant  à 
Mexico  un  ensemble  d'environ  quatre-vingts  artistes,  qu'il  dirige  en  personne. 
Ce  passe-temps  lui  a  déjà,  dit-on,  coûté  quelque  chose  comme  1.250.000  francs, 
ce  qui  le  laisse  d'ailleurs  profondément  indifférent.  Les  concerts  qu'il  entend 
donner  à  Londres  dans  une  salle  spéciale  donneront  lieu  à  un  spectacle  d'un 
genre  particulier,  dont  l'idée  ne  pouvait  germer  que  dans  un  cerveau  améri- 
cain. C'est-à-dire  que  pendant  l'exécution  des  morceaux  se  développeront  des 
panoramas  «  qui  donneront  aux  spectateurs  la  vision  des  scènes  que  la  musique 
réclame  !  »  L'alliance  des  arts,  musique  et  peinture  mêlées. 

—  De  New-York  :  Dans  le  courant  de  la  saison  prochaine,  le  Metropolitan- 
Opera  jouera  pour  la  première  fois  une  œuvre  inédite,  traduite  en  anglais, 
d'un  compositeur  européen.  Il  s'agit  de  l'opéra  K-œnigskindcr  (Enfants  de.  Roi), 
de  M.  Humperdinck,  dont  le  principal  rôle  de  femme  sera  interprété  par 
jjiie  G-éraldine  Farrar.  M.  Humperdinck  a  accepté  l'invitation  de  la  direction 
du  Metropolitan  de  diriger  les  dernières  lépétitions  et  d'assister  à  la  première 
représentation  de  son  œuvre  à  New-York. 

—  M.  Jacques  Coini,  le  très  distingué  régisseur  général  du  Manhattan  Opéra 
House.  au  cours  de  la  saison  dernière  à  New-York,  vient  d'être  réengagé  par 
M.  Oscar  Hammerstein  qui  lui  confie  de  plus  et  d'ores  et  déjà  la  direction  du 
Hammerstein  Opéra  House,  la  nouvelle  salle,  maintenant  a  peu  près  terminée, 
à  Philadelphie. 

—  Les  journaux  étrangers  nous  font  savoir  que  le  ministre  de  l'Instruction 
publique  du  Japon  vient  d'interdire  la  représentation  de  YOrphée,  de  Gluck,  à 
l'Académie  de  musique  de  Tokio.  L'ouvrage  ne  pourra  être  joué  que  lorsqu'on 
y  aura  pratiqué  certaines  coupures,  particulièrement  dans  »  la  scène  des 
baisers  »,  qui,  selon  le  ministre,  froisserait  la  moralité  des  spectateurs.  Les 
Japonais  moralistes,  voilà  certainement  ce  qu'on  n'attendait  pas  d'eux. 


232 


LE  MENESTREL 


PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

C'est  mardi  prochain,  21  juillet,  qu'aura  lieu  au  Conservatoire,  sous  la 
présidence  de  M.  Dujardin-Beaumetz,  sous-secrétaire  d'État  aux  Beaux-Arts, 
la  distribution  des  prix.  Avant-hier  jeudi  et  hier  vendredi  ont  eu  lieu  bs 
concours  des  classes  d'instruments  à  vent.  Nous  en  donnerons  les  résultats 
dans  notre  prochain  numéro,  en  rendant  compte  de  cette  séance. 

—  Comme  d'habitude,  il  y  eut  foule  aux  spectacles  gratuits  du  14  Juillet.  Les 
amateurs  de  théâtre  ne  manquent  jamais  en  France,  surtout  quand  il  n'y  a 
rien  à  payer.  Donc  à  l'Opéra  on  acclama  les  artistes  qui  interprétaient  la  sévère 
tragédie  lyrique  de  Rameau  Hippoli/te  et  Aride,  et  on  ne  fut  pas  moins  cha- 
leureux à  l'Opéra-Comique  pour  ceux  qui  chantèrent  le  Barbier  de  Séville  et  le 
Chalet.  Comme  de  juste,  on  entendit  partoul  la  Marseillaise,  mais  ce  fut  surtout 
à  la  Comédie  Française  que  le  chant  national  produisit  son  plus  merveilleux 
effet,  parce  qu'on  l'avait  entouré  d'une  nouvelle  mise  en  scène  émouvante.  La 
voici,  décrite  par  notre  confrère  Serge  Basset  du  Figaro  : 

Le  rideau  se  lève,  sur  le  décor  du  Palais-Royal  tel  qu'on  l'a  vu  au  second  acte  de 
Charlotte  Corday.  Au  milieu  de  la  scène  a  été  placé  un  buste  de  la  République  dont 
le  socle  est  décoré  de  lierre,  de  lauriers,  de  fleurs  bleues,  blanches  et  rouges.  Deux 
jeunes  filles  tressent  des  guirlandes;  dans  un  coin,  des  patriotes  causent.  Des  enfants 
louent.  Entre  un  bourgeois  porteur  de  nouvelles.  Emotion  de  la  foule.  Au  loin,  ru- 
meurs, tambours,  chants  lointain.  A  un  moment,  un  vieux  patriote  (c'est  M.  Mounet- 
Sully)  accourt,  transporté  d'enthousiasme  et  de  passion  patriotique.  «  Aux  armes, 
citoyens,  commence-t-il...a  Et,  l'hymne  national  se  déroule,  à  la  fois  dit  par  l'émi- 
nent  doyen  de  la  Comédie-Française,  et  repris  après  chaque  vers  par  des  chœurs  que 
soutient  la  musique.  A  un  instant,  un  jeune  garçon  que  personniiia  délicieusement 
M11"  Berthe  Bovjj  se  jette  dans  les  bras  du  vieux  patriote,  et,  l'interrompant,  récite 
la  fameuse  strophe  :  Nous  entrerons  dans  la  carrière.  Des  enfants  l'entourent,  et  le 
jeune  adolescent  semble  prendre  pour  lui  et  pour  ses  compagnons  l'engagement 
solennel  de  marcher  sur  les  traces  des  ancêtres  et  de  pratiquer  leurs  vertus.  L'effet 
est  très  grand.  M.  Mounet-Sully  et  sa  gracieuse  camarade  sont  acclamés. 

Le  spectacle  commençait  par  Britannicus  et  se  terminait  par  le  Misanthriope. 

—  Les  représentations  gratuites,  nous  dit  Nicolet  du  Gaulois,  ne  sont  pas  un 
fait  des  temps  actuels,  mais  pourquoi  ne  pas  le  dire,  un  fait  du  prince.  En 
effet,  leur  existence  remonte  à  la  fin  du  dix-huitième  siècle  et  c'est  encore 
dans  le  Tableau  de  Paris  de  Mercier  qu'on  trouve  leur  éloge  le  mieux  compris. 
«  Les  comédiens,  dit-il,  donnent  le  spectacle  gratuit  à  l'occasion  de  quelque 
événement  célèbre,  comme  la  paix,  la  naissance  d'un  prince,  etc.  Le  spectacle 
commence  alors  à  midi  ;  les  charbonniers  et  les  poissardes  occupent  les  deux 
balcons,  suivant  l'usage  ;  les  charbonniers  sont  du  côté  du  Roi,  et  les  poissardes 
du  côté  de  la  Reine.  Ce  qu'il  y  a  de  plus  étonnant,  c'est  que  cette  populace 
applaudit  aux  beaux  endroits,  aux  endroits  délicats  même,  et  les  sent  tout 
comme  l'assemblée  la  mieux  choisie.  Quelle  poésie  pour  qui  saurait  l'étudier! 
Après  la  pièce,  Melpomène,  Thalie,  Terpsichore  donnent  la  main  au  portefaix, 
au  maçon,  au  décrotteur.  Les  comédiens  ne  se  prêtent  pas  par  amour  du 
peuple  à  ces  danses  bruyantes,  mais  par  politique;  ils  voudraient  bien  pouvoir 
s'en  exempter.  Leur  dépendance  leur  fait  un  devoir  de  cette  corvée,  et  ils 
jouent  fort  bien  le  contentement.  »  Mais  Mercier  y  revient,  ailleurs,  dans  une 
note  :  i  Oji  a,  dit-il,  constaté  le  fait;  j'en  appelle  à  l'expérience.  Les  grands 
traits  n'ont  jamais  passé  sans  applaudissements.  »  Les  spectacles  gratuits  dont 
parle  Mercier  avaient  lieu  à  Versailles. 

M.  Antoine,  qui  est  encore  directeur  de  l'Odeon,  a  écrit  au  sous-secré- 
tariat des  beaux-arts,  conformément  aux  obligations  de  son  cahier  des  charges, 
pour  demander  l'autorisation  d'engager  MM.  Alexandre,  Chambreuil,  Guilhen- 
Puvlagarde  et  MUe  Reuver,  lauréats  des  concours  de  tragédie  et  de  comédie. 

Mais  voici  qui  va  déranger  quelque  peu  les  plans  de  l'insidieux  Antoine. 

Dans  sa  dernière  séance,  le  Conseil  d'administration  de  la  Comédie-Française, 
d'accord  avec  M.  Jules  Claretie,  a  décidé  d'engager  au  moins  deux  des  der- 
niers lauréats  du  Conservatoire  :  M.  Alexandre,  premier  prix  de  tragédie  et  de 
comédie  aux  derniers  concours  du  Conservatoire,  et  M.  Puylagarde,  premier 
prix  de  comédie.  lia  voté  également  l'engagement,  pour  un  an,  à  titre  d'essai, 
de  M.  Le  Roy  qui  enleva  brillamment,  l'an  dernier,  au  même  concours,  un 
premier  prix  de  comédie.  M.  Le  Roy  jouera  les  jeunes  premiers  et  les  rôles  de 
convenance.  —  M.  Alexandre  est  engagé  pour  les  premiers  rôles  et  M.  Puyla- 
garde pour  les  amoureux.  Il  doublera,  à  l'occasion,  M.  Dehelly. 

Et   qu'adviendra-t-il    des    lauréats    du   chant?  H  semble  que   nos   deux 

théâtres  lyriques  subventionnés  devraient  au  moins  s'arracher  MUe  Raveau,  la 
«rande  triomphatrice  du  concours.  Jusqu'ici,  cependant,  il  ne  semble  pas 
qu'aucune  réclamation  se  soit  élevée  à  son  sujet. 

Mais  M.  Albert  Carré  vient,  en  attendant,  de  s'assurer  par  engagement  de 

Mlle  Cebron-Norhens,  un  joli  brin  de  fille,  qui  fut  remarquée  aussi  aux  der- 
niers concours.  Et  en  même  temps,  il  prit  aussi  M"e  Nelly  Martyl  qu'on  enten- 
dit à  l'Opéra  et  qui  n'est  pas  non  plus  à  dédaigner,  tant  s'en  faut. 

A  l'Opéra,  MM.  Messager  et  Broussan  ont  signé  un  engagement  de  deux 

années  avec  le  jeune  ténor  russe  Altchewsky,  qui  fut  remarqué  dans  les  Hu- 
guenots et  dans  Roméo  et  Juliette. 


—  Départs  :  M.  André  Messager,  directeur  de  l'Opéra,  a  quitté  Paris  pour 
prendre  du  repos.  Ses  vacances  dureront  tout  au  juste  trois  semaines.  Ce  n'est 
pas  trop.  —  Mlle  Mary  Garden,  de  son  côté,  après  ses  triomphales  représen- 
tations de  l'Opéra,  est  partie  pour  l'Ecosse,  qui  est  son  pays,  comme  on  sait. 
Elle  ne  reviendra  qu'à  l'automne. 

—  La  veuve  et  les  enfants  de  l'auteur  dramatique  Adolphe  L'Arronge,  mort 
le  25  mai  dernier,  se  conformant  aux  dernières  volontés  du  défunt,  viennent 
de  constituer  une  fondation  au  profit  des  artistes  de  la  scène  parvenus  à  un 
âge  avancé,  lorsque  leur  situation  malheureuse  les  obligera  d'y  recourir. 

—  Voici  les  artistes  qui  prêteront,  dimanche,  leur  concours  à  la  matinée 
organisée  à  Couilly-Saint-Gerrnain,  dans  le  parc  de  la  Maison  de  retraite  des 
comédiens  : 

Coquelin  aine;  JIM.  Gautier,  Gilly,  M""  Henriquez,  de  l'Opéra;  M11"'  Chasles,Urban, 
de  l'Académie  de  danse  de  l'Opéra;  M""  Renée  du  Minil,  de  la  Comédie-Française; 
M—  de  Nuovina,  de  l'Opéra-Comique,  et  M.  Albani,  de  l'Opéra-Royal  de  Milan  ; 
M"'  Gilda  Darty,  M"'  C.  de  Raisy,  M.  Jean  Coquelin,  M.  Capoul,  M.  Monteux, 
M'1'  Bouchetal,  M11'  Hedvige  Moore,  M.  Chabert,  de  la  Porte-Saint-Martin  ;  M"«  Gene- 
viève Valois,  du  Théâtre-Antoine;  M.  Le  Lubez,  M"'  Duval-Melchissédec,  du  Théâtre 
royal  de  la  Monnaie;  M.  Fontaine,  M»«E.  Dingry, du  théâtre  Trianon-Lyrique;  M.Max 
Morel,  des  Folies-Marigny;  M"'  Debriège,  de  la  Scala;  M"'  Gilly,  du  Grand-Théâtre 
de  Lyon;  M.  L.  de  Gerlhord,  de  l'Alhambra:  M.  R.  de  Beaumercx,  de  la  Pie  qui 
chante,  M.  Piloir,  de  la  Scala,  MM.  Chadeigne  et  Fauthoux,  de  l'Opéra  ;  M.  Léo 
Pouget,  compositeur. 

M.  Regnard  sera,  comme  toujours,  le  régisseur  général  de  la  représentation. 

—  Mimi  Pinson  en  voyage.  D'accord  avec  M.  Clémentel,  député  et  maire  de 
Riom,  M.  Gustave  Charpentier  vient  de  fixer  les  principales  étapes  du  voyage 
que  Mimi  Pinson  fera  en  Auvergne  le  mois  prochain  : 

Départ  le  14  août,  matin.  Concert  de  chant  et  de  comédie,  à  Riom,  le  soir.  Concert, 
des  chorales  le  15,  au  matin;  concours  de  danses  populaires  le  soir.  Couronnement  de 
la  Muse,  le  16  après-midi.  Concert  àChàlel-Guyon  et  excursion  le  17.  Retour  le  17  au 
soir. 

Les  amis  et  parents  de  Mimi  Pinson  bénéficieront  de  tarifs  de  faveur. 

—  M.  Hammerstein,  directeur  du  Manhattan  Opéra  de  New-Vork,  a  engagé 
M.  Speck,  l'ancien  régisseur  général  de  l'Opéra,  sous  la  précédente  direction, 
comme  régisseur  des  représentations  françaises  et  italiennes. 

—  D'Aix-les-Bains  :  Le  Grand  Cercle  qui,  durant  de  longs  mois  d'été,  hos- 
pitalise royalement  toutes  les  grandes  élégances  de  toutes  les  parties  du 
monde,  se  devait, "le  théâtre  de  verdure  étant  de  haute  vogue  en  ce  moment, 
d'avoir  sa  scène  de  plein  air.  M.  Gandrey,  son  habile  directeur  général,  l'a  si 
bien  compris,  qu'il  vient  de  faire  édifier  dans  le  merveilleux  jardin  du  cercle 
un  fort  joli  décor  antique  auquel  les  colonnades  et  les  portiques  brisés,  les  lam- 
padaires fleuris  et  les  tentures  aux  figures  allégoriques  donnent  un  aspect  tout 
à  fait  typique  et  très  indiqué  pour  y  faire  déclamer  les  œuvres  héroïques  de 
nos  illustres  poètes  lyriques.  On  a  inauguré  dimanche  dernier  le  «  Théâtre 
Antique  »  avec  la  Fille  de  Roland,  et  cet  essai  a  montré  quel  excellent  parti, 
avec  quelques  modifications  pourfendre  l'acoustique  tout  à  fait  excellente,  l'on 
peut  tirer  de  l'idée  de  M.  Gandrey.  Un  public  très  nombreux  et  très  en  belles 
toilettes  a  écouté  religieusement  les  vers  généreux  d'Henri  de  Bornier, applau- 
dissant M11'-  Madeleine  Roch,  de  la  Comédie-Française,  une  Berthe  émue  et 
grandiloquente,  et  ses  camarades  parmi  lesquels  il  convient  de  citer  M.  Jean 
Hervé,  Gérald  jeune  et  convaincu; M. Dupont,  Charlemagne vibrant,  etM. Fro- 
ment, Ganelon  dramatique  :  et  tout  ce  public  d'ensemble  plutôt  frivole,  essen- 
tiellement  cosmopolite  et  aussi  un  tantinet  snob,  n'a  pas  fait  qu'écouter  reli- 
gieusement la  tragédie  très  noble  mais  aussi  très  sévère,  il  l'a  écouté  sans  la 
moindre  désertion  jusqu'au  dernier  mot,  et  c'est  là  évidemment  la  preuve  la 
meilleure  que  la  tentative  a  réussi. 

Et  puisque  nous  parlons  du  Grand  Cercle,  signalons  les  belles  représenta- 
tions données  dans  la  salle  de  spectacles,  notamment  celles  de  Manon,  de 
Werther  et  de  Sapho,  avec,  comme  principale  interprète,  M1"1"  Bréjean-Silver; 
MM.  Codou,  Dangès  et  Rotbier.  Prochainement,  reprise  de  Thérèse,  également 
du  maître  Massenet,  dont  on  se  rappelle  le  triomphe  lors  delà  saison  dernière. 

—  Soibées  et  Concerts.  —  Brillante  matinée  de  Ml]t  Caussin.  Dans  une  sélection 
d' œuvres  de  L.  Filliaux-Tiger,  succès  pour  Impromptu,  Pluie  en  Mer,  largement  dits 
par  M"€  Bonnaz,  et  triomphe  pour  le  Roman  d'Arlequin,  une  des  merveilleuses  inspi- 
rations de  Massenet  exécutée  à  ravir  par  M11'  Caussin  et  L.  Filliaux-Tiger.  —  Les 
œuvres  de  L.  Filliaux-Tiger,  Imp'romtu  et  Danse  Russe,  furent  li'ès  applaudies  au 
concert  organisé  par  M""  de  Silva,  puis,  à  la  délicieuse  matinée  de  M"" Argué,  Source 
capricieuse,  du  même  auteur,  fit  le  plus  grand  honneur  au  jeune  professeur. 


l'i.  —  74e  ANNÉE.  —  N°  30. 


PARAIT  TOUS  LES  SAMEDIS 


Samedi  28  Juillet  4908. 


(Les  Bureaux,  2bls,  rue  Vivienne,  Paris,  n«  m') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


Le  Numéro  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  Numéro  :  0  fr.  30 


Adresser  fi\a*-co  a.  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  ea  su3. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (28p  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  La  distribution 
des  prix  au  Conservatoire,  Arthur  Pougin.  —  III.  Une  famille  de  grands  luthiers 
italiens  :  Les  Guarnerius  (3°  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  con- 
certs et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

CHEMINEAU 

nouvelle  mélodie  d'ÉDOUARD  Tournon,  poésie  de  Fernand  Gregh.  —  Suivra 

immédiatement  :  Ole  ton  voile,  nouvelle  mélodie  d'ERXEST  Moret,  poésie  de 

Klingsor. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
Marche  des  petits  magots,  de  Robert  Vollstebt.  —  Suivra  immédiatement  : 
Par  les  prés  fleuris,  pièce  de  genre,  de  Rodolphe  Berger. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 


CHAPITRE   VI 

OLTJCK  COMPOSITEUR  D'OPÉRAS-COMIQUES 

Passons  sans  nous  y  arrêter  sur  la  Fausse  esclave  et  VIvrogne 
corrigé,  dont  quelques  traits  pourront  nous  fournir  plus  tard 
quelques  dernières  observations,  et  finissons  cet  examen  en 
étudiant  l'ouvrage  qui  clôt  la  série  des  opéras-comiques  :  La 
Rencontre  imprévue. 

A  l'époque  où  celui-ci  parut,  l'opéra-comique  français  avait 
pris  à  Vienne  une  place  qui  tendait  à  devenir  prépondérante. 
Sortant  du  cadre  restreint  des  fêtes  de  la  Cour,  il  avait  abordé 
les  regards  du  public  sur  le  théâtre  naguère  réservé  aux  seuls 
opéras  italiens.  L'échange  de  lettres  entre  Favart  et  Durazzo 
avait  contribué  à  faire  passer  à  Vienne  une  partie  du  répertoire 
de  Paris.  Le  19  novembre  1763,  le  noble  imprésario  écrivait  au 
poète  : 

«  Nous  venons  de  donner  le  Roi  et  le  Fermier  (i),  qui  est  à  sa 
dixième  représentation;  jamais  opéra-comique  n'a  eu  plus  de 
succès  en  ce  pays-ci.  J'en  conçois  aisément  la  raison  ;  c'est 
qu'ici  on  ne  veut  ni  du  trop  tendre,  ni  du  trop  amoureux,  et 
encore  moins  du  trop  bas.  Le  Roi  et  le  Fermier  était  précisément 
dans  l'entre-deux,  ni  bas  ni  trop  tendre.  On  a  saisi  avec  avidité 


(1)  Opéra-comique  de  Sedaine  etMonsigny,  représenté  pour  la  première  fois  à  la 
Comédie-Italienne  en  1762. 


les  maximes  qui  y  sont  répandues  ça  et  là  ;  son  style  simple 
et  quelquefois  élevé  a  fait  beaucoup  d'effet.  Il  en  a  été  de  même 
de  Dupuis  et  Desronais  (1)  et  de  votre  Anglais  à  Bordeaux  (2)  qui 
ont  fait  beaucoup  de  plaisir.  Toutes  les  pièces  qui  seront  dans  ce 
genre  réussiront  toujours  beaucoup  ici,  quoique  moins  connues 
peut-être.  C'est  pourquoi  je  voudrais  en  trouver  du  même 
calibre  pour  amuser  nos  souverains.  Je  viens  de  faire  arranger, 
par  exemple,  les  Pèlerins  delà  Mecque,  de  feu  M.  Le  Sage.  J'en  ai 
fait  supprimer  le  licencieux,  et  n'en  ai  conservé  que  le  noble, 
et  le  comique  qui  a  pu  s'y  allier  ;  je  ne  doute  pas  que  ce  poème, 
arrangé  de  cette  sorte  au  goût  actuel  de  la  nation,  ne  fasse  son 
effet,  surtout  étant  appuyé  d'une  musique  de  la  composition  du 
sieur  Gluck,  homme  sans  contredit  unique  dans  son  genre  (3)  ». 
Gluck  avait  donc  pu,  cette  fois-là,  suivre  d'excellents  modèles, 
venus  de  France  (car  le  Roi  et  le  Fermier  est  sans  contredit  un 
des  chefs-d'œuvre  du  genre).  Mais  au  fait,  qu'avait-il  besoin 
désormais  de  modèles  ?  Il  venait  à  ce  moment  d'écrire  Orfeo  : 
c'est  dire  qu'il  était  en  pleine  possession  de  son  génie  créateur. 
Sa  Rencontre  imprévue  (ce  titre  remplaça  celui  de  la  pièce  origi- 
nale, les  Pèlerins  de  la  Mecque),  représentée  à  Vienne  au  commen- 
cement de  1764,  est  un  excellent  opéra-comique,  plein  de 
musique,  et  très  varié  de  tons  (4).  La  pièce  de  la  Foire  (remon- 
tant à  1726)  avait  été  rajustée  et  mise  au  goût  du  public  viennois 
par  un  certain  Dancourt,  comédien,  auteur  à  ses  heures  (S). 
Mais  la  plupart  des  ariettes  nouvelles  furent  écrites  sur  les 
anciens  vers  faits  pour  être  chantés  en  vaudevilles.  Et  ce  ne 
dut  point  être  un  spectacle  ordinaire  que  celui  de  Gluck,  obligé 
par  ses  fonctions  de  mettre  en  musique  tel  couplet  rythmé  sur 
la  coupe  de  l'excellente  chanson  à  boire  :  «  Quand  la  mer  Rouge 
apparut  »,  avec  ses  joyeuses  répétitions  de  syllabes  :    «  Il  la  pa 

(1)  Comédie  de  Collé,  représentée  pour  la  première  fois  à  la  Comédie-Française  en 
1763. 

i2i  Comédie  en  vers  libres,  de  Favart,  représentée  pour  la  première,  fois  à  la 
Comédie-Française  en  1763. 

\3)  Mémoires  et  Correspondance  de  Favart,  t.  II,  pp.  168,  169. 

(4)  Une  réduction  pour  piano  et  chant  de  la  Rencontre  imprévue  a  été  publiée  a 
Paris  (Legouix)  par  M.  J.-B.  Weckerlin. 

(5)  La  correspondance  de  Favart  fait  maintes  fois  mention  de  Dancourt,  qu'elle 
appelle  d'abord  l'Arlequin  de  Berlin.  Le  3  août  1761,  le  poète  rend  compte  à 
Durazzo  des  débuts  de  cet  artiste  à  la  Comédie-Française,  dans  les  rôles  de  valets. 
Il  n'y  resta  pas,  car,  quelques  mois  plus  tard,  nous  le  retrouvons  à  Vienne,  lui- 
même  en  correspondance  avec  Favart.  Dès  sa  première  lettre  (25  avril  1762  .  i;  -  ..rit: 
«  J'ai  fait  une  églogue  lyrique  que  j'ai  remise  à  Son  Excellence  ;  elle  l'a  d'abord 
envoyée  au  sieur  Gluck.  C'est  un  musicien  fort  estimé  de  nos  messieurs,  et  particu- 
lièrement de  nos  chanteurs.  Leur  témoignage  m'est  cependant  suspect;  j'ai  toutes  les 
peines  du  monde  à  m'imaginer  qu'un  allemand  chante  bien  en  français;  permettez- 
moi  de  ne  vous  en  rien  dire  jusqu'à  ce  que  je  l'aye  entendu  ».  Il  n'apparait  pas  que 
l'églogue  lyrique  ait  été  mise  en  musique,  au  moins  par  l'auteur  (L'Orphée  ;  mais 
nous  venons  d'apprendre  que  c'est  Dancourt  qui  fut  chargé  de  transformer  pour  lui 
les  Pèlerins  de  la  Mecque  en  la  Rencontre  imprévue,  en  «  supprimant  le  licencieux  et 
conservant  le  noble,  et  le  comique  qui  a  pu  s'y  allier  j.  Et  nous  verrons  plus  tard 
Favart  chercher  à  établir  une  collaboration  plus  intime  entre  Gluck  et  Dancourt 
pour  la  composition  d'opéras-comiques  destinés  a  Paris  même. 


234 


LE  MÉNESTREL 


pa  pa,  il  la  sa  sa  sa,  il  la  passa  toute  »,  et  traçant  gravement,  de 
la  même  plume  qui  venait  d'évoquer  les  ombres  heureuses,  les 
notes  pour  chanter  :  «  Me  mettre  en  caca,  me  mettre  en  pipi, 
en  capilotade...  » 

Les  petits  airs  en  forme  de  danse  sont  en  majorité  dans  la 
partition.  Certains  devinrent  populaires  à  Vienne,  comme 
devaient  l'être  plus  tard  ceux  de  Papageno  et  Monostatos  dans  la 
Zauberflote  :  c'est  en  effet  la  même  note  de  musique  viennoise, 
qui,  par  une  sympathie  naturelle  à  l'esprit  des  deux  aimables 
capitales,  ne  devait  pas  avoir  de  peine  à  plaire  à  Paris.  L'air  à 
trois  temps  de  Rezia  :  «  Maître  des  cœurs  » ,  autant  valse  lente 
que  menuet,  a  toute  la  grâce  de  celui  de  la  Naïade,  dans  Armide, 
dont  il  est  l'excellent  prototype  ;  il  n'a  rien  perdu  de  son 
charme  ni  de  sa  saveur. 

Et  ce  n'est  pas  seulement  aux  chansons  et  aux  danses  de  la 
ville  que  Gluck  a  demandé  leurs  rythmes  favoris.  Nous  savons 
qu'il  n'a  jamais  dédaigné  l'accent  populaire  :  il  va  nous  donner 
un  nouveau  témoignage  de  cette  préférence.  Voici  un  air  qui 
semble  être  une  transcription  de  quelque  danse  tzigane.  C'est 
un  personnage  comique,  le  Calender,  qui  le  chante,  sur  des 
paroles  en  jargon  :  «  Castagno,  pista  fanache  ».  De  même  que 
les  philologues  trouvent  parfois  dans  le  patois  des  comédies  de 
Molière  ou  des  farces  de  l'ancien  temps  d'intéressants  sujets 
d'observations,  de  même  nous  pourrions  considérer  clans  cet  air 
de  la  Rencontre  imprévue  un  exemple,  le  premier  noté  sans  doute, 
de  la  musique  tzigane  :  on  y  retrouve  la  plupart  de  ses  formules 
favorites.  En  voici  (sauf  l'omission  de  quelques  mesures  après 
la  première  reprise)  le  dessin  mélodique  complet,  tel  que  le 
donne  la  partie  de  premier  violon,  que  le  chant  se  borne  à 
doubler. 


Un  personnage  d'artiste  fou,  comme  les  artistes  de  comédie 
dans  l'ancien  répertoire,  donne  lieu  à  des  imitations  musicales 
dans  lesquelles  C-luok  devait  nécessairement  exceller  :  les 
mouvements  de  la  jalousie,  de  la  colère,  le  feu  de  l'inspiration, 
la  description  des  combats,  de  la  tempête,  puis  du  calme,  sont 
tour  à  tour  exprimés  par  la  musique.  Le  dernier  morceau  de 
cet  épisode  :  «  Un  ruisselet  bien  clair  »,  est  un  fort  joli  paysage 
musicai,  frais  et  clair,  réellement  suggestif,  faisant,  malgré  la 
beaucoup  plus  grande  simplicité  des  moyens,  songer  d'avance 
à  l'air  du  sommeil  de  Renaud  :  «  Plus  j'observe  ces  lieux...  Un 
fleuve  coule  lentement...  »  La  pochade  tracée  par  l'opéra 
bouffe  est  la  lointaine  ébauche  du  chef-d'œuvre  (1). 

La  Rencontre  imprévue  contient  enfin  des  parties  expressives 
par  lesquelles  le  génie  de  Gluck  s'exhale  dans  toute  sa  sincérité. 
Celles-ci  appartiennent  au  rôle  du  jeune  prince  amoureux,  dont 


(Ij  L'air  «  Un  ruisselet  »  a  obtenu  en  son  temps  un  succès  ifui  s'est  manifesté  de 
diverses  manières.  Par  exemple  :  les  parties  d'orchestre  d'Echo  et  Narcisse,  dont  le 
matériel  est  conservé  à  l'Opéra,  parmi  les  remaniements  innombrables  qu'elles  ont 
subis,  intercalent,  comme  élément  étranger,  un  air  de  danse  qu'elles  intitulent  : 
«  Le  Ruisselet  ».  Ce  morceau  n'est  autre  que  celui  de  la  Rencontre  imprévue,  dont  la 
partie  de  chant  est  transformée  en  solo  de  flûte.  Je  n'en  connaissais  pas  encore 
l'origine  à  l'époque  où  j'ai  eu  à  en  faire  mention  dans  la  préface  de  l'édition  d'Echo 
et  Narcisse,  écrite,  en  collaboration  avec  M.  Camille  Saint-Saèns,  pour  la  collection 
Pelletan  (voy.  p.  XXXVII). 


le  rôle  se  compose  de  cantilènes  du  meilleur  style,  je  puis  même 
dire  d'un  grand  style,  où  la  mélodie  coule  de  source,  abondante 
et  d'un  style  soutenu.  Comme  exemple  de  cette  partie  de  l'œuvre, 
voici  l'exposition  d'un  de  ces  chants,  dont  les  dix-huit  mesures 
se  déroulent  sans  superfétation  ni  redites,  et  avec  autant  d'élé- 
gance extérieure  que  de  sentiment  intime  et  d'abandon. 


Par  cet  ensemble  d'œuvres  d'un  goût  nouveau,  Gluck  connut 
le  succès  tout  aussi  bien  qu'avec  les  opéras  italiens  de  sa 
période  antérieure. 

Burney  raconte,  d'après  un  propos  de  table  qu'il  recueillit  de 
sa  bouche  et  nota  le  soir  même,  qu'après  la  représentation  d'un 
de  ses  opéras-comiques  à  Schwetzingen  (c'est  donc  Cythère  assié- 
gée, le  seul  qu'il  ait  donné  sur  le  théâtre  de  cette  résidence), 
l'Electeur  Palatin,  frappé  par  la  beauté  de  la  musique,  en  fit 
demander  l'auteur  ;  et  sur  la  réponse  que  c'était  un  honnête 
Allemand  qui  aimait  le  bon  vin  vieux  :  «  Eh  bien,  dit- il,  il 
mérite  qu'on  lui  en  fasse  boire  !  »  Et  sur-le-champ  il  donna 
l'ordre  qu'on  lui  en  envoyât  un  tonneau,  «  non  pas  aussi  gros 
que  celui  d'Heidelberg,  contait  joyeusement  Gluck,  mais  fort  et 
plein  d'un  vin  meilleur  »  (1). 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


LA  DISTRIBUTION  DES  PRIX  AU  CONSERVATOIRE 


La  distribution  des  prix  a  eu  lieu  mardi  dernier  avec  une  solennité 
toute  relative,  vu  l'absence  de  tout  personnage  officiel  occupant, 
comme  de  coutume,  la  présidence  de  cette  tout  aimable  cérémonie.  En 
effet,  ni  M.  Doumergue,  ministre  de  l'instruction  publique,  ni  M.  Du- 
jardin-Beaumetz,  sous-secrétaire  d'Etat  aux  beaux-arts,  n'avait  jugé 
utile  de  se  déranger  pour  la  circonstance.  Peut-être  l'inauguration 
d'une  gare  de  chemin  de  fer  ou  celle  d'un  comice  agricole  les  retenait- 
elle  au  loin  et  était-elle  jugée  par  eux  de  plus  d'importance. 

En  l'absence  de  l'un  et  de  l'autre,  M.  Gabriel  Fauré,  directeur  de 
l'Ecole,  avait  tout  naturellement  assumé  la  présidence.  Dans  une  très 
courte  allocution,  il  nous  a  fait  connaître  deux  fondations  intéressantes 
faites  récemment  en  faveur  du  Conservatoire  ;  l'une,  par  la  grande  vio- 
loniste Teresa  Milanollo,  épouse  du  général  Parmentier,  consistant  en 
le  revenu  d'une  somme  de  98.000  francs,  à  partager,  moitié  comme 
prix,  moitié  comme  pensions  aux  élèves  violonistes  au  cours  de  leurs 
études  ;  l'autre,  par  M.  et  Mme  Potron-Laborde,  héritiers  de  la  célèbre 
cantatrice  Mmc  Rosine  Laborde,  consistant  en  une  rente  de  400  francs 


(1)  Burney,  Etat  présent  de  la  musique,  II,  251. 


LE  MENESTREL 


en  faveur  d'élèves  femmes  de  chant  ayant  remporté  un  second  prix  de 
chant  et  fait  preuve  de  zèle  dans  l'étude  du  solfège.  M.  Fauré  a  dit  en- 
suite que  le  Conservatoire  s'estimait  particulièrement  heureux  de  la 
nomination  de  M.  Georges  Berr  comme  chevalier  de  la  Légion  d'hon- 
neur, et  qu'il  était  fier  de  féliciter  lui-môme  le  sociétaire  de  la  Comédie- 
Française,  le  professeur  au  Conservatoire  et, l'auteur  dramatique  sou- 
Tent  applaudi.  Après  quoi,  aux  vifs  applaudissements  de  l'assistance, 
il  a  attaché  la  décoration  à  la  poitrine  de  M.  Georges  Berr,  en  lui 
donnant  l'accolade. 

Quoique  plusieurs  fussent  déjà  partis  en  vacances,  les  professeurs 
assistant  à  la  séance  étaient  loin  d'être  aussi  peu  nombreux  que  croyait 
■devoir  le  remarquer  un  journal.  Nous  avons  reconnu  parmi  eux  : 
MM,  Alexandre  Guilmant,  Delaborde.  I.  Philipp,  Caussade,  Lefort, 
Cros -Saint- Ange,  Georges  Berr,  Paul  Mounet,  Bouvet,  Gillet,  Hassel- 
mans,  Manoury,  Dubulle,  Brun.  Charpentier,  René  Brancour,  Rougnon, 
Falkenberg,  etc. 

Après  l'allocution  de  M.  Fauré,  le  palmarès  a  été  lu,  de  sa  voix  claire 
et  sonore,  par  M.  Alexandre,  premier  prix  de  tragédie  et  de  comédie, 
chaque  élève  se  présentant  à  l'appel  de  son  nom  pour  recevoir  son 
diplôme  de  la  main  du  président.  Puis,  après  un  court  entr'acte  néces- 
sité par  l'aménagement  de  la  scène,  a  commencé  le  concert,  dont  voici 
le  programme  : 

1°  Introduction  et  allegro  du  Deuxième  Concerto,  op.  22  (Saint-Saèns),  par 
MUe  Piltan. 

2°  Air  d'Alceste  (Gluck),  par  M.  Paulet. 

3°  Concerto  (op.  53),  lre  partie  (A.  Dvorak),  par  M.  Michelon. 

4°  Air  d'Armide  (Gluck),  par  Mme  Garchery. 

S0  Scène  i'Iphigénie  (Racine)  :  MM.  Alexandre  (Achille)  et  Chambreuil 
(Agamemnon). 

6°  Scène  de  Werther  iMassenet)  :  MIles  Raveau  (Charlotte)  et  Chantai 
.(Sophie). 

7°  Scène  du  Cœur  et  la  Dot  (Félicien  Mallefille)  :  M.  Lévy  (Henri  Dumège), 
Mllcs  Reuver  [Nanon),  Lestrange  (Adèle  Desperriers)  et  Ha-wkins  (Madame 
Desperriers). 

8°  Scène  d'Alceste  (Gluck)  :  MM.  Vaurs  (Le  Grand  Prêtre),  Dupré  (L'Oracle) 
et  Mlle  Le  Senne  (Alceste). 

Ce  concert  a  obtenu  son  succès  ordinaire.  Mais  il  faut  bien  dire 
qu'ici,  comme  aux  concours,  M"e  Raveau.  a  été  l'étoile  de  la  séance, 
rappelée  quatre  fois  après  la  délicieuse  scène  de  Werther,  où  elle  a 
retrouvé  son  triomphe  du  concours  d' opéra-comique.  On  a  fait  fête 
aussi  à  M"e  Reuver,  toujours  impayable  de  gaminerie  et  de  gaité  dans 
la  scène  du  Cœur  et  la  Dot,  à  Mlle  Le  Senne  dans  Aleeste,  à  Mme  Gar- 
chery dans  Armicle,  à  MM.  Alexandre  et  Chambreuil  dans  Iphigénie. 
Tous,  d'ailleurs,  ont  eu  leur  part  très  légitime  d'applaudissements,  et 
ce  programme,  véritablement  superbe,  a  produit  une  grande  impres- 
sion. 

Arthub  Pougix. 

Voici  l'attribution,  pour  cette  année,  des  dons  et  legs  faits  en  faveur  des 
élèves  du  Conservatoire  : 

Prix  Nicodami  (500  francs)  :  partagé  entre  MM.  Teissier  et  Vaurs,  premiers 
prix  d'opéra. 

Prix  Guérineau  (183  francs)  :  partagé  entre  M.  Paulet  et  M1Ie  Raveau, 
premiers  prix  de  chant. 

Prix  George  Hainl  (613  francs)  :  M.  Mas,  premier  prix  de  violoncelle. 

Fondation  Popelin  (1.200  francs)  :  partagé  entre  M1,es  Piltan,  Déroche. 
Pennequin,  Chassaing,  Boucheron  et  Lewinsohn,  premiers  prix  de  piano. 

Prix  Henri  Herz  (300  francs)  :  MUe  Chassaing,  premier  prix  de  piano. 
.  Prix  Provost-Ponsiu  (435  francs)  :  MUe  Deroxe,  élève  de  déclamation. 

Prix  Buchère  (700  francs)  :  partagé  entre  M"le  Garchery,  premier  prix  de 
chant,  et  Mlle  Chanove,  élève  de  déclamation. 

Prix  Doumic.  —  A  été  réservé. 

Prix  Garcin  (200  francs)  :  M.  Michelon,  premier  prix  de  violon. 

Prix  Monnot  (578  francs)  :  M.  Michelon,  premier  prix  de  violon. 

Prix  Monnier  (une  harpe  Érard,  du  prix  de  3.500  francs)  :  Mlle  Pierre-Petit, 
premier  prix  de  harpe. 

Prix  Girard  (300  francs)  :  MUe  Bouvaist,  second  prix  de  piano. 

Prix  Tholer  (290  francs)  :  MUe  Bernard,  second  prix  de  tragédie. et  de 
comédie. 

Prix  Guilmant  (500  francs)  :  M.  Cellier. 

Prix  Milanollo-Parmentier  (2.885  francs)  :  partagé  entre  M.  Carembat, 
M"'-s  Wolft'  et  Talluel,  premiers  prix  de  violon  (1). 

Prix  Rosine  Laborde  (400  francs)  :  Mlle  Kaiser,  second  prix  de  chant. 


'1)  Sur  cette  fondation,  M.  Carembat  reçoit  385  francs,  M""  Wolff  et  Talluel 
chacune  350  francs.  Le  reste  de  la  somme  est  réservé  pour  compléter  les  intentions 
de  la  testatrice,  ainsi  qu'il  est  indiqué  ci-dessus. 


UNE  FAMILLE  DE  GRANDS  LUTHIERS  ITALIENS 

LES    GUARNERIUS 


PIERRE  I"  GUARNERIUS  (1) 

On  n'a  que  bien  peu  de  renseignements  sur  les  deux  fils  d'A'ndré 
Guarnerius  qui  suivirent  la  carrière  de  leur  père  et  furent  ses  '-lèves. 
L'ainé.  Pietro.  avait,  jusqu'à  ces  dernières  années,  pass*'-  à  tort  pour  le 
cadet,  si  bien  qu'il  n'était  jamais  désigné,  dans  le  commerce  de  la 
lutherie,  que  sous  la  qualification  de  «  frère  de  Joseph  et  second  fils 
d'André  ».  Ih  fallu,  pour  qu'on  remit  toutes  choses  en  place,  la  décou- 
verte des  dates  respectives  de  leur  naissance,  qui  ne  permettait  plus 
aucune  équivoque. 

Pietro  Guarnerius.  né  à  Crémone  le  18  février  1685,  est  bien  le  lils 
aîné  d'André.  Il  apprit  son  métier  dans  l'atelier  de  son  père,  auprès 
duquel  il  resta  jusqu'en  1680.  Trois  ans  auparavant,  en  1(177.  il  avait 
épousé  une  jeune  fille  nommée  Catarina  Sussagni,  dont  il  eut.  le 
29  janvier  1678,  un  lils,  Andréa  Francesco,  qui  ne  fut  pas  luthier  (2). 
A  la  fin  de  l'année  1680,  Pietro  Guarnerius  quitta  Crémone  et  se  sépara 
de  son  père  pour  aller  s'établir  à  Mantoue,  où.  comme  celui-ci,  il  prit 
pour  enseigne  :  «A  sainte  Thérèse  »,  ainsi  qu'en  témoignent  ses 
étiquettes.  Pourtant,  plusieurs  années  plus  tard  on  le  retrouva  durant 
quelque  temps  à  Crémone.  «  Pietro  Guarneri,  dit  Vidal,  revint  à 
Crémone  en  1698  et  y  resta  quelques  mois  après  la  mort  de  son  père, 
car  on  le  voit,  le  22  août  de  cette  année,  parrain  de  son  neveu  Barto- 
lomeo,  dernier  fils  de  Giuseppe.  A  partir  de  cette  époque  on  perd  sa 
trace,  mais  il  parait  probable  qu'il  retourna  à  Mantoue.  »  B  parait  en 
effet  non  pas  probable,  mais  certain,  qu'il  retourna  à  Mantoue,  et  l'on 
assure  qu'il  travailla  jusqu'en  1728,  qui  est  sans  doute  l'époque  de  sa 
mort  ;  mais  sur  ce  dernier  point  on  ne  sait  rien  de  précis.  Même 
certains  prétendent  que  de  Mantoue  il  serait  allé  à  Venise,  et  que  c'est 
là  qu'il  serait  mort. 

Pietro  Guarneri  était  loin  d'être  sans  talent,  et  l'on  s'accorde  à  faire 
l'éloge  de  ses  produits.  Les  amateurs  ont  pu  se  rendre  compte  de  leur 
valeur  lorsqu'en  1878,  à  l'Exposition  historique  de  l'art  ancien  au  Tro- 
cadéro,  ils  ont  vu  exposés  deux  très  beaux  violons  de  cet  habile  luthier, 
l'un  daté  de  1693,  appartenant  à  M.  Taudou,  l'autre  de  1712,  qui  était 
la  propriété  du  regretté  Garcin.  George  Hart,  qui  l'avait  en  très  grande 
estime,  l'apprécie  de  cette  façon  :  —  :<  ...Chez  ce  luthier  encore  nous 
constatons  beaucoup  d'originalité,  et  son  travail  aussi  bien  que  son 
modèle  diffèrent  en  tout  de  ceux  de  son  frère  ;  sa  ligne  de  contour 
s'éloigne  aussi  de  celle  de  son  père  Andréa...  La  volute  est  marquée 
d'un  cachet  tout  individuel.  La  spirale  a  un  relief  d'un  grand  effet,  les 
filets  sont  admirablement  exécutés  et  les  coins  accusent  cette  extrême 
délicatesse  qui  est  la  qualité  distinctive  des  oeuvres  de  Nicolo  Amati. 
Le  vernis  est  superbe,  sa  qualité  est  des  plus  riches  et  sa  transparence 
n'a  jamais  été  surpassée.  La  couleur  varie  ;  elle  est  quelquefois  d'un 
jauue  d'or,  quelquefois  d'un  rouge  pâle  où  la  lumière  vient  miroiter 
avec  des  effets  ravissants.  Pietro  Guarneri  a  employé  les  plus 
beaux  bois.  Ses  tables  sont  invariablement  d'un  grain  tendre  et  très 
unies.  » 

De  leur  côté,  MM.  Hill,  confirmant  indirectement  ce  que  dit  George 
Hart,  constatent  l'originalité  donl  firent  preuve,  dans  leurs  travaux,  les 
deux  fils  d'André  Guarnerius,  et  particulièrement  Pierre  :  —  o  Comparez. 
disent-ils,  entre  eux  les  contours  tracés  par  quelques-uns  des  princi- 
paux successeurs  d'Amati  et  de  Stradivarius...,  et  vous  vous  aper- 
cevrez que  chacun  d'eux  créa  une  forme  différente  de  celle  de  son  voisin  ; 
cependant  tous  ont  puisé  leurs  idées  à  la  même  source.  Voyez  Pierre 
Guarnerius  de  Mantoue  et  Joseph  Guarnerius,  fils  et  élèves  d'André; 

(1  Je  ne  sais  quel  «  mastic  »  s'est  singulièrement  produit  à  l'imprimerie  entre  ma 
copie  et  la  composition  de  mon  premier  article.  Il  m'est  impossible  de  chercher  aie 
deviner,  et  j'y  perdrais  inutilement  mon  temps.  Toujours  est-il  que"  je  me  trouve 
avoir  dit  précisément  le  contraire  de  ce  que  j'avais  dit  ou  voulu  dire.  La  vérité,  et 
les  dates  sont  là  pour  le  prouver,  c'est  qu'André  Amati  n'a  pas  pu,  comme  le  dit  jus- 
tement M.  Hugo  Riemann  et  à  rencontre  de  ce  que  dit  Fétis,  être  l'élève  de  Gaspar 
da  Salo.  Mais  quel  fut  son  maître  ?  nul  ne  le  sait. 

(2)  Le  prince  Nicolas  Youssoupoff,  dans  son  opuscule  anonyme  intitulé  Luthomo- 
nographie  (imprimé  en  français  à  Munich  en  1S55),  écrit  cousu  d'erreurs  et 
d'inexactitudes  dont  on  ne  saurait  pourtant  trop  lui  en  vouloir,  car  à  cette  époque 
l'histoire  de  la  lutherie  était  beaucoup  plus  obscure  encore  qu'à  l'heure  présente, 
écrivait  ceci  :  —  «  Catherine  Guarneria  travaillait  avec  ses  frères  et  leur  aidait  peut- 
être  dans  l'exécution  de  leurs  ouvrages.  Elle  avait  un  goût  très  prononcé  pour  l'art 
du  luthier.  Mais  l'histoire  couvre  d'un  voile  si  épais  toute  son  existence,  que  nous 
ne  pouvons  pas  en  parler  d'une  manière  plus  étendue  ».  On  voit  que  l'auteur  avait 
pris  pour  une  sœur  des  Guarneri  la  femme  de  Pietro,  Catarina  Sussagni. 


236 


LE  MÉNESTREL 


une  fois  sortis  de  l'atelier  du  père,  chacun,  d'eux  prend  son  essor  et 
produit  des  œuvres  marquées  au  coin  de  l'originalité,  surtout  Pierre  (1).  » 
Et  les  instruments  de  cet  excellent  artiste,  volontiers  et  à  juste  titre 
recherchés  aujourd'hui  (on  les  paie  jusqu'à  S  et  6.000  francs),  n'étaient 
pas  seulement  remarquables  par  leur  beauté  :  le  timbre  en  était  sédui- 
sant, et  la  sonorité,  puissante  sans  exagération,  ne  laissait  rien  à  désirer 
en  ce  qui  touche  sa  belle  qualité  et  la  faculté  d'émission.  Ses  meilleurs 
violons  sont  surtout,  dit-on,  ceux  qui  furent  contruits  par  lui  à 
Crémone. 

Dans  son  livre  :  Les  Ancêtres  du  Violon  et  du  Violoncelle,  Laurent  Grille  t 
cite  et  reproduit,  parmi  ses  illustrations,  la  figure  d'un  alto  de  Pietro 
Guarnerius,  daté  de  Mantoue,  1698,  dans  lequel  celui-ci  avait  supprimé 
les  coins,  comme  pour  la  guitare,  ainsi  que  fit  plus  tard  Chanot  pour 
son  violon  présenté  par  lui  à  l'Académie  des  beaux-arts  et  qui  est  resté 
fameux  pour  sa  bizarrerie  et  son  peu  de  succès.  Mais  comme  ledit 
Grillet  n'indique  aucune  référence  au  sujet  de  cet  instrument,  je  reste 
méfiant  à  l'égard  de  son  authenticité. 

Il  est  plus  intéressant  de  rapporter  ici  quelques-unes  des  remarque  s 
que  faisait  il  y  a  un  siècle,  à  propos  de  Pietro  Guarnerius,  l'abbé  Sibire 
dans  son  livre  curieux  et  bizarre  :  La  Chélonomie  ou  le  Parfait  Lu- 
thier (2)  : 

Pierre  Guarnerius  était,  malgré  des  défauts  majeurs,  un  excellent  ouvrier. 
Nous  avons  de  lui  des  violons  bien  traités  à  l'extérieur,  bien  filetés,  bien  ver- 
nis, d'une  superbe  facture.  Le  modèle  en  est  large,  les  formes  en  sont  flat- 
teuses, les  voûtes  pleines,  l'ascension  régulière.  On  y  voit  la  main  du  maître  ; 
mais  ce  sont  souvent  des  sépulcres  blanchis.  L'application  du  compas  et  la 
qualité  des  sons  trahissent  les  procédés  intimes  de  la  structure,  et  font  singu- 
lièrement pâtir  pour  l'auteur.  En  brusquant,  on  ne  sait  pourquoi,  la  manière 
de  Jérôme  (3),  pour  s'en  faire  une  à  lui,  il  a  donné  à  gauche,  et  n'a  pas  été 
très  heureux  en  écarts.  Jl  a  eu  raison  de  faire  ses  tables  d'harmonie  égales 
d'épaisseur,  mais  on  en  veut  à  son  rabot  de  les  avoir  trop  amincies,  ainsi  que 
les  flancs  du  repoussoir,  qui  est  d'ailleurs  d'une  bonne  force  dans  la  partie  du 
centre.  Il  résulte  de  là  deux  graves  inconvénients,  l'un  pour  la  qualité  de 
l'instrument,  l'autre  pour  l'instrument  lui-même  ou  sa  monture. 

Après  avoir  fait  ressortir  les  effets  des  deux  inconvénients  qui  résul- 
tent, selon  lui,  du  travail  de  Pietro  Guarnerius,  l'auteur  conclut  : 

De  sa  fabrique,  dit-il,  sont  sortis,  de  loin  en  loin,  des  violons  pleins  d'éclat 
et  de  force,  dignes  de  rivaliser  avec  ceux  de  son  maître.  La  fantaisie  de  se 
rapprocher  des  règles  est  alors  venue  le  distraire  de  la  mauvaise  méthode  de 
son  invention;  mais  sa  conviction  n'était  pas  sincère.  La  fureur  d'innover  et 
l'orgueil  de  faire  secte  ont  rendu  bien  rares  cette  réminiscence  des  principes 
et  cet  heureux  oubli  de  lui-même.  Il  serait  à  souhaiter,  pour  la  gloire  de  l'art 
et  la  sienne,  qu'il  eût  eu  plus  souvent  des  absences  ou  une  bonne  fois  des  re- 
mords. 

Malgré  les  critiques  parfois  un  peu  vives  que  l'abbé  Sibire  mêle  à  ses 
éloges,  les  violons  de  Pietro  Guarnerius  sont  aujourd'hui  fort  estimés 
et  donnent  la  preuve  d'un  incontestable  talent.  Mais  ni  lui  ni  George 
Hart,  ni  MM.  Hill  ne  disent  un  mot  de  ses  violoncelles,  que  les  luthiers 
connaissent  bien,  que  les  artistes  recherchent,  et  dont  la  valeur  n'est 
pas  moindre.  Les  oublier  serait  injuste,  car  ce  sont  de  très  bons  instru- 
ments, qui,  de  même  que  ses  violons,  ne  font  point  pâlir  la  juste 
renommée  qui  s'attache  au  nom  des  Guarnerius  (4). 

On  croit  que  Pietro  Guarnerius  fut  le  maitre  de  Tommaso  Balestrieri , 
luthier  de  Crémone  non  sans  talent,  qui,  ainsi  que  lui,  alla  s'établir 
par  la  suite  à  Mantoue. 
.  (A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(pour  les  seuls  abonnés  a  la  musique) 


Ce  Chemineau,  n'a  rien  à  voir  avec  celui  de  M.  Xavier  Leroux  et  n'en  est  pas  vrai  - 
ment  plus  mauvais  pour  cela.  C'est  l'excellent  ténor  Muratore  qui  nous  fit  faire  la 
connaissance  de  son  auteur,  M.  Tournon,  qui  l'accompagne  volontiers  au  piano  dans 
les  concerts  où  il  prodigue  son  beau  talent.  Muratore  a  pris  en  affection  cette  mélo- 
die et  il  la  chante  partout  avec  uu  succès  qu'elle  mérite  assurément.  Elle  a  de  l'am- 
pleur et  aussi  de  la  douceur  aux  endroits  où  il  faut.  Ajoutons  que  la  poésie  de 
Fernand  Gregh  ne  nuit  pas  à  l'effet  d'ensemble.  La  pensée  en  est  noble  et  d'une 
belle  élévation. 

(1)  Antoine  Stradivarius,  sa  vie  et  son  œuvre. 

(2)  La  Chélonomie  ou  le  Parfait  Luthier,  par  M.  l'abbe  Sibire,  ancien  curé  de  Saint- 
François-d' Assise,  à  Paris.  —  Paris,  l'auteur,  1806,  in-12. 

(3)  Jérôme  Amati,  dont  l'auteur  croyait,  à  tort,  que  Pietro  Guarnerius  était  l'élève. 

(4)  Il  en  fit  à  Mantoue  quelques-uns  d'assez  ordinaires,  auxquels  on  donnait 
le  nom  d'instruments  i  de  procession  ».  A  l'aide  de  certain  procédé  de  suspension 
ils  étaient  portatifs,  et  les  exécutants  pouvaient  les  jouer  en  marchant  dans  les  cor- 
tèges. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

Un  de  nos  confrères  italiens  rapporte  sur  Rossini  une  anecdote  dont  nous 
garantissons  d'autant  moins  l'authenticité  que  la  scène  se  passe  précisément 
chez  nous,  et  que  nous  n'avons  jamais  eu  connaissance  du  fait.  «  Non  seule- 
ment, dit  notre  confrère,  le  cygne  de  Pesaro,  durant  sa  longue  existence,  se 
réjouissait  en  bernant  ses  contemporains,  mais  il  avait  encore  la  manie  de  se 
moquer  préventivement  de  la  postérité.  En  voici  une  preuve.  Lorsqu'il  fit 
construire  sa  villa  de  Passy,  il  fit  jeter  dans  les  fondations  une  médaille  de 
l'empereur  Caracalla.  en  disant  :  «  Dans  cinq  ou  six  cents  ans,  quand  les 
archéologues  feront  des  fouilles  ici,  ils  croiront  que  les  Romains  ont  passé  par 
Passy,  et  ils  écriront  d'interminables  mémoires  au  sujet  de  cette  médaille.  Je 
sème  peut-être  la  graine  de  deux  ou  trois  membres  de  l'Académie!  » 

—  A  signaler,  dans  le  dernier  numéro  de  la  Rivista  musicale  italiana,  un 
article  très  court  du  docteur  Oscar  Chilesotti  sur  l'art  grec,  article  substantiel 
en  son  peu  d'étendue,  et  très  curieux  dans  ses  conclusions. 

—  On  a  représenté  au  Théâtre-Populaire  de  Riella  une  opérette  nouvelle 
intitulée  Lena  del  Rocinmlon.  Les  auteurs  de  cet  ouvrage  sont  MM.  Garelli  pour 
les  paroles  et  G.  Casiraghi  pour  la  musique. 

—  On  doit  donner  prochainement,  au  théâtre  Malihran  de  Venise,  un  opéra 
nouveau  intitulé  Italia,  du  maestro  Santo  Santonocito.  D'autre  part,  le  com- 
positeur Soffredini,  auteur  déjà  de  plusieurs  opérettes  écrites  spécialement 
pour  des  enfants,  en  termine  une  du  même  genre  qui  sera  donnée  dans  le 
cours  de  l'automne  à  Milan.  Celle-ci  aura  pour  titre  il  Leone  et  pour  sujet  un 
épisode  de  la  vie  du  célèbre  sculpteur  Cauova. 

—  En  184"2,  le  futur  premier  roi  d'Italie,  Victor-Emmanuel,  alors  simple 
prince  héréditaire  de  Piémont,  épousait  une  archiduchesse  d'Autriche.  Pour 
fêter  les  fiançailles,  la  municipalité  de  Gènes  chargeait  le  compositeur  Fede- 
rico Ricci  (auteur,  avec  son  frère,  de  la  jolie  partition  de  Crispino  e  la  Comare) 
d'écrire  une  cantate  de  circonstance  sur  des  paroles  de  l'excellent  poète 
Felice  Romani.  Cette  cantate,  intilulée  la  Félicita,  fut  exécutée  avec  un  grand 
succès  au  Théâtre  Carlo-Felice,  devant  une  assemblée  nombreuse  venue  de 
tous  les  points  de  l'Italie  pour  voir  les  jeunes  époux.  Quelques  années  plus 
tard  le  roi  Charles- Albert,  préparant  une  fête  dans  son  palais,  se  souvint  de 
la  cantate  des  noces  de  son  fils,  et  demanda  à  Federico  Ricci  d'écrire  une 
composition  du  même  genre  sur  des  vers  du  marquis  di  Negro.  En  peu  de 
jours,  la  volonté  royale  fut  satisfaite.  A  la  répétition  de  l'œuvre  nouvelle,  le 
comte  Saluzzo,  grand  écuyer  du  palais,  s'approcha  du  compositeur  et  lui  fit 
part  du  désir  exprimé  par  Sa  Majesté  de  voir,  pendant  l'exécution  de  la  nou- 
velle cantate,  un  jet  d'eau  sur  le  milieu  de  la  scène.  L'idée  était  bizarre  sans 
doute,  mais,  sans  autre  cérémonie,  le  haut  fonctionnaire  se  mit  en  mesure 
d'établir  une  fontaine  et  de  disposer  des  conduits  pour  l'écoulement  de  l'eau. 
Tout  marcha  à  souhait  et  le  jet  d'eau  était  superbe.  Seulement  —  il  y  a  un 
seulement —  l'eau,  en  tombant,  faisait  un  bruit  qui  détruisait  absolument 
l'effet  du  chant  et  de  la  musique.  Le  compositeur  fit  alors  observer  au  grand 
écuyer  que  sa  musique  était  complètement  annulée  par  cet  accompagnement 
d'un  genre  inconnu  jusqu'alors.  Celui-ci  ne  voulut  rien  entendre  et  ne  songea 
qu'à  obéir  aux  ordres  de  son  maitre.  Il  faut  dire  que  le  roi  Charles-Albert 
était,  de  sa  nature,  médiocrement  dilettante.  Pour  lui,  la  plus  belle  musique 
consistait  dans  les  roulements  du  tambour  et  dans  le  bruit  du  canon.  Mais  la 
Cour  devait  assister  à  la  fête,  et,  naturellement,  Ricci  désirait  qu'on  entendit 
la  sienne.  C'est  alors  qu'il  eut  une  véritable  idée  de  génie,  qui  lui  permettait 
de  donner  satisfaction  au  prince  sans  se  faire  tort  à  lui-même.  D  fit  acheter 
quelques  centaines  d'épongés  qu'il  fit  placer  dans  la  vasque  de  la  fontaine,  de 
façon  que  l'eau,  en  retombant  sur  ces  éponges,  ne  fit  plus  aucun  bruit.  La 
fontaine  brillait  et  son  jet  d'eau  était  superbe,  mais  elle  était  devenue  muette. 
Les  chanteurs  furent  à  leur  aise  alors  pour  exécuter  la  cantate,  et  celle-ci 
produisit  tout  l'effet  qu'en  espérait  son  auteur.  Et  voilà  comment  un  musicien 
homme  d'esprit  sut  se  tirer  d'une  situation  difficile. 

—  La  ville  d'Eger,  en  Hongrie,  avait  décidé  depuis  plusieurs  mois  de  célé- 
brer, par  une  reconstitution  historique,  la  mémoire  du  généra!  Wallenstein, . 
qui  fut  assassiné  dans  cette  ville  en  1634  et  y  entra  victorieusement  en  1625. 
Des  fêtes  comprenant  un  cortège  historique  avec  marches  militaires  dont  la 
musique  remonte  au  commencement  du  XVIe  siècle,  vers  1509,  croit-on, 
viennent  d'avoir  lieu  pendant  les  deux  journées  des  18  et  19  juillet.  Elles  se 
sont  déroulées  en  présence  de  15.000  spectateurs.  On  a  surtout  admiré  une 
sorte  de  scène  théâtrale  féerique  intitulée  la  Fondation  d'Eger  dans  le  vieux 
château  impérial  d'Egra.  Ce  château,  bâti  de  1157  à  1179  par  Frédéric  Barbe- 
rousse,  est  maintenant  en  ruines.  Eger  était  autrefois  une  forteresse  que  l'on 
pouvait  considérer  comme  presque  imprenable.  Elle  a  été  démantelée  en  IS08. 
C'est  à  l'Hôtel  de  Ville  que  Wallenstein  fut  tué  par  l'Irlandais  Deveroux.  On 
conserve  encore  dans  ce  monument  des  souvenirs  du  célèbre  homme  de 
guerre.  Il  y  a  juste  cent  dix  ans  que  le  Wallenstein  de  Schiller  fut  joué  pour- 
la  première  fois  à  Weimar. 

—  On  va  installer  prochainement,  sur  la  façade  d'une  maison  qu'habitèrent 
Robert  et  Clara  Schumann,  à  Dusseldorf,  rue  dite  Eilkerstrasse,  une  plaque 
commémorative  destinée  à  perpétuer  le  souvenir  du  séjour  de  trois  années  et 
demie  qu'y  firent  les  deux  grands  artistes.  Cette  période  se  termina  par  la 


LE  MÉNESTREL 


237 


catastrophe  qui  anéantit,  chez  Schumann,  les  hautes  facultés  intellectuelles 
dont  il  était  doué,  deux  années  et  quatre  mois  avant  que  la  mort  ne  le  délivrât 
d'une  existence  devenue  lamentable.  C'est  dans  cette  demeure  que  les  égare- 
ments de  la  raison  chez  le  musicien  dont  chaque  œuvre,  si  petite  qu'elle  soit, 
porte  la  trace  de  l'imagination  et  du  génie,  se  manifestèrent  avec  une  intensité 
terrible.  Une  de  ses  manies  fut  celle  des  tables  tournantes.  Wasielewski  a 
raconté  là-dessus  une  scène  navrante  dont  il  fut  le  témoin.  «  Les  graves 
symptômes,  dit-il,  qui  s'étaient  manifestés  plusieurs  fois  pendant  l'année  1852, 
non  seulement  reparurent  en  1853,  mais  s'aggravèrent  encore  et  l'on  en 
constata  de  nouveaux.  Ce  furent  d'abord  les  soi-disant,  tables  tournantes  qui 
jetèrent  Schumann  dans  une  sorte  d'extase  et  captivèrent  entièrement  son 
esprit.  En  ce  temps-là,  les  tables  tournantes  firent  le  siège  des  boudoirs 
féminins  et  des  sociétés  de  femmes  nerveuses  aux  heures  des  lunchs  et  des 
thés;  elles  pénétrèrent  même  dans  les  cabinets  d'études  d'hommes  sérieux  et 
troublèrent  beaucoup  de  têtes  bien  organisées.  Cependant,  elles  ne  causèrent 
pas  à  d'autres  cette  exaltation  maladive  dont  Schumann  fut  violemment  saisi, 
Lorsqu'en  mai  1833,  je  vins  à  Dusseldorf  pour  visiter  quelques  amis,  je  fus 
introduit  un  après-midi  dans  la  chambre  de  Schumann.  Il  était  assis  sur  un 
canapé,  en  train  de  lire  dans  un  livre.  Je  lui  demandai  quel  était  le  sujet  de 
sa  lecture.  Il  me  dit  alors  en  élevant  la  voix  et  sur  un  ton  presque  solennel  : 
«  Oh!  n'avez-vous  pas  encore  entendu  parler  des  tables  tournantes?  »  — 
«  Mais  si.  assurément,  lui  répondis  je,  comme  en  badinant,  j'en  ai  entendu 
parler  ».  A  ces  mots,  ses  yeux,  qu'il  tenait  habituellement  fermés  comme  s'il 
eût  voulu  tourner  ses  regards  en  lui-même,  s'ouvrirent  démesurément,  ses 
pupilles  se  dilatèrent  convulsivement,  et  il  prononça  lentement  ces  mots  avec 
une  expression  de  crainte  :  «  Les  tables  savent  tout.  »  Quand  je  vis  qu'il  atta- 
chait à  ces  choses  un  caractère  sérieux  de  si  triste  augure,  je  m'empressai 
d'abonder  dans  son  sens,  ce  qui  lui  rendit  aussitôt  le  calme.  Ensuite  il  appela 
sa  deuxième  fille  et  se  mit  à  faire  avec  elle  des  expériences  au  moyen  d'une 
petite  table.  Il  consulta  cette  table  et  lui  fit  marquer  le  commencement  de  la 
symphonie  en  ut  mineur  de  Beethoven.  Toute  cette  scène  m'avait  effrayé  au 
plus  haut  degré;  je  me  souviens  même  très  exactement  que  je  Es  part  de  mes 
appréhensions  aux  amis  et  connaissances  du  maître.  »  A  la  suite  de  cette 
expérience,  Schumann  écrivit  à  Hiller,  le  25  avril  1853  :  s  Nous  avons  hier 
fait  tourner  une  table  pour  la  première  fois.  Quelle  merveilleuse  puissance  ! 
Pense,  je  lui  ai  demandé  d'indiquer  le  rythme  des  deux  premières  mesures  de 
la  symphonie  en  ut  mineur  1  Elle  m'a  fait  attendre  la  réponse  plus  longtemps 
qu'à  l'ordinaire,  enfin  elle  marqua  les  notes  sol,  sol,  sot,  mi  b,  d'abord  très 
lentement.  Ensuite,  lorsque  je  lui  eus  dit  :  «  Mais,  chère  table,  c'est  un  mou- 
vement bien  trop  lent  »,  elle  s'empressa  de  donner  le  mouvement  juste.  Je  lui 
demandai  encore  d'indiquer  un  chiffre  auquel  je  pensais;  elle  indiqua  le 
chiffre  trois  sans  se  tromper.  Nous  étions  tous  comme  enveloppés  d'une 
atmosphère  de  miracle  ».  Ainsi,  Schumann  glissait  de  plus  en  plus  vers  la 
pente  fatale  jusqu'au  moment  où  sa  raison  l'abandonna  tout  à  fait.  Les  tables 
tournantes,  dont  on  s'occupa  vers  la  même  époque  à  la  cour  de  Napoléon  III 
et  en  bien  d'autres  lieux  en  France  et  à  l'étranger)  ne  peuvent  être  incriminées 
dans  la  circonstance;  la  caractéristique  du  génie  de  Schumann.  ce  fut  l'intro- 
duction dans  sa  musique  de  toute  une  mythologie  d'êtres  fantastiques  ou  de 
personnes  réelles,  présentées  comme  si  elles  évoluaient  sur  un  petit  théâtre. 
Cette  tendance  était  arrivée  au  paroxysme  pendant  les  dernières  années  de 
son  existence;  on  ne  peut  donc  s'étonner  qu'il  ait  voulu  nouer  des  relations 
avec  le  monde  surnaturel.  Le  marbre  que  l'on  va  enchâsser  dans  la  maison  de 
Dusseldorf  rappellera  les  dernières  crises  et  la  catastrophe  finale  qui  termi- 
nèrent la  vie  d'un  artiste  qui  fut  l'un  des  plus  extraordinairement  doués  que 
l'on  rencontre  dans  l'histoire  musicale  de  tous  les  temps. 

—  Une  artiste  dramatique  dont  les  succès  ont  été  très  grands  depuis  deux 
années  à  Vienne,  à  Munich  et  dans  d'autres  villes,  Mlle  Lily  Marberg,  vient 
d'être  victime  d'un  accident  d'automobile.  Se  rendant  de  Frauzensbad  à 
Munich,  en  compagnie  d'un  financier,  M.  Maurice  Reichenfeld,  la  voiture 
buta  contre  un  arbre  par  suite  de  la  rupture  d'un  pneumatique.  Les  deux 
voyageurs  ont  été  sérieusement  blessés,  MUe  Marberg  à  la  poitrine  et  son 
compagnon  à  la  tète.  Le  chauffeur  et  une  autre  personne,  assise  à  coté  de  lui. 
n'ont  eu  que  des  contusions  sans  gravité. 

—  M.  Hans  Gregor,  l'homme  d'initiative  qui  dirige  avec  intelligence  l'Opéra- 
Comique  de  Berlin,  vient  d'épouser  MUeDelIa  Rogers,  qui  se  fit  une  réputation 
de  chanteuse  dramatique  en  Italie,  où  elle  fut  notamment  une  très  émouvante 
Navarraise. 

—  La  société  philologique  de  Heidelberg  a  donné  mercredi  dernier  et  hier, 
au  Théâtre  Municipal  de  la  ville  universitaire,  deux  représentations  de  l'Aga- 
memnon  d'Eschyle,  comme  soirées  cominémoratives  en  l'honneur  du  professeur 
Albrecht  Dieterich,  décédé  récemment.  C'est  grâce  à  ce  philologue  que  l'on 
avait  pu  monter,  l'été  dernier,  dans  des  conditions  particulièrement  intéres- 
santes et  nouvelles  sous  certains  rapports,  les  Grenouilles  d'Aristophane. 

—  Un  journal  illustré  italien  publie  une  vue  de  la  tombe  du  compositeur 
Otto  Nicolaï.  l'auteur  du  Templier  et  des  Joyeuses  Commères  de  Windsor,  qui  fut 
chef  d'orchestre  de  l'Opéra-Royal  de  Berlin  et  mourut  en  cette  ville  le  11  mai 
1849,  à  peine  âgé  de  quarante  ans.  Cette  tombe  est  au  cimetière  de  Sainte- 
Dorothée,  à  Berlin,  et  elle  a  été  sauvée  dernièrement  par  les  soins  de  l'inten- 
dance de  l'Opéra,  car  elle  était  menacée  de  destruction,  la  concession  du 
terrain  étant  arrivée  à  son  terme  et  n'ayant  pas  été  renouvelée. 

—  Nous  avons  annoncé  que,  selon  les  volontés  exprimées  par  le  défunt,  la 
famille  de  l'auteur  dramatique  Adolphe  L'Arronge  avait  constitué  une  fonda- 


tion en  faveur  des  vieux  artistes  dénués  de  ressources.  A  ce  sujet,  il  n'est  pas 
sans  intérêt  de  faire  remarquer  que  la  fortune  laissée  par  L'Arronge  s'élève, 
assure-t-on,  à  six  millions  et  demi  de  marks,  soit  plus  de  huit  millions  de 
francs. 

—  Il  n'est  pas  encore  trop  tard  pour  souhaiter  la  bienvenue  à  un  nouveau 
coufrère.  Une  revue  consacrée  à  la  musique,  la  New:  Mutikalische  Rund- 
schau, a  publié  le  1er  juin  son  premier  numéro  à  Munich.  Dans  celui  du 
13  juillet,  nous  trouvons  un  intéressant  article  sur  le  culte  de  Verdi  en  Italie. 
Un  autre  article  renferme  d'intéressantes  appréciations  se  rattachant  à  la  mu- 
sique française.  Publiée  sous  la  direction  de  M.  Otto  Keller,  la  nouvelle 
feuille  s'est  placée  dès  l'abord  au  rang  des  meilleures  et  des  plus  sérieuses. 
Elle  est  en  ce  moment  bimensuelle,  mais  deviendra  hebdomadaire  pendant  la 
saison  d'hiver. 

—  Ainsi  que  nous  l'avons  annoncé,  Mmc  Melba  a  donné  le  2i  juin  dernier 
une  matinée  au  Covent-Garden  de  Londres,  pour  fêter  le  vingtième  anniver- 
saire de  son  débuta  ce  théâtre.  La  recette  était  destinée  à  l'hôpital  de  Londres. 
Elle  s'est  élevée  à  30.000  francs. 

—  Les  concerts-promenade  du  Queen's  Hall  de  Londres  commenceront  le 
13  août  prochain  et  se  termineront  à  la  (in  d'octobre.  Ils  seront  dirigés  par 
M.  Henry  J.  Wood,  à  l'exception  de  ceux  qui  auront  lieu  du  5  au  8  octobre. 
Ceux-là  seront  donnés  par  la  New  Symphony  Orchestra  sous  la  direction  de 
M.  Edouard  Colonne. 

—  Le  comité  des  Concerts-Joachim  de  Londres  a  décidé  de  poursuivre  l'en- 
treprise malgré  la  mort  du  célèbre  maître.  On  donnera  l'hiver  prochain  sept 
auditions  de  musique  de  chambre  dans  la  salle  Bechstein,  et  un  grand  concert 
avec  orchestre  et  chœurs  au  Queen's  Hall.  Parmi  les  solistes,  nous  pouvons 
nommer  Mmes  Halle,  Marie  Soldat.  Fanny  Davies,  MM.  Haussmann,  Donald 
Tovey,  Borwick.  C'est  le  quatuor  Klinger  qui  jouera  la  musique  d'ensemble 
pour  cordes. 

—  De  grandes  solennités  musicales  auront  lieu  l'an  prochain  au  Crystal 
Palace,  près  de  Londres.  Il  était  depuis  longtemps  question  d'un  festival 
Haendel  donné  dans  des  conditions  d'interprétation  tout  à  fait  extraordinaires, 
mais  l'année  1909  marquant  le  double  centenaire  de  la  mort  de  Haydn  et  de 
la  naissance  de  Mendelssohn,  on  a  décidé  d'associer  ces  deux  maîtres  à  l'hom- 
mage que  l'on  veut  rendre  à  la  mémoire  du  célèbre  compositeur  du  Messie.  Le 
programme  des  auditions  sera  ainsi  très  varié  en  même  temps  que  grandiose. 
Les  anglais  n'ont  pas  oublié  que  c'est  Mendelssohn  qui  introduisit  chez  eux 
les  œuvres  de  Bach,  ou,  tout  au  moins,  en  répandit  le  goût  par  son  enthou- 
siasme pour  la  Passion  selon  saint  Mathieu.  Le  jeune  maître  essaya  aussi  de 
faire  connaître  et  apprécier  à  Londres  la  symphonie  en  ut  majeur  de  Schubert, 
qu'il  avait  produite  le  premier  au  Gewandbaus  de  Leipzig,  mais  cette  fois  le 
public  britannique  demeura  entièrement  sourd  à  son  appel. 

—  On  vient  de  publier  en  anglais  la  traduction  des  lettres  de  Brahms  dites 
«  la  correspondance  de  Herzogenberg  »;  cette  collection  se  rapporte  à  la 
période  de  la  plus  grande  activité  du  compositeur. 

—  On  mande  d'Amsterdam  qu'une  Société  nouvelle  d'opéra  néderlandais 
est  en  voie  de  formation  sous  la  direction  de  Mllie  Cateau  Resser. 

—  De  San  Sébastien,  on  nous  signale  les  grands  succès  remportés  par  M"e  Ga- 
brielle  Ciampi,  la  fille  de  M.  Ciampi  et  de  MmB  Ciampi-Ritter,  qui  a  délicieu- 
sement chanté  à  deux  des  grands  concerts  donnés  au  Casino. 

—  Un  orchestre  monstre  est  celui  qui  fut  formé  à  Boston  pour  la  grande 
fête  musicale  de  1869,  qui  est  restée  fameuse  au  pays  des  Vankees.  Cet  orches- 
tre comprenait  215  violons,  65  altos,  violoncelles  et  contrebasses,  8  flûtes. 
8  hautbois,  8  clarinettes,  8  bassons,  12  cors,  8  trombones,  3  tubas  et  14  tam- 
bours. Pour  certains  morceaux,  tels  que  la  Marche  du  Prophète,  le  chœur  des 
enclumes  du  Trovatore  et  l'Hymne  national,  on  ajoutait  23  flûtes,  70  clarinettes, 
100  cors,  75  trompettes,  73  tubas,  50  tambours,  2o  paires  de  timbales,  10  grosses 
caisses  et  10  triangles. 

—  Oh!  oh!  une  grosse  nouvelle  concernant  le  jeune  et  déjàcélèbre  Kubelik. 
On  écrit  de  Chritchurch  (Nouvelle-Zélande)  au  Daily  Mail  de  Londres  :  — 
«  M.  Gorlitz,  directeur  de  concerts,  a  intenté  une  action  contre  le  violoniste 
Kubelik  pour  rupture  de  contrat.  Ledit  directeur  lui  réclame  75.000  francs  de 
dommages-intérêts.  La  cour  suprême  de  la  Nouvelle-Zélande  a  requis  l'arrestation 
du  violoniste.  »  Espérons  qu'il  ne  pourrira  pas  longtemps  sur  la  paille  humide 
des  cachots. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

La  musique  n'est  pas  habituée  à  être  très  gâtée  lors  des  largesses  gouver- 
nementales; mais,  cette  fois,  la  part  à  elle  faite  est  vraiment  plus  que  maigre 
puisque,  pour  elle,  aucune  croix  ne  figure  dans  la  liste,  publiée  à  l'occasion 
du  14  juillet,  dans  le  Journal  Officiel  de  dimanche  dernier,  alors  que  cinq 
peintres  sont  faits  chevaliers. ..Ne  nous  en  réjouissons  pas  moins  de  la  rosette 
d'officier  donnée  à  M.  Maurice  Donnay,  qui  compte  au  théâtre  d'heureuses 
victoires  depuis  Lysistratu  jusqu'à  Paraître,  en  passant  par  le  Retour  de  Jérusalem, 
et  des  croix  de  chevaliers  attribuées  au  très  spirituel  M.  Miguel  Zamacoïs,  le 
jeune  et  délicat  poète  des  Bouffons,  et  à  M.  Georges  Berr,  sociétaire  de  la 
Comédie-Française,  professeur  au  Conservatoire  et  encore  écrivain  dramatique 
applaudi  :  et  signalons  aussi,  non  sans  un  tout  petit  peu  d'étonnement,  celle 
dont  se  trouve  gratifié  M.  Max  Maurey.  directeur  du  Grand-Guignol  et  auteur 
de  quelques  légères  piécettes. 


238 


LE  MÉNESTREL 


—  Au  titre  étranger,  M.  Fonson,  directeur  des  théâtres  des  Galeries -Saint- 
Hubert  et  de  l'Olympia,  à  Bruxelles,  est  nommé  chevalier  de  la  Légion 
d'honneur. 

—  Les  concours  publics  se  sont  terminés  la  semaine  dernière  au  Conserva- 
toire, et  ont  pris  En  avec  les  deux  séances  consacrées  aux  instruments  à  vent, 
séances  entièrement  brillantes,  comme  toujours,  et  qui  ont  affirmé  une  fois 
de  plus  l'éclatante  supériorité,  reconnue  de  tous,  de  notre  enseignement  instru- 
mental. 

La  première  de  ces  deux  journées  était  affectée  au  concours  des  quatre 
classes  d'instruments  en  bois  :  flûte,  hautbois,  clarinette  et  basson.  Le  jury 
était  ainsi  composé  :  MM.  Gabriel  Fauré,  président,  Louis  Bas,  Lafleurance, 
Bené  Brancour,  Alfred  Cortot,  Henri  Bûsser,  Jules  Mouquet,  de  La  Nux, 
Lebailly,  Baoul  Brunel,  Hamburg  et  Pichard. 

Voici  les  résultats  : 

Fldte,  10  concurrents.  Professeur,  M.  Taffanel.  Morceau  de  concours  :  Pré- 
lude et  scherzo  de  M.  Henri  Bûsser;  morceau  de  lecture  à  vue.  du  même. 

4" prix.  —  M.  Paul. 

2"  prix:  —  MM.  Friscourt  et  René. 

4'"  nécessite.  —  MM.  André  Castel  et  Lespès. 

2"  accessits.  —  MM.  Clouet,  Marchant  et  Raoul. 

Hautbois;  10  concurrents.  Professeur,  M.  Gillet.  Morceau  de  concours  :  Con- 
certo de  Mme  de  Grandval;  morceau  de  lecture  à  vue,  de  M.  Louis  Aubert. 

4'"  prix.  —  MM.  Riva,  André  Tournier  et  Bonneau. 

2"  prix.  —  MM.  Morel,  Durivaux  et  Rigot. 

4"  accessit.  —  M.  Duvoir. 

2"  accessit.  —  M.  Burgunder. 

Clarinette,  5  concurrents.  Professeur,  M.  Mimart.  Morceau  de  concours  : 
Solo  de  concours  de  M.  Henri  Babaud;  morceau  de  lecture  à  vue,  de  M.  de 
La  Nux. 

•/"■  prix.  —  MM.  Rouillard  et  Corbet. 

2e  prix.  —  M.  Jautfrion. 

4"  accessit.  —  M.  Séguret. 

Basson,  8  concurrents.  Professeur,  M.  Eugène  Bourdeau.  Morceau  de  con- 
cours :  Concerto  en  fa,  de  Weber;  morceau  de  lecture  à  vue.  de  M.  Henri 
Rabaud. 

4"'  prix.  —  MM.  Thauvin  et  Fleurquin. 

i"  2>rix.  —  MM.  Verdter  et  Piard. 

4'"  accessits.  —  MM.  Guilloteau  et  Pétrot. 

2e  accessit.  —  M.  Letellier. 

Pour  les  concours  d'instruments  en  cuivre,  dont  voici  maintenant  les  résul- 
tats, le  jury  comprenait  les  noms  de  MM.  Gabriel  Fauré,  président,  Georges 
Caussade,  Reine,  Brousse,  Bilbaut,  Jules  Mouquet,  Alfred  Cortot,  Alexandre 
Georges,  Yerbregghe,  Alfred  Bachelet,  Guy  Ropartz  et  Georges  Enesco. 

Cor,  10  concurrents.  Professeur,  M.  Brémond.  Morceau  de  concours  :  Mor- 
ceau de  concert  de  M.  Camille  Saint-Saéns  ;  morceau  de  lecture  à  vue.  de 
M.  Georges  Enesco. 

4"  prix.  —  M.  Van  Bédat. 

2"  prix.  —  M.  Bacquier. 

4'"  accessits.  —  MM.  Bordet  et  Stermann. 

2»  accessits.  —  MM.  Michel  Guillaume  et  Fabre. 

Cornet  a  Pistons,  10  concurrents.  Professeur-,  M.  Mellet.  Morceau  de  con- 
cours :  Légende  héroïque,  de  M.  Jules  Mouquet;  morceau  de  lecture  à  vue.  du 
même. 

!"•  prix.  —  MM.  de  Lathouwer  et  Auguste  Beghin. 

S"  prix.  —  MM.  Rodet  et  Minet. 

7cr  accessit.  —  M.  Delmotte. 

2°  accessit.  —  M.  Kauffmann. 

Trompette,  11  concurrents.  Professeur,  M.  Franquin.  Morceau  de  concours: 
Légende  de  l'Armor,  de  M.  Alexandre  Georges;  morceau  de  lecture  à  vue,  de 
M.  Georges  Caussade. 

1"'  prix.  —  MM.  Gilis,  Séguélas  et  Perret. 

2'  prix.  —  M.  Borie. 

4"'  accessits.  —  MM.  Cherrière  et  Delattre. 

2"  accessits.  —  MM.  Parriez  et  Champendal. 

Trombone,  11  concurrents.  Professeur,  M.  AUard.  Morceau  de  concours  : 
Pièce  en  mi  p  mineur,  de  M.  Guy  Bopartz;  morceau  de  lecture  à  vue,  du 
même. 

■)'"  prix.  —  MM.  Lafosse  et  Eudesq. 

2"  prix.  —  MM.  Barat  et  Meyer. 

4"  accessit.  —  M.  Munio. 

2"  accessits.  —  MM.  Lagrange  et  Dervaux. 

Terminons  en  donnant  les  résultats  du  concours  dé  fugue,  qui  fut  le  der- 
nier du  concours  à  huis  clos  et  qui  réunissait  le  jury  suivant  :  MM.  Gabriel 
Fauré,  président,  Henri  Maréchal,  P.  V.  de  La  Nux,  Chapuis,  Gigout,  Paul 
Hillemacher,  J.  Mouquet,  Bachelet,  Galeotti,  Henri  Dallier,  Raoul  Pugno. 

4"  prix.  —  M.  Chevaillier  (élève  de  M.  Lenepveu). 
2°  prix.  —  M.  Joseph  Boulnois  (élève  de  M.  Lenepveu). 
i"  accessit.  —  M.  Delmas  (élève  de  M.  Lenepveu). 

2"  accessits.  —  MM.  Alain  (élève  de  M.  Lenepveu),  et  Marcel  Dupré  (élève  de 
M.  Ch.  \Vidor). 

—  La  rentrée  des  classes  des  élèves  du  Conservatoire  est  fixée  au  lundi 
S  octobre. 


—  L'Académie  des  Beaux-Arts  vient  de  désigner  au  choix  du.  ministre  des 
Beaux-Arts  pour  la  commande  d'un  petit  ouvrage  (opéra  ou  ballet)  que  doit 
écrire  un  ancien  grand  prix  de  Borne,  et  que,  aux  termes  de  son  cahier  des 
charges,  la  direction  de  l'Opéra  est  tenue  de  faire  exécuter  une  fois  tous  les 
deux  ans  : 

En  première  ligne,  M.  Silver,  premier  grand  prix  en  1891  ; 

En  deuxième  ligne.  M.  Bachelet,  second  premier  grand  prix  en  1890; 

En  troisième  ligne,  M.  Bloch,  premier  grand  prix  en  1893; 

En  quatrième  ligne,  M.  Rabaud,  premier  grand  prix  en  1894; 

En  cinquième  ligne,  M.  Carraud,  premier  grand  prix  en  1890. 

—  Il  semble  décidé  que  l'Opéra-Comique  engagera  M"es  Raveau  et  Cebron- 
Norbens.  Pour  la  première,  dont  le  succès  fut  si  éclatant  aux  concours,  notam- 
ment dans  la  scène  de  Werther,  il  y  avait  compétition  entre  l'Opéra  et  l'Opéra- 
Comique,  mais  c'est  en  dernier  théâtre  qui  parait  devoir  l'emporter,  après  avis 
favorable  de  M.  Gabriel  Fauré  et  en  tenant  compte  aussi  des  préférences  de  la 
jeune  et  brillante  lauréate. 

—  M.  Gabriel  Fauré  doit  partir  en  vacances  la  semaine  prochaine.  Il  em- 
portera en  villégiature,  à  Lausanne,  la  Pénélope,  qu'a  écrite  pour  lui  M.  René 
Fauchoy.  et   dont  le   premier   acte  est   déjà  composé. 

—  Devant  l'Académie  de  Médecine,  le  docteur  Weiss,  professeur  agrégé  à  la 
faculté  de  Paris,  vient  de  relater  les  grandes  lignes  d'une  étude  clinique  des 
voix  des  élèves  des  trois  derniers  concours  du  Conservatoire,  à  laquelle  s'est 
livré  Mt  P.  Bonnier.  Il  résulte  nettement  de  ce  travail,  qui  parait  très  com- 
plet, que  presque  toutes  ces  jeunes  voix  subissent  une  déformation  et  un  ar- 
rêt de  développement  par  suite  du  travail  dans  des  salles  trop  petites.  Ces 
élèves,  dont  la'voix  est  destinée  à  porter  au  théâtre  à  plus  de  trente  mètres, 
dans  des  salles  de  grande  capacité,  travaillent  journellement  dans  des  salles 
de  dimensions  des  plus  restreintes.  Il  en  résulte  que  l'élèves'habitue  à  chanter 
pour  son  entourage,  pour  lui  et  pour  son  maître.  La  voix  grossit  au  lieu  de 
grandir  et  de  prendre  de  l'extension.  L'articulation  n'est  pas  «  projetée  »  pour 
ainsi  dire,  et,  par  suite  de  l'exagération  de  certaines  contractions  pharyn- 
giennes, la  voix  se  désoriente  souvent  et  se  télescope...  L'auteur  termine  en 
réclamant  une  protection  efficace  et  scientifique  des  voix  professionnelles. 

—  On  annonce  le  mariage  de  M.  Broussan,  co-directeur  de  l'Opéra,  avec 
Mlle  Samary-Lagarde,  fille  de  la  regrettée  Jeanne  Samary,  et  nièce  de 
M.  Pierre  Lagarde,  directeur  artistique  de  l'Opéra.  La  cérémonie  aura  lieu, 
au  commencement  de  septembre,  à  Gif  où  M.  Broussan  possède  une  pro- 
priété. 

—  D'autre  part,  une  des  brillantes  lauréates  des  derniers  concours  vocaux 
du  Conservatoire,  M1Ie  Germaine  Le  Senne,  fille  de  l'ancien  député  de  Paris 
et  nièce  de  notre  excellent  collaborateur  Camille  Le  Senne,  a  épousé  mercredi 
dernier,  en  l'église  de  la  Madeleine,  M.  Charles  Batilliot. 

—  On  annonce  que  miss  Andrews,  qui  fut  longtemps  l'active  et  intelligente 
collaboratrice  d  e  miss  Marbury,  représentante  des  droits  des  auteurs  français 
en  Amérique,  prendra,  à  partir  du  Ie1'  octobre  prochain,  une  part  active  dans  la 
direction  du  Théâtre  des  Arts,  boulevard  des  Batignolles.  Bonne  chance  à  la 
charmante  et  nouvelle  confrère  de  Sarah  Bernhardt  et  de  Réjane. 

—  Les  journaux  ont  annoncé  récemment  la  mort  de  M.  Gustave  Kietz, 
sculpteur,  dont  on  connaît  un  certain  nombre  d'œuvres  intéressant  les  musi- 
ciens et  les  hommes  de  lettres.  Elève  de  Rietschel.  il  l'assista  dans  l'exécution 
du  monument  de  Goethe  et  Schiller  à  Vv'eimar.  La  statue  de  Uhland  à  Tu- 
bingen  est  de  lui  ainsi  que  celle  de  Schubert  à  Stuttgart.  Il  a  laissé  un  buste 
de  Beethoven,  et  un  buste  de  Wagner  dont  il  avait  été  l'ami. 

—  Voici  que,  grâce  à  l'Intermédiaire,  les  documents  affluent  sur  la  famille 
du  grand  violoniste  Rode.  J'ai  reçu,  pour  ma  part,  de  M.  F.  Clauzel,  secrétaire 
perpétuel  de  l'Académie  de  Nimes,  qui  s'est  occupé  à  diverses  reprises  de 
littérature  musicale,  une  lettre  fort  intéressante,  dont  je  détache  ces  rensei- 
gnements : 

....  J'ai  particulièrement  connu  le  colonel  Rode,  dont  vous  parlez.  Il  commandait, 
dans  notre  ville,  le  31  régiment  d'infanterie.  C'était  un  homme  charmant.  On  disait 
qu'il  jouait  du  piano.  Je  ne  l'ai  jamais  entendu.  Mais,  s'il  n'exécutait  pas,  il  aimait 
beaucoup  la  musique.  C'était  un  assidu  de  notre  Société  »  la  Chambre  musicale  », 
vouée  à  la  musique  de  chambre,  dont  j'ai  été,  pendant  quinze  ans  environ,  le  prési- 
dent. Le  colonel  Rode  avait  épousé  M1'"  d'Amoreux.  La  famille  d'Amoreux  est,  je 
crois,  originaire  d'Uzès,  de  ces  pays-ci  en  tout  cas.  De  ce  mariage  sont  nés  plusieurs 
enfants. 

Un  fils,  s'il  m'en  souvient,  a  suivi  la  carrière  des  armes. 

Une  fille  est  religieuse. 

Une  autre  fille  avait  épousé  le  capitaine  Richard,  d'un  régiment  d'artillerie  de 
cette  ville.  M.  Richard  est  revenu  à  Nimes  comme  colonel  d'artillerie. 

Il  y  a  encore  ici  des  parents  du  colonel  Rode,  entre  autres  un  neveu,  fils  de  la 
sœur  de  M""  Rode...  En  vous  donnant  ces  détails,  j'ai  voulu  tout  d'abord  rendre 
hommage  au  grand  artiste,  qu'on  doit  toujours  admirer  et  chez  lequel  il  faut  toujours 
reconnaître  la  clarté,  l'élégance  et  la  distinction.  Si  sa  descendance  ne  s'est  pas- 
illustrée,  comme  lui,  dans  les  arts,  elle  a  tenu  un  rang  des  plus  honorables  dans  la 
bonne  société,  et  elle  a  cultivé  avec  honneur  et  succès  les  vertus  militaires. 

En  même  temps  que  je  communiquais  cette  lettre  à  l'Intermédiaire,  ce  jour- 
nal recevait,  d'un  autre  correspondant,  une  autre  communication  qui  complé- 
tait les  rense  ignements  : 

Le  fils  du  musicien  Rode  était  un  homme  charmant;  il  avait  épousé,  étant  capi- 
taine au  26'  régiment  de  ligne,  M""  Marie  dAmoreux,  aimable  et  fort  |olie  personne, 


LE  MÉNESTREL 


239 


d'une  vieille  famille  noble  du  Languedoc,  aujourd'hui  éteinte.  Il  fut  longtemps  en 
garnison  à  Paris  et  mourut  colonel,  laissant  un  fils,  Maurice  Rode,  qui  est  aussi 
militaire  et  dont  la  femme  est  la  lille  du  docteur  Gourbeyre. 

Nous  voici  maintenant  bien  et  dûment  fixés  sur  la  descendance  de  Rode, 
l'illustre  violoniste  dont  la  musique,  expressive  et  charmante,  est  un  peu  trop 
négligée  de  nos  jours,  même  à  notre  Conservatoire,  dont  il  fut,  comme 
professeur,  l'une  des  gloires  les  plus  éclatantes.  Si  de  nouveaux  rensei- 
gnements venaient  se  joindre  à  ceux  qu'on  vient  de  lire,  je  ne  manquerai  pas 
de  les  consigner  ici.  A.  P. 

—  Une  ancienne  élève  de  M.  Jean  de  Reszké,  M""'  "William  E.  Corey,  qui 
s'est  fait  counaitre  comme  chanteuse  légère  sous  le  nom  de  Mabel  Gilman 
qu'elle  portait  avant  d'être  mariée,  aurait  l'intention  d'établir  à  Paris,  nous  dit 
la  Musical  America,  un  théâtre  d'opéra,  auquel  serait  adjointe  une  école 
de  chant  destinée  à  former  de  jeunes  artistes  américaines.  Mmo  Corey  consa- 
crerait cinq  millions  de  francs  à  cette  entreprise,  dont  l'idée  lui  est  venue, 
dit-on,  lorsque,  étant  à  Paris  pour  étudier  le  chant,  elle  put  se  rendre  compte 
des  difficultés  de  la  carrière  théâtrale  pour  les  jeunes  filles  sans  ressources.  Le 
nouvel  établissement  sera  construit,  selon  toute  probabilité,  sur  un  terrain 
assez  rapproché  de  la  place  de  l'Étoile.  Le  directeur  de  l'école  et  de  l'Opéra 
serait  M.  Jean  de  Reszké. 

—  L'éminente  pianiste  Sophie  Menter,  la  plus  brillante  élève  de  Liszt  parmi 
les  femmes,  célébrera  mercredi  prochain  le  soixantième  anniversaire  de  sa 
naissance.  C'est  en  effet  le  29  juillet  ISiS  qu'elle  a  vu  le  jour  à  Munich.  Fille 
du  très  distingué  violoncelliste  Joseph  Menter  (1808-1836),  elle  eut  pour  pro- 
fesseurs Lebert  et  Nieszt,  et  se  fit  entendre  pour  la  première  fois  à  l'Odéon 
royal  de  Munich,  dans  un  concert  que  dirigea  Franz  Lachner.  Ce  début  fut 
des  plus  heureux  et  la  jeune  artiste  en  profita  pour  accepter  des  engagements 
dans  plusieurs  villes  d'Allemagne.  Ayant  fait  la  connaissance  de  Cari  Tausig. 
elle  abandonna  ses  voyages,  déjà  fructueux  cependant,  pour  travailler  avec 
lui  pendant  une  période  de  deux  ans.  A  Budapest,  elle  gagna  la  sympathie  de 
Liszt  et  se  livra  entièrement  à  sa  direction  artistique.  Sous  l'égide  de  ce 
maître,  dont  l'influence  était  si  grande,  elle  joua  souvent  en  particulier  et  en 
public,  sans  cesser  pourtant  d'être  elle-même.  Elle  accepta  aussi  des  conseils 
de  Hans  de  Bulow,  n'hésitant  jamais  quand  il  s'agissait  d'ajouter  quelque 
chose  à  son  développement  artistique.  De  1880  à  1887,  Mme  Sophie  Menter 
remplit  les  fonctions  de  professeur  au  Conservatoire  de  Saint-Pétersbourg. 
Elle  s'était  mariée  en  1872  au  violoncelliste  D.  Popper,  dont  elle  se  sépara  en 
1886.  Il  y  a  une  vingtaine  d'années,  nous  avons  entendu  à  différentes  reprises 
la  célèbre  pianiste  à  Paris.  Elle  joua  les  deux  concertos  et  les  rapsodies  de 
Liszt,  le  concerto  en  sol  de  Rubinstein,  des  oeuvres  de  Tschaïkowsky,  une 
Fantaisie  tzigane  de  sa  composition  et  un  certain  nombre  d'autres  ouvrages. 
Ou  a  opposé  souvent  Mme  Menter  à  Clara  Schumann;  cette  dernière  pourrait 
en  effet  représenter  l'art  classique  et  romantique  à  la  fois,  tel  que  nous  le 
considérons  dans  les  œuvres  de  son  mari,  tandis  que  l'élève  de  Liszt  s'est 
élancée  vers  de  nouvelles  voies  avec  une  fantaisie  et  une  fougue  plus  exubé- 
rantes, sans  jamais  d'ailleurs  pécher  contre  le  style,  car  la  beauté  de  la  ligne  fut 
toujours  chez  elle  une  des  caractéristiques  du  jeu  et  de  l'interprétation. 

—  En  même  temps  qu'une  nouvelle  édition  de  son  intéressante  Histoire  de  la 
Musique  dans  les  lies  Britanniques,  notre  confrère  Albert  Soubies  publie,  à  la 
Librairie  des  Bibliopbiles,  le  tome  XXXVII  (année  1097)  de  son  Almanach  des 
Spectacles.  Entre  autres  documents  intéressants,  nous  trouvons  dans  ce  petit 
volume,  si  élégant  et  si  recherché  des  amateurs,  la  liste  des  pièces  nouvelles 
représentées  en  France  pendant  le  dernier  exercice.  Cette  liste  se  décompose 
ainsi:  Opéra,  2;  Comédie-Française,  9:  Opéra-Comique,  S;  Odéon,  15;  Gym- 
nase, 3;  Vaudeville,  4;  Palais-Royal,  5;  Variétés,  4;  Porte-Saint-Martin,  3: 
Ambigu,  4;  Gaîté,  0;  Chàtelet,  1;  Renaissance.  1:  Théâtre -Antoine ,  13: 
Théàtre-Sarah-Bernhardt,  3;  Théàtre-Réjane,  o;  Nouveautés,  3  ;  Athénée,  6; 
Bouffes-Parisiens,  4;  Folies-Dramatiques,  4:  Déjazet,  1:  Cluny,  3:  théâtres 
divers  et  cafés-concerts,  S09;  province,  30b.  Si  l'on  ajoute  à  cette  liste  celle 
des  116  pièces  imprimées  et  dont  la  représentation  n'a  pas  été  signalée,  on 
obtient  le  total  de  1.030  œuvras.  La  production  théâtrale  est,  on  le  voit,  tou- 
jours fort  abondante.  Notons,  en  passant,  que  M.  Massenet  n'a  pas,  en  1907, 
occupé  la  scène  de  l'Opéra  ou  de  l'Opéra-Comique  moins  de  113  fois,  avec 
6  ouvrages:  Ariane  (38  représentations);  Thaïs  (7):  le  Jongleur  de  Notre-Dame 
(6),  Manon  (31;,  Marie-Magdeleine  (3)  et  Werther  (28). 

;  —  Pour  la  première  fois  depuis  1870,  une  société  alsacienne  a  obtenu  l'au- 
torisation, souvent  sollicitée,  de  se  rendre  officiellement  en  France. Il  s'agit  de 
la  musique  municipale  de  Sainte-Marie-aux-Mines,  la  «  Concordia  »,  qui  a  été 
reçue,  dimanche  dernier,  par  la  ville  de  Saint-Dié.  magnifiquement  pavoisée. 
Au  parc,  où  la  «  Concordia  »  a  donné  un  concert,  des  fillettes,  en  costumes  de 
France  et  d'Alsace,  ont  remis  une  palme  et  des  bouquets  offerts  par  les  Alsa- 
ciens habitant  Saint-Dié  aux  musiciens  alsaciens  qui  se  sont  montrés  fort 
émus  de  la  réception  qui  leur  était  faite. 

—  A  l'occasion  de  la  distribution  des  prix  de  l'école  Notre-Dame  de  Bou- 
logne-sur-Seine, très  charmant  concert  au  cours  duquel  on  applaudit 
M.  Sigwalt  dans  les  Enfants  de  Massenet.  Gros  succès  de  rire  pour  la  Leçon  de 
chant  d'Offenbach,  gaiment  enlevée  par  M.  Sigwalt,  déjà  nommé,  etM.  Georges 
Launay. 

—  C'est  le  mois  prochain  que  le  Théâtre  Antique  d'Orange  donnera,  sous  la 
direction  de  MM.  Paul  Mariéton  et  A.  Real,  ses  représentations  annuelles.  Il 
y  aura  deux  soirées.  La  première  comprendra  Iphigénie,  les  Burgraves,  le 
Cyclope,   piécette   satirique    en   un    acte  de  M.   Léon  Rifilard,  et  le   ballet 


A'Alcesle  de  Gluck.  La  seconde,  Médie,  de  M.  Catulle  Mondés,  et  le  Roi  Midas, 
de  MM.  André  Avèze  et  Paul  Souchon.  —  Comme  interprètes,  M.M.  Mounet- 
SnlK,  Paul  Mounet,  Albert  Lambert  (ils,   M™  Begond-Weber,  Delvair,  Roch, 

Proust,  etc. 

—  Le  Premier  Glaive,  drame  lyrique  en  trois  actes,  poème  de  M. 
Népoty,  musique  de  M.  Henri  Rabaud,  sera  joué  au  théâtre  des  arènes  de 
Béziers,  les  dimanche  30  août  et  mardi  1M  septembre  prochains.  M.  Castelbon 
de  Beauxhostes  a  attaché  ses  soins  à  la  préparation  minutieuse  de  la  mise  en 
scène  et  de  l'exécution  de  l'œuvre  nouvelle.  MM.  Paul  Mounet,  Fenoux. 
Mllc  Delvair,  de  la  Comédie-Française;  MM.  All're,  de  L'Opéra;  Lafont,  du 
théâtre  de  Lyon,  et  Mm"  Isabau  Catalan,  du  théâtre  de  Bordeaux,  seront  les 
principaux  interprètes  du  Premier  Glaive. 

NÉCROLOGIE 
Il  y  a  quelques  semaines  est  mort  à  Francfort-sur-le-Mein,  à  l'âge  de 
66  ans,  le  compositeur  et  critique  Gustave  Erlanger.  Né  à  Halle,  il  avait  fait 
ses  études  musicales  à  Leipzig,  sous  la  direction  de  M.  Cari  Reinecke,  et 
s'était  fait  connaître  par  diverses  compositions  symphuniques,  de  nombreux 
chœurs  et  quelques  œuvres  de  musique  de  chambre.  Il  fut,  de  1878  ;i  1889, 
critique  musical  de  la  Gazette  de  Francfort.  **u-~o 

—  De  Gènes  on  annonce  la  mort,  à  l'âge  de  44  ans,  d'un  compositeur  a-sez 
obscur,  Raffaele  Ronco,  qui  avait  fait  représenter  le  22  février  1888,  sur  le 
Théâtre  Carlo-Felice  de  Gènes,  un  opéra  semi-sérieux  en  deux  actes,  intitulé 
Diana  d'Almeida.  L'auteur  avait  pourvu  lui-même  aux  frais  de  représentation 
de  son  œuvre,  ce  qui  faisait  dire  alors  à  un  journal  italien  :  —  «  Certes,  la 
direction  du  Théâtre  Carlo-Felice  n'a  pas  à  se  plaindre,  carie  maestro  Ronco 
a  déboursé  une  belle  somme  pour  faire  son  début  sur  ce  grand  théâtre.  Il  est 
fort  heureux  pour  lui  que  sa  bourse  le  lui  ait  permis.  »  Mais  elle  ne  le  lui  per- 
mit peut-être  pas  une  seconde  fois,  car  depuis  lors  on  n'entendit  plus  jamais 
parler  de  ce  compositeur. 

Henri  Helgel,  directeur-gérant. 

Viennent  de  paraître  eliez  E.  Fasquelle  :  Mariage  de  demain,  roman  de  Uiche] 
Corday  (3  fr.  50)  ;  Les  Histoires,  poésies,  d'Aiiel  Bonnard  (3  fr.  50)  ;  Le  Fantôme  de 
Paris,  roman  de  Ferdinand  Rac  (3  fr.  50)  ;  Xotes  sur  l'amour,  de  Claude  Anet  (3fr.  50). 

En  vente  AU  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Vivienne,  HEUGEL  et  C,e,  éditeurs. 


ERNEST     MORET 


^OUVELiliES   JWÉliOtHES 

(Sur  des  poésies  de  Klingsor.) 

I.  Je  ne  sais  pas  où  va  la  feuille  morte  (3  tons) 3    » 

II.  Demande  (2  tons) 3    n 

III.  Ote  ton  voile  (2  tons) 3    » 

IV.  L'oubli  (2  tons) 3  .» 

V.  Paysage  (2  tons) -  3    » 

VI.  Chanson  au  bord  de  l'eau 4    s 

VII.  La  nuit  heureuse 7  30 

NUIT    DE    LANGUEUR,    NUIT    DE    MENSONGE 

(Poème  d'ALBERT  Samain.) 

Prix  net. 

1.  Pour  chant  avec  jlùle  et  accompagnement  de  piano 3    « 

2.  Pour  chant  avec  violon  et  accompagnement  de  piano 3     » 

3.  Pour  chant  avec  accompagnement  de  piano 1  30 

4.  Pour  flûte  —  —  2     o 

o.  Pour  violon  —  —  2    » 

6.   Pour  violoncelle  —  2» 


RAOUL  PUGNO 
CLOCHES    DU    SOUVENIR 

(Poèmes  de  Maurice  Val'Cure.) 
Prix  net 


1 .  Premier  baiser  .   . 

II.  Étoile  filante.   .    . 

LU.  Le  beau  voyage.   . 

VII 


1 


Prix  oet 

IV. 

Heures  trop  belles.  . 

.     1  50 

V 

C'était  un  rêve.   .   . 

.     1 

VI. 

Feuilles  mortes.   .   . 

2     » 

2     » 

Voleuse  d'amour 
Le  recueil,  prix  net  :  o  fr. 
Recueils  du  même  auteur  :  Amours  brèves.  —  Pages  d'amou 
de  la  marguerite. 


240 


LE  MENESTREL 


EN   VENTE,   AU    MÉNESTREL,   1  bis,   RUE    VIVIENNE,    HEUGEL    et    Cie,   EDITEURS  —  Propriété  pour  tous  pays 


LES  PETITS  DANSEURS 

Collection  de  Danses  célèbres  arrangées  et  doigtées  très  facilement  ponr  les  petites  mains  , 

PAR 

L.    STREABBOG,    A.   TROJELLI,    FAUGIER,    H.  VALIQUET,    ETC. 


1. 

STREABBOG. 

Ï-H 

.  STREABBOG. 

2. 

FAUGIER.  . 

3. 

TROJELLI.  . 

4. 

TROJELLI.  . 

5. 

STREABBOG. 

6. 

FAUGIER.  . 

7. 

FAUGIER  .  . 

8. 

FAUGIER.  . 

9. 

STREABBOG. 

10. 

STREABBOG. 

\\. 

FAUGIER.  . 

\i. 

FAUGIER  .  . 

Le  beau  Danube  bleu,  valse  (Johann  Strauss).  4 

La  même  à  4  mains •  6 

Tout  à  la  joie!  polka  (Ph.  Fahrbach) 4 

Valse  du  Couronnement  (Strauss) 4 

Orphée  aux  Enfers,  quadrille  (Offexbach).    .    .  4 

La  Vie  d'artiste,  valse  (Johann  Strauss}.  ...  4 

Pour  les  Bambins,  polka  (Ph.  Fahrbach)  ...  3 

Les  Ivresses,  valse  (S.  Pillevesse) 6 

La  Dame  de  cœur,  polka  (Ph.  Fahrbach)  ...  4 

Les  Feuilles  du  matin,  valse  (Johann  Strauss).  4 

Le  Sang  viennois,  valse  (Johann  Strauss)  ...  4 

Mam'zelle  Nitouche,  quadrille  (Hervé)  ....  4 

Le  Retour  du  Printemps,  polka  (Schindler)  .    .  4 


S""5  13. 

VALIQUET.  . 

—  14. 

TROJELLI.  . 

-  lo. 

VALIQUET.  . 

—  16. 

STREABBOG. 

—  17. 

VALIQUET.  . 

-  1S. 

FAUGIER.  . 

—  19. 

STUTZ.  .  . 

—  20. 

STUTZ.  .  . 

-  21. 

GODARD  .  . 

22, 

GODARD  .  . 

—  23. 

VALIQUET.  . 

24. 

VALIQUET.  . 

-  25. 

TROJELLI.  . 

Le  Petit  Faust,  ouverture-valse  (Hervé)    ...  o  » 

Gloire  aux  dames!  mazurka  (Strobl).    ....  3  » 

La  Journée  de  Mni  Lili,  valse 3  » 

Aimer,  boire,  chanter,  valse  (Johann  Strauss).  4  » 

Le  Petit  Faust,  quadrille  (Hervé) 4  » 

Le  Verre  en  main,  polka   (Fahrbach) 4  » 

Les  Petites  Reines,  valse 3  » 

Les  Jeunes  Valseurs,  valse .    .    .  3    » 

Bébé-Polka 2  50 

Bébé- Valse 2  50 

Dans  mon  beau  château,  quadrille 4  » 

La  Journée  de  A/Ue  Lili,  polka 3  » 

Les  Cancans,  galop  (Strauss) 3  » 


L'ALBUM  COMPLET  CARTONNÉ  (25  numéros  à  2  mains),  avec  une  couverture  en  couleurs  de  BOUISSET,  prix  net:  ÊO  fr. 

PAGES  ENFANTINES 

PETITES  TRANSCRIPTIONS  TRÈS  FACILES  POUR  LE  PIANO  ET  A  L'USAGE  DES  PETITES  MAINS 

IDES    ŒUVRES    E3V    VOG-TJE 


1.  J.MASSENET.  .    . 

2.  Ambroise  THOMAS 

3.  Léo  DELIBES. 

4.  J.  MASSENET 

5.  Ed.  LALO.    . 

6.  E.  REYER.  . 

7.  E.  PALADILHE 

8.  J.  MASSENET 

9.  Ch.  GOUNOD. 
10.  Félicien  DAVID 


Menuet  de  Manon. 
Styrienne  de  Mignon. 
Pastorale  de  Sylvia. 
Valse  du  Roi  de  Lahorc. 
Aubade  du  Roi  d'Ys. 
Pas  guerrier  de  Sigurd. 
La  Fiorentina.  .    . 
Aragonaise  du  Cid. 
Ave  Maria. 
La  Caravane  du  Désert. 


11.  B.  GODARD.    . 

12.  J.  MASSENET. . 

13.  Fr.  BRISSON.  . 

14.  Georges  BIZET 
lo.  G.  VERDI.   .    . 

16.  J.  MASSENET.. 

17.  Léo  DELIBES. . 

18.  Ambroise  THOMAS 

19.  Paul  LACOMBE. 

20.  Ch.  NEUSTEDT 


Danse  des  Bohémiens  du  Tasse. 

Les  Phéniciennes  d'Hcrodiade. 

Pavane. 

Le  Retour  (Chants  du  Rhin). 

Cavatine  de  Jérusalem. 

Air  de  Manon. 

Mazurka  de  Coppélia. 

Marche  danoise  i'Hamlet. 

Aubade  printanière. 

Idylle. 


21.  J.  MASSENET.. 

22.  E.  BOURGEOIS. 

23.  E.  PALADILHE. 

24.  J.  MASSENET. 
2b.  Léo  DELIBES. . 

26.  Ch.  LECOCQ.  . 

27.  B.  GODARD..   . 

28.  Léo  DELIBES  . 

29.  J.  MASSENET  . 

30.  G.  SERPETTE. 


.  Crépuscule. 

.  La  Véritable  Manola. 

.  Havanaise. 

.  Sarabande  espagnole. 

.  Les  Fifres  de  Lakmé. 

.  Historire  de  Trois  Bluets. 

.  Canzonetta. 

.  Le  Rossignol. 

.  Le  Crocodile. 

.  Princesse-polka. 


Par    Emile   TAVAN 

Chaque  transcription,  prix  :  8  fr.  50  c.  —  Le  Recueil  de  trente  numéros,  prix  net  :  8  francs. 


ILLUSTRATIONS     MUSICALES 

POUR    I_.ES 

Contes  de  Perrault 

ET     AUTRES     HISTOIRES     _M.  E  _RV  E  I  L  E  E  U  S  E  S 

1"  SÉRIE.  —  La  Belle  au  bois  dormant.  —  Barbe-Bleue.  —  Le  Petit  Chaperon  rouge Prix  net: 

2' SÉRIE.  —  Riquet  à  la  Houppe.  —  Les  Fées.  —  Cendrillon — 

3e  SÉRIE.  —  Le  Petit  Poucet.  —  Le  Chat  botté — 

4e SÉRIE.  —  Peau  d'âne.  —  Les  Trois  souhaits.—  L'Oiseau  bleu.  —  La  Belle  et  la  Bête    .       .   .      — 
5e SÉRIE.  —  La  Tempête.  —  Cymbeline.  —  Le  Roi  Lear.  —  Le  Songe  d'une  nuit  d'été — 

MUSIQUE  EMPRUNTÉE  A  DES  MAITRES  CLASSIQUES  OU  A  LA  TRADITION  POPULAIRE 
Paroles  de  MAURICE  BOUCHOR.  —  Arrangements  et  Compositions  de  JULES  DE  BRAYER. 


4036.  -  74«  Ai\i\ÉE.  -  .V  3f.  PARAIT  TOUS  LES  SAMEDIS 


Samedi  I     Vont  mis 


(Les  Bureaux,  2  b'%  rue  Vivienne,  Paris,  U'  mr) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


lie  Numéro  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  Numéro  :  0  fi».  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  ea  8U3. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (29»  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Petites  notes 
sans  portée  :  Nos  impressions  de  saison  sur  la  musique  plus  ou  moins  «  vocale  », 
Raymond  Bouyer.  —  III.  Une  famille  de  grands  luthiers  italiens  :  Les  Guarnerius 
(4e  article^,  Arthur  Pougin.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

MARCHE   DES  PETITS  MAGOTS 

de  Robert  Vot.i.stedt.   —   Suivra  immédiatement  :  Par  les  prés  fleuris,  pièce 
de  genre,  de  Rodolphe  Bergfjî. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
Ole  ton  voile,  mélodie  d'ERXEST  Moret,  poésie  de  Klingsor.  —  Suivra  immé- 
diatement: Aube  en  montagne,  mélodie  de  René  Lenormand,  prose  de  Henri-R. 
Lenormand. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 

(±T,±-4-4TT-4) 


CHAPITRE  VI 


GLUCK  COMPOSITEUR  DOPERAS-COMIQUES 

La  Rencontre  imprévue,  traduite  en  allemand,  est  restée  long- 
temps au  répertoire  du  théâtre  où  Mozart  allait  bientôt  donner 
l'Enlèvement  au  sérail,  sa  suite  naturelle.  L'auteur  de  Don  Juan 
a  témoigné  maintes  fois  de  sa  faveur  pour  cette  composition.  Ses 
lettres  parlent,  en  vérité,  plus  souvent  de  la  Rencontre  imprévue 
que  d'Alceste  et  des  Pphirjénies  :  si  parfois  il  y  est  question  de  ces 
dernières  œuvres,  c'est  surtout  pour  exprimer  des  regrets  que 
leur  succès  empêche  de  monter  les  siennes,  tandis  que  nous  le 
voyons  recommander  à  son  père  la  Rencontre  imprévue  pour  le 
théâtre  de  Salzbourg,  improviser  dans  un  concert  des  variations 
sur  l'air  favori  du  Calender,  et  en  obtenir  un  tel  succès  qu'il  ne 
put  se  tenir  de  les  écrire  et  de  les  publier  :  on  joue  encore, 
dans  les  cours  de  piano,  ce  morceau  qui  réunit  sur  son  titre  les 
deux  noms  de  Gluck  et  de  Mozart  (I). 

Enfin  nous  avons  déjà  vu  Favart  déclarer  que  «  le  Chevalier 
Gluck  entend  parfaitement  cette  espèce  de  composition  »,  et  lui 
multiplier  les  éloges.  Dès  avant  que  Dancourt  lui  eût  arrangé  le 

(1)  Lettres  de  Mozart  des  29  août,  12  septembre  et  24  octobre  1781,  30  janvier  1782, 
29  mars  et  24  décembre  1783,  toutes  à  son  père  (traduction  de  Curzon,  pp.  395,  399  et 
400,  4'i2,  504  et  505,  527,  et  Nouvelles  lettres,  p.  83). 


scénario  de  la  Rencontre  imprévue,  il  s'était  ingénié  à  les  faire 
travailler  ensemble  pour  l'Opéra-Comique  de  Paris.  Au  printemps 
de  1703,  il  fut  question  que  Gluck  y  vint;  Dancourt  ayant  laissé 
des  pièces  qu'il  eût  voulu  faire  représenter  à  la  Comédie-Italienne, 
Eavart  lui  écrivait  en  ces  termes  :  «  Nos  meilleurs  musiciens 
sont  tous  retenus  ;  j'attends  l'arrivée  de  M.  Gluck  que  vous 
m'avez  annoncée,  j'en  raisonnerai  avec  lui  »  (I).  Il  invitait  en 
même  temps  le  maitre  étranger,  dans  les  termes  les  plus  aima- 
bles, à  être  son  hôte.  «  J'ai  dans  ma  maison,  lui  mandait-il,  un 
appartement  meublé  à  vous  offrir  ;  vous  y  trouverez  un  bon 
clavecin,  d'autres  instruments,  un  petit  jardin,  et  toute  liberté. 
Quoique  dans  un  des  quartiers  les  plus  bruyants  de  Paris,  notre 
maison,  entre  cour  et  jardin,  est  une  espèce  de  solitude  oit  l'on 
peut  travailler  tranquillement  comme  à  la  campagne  (2)  ».  Ce 
coin  du  vieux  Paris,  décrit  avec  tant  d'agrément,  était  situé  rue 
Mauconseil,  pour  ainsi  dire  dans  les  dépendances  de  la  Comédie- 
Italienne.  Si  les  circonstances,  en  empêchant  le  voyage  pro- 
jeté, n'eussent  retardé  de  dix  ans  le  voyage  de  Gluck  à  Paris  (31, 
il  aurait  donc  eu  pour  premier  logement  l'Opéra-Comique,  et, 
au  lieu  d'Iphigénie  et  d'Alceste,  aurait  destiné  à  ce  théâtre  ses 
premières  œuvres  françaises,  qui  eussent  été  vraisemblablement 
d'un  autre  style. 

L'on  aurait  grand  tort  de  voir  en  cette  évolution  du  génie  de 
Gluck  une  déchéance,  même  passagère.  Et  d'abord,  considéré 
en  soi,  il  n'apparait  guère  que  le  fait  d'avoir  écrit  de  la  musique 
comique  ou  légère  soit  de  nature  à  déconsidérer  un  maitre.  La 
comédie  a  son  domaine  au  soleil  de  l'art  ;  Molière  n'est  point 
inférieur  à  Racine  ou  Corneille.  Quelle  est  donc  cette  sotte  dis- 
tinction des  genres  qui  fait  qu'en  musique  un  style  sévère  a  seul 
droit  à  la  considération  ?  Il  y  a  souvent  plus  de  vie  et  de  vérité 
dans  la  comédie,  musicale  ou  autre,  que  dans  des  œuvres  à  plus 
hautes  prétentions  :  on  y  rit,  on  y  livre  quelque  chose  de  soi, 
tandis  qu'ailleurs  on  reste  trop  souvent  figé  dans  une  gravité 
de  commande.  Je  ne  songe  pas,  certes,  à  mettre  en  parallèle 
les  opéras-comiques  de  Gluck  avec  les  immortelles  tragédies  qui 
marquent  le  progrès  définitif  de  son  génie  ;  mais  je  les  oppo- 
serai volontiers  aux  opéras  italiens  du  commencement  de  sa 
carrière,  dont  il  avait  déjà  produit  plus  de  vingt,  et  je  ne 
craindrais  pas  de  leur  accorder  la  préférence. 

Mais  cette  première  incursion  qu'il  fît  dans  le  champ  de  la 
musique  française  est  particulièrement  significative  dans  l'en- 
semble de  sa  production.  Elle  fut  une  préparation  à  sa  réforme 
finale.  L'enchaînement  de  ses  «  manières  »  successives  est  d'une 
logique  parfaite.  Gluck  avait  débuté  par  les  opéras  italiens,  et, 

1    Mémoires  et  Correspondance  de  Favart,  lettre  du  4  avril  1703,  II,  £76. 

.2)  Mémoires  et  Correspondance  de  Favart,  lettre  de  Favart  à.  Gluck,  jointe  à  une 
lettre  à  Durazzo  du  21  mai  1763,  II,  lli  ien  note). 

(3)  Nou*  verrons  plus  tard  qu'au  printemps  de  l'année  suivante  Gluck  passa  à 
Paris,  mais  sans  y  séjourner  longtemps. 


LE  MÉNESTREL 


tout  en  se  pliant  à  leurs  conventions  surannées,  y  avait  trouvé 
l'avantage  de  se  former  le  style.  Les  opéras-comiques  le  familia- 
risèrent avec  la  langue  française  et  lui  procurèrent  l'occasion 
d'écrire  une  musique  de  caractère.  Maintenant,  le  voilà  armé  de 
toutes  pièces  :  il  entre  dans  la  période  de  sa  grande  réforme 
lyrique,  s'efforçant  d'abord  d'y  plier  l'opéra  italien,  triomphant 
enfin  sur  le  terrain  plus  favorable  de  la  tragédie  lyrique  fran- 
çaise. L'Ile  de  Merlin,  l'Arbre  enchanté  et  la  Rencontre  imprévue 
furent  un  acheminement  éminemment  favorable  à  cet  abou- 
tissement. 

Les  qualités  qui  se  manifestent  dans  ees  œuvres  menues  sont 
en  effet  tout  autres  que  celles  des  opéras  italiens  antérieurs. 
L'écriture,  certes,  est  plus  lâchée.  Mais  le  mouvement  scénique, 
la  justesse  de  rSceent,  deviennent  préoccupations  essentielles. 
Avec  Métastase,  Gluck  ne  pouvait  jamais  faire  que  la  même 
musique,- celles  qu;on  avait  faite  avant  lui.  Avec  Le, Sage,  Favart 
et  Yadr,  il  se  libère. -H  apprend  à  varier  ses  tons.  Ainsi  ira-t-il 
du  petit  au  grand,  et,  ayant  commencé  par  faire  chanter  Mathu- 
rin  et  Claudine,  se  haussera- enfin  jusqu'aux  superbes  accents 
d'Armide.         .    '  '.'-.". 

Le  soucL  de  l'expression  est  en  effet  constant  dans_  cette 
musique.  Souvent  il  est  si  fort  que  l'accent  inspiré  par  une 
situation  familière  se  trouvera  plus ■  tard  digne' d'être  associé 
aux  plus  grands  sujets.-  Sa  justesse  ne  se  dénient  jamais.  Voyez 
par  exemple  la  première  ariette  de  la  Rencontre  imprévue.  'C'est 
de  la  musique  bouffe  :  un  esclave  turc  contant  que  son  maître 
est  amoureux:  Certes  il  ne  prend  pas  cet  amour  au  tragique  : 
mais  pourtant,  que  surviennent  quelques  mots  expressifs  :  «  Un 
amour  qui  ne  peut  guérir...  Le  pauvre  prin-ce- est  malade  à 
mourir  »,  et  le  mineur  viendratout  à  coup  assombrir  la  clarté 
du  ton  principal. 


Heu.reux  ra_mant_<juisedé.pê_treDeCupi  .  don.    Hé.  las!   le 


tendre  A_li,mon  maî.treNa pas  ce    don.    Un  a.mourqubnuepeutgue. 


Depuisdeux     ans     le  fait  cou.  rir    De    pro  .  vin_ce,efc. 


Dans  l'Ivrogne  corrigé,  je  trouve  une  romance  qui  s'ouvre  pai 
ces  deux  mesures  : 


il     prit       nais     .      san     .     ce 

C'est  le  point  de  départ  de  l'air  illustre  entre  tous  :  «  J'ai 
perdu  mon  Eurydice  ». 

Au  milieu  d'une  ariette  de  la  Rencontre  imprévue,  on  chante  ces 
mesures  : 


la  plus 


le  des    cou   .   que  .  tesl 


C'est  encore,  à  très  peu  de  notes  près,  un  épisode  intermé- 
diaire du  même  chant  d'Orphée  :  «  Mortel  silence  1  Vaine  espé- 
rance !  Quel  tourment  déchire  mon  cœur  !  » 

La  scène  de  provocation  entre  Achille  et  Agamemnon  dans 
Iphigénic  en  Aulide  est  faite  sur  les  éléments  rythmiques  d'une 
dispute  du  Cad;  dupé.  De  ce  dernier  ouvrage,  la  belle  mélodie 
de  la  romance  amoureuse,  replacée  d'aborcï  dans  l'arran°ement 


français  de  l'Arbre  enchanté,  est  devenue  la  ligne  conductrice  du 
chœur  harmonieux  et  riche  en  séductions  :  «  Les  plaisirs  ont 
choisi  pour  asile  »,  d'Armide. 

Dans  l'Ivrogne  corrigé  est  une  scène  bouffonne  où  un  Pluton  et. 
des  Furies  d'opéra  bouffe  s'en  viennent  houspiller  un  per- 
sonnage endormi.  Ce  sera  sur  les  mêmes  accords  que  la  Haine 
chantera  :  «  Sors  du  sein  d'Armide  !  ». 

Enfin  nous  avons  déjà  vu  Vile  de  Merlin  commencer  par  la 
même  ouverture  qui  servira  pour  Iphigénie  en  Tauride. 

Par  ces  exemples  multipliés,  il  apparaît  que  Gluck  n'avait  pas 
le  respect  de  la  hiérarchie  des  genres.  Mais  de  cela  faudrait-il 
le  blâmer  ?  Sa  préoccupation  était  autre  :  c'est  celle  de  l'ex- 
pression sincère.  Peu  importe  si  c'est  Orphée  qui  se  lamente 
sur  le  corps  d'Eurydice  ou  un  amoureux  d'opéra-comique  qui 
déplore  l'absence  de  celle  qu'il  aime  :  tous  deux  expriment  un 
sentiment  semblable;  les  mêmes  notes  lui  reviennent  donc  tout 
naturellement.  Et  la  tempête  ne  s'occupe  pas  de  savoir  si  ceux 
que  la  mer  rejette  au  rivage  sont  Pierrot  et  Scapin,  ou  s'ils  ne-j 
s'appellent  pas  plutôt  Oreste,  et  Pylade  :  son  rythme  reste  ] 
immuable.  Bien  entendu  des  nuances  dansla  composition  modi- 
fient le  style  et.  l'impression-;,  mais  l'élément  primordial  n'en 
est  pas  moins  toujours  le  même. 

En  agissant  ainsi-, -Gl-uck  est  d'aeeord  -avec  tous  les  grands 
précurseurs.  Dans  le  Menteur,  de  Corneille,  Géronte  commence 
par  être  un  bonhomme  assez  ridicule  ;'  mais  vienne  l'instant  où 
son  honneur  dé. vieux  gentilhomme  se  trouvera  piqué  au  vif,  et 
il  s'exprimera  en  des,  vers  presque  semblables  à  ceux  de 
Don  Diègue.  —  Après  une  petite  scène  de  dépit  amoureux,  dans 
la  même  comédie,  Alcippé,  resté  seul,  s'écrie  :  «  Va,  ris  de  ma 
douleur  !  »  C'est  le  même  accent,  presque  les  mêmes  mots  que 
prononce  Pauline,  après  que  Polyeucte  l'a  quittée  pour  aller  au 
baptême,  puis  au  .martyre.  —  Enfin,  au  dénouement,  Clarisse 
donne  sa  main  en  prononçant  ce  vers  :. 

Le  devoir  d'une  fille  est  dans  l"obéissance. 

Et  ce  même  vers    est   celui   par  lequel   Camille,  sœur  des  \ 
Horaces,    consacre  ses    fiançailles    tragiques  destinées  à    être 
sacrifiées  au  sanglant  triomphe  de  Rome. 

C'est  que  Corneille  non  plus  ne  faisait  pas  la  distinction  des 
genres  :  il  lui  suffisait  que  son  expression  fût  juste  et  émouvante 
pour  qu'il  crût  avoir  rempli  sa  tâche.  Les  grammairiens  qui 
abondèrent  au  XVIIIe  siècle  le  lui  reprochèrent  assez.  Le 
malheur  est  que  si,  au  XVIIIe  siècle,  il  y  eut  beaucoup  de 
grammairiens,  il  ne  s'y  retrouva  pas  un  seul  Corneille.  C'est  â'r 
Gluck  que  ce  rôle  fut  de  nouveau  dévolu,  et  il  recommença  à' 
agir  de  même.  Il  chercha  ses  modèles  dans  la  nature,  sans 
se  préoccuper  de  conventions  qui,  s'il  avait  voulu  les  suivre, 
n'eussent  servi  qu'à  étouffer  son  génie.  Comme  les  hommes  du 
romantisme  (on  saitsi  son  exemple  inspira  l'un  des  plus  grands), 
il  eût  volontiers  mélangé  le  grotesque  au  tragique  :  s'il  ne  le  fit 
pas  dans  une  même  œuvre,  retenu  par  les  règles  qu'imposait 
son  siècle,  du  moins  ce  classique  par  excellence  ne  dédaigna  pas 
de  cultiver,  en  des  ouvrages  différents,  les  deux  genres.  Et  ce  . 
chapitre  de  son  histoire  vient  de  nous  montrer  qu'à  faire  cela 
il  n'encourut  aucune  indignité. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


PETITES   NOTES   SANS   PORTÉE 

CXXXIII 

NOS   IMPRESSIONS   DE   SAISON    SUR   LA   MUSIQUE 
PLUS   OU   MOIXS    «  VOCALE  * 

A  mon  cher  confrère  J.-L.  Cro*e. 

Ou  n'a  pas  oublié...  soyons  plus  franchi'tnent  polis...  nos  graves 

lecteurs  et  nos  charmantes  lectrices  ue  seraient  pas  impardonnables  du 

tout  d'avoir  oublié  les  platoniques  discussions  de  l'an  dernier  sur  la 

musique  vocale  !  Un  sujet  chasse  l'autre  ;   et  tant  de  sujets,  bons  ou 


LE  MENESTREL 


mauvais,  nous  sollicitent  !  Tout  pusse  —  et  tout  revient...  Et  cette 
présente  note,  qui  a'a  pas  plus  de  «  portée  »  que  ses  aînées,  sera  la 
suite,  je  n'ose  dire  la  conclusion,  de  nos  deux  articles  de  19117  sur  le 
•chant  (1). 

Aussi  bien  la  vie,  comme  la  nature,  n'est-elle  pas  un  perpétuel  re- 
commencement? Je  parle  de  la  vie,  très  «  quotidienne  »  et  prévue,  du 
critique  ou  de  l'amoureux  d'art  qui  pourrait  dire  en  parodiant  le  poète  : 
Hélas!  que  j'en  ai  vu  concourir  de  jeunes  filles,  et  qui  ne  sont  pas 
toutes  devenues  des  étoiles  !  Chaque  année  (jadis  à  la  fin,  désormais 
au  début  du  lumineux  mois  dejuillet),  on  part  vite,  un  beau  matin,  sur 
le  coup  de  midi  sonnant,  on  risque  une  insolation  sous  un  ciel  iro- 
nique, pour  aller  volontairement  s'engouffrer,  avant  le  premier  son  de 
cloche,  dans  une  atmosphère  d'autre  monde  qui  parait  à  cent  lieues  de 
sa  voisine,  l'indifférente  lumière  du  boulevard  des  Italiens  :  on  se 
trouve  aussitôt  plongé  vivant  dans  cette  atmosphère  mystérieuse  qui 
rappelle  les  colorations  de  nos  intimistes,  plus  sourde  qu'un  La  Touche, 
mais  plus  vibrante,  pourtant,  qu'un  Prinet,  devant  un  décor  vague- 
ment saumoné  que  rehaussent  sans  prestige  le  palissandre  poudreux 
d'un  Erard  et  l'habit  mouvant  des  accompagnateurs;  et,  pendant  plus 
de  cinq  heures  indéfinies  comme  un  siècle,  c'est,  annuellement,  ponc- 
tuellement, périodiquement,  une  succession  de  gracieux  fantômes  de 
tailles  et  d'allures  variées  dans  un  frou-frou  de  tulles  tremblants: 
l'appariteur,  longtemps  seul  immuable,  a  suivi  le  courant  de  l'éternel 
devenir,  et  ce  n'est  plus  Moreau...  Mais  vous  avez  reconnu  la  fameuse 
séance  de  Chant-Femmes  qui,  jadis,  faisait  courir  le  Tout-Paris  des 
premières,  aussi  bourgeoise,  maintenant,  qu'un  concours  de  contre- 
basse ou  de  piano  ! 

Est-ce  l'atmosphère,  est-ce  la  hâte,  ou  le  souvenir  de  tant  de  loin- 
taines journées  pareilles,  ou  l'émotion  née  du  trac  visible  ou  dissimulé 
des  concurrentes?  Mais  nos  impressions  de  concours  se  pressent  tou- 
jours, rapides  et  diffuses  comme  ce  défilé  de  gazouillantes  blancheurs 
en  ce  demi-jour.  L'impression  n'est  pas  l'ennemie  de  la  pensée  qu'elle 
avive;  et  le  critique  évoque  le  grand  débat  de  1907  entre  la  musique 
transcendante  et  la  musique  vocale  ;  revirements  et  palinodies  avaient 
plaidé,  vous  en  souvient-il,  en  faveur  de  la  vocalise,  à  tel  point  que 
nous  étions  résignés  à  voir  renaître  la  valse  chantée  du  Pardon  de 
Ploërmel  sur  le  programme  officiel  de  1908.  Assez,  disait-on,  de  style  et 
ligne  !  Avant  tout,  demandons  à  de  jeunes  cantatrices,  qui  sont  encore 
des  élèves  (ne  vous  indignez  point,  mesdemoiselles  !),  de  savoir  chan- 
ter; pensons,  d'abord,  à  l'éducation  de  la  voix...  Et  les  mânes  des 
sirènes  italiennes  tressaillaient  déjà  dans  leurs  tombes  coquettes 
comme  des  boudoirs. 

Hélas  !  ou  tant  mieux...  un  rien  de  statistique  va  détromper  tout  le 
monde  et  les  sirènes  :  le  programme  du  vendredi  3  juillet  1908  fut 
sans  pitié.  Savez- vous,  mes  lectrices,  quel  est  l'enchanteur  vocal  qui 
tient  le  record  des  morceaux  chantés  ?  C'est  Gluck,  avec  sept  morceaux, 
ce  grand  Gluck  immortel,  qu'affectent  de  conspuer  certains  jeunes 
vieillards  et  que  le  dilettante  Eugène  Delacroix  trouvait  encore  un  peu 
trop  semblable  au  «  plain-chant  »  ! 

—  Et  après  ? 

—  C'est  Haendel,  avec  cinq  morceaux,  ce. magistral  emperruqué 
qu'on  a  défini  «  le  dernier  musicien  du  moyen  âge  »,  sans  doute  à 
cause  de  ses  infatigables  vocalises  qui  rappellent  la  rythmique  liberté 
des  neumes  !  Mozart,  cet  ange  très  humain  qui  devina  Chérubin,  vient 
ensuite,  avec  quatrj  points,  comme  le  dramaturge  essentiellement 
romantique  et  précurseur  que  fut  Weber.  L'honnête  Sacchini,  le  bon 
Haydn,  l'incomparable  Beethoven,  qui  remporta  superbement  son 
secret,  l'insouciant  Rossini,  qui  prétendait  continuer  le  chevalier 
Gluck  «  à  sa  manière  »,  figurent  avec  deux  morceaux  chacun  ;  tous  les 
noms  suivants  se  contenteront  d'un  seul  hommage  :  Lulli,  Rameau, 
Monsigny,  comme  Rode  et  Rossi,  l'Ambroise  Thomas  A'Hamlet  comme 
le  Saint-Saèns  de  la  Cloche.  Total:  trente-cinq  numéros  (comptez  bien), 
dont  treute-trois  furent  chantés. 

Les  chiffres  ne  détonnent  point  comme  les  voix  :  aucune  émotion  ne 
saurait  les  influencer.  Et  que  disent  ces  chiffres  ?  La  persistance  du 
style  dans  l'enseignement  de  la  saison. 

Oui,  le  style,  ou,  du  moins,  la  bonne  volonté  du  style;  car  la  réali- 
sation de  ce  prodigeest  une  autre  affaire  :  en  dépit  de  tout  son  volca- 
nisme de  Tartarin  romantique  ou  de  Romantique  méridional,  le  bon 
sens  virgilien  de  notre  cher  vieux  Berlioz  savait  bien  qu'une  cantatrice, 
«  capable  de  chanter  seize  mesures  seulement  de  bonne  musique  avec 
une  voix  naturelle,  bien  posée,  sympathique,  et  de  les  chanter  sans 
efforts,  sans  écarteler  la  phrase,  sans  exagérer  jusqu'à  la  charge  les 
accents,  sans  platitude,  sans  afféterie,  sans  mièvreries,  sans  fautes  de 

(f)  Voir  le  Ménestrel  des  3  et  10  août  1907. 


français,  sans  liaisons  dangereuses,  sans  hiatus,  sans  insolentes  modi- 
fications du  texte,  sans  transposition,  sans  hoquets,  sans  aboiements, 
sans  chevrotements,  sans  intonations  fausses,  sans  faire 
rythme,  sans  ridicules  ornements. sans  nauséabondes  appoggialu 
manière,  enfin,  que  la  période  écrite  par  le  compositeur  devienne  com- 
préhensible, et  reste  tout  simplement  ce  qu'il  l'a  faite,  est  un  oiseau 
rare,  très  rare,  excessivement  rare  ».  Son  goût  classique  ajoutait: 
«  Quant  aux  chanteurs...,  utiles  et  charmants,  qui  savent  vocaliser  et 
qui  chantent...,  et  qui,  tout  en  chantant,  respectent  l'œuvre  et  l'auteur 
dont  ils  sont  les  interprètes  attentifs,  fidèles  et  intelligents,  le  public 
n'a  trop  souvent  pour  eux  qu'un  dédain  superbe  oa  de  tièdes  encoura- 
gements il  i  ».  Puisque  tout  change,  le  public  a  changé  depuis  les  con- 
temporains italianisants  de  notre  Berlioz,  et  le  plus  miraculeux  n'est-ce 
pas  qu'il  paraisse  avoir  "changé  plutôt  en  bien?  Professeurs,  élèves, 
auditeurs  protestent  contre  le  cliché  de  la  décadence  des  mœurs  en  pre- 
nant bravement  parti  pour  la  majesté  du  style. 

LTne  séance  vocale  et  foncièrement  parisienne  qui  se  réclame  de 
Haendel  et  de  Gluck  corrobore  mal  notre  renom  de  légèreté  :  mais  elle 
collabore  instinctivement  avec  l'évolution  de  la  jeunesse  nouvelle  qui 
ne  parle  que  de  tradition  française  et  de  vieux  maitres  :  la  ('loche  gran- 
diose de  Saint-Saèns  est  d'accord  avec  le  diapason  nouveau  de  la  jeu- 
nesse. Ici.  pas  une  mesure  du  géant  Wagner  ni  de  ses  petits  succes- 
seurs ;  ni  truculence  crépusculaire,  où  se  pâme  la  Salomé  de  Richard 
Strauss,  ni  lueurs  d'aube,  où  s'estompe  la  MéHsande  de  Claude  Debussy: 
ni  mélodies  infinies,  ni  chuchotements  cachottiers  !  Le  jeune,  ici,  s'ap- 
pelle Mozart;  et  comme  il  est  plus  près  de  nous,  ce  charmeur  des  nuits 
d'amour,  que  de  son  grave  magister  Haendel  que  sa  bonne  petite  àme 
géniale  adorait  si  religieusement  !  Ferveur  qui  ne  l'empêchait  pas  de  se 
griser  d'italianisme...  Italianisme  qui  lui  vaudra  les  sympathies  de 
Rossini,  d'abord,  et,  plus  tard,  les  dédains  de  Berlioz,  ce  Gluckiste  eu 
dépit  de  toutes  ses  fleurs  de  rhétorique  ou  d'imagination  1  Mozart  est 
le  trait  d'union  sans  pareil  entre  le  style  et  l'italianisme:  il  estunique, 
et  le  plus  difficile  à  traduire. 

L'italianisme,  aujourd'hui,  l'italianisme  pur  se  rabat  sur  les  l 'aria- 
lions  de  Rode  ;  à  moins  que  vous  ne  veuillez  le  pressentir  dans  l'air  des 
rossignols  amoureux  qui  se  trouve  dans  Hippolyte  et  Aricie  :  l'Opéiale 
supprime  et  la  fine  ironie  de  Mllc  Pradier  l'exhume.  Notre  vieux  Ra- 
meau (2)  se  consolait  mal  de  n'avoir  pas  mieux  fait  sa  cour  à  l'aimable 
Italie  ;  mais  l'Italie  n'a-t-elle  pas  terriblement  dégénéré  depuis  l'âge 
d'or  de  ces  belles  heures  bocagères  ?  Et  la  musique  dite  vocale  n'ose 
plus  exhiber  le  clinquant  de  ses  fioritures...  A  la  fois  homérique  et 
virgilien,  c'est  le  génie  de  Gluck  qui  favorise  le  goût  d'un  ténorino, 
M.  Paulet,  non  moins  que  le  fier  emportement  tragique  de  M"e  Le  Senne  : 
c'est  Alcesle  et  Didon,  sa  sombre  sœur,  qui  triomphent  à  la  séance 
d'opéra,  comme,  à  la  séance  d'opéra-comique,  auprès  du  vieux  Grétryj, 
triomphe  deux  fois  la  Charlotte  de  Werther;  et  la  voix  exceptionnelle 
de  M"e  Raveau  ne  fait  pas  oublier  le  charme  discret  de  M"e  Gustin.  La 
jeune  interprète  des  vieux  maitres.  M"'-'  Chantai,  se  révèle,  eu  même 
temps,  une  intelligente  Sophie. 

L'heure  vocale  n'est  pas  virtuose  :  elle  ne  veut  pas  l'être  :  intime  ou 
solennel,  c'est,  ici  comme  ailleurs,  l'art  qui  repousse  l'étreinte  des 
sirènes.  A  défaut  de  critérium,  dans  une  aussi  longue  séance  où  passent 
tant  de  morceaux  et  de  talents  divers,  les  derniers  boulevardiers 
ou.  qui  sait  ?  les  premiers  moralistes  de  i'avenir,  qui  préconisent  le  nu 
au  théâtre,  escomptaient  la  victoire  des  robes  décolletées  :  mais  ce  sont 
les  robes  montantes  qui  l'emportent.  Et  M1Ie  Cébrou-Xorbens,  bril- 
lante fauvette  dont  le  ramage  ne  répond  pas  entièrement  encore  au 
plumage,  n'obtient  à  bon  droit  que  des  seconds  prix.  En  vérité,  je 
vous  le  dis,  nous  vivons  dans  un  temps  austère. 

(A  suivre.)  Raymond  Bouter. 


UNE  FAMILLE  DE  GRANDS  LUTHIERS  ITALIENS 

LES    GUARNERIUS 


JOSEPH  I"    GUARNERIUS 

Le  second  fils  d'André  Guarnerius.  Giuseppe-Giovanni-Battista, 
connu  surtout  sous  le  nom  de  Giuseppe  —  Joseph  —  naquit  à  Crémone 
le  25  novembre  1666.  On  ne  doit  pas  le  confondre  avec  son  cousin 


il)  Hector  Berlioz.  A  travers  chants,  deuxième  édition.  1ST2  :  pages  I0S  et  lia. 

[21  Tous  ses  contemporains  le  trouvaient  un  peu  italien. —Cf.  Rameau,  par  Louis 

Laloy  (Paris,  Alcan,  1908  . 


244 


,E  MENESTREL 


Joseph  (del  Gesk),  le  plus  illustre  membre  de  la  famille,  ce  qui  n'em- 
pêche qu'il  fut  aussi  un  artisan  fort  habile.  Comme  Pierre  Ier,  son  aine 
de  onze  ans,  il  fut  élève  de  son  père,  mais  no  quitta  jamais  Crémone. 
Il  semble  même  qu'il  ait  pris  la  succession  de  l'atelier  de  son  père,  car 
une  de  ses  étiquettes,  datée  de  1706.  huit  ans  après  la  mort  de  celui-ci, 
fait  connaître  qu'il  avait  conservé  l'enseigne  :  «  A  sainte  Thérèse.  » 
Cette  étiquette  est  ainsi  conçue  :  Joseph  Guarnerius  filius  Ândreœ  fecit 
Crémone  sub  lilulo  S.  Teresie  1706.  On  ne  sait  rien  du  reste  sur  lui, 
sinon  qu'il  se  maria  à  peine  âgé  de  vingt- trois  ans  et  qu'il  épousa,  le 
4  janvier  1690,  Barbara  Franchi,  dont  il  eut  six  enfants,  trois  filles  et 
trois  fils,  parmi  lesquels  un  seul,  Pietro,  fut  luthier.  Il  vécut  avec  sa 
femme  près  d'un  demi-siècle,  car  celle-ci  ne  mourut  qu'en  1738.  On 
assure  qu'il  ne  lui  survécut  que  fort  peu. 

Mais  ce  qu'on  sait,  c'est  que  Joseph  Guarnerius  était  un  luthier  d'un 
talent  remarquable,  qu'il  produisit  en  grande  quantité  non  seulement 
des  violons,  mais  des  altos  et  des  violoncelles,  et  que  ses  violons,  sans 
approcher  de  la  valeur  commerciale  de  ceux  de  son  cousin,  l'autre 
Joseph,  n'en  atteignent  pas  moins  aujourd'hui,  où  ils  sont  particuliè- 
rement recherchés,  un  prix  tris  élevé.  Pour  le  distinguer  de  ce  dernier, 
on  le  désigne  généralement,  en  lutherie,  sous  le  nom  de  «  Joseph,  fils 
d'André  ».  C'est  encore  à  George  Hart.  qui  a  très  bien  apprécié  son 
talent  et  analysé  sa  facture,  que  je  vais  avoir  recours  pour  le  faire  con- 
naître :  —  «Ce  maitre,  dit-il,  a  montré  plus  d'originalité  qu'Andréa. 
Ses  premiers  travaux  impliquent  un  esprit  de  recherche  qui  le  condui- 
sit dans  la  suite  à  construire  des  instruments  d'un  type  absolument 
distinct  de  ceux  de  son  père.  La  ligne  des  contours  est  particulière- 
ment remarquable.  La  forme  de  l'instrument  se  redresse  vers  les  mi- 
lieux pour  s'élargir  rapidement  à  partir  du  centre,  évolution  qui  produit 
une  courbe  d'une  élégance  exquise,  dont  Giuseppe  Guarneri  del  Gesù 
semble  s'être  pénétré,  car  il  s'est  assimilé  cette  forme  en  la  perfection- 
nant... Les  instruments  de  ce  vraiment  grand  artiste  s'écoulent  rapide- 
ment dans  toutes  les  parties  de  l'Europe,  et  leur  valeur  est  debeaucoup 
augmentée.  Il  a  fait  des  violons,  des  altos  et  des  violoncelles  ;  ces  der- 
niers sont  aujourd'hui  très  rares.  Les  bois  de  ses  violons  et  de  ses  altos 
sont  de  différentes  qualités,  mais  en  général  très  beaux.  Le  bois  de  ses 
violoncelles  est  au  contraire  tout  uni.  et  la  main-d'œuvre  en  est  un 
peu  négligée.  Il  semblerait  qu'il  n'eût  qu'un  goût  douteux  pour  les  ins- 
truments de  grandes  dimensions  et  qu'il  ait  volontiers  plus  consacré 
son  temps  aux  instruments  plus  petits,  qui  sont  des  modèles  d'un  tra- 
vail très  soigné.  » 

Cette  dernière  réflexion  ne  s'applique  pas  toujours  avec  justesse,  et 
certains  au  moins  des  violoncelles  de  Joseph  Ier  sont  d'un  prix  inesti- 
mable. Je  signalerai  particulièrement  celui,  daté  de  1709,  qui  apparte- 
nait naguère  au  regretté  Jules  Delsart.  dont,  durant  vingt  années,  la 
classe  au  Conservatoire  fut  si  brillante.  Cet  instrument  superbe,  d'une 
sonorité  pleine  de  vigueur  et  d'éclat,  aussi  remarquable  par  sa  beauté 
que  par  l'ensemble  de  ses  qualités  artistiques,  lit  à  Londres  l'admira- 
tion des  connaisseurs,  et  Delsart  l'appréciait  si  bien  qu'il  le  préférait 
même  à  son  Stradivarius,  et  que  c'est  celui-là  qu'il  jouait  toujours 
dans  ses  concerts.  Il  appartient  aujourd'hui  à  l'un  de  ses  meilleurs 
élèves,  M.  Pierre  Destombes,  qui  l'a  en  très  grande  affection  (1). 

Tous  ces  luthiers  de  la  grande  école  crémonaise,  artisans  d'autant 
d'intelligence  que  de  talent,  doués  d'uu  rare  esprit  de  progrès  et  d'ini 
tiative,  étaient  des  studieux  et  des  chercheurs.  Ils  ne  se  contentaient 
pas  de  reproduire  habilement,  mais  servilement,  ce  qu'ils  avaient 
appris  dans  l'atelier  où  s'était  faite  leur  éducation.  Tout  en  suivant 
et  en  respectant  les  excellents  principes  de  l'enseignement  qu'ils  avaient 
reçu  de  leur  maitre,  tout  en  se  conformant  et  en  obéissant  à  ces  prin- 
cipes, ils  s'efforçaient  de  les  étendre,  de  les  améliorer,  de  chercher  la 
perfection  soit  dans  la  forme  générale  à  donner  à  l'instrument,  soit 
dans  les  détails  si  délicats  de  sa  construction,  soit  dans  la  nature  et  le 
choix  des  bois  a  employer,  soit  enfin  dans  la  composition  et  l'applica- 
tion du  vernis,  de  faron  à  obtenir  les  meilleurs  résultats  taut  en  ce  qui 
concerne  les  qualités  acoustiques  de   cet   instrument,  l'étendue,   le 

(1)  Lorsque  M.  Deslombes  concourut  pour  son  premier  prix,  en  1897,  son  maître 
Delsart  lui  proposa  de  lui  prêter  pour  le  concours  un  de  ses  deux  instruments,  lui 
laissant  le  choix  entre  le  Joseph  Guarnerius  et  le  Stradivarius.  Tous  deux  firent 
divers  essais,  répétant  successivement  avec  l'un  et  l'autre,  et  finalement,  après  beau- 
coup d'hésitation,  optèrent  d'un  commun  accord  pour  le  Guarnerius. 

Voici  l'attestation  que  M.  Destombes  tient,  au  sujet  de  ce  très  bel  instrument,  de 
MM.  Chardon  père  et  lils,  les  excellents  luthiers  :  —  «  Nous  certifions  que  le  violon- 
celle que  M.  Destombes  a  soumis  à  notre  examen  est  un  iostrument  fait  par  Joseph 
Guarnerius,  fils  d'André,  de  Crémone  (Italie).  L'étiquette  marque  la  date  de  1709.  Ce 
violoncelle  a  le  fond  d'une  seule  pièce;  le  bois  est  du  peuplier,  ainsi  que  les 
éclisses  ;  la  table  est  en  très  bonne  qualité  de  sapin,  les  pores  bien  égaux  ;  la  tète  est 
en  bois  de  hêtre.  Le  vernis  de  l'instrument  est  biea  pur,  et  sa  couleur  est  marron. 
Ce  violoncelle  est  bien  du  maitre  en  question,  dans  toutes  se;  parties.  —  Paris, 
'21  Avril  1908.  Chardon  el  Fils  ». 


velouté  et  la  puissance  de  sa  sonorité,  qu'en  ce  qui  touche  l'ensemble 
de  son  aspect  extérieur,  son  élégance  et  sa  beauté.  Tous,  les  Amati,  les 
Guarneri,  les  Rugeri,  les  Montagnana,  etc.,  coucoururent  pour  leur  part 
à  cette  perfection,  atteinte  enfin  par  le  grand  Stradivarius,  que  nul  n'a 
pu  dépasser  et  qui  reste  par  excellence  le  maitre  des  maitres. 

PIERRE  II  GUARNERIUS 

Pietro  Guarnerius  (Pierre  II),  fils  de  Joseph  Ier  et  petit-fils  d'André, 
le  chef  de  la  dynastie,  naquit  à  Crémone  le  14  avril  169o.  De  celui-là 
on  ne  sait  absolument  rien,  sinon  qu:il  fut  établi  à  Venise,  et  le  peu 
que  j'en  connais  se  résume  en  ces  lignes  que  j'emprunte  au  second 
ouvrage  d'Antoine  Vidal,  la  Lutherie  (1)  : 

Il  travailla  à  Venise  de  1723  à  1760  (d'autres  disent  «  à  1740  »).  Il  n'existe 
aucun  autre  détail  connu  sur  la  vie  de  Pietro  Guarneri,  qui  est  souvent   con- 
fondu avec  son  oncle  Pierre,  fils   d'André.  On  connaît  cependant  de  lui  des 
instruments  très   authentiques  qui   le  placent  au   premier  rang  des  luthiers 
italiens  de  la  belle  époque.  M.  L.  Depret,   amateur  distingué,   possède  un 
violoncelle  de  ce  maitre  qui  est  un  des  plus  beaux  types  qui  se  puissent  voir  : 
facture  magistrale,  fournitures  splendides;  les  éclisses  et  le  fond  sont  faits 
d'un  érable  à  ondes  vigoureuses,   qu'un  vernis   admirable  rose  à  fond  d'or 
ambré  fait  absolument  sortir  du  cadre.  Dans   le  fond,   à  la  place  usitée,  est 
collée  une  étiquette  de  10  cent,  sur  S  cent.,   imprimée   en   grandes   lettres 
romaines,  entourée  d'une  vignette  légère  genre  C.  Bergonzi  et  ainsi  libellée  : 
Pelrus  Giarnerius  filius 
Joseph  Cremonensh 
fecit  anito  1739 
Venetiis 

On  voit  que  cet  artiste  ne  laissa  pas  dégénérer  le  bon  renom  de  la 
famille.  Il  est  probable  qu'avant  d'aller  s'établir  à  Venise,  Pietro  apprit 
la  connaissance  de  son  art  à  Crémone,  où  il  fut  vraisemblablement 
élève  de  son  père.  Mais,  je  l'ai  dit,  ou  ne  sait  absolument  rien  de  son 
existence,  et  on  ignore  l'époque  de  sa  mort. 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(POUR    LES    8EULS    ABONNES    A    LA.    MUSIQUE) 


Pour  allemand  qu'il  soit,  de  Hambourg,  ville  libre,  il  est  vrai  (l'est-elle  encore?) 
—  ce  Vollstedt  a  vraiment  de  l'humour.  Il  n'écrit  pas  seulement  des  valses  char- 
mantes, dont  quelques-unes  sont  devenues  populaires  (telles  les  Frères  joyeux,  Valse 
joyeuse,  Copurchic,  et  d'autres),  mais  encore  de  petites  pièces  caractéristiques  comme 
cette  Marche  des  petits  Afagots  que  nous  donnons  aujourd'hui  et  où  il  y  a  bien  de  la 
gaité  et  de  la  couleur.  Au  trio  ces  exclamations  parlées  de  oui  et  de  non  alternatifs 
nous  donnent  bien  l'impression  de  ces  magots  de  porcelaine  à  têtes  articulées  qu'on 
trouve  encore  dans  les  bazars  de  jouets. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 
De  notre  correspondant  de  Belgique  (29  juillet).  —  La  musique  est  en  pleines 
vacances,  à  Bruxelles,  où,  seuls,  les  concerts  du  Waux-Hall  rappellent  son 
existence,  avec  les  distributions  de  prix  des  écoles  communales.  Ces  distribu- 
tions nous  donnent  l'occasion  d'entendre  tous  les  ans,  à  pareille  époque, 
chantées  par  les  voix  juvéniles  de  centaines  d'enfants,  des  œuvres  exquises 
que  composent  à  leur  intention  nos  compositeurs:  à  celles  de  Jan  Blockx,  de 
Benoit,  de  Radoux,  etc.,  sont  venues  s'ajouter  cette  année,  en  même  temps 
que  quelques  jolies  chansons  de  M.  Jaques-Dalcroze,  plusieurs  chœurs  réelle- 
ment délicieux  d'un  jeune  compositeur  que  vous  co.inaissez  bien  déjà  et  qui 
est  en  train  de  se  faire  ici  une  place  tout  à  fait  remarquée,  M.  Georges  Lau- 
weryns;  Nids  et  berceaux,  Ames  d'enfants,  Berceuses,  Gloire  à  la  nature,  ont  été 
chantées  à  l'envi  par  les  écoles  et  ont  obtenu  chaque  fois  un  succès  fou, 
dans  ces  cérémonies  à  la  fois  si  charmantes  et  si  cordialement  solennelles.  — 
Le  Théâtre  de  la  Monnaie,  de  son  coté,  commence  à  faire  parler  de  lui.  Je 
vous  ai  donné  une  idée  de  la  future  troupe,  composée  des  meilleurs  éléments 
de  la  saison  dernière;  quelques  éléments  nouveaux  sont  venus  s'y  ajouter 
encore,  tels  que  M"0  Seroen,  une  ancienne  lauréate  du  Conservatoire  de  Bru- 
xelles, une  véritable  artiste,  sur  laquelle  on  compte  beaucoup,  et  Mlle  Luçay, 


(1)  Il  est  très  utile  de  remarquer  que  dans  cet  ouvrage,  publié  une  douzaine  d'an- 
nées après  le  premier  (188J),  Vidal  a  complété  et  rectifié,  d'après  des  documents 
italiens  précis  qu'il  n'avait  pas  connus  d'abord,  un  grand  nombre  de  renseigne- 
ments donnés  par  lui  dans  le  précédent  (Les  Instruments  à  archet).  C'est  donc  surtout 
à  ce  second  ouvrage  qu'il  faut  avoir  recours  pour  l'exactitude  et  la  précision  de  cer- 
tains faits. 


LE  MÉNESTREL 


un  mezzo  superbe,  parait-il.  MM.  Guidé  et  Kurterath  ont  engagé  aussi  plu- 
sieurs élèves  du  Conservatoire,  sortis  victorieux  des  derniers  concours,  notam- 
ment MM.  Colin  et  Mommaerts,  qui  feront  honneur,  espérons-le,  à  leur  pro- 
fesseur M.  De  Mest.  Ces  jeunes  artistes  ne  sont  pas  les  seuls,  certes,  qui  se 
soient  distingués  à  ces  concours,  qui  ont  occupé  presque  deux  mois  de  cet 
été;  il  convient  de  citer  particulièrement  un  soprano  dramatique.  M"''  Belle- 
mans,  élève  de  Ml,,c  Cornélis.  une  nature  et  une  voix,  la  direction  de  la 
Monnaie  fera  bien  de  ne  pas  la  perdre  de  vue.  Dans  les  classes  de  déclama- 
tion, une  jeune  et  mignonne  lauréate,  M"e  Sibille.  a  montré  un  tempérament 
de  comédienne  si  spirituellement  personnel  que  M.  Reding,  directeur  du 
théâtre  du  Parc,  l'a  immédiatement  engagée:  elle  semble  avoir  été  créée  pour 
jouer  le  répertoire  de  MM.  de  Fiers  et  de  Ctillavet.  Dans  les  classes  d'instru- 
ments,rien  d'extraordinaire,  mais  une  bonne  moyenne,  comme  toujours. 

Mais  revenons  à  la  Monnaie.  Dès  à  présent,  la  réouverture  est  fixée  au 
!l  septembre,  un  peu  plus  tard  que  d'habitude,  pour  cette  raison  que  la  troupe 
presque  tout  entière  se  trouve  en  ce  moment  au  théâtre  d'Ostende  et  qu'elle 
y  sera  employée  jusqu'à  la  fin  d'août.  Ce  théâtre  fait  d'excellente  besogne  ; 
parmi  les  artistes  en  vedette,  il  y  a  Mn,es  Sylva,  Vallandri,  Eyreams,  MM.  Sa- 
lignac,  Morati,  Decléry,  Lestelly,  un  corps  de  ballet  où  brillent  Mlk's  Cerny, 
Pelucchi  et  Legrand,  le  tout  sous  la  direction  du  vaillant  chef  d'orchestro 
M.  Ernaldy.  Le  répertoire  est  composé  do  Manon,  Werther,  Carmen,  Lakmë, 
Mignon,  la  Travhta,  Faust,  Gavalleria,  la  Bohème,  etc.  Le  succès  de  Carmen, 
avec  la  très  jolie  et  très  vibrante  Mme  Sylva  et  l'admirable  Salignac,  a  été 
particulièrement  chaleureux  ;  et  l'on  a  également  fait  fête,  tout  spécialement, 
à  Manon, avec  Mme Vallandri  et  M.  Salignac,  et  à  la  Bohème,  avec  MllM  Eyreams 
et  Symiane,  MM.  Morati  et  Decléry.  Enfin  Faust  et  Werther  ont  été  un 
triomphe  pour  M",e  Sylva,  dont  l'autorité,  l'intelligence  artistique  et  la  jolie 
voix  sont  en  train  de  faire  à  cette  séduisante  artiste  une  place  tout  à  fait  en 
vue  parmi  les  meilleures  cantatrices  dramatiques  d'aujourd'hui. 

Au  Kursaal,  les  concerts  sont  dans  toute  leur  vogue.  Si  la  rigueur  de  la  loi 
belge  sur  les  jeux  est  venue  jeter,  cette  année,  au  début  de  la  saison,  quelque 
désarroi,  et  si,  à  cause  de  cela,  nous  n'avons  revu  encore  ni  Caruso,  ni 
Bonci,  ces  concerts  n'en  ont  pas  été,  jusqu'ici,  moins  intéressants;  nous  y 
avons  applaudi  la  grande  cantatrice  allemande  M"e  Hempel,  Mllc  Chenal,  de 
l'Opéra,  MM.  Affre  et  Noté,  et  la  plupart  des  artistes  du  théâtre;  nous  y  avons 
applaudi  aussi  nos  compositeurs  belges,  dans  le  concert  que  M.  Rinskopf  leur 
consacre  chaque  année  ;  MM.  Jan  Blockx.  Tinel,  Mathieu,  Sylvain  Dupuis, 
Huberti  et  Gilson  y  ont  dirigé  eux-mêmes  quelques-unes  de  leurs  meilleurs 
œuvres  et  ont  été  acclamés  avec  enthousiasme.  Il  faut  dire  aussi  que  l'orchestre 
du  Kursaal  est  incomparable;  on  ne  saurait  ré  fer  plus  parfait  ensemble  d'exé- 
cutants, ni  plus  savoureuse  sonorité. 

A  propos  des  compositeurs  belges,  vous  vous  rappelez  qu'un  concours 
d'opéras  a  été  organisé,  il  y  a  près  de  deux  ans,  par  M.  Marquet;  un  premier 
prix  de  25.000  francs,  un  second  de  10.000,  d'autres  encore,  —  il  y  avait  de 
quoi  tenter  l'inspiration  de  nos  jeunes  musiciens...  Ce  concours  est  près 
d'aboutir;  il  doit  être  jugé  le  mois  prochain;  le  jury,  composé  des  noms  les 
plus  autorisés,  aura  fort  à  faire  pour  choisir  entre  les  vingt-sept  partitions  qui 
lui  ont  été  envoyées  ;  on  dit  qu'il  en  est,  dans  le  nombre,  de  très  remarquables  : 
espérons  qu'un  chef-d'œuvre  surgira  de  cet  abondant  travail.  Il  est  décidé,  en 
tout  cas,  que  l'œuvre  primée  sera  représentée  cet  hiver  à  Bruxelles,  au  théâtre 
de  la  Monnaie.  L.  S. 

—  M.  F.  Reinemund,  président  de  la  Société  du  théâtre  des  Variétés  d'An- 
vers, qui  joue  fort  bien  le  répertoire  dramatique  français,  vient  d'être  nommé 
Chevalier  de  la  Légion  d'honneur. 

—  Un  auteur  a-t-il  le  droit  de  donner  à  un  musicien  l'autorisation  d'écrire 
un  drame  lyrique  sur  une  nouvelle  de  lui,  alors  que  ce  drame  lyrique  a  déjà 
été  mis  en  musique  par  un  autre,  en  vertu  d'une  autorisation  antérieure  ? 
Oui,  prétendaient  MM.  Verga.  auteur  de  la  nouvelle  Cavelleriu  Rusticana, 
ainsi  que  M.  Monleone,  musicien  de  la  version  n°  2,  et  M.  Puccio,  éditeur  de 
l'objet  du  litige.  Non,  arguèrent  à  bon  droit,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  dit, 
MM.  Mascagni.  auteur  de  la  partition  à  la  renommée  mondiale,  et  Sonzogno, 
le  célèbre  éditeur  milanais,  organisateur  du  concours  dans  lequel  le  drame  de 
M.  Mascagni  avait  été  couronné.  Un  jugement  en  première  instance  donna  gain 
de  cause  au  musicien  lésé  et  à  son  éditeur,  en  stigmatisant  l'œuvre  nouvelle 
de  «  contrefaçon  et  de  concurrence  déloyale  ».  La  cour  d'appel  de  Milan  vient 
de  confirmer  en  partie  ce  jugement  qui  fixe  un  point  important  de  procédure 
en  matière  de  litige  dramatique.  L'accusation  de  «  concurrence  déloyale  »  a 
été  écartée,  mais  le  délit  de  contrefaçon  a  été  maintenu  et  les  défendeurs  con- 
damnés solidairement.  La  responsabilité  de  l'éditeur  Puccio  est  limitée  à 
partir  du  mois  de  mai  1907  et  les  deux  autres,  MM.  Monleone  et  Verga,  con- 
damnés par  ce  dernier  jugement  à  une  indemnité  de  7b0  lires. 

—  Le  '24  juillet  a  eu  lieu  à  Rome  la  constitution  légale  de  la  «  Società 
teatrale  internazionale  »  qui  est  sur  le  point  d'acquérir  le  théâtre  Costanzi. 
Les  actionnaires  de  la  nouvelle  Soeiété.  parmi  lesquels  se  trouvent  MM.  En- 
rico  di  San  Martino,  Roberto  de  Sanna,  Edoardo  Sonzogno,  Visconti  di  Mo- 
drone,  Ettore  Bocconi,  Luis  Lombard,  Giacomo  Orefice,  Tullo  Cantoni  et  la 
Societa  Argentina,  ont  signé  l'acte  constitutif  qui  les  réunit  en  Société  ano- 
nyme siégeant  à  Rome,  avec  un  capital  déjà  souscrit  de  deux  millions,  dont 
les  trois  premiers  dixièmes  ont  été  versés.  La  Société  s'est  formée  pour  une 
durée  de  trente  ans.  Son  but  est  de  devenir  la  plus  vaste  entreprise  du  monde 
pour  l'industrie  du  théâtre.  Elle  acquerra  ou  fera  construire  des  salles  de 
spectacle,  acceptera  des  régies  de  théâtres  lyriques  ou  dramatiques  en  Italie 
ou  ailleurs.  Elle  se  chargera  d'engager  des  artistes,  des   chefs  d'orchestre,  de 


constituer  des  troupes,  corps  de  ballet,  bandes  instrumentales,  chœurs;  elle 
s'occupera  des  mises  en  scène  et  de  toutes  questions  qui  s'y  rattachent.  Le 
capital  actuel  se  compose  de  400  actions  de  5.000  francs  chacune;  il  pourra 
être  augmonlé.  Actuellement  les  actionnaires  italiens  ont  souscrit  pour 
1.20(1.000  francs;  le  reste  a  été  placé  en  Amérique  et  est  entre  les  mains  de 
capitalistes  de  la  République  Argentine.  Le  Conseil  d'administration  compren- 
dra de  11  à  l.'j  membres  élus  pour  quatre  ans:  le  groupe  italien  et  le  groupe 
argentin  y  seront  représentés.  Le  premier  acte  de  la  Société  sera  l'acquisition 
du  théâtre  Costanzi  de  Rome  dont  le  prix  de  vente  sera  lie  2.300.000  francs  à 
payer  par  termes.  Il  entre  dans  les  vues  de  la  Société  de  faire  de  ce  théâtre 
un  centre  artistique  et  industriel  de  premier  ordre  pouvant  fournil-  tout  ce 
qui  peut  être  nécessaire  pour  l'exploitation  des  théâtres  lyriques,  à  commen- 
cer par  ceux  de  l'Amérique  du  Sud,  qui  sont  liés  au  théâtre  Costanzi  par  le 
traité  italiano-argentin.  Le  directeur  actuel  de  ce  dernier  théâtre,  M.  Andréa 
Morichini,  ayant  décliné  l-'ofi're  qui  lui  a  été  faite  de  diriger  l'entreprise  nou- 
velle au  point  de  vue  artistique,  sera  remplacé  par  M.  Giacomo  Orefice. 

—  Au  Théâtre  Massimo  de  Païenne,  parmi  les  ouvrages  que  l'on  jouera 
pendant  la  saison  prochaine,  nous  remarquons  Werther,  l'Africaine,  la  Bohême, 
Simone  Boccanegra,  Tristan  et  Isolée,  et  un  ouvrage  nouveau  de  M.  Riccardo 
Slorti,  Venezia. 

—  On  annonce  déjà  toute  une  série  de  représentations  d'opéras  nouveaux 
en  Italie  pour  la  prochaine  saison.  Au  Théâtre-Royal  de  Turin,  Filera,  du 
maestro  Montemezzi,  dont  le  Giovanni  Galluresi  a  obtenu  récemment  un  assez 
grand  succès  ;  au  Victor-Emmanuel  de  la  même  ville,  il  Principe  Zilali  de 
M.  Frank  Alfano,  et  il  Grillo  de!  focolare  de  M.  Gandonai,  compositeur  triestin; 
à  Rome,  Faast,  de  M.  Briiggermann,  un  jeune  élève  de  'M.  Humperdinck:  et 
enfin,  à  Biella,  Agar,  de  M.  Leschi. 

—  La  Coccarda,  te!  est  le  titre  d'un  opéra  nouveau  du  maestro  Santonocito, 
qui  a  été  donné  pour  la  première  fois  le22juillet  dernierau  Théâtre  Malibran, 
de  Venise.  Le  livret,  dont  l'auteur  est  M.  Rocco  Galdieri, reproduit  un  épisode 
patriotique  de  l'insurrection  napolitaine,  en  1848.  Le  public  a  fort  apprécié  la 
spontanéité  de  l'inspiration,  le  sens  délicat  avec  lequel  ont  été  traitées  les 
situations  et  le  charme  des  parties  sentimentales  de  l'ouvrage. Un  duo  formant 
le  final  du  premier  acte  a  été  bissé.  A  la  fin,  les  auteurs  et  les  interprètes  ont 
été  très  vivement  applaudis. 

—  Au  Politeama  de  Gènes,  la  saison  musicale  commencera,  l'automne  pro- 
chain, avec  Thaïs,  les  Pécheurs  de  perles,  Aida,  Chopin,  Zaza  et  un  opéra  du 
compositeur  Fracassi,  Filandia. 

—  Pendant  une  saison  lyrique  d'un  mois  au  théâtre  de  Bassano,  du 
10  septembre  au  10  octobre,  on  se  propose  de  jouer  seulement  deux  opéras, 
Manon  de  Massenet  et  Faust  de  Gounod. 

—  Au  Théâtre  Mercadante  de  Naples,  on  donnera  une  série  de  représenta- 
tions d'opéra  du  16  au  30  novembre,  avec  le  ténor  F"ulgenzis  Abela,  qui  chan- 
tera Werther,  Adriana,  la  Traviata,  Rigoletto,  etc. 

—  Deux  chanteurs  italiens,  les  ténors  Vittorio  Ballarini  et  Attilio  Belletti. 
ont  failli  être  récomment,  à  Venise,  victimes  d'un  accident  dramatique.  Ils  se 
promenaient  un  soir,  sur  le  Grand  Cïnal,  dans  une  gondole  conduite  par  le 
domestique  de  l'un  d'eux,  mais  dont  on  avait  oublié  ou  négligé  d'allumer  le 
fanal.  On  entend  tout  à  coup  un  grand  bruit,  aussitôt  suivi  de  cris  d'épouvante 
et  d'appels  à  l'aide.  C'était  le  vapeur  San  Seeondo,  commandé  par  le  capitaine 
Luigi  Ronzecchi,  qui,  arrivant  de  Mestie,  avait  touché  la  gondole  par  le 
travers  et  l'avait  coupée  littéralement  en  deux,  les  trois  hommes  étant  préci- 
pités dans  l'eau.  Dans  la  demi-obscurité,  la  scène  était  émouvante.  Les  trois 
victimes  s'agitaient  désespérément,  tour  à  tour  paraissant  sur  l'eau,  puis 
disparaissant.  Du  bord  on  s'empressa  de  leur  jeter  des  cordes,  mais  ils  ne 
réussissaient  pas  à  les  saisir.  Enfin,  des  marins  du  vapeur,  se  jetant  dans  le 
canot  de  sauvetage,  finirent  par  attirer  à  eux  les  deux  chanteurs,  à  bout  de 
forces  et  pouvant  à  peine  s'aider.  Ils  furent  sauvés,  mais  leur  compagnon,  le 
pauvre  domestique,  fut  entrainé  par  le  courant  et  se  noya  misérablement. 

—  L'élégante  revue  de  Milan,  .1rs  et  labor,  publie  dans  son  dernier  numéro 
un  article  curieux  de  M.  Gido  Damerini,  article  fort  bien  fait  et  richement 
illustré,  qui  nous  donne  un  rapide  historique  du  grand  théâtre  de  la  Fenice 
de  Venise,  l'un  des  plus  glorieux  de  l'Italie,  dont  les  annales  peuvent  presque 
aller  de  pair  avec  celles  de  la  Scala  de  Milan  ou  du  San  Carlo  de  Naples. 
Construit  en  1792  par  l'architecte  Selva,  incendié  en  183G  et  réédifié  aussitôt 
sur  les  mêmes  dessins  et  sur  le  même  plan,  le  théâtre  de  la  Fenice  nous  pré- 
sente, dans  son  histoire,  comme  une  sorte  de  raccourci  de  l'histoire  théâtrale 
et  musicale  de  l'Italie  pendant  plus  d'un  siècle.  Ne  pouvant  offrir  un  résumé 
complet  de  l'article  d'.lrs  et  labor,  nous  lui  emprunterons  ce  fragment  curieux 
et  caractéristique  : 

...  Il  existe  une  chronique  musicale  rapide  de  la  Fenice,  qui  part  de  l'année  de 
son  inauguration  et  se  poursuit  jusqu'à  nos  jours.  Elle  est  manuscrite  et  anonyme. 
La  parcourir  donne  une  bien  étrange  sensation.  On  y  retrouve,  esquissée,  toute 
l'histoire  du  drame  musical,  depuis  les  modèles  spirituellement  ou  sentimentalement 
agréables  de  Paisiello  jusqu'au  développement  complexe  et  monumental  à  lui  donné 
par  Richard  Wagner.  On  y  retrouve  la  succession  vertigineuse  de  tant  de  renom- 
mées éphémères,  de  tant  de  triomphes  sonores  passagers.  On  y  retrouve  l'évolution 
du  ballet,  depuis  le  modeste  divertissement  champêtre  jusqu'à  la  chorégraphie  con- 
fuse et  pompeuse  de  Marenco.  On  y  rencontre  une  phalange  de  noms  diversement 
célèbres  :  compositeurs,  poètes,  chanteurs,  danseurs,  décorateurs.  On  y  entend  l'écho 
d'une  série  prodigieuse  de  beautés.  On  y  trouve  le  souvenir  d'une  chaîne  ininterrom- 
pue de  fêtes  joyeuses.  On  y  reconstruit  cent  romans  d'amour,  cent  cancans  de  cou- 
lisses... 


241) 


LE  MÉNESTREL 


En  un  siècle,  combien  d'apparitions,  de  confirmations  et  de  disparitions  de  gloires, 
dans  l'espace  restreint  d'un  plancher  scénique!  Du  printemps  de  1792  jusqu'aujour- 
d'hui, combien  de  cartelloni,  et  combien  de  noms  sur  les  cartellani!  Et  quelle  pro- 
cession d'artistes!  Paisiello,  Cimarosa,  Mayr,  Pavesi,  Rossini,  Meyerbeer,  Morlacchi, 
Pacini,  Bellini,  Mercadante,  Donizetti,  Gluck,  Berlioz,  Petrella,  Verdi,  Ponchielli, 
Weber,  Marchetti,  Halévy,  Thomas,  Floto.v,  Wagner,  Gounod,  Bizet,  Gomes,  Saint- 
Siens,  Boito,  Catalani,  Massenet,  Smareglia,  Mascagni,  Franchetti,  Puccini,  Leon- 
cavallo,  Perosi  ;  grands  et  petits,  dans  un  ordre  cyclique  et  chronologique  qui 
fournit  déjà  un  critérium  assez  exact  de  jugement  pour  établir  la  grandeur  et  la  for- 
tune de  chacun  d'eux.  L'un  apparaît  une,  deux,  trois  fois,  et  disparait  ensuite  pour 
toujours.  Un  autre  résiste  davantage,  dans  son  époque,  mais  ne  la  dépasse  pas;  son 
époque  l'engloutit,  l'entraînant  avec  elle  dans  le  tourbillon  du  passé.  Un  autre 
encore  éclate  comme  un  astre,  resplendit  en  son  temps,  pour  céder  souvent  le  pas  à 
ceux  qui  lui  succèdent,  mais  continue  de  briller  et  de  rester  sur  l'horizon.  Paisiello 
et  Cimarosa  alternent  ainsi  longuement  avec  vingt  maestri  promptement  oubliés. 
Piossini,  Bellini  et  Donizetti  font  de  même,  et  après  eux  Verdi,  et  ce  quatuor  magni- 
fique dure,  sans  trouble,  presque  jusqu'à  nos  jours,  jusqu'à  l'aube  du  très  moderne 
dram-*  musical.  Certaines  saisons  s'écoulent  exclusivement  sur  deux,  trois  partitions 
d'un  seul  de  ces  quatre  compositeurs.  Au  carnaval  de  1823  on  donne  it-iometto  II  et 
Semiramide  de  Rossini,  et  au  carnaval  suivant  Mosè  et  Zelmira  du  même;  en  1825, 
Èlisabetta,  Cenerentola  et  il  Barbiere  di  SïvigUa.  Au  carnaval  1827-28  on  joue  il  Pirata 
et  i  Cajiuleli  de  Bellini  ;  au  carnaval  1832-33  Norma  et  Béatrice  di  Tenda  du  même, 
avec l'Elisirc  cCamore  de  Donizetti.  Au  carnaval  1843-44  on  applaudit  Ernmieli  Lom- 
bardi  de  Verdi  ;  deux  saisons  après,  Attila,  Giovanna  d'Arco,  et  Ernani.  Outre  les 
œuvres  citées,  on  exécute  de  Rossini  Tancrcdi,  Sigismoiulo,  Olello,  l'Assedio  di 
Corinto,  le  second  hlosi,  la  Gazza  -ladra;  de  Donizetti  Anna  Bolena,  Lueiu,  Pia 
de'  Toloniei,  Linda  di  Cltamouni  ;  de  Bellini  la  Straniera,  i  Puritain,  la  Sonnam- 
bula;  de  Verdi  toute  son  énorme  production.  En  1874  on  donne  la  Cola  da  Rienzi  de 
Wagner,  et  en  avril  1883,  pour  la  première  fois  en  Italie,  en  quatre  soirées  la  Tétra- 
logie complète,  avec  artistes,  orchestre,  chœurs  et  décors  allemands,  sous  la  direction 
d'Angelo  Neumann,  et  le  chroniqueur  anonyme,  constate  laconiquement  «  beaucoup 
de  concours  et  beaucoup  d'ennui  ».  La  musique  de  Wagner  est  encore,  pour  l'Italie, 
la  musique  de  l'avenir,  un  avenir  bien  proche,  il  est  vrai  ! 

En  une  autre  procession  plus  longue  et  moins  fortunée,  relativement  à  lapostérit-*, 
défilent  sur  la  scène  les  chanteurs,  les  chefs  d'orchestre,  les  danseurs,  les  mimes. 
Les  Almanachs  de  la  Fenice,  publiés  par  Orlandelli  et  dédiés  aux  élégantes  dames 
vénitiennes,  nous  les  présentent  et  les  illustrent  avec  une  furie  d'adjectifs  laudatifs, 
en  nous  montrant  leurs  portraits  gravés  sur  bois,  reproduisant  en  perfection  la  mor- 
bidesse  des  chairs  féminines,  l'éclat  des  yeux,  la  splendeur  des  chevelures,  la  roton- 
dité des  épaules  nues,  le  relief  des  seins  à  peine  voilés  par  une  gaze  candide,  la 
maigreur  alerte  des  jambes,  la  ligne  harmonieuse  des  bras.  Voici  la  Brigida  Giorgi- 
Banti,  la  Gessi,  la  Casentini,  la  Gindetta  Pasta,  l'Angelica  Catalani,  la  Strepponi, 
la  Rosa  Pinotti,  la  Le'izia  Cortesi,  la  Malibran,  et  maintenant  la  Patti,  la  Calvé,  la 
Bellincioni.... 

—  M.  Ferruccio  Busoni,  le  grand  pianiste,  vient  d'écrire  les  paroles  et 
la  musique  d'un  opéra  intitulé  la  Scella  délia spesa  (te  Choix  de  l'épouse),  dont 
il  a  emprunté  le  sujet  à  une  nouvelle  d'Edgar  Poe. 

—  Le  22  juillet  ont  commencé,  avec  Lohengrin,  tes  représentations  de  fête  à 
Bayreuth.  Elles  se  poursuivent  dans  l'ordre  que  nous  avons  indiqué.  Ce  sont 
MM.  Hans  Richter,  Cari  Muck,  Balling  et  Siegfried  Wagner  qui  ont  charge 
cette  année  de  diriger  l'orchestre. 

—  Le  19  juillet  dernier,  un  certain  nombre  d'admirateurs  de  Wagner,  venus 
de  Leipzig  et  de  Dresde,  se  réunirent  dans  le  joli  villagi  de  Grossgraupa,  près 
de  Pillnilz.  Ils  se  rendirent  dans  une  maison  sur  la  façade  de  laquelle  a  été 
scellée  une  inscription  gravée  sur  un  marbre  en  1894  par  le  sculpteur  Gustave 
Kietz,  et  portant  ce  qui  suit  :  «  Dans  cette  maison,  pendant  l'été  de  1846, 
Richard  Wagner  composa  l'opéra  de  Lohengrin  ».  L'année  dernière,  le  21  juillet, 
quelques  wagnériens  s'unirent,  décidés  à  sauver  déûnitivement  de  l'oubli  la 
«  sainte  demeure  »,  qui  avait  abrité  te  maitre  de  chapelle  du  roi  de  Saxe,  pré- 
cisément pendant  tes  semaines  où  son  inspiration  prenait  le  plus  vif  essor. 
Ils  s'assurèrent  par  qaelques  dispositions  nouvelles  que  la  maison  ne  serait 
pas  vendue,  espérant  pouvoir  l'acquérir  un  jour  et  en  taire  un  lieu  de  sou- 
venir dans  une  villégiature  des  plus  agréables.  On  a  donc-  fêté  cette  année  te 
premier  anniversaire  de  la  consécration  de  la  maison  qui,  bien  que  désignée 
depuis  quatorze  ans  à  l'attention  des  fidèles  par  te  sculpteur  Kielz.  est  de- 
venue seulement  l'année  dernière  un  sanctuaire  de  dévotion  à  l'usage  des 
wagnéristes.  Le  professeur  Gassmeyer,  de  Leipzig,  a  rappelé  dans  un  petit 
discours  que  c'e=t  le  21  juillet  1907,  que  la  »  chambre  de  Richard  Wagner  » 
dans  la  «  Maison  de  Lohengrin  »  à  Grossgraupa  fut  livrée  au  public  et  put  être 
visitée  librement.  Il  a  fait  remarquer  en  outre  que  l'on  doit  bien  un  souvenir 
au  sculpteur  Kietz,  qui  fut  l'ami  de  Wagner  et  qui  s'écria,  lorsqu'on  le  nomma 
membre  d'honneur  de  la  Société  qui  se  fondait  pour  l'acquisition  future  de  la 
maison  :  «  Vous  êtes  de  braves  gens  ;  si  te  bon  Richard  eût  pu  prévoir  ce  qui 
arrive,  combien  n'en  eùt-il  pas  été  réjoui"?  »  Il  y  a  soixante-deux  ans.  lorsque 
Wagner  s'installa  pour  une  saison  d'été  à  Grossgraupa,  il  se  montra  ravi  de  la 
beauté  champêtre  du  village  et  de  ses  alentours.il  écrivait  à  l'un  de  ses  amis: 
»  .T'espère  oublier  la  ville,  te  théâtre  et  la  direction  générale  de  la  musique. 
Dieu  soit  loué,  je  suis  à  la  campagne,  j'habite  un  hameau  que  tes  touristes 
n'ont  pas  encore  profané.  Je  suis  te  premier  citadin  qui  ait  loué  ici  une  habi- 
tation. Je  me  promèno,  je  m'étends  dans  la  forêt,  je  lis,  je  mange,  je  bois  et 
cherche  à  oublier  la  composition.  »  Il  l'oublia  si  peu  que,  dans  tes  lettres  qui 
suivireiit.il  indiqua  nettement  que  son  nouvel  ouvrage  était  en  pleine  période 
d'incubation.  En  dépit  des  efforts  tentés  pour  élendre  te  champ  d'action  des 
œuvres  qui  appartiennent  à  la  seconde  période  de  la  vie  de  Wagner,  Lohen- 
grin est  resté,  avec  Tannhauser, te  plus  populaire  de  tous.  Depuis  l'époque  de  la 
première  représentation,  28  août  1850,  l'œuvre  a  eu  plus  de  trois  cents  reprises 
dans  les  théâtres  d'Allemagne. 


—  Décidément,  et  après  avoir  pris  l'avis  du  ministre  des  Finances,  le  Gou- 
vernement autrichien  vient  de  déclarer  que  te  Conservatoire  de  la  Société  des 
Amis  de  la  musique  de  Vienne  devenait  désormais  une  institution  officielle. 
A  l'avenir,  tout  le  personnel  sera  donc  salarié  par  l'État.  Jusqu'à  la  fin 
de  1911,  l'institution  continuera  d'avoir  son  siège  à  l'hôtel  de  la  Société  des 
Amis  de  la  musique. 

—  On  mande  de  Saint-Pétersbourg  quêtes  représentations  de  l'Opéra  russe 
de  cette  ville  à  Berlin  se  sont  soldées  par  un  déficit  d'environ  110.000  francs. 

—  Pendant  la  dernière  saison  théâtrale,  l'Opéra  de  Dresde  a  donné  56  ou- 
vrages différents,  répartis  sur  291  soirées.  Trois  ouvrages  nouveaux  ont  en 
dans  cette  ville  leur  première  représentation  :  les  Belles  de  Fogaresch  de 
M.  Alfred  Grilnfeld,  Acte  de  M.  Joan  Manèn  et  Nuit  de  printemps  de  M.  Ger- 
hard Scbjelderup.  Le  nombre  des  visiteurs  payants  qui  ont  assisté  aux  repré- 
sentations a  été  de  324.190. 

—  Dans  la  ville  d'eaux  de  Wildungen,  on  vient  de  donner  une  audition,  la 
seconde  vraisemblablement,  d'une  symphonie  en  ré  majeur  d'Otto  Nicolaï, 
dont  te  manuscrit  a  été  tout  récemment  retrouvé  dans  les  archives  de  l'insti- 
tution de  concerts  du  Gewandhaus  de  Leipzig.  L'œuvre  fut  considérée  comme 
perdue  après  sa  première  audition  qui  eut  lieu  à  Vienne  en  1845.  Le  compo- 
siteur, alors  âgé  de  trente-cinq  ans,  l'écrivit  avec  beaucoup  d'entrain  juvénile. 
Aujourd'hui,  te  Scherzo  parait  encore  charmant,  mais  te  reste  a  vieilli.  Un 
des  opéras  de  Nicolaï,  les  Joyeuses  Commères  de  Windsor,  est  resté  le  plus  connu 
parmi  ceux  de  ce  maitre  qui  mourut  à  trente-neuf  ans. 

—  A  Londres,  il  n'y  aura  point  cette  année  de  saison  d'automne  d'opéra. 
La  salle  de  Coven-Garden  sera  livrée  aux  mains  des  architectes  pour  qu'ils 
puissent  effectuer  des  modifications  dans  l'agencement  des  loges.  Le  Théâtre 
Royal  de  Covent  Garden,  élevé  dans  le  Bow-Street,  quartier  de  Westminster, 
sur  l'emplacement  d'un  ancien  monastère,  remonte  aux  premières  années  du 
XVIIL  siècle.  L'auteur  anonyme  d'un  livre  intitulé  Garrick  et  /es  Acteurs  an- 
glais (Paris  1769),  lui  a  consacré  ces  lignes  :  «  C'était  autrefois  un  couvent 
catholique;  maintenant  les  moines,  tes  prêtres,  tes  évèques,  les  liturgies  y 
paraissent  sur  la  scène  ;  tes  Anglais  ont  mis  le  théâtre  dans  l'église  et  l'église 
sur  le  théâtre  ».  La  première  salle  de  Covent-Garden  devint  la  proie  des 
flammes  en  1808.  On  posa  la  première  pierre  de  la  seconde  salle  te  31  décembre 
de  la  même  année,  et,  dix  mois  après,  18  septembre  1S09,  te  théâtre  était  de 
nouveau  ouvert  au  public. 

Ainsi  que  nous  l'avons  dit,  le  prix  de  12.500  l'r.   (500  livres  sterling)  offert 

par  la  maison  Ricordi,  de  Milan,  pour  la  composition  d'un  opéra  anglais,  a  été 
décerné  à  M.  Edward  WoodallNaylor,  pour  son  opéra  intitulé  l'Angélus,  dont 
te  livret  est  de  M.  Wdfrid  Tnornely.  Cet  ouvrage  sera  joué,  dit-on,  en  janvier 
1909,  au  Covent-Garden. 

A  coté  de  son  répertoire  ordinaire  composé  d'oeuvres  françaises,  italien- 
nes, anglaises  et  allemandes,  1'admiuistration  des  Concerts-Promenade  de 
Queen's  Hall  de  Londres  donnera  les  ouvrages  suivants  des  compositeursbri- 
tanniques  :  Symphonie  en  mi  bémol,  de  M.  H.  Balfour  Gardiner;  Concerto  en 
ré  pour  violoncelle,  par  M.  Percy  H.  Miles;  Concerto  en  sol  pour  piano,  par 
M.York  Bowen;  Suite  villageoise,  par  M.  B.  Luard  Selby;  prélude  d'Agamem- 
non,  par  M.  W.  H.  Bell  ;  enfin  deux  pièces  pour  orchestre,  Vieillesse  et  Jeunesse, 
par  M.  A.  Herbert  Brewer. 

Il  vient  de  paraître  à  Londres  une  nouvelle  édition  du  Dictionnaire  de  hi 

Musique  et  des  Musiciens,  de  Grove.  UAthenueum.  en  rectifiant  quelques  erreurs 
que  la  revision  des  articles  n'a  pas  fait  disparaître,  ajoute  que  la  musique  et 
les  musiciens  russes  occupent,  dans  cette  dernière  édition  de  l'ouvrage,  plus 
de  place  que  dans  les  précédentes. 

—  Le  programme  du  festival  qui  doit  avoir  lieu  en  octobre  prochain  à 
Sheffield  comprendra  les  ouvrages  suivants  :  ÉKe  de  Mendelssohn,  les  Béati- 
tudes de  César  Franck,  Seadrift  de  M.  Delius,  Soirée  de  Noël  de  Rimsky-Korsa- 
kovs-,  Symphonie  avec  chœurs  de  Beethoven,  Requiem  de  Verdi,  Everyman  de 
M.  W.  Davis,  l'Enfant  prodigue  de  M.  Claude  Debussy,  la  Passion  selon  saint 
Mathieu  et  un  Motet  de  Bach.  C'est  M.  J.  Wood  qui  aura  la  direction  de  ce 
festival. 

—  M.  Hermann  Klein,  qui  est  en  ce  moment  à  Paris,  nous  annonce  qu'il 
donnera  une  saison  de  concerts  du  dimanche  dans  la  salle  du  théâtre  alle- 
mand de  New-York,  à  partir  du  4  octobre  prochain.  Les  concerts,  au  nombre 
de  trente,  auront  pour  objet  de  faire  connaître  tes  grandes  œuvres  des  compo- 
siteurs classiques  et  contemporains.  Plus  de  soixante-dix  artistes  de  premier 
ordre  sont  déjà  engagés,  parmi  lesquels  beaucoup  n'ont  pas  encore  été  entendus 
en  Amérique.  Des  auditions  de  musique  de  chambre  permettront  de  présenter 
au  public  tout  un  répertoire  d'oeuvres  instrumentales  ou  lyriques  qui  ne  sau- 
raient manquer  d'exciter  le  plus  vif  intérêt. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

M.  Messager  rentrera  à  Paris  te  10  août  et.  reprendra,  de  concert  avec 
M.  Broussan,  la  direction  des  études  du  Crépuscule  des  Dieux,  de  Wagner, 
dont  on  compte  donner  la  première  vers  la  lin  du  mois  de  septembre. 
M.  Pierre  Lagarde  s'occupe  activement  des  décorset  des  costumes;  et,  comme- 
nous  l'avons  dit  déjà,  c'est  vraisemblablem  ent  M.  Messager  qui  conduira  l'or- 
chestre pour  ces  représentations. 


LE  MÉNESTIIEL 


—  A  l'Opéra-Comique,  livré  en  ce  moment  aux  ouvriers  qui  font  un 
nettoyage  complet,  c'est  le  20  août  que  recommencera  le  travail  artistique  de 
l'active  et  vivante  maison.  Tout  le  monde  est  convoqué  pour  cette  date. 

—  M.  Albert  Carré  vient  de  quitter  Pornichet,  où  il  était  en  vacances  avec 
sa  jeune  femme,  pour  se  rendre  à  Dijon  et  y  accomplir  une  période  mililaiiv. 
On  sait  que  le  directeur  de  l'Opéra-Comique  est,  dans  la  réserve,  commandant 
d'infanterie.  Il  a  retrouvé  là-bas  le  maitre  peintre-décorateur  M.  Jusseaume 
qui,  lui,  est  lieutenant.  Mme  Marguerite  Carré  a  profilé  de  cette  absence  de 
son  mari  pour  aller  faire  une  petite  saison  au  Mont-Dore. 

—  M.  Mathis  Lussy  vient  d'être,  au  titre  étranger,  nommé  chevalier  de 
la  Légion  d'honneur.  Et  tout  en  applaudissant  de  grand  cœur  à  cette  nomina- 
tion, l'on  ne  peut  que  s'étonner  que  l'auteur  du  Rythme,  du  Tmilé  de  l'Expres- 
sion musicale,  de  VAnacrov.se  et  de  tant  d'autres  ouvrages  témoignant  de  toute 
une  belle  vie  de  labeur,  de  recherches  et  de  trouvailles  tout  à  fait  personnelles, 
ait  attendu  si  longtemps,  —  M.  Lussy  vient  d'entrerdans  sa  quatre-vingtième 
année,  —  la  juste  récompense  de  travaux  qui,  dés  longtemps,  l'avaient  placé 
parmi  les  tout  premiers  et  les  plus  hautement  originaux  des  écrivains  didac- 
tiques modernes. 

—  D'autre  part  et  au  titre  militaire,  il  est  lieutenant  de  réserve,  le  ruban 
rouge  vient  d'être  aussi  donné  à  M.  Etienne  de  la  Neuville,  qui  s'est  fait 
connaître  au  théâtre  sous  le  pseudonyme  de  Jacques  Lemaire.  On  lui  doit, 
entre  autres  pièces,  d'intéressantes  traductions  des  auteurs  du  nord  faites  en 
collaboration  avec  M.  Schiirmann. 

—  Il  y  a,  dit  notre  excellent  confrère  Serge  Basset  du  Figaro,  quelque  émoi 
dans  le  inonde  des  musiciens.  Cet  émoi  a  été  soulevé  par  la  récente  désigna- 
tion qu'a  faite  l'Académie  des  beaux-arts  pour  l'ouvrage  que  l'Opéra,  aux 
termes  de  son  cahier  des  charges,  doit  commander  tous  les  trois  ans  à  un 
ancien  Grand  Prix  de  Rome.  L'usage  établi  jusqu'à  présent  était  que  l'Institut 
désignât,  par  rang  d'ancienneté,  l'ancien  pensionnaire  musicien  de  la  villa 
Médicis,  qui  devrait  écrire  l'ouvrage  en  deux  actes,  ou  même  en  trois  (comme 
le  cas  s'est  présenté  pour  la  Cloche  du  Rhin).  Or,  cette  année,  la  liste  soumise 
au  ministre  par  la  section  musicale  de  l'Institut  comporte  en  première  ligne 
M.  Sïlver,  grand  prix  en  1891,  en  deuxième  ligne  M.  Bachelet,  grand  prix  en 
1S90;  en  troisième  ligne,  M.  André  Bloch,  grand  prix  en  1S93;  en  quatrième 
ligne,  M.  Rabaud,  grand  prix  en  1S94;  en  cinquième  et  dernière  ligne, 
M.  Carraud.  grand  prix  en  180S.  De  plus,  l'usage  était  encore  que  seuls  fussent 
considérés  comme  devant  bénéficier  de  la  disposition  du  cahier  des  charges 
de  l'Opéra  les  Grands  Prix  de  Rome  qui  n'auraient  pas  encore  été  joués  dans 
les  théâtres  subventionnés.  Or,  deux  des  compositeurs  désignés  par  l'Institut 
ont  eu  des  œuvres  représentées  à  l'Opéra  Comique.  Est  ce  une  innovation 
qu'a  voulu  imposer  l'Académie  des  beaux-arts  ?  Voilà  ce  qu'on  se  demande 
dans  le  monde  des  musiciens,  en  attendant  que  le  ministre  (qui  se  prononce 
en  dernier  ressort)  ait  fait  connaître  sa  volonté. 

—  Et  le  Nain  Jaune,  de  VËcho  de  Paris,  à  ce  propos,  philosophie  un  peu 
irrévérencieusement,  mais  assez  justement  :  «  Voici  donc  M.  Doumergue 
chargé,  comme  on  vous  l'a  annoncé,  de  prononcer,  en  dernier  ressort,  sur  les 
mérites  respectifs  de  cinq  anciens  prix  de  Rome,  dont  la  liste  lui  a  été  sou- 
mise, conformément  au  règlement,  par  l'Académie  des  beaux-arts.  A  M.  Dou- 
mergue appartient  de  dire  qui  a  le  plus  de  talent,  de  M.  Silver  ou  de 
M.  Bachelet,  qui,  de  M.  Bloch  ou  de  M.  Rabaud,  peut  faire  le  meilleur  opéra, 
le  plus  joli  ballet.  M.  Doumergue  a  été  avocat  à  Ni  mes,  il  a  été  magistrat  en 
Cochinchine,  il  a  été  juge  de  paix  en  Algérie...  Mais  où.  donc  a-t-il  appris  la 
musique?...  ». 

—  On  vient  de  placer  à  l'exposition  théâtrale  du  Musée  des  Arts  décoratifs 
la  maquette  de  l'ancien  théâtre  de  Nancy,  celui  que  lit  édifier  le  roi  Stanislas, 
duc  de  Lorraine.  Cette  maquette,  réduite  au  dixième  de  sa  grandeur  d'exécu- 
tion, est  un  pur  chef-d'œuvre  de  mécanisme  et  d'art  théâtral:  elle  reproduit 
fidèlement  la  scène  du  théâtre  en  question,  inauguré  le  2j  novembre  1753  sur 
la  place  Royale  —  actuellement  place  Stanislas.  Cette  scène  comprend,  à  petite 
échelle,  tous  les  perfectionnements  modernes  qui  lui  furent  apportés  jusqu'à 
la  date  de  l'incendie,-  en  octobre  11103.  Rien  n'y  manque  dans  les  dessous  et 
dans  les  cintres:  le  tout  est  équipé  et  se  prête  effectivement  aux  manœuvres 
les  plus  compliquées.  Une  mise  en  scène  originale,  due  au  décorateur  nancéien 
Jacolot,  a  été  reproduite.  Grâce  aux  plans  coloriés  qui  existent  dans  les 
cartons  de  M.  Jasson,  arcfiitecte  de  la  ville  de  Naacy,  M.  Albert  Jacquot,  le 
luthier  nai.céieu,  a  su  faire  reconstituer  par  le  pinceau  de  M.  Chambé,  artiste 
peintre,  la  face  de  la  scène  et  le  magnifique  rideau  qu'avait  conçu  Despléchin 
sous  le  second  Empire. 

—  Le  théâtre  des  Folies-Dramatiques  deviendra,  à  partir  du  mois  d'octobre 
prochain,  théâtre  d'opérettes.  Enfin!  Ainsi  en  a  décidé  son  directeur  nouveau, 
M.  Dsbrenne,  qui  était  l'administrateur  de  M.  Richemond.  On  compte  inau- 
gurer la  saison  avec  Mam'zelle  Trompette,  opérette  en  3  actes  de  MM.  Maurice 
Desvallières  et  Moncousin,  musique  de  M.  Hirleman,  puis  faire  une  reprise  du 
Petit  Fau-t  d'Hervé:  l'on  parle  aussi  d'une  Madame  Marlborougli.  3  actes  de 
M.  Métivet,  musique  de  M.  A.  Lichaume,  et  de  Claudine.  3  actes  tirés  des 
romans  de  Willy,  musique  de  M.  Rodolphe  Berger.  C'est  M.  J.  de  la  Batut 
qui  sera  secrétaire  général. 

—  Il  est  question  de  faire,  à  l'automne,  au  Théâtre  Marigny.  une  saison 
d'opéra  italien.  On  jouerait  le  vieux  répertoire  :  /  Puritani,  Xornn.  Liada,  Don 
Pasquale,  etc. 


—  Les  concours  de  l'école  Niedermeyer  ont  été,  celte  année  comme 
toujours,  très  brillants  et  attestent,  une  fois  de  plu-,  la  supériorité  de  cette 
école  célèbre,  dirigée,  depuis  1865,  par  M.  Gustave  Lefèvre  et  d'où  sont  s.  rii- 
MM.  Gabriel  Faurë,  André  Messager,  Bûsser,  Alex.  Georges,  etc.  et  tant 
d'autres.  Parmi  les  élèves  le  plus  souvent  nommés,  citons  :  MM.  Marichelle, 
Noyon,  Froment,  Gourbi n,  Simon,  etc. 

—  On  se  rappelle,  qu'ici-méme,  M.  Widor  a   rendu  compte 

curieux  de  lumière  faits  par  le  peintre   Fortuny  sur  le  théâtre  de  madame  la 

comtesse  de  Béaru.  Or  M.  Fortuny,   qui  habite  habituelle n'  \ 

d'arriver  à  Paris  pour  s'entendre   avec  MM.   Clavette,  .lulrs  Bois  el    Bashaël 
Dullos,  directeur,  auteur  et  metteur  en  scène,  et  combiner   les  effets  électri- 
ques  pour  les  décors   nouveaux   de   la    Furie,  que   la  Comédie-Frai 
représenter. 

—  Les  «  Grandes  auditions  lyriques  »  continuent  leur  très  heureuse  carrière 
au  Jardin  des  Tuileries  devant  toujours  un  public  très  nombreux  applaudis- 
sant aux  exécutions  des  programmes  instrumentaux,  vocaux  el  chorégraphiques 

composés  très  heureusement  par  M.  G igea  George.   Masscnet  y  triomphe 

avec  les  Erinnyés,  l'Ouverture  de  Brumaire,  Parade  militaire,  le  ballet  i'Sérodiade, 
l'ouverture  de  Chérubin,  Sevillana,  le  chœur  des  romains  i'Hérodiade,  chanté 
par  le  »  Choral  de  Paris  »,  sous  la  direction  de  MM.  Baslaire  et  Audonnet,  et 
par  le  «  Choral  moderne  »,  sous  la  direction  de  M.  Durand,  etc..  et  aussi 
Ambroiso  Thomas  avec  l'ouverture  de  Mignon,  Delibes  avec  des  fragments  de 
Lakmé,  Lalo  avec  l'ouverture  du  Roi  d'Ys,  Reyer  avec  des  fragments  de  Sigurd, 
et  encore  nos  auteurs  de  valses  en  vogue,  Strauss  avec  Sur  le  lacdePlaten, 
donné  avec  le  concours  des  chœurs,  Fahrbach  axecCIianieurs  des  bois,  Rodolphe 
Berger  avec  l'Heure  grise,  Marchai  avec  Ombre  mystérieuse,  Nazare-Aga  avec 
les  Yeux  clos,  Weiler  avec  Bonheur  ren},  etc. 

—  Du  «Masque  de  Fer»  du  Figaro  :  «  La  première  épée  de  Raoul  de  V'  igi 
Par  quels  hasards,  l'épée  que  brandissaient,  il  y  a  trois  quarts  de  siècle 
l'Opéra,  les  célèbres  ténors  Nourrit  et  Duprez,  en  lançant  leurs  fameux  ut  de 
poitrine  du  troisième  acte  des  Huguenots,  parvint-elle  jusqu'à  Abomey  .'  Per- 
sonne, sans  doule,  ne  le  saura  jamais.  Mais  ce  qui  est  certain,  c'est  que  cette 
arme,  accompagnée  de  pièces  officielles  qui  étaldissent  sou  authenticité,  vient 
de  nous  revenir  de  la  plus  étrange  façon.  C'est  Béhanzin.  le  feu  n  i  du  Daho- 
mey, longtemps  captif  dans  noire  colonie  de  la  Martinique  et  mort  en  Algé- 
rie, qui  l'a  léguée  à  notre  musée  colonial  de  la  galerie  d'Orléans,  au  Palais- 
Royal.  L'épée  de  Raoul  de  Nangis  avait  d'ailleurs  subi  quelques  transforma- 
tions, avant  de  passer  aux  mains  de  Béhanzin.  Les  forgerons  d'Abomey  en 
avaient  agrémenté  la  poignée  d'une  bizarre  enveloppe  de  mêlai,  que  l'on  re- 
connaît aisément,  malgré  ses  guillocbures  artistiques,  pour  une  ex-boite  dv 
sardines.  Béhanzin  ne  ceignait  cette  arme  que  dans  les  grandes  cérémonies 
de  parade.  Lorsqu'on  l'exila,  il  obtint  la  faveur  d'emporter  ce  souvenir  de  sa 
splendeur  royale,  qui,  depuis  hier,  en  vertu  des  dispositions  testamentaires 
du  roi  nègre,  a  réintégré  Paris.    » 

—  Deux  des.  plus  brillantes  élèves  de  M""  Marchesi  viennent  d'être  enga- 
gées l'une,  MUc  Juliette  Lucey,  voix  de  contralto  superbe,  à  la  Monnaie  de 
Bruxelles,  l'autre,  Mlie  Sibyl  Tancredi,  joli  soprano  qui  vient  de  Nouvelle- 
Zélande,  au  Mannhatan- Opéra  de  New- York. 

A  Bourges,  comme   toujours,   l'audition  des   élèves  de  Mmc   Georges 

Marquet  a  été  des  plus  brillantes.  Toutes  ces  jeunes  élèves  sont  fort  intéres- 
santes et  prouvent  un  excellent  enseignement.  Fort  remarqués  au  programme 
les  airs  de  Paul  et  Virginie,  Marie-Magdeleine,  Esclarmonde,  Sigurd,  Hérodiade, 
le  Cid,  Ifamlet  et  les  mélodies  les  Oiselets,  Si  tu  ceux,  mignonne.  Que  l'heure  est 
donc  brève,  Noël  païen  de  Massenet,  Arioso  de  Léo  Delibes,  le  Chevalier  Belle- 
Étoile,  d'Augusta  Holmes,  etc.,  elc. 

NÉCROLOGIE 

Auguste  Bernhardt,  qui  avait  été  nommé  en  1897  directeur  du  Conser- 
vatoire de  Saint-Pétersbourg,  et  avait  renoncé  à  cet  emploi  en  1903.  à  la  suite 
de  dissentiments  survenus  entre  lui  et  le  comité  d'enseignement,  est  mort  il  y 
a  déjà  quelques  jours.  Il  avait  quitté  la  Russie  pour  se  fixera  Dresde.  Elève  de 
Johannsen,  qui  l'avait  précédé  à  la  direction  du  Conservatoire,  il  reçut  aussi 
des  leçons  de  Rimsky-Korsakow,  qui  lui  succéda  à  la  tète  de  l'institution  et 
fut  révoqué  pour  des  motifs  politiques.  Son  activité  ne  s'est  pas  bornée  à 
l'exercice  de  ses  fonctions  administratives  ;  il  a  traduit  en  allemand  plusieurs 
opéras  russes,  parmi  lesquels  on  peut  citer  Eugène  Onéguine  et  la  Dame  de  pique, 
d3  Tschatkowsky. 

—  Un  compositeur  estimé,  Ilario  Bagnara,  dont  le  principal  ouvrage  est 
l'oratorio  Santa  Cecilia,  vient  de  mourir  à  Castel-Bolognese.  Habile  contrepoin- 
tisle  et  professeur  excellent,  son  enseignement  était  très  apprécié  à  l'Académie 
de  Bologne. 

Henri  Heigel,  directeur-gérant. 

BREVET  A  VENDRE 

M.  Gelirui;  HOWLELT-DAVIS,  titulaire  du   brevet  français  n"  3s 6  832 
date  du  19  juillet  1903,  pour  :  Perfectionnements  aux  Lnstruuents  de  musique 
mécaniques,  désire  vendre  ledit  brevet  ou  en  céder  des  licences  d'exploitation. 

S'adresser  à  l'Office  PICARD  (brevets  d'invention,  marques  de  fabrique), 
97.  rue  Saint-Lazare,  Paris,  !K  chargé  de  centraliser  les  propositions. 


248 


LE  MENESTREL 


Paris,  AU  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Vivienne,  HEUGEL  et   Cie,   Éditeurs-propriétaires 

MORCEAUX  DE  CHANT  AVEC  ACCOMPAGNEMENT  D'ORCHESTRE  pour  les  Concerts 

(EN    LOCATION    SEULEMENT) 


ARD1TI.  Parle,  valse. 

—  Capriccio-mazurka. 

—  Ophélie,  valse  sur  Hamlct. 
CABLO  BALDI.  Marche  napolitaine,  irans- 

crite  pour  chant  par  J.  Massenet. 
RODOLPHE  BERGER.  Perdition,  valse. 

—  L'heure  grise,  valse  lente. 

—  Dernier  baiser,  valse  très  lente. 

—  Impératrice,  valse  lente. 

—  Tentation,  valse  lente. 

—  Ne   mentons   pas    aux  femmes, 

valse  lente. 

—  Un  peu  d'amour,  valse  lente. 

—  A  quoi  pensez-vous?  valse  lente. 

—  Cœur  fragile,  valse  lente. 

—  En  fermant  les  yeux,  valse  lente. 

—  Fiançailles,  chanson. 

—  Rions  toujours,  valse  viennoise. 
P.  RERNARD.  Ça  fait  peur  aux  oiseaux. 
J.  BLOCKX.  Princesse  d'Auberge  : 

Lied  de  Reinilde  (S.). 

E.  BOURGEOIS.  La  véritable  Manola. 
G.  CARBAUD.  Beau  soir. 

—  Hier. 

—  Noël. 

GUSTAVE  CHARPENTIER.  Louise  : 

Air  :  Depuis  le  jour  (S.). 

—  Le  Jet  d'eau. 

—  La  Veillée  rouge. 

—  La  Chanson  du  chemin. 

—  Les  Chevaux  de  bois. 

—  Sérénade  à  Watteau  (T.). 
CÉSAR  CUL  Les  deux  Ménétriers  (B.). 

—  Le  Flibustier  :  Air  de  Janick  : 

Voyons  ce  que  j'éprouve  (S.). 

F.  DAVID.  La  Perle  du  Brésil  : 

Chant  du  Mysoli  (S.). 

Ballade  du  grand  esprit  (S.). 
L.  DENZA.  Toujours  des  roses,  valse. 
LÉO  DELIBES.  Arioso. 

—  Myrto. 

—  Jean  de  Nivelle  : 

Ballade  delaMandragore()l.-S.). 
On  croit  à  tout  (S.). 
Ilestjeune,ilestamoureux(B.). 
Fabliau  :  Dans  le  moulin  (S.). 
Stances  de  la  bannière  (T.). 

—  Lakmë  : 

Duo  :  Sous  le  dôme  épais  (S. 
M.-S.). 

Duo  :  C'est  le  dieu  de  la  jeu- 
nesse (S.  T.). 

Fantaisie  aux  divins  menson- 
ges (T.). 

Pourquoi?  (S.). 

Ton  doux  regard  se  voile  (Bse). 

Légende  delaFilleduParia(S.). 
MAURICE  DEPRET.  Trouble  d'amour,  valse. 
THÉODORE  DUBOIS.  Rosée. 

—  A  l'Océan. 

—  Au  bord  de  l'eau. 

—  La  voie  lactée. 

—  Dormir  et  rêver. 

—  Tarentelle. 

—  A  Douarnenez,  en  Bretagne. 

—  Le  Baiser. 

—  Printemps. 

—  Si  j'ai  parlé,  si  j'ai  aimé. 

—  Aben-Hamet  : 

Reine,  Hamet  te  salue  (B.). 
Duo  :  Pardonne,  oublie  (S.  B.). 
ALP.  DUVEBNOY.  La  Bergeronnette. 

—  Chanson  du  rouet. 

—  Rondes  du  mai. 

—  La  Caravane  humaine  (Bse). 
GABBIEL  FABBE.  Cantique  d'amour. 

—  Les  Filles  d'Orlamonde. 

—  J'ai  marché  trente  ans. 

—  Jardin  d'amour. 
J.  FAUBE.  Charité  (B.). 

—  CruciBx. 

—  Sancta  Maria. 

—  Stella,  valse. 
CÉSAR  FRANCK.  Bédemption  : 

Air  de  l'archange  (S.). 
A.  GEDALGE.  La  Santé  portée. 

—  Les  périls  de  mer. 

—  C'est  ce  joli  mois  de  May. 


BENJAMIN  GODARD.  Le  Tasse  :  , 

Air  des  Regrets  (S.). 
Duo  du  Rendez-vous  (S.  T.). 
CH.  GOUNOD.  Ave  Maria. 

—  Notre-Dame-de-France  (B.). 
A.  DE  GREEF.  Les  Cloches. 

—  Devant  le  ciel. 

—  Ma  vie  est  dans  vos  mains. 

—  Notre  amour. 

—  Toute  àme  est  un  berceau. 
REÏNALDO  HAHN.  La  Paix. 

—  Le  Souvenir  d'avoir  chanté. 
A.  HOLMES.  Hymne  à  Vénus  (S.). 
G.  HUE.  L'Ane  blanc. 

—  Berceuse  triste. 

—  Chanson  d'amour  et  de  souci. 

—  La  Fille  du  roi  de  Chine. 

—  Mer  grise. 

—  Mer  païenne. 

—  Mer  sauvage. 

L.  LACOMBE.Aupiedd'uneruciBx(M.-S.). 
ED.  LALO.  Le  Roi  d'Ts  : 

Duo    :    En    silence    pourquoi 

souffrir  (S.  M.-S.). 
Lorsque   je  l'ai  vu  reparaître 

(M.-S.). 
Que  ta  justice  fasse  taire  (S.). 
Vainement,  ma  bien-aimée  (T.) 
Pourquoi  lutter  de  la  sorte(S.). 
Duo  :  A  l'autel  j'allais  rayon- 
nant (S.  T.). 
LOTTI.  Parle  encore,  ariette  (S.). 
FRANCIS  MARCHAL.  Heures  d'oubli,  valse. 
H.  MARÉCHAL.  L'Étoile  :  Air  de  ténor. 
P.  MASCAGNI.  Cavalleria  Rusticana  : 
Air  de  Santuzza  (S.). 
J.  MASSENET.  Chant  provençal  ('2  tons). 

—  Crépuscule. 

—  Le  départ. 

_    Elégie  (M.-S.). 

—  Les  Enfants  (3  tons). 
_    Les  Fleurs,  duo  (S.  B.). 

—  Je  t'aime  (M.-S.). 

—  Larmes  maternelles. 

—  Marquise,  avec  variations  (S.). 

—  Musette. 

—  Noël  païen  (3  tons). 

—  Ouvre  tes  yeux-bleus. 

—  Pensée  d'automne  (2  tons). 

—  Pensée  de  printemps  (M.-S.). 

—  Pitchounette. 

—  Poème  pastoral. 

—  Le  Poète  et  le  Fantôme  (B.). 

—  Sérénade  du  passant. 

—  Sevillana. 

—  Sainte  Thérèse  prie. 

—  Si  tu  veux,  mignonne. 

—  Avril  est  amoureux. 

—  Souvenez-vous,  Vierge  Marie. 

—  Hymne  d'amour. 

—  Première  danse. 

—  Le  petit  Jésus. 

—  Amoureuse. 

—  La  Rivière. 

—  Chanson  des  bois  d'amaranthe. 

i.  Trio  :    0    beau   printemps 
(S.  C.  T.). 

2.  Duo  :  Oiseau  des  bois  (S.  C.) 

3.  Quatuor  :   Chères    fleuri 
(S.  C.  T.  B.). 

4.  Trio  :  0  Ruisseau  (S.  C.  T.). 

5.  Quatuor    :  Chantez   (S.  C. 
T.  B.). 

—  Le  Cid  : 

Alléluia  (S.). 

Pleurez  mes  yeux  (S.). 

Prière  (T.). 

—  Esclarmonde  : 

Comme  il  tient  ma  pensée  (S.). 
Regarde-les  ces  yeux  (S.). 
En  retrouvant  la' vie  (S.). 

—  Eve  : 

Scène  et  duo  :  Ton  visage  est 
brillant  (S.  B.). 

—  Hérodiade  : 

Il  est  doux  (S.). 

Ne  me  refuse  pas  (M.-S.). 

Charme  des  jours  passés  (S.). 

Vision  fugitive  (B.). 

Ne  pouvant  réprimer  (T.). 

Dors,  o  cité  perverse  (Bse.). 


J  MASSENET  (Suite).  Le  «âge  : 

Duo  :   Quoi   toujours  le  front 

soucieux  (S.  T.). 
Descendons  plus  bas  (M.-S.). 
Soulève  l'ombre  de  ces  voiles  (T.) 
Sous  tes  coups  tu  peux  briser 

(M.-S.). 
Chant  touranien  (S.). 

—  Manon  : 

Gavotte  (S.). 

Je  marche   sur  .tous  les   che- 
mins (S.). 
Ah!  fuyez,  douce  image  (T.). 
Fabliau  (S.). 
Le  Rêve  de  des  Grieux  (T.). 

—  Marie-Magdeleine  : 

C'est  ici  même  à  cette  place(S.). 
Duo  :   Heureux   ceux   qui   vi- 
vront (S.  T.). 
O  bien-aimé  (S.). 

—  Le  Roi  de  Lahore  : 

Romance-sérénade  (S.). 
Duo  :  Sita,  voici  venir  (S.  B.). 
Promesse  de  mon  avenir  (B.). 
J'ai  fui'la  chambre  (S.). 

—  Thaïs  : 

Voilà  donc  la  terrible  cité  (B.). 
Dis-moi  que  je  suis  belle  (S.). 

—  La  Vierge  : 

Extase  (S.). 

—  Werther  : 

Invocation  à  la  nature  (T.). 
Les  lettres  (M.-S.). 
Les  larmes  (M.-S.). 
Lied  d'Ossian  (T.). 

—  Cendrillon  : 

Duo  :  Printemps  revient  (S.B.) 

—  Grisélidis  : 

Il  partit  au  printemps  (S.). 
Prière  :    Des    larmes    brûlent 
(S.). 

—  Le  Jongleur  de  Notre-Dame  : 

Légende  de  la  Sauge  (B.). 

—  Sapho  : 

Qu'il  est  loin  mon  pays  (T.). 
Pendant  un  an  (S.). 

—  Chérubin  : 

Chanson  de  Chérubin  (S.). 
Aubade  de  l'Ensoleillad  (S.). 

—  Ariane  : 

Prière  à  Cypris  (S.). 

Arioso  de  Thésée  (T.). 

Tu   lui  parleras,  n'est-ce  pas? 

(S.). 
Ah!  le  cruel!  (S.). 
Air  de  Perséphone   (M.-S.). 
Air  des  roses  (M.-S.). 
Lamento  d'Ariane  (S.). 

—  Thérèse  : 

Le  passé,  mais  c'est  ta  jeu- 
nesse (T.). 
Menuet  d'amour  (T.  M.-S.). 
Jour  dejuinjour  d'été  (M.-S.). 
OLIVIER  MÉTRA.  Espérance,  valse. 

—  La  Estudiantina,  polka. 

—  Les  Faunes,  valse. 

—  Les  Femmes  de  feu,  valse. 

—  Légende  de  Gambrinus,  valse. 

—  La  Marguerite,  mazurka. 

—  Les  Marionnettes,  polka. 

—  Mélancolie,  valse, 

—  La  Nuit,  valse. 

—  Le  Rhin,  mazurka. 

—  Les  Roses,  valse. 

—  La  Sérénade,  valse. 

—  Le  Soir,  valse. 

—  Souvenir  du  bal,  mazurka. 

—  La  Vague,  valse. 

—  Le  Valet  de  chambre,  valse. 

-    Les  Volontaires,  polka-marche. 
ERNEST  MORET.  Nocturne. 

—  Sérénade  florentine. 

—  Le  cadavre  est  lourd. 

—  Le  ciel  est  transi. 

—  Insomnie. 

—  La  mort  de  l'automne. 

—  Où  vivre? 

—  ,  Plaintes  comiques. 

—  Te  souviens-tu  du  baiser? 

—  Te  souviens-tu  d'une  étoile? 


H.  MOUTON.  L'Amour  est  roi!  marche. 
MOZART.  Les  Noces  de  Figaro  : 

Ce  doux  martyr  (S.). 

O  nuit  enchanteresse  (S.). 

—  La  Flûte  enchantée  : 

Ne  tremble  pas  (S.). 
Oui,  devant  toi  lu  vois  (S.). 
C'en  est  fait,  le  rêve  cesse  (S.). 
Ï.-K.  NAZARE-AGA.  Valse  de  Paradis. 

—  Charme  d'automne,  valse. 

—  Ehlouissement,  valse. 

—  Fragilité,  valse. 

—  Radieux  éveil,  valse. 

—  Les  yeux  clos,  valse. 

J.  OFFENBACH.  La  Chanson  de  Fortunio  : 

Si    vous    croyez  que  je   vais 
dire  (8.). 

—  La  Belle  Hélène  : 

Amours  divins  (S.). 
M.  OLAGNIER.  Le  Sais  : 

Strophes  et  duo  (S.  T.). 

Romanesca:  La  fuite  du  soleil 
(S.). 

Sérénade    :     Almanz,    quand 
vient  le  soir  (T.). 
E.  PALADILHE.  Suzanne  : 

Comme  un  petit  oiseau  (T.). 

La  feuille  s'envole  (S.). 

Mon  Dieu  qu'il  me  fait  rire(S.). 

A.  PÉRILHOU.  Vitrail. 

—  Chanson  de  Guillot  Martin. 

—  Légende  de  Saint-Nicolas. 

B.  POPPELSDORFF.  Paresseuse,  valse  lente. 
P.  PUGET.  Adoration. 

—  Le  vin  de  l'amour. 
E.  REÏER.  Sigurd  : 

Hilda,  vierge  au  pale  souri re(T.) 
Salut,  splendeur  du  jour  (S.). 
Duo  :  La  voilà  donc  la  déesse 

(S.  B.). 
Duo  :  Sigurd,  les  dieux  dans 
leur  clémence  (S.  T.). 
B.  RUNOFF.  Tu  dis  m'aimer!  valse  lente. 
A.  RUBINSTE1N.  Néron  : 

Épilhalame    :     Hymen!     Fils 
d'Uranie  (B.). 
A.  THOMAS.  Le  Soir  (S.). 

—  Le  Caïd  : 

Plaignezla  pauvre  demoiselle(S) 

—  Françoise  de  Rimini  : 

J'espère,  je  vous  aime  (B.). 
J'ai  voulu  te   revoir  (T.). 

—  Hamlet  : 

Duo:  Doute  de  la  lumière  (S. 

B.). 
Scène  et  air  du  livre  (S.). 
Chanson  bachique  (B.). 
Scène  de  la  folie  (B.). 

—  Mignon  : 

Connais-tu    le    pays  (M.-S.). 

Duo  des  hirondelles  (M.-S.  B.). 

Styrienne  (M.-S.). 

Polonaise  (S.). 

Elle  ne  croyait  pas  (T.). 
VENZANO.  Grande  valse. 
P.  VIDAL.  Eros  : 

Adieu  les  roses(S.). 
WEBER.  Le  Freischutz  : 

Air  d'Aga>he  :    Le   Calme   se 
répand  (S.). 
E.  WEILLER.  Bonheur  rêvé,  valse  lente. 
CH.-M.  WIDOR.  La  mer. 

—  Petite  couleuvre  bleue. 

—  Vieille  chanson. 

—  Ce  monde  meilleur. 

—  A  l'aube. 

—  Les  nuages. 

—  Repos  éternel. 

—  Maître  Ambros  : 

Ballade  :  Depuis  qu'il  a  levé 

l'ancre  (S.). 
Triste  amour  qui  n'ose  (B.). 
Chanson  du  mousse  :  A  l'heure 

merveille  (S.). 


20,  ■ 


4037.  -  1\*  ANNÉE.-  N°  32.  PARAIT  TOUS  LES  SAMEDIS  Samedi  8  Août  1908. 

(Les  Bureaux,  2b",  rue  Vivienne,  Paris,  u-arr') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


te  fluméro  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Le  Numéro  :  0  fi?.  30 


Adresser  fiianco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province. —  Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, 20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnemont  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  ea  sus. 

SOMMAIRE-  TEXTE 


Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (30"  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Molière  à  Pézénas,  Arthuii  Poucin.  —  III.  Une  famille  de  grands  luthiers  italiens  :  Les  Guarnerius  (5"  article  , 

Ahthl'r  Podgin.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

OTE  TON  VOILE 

mélodie  d'ERNEST  Moret,  poésie  de  Klingsor.  —  Suivra  immédiatement  :  Aube 
en  montagne,  mélodie  de  René  Lenormand,  prose  de  Henri-R.  Lenormand. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 

MARCHE   DES  PETITS  MAGOTS 

de  Roreri  Vollstedt.   —   Suivra  immédiatement  :  Par  les  prés  fleuris,  pièce 
de  genre,  de  Rodolphe  Bercer. 


SOIXANTE    ANS     DE     LA    VIE     DE     GLUCK 


(±T  ±-4- AT- "7"  4) 


CHAPITRE  VII  :  L'éclosion  du  génie  :  Orfeo  ed  Euridice 


Malgré  tous  ces  succès,  Gluck 
était  encore  loin  du  but. 

Ce  n'est  pas  que  son  activité 
manquât  d'aliments  :  nous  l'avons 
vu  au  contraire  attacher  chaque 
année  son  nom  à  la  production 
de  plusieurs  œuvres  nouvelles, 
opéras  italiens  ou  opéras- comi- 
ques français,  et  l'accueil  du 
public  ne  lui  donna  jamais  lieu 
de  se  plaindre. 

Tetide,  une  simple  Serenala  de 
circonstance,  lui  valut  notam- 
ment une  satisfaction  d'amour- 
propre.  Cette  œuvre  lui  avait  été 
commandée  pour  fêter  «  les 
très  heureuses  noces  de  LL.  AA. 


(l)La  première  édition  d' Orfeo  ed  Euridice 
a  été  publiée  à  Paris,  par  les  soins  de 
Favart.  On  lit  dans  la  Correspondunee  de  ce 
dernier,  à  la  date  du  4  janvier  1764  (lettre 
à  Durazzo)  :  «  M.  Monnet-Dujac,  élève  de 
M.  Vanloo,  est  chargé  de  faire  le  dessin  du 
frontispice,  qui  sera  exécuté  par  M.  Le 
Mire  ;  en  nommant  ces  deux  artistes,  c'est 
faire  l'éloge  de  l'art.  »  Et,  le  31  janvier  : 
«  Je  fais  faire  à  l'Orphée  un  frontispice  de 
toute  la  hauteur  de  la  page,  afin  de  donner 
plus  de  grandeur,  de  noblesse  et  d'expres- 
sion aux  ligures  et  plus  de  liberté  pour  les 
accessoires.  Je  n'ai  point  confondu  le  litre 
de  l'opéra  dans  cette  planche,  parce  que 
l'estampe,  qui  deviendra,  par  le  burin  de 
M.  Mire,  un  morceau  précieux  de  gravure, 
pourra  se  détacher  et  s'encadrer  séparé- 
ment. » 


frontispice  de  la  première  édition  d'Orfeo  ed  Euridice  (1) 


RR.  l'archiduc  Joseph  d'Autriche 
et  la  princesse  Isabelle  de  Bour- 
bon »  ;  Gluck  fut,  dans  cetle  occa- 
sion solennelle,  chargé  de  la 
direction  générale  de  la  musique, 
de  préférence  au  premier  maître 
de  chapelle  Reutter  (2).  Le  seul 
Hasse  fut  admis  à  y  faire  enten- 
dre une  œuvre  auprès  de  la 
sienne  :  Alcide  al  Bivio,  de  ce 
dernier,  fut  représenté  au  châ- 
teau impérial  pour  l'ouverture 
des  fêtes  (8  octobre  1760),  tandis 
que  la  Tetide  de  Gluck  fut  donnée 
pour  clore  les  réjouissances.  Tous 
les  personnages  de  cet  opéra 
étaient  dieux  de  l'Olympe  :  Mars, 
Apollon,  Pallas,  Thétys,  et  le 
tendre  Hyménée.  Une  autre  diva, 
la  Gabrielli,  parmi  la  douzaine 
d'airs  de  haute  virtuosité  qui 
composent  toute  la  partition,  ne 
dédaigna  pas  de  se  faire  enten- 
dre quatre  fois  par  l'auguste 
assemblée. 

Un  autre  ouvrage  du  même 
temps  mériterait  d'être  cité  pour 
son  nom  seul,  bien  que  simple 
ballet  d'action  :  Don  Juan  (repré- 
senté sur  le  théâtre  de  la  Porte 
de  Carinthie  en  1761),  composi- 

i   A.  Schmid,  Bitter  eon  Gluck,  p.  80. 


250 


LE  MÉNESTREL 


tion  excellente,  d'une  rare  fermeté  de  facture  et  d'une  véritable 
maîtrise,  dont  Gluck  reprendra  en  majeure  partie  les  éléments 
chorégraphiques  pour  les  faire  entrer  dans  la  composition  défi- 
nitive de  ses  plus  grands  opéras  français,  Iphigénie,  Orphée, 
surtout  Armide. 

Rien  de  tout  cela  n'était  pourtant  le  chef-d'œuvre  entrevu  en 
rêve. 

Lui-même  n'avait  pas  atteint  à  la  seule  place  qu'il  ambi- 
tionnât :  la  première.  Il  était  le  maître  de  chapelle;  mais  il 
n'était  pas  «  le  Maître  ».  Parfois  même,  en  son  caprice,  le  pu- 
blic faisait  mine  de  se  détacher  de  lui.  L"acteur-auteur  Dan- 
court,  que  nous  avons  déjà  vu  paraître,  écrivait  à  Favart,  à  la 
date  du  25  avril  '1762  :  «  Un  autre  virtuose  (c'est  par  ce  mot 
que  cet  Arlequin  désignait  les  compositeurs  italiens),  nommé 
Scarlatii,  s'est  ici  placé  aux  dépens  de  Gluck,  à  qui  l'on  n'a  re- 
proché d'autre  défaut  que  d'être  assez  riche  pour  abandonner  la 
plume  à  un  Italien  qui  ne  l'est  pas.  Au  reste,  on  m'a  dit  aussi 
beaucoup  de  bien  de  ce  Scarlatti  (1)  ».  Ce  dernier,  héritier  de 
deux  grands  noms,  n'a  pourtant  pas  laissé  une  œuvre  qui  per- 
mit de  le  mettre  en  parallèle,  pas  plus  avec  son  oncle  Dominique 
ou  son  aïeul  Alexandre  qu'avec  le  futur  auteur  d'Or/eo;  c'était 
lui  pourtant  que  le  public  de  Vienne  s'amusait  un  moment  à 
préférer. 

Dans  la  même  lettre,  Dancourt  dit  encore  :  «  J'ai  fait  une 
églogue  lyrique  que  j'ai  remise  à  Son  Excellence;  elle  l'a 
d'abord  envoyée  au  sieur  Gluck  (2)  ».  Le  compositeur  à  tout 
faire,  c'est  entendu!... 

Le  poète  que  nous  verrons  bientôt  s'associer  à  son  œuvre,  et 
en  tirer  sa  seule  gloire,  Calsabigi,  se  reportant  un  jour,  après 
une  brouille,  aux  premiers  souvenirs  de  leur  collaboration,  par- 
lait de  lui,  sans  charité,  en  ces  termes  qui  montrent  assez  bien 
quelle  était  la  situation  de  Gluck  avant  sa  réforme  : 

;<  M.  Gluck  n'était  pas  compté  alors  (et  à  tort  sans  doute) 
parmi  nos  plus  grands  maîtres.  Hasse,  Buranello,  Jomelli,  Perez 
et  d'autres,  occupaient  les  premiers  rangs  (3). 

C'est  vrai.  Gluck,  à  quarante-cinq  ans,  n'est,  malgré  les  appa- 
rences, qu'un  subalterne.  Son  directeur  commande,  et  il  exé- 
cute. On  veut  bien  être  content  de  lui",  mais  c'est  après  qu'il  a 
obéi. 

Quand  le  comte  Durazzo  parle  de  ses  œuvres,  il  dit  toujours  : 
«  fai  fait  mettre  en  musique  par  le  chevalier  Gluck...  »  Heureux 
encore  s'il  n'omet  pas  de  citer  son  nom,  ce  qui  arrive  assez 
souvent  (4) . 

Ce  Dancourt  (dont  les  lettres,  en  leur  naïve  présomption  d'ac- 
teur qui  ne  voit  rien  au  delà  de  ses  effets,  ont  l'avantage  de 
nous  apporter  de  curieux  renseignements)  répondant  une  autre 
fois  à  Favart,  qui  s'était  entremis  pour  faire  mettre  en  musique 
par  Gluck  un  de  ses  livrets  d'opéra-comique,  lui  exprimait  en  ces 
lermes  ses  regrets  que  la  combinaison  n'ait  pas  abouti  :  «  Voilà 
donc  mes  pièces  sans  leur  tailleur  qui  leur  aurait  fait  un  habit 
à  la  mode  de  Paris  (5)  !  »  C'est  cela  :  Gluck  est  le  fournisseur  à 
qui  l'on  commande  de  la  musique  sur  mesure,  comme  on  fait 
tailler  par  le  bon  faiseur  un  habit  ou  des  culottes,  en  recom- 
mandant que  cela  aille  bien.  Il  était  considéré  comme  un  talent 
à  coté,  dont  on  louait  l'esprit,  l'abondance,  la  facilité;  mais  il 
devait  céder  le  pas  et  s'incliner  devant  les  grandes  autorités,  les 
maîtres  reconnus,  ceux  qui,  ne  s'étant  jamais  écartés  des  voies 
officielles  de  l'opéra  italien,  y  marchaient  avec  assurance  et  su- 
'  perbe. 

Il  sentait  son  infériorité  relative,  et  voulait  en  sortir-.  «  Il  s'ef- 
forçait, dit  son  biographe  allemand,  de  corriger  les  défauts  de 


I  Nous  avons  déjà  eu  à  mentionner  Giuseppe  Scarlalti  dans  rémunération  des 
auteurs  italiens  dont  les  morceaux  ont  servi  à  constituer  le  pastiche  français  duDiable 
à  quatre. 

(.2)  Mémoires  et  Correspondances  de  Favart,  t.  II,  pp.  263*264. 

3)  Mercure  de  France,  août  I7K4.  Yoy.  Desnoihestehres,  Gluck  et  Piccitmi,  p.  354. 

('ii  l'ar  exemple,  à  propos  du  Cad!  dupé,  Durazzo,  demandant  la  partition  de  Mon- 
signy,  écrit  :  «  Je  veux  comparer  la  musique  avec  celle  que  je  viens  de  faire  faire 
ici.  »  Mémoires  et  Correspondances  de  Favart,  t.  I,  p.  213. 

i,ji  Mémoires  et  Correspondances  de  Favart,  t.  II,  p.  279. 


son  éducation  première,  d'acquérir  ce  qui  lui  manquait  encore 
pour  la  compléter,  de  cultiver  ses  aptitudes  et  d'accroître  ses- 
connaissances.  Doué  par  la  nature  d'autant  de  goût  pour  les  belles- 
lettres  que  pour  la  musique,  il  travaillait  aussi  sans  relâche  dans 
ce  domaine.  Il  s'adonnait,  bien  que  tardivement,  à  l'étude  des 
langues  française  et  latine,  ainsi  qu'à  celle  de  la  poésie.  Il  se 
liait  avec  les  savants  les  plus  distingués,  nourrissait  son  esprit 
dans  leur  société  et  dans  la  compagnie  des  bons  livres  (1)  ». 
Il  se  préparait,  en  un  mot,  à  accomplir  de  nouvelles  destinées. 
A  cette  époque,  il  soufflait  sur  l'Europe  un  vent  de  réforme 
(autant  dire  de  révolte),  qui  venait  de  France,  et  devait,  après 
avoir  grandi  un  demi-siècle,  aboutir  à  déchaîner  une  terrible 
tempête.  Pour  l'instant,  il  était  encore  à  son  origine,  et 
n'essayait  sa  force  que  sur  les  objets  sans  conséquence,  ou  qui 
semblaient  l'être  :  ceux  du  domaine  de  la  pensée.  Pensée  futile, 
au  moins  en  apparence,  en  ce  milieu  du  XVIIIe  siècle  élégant 
et  léger.  Le  théâtre  était  le  champ  clos  tout  naturellement  dési- 
gné pour  les  luttes  consécutives  à  cet  état  d'esprit  turbulent,  et 
il  faut  avouer  que  les  moindres  occasions  lui  étaient  bonnes 
C'est  ainsi  que  les  représentations  données  à  l'Opéra  de  Paris 
par  les  Bouffons  italiens  en  1752  furent  cause  d'une  guerre  de 
plumes  dont  l'importance  n'a  pas  été  exagérée.  «  C'était,  a  dit 
Jean-Jacques-Rousseau,  le  temps  de  la  grande  querelle  du  Parle- 
ment et  du  clergé  ;  la  fermentation  était  au  comble  :  tout  mena- 
çait d'un  prochain  soulèvement.  La  Lettre  sur  la  musique  parut  : 
à  l'instant  toutes  les  autres  querelles  furent  oubliées  ;  on  ne 
songea  qu'au  péril  de  la  musique  française.  »  Car  les  jeunes 
hommes  dont  on  commençait  à  parler  sous  le  nom  de  philoso- 
phes, les  «  gens  à  talents  »,  les  «  hommes  de  génie  »,  dit  encore 
Rousseau,  s'étaient  prononcés  en  faveur  de  la  musique  italienne, 
—  un  peu  bien  promptement,  et  sans  trop  savoir  ce  qu'était 
cette  musique  à  laquelle  ils  sacrifiaient  de  bonne  humeur  l'art 
national.  Qu'étaient  après  tout,  en  effet,  ces  intermèdes  que  les 
Bouffons  apportaient  d'outre -monts?  De  simples  divertissements 
qu'on  avait  coutume  en  Italie  d'intercaler  clans  lesentr'actesdes 
opéras,  mais  qui  étaient  loin  de  constituer  à  eux  seuls  un 
spectacle  digne  de  ce  nom  :  quant  aux  grandes  œuvres,  aux 
tragédies  de  Métastase  mises  en  musique  par  les  maîtres  dont 
les  noms  se  sont  présentés  à  profusion  depuis  les  premières 
pages  de  cette  étude,  ils  continuaient  à  rester  ignorés  du  public 
français.  Mais  il  n'importe  :  ces  petits  airs  avaient  suffi  à  procu- 
rer des  impressions  neuves  à  un  public  qui  commençait  à  se 
blaser  sur  les  déclamations  ampoulées  et  formulaires  de  Lulli  et 
de  ses  successeurs.  Et  puis,  toute  occasion  de  manifester  étai} 
bonne  à  saisir  par  ces  hommes  à  l'esprit  frondeur.  La  musique 
française  représentait  une  tradition  d'ancien  régime  :  le  roi  la 
protégeait  :  vite  donc  il  fallait  prendre  place  au  coin  d'en  face, 
le  coin  de  la  reine  ;  c'était  encore  un  moyen  de  s'émanciper  de 
l'autorité. 

Telles  étaient,  en  leur  hétérogène  mélange,  les  prédispositions 
inconscientes  dont  un  esprit  averti  peut  Tetrouver  les  traces  au 
fond  de  ces  premières  manifestations,  tout  extérieures,  de  l'esprit 
encyclopédiste,  la  musique,  leur  objet  apparent,  n'en  était  assu- 
rément que  le  prétexte.  Aussi  les  conséquences  qui  en  résul- 
tèrent dans  la  pratique  ne  furent  pas  dès  l'abord  très  sérieuses. 
Alors  que  la  mise  en  présence  de  deux  arts  à  tendances  diffé- 
rentes, sinon  opposées,  aurait  pu  être  pour  les  penseurs  l'occasion 
d'en  dégager  l'essence,  ils  s'en  tinrent  à  disputer  si  une  langue 
est  favorable  à  la  musique  à  l'exclusion  des  autres  :  querelle  de 
grammairiens,  au  lieu  de  la  discussion  de  principes  qu'on  eût 
du  attendre  :  sophisme  misérable,  et  vraiment  risible  quand  on 
pense  que  l'italien  et  le  français  étaient  seuls  en  cause,  et  la 
musique  des  autres  nations  tenue  pour  quantité  négligeable,  à 
l'heure  exacte  où  Jean-Sébastien  Bach  venait  de  mourir,  laissant 
derrière  lui  le  bagage  que  l'on  sait,  et  oùHaendel  était  en  pleine 
vie,  dans  la  -gloire  du  Memas,  écrit,  pour  l'Ecosse,  il  y  avait  à 
peine  dix  années. 

[A  suivre.)  Julien  Tiersot. 

(1)  A.  -Sghmid,  Hitler  von  Glueli,  p.  79. 


LE  MENESTREL 


MOLIÈRE    A    PÉZÉNAS 


Oh!  le  joli  livre  et  aimable,  et  spirituel,  le  joli  livre  que  vient  de 
publier  sur  Pézénas  un  enfant  de  cette  ville  qui  est  toul  à  la  fois  un 
dévot  de  Molière,  un  amateur  d'art  délicat  et  un  tendre  amoureux  de 
sa  petite  patrie,  cette  jolie  petite  cité  historique  où  abondent  les  chefs- 
d'ceuvre  d'une  architecture  charmante  et  qui  fut  fameuse,  aux  siècles 
passés,  par  les  tenues  fréquentes  qu'y  firent  les  Etats  généraux  du 
Languedoc,  honneur  qu'elle  partageait,  au  temps  des  Montmorency  et 
des  Conti,  avec  Montpellier  et  Béziers. 

Ce  livre  nous  intéresse  surtout  ici  (1)  par  les  souvenirs  qu'il  nous 
apporte  sur  Molière,  auquel  Pézénas  reste  lière  d'avoir  à  deux  reprises 
donné  l'hospitalité.  L'auteur.  M.  Paul-Albert  Alliés,  était  indiqué  pour 
nous  parler  de  Molière.  C'est  à  lui.  si  je  ne  me  trompe,  qu'est  due 
l'idée  d'un  monument  à  élever  à  Molière,  et  c'est  pour  l'inauguration 
de  ce  monument,  œuvre  du  sculpteur  Injalbert.  qu'eurent  lieu,  en  1897. 
des  fêtes  brillantes  dont  il  fut  l'inspiration  et  l'àme,  auxquelles  le 
gouvernement  prit  part  et  qui  furent  rehaussées  par  la  présence  et  la 
participation  de  la  Comédie-Française,  allant  rendre  hommage  à  celui 
■dont  elle  porte  le  nom  dans  la  petite  ville  où  fut  représentée  pour  la 
première  fois  l'une  de  ses  premières  bouffonneries,  le  Médecin  volant, 
dans  laquelle,  pour  la  première,  fois  aussi,  il  raillait  les  médecins,  qu'il 
ne  devait  plus  abandonner  désormais. 

Je  ne  saurais,  malgré  son  intérêt,  suivre  l'auteur  dans  l'historique 
qu'il  nous  présente  de  sa  ville  natale,  non  plus  que  dans  la  description 
qu'il  en  donne,  en  faisant  ressortir  avec  un  goût  très  averti  les  jolies 
merveilles  architecturales  qui  lui  donnent  un  cachet  si  particulier.  Les 
souvenirs  de  tout  genre,  les  paysages,  les  coutumes  locales,  les  diver- 
tissements de  toute  sorte  tiennent  une  place  importante  dans  ce  livre 
essentiellement  curieux,  et  le  folk-lore  lui-même  y  trouve  son  compte. 
Mais  j'en  veux  surtout  parler  par  rapport  à  Molière,  dont  il  semble  que 
les  traces  restent  encore  vivantes  en  ce  pays. 

Molière,  dit  fauteur,  ne  jouait  pas  seulement  à  la  Grange  des  Près  (vaste 
domaine  où  son  protecteur,  le  prince  de  Conti,  donnait  des  fêtes  brillantes) 
et  dans  les  salons  de  l'aristocratie  de  Pézénas.  Il  donnait  des  représentations 
au  théâtre  de  la  ville,  devant  ce  bon  peuple  intelligent  et  hospitalier  qui  ne 
lui  ménageait  pas  ses  applaudissements.  Molière,  d'ailleurs,  aimait  à  se  mêler 
à  lui,  à  participer  à  ses  joies  et  à  ses  amusements,  à  écouter  ses  propos,  à 
noter  ses  traits  et  à  rire  de  ses  saillies.  On  le  voyait  à  l'hôtellerie  du  But 
d'argent,  dans  la  rue  de  Gastelnau,  en  compagnie  de  d'Assoucy  et  de  quelques- 
uns  de  ses  camarades,  prenant  plaisir  aux  gais  refrains  de  l'Empereur  dit  bur- 
lesque, observant  les  mœurs  des  citadins  et,  qui  sait,  lutinant  les  accortes 
Lucettes  piscénoises. 

On  le  voyait  aussi,  et  très  souvent,  chez  son  ami  le  fameux  barbier 
Gély,  dont  la  maison  existe  toujours,  et  c'est  là  qu'il  s'asseyait  dans  le 
grand  fauteuil  en  bois  devenu  célèbre  sous  le  nom  de  «  fauteuil  de 
Molière  ».  Un  chroniqueur  disait  à  ce  sujet  : 

Les  Nestors  du  pays  disent  que  pendant  le  temps  que  Molière  habitait 
Pézénas,  il  se  rendait  assidûment,  tous  les  samedis,  jour  du  marché,  dans 
l'après-diner,  chez  un  barbier  de  cette  ville  dont  la  boutique  était  très  acha- 
landée; elle  était  le  rendez- vous  des  oisifs,  des  campagnards  et  des  agréables, 
qui  allaient  s'y  faire  calamistrer  ;  or,  vous  savez  qu'avant  l'établissement  des 
cafés  dans  les  petites  villes,  c'était  chez  les  barbiers  que  se  débitaient  les 
nouvelles,  que  l'historiette  du  jour  prenait  du  crédit  et  que  la  politique  épui- 
sait ses  combinaisons.  Le  susdit  grand  fauteuil  de  bois  occupait  un  des  angles 
de  la  boutique,  et  Molière  s'emparait  de  cette  place.  Un  observateur  de  ce 
caractère  ne  pouvait  qu'y  faire  une  ample  moisson;  les  divers  traits  de  malice, 
de  gaité,  de  ridicule,  ne  lui  échappaient  certainement  pas,  et  qui  sait  s'ils 
n'ont  pas  trouvé  leur  place  dans  quelques-uns  des  chefs-d'œuvre  dont  il  a  en- 
richi la  scène  française  ?  On  croit  ici  au  fauteuil  de  Molière,  comme,  à  Mont- 
pellier, à  la  robe  de  Rabelais. 

M.  Alliés  nous  apprend  que  ce  fauteuil,  devenu  légendaire,  qui  dans 
la  suite  appartient  à  un  moliériste  piscénois,  M.  François  Astruc, 
lequel  a  publié  à  son  sujet  une  Xotice  sur  le  fauteuil  de  Molière  i  Pézénas 
1836),  «  est  conservé  aujourd'hui,  à  Paris,  chez  une  descendante  de 
l'ancien  propriétaire,  M"'-  Brisepot,  née  Astruc.  rue  Saint-Louis-en- 
l'Isle  ». 

Il  nous  raconte  ensuite  diverses  anecdotes  sur  les  visites  que  Mo- 
lière rendait  à  la  boutique  de  son  ami  le  barbier  Gély.  En  voici  une  qui 
est  amusante  : 

Sans  quitter  le  fauteuil  du  barbier  Gély,  d'où  il  observe,  contemple  et  enre- 
gistre, d'où  il  assiste  à  un  spectacle  changeant  sans  cesse,  Molière  voit  entrer 


(1)  Une  eille  aV'Éials-Pézénas  aux  XVI'  et  XVII'  sièeles.  Molière  à  Pézénas,  par  Paul- 
Albert  Alliés.  —  Paris,  Flammarion,  un  vol.  petit  in-4",  avec  250  gravures. 


le  Messager  d'Aniane,  un  lourdaud  habituel,  client  habituel  de  la  boutique 
Maitre  Gély  court  la  pratique  en  ville,  et  Molière,  seul,  assis  dans  son  fauteuil; 
est  plongé  dans  une  profonde  rêverie,  Le  messager  le  prend  pour  un  garçon 
nouvellement  entré  chez  son  ami,  et  lui  dit  brusquement  de  le  servir. 

Molière  s'excuse,  veut  expliquer  la  méprise;  mais,  sans  l'écouter,  le  messa- 
ger lui  tourne  le  dos,  dénoue  sa  cravate,  s'assied,  et  lui  intime  une  seconde 
tins  l'ordre  de  l'accommoder,  et  tel  !  En  présence  d'un  original  si  opiniâtre. 
Molière  feint  de  se  rendre,  et.  familier  avec  tous  les  accessoires  île  la  boutique, 
il  apprête  les  rasoirs,  la  houppe,  passe  même  la  serviette  de  ligueur.  Jusque- 
la  tout  allait  pour  le  mieux.  Mais  tandis  que  la  savonnette  jette  sa  mousse  et 
que  le  lourdaud  se  prélasse  sur  son  siège,  Molière  entame  une  lamentable 
histoire  de  vols,  d'incendies,  de  brigandages,  histoire  à  faire  envie  à  Anne 
Radelill'e.  histoire  à  glacer  le  cœur  le  plus  intrépide.  Ce  sont  les  routiers,  let 
huguenots,  les  bandouliersqui,  descendant  des  Cévennes,  ont  envahi  le  pays 
bas  et  mettent  tout  à  feu  et  a  sang. 

Absent  depuis  quelques  jours  de  son  domicile,  le  messager  croit  à  ces  dé- 
sastres; une  émotion  profonde  l'agite...  Il  pâlit!...  les  muscles  de  son  '-visage 
se  crispent!...  sa  peau  devient  rugueuse,  et  le  rasoir  refuse  de  glisser!...  Mai< 
Molière  n'avait  pas  encore  atteint  le  but  qu'il  s'était  proposé.  Il  assombrit  un 
peu  plus  les  teintes  de  son  tableau,  et  les  derniers  paroxysmes  de  la  peur  ne 
tardent  pas  à  s'emparer  du  messager.  Hors  de  lui,  il  arrache  convulsivement 
la  serviette,  se  débarbouille  comme  il  peut  de  la  savonnade,  abandonne  chez 
Gély  sa  cravate  en  signe  de  défaite,  se  sauve,  et  ne  reparait  que  longtemps 
après  dans  l'officine  du  barbier.  Lorsque  ensuite  Molière.'  raconta  aux  habi- 
tués de  Gély  ce  qui  venait  de  lui  arriver,  d'un  [commun  accord  et  riant  aux 
éclats,  tout  l'aréopage  convint  d'appeler  cette  scène  la  Barbe  impossible,  et  c'est 
sous  ce  titre  qu'elle  fut  transmise  de  génération  en  génération,  jusqu'à  l'époque 
où  Cailbava  la  recueillit. 

Et  ainsi  Molière  note  sur  ses  tablettes,  pour  s'en  servir  plus  tard,  les  scènes 
que  provoquent  les  gens  naïfs  ou  bizarres,  malotrus  ou  grotesques,  qui 
venaient  sans  le  savoir,  chez  le  barbier,  poser  devant  lui.  Elles  témoignent 
aujourd'hui  du  plaisir  de  Molière  à  vivre  dans  ce  pays  de  soleil  et  de  bonne 
humeur.  Elles  agrémentent  son  séjour  dans  une  vifle  qui  lui  était  accueillante 
et  devinait  dans  le  jeune  comédien  le  futur  auteur  du  Misanthrope  et  de 
Tartuffe. 

Molière,  avec  sa  troupe,  ne  restait  pas  toujours  à  Pézénas.  Il  faisait 
de  la  riante  cité,  placée  au  centre  d'une  importante  banlieue  où  con- 
vergeaient les  grandes  roules  royales,  le  point  de  départ  de  ses  excur- 
sions dans  les  environs.  Il  allait  ainsi  donner  des  représentations  dans 
diverses  villes,  à  Montagnac,  à  Marseillan,  à  Mèze,  à  Lunel,  à  Agde,  à 
Montpellier,  à  Béziers.  à  Xissan.  Et  quand  les  États  généraux  se 
réunissaient  à  Pézénas,  Molière,  subventionné  par  eux.  revenait 
avec  ses  acteurs,  désignés  sous  le  titre  de  «  comédiens  de  Messieurs 
des  Etats  ». 

Mais  où  était  situé  le  théâtre  qu'il  occupait  avec  ceux-ci  ?  On  s'est 
souvent  demandé,  dit  M.  Alliés,  où  s'élevait  le  théâtre  de  Pézénas  au 
temps  de  Molière,  où  il  jouait  devant  les  citadins,  gens  du  peuple  et 
campagnards  attirés  par  la  réputation  d'une  troupe  d'acteurs  ayant  à  sa 
tête  un  chef  si  spirituel  et  si  adroit,  possédant  de  riches  costumes,  de 
beaux  décors,  un  répertoire  varié  et  original.  Nous  pouvons  aujourd'hui 
en  déterminer  l'emplacement  exact,  grâce  à  nos  recherches  dans  les 
«  compois  municipaux  ».  Ce  théâtre  avait  été  établi  dans  un  jeu  de 
paume  situé  près  de  l'hôpital  Saint-Jacques  et  de  la  chapelle  de  ce  nom. 
«  Il  n'y  a  plus  de  doute  à  avoir,  dit  l'auteur,  sur  l'emplacement  du 
théâtre  de  Pézénas  au  temps  de  Molière.  »  On  trouve  encore  au- 
jourd'hui, de  ce  côté,  une  rue  étroite  portant  son  ancien  nom  de  rue 
Jeu-de-Paume. 

Quatorze  chapitres  sont  consacrés  à  Molière  dans  le  livre  intéressant 
de  M.  Alliés  :  Molière  comédien  du  prince  de  Conti.  —  Molière  piscénois:  — 
Chez  le  barbier  Gély.  —  Le  fauteuil  de  Molière.  —  Les  spectacles  de  Mo- 
lière à  Pézénas.  —  Pézénas  dans  l'œuvre  de  Molière.  —  Conti  peint  pur 
Molière,  etc.  Ou  lira  surtout  avec  plaisir  tout  le  chapitre  consacré  â  la 
première  représentation  de  la  farce  du  Médecin  rolanl,  donné  pendant 
les  assises  des  Etats  généraux  du  Languedoc  qui  se  tinrent  à  Pezéuas 
du  4  Novembre  1655  au  22  Février  1656.  C'est  dans  les  salons  du 
somptueux  hôtel  de  M.  d'Alfonce.  baron  de  Clairac.  chez  qui  le  prince 
de  Conti  était  descendu,  qu'eut  lieu,  le  9  Novembre  16oo.  cette  pre- 
mière représentation,  en  présence  d'une  assemblée  nombreuse  et  bril- 
lante, qui  comprenait,  outre  le  prince  et  la  princesse.  «  messieurs  des 
États  ».  les  principaux  dignitaires  du -Languedoc,  et.  en  grands  cos- 
tumes de  gala,  les  représentants  de  la  noblesse  de  Pézénas  et  de  toute 
la  province,  ce  qu'on  pourrait  appeler  «  le  tout  Languedoc  ».  Ce  fut 
une  véritable  solennité.  «  Le  spectacle,  dit  notre  auteur,  se  déroula 
au  milieu  des  applaudissements  unanimes  de  l'assemblée.  Malgré  la 
distance  où.  en  ces  temps  de  dédaigneuse  aristocratie,  ou  aimait  à  tenir 
les  comédiens.  Molière  fut  chaleureusement  complimente.  Le  succès 
de  sa  nouvelle  pièce,  même  après  celui  de  l'Étourdi,  fut  immense,  et 
dépassa  le  cadre  de  la  petite  cité  piscénoise  pour  se  répandre  dans  toute 
la  province.  Le  Médecin  volant  fit    désormais  partie  du  répertoire  de 


252 


LE  MËNESTRKL 


l'  Illustre  Théâtre,  et  c'est  une  des  pièces  que  le  Languedoc  accueil'it 
avec  le  plus  de  faveur.  » 

Cette  reconstitution,  si  joliment  faite  par  M.  Alliés,  du  milieu  où 
Molière,  alors  insouciant  et  presque  bohème,  vécut  quelques-unes  des 
meilleures  années  de  sa  jeunesse,  est  particulièrement  intéressante, 
en  ce  que  cette  gentille  petite  ville  de  Pézénas  a  conservé,  toujours 
vivant,  le  souvenir  du  jeune  poète-comédien  qui  l'enchantait,  et  qu'elle 
aimait  profondément.  Avant  de  se  fixer  à  Paris  au  terme  de  ses  péré- 
grinations, Molière,  avec  ses  compagnons,  a  visité  bien  d'autres  villes, 
plus  importantes  que  celle-là  :  Béziers.  Montpellier,  Lyon,  Grenoble... 
où  ses  succès  n'ont  pas  élé  moindres.  Aucune  ne  lui  a  voué  un  culte 
plus  tendre,  plus  affectueux,  plus  passionné,  que  cette  aimable,  mi- 
gnonne et  souriante  cité  de  Pézénas.  qui  depuis  deux  cent  cinquante 
ans  entretient  chez  elle,  avec  une  ferveur  toujours  renouvelée,  le  feu  de 
la  gloire  du  grand  homme.  Ce  culte  est  touchant,  et  il  est  touchant 
aussi  de  voir  que  lorsque  Paris  lui-même  ne  possède  pas,  sur  l'une  de 
ses  places  magnifiques,  une  véritable  statue  de  Molière,  Pézénas  a 
consacré  son  souvenir  par  l'élégant  monument  qu'elle  lui  a  élevé,  en 
le  demandant  à  l'un  de  nos  artistes  les  plus  renommés. 

Je  ne  puis  faire  mieux  ni  moins  que  de  recommander  l'excellent 
livre  de  M.  Alliés  à  tous  les  moliéristes  présents  et  à  venir.  Il  fait  de 
droit  partie  de  leur  bibliothèque,  et  il  n'en  sera  pas  le  moindre  orne- 
ment. 

Arthur  Pougin- 


UNE  FAMILLE  DE  GRANDS  LUTHIERS  ITALIENS 

LES    GUARNERIUS 


JOSEPH  GUARNERIUS  DEL  GESU 

I 

LA   VIE   DE   JOSEPH    GUABNERIUS 

Voici  venir  l'artiste  glorieux  entre  tous,  celui  dont  l'éclatante  supé- 
riorité fait  pâlir  la  renommée,  pourtant  très  légitime,  qu'ont  acquise 
tous  les  membres  de  cette  brillante  famille  des  Guarnerius,  celui  dont 
aujourd'hui  certains  n'hésitent  pas  à  faire  presque  le  rival  du  grand  Stra- 
divarius. Si  Joseph  Guarnerius  del  Gesù  (1)  avait  été  moins  capricieux 
dans  son  travail  par  suite  des  incidents  bizarres  de  sa  bizarre  existence, 
si,  pour  les  mêmes  raisons,  il  avait  pu  être  plus  scrupuleux  dans  le 
choix  des  matériaux  qu'il  employait,  s'il  avait  eu  dans  sa  facture  cette 
étonnante  égalité  qui  distingue  les  produits  de  l'artisan  merveilleux 
qu'on  a  justement  appelé  le  roi  des  luthiers,  il  mériterait  sans  doute 
d'occuper  avec  lui  la  première  place.  Ce  qui  est  certain  toutefois,  c'est 
irue  quelques-uns  de  ses  instruments  sont  simplement  admirables,  et, 
sans  leur  ressembler  et  en  témoignant  au  contraire  d'une  réelle  et  puis- 
sante originalité,  peuvent  être  mis  en  parallèle  et  supporter  la  compa- 
raison avec  ceux  de  Stradivarius.  Plusieurs  des  plus  grands  virtuoses, 
Lafont,  Alard.  Vieuxtemps,  Sivori,  Wilhelmy,  M.  Ysaye,  d'autres 
encore,  ont  donné  la  preuve  de  leur  affection  pour  les  beaux  violons  de 
Joseph  Guarnerius  del  Gesù, et  l'on  sait  l'admiration  que  professait  Paga- 
nini  pour  l'instrument  de  ce  maître  qu'il  jouait  d'ordinaire  dans  ses  con- 
certs et  qu'il  légua,  à  sa  mort,  à  la  municipalité  de  Gènes,  sa  ville  natale. 

L'existence  de  Joseph  Guarnerius  est  mystérieuse  et  présente  des 
lacunes  regrettables.  Jusqu'à  ces  derniers  temps,  et  par  suite  de  l'er- 
reur d'un  copiste,  on  n'avait  pour  sa  naissance  qu'une  date  inexacte, 
celle  du  8  juin  1683,  tandis  que  la  date  réelle  est  le  17  octobre  1686.  La 
première  avait  été  donnée  par  Fétis,  qui  avait  toutes  les  raisons  de  la 
croire  authentique,  tandis  qu'il  avait  été  induit  en  erreur  par  une 
fausse  indication.  Antoine  Vidal,  qui  a  donné  la  date  exacte,  fait  con- 
naître la  cause  de  l'erreur  :—  «  L'acte  de  naissance  de  Joseph  del  Gesù, 
dit-il,  se  trouve  sur  les  registres  delà  paroisse  San  Donato  à  Crémone, 
vol,  II,  page  83.  Il  résulte  de  ce  document  que  l'acte  de  naissance  et  de 
baptême  de  Joseph  Guarnerius  del  Gesù  donné  par  Fétis  dans  sa  bro- 
chure intitulée  A.  Stradivarius  est  erroné.  Le  vicaire  Fusetti,  duquel 
Fétis  tenait  ce  renseignement,  avait  copié  dans  les  archives  l'acte  de 
naissance  du  premier  né  de  Gianbattista  Guarneri.  nommé  Giuseppe- 
Antonio,  né  en  effet  le  8  juin  1683,  mais  décédé  peu  de  mois  après  sa 
naissance;  si  le  vicaire  Fusetti  avait  poussé  plus  loin  ses  recherches, 

11)  Il  est  connu  sous  ce  nom  de  Guarnerius  del  Gesù  à  cause  de  la  marque  IHS 
dont  il  accompagnait  son  nom  sur  ses  étiquettes,  la  petite  croix  qui  surmonte  les 
trois  lettres  eucharistiques  étant  employée  par  les  jésuites  pourleurs  cachets. 


il  aurait  trouvé  le  véritable  acte  de  baptême  de  Joseph  del  Gesù,  qui 
n'avait  qu'un  seul  prénom,  celui  de  Giuseppe  (1).  » 

On  sait  donc  aujourd'hui,  >  e  façon  certaine,  que  Joseph  Guarnerius 
del  Gesù  naquit  à  Crémone  le  17  octobre  1686.  Son  père.  Gianbattista 
Guarnerius.  qui  n'était  point  luthier,  était  fils  de  Bernardo  Guar- 
nerius, non  luthier  davantage,  lequel  était  le  frère  cadet  d'André  Guar- 
nerius. Joseph  del  Gesù  était  donc  petit-neveu  du  chef  de  la  dynastie. 
11  fut  le  seul  de  cette  branche  cadette  qui  suivit  la  même  carrière. 

Mais  si  l'on  est  fixé  maintenant  au  sujet  de  sa  naissance,  on  ne  l'est 
d'aucune  façon  en  ce  qui  concerne  sa  mort.  On  le  fait  mourir  généra- 
lement en  1745,  pour  cette  seule  raison  qu'on  ne  connait  pas  de  lui 
d'instrument  portant  une  date  postérieure  à  celle  de  cette  année.  C'est 
une  probabilité,  ce  n'est  pas  une  certitude.  On  n'en  sait  pas  davantage 
sur  les  conditions  dans  lesquelles  il  apprit  son  métier.  Il  passait, 
jusqu'à  ces  dernières  années,  pour  avoir  été  l'élève  de  Stradivarius,  et 
Fétis,  après  beaucoup  d'autres,  le  rangeait  parmi  les  disciples  de  ce 
maitre.  Mais  cette  opinion  a  été  récemment  combattue  avec  vigueur 
par  George  Hart  dans  son  livre  sur  le  Violon  et  par  MM.  Hill  dans  leur 
biographie  de  Stradivarius  (2).  Toutefois,  il  faut  bien  le  dire,  les  uns  et 
les  autres  n'appuient  leur  opinion  que  sur  des  conjectures.  Georges 
Hart  s'exprime  ainsi  à  ce  sujet  : 

On  a  prétendu  de  toutes  parts  que  Giuseppe  Guarneri  était  élève  d'Antonio 
Stradivari,  assertion  qui,  au  premier  chef,  est  dénuée  de  tout  fondement 
comme  fait  acquis  et  comme  analogie.  Que  cette  opinion  ait  subsisté  si  long- 
temps sans  avoir  été  combattue,  c'est  là  une  cause  de  surprise  pour  l'auteur 
de  ces  pages,  qui  ne  reconnaît  absolument  aucun  trait  commun  entre  ces 
deux  maîtres,  à  l'exception  pourtant  du  vernis  et  peut-être  aussi  du  haut 
degré  de  fini  qui  se  constate  dans  les  ouvrages  de  la  seconde  époque  de  Guar- 
nerius... 

Il  y  a  trois  points  essentiels  de  divergence  entre  le  style  de  Guarnerius  et 
celui  de  Stradivarius.  Le  premier  consiste  dans  le  contour,  où  la  différence 
des  deux  styles  saute  aux  yeux  du  plus  novice.  Le  second  est  dans  la  coupe 
des  ff,  où  ils  ne  se  rapprochent  en  aucune  façon.  Le  dessin  de  Guarnerius  est 
long  et  n'est  que  la  forme  modifiée  de  Gasparo  da  Salù;  le  dessin  de  Stradi- 
varius a  plus  de  rondeur  dans  les  extrémités.  Le  troisième  point  enfin  est  la 
volute,  dans  le  traitement  de  laquelle  Guarnerius  s'écarte  de  Stradivarius  de 
la  manière  la  plus  tranchée. 

Mais,  dira-t-on.  si  Guarnerius  n'a  pas  eu  les  leçons  de  Stradivarius,  par  qui 
donc  a-t-il  été  formé  ? 

Il  n'y  a  que  deux  manières  de  répondre  à  cette  question,  et  cette  réponse, 
c'est  l'analogie  seule  qui  nous  la  fournira.  Le  point  important  est  de  décou- 
vrir le  maitre  dont  le  travail  et  le  style  ont  le  plus  grand  degré  de  ressem- 
blance et  offrent,  par  conséquent,  le  plus  d'analogie  avec  ceux  de  Giuseppe 
del  Gesù.  Si  nous  passons  en  revue  avec  la  plus  grande  attention  et  d'une 
manière  suivie  les  ouvrages  des  luthiers  de  Crémone,  nous  sommes  amenés  à 
constater  que  Giuseppe  Guarneri,  fils  d'Andréa  Guarneri  et  cousin  de  Guar- 
nerius del  Gesù,  est  le  seul  dont  les  productions  présentent  la  ressemblance 
cherchée.  C'est  donc  lui  que  l'analogie  nous  indique  comme  le  maitre  de  son 
cousin.  Le  fils  d'Andréa  Guarneri  était  de  beaucoup  plus  âgé  que  son  cousin 
del  Gesù;  et  il  est  beaucoup  plus  raisonnable  de  conclure  que  ce  fut  dans  son 
atelier  que  Guarnerius  del  Gesù  reçut  ses  premières  leçons  que  de  lui  assi- 
gner un  maitre  dont  il  n'a  jamais  imité  les  ouvrages  et  dont  le  style  n'a  rien 
de  commun  avec  le  sien. 

On  voit  que  l'écrivain  n'appuie  son  opinion  que  sur  deux  faits  qu'il 
prétend  établir  :  d'une  part,  le  manque  d'analogie  qu'il  constate  entre 
les  produits  de  Guarnerius  del  Gesù  et  ceux  de  Stradivarius  ;  et.  d'autre 
part,  sur  l'analogie  qu'il  découvre  au  contraire  entre  sa  facture  et  celle 
de  son  cousin,  l'autre  Joseph.  C'est  très  bien.  Mais,  un  peu  plus  loin, 
Hart  démontre  qu'il  existe  une  grande  ressemblance  entre  le  travail  de 
Guarnerius  del  Gesù  et  celui  de  Gaspar  da  Salo  :  —  «  IL  semble,  dit-il, 
avoir  pris  Gasparo  da  Salo  pour  guide  et  s'être  inspiré  de  ce  maitre  pour 
la  formation  de  son  modèle.  En  examinant  attentivement  chaque  détail 
et  en  analysant  les  mérites  et  les  défauts  du  modèle  de  Gasparo,  on  est 
invinciblement  amené  à  conclure  que  Guarnerius  a  pris  pourpoint  de 
départ  celui  où  Gasparo  s'était  arrêté  et  qu'il  a  pris  à  tâche  de  com- 
pléter ce  que  le  grand  luthier  de  Brescia  avait  laissé  d'inachevé.  » 

Hart  constate  donc  de  grands  points  de  ressemblance  entre  la  facture 
de  Guarnerius  del  Gesù  et  celle  de  Gaspar  da  Salo  ;  il  ne  saurait  cepen- 
dant supposer  que  le  premier  fut  l'élève  du  second,  puisque  celui-ci 
vivait  à  Brescia  au  seizième  siècle.  Mais,  alors,  comment  cette  simple 
analogie  découverte  par  lui  entre  les  travaux  de  Guarnerius  del  Gesù  et 
ceux  de  sou  cousin  Joseph,  fils  d'André,  lui  permet-elle  d'affirmer  de 


(1)  Voici  le  texte  même  de  cet  acte  : 

o  Anno  168  sesto,  Die  décima  septima  octobris,  Joseph  lilius  D.  Joannis  Baptista 
de  Garneris  et  Maria  do  Locadellis,  baptizatus  fuit  p.  me  J.  B.  Barozium-Patrinus 
fuit  Franciscus  Barozius  hujus  vicinetœ  obstetrix  pro  Rev"  Matre  D.  Clara  Teodora 
Nicola  Professa  in  monasterio  Stœ  Maria;  Cistelli.  »  (.Vtti  parrochiali  di  S.  Donoto). 

(2)  Antoine  Stradivarius,  sa  vie  el  son  oeuvre. 


LE  MÉNESTREL 


253 


façon  si  péremptoire  qu'il  fut  l'élève  de  ce  dernier  ?  Cette  affirmation  ne 
repose  donc,  en  réalité,  que  sur  des  conjectures,  de  môme  que  la  certi- 
tude qu'il  prétend  avoir,  en  dépit  de  la  tradition,  que  Stradivarius  ne 
fut  pas  le  maitre  de  Guarnerius  del  Gesù.  Cependant,  MM.  Hill,  sans 
prendre,  eux,  la  peine  de  donner  aucune  espèce  de  raison,  n'hésitent 
à  se  ranger  à  l'avis  deHart;  parlant  des  élèves  de  Stradivarius,  ils 
disent  :  —  «  Fétis,  s'appuyant  sur  l'autorité  de  Vuillaume,  cite  (comme 
ses  élèves)  Joseph  Guarnerius  del  Gesù,  Lorenzo  Guadagnini,  Carlo 
Bergonzi,  Francesco  Gobetti  de  Venise,  Alessandro  Gagliano,  Michel- 
Angelo  Bergonzi  et  les  deux  fils  de  Stradivarius,  Omobono  et  Fran- 
cesco... Il  faut  simplement  rayer  de  cetteliste  lenom  de  Joseph  Guarnerius, 
car  il  n'existe  aucune  preuve  qu'un  lien  professionnel  quelconque  le 
rattache  à  son  illustre  contemporain  :  ajoutons  que  nous  partageons 
complètement  l'opinion  de  Hart,  qui  en  fait  l'élève  de  son  oncle  Joseph, 
fils  d'André  Guarnerius.  » 

«  Il  n'existe  aucune  preuve...  ».  et  alors  ces  messieurs  concluent  har- 
diment pour  la  négative  ;  c'est  ce  qui  s'appelle  résoudre  la  question  par 
la  question,  et  la  solution  me  parait  manquer  d'élégance  et  de  solidité. 
Je  ne  me  permettrai  pas  de  prendre  parti  dans  la  cause.  Je  constate 
seulement  que  les  luthiers  anglais  se  refusent  à  faire  de  Joseph  Guar- 
nerius un  élève  de  Stradivarius,  à  rencontre  de  Vuillaume,  luthier 
français  dont  nul  ne  méconnaît  la  valeur,  et  qui  croit  le  contraire.  La 
vérité,  c'est  qu'on  ne  sait  rien  de  précis  à  ce  sujet,  et  qu'il  n'est  permis 
de  rien  affirmer  ni  dans  un  sens  ni  dans  l'autre. 

Au  reste,  qu'il  fût  ou  non  élève  de  Stradivarius,  qu'il  le  fût  de  son 
cousin  Joseph  (et  non  son  oncle,  comme  le  disent  par  erreur  MM.  Hill), 
ce  qu'on  sait  du  moins,  c'est  que,  son  apprentissage  terminé,  Joseph 
del  Gesù  s'établit  à  Crémone.  En  quelle  année?  c'est  ce  qu'il  serait 
difficile  de  dire.  Mais  ce  qu'on  tient  de  certain,  c'est  qu'il  occupait,  sur 
la  principale  place  de  la  ville,  une  maison  proche  de  celle  habitée  par 
Stradivarius,  dont  elle  n'était  séparée  que  par  celle  de  Carlo  Bergonzi. 
Hart,  à  qui  son  enthousiasme  pour  la  lutherie  crémonaise  a  fait  faire 
plusieurs  voyages  en  ce  pays  dans  le  but  de  se  renseigner  de  façon  pré- 
cise sur  ces  grands  artistes,  donne  les  détails  intéressants  que  voici  : 
—  «  La  place  San  Domenico  à  Crémone,  au  milieu  de  laquelle  se  trou- 
vait l'église  de  ce  nom,  démolie  en  1870,  et  qui  s'appelle  aujourd'hui 
Piazza  Borna,  était  jadis  le  centre  du  commerce  de  la  lutherie.  Devant 
l'église  se  trouvaient  trois  maisons  sur  le  même  rang,  dans  l'une  fut  celle 
de  Stradivarius,  une  autre  celle  de  Carlo  Bergonzi,  et  la  troisième  celle 
du  grand  Guarnerius.  Sur  le  côté  en  retour  étaient  celles  occupées  par 
Nicolas  Amati  et  par  Storioni.  Et  tout  auprès,  dans  la  via  dei  collellai, 
celle  de  Ruggeri  (1). 

On  aurait  plaisir  à  se  figurer  le  voisinage  amical  et  comme  fraternel 
de  ces  trois  grands  luthiers  :  Stradivarius,  Bergonzi  et  Guarnerius. 
dont  l'un,  plus  âgé,  était  déjà  célèbre,  tandis  que  les  deux  autres 
étaient  appelés  à  le  devenir  ;  on  voudrait  les  voir  chacun  au  travail 
dans  leur  atelier  encombré  d'une  foule  d'instruments  dont  quelques- 
uns  à  peine  ébauchés,  entourés  de  leurs  apprentis  et  de  leurs  élèves, 
auxquels  ils  enseignent,  avec  les  principes  de  leur  art  charmant  et 
presque  mystérieux,  le  maniement  de  tous  ces  outils  aux  proportions 
mignonnes  et  délicates  ;  les  scies,  les  rabots,  les  canifs,  les  traçoirs,  les 
gouges,  les  limes,  les  compas,  les  râpes,  les  ratissoirs,  les  bédanes... 
De  Stradivarius,  on  sait  qu'il  travaillait  au  rez-de-chaussée  de  sa 
maison,  le  premier  étage  étant  spécialement  consacré  au  vernissage  des 
instruments,  opération  particulièrement  délicate  ijt  qui  demandait  un 
soin  infini  en  raison  de  son  importance  pour  la  sonorité.  «  Il  était, 
a-t-on  dit,  de  haute  stature  et  maigre.  Habituellement  coiffé  d'un 
bonnet  de  laine  blanche  en  hiver,  et  de  coton  en  été,  il  portait  sur  ses 
vêtements  un  tablier  de  peau  blanche  lorsqu'il  travaillait,  et  comme  il 
travaillait  toujours,  son  costume  ne  variait  guère.  » 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 
(pour  les  seuls  abowves  a  la  musique) 


Encore  une  mélodie  de  la  nouvelle  série  écrite  par  Ernest  Moret,  sur  des  poésies 
de  Klingsor,  et  qui  n'est  pas  une  des  moins  troublantes  :  Ole  ton  voile.  Elle  est  enve- 
loppée d'harmonies  ondoyantes  et  parfumées,  pour  Unir  sur  un  accompagnement  de 
•  flûte  arabe  »  tout  à  fait  délicieux. 

(1)  On  pourrait  remarquer  qu'il  y  a  un  peu  plus  d'un  demi-siècle  existait  aussi  à 
Paris  une  sorte  de  centre  du  commerce  de  la  lutherie  :  c'était  la  rue  Croix-des-Petits- 
Champs  et  ses  entours,  où,  vers  lb50,  s'étaient  réunis  un  certain  nombre  de  luthiers. 
Au  numéro  16  de  la  rue  Croix-des-Petils-Champs  on  trouvait  Clément;  au  nu- 
méro 21,  Bernardel;  au  numéro  24,  Gand;  au  numéro  '16,  Vuillaume;  non  loin 
d'eux,  Maucotel.  Puis,  quelques  autres  étaient  établis,  dans  les  rues  adjacentes,  rue 
-Chabanais,  rue  Baillif,  etc. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


Le  célèbre  compositeur  norvégien  Jean  Svend-en  a  été  nommé  chevalii-r 
de  la  Légion  d'honneur.  Il  fut  longtemps  premier  chef  d'orchestre  de  l'Opéra 
de  Christiania.  Ses  œuvres  musicales  sont  nombreuses  bien  qu'un  très  petit 
nombre  en  ait  été  entendu  à  Paris.  On  assure  que  cV-l.W.  [''allières  qui  a  désiré, 
pour  cet  artiste  Scandinave,  la  distinction  lionorilique  dont  il  vient  d'être 
l'objet  de  la  part  de  la  France. 

—  Au  moment  même  où  ont  commencé  les  fêtes  wagnériennes  de  Bayreutb, 
un  écrit  a  été  reproduit  par  les  journaux  allemands.  On  l'attribue  à  M.  Sieg- 
fried Wagner.  Quel  qu'ensoit  l'auteur,  il  suflit  de  le  reproduire;  tous  com- 
mentaires seraient  superflus.  En  voici  la  teneur  :  «  Assurément,  je  m'occupe 
de  composer  un  opéra,  ni  comique,  ni  sérieux,  mais  comique  et  sérieux  a  la 
fois.  Pour  ce  qui  est  du  texte,  que  naturellement  j'écris  moi-même,  je  n'aime- 
rais pas  mettre  sur  le  papier  ce  que  j'ai  à  en  dire;  toutefois,  très  volontiers  en 
parlerais-je  de  vive  voix.  Mon  stylo  est  celui  de  Xicolaï.  Voici  ce  que  cela 
veut  dire  :  Je  ne  compose  pas  dans  la  manière  mal  comprise  de  "Wagner,  ce 
qui  signifie  que  je  ne  chausse  le  cothurne  de  personne,  car  mes  pieds  pour- 
raient en  élre  meurtris.  Vous  savez  déjà  ce  que  je  pense  de  la  quincaillerie 
musicale  des  compositeurs  de  l'école  présente.  Quart  aux  fêtes  de  Bayreuth, 
elles  me  causent  une  joie  de  Titan  !  Ces  fêtes  constituent  «  l'épine  dorsale  i> 
de  l'année,  peut-être  aussi  l'épine  dorsale  de  l'Allemagne,  dans  tous  les  cas 
l'épine  dorsale  de  l'art  allemand.  Et  en  effet,  ce  que.  dans  ces  derniers  temps, 
j'ai  pu  voir  sur  différents  théâtres,  en  fait  de  représentations,  était  triste  et 
déprimant,  principalement  à  cause  de  l'aplomb  presque  cynique  avec  lequel 
s'y  déployait  le  charlatanisme  des  compositeurs  d'à  présent,  qui  dédaignent 
les  enseignements  de  mon  père  pour  y  substituer  leur  propre  sottise.  Rien  ne 
montre  mieux  la  nécessité  toujours  claire  et  pressante  de  maintenir  l'œuvre 
de  Bayreuth  ».  S'il  était  démontré  que  ce  joli  morceau  de  prose  fut  de 
M.  Siegfried  Wagner,  on  pourrait  bien  dire  qu'il  est  difficile  de  plaider  pro 
domo  avec  plus  de  cynisme,  plus  de  maladresse  et  plus  de  sottise  à  la  fois. 

—  Les  wagnériens  qui  visitent  en  ce  moment  Bayreuth  s'occupent  déjà  de 
savoir  s'il  y  aura  ou  non  des  représentations  de  fête  en  1909.  La  question  n'a 
pas  élé  tranchée  ;  on  s'ait  seulement  que  le  propriétaire  d'un  cirque,  ayant 
demandé  à  la  municipalité  de  la  ville  l'autorisation  de  donner  des  séances 
pendant  l'été  de  l'année  prochaine,  a  obtenu  un  acquiescement  conditionnel, 
un  «  oui  »  avec  la  restriction  suivante  :  «  S'il  n'y  a  pas  de  festival  Wagner.  » 

—  On  a  prêté  à  M.  Conried,  l'ancien  directeur  du  Metropolitan  Opéra  House 
de  New-York,  l'intention  de  fonder  à  Berlin  un  nouveau  théâtre  d'opéra,  au 
capital  de  11.250.000  francs.  Rien  d'exact  en  tout  cela. 

—  L'empereur  d'Allemagne  appréciait  chez  Grieg  l'homme  et  l'artiste.  Lors 
de  son  dernier  voyage  en  Norvège,  il  alla  visiter  le  lieu  si  pittoresque  où 
reposent  les  restes  mortels  du  maitre.  Fortement  impressionné  par  le  charme 
du  paysage,  il  voulut  qu'on  en  fixât  le  souvenir  sur  la  toile  et  commanda  un 
grand  tableau  à  un  peinlre  de  Berlin.  On  ne  nous  dit  pas  quel  est  ce  peintre. 
Souhaitons  que  l'empereur  Guillaume  ait  été  heureux  dans  son  choix,  car  le 
lieu  de  la  sépulture  de  Grieg,  près  de  Bergen,  dans  la  grotte  de  Troldhangen, 
au  bord  d'un  lac,  est  en  effet  d'une  incomparable  beauté. 

—  Grillparzer  compositeur.  La  Neue  Revue  de  Berlin  vient  de  publier  une 
composition  restée  jusqu'ici  inconnue  du  poète  Franz  Grillparzer.  Elle  a  été 
trouvée  par  M.  Richard  Batka  dans  une  collection  d'autographes,  et  démontre 
que  l'auteur  ne  possédait  pas  les  notions  élémentaires  de  l'harmonie  et  du 
contrepoint.  L'essai  reste  cependant  très  intéressant,  car  ce  sont  des  vers  de 
l'Odyssée  que  Grillparzer  a  mis  en  musique  ;  on  peut  donc  facilement  se  rendre 
compte  de  la  manière  dont  le  poète  envisageait  le  rythme  et  l'accentuation 
dans  les  vers  d'Homère,  longtemps  avant  que  des  savants  autorisés  comme 
Westphal  et  M.  Gevaërt  aient  posé  leurs  conclusions.  La  mélodie  de  Grill- 
parzer est  une  sorte  de  suite  psalmodiée  de  notes  qui  ne  modulent  guère  qu'à 
la  dominante,  et  dont  les  accompagnements  ne  sont  que  des  suites  alternées 
de  croches  se  succédant  en  dessins  réguliers.  La  basse  est  écrite  comme  peut 
le  faire  un  amateur.  L'ouvrage  finit  par  un  effet  suspensif  sur  la  tierce  rem- 
plaçant la  tonique  à  la  partie  supérieure  de  l'accord  final.  Quoi  qu'il  en  soit. 
Grillparzer  n'était  pas  absolument  étranger  à  l'art  musical:  il  savait  l'apprécier 
en  critique  intelligent,  fut  un  admirateur  de  Mozart  et  de  Rossini,  et  ne 
dédaigna  pas  Beethoven.  Il  reçut  des  leçons  de  piano  d'un  professeur  nommé 
Gallus. 

—  On  a  inauguré  à  Carlsbad,  le  4  juillet  dernier,  une  statue  en  l'honneur 
de  Chopin  pour  commémorer  le  souvenir  de  son  séjour  dans  cette  ville.  Cette 
statue  a  été  érigée  par  souscriptions,  aux  frais  de  la  colonie  polonaise. 

—  A  l'occasion  du  soixantième  anniversaire  de  l'avènement  au  trône  de 
l'empereur  François-Joseph  (2  décembre  1S4S).  la  fondation  internationale 
Mozarleum  donnera  le  17  août  prochain,  au  Théâtre-Municipal  de  Salzbourg. 
un  festival  dans  lequel  on  entendra  Mme  Lilli  Lehmann,  M.  Léopold  Demuth, 
le  quatuor  Fitzner  et  l'orchestre  du  «  Mozarteum  o  dirigé  par  M.  Joseph  Reiter. 
Le  lendemain,  ces  artistes  et  quelques  autres  qui  leur  seront  adjoints  exécute- 
ront, dans  l'église-cathédrale,  la  Messe  du  Couronnement  et  l'Ave  verum  de 
Mozart.  A  l'Offertoire,  Mme  Lilli  Lehmann  chantera  un  Alléluia  du  grand  com- 
positeur. 


254 


LE  MÉNESTREL 


—  La  censure  de  Prague  a  souvent  fait  parler  d'elle  :  les  allusions  poli- 
tiques et  les  libertés  de  langage  qui  ont  éveillé  ses  susceptibilités  ne  se 
comptent  plus  depuis  longtemps.  Il  faut  toutefois  signaler  son  dernier  trait, 
car  il  montre  jusqu'où  peuvent  aller  les  scrupules  de  ces  messieurs  et  quelle 
préoccupation  tracassière  les  domine.  Dans  une  pièce  burlesque  intitulée 
l'Exposition  jubilaire  de  Prague  en  Vannée  4908  se  trouvait  la  phrase  suivante  : 
«  Chez  nous,  à  Vienne,  le  café  est  mauvais,  mais,  à  Prague,  il  est  exécrable.  » 
Cette  atteinte  portée  à  la  réputation  des  cafés  de  Prague  parut  aux  censeurs 
tout  à  fait  dangereuse  pour  l'ordre  public;  ils  exigèrent  la  suppression  de  la 
phrase  incriminée,  et  le  directeur  du  théâtre  populaire  allemand  qui  avait 
monté  l'ouvrage  dut  en  passer  par  là.  Ce  n'est  pas  tout.  Les  censeurs,  après 
avoir  protégé  la  renommée  des  cafés  de  Prague,  jugèrent  qu'il  ne  serait  pas 
mal  de  défendre  les  hôteliers  qui  les  vendent.  Une  scène  de  l'ouvrage  qui  leur 
était  soumis  se  passait  dans  un  hôtel  dénommé  «  A  l'Étoile  bleue  ».  L'auteur 
de  la  pièce  et  le  tenancier  de  l'hôtel  s'étaient-ils  mis  d'accord,  et  s'agissait-il 
d'une  réclame  concertée  entre  eux?  On  l'a  dit  sans  que  la  chose  ait  été  prou- 
vée. Ce  qui  parait  certain  toutefois,  c'est  que,  l'œuvre  n'ayant  pas  été  jouée, 
aucune  plainte  n'avait  pu  régulièrement  se  produire.  Mais  la  censure  est  pré- 
ventive dans  les  pays  où  elle  fonctionne  avec  tous  ses  avantages.  Elle  exigea 
que  le  malheureux  auteur,  déjà  houspillé  pour  la  question  des  cafés,  se  munit 
d'une  autorisation  écrite  du  propriétaire  de  l'enseigne  '<  A  l'Étoile  bleue  » 
attestant  qu'il  avait  obtenu  toutes  permissions  et  licences  jugées  nécessaires. 
Ainsi  fut  fait.  On  a  rappelé,  à  propos  de  ce  dernier  trait  de  la  censure  bohé- 
mienne, qu'avant  d'avoir  défendu  les  cafetiers  de  Prague,  sa  sollicitude  s'était 
étendue  sur  les  militaires  autrichiens,  et  que,  dans  la  circonstance,  elle  s'était 
montrée,  —  oh!  bien  sans  le  vouloir,  —  gardienne  de  la.  vérité  historique  et 
de  la  couleur  locale  au  théâtre.  Le  Macbeth  de  .Shakespeare  ayant  été  mis  en 
scène,  le  directeur,  un  peu  simpliste,  trouva  tout  naturel  d'affubler,  de  l'uni- 
forme autrichien  les  soldats  de  l'aventurier  écossais.  Il  avait  compté  sans  son 
hôie.  La  censure  opposa  son  veto  et.  rendit  ainsi  impossible  l'absurdité  scé- 
nique  dont  allait  se  rendre  coupable  le  directeur  du  théâtre.  Nul  ne  lui  en  sut 
gré  d'ailleurs,  car  ses  mobiles  et  son  intelligence  étaient  connus.  Elle  avait 
fait  ses  preuves,  mais  on  rit  beaucoup  à  Prague  de  ses  craintes  à  l'occasion 
des  soldats  de  Macbeth. 

—  La  compagnie  théâtrale  «  Città  di  Milano  »  a  donné  au  théâtre  Alfieri 
de  Turin  la  première  représentation  d'une  opérette  en  trois  actes  de  M,  Rei- 
vihard,  Dolce  Leota.  Le  succès  doit  être  dûplutùt  à  une  interprétation  excellente 
qu'à  la  valeur  de  l'œuvre  elle-même.  Après  une  saison  trè;  avantageuse  de 
cinq  mois,  la  compagnie  a  quitté  Turin  pour  se  rendre  à  Gènes.  En  septembre, 
octobre  et  novembre,  elle  jouera  au  Costanzi,  à  Rome,  et  rentrera  à  Milan 
pour  la  saison  du  carnaval. 

—  On  prépare  d'ores  et  déjà  les  fêtes  qui  auront  lieu  au  mois  de  janvier  1909, 
à  l'occasion  du  quatre-vingtième  anniversaire  de  la  naissance  du  grand  tragé- 
dien Tomaso  Salvini.  Une  médaille  en  or  lui  sera  offerte  et  le  Conseil  muni- 
cipal de  Rome  lui  décernera  probablement  le  titre  de  citoyen  romain.  Sa  con- 
duite courageuse  pendant  les  événements  de  1849  justifierait  pleinement  cette 
distinction. 

—  A  l'occasion  du  centième  anniversaire  de  la  naissance  de  Verdi,  aura 
lieu  en  1913,  à  Milan,  une  exposition  internationale  du  théâtre.  Elle  com- 
prendra trois  sections  principales  :  1°  le  théâtre  proprement  dit  ;  2°  la  musique  ; 
3°  les  artistes  et  la  littérature  du  théâtre.  La  première  section  embrassera  tout 
ce  qui  a  rapport  à  la  construction  et  à  l'aménagement  des  théâtres,  à  la  mise 
en  scène,  aux  costumes,  etc.,  dans  l'antiquité,  au  moyen  âge  et  à  l'époque 
moderne.  La  deuxième  section  présentera  tous  les  documents  relatifs  à  l'an- 
cienne écriture  musicale,  les  instruments  de  musique  anciens  et  modernes,  les 
procédés  de  la  gravure,  l'impression,  etc.  Enfin  la  troisième  section  sera  con- 
sacrée à  tout  ce  qui  concerne  les  droits  d'auteurs,  la  législation  du  théâtre, 
les  rapports  des  artistes  avec  les  directeurs  ou  entre  eux;  questions  d'engage- 
ments, appointements,  retraites,  etc.  Une  section  spéciale  sera  rattachée  aux 
trois  principales  et  aura  pour  objet  de  faciliter  les  études  relatives  à  la  musique 
religieuse  et  au  chant  populaire. 

—  Nous  avons  dit  déjà  qu'un  éditeur  de  musique  de  Milan  avait  organisé 
an  concours  international  pour  un  libretto  d'Opéra.  Un  jury  composé  d'écri- 
vains et  de  musiciens  fut  nommé  pour  décerner  le  prix.  L'auteur  de  l'œuvre 
déclarée  la  meilleure  devait  recevoir  une  somme  de  25.000  francs.  Des  cen- 
taines de  libretti  en  différentes  langues  furent  envoyés.  Le  choix  s'arrêta  sur 
un  ouvrage  intitulé  la  Festa  de!  Grano  (la  Fête  de  la  Moisson),  par  le  poète 
romain  Salvatori.  Ce  libretto,  dont  l'action  se  passe  à  la  campagne,  est  cepen- 
dant symbolique.  Il  fut  offert  à  M.  Mascagni  qui  le  rendit  après  de  longues 
hésitations.  On  annonce  à  présent  que  le  prêtre-compositeur  Giocondo  Fino, 
de  Turin,  se  serait  chargé  de  le  mettre  en  musique. 

—  Le  violoniste  Karl  Deichmann,  qui  vient  de  mourir,  a  été  le  héros  d'une 
plaisante  mystification.  C'était  au  festival  wagnérien  qui  eut  lieu  à  l'Albert 
Hall  de  Londres,  en  18T7.  Pendant  une  répétition,  Wagner  s'était  montré 
mécontent  de  l'orchestre  et  en  avait  usé  vis-à-vis  des  artistes  avec  des 
façons  beaucoup  moins  qu'aimables.  La  séance  terminée,  il  éprouva  le  besoin 
de  déverser  de  nouveau  son  impatience  sur  les  malheureux  musiciens,  et, 
s'adressant  à  son  compatriote  Deichmann  comme  à  celui  d'entre  eux  qui  pou- 
vait comprendre  ce  qu'il  avait  à  dire  en  allemand  et  le  traduire  en  anglais,  il 
s-'èxprima  ainsi  :  «  Faites  savoir  à  ces  Messieurs  que  dans  toute  grande  ville 
d'Allemagne  ils  auraient  été  immédiatement  congédiés  à  cause  de  leur  mau- 
vaise exécution.  »  Infidèle  pour  le  bon  motif,  le  traducteur  lit  à  l'orchestre  la 


déclaration  suivante  :  «  Messieurs,  M.  Wagner  me  prie  de  vous' dire  qu'il  se 
rend  pleinement  compte  des  difficultés  que  présente  sa  musique,  qu'il  vous 
demande  de  jouer  de-  votre  mieux  et,  autant  que  faire  se  pourra,  de  vous 
montrer  moins  désagréables  que  lui-même  ».' 

—  Un  journal  italien  nous  raconte  qu'un  de  ses  compatriotes  depuis  long- 
temps déjà  établi  àLondres,  un  Piémontais  nommé  Adolfe  Boziani,  qui,  après 
avoir  été  un  excellent  maître  d'hôtel,  a  fondé  dans  Pall-Mall  un  restaurant 
aujourd'hui  très  achalandé,  est  un  friand  amateur  d'autographes,  et  a  su,  avec 
beaucoup  d'habileté,  se  former  en  ce  genre  un  album  très  curieux.  La  pre- 
mière page  de  cet  album  avait  été  réservée  pour  Adelina  Patti  ;  mais,  celle-ci 
tardant  à  venir,  il  saisit  l'occasion  d'étrenner  sa  collection  avec  un  autographe 
du  fameux  auteur  sir  Charles  Wyndham.  M"1"  Patti  se  présentant  enfin  et  fa 
première  page  étant  occupée,  elle  prit  la  dernière,  sur  laquelle  elle  écrivit  :  Une 
belle  voix  est  un  don  de  Dieu.  Mm"  Sarah  Bernhardt  résista  longtemps  aux  ins- 
tances du  Boziani  ;  enfin,  un  soir,  après  un  grand  triomphe  dans  la  Dame  au,r 
camélias,  elle  s'exécuta,  mais  d'une  main  si  nerveuse  que  les  deux  lignes 
tracées  par  elle  sont  restées  jusqu'ici  complètement  indéchiffrables  pour  les 
plus  experts  paléographes.  Par  contre.  M""-'  Melba,  d'une  calligraphie  superbe, 
inscrivit  cette  pensée  :  L'art  est  un  ami  qui  ne  trompe  jamais,  à  laquelle  un 
humoriste  du  journal  Punch  ajouta  :  mais  qui  est  souvent  trompé.  La  présence 
du  célèbre  inventeur  Marconi  inspira  un  trait  de  génie  à  notre  homme,  qui, 
quoique  restaurateur,  a,  paraît-il,  de  l'esprit  à  l'occasion.  Le  susdit  Marconi 
avait  toujours  refusé  sèchement  sa  signature.  Or,  un  soir,  en  le  voyant  entrer, 
Boziani  eut  l'idée  de  modifier  la  rédaction  de  son  menu  et  d'y  placer  des 
«  haricots  verts  à  la  Marconi».  Celui-ci,  intrigué,  lui  demanda  quel  était  ce 
plat  qui  portait  son  nom,  et  l'autre  lui  répondit  :  »  Signor,  ce  sont  des  hari- 
cots sans  fils.-»  Et,  du  coup,  il  eut  son  autographe. 

—  Le  gouvernement  de  la  République  Argentine  a  interdit  à  tous  les  théâ- 
tres de  son  territoire  de  jouer  des  pièces  dani  lesquelles  les  acteurs  ont  à 
endosser  le  costume  militaire.  Suivant  l'exemple  donné  en  haut  lieu,  le  direc- 
teur de  la  police  de  Buenos-Ayres  a  défendu  que  l'uniforme  des  agents  fût 
porté  sur  la  scène.  Les  journaux  protestent  contre  ces  mesures. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

On  reparle,  ou  mieux  on  a  reparlé  tous  ces  temps  derniers,  et  très 
sérieusement,  de  la  reconstruction  de  notre  très  vétusté  Conservatoire  natio- 
nal de  musique  et  de  déclamation.  La  combinaison  mise  en  avant,  et  qui 
parait  avoir  des  chances  d'aboutir,  est  celle  qui  consisterait  à  céder  les  terrains 
du  faubourg  Poissonnière  à  l'administration  des  Téléphones,  qui  les  paierait  à 
raison  de  1.000  francs  le  mètre  carré.  Avec  la  somme  très  rondelette  ainsi 
encaissée,  on  ferait  acquisition  des  terrains  occupés  par  la  caserne  de  la  Nou- 
velle France,  située  dans  le  même  faubourg  mais  plus  haut,  presque  à  l'angle 
de  la  rue  Lafavette,  on  édifierait  un  immeuble  neuf,  et  on  pourrait  même 
indemniser  l'administration  de  la  Guerre  pour  la  reconstruction  de  sa  caserne 
sur  un  autre  emplacement.  On  dit,  dans  les  milieux  très  bien  informés,  que 
ce  beau  rêve  pourrait  être  réalisé  d'ici  trois  années.  Souhaitons.  —  il  a  été  déjà 
tant  de  fois  question  du  rajeunissement  du  Conservatoire  !  —  que  cette  fois 
soit  enfin  la  bonne,  et  souhaitons  aussi,  si  la  chose  se  fait,  que  l'architecte  à 
qui  sera  confiée  la  construction  ait  plus  souci  du  côté  pratique  que  de  l'inutile 
côté  décoratif. 

L'administration  de  l'Opéra  dément  la  nouvelle,  lancée  cette  semaine  par 

un  de  nos  grands  confrères  du  matin,  que  l'on  comptait  monter,  la  saison 
prochaine,  des  ballets  russes  dansés  par  Mlles  Kochesniska  et  Paolava,  entou- 
rées des  corps  de  ballet  de  l'Opéra  de  Saint-Pétersbourg. 

Et  à  propos  de  musique  russe,  une  note  parue  dans  les  quotidiens  de  ces 

jours-ci  nous  apprend  que  la  Pskuuilaiiw,  de  Rimsky-Korsakolï,  dont  on  avait 
annoncé  l'éventuelle  représentation  à' l'Opéra,  sera  donnée  sur  une  grande 
scène  parisienne,  dirigée  par  une  femme  (cherchez  !  Est-ce  Sarah  ?  Est-ce 
Réjane?),  en  même  temps  que  la  Fiancée  du  Tsar  du  même  Rimsky-Korsakoff, 
que  la  Charmeuse  et  OprïlcKnick  de  Tschaïkowsky.  C'est  Mme  Halpérine,  la 
traductrice  de  Snegourotclika,  qui  organise  cette  saison  russe. 

Servons-nous   encore   du    charmant   Almanach    des   Spectacles    de   notre 

excellent  confrère  Albert  Soubies,  et.  comme  nous  le  faisons  chaque  année, 
établissons,  d'après  lui,  le  tableau  du  nombre  de  représentations  obtenu  à 
l'Upéra-Comique  par  chaque  compositeur  au  cours  de  l'année  MOT.  Comme 
toujours,  c'est  M.  Massenet  qui  arrive  en  tête.  Voici,  d'ailleurs,  le  tableau 
complet  : 

M.  Massenet avec  4  ouvrages  (Le  Jongleur  de  Notre-Dame, 

Manon ,  Marie-  Magdelein  e 

at  Werther) a  été  joué  68  fois. 

M.  Puccini —    2        —        {Madame  Butterfly  et  la  Vie 

de  Bohème) —        67    — 

Bizet —    1        —        {Carmen) —        36    — 

M.  Messager —    1        —        (Fortunio) —        27    — 

Léo  Delibes —    1        —        (Lakméj —        19    — 

Gluc]c _    3        —        (Iphigênie  en  Aulide,  Iphi- 

génie  en  Tauride  et  Orphée)         —       19    — 
Ambroise  Thomas  .    .     —    2        —        {Mignon  et  le  Caid)  ....  —       18    — 

M.  Xavier  Leroux  .   .     —    1        —        {Le  Chemineau) 18  •  — 

M.  Mascagni —    1        —        (Cavalleria  rusticuna)  ...  —        17    — 

Victor  Massé    ....     —    1      .  -        {Les  \oces  de  Jeannette)    .   .  —        15    — 

Verdi —    1        —        (La  Traviala} —        13    — 

M.Gust.  Charpentier.      -    1        —         Louise) —        12    — 


LE  MÉNESTREL 


M.  Dukas.    .    .   . 

Gounod 

lîossini 

M.  F.  Fourdrain. 


avec  1  ouvrag 
-     1        - 


M.  Debussy .  . 
M.  Ed.  Diat.  . 
MM.P  eiL.Uiliemacber  — 

M.  Erlanger — 

Ad.  Adam — 

M.  G.  Pierné    .    .    .    .  — 

M.  G.  Doret — 

M.  E.  Jaques-Dalcroze  — 

Auber '— 

M.  Saint-Saëns    ...  — 

Donizetli — 

Maillarl • .  — 

Paër — 

M.  Gabriel  Duponl.   .  - 

Xicolo - 

Benjamin  Godard  .   .  — 


-     1        - 


(Ariane  et  Bariie-Blcue:   .    .  ; 

Mireille) 

(Le  Barbier  de  Sèville)  .  .  . 
(La  Légende  du  point  d'Ar- 
gentan}   

(Peltéas  el  Mclisande)  .    .    . 

La  Revanche  d'Iris  .... 

Cirrr    

(Aphrodite) 

(Le  Chalet; 

(La  Coupe  enchantée)    .    .    . 

Les  Armaillis) 

(Le  Bonhomme  Jadis     .    .    . 

Le  Domino  noir) 

La  Prinresse  jaune]  .... 

La  Fille  du  régiment  .  .  . 
(Les  Dragons  de  VUlars   .   . 

Le  Maître  de  chapelle) .  .  . 
I  Lu  Cabrera) 

Les  Rendez-vous  bourgeois} 

Ln  Vivandière) 


12  (vis. 
II     — 


Il  — 
3  - 
3    — 


—  Et' si  nous  faisons  le  même  traviil  pour  l'Opéra,  au  cours  de  cette  même 
année  1007.  nous  obtiendrons  le  tableau  suivant  : 


avec  i  ouvrages  'Ariane  et  Thah 


été  joué  45  fois. 


Gounod 

M.  Saint  Saëns.   ... 

M.  Keyer ■ 

M.  P.  Vidal ■ 

M.  Le  Borne    .   .   .   .    - 
M.  Wormser   .... 
K.Bourgault-Ducoûdray- 

Gluck 

Meyerbeer.  .   .   . 

M.  H.  Maréchal . 
M.  Paladilhe   .  . 
Léo  Delibes..   . 
Rnssini 


—    1        — 


(Lohengrin,  Tannhiiuser,  la 
Wall.yrie    et    Tristan    et 

Isolde)   

i  Faust  et  Roméo  et  Juliette! . 

Samson  et  Datila) 

Sigwd  et  Salammbô) .   .   . 

La  Maladettaj 

■'La  Catalane 

,  L'Élode) 

Thamara) 

[Armide) 

(Les  Huguenots  et  le  Pro- 
phète)     

Le  Lae  des  Aulnes)   .... 

(Patrie) 

(Coppélia) 

Guillaume  Tell) 


—  M.  Elwell,  père  d'une  élève  du  Conservatoire,  rencontrait,  le  6  juillet 
dernier,  à  la  sortie  du  concours  de  violon,  le  professeur  Lefort.  Il  s'approcha 
de  lui,  l'insulta  et  lui  jeta  son  gant  à  la  figure,  sous  prétexte  que  le  professeur 
avait  négligé  sa  fille  pendant  son  année  d'études.  M.  Lefort  soutient  qu'il  a 
donné  a  Mlle  Elwell  les  mêmes  soins  qu'à  ses  autres  élèves.  Le  tribunal  de 
simple  police,  devant  lequel  comparaissait  hier  M.  Elwell.  a  condamné  ce 
dernier  à  six  francs  d'amende,  au  franc  de  dommages-intérêts  réclamé  par 
M.  Lefort,  et  à  trois  insertions,  le  juge  de  police  estimant  que  M.  Lefort  avait 
éprouvé  un  préjudice  artistique. 

—  On  annonce  les  fiançailles  de  M.  ïiarko  Richepin,  le  plus  jeune  des  fils 
du  maitre-poète  Jean  Richepin,  avec  MLle  Sanze-Luro,  une  jeune  harpiste  de 
talent.  On  sait  que  M.  Tiarko  Richepin  a  fait  toutes  ses  études  musicales  à 
notre  Conservatoire  et  que,  malgré  son  jeune  âge,  il  a  vu  déjà  plusieurs  de 
ses  compositions  exécutées  et  publiées. 

—  L'Éventail  de  Bruxelles  reproduit  une  amusante  anecdote  à  laquelle  la 
reprise  récente  i'Hippolyte  el  Aride  prête  un  caractère  d'actualité.  Notre  grand 
musicien  Rameau  se  promenait  un  jour,  rêvant  à  quelque  mélodie  lorsqu'il 
entendit  une  voix  claire  qui  chantait  un  air  de  sa  composition.  Surpris,  il 
s'arrête  et  aperçoit  à  la  fenêtre  d'un  hôtel  une  perruche  se  balançant  dans  une 
cage  dorée.  Aussitôt  il  veut  l'acheter  et  va  même  jusqu'à  en  offrir  cinq  cents 
francs.  «  Pas  même  pour  mille,  répond  la  dame  propriétaire  de  l'oiseau  ;  je 
l'ai  instruite  moi-même  et  j'y  tiens  infiniment.  —  C'est  vous,  alors,  Madame. 
qui  lui  avez  appris  cet,  air  de  Rameau  ?  —  Oui,  c'est  une  musique  de  prédi- 
lection pour  moi,  et,  si  je  cédais  jamais  ma  perruche,  ce  serait  en  échange 
d'une  composition  médite  de  ce  maitre.  —  Qu'à  cela  ne  tienne,  Madame, 
s'écria  Rameau  triomphant,  j'aurai  votre  oiseau  chanteur  pour  beaucoup 
moins  de  cinq  cents  francs  ».  Prenant  aussitôt  une  feuille  de  papier  et  un 
crayon,  il  écrivit  un  morceau  qu'il  avait  tout  prêt  dans  sa  mémoire,  le  signa 
Philippe  Rameau  et  le  remit  à  la  dame  en  échange  de  la  précieuse  perruche. 
Une  fois  en  possession  de  l'oiseau,  Rameau  essaya  de  lui  apprendre  d'autres 
airs  et  réussit  tellement  à  son  gré  qu'il  se  montrait  plus  lier  de  son  élève  aux 
plumes  vertes  que  de  ses  propres  compositions.  Les  chanteuses  de  l'Opéra 
s'en  aperçurent  bien  vite:  lorsque  l'une  d'entre  elles  n'arrivait  pas  à  le  satis- 
faire pendant  les  répétitions  de  ses  opéras,  il  lui  disait  avec  une  ironique 
bonhomie  :  «  Mademoiselle,  si  vous  continuez  à  chanter  ainsi,  je  vous  en- 
verrai prendre  des  leçons  auprès  de  ma  perruche  ». 

—  Opinion  de  M.  Mascagni  sur  deux  de  ses  confrères,  recueillie  par  l'Éven- 
tail de  Bruxelles  : 

La  musique  moderne  ne  durera  pas.  Quels  ouvrages  la  caractérisent  le  mieux? 
■Salomé  et  Pelléas.  L'un  et  l'autre  peuvent  être  acclamés.  Ils  passeront  vite.  Salami 
est  une  partition  bizarre-et-ifigénue.  Les  réminiscences  qu'elle  contient  en  sou- 
lignent l'ingénuité.  Ainsi,  au  moment  le  plus  tragique,  quand  tombe  la  tête  de  Jean, 


la  musique  devient  pauvre  lamentablement,  au  point  d'en  être  risible.  La  imi-iqu>- 
■le  Pelléas  fait  songer  à  ces  accompagnateurs  di  iniques  qui 

jouent  modestement,  timidement,  leurs  petits  airs,  lundis  que  -e  déroulent  les  épi- 
sodes  les  plus  extraordinaires.  Le   public  regarde  le  spectacle  el  n'écoute  pas  la 
musique.  Où  irions-nous  si  la  manière  ■!••  M.  Ii.-bu-s;  nioinpbail  des  îutn 
plus   respectueuses  des  principes  fondamentaux  de  la  musique 7   Heur 
l'histoire  de  l'art  nous  enseigne  qu'aux  époques  de  décadence  succèdent  des  époques 
de  renaissance  artistique.  Le  public,  après  avoir  applaudi  aux  au  !i 
rites,  revient  toujours  à  l'art  pur,  sain  et  national. 
Ainsi  parla  l'auteur  de  Cavalleria. 

—  Une  anecdote  sur  Chopin  est  toujours  la  bien  venue,  même  quand  elle  a 
déjà  été  racontée.  Nous  empruntons  celle-ci  au  Tealro  illuslrato.  I  n  ioir 
Chopin  rentra  chez  lui  en  compagnie  de  quelques  amis,  parmi  les] 
trouvait  Szmitkowsky,  à  qui  i!  avait  dédié  trois  de  ses  plus  belles  mazurkas; 
il  se  plaignait  de  ses  mauvaises  finances."  Ah',  s'exclama-t-il,  si  un  bon  génie 
glissait  vingt  mille  francs  dans  un  tiroir  de  mon  bureau,  je  pourrais  alor-  me 
procurer  quantité  de  choses  que  je  désire  tellement  !  o  La  nuit  suivante,  Cho- 
pin rêva  que  ses  vœux  avaient  été  réalisés.  Il  ne  manqua  pas  de  raconter  à 
tous  et  los  souhaits  qu'il  avait  formés  et  le  songe  qu'il  avait  eu.  Quelques 
jours  après,  en  ouvrant  le  tiroir  d'un  meuble',  il  trouva  vingt  billets  de  mille 
francs.  On  sut  plus  tard  qu'une  élève  écossaise  du  maitre,  miss  Stirling,  ayant 
entendu  répéter  les  propos  qu'il  avait  tenus,  s'était  empressée  de  cacher  chez 
lui  la  somme  désirée.  Il  ignora  toujours,  dit-on,  quelle  était  la  généreuse  do- 
natrice ». 

—  M.  Paul  Vidal,  le  distingué  chef  d'orchestre  de  l'Opéra,  qui  passe  en  ce 
moment  ses  vacances  dans  les  Vosges,  a  eu  la  charmante  pensée  d'organiser 
pour  les  Trente  Ans  de  Théâtre,  dont  il  est  un  des  principaux  collaborateurs, 
une  représentation  à  Contrexeville  et  une  à  Vittel.  Indépendamment  des 
artistes  de  chaque  troupe.  le  public  a  eu  le  plaisir  d'entendre  la  triomphale 
lauréate  des  derniers  concours  du  Conservatoire,  M1U  Alice  Kaveau,  qui  a  été 
acclamée,  ainsi  que  deux  des  plus  gracieux  sujets  de  l'Académie  de  danse, 
jpies  Guillemin  et  de  Moreira.  Quand  à  M.  Paul  Vidal,  il  a  doDné.  avec  le 
concours  des  excellents  orchestres  de  MM.  Dobbelaere  et  Stevens,  les  Dame 
Tanagréennes  et  les  Dames  anciennes  de  son  nouveau  ballet  Zino-Zina,  et  cette 
o  première  »  a  obtenu  le  plu;  éclatant  succès. 

—  De  Conslantine  :  Un  violent  et  terrible  tremblement  de  terre,  survenu 
dans  la  nuit  du  3  août,  a  endommagé  sérieusement  la  plupart  des  grands  édi- 
fices de  la  ville.  Le  Théâtre-Municipal  est  notamment  parmi  les  constructions 
qui  ont  le  plus  souffert,  une  partie  s'en  est  écroulée  et  une  large  fissure  s'est 
produite  dans  toute  sa  hauteur.  La  population  est  affolée,  mais  on  n'a  heu- 
reusement aucun  accident  de  personne  à  déplorer. 

NÉCROLOGIE 

A  Leipzig  vient  de  mourir  le  professeur  Paul  Homeyer,  titulaire  de  la 
classe  d'orgue  au  Conservatoire  et  organiste  des  concerts  du  Gewandhaus.  Des 
éditions  des  œuvres  d'orgue  de  Bach,  Mendelssohn  et  Schumann  revisées  par 
lui  jouissent  d'une  sérieuse  notoriété. 

—  Un  violoniste,  ancien  élève  de  Spohr,  Ernst  et  de  Bériot,  Karl  Deich- 
mann,  vient  de  mourir  à  Londres,  où  il  s'était  établi  depuis  1S4S.  Très  lié 
avec  M.  Hans  Richter,  il  prit  part  au  festival  wagnérien  qui  eut  lieu  en  1S77 
à  Albert  Hall.  Il  a  occupé  une  place  très  honorable  dans  le  professorat. 


Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


Viennent  de  paraître,  chez  E.  Fasquelle  :  De  Hambourg  aux  Marches  de  /' 
Jules  Huret  (3  fr.  50)  ;  Jeunes  plies,  roman,  de  Victor  Margueritte  ;3  fr.  50);  l'Espoir, 
roman  de  Georges  Lecomte  [3  fr.  50). 


VILLE  DE  NANCY 


Un  concours  est  ouvert  pour  la  nomination  de  deux  professeurs  de  solfège 
au  Conservatoire  de  musique  de  Nancy.  Le  cours  élémentaire  sera  confié  à  un 
professeur  femme,  celui  du  soir  à  un  professeur  homme. 

Les  candidats  devront  justifier  de  leur  nationalité  française.  Ils  sont  invités 
à  déposer  leurs  demandes  et  leurs  titras  au  secrétariat  de  la  mairie,  du  15  au 
30  septembre  1908. 

Les  épreuves  imposées  sont  les  suivantes  :  1°  Réalisation  à  4  parties  d'une 
basse  chiffrée.  2°  Accompaguement  au  piano  d'un  chant  donne  et  transposition 
pratique.  3°  Résoudre  six  questions  de  théorie  et  de  principe  (composition 
écrite).  4"  Lecture  d'une  leç:m  de  solfège  inédite  à  changement  de  clés. 
3°  Dictée  musicale.  6°  Épreuve  d'enseignement.  7°  Questions  générales  sur 
l'histoire  de  la  musique. — Miseenloge  pour  la  réalisation  de  la  basse  chiffrée, 
le  dimanche  11  octobre  de  '2  h.  à  "7  h.  Autres  épreuves  le  lundi  12  octobre 
à  3  h. 

Traitement  annuel  de  600  fr.  au  titulaire  de  chaque  emploi. 


256 


LE  MENESTREL 


Paris,  AU  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Vivienne,  HEUGEL  et  Cie,  éditeurs-propriétaires. 
RÉPERTOIRE    DES    CASINOS    (Concerls  et   Dais) 


LES    DERNIERS    GRANDS    SUCCÈS    DES 


fantaisies,  Ouvertures,  Valses  lentes,  lïloreeaax  de  genre,  ete. 


(MOYEN    ET    PETIT    ORCHESTRE) 


BADES  (P.)-  D'un  pas  léger,  petite  marche. 

Orchestre  complet  avec  piano  cond.,  net    2    » 
Chaque  partie  supplémentaire,  net.    .   .     »  20 

BALDI  (Carlo).  Marche  napolitaine. 

Orchestre  complet  avec  piano  cond.,  net    3    » 
Chaque  partie  supplémentaire,  net.  .    .     »  25 

BERGER  (Rodolphe).  Dernier  baiser,  valse  très  lente. 

—  Impératrice,  valse  lente. 

—  Tentation,  valse  lente. 

—  lîheure  grise,  valse  lente. 

—  Un  peu  d'amour,  valse  lente. 

—  Marche  des  soireux. 

—  Ne  mentons  pas  aux  femmes!  valse  lente. 

—  Bibelots,  pièce  de  genre. 

—  Le  Cri-cri,  polka  moderne. 

—  C'était  un  soir  d'été,  romance  sans  paroles. 

—  A  quoi  pensez-vous,  valse  lente. 

—  C'est  la  vie!  marche. 

—  Perdition,  valse. 

—  Are  you  ready?...  Go!  polka. 

—  Cœur  fragile,  valse  lente. 

—  Printania,  pièce  de  genre. 

—  La  Patrouille  passe...,  ronde  de  nuit. 

—  Rions  toujours,  valse  viennoise. 

—  Dans  le  silence  de  la  nuit,  valse-sérénade. 

—  Valse  du  Chevalier  d'Éon. 

—  La  Romanichelle,  mazurka. 

—  En  fermant  les  yeux,  valse  lente. 

—  Après  fondée,  valse. 

—  Madame  ***,  airs  de  ballet  : 

N°"  1.  Polka  des  Amours. 

2.  Valse  de  l'Etoile. 

3.  Marche  Burlesque. 

Chaque  morceau,  orchestre  complet  avec  piano 

conducteur,  net 2  et  1  50 

Chaque  partie  séparée,  net »  20 

—  Ouverture  de  Correspondance  ! 

Orchestre  complet  avec  piano  cond.,  net    6     » 
Chaque  partie  supplémentaire,  net .   .   .     »  60 

—  Le  Chevalier  d'Éon,  opéra-comique  : 

N°  1 .  Ouverture. 
Orchestre  complet  avec  piano  cond.,  net    8    » 
Chaque  partie  supplémentaire,  net.  .    .     1     » 

N°  2.  Enir'acte-gavofle. 
Orchestre  complet  avec  piano  cond.,  net    5    » 
Chaque  partie  supplémentaire,  net.  .    ■     »  75 

Nc  3.  Lamento-ent r'acte  (solo  de  violon).  , 
Orchestre  complet  avec  piano  cond.,  net  3  » 
Chaque  partie  supplémentaire,  net.    .    .     »  75 

Nn4.  Ballet. 
Orchestre  complet  avec  piano  cond.,  net  12    » 
Chaque  partie  supplémentaire,  net.  .   .     1  50 

N°5.  Marche  triomphale. 
Orchestre  complet  avec  piano  cond.,  net    8    » 
Chaque  partie  supplémentaire,  net.  .    .     1     » 
BERNARD  (Georges).  Triplepatte,  musique  de  scène  : 
N1"  1.  Première  .caresse,  valse  lente. 

2.  Marche  de  Triplepatte. 

3.  Gavotte  des  Fiançailles. 

4.  Mazurka  hongroise. 

Chaque  morceau,  orchestre  complet  avec 

piano  conducteur,  net 1  50 

Chaque  partie  supplémentaire,  net.    .    .     »  20 
B0LDI  (J.-B.).  Ange  et  Démon,  valse  lente. 

Orchestre  complet  avec  piano  cond,,  net    2    » 
Chaque  partie  supplémentaire,  net  .    .     »  20 
CHARPENTIER    (Gustave).    Louise,   grande  suite  ", 
symphonique    pour    tous    orchestres 
(petits  et  grands),  par  Francis  Casa-' 
desus  : 

Piano  conducteur,  net -6    » 

Parties  séparées,  net 20  ;  » 

Chaque  partie  supplémentaire,  net.  .   .     3    » 
—  Fragments  publiés  séparément  : 

N°  2.  Prélude  du  2P  acte  : 

Piano  conducteur,  net 1     » 

Parties  séparées,  net 5    » 

Chaque  partie  supplémentaire,  net    .    .     »  50 
N°  4.  Sérénade  et  final  du  2-  acte  : 
N°  5.  Prélude  du  2e  acte  et  air   de 

Louise. 
N°6.  Entrée  des  bohèmes,  ballet  du     , 
Plaisir  et  Marche  du  Couronnement 
de  la  Muse  : 
Chaque  numéro  :  piano  conducteur,  net    1  50 
—  parties  séparées,  net -,   8  .  » 

Chaque  partie  supplémentaire,  net.    .   .     1     » 


DELIBES  (Léo).  Valse  du  Pas  des  (leurs,  transcrite  pour 
violon  solo  avec  cadence  ad  libitum  et  accom- 
pagnement de  piano  et  de  quatuor  par  Fer- 

nand  Monge,  net 6    » 

—  Valse  du  Pas  des  fleurs,  transcrite  pour  piano, 

violon,  violoncelle  et  contrebasse,  parSovEii, 


DEPRET  (Maurice).  Trouble  d'amour,  valse  lente. 

Orchestre  complet  avec  piano  cond.,  net    2    » 
Chaque  partie  supplémentaire,  net.    .    .     »  20 

DUBOIS  (Théodore).  Nocturne  (violoncelle  solo). 

Partition  d'orchestre,  net 2  50 

Parties  séparées  d'orchestre,  net  .  ...     6    » 
Chaque  partie  supplémentaire,  net.    .    .     »  75 

—  Entr'acte-rigaudon  de  Xauière(violoncelle  solo). 

Partition  d'orchestre,  net 2    » 

Parties  séparées,  net 4    » 

Chaque  partie  supplémentaire,   nej.  .    .     »  75 

FETRÂS  (Oscar),  orchestrations  de  A.  Bosc. 

—  Idylle  sur  la  2>lage,  valse. 

—  Tes  yeux  bleus  comme  les  deux,  valse. 

—  Parmi  les  roses,  valse. 

Les  Enfanls  de  Hambourg,  valse. 

—  Clair  de  lune  sur  VAlster,  valse. 

—  Les  Rêves  de  Marie,  valse. 

—  La  Petite  Rosemonde,  polka. 

—  Badinage,  polka. 

Chaque  danse,  orchestre  complet    avec 

piano  conducteur,  net 2    » 

Chaque  partie  supplémentaire,  net.    .    .     »  20 
GAUTIER  (Léon),  orchestration  de  F.  Andrieu. 

—  Champ  de  roses,  suite  de  valses. 
Orchestre  complet  avec  piano  conduc- 
teur, net 2    » 

Chaque  partie  supplémentaire,  net.   .    .     »  20 
GODARD  (Benjamin).  Trois  fragments  poétiques  : 

Nosl.  Depuis  V heure  charmante  (Lamartine]. 

2.  Un  soir  nous  étions  seuls  {A.  de  Musset). 

3.  Elle  est  jeune  et  rieuse  (Victor  Hugo). 

Partition  d'orchestre,  net 6    » 

Parties  séparées,  net  .   . 10    » 

Chaque  partie  supplémentaire,  net.    .     1     » 

(Pianos  dans  le  ton  de  l'orchestre). 
LAURENS  (Edmond).  Danse  au  papillon.   , 

Partition  d'orchestre,  net .     3    » 

Parties  séparées,  net 5    »■ 

Chaque  partie  supplémentaire,  net  .    .     »  50 

—  Édition  pour  quatuor  avec  piano,  net  .4    » 
LAVOTTA  (Rodolphe).  Valse- Scherzo. 

Orchestre  complet  avec  piano  conducteur, 

net  .    . ■ -  .    .    .   .     3    » 

Chaque  partie  supplémentaire,  net.    .    .     »  50 

LOMBARD  (P.).  Aimer:;,  et  souffrir!  valse  langoureuse. 

Orchestre  complet  avec  piano  cond.,  net    2    « 
Chaque  partie  supplémentaire,  net.    .   .     »  20 

MABILLE  (H.).  Rêve  de  printemps,  valse. 

Orchestre  complet  avec  piano  cond,,  net    2    » 
Chaque  partie  supplémentaire,  net    .    .     »  20 

MARCHAL  (Francis),  .-limante,  valse  lente. 

—  Ombre  mystérieuse,  valse. 

—  Heures  d'oubli,  valsé  lente. 

—  Parle  encore!  valse  lente.-  i  • 
Chaque  valse,   orchestre    complet   avec 

piano  conducteur,  net.    ........     2    » 

Chaque  partie  supplémentaire,  net.    .    .     »  20 

MASSENET  (J.).  Clair  de  lune  de  Werther,  transcrit  en, 

trio  par  Cl.  Fiévet,  net  .......     2  50 

—  Aubade  de  Chérubin,  transcrite  parE.TAVAN. 
Orchestre  complet,  avec  piano  cond.,  net  3  » 
Chaque  partie  supplémentaire,  net  .    .     »  30 

MOUTON  (H.).  V Amour  est  roi!  marche. 

Orchestre  complet  avec  piano  cond.,  net    2    » 
Chaque  partie  supplémentaire,  net.  .   .     »  20 

NAZARE-AGA  (Y.-K.).  Valse  de  Paradis,  valse  lente. 

—  Les  Yeux  clos,  valse  lente. 

Chaque    valse,   orchestre  complet  avec 

1    piano  conducteur,  net.    .......     2    » 

-  Chaque  partie  supplémentaire,  net.    .    .  :  »20 
PALADILHE  (E.).  Prélude  du  Passant, 

Partition  d'orchestre,  net 3    » 

Parties  séparées,  net/  .*  .    .    .    .  '.    .    .    .  '  6    » 
Chaque  partie  supplémentaire,  net  .    .    .     i  .  » 


PERILH0U  (A.).  Sérénade,  quatuor  simple  ou  instruments 

à  cordes.  Partition  net 1  50 

Chaque  partie  séparée,  net n  30 

—  Suite  française  : 

NM  1 .  Pastorale. 

2.  Chanson  de  Gui  Ilot- Martin. 

3.  L'ff ermite. 

4.  Chanson  à  danser. 

Partition  orchestre,  net 5    » 

Parties  séparées  d'orchestre,  net.    .    .     8    * 

Chaque  partie  supplémentaire,  net.    .     0  75 

PHITT  (Sam).  Vers  Ci/thèrc,  ronde  nocturne  orchestrée  par 

E.  Tavan. 

Orchestre  complet  avec  piano  cond.,  net    1  50 

Chaque  partie  supplémentaire,  net  .    .     »  20 

POPPELSDORFF  (B.).  Paresseuse,  valse  lente. 

Quintette  avec  piano  conducteur,  net.    .     1     » 
Chaque  partie  supplémentaire,  net.   .   .     «  20 
PUGET  (Paul).  Lorenzaccio,  airs  de  ballet  : 
N"l.    Villanelle. 

2.  Passacaille. 

3.  Pavane. 

Partition  d'orchestre,  net 8    » 

Parties  séparées,  net 12    » 

Chaque  partie  supplémentaire,   net  .    .     1     » 
(Pianos  dans  le  ton  de  l'orchestre). 
RITTER  (Théodore).  La  Zamacueca,  transcrite  en  trio  par 

Soyeu,  net 3    j> 

STRAUSS  (Johann).  Ouverture  de  la  Chauve-Souris  (Die 
Fledermaus) . 

Parties  séparées,  net 3    » 

Piano  conducteur,  net 3    » 

Chaque  partie  supplémentaire,  net  ...     »  75 
TAVAN   (E.).  L'Opéra  symphonique,   fantaisies-mosaïques 
sur  les  opéras  et  ballets  en  vogue  : 
N"  1.  Mignon  (A.  Thomas). 

2.  Manon  (J.  Massenet). 

3.  Lakmé  ILéo  Delibes). 

4.  Werther  (J.  Massenet). 

5.  Cavalier ia  rmlicana  (P.  Mascagni). 

6.  Hérodiadc  (J.  Massenet), 

7.  Sigurd  (E.  Reyer). 

8.  Hamlet  (A.  Thomas). 

9.  Coppélia  (Léo  Delibes). 

11.  Sylvia ;  (Léo  Delibes). 

12.  Le  Roi  d'Ys  (Ed.  Lalo). 

14.  Tha'is  (J.  Massenet). 

15.  La'Navmraise  (J.  Massenet). 

16.  Le  Cid  (J.  Massenet). 

17.  Le  Jongleur  de  Notre-Darne(i  .Massenet) 

18.  Le  Ga'id  (A.  Thomas). 

Chaque  numéro  parties  séparées  et  piano 

conducteur,  net 5    » 

Piano  conducteur  seul,  net 2    » 

1er  violon  seul,  net "60 

Chacune  des  autres  parties,  net.    .    .    .     »  30 

Six  opérettes  célèbres  : 
N"  2.  Mam'zellc  Nitouche  (Hervé). 

3.  La  Belle  Hélène  (Offenbach). 

4.  Le  Petit  Faust  (Hervé). 

Parties  séparées  et  piano  conducteur,  net.    4    » 

Piano  conducteur  seul,  net 2    » 

1"  violon  seul,  net •    •    ■     B   ^0 

'    •  Chacune  des  autres  parties,  net  ...    .     »  25 

TES0R0NE.  Gavotte  Henri  IL 

Orchestre  complet  avec  piano  cond.,  net    2    * 
Chaque  partie  supplémentaire,  net.    .    .     »  20 

VIDAL  (Paul).  Petite  suite  espagnole  : 
N"  1  ■  Danse'  de  cour. 

2.  Sarabande. 

3.  Danse  Moresque. 

4.  Rêverie. 

5.  Pastorale. 

Parties  séparées  avec  piano  cond.,  net.     8    » 
Chaque  partie  supplémentaire,  net.    .    .     1     » 

—  Variations  Japonaises. 

Parties  séparées  arec  piano  conducteur,  net.    8    » 
Chaque  partie  supplémentaire,  net.    .    .     »  75  . 
VOLLSTEDT  (Rob.).  Valse  joyeuse,  orchestrée  par  A.  Bosc 

—  Copurchic-valse,  orchestrée  par  A.  Bosc. 
Chaque  valse,   orchestre  complet  avec 

piano  cond.,  net 2    » 

Chaque  partie  supplémentaire,  net.   .   .  »  20 
WEILLER  (E.).  Bonheur  rêvé,  valse  lente. 

Orchestre  complet  avec  piano  cond.,  net  1    » 

i                 Chaquepartiesupplementaire.net.   .   .  »  20 


,  20,  : 


—  (Encre  Lorilleui). 


4038.  -  74'  AWÉE.  —  iV  33.  PARAIT  TOUS  LES  SAMEDIS 


Samedi  15  Aortt  1908. 


(Les  Bureaux,  2bls,  rue  Vivienne,  Paris,  u-m') 
(J.es  mnnnscrits  doivent  cire  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTRE 


R«c'd 


lie  flaméfo  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEDGEL,     Directeur 


Le  Numéro  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestbel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  — Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  < 


i  de  la  vie  de  Gluck  {31"  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Petites  notes  saos  portée  :  Nos  impressions  d'actualité  sur  les  musiques  militaires,  Raymond  Bouyer.  — 
III.  Une  famille  de  grands  luthiers  italiens  :  Les  Guarnerius  (6'  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

ISos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
PAR  LES  PRÉS  FLEURIS 

pièce  de  genre,   de  Rodolphe  Berger.    —  Suivra  immédiatement  :  Romance, 
de  Émil  Frey. 


MUSIQUE  DE  CHANT 
Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant: 
AUBE  EN  MONTAGNE 
mélodie  de  René  Lenormand,  prose  de  Henri-R.  Lenormaxd.  —  Suivra  immé- 
diatement: Madrigal  archaïque,  de  Y.-K.  Xazare-Aga. 


SOIXANTE 


ANS     DE     LA    VIE 


DE     GLUCK 


CH\PITRE  VII  :  L'éclosion  du  génie  :  Orfeo  e:l  Euriclici 


Cependant,  malgré  toutes  les 
contradictions  et  tous  les  malen- 
tendus accumulés,  enchevêtrés  de 
manière  à  envelopper  la  vérité 
d'un  épais  tissu  de  paradoxes,  de 
naïvetés,  d'erreurs,  de  personna- 
lités, de  contingences  de  toute 
espèce,  la  discussion  musicale  née 
en  France  avait  un  fond  très  sé- 
rieux. Tout  en  semblant  se  réduire 
à  une  simple  rivalité  d'idiomes, 
elle  mettait  en  cause  le  principe  de 
l'union  entre  la  poésie  et  la  mu- 
sique, éléments  primordiaux  de 
tout  drame  musical.  Il  fallait  bien 
qu'il  en  fût  ainsi,  puisque,  n'admet- 
tant pas  que,  dans  le  discours 
chanté,  la  musique  fût  associée  à 
une  langue  avec  laquelle  ils 
croyaient  voir  des  incompatibilités, 
les  champions  de  l'art  nouveau 
aboutissaient  ainsi  à  établir  la 
prééminence  de  la  parole,  consi- 
dérée par  eux  comme  génératrice 
de  l'élément  musical.  Cet  épisode 
est  donc  si  intimement  lié  à  l'évo- 
lution qui  aboutit  à  la  réforme  de 
Gluck  (il  en  forme  en  quelque  sorte 
le  premier  chapitre)  qu'il  est  im- 
possible, de  ne  pas  chercher  à  en 
dégager  le  véritable  sens  au  mo- 
ment où  l'artiste  élu  va  faire  faire 
à  sa  cause  le  pas  décisif. 

Le  grand  nom  de  Jean- Jacques 
Rousseau  domine  et  résume  l'en- 


semble ■  de  cette  dispute.  La  ten- 
dance particulière  de  son  esprit  ne 
contribua  pas  peu  a  en  augmenter 
les  confusions;  mais,  par  la  hauteur 
de  ses  vues  générales,  il  sut,  en 
fin  de  compte,  apercevoir  la  vérité. 

L'erreur,  chez  lui  comme  chez 
tous  ses  contemporains,  fut  qu'il 
ne  raisonnait  que  sur  ce  qu'il  voyait 
autour  de  lui,  comme  si  cela  eut 
été  le  définitif  et  l'éternel.  Vivant 
au  milieu  du  dix-huitième  siècle, 
il  pensait  pouvoir  parler  de  l'opéra 
comme  d'une  forme  d'art  complète 
et  achevée.  Vous  qui  en  jugeons  à 
deux  siècles  de  distance,  nous 
savons  bien  qu'il  n'en  était  pas 
ainsi,  que  l'opéra,  avant  Rousseau, 
en  était  encore  à  l'état  d'enfance . 

Les  querelles  qui  s'engagèrent 
alors  auraient  eu  une  tout  autre 
portée  si  elles  eussent  été  d'ordre 
littéraire.  Les  écrivains  du  dix- 
septième  siècle  étaient  arrivés  trou- 
vant à  leur  disposition  un  matériel 
parfait  :  la  langue  et  la  rhétorique 
française, façonnées  pour  eux,  sem- 
ble-t-il,  par  l'effort  patient  de  plu- 
sieurs siècles  antérieurs.  Rien  ne 
les  entravait  donc  pour  énoncer 
leur  pensée  dans  toute  sa  pléni- 
tude . 

L'opéra,  au  contraire,  était  com- 
m;  un  art  primitif,  en  tout  cas  très 
nouveau,  né  au  milieu  de  la  civili- 


258 


LE  MÉNESTREL 


sation  la  plus  avancée.  Tout  était  à  créer,  pour  son  usage,  ou 
presque.  Tandis  que  le  reste  de  l'outillage  intellectuel  était 
complet  et  ne  laissait  rien  à  désirer,  ceux  qui  travaillaient 
ensemble  à  cette  œuvre  collective  étaient  arrêtés  à  tout  moment 
par  la  préoccupation  de  l'inconnu  et  par  l'insuffisance  des  moyens. 

Pouvaient-ils  faire  du  premier  coup  œuvre  parfaite  ? 

Assurément  non. 

Il  ne  fallait  donc  pas  juger  Lulli  comme  on  aurait  jugé  Racine  : 
eût-il  eu  le  même  génie,  il  aurait  été  impuissant  à  l'exprimer 
aussi  complètement,  par  la  raison  que  la  langue  qu'il  avait  à  sa 
disposition  était  insuffisamment  formée.  Les  critiques  que 
Rousseau  lui  adresse  peuvent  être  fondées  ;  elles  le  sont  habi- 
tuellement, dans  le  détail,  lorsqu'elles  ont  une  application  pré- 
cise ;  mais  elles  portent  en  général  sur  des  imperfections 
conformes  à  la  nécessité  des  choses,  et  qui  ne  pouvaient  être 
évitées. 

Pour  Rameau,  plus  grand  musicien,  mais  trop  exclusivement 
musicien,  il  avait  affiné  les  formes,  sans  rien  ajouter  d'important 
à  l'apport  de  ses  prédécesseurs  dans  le  domaine  dramatique.  Et 
puis,  il  avait  mauvais  caractère.  Jean-Jacques  Rousseau  aussi. 
Et  leurs  aspérités  n'étaient  pas  de  celles  qui,  suivant  l'expression 
de  Berlioz,  s'emboîtent  les  unes  dans  les  autres!  Ce  sont  là  des 
accidents  qui  influent  toujours  grandement  sur  les  jugements 
des  hommes. 

Il  était  advenu  enfin  que  Jean-Jacques  avait  entendu  pendant 
une  saison  l'opéra  à  Venise  :  il  avait  ressenti  le  frisson  de  la 
mélodie  italienne,  et  en  avait  été  si  fort  ému  qu'il  avait  cru  que 
ses  accents  étaient  ceux  de  la  vérité. 

Quand  la  guerre  fut  déclarée,  il  prit  donc  parti  pour  la  musique 
d'outre-monts,  excusant  en  elle  des  défauts  que  ses  séductions 
l'empêchaient  d'apercevoir  :  défauts  graves  cependant,  et  qui 
auraient  dû  éclater  aux  yeux  d'un  esprit  tel  que  le  sien,  car 
ils  avaient  pour  base  le  convenu,  l'arbitraire,  et  la  nécessité  de 
soumettre  l'expression  à  cet  ordre  symétrique  dont  Gluck  devait 
parler  un  jour  avec  une  mordante  ironie,  quand,  à  propos 
d'Armide,  il  écrivait  à  La  Harpe  :  «  Je  veux  que,  dans  son 
désespoir,  elle  vous  chante  un  air  si  régulier,  si  périodique,  et  en 
même  temps  si  tendre,  que  la  petite-maîtresse  la  plus  vapo- 
reuse, etc.  » 

Telles  sont  les  réalisations  antérieures  qui  ont  servi  de  fonde- 
ment expérimental  à  l'esthétique  de  Jean-Jacques  Rousseau. 
A  cela  s'ajoutèrent  pour  lui  les  observations  du  dehors  et  les 
préoccupations  momentanées  :  le  parallèle  inévitable  de  l'excel- 
lente méthode  du  chant  italien  avec  les  mauvaises  habitudes  de 
l'opéra  français,  les  cris  des  acteurs,  le  bruit  du  chef  d'orchestre 
(le  bûcheron)  battant  la  mesure  avec  fracas,  détails  dont  sont 
remplis  les  écrits  des  champions  de  l'Italie;  — puis,  en  dehors 
même  de  la  musique,  des  considérations  de  sociabilité  :  le 
public  en  face  de  soi,  le  désir  d'avoir  les  rieurs  de  son  côté, 
l'envie  de  se  faire  remarquer,  à  quoi  le  moyen  le  plus  sûr  fut 
toujours  de  couper  la  queue  à  son  chien.  Jean-Jacques  Rousseau 
se  prononce  donc,  et,  au  milieu  du  toile,  s'écrie  :  «  Les 
Français  n'ont  pas  de  musique  et  n'en  peuvent  avoir,  ou,  si 
jamais  ils  en  ont  une,  ce  sera  tant  pis  pour  eux.  »  Dans  le 
même  temps,  il  écrit  le  Devin  du  village,  et  s'empresse  de  le 
faire  représenter  à  la  Cour  et  à  l'Opéra. 

Ce  n'est  donc  pas  aux  écrits  nés  dans  l'ardeur  du  combat 
qu'il  faut  demander  la  vraie  pensée  de  Jean-Jacques  Rousseau. 
D'autres  ouvrages,  composés  à  tête  plus  reposée,  nous  en 
apprendront  davantage.  Le  seul  article  Opéra,  dans  le  Diction- 
naire de  musique  (écrit  d'abord,  comme  on  sait,  pour  V Encyclopé- 
die) va  nous  révéler  les  principes  du  philosophe  en  matière  de 
musique  dramatique  :  nous  les  trouverons  très  proches  de  ceux 
de  l'auteur  d'Alceste.  Fâcheusement,  il  procède  d'abord,  par  le 
moyen  d'un  exposé  historique  dont  les  détails  ne  sont  pas  tou- 
jours conformes  à  une  rigoureuse  exactitude,  et  la  clarté  de  sa 
conception  personnelle  ne  s'en  accroît  pas.  Mais  déjà,  après 
avoir  expliqué  dès  la  définition  que  l'opéra  est  «  la  représenta- 
tion d'une  action  passionnée  »  à  laquelle  concourent  «  tous  les 
charmes  des  beaux  arts  »,  il  va  nous  entretenir  du  premier  pro- 


grès accompli,  duquel  résulte  la  certitude  que  «  l'effet  de  la 
musique,  borné  jusqu'alors  aux  sens,  pouvait  aller  jusqu'au 
cœur  ».  Il  constate  la  prééminence  du  drame,  lorsqu'il  fait  dater 
la  principale  réforme  de  l'opéra  de  la  venue  des  poètes,  «  Apos- 
tolo  Zeno,  le  Corneille  de  l'Italie,  son  tendre  élève  (Métastase), 
qui  en  est  le  Racine  »,  et  en  place  l'apogée  à  l'époque  où  «  les 
Vinci,  les  Léo,  les  Pergolèse,  dédaignant  la  servile  imitation  », 
s'unirent  à  eux,  en  parfait  accord,  pour  «  substituer  au  barbare 
fracas  les  accents  de  la  colère,  de  la  douleur,  des  menaces,  de 
la  tendresse,  des  pleurs,  des  gémissements,  et  tous  les  mouve- 
ments d'une  àme  agitée  ».  Il  ne  méconnaît  pas  la  décadence 
provenant  de  ce  que  la  musique,  ayant  essayé  ses  forces, 
«  dédaigne  la  poésie  qu'elle  doit  accompagner,  et  croit  en  valoir 
mieux  en  tirant  d'elle-même  les  beautés  qu'elle  partageait  avec 
sa  compagne»,  et  il  conclut  que,  par  cet  oubli  de  son  véritable 
rôle,  le  spectacle  est  trop  souvent  changé  «  en  un  véritable 
concert  ».  (Ce  dernier  mot  sera  plus  tard  une  arme  dont  les 
gluckistes  feront  usage  pour  combattre  la  musique  italienne, 
devenue  l'ennemie.)  Mais  il  a  la  plus  haute  idée  du  rôle  de  la 
musique.  Considérant  les  trois  arts  dont  l'union  constitue  l'opéra  : 
musique,  poésie,  plastique,  il  écrit  sur  le  premier  cette  page 
excellente  : 

«  C'est  un  des  grands  avantages  du  musicien  de  pouvoir 
peindre  les-  choses  qu'on  ne  saurait  entendre,  et  le  plus  grand 
prodige  d'un  art  qui  n'a  d'activité  que  par  ses  mouvements  est 
d'en  pouvoir  former  jusqu'à  l'image  du  repos.  Le  sommeil,  le 
calme  de  la  nuit,  la  solitude,  et  le  silence  même,  entrent  dans 
le  nombre  des  tableaux  de  la  musique  :  quelquefois  le  bruit 
produit  l'effet  du  silence,  et  le  silence  l'effet  du  bruit.  —  Cet  art  a 
des  substitutions  plus  fertiles;  il  sait  exciter  par  un  sens  les 
émotions  semblables  à  celles  qu'on  peut  exciter  par  un  autre. 
Que  toute  la  nature  soit  endormie,  celui  qui  la  contemple  ne 
dort  pas,  et  l'art  du  musicien  consiste  à  substituer  à  l'image 
insensible  de  l'objet  celle  des  mouvements  que  sa  présence 
excite  dans  l'esprit  du  spectateur.  Il  ne  représente  pas  directe- 
ment la  chose;  mais  il  réveille  dans  notre  àme  le  même  senti- 
ment qu'on  éprouve  en  la  voyant  (1).  » 

Ayant  exposé  et  développé  ces  idées,  qui  sont  de  tous  les 
temps,  mais  qu'en  tout  temps  aussi  l'on  a  eu  peine  à  dégager 
avec  la  clarté  nécessaire,  le  philosophe  conclut  que  «  l'union 
des  trois  arts  qui  constituent  la  scène  lyrique  forme  entre  eux 
un  tout  très  bien  lié». 

Avec  des  principes  si  lumineux,  même  dans  la  confusion  de 
la  bataille,  il  est  évident  que  Rousseau  ne  devait  pas  perdre  de 
vue  son  but.  Les  conclusions  de  ses  polémiques  sont  souvent 
fausses  ;  mais  elles  ne  sauraient  empêcher  que  les  raisons  qu'il 
avance  soient  excellentes.  S'il  critique  Lulli  pour  la  façon  dont  il 
a  mis  en  musique  le  monologue  d'Armide,  il  pense  y  trouver  la, 
condamnation  de  la  musique  française  :  point  du  tout  ;  il  montre 
seulement,  et  avec  une  admirable  perspicacité,  comment  il  faut 
s'y  prendre  pour  enrichir  cette  musique  de  qualités  nouvelles  ;. 
—  et  bientôt  il  viendra  quelqu'un  qui  lui  donnera  raison  avec 
éclat,  se  bornant  à  appliquer  ses  préceptes  jusque  dans  les 
moindres  détails. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


PETITES  NOTES  SANS   PORTEE 


CXXXIV 

NOS  IMPRESSIONS  D'ACTUALITÉ  SUR  LES  MUSIQUES 

MILITAIRES 

A  M. .Romain  Rolland. 

«  Ça  me  fait  grand  plaisir,  ce  que  vous  dites  là.  Je  suis  comme  vous. 
Je  préfère  le  silence  à  la  musique...   »    C'est  Théophile  Gautier  qui 

(li  Ce  passage  est  presque  textuellement  reproduit  du  chapitre  xvi  de  l'Essai  sur 
l'origine  des  langues,  du  même  auteur. 


LE  MÉNESTREL 


2b<) 


répond  aux  Concourt  en  belle  humeur  d'avouer  leur  «  complète  inlir- 
mité  »,  leur  a  surdité  musicale  »,  — «  nous  qui  n'aimons  tout  au  plus, 
disent-ils,  que  la  musique  militaire!  »  (1).  Paroles  estivales,  qui  ne 
sont  pas  tout  à  fait  d'hier  puisqu'elles  remontent:'!  181)2.  l'année  môme 
où  Manet  coloriste  ombrageait  la  foule  des  Tuileries  autour  de  ces 
musiques  «  riches  en  cuivres  »  qui  n'obtenaient  que  les  dédains  de 
Baudelaire,  un  des  rares  mélomanes  parmi  les  magiciens  es  lettres 
françaises  de  son  temps. 

Après  quarante-six  étés,  ces  paroles  datent,  comme  les  dédains.  De 
part  et  d'autre,  on  a  changé  :  les  lettrés  ont  fait  quelques  progrés  musi- 
caux; et  plusieurs  de  nos  musiques  militaires  peuvent  satisfaire  les 
plus  exigeants  des  musiciens. 

Au  grand  soleil  caniculaire,  un  immense  concours  ue  vient-il  pas 
d'actualiser  cette  dernière  proposition  ?  Ce  fut  à  Gaen,  le  dimanche 
26  juillet  1908.  Dans  la  vieille  ville  normande  où  les  peintres  dénichent 
encore  ce  pittoresque  que  Paris,  de  plus  en  plus,  leur  refuse,  vingt- 
cinq  musiques  s'étaient  groupées  la  veille.  Pour  l'inauguration  du 
nouvel  hôpital  et  de  l'hôtel  de  la  Caisse  d'épargne,  on  avait  décidé, 
vous  en  souvient-il?  un  grand  tournoi  sonore,  qui  permettrait  de  cons- 
tater les  effets  produits  par  le  service  de  deux  ans  au  point  de  vue  spé- 
cial du  recrutement  des  musiques  de  l'armée  française.  La  presse 
orphéonique  et  non  moins  spéciale  avait  paru  craindre  que  les  orches- 
tres provinciaux  ne  fussent  éclipsés  par  leurs  concurrents  des  grands 
centres  ;  toujours  est-il  que  le  résultat  fortifie  les  vues  que  nous  n'avons 
jamais  cessé  de  défendre  ici  même  et  remet  en  pleine  lumière  les  noms 
qui  nous  semblaient  des  initiateurs  (2).  Le  simple  tableau  des  régi- 
ments vainqueurs  et  des  chefs  lauréats  est  fort  expressif  :  revoici  notre 
éducation  musicale  attestée  par  la  qualité  des  programmes,  par  l'intel- 
ligence des  transcriptions,  par  l'effort  des  exécutants  instruits  à  la  hâte 
par  quelques  chefs  de  musique  éminemment  musiciens  :  est-ce  donc  un 
résultat  négligeable  ? 

Volontiers,  le  Ménestrel  abandonne  à  la  chronique  locale  les  descrip- 
tions plus  ou  moins  brillamment  circonstanciées  d'une  fête  éphémère 
comme  l'art  qu'elle  eut  mission  de  mettre  en  valeur  ;  l'arrivée,  dès  le 
samedi,  des  Versaillais,  des  Parisiens,  de  la  Garde  Républicaine  dont 
le  chef  devait  siéger  aux  côtés  de  M.  Auguste  Chapuis,  professeur  au 
Conservatoire  et  président  du  jury;  les  marches  mélodieuses  à  travers 
les  vieilles  rues  d'une  cité  fleurie,  les  concerts  au  plein  vent  des  places 
pavoisées,  les  joyeuses  retraites  aux  flambeaux  dans  l'ombre  tiède,  et 
le  concours,  le  lendemain  :  dès  sept  heures  du  matin,  dans  la  lumière 
d'été,  les  musiques  se  sviccédant  de  dix  en  dix  minutes  (ici,  c'est  la 
Symphonie  en  ré  mineur  de  César  Franck  imposée  aux  régiments  d'artil- 
lerie et  de  génie  ;  là,  c'est  Pallas,  ouverture  triomphale  de  M.  Gabriel 
Parés,  pour  les  régiments  d'infanterie);  puis,  les  défilés,  le  cortège 
officiel,  les  carrefours  chantants,  enfin,  le  grand  festival  où  la  baguette 
de  Gabriel  Parés  donne  la  mesure  à  dix-sept  cents  musiciens...  Encore 
une  fois,  c'est  le  résultat  qui  nous  importe  :  il  est  significatif,  bien 
qu'il  manque  d'imprévu  :  qui  remporte  un  des  prix  d'honneur  et  gagne 
un  des  vases  de  Sèvres?  Parallèlement  à  l'excellente  et  célèbre  musique 
du  1er  génie,  de  Versailles,  dirigée  par  11.  Auguste  Verbregghe,  c'est 
le  89e  de  ligne  (chef,  M.  Gironce),  avec  le  72e  (chef,  M.  Balay)  :  victoire 
qui  réjouira  tous  les  musiciens;  et u'est-ce  pas,  d'abord,  un  bon  point 
que  de  réconcilier  aujourd'hui  tous  les  amoureux  d'un  art  où  l'unanimité 
règne  rarement  ? 

Inutile  de  refaire  ici  le  portrait  de  M.  Gironce  ;  et  nos  lecteurs  nous 
en  voudraient,  cette  fois,  pour  tout  de  bon,  de  suspecter  leur  mémoire  ! 
On  connaît  ce  véritable  initiateur,  ce  jeune  maitre  es  bonne  musique 
française,  écouté  de  toutes  les  jeunes  recrues  qu'il  instruit,  qui,  tou- 
jours infatigable,  opiniâtre  et  persévérant,  a  réussi,  par  combien 
d'efforts,  à  nous  faire  entendre  la  Symphonie  Fantastique  de  Berlioz  qu'il 
conduit  par  cœur,  intégralement,  comme  l'Eve  de  Massenet  ou  le  Dé- 
luge de  Saint-Saèns  qu'il  a  transcrits  lui-même,  avec  un  bel  instinct 
de  l'équivalence  des  sonorités.  Et  Werther,  ce  chef-d'œuvre  de  son 
auteur  ;  et  i Artésienne  de  ce  Daudet  musical,  que  Nietzsche  enviait 
d'avoir  entrevu  «  le  Midi  de  la  musique  »  ;  et  tant  d'autres  ingénieuses 
sélections  !  Naguère  encore,  avant  son  départ,  le  89e  de  ligne  offrait  à 
nos  jardins  de  nouveaux  fragments  de  la  Damnation  de  Faust,  une  suite 
complète  de  la  Faute  de  l'abbé  Mouret,  une  résurrection  du  romantique 
Robert  le  Diable  et  le  début  du  1''  acte  d'Hamlet.  Le  succès  de  M.  Gironce 
est  un  vrai  succès  national;  il  exprime,  en  même  temps, avec  la  môme 


(1)  Journal  des  Concourt  (année  1862),  cité  par  M.  Romain  Rolland  dans  son  beau 
livre  :  Musiciens  d'aujourd'hui  (Paris,  Hachette,  1908),  page  214. 

(2)  Cf.,  dans  le  Ménestrel  du  8  octobre  1905  et  du  21  septembre  1907,  nos  deux  notes  : 
Musiques  militaires  et  civiles;  —  l'Évolution  de  nos  musiques  militaires  et  la  loi  de  deux 


franchise,  l'heureux  choix  des  morceaux,  l'adresse  des  transcriptions 
la  discipline  des  exécutants;  il  résume  donc,  avec  bonheur,  la  toute 
récente  évolution  de  nos  musiques  militaires  et  leur  accession  tardive 
au  grand  mouvement  contemporain. 

Dorénavant,  cette  métamorphose  des  programmes  se  généralise  ;  el 
consultez  les  morceaux  de  concours  :  auprès  des  symphonies  en  "i  mi- 
neur de  Beethoven  et  de  Saint-Saéns,  qui  sont,  [mur  L'harmonie,  d'une 
transcription  difficile  où  l'absence  du  quatuor  se  fait  trop  sentir,  voici 
les  ouvertures  du  Roi  cCYs,  de  Sigurd,  de  Phèdre,  sans  oublier  le  Vais- 
seau-Fantôme,  Déjanire  ou  les  Erinnyes,  le  prélude  de  Messidor  ou  le 
morceau  symphonique  de  Rédemption,  —  tous  nos  maîtres.  —  enfin  la 
jolie  suite  pour  Ramuntcho,  de  Pierné.  A  notre  enquête  toujours  ouverte, 
ces  noms  et  ce  nom  sont  des  témoins  suffisants.  Vous  saluez  au 
passage  les  auteurs  les  plus  français  et  les  plus  belles  pièces  de  ce 
répertoire  qui  manqua  trop  longtemps  à  nos  musiques  d'harmonie 
et  dont  M.  Gironce,  en  artiste,  compose  depuis  de  longs  étés  ses 
programmes. 

Nos  confrères  nous  accusent  de  sévérité  pour  la  Garde  Républicaine 
qui  nous  parait  trop  souvent  sommeiller  sur  ses  lauriers  voyageurs  ; 
le  bon  Homère  dort  quelquefois...  Mais  admirez  ia  savante  coquetterie 
de  ce  programme  de  retour  :  la  Grotte  de  Fingal,  Danse  macabre,  le  Camp 
de  Wallenstein,  Obéron,  solo  de  concert  (Parés):  le  mardi  28  juillet,  le 
kiosque  du  Luxembourg  n'enviait  rien  à  la  salle  Gaveau.  Retenez  encore, 
un  peu  partout,  V  Apprenti  sorcier,  joyau  du  sobre  écrin  de  Paul  Dukas  ; 
l'entrainante  ouverture  du  Roi  de  Lahore,  au  103°  de  ligne  ;  les  Préludes 
de  Liszt,  d'après  Lamartine,  au  76";  Jules  César,  au  104''  :  on  ne  l'en- 
tend jamais  à  nos  concerts  dominicaux,  cette  ouverture  de  Schumann  ; 
il  faut,  pour  l'exhumer  un  instant,  les  solennités  d'un  cycle;  et  c'est 
dommage,  car  elle  superpose  à  son  début  majestueux  les  marches 
noblement  harmoniques  d'un  bel  élan  :  c'est  moins  Jules  César  que  ce 
que  l'àme  lettrée  de  Schumaun  pensait  de  Jules  César,  à  travers 
Plutarque  et  Shakespeare  ;  c'est  Schumann  surtout,  avec  ses  penchants 
d'écriture,  son  développement  tourmenté,  son  insistance  modulante, 
son  rythme,  sa  fièvre,  sa  personnalité  dans  la  tradition;  comme  on  y 
retrouve  l'ouverture  de  Faust  et  le  courageux  allegro  de  Faust  aveugle  ! 
Et  comme  le  romantisme  de  Schumann  apparaît  passionnément  scolas- 
tique  à  côté  du  Bal  très  vaporeusemeut  français  et  primesautier  de 
Berlioz!  Chez  l'un,  le  romantisme  était  une  aspiration,  chez  l'autre,  une 
évocation:  et,  quel  que  soit  son  titre,  la  physionomie  d'une  musique  est, 
avant  tout,  le  mélodique  reflet  du  musicien. 

Bref,  ce  concours  de  musiques  militaires  françaises  en  1908  vint  à 
propos  pour  enrayer  nos  craintes  :  la  nouvelle  loi  de  deux  ans.  qui  dis- 
perse et  raréfie  les  musiciens  en  uniforme,  nous  menaçait  d'un  retour  à 
la  mauvaise  musique,  aux  mauvais  programmes,  ;i  la  routine,  sœur  de 
la  médiocrité  jamais  vaincue,  qui  sommeille,  aux  petits  oiseaux,  aux 
trop  parisiennes  Pierrettes  préférées  par  le  gros  des  auditeurs  qui  bou- 
dent les  Préludes  ou  Jules  César...  Il  est  bon  que  le  renouvellement 
soutenu,  même  accentué,  des  programmes  militaires  reflète,  à  son 
tour,  la  belle  marée  montante  de  cette  musique  instrumentale,  autre- 
fois proscrite  dans  les  concerts  les  plus  ambitieusement  civils:  il  est 
juste  que  là  se  traduise  et  se  résume,  à  son  plan,  le  vaste  effort  qui 
réveilla  la  musique  française  au  lendemain  de  l'année  terrible  et  qui 
lui  créa  de  toutes  pièces  une  école  symphonique.  devenue  rapidement 
la  première  du  monde  :  car,  en  dépit  des  snobs  et  des  engouements  de 
la  mode,  la  France  musicale  s'est  mise  au  premier  rang  des  nations  ;  et 
comme  la  Grèce  vaincue,  elle  a  séduit  son  vainqueur. 

Cette  revanche  pacifique,  il  faut  que  la  musique  de  nos  armées  l'ins- 
crive à  ses  programmes  et  la  chante  sans  provocation  par  la  voix  olym- 
pienne de  ses  cuivres.  Le  dimanche  21  juin  1868,  au  grand  crépuscule 
de  la  Saint-Jean,  les  trois  ou  quatre  auditeurs  français  qu'attiraient  à 
Munich  la  «  première  »  des  Mailres-Chanteurs  de  Nuremberg  ne  se  dou- 
taient point  que  tous  nos  orchestres  civils  et  militaires  en  répéteraient, 
quarante  ans  plus  tard,  la  monumentale  ouverture;  à  son  tour, Wagner 
se  meyerbeerise,  et  ses  opéras,  longtemps  proscrits  par  des  oreilles 
chauvines  ou  trop  longues,  appartiennent  au  patrimoine  universel  des 
ouvrages  consacrés.  Et  puisque  l'alliance  russe  se  ravive  au  grand  soleil 
d'une  paisible  Europe,  pourquoi  ne  pas  leur  adjoindre  la  palette  orien- 
tale du  regrette  Rimski-Korsakov  et  sa  jolie  Sniégourotchka  dont  l'ita- 
lianisme a  si  plaisamment  déçu  nos  intellectuels  ? 

Et  puis,  enfin,  s'il  existe  un  art  allemand,  nous  avons  une  musique 
française  qui,  d'Auber  à  Debussy,  reflète  plus  ou  moins  clairement, 
sous  les  fluctuations  des  ans,  la  fine  permanence  de  la  race;  trop 
longtemps  notre  musique  frivole  et  nos  musiques  militaires  se  sont 
tenues  hors  de  l'art;  et.  lorsqu'en  se  wagnérisant  elles  devinrent 
artistes,  elles  demeurèrent  trop  d'années  hors  île  la  patrie.  Il  serait 
temps  (et  nos  programmes  nous  rassurent)  que  des  exécutants  français 


260 


I  E  YlEJNESTKIiL 


fissent  connaître  les  acquisitions  de  notre  art  à  des  auditeurs  français  ; 
«  le  public  de  l'Art  »,  comme  disaient  les  Goncourt,  s'accroit  sans 
trêve,  il  devient  a  la  fois  moins  dénigrant  et  plus  exigeant:  il  compte 
beaucoup  sur  le  savoir  et  la  volonté  d'un  Gironce. 

Il  se  peut  que  les  dernières  œuvres  valent  moins  que  l'effort  et  que 
la  jeunesse  musicienne  ait  trop  tôt  chanté  victoire  (l)....Oui,  mais 
quel  plus  superbe  rôle  pour  l'armée  de  l'avenir  que  d'initier  l'élite  du 
peuple  à  l'art,  idéal  entre  tous,  qui  pressentait,  avec  le  cœur  doulou- 
reusement solitaire  de  Beethoven,  l'humanité  joyeuse  et  la  fraternité 
des  hommes?  Qui  sait  si  tous  les  soldats  futurs  ne  seront  pas  musi- 
ciens, si  l'armée  protectrice  ne  résonnera  point  lumineusement,  sous 
nos  cieux  éclaircis,  comme  un  immense  orchestre"?  Et  n'est-ce  pas  un 
beau  rêve  au  sein  d'une  longue  paix  ? 

0  patrie,  ô  concorde  entre  les  citoyens  ! 

(A  suivre.)  Raymond  Bouyer. 


UNE  FAMILLE  DE  GRANDS  LUTHIERS  ITALIENS 

LES    GUARNERIUS 


JOSEPH  GUARNERIUS  DEL  GESU 
I 

LA   VIE   HE   JOSEPH   GUARNERIUS 

Sur  Joseph  Guarnerius  nous  n'avons  même  pas  ces  renseignements 
sommaires.  Le  seul  que  nous  possédions  en  ce  qui  le  concerne,  et  que 
j'aurai  à  faire  connaître  plus  loin,  est  d'un  caractère  dramatique.  Je 
vais  essayer  d'abord,  avec  l'aide  de  George  Hart.  qui  l'a  bien  et  sérieu- 
sement étudié,  de  faire  ressortir  les  particularités  de  sou  admirable 
talent.  Ce  qu'il  faut  remarquer  avant  tout,  c'est  que  Joseph  del  Gesù 
ne  fut  pas  imitateur,  comme  on  le  voit  pour  tant  d'élèves  d'Amati  et 
de  Stradivarius,  qui  semblent  avoir  abdiqué  toute  personnalité.  II 
s'inspira  sans  doute,  surtout  dans  ses  commencements,  de  celui,  quel 
qu'il  fût,  qui  fut  son  maitre  ;  mais  on  peut  dire  de  lui  qu'il  fit  preuve 
d'une  originalité  puissante,  originalité  qu'il  lui  arrivait  parfois  de 
pousser  jusqu'à  la  bizarrerie,  mais  qui  lui  permit  de  créer  des  chefs- 
d'œuvre. 

Fètis,  guidé  par  Vuillaume  dans  sa  caractéristique  du  talent  de 
Guarnerius,  est  le  premier  qui  ait  eu  l'idée  de  diviser  sa  carrière  active 
en  trois  époques  distinctes,  selon  la  nature  et  les  qualités  des  instru- 
ments sortis  de  ses  mains.  Hart  a  accepté  cette  division,  qu'il  juge  très 
rationnelle,  et  c'est  en  l'adoptant  qu'il  apprécie  les  travaux  de  l'artiste, 
dont  il  constate  à  la  fois  l'inégalité  et  l'éclatante  supériorité  : 

La  première  époque,  dit-il,  est  fertile  en  instruments  d'une  grande  variété 
de  modèles  présentant  des  ouïes  de  types  très  divers.  Le  style  offre  parfois  un 
curieux  mélange  de  grâce  et  de  hardiesse  qui  fait  place  dans  certains  cas  à 
un  ensemble  profondément  dénué  d'harmonie,  les  filets  étant  grossièrement 
tracés,  comme  si  l'auteur  n'avait  pas  eu  le  temps  de  mettre  la  dernière  main 
à  son  ouvrage.  Il  semble,  en  effet,  qu'il  se  hâte  de  terminer  un  assortiment 
de  violons,  dans  son  ardeur  de  préparer  d'autres  matériaux  pour  des  expé- 
riences nouvelles. 

Dans  sa  seconde  époque,  G-uarnerius  produit  des  spécimens  qui  comptent 
parmi  les  plus  beaux  de  l'art  de  la  lutherie.  Sa  main-d'œuvre  est  alors  d'un 
fini  admirable,  il  donne  à  ses  instruments  une  forme  essentiellement  artis- 
tique et  originale  et  emploie  des  matériaux  du  plus  beau  choix.  L'éclat  dont 
brillent  quelques-uns  des  dos  de  ses  violons,  revêtus  comme  d'une  parure  de 
ce  vernis  jaune  d'ambre  sans  rival,  peut  se  comparer  aux  reflets  que  projette 
le  soleil  couchant  d'un  soir  d'été  sur  les  nuages  et  sur  les  flots  de  la  mer... 

La  troisième  époque  donne  naissance  à  des  violons  d'une  conception  beau- 
coup plus  hardie,  à  dater  d'environ  1740  et  d'un  peu  plus  tard.  La  construc- 
tion est  pleine  de  vigueur  et  les  matériaux  possèdent  les  plus  sérieuses  condi- 
tions acoustiques...  Parmi  les  violons  de  cette  dernière  époque,  nous  men- 
tionnerons les  deux  admirables  instruments  de  Paganini  et   de   M.  Alard  (2), 

Et  Hart  ajoute  :  —  «  Ces  chefs-d'œuvre  entre  tous  se  trouvent  accou- 
plés avec  d'autres  instruments  du  maitre,  que  l'on  distingue  commu- 
nément sous  le  nom  de  violons  de  prison,  triste  nom  s'il  en  fat.  » 

C'est  ici  que  nous  touchons  au  drame  mystérieux  qui  obscurcit  l'exis- 
tence de  Joseph  Guarnerius  del  Gesù.  Les  violons  que  Hart  désigne 
sous  le  nom  de  «  violons  de  prison  »  sont  plus  connus  en  France  sous 


(1)  Conclusion  de  M.  Romain  Rolland  sur  le  Renouveau  musical. 

(2)  On  sait  qu'après  la  mort  d'Alard,  et  en  souvenir  de  lui,  la  famille  du  grand 
violoniste  lit  généreusement  don  de  cet  incomparable  inslrument  au  musée  du  Con- 
servatoire. Ce  violon  porte  la  date  de  1742. 


celui  de  «  violons  de  la  servante  »,  et  l'on  va  voir  pourquoi  parce  petit 
récit  que  j'emprunte  à  un  journal  italien  : 

Joseph  Guarnerius  fut  jeté  un  jour  en  prison,  je  ne  sais  pour  quel  méfait, 
el  y  passa  de  longues  années.  Ce  qui  le  torturait  le  plus  dans  son  cachot, 
c'était  l'oisiveté  forcée  à  laquelle  il  se  voyait  condamné.  Tandis  que  ses  rivaux, 
ses  élèves  fabriquaient  des  instruments  qu'on  se  disputait  dans  toute  l'Italie, 
en  France  et  en  Allemagne,  il  se  rongeait  les  mains  de  ne  pas  avoir  un  mor- 
ceau de  bois,  un  outil,  un  clou  pour  travailler,  pour  racheter  ses  fautes  en 
illustrant  son  nom.  pour  tromper  ses  longues  heures  de  souffrance  et  d'ennui. 

On  raconte  qu'il  réussit  à  toucher  le  cœur  de  la  servante  du  geôlier.  Cette 
brave  fille  lui  donna  une  scie,  des  ciseaux,  une  vieille  lame  de  couteau  ébré- 
chée,  en  lui  faisant  bien  jurer  qu'il  ne  s'en  servirait  point  pour  s'évader  ni 
pour  attenter  à  ses  jours.  Le  luthier  l'assura,  par  tous  les  serments  qu'elle 
voulut,  qu'il  ne  songeait  plus  à  fuir  depuis  qu'il  l'aimait  et  qu'il  se  savait 
aimé  d'une  si  charmante  enfant.  Il  la  pria  de  lui  procurer  quelques  planches, 
d>s  cordes,  un  peu  de  laiton,  tous  les  matériaux  qu'elle  pourrait  acheter  et  se 
procurer  chez  les  commerçants  ou  même  les  luthiers  de  la  ville.  Elle  s'en 
allait  quêter  des  bois  de  rebut,  des  rognures  d'ébène  et  d'ivoire,  des  restes  de 
vernis  dont  les  autres  luthiers  ne  savaient  que  faire,  et  c'est  avec  un  amal- 
game de  ces  restes  que  Guarnerius  vernissait  ses  instruments.  On  les  recon- 
naît encore  aujourd'hui  aux  couches  granuleuses  de  leur  vernissure. 

Dès  que  le  prisonnier  terminait  un  violon,  la  jeune  fille  courait  le  vendre  à 
bas  prix,  et  achetait  des  matériaux  d'une  qualité  meilleure  ou  des  outils 
moins  imparfaits.  C'est  ainsi  qu'à  force  de  génie  et  de  patience,  le  plus  cé- 
lèbre et  le  plus  malheureux  des  Guarnerius  a  fabriqué  ces  merveilleux  instru- 
ments dits  de  la  servante  et  qui  valent  deux  fois  leur  pesant  d'or.  On  peut 
donc  leur  pardonner  d'avoir  les  angles  mal  arrondis,  les  filets  posés  de  tra- 
vers les //à  peine  indiqués,  d'une  forme  droite  et  roide.  L'éclat,  le  mordant 
de  leur  son  sont  admirables,  et  beaucoup  de  solistes  les  préfèrent  aux  plus 
beaux  stradivarius. 

Quoi  qu'il  en  soit  dit  dans  ce  récit,  dont  certains  détails  sont  peut- 
être  un  peu  romanesques,  il  faut  bien  constater  que  les  violons  cons- 
truits par  Guarnerius  pendant  sa  captivité  ne  sauraient,  on  comprend 
facilement  pourquoi,  compter  parmi  les  meilleurs  sortis  de  ses  mains. 
Quant  au  fait  de  son  emprisonnement,  il  est  devenu  légendaire  et, 
bien  qu'on  ne  possède  à  son  sujet  aucun  détail  précis,  la  tradition 
établie  ne  permet  guère  ds  douter  de  son  exactitude.  D'ailleurs,  d'où 
viendrait  ce  nom  de  violons  de  prison  ou  de  la  servante  appliqué  à  un 
certain  nombre  des  instruments  de  Guarnerius  s'il  n'avait  été  pro- 
voqué par  une  circonstance  spéciale  ?  «  Tel  qu'il  est,  dit  Hart,  à  ce 
ce  propos,  ce  nom  a  pris  naissance  dans  une  tradition  généralement 
répandue  en  Italie,  qui  rapporte  que  Guarnerius  fit  ces  violons  pendant 
la  durée  d'un  emprisonnement  qu'il  eut  à  subir  et  que  la  fille  de  son 
geôlier  lui  procurait  les  matériaux  nécessaires  et  de  l'espèce  la  plus 
grossière.  M.  Fétis  mentionne  le  fait  et  ajoute  que  «  le  vieux  Bergonzi  » 
(lequel  ?)  avait  coutume  de  le  raconter.  Vincenzo  Lancetti  (1)  fait  aussi 
allusion  à  cette  histoire,  qui  lui  fut  sans  doute  communiquée  par  le 
comte  Cozio  di  Salabue  (2).  Ces  différents  témoignages  donnent  à  croire 
que  le  fait  est  vrai,  sans  pourtant  amener  à  conclure  que  Guarnerius 
termina  ses  jours  pendant  sa  réclusion.  Lancetti  prétend  que  la  cause 
de  cet  emprisonnement  fut  une  rixe  dans  laquelle  l'adversaire  de  Guar- 
nerius trouva  la  mort.  Une  circonstance  déplorable  de  ce  genre  peut 
s'être  produite  sans  que  pour  cela  l'accusé  se  fût  rendu  criminel,  bien 
qu'il  eût  à  subir  une  expiation.  Son  prétendu  amour  du  vin  et  des 
plaisirs,  sa  paresse  et  l'irrégularité  de  sa  conduite  sont  autant  de  fabri- 
cations de  la  part  des  circulateurs  de  l'épisode  de  la  prison.  »  Cette 
dernière  phrase  semble  s'adresser  surtout  à  Fétis,  qui,  selon  son  habi- 
tude, enchérissant  sur  les  faits,  dépeint  Joseph  Guarnerius  comme  un 
ivrogne,  un  débauché,  en  proie  à  tous  les  vices.  Je  me  rangerais  beau- 
coup plutôt  à  l'opinion  de  Hart  (3). 

(1)  Écrivain  italien,  natif  de  Crémone,  qui  avait  préparé  un  important  travail  bio- 
graphique sur  les  grands  luthiers  crémonais,  ses  compatriotes.  Cet  ouvrage,  dont 
certains  connaissent  le  manuscrit,  n'a  malheureusement  pas  été  publié. 

(2J  Le  comte  Alessandro  Cozio  di  Salabue,  né  en  1755,  mort  en  1840,  était  un  riche 
et  intelligent  amateur  qui  avait  réuni  une  collection  superbe  et  unique  non  seule- 
ment d'instruments,  mais  de  modèles,  de  dessins,  d'outils  et  d'appareils  des  grands 
luthiers  de  Crémone,  Stradivarius  en  tête,  collection  fâcheusement  dispersée  après 
sa  mort,  malgré  les  efTorls  de  Lancetti,  avec  lequel  il  était  en  correspondance  et  en 
relations  suivies,  et  qui,  à  ce  sujet,  écrivait  ceci  en  1823  :  —  «  Je  ne  puis  que  re- 
gretter profondément  la  perte  pour  ma  ville  natale  (où,  pendant  deux  siècles,  la  ma- 
nufacture des  violons  fut  un  commerce  important  et  productif)  des  chefs-d'œuvre 
de  ses  célèbres  luthiers,  en  même  temps  que  celle  des  dessins,  des  moules  et  des 
patrons  qui  seraient  d'une  valeur  inestimable  pour  la  pratique  de  l'art.  Est-il  donc. 
impossible  de  trouver  un  citoyen  qui  se  fasse  à  lui-même  et  à  sa  patrie  l'élernel 
honneur  de  s'assurer  la  collection  des  instruments,  des  modèles  et  des  appareils 
réunis  par  le  comte  Cozio  di  Salabue,  avant  que  ces  trésors  soient  perdus  pour  l'Ita- 
lie? J'ai  la  parole  du  comte  Cozio  qu'il  accordera  à  un  si  noble  protecteur  toutes  les 
facilités  pour  acheter  et  transférer  cette  précieuse  collection,  à  la  condition  toutefois 
que  ce  soit  dans  le  but  exprès  de  ressusciter  l'art  de  la  fabrication  des  violons  à 
Crémone,  déMr  qui  a  seul  inspiré  le  comte  lorsqu'il  a  formé  sa  collection  ». 

(3)  L'aventure  de  Guarnerius  n'est  pas  le  seul  drame  dont  fasse  mention  l'histoirs 


LE  MENESTREL 


201 


Quoi  qu'il  en  soit,  cet  ôpiscle  mystérieux,  dont  les  circonstances 
mêmes  restent  problématiques,  est  le  seul  fait  que  nous  connaissions  île 
l'existence  de  Guarnerius  del  Gesù.  Il  est  certain,  bien  que  quelques- 
uns  aient  pu  supposer  à  ce  sujet,  qu'il  ne  mourut  pas  en  prison  puisque 
ses  plus  beaux  instruments  datent  des  dernières  années  de  sa  vie.  et 
que  leur  inaltérable  beauté  suffit  à  prouver  qu'il  avait  alors  pour  tra- 
vailler toutes  les  ressources  et  tous  les  éléments  nécessaires.  Il  sem- 
blerait plutôt  que  l'événement  dont  il  fut  le  héros  ou  la  victime  se 
rapporte  au  temps  de  sa  jeunesse.  Mais  il  nous  reste  l'impossibilité  de 
percer  le  mystère  qui  plane  sur  cette  affaire,  qu'enveloppe  une  complète 
obscurité.  D'autre  part,  nous  ne  pouvons  découvrir  de  façon  certaine 
quel  fut  le  maître  de  Joseph  Guarnerius.  Nous  ne  savons  s'il  fut  ou  non 
marié,  et  nous  n'avons  à  cet  égard  aucun  renseignement.  Enfin,  nous 
ignorons  même  l'époque  et  le  lieu  de  sa  mort,  bien  qu'il  paraisse  pro- 
bable qu'il  mourut  à  Crémone,  les  derniers  instruments  connus  de  lui 
('■tant  datés  de  cette  ville.  Peut-être  des  recherches  ultérieures  parvien- 
dront-elles à  faire  pénétrer  un  peu  île  lumière  sur  les  incidents  de  cette 
existence  singulièrement  troublée.  On  ne  peut  que  le  désirer  et  le 
souhaiter,  pour  pouvoir  admirer  sans  contrainte  et  en  toute  con- 
naissance de  cause  les  œuvres  et  le  génie  d'un  artiste  si  cligne  d'admi- 
ration. 

(A  suivre.)  Arthur  Polgin. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(POUR    LES    SEULS    ABONNÉS    A    LA    MUSIQUE) 


Chantons  les  Prés  fleuris,  tandis  qu'il  en  est  temps  encore  et  que  les  feuilles  mortes 
ne  jonchent  pas  déjà  l'ombre  de  nos  allées.  La  muse  ingénue,  mais  toujours  vive  et 
accorte.  de  Rodolphe  Berger  va  vous  y  conduire  sur  un  petit  air  d'allégresse  où  il  a 
voulu  peindre,  sans  doute,  une  troupe  de  jeunes  enfants  courant  sur  les  gazons  pour 
y  cueillir  la  pâquerette  et  les  bleuets.  Jolie  pièce  estivale. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 
De  Liège  :  On  prépare  les  grandes  fêtes  pour  honorer  les  15, 16  et  23  août 
la  mémoire  de  Grétry.Le  programme  comporte  un  grand  cortège  aux  lumières 
qui  parcoura,  le  samedi  15  août,  le  quartier  d'Outre-Meuse.  Un  grand  cortège 
historique  aura  lieu  le  lendemain  dimanche.  Le  soir,  au  Théâtre- Royal,  repré- 
sentation consacrée  à  Grétry  ;  on  jouera  Richard  Cœur  de  Lion.  Dansle  cortège 
historique  de  t'après-midi,  on  verra  défiler  des  chars  rappelant  la  vie  de  Grétry 
depuis  son  départ  de  Liège,  en  1759.  jusqu'en  1823,  époque  à  laquelle  on 
ramena  dans  la  cité  le  cœur  du  célèbre  maitre  liégeois.  Le  23  août,  dans  un 
grand  terrain,  une  cantate  sera  chantée  et  jouée  par  mille  exécutants,  sous  la 
direction  de  M.  C'a.  Radoux. 

—  DeBayreuth  :  Les  traditions  s'en  vont,  même  à  Bayreuth,  où  tout  est  tradi- 
tion pourtant.  M.  Siegfried  Wagner  lui-même  vient  de  rompre  avec  la  vieille 
coutume  qui  voulait  que  dansle  temple  des  Festspiele  personne  ne  répondit  aux 
applaudissements  du  public  et  ne  vint  remercier  celui-ci.  Or,  après  la  der- 
nière représentation  de  Lohengrin  —  il  convient  de  dire  que  des  applaudisse- 
ments enthousiastes  et  interminables  saluèrent  la  fin  du  dernier  acte  — 
M.Siegfried  Wagner  parut  devant  le  rideau  ets'inclina  devantles  spectateurs. 
Cela  ne  s'était  jamais  vu  à  Bayreuth.  Il  faut  espérer,  puisque  le  commence- 
ment est  fait,  que  la  prochaine  fois  M.  Wagner  amènera  avec  lui  à  la  rampe 
quelques-uns  des  principaux  interprètes  qui  ont  généralement  leur  large  part 
dans  les  applaudissements  et  qu'il  permettra  aussi  aux  brillants  kapellmeis- 
ters  Richter  et  Muck  de  recevoir  personnellement  les  ovations  qui  leur  sont 
adressées. 

—  On  annonce  qu'il  n'y  aura  pas  de  représentations  de  fête  à  Bayreuth 
en  1909,  mais  seulement  l'année  suivante.  Le  choix  des  œuvres  que  l'on  jouerait 
à  cette  époque  parait  déjà  fixé;  ce  seront  Parsifal,  les  quatre  parties  des  Nibe- 
lungen  et  les  Maîtres-Chanteurs.  Vraisemblablement  M.  Hans  Ritcher  sera  l'un 
des  chefs  d'orchestre. 

—  La  Société  chorale  de  Berlin,  «  Berliner  Liedertafel  ■>,  a  entrepris  au 
printemps  dernier  une  tournée  de  concert  dans  l'Europe  orientale.  Ses  mem- 
bres se  rendirent  naturellement  à  la  cour  de  Roumanie,   où  la  reine  Carmen 

des  luthiers  italiens;  témoin  celle  dont  un  élève  de  Stradivarius,  Alessandro  Ga- 
gliano,  né  à  Xaples,  fut  le  héros,  et  qui  est  ainsi  racontée  par  Vidal  :  —  a  Jeune 
encore,  il  se  livra  à  l'étude  de  la  musique  et  de  la  lutherie.  On  était  alors  en  pleine 
domination  espagnole;  les  temps  étaient  troublés,  les  duels  fréquents,  et  tous  les 
jeunes  gens  s'adonnaient  avec  fureur  à  l'escrime.  Alessandro,  devenu  un  des  tireurs 
les  plus  redoutés  de  Naples,  se  prend  de  querelle  un  jour  avec  un  noble  Napoli- 
tain; on  se  bat;  h  peine  en  garde,  il  passe  son  épée  au  travers  du  corps  de  son 
adversaire  et  le  tue  raide  !  Les  lois  contre  le  duel  étaient  sévères;  notre  homme  fut 
obligé  de  fuir,  voyagea  en  Italie  de  ville  en  ville,  et  gagna  Crémone.  Là,  il  eut 
l'occasion  de  connaître  Aut.  Stradivari,  entra  dans  son  atelier  et  travailla  pendant 
plusieurs  années  sous  la  direction  du  maitre.  Il  revint  s'établir  à  Naples  comme 
luthier,  dans  les  derniers  jours  de  l'année  1695  ». 


Sylva  les  accueillit  avec  une  chaleureuse  sympathie.  Ce  sont,  en  effet,  pour 
elle,  des  compatriotes,  car  elle  est,  par  sa  naissance,  une  princesse  allemande, 
fille  du  prince  de  Wied.  Malade  à  l'époque  où  les  chanteurs  berlinois  arrivè- 
rent en  Roumanie,  elle  fit  un  effort  pour  les  recevoir  et  se  plut  à  leur  faire 
chanter  pour  elle  des  mélodies  de  son  pays.  Il  est  a  remarquer  que  la  «  Ber- 
liner Liedertafel  ne  cherche  pas  à  tirer  profit  des  concerts  qu'elle  donne  pen- 
dant ses  voyages,  et  que  les  bénéfices,  lorsqu'il  y  en  a,  sont  consacrés  à  des 
œuvres  de  bienfaisance.  Aussi  n'est-il  pas  étonnant  qu'elle  reçoive  beaucoup  de 
cadeaux  au  cours  de  ses  pérégrinations. La  reine  Carmen  Sylva  vient  de  se  montrer 
particulièrement  généreuse  pour  elle,  àl'occasion  de  la  visite  faite  au  mois  de 
mai.  Elle  lui  a  offert  en  présent  son  buste  en  bronze  de  grandeur  naturelle  et  son 
portrait  portant  cette  dédicace  :  «  Remerciement  profond  et  inoubliable  sou- 
venir. Elisabeth  ».  De  leur  cùté,  les  dames  deBucarest  ont  donné  à  la  Société 
une  bannière  brodée  d'un  grand  prix.  Le  sultan  a  reçu  lui  aussi  la  i  Berliner 
Liedertafel  »  et  lui  a  fait  cadeau  de  deux  aiguières  en  argent  ciselé.  Athènes 
devait  se  manifester  en  la  circonstance  d'une  manière  particulièrement  inté- 
ressante. Le  Conseil  municipal  de  cette  capitale  artistique  a  fait  graver  sur 
une  plaque  d'argent  l'Hymne  à  Apollon,  découvert  à  Delphes  en  mai  1893, 
et  en  a  fait  don  à  la  Société.  Les  recettes  nettes  des  concerts  donnés  dans  les 
villes  les  plus  importantes  ont  été  :  à  Bucarest,  1.740  francs;  à  Constanti- 
nople,  14.103  francs  ;  à  Athènes,  6.170  francs;  a  Salonique,  1.500  francs,  etc. 
Une  très  importante  partie  de  ces  sommes  a  été  consacrée  à  la  construction 
d'hôpitaux  à  Constantinople  et  à  Athènes. 

—  Un  livre  sur  la  censure  a  paru,  il  n'y  a  pas  encore  bien  longtemps  à 
Munich;  ii  est  signé  du  Docteur  Robert  Ileindl  et  renferme  un  nombre  consi- 
dérable de  traits  ou  faits  intéressants.  L'on  nous  saura  gré  d'en  réunir  ici 
quelques-uns.  Dans  le  livre  de  pensées  du  censeur  viennois  Haegelin,  relatif 
à  l'année  1795,  se  rencontre  un  passage  qui  mérite  d'être  reproduit  inté- 
gralement: le  voici  :  «  Le  censeur  a  le  devoir  d'empêcher  que  deux  per- 
sonnes, éprises  d'amour  l'une  pour  l'autre,  puissent  jamais  quitter  la  scène 
seule  à  seule.  Dans  la  pièce  la  Fille  de  campagne,  un  procurateur  a  dû  être 
donné  aux  deux  amants,  lorsqu'ils  se  retirent  dans  une  maison  voisine  pour 
prendre  les  dispositions  nécessaires  à  leur  mariage.  «Quand  la  Jeanne  d'Arc 
de  Schiller  put  être  représentée  à  Vienne,  le  27  janvier  1802,  ce  ne  fut  pas 
sans  avoir  subi  maintes  escarmouches  de  l'aréopage  des  censeurs.  Le  titre 
d'abord,  Jungfrau  von  Orléans,  parut  médiocrement  convenable;  il  était  facile 
de  mettre  à  la  place  le  nom  de  l'héroïne.  Le  drame  s'appela  donc  Jeanne  d'Arc 
et  fut  joué  sous  le  couvert  de  l'anonyme,  car  Schiller  passait  encore  pour  un 
dangereux  révolutionnaire.  Agnès  Sorel,  l'amie  du  roi  Charles  VIT,  devint 
son  épouse  légitime  et  se  nomma  Marie.  Dunois,  le  bâtard  d'Orléans,  prit  le 
nom  de  prince  Louis  et  l'on  en  fit  un  cousin  du  roi.  Quant  à  la  reine  dénaturée 
Isaheau,  elle  fut  transformée  en  une  sœur  du  roi,  ce  qui  permit  d'adoucir 
certains  côtés  de  son  caractère,  jugés  contre  nature,  bien  que  conformes  à 
la  vérité  historique.  —  A  Vienne,  jusqu'en  l'année  1848,  les  mésalliances 
étaient  interdites  au  théâtre.  Quand  la  pièce  intitulée  le  Comte  Waldemar,  de 
Gustave  Freitag,  fut  présentée  au  directeur  du  Burgtheater,  celui-ci  se  montra 
très  disposé  à  la  jouer,  mais  la  censure  s'y  opposa  énergiquement,  formulant 
ainsi  ses  motifs  :  «  Dans  l'ouvrage  dont  il  s'agit,  un  comte  doit  épouser  la  fille 
d'un  jardinier.  Cela  peut  malheureusement  arriver  dans  la  vie  réelle,  mais 
ne  saurait  être  toléré  au  Burgtheater.  >•  A  Stuttgard,  autre  thème.  L'Iphigénie 
en  Tauride  de  Gœthe  ayant  été  mise  à  l'étude,  l'autorisation  de  jouer  cette 
tragédie  fut  refusée  «  à  cause  des  jambes  nues  »  que  comportait  le  costume 
grec.  Ce  que  l'on  permettait  de  plus  hardi  en  ce  sens,  dans  la  capitale  du 
Wurtemberg,  était  de  figurer  en  scène  les  jambes  couvertes  de  maillots  de 
couleur  jaune.  —  Le  docteur  Heindl  s'occupe  aussi,  dans  son  livre  si  amusant 
parfois,  des  faits  et  gestes  de  la  censure  contemporaine  et  il  trouve  à  récolter 
sur  ce  terrain  une  ample  moisson.  Nous  ne  saurions  pourtant  le  suivre  plus 
longtemps  car  son  livre  pourrait  servir  à  former  un  véritable  lexique  d'anec- 
dotes; nous  y  reviendrons  à  l'occasion.  Disons  seulement  que  l'Allemagne, 
qui  n'a  peut-être  pas  conservé  la  pureté  des  mœurs  que  lui  attribuait  Tacite, 
possède  en  différentes  villes  des  aréopages  de  censeurs  aussi  actifs  que  zélés. 
A  Berlin  seulement,  seize  pièces  ont  été  censurées  dans  un  espace  de  quatre 
mois,  pendant  l'année  1900.  Depuis  environ  vingt-cinq  ans,  non  seulement 
les  auteurs  de  pièces  burlesques,  mais  les  écrivains  dramatiques  les  plus 
remarquables  sont  souvent  entrés  en  conflit  avec  la  tracassière  institution. 
Celle-ci  ne  s'en  porte  pas  plus  mal,  il  est  vrai,  et,  tout  dernièrement  encore, 
à  Munich,  un  conseil  supérieur  a  été  adjoint  aux  censeurs  pour  augmenter 
l'autorité  de  leurs  décisions. 

—  Une  grève  d'un  genre  original  vient  d'avoir  lieu  au  Théâtre-National  de 
Belgrade,  celle  des  spectateurs.  La  direction  ayant  rompu  son  contrat  avec  un 
acteur  favori  du  public,  la  population  s'abstint  désormais  de  se  présenter  aux 
guichets.  On  faisait  chaque  soir  une  recette  moyenne  de  30  à  40  francs.  Une 
représentation  a  été  donnée  devant  quatre  personnes  payantes. 

—  A  Livourne,  pendant  une  récente  représentation  de  l'opéra  les  Masques. 
dirigée  par  M.  Mascagni  lui-même,  un  regrettable  incident  s'est  produit. 
Lorsque  l'auteur  parut,  quelques  individus  qui  étaient  au  «  poulailler  ■>  lan- 
cèrent contre  lui  une  orange  qui  vint  tomber  sur  la  scène.  Le  maestro  feignit 
de  ne  rien  voir,  mais  quand  la  prima  dona  eut  terminé  de  chanter  sa  pre- 
mière romance,  une  véritable  pluie  d'oranges  et  d'oignons  s'abattit  en  tem- 
pête sur  la  scène.  M.  Mascagni,  indigné,  voulut  quitter  sa  place,  mais  le 
public  lui  fit  une  ovation  enthousiaste  et  la  représentation  reprit.  Il  parait  que 
l'incident  a  été  causé  par  le  refus  du  maestro  et  des  artistes  d'accéder  aux 
prétentions  de  la  claque  locale. 


262 


LE  MENESTREL 


—  A  propos  du  libretto  la  Fesla  del  G-rano  (la  Fête  de  la  moisson),  que  le 
prêtre-musicien  Giocondo  Fino  doit  mettre  en  musique,  nous  lisons  dans  le 
Goniere  délia  Sera  de  Milan  :  «  Le  librettiste  Fausto  Salvatori  avait  obtenu 
pour  son  poème  le  grand  prix  du  concours  Sonzogno.  Giocondo  Fino,  qui  se 
montrait  disposé  à  en  écrire  la  musique,  avait  déjà  fait  éditer  par  la  maison 
Ricordi  son  oratorio  Batlhta.  Mais  la  maison  Sonzogno,  appréciant  le  talent  du 
prêtre-compositeur,  prit  un  arrangement  avec  l'éditeur  Ricordi,  et  Giocondo 
Fino  fut  appelé  de  Turin  pour  signer  à  Milan  un  traité  combiné  entre  les 
deux  maisons  rivales.  Bientôt  une  autre  difficulté  se  présenta.  Giocondo  Fino, 
en  sa  qualité  de  prêtre,  jugea  nécessaire,  avant  de  se  mettre  à  l'ouvrage  pour 
écrire  une  œuvre  profane,  de  solliciter  l'autorisation  de  ses  supérieurs  ecclé- 
siastiques. Il  se  rendit  à  Rome  dans  ce  but.  Le  poète  Salvatori  ayant  consenti 
à  faire  des  coupures  à  son  livret  et  à  en  modifier  certains  passages  pour  l'hon- 
neur de  la  robe  sacerdotale  du  compositeur,  le  pape  s'empressa  d'accorder  la 
permission  demandée  «.  Maintenant  que  les  petites  difficultés  ont  été  apla- 
nies, la  plus  grande  peut-être  est  de  faire  un  chef-d'œuvre  ;  espérons  que 
l'inspiration  nécessaire  pour  y  parvenir  ne  fera  pas  défaut  à  M.  Giocondo 
Fino. 

—  A  Païenne,  M.  Florio,  l'armateur  bien  connu,  organise  un  concours  de 
ténors.  Il  donnera  des  prix  et  procurera  un  enseignement  gratuit  aux  lau- 
réats. 

—  Nous  apprenons  que  le  maestro  Pizetti  vient  de  terminer  une  parti- 
tion mélodramatique  pour  l'œuvre  de  M.  Gabriele  d'Annunzio,  /  Pastori. 
Le  différend  qui  s'était  élevé  entre  le  compositeur  et  le  poète  à  propos  de  la 
N~ave  paraît  donc  aplani.  M.  Pizetti  espère  terminer  prochainement  un  opéra 
qui  aura  pour  titre  Fedra;  il  s'est  lui-même  construit  un  libretto  d'après 
VEippohjte  d'Euripide. 

—  M.  Granieili  di  Catanzaro  a  mis  eu  musique  un  livret  d'opéra  tiré  à' Anna 
Karénine  de  Tolstoï,  par  MM.  Tchirtirkja  et  Gorciakof.  L'ouvrage,  dirigé  par 
le  compositeur  lui-même,  a  eu  du  succès  à  Tiflis  et  à  Kiew. 

—  Le  doctorat  en  droit  est  un  titre  assez  répandu,  mais  qui  n'avait  pas 
encore  fait  son  apparition  dans  les  corps  de  ballet.  L'Éloile  Belge  annonce  que 
M116  Marie  Rutkowska,  première  danseuse  à  l'Opéra-Impérial  de  Varsovie, 
vient  d'être  reçue  à  son  premier  examen  de  droit. 

—  En  attendant  le  prochain  cycle  de  la  Passion  qui  n'aura  lieu  qu'en  1910, 
à  Oberammergau,  la  troupe  d'artistes  amateurs,  célèbre  dans  le  monde  en- 
tier, donne  cette  année  des  représentations  de  Mafdochée  et  Esth'r,  drame  bi- 
blique de  M.  Max  Steigenberger.  La  première  vient  d'avoir  lieu  devant  un 
public  cosmopolite,  nombreux  et  recueilli,  qui  a  témoigné  sa  vive  admiration 
aux  interprètes,  dont  la  plupart  ont  tenu  des  rôles  aux  derniers  «  Passions- 
spiele  »,  notamment  à  M.  André  Lang  (Mardochée)  et  à  sa  nièce  MIlc  Emma- 
nuilla  Lang  (Esther). 

—  Des  artistes,  des  musiciens,  des  littérateurs,  des  personnes  s'occupant  de 
sciences,  des  avocats  et  des  professeurs  viennent  d'adresser  la  pétition  sui- 
vante à  «  l'Association  pour  l'amélioration  des  conditions  de  la  vie  à  Londres  » 
«  Nous  soussignés,  habitants  de  Clareville  Grove,  avons  recours  à  votre  obli- 
geante intervention,  dans  le  but  d'obtenir  la  suppression  des  intolérables 
bruits  qui  nous  poursuivent  dans  les  rues  et  jusque  dans  nos  demeures.  Ce 
sont  d'abord  d'innombrables  orgues  de  barbarie,  souvent  si  rapprochés  les 
uns  des  autres  que  l'on  en  entend  plusieurs  à  la  fois.  Ils  vous  tourmentent 
non  seulement  pendant  le  jour,  mais  encore  la  nuit,  car  ils  font  leur  vacarme 
jusqu'à  une  heure  avancée  devant  les  cafés  et  les  brasseries.  Il  y  a  aussi  des 
troupes  de  nègres  avec  leurs  flageolets  et  leurs  banjos  (sorte  de  guitare  dont  le 
corps  forme  un  tambour;  instrument  favori  des  nègres  américains);  ces  mal- 
faiteurs de  la  musique  empêchent  nos  enfants  de  dormir  et  nous  énervent 
désespérément.  Enfin  nous  sommes  encore  éprouvés  par  les  bandes  de  joueurs 
d'instruments  de  cuivre  dont  jamais  deux  ne  sont  d'accord  ensemble.  Ils  font 
rage  avec  leur  effroyable  musique  et  ont  l'impudence  de  nous  demander  de 
l'argent  pour  payer  le  concert  dont  ils  nous  gratifient  malgré  nous.  Vraiment 
il  est  inouï  que  de  tels  abus  soient  tolérés  dans  une  ville  comme  Londres  et 
que  les  habitants  soient  contraints  d'endurer  tous  les  bruits  qu'il  plaît  à  nom- 
bre de  gens  paresseux  et  désœuvrés  de  leur  imposer.  Nous  vous  prions  donc  de 
nous  protéger  contre  ces  fléaux,  autant  du  moins  qu'il  est  en  votre  pouvoir  de 
le  faire  ».  Les  personnes  qui  ont  vécu  à  Londres  savent  qu'il  n'y  a  rien 
d'exagéré  dans  ces  plaintes.  En  Allemagne,  il  s'est  formé,  dans  les  villes  les 
plus  importantes,  des  ligues  contre  le  bruit  des  rues  ;  quelques-unes  ont 
obtenu  de  sérieux  résultats. 

—  Le  propriétaire  de  la  maison  qu'habita  Jenny  Lind  à  Londres,  n°  1 
Moreton  Gardens,  South  Kensington,  l'a  mise  en  vente  le  mois  dernier,  exi- 
geant, comme  prix,  une  rente  de  7.503  francs  par  an.  Aucun  acquéreur  ne 
s'est  présenté. 

—  Une  des  plus  curieuses  girouettes  que  l'on  ait  jamais  vues  sur  une  église  de 
la  Grande-Bretagne  est  celle  de  Great  Gonerby  près  de  Grantham  ;  elle  a  la 
forme  d'un  violon  et  d'un  archet,  et  est  de  dimensions  peu  ordinaires.  Son 
histoire  est  des  plus  singulières.  Il  y  a  bien  des  années,  un  paysan  vivant  à 
Great  Gonerby  gagnait  sa  vie  en  jouant  sur  un  vieux  violon  qu'il  aimait  avec 
passion  et  dont  il  ne  se  séparait  jamais.  L'instrument  ne  lui  rapportant  que 
de  faibles  gains,  il  se.  décida  à  émigrer  en  Amérique  et  réussit  à  y  faire  for- 
tune. Un  jour,  il  envoya  au  pasteur  du  village  où  il  était  né  la  somme  suffi- 
sante pour  bâtir  une  église,  mettant  à  cette  libéralité  la  condition  suivante: 
une  reproduction  en  métal  du  violon  et  de  l'archet  avec  lesquels  il  avait  péni- 


blement recueilli  de  quoi  vivre  pendant  sa  jeunesse  devait  être  comm  andée 
à  un  ouvrier  d'Angleterre  et  placée,  comme  souvenir,  au  sommet  de  l'édifice. 
Le  conseil  de  la  commune,  après  en  avoir  délibéré  avec  le  pasteur,  jugea  que 
la  meilleure  manière  de  réaliser  les  intentions  du  donateur  serait  de  donner 
la  forme  d'une  girouette  à  la  reproduction  métallique  du  vieil  instrument  et 
de  l'utiliser  comme  telle.  Placée  à  la  pointe  du  clocher,  elle  attira  les  regards 
de  tous  les  paroissiens  et  leur  rappelle  qu'ils  doivent  leur  église  à  la  généro- 
sité d'un  ménétrier  enrichi. 

—  Le  23  avril  de  l'année  prochaine,  l'anniversaire  de  la  naissance  de 
Shakespeare  sera  célébré  d'une  façon  grandiose  aux  États-Unis.  L'imprésa- 
rio, M.  Frohmann,  qui  a  réuni  dans  ses  mains  la  direction  de  quelques  cen- 
taines de  théâtres  américains  et  anglais,  fera  jouer,  ce  jour-là,  dans  tous  les 
théâtres  qui  font  partie  de  son  trust,  quel  que  soit  leur  répertoire  ordinaire, 
une  œuvre  du  grand  Will.  Le  choix  de  la  pièce  sera  abandonné  à  chacun  des 
directeurs,  mais  c'est  M.  Frohmann  qui  fournira  tous  les  décors  et  tous  les 
costumes.  Et  comme  il  est  certain  déjà  que  l'initiative  prise  par  M.  Frohmann 
trouvera  des  imitateurs,  on  compte  que  le  23  avril  prochain  on  donnera  dans 
toute  l'Amérique  du  Nord  environ  sept  cents  représentations  d'œuvres 
shakespeariennes. 

—  On  a  nommé  directeur  du  nouveau  théâtre  national  à  New-York 
M.  Lee  Shubert.  Ce  théâtre  jouera  l'opéra,  l'opérette,  le  ballet,  le  drame  et  la 
comédie.  Il  accueillera  les  troupes  françaises  et  allemandes  qui  viendront 
donner  des  représentations  en  Amérique.  La  salle  a  été  bâtie  par  une  société 
de  capitalistes  de  New  York.  Elle  a  coûté  15  millions  de  francs.  L'inaugura- 
tion en  sera  faite  au  commencement  de  la  saison  prochaine. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

Vendredi  dernier,  à  l'Opéra,  débuts  de  Mlle  Alice  Baron,  une  des  très 
bonnes  falcons  de  nos  grandes  scènes  de  province.  C'est  dans  Valentine  des 
Huguenots  qu'on  l'a  présentée  au  public  parisien,  qui  l'a  très  heureusement 
ac  cueillie. 

—  On  continue,  dans  les  foyers,  les  études  du  Crépuscule  des  Dieux,  dont 
voici  la  distribution,  avec  les  doubles  principaux  : 

Siegfried  MM.  E.  van  DycketGodard 

Hagen  Dslmas 

Alberich  Gilly 

Gunther  Vilmos-Beek,  Dangès  et  Boulogne 

Brunnhild-î  M™"  Grandjean,  Mérentié  et  Borgo 

Waltrante  Paquot  d'Assy 

Gutrune  Féart 

Les  Filles  du  Rhin  Gall,  Laute-Brun  et  Lapeyrette 

Les  N'ornes  Mancini,  Carbonnel  et  Caro-Lucas 

—  M.  Messager  a  passé  par  Paris  à  la  fin  de  la  semaine  dernière  pour 
causer  des  affaires  courantes  avec  son  associé,  M.  Broussan.  Il  est  reparti 
pour  terminer  les  courtes  vacances  qu'il  s'était  données  et  sera  de  retour  défi- 
nitivement lundi  prochain. 

—  A  l'Opéra-Comique,  le  travail  des  études  a  recommencé  dès  cette  semaine 
pour  les  petits  emplois  et  les  chœurs.  M.  Léon  Jancey  a  repris  possession  du 
secrétariat  général  et  dirige  tous  les  services  en  l'absence  de  M.  Albert 
Carré,  qui  termine  en  ce  moment  son  stage  militaire  à  Dijon. 

—  M.  Louis  Landry,  chef  d'orchestre  et  chef  de  chant  à  l'Opéra-Comique, 
vient  d'être  victime  d'un  terrible  accident  d'automobile.  Il  rentrait  à  Paris 
dimanche  dernier,  pour  reprendre  son  service  à  la  salle  Favart,  et  venait  d'ac- 
compagner à  la  gare  Mme  Landry,  qui  se  sentant  légèrement  fatiguée  avait 
préféré  prendre  le  chemin  de  fer,  lorsque,  avenue  de  Paris,  un  malencontreux 
coup  de  volant,  donné  on  ne  s'explique  pas  comment,  car  M.  Landry  est  très 
bon  conducteur  et  fort  prudent,  lança  la  voiture  dans  un  fossé.  M.  Louis 
Landry,  violemment  projeté,  s'est  fracturé  le  fémur  d'une  jambe,  cassé 
plusieurs  côtes,  endommagé  sérieusement  la  mâchoire  inférieure  et  a  une 
fracture  du  crâne.  On  avait  craint  tout  d'abord  que  les  yeux  ne  fussent 
perdus,  il  n'en  est  heureusement  rien.  Il  a  été  transporté  séance  tenante 
à  l'hôpital  de  Joigny.  M.  Albert  Carré,  qui,  comme  nous  l'avons  dit,  fait  une 
période  militaire  à  Dijon,  prévenu  par  Mme  Marguerite  Carré,  s'est  immé- 
diaiement  rendu  auprès  du  blessé,  qu'il  tient  en  particulière  estime,  et  a  pu 
envoyer  une  dépêche  qui  a  quelque  peu  calmé  les  cruelles  inquiétudes  de  tous 
ceux,  artistes,  camarades  ou  amis,  qui  ayant  approché  M.  Louis  Landry 
n'avaient  pour  lui  que  grande  et  loyale  affection.  Nous  faisons,  ici,  les  vœux 
les  plus  ardents  pour  son  prompt  et  complet  rétablissement. 

—  M.  Vidal,  chef  de  musique  au  5e  régiment  de  ligne,  et  M.  Merlier,  sous- 
chef  au  70erégiment  de  ligne,  viennent  d'être  nommés  chevaliers  de  la  Légion 
d'honneur. 

—  Nous  avons  parlé  déjà  du  concours  international  de  musique  placé  sous 
le  patronage  du  prince  de  Monaco  et  très  généreusement  doté  de  prix  par 
M.  Henry  Deutsch  (de  la  Meurthe)  et  donné,  en  son  temps,  le  résultat  des 
concours  déjà  jugés.  Le  jury  «  d'Opéra  et  drame  lyrique  »,  composé  de 
S.  A.  S.  le  prince  de  Monaco,  de  M"le  la  comtesse  de  Greffulhe,  de  MM.  Henry 
Deutsch,  J.  Massenet,  C.  Saint-Saëns,  Xavier  Leroux,  Léon  Jehin,  Gunsbourg 
et  Astruc,  vient  de  prendre  les  résolutions  suivantes  : 

1°  Le  prix  de  30.000  francs  n'est  pas  décerné  à  un?  seule  œuvre; 
2°  M.  Henry  Deutsch  (de  la  Meurthe),  désireux   de  donner  aux  meilleurs 
ouvrages  qui   ont  été  envoyés   au   concours  un  encouragement  et  un   lémoi- 


LE  MENESTREL 


263 


gnage  de  sympathie,  autorise  la  division  et  le  partage  de  la  somme  de 
30.000  francs  qu'il  avait  allouée  à  cette  classe  du  concours  (en  dehors  des 
25.000  francs  déjà  distribués  pour  l'opéra-comique,  le  ballet  et  la  musique  de 
chambre). 

En  conséquence,  une  somme  de  10.000  francs  est  attribuée  au  manuscrit 
n"  107,  intitulé  la  Penticosa,  devise  :  «  Perfide  comme  l'onde  ». 

One  somme  de  4.000  francs  est  allouée  à  chacun  des  manuscrits  suivants  : 

Nn  155,  Anna  dea,  devise  :  «  Je  lui  dis...  la  rose  du  jardin  y  ; 

NB  201,  Aubeline,  devise  :  «  Une  espérance  a  brillé  dans  ma  nuit  »  ; 

N"  215,  La  du  Barry,  devise  :  «  Heureux  les  simples  3  ; 

N"  241,  Pia.  devise  :  «  Nemo  »  ; 

N"  228,  le  Retour,  devise  :  «  Scribitur  ad  narrandum  ». 

Les  auteurs  des  dits  ouvrages  sont  priés  de  se  faire  connaître,  32,  rue  Louis- 
le-Grand. 

—  On  dit,  —  faut-il  y  croire  ?  —  que  M.  Richard  Strauss  penserait  à  mettre 
en  musique  Tartuffe.  Il  serait  tout  au  moins  curieux  de  voir  comment  l'au- 
teur de  l'étrange  Sabine  comprendra,  musicalement,  notre  Molière. 

—  On  sait  déjà  que,  d'autre  part,  un  jeune  musicien  français,  M.  Laparra, 
qui  débuta  brillamment  l'année  dernière  à  l'Opéra-Gomique  avec  la  Babanera, 
emprunte  à  l'AmphylrAon,  du  même  Molière,  le  livret  de  son  prochain  ou- 
vrage. 

—  Miss  Alice  Fletscher,  membre  du  Bureau  ethnographique  de  Washington. 
a  recueilli  des  chants  indiens  au  moyen  du  phonographe  et  a  publié  dans  la 
Musical  America  le  résultat  de  ses  observations.  D'après  elle,  l'Indien  est  doué 
pour  la  musique  et  la  pratique  sans  raffinement;  cependant  les  intervalles 
caractéristiques  de  la  musique  moderne  européenne  se  retrouvent  dans  les 
thèmes  populaires  indiens,  dont  beaucoup  ne  sont  pas  sans  analogie  avec 
les  compositions  de  Beethoven,  de  Schubert,  et,  plutôt  encore,  de  Schu- 
mann.  de  Chopin,  de  Liszt  et  de  Wagner.  Un  chant  que  l'on  pourrait  appeler 
le  choral  du  Calumet  de  paix  présente  des  passages  avec  lesquels  certaines 
fo  rmes  wagnériennes  ont  de  l'aualogie  ;  c'est  une  mélopée  de  douze  mesures 
commençant  en  si  bémol  mineur  et  finissant  en  ut  majeur.  Les  rythmes  de  la 
musique  indienne  sont  souvent  aussi  compliqués  et  difficiles  que  ceux  que  l'on 
rencontre  chez  Schumann,  Chopin  et  Mendelssohn.  Une  singularité  de  cette 
musique  consiste  dans  l'emploi  fréquent  d'une  note  brève  sur  le  temps  fort  de 
la  mesure;  cela  se  trouve  aussi  dans  beaucoup  d'airs  écossais  d'autrefois.  Miss 
Fletscher  conclut  :  «  C'est  une  opinion  hardie,  mais  amplement  prouvée,  que 
toutes  les  ressources  mélodiques  et  harmoniques  d'usage  constant  dans  la  mu- 
sique moderne  et  même  ultra-moderne  se  retrouvent  également  dans  la  musi- 
que primitive,  chez  un  peuple  qui  n'a  point  de  système  de  notation,  point  de 
théorie  musicale  et  point  de  conception  scientifique  de  l'art  ». 

—  Un  gentil  fragment  de  la  dernière  «  Vie  à  la  Campagne  »  que  M.  Cunisset- 
Carnot  publie  périodiquement  dans  le  Tem])s  :  l'auteur  nous  raconte  un  petit 
épisode  d'une  excursion  faite  par  lui  dans  le  Bourbonnais  : 

...L'autre  jour,  par  un  après-midi  de  gai  soleil  déjà  un  peu  avancé,  je  me  prome- 
nais par  ces  chemins  fleuris  quand,  au  coude  de  l'un  d'eux,  je  fis  une  intéressante 
rencontre.  LTn  joueur  de  vielle  venait  à  moi,  son  instrument  pendu  au  dos.  Oui,  dans 
ce  pays  de  braves  gens  simples,  on  en  est  encore  à  la  vielle  et  à  la  cornemuse,  on 
ignore  les  violences  des  instruments  de  cuivre.  Et  c'est  fort  bien,  cela  va  avec  la 
tenue  générale  du  Bourbonnais,  avec  cette  douceur  de  la  terre,  avec  cette  ancienneté 
des  vieux  petits  châteaux  dont  on  voit  poindre  les  tours  sur  la  croupe  des  collines, 
avec  les  bonnets  du  temps  passé  que  portent  encore  les  femmes,  et  l'antique  blouse 
bleue  toute  droite  des  paysans. 

Je  saluai  mon  vielleux  et  la  connaissance  fut  bientôtfaite.  Nous  nous  assîmes  dans 
l'herbe,  à  l'ombre  d'un  châtaignier  séculaire.  Il  me  conta  qu'il  était  fatigué,  car  il  re- 
venait de  «jouer  une  noce»  dans  un  bourg  voisin,  et  il  n'avait  plus  ses  jambes  de 
vingt  ans.  Cela  se  voyait  du  reste  :  sa  longue  barbe  blanche  et  ses  traits  ridés 
comme  une  rainette  en  mars  disaient  son  grand  âge.  Il  avait  l'air  très  doux,  avec  une 
petite  pointe  de  malice  dans  ses  yeux  clairs.  IS'ous  causâmes  ;  je  fis  l'éloge  de  la 
vielle.  11  me  montra  la  sienne  en  détail,  m'expliqua  les  cordes,  les  clefs,  les  timbres, 
etc.,  avec  une  complaisance  satisfaite,  heureux  qu'il  était  de  m'intéresser.  Pour  moi, 
j'étais  ravi,  «je  touchais,  comme  dit  M.  de  Chateaubriand,  au  momentdu  bonheur  »  : 
l'homme  allait  certainement  me  jouer  quelque  chose,  et  ce  quelque  chose  venant  de 
ce  patriarche  des  vielleux  serait,  j'y  comptais  bien,  une  antique  bourrée,  un  passe-pied 
du  temps  d'Henri  IV  ou  de  la  Reine  Berthe,  celle  qui  filait  si  gentiment.  Je  souriais 
d'avance  ! 

En  etl'et,  pour  achever  ses  démonstrations,  l'homme  fixa  la  vielle  avec  sa  ceinture, 
s'assura  de  l'accord,  donna  un  coup  de  clef,  saisit  la  manivelle  et  attaqua...  la 
Matchiclie  !  Mon  premier  mouvement  fut  de  l'étrangler!  Mais  je  me  contins,  je  le  laissai 
achever,  et  avant  qu'il  jouât  autre  chose,  je  le  pris  par  la  douceur,  je  lui  parlai  de 
l'ancien  temps,  du  temps  de  sa  jeunesse,  des  beaux  airs  d'alors  qui  faisaient  si  bien 

E  danser,  etc.,  etc.  Il  me  regardait,  un  peu  méfiant,  mais  ma  bonne  foi  était  trop  évi- 
dente pour  ne  pas  s'imposer.  Je  le  conquis,  il  s'abandonna  ;  il  commença  une  bour- 
rée que  je  lui  laissai  finir  sans  dire  un  mot,  mais  il  voyait  bien  à  ma  figure  toute  la 
joie  qu'il  me  donnait.  Alors  il  continua,  et  ce  n'était  plus  le  même  homme;  ses  yeux 
étaient  changés,  ils  ne  fixaient  plus  rien  ;  c'était  en  lui-même,  en  arrière,  au  lointain 
du  passé  qu'il  regardait.  Sa  musique,  sa  pauvre  musique  si  primitive,  et  pourtant  si 
douce,  le  pénétrait,  le  transfigurait  ;  sa  tête  se  balançait  au  rythme,  avec  des  hoche- 
ments, des  soubresauts,  ses  épaules  tressaillaient.  Il  revivait  sa  vie  au  chant  mono- 
tone des  cordes,  sa  vie  et  celle  des  siens,  celle  de  ses  pères,  des  vieux  paysans  de 
France  qui  ont  tant  aimé  le  coin  de  terre  où  ils  savaient  vivre  et  mourir.  Et  ce  pauvre 
vielleux  représenta  un  moment  à  mes  yeux  quelque  chose  de  la  douceur  de  la 
patrie... 

—  Le  philologue  Rochus  de  Liliencron,  connu  pour  ses  travaux  sur  ies 
chansons  populaires,  a  raconté  dans  ses  mémoires  la  jolie  anecdote  suivante 
sur  Liszt  et  les  étudiants  de  Berlin.  «  Pendant  que  Liszt  donnait  des  concerts 


à  Berlin,  on  lui  dit  que  les  étudiants  de  cette  ville,  pauvres  pour  la  plupart, 
ne  pouvaient  payer  le  prix  élevé  des  places  à  ses  concerts  et  que  cependant  il 
y  avuit  en  eux  des  germes  d'enthousiasme  pour  l'art  qui  ne  demandaient  qu'à 
se  développer.  Aussitôt  Liszt  fit  annoncer  qu'il  donnerait  une  séance  unique- 
ment pour  les  membres  de  l'université,  dans  la  salle  principale  de  l'institu- 
tion. Le  prix  d'entrée  était  fixé  à  10  groschen  (environ  iiO  centime 
bénéfice  devait  être  distribué  aux  étudiants  les  plus  pauvres.  Au  jour  fixé, 
la  salle  était  bondée,  mais  les  professeurs  de  l'université,  agissant  avec  un 
manque  absolu  de  délicatesse,  étaient  venus  avec  leurs  femmes,  leurs  '-niants 
et  leurs  amis,  de  forle  qu'ils  occupaient  à  eux  seuls  plus  de  la  meilleure 
moitié  de  la  salle,  tandis  que  les  étudiants  étaient  massés  au  fond  et  que 
beaucoup  n'avaient  pu  pénétrer.  Liszt  fut  excessivement  contrarié  en  appre- 
nant comment  ses  intentions  avaient  été  méconnues  et  sa  première  idée  fat 
de  remettre  le  concert  à  un  autre  jour.  Il  se  calma  néanmoins  et  consentit  à 
jouer.  Son  interprétation  lut  plus  superbe  et  grandiose  que  jamais.  Après 
avoir  épuisé  les  morceaux  du  programme,  il  se  mit  à  improviser,  ce  qui  pro- 
voqua un  indicible  enthousiasme.  Toutefois,  après  d'innombrables  rappels,  il 
fullut  bien  terminer  la  soirée.  Liszt  gagna  sa  voiture,  accompagné  par  les 
étudiants  qui  formaient  autour  de  lui  le  plus  beau  cortège  d'honneur.  On 
voulut  alors  déleler  les  chevaux  et  trainer  le  maitre  comme  sur  un  char 
triomphal;  mais,  dès  qu'il  comprit  ce  que  l'on  allait  faire,  il  s'élança  hors  de 
la  voiture,  prit  par  le  bras  deux  des  étudiants  les  plus  rapprochés  de  lui  et  se 
mit  avec  eux  à  la  tête  du  cortège  qui  l'accompagna  jusqu'à  son  hôtel.  Arrivé 
sur  les  marches  delà  porte  d'entrée,  il  se  retourna  vers  les  étudiants  et  dit 
qu'il  invitait  à  le  suivre  tous  ceux  qui  pourraient  pénétrer  dans  les  locaux  de 
l'hôtel.  Là,  il  fit  apporter  des  rafraîchissements  et  parla  aimablement  à  ses 
hôtes,  sur  l'art,  sur  l'exaltation  salutaire  qu'il  provoque,  sur  les  devoirs  de  la 
jeunesse.  Il  continua  en  disant  qu'il  avait  appris  que  beaucoup  d'étudiants 
n'avaient  pu  pénétrer  dans  la  salle  du  concert  à  l'université,  parce  que  les 
places  avaient  été  envahies,  mais  que,  pour  cette  raison,  il  donnerait  un  autre 
concert,  cette  fois  pour  eux  seuls,  à  l'exclusion  des  professeurs.  »  J'essayerai 
de  jouer,  continua-t-il,  ce  chant  que  je  viens  d'apprendre  de  vous  tous;  je  ne 
pourrai,  il  est  vrai,  avec  mes  dix  pauvres  doigts,  lui  donner  la  même  puis- 
sance que  vous,  mes  jeunes  amis,  car  vous  êtes  huit  cents  et  vous  avez  de 
fraîches  voix:  je  ferai  pourtant  de  mon  mieux  et  j'essayerai  de  vous  remer- 
cier dignement  des  sentiments  que  vous  m'avez  témoignés  aujourd'hui  >.  Au 
second  concert,  qui  eut  lieu  comme  le  premier  dans  la  salle  de  l'université. 
Liszt  joua  sa  fantaisie  sur  Gavdtamus  igitur  qu'il  venait  de  composer  en  sou- 
venir du  chant  des  étudiants,  et  qui  fut  gravée  bientôt  après.  Le  succès  fut 
triomphal.  Lorsque.  Liszt  quitta  Berlin,  une  délégation  des  étudiants  fut  dési- 
gnée pour  l'accompagner  à  cheval  et  en  costume  d'apparat  jusqu'à  deux  lieues 
delà  ville.  Là,  un  riche  propriétaire  lit  entrer  les  délégués  dans  son  château, 
Liszt  à  leur  tète,  et  leur  offrit  du  Champagne.  Ce  fut  une  petite  Fête  pleine  de 
charme  et  de  simplicité.  Liszt  demanda  la  parole  et  s'exprima  comme  il  savait  le 
faire  en  ces  occasions  ;  enfin  il  prit  congé  des  étudiants  par  ces  mots  :  «  Par- 
tout où  l'un  d'entre  vous  me  rencontrera  pendant  le  cours  de  ma  vie.  il  peut 
se  considérer  comme  mon  hôte,  je  le  recevrai  toujours  avec  joie.  » 

—  De  Constantine  :  Les  dégâts  causés  par  le  tremblement  de  terre  à  notre 
Théâtre-Municipal  sont  beaucoup  moins  graves  que  l'on  ne  se  l'imaginait.  Les 
représentations  pourront  reprendre  dès  le  commencement  de  la  semaine  pro- 
chaine, comme  par  le  passé. 

—  La  splendide  fête  de  charité  donnée  dans  les  jardins  de  l'orphelinat  de 
Douvaine  (Haute-Savoie)  a  été  favorisée  par  un  temps  merveilleux.  Plus  de 
quinze  cents  personnes  s'étaient  rendues  à  l'appel  de  M.  l'abbé  Lesage  et  de 
son  comité.  L'exécution  de  Rulli,  le  célèbre  oratorio  de  César  Franck,  fut 
superbe.  Les  scènes  mimées  avec  chœurs  et  soli  et  les  tableaux  vivants  artis- 
tement  adaptés  à  la  partition  de  l'oratorio  par  le  comte  de  Patek  furent  pour 
l'excellent  metteur  en  scène  et  pour  tous  les  interprètes  un  grand  succès. 
Mme  Rossellin-Grandville,  qui,  dans  le  rôle  de  Ruth,  a  joué  et  mimé  à  ravir, 
donnait  la  réplique  au  comte  de  Patek,  qui  représentait  admirablement  Booz. 
La  comtesse  de  Patek,  dans  le  rôle  si  touchant  de  Noémi,  et  la  comtesse  R. 
de  Foras,  dans  celui  d'Orpha,  eurent  grand  succès,  ainsi  que  les  filles  de  Booz  : 
Mme  Aylmer  Norris  (Rachel),  Mllc  de  Rochecouste  (Rébecca),  M"«  de  Viry,  de 
Patek,  Charmot,  de  Foras,  A.  de  Rochecouste,  etc.  Les  chœurs  et  l'orchestre 
de  cent  vingt  exécutants,  dirigés  par  M.  l'abbé  Bruneau.  furent  l'objet  d'ova- 
tions méritées. 

NÉCROLOGIE 

A  l'âge  de  80  ans  est  mort  récemment  à  New-York  le  pianiste  William 
Mason,  qui  s'était  acquis  en  Amérique  une  grande  réputation  comme  professeur. 
Il  fit  ses  études  à  Leipzig  sous  la  direction  de  Bichter,  Maurice  Hauptmann  et 
Moscheles  et  reçut  à  Prague  des  leçons  de  Dreyschock.  Venu  à  Weimar  en 
1853,  il  attira  l'attention  de  Liszt  qui  lui  donna  des  conseils  pour  son  perfec- 
tionnement, ainsi  qu'en  témoignent  plusieurs  lettres  qui  ont  été  publiées. 
Établi  à  New-York,  William  Mason  s'occupa  très  activement  de  créer  des 
centres  de  culture  musicale  dans  les  Etats-Unis:  il  s'intéressait  particulière- 
ment aux  pianistes  et  se  faisait  un  devoir  d'assister  à  tous  les  concerts  que  de 
jeunes  artistes  venaient  donner  dans  le  lieu  de  sa  résidence.  Mason  était 
considéré  avec  raison  non  seulement  comme  un  véritable  artiste,  mais  comme 
un  homme  d'une  tenue  parfaite  dans  toutes  les  circonstances  de  la  vie. 

Henri  Heigel,  directeur-gérant. 


264  LE  MÉNESTREL 


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2.  Op  :  41.  Exercices  et  Préludes  daus  les  tons  les  plus  usités.  .  9  » 

3.  Op  :  30'.  Répertoire  d'Exercices  dans   tous  les    tons  majeurs  | 

et  mineurs.  .  .  .  .  .  ...  ....  .  . 12  » 


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AU  MÉNESTREL,  2 "V rue  Vivienne,  HEUGEL  et  Cie,  Editeurs. 

Propriété  pour  tous  pays. 

TOUS    DROITS    DE    REPRODUCTION    RESERVES 


^ 


E,    ^0,   PAHIS.    —   (Enriv  Liinlli'ui.,. 


Samedi  22  ioùl  4908. 


4039.  -  74e  ANNÉE.  -  N"  34.  PARAIT  TOUS  LES  SAMEDIS 

(Les  Bureaux,  2"'",  rue  Vivienne,  Paris,  u- ««•) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


lie  fluméro  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Le  flamépo  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  IIEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, 20  fr., Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  ea  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (32°  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Bulletin  théâtral  : 
première  représentation  de  l'Homme  de  la  Montagne,  à  Clunv,  P.-É.  C.  —  III.  Don 
Juan  de  Mozart  et  E.-T.-A.  Hoffmann,  Amédée  Boutarel.  —  IV.  Une  famille  de  grands 
luthiers  italiens  :  Les  Guamerius  (7°  article),  Arthur  Pougin.  —  V.  Nouvelles 
diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
AUBE  EN  MONTAGNE 
mélodie  de  René  Lexormand,  prose  de  Henri-R.  Lenorjiand.  —  Suivra  immé- 
diatement :   Madrigal  archaïque,    de    Y.-K.   Nazare-Aga,  poésie   de  Edouard 
Saint-Léon. 


MUSIQUE  DE  PIANO 
Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
Romance,  de  Emu,  Frey.  —  Suivra  immédiatement  :  Charme  d'automne,  valse 
lente,  de  Y.-K.  Nazare-Aga. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 


.       CHAPITRE  VII 

L'ÉCLOSION  DU   GÉNIE  :  ORFEO   Eit    È  I  Itlltl)  I 

Dans  le  même  moment,  un  autre  philosophe  (c'est  maintenant 
Diderot  dont  je  parle)  prendra  pour  exemple  d'une  dissertation 
un  fragment  de  tragédie  de  Racine,  le  monologue  de  Clytem- 
nestre  à  qui  l'on  vient  de  ravir  Iphigénie,  et  montrera,  presque 
vers  par  vers,  comment  il  serait  possible  de  le  traiter  en  musi- 
que :  un  récitatif  haletant,  entrecoupé  par  une  ritournelle 
plaintive,  aboutissant  à  un  air  d'un  mouvement  éperdu,  plein 
de  désespoir  et  de  désordre  (1).  Ce  n'était  pas  un  modèle  d'opéra 
italien  que  l'auteur  du  Neveu  de  Rameau  donnait  là,  malgré  ses 
préférences,  —  et  du  jour  même  de  son  début  sur  la  scène 
française,  Gluck  montrera  à  Diderot  la  manière  de  s'y  prendre 
pour  faire  passer  ses  idées  dans  le  domaine  de  la  réalisation 
artistique. 

Enfin  d'Alembert,  lui  aussi  ancien  habitué  du  Coin  de  la 
Reine,  fit  à  son  tour  son  examen  de  conscience  en  proclamant 
la  Liberté  de  l-a  musique,  opuscule  où,  après  avoir  constaté  que 
«  l'animosité  est  éteinte,  les  brochures  oubliées  et  les  esprits 
adoucis»  (l'écrit  est  de  1760),  sans  brûler  absolument  ce  qu'il 
adorait  naguère,  il  avouait  cependant  les  défauts  de  la  musique 

(1)  Diderot,  Entretiens  sur  le  Fils  naturel,  troisième  entretien. 


italienne  avec  *  ses  répétitions  éternelles  des  mêmes  paroles,  ses 
roulements  prodigués  à  contre-sens  et  prolongés  jusqu'à  la  fati- 
gue,.et  ses  points  d'orgue  ridicules  »,  déclarait  que  l'opéra  français 
n'était  pas  tellement  inférieur  que  «  si  nous  étions  réduits  à 
l'alternative  de  le  conserver  tel  quel  ou- d'y  substituer  l'opéra 
italien,  peut-être  ferions-nous  bien  de  prendre  le  premier  parti  ». 
et,  reconnaissant  que  «  la  musique  italienne  est  défectueuse 
par  ce  qu'elle  a  de  trop,  la  musique  française  par  ce  qui  n'y  est 
pas»,  concluait  que  cette  dernière  pouvait  s'enrichir  en  s'assi- 
milant  les  qualités  de  l'autre,  et  que  si  elle  y  parvenait,  elle  lui 
deviendrait  bientôt  supérieure. 

Voilà  ce  qu'étaient, .avec  leurs  contradictions,  mais  aussi  leur 
lucidité  et  leur  prescience,  les  idées  de  ceux  qui,  de  Paris,  diri- 
geaient l'opinion  de  l'Europe  intellectuelle,  —  tandis  qu'à  Vienne 
Gluck  était  seul,  livré  à  ses  réflexions.  Et  derrière  eux,  combien 
d'hommes  de  bonne  volonté  et  d'esprit  entretenaient  l'agitation 
par  leur  parole  ou  leurs  écrits,  préparant,  à  leur  insu,  la  révolu- 
tion future  !  C'est  l'abbé  Arnaud,  qui,  dès  1754,  entrait  dans  la 
carrière  des  lettres  en  écrivant  une  Lettre  sur  la  musique   au  comte 
de  Caylus),   esquisse,    dit-il,    d'un    ouvrage   médité  au  fond  de 
la  province,  où  il  étudiait  «  les  différentes  énergies  »  de  la  mu- 
sique, sans  se  priver  de  toucher  aux  préoccupations  du  jour, 
avouant  son  amour  de  la  musique  italienne,  bien  qu'il  ne  voulût 
pas  ressembler  «  à  ces  amants  passionnés  qui  adorent  jusqu'aux 
défauts  de  leurs  maîtresses  ».  Nous  verrons,  plus  tard,  quelle 
sera  la  musique  que  définitivement  il  adorera.  C'est  Chabanon, 
auteur  de  l'éloge  de  Rameau,  et  qui  plus  tard  s'efforça  d'appro- 
fondir la  question  des  propriétés  musicales  des  langues,  traitée 
par  lui  dans  divers   écrits,  notamment  dans  un  livre   dont  le 
titre  va  indiquer  l'esprit  :  De  la  musique  considérée  eu  elle-même  et 
dans  ses  rapports  avec  la  parole,  les  langues,  la  poésie  et  le  théâtre.  C'est 
Algarotti,  noble  vénitien,  qui,  dans  son  Essai  sur  l'opéra,  propo- 
sait ses  idées. pour  la  réforme  d'un  spectacle  «  qui  devrait  être  par 
lui-même  le  plus  agréable  de  tous,  et  qui  devient  le  plus  insipide 
et  le  plus  ennuyeux  »  (phase  qu'on  retrouve  presque  identique- 
ment au  début  de  la   préface  d'Alceste).  C'est  Chastellux,  qui, 
avant  de  se  faire  le  traducteur  français  de  ce  dernier  ouvrage, 
avait  donné  lui-même  un  Essai  sur  l'union  de    la  poésie  et  de  la 
musique  (1765):  il  pensait  l'avoir  écrit  à  la  louange  de  la  musique 
italienne,  lui  prêtant,  par  un  travers  dont  les  plus  grands  avaient 
donné  l'exemple,  des  qualités  qui  n'étaient  pas  les  siennes,  mais, 
par  là  même,  affirmant  la  prééminence  de  ces  qualités.  De  même 
que  la  Nouvelle  Héloise  qualifiait  Métastase    «  le   seul   poète  du 
cœur,  le  seul  génie  fait  pour  émouvoir  par  le  charme  de  l'har- 
monie  poétique  et  musicale  »,   de  même  Chastellux  cherchait 
dans  les  vers  de  ses  opéras  les  meilleurs  exemples  de  conve- 
nance et  d'expression;  et  si  par  hasard  il  rencontrait  un  musi- 
cien  ayant  su  mettre  l'accent  juste    sur    des    strophes   telles 
i     que  :  Misero  pargolello,   Prence  perdona,   Se  cerca  se  dice,  c'était 


266 


LE  MÉNESTREL 


avec  un  véritable  enthousiasme  qu'il  mettait  en  relief  cette  rare 
qualité.  Lisez  par  exemple  son  commentaire  de  l'air  5e  cerca,  se 
dice,  dans  YOlimpiade  de  Pergolèse  :  «  Cet  incomparable  auteur  a 
senti  qu'il  ne  pouvait  faire  entrer  dans  son  motif  cette  exclama- 
tion :  Ah  no  !  si  gran  duolo  non  dar  le  per  me.  Il  a  donc  pris  le  parti 
de  mettre  ces  deux  vers  en  déclamation  et  de  rentrer  ensuite 
dans  son  sujet  par  les  deux,  derniers  vers  :  Rispondi,  etc.  »  Yoilà 
qui  est  très  bien,  et  parfaitement  juste  s'appliquant  à  l'air  en 
question  ;  mais  c'est  combien  exceptionnel  !  Les  exemples  de  ce 
style,  on  les  compte  dans  la  musique  italienne.  —  et  le  compte 
n'en  est  pas  grand.  De  sorte  que  Cbastellux,  comme  plusieurs  de 
ses  contemporains,  admirait  dans  cette  musique  des  qualités 
qu'il  souhaitait  y  voir,  mais  qui,  en  réalité,  en  étaient  le  plus 
souvent  absentes. 

Il  n'était  pas  jusqu'à  des  historiens  appliqués  à  considérer 
l'art  principalement  dans  un  passé  reculé  qui  ne  se  sentissent 
attirés  à  proclamer  la  nécessité  d'en  rénover  l'esprit.  C'est  ainsi 
que,  dans  son  Histoire  de  la  Musique,  le  P.  Martini  écrivit  ces 
mots  que  les  gluckistes  postérieurs  ont  maintes  fois  reproduits, 
comme  une  juste  prophétie  en  faveur  de  leur  cause  (1)  : 

«  Nos  airs  consistent  dans  un  assemblage  hétérogène  d'idées, 
et  de  différens  morceaux  cousus  au  hasard,  sans  dessein,  sans 
ordre  et  sans  unité...  Il  est  à  désirer  qu'il  se  présente  enfin 
quelque  professeur  doué  d'un  rare  talent  et  parfaitement  instruit 
de  toutes  les  parties  de  la  musique,  lequel,  sans  se  mettre  en 
peine  des  propos  impertinens  de  tous  ses  rivaux,  fasse  renaître, 
à  l'imitation  des  Grecs,  l'art  d'émouvoir  les  passions...-  » 

Il  parlaient,  ils  écrivaient,  —  et  Gluck  pensait.  Bientôt  il 
allait  faire  mieux  :  créer. 

Parmi  ces  écrivains  empressés  à  dire  leur  mot,  il  en  est  un 
qui  n'eût  sans  doute  pas  laissé  après  lui  des  traces  fort  durables 
si,  par  une  rare  bonne  fortune,  il  n'eût  été  associé  à  la  créa- 
tion de  l'œuvre  rêvée  par  ces  esprits  si  divers.  Et  par  là  il  mé- 
rite d'être  cité  en  première  ligne,  —  car,  si  belles  choses  que 
soient  les  idées,  l'œuvre,  c'est-à-dire  l'acte,  c'est  mieux. 

C'était  un  Italien,  de  médiocre  noblesse,  —  non  pas  non 
plus  un  philosophe  pouvant  prétendre  à  gouverner  l'opinion  : 
un  simple  amateur  de  poésie  et  d'art,  gagnant  sa  vie  à  des 
fonctions  rétribuées  par  un  gouvernement  étranger,  et  se  délas- 
sant parfois  à  des  travaux  littéraires.  Il  se  nommait  Ranieri  dé' 
Calsabigi  (2),  était  né  à  Livourne  et  s'enorgueillissait  du  titre 
de  membre  de  l'Académie  de  Cortone,  qui  a,  je  suppose,  quel- 
que équivalence  avec  ce  que  doit  être  en  France  celui  d'acadé- 
micien d'Etampes.  Il  se  trouvait  à  Paris  au  moment  de  la  guerre 
des  Bouffons,  et,  subissant  l'entraînement  général  (à  quoi  le 
sentiment  national  s'ajoutait  chez  lui),  prit  naturellement  parti 
pour  les  Italiens.  Quand  eut  lieu  l'expulsion  de  la  troupe  chan- 
tante, dans  son  indignation,  il  tailla  sa  bonne  plume  et  en 
traça  un  poème  héroï-comique  en  huit  chants  :  La  Lulliade,  o  i 
bu/fi  Italiani  scaceiati  de  Parigi,  ironiquement  dédié  Alla  divina  mu- 
sica  francese  (3).  Jean-Jacques  Rousseau  et  Grimm  n'étaient  donc 
pas  seuls  à  déverser  le  ridicule  sur  les  moyens  d'opposition 
tyranniques  des  partisans  de  la  musique  française  :  un  Italien 
s'en  mêlait  aussi.  Mais  celui-ci  voulut  faire  œuvre  plus  sérieuse,  et 
montrer  qu'il  était  capable  de  réflexion.  Alors  qu'à  Vienne  Mé- 
tastase était  dans  tout  l'éclat  de  sa  renommée,  il  entreprit  de  le 
faire  connaître  en  France,  et,  à  cet  effet,  publia  une  édition  de 
ses  œuvres,  en  dix  volumes,  précédée  d'une  préface  de  près  de 
deux  cents  pages,  dans  la  conclusion  de  laquelle  il  exposa  ses 
propres  idées  sur  la  tragédie  lyrique  (4). 

(1)  Extrait  de  l'Histoire  de  la  Musique,  par  le  Père  Martini,  à  Boulogne  (Bologne;, 
1769,  dans  les  Mémoires  pour  la  Révolution  du  Chevalier  Gluck,  p.  59;  —  Suard,  Ency- 
clopédie mclhodigue,  article  Allemagne  ;  —  Berlioz.  Gluck,  article  delaffajeffc  musicale, 
1834,  p.  173. 

(2)  Sur  cet  auteur,  voir  un  article  de  Heinrich  Welti  :  Gluck  und  Calsabigi,  dans  le 
Vierteîjahrschrift  fur  Musikwissenschaft,  7°  année,  1891,  pp.  26  et  suiv. 

(3)  Cet  ouvrage,  resté  inconnu  de  tous  les  historiens,  n'a  pas  été  imprimé:  le 
manuscrit,  autographe  en  a  été  retrouvé  récemment  à  la  Bibliothèque  nationale  de 
Florence  (Palat.  11.  11.  189)  par  M.  Henri  Prunières,  chargé  de  dresser  l'inventaire 
des  manuscrits  musicaux  de  cette  Bibliothèque  pour  l'Institut  français  de  Florence, 
et  qui  me  Ta  obligeamment  l'ait  connaître. 

\   Poésie  del signor  abate  Pietho  Metastasio.  Parigi,   presso  la  Vedova  Quillau, 


C'est  là  un  document  d'importance,  et  qui  mérite  de  nous 
arrêter. 

L'écrivain  explique  d'abord  qu'il  a  entrepris  cette  étude  afin  de 
faire  comprendre  aux  mauvais  poètes  tragiques  d'Italie,  qui  sont 
nombreux,  la  grande  idée  du  drame,  et  de  convaincre  les  étran- 
gers qu'ils  ont  tort  de  dédaigner  le  théâtre  italien.  Car  les 
poèmes  de  Métastase,  quoi  qu'on  doive  les  considérer  principa- 
lement comme  des  livrets  d'opéras,  sont,  même  sans  l'ornement 
de  la  musique,  de  véritables  tragédies  qui  peuvent  sans  dom- 
mage supporter  la  comparaison  avec  les  meilleures  œuvres  des 
autres  nations.  Parfois  Calsabigi  les  met  en  parallèle  avec  les 
tragédies  de  Racine,  et  il  consacre  à  Iphigénie  en  Aulide  et  Athalie 
des  analyses  aussi  étendues  que  celles  que  lui  suggèrent  la 
Clemenza  di  Tito,  Alessandro  et  YOlimpiade. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


BULLETIN    THEATRAL 


Cli'ny.  —  L'Homme  de  la  Montagne,   vaudeville   eu  3  actes,   de  MM.  Claude 
Roland  et  Kraatz,  adapté  par  M.  A.  de  Mauprey. 

C'est  le  brave  petit  théâtre  Cluny  qui,  cette  année,  donne  le  signal 
du  départ  à  ses  grands  confrères  et  ne  craint  pas,  en  plein  mois  d'Août, 
de  nous  rappeler  que  Paris  possède  des  salles  de  spectacle  et  de  nous  le 
rappeler  en  montant  un  vaudeville  nouveau.  Et  ce  faisant,  Cluny,  très 
gentiment,  obbge  les  déshérités,  qui  par  force  majeure  essaient  de  peu- 
pler la  capitale  à  cette  époque  de  grands  prix  sur  les  côtes  normandes, 
à  se  payer,  quand  même,  leur  petit  déplacement  estival  :  voyage  par  delà 
la  Seine,  aller  et  retour  dans  la  même  soirée,  avec,  à  la  traversée  des 
ponts,  l'illusion  de  quelque  très  douce  brise  marine. 

Le  voyage,  par  ailleurs,  n'a  rien  de  désagréable  ;  au  terminus,  pré- 
sentation à  l'Homme  de  la  Montagne  qui  est  un  bon  blagueur  n'ayant 
jamais  mis  les  pieds  même  sur  une  colline,  mais  se  faisant  passer  pour 
le  premier  alpiniste  de  son  temps  ;  il  y  trouve,  le  roublard,  motif  à 
satisfaire  aux  goûts  de  célébrité  de  son  épouse  et  aussi  à  ses  goûts  per- 
sonnels de  bamboche.  Pendant  qu'on  se  l'imagine  exposant  ses  jours 
sur  un  homicide  glacier,  il  se  vautre  tout  simplement  sur  les  divans 
moelleux  de  la  théàtreuse  Bobette.  La  première  rencontre  avec  le  bon- 
homme est  vraiment  amusante.  On  rit  encore  en  le  suivant  en  Suisse 
où  les  circonstances  le  forcent  à  ascensionner  pour  de  bon,  le  pauvre  ; 
mais  on  trouve  un  peu  longuets  les  épisodes  qui  empêchent  que  sa 
femme  ne  découvre  le  pot  aux  roses. 

Les  ciceroni  du  petit  voyage  sont  d'abord  M.  Matrat,  plein  d'entrain 
et  de  jovialité,  et  Mm(' Franck-Mel,  très  en  dehors,  puis  MM.  Vallot, 
Paul  Perret,  Saulieu,  René  Fugère,  Koval,  Marius.  Mm"s  Benda,  Peyral 
et  Glineur.  P.-E.-C. 


DON  JUAN  DE  MOZART  ET  E.-T.-A.  ÏÏOITMAÏÏÏ 


Tous  les  compositeurs  ayant  aimé  à  répandre  leurs  opinions  par  la 
plume  ou  par  la  parole,  tous  les  représentants  de  la  critique  musicale, 
se  sont  fait  un  plaisir  de  jeter  un  jour  ou  l'autre  quelques  louanges 
bien  senties  sur  la  partition  de  Don  Juan.  Chacun  d'eux  y  met  tour  à 
tour  un  empressement  significatif,  montrant  par  là  que  vis-à-vis  du 
maître  de  Salzbourg  toute  discussion  est  abandonnée,  l'œuvre  restant 
debout  et  rayonnante,  malgré  quelques  légers  défauts.  On  respecte 
partout  la  sérénité  de  la  gloire  de  Mozart  autant  que  la  renommée  des 
ouvrages  créés  par  son  génie. 

Pourtant,  dès  l'apparition  de  Don  Juan,  des  réserves  ont  été  faites  sur 
lamusiqueet  contre  le  livret.  Des  premières,  il  ne  subsiste  rien,  car  elles 

MDCCLV.  Les  titres  sont  ornés  de  vignettes  finement  gravées  dans  le  goût  du  dix- 
huitième  siècle,  dont  l'une  ip.  i)  sert  d'encadrement  à  une  dédicace  A  Sun  Eceelenza 
La  Signora  Marcbese  di  Pompadour,  suivie  d'une  épitre  en  vers  italiens  signée 
Ranieri  di  Calsabigi.  Vient  ensuite  (p.  vu)  une  Lettera  dell'  Autore,  signée  Pietro 
Metastasio,  Vicnnu,  .9  Marzo  7754.  Enfin  à  la  page  xix  commence  la  Dissertazione  di 
Ranieri  de'  Calsabigi,  dell'  Accademia  di  Cortona,  su  le  Poésie  Dramatisc/w  del  Signore 
Abate  Pietro  Metastasio,  qui  occupe  jusqu'à  la  p.  cciv.  L'exemplaire  de  la  Biblio- 
thèque nationale  de  Paris  (Yd.  3574)  contient,  dans  la  dernière  partie  ûe  cet  écrit, 
des  irrégularités  de  pagination  fort  incommodes. 


LE  MENESTREL 


267 


l'rappaient  sans  justesse  et  sans  à-propos.  Les  autres  portaient  sur  la 
forme  souvent  bien  naïve  du  scénario  et  s'attaquaient  surtout  au  carac- 
tère peu  moral  du  sujet.  «  11  m'aurait  été  impossible,  disait  Beethoven, 
d'écrire  de  la  musique  pour  une  histoire  aussi  scandaleuse.  >>  Les  cri- 
tiques de  Don  Juan  ont  partagé  pour  la  plupart  cette  appréciation  de 
l'auteur  de  Fidelio.  Toutefois,  l'un  d'entre  eux  s'est  efforcé  d'élever  la 
donnée  de  l'ouvrage  en  le  rattachant  à  une  conception  psychologique 
d'un  raffinement  tout  moderne,  et  de  présenter  le  type  du  séducteur 
sous  un  aspect  toujours  peu  sympathique  assurément,  mais  non 
dépourvu  d'une  certaine  grandeur.  Celui-là  fut  un  humoriste  par 
excellence,  compositeur,  homme  de  lettres  et  dessinateur  à  la  fois,  sans 
compter  ses  autres  professions,  car  il  a  été  aussi,  à  son  heure,  magis- 
trat et  directeur  de  théâtre.  Lui-même  s'est  désigné  à  nous  en  jouant 
sur  les  deux  mots  dont  son  nom  est  formé  :  «  Non  pas  Hof  Mann  (1), 
disait-il,  «  et  cependant  Hoffmann  »;  et  cette  boutade  le  réjouissait 
fort,  car  elle  rappelait  vaguement  les  antithèses  énigmatiques  des  sor- 
cières de  la  lande  écossaise,  annonçant  à  Macbeth  son  destin. 

E.-T.-A.  Hoffmann,  l'auteur  des  Contes  fantastiques,  en  a  consacré  un 
à  glorifier  Don  Juan.  Descendu  à  l'hôtel  principal  d'une  ville  inconnue, 
il  entend,  le  soir,  après  s'être  retiré  dans  sa  chambre,  d'étranges  bruits 
musicaux.  Il  sort,  et,  se  laissant  guider  par  eux,  suit  le  corridor  jus- 
qu'à une  porte  dissimulée  dans  la  muraille.  Elle  cède  à  la  pression  de 
sa  main  et  il  se  trouve  dans  la  loge  discrètement  dissimulée  d'un 
théâtre  rempli  d'une  assistance  nombreuse.  La  salle  est  resplendis- 
sante de  lumière  se  jouant  sur  de  beaux  costumes  féminins;  pourtant 
cela  ne  l'intéresse  guère  ;  on  joue  Don  Juan,  que  lui  faut-il  de  plus  ! 
Dona  Anna  est  sur  la  scène  ;  «  quel  aspect  !  Sa  taille  eût  pu  être  plus 
élevée  ;  plus  svelte  et  plus  majestueuse  sa  démarche  ;  mais,  l'expression 
de  ce  visage,  ces  yeux  d'où  s'échappent  comme  des  gerbes  de  feux  élec- 
triques, comme  les  flammes  d'un  foyer  que  rien  ne  peut  éteindre,  ces 
transports  de  colère,  d'amour,  de  haine,  de  désespoir,  nul  ne  saurait 
les  décrire.  Des  nattes  de  cheveux  noirs  se  tordent  sur  son  cou  ;  une 
robe  blanche  voile  et  trahit  à  la  fois  des  charmes  que  l'on  ne  vit 
jamais  sans  danger;  son  cœur  soulevé  d'indignation  palpite  violem- 
ment... et  cette  voix  !  Non  sperar  se  non  m'uceidi.  » 

Hoffmann  raconte  ainsi  l'action  tout  entière  du  chef-d'œuvre  sur 
ce  ton  dithyrambique.  Un  peu  avant  l'entr'acte,  il  avait  cru  sentir 
auprès  de  lui  une  respiration  haletante  et  pure,  entendre  le  frôlement 
d'une  robe  de  satin  :  ravi  par  son  rêve  poétique,  il  n'avait  pas  détourné 
la  tête.  La  toile  tombée,  il  se  ressaisit.  Qui  donc  est  là,  pense-t-il,  et 
ses  yeux  cherchent  dans  le  demi-jour  derrière  lui.  Dona  Anna  était  à  ses 
•côtés  blanche  comme  il  venait  de  la  voir  sur  la  scène;  elle  dirigeait  vers 
lui  ses  yeux  d'où  sortaient  d'étincelants  rayons.  Il  la  questionna  sur  son 
rôle;  elle  lui  dit  que  la  musique  était  toute  sa  vie  et  qu'aucune  parole 
ne  saurait  dépeindre  les  émotions  qu'elle  éprouvait  quand  le  jeu  du 
théâtre, en  bouleversant  son  être,  ctreignait  son  àme  et  la  transfigurait. 
«  Oui,  continua-t-elle,  je  comprends  tout  alors;  mais  tout  est  froid  et 
inanimé  autour  de  moi  ;  on  m'applaudit  pour  une  roulade  difficile,  et 
il  me  semble  que  des  doigts  de  fer  saisissent  mon  cœur  ardent.  »  Tout 
à  coup  la  clochette  de  l'entr'acte  retentit,  la  jeune  femme  en  sanglot- 
tant  porte  les  mains  à  sa  poitrine  et  murmure  d'une  voix  défaillante  : 
o  Malheureuse  Anna,  voici  tes  moments  les  plus  terribles  !  »  Hoff- 
mann regarde  en  vain;  l'apparition  a  disparu.  Il  se  retourne  vers  la 
scène  et  entend  le  second  acte  dans  le  recueillement  d'une  admiration 
sans  bornes. 

Son  enthousiasme  est  si  vif  qu'il  renonce  à  nous  en  faire  part,  et 
abandonne  le  ton  du  panégyriste  pour  varier  son  récit  par  d'ironiques  per- 
siflages à  l'adresse  des  spectateurs  de  Don  Juan,  avec  lesquels  il  se  trouve 
à  table  au  souper.  Lassé  bientôt  de  leurs  propos,  il  se  retire  dans  sa 
chambre.  Minuit  soune,  l'hôtel  est  silencieux,  tout  dort.  Brûlant  du 
désir  de  revivre,  du  moins  en  imagination,  ses  sensations  de  la  soirée, 
Hoffmann  prend  avec  lui  une  petite  table,  du  papier  et  de  l'encre,  et 
recommence  sa  course,  telle  qu'il  l'avait  faite  à  travers  les  couloirs,  à 
l'heure  de  la  représentation.  Il  s'installe  dans  la  loge  et  laisse  aller  sa 
plume,  certain  de  pouvoir  maintenant  fixer  sa  pensée  sur  le  chef- 
d'œuvre. 

Bien  entendu,  il  ne  veut  point  voir  dans  Don  Juan  l'amplification 
d'un  mystère,  joué  vers  la  fin  du  moyen  âge  comme  celui  de  Faust, 
car,  dit-il,  «  si  l'on  considère  ce  poème  saris  y  chercher  une  profonde 
signification,  à  peine  peut-on  concevoir  que  Mozart  ait  pu  rêver  et 
composer  sur  ce  motif  une  telle  musique.  i>  Don  Juan  lui  apparaît 
comme  un  des  enfants  privilégiés  de  la  nature  ;  doté  par  elle  de  tous  les 
avantages,  il  est  destiné  à  vaincre  et  à  dominer.  Rien  au  monde 
n'exaltant  l'homme  autant  que  l'amour,  c'est  par  l'influence  mysté- 
rieuse des  sentiments  tendres,  fussent-ils  simulés,  qu'il  doit  imposer 

(1)  Hof-Mann,  homme  de  cour,  courtisan. 


son  pouvoir.  S'éprenant  tour  à  tour  de  chacun''  des  belles  personnes 
qu'il  est  ingénieux  à  découvrir,  et  sans  cesse  habile  à  troubler,  aucune 
jouissance  ne  l'apaise,  rien  ne  satisfait  son  idéal. L'humanité  féminine 
lui  semble  si  vulgaire,  tellement  au-dessous  de  ses  aspirations,   qu'il 

devient  sans  pitié  pour  les  douces  créatures  qu'il  subjugue.  Un  pas 
encore  dans  cette  voie  paradoxale  et  Don  Juan  sera  pour  nous  un 
séducteur  que  le  paroxysme  de  sa  vertu  a  poussé  jusqu'au  vu- 
insolent  qui  eût  été  un  sur-homme,  si  le  monde  où  il  a  vécu  ne  s'étail 
trouvé  trop  peu  digne  de  lui.  Ainsi  Goethe  avait  transformé  le  vieux 
docteur  Fauslus  et  lui  avait  préparé  une  glorieuse  apothéose,  mais  L'abbé 
da  Ponte  n'était  point  de  même  force,  et  nous  sommes  bien  forcés  de 
ne  suivre  Hoffmann  ni  dans  ses  exagérations,  ni  dans  ses  fantaisies: 
nous  pensons  seulement  que  le  génie  de  Mozart  a  galvanisé  un  livret 
quelconque. 

Le  caractère  de  Dona  Anna  est  présenté  par  Hoffmann  sous  un  aspect 
non  moins  favorable  que  celui  de  Don  Juan.  Elle  est  promise,  elle  est 
fiancée  cette  jeune  fille,  mais  son  époux  futur  manque  des  qualités  aéi  es- 
saires  pour  fixer  son  choix.  Restée  a  la  merci  de  son  séducteur  parce 
qu'elle  l'a  rencontré  déjà  dégradé  par  son  détestable  travers,  eUel'eûtsauvé 
sans  doute,  retenu  fidèle  à  l'abri  des  sensualités  qui  l'ont  perdu,  si  tous 
les  deux,  jeunes  et  beaux,  s'étaient  trouvés  face  à  face  au  seuil  de  L'exis- 
tence et  avaient  pu  conduire  parallèlement  leurs  destinées,  sous  l'égide 
bienfaisante  de  l'amour.  Mais  Don  Juan  a  vu  trop  tard  cette  femme 
divine,  il  l'a  vue  à  l'heure  du  crime,  dans  la  promiscuité  de  ses  autres 
victimes;  il  n'a  plus  qu'une  idée,  la  posséder  puis  la  rejeter  dans  le  tourbil- 
lon, à  jamais  perdue  et  flétrie. Le  seul  coupable  en  tout  ceh,  c'est  le  sort, 
ou,  comme  dit  Hoffmann,  le  démon.  Racheté  par  Dona  Anna,  Don 
Juan  et  elle  eussent  formé  un  couple  d'amour  à  rendre  jaloux  Lucifer 
et  les  anges.  Tel,  dans  le  Second  Faust  l'amant  de  Marguerite,  conduit 
par  elle  au-dessus  des  nuages  vers  les  régions  célestes,  obtient  sa 
rédemption  quand  la  vierge  Marie  intercède  pour  lui.  L'Éternel  Fémi- 
nin nous  attire  en  haut. 

Subjugué  par  ces  images  voluptueuses.  Hoffmann  s'endort.  «  Deux 
heures  sonnent.  Un  fluide  électrique  pénètre  en  moi.  Odeurs  suaves, 
doux  parfums  d'Italie,  qui  m'avez  révélé  la  présence  de  Dona  Anna  dans 
la  loge  où  je  l'avais  écoutée  éperdu,  j'éprouve  un  bonheur  que  seuls 
pourraient  traduire  les  sons  harmonieux  de  la  musique.  Dieu  !  il  me. 
semble  entendre  la  voix  chérie  portée  sur  les  ailes  d'un  orchestre  aérien  : 
je  l'entends,  elle  chante  :  Non  mi  dir  beïï  idol  mio.  Ouvre-toi,  contrée 
lointaine,  royaume  des  âmes,  paradis  d'amour!  Laisse- moi  pénétrer 
dans  le  cercle  de  tes  magiques  apparitions.  Puissent  les  songes  que  tu 
nous  envoies  charmer  mon  esprit  dans  les  régions  éthérées,  quand, 
ici-bas,  le  sommeil  retient  mon  corps  sous  ses  chaînes  de  plomb  !  » 

Hoffmann  a  poétisé  ainsi  ses  impressions  sur  le  chef-d'œuvre  de 
Mozart,  sans  entrer  dans  aucune  considération  historique  relativement 
à  l'origine  du  principal  personnage.  Il  ne  devait  pas  ignorer  pourtant 
que  Don  Juan,  héros  d'un  ensemble  de  légendes  espagnoles  dont  quel- 
ques-unes passent  pour  être  plus  anciennes  que  celle  de  Faust,  a  réel- 
lement existé.  Cet  homme,  véritable  incarnation  de  tous  les  vices  contre 
l'amour,  appartenait  à  une  famille  aristocratique  du  nom  de  Tenorio. 
Trois  des  membres  de  cette  famille  sont  connus  encore  aujourd'hui  :  un 
trouvère  ayant  vécu  en  Portugal,  un  archevêque,  et  un  célèbre  amiral, 
Alfonso  Infre  Tenorio,  qui  s'est  illustré  dans  la  guerre  contre  les  Maures. 

Le  plus  jeune  de  ses  fils.  Juan,  trésorier  et  favori  de  Pierre  le  Cruel 
(1350-69),  étant  devenu  le  complice  de  ce  monarque  dans  ses  orgies,  le 
peuple  lui  attribua  toutes  sortes  de  vilaines  aventures.  Il  tenta  de  séduire 
une  jeune  fille  de  Séville  appelée  Giralda  et  tua  son  père  de  sa  propre 
main.  Plus  tard,  une  statue  ayant  été  dressée  à  la  victime,  Juan  l'in- 
vita par  bravade  à  venir  partager  son  souper.  La  légende  ajoute  que  la 
statue  péuétra  dans  la  salle  du  festin  et,  s'animant  soudain,  précipita 
l'assassin  au  fond  des  enfers,  terminant  ainsi  sa  vie  dissolue  et  punis- 
sant ses  forfaits  par  un  éternel  châtiment. 

Quel  joli  conte  Hoffmann  eût  pu  faire  en  utilisant  cette  donnée  :  mais 
peut-être  alors  aurait-il  été  moins  captivé  par  la  musique  de  Mozart,  et 
c'eût  été  grand  dommage.  Amkdée  Bootaubl. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL, 

(pour  les  seuls  aboiïxés  a  la  musique) 


Sans  doute  quelques-uns  de  nos  lecteurs  abonnés  attardent  encore  leurs  vacances 
dans  les  montagnes  de  Suisse  ou  des  Pyrénées.  Il  n'est  donc  pas  trop  tard  pour  atti- 
rer leur  penséesur  la  façon  dont  Iz  mélodiste  René  Lenormand  a  entrepris  dépeindre 
musicalement  l'Aube  en  montagne  sur  une  prose  rylhmée  de  son  jeune  fils  Henri. 
Quels  philosophes  sont  déjà  à  vingt  ans  les  jeunes  hommes  d'aujourd'hui!  Il  faut 
voir  toutes  les  déductions  —  très  justes  et  très  raisonnées,  ma  loi  —  qu'on  peut  tirer 
d'un  soleil  qui  se  lève  au  loin  sur  les  monts.  Et  il  y  a  dans  la  manière  du  père 
toute  "la  sûreté  de  main  d'un  maître  musicien,  toute  la  poésie  aussi  et  toute  la  couleur 
d'un  véritable  artiste. 


268 


LE  MÉNESTREL 


UNE  FAMILLE  DE  GRANDS  LUTHIERS  ITALIENS 

LES    GUARNERIUS 


JOSEPH    GUARNERIUS    DEL    GESU 
II 

L'ART   DE   JOSEPH    GUARNERIUS   BEL   GESC 

La  forme  générale  du  violon,  virtuellement  établie  par  les  Amati, 
avait  été  portée  à  son  point  de  perfection  par  Stradivarius,  grâce  à  ses 
recherches  et  à  ses  travaux  incessants,  grâce  à  son  goût  exquis,  grâce 
à  son  style  magistral,  grâce  enfin  au  génie  de  cet  artiste  sans  égal.  Par 
lui.  le  violon,  dont  il  avait  su  faire  un  instrument  absolument  mer- 
veilleux en  ce  qui  touche  ses  qualités  proprement  musicales,  c'est-à- 
dire  la  puissance,  le  moelleux,  le  charme  et  l'incomparable  éclat  de  sa 
sonorité,  était  devenu  aussi,  en  le  considérant  au  point  de  vue  delà 
forme  extérieure,  un  véritable  objet  d'art,  dont,  sous  ce  seul  rapport,  la 
beauté  accomplie  excite  la  plus  vive  et  la  plus  sincère  admiration.  La 
ligne  exquise  des  contours,  ouduleuse  sans  mollesse  avec  ses  arêtes 
fines  et  délicates,  l'harmonie  délicieuse  des  proportions,  depuis  la  grâce 
de  la  caisse,  aux  ouïes  finement  percées,  jusqu'à  l'élégante  extrémité  de 
la  volute,  dont  la  coupe  est  si  orignale,  et  qui  s'y  trouve  reliée  par  un 
manche  plein  de  finesse,  la  transparence  lucide  du  vernis  qui  enveloppe 
le  corps  d'une  robe  aux  reflets  lumineux  et  d'une  richesse  éclatante, 
tout  fait  de  cet  instrument  un  modèle  unique  auquel  on  ne  saurait 
trouver  d'analogue.  Seule,  la  harpe  pourrait  le  disputer  avec  lui  pour 
la  grâce,  et  sans  pâlir  supporter  son  voisinage.  Mais  comparez  au  vio- 
lon n'importe  lequel  des  autres  instruments  connus,  et  dites  s'il  en 
est  un.  un  seul,  qui  puisse,  je  ne  dis  pas  rivaliser,  mais  entrer  en  pa- 
rallèle avec  lui.  La  seule  pensée  d'une  semblable  comparaison  parait 
ridicule.  Aussi,  nous  autres  violonistes,  sommes-nous  fiers  de  la  beauté 
de  ce  cher  compagnon,  de  cet  ami  de  tous  les  jours,  qui  fait  à  la  fois 
notre  joie  et  notre  orgueil  (1). 

Mais  la  perfection  atteinte  par  Stradivarius  ne  devait  pas  cependant 
décourager  ses  rivaux,  ses  émules,  ceux  surtout  qui,  comme  Joseph 
Guarnerius,  avaient  assez  d'indépendance  dansl'esprit,  montraient  assez 
d'originalité  dans  leur  travail,  pour  espérer,  en  employant  d'autres 
moyens,  sinon  égaler  l'illustre  artiste,  du  moins  l'approcher  de  bien 
près.  Il  eut  été  malheureux,  d'ailleurs,  que  fussent  perdus  les  produits 
de  tous  ces  excellents  luthiers  qui,  chacun  pour  leur  part,  contri- 
buèrent à  la  gloire  de  Crémone  :  Carlo  Bergonzi,  Guadagnini,  Lan- 
dolfi.  Montagaana,  Gobetii,  Santo  Serafino,  Storioni...  En  ce  qui  con- 
cerne Joseph  Guarnerius,  le  plus  personnel  assurément  d'entre  tous, 
l'excellent  abbé  Sibire,  l'auteur  de  ce  livre  bizarre  et  curieux  qu'il  in- 
titula la  Chélonomie  et  que  j'ai  déjà  eu  l'occasion  de  citer,  le  trouve  bien 
osé  d'avoir  prétendu  faire  autrement  que  Stradivarius1,  et  il  lui  dit  son 
fait  sans  ménagement  ;  voici  comment  ce  brave  abbé  jugeait  son 
œuvre  : 

...Ce  Joseph  Gouarnerius  (sic),  au  vernis  et  au  coloris  près,  qu'il  emprunta 
de  Stradivarius  (ce  qui  n'est  pas  tout  à  fait  exact),  fut  donc  comme  lui  vrai- 
ment original,  mais  il  n'eut  ni  la  légèreté  de  sa  main,  ni  la  fécondité  de  son 
génie  :  en  se  frayant  une  mauvaise  route,  il  dévia  du  but,  et  n'atleignit  pas 
la  vérité.  Soit  amour-propre,  soit  jalousie,  soit  plutôt  la  ridicule  ambition  du 
mieux,  comme  si  le  mieux,  qui  est  déjà  l'ennemi  du  bien,  ne  devenait  pas 
une  absurdité  du  moment  que  la  perfection  existe  ;  il  voulut  avoir  des  prin- 
cipes, une  méthode,  des  sons  qui  fussent  à  lui  et  qu'aucun  de  ses  prédécesseurs 
ne  put  revendiquer  ;  mais,  opposé  à  eux  sur  tous  les  points,  il  n'en  fut  pas 
moins  toujours  semblable  à  lui-même  et  conséquent  dans  ses  procédés.  D'abord 
il  rapetissa  le  modèle,  ce  qui  paraît  d'autant  plus  étrange  qu'il  fortifiait  ses 
épaisseurs;  il  aplatit  les  voûtes,  ce  qui  du  moins  était  mieux  raisonné  d'après 

(1)  La  forme  du  violon  est  tellement  parfaite,  en  effet,  que  le  moindre  changement,  la 
moindre  modification  dans  sa  structure  suffirait  pour  en  altérer  la  beauté,  pour  détruire 
l'harmonie  de  ses  proportions.  Il  y  a  une  vingtaine  d'années  un  ingénieur  fort  dis- 
tingué, M.  Alibert,  avait  imaginé  un  système  par  lequel  il  avait  réussi  à  maintenir 
d'une  façon  fixe  l'accord  une  fois  établi  des  quatre  cordes.  C'était  un  avantage  pré- 
cieux. M.  Alibert  me  fit  l'honneur  de  me  venir  voir  pour  m'expliquer  son  système, 
fort  ingénieux,  et  me  demander  de  l'appuyer,  si  je  l'approuvais.  Je  me  crus  obligé 
de  lui  refuser  mon  approbation,  bien  que  son  procédé  me  parût  fort  intéressant. 
«  Pourquoi  donc?  »  me  demanda-t-il  avec  un  étonnement  assez  compréhensible. 
«  Pour  cette  simple  raison,  lui  répondis-je,  que,  par  votre  système,  vous  supprimez 
les  chevilles  de  l'instrument.  Or,  les  chevilles  sont  une  des  parties  essentielles  du 
violon  au  point  de  vue  de  sa  forme  et  de  sa  beauté,  et  complètent  sa  physionomie: 
si  vous  les  enlevez,  vous  le  découronnez  en  enlevant  à  la  tête  toute  sa  grâce  et  toute 
son  élégance,  et  vous  délruisez  un  ensemble  admirable  ».  Kt  j'ai  lieu  de  croire  que 
je  n'ai  pas  été  le  seul  de  mon  avis,  car,  malgré  ses  incontestables  qualités,  le  sys- 
tème de  M.  Alibert  n'a  obtenu  aucun  succès. 


ce  surcroit  de  force.  Ses  proportions  d'ailleurs  sont  exactes,  ses  voûtes  artis- 
tement  fondues;  les  épaisseurs  des  deux  tables,  parfaitement  égales  dans  les 
centres  à  celles  de  Stradivarius,  augmentent  progressivement  jusqu'aux  extré- 
mités. Celte  combinaison,  bien  que  régulière,  n'est  pas  des  plus  heureuses. 
On  dirait  qu'il  a  pris  à  tache  de  se  garantir  des  sons  volumineux,  et  qu'il  a 
visé  à  leur  éclat  plus  qu'à  leur  embonpoint.  Si  telle  a  été  son  intention,  il  est 
sûr  qu'il  a  bien  réussi  ;  non  que  ses  violons  manquent  tout  à  fait  de  force, 
mais  un  éclat  prodigieux  est  leur  partie  principale  :  la  chanterelle  est  étince- 
lante,  la  seconde  est  au  même  niveau  pour  l'éclat  ;  la  troisième,  également 
brillante,  a  une  certaine  rondeur  ;  mais  la  quatrième  est  sèche  comme  une 
amande,  roide  dans  toute  sa  longueur,  rétive  à  chaque  ton,  principalement  au 
si  et  à  l'ut  naturels.  Elle  est  complètement  sacrifiée  aux  trois  autres.  Il  est 
tout  simple  que  cet  excès  d'épaisseur  dans  les  deux  tables,  surtout  quand  les 
modèles  sont  rétrécis,  doit  nuire  prodigieusement  aux  effets  de  l'air,  qui,  s'il 
entre  en  douceur,  tressaille  ensuite  trop  brusquement,  et  s'évapore  sans  pro- 
duire son  effet.  On  a  toujours  remarqué  que  ce  luxe  des  épaisseurs  était  la 
mort  de  la  quatrième,  comme  le  vice  opposé  est  un  de  ses  plus  redoutables 
fléaux.  Malgré  ces  défauts  de  construction,  il  a  ses  partisans,  même  ses  fana- 
tiques enthousiastes.  C'est  affaire  de  goût. 

On  voit  que,  malgré  ses  restrictions,  et  tout  en  blâmant  ce  qu'il 
appelle  l'ambition  de  Guarnerius,  l'abbé  ne  laisse  pas,  en  somme,  que 
d'accorder  à  ses  produits  de  précieuses  qualités.  Et  si  ses  critiques 
sont  un  peu  vives,  elles  avaient  peut-être  alors  leur  excuse  et  leur 
raison  d'être.  Il  faut  dire  qu'à  l'époque  où,  aidé  des  conseils  et  des  notes 
de  son  ami,  notre  excellent  luthier  Nicolas  Lupot,  l'abbé  publiait  son 
livre  (1806),  les  violons  de  Guarnerius,  encore  peu  connus  en  France, 
et  seulement  par  d'assez  rares  échantillons,  ne  l'étaient  peut-être  que 
par  les  moins  brillants  d'entre  eux  (on  a  vu  combien  le  grand  artiste  fut, 
par  différentes  causes,  inégal  dans  sa  production).  Depuis  lors,  et  à 
mesure  qu'ils  pénétraient  chez  nous,  on  a  pu  les  mieux  connaître  en 
leur  ensemble,  se  familiariser  avec  eux,  on  les  a  étudiés  avec  soin,  et 
de  cette  étude  est  résultée  la  très  grande  estime,  on  peut  dire  l'admira- 
tion, très  raisonnée,  très  justifiée,  qu'inspirent  les  instruments  superbes 
sortis,  aux  belles  époques  de  sa  carrière,  des  mains  de  ce  maître  ou- 
vrier. Une  connaissance  encore  incomplète  peut  donc  expliquer  les 
réserves  de  l'abbe  Sibire  à  son  égard .  On  ne  saurait  plus  maintenant 
être  aussi  sévère  envers  lui,  et  tout  en  tenant  compte  de  l'infériorité 
relative  de  certains  de  ses  violons  (qui,  tous,  néanmoins,  révèlent  son 
incontestable  talent),  on  peut  se  livrer  à  l'enthousiasme  qu'excite  l'ex- 
cellence de  ceux  qui  témoignent  avec  éclat  de  ses  plus  nobles  qualités. 

Cette  connaissance  incomplète  qu'on  avait  des  produits  si  divers  de 
Guarnerius  est  indiquée  par  Hart,  qui  écrivait  ceci  dans  son  livre  sui- 
te Violon,  dont  la  première  édition  anglaise  est  de  187o  : 

La  différence  marquée  qui  caractérise  les  œuvres  des  trois  époques  de  Guar- 
nerius a  fait  commettre  de  nombreuses  erreurs.  Il  y  a  trente  ans  on  ne  possé- 
dait qu'une  connaissance  bien  limitée  sur  ce  sujet,  et  les  connaisseurs  auraient 
affirmé  alors  qu'il  était  impossible  que  ces  différents  styles  appartinssent  à  un 
seul  artiste.  Les  nombreuses  occasions  qu'on  a  eues  depuis  de  comparer  les 
instruments  des  diverses  époques  de  Guarnerius  ont  détruit  tous  les  doutes. 
Ces  instruments  n'ont  plus  besoin  de  dates  ou  d'étiquettes;  on  les  distingue  et 
on  les  classe  facilement,  comme  les  ouvrages  d'Amati  ou  de  Stradivarius. 

Ce  n'est  donc  que  depuis  soixante  ans  environ  qu'on  a  pu  juger  et 
apprécier  sainement  l'œuvre  de  Guarnerius  dans  son  ensemble  en  rai- 
son de  son  étonnante  inégalité,  ce  qui  n'empêchait  pas,  bien  entendu, 
l'admiration  pour  les  plus  beaux  de  ses  produits. 

Il  faut  d'ailleur9  toujours  en  revenir,  en  ce  qui  touche  ce  grand  ar- 
tiste, à  cette  inégalité  qui  le  caractérise  et  qui  s'oppose  à  ce  qu'on  puisse 
lui  faire  partager  absolument  la  première  place  avec  Stradivarius,  bien 
que  certains  de  ses  instruments  ne  soient  pas  inférieurs  à  ceux  du 
maître  des  maîtres.  C'est  encore  Hart  qui  expose  les  faits  sous  ce 
rapport  : 

On  peut  affirmer  que  les  maîtres  les  plus  fameux  n'ont  brillé  d'un  si  grand 
lustre  dans  les  arts  que  parce  que  leur  position  favorisait  leurs  nobles  travaux, 
acceptant  pour  acquis  qu'il  n'est  pas  d'une  nécessité  absolue  pour  les  hommes 
hautement  doués  de  posséder  celte  énergie  de  volonté  tout  exceptionnelle,  à 
moins  qu'elle  ne  soit  imposée  par  les  circonstances.  Il  ne  faut  pas  aller  bien 
loin  pour  trouver  les  preuves  de  la  bienfaisante  influence  exercée  sur  l'art  par 
une  position  prospère,  comparée  surtout  aux  productions  des  temps  difficiles. 
Citons,  entre  autres  exemples  bien  connus,  celui  de  Joseph  Guarneri  del  Gesù. 
Comme  cette  inquiétude  d'esprit  est  visiblement  empreinte  sur  les  violons  fa- 
briqués par  cet  homme  célèbre  pendant  le  temps  qu'il  passa  en  prison!  La 
main  du  maître  est  certainement  gravée  d'une  manière  indélébile  sur  tous  ses 
ouvrages,  et  l'adversité  a  été  impuissante  à  en  effacer  la  trace  ;  cependant 
l'œil  du  connaisseur  découvre  à  l'instant,  dans  tous  les  instruments  de  cette 
période,  l'absence  de  ce  fini  caractéristique  et  d'autres  défauts  encore,  consé- 
quence naturelle  des  circonstances  au  milieu  desquelles  ils  ont  été  fabriqués. 
Il  est  facile  de  reconnaître  dans  tous  les  spécimens  de  cette  époque  les  stig- 
mates des   moments  critiques,  lorsque,  au  contraire,   les   instruments  d'une 


LE  MÉNESTREL 


269 


autre  date  sont  d'un  travail  admirable  et  rivalisent  tous  en  perfection.  Les 
courbes  sont  exécutées  avec  une  délicatesse  et  une  grâce  infinies,  les  coins  sont 
étudiés  et  soignés  au  delà  de  toute  expression.  Il  est  impossible  d'assigner  à 
des  difficultés  si  notables  dans  la  main-d'œuvre  une  autre  cause  que  les  préoc- 
cupations d'un  esprit  troublé. 

(A  suivre.)  Arthur  Pokgin. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  Correspondant  de  Belgique  (19  août).  —  Le  jury  chargé  de  juger 
le  concours  d'œuvres  dramatiques  et  lyriques  organisé  par  Ostende-Centre 
d'art  et  composé,  comme  vous  le  savez,  de  MM.  Jan  Blockx,  Tinel,  Sylvain 
Dupuis,  Emile  Mathieu,  Kufl'erath,  Guidé,  Rinskoplï  et  Edmond  Picard,  a 
rendu  son  arrêt.  Il  décide  qu'il  y  a  lieu  de  n'accorder  aucun  des  trois  prix  de 
25.000,  15.000  et  10.000  francs  institués  par  M.  Marquet.  Les  motifs  de  ce  ju- 
gement sont  clairement  énumérés  dans  le  rapport  :  «  Considérant,  dit  celui-ci, 
que,  dans  la  pensée  du  fondateur  et  vu  l'importance  du  prix,  il  fallait,  pour 
attribuer  ceux-ci,  des  œuvres  lyriques  révélant  une  valeur  incontestablement 
supérieure  au  triple  point  de  vue  de  la  musique,  du  livret  et  des  nécessités 
scéniques;  —  considérant  que,  malgré  le  talent  que  les  auteurs  ont  manifesté 
dans  plusieurs  de  celles  soumises  au  jury,  aucune  d'elles  ne  réunit  ces  condi- 
tions, ce  qui  semble  pouvoir  être  attribué,  notamment,  au  trop  court  délai 
fixé  pour  leur  composition,  etc.  »  Le  délai  fixé  élait,  en  effet,  de  dix-huit  mois  : 
c'est  peu  pour  écrire  un  poème  et  une  partition  d'opéra.  Aussi  la  plupart  des 
œuvres  écrites  expressément  pour  le  concours  révélaient-elles  une  hâte  regret- 
table, et,  par  suite,  une  inégalité  flagrante.  Il  faut  ajouter  cependant  que  le 
plus  grand  nombre  des  œuvres  soumises  au  jury  étaient  déjà,  en  tout  ou  en 
partie,  composées  quand  le  concours  a  été  institué.  D'où  une  invasion  d'ours, 
plus  ou  moins  bien  léchés,  qui  ont  donné  au  jury  fort  à  faire.  Celui-ci  n'a  pas 
eu  à  examiner  moins  de  27  ouvrages.  Dans  le  tas,  il  s'est  trouvé,  je  me 
hâte  de  le  dire,  quelques  travaux  vraiment  dignes  d'attention,  et  même  remar- 
quables, notamment  l'Ile  Vitrge,  quatre  actes  de  M.  Léon  Du  Bois,  que  la 
Monnaie  se  disposait  à  monter  lorsque  le  compositeur  eut  la  dangereuse  idée 
de  la  retirer  pour  l'envoyer  au  concours  d'Ostende,  le  Rajnaert  de  Vos,  de 
M.  Auguste  de  Boeck,  auteur  d'un  drame  lyrique,  le  Conte  d'une  nuit  d'hiver 
joué  l'an  dernier  avec  grand  succès  au  Théâtre-Lyrique  flamand  d'Anvers,  et 
Fidélonie,  trois  actes  de  M.  Albert  Dupuis,  dont  vous  n'avez  pas  oublié  le 
brillant  début  à  la  Monnaie,  il  y  a  quelques  années.  Les  indiscrétions  avaient 
appris  aux  curieux,  avant  le  jugement,  que  ces  trois  ouvrages  tenaient  la 
corde  et  avaient  beaucoup  de  chance  d'être  couronnés,  le  premier  surtout. 
Malheureusement,  aucun  d'eux,  malgré  leurs  réels  mérites,  n'a  paru 
réunir  à  un  liire  suffisant  les  conditions  exigées.  Je  ne  sais  si,  pour 
Reynaerl  de  Vos  et  pour  Fidélonie,  c'est  la  musique  ou  le  livret  qui  ont  été 
jugés  insuffisants  ;  mais  ce  que  je  puis  assurer,  c'est  que,  en  ce  qui  concerne 
l'Ile  Vierge,  si  la  partition  de  M.  Léon  Du  Bois,  dont  j'ai  pu  apprécier 
la  noblesse  d'inspiration  et  la  forme  admirable,  avait  été  seule  en  cause, 
elle  eût  triomphé  sans  difficulté  et  remporté  la  première  récompense. 
Le  poème,  imité  d'un  roman  préhistorico-symbolique  de  M.  Camille  Lemon- 
nier,  a  fait  obstacle  à  ce  couronnement  d'une  œuvre  qu'on  eût  souhaité  aussi 
belle,  au  point  de  vue  scénique  et  dramatique  que  musicalement.  Il  a  semblé 
au  jury  sévère  que  sa  réalisation  au  théâtre  serait  loin  de  répondre  au  but 
des  auteurs,  au  vœu  du  concours  et  au  désir  du  public...  C'est  dommage.  La 
faiblesse  des  poèmes  a  été,  du  reste,  la  caractéristique  de  ce  concours;  elle  a 
consterné  les  juges  et  révélé,  chez  nos  jeunes  compositeurs,  de  singulières 
dispositions  esthétiques.  A  cet  égard,  il  faut  espérer  que  la  rigueur  du  jury 
d'Ostende  aura  dissipé  bien  des  illusions  et  ouvert  les  yeux  des  musiciens 
qui  aspirent  à  la  gloire  du  théâtre  sur  l'importance,  trop  souvent  méconnue, 
du  poème  dans  la  composition  d'une  œuvre  lyrique. 

Pour  consoler  et  réconforter  les  concurrents  malheureux,  le  jury  a  cru  bien 
faire  d'attribuer  aux  plus  méritants  des  «  primes  d'encouragement  ».  qui  les 
aideront  du  moins  à  supporter  les  frais  de  leur  travail.  A  MM.  Du  Bois  et 
Dupuis,  il  a  accordé  des  primes  de  7.500  francs  ;  à  MM.  De  Boeck  et  Pàque 
(auteurs  d'un  opéra  en  quatre  actes,  Va'ima)  des  primes  de  2.000  francs  ;  à 
MM.  Moulaert  et  Lagye  des  primes  de  500  francs.  Puis,  il  a  décidé  de  tenter 
encore  l'épreuve  :  un  nouveau  concours  est  ouvert,  avec  les  prix  qui  avaient 
été  promis  pour  le  premier,  et  sera  jugé  en  1910.  Les  concurrents  auront 
donc  deux  ans  pour  élaborer  un  chef-d'œuvre.  Il  faut  croire  que,  cette  fois,  ils 
n'y  manqueront  pas. 

La  Belgique  a  célébré,  le  même  jour,  dimanche  dernier,  deux  centenaires  : 
à  Anvers,  on  a  fêté  le  centenaire  de  la  naissance  d'Albert  Grisai-  ;  à  Liège, 
celui  de  la  mort  de  Grétry...  Vous  me  direz  sans  doute  que  Grisar  est  né  le 
26  décembre  1808  et  que  Grétry  est  mort  le  24  septembre  1813...  Il  s'en  faut 
donc  de  quatre  mois  que  Grisar  ait  atteint  les  conditions  voulues  pour  mériter 
son  jubilé  et  de  cinq  ans  pour  que  Grétry  puisse  justifier  le  sien  !  Mais,  à 
notre  époque  d'électricité,  il  faut  aller  vite  ;  les  Anversois  se  seront  dit  qu'en 
décembre,  il  fait  froid,  et  qu'il  valait  mieux  avancer  de  quelques  semaines  une 
fête  que  le  soleil  honorerait  sans  doute  de  sa  présence  ;  et  quant  aux  Liégeois, 
vous  n'êtes  pas  sans  savoir  que  ce  sont  des  gens  pleins  de  vivacité  ;  pour  se  ré- 


jouir, ils  n'y  regardent  pas  à  quelques  années  près.  El  puis,  les  morts  ne  récla- 
meront pas  ;  c'est  le  principal.  Donc,  à  Anvers,  on  a  organisé  un  grand  concours 
de  chant  d'ensemble,  où  l'on  n'a  pas  chanté  une  note  de  Grisar.  A  Liège,  il  y 
a  eu  un  grand  cortège  historique  :  un  a  joué  le  soir  au  théâtre  Riclmrd  Cœur 
de  lAon  (dans  la  version  d'Adolphe  Adam),  avec  trompettes  et  fanfares,  ce  qui 
était  infiniment  plus  d'accord  avec  la  solennité  de  l'affaire,  sinon  très  respec- 
tueux de  la  mémoire  du  maître  :  tout  cela  a  obtenu  un  très  gros  succès;  enfin, 
le  29  do  ce  mois,  on  entendra  une  cantate  de  M.  Charles  Radoux,  exécutée  par 
toutes  les  Sociétés  chorales  de  la  province.  En  somme,  comme  vous  voyez,  la 
Belgique  n'oublie  pas  ses  enfants  illustres,  et  ne  se  fait  pas  tirer  l'oreille  pour 
leur  prouver  sa  reconnaissance.  L.  S. 

—  L'Opéra-Royal  de  Berlin  annonce  pour  la  première  moitié  de  la  saison 
théâtrale  1908-0!)  les  reprises  suivantes  :  Sardanapal,  ballet  ancien  compor- 
tant une  pantomime  nouvelle  et  une  mise  en  scène  entièrement  renouvelée: 
les  Noces  de  Figaro,  joué  pour  la  cinq-centième  fois,  avec  adjonction  des  réci- 
tatifs originaux;  la  Eabaneru.  drame  lyrique  en  trois  actes,  de  M.  Raoul 
Laparra;  Iphigénie  en  Aulide,  de  Gluck;  Joseph,  de  Méhul;  le  Conte  d'hiver,  de 
M.  Cari  Goldmark:  enfin  l'opéra-comique  de  M.  Léo  Blcch,  Versiegelt.  La 
saison  s'ouvrira  le  1er  septembre  avec  le  ballet  de  Sardanapal. 

—  On  parle  beaucoup  à  Berlin  en  ce  moment  de  la  fondation  de  nouveaux 
théâtres  d'opéra.  Il  y  a  d'abord  le  projet  de  construction  d'un  nouvel  Opéra- 
Royal  sur  le  terrain  occupé  actuellement  par  la  salle  Kroll.  Les  plans  viennent 
d'en  être  terminés  et  l'on  évalue  la  dépense  à  une  somme  ronde  d'une  vingtaine 
de  millions.  Les  députés  du  landtag  prussien  auraient  à  voter  là-dessus  un 
crédit  de  9  millions  et  la  ville  de  Berlin  prendrait  le  reste  à  sa  charge.  Une 
entreprise,  qui  n'a  pas,  comme  la  précédente,  un  caractère  officiel,  se  poursuit 
grâce  à  l'initiative  du  directeur  du  nouveau  théâtre  d'opérette,  M.Victor  Palfi. 
Il  a  fait  connaître  ses  projets  en  ces  termes  :  «  Le  1er  septembre  1910  aura  lieu 
l'inauguration  de  mon  nouveau  théâtre  d'opéra;  les  plans  en  ont  été  dressés 
par  l'architecte  du  Hebbel-Theater,  M.  Oscar  Kaufmann.  L'emplacement,  dans 
la  Postdamerstrasse,  à  côté  du  jardin  botanique,  m'a  été  concédé  par  une  ban- 
que hypothécaire  de  Berlin.  Les  frais  de  construction  de  la  salle  seront  de 
trois  millions  et  demi  environ.  Le  théâtre  sera  la  propriété  d'une  Société  par 
actions.  Les  places  les  plus  chères  seront  taxées  à  5  francs;  les  meilleur  mar- 
ché à  1  fr.  25  centimes.  Par  abonnement,  les  fauteuils  et  loges  ae  premier  rang 
coûteront  2  fr.  50  centimes.  Des  négociations  pour  engagements  d'artistes  ont 
déjà  été  entamées;  les  appointements  seront  établis  pour  les  principaux  chan- 
teurs, dans  la  limite  de  35.000  à  75.000  francs.  » 

—  Il  a  été  aussi  question,  à  Berlin,  d'un  grand  théâtre  d'opéra,  qui  ouvri- 
rait ses  portes  en  1913  et  jouerait  les  opéras  de  Wagner,  précisément  à  l'épo- 
que où  leur  représentation,  y  compris  celle  de  Parsifal,  deviendrait  libre,  la 
loi  sur  la  propriété  littéraire  ne  les  protégeant  plus.  Nous  ne  savons  si  ce  pro- 
jet a  encore  des  chances  de  réalisation.  Plusieurs  l'ont  considéré  comme 
abandonné.  Resterait  l'Opéra  américain  que  M. Conried  devait  fonder,  disait-on, 
avec  l'appui  de  capitalistes  d'outre-mer  ;  mais  l'ancien  directeur  du  Metropo- 
litan-Opera,  de  New-York,  qui  fait  une  cure  en  ce  moment  dans  le  Tyrol. 
dément  catégoriquement  les  intentions  qui  lui  ont  été  prêtées  à  ce  sujet. 

—  Au  sujet  du  ballet  assyrien  de  Sardanapal,  dont  nous  avons  déjà  parlé, 
la  direction  de  l'Opéra-Royal  de  Berlin  vient  de  publier  quelques  renseigne- 
ments intéressants.  Nous  en  extrayons  ce  qui  suit  :  i<  Sardanapal,  ballet  de 
Paul  Taglioni,  musique  de  Hertel,  qui  fut  joué  pour  la  première  fois  le 
24  avril  1865,  va  être  prochainement  remis  au  répertoire  avec  adjonction 
d'une  grande  pantomime  historique  au  deuxième  acte.  Cette  pantomime  re- 
produira sous  une  forme  dramatique  1  événement  qui  entraina  l'effondrement 
tragique  de  l'empire  assyrien,  dont  le  dernier  roi,  Assurbanipal  ou  Sardanapal, 
apparaîtra  au  premier  plan  comme  personnage  principal.  Conformément  aux 
intentions  de  l'empereur,  qui  a  désiré  que  la  mise  en  scène  de  l'ouvrage  fût 
établie  en  tenant  compte  des  découvertes  les  plus  récentes,  on  a  tiré  parti  des 
motifs  d'ornementation  de  toute  nature  exhumés  pendant  les  fouilles  dont  la 
France,  l'Allemagne  et  l'Angleterre  ont  pris  l'initiative.  Les  produits  de  l'art 
assyrien,  rendus  à  la  lumière  et  les  inscriptions  que  l'on  sait  déchiffrer  au- 
jourd'hui, ont  fourni  des  éléments  que  le  professeur  Frédéric  Delilzsch,  l'assy- 
riologuebien  connu,  a  très  habilement  mis  en  œuvre.  Tout  ce  qui  concerne 
les  costumes,  les  armes,  les  parures,  les  instruments  de  musique,  les  meu- 
bles ou  ustensiles  d'intérieur  a  été  reconstitué  avec  le  plus  grand  soin.  La 
partie  chorégraphique  proprement  dite  aura  un  coloris  oriental  très  juste  et 
très  intense.  Le  peintre  décorateur,  M.  Kautsky,  a  travaillé  d'après  des 
esquisses  que  lui  a  fournies  M.  W.  Andrae,  le  directeur  des  fouilles  alle- 
mandes sur  l'emplacement  d'Assur,  la  plus  ancienne  capitale  de  l'Assyrie.  Les 
morceaux  de  musique  mélodramatique,  afférents  à  la  pantomime,  ont  été 
composés  par  M.  Schlar  ;  il  a  utilisé  pour  son  travail  des  motifs  arabes  et 
quelques  fragments  empruntés  à  la  partition  de  Hertel.  L'auteur  des  paroles 
dialoguées  et  des  poésies,  qui  interviennent  entre  les  différents  tableaux  cho- 
régraphiques, est  M.  Joseph  Lauff  »,  M.  Frédéric  Delitzsch.  dont  il  question 
plus  haut,  est  l'auteur  de  quatre  opuscules  dont  trois  portent  pour  titre  :  Babel 
und  Bibel  (Babel  et  la  Bible),  et  le  quatrième  Au  ])ays  de  l'ancien  />aradis.  Ces 
opuscules,  ornés  d'intéressantes  reproductions  de  bas-reliefs  assyriens,  ont 
donné  lieu  à  de  vives  polémiques,  auxquelles  l'empereur  Guillaume  a  pris  part 
d'une  façon  détournée,  par  une  lettre  qu'il  écrivit  à  l'amiral  Hollmann  le 
15  février  1903,  et  qui  a  été  publiée. 

—  Un  congrès  international  a  réuni  au  commencement  de  ce  mois  à  Berlin 


270 


LE  MÉNESTREL 


des  maîtres  de  ballet  venus  de  différents  pays  au  nombre  de  trente-six.  Ils  ont 
recherché  les  moyens  de  fermer  l'accès  de  leur  profession  à  tous  les  gens  de 
moralité  douteuse  et  ont  nommé  une  commission  chargée  de  fixer  les  règles 
de  certaines  danses  qui  sont  en  honneur  à  peu  près  partout. 

—  Au  mois  de  juillet  dernier,  un  monument  a  été  érigé  sur  la  tombe  de 
Pauline  Lucca,  au  cimetière  municipal  de  Baden,  près  de  Vienne,  où  les 
restes  du  corps  incinéré  de  la  cantatrice  ont  été  déposés  au  mois  de  mars  de 
cette  année.  L'inscription  ne  mentionne  pas  les  date  et  lieu  de  naissance 
(25  ami  1841,  Vienne)  ;  elle  porte  simplement  ces  mots  :  «  Ci-gît  Pauline  von 
"Wallhofen,  morte  le  28  février  1908.  »  On  sait  que  la  grande  artiste  a  établi 
sa  réputation  à  l'Opéra  de  Berlin,  où  elle  chanta  plusieurs  œuvres  françaises, 
et  a  créé,  en  décembre  1868,  le  rôle  principal  dans  la  Mignon  d'Ambroise  Tho- 
mas, qui  a  dépassé  aujourd'hui  à  ce  théâtre  sa  deux-cent-cinquantième  repré- 
sentation. Après  avoir  passé  plus  de  dix  anDées  à  Berlin,  Pauline  Lucca  quitta 
tout  à  coup  l'Opéra-Royal,  à  la  suite  des  agissements  d'une  cabale  hostile  qui 
s'était  formée  contre  elle,  et  dont  le  but  était  de  la  remplacer  dans  la  faveur 
du  public,  par  une  rivale  douée  d'ailleurs  d'un  véritable  talent.  Mathilde  Mal- 
linger.  Pauline  Lucca  rompit  son  engagement  avec  l'intendance,  passa  en 
Angleterre,  et  écrivit  la  lettre  suivante  au  rédacteur  du  Bertiner  Fremdenblatt  : 

Liverpool,  31  août  1872. 

Quand  vous  recevrez  ces  lignes,  je  serai  déjà  de  l'autre  côté  de  la  mer,  mais  je  ne 
puis  quitter  une  ville  qui  est  à  tel  point  devenue  ma  patrie  que  j'en  ai  oublié  mon 
pays  d'origine,  sans  expliquer  les  raisons  de  mon  départ  au' public  qui  m'a  toujours 
bien  accueillie  et  m'a  comblée  de  marques  de  bonté.  Je  ne  puis  supporter  la  pensée, 
que  l'on  m'attribue,  d'avoir  quitté  Berlin  pour  une  question  d'argenl.  Tout  homme 
impartial  conviendra  que,  si  tel  avait  été  mon  mobile,  je  n'aurais  pas  attendu 
dis  années  pour  partir.  Je  vous  aiïîrme  solennellement,  que  tous  les  trésors  des  Indes 
n'auraient  pas  sutli  à  me  détacher  d'une  ville  que  j'allectionne  tellement,  mais  il  m'a 
été  impossible  de  m'exposer  de  nouveau  à  des  affronts  comme  j'en  ai  subi  l'hiver 
passé  de  la  part  d'une  certaine  coterie,  sans  risquer  de  voir  ma  réputation  en  subir 
quelque  atteinte.  Que  l'on  mette  à  côté  de  moi  telle  rivale  que  l'on  voudra,  je  ne 
craindrai  jamais  de  lutter  avec  les  moyens  que  m'a  attribués  la  uature  ;  mais,  me 
tenant  éloignée  de  toute  intrigue  et  ne  voulant  offenser  personne,  je  ne  saurais 
accepter  l'attitude  combative  qui  m'est  imposée,  et  cela  d'autant  moins  que  je  ne  suis 
consciente  d'aucun  manque  d'égards  vis-à-vis  du  public.  J'ai  fait  tous  mes  efforts 
pour  obtenir  la  résiliation  de  mon  contrat  ;  elle  m'a  été  refusée  et  cela  me  désole, 
car  à  présent  Berlin  sera  fermé  pour  moi.  Quoi  qu'il  en  soit,  rien  ne  saurait  modi  • 
fier  ma  résolution.  Mon  honneur  d'artiste  a  été  trop  profondément  blessé  et  la  coterie 
ennemie  s'est  montrée  trop  reu  délicate  dans  les  moyens  qu'elle  a  employés  contre 
moi.  Je  ne  m'exposerai  pas  une  seconde  fois  à  des  insultes  dont  nul  ne  saurait  me 
préserver.  Je  vous  prie  sincèrement,  Monsieur  le  Rédacteur,  de  transmettre  à  mes 
chers  Berlinois  mes  remerciments  les  plus  émus  et  les  plus  cordiaux  pour  toute 
Faffection  et  la  bonté  qu'ils  m'ont  témoignées  et  de  leur  faire  m?s  adieux.  Nous  ne 
pourrons  jamais  oublier,  mais  nous  pouvons  dire  :  «  C'était  si  beau  et  cela  dut  finir 
pourtant.  »  Adieu.  Pauline  Lucca. 

Ces  dernières  paroles  sont  celles  d'un  lied  qu'aimait  à  chanter  Pau- 
line Lucca. 

—  Harpagon  aurait-il  des  petits- 51s  parmi  les  ténors  de  l'Allemagne  ?  Voici 
nne  annonce  qui  a  été  insérée  dans  un  journal  de  Dresde  :  «  Me  trouvant 
malheureusement  dans  une  situation  de  fortune  trop  modeste  pour  pouvoir 
payer  les  impôts  exorbitants  que  me  réclame  la  ville  de  Dresde,  je  cherche. 
pour  le  1er  octobre,  un  bel  appartement  moderne  comportant  quatre  chambres, 
salle  de  bains,  etc..  dans  un  endroit  situé  endehorsde  la  circonscription  fiscale 
de  Dresde.  Écrire  au  chanteur  de  la  chambre  royale  Charles  Burrian.  »  H  est 
permis  de  n'avoir  pas  une  sympathie  bien  prononcée  pour  les  institutions  du 
fisc  et  de  suspecter  même  parfois  l'équité  de  ses  répartitions  :  mais  ici,  le 
plaignant  est  un  ténor  célèbre  qui  gagne  plus  de  cent  vingt  mille  francs  par 
an  ;  l'on  ne  saurait  vraiment  s'apitoyer  sur  son  sort,  et,  s'il  y  a  des  rieurs 
quelque  part,  ils  seront  sûrement  contre  lui. 

—  Voici  les  programmes  des  concerts  que  donnera  en  1908-1909  l'Académie 
musicale  de  Munich,  sous  la  direction  de  M.  Félix  Mottl  :  13  novembre  : 
Concerto  brandebourgeois  de  Bach:  Shéhérazade,  de  Rimsky-Korsakow;  Sym- 
phonie en  ut  mineur,  de  Beethoven;  27  novembre  :  Ouverture  d'Anacrcon,  de 
Cherubini;  Husitska,  de  Dvorak;  Symphonie  n"6,  de  Bruckner;  11  décembre, 
séance  consacrée  à  Berlioz  :  Ouverture  du  Corsaire;  Cléopdtre,  cantate",  Marche 
funèbre  pour  la  dernière  scène  d'Hamtet;  Symplionie  funèbre  et  triomphale: 
S  décembre  :  Ouverture,  de  Boebe;  Chants  de  la  cloche,  de  Schillings;  Sym- 
phonie héroïque,  de  Beethoven;  8  janvier  :  Symphonie  de  Haydn;  Prélude  à 
raprès-midi  d'un  faune,  de  Debussy;  V Apprenti  sorcier,  de  Dukas:  Symphonie 
n"  2,  de  Beethoven;  26  février  :  Symphonie  en  la  de  Mendelssohn;  Concerto 
pour  piano,  de  Delius;  Episodes  du  Faust  de  Lenau,  de  Liszt;  10  mars  :  Sym- 
phonie en  si  bémol,  de  Mozart:  Ouverture  tragique,  de  Brahms;  Souvenirs  d'Ita- 
lie,  de  Richard  Strauss  ;  26  mars  :  Concerto  pour  instruments  à  cordes,  de 
Haendel;  Variations  sur  un  thème  jovial,  de  Max  Reger;  Symphonie  n°  8,  de 
Beethoven.  Deux  auditions  supplémentaires  auront  lieu  le  jour  de  la  Toussaint 
et  le  dimanche  des  Rameaux.  Les  deux  ouvrages  exécutés  seront  la  Damnation 
de  Faust,  de  Berlioz,  et  les  Saisons,  de  Haydn. 

—  Il  y  a  quelques  jours,  le  ténor  Ernest  Krauss  était  en  excursion  près  de 
Munich,  dans  les  forêts  voisines  du  lac  de  Wûrth,  ne  songeant  guère  à  Tristan 
et  Isoldc  et  encore  moins  au  théâtre  du  Prince-Régent.  Bientôt  il  vit  arriver 
de  loin  une  automobile  lancée  à  toute  vitesse;  elle  s'arrêta;  un  homme  en 
descendit  avec  les  allures  mystérieuses  d'un  policeman  de  l'école  de  Sherlock 
Holmes.  Le  dialogue  suivant  s'engagea  :  «  Est-ce  bien  à  monsieur  Krauss, 
chanteur  de  la  Chambre,  que  j'ai  l'honneur  de  parler?  —  Parfaitement,  c'est  à 


/ui-méme.  —  Dieu  soit  loué,  j'ai  pu  enfin  vous  rencontrer.  Le  théâtre  de  la 
Cour,  à  Munich,  est  dans  le  plus  grand  embarras.  Le  ténor.  M.  Knote.  nous 
a  déclaré  aujourd'hui,  à  dix  heures  et  demie,  qu'il  ne  pourrait  chanter  ce  soû- 
le rôle  de  Tristan.  Nous  allons  être  obligés,  ou  bien  d'essayer  de  donner  les 
Maîtres-Chanteurs,  ou  bien  de  rendre  une  recette  de  22.000  francs:  je  vous  en 
prie,  venez-nous  en  aide  et  consentez  à  jouer  le  rôle  de  Tristan.  —  Mon  cher 
ami,  il  est  déjà  beaucoup  plus  de  midi.  Nous  sommes  dans  les  forêts  autour 
du  Wôrthsee,  et  il  faudrait,  sans  répétition,  qu'à  quatre  heures  je  pusse 
affronter  le  public  dans  Tristan  et  Isolée;  ab!  non!  Cela  ne  va  pas.  —Vous 
verrez  que  cela  marchera,  laissez-moi  vous  emmener  seulement.  »  Et,  de  fait, 
cela  marcha;  très  brillamment  même,  paraît-il.  Jamais  M.  Krauss  ne  s'était 
senti  mieux  en  voix;  il  chanta  d'admirable  manière,  fut  couvert  d'applaudis- 
sements, et  le  public,  non  sans  une  pointe  d'ironie,  fit  remarquer  que  l'admi- 
nistration du  théâtre  ne  ferait  pas  mal  d'aller  chercher  tous  ses  ténors  dans 
les  forêts,  aux  alentours  des  lacs,  afin  d'augmenter  par  là  si  c'est  possible  la 
fraîcheur  de  leur  voix. 

—  On  se  propose  de  construire  à  Vienne  un  théâtre  populaire  de  drame,  sur 
le  modèle  du  Schiller-Theater  de  Berlin.  Il  s'élèverait  dans  les  dépendances  du 
Mathildenplatz,  contiendrait  deux  mille  personnes,  et  serait  inauguré  pendant 
l'automne  1909. 

—  De  Borne.  Un  violent  incendie  a  presque  entièrement  détruit  la  maison 
habitée  jadis  par  Rossini,  celle  même  où  il  écrivit  le  Barbier  de  Svville. 

—  Au  théâtre  Giglio  de  Lucques,  on  annonce,  pour  le  5  septembre  prochain, 
la  première  représentation  de  Xora,  comédie  lyrique  nouvelle  du  maestro 
Gaetano  Luporini.  auteur  des  deux  opéras,  le  Collier  de  Pâques  et  Dépits  d'amou- 
reux. 

—  Une  nouvelle  entreprise  théâtrale,  quivient  de  se  former  à  Fiume, promet 
de  représenter  en  trois  années  les  œuvres  suivantes:  Hérodiade,  Werther, Manon, 
Carmen,  Samson  et  Dalila,  la  Damnation  de  Faust,  Gioconda.  la  Favorite,  les  Noces 
istriennes  d'Antonio  Smareglia.  Wally  d'Alfredo  Catalani,  Aida,  Norma,  etc.,  etc. 

—  La  Symphonie  en  ut  mineur  sifflée.  Au  commencement  du  mois  d'août, 
pendant  un  concert  municipal  donné  sur  la  place  Golonna  de  Rome,  deux  cou- 
rants se  sont  manifestés  pour  et  contre  la  musique  allemande.  Plusieurs  audi- 
teurs crièrent, bis  après  l'exécution  de  laSymphonie  en  ut  mineur  de  Beethoven, 
tandis  que  d'autres  commençaient  à  siffler  avec  acharnement.  Il  fallut  l'inter- 
vention des  gendarmes  pour  empêcher  les  adversaires  d'en  venir  aux  mains. 

—  De  Genève.  Un  concert  a  été  donné  dimanche  dernier,  à  Genève,  par  la 
musique  du  Ier  régiment  du  génie  français.  Il  y  avait  8.000  auditeurs.  La 
musique  a  joué  l'Hymne  suisse  et  la  Marseillaise  aux  acclamations   de  la  fouie. 

—  Le  compositeur  Jacques  Blumenthal,  qui  mourut  le  17  mai  à  Londres, 
et  dont  les  mélodies  ont  été  beaucoup  chantées  en  Angleterre,  a  constitué 
par  testament  les  fondations  suivantes  :  deux  places  d'élèves  à  l'Incorporated 
Society  de  l'Académie  Royale  de  Musique,  50.000  francs,  une  place  complète 
d'élève  au  Collège  Royal  de  Musique,  75.000  francs.  Il  a  légué  en  outre  : 
50.000  francs  à  la  Société  royale  des  musiciens  pour  œuvres  de  bienfaisance: 
12.300  francs  à  la  Société  des  musiciens  britanniques  et  étrangers,  pour  le 
fonds  des  veuves  et  des  orphelins  ;  enfin  12.500  francs  au  Royal  Collège  nor- 
mal et  à  l'Académie  de  musique  de  Norwood. 

—  La  fille  du  célèbre  humoriste  américain  Mark  Twain,  miss  Clara  Cle- 
mens,  a  fait  dernièrement  ses  débuts  comme  chanteuse  au  Bechstein-Hall  de 
Londres  ;  elle  a  été  très  applaudie. 

—  Nous  lisons  dans  la  Musical  A  merica  :  La  récente  visite  de  M.  Giulio 
Gatti-Casazza.  à  Paris,  est  expliquée  par  l'annonce  qui  a  été  faite  que  plusieurs 
contrats  viennent  d'être  conclus,  par  lesquels  est  assuré  au  Théâtre-Métropo- 
litain un  répertoire  d'œuvres  françaises  modernes  pour  plusieurs  saisons  à 
venir.  Il  s'agit  des  chefs-d'œuvre  de  Massenet,  Manon  et  Werther,  d'autres 
ouvrages  français  dont  les  titres  ne  sont  pas  encore  livrés  à  la  publicité,  de 
la  Beine  Fiametle  et  du  Cheminean,  de  Xavier  Leroux,  de  compositions  nou- 
velles de  Claude  Debussy,  et  de  la  Habanera,  de  Raoul  Laparra,  que  le  jeune 
maître  irait  diriger  lui-même.  En  anglais,  on  jouera  les  Enfants  du  Boi,  d'En- 
gelbert  Humperdinck. 

—  Les  amateurs  de  musique  de  Boston  accueillent  avec  joie  la  nouvelle  de 
l'arrangement  que  vient  do  conclure  le  directeur  de  Boston-Theatre,  M.  Keith, 
avec  M.  Hammerstein,  ce  dernier  s'engageant,  moyennant  une  rétribution 
convenue,  à  transporter  à  Boston  sa  troupe  d'opéra,  y  compris  chœurs, 
orchestre  et  mises  en  scène.  Il  y  a  deux  ou  trois  ans  que  Boston  n'a  pas  eu 
d'Opéra  régulier;  à  peine  a-t-on  pu  y  organiser  quelques  très  courtes  saisons 
lvriques.  Ainsi  s'explique  l'empressement  avec  lequel  on  a  souscrit  aux  con- 
ditions que  M.  Hammerstein,  vu  l'importance  des  frais,  a  dû  imposer  avant 
de  prendre  en  main  l'entreprise  d'un  Opéra  intermittent  à  Boston  et  de  s'en- 
gager à  faire  jouer  chaque  année  un  nombre  assez  considérable  d'ouvrages 
lyriques. 

—  Au  dernier  festival  de  Knoxville,  dans  les  Etats-Unis,  la  musique  fran- 
çaise a  été  représentée  par  des  airs  de  Mignon,  de  Carmen,  des  Huguenots  et  par 
le  Crucifix  de  Faure. 

—  La  ville  de  Philadelphie  aura  dans  peu  de  temps  son  monument  Giu- 
seppe  Verdi  ;  c'est  un  don  de  la  colonie  italienne.  La  statue,  sortie  de  l'atelier 
du  maître  italien  Ettore  Ferrari,  vient  d'être  expédiée  en  Amérique. 


LE  MÉNESTREL 


274 


—  L'orchestre  municipal  de  Shanghaï  a  fait  entendre  pendant  la  saison 
d'été  des  œuvres  de  Beethoven,  Léo  Delibes.  Grief,',  Wagner  et  nombre  de 
petites  pièces  de  Lachner  et  Wieniawski.  Il  y  a  seulement  quelques  années, 
de  semblables  auditions  étaient  inconnues  li-bas. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

Ainsi  que  nous  l'avions  annoncé,  M.  Messager  est  rentré  à  Paris  cette 
semaine  et  a  repris  en  mains,  à  l'Opéra,  la  direction  des  études  du  Crépuscule 
des  Dieux,  dont  on  prévoit  déjà  que  l'on  pourra  donner  la  répétition  générale 
le  5  octobre  prochain. 

—  A  l'Opéra-Comique,  les  chœurs  ont  recommencé  cette  semaine  leur 
travail,  et  dès  lundi,  les  artistes  viendront  se  joindre  à  eux  pour  remettre 
d'aplomb  les  ouvrages  qui  formeront  les  premiers  spectacles  lors  de  la 
réouverture  du  l"r  Septembre.  La  liste  de  ces  spectacles  n'est  point  encore 
définitivement  arrêtée. 

—  C'est  dans  la  liste  suivante  que  M.  Albert  Carré  compte  puiser  les 
ouvrages  devant  alimenter  sa  prochaine  saison  lyrique  :  Solange,  3  actes  de 
M.  Gaston  Salvayre,  livret  de  M.  Adorer,  qui  doit  être  la  première  nou- 
veauté montée  :  Leone,  de  M.  .Samuel  Rousseau,  livret  de  MM.  E.  Arène  et  Mon- 
lorgueil  ;  Sanga,  de  M.  1.  de  Lara,  livret  de  MM.  E.  Moreau  et  P.  de  Choudens  : 
Myrtil,  de  M.  Garnier,  livret  de  M.  Villeroy;  Chiquito,  de  M.  .T.  Nouguès, 
livret  de  M.  Cain  ;  Pierre  le  Véridique.  de  M.  Xavier  Leroux,  livret  de  M.  Men- 
dès,  et  On  ne  badine  pas  avec  l'amour,  de  M.  Gabriel  Pierné,  d'après  Alfred  de 
Musset.  Aces  œuvres  inédites,  il  convient  d'ajouter  la  reprise  de  la  Sapho  de 
Massenet,  pour  laquelle  le  maître  est  en  train  décomposer  un  tableau  nouveau 
et  qui  aura  pour  protagoniste  Mme  Marguerite  Carré,  et  celle  de  la  Fhïle 
enchantée  de  Mozart. 

—  M.  Albert  Carré,  ayant  terminé  son  stage  militaire  à  Dijon,  est  allé, 
avant  de  rentrer  prendre  possession  de  son  cabinet  directorial  à  l'Opéra- 
Comique  ,  passer  quelques  jours  en  Suisse  avec  sa  jeune  femme.  M"10  Margue- 
rite Carré. 

—  Voici  les  noms  des  lauréats  du  concours  international  de  musique  (sec- 
tion d'opéra  et  de  drame  lyrique)  dont  nous  avons  donné  récemment  les 
résultats. 

La  partition  intitulée  Penticosa,  qui  a  obtenu  un  prix  de  10.000  francs,  est 
du  compositeur  Lucien  Lambert  (livret  de  MM.  Adenis  et  G.  Hartmann). 

Les  auteurs  des  cinq  partitions  suivantes  ont  reçu  chacune  une  allocation 
de  i.000  francs  : 

Retour,  paroles  et  musique  de  M.  Max  d'Ollone;  Anna  lku,  de  M.  Jules 
Bouval,  livret  de  MM.  Georges  de  Lys  et  Paul  Hugonnet;  Aubeline,  de 
M.  Edmond  Missa,  livret  de  MM.  Henri  Cain  et  Paul  Gravollet:  Ma,  de 
M.  Henri  Maréchal,  livret  de  MM.  Emile  Gebhardt  et  Paul  Milliet;  la  Dubarry, 
de  M.  Ezio  Camussi,  livret  de  M.  Galisciani,  traduit  par  M.  Paul  Milliet. 

—  On  commence  à  parler  réouverture  et  les  reporters  parisiens  prennent 
d'assaut  les  directeurs  qu'ils  peuvent  joindre  pour  leur  arracher  des  confiden- 
ces sur  leur  prochaine  saison.  Comme  nous  l'avons  dit  les  Folies-Dramatiques 
comptent  toujours  ouvrir  le  1er  septembre  et  s'adonner  exclusivement  à  l'opé- 
rette, et  le  Vaudeville  et  le  Gymnase  annoncent  qu'ils  reprendront  leurs  spec- 
tacles dès  la  première  quinzaine  de  septembre. 

M.  Porel,  au  Vaudeville,  continuera  d'abord  les  représentations  du  succès 
de  la  saison  dernière,  Mariage  d'étoile,  puis  donnera  ensuite  la  Maison  est  en 
ordre,  de  l'auteur  anglais  M.  A.  Pineiro,  la  Patronne,  de  M.  Maurice  Donnay. 
le  Lys,  de  MM.  Pierre  Wolff  et  Gaston  Leroux,  le  \'id,  de  M.  Michel  Pro- 
vins et,  enfin,  la  Meilleure  des  femmes,  de  MM.  Maurice  Hennequin  et  Paul 
Bilhaud. 

Au  Gymnase.  M.  Franck  débutera  avec  le  Petit  Fouchard,  de  M.  Charles 
Raymond,  auquel  succéderont  les  Régis,  de  M.  Georges  Turner,  et  le  Péché  des. 
autres,  de  MM.  Robert  de  Fiers  et  G.-A.  de  Caillavet. 

—  D'autre  part,  le  Nouveau-Cirque,  de  la  rue  Saint-Honoré,  annonce  sa 
réouverture  pour  vendredi  prochain,  sous  la  nouvelle  direction  de  M.  Charles 
Dehray. 

—  M.  le  docteur  Jacques  Bertillon.  qui  s'est  fait  une  intéressante  spécialité 
dans  les  statistiques  et  est  passé  maître  dans  l'art  de  faire  dévoiler  aux  chiffres 
un  tas  de  choses  intéressantes,  a  publié  cette  semaine,  dans  le  Figaro,  un 
article  très  documenté  sur  «  le  Progrès  du  théâtre  à  Paris  ».  Il  suit  les  recettes 
annuelles  depuis  ISoO  jusqu'à  l'année  dernière  et  établit  le  tableau  suivant 
qui  en  montre  l'augmentation  progressive  et  tout  à  fait  rapide  en  ces  derniers 
temps  ; 

RECETTES   BRUTES   DES   THEATRES   DE   PARIS  : 

1850 Fr.  8.206.818 

1855  (Expositioui 13.8-28.123 

1860 14.432.944 

1865 15.901.006 

1870 8.101.285. 

1815 ' 20.907.391 

1880 22.614.018 

1885 25.590.017 

1890 23.013.459 

1895 29.661.331 

1900  (Exjiosili..iu 51.923.640 

1905 42. 684. 416 

1.901 44.831.926 


M.  Bertillon  attribue  l'augmentation  des  recettes  bien  plus  à  l'augmentation 
de  la  population  parisienne  qu'à  l'augmentation  du  nombre  des  amateurs  de 
speclaclo,  et  il  établit  cet  autre  tableau  assez  curieux  : 

C.N   HABITANT    DU    DÉPARTEMENT    DE    I.A    SKJNI,    DÉPENSE,    BM    0N     l\,    POUH    E.B    MIÛATIIK  : 

1850 Fr.         5,11 

1855  (Exposilioiîi 8,01 

lHiiii • 7,39 

1865 7,11 

187U 3,65 

1X75 8,67 

1M80 X,(|X 

1885 x.'/, 

1890 7.32 

1895 8,88 

19(10  (Exposition 15,80 

19(ij.   .   .  ■ 10,90 

Il  convient  d'ajouter  que.   depuis  18'J3.  on  confond  les  cafés-concerts  avec 

les  théâtres,  ce  qu'on  ne  faisait  pas  auparavant;  mais  M.  Bertillon  estime  que 

les  chiffres  sont  peu  modifiés  par  cette  adjonction. 

—  Une  curieuse  appréciation  de  Brahms  par  Antoine  flubinstein  nous 
tombe  sous  les  yeux.  Elle  fut  écrite  en  français  sur  une  carte,  datée  de  1856  ei 
envoyée  à  Liszt,  la  voici  :  «  J'ai  fait  la  tonnaissance  de  Brahms,  à  Hanovre,  et 
même  celle  de  .foachim ....  Pour  ce  qui  est  de  Brahms,  je  ne  saurais  trop  pré- 
ciser l'impression  qu'il  m'a  faite  :  pour  le  salon,  il  n'est  pas  assez  gracieux; 
pour  la  salle  de  concerts,  il  n'est  pas  assez  fougueux  ;  pour  les  c'iamps,  il  n'est 
pas  assez  primitif;  pour  la  ville,  pas  assez  général.  J'ai  peu  de  foi  en  ces  na- 
tures-là. »  En  1856.  Brahms  était  loin  de  posséder  la  notoriété  qu'il  a  su  conquérir 
depuis.  Schumann  pourtant  l'avait  chaleureusement  désigné  depuis  quelques 
années  déjà  comme  un  génie  capable  d'ouvrir  de  nouvelles  voies  à  la  musique. 
Schumann  s'était  montré  bon  prophète,  bien  que  son  article,  lis  Nouaelles 
Voies,  paraisse  aujourd'hui  empreint  de  beaucoup  d'exagération. 

—  De  Riom.  Immense  succès  pour  le  beau  Couronnentent  île  In  Muse,  de  Gus- 
tave Charpentier,  exécuté,  sons  la  direction  de  l'auteur,  par  cenl  soixante 
Mimi-Pinson  venues  tout  exprès  de  Paris.  Ça  été  le  vrai  clou  des  fête-  orga- 
nisées à  l'occasion  du  concours  international  de  musique  que  présidaient 
M.  Ruau,  ministre  de  l'Agriculture,  M.  Dujardin-Beaumetz,  sous-secrétaire 
d'État  aux  Beaux-Arts,  et  M.  Clémentel,  député. 

—  De  Douai.  A  l'occasion  du  banquet  de  l'Art  à  l'Ecole,  très  belle  séance 
musicale  organisée  par  Mlle  Julie  Bressoles.  professeur  à  l'Ecole  normale.  Les 
petites  élèves  ont  délicieusement  chanté  de  nombreux  morceaux  d'ensemble 
classiques  ou  populaires  empruntés  pour  la  plupart  aux  éditions  de  MM.  Wec- 
kerlin  et  Julien  Tiersot. 

—  De  Dieppe.  Le  13  août,  très  belle  messe  en  musique  à  l'Église  Saint- 
Jacques.  On  a  eu  le  plaisir  d'entendre  Mmc  Hamburg  de  la  Bastière  dans 
le  Souvenez-vous  et  l'O  Salutaris  de  J.  Massenet;  Mme  Bruguière-Hardel, 
MM.  Hewitt  et  Diran  Alexanian  dans  la  Méditation  de  Thais,  le  Cygne  deSaint- 
Saêns  et  un  morceauu  de  Schumann. 

NÉCROLOGIE 
Au  moment  de  mettre  sous  presse    nous  parvient  la  nouvelle  de  la  mort  de 
Louis  Varney,  survenue  jeudi  à  midi.  Nous  reparlerons  samedi  prochain  du 
charmant  compositeur  qui  occupa  une  place  si  importante  dans  l'opérette. 

—  Louis  Landry,  dont  nous  annoncions,  dans  notre  dernier  numéro,  l'acci- 
dent d'automobile,  est  mort,  dans  la  nuit  de  samedi  à  dimanche,  des  suites  de 
ses  terribles  blessures,  malgré  les  soins  dont  il  fut  entouré  à  l'hôpital  de  Joigny. 
Né  à  Neuilly  le  1er  janvier  1867,  il  fit  toutes  ses  classes  à  notre  Conservatoire; 
à  dix  ans  il  obtenait  la  première  médaille  de  solfège,  pour,  après  avoir  été 
lauréat  de  piano,  d'accompagnement  et  d'orgue,  mériter,  en  1887,  le  second 
prix  de  contrepoint  et  de  fugue.  Très  simple,  d'une  nature  plutôt  calme  et  peu 
taillé  pour  la  lutte,  il  abandonna  la  classe  de  composition  de  Massenet  et  entra 
comme  maître  de  chapelle  à  Saint-Roch  et  comme  chef  de  chant  à  l'Opéra- 
Comique.  Le  hasard  l'ayant  fait  conduire,  un  soir,  une  représentation  de 
Louise,  de  son  ami  et  camarade  Gustave  Charpentier,  M.  Albert  Carré  lui 
offrit  une  place  de  chef  d'orchestre  qu'il  ne  se  décida  à  accepter  que  plusieurs 
années  après.  Musicien  accompli  et  de  goût  absolument  châtié,  homme  de 
relations  tout  à  fait  charmantes,  ami  sur.  il  sera  pleuré  de  tous  ceux  qui  le 
connurent  et  vivement  regretté  à  l'Opéra-Comique  où  on  le  remplacera 
difficilement. 

Les  obsèques  ont  été  célébrées  lundi  à  Joigny  et  le  corps  a  été  ramené  à 
Paris  où  on  l'a  déposé  dans  un  caveau  provisoire.  On  compte,  dans  les  pre- 
miers joursde  septembre,  organiserun  service,  très  probablement  à  Saint-Roch. 

—  A  Modène  est  mort,  à  l'âge  de  87  ans,  Antonio  Marni,  musicien,  mathé- 
maticien et  astronome.  Dès  l'âge  de  "24  ans.  il  écrivit  un  opéra  en  quatre  actes, 
Zaira,  sur  un  livret  de  Romani.  L'œuvre  fut  jouée  avec  succès,  en  janvier  1S43, 
au  Théâtre-Communal  de  Modène. 

—  Angelo  Gonsigli,  auteur  de  comédies  et  de  livrets  d'opéras  dont  quelques- 
uns  se  jouent  encore,  vient  de  s'éteindre  à  Livourne,  âgé  de  73  ans. 

—  Le  maestro  Labauchi,  violoncelliste,  est  mort  dernièrement  à  Xaples. 

Henri  Heugel.  directeur-gérant. 

A  l'Opéra-Comique  : 

Lundi  24  août,  à  trois  heures,  auditions  de  petits  garçons  de  S  à  13  ans.  Se  faire 
inscrire  à  la  régie,  de  1  heure  à  4  heures. 


LE  MÉNESTREL 


RODOLPHE  BERGER 

"Le  l^oi  de  la  Valse  " 


Le    Çri -Cri,    polkamoder 

Allegretto 


PcrditiOl},    valse 

Valse  (assez  lent  et  laagotireuj) 


Bridge-Polka 


Net  :  lf75 


La  même,  pour  Chant. 

Net  :  2f     » 


-=  NOUVEAUX  SUCCÈS  ^ 

(2e  SÉRIE) 
A  qÛOÎ   P€D&eZ-tfQti&?  valselente.         Net:  2! 

^atse  îetïYft^ 


'Prî  Ijta  BJ  ia,    pî'èce  de  genre. 

fiwodl.         7e»y>. 


Net  :  lr75 


La  même,  pour  Chant. 
La    ROn?ai)içb€ll€,  polka-ma^trka.  Net:1'75 


Mazurka 

fy      — n 

.TV;    -- 

rj-rr^ . 

/ 

P- 

'// 

P^^= 

=rr 

— J^VV^ 

=Tj: 

#^ 

14e  njerçtooS  pas  aux  fenjnjeS! , 


forte.  Net  :  2' 


pour  Chant. 
Net  :  l'75 


Bibe 

lots, 

pièce 

de  genre. 

Net 

:  l'75 

tiod1.0  quasi  ail  .              _ 

r       fff 

$=&- 

^ri 

PP 

\Bgp- 

eut— 

^=^ 

tgTT-1 

La  même,  pour  Chant. 

Are  yoû  ready?...  <So!  poika.      net175 


Mouv!  de  Polk 


C'était  Ûl)  SOir  d'€t€,  rom.  sans  paroles.  Net  :  lr75 


Cœur  fragile,  vàhcim 


Ç'eSt  la  Vie!  «wre/i 

-  PoIBa°MlreBe 


La  même,  pour  Chant. 

Net  :  lf75 


La  même,  pour  Chant. 


Tentation,  valse  tente.  -  Marche  des  Soireux. 


lre  SERIE  •  L'Heure  Grise,  valselente.  -  Dernier  Baiser,  valse  très  lente.  -  Impératrice,  valselente.  - 

~~ ~^Tpeu  d'Amour,  valse  lente.  -  Madame  ***,  airs  de  ballet  :  i .  Polka  des  Amours;  2.  Valse  de  l'Étoile;  3.  ^at-ehe  bur.lesqae. 


E,  20,  paris.  -  R0-S-019Ï1    -  Œucrt  Lorilkm) 


(  > 


4040.  —  74e  ANNEE.—  N°  3o. 


Samedi  29  Août  1908. 


PARAIT  TOUS  LES  SAMEDIS 

(Les  Bureaux,  2blB,  rue  Vivieime,  Paris,  n-  m') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


lie  Numéro  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Le  Numéro  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIEE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (33"  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Petites  notes  sans 
portée  :  La  musique  de  la  lumière,  Raymond  Bouyer.  —  111.  Une  famille  de  grands 
luthiers  italiens  :  Les  Guarnerius  (8°  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Nouvelles 
diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

ROMANCE 

de  Émil  Frey.  —  Suivra  immédiatement  :  Charme  d'automne,  valse  lente,  de 

Y.-K.  Nazare-Aga. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
Madrigal  archaïque,  de  Y.-K.  Nazare-Aga,  poésie  de  Edouard  Saint-Léon.  — 
Suivra  immédiatement  :  Feuilles  mortes,  mélodie  de  Raoul  Pugno,  extraite  des 
Cloches  du  souvenir,  poésie  de  Maurice  Vaucaire. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 


CHAPITRE  YII 

L'ÉCLOSION  DU    GÉNIE  :  ORFEO   EU   EVRiUiCE 

Nous  ne  suivrons  pas  Galsabigi  dans  ce  que  son  développe- 
ment a  de  purement  littéraire.  Passons  donc  au  plus  vite  à  la 
dernière  partie  de  sa  préface,  dans  laquelle,  laissant  résolument 
de  côté  Métastase,  il  explique  ce  que  doivent  êlre  à  son  avis 
les  rapports  de  la  musique  et  de  la  poésie.  Il  invoque  une 
dernière  fois  l'exemple  du  poète  lauréat,  disant  : 

«  De  la  majesté,  de  l'énergie  et  des  brillantes  images  de  la 
poésie  de  Métastase  dérivent,  à  ce  qu'il  me  semble,  la  force,  la 
variété  et  la  beauté  de  notre  musique.  L'harmonie  qui  se  dé- 
gage de  ses  vers  à  la  simple  lecture  s'imprime  immédiatement 
dans  l'esprit  de  nos  compositeurs...  » 

Gela  fait,  et  après  quelques  nouvelles  digressions,  il  entre  dé- 
finitivement dans  le  domaine  des  idées  générales.  Il  poursuit 
donc  : 

«  Je  crois  qu'on  ne  peut  pas  révoquer  en  doute  que  la  poésie  la 
mieux  appropriée  à  la  musique  soit  la  plus  belle  poésie,  et  que 
la  musique  la  mieux  appropriée  à  la  poésie  soit  la  plus  belle  mu- 
sique, et  en  conséquence  que  la  nation  qui  aura  pour  sa  musique 
la  poésie  la  plus  expressive  aura  une  musique  plus  efficace,  qui 
pourra  facilement  produire  dans  les  âmes  des  auditeurs  une  sensi- 
bilité plus  douce  et  plus  vive.  En  vain  le  compositeur  de  musique 


s'efforcera  de  réveiller  la  tendresse,  la  pitié,  la  terreur,  en 
appliquant  les  sons  à  des  paroles  ineptes,  dures,  recherchées, 
ampoulées  et  insignifiantes.  Il  ne  suffit  pas  au  musicien  pour  dé- 
peindre harmonieusement  la  terreur  ou  l'amour  que  le  poète 
ait  fait  parler  Pluton  ou  Gupidon  et  qu'il  ait  situé  l'action  dans 
l'enfer  ou  dans  le  royaume  de  Vénus  :  si  celui-ci  n'a  pas  res- 
senti en  lui-même  les  impressions  diverses  de  ces  deux  senti- 
ments, s'il  n'a  pas  été  épouvanté  ou  amoureux,  s'il  n'a  pas  fait 
passer  dans  ses  paroles  ces  émotions  de  son  cœur,  si  son  style 
n'est  pas  susceptible  d'être  diversement  nuancé,  comme  celui 
de  Virgile  lorsqu'il  décrit  les  transports  amoureux  de  Didon  et 
qu'ensuite  il  dépeint  les  peines  infernales,  le  musicien  ne  pourra 
pas  trouver  une  harmonie  qui  corresponde  au  sujet,  et,  ne  se 
sentant  pas  ému  quand  il  compose,  parce  que  le  poète  ne  le  fut 
pas  lorsqu'il  écrivit,  il  ne  fera  qu'accumuler  des  sons  compo- 
sites et  sans  effet;  semblable  à  ce  graveur  excellent  qui,  obligé 
de  façonner  son  burin  d'après  un  mauvais  dessin,  ne  put,  mal- 
gré tous  ses  efforts  d'artiste,  empêcher  que  l'on  distinguât  sans 
cesse  sur  la  gravure  les  fautes  de  l'original. 

«  Il  y  a  des  gens  qui  croient  que  la  musique  est  indépendante 
de  la  poésie,  et  que  le  compositeur  peut  suppléer  aux  défauts 
de  celle-ci  par  l'excellence  de  son  harmonie  ;  mais  nous  pou- 
vons juger  combien  cette  façon  de  voir  est  éloignée  de  la  vérité, 
en  examinant...  » 

Suivent  quelques  exemples,  appuyés  de  citations,  dont  deux 
tirées  de  poésies  françaises,  les  deux  autres  prises  au  Tasse  et 
au  Dante.  Quinault  aussi  est  offert  en  modèle,  non  sans  quelques 
réserves,  mais  du  moins  de  manière  à  montrer  que  l'auteur 
reconnaît  l'importance  du  poète  français  dans  la  constitution  du 
dramma  per  fhusica,  comme  il  s'exprime. 

Ayant  énuméré  la  diversité  des  éléments  nécessaires,  il  conti- 
nue donc  à  énoncer  sa  conception  de  l'œuvre  de  l'avenir  : 

«  Alors  sur  un  nouveau  plan  simple  et  aussi  vrai  que  possible, 
le  novateur,  s'intéressant  à  ces  actions,  qu'il  présentera  avec 
toute  la  pompe  possible,  préparera  une  matière  propre  à 
intéresser  à  son  tour  celui  qui  devra  les  orner  de  sons,  et  tous 
deux  pourront,  en  unissant  les  beautés  de  la  musique  et  de  la 
poésie,  caresser  suavement  l'esprit  des  spectateurs,  réveiller  en 
eux  des  sensations  qui  présentement  restent  engourdies,  et  leur 
faire  goûter  ces  douceurs  de  l'harmonie  qu'il  faut  beaucoup  d'in- 
dulgence pour  croire  trouver  maintenant  chez  la  plupart  des 
compositeurs.  » 
Il  conclut  par  ces  paroles,  qui  résument  sa  thèse  : 
«  Si  la  conception  fondamentale  est  basée  sur  la  réalité,  si  des 
actions  purement  humaines  se  déroulent,  à  l'exclusion  du  divin, 
de  la  mythologie,  du  diabolique  et  du  cabalistique,  en  un  mot  de 
ce  qui  s'écarte  des  attributs  de  l'humanité,  il  n'est  pas  douteux 
que,  de  l'union,  voulue  par  le  maitre,  du  chœur  nombreux,  du 
ballet,  de  la  décoration,  avec  la  poésie  et  avec  la  musique,  il 


274 


LE  MÉNESTREL 


résulte  un  ensemble  tel  que  les  sens  ravivés  du  spectateur  se 
trouvent  successivement  captivés  par  la  variété  et  la  magnificence 
des  objets,  dans  le  moment  même  où  son  esprit  sera  ému  par 
l'intérêt  de  Faction  et  charmé  par  la  délicatesse  de  la  poésie,  et 
son  cœur  doucement  ravi  par  les  tons  de  l'harmonie.  Ces  diverses 
lignes  devront  se  diriger  toutes  vers  l'action  comme  à  leur  cen- 
tre, et  toutes  s'y  perdre  et  s'y  confondre  :  non  être  principales, 
mais  subordonnées  à  l'ensemble  ;  non  distraire  le  spectateur  de 
l'intérêt,  mais  s'employer  à  contribuer  à  sa  jouissance;  non  lui 
présenter  des  objets  hétérogènes,  mais  bien  fondus  ensemble. 
Toujours  le  poète  comme  le  compositeur  de  musique  devrait 
avoir  sous  les  yeux  le  fameux  précepte  d'Horace  : 

«  Denique  sit.  quodvis,  simples  duntaxat  et  unum. 
«  Ce  précepte  n'est  pas  seulement  applicable  à  la  constitution  de 
la  tragédie  et  la  comédie  antiques,    mais  il  exerce    sa   loi  sur 
autant    de    genres    d'action   théâtrale    que   nous   pouvons    en 
imaginer.  >■■ 

Ce  texte  est  assez  banal,  de  composition  médiocre,  et  les  trois 
pages  de  la  préface  d'Alceste  en  disent  plus  long  que  tous  ses 
développements  diffus.  Mais  les  idées  principales  sont  déjà  là,  et 
certaines  notions  ressortent  d'une  façon  assez  significative  :  action 
purement  humaine;  union  de  la  poésie  et  de  la  musique  avec  le 
chœur,  la  danse,  le  décor  ;  direction  de  tous  les  éléments  vers  un 
centre  commun,  qui  est  le  drame  ;  enfin  subordination  de  chacun  à 
l'ensemble.  Tout  cela  est  écrit  par  Calsabigi  en  1754,  huit  ans 
avant  la  représentation  à'Orfeo,  treize  ans  avant  celle  (TAlccste. 
Or,  et  c'est  là  ce  qui  importe  par-dessus  tout,  c'est  à  ce  même 
Calsabigi  que  Gluck  fut  redevable  de  la  matière  poétique  sur 
laquelle  furent  composées  les  musiques  d'-4 Iceste  et  d'Orfeo. 

Calsabigi,  en  effet,  après  avoir  passé  quelques  années  à  Paris, 
était  allé  à  Vienne,  comme  fonctionnaire  de  la  Chambre  des 
comptes  des  Pays-Bas.  Laissons-le  expliquer  lui-même  de  quelle 
manière  il  se  trouva  associé  à  Gluck  pour  la  réforme  du  drame 
en  musique  qu'ils  commencèrent  ensemble. 

«  J'ai  pensé  il  y  a  vingt-cinq  ans,  écrivait-il  en  1784,  que  la  seule 
musique  convenable  à  la  poésie  dramatique,  et  surtout  pour  le 
dialogue  et  pour  les  airs  que  nous  appelons  d'asiotie,  était  celle 
qui  approcheroit  davantage  de  la  déclamation  naturelle,  animée, 
énergique  ;  que  la  déclamation  n'étoit  elle-même  qu'une  musi- 
que imparfaite  ;  qu'on  pourroit  la  noter  telle  qu'elle  est,  si 
nous  avions  trouvé  des  signes  en  assez  grand  nombre  pour  mar- 
quer tant  de  tons,  tant  d'inflexions,  tant  d'éclats,  d'adoucisse- 
mens,  de  nuances  variées,  pour  ainsi  dire  à  l'infini,  qu'on  donne 
à  la  voix  en  déclamant.  La  musique,  sur  des  vers  quelconques, 
n'étant  donc,  d'après  mes  idées,  qu'une  déclamation  plus  savante, 
plus  étudiée,  et  enrichie  encore  par  l'harmonie  des  accompa- 
gnements, j'imaginai  que  c'était  là  tout  le  secret  pour  composer 
de  la  musique  excellente  pour  un  drame  ;  que  plus  la  poésie 
étoit  serrée,  énergique,  passionnée,  touchante,  harmonieuse,  et 
plus  la  musique  qui  chercheroit  à  la  bien  exprimer,  d'après  sa 
véritable  déclamation,  seroit  la  musique  vraie  de  cette  poésie, 
la  musique  par  excellence. 

«  C'est  en  méditant  sur  ces  principes  que  j'ai  cru  découvrir  la 
solution  de  ce  problème.  Pourquoi  y  a-t-il  des  airs  comme  :  5e 
cerca,  .se  dice,  de  Pergolèse,  dans  l'Olympiade;  Mtsero  pargoletlo,  de 
Léo,  dans  le  Demophoon  (1),  et  tant  d'autres,  dont  on  ne  sauroit 
changer  l'expression  musicale  sans  tomber  dans  le  ridicule,  sans 
être  forcé  enfin  de  revenir  à  celle  que  ces  grands  maîtres  leur 
ont  donnée?  et  pourquoi  aussi  une  infinité  d'autres  airs  admet- 
tent-ils des  variations,  quoique  déjà  notés  par  plusieurs  compo- 
siteurs? 

«  La  raison  en  est  (selon  moi)  que  Pergolèse,  Léo  et  d'autres 
ont  rencontré    pour   ces  airs  la  vraie    expression    poétique,  la 

1  Toujours  ces  deux  airs!  Les  seuls  que  l'on  put  citer  connus  exemples  d'expres- 
sion dans  tout  le  répertoire  italien  de  ce  temps-là!  Encore  pourrait-on  demander  si 
ces  retours  périodiques  d'une  inflexion  musicale  dont  le  premier  énoncé  a  dû  révé- 
ler le  sens  expressif  dans  toute  sa  plénitude,  mais  qui  doit,  suivant  la  règle,  être 
répéiée  d'abord  à  la  dominante,  puis  reprise  encore  dans  le  ton  initial,  ne  sont  pas 
destructifs  de  toute  expression  sincère,  et  si  la  douleur,  ou  tout  autre  sentiment  vif, 
a  coutume  d'enfermer  ses  accents  spontanés  en  des  formes  tant  symétriques. 


déclamation  naturelle,  de  manière  qu'on  les  gâte  en  voulant  les 
changer  ;  et  s'il  y  en  a  d'autres  qui  sont  encore  susceptibles  de 
changement,  c'est  que  nul  n'a  rencontré  jusqu'ici  leur  véritable 
musique  de  déclamation. 

«  J'arrivai  à  Vienne,  en  1761,  rempli  de  ces  idées.  Un  an  après, 
S.  E.  M.  le  comte  Durazzo,  pour  lors  directeur  des  spectacles  de 
la  cour  impériale,  et  aujourd'hui  son  ambassadeur  à  Venise,  à 
qui  j'avois  récité  mon  Orphée,  m'engagea  à  le  donner  au  théâtre. 
J'y  consentis  à  la  condition  que  la  musique  en  seroit  faite  à  ma 
fantaisie.  Il  m'envoya  M.  Gluck,  qui,  me  dit-il,  se  prêterait  à 
tout. 

<f  Je  lui  fis  la  lecture  de  mon  Orphée,  et  lui  en  déclamai  plu- 
sieurs morceaux  à  plusieurs  reprises,  lui  indiquant  les  nuances 
que  je  mettois  dans  ma  déclamation,  les  suspensions,  la  lenteur, 
la  rapidité,  les  sons  de  la  voix  tantôt  chargés,  tantôt  affoiblis  et 
négligés,  dont  je  désirois  qu'il  fit  usage  pour  sa  composition.  Je 
le  priai  en  même  temps  de  bannir  i  passaggi,  les  cadenze,  i  ritor- 
nelli,  et  tout  ce  qu'on  a  mis  de  gothique,  de  barbare,  d'extrava- 
gant dans  notre  musique.  M.  Gluck  entra  dans  mes  vues. 

«  Mais  la  déclamation  se  perd  en  l'air,  et  souvent  on  ne  la 
retrouve  plus;  il  faudroit  être  toujours  également  animé,' et 
cette  sensibilité  constante  et  uniforme  n'existe  point.  Les  traits 
les  plus  frappans  s'échappent  lorsque  le  feu,  l'enthousiasme  s'af- 
foiblissent.  Voilà  pourquoi  on  remarque  tant  de  diversité  dans 
la  déclamation  de  différens  acteurs  pour  le  même  morceau  tra- 
gique; dans  un  même  acteur  d'un  jour  à  l'autre,  d'une  scène  à 
l'autre.  Le  poète  lui-même  récite  ses  vers,  tantôt  bien,  tantôt 
mal. 

«  Je  cherchoi  des  signes  pour  du  moins  marquer  les  traits  le 
plussaillans.  J'en  inventoi  quelques-uns;  je  les  plaçoi  dans  les 
interlignes,  tous  le  long  d'Orphée.  C'est  sur  un  pareil  manus- 
crit accompagné  de  notes  écrites  aux  endroits  où  les  signes  ne 
donnoient  qu'une  intelligence  incomplète  que  M.  Gluck  com- 
posa sa  musique  (1).  » 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


PETITES   NOTES   SANS   PORTÉE 


CXXXV 


LA  MUSIQUE  DE  LA  LUMIÈRE 

Au  maître  Masscnet,  ce  grand  voisin  du  Luxembourg. 

La  musique  de  la  lumière  !  Il  ne  s'agit  pas,  aujourd'hui,  d'un  ins- 
trument plus  ou  moins  transatlantique  qui  recueille  objectivement  les 
rapports  les  plus  subjectifs  entre  un  timbre  et  sa  couleur  pour  ainsi 
dire  complémentaire,  entre  telle  couleur  et  son  timbre  équivalent:  il  ne 
s'agit  plus  ni  du  Colour-Music  (2)  de  Rimington,  ni  de  YArc  chantant  de 
Duddell,  ni  même  de  ces  correspondances  «  sensorielles  »  que  notre 
Obermann  pressentait,  que  l'intuitif  Baudelaire,  nourri  de  Sweden- 
borg, d'Hoffmann  et  de  Balzac,  appelait  «  mystérieuses  »,  et  qui 
séduisent  un  philosophe  (3)  quand  il  applique  les  méthodes  de  la 
psychologie  musicale  au  portrait  du  Musicien-Poète  qui  magnifia  sur  la 
scène  rajeunie  l'antique  union  des  trois  arts.  Laissons,  pour  l'heure, 
aux  savants  les  secrets  «  de  la  lumière  qui  chante  (4)  »  ou  la  «  corré- 
lation s  minutieusement  détaillée  des  sons  et  des  couleurs  :  point  de 
théorie  plus  ou  moins  scientifiquement  poétique  ! 

La  musique  de  la  lumière...  Est-ce  une  symphonie  nouvelle,  inédite, 
ou,  seulement,  le  rêve  radieux  de  cette  symphonie?  Non  plus  !  Serait-ce 
un  essai  nouveau, — l'histoire,  à  grands  traits,  des  compositeurs  qui  ont 
rêvé  de  «  peindre  »  avec  des  sons  ce  qui  chante  silencieusement  dans 
nos  prunelles  éblouies?    Pas  davantage.   Après  avoir   interrogé  les 

(1)  Mercure  de  France,  août  1784  :  lettre  de  Calsabigi  au  Mercure  de  Naples,  le 
25  juin  1784. 

(2)  Voir  le  troisième  chapitre  de  nos  Peintres  mélomanes,  parus  dans  le  Ménestrel  (du 
11  novembre  1900  au  24  février  1901). 

(3 1  Lionel  Dauriac,  le  Musicien-Poète  Richard  Wagner,  étude  de  psychologie  musi- 
cale (Paris,  Fischbacher,  août  1908). 

(4)  Revoir  notre  i9°  note,  dans  le  Ménestrel  du  13  juillet  1902;  et  consulter  Jean 
d'Udine  :  De  la  corrélation  des  sons  et  des  couleurs  en  art  (Fischbacher,  189".. 


LE  MENESTREL 


peintres  mélomanes,  nous  n'abordons  pas  encore,  aujourd'hui,  les 
musiciens  peintres,  Beethoven  et  sa  Pastorale,  le  plus  ressenti  des 
paysages,  que  dédaigne,  comme  trop  littéraire,  notre  jeunesse  de- 
bussyste,  Berlioz  et  sa  Chasse  royale  interrompue  par  l'orage,  le  musi- 
cien coloré  de  Werther  et  son  Clair  de  lune,  Wagner  et  ses  Murmures  de  la 
forêt;  le  crépuscule,  avec  César  Franck  et  sa  Procession  ;  l'aurore  et  le 
lever  de  l'astre  que  Félicien  David  évoque  dans  la  meilleure  page  de 
son  Désert,  que  le  Schumann  des  Scènes  de  Faust  chante  avec  des  vio- 
lons frémissants,  des  timbres  profonds  et  de  belles  uotes  graves  : 
splendeur  orchestrale  qui  couronne  l'ouverture  de  Tannhanser  ou 
la  fin  de  Siegfried,  et  que  la  palette  orientale  du  regretté  coloriste 
Rimski-Korsakov  souligne  sans  détail,  d'un  trémolo  bref,  mais  sai- 
sissant, aux  dernières  mesures  du  second  acte  de  Sadko... 

Ne  serait-ce  pas  un  nouvel  aspect  de  la  physionomie  de  la  Musique 
que  d'analyser  ces  équivalents,  ces  transpositions,  ces  échanges  con- 
sentis de  part  et  d'autre  entre  les  sens,  et,  comme  disait  Jean-Jacques, 
ces  «  substitutions  plus  fertiles  »  de  l'art  musical  qui  croit  «  pouvoir 
peindre  les  choses  qu'on  ne  saurait  entendre  »  (1)...  Cet  art  ne  peint 
pas,  il  suggère  seulement.  Et  le  philosophe  ajoute  :  «  Il  ne  représente 
pas  directement  la  chose  ;  mais  il  réveille  dans  notre  âme  le  même  sen- 
timent qu'on  éprouve  en  la  voyant.  »  On  ne  saurait  mieux  définir  le 
musicien  qui  voudrait  peindre  avec  des  sons  le  calme  du  clair  de  lune 
ou  la  brûlante  clarté  du  soleil  ;  l'artiste  qui  se  servirait  d'un  art  de 
murmure  et  de  mouvement  pour  caractériser  la  nature  muette  et  re- 
posée ;  le  coloris  aux  cent  voix  qui  voudrait  exprimer,  par  un  grand 
bruit  soudain,  le  silence  éclatant  du  jour.  Mais  Rimski-Korsakov  est 
mort  ;  et  la  musique  de  la  lumière  n'a  pas  encore  trouvé,  parmi  nos 
musiciens  brumeux,  son  nouveau  peintre. 

La  musique  de  la  lumière  ?  Ce  titre  attrayant  d'une  œuvre  d'art  nous 
est  suggéré  par  un  instant  de  la  nature  ;  et,  la  nature,  est-il  besoin  de 
courir  au  bout  de  l'univers  pour  en  trouver  l'éternelle  et  fugitive  ca- 
resse ?  On  la  trouve  au  Luxembourg,  en  prononçant  le  nom  de 
Watteau  ;  Manon,  sa  jeune  contemporaine,  apercevait,  comme  nous, 
les  tours  dorées  de  Saint-Sulpice  qui  dominent  les  hauts  feuillages  ; 
sous  cette  allée  de  platanes  poussinesques,  où  retrouver  les  austères 
propos  de  Huet  et  de  Bossuet  ?  Mais  l'ombrage  nous  reste.  Il  est  le 
passé  qui  se  prolonge  et  l'avenir  que  nous  ne  verrons  pas... 

A  la  fin  d'une  claire  après-midi,  le  jardin  prend  l'aspect  de  ces  para- 
dis italiens  qui  charmèrent  les  yeux  de  nos  maîtres  d'harmonie,  de 
Claude  à  Corot;  la  silhouette  même  du  Panthéon,  qui  s'estompe,  ne 
détruit  point  le  mirage,  et  les  verdures  arrondies  baignent  dans  une 
coupe  de  porphyre;  mais,  loin  du  bruit  et  des  jeux,  restons  sous  la 
pâleur  étincelante  de  ces  grands  platanes  séculaires  où  s'appesantit  le 
vol  gris-perle  des  beaux  ramiers,  près  de  ces  pelouses  d'émeraude,  aux 
longues  ombres  changeantes,  que  pique  la  vivacité  violacée  des  pier- 
rots. Est-ce  le  voisinage  du  musée,  l'auguste  souvenir  d'une  églogue 
d'Henner  ou  d'une  vision  de  Gustave  Moreau  ?  Cette  allée  de  fraîcheur 
et  d'ombre  nous  parait  l'égale  des  jardins  d'Académos;  nos  yeux  ne 
s'étonneraient  pas  de  découvrir,  dans  la  confusion  des  treillages,  un 
rucher  virgilien  ;  ce  collégien  qui  lit  sur  un  banc,  c'est  le  petit  faune 
studieux  que  fut  chacun  de  nous,  jadis  ou  naguère,  et  que  le  livre  pré- 
parait à  l'émerveillement  de  la  vie. 

L'heure  et  la  saison  se  veulent  complices  pour  faire  de  notre  vieux 
Luxembourg  le  dernier  des  bois  sacrés  :  car  c'est,  déjà,  «  l'automne 
verte  »,  aimée  des  poètes  qui  songent  toujours  à  la  mort, —  une  sym- 
phonie des  verts,  où  l'or  frissonne  au  bout  des  branches  noires,  et  qui 
défie  tout  paysagiste,  tant  par  l'opulence  diaphane  de  ses  couleurs  lumi- 
neuses que  par  les  brusques  métamorphoses  de  ses  effets.  Le  silence 
augmente;  et  c'est  une  mélodie  quand  même,  avec  cette  lueur  qui 
s'orange  à  mesure  qu'elle  remonte  a  l'orient,  jusqu'au  sommet  des 
pierres  grises...  L'air  léger,  presque  frais,  résonne  encore  d'une  suite 
harmonieuse  des  Èrinnyes,  d'une  ardente  sélection  de  Werther  ($),  artis- 
tement  transcrites  par  M.  Gironce;  une  horloge  lointaine,  un  peu  jansé- 
niste, avait  mêlé  son  glas  à  l'originale  et  sobre  percussion  qui  souligne, 
à  travers  les  intimités  de  la  «  nuit  de  Noël  »,  le  thème  et  les  dernières 
convulsions  du  héros...  Tout  se  tait  maintenant,  dans  le  kiosque  désert... 

A  l'occident,  le  soleil,  encore  très  haut  tout  à  l'heure,  et  qui  dardait 
sa  blanche  fournaise  au  front  des  auditeurs,  scintille  sur  l'horizon 
comme  une  étoile  formidable  :  c'est  une  poussière  de  lumière,  un 
rayonnement  lointain,  prolongé,  qui  décline,  tluide,   étrange,  infini- 

(1)  Jean  Jacques  Rousseau,  Dictionnaire  de  musique,  art.  Opéra:  cité  par  Julien 
Tiersot  dans  le  Ménestrel  du  15  août  1908. 

i2)  Werther  et  tes  Erinnyes  faisaient  partie  du  très  beau  programme  joué  par  la  mu- 
sique du  S9<  de  ligne,  le  mardi  11  août  190S,  au  Luxembourg,  et  complété  par  la 
sicilienne  de  Robert  le  Diable,  le  prélude  de  Messidor  et  l'ouverture,  superbement 
enlevée,  du  foi  d'Ys. 


ment  doux  :  des  cuivres  puissants  ont  de  telles  douceurs  ;  la  clarté 
verdit  l'écran  des  feuilles,  s'empourpre  à  l'angle  sculpté  d'une 
creuse  des  sillons  bleus  dans  la  terre,  aligne  une  ombre  d'an 
sur  le  sable  rose:  et  rien  n'échappe  a  ses  Qèches  obliques.  Enfin,  puisque 
le  poète  Antoine  Watteau  non-  donne  ici  l'exemple  de  la  chimère, 
ouvrons  parla  pensée  cette  allée  fermée  par  la  rue.  prolongeons-la,  loin 
des  statues,  sous  une  étroite  charmille  de  Saint-Cloud,  de  Versailles  ou 
de  Fontainebleau,  continuons  la  ville  par  la  nature,  achevons  la  réalite 
du  jardin  dans  l'hallucination  de  la  forêt:  longtemps,  sur  l'horizon, 
l'étoile  immense  planera. 

Symphonie  muette  et  parlante,  pourtant  !  Correspondance  mysté- 
rieusement pressentie  entre  le  son  qui  vient  de  finir  et  la  clarté  qui  va 
s'éteindre  !  La  voilà  donc,  la  musique  de  la  lumière...  ''t.  même  à  la 
ville,  le  paysage  est  une  musique  pour  les  yeux.  Paysage  et  musique 
ne  trouvent-ils  point  secrètement  le  même  chemin  pour  nous  émouvoir:' 
Bien  plus,  il  nous  font  penser,  sans  penser  eux-mêmes. 

L'ombre  gagne,  et  je  quitte  distraitement  le  jardin  sur  cette  analyse 
rudimentaire.  que  la  dialectique  d'un  Lionel  Dauriac  (1  voudrai'  plus 
précise  : 

—  Au  déclin  du  soir  et  de  l'été,  cette  sérénité  qui  m'enveloppe,  et  qui 
n'est  pas  sans  mélancolie,  pénètre  sUencieusemeut  et  mélodieusement 
en  moi  par  la  couleur  qui  remplit  mes  yeux.  Ce  calme,  aux  tons  de 
grappe  mûre,  m'a  fait  une  âme  à  sou  image,  parmi  l'or  rose  et  l'or 
vert.  Dans  ce  clair  décor,  Werther  lui-même  voudrait  vivre  mille 
vies  :  un  artiste  ne  se  tue  pas  en  été...  «  Je  rends  au  public  ce  qu'il 
m'a  prêté  »,  disait  Jean  de  La  Bruyère,  le  plus  parisien  des  moralistes  : 
aussitôt  j'ajoute,  en  rêveur,  à  mon  tour  :  Je  rends  à  la  Nature  ce  qu'elle 
m'a  prêté;  je  lui  prê'te  une  âme,  celle  qu'elle  me  donne,  iru'elle  me 
souffle,  qu'elle  réveille  en  moi.  Que  dis-je  ?  je  fais  de  la  nature  une  âme 
et  du  paysage  «  un  état  de  l'àme  »  :  j'intellectualise  la  matière.  Cette 
lumineuse  tristesse,  elle  n'est  pas  dans  la  nature,  elle  est  en  nous: 
mais  ces  couleurs,  comme  les  timbres,  répondent  merveilleusement  a 
nos  sentiments;  la  poésie  même,  qu'est-elle  autre  chose  qu'une  réponse 
idéale  à  l'impression  fournie  par  les  choses  ? 

Notre  Obei-mann  conclurait  ici  :  «  L'éloquence  des  choses  n'est  rien  que 
l'éloquence  de  l'homme  »;  oui.  «  tout  peut  être  symbole  »  et  suggestion. 
—  le  ton  comme  le  son,  —  dans  l'ineffable  harmonie  des  nuances;  dans 
le  vocabulaire  de  l'art,  les  mots  eux-mêmes  se  confondent,  et  la 
musique  de  la  lumière  pourrait,  sans  glose  décadente,  devenir  la  dési- 
gnation d'un  tableau. 

(A  suivre.)  Raymond  Bocyei:. 


UNE  FAMILLE  DE  GRANDS  LUTHIERS  ITALIENS 

LES    GUARNERIUS 


JOSEPH    GUARNERIUS    DEL    GESU 
II 

L'AKT   DE   JOSEPH    GUARNERIUS   DEL   iîESL' 

Hart  caractérise  ensuite  le  talent  de  Guarnerius,  analyse  sa  facture, 
toujours  en  tenant  compte  des  différences  qui  se  produisent  dans  sou 
travail  selon  les  circonstances,  et  en  faisant  ressortir  la  supériorité 
qu'il  trouve  moyen  de  manifester  même  dans  ses  produits  les  plus  im- 
parfaits : 

Sa  main-d'œuvre  est  dans  bien  des  cas.  et  sans  aucun  doute,  négligée, 
mais  dans  les  instruments  où  cette  négligence  s'observe  le  plus  apparait  un 
caractère  qui  excite  l'admiration  du  spectateur  et  qui  force  le  plus  exigeant  à 
admettre  que,  abstraction  faite  du  fini  désiré,  il  y  a  là  un  style  qui  défie  toute 
imitation.  Qui  ne  reconnaît  à  l'instant  cette  tête  d'aspect  singulier  où  il 
semble  avoir  jeté  un  si  haut  degré  d'originalité  d'un  simple  coup  de  son  ci- 
seau, et  qui,  lorsqu'on  cherche  à  l'imiter,  a  toujours  quelque  chose  de  bur- 
lesque, qui  trahit  le  malheureux  copiste,  impuissant  à  s'approprier  la  touche 
artistique  du  maître  ?  Il  en  est  ainsi  dans  toutes  les  œuvres  d'art  :  le  génie 
déploie  toujours  quelque   ressource  inattendue  qui  confond  toute  imitation. 

La  coupe  des  ouies  de  Guarnerius  présente  invariablement  son  caractère 
distinctif  et  un  élément  grotesque  (2)  qui  plait  à  l'œil  du  premier  coup,  quoique  la 

il)  Cf.  son  Essai  sur  resprit  musical  (in-8°  ;  Paris,  F.  Aican,  1904) et  notre  dernier 

chapiU'e  i'Obermann  précurseur  et  musicien   le  Ménestrel,  1906,  et  Fischbacher,  1907  . 

(2)  A  propos  des  ouïes  (ou  des/f,  ce  qui  est  tout  un),  MM.  Ilill.  dans  leur  livre  sur 
Stradivarius,  comparant  le  procédé  de  ce  maître  avec  celui  de  Joseph  Guarnerius, 
écrivent  ceci  :  —  «  Dès  le  commencement  de  sa  carrière,  Stradivarius  avait  Qxé  les 
lignes  générales  de  ses.;/,  et  pendant  toute  sa  longue  existence,  bien  qu'il  ait  varié 


276 


LE  MÉNESTREL 


forme  en  soit  très  différente,  suivant  les  trois  époques  de  l'auteur.  Ajoutons 
que  le  talon,  cette  partie  saillante  du  dos,  sur  laquelle  vient  reposer  le  pied 
du  manche,  pièce  d'une  haute  importance  dans  tous  les  violons  et  qui  est 
comme  la  signature  du  maître,  possède  dans  tous  ceux  de  Cruarnerius  un  dé- 
veloppement remarquable  qui  donne  la  vie  à  tout  l'ouvrage.  On  rencontre 
nombre  d'exemples  où  d'excellents  instruments  d'auteur  perdent  toute  valeur 
artistique  au  point  de  vue  de  la  facture  par  défaut  d'habileté  dans  la  manière 
de  traiter  ce  simple  mais  important  détail  dans  la  constitution  du  violon. 

Et  plus  loin  encore,  Hart  donne  la  preuve  du  grand  sens  artistique 
de  Guarnerius  et  démontre  que,  comme  Stradivarius,  il  ne  cessait  de 
chercher,  de  travailler  et  d'améliorer  ses  propres  principes  pour  attein- 
dre un  résultat  de  plus  eu  plus  satisfaisant,  pour  parvenir  à  la  perfec- 
tion qu'il  désirait,  cette  perfection  qui  est  le  rêve  de  tout  véritable 
grand  artiste  : 

Son  but  était  sans  doute  de  créer  des  instruments  qui  produisissent  une 
qualité  de  son  jusqu'alors  inconnue  :  chacun  sait  avec  quel  succès  il  a  obtenu 
le  but  désiré.  Le  travail  matériel,  comme  le  prouvent  ses  instruments  de  la 
première  et  de  la  dernière  époque,  était  pour  lui  d'une  importance  purement 
secondaire.  Ceux  de  sa  seconde  époque  prouvent  au  contraire  qu'il  ne  le  né- 
gligeait plus.  Le  grand  nombre  d'instruments  qu'il  a  laissés  et  la  grande  va- 
riété de  leur  construction  témoignent  du  discernement  qui  présidait  à  ses 
travaux.  Ses  études  ont  été  considérables  et  mettent  à  néant  l'assertion  gra- 
tuite qu'il  travaillait  sans  plan  arrêté.  L'opinion  qui  voudrait  représenter  un 
luthier  de  la  valeur  de  Guarnerius  marchant  dans  les  ténèbres  et  cherchant 
sa  route  à  tâtons  est  voisine  du  ridicule,  tandis  qu'on  trouve  partout  des 
preuves  de  la  merveilleuse  fertilité  de  son  imagination.  A  une  certaine  époque 
ses  instruments  ont  une  forme  extrêmement  plate,  sans  avoir,  pour  ainsi 
dire,  de  pente  perceptible  ;  pendant  une  autre  période,  les  voûtes  sont  élevées 
d'une  manière  très  prononcée  et  le  filet  forme  une  sorte  de  spatule.  Des  ins- 
truments participant  du  même  caractère  se  trouvent  dans  les  ouvrages  de 
Pietro  Guarneri  et  de  Montagnana.  Pour  un  temps  les  ouïes  sont  coupées 
presque  perpendiculairement,  défaut,  si  c'en  est  un,  qui,  par  parenthèse,  a 
son  utilité  en  ce  qu'il  préserve  l'intégrité  des  fibres  du  bois,  mais  malheureu- 
sement aux  dépens  de  la  beauté  de  l'ensemble.  D'autres  fois,  les  ouïes  sont 
écourtées  dans  une  position  oblique;  d'autres  sont  d'une  longueur  exagérée. 
Ces  différents  traits,  quoique  rapidement  rassemblés,  prouvent  assez  la  multi- 
plicité de  ses  tentatives  et  les  ressources  diverses  auxquelles  il  eut  recours 
pour  assurer  à  ses  instruments  une  sonorité  exceptionnelle. 

Nous  voici  loin  des  critiques  un  peu  pointues  de  l'abbé  Sibire,  et 
l'on  voit  que  Georges  Hart  ne  cherche  pas  à  cacher  sa  sympathie  admi- 
rative  pour  le  talent  souvent  magistral  de  Guarnerius.  Ce  seuliment 
d'admiration  est  partagé  par  M.  Auguste  Tolbecque,  qui.  tout  en 
l'exprimant,  indique  néanmoins  avec  netteté  les  causes  pour  lesquelles, 
en  dépit  de  sa  très  haute  valeur,  il  ne  saurait,  au  point  de  vue  général, 
être  considéré  comme  l'égal  de  Stradivarius  : 

J'ai  parlé,  dit-il,  de  Guarnerius  del  Gesù;  je  dois  dire  que  les  vio- 
lons de  ce  dernier  ,  tout  en  présentant  des  différences  avec  ceux  de  Stradiva- 
rius dans  la  combinaison  des  formes  extérieures,  de  celles  des  ouïes,  de  la 
tête,  etc.,  méritent  d'être  admirés  pour  la  hardiesse,  l'originalité  et  celte  in- 
dépendance du  faire  qui  est  la  caractéristique  du  génie.  Ces  qualités  de  pre- 
mier ordre  se  trouvent  à  un  haut  degré  dans  les  instruments  exécutés  par  ce 
violonier  célèbre.  Mais  combien  Guarnerius  est  moins  complet  et  surtout 
moins  égal  que  son  illustra  émule  !  Et  puis,  il  n'a  produit  que  des  violons, 
alors  que  Stradivarius  a  construit,  avec  un  égal  talent  et  toujours  avec  la 
même  perfection,  les  instruments  les  plus  divers.:  violons,  altos,  violoncelles, 
pochettes,  sistres,  viole  di  gamba,  violes  d'amour,  etc.,  tous  également  admi- 
rables aussi  bien  par  la  facture  que  par  le  vernis  (1). 

Ceci  nous  amène  à  parler  du  vernis,  partie  singulièrement  importante 
de  la  lutherie,  non  seulement  en  ce  qui  concerne  la  nature  et  la  beauté 
de  la  substance  employée,  sa  couleur,  sa  chaleur,  sa  transparence, 
mais  aussi  pour  ce  qui  est  de  la  façon  de  l'appliquer,  qui  réclame  une 
habileté  et  un  soin  tout  particuliers.  En  effet,  posséder  un  bon  vernis  et 
l'appliquer  avec  succès  sont  deux  choses  distincies.  Là  encore,  comme 
Stradivarius,  Guarnerius  était  passé  maitre. 

Depuis  l'époque  où  la  grande  lutherie  italienne  a  commencé  à  tomber 
dans  l'état  de  décadence  qui  est  devenu  aujourd'hui  si  complet  et  si  dé- 
plorable, le  fameux  vernis  des  grands  maîtres  de  Crémone  a  disparu 
peu  à  peu,  si  bien  qu'il  est  maintenant  impossible  d'en  reconstituer  la 
recette.  Toutes  les  recherches  faites  à  ce  sujet  depuis  plus  d'un  siècle 
sont  restées  vaines,  et  ce  n'est  pas  faute  qu'elles  aient  été  nombreuses. 
Ce  vernis,  si  flatteur  à  l'œil  et  d'une  si  grande  richesse  dans  sa  variété, 


de  mille  manières  cette  série  de  courbes,  il  a  toujours  fidèlement  maintenu  le  carac- 
tère de  son  dessin.  Comparez  son  système  à  celui  de  Joseph  Guarnerius  del  Gesù; 
dès  que  celui-ci  a  fixé  la  position  des  trous  du  haut,  il  découpe  apparemment  le 
restant  de  ses  //au  hasard,  sans  s'efforcer  en  rien  de  maintenir  un  dessin  tradition- 
nel. Tantôt  il  obtient  un  résultat  magnifique;  tantôt  l'effet  est  fort  original,  mais  très 
éloigné  de  la  beauté.  » 

1  :  L'Art  du  Lulliier.  —  Il  y  a  ici  peut-être  une  légère  erreur,  car  on  assure  qu'il 
existe  un  certain  nombre  d'altos  de  Joseph  del  Gesù. 


tantôt  jaune  brun  comme  chez  les  Amati,  tantôt  d'un  rouge  plein  de 
chaleur  ou  d'un  superbe  jaune  ambré  comme  chez  Stradivarius,  tantôt 
rouge  brun  et  d'une  pu  te  très  fine  comme  chez  Montagnana,  tantôt  enfin 
d'unbeau  jaune  doré  ou  d'un  rose  rouge  sur  fond  ambré  comme  sur  les 
violons  de  choix  de  Guarnerius,  ce  vernis  qui  non  seulement  répand 
son  influence  bienfaisante  sur  la  sonorité  d'un  instrument,  mais  qui  en 
complète  la  beauté  par  ses  reflets  chatoyants,  pleins  tout  à  la  fois  de 
richesse,  de  douceur  et  d'éclat,  est  passé  aujourd'hui  à  l'état  de  souve- 
nir. Les  chercheurs,  pourtant,  je  l'ai  dit.  n'ont  pas  manqué.  L'un  d'eux, 
un  amateur.  Eugène  Mailand,  s'est  livré  à  un  travail  très  intelligent, 
qu'il  a  fait  connaître  en  tous  ses  détails  dans  un  petit  volume  ainsi 
intitulé  :  Découverte  des  anciens  vernis  italiens  employés  pour  les  ins- 
truments à  cordes  et  à  archet  (Paris,  Lahure,  1838,  in-12),  livre  dont  le 
succès  a  été  tel  auprès  des  intéressés  qu'il  est  devenu  aujourd'hui  abso- 
ment  introuvable.  Un  autre,  un  violoniste  obscur,  nommé  Victor  Gri- 
vel.  qui  faisait  partie  de  l'orchestre  du  théâtre  de  Grenoble,  a  publié  de 
son  côté  une  brochure  sous  ce  titre  :  Vernis  des  anciens  luthiers  d'Italie, 
perdu  depuis  le  milieu  du  XVIII'  siècle,  retrouvé  par  V.  Grivel  (Grenob'e, 
Allier,  1867,  in-8°).  Mais,  quoi  qu'ils  en  pussent  dire  et  penser,  le  ré- 
sultat obtenu  par  l'un  et  l'autre  est  absolument  hypothétique,  et  le 
secret  du  vernis  des  luthiers  de  Crémone  reste  entouré  du  plus 
profond  mystère. 

Avant  eux,  Nicolas  Lupot,  qui  est  assurément  le  premier  des  lu- 
thiers français,  croyait,  lui  aussi,  avoir  retrouvé  le  vernis  de  ses 
anciens  confrères  italiens.  Quelle  que  soit  la  valeur  de  celui  qu'il  em- 
ployait sur  ses  très  beaux  instruments,  qu'on  recherche  avidement 
aujourd'hui,  il  est  certain  pourtant  qu'il  n'était  ni  celui  de  Stradivarius 
ou  de  Guarnerius,  ni  celui  de  Bergonzi  ou  de  Montagnana.  Son  ami, 
l'excellent  abbé  Sibire,  aussi  hyperbolique  dans  ses  louanges  que  nar- 
quois dans  ses  critiques,  ne  craint  pas,  pour  glorifier  la  trouvaille  de 
Lupot,  d'employer  le  langage  des  dieux.  Il  commence  par  indiquer  le 
fait  en  simple  prose  :  —  «  La  mode  aussi  expéditive  que  pernicieuse  du 
vernis  à  l'esprit-de-vin,  dit-il,  avait  anéanti  depuis  près  d'un  siècle 
l'usage  et  le  secret  de  l'antique  vernis.  Le  nouvel  inventeur  est  parvenu 
à  recréer  l'un  et  l'autre.  Il  y  a  déjà  longtemps  qu'il  emploie  unique- 
ment le  même  vernis,  et  comme  il  vient  novissime  d'en  perfectionner  la 
teinte  sur  le  modèle  du  plus  beau  des  miens,  dans  son  nouveau  quatuor, 
il  offre  avec  confiance  aux  vrais  appréciateurs  ce  quadruple  échantillon, 
très  sur  d'avance  de  la  parfaite  identité;  et  il  défie  le  plus  habile  chi- 
miste qui  tentera  de  le  décomposer  de  trouver  entre  ses  éléments  et 
ceux  qui  se  trouvent  dans  le  beau  vernis  de  Stradivarius  une  ombre  de 
différence.  » 

Et  pour  terminer,  c'est  en  ces  termes  que  le  bon  abbé  enfourche 
Pégase,  qui  tout  de  même  reste  un  peu  rétif  à  son  enthousiasme  : 
Du  plus  grand  des  luthiers  imitateur  fidèle, 
Lupot  a  recréé  le  vernis  précieux  ; 
C'est  de  son  coloris  le  ton  harmonieux, 
Et  la  copie  est  le  modèle  (1). 

On  put  croire  un  instant,  pourtant,  que  le  secret  du  vernis  personnel 
de  Stradivarius  n'était  pas  à  jamais  perdu.  Il  existait  encore  en  Italie 
de  nombreux  descendants  du  grand  luthier.  L'un  d'eux,  nommé  Gia- 
como  Stradivarius,  et  qui  prit  part  comme  volontaire,  en  1848,  à  la 
guerre  de  l'indépendance  contre  les  Autrichiens,  avait  retrouvé  la  re- 
cette même  de  ce  vernis,  dont,  quoique  n'étant  pas  luthier,  il  appréciait 
l'importance  et  comprenait  la  valeur.  Il  racontait  lui-même  comment 
le  hasard  lui  avait  fait  faire  cette  découverte  :  —  «  A  la  mort  de  mon 
père,  dit-il,  j'étais  encore  tout  jeune.  Quelques  années  plus  tard,  notre 
famille  se  décida  à  déménager.  Naturellement,  il  fallut  passer  en  revue 
tout  ce  qui  nous  appartenait.  Quand  j'examinai  nos  vieux  livres,  une 
Bible  attira  mon  attention:  je  l'ouvris,  et  je  lus  ce  qui  était  écrit  à 
l'intérieur  de  la  reliure.  Souvent  j'avais  entendu  parler  de  l'habileté  de 
mon  fameux  aïeul,  et  de  la  renommée  du  vernis  dont  il  se  servait.  Et 
je  venais  d'en  découvrir  la  recette  !  Je  reconnus  toute  l'importance  de 
ma  découverte,  et  je  me  décidai  à  m'emparer  du  livre,  sans  en  parler 
même  à  ma  mère.  Mais  je  ne  savais  comment  cacher  ce  gros  volume. 
Immédiatement  je  résolus  de  prendre  une  copie  exacte  de  la  recette, 
datée  de  1704,  puis  de  détruire  le  livre,  et  c'est  ce  que  je  fis  ». 

Cette  destruction  était  sotte,  puisque  son  auteur  se  privait  ainsi  de  la 
seule  preuve  qu'il  put  donner  de  l'authenticité  du  document  transcrit 
par  lui.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  recette  du  moins  était  en  ses  mains.  Mais 
il  la  jugeait  si  précieuse  qu'il  ne  voulut  jamais,  à  quelque  prix 
que  ce  fût,  ni  s'en  défaire,  ni  la  communiquer.  Un  amateur,  son  com- 
patriote, nommé  Mandelli,  lui  ayant  demandé  cette  communication, 
en  reçut,  sous  forme  de  la  lettre  que  voici,  un  refus  absolu  : 

(1)  La  Chêlonomie  ou  le  Parfait  Luthier. 


LE  MÉNESTREL 


277 


...Vous  me  demandez  une  impossibilité,  que  je  ne  puis  vous  accorder,  puis- 
que je  n'ai  jamais  confié  le  secret  même  à  ma  femme  ou  à  mes  fdles.  Je  veux 
montrer  un  esprit  de  suite,  et  demeurer  fidèle  a  la  résolution  que  je  formai 
dans  ma  jeunesse  de  ne  jamais  révéler  à  personne  la  teneur  de  la  précieuse 
recette,  m'en  tenant  aux  conclusions  que  j'établis  quand  j'étais  encore  presque 
enfant;  c'est  que  dans  le  cas  où  d'autres  Stradivarius  •-  mes  fils,  neveux, 
pelils-fils  ou  petits-neveux  —  deviendraient  des  artisans,  surtout  s'ils  choi- 
sissaient  le  métier  de  notre  célèbre  aïeul,  ils  eussent  au  moins  l'avantage  de 
posséder  la  recette  de  son  vernis,  qui,  à  coup  sur,  leur  serait  d'une  grande 
utilité  dans  leur  carrière.  Permettez-moi  de  vous  prouver  la  fidélité  avec  la- 
quelle j'ai  observé  cette  résolution. 

En  1848,  après  avoir  fait  toute  la  campagne  comme  volontaire,  je  m'établis 
à  Turin,  en  attendant  que  la  politique  nous  donnât  des  temps  meilleurs.  Le 
gouvernement  autrichien  ne  permettait  pas  à  ses  administrés  italiens  d'expé- 
dier, de  leurs  villes  na'ales,  des  secours  pécuniaires  aux  proscrits.  Il  me  fallut 
donc,  pour  vivre,  accepter  une  place  de  copiste  au  conseil  d'État,  trop  heu- 
reux de  pouvoir  ainsi  gagner  mon  pain  quotidien.  Eli  bien,  un  Français, 
dont  j'avais  fait  la  connaissance  chez  M.  Plomba,  libraire,  et  qui  faisait  un 
voyage  en  Italie  exprès  pour  se  procurer  des  instruments  anciens,  m'offrit 
d'abord,  en  échange  de  la  fameuse  recette,  la  somme  de  23  napoléons  ;  puis, 
sur  mon  refus,  il  fit  monter  le  chiffre  jusqu'à  50  napoléons.  Souvenez-vous 
bien  qu'à  celte  époque  les  cinquante  napoléons  représentaient  pour  moi  au- 
taut  de  frères!  et  cependant  j'eus  le  courage  de  résistera  la  tentation.  Quelques 
années  plus  tard,  M.  Vuillaume  et  le  comte  Gastelbarco  me  firent  d'autres  pro- 
positions; mais  toujours  je  restai  fidèle  aux  résolutions  de  ma  jeunesse.  Ai-je 
eu  tort?  N'importe!  Je  ne  vois  aucun  motif  de  m'en  repentir  (1). 

Grâce  au  doux  entêtement  de  cet  excellent  toqué,  l'art  de  la  lutherie, 
qui  n'est  pas  aujourd'hui,  il  faut  Lien  le  dire,  dans  l'état  le  plus  floris- 
sant, perd  la  possibilité  de  connaître  la  recette  d'un  vernis  qui,  impuis- 
sant assurément  à  améliorer  la  construction  des  instruments,  n'en 
pourrait  pas  moins  rendre  de  grands  services  (2). 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(pour  LES  SEULS    \1)0\\ÉS  a  la   musique) 


Et  voici  de  la  musique  très  sérieuse.  M.  Emil  Frey  est  un  des  élèves  préférés  du 
maître  Widor,  qui  croit  fort  en  son  grand  avenir.  Dame!  c'est  tout  jeune  encore  et 
cela  veut  naturellement  prouver  beaucoup.  Le  commencement  de  cette  Romance 
s'annonce  mélodiquemeat  dans  une  forme  assez  simple.  Mais  il  est  clair  que  le 
morceau  se  complique  ensuite  dans  des  développements  intéressants,  mais  un  peu 
ardus  parfois.  Il  faudra  étudier  souvent  cette  Romance,  et  la  mettre  à  plusieurs 
reprises  sur  le  métier,  avant  de  s'en  rendre  tout  à  fait  maître.  Heureusement,  son 
mouvement  lent  d'andante  permet  tous  les  espoirs. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 
De  notre  correspondant  de  Belgique  (26  août).  —  Ainsi  que  je  vous  l'ai 
annoncé,  il  y  a  un  mois  déjà  (mon  indiscrétion  n'a  pas  été  sans  contrarier  un 
peu  les  sympathiques  directeurs,  je  ne  sais  pourquoi,  car  la  voici  tout  de 
même  vérifiée),  la  réouverture  de  la  Monnaie  est  fixée  au  mercredi  9  septem- 
bre, et  se  fera  avec  Lohengrin,  chanté  par  M"e  Seroen  et  Lucey,  deux  débu- 
tantes, M.  Galinier,  la  nouvelle  basse,  MM.  Verdier,  Bourbon  et  Petit.  Je  vous 
ai  dit  précédemment  la  composition  de  la  troupe,  du  moins  en  ce  qui  concerne 
les  principaux  sujets.  La  voici,  complète,  telle  qu'elle  me  parvient  à  l'instant. 
MM.  Sylvain  Dupuis,  Ernaldy  et  Van  Hout  restent  chefs  d'orchestre,  M.  De 
Béer,  régisseur  général,  sera  assisté  de  M.  Merle- Forest,  et  M.  Ambrosiny 
continue  à  être  maître  de  ballet,  ce  dont  tout  le  monde  sera  ravi.  Comme 
chanteuses,  le  tableau  de  la  troupe  porte  les  noms  de  Mmes  Pacary,  Charles- 
Mazarin,  Croiza,  Laffitte,  Seroen,  Lucey,  Dupré,  Etty,  Bourgeois,  Olchansky, 
Eyreams,  Symiane,  De  Brolle,  Berelly.  Jane  Paulin,  Beaumont,  Benonard, 
Florin  et  Aubry.  Les  ténors  sont  MM.  Laffitte,  Verdier,  Morati,  Saldon, 
Nandès,  Delrue,  Dua  et  Caisso  ;  les  barytons,  MM.  De  Cléry,  Bourbon,  Les- 

(1)  On  peut  consulter  sur  cette  histoire  bizarre  l'excellent  livre  de  MM.  Hill  : 
Antoine  Stradivarius,  sa  vie  et  son  œuvre. 

i2)  Dans  la  première  édition  de  la  Biographie  universelle  des  Musiciens,  Fétis  a  rap- 
porté un  fait  du  môme  genre,  qu'il  n'a  pas,  j'ignore  pour  quelle  raison,  reproduit 
dans  la  seconde  :  —  a  Vers  1186,  disait-il,  un  descendant  des  Amati  se  présenta  à 
Orléans  chez  MM.  Lupot  et  flls,  demandant  à  travailler.  Les  violons  qu'il  construisit 
excitèrent  l'admiration  de  ses  patrons,  mais  lorsqu'il  fut  question  de  les  vernir,  il  ne 
voulut  jamais  composer  ses  vernis  en  présence  de  qui  que  ce  fût,  disant  que  c'était 
un  secret  de  famille  qu'il  ne  lui  était  pas  permis  de  divulguer,  et  plutôt  que  de  s'en 
dessaisir  il  préféra  quitter  l'atelier,  et  même  la  ville.  On  ne  sait  ce  qu'il  est  devenu 
depuis  lors.  » 


telly,  Petit,  Délaye,  Ilicrnaux  et  Collin  ;  les  basses,  MM.  Galinier,  Artus, 
Billot,  La  Tasto  et  Danlée.  Le  corps  de  ballet  a  pour  chefs  MM.  Ambroisiny 
et  Deschamps,  et  M"«  Gerny,  Peluccbi,  Legrand,  Verdoot,  .Tamet  et  Beruc- 
cini  en  sont  le  gracieux  ornement.  Enfin,  le  prix  des  places  ne  cesse  pas 
d'être  d'un  bon  marché  qui  fait  de  la  Monnaie  le  théâtre  le  plus  accessible  au 
public  et,  étant  données  les  exigences  de  ce  public,  le  plus  prodigieusement 
difficile  à  administrer. 

Un  projet  très  important  est  soumis  aux  études  des  services  techniques  de 
la  Ville  de  Bruxelles  et  le  sera  bientôt  à  l'approbation  du  Conseil  communal. 
Il  consiste  à  agrandir  la  scène  de  la  Monnaie,  à  la  transformer  sur  le  modèle 
des  nouveaux  théâtres  allemands  et  d'accord  avec  les  plus  récents  progrès  de 
la  machinerie.  Il  a  pour  auteur  M.  Rosenberg,  l'architecte- ingénieur  du  nou- 
veau théâtre  de  Cologne,  un  modèle  du  genre,  et  coûterait  environ 
600.000  francs.  On  profiterait  des  vacances  théâtrales  de  l'été  prochain  pour 
l'exécuter  (le  projet,  pas'  M.  Rosenherg).  Espérons  que  l'indifférence  et  la 
pingrerie  habituelles  de  nos  administrations  politiques  en  matière  de  choses 
d'art  n'y  mettra  pas  obstacle.  L.  S. 

—  Il  semble  que  la  construction  de  nouveaux  bâtiments  pour  l'Opéra-Royal 
de  Berlin  est  chose  maintenant  complètement  décidée.  Ainsi  que  cous  le 
disions  la  semaine  dernière,  l'emplacement  choisi  comprendra  les  terrains  sur 
lesquels  s'élève  actuellement  la  salle  Kroll,  tout  près  du  Kœnigsplalz.  Comme 
compensalion  pour  l'abandon  de  ces  terrains,  la  ville  de  Berlin  recevrait 
l'immeuble  tout  entier  du  vieil  Opéra-Royal  et  pourrait  y  donner  des  repré- 
sentations. Toutefois,  on  dit  à  Berlin  qu'avant  la  réalisation  de  ces  projets 
beaucoup  d'eau  coulera  encore  dans  le  lit  de  la  Sprée. 

—  Nous  avons,  d'autre  part,  parlé  des  nouvelles  entreprises  d'opéra  en  pro- 
jet ou  en  voie  d'exécution  à  Berlin.  L'Allgemeine  Musik-Zeitung  les  apprécie  à 
sa  manière,  ajoute  quelques  détails  et  fait  quelques  rectifications  à  ce  qui 
avait  été  dit  antérieurement.  Nous  lui  empruntons  ce  qui  suit  :  «  La  fièvre 
de  fondations  d'opéras  s'étend  toujours  de  plus  en  plus.  Voici  maintenant  que 
le  directeur  du  nouveau  théâtre  d'opérette,  M.  Victor  Pallî,  se  présente  au 
public  avec  une  entreprise  soi-disant  déjà  complètement  élaborée  et  pourvue 
d'appuis  financiers.  Cet  optimiste  veut  établir  son  opéra  à  prix  réduits,  dans 
la  Potsdamerstrasse,  à  proximité  de  l'ancien  jardin  botanique.  Le  projet  de 
construction  «  de  grand  style  »,  pour  lequel  on  attend  avec  impatience  l'as- 
sentiment de  la  police,  comporte  une  dépense  évaluée  à  (rois  millions.  Le 
théâtre  doit  être  inauguré  le  1er  septembre  1910.  Les  places  les  plus  chères 
seront  à  5  francs,  par  abonnement  2  fr.  30.  On  ne  se  tromperait  pas  peut-être 
en  pensant  que  tout  ce  grand  projet  n'est  pas  autre  chose  qu'une  réclame  «  de 
grand  style  »  pour  une  spéculation  sur  les  terrains.  —  A  côté  de  ce  projet  se 
place  celui  d'un  second  opéra  que  le  directeur  Hans  Gregor  a  en  vue  de  consti- 
tuer pour  l'année  1913,  époque  à  partir  de  laquelle  les  oeuvres  de  Richard 
Wagner  tomberont  dans  le  domaine  public.  Ce  <i  Théâtre-Richard- Wagner  », 
comme  on  l'appellera,  contiendra  de  2.000  à  2.500  personnes.  A  coté  de  lui, 
M.  Hans  Gregor  maintiendra  son  Opéra-Comique.  Il  espère,  au  moyen  de 
cette  combinaison  de  deux  théâtres  exploités  concurremment,  parvenir  à  réali- 
ser des  économies  suffisantes  pour  pouvoir  donner  des  représentations 
d'opéra  populaire  à  prix  réduits.  Supposé,  par  exemple,  qu'il  possède  pour 
chacune  des  deux  scènes  théâtrales  un  orchestre  de  72  musiciens  et  un  chœur 
de  30  chanteurs,  lorsqu'il  donnera  sur  l'une  de  ces  scènes  un  ouvrage  exi- 
geant un  orchestre  et  un  chœur  renforcés,  il  fera  jouer  sur  l'autre  scène, 
transformée  en  Opéra-Populaire,  une  œuvre  d'un  caractère  différent  n'exi- 
geant qu'un  orchestre  réduit  et  pas  de  chœurs.  Il  faut  attendre  pour  savoir  ce 
qu'il  adviendra,  en  fait,  de  tous  ces  beaux  projets.  Ce  que  pourra  devenir  un 
second  grand  opéra  permanent  à  Berlin  quand  le  répertoire  wagnérien  pourra 
être  joué  librement,  cela  parait  très  clair  pour  tous;  mais  cette  institution 
pourra-t-tlle  se  soutenir  en  laissant  les  places  à  des  prix  aussi  réduits  que 
ceux  annoncés;  cela,  c'est  une  tout  autre  affaire.  Car,  de  bonnes  représenta- 
tions, —  et  celles-là  seulement  doivent  être  envisagées  dans  un  théâtre  dési- 
reux de  vivre,  —  exigent  des  frais  trop  considérables  pour  qu'ils  puissent 
être  couverts  par  des  «  prix  populaires  ».  A  ce  point  de  vue,  le  projet  de 
M.  Gregor  nous  parait  mériter  d'attirer  l'attention  beaucoup  plus  que  le  pré- 
cédent. » 

—  Un  larcin  audacieux,  qui  remplit  d'indignation  la  ville  de  Francfort  tout 
entière,  vient  d'être  commis  à  la  mairie.  En  compulsant  les  registres  de  l'état- 
civil,  un  employé  s'est  aperçu  qu'un  malfaiteur  ou  un  maniaque  y  a  découpé 
l'acte  de  naissance  de  Gœthe. 

—  A  l'occasion  de  la  troisième  assemblée  de  l'LTnion  des  luthiers  allemands 
une  exposition  a  été  organisée  au  Théâtre-Central  de  Leipzig.  Elle  renferme 
des  centaines  de  violons  et  autres  instrumeuts  à  cordes  des  meilleurs  cons- 
tructeurs de  l'Allemagne  et  un  certain  nombre  de  spécimens  précieux  de 
Stradivarius,  Amati,  Baptista  Guadagaini,  Bergonzi,  Gasparo  da  Salo,  Jacob 
Stainer,  etc.  Ces  instruments  sont  estimés  à  des  prix  de  18.000,  25.0ÛO.  30.000 
et  même  40.000  francs. 

—  On  se  souvient  peut-être  encore  du  malheureux  chanteur  Théodore 
Bertram,  qui  se  suicida  dans  un  hùtel  de  Bayreuthau  mois  de  novembre  der- 
nier. Le  propriétaire  de  cet  hôtel  vient  de  faire  insérer  dans  le  Baijrisches 
Tageblatt,  l'avis  suivant,  entouré  d'un  filet  noir  :  a  A  vendre,  les  œuvres  pos- 
thumes poétiques  de  M.  le  chanteur  de  la  chambre  Théodore  Bertram  et  ses 
hardes  ayant  quelque  valeur.  Cela  pour  me  permettre  de  recouvrer  au  moins 
quelque  chose  des  avances  que  je  lui   ai  faites.  Hôtel  de  la  Gare,  Bayreutb. 


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LE  MÉNESTREL 


Berlram,  après  avoir  touché  de  gros  appointements,  qui  s'élevèrent  jusqu'à 
50.000  francs,  était  tombé  dans  la  détresse  et  se  trouvait  menacé  do  perdre  sa 
voix.  En  février  1907,  sa  troisième  femme,  qu'il  avait  très  vivement  aimée, 
Charlotte  Weckerlich,  était  morte  tragiquement  dans  le  naufrage  duo  Berlin», 
à  Hoek,  sur  la  côte  hollandaise. 

—  M.  Burrian.  le  ténor  allemand  qui  vint  à  Paris  chanter  la  Salomé  de 
M.  Richard  Strauss,  continue  à  faire  beaucoup  parler  de  lui  en  dehors  du 
théâtre.  Nous  avons  reproduit  dimanche  l'annonce  qu'il  a  fait  passer  dans  un 
journal  de  Dresde  pour  trouver  un  logement,  voici  maintenant  que  nous 
parvient  la  nouvelle  qu'il  a  été  arrêté  à  Marienbad.  Il  était  venu,  de  Bayreuth 
dans  la  célèbre  ville  d'eaux  pour  y  chanter  Siegfried  devant  le  roi  d'Angleterre. 
On  ne  l'a  pas  arrêté  avant  qu'il  entrât  en  scène,  les  agents  s'étant  laissé  con- 
vaincre par  la  direction  qu'il  ne  convenait  point  de  «  troubler  le  plaisir  du  roi 
Edouard  ».  M.  Burrian  ne  fut  donc  appréhendé  au  corps  qu'après  la  représen- 
tation, et  ce,  à  la  requête  de  plusieurs  créanciers. 

—  Le  conseil  municipal  de  Vienne  vient  de  réaliser  le  projet  dont  nous 
avons  parlé  déjà,  d'acquérir  la  maison  natale  de  Schubert,  une  bâtisse  à  un 
seul  étage,  sise  au  n°  54  de  la  Nussdorforstrasse  et  portant  l'enseigne  «  A 
l'Écrevisse  rouge  ».  Le  prix  payé  a  été  de  100.000  couronnes.  On  pense  que 
l'ouverture  du  Musée-Schubert  que  l'on  veut  installer  dans  l'immeuble  pourra 
se  faire  à  la  fin  d'octobre.  L'Association- Schubert,  de  Vienne,  prépare  pour 
la  circonstance  un  festival  d'oeuvres  du  maitre. 

—  La  Fondation-Mozart,  de  Salzbourg,  a  reçu  de  Mmc  Lilli  Lehmann,  un 
don  de  2.000  couronnes. 

—  La  nouvelle  société  Bach  nous  communique  le  programme  suivant  de 
son  quatrième  festival,  qui  doit  avoir  lieu  à  ChemniU  au  mois  d'octobre  pro- 
chain. Samedi  3  octobre,  concert  de  musique  religieuse  dans  l'église  Saint-Luc; 
on  donnera  la  Hohe  Messe  de  Bach,  chantée  par  la  maîtrise.  Dimanche, 
4  octobre,  dans  l'après-midi,  concert  de  musique  de  chambre  comprenant, 
entre  autres  ouvrages,  la  Cantate  pour  un  jour  de  noces  de  Bach;  le  soir,  second 
concert  de  musique  religieuse,  dans  l'église  Saint-Jacques;  on  exécutera  des 
motets,  des  cantates  et  des  morceaux  d'orgue  du  maitre.  Le  lundi  5  octobre, 
dans  la  matinée,  il  y  aura  une  réunion  des  membres  de  la  nouvelle  société 
Bach;  le  soir,  un  concert  d'orchestre  terminera  les  fêtes.  On  y  entendra  le 
Concerto  brandehourgeois  n°  3,  un  concerto  pour  piano,  un  concerto  pour 
violon  et  une  cantate. 

—  Une  nouvelle  ordonnance  concernant  les  places  debout,  dans  les  théâtres 
nouveaux  qui  se  construiront  en  Autriche  exige  que  des  barres  de  fer 
parallèles  à  la  scène  permettent  à  chaque  personne  de  s'aligner  sans  désordre. 
Les  spectateurs  de  ces  places  recevront  au  guichet  un  numéro  individuel 
correspondant  à  l'espace  qu'ils  devront  occuper.  Cet  espace  devra  être  d'une 
largeur  de  50  centimètres  au  minimum. 

—  On  annonce  pour  la  prochaine  saison  d'hiver,  à  Milan,  un  opéra  nouveau 
en  deux  actes  de  M.  Virgilio  Ranzata,  sur  un  livret  de  M.  Adone  Nosari.  Il  a 
pour  titre  :  Jus  vêtus.  L'action  se  passe  en  Italie  au  XIIIe  siècle. 

—  M.  Angelo  Neumann,  le  directeur  du  Théâtre  allemand  de  Prague,  a 
célébré  il  y  a  quinze  jours,  le  soixante-dixième  anniversaire  desanaissance.Ses 
admirateurs  lui  ont  offert  à  cette  occasion  un  album  contenant  les  portraits 
de  tous  les  compositeurs,  poètes,  chefs  d'orchestre,  chanteurs,  acteurs  et  vir- 
tuoses avec  lesquels  il  a  été  en  relations,  soit  en  qualité  de  directeur  de 
théâtre,  soit  en  qualité  d'organisateur  de  concerts.  M.  Angelo  Neumann  a 
publié  l'année  dernière  un  livre  intitulé  Souvenirs  sur  Richard  Wagner.  Puisque 
l'occasion  s'en  présente,  recueillons  à  travers  les  pages  de  cet  ouvrage  un 
bouquet  d'anecdotes  ;  quelques-unes  sont  fort  intéressantes.  Au  printemps  de 
1864,  Neumann,  qui  ne  connaissait  pas  encore  Wagner,  se  trouvant  à  Stutt- 
gart pour  chanter  Don  Juan,  était  descendu  à  l'hôtel  Marquardt.  Désireux  de 
se  livrer  à  quelques  études  et  de  travailler  dans  le  recueillement,  il  fut  très 
désagréablement  surpris  de  constater  que  son  voisin  de  chambre  se  promenait 
du  matin  au  soir  à  grands  pas,  ayant  aux  pieds  des  bottes  qui  faisaient  sans 
relâche  un  bruit  infernal.  «  Quel  est  donc  le  personnage  que  j'ai  à  coté  de 
moi,  dit-il  au  garçon,  il  se  démène  comme  un  lion  dans  sa  cage.  »  —  «  C'est 
un  nommé  Richard  Wagner  »  lui  fut-il  répondu.  Rencontrant  peu  d'instants 
après  le  propriétaire  de  l'hôtel,  Neumann  lui  dit  sa  satisfaction  d'avoir  Wagner 
pour  voisin,  ajoutant  qu'il  supportait  bien  volontiers  les  bruits  qui  l'avaient 
d'aborij  exaspéré.  «  Je  suis  bien  aise  que  cet  artiste  vous  soit  sympathique, 
dit  alors  Marquardt,  car  je  dois  vous  avouer  confidentiellement  qu'il  est  en  ce 
moment  dans  de  cruels  embarras  d'argent  ;  il  n'ose  plus  venir  à  la  table  d'hôte 
parce  que  l'usage  ici  est  de  payer  immédiatement  après  chaque  repas  ;  allez 
donc  le  trouver  et  dites-lui  que  mes  deux  meilleures  chambres  sont  à  sa  dis- 
position et  que  je  l'invite  à  la  table  d'hôte  sans  qu'il  ait  rien  à  débourser;  je 
suis  trop  heureux  d'avoir  chez  moi  un  homme  de  sa  valeur  ».  Neumann  n'osa 
pas  faire  la  commission  lui-même  ;  il  en  chargea  les  époux  Eckert,  qui  étaient 
dans  l'iutimité  de  Wagner.  Ceux-ci  avaient  déjà  écrit  à  Vienne  pour  faire 
venir  une  somme  de  700  florins  qu'ils  voulaient  offrir  à  Wagner  pour  lui  per- 
mettre de  retourner  en  Suisse.  Le  soir  même  de  ce  jour,  Wagner  assistait  à 
la  représentation  de  Bon  Juan  et  s'en  montrait  entièrement  satisfait.  Le  len- 
demain, il  recevait  l'offre  du  roi  de  Bavière  de  se  rendre  à  Munich  et  partait 
aussitôt  pour  celte  ville.  —  Huit  ans  plus  lard,  en  1872.  Wagner  fut  appelé  a 
Vienne  pour  assister  aux  représentations  de  Rienzi  à  l'Opéra.  Le  directeur, 
Johann  Herheck,  avait  fait  de  son  mieux  pour  l'interprétation  et  la  mise  en 
scène  ;   le  spectacle   lini,  il  s'empressa  de  courir  chez  Wagner,   espérant  des 


félicitations,  mais  quel  ne  fut  pas  son  dépit  lorsqu'il  reçut  ces  mots  pour  tout 
remerciement  :  «  Au  chanteur  à  qui  vous  avez  attribué  le  rôle  de  Rienzi,  je 
ne  voudrais  pas  accorder  ma  confiance  même  pour  porter  la  caisse  vide  d'un 
violon  ». 

Wagner  montra  plus  de  tact  en  une  autre  circonstance.  Il  dirigea  le 
12  mai  1872  un  concert  à  Vienne  et  la  Symphonie  héroïque  était  au  programme. 
Pendant  le  trio  du  Scherzo,  le  corniste  Richard  Levy  manqua  une  ou  deux 
notes  et  tira  de  son  instrument  un  bruit  terriblement  antimusical.  Le  poète 
comique  Mauthner,  qui  occupait  dans  la  salle  une  place  au  premier  rang, 
éclata  de  rire  aussitôt,  et  sans  aucune  discrétion.  Pendant  l'entracte,  on 
entoura  beaucoup  Wagner,  qui  s'écria  en  présence  de  Mauthner  :  «  C'est  un 
crime  de  se  moquer  d'un  corniste  à  cause  d'une  note  manquée  ;  on  devrait 
savoir  comprendre  la  difficulté  de  tirer  du  métal  réfractaire  un  son  idéal, 
lorsque  la  moindre  gouttelette  d'eau  peut  mettre  en  défaut  l'habileté  du  plus 
grand  virtuose.  »  Alors,  il  embrassa  l'artiste  pour  lui  témoigner  son  estime. 
Sur  quoi,  Levy,  très  spirituel  et  plein  d'à-propos,  apostropha  Mauthner  : 
«Cher  Mauthner,  ce  n'était  pas  gentil  de  votre  part,  de  rire  de  mon  accident.  » 
Mauthner  voulut  s'excuser,  mais  Levy  ne  lui  permit  pas  de  dire  un  mot. 
«  Non,  continua-t-il  avec  bonne  humeur,  non,  non  cher  Mauthner,  c'était 
vraiment  très  mal  et  très  ingrat  de  votre  part,  car,  voyez-vous,  moi,  j'ai  assisté 
à  toutes  vos  comédies  et  je  n'ai  pas  ri  une  seule  fois.  »  Cette  saillie  si  fine  et 
si  mordante  produisit  dans  l'assistance  une  folle  hilarité  ;  Wagner  s'y  mêla 
plus  bruyamment  que  tous  les  autres. 

—  La  saison  de  San  Carlo,  à  Naples,  sous  la  direction  de  M.  de  Sanna. 
s'ouvrira  vers  le  milieu  du  mois  de  décembre  par  la  représentation  d'un 
ouvrage  qui  n'est  pas  encore  désigné.  On  jouera  ensuite  Humlet  d'Ambroise 
Thomas,  Aida,  Don  Carlos  de  Verdi,  Thaïs  de  Massenet,  Roméo  et  Juliette  de 
Gounod.  Raléliff  de  Mascagni,  Gloria  de  Cilea,  et  Peruginade  Lorenzo  Masche- 
roni. 

—  M.  Ch.  Quef,  organiste  de  la  Trinité,  vient  de  donner  à  Londres  une  série 
de  récitals;  par  son  jeu  clair  et  précis,  son  interprétation   artistique   et  aussi  , 
par  l'exécution  de  ses  œuvres,  il  remporta  un  double  succès  de  virtuose  et  de 
compositeur. 

—  Un  statisticien  assure  qu'il  y  a  aujourd'hui  en  Angleterre  390.000  enfants 
s'adonnant  à  l'étude  du  violon. 

—  De  Lucerne.  M.  Gabriel  Fauré,  qui  prend  ses  vacances  en  Suisse,  vient 
de  donner  un  concert  au  Ivursaal  de  Lucerne  et  l'éminent  directeur  du  Conser- 
vatoire de  Paris  a  obtenu,  en  compagnie  de  Mlne  Jeanne  Raunay  et  de  l'or- 
chestre de  M.  Fumagalli,  un  succès  triomphal. 

—  De  Constanlinople  :  Le  sultan  a  commencé  à  limiter  les  frais  de  sa  mai- 
son en  renvoyant  environ  400  musiciens  et  acteurs  de  la  cour.  Il  se  trouve 
dans  ce  nombre  environ  50  Européens,  pour  la  plupart  des  Italiens,  six  Alle- 
mands, le  directeur  de  l'Opéra,  Aranda  pacha,  un  Espagnol  et  cinq  dames.  Ils 
prirent  congé  après  que  leurs  appointements  leur  furent  complètement  soldés. 

—  Fantaisies  américaines,  M.  Hammerstein  a  l'intention  d'utiliser  le  toit  du 
Manhattan-Opéra  de  New-York  pour  y  établir  un  jardin  qui  sera  éclairé  le 
soir  par  des  lanternes  vénitiennes  et  dans  lequel  on  donnera  des  concerts. 
Trois  mille  personnes  pourront  y  trouver  place.  Des  constructions  en  fer, 
s'élevant  sur  une  terrasse  qui  servira  de  toiture  au  théâtre,  soutiendront  un  par- 
quet pouvant  contenir  douze  cents  places,  quarante  loges  et  une  plate-forme  où 
pourront  se  tenir  encore  douze  cents  auditeurs.  Deux  ascenseurs  permettront  à 
quarante  personnes  de  monter  à  la  fois.  L'espace  réservé  à  l'orchestre  aura 
80  pieds  de  large  et  40  pieds  de  profondeur.  On  y  fera  entendre  des  oeuvres 
instrumentales  et  vocales  jouées  par  cent  cinquante  instrumentistes  et  des 
chœurs  nombreux.  La  direction  en  sera  confiée  à  M.  Cleofonte  Campanini.Des 
chanteurs  et  solistes  renommés  seront  engagés,  ainsi  que  des  associations  ar- 
tistiques spéciales,  comme  la  Harmonia  Florente  de  Turin,  composée  de  trente- 
deux  harpistes.  Les  jardins  présenteront  l'aspect  d'un  paysage  italien  avec  de 
grands  arbres  et  des  massifs  de  verdure.  Ils  pourront  se  fermer  en  hiver  alin 
de  pouvoir  être  chauffés.  On  y  sera  comme  dans  une  sorte  de  serre,  car  des 
parois  d'acier  soutiendront  la  couverture  qui  aura,  au-dessus  de  l'orchestre,  la 
forme  d'une  coquille  afin  d'assurer  de  bonnes  conditions  d'acoustique,  et  pré- 
sentera une  élévation  de  50  pieds  au-dessus  des  bâtiments  actuels  du  théâtre. 
Il  est  à  remarquer  que  des  jardins  suspendus  de  ce  genre  De  sont  pas  chose 
nouvelle  à  New-York  ;  nombre  de  maisons  de  trente  étages  en  possédant  d'ana- 
logues, dépourvus  toutefois  de  couverture  au-dessus.  On  a  même  un  mot  pour 
désigner  ces  maisons  ;  an  les  appelle  sky-scrapers,  frôleuses  de  ciel. 

PARIS  ET  DEPARTEMENTS 

Les  théâtres  de  Paris  seront,  au  début  de  la  saison  qui  va  s'ouvrir,  régis 
par  une  nouvelle  ordonnance  de  police,  signée  la  semaine  dernière  par  le 
Préfet  de  Police,  et  qui  modifie,  sur  certains  points,  l'ancienne  ordonnance 
remontant  à  1898.  Nous  ne  nous  occuperons  ici  que  des  modifications  appor- 
tées dans  le  nouveau  texte. 

L'ordonnance,  en  son  article  6,  établit  une  classification  nouvelle  des  diffé- 
rentes catégories  d'établissements.  C'est  ainsi  qu'il  distingue  :  1°  les  établisse- 
ments ayant  une  scène  machinée  avec  dessus  et  dessous;  2°  les  établissements  ï 
avec  scène  sans  machinerie  de  dessous  ou  de  dessus  (cirques,  hippodromes); 
3°  les  établissements  n'ayant  pas  de  scène,  mais  comportant  une  simple 
estrade  fixe  ou  mobile. 

Les  articles  14  et  suivants  traitent  des  mesures  de  sécurité  sur  la  scène 
d'une  façon  très  détaillée. 


LE  MÉNESTREL 


270 


Les  articles  41  à  51  de  la  sécurité  dans  la  salle. 

Le  chapitre  V  est  consacré  aux  dégagements  intérieurs  de  la  salle. 

L'article  98  dit  que  des  moyens  de  communication  seront  établis,  pour  les 
musiciens,  entre  l'orchestre  et  la  salle,  en  dehors  des  sorties  qui  leur  sont 
réservées. 

L'article  106  interdit  de  placer,  dans  les  établissements  de  toutes  catégories 
pouvant  recevoir  plus  de  230  personnes,  des  cheminées,  poêles  ou  appareils 
fixes  de  chauffage  au  feu.  Les  appareils  mobiles  sont  également  prohibés. 

Après  chaque  représentation  ou  répétition,  les  locaux  devront  être  soumis  à 
une  ventilation  énergique. 

Enfin,  les  effets,  perruques,  etc.,  portés  par  les  artistes,  danseurs,  figurants, 
choristes,  etc.,  devront  être  immunisés  au  moins  à  chaque  changement  de 
titulaire. 

L'article  109  prescrit  une  aération  abondante  pour  les  locaux  où  s'habillent 
artistes  et  figurants. 

Le  titre  V  (éclairage)  interdit  l'usage  des  huiles  minérales,  essence,  alcool, 
hydrocarbures,  dans  les  établissements  de  toutes  catégories.  Les  appareils 
d'éclairage  portatifs  sont  interdits  dans  les  loges,  foyers  d'artistes  et  dépen- 
dances de  la  scène. 

L'usage  de  l'énergie  électrique  et  l'emploi  du  gaz  restent  soumis  aux  règle- 
ments imposés  par  la  préfecture  de  police. 

Les  lustres  devront  être  suspendus  par  deux  câbles  au  moins;  chacun  de 
ces  cables  devra  être  capable  de  supportera  lui  seul  dix  fois  le  poids  du  lustre 
et  de  maintenir  ce  poids  en  cas  de  rupture  de  l'une  des  attaches. 

Les  transformateurs,  s'il  en  existe,  devront  être  placés  en  dehors  de  la  cage 
de  la  scène,  et  dans  un  local  ventilé  par  l'extérieur.  Les  lampes  à  arc  ne 
pourront  jamais  être  à  feu  nu;  elles  devront  toujours  être  munies  de  globes- 
grillages. 

Huit  articles  sont  consacrés  aux  lampes  de  secours. 

Le  titre  VI  (13  articles)  a  trait  aux  services  d'incendie. 

Le  titre  VII  s'occupe  de  dispositions  relatives  aux  représentations  cinéma- 
tographiques. 

Le  titre  VIII  (chapitre  II)  traite  de  l'annonce  du  spectacle  et  des  billets 
d'entrée. 

L'article  202  interdit  la  vente  et  l'offre  de  vente  des  billets  ou  contremarques 
et  le  racolage  ayant  ce  trafic  pour  objet  sur  la  voie  publique.  C'est  là  une 
innovaiion  à  laquelle  tout  le  monde  applaudira. 

L'article  203  dit  que  ne  peuvent  être  louées  à  l'avance  que  les  loges  ou 
places  couvertes,  les  fauteuils  ou  stalles  et  places  numérotées.  Les  directeurs 
devront  tenir  à  la  disposition  du  commissaire  de  police  ou  du  chef  de  service 
d'ordre  un  double  de  la  feuille  de  location. 

L'article  214  annonce  la  possibilité  de  retrait  de  l'autorisation  demandée  en 
cas  d'atteinte  à  la  morale  ou  à  l'ordre  public,  et  stipule  que  les  artistes  ne 
peuvent  pénétrer  dans  la  partie  de  la  salle  affectée  au  public,  soit  pour 
consommer,  soit  sous  prétexte  de  quêtes,  loteries  ou  tombolas,  lesquelles  sont 
expressément  interdites,  sauf  autorisation  spéciale. 

L'article  220  consacre  formellement  la  défense  de  troubler  systématiquement 
la  représentation  ou  d'empêcher  les  spectateurs  de  voir  ou  d'entendre  le  spec- 
tacle, de  quelque  manière  que  ce  soit. 

Toute  personne,  dont  le  chapeau  serait  un  obstacle  à  la  vue  des  spectateurs 
placés  derrière  elle,  sera  tenue  d'obtempérer  à  toute  réquisition  en  vue  de  faire 
cesser  le  trouble  qu'elle  pourrait  occasionner.  Cet  article,  nouveau  aussi,  fera 
grincer  bien  des  jolies  quenottes. 

L'heure  de  clôture  des  représentations  est  fixée  à  minuit  et  demi,  en  tout 
temps,  sauf  autorisation  spéciale. 

—  L'Opéra  donnera  demain  dimanche  la  première  des  quatre  représenta- 
tions gratuites  qui  lui  sont  imposées  par  son  cahier  des  charges.  Le  spectacle, 
qui  commencera  à  7  heures,  se  composera  de  Saumon  et  Daliia. 

—  Dès  samedi  dernier,  M.  Albert  Carré,  de  retour  de  Suisse  où  il  ne  fit 
qu'un  très  court  séjour,  était  à  l'Opéra-Comique;  et,  tout  en  stimulant  le  zèle 
des  ouvriers  occupés  aux  dernières  réparations  et  aux  ultimes  nettoyages,  il 
surveillait  les  études  et  raccords  faits  dans  tous  les  coins  de  l'active  maison 
en  vue  de  la  réouverture  du  1er  septembre.  Et  voici,  comme  ils  viennent  d'être 
arrêtés,  l'ordre  et  la  distribution  des  premiers  spectacles  à  la  salle  Favart  : 

Mardi,  Ie''  septembre  :  Ap'iroiite  (MUe  Chenal,  MMe  Bailac  (début),  M.  Léon 
Beyle,  Mu«  Régina  Badet)  ; 

Mercredi,  2  :  La  Vie  de  Bohème  (M016  Marguerite  Carré.  MLIe  Korsoff  (rentrée), 
MM.  Francell,  Périer,  Ghasne  et  Allard)  ; 

Jeudi  3  :  Werther  (MUe  Lamare,  M.  Léon  Beyle,  Mlle  La  Palme.  MM.  Ghasne 
et  Guillamat); 

Vendredi  4  :  La  Navarraise  (M'"'?  Ratti  (débuts),  MM.  Bourrillon  (débuts)  et 
Azéma)  et  te  Barbier  de  Séville  (M"'1  Korsoff,  MM.  Francell,  Allard,  Vigneau  et 
Blancard  (débuts)  ; 

Samedi  5  :  Manon  (Mlnc  Marguerite  Carré,  MM.  Salignac,  Perrier  et  Ghasne). 

Comme  on  le  voit  l'affiche  de  cette  première  semaine  porte  pas  mal  de 
noms  nouveaux.  Voici  d'abord  Mlle  Bailac,  qui  vient  de  l'Opéra,  puis  Mile  Kor- 
soff, chanteuse  légère,  qui  rentre  dans  la  maison  après  avoir  obtenu  du 
succès  en  province,  notamment  à  la  Monnaie  de  Bruxelles,  M",e  Ratti,  qui 
chanta  aussi  à  l'Opéra-Gomique  sous  son  nom  de  jeune  fille,  Nina-Bonne- 
[  foy,  et  y  revient  après  avoir  fait  une  brillante  carrière  italienne  ;  M.  Bourril- 
lon, un  jeune  ténor,  ancien  champion  cycliste,  qui  fit  florès  sur  nos  grandes 
scènes  départemenlales,  à  Rouen,  entre  autres,  où  il  fut  charmant  dans  ta  Car- 


mélite de  Reynaldo  Ilahn,   et,  enfin,   M.  Blancard,  une  basse  chantante  qui 
passa  aussi  par  Bruxelles. 

—  Comme  nous  l'avons  dit  déjà,  les  spectacles  d'abonnement  commence- 
ront le  3  novembre. 

—  Voici   la   distribution   des    rôles   principaux    de   Solange,   3   actes   de 
M.  Adolphe  Aderer,  musique  de  M.  Salvayre,  qui  sera  la  première  pièce  nou- 
velle montée   cette   saison  à  l'Opéra-Comiqua,  ainsi   que  nous  l'a 
annoncé  : 

Solange  de  Faucignv  M"*  Vallandri 

Bernier  MM.  Francell 
Le  marquis  de  Fauclgny  Allard 

Brutus  Gracchus  Letut  Dclvoye 

Saint  Landry  De  Poumayrac 

MmM  Guionie,  Bark,  Colas,  Gunzalès  feront  également  partie  de  L'interpré- 
tation. L'action  se  passe  sous  la  Révolution  française. 

—  M.  Fugère  ne  fera  sa  rentrée  qu'au  cours  du  mois  d'octobre. 

—  M.  Gresse,  l'excellent  basse  de  l'Opéra,  vient  de  recevoir  la  rosette  d'of- 
ficier de  l'instruction  publique. 

—  M.  Arthur  Coquard  mène,  dans  l'Écho  de  Paris,  une  courageuse  campagne 
pour  que  les  portes  de  nos  théâtres,  tout  au  moins  ceux  de  musique,  soient 
fermées  rigoureusement  dès  le  rideau  levé,  et  de  nombreux  correspondants 
applaudissent  à  son  initiative.  Or,  M.  Messager  interwievé  sur  cette  grosse 
question  par  M.  Trébor,  du  même  Éclio  de  Paris,  a  répondu  qu'elle  était,  en 
pratique,  tout  à  fait  irréalisable  a  l'Opéra,  théâtre  d'abonnement  où  l'on  vient 
entendre  plusieurs  fois  le  même  ouvrage  et  où  l'on  vient,  fort  souvent, 
entendre  non  pas  un  ouvrage  entier,  mais  tel  fragment  de  prédilection. 
M.  Messager  dit  cependant  qu'il  n'en  essaiera  pas  moins  d'appliquer  le  sys- 
tème rigoureux  préconisé  par  M.  Coquard  lors  des  représentations  a  l'Opéra 
du  Crépuscule  des  Dieux,  mais  il  ajoute  qu'il  est  fort  sceptique  quant  à  sa 
réussite. 

—  Réouvertures.  Jeudi  dernier  le  Théàtre-Sarah-Bernhardt  a  réouvert  ave 
le  Chemineau,  de  M.  Jean  Richepin,  et,  hier  vendredi,  l'Athénée  a  repris  le 
Chant  du  Cygne,  de  MM.  Georges  Duval  et  Xavier  Roux,  arrêté  cet  été  en 
plein  succès. 

—  Au  Lyrique  de  la  Gaité,  on  travaille  ferme  sous  la  direction  de  M.  O.  de 
Lagoanère  et  quand  MM.  Isola  rentreront  à  Paris,  tout  prochainement,  ils 
trouveront  presque  achevées  les  études  de  Paul  et  Virginie  et  très  en  train 
celles  des  autres  ouvrages  qui  alterneront  sur  l'affiche  avec  l'ouvrage  de  Victor 
Massé.  On  dit  que,  d'ici  peu,  il  n'y  aura  pas  moins  de  sept  ouvrages  prêts  à 
être  joués. 

—  Les  Concerts-Lamoureux  feront  leur  réouverture  le  dimanche  18  octobre, 
salle  Gaveau. 

—  La  Deutsche  Bundschau  publiait,  il  y  a  quelque  temps,  une  étude  sur 
Thérèse  de  Brunswick,  «  l'Immortelle  bien-aimée  »  de  Beethoven,  d'après  des 
documents  nouveaux,  recueillis  en  Hongrie  par  M.  Datkas.  Née  en  1773  selon 
les  uns,  en  1778  selon  d'autres,  Thérèse  de  Brunswick  était  la  fille  du  comte 
Antonio  de  Brunswick  et  de  la  baronne  de  Seeberg.  Elle  reçut  le  prénom  de 
Marie-Thérèse  en  l'honneur  de  l'impératrice  d'Autriche,  sa  marraine.  Elle 
perdit  son  père  en  1793.  Encore  dans  la  fleur  de  sa  jeunesse,  sa  mère  la  con- 
duisit à  Vienne.  Beethoven,  de  quelques  années  plus  âgé  qu'elle,  fut  chargé 
de  lui  enseigner  la  musique.  Entre  le  professeur  et  l'élève  s'établit  bientôt  une 
sympathie  de  sentiments  qui  les  conduisit  à  l'amour.  Thérèse  donna  son  por- 
trait avec  cette  dédicace  :  «  Au  génie  rare,  au  grand  artiste,  à  l'homme  par- 
faitement bon.  »  Elle  reçut  en  retour  la  sonate  en  fa  dièse  majeur,  op.  78, 
qui  porte  son  nom.  Le  portrait  est  actuellement  au  Musée  Beethoven  de 
Bonn.  Quant  à  la  sonate,  son  caractère  entièrement  gracieux,  et  le  peu  de 
difficultés  techniques  qu'elle  présente,  nous  indiquent  bien  quel  pouvait  être 
dans  la  conduite  de  la  vie  le  tempérament  de  la  jeune  fille,  et  jusqu'où  pou- 
vait aller  son  talent  dans  l'exécution  pianistique.  Ce  petit  ouvrage  ne  fut 
composé  d'ailleurs  qu'en  1809,  longtemps  après  les  premiers  échanges  d'im- 
pressions entre  Thérèse  et  Beethoven.  Le  maître  aurait  dit  un  jour  à  Czerny  : 
«  On  parle  constamment  de  ma  sonate  en  ut  mineur  lop.  13.  Pathétique)  ; 
j'ai  cependant  écrit  bien  des  choses  vraiment  meilleures  en  ce  genre,  par 
exemple  la  sonate  en  fa  dièse  majeur,  qui  est  tout  autre  ».  On  s'est  beaucoup 
occupé  de  Thérèse  de  Brunswick,  à  propos  de  trois  lettres  de  Beethoven,  qui 
ont  été  retrouvées.  Elles  débordent,  toutes  les  trois,  des  plus  douces  effusions 
d'amour  ;  la  dernière  se  termine  ainsi  :  «  Ewig  Dein,  ewig  mein.  ewig  uns  !  » 
(éternellement  à  toi,  éternellement  à  moi.  éternellement  à  nous).  On  a  sup- 
posé que  ces  lettres  avaient  été  adressées  à  Thérèse,  sans  qu'il  ait  été  possible 
d'appuyer  cette  assertion  d'une  preuve  certaine  ;  mais  voici  maintenant  ce 
que  nous  apprend  une  feuille  de  Berlin.  Der  Tag,  d'après  une  correspondance 
de  Budapest  :  «  Une  importante  publication  littéraire  est  sur  le  point  de 
paraître;  c'est  le  journal  de  la  comtesse  Thérèse  de  Brunswick,  considérée 
depuis  plus  de  vingt  ans  comme  «  l'Immortelle  bien-aimée  s  de  Beethoven  et 
la  jeune  fille  à  laquelle  il  avait  adressé  trois  lettres  brûlantes  de  passion, 
retrouvées  après  sa  mort.  Dans  ces  lettres  n'est  mentionné  aucun  nom.  Les 
biographes  de  Beethoven  ont  cru  longtemps  que  «  l'adorée  »  de  ces  lettres 
était  Giulietta  Guicciardi,  à  laquelle  est  dédiée  la  sonate  en  ut  dièse  mineur, 
mais  l'américain  Alexandre  Thayer  prétendit  démontrer  que  ce  ne  pouvait 
être   que  Thérèse   de   Brunswick,  et   ses  conclusions   en   ce   sens   ont  été 


280 


LE  MENESTREL 


généralement  admises.  Peu  de  personnes  ont  su  jusqu'à  présent  qu'il 
existe  un  journal  de  faits  quotidiens  écrit  par  Thérèse  de  Brunswick.  La 
famille  l'avait  tenu  caché  jusqu'ici  comme  un  trésor,  n'admettant  pas  que  les 
relations  de  la  jeune  fille  avec  Beethoven  aient  pu  dépasser  les  limites  d'une 
tendre  amitié,  d'une  amitié  semblable  à  celle  qui  avait  uni  le  maître  avec  sa 
sœur,  la  comtesse  Dehm,  et  avec  son  frère,  Franz  de  Brunswick.  Mais,  à 
l'heure  présente,  la  publication  du  journal  vient  d'être  autorisée.  Ce  docu- 
ment a  été  confié  à  Mme  Marie  Lipsius,  connue  par  les  publications  musicales 
nombreuses  qu'elle  a  faites  sous  le  pseudonyme  La  Mara;  c'est  elle  qui  va  en 
surveiller  l'impression  »:  Cet  écrit  sera-t-il  publié  intégralement?  îl  faut  l'es- 
pérer. Fortiflera-t-il  l'hypothèse  de  Thayer?  On  ne  le  sait  pas  encore  définiti- 
vement. Il  a  été  dit  toutefois  qu'il  y  est  question  de  Beethoven,  mais  seulement 
d'une  façon  indirecte  et  sans  que  rien  permette  do  prouver  qu'entre  le  grand 
artiste  et  la  gracieuse  comtesse  il  ait  existé  une  intimité  de  cœur  payée  de 
retour  de  part  et  d'autre.  Toutefois,  il  faut  bien  supposer  qu'une  jeune  per- 
sonne distinguée  comme  Thérèse  de  Brunswick  n'aurait  pas  voulu  livrer  le 
secret  de  son  penchant,  surtout  si  l'on  songe  que  la  différence  des  conditions 
fut  le  motif  qui  empêcha  Beethoven  de  songer  au  mariage.  Elle  dut,  tout  au 
contraire,  renfermer  son  amour  au  plus  profond  de  son  cœur  et  le  conserver 
loin  de  toute  défloration.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  polémique  déjà  engagée  pour 
savoir  si,  oui  ou  non,  Thérèse  fut  «  l'Immortelle  bien-aimée  »  va  prendre  une 
activité  nouvelle.  Thérèse  de  Brunswick  ne  s'est  jamais  mariée.  A  la  mort  de 
Beethoven,  elh  se  consacra  tout  entière  à  des  œuvres  philanthropiques  et 
fonda,  en  Hongrie,  des  squares  pour  les  enfants.  Elle  est  morte  à  Brunn,  en 
1850. 

—  Mmc  Schumann-Heink,  le  contralto  célèbre,  est  une  femme  d'intérieur 
accomplie.  Lorsqu'elle  a  terminé  ses  tournées  de  concerts,  rien  ne  lui  plaît 
davantage  que  d'aller  se  réfugier  dans  sa  maison,  de  s'occuper  elle  même  de 
préparer  ses  repas,  de  ranger  son  linge,  de  balayer  et  d'épousseter  à  sa  guise. 
Un  jour  de  juillet  dernier  une  dame  vêtue  avec  luxe  descendait  d'une  auto- 
mobile confortable  devant  le  home  de  la  cantatrice  et  sonnait  à  la  porte.  Une 
femme  très  simplement  vêtue,  mais  irréprochable  en  sa  tenue,  vint  ouvrir. 
«  Votre  maîtresse  est-elle  chez  elle  et  peut-elle  me  recevoir  ?  »  dit  la  visi- 
teuse sans  saluer  et  sur  un  ton  déJaigneux  qui  lui  attira  cette  réponse  :  «  Non, 
ma  maîtresse  n'est  pas  ici  ;  je  crois  même  qu'elle  ne  rentrera  que  très  tard  ce 
soir  ».  Sans  saluer,  la  dame  remonta  dans  son  automobile  et  s'éloigna  rapi- 
dement. Elle  ne  se  douta  point  que  c'était  M""  Schumann-Heink  elle-même 
qui  lui  avait  ouvert  la  porte,  et,  lorsque  celte  dernière  raconta  cet  incident 
de  sa  vie  ordinairement  si  calme  aux  amis  qui  vinrent  la  voir,  l'un  d'eux  lui 
dit:  «Mais  quel  capricieux  esprit  vous  a  donc  saisi;  vous  n'aviez  aucune 
raison  de  ne  pas  èlre  aimable  avec  une  personne  qui  vous  est  inconnue  et  qui 
venait  sans  doute  pour  rendre  hommage  à  votre  talent.  »  La  cantatrice  ré- 
pondit :  «  Vous  n'y  êtes  pas  ;  j'avais,  au  contraire,  une  raison  excellente  de 
ne  pas  être  flattée  qu'une  dame  de  si  mauvaise  éducation  vint  me  voir.  Cela  ne 
lui  aurait  rien  coûté,  si  elle  m'a  prise  pour  ma  domestique,  de  me  gratifier 
malgré  cela  d'un  salut  et  d'un  mot  de  politesse  ».  Ainsi  pense  Mn1e  Schumann- 
Heink.  La  leçon  profitera-t-elle  aux  Américaines  souvent  si  Aères  de  leur 
fortune  ? 

—  C'est  dimanche  et  lundi  prochains  qu'auront  lieu  à  Béziers  les  deux  re- 
présentations du  Premier  Glaiee.  On  presse,  sous  la  direction  de  M.  Henri  Ra- 
baud,  les  dernières  études:  on  dresse  le  décor  de  M.  Jambon  et  on  règle  les 
plus  petits  détails  de  la  mise  en  scène,  au  milieu  d'une  activité  fiévreuse. 

NÉCROLOGIE 


|    LOUIS    VARNEY    I 

■.  Ainsi  que  nous  l'avons  annoncé  hâtivement,  en  dernière  heure,  samedi 
dernier,  Louis  Varney  est  mort  à  l'âge  de  65  ans.  Souffrant  depuis  quelque 
temps  déjà,  il  avait  dû  tout  dernièrement,  et  sur  l'avis  de  ses  médecins,  quitter 
les  leçons  qu'il  s'était  mis  récemment  à  donner  pour  aller  se  soigner  à  Bagnères- 
de-Bigorre.  Mais  là  le  mal  s'aggravant,  l'une  de  ses  filles  dut  aller  le  chercher 
pour  le  ramener  chez  lui,  rue  Laffitte,  où  il  arrivait  mercredi,  brisé  par  le 
voyage,  et  où  il  succombait  jeudi,  à  midi,  emporté  par  l'albuminurie. 

Louis  Varney,  qui  ne  se  connais-ait  que  des  amis,  tant  sa  toujours  bonne 
humeur  attirait  la  sympathie,  était  un  musicien  charmant,  gai  et  délicat 
qui,  très  justement,  connut  les  gros  et  durables  succès.  Né  à  Paris,  il  fit  ses 
études  musicales  avec  son  père,  le  chef  d'orchestre  Joseph  Varney,  l'auteur  du 
fameux.  Chant  des  Girondins,  et  débuta,  lui  aussi,  comme  chef  d'orchestre  à 
l'ancien  Athénée  de  Monlrouge,  installé  alors  dans  les  sous-sols  de  l'Hôtel 
Scribe.  Il  y  fit  même  en  1876  ses  premiers  pas  comme  compositeur  avec  // 
Signor  Pulcinella  et  d'autres  petits  ouvrages  de  facture  aimable.  Sa  musique, 
claire,  pimpante,  lui  fit  ouvrir,  par  Cantin,  les  portes  des  Folies-Dramatiques 
et,  cette  fois,  ce  fut  en  1880,  avec  les  Mousquetaires  au  couvent,  le  triomphe. 
Très  travailleur,  Varney  a  composé  un  très  grand  nombre  de  partitions  parmi 
lesquelles  il  faut  citer  Fanfan  la  Tulipe,  les  Petits  Mousquetaires,  l'Amour  mouillé, 
la  Femme  de  Narcisse,  les  Petites  Brebis,  le  Fiancé  de  Th-'da,  les  Petites  Barnett, 
le  Papa  de  Franchie,  son  dernier  gros  succès  qui  d -te  d.  1896,  et  Mademoiselle 
Georges,  qui  fut  sa  dernière  opérette  importante  en  189S.  Et  de  chacune  de  ces 
œuvrettes  charmantes  et  faciles  s'envolait  toujours  sur  le  boulevard  le  motif 
populaire  par  excellence  qui  fit  la  grande  réputation  du  compositeur.  Il  savait 


aussi  son  théâtre  comme  pas  un,  jamais  un  couplet  ne  tombait.au  hasard  et, 
aux  répétitions,  il  entraînait  à  la  victoire  tous  ses  interprètes  tant  il  faisait 
travailler  avec  une  verve  jamais  lassée  et  toujours  captivante. 

Bans  l'histoire  de  la  musique  légère,  à  la  fin  du  XIXe  siècle,  il  occupera 
une  place  très  spéciale  et  bien  à  lui,  et  il  y  eut  mérite,  ayant  eu  à  lutter 
avec  le  souvenir  tout  proche  encore  d'Offenbach  et  d'Hervé  et  aussi  avec  la 
grande  vogue  de  ses  aînés  dans  la  carrière,  Audran,  Planquette  et  Lecocq.car 
il  arriva  juste  au  moment  où  l'opérette  régnait  de  nouveau  en  maîtresse  à 
Paris.  Et  l'abandon  de  ce  genre  si  aimable,  son  exploitation  maladroite  par 
des  gaches-noles  improvisés  et  des  imprésarios  de  rencontre,  ne  contribuèrent 
pas  peu  à  altérer  une  santé  que  l'on  croyait  à  l'abri  de  tout,  tant,  avec  ses 
larges  épaules,  et  son  sourire  toujours  épanoui,  il  donnait  l'impression  dp 
quelque  hercule  doux,  bienveillant  et  heureux  de  vivre. 

—  La  mort,  impitoyable  vraiment  en  ces  mois  d'été,  enlève  encore  au 
théâtre,  après  Emmanuel  Arène  et  Louis  Legendre,  qui  connurent  aussi  le 
succès,  A.  Lemeunier,  l'un  des  maitres-décorateurs  de  ces  dernières  années. 
Élève  de  L.  Chéret,  il  travaillait  depuis  trente  ans  pour  nos  '  scènes  pari- 
sienne et  sa  santé  assez  ébranlée  l'avait  obligé  à  se  ménager  beaucoup  en  ces 
derniers  temps.  Son  dernier  décor  fut  le  très  joli  Ramponneau  qu'il  fit  au 
printemps  pour  le  premier  acte  du  Chevalier  d'Eon,  de  M.  Rodolphe  Berger. 
Il  est  mort  âgé  de  soixante  ans. 

—  Et  la  liste  lugubre  n'est  point  close,  puisque  voici  encore  Julia  Subra 
qui  a  été  enlevée  samedi  dernier,  à  Rueil,  des  suites  d'une  crise  d'albuminurie, 
comme  ce  pauvre  Varney.  Elle  était  entrée  à  l'Opéra  en  1873,  et  la  grâce  et 
l'aisance  de  sa  danse  la  firent  aussitôt  remarquer.  Élève  favorite  de  Léontine 
Beaugrand,  Subra  fut  une  des  plus  brillantes  représentantes  de  la  grande 
danse  classique.  Nommée  sujet  en  1880.  elle  obtenait  son  premier  gros  succès 
dans  le  ballet  A'Ilamlet,  triomphait  ensuite  dans  Coppélia  de  Delibes  et,  con- 
curremment avec  Mn,c  Rosita  Mauri,  devenait  l'idole  du  public,  soit  qu'elle 
dansa  les  Deux  pigeons,  les  Jumeaux  de  Bergame,  soit  qu'elle  parût  dans  les 
ballets  de  Françoise  de  Rimini,  d'Henri  VIII,  du  Cid  ou  de  Patrie.  Un  jour 
qu'elle  répétait  Coppélia,  elle  fit  une  chute  et  se  blessa  assez  sérieusement. 
Elle  demanda  un  congé  pour  se  rétablir;  la  direction  en  profita  pour  la  rem- 
placer définitivement  ;  c'était  en  1902.  Son  nom  restera  dans  les  fastes  de  la 
chorégraphie,  au  même  litre  que  celui  de  ses  illustres  devancières,  les  Taglioni, 
les  Emma  Livry,  les  Carlotta  Grisi  et  les  Sangalli. 

—  A  Elbing  est  mort,  le  4  août,  le  compositeur  et  chef  d'orchestre  Robert 
Sehwalm.  Il  écrivit  d'abord  des  chœurs  d'hommes,  puis  des  morceaux  de 
piano;  ensuite  une  sérénade  pour  orchestre,  un  opéra,  Frauenlob,  représenté  à 
Leipzig  en  1885,  un  .oratorio,  l'Adolescent  de  Nain,  un  quatuor  pour  cordes  et 
quelques  autres  morceaux.  Né  le  6  décembre  1845,  à  Erfurt,  il  fit  ses  études 
au  Conservatoire  de  Leipzig.  De  1870  à  1S75,  il  dirigea  des  sociétés  musicales 
à  Elbing  et  s'établit  ensuite  à  Kœnigsberg,  où  il  prit  part  au  mouvement  mu- 
sical et  exerça  le  professorat. 

—  Le  professeur  D.  Burkardt,  un  des  hommes  qui  ont  consacré  leurs 
heures  de  repos  à  la  recherche  des  vieux  chants  d'église,  est  mort  àNùrtingen, 
le  4  août.  Il  était  âgé  de  78  ans.  Dans  le  domaine  de  la  composition,  il  a 
laissé  des  mélodies  écrites  à  l'imitation  des  chansons  populaires. 

—  De  Milan,  on  annonce  la  mort  de  M.  Ponchielli,  journaliste,  correspon- 
dant de  l'Écho  de  Paris,  qui  était  le  fils  de  l'auteur  de  la  Gioconda  et  de  la  can- 
tatrice célèbre,  Teresa  Brambilla. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Chemin  de  fer  du  Nord. 

EXPOSITION    FRANCO     ANGLAISE     DE     LONDRES 

Mai  à  octobre  1908. 

Services  rapides  entre  le  réseau  du  Nord  et  l'Angleterre. 


are  de  Paris-Nord  délivre  pour 
■  3°  classe  :  37  fr.  50  c.  (aller  et 


1"  Tous  les  vendredis  et  samedis   soi 
Londres  les  billets  suivants,  valables  14  jours 

1"  classe  :  72  fr.  85  c.  —  2°  classe  :  46  fr. 
retour  compris). 

Ces  billets  sont  valables  à  l'aller  dans  les  trains  partant  de  Paris-Nord  h  9  h.  10 
so'iT.via  Calais-Douvres,  8  h.  25  malin  et  2  h.  30  soir  via  Boulogne-Folkestone. 

Arrivée  à  Londres  à  5  h.  40  matin,  3  h.  35  et  10  h.  45  soir. 

Retour  dans  un  délai  de  14  jours  à  partir  de  la  date  d'émission  des  billets  : 

Départ  de  Londres  à  9  heures  soir  via  Douvres-Calais,  10  heures  matin  et  2  h.  20 
soir  via  Folkestone-Boulogne. 

Arrivée  à  Paris  à  5  h.  50  matin,  5  h.  44  et  11  h.  25  soir. 

Ces  billets  sont  valables  exclusivement  dans  les  trains  désignés  ci-dessus  et 
donnent  droit  au  transport  gratuit  de  25  kilogrammes  de  bagages. 

2"  Tous  les  samedis  et  dimanches  soir,  la  gare  de  Paris-Nord  délivre  les  billets 
suivants  valables  une  journée  : 

1"  classe  :  56  fr.  25  c.  —  2e  classe  :  34  fr.  35  c. —  3' classe  :  25  francs  (aller  et  retour 
compris). 

Aller  :  départ  de  Paris-Nord  à  9  h.  10  soir  via  Calais-Douvres.  Arrivée  à  Londres  à 
5  h.  40  matin.  Nuits  des  samedis  aux  dimanches  et  des  dimanches  aux  lundis. 

Retour  :  lr,;î".et  3"  classes,  départ  de  Londres  à  9  heures  soir,  fia  Douvres-Calais; 
arrivée  à  Paris-Nord  à  5  h.  50  matin.  Nuits  des  dimanches  aux  lundis  et  des  lundis 
aux  mardis. 

1™  et  2"  classes  seulement,  départ  de  Londres  à  10  heures  matin,  via  Folkeslone- 
Boulogne.  Arrivée  à  Paris-Nord  à  5  h.  16  soir  les  lundis  et  mardis. 

Les  excursionnistes  n'auront  pas  droit  à  l'enregistrement  de  bagages. 

Ces  billets  ne  pourront  être  utilisés  que  dans  les  trains  indiqués  et  ne  pourront 
être  prolongés. 


,    —   IJIPniïIEIUF.   < 


20,  TARIS.    —  (Encre  Lorillcui). 


4041.  —  74e  ANNÉE.  —  IV  36. 


Samedi  j  Septembre  lîlOSï 


PARAIT  TOUS  LES  SAMEDIS 

(Les  Bureaux,  2  b'8,  rue  Yivienne,  Paris,  u>  arr') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


lie  Haméro  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL.     Directeur 


lie  Numéro  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bous-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province. —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (34'  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Une  famille  de 
grands  luthiers  italiens  :  Les  Guarnerius  (9"  article),  Arthln  Pougin.  —  III.  Littéra- 
ture musicale,  Arthur  Pougin.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


ML'SIQUK    liK   CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  do  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

MADRIGAL    ARCHAÏQUE 

de  Y.-K.  Nazare-Aga,  poésie  de  Edouard  Saint-Léon.  —  Suivra  immédiate 

ment  :  Feuilles  mortes,  mélodie  de  Raoul  Pugno,  extrait}  des  Cloches  du  souu; 

nir,  poésie  de  Maurice  Vaucaire. 


MUSiyUK    DK   PIANO 
Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
Charme  d'automne,  valse  lente,  de  Y.-K.  Nazare-Aga.    —  Suivia  immédiate- 
ment :  Roses  de  France,  gavotte,  de  Robert  Vollstedt. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 


CHAPITRE   VII 

L'ÉCLOSION   DU    GÉNIE  :  OltB-'Em   En    BCt  ItlIWS  1 

Passons,  en  souriant,  sur  les  traits  de  vanité  de  ce  poète 
lyrique  —  genus  irritdbile,  —  qui,  parce  que  la  renommée  de 
Gluck  avait  surpassé  la  sienne,  s'en  venait,  après  vingt  ans 
passés,  faire  entendre,  ou  presque,  que  l'auteur  de  la  musique, 
c'était  lui  I  Eût-il  même,  comme  il  le  prétend,  donné  à  Gluck 
des  indications  circonstanciées  sur  la  façon  dont  il  convenait 
d'interpréter  ses  vers,  que  celui-ci  n'en  restait  pas  moins  celui 
qui  a  donné  la  vie  à  l'œuvre,  c'est-à-dire  le  vrai  créateur.  Il  est 
bien  vrai  qu'on  a  retrouvé  une  édition  (postérieure)  des  poèmes 
de  Calsabigi  (1)  où  sont  imprimées  des  indications  de  la  nature 
de  celles  dont  il  parle  :  sur  les  strophes  successives  du  chœur 
infernal  :  Raddolcito  c  con  espressione  di  qualclie  compatimento ;  puis  : 
Con  maggior  dolcezsa,  enfin  :  Sempre  pin  raddolcito,  etc.  Mais  cette 
minutie  était  fort  à  la  mode  au  XVIIIe  siècle.  On  en  pourrait 
trouver  des  exemples  tout  semblables  dans  les  pièces  de  Marivaux 
ou  de  Beaumarchais,  par  exemple  :  ceux-ci  aimaient  à  multiplier 
leurs  conseils  aux  acteurs;  en  eussent-ils  donné  plus  encore 
que  cela  n'empêcherait  point  que,  la  Suzanne  de  Figaro,  c'était 
M""  Contât  !  Louis  Racine  a  raconté  que  son  père  enseignait  à  la 


(1)  Poésie  e  Prose  diverse  d:  Ra 


'  de'  C'tlsabioi,  Napoli,  1793. 


Champmeslé  les  moindres  détails  de  ses  rôles,  et  «  lui  dictait  les 
tons,  que  même  il  notait  »  ;  et  M.  Romain  Rolland  soutenait 
naguère  que  le  récitatif  de  Lulli  n'était  pour  ainsi  dire  qu'une 
transposition  musicale  de  cette  déclamation  parlée  (1).  C'est 
possible;  mais  sans  méconnaître  la  valeur  des  conseils  de  Racine, 
il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  c'est  Lulli  qui  a  composé  sa  mu- 
sique, et  la  Champmeslé  qui  jouait  Phèdre  et  Monime.  N'en 
doutons  pas  :  quand  même  Calsabigi  aurait  marqué  moins  de 
sollicitude,  Gluck  aurait  compris  qu'il  fallait  que  ses  démons, 
cédant  à  la  magie  du  chant  d'Orphée,  adoucissent  leurs  accents, 
—  et  d'autre  part,  c'est  bien  lui,  lui  seul,  qui  a  tiré  de  son  cerveau 
les  accords  par  lesquels  le  charme  opère  et  se  communique  avec 
une  si  troublante  émotion  (2). 

En  réalité,  Calsabigi  était  pour  Gluck  le  compagnon  attendu, 
celui  qui  devait  lui  permettre  d'accomplir  le  rêve  qu'il  avait 
formé  lui-même,  et  depuis  longtemps.  Car  celui  qui,  à  Londres, 
il  y  avait  plus  de  quinze  ans,  cherchant  la  cause  d'un  échec  inat- 
tendu, n'hésitait  pas  à  la  reconnaître  dans  le  défaut  d'accord  de 
sa  musique  avec  un  poème  pour  lequel  elle  n'avait  pas  été  faite, 
qui,  dans  maintes  œuvres  en  conflit  avec  les  règles  et  usages  de 
son  temps,  avait  imaginé  de  faire  de  l'orchestre  la  voix  inté- 
rieure exprimant  les  sentiments  les  plus  cachés  des  personnages 
ou  représentant  la  poésie  de  Pambiance,  qui  avait  noté  les 
accents  les  plus  passionnés  que,  plus  tard,  il  saura  remettre  à 
propos  dans  la  bouche  d'Armide  et  d'Iphigénie,  et,  dans  de 
simples  opéras-comiques,  avait  trouvé  des  traits  de  caractère 
autant  significatifs  que   nouveaux,   celui-là  n'avait  pas  besoin 

(lj  Voy.  Romain  Rolland,  Musiciens  d  autrefois.  Xotes  >ur  Lulli  :  III.  Le  récitatif  de 
Lulli  et  la  déclamation  de  Racine,  p.  143  et  suiv. 

(2)  Après  avoir  composé  trois  poèmes  pour  Gluck,  plus  un  quatrième  (les  Danaides) 
dont  une  adaptation  française  fut  mise  en  musique  par  Salieri,  Calsabigi  en  consacra 
deux  autres  à  Paesiello  :  Elvira  et  Elfrida.  Mais  il  n'apparaît  pas  que  cette  collabo- 
ration-là ait  eu,  sur  la  méthole  de  composition  du  maestro  napolitain,  quelques 
conseils  quele poète  aitpului prodiguer  encore,  l'influence  qu'il  croit  avoir  reconnue 
sur  Gluck.  La  querelle  à  laquelle  nous  deions  les  explications  ci-dessus  fut  provo- 
quée par  les  incidents  des  Danaides,  que  G  uck  avait  dû.  mettre  en  musique,  mais  à 
la  composition  desquelles  il  renonça,  ayant  terminé  si  carrière.  Calsabigi  put  avoir 
de  légitimes  motifs  de  plainte  à  cette  occasion;  mais  il  faut  reconnaître  qu'aupa- 
ravant, c'est-à-dire  quand  ses  premiers  opéras  furent  transportés  sur  la  scène 
française,  Gluck  n'avait  jamais  manqué  de  proclamer,  dans  les  meilleurs  termes, 
l'excellence  de  sa  collaboration.  «  Ce  célèbre  auteur,  ayant  conçu  un  nouveau  plan 
de  drame  lyrique,  a  substitué  aux  descriptions  fleuries,  etc.  »  (Préface  d'Alceslé). 
«  Je  me  ferais  un  reproche  sensible  si  je  consentais  à  me  laisser  attribuer  l'inven- 
tion du  nouveau  genre  d'opéra  italien  dont  le  succès  a  justifié  la  tentative  :  c'est  à 
M.  de  Calsabigi  qu'en  appartient  le  principal  mérite,  etc.  »  .Lettre  au  Mercure  de 
France,  février  1173).  Le  collaborateur  français  de.  Gluck,  du  Roullet,  écrit  de  son 
coté  :  »  Avant  communiqué  ses  idées  à  un  homme  de  beaucoup  d'esprit,  de  talent 
et  de  goût,  M.  Gluck  en  a  obtenu  deux  poèmes  italiens  qu'il  a  mis  en  musique.  »  Et 
encore  :  «  Il  a  trouvé  un  poète  digne  de  l'entendre  et  de  le  seconder,  et  ils  ont 
donné  VOrphée  et  YAlccste.  »  —  «  On  vit  arriver  un  musicien  cslèbre  en  Allemagne, 
qui  secondé  par  un  poète  versé  dans  l'étude  de  nos  théâtres...  s  —  «Ses  opéras 
sont  les  premiers  qui  aieut  été  construits  sur  un  plan  à  la  fois  musical  et  drama. 
tique,  soit  qu'il  ait  lui-même  dessiné  ce  plan,  comme  ses  partisans  lui  en  font  hon- 
neur, soit  qu'il  ait  suivi  celui  de  Calsabigi  dans  OrpVe...  »  Voy.  Mémoires  pour  la  ré- 
volution du  Clievatitr  Gluck,  etc.,  pp.  3,  107,  159,  263. 


282 


LE  MÉNESTREL 


qu'un  commentateur  de  Métastase  vint  lui  montrer  comment  il 
fallait  faire.  Il  le  savait.  Il  avait  lu  tous  les  écrits  des- philo- 
sophes et  des  gens  de  lettres,  où  était  clairement  expliqué  ce 
qu'il  sentait  obscurément  en  lui.  Il  n'avait  pas,  à  lui  seul,  fait 
surgir  «  l'Idée  »  ;  mais  cette  idée,  elle  était  dans  l'air,  et  il  s'était 
dit  que,  celui  qui  la  porterait  clans  le  domaine  des  réalisations, 
ce  serait  lui.  Isolé,  cependant,  il  n'eût  pas  suffi  à  la  tâche.  Ce 
qu'un  siècle  plus  tard,  par  un  effort  encore  plus  puissant,  aidé 
d'ailleurs  par  le  progrès  général,  la  volonté  et  le  génie  d'un 
Wagner  sauront  accomplir  —  la  composition  intégrale  du  drame 
musical,  musique  et  poème  tout  ensemble,  —  comment  lui, 
fils  d'un  pauvre  garde-chasse  de  Bohème,  n'ayant  pour  toute 
culture  que  l'instruction  reçue  en  quelques  années  de  collège, 
aurait-il  pu  y  atteindre  ?  Devenu  grand  musicien,  il  ne  pouvait 
pas  être  en  même  temps  grand  poète.  Un  collaborateur  lui 
était  donc  nécessaire.  Et  ce  dut  être  avec  joie  qu'il  accueillit  la 
venue  de  celui  qui  allait  lui  permettre  de  montrer  enfin  qu'il 
était  lui-même,  Ranieri  de'  Calsabigi,  lui  apportant  le  poème  de 
son  A  zione  teatrale,  Orfeo  ed  Euridice. 

Admirable  sujet  !  Le  plus  merveilleusement  approprié  pour 
inspirer  le  génie  du  musicien  !  Où  trouver  un  plus  rayonnant 
symbole  du  prestige  de  l'harmonie  que  ce  mythe,  à  la  fois  naïf 
et  profond,  qui  représente  la  musique  comme  investie  d'un 
pouvoir  tellement  irrésistible  qu'elle  commande  à  la  nature 
entière?  Car  non  seulement  les  éléments,  les  rochers,  les  bêtes 
féroces  et  les  arbres  des  forêts  sont  soumis  à  son  empire;  mais, 
par  un  stupéfiant  prodige,  ses  accents  magiques  en  arrivent  à 
vaincre  jusqu'à  la  mort  ! 

On  le  retrouve  à  l'origine  de  toutes  les  élaborations  de  mu- 
sique dramatique  qui  ont  fait  date.  UEuridice  florentine  de  1000 
est  le  premier  «  drame  en  musique  »  des  temps  modernes.  L'6V- 
(eo  de  Monteverde,  venu  sept  ans  après,  annonce,  par  le  progrès 
déjà  accompli,  quel  avenir  s'ouvre  pour  lui.  C'est  un  Orfeo  (de 
Luigi  Rossi)  que  Mazarin  offre  aux  Français  pour  leur  montrer 
ce  qu'est  l'opéra,  né  clans  son  pays.  Et  c'est  enfin  par  Orfeo 
ed  Euridice  que  Gluck  affirme  la  vitalité  de  cet  art,  assurée 
désormais  par  lui  pour  toujours. 

Le  but  des  deux  collaborateurs  avait  été  d'élaguer  toutes  les 
végétations  parasites  qui,  dans  l'opéra  selon  Métastase,  avaient 
fini  par  étouffer  toute  la  vitalité  :  fleurs  d'une  rhétorique  bril- 
lante, substituées,  dans  la  poésie,  à  l'expression  directe  et 
sincère  du  sentiment  ;  et,  dans  la  musique,  ornements  futiles, 
uniquement  destinés  à  la  virtuosité.  Ce  progrès  fut  accompli  du 
premier  coup,  par  un  commun  accord  entre  Gluck  et  Calsabigi, 
non  seulement  dans  les  détails  du  style,  mais  jusque  dans  la 
conception  fondamentale. 

Le  drame  est,  en  effet,  de  la  plus  rare  simplicité. 

Au  premier  acte,  Orphée,  entouré  de  ses  compagnons  et  des 
compagnes  d'Euridice,  se  lamente  avec  eux  sur  la  mort  de  l'épouse 
aimée.  Resté  seul,  il  s'abandonne  à  son  désespoir.  L'Amour  lui 
annonce  qu'il  lui  sera  permis,  au  prix  de  l'épreuve  que  l'on  sait, 
d'arracher  Euridice  aux  divinités  infernales. 

Au  deuxième  acte,  il  entre  au  Tartare,  dont  les  habitants 
veulent  arrêter  sa  marche.  Il  les  charme  par  ses  harmonieuses 
supplications  ;  il  passe. 

Maintenant  il  pénètre  aux  Champs-Elysées;  les  ombres  heu- 
reuses lui  rendent  Euridice;  il  s'éloigne  avec  elle. 

Au  troisième  acte,  sur  le  chemin  ténébreux  qui  va  les  rame- 
ner sur  terre,  Euridice  se  désespère  de  sa  feinte  indifférence: 
il  en  est  truublé  au  point  qu'il  oublie  son  serment.  Euridice. 
meurt.  La  douleur  d'Orphée  s'exhale  eu  de  nouveaux  chants. 
Mais  l'Amour  pardonne,  et  l'allégresse,  succédant  au  deuil, 
s'exprime  en  des  chœurs  de  danse  en  l'honneur  du  pouvoir 
du  dieu. 

C'est  tout.  Pas  le  moindre  épisode  incident  n'est  surajouté  à 
cette  action,  dont  la  volontaire  simplification  ne  se  dément  pas 
un  seul  instant.  L'opéra  italien  de  Calsabigi  est  plus  concis 
même  que  l'adaptation  française,  laquelle,  sans  d'ailleurs  rien 
introduire  d'étranger,  a  laissé  prendre  à  la  musique  quelques 
développements  de  plus.  L'Amour,  au  premier  acte,  n'y  chante 


qu'un  seul  air,  et  Orphée,  pour  tout  monologue  au  moment 
de  descendre  aux  Enfers,  n'a  qu'un  simple  et  bref  récitatif 
accompagné  par  les  instruments.  Le  tableau  des  Enfers  n'est 
pas  terminé  par  des  danses.  Dans  celui  des  Champs-Elysées, 
l'admirable  solo  de  flûte  de  la  seconde  version  n'existe  pas  en- 
core, non  plus  que  l'air  instrumental  qui  suit,  ni  le  premier  chant 
des  Ombres  heureuses  :  cet  acte  en  est  réduit  à  la  seule  intro- 
duction en  fa  majeur,  immédiatement  suivie  du  monologue  d'Or- 
phée, avec  sa  symphonie  descriptive,  et  des  deux  reprises  du 
second  chœur  des  Ombres  heureuses  séparées  par  l'épisode 
scénique.  Le  ballet  final  est  moins  développé. 

Dans  ce  cadre  restreint,  Gluck  a  fait  tenir  cependant  le  tableau 
le  plus  vaste,  le  plus  complet,  le  plus  animé,  le  plus  varié  de 
tons.  Par  une  intuition  admirable  et  un  rare  effort  de  génie,  il 
est  parvenu,  en  plein  dix-huitième  siècle,  à  retrouver  de  véri- 
tables pratiques  de  primitif.  S'abreuvant  à  la  source  pure  d'où 
découlent  les  principes  immuables  de  toute  pensée  et  de  tout 
sentiment,  il  y  a  puisé,  et  il  a  infusé  à  l'art  de  son  temps  un 
renouveau  de  vie  dont  nul  ne  l'aurait  cru  encore  capable. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


UNE  FAMILLE  DE  GRANDS  LUTHIERS  ITALIENS 

LES    GUARNERIUS 


JOSEPH    GUARNERIUS    DEL    GESU 
II 

L'AHT   DE   JOSEPH    GUAIi.XERIUS   DEL   GESC 

On  ne  se  rend  pas  toujours  compte,  en  effet,  de  l'importance  du 
vernis  et  du  vernissage,  et  de  leur  influence  sur  le  travail  du  luthier. 
IL  est  certain  qu'un  mauvais  instrument  ne  saurait  être  amélioré  et 
transformé  par  la  présence  d'un  bon  vernis,  bien  étendu;  mais  il  est 
certain  aussi  qu'un  instrument  bien  constru  t  peut  gagner  considérable- 
ment au  point  de  vue  de  la  sonorité,  à  l'emploi  du  vernis,  et  surtout  a 
la  façon  dont  il  est  appliqué.  Nul  n'ignore  que  la  vibration  d'un  violon 
neuf,  non  verni,  est  excessive;  il  faut  donc  1'  «  habiller  »,  non  seule- 
ment, pour  sa  beauté,  mais  pour  sa  bonté.  Mais  que  de  précautions  à 
prendre!  Que  le  vernis  soit  bon.  mais  que  la  couche  en  soit  trop  épaisse, 
la  sonorité  sera  amortie  plus  que  de  raison  ;  s'il  estd'une  pâte  trop  dure, 
le  son  deviendra  sec  et  métallique  ;  que  la  pâte  soit  trop  tendre,  au 
contraire,  le  son  sera  comme  éteint  et  voilé. 

Les  anciens  luthiers  italiens  n'avaient  pas  tous  le  même  vernis,  mais 
ils  avaient  tous  de  bons  vernis,  et  chacun  employait  le  sien  à  sa 
manière,  qui  n'était  pas  la  même  pour  tous.  Les  uns  n'en  mettaient  sur 
le  bois  qu'une  couche  légère,  taudis  que  d'autres  superposaient  plu- 
sieurs couches.  Il  y  avait  aussi  la  question  du  séchage,  non  moins 
importante.  Stradivarius  faisait  sécher  ses  instruments  au  soleil,  affir- 
mant que  rien  n'était  tel  pour  l'excellence  du  résultat,  (r  Sans  la  forte 
chaleur  du  soleil,  écrivait-il  à  un  client  pour  s'excuser  d'un  retard,  le 
violon  ne  peut  arriver  à  la  perfection.  »  Ce  séchage,  en  effet,  était  tou- 
jours long.  C'est  ce  qui  fait  que  certains,  pour  l'obtenir  plus  rapide- 
ment, eurent  L'idée  fâcheuse  de  remplacer  le  vernis  à  l'huile  par  le 
vernis  à  l'alcool.  Eu  résumé,  de  toutes  les  différentes  façons  de  procé- 
der quant  au  vernis  et  à  son  emploi  dépendait  le  caractère  particulier 
de  la  sonorité,  différent  chez  chaque  maitre  luthier.  Ecoutons  ce  que 
disent  à  ce  sujet  MM.  Hill  : 

Beaucoup  de  connaisseurs  savent  que  le  caractère  de  la  sonorité  des  violons 
du  maître  (Stradivarius)  diffère  entièrement  de  celui  des  instruments  de 
Joseph  Guarnerius  del  Gesù,  son  grand  rival.  Pourquoi?  Ce  n'est  pas  la  con- 
struction seule  qui  fournira  la  réponse  à  cette  question,  puisqu'il  existe  des 
Guarnerius  et  des  Stradivarius  identiques  à.  ce  point  de  vue:  cependant,  cha- 
cun d'eux  garde  sa  qualité  de  son,  absolument  personnelle.  Si  la  construction 
est  la  cause  de  ce  genre  de  son  particulier,  comment  arrive-t-il  que  des  co- 
pies exactes,  faites  de  l'un  et  de  l'autre  par  un  luthier  expérimenté  tel  que 
Vuillaume,  ne  possèdent  pas  le  timbre  distinctif  de  l'original  ?  Nous  croyons 
que  les  gens  compétents,  ceux  qui  seront  eu  position  de  l'aire  des  comparai- 
sons, ne  pourront  donner  qu'une  seule  réponse.  Gomme  vernissage,  Stradiva- 
rius et  Guarnerius  n'employaient  pas  les  mêmes  procédés.  Dans  quelques 
spécimens,  il  y  avait  aussi  différence  de  la  nature  du  vernis,  ce  qui  changeait 
le  caractère  de  la  sonorité.  Un  autre  exemple  nous  est  fourni  par  Carlo  Ber- 


LE  MENESTREL 


283 


gnnzi,  élève  ou  aide  de  Stradivarius;  il  travaillait  plus  ou  moins  d'après  les 
principes  de  construction  de  son  maitre.  Son  vernis,  toutefois,  ressemble 
beaucoup  plus  à  celui  de  Guarnerius;  conséquemment  la  sonorité  de  ses  vio- 
lons rappelle  plutôt  celle  des  instruments  de  ce  dernier.  Vuillaume  vernissait 
tous  ses  violons  de  la  même  manière,  que  ce  fussent  des  copies  d'après  Stra- 
divarius, Guarnerius  ou  Amati.  Il  s'ensuit  que  le  caractère  de  leur  sonorité 
n'est  guère  varié.  Examinons  encore  les  violons  do  J.-B.  Guadagnini,  et  les 
plus  beaux  spécimens  entre  ceux  que  produisirent  l'un  ou  l'autre  des  membres 
de  la  famille  Gagliano.  Ils  sont  construits  d'après  les  principes  de  Stradiva- 
rius. Dans  une  foule  de  cas  les  matériaux  offrent  les  mêmes  qualités  comme 
acoustique,  et  cependant  le  caractère  de  la  sonorité  diffère  absolument  de 
celle  d'un  instrument  du  maitre.  Et  pourquoi?  Parce  que  leur  vernis  et 
leur  méthode  d'application,  dans  la  plupart  des  cas,  ne  se  ressemblaient  en 
rien. 

Et  ici  encore,  Joseph  Guarnerius  affirme  son  incontestable  supério- 
rité, ainsi  que  le  constate  en  ces  termes  M.  Auguste  Tolbecque  :  — 
«  L'ancienne  école  italienne,  en  y  comprenant  même  ses  plus  médio- 
cres disciples,  s'est  servie  de  vernis  d'une  qualité  presque  toujours 
supérieure  et  d'une  nuance  séduisante,  allant  du  jaune  d'or  transparent 
des  Amati  au  rouge  brun  des  Montagnana  et  desBergonzi,  en  laissant 
la  suprême  maîtrise  à  Antonius  Stradivarius  et  à  Joseph  Guarnerius  del 
Gesù.  » 

En  résumé,  si  l'on  met  à  part  Stradivarius,  le  maitre  des  maîtres,  on 
peut  dire  de  Joseph  Guarnerius  del  Gesù  qu'il  fut  le  luthier  le  plus 
original  et  le  plus  personnel,  en  même  temps  que  le  plus  hardi  et  le 
plus  indépendant  dans  son  travail,  qu'ait  produit  l'Italie.  Inégal  sans 
doute,  mais  jusque  dans  ses  faiblesses  révélant  son  étonnante  supé- 
riorité et  ce  que  certains  n'hésitent  pas  à  appeler  son  génie,  il  produit, 
dans  ses  bons  moments,  de  véritables  chefs-d'œuvre,  dont  nul  autre, 
parmi  les  meilleurs,  n'a  jamais  approché.  Ses  beaux  instruments,  d'une 
forme  parfaite  où  l'on  reconnaît  la  main  d'un  maître  artiste,  couverts 
d'un  vernis  dont  l'éclat  resplendit  en  dépit  de  la  finesse  de  sa  pâte, 
donnent  une  sonorité  mâle,  chaude  et  vigoureuse,  à  laquelle  on  ne 
saurait  peut-être  adresser  parfois  qu'une  bien  légère  critique,  c'est  de 
n'avoir  pas,  sur  la  quatrième  corde,  la  rondeur  onctueuse  des  Stradi- 
varius. Il  n'en  reste  pas  moins  que  tous  ceux  de  la  grande  épcque  sont 
inattaquables  dans  leur  perfection,  et  dignes  de  l'admiration  la  plus 
complète.  Ce  qui  suffirait,  d'ailleurs,  à  prouver  l'indiscutable  supério- 
rité de  Joseph  Guarnerius,  c'est  qu'il  fut,  avec  Nicolas  Amati  et  Stra- 
divarius, le  seul  des  grands  luthiers  qui  ait  été  constamment  et  opiniâ- 
trement imité  (1). 

Joseph  Guarnerius  passe  pour  n'avoir  produit  absolument  que  des 
violons,  à  l'exclusion  de  tout  autre  instrument.  On  sait  de  façon  cer- 
taine qu'il  n'a  construit  aucun  violoncelle,  et  d'autre  part  Hart, 
MM.  Hill  et  M.  Auguste  Tolbecque  croient  pouvoir  affirmer  qu'on  ne 
connaît  de  lui  aucun  alto.  Cependant  un  auteur  italien  qui  s'est  occupé 
avec  ardeur  de  ces  questions  de  lutherie,  M.  Giovanni  de  Piccolellis, 
parlant  de  Guarnerius  dans  un  écrit  intitulé  Liutai  antichi  e  modérai 
(Florence,  Le  Monnier.  1883),  dit  qu'on  ne  connaît  guère  delui,  comme 
étant  absolument  authentiques,  qu'environ  cinquante  violons  et  dix 
altos.  Je  ne  suis  en  état  de  discuter  ni  l'une  ni  l'autre  affirmation,  me 
bornant  à  les  faire  connaître.  Mais  j'exprimerai  mon  étonnement  au 
sujet  du  petit  nombre  de  violons  que  M.  de  Piccolellis  attribue  à 
Joseph  Guarnerius.  Il  y  a  là,  selon  moi,  une  erreur  évidente  (t). 

Joseph  Guarnerius  del  Gesù  fit-il  des  élèves  ?  Tous  les  grands 
luthiers  en  faisaient  alors  à  Crémone,  et  l'on  peut  supposer  qu'il  en  fut 
de  môme  en  ce  qui  le  concerne  ;  mais  le  mystère  qui  entoure  l'exis- 
tence énigmatique  de  cet  artiste  admirable  ne  laisse  rien  savoir  de 
précis  à  cet  égard  non  plus  qu'à  d'autres.  On  a  bien  cité  les  noms  de 
quelques  luthiers  venus  après  lui  et  qui  auraient  été  ses  disciples,  tels 
que  Landolfi,  Deconeti,  Camilli;  mais  il  semblerait  qu'ils  ont  été  les 

■1)  Peut-être  est-ce  ici  le  lieu  de  faire  remarquer  que  trois  rues  de  la  ville  de  Cré- 
mone portent  les  noms  d'Amati,  de  Stradivarius  et  de  Guarnerius,  en  dépit  du  peu 
d'enthousiasme  que  les  habitants  montrent  à  ce  sujet,  ainsi  que  nous  l'apprend 
Hart  :  —  «  Le  signor  Sacchi  a  réussi,  à  force  de  patience  et  de  résolution,  à  persua- 
der aux  habitants  de  Crémone  d'obtenir  la  sanction  des  autorités  pour  donner  les 
noms  de  Stradivari,  de  Guarneri  et  d'Amati  à  trois  des  rues  de  la  ville.  Cette  me- 
sure, juste  rémunération  de  trois  grandes  célébrités,  est  due  surtout  au  feu  profes- 
st-ur  Pielro  Fecit,  qui  a  puissamment  secondé  le  signor  Sacchi  dans  ses  recherches 
sur  le  passé  des  luthiers  de  Crémone.  Le  baptême  des  trois  rues  rencontra  à  l'époque 
une  très  vive  opposition.  Les  citoyens  de  Crémone  ne  sont  pas  les  seuls  à  montrer 
de  semblables  dispositions.  On  a  remarqué  qua  les  Américains  témoignent  pour 
Stratford-sur-Avon.  (patrie  de  Shakespeare)  une  plus  haute  vénération  que  celle  que 
lui  vouent  ses  compatriotes  ». 

(2)  Je  dois  remarquer  que  J.  Gallay,  dans  son  petit  livre  très  informé  .  les  Instru- 
ments des  Écoles  italiennes  (Paris,  1872,  in-12),  cile  quatre  altos  de  Guarnerius  del 
Gesù,  en  donnant  les  noms  de  leurs  propriétaires  :  MM.  L.  Robert  (Paris!  de  Sarzac 
(Paris),  de  Tharrau  (Hombourg)  et  Dr  Wise  (Londres).  Il  semble  donc  bien  qu'il  y  a 
erreur  de  la  part  de  George  Hart  et  de  MM.  Hill  et  Tolbecque. 


imitateurs  habiles  de  sa  facture  plutôt  que  ses  élèves  immédiats  et  directs. 
Jules  Gallay,  dans  son  petit  livre  sur  les  Instruments  des  écoles  rlta- 
liennes,  croit  pouvoir  dire  qu'un  des  nôtres,  François  Lupot,  fut  élève 
de  Joseph  Guarnerius  ;  maisGallay  ne  parall  pas  ''"•ire  rendu  compte 
des  dates.  Guarnerius  était  né  en  1(186,  et  François  Lupot  en  1736;  â 
supposer  que  celui-ci  fût  entré  en  apprentissage  a  quinze  ans,  c'est-à- 
dire  en  1751,  Guarnerius  eût  été  âgé  de  soixante-cinq  anB.  I  faii 
semble  peu  probable.  D'ailleurs,  bien  qu'on  ne  connaisse  pas  l'époque 
«le  la  mort  de  Guarnerius,  tout  en  la  fixant  assez  arbi 
environs  de  174.'i  (on  connaît  de  lui  un  violon  daté  de  cette  année  ITl.'ii, 
il  est  pourtant  à  peu  près  certain  qu'il  n'existait  plus  en  17'il  el  que, 
par  conséquent.  Lupot  ne  put  pas  travailler  avec  lui  (1). 

En  l'ait,  il  est  impossible  de  savoir.  île  façon  précise,  -i  le  grand 
artiste  que  fut  Joseph  Guarnerius  del  Gesù  a  formé  directement  des 
élèves.  Mais  ce  qui  est  certain,  c'est  que  plus  d'un  parmi  les  luthiers 
crômonais,  qui  vinrent  après  lui,  s'inspira  de  ses  principes  et  imita  sa 
manière. 

(A  suivre.)  Virrin  n  PouGIN. 


LITTÉRATURE     MUSICALE 


i 

Œuvres  en  prose  de  Richard  Wagner,  traduites  par  J.-G.  Prod'homuie  et  F.  Holl, 
tome  second  (Paris,  Delagrave,  in-12).  —Lettres  intimes  d'une  musicienne  américaine, 
par  Amy  Fay  (Music  studij  in  Germamyj,   traduites  de  l'anglais  par  M-    B   Sonr- 
dillon  (Paris,  Dujarric,  un  vol.  in-12).  —  La  Main  et  l'Ame  au  piano,  d'après  ScliiN- 
macher,  par  M""  Aline  Tasset  (Paris,  Delagrave,  un  vol.  iu-8"). 
M.  J.-G.  Prod'homme,  aidé  cette  fois  de  M.  le  Dr  F.  Holl,  nous  pré- 
sente aujourd'hui  le  second  volume  de  la  traduction  des  œuvres  litté- 
raires (Gesammelte  schriften)  de  Richard  Wagner,  dont  le  premier  avait 
paru  il  y  a  un  an  environ.  On  sait  que  le  recueil  complet  de  l'édition 
allemande,  qui  fut  publiée  de  1871  à  1883,  ne  comprend  pas  moins  de 
dix  forts  volumes  in-octavo.  Si  les  traducteurs  se  proposent  de  nous 
offrir  successivement  le  contenu  de  ces  dix  volumes,  ils  ne  sont  pas  au 
bout  de  leurs  peines  —  ni  nous  non  plus. 

Car,  vous  savez,  ça  n'est  pas  d'une  gaité  folle,  les  écrits  de  Wagner, 
et  ça  n'a  aucune  affinité  avec  le  genre  de  MM.  Courteline  et  Tristan 
Bernard.  Si  vous  pouvez  lire  sans  vous  décrocher  la  mâchoire  les 
soixante  et  quelques  pages  du  chapitre  qui  a  pour  titre  «  les  Nibelungen, 
histoire  universelle  tirée  de  la  légende  »,  dans  lequel  l'auteur  fait  une 
étonnante  olla  podrida  de  l'histoire  de  France  et  de  l'histoire  d'Alle- 
magne, des  Mérovingiens,  du  règne  de  Charlemagne,  de  la  reconstitu- 
tion de  l'empire  romain  a  son  profit,  des  guelfes  et  des  gibelins,  de 
l'avènement  d'Hugues  Capet  succédant  aux  Carlovingiens,  en  mèli- 
mèlant  tout  ça  et  en  le  rapportant  au  saint  Graal  et  à  la  légende  des 
Nibelungen  (!!!),  je  dirai  simplement  que  vous  avez  de  l'estomac  et  que 
la  force  de  résistance  à  l'ennui  est  portée  chez  vous  à  sa  plus  haute 
puissance.  Le  diable  m'emporte  si,  pour  ma  part,  il  m'a  été  possible 
de  comprendre  le  but  que  s'est  proposé  l'autour  en  écrivant  cette  dis- 
sertation historico-légendaire  et  par-dessus  tout  profondément  nébu- 
leuse. Elle  est  suivie  dans  le  volume  par  une  autre,  moins  longue  heu- 
reusement et  plus  compréhensible,  le  Mythe  des  Nibelungen  considéré 
comme  esquisse  d'un  drame,  où  nous  trouvons  comme  une  sorte  de  genèse 
de  la  Tétralogie. 

Ce  second  volume  des  écrits  de  "Wagner  est  d'ailleurs  de  nature 
singulièrement  diverse  et  disparate,  et  sert  à  nous  prouver  surtout  que 
l'auteur,  dans  son  admiration  pour  lui-même,  tenait  absolument  à  ne 
rien  laisser  perdre  des  chefs-d'œuvre  sortis  de  sa  plume.  Il  fallait  vrai- 
ment être  pénétre  de  ce  sentiment  pour  ne  pas  hésiter  à  reproduire  des 
choses  aussi  insignifiantes  que  le  compte  rendu  de  la  translation  des 
restes  mortels  de  Weber  de  Londres  à  Dresde,  le  discours  prononcé 
par  Wagner  à  cette  occasion,  les  paroles  de  la  cantate  écrite  par  lui 
pour  la  circonstance  et  le  toast  qu'il  porta  au  300e  anniversaire  de  la 
fondation  de  la  chapelle  royale  de  Dresde.  Tout  cela  n'a  aucune  impor- 
tance et  n'offre  aucune  espèce  d'intérêt,  sous  quelque  rapport  que  ce 
soit.  On  en  trouvera  davantage  dans  le  programme  analytique  de  la 
neuvième  symphonie  de  Beethoven,  et  aussi  dans  le  Ptot  d'organisation 
d'un  théâtre  national  allemand  pour  le  royaume  de  Saxe,  dans  lequel  on 
peut  dire  qu'on  trouve  en  germe  l'idée  du  théâtre  de  Bayreuth.  que 
Wagner  ne  devait  voir  réaliser  que  vingt-cinq  ans  plus  tard.  Ce  projet 


(1)  Fétis  s'est  encore  moins  rendu  compie  des  dates  lorsque,  dans  sa  brochure 
sur  Stradivarius,  il  dit,  de  son  coté,  que  le  même  François  Lupot  fut  élève  de  ce 
maitre.  Or,  on  vient  de  le  voir.  Lupot  naquit  en  1730,  et  Stradivarius  mourut  en 
1737. 


284 


LE  MENESTREL 


avait  été  présenté  par  lui  au  ministre  Obei-laender  en  1848,  et  disparut 
dans  la  tourmente  révolutionnaire  de  1849,  où  l'on  vit  Wagner  prendre 
les  armes  contre  le  souverain  dont  il  était  le  maitre  de  chapelle  et  fuir 
ensuite  pour  échapper  au  châtiment  d'un  révolté.  Précisément,  le  volume 
se  termine  par  un  morceau  de  littérature  politique  qui  ne  saurait  nous 
intéresser  en  aucune  façon,  un  discours  prononcé  par  Wagner  à  Dresde, 
le  15  juin  1848,  sur  ce  sujet  :  Où  en  sont  les  tendances  républicaines  à 
l'égard  de  la  royauté.  (On  sait  assez  que  le  fougueux  républicain  de  1848 
s'adoucit  par  la  suite  jusqu'à  devenir  le  servile  adulateur  de  l'infortuné 
roi  Louis  de  Bavière.  L'homme  absurde  est  celui  qui  ne  change 
jamais.) 

Je  ne  sais  pas  l'intérêt  que  peuvent  inspirer  les  volumes  suivants  des 
œuvres  littéraires  de  Wagner.  Mais  s'ils  ressemblent  tous  à  celui-ci, 
nous  avons  le  temps  de  bâiller. 


Miss  Amy  Fay,  l'auteur  des  Lettres  intimes  d'une  musicienne  américaine. 
dont  on  vient  de  nous  donner  une  traduction  française  après  leur  grand 
succès  dans  son  pays  et  eu  Angleterre,  était  une  jeune  pianiste  venue 
en  Europe  pour  y  parfaire  son  éducation  musicale.  Ses  lettres,  adressées 
d'Allemagne,  où  elle  s'était  fixée,  à  une  compatriote,  n'étaient  point  desti- 
nées à  la  publicité.  Elles  sont  donc  simples,  naïves,  sincères,  sans  aucune 
prétention,  mais  aimables  et  parfois  véritablement  curieuses.  Écrites  dans 
le  cours  de  six  années,  de  1869  a  1875,  époque  où  elle  retourna  dans  son 
pays  pour  y  devenir  professeur,  elle  nous  fait  connaître  ce  qu'était  l'ensei- 
gnement musical  en  Allemagne  à  cette  époque,  nous  parle  des  Conserva- 
toires et  nous  familiarise  non  seulement  avec  ses  maitres,  mais  avec  tous 
lesgrands  artistes  qu'elle  eut  l'occasion  de  connaître  et  d'admirer.  Je  dis 
«  ses  maitres  »,  car  elle  en  eut  successivement  plusieurs,  et  passa  de 
Tausig  à  Kullak,  de  Kullak  à  Liszt  et  de  Liszt  à  Deppe,  trouvant  ingé- 
nument toujours  que  celui  qu'elle  avait,  était  meilleur  que  tous  les 
autres. 

La  grande  qualité  de  miss  Amy  Fay,  c'est  non  seulement  la  sincérité, 
mais  l'enthousiasme.  Elle  a  lame  d'une  artiste,  et  elle  comprend  la 
poésie  de  l'art.  Au  temps  où  elle  commença  d'écrire,  ses  impressions 
étaient  surtout  naïves;  puis,  peu  à  peu.  sonjugement  se  forme,  son  sens 
critique  s'aiguise,  s'épure  et  se  développe.  Ce  qu'elle  nous  raconte  sur 
ses  maitres,  sur  Liszt  surtout,  est  particulièrement  intéressant  en  ce 
qui  touche  non  seulement  les  principes  d'enseignement,  mais  le  carac- 
tère moral  de  chacun  d'eux.  Ce  qui  est  intéressant  aussi,  ce  sont  ses 
appréciations  juvéniles  du  talent  des  grands  virtuoses  qu'elle  est  à 
même  d'entendre  et  d'étudier.  Elle  fait  ainsi  passer  sous  nos  yeux,  en 
notant  les  réflexions  qu'ils  lui  inspirent,  Joachim  et  sa*  femme, 
Mme  Clara  Schumann,  sa  sœur  Marie  Wieck,  le  violoniste  Wilhelmy. 
Rubinstein,  Hans  de  Bùlow.  Mme  Sophie  Menter,  Scharwenka,  Mosz- 
kowski.  etc.  Chemin  faisant,  elle  raconte  certaines  anecdotes,  d'une 
main  légère  et  toujours  aimable.  Et  puis,  l'Américaine  en  elle  ne  perd 
jamais  ses  droits.  Témoin  ce  qu'elle  nous  dit  après  avoir  assisté,  à 
Berlin,  à  un  concert  donné  par  Wagner  : 

A  la  fin  du  concert,  les  bouquets  étaient  si  amoncelés  sur  la  scène,  auprès 
du  pupitre  du  directeur,  que  Wagner  n'avait  plus  la  possibilité  de  se  mouvoir 
sans  en  écraser  quelques-uns.  En  somme,  ce  concert  a  été  une  brillante  vic- 
toire et  un  grand  triomphe  pour  ses  amis.  Il  a  cependant  beaucoup  d'ennemis 
ici;  Joachim  en  est  un  ;  ce  que  je  trouve  inexplicable  ;  Ehlert  est  aussi  un  fort 
anti-wagnérien,  et  tous  les  juifs  le  haïssent. 

Son  caractère  en  est  peut-être  la  cause.  Dans  son  aspect,  "Wagner  est  la 
personnification  de  l'arrogance  et  du  despotisme.  Toute  sa  vie,  il  a  méprisé 
les  lois  d'honneur,  de  reconnaissance,  de  morale.  Son  exemple  est  pernicieux 
pour  les  jeunes  artistes,  et  je  crois  qu'il  les  déprave  ;  mais  dans  ce  pays-ci 
tout  est  pardonné  à  l'audace  et  au  génie,  et  je  dois  dire  que  si  l'Allema"ne 
peut  nous  apprendre  la  Musique,  nous  pouvons  lui  enseigner  la  Morale. 

Plus  loin,  elle  parle  de  Liszt  avec  un  enthousiasme  qu'il  est  d'ailleurs 
facile  de  partager  : 

Tout  jeu  semble  vide  auprès  de  celui  de  Liszt,  qui  est  l'incarnation  vivante 
de  la  poésie,  de  la  passion,  de  la  grâce,  de  l'esprit,  de  la  coquetterie,  de  l'au- 
dace, de  la  tendresse  et  de  tous  les  attributs  fascinateurs  que  l'on  puisse 
imaginer.  C'est  l'être  le  plus  phénoménal,  à  tout  point  de  vue!  Tout  ce  que 
vous  avez  entendu  dire  de  lui  ne  peut  vous  en  donner  aucune  idée;  bref,  il 
représente  l'entière  série  des  émotions  humaines.  C'est  un  prisme  à  plusieurs 
côtés  qui  renvoie  la  lumière  sous  toutes  ses  couleurs,  peu  importo  comment 
on  le  regarde.  Ses  élèves  l'adorent,  tout  le  monde  en  fait  autant;  il  est  impos- 
sible qu'il  en  soit  autrement  avec  une  personne  dont  le  génie  éclate  conti- 
nuellement et  dont  le  caractère  est  aussi  séduisant. 

Plus  loin  encore,  et  de  nouveau  à  propos  de  Liszt,  et  en  établissant 
un  parallèle  entre  lui  et  Joachim  : 

Liszt  donne  tant  de  vie  à  ce  qu'il  joue,  que  je   suis  toujours  étonnée,   ravie 


de  nouveau  chaque  fois  que  je  l'entends  ;  je  peux  à  peine  croire  qu'il  soit  pos- 
sible de  jouer  ainsi.  En  plus  de  son  jeu  merveilleux,  il  a  dans  sa  personne 
quelque  chose  d'imposant,  tandis  que  Joachim  n'a  rien  de  tel.  Liszt  possède 
un  jeu  de  physionomie,  un  air  d'inspiration  remarquables  ;  Joachim  semble, 
au  contraire,  toujours  absorbé  par  la  préoccupation  de  produire  des  effets  ar- 
tistiques. Liszt  ne  regarde  jamais  son  instrument;  Joachim  regarde  toujours 
le  sien.  Liszt  est  un  acteur  émérite  qui  veut  captiver  le  public,  il  n'oublie 
jamais  qu'il  l'a  devant  lui  et  il  agit  en  conséquence  ;  Joachim  en  est  complè- 
tement oublieux... 

Joachim  est  un  artiste  bourgeois  tranquille.  Il  s'avance  avec  l'attitude  la 
moins  prétentieuse,  il  accorde  son  violon  avec  l'air  calme  d'un  des  maitres  du 
royaume  musical  en  semblant  dire  :  «  Je  m'en  rapporte  à  mon  art,  je  n'ai 
besoin  ni  de  manières,  ni  de  façons  ».  J'admire  davantage  ce  dernier  prin- 
cipe, mais  Liszt  vous  fascine,  vous  subjugue;  on  sent  tout  de  suite  que  c'est 
un  grand  génie  auprès  duquel  on  n'est  qu'une  marionnette,  et  on  trouve  en- 
core quelque  plaisir  à  cette  humiliation. 

Pas  mal,  pour  une  Américaine  ! 

En  résumé,  je  l'ai  dit,  ce  livre  est  intéressant,  curieux,  et  d'une  lec- 
ture tout  à  fait  agréable. 


L'excellent  pianiste  Joseph  Schiffmacher,  qui  obtint  jadis  de  grands 
succès  à  Paris,  était  né  à  Eschau,  près  de  Strasbourg,  en  1827,  et 
mourut  subitement  en  1888  au  château  de  la  Salle,  près  Màcon,  dans 
une  famille  amie.  Comme  pianiste,  il  reçut  des  conseils  de  Rosenhain, 
Schulhoff,Gottschalk,  Thalberg  et  Chopin, c'est-à-dire  les  plus  grands, 
et  le  grand  peintre  Eugène  Delacroix,  qui  avait  été  l'ami  de  Chopin,  di- 
sait un  jour  après  l'avoir  entendu  :  «  Il  est  le  seul  qui  me  rappelle 
Chopin».  Il  étudia  aussi  la  théorie  avec  son  compatriote,  mon  vieux  maitre 
Reber.  Il  se  distingua  comme  compositeur  aussi,  bien  que  son  œuvre 
soit  peu  nombreux.  On  cite  surtout  sa  belle  «  Élégie  »  les  Cuirassiers 
de  Frœschwiller  (il  était  profondément  patriote),  écrite  à  la  mémoire  de 
son  frère,  lieutenant  de  cuirassiers,  mort  glorieusement  dans  la  fameuse- 
charge  restée  légendaire. 

C'est  surtout  comme  professeur  que  Schiffmacher  se  fit  un  juste- 
renom,  tant  à  Strasbourg  qu'à  Lyon,  Genève  et  Paris,  et  ce  sont  les 
principes  de  son  enseignement  qu'une  de  ses  anciennes  élèves,  Mulc  Aline 
Tasset,  veut  mettre  en  lumière,  pour  en  faire  ressortir  la  hardiesse  et 
la  nouveauté,  dans  le  petit  volume  qu'elle  intitule  la  Main  et  l'Ame  au 
piano  (l'intelligence  dans  le  mécanisme  —  les  qualités  du  son  relevées 
par  les  gestes  et  les  états  successifs  de  la  sonorité  dans  l'étude).  Un  tel 
livre  ne  s'analyse  pas.  Il  faut  le  lire,  l'étudier,  se  pénétrerde  son  esprit 
pour  recueillir  les  fruits  de  l'expérience  qui  lui  a  donné  naissance. 
Schiffmacher  disait  lui-même  : 

Il  y  a  le  travail  de  l'intelligence,  c'est-à-dire  spirituel  ;  et  le  travail  des  mus- 
cles, c'est-à-dire  matériel  ;  il  faut  que  les  deux  marchent  de  front. 

Le  travail  matériel  entretient  la  force  animale;  le  travail  de  l'intelligence 
entretient  et  développe  la  force  morale. 

La  note  faite  n'importe  comment,  ou  comme  tout  le  monde  peut  la  faire,, 
tue;  mais  l'esprit,  qui  doit  accompagner  toute  note  vraiment  bien  faite,, 
vivifie. 

On  ne  peut  que  recommander  à  tous  les  jeunes  pianistes  le  petit 
volume  de  Mmc  Aline  Tasset.  Je  ne  dis  pas  qu'ils  n'y  trouveront  rien  à 
reprendre  ;  mais  sûrement  ils  y  rencontreront  de  bons  conseils,  d'utiles 
préceptes,  qui  les  feront  réfléchir  et  dont  ils  sauront  tirer  parti. 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


NOTRE    SUPPLÉMENT     MUSICAL 

(POL'H     LES    SEULS    AKO-S^KS    A    LA    MUSIQUE) 


Que  penserez-vous  de  ce  Madrigal  archaïque?  Il  est  de  Nazare-Aga,  plus  connu  par 
ses  valses  populaires  que  par  ses  mélodies.  C'est  l'habitude  de  vouloir  cantonner 
nos  musiciens  chacun  dans  un  genre  qui  leur  est  plus  spécial  et  de  ne  pas  vouloir 
leur  permettre  d'en  sortir. 

Pourtant  ce  Madrigal  prouve  que  M.  Nazare-Aga  sait  autant  faire  chanter  la  voix. 
que  tout  autre. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

Le  conflit  Weingartner-Hulsen.  On  nous  écrit  de  Berlin  à  la  date  du 
31  août  :  o  L'intendant  général  des  spectacles  royaux  a  envoyé  le  com- 
muniqué suivant  aux  journaux  :  l'ancien  chef  d'orchestre  de  la  chapelle 
royale   et   directeur    de   l'Opéra-Royal,   M.   Félix   Weingartner,   ayant  versé 


LE  MÉNESTREL 


283 


une  importante  somme  d'argent  à  la  caisse  des  veuves  d'artistes  de  l'or- 
chestre (fonds  destiné  à  secourir  les  veuves  et  les  orphelins  des  membres  décé- 
dés de  l'orchestre  de  la  chapelle  royale),  il  n'existe  plus  de  conflit  entre  l'in- 
tendant général  des  spectacles  royaux  et  l'ancien  chef  d'orchestre.  Le  différend 
avait  pris  naissance,  comme  on  le  sait,  parce  que  M.  Weingartner,  qui  avait 
accepté  le  poste  de  diracteur  de  l'Opéra  de  Vienne  en  remplacement  de 
M.  Mahler,  s'était  refusé  à  diriger  les  concerts  symphoniques  de  Berlin  poul- 
ie reste  de  la  saison  co'urante.  Pour  justifier  son  attitude,  M.  Weingartner 
alléguait  que  l'intendance  générale  lui  devait  encore  de  l'argent.  Il  a  été  con- 
sidéré par  le  conseil  des  arts  (Kun-tbehûrde)  comme  ayant  rompu  son  contrat. 
Dans  l'affaire,  le  Conseil  supérieur  des  associations  scéniques  s'est  déclaré 
incompétent,  parce  qu'il  ne  doit  trancher  que  les  conflits  qui  interviennent 
entre  les  directeurs  de  théâtres  et  les  artistes  engagés  par  eux.  Le  différend 
survenu  entre  l'intendance  et  M.  Weingartner  aurait  du  être  tranché  par  les 
tribunaux  ordinaires  si  une  transaction  n'était  intervenue  sur  les  bases  men- 
tionnées plus  haut  consistant  dans  le  versement  d'une  somme  importante  au 
profit  de  la  caisse  des  veuves  et  des  orphelins.  »  Gela  vaut  mieux  assurément 
qu'une  condamnation. 

—  L'Opéra-Comique  de  Berlin  représentera  cet  hiver  le  premier  opéra  d'un 
jeune  compositeur  autrichien,  né  de  parents  hollandais.  M.  Brand-Buys. 
L'œuvre  porte  pour  titre  Une  Fête  de  violette. 

—  Une  correspondance  de  Berlin  nous  donne  les  détails  suivants  sur  la 
participation,  il  faudrait  presque  dire  sur  la  collaboration,  de  l'empereur 
d'Allemagne  aux  travaux  de  mise  en  scène  du  ballet  de  Sardanapal  dont  la 
reprise  vient  d'avoir  lieu  à  l'Opéra-Royal.  Après  un  entretien  personnel  avec 
M.  Frédéric  Delitzsch,  l'assyriologue  bien  connu,  Guillaume  If  régla  lui-même 
l'ordre  et  le  plan  de  la  représentation  et  modifia  les  projets  qui  lui  avaient  été 
soumis,  voulant  que  l'on  tint  plus  de  compte  des  éléments  fournis  par  les 
dernières  découvertes  faites  pendant  les  fouilles  à  Ninive.  Ce  qui  appartient 
bien  en  propre  à  l'empereur,  c'est  l'esquisse  du  char  de  bataille  des  Assyriens, 
avec  son  attelage  et  tous  ses  accessoires.  Des  dessins  ont  été  faits  de  la  main 
du  monarque  et  il  a  su  lui-même  constituer  l'ensemble  de  certaines  parties 
décoratives  et  les  mettre  définitivement  en  valeur.  Il  n'a  épargné  ni  les  frais 
ni  la  peine  pour  que  la  réalisation  se  rapprochât  aussi  fidèlement  que  possible 
de  l'original  qu'il  avait  conçu.  Afin  de  s'entourer  d'ailleurs  de  toutes  les 
garanties  possibles,  il  avait  rassemblé  tous  les  ouvrages  documentaires  ayant 
paru  sur  la  matière,  tant  à  l'étranger  qu'en  Allemagne.  Il  fit  commander 
aussi  en  Orient  les  étoffes  de  pourpre  ornées  d'emblèmes  assyriens,  car  les 
pays  occidentaux  ne  pouvaient,  paraît  il,  en  fabriquer  d'assez  somptueuses. 
Pendant  le  cours  des  répétitions,  il  n'a  pas  dédaigné  de  se  rendre  au  théâtre 
et  l'on  a  fait  plusieurs  changements  d'après  ses  indications.  Pour  la  première 
représentation,  une  grande  partie  de  la  salle  a  été  retenue  afin  que  les  places 
puissent  être  occupées  par  un  grand  nombre  de  savants  qui  ont  reçu  des  invi- 
tations. Un  album  renfermant  une  série  de  photographies  de  décors,  de  cos- 
tumes et  de  groupes  de  personnages  a  été  distribué  aux  invités.  Tout  cela  est 
fort  bien,  mais  il  est  permis  de  songer  que  cette  manière  d'encourager  les 
beaux-arts  ne  profite  guère  à  leur  développement.  Les  parties  neuves  ajoutées 
à  un  vieux  ballet  n'en  feront  pas  sans  doute  un  chef-d'œuvre,  et  le  déploie- 
ment d'un  luxe  oriental,  fût-il  même  conforme  à  la  vérité  historique,  parait 
assez  intempestif  au  moment  où  des  tentatives  très  artistiques  sont  faites  en 
Allemagne  pour  arriver  à  la  simplification  de  la  mise  en  scène.  Les  véritables 
chefs-d'œuvre,  Don  Juan,  Fide/io,  le  Freischûts,  ne  sont  pas  nés  au  milieu  de 
la  pompe  et  de  l'ostentation. 

—  Au  sujet  du  vol  de  l'acte  de  naissance  de  Gœthe  dans  les  archives  de 
l'état-civil  de  la  ville  de  Francfort,  la  note  suivante  a  été  publiée  :  «  L'acte  de 
naissance  de  Gœthe,  conservé  dans  les  registres  des  naissances  de  notre  ville 
a  été  arraché  et  dérobé.  Des  recherches  viennent  d'être  faites  dans  nos 
archives  et  ont  permis  de  constater  qu'un  second  acte  de  naissance  de  Gœthe 
se  trouve  dans  un  autre  registre.  Lequel  des  deux  est  l'original"?  Il  e.4  difficile 
de  se  prononcer  là-dessus  avec  certitude.  Ni  l'un  ni  l'autre  ne  porte  de  signa- 
ture. L'exemplaire  que  nous  avons  encore  entre  les  mains  renferme  des  sur- 
charges, mots  rayés  ou  corrections  qui  laisseraient  croire  que  celui-là  est  bien 
l'original,  tandis  que  celui  qui  a  été  volé  paraît  être  une  simple  copie  mise 
au  net.  »  On  sait  que  Gœthe  naquit  à  Francfort  le  L2S  août  1749,  au  n°  23  de 
la  rue  dite  Grosse  Hirschgraben.  La  maison  fut  complètement  restaurée  et 
l'aspect  de  sa  façade  principale  modifié  en  17bb.  Depuis,  elle  a  subi  des  répa- 
rations qui  n'ont  pas  altéré  sa  forme  générale.  C'est  là  que  Gœthe  écrivit 
Werther  en  six  semaines,  du  Ie1'  février  1774  à  une  date  du  milieu  de  mars  qui 
n'est  pas  exactement  précisée. 

—  La  Société  pour  la  culture  esthétique  de  Francfort  annonce,  pour  le 
12  septembre  prochain,  centième  anniversaire  de  la  mort  de  la  mère  de  Gœlhe, 
une  fête  de  nuit  dans  les  jardins  dits  Palmengarten  et  la  représentation,  dans 
un  décor  naturel,  de  l'intermède  intitulé  la  Fille  du  Pécheur,  avec  la  musique 
originale  composée  autrefois  par  Gorona  Schroeter.  On  sait  que  ce  petit 
ouvrage,  improvisé  par  Gœthe  pour  la  distraction  de  la  cour  du  duc  de 
Weimar,  Charles-Auguste,  fut  joué,  pour  la  première  fois,  le  22  juillet  1782, 
dans  le  parc  de  Tiefurt.  Une  aquarelle  du  peintre  G. -M.  Kraus  nous  a 
conservé  la  disposition  du  site  choisi.  On  y  voit  la  cantatrice  Corona  Schroeter 
au  moment  où  elle  chantait  la  ballade  du  Roi  d;s  aunes  écrite  pour  cet  inter- 
mède et  encore  dans  toute  sa  nouveauté.  Le  Ménestrel  a  reproduit  l'aquarelle 
de  Kraus   et  la  musique  de  Corona  Schroeter  pour  le  Roi  des  aunes  en  juil- 


let 190b.  La  mère  de  Gœthe  aimait  le  théâtre  avec  passion  et  partageait,  sur 
Shakespeare,  l'admiration  sans  bornes  de  son  fils.  Une  de  ses  lettres  montre 
bien  qu'à  son  époque  le  niveau  intellectuel  de  la  société  à  Francfort  n'était 
pas  très  élevé.  Nous  en  reproduisons  ce  fragment  d'après  un  livre  de  M.  Paul 
Bastier  :  «  L'accueil  favorable  que  l'on  lit  à  Bamlet  aurait  un  peu  réhabilité  le 
public  à  mes  yeux;  mais,  à  y  regarder  de  près,  il  n'y  avait  là-dessous  quq  de  i;i 
curiosité.  En  général,  sauf  de  rares  exceptions,  ils  raisonnent  cou 
mulets.  Il  y  a  quelques  jours,  je  rencontrai  dans  un  salon  une  dame  de  ce 
monde  qu'on  est  convenu  d'appeler  grand.  Elle  prononça  sur  Hamlet  le  juge- 
ment que  voici  :«  Cî  n'est  qu'une  farce!!'.  »  dépensai  tomber  en  faiblesse. 
Un  autre  prétendait  que  ce  serait  bien  le  diable  s'il  n'était  capable  d'écrire 
une  histoire  pareille,  si  pleine  de  bêtises.  C'était  un  épais  et  lourdaud  négo- 
ciant en  vins.  Cela  donne  une  idée,  n'est  ce  pas,  des  calembredaines 
siècle  de  lumière.  Et  en  fait  (à  part  un  petit  nombre  qui  sont  le  sel  de  ce 
monde),  tout  est,  chez  ces  messieurs  et  ces  dames,  si  insipide,  si  mesquin,  si 
faussé,  si  ratatiné,  qu'ils  ne  peuvent  plus  ni  mâcher,  ni  digérer  un  morceau 
de  bœuf;  il  leur  faut  des  purées,  des  laitages,  des  glaces,  des  pastilles;  ou  bien 
d  a  faisandé  pour  leur  estomac  débile.  Il  est  vrai  qu'ils  se  l'abîment  encore 
davantage,  mais  on  n'y  peut  rien.  »  La  mère  de  Gœthe  mourut  en  1808. 
Elle  sourit  jusqu'à  sa  dernière  heure.  Une  invitation  lui  ayant  été  adressée  par 
des  amis  qui  ne  la  savaient  pas  en  danger,  elle  fit  répondre  qu'elle  «  regrettait 
beaucoup,  mais  qu'elle  était  forcée  de  mourir  dans  un  instant  ». 

—  Le  théâtre  de  la  Cour,  à  Cassel,  vient  de  donner  avec  succès  la  première 
représentation  d'un  opéra  en  un  acte,  Cloches  de  mariage,  texte  de  M.  L.  Ferro, 
musique  de  M.  Emmanuel  Moor. 

—  Le  chef  d'orchestre  Hans  Richter,  qui  passe  en  ce  moment  ses  vacances  à 
Weilegg,  près  de  Kleinzell,  a  raconté  au  rédacteur  d'un  journal  viennois  que 
le  25  août  1908  est  pour  lui  un  anniversaire  d'un  genre  tout  particulier,  car 
c'est  à  cette  date  de  mois  et  de  quantième  qu'il  dirigea  pour  la  première  fois 
la  représentation  d'un  opéra,  il  y  a  juste  quarante  ans.  C'était  en  1868  ;  Hans 
Richter  avait  obtenu,  sur  la  recommandation  de  Wagner,  la  place  de  chef  des 
chœurs  au  théâtre  de  la  Cour.  Le  23  août  était  à  la  fois  le  jour  de  fêle  patronal 
et  l'anniversaire  de  la  naissance  du  roi  de  Bavière,  Louis  II.  D  y  eut  à  cette 
occasion  une  représentation  de  gala  dont  la  direction  fut  confiée  à  Richter, 
alors  âgé  de  vingt-cinq  ans.  On  donnait  Guillaume  Tell.  L'oeuvre  de  Rossini  fut 
donc  le  premier  opéra  qu'ait  dirigé  le  plus  réputé  des  chefs  d'orchestres 
wagnériens. 

—  Quelques  minutes  avant  le  dépari  du  rapide  Berlin-Munich,  des  lettres, 
des  bijoux  et  autres  objets  précieux,  appartenant  à  la  cantatrice  Thila  Plai- 
chinger,  que  l'on  attendait  au  théâtre  du  Prince-Régent  pour  chanter  la 
Walkyrie,  ont  été  dérobés  dans  un  coupé  où  l'artiste  les  avait  fait  déposer 
avant  d'y  prendre  place  elle-même.  Elle  dut  partir  malgré  sa  contrariété;  et, 
presque  aussitôt  arrivée,  il  fallut  bien  qu'elle  se  résignât  à  prendre  part  à  la 
représentation.  Très  préoccupée,  elle  eut  quelque  peine  à  entrer  dans  son  rôle 
aussi  complètement  qu'elle  aimait  à  le  faire,  mais  le  public  ne  parut  point 
s'en  apercevoir:  il  prodigua,  comme  de  coutume,  ses  applaudissements  à  la 
jeune  femme  et  lui  réserva  même  une  sorte  d'ovation  à  la  fin  de  la  soirée. 
Celait  une  manière,  un  peu  inattendue  peut-être,  de  lui  témoigner  delà  sym- 
pathie à  l'occasion  de  sa  déconvenue  de  Berlin.  «  Elle  peut  se  consoler,  disait 
un  journal,  aussi  longtemps  que  le  plus  beau  de  ses  joyaux  lui  restera;  je  veux 
parler  de  sa  voix  magnifique,  particulièrement  éclatante  dans  le  registre 
élevé;  de  son  être  tout  entier,  si  juvénile,  si  passionné  qu'il  semble  inondé  de 
soleil.  »  M""5  Thila  Plaichinger  est  une  des  très  rares  cantatrices  allemandes 
que  l'on  considère  comme  capables  de  soutenir  sans  défaillance  le  personnage 
d'Isolde, 

—  Ainsi  que  nous  l'avons  dit  déjà,  la  ville  de  Jesi,  où  est  né  Pergolèse, 
et.  celle  de  Pouzzolles  où  il  est  mort  à  vingt-six  ans,  le  16  mars  1736,  vont 
élever  un  monument  à  sa  mémoire  à  l'occasion  du  deuxième  centenaire  de  sa 
naissance,  qui  tombe  en  1910.  Nous  lisons  à  ce  sujet  dans  //  mondo  arlistico  : 
«  Le  monument  de  Giambattista  Pergolesi  sera  érigé  sur  la  place  dello  statuto, 
à  Jesi.  Le  sculpteur  Lorenzelti  a  su  former  un  ensemble  harmonieux  de  la 
statue  et  de  son  piédestal.  Vers  le  milieu  du  bloc  de  marbre  est  reproduite  une 
épinette  semblable  à  celle  dont  le  clavier  faisait  vibrer,  sous  les  doigts  de 
Pergolesi,  les  notes  du  Stabal  mater  et  de  la  Serva  padrona.  A  l'endroit  que 
devaient  occuper  les  pédales  de  l'instrument  sort  en  jet  une  eau  destinée  à 
être  recueillie  dans  un  bassin.  C'est  le  symbole  de  l'inspiration  mélodique  du 
compositeur  dont  la  source  n'est  jamais  tarie  et  doit  jaillir  éternellement.  A 
droite  du  piédestal  se  trouvent  deux  figures  gracieuses  représentant  a  le  son  » 
et  «  le  chant  ».  Au-dessus,  vers  la  partie  gauche  du  monument,  est  la  statue  du 
maître  dans  une  pose  inspirée.  Il  écoute  attentivement  les  sons  qui  lui  parvien- 
nent, venant  d'un  groupt  placé  devant;  sa  main  droite  est  doucement  étendue 
comme  pour  indiquer  qu'il  tâche  de  favoriser  l'essor  de  la  musique  et  d'en 
diriger  l'exécution.  Derrière  le  piédestal,  on  lit  ces  paroles  pleines  de  tristesse: 
Amore  che  piange  sulla  donna  amata  (Amour  qui  pleure  sur  la  femme  aimée). 
Le  sculpteur  fait  ici  allusion  à  la  passion  de  Pergolesi  pour  Donna  Maria 
Spinelli  telle  que  nous  1  a  conservée  la  légende.  Tout  presseront  gravés  les  titres 
des  opéras  qui  causèrent  au  maître  tant  d'amertume.  Du  lierre  et  des  ronces 
semblent  vouloir  masquer  ces  inscriptions,  tandis  que  des  motifs  musicaux, 
entourés  de  branches  de  laurier  se  dégagent  tout  auprès.  Le  monument  aura 
cinq  mètres  de  hauteur,  autant  de  largeur  et  se  détachera  sur  un  fond  de  ver- 
dure. L'inauguration  aura  lieu  le  23  Septembre  1910.  » 


LE  MENESTREL 


—  Une  société  nouvelle  va  entreprendre  l'exploitation  du  théâtre  de  la  Per- 
gola, à  Florence.  Les  bâtiments  ont  été  déjà  pxaminés  dans  le  but  de  déter- 
miner quelles  réparations  peuvent  être  nécessaires  pour  permettre  d'y  donner 
d'une  façon  permanente  des  représentations.  Une  petite  salle  va  être  aménagée 
spécialement  pour  que  l'on  puisse  y  donner  des  concerts  d'un  genre  popu- 
laire. 

—  Le  compositeur  Lozzi,  auteur  des  opéras  Emma  Liona  et  Mirandolina, 
vient  de  terminer  un  drame  lyrique  intitulé  Bianca  Cappella.  Le  livret  est  de 
M.  Ugo  Fleres  ;  il  retrace  les  aventures  de  la  belle  Vénitienne  qui  devint  la 
maîtresse,  puis  la  femme  de  François  de  Médicis,  grand-duc  de  Toscane.  Elle 
mourut  en  1587.  empoisonnée  peut-être.  Le  même  sujet  a  été  traité  par  Hector 
Salomon  en  un  opéra  qui  fut  représenté  pendant  le  mois  de  février  1886  au 
Théâtre-Royal  d'Anvers. 

—  Parmi  les  livrets  d'opéras,  au  nombre  déplus  d'une  centaine,  que  le  poète 
italien  Félix  Romani  a  donnés  au  théâtre,  il  n'en  est  guère  de  plus  charmant 
que  VElisir  d'amore.  Le  sujet  est  le  même  que  celui  de  l'opéra  d'Auber,  le 
Philtre,  joué  à  Paris  en  1831.  L'histoire  du  petit  chef-d'œuvre  de  Donizetti  est 
intéressante.  L'imprésario  du  vieux  théâtre  de  la  Canobbiana,  à  Milan,  s'était 
engagé  à  donner  à  son  public  un  opéra  nouveau  à  une  date  fixée,  mais,  pré- 
voyant des  frais  et  craignant  de  courir  des  risques,  il  manœuvrait  de  façon  à 
pouvoir  esquiver  sa  promesse.  Il  ne  restait  plus  que  quinze  jours  avant  l'époque 
convenue.  L'imprésario,  voulant  mettre  les  apparences  de  son  coté,  alla  trouver 
Donizetti.  «  Cher  maitre,  lui  dit-il,  j'ai  besoin  d'un  opéra  nouveau  dans 
quinze  jours,  consentiriez-vous  à  l'écrire  ?  »  Il  s'attendait  à  un  refus  et 
comptait  bien  s'excuser  auprès  de  qui  de  droit,  en  alléguant  l'impossibilité  de 
trouver  un  compositeur.  Mais  Donizetti,  piqué  dans  son  orgueil,  accepta 
l'offre  qui  lui  était  faite.  Pourtant,  il  n'était  pas  suffisant  d'avoir  du  courage 
et  une  rare  facilité  d'invention  ;  encore  fallait-il  se  procurer  un  libretto.  Félix 
Romani  se  trouvait  alors  précisément  à  Milan  ;  il  venait  d'avoir  des  démêlés 
avec  Bellini,  à  cause  de  l'insuccès  de  Béatrice  ai  Tenda  que  l'on  s'accordait  â 
lui  attribuer.  Donizetti  le  mit  au  courant  de  l'affaire  et  conclut  ainsi  :  «  Si, 
en  quinze  jours,  je  dois  écrire  une  partition,  il  est  logique  tout  au  moins  que 
toi  tu  me  fournisses  un  libretto  dans  l'espace  d'une  semaine.  »  Romani,  doué 
d'un  talent  d'assimilation  prodigieux,  s'exécuta;  sa  besognp  fut  faite  et  bien 
faite.  Donizetti  ne  se  mit  pas  en  retard  non  plus.  Il  eut  même  soin,  pendant 
que  son  collaborateur  alignait  ses  vers,  de  surexciter  sa  verve  par  des  saillies 
comme  celle-ci  :  «  Rends-toi  bien  compte,  mon  ami,  que  nous  avons  une 
prima  donna  du  pays  des  Germains,  un  ténor  qui  bégaye,  un  chanteur  bouffe 
qui  a  la  voix  d'une  chèvre  et  une  basse  française  qui  ne  vaut  guère  mieux  que 
ses  partenaires  ;  pourtant  il  faut  que  nous  sortions  de  là  couverts  de  lauriers  ». 
Us  en  sortirent  triomphants;  compositeur  et  librettiste  obtinrent  le  plus  grand 
succès  le  jour  de  la  première,  et  beaucoup  pensent  en  effet  que  l'ouvrage 
né  en  de  si  singulières  circonstances  est  le  plus  gai,  le  plus  délicat,  le  plus 
ingénu  et  le  plus  original  des  opéras  bouffes  qu'ait  produits  l'Italie,  exception 
faite  cependant  pour  le  Barbier  de  Séville. 

—  La  censure  de  Londres,  toujours  empressée  à  défendre  contre  toute 
atteinte  la  moralilé  publique  ou  ce  qu'elle  juge  tel,  vient  de  s'illustrer  par  une 
prouesse  à  laquelle  il  serait  regrettable  de  ne  pas  accorder  la  publicité  qu'elle 
mérite.  Il  y  a  un  an,  M.  W.-L.  Gourtenay  fut  chargé  par  un  directeur  de 
théâtre  de  traduire  et  de  disposer  pour  la  scène  anglaise  l'Œdipe  de  Sophocle. 
Il  semble  s'être  rendu  compte  dès  l'abord  qu'il  aurait  à  supporter  les  pires 
ennuis  à  propos  de  son  travail,  car,  en  envoyant  son  manuscrit  à  la  censure, 
il  fit  remarquer  que  le  personnage  de  Jocaste,  pouvant  ne  pas  être  bien  com- 
pris des  spectateurs  modernes  et  choquer  leurs  habitudes,  il  l'avait  relégué  au 
dernier  plan;  qu'il  avait  fait  aussi  d'autres  changements  pour  mettre  les 
scènes  de  la  tragédie  antique  à  l'unisson  avec  les  mœurs  théâtrales  d'à  pré- 
sent. En  fait,  ces  précautions  ne  servirent  à  rien.  De  quelle  manière  M.  Gour- 
tenay a-t-il  péché  contre  les  convenances  dans  son  adaptation  de  l'œuvre  de 
Sophocle;  nous  l'ignorons.  Nous  savons  seulement  que  tous  les  changements, 
toutes  les  atténuations  qu'il  a  fait  subir  à  l'original  classique  n'ont  pas  suffi 
pour  obtenir  l'assentiment  des  sévères  censeurs  ;  ils  ont  refusé  d'autoriser  la 
représentation  d'OEdipe.  On  se  demande  comment  la  moralité  publique  peut 
avoir  besoin  en  Angleterre  d'une  sauvegarde  qui  se  manifeste  par  de  telles 
interdictions. 

—  Miss  Charlotte  Lund,  une  jeune  américaine  qui  vient  d'étudier  le  chant 
pendant  trois  années  à  Paris,  et  qui  a  été  engagée  pour  l'hiver  prochain  à 
Milan  comme  cantatrice  d'opéra,  s'est  fait  entendre  récemment  à  Montclair 
(New-Jersey)  où  le  public  s'est  montré  ravi  de  la  fraîcheur  de  sa  voix.  Elle  a 
chanté  la  scène  si  pathétique  du  Cid  de  Massenet,  Pleures  mes  yeux,  des  mélo- 
dies de  Tosti,  Campbell,  Bemberg  et  J'ai  pleuré  en  rêve,  de  Georges  Hue. 

— L'explorateur  Sven  Hedin  vient  d'envoyer  au  Monthly  magazine  de  Londres 
le  récit  de  ses  aventures  et  de  ses  impressions  au  Thibet.  Nous  résumons  ici 
ce  qui,  dans  son  article,  a  rapport  à  la  musique.  M.  Sven  Hedin  dit  que  la 
musique  religieuse  a  été,  dans  ce  pays,  l'une  de  ses  plus  grandes  jouissances. 
Il  décrit  à  peu  près  ainsi  celle  qui  accompagne  les  cérémonies  du  culte.  «  La 
voix  est  toujours  employée  dans  son  registre  moyen.  Les  chants  résonnent 
avec  une  fraîcheur  juvénile,  mais  à  travers  des  draperies  blanches,  épaisses 
et  compacles,  qui  leur  enlèvent  toute  àpreté  et  les  dégagent  de  tout  ce  qui  pour- 
rait paraître  une  recherche  de  l'effet.  Ils  se  déploient  en  larges  ondes  sonores 
à  travers  les  galeries  voûtées  des  temples  aux  vastes  proportions,  formant  un 
chœur  saisissant  qui  fait  entendre  des  hymnes  de  paix,  d'amour  et  de  céleste 
espoir.  Par  intervalles  s'y  mêlent  des  sons  graves  d'instruments  à  vent  qui 


rappellent  les  bassons,  puis  les  battements  rythmiques  des  cymbales,  pendant  que 
les  flûtes,  dominant  ces  harmonieux  ensembles,  dégagent,  au-dessus,  des  mélo- 
dies claires  et  cristallines.  Entre  temps  les  tambours,  placés  dans  des  replis 
des  murs  ou  sur  des  terrasses,  scandent  au  milieu  de  tout  cela  leurs  battements 
sonores  et  menaçants.  Mais,  à  la  fin,  la  voix  humaine  s'élève  victorieuse  au- 
dessus  de  ce  chaos,  formant  de  larges  traînées  d'accords.  Il  semble  que  cette 
voix  nous  emporte  bien  loin  des  peines  et  des  souffrances  de  la  terre  ». 

—  Une  école  pour  artistes  dramatiques,  la  première  de  ce  genre  qui  aura 
été  établie  au  Japon,  a  dû  s'ouvrir  le  1"  septembre  dernier  à  Tokio,  sous  la 
direction  de  l'actrice  japonaise  bien  connue  en  Europe.  Sada  Yakko.  La  nou- 
velle société  impériale  du  théâtre,  qui  fait  construire  en  ce  moment  dans  la 
même  ville  la  première  salle  de  spectacle  aménagée  selon  les  exigences  moder- 
nes, fournira  un  subside  permanent  à  l'école.  Tous  les  genres  en  usage  dans 
l'art  théâtral  japonais  et  européen  seront  l'objet  de  l'enseignement. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

A  l'Opéra  : 

On  a  commencé  lundi,  sous  la  direction  de  M.  André  Messager,  les  études 
d'orchestre  du  Crépuscule  des  Dieux  dont  on  espère  donner  la  répétition  géné- 
rale le  dimanche  11  et  la  première  le  mercredi  14  octobre.  Malgré  ses  propor- 
tions anormales,  l'œuvre  de  Wagner  sera  jouée  dans  son  intégrité  et,  pour  les 
trois  premières  représentations,  tout  au  moins,  on  commencera  à  6  heures 
exactement.  Un  entr'acte  d'une  heure  permettra  d'aller  dîner  au  cours  de  la 
représentation.  Voilà  qui  va  considérablement  contrarier  les  habitudes 
parisiennes;  mais  du  moment  qu'il  s'agit  de  Wagner,  nos  beaux  snobs  consen- 
tiraient même  à  ne  point  dîner  du  tout. 

Semaine  de  rentrées  :  lundi  ce  fut  MlleHatto  qui  réapparaissait  dans  Faust, 
mercredi  M.  Alvarez  et  M.  Noté  qui  reprenaient  contact  avec  le  public  dans 
Aida  et  hier,  vendredi,  Mlle  Mary  Garden  a  commencé,  dans  Roméo  et  Juliette, 
la  série  de  représentations  qu'elle  va  donner  avant  son  départ  pour  l'Amérique. 

Le  lundi  11  septembre,  ce  sera  le  tour  de  M.  Renaud  qui,  également  avant 
de  s'embarquer  pour  l'accapareur  Nouveau-Monde,  incarnera  l'Hamlet 
d'Ambroise  Thomas  ;  Ophélie,  ce  sera  l'exquise  M110  Mary  Garden.  Mlle  Paquot 
d'Assy  chantera  la  Reine  et  M.  Pierre  d'Assy,  le  Roi. 

M.  Muratore  ne  fera  sa  rentrée  que  le  Ie1'  octobre. 

—  A  l'Opéra-Comique  ; 

A  l'heure  dite,  ouverture  des  portes  et,  comme  toujours,  foule  à  tous  les 
spectacles  avec  des  recettes  superbes. 

Mercredi,  c'est  M.  Gino  Marinuzzi,  de  Turin,  qui  a  conduit  ht  représentation 
de  la  Vie  de  Bohème.  Il  n'est  pas  besoin  de  dire  que  le  maestro  étranger  a  su 
donner  à  l'œuvre  de  M.  Puccini  toute  sa  couleur  locale,  c'est-à-dire  italienne. 

M1,e  Nelly  Martyl,  transfuge  de  l'Opéra,  fera  ses  débuts,  vers  la  lin  de  ce  mois, 
dans  Rozenndu  Roi  d'Ys. 

L'ouvrage  de  Lalo  servira  probablement  aussi  de  début  à  Mlle  Raveau.  La 
lauréate  sensationnelle  des  derniers  concours  du  Conservatoire  paraîtra  très 
probablement  ensuite  dans  Divonne  de  Sapho,  lors  de  la  très  prochaine  reprise 
de  l'œuvre  de  Massenet  que  M.  Carré  est  en  train  de  préparer. 

Réengagement,  pour  une  nouvelle  saison,  de  M"e  Rachel  Launay,  et  enga- 
gement nouveau  de  MIle  Berthe  Mendès,  qui  quitte  l'Opéra  où  elle  créa  récem- 
ment Eunoé  dans  Ariane,  pour  la  salle  Favart  où  elle  chanta  déjà  en  représen- 
tation Lahmè. 

Aujourd'hui  samedi,  Manon;  demain  dimanche,  en  mâtinés,  Aphrodite;  en 
soirée,  Carmen  (débuts  de  Mlle  Bailac).  Lundi,  représentation  populaire  (avec 
location):  Mignon. 

—  C'est  le  mardi  15  septembre  que  le  Théàtre-Lyrique-Municipal  de  la 
Gaité  fera  sa  réouverture  avec  Paul  et  Virginie,  de  Victor  Massé;  succéderont 
immédiatement  Jean  de  Nivelle,  de  Léo  Delibes,  et  la  Bohème,  de  M.  Leoncavallo. 
On  sait  que  M.  Albert  Carré  a  signé  avec  les  frères  Isola  un  traité  par  lequel 
il  leur  doit  douze  représentations  par  mois,  dont  deux  en  matinée  ;  parmi  les 
ouvrages  qui  alimenteront  ces  représentations,  le  directeur  de  l'Opéra-Comique 
compte  dès  à  présent  jouer,  au  square  des  Arts  et  Métiers,  la  Navurraise  et 
Cendrillon,  de  Massenet,  Philémon  et  Baucis,  de  Gounod,  et  ta  Dame  Blanche,  de 
Boieldieu  ;  de  leur  coté,  MM.  Isola  comptent,  rien  qu'au  cours  de  cette  première 
session  1S08-1909,  inscrire  au  répertoire  de  leur  théâtre  une  vingtaine  d'opéras 
tant  anciens  qu'inédits. 

—  A  l'occasion  des  fêtes  du  Couronnement  de  la  Muse  de  Gustave  Charpentier 
a  Riom,  M.  Dujardin-Beaumetz  a  décerné  les  distinctions  suivantes  : 

Officiers  de  l'instruction  publique  ;  Mlle  Marié  de  Lisle,  de  l'Opéra-Comique, 
M.  Francis  Gasadesus,  professeur  au  Conservatoire  populaire  de  Mimi- 
Pinson. 

Officiers  d'académie  :  Mlle  Berthe  Keller,  de  l'Opéra  ;  M.  Sibard,  maitre  de 
ballet  au  Théàtre-Lyrique-Municipal. 

—  Très  brillante  réouverture  du  Nouveau-Cirque  de  la  rue  Saint-Honoré, 
remis  à  neuf  et  étincelant  d'innombrables  fleurs  lumineuses.  Programme 
copieux  et  programme  tout  à  fait  «  cirque  »,  avec  des  numéros  de  tout  premier 
ordre  comme  le  trio  Mascotte,  trois  dames  fort  expertes  aux  exercices  d'an- 
neaux, le  clown  Averinotout  à  fait  désopilant  dans  sa  pantomime  de  corrida 
comique,  les  Dayton's  dans  leurs  jeux  icariens,  Léonce  et  Liliane  dans  le 
travail  extrêmement  dangereux  de  l'échelle  périlleuse,  et  Chatram.  jongleur  de 
massues  et  joueur  de  cerceaux  très  curieux. 


LE  MÉNESTREL 


287 


—  Une  improvisation  de  Bubinslcin  a  été  racontée  en  ces  termes  par 
M.  Cari  Goldmark  clans  la  revue  Die  Musik  :  «  Il  y  a  bien  longtemps  que  je 
l'ai  vu  pour  la  première  fois  et  je  l'ai  revu  depuis  toutes  les  fois  qu'il  est  venu 
à  Vienne,  ce  qui  lui  arrivait  fréquemment.  Pendant  l'été  de  1860,  il  avait 
loué  à  proximité  de  cette  ville,  dans  le  village  de  Neu-Waldegg,  une  maison 
de  campagne  dans  laquelle  il  travaillait  assidûment  à  son  opéra  les  Enfant* 
des  Landes  (joué  à  Vienne  le  20  février  1861,  texte  de  Julius  Mosenthal).  Un 
jour,  je  lui  amenai  deux  de  mes  amis,  un  violoniste  et  un.  violoncelliste,  pour 
jouer  mon  nouveau  trio  en  Si  bémol  majeur.  Rubinstein  exécuta  la  partie  de 
piano  et  ne  manifesta  son  sentiment  que  par  ces  mots  :  «  Jouez  assidûment 
Mozart!  »  Après  le  déjeuner  qui  fut  modeste,  car  c'est  la  femme  du  jardinier 
qui  nous  l'avait  préparé,  nous  primes  une  tasse  de  café  dans  le  jardin.  La 
conversation  tomba  entre  autres  choses  sur  les  symphonies  de  Beethoven  et 
sur  le  caractère  humoristique  de  la  huitième  que  l'on  rencontre  si  rarement 
dans  les  autres.  Tout  à  coup  nous  entendîmes  un  orgue  de  barbarie  dans  le 
jardin  d'à  coté  ;  il  jouait  précisément  le  motif  du  dernier  morceau  de  cette 
Symphonie,  mais  dans  une  mesure  à  trois-quatre,  en  mouvement  de  valse. 
Cette  coïncidence  était  singulière  ;  elle  nous  égaya  beaucoup.  A  la  tombée  du 
jour,  nous  rentrâmes  dans  le  salon  où  se  trouvait  le  piano.  Rubinstein  s'assit 
devant  le  clavier  et  se  mita  improviser  d'abord  au  hasard  de  sa  fantaisie,  puis, 
attaquant  le  motif  de  valse  que  l'orgue  de  barbarie  nous  avait  fait  entendre 
avec  tant  d'à-propos,  il  en  tira  les  variations  les  plus  diverses  de  rythme  et  de 
coloris,  en  contrepointa  la  basse,  le  traita  en  canon,  en  fugue  à  quatre  parties, 
et,  revenant  ensuite  à  des  formes  plus  simples,  en  fit  un  lied  populaire,  une 
mélodie  dans  le  style  de  celles  de  Beethoven  et  une  valse  viennoise  avec  des 
harmonies  appropriées.  Il  termina  par  les  traits  les  plus  brillants,  maintenant 
toujours  le  thème  principal  en  relief,  pendant  qu'une  avalanche  de  notes 
s'abattait  sur  lui  comme  une  rafale  d'orage.  C'était  superbe  !  Je  n'avais  jamais 
eu  l'idée  d'une  pareille  improvisation  ;  c'est  un  art  qui,  malheureusement,  est 
aujourd'hui  entièrement  perdu.  Et,  comme  c'était  joué  !  Qui  n'a  pas  entendu 
la  sonate  en  ré  mineur  de  Beethoven  ou  bien  l'émouvante  «  Plainte  d'Orphée  » 
^deuxième  morceau)  du  concerto  en  sol  majeur  do  ce  maître,  joué;  par  Ru- 
binstein, ignore  encore  ce  que  c'est  que  le  jeu  du  piano.  Le  souvenir  qu'a 
laissé  Rubinstein  dans  ces  morceaux  survit  dans  le  coeur  de  milliers  d'audi- 
teurs. Hélas  !  Si  longtemps  que  nous  puissions  en  garder  la  mémoire,  il  fau- 
dra bien  qu'un  jour  toute  trace  en  soit  effacée.  »M.  Cari  Goldmark  est  âgé  de 
78  ans,  mais  il  a  conservé  toute  sa  fraîcheur  d'esprit.  Son  dernier  opéra,  le 
Conte  d'hiver,  a  été  joué  à  Vienne  le  2  janvier  dernier  et  il  ne  renonce  pas  à  en 
composer  d'autres. 

—  Le  Popolo  Romano  a  consacré  quelques  lignes  à  une  statistique  intéres- 
sante sur  la  modicité  des  sommes  que  quelques  grands  chefs-d'œuvre  de  la 
musique  ont  rapportées  aux  compositeurs  qui  les  avaient  écrits.  Nous  emprun- 
tons à  ce  journal  les  indications  ci-après  :  «  Mozart  fut,  et  resta,  malgré  les 
(36  morceaux  qu'il  avait  composés,  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie  pauvre  et  nécessi- 
teux ;  Don  Juan  lui  a  été  payé  500  thalers,  les  Xoces  de  Figaro  100  ducats.  Schubert 
manqua  souvent  des  choses  les  plus  nécessaires,  et  il  est  bien  connu  que  les  plus 
célèbres  de  seslieder  furent  abandonnés  aux  éditeurs  en  manuscrit  moyennant 
quelques  kreutzers.  Beethoven  a  vécu  des  années  dans  des  conditions  si  précaires 
que  ses  amis  durent  lui  assurer  une  pension  de  4.000  florins.  Pour  sa  partition 
du  Freischiit:,  Weber  reçut  de  l'intendance  des  théâtres  de  la  Cour  à  Berlin 
seulement  S0  frédérics  d'or,  su)1  lesquels  il  dut  prélever  une  part  destinée  à 
indemniser  son  librettiste.  Lorsque  l'ouvrage  ayant  réussi  au  delà  de  toute 
attente,  l'administration  du  théâtre  eut  encaissé,  grâce  à  ce  succès,  plus  de 
30.000  thalers.  le  comte  Bruhl  crut  être  généreux  en  envoyant  à  Weber  un 
cadeau  de  100  thalers.  Le  maître  se  contenta  de  retourner  la  somme,  montrant 
ainsi  son  dédain  pour  un  procédé  aussi  pitoyablement  mesquin.  Des  années 
de  soucis  pour  l'existence  hâtèrent  la  fin  de  Lorlzing,  un  des  plus  sympathi- 
ques compositeurs  de  l'Allemagne,  et  l'on  sait  combien  Waguer  fut  pauvre 
avant  que  la  faveur  de  Louis  II  ne  l'eût  tiré  de  ses  embarras.  Par  contre, 
Meyerbeer,  Mendelssohn  et  Liszt  reçurent  de  brillants  honoraires.  Brahms  en 
particulier  vendit  cher  ses  ouvrages.  Sa  troisième  symphonie  lui  fut  payée 
SO.000  francs.  » 

—  La  comédienne  Hélène  Odilon,  dont  la  réputation  fut  très  grande  il  y  a 
quelques  années,  et  qui  a  dû  entrer  en  1994  dans  une  maison  de  convalescence 
à  cause  da  sa  santé  gravement  compromise,  va  publier  ses  mémoires  sous  ce 
litres  :  Photographies  sans  retouches.  On  dit  que  l'ouvrage  paraîtra  d  ici  quelques 
semaines. 

—  De  Béziers:  Bien  que  contrariée  par  le  temps  incertain,  la  première  repré- 
sentation du  Premier  Glaive  a  eu  lieu  dans  les  arènes  de  Béziers.  devant  près 
de  dix  mille  spectateurs  au  milieu  d'un  véritable  enthousiasme.  Les  auteurs. 
MM.  Xépoty  et  Rabaud  ont  été  acclamés. 

—  A  Pornichet,  à  l'occasion  du  15  août,  superbe  exécution  de  la  messe  de 
M.  Ad.  Deslandres  pour  chœurs  et  orchestre. 

—  Dimanche  dernier,  inauguration  du  grand-orgue  construit  par  la  maison 
Mutin-Cavaillé-Coll  à  Gebwiller,  dans  l'église  Notre-Dame.  C'est  le  premier 
orgue  commandé,  depuis  1870,  par  l'Alsace  à  l'industrie  française  :  l'instru- 
ment comprend  cinquante  registres  répartis  sur  trois  claviers  manuels  e'  un 
pédalier  de  trente-deux  notes,  d'ut  à  sol  :  la  perfection  de  son  mécanisme  et  la 
belle  qualité  de  ses  timbres,  leur  délicatesse  et  leur  puissance,  ont  conquis 
tous  les  suffrages.  A  cette  séance  d'inauguration  se  tirent  entendre  l'organiste 


titulaire,  M.  Huber,  tout  d'abord,  puis  MM.  Ilarn  de  Baie,  Erb  el    Mal 

Strasbourg,  et  enfin  Ch. -M.  Widor.  Le  lendemain,  Bel e  réservée  au  grand 

organiste  français  dont  le  programme  avait  attiré  les  dilettantes  de  tous  les 
pays  voisins  en  deçà  et  au  delà  du  Rhin  :  Fantaisie  en  ui  majeur  'Bach), 
5"  Symphonie  (Widor),  Concerto  en  lu  mineur  (Bach).  L'orgue  le  Notre-Dame 
de  Gebwiller  a  été  reconnu  pour  le  plus  bel  instrument  d'Alsace:  c'est  une 
victoire  pour  l'art  français. 

NÉCROLOGIE 

La  semaine  dernière  est  mort  à  la  maison  Dubois,  on  il  était  en  traitement 
à  la  suite  d'une  longue  et  cruelle  maladie,  M.  CampocaSBO,  qui  fui 
J893,  directeur-associé  de  l'Opéra  avec  Bertrand.  De  son  vrai  nom  Deloncle, 
Campocasso,  qui  avait  dirigé  avec  bonheur  les  grandes  scènes  de  province, 
Lyon.  Marseille.  Bruxelles,  Bordeaux,  Anvers,  Rouen  et  autres,  a  eu  l'honneur, 
pendant  son  très  court  passage  à  la  direction  de  l'Opéra,  de  faire  mettre  au 
répertoire  Salammbô  ot  Sarnson  et  Dalila,  dédaignés  pars'-s  prédécesseurs.  C'est 
lui  aussi  qui  découvrit  M.  Alvarez  et  le  fit  venir  à  Paris.  Il  disparait  âgé  de 
soixante-dix  ans. 

—  M"''  Louise  Soubrié,  qui  appartint  au  corps  de  ballet  de  l'Opéra  qu'elle 
avait  dû  quitter,  il  y  a  quelques  aulnes,  pour  raisons  de  santé,  vient  d'être 
victime  d'un  accident  de  montagne  à  Chamonix.  Ayant  voulu  traverser  sans 
guide  «  ie  mauvais  pas»,  M11"  Soubrié  fit  une  chute  si  malheureuse  qu'elle  alla 
se  fracturer  la  colonne  vertébrale  à  quarante-cinq  mètres  de  profondeur.  Elle 
a  été  tuée  sur  le  coup. 

—  On  annonce,  cette  semaine,  la  mort  de  M""'  Emile  Bertin,  veuve  de  l'an- 
cien ténor,  régisseur  général  de  l'Opéra-Comique  et  professeur  au  Conservatoire. 
M""'  Berlin  avait  été  elle-même  artiste.  Elle  joua  quelque  temps  l'opérette 
aux  Bouffes-Parisiens  et  quitta  le  théâtre  lorsqu'elle  se  maria.  Elle  était  la 
petite-nièce  de  Mme  Damoreau-Cinti,  qui  créa  le  Domino  Noir,  et  qui  lui  donna 
ses  premières  leçons  de  chant. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Vient  de  paraître,  chez  Joubert,  la  partition  du  Lac  des  Aulnes,  ballet  de  M.  Henri 
Maréchal,  représenté  à  l'Opéra. 

Une  Société  symphonique  d'amateurs,  existant  depuis  1878,  demande  un  chef  a" or- 
chestre non  rétribué. 
S'adresser  à  M.  Prelier.  128,  avenue  du  Maine. 


CQTXIfclilER.    r>E    i*a.    PRESSE 

Bureau  de  Coupures  de  Journaux  Français  et  Étrangers 

(FONDÉ      EN      1889) 

31,      Boulevard     Montmartre,      PARIS      3e 

GALLOIS    &    DEMOGEOT 

Adresse  Télégraphique  :  COUPURES-PARIS  —  Téléphone  :  101-50 

Le  COURRIER  de  la  PRESSE  :  Reçoit,  lit  et  découpe  tous  les  Journaux  et  Revue; 
et  en  fournit  les  extrails  sur  tous  sujets  et  personnalités. 


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PROPRIÉTÉ    POUR    TOUS     PAYS 


REYNALDO    HAH 


CHR^SO^S  et  JVIADÇlGflLJX 

(Charles  d'Orléans,  Baîf,  Agrippa  d'Aubignè,  BOesset. 

A  TROIS  ET  QUATRE  VOIX 
Avec   accompagnement   de   piano   ad   libitum 


=  i.  Un  loyal  Cœur  (3  voix,  S.,  T.,  et  B«) 

-J..  Vivons  Mignarde!  (4  voix,  S.,  C,  T.  et  B.,i  .  .  . 
S.  Pleurez  avec  moi!  1  voix.  S..  C,  T.  et  B.) .  .  .  . 
4.  En  vous  disant  adieu  (4  voix,  S..  C,  T.  et  B.i .  . 
3.  Comment  se  peut-il  faire?  (3  voix,  S.,  C.  et  T  ) . 
0.  Les  Fourriers  d'Été  (4  voix,  S..  C.  T.  et  B.i .   .   . 


Prix  nets 

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LE  MÉNESTREL 


En  vente  AU  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Vivienne,  HEUGEL  et  Ci,:,  éditeurs. 


iDYLiliES  ET  CHANSONS 

Sur  des  poèmes  de  GABRIEL  VICAIRE 

Prix  net. 

I .  Robin  et  Marion 3  '  »'   . 

II .  La  Chanson  des  Regrets 3  .  » 

III.  Au  bois  de  l'amour  . 1  50 

I  Y.  La  belle  morte 1  30 

,.r   Y .  Adieu  la  rose 1     » 

"VI.  Petite  Marie 2  50 

•  Le  recueil.    .    .    .  Prix  net    6  francs 
Musique  de 

E.   JAQUES-DALCROZE 


En  vente  AU  MENESTREL,  2  bis.  rue  Vivienne,  HEUGEL  et  C"',  éditeurs. 


GABRIEL    FABRE 

CHANSONS    DE   MAETERLINCK 

Prélude  pour  piano,  violon  et  violoncelle. 

N°s  1 .  Elle  l'enchaîna net  1  SO 

2.  Les  sept  filles  d'Orlamonde net-  1  50 

3.  Quand  l'amant  sortit  : net  1     » 

4.  Les  Bandeaux  d'or net  1  SO 

5.  J'ai  marché  trente  ans net  2    s 

6.  Cantique  de  la  Vierge net  1     » 

7.  La  Forêt,  la  Mer,  la  Ville net  2    » 

S.  Elle  avait  trois  couronnes net  i     » 

9.  Chanson  de  Mélisande. 

10.  Et  s'il  revenait  un  jour. 

LE  RECUEIL  in-4°  cavalier net  §    » 

(Les  n"  9  et  10  figurent  dans  le  recueil  avec  l'autorisation  gracieuse  des  éditeurs  Enoch 
et  Hachette,  chez  lesquels  on  les  trouve  publiés  séparément) 


En    vente   AU   MÉNESTREL,    2    bis,    rue    Vivienne,    HEUGEL   ET   O 

-    PROPRIÉTÉ    POUR   TOUS    PAYS   — 


éditeurs 


LOUIS  VARNEY 


LE      PAPA      DE      FRANCINE 

Opérette  en  4  actes  et  7  tableaux  de  MM.  V.  de  COTTENS  et  P.  GAVAULT 
Partition  piano  et  chant,  prix  net 12  francs.  —  Édition  allemande  [Lola's  Cousin),  partition  piano  et  chant,  prix  net 12  francs 


I.  Couplets  de  la  Bacchante 3 

Les  mêmes,  chant  seul 1 

II.  Chanson  du  petit  Jockey. 3 

La  même,  chant  seul 1 

IV.  La  Chanteuse  à  cheval 3 

V.  Chanson  du  Punch    3 

La  même,  chant  seul 1 


VI.  Chanson  de  la  rosière 3 

La  même,  chant  seul 1 


VIII.  Boléro  à  2  voix 6 

Le  même,  à  1  voix 3 


VII.  Terzetto  des  Cambrioleurs S 

Le  même,  à  1  voix 3 

Le  même,  à  1  voix,  chant  seul  ....     1 

50  —  G.  Bull.  Silhouettes  n°  42,  piano.   . 
Célèbre    VALSE     DES     CAMBRIOLEURS,     piano  .....     C 

Transcription  facile  à  4  mains  par  A.  Trojelli  (Miniatures  n°  25)  :  net.     I     50 
E.  VÂsséub.  Quadrille,  piano.    5    »;  orchestre,  net.    1  23.  —  E.  Vasseur.  Le  Petit  Jockey,   polka,  piano.    5 


J.-A.  AnschOtz.  Bouquet  de  mélodies,  piano. 


Le  même,  à  1  voix,  chant  seul  .   .   . 
X.  Romance  :  Tai  cru  longtemps  ne  jamais. 


—  Trojelli.  Miniatures  n°  150.  piano. 
—    Orchestre,  net.    ....     2     » 


orchestre,  net.     1  50 


LES   PETITES   BARNETT 

Comédie-opérette  en  3  actes,  de  M.  P.  Gavaui.t. 

Partition  piano  et  chant,  prix  net 12 

Prix 

I.  Couplets  de  Robert  ....     3    » 
Les  mêmes,  chant  seul   .     1     » 
IL  Couplets  de  Suzannah.    . 
Les  mêmes,  chant  seul 

J.-A.  AnschOtz.  Célèbre  valse,  piano.    C 
Orchestre  complet,  net 


III.  2e3  Couplets  de  Suzannah.     3 
Les  mêmes,  chant  seul  ...     1 

IV.  Duetto-Valse.  ...   .   .   .5 

Le  même,  à  1  voix 3 

Le  même,  à  1  voix,  chant  seul    1 


LE  FIANCÉ  DE  THYLDA 

Opérette-bouffe  en  3  actes  et  0  tableaux,  de  MM.  V.  de  Cottens  et  R.  Charvay 
Partition  piano  et  chant,  prix  net.   .    .     12    » 

Prix 


I.  Rondeau  de  la  voyageuse,  i 

II.  Romance  :  Vous  me  dnez.  3 

III.  Couplets  de  la  lettre   ...  3 

IV.  Duetto  des  p'tits  vieux  très 

chics 6 


V.  Terzetto  du  Rire  et  des 

Larmes 6 

VI.  Sérénade  :  Elle  e>t  ici.   .  'i 

VIL  Chanson  du  petit  pain.   .  4 
VIII.  Cake-Walk,   dansé   et 

chanté 5 


Célèbre  Cake-walk-polka,  par  Letorey,  piano.  5     ».  Orchestre,  complet,  net.  150 
J.-A.  AxscnûTz.  Valse  du  rire  et  1  J.-A.  Anschutz.  Polka  des  p'tits 

des  larmes,  piano fi    »  vieux  très  chics,  piano.  .   .     5    » 

La  même,  orch.  complet,  net.     2     »    |  La  même,  orch.   complet,  net.     1  50 


LES    DEMOISELLES    DES    SAINT-CYRIENS 

Opérette  en  3  actes  et  5  tableaux,  de  MM.  P.  Gavault  et  V.  de  Cottexs.  —  Partition  piano  et  chant,  prix  net 


I.  Couplets  de  l'Incomprise 3  » 

IL  L'Élève  de  Saint-Cyr. 4  » 

III.  Le  Roman-Feuilleton 4  » 

Le  même,  chant  seul 1  » 

IV.  Chanson-duetto  des  Jardiniers 3  » 

La  même,  chant  seul 1  » 

V.  Chanson  du  Métropolitain 4  » 

La  même,  chant  seul. 1  » 

L.  Varnev.  Valse  du  noble  étranger,  piano.  6 


VI.  Couplets  de  l'Indicateur 3 

Les  mêmes,  chant  seul 1 

VIL  Valse  du  Noble  Etranger 4 

La  même,  chant  seul.   .......  1 

VIII.  Strinberg,  Ibsen,  Maeterlinck,  couplets.  '4 

Les  mêmes,  chant  seul.    .....  1 

>.  Orchestre,  net.     2 


IX.  La  Bruno  et  la  Blonde,  duetto  ......  4  » 

X.  Rondeau  à  2  voix 3  » 

XI.  La  petite  Malille,  chanson  belge  .   ...  3  » 

La  même,  chant  seul 1  » 

XII.  Le  premier  bataillon  de  France    ....  3  » 

Le  même,  chant  seul .  1  » 

E.  Vasseur.  Gott  et  Gott,  polka  belge,  piano.    0    ».   Orchestre,  net.  1  50 


4042.  -  74e  AWÉE.  -  N°  37.  PARAIT  TOUS  LES  SAMEDIS 


Samedi  12  Sqilembie  1908. 


(Les  Bureaux,  2b",  me  Vi vienne,  Paris,  »kn>) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  p>WieVou.non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


MÉNESTREL 


lie  flumépo  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 


lie  Numéro  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  IIEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  6ts,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bous-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  «le  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  ea  sus. 

SOMMAIRE-  TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (35°  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Petites  notes  sans  portée  :  La  musique  de  îa  lumière  (suite  et  fia',  Raymond  Bouter.  —  III.  Littérature  musicale 

(2e  et  dernier  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
CHARME  D'AUTOMNE 
valse  lente,  de  Y.-K.  Nazibe-Aga.  —  Suivra  immédiatement  :  Roses  de  France, 
gavotte,  de  Roiiert  Vollstedt. 


MUSIQUE  DE  CHANT 
Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à   a  musique  de  cha.nt  : 
FEUILLES  MORTES 
mélodie  de  Raoul  Pugno.  —  Suivra  immédiatement  :  Nuaijes  dans  l'eau,  mé- 
lodie, de  Ctadmll  Fabre. 


SOIXANTE     ANS     DE     LA    VIE     DE     GLUCK 


CHAPITRE  VU  :  L'éclosion  du  génie  :  Orfeo  ed  Euridice 


Les  moyens  mis  en  œuvre  dans  Orfeo  ne  sont  plus,  en  effet, 
ceux  de  l'opéra  vulgaire.  Tout  ce  qui  est  factice  en  est  écarté. 
La  virtuosité  est  bannie  :  la  musique  n'est  plus  faite  pour 
l'acteur;  celui-ci  ne  chante  que  lorsqu'il  a  à  exprimer  un 
sentiment 
vraiment  ly- 
rique. 

Par  contre, 
le  chœur,  — 
le  chœur  an- 
tique —  si 
complètement 
étranger,  de- 
puis un  siècle 
et  plus,  à 
l'opéra  ita- 
lien, prend  à 
l'action  une 
part  prépon- 
dérante. Ses 
plaintes  au- 
tour du  tom- 
beau, dans  le 
bois  sacré, 
entrecoupées 
par  les  cris 
de  désespoir 
redoublés  par 

Orphée  :  «  Euridice!  Euridice!  »  ont  un  accent  funèbre  et  pro- 
fond que  l'on  n'avait  encore  entendu  qu'à  l'église.  Encore  l'ex- 
pression y  a-t-elle  quelque  chose  de  nouveau  :  elle  est  plus 
humaine.  Il  y  a  une  douceur  mélancolique,  un  sentiment 
triste  et  en   même  temps  un  charme  pénétrant  dans  ce  chant 


Scène  des  Enfers,  2"  acte  d'Orphce,  au  Théâtre  Lyrique  ,18 


qui  s'élève  à  la  fin  de  l'harmonieux   développement,   sur  ces 
vers  heureusement  appropriés  : 

Come  quando  la  compagna 
Tortorella  amorosa  perde... 

Par  deux 
fois  les  instru- 
ments répon- 
dent à  la  dé- 
ploration  des 
voix,  modu- 
lant après 
elleslesmots: 
Tortorella... 
amorosa. . . , 
comme  si  le 
«  poète  de 
sons  »  eut 
voulu,  au 
cours  de  cette 
plainte  amou- 
reuse, évo- 
quer la  pen- 
sée du  tendre 
roucoulement 
de  l'oiseau 
cher  à  Vénus. 
Le  chœur 
des  esprits  in- 
fernaux, où  les  voix,  après  leur  puissante  attaque  à  l'unisson  et 
en  octaves,  se  mêlent  à  l'orchestre  en  des  accords  fortement 
accentués,  est  sans  doute  le  chœur  d'action  le  plus  plein  de  vie 
qui  eût  été  composé  jusqu'alors.  Son  dialogue  avec  Orphée,  ses 
répliques  véhémentes,  ses  «  Non  !  »  formidables,  et  ses  derniers 


290 


LE  MÉNESTREL 


accents  qui  s'infléchissent  et.  cèdent  harmonieusement  devant  le 
triomphe  de  l'harmonie,  tout  cela  fait  de  lui  un  personnage 
collectif  qui  vit  et  qui  vibre.  La  beauté  musicale  en  est  particu- 
lière. Sa  ligne  fermement  dessinée,  son  rythme  ternaire,  où 
les  longues  et  les  brèves  s'entremêlent  à  intervalles  réguliers, 
comme  en  des  vers  antiques,  ont  quelque  analogie  avec  un 
autre  chant  d'opéra  italien,  d'une  époque  antérieure  :  c'est 
dans  Giasone,  de  Cavalli,  une  incantation  de  Médée  appelant, 
elle  aussi,  les  esprits  infernaux.  A  la  vérité,  la  ressemblance 
qu'on  a  cru  voir  provient  un  peu  de  la  transcription  moderne, 
qui  semble  avoir  été  faite  en  songeant  autant  à  Gluck  qu'à 
Cavalli.  Néanmoins  le  rapprochement  est  légitime  :  il  y  a  un 
air  de  famille  entre  les  deux  chants,  celui  du  maître  allemand 
et  celui  du  Vénitien  ;  et  ce  ne  peut  être  qu'à  l'honneur  de 
Gluck,  qui.  dans  ce  temps  de  décadence  du  style,  savait  ainsi 
en  revenir  aux  modèles  de  la  grande  école  oubliée.  —  A  la  fin  de 
la  scène,  le  mouvement  contraire  des  parties  offre  une  sugges- 
tion en  rapports  merveilleux  avec  l'agitation  de  la  scène  :  cer- 
taines voix  montent  peu  à  peu,  franchissant  l'intervalle  d'une 
octave,  lentement,  par  de  très  petits  intervalles,  tandis  que 
d'autres  descendent  d'autant  :  elles  se  croisent  au  passage,  puis 
s'éteignent;  et  il  semble  ainsi  qu'on  aperçoive  la  marche  des 
personnages  eux-mêmes,  se  glissant  avec  précaution  au  dehors, 
et,  par  cette  retraite  aux  façons  discrètes,  laissant  la  place  libre 
au  vainqueur. 

C'est  encore    un  chœur,   celui  des   Ombres  heureuses,    qui 
ramène  à  Orphée  l'épouse   silencieuse;  et  avec  quelle  suavité, 
quelle  harmonie  divine  il  chante  !  Jean -Jacques  Rousseau  en  a 
dignement  loué  l'accent  :  «  Je  ne  connais,   a-t-il  dit,    rien  de 
plus  parfait   que  l'ensemble   des  Champs-Elysées  :  partout  on  y 
voit  la  jouissance    d'un  bonheur    pur    et    calme,  avec  un  tel 
caractère  d'égalité  qu'il  n'y  a  pas  un  trait  qui  passe  en  rien  la 
juste  mesure  (1).  »  Et  Berlioz  a  parlé  maintes  fois  avec  admira- 
tion de   «  ce  chœur   des    Ombres  heureuses  dont  les  paroles 
italiennes  augmentent  le  charme  mélodieux  : 
Torna,  o  bella,  al  tuo  consorte. 
Che  non  vuol  che  piu  diviso, 
Sia  di  te  pietoso  il  ciel  (2).  » 

Pour  nous,  modernes,  ce  chant,  resté  jeune  et  frais  comme 
au  jour  où  il  est  éclos,  n'a  rien  perdu  de  sa  séduction, —  tandis 
que  si  nous  regardons  vers  le  passé  pour  savoir  quel  modèle 
Gluck  a  pu  suivre,  nous  chercherons  vainement:  personne  avant 
lui,  du  moins  dans  l'opéra,  n'avait  donné  l'exemple  de  si  purs 
accents,  sortis  du  cœur  pour  revenir  au  cœur,  ainsi  que  disait 
Beethoven. 

Tandis  que  le  chœur  encadre  l'action  et  la  pénètre,  l'or- 
chestre en  forme  l'atmosphère.  C'est  là  encore  une  grande 
nouveauté,  .intérieurement  à  laquelle  nous  ne  trouverions  que 
des  essais  timides,  quelques-uns  dans  l'opéra  français,  point  du 
tout,  sans  doute,  dans  l'opéra  italien.  C'est  surtout  en  se  souve- 
nant des  traditions  de  la  musique  allemande  que  Gluck  innove 
ici.  Dans  le  chœur  funèbre  du  début,  les  parties  vocales  sont 
doublées,  respectivement  à  leur  diapason,  les  plus  graves  par 
trois  trombones,  la  plus  aiguë  par  un  cornet,  antique  instrument, 
survivance  du  moyen  âge.  dont  il  ne  sera  plus  possible  de 
retrouver  l'équivalent  quand  on  voudra  représenter  l'œuvre  en 
France.  Mais  ce  chœur  des  instruments  à  embouchure,  unissant 
à  celui  des  voix  ses  sonorités  tour  à  tour  éclatantes  et  funéraires, 
était  d'un  usage  habituel  dans  l'Allemagne  du  Nord.  Bach  en 
a  maintes  fois  utilisé  les  ressources.  Gluck  introduit  la  combi- 
naison au  théâtre,  et,  du  premier  coup,  il  sait  lui  assigner  le  rôle 
qui  lui  convient  le  mieux.  Avec  lui,  le  trombone  ne  reste  plus 


1)  Paroles  rapportées  par  Corancez  dans 
Journal  de  Paris  du  18  août  1788. 


it  sur  Gluck,  imprimé  dans  le 


(■2)  H.  Berlioz,  .1  travers  chanks,  p.  273.  La  citation  des  vers  italiens  est  précédée 
de  ces  lignes,  qui  précisent  l'impression,  s'ajoutar.t  k  une  description  romantique  des 
montagnes  et  du  vieux  château  de  Bade  :  «  J'ai  retraversé  la  forêt  de  sapins,  plus 
sonore,  et  d'une  meilleure  sonorité  que  la  plupart  de  nos  salles  de  concerts.  J'ai  sou_ 
vent  p.-nsé  à  une  admirable  chose  que  l'on  devrait  y  exécuter  par  une  belle  nuit 
d'été  ;  c'est  l'acte  des  Champs-Elysées  de  l'Orphée  de  Gluck.  Je  crois  entendre,  sous 
ce  dôme  de  verdure,  dans  une  demi-obscurité,  ce  chœur  des  Ombres  heureuses,  etc.  » 


un  simple  agent  sonore  n'ayant  d'autre  objet  que  de  rehausser 
l'éclat  des  voix  :  il  devient  un  personnage.  Ayant  fait  entendre 
en  commençant  sa  voix  sépulcrale,  voici  qu'au  second  acte  il 
en  arrive  à  proclamer  la  parole  infernale,  quand,  s'ajoutant 
à  l'unisson  du  chœur,  il  répète  avec  lui  l'inexorable  :  No  !  Dans  la 
même  scène,  les  contrebasses  et  les  violons,  interrompant,  pour 
le  reprendre  ensuite,  leur  inquiétant  trémolo,  s'unissent  en 
une  glissade  stridente  pour  lancer,  sur  des  accords  rauques,  un 
triple  cri  d'appel  représentant  (l'intention  est  manifeste)  l'aboie- 
ment du  Cerbère,  qli  urli  di  Cerhero,  comme  l'annonce  le  chœur. 

Ayant  ainsi  utilisé  quelques-uns  de  ses  éléments  caractéris- 
tiques pour  donner  au  tableau  des  Enfers  la  couleur  qui  lui  est 
propre,  l'orchestre  se  transforme  pour  exprimer  le  sentiment 
tout  autre  de  la  scène  des  Champs-Elysées.  Ici,  de  douces  flûtes 
viennent  se  superposer  dès  le  prélude  à  l'harmonie  sereine  des 
instruments  à  cordes.  Bientôt  le  hautbois,  accompagné  par  la 
symphonie,  où  bruissent  les  trilles  des  flûtes  sur  le  dessin 
ondulant  des  violons,  entrera  avec  Orphée,  mêlant  son  chant, 
non  plus  simplement  bucolique,  mais  expressif  et  profond,  à 
la   lente    déclamation  du  chanteur  (1). 

Plus  tard,  dans  les  œuvres  de  sa  complète  maturité,  le  hautbois 
sera  l'instrument  duquel,  parfois  avec  une  seule  note  piquée 
à  propos,  Gluck  saura,  produire  les  impressions  pathétiques 
de  la. plus  vivp  acuité.  Il  n'en  est  pas  encore  tout  à  fait  arrivé 
là^dans  Orphée;. pourtant,  il  sait  mêler  des  sons  plaintifs  à  ceux 
des  violons  dans  la  scène  qui  met  en  présence  Orphée  et  Euri- 
dice,  exprimant  les  sentiments  successifs  de  celle  qui  se  croit 
dédaignée  :  la  douleur,  l'inquiétude,  l'abandon  de  soi-même. 
Des  accords  saccadés,  sans  interrompre  le  mouvement  du 
discours  musical,  accompagnent  ses  paroles  d'adieu,  puis 
expriment  le  trouble.  d'Orphée  plus  éloquemment  que  sa  voix 
même.  Cette  agitation  passagère  de  l'orchestre  semble  peu  de 
chose  pour  nous  :  ce  n'en  fut  pas  moins  le  point  de  départ  de 
tout  un  art  nouveau. 

(A  suivie.)  Julien  Tiersot. 


PETITES   NOTES  SANS   PORTÉE 


CXXXVI 


LA  MUSIQUE  DE  LA  LUMIERE 

(Suite  et  fin)  (2). 

A  M.  Tyge  Moller. 

Nous  ne  l'avions  pas  rêve  :  la  musique  de  la  lumière  a  fourni  le  titre 
et  le  sujet  d'un  tableau  ;  que  dis-je  ?  le  sujet,  sinon  le  titre,  de  tous  les 
tableaux  d'un  même  peintre.  Et  quel  est  ce  musicien  de  la  lumière  ? 

Il  portait  un  nom  peu  parisien,  dont  la  sonorité  rébarbative  aurait 
du  nous  plaire  ;  il  ne  travailla  que  pour  l'art  et  n'existe  plus  que  dans 
son  œuvre. 

Cet  œuvre  est  rare  ;  et  le  peu  qu'il  eu  reste  est  dispersé.  Mais  ce  peu 
suffit  pour  ajouter  un  nouveau  chapitre  à  notre  série  des  Peintres 
mélomanes,  déjà  vieille  de  huit  ans,  bientôt  ;  —  un  chapitre  entièrement 
neuf,  que  ne  présageaient  pas  les  extases  des  mélomanes  romantiques 
ou  les  aspirations  des  belles  fîmes  lyonnaises  (S)  la  religion  de  Mozart, 
célébrée  par  le  violon  d'Ingres,  le  journal  de  Delacroix  dilettante,  ou  le 

ili  Le  monologue  d'Orphée  à  son  entrée  dans  les  Champs-Elysées  est  le  seul 
élément  préexistant  que  Gluck,  en  composant  l'Orfeo,  ait  emprunté  à  son  œuvre 
antérieure  :  nons  en  avons  déjà  vu  paraitre  les  ligne*  principales  dans  Ezio  et  dans 
Antigono.  Il  ne  l'a  pas  replacé  sans  retouches,  et  il  en  apportera  d'autres  encore 
lorsqu'il  donnera  une  quatrième  forme  à  cette  page  si  caractéristique  de  son  génie, 
c'est-à-dire  dans  VOrphée  français.  Il  est  intéressant  de  constater  que  les  derniers 
remaniements  n'auront  été  que  des  simplifications.  Dans  le  premier  Orphie,  Gluck 
avait  pensé  accroître  l'intérêt  de  la  symphonie  descriptive  en  la  surchargeant  d'un 
dessin  concertant  entre  une  flûte  et  un  violoncelle  solo.  Cette  addition  étrangère  à  la 
première  conception  n'y  ajoutait  point  de  beauté  :  il  le  reconnut  et  la  supprima 
dans  la  version  définitive.  Mais  la  tentative  n'en  est  pas  moins  intéressante  à  con- 
naître, car  elle  révèle  la  constante  préoccupation  de  Gluck  d'enrichir  la  symphonie 
des  ressources  qui  lui  pouvaient  sembler  appropriées. 

(2)  X.  le  Ménestrel  du  29  août  1908. 

(3)  Allusions  au  peintre  Boissard  de  Boisdenier,  puis  aux  deux  Lyonnais,  Paul 
Chenavard  et  Louis  Janmot,  trop  brièvement  étudiés  dans  la  série  des  Peintres 
mélomanes  {le  Ménestrel,  novembre  1900-février  1901). 


LE  MENESTREL 


291 


paganisme  élyséen  de  Corot,  séduit  par  la  voix  d'Orphée  ;  la  o  musique 
peinte  »,  de  Fantin-Latour,  et  ses  «  lithographies  musicales  »  rayon- 
naient plus  volontiers  dans  un  clair  de  lune;  et  parmi  tant  de  nouvelles 
ambitions  contemporaines,  éprises  jusqu'à  la  satiété  des  traits  léonins 
de  Beethoven  ou  du  profil  sorcier  de  Richard  Wagner,  l'isolé  qu'est 
Steinlen  n'éclaire  ses  musiques  faubouriennes  qu'au  tragique  lumignon  . 
de  la  rue.  Nous  aimons  aujourd'hui  le  murmure  de  l'ombre.  Toutefois, 
ces  rayons  épanchés  «  comme  des  sons  joyeux  »  auraient  enfiévré  les 
intuitions  d'Hoffmann  et  de  son  Kreisler  précurseur,  ou  réveillé  l'âme 
assoupie  de  notre  Obermann  que  médusait,  au  crépuscule,  «  l'œil  étin- 
celant  d'un  colosse  ténébreux  ». 

Au  bout  d'une  élégante  charmille  de  Versailles  ou  d'une  allée  profonde 
de  Fontainebleau,  qui  n'a  regardé  pendant  une  seconde  l'urtive,  au  péril 
de  ses  yeux,  les  rayons  allongés  du  soleil  qui  darde  encore  sur  l'horizon 
comme  l'œil  unique  du  cyclope  '.'  Sous  le  berceau  des  feuillages,  quel 
poète  n'a  ressenti  secrètement  cette  éloquence  des  longs  jours  ?  Mais 
aucun  peintre,  depuis  Claude  et  Turner,  n'avait  osé  fixer  sur  la  toile 
bise  le  sourire  lointain  de  l'étoile  immense  ;  et  sa  blessante  blancheur 
avait  découragé  même  l'impressionnisme... 

La  Musique  de  la  Lumière  et  /'Etoile  victorieuse  :  ainsi  se  désignait  en 
1897,  au  dernier  salon  du  Champ-de-Mars,  le  double  envoi  d'un  artiste 
mort  jeune  et  trop  peu  remarqué  quand  il  vint  régulièrement  exposer 
ici  pendant  huit  aus.  De  1895  à  1903,  à  la  Société  Nationale  des  Beaux- 
Arts,  le  Soleil  fut  le  leit-motiv  unique  de  ses  discrètes  symphonies 
colorées;  et  la  conscience  d'un  paysagiste  ajoutait  au  paysage  les  taches 
vertes  ou  violettes  de  l'éblouissement.  Cette  hardiesse  d'un  étranger 
passa  méconnue,  et  son  nom  difficile  ne  fut  point  retenu  par  le  caprice 
de  la  mode  :  il  aura  fallu,  cette  année,  l'exposition  rétrospective  d'une 
vingtaine  de  ses  cadres  intelligemment  réunis  par  la  piété  d'un  frère, 
au  Palais  des  Beaux-Arts  de  Liège,  pour  évoquer  le  souvenir  de  ses 
lumineux  efforts  et  résumer  la  biographie  sans  gloire  de  cet  obscur 
adorateur  du  Soleil. 

Il  était  Danois.  Schonheyder  Môller  naquit  au  port  d'Aarhus  le 
S  janvier  1864.  Waldemar-Christian  furent  ses  prénoms.  D'une  vieille 
famille  de  magistrats  lettrés  et  fils  préféré  d'une  admirable  brodeuse, 
on  peut  dire  de  lui  ce  qu'on  a  dit  de  notre  Prud'hon  :  qu'il  fut  deux 
fois  le  fils  de  sa  mère  et  que  la  tendresse  compléta  la  secrète  volonté  de 
la  nature.  Cet  heureux  enfant,  que  sa  vocation  devait  isoler  parmi  les 
plus  malheureux  des  hommes,  ne  connut  pas  d'autre  vrai  maître  que 
le  cœur  maternel.  Le  peintre  s'instruisit  à  peu  près  lui-même  ;  et 
comme  il  eut  vite  fait  de  déserter  l'école  et  les  brumes  du  ciel  natal, 
malgré  l'estivale  beauté  des  solitudes  du  Jutland  !  Ce  fut  un  primitif, 
un  «  autodidacte  »  :  à  l'atelier  même  de  Kroyer,  ce  représentant  fine- 
ment ensoleillé  de  la  Sécession  danoise,  il  préférait  déjà  les  jardinets 
perdus,  les  coins  intimes  et  doux,  le  vieux  parc,  trop  souvent  neigeux 
pourtant,  voisin  de  Copenhague,  enfin.  «  les  admirables  ciels  déployés 
sur  les  landes  immenses,  où  toute  la  vie  semble  se  concentrer  dans  les 
nuages  blancs  passant  sur  le  ciel  bleu  de  l'été  et  dans  le  chant  des 
alouettes  »  (1)  ;  déjà,  vers  1890,  il  étudiait  la  vague  ou  l'astre  du  jour 
au  Barbizon  danois  de  Skagen.  Cependant,  l'homme  du  Nord  descendit 
avec  joie  vers  la  lumière  :  ermite  volontaire  à  Fontainebleau,  cet  Ober- 
mann de  la  palette  passa  dans  la  contemplation  les  dix  dernières  années 
de  sa  courte  vie  :  car,  dès  1901,  terrassé  par  la  lutte  qui  n'épargne 
jamais  que  les  forts,  il  mourut  d'amertume  épuisée  le  3  mai  1903,  à 
quarante  et  un  ans. 

Brève  carrière,  en  face  d'un  art  si  long  qui  réclame  à  la  fois  la  science 
et  l'ivresse  :  «  la  peinture  veut  son  homme  entier  ».  disait  Fantin- 
Latour  dans  ses  lettres  intimes  à  ses  amis  d'Angleterre.  Mais  un  grand 
effort  original  n'est  jamais  inutile;  et  «  le  peintre  du  Soleil  »  vécut  assez 
de  temps  pour  accroître  à  son  heure  le  sillon  de  lumière  inauguré  par 
Claude  le  Lorrain  dans  la  triste  campagne  romaine. 

Aussi  bien,  ce  génie  d'essence  racinienne  et  de  race  française  ne  fut-il 
pas  le  plus  savant  des  autodidactes  et  le  premier  des  musiciens  de  la 
lumière,  quand,  soir  et  matin,  dans  la  solitude,  il  osait  regarder  le 
soleil  en  face  et  courait  vite  rapporter  chez  lui  des  harmonies  neuves 
avec  d'heureux  mélanges  de  tous  (2)?  Et  n'est-ce  pas  à  Claude  (-reliée 
que  remonte  cette  tradition  de  lyrisme  illuminé  par  l'œil  du  jour  ? 
L'essor  du  paysage  lumineux,  j'allais  écrire  ici  musical,  date  de  lui. 
Nous  en  retrouvons  la  trace  pâlie  dans  les  timidités  méridionales  du 
bon  Joseph  Vernet  ou  dans  les  coquetteries  parisiennes  de  ce  galant 
Hubert  Robert,  peintre  d'architecture  et  parfois  décorateur  de  théâtre. 

(1)  Léon  Bozalgette,  dans  la  préface  documentée  du  catalogue  de  l'exposition 
(Liège,  1908). 

(2)  Faits  racontés  et  transmis  par  Sandrart,  le  seul  témoin  de  la  jeunesse  d'un 
maître,  et,  par  conséquent,  selon  la  seule  autorité  digne  de  foi  (cf.  notre  Claude  Lor- 
rain, dans  la  collection  des  Grands  Artistes;  Paris,  Laurens,  l'JOô). 


mort  à  Paris  le  13  avril  1X08  (encore  un  centenaire  oublie  ;  mais  ils  sont 
trop!).  Nos  Romantiques,  réellement  encore  très  hollandais,  et  qui 
nous  paraissent  déjà  très  classiques,  ne  rallumaient  guère  l'or  du  soleil 
dans  le  ciel  de  l'art...  Moins  hardi  que  Rubens,  l'impressionnisme  lui- 
même  n'a  pas  associé  cette  circonférence  incandescente  à  ses  ombres 
bleues;  le  nocturne  Jongkind  n'évoque  qu'un  globe  arrondi,  cuivré, 
rougi,  sans  rayons,  qui  se  noie  dans  le  sang  figé  des  crépuscules;  et 
la  lumière  solaire  n'apparait  que  réverbérée  par  les  peupliers,  les 
cathédrales  ou  les  meules  dans  les  célèbres  séries  d'un  Claude  Monel 
qui  note,  à  travers  la  fugitive  magie  des  saisons  et  des  heures,  l'évolu- 
tion pittoresque  d'un  motif  aimé.  Ceux  d'entre  nos  peintres  qui  passent 
pour  des  musiciens  de  la  palette.  MM.  Henri  Martin,  Le  Sidaner, 
Laurent,  et  la  très  personnelle  M"''  Dufau,  préfèrent  les  nuances  blondes 
de  la  campagne  à  la  brutalité  de  l'astre  et  peignent,  comme  on  dit,  avec 
le  soleil  dans  le  dos.  De  nos  jours  seulement,  M.  Besuard,  sur  les 
plages,  s'est  parfois  souvenu  de  Turner.  comme  Turner  se  souvenait 
plus  volontiers  de  Claude;  et,  plus  discrètement,  M.  René  Ménard, 
réconciliant  en  Athénien  l'atmosphère  et  le  style,  ne  manquait  pas 
d'invoquer  les  soirs  du  Lorrain  «  qui  tira  un  feu  d'artifice  dans  les 
décors  du  Poussin  »  (1). 

Toujours  est-il  que,  même  de  nos  jours  où  la  palette  -'est  éclaircie,  la 
tentative  du  Danois  fut  originale  ;  elle  restera  telle  aux  yeux  de  l'avenir. 
Il  faut,  dès  aujourd'hui,  lui  réserver  un  coin  de  cimaise  dans  cette 
Exposition  historique  du  Paysage,  objet  constant  de  nos  rêves,  qui 
raconterait  visiblement  l'histoire  des  variations  de  la  lumière  sur  la 
toile  ;  il  faut  que  le  nom  de  Schonheyder  Môller  figure  en  ce  Musée, 
toujours  inédit,  de  la  Nature,  qui  redirait  aux  yeux  les  étapes  de  la 
Sensibilité  de  l'homme. 

Nous  voici  ramenés,  comme  dirait  Fromentin,  de  la  nature  à  la 
peinture,  —  de  l'atmosphère  naturelle  à  l'atmosphère  peinte  :  interro- 
geons brièvement  ce  musicien  de  la  lumière,  interrogeons-nous  dans 
son  œuvre  qui  devança  le  hasard  lumineux  de  nos  impressions.  Après 
la  nature,  consultons  l'art  :  allons-nous  retrouver,  devant  la  toile,  au 
moins  un  reflet  des  sensations  intellectualisées  qui  nous  assaillaient 
mystérieusement  devant  la  réalité?  La  lumière  peinte  à  Fontainebleau 
nous  tiendra-t-elle  le  même  silencieux  langage  que  la  lumière  vivante 
au  Luxembourg,  à  peu  près  aux  mêmes  heures  du  jour  et  vers  le  soir 
de  l'année  ? 

Par  un  titre  même  et  par  la  suggestion  de  son  œuvre,  il  est  évident  que 
le  peintre  de  l'Etoile  victorieuse  et  de  la  Musique  de  la  Lumière  a  senti 
vaguement  cette  «  corrélation  »  tacite  entre  les  timbres  et  les  teintes. 
précédée  par  celle  entre  le  rythme  mélodique  et  la  forme  permanente, 
qui  ne  changent,  au  fond,  ni  l'un  ni  l'autre,  quels  que  soient  les 
enchantements  superficiels  de  la  palette  orchestrale  ou  pittoresque  : 
corrélation  que  ratifie  le  langage  courant  dès  qu'il  parle  assez  à  la  légère, 
il  est  vrai,  de  la  sonorité  d'un  rouge  auprès  d'un  vert  ou  du  coloris  ins- 
trumental. 

Ne  craignons  pas  d'insister  :  c'est  par  leur  force  expressive,  ou  plutôt 
affective,  que  timbres  et  teintes  «  se  répondent  s,  dans  la  nature  ou  dans 
l'art  ;  et,  devant  la  toile  rayonnante  comme  devant  les  frissons  enso- 
leillés du  jardin,  nous  pouvons  conclure  : 

—  Les  sons  du  compositeur  et  les  tons  du  peintre  nous  impressionnent 
pareillement  dans  leur  vague  :  et  c'est  bien  pour  cela  qu'on  peut,  sans 
ridicule,  disserter  sur  la  musique  de  la  lumière  !  Lumière  et  musique 
nous  affectent  de  même,  nous  autorisant  à  superposer  un  sentiment  |  qui 
est  nôtre)  à  la  sensation  qu'elles  nous  imposent,  à  rendre  a  l'ineffable 
magie  du  dehors  ce  qu'elles  nous  prêtent,  à  faire  d'une  volupté  qui  passe 
une  pensée.  Modifié  par  cette  sensation  lumineuse  ou  mélodieuse,  notre 
moi  s'empresse  de  transformer  idéalement  le  charme  subi  :  singulier 
échange  entre  le  physique  et  le  moral,  action  du  dehors  sur  l'intérieur 
et  réaction  plus  étonnante  de  l'âme  sur  les  choses  !  Echange  qui  con- 
tient peut-être  tout  le  secret  de  ce  mystère  essentiellement  humain  :  la 
poésie  !  Demandez  à  Baudelaire,  ami  des  correspondances...  Demandez 
même  à  Victor  Hugo,  le  poète  souverainement  «  sculptural  ».  qui  voyait 
partout  de  la  musique  !  Et  c'est  ainsi,  seulement  ainsi,  qu'on  peut 
décemment  parler  de  «  musique  pittoresque  »  -ou  de  «  peinture  musi- 
cienne »  :  le  reste  n'est  qu'emphase  ou  névrose  décadente,  monticellisme 
d'amateur  et  tautologie  !  Aux  savants,  après  les  poètes,  de  nous  dire, 
tôt  ou  tard,  si  musique  et  lumière  fraternisent  réellement  par  leurs 
«  vibrations  ». 

Comme  de  longs  échos  qui,  de  loin,  se  confondent 
Dans  une  ténébreuse  et  profonde  unité... 

Le  rêveur,  le  psychologue  ou  l'artiste  se  contente  de  sentir  et.  parfois, 
de  noter  la  «  mélodie  »  des  sentiments  qu'il  découvre  en  lui  ;  plus 

(1)  Joli  mot  des  Concourt,  daté  Je  1855. 


292 


LE  MÉNESTREL 


impressionnable  aujourd'hui  que  jamais,  il  sent  mieux  que  ses  aines 
la  corrélation  ;  il  devine,  maintenant,  pourquoi  le  coloriste  est  mélo- 
mane d'instinct,  comme,  volontiers,  le  musicien  se  fait  peintre  ou  croit 
l'être.  On  sait  par  quelles  demi-sonorités  larges  et  lentes,  soulignées 
par  l'émoi  discret  des  timbales,  le  mystique  des  sons  que  fut  César 
Franck  transposait,  dans  sa  Procession,  le  soleil  de  Brizeux  et  «  ses 
longs  rayons  couchants  »  ;  on  pressent  qu'un  peintre,  tel  Schônheyder 
Môller,  ébauche  une  symphonie  quand  il  hâte  ses  études  sous  les  flèches 
qui  font  resplendir  la  nuit  verte  des  feuillages,  qu'il  se  chante  une 
musique  muette  alors  qu'il  travaille  au  déclin  prolongé  de  la  lumière 
jaunissante... 

Des  miiiis  d'ombre  et  d'or  aux  crépuscules  roses  (I), 
le  peintre  et  le  musicien,  chacun  dans  son  langage,  traduisent  paral- 
lèlement leurs  visions  éblouies  ;  et  nous  avons  plaisir  à  contrôler  les 
nôtres  avec  l'œuvre  trop  oublié  d'un  artiste  qui  nous  apparaissait,  il  y 
a  dix  ans  (2),  comme  «  un  arrière-petit-flls  audacieux  et  doux  du  grand 
Claude  ». 

(A  suivre.)  Raymond  Bouïer. 

P.  S.  —  Entre  autres  questions  provoquées  par  les  pressentiments  d'ÛBER- 
maxn.  plusieurs  lecteurs  ont  paru  très  intrigués  par  cette  note  absolument 
extraordinaire  qui  nous  semblait  faire  allusion  à  quelque  fantaisie  intérieure 
ou  contemporaine  :  «  Le  clavecin  des  couleurs  était  ingénieux:  celui  des  odeurs 
eût  intéressé  davantage...  »  Ainsi  parlait,  en  1804,  son  «  éditeur  »,  M.  de  Séuan- 
cour.  Eh  bien  !  en  1908,  le  clavecin  des  couleurs  est  retrouvé  :  qu'on  se  le  dise 
et  qu'on  en  cause,  entre  Sénancouriens  I  Le  clavecin  oculaire  était  une  inven- 
tion d'un  certain  P.  Castel,  né  à  Montpellier,  en  1688,  mort  à  Paris,  en  1757, 
savant  jésuite  un  peu  chimérique,  que  préoccupa,  toute  sa  vie.  «  l'optique  des 
couleurs»,  en  même  temps  que  la  «construction»  de  cel  instrument  qu'il  décri- 
vait en  l'an  de  grâce  17.33  et  par  lequel  ce  précurseur  s'il  en  fut  prétendait 
affecter  l'œil  par  la  succession  des  couleurs  comme  le  clavecin  affecte  l'oreille 
par  la  succession  des  sons...  Un  ajoute  qu'il  s'y  ruina  :  ce  qui  paraîtra  moins 
surprenant.  Ceci  pour  prendre  date  et.  comme  on  dit.  pour  attendre,  en  pré- 
ludant sans  clavecin. 

Raymond  Bodyer. 


LITTÉRATURE     MUSICALE 


ii 

Les  musiciens  célèbres  :  Schubert,  par  Bourgauit-Dueoudray;  Boieldieu,  par  Lucien 
Auge  de  Lassus;  Rameau,  par  Lionel  de  la  Laurencie  (3  vol.  in-8J  illustrés,  Paris, 
H.  Laurens).  —  Musiciens  d'autrefois,  par  Romain  Rolland  (Paris,  Hachette,  in-12); 
Musiciens  d'aujourd'hui,  par  le  même  ^id.,  id.). 

La  jolie  collection  des  Musiciens  célèbres  publiée  à  la  librairie  Lau- 
rens vient  de  s'enrichir  de  trois  nouvelles  monographies  :  Schubert, 
Boieldieu,  Rameau.  Je  commencerai  par  m'occuper  du  Schubert  de 
M.  Bourgauit-Dueoudray.  Voici  un  bon,  un  excellent  livre,  qu'il  y  a 
autant  de  plaisir  que  de  profita  lire.  On  en  fera  de  plus  gros,  de  plus 
lourds  sur  l'auteur  de  la  Belle  Meunière:  on  n'en  saura  faire  de  meil- 
leur. Ce  petit  volume,  plein  d'émotion,  tout  empreint  de  poésie,  écrit 
dans  une  belle  langue,  claire  et  limpide,  par  un  musicien  enthousiaste 
et  qui  ne  craint  pas  d'afficher  son  amour  pour  la  mélodie,  est  un  des 
meilleurs  que  je  connaisse  dans  le  vaste  répertoire  de  la  littérature 
musicale  française  (3).  Je  ne  sache  pas  qu'on  puisse  mieux  connaître 
Schubert,  comme  homme  et  comme  artiste,  que  dans  les  cent  vingt 
pages  que  M.  Bourgault  vient  de  lui  consacrer;  et  je  puis  dire,  par 
quelque  expérience  personnelle,  que  c'est  un  vrai  tour  de  force  qu'il 
vient  ainsi  d'accomplir.  Et  si,  dans  ce  livre,  la  partie  biographique  est 
très  condensée,  très  ramassée,  bien  que  suffisante,  pour  faire  place  à  la 
partie  critique,  l'étude  du  génie  de.  Schubert  est  extrêmement  remar- 
quable, tant  au  point  de  vue  technique  qu'au  point  de  vue  poétique. 

Tout  d'abord,  M.  Bourgault  se  plaint  fort  justement  qu'on  ne  Y'euille. 
la  plupart  du  temps,  considérer  en  Schubert  que  l'auteur  des  admi- 
rables lieder,  alors  que  ce  musicien  de  génie  a  montré,  à  part  le  théâtre. 

il)  Beau  vers  de  M™'  Lucie  Delarue-Mardrus,  dans  son  premier  recueil  Occident 
1901. 

(-2)  Dans  nos  Salons  de  l'Artiste  (1897  et  1898)  et  de  la  fier»?  populaire  des  Beaux- 
Arts  (1898).  —  Cf.  Claude  Lorrain,  page  123. 

(3)  Je  prends  ici  le  mot  a  littérature  »  dans  son  sens  précis,  et  non  dans  celui  que 
lui  donnent  nos  pédants  caudataires  de  l'Allemagne,  qui  nous  parlent  à  tout  insiant 
de  i  la  littérature  du  piano  »,  de  la  «  littérature  du  violon  »,  etc.,  ce  qui  n'a  aucun 
sens,  attendu  que  quand  on  écrit  de  la  musique,  on  ne  fait  point  de  littérature.  Il 
est  beaucoup  plus  rationnel,  plus  exact  et  moins  prétentieux  de  se  servir  d'un  mot 
excellent  que  nous  avons  dans  notre  dictionnaire,  et  de  dire  «  le  répertoire  du 
piano,  du  violon  »,  elc. 


une  éclatante  supériorité  dans  tous  les  genres  auxquels  il  lui  a  plu  de 
s'attaquer  :  symphonie,  musique  de  chambre,  musique  d'église,  piano, 
etc.  : 

La  primauté  de  Schubert  dans  le  domaine  du  lied,  dit-il,  est  si  universelle- 
ment et  si  incontestablement  établie  qu'on  a  fait  converger  sur  une  seule  face 
de  son  génie  tous  les  rayons  de  sa  gloire.  L'auréole  qui  entoure  la  tête  du  Roi 
de  la  mélodie  est  si  éclatante  qu'elle  laisse  dans  la  pénombre  le  symphoniste, 
le  technicien  puissant  et  savamment  inspiré  des  trios  et  des  quatuors.  Si  nous 
avons  fait  chorus  avec  l'enthousiasme  universel  en  exaltant  les  lieder  de  Schu- 
bert, dont  un  certain  nombre  du  moins  est  admiré  de  tous,  rappelons-nous, 
en  abordant  l'étude  de  sa  musique  instrumentale,  qu'une  tâche  bien  différente 
nous  incombe.  Sur  le  terrain  de  la  symphonie  et  de  la  musique  de  chambre,  la 
cause  de  Schubert  n'est  pas  encore  complètement  gagnée,  en  France  surtout. 
Un  effort  est  ici  nécessaire  pour  démontrer  l'insuffisance  de  notre  culture  et 
la  parcimonie  de  notre  admiration  à  l'égard  d'un  musicien  qui  a  laissé  des 
œuvres  géniales  dans  presque  tous  les  genres.  Si  Schubert  s'était  borné  à 
écrire  six  cents  mélodies,  parmi  lesquelles  il  en  est  trois  qui  auraient  suffi 
pour  l'immortaliser,  il  ne  serait  qu'un  brillant  météore  dans  l'histoire  de  l'art 
germanique.  Par  ses  œuvres  symphoniques,  ses  compositions  pour  piano  et  sa 
musique  de  chambre,  il  se  rattache  étroitement  au  groupe  des  trois  créateurs 
de  la  symphonie  :  Haydn,  Mozart  et  Beethoven;  il  est  digne  de  partager  leur 
gloire  comme  l'un  des  maîtres  les  plus  puissants  et  les  plus  complets  de  la 
musique  instrumentale. 

Quand  on  pense  que  ce  musicien  merveilleux,  mort  â  trente  et  un 
ans,  a  écrit  plus  de  800  compositions  de  divers  genres  (8  symphonies 
et  "28  œuvres  symphoniques.  plus  de  30  œuvres  de  musique  de  chambre, 
S  Messes.  19'  pièces  religieuses,  une  cinquantaine  de  compositions  à 
deux  ou  quatre  mains.  14  opéras,  70  chœurs  pour  diverses  voix, 
36  morceaux  à  plusieurs  voix,  entin  603  lieder  pour  Yroix  seule  avec- 
piano),  on  reste  confondu  d'une  telle  fécondité,  surtout  en  constatant 
que  toutes  ou  presque  toutes  ces  œuvres  sont  marquées  de  la  griffe  du 
génie.  Aussi.  M.  Bourgauit-Dueoudray,  en  manifestant  son  admiration 
pour  un  si  grand  artiste,  a-t-il  raison  de  s'écrier,  en  terminant  son 
livre  : 

Pauvre  Schubert!  Ta  gloire,  tu  l'as  bien  payée  par  des  déceptions  cruelles  et 
de  rudes  privations;  mais  tu  l'as  pleinement  conquise.  Pas  une  de  tes  notes 
qui  ne  soit  gravée  luxueusement  !  pas  un  de  tes  autographes  qu'on  ne  se  dis- 
pute à  prix  d'or!... 

Tu  as  eu  raison,  Schubert,  de  préférer  à  tout  les  faveurs  de  la  Muse.  TaY'ie 
n'a  été  qu'un  long  tête-à  tète  avec  elle,  et  rien  n'a  pu  te  distraire  de  la  tâche 
si  douce  d'écrire  les  chants  qu'elle  te  dictait...  Peut-être  même  as-tu  dépassé 
le  but,  en  produisant  trop  pendant  ta  courte  vie.  Les  hommes  d'aujourd'hui 
sont  trop  préoccupés  «  d'aller  vite  »  pour  prendre  connaissance  de  tous  les 
trésors  que  tu  nous  a  laissés.  Certains  même,  à  qui  la  science  suffit,  ont  dé- 
crété qu'il  n'y  aurait  plus  de  mélodie.  Alors,  à  quoi  bon  te  lire,  ô  Schubert  ! 
toi  qui  n'es  que  mélodie  ?...  Mais  ces  fantaisies  de  la  mode  auront  leur 
terme;  le  soleil  dissipera  le  brouillard  et,  dans  les  cieux  calmes,  pendant  de 
longs  siècles  encore,  brillera  d'un  éclat  immaculé  la  glorieuse  étoile  de  Schu- 
bert ! 
Voilà  comme  il  convient  de  rendre  justice  au  génie. 
Je  passe  sans  transition  de  Schubert  à  Boieldieu  pour  signaler  le 
volume  que  M.  Auge  de  Lassus  a  consacré  à  l'auteur  de  la  Dame  blanche 
et  du  Nouveau  Seigneur  de  village.  Celui-ci  me  plait  moins,  je  l'a\roue, 
et  d'abord  à  cause  de  certaines  inexactitudes  fâcheuses.  Où  diable 
l'auteur  a-t-il  découvert  que  les  Méprises  espagnoles  et  l'Heureuse  Nou- 
velle avaient  été  écrites  par  Boieldieu  en  société  avec  Cherubini  ?  Boiel- 
dieu n'a  eu  besoin  de  personne  pour  composer  ces  deux  ouY'rages.  Par 
contre,  et  sans  doute  en  guise  de  compensation,  l'écrivain  attribue  à 
Boieldieu  seul  la  partition  d'Angela,  pour  laquelle  il  eut  précisément  la 
collaboration  de  Mme  Sophie  Gail.  M.  Auge  de  Lassus  a  eu  pourtant 
connaissance  de  certain  livre  sur  Boieldieu  que  j'ai  des  raisons  très 
personnelles  de  connaître  aussi,  et  qui  aurait  dû  lui  éviter  ces  erreurs. 
Il  est  vrai  qu'à  rencontre  de  M.  Bourgauit-Dueoudray,  qui  cite  loyale- 
ment toutes  ses  sources,  il  n'a  pas  cru  devoir  citer  une  seule  fois  le 
livre  en  question. 

Mais  ceci  n'a  point  d'importance.  Ce  que  je  reprocherai  par-dessus 
tout  à  M.  Auge  de  Lassus,  c'est  la  langue  alambiquée  et  tortillée  dont 
il  se  sert  pour  parler  de  l'artiste  aimable  qu'il  avait  à  présenter  au  pu- 
blic. Boieldieu,  l'homme  et  le  musicien  le  plus  naturel  du  monde,  s'ac- 
commode mal  de  ce  style  précieux,  tourmenté,  tarabiscoté,  prétentieux 
pour  tout  dire,  où  les  mots  ne  sont  jamais  à  leur  place,  et  dans  lequel 
on  rencontre  vraiment  trop  de  fleurs,  trop  d'oiseaux,  trop  de  printemps 
et  trop  de  parfums.  Sans  parler  de  certaines  comparaisons  bizarres, 
comme  des  «  ficelles  qui  sont  enguirlandées  de  roses  »  (p.  Si)  et  des 
serments  «  qui  sont  des  caresses  »  (p.  83).  Pour  moi,  je  souhaiterais 
plus  de  naturel  et  de  simplicité,  et  je  trouve  que  Boieldieu  mériterait 
mieux  que  cette  prose  papillotante  etmirlitonnante. 

Avec  M.  de  la  Laurencie  et  son  livre  sur  Rameau,  nous  rentrons 
dans  un  milieu  plus  sérieux  —  trop  sérieux,  peut-être.  Ce  liYTe  est  bien 


LE  MÉNESTREL 


293 


dans  son  ensemble,  et  Ton  voit  que  l'auteur  est  pénétré  de  son  sujet, 
qu'il  a  longuement  étudié,  et  dont  il  s'est  occupé  précédemment,  à  di- 
verses reprises,  dans  des  travaux  partiels  et  préliminaires.  Il  n'a  pu 
apporter  de  faits  nouveaux  sur  l'existence  de  Rameau,  restée  profondé- 
ment mystérieuse  par  le  faii  du  caractère  solitaire,  discret  et  un  peu 
misanthropiquo  de  l'artiste.  Mais  il  s'est  efforcé  de  le  faire  bien  con- 
naître au  point  de  vue  artistique,  en  s'altachant  toutefois  principale- 
ment, dans  l'étude  et  la  critique  de  son  œuvre,  au  côté  purement 
technique,  et  en  négligeant  un  peu  trop,  à  mon  sens,  et  de  parti  pris,  le 
côté  poétique.  Son  appréciation  des  théories  exposées  par  Rameau  dans 
ses  écrits  —  très  claire,  d'ailleurs,  ce  qui  n'était  pas  absolument  facile 
—  me  semble  un  peu  trop  développés  pour  un  livre  de  pure  vulgarisa- 
tion: si  bien  que  l'analyse  des  œuvres  dramatiques  du  maître  en  de- 
vient un  peu  trop  écourtée.  Et  môme  ici,  dans  cette  analyse,  les  re- 
marques de  l'auteur  portent  plutôt  sur  des  points  de  théorie,  sur  des 
études  d'accords  et  des.  constatations  de  détails  relatifs  à  la  tonalité, 
que  sur  tout  ce  qui  touche  à  l'admirable  génie  dramatique  de  Rameau, 
à  la  fertilité  de  son  inspiration,  à  la  souplesse  de  main  et  à  l'étonnante 
variété  dont  témoignent  ses  œuvres. 

Il  m'importe  peu,  à  moi,  lecteur,  qu'un  mot  d'Iphise,  dans  Dardanus, 
«  tombe  sur  une  quinte  diminuée  »,  et  qu'un  autre  mot  de  Tisiphone. 
dans  Hippolyle  et  Aricie,  «  s'accompagne  d'une  quinte  augmentée  ». 
Cela,  qu'on  me  permette  de  le  dire,  c'est  un  peu  de  pédantisme,  et  ne 
saurait  m'intéresser.  Ce  que  je  voudrais  qu'où  me  fit  ressortir,  c'est 
l'ensemble  et  le  détail  des  beautés  qui  fourmillent  dans  les  œuvres  du 
grand  homme,  en  me  signalant  celles  qui  méritent  surtout  ma  sympa- 
thie et  mon  admiration  ;  c'est  le  duo  souverainement  pathétique  et 
l'étonnant  trio  des  Parques  d' Hippolyle  et  Aricie  ;  c'est  l'air  d'un  senti- 
ment tragique  si  profond  :  Monstre  a/freux,  monstre  redoutable!  de  Dar- 
danus; c'est  toute  cette  partition  incomparable  de  Castor  et  Pollux,  avec 
ses  chœurs  si  puissants  (Que  tout  gémisse/  et  Brisons  tous  nos  fers),  avec 
la  déploration  si  touchante  de  Télaïre  :  Tristes  apprêts,  pâles  /lambeaux, 
faite  pour  arracher  des  larmes,  avec  l'air  délicieux  et  si  plein  de  ten- 
dresse de  Castor  aux  Enfers  ;  c'est,  enfin,  les  épisodes  chantés  ou  dansés, 
toujours  exquis,  que  Rameau  a  semés  à  profusion  dans  ses  opéras- 
ballets  :  les  Fêtes  d'Hêbé,  les  Indes  galantes,  etc.  Voilà  ce  qu'il  me  semble 
qu'il  eût  fallu  mettre  en  lumière  pour  faire  connaître  le  génie  du 
maitre,  au  lieu  d'une  analyse  technique  un  peu  pédante,  je  le  répète, 
et  malheureusement  trop  froide  et  dénuée  d'enthousiasme. 

Si  j'ai  cru  devoir  exprimer  ces  critiques,  c'est  que  j'ai  lu  très  atten- 
tivement le  livre  de  M.  de  la  Laurencie,  c'est  que  j'ai  pu  constater  le 
soin  avec  lequel  il  est  fait,  c'est  que  j'ai  pour  l'auteur  toute  l'estime 
qu'il  mérite;  mais  c'est  qu'aussi  l'auteur  appartient,  si  je  ne  me 
trompe,  à  une  école  qui  considère  surtout  dans  la  musique  son  côté 
matériel,  en  faisant  bon  marché  des  aspirations  poétiques  de  l'artiste 
créateur,  du  caractère  et  de  la  richesse  de  son  inspiration,  en  un  mot 
de  la  puissance  mélodique  qu'il  déploie  et  qu'il  sait,  en  la  diversifiant, 
adapter  aux  situations  diverses  qu'il  lui  faut  interpréter  et  rendre 
sensibles. 

Sous  le  titre  de  Musiciens  d 'autrefois  et  Musiciens  d'aujourd'hui,  M.  Ro- 
main Rolland  a  réuni  en  deux  volumes  toute  une  série  d'études  pu- 
bliées précédemment  par  lui  dans  divers  recueils.  Les  chapitres  du 
premier  de  ces  volumes  consacrés  à  Lully,  Gluck,  Grétry,  Mozart,  sont 
plutôt,  à  l'exception  du  premier,  de  simples  résumés  historiques  et 
biographiques.  Celui  relatif  à  Lully  est  plus  important  et  plus  fouillé 
en  ce  qui  concerne  la  valeur  de  l'artiste  et  la  place  qu'il  occupe  dans 
l'histoire  de  la  musique  française.  Mais  ce  qui  est  neuf  surtout,  c'est 
le  fragment  intitulé  l'Opéra  avant  l'opéra,  dans  lequel  l'auteur  nous  met 
au  courant  des  travaux  par  lesquels  les  musiciens  italiens  s'achemi- 
nèrent insensiblement,  sans  le  vouloir  et  sans  le  savoir,  vers  la  forme 
de  la  monodie  dramatique  imaginée  à  Florence,  au  seizième  siècle,  par 
les  amis  de  Giovanni  Bardi  :  Jacopo  Corsi,  Giulio  Caccini,  Péri,  Emilio 
del  Cavalière,  Galilei,  qui  elle-même  donna  naissance  au  véritable 
opéra,  dont  on  peut  presque  dire  que  Monteverde  fut  le  créateur.  Les 
détails  donnés  par  M.  Romain  Rolland  sur  les  sacre  rappresentazioni  de 
Florence  et  les  Maggi  de  la  campagne  toscane  sont  particulièrement 
curieux  et  intéressants,  et  nous  donnent  une  idée  de  l'amour  que,  dès 
cette  époque,  les  Italiens  portaient  à  tout  ce  qui  pouvait  se  rapprocher 
de  la  forme  dramatique  appelant  à  son  aide  la  plastique  et  la  musique. 
On  lira  ce  chapitre  avec  plaisir  et  curiosité,  de  même  que  celui  inti- 
tulé le  Premier  opéra  joué  à  Paris,  où  l'on  trouve  les  détails  de  la  re- 
présentation à  la  cour,  le  t  Mars  1647,  à  l'instigation  de  Mazarin,  de 
i'Orfeo  de  Luigi  Rossi. 

Le  second  volume,  Musiciens  d'aujourd'hui,  contient  une  suite  d'études 
purement  critiques  sur  plusieurs  artistes  de  ce  temps,  ou  à  peu  près  : 
Berlioz,   Wagner,    Camille   Saint-Saëns,    Vincent    d'Indy,    Richard 


Strauss,  Hugo  Wolf,  don  Lorenzo  Perosi,  Claude  Debussy,  et  deux 
chapitres  portant  pour  titres,  l'un  :  «  Musique  française  et  musique 
allemande  »,  l'autre  :  a  le  Renouveau,  esquisse  du  mouvement  musical 
à  Paris  depuis  1870.  »  En  exprimant  ses  idées  personnelles  sur  Ber- 
lioz et  sur  Wagner,  l'auteur  ne  pouvait  avoir  le  dessein  de  rien  nous 
apprendre  de  particulier.  L'article  sur  don  Lorenzo  Perosi  n'a  que  peu 
d'importance.  La  notice  sur  l'infortuné  Hugo  Wolf  est  touchante  et 
excite  l'intérêt.  Quant  à  celle  qui  concerne  M.  Richard  Strauss,  dame, 
je  suis  loin,  je  dois  le  dire,  de  partager  les  opinions  émises  par  l'au- 
teur, et,  toute  pensée  de  contradiction  mise  à  part,  je  reste  un  peu 
étourdi  de  lui  voir  caractériser  ainsi  l'auteur  de  Sahmé,  de  la  Transfi- 
guration et  de  la  Sinfonia  domestica  :  —  «  C'est  par  les  côtés  héroïques, 
dit-il,  qu'il  est  l'héritier  d'une  partie  de  la  pensée  de  Beethoven  et  de 
Wagner.  C'est  par  eux  qu'iY  est  un  des  poêles,  le  plus  grand  peut-être, 
de  l'Allemagne  actuelle,  qui  reconnaît  en  lui  comme  sou  héros.  » 
Diantre  !  nous  sommes  tellement  loin  de  nous  entendre,  et  l'admira- 
tion est  à  ce  point  précisée  que  toute  discussion  serait  inutile.  J'en 
dirai  autant  relativement  au  prétendu  rôle  historique  attribué  a  l'appa- 
rition de  l'opéra  de  M.  Debussy,  Pelléas  et  Mélisande  :  —  «  La  première 
représentation  de  Pelléas  et  Mélisande,  le  30  avril  1902.  a  été  un  des 
faits  les  plus  considérables  de  l'histoire  de  la  musique  française,  un 
fait  dont  l'importance  ne  peut  être  comparée  qu'à  la  première  repré- 
sentation à  Paris  de  Cadmus  et  Hermione  de  Lully,  d' Hippolyle  et  Aricie 
de  Rameau  ou  d'Iphigénie  en  Aulidede  Gluck,  — une  des  trois  ou  quatre 
dates  capitales  de  notre  Ihéàlre  lyrique!!  !  ». 

Oh  !  oh!  voilà, du  coup,  le  rôle  de  M.  Debussy  singulièrement  élargi, 
et  l'auteur  de  Pelléas  et  Mélisande  considéré  comme  l'un  des  réforma- 
teurs et  des  régénérateurs  de  l'art  lyrique  français.  Ceux  qui  liront  ces 
lignes  dans  cinquante  ans  ne  pourront,  peut-être,  s'empêcher  de  sou- 
rire. Pour  moi,  simple  annotateur,  qui  n'y  serai  plus  à  cette  époque,  je 
me  borne  à  constater  et  à  enregistrer,  sans  plus  de  réflexions. 

Arthlr  Poiv,in. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(pour  les  seuls  abonnés  a  la  musique) 


Cette  fois,  nous  allons  retrouver  II.  N'azare-Aga  dans  ce  genre  de  la  valse,  qui  fit  sa 
réputation.  Celle-ci  n'est  pas  tout  à  fait  une  valse  à  danser,  mais  nous  lui  trouvons 
une  grande  poésie.  Son  allure  libre,  ses  rythmes  divers,  ses  mélodies  brisées  la 
mettent,  nous  semble-t-il,  au-dessus  des  fantaisies  dansantes  de  nos  faiseurs  habi- 
tuels. C'est  tout  un  petit  tableau  rêveur  destiné  à  nous  peindre  le  Charme  daulomn". 
Il  y  réussit  pleinement,  à  condition  qu'on  n'interprète  pas  ces  quelques  pages  dans 
la  forme  rigoureuse  d'une  valse,  mais  qu'on  laisse  son  imagination  suivre  en  liberté 
celle  de  l'auteur. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


MM.  Karl  Muck  et  Richard  Strauss  ont  reçu,  à  l'occasion  du  dixième 
anniversaire  de  leur  nomination  comme  chefs  d'orchestre  de  l'Opéra-Rovat  de 
Berlin,  les  titres  de  directeurs  généraux  de  la  musique;  leur  collègue  plus 
récemment  promu,  M.  Léo  Blech,  a  obtenu  l'ordre  de  l'Aigle  rouge  de  qua- 
trième classe. 

—  Nous  en  rapportant  à  plusieurs  journaux  allemands,  qui,  eux-mêmes 
avaient  pris  leur  information  dans  la  Kœnigsberger  Hartungsclier  Zeilung,  nous 
avons  annoncé  la  mort  de  M.  Robert  Schwalm,  le  compositeur  de  l'opéra 
Frauenlob.  Or,  M.  Robert  Schwalm  est,  parait-il,  en  parfaite  santé.  Nous 
avions  suivi  les  journaux  qui  avaient  inséré  la  nouvelle  erronée;  nous 
sommes  heureux  de  pouvoir,  en  les  suivant  encore,  accueillir  une  agréable 
rectification. 

—  Le  théâtre  de  Cologue  annonce  une  reprise  de  Louise  pour  le  lo  de  ce 
mois.  Le  roman  musical  de  Gustave  Charpentier  a  été,  pour  la  circonstance 
remonté  complètement  à  neuf. 

—  Le  directeur  de  l'Opéra  de  Cologne  donnera  pendant  la  saison  prochaine 
les  nouveautés  suivantes:  Chérubin,  de  Massenet;  Traçal-lubas.  d'Eucène  d'Al- 
bert; Madame  Butterfly,  de  Puccini;  les  Florentins,  d'Otto  Rauchenegger;  Ing- 
wehle,  de  Schillings;  l'Elisir  d'amore,  de  Donizetti,  d'après  la  version  Félix 
Mottl;  Falstaff,  de  Verdi,  etc. 

—  Le  ville  de  Hambourg  inaugurait  au  commencement  de  l'été  une  salle  de 
concerts  qui  avait  été  construite  au  moyen  d'une  somma  de  1. 250.000  francs, 
léguée  par  un  riche  armateur.  M.  Laeisz,  mort  en  1903,  et  d'une  dotation  de 
230.000  francs  ajoutée  par  sa  veuve.   Aujourd'hui,  le  directeur  d'un  théâtre 


294 


LE  MENESTREL 


d'opérette  de  Berlin,  avec  l'appui  financier  de  capitalistes  de  cette  dernière 
Tille,  veut  ériger  à  Hambourg  un  théâtre  nouveau  qui  sera  consacré  au  genre 
qu'Offenbach  et  Johann  Strauss  ont  illustré  par  des  chefs-d'œuvre.  C'est  l'ar- 
chitecte du  Hebbel-Theater  de  Berlin  qui  serait  chargé  des  travaux  de 
construction. 

—  Malgré  l'affluence  des  wagnériens  à  Bayreulh  cette  année,  les  représen- 
tations de  fête  laissent  un  déficit.  Quelques  personnes  assurent  qu'il  en  faut 
rechercher  la  cause  dans  l'exagération  des  appointements  des  artistes  du 
chant;  d'autres  pensent  que  la  gestion  financière  du  théâtre  a  pu  laisser  à  dé- 
sirer. Plusieurs  journaux  ont  émis  l'opinion  que  la  situation  des  recettes  et 
des  dépenses  devrait  être  publiée.  Cela  pourrait  en  effet  présenter  quelque 
intérêt.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'entreprise  n'a  plus  le  caractère  d'art  austère 
qu'elle  avait  à  l'origine  et  son  prestige  n'a  pas  augmenté. 

—  L'intendance  générale  des  théâtres  royaux  de  Munich  vient  de  faire  con- 
naître les  ouvrages  qui  seront  donnés  comme  nouveautés,  ou  repris  dans  le 
cours  de  la  saison  1908-1909.  A  l'Opéra,  voici  quel  est  le  programme  actuel- 
lement arrêté  :  Au  commencement  d'octobre  viendra  Pellëas  cl  MëUsande,  de 
M.  Debussy,  et,  à  la  fin,  Die  Widerspenstige  de  M.  Gœtz.  Vers  décembre  on 
donnera  Sonnenwendglvi,  de  M.  Schilling-Ziemssen,  Donna  Diana,  de  M.  Rez- 
nicek,  et  Orphée,  de  Gluck.  Après  le  1er  janvier  paraîtront  en  scène  Brambilla, 
de  M.  W.  Braunfels,  Eleklra,  de  M.  Richard  Strauss,  Tphigénie  en  Tauride,  de 
Gluck.  En  dehors  de  ces  œuvres,  on  montera,  selon  les  besoins,  les  opéras 
suivants  :  Béatrice  et  Bénëdict,  la  Prise  de  Troie  et  les  Troyens,  de  Berlioz,  Dja- 
mileh,  de  Bizet,  Elisabeth,  de  Liszt,  Bonsoir,  Monsieur  Pantalon,  de  Grisai',  la 
Fiancée  vendue,  de  Smetana,  le  Templier  et  la  Juive,  de  Marschner,  Ilsebill,  de 
Klose,  le  Barbier  de  Bagdad,  de  Peter  Cornélius,  Don  Quichotte,  de  M.  Beer- 
"Walbrum,  Titus  et  la  Flûte  enchantée,  de  Mozart,  le  Barbier  de  Sévi/le,  de  Bos- 
sini.  l'Elisir  d'nmore,  de  Donizetli,  Moloch,  de  M.  Max  Schillings,  f.isehen  et 
Friizchcn,  d'Offenbach.  etc. 

—  La  saison  théâtrale  commence  à  peine  au  théâtre  de  la  place  Gaertner  à 
Munich  et  déjà  la  Chauve-Souris  reprend  l'alfiche  qu'elle  ne  quitte  jamais  pour 
longtemps.  Le  chef-d'œuvre  de  Johann  Strauss  était  donné  lundi  dernier  poul- 
ies débuts  de  MUe  Olga  Muck  dans  le  rôle  de  Caroline. 

—  On  joue  en  ce  moment  dans  un  petit  théâtre  de  Munich  deux  opérettes 
dont  l'action  se  passe  dans  des  milieux  parisiens  et  qui  obtiennent  un  grand 
succès.  La  première  a  pour  titre  Die  siissen  Grisellen,  la  musique  en  est  de 
M.  Henri  Beinhardt  ;  la  seconde  s'appelle  Vera  Violette,  elle  est  de  M.  Edmond 
Cysler. 

—  Une  opérette-vaudeville  de  saison,  l' Amour  aux  bains  de  mer,  vient  d'avoir 
sa  première  représentation  au  Wilhelmtheater  de  Gorlitz.  La  musique  est  de 
M.  Frédéric  Adolfi. 

—  D'après  une  correspondance  de  Vienne,  l'association  des  Allemands  de 
la  Basse-Autriche  s'efforce  d'iudisposer  ses  membres  contre  M.  Oscar  Nedbal, 
le  nouveau  chef  d'orchestre  de  l'Opéra-Populaire,  qui  doit  diriger  pour  la  pre- 
mière fois  le  4  octobre,  et  les  excite  à  préparer  des  démonstrations  hostiles 
contre  lui.  La  cause  de  cette  animosité  est  que  l'on  accuse  M.  Nedbal  d'avoir 
trop  de  sang  bohémien  dans  les  veines,  de  vouloir  consacrer  trop  exclusive- 
ment le  théâtre  au  répertoire  tchèque,  et  de  prétendre  finalement  à  la  succes- 
sion éventuelle  de  M.  Beiner  Simons,  afin  de  pouvoir  réaliser  ses  projets  dans 
le  sens  indiqué  ci-dessus. 

—  Le  directeur  du  Conservatoire  de  Prague,  M.  Caan  d'Albest.  vient  de 
terminer  un  opéra  en  trois  actes  intitulé  Germinal.  Le  texte  en  est  tiré  du  ro- 
man de  Zola  qui  porte  le  même  titre. 

—  Le  Théâtre-Social  de  Biella  a  donné  avec  succès  la  première  représenta- 
tion d'un  opéra  intitulé  Agar,  dont  les  auteurs  sont  M.  Simplicio  Bighi  pour 
les  paroles  et  Anacleto  Loschi  pour  la  musique.  Cet  ouvrage  avait  pour  inter- 
prètes M"es  Assunta  Bicci  et  Dolorès  Herrero,  MM.    Pezzutti   et  Bossi-Serra. 

—  Le  pape  Pie  X  a  fait  don  au  compositeur  don  Lorenzo  Perosi,  à  l'occa- 
sion de  sa  fête,  d'une  plume  d'or  ornée  de  ligures  allégoriques.  De  leur  côté, 
les  élèves  de  la  Schola  cantorum  ont  offert  à  leur  jeune  maitre  une  chasuble 
et  un  grand  portrait  de  Bichard  Wagner. 

—  On  se  plaint  amèrement,  dans  toute  la  Suisse  allemande,  de  la  crise 
terrible  qui  sévit  sur  les  théâtres  et  à  laquelle  on  ne  voit  aucun  remède.  A 
quoi  cela  tient-il?  La  question  est  très  complexe,  et  les  discussions  auxquelles 
elle  donne  lieu  n'ont  amené  jusqu'à  ce  jour  aucun  résultat.  On  cite,  entre 
autres,  l'exemple  de  Zurich,  la  ville  la  plus  peuplée  de  la  Confédération 
îl'0.000  habitants),  dont  le  théâtre  a  laissé,  pour  son  exploitation  des  sept 
dernières  années  (1900-1907),  un  déficit  de  plus  d'un  million.  Et  d'un  rapport 
très  détaillé  il  résulte  qu'on  n'a  aucun  espoir  de  voir  réduire  ce  déficit,  et  que, 
d'autre  part,  il  n'y  a  aucune  probabilité  de  voir  augmenter  les  recettes.  L'ad- 
ministration communale  s'est  émue,  naturellement,  de  cette  situation  et  s'est 
efforcée  d'y  porter  remède.  Elle  a  décidé  d'accorder  au  théâtre  une  subvention 
annuelle  de  50.000  francs;  en  même  temps  elle  lui  alloue  une  somme  de 
1.500  francs  pour  chacune  des  représentations  populaires  que  celui-ci  s'engage 
à  donner,  au  nombre  de  vingt,  dans  le  cours  de  la  saison.  Mais  les  prix  d'entrée 
pour  ces  représentations  oscillent  de  30  centimes  à  1  franc.  La  ville  contrôlera 
les  comptes  annuels  du  théâtre  et  aura  des  représentants  dans  le  conseil  d'ad- 
ministration. Malgré  tout,  on  ne  voit  pas  très  bien  comment  une  subvention  de 
50.000  francs  pourra  parer  à  un  déficit  qui  s'élève  annuellement  à  135.000  francs. 


Un  détail  à  propos  des  théâtres  de  la  Suisse  allemande  :  il  parait  que.   «  dans 
l'intérêt  du  public  ».  les  spectacles  doivent  être  terminés  à  dix  heures  ol  demie. 

—  On  avait  répandu  le  bruit  que  M.  Rajahmann  abandonnait  la  direction 
du  Théâtre-Impérial  de  Varsovie,  et  que  celui-ci  resterait  fermé  pendant  la 
prochaine  saison.  Il  n'en  était  rien,  et  M.  Bajahmann  s'occupe  au  contraire, 
en  ce  moment,  avec  activité,  de  préparer  cette  saison,  dont  le  répertoire  com- 
prendra, entre  autres  ouvrages,  les  Maîtres  Chanteurs,  Thaïs  et  Madame  Butterfly. 
La  troupe  promet  d'être  de  premier  ordre,  avec  des  noms  d'artistes  comme 
ceux  que  voici  :  MmK  Gemma  Bellincioni,  Aïno  Ackté,  Maria  Gay,  Fosca 
Titta,  Maria  Falken-Gembarzewska  (de  l'Opéra  de  Dresde l,  Carmen  Melis,  et 
MM.  Mattia  Battistini,  Titta  Buffo,  Guardabassi,  Massocci.  Mario  Almakiers- 
nowski,  etc.  Les  chefs  d'orchestre  sont  MM.  Arturo  Vigna.  Noskowsko  et  le 
baron  Beznicek.  La  saison  théâtrale  sera  complétée,  comme  à  l'ordinaire,  par 
les  grands  concerts  symphoniques  de  la  Société  philharmonique,  qui  auront 
lieu  sous  la  direction  de  MM.  Arthur  Xikisch,  Bichard  Strauss  et  Félix 
Weingartner.  On  y  entendra  pour  la  première  fois  la  nouvelle  symphonie  de 
M.  Bichard  Strauss,    l'Hymne  à  la  vie,  et  le  Bequiem  de  Verdi. 

—  Tous  les  ans,  à  Copenhague,  le  jour  de  la  Saint-Jean,  devant  le  Musée 
national,  se  donne  un  concert  d'un  genre  particulier  et  qu'on  peul  dire  unique 
non  seulement  en  Europe,  mais  dans  le  monde  entier.  Ce  jour-là,  deux  vir- 
tuoses, rétribués  à  cet  effet  par  l'administration  du  Musée,  font  entendre  et 
exécutent  quelques  antiques  mélodies  septentrionales  sur  la  lure,  instrument  ;i 
vent  dont  l'usage  remonte  à  l'âge  de  bronze,  c'est-à-dire  aux  temps  préhisto- 
riques, et  dont  on  conserve  au  Musée  23  exemplaires  parmi  lesquels  dix 
sont  en  parfait  état  de  conservation.  La  lure  consiste  en  un  tube  de  bronze  de 
forme  conique,  dont  la  longueur  varie  de  lln,ol  à  2m.3S  ;  sa  paroi  intérieure 
est  parfaitement  polie,  et  le  métal  est  fondu  en  une  couche  si  mince  qu'il 
serait  difficile  aujourd'hui  d'obtenir  un  tel  résultat  avec  le  jet  du  bronze.  L'em- 
bouchure est  semblable  à  celle  du  trombone  actuel.  La  forme  courbe  de  l'ins- 
trument est  une  imitation  manifeste  de  la  corne  du  bœuf,  et  sa  bouche  est 
enjolivée  d'ornements  dont  la  nature  est  spéciale  à  l'âge  de  bronze.  Son 
étendue  est  remarquable,  car  elle  comprend  trois  octaves  et  demie,  avec  des 
harmoniques  qui  l'augmentent  encore.  La  lure  est  d'ailleurs  facile  à  jouer  ; 
son  timbre,  métallique  et  clair,  rappelle  dans  le  haut  le  cor  de  chasse,  et  dans 
les  notes  basses  le  trombone  contralto.  En  somme,  l'instrument  atteste,  par 
la  sûreté  de  sa  construction  et  par  l'élégance  de  sa  forme,  que.  dès  l'âge  de 
bronze,  l'art  musical  devait  avoir  atteint  un  degré  assez  élevé  de  développe- 
ment dans  les  contrées  septentrionales. 

—  L'un  des  premiers  effets  de  la  révolution  stupéfiante  qui  a  changé  la  face 
de  la  Turquie,  c'a  été  la  suppression  de  la  censure,  et  l'on  sait  ce  qu'elle  était 
et  pouvait  être  sous  un  gouvernement  comme  celui  du  sultan  Abdul-Hamid. 
Toute  crainte  de  retour  offensif  ayant  disparu,  les  Turcs  prennent  maintenant 
les  choses  en  riant,  et  ils  montrent  qu'après  tout  l'esprit  ne  leur  fait  pas 
défaut  à  l'occasion.  Témoin  cette  plaisante  circulaire,  relative  précisément  à 
l'abolition  de  la  censure,  qui  a  été  répandue  à  profusion  par  tout  Constanli- 
nople,  en  excitant,  une  joie  générale  : 

CIRCULAIRE 

(De  Profanais.} 

Nous  avons  ici  l'honneur  de  vous  faire  part  de  la  mort  de 
Madame  Anastasie  Censure 
décédée  ignominieusement  le  22  juillet  1908,  et  ensevelie  le  24  du  même  mois  avec 
accompagnement  de  sifflets  et  tambours. 

Enver  bey  et  ses  amis  portèrent  le  cercueil.  La  pauvre  défunte  a  été  accompagnée 
à  sa  dernière  demeure  par  les  acclamations  d'un  peuple  en  délire,  qui  voyait  dispa- 
raître avec  elle  un  régime  d'ignobles  tralics,  régime  qui  aurait  fini  par  faire  de  ce 
malheureux  pays  la  home  et  la  dérision  de  l'Europe. 

Madame  Anastasie  est   morte  !  Ne  priez  point  pour  elle  ;  priez  plutôt  pour  son  j 
infortuné  conjoint,  Anastase,  qui  r.e  pourra  se  consoler  facilement  de  sa  perte  et  qui 
reste  désormais  sans  emploi. 

On  est  prié  de  n'envoyer  ni  fleurs  ni  couronnes. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

A  l'Opéra,  très  brillante  rentrée  de  Mlle  Mary  Garden  et  recette  superbe, 
comme  toujours  quand  l'originale  et  talentueuse  artiste  est  affichée. 

M.  Benaud  fera  sa  rentrée  la  semaine  prochaine  dans  Thaïs  où  il  aura, 
comme  partenaire.  M"''  Mary  Garden. 

La  reprise  d'ïïnmlel,  avec  les  deux  célèbres  artistes,  est  reportée  à  la  fin  de 
ce  mois. 

—  A  l'Opéra-Comique  les  débuts  se  sont  poursuivis  heureusement  depuis 
la  réouverture.  M",e  Xioa  Batti,  très  nerveusement  dramatique  dans  la  Nacur- 
raise,  M.  Bourrillon.  fort  élégant  dans  le  même  ouvrage  de  Massenet,  M.  Blan- 
card,  un  Bazile  classique  à  l'organe  solide,  Mlles  Berthe  Mendès  et  Korsoff. 
deux  gazouillants  soprani,  la  première  applaudie  dans  Lakmé,  la  seconde  dans 
le  Barbier.  MIle  Lassalle,  un  mezzo  bien  timbré,  Mlle  Bailac,  une  Carmen  très 
consciencieuse,  enfin  Mlle  Berthe  César,  une  charmante  Philine,  ont  reçtj 
bon  accueil  du  public  qui  n'a  cessé  de  remplir  la  salle  Favart. 

M.  Bourrillon,  s'étant  trouvé  grippé  et  n'ayant  pu  chanter  Carmen,  a  été 
remplacé  par  M.  Dufriche  qui,  de  suite  après  cette  représentation,  a  été  en- 
gagé pour  trois  années. 

Spectacle  d'aujourd'hui  samedi  :  Le  Jongleur  de  Notre-Dame  et  Cavallena 
ruslkana.  Demain  dimanche,  en  matinée  :  La  Vie  de  Bohème  et  la  Xavarraise: 


LE  MÉNESTREL 


295 


en  soirée  :  Manon.  Lundi,  représentation  populaire  à  prix  réduits,  avec  loca- 
tion :  Mireille. 

—  Voici  la  distribution  de  Paul  et  Virginie  qui  servira  de  pièce   d'ouverture 
au  Lyrique  de  la  Gaité,  mardi  prochain  15  septembre. 


Méala 

M»°  de  la  Tour 

Margueri  te 

Un  négrillon 

Paul 

Domingue 

M.  de  Sainte-Croix 

M.  de  la  Bourdonnai- 


M""'  Angèle  Pornol 

Georgiadès 

Lemeignan 

Bérat 

Reine  Leblanr 
MM.  David  Devriés 

Simard 

Maxime  Viaud 

Géraud 


Jean  de  Moelle,  qui  viendra  tout  de  suite  après,  aura  l'interprétation  suivante: 

Jean  de  Nivelle  MM.  Soubeyran 

Comte  de  Charolais  Boulogne 

Saladin  Alberti 

Malicorne  Larbaudière 

Beautreillis  Désiré 

Un  vieillard  Géraud 

Ariette  M""  Nicot-Bilbaut-Vauclielei 

Simone  Georgiadès 

Diane  Tiphaine 

Isolin  Heine  Leblanc 

—  A  propos  du  Lyrique  de  la  Gaité.  MM.  Isola  informent  le  public  que, 
leur  théâtre  n'ayaut  aucun  contrat  de  publicité,   de   claque,   ou  autre,   toute 

|      place  achetée  à  des  marchands  de  billets  sera  rigoureusement  refusée  au  con- 
trôle. 

—  La  Commission  des  auteurs  dramatiques  a  repris  ses  séances  dès  ven- 
dredi de  la  semaine  dernière,  sous  la  direction  de  son  éminent  président, 
M.  Paul  Hervieu.  On  a  expédié  les  affaires  courantes  dont  M.  Paul  Hervieu 
avait  assumé  la  charge,  pendant  les  vacances,  avec  le  plus  entier  dévouement. 

—  Et  voici,  avec  la  rentrée,  la  question  des  billets  de  faveur  qui  revient  sur 
le  tapis.  Pour  en  discuter,  le  syndicat  des  directeurs,  présidé  par  M.  Albert 
Carré,  s'est  réuni  cette  semaine  au  foyer  du  Vaudeville.  Étaient  présents, 
outre  le  président,  MM.  Porel,  Peter  Carin,  Michau.  Franck,  Fontanes,  Ul- 
mann,  représentant  Mmes  Sarah  Bernhardt,  Rolle  et  Duplay.  Après  s'être 
occupé  du  nouveau  règlement  de  la  préfecture  de  police,  on  a  attaqué  la  très 
brûlante  question  de  la  suppression  desdits  billets  et  de  leur  remplacement 
par  un  livre  d'entrées  gratuites.  Comme  dans  tout  syndicat  qui  se  respecte, 
on  a  été  loin  de  tomber  d'accord.  MM.  Messager,  Broussan.  Carré,  Porel. 
Carin,  Isola,  Franck,  Michau,  Guitry,  Fontanes,  Gémier,  Duplay,  entre  autres, 
sont  pour  la  suppression  radicale,  y  compris  celle  des  billets  d'auteur,  qu'on 
remplacerait  par  un  droit  Exe  payé  chaque  jour.  Mais  Mmes  Sarah  Bér.ihardt, 
Réjane,  MM.  Deval,  Antoine,  Hertz,  Héros  déclarent  nettement  ne  rien  vou- 
loir changer  à  l'état  de  choses  actuel.  En  conséquence,  on  n'a  pu  prendre  au- 
cune autre  décision  que  celle  de  se  réunir  à  nouveau  la  semaine  prochaine  et 
d'essayer  de  s'entendre  avec  la  commission  de  la  Société  des  auteurs. 

—  Le  Trianon-Lyrique  annonce  sa  réouverture  pour  le  19  de  ce  mois. 
M.  Félix  Lagrange.  qui  jouera  toujours  tour  à  tour  l'opéra,  l'opéra-comique 
et  l'opérette,  vient  de  très  sensiblement  augmenter  le  nombre  des  musiciens 
de  son  orchestre,  ce  dont  on  doit' le  féliciter. 

—  M.  Ed.  Colonne  est  parti  cette  semaine  pour  Londres.  Il  doit  y  diriger, 
les  15,  22  et  29  septembre,  au  Queen's  Hall,  trois  grands  concerts.  Puis  il  en 
interrompra  la  série  pour  venir  à  Paris  diriger,  les  1er  et  2  octobre,  deux  re- 
présentations de  l'Arlésienne  données  au  Trocadéro  par  les  Trente  ans  de 
Théâtre  et  la  Ligue  de  l'Enseignement. 

L'éminent  chef  d'orchestre  retournera  à  Londres  pour  y  diriger  six  concerts, 
consécutifs  cette  fois,  du  o  au  10  octobre. 

Le  17  octobre,  il  donnera  à  Lille  un  grand  concert  avec  son  orchestre,  et 
enfin,  le  dimanche  18,  il  présidera  à  la  réouverture  des  concerts  du  Chàtelet 
avec  la  156e  audition  de  la  Damnation  de  Faust,  avec  M.  Renaud,  qui  part  pour 
l'Amérique  aussitôt  après  celte  unique  audition. 

—  Subra.  la  gracieuse  ballerine  de  l'Opéra,  qui  vient  de  disparaître,  a  pensé 
aux  orphelines  de  ses  camarades.  Elle  lègue,  par  testament,  10.000  francs  à 
l'Orphelinat  des  Arts. 

—  On  annonce  l'engagement  aux  Variétés  de  M""  Jeanne  Ugalde,  qui  est 
la  fille  de  M"e  Marguerite  Ugalde  et  la  petite-fille  de  Mmc  Marguerite  Ugalde, 
l'inoubliable  créatrice  de  Galathêe.  La  jeune  artiste  a  donc  de  qui  tenir;  sou- 
haitons qu'elle  continue  heureusement  la  lignée  artistique  des  Ugalde. 

—  Le  dernier  volume  des  Correspondances  et  écrits  de  Hans  de  Bulow. 
publiés  par  M",e  Marie  de  Bulow  à  Leipzig,  va  paraître  très  prochainement. 
La  Ncue  Rundschau  de  Berlin  a  obtenu  la  communication  anticipée  de  quel- 
ques lettres  choisies  parmi  les  plus  intéressantes.  Nous  en  reproduisons  des 
extraits  dans  lesquels  on  appréciera,  chez  le  célèbre  chef  d'orchestre  et  pia- 
niste, une  justesse  d'appréciation  qui  surprendra  ceux  qui  ne  l'ont  jugé  que 
par  ses  colères  sarcastiques,  son  ironie  de  langage  et  ses  revendications  d'art 
impétueuses  et  véhémentes.  Il  écrit  à  Johannès  Brahms  :  «  Vois  !  Monsieur 
et  madame  Herzogenberg,  <>  relictis  ceteris  ».  pourront  t'admirer  peut-être 
avec  plus  d'intelligence  que  moi,  mais  aucun  ne  t'aimera  plus  profondément. 


Tu  as  été  la  lumière  qui  a  donné  l'essor  à  mon  sens  artistique,  le  monde  mu- 
sical te  devra  toutes  les  choses  belles  et  grandes  que  je  pourrai  lui  faire  con- 
naître dans  mes  dernières,  dans  mes  meilleures  années  de  vie  ».  Sur  Tschaï- 
kowsky  que  Bulow  avait  connu  i  Saint-Pétersbourg,  il  s'exprime  ainsi  qu'il 
suit  :  «  Personnellement,  c'est  un  des  hommes  les  plus  dignes  d'être  aimés 
que  j'aie  rencontrés  pendant  ma  carrière:  d'une  tolérance  absolue  et  parlant 
toujours  avec  éloge  de  ses  confrères;  en  un  mot,  un  exemplaire  de  choix  de 
l'humanité.  Né  en  1840,  ses  cheveux  sont  déjà  presque  blancs,  mais  il  e-i  od- 
core  plein  de  génie  et  de  jeunesse.  Quand  il  compose,  il  s'enferme  dans  la 
plus  complète  solitude.  Son  travail  est-il  fini,  sa  manière  cordiale  fait  la 
joie  de  ceux  qui  le  connaissent  et  l'entourent  de  leurs  sympathies  n.  Une 
communication  d'un  genre  tout  différent  a  été  adressée  à  M11''  Hélène  Uaff,  au- 
tpur  de  romans  édités  en  Allemagne,  qu'il  traitait  familièrement  comme  une 
nièce.  «  Après  trois  années  d'efforts,  j'ai  enfin  réussi  à  atteindre  le  but  que 
je  poursuivais.  Ecoute...  Je  suis  aimé.  Par  qui?  Par  le  chameau  du  jardin 
zoologique,  même  par  tous  les  deux,  mais  l'un,  —  je  l'ai  baptiié  du  uom 
d'Antar,  —  connaît  ma  voix,  me  salue,  m'accompagne  comme  un  petit  chien, 
courant  et  sautant.  Aujourd'hui,  dans  l'après-midi,  je  devrai  prendre  congé 
solennellement  des  animaux.  Il  n'est  pas  impossible,  —  car  cet  adieu  me  va 
vraiment  au  cœur, —  que  ton  fidèle  oncle,  si  ami  des  bêtes,  verse  quelques  larmes 
bien  senties  ». 

Dans  une  autre  lettre,  Bulow  avertit  un  de  ses  amis  de  se  défier  des  jour- 
naux qui  parlent  de  lui.  «  Ne  crois  jamais  sans  réserve,  écrit-il,  ne  crois 
même  pas  toujours  avec  réserve  ce  que  les  journaux  impriment  à  mon  sujet. 
Wolff  en  use  comme  il  lui  plait  et  ne  me  consulte  jamais  avant  de  me  mettre 
en  cause.  Après  avoir  l'ait  de  vains  essais  auprès  de  lui,  j'ai  fini  par  me  rési- 
gner ».  C'est  en  effet  ce  qu'il  pouvait  faire  de  mieux,  quitte  à  se  venger  avec 
esprit  à  l'occasion.  Ce  n'était  point  des  journalistes  qu'il  avait  le  plus  à  se 
plaindre  ;  les  personnages  officiels  ne  l'épargnaient  pas  et  il  le  leur  rendait 
bien.  On  en  peut  juger  par  l'histoire  suivante.  Un  soir  de  l'année  1887,  le 
comte  de  Hochberg,  intendant  des  théâtres  royaux  de  Berlin,  mécontent  de 
quelques  paroles  prononcées  publiquement  par  Bulow,  le  ht  expulser  de  l'Opéra- 
Royal.  Quelques  jours  après,  l'artiste  donnait  un  concert  à  la  Sing- Académie. 
Après  son  entrée  dans  la  salle,  accueillie  par  de  vifs  applaudissements  et  après 
l'exécution  d'une  sonate  qui  lui  avait  valu  une  ovation  chaleureuse,  le  célèbre 
pianiste,  se  remettant  au  piano,  préluda  par  quelques  mesures  magistrales  ; 
puis  soudain,  au  milieu  de  la  surprise  générale,  il  attaqua  sur  un  rythme 
fortement  accentué  le  fameux  air  des  Xoces  de  Figaro  sur  ces  paroles  si 
connues  :  «...  Si  M.  le  Comte  veut  essayer  un  bout  de  danse,  il  n'a  qu'à  me 
le  dire,  je  lui  jouerai  un  air  de  ma  façon...  »  Tout  le  monde  avait  compris; 
tout  le  monde  donnait  raison  à  Bulow  qui  avait  envoyé,  dit-on,  ses  témoins 
au  comte  de  Hochberg.  La  salle  éclata  en  joyeuses  et  bruyantes  acclamations  ■ 
le  public  de  la  Sing-Academie,  en  général  si  solennel,  témoignait  ainsi 
tumultueusement  sa  sympathie  à  l'artiste,  épousait  sa  cause  et  donnait  aux 
ovations  qu'il  lui  prodiguait  le  caractère  d'une  véritable  protestation.  Non 
seulement  Bulow  eut  les  rieurs  de  son  coté,  mais  il  en  avait  fait  des  complices 
et  ce  soir-là  le  comte  de  Hochberg  fut  tourné  en  ridicule  par  les  treize  cents 
personnes  qui  composaient  l'assistance.  A  tous  points  de  vue  l'artiste  s'était 
magistralement  vengé. 

—  Le  Théâtre  du  Peuple,  de  Bussang,  qui  est  le  premier  en  date  de  nos 
théâtres  en  plein  air  (il  est  à  sa  quatorzième  année),  et  que  notre  collabora- 
teur Arthur  Pougin  a  eu  l'occasion  de  faire  connaître  ici,  l'an  dernier,  dans 
tous  ses  détails,  a  donné  récemment  la  première  représentation  d'une  nou- 
velle œuvre  de  M.  Maurice  Pottecher,  le  Château  de  Hans.  pièce  légendaire  en 
quatre  actes  et  cinq  tableaux,  mêlée  de  chants  et  de  danses,  avec  musique  de 
M.  Lucien  Michelot.  C'est  une  pièce  fantastique,  moitié  prose,  moitié  vers, 
pleine  de  couleur  et  de  poésie,  dont  le  sujet  est  tiré  d'un  conte  populaire,  et 
qui  est  mise  en  scène  de  la  façon  la  plus  ingénieuse.  Fort  bien  joué  par  ses 
interprètes  amateurs,  qui  ont  su  lui  donner  son  véritable  caractère,  orné  d'une 
musique  aimable  et  bien  adaptée  au  sujet,  le  Château  de  Bans  a  obtenu  un  très 
vif  succès  et  a  été  reçu  avec  acclamations. 

—  Décentralisation.  Le  Grand-Théâtre  de  Lyon  annonce,  pour  cet  hiver,  la 
création  de  la  Glaneuse,  drame  lyrique  en  3  actes,  de  MM.  Arthur  Bernède  et 
P.  de  Choudens,  musique  de  M.  Félix  Foudrain. 

NÉCROLOGIE 

Après  Subra  et  Soubrier,  l'Opéra  vient  de  perdre  encore  une  artiste  du 
corps  de  ballet  en  la  personne  de  Mlle  Suzanne  Demaulde,  qui  succombe,  à 
peine  âgée  de  vingt -trois  ans,  à  une  fièvre  typhoïde. 

—  De  Florence  on  annonce  la  mort,  à  l'âge  de  84  ans,  de  Cesare  Bellie 
cioni,  père  de  la  grande  cantatrice  Emma  bellincioni.  Chanteur  lui-même,  il 
avait  appartenu  jadis  au  théâtre,  et  c'est  lui  qui  guida  sa  fille  à  ses  premiers 
pas  dans  la  carrière. 

—  A  Vienne,  une  jeune  actrice,  Mlle  Marie  Neidinger.  s'est  suicidée  sur  ;a 
tombe  de  sa  mère,  au  cimetière  de  Hernals,  en  se  tirant  un  coup  de  revolver. 
C'est  la  crainte  qu'elle  avait  d'être  frappée  de  paralysie  qui  la  poussa  à  cet  acte 
de  désespoir. 

Henri  Helgel,  directeur-gérant. 


296 


LE  MENESTREL 


En    l'ente   AU  MENESTREL,    2    bis,    rue    Vivienne,    HEUGEL    ET    O 

PROPRIÉTÉ    POUR   TOUS    PAYS 


éditeurs 


THEATRE    LYRIQUE 


VICTOR    JVIflSSÉ 

PAUL    ET    VIRGINIE 


THEATRE     LYRIQUE 


Ope. 


3  actes  et  6  tableaux,  de  JULES  BARBIER  et  MICHEL  CARRÉ 


Parution  piano  et  chant,  net  :  20  francs.  —  Édition  de  luxe  sur  Hollande,  reliée,  net  :  50  francs. 

Partition  chant  seul,  net  :  4  francs. 

Paolo  et  Virginia,  édition  italienne,  net  :  20  fr.  —  Paul  and  Virginia,  édition  populaire  anglaise,  net  :  10  fr. —  Paul  und  Virginia,  édition  allemande,  net  :  20  fr. 

Livrets  en  langue  italienne,  anglaise  et  allemande,  chaque,  net  :  1  franc. 


MORCKAUX     DÉTACHÉS,     CHANT     ET     PIANO 


3. 

3  bis. 
3  ter 

3  i"1 

4. 

4  bis. 

4  ter 

5. 

5  bis. 
5  ter 

6. 


Duo  des  deux  mères 7  30 

Couplets:  N' en  voue:- pas  le  je  une  mail  re{B.)  4     » 

Les  mêmes,  pour  ténor 4     » 

Les  mêmes,  pour  baryton  (un  ton  plus 

bas) 4     » 

Duo  :  Par  quel  charme,  dis-moi  (S.  T.).  7  30 

Gantabile,  extrait  (T.) 4    » 

Le  même,  un  ton  plus  bas -i     » 

Le  même,  une  tierce  plus  bas  (B.)  .   .  4     » 

Chanson  du  Négrillon  (S.) S     » 

La  même,  un  ton  plus  bas  (M. -S.)   .    .  3     » 

La  même,  une  tierce  plus  bas  (C.)    .    .  o     » 

Romance  :  Pardonnez-lui  (S.) 4     » 

La  même,  un  demi-ton  plus  bas  ...  4     » 

La  même,  une  tierce  plus  bas  (M. -S.).  4     » 

Chanson  du  Tigre  (M.-S.) S    » 

Les  numéros  3,  5,  7,  8, 14  et  13 
Les  numéros  1,  2,  3,  3  bis,  4,  5,  6,  7,  8 


8 
8  bis 
8  1er 


10  iis 
11 


La  même,  un  ton  plus  bas 

Romance  :  Nous  marchions  cette  nuit  (S.) 
.  La  mémo,  un  ton  plus  bas  (M. -S.)  .    . 

La  même,  chant  seul 

Chanson  :  L'oiseau  s'envole  (B.).   .    .    . 

La  même,  pour  ténor 

,  La  même,  pour  baryton  (un  demi-ton 

plus  bas) 

La  même,  un  ton  plus  bas  (Bse)  .    .    . 
Récit  et  duo   :   Ah!  ne  brise  pas   mon 

courage  (T.  M. -S.) 

Grand  duo  :  Virginie,  j'ai  retrouvé  ton 

cœur  (T.  S.) 

,  Le  même,  sans  récit:  .1///  puisque  tu 

nous  fuis 

Chœur  des  matelots 


sont  publiés  séparément  avec  accompagnement 
,  9,  10,  H,  12,  12  bis,  13,  14,  15,  15  bis  et  16 


12.   bT:Bniitsliiintains,chantsdsmatclols(S.) 

12  bis.  Andante,  extrait 

12  ter.  Le  même,  un  ton  plus  bas  (M. -S.).   . 
12  '"".  Le  même,  une  tierce  plus  bas  (C.)  .   . 
3     »  13.  Berceuse  :  Dans  le  bois, à  mi-voix  (M. -S.) 

3     »       13  bis.  La  même,  un  demi-ton  plus  haut  (S.). 

14.  Chanson  de  Méala  (M.-S.) 

14  bis.  La  même,  un  demi-ton  plus  has  .    .    . 

14  ter.  La  même,  un  ton  plus  bas  (C.)    .    .    . 

15.  Air  de  la  lettre  (T.) 

<       15  bis.  La  lettre  seule  (T.) 

15  ter.  La  même,  un  ton  plus  bas 

15  i"".  La  même,  pour  baryton 

16.  Chanson  créole  (S.) 

50      16  bis.  La  même,  un  ton  plus  bas  (M.-S.)  .   . 

16  ter.   La  même,  une  tierce  plus  bas  (C.)  .    . 

d'orchestre  pour  les  concerts  (location). 

sont  publiés  séparément  avec  paroles  italiennes. 


TRANSCRIPTIONS     POUR     PIANO,     DEUX     MAINS 


Partition  piano  solo,  net 12 


Ouvertur 


H.  Carré  . 
Dflioux.  . 
Ch.-L.  Hess 


Les  Silhouettes. 

n»37 

Fantaisie  facile.  . 
Transcription.  .  . 
Rêverie 


A.  Hjgnabd.  Mosaïque    .    .    .    . 
Lajarte.    .    .  Fragments   mélo- 
diques  

Mag.nus.    .    .  Souvenirs  .    .    .    . 
Nelstedt  .   .  Fantaisie    .   .   .   . 


7  50 
7  50 
6    » 


9    »  —  La  Forêt,  entr'acte  symphonique 7  50 


RUMMEL  . 
RïSLER  . 

Trojelli 


.   Caprice 6 

.  F'antasietta.   .    .    .  C 
.  Les  Miniatures, 

n"  99 3 


Trojelli    .    .  Les  Miniatures, 

n-  111 3    » 

R.  dbYkbac.  Bouquets  de  mélo- 
dies,3suites,ch.     7  50 


TRANSCRIPTIONS     POUR     PIANO,     QUATRE     MAINS 
Ouverture • 12     »  —  La  Forêt,  entracte  symphonique 


Bull  ....  Les  Silhouettes,  n°  37 
Rummel  .   .    .   Caprice 


Trojelli    .   .  Les  Miniatures,  n°  17 

R.  de Vilbac.  Bouquets  de  mélodies,  3  suites,  chaque. 


net.     1  30 
.    .    .     9    » 


DANSES     PIANO,     DEUX!     ET     QUATRE     MAINS 


Arban    .    .    .   Quadrille    ....  5  » 

—       ...       —       4  mains.    .  Ij  » 

_       ...  Polka 5  » 

Reato.  .   .   .  Polka 3  » 


Prix 

Deransart.  .  Quadrille    ....  5  » 

—  ...       —      4  mains.   .  6  » 
Javelot  .  .    .  Polka 5  » 

—  ...       —      4  mains.   .  6  o 


Javelot  .   .   .  Redowa 6    » 

Lasiothf.  .    .  Valse 6    » 

—       ...       —      4  mains.   .     7  30 


Talexv  .   .   .  Polka-Mazurka.   .     5    » 

—       ...       —      4  mains.   .     9     » 

Waldtéufél.  Valse 6    » 


TRANSCRIPTIONS     POUR.     INSTRUMENTS     DIVERS     ET 

Ouverture,  partition  net.     10    »;  parties  séparées,  net.     10    »  —  Entr'acte  symphonique,  partition,  net.     10 


ORCHESTRE 

»;    parties  séparées,  net. 


.  L'Opéra  concertant  n°  13  : 
Édition  pour  piano,  violon,  vio- 
loncelle (contrebasse  ad  libit.)  12     » 
Édition   pour   piano,    flûte   et 

violon  (contrebasse  ad  libit.) .  12     » 
Édition  pour  piano,  flûte  et  vio- 
loncelle (contrebasse  ad  libit.)  12    » 
.  L'Oiseau  s'envole,  mandoline 

seule net.     »  25 

.   Romance,  mandoline  seule,  net.     »  25 


Ardan   .    .    .  Quadrille,  orchestre.    .    .    .net.  1  25 

Beato.   .    .    .   Polka,  orchestre net.  1  '  » 

Briois    .    .    .   Fantaisie  pour  harmonie  .  net.  10     » 

Dancla  .    .    .   Fantaisie,  violon  et  piano  ...  9     » 

Deransart    .  Quadrille,  orchestre.   .    .    .net.  1  25 

Gariboldi.    .  2  suites,  flûte  seule,  chaque  net.  1     » 

—  ...  Fantaisie   dramatique,  flûte  et 

piano 7  50 

—  ...  2  suites,  violon  seul,  chaque  net.  1     » 
Herman.    .    .   Soirées  du  jeune  Flûtiste  n°  36 

(flûte  et  piano) 9    » 


Herman  . 


.  Soirées  du  jeune  violoniste  n°  36 

(violon  et  piano) 

Javelot.    .    .   Polka,  orchestre net. 

Lamotiie.   .    .   Fantaisie,  orgue  et  piano  .    .    . 
Nathan  .   .   .  Fantaisie,  violoncelle  et  piano  : 

lrc  suite 

2e  suite  

Vieuxtemps  et  Wolff.  Duo  concertant,  violon 

et  piano 

Tavan.   .    .    .   L'Opéra  symphonique  n"  13.  net 


—  (Encre  Lorilleui). 


40/53.  —  74"  AttÉE.  —  A0  38. 


PARAIT  TOUS  LES  SAMEDIS 


Samedi  i9  Septembre  1908. 


(Les  Bureaux,  2"",  rue  Tiyicnne,  Paris,  n-  uv) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


MÉNESTREL 


lie  fluméFo  :  0  fp.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Le  flaméro  :  0  fp.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Boas-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  — Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, 20  fr., Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  ans. 

SOMMAIRE-TEXTE 


1.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (30°  article),  Jolies  Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  reprise  de  Paul  et  Virginie,  au  Théatre-Lyriqne  de  la  Gaité,  Anrauii  Pougin 

première  rcpréf-nlalion  de  Mam'zel/e  Trompette,  aux  Folies-Dramatiques,  A.  Boutarel. 

III.  Une  famille  de  grands  luthiers  italiens  :  Les  Guarnerius  (9D  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
FEUILLES  MORTES 
mélodie  de  Raoul  Pug.no.  —  Suivra  immédiatement  :  Nuayes  dans  l'eau,  mé- 
lodie extraite  des  Poèmes  de  Jade,  de  Gabriel  Fabre. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
ROSES  DE  FRANCE 
gavotte,  de  Robert  Vollstedt.  —  Suivra  immédiatement  :  Lu  Friponne,  nou- 
velle polka-mazurka,  de  Rodolphe  Berger. 


SOIXANTE     ANS     DE     LA    VIE     DE     GLUCK 

(  XT  14- ITT- -4,) 


CHAPITRE    VII    :    L'éclosion   du   génie   :   Orfeo   ed   Euriclice 


Dans  sa  préoccupation  d'enrichir 
la  palette  des  sonorités,  Gluck  ne 
manque  aucune  occasion  qui  puisse 
être  profitable  pour  faire  entendre 
des  instruments  généralement  inusi- 
tés. C'est  ainsi  qu'au  premier  chant 
strophique  d'Orphée  :  Chiamo  il  mio 
ben  cosi  (Objet  de  mon  amour),  il 
accompagne  d'abord  la  voix  non 
seulement  par  la  flûte,  mais,  par  une- 
partie  de  chalumeaux  (l'antique  Schalmei 
décrit  par  Prétorius,  prototype  de  la 
clarinette)  ;  dans  la  seconde  strophe,  il 
fait  alterner  avec  elle  un  cor,  et,  dans 
la  troisième,  l'unit  à  deux  Corm 
inglese. 

Enfin,  s'il  advient  parfois  que  le 
drame  motive  l'emploi  effectif  d'un 
certain  instrument,  ce  n'est  pas  Gluck 
qui  le  remplacera  conventionnelle- 
ment  par  un  autre.  Il  représente  la 
lyre  d'Orphée  par  son  équivalent 
moderne,  la  harpe,  qu'on  n'avait 
plus  entendue  à  l'orchestre  depuis 
Monteverde  (1).  Quand  Orphée  exhale 
ses  plaintes  aux  échos  de  la  forêt, 
l'écho  répond  en  effet  :  placés  au  loin, 

(t)  Il  n'est  pas  d'ailinnations  du  genre  de  celle-ci 
qui  ne  soient  susceptibles  d'exceptions,  celles-ci 
n'infirmant  en  rien  le  fait  principal  :  comme  telle, 
je  citerai  un  épisode  du  Giulio  Cesare  deHaendel, 
où  une  apparition  des  Muses  sur  le  Parnasse  est 
accompagnée  d'un  concert  de  harpe,  théorbe  et 
violes  faisant  leur  partie  avec  les  hautbois  et 
violons. 


ne  Viardot  dans  Ori>hée  (Théâtre-Lyrique,  1859). 
D'après  l'Univers  illustré. 


les  violons,  unis  au  chalumeau, 
imitent  les  inflexions  de  sa  voix  ;  et 
ce  n'est  point  là  un  effet  facile  et 
vulgaire,  mais  un  sentiment  de  poésie 
virgilienne  se  dégage  de  ces  redites 
harmonieuses. 

On  pourrait  s'étonner  que,  dans 
une  orchestration  si  riche,  Gluck  ait 
négligé  la  trompette  :  c'est  que  l'ins- 
trument guerrier  n'avait  pas  son  uti- 
lisation dans  la  pastorale  mythologi- 
que (1).  D'ailleurs  il  ne  l'a  pas  com- 
plètement laissée  de  côté,  car  il  lui 
fait  exécuter  quelques  fanfares  dans 
l'ouverture,  morceau  dans  l'ancien 
style,  le  seul  de  la  partition  qui  ne 
réalise  pas  encore  les  idées  du  réfor- 
mateur. 

Enfin,  il  était  un  instrument  fort 
en  usage  en  son  siècle,  et  pour  lequel, 
dès  Orfeo,  il  manifeste  un  dédain 
complet  :  le  clavecin,  si  précieux 
pour  mettre  en  valeur  les  délicates 
dentelles  de  Couperin.  de  Scarlatti, 
de  Rameau,  mais  qui,  dans  l'accom- 
pagnement des  récitatifs  dramatiques, 
donne,  par  ses  sons  pointus  et  grêles, 


Il  La  trompette  joue  un  rûle  assez  important 
dans  la  partition  de  l'Orphée  français,  notamment 
dans  l'introduction  de  la  scène  des  Enfers.  Mais 
il  ne  faut  pas  oublier  que  nous  ne  parlons  ici 
que  de  l'Orfeo  de  1762,  dont  l'adaptation  posté- 
rieure fut,  à  tous  les  points  de  vue,  un  dévelop- 
pement. 


298 


LE  MÉNESTREL 


une  impression  de  monotonie,  et  en  même  temps  d'impuissance, 
à  l'évidence  de  laquelle  des  exhumations  récentes  ne  nous  ont 
point  permis  d'échapper.  Aussi  bien,  un  des  articles  du  code 
gluckiste  qui  sera  bientôt  formulé  est  qu'il  faut  éviter  les  dispa- 
rates entre  l'air  et  le  récitatif  :  l'emploi  du  clavecin  dans  le 
recitativo  secco  contribuait  à  accuser  ce  défaut;  Gluck  transfor- 
mera donc  désormais  tous  ses  récitatifs  d'opéras  en  récitatifs 
obligés,  et  leur  donnera  le  même  accompagnement  orchestral 
qu'aux  chants  les  plus  lyriques,  écartant  définitivement  le  cla- 
vecin du  théâtre. 

Quant  au  cbant  même,  Gluck  n'en  voudra  plus  concevoir  les 
formes  qu'en  suivant  la  seule  nature,  sans  plus  se  soucier  des 
coupes  plus  ou  moins  obligatoires  que  si  elles  eussent  jamais 
existé,  —  et  pas  davantage  des  convenances  des  virtuoses.  La 
première  fois  qu'Orphée  fait  entendre  sa  voix,  c'est  en  poussant 
un  cri  de  douleur  qui  domine  la  plainte  de  tout  le  chœur.  Dans 
les  strophes  lyriques  par  lesquelles  il  redemande  au  bocage 
celle  qui  lui  a  été  ravie,  il  déroule  un  chant  d'une  ligne  précise 
et  gracile,  premier  exemple  donné  dans  la  musique  moderne 
de  ce  style  néo-grec,  ou  plutôt  peut-être  latin,  dont  quelques 
maîtres  français  du  XIXe  siècle,  Berlioz  dans  certaines  pages 
des  Troyens,  Gounod  dans  Sapho,  M.  Massenet  dans  les  Erinnyes, 
ont,  et  parfois  avec  un  rare  bonheur,  .retrouvé  le  secret.  Il  est 
digne  de  remarque  que  les  trois  chants  principaux  d'Orphée, 
d'un  caractère  également  plaintif  (Objet  de  mon  amour,  Laissez- 
vous  toucher  par  mes  pleurs,  J'ai  perdu  mon  Eurydice),  sont  écrits 
dans  le  mode  majeur.  Pourtant,  leurs  mélodies  contiennent 
en  elles  une  expression  singulièrement  intense.  C'est  qu'au 
moment  où  il  les  a  conçues,  Gluck  était  encore,  dans  une 
certaine  mesure,  sous  l'influence  du  génie  italien,  qui  connaît 
l'art  d'accorder  la  beauté  de  l'expression  avec  celle  de  la  forme, 
et  de  mettre  de  la  lumière  jusque  dans  les  tableaux  les  plus 
sombres. 

Grétry,  très  digne  de  comprendre  Gluck,  a  fait,  au  sujet  des 
chants  d'Orphée,  une  observation  ingénieuse.  Voulant  dire  que 
la  musique  a  des  limites  qui  l'empêchent  de  se  hausserjusqu'au 
langage  des  dieux,  il  dit  :  «  Il  ne  faut  faire  chanter  ni  Apollon, 
ni  Orphée...  Lorsqu'Orphée  veut  forcer  le  Ténare,  l'air  de  Gluck 
ne  satisfait  pas  les  spectateurs,  qui  attendent  un  prodige  inouï 
en  musique  ;  cet  air  parait  froid,  et  le  serait  effectivement  si  les 
démons  ne  le  réchauffaient  par  leurs  cris.  Ce  sont  donc  les  dia- 
bles qui  opèrent  fortement  sur  les  spectateurs,  et  non  Orphée. 
Il  fait  naître,  il  est  vrai,  les  oppositions  qui  frappent  ;  mais  ne 
devrait-11  pas  frapper  lui-même  pour  être  auteur  principal  (1)?» 
Cela  peut  être  ;  il  est  bien  vrai  que  les  deux  strophes  par 
lesquelles  la  voix  d'Orphée  exerce  sa  séduction  sur  le  chœur  des 
esprits  infernaux  ne  surpasse  pas  en  beauté  les  autres  chants  de 
la  même  œuvre  :  et  s'il  en  est  ainsi,  c'est  sans  doute  que  Gluck 
n'a  pu  faire  mieux.  Un  moderne  aurait  été  plus  loin  peut-être, 
en  faisant  appel  aux  ressources  d'un  art  plus  avancé.  Mais  ÏOrfeo 
est,  avons-nous  dit,  une  véritable  œuvre  de  primitif,  et  l'on  ne 
conçoit  guère  comment,  sans  le  secours  d'aucun  artifice  et  avec 
des  ressources  aussi  restreintes,  —  une  voix,  une  harpe,  — 
Gluck  aurait  pu  donner  davantage.  Au  reste,  la  beauté  mélodique 
et  le  grand  style  du  chant  qui  alterne  avec  l'implacable 
monosyllabe  :  Deh  !  placatevi  con  me!  devrait  être,  ce  nous  semble, 
de  nature  à  satisfaire  aux  exigences  les  plus  rebelles. 

La  scène  entre  Eurydice  et  Orphée,  le  seul  dialogue  qu'il  y  ait 
dans  l'opéra,  n'offre  pas,  sans  doute,  de  beautés  musicales  aussi 
éminentes;  encore  le  chant  d'Eurydice  :  Che  fiero  momento  (Fortune 
ennemie)  est-il  du  meilleur  style  classique.  Pourtant  l'ensemble 
mérite  qu'on  en  reconnaisse  la  nouveauté,  et  celle-ci  est  l'effet 
de  la  complète  liberté  du  mouvement  général,  qui  persiste  à  ne 
se  point  soucier  des  formes  convenues,  des  symétries  imposées, 
et  ne  connaît  pas  d'autre  loi  que  de  suivre  les  péripéties  de  la 
scène.  On  trouverait  difficilement  des  exemples  semblables  dans 
les  opéras  de  Léo  ou  de  Pergolèse.  Donc,  sans  s'attarder  à 
d'inutiles  digressions,  la  musique,  de  plus  en  plus  haletante,  en 

(1)  Grétry,  Essais  suc  la  musique,  I,  :iil2. 


arrive  à  trouver  son  expansion  suprême,  non  pas  en  un  duo, 
mais  en  un  air  dont  la  sublime  beauté  expressive  n'a,  depuis 
un  siècle  et  demi,  et  malgré  quelque  abus  qui  en  fut  fait  parfois 
à  l'usage,  jamais  cessé  d'émouvoir  les  âmes  capables  de  ressentir 
le  charme  de  la  mélodie. 

J'ai  lu  pourtant,  à  une  époque  récente,  que  l'air  :  Tai  perdu 
mon  Eurydice  est  un  «  faux  bel  air  ».  Je  pense  que  cette  opinion 
est  de  même  famille  que  celle  de  cet  Athénien  qui  se  disait  las 
d'entendre  appeler  Aristide  le  juste.  «  Che  faro  senza  Euridice  » 
est,  au  contraire,  un  air  de  la  plus  grande,  la  plus  véritable 
beauté.  Mais  c'est  un  air.  C'est  même  un  rondeau,  forme  fixe 
dont  les  retours  périodiques  sont  éminemment  favorables  au 
lyrisme.  Serait-ce  ici  la  cause  des  modernes  sévérités  ?  Prétention 
singulière,  .qui  voudrait  interdire  à  Orphée  de  chanter  !  Car  le 
héros  du  drame,  ce  n'est  point  un  époux  quelconque,  et  son 
désespoir  a  droit  à  se  traduire  autrement  que  par  des  clameurs  ! 
C'est  Orphée,  dont  le  chant  vient  de  lutter  victorieusement 
contre  la  fureur  des  Enfers.  Poignante  est  l'émotion  qu'il  éprouve 
en  voyant  une  seconde  fois  morte  devant  lui  celle  qu'il  pensait 
avoir  reconquise  :  cependant,  il  n'en  reste  pas  moins  Orphée,  et 
sa  douleur  doit  s'exhaler  en  un  chant.  Pourquoi,  même,  ne 
saisirait-il  pas  sa  lyre,  pour  dire,  devant  celle  qui  l'inspira, 
l'hymne  suprême  de  sa  tendresse  ?  La  nature  du  personnage, 
aussi  bien  que  l'accent  de  la  musique,  justifierait  une  interpré- 
tation si  conforme  :  qui  sait  si,  par  ce  geste,  quelque  futur 
protagoniste  du  drame  n'en  rénoverait  pas  l'inépuisable  beauté? 

Donc  (il  faut  nous  y  résigner  I)  le  chant:  Che  faro  senza  Euridice 
est.  un  chant,  le  plus  beau  qu'on  puisse  entendre,  mais  d'une 
expression  peu  définie  —  peut-être  parce  qu'il  est  au-dessus  de 
toute  expression  —  «  la  Musique  »,  tout  au  moins  «  la  Mélodie  » 
en  soi.  Mais  sa  signification  est  précisée  par  le  voisinage  des 
motifs  secondaires,  où  la  précision  d'accent  n'est  pas  douteuse. 
C'est  d'abord  l'appel  angoissé  qui  suit  la  première  strophe  u 
Euridice!  Euridice! se  prolongeant  sur  la  tenue  aiguë  de  Rispondi! 
puis,  en  un  mouvement  plus  lent,  avec  l'expression  d'une  ten- 
dresse mêlée  à  une  inquiétude  mortelle,  aboutissant  au  chant 
désolé  :  Io  son  pure  il  tuo  fedel...  Il  n'est  pas  besoin  de  regarder 
la  scène  :  le  sentiment,  les  paroles,  l'accent,  le  contour  même  de 
la  musique,  tout  s'accorde  et  s'adapte  pour  commander  l'attitude 
du  personnage  :  Orphée  penché  sur  Eurydice,  épiant  un  dernier 
souffle  qui  pourrait  ramener  la  vie,  ne  voulant  pas  croire  encore.... 
On  voit  le  geste  —  tout  aussi  bien  que  l'orchestre  de  Wagner 
montre  les  mouvements  de  l'écharpe  d'Iseult.  Et,  après  la  reprise, 
quand  tout  espoir  s'est  effacé,  c'est,  par  trois  fois,  la  même 
descente  de  la  voix,  découragée,  morne  :  Piu  soccorso...  piu 
speranza  (Mortel  silence  !),  semblant  s'abandonner,  puis  rebondis- 
sant pour  atteindre  à  un  cri  strident,  —  après  quoi  le  chant 
principal  est  repris  encore,  et  continue  longtemps,  comme  s'il  ne 
pouvait  plus  s'arrêter,  s'exaltant  progressivement  pour  aboutir 
à  une  conclusion  où  s'exclame  avec  l'éclat  le  plus  vibrant  toute 
la  passion,  tout  le  désespoir  que  peut  contenir  l'âme  humaine. 

Gluck  a  dit  lui-même  de  l'air:  Che  faro  senza  Euridice  :  «  Si  l'on 
change  la  moindre  chose  dans  la  manière  de  l'exprimer,  il 
devient  une  danse  de  bouffons  (un  saltarello  da  Buratlini).  Une 
note  plus  ou  moins  tenue,  un  renforcement  négligé  du  mouve- 
ment ou  de  la  voix,  une  appoggiature  hors  de  place,  un  trille, 
un  passage,  une  roulade,  peuvent  ruiner  toute  une  scène  dans  un 
opéra  semblable,  —  tandis  que  le  même  changement  ne  fera 
rien  à  un  opéra  ordinaire,  ou  ne  contribuera  qu'à  l'embellir  (1)  ». 

(1)  Traduit  d'après  l'épitre  dédicatoire  de  Paride  ed  Elena.  Ce  passage  a  été 
fréquemment  cité,  mais  généralement  d'après  un  texte  français  qui  ne  Teproduit 
que  dans  des  termes  assez  éloignés  le  sens  de  l'italien  original. 

Madame  Pauline  Viardot,  lors  des  représentations  d'Orphée  au  Théâtre-Lyrique, 
qui  marquèrent,  après  un  oubli  de  plus  de  trente  ans,  la  résurrection  de  l'œuvre 
de  Gluck,  a  inauguré  pour  l'exécution  de  l'air  :  J'ai  perdu  mon  Eurydice,  une  tradition 
dont  le  mérite  principal,  indépendamment  des  qualités  personnelles  et  géniales 
de  l'interprète,  fut  d'être  basée  sur  la  conformité  absolue  du  geste  et  de  l'accent 
avec  le  sentiment  intime  et  les  formes  extérieures  de  l'œuvre,  ainsi  qu'avec  lalogiqne 
de  son  développement.  C'est  ainsi  qu'après  l'épisode  intermédiaire:  «C'est  ton  époux... 
Entends  ma  voix  qui  l'appelle  »,  le  chant,  exposé  en  premier  lieu  dans  son  mouve- 
ment naturel  de  bel  canto,  était  redit  par  elle  d'une  voix  défaillante,  en  une  attitude 
de  prostration,  avec  un  visage  navré,  —  tandis  qu'à  la  dernière  reprise,  après  le  cri 
tragique  :  «  Quel  tourment  déchire  .mon  cœur  »,  ce  même  chant  jaillissait  à  pleine  voix, 
a  avec  tous  les  cris,  tous  les   sanglots  d'une   douleur   éperdue  »    (expressions  de 


LE  MENESTREL 


299 


C'était,  de  la  part  de  l'auteur,  affirmer  que  l'inspiration  d'où  ce 
chant  est  sorti  tenait  aux  profondeurs  de  son  être,  et  proclamer 
la  sincérité  de  sa  création  d'art.  De  fait,  nul  ne  s'y  est  trompé, 
et,  depuis  bientôt  cent  cinquante  ans,  le  chant  de  Gluck  n'a 
jamais,  cessé  d'exercer  sa  puissante  séduction  sur  les  «  âmes 
sensibles  »,  comme  on  disait  en  son  temps,  —  comme  il  y  en  a 
sans  doute  encor  aujourd'hui,  sans  oser  le  dire. 

(A  suivre.)  Julien  Tiebsot. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


'Théâtre-Lyrique  (Gaité).  —  Reprise  de  Paul  et  Virginie,  de  Victnr  Massé 
(lo  septembre  1908). 
Voici  la  troisième  fois  que  l'opéra  de  Victor  Massé  se  présente  sur 
cette  scène  de  la  Gaité,  où  sa  première  apparition,  le  15  novembre  1876, 
fut  quasiment  triomphale,  à  l'époque  de  la  direction  du  regretté  Albert 
Vizentini.  Trois  ans  plus  tard,  le  24  décembre  1879.  on  l'y  retrouvait, 
sous  l'éphémère  administration  de  Martinet,  qui  avait  espéré  faire  re- 
naître le  Théâtre-Lyrique  à  la  Gaité.  Et  voici  qu'aujourd'hui,  alors 
qu'il  est  âgé  de  trente-deux  ans,  l'ouvrage  est  offert,  de  nouveau  au 
public,  sur  lès  mêmes  planches  où  il  obtint  d'abord,  comme  on  disait 
jadis,  «  le  baptême  du  succès  ».  (Sans  oublier  la  reprise  qui  eut  lieu  à 
l'Opéra-Comique  le  18  décembre  1894.) 

L'opéra  de  Massé  est  le  troisième  ouvrage  lyrique  inspiré  chez  nous 
par  le  délicieux  roman  de  Bernardin  de  Saint-Pierre.  Le  premier  est 
celui  du  grand  violoniste  Rodolphe  Kreutzer,  qui  parut  au  théâtre 
Favart  le  13  janvier  1791.  Dans  celui-ci,  le  poète,  Favières,  en  avait 
pris  à  son  aise  avec  le  chef-d'œuvre  du  romancier,  et  ne  s'était  pas  gêné 
pour  faire  un  dénouement  de  son  cru,  c'est-à-dire  que  la  tempête,  au 
lieu  de  se  produire  au  retour  de  Virginie,  avait  lieu  à  son  départ  ;  et 
alors,  Paul,  voyant,  du  haut  d'un  rocher,  le  naufrage  du  vaisseau,  se 
jetait  à  la  mer  et  sauvait  Virginie,  qu'il  ramenait  vivante  sur  le  ri- 
vage. Le  second  livret,  dû  à  un  nommé  Dubreuil  et  mis  en  musique 
par  Lesueur,  n'était  pas  moins  libre  dans  son  adaptation  du  roman.  Le 
second  Paul,  et  Virginie  (ou  le  Triomphe  de  la  vertu)  fut  représenté  au 
théâtre  Feydeau  le  13  janvier  1794. 

Malgré  l'incohérence  des  deux  iivrets,  les  deux  ouvrages  obtinrent 
du  succès,  sans  doute  surtout  grâce  à  leur  musique.  Du  premier,  celui 
de  Kreutzer,  un  chroniqueur  disait  alors  :  —  «  Le  public  pour  cette 
fois,  s'est  montré  juste  :  Paul  et  Virginie  jouit  encore  d'un  succès  dis- 
tingué... L'instant  du  naufrage  est  affreux,  et  il  est  rendu  avec  tant  de 
vérité  qu'on  a  peine  à  le  soutenir.  M.  Michu  et  Mme  Saint-Aubin  se 
surpassent  dans  leurs  rôles.  On  ne  saurait  porter  plus  loin  l'expression  • 
du  malheur  et  l'accent  de  ia  sensibilité  ».  Un  autre  parlait  ainsi  de 
celui  de  Lesueur  :  —  «  Cet  ouvrage  eut  du  succès,  pas  autant,  peut-être 
que  l'espéraient  l'auteur  et  les  directeurs  du  théâtre  Feydeau.  Il  con- 
tient de  belles  parties,  entre  autre  l'Hymne  au  Soleil  qui  ouvre  la  pièce 
{et  qui  a  eu  plus  d'une  fois  l'honneur  de  l'exécution  aux  concerts  du 
■Conservatoire).  Mais  ce  qui  frappa  surtout  les  spectateurs,  ce  fut  la 
scène  de  la  tempête,  où  le  compositeur  avait  mis  toute  sa  science  du 
pittoresque  ;  le  public  applaudit,  et  admira,  et  l'on  s'accorda  à  trouver 
que  Lesueur  possédait  une  rare  puissance  de  description.  On  vanta  la 
richesse  de  sa  palette,  la  force  de  sa  couleur,  la  terrifiante  sonorité  de 
cet  orchestre  en  qui  semblaient  gronder  toutes  les  fureurs  de  l'Océan  ». 
Cela  nous  paraîtrait  probablement  bien  pauvre  aujourd'hui,  après  les 
orgies  de  sonorité  que  nous  connaissons  et  auxquelles  M.  Richard 
Strauss  vient  de  mettre  le  comble.  II  est  certain  que  Berlioz,  élève  de 
Lesueur,  a  singulièrement  «  dégoté  »  son  maitre  sous  ce  rapport. 

La  tempête  de  Massé  n'a  rien,  elle,  d'effrayant  ;  mais  on  a  réentendu 
la  partition  avec  un  visible  plaisir,  et  on  en  a  souligné  les  plus  jolies 
pages,  celles  qui,  dès  le  premier  jour,  avaient  produit  le  plus  de  sensa- 
tion, soit  par  leur  grâce,  soit  par  leur  poésie,  soit  par  leur  originalité. 
Sous  ce  rapport  on  a  fait  fête  aux  deux  mélodies  touchantes  du  nègre 
Domingue  :  N'envoyé:  pas  le  jeune  maitre  vers  les  pays  lointains  et  l'Oi- 
seau vole,  à  la  seconde  surtout,  qui  a  été  chantée  d'une  façon  délicieuse 
51.  Simard  ;  à  qui  toute  la  salle  l'a  redemandée.  On  a  applaudi  de 
même  la  chanson  sauvage  et  pleine  de  couleur  de  Méab  : 

Parmi  les  lianes, 
Au  fond  des  savanes, 
Le  tigre  est  couché.... 

Berlioz).  L'on  ne  saurait  trop  admirer  l'idée  d'une  si  puissante  interprétation,  —  à 
laquelle  il  ne  pourrait  y  avoir  àredire  que  si  l'on  devait  craindre  qu'une  imitation 
mal  comprise  substituât  à  la  sincérité  de  l'accent  une  convention  nouvelle,  et  surtout 
que  le  chanteur  n'y  trouvât  qu'un  prétexte  à  des  effets  de  voix  aux  dépens  de  l'ex- 
pression intime. 


Mais  il  y  a  des  morceaux  plus  importants  dans  cette  partition  loullïn-, 
entre  autres  le  joli  duo  d'entrée  de  Paul  et  Virginie,  d'où  se  détache 
cette  phrase  suave  de  Paul  :  Par  quel  charme,  dis-moi,  m'as-lu  donc 
enefianté?  puis  l'intéressant  trio  auquel  donne  lieu  l'arrivée' de  Méala 
venant  implorer  secours  et  assistance.  La  page  la  plus  importante  de 
l'œuvre  est  assurément  le  grand  morceau  d'ensemble,  solidement  cons- 
truit, dans  lequel  les  deux  enfants  viennent  justement  demander  au 
planteur  la  grâce  de  la  négresse  fugitive  et  qui  contient  cette  phrase  si 
attendrie  et  si  louchante  de  Virginie:  Pardonnez-lui!...  A  signaler  en- 
core la  scène  de  l'a  vision  de  Paul,  qui  csi  aussi  bien  établie,  par  un 
homme  qui  connaissait  son  art  et  son  métier...  Mais  je  m'arrête  pour 
ne  pas  tourner  au  catalogue. 

On  sait  combien  était  superbe  la  première  interprétation  'le  /'<<»/  et 
Virginie,  avec  MM.  Capoul  (Paul).  Bouhy  ( Domingue;,  Melchis-éd.-c 
(Sainte-Croix),  M""  Cécile  Ritter,  aujourd'hui   M"1"  Ciampi  (Virginie), 

M Sallard  (M™  de  La  Tour)  et  M Téerai  I  Marguerite)  ;  c'était  un  env 

chantmient.  Aujourd'hui,  le  rôle  de  Virginie  est  tenu  d'une  façon  char- 
mante par  une  artiste  tout  à  fait  aimable,  M"';  Angèle  Poi-not,  que  nous 
avions  entendue  déjà  à  l'Opéra-Comique.  et  qui  a  fait  preuve  non  seu- 
lement d'un  latent  très  réel  de  cantatrice,  mais  de  vraies  qualités  de 
comédienne.  Elle  a  été  touchante,  simple  et  pleine  de  grâce.  M.  David 
Devriès,  qui  joue  Paul,  sort  aussi  de  l'Opéra-Comique  :  sa  voix  manque 
malheureusement  un  peu  de  timbre  et  de  caractère,  et  il  est  parfois 
obligé,  pour  la  circonstance,  de  la  forcer  plus  qu'il  ne  faudrait.  M.  Si- 
mard a  obtenu  un  succès  très  mérité  dans  le  personnage  de  Domingue. 
et  M.  Maxime  Viaud  est  excellent  dans  celui  du  planteur  Sainte-Croix. 
Enfin,  Mmu  Georgiadès  s'est  distinguée  dans  le  rôle  delà  négresse  Wéala 
et  l'ensemble  est  bien  complété  par  M™  Lemeignan  (M""  de  La  Toun 
et  Mmt'  Bérat  (Marguerite).  Un  bon  point  à  M""  Reine  Leblanc,  qui  a 
fort  gentiment  chanté  le  couplet  du  négrillon. 

AnTHTIl  Poccix. 


Folies-Dramatiques.  —  Mhm'seUè  Trompette,  opérette  en  trois  actes  de 
MM.  Maurice  Desvallières  et  Paul  Mnncousin.  musique  de  M.  Th.  Hirlemaiin. 

Au  moment  où  dans  toutes  les  grandes  villes  de  l'Europe  s'établis- 
sent de  nouveaux  théâtres  d'opérette,  il  faut  louer  sans  réserve  le  nou- 
veau directeur  des  Folies-Dramatiques.  M.  Roger  Debrenne.  d'avoii 
compris  que  Paris  ne  saurait  s'en  passer.  Et  voici  que  la  Fortune 
moins  aveugle  qu'on  ne  le  dit,  favorise  déjà  son  initiative  et  fait  un 
succès  du  premier  ouvrage  qu'il  nous  présente.  Reconnaissons  d'ailleurs 
que  les  auteurs  de  la  pièce  et  celui  de  la  musique  ont  particulièrement 
réussi  dans  leur  tâche.  Écoutez  maintenant  cette  histoire  : 

Le  galant  Martignol,  élève-officier  de  l'école  de  Saumur.  a  fait  la 
connaissance  de  M""  Paillette  au  Concours  hippique  de  Paris.  C'est  un 
joli  brin  de  diva,  cette  Mlk'  Paillette,  fine  et  mignonnette  en  toute  sa  per- 
sonne. Elle  a  suivi  à  Saumur  son  bel  amoureux  et  s'est  introduite  dans 
l'école,  tapie  au  fond  d'un  sac  et  portée  par  des  hommes  de  corvée.  Il  y 
a  bien  là  le  commencement  d'une  aimable  idylle  au  son  de  la  trom- 
pette, mais,  voyez  la  malechance,  Paillette,  arrivée  inopinément,  trouve 
son  ami  en  conversation  légère  avec  Mlle  Carabine,  la  blanchisseuse  de 
l'école.  Comment  va-t-elle  se  venger  ?  Oh  !  elle  n'est  pas  en  peine  ;  il  lui 
suffira  d'accueillir  les  hommages  de  l'adjudant-major  Duruchard.  com- 
mandant de  l'école,,  et,  en  demoiselle  fine  et  bien  apprise,  elle  saura  ne 
faire  qu'à  bon  escient  dans  l'avenir  un  pas  décisif,  n'en  ayant  jamais 
fait  dans  lep  assé. 

Le  lendemain  il  y  a  grande  fête  de  nuit  dans  les  jardins  de  la  baronne, 
châtelaine  de  la  Citanguctte.  Paillette  doit  y  jouer  une  petite  comédie 
à  trois  personnages  ;  mais  ses  deux  partenaires  ayant  fait  défaut  par 
suite  d'un  accident  d'automobile,  on  trouve,  pour  les  remplacer,  d'abord 
un  soi-disant  choriste  dont  nul  ne  sait  le  nom.  ensuite  le  commandant 
Duruchard  lui-même,  heureux  de  faire  doublement  sa  cour  à  la  baronne 
et  à  Paillette.  Car,  dans  la  pièce.  Paillette  représente  une  jeune  fille 
qu'il  doit  courtiser,  et,  comme  on  peut  le  croire,  il  se  met  en  mesure 
sans  se  faire  prier.  Mais  le  choriste  ne  l'entend  pas  ainsi  :  son  rôle  est 
celui  d'un  père  gêneur  ;  il  en  profite  hardiment  pour  maltraiter  Duru- 
chard. Il  usurpe  même  le  personnage  de  ce  dernier  sous  prétexte  de  lui 
apprendre  de  quelle  manière  il  doit  le  jouer,  et  adresse  a  Paillette,  qui 
reconnaît  en  lui  Martignol.  une  déclaration  si  empressée,  si  tendre,  si 
touchante,  que  la  jeune  fille  pardonne  au  repentir  de  son  ami  et  con- 
sent à  l'épouser,  se  promettant  bien  de  le  rendre  fidèle.  Duruchard  se 
trouve  triplement  sot  et  ridicule,  devant  Paillette  et  Martignol  qui  le 
bernent,  et  devant  le  trompette  de  l'école  de  Saumur,  le  soldat  Cauas- 
son,  qui  triomphe  en  secret  de  l'humUiation  de  son  supérieur. 

Ici  se  place  l'incident  qui  a  valu  le  surnom  de  Mam'zelle  Trompette  à 


300 


LE  MÉNESTREL 


notre  gentille  héroïne.  Voulant,  après  la  fête  chez  la  baronne,  rentrer 
dans  l'école  avec  Martignol,  elle  a  dérobé  l'uniforme  du  trompette 
Canasson  afin  de  pouvoir  franchir  le  seuil  sans  être  arrêtée  par  le 
factionnaire.  Mais  au  moment  où  elle  sort  du  pavillon  du  jardin,  por- 
tant, galons,  pompons,  épaulettes.  et  se  campe  devant  tois,  fluette  et 
menue  comme  une  poupée  qui  jouerait  aux  soldats,  Duruchard,  la  pre- 
nant pour  le  trompette  Canasson,  la  fait  conduire  à  la  salle  de  police 
pour  avoir  enfreint  une  consigne.  Au  dénouement,  tout  le  monde  se 
retrouve  à  cinq  heures  du  matin  dans  la  cour  de  l'école,  et  chacun  a 
repris  son  nom  et  son  sexe.  Duruchard  pardonne  à  Paillette  et  à  Mar- 
tignol et  les  pousse  dans  les  bras  l'un  de  l'autre.  Espérons  que  les 
règlements  de  Saumur  leur  permettront  de  se  marier. 

La  musique  de  Mam'zeile  Trompette  est  agréable  et  facile.  Elle  traduit 
en  joyeuses  ariettes,  en  petites  romances  et  en  duos  pleins  de  bonne 
humeur,  les  situations  d'un  scénario  dans  lequel  perce  une  fois  ou 
deux  la  note  sentimentale.  La  mélodie  de  Martignol,  Après  la  chute 
meurtrière,  possède  un  petit  accent  suave  et  doux  et  sa  mièvrerie  même 
lui  prête  une  apparence  de  laisser-aller  délicieux.  On  a  bissé  l'amusant 
duetto  Fais  comme  moi,  m'a  dit  ma  mère,  un  des  meilleurs  morceaux  de 
la  partition,  et  beaucoup  de  couplets  ont  dû  être  répétés  aux  acclama- 
tions de  la  salle  entière.  M.  Hirlemann  a  su  donner  une  allure  humo- 
ristique à  sa  musique.  Son  orchestration  qui.  certes,  n'a  rien  de 
recherché,  nous  offre  parfois  de  petites  surprises  anodines  qui  réjouis- 
sent l'oreille.  Rarement  il  est  vrai,  mais  quelquefois  pourtant,  le 
rythme  est  marqué  par  les  cuivres  et  la  percussion  d'une  manière  un 
peu  lourde  et  vulgaire  ;  un  artiste  peut  éviter  facilement  cet  ccueil  et  il 
y  a  trop  de  charmantes  pages  dans  Mam'zeile  Trompette  pour  que  l'on 
ne  regrette  pas  d'en  rencontrer  quelques-unes  dont  la  contexture  est 
banale  et  peu  consistante. 

M"c  Marise  Fairy,  transfuge  de  l'Opéra-Comique,  sait  chanter  et  dire 
avec  une  grâce  espiègle  et  mutine.  Elle  conserve  à  son  personnage  une 
tenue  suffisamment  discrète,  ce  qui  a  produit  un  contraste  piquant,  les 
partenaires  de  la  charmante  divette  jouant  tous  dans  le  genre  bouffe. 
Elle  aurait  tort  assurément  de  changer  sa  manière,  car  chez  l'actrice- 
chanteuse  ou  diseuse,  la  réserve  dans  le  jeu  et  le  gaste  est  une  coquetterie 
qui  ne  manque  jamais  son  effet.  M.  Chadal  a  rendu  très  agréablement 
ses  petites  strophes  ou  répliques  galantes  d'amoureux.  Mm's  Jane  Dyt 
et  Gabrielle  de  Luza  ont  détaillé  avec  entrain  les  couplets  de  l'amidon 
et  la  chanson  du  beau  colonel  ;  il  y  a  eu  plusieurs  bis  pour  elles.  Enfin 
MM.  Jordanis  et  Fernal  se  sont  montrés  des  comiques  d'une  amusante 
désinvolture. 

Il  y  a  dans  ce  spectacle  tous  les  éléments  d'un  succis. 

Amédée  Bui-tahel. 


UNE  FAMILLE  DE  GRANDS  LUTHIERS  ITALIENS 

LES    GUARNERIUS 


JOSEPH    GUARNERIUS   DEL    GESU 
III 

LES  INSTRUMENTS  DE  JOSEPH  GARNERIUS  DEL  GESU 

Les  instruments  italiens  étaient  encore  à  peu  près  inconnus  en 
France  lorsque  l'illustre  violoniste  Viotti  arriva  à  Paris  et  so  fit 
entendre  au  Concert  spirituel  en  1782.  Viotti  apportait  avec  lui  et 
jouait  un  superbe  violon  de  Stradivarius,  qui  produisit,  auprès  des 
artistes  et  des  amateurs,  presque  autant  de  sensation  que  son  incom- 
parable talent.  Cet  instrument,  d'une  sonorité  si  nouvelle  et  si  péné- 
trante, excita  l'admiration  de  tous  et  rendit,  aussitôt  et  du  premier 
coup,  le  nom  de  son  auteur  populaire  dans  le  monde  musical.  Ce  n'est 
que  beaucoup  plus  tard,  et  plus  lentement,  que  celui  de  Joseph  Guar- 
nerius  conquit  à  son  tour  la  renommée  dont  il  était  digne.  De  môme 
que  l'arrivée  de  Viotti  avait  rendu  Stradivarius  célèbre  parmi  nous, 
c'est  la  venue  de  Paganini  avec  son  Guarnerius  qui  mit  en  lumière  le 
talent  du  grand  luthier  et  commença  à  faire  rechercher  activement  ses 
produits.  L'abbé  Sibire,  nous  l'avons  vu,  parlait  de  lui  sur  un  ton  un 
peu  dédaigneux  :  il  allait  avoir  sa  revanche,  grâce  au  violon  de  Paga- 
nini. L'histoire  de  ce  violon,  qui  était  daté  de  1743,  c'est-à-dire  de  la 
plus  belle  époque  du  maître,  est  curieuse  et  mérite  d'être  racontée. 
Fétis,  qui  eut  des  relations  étroites  avec  le  grand  violoniste,  et  qui,  lors 
du  séjour  de  celui-ci  à  Paris,  l'aida  puissamment  pour  combaltre  les 
calomnies  dont  il  était  victime,  donne  à  ce  sujet  des  détails  intéressants. 


Tout  jeune  encore  à  l'époque  dont  il  parle,  Paganini  venait  d'échapper 
comme  par  miracle  à  la  tutelle  de  son  père,  dont  la  sévérité  allait 
jusqu'à  la  cruauté,  et  parcourait  déjà  l'Italie  au  bruit  des  applaudisse- 
ments que  provoquait  son  talent  précoce  : 

L'année  1799  venait  de  commencer,  dit  la  biographe,  et  Paganini  n'était 

âgé  que  de  quinze  ans.  Cet  âge  n'est  pas  celui  de  la  prudence.  D'ailleurs 
son  éducation  morale  avait  été  absolument  négligée,  et  la  sévérité  dont  sa 
jeunesse  avait  été  tourmentée  n'était  pas  propre  à  le  mettre  en  garde  contre 
les  dangers  d'une  vie  trop  libre.  Livré  à  lui-même  et  savourant  avec  délices 
l'indépendance  nouvelle  dont  il  jouissait,  il  se  lia  avec  des  artistes  d'un  autre 
genre,  dont  l'habileté  consistait  à  inspirer  le  goût  du  jeu  aux  jeunes  gens  de 
famille,  et  à  les  dépouiller  en  un  tour  de  main.  En  une  soirée,  Paganini  per- 
dait ainsi  souvent  le  fruit  de  plusieurs  concerts,  et  se  jetait  dans  de  grands 
embarras.  Mais  bientôt  son  talent  lui  fournissait  de  nouvelles  ressources,  et 
pour  lui  le  temps  s'écoulait  dans  cette  alterna'ive  de  bonne  et  de  mauvaise 
fortune.  Quelquefois  sa  détresse  allait  jus  |u'à  le  priver  de  son  violon.  C'est 
ainsi  que,  se  trouvant  à  Livourne,  il  dut  avoir  recours  à  l'obligeance  d'un 
négociant  français,  M.  Livron,  grand  amateur  de  musique  qui,  s'empressa  de 
lui  prêter  un  excellent  instrument  de  Guarneri.  Après  le  concert,  Paganini  le 
reporta  à  son  propriétaire,  mais  celui-ci  s'écria  :  «  Je  me  garderai  de  profa- 
ner des  cordes  que  vos  doigts  ont  touchées  ;  c'est  à  vous  maintenant  que  ce 
violon  appartient.  »  C'est  ce  même  instrument  qui  depuis  lors  a  servi  à  Paga- 
nini dans  tous  ses  concerts  (1). 

Ainsi  donc,  c'est  à  la  passion  du  jeu  que  Pagauini  dut  la  joie  de  pos- 
séder un  instrument  superbe  et  qu'il  ne  devait  plus  quitter.  Et  c'est 
pourtant  encore  à  la  passion  du  jeu  qu'il  sa  vit  un  jour  sur  le  point  de 
perdre  cet  instrument  : 

...  Il  était  à  craindre,  dit  encore  Fétis,  que  cette  existence  désordonnée  ne 
perdit  le  grand  artiste  :  une  circonstance  imprévue  et  de  haute  importance, 
rapportée  par  lui-même,  le  guérit  tout  à  coup  de  la  funeste  passion  du  jeu. 
Ecoutons  Paganini  parler  à  ce  sujet  :  —  «  Je  n'oublierai  jamais,  dit-il,  que  je 
me  mis  dans  une  situation  qui  devait  décider  de  toute  ma  carrière.  Le  prince 
de  ***  avait  depuis  longtemps  le  désir  de  devenir  possesseur  de  mon  excel- 
lent violon,  le  seul  que  je  possédasse  alors,  et  que  j'ai  encore  aujourd'hui.  Un- 
jour,  il  me  fit  prier  de  vouloir  bien  en  fixer  le  prix,  mais,  ne  voulant  pas  me 
séparer  de  mon  instrument,  je  déclarai  que  je  ne  le  céderais  que  pour  2S0  napo- 
léons d'or.  Peu  de  temps  après,  le  prince  me  dit  que  j'avais  vraisemblablement 
plaisanté  en  demandant  un  prix  si  élevé  ds  mon  violon,  mais  qu'il  était  dis- 
posé à  me  le  payer  2.000  francs.  Précisément,  ce  jour-li,  je  me  trouvais  en 
grand  embarras  d'argent,  par  suite  d'une  assez  forte  perte  que  j'avais  faite  au 
jeu,  el  j'étais  presque  résolu  de  céder  mon  violon  pour  la  somme  qui  m'était 
offerte,  quand  un  ami  vint  m'inviter  à  une  partie  pour  la  soirée.  Tous  mes 
capitaux  consistaient  alors  en  trente  francs,  et  déjà  je  m'étais  dépouillé  de. 
tous  mes  bijoux,  montre,  bigies,  épingles,  etc.  Je  pris  aussitôt  la  résolution 
de  hasarder  cette  dernière  ressource,  et,  si  la  fortune  m'était  contraire,  de 
vendre  le  violon  pour  la  somme  offerte,  et  de  partir  pour  Pétersbourg,  sans 
instrument  et  sans  effets,  dans  le  but  d'y  rétablir  mes  affaires.  Déjà  mes 
trente  francs  étaient  réduits  à  trois,  et  je  me  voyais  en  route  pour  la  grande 
cité,  quand  la  fortune,  changeant  en  un  clin  d'œil  nie  fit  gagner  160  francs 
avec  le  peu  qui  me  restait.  C3  moment  favorable  me  fit  conserver  mon  vio- 
lon et  me  remit  sur  pied.  Dspuis  ce  jour,  je  me  suis  retiré  du  jeu  auquel 
j'avais  consacré  une  partie  do  ma  jeunesse,  et,  convaincu  qu'un  joueur  est 
partout  méprisé,  je  renonçai  pour  jamais  à  ma  funeste  passion.  » 

Le  biographe  italien  le  plus  sérieux  de  Paganini,  Conestabile,  nous 
fait  connaître  comment  il  traitait  son  instrument  favori  :  —  «  Il  faut 
savoir  que  Paganini  conservait  son  fameux  instrument  Guarnerio,  qu'il 
avait  avec  lui,  dans  une  petite  caisse  qui  lui  servait  en  même  temps  à 
serrer  son  argent,  quelques  petits  bijoux,  et  aussi  un  peu  de  linge  fin, 
car  il  n'emportait  autre  chose,  en  voyage,  qu'un  étui  à  chapeau  et  un 
petit  sac  de  nuit.  C'est  pourquoi  il  appelait  plaisamment  cette  petile 
caisse  son  «  nécessaire  »  (2). 

Le  même  écrivain  nous  raconte  une  petite  aventure  dont  le  fameux 
violon  fit  les  frais  :  —  «  J'ai  dit  que  Paganini  jouait  dans  ses  concerts 
un  Guarnerius.  Or,  un  jour  qu'il  avait  monté  ce  violon  avec  le  plus 
grand  soin,  quelques  envieux,  dans  une  ville  d'Allemagne,  substi- 
tuèrent au  sien  un  mauvais  violon,  espérant  ainsi  l'insuccès  de 
l'artiste;  mais  ce  fut  en  vain,  car  il  exécuta  sa  musique  avec  le  même 
violon,  et  l'auditoire  ne  s'aperçut  point  du  changement.  Ce  fait  est  une 
réponse  à  ceux  qui  ont  accusé  Paganini  de  ne  savoir  montrer  son  habi- 
leté que  sur  son  propre  violon.  Il  est  pourtant  vrai  que,  comme  tous 
les  violonistes,  il  n'aimait  pas  jouer  à  l'improviste  sur  un  violon  autre 
que  le  sien,  et  particulièrement  pour  la  musique  de  chambre,  qui  du 
reste  n'était  pas  le  genre  cultivé  surtout  par  lui.  » 

Paganini,  qui  possédait  plusieurs  autres  beaux  instruments  de  grande 
valeur,  parmi  lesquels  un  superbe  Stradivarius  dont  il  avait  refusé 
20.000  francs,  un  excellent  Amati  et  un  charmant  Guarnerius  de  tout 
petit  patron,  avait  voué  à  son  grand  Guarnerius  une  affection  qui  con- 

(1)  Notice  biographique  sut-  Nicolo  Paganini  (Paris,  Schonenberger,  1851,  in-8°). 
(-2)  Conestabile  :  Yita  di  Niccolo  Paganini  (Pérouse,  Bartelli,  1851,  in-8"). 


LE  MENESTREL 


301 


fluait  à  l'adoration.  C'est  à  ce  point  que,  ne  voulant  pas  qu'un  autre 
artiste  pût  s'en  servir  après  lui,  il  le  légua  en  mourant,  par  testament, 
à  la  municipalité  de  Gènes,  sa  ville  natale.  Celle-ci  l'a  conservé  avec  le 
plus  grand  soin  (un  soin  même  excessif,  comme  on  va  le  voir),  dans 
une  vitrine  construite  ad  hoc,  dont  il  n'est  sorti  qu'une  seule  fois,  dans 
une  circonstance  spéciale,  ainsi  rappelée  par  George  Hart  :  —  «  Vieux- 
temps,  dont  nous  pleurons  tous  la  perte,  nous  apprend  que  la  seule 
fois  que  cet  instrument,  si  riche  en  souvenirs,  fut  relire  de  la  vitrine 
où  il  repose  depuis  tant  d'années,  ce  fut  à  l'occasion  d'un  concert  donné 
au  profit  des  pauvres  de  Gênes  et  dans  lequel  il  fut  permis  à  Sivori  de 
jouer  sur  un  violon  si  précieux  à  tant  de  titres  (1).  Jusqu'alors,  un 
ruban,  enroulé  autour  de  l'instrument,  avait  été  collé  sur  le  dos.  pour 
y  attacher  le  sceau  de  la  corporation  municipale,  —  une  bien  mauvaise 
inspiration,  disons-le,  d'y  fixer  les  insignes  de  l'autorité,  car  lorsqu'il 
fallut  détacher  sceau  et  ruban  pour  remettre  le  violon  entre  les  mains 
de  Sivori,  le  sceau  malencontreux  emporta  un  morceau  du  magnifique 
vernis  de  Guarnerius  (2). 

Un  dernier  incident  se  rapporte  au  Guarnerius  de  Paganini.  Les 
Américains,  qui  ne  doutent  de  rien,  et  qui  ont  la  conviction  que  l'on 
peut  tout  avoir  avec  de  l'argent,  s'avisèrent  un  jour  de  convoiter  l'ins- 
trument qui  est  pour  les  Génois  un  si  cher  souvenir.  Tranquillement, 
deux  d'entre  eux,  sans  doute  des  négociants  spéciaux,  écrivirent  à  la 
municipalité  de  Gênes  pour  lui  proposer,  sans  autres  préliminaires, 
l'achat  du  violon  de  Paganini,  pour  lequel  ils  offraient  une  somme  de 
15.000  dollars,  soit  75.000  francs.  Leur  offre  ayant  été  déclinée,  ils 
revinrent  à  la  charge,  élevant  la  somme  jusqu'à  100.000  francs.  Cette 
fois,  la  réponse  fut  si  nette  qu'ils  durent  se  le  tenir  pour  dit  et  renoncer 
à  la  réalisation  de  leur  désir. 

Le  prix  des  beaux  violons  de  Guarnerius  del  Gesù  a  suivi,  quoique 
plus  lentement,  une  marche  ascendante  semblable  à  celle  des  Stradi- 
varius, qu'il  égale  aujourd'hui.  «  Dans  ma  jeunesse,  écrivait  Fétis  en 
1862.  on  pouvait  acquérir  un  de  ses  meilleurs  violons  pour  1.200  francs  ; 
on  les  paie  aujourd'hui  6.003  francs  et  même  plus.  »  De  son  côté. 
M.  Albert  Fuchs,  dans  son  livre,  Taxe  der  Strekh-Iiutrumente,  indique 
ainsi  la  valeur  successive  des  Guarnerius  del  Gesù  :  —  «  Dans  les  pre- 
mières années  du  dix-neuvième  siècle,  1.000  à  1.200  francs  pour  les 
plus  beaux  violons.  Ce  prix  ne  tarda  pas  à  monter  jusqu'à  6  ou 
7.000  francs.  Actuellement  il  oscille  entre  15.000  et  25.000  francs,  et 
même  plus.  »  Beaucoup  plus,  en  effet,  car  dans  ces  dernières  années  il 
a  monté  d'une  façon  presque  vertigineuse.  Tandis  qu'il  y  a  un  demi- 
siècle  ou  approchant,  le  grand  violoniste  norvégien  Ole  Bull  obtenait 
encore  de  Tarisio,  le  fameux  brocanteur  d'instruments,  un  Guarnerius 
del  Gesù  au  prix  de  12.000  francs,  en  18S0,  George  Hart,  le  luthier 
anglais,  en  payait  un  15.750  francs,  qu'il  vendait  un  peu  plus  tard  à 
M.  Ysaye.  En  1885.  M.  Wilmotte,  d'Anvers,  en  achetait  un  au  prix  de 
22.000  francs,  que  M"e  Mey  lui  reprenait  en  1889  pour  21.500  francs. 
L'année  suivante,  un  amateur  américain,  M.  Thomas  Sanders. 
en  payait  un  25.C00  francs,  et  en  1000,  à  la  vente  après  décès  du 
regretté  Armingaud,  son  Guarnerius  daté  de  1732  était  adjugé  pour 
28.000  francs.  Si  celui  de  Vieuxtemps  fut  vendu  à  sa  mort  20.000  francs 
seulement  au  duc  de  Camposelice,  Wilhelmy,  qui  venait  de  recueillir  la 
riche  succession  de  son  père,  n'hésita  pas,  en  1902,  à  payera  M.  Hart 
fils  50.000  francs  un  superbe  Guarnerius  de  1737  ;  et  si  un  antiquaire 
de  Dublin,  il.  Benson,  consentit  l'an  dernier  à  en  céder  un  pour 
25.000  francs,  dans  le  même  temps  le  violoniste  Bronislas  Hubermann 
en  payait  un,  portant  la  date  de  1733,  43.003  francs  à  la  maison 
Moeckel.  de  Berlin.  Mais  es  n'est  pas  tout  encore,  et  tout  récemment, 
au  mois  d'avril  1903,  un  journal  étranger  croyait  pouvoir  annoncer 
qu'un  violoniste  de  Francfort,  .M.  Adolphe  Rebner,  venait  d'acheter,  à 
Paris,  un  superbe  Guanierius  del  Gesù  au  prix  de  60.000  francs.  Si  le 
fait  est  vrai,  c'est  là  certainement  le  prix  le  plus  élevé  qu'ait  jamais  atteint 
un  violon.  Mais  alors,  où  s'arrètera-t-on  ? 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(POUR    LES    SEULS    ABOMVÉS    A    LA    MUSIQUE) 


Voici  l'automne  qui  s'avance  à  grands  pas,  avec  ses  tristesses  alariguies  mais  non 
sans  charme.  C'est  le  moment  de  chanter  avec  le  maître  Raoul  Pugno  les  Feuilles 
mortes,  mélodie  que  nous  extrayons  de  son  dernier  recueil  Clochas  du  souvenir,  sur 
des  poésies  de  Maurice  Vaucaire.  C'est,  dans  sa  résignation  triste,  une  des  plus 
ïamères  et  des  plus  poignantes  de  la  série.  Quand  M.""  Cesbron  les  chanta,  cet  hiver, 
au  concert  de  la  salle  Pleyel,  elle  impressionna  beaucoup. 

il)  Sivori  était  le  seul  élève  qu'eût  jamais  formé  Paganini.  Il  était  aussi  né  à 
Gênes. 

(2)  Le  frontispice  du  livre  de  Hart  reproduit,  d'après  des  photographies  prises  par 
ses  soins,  les  trois  aspects  du  fameux  Guarnerius  :  de  face,  de  dos  et  de  profil. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondant  du  Belgique    I  ■  •>  : 

La  Monnaie  a  fait  sa  réouverture,  comme  elle  l'avait  annoncé,  par  une 
reprise  de  Loltengrin.  Ce  n'était  certes  pas  une  simple  reprise,  mais  une  véri- 
table reconstitution.  Lo  sentiment  artistique,  In  ferveur,  l'onction,  la  chaleur 
dont  le  vieux  chef-d'œuvre  palpite,  pour  peu  qu'un  se  donne  la  |«-ine  d'en 
tirer  tout  cela  par  une  interprétation  ne  se  bornant  pas,  comme  il  arrive  Irop 
souvent,  à  la  «  lettre  >  et  ne  pénétrant  pas  1'  «  esprit  »,  oui,  tout  cela  nous 
l'avons  eu  enfin,  je  ne  crains  pas  de  le  dire,  pour  la  première  fois.  L'atmos- 
phère de  haine  et  d'amour,  de  mysticisme  et  de  brutale  réalité  qui  enveloppe 
le  drame  légendaire,  jamais  l'orchestre  ne  la  rendit  avec  un  pareil  souci  artis- 
tique, avec  une  pareille  émotion.  Celte  émotion  s'était  communiquée  aux 
chœurs,  qui  incarnèrent  vraiment  celle  foule  agissante  dont  l'importauce 
domine  l'œuvre,  et  aux  solistes,  dont  l'effort  personnel  contribua  à  réaliser  on 
ensemble  étonnamment  harmonieux  et  suggestif.  Ce  n'est  pas  que  chacun  des 
personnages,  pris  à  part,  fût  irréprochable  ;  mais  aucun  ne  fut  cependant 
inférieur  à  sa  tâche;  et  tous,  unis  dans  une  égale  compréhension,  furent 
remarquables.  A  côté  de  M.  Verdier,  un  Lohengrin  d'exécution  sûre  et  d._- 
voix  souple,  et  de  M.  Bourbon,  un  admirable  Frédéric,  ardent  et  passionné, 
deux  débutantes,  M"e  Seroen  et  M11*  Lucey,  n'ont  certes  pas  été  indignes  de  la 
confiance  qu'on  avait  mise  en  elles.  M1Ie  Seroen  remportait,  il  y  a  trois  ans, 
au  Conservatoire,  son  premier  prix  dans  la  classe  de  M"10  Cornélis;  elle  a  été 
une  Eisa  charmante,  jeune,  d'une  grâce  poétique  et  tendre.  M"e  Lucey,  une 
élève  de  MmeMarcbesi,  abordait  la  scène  pour  la  première  fois;  sa  belle  voix  de 
chair,  d'une  surprenante  égalité  et  d'une  rare  étendue,  servie  par  un  véritable 
tempérament,  a  donné  au  personnage  d'Ortrude  un  relief  qui  nous  a  rappelé 
de  façon  frappante  le  souvenir,  dans  ce  rôle,  de  Mmc  Paquot-d'Assy  quand  elle 
le  joua  à  la  Monnaie.  Le  succès  des  deux  jeunes  artistes  a  été  très  vif,  parti- 
culièrement celui  de  Mlle  Lucey. 

A  cette  très  brillante  soirée  d'ouverture  ont  succédé  des  soirées  non  moins 
heureuses.  Werther  a  servi  de  rentrée  à  Mme  Croiza,  la  belle  et  touchante 
Charlotte  de  l'an  dernier,  et  de  début  à  un  nouveau  ténor,  M.  Saldon,  qui 
nous  vient  de  Toulouse  et  dont  la  jolie  voix  et  l'accent  chaleureux  ont  été 
fort  applaudis.  Aida  nous  a  rendu  la  remarquable  M,ne  Pacary,  et  M.  Laftitte.  et 
M"e  Bourgeois,  qui,  jusqu'à  présent  un  peu  effacée  dans  les  deuxièmes  rôles, 
s'est  révélée  dans  le  nile  d'Amnéris  par  de  réelles  qualités  dramatiques,  et 
nous  avons  fait  la  connaissance  de  M.  Lestelly,  un  baryton  de  grand  opéra, 
distingué,  adroit  chanteur,  diseur  sobre  et  bien  stylé.  Enfin,  dans  Lakmé,  la 
délicieuse  Mlte  de  Tréville  a  reparu  triomphalement.  Ce  soir  même,  débuts, 
dans  Faust,  de  M1,e  Olchansky,  dont  on  dit  le  plus  grand  bien.  Je  vous  en 
parlerai  la  semaine  prochaine. 

Vous  pensez  bien  que  le  travail  est  grand  à  la  Monnaie,  pour  la  mise  sur 
pied  des  ouvrages  qui  doivent  compléter  le  répertoire.  Nous  reverrons  très 
prochainement  Mireille,  pour  les  débuts  de  M"e  Lily  Dupré,  qui  fit,  pendant 
trois  ans,  les  beaux  soirs  du  théâtre  d'Anvers,  Cavalleria  rusticana,  pour  la 
rentrée  de  MmL'  Charles  Mazarin,  Guillaume  Tell, avec  le  ténor  Jaume;  on  parle 
d'une  reprise  du  Roi  d'Ys.  avec  M"es  Seroen  et  Lucey,  qui  y  seraient  parfaites: 
on  prépare  une  reprise  du  joli  ballet  de  M.  Léon  Du  Bois,  Smylis;  et  déjà 
l'on  s'occupe  de  préparer  les  nouveautés,  la  Mourut  Vanna  de  M.  Février,  la 
Sainte  Catherine  d'Alexandrie,  de  M.  Edgar  Tinel,  l'Éros  vainqueur,  de  M.  de 
Bréville,  sans  compter  les  œuvres  de  moindre  importance.  L.  S. 

—  Cet  homme  est  infatigable  et  universel.  Nous  voulons  parler  de  l'empe- 
reur Guillaume  II.  qui,  peu  satisfait,  paraît-il,  du  livret  de  YObéron  de  V\"eber, 
a  pris  la  peine,  à  ce  que  disent  les  journaux,  d'en  écrire  un  nouveau  sous  la 
musique  du  compositeur.  Qui  sait  si.  un  de  ces  jours,  la  fantaisie  ne  lui 
prendra  pas  de  corriger  aussi  cette  musique,  selon  les  principes  de  son  esthé- 
tique personnelle  ? 

—  A  propos  de  la  représentation  du  ballet  de  Sardmipile  à  l'Opéra-Roval 
de  Berlin,  nous  lisons  dans  YAlIgemeitie  Musik-Zeitunj  sous  la  signature  de 
M.  Paul  Bekker  :  i<  Dois-je  parler  sérieusement  de  celte  représentation?  Pour 
la  partie  musicale,  c'est  à  peine  si  je  le  puis.  D'après  la  notice  qui  a  été  dis- 
tribuée, cette  musique  a  été  en  partie  composée  d'après  des  motifs  historiques 
originaux,  et  en  partie  extraite  de  l'ancienne  partition  de  Sardanapale,  écrite 
par  Hertel  pour  le  scénario  de  Paul  Taglioni.  M.  Joseph  Schlar  a  été  chargé 
des  adaptations.  Les  airs,  facilement  reconnaissables.  de  Hertel,  sans  être  très 
caractéristiques,  sont  toujours  conformes  aux  exigences  de  la  chorégraphie. 
Mais  où  donc  M.  Schlar  est-il  allé  chercher  des  motifs  assyriens?  Cela  demeure 
pour  moi  entièrement  énigmalique.  Xon  seulement  je  ne  crois  guère  à  la 
provenance  des  motifs,  telle  qu'elle  est  indiquée,  mais  je  conteste  absolument 
que  les  habitants  de  la  glorieuse  ville  de  Ninive  eussent  accepté  comme  leur 
appartenant  cette  musique  si  triviale  dans  son  harmonie  et  d'une  instrumen- 
tation si  vulgaire.  Venons  maintenant  aux  tableaux  scéniques.  Eh  bien,  malgré 
les  splendeurs  contées  par  les  prophètes,  ils  sont  mortellement  ennuyeux,  ce- 
tableaux.  Même  dans  le  décor  final  du  bûcher  que  l'on  a  tant  loué,  je  ne  puis 
voir  qu'un  arrangement  plastique  ingénieux  et  nullement  une  reproduction 
scénique  pouvant  agir  avec  puissance  sur  un  public  artistiquement  cultivé, 
pour  lui  suggérer  des  impressions.  Le  professeur  Delitzsch  a  fourni  les  dessins 
nécessaires  pour  la  mise  eu  scène.  Se  conformant  aux  dires  des  Assyriologues 


502 


LE  MÉNESTREL 


les  plus  qualifiés,  il  nous  a  donné  des  merveilles.  Ici,  je  rougis  de  honte  et  la 
plume  tombe  de  mes  doigts.  0  Assyrie,  ô  Ninive,  ô  Assurbanipal!  Vous  qui 
devenez  la  base  d'une  nouvelle  et  plus  haute  culture  scénique,  pardonnez  au 
pauvre  musicien  que  je  suis  de  méconnaître  votre  signification  pour  le  déve- 
loppement du  théâtre  dans  l'avenir  et  de  considérer  votre  réapparition  àl'Opéra- 
Royal  comme  un  événement  tragi-comique  ayant  aussi  peu  de  rapport  avec  ce 
que  nous  avons  l'habitude  d'appeler  art  en  général,  que  n'en  aurait  le  roi  de 
Niniveavec  le  concessionnaire  de  la  Société  des  tramways  berlinois.  En  somme, 
toute  cette  affaire  a  son  côté  sérieux  malgré  le  caractère  humoristique  qu'on 
lui  a  bien  involontairement  donné.  La  tendance  actuelle  vers  l'extériorisation 
se  montre  ici  sous  une  de  ses  formes  les  plus  dangereuses,  car  elle  s'abrite 
sous  le  couvert  de  la  science  et  sera,  bien  à  tort,  prise  au  sérieux  par  beaucoup 
de  gens.  Le  public  est  attiré  par  un  spectacle  fait  pour  les  yeux  et  dépourvu 
de  toute  intellectualité  ;  le  savant  nuit  à  sa  renommée  par  les  compromis  dans 
lesquels  il  est  entraîné  en  voulant  suivre  des  voies  qui  ne  sont  point  celles  du 
vrai;  quant  à  l'artiste,  il  voit,  découragé,  comment  les  moyens  d'expression 
les  plus  justes  et  les  plus  naturels  sont  sacrifiés  sans  raison  à  l'art  rétrograde 
que  l'on  favorise.  Dans  la  circonstance  il  n'en  pouvait  être  autrement,  c'est 
certain.  Toutefois,  nous  pouvons  atiirmer  que  tous  ceux  qui  prennent  au 
sérieux  ces  prétendues  magnificences,  se  montrent  coupables  d'une  infidélité 
profondément  regrettable  vis-à-vis  des  personnes,  qui  ont  réuni  leurs  efforts 
pour  cultiver  un  terrain  réellement  fécond  pour  l'art.  »  C'est  ainsi  que  Ton 
juge  à  Berlin  l'entreprise  hautement  patronnée,  qui,  malgré  une  énorme 
réclame,  n'a  obtenu  qu'un  négatif  suceès. 

—  De  Munich.  Un  grave  accident  vient  d'arriver  à  la  cantatrice  Mme  Marie 
Wittich  et  a  coûté  la  vie  au  cocher  qui  la  conduisait.  Elle  avait  pris  un  fiacre 
pour  se  rendre  au  théâtre.  Sur  la  route,  un  embarras  de  voitures  se  produisit 
et  la  sienne  heurta  en  même  temps  un  tramways  électrique  et  un  camion 
lourdement  chargé.  Le  fiacre  fut  entièrement  brisé  et  M"""  Wittich  reçut  de 
graves  blessures.  Le  cocher  fut  tué  sur  le  coup. 

—  On  parle  en  ce  moment  à  Berlin  d'un  portrait  de  Sébastien  Bach,  resté 
jusqu'ici  inconnu.  D'après  un  journal  de  cette  ville.  M.  Georges  Schumann, 
le  directeur  de  la  Singakademie,  qui  est  en  même  temps  membre  du  comité 
de  surveillance  de  la  nouvelle  société  Bach,  aurait  acquis  ce  portrait  pour  le 
musée  établi  à  Eisenach  dans  la  maison  natale  du  maître,  et  inauguré  il  n'y  a 
pas  fort  longtemps.  La  toile  mesure  90  centimètres  sur'  72;  elle  est  d'un 
peintre  du  nom  de  Klein  qui  se  fit  une  réputation  comme  portraitiste  vers 
Tannée  1730.  M.  Georges  Schumann,  qui  est  considéré  comme  le  connaisseur 
le  plus  sur  en  ce  qui  concerne  l'iconographie  de  Bach,  attache  une  très  grande 
importance  à  l'acquisition  qu'il  a  faite.  Il  est  dit  d'autre  part  que  M.  His,  de 
l'université  de  Leipzig,  va  entreprend  re  sur  le  portrait  nouvellement  décou- 
vert, des  mesurages  qu'il  veut  rapprocher  des  constatations  faites  par  lui, 
avec  l'aide  du  sculpteur  Seffner  en  1S94,  lorsqu'un  crâne,  que  l'on  croit  être 
celui  de  Bach,  fut  exhumé  par  des  ouvriers  occupés  à  creuser  le  sol  pour 
établir  les  fondations  de  l'église  Saint-Jean.  Cette  église  fut  construite  en 
effet  sur  l'emplacement  d'un  ancien  cimetière,  transformé  en  jardin  public 
pendant  l'année  1830.  On  savait  que  Bach  avait  été  enterré  dans  ce  cimetière, 
mais  toute  trace  de  la  tombe  avait  disparu.  Les  rapprochements  que  l'on  va 
entreprendre,  entre  les  dimensions  et  la  forme  du  crâne  retrouvé  et  celles  de 
la  tète  du  portrait  pourraient  ajouter  de  nouvelles  probabilités  à  celles  que 
l'on  possède  déjà,  en  permettant  de  penser  raisonnablement  que  le  crâne 
découvert  à  Leipzig  est  bien  réellement  celui  de  Bach. 

—  M.  Schifling-Ziemssen,  le  chef  d'orchestre  qui  a  si  magistralement  dirigé 
à  Francfort,  Manon,  les  Maîtres  chanteurs  et  Fidelio,  vient  d'être  engagé  comme 
premier  kapellmeister  à  l'Opéra  de  cette  ville.  Il  est  l'auteur  de  la  ci  ballade 
dramatique  »  en  trois  actes,  Sonnwendglut  (Feux  du  solstice  d'été),  dont  la 
première  représentation  eut  lieu  à  Colmar,  le  27  mars  dernier'. 

—  Avis  aux  amateurs.  Un  libraire-antiquaire  de  Leipzig  offre  en  vente  trois 
manuscrits  autographes  intéressants,  à  des  prix  qui  ne  le  sont  pas  moins, 
comme  on  va  le  voir.  Gest  d'abord  «  la  Cène  des  apôtres  »  de  Richard 
"Wagner,  que  ledit  libraire  est  tout  prêt  à  céder  pour  la  simple  somme  de 
12.300  marks  (15.623  francs).  C'est  ensuite  le  manuscrit  de  l'op.  33  de  Beetho- 
ven, connu  sous  le  titre  de  Bagatelles  et  qui  comprend  sept  charmants  mor- 
ceaux de  piano  de  courtes  dimensions.  Pour  les  19  pages  de  celui-ci  on  se 
contente  de  demander  22.000  marks,  soit  27.300  francs.  Enfin,  le  troisième 
autographe  est  l'original  des  33  variations  sur  une  valse  de  Diabelli,  que  Bee- 
thoTen  écrivit  en  18-23  et  qui  lui  furent  payées  80  ducats.  Il  en  coûtera 
davantage  à  l'amateur  fortuné  qui  voudra  s'offrir  ce  cahier  de  43  pages,  car  il 
n'est  pas  estimé  par  le  vendeur  moins  de  42.000  marks  (32.300  francs),  ce  qui 
metlapage  à  1.220  francs.  Pas  dégoûté,,  notre  libraire!  En  résumé,  les  trois 
manuscrits  en  question  sont  offerts  pour  une  somme  totale  de  93.623  francs. 
Il  faudrait  vraiment  n'avoir  pas  quelques  billets  de  banque  de  trop  pour  se 
refuser  une  telle  fantaisie. 

—  Un  journal  allemand  nous  apprend  que  la  ville  de  Cologne  va  posséder 
un  «  Musée  hislorico -musical  »  qui  doit  cire  ouvert  prochainement.  Elle  le 
devra  à  l'opulente  générosité  d'un  conseiller  commercial,  M.  W.  Heyer,  qui 
;i  fait  à  cet  effet  «  rto  grands  sacrifices  pécuniaires  ».  Le  fond  de  ce  nouveau 
musée  est  formé  de  la  célèbre  collection  musicale  de  M.  Paul  de  "Wit>,  direc- 
teur de  la  Zeitsehrift  fin-  Instrnnienlenbau,  à  laquelle  a  été  ajoutée  la  collée  ion 
Ibach  ainsi  qu'un  bon  nombre  d'instruments  acquis  à  des  particuliers.  Le 
journal  ajoute  que,  de  cette  façon.  «  la  vieille  Cologne  possédera  une  collec- 
tion d'instruments  qui  sera  peut-être  la  plus  considérable    en    son    genre  ». 


«  Peut-être  »  est  bien  dit,  car  elle  aura  à  compter  avec  les  riches  musées 
spéciaux  de  Londres,  de  Bruxelles  et  de  Paris,  qui  sont  de  quelque  impor- 
tance. 

—  A  partir  du  1er  octobre  prochain,  dans  tous  les  théâtres  qui  font  partie 
de  l'union  théâtrale  allemande,  il  sera  perçu  pour  toutes  les  places  d'un  prix 
supérieur  à  2  fr.  50  c,  un  droit  supplémentaire  de  0  fr.  1S  c.  par  billet.  Le 
montant  de  cette  taxe  est  destiné  à  une  fondation  récemment  constituée  pour 
permettre  de  servir  des  pensions  aux  artistes,  à  leurs  veuves  et  à  leurs  orphe- 
lins. 

Au  Théâtre-Municipal  de  Brème,  la  saison  d'opéra  s'est  ouverte  le 
1er  septembre  dernier  par  une  très  brillante  représentation  de  Fidelio.  Parmi 
les  œuvres  qui  vont  être  jouées  prochainement,  on  cite  dès  à  présent  Manon.. 
de  Massenet,  Falstaff',  de  Verdi,  la  Bohème  et  la  Tosca,  de  Puccini,  le  Conte 
d'hiver,  de  Goldmark,  la  Fiancée  vendue,  de  Smetana,  die  Teufelskâte,  de  Dvo- 
rak, etc. 

—  En  attendant  l'apparition  d'Elektra  de  M.  Richard  Strauss,  dont  la  date 
définitive  n'est  toujours  pas  fixée,  la  direction  duThéàtre-Royal  de  Dresde  vient 
d'engager  une  jeune  artiste  qui  se  présente  sous  le  nom  de  MUe  Tervani  et  qui 
n'est  autre  que  la  soeur  de  M"le  Aino  Ackté. 

—  Au  Kursaal  de  Scheveiiingue  (La  Haye),  à  l'occasion  du  28e  anniversaire 
de  la  reine  Wilhelmine  des  Pays-Bas,  on  a  donné  un  concert  exclusivement 
composé  d'oeuvres  de  musiciens  néerlandais.  Le  programme  comprenait  un 
poème  symphonique,  Saûl  et  David,  inspiré  par  un  tableau  de  Rembrandt,  de 
M.  J.  Wagenaar;  un  concerto  pour  piano  et  orchestre  de  M.  Cari  Oberstadt. 
professeur  de-  piano  au  Conservatoire  de  La  Haye,  exécuté  avec  beaucoup  de 
succès  par  l'auteur;  un  concerto  pour  violon  et  orchestre  de  Mlle  Elisabeth 
Kuyper,  attachée  en  ce  moment  à  la  Hochschule  de  Berlin;  une  musique  de 
danse  pour  orchestre  de  M.  Hoeberg;  et  trois  lieder  de  MM.  Zeveers,  Arnold 
Spoel  et  Brandi  Buys,  chantés  par  Mlle  Tilly-Koenen. 

—  On  signale,  au  Kursaal  de  Genève,  le  très  vif  succès  d'un  ballet  fantas- 
tique intitulé  l'ers  l'azur,  dont  les  auteurs  sont  MM.  Saracco  pour  le  scénario 
et  M.  Cuneo  pour  la  musique. 

—  Comme  nous  l'avons  annoncé  déji,  une  exposition  internationale  du 
théâtre  aura  lieu  à  Milan,  en  1913,  à  l'occasion  du  premier  centenaire  de  la 
naissance  de  Verdi.  Le  Comité  d'honneur  de  l'exposition  est  composé  de 
M.  Luzatti,  ministre  d'État,  du  Syndic  de  Milan,  de  MM.  Villa,  ancien-prési- 
dent de  la  Chambre  des  députés,  Salmiraghi,  président  de  l'Union  italienne 
des  chambres  de  commerce  et  du  sénateur  Mangili.  Le  comité  général  com- 
prend les  notabilités  de  la  ville  de  Milan.  L'exposition  sera  divisée  en  trois 
grandes  sections:  théâtre  (bâtiments  et  spectacles),  musique  (interprétation 
et  instruments),  artistes  et  littérature  théâtrale  (maquettes,  biographies,  ma- 
nuscrits, etc.).  Le  gouvernement  royal,  de  son  coté,  a  donné  son  appui  au  pro- 
jet de  la  future  exposition. 

—  Sous  les  portiques  de  la  basilique  de  Saint  Jean-de-Latran,  à  Rome,  on 
a  inauguré  récemment  une  plaque  de  marbre  consacrée  à  la  mémoire  d'un 
artiste  fort  distingué,  Gaetano  Capocci,  qui  pendant  de  longues  années  fut 
maitre  de  chapelle  de  cette  église  et  remplit  ces  fonctions  avec  un  incontes- 
table talent.  Cappocci,  qui  mourut  à  Rome  le  II  janvier  1898,  à  l'âge  de 
87  ans,  fut  un  des  compositeurs  de  musique  religieuse  les  plus  remarquables 
de  la  seconde  moitié  du  dix-neuvième  siècle.  On  cite,  parmi  ses  œuvres  les 
plus  importantes  et  les  mieux  venues,  un  Miserere  resté  célèbre,  un  Laudate 
jjiieri  Dominitm.  et  surtout  ses  Lamentations  de  Jérémie,  qui  durant  la  semaine 
sainte  s'exécutent  encore  dans  toutes  les  basiliques  romaines,  attirant  un 
public  nombreux  de  fidèles  désireux  d'entendre  une  composition  d'un  carac- 
tère si  sincèrement  religieux  et  si  pénétrant. 

—  La  direction  du  théâtre  San  Carlo  de  Naples  prépare  activement  sa  saison 
d'automne,  dont  l'inauguration  parait  devoir  se  faire  avec  le  Crépuscule  des 
Dieux.  Viendront  ensuite  et  successivement  :  Aida,  Carmen,  Hamlel,  Ratcliff, 
Roméo  et  Juliette,  Don  Juan,  Thaïs,  Gloria,  de  Cilea,  Perutjina  de  Mascheroni 
sans  compter  la  Messe  de  Requiem  de  Verdi.  On  cite  parmi  les  noms  des  artis- 
tes engagés  ceux  de  M""'5  Gemma  Bellincioni,  Felia  Litvinne,  Maria  Gay,  Arné- 
lia  Pinto,  Emma  Druetti,  Nini  Frascani,  et  de  MM.  AmedeoBassi.  Francesco 
Vignas,  Mario  Gillion,  Mattia  Battistini,  Titta  Ruffo,  Schaliapine,  Césare  For- 
michi,  Oreste  Leppi,  etc.  Le  chef  d'orchestre  en  premier  sera  M.  Giuseppe 
Martucci,  l'éminent  directeur  du  Conservatoire  de  Naples. 

—  Encore  un  essai  de  violons  en  métal.  On  lit  dans  la  Provineia  di  Man- 
tova  :  —  «  Dans  la  vitrine  de  M.  A.  Trojani  sont  exposés  plusieurs  échan- 
tillons de  violons  brevetés  en  aluminium,  ouvrage  très  distingué  de  notre 
ingénieux  et  modeste  concitoyen  V.  Castellini.  Ces  violons  ont  un  son  moel- 
leux et  velouté  qui  ne  rappelle  en  rien  le  métal,  mais  qui  peut  soutenir  la 
comparaison  avec  les  meilleurs  violons  d'auteurs.  Et  cette  vertu  est  due  à  la^ 
constitution  physique  de  l'aluminium,  qui  joint  à  sa  légèreté  une  sonorité 
d'une  souplesse  presque  incroyable.  En  fait,  nous  savons  que  quelques-uns 
de  ces  violons  ont  été  essayés  au  Lycée  musical  de  Bologne,  et  aussi  par  plu- 
sieurs professeurs  et  virtuoses  de  notre  ville,  qui  ont  donné  à  l'intelligent 
auteur  des  certificats  plus  que  louangeurs  ».I1  est  à  croire  que.  malgré  ces  certi- 
ficats, on  ne  verra  pas  de  sitôt  baisser  les  prix  des  Amati,  des  Stradivarius  et 
des  Guarnerius. 

—  Un  comité  d'habitants  de  Spalato  s'est  formé  en  cette  ville  dans  le  but 
de  faire  placer  une  plaque  commémorative  sur  la  maison  où   est  né  Franz  de 


LE  MÉNESTREL 


303 


Suppé,  le  gentil  compositeur  à  qui  l'on  doit  tant  de  charmantes  opérettes, 
pleines  de  grâce  et  écrites  avec  une  rare  élégance  :  la  Belle  Gnlathée.  Cavalerie 
légère,  Faiiriitsa,  Boccace,  Donna  Juaiiiki,  etc.  On  sait  que  Suppé,  qui  mourut  à 
Vienne  le  21  mai  1895,  avait  en  effet  vu  le  jour  à  Spalato,  le  18  avril  182(1. 
C'est  de  ce  fait  qu'un  de  nos  confrères  italiens  prend  occasion  de  le  revendiquer 
comme  compatriote,  non  à  cause  de  sa  nationalité  politique,  la  Dalmatie  appar- 
tenant à  l'Autriche,  mais  de  sa  nationalité  ethnique,  cette  province  étant  de 
race  italienne.  «  Généralement,  dit  ce  journal,  on  croit  Franz  de  Suppé  alle- 
mand parce  qu'il  passa  une  grande  partie  de  3a  vie  artistique  à  Vienne  et  qu'il 
écrivit  ses  brillantes  opérettes  sur  des  textes  allemands.  Au  lieu  de  cela,  il 
était  italien  et  s'en  glorifiait,  étant  de  Spalato.  »  Nous  ne  savons  si  Suppé  se  glo- 
rifiait d'être  italien  :  mais  nous  ferons  seulement  remarquer  que  parmi  les  deux 
mille  compositions  de  tout  genre  publiées  par  lui  se  trouve  un  lied  intitulé 
0  toi,  mon  Autriche,  devenu  étonnamment  populaire  dans  l'empire  et  qui  a  pris 
presque  le  caractère  d'un  chant  national. 

—  Une  dépèche,  adressée  de  Lucques  aux  journaux  de  Milan,  annonce  la  pre- 
mière représentation  en  cette  ville  d'un  opéra  nouveau,  A'ora,  dii  au  composi- 
teur Luporini.  Successo  clamoroso,  comme  on  dit  là-bas,  qui  se  traduisit  parfois 
par  trois  ou  quatre  représentations.  Attendons  les  détails. 

—  Auditions  d'opéras  par  téléphone  sans  fil.  —  Nous  lisons  dans  un  journal 
allemand  la  correspondance  suivante,  envoyée  de  Londres  :  «  L'inventeur  du 
système  de  téléphonie  sans  fil  de  Forest  vient  d'arriver  de  New-York  en  An- 
gleterre. Il  a  fait  construire  un  appareil  simplifié  de  son  système,  au  moyen 
duquel  toute  personne  pourra  jouir  sans  déplacement  d'une  représentation 
théâtrale  pourvu  qu'elle  ne  soit  pas  éloignée  de  plus  de  30  milles  anglais  (soit 
environ  30  kilomètres)  de  la  salle  où  se  donne  cette  représentation.  L'appareil 
sera  établi  à  si  bon  marché  que  son  acquisition  ne  pourra  même  pas  être 
considérée  comme  un  sacrifice.  Le  récepteur  ne  coûtera  que  75  francs  d'ins- 
tallation. L'abonné  n'aura  pas  autre  chose  à  faire  que  d'établir  une  hampe 
au-dessus  de  sa  maison.  Les  frais  de  branchement,  si  toutefois  ce  mot  peut 
convenir  quand  il  n'y  a  pas  de  fil,  seront  taxés  à  S  francs  par  mois.  Les  essais 
tentés  jusqu'ici,  à  une  distance  de  30  milles,  ont  donné  de  bons  résultats  ;  le 
son  de  la  voix  arrivait  avec  pureté,  plénitude  et  clarté  ».  C'est  du  moins  ce 
que  l'on  a  dit;  mais,  malgré  les  merveilles  auxquelles  nous  habitua  la  science, 
il  est  permis  de  ne  pas  croire  encore  à  une  réussite  complète  et  d'attendre 
prudemment. 

—  Dimanche  dernier,  la  musique  du  1er  régiment  du  génie  de  Versailles 
est  arrivée  à  Londres,  sous  la  direction  de  son  chef.  Ces  artistes  ont  dû  donner 
toute  la  semaine,  à  l'Exposition  franco-britannique,  des  concerts  qui  alter- 
naient avec  ceux  de  la  musique  anglaise  des  grenadiers  de  la  garde. 

—  MM.  Stephen  Philipps  et  J.  Comyns  Carr  Tiennent  de  doter  le  théâtre 
anglais  d'une  nouvelle  version  du  Faust  de  Gcethe.  A  cette  occasion,  une 
nouvelle  musique  mélodramatique  a  été  composée  par  M.  S.  Coleridge  Taylor. 
Ce  musicien  a  déjà  écrit  des  morceaux  de  scène  pour  les  autres  ouvrages 
dramatiques  de  M.  Stephen  Philipps,  Bëroëe  (1900),  Ulysse  (1902)  et  JVéro» 
(1906).  Les  adaptateurs  du  nouveau  Faust  anglais  n'ont  pas  fait  preuve  d'une 
'excessive  hardiesse,  n'ayant  traduit  que  la  première  partie  du  chef-d'œuvre 
de  Gœthe;  mais  ils  ont  essayé  de  rendre  plus  «  sensationnel  »  le  scénario  de 
l'œuvre  allemande  et  il  est  arrivé,  comme  toujours  en  pareil  cas,  que  les  cri- 
tiques d'outre-Rhin  ont  reproché  un  peu  sévèrement  aux  deux  littérateurs 
anglais  ies  licences  qu'ils  se  sont  permises  avec  le  texte  original.  Mais, 
aujourd'hui  que  le  Faust  de  Gœthe  est  éloigné  de  nous  de  cent  trente  ans 
environ,  du  moins  quant  à  sa  première  partie,  on  peut  se  demander  s'il  ne 
serait  pas  possible  à  un  dramaturge  de  reprendre  à  un  autre  point  de  vue  le 
même  sujet;  car  enfin,  les  faits  et  gestes  du  Faust  populaire  ont  alimenté  les 
théâtres  forains  depuis  le  seizième  siècle  jusqu'à  l'époque  où  Gœthe  atteignit 
sa  trentième  année,  et  peut  être  au-delà.  De  plus,  avant  Gœthe,  l'anglais 
Mailowe  avait  écrit  un  Faust  et  ce  n'est  pas  une  œuvre  à  beaucoup  près  insi- 
gnifiante. D'ailleurs,  ce  qui  fait  le  prestige  du  Faust  de  Gœthe,  c'est  le  rôle  de 
Marguerite,  créé  de  toutes  pièces  par  le  grand  poète  allemand  d'après  un 
prototype  francfortois.  L'éternel  féminin  a,  encore  ici.  exercé  son  pouvoir; 
Marguerite,  personnage  sympathique,  a  pris  une  place  prépondérante,  et  il 
semble  maintenant  que  l'histoire  du  docteur  Faust,  dramatisée  sans  elle  pen- 
dant trois  siècles,  ne  puisse  plus  subsister  au  théâtre  que  grâce  à  ce  type 
charmant  de  jeune  fille.  Voilà  pourquoi  sans  doute  MM.  Stephen  Philipps  et 
'Comyns  Carr  n'ont  pas  essayé  d'écrire  un  ouvrage  original.  La  première 
représentation  de  leur  traduction  a  eu  lieu  le  5  septembre  au  His  Majesty's 
Théâtre.  Elle  a  intéressé  surtout  par'  l'interprétation.  M.  Behrboom  Tree  a 
joué  le  rôle  de  Méphistophélès  avec  un  grand  relief;  M.  Ainley  a  paru,  en 
Faust,  un  trop  galant  chevalier  ;  quant  à  Marguerite  elle  a  trouvé  en  Miss 
Marie  Lûhr  une  très  jolie  incarnation. 

—  Les  journaux  anglais  nous  apportent  deux  anecdotes  sur  Jenny  Lind,  la 
célèbre  cantatrice  suédoise.  C'était  en  1S52,  à  l'époque  où,  faisant  une  tournée 
en  Amérique  avec  l'imprésario  Barnum,  elle  épousa  à  Boston  le  pianiste 
jtto  Goldschmidt,  qui  l'avait  accompagnée  dans  son  voyage.  Se  trouvant  un 
our  dans  une  réunion  privée,  on  lui  fit  entendre  une  chanteuse  de  talent  qui 
,  connaissait  pas.  Après  avoir  exécuté  assez  brillamment  un  morceau  du 
épertoire  de  Jenny  Lind,  la  jeune  femme  alla  s'asseoir  près  de  cette  dernière 
t  reçut,  en  même  temps  que  les  félicitations  un  peu  exagérées  que  l'on  pro- 
gue  en  pareil  cas,  quelques  conseils  techniques  exprimés  d'ailleurs  avec  une 
rahde  courtoisie.  Elle  les  accueillit  assez  mal  et  ne  craignit  pas  de  s'en  mon- 
rer  offensée.  S'adressant  alors  à  une  personne  de  ses  connaissances  :  «Quelle 


est  donc,  dit-elle,  cette  dame  désagréable  à  laquelle  je  viens  de  parler  ?  —  Bfï 
le  savez-vous  pas  ?  C'est  M""'  Otto  Goldschmidt.  —  Je  n'avais  pas  encore  en- 
tendu prononcer  ce  nom  ;  ne  m'apprendrez-vous  rien  sur  celle  qui  le  porte'.' 
—  Je  pense  que  cela  m'est  possible,  car  elle  a  donné  une  certaine  notoriété  à 
celui  de  Jenny  Lind,  sous  lequel  on  la  désignait  avant  son  mariage  i  .Le  viiage 
de  la  malheureuse  devint  rouge  incarnat  ;  elle  eut  beaucoup  de  peine  à  se 
remettre  do  son  émotion,  et  rechercha,  jusqu'à  la   lin  de  !  -  le? 

occasions  de  se  montrer  aimable  et  prévenante  pour  M1" «Otto  Galdschmidi, 
née  Jenny  Lind.  —  L'autre  anecdote  montre  jusqu'à  quel  degré  de  ridicule 
put  aller  l'enthousiasme  des  contemporains  pour  Jenny  Lind.  Dans  une  cir- 
constance assez  plaisante,  cet  enthousiasme  prit  l'aspect  d'une  véritable  idolâ- 
trie et  causa  un  petit  préjudice  à  la  cantatrice  en  lui  faisant  perdue  un  objet 
de  prix.  Après  un  concert  à  Londres,  des  amateurs  anglais  la  suivinr.t 
nombre  jusqu'à  son  hôtel,  et,  se  plaçant  devant  le  balcon,  appelèrent  l'artiste 
à  grands  cris,  voulant  qu'elle  se  montrât  et  qu'elle  redit  encore  quelques-unes 
de  ses  chansons.  Elle  s'y  prêta  de  bonne  grâce,  mais,  pendant  qu'elle  chan- 
tait, un  châle  de  valeur  qu'elle  avait  posé  a  côté  d'elle  vint  à  tomh  r  dans  la 
rue.  Elle  ne  s'en  inquiéta  point  d'abord,  pensant  qu'on  ne  manquerait  pas  de 
le  lui  rapporter;  mais,  lorsqu'elle  le  réclama  plus  tard,  il  fut  impossible  de  le 
retrouver.  Les  amateurs  anglais  l'avaient  déchiré  en  mille  pièces  et  se  l'étaient 
partagé.  Ils  en  avaient  fait  des  reliques. 

—  De  New- York  :  M.  Richard  Strauss,  dont  la  Sàlomé  a  été  boycottée  il  y 
quelques  années,  à  New-York,  aura  sa  revanche  l'hiver  prochain.  Pas  moins 
de  vingt-quatre  danseuses  américaines  s'entraînent  en  ce  moment  à  exécuter 
le  pas  de  la  fille  d'Hérode.  Cependant,  les  Salomés  américaines  ne  pourront 
pas  se  montrer  dans  le  léger  costume  qui,  en  Europe,  n'a  pas  soulevé  la  moindre 
protestation.  C'est  ainsi  que  le  maire  d'Asbury-Park  (New  Jersey  i  vient  de 
déclarer  à  un  journaliste  :  «  Tant  que  je  serai  «  mayor  »  aucune  dame  ne  paraî- 
tra en  scène  qui  ne  soit  habillée  au  moins  de  bas.  d'un  jupon,  des  vêtement? 
nécessaires  et  d'une  jaquette  cachant  le  buste.  »  Salomé  en  jaquette  !  M.  Richard 
Strauss  en  fera  une  maladie. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

A  l'Opéra  pour  la  rentrée  de  M.  Renaud,  on  a  repris  mercredi  la  Thaïs 
de  M.  Massenet.  Mlle  Mary  Garden  y  reparaissait  en  même  temps.  On  a  fait 
aux  deux  remarquables  artistes,  de  talent  si  original,  et  à-  l'œuvre  délicieuse 
du  maître  français  le  même  accueil  triomphal  qu'avant  les  vacances.  Recette 
de  22.000  francs,  et  cela  au  15  septembre!  —  On  pousse  activement  les  répé- 
titions du  Crépuscule  des  Dieux.  L'arrivée  du  ténor  Van  Dyck  à  Paris  leur  a 
donné  un  nouvel  élan.  —  La  reprise  A'Hamlet.  le  chef-d'œuvre  d'Ambroise 
Thomas,  avec  Mlle  Garden  et  le  baryton  Renaud,  est  toujours  fixée  à  vendredi 
prochain  2b  septembre. 

—  A  l'Opéra-Comique,  continuation  du  beau  fixe  avec  les  reprises  du  si 
riche  répertoire  de  la  maison.  Ce  soir  samedi  :  Werther.  Demain  dimanche  : 
en  matinée,  Carmen;  le  soir,  Lakmé  et  les  Noces  île  Jeannette.  Lundi,  en  repré- 
sentation populaire  à  prix  réduits  :  Mignon. 

—  A  la  Gaîté.  Le  chaleureux  accueil  fait  par  le  public  aux  représentations 
de  Paul  et  Virginie  a  décidé  MM.  Isola  frères  à  afficher  l'ouvrage  de  Victor 
Massé  tous  les  jours  de  la  semaine  et  pour  chaque  matinée  du  dimanche 
jusqu'au  1er  octobre,  date  à  laquelle  passera  Jean  de  Nivelle  de  Léo  Delibes. 

—  Les  Trente  Ans  de  Théâtre  donneront  au  Trocadéro,  jeudi  24  septembre — 
avant-dernier  jour  des  vacances  de  nos  lycéens  —  une  grande  matinée  popu- 
laire (o  fr.,  3  fr.,  2  fr..  1  fr.)  qui,  grâce  à  l'obligeance  de  MM.  Messager  et 
Broussan,  comportera  l'œuvre  musicale  populaire  par  excellence  :  les  Hugue- 
nots. MUo  Louise  Grandjean  chantera  Valentine  :  la  grande  artiste,  malgré  les 
répétitions  du  Crépuscule,  reprendra  ce  jour-là  le  rôle  qui  lui  vaut  un  de  ses 
plus  beaux  triomphes.  Elle  sera  entourée  de  tous  les  artistes  qui  ont  chanté  le 
chef-d'œuvre  de  Meyerbeerà  la  dernière  représentation  de  l'Opéra  (M,tes  Cam- 
predon,  Marguerite;  Agussol,  Urbain  ;  MM.  Gautier,  Raoul:  Paty,  Nevers  ; 
Lequien,  Saint-Bris;  Dangès,  Marcel).  M.  Paul  Vidal  dirigera  l'orchestre, 
considérablement  renforcé  pour  la  salle  du  Trocadéro  ;  de  son  côté,  M.  Stuart, 
régisseur'  général,  veille  aux  moindres  détails  de  cette  matinée.  Enfin,  pour  que 
l'exécution  soit  telle  qu'à  l'Opéra,  le  ballet  du  troisième  acte  sera  donné  inté- 
gralement, et  c'est  la  charmante  M"0  Lobstein,  entourée  de  tous  les  premiers 
sujets,  qui  le  dansera.  Le  jeudi  suivant  1er  octobre,  une  matinée  hors  série 
sera  donnée  au  Trocadéro  au  bénéfice  du  dispensaire  des  Trente  Ans  de  Théâtre 
dont  l'ouverture  aura  lieu  dès  la  rentrée  du  Conseil  municipal,  M.  le  président 
Chérioux  devant  l'inaugurer.  On  mettra  ce  jour-là  à  exécution  un  beau  projet 
dont  il  fut  souvent  question  :  l'Arlésienne  sera  donnée  avec  l'orchestre  Colonne 
et  une  distribution  qui  réunira,  dans  les  moindres  rôles  du  chef-d'œuvre 
d'Alphonse  Daudet  et  Bizet,  les  premiers  artistes  de  chacun  de  nos  théâtres. 

A  l'occasion  du  soixante-cinquième  anniversaire  de  la  naissance  de  la 

cantatrice  Christine  Nilsson,  qui  a  créé  le  rôle  d'Ophélie  dans  Ilamlct,  le 
S  mars  1S6S,  et  l'a  marqué  d'une  telle  empreinte  de  poésie  que  nulle  aulre 
jusqu'à  présent  ne  l'y  a  jamais  surpassée,  on  lira  peut-être  avec  plaisir  quel- 
ques lignes  écrites  autrefois  sur  cette  artiste,  dont  la  vie  a  commencé  comme 
un  conte  de  fées:  «Il  y  avait  une  fois  au  village  de  Hussaby.  situé  dans  la 
prairie  de  Skatelof,  en  Suède,  près  de  la  petite  ville  de  "\Vexio.  un  paysan  qui 
vivait  là  avec  sa  famille,  cultivant  la  terre  du  comte  Hamilton.  Il  se  nommait 
Nilsson;  il  avait  huit  enfants,  filles  et  garçons.  Sa  dernière  enfant  s'appela 
Christine  et  fut  la  bénédiction  de  la  maison...  Distinguée  par  un  magistrat,  M.  de 


304 


LE  MENESTREL 


Thornerhjelm,  pendant  qu'elle  chantait  dans  une  foire,  à  côté  de  son  frère  qui 
jouait  du  violon  »,  Christine  reçut  des  leçons  de  chant  et  devint  une  grande 
artiste.  Charles  Nuitter  a  caractérisé  ainsi  sa  voix  dans  un  de  ses  ouvrages  : 
«  Telle  femme,  tel  chant  ».  On  a  dit  très  justement  en  parlant  de  M"e  Nilsson  : 
«  Cette  voix  a  sa  nationalité  ».  «En  effet,  continue  Nuitter,  qui  pourrait  imiter 
ses  smorzali  sur  les  notes  aiguës?  Aucune  Française  assurément,  une  Ita- 
lienne encore  moins.  Nous  avons  peu  connu  Jenny  Lind,  l'illustre  compa- 
triote et  devancière  de  Christine  Nilsson,  mais,  selon  les  juges  les  plus 
compétents  et  les  plus  autorisés,  jamais  Jenny  Lind  n'eut  cet  éclat  de  vibration 
qui  distingue  Mllc  Nilsson  entre  toutes  les  étoiles  du  chant.  Peut-être,  en 
revanche,  la  vocalisation  de  Jenny  Lind  est-elle  plus  éblouissante  ».  La 
prose,  même  dithyrambique,  n'a  pas  suffi  aux  admirateurs  de  Christine 
Nilsson  pour  exhaler  leur  enthousiasme.  Parmi  les  vers  écrits  en  son  honneur, 
ceux-ci  n'ont  pas  sans  doute  une  bien  grande  valeur,  mais  ils  constituent 
une  silhouette  à  la  plume  que  l'auteur  a  essayé  de  rendre  poétique. 

Blonde,  oh  I  mais  blonde  comme  en  ton  pays  natal 

Sur  la  neige  un  reflet  du  soleil  boréal, 

Avec  un  o?il  du  bleu  tendre  de  la  turquoise, 

Blanche  comme  aux  rayons  de  la  lune  d'avril 

Sur  les  sombres  sapins  les  grains  purs  du  grésil, 

Qui  ne  t'aime,  Nilsson,  fauvette  suédoise  ? 
Les  acrostiches  suivants  paraissent  assurément  mieux  réussis  ;  ils  sont  d'un 
Français,  M.  de  Tranchère,  et  ont  été  inscrits  sur  un  album  et  offerts  à 
l'Ophélie  suédoise  : 

C'était  par  une  nuit  claire  comme  le  jour. 

Hormis  le  rossignol,  tout  se  taisait...  la  brise, 

Rayant  le  lac  profond  de  son  aile  indécise, 

Irisait  vaguement  les  cimes  d'alentour... 

Soudain,  comme  un  soupir  de  la  plaine  endormie, 

Tremblant  comme  un  écho,  pur  comme  une  harmonie. 

Il  passa  dans  les  airs  un  bruit  mystérieux... 

N'est-ce  pas  une  fleur  qui  là-bas  vient  d'éciore 

Et  s'entr'ouvre  en  chantant  aux  baisers  de  l'aurore  ? 

Non,  non,  c'est  un  esprit  envoyé  par  les  deux. 
Il  porte,  messiger  de  l'éternelle  flamme, 
Le  céleste  rayon  dont  Dieu  va  faire  une  àme... 
Sois  fier  de  ton  enfant,  ô  pays  triste  et  doux, 
Suède  où  reçut  le  jour  la  blonde  Walkyrie, 
Ouvre-lui  les  deux  bras,  sainte  mère  patrie  ; 
Nous  avoDs  pour  l'aimer  l'avenir  devant  nous. 

La  reprise  prochaine  à'Hamlet  à  l'Opéra  attire  naturellement  l'attention  sur  la 
première  Ophélie.  Louis  Enaul  ta  raconté  quelle  fut  l'impression  du  public  lors  de 
sa  première  apparition  dans  Bamlet  :  «  Ce  fut  dans  la  salle  de  l'Opéra  un  enthou- 
siasme spontané,  irréfléchi  et  indescriptible.  On  se  sentait  en  présence  d'une 
créature  appartenant  à  un  autre  monde  que  le  nôtre.  Jamais  la  charmeuse 
n'avait  exercé  une  plus  mystérieuse  fascination.  Elle  atteignit  ce  jour-là  le 
point  culminant  de  sa  vie  d'artiste,  déjà  si  brillante  et  si  remplie.  L'astre 
glorieux  peut  demeurer  longtemps  immobile  à  son  zénith  :  il  ne  saurait  mon- 
ter plus  haut.  »  Pendant  cette  soirée  inoubliable,  Faure  était  le  partenaire  de 
cette  Ophélie,  et  l'on  sait  quelle  création  inoubliable  il  a  faite  du  rôle 
d'Hamlet.  Christine  Nilsson  est  devenue  en  1872  la  femme  de  M.  Auguste 
Rouzaud,  qui  mourut  en  1882.  Elle  contracta  en  18S7  un  second  mariage  avec 
le  comte  Casa  de  Miranda.  Elle  habite  Paris  et  le  midi  pendant  l'hiver,  mais 
aucun  été  ne  se  passe  sans  qu'elle  retourne  dans  son  pays  natal  pour  deux  ou 
trois  mois.  A  l'occasion  de  son  anniversaire,  elle  a  reçu  nombre  de  télégrammes 
dont  l'un  était  signé  Victoria,  reine  de  Suède. 

—  Une  vente  de  violons  et  de  divers  autres  instruments  a  été  faite  récem- 
ment à  Londres,  par  les  soins  de  la  maison  Puttick  et  Simpson.  Cette  ventp, 
particulièrement  intéressante,  car  elle  réunissait  nombre  de  produits  d'an- 
ciens luthiers  italiens,  a  produit  une  somme  totale  de  2.62b  livres  sterling 
(65.62S  francs).  Il  ne  semble  pas  d'ailleurs  que  les  prix  aient  été  excessifs. 
Voici  ceux  qu'ont  atteints  quelques-uns  des  instruments.  Le  plus  précieux 
était  un  très  beau  violon  de  G.-B.  Guadagnini,  qui  est  monté  à  6.000  francs. 
11  faut  mentionner  ensuite  un  violon  d'Antonio  Gragnani,  vendu  1.250 francs; 
un  de  Nicolas  Gagliano,  1.500  francs;  un  de  Francesco  Ruggeri  de  Crémone, 
de  1700  environ  et  portant  l'étiquette  A'Andrea  Guarnerius,  2.875  francs  ;  un 
de  Giofredus  Cappa,  1.475  francs;  un  de  Domenico  Montagnana,  de  1730  en- 
viron, 1.250  francs  (l'acquéreur  de  celui-ci  n'a  certainement  pas  fait  une  mau- 
vaise affaire);  un  de  Camillus  Camilli,  1.875  franc*.  Une  superbe  copie  de 
Jean-Baptiste  Vuillaume  d'après  le  célèbre  Messie  de  Stradivarius  a  été  payée 
1.250  francs.  Un  très  vieux  violoncelle  italien  de  l'école  de  Brescia,  remontant 
à  la  période  de  Gasparo  da  Salô,  a  été  adjugé  à  1.750  francs;  un  autre,  du 
luthier  tyrolien  Jacob  Staiuer,  a  été  vendu  1.250,  et  un  troisième,  portant 
l'étiquette  de  Antonius  et  Hieronimùs  Amali,  a  atteint  le  même  prix. 

—  Certains  maires  de  province  envisagent  tout  ensemble  leurs  droits  et 
leurs  devoirs  d'une  façon  assez  singulière.  Pour  preuve,  l'historiette  quelque 
peu  étrange  que  voici.  La  Ligue  des  droits  de  l'homme  recevait,  il  y  a  quel- 
que temps,  une  lettre  dans  laquelle  une  artiste  lyrique,  M"e  A...,  se  plaignait 
d'avoir  été  arbitrairement  expulsée  de  Luuéville  par  le  co  nmissaire  de  police 
de  cette  ville  : 

...  Voici  mon  cas,  disait  M""  A Je  suis  artiste  au  concert,  j'ai  terminé  mon  en- 
gagement voilà  un  mois  et  j'éprouvais  le  besoin  de  me  reposer,  ma  santé  ne  me 


permettant  pas  de  chanter  plusieurs  mois  consécutifs.  Hier,  M.  U  commissaire  de 
Lunéville  m'a  fait  appeler  h  son  bureau,  me  priant  de  partir,  me  donnant  pour 
motif  que  les  artistes  n'avaient  pas  le  droit  de  rester  plus  de  quatre  jours  dans 
la  ville  après  leur  engagement  terminé.  Mon  but  est  de  vous  demander  si  on  a 
réellement  le  droit  de  me  faire  partir,  ayant  une  tenue  correcte,  ne  faisant  aucun 
scandale  et  n'ayant  jamais  eu  de  plainte  contre  moi. 

Au  reçu  de  cette  lettre,  la  Ligue  des  droits  de  l'homme  chargea  sa  section 
de  Lunéville  de  faire  une  enquête  sur  un  fait  aussi  bizarre,  et  apprit  qu'en 
effet  le  commissaire  appliquait  aux  artistes  un  arrêté  municipal,  d'ailleurs 
parfaitement  illégal,  qui  contraignait  ceux-ci  à  quitter  la  localité  quatre  jours 
après  l'expiration  de  leur  engagement.  Cette  mesure  avait  été  prise,  paraît-il, 
à  la  sollicitation  des  mères  de  famille,  qui  se  plaignaient  fréquemment  des 
dangers  que  présentait  le  séjour  prolongé  dans  la  ville  des  artis'es  de  café- 
concert.  Ces  mères  de  famille,  dont  la  morale  est  quelque  peu  chatouilleuse, 
semblent  croire  qu'en  l'an  1908,  et  en  dépit  de  trois  révolutions,  nous  vivons 
encore  sous  le  régime  du  bon  plaisir.  Si  elles  craignent  pour  leurs  fils  de  fâ- 
cheuses fréquentations,  elles  n'ont  qu'à  les  surveiller  plus  étroitement,  sans 
se  permettre  d'attenter  à  la  liberté  de  qui  que  ce  soit.  Quant  à  M.  le  maire 
de  Lunéville,  dont  la  mentalité  peut  paraître  extraordinaire,  il  a  dû,  sur  l'in- 
jonction du  préfet  de  Meurthe-et-Moselle  et  à  la  suite  d'une  plainte  de  la 
Ligue  des  droits  de  l'homme,  rapporter  purement  et  simplement  son  arrêté 
intempestif. 

—  M.  Hans  Pfitzner,  directeur  du  Conservatoire,  municipal  de  Strasbourg, 
sera  attaché,  à  partir  de  1909,  au  Stadtlheater  avec  le  titre  de  directeur  de 
l'opéra. 

NÉCROLOGIE 

Un  musicien  Argentin,  depuis  longtemps  fixé  en  France,  où,  après  avoir 
fait  son  éducation  artistique,  il  se  produisit  avec  une  rare  activité,  Justin  Clérice, 
est  mort  la  semaine  dernière  à  Toulouse,  dans  toute  la  force  de  l'âge.  Né  à 
Buenos-Ayres  en  1803,  il  était  venu  fort  jeune  à  Paris  et  suivit,  au  Conserva- 
toire, les  cours  de  M.  Emile  Pessard  et  de  Léo  Delibes.  Ses  études  terminées,  il 
songea  aussitôt  à  se  produire  et  y  réussit  sans  beaucoup  de  peine.  Doué  d'en- 
tregent et  peu  gêné  par  la  timidité,  d'ailleurs  intelligent  et  distingué  de  sa  per- 
sonne, il  sut  bientôt  faire  son  trou,  et  comme  il  avait,  musicalement,  de  la  grâce 
et  de  la  verve,  il  se  prodigua  promptement  de  tous  côtés,  et  la  plupart  du 
temps  avec  un  succès  réel.  Voici  une  liste  (que  je  déclare  incomplète)  des 
nombreux  ouvrages  qu'il  a  fait  représenter  :  Figarellu,  1  acte,  Bouffes-Pari- 
siens, 18S9;  Monsieur  Buchot,  id.,  id.,  1889;  le  13e  Hussards,  3  actes,  Gaité, 
1894  ;  PhryneW-,  Parisiana,  1895;  Hardi,  les  Bleus,  2  actes,  Ba  Ta-Clan,  1895  ; 
Léda,  1  acte,  Parisiana,  1896  ;  Patrie,  2  actes,  Ba-Ta-CIan,  1897  ;  le  Roi  Carnaval, 
1  acte,  Parisiana,  1898  ;  Vercingétorix,  ballet  en  3  actes,  Hippodrome,  1900; 
une  Fête  à  Rome,  ballet  en  1  acte,  id.,  1900;  les  Petites  Vestales, S  actes,  Renais- 
sance, 1900  ;  Or  Ire  de  l'Empereur,  3  actes,  Bouffes-Parisiens,  1902;  Minne,  2 
actes,  Boite  à  Fursy,  1904;  Mimosa,  ballet  en  2  actes,  Toulouse  (Capitole), 
1904:  Paris  s'amuse,  2  actes,  Parisiana,  1904;  le  Béguin  de  Messatine.  2  actes, 
1905;  Au  temps  jadis,  opéra-ballet  en  3  actes,  Monte-Carlo,  1905;  les  Robinson- 
nes,  un  acte,  Eldorado.  1905;  Otéro  chez-  elle,  i  acte,  Marigny,  1905;  Paris- 
Fétard,  1  acte,  Olympia,  1906;  le  Timbre  d'or,  balleten  1  acte,  Folies-Bergère, 
1903;  (Mil  de  Gazelle,  3  actes,  Monte-Carlo,  1908; .du  pays  noir,  1  acte;  le  Meu- 
nier d'Aleala,  une  Idylle  sous  le  Directoire,  etc.,  etc. 

—  Edmond  Kretschmer,  organiste  et  compositeur,  est  mort  à  Dresde  lundi 
dernier.  Né  le  31  août  1830,  à  Ostritz,  en  Saxe,  il  fit  ses  études  au  Conserva- 
toire de  Dresde  avec  les  professeurs  Otto  et  Jean  Schneider.  Organiste  de  la 
Cour  dès  1854,  il  n'en  occupa  entièrement  les  fonctions  qu'en  1863.  Deux  ans 
après,  ayant  pris  part  à  un  concours  de  l'Association  des  chanteurs  allemands, 
il  obtint  le  prix  avec  une  cantate  intitulée  Bataille  des  esprits.  En  1S68,  il  fut 
proclamé  vainqueur  dans  un  concours  international  organisé  à  Bruxelles  pour 
la  composition  d'une  messe.  Il  a  écrit  trois  autres  messes  et  plusieurs  opéras, 
dont  l'un,  Die  Folkunger,  inspiré  par  un  épisode  de  l'histoire  de  la  Suède,  fut 
joué  à  Dresde  en  1874,  ensuite  sur  différentes  scènes  de  l'Allemagne.  Ses  autres 
opéras  portent  pour  titres  ;  Henri  le  Lion  (Leipzig,  1877),  le  Fugitif  (Ulm,  18S1), 
la  Belle  aux  cheveux  roux  (Dresde,  1887).  Kretschmer  laisse  encore  plusieurs 
cantates  et  divers  compositions  de  genres  variés. 

—  Une  cantatrice  jadis  fêtée,  Anna  Sforza,  est  morte  à  Verriers  il  y  a 
quelques  jours.  Romaine  d'origine,  elle  étiit  douée  d'une  voix  magnifique, 
éclatante,  étendue.  Elle  fit  partie  d'une  troupe  italienne  qui  parcourut  l'Alle- 
magne, la  Russie  et  vint  chanter  à  Bruxelles  lors  de  la  dernière  exposition. 
Au  cours  de  ses  tournées,  elle  s'était  unie  à  un  musicien  instrumentiste  d'ori- 
gine napolitaine,  qui  jouait  l'accordéon  avec  un  art  extraordinaire.  La  reine 
Marie-Henriette,  lorsqu'elle  se  trouvait  à  Spa,  fit  venir  plusieurs  fois  le  couple 
pour  l'entendre.  Bientôt,  Anna  Sforza  fut  atteinte  du  mal  qui  devait  la  porter 
aux  plus  funestes  résolutions.  Elle  cessa  de  chanter.  Son  mari,  Angelo  Lenzi, 
cessa  de  jouer  pour  la  soigner.  Ce  fut  la  misère,  bientôt  la  détresse.  La  pauvre 
cantatrice  devint  misanthrope,  neurasthénique.  Elle  s'est  suicidée,  il  y  a . 
quelques  jours,  en  choisissant  une  mort  horrible.  Elle  s'est  enveloppée  de 
linges  imbibés  de  pétrole  et  y  a  mis  le  feu.  Elle  passait  inaperçue  à  Verviers, 
où  son  odyssée  était  inconnue.  Quelques  rares  personnes  l'ont  conduite  à  sa 
dernière  demeure. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


:  FER.  —  IMPRIMERIE  < 


4M.  -  74°  mtM.-  ,\°  39.  PARAIT  TOUS  LES  SAMEDIS  Samedi  26  Septembre  «9(18. 

(Les  Bureaux,  2b",  rue  Vi vienne,  Paris,  ii-w) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  nu  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


lie  Numéro  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL.     Directeur 


lie  fluméFo  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, 20 fr., Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sas. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  lîluck  (37°  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Sarasate,  Arthur  Pougin.  —  III-  Petites  notes  sans  portée  :  Encore  un  si^ne  des  temps,  Rayiiond  Bouyer. 

IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSTQUE   DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
ROSES  DE  FRANCE 

gavotte,  de  Robert  Vollstedt.  —  Suivra  immédiatement  :  La  Friponne,  polka- 
mazurka,  de  Rodolphe  Berger. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 

NUAGES  DANS  L'EAU 

extraits  des  Poèmes  de  Jade,  musique  de  Gadriel  Fabre,  poésie  de  Mme  Judith 

Gautier.  —  Suivra  immédiatement  :  Chanson  du  boni  de  l'eau,  d'ERNEST  Morf.t. 


SOIXANTE     ANS     DE     LA    VIE     DE     GLUCK 


(±T  ±  -4=  -  J.  T  7"  -4=  ) 


CHAPITRE    VII 

Avec  Orfeo  ed  Euridiçe,  la  réforme 
de  Gluck  était  faite,  faite  sponta- 
nément, sans  s'annoncer  à  l'avance, 
et  sans  tapage.  Plus  tard,  quand  le 
maître  fut  pleinement  conscient  de 
sa  force,  et  que  la  conception 
naturelle  de  son  génie  devint 
système,  il  put  aller  plus  loin  et 
créer  encore  des  ressources  nou- 
velles ;  mais  jamais  plus  il  ne 
retrouva  tant  de  fraîcheur.  Il  y  a, 
dans  Orfeo,  une  fleur  de  jeunesse 
dont  le  parfum  est  unique.  Cette 
fleur  ne  s'est  point  flétrie  ;  elle 
est  toujours  vivace.  Orphée,  drame 
en  musique  ayant  aujourd'hui 
bientôt  un  siècle  et  demi  d'ùge, 
continue  d'être  le  plus  ancien 
opéra  resté  vivant  et  dont  la  résur- 
rection sur  nos  scènes  modernes  ne 
soit  pas  un  fait  de  pure  archéolo- 
gie, le  seul  qui  nous  semble  aussi 
parfaitement  beau  qu'il  apparut  à 
ceux  qui  eurent  l'heur  d'assister  à 
sa  révélation  et  de  le  contempler 
dans  sa  première  splendeur. 

Cette  fidélité  à  ses  intentions  et 
à  son  texte,  que  nous  avons  vu 
exiger  par  Gluck,  la  trouva-t-il 
chez  les  artistes  qui  furent  les 
premiers  interprètes  d'O/eo?  La 
suite  de  l'écrit  qui  nous  a  révélé 
ses  prétentions  complète  sa  pensée 


L'éclosion   du   génie   :   Orfeo   ed   Euridiçe 


Louis  Nourrit  daRs  Orphè 


par  cette  autre  déclaration  :  «  La 
présence  du  compositeur  à  l'exécu- 
tion  de  cette  espèce  de  musique 
est,  pour  ainsi  dire,  autant  néces- 
saire que  la  présence  du  soleil  dans 
l'œuvre  de  la  nature.  »  Heureuse- 
ment, il  était  là,  lui,  —  tel  le  soleil 
prêt  à  féconder  et  mûrir  la  mois- 
son dont  il  avait  jeté  la  semence  ! 
Il  s'est  vanté  quelque  part  de 
n'avoir,  parmi  les  artistes,  «  jamais 
trouvé  de  rebelles,  quoiqu'il  les 
forçat  d'abandonner  leurs  affaires 
jusqu'à  ce  que  l'exécution  marchât 
bien,  et  qu'il  les  obligeât  souvent 
à  répéter  une  partie  de  ses  manœu- 
vres vingt  et  trente  fois  (1)».  Il  y 
a  toute  apparence  que  les  études 
d'O/eo  lui  furent  une  occasion  de 
faire  montre  de  ses  exigences.  Il 
en  évoquait  le  souvenir  dix  ans 
plus  tard  aux  côtés  de  Burney,  dans 
une  conversation  intime,  contant 
x  les  difficultés  qu'il  avait  éprou- 
vées pour  composer  et  ordonner 
son  orchestre,  chanteurs  et  instru- 
ments, lors  des  répétitions  à'Orphée, 
le  premier  de  ses  opéras,  et  l'un 
de  ses  ouvrages  les  plus  drama- 
tiques... (2)  » 

1)  Burney.  État  présent  de  la  Musique,  II,  295. 
■  2)  Burney,  État  présent  de  la  musique  II.  251. 


306 


LE  MÉNESTREL 


De  fait,  il  aurait  pu  avoir  plus  de  mal  encore.  Ce  que  nous 
savons  des  études  d'Orfco  nous  enseigne  que,  malgré  les  craintes 
de  l'inconnu  qui  était  au  bout  de  l'entreprise,  il  trouva  une 
bonne  volonté  générale  à  le  seconder.  Calsabigi  avait,  pour 
diriger  les  mouvements  de  la  scène,  autant  d'ardeur  que  lui 
pour  obtenir  une  exécution  musicale  expressive  et  juste.  Par  un 
rare  bonheur,  le  principal  interprète,  de  qui  l'on  pouvait  tout 
craindre,  —  un  castrat  (dernière  concession  de  Gluck  aux  erre- 
ments de  l'ancien  opéra  italien)  se  trouva  être  tout  de  suite 
parmi  ses  partisans.  Guadagni  (qu'il  n'avait  pas  encore  rencon- 
tré, semble-t-il,  qui,  en  tout  cas,  n'avait  pas  encore  créé  de  rôle 
dans  ses  opéras  précédents)  était  apprécié  dans  les  termes  sui- 
vants par  les  autorités  musicales  de  Naples  en  un  moment  où  il 
était  question  de  l'engager  :  «  Bonne  voix,  belle  figure,  comique 
et  brillant  dans  le  chant,  mais  capricieux,  et  rarement  bien  dis- 
posé à  remplir  son  devoir  (1)  ».  Peut-être  est-ce  cet  esprit  d'in- 
dépendance qui  le  disposa  favorablement  pour  une  œuvre  si 
différente  de  celles  qu'il  avait  interprétées  jusqu'alors  :  re- 
nonçant â  rien  imposer  de  ses  habitudes  de  virtuose,  ne  deman- 
dant à  ajouter  à  son  rôle  ni  air  nouveau,  ni  cadence,  chantant 
avec  sentiment,  goût  et  souplesse  (2),  il  s*accorda  si  bien  avec 
Gluck  que,  plus  tard,  le  souvenir  de  leur  entente  fit  dire  que 
c'était  lui  l'auteur  de  la  musique  et  que  Gluck  n'avait  eu  que  la 
peine  d'écrire  les  plus  beaux  chants  sous  sa  dictée  (3)  !  11  faut 
qu'il  en  soit  ainsi  toutes  les  fois  qu'un  homme  de  génie  vient 
faire  œuvre  nouvelle  :  il  a  toujours  eu  autour  de  lui  des  gens 
complaisants  qui,  en  lui  prodiguant  leurs  précieux  conseils,  ont 
accompli  bénévolement  sa  tâche  !  Retenons  simplement  de 
ces  propos  la  seule  conséquence  qu'ils  méritent,  à  savoir  que 
la  bonne  harmonie  régna  pendant  les  répétitions  à'Orfeo  entre 
Gluck  et  son  principal  interprète,  auquel  il  faut  ajouter  les 
autres  :  Marianna  Bianchi  (Eurydice),  LuciaClavarau  (4)  (l'Amour), 
et  encore  tous  les  chefs  de  service  du  théâtre,  Quaglio  à  la  ma- 
chinerie, Angiolini,  maître  de  ballets,  qui  tint  à  honneur  d'ac- 
compagner l'action  antique  non  par  des  danses  vulgaires,  mais 
par  des  pantomimes  dont  on  apprécia  les  grâces  et  la  convenance 
dramatique  (5). 

Orfeo  ed  Euridiee  fut  représenté,  à  Vienne,  le  5  octobre  '1762, 
au  Théâtre  de  la  Hofburg,  «  en  présence  de  la  cour  impériale 
et  royale,  et  couronné  par  un  succès  qui  fit  aussi  grand  honneur 
au  poète  qu'au  musicien  ».  C'est  en  ces  termes  simples  que  le 
Wiener  Diarium  (6)  nous  renseigne  sur  cet  événement,  dont  il 
ne  devinait  probablement  pas  la  haute  portée  artistique. 

Et  le  public,  la  comprit-il  davantage?  S'il  eut  d'abord  quelque 
indécision  en  présence  d'une  œuvre  qui  semblait  avoir  pour 
parti  pris  de  dérouter  toutes  ses  habitudes,  il  en  est  bien  excu- 
sable. Car  les  auteurs  avaient  eu  beau  prendre  toutes  les  pré- 
cautions pour  masquer  leur  audace,  faire  à  Métastase  les  visites 
diplomatiques  nécessaires  pour  obtenir  de  lui  une  neutralité  au 
moins  apparente  (7),  l'apparition  d'Or/eo  n'en  marquait  pas 
moins  l'heure  de  la  mort  pour  l'opéra  selon  Métastase  :  or,  de 
tels  événements  ne  se  passent  pas  sans  causer  quelque  agitation 
chez  ceux  qui  en  sont  les  témoins. 

Au  reste,  il  semble  que  l'auditoire  habituel  du  théâtre  de 
Vienne  à  qui  était  échue  la  rare  bonne  fortune  de  voir  se  pro- 
duire pour  la  première  fois  devant  lui  le  chef-d'œuvre  de  l'art 
nouveau  s'en  soit  montré  digne  et  qu'il  ait  rapidement  cédé  au 

(1)  S.  Gnou:,  Teniri  di  Napoli,  p.  "49  (Rapport  de  1760  aux  Archives  de  Naples). 

(2)  Schmid,  Riltcr  von  Gluck,  p.  93,  d'après  des  témoignages  contemporains  (Retzer, 
rucolaï). 

(3)  On  lit  dans  les  Œuvres  philosophiques,  littéraires,  historiques  et  morules  du  comte 
d'Escherny  :  »  Je  tiens  de  M.  Ginguené  que  c'est  Guadagni  lui-même  qui  fournit  h 
Gluck  la  meilleure  partie  des  chants  de  son  rôle  d'Orphée.  »  Voy.  Di;sNOint:sTi:r.m:s, 
Gluck  et  Piccinni,  p.  272.  Ces  belles  choses  étaient  écrites  au  plus  fort  de  la  guerre 
des  gluckistes  el  des  piceinnistes,  et  Ginguené  était  un  des  plus  ardents  zélateurs 
de  l'adversaire  de  Gluck. 

Ci)  Glebero-Clavarau,  dit  Schmitt,  d'après  une  partition  manuscrite  originale  con- 
servée à  '\  ienne.  Notons  que,  si  le  rôle  d'Orphée  est  encore  conlié  à  un  castrat,  celui 
de  l'Amour  l'ut  toujours  interprété  par  une  femme. 

(5)  Sc-HM-m,  ji.  93  (d'après  les  sources  citées  ci-dessns>. 

(fi)  Id.  p.  98. 

(7)  Sihmii),  toc.  oit. 


charme.  Marie-Thérèse,  qui  avait  résisté  d'abord,. se  ravisa  : 
voyant  qu'Or/eo  était  l'objet  de  toutes  les  conversations,  enten- 
dant à  la  Cour  tout  le  monde  en  parler  avec  ravissement,  elle 
fut  assister  à  une  nouvelle  représentation,  et,  cette  fois,  se 
déclara  si  parfaitement  conquise  que  (au  rapport  de  Burney, 
répétant  toujours  les  communications  de  Gluck)  elle  témoigna  sa 
satisfaction  aux  auteurs  en  envoyant  au  poète  une  bague  en 
diamant  et  à  Gluck  une  riche  bourse  contenant  cent  ducats  (■)). 
[A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SARASATE 


L'un  des  plus  grands,  des  plus  admirables  artistes  de  ce  temps. 
Sarasate,  le  violoniste  incomparable,  est  mort  lundi  dernier,  à  l'âge  de 
soixante-quatre  ans,  dans  la  belle  villa  qu'il  possédait  à  Biarritz,  à 
deux  pas  de  la  terre  d'Espagne,  son  pays  natal.  C'est  une  grande  perte 
pour  Fart,  c'est  un  vif  chagrin  pour  celui  qui  a  charge  d'écrire  ces  lignes 
et  dont,  depuis  longtemps,  il  connaissait  l'admiration  pour  son  talent. 

Les  deux  plus  grands  violonistes  de  la  seconde  moitié  du  XIXe  siècle 
ont  été,  sans  conteste.  Joachim  et  Sarasate.  L'un,  plus  majestueux, 
plus  mâle  peut-être,  d'une  largeur  d'accent  et  d'une  sonorité  plus  puis- 
santes, l'autre,  plus  .séduisant,  avec  un  son  d'une  pureté  idéale,  un 
charme  plein  d'élégance  et  une  grâce  qui  se  gardait  de  côtoyer  la 
mièvrerie,  tous  deux  de  grand  style  dans  leur  exécution,  nourris  de 
l'étude  des  classiques  et  tellement  sûrs  d'eux-mêmes  qu'ils  se  jouaient 
avec  une  aisance  prodigieuse  des  plus  prodigieuses  difficultés. 

Sarasate.  quoique  étranger,  nous  appartenait  pleinement,  par  son 
éducation  musicale.  Admis  â  onze  ans  au  Conservatoire,  il  en  sortait  à 
treize,  après  avoir  obtenu  simultanément,  dans  la  même  année  (1857), 
à  ses  premiers  concours,  le  premier  prix  de  solfège  et  le  premier  prix 
de  violon.  Élève  d'Alard.  il  reproduisait  les  exquises  qualités  de  son 
maitre.  avec,  peut-être,  plus  de  fermeté  et  de  sérieux  encore  dans  le 
style.  Enfant  prodige  appelé  à  devenir  un  grand  artiste,  il  était  bien  de 
la  race  de  ces  fameux  violonistes  qui  s'appelaient  Leclair,  Gaviniés.  La 
Houssaye,  Rode,  Kreutzer,  Baillot,  Lafont,  Libon,  Mazas,  Habeneck. 
etc..  qui  portèrent  si  haut  le  renom  de  notre  superbe  école  française. 

La  première  fois  que  Sarasate  se  fit  entendre  en  public  à  Paris,  six 
mois  avant  d'avoir  obtenu  son  premier  prix,  ce  fut  (4  janvier  1857)  à 
l'un  des  concerts  de  la  Société  des  Jeunes-Artistes  par  lesquels 
Pasdeloup  préludait  à  ses  futurs  Concerts-Populaires.  Son  succès  fut 
éclatant  et  préparait  le  triomphe  — ■  le  mot  n'est  pas  de  trop  —  qu'il 
allait  remporter  au  Conservatoire,  car  son  concours  fut  un  véritable 
événement,  et  le  nom  de  ce  bambin  fut  bientôt,  dans  toutes  les  bouches. 

Il  ne  devait  pas,  comme  beaucoup  d'autres  enfants  précoces,  s'arrêter 
eu  chemin,  et  au  bout  de  quelques  années  sa  renommée  parmi  nous 
s'établissait  sur  des  bases  inébranlables,  le  talent  de  l'artiste,  mûri  par 
un  travail  incessant,  acquérant  toute  son  ampleur,  prenant  son  entier 
essor,  et  se  faisant  surtout  remarquer  par  ses  qualités  du  style  le  plus 
pur,  le  plus  sévère  et  le  plus  noble  à  la  fois.  Le  virtuose  fit  apprécier 
alors  toute  l'élévation  de  ce  talent  en  faisant  entendre,  soit  aux  Concerts- 
Populaires,  soit  à  ceux  du  Châtelet,  soit  au  Conservatoire,  diverses 
œuvres  écrites  expressément  â  son  intention,  entre  autres  le  second 
concerto  et  la  Fantaisie  Écossaise  de  Max  Bruch,  le  concerto  et  la  Sym- 
phonie Espagnole  de  Lalo,  et  en  exécutant  tantôt  le  concerto  de  Beetho- 
ven, tantôt  celui  de  Mendelssohn.  Dans  ces  œuvres  de  genres  et  de 
caractères  si  divers,  il  faisait  admirer  la  souplesse  de  son  style,  la  fierté 
d'un  jeu  plein  d'élégance  et  de  charme,  la  perfection  de  son  mécanisme, 
la  pureté  merveilleuse  d'uu  son  qui  brillait  moins  par  la  puissance  que 
par  son  exquise  limpidité,  enfin  un  phrasé  parlait,  une  étonnante  facilité 
d'archet  et  uu  chant  plein  de  grâce  et  de  sentiment.  Et  le  public,  ravi, 
l'accueillait  toujours  avec  enthousiasme. 

Il  u'y  avait  nulle  pose,  nul  charlatanisme  chez  Sarasate,  mais  au 
contraire  une  simplicité  parfaite  et  une  tenue  superbe.  Lorsqu'on  voyait 
ce  petit  homme,  très  cambré  et  de  taille  élégante,  aux  yeux  noirs  et  â 
la  chevelure  abondante,  tenant  de  la  même  main  son  archet  et  son 
violon,  s'avancer  sur  l'estrade,  saluer  très  simplement  le  public,  sans 
timidité  et  sans  forfanterie,  puis  plaçant  son  instrument  et  se  préparant 
â  attaquer  son  solo  dans  une  position  et  une  tenue  d'une  irréprochable 
correction  (sans  avoir  besoin  de  mouchoir  ni  de  mentonnière),  on 
sentait  à  qui  l'on  avait  affaire  et  qu'on  était  en  présence  d'un  véritable 
artiste. 

(1)  Burney,  Étal  présent  de  la  musique,  t.  II,  p.  251. 


.E  MÉNESTREL 


307 


Sarasate  était  d'ailleurs  autre  chose  qu'un  virtuose,  et  la  joie  était 
aussi  grande,  l'émotion  aussi  profonde  peut-être  de  la  part  de  l'auditeur 
lorsqu'il  se  faisait,  dans  des  séances  que  tout  le  monde  se  rappelle, 
l'interprète  chaleureux  et  inspiré  des  grands  maîtres  de  la  musique  de 
chambre,  particulièrement  de  Beethoven.  Quel  style,  quelle  pureté, 
quand  on  l'entendait  ainsi,  en  compagnie  de  tels  ou  tels  partenaires,  et 
lesquels  :  Saint-Saéns,  Diémer,  Delsart,  M""'  Berthe  Marx!...  C'était 
vraiment  une  noble  jouissance. 

.Te  ne  m'attarderai  pas  à  raconter  ses  voyages,  ses  tournées  triom- 
phales à  l'étranger  :  en  Autriche,  en  Allemagne,  en  Hongrie,  en  Russie, 
en  Angleterre,  en  Belgique,  et  jusque  dans  les  deux  Amériques.  Ce 
n'était,  partout  où  il  se  produisait,  que  fêtes,  ovations,  enthousiasmes. 
On  pense  bien  qu'il  n'avait  garde,  dans  ses  voyages,  d'oublier  l'Espagne, 
car  il  était  très  patriote.  Non  seulement  il  s'y  fit  applaudir,  y  retour- 
nant chaque  année,  mais  il  portait  surtout  une  affection  filiale  à 
Pampelune.  sa  ville  natale,  qu'il  combla  de  bienfaits.  Aussi  y  fut-il  un 
jour,  il  y  a  près  de  vingt  ans,  l'objet  d'une  manifestation  imposante. 

C'était  le  fi  juillet  1890,  lors  des  fêtes  consacrées  à  Saint-Firmin, 
patron  de  la  Navarre.  Kn  procession  solennelle,  accompagnés  des  mas- 
siers,  des  alguazils,  des  trompettes,  des  timbaliers  et  d'une  musique 
militaire,  l'Alcade,  le  Conseil  communal  et  le  Oiouverneur  de  la  province 
se  rendirent  chez  leur  compatriote  Sarasate,  à  l'Hôtel  de  la  Perle,  situé 
sur  la  grande  place.  Ils  l'amenèrent,  lui  faisant  escorte,  à  travers  des 
rues  pavoisées  et  enguirlandées,  jusqu'à  une  maison  de  la  rue  Saint- 
Nicolas;  où  l'Alcade  enleva  le  voile  qui  couvrait  une  plaque  de  marbre 
portant  en  lettres  d'or  l'inscription  que  voici  : 

Dans  celte  maison  naquît  Pablo  Sarasate,  le  14  mars  1844.  Cette  plaque 
comm&morative  l'ut  votée  par  le  Conseil  communal,  le  28  juin  1890,  en 
l'honneur  de  ce  grand  artiste,  l'orgueil  et  la  gloire  de  son  pays  (1). 

Puis,  après  des  roulements  de  tambour,  des  fanfares  et  des  acclama- 
tions sans  lin,  l'alcade,  prenant  la  parole,  s'adressa  en  ces  termes  au 
héros  de  cette  cérémonie  : 

Pampelune  célèbre  aujourd'hui  un  événement  à  la  l'ois  joyeux,  touchant  et 
patriotique.  Notre  illustre  compatriote  Pablo  Sarasate  reçoit  en  ce  moment,  de 
sa  ville  natale,  l'accueil  d'une  mère  justement  enthousiasmée  et  fière  des 
applaudissements  universels,  des  ovations  et  des  triomphes  ininterrompus 
dont  son  fils  est  l'objet,  et  à  qui  elle  offre  ce  témoignage  de  gratitude  pour  la 
gloire  artistique  qu'il  répand  sur  elle.  Il  ne  nous  reste  plus  qu'à  souhaiter  une 
longue  vie  à  ce  génial  artiste  dont  le  nom  demeurera  toujours  inséparable  de 
celui  de  notre  ville. 

Très  ému,  comme  on  le  pense,  de  l'hommage  que  lui  rendaient  ainsi 
ses  compatriotes,  Sarasate  répondit  d'une  voix  entrecoupée  par  des 
larmes  de  joie  :  «  L'émotion  profonde  que  j'éprouve  en  ce  moment  ue 
peut  se  traduire  en  paroles.  Je  ne  puis  que  vous  assurer  de  toute  ma 
reconnaissance  pour  l'incomparable  honneur  que  vous  me  faites,  et 
vous  redire  encore  que  tous  les  battements  de  mon  cœur  vont  à  notre 
trinité  patriotique  :  Pampelune,  Xaearre,  Espagne  !  » 

J'ai  dit,  et  on  le  voit,  que  Sarasate  était  profondément  patriote.  Mais 
son  amour  pour  l'Espagne  n'enlevait  rien  à  celui  qu'il  portait  à  la 
France,  à  qui  il  devait  son  éducation  et  ses  premiers  succès,  et  où  il 
revenait  toujours  avec  joie.  Il  avait  coutume  de  dire  :  «  La  France  est 
ma  seconde  patrie  ;  je  l'aime  autant  que  la  première,  et  c'est  en  France 
que  je  veux  terminer  mes  jours  ».  C'est  en  France,  en  effet,  que  le 
grand  artiste  vient  de  mourir.  Nous  avons,  sur  ses  derniers  jours,  les 
détails  donnés  par  un  de  ses  amis,  M.  Charles  Sarrus,  qui  s'exprime 
ainsi  : 

Le  célèbre  violoniste  Pablo  Sarasate  est  mort  d'une  bronchite  aiguë  dont  il 
soutïrait.  depuis  plusieurs  mois.  Le  mal  le  minait  sans  altérer  sa  bonne  hu- 
meur, qu'il  conserva  jusqu'au  dernier  moment.  Mais  son  dépérissement 
physique  inquiétait  chaque  jour  davantage  ses  amis,  impuissants  à  obtenir  de 
lui  qu'il  consentit  à  se  laisser  soigner. 

A  son  ami  d'enfance,  le  docteur  Blazy,  qui  l'y  invitait  avec  une  sollicitude 
pressante,  il  répliquait  avec  une  pointe  de  scepticisme  : 

—  A  quoi  bon  ?  Ce  qui  est  doit  être. 

Il  céda  cependant  aux  instances  de  son  ami.  C'était  hélas!  trop  tard,  et 
toute  la  science  du  docteur  Blazy  et  le  traitement  qu'il  prescrivit,  d'accord 
avec  ses  confrères  les  docteurs  de  Lostalot  et  Le  Piez,  ne  purent  que  retarder 
le  dénouement  fatal. 

Après  quelques  améliorations  trompeuses,  une  crise  plus  violente  que  les 
autres  se  déclara  et  le  maître  s'éteignit  doucement,  entouré  de  ses  amis, 
M.  Goldschmidt,  son  imprésario  dévoué,  et  M""!  Berthe  Marx-Goldschmidt, 
la  pianiste  de  talent,  qui  avait  partagé  les  triomphes  de  Sarasate  dans  tous 
les  concerts  qu'il   avait  donnés  dans  le  monde   entier,   le  docteur  Blazy,  et 

il)  Depuis  longtemps  Sarasate  se  faisait  appeler  Pablo  Sarasate.  Lors  de  la  notice 
que  je  lui  consacrai  dans  le  supplément  de  la  Biographie  Cniverselle  des  Musiciens  de 
Fétis,  je  m'en  tins  à  l'inscription  des  registres  du  Conservatoire,  transcrite  par  moi, 
et  qui  portait  les  noms  de  Marlin-Meliton  Sarasate. 


Charles,  la  fidèle  serviteur  qui  soignait  son  maître  avec  -nient  in- 

lassable. 

La  colonie  espagnole  de  Biarritz  a  été  profondément  attristée  par  la  mort  du 
grand  artiste  qui  avait  une  réputation  mondiale. 

L'ancien    sénateur   Irasoqui,   le  jeune   et  déjà   célèbre   peintre  Mesquila, 
M.  Bordas,  directeur  du   Conservatoire  de  Madrid,   n'ont  cessé  de  vi 
dre  des  nouvelles  de  leur  illustre  ami. 

Sarasate  meurt  au  moment  où  il  avait  projeté  d'entreprendre  la  publication 
d'un  traité  complet  sur  l'art  du  violon,  qui  aurait  rendu  de  grands  services 
aux  artistes.  Mais  ses  compositions  musicales  très  nombreuses  et  -a  longue  et 
triomphale  carrière  peuvent  suffire  à  sa  gloire. 

Je  n'ai  point  parlé  des  compositions  de  Sarasate.  non  qu'elle-  Eussent 
sans  valeur,  car  il  avait  fait  de  bonnes  éludes  théoriques  sou-  la  direc- 
tion d'Henri  Reber,  et  ses  Danses  Espagnoles,  entre  autre-,  sont  une 
chose  charmante.  Mais  c'est  que  sou  talent  de  compositeur  pâlissait 
jusqu'à  disparaître  devant  son  admirable  talent  de  violoniste.  Je  cite- 
rai pourtant,  parmi  ce  qu'il  écrivit  :  Souvenir  de  Faust,  Mosaïques  sur 
Zampa  et  Mignon,  Hommage  à  Rossini,  Fantaisie  sur  Don  Juan,  Airs  bo- 
hémiens et  quelques  mélodies  et  romances  sans  paroles. 

Mais  qui  nous  rendra  un  violoniste  de  la  taille  de  Sarasate  ? 

Arthur  Pougin. 


PETITES   NOTES   SANS   PORTÉE 


CXXXVII 

ENCORE  UN  SIGNE  DES  TEMPS 

A  J/'an  Chantavoine,  >id>jraphe 
et  traducteur  de  Beethoven. 

Le  boulevard,  à  dix  heures,  un  soir  de  septembre  :  une  des  rares 
soirées  tièdesde  cette  fin  d'été  glaciale  et  pluvieuse...  Est-ce  une  hallu- 
cination sonore,  est-ce  une  réalité,  daus  une  brusque  interruption  des 
tonnerres  du  pavé  de  bois?  Sur  le  boulevard  des  Italiens,  du  brouhaha 
des  voitures,  une  musique  s'élève  avec  des  accents  rudes,  grandioses, 
cordiaux,  uu  peu  frustes,  qui  suggèrent  aussitôt  l'énergie  dans  la  sim- 
plicité :  j'approche,  et  reconnais  l'ouverture  d'Egmont...  Un  peu  plus 
haut,  sur  le  boulevard  Montmartre,  une  phrase  majeure  d'idéale  ten- 
dresse alterne  avec  des  accords  farouches  qui  rythment  éperdument 
l'obstination  :  je  passe,  et  salue  l'ouverture  de  Coriolan...  Décidément. 
Zimmer  ou  Pousset,  la  brasserie  contemporaine  se  beethovt  nise!  Et  Paris 
n'enviera  plus  rien  aux  plus  germaniques  des  villes  d'eaux. 

En  face,  au  café  Cardinal,  daus  une  blancheur  d'autrefois,  ce  ne  soni 
pas  non  plus  des  arabesques  de  valses  qui  circonviennent  les  passants 
plus  clairsemés,  car  depuis  le  Paris  du  romantisme,  aujourd'hui  rétros- 
pectif au  petit  musée  de  la  Ville  de  Paris  (  1 1,  la  rive  gauche  a  toujours 
cédé  la  foule  à  la  rive  droite  et  le  côté  sud  est  déserté  pour  le  côté  nord  : 
explique  qui  pourra  ces  préférences  boulevardières  !  Toujours  est-il  que 
la  grande  musique  s'installe  sans  remords  derrière  la  terrasse,  sous  des 
arbres  poudreux  qui  ne  jaunissent  pas  trop  prématurément,  par  une 
soirée  tiède...  Avant  la  réouverture  prochaine  des  grandes  matiuées 
dominicales,  un  Parisien  peut  entendre  Egmont  ou  Coriolan,  légèrement 
édulcorés  dans  les  mouvements  et  les  nuances,  des  exécutions  plus 
fringantes  du  Roi  d'Ys  ou  d'Obéron,  une  sélection  raisonnable  après  une 
ouverture  intégrale,  Werther  ou  Manon,  le  Cid  ou  la  Vie  de  Bohême, 
Beethoven  et  Weber,  Lalo.  Massenet  et  l'italien  Puccini  qui  s'est  tant 
souvenu  de  son  brillant  devancier  français. 

Je  n'oserais  vous  jurer  qu'il  en  est  ainsi  tous  les  soirs  et  que  Ro- 
dolphe Berger  ne  voisine  jamais  avec  Wagner!  Je  passe...  Il  se  pourrait 
bien  qu'une  valse  lente,  «  A  quoi  pensez-vous?  »,  ou  l'ouverture  de  Si 
fêtais  Roi  (tout  arrive'  eût  précédé,  sans  plus  de  remords,  cette  sélection 
chaleureuse  du  Vaisseau-Fantôme  qui  me  jette  au  passage  un  raccourci 
de  son  troisième  acte,  depuis  la  fête  de  l'équipage  jusqu'aux  splendeurs 
italianisantes  du  finale  où  se  transfigure  la  sombre  fanfare 
Du  monstre  qui  devient  dans  la  lumière  un  ange. 
Et,  par  lièdes  bouffées,  le  romantisme  exalte  l'obscurité  du  passant, 
dans  la  nuit  froide...  Ailleurs,  derrière  les  .vilres  fermées,  le  Preislied 
des  Maîtres-Chanteurs  soupire  sur  une  chanterelle  de  tzigane...  Eu  bons 
Allemands,  Wagner  et  Beethoven  fraternisent  parmi  les  bocks.  Et  nos 
chers  Parisiens  ont  parfaitement  l'air  de  les  comprendre. 

Il  n'y  a  plus  d'enfants!  Après  cent  trente  ans,  le  jeune  Mozart  ne 
reconnaîtrait  plus  les  élégants  (qu'il  trouvait  grossiers   de  la  Chaussi  e 

(1)  Exposition  de  la  Bibliothèque  et  des  Travaux  liistoruiues  de  la  Ville  de  Paris, 
à  l'hôtel  Le  Peletier  de  Saint-Fargeau,,  29  rue  de  Sévigné,  jusqu'au  1"  octobre  1908. 


308 


LE  MÉNESTREL 


d'Antin.  Tardive,  notre  éducation  musicale  a  reçu  le  coup  de  foudre  : 
analogue,  en  sa  lenteur,  à  l'évolution  d'un  art  qui.  contemporain  de  la 
primitive  architecture,  s'est  développé  si  tari  dans  l'histoire  humaine, 
en  se  compliquant  soudain! 

Bref,  après  la  musique  au  jardin,  voici  la  musique  au  café  :  nouveau 
chapitre,  estival  encore,  automnal  déjà,  de  ce  «  renouveau  »  dont 
M.  Romain  Rolland  (1)  retrouve  les  premiers  bourgeons  au  lendemain 
de  l'année  terrible  ;  et,  militaire  ou  civile,  la  musique  eu  plein-air  a 
conquis  quelque  droit  à  nous  retenir.  Sans  métaphore  ici,  la  musique 
de  la  lumière  a  commença  ce  qu'achève,  ce  soir,  la  musique  de  l'ombre: 
au  seuil  d'un  nouvel  automne,  la  splendeur  jaunissante  du  kiosque 
prolonge  un  dernier  rayon  mélodieux  sur  la  terrasse...  Illusion  multi- 
colore et  polychrome,  en  ce  Paris  de  1908  qu'illumine  la  trop  positive 
magie  de  sa  publicité! 

Laissons  les  amants  wagnériens  disserter  sans  fin  sur  les  respectives 
vertus  du  jour  et  de  la  nuit!  Quelles  impressions  moins  métaphysiques 
nous  procurent  ces  voix  immortelles  à  la  brasserie  ?  Et  quelles  conclu- 
sions tirer  de  leur  présence,  ou  quelles  réquisitions  prendre  à  leur 
rencontre? 

Notons,  d'abord,  —  ma  politesse  ou  mon  patriotisme  n'ose  dire  un 
désaccord,  —  une  antithèse,  au  moins,  entre  ces  ftères  voix  des  maîtres 
et  la  foule  qui  s'écoule  ;  un  invisible  fossé,  plutôt  qu'un  abîme,  entre  le 
«  plaisir  sacré  »  de  l'oreille  et  la  distraction  moins  esthétique  de  la  vue. 
N'insistons  pas,  dirait  Banville...  J'ignore,  jusqu'à  présent,  de  quelles 
musiques  pouvait  retentir  Suburre  ou  Racotis;  mais  on  n'attendait 
guère  ces  voix  olympiennes  sur  le  trottoir  incessamment  roulant  du 
bouleeart,  selon  l'orthographe  de  nos  aïeux,  les  gandins.  Or.  je  constate 
en  moi  que  cette  impression  psychologique  n'a  rien  d'inédit,  ce  soir  : 
sans  recourir  aux  explications  de  la  métempsycose,  aux  souvenirs  d'une 
vie  antérieure,  idéalisant 

Les  tièdes  voluptés  des  nuits  mélancoliques. 

j'ai  ressenti  cette  sensation  d'antithèse  aux  soirées  d'Aphrodite,  dans  le 
décor  d'une  Alexandrie  savamment  orientale  et  quelque  peu  wagné- 
rienne,  dont  la  haute  harmonie  faisait  contraste  avec  la  frivolité  de 
Ghrysis  et  la  faiblesse  deDémétrios.  Ici.  loin  de  l'antique  Beauté,  l'an- 
tithèse augmente:  il  nous  manque  l'azur  et  la  clarté  du  Mur  céra- 
mique... Le  joli  s'aggrave  auprès  du  beau  musical,  entendu  dans  la 
buée  des  cigares,  le  cliquetis  des  soucoupes  et  l'impitoyable  ronron  des 
voix  commerçantes;  une  horloge  sonne  faux,  dans  l'éloignement ;  une 
trompe  d'auto  jette  sa  lourde  ironie  dans  notre  lyrisme  et,  soudain, 
l'éclatement  d'un  pneu  coupe  la  symphonie,  sous  l'éventail  cendré  des 
feuilles  sèches.  A  chaque  instant,  le  charme  se  rompt,  la  musique 
s'éteint;  dès  qu'elle  se  rallume,  sa  splendeur,  même  estompée,  fait  tort 
à  la  beauté  du  diable  :  quand  l'oreille  est  purifiée  par  sa  voix  d'au-delà, 
le  regard  voit  un  anachronisme  imprévu  dans  chacune  de  ces  petites 
silhouettes  empanachées  qui  passent,  fantômes  féminins  qui  défilent, 
chaque  soir,  avec  une  ponctualité  que  Verlaine  ne  montra  jamais  pour 
se  rendre  à  son  bureau... 

Dieu  parle  :  il  faut  qu'on  lui  réponde. 
Le  seul  dieu  qui  nous  reste  au  monde 
Est  le  grand  cœur  de  Beetooven. 

Quand  Beethoven  parle,  le  monde  réel  s'effrite  comme  le  palais 
d'Armide;  en  présence  de  l'art,  le  vrai  devient  invraisemblable.  C'est 
l'heure  où  Cythère  devient  la  triste  Cérigo,  dirait  le  poète;  et  pour 
retrouver  l'illusion  perdue,  le  rêve  s'échappe  avec  la  tendre  suavité  de 
Massenet. 

Un  café  n'est  donc  pas  encore  la  parfaite  salle  de  concert  qui  nous 
manque  :  on  n'y  rencontre  pas  spontanément,  même  à  la  terrasse  et 
sous  les  yeux  des  étoiles,  cette  réconciliation  des  arts  que  pressentait, 
dans  l'opéra,  La  Bruyère  (2)  et  que  Delacroix  trouvait  «  abusive  »  ;  et  le 
propre  de  ce  spectacle  n'est  point  «  de  tenir  les  esprits,  les  yeux  et  les 
oreilles  dans  un  égal  enchantement  ». 

Sans  accuser  de  notre  malaise  le  dieu  Beethoven,  allons  plus  loin  que 
cette  première  impression  de  contraste.  Aujourd'hui  plus  que  jamais, 
dans  le  grand  tout  social,  évoluant  sans  répit  comme  cette  foule  qui 
passe,  la  vie  musicale  elle-même  est  ou  devient  un  problème  écono- 
mique :  on  y  retrouve  secrètement,  comme  ailleurs  ou  comme  tout 
près,  la  loi  de  l'offre  et  de  la  demande,  les  tacites  rapports  habituels 
entre  le  producteur  et  le  consommateur  (le  mot  n'est  point  déplacé  dans 
le  bruit  des  bocks).  En  musique  même,  le  consommateur  est  souverain, 
puisqu'il  paie.  Mais  en  musique  surtout,  le  snobisme  aidant,  le  produc- 

(1)  A  la  fin  de  son  beau  livre,  Musiciens  d'aujourd'hui  (Paris,  Hachette,  1908). 

(2)  Dans  les  Caractères  ou  les  Mœurs  dece  siècle  (Paris,  Michallet,  1£88),  chapitre  I"  : 
Des  ouvrages  de  l'esprit,  §  47. 


teur  a  la  plus  grande  autorité  sur  les  goûts  du  consommateur.  Le 
producteur,  ici  comme  ailleurs,  réunit  le  capital,  représenté  par  les 
compositions  du  génie  ou  de  la  mode,  et  le  travail,  incarné  par  d'ano- 
nymes interprètes,  orchestre  d'exécutante  plus  ou  moins  brillamment 
compréhensifs,  mais  intermédiaires  obligatoires  entre  l'œuvre  et  l'au- 
diteur. Et  voyez  poindre  aussitôt  le  grand  fait  nouveau  delà  concurrence: 
«  Croissez  et  multipliez  »,  a  dit  le  dieu  Beethoven;  et  la  multiplication 
des  grands  concerts  n'a  point  manqué  d'enfanter  les  petits  orchestres  ; 
en  dix-neuf  ans  d'existence,  le  Concert-Rouge  a  recueilli  les  épaves 
classiques  et  le  public,  vraiment  populaire,  de  Pasdeloup;  du  Concert- 
Rouge  est  né  le  Concert-Touche,  affichant,  à  deux  pas  de  la  Scala 
(n'ajoutez  point  Cantorum),  des  festivals  «  Beethoven- Debussy  »... 
Comprenez-vous,  maintenant,  devinez-vous  dans  quel  sens  un  critique 
parisien  peut  affirmerquïl  n'y  a  plus  d'enfants,  et  pour  quelles  bonnes 
raisons  Amoureuse  n'est  plus  la  complémentaire  obligée  de  l'habit 
rouge  des  pseudo-tziganes  ?  Oui,  tout  arrive,  à  son  heure,  —  un  peu 
tard  seulement  quand  il  s'agit  de  musique  :  et  nos  consommateurs 
mêmes  réclament  autre  chose,  dorénavant,  que  les  valses  des  Strauss 
ou  la  Vague  de  Métra. 

Au  café  comme  au  jardin,  peut-être  est-on  moins  exigeant  que  dans 
la  bonbonnière  Gaveau  :  telle  «  suite  »,  ressassée  depuis  trop  d'hivers, 
parait  encore  agréable;  en  changeant  de  milieu,  la  rapsodie  fanée 
reconquiert  une  certaine  fraicheur;  au  crépuscule,  telle  une  rose  d'au- 
tomne, la  vivante  Artésienne  «  est  plus  qu'une  autre  exquise  »  ;  le  plein- 
air  nocturne  semble  fait  pour  elle.  A  l'heure  plus  triviale  de  «  l'apéritif  », 
les  déhanchements  de  la  Mattchiehe  conviendront  toujours  mieux  que  le 
blason  de  Lohengrin...  Partout,  cependant,  la  musique  se  renouvelle  : 
dans  le  clair  silence  d'une  vieille  rue,  un  orgue  abime  la  belle  phrase 
italienne  de  Wolfram  à  Tannhauser;  un  jour  de  pluie,  dans  un  passage, 
l'ouverture  de  Tannhauser  précipite  ses  entraînantes  harmonies  sur  un 
piano  sans  pianiste...  Sans  doute,  on  ne  fredonne  pas  encore  Tristan, 
malgré  son  italianisme,  ou  le  Prélude  à  l'Après-midi  d'un  faune:  mais, 
partout,  le  concert  est  en  avance  sur  le  théâtre,  et  les  provinciaux  qui 
veulent  applaudir  la  Juive  s'engouffrent  à  la  Gaieté-Montparnasse.  Au 
contraire,  et  trop  longtemps  oubliées,  les  symphonies  d'Haydn  retour- 
nent à  nos  grands  concerts  pour  déwagnériser  leurs  menus  ;  la  sonate 
de  Franck,  dont  uu  critique  d'avant-hier  renvoyait  les  premiers  inter- 
prètes «  aux  Petites-Maisons  »,  se  joue,  rue  de  Tournon,  devant  de 
vrais  consommateurs. 

N'est-ce  pas  l'éternel  destin  de  toute  mélodie  d'accroître  insensible- 
ment sou  public  en  perdant  de  sa  rareté?  Dés  qu'elle  se  répand,  les 
renchéris  affectent  de  la  bouder;  et  c'est  ainsi  que  Wagner  se  meyer- 
beerise  :  voici,  déjà,  le  crépuscule  du  dieu...  Mais,  Egmoiit  ou  Coriolan, 
l'aristocratie  foncière  de  l'idéal  résiste  à  toutes  les  promiscuités. 

Est-il  dangereux  de  vulgariser  les  chefs-d'œuvre?  C'était  l'avis 
d'Antoine  Rubinstein,  il  y  a  plus  de  quinze  ans  déjà,  dans  son 
Entretien  (1)  qui  fourmille  de  paradoxales  vérités.  Surpris,  à  bon  droit, 
de  «  notre  infatigabilité  musicale  »,  le  confident  du  génie  aurait  souffert 
d'entendre,  dans  un  concert  populaire  ou  dans  un  jardin  public,  la 
neuvième  symphonie,  les  derniers  quatuors  ou  les  dernières  sonates  de 
Beethoven,  «  non  parce  que  le  public  ne  les  comprendrait  pas,  mais,  au 
contraire,  de  crainte  qu'il  ne  les  comprit...  »  Et  Rubinstein  ajoutait 
qu'aux  eaux  le  malheureux  compositeur  ne  se  guérit  point  parce  qu'il 
entend,  comme  nous,  «  trop  de  musique  »,  trop  de  grande  musique,  au 
lieu  d'airs  nationaux  et  de  danses  reposantes! 

Cependant.  Rubinstein  même  ne  se  prononçait  pas  :  entre  les  hautes 
initiations  fermées  du  sanctuaire  et  la  porte  ouverte  au  profanum  vulgus, 
il  hésitait,  sans  conclure;  en  artiste,  il  recourait  au  dialogue  afin  de 
confier  le  pour  et  le  contre  aux  deux  avocats  que  Delacroix  entrevoyait 
dans  toute  cause  :  «  Bien  que  j'y  aie  beaucoup  réfléchi,  disait-il,  je  ne 
puis  décider  quel  est,  en  somme,  le  point  de  vue  le  plus  juste.  »  Au 
concert  encore  plus  qu'au  musée  les  avis  se  partagent  : 

—  L'art  dans  tout  !  L'art  pour  tous  !  rêvent  les  éducateurs  qui  ne  voient 
point  d'un  mauvais  œ.l  les  orchestres  d'amateurs  ou  les  conservatoires 
de  midinettes. 

—  L'Art  n'est  pas  fait  pour  tout  le  monde,  ripostent  les  musiciens, 
ennemis-nés  de  toute  vulgarité  qui  prend  le  nom  pompeux  de  vulgari- 
sation ;  l'Anglais  William  Morris  n'a  fait  qu'un  beau  rêve  en  voulant 
«  l'Art  pour  le  peuple  et  par  le  peuple  ». 

Les  premiers  se  préoccupent  surtout  de  la  foule  des  auditeurs  que 
peut  ennoblir  la  plus  haute  des  jouissances  humaines  ;  les  seconds,  de 
la  Musique.  «  cette  vierge  craintive  et  d'une  ombre  offensée  »,  qui  passe 
parmi  les  hommes  en  gardant  son  secret. 

(1)  La  Musique  et  ses  représentants,  irad.  Michel  Delines.  —  Voir  te  Ménestrel  du 
14  février  1892,  page  50,  col.  2. 


LE  MÉNESTREL 


309 


L'idéale  musique  est  l'apéritif  de  l'âme;  et  lame  se  réveille  à  sa  voix 
obscure.  L'art  musical  n'est  qu'un  exaltant,  mais  souverain;  serait-il 
dangereux?  Et,  depuis  Platon  jusqu'à  Victor  de  Laprade  (1),  voici  les 
philosophes  qui  signalent,  à  leur  tour,  ce  danger  de  provoquer,  même 
noblement,  la  sensation  fugitive  au  détriment  de  l'idée  claire  ;  aussi 
bien,  plus  d'uu  sage  a-t-il  entrepris  le  procès  de  la  musique  en  n'excep- 
tant point  les  chefs-d'œuvre.  Aujourd'hui,  nous  aurions  mauvaise 
grâce  à  répondre  que  découvrir  Mozart  ou  Beethoven  vaut  mieux  que 
d'aller  au  café...  puisque  nous  y  sommes!  Mais  que  les  philosophes  se 
rassurent  :  le  programme  seul  est  un  symptôme  des  temps  ;  le  consom- 
mateur bavarde  trop  pour  l'écouter. 

(A  suivre.)  Raymond  Bouyeii. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(POUR    LES    8EULS    ABOWVES    A    LA    HU8IQUE) 


Voici  revenir  notre  hambourgeois  Vollstedt,  celte  fois  avec  une  gavolle  :  Roses  de 
France.  Ce  n'es!,  peut-être  pas  très  caractéristique  comme  gavotte,  mais  cela  a  de 
l'élégance  et  de  la  facilité  aimable.  C'est  le  principal  pour  les  jeunes  doigts  auxquels 
il  faudra  confier  celte  pet i te  pièce  sans  prétention. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


On  prépare  eu  ce  moment,  à  l'Opéra  de  Vienne,  une  brillante  reprise  de 
Joseph,  le  chef  d'oeuvre  de  Méhul,  mais  avec  des  récitatifs  remplaçant  le  dia- 
logue parlé  de  la  version  française.  Sur  ce  que  seront  ces  récitatifs  et  sur  leur 
origine  assez  singulière,  M.  Félix  Weiugartner  vient  de  communiquer  au 
journal  le  Fremdenblatt  les  détails  suivants  : 

Lors  de  mon  dernier  séjour  à  Paris,  à  une  époque  où  je  ne  me  doutais  nullement 
que  je  serais  appelé  un  jour  à  la  direction  de  l'Opéra  de  la  Cour  de  Vienne,  je  Ds 
la  connaissance  d'un  amateur  de  musique,  un  particulier,  qui,  entre  autres  trésors, 
me  montra  de  vieux  manuscrits  jaunis  ayant  trait  au  Joseph,  de  Méhul.  Ce  sont  des 
récitatifs  pour  cet  opéra.  Je  demandai  à  mon  amateur  si  ces  manuscrits  étaient  peut- 
être  de  la  main  du  compositeur.  Il  ne  pouvait  pas  m'en  donner  l'assurance,  mais  une 
chose  est  absolument  certaine,  c'est  que  ces  récitatifs  datent  de  l'époque  de  Méhul. 
Ils  ont  au  moins  cent  ans.  Donc,  lorsque  je  pris  la  décision  de  monter  le  chef- 
d'œuvre  de  Méhul,  je  me  rappelai  aussitôt  ces  mystérieux  récitatifs.  Je  m'adressai  à 
leur  propriétaire  et  celui-ci  m'abandonna  la  musique  à  la  condition  que  je  prenne 
l'engagement  d'honneur  de  ne  jamais  dévoiler  son  nom.  La  remise  des  manuscrits  se 
fit  également  avec  des  formalités  bizarres.  Un  fondé  de  pouvoir  du  propriétaire  des 
manuscrits  arriva  chez  moi  dans  le  courant  de  l'été  et  me  remit  les  notes.  Il  ne  bou- 
gea pas  de  chez  moi  jusqu'à  ce  que  j'eusse  copié  les  feuil  es.  Je  dus  moi-même  faire 
lacopie  pour  laquelle  il  ne  me  fallut  pas  moins  de  quatre  jours.  Personne,  en  dehors 
de  moi,  ne  devait  toucher  aux  manuscrits.  Quand  j'eus  fini,  je  remis  les  notes  à 
l'homme  qui  les  avait  apportées  en  lui  exprimant  tous  mes  remerciements  et  celui-ci 
retourna  à  Paris.  Voilà  l'histoire  des  nouveaux  récitatifs  de  Joseph. 

—  On  télégraphie  de  Vienne  que  l'Opéra-Impérial  a  offert  à  ses  abonnés  le 
spectacle  assez  rare  d'une  représentation  en  français;  cela  ne  s'était  plus 
vu  depuis  Hamlet  avec  Faure  et  Christine  Nilsson.  On  a  donné  Samson 
et  Dalila  de  Saint-Saéns.  avec  M.  Dalmorès.  Muie  Cahier,  la  titulaire  du  rôle 
de  Dalila,  appartient  à  la  troupe  de  l'Opéra-Impérial.  mais  elle  a  chanté  plus 
volontiers  en  français  qu'en  allemand.  M.  Dalmorès  doit  prochainement  pa- 
raitre  dans  Lôhengrin. 

—  D'après  les  journaux  de  Prague,  il  serait  question  d'établir  à  Vienne  un 
théâtre  tchèque  permanent.  Cette  idée  a  été  mise  en  avant  à  l'occasion  des 
succès  qu'ont  obtenus  récemment  dans  la  capitale  autrichienne  une  troupe  de 
comédiens  venus  de  la  Bohème. 

—  Il  ne  se  passe  guère  d'année  sans  que  les  Viennois  saisissent  une  occa- 
sion ou  une  autre  pour  décerner  les  honneurs  du  triomphe  à  une  Cïntatrice 
ou  à  un  ténor  favoris.  On  attend  l'artiste  à  la  sortie  du  théâtre,  et,  lorsqu'il 
est  monté  en  voiture  au  milieu  des  ovations,  le  cheval  est  dételé,  attaché  der- 
rière la  voiture,  et  nombre  de  jeunes  gens  et  de  jeunes  femmes  se  mettent  au 
timon,  et,  d'une  main  légère,  tirent  le  véhicule  jusqu'à  destination.  C'est 
peu  compliqué,  comme  on  le  voit  et.  généralement,  cela  se  passe  sans  en- 
combre. Il  n'en  a  pas  été  ainsi  pourtant,  il  y  a  quelques  jours,  lorsque  le 
ténor  Slezak  a  eu,  lui  aussi,  la  petite  manifestation  à  laquelle  sa  notoriété  lui 
donnait  d'incontestables  droits.  Pendant  que  le  cortège  traversait  les  rues  de 
la  ville  en  troublant  quelque  peu  la  tranquillité  publique,  une  brigade  d'agents, 
conduite  par  des  officiers  de  police,  se  jeta  sur  les  manifestants,  non  sans 
quelque  violence,  et  se  mit  en  demeure  de  les  disperser.  Les  hommes  reçurent 
des  coups,  les  dames  furent  bousculées  et  le  char  du  malheureux  ténor,  avec 
le  cheval  attaché  derrière,  demeurait  en  panne  comme  une  simple  automobile. 

il  I  En  sa  fameuse  brochure  Contre  In  Musique  (Paris,  Perrin,  1880.. 


Tout  s'expliqua  bientôt.  La  police,  toujours  aux  aguets  à  cause  des  alterca- 
tions continuelles  causées  par  les  rivalités  de  races  entre  les  Tchèques  et  les 
Allemands,  s'était  crue  en  présence  d'un  mouvement  dirigé  contre  les  pre- 
miers et  contre  le  ténor  Slezak,  qui  appartient  à  leur  nationalité.  Lorsque 
l'on  vit  qu'il  ne  s'agissait  de  rien  de  pareil,  toute  latitude  fut  laissée  aux  di- 
lettanti  de  glorifier  à  leur  manière  le  chanteur  qui  avait  su  gagner  leurs  pré- 
dilections. L'attelage  humain  se  reforma  et  la  voiture,  s'ébranlant  de  nouveau, 
put  gagner  l'hôtel  où  l'artiste  était  descendu,  toujours  suivi  par  le  cheval  im- 
passible, attaché  derrière  et  marchant  au  pas. 

—  Les  machinistes  de  l'Opéra  Populaire  de  Vienne  viennent  de  se  mettre 
en  grève  à  cause  du  renvoi  de  deux  d'entre  eux,  et  ont  refusé  leur  service.  La 
direction  s'est  efforcée  de  réunir  une  autre  équipe,  mais  elle  n'a  pu  y  réussir, 
les  ouvriers  ayant  déclaré  le  boycottage  de  théâtre.  —  La  civilisation 
marche  ! 

—  La  première  audition  de  la  septième  symphonie  de  M.  Gustave  Mahler 
a  eu  lieu  le  19  septembre  dernier,  à  Prague,  sous  la  direction  du  composi- 
teur. 

—  Nous  empruntons  au  compte  rendu  annuel  de  la  bibliothèque  royale  de 
Berlin  l'extrait  suivant  relatif  à  la  collection  annexe  qui  se  trouve  au  Sckin- 
kel-Platz,  n°  6,  et  dont  l'archiviste  est  M.  Altmann  :  «  Le  développement  de 
la  «  Collection  musicale  allemande  »  a  suivi,  pendant  la  deuxième  année  de 
son  existence,  une  marche  progressive  régulière.  Grâce  à  la  sollicitude  du 
ministère,  une  somme  de  5i.l2o  francs  a  été  attribuée  à  cette  collection,  et 
un  reliquat  de  7.500  francs,  économisé  pendant  l'année  1900,  est  venu  s'v 
ajouter.  Ces  subsides  ont  permis  d'augmenter  le  nombre  des  agents  occupés  à 
la  confection  des  catalogues,  et  d'inventorier  environ  34.800  ouvrages.  Il  a 
été  constitué,  d'avril  1907  à  la  même  époque  de  l'année  suivante,  un  nombre 
de  95.902  fiches  classées  méthodiquement,  tt  de  d07.777  classées  alphabéti- 
quement. Les  volumes  qui  forment  le  fonds  de  cette  bibliothèque,  riche  d'en- 
viron 69.270  œuvres  musicales,  sont  actuellement  reliés  et  en  état  d'être  com- 
muniqués au  public.  » 

—  Quelques  journaux  allemands  se  sont  fait  l'écho  de  certaines  informa- 
tions d'après  lesquelles  on  aurait  songé  à  confier  à  M.  Gustave  Mahler  la 
direction  de  l'Opéra-Royal  de  Berlin.  Le  célèbre  chef  d'orchestre  a  fait  savoir 
à  cette  occasion  que  jamais  aucune  proposition  semblable  ne  lui  a  été  adres- 
sée et  qu'il  considère  comme  tout  à  fait  invraisemblable  que  l'on  songe  à  lui 
pour  le  poste  en  question.  Il  ajoute  que  d'ailleurs  ses  engagements  rappellent 
à  New-Vork  en  novembre  prochain.  Ce  qui  a  donné  naissance  aux  bruits 
dont  il  s'agit,  c'est  la  séparation  projetée  de  l'Opéra  et  du  Schauspielhaus, 
tous  les  deux  ayant  été  placé»  jusqu'ici  sous  la  régie  de  M.  Georges  de  Hùl- 
sen,  intendant  général  des  spectacles  royaux. 

—  M.  Richard  Strauss,  qui  vient  de  subir  une  petite  opération  dans  une 
clinique  de  Munich,  est  déjà  de  retour  à  sa  villa  de  Garmisch  où  il  travaillera, 
dès  l'achèvement  complet  de  sa  partition  d'Elektra,  à  un  opéra-comique, 
d'après  un  texte  de  M.  Hugo  von  Hofmannslhal.  La  première  i'Elektra  aura 
lieu  à  Dresde  en  janvier;  le  mois  suivant  l'œuvre  sera  jouée  à  l'Opéra-Roval 
de  Berlin.  M.  Richard  Strauss  parait  tenir  beaucoup  à  ce  que  l'on  pense  qu'il 
est  dans  les  meilleurs  termes  avec  l'empereur  Guillaume.  «  L'empereur,  a-t-il 
dit  à  un  rédacteur  du  Lokal  Anseiger,  s'intéresse  à  mon  activité  comme  com- 
positeur, beaucoup  plus  que  ne  le  croient  mes  rivaux  et  mes  adversaires. 
Obéissant  à  ses  ordres,  j'ai  composé  les  ouvrages  suivants  :  ma  Marche  de  fête 
qui  est  jouée  à  l'Opéra-Royal  aux  jours  de  représentations  de  gala;  mon  Bran- 
denburger  Parademarscli.  d'après  de  vieilles  mélodies,  et  deux  marches  de  cava- 
lerie que  l'empereur  a  envoyées  à  ses  chasseurs  royaux,  à  Posen.  Tout  der- 
nièrement encore,  j'ai  terminé  une  marche  pour  défilé  de  troupes  et  une 
marche  guerrière,  dont  la  dédicace  a  été  agréée  par  Sa  Majesté.  » 

—  M.  Ernest  von  Schuch.  le  directeur  général  de  la  musique  royale  de 
Dresde,  qui  a  été  très  apprécié  à  Paris  en  190-i,  lorsqu'il  conduisit  l'orchestre 
Colonne  pendant  un  concert,  vient  de  refuser  les  invitations  qui  lui  avaient 
été  faites  d'aller  diriger  des  œuvres  de  Wagner  et  de  Richard  Strauss  à  Rar- 
celone  et  à  Lisbonne.  La  visite  attendue  du  roi  d'Espagne  àDresde  l'oblige  à  ne 
pas  s'éloigner  de  cette  ville,  où  il  doit  diriger  une  représentation  de  l'opéra  en 
quatre  actes  Aktè,  paroles  et  musique  de  M.  Joan  Manen,  le  seul  opéra  espagnol 
que  l'on  joue  en  Allemagne.  On  se  souvient  que  cet  ouvrage  fut  donné  à  Dresde 
pour  la  première  fois  le  2-i  janvier  dernier.  Son  apparition  sur  la  scène  remonte  à 
1903  et  eut  lieu  à  Barcelone.  L'histoire  d'Akté,  aimée  de  Néron  avec  un  véritable 
amour,  forme  un  épisode  touchant  des  premiers  temps  du  christianisme. 
«  Quant  à  Akté,  dit  Renan,  si  elle  ne  fut  pas  chrétienne,  ainsi  qu'on  l"a  sup- 
posé, il  ne  s'en  fallut  pas  de  beaucoup.  C'était  une  esclave  originaire  d'Asie; 
elle  garda  toujours  des  goûts  simples  et  ne  se  détacha  jamais  complètement  de 
son  petit  monde  d'esclaves.  Cette  pauvre  fille, humble,  douce,  et  que  plusieurs 
monuments  nous  montrent  entourée  d'une  famille  de  gens  portant  des  noms 
presque  chrétiens,  fut  le  premier  amour  de  Néron  adolescent.EUelui  fut  fidèle 
jusqu'à  la  mort  ;  nous  la  retrouverons,  à  la  villa  de  Phaon.  rendant  pieusement 
les  derniers  devoirs  au  cadavre  dont  tout  le  monde  s'écartait  avec  horreur". 
Néron  fut  inhumé  par  Akté  dans  un  grand  linceul  blanc  et  ses  cendres  furent 
placées  dans  le  tombeau  des  Domitius.  grand  mausolée  qui  dominait  la  colline 
des  Jardins  (lePincio).  Son  fantôme  hanta  le  moyen-âge  comme  un  vampire. 
C'est  afin  de  rassurer  le  peuple  qui  croyait  voir  des  apparitions  sur  le  lieu 
de  la  sépulture  de  l'empereur  artiste,  chanteur  et  comédien,  qui  lit  des  sup- 
plices un  spectacle,  que  fut  bâtie  l'église  Santa  Maria  del  popolo.  Comme  on  le 


•310 


LE  MENESTREL 


voit,  le  sujet  à'Akté  se  rattache  à  l'époque  où  le  christianisme  naissant  reçut 
le  baptême  de  l'eu  des  persécutions.  11  semble  donc  que  l'on  ne  pouvait  choisir 
un  meilleur  ouvrage  pour  une  représentation  de  gala  offerte  à  un  souverain 
espagnol  de  race  latine.  En  même  temps  qu'Akté,  M.  von  Schuch  remettra  en 
scène  tes  Trois  Pinlos  de  Weber.  C'est  encore  là  une  des  raisons  qui  le  retien- 
nent à  Dresde. 

—  Le  chanteur  Charles  Scheidemantel  vient  de  célébrer  le  trentième  anni- 
versaire de  ses  débuts  au  théâtre.  H  a,  en  effet,  paru  pour  la  première  fois 
sur  une  scène  lyrique  en  1878  à  Weimar,  dans  le  rôle  de  "Wolfram  de  Tann- 
huuser.  Il  est  attaché  à  l'Opéra  de  Dresde  depuis  18S6. 

—  L'intendant  général  du  théâtre  de  la  Cour  grand-ducale  à  Weimar. 
M.  de  Vignau,  va  résigner  ses  fonctions  et  sera  remplacé  par  M.  Charles  de 
Schirach. 

—  La  ville  de  Brunswick,  où  le  grand  violoniste  Spohr  naquit  le  3  avril  1784 
(il  mourut  à  Cassel  le  22  octobre  1839),  s'apprête  à  élever  un  riche  monument  a 
l'illustre  virtuose,  qui  fut  en  même  temps  un  compositeur  remarquable  à  qui 
l'on  doit  plus  de  130  œuvres  de  tous  genres.  Il  appartient  sous  ce  rapport  à  l'école 
romantique  allemande,  mais  plus  près  de  Schubert  et  de  Mendelssohn  que  de 
Weber  et  de  Marschner.  De  ses  dix  opéras  deux  surtout  sont  restés  fameux. 
Jessunda  et  Faust,  bien  que  ce  dernier  ait  été  supplanté  dans  toute  l'Allemagne 
par  le  Faust  de  Gounod.  Ses  oratorios,  symphonies,  ses  ouvertures,  ses 
messes,  ses  chœurs,  se>  lieder.  ses  compositions  de  musique  de  chambre  sont 
des  œuvres  plus  qu'eslimables.  mais  auxquelles  manque  toutefois  la  flamme 
du  génie.  Il  semble  que  Spohr  écrivait  plus  avec  son  cerveau  qu'avec  son 
cœur;  il  en  résulte  que  sa  musique  est  un  peu  froide  et  compassée.  Comme 
violoniste,  Spohr  appartient  à  la  grande  école  allemande  moderne,  celle  de 
Ferdinand  David,  de  Marrer,  de  Mayseder.  dont  le  dernier  et  le  plus  illustre 
représentant  fut  Joachim.  Sa  musique  de  violon  est  peu  connue  de  nos 
artistes  français,  à  part  son  beau  recueil  d'Études  qui  est  un  excellent  travail  ; 
il  a  pourtant  écrit  quinze  concertos  et  un  certain  nombre  de  sonates  avec 
piano. 

Spohr.  qui  a  joui  dans  son  pays  d'une  grande  renommée,  a  été  l'objet  de 
divers  travaux  biographiques;  mais  la  publication  la  plus  intéressante  le 
concernant  est  assurément  son  Autobiographie,  qui  parut  à  Gœttingue  un  an 
après  sa  mort.  Écrite  bonnement  et  sans  emphase,  cette  autobiographie  donne 
de  nombreux  détails  sur  l'existence  de  Spohr,  sur  ses  divers  voyages  en 
Allemagne,  en  Russie,  en  Italie,  en  Angleterre,  en  France,  sur  tous  les  grands 
artistes  avec  lesquels  il  s'est  trouvé  en  contact  et  en  relations  :  Paganini, 
Meyerbeer,  Zingarelli,  Mrae  Catalani,  Moscheles,  Ferdinand  Ries,  etc.  Le  récit 
est  émaillé  d'anecdotes  souvent  curieuses.  Témoin  celle-ci.  A  Naples,  Spohr 
rend  visite  au  célèbre  Zingarelli,  directeur  du  Conservatoire  :  dans  la  conver- 
sation, après  qu'il  eut  été  beaucoup  question  d'Haydn,  il  prononce  le  nom  de 
Mozart:  alors  Zingarelli,  tout  en  convenant  que  Mozart  avait  eu  quelques  dis- 
positions pour  la  musique,  ajoute  qu"  «  il  était  fort  à  regretter  que  ce  maître 
•t'eût  pas  eu  le  temps  de  continuer  ses  études  encore  pendant  une  dizaine  d'années: 
qu'alors  il  eût  pu  mettre  au  jour  quelques  bons  ouvrages  ».  Et  en  rapportant 
ce  propos,  Spohr  dessine  une  tête  d'àne.  Un  peu  plus  loin,  il  nous  donne  des 
détails  bizarres  sur  la  Malanotti,  une  des  plus  grandes  cantatrices  du  temps  : 
—  «  La  signora  Malanotti,  dit-il,  est  un  des  meilleurs  contraltos  qui  existent 
aujourd'hui.  En  ce  moment  elle  se  reposait  à  Brescia  auprès  de  son  cavalier 
servant,  le  comte  Secchi,  qui  possède  un  magnifique  hôtel  a  Brescia,  et  une 
villa  plus  belle  encore  dans  les  environs.  Son  adorateur,  qui  est  très  riche  et 
très  instruit,  a  consacré  sa  vie  entière  au  service  de  sa  donna,  pendant  que  ses 
deux  frères  se  sont  distingués  en  combattant  au  service  de  la  France.  Depuis 
dix  ans  il  l'accompagne  dans  toutes  les  villes  où  elle  chante,  régit  ses  affaires, 
et  se  prête  a  tous  ses  caprices.  Sa  seule  occupation  sérieuse,  c'est  d'écrire 
l'histoire  de  sa  belle,  c'est-à-dire  le  récit  des  victoires  qu'elle  a  remportées  sur 
ses  rivales,  et  de  ses  aventures  galantes.  Une  fois  par  an  elle  lui  fournit  les 
pièces  à  l'appui  de  ce  récit  ; -ce  sont  les  originaux  des  déclarations  d'amour 
qu'elle  a  reçues,  et  quoiqu'il  soit  excessivement  jaloux,  elle  parvient  toujours 
à  décider  le  pauvre  fou  à  copier  ses  billets  doux  et  à  les  inscrire  dans  son 
histoire  avec  les  explications  nécessaires.  La  Malanotti  est  mariée  ;  elle  a 
même  deux  enfants  qu'elle  aime  beaucoup,  dit-on.  Le  mari  joue  un  rôle  assez 
triste  :  il  se  tient  toujours  à  une  certaine  distance,  suivant  d'un  œil  attentif 
ses  moindres  gestes.  Le  comte  Secchi  n'a  encore  vu  ni  Rome  ni  Naples,  parce 
que  sa  belle  n'a  point  encore  citante  dans  ces  deux  villes,  et  qu'elle  lui  accor- 
derait difficilement  la  permission  de  s'y  rendre  sans  elle...  » 

—  A  Rimini,  première  représentation  de  Fau-la,  opéra  en  trois  actes  qui 
est  le  début  à  la  scène  d'un  jeune  compositeur,  M.  R.  Bianchi.  Livret  fâcheux, 
musique  sans  nerf  et  sans  originalité.  Interprètes  principaux  :  Mmc  Olga  del 
Signora  et  MM.  Palet  et  Rebonate. 

—  Nom,  l'opéra  du  maestro  Luporini,  dont  nous  avons  annoncé  sommaire- 
ment la  première  représentation  à  Lucques,  parait  avoir  obtenu  un  certain 
succès.  L'ouvrage,  qui  est  en  trois  actes,  est  écrit  sur  un  livret  de  M.  Nicolo 
Daspuro.  Plusieurs  morceaux  ont  été  bissés.  L'héroïne  est  personnifiée  d'une 
façon  remarquable  par  Mme  Amelia  Karola.  Les  autres  interprètes  sont 
M1"  Agozzino,  le  ténor  Schiavazzi  et  le  baryton  Aversano. 

—  Le  public  italien  n'est  pas  près  de  manquer  de  nouveautés  lyriques.  On 
annonce  la  future  représentation  à  Rome  d'un  drame  musical  en  deux  actes, 
Jus  vêtus,  paroles  de  M.  Adone  Nosari.  musique  de  M.  "Virgilio  Ranzato,  et  au 

Theàtre-Victor-Emmanuel  de  Turin   celle  d'un  opéra  en  quatre  actes,   Sera- 


fina  d'Albania,  paroles  du  capitaine  Aifredo  Mancini.  musique  de  M.  F. -A. 
Cuneo.  D'autre  part,  les  journaux  nous  font  connaître  que  plusieurs  composi- 
teurs viennent  de  terminer  toute  une  série  d'ouvrages  importants  qui  ne  de- 
mandent qu'à  être  soumis  à  l'appréciation  et  au  suffrage  du  public  :  Cerve, 
opéra  en  trois  actes,  paroles  de  M.  Gino  Civetta,  musique  de  M.  Giovanni 
Pennachio.  cnpomusica  du  77e  régiment  d'infanterie  ;  Hiawatha,  texte  tiré  d'un 
poème  de  Longfellow  par  M.  Carlo  Zangarini,  musique  de  M.  Mezio  Agos- 
tini  ;  l'Ombra,  paroles  de  M.  Luigi  Orsini,  inspirées  par  une  nouvelle  de 
Beltramelli,  musique  du  même  compositeur  :  Hoffmann,  drame  lyrique, 
musique  de  M.  Laccetti  ;  Leggenda  polacea,  musique  de  M.  Anacleto  Loschi... 

—  La  direction  du  Conservatoire  et  Institut  de  musique  de  Lausanne, 
vacante  par  suite  de  la  démission  récente  de  M .  E.-R.  Blanchet,  vient  d'être 
confiée  à  M.  Jules  Nicati,  professeur  de  la  classe  supérieure  de  piano.  Le  nou- 
veau directeur,  qui  est  né  à  Morges  le  16  octobre  1874,  fut  élève  à  Lausanne 
de  MM.  Eschmann-Dumur  et  Ch.  Blanchet,  à  Strasbourg  de  M.  Fritz  Blumer, 
et  à  Paris  de  M",e  Clauss-Szarvady.  Il  fut  nommé  professeur  au  Conservatoire 
de  Lausanne  en  1902,  ce  qui  ne  l'empêcha  pas  de  se  faire  entendre  fréquem- 
ment en  public  avec  succès. 

—  Mercredi  dernier,  23  septembre,  a  eu  lieu  à  Lausanne  un  Festival  Gabriel 
Fauré,  uniquement  consacré  aux  œuvres  de  l'éminent  compositeur.  Le  pro- 
gramme était  ainsi  composé  :  1.  Quatuor  avec  piano,  op.  30.  en  ut  mineur: 
2.  Sept  mélodies  pour  chant  et  piano:  3.  a  Elégie,  b  Sicilienne  pour  violoncelle 
et  piano;  i.  Sept  mélodies  pour  chant  et  piano:  S.  Sonate  pour  piano  et  violon, 
en  la  majeur.  Les  interprètes  de  M.  Gabriel  F'auré,  qui  tenait  lui-même  la 
partie  de  piano,  étaient  Mme  Debogis-Bohy,  cantatrice,  MM.  H.  Gerber  (violon), 
Bott  (alto)  et  E.  Canivez  (violoncelle). 

—  Le  Théâtre  de  Vevey  (Suisse)  n'est  pas  précisément  à  la  recherche  de 
nouveautés.  Il  a  donné  récemment  une  représentation,  curieuse  et  intéres- 
sante d'ailleurs,  composée  de  la  Serva  padrona,  de  Pergolèse,  dont  l'apparition 
remonte  à  1731.  et  du  Devin  du  village,  de  Jean-Jacques  Rousseau,  qui  fut 
joué  à  l'Opéra  en  1733.  Comme  à  ces  deux  ouvrages  se  rattache  la  grande 
o  querelle  de  bouffons  »  qui  fit  tant  de  bruit  à  Paris  à  cette  époque,  la  repré- 
sentation étant  précédée  d'une  conférence  littéraire  et  musicale  sur  Jean- 
Jacques  Rousseau  faite  par  M.  Jules  Carrara. 

—  0:i  a  célébré  la  semaine  dernière,  en  l'église  anglicane  de  Bruxelles,  le 
mariage  de  miss  Tita  Brand,  jeune  et  brillante  tragédienne,  fille  de  la  célèbre 
cantatrice  wagnérienne  allemande  Marie  Brema,  avec  un  jeune  littérateur 
belge,  M.  Emile  Commaerts,  auteur  d'une  nouvelle  version  de  Tristan  -et 
Ysmlt. 

—  Dimanche  dernier,  à  Aailon,  à  l'occasion  du  deuxième  congrès  pour 
l'extension  de  la  langue  française  qui  se  tenait  dans  cette  petite  ville  belge, 
une  cantate  dédiée  aux  congressistes  et  intitulée  Doulc  France,  a  été  exécutée 
avec  grand  succès  sur  la  place  Léopold.  La  musique  de  cette  cantate  est 
l'œuvre  d'un  compositeur  aarlonnais,  M.  E.  Henkels. 

—  Parmi  les  œuvres  qui  doivent  figurer,  en  cours  delà  saison  d'hiver,  sur  les 
programmes  de  la  Société  royale  d'oratorio  d'Amsterdam,  on  cite  le  Josué  de 
Haendel.  la  Symphonie  avec  chœurs  de  Beethoven,  l'Ode  à  l'Amitié  de  Johan 
Wagenaar,  le  Clmnt  de  la  Cloche  de  Vincent  d'Indy  et  la  Résurrection  du  Christ 
de  Fock.  —  De  son  côté,  la  Société  pour  l'encouragement  de  l'art  musical 
donnera  une  exécution  de  la  Passion  selon  saint  Mathieu,  de  Bach. 

—  M.  Auguste  Machado,  connu  déjà  par  plusieurs  ouvrages  dramatiques, 
vient  de  terminer  la  partition  d'une  comédie  lyrique,  a  Burgn°zinha,  qui  sera 
probablement  représentée  l'hiver  prochain  sur  un  des  théâtres  de  Lisbonne. 

—  D'après  une  nouvelle  venue  de  New-York,  des  cambrioleurs  se  sont  in- 
troduits dans  la  maison  de  campagne  deMme  LilianNordica,  située  dans  l'état 
de  Massachusetts,  et  y  ont  dérobé  pour  70.000 francs  de  bijoux. 

—  Au  Théâtre- Colon,  de  Buenos-Ayres,  on  a  donné  la  première  représen- 
tation d'un  opéra  intitulé  Aurora,  dû  au  compositeur  Panizza.  musicien 
argentin  de  naissance,  mais  italien  d'éducation  et  d'adoption.  Comme  d'ordi- 
naire, les  journaux  italiens  signalent  un  «  grandissime  succès  ». 

—  Ainsi  que  nous  l'avons  annoncé  déjà,  le  directeur  du  Manhattan  Opéra 
de  New-York,  M.  Hammerstein,  fait  construire  à  Philadelphie  une  salle 
d'opéra,  qui  ouvrira  ses  portes  le  17  novembre,  avec  Carmen.  L'infatigable 
directeur  américain  transportera  sa  troupe  d'artistes,  chanteurs,  cantatrices, 
choristes  et  musiciens  d'orchestre,  de  New-York  à  Philadelphie  pour  les  re- 
présentations. Il  offre  gratuitement  les  dépendances  du  nouveau  théâtre,  pour 
la  fondation  d'un  grand  conservatoire.  On  dit  que  le  concours  de  MD,e  Lilli 
Lehmann  et  de  M.  Alfred  Giraudet  sont  déjà  assurés  pour  fortifier  le  corps 
enseignant  de  l'institution.  L"n  gymnase  sera  organisé  pour  permettre  aux 
élèves  de  s'exercer  aux  exercices  physiques,  afin  d'acquérir  la  force  corporelle 
nécessaire  pour  s'adonner  utilement  aux  études. 

—  On  a  donné  au  mois  d'août  dernier  de  très  intéressants  concerts  d'orgue 
à  Salt-Lake-City,  capitale  du  territoire  d'Utah  (États-Unis).  Les  principaux 
morceaux  des  programmes  ont  été:  Sélection  de  Mignon,  d'Ambroise  Thomas, 
morceaux  de  la  Vierge,  de  Massenet.  Andunte  et  Toccata,  de  Widor.  Clmnt  du 
Saint  Sacrement,  de  William  Caauvet,  Chant  séraphique,  d'Alexandre  Guil- 
mant,  et  différentes  compositions  de  Weber,  Schumann,  Mendelssohn,  Doni- 
zetti,  Wagaer. 


LU  MENESTREL 


ÎM 


—  Une  école  d'an  dramatique  an  Japon.  Le  i''1  septembre  dernier  a  été 
ouverte  à  ïokio  une  école  destinée  à  former  des  artistes  pour  le  théâtre.  La 
directrice  de  cette  école  est  M"lc  Sada-Yakko,  l'actrice  japonaise  nui  vint  à 
Paris,  en  1900  et  en  1907.  en  compagnie  de  M.  Kawakami,  artiste  dramatique 
célèbre  comme  elle,  la  seconde  fois  surtout  pour  étudier  l'organisation  de  notre 
Conservatoire  et  assister  aux  représentations  théâtrales  parisiennes.  L'insti- 
tution que.  vient  de  fonder  M"":  Sada-Yakko  a  l'appui  financier  des  deux  ama- 
teurs de  théâtre.  MM.  Shibusava  et  Okura.  Elle  a  obtenu  en  outre,  d'une 
société  d'amis  des  arls  placée  sous  le  patronage  du  Mikado,  un  subside  une 
fois  donné  de  500  yens  (environ  2.500  francs)  et  une  mensualité  de  100  yens. 
L'école  est  actuellement  fréquentée  par  vingt  jeunes  filles  qui  ont  à  recevoir 
l'enseignement,  tant  au  point  de  vue  de  l'art  théâtral  traditionnel  de  leur  pays 
qu'à  celui  de  la  dramaturgie,  telle  qu'elle  est  comprise  en  Europe.  Toutes  les 
leçons  données  dans  l'institution  sont  gratuites.  M'"'  Sada-Yakko  impose  une 
condition  très  spéciale  aux  jeunes  personnes  qui  désirent  se  faire  admettre  au 
Conservatoire  japonais.,  c'est  d'être  d'une  taille  élevée.  On  considère  en  effet 
qu'elles  ne  sauraient  sans  cela  interpréter  avec  assez  de  relief  les  drames  des 
auteurs  européens,  particulièrement  des  classiques.  Mais,  dans  l'empire  du 
Mikado,  cette  condition  est  très  souvent  difficile  à  remplir  et  l'on  assure 
que  M"10  Sada-Yakko  a  toutes  les  peines  du  monde  à  recruter  un  personnel 
présentant  la  belle,  prestance  corporelle  qu'elle  exige. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

C'est  le  1er  octobre  que  s'ouvrira  au  Conservatoire  national  de  musique 
et  de  déclamation  le  registre  d'inscription  des  candidats  qui  sera  ouvert  de 
9h.  à  1  h.  Les  demandes  seront  reçues  jusqu'aux  dates  ci-après,  dernier 
délai: 

Flûte,  hautbois,  clarinette,  basson  :  jeudi  8  octobre. 

Cor,  cornet  a  pistons,  trompette,  trombone  :  samedi  10  octobre. 

Piano  (hommes)  :  lundi  12  octobre. 

Harpe:  mercredi  H  octobre. 

Chant  (hommes  et  femmes)  :  jeudi  15  octobre. 

Violon:  mercredi  21  octobre. 

Déclamation  dramatique  diommes  et  femmes)  :  vendredi  30  octobre. 

Contrebasse,  alto,  violoncelle:  vendredi  6  novembre. 

Piano  (femmes)  :  lundi  9  novembre. 

Les  concours  pour  l'admission  ont  lieu  dans  la  huitaine  qui  suit  la  clôture 
des  listes  d'inscription.  Les  aspirants  inscrits  sont  prévenus,  par  lettre,  du 
jour  et  de  l'heure  où  ils  seront  entendus  par  le  jury.  Ceux  qui,  trois  jours 
après  la  clôture  des  inscriptions,  n'auraient  pas  reçu  de  convocations  sont 
priés  d'en  aviser  le  secrétariat. 

—  A  l'Opéra  : 

M.  Broussan  est  rentré  à  Paris  cette  semaine  et  a  repris  sa  place  à  la 
direction  aux  cotés  de  M.  André  Messager.  Les  deux  directeurs  ont  tout 
aussitôt  fixé  définitivement  les  dates  de  la  répétition  générale  et  de  la  première 
représentation  du  Crépuscule  des  Dieux  qui  auront  lieu  les  dimanche  11  et 
mercredi  14  octobre. 

Entre  temps  M.  Messager  avait  signé  avec  M.  Hans  Richter  un  traité  par 
lequel  le  célèbre  chef  d'orchestre  hongrois  s'engage  à  venir  conduire  huit 
représentations  au  cours  du  mois  de  juin  1909  :  ces  représentations  seront  tout 
naturellement  wagnériennes  et  se  composeront  de  la  Valkyrie,  le  Crépuscule  des 
Dieux  et  Tristan  et  Isolée. 

A  signaler  le  réengagement  de  M11"  Marcelle  Demougeot  et  les  débuts  de 
M.  Marcoux,  bien  accueilli  dans  le  rôle  de  Méphistophélès  du  Faust  de  Gounod. 

Hier  soir  vendredi  a  dû  avoir  lieu  la  reprise  tant  attendue  de  l'Hamlet 
d'Ambroise  Thomas,  avec,  comme  grandes  vedettes,  Mlle  Mary  Garden,  chan- 
tant pour  la  première  fois  le  rôle  d'Ophélie,  et  M.  Renaud.  Hier  soir  égale- 
ment rentrée  de  Mlle  Zambelli  dans  le  célèbre  ballet  de  la  Fêle  du  Printemps. 

—  A  l'Opéra-Comique  : 

L'ouvrage  nouveau  de  M.  Salvayre,  Solange,  descendra  en  scène  au  courant 
de  la  semaine  prochaine.  C'est  dire  que  ses  jours  sont  proches. 

On  va  commencer  les  études  de  la  Sapho  de  M.  Massenet,  pour  lequel,  comme 
nous  l'avons  dit,  le  maitre  a  écrit  un  tableau  nouveau,  M"18  Marguerite  Carré 
et  M.  Salignac  en  seront  les  protagonistes,  et  aussi  s'occuper  des  reprises 
d'Orphée,  pour  les  débuts  de  M1"  Raveau,  et  de  la  Tosca  pour  M"e  Chenal'. 

Spectacle  d'aujourd'hui  samedi  :  Manon.  Demain  dimanche,  en  matinée:  Le 
Jongleur  de  Notre-Dame  et  Philëmon  et  Buucis  ;  en  soirée  :  Carmen.  Lundi, 
représentation  populaire  :  Mireille. 

—  C'est  jeudi  prochain  Ie1'  octobre  qu'aura  lieu,  à  la  G-aîté- Lyrique,  la  pre- 
mière représentation  de  Jean  de  Nivelle.  L'œuvre  exquise  de  Léo  Delibes,  dont 
on  se  rappelle  la  vogue  lors  de  sa  création  à  l'Opéra-Comique,  en  1880,  alter- 
nera sur  l'affiche  avec  Paul  et  Virginie,  dont  le  grand  succès  attire  toujours  la 
foule  place  des  Arts  et  Métiers. 

• —  Comme  nous  l'avions  dit,  la  commission  de  la  Société  des  auteurs  et 
compositeurs  dramatiques  a  reçu  samedi  dernier,  à  trois  heures  et  demie,  les 
délégués  de  l'Association  des  directeurs  de  théâtre.  La  commission  était  com- 
posée de  MM.  Paul  Hervieu,  président:  Saint-Saèns,  Jean  Richepin.  Robert 
de  Fiers,  G. -A.  de  Caillavet,  Paul  Milliet,  Maurice  Hennequin.  Les  délégués 
étaient  MM.  Albert  Carré,  Porel,  Micheau,  Franck,  Peter-Carin.  Fontanes  et 
Duplay.  La  réunion  a  duré  une  heure  et  demie.  A  son  issue,  la  Société  des 
auteurs  a  adressé  la  communication  suivante  : 

Les  délégués  de  l'Association  des  directeurs  de  théâtres  de  Paris  se  sont  rendus, 


hier,  a  la  commission  de  la  Société  des  auteurs  h  compositeurs  dramatiques  munis 
des  pleins  pouvoirs  de  leurs  confrères. 

Ils  ont  souscril  aux  propositions  qui  leur  "ni  ■'•(•:•  laites  par  la  e'unmisjion  et  .ju: 
portaient  sur  le  maintien  des  billets  de  faveur  et  d 

Su  outre,  la  commission  et  les  directeurs  se  sont  mis  d'accord  sur  des  mesures 

rigoureuses  à.  prendre  immédiate nt  pour  restreindre  l'abus  el  réprimer  le  traiie 

des  billets  de  laveur. 

Tous  les  théâtres  raisant  partie  de  l'Association  des  directeurs  on(  adh 
arrangements  l'exception  du  Chûtelet. 

Et  revoilà  enterrée  une  fois  de  plus  la  question  des  billets  de  faveur.  De 
nouvelles  commissions  la  reprendront  vraisemblablement  dans  plusieurs 
années,  et,  vraisemblablement  aussi,  n'arriveront  pas  plus  à  la  résoudre, 

—  M.  Théodore  Dubois  vient  de  terminer  une  symphonie  dont  le  titr  •  sera 
i  Symphonie  française  ».  C'est  la  première  oeuvre  du  maitre  en  ce  _ 

—  L'Association  artistique  des  Concerts-Colonne  prépare  sa  saison  —  qui 
promet  d'être  des  plus  brillantes  —  pour  191)8-190!).  Voici  quelle  sera  la  date 
des  concerts  qui  auront  lieu  comme  précédemment,  au  théâtre  du  Chûtelet  le 
dimanche  en  matinée  à  deux  heures  ,.|  demie. 

Série  A.  —  1"  concert,  18  octobre;  3%  1"  novembre  :  •",-,  15  novembre;  7-,  29  no- 
vembre; 9",  13  décembre;  11-,  27  décembre;  13".  17  janvier  1909;  17-,  31  janvier;  17  , 
14  février;  19",  7  mars;  21",  21  mars:  23  ,  'i  avril. 

Série  B.  —  2«  concert,  25  octobre;  l*,  8  novembi  i;  &  Î2  novembi  i',  6  décem- 
bre; 10»,  20  décembre;  12»,  10  janvier  1909;  14',  2i  janvier";  16",  7fëvrier;18  38  fé- 
vrier; 20-,  14  mars;  22',  28  mars;  2V,  9  avril  (Vendredi  saint,  à  lin  1 1  heures  du  soir. 

L'abonnement  se  fait  au  siège  de  l'Association,  13,  rue  de  Tocqueville  Des 
cartes  de  membres  honoraires,  strictement  personnelles,  donnant  l'entrée  aux 
répétitions  générales  du  samedi  matin,  sont  délivrées  au  siège  de  l'Associa- 
tion, 13,  rue  de  Tocqueville,  moyennant  une  cotisation  de  80  francs.  La 
présentation  par  deux  membres  honoraires  anciens  est  obligatoire. 

—  Le  théâtre  des  Variétés  annonce  sa  réouverture  pour  lundi  prochain  avec 
le  Roi,  la  pièce  de  MM.  de  F. ors,  de  Caillavet  et  Arène,  arrêtée,  par  l'été,  en 
plein  succès. 

—  Découpé  dans  le  «  Courrier  du  Théâtre  »  de  notre  excellent  confrère 
Nicolet  du  Gaulois  : 

En  1861,  au  moment  où  y  fut  représenté  Tannhâuser,  Victor  Massé  —  dont 
l'opéra  Paul  et  Virginie  vient  d'avoir  un  si  beau  regain  de  succès  à  la  Gaité  — 
tenait,  l'emploi  de  chef  des  chœurs  à  l'Académie,  alors  impériale,  de 
musique. 

Wagner  lui  garda  toujours  une  profonde  reconnaissance  pour  les  soins  qu'à 
ci  titre  il  avait  donnés  à  son  œuvre  pendant  les  répétitions.  Mais  cette  recon- 
naissance était  parfois  gênante  dans  son  expansion  un  peu  brutale. 

Un  soir  que  Massé  se  trouvait  au  Gymnase,  à  une  première,  il  entend,  au 
milieu  d'une  scène  capitale,  une  voix  de  stentor  qui  lui  crie  : 

—  Bonsoir.  Massé  ! 

Émotion  dans  la  salle.  Massé,  tout  interdit,  se  retourne  et  voit,  à  l'entrée 
des  couloirs  des  fauteuils  d'orchestre,  Wagner  qui  gesticulait.  Il  n'eut  pas  l'air 
d'y  prendre  garde. 

—  Bonsoir,  Massé  I  reprit  la  voix  avec  un  crescendo  formidable.  Vous  ne  me 
reconnaissez  donc  pas  "? 

Pour  éviter  une  tempête,  Massé  se  lève  et  va  rejoindre  Wagner  qui  tombe 
dans  ses  bras,  en  disant  : 

—  Ne  croyez  pas,  au  moins,  que  c'est  parce  que  j'ai  trop  bien  diné  '.... 
Parole  d  honneur,  à  jeun,  je  vous  adore  tout  de  même  '. 

Disons  entre  nous  que  Wagner  avait  ce  qu'on  appelle  une  légère  pointe. 
Mais  in  vino  Veritas!  Il  y  en  a  que  le  bourgogne  eût  rendu  ingrats.  Le  maitre 
allemand  n'était  pas  de  cette  école. 

—  Wagner  jugé  par  M.  Gabriele  d'Annunzio  :  —  o  L'opéra  de  Richard 
Wagner,  dit  le  poète,  est  fondé  sur  l'esprit  germanique,  il  est  d'essence 
purement  septentrionale.  Sa  réforme  a  quelque  analogie  avec  celle  opérée  par 
Luther.  Son  drame  n'est  autre  chose  que  la  fleur  suprême  du  génie  d'une 
race,  que  le  résumé  extraordinairement  efficace  des  aspirations  qui  emplirent 
l'âme  des  symphonistes  et  des  poètes  nationaux,  de  Bach  à  Beethoven,  d,- 
Wieland  à  Goethe.  Si  vous  imaginez  son  œuvre  sur  les  rives  de  la  Méditerra- 
née, parmi  nos  lauriers  svelUs,  sous  la  splendeur  du  ciel  latin,  vous  la  verrez 
pâlir  et  se  dissoudre.  Puisque,  selon  ses  propres  paroles,  il  est  donné  à  l'art 
de  voir  resplendir  dans  la  perfection  future  un  monde  encore  informe  et  d'en 
jouir  prophétiquement  par  le  désir  et  par  l'espérance,  j'annonce  la  venue  d'un 
art  nouveau  ou  renouvelé  qui,  par  la  simplicité  forte  et  sincère  de  ses  lignes, 
par  sa  grâce  vigoureuse,  par  l'ardeur  de  son  esprit,  par  la  pure  puissance  Je 
ses  harmonies,  continuera  et  couronnera  l'immense  édifice  idéal  de  notre  race 
élue.  Je  me  fais  gloire  d'être  un  latin,  et  —  pardonnez-moi  —  je  reconnais 
un  barbare  dans  tout  homme  de  sang  diû'érent.  o 

—  Ainsi  que  nous  l'avons  déjà  annoncé,  les  directeurs  des  théâtres  de  pro- 
vince, se  sont,  tout  comme  leurs  confrères  de  Paris,  constitués  en  syndicat. 
Le  comité  de  la  nouvelle  Société  vient  d'être  ainsi  établi  : 

■  M.  A.  Saugey,  directeur  de  l'Opéra  de  Marseille  et  du  Casino  de  Vichy,  prési  - 
dent;  MM.  Viguier,  directeurde  Lille,  et  Poncet,  directeur  d'Alger,  vice-présidents: 
M.  Daurelly.  directeur  de  Boulogne,  secrétaire  général  :  M.  Gabriel  Martini,  direc- 
teur de  Tournai,  secrétaire  adjoint;  M.  Bizet-Dufaure,  directeur  de  Clermont-Fer- 
rand,  trésorier;  M.  Coste,  directeur  de  Limoges,  trésorier-adjoint:  MM.  Villefranek, 
directeur  de  l'Opéra  de  Nice,  et  Pontet,  directeur  de  l'Opéra  d'Anvers,  membres. 
Le  syndicat  a  déjà  pris  deux  décisions  importantes  :  1°  de  se  communiquer 


312 


LE  MENESTREL 


au  fur  et  à  mesure  tous  les  engagements  que  les  directeurs  contracteraient 
avec  les  artistes  et  de  les  respecter  sous  peine  d'exclusion  du  syndicat  ;  2°  de 
sévir,  avec  la  dernière  rigueur,  aux  frais  mêmes  de  l'Association,  contre  tout 
manquement  aux  engagements  de  la  part  des  artistes,  choristes  et  musiciens. 

—  Un  travailleur  infatigable,  dont  j'ai  eu  plusieurs  fois  et  dont  j'aurai 
encore  l'occasion  de  parler,  M.  Paul  Fromageot,  vient  de  publier  une  bro- 
chure curieuse  sur  les  Orgues  et  organistes  de  Sainl-Germain-des-Prés  (1).  Les 
dix-sept  pages  de  cet  écrit  très  substantiel  nous  font  connaître  non  seulement 
les  destinées  bizarres  des  deux  orgues  successifs  de  l'antique  abbaye  devenue 
église  paroissiale,  mais  aussi  la  dynastie  complète  des  artistes  qui  furent 
appelés  à  faire  résonner  ces  nobles  instruments.  Parmi  ces  artistes  il  en  fut  de 
célèbres,  tels  que  Thomelin,  Calvière,  Miroir  l'aine  et  Beanvarlet-Charpentier. 
En  voici  d'ailleurs  la  liste,  chronologiquement:  Thomelin,  Quesnel,  Tassin, 
Calvière,  Delaporte,  Legrand,  Miroir,  Beauvarlet  Charpentier,  Bergoncini, 
Moncouteau,  Peters  Cavallo,  Jules  Stoltz  et  l'organiste  actuel,  M.  Auguste 
Barié.  Par  cette  brochure  intéressante,  qu'accompagnent  trois  belles  photo- 
gravures, M.  Fromageot  apporte  une  utile  contribution  à  l'histoire  des  orgues 
et  des  organistes  parisiens.  A.  P. 

—  Cours  et  Leçons.  — M™' Edouard  Colonne  reprendra  ses  cours  et  leçons  dj 
chant  le  1"  octobre,  21,  rue  Louis-David.  —  M™«  Laute-Brun,  de  l'Opéra,  a  repris  ses 
leçons  de  chant,  "4,  rue  Taitbout.  —  M.  Georges  Falkeoberg,  professeur  au  Conser- 
vatoire, reprendra  le  1er  octobre  ses  leçons  de  piano  et  d'harmonie  et  son  cours  de 
piano,  8,  rue  Poisson.  —  A  partir  du  1"  octobre,  il"  Girardin-Marchal  reprendra 
ses  cours  ue  musique  sous  la  direction  de  M.  Phitipp,  4,  rue  Le  Verrier  (jeudi  de  3  h. 
à  7  h.)  et  56.  rue  du  faubourg  Poissonnière  (vendredi  de  3  h.  à  5  h.;.  —  Mme  J.  Laf- 
fitte  a  repris  ses  cours  de  diction  et  leçons  particulières  de  chant,  1,  rue  Ballu. 

(1)  Extrait  du  Bulletin  de  la  Société  historique  du  Ve  arrondissement  de  Paris. 


NÉCROLOGIE 
On    annonce   la  mort,   à  Paris,  de  Mlle  Marie  Pautret  qui,  sous  Je  pseudo- 
nyme  de   Magdeleine   Symiaùe,  s'était  fait   connaître    comme  composteur, 
comme  auteur  dramatique  et  comme  chansonnier. 

—  Le  petit  monde  des  étudiants  allemands  vient  de  perdre  un  de  ses  com- 
positeurs favoris.  Otto  Lob,  artiste  infatigable  qui  a  passé  sa  vie  à  écrire  et  à 
chanter  des  lieder,  vient  de  mourir  à  l'âge  de  74  ans,  dans  un  sanatorium,  à 
îveckargemùnd,  près  de  Heidelberg.  Ses  ouvrages  n'eurent  jamais  aucune  pré- 
tention au  titre  d'oeuvres  d'art;  ils  s'adressaient  à  la  jeunesse  des  écoles  qui 
les  accueillait  avec  empressement.  Un  de  ceux  que  l'on  a  chanlés  le  plus  est 
intitulé  Filia  hospitalis  et  commence  par  ces  mots  :  «  0  temps  délicieux  de  la 
jeunesse...  »;  les  paroles  sont  de  M.  Otto  Kamp,  actuellement  professeur  à 
Bonn.  Lob  était  natif  des  provinces  rhénanes. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


En  vente  AU  MENESTREL,  2  bis,  rue  Vivienne,  BEUGEL  et  Cie,  éditeurs. 


PABLO     SARASATE 

Romance  et  entr'acte-gavotto  de  Mignon, 

transcription  variée  pour  violon  et  niano 7 

Hommage  à  Rossini,  grand  duo  de  concert  pour  violon  et  piano, 
souvenirs  du  Barbier,  de  Moïse  et  d'Othello  (avec  Louis  Diémer)   ....     9 


EN  VENTE,   AU    MÉNESTREL,   ±  bis,   RUE    VIVIENNE,    HEUGEL    et    C",   ÉDITEURS  —  Propriété  pour  tous  pays 

LÉO    DELIBES 

JEAN    DE    NIVELLE 


THEATRE- LYRIQUE 
GAITÉ 


Opéra-comique  en  3  actes.  Poème  .le  EDMOND  GONDINET  et  PHILIPPE  G1LLE 


THEATRE- LYRIQUE 
QAITÉ 


Partition  piano  et  chant,  net  :  20  francs.  —  Partition  piano  et  chant,  avec  récits,  texte  italien  et  français,  net  :  20  francs.  —  Partition  piano  seul,  net  :  12  francs 


MORCEAUX    DETACHES    PIANO    ET    CHANT 


Chœur  des  vendangeuses 0 

Ballade  de  la  Mandragore  (M. -S.).    .    .    .  b 

La  même,  en  sol  (S.) 5 

La  même,  chant  seul 1 

Mélodie  :  On  croit  à  tout  lorsque  l'on  aime  (S.)  5 

La  même,  en  la  bémol  (M. -S.  I 5 

La  même,  en  sol  (C.) 5 

La  même,  chant  seul 1 

Duo  :  Le  rossignol  et  la  faucetle  (C,  S.)    .  6 

Couplets  de  Jean  de  Nivelle  (T.)    .   .   .   .  o 

Les  mêmes,  pour  baryton 5 

Les  numéros  1  bis,  2,  11, 


6.  Duo  :  Eh  bien!  douce  Ariette  (T.,  S.)    .    .  7  80 

7.  Couplets  du  joli  berger  (B.i 5     » 

7 bis.  Les  mêmes,  en  sol  (T.) 5     » 

S.     Ronde  :  Avoine,  folle  avoine  (S.l   ....  a     » 

10.  Couplets  :  Se  consoler!  (C.) 5     » 

lObis.  Les  mêmes,  en  fa  mineur  (S.) o     » 

11.  Fabliàiî ;:'  Dans  le  moulin  (S.) 7  bO 

Il  bis.  Le  même,  pour  mezzo-soprano 7  50 

12.  Duo  de  la  Mandragore  (T.,  S.) 7  50 

14.  Ghant.de :guerre :  Là  gloire  est  là  (T.).   .  6    » 

15.  Strophes.:, Que. me  font  leurs  chants?  (C).  b     « 
et  19  sont  publiés  avec  accompagnement  d'orchestre  po 


15bis.  Les  mêmes,  en  sol  (S.) 5    » 

16.  Couplets  de  la  bataille  (S.) 5     » 

16bis.  Les  mêmes,  en  la  (M.'-S.) 5     » 

17.  Aivi'Ar\eHe:Ah!revieusdansmondme(S.)  7  50 

17 bis.  Le  même,  en  sol  (M.-S.) 7  50 

17  ter.  Le  même,  en  fa  (C.) 7  50 

18.  Romance  :  Il  est  jeune,  il  est  amoureux.  (B.)  5     » 
18bis.  La  même,  pour  ténor 5     » 

19.  Stances  de  la  Bannière  (T.) o     » 

19l«s.  Les  mêmes,  en  mi  (B.) b     .. 

21.     Duo  :  Fuyez  .'Tristan  est  sur  vos  pas  (S., 'F.)  7  50 

ur  les  concerts  (en  location). 


TRANSCRIPTIONS     POUR     PIA>Û 

Marche-prélude 5    »    |    Marche  entr'acte 5     »    |    Marche  française 2  50 


Ansuhûtz  .    .   Bouquets  de  mélodies,  2  suites, 

chaque 7  50 

P.  Barcot    .  Souvenirs 7  50 

Battmann  .    .  Les  succès  modernes  n°  20.   ...  5     » 


Battmann  .  .  Fanlaisie  facile 6  » 

Bull.   .   .  .  Les   silhouettes   n°  1S  ......  b  » 

Croisez.    .  .  Fantaisie  mignonne 6  » 

G.  Lange  .  .  Ou  croit  à  tout,  transcription  .    :  b  » 


Neustedt  .   .   Ballade  de  la  Mandragore  ....  6 

Trojelli    .    .   Les  Miniatures  n°  1  (la  Mandragore).  3 

—         .    .   Les  Miniatures  n°  6  (mélodie  et 

marche) 3 


Renaud  ue  Vilbac.  Deux  suites  concertantes,  à  quatre  mains,  chaque. 
Waldtbufel.   La  Mandragore,  suite  de  valses C     »    |    DeraS'Sart.   Pnlka  ■'.'• 


10 


TRANSCRIPTIONS     POUR     ORCHESTRE     ET     INSTRUMENTS     DIVERS 

5     »;  parties  séparées,  net.    ...     5     »;  chaque  partie' supplémentaire,  net .    . 


Marche -entr'acte,  partition  d'orchestre,  net. 
Prix 

Bonnelle.    .  Fantaisie  pour  harmonie,  parti- 
tion net 10     » 

Parties  séparées,  chaque,  net.  »  2b 

Gh.Dancla  .  Fantaisie  brillante,  violon,piano  9    » 

Deransart    .  Polka  pour  orchestre,  net ...  1     » 


(tF.mn    .    .    .   Airs  pour  flûte  seule    .....  0 

—      ...  Fantaisie  pbur*/2û'(e  et  piano  '.   .  0 

Guilraut  .    .   Airs  pour  cornet  seul  .....  0 
A.  Hermann.   Soirées  du  jeune  violoniste  n°  8, 

violon  et  piano   . 9 


A.  Hermann.  .  Soirées  du  jeune  flûtiste,  n°  S, 
flûte  et  piano 

P.  Taffanel.  .  Fantaisie,'  flûte  et  piano  .   .   . 

E.Waidteufel  La  Mandragore,  valse, orchestre, 
net 


—  (Encre  Lorillem). 


4045.  -  74e  ANNÉE.-  N°  40.  PARAIT  TOUS  LES  SAMEDIS 


Samedi  3  Octobre  1908. 


(Les  Bureaux,  2blB,  rue  Vivienne,  Paris,  ii-ut') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  nou,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


lie  flciméro  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  Numéro:  Ofr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  — Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (38'  article),  Julien-  Tiersot.  —  Semaine  théâtrale  :  première  représentation  de  L'Or,  au  Théàtre-Sarah-Iiernhardt,  Arthur  Pou- 
première  représentation  de  Madame  Bluff,  aux  Iioulîes-Parisiens,  Amédée  Boutarel. 
III.  Une  famille  de  grands  luthiers  italiens  :  Les  Guarnerius  (10"  article),  Arthur  Pougix.  —  IV.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

NUAGES  DANS  L'EAU 

extraits  des  Poèmes  de  Jade,  musique  de  Gabriel  Fabre,  poésie  de  Mme  Judith 

Gautier.  —  Suivra  immédiatement  :  Chanson  du  bord  de  l'eau,  d'ERNEST  Moret. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
LA  FRIPONNE 
polka-mazurka,  de  Rodolphe  Berger.  —  Suivra  immédiatement  :  Valse-ballet, 
d'ALiiERT  Landry. 


SOIXANTE    ANS     DE     LA    VIE     DE     GLUCK 


CHAPITRE    YII   :    L'éclosion   du 


destinée 


Cependant,  si,  par  un  de  ces  hasards  funestes  dont 
n'est  pas  avare,  Gluck  était  mort  le 
6  octobre,  lendemain  de  la  représentation 
A' Orfeo,  que  fût-il  advenu  du  chef-d'œuvre 
qui  contenait  en  lui  l'essence  même  de 
l'art  futur?  Il  nous  l'a  dit  :  sa  présence 
était  aussi  nécessaire  à  son  œuvre  que 
le  soleil  à  la  nature;  lui  disparu,  Orphée, 
de  quelque  succès  qu'il  eût  continué  à 
jouir  sur  la  scène  viennoise,  aurait  fini 
par  tomber  dans  l'oubli,  laissant  à  ses 
premiers  et  seuls  admirateurs  le  souvenir 
d'un  bel  effort  d'art,  mais  isolé  et  sans 
lendemain.  Peut-être  aujourd'hui,  exhu- 
mant le  manuscrit  des  archives  du  Théâ- 
tre de  la  Cour,  les  éditeurs  des  Denkmaler 
cler  Tonkunst  in  Oesterreich  le  gratifieraient 
d'une  place  dans  leur  collection,  entre  un 
volume  de  motets  de  Michel  Haydn,  et  les 
symphonies  pour  Servizio  di  Tavola  du 
premier  kapellmeister  Reutter,  celui  qui 
mit  Joseph  Haydn  à  la  porte  de  sa  maîtrise. 
Et,  pendant  toute  la  fin  du  dix-huitième 
siècle  (qui  sait?  plus  tard  peut-être  encore), 
on  eût  continué,  en  Italie  et  en  Alle- 
magne, à  sacrifier  toute  musique  de  chant 
à  la  virtuosité,  et,  en  France,  à  repré- 
senter des  ballets  d'action  et  des  opéras 
mythologiques,  où  l'accent  d'une  décla- 
mation indéfiniment  imitée  de  Lulli  se 
fût  étiolé  à  force  de  se  reproduire. 

Par  bonheur,  il  n'en  fut  pas  ainsi  :   en 
1762,  Gluck,  âgé  de  quarante-huit  ans,  avait  encore  devant  lui 


génie  :  Orfeo  ed  Euridice 
ingt-cinq  belles  années  de  vie,  dont  près  de  vingt  devaient 
être  consacrées  à  affirmer  la  puissance  de 
son  art.  Et  c'était  nécessaire,  car,  s'il 
voulait,  établir  sa  prééminence,  il  fallait 
qu'il  accumulât  les  chefs-d'œuvre,  pour 
faire  masse.  Et  d'abord  il  devait  affirmer 
par  tous  les  moyens  la  vitalité  de  celui 
par  lequel  il  venait  d'inaugurer  la  réforme. 
Car  Gluck  n'avait  pas  composé  Orfeo  ed 
Euridice  dans  la  seule  intention  d'en  don- 
ner une  simple  série  de  représentations 
sur  le  théâtre  de  Vienne,  mais,  en  vérité, 
pour  révolutionner  le  monde. 

Pour  cela  il  fallait  que  l'œuvre  fût  pro- 
pagée. 

Pouvait-il  le  faire?  Peu  facilement. 
L'organisation  générale  du  théâtre  en  Italie 
ne  lui  permettait  guère  d'espérer  y  répan- 
dre une  œuvre  si  opposée  au  goût  régnant  ; 
et  comment,  en  son  absence  (car  il  ne 
pouvait  être  partout!),  ce  qu'il  y  avait  de 
contradictoire  à  tous  les  usages  reçus, 
aurait-il  eu  chance  d'y  être  reproduit 
conformément  à  ses  intentions?  Nous 
verrons  dans  quelques  années,  quand, 
prenant  son  expansion  par  la  force  des 
choses,  Orphée  sera  admis  au  répertoire 
des  divers  théâtres  d'Europe,  et  tombera 
ainsi  en  des  mains  étrangères,  à  quelles 
incroyables  profanations  le  pur  chef- 
d'œuvre  se  trouvera  exposé  ! 

Un  seul  pays  semblait  à  Gluck  prédestiné 
le  comprendre  :  la  France.  Mais,  en  France,  on  ne  représentait 


314 


LE  MÉNESTREL 


pas  l'opéra  italien.  L'on  n'exhibait  pas  non  plus  de  castrats  sur  la 
scène  nationale.  Il  n'importe  :  c'est  vers  la  France  que  Gluck  vase 
tourner  pour  commencer  sa  propagande.  A  défaut  de  représenta- 
tion, il  pourra  peut-être  intéresser  les  gens  par  la  simple  lecture 
de  son  œuvre?  Autre  audace  !  Nouvelle  dérogation  aux  antiques 
usages!  Est-ce  que  l'on  publiait  les  partitions  d'opéras  italiens? 
Depuis  les  premières  tentatives,  au  commencement  du  dix- 
septième  siècle,  cela  ne  s'était  jamais  fait  :  c'est  par  les  copies 
que  se  répandaient  les  œuvres  les  plus  célèbres.  Cependant,  la 
France  avait  Ballard,  qui  déversait  parmi  le  monde  des  amateurs 
des  flots  de  musique  imprimée.  C'est  donc  à  Paris  que  Gluck 
s'adressa  pour  faire  paraître  sa  partition  d'Orfeo.  Nous  sommes 
très  bien  renseignés  sur  tout  ce  qui  concerne  cette  publication  et 
les  négociations  auxquelles  elle  donna  lieu,  qui  se  prolongèrent 
pendant  plusieurs  années:  le  détail  en  est  consigné  date  par  date 
dans  la  correspondance  de  Favart.  Le  comte  Durazzo  avait 
demandé  à  l'écrivain  français  de  s'entremettre  pour  mener  à 
bien  l'entreprise  :  celui-ci  s'y  était  prêté  avec  empressement, 
sans  s'attendre  aux  difficultés  qui  devaient  surgir  avant  l'achève- 
ment d'un  travail  habituellement  facile.  Mondonville.  à  qui 
il  avait  montré  le  manuscrit,  déclara  d'abord  estimer  l'ouvrage 
«  une  des  plus  belles  choses  qu'il  eût  vues  ».  Mais  la  copie 
était  pleine  de  fautes;  il  fallait  un  musicien  d'expérience  pour  les 
corriger.  Duni  refusa  de  le  faire  «  quand  on  lui  donnerait 
cinq  cents  livres  ».  Philidor  se  montra  plus  empressé  ;  il 
confessa  que  la  beauté  de  la  musique  lui  avait  fait  «  verser  des 
larmes  de  plaisir  »  ;  après  quoi,  comme  il  devait  faire  représenter 
l'année  suivante  le  Sorcier  à  l'Opéra-Comique,  puis  ensuite  Erne- 
linde  à  l'Opéra,  il  reproduisit  tout  au  long  dans  le  premier  —  en 
manière  d'hommage  apparemment  —  le  chant  et  l'accompagne- 
ment des  strophes  :  Chiamo  il  mio  ben,  et,  dans  la  seconde,  les 
thèmes  de  l'air  d'Eurydice,  et  toute  une  gavotte,  qu'il  se  contenta 
d'intituler  rigodon  (1).  Le  travail  de  la  gravure  allait  pourtant 
son  train,  mais  sans  hâte.  Dix-huit  mois  environ  après  la  pre- 
mière représentation,  la  partition  fut  prête,  et  parut,  ornée  d'une 
fort  belle  estampe.  Mais  le  règlement  de  la  dépense  fut  pénible. 
Favart  déclara  un  jour  que,  puisqu'on  ne  voulait  pas  payer  ce  qui 
lui  était  dû,  il  prenait  l'entreprise  à  sa  charge  ;  après  quoi  il  lui 
fut  permis  de  se  prévaloir  de  la  phrase  sacramentelle  :  «  Cela 
ne  se  vend  pas»  (2).  Il  se  peut  en  effet  qu'une  publication  faite 
si  en  dehors  de  la  coutume  ait  eu  d'abord  peu  de  débit.  On  ne 
saurait  dire  pourtant  qu'elle  ait  été  inutile  au  renom  de  Gluck. 
Elle  ne  le  fut  point,  n'eùt-elle  produit  d'autre  résultat  que  d'avoir 
servi  à  Jean-Jacques  Rousseau  pour  écrire  son  ingénieuse  page 
de  critique  musicale,  tour  à  tour  naïve  et  pénétrante  :  Réponse 
du  Petit  faiseur  à  son  Prête-nom  sur  un  morceau  de  /'Orphée  de  Gluck, 
qui  devait  suffire  à  montrer  qu'à  Paris  on  était  prêta  comprendre 
Gluck  (3). 
Le  poète,  de  son  côté,  faisait  de  son  mieux  pour  appeler  aussi 

(1)  Sur  les  emprunts  de  Philidor  à  la  partition  d'Orfeo  ed  Euridice,  qui  ne  sont  plus 
contestés  aujourd'hui,  voir  notre  préface  d'Orphée  dans  l'édition  Pelletau,  pp.  lxxx 
et  suiv. 

(2)  Il  est  question  de  cette  négociation  entre  Durazzo  et  Favart  (dans  le  tome  II  des 
Mémoires  et  Correspondance  littéraires,  etc.  de  G.  S.  Favart,  aux  dates  suivantes  ; 
28  janvier  1763,  G  février,  21  mars,  5,  8,  13,  19  avril  (à  ce  moment  on  attendait  Gluck- 
à  Paris),  4  (intervention  de  Philidor),  6,  21  mai,  18  juillet  et  29  décembre.  Pour  1764  : 
2,  4  (discussions  relatives  aux  conditions),  18  et  31  janvier  (nouvelle  annonce  d'un 
voyage  de  Gluck);  "t  février;  6  avril  (le  tirage  sera  flni  à  la  fin  de  la  semaine).  Pour 
1766,  le  13  avril  (l'on  n'a  vendu  que  neuf  exemplaires).  En  1767, 14  janvier  (règlement 
des  comptes,  un  peu  tardif,  et  auquel  Durazzo  ne  semble  pas  se  prêter  avec  beaucoup 
d'empressement).  Enfin  jusqu'en  1770,  le  30  avril,  on  voit  le  comte,  ayant  résigné 
depuis  longtemps  ses  fonctions  d'intendant  des  théâtres  de  Vienne,  s'enquérir  auprès 
de  Favart,  avec  une  sollicitude  touchante,  s'il  a  pu  tirer  quelque  parti  de  l'édition 
d'Orphée,  «  car  je  ne  voudrais  point,  ajoute-t-il,  que  vous  eussiez  eu,  comme  on  dit 
en  italien,  lapena  e  il  metanno  ». 

La  partition  gravée  à  Paris  forme  un  beau  volumfi  de  VI-158  pp.  in-f°,  dont  voici 
le  Litre  :  Orfeo-ed-Euridice  —  Azione  teatrale  —  Per  Musica  —  Del  Signr  Cav.  Cristo- 
fano  —  Gluck  —  Al  servizio  délie  MM.  LL.  II.  RIÎ.  —  Rappresentala  in  Vienna,  nelT 
anno  I7M.  —  Te  dulcis  conju.r,  te  solo  in  littore  secam,  —  Te  veniente  die,  te  decedenle 
canebat.  Virgil.  —  Gravé  par  Chambon.  —  Is  Pabigi..  La  date  1764  est  inexacte,  en 
tant  que  celle  de  la  représentation  :  c'est  l'année  de  l'édition.  —  Nous  avons  repro- 
duit au  commencement  de  ce  chapitre  le  frontispice  gravé  à  la  suite  du  titre. 

(3)  Reproduit  dans  les  éditions  complètes  de  Jean-Jacques  P,ousseau,  ainsi  que 
(fragmentairement)  dans  les  Mémoires  pour  servir  à  l'hisloire  de  la  révolution  opérée 
dansla  musique,  par  M.  le  Chevalier  Glcck,  1781,  p.  21. 


l'attention  sur  son  œuvre.  N'oublions  pas  qu'il  y  avait  dix  ans 
déjà  que,  dans  le  même  Paris,  il  avait  publié  sa  grande  édition 
de  Métastase,  précédée  de  la  préface  où  étaient  exposées  les 
idées  maintenant  communes  à  son  collaborateur  et  à  lui.  Il  eut 
donc  la  prétention,  bien  légitime,  de  faire  connaître  à  son  tour 
son  propre  ouvrage  ;  et,  pour  se  faire  mieux  entendre,  il  n'hé- 
sita pas  à  faire  transformer  en  prose  française  ses  rimes  ita- 
liennes. Ainsi  accommodé,  le  poème  de  Calsabigi  fut  imprimé  à 
Paris  en  1765,  accompagné,  en  manière  de  préface,  de  «  Ré- 
flexions »  par  lesquelles  son  anonyme  traducteur  traduisit, 
semble-t-il,  aussi  fidèlement  sa  pensée  que  ses  vers  : 

«  M.  Calsabigi,  y  était-il  déclaré,  marche  avec  succès  dans  la 
carrière  du  célèbre  Metastasio  ;  sa  manière  ressemble  assez  à 
celle  de  ce  poète.  Ses  ouvrages  paroissent  des  extraits  de  pièces; 
les  beautés  y  sont  plutôt  indiquées  que  développées.  Mais  il  faut 
remarquer  que  les  paroles  d'un  opéra  ne  sont  pas  faites  pour 
être  lues,  et  qu'elles  ne  demandent  pas  plus  à  èlre  finies  que 
les  statues  qu'on  destine  à  être  vues  de  loin.  Quinault,  qui  a  tant 
d'harmonie  et  de  charme  quand  on  ne  fait  que  le  lire,  parait 
souvent  faible  et  lâche  aux  représentations.  Le  poète  doit  arrêter 
le  dessin  et  fixer  les  contours  ;  mais  c'est  au  musicien  à  fondre 
les  nuances  et  à  joindre  à  ce  dessin  la  magie  du  coloris. 

»  On  trouvera  sans  doute  dans  le  poème  d'Orphée  plus  de  sen- 
timent que  d'images,  et  c'est  encore  un  mérite  clans  un  opéra. 
La  musique  rend  difficilement  les  images  :  elle  est  toujours 
victorieuse  quand  elle  exprime  le  sentiment.  On  sent  combien 
la  scène  d'Orphée  et  d'Eurydice  doit  prêter  au  récitatif  déclamé 
des  Italiens,  et  avec  quel  avantage  le  musicien  a  dû  en  faire 
sentir  la  gradation  (!)  ». 

Ainsi  donc,  à  peine  trois  ans  s'étaient  écoulés  depuis  son 
apparition,  et  déjà  l'Orphée  de  Gluck  commençait  sa  conquête 
de  l'Europe  musicale.  Conquête  lente,  il  est  vrai,  et  qu'il  lui 
faudra  longtemps  encore  avant  de  rendre  définitive . 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Théatrje-Saràii-Bernhardt.  —  L'Or,  pièce  en    cinq    actes,    de   René   Peter 
et  (Mme)  Robert  Danceny. 

Pourquoi  ce  titre  en  quelque  sorte  symbolique,  l'Or,  pour  un  vulgaire 
mélodrame  dont  le  sujet  est  cruel  et  dont  l'exécution  est  cousue  de  mala- 
dresses ?  Il  est  difficile,  en  effet,  de  trouver  une  pièce  plus  pauvrement 
faite,  avec  un  premier  acte  qui  n'expose  rien,  un  dernier  acte  qui  n'a 
point  de  dénouement,  et  des  fautes  de  détail  qui  sautent  aux  yeux  les 
moins  attentifs  et  les  moins  prévenus.  Point  de  mouvement,  point  de 
conduite  et  point  d'intérêt  dans  ces  cinq  actes  qui  semblent  cousus  les 
uns  les  autres  à  la  «  va  comme  je  te  pousse  »,  sans  qu'un  incident  vrai- 
ment théâtral  vienne  rompre  la  monotonie  d'une  action  qui  n'en  estpas 
une  et  qui  se  traîne  devant  la  rampe  sans  qu'un  seul  instant  elle  attache 
le  spectateur. 

Le  sujet  le  voici  : 

Naguère,  un  juif  nommé  Weingartner,  caissier  d'un  industriel  nommé 
Joulin,  a  soustrait  dans  la  caisse  de  son  patron,  pour  sauver  son  propre 
frère  de  la  faillite,  une  somme  de  dix  mille  francs  qu'il  espérait  pouvoir 
rendre  à  brève  échéance.  Malheureusement  pour  lui,  le  patron  s'aperçoit 


(1)  Cette  première  traduction  d'Orfeo,  dont  l'existence  a  été  ignorée  par  tous  les 
biographes,  nous  est  connue  par  l'exemplaire  conservé,  à  la  Bibliothèque  nationale 
de  Paris,  dans  un  recueil  factice  contenant  plusieurs  pièces  de  théâtre  du  XVIIP  siè- 
cle (Rés.  Y  f.  3636  3640).  Nous  en  reproduisons  le  titre  : 

Orphée  et  Eurydice,  tragédie  opéra  par  M.  Calsabigi,  traduite  de  l'italien  par  M.  X. . . 
avec  des  réflexions  sur  cette  pièce.  A  Paris,  chez  Bauehe,  Quai  des  Augustins.  Duchesne, 
rue  Saint-Jacques  mdcclxv.  Le  verso  complète  ces  indications  par  celle-ci  :  i  La  par- 
tition gravée  de  cet  opéra  se  trouve  chez  Duchesne,  libraire,  rue  Saint-Jacques.  » 
Enfin  le  titre  de  la  première  page  consent  à  donner  le  nom  du  musicien  :  «  ...mise  en 
musique  par  M.  Gluck,  et  représentée  à  la  cour  de  Vienne  en  1764  »  (toujours  la 
même  erreur  de  date).  A  la  suite  du  poème  est  insérée  une  planche  sur  laquelle  est 
gravé  le  chant  de  l'air  de  l'Amour. 

Signalons  une  autre  traduction  du  même  poème,  en  anglais  celle-là,  un  peu  pos- 
térieure, mais  dont  le  titre  est  libellé  dans  une  forme  intéressante  :  Orpheus  and 
Euridice,  a  musical  drama,  in  imitation  of  the  anoient  Grcek  theatrical  feasts:  London, 
1785. 


LE  MÉNESTREL 


de  ce  qu'il  appelle  un  vol,  et  malgré  les  vingt  années  de  bons  et  loyaux 
services  de  son  employé,  malgré  les  larmes  el  les  supplications  de  celui- 
ci,  qui  le  conjure,  au  nom  de  sa  famille,  d'avoir  pitié  de  lui  et  des  siens, 
il  reste  inflexible  et  porte  plainte  contre  l'infortuné.  Réduit  au  désespoir, 
le  caissier  se  suicide. 

Il  laissait  un  fils,  qui  a  juré  de  venger  son  père.  Joulin  étant  mort, 
laissant  aussi  un  fils,  c'est  sur  celui-ci  que  sa  vengeancec  s'exercera, 
d'une  façon  implacable.  Le  jeune  Weingartner  a  dû  changer  de  nom  ;  il 
se  fait  appeler  Simon  Wahl,  devient  un  financier  puissant,  et  trouve  le 
moyen  de  s'aboucher  avec  celui  qui  doit  être  sa  victime.  Par  quelle 
série  de  machinations  entraine-l-il  Joulin  fils  dans  toutes  sortes  d'affai- 
res d'abord  très  brillantes,  parvient-il  à  en  faire  en  quelque  sorte  son 
associé,  jusqu'au  jour  où  il  le  pousse,  seul,  dans  une  immense  spécu- 
lation qu'il  sait  devoir  être  déplorable,  c'est  ce  que  je  n'entreprendrai 
pas  de  vous  dire,  et  c'est  là,  d'ailleurs,  que  brille  de  tout  son  éclat  la  pro- 
digieuse maladresse.  Toujours  est-il  qu'au  milieu  d'une  grande  fête  que 
Joulin  donne  à  ses  amis,  qui  sont  tous  ses  commanditaires,  un  pétard 
éclate,  formidable.  Parles  soins  de  Simon  Wahl,  toute  l'assistance  est 
informée,  en  un  instant,  de  l'effondrement  d'une  affaire  colossale  qui 
est  la  ruine  pour  tous  et  qui,  pour  Joulin,  ajoute  le  déshonneur  à  la  ruine, 
bien  que,  resté  honnête,  il  soit  la  victime  d'une  intrigue  épouvantable. 
Et  Simon  Wahl,  qui  est  au  nombre  des  invités,  reste  seul  avec  Joulin, 
lui  raconte  tranquillement  que  c'est  lui  qui  a  tout  manigancé,  qu'il  a 
voulu  venger  son  père,  que  sa  vengeance  est  complète  et  que  mainte- 
nant il  a  l'esprit  tranquille.  Comment  Joulin  ne  saute-t-il  pas  à  la  gorge 
de  ce  scélérat  par  vertu  filiale,  et  comment  ne  l'étraugle-t-il  pas  sur 
place  ?  demandez-le  aux  auteurs.  Pour  moi,  je  ne  saurais  vous  rensei- 
gner. 

Di  dénouement,  il  u'y  en  a  pas,  je  l'ai  dit,  dans  cette  pièce  naïve,  où 
l'intérêt  ne  s'attache  pas  plus  aux  personnages  qu'à  son  semblant  d'ac- 
tion. On  se  demande  seulement  où  était  la  nécessité  de  faire  un  juif  de 
l'infortuné  caissier  Weingartner,  et  par  conséquent  de  son  fils  «  le  jus- 
ticier ».  Il  y  a  des  financiers  catholiques  aussi  canailles  que  Simon 
Wahl.  lequel,  après  tout,  est  mû  dans  sa  canaillerie  par  un  sentiment 
respectable.  Alors"? 

De  l'interprétation,  il  faut  surtout  tirer  de  pair  M.  Maury,  qui  adonné 
un  relief  singulier  à  ce  personnage  bizarre  de  Simon  Wahl.  Les  autres 
rôles,  les  plus  importants,  sont  tenus  avec  beaucoup  de  soin  par  Mllc 
Ventura  (Gisèle)  et  MM.  Decceur  (Joulin)  et  Jean  Worms  (Frégouze). 
Mais  que  de  mal  à  se  donner,  de  la  part  de  pauvres  artistes,  pour  une 
pièce  qui  ne  tiendra  peut-être  pas  quinze  jours  sur  l'affiche. 

Aivrnuit   Pougix. 


Bouffes-Parisiens  :  Madame  Bluff,  pièce  en  trois  actes,  de  M.  Alexandre  Debray. 
Avec  un  entrain  qui  ne  se  dément  pas  un  instant  au  cours  de  ses  trois 
actes,  la  «  comédie»  de  M.  Alexandre  Debray,  que  l'on  pourrait  qualifier 
tout  aussi  bien  vaudeville,  fait  la  satire  d'un  des  côtés  tristes  de  nos 
mœurs  contemporaines,  de  cette  inconscience  du  juste  et  de  l'injuste, 
aggravée  par  l'absence  de  toute  dignité  qui  est  actuellement,  a  toujours 
été  peut-être,  une  des  conditions  nécessaires  pour  arriver  rapidement 
aux  places  les  plus  enviées  du  fonctionnarisme  contemporain.  MmeCas- 
sagnol  est  la  femme  d'un  de  ces  agents,  qui  tout  en  faisant  partie  de 
l'ètat-major  administratif  d'un  ministère,  ne  peuvent,  faute  d'appuis 
politiques,  aspirer  aux  plus  hauts  emplois.  Poursuivie  de  l'idée  qu'il 
faut  à  tout  prix  faire  des  relations,  elle  a  loué  une  villa  confortable  d'où 
l'on  domine  tout  Paris,  y  donne  des  diners  et  des  thés,  s'entourant  de 
tout  le  luxe  factice  qui  peut  tromper  ses  hôtes  sur  la  modicité  de  ses 
moyens  d'existence,  et  mérite,  par  son  audace  et  son  ingéniosité  à  pro- 
fiter, pour  éblouir,  des  choses  et  des  gens,  le  surnom  de  Mme  Bluff. 

Elle  est  d'ailleurs  assez  adroite,  cette  bluffeuse  et  tout  à  fait  exempte 
de'scrupules.  Afin  d'attirer  dans  sa  maison  le  vieux  sénateur  Poulloche, 
elle  a  pris  pour  appât  sa  fille,  la  charmante  Marcelle.  Mais  Marcelle  est 
mariée  et  son  mari  a  le  mauvais  goût  de  ne  pas  tolérer  le  flirtage 
indiscret  du  galant  parlementaire.  N'importe,  on  se  débarrassera  du 
gêneur.  Sa  belle-mère  ayant  appris  qu'on  l'avait  vu  en  voiture  avec 
une  jeune  personne,  le  dénonce  elle-même  à  Marcelle  et  Marcelle1  obtient 
le  divorce.  Autour  de  celte  jolie  divorcée,  Poulloche  tourne  et  vire  sans 
cesse,  donnant  des  gages  et  ne  recevant  rien  que  d'affolants  espoirs.  Il 
a  déjà  fait  nommer  Cassagnol  à  une  haute  direction  rapportant  30.000 
francs.  Cassagnol  est  un  homme  de  bon  sens  qui  ne  bluffe  pas  ;  il  a 
cependant  accepté  le  poste,  faisant  ce  raisonnement  commun  à  tous  les 
employés  de  l'Etat,  que  s'il  refusait,  se  sachant  insuffisant,  un  autre 
tout  aussi  peu  compétent  obtiendrait  la  place  et  que  lui  serait  dupe  de 
son  honnêteté.  Il  a  d'ailleurs  vu  assez  de  directeurs  voleter  d'une  place 
à  l'autre  en  quelques  mois,  pour  savoir  que  l'idée  de  Sancho  Pança  est 


la  bonne  et  que  le  ciel,  en  nous  donnant  une  position  lucrative,  nous 
octroie  en  même  temps  les  capacités  nécessaires  pour  >  faire  suffisante 

figure.  Cela  veut  dire  qu'il  y  ;i  des  subalternes  rljnrg<  s  de  tenir  au  cou- 
rant le  travail.  Bref,  Cassagnol  est  casé.  Toutefois,  notre  M"  ['Juif  n'en 
est  pas  beaucoup  plus  avancée:  elle  a  tellement  augmenté  son  train  de 
ménage  que  les  appointements  de  son  mari  n'y  suffisent  pas.  Klle  se  re- 
tourne alors  contre  Poulloche,  lui  persuade  qu'il  a  compromis  sa  fille  el 
le  présente  partout  comme  son  futur  gendre.  Le  sénateur  se  laisse 
faire,  espérant  anticiper  sur  les  noces  el  se  retirer  ensuite.  Mais  M  ircelle 
est  honnête  au  milieu  de  la  démoralisation  qui  l'entoure;  elle  aime 
Préfailles,  secrétaire  de  Poulloche,  el  Préfailles,  devenu  rival  de  son 
maitre,  le  menace  de  le  livrer  à  la  justice,  pour  avoir  trafiqué  de  son 
mandat  et  s'être  enrichi  sur  les  biens  des  congrégations,  -il  ne  renonce 
pas  à  ses  assiduités  auprès  de  Marcelle.  Il  le  contraint  en  outreà  obtenir 
pour  lui  une  bonne  sinécure.  M1""  Cassagnol  est  donc  victorieu.-e  sur 
toute  la  ligne  et  ses  bluffs  ont  pleinement  réussi. 

M""1  Bluff,  c'est  M"10  Augustiue  Leriche,  le  mouvement  et  la  gaité  per- 
sonnifiés ;  elle  entraine  tout  dans  cette  pièce,  s'impose  à  tous,  force  le 
rire  et  emporte  le  succès.  M"''  Suzanne  Goldstein,  mi-ingenue.  mi-per*- 
verse,  est  finement  exquise  dans  le  rôle  de  Marcelle.  Cassagnol.  c'est 
M.  Milo;  il  a  su  donner  à  son  personnage  la  tenue  correcte  du  petit 
fonctionnaire  de  bon  sens,  qui  regarde  avec  'philosophie  passer  devant 
lui  ceux  qui  ne  le  valent  pas,  et  ne  se  laisse  pas  éblouir  quand  la  chance 
lui  sourit.  M.  Gallet  aurait  dû  ne  pas  faire  une  caricature  du  sénateur, 
qui,  pris  sur  le  vif,  eût  été  d'un  meilleur  comique.  M.  Gazalis  a  bien 
joué  l'amoureux  maitre-chanteur  Préfailles  ;  les  autres  interprètes  oui 
été  suffisants. 

Madame  Bluff'est  un  succès.  En  le  constatant,  nous  pouvons  regretter 
peut-être  que  la  jolie  salle  du  passage'Choiseul  ne  soit  pas  plus  vouée  à 
la  musique.  Elle  rappellera  longtemps  encore  la  vieille  gloire  d'OfTen- 
bach. 

Amédée  Boutarel. 


UNE  FAMILLE  DE  GRANDS  LUTHIERS  ITALIENS 

LES    GUARNERIUS 


JOSEPH    GUARNERIUS    DEL    GESU 
III 

LES  INSTRUMENTS  DE  JOSEPH  GUARNERIUS  DEL  GESU 

Certains  des  violons  de  Guarnerius  del  Gesù,  parmi  les  plus  beaux, 
ont  reçu  des  noms  particuliers,  comme  ceux  de  Stradivarius.  Le  grand 
violoniste  Lafont,  qui  périt  d'une  façon  si  malheureuse  (1),  en  avait  un 
qu'on  appelait  le  Roi.  Un  autre  était  baptisé  le  Leduc  ;  c'est  lui  qui  fut 
acheté  35.000  francs  à  Georges  Hart  par  le  chanteur  Nicolas,  dit  Nico- 
lini.  le  second  époux  de  M""'  Adelina  Patti,  qui  avait  commencé  par 
être  violoniste.  Un  troisième  avait  reçu  en  Angleterre  le  nom  de  «Violon 
du  diable  »,  parce  qu'il  appartenait  alors  au  fameux  danseur  Saint- 
Léon,  l'époux  de  M"e  Fanny  Cerrito,  qui  n'était  pas  moins  habile  vio- 
loniste, et  qui  s'en  était  servi  à  l'Opéra  dans  le  ballet  le  Violon  du  Diable. 
où  il  se  produisait  à  la  fois  comme  chorégraphe,  comme  danseur  et 
comme  violoniste  (2).  Celui-ci  fit  partie  de  la  superbe  Exposition  d'ins- 
truments anciens  qui  fut  ouverte  avec  tant  de  succès  au  Musée  de 
South-Kensington,  à  Londres,  en  1872.  Il  était  l'objet,  sur  le  très  beau 
catalogue  illustré  de  cette  Exposition,  de  la  note  suivante,  en  français. 
—  «  Violon  de  Joseph  Guarnerius,  Violon  du  Diable.  C'est  sur  cet  ins- 
trument que  M.  Saint-Léon  a  produit  tant  d'effet  sur  le  public  dans 
l'opéra  (sic)  nomme  le  Violon  du  Diable.  C'est  un  des  rares  instruments 
de  cet  auteur  qui  réunissent  toutes  les  bonnes  conditions.  Cet  inslru- 
ment  fut  acheté  en  Italie,  en  1820,  par  M.  Rossel  de  Minet,  et  à  sa 
mort  passa  dans  le  commerce,  et  fut  acheté  par  M.   Saint-Leon  et. 

(1)  On  lisait  dans  la  Gazclte  musicale  du  29  août  1839  :  —  <•  Nous  apprenons  à  l'ins- 
tant une  bien  triste  nouvelle.  M.  Lafont,  notre  violoniste  si  pur,  si  élégant,  vient  de 
terminer  sa  carrière  d'une  manière  déplorable.  En  voyageant  dans  le  Midi  (il  allait 
de  Bagnères-de-Bigorre  à  Tarbes),  la  diligence  où  ,il  était  a  versé,  et,  dans  cette 
chute,  notre  grand  artiste  a  reçu  des  blessures  tellement  graves  que  deux  heures 
après  cette  affreuse  catastrophe  il  n'existait  plus.  C'est  une  perte  douloureuse  pour 
les  amateurs  de  l'art  du  violon  et  pour  les  nombreux  amis  de  cet  artiste  distingué  et 
si  recommandable  par  son  obligeance  et  son  beau  talent  ».  —  Lafont,  qui  était  né  à 
Paris  le  1"  décembre  1781,  fut  inhumé  à  Tarbes  le  25  août  1839. 

(2)  Le  Violon  du  Diable,  balfet  fantastique  en  deux  actes  et  quatre  tableaux,  scé- 
nario de  Saint-Léon,  musique  de  Pugni,  représenté  à  l'Opéra  le  10  janvier  1849. 


316 


LE  MENES! REL 


appartient  aujourd'hui  à  M",c  Fleury  (1).  A  cette  même  exposition  on 
pouvait  voir  trois  autres  violons  de  Joseph  Guarnerius,  ainsi  men- 
tionnés :  —  «  94.  Violon  de  Joseph  Guarnerius,  1735.  Superbe  instru- 
ment digne  de  tout  respect.  Appartient  à  M.  Louis  d'Egville.  —  9o. 
Violon  de  Joseph  Guarnerius,  1734.  Spécimen  vraiment  caractéris- 
tique. Etat  remarquable.  Appartient  à  M.  W.  A.  Tyssen  Amhurst.  — 
96.  Petit  violon  de  Joseph  Guarnerius.  Construit  pour  un  enfant,  dans 
la  meilleure  période  de  l'artiste  ». 

Parmi  les  violonistes  fameux  qui  ont  possédé  des  Guarnerius  del 
Gesù  pour  lesquels  ils  avaient  une  vive  affection,  il  faut  citer  encore 
Spohr,  Bazzini,  Charles  de  Bériot,  Henri  Wieniawski,  Alard,  puis 
Sainton,  Mori,  etc.  Le  violon  d'Alard,  superbe  et  daté  de  1742,  que 
l'excellent  artiste  avait  acheté _à  Vuillaume,  fait  aujourd'hui  partie  du 
Musée  instrumental  du  Conservatoire,  auquel,  je  l'ai  dit,  il  a  été  gra- 
cieusement offert  par  la  famille  après  la  mort  de  son  possesseur,  en 
souvenir  de  sa  longue  et  brillante  carrière  de  professeur  dans  l'institu- 
tion (2). 

L'un  des  plus  beaux  Guarnerius  que  l'on  connaisse  est  celui  qui 
appartint  à  Vieuxtemps,  que  celui-ci  jouait  toujours  et  qu'il  appelait 
son  «  cheval  de  bataille  ».  C'est  le  premier  instrument  de  prix  qu'il  ait 
possédé,  car  jusqu'alors  il  n'en  avait  joué  que  de  médiocres.  Il  le  dut  à 
la  générosité  du  baron  Pereyra,  qui  lui  en  fit  cadeau  à  Vienne  en  1846. 
Plus  tard,  pendant  son  long  séjour  en  Bussie,  où  il  excitait  l'admira- 
tion, il  reçut  de  même  plusieurs  violons  d'un  prix  inestimable  :  deux 
Stradivarius  lui  furent  offerts  par  le  comte  G.  Strogonoff.  un  autre  par 
le  général  Lvoff,  un  Amati  par  le  comte  Mathieu  Wielhorsky,  un  Mag- 
gini  par  M.  Wolkoff...  Au  milieu  de  tous  ces  chefs-d'œuvre,  son  affec- 
tion, son  admiration,  son  enthousiasme  restaient  pourtant  acquis  à  son 
Guarnerius,  «  une  perle,  disait-il,  d'une  beauté  incomparable  »,  et 
qu'il  mettait  au-dessus  de  tout.  Et  lorsque,  frappé  par  la  paralysie,  le 
pauvre  grand  artiste  était  réduit  à  l'impuissance,  il  disait  encore,  en 
parlant  de  ce  cher  compagnon  de  son'génie  :  «  Mon  cœur  saigne  de  ne 
pouvoir  m'en  servir!...  » 

C'est  à  ce  moment  qu'on  lui  proposa  de  le  lui  acheter,  et  qu'à  ce 
sujet  il  écrivait  à  une  amie,  le  9  avril  1881  :  —  «  ...  A  propos,  j'aurai 
peut-être  à  vous  annoncer  dans  ma  prochaine  lettre  la  vente  de  mon 
Guarnerius.  Je  suis  en  pourparlers  sérieux  à  ce  sujet.  Cela  coûtera 
cher  à  l'acheteur.  Mais  il  en  aura  pour  son  argent,  car  ce  violon  est 
une  perle  unique,  dont  malheureusement  je  ne  puis  plus  me  servir. 
Néanmoins,  m'en  séparer  me  coûtera  bien  des  larmes,  et  j'en  ai  déjàle 
cœur  gros  rien  que  d'y  penser.  Mais  quand  je  le  regarde,  je  pleure  de 
ne  plus  pouvoir  l'interroger,  l'animer,  le  faire  parler...  » 

Et,  de  fait,  il  ne  put  se  résoudre  à  se  séparer  de  son  cher  Guarne- 
rius, bien  qu'il  lui  fût  devenu  inutile.  C'est  le  duc  de  Camposelice  qui 
avait  désiré  s'en  rendre  acquéreur,  et,  après  de  poignantes  alternatives, 
le  pauvre  Vieuxtemps  finit  par  rompre  toutes  négociations.  J'emprunte 
le  récit  de  cette  petite  histoire  à  M.  Théodore  Badoux,  qui  l'a  ainsi 
racontée  dans  sa  biographie  du  grand  violoniste  : 

Son  ami  "Van  der  Heyden  avait  été  chargé  de  négocier  l'affaire  avec  le  duc 
de  Camposelice,  qui  était  ravi  de  l'acquérir  au  pri.\_de  17.000  francs,  somme 
fixée  par  Vieuxtemps.  Mais  au  moment  de  se  dessaisir  de  son  violon  bien- 
aimé,  le  grand  maître  fut  pris  de  remords,  et,  espérant  en  dégoûter  l'ama- 
teur, il  s'écria  :  «  Si  l'on  met  17.000  francs,  on  peut  bien  en  mettre  20.000.  » 
Le  duc,  mis  au  courant  de  la  situation,  répondit  par  un  chèque  de  20.000  fr. 
adressé  à  Van  der  Heyden,  par  l'intermédiaire  de  la  maison  Rothschild. 

Croyant  avoir  vaincu  toute  résistance,  l'ami  ;s'en  vint  trouver  Vieuxtemps 
de  grand  matin,  et  lui  mit  le  chèque  sous  les  yeux.  Vous  peindre  le  déses- 
poir de  Vieuxtemps  n'est  pas  possible,  me  dit  Van  der  Heyden.  Il  pleurait  et 
ne  pouvait  se  faire  à  l'idée  de  se  séparer  de  son  Guarnerius.  Il  demanda 
vingt-quatre  heures  pour  réfléchir,  mais  ne  voulut  pas  garder  le  chèque. 
«Emporte,  emporte  cet  argent,  disait  le  pauvre  désolé;  je  ne  veux  pas  le 
voir.  » 

Madame  Landowska  (sa  fille)  et  son  mari,  craignant  que  ce  grand  chagrin 
n'amenât  une  rechute  de  la  terrible  maladie  ^de  leur  bien-aimé  père,  prièrent 
leur  ami  de  ne  plus  lui  en  reparler.  Le  duc  de  Camposelice  fit  de  nouvelles 
instances  auprès  du  négociateur  pour  qu'il  offrit  davantage  encore,  mais 
celui-ci  lui  déclara  qu'il  était  inutile  d'insister.  Il  avait  acquis  la  conviction 
que  Vieuxtemps  ne  se  séparerait  à  aucun  prix  de  son  instrument. 

Le  duc  devint  cependant  plus  tard  l'heureux  acquéreur  du  fameux  Guarne- 
rius, mais  seulement  après  la  mort  du  maître  et  de  sa  fille,  Mme  Landowska  (3). 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


(1)  Catalogue  of  the  spécial  Exhibition  of  ancient  musical  instruments,  South  Kensing- 
ton  Muséum,  4872.  (London,  John  Strangeways,  1873,  in-4°,  with  illustrations.) 

(2)  Alard  avait  épousé  une  fille  de  Vuillaume. 

(3)  Théodore  Radoux  :  Henri  Vieuxtemts,  sa  vie,  ses  œuvres  (Liège,  189),  in-8").  Ce 
noui  ronflant  de  duc  de  Camposelice  était  celui  qu'avait  adopté  un  brave  homme  de 
musicien  qui  s'appelait  tout  bourgeoisement  Nicolas  Reubsaet.  Né  en  Hollande  en 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(POUR    LES    SEUL8    ABONNÉS   A    LA    MUSIQUE) 


On  sait  le  succès,  tout  cet  hiver,  des  Poèmes  de  jade,  de  Gabriel  Fabre.  c'est  là  en 
eiïet  de  la  musique  très  particulière,  qui  est  bien  de  Fabre  et  qui  ne  pouvait  être 
d'un  autre.  Or  la  personnalité  est,  dans  tous  les  arts,  la  première  des  qualités  : 
a  Petite  est  ma  lyre,  pourrait  dire  notre  musicien,  mais  je  suis  seul  à  en  pincer.  » 
Nous  donnons  aujourd'hui  le  dernier  numéro  paru  de  ces  Poèmes  de  jade  :  Xuages 
dans  l'eau.  On  verra  qu'il  n'est  pas  indigne  de  ceux  qui  l'ont  précédé. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

11  est  question  depuis  assez  longtemps  déjà  de  la  nomination  de  M.  En- 
gelbert  Humperdinck,  le  compositeur  de  Baensel  et  Grelel,  comme  professeur 
au  Conservatoire  de  Vienne.  Les  négociations  traînent  et  rien  ne  se  conclut. 
Pourtant,  le  maître  s'est  rendu,  il  y  a  quinze  jours  de  Marienbad.  où  il  était 
en  villégiature,  à  Vienne,  mais  on  ne  sait  pas  encore  quel  a  été  le  résultat  de 
cette  visite.  La  grande  école  viennoise  cherche  aussi  à  s'attacher  M.  Willy 
Burmester  comme  professeur  de  violon.  Pour  occuper  le  poste  de  directeur  de 
l'enseignement  pour  les  classes  de  piano,  on  confirme  la  nomination  déjà 
annoncée  de  M.  Léopold  Godowski,  élève  de  Leschetitzki  et  plus  tard  de 
M.  Sa'int-Saëns,  en  remplacement  de  M.  Ferruccio  Busoni.  M.  Godowski,  on 
s'en  souvient,  avait  refusé,  il  y  a  six  mois,  de  prendre  la  succession  de 
M.  Busoni,  ce  dernier  ayant  été  relevé  de  ses  fonctions  d'une  manière  un  peu 
rapide  et  dans  des  conditions  jugées  à  peine  correctes.  Maintenant  que  l'on  a 
perdu  tout  espoir  d'obliger  l'administration  à  rendre  M.  Busoni  à  ses  élèves, 
dont  quelques-uns  l'avaient  suivi  de  Berlin  à  Vienne,  M.  Godowski  a  jugé 
inutile  de  maintenir  son  refus. 

—  Le  quatrième  congrès  musical  international,  dont  la  réunion  a  été  pro- 
voquée par  la  «  Confédération  internationale  des  musiciens  »,  aura  lieu  du 
14  au  16  octobre,  à  Berlin. 

—  L'Opéra-Royal  de  Berlin  a  donné  le  24  septembre  dernier  la  500e  repré- 
sentation des  Noces  de  Figaro.  Pour  la  circonstance,  on  avait  repris  entière- 
ment les  études  du  chef-d'œuvre  et  renouvelé  la  mise  en  scène.  L'interpréta- 
tion a  été  dirigée  par  M.  Léo  Blech  avec  beaucoup  de  volubilité,  de  style  et 
de  précision  dans  les  détails.  C'est  le  14  septembre  1790  que  l'opéra  de  Mozart 
fut  joué  pour  la  première  fois  à  l'Opéra-Royal.  Sa  toute  première  représenta- 
lion  eut  lieu  à  Vienne  le  2S  avril  1786.  Bien  que  l'ouvrage  eût  élé  commandé 
par  l'empereur  Joseph  II,  les  maîtres  italiens  et  quelques  compositeurs  alle- 
mands, en  possession  à  cette  époque  des  préférences  du  public  viennois, 
remuèrent  ciel  et  terre  pour  empêcher  le  succès  de  s'affirmer  pendant  la  pre- 
mière soirée.  On  rapporte  que  l'exécution  des  deux  premiers  actes  fut  si  mau- 
vaise par  suite  de  la  mauvaise  volonté  des  chanteurs  et  des  musiciens,  que 
Mozart  éploré  courut  à  la  loge  impériale  réclamer  la  protection  de  l'empereur. 

1846  ou  1847,  il  avait  fait  son  éducation  artistique  au  Conservatoire  de  Bruxelles,  où, 
doué  d'une  bonne  voix  de  ténor,  il  avait  obtenu  un  premier  prix  de  chant  en  1868. 
Auparavant  il  avait  étudié  le  violon  et  fait  partie  durant  quelque  temps  de  l'or- 
chestre du  théâtre  de  la  Monnaie.  Quel  hasard  le  mit  en  relations  intimes  avec  la 
famille  de  Singer,  le  fameux  fabricant  américain  millionnaire  de  machines  à  coudre? 
je  ne  saurais  le  dire.  Toujours  est-il  qu'il  plut  à  sa  fille,  sut  se  faire  agréer  par  elle, 
demanda  sa  main  et  l'épousa,  ornée  d'une  dot  beaucoup  plus  que  confortable.  Du 
coup,  et  par  le  l'ait  de  cette  dot,  l'existence  de  notre  homme  fut  transformée.  E;t-ce 
par  gloriole  personnelle,  est-ce,  plutôt  peut-être,  pour  complaire  à  sa  jeune  femme? 
ce  qui  est  certain,  c'est  que  Nicolas  Reubsaet  voulut  se  donner  le  luxe  d'un  de  ces 
titres  qu'on  obtient  sans  trop  de  difficultés  de  la  part  du  gouvernement  pontifical,  à 
la  seule  condition  de  verser  une  somme  importante  au  bénéfice  d'une  des  nom- 
breuses œuvres  de  bienfaisance  dépendantes  du  Vatican.  De  ce  fait,  ledit  Reubsaet 
devint  du  jour  au  lendemain  duc  de  Camposelice  (au  titre  romain),  et  désormais  ne 
se  fit  plus  appeler  autrement.  Mais  en  reniant  ses  ancêtres,  il  n'avait  pas  perdu  son 
amour  très  réel  pour  l'art  qu'il  ne  devait  plus  maintenant  cultiver  qu'en  amateur. 
Entre  autres,  il  se  mit  en  tête  d'acquérir  toute  une  série  de  superbes  instruments 
italiens  de  la  grande  époque,  et  l'on  se  fera  une  idée  de  ce  que  dut  lui  coûter  une 
collection  comme  celle  qu'il  réunit  en  quelques  années  et  dont  Vidal  a  dressé  cette 
liste  dans  son  livre  : 

«  Le  duc  de  Camposelice,  dit-il,  décédé  à  Paris  le  1"  septembre  1887,  avait  réuni 
un  ensemble  d'instruments  précieux  dont  voici  la  nomenclature  : 

i  Joseph  Guarnerius  del  Gesù  :  5  violons. 

»  Antonius  Stradivarius  :  8  violons,  2  altos,  2  violoncelles. 

»  Pierre  Guarnerius  (Venise)  :  1  violon. 

»  Saint-Séraphin  :  1  violon. 

«  Gagliano  (Nicolas)  :  1  alto. 

»  Gaspar  da  Salo  :  1  alto. 

»  Lupot  (Nicolas)  :  2  violons,  1  alto,  1  violoncelle. 

»  Cette  collection  remarquable  appartient  aujourd'hui  à  M""  la  duchesse  de  Cam- 
poselice ». 

Et  l'on  peut  dire  qu'à  elle  seule  elle  représente  une  fortune  de  plusieurs  centaines 
de  mille  francs.  Je  crois  que  la  «  duchesse  de  Camposelice  »  s'est  remariée  par  ta 
suite.  Quant  aux  détails  que  je  donne  ici  sur  son  premier  époux,  Us  sont  complète- 
ment inédits. 


LE  MÉNESTREL 


3 1  ■ 


Elle  ne  lui  fut  point  refusée  et  les  deux  derniers  actes  produisirent  une  meil- 
leure impression.  Toutefois,  il  fallut  une  année  entière  pour  que  l'œuvre  fût 
enfin  jugée  à  sa  valeur,  non  pas  par  le  public  de  Vienne,  mais  par  celui  de 
Prague  dont  l'enthousiasme  se  manifesta  par  d'interminables  bis  pour  presque 
tous  les  morceaux  et  par  des  ovations  sans  fin  faites  au  compositeur  qui  se 
trouvait  dans  une  loge.  Un  arrangement  du  Mariage  de  Figaro  de  Beaumar- 
chais, avec  la  musique  de  Mozart,  fut  représenté  à  l'Opéra  de  Paris  le 
"20  mars  1793:  Lays  chantait  le  rôle  de  Figaro.  Cette  version  fut  donnée  au 
Théàtre-Feydeau,  le  21  décembre  1818.  La  partition  originale  fit  son  appari- 
tion à  Paris  le  23  décembre  1807,  au  Théâtre-Italien.  Elle  resta  au  répertoire 
jusqu'en  1840.  Un  arrangement  de  Castil-Blaze  parut  à  l'Odéon  le  22  juin  1820. 
Enfin  le  8  mai  1856,  M.  Carvalho  monta  le  chef-d'œuvre  au  Théâtre-Lyrique 
avec  Mnles  Vandenheuvel-Duprez,  Miolan-Carvalho  et  Ugalde,  dans  les  rùles 
de  la  Comtesse,  de  Chérubin  et  de  Suzanne. 

—  On  annonce  de  Berlin  que  l'hiver  prochain  aura  lieu,  dans  la  nouvelle 
«  Salle  Chevalier  »,  une  série  de  grands  concerts  internationaux,  au  cours 
desquels  plusieurs  compositeurs  français,  entre  autres  MM.  Gabriel  Fauré, 
Widor,  Alexandre  Guilmant,  Claude  Debussy,  etc.,  iront  diriger  l'exécution 
de  leurs  œuvres. 

—  L'Orchestre  philharmonique  de  Munich,  qui,  sous  la  direction  de 
MM.  Félix  Mottl  et  Frédéric  Cortolezi,  a  donné  des  séances  au  Kunstlertheater 
pendant  l'exposition,  donnera  cinq  concerts  au  cours  de  la  saison  prochaine, 
sous  la  direction  de  M.  «tan  Ingenhoven,  dans  la  salle  de  l'Odéon  à  Munich. 
Les  programmes  comprendront:  Suite  pour  violoncelle,  de  Bach;  Symphonie 
en  fa,  de  Beethoven;  deuxième  symphonie,  de  Brahms:  ouverture  de  Médée, 
de  Cherubini;  Jeux  des  vagues,  extrait  de  la  Mer,  et  trois  esquisses  sympho- 
niques.  de  M.  Debussy;  Suite  d'orchestre  de  Pelleas  et  Mélisande,  de  M.  Gabriel 
Fauré;  Concerto  grosso,  de  Haendel  ;  Symphonie  en  ut  majeur  (n°  Sol  du  ca- 
talogue de  Koechel)  et  Concerto  pour  violon,  de  Mozart;  Symphonie,  op.  27, 
de  M.  BachmaninolV;  Mélodies  avec  accompagnement  ■d'orchestre,  de  M.  Max 
Reger;  Symphonietta,  de  Rimsky-Korsakow;  Symphonie  n°  3,  de  Spohr; 
Macbeth,  de  M.  Bichard  Strauss:  Concerto  de  piano,  de  Tschaïkowsky,  etc. 
On  compte  parmi  les  solistes,  Mme  Félia  Litwinne,  MM.  Ernest  Kraus,  Ignace 
Friedmann,  M""?  Maria  Soldat-Roeger  et  M.  Pablo  Cazals. 

—  A  l'occasion  des  fêtes  annuelles  qui  ont  lieu  à  Munich  au  retour  de  la 
saison  d'octobre,  une  représentation  du  Barbier  de  Séville  de  Rossini  a  été 
donnée  dimanche  dernier  en  gala  au  Théâtre-National  de  la  Cour  et  a  soulevé 
un  indescriptible  enthousiasme.  La  salle  était  remplie  jusqu'aux  combles  par 
un  public  un  peu  spécial,  venu  des  alentours  uniquement  pour  se  réjouir,  et 
plus  prompt  que  tout  autre  à  vibrer  au  contact  d'une  œuvre  bien  vivante 
interprétée  par  des  artistes  de  premier  ordre.  M.  Mottl,  très  habile,  comme  on 
le  sait,  à  faire  manœuvrer  en  scène  les  personnages,  a  dirigé  admirablement 
l'ensemble.  M"leBosetli  jouait  le  rôle  de  Bosiue,  M.  Buysson  celui  d'Almaviva. 
Figaro,  c'était  M.  Brodersen,  Basile  et  Bartholo,  MM.  Benders  et  Geisens. 
La  soirée  a  été  triomphale  pour  tous.  On  ne  se  douterait  pa<  que  le  Barbier  de 
Séville  sera  centenaire  avant  huit  ans. 

—  L'Opéra  de  Dresde  a  consacré  au  compositeur  Edmond  Kretschmer,  mort 
récemment,  une  soirée  de  souvenir  pendant  laquelle  on  a  fait  entendre  son 
opéra  Die  Folkunger. 

—  L'association  des  professeurs  de  chant  de  Munich  se  prépare  à  donner  de 
grandes  auditions  d'œuvres  chorales.  Afin  de  se  mettre  en  haleine,  elle  prépare 
pour  le  21  décembre  prochain  une  soirée  Richard  Strauss  dans  laquelle  de  nom- 
breux chœurs  écrits  à  un  nombre  inusité  de  parties  seront  exécutés  sous  la  con- 
duite du  compositeur.  Viendra  ensuite,  le  18  mars  1909,  à  l'occasion  du  quaran- 
tième anniversaire  de  la  mort  de  Berlioz  (il  mourut  le  8  mars  1809),  la  Messe  des 
morts  du  maître  français.  On  donnera  aussi  la  Damnation  de  Faust,  le  Requiem 
pour  chœur  d'hommes  de  Liszt  et  la  Mùaa  solemnis  de  Beethoven.  Les  Saisons 
de  Haydn  ont  été  réservées  pour  le  jour  des  Rameaux. 

—  Le  Maître  de  Chapelle,  l'opéra-comique  en  deux  actes  de  Paër,  vient  d'ob- 
tenir un  très  grand  succès  à  Cologne,  sous  la  direction  de  M.  Steinbach.  Ce 
petit  chef-d'œuvre  de  mélodie  facile  a  été  présenté  au  public  rhénan  clans  une 
version  de  MM.  Brennert  et  Kleefeld.  Paër  avait  été  choisi  par  Napoléon  pour 
succéder  à  Spontini  dans  la  direction  de  la  musique  au  Théâtre-Italien.  Ros- 
sini ayant  été  nommé  directeur  de  ce  théâtre  en  IS23,  Paër  donna  sa  démis- 
sion, mais  elle  ne  fut  pas  acceptée.  La  retraite  de  Rossini,  en  1826,  rendit  à 
Paër  la  direction  complète  du  théâtre.  Il  ne  la  conserva  qu'une  année  et  fut 
destitué  en  1827  par  le  vicomte  de  Larochefoucault,  qui  lui  avait  imputé,  très 
injustement,  les  fautes  de  ses  prédécesseurs. 

—  Au  moment  où  la  ville  de  Brunswick  se  dispose  à  élever  un  monument 
au  célèbre  compositeur  et  violoniste  Louis  Spohr,  une  société  se  constitue  dans 
le  but  de  sauver  de  l'oubli  certaines  œuvres  du  maître  considérées  comme 
injustement  délaissées.  Elle  a  choisi  pour  centre  d'activité  la  ville  de  Cassel, 
où  Spohr  fut  longtemps  maître  de  chapelle,  où  il  mourut  le  22  octobre  1839  et 
où  il  a  été  inhumé.  Ainsi  que  nous  le  disions  samedi  dernier,  Spohr  a  écrit 
dix  opéras,  parmi  lesquels  un  Faust.  Il  est  à  remarquer  que  le  scénario  de  ce 
Faust  n'a  rien  de  commun  avec  l'œuvre  de  Goethe  ;  le  rôle  de  Marguerite  n'y 
figure  même  pas.  Plusieurs  des  épisodes  de  l'ouvrage  semblent  avoir  été  em- 
pruntés au  livret  de  Da  Ponte,  mis  en  musique  par  Mozart.  Ce  Faust,  donné 
pour  la  première  fois  à  Prague  en  1816,  eut  un  grand  succès  et  se  répandit 
dans  toute  l'Allemagne.  Les  autres  opéras  de  Sophr  sont  :  l'Épreuve  (1S06)  (non 
représenté),  Abruna  (1S08)  (l'ouverture  seule  fut  jouée),  le  Duel  avec  la  bïen-aimée 


(1811),  Zémire  et  Azor  (1819),  Jessonda  (1823),  FEtprit  de  la  montagne  (1825), 
Pietro  d'Albano  (1828;,  l'Alchimiste  (1830)  et  /-•  Crotté  (1845).  Spohr  a  écrit  des 
oratorios,  neuf  symphonies,  beaucoup  de  musique  de  chambre  et  une  douzaine 
de  concertos. 

—  La  ville  d'Essen  va  bientôt  posséder  un  nouveau  théâtre  populaire  dans 
lequel  on  jouera  l'opéra  et  le  drame  alternativement.  Les  places  seront  taxées 
à  des  prix  variant  entre  0  fr.  50  c.  et  1  fr.  50  c.  Une  société  par  actions  a  été 
constituée  afin  de  recueillir  les  fonds  nécessaires  à  la  construction  de  l'im- 
meuble. 

—  Les  fouilles  de  l'ancien  théâtre  romain  découvert  récemment  i  Turin, 
commencées  de  façon  heureuse  sous  les  auspices  du  roi  Victor-Emmanuel  et 
du  commandeur  d'Andrade,  sont  arrivées  à  un  point  qui  fait  espérer  que  le 
monument  pourra  être  remis  en  lumière  dans  tout  son  ensemble  pour  l'année 
1911.  Le  théâtre  est  de  l'époque  d'Auguste,  et  par  diverses  statues  de  bronze 
et  de  marbre  qui  ont  été  trouvées  déjà,  on  a  des  raisons  de  croire  que  lorsque 
l'amphithéâtre  sera  complètement  déblayé,  on  fera  d'importantes  trouvailles 
de  sculptures  antiques. 

—  De  San  Sébastien.  Au  dernier  concert  de  gala,  très  grand  succès  pour 
M""  Suzanne  Cesbron  qui  s'est  fait  littéralement  acclamer  dans  «  l'air  de  la 
folie  »  d'IIamlel,  d'Ambroise  Thomas,  dans  la  Vierge  à  la  aràclie,  du  Périlhou, 
et  dans  «  Il  partit  au  printemps  ■•  de  Grisélidis  et  la  gavotte  de  Manon,  de 
Massenet. 

—  Le  théâtre  de  la  Trinité,  de  Lisbonne,  donnera  au  cours  du  prochain 
hiver  une  série  de  représentations  lyriques  en  portugais.  Ces  représentations 
seront  inaugurées  par  le  Barbier  de  Séville,  auquel  succédera  Carmen.  Comme 
œuvres  inédites  de  compositeurs  portugais,  on  donnera  ensuite  o  Espadachim 
do  Outeiro,  opéra  de  M.  Augusto  Machado,  directeur  du  Conservatoire  de 
Lisbonne,  et  Gachi,  de  M.  Julio  Neuparth.  Viendront  plus  tard  :  Faust,  Fra 
Diavolo,  le  Freiseltiitz,  etc. 

—  Les  fonctions  de  chef  d'orchestre  des  concerts  symphoniques  étaient  va- 
cantes à  Lausanne,  par  suite  de  la  démission  de  M.  Birnbaum.  On  annonça 
un  concours,  et  quatre-vingt-dix  candidats  se  présentèrent.  Il  en  vint  de  toute 
part,  de  Suisse,  de  France,  d'Allemagne,  d'Autriche,  d'Italie,  de  Russie,  de 
Belgique,  de  Hollande,  de  Scandinavie,  d'Angleterre,  d'Espagne,  de  Portugal, 
voire  d'Amérique,  des  chefs  d'orchestre  d'opéra,  des  chefs  de  musique  mili- 
taire, des  violonistes,  des  directeurs  d'orphéons,  des  compositeurs,  des  pia- 
nistes, des  chanteurs...  Il  était  pourtant  difficile  d'organiser  quatre-vingt-dix 
concerts  pour  juger  successivement  à  l'œuvre  quatre-vingt-dix  concurrents. 
Comment  faire?  On  prit  au  hasard  dans  le  tas  et  l'on  choisit  six  candidats  de 
six  nationalités  différentes,  pour  leur  faire  diriger  à  chacun  une  séance.  Tant 
pis  pour  les  autres  !  mais  franchement,  la  situation  était  difficile.  Ces  six  can- 
didats étaient  ceux  dont  voici  les  noms  avec  la  date  du  concert  qu'ils  ont 
dirigé:  M.  Peter  van  Anrooy,  de  l'orchestre  de  Groningue  (17  juin);  M.  Corde 
Las,  de  l'orchestre  Kaim,  de  Munich  (23  juin);  M.  Karl-Heinrich  David,  de 
Bàle  (29  juin);  M.  Cari  Ehrenberg,  de  Dresde  (3  juillet);  M.  Rhené-Baton. 
chef  des  chœurs  à  l'Opéra-Comique  de  Paris  (0  juillet  i:  M.  H.  Opiensky,  de 
Varsovie  (S  juillet).  Ces  six  séances  avaient  attiré  un  public  nombreux,  qui  y 
prenait  un  intérêt  très  vif.  On  distingua  surtout  qua're  des  candidats  : 
MM.  Cor  de  Las,  van  Anrooy,  Rhené-Baton  et  Ehrenberg,  et  les  suffrages  du 
jury  se  réunirent  enfin  sur  le  nom  de  M.  Cor  de  Las,  qui  fut  nommé.  — 
M.  Cor  da  Las,  âgé  d'uûe  cinquantaine  d'années,  est  Espagnol  et  né  à  Murcie. 
Elève  du  Conservatoire  de  Saint-Pétersbourg,  il  y  reçut  les  leçons  de  pi3no 
d'Antoine  Rubinstein  et  de  M.  Leschetitzky.  Après  quelques  tournées  de  con- 
certs faites  avec  Sarasate,  Piatti  et  M'lle  Norman-Neruda,  il  vint  à  Paris,  où  il 
connut  Gounod  et  M.  Saint-Saëns.  qui  l'engagèrent  à  entreprendre  la  carrière 
de  chef  d'orchestre.  Sur  leur  recommandation  et  celle  de  Hans  de  Bûlow,  il 
fut  engagea  Saint-Pétersbourg  comme  chef  d'orchestre  de  l'Opéra  italien.  Il 
dirigea  ensuite  une  série  de  concerts  à  Stockholm,  en  1903  ceux  du  Théâtre- 
Royal  de  Madrid,  et  un  peu  plus  tard  ceux  de  l'orchestre  Kaim,  de  Munich, 
dont  on  se  rappelle  les  récentes  vicissitudes,  qui  l'obligèrent  à  chercher  une 
autre  situation.  On  assure  que  M.  Cor  de  Las  est  un  chef  de  premier  ordre. 
Détail  caractéristique:  M.  Alonso  Cor  de  Las  parle  et  écrit  six  langues:  l'es- 
pagnol, le  français,  l'allemand,  l'italien,  l'anglais  et  le  russe. 

—  Le  chef  d'orchestre  des  concerts-promenades  du  Queen's  Hall,  de  Londres, 
M.  Henry-J.  Wood,  a  décidé  de  faire  entendre,  dans  les  séances  de  la  pro- 
chaine saison,  un  assez  grand  nombre  d'œuvres  importantes  de  compositeurs 
anglais.  On  signale  déjà  les  suivantes,  comme  inscrites  au  programme  :  Svm- 
phonie  en  mi  b  majeur,  de  Balfour  Gardner;  .1  Village  Suite,  pour  orchestre. 
de  Luard  Selby;  concerto  pour  piano  et  orchestre,  en  sol  mineur,  de  York 
Bowen:  Prélude  d'Agamemnon.  de  W.-H.  Bell;  concerto  pour  violoncelle  et 
orchestre,  de  Percy-H.  Miles  ;  et  deux  pièces  symphoniques  d'Herbert 
Brewer. 

—  La  grande  interprète  de  Shakespeare,  la  célèbre  tragédienne  Ellen  Terrv, 
celle  qu'on  appelle  la  Sarah  Bernhardt  anglaise,  vient  de  publier  ses  Mémoires, 
qui  obtiennent  en  ce  moment  à  Londres  un  énorme  succès.  Mme  Ellen  Terry 
est  une  «  enfant  de  la  balle  ».  Elle  est  née  pour  ainsi  dire  au  théâtre;  son 
père  et  sa  mère  étaient  comédiens,  et  de  ses  onze  frères  et  sœurs  la  plupart 
ont  joué  la  comédie.  Elle  même  débuta  à  l'âge  de  huit  ans,  avec  le  fameux 
Charles  Kean,  et  toute  jeune  elle  était  déjà  presque  célèbre.  A  seize  ans  pour- 
tant elle  quittait  le  théâtre  pour  épouser  un  homme  qui  en  avait  cinquante,  le 
peintre  Watts,  artiste  très  connu,  membre  de  l'Académie.  Ce  mariage  ne 


318 


LE  MENESTREL 


pouvait  pas  être  heureux;  il  aboutit  à  une  séparation,  et  la  tragédienne  re- 
tourna au  théâtre.  C'est  alors  surtout  que,  devenue  la  partenaire  d'Henry 
Ifving,  sa  renommée  devint  éclatante.  Son  étonnante  apparition  dans  Macbeth, 
où  elle  était  admirable,  la  rendit  tout  à  fait  glorieuse,  et  lors  de  ses  tournées 
en  Amérique  elle  excita  un  enthousiasme  indescriptible.  Chose  assez  bizarre, 
après  avoir  pris  à  seize  ans  un  mari.de  cinquante,  l'an  dernier,  alors  qu'elle 
en  avait  cinquante-neuf,  elle  épousait,  en  troisièmes  noces,  un  homme  qui  en 
avait  trente.  Elle  raconte  elle-même,  non  sans  une  jolie  crànerie,  ce  dernier 
mariage  :  «  L'année  dernière,  dit-elle,  en  1907,  pour  la  première  fois,  j'entre- 
pris une  tournée  à  mon  compte,  et  je  jouais  des  pièces  modernes.  Je  trouvai 
que  mes  anciens  amis  m'étaient  restés  fidèles,  et  j'en  acquis  de  nouveaux. 
Cette  tournée  fut  pour  moi  particulièrement  importante,  parce  que,  à  Pitts- 
bourg,  je  me  mariai  pour  la  troisième  fois,  et  j'épousai  un  Américain.  Mon 
mariage  est  une  affaire  qui  ne  regarde  que  moi;  peu  de  gens  cependant  sem- 
blèrent être  de  cet  avis,  et  je  fus  excédée  de  questions  indiscrètes...  «  Si  quel- 
qu'un mérite  d'être  heureux,  c'est  vous  !  »  m'écrivit  un  ami.  Eh  bien,  je  suis 
heureuse,  et  du  moment  que  je  suis  heureuse,  je  n'arrive  pas  à  me  sentir 
vieille  ». 

—  Une  cornemuse  irlandaise  perfectionnée  a  été  présentée  sous  deux  formes 
à  la  récente  exposition  de  Dublin  pir  son  inventeur,  M.  Willian  O'Duans,  qui 
y  travaillait,  dit-on,  depuis  dix  ans.  Le  maniement  des  clefs  de  ce  nouvel 
instrument  est  très  aisé  et  peut  s'apprendre  avec  la  plus  grande  facilité.  L'un 
des  deux  modèles  présentés  coûte  7  livres  et  10  shellings  (187  fr.  30)  ;  il  a  huit 
clefs  et  son  étendue  est  de  deux  octaves  chromatiques  :  il  peut  exécuter  une 
musiqu;  de  quelque  tonalitéque  ce  soit;  il  y  a  tro  is  bourdons  :  la.  mi  et  la. 
Le  second  modèle  coûte  seulement  6  livres  sterling  (130  francs);  il  a  trois 
clefs  et  trois  bourdons,  et  on  ne  peut  sonner  qu'en  la.  Ces  instruments  ont  le 
son  doux  des  vieilles  cornemuses  irlandaises,  produit  à  l'aide  d'un  soufflet  mis 
en  action  par  le  bras  de  l'exécutant;  dans  ceux-ci  on  souffle  avec  la  bouche, 
et  par  ce  fait  on  obtient,  à  volonté,  plus  de  force  et  d'ampleur  dans  la 
sonorité. 

—  Le  12  février  1909,  les  États-Unis  célébreront  le  centième  anniversaire 
dé- la  naissance  du  président  Abraham  Lincoln,  qui  mourut  le  14  avril  1865, 
assassiné  par  un  esclavagiste  à  Washington.  En  vue  de  cet  anniversaire, 
M.  Silas  G.  Pratt,  directeur  d'un  institut  d'art  et  de  musique  de  Pittsbourg,  a 
composé  une  œuvre  pour  orchestre  intitulée  Lincoln  Symphony,  et  dans  la- 
quelle il  a  prétendu  esquisser  musicalement  le  portrait  du  grand  citoyen  qui 
occupa  la  première  magistrature  de  son  pays,  sans  jamais  se  montrer  au-des- 
sous de  la  tâche  difficile  que  lui  imposèrent  les  circonstances.  La  Lincoln 
Symphony  se  divise  en  quatre  parties.  Le  Musical  America  en  a  donné  le  pro- 
gramme. Nous  le  reproduisons  d'après  l'original  anglais  avec  les  explications 
qui  nous  ont  paru  nécessaires.  Premier  mouvement  :  Introduction  et  allegro  ri- 
race.  Ici  se  place  une  citation  qui  a  été  considérée  comme  pouvant  résumer 
la  caractéristique  du  tempérament  de  Lincoln.  «  Le  garçon  siffleur  et  le  pour- 
fendeur de  rails  ».  Cela  signifie  que  Lincoln  fut  à  la  fois  un  enfant  jovial,  iro- 
nique et  gai,  puis  devint  ensuite  un  homme  déterminé  ne  reculant  devant 
aucune  difficulté.  Une  autre  citation  vient  ensuite  ;  elle  est  du  poète  Paul 
Hull,  de  Chicago.  La  voici  :  «  Lincoln  était  ce  qui  est  fort  et  rude;  ce  qui  est 
heau  et  tendre.  Il  fut  le  granit  et  la  fougère  dans  la  mousse,  le  récif  au  bord 
de  la  mer,  le  chardon,  le  chêne  et  l'orchidée.  Lorsque,  s'élevant  à  travers  les 
airs,  son  premier  cri  monta  vers  le  ciel  dans  la  région  du  Kentucky,  certai- 
nement tous  les  états  de  l'Union  sentirent  un  long  frémissement,  et  l'ar- 
change Michel,  prince  des  harmonies  célestes,  descendit  sur  le  seuil  du 
monde,  écoutant,  le  doigt  sur  les  lèvres  ». 

H  faut  se  souvenir  ici  que  Lincoln  est  né  à  Hardin  County,  dans  le 
Kentucky,  et  songer  que  la  poésie  du  Nouveau-Monde  affectionne  les  symboles 
et  se  laisse  volontiers  entraîner  dans  les  exagérations  d'un  lyrisme  un  peu 
artificiel.  Mais  si  la  langue  poétique  est  ici  recherchée  et  peu  naturelle,  le 
langage  musical  est  intéressant  quoiqu'il  ne  brille  point  par  l'originalité.  Nous 
en  pouvons  juger  d'après  une  analyse  thématique  publiée  dans  le  journal 
américain.  —  Le  deuxième  mouvement,  Adagio  maesloso,  lamenta,  est  un  chant 
de  deuil.  Il  doit  exprimer  le  terrible  chagrin  qu'éprouva  Lincoln  à  la  mort  de 
sa  fiancée,  Annie  Rutledge.  Après  l'enterrement,  il  s'éloigna  de  sa  demeure, 
s'enfuit  à  travers  les  forêts  et  erra  longtemps,  dans  un  état  voisin  de  la  folie, 
jusqu'au  moment  où  ses  amis  le  calmèrent  à  force  de  soins  et  lui  rendirent  peu 
à  peu  l'intérêt  et  le  désir  de  vivre.  Le  troisième  mouvement,  Scherzo,  Allegro 
viuace,  est  un  portrait  de  Lincoln  humoriste;  il  comprend  deux  thèmes  princi- 
paux et  présente  dds  effets  d'instrumentation  ingénieux  et  plein  de  fantaisie.  Le 
quatrième  et  dernier  mouvement  est  le  morceau  tragique  de  l'ouvrage.  La  guerre 
civile  y  est  peinte  avec  ses  horreurs,  mais  non  sans  épisodes  reposants  et  d'un 
charme  ému.  Par  exemple,  après  le  tableau  de  la  bataille,  lorsque  le  tumulte 
et  le  bruit  des  armes  ne  s'entendent  plus  que  dans  le  lointain,  une  touchante 
mélodie  s'élève,  Home,  sweet  Home.  L'impression  ainsi  produite  est  très  vive  et 
d'une  vraie  beauté  d'art.  Vient  ensuite  une  marche  funèbre  d'intéressante 
facture  ;  la  chanson  qui  s'y  mêle,  Maryland,  my  Maryland,  agit  aussi  très  forte- 
ment comme  contraste.  Tout  finit  par  l'apothéose  de  l'homme  ennemi  du  faste, 
simple,  honnête  et  bon,  qui  a  soutenu  avec  tant  de  grandeur  la  cause  de  l'hu- 
manité contre  les  partisans  du  maintien  de  l'esclavage. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 
A  l'Opéra  : 

La  reprise  à'Hàmlêt  fut;  la  semaine  dernière,  tout  à  fait  brillante  et  cette 
soirée  comptera  certainement  parmi  les  plus  heureuses,  jusqu'à  présent,  de  la 


jeune  direction  Messager-Broussan-Lagarde.  Le  très  bel  ouvrage  d'Ambroise 
Thomas  qui  n'avait  pas  été  joué  à  Paris  depuis  de  longues  années,  faute  sur- 
tout d'en  pouvoir  réunir  une  interprétation  satisfaisante,  a  été  accueilli  des 
plus  chaleureusement,  trois  et  quatre  rappels  après  chaque  acte,  par  un  public 
conquis  par  ses  hautes  qualités  de  forme,  d'émotion,  de  poésie  et  de  noblesse; 
devant  ce  gros  succès,  d'aucuns  ne  s'avisent-ils  pas  aujourd'hui  de  découvrir 
l'œuvre  qui  date  de  1868  ! 

Au  triomphe  de  cette  reprise  —  c'était  la  307e  représentation  et  la  recette  a 
atteint  22.000  francs,  —  il  est  de  toute  justice  d'associer  les  deux  remarquables 
protagonistes  que  sont  M.  Renaud  et  M1Ie  Mary  Garden;  elle  tout  à  fait  char- 
mante, et  vive,  et  adroite,  et  touchante,  on  l'a  acclamée  après  la  scène  exquise 
de  la  folie,  lui  de  remarquable  diction,  d'intensive  et  neuve  compréhension  et 
d'habileté  consommée  toujours;  l'un  et  l'autre,  qualité  extrêmement  rare, 
d'intelligence  peu  commune.  Il  serait  malséant  de  ne  point  louer,  comme 
il  convient,  M110  Zambelli,  dont  la  grâce  souple  et  aérienne  Bt  merveille  dans 
le  si  frais  et  si  joli  divertissement,  la  Fête  du  printemps,  musique  et  interprète 
rivalisant  là  de  jeunesse  et  de  charme,  et  l'on  s'en  voudrait,  ici,  de  ne  point 
adresser,  à  l'occasion  de  cette  heureuse  remise  à  l'affiche,  un  très  fidèle  sou- 
venir aux  deux  illustres  et  inoubliés  créateurs  du  chef-d'œuvre  d'Ambroise 
Thomas,  Faure  et  Christine  Nilsson. 

Les  décors  du  Crépuscule  des  Dieux  seront  signés  de  M.  Jambon  (2e.  acte), 
dont  nous  annonçons  la  mort  subite  d'autre  part,  de  M.  Carpezat  (prologue 
et  2e  tableau  du  1er  acte),  de  M.  Dubosc  (1er  tableau  Su  1er  acte  et  3e  acte). 

Lundi  dernier,  débuts  de  Mlle  Carlyle,  qui  a  été  sympathiquement  accueillie 
dans  le  rôle  de  Vénus  de  Tannhaùser. 
C'est  demain  que  reprendront,  avec  Aida,  les  représentations  du  samedi. 

—  A  l'Opéra-Comique  : 

MIle  Berthe  Lamare  a  été,  la  semaine  dernière,  victime  d'un  accident  de 
voiture.  Comme  elle  se  rendait  à  son  théâtre,  l'auto  taxi  dans  lequel  elle  se 
trouvait  a  été  tamponné  par  un  omnibus,  place  de  la  Concorde,  et  la  char- 
mante actrice  a  été  blessée  au  visage  par  des  éclats  de  vitre  brisée.  Elle  a  dû 
s'aliter  pendant  quelques  jours:  maintenant  elle  va  tout  à  fait  bien  et  les 
blessures  reçues  au  visage  ne  laisseront  heureusement  aucune  trace.  Elle  a  été, 
vendredi  dernier,  remplacée  dans  Werther,  par  M"°  Dentellier,  qui  a  été  aussi 
une  Charlotte  charmante  et  très  applaudie.  M"e  Berthe  Lamare  a  dû,  hier  soir 
vendredi,  reprendre  possession  de  son  rôle  dans  le  chef-d'œuvre  de  Massenet. 

Ainsi  que  nous  l'avons  annoncé,  les  soirées  d'abonnement  reprendront  le 
mardi  3  novembre.  Voici  d'ailleurs  le  tableau  complet  de  ces  représentations, 
chaque  série  se  composant  de  quinze  représentations. 

Mardi  A  Jeudi  A  Samedi  A  Mardi  B  Jeudi  B  Samedi  B 


31        - 

14  janvier 


19        — 
2  janvier 
16      - 
30      - 
13  février 

13  mars 


10  novembr 


2  février 
16      — 
2  mars 


27  avril 
Il  mai 


i  juin 


12  novembre 

26        — 

10  décembre 


4  mars 
18    — 
1"  avril 


10  juin 


12  décembre 
26        - 


23      - 
6  février 


3  avril 

l"mai 


29  — 
12  juin 


12  janvier 
26      - 
9  février 
23      - 
9  mars 
23    — 
20  avril 
4  mai 

18  —  20 

lerjuin  3  juin  5  juin 

M"eJane  Perryn,  qui  avait  quitté  l'opéra-comique  pour  l'opérette,  revient 
au  premier  sans  toutefois  abandonner  la  seconde,  puisque  M.  Carré  doit  la 
prêter  aux  Folies-Dramatiques  pour  la  reprise  du  Petit  Faust.  La  très  char- 
mante artiste  est  rentrée  dans  la  maison  de  ses  débuts  par  le  rôle  de  Musette 
de  la  Vie  de  Bohème  où  elle  a  pu  heureusement  faire  valoir  ses  précieuses  qua- 
lités de  chanteuse  et  de  comédienne. 

Jeudi-  dernier  rentrée  applaudie  de  M.  Clément  dans  Madame  Butterfly. 
Demain  samedi  débuts,  dans  Lakmé,  d'une  nouvelle  basse  russe,  M.  Katche- 
novsky,  dont  on  dit  le  plus  grand  bien. 

Spectacle  d'aujourd'hui  samedi  :  Lakmé.  Demain  dimanche  en  matinée  : 
Aphrodite:  en  soirée:  Cavalleria  rusticana  et/a  Vie  de  Bohème.  Lundi,  représen- 
tation populaire  à  prix  réduits  :  Philémon  et  Baucis,  la  Navarraise. 

—  M.  Doumergue,  ministre  des  Beaux-Arts,  vient  de  désigner,  d'après 
l'avis  des  directeurs  de  l'Opéra,  sur  la  liste  présentée  par  l'Institut,  M.  Bache- 
let,  prix  de  Rome  de  1890,  pour  écrire  la  partition  du  prochain  ouvrage  réservé 
aux  anciens  prix  de  Rome.  M.  Bachelet  est,  comme  on  le  sait,  l'un  des  chefs 
d'orchestre  de  notre  Académie  nationale  de  musique. 

—  Une  subite  indisposition  de  M.  Soubeyran  (le  ténor  chargé  du  rôle  de 
Jean)  oblige  MM.  Isola  frères  à  renvoyer  à  lundi  la  première  de  Jean  de 
Nivelle,  au  Théàtre-Lyrique-Municipal.  Sur  l'affiche,  jusqu'à  lundi.  Paul  et 
Virginie.  Signalons  dans  l'ouvrage  de  Victor  Massé  toujours  applaudi  par  un 
public  nombreux,  les  heureux  débuts  de  MIl°  Castel,  une  jeune  soprano  qui 
paraissait  pour  la  première  fois  sur  un  théâtre  et  dont  la  voix  est  jolie  et  la 
méthode  excellente. 

—  Nous  avons  annoncé  déjà  que  les  Concerts-Lamoureux  reprendront  leurs 
séances  dominicales,  à  la  salle  Gaveau,  le  18  octobre.  On  dit  que  M.  Chevil- 
lard,  complément  rétabli,  reparaîtra  au  pupitre  de  chef  d'orchestre. 


LE  MENESTREL 


319 


—  La  cérémonie  funèbre  du  regretté  Sarasate  a  été  célébrée  l'autre  mardi, 
à  Biarritz,  au  milieu  d'une  foule  très  nombreuse  massée  dans  l'avenue  de  la 
Ville-d'Hiver,  où  est  la  villa  Navarra,  devant  laquelle  deux  compagnies  d'in- 
fanterie rendaient  les  honneurs.  La  levée  du  corps  a  été  faite  à  neuf  heures 
par  le  curé  de  la  paroisse  Saint-Charles.  Le  cercueil  disparaissait  sous  l'amon- 
cellement des  couronnes  envoyées  de  Pampelune,  Madrid,  Paris,  Berlin,  etc. 
Lorsque  le  cercueil  traversa  le  jardin  pour  être  posé  sur  le  corbillard,  l'or- 
chestre du  Casino  municipal  joua  la  marche  funèbre  do  la  Jeanne  d'Arc,  de 
Lenepveu.  De  la  maison  mortuaire  à  la  gare  de  la  Négresse,  toutes  les  rues, 
les  maisons  et  les  villas  regorgeaient  de  monde.  Les  cordons  du  poêle  étaient 
tenus  par  M.  G-aspar,  consul  d'Espagne,  le  docteur  Blazy,  MM.  Garcia  de  Ysla 
et  M.  Uasson.  Autour  du  char  funèbre:  MM.  Otto  Goldschmidt.  Daniel  [rujo, 
maire  de  Pampelune,  Autrro  Irasaqui,  ancien  sénateur  de  la  Navarre,  le 
maire  de  Biarritz  et  le  président  de  la  société  Sainte-Cécile,  de  pampelune. 
Le  deuil  était  conduit  par  les  beaux-frères  et  les  neveux  du  regretté  défunt. 

A  la  gare  de  la  Négresse,  le  cercueil  fut  déposé  dans  un  fourgon  qui,  trans- 
formé en  chapelle  ardente,  fut  attaché  à  l'express  qui  devait  le  transporter  à 
Pampelune  où  devait  avoir  lieu  la  cérémonie  religieuse  et  l'inhumation.  Le 
corps  est  arrivé  en  effet  le  jeudi  soir  à  Pampelune,  ville  natale  de  l'illustre 
artiste.  Toute  la  population  se  pressait  sur  le  parcours  et  a  suivi  le  cortège 
funèbre.  Le  deuil  était  conduit  par  la  municipalité  et  les  autorités.  Le  cercueil 
fut  déposé  dans  la  grande  salle  de  la  mairie  transformée  en  chapelle  ardente 
et  où  les  habitants  n'ont  cessé  de  défiler.  —  Si  les  renseignements  publiés 
sont  exacts,  Sarasate  a  laissé  une  fortune  de  trois  millions  de  francs  environ. 
D'après  son  testament,  a  chacune  de  ses  sœurs  il  lègue  1.230.000  francs.  Au 
Conservatoire  de  Paris.  100.000  francs;  à  celui  de  Madrid,  100.O0O  francs;  à 
chacun  de  ces  deux  Conservatoires,  un  de  ses  Stradivarius.  Les  revenus  des 
100.000  francs  serviront  à  instituer  un  prix  Sarasate.  Les  collections  artis- 
tiques du  maitre,  renfermées  dans  son  appartement  de  la  place  Malesherbes,  à 
Paris,  et  ses  meubles,  sont  donnés  à  Pampelune.  sa  ville  natale. 
Mme  Goldschmidt  hérite  de  la  villa  Navarra,  que  Sarasate  possédait  à  Biarritz. 
Le  testament  contient  divers  autres  legs,  notamment  un  de  BO.OOO  francs  en 
faveur  de  son  fidèle  valet  de  chambre,  et  un  de  10.000  frans  à  sa  cuisinière. 

—  Le  Figaro  a  publié  la  lettre  suivante,  adressée  de  Londres  à  M.  Gaston 
Calmette,  son  directeur,  par  M.  Edouard  Colonne,  pour  lui  faire  connaître 
une  manifestation  touchante,  dont  la  mémoire  de  Sarasate  a  été  l'objet  : 

Londres,  23  septembre. 
Mon  cher  Directeur  et  ami, 

Le  Figaro,  par  la  plume  de  notre  ami  Emile  Berr,  ayant  pris  sa  grande  part  de 
douleur  à  la  mort  de  Sarasate,  je  tiens  à  vous  faire  savoir  qu'une  touchante  manifes- 
tation a  eu  lieu  de  façon  toute  spontanée  au  cours  de  mon  concert  d'hier. 

L'orchestre,  le  public  étant  tout  entier  debout,  exécuta  la  Marche  funébreie  Chopin, 
qui  fut  écoutée  avec  un  silence  religieux,  lorsqu'à  la  lin  du  morceau,  quelques  per- 
sonnes irréfléchies  ont  cru  devoir  se  livrer  à  des  applaudissements,  la  masse  du 
public  leur  imposa  silence  pour  conserver  à  la  manifestation  son  caractère  de 
religiosité. 

C'est  en  ma  qualité  de  condisciple  et  d'ami  de  Sarasate  que  je  crois  devoir  vous 
communiquer  cet  événement  qui  prouve  combien  sont  restées  vives  ici  les  sympa- 
thies que  l'homme  et  l'artiste  ont  inspirées  partout  où  il  a  passé,  c'est-à-dire  dans  le 
monde  entier. 

Cordialement  et  atfectueusement  à  vous,  mon  cher  Directeur  et  ami,  et  toujours 
votre  bien  dévoué, 

Ed.  Colonne. 

—  Voici,  enfin,  une  jolie  anecdote  sur  Sarasate;  nous  la  traduisons  d'après  les 
Dernières  nouvelles  de  Munich.  «  La  mère  du  célèbre  violoniste  qui  vient  de 
mourir  se  nommait  Sigante;  son  mari  était  chef  de  musique  d'un  régiment 
d'artillerie.  Enragé  républicain,  Francisco  Sarasate  ne  faisait  pas  un  secret  de 
ses  opinions  antigouvernementales.  Ayant  été  mis  en  prison  comme  crimi- 
nel politique,  sa  femme  et  son  fils  se  trouvèrent  livrés  à  un  profond  dénue- 
ment. Une  dame  de  l'aristocratie  s'intéressa  au  sort  de  l'enfant  dont  le  talent 
de  violoniste  était  déjà  très  apprécié  à  Pampelune,  sa  ville  natale.  La  légende 
rapporte  que  cette  bienfaitrice  donna  le  conseil  suivant  à  la  malheureuse 
mère  :  «  Allez  à  Madrid  et  obtenez  une  audience  de  la  reine;  votre  jeune 
virtuose  lui  jouera  quelque  chose  et  certainement  vous  obtiendrez  assistance.» 
Aussitôt  dit,  aussitôt  fait.  La  mère  et  l'enfant  partirent  pour  Madrid  et  se  pré- 
sentèrent au  palais.  La  pauvre  femme  obtint,  sans  trop  de  démarches,  une 
audience  de  la  souveraine.  Elle  entra  dans  le  salon  tenant  par  la  main  l'enfant 
qui  pressait  son  violon  serré  sous  son  bras.  «  Ah  !  tu  joues  du  violon  »,  dit  la 
reine  à  l'enfant  qui  déjà  lui  plaisait  extrêmement,  «  eh  bien,  que  pourrais-tu 
me  jouer  »  ? —  «  Tout  ce  que  vous  voudrez  »  répondit  le  jeune  Sarasate.  «  Très 
bien  »,  poursuivit  la  reine,  ■<  alors  fais-moi  entendre  ce  qu'il  te  plaira  ».  Le 
petit  artiste  se  mit  aussitôt  à  jouer  ce  qui  lui  vint  à  l'esprit.  Des  chants  popu- 
laires du  nord  de  l'Espagne,  des  flamencos  mélancoliques  de  l'Andalousie, 
des  Jotas  tournoyantes  de  l'Aragon,  des  pastorales  de  Galice,  des  chansons 
de  muletiers  de  toutes  les  provinces.  Ce  mélange  de  motifs  nationaux  prenait 
sur  le  violon  de  l'enfant  une  sorte  de  pouvoir  magique  auquel  ne  put  résister 
la  reine  Isabelle.  Ses  yeux  se  remplirent  de  larmes,  et  lorsque  l'improvisa- 
tion fut  achevée,  elle  s'écria  :  «  Petit,  demande-moi  ce  que  tu  voudras,  je  te 
l'accorde  d'avance.  »  —  .<  Délivrez  mon  père  »,  dit  en  tremblant  l'enfant.  La 
reine  confirma  la  promesse  qu'elle  venait  de  faire  ;  le  vieux  Francisco  Sara- 
sate sortit  bientôt  de  prison  et  fut  rendu  aux  siens.  Toutefois,  malgré  la 
mesure  gracieuse  dont  elle  avait  été  l'objet,  la  famille  de  Sarasate  finit  triste- 
ment. On  ne  saurait  dire  au  juste  ce  que  devint  le  père  après  son  élargisse- 
ment ;  la  mère  mourut  à  l'hôpital  dans  une  profonde  misère,  et  l'enfant,  à 
peine  âgé  de  dix  ans,  fut  conduit  à  Paris,   où  il  devint  l'élève    d'Alard.    et 


obtint,  après  huit  mois  de  classes,  un  premier  prix  au  Conservatoire.  Xos 
lecteurs  ont  pu  rectifier  celte  dernière  assertion  d'après  l'article  nécrologique 
publié  dans  notre  dernier  numéro.  Sarasate  entra  au  Conservatoire  de  Paris 
à  l'âge  de  onze  ans;  il  remporta  deux  ans  après,  en  1857,  un  premier  prix  de 

Milfègi'  el   un  premier  prix  de  liulon.    Il    ne  quitta    poinl    ; i    cela    l'école 61 

devint  l'élève  de  Reber.  On  lui  accorda  un  accessit  d'harmonie  en  1859. 

—  Nous  avons  dit  que  Julia  Subra  avait  légué  10.000  francs  à  l'or] 
des  Arts,  son  testament  porte  un  autre  legs  d'égale  somme  en  ravi 
Société  des  artistes  et  amis  de  L'Opéra. 

—  Dans  un  journal  de  1802  nous  rencontrons  une  nui.  Ile  assez  bizarre, 
relative  au  fameux  ténor  Roger,  le  créateur  à   l'Opéra-Comique   des    11 

tares  de  la  Reine,  à  L'Opéra  du  Prophète,  et  de  bien  d'autres  ouvrages.  Victime 
d'un  accident  do  chasse  trois  ans  auparavant,  accident  dans  lequel  il  avait 
perdu  un  bras,  le  pauvre  artiste  vivait  sa  carrière  brisée,  et  comme,  cigale 
imprévoyante,  il  ne  s'était  pas  précautionné  en  vue  de  l'avenir,  il  se  trouvait 
dans  la  nécessité  de  vendre  ses  propriétés.  C'est  à  ce  sujet  qu'un  journal 
publiait  les  lignes  que  voici  : 

Roger  s'est  décidé  à  mettre  en  vente  par  lots  30  1.000  mètres  de  terrains  dépendant 
de  sa  propriété  de  Villiers-sur-Marne.  L'ne  clause  des  contrats  porte  que  les  ven- 
deurs, voulant  à  jamais  conserver  le  nom  donné  à  ces  terrains  et  perpétuer  la  gloire 
des  principaux  chefs-d'œuvre  de  nos  scènes  lyriques  qui  ont  fait  an  nom  à  l'artiste 
qui  les  a  si  bien  interprétés,  ont  donné  à  leurs  rues,  avenues,  allées  et  chemins  les 
noms  suivants  :  grande  avenue  du  Val-Roger,  avenue  Ilalévy.  boulevard  Meyerbeer, 
boulevard  Auber,  allée  de  la  Favorite,  allée  de  la  Dame-Blanche,  avenue  du  Pro- 
phète, avenue  des  Mousquetaires,  avenue  des  Huguenots,  avenue  de  la  Sirène, 
avenue  de  la  Reine-de-Chypre,  avenue  Haydée,  avenue  de  "Enfant-Prodigue,  avenue 
du  Domino-Noir,  avenue  du  Juif-Errant,  avenue  de  la  Pa't-du-Diable,  chemin 
d'Herculanum,  chemin  de  Lueie-de-Lammermoor,  allée  de  l'Éclair,  allée  d 
rante. 

Il  serait  curieux  de  savoir  s'il  reste  de  tout  cela  un  vestige  quelconque  à 
Villiers-sur-Marne. 

—  Clermont-Ferrand  :  Notre  ville  va  être  dotée  d'un  Conservatoire  de 
musique  dont  la  direction  a  été  confiée  à  M.  Claussmann,  l'artiste  clermon- 
tois  bien  connu.  Tous  nos  amateurs  se  réjouissent  de  cette  création  qui  fait  le 
plus  grand  honneur  à  notre  Conseil  municipal  et  contribuera  dans  une  large 
mesure  au  développement  du  goût  musical  à  Clermont. 

—  De  Marseille  :  Le  théâtre  en  plein  air,  Athcnà-Niké,  vient  de  donner, 
avec  le  concours  d'artistes  de  la  Comédie-Française,  une  représentation  très 
réussie  composée  de  In  Mort  d'Adonis,  de  M.  Paul  Barlatier,  et  des  Erinnijes, 
de  Leconte  de  Lisle,  avec  la  belle  partition  du  maitre  Massenet. 

—  Cours  et  Leçons.  —  Mme  et  M"L'  Audousset  ont  repris  leurs  cours  et  leçons  de 
solfège,  déchiffrage,  ensemble,  piano  et  chant,  46,  boulevard  Maillot,  à  Xeuilly-sur- 
Seine.  —  M"°  Henriette  Thuillier  a  repris  ses  cours  chez  elle,  62,  rue  de  Rennes, 
chez  Érard  et  au  cours  d'éducation  de  M"0  Ro.-he,  15,  rue  Cortambert.  Cours  de 
déchiflrage,  accompagnement  et  histoire  de  la  musique.  Cours  de  chant  par  M'k  Su- 
zanne Richebourg.  Examens  par  M.  I.  Philipp.  Conférences  sur  la  musique  russe  par 
M.  Bourgault-Ducoudray.  —  M-'  Mitault-Steiger  reprendra  ses  cours  et  leçons  chez 
elle,  17,  rue  de  Berne,  à  partir  du  15  octobre. 

NÉCROLOGIE 

Marcel  Jambon,  le  peintre  décorateur  bien  connu,  est  mort  subitement, 
dans  la  nuit  de  mardi,  des  suites  d'une  embolie.  L'artiste  avait  la  veille  tra- 
vaillé toute  la  journée  aux  maquettes  de  Chiquito,  d'après  les  croquis  qu'il 
avait  élé  récemment  faire  sur  place  avec  M.  Albert  Carré,  et  rien  ne  pouvait 
faire  prévoir  une  fin  aussi  prématurée.  Né  à  Barbezieux  en  1848,  —  il  disparait 
donc  âgé  seulement  de  soixante  ans  et  tout  à  fait  vaillant  —  il  débuta  comme 
homme  de  peine  chez  Rubé,  dont  il  devint  l'élève.  Lorsque  la  guerre  de  1870 
éclata,  il  avait  vingt-deux  ans,  il  s'engagea  ;  sa  très  belle  conduite  lui  valut  la 
médaille  militaire.  La  paix  signée,  il  rentrai  l'atelier  de  Rubé,  et  à  la  mort  de 
celui-ci,  il  s'installa  chez  lui.  Travailleur  infatigable,  d'humeur  toujours  égale 
et  d'accueil  absolument  sympathique,  Jambon,  qui  était  un  merveilleux  artiste, 
a  signé  des  décors  tout  à  fait  remarquables.  Les  derniers  qu'on  lui  doit  sont  ceux 
de  Madame  Butterfly,  une  partie  de  ceux  d'Ariane  et  du  Chevalier  d'Éoiu  II  avait 
achevé  déjà  le  tableau  du  Crépuscule  des  Dieux  que  l'Opéra  lui  avait  commandé 
et  celui  du  Bon  roi  Dagoberl  destiné  à  la  Comédie-Française.  En  ces  dernières 
années,  il  s'était  associé  avec  son  gendre,  M.  Bailly.  Jambon,  qui  était  olficier 
de  la  Légion  d'honneur,  a  fait,  entre  temps,  de  la  peinture  décorative  et  la 
mort  le  surprend  au  moment  où  il  s'occupait  d'une  importante  commande 
pour  la  gare  de  Lyon.  C'est  une  perte  pour  le  théâtre  et  c'est  un  deuil  pour 
tous  ses  amis,  et  ils  étaient  nombreux. 

—  Un  artiste  très  apprécié  en  Allemagne  comme  excellent  chef  d'orchestre, 
Alfred  Krasselt,  vient  de  mourir  après  de  longues  souffrances,  à  l'âge  de 
36  ans.  Né  le  3  juin  1872,  à  Glauchau,  en  Saxe,  il  fut  maitre  de  chapelle  à 
Baden  et  à  Leipzig,  dirigea  l'orchestre  Kaim  de  Munich,  de  1893  à  1896,  et 
devint  ensuite  kapellmeister  à  la  Cour  à  Yveimar.  E  avait  su  s'attirer  beau- 
coup de  sympathies  ;  sa  mort  prématurée  ne  laisse  que  des  regrets. 

Henri  Hetjgel,  directeur-gérant. 

A   CÉDER  pour  cause  de  décès   un   très   bon  Fonds  de  pianos,  musique  et 
lutherie.  S'adresser  à  Mme  Pichot,  35.  rue  de  Malvave,  à  Champs-sur-Marne 
(Seine-et-Oise). 


320 


LE  MENESTREL 


PARIS,    AU    MÉNESTREL,    2  bis,   RUE    VIVIENNÉ,    HEUGEL    et   C",    ÉDITEURS.    Propriétaires    pour  tous    pays 


THÉÂTRE  HftTIOrMHIi 

DE 

Ia'OPÉRH 


A3VESROISE     THOlVEil.S 


HAJVÏLiET 


THÉÂTRE  fiRTIONALi 

DE 

Li'OPÉHR 


O/mF 


cûiff   actes   et  sept   tableaux.    Poème  de   MICHEL    CARRE  et  JULES   BARBIER 


Partition  piano  et  chant net    20  francs.  —  Edition  spéciale  pour  ténor net    20  francs. —  Partition  chant  seul net    4  francs. 

Partition  piano  solo,  réduite  par  Georges  Bizet.   .  net    12  francs.  —  Partition  piano  à  quatre  mains,  réduite  par  Georges  Bizet.    .  net    25  francs. 

Partition  italienne net    20  francs. —  Partition  allemande net    20  francs.  —  Livrets  italien  et  allemand,  chaque net    1  franc. 

Affiche  en  couleurs  d'Au'HONSK  de  Neuville.  .  net    5  francs. 


MORCEAUX     DETACHES     POUR     CHANT     ET     PIANo 


2.  Duo  :  Pourquoi  détournez-vous  les  yeux?  (B.'-S.)  7 

Le  même,  chant  seul net  » 

2  bis.  Cantabile,  extrait  :  Doute  de  la  lumière  (B).   .  5 

Le  même,  chant  seul net  » 

.2  1er.  Le  même  (S.  ou  T.). 5 

2<]rer.  Le  même  en  ut  (M. -S.) 5 

3.  Cavatine  de  Laerte  :  Pour  mon  pays  (T.).   .   .  4 

La  même,  chant  seul net  » 

4.  Chœur  des  pages  et  officiers  (4  voix).    .    .   net  1 

5  bis.  Invocation  :  Spectre  infernal  (B.) 4 

La  même,  chant  seul net  » 

-5  ter.  La  même  (T.) 4 

6.  Air  du  livre- (S.) 7 

6  bis.  Le  même  (M.-S.) 7 

6  ter.  Fabliau,  extrait  :  Adieu,  dit-il,  ayez  foi  (S.)  .  4 

Le  même,  chant  seul net  » 

6ql*r.  .Le  même  (M.-S.  i 4 

Les  numéros  2  bis,  4, 

Les  numéros  2,  2  bis,  2  ter,  2q,cr,  3,  5  bis,  5  ter,  6,  6  ter, 

Les  numéros  2,  2  bis,  2  ter,  2  q" 


:  (M.. 


7  50 


»  25 


l'i 

7.  Arioso  :  Dans  son  regard plus  sombre  (M.-S.)  .     5 

Le  même,  chant  seul net    » 

7  bis.  Le  même  (C.) .    . 

8.  Duo  :  H^las I  Dieu  m'épargne  la  ht 

etB") './.., 

9.  Chœur  des  comédiens 

10.  Chanson  bachique  (B.) 

La  même,  chant  seul net 

10  bis.  La  même  (T.) 5    » 

13.  Monologue  :  Être  ou  ne  pas  être  (B.) 3    » 

Le  même,  ctaaat  seul net    »  25 

13  bis.  Le  même  (T.) " v  .     3     >< 

14.  Air  :  Je  f implore 3  ô  mon  frère  (B") 5    » 

14  bis.  Le  même  (B.) 5    » 

15.  Trio  :  Le  voilà!  Je  veux  lire  enfin  (S.,  M.-S., 

B.) 7  50 

10,  18,  19 bis  et  21  existent  avec  accompagnement  d'orchestre  poui 

",  7,  7  bis,  10,  10  bis,  13,  13  bis,  15,  15  bis,  15  ter,  18,  18  bis,  18 1er,  18 

6  bis,  6  ter,  6ql",  10,  10  bis,  13,  13  bis,  18,  18  bis,.  18 1er,  19  bis,  19  ter, 

Les  numéros  10  et  18  bis  existent  en  langue  anglaise. 


!  (B-)  - 


15  bis.  Romance  extraite  :  Allez  dans  un  cloître 

15  ter.  La  même  (T.) 

16.  Grand  duo  :  Ilamtet,  ma  douleur  est  immense 

{M.-S.,  B.) 

Scène  et  air  d'Ophélie  :  A  vos  jeux,  mes  amis  :  S.) 

Ballade  extraite  :  Pâle  et  blonde  (S.) 

La  même,  chant  seul net 

18  ter.  La  même  (M.-S.) 

19  bis.  Valse  :  Partagez-vous  ces  fleurs  (S.) 

La  môme,  chant  seul net 

19  ter.  La  même  (M.-S.) 

21.  Chant  des  Fossoyeurs,  à  1  ou  2  voix  iB.,  T. i  . 

Le  même,  chant  seul net 

21  bis.  Le  même,  à  I  voix  (T.) 

22.  Arioso  :  Comme  une  prife  flcir  (B:) 

Le  même,  chant  seul net 

22  bis.  Le  même  (T.) 

•  les  concerts  (location). 

(jlcr,  19  bis.  19  ter,  22,  22  bis,  existent  en  langue  italienne. 
22,  22  bis,  existent  en  langue  allemande. 


18. 

18  bis. 


TRANSCHIPTIONS     POUR     PIANO     A     DEUX     MAINS 


G.  Bizet. 

Brissleii. 
Bull. .   . 

CRAMEn    . 

Grégoire 

Henry.   . 
Ketterer 

Kruger  . 
Leybach  . 


Les  Roses  dChiver  : 
Noi  49.  Doute  de  la  lumière 

50.  Chœur  des  pages 

51.  Chanson  bachique 

52.  Marche  danoise 

53.  Ballade  d'Ophélie 

54.  Valse  d'Ophélie 

Prélude  de  l'Esplanade 

Marche  solennelle 

Pot-pourri 

Les  Silhouettes  n°  5 

Bouquets  de  mélodies,  deux  suites,  ch. 

Valse  et  ballade 

Les  chants  d'Ophélie 

Première  transcription 

La  Fête  du  -printemps,  ballet 

,  Fantaisie-transcription 

Fantaisie  brillante 


Lysberg  . 
Xeustedt 


Ballade  et  valse  d'Ophélie 

Transcriptions  : 
N"  1.  CaDtabile  du  duo  et  chœur  des 
pages 

2.  Fabliau  et  chanson  bachique. 

3.  Ballade  et  valse  d'Ophélie  .    . 

Transcription  brillante 

Marche  danoise  (Payes  enfantines  n°  18) 
Ballade  d'Ophélie  (Miniatures  n"  4).  .    . 

.    .  Airs  de  ballet  (Miniatures  n°  22) .   .    .    . 
Valiquet    .  Airs  de  ballet  : 

N°'  1 .   Danse  villageoise   ...... 

2.  Pas  des  chasseurs 

3.  Pantomime 

4.  PolUa-mazurka 

5.  .Pas  du  bouquet 

6.  Bacchanale 


S.  Rai-el 
Tavàx  . 

Trojelli 


La  Fête  du  printemps,  airs  de  ballet  : 

X"   1 .  Danse  villageoise 5 

2.  Pas  des  chasseurs 4 

3.  Pantomime 4 

5.  Pas  du  bouquet 5 

6.  Bacchanale 5 

Le  ballet  complet net  3 

Trois  transcriptions  : 

N°*  1.  Prélude  de  l'Esplanade.    ...  5 

2.  Marche  danoise 5 

3.  Valse  d'Ophélie 5 

Récréations  lyriques  (3e  série)  : 

N"1  13.  Doute  de  la  lumière 2  ! 

14.  Chœur  des  pages  et  otliciers.  2  ! 

15.  Chanson  bachique 2 

16.  Ballade  d'Ophélie 2  1 

17.  Valse  d'Ophélie 2  i 

18.  Pas  du  bouquet 2  i 


TRANSCRIPTIONS     POUR     PIANO     A     QUATRE     MAINS 


G.  Bizet  .   .  La  Fêle  du  printemps,  baWet.  ...  net  6  » 

N«  1 .  Danse  villageoise 6  » 

2.  Pas  des  chasseurs 5  » 

3.  Pantomime 5  a 

4.  Valse-mazurka 6  » 

5.  Pas  du  bouquet 7  50 

6.  Bacchanale 6  » 


Prélude  de  l'Esplanade 
Marche  danoise.  .  .  . 
Valse  d'Ophélie.  .  .  . 
Marche  solennelle  .  . 
les  Silhouettes  n"  5.    . 


Leféouré-Wély  Fantaisie-concertantc 

Marks Pot-pourri 

Trojelm    .    .    .  Les  Miniatures  n°  12. 

R.  de  Vilbac.    .   École  concertante,  N*" 

suites,  chaque  .    . 


DAN  SES     POUR     PIANO     A     J3E  U  N^     E  T     Q  UATRE     MAINS 


Arban  . 
Ettling 
Henry . 
Llmeye 
Mey.   . 


Alder. 


.  Quadrille 5    » 

.  Ophélie-mazurka 4  50 

.  Les  chants  d'Ophélie,  valse 7  50 

.  Sourenirs  de  Christine  Nilsson,  mazurka  4  50 

.  Polka-mazurka 4.50 


Quadrille 

Le  même,  à  quatre  mains . 

Valse  d'Ophélie 

La  même,  à  quatre  mains. 


Strauss  .    .  Polka  des  officiers 4 

Stutz  .    .    .  La,  Freya,  polka 4 

Valiquet    .  Quadrille  (sans  octaves) 5 

—  Valse  d'Ophélie 6 


TRANSCRIPTIONS     POUR     INSTRUMENTS     DIVERS     OU     ORCHESTRE 


.  L'Opéra  concertant  n"  4  : 

Piano,  violon  et  violoncelle  (contre- 
basse ad  libitum) 

Piano,  flûte  et  violon  (contrebasse  ad 
libitum) 

Piano,  flûte  et  violoncelle  (contre- 
basse ad  libitum) 

—  ...  Valse-mazurka,  mandoline  seule  .  net 

—  ...  Ballade  d'Ophélie,  mandoline  seule  net 

—  ...  Valse  d'Ophélie,  mandoline  seule,  net 

Arran.   .   .  Quadrille,  orchestre net 

Batiste.  .  Marche,  grand  orgue 

Douard  .  .  Marche  des  chasseurs,  harmonie.   .  net 

Th.  Dubois.  Marche,  grand  orgue 

Ettling  .   .  Ophélie-mazurka,  orchestre.   .    .    .  net 
Génin  .   .   .  Airs,  flûte  seule 


GÉMN  .     . 
GUICBAUT 

GUMBERT. 

Hermann. 


Levêque  . 
Mayeur  . 


PÉRIER 

Barauo 


Fantaisie,  flûte  et  piano 9 

Airs,  cornet  seul 6 

Pot  pourri,  violon  et  piano.    .....;.  6 

Soirées  du  jeune  flûtiste  n"  7  (  tlùte  et  p°)  9 
Soirées  du  jeune  violoniste  ir  7  <  violon 

et  piano)  .  i>  ..........   .  9 

Six  mélodies  faciles,  violon  seul  .  .  .  5 
Ballet,  harmonie  : 

Nos  1.  La  Fête  du -printemps  .    .  net  3 

2.  Pas  des  chasseurs.  .    .    .  net  3 

3.  Pantomime. net  3 

4.  Valse-mazurka.   ....  net  3 

5.  La  Freya,  polka  ....  net  3  , 

6.  Strette  finale net  3 

Fantaisie-transcription,  violon  et  piano  t* 

Fantaisie,  violoncelle  et  piano 9 


Renault.  .  Fantaisie,  harmonie net 

Rose  .  .  .  Fantaisie,  clarinette  et  piano  .... 
Sellemr.  .  Marche  funèbre,  harmonie  .  .  .  .  n 
Singelée.   .  Fantaisie  concertante  violon  et  piano 

Strauss  .    .  Quadrille,  orchestre ne 

—  .  .  Valse  d'Ophélie,  orchestre  .... 
Stutz  .  .  .  La  Freya,  polka,  orchestre  .  ...  ne 
Tavan.  .  .  V Opéra  symphonique r\° S (peL ovch.)ne 
A.  Thomas  .  La  Fête  du  printemps  :  ballet,  orchestre 

Partition ne 

Parties  séparées ne 

Chaque  partie  supplémentaire  ne 
—  Marche  danoise,  orchestre  : 

Partition ne 

Parties  séparées ne 

Chaque  partie  supplémentaire  ne 


Samedi  10  Octobre  1908. 


4048.  -  74e  ANNÉE.—  1\°  41.  PARAIT  TOUS  LES  SAMEDIS 

(Les  Bureaux,  2b",  rue  Vi  vienne,  Paris,  n-arr') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non.  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


lie  Numéro  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  Numéro  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Boas-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  — Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (33e  article),  Julien  Ïiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale  :   reprise  de  Jean  de  Nivelle  au  Théàtre-Lyrique-Municïpal,  AlïTHUn  Pougiin 

premières  représentations  du  Bon  roi  Dagobert  à  la  Comédie-Française,  de  la  Maison  en  ordre  au  Vaudeville,  de  Mo&sieu  le  Maire  au  Théâlre-Déjazet 

et  de  la  Revue  de  Cluny,  Paul-Émile  Chevalier;  première  représentation  du  Petit  Fouchard  au  Gymnase,  Am.  Boutarel.  —  III.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
LA  FRIPONNE 
polka-mazurka,  de  Rodolphe  Berger.  —  Suivra  immédiatement  :  Valse-ballet, 
d'ALBERT  Landry. 


MUSIQUE  DE   CHANT 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant: 
CHANSON  AU  BORD  DE  L'EAU 
d'ERNEST   Moret.    —    Suivra   immédiatement  :    Dormons  parmi    les    lys,    de- 
J.   Massenet. 


SOIXANTE    ANS     DE     LA    VIE     DE     GLUCK 

(XT  ± -4=  -  1  7"  7 -4  ) 


CHAPITRE    Vïfl   :    Cinq  années  entre  Orfào   et  Alceste 

En  dépit  de  ce  magnifique  résultat,  Gluck  n'était  pas  parvenu  |  XVIIIe  siècle,  où  la  vie  était 
à  changer  du  premier  coup 
l'ordre  établi  dans  l'empire  mu- 
sical dont  Vienne  était  la  capitale . 
La  saison  inaugurée  par  Orfeo 
était  à  peine  achevée  qu'il  re- 
partit pour  l'Italie,  appelé  à 
Bologne  afin  d'y  composer  l'opéra 
du  printemps  1763,  pour  l'inau- 
guration d'un  nouveau  théâtre  ; 
il  refit  donc  pour  la  trentième 
fois  le  même  opéra  italien  qu'il 
était  accoutumé  d'écrire  pério- 
diquement depuis  le  jour  de  son 
premier  début  à  Milan. 

Nous  sommes  renseignés  sur 
les  détails  de  cette  expédition 
gr.ice  au  récit  de  celui  qui"  fit  le 
voyage  en  compagnie  de  Gluck  : 
Uittersdorf,  que  nous  avons  déjà 
aperçu,  jeune  violoniste  chez  le 
prince  de  Saxe-Hildburgbausen. 
et  qui,  passé  avec  Gluck  au 
Théâtre  de  la  Cour,  avait  acquis 
une  notoriété  de  virtuose,  en 
attendant  celle  de  compositeur. 
Gluck  l'avait  pris  en  amitié;  pro- 
fitant des  bonnes  dispositions  de 
ses  protecteurs,  il  l'emmena 
faire  avec  lui  le  voyage  d'Italie, 
rêve  de  tous  les  artistes.  Ditters- 
dorf,  par  son  autobiographie, 
nous  fait  assister  aux  divers  épisodes  de  ce  roman  comique  au 


de  concours  qui  eut  lieu, 


déjà  plus  confortable  qu'au  temps 
de  Scarron  :  il  conte  le  voyage 
en  voiture  de  poste,  en  l'aimable 
compagnie  d'une  chanteuse  vé- 
nitienne retournant  de  Prague 
dans  son  pays,  sous  la  conduite 
de  madame  sa  mère  ;  Farrêt  d'une 
semaine  à  Venise,  pour  assister 
aux  cérémonies  religieuses,  dont 
la  partie  musicale  parut  surfaite 
aux  deux  Allemands,  tandis 
qu'ils  s'émerveillèrent  devant  le 
spectacle  des  funérailles  aux 
flambeaux  d'un  doge  et  de  la 
procession  d'un  jeudi  saint  sur 
la  place  Saint-Marc;  puis  l'arrivée 
à  Bologne,  où  Gluck  dut  se 
remettre  à  sa  tâche  familière,  et 
désormais  fastidieuse,  de  compo- 
siteur d'opéra  italien,  sans  se 
priver  de  se  mêler,  avec  son 
compagnon,  à  la  vie  musicale 
de  la  ville,  renommée  pour  être 
«  le  grand  séminaire  de  la  mu- 
sique en  Italie  »  ;  les  visites  au 
Père  Martini,  qui  a  manifesté 
maintes  fois  son  estime  pour 
Gluck  et  pour  son  art;  celles  à 
Farinelli,  castrat  retiré  après 
fortune  faite  ;  les  offices  des 
églises,  où  l'on  exécutaitde  la  mu- 
sique en  style  d'opéra;  l'espèce 

des  messes  et  des  vêpres,  entre  un 


ZM 


LE  MÉNESTREL 


violoniste  de  Crémone  etDittersdorf  ;  les  «_  salles  combles  »  faites 
par  ce  dernier,  qui  fut  cause  que  l'on  «  refusa  du  monde  ■■>■>  à 
l'église  ;  l'étonnement  des  amateurs  bolonais,  n'en  revenant  pas 
qu'une  «  tortue  allemande  »  put  si  bien  jouer  du  violon  :  ils 
avaient  cru  qu'il  se  ferait  «  chansonner  »  (canzonar),  tandis  qu'au 
contraire  il  reçut  dans  le  saint  temple  «  des  applaudissements 
universels  »  ;  enfin,  le  festin  qui  suivit  au  couvent,  dont  l'abon- 
dance donne  une  idée  agréable  de  la  vie  monacale,  et  les  remer- 
ciements à  l'illustrissime  virtuose,  sous  les  espèces  et  apparences 
de  fruits  contits,  foulards  en  soie,  reliques,  bas  à  la  mode  napo- 
litaine (six  blancs  et  six  noirs),  le  tout  accompagné  d'un  grand 
discours  pour  lequel  il  fallut  donner  à  l'orateur  en  perruque  un 
saidu  de  bona  mon  (1). 

L'opéra  ~de  Gluck  reste  tout  à  fait. à  l'arrière-plan  dans  ce 
récit  d*un  voyage  d'agrément,  et  nous  n'en  connaissons  pas 
beaucoup  plus  long  sur  lui  par  ailleurs.  Nous. savons  seulement 
que  cet  ouvrage  était  //  Trionfo  di  Clelia,  poème  de  Métastase  ; 
qu'il  eut  plusieurs  bons  interprètes,  dont  Gluck  retrouva 
quelques-uns  par  la  suite  :  M°"'  Girelli-Aquilar,  qui  interprétera 
.Aristeo  et  Orphée  à  Parme  dans  quelques  années,  le  ténor  Tibaldi 
qui  sera  le-  premier  kdmète-d'Akeste,  etCv  Pour  la  musique,  elle 
a  laissé  après  elle  si  peu  de  traces  que  le  catalogue,  de  M.  Wot- 
quenne  donne  la  partition  comme  perdue,  ou  tout  au  mo-ins- 
égarée  (i).  :  ' .. 

Gluck  et  Dittersdorf  ne  s'éternisèrent  pas  à  Bologne.  Aussitôt 
l'opéra  représenté,  ils  partirent,  regagnant  Vienne  à  petites  ■ 
journées.  L'intention  première  de  Gluck  était  de  profiter  du 
retour  pour  pousser  jusqu'à  Paris  :  c'est  à  ce  moment  que  se 
place  l'invitation  que  nous  avons  vu  Favart  lui  adresser  de  loger 
dans  sa  maison;  une  lettre  du  comte  Durazzo,  écrite  dé  Vienne 
le  9  mai,  annonçait  encore  son  arrivée,  spécifiant  que  Gluck 
porterait  à  Favart  un  mémoire  sur  ce  qu'il  fallait  pour  !■  service 
de  la  cour  l'année  suivante,  et  lui  expliquerait  le  goût  du  ihéàtre 
à  Vienne.  Il  y  eut  pourtant  eontre-ordre  :  Gluck  et  Dittersdorf 
furent  rappelés  en  hâte,  leur  présence,  d'après  le  narrateur  du 
voyage,  étant  devenue  nécessaire  dans  la  capitale  pour  la  pré- 
paration des  fêtes  du  couronnement  de  l'Empereur  Joseph  II, 
fixées  d'abord  à  l'automne,  et,  en  définitive,  remises  au  prin- 
temps suivant,  —  ou,  d'après  un  autre  renseignement,  le  voyage 
de  Gluck  à  Paris  ayant  été  jugé  inutile  en  raison  de  l'incendie  de 
l'Opéra  (3). 

Gluck  passa  d.onc  à  Vienne  la  fin  de  l'année  1763,  qu'il  employa 
notamment  à  la  composition  musicale  de  son  dernier  et  principal 
opéra-comique,  la  Rencontre  imprévue.  Cet  ouvrage,  dont  le  livret, 
imprimé  à  Vienne  dans  l'imprimerie  de  Ghelen,  porte  la  date  de 
■1763,  fut  représenté  pour  la  première  fois  au  commencement  de 
l'année  suivante.  Nous  en  avons  parlé  en  son  temps,  nous  n'y 
reviendrons  pas.     - 

(1)  On  trouvera  la  traduction  dû  récit  de  voyage  de  Dittersdorf,  presque  en  son 
entier  fd'après  sa  Kurz'e  .Biographie),  dans  Desnoiresterres,  Gluck  et  Piccinni, 
•pp.  .31  à  44.; 

-2j  La  célèbre  collection  de  M.  Aloys  Fuchs  renfermait  un  ils  du  Trionfodi  Clelia, 
dont  jeii'èn  ai  malheureusement  pu  retrouver  la  trace  »,  dit  ce  catalogue.  Depuis 
'lors1,  l'exemplaire  a  été  signalé  de  nouveau  en  Allemagne  (communication  de 
M.  WotqUenne). 

(3)  Sur  le  projet  de  voyage  de  Gluck  à  Paris  en  1763,  la  correspondance  de  Favart 
donne  des  indications  circonstanciées,  dont  quelques-unes  ont  été  déjà  rapportées  au 
cours  des  deux  précédents  chapitres.  Ajoutons  encore  celles-ci  :  le  4  avril,  Favart 
écrit  à  Dancourt:  «  J'attends  l'arrivée  de  M.  Gluck  que  vous  m'avez  annoncée.  » 
(T.  II,  p.  276).  Le  13  avril  (au  sujet  de  la  gravure  à'Orfeo),  Durazzo  à  Favart  :  «  Il 
faudra  attendre  l'arrivée  à  Paris  de  M.  Gluck,  qui  pourra  y  être  vers  la  lin  de  mai  » 
(13.  97).  Trois  jours  après,  le  16,  Dancourt  écrit  encore  :  «  Le  chevalier  Gluck  est  à 
Bologne,  et  ne  tardera  pas  à' en  partir  pour  Paris  »  (p.  278).  Le  6  mai,  de  Durazzo  : 
«  Notre  chevalier  Gluck  partira  dans  peu  de  Boulogne  {sic),  où  j'espère  qu'il  se  fera 
honneur  à  l'ouverture  du  nouveau  théâtre,  pour  venir  à  Paris  ;  je  le  recommande  à 
votre  amitié  »  (p.  111).  Le  9  mai,  dans  une  lettre  (perdue,  mais  dont  Favart  reproduit 
les  termes  en  y  répondant),  le  comte  renouvelaitla  même  annonce  (p.  128).  Le  21  mai, 
Favart  dit  attendre  avec  impatience  l'arrivée  de  Gluck,  et  lui  offre  l'hospitalité 
(p.  113).  Eùlin,  le  5  juillet,  Dancourt  écrit  à  Favart  :  <•  Vous  ne  verrez  point  le  che- 
valier Gluck,  il  est  de  retour  ici.  Ii  mettait  le  pied  dans  sa  chaise  de  poste  à  Bologne 
et  partait  pour  Paris,  lorsqu'il  a  reçu  une  lettre  du  comte  qui  le  rappelait  à  Vienne, 
parce  qu'ayant  appris  que  l'Opéra  était  brûlé,  le  voyage  du  chevalier  devenait  inutile 
selon  lui  »  (p.  279).  Enfin,  le  18  juillet,  Favart  écrit  :  «  Gomme  M.  Gluck  n'est  point 
venu...  ..  (p.  126).  L'incendie  de  l'Opéra  parait  un  prétexte  donné  après  coup.  Cet 
accident  eut  lieu  le  8  avril,  et  six  semaines  après,  nous  l'avons  vu,  il  était  encore 
parlé  du  voyage  de  Paris  comme  d'une  éventualité  dont  rien  alors  ne  semblait  devoir 
empêcher  la  réalisation. 


Notons  aussi,  comme  appartenant  à  la  même  époque,'  la  pre- 
mière représentation  à  Vienne  de  son  Ezio  de  Prague,  déjà  vieux 
de  plus  de  treize  années,  et  que  longtemps  on  a  cru  ne  pas  re- 
monter plus  haut  que  cette  même  année  1763,  à  la  fin  de  laquelle 
les  Viennois  l'applaudirent  (1). 

Enfin  l'époque  définitive  du  couronnement  arriva.  Bien  que 
Paris  ne  soit  guère  sur  le  chemin  de  Francfort,  ce  déplacement 
vers  l'ouest  était  une  occasion  trop  tentante  :  Gluck  en  profita 
pour  réaliser  son  projet  de  l'année  précédente,  et  Favart  put  lui 
faire  arlors  l'accueil  qu'il  lui  avait  promis.  Sa  présence  dans 
les  milieux  artistes  de  Paris  est  signalée  le  ')  mars  1764  (2), 
sans  que  d'ailleurs  il  apparaisse  que  de  grands  résultats  soient 
sortis  de  ce  nouveau  contact  de  Gluck  avec  la  capitale  française. 

Le  mois  suivant,  il  était  à  son  poste  de  directeur  de  la  musique 
à  la  cérémonie  du  couronnement  de  l'Empereur  etPioi.  Le  comte 
Durazzo  l'y  avait  appelé,  ainsi  que  Guadagni  et  une  vingtaine 
d'artistes  de  la  chapelle  impériale,  dont  Dittersdorf.  Celui-ci,  au 
récit  duquel  nous  devons  encore  d'être  renseignés  sur  la  solen- 
nité, nous  apprend  que  les  deux  premiers  reçurent  six  cents 
gulden  de  frais  de  voyage  et  six  gulden  d'indemnité  journalière, 
les  autres  la  moitié  seulement.  Use  plaint  amèrement  d'avoir  dé- 
pensé beaucoup  d'argent  pour  avoir  de  beaux  habits,  et  de  n'avoir 
reçu  au  retour  à  Vienne,  lui,  pauvre  diable,  qu'une  indemnité  de 
cinquante  ducats,  tandis  que  Gluck  et  Guadagni  en  avaient  eu  trois 
.cents  ;  heureusement  pour  lui,  le  comte,  trouvant  q,u.e  c'était  trop 
peu  pour  un  «  virtuose  en  titre  »,  en  ajouta  cinquante  autres  (3). 
Voilà  tout  ce  que  Dittersdorf  trouve  à  nous  dire  sur  la  participa- 
tion'de  la  musique  aux  fêtes  du  couronnement  de  Joseph  II  et 
sur  .le  rôle  qu'y  joua  Gluck.  Nous  savons  par. .ailleurs  qaOrfeo 
fut  représenté  (4). 

(A  suivra)  -       Julien  Tiersut. 


SEMAINE    THEATRALE 


TiiÉATRE-LYRiyUE,(Gaité).  —  Reprise  de  Jean  de  Nivelle,  de  Léo  Delibes. 
■  é  Octobre  1608.) 
:J[e.-me  suis  .toujo'm's';deftan.dé:'poùr  quelle  raison  mystérieuse,!  par 
suite  de  quel  caprice  bizarre  Carvalho.  te  directeur  lé  plus  fantasque 
d'ailleurs  et  le  plus  capricieux  qui  fut.  jamais,  avait  arrêté  brusquement 
la  carrière  et  le  succès  de  Jean  de  Xivelk  à  sa  991'  représentation,- sans 
jamais  vouloir  se  décider  à  donner  la  centième.  Se  refuser  une  centième 
quand  on  en  est  si  près,  c'est,  jen  son  genre,  une  manière  d'héroïsme 
pour  un  directeur;  mais  je  croiscependant  qu'on  en  trouverait  peu  qui 
fussent  tentés  d'imiter  Carvalhp.  Et  il  faut  remarquer  qu'en  la  circons- 
tance, au  succès  de  l'œuvre  se  joignait  le  succès  indiscutable  des  inter- 
prètes ;  car,  sans  vouloir  parler  des  autres  rôles,  la  distribution  de  Jetrti 

(1)  Le  Wiener  Diarium  (cité  par  Schmid,  p..  107)  parle  de  cette  œuvre  avec  beau- 
coup plus  d'enthousiasme  et  de  développement  qu'il  n'avait  fait  un  an  plus  tôt  pour 
Orfeo  :  «  Le  génie  de  Gluck,  qui  est  connu  dans  toute  l'Europe,  n'â'pàs  besoin  de  notre 
louange,  jamais  il  n'y  eut  musicien  plus  fidèle  à  la  nature  que  lui,  etc.  »: 

(2)  Desnoiresterres  (p.  59)  a  cité  un  extrait  du  journal  du  graveur  .Ville,  quevoicii: 
«  Le  9  (mars)  m'est  venu  voir  M.  le  chevalierGluck,  ce  fameux  compositeur,  si. connu 
par  toute  l'Europe  où  la  bonne  musique  est  estimée.  C'est  un  fort  brave  homme 
d'ailleurs,  il  a  resté  plusieurs  heures  avec  moi.  Il  est  au  service  de  l'Impératrice.  Il 
était  accompagné  de  M.  Goldelini  iColteli  ni),  aussi  au  service  delà  maison  d'Autriche  •)'. 
Il  est  fâcheux  seulement  que  le  biographe  de  Gluck  et-  Piccinni  gâte  la  valeur  de  ce 
renseignement  en  ajoutant:  «La  correspondance  de  Favart  avec  Durazzo  ne  laisse 
soupçonner  aucunementla  présence  de  Gtuckà  Paris  ».  On  lit  au  contraire  dans  cette 
correspondance,  à  la  date  du  18  janvier  1764  (lettre  de  Durazzo,  II,  190)  :  «  Je  suis  bien 
aise  que  M.  Gluck,  qui  doit  être  à  Paris  vers  la  fin  dudit  mois  de  février,,  revoie 
lui-même  l'ouvrage  [Orfeo)...  Si  j'en  ai  le  temps,  je  ferai  peut-êlre  une  course  jusqu'à 
Paris  à  l'occasion  du  couronnement  du  roi  des  Romains,  qui  doit  se  faire  à  Francfort 
où  ma  charge  m'oblige  de  suivre  la  cour».  Le  31  janvier,  de  Favart  (p.  192):  «Vous 
m'annoncez  l'arrivée  de  M.  Gluck  à  Paris,  c'est  une  nouvelle  pour  moi  1res  agréable". 
Le  7  février,  du  même  (p.  195):  «J'ai  marquera  un  violoniste  en  quête  d'engagement) 
que  votre  Excellence  doit  arriver  à  Paris  incessamment,  ou  M.  Gluck», 

(3)  Karl  von  Dittersdorf,  Seine  Kurze  Biographie,  1810,  pp.  75  et  suivantes. 

(4)  Burney,  dans  l'État  présent  de  la  musique  (t.  II,  p.  251),  dit,  d'après  sa  conversa- 
tion avec  Gluck:  «  Orphée  avait  eu  un  grand  succès  à  la  première  représentation,  au  cou- 
ronnement de  l'Empereur  actuel  comme  roi  des  Komains  ».  11  y  a  dans  cette  phrase 
une  légère  confusion  qui  pourrait  faire  croire  que  la  première  représentation  à'Orfeo 
eut  lieu  aux  fêtes  de  Francfort:  nous  savons  qu'il  n'en  fut  rien  ;  mais  il  résulte  du 
renseignement  de  Burney  qu'Orfeo  avait  été  choisi  pour  la  représentation  de  gala 
donnée  à  cette  occasion,  honneur  justifié  par  le  succès  que  l'œuvre  avait  remporté  et 
continuait  d'obtenir  à  Vienne. 


LE  MENESTREL 


323 


de  Nivelle  réunissait  un  ijualuor  dont  on  a  rarement  chance  de  rencontrer 
le  pareil.  Jean,  c'était  le  pauvre  Talazac  (qui  devait  mourir  fou!),  dont 
la  voix  chaude  et  vibrante  sonnait  comme  une  trompette  dans  cetle 
musique  aux  accents  parfois  héroïques;  Ariette,  c'était  M"1'  Bilbaul- 
Vauchelet,  qui  n'était  pas  encore  Mmo  Nicot,  mais  qui  prélait  à  ce  rôle 
aimable  toute  la  grâce  de  sa  personne,  toute  la  fraicheur  de  sa  voix 
exquise  et  tout  le  charme  de  son  délicieux  lalent;  Taskin  (disparu, 
comme  Talazac)  représentait  le  comte  de  Charolais  avec  l'assurance  et 
l'aplomb  d'un  vrai  chanteur  et  d'un  excellent  comédien  ;  et  les  belles 
notes  graves  du  superbe  contralto  de  M"'u  Engally  faisaient  merveille 
dans  le  rô'e  de  Simone.  Il  est  facile  de  comprendre  la  chaleur  de  l'ac- 
cueil que  le  public  de  POpéra-Comique  fit  à  une  œuvre  dont  la  valeur 
était  rehaussée  par  une  telle  interprétation. 

Elle  n'avait  pas  cependant  reparu  à  la  scène  depuis  sa  création,  et 
c'est  sans  doute  une  heureuse  idée  qu'ont  eue  MM.  Isola  de  la  faire 
entrer  dans  leur  répertoire.  Ils  y  ont  été  encouragés  d'ailleurs  par  une 
circonstance  toute  particulière.  L'aimable  créatrice  du  joli  rôle  d'Ar- 
iette. M11"'  Nicot-Bilbaul-Vauchelet,  trop  tôt  retirée  du  théâtre,  avait 
une  tille  dont  elle  avait,  fait  l'éducation  musicale  et  qu'elle  destinait  à 
la  carrière  qu'elle-même  avait  parcourue  avec  tant  d'éclat.  Quelle  meil- 
leure occasion  de  la  présenter  au  public  que  de  lui  faire  interpréter  ce 
rôle  qui  avait  été  pour  elle  un  véritable  triomphe  ?  Et  en  effet,  à  vingt- 
huit  ans  de  distance,  nous  avons  vu  la  fille  succéder  dans  ce  rôle  à  sa 
mère,  et  renouveler  le  brillant  et  bruyant  succès  que  celle-ci  y  avait 
obtenu. 

C'est  qu'elle  est  charmante,  cette  enfant,  et  que  son  apparition  a 
■été,  on  peut  le  dire,  un  émerveillement  pour  le  public.  Avec  son  regard 
timide  et  comme  étonné,  sa  grâce  juvénile,  sa  beauté  délicate,  ses 
jolis  cheveux  blonds  qui  rappellent  ceux  de  sa  mère,  avec  sa  voix  cris- 
talline, d'un  timbre  si  pur  et  d'une  si  parfaite  justesse,  elle  a  produit 
une  impression  profonde,  mêlée  tout  ensemble  de  surprise  et  de  plaisir. 
C'est  que  si  elle  a  sans  doute  encore  à  faire  comme  comédienne,  bien 
qu'elle  soit  loin  de  manquer  d'adresse  sous  ce  rapport,  le  talent  de  la 
cantatrice  est  chez  elle  déjà  complet  et  donne  la  preuve  d'une  facilité 
et  d'une  habileté  peu  communes  (je  lui  reprocherai  même  presque 
trop  d'habileté,  pour  cause  de  certaines  cocotes  dont,  pour  ma  part,  je 
me  serais  bien  passé,  mais  qui  font  pâmer  les  spectateurs).  Mais  il  n'y 
a  pas  dans  son  chant  que  de  la  virtuosité;  il  y  a  aussi  de  la  grâce,  de 
la  tendresse  et  de  l'émotion,  comme  elle  l'a  montré  dans  la  jolie  mélo- 
die :  On  croit  à  tout  lorsque  l'on  aime,  et  dans  son  duo  avec  Jean.  Le 
public  lui  a  su  gré  de  ses  qualités,  mais  où  il  a  été  transporté,  il  faut 
bien,  le  dire,  c'est  en  lui  entendant  chanter  L'air  du  troisième  acte  : 
Ah!  reviens  dans  mon  âme,  air  de  bravoure  et  de  virtuosité  pure,  où  son 
assurance,  sa  précision,  sa  crânerie  l'ont  fait  applaudir  à  trois  reprises 
et  acclamer  par  toute  la  salle.  En  résumé,  la  soirée  n'a  été  pour  elle 
qu'un  long  succès. 

Jean  de  Nivelle,  c'est  ici  M.  Devriès,  qui  a  fait  un  tour  de  force  en 
apprenant  rapidement  ce  rôle  si  important  qui  devait  être  joué  par 
M.  Soubeyran.  malade  au  dernier  moment.  Il  y  a  déployé  de  bonnes 
qualités,  en  dépit  de  la  hâte  avec  laquelle  il  a  dû  se  familiariser  avec 
le  personnage,  et  il  y  sera  meilleur  encore  lorsqu'il  sera  plus  sûr  de 
lui.  Le  comte  de  Charolais  est  représenté  par  M.  Boulogne,  à  qui  l'on 
souhaiterait  un  peu  plus  de  distinction,  mais  qui  est  doué  d'une  bonne 
voix,  qui  sait  chanter  et  qui  tient  suffisamment  la  scène.  Mme  Geor- 
giadès,  qui  est  chargée  du  rôle  de  la  pseudo-sorcière  Simone,  a  obtenu 
un  gros  succès  en  disant  d'une  façon  farouche  la  ballade  de  la  Mandra- 
gore, dont  le  caractère  convient  parfaitement  à  sa  voix.  Et  sous  le  cos- 
tume de  la  belle  Diane  de  Beautreillis  nous  avons  retrouvé  MllB  Ti- 
phaine  avec  sa  jolie  voix,  son  habileté  de  chanteuse  et  sa  parfaite 
aisance  de  comédienne.  Quant  aux  deux  bouffons  de  la  pièce,  le  baron 
de  Beautreillis  et  le  sire  de  Malicorne,  ils  sont  personnifiés  à  souhait 
par  MM.  Désiré  et  Larbaudière.  L'ensemble,  en  résumé,  est  très  satis- 
faisant, et  parfois  excellent.  Il  me  semble  que  l'honneur  doit  en  revenir, 
au  moins  pour  une  part,  au  chef  d'orchestre,  M.  Amalou,  dont  la 
direction  est  très  précise,  très  sûre,  et  qui  a  son  personnel  bien  dans  la 
main.  La  mise  en  scène  est  très  soignée,  et  l'exécution  générale  de  la 
belle  partition  de  Delibes  ne  laisse  rien  à  désirer.       Arthub   Pougix. 


Vaudeville.  La  Maison  en  ordre  (His  House  in  order),  comédie  en  4  actes,  de 
M.  Arthur  Pinero,  traduction  de  MM.  Bazalgette  et  Bienstock.  —  Cojiéme- 
Fbançaise.  Le  Bon  roi  Dagobert,  comédie  en  i  actes,  en  vers,  de  M.  André 
Rivoire.  —  Cluky.  La  Revue  de  Cluny,  3  actes  et  10  tableaux,  de 
MM.  Paul  Ardot  et  Albert  Laroche.  —  DÉJAZET.  Mossieu  le  Maire,  pièce 
en  3  actes,  de  M.  G.  Stoskopf,  traduction  de  M.  J.  La  Rode. 

C'est,  eu  un  espace  de  temps  relativement  court,  la  seconde  pièce  de 
M.  Pinero  que  l'on  joue  à  Paris,  la  première  était  la  Seconde  Madame 


Tanqueray  représentée  à  l'Odéon  ;  et,  comme  nous  somn  e    géni  ralé- 

meni  peu  portés  &  aller  chercher  notre  bien  dramatique  à  r 

notre  production,  tout  à  fail  abondante,  suffisanl  plus  qu'amplement  à 

notre  intellectuelle  consommation,  l'on  se  doit  de  recheiv|j,-r  par  quelles 
qualités  très  particulières  M.  Pinero  a  pu  ainsi  forcer,  par  deux  Ibis. des 
frontières  si  difficiles  a  franchir.  El  l'on  cherche,  et,  âtrès  franchement 
parler,  l'on  ne  trouve  pas  grand'chose.  Ceci  n'est  point  pour  dire  que 
M.  Pinero  soit  sans  talent,  car  il  en  a;  mais  eu  a-t-il  sensibli  ment  plus, 
ou  seulement  autant  que  nus  raiseuis  modernes?  La  t< 
ciale  dont  il  semble  jouir,  en  ce  moment,  auprès  de  nos  directeurs  pari- 
siens vient-elle  simplement  de  ce  que,  connaissani  pa 
compatriotes,  il  nous  initie  très  scrupuleusement  a   leurs  petits  travers 
qui  ne  sont  point  absolument  semblables  aux  nôtres.  C'est  don 
il  apparaît  que  M.  Pinero,  peintre.de  mœurs,  très  grandement  et  très 
justement  applaudi  chez  lui,  nous  laisse  assez  froids,  de  par  la  froideur 
même  desdites  mœurs.  Alors  ?  Explique  qui  voudra,  ou  qui  p  aura. 

La  Maison  en  ordre,  c'est  l'histoire  d'une  seconde  madame  Tanqueray..., 
pardon  d'une  seconde  madame  .Tesson,  qu'un  martyrise  stupidement 
avec  le  souvenir  de  la  première  madame  Jesson,  qui  était  le  modèle 
de  toutes  lesvertus.  Et  lorsque  cette  seconde  madame  Jesson,  \  raimenl 
malheureuse,  et  injustement  malheureuse,  trouve  par  hasard  la  preuve 
flagrante  que  la  première  madame  Jesson  trompait  son  mari  sans 
vergogne  aucune,  on  est  péniblement  surpris  du  trop  beau  geste  qui 
l'empêche  de  tirer  vengeance  de  ses  bourreaux.  Il  est  juste  d'ajouter 
que,  à  l'acte  dernier,  c'est  le  propre  frère  de  Jesson  qui.  mis  au  courant 
des  frasques  de  la  sainte  toujours  pleurée,  remettra  les  choses  a  leur 
vraie  place  en  ouvrant  les  yeux  de  Jesson. 

La  Maison  en  ordre,  qui  ne  nous  apporte,  en  somme,  rien  de  nou- 
veau, qui  s'affirme  comédie  plutôt  prolixe  en  ses  tableaux  de  mœurs 
anglaises  qu'il  nous  faut  faire  trop  grand  effort  pour  essayer  de  nous 
assimiler,  mais  qui  révèle,  surtout  en  sa  dernière  partie,  d'heureuses 
qualités  dramatiques,  la  Maison,  en  ordre  est  supérieurement  jouée  par 
M""  Marthe  Régnier  et  par  M.  Lérand.  A  tout  ce  que  l'on  lui  connais- 
sait déjà  de  joliesse,  de  vivacité,  de  tendresse,  de  charme  et  dejuvéni- 
lifé,  Mme  Marthe  Régnier  vient  encore  d'ajouter  l'émotion  pathétique, 
et  c'est  un  grand  pas  en  avant,  dans  une  carrière  déjà  si  heureuse,  que 
la  remarquable  artiste  vient  de  faire. 

Il  est  poète,  le  Bon  roi  Dagobert  de  M.  André  Rivoire.  il  est  poète 
comme  M.  André  Rivoire  lui-même,  que  le  théâtre  vient  de  tenter  et 
qu'il  vient  de  conquérir  à  force  d'amabilité,  de  gentillesse,  de  légèreté 
et  d'exquis  sans-façon.  Mais  oui,  de  sans-façon;  et  quelques  vieilles 
barbes  ou  quelques  jeunes  rasés  en  ont  bien  poussé  les  hauts  cris, 
oubliant  qu'ils  étaient  dans  la  Maison  de  Molière  où.  franchement, 
l'on  peut  bien  avoir  le  droit  de  rire  de  loin  en  loin. 

11  est  poète,  Dagobert.  il  est  aussi  jeune,  mince,  petit,  et,  suivant  la 
légende,  étourdi,  puisque  dès  sa  première  entrée  il  a  «  mis  sa  culotte  à 
l'envers  »  ;  il  aime  la  chasse,  la  nature  et  les  jolies  personnes,  et  cela 
jusqu'à  la  plus  notoire  inconstance.  Or,  son  royaume  est  en  assez 
mauvaise  posture  financière  et  le  bon  Ëloi,  son  premier  ministre,  n'a 
rien  trouvé  de  mieux,  pour  ramener  quelques  monnaies  d'or  dans  les 
coffres  nationaux,  que  de  faire  épouser  à  son  royal  et  volage  patron 
une  princesse  espagnole  confortablement  dotée. 

La  voici  précisément,  avec  toute  sa  cour,  lapetite  princesse  étrangère, 
et  naturellement  Dagobert,  qui  a  oublié  qu'on  le  mariait,  n'est  point  là 
pour  la  recevoir,  ce  qui  indiffère  complètement  à  la  jeune  personne, 
car,  entiché  d'un  sien  cousin  laissé  par  delà  les  Pyrénées,  elle  veut  se 
garder  tout  entière  pour  lui.  La  situation  serait  assez  compliquée  si 
l'astucieux  Eloi  n'était  là.  Tous  ne  voulez  pas,  madame,  devenir 
Mmt'  Dagobert.  Soit  !  Vous  ne  le  serez  que  de  nom  pendant  un. laps  de 
temps  suffisant  pour  que  nous  encaissions  la  forte  somme  et  que,  sans 
faire  trop  jaser  les  puissances  voisines,  on  puisse  vous  convenablement 
répudier.  Vous  serez  reine  des  France  le  jour,  et...  la  nuit  une  autre 
prendra  votre  place.  Le  roi  ne  s'y  trompera  pas,  objectez-vous.  Si, 
madame:  car  on  lui  expliquera  qu'un  oracle  lui  interdit,  sous  peine  de 
mort,  d'allumer  quelque  lumière  que  ce  soit  en  votre  présence.  Et  il  se 
trouve  précisément  là  une  mignonne  esclave.  Nantilde,  qui  adore  le. 
roi  et  qui,  par  dévouement,  accepte  le  rôle  de  remplaçante. 

Vous  pressentez  le  quiproquo,  qui  gagnerait  à  être  un  peu  condense  : 
Dagobert.  tout  à  fait  pris  par  Xantilde,  n'arrive  pas  à  comprendre  pour- 
quoi la  reine  est  si  délicieusement  amoureuse  la  nuit  et  si  vilainement 
désagréable  le  jour,  jusqu'au  moment  où  la  dame  jalouse  de  l'esclave 
veut  reprendre  tous  ses  droits  et  tous  ses  devoirs  d'épouse.  Les  deux 
femmes  se  trouvent  donc,  de  nuit,  dans  la  chambre  nuptiale,  et,  la  lune 
pénétrant  par  un  rideau  mal  joint,  dévoile  la  supercherie.  Le  bon 
Dagobert  se  fâche:  l'espagnole  sera  chassée.  Eloi  sera  pendu,  Xan- 
tilde sera  pendue,  tout  le   monde  sera  pendu  !  Cependant  ne  vous 


324 


I']  MÉNESTREL 


effrayez  pas  d'un  dénouement  tragique.  Le  bon  Dagobert  réfléchit  que 
l'Espagne  va  évidemment  lui  déclarer  la  guerre  et  qu'il  a  plus  que 
jamais  besoin  des  lumières  du  fidèle  Éloi.  Il  lui  fait  grâce,  et  Éloi, 
qui,  lointain  ancêtre  de  notre  doux  Failières,  n'a  jamais  voulu  laisser 
pendre  personne,  fait  cacher  Nantilde  dans  un  couvent. 

Dagobert  et  Éloi  guerroient.  Dagobert.  au  lieu  de  poursuivre  les 
ennemis,  se  laisse  aller  à  chasser  les  biches  qu'il  rencontre  sur  la 
grande  route  et  l'une  d'elles  le  conduit  au  couvent  où  Nantilde  pleure 
les  douces  nuits  envolées.  Le  roi,  qui  n'a  cessé,  lui  aussi,  de  penser 
aux  mêmes  délicieuses  heures  nocturnes,  tombeaux  pieds  de  l'aimée  — 
il  est  devenu  constant  sans  cesser  d'être  étourdi,  puisqu'il  remet  son 
casque  à  l'envers. 

Le  Bon  Roi  Dagobert,  que  la  Comédie-Française  a  monté  avec  beau- 
coup de  soins  et  trop  de  sérieux,  peut-être,  a  trouvé  en  M.  Leloir.  Eloi, 
un  interprète  de  tout  premier  ordre,  tout  à  la  fois  fantaisiste  et  tin, 
en  M"e  Leconte,  une  idéale  Nantilde,  en  M.  Georges  Berr,  un  charmant 
Dagobert,  etenMmePiérat,une  délicate  princesse,  qui  ont  heureusemeut 
aidé  au  succès  de  l'œuvre  charmante  de  M.André  Rivoire,qui  fera,  avec 
quelques  coupures  obligatoires,  un  tout  à  fait  joli  livret  d'Opéra-Comique. 

Cluny  vient  de  nous  donner  sa  Revue  annuelle,  et  comme  elle  est 
signée  des  mêmes  très  adroits  auteurs  que  celle  de  l'année  dernière, 
MM.  Paul  Ardot  et  Albert  Laroche,  que  les  couplets  en  sont,  pour  la 
plupart,  tout  à  fait  bien  venus,  la  mise  en  scène  fort  soignée,  l'esprit 
très  parisien,  les  interprètes  jolies  du  côté  féminin,  adroits  du  côté  mas- 
culin, il  n'est  aucunement  téméraire  d'annoncer  qu'en  voilà  pour  de 
très  longs  soirs.  Les  clous?  Le  prologue  «  aux  Folies-Bergeronnettes  »  se 
passant  dans  le  monde  des  oiseaux —  oh!  fantomatique  Chantcclair  !  — 
les  couplets  sur  les  meubles  chantés  par  Mlie  Crisafulli,  le  final  de  la 
Bonbonnière,  sur  la  valse  célèbre  du  Chevalier  d'Eon,  enlevé  joliment 
par  la  fine  Mllc  Gaby  Boissy.  le  rondeau  du  cocher  d'omnibus,  qu'on 
bisse  à  M.  Bemongin,  l'impayable  chanson  de  la  garde-barrière  qui 
défend  les  piétons  contre  les  autobus  et  qui  vaut  un  gros  succès  à 
Mlle  Haimard,  et  la  scène  à  la  cour  du  roi  Pataud,  magistralement 
enlevée  par  M.  Victor  Henry.  Et  la  petite  troupe,  très  renforcée  pour  Ja 
circonstance,  est  menée  à  la  victoire  par  M"e  Andrée  Darcy  et  M.  Ville, 
commère  et  compère. 

Déjazet  a  désaffiché  Tire -au- flanc  pour  réafficher  Mossieu  le  Maire, 
dont  on  se  rappelle  l'agréable  réussite,  il  y  a  quelques  années.  Reprise 
très  soignée  avec  ses  amusants  détails  d'intérieur  alsacien.  M.  Gabriel 
Frère  et  M™  Paule  Rolle  jouent  avec  énormément  d'adresse  «  le  Mai  re  » 
et  Grelhel,  et  M"0  de  Massol  a,  dans  le.  rôle  de  Marie,  été  tout  à  fait 
charmante  de  jeunesse  et  d'ingénuité. 

Paul-Emile  Chevalier. 


Gymnase.  —  Le  Petit  Fouchard,  comédie  en  trois  actes  de  MM.  Charles  Raymond 
et  André  Sylvane. 

Notre  histoire  se  passe  dans  une  villa  de  petite  ville  où  tout  le  monde 
est  atteint  d'une  douce  folie,  qui  pousse  à  l'exagération  ou  dans  le  bien 
ou  dans  le  mal.  Il  semble  que  nous  soyons  tombés  dans  les  limbes  de 
l'enfance,  et,  en  vérité,  nous  y  sommes  bien  réellement.  Il  y  a  décidé- 
ment trop  de  marmots  ici,  trop  de  berceaux,  trop  de  peu  plaisants  inci- 
dents de  la  vie  des  nourrissons.  Voici  les  faits.  Le  gendarme  alsacien 
Holzapfel  a  séduit,  avec  effraction  de  haies  vives,  la  jeune  et  naïve  Mélie, 
cuisinière  du  ménage  Misseron.  Sommé  de  réparer  sa  faute,  il  s'y  refuse, 
et  dès  lors,  jusqu'à  la  fin  de  la  pièce,  il  réjouira  les  spectateurs  par  sa 
monumentale  canaillerie.  Entièrement  de  la  même  trempe  au  point  de 
vue  moralité,  le  facteur  Fouchard  flaire  là  une  bonne  aubaine  pour  lui. 
Il  offre  d'épouser  Mélie,  s'imaginant  que  l'enfant  qu'elle  porte  a  été  conçu 
des  œuvres  de  Misseron,  et  comptant  bien,  grâce  à  la  paternité  qu'il  en- 
dosse, pouvoir  pratiquer  un  magistral  chantage  auprès  de  celui  qu'il 
croitètrele  séducteur.  Mais,  comme  nous  le  savons,  Misseron  n'a  séduit 
personne;  c'est  par  pure  bonté  pour  Mélie  que  lui  et  sa  femme  ont 
voulu  la  marier.  Ils  l'ont  dotée  par  surcroit,  ont  pris  dans  la  maison  son 
mari  comme  jardinier,  et,  l'enfant  étant  venu  au  monde,  l'ont  choyé, 
s'y  sont  attachés  comme  s'il  eut  été  le  leur  et  ont  décidé  de  l'adopter 
plus  tard.  Se  voyant  si  bien  en  faveur,  Fouchard  traîne  au  nez  de  ses 
maîtres  sa  fainéantise  et  son  insolence  goguenarde,  menaçant  de  partir 
avec  l'enfant  dès  qu'on  lui  adresse  la  moindre  remontrance.  Cela  lui 
réussit  très  bien.  Las  de  ces  alertes  qui  troublent  sa  femme,  Misseron 
assure  à  Fouchard  une  rente  de  L200  francs,  pourvu  qu'il  consente  à 
ne  pas  emmener  le  «  petit  »  loin  de  la  maison. 

Ce  petit  Fouchard,  qui  dort  béat  en  son  berceau,  est  déjà  bien  encom- 
brantpour  le  spectateur;  mais  voici  venir  le  couple  Merlinval,  neveu  et 
nièce  du  ménageMisseron.  Ils  viennent  d'avoir  un  bébé  qu'ils  offrent  ravis 


à  l'admiration  de  leur  tante.  Naguère  on  manquait  d'enfants  à  la  villa  ; 
en  voici  deux  maintenant,  et  comme  c'est  d'héritage  et  non  de  tendresse 
qu'il  s'agit,  Fouchard  et  Merlinval  font  assaut  de  vilenie.  Cette  lutte 
deviendrait  épique  sans  doute,  si  une  Providence  avisée  ne  mettait  un 
.aux  calculs  intéressés  de  la  manière  la  plus  imprévue.  Bien  qu'âgée  de 
quarante-cinq  ans,  MmG  Misseron,  dont  le  mariage  avait  été  vingt  ans 
stérile,  se  réveille  enceinte  un  beau  matin.  Les  donations  faites  tombent 
pour  survenance  d'enfant  ;  Fouchard  n'a  plus  qu'à  bien  se  tenir  s'il  ne 
veut  pas  être  jeté  à  la  porte,  et  Merlinval  aussi  devra  déchanter,  car  les 
Misseron  sont  résolus  à  ne  plus  aimer  d'autre  enfant  que  le  leur.  Ainsi 
tous  nos  personnages  sont  rappelés  à  la  pudeur  et  aux  convenances,  à 
l'exception  toutefois  du  gendarme  Holzapfel,  incurable,  celui-là. 

M.  Dumény  l'a  personnifié  dans  une  note  comique  très  bien  saisie.  Loin 
d'en  faire  un  fanfaron  d'effronterie,  il  le  présente  comme  un  être  pourri 
de  gloriole  et  de  fatuité,  qui  se  carre  et  s'admire  au  moment  où  le  mé- 
pris public  devrait  l'anéantir.  M.  Dubosc  est  naturel  et  simple  en  Misse- 
ron; M.  Matrat  a  dû  charger  quelque  peu  son  rôle  de  Fouchard;  sonimpu- 
dence  révolte  et  désarme  à  la  fois,  car  elle  amuse  autantqu'elle  indigne. 
M"10  Henriot  a  de  la  tenue  ;  ses  manières  sont  douces  et  sympathiques  ; 
elle  est  exactement  dans  la  tonalité  de  la  pièce.  MUc  Sandry  est  une  cui- 
sinière alerte  et  coquette;  elle  a  mêlé  à  cette  comédie  un  peu  fade  une 
nuance  de  fraîcheur  agréable.  MUe  Frévalles,,  sortie  du  Conservatoire  cet 
été,  s'est  montrée  élégante  etsveltesous  un  joli  costume,  en  représentant 
Mme  Merlinval.  En  somme,  excellente  interprétation  d'un  ouvrage  un 
peu  faible  dont  la  place  n'était  pas  exactement  au  Gymnase. 

Amédée  Boutahel. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(pour  les  seuls  ABOMVES  \  LA  husique) 


Et  voici  notre  ami  Berger  avec  une  nouvelle  mazurka  :  La  Friponne,  d'une  allure 
très  franche.  Si  cette  Friponne  unit  par  réussir  dans  le  monde  de  la  danse,  elle  est 
si  fine  et  si  accorte  qu'on  ne  pourra  pas  dire,  malgré  le  titre  qu'elle  emprunte,  que 
ce  soit  là  un  succès  volé. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondant  de  Belgique  (8  octobre).  —  Le  premier  mois  de  la 
nouvelle  campague  théâtrale,  à  la  Monnaie,  s'est  achevé  brillamment.  Tout 
fait  prévoir  un  hiver  des  plus  intéressants,  avec  une  troupe  qui,  tout  de  suite, 
s'est  affirmée  une  des  meilleures  que  nous  ayons  eues.  Je  vous  ai  dit  l'admi- 
rable reprise  de  Lohengrin,  reconstituée  si  artistiquement.  Une  autre  reconsti- 
tution, également  pleine  d'intérêt,  a  été  celle  àeiMireille,  que  MM.  Guidé  et 
Kufferath  nous  ont  rendue  dans  sa  version  primitive,  celle  de  la  toute  pre- 
mière représentation  de  l'ouvrage,  en  1864.  Au  tableau  du  Rhône,  déjà  rétabli 
depuis  quelques  années,  ils  ont  ajouté  tout  le  reste  qui,  après  cette  première 
soirée,  avait  été  également  supprimé,  notamment  le  tableau  où  reparait 
Ramon  avec  Vincenette,  et  où  les  chœurs  chantent  une  chanson  à  boire  et  les 
enfants  un  gentil  compliment  de  fête.  De  plus,  Mireille,  à  la  fin,  meurt  comme 
dans  le  poème  de  Mistral  :  le  miracle  est  supprimé  et  le  mariage  aussi! 
L'œuvre  a  gagné  ainsi  en  logique,  en  unité,  et  le  succès  a  été  d'autant  plus 
vif  que  l'interprétation,  confiée  à  Mlle  Lily  Dupré,  dont  on  a  accueilli  le  début 
avec  chaleur,  M1,es  Symiane  et  Eyreams,  MM.  Saldon,  Billot  et  Bourbon,  sans 
oublier  l'orchestre,  est  tout  à  fait  excellente.  Nous  avons  eu  aussi  une  très 
belle  reprise  de  Guillaume  Tell,  avec  le  retentissant  ténor  de  l'Opéra, 
M.  Jaume  ;M.  Lestelly,  remarquable  Guillaume  ;  Mlle  de  Tréville,  etc.  Le  chef- 
d'œuvre  de  Rossini  a  remporté  une  victoire  complète.  Les  wagnériens  eux- 
mêmes  (mais  y  a-t-il  encore  des  wagnériens  ?)  y  ont  souscrit  avec  un  généreux 
enthousiasme.  Le  fait  est  que  ce  diable  de  Rossini  n'a  pas  cessé  d'être  jeune. 
Quand  il  prédisait  que  la  postérité  sauverait  de  l'oubli  le  Barbier  de  Sêville 
tout  entier  et  le  2e  acte  de  Guillaume  Tell,  il  était  vraiment  trop  modeste  ;  il 
aurait  bien  pu  ajouter  un  acte  ou  deux.  —  Enfin,  nous  avons  eu  les  débuts  de 
Mlle  Achansky,  dont  je  vous  parlais  l'autre  jour,  dans  Faust  ;  la  personne  est  ' 
jolie,  la  voix  sympathique  et  l'artiste  pleine  de  qualités.  Lakmë,  Carmen  (avec 
M110  Friche,  remplaçant  Mm,:  Mazarin.  résiliée),  le  Chemineau,  Cavilleria  rusli- 
ai-.a,  etc  ,  ont  fourni,  avec  les  précédents  ouvrages,  des  soirées  excellentes,  et 
l'on  nous  promet,  pour  cette  semaine,  une  reprise  de  Slarie-Magdeleine,  qui 
obtint  tant  de  succès  à  la  fin  de  la  saison  dernière.  —  Tel  est  le  bilan  de  la 
quinzaine  dernière.  Prochainement  suivront  :  Iphigénie  en  Aulide,  Orphée,  la 
Juive,  Siegfried,  l'Attaque  du  Moulin,  le  Pardon  de  Ploërmel,  en  attendant  Monna 
Vanna,  qui  sera  la  première  nouveauté  de  la  saison,  précédant  la  Sainte- 
Catherine  d'Alexandrie,  de  M.  Edgar  Tinel.  Le  ballet  a  remporté,  de  son  côté, 
un  succès  marqué  avec  la  Smylis  de    M.  Léon  Du    Bois,  qui   n'avait  plus  été 


LC  MENESTREL 


323 


joué  depuis  douze  ans,  et  dont  la  partition  est  une  des  plus  remarquables 
qu'ait  produites  la  jeune  école  musicale  belge.  Lundi  prochain,  première  du 
ballet  inédit  de  M.  Georges  Lauveryns  :  Quand  les  chats  sont  partis...  On  ne 
saurait,  vous  le  voyez,  être  plus  éclectique,  ni  montrer,  avec  un  beau  souci 
d'art,  plus  d'activité.  L.  S. 

—  Les  concerts  du  Conservatoire  de  Bruxelles  doivent  rouvrir  dans  quel- 
ques semaines,  sous  l'ordinaire  direction  de  M.  Gevaert.  L'éminent  directeur 
a  décidé  de  mettre  à  l'étude,  pour  le  faire  entendre  dans  la  première  séance, 
Samson,  l'un  des  oratorios  de  Haendel  les  moins  connus  du  public  actuel, 
bien  qu'il  renferme  des  pages  d'une  incomparable  puissance.  C'est  à  peine 
après  avoir  terminé  le  plus  admirable  de  ses  chefs-d'œuvre,  te  Messie,  que 
Haendel  commença  à  écrire  Samson  sur  un  texte  emprunté  au  poème  de  Mil- 
ton.  Sa  partition  fut  terminée  le  12  octobre  1742,  et  l'ouvrage  fut  aussitôt 
exécuté,  avec  un  énorme  succès,  dans  les  superbes  séances  d'oratorios  que 
Haendel  donnait  alors  au  Ihcàtre  Covent-Garden  de  Londres.  On  assure  que 
Samson  n'a  jamais  encore  été  entendu  à  Bruxelles. 

—  Il  y  a  des  grâces  d'état.  Un  journal  belge  nous  fait  savoir  que  M.  Edouard 
Félis,  le  fils  du  célèbre  auteur  de  la  Biographie  universelle  des  Musiciens,  qui 
est  âgé  aujourd'hui  de  quatre-eingt-seize  ans,  n'en  continuera  pas  moins,  au 
cours  de  la  saison  qui  va  s'ouvrir,  d'écrire  le  feuilleton  théâtral  de  l'Indépen- 
dance b'Ige,  comme  il  le  fait  depuis  si  longtemps.  M.  Edouard  Fétis  est  né  en 
effet  à  Bouvignes  le  16  mai  181b2.  C'est  là,  peut-être,  un  exemple  unique  dans 
l'histoire  littéraire.  Il  n'est  pas  inutile  sans  doute  de  faire  remarquer  que  Fétis 
lui-même,  lorsqu'il  mourut  à  Bruxelles  le  26  mars  1871,  avait  accompli  la 
veille  sa  quatre-vingt-septième  année. 

—  Depuis  quelques  années,  on  jouait  à  l'Opéra  de  Vienne  moins  de  ballets 
qu'autrefois,  et  presquejamais  ni  le  directeur  du  théâtre,  ni  le  premier  kapell- 
meister  ne  daignaient  diriger  eux-mêmes  les  représentations  d'oeuvres  de 
celte  catégorie.  M.  Félix  Weingartner  prétend  changer  cet  état  de  choses.  Il 
conduira  personnellement  l'orchestre  pendant  la  première  représentation  du 
ballet  de  Cendrillon  dont  M.  Bayer  a  terminé  la  partition  laissée  inachevée  par 
Strauss. 

—  Dépêche  de  Vienne  :  M.  Félix  Weingartner  vient  de  diriger,  à  l'Opéra 
de  la  Cour,  devant  une  salle  des  plus  élégantes,  Aschenbrœdel  (Cendril- 
lon),  le  ballet  posthume  de  Johann  Strauss.  Asehenbrœdcl  n'était  pas  entière- 
ment terminé  quand  Johaan  Strauss  vint  à  mourir.  Le  manuscrit  a  été  mis 
au  point  par  M.  Joseph  Bayer,  qui  a  su,  non  sans  adresse,  s'assimiler  la  ma- 
nière du  plus  populaire  des  compositeurs  viennois.  Le  public  a  acclamé  aussi 
bien  l'œuvre  posthume  de  son  auteur  favori  que  M.  "Weingartner,  qui  a 
tenu  à  honorer  la  mémoire  de  Strauss  en  dirigeant  lui-même  un  ballet  — 
spectacle  qu'on  n'a  plus  vu  à  Vienne  depuis  de  nombreuses  années  —  et  qui 
a  conduit  les  valses  intercalées  dans  la  partition  avec  un  brio  que  n'eût  pas 
désavoué  le  «  roi  de  la  valse  »  que  fut  Johann  Strauss.  —  Elektra,  de  M.  Ri- 
chard  Strauss,  sera  jouée  à  l'Opéra  de  la  Cour  immédiatement  après  la  pre- 
mière de  Dresde. 

—  De  Budapest  :  Un  attentat  vient  d'être  commis  sur  Mme  Emilie  Markus, 
la  grande  tragédienne  du  Théàlre-National  hongrois.  Une  habilleuse,  ren- 
voyée par  la  direction  du  Théâtre-National,  et  qui  attribuait  à  tort  son  renvoi 
à  Mme  Markus,  s'est  introduite  dans  l'appartement  de  celle-ci  au  moyen  de 
fausses  clefs,  s'est  cachée  dans  une  armoire  et,  une  fois  seule  avec  M  me  Markus, 
a  tiré  sur  l'artiste  un  coup  de  revolver.  La  tragédienne  s'est  évanouie  et  est 
tombée  sur  le  parquet.  Croyant  l'avoir  tuée,  l'habilleuse  a  tourné  l'arme  contre 
sa  poitrine  et  s'est  blessée  mortellement.  Mme  Markus,  qui  est  belle-mère  du 
célèbre  ténor  de  l'Opéra  de  la  Cour  de  Vienne,  M.  Schmedes,  est  restée  in- 
demne. La  balle  n'a  fait  que  traverser  son  peignoir  et  est  allée  se  loger  dans 
le  mur. 

—  De  Berlin  :  Un,  rédacteur  du  Tag  est  allé  interviewer  M.  Richard  Strauss 
dans  sa  villa  de  Garmisch,  dans  la  Haute-Bavière,  et  lui  a  demandé  où  en 
est  Elektra,  le  nouvel  opéra  de  l'auteur  de  Salomé,  dont  la  première  représen- 
tation aura  lieu,  au  mois  de  janvier  prochain,  à  l'Opéra  de  la  Cour  de 
Dresde. 

Eteldra,  a  déclaré'M.  Richard  Strauss,  est  entièrement  terminée.  Je  suis  en  train 
de  corriger  les  épreuves  de  la  partition.  Je  ne  sais  pas  encore  quelle  sera  la  canta- 
trice qui  chantera  le  principal  rôle,  mais  je  suis  complètement  d'accord  avec  M.  von 
Hulsen,  intendant  général  des  théâtres  de  la  Cour  de  Ber. in,  pour  faire  jouer  mon 
œuvre  d'abord  à  Dresde. 

»  J'acquitte,  en  agissant  ainsi,  une  dette  de  reconnaissance  vis-à-vis  de  l'Opéra  de 
la  Cour  de  Dresde,  qui,  le  premier,  a  eu  le  courage  de  jouer  mon  opéra  Feuersnot, 
et  de  monter  ensuite  ma  Salomé.  Et  puis,  à  Dresde,  on  ne  connaît  pas  la  surexcita- 
tion et  l'esprit  de  parti  qui  accompagnent  toujours  à  Berlin  la  première  représen- 
tation d'une  œuvre  nouvelle.  A  Dresde,  le  public  est  plus  calme. 

»  Â, l'Opéra-Royal  de  Berlin,  Elektra  sera  jouée  au  mois  de  février  sous  la  direction 
de  M.  Léo  Blech.  Je  viendiai  prochainement  à  Berlin  pourdiriger  le  premier  concert 
symphonique  de  l'orchestrd  royal.  Car,  bien  que  je  sois  en  congé,  comme  kapell- 
meister  de  l'Opéra,  jusqu'au  1"  septembre  1909,  j'ai  encore  à  diriger  le  mois  pro- 
chain pendant  vingt-deux  jours  à  l'Opéra-Royal.  Pendant  ce  temps,  je  préparerai, 
avec  M.  Léo  Blech,  les  représentations  berlinoises  d'Elektra. 

M.  Richard  Strauss  restera  donc  éloigné  pendant  un  an  de  l'Opéra-Royal. 
Il  ne  sera  pas  inactif  pendant  ce  temps.  Il  dirigera  d'abord  des  concerts  sym- 
phoniques  en  Russie  et  en  Italie.  Il  fera  également  une  tournée  de  concerls 
avec  sa  femme,  qui  est  une  de  ses  meilleures  interprètes.  Il  viendra  ensuite  à 
Paris,  où  le  Grand-Opéra  s'est  assuré  le  droit  de  première  représentation  en 
langue  française  d'Elektra.  Ajoutons  que   M.  Richard  Strauss  travaille  déjà  à 


une  nouvelle  partition.  Il  s'agit,  celte  fois,  d'un  opéra-comique  dont  le  livret  lui 
sera  également  fourni  par  M.  Hugo  von  Hofmanntthal,  l'auteur  du  drame 
dont  est  tiré  le  livret  d'Elektra. 

—  Une  revue  allemande,  die  Musik,  vient  de  publier  deux  Polonaises  iné- 
dites de  Chopin,  dont  la  première,  dit-elle,  fut  écrite  par  le  grand  pianiste  a 
l'âge  de  neuf  ans.  La  seconde,  qui  est  aussi  nne  ceuvri  de  jeunesse,  est  déjà 
beaucoup  plus  caractéristique.  De  celle-ci  on  no  possède  pas  l'original,  mais 
seulement  une  copie  de  la  main  d'Oscar  Kolberg,  un  ami  d'enfance 
Chopin. 

—  Aux  concerts  Gtirzcnich,  de  Cologne,  on  fera  entendre,  pendant  la  saison 
prochaine,  une  symphonie  en  quatre  parties  de  M.  Waldemar  von  Kaussncrn, 
qui  porte  ce  joli  titre  :  Jeunesse.  Ce  compositeur  a  déjà  écrit  un  opéra  en  trois 
actes,  Der  Bundschuh,  qui  fut  joué  à  Francfort  en  1904. 

—  M.  Manen,  le  compositeur  et  violoniste  bien  connu,  donnera  l'hiver  pro- 
chain des  concerts  en  Allemagne.  On  dit  qu'il  se  servira  pendant  sa  tournée 
d'un  violon  de  Stradivarius  qui  appartient  à  la  couronne  d'Espagne,  et  dont 
la  reine  Isabelle  avait  attribué  la  jouissance  à  Sarasate,  afin  qu'il  put  en  faire 
usage  sa  vie  durant.  Ce  violon  sera  prêté  maintenant  aux  meilleurs  virtuoses 
de  l'archet  que  possède  l'Espagne. 

—  On  a  donné  dernièrement  à  Christiania  un  concert  dans  lequel  ont  été 
entendues  exclusivement  des  compositions  inédites  de  Grieg.  Le  programme 
comprenait  des  chansons  ou  mélodies,  des  morceaux  de  piano  et  un  quatuor 
pour  cordes. 

—  Une  cantatrice  américaine,  M""'  Charles  Cahier,  qui  a  fait  partie  de  l'en- 
semble de  l'Opéra  de  Vienne  en  qualité  de  contralto,  a  raconté,  dans  une 
lettre  adressée  à  un  journal  américain,  la  visite  qu'elle  rendit  récemment  a  la 
veuve  du  célèbre  compositeur  Edward  Grieg,  à  Bergen,  en  Norvège.  «  A  la 
porte  spacieuse  du  jardin,  écrit-elle,  on  me  montra  le  grand  arbre  qui  portait 
l'inscription  destinée  à  protéger  le  maître  contre  les  tentatives  indiscrètes  des 
fâcheux.  Je  lus  ces  mots  :  «  M.  Edward  Grieg  n'est  à  la  maison  pour  personne 
ii  avant  quatre  heures  de  l'après-midi.  »  La  précaution  n'était  pas  superflue, 
car,  même  quand  il  était  malade,  Grieg  ne  venait  pas  à  bout  de  se  préserver 
entièrement  des  touristes.  Mme  Grieg,  qui  était  revenue  habiter  la  villa  seule- 
ment la  veille  du  jour  de  ma  visite,  avait  trouvé  la  maison  toute  garnie  de 
belles  fleurs,  mais  elle  ne  réussissait  pas  à  dominer  sa  tristesse,  ayant  toujours 
dans  l'esprit  le  souvenir  du  passé.  On  me  conduisit  dans  la  petite  maisonnette 
du  jardin,  au  bord  du  lac.  C'était  là  le  «  sanctuaire  »  où,  comme  on  le  sait, 
Grieg  écrivit  un  très  grand  nombre  de  ses  compositions.  Vis-à-vis  de  la  porte 
d'entrée  il  y  avait  une  large  fenêtre,  et,  devant  cette  fenêtre,  une  table  mas- 
sive, un  petit  fauteuil  et  un  tabouret.  On  voyait  sur  cette  table  des  porte- 
plumes,  des  crayons,  un  flacon  de  colle,  du  papier  buvard,  des  classe-feuilles 
et  beaucoup  d'autres  menus  objets  dont  le  compositeur  avait  coutume  de  se 
servir.  Rien  n'avait  été  changé;  on  gardait  l'impression  que  tout  cela  venait 
seulement  d'être  abandonné.  De  chaque  coté  de  la  fenèlre  se  trouvaient  des 
rayons  sur  lesquels  se  rangeaient  les  partitions.  Une  tablette,  près  de  la  porte, 
servait  à  entasser  les  manuscrits.  Je  demandai  :  «  N'y  a-t-il  donc  ici  aucune- 
»  ment  à  craindre  les  voleurs?  ».  On  me  répondit  :  «  Non,  en  Norvège,  on  ne 
»  vole  pas.  »  Il  y  avait  sur  la  table  une  feuille  de  papier,  sur  laquelle  étaient 
tracées  les  lignes  suivantes  :  «  Je  vous  permets  d'emporter  tout  ce  que  vous 
»  voudrez,  mais  je  vous  supplie  de  ne  pas  toucher  à  mes  manuscrits;  ils  n'ont 
»  de  valeur  que  pour  moi.  »  Cette  phrase  humoristique  s'adressait-elle  aux 
voleurs  que  l'on  avait  déclaré  ne  pas  redouter,  ou  bien  aux  touristes?  Je 
l'ignore,  mais  Grieg  ne  sortait  pas  sans  laisser  l'avis  sur  son  buvard.  Le  reste 
de  l'ameublement  de  la  pièce  consistait  en  un  sopha,  deux  chaises  et  un  vieux 
piano,  dont  le  maître  avait  l'habitude  de  dire  qu'il  était  encore  assez  bon  pour 
que  l'on  pût  composer  avec  son  aide.  En  traversant  le  jardin,  nous  arrivâmes 
à  l'autre  bout  où  nous  vîmes  une  plaque  de  pierre  cimentée  dans  un  ro.her 
de  cinquante  pieds  de  haut  que  baignait  l'eau  du  lac.  Elle  portait  un  simple 
nom  :  Edward  Grieg.  C'est  là,  au  milieu  de  la  belle  nature,  que  le  maître 
désira  que  ses  cendres  fussent  déposées.  En  bas,  deux  ouvriers  étaient  occupés 
à  jeter  dans  le  lac  d'énormes  pierres  destinées  à  empêcher  les  barques  d'abor- 
der, car  Grieg  avait  exprimé  nettement  sa  volonté  que  nul  ne  pût  troubler  la 
solitude  de  son  repos.  Telle  fut  ma  visite  de  respectueux  hommage  ;  mais  avant 
de  partir,  je  disposai  sur  le  rocher  où  était  gravé  le  nom  de  Grieg  une  large 
banderole  aux  couleurs  américaines.  »  On  pourrait  peut-être  juger  bien 
superflue  cette  dernière  manifestation,  car  il  est  difficile  d'admettre  que  Grieg 
l'aurait  tolérée;  mais  chacun  admire  le  grand  musicien  dont  s'honore  la  Nor- 
vège comme  il  sait  et  comme  il  peut. 

—  Au  point  de  vue  de  la  musique  dramatique,  la  Finlande  avait  été  jusqu'à 
ce  jour  complètement  tributaire  des  pays  étrangers.  Il  semble  qu'elle  veuille 
s'émanciper  sous  ce  rapport.  En  fait,  elle  vient  de  se  livrer  à  un  premier  essai 
qui  parait  avoir  été  très  heureux.  Dans  un  théâtre  en  plein  air  (!),  à  l'entrée 
de  la  ville  de  Viborg,  devant  10.000  spectateurs  accourus  de  tous  les  points  de 
la  Finlande,  a  eu  lieu  la  première  représentation  d'un  opéra  intitulé  Pohjan 
neiio,  dû  à  deux  auteurs  finlandais,  M.  Rytkonen  pour  les  paroles,  M.  Oscar 
Merikanlo  pour  la  musique,  et  chanté  exclusivement  par  des  artistes  finlan- 
dais. Le  succès  a  été,  comme  on  le  pense,  colossal.  La  musique  de  cet 
ouvrage  a.  dit-on,  le  sentiment  mélancolique  qui  caractérise  les  races  septen- 
trionales, ce  qui  ne  l'empêche  pas  de  chercher  et  d'atteindre  parfois  les  effets 
les  plus  grandioses. 

—  A  propos  du  brillant  concert  donné  ces  jours  derniers  à  Lausanne  par 
M.  Gabriel  Fauré,  concert  dans  lequel  l'éminent  compositeur  a  fait  entendre 


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LE  MÉNESTREL 


jîusieurs  de  ses  œuvres,  outre  autres  sa  belle  sonate  pour  piano  et  violon, 
nous  trouvons  dans  la  Vie  musicale,  journal  qui  se  publie  en  cette  ville,  ces 
détails  curieux  et  intéressants  : 

Lausanne  a  bien  changé  depuis  le  jour  où,  en  1870,  M.  Gabriel  Fauré  y  débutait 
dans  le  professorat  à  l'Ecole  Niedermeyer,  dont  il  avait  été  auparavant  l'élève. 
-Pendant  la  euerre,  dit  le  maître  lui-même,  notre  directeur,  M.  Lefèvre,  avait 
transporté  l'Ecole  en  Suisse,  retournaut  pour  ainsi  dire  au  pays  de  son  fondateur. 
Quand  je  dis  qu'il  avait  transporté  l'Ecole,  c'est  une  manière  de  parler,  car  il  fut  un 
instant  tout  seul.  Il  écrivit  de  droite  et  de  gauche  à  ses  anciens  élèves  et  à  ses 
anciens  professeurs.  Après  avoir  servi  à  Paris  dans  un  régiment  de  ligne,  je  me 
rendis  à  son  appel.  J'étais  tout  fraîchement  émoulu  de  l'Ecole  et  un  peu  anxieux 
de  mes  débuts  comme  professeur...  »  L'institution  avait  trouvé  asile  dans  une  villa 
à  Cour,  d'où  les  élèves  montaient  chaque  semaine  à  la  Cathédrale  pour  les  leçons 
d'orgue..  Le  maître  débutant  eut  pour  premier  élève  M.  André  Messager,  actuelle- 
ment directeur  de  l'Opéra  de  Paris  ..  Lausanne  a  bien  changé  depuis  le  jour  où,  en 
1894,  M.  E.  Jaques-Dalcroze  écrivait  :  .<  ...à  Lausanne  (la  ville  musicale  !),  la  superbe 
sonate  pour  violon  et  piano,  cependant  exécutée  par  Eugène  Ysaye  d'une  façon 
incomparable,  obtenait  dernièrement  un  franc  insuccès,  le  public  causant  ou 
lorgnant  la  salle  pendant  l'exécution,  et  les  journaux  de  la  ville  passant  absolument 
î'<Buvre  sous  silence  dans  leurs  comptes  rendus  du  concert,  pour  ne  s'occuper  que 
de  la  mazurka  de  Zarzycki  :  la  Gasette  de  Lausanne  cependant  daigna  trouver  la 
sonate  «  assez  originale  »...  Lausanne  a  bien  changé,  car  le  Tout-Lausanne  musical 
était  réuni  l'autre  soir,  23  septembre,  pour  l'audition  que  M.  Gabriel  Fauré  donnait 
de  ses  œuvres,  avec  le  concours  de  MM.  H.  Gerber  (violon),  F.-A.  Bott  (alto;  et  Tom 
Canivez  (violoncelle)  et  de  M—  Debogis-Bohy  dont  le  superbe  organe  sait  se  plier  à 
tous  leo  genres,  grâce  à  la  probité  et  au  rare  vouloir  artistique  de  la  cantatrice.  Le 
programme  était  encadré  par  le  quatuor  en  ut  mineur  et  la  sonate  pour  violon  et 
piano  en  la  majeur  avec,  comme  tout  le  soir  du  reste,  l'auteur  au  piano.  L'Elégie  et 
la  Sicilienne  pour  violoncelle  séparaient  deux  groupes  de  mélodies  déversant  sur 
le  tout  leur  lyrisme  discrètement  ému.  Ecoutez  ce  Soir  exquis  d'Albert  Samain  : 

Voici  que  les  jardins  de  la  nuit  vont  fleurir, 

Lés  lignes,  les  couleurs,  les  sons  deviennent  vagues  ; 

Vois  !  le  dernier  rayon  agonise  à  les  bagues. 

Ma  sœur,  n'enlends-tu  pas  quelque  chose  mourir  ?... 
et  dites  s'il  ne  fallait  pas  qu'en  ce  début  du  XX—  siècle  les  arts  jumeaux,  poésie  et 
musique,  se  confondissent,  s'il  ne  fallait  pas  que  la  musique  se  fit  poésie,  dans  la 
mesure  même  où  la  poésie  se  faisait  musique  ?  A  cela  M.  Gabriel  Fauré,  le  magique 
ëvocateur  de  sonorités  nouvelles,  fines  et  pénétrantes,  aura  contribué  pour  beaucoup 
et  c'est  ce  que  le  public  de  l'autre  soir  semble  avoir  senti  ou  compris...  Oui, 
Lausanne  a  bien  changé. 

—  De  Lausanne,  M.  Gabriel  Fauré  s'est  rendu  à  Lucerne,  où  il  a  dirigé  en 
personne,  au  Kursaal,  l'exécution  de  la  suite  d'orchestre  de  Pelléas  etMélisande 
et  où  il  a  accompagné  au  piano  Mmc  Jeanne  Raunay  faisant  entendre,  avec 
son  beau  talent,  quelques-unes  de  ses  mélodies. 

—  M.  H.  Kling  donne,  dans  le  Journal  de  Genève,  des  détails  iutéressants 
soi  le  séjour  que  Richard  Wagner  fit,  de  1866  à  1S72,  dans  la  villa  de 
Triehschen,  près  de  Lucerne.  C'est  dans  cette  villa,  merveilleusement  située 
et  faisant  face  au  lac,  qu'à  peine  installé  Wagner  reçut,  le  22  mai  1S66,  anni- 
Tersaire  de  sa  naissance,  la  visite  de  son  ami  le  roi  Louis  II  de  Bavière,  qui 
Tenait  le  surprendre  inopinément,  sans  s'être  fait  annoncer  ni  accompagner. 
Cest  là  qu'il  reçut  encore  d'autres  visites,  celles  de  Hans  de  Biilow,  de  Liszt 
«t  de  Frédéric  Nietzsche,  alors  son  admirateur,  dont  l'admiration  devait  se 
changer  bientôt  en  une  véritable  haine.  Et  c'est  dans  l'église  protestante  de 
Lucerne  que  Wagner  fit  bénir  son  mariage  avec  Mmc  Cosima  Liszt,  épouse 
divorcée  de  Han6  de  Bùlow,  le  23  août  1S70,  par  le  pasteur  Tschudi.  Il  y  a 
quelques  années,  on  plaça  sur  la  façade  de  la  villa  une  grande  plaque  com- 
nnémorative  en  marbre  blanc  avec  cette  inscription  : 

C'est  dans  cette  .maison  que  Richard  Wagner  demeura 
depuis  le  mois  d'avril  1866  jusqu'ex  avril  1872.  C'est  ici 
qu'il  termina  les  Maîtres  Chanteurs,  Siegfried,  le  Crépuscule 
des  Dieux,  Beethoven,  Kaisermarsch,  Siegfried-Idylle. 
«M-'Cosima  Wagner,  dit  M.  Kling,  avait  découvert  à  Triebschen,  au  milieu  d'une 
quantité  de  musique,  la  partition  d'orchestre  de  la  Hu/digitngsniarsch  que  Wagner  avait 
dédiée  aurai  Louis  II-  Elle  résolut  de  lafaire  jouer  en  guise  d'aubade,  à  l'occasion  de 
l'anniversaire  de  la  naissance  de  son  mari.  Elle  s'adressa  au  directeur  de  la  musique 
de  Lucerne,  M.  Gregor  Lampart,  lui  demandant  s'il  pourrait  transcrire  lapartition  pour 
la  musique  d'harmonie  et  la  faire  ensuite  exécuter  à  la  date  voulue.  Le  directeur 
Lampart  accepta  avec  empressement  la  proposition  et  se  mit  aussitôt  à  l'œuvre,  qu'il 
fit  étudier  soigneusement.  M""  Cosima  Wagner  assista  à  plusieurs  reprises  aux  répé- 
titions, qui  eurent  lieu  à  la  cantine  de  la  caserne,  donnant  au  chef  de  musique  les 
indications  nécessaires  pour  l'exécution  des  mouvements  et  l'interprétation  générale 
de  l'œuvre.  Le  Dimanche  22  mai,  à  l'occasion  du  27'  anniversaire  de  Wagner,  par 
une  radieuse  matinée  printanière,  la  musique  de  Lucerne  se  rendit  à  Triebschen  ; 
sitôt  que  le  maitru  parut  au  bilcon,  sur  un  signe  de  M",c  Wagner,  la  musique  en- 
lonna  la  Huldigungsmarscli,  pendant  que  les  deux  filietles  nées  du  premier  mariage, 
Uaniella  et  Blandme  de  Bùlow,  présentaient  des  bouquets  de  roses  à  Wagner.  Vive- 
ment ému  et  très  touché  de  celte  belle  manifestation,  le  maître  loua  sans  réserve 
rimpeccable  exécution  de  cette  œuvre  difficile  et  serra  à  plusieurs  reprises  la  main 
de  l'excellent  directeur  de  la  musique  lucernoise;  puis,  par  lei  soins  du  bon  maitre 
d'hôtel  Jacob  Slocher,  il  lit  circuler  des  coupes  remplies  d'un  vin  généreux  et  trinqua 
de  bon  cœur  avec  chacun  des  musiciens  en  particulier. 

■»Au  corps  des  pompiers  de  Lucerne,  dont  il  avait  admiré  le  travail  et  le  dévoue- 
mentau  cours  d'un  incendie,  Wagner  dédia  le  8  novembre  18S9  un  chœur  d'hommes  à 
quatre  voix  a  cappella.  Celte  composition  en  sol  majeur  est  formée  de  neuf  mesures 
avec  deux  changements  dj  miuvemeots  et  ont  pour  texte  les  paroles  suivantes,  qui 
sont  également  de  Wagner  : 

Le  dévouement  est  notre  but, 

L'amour  notre  drapeau, 

Lr  vigueur  notre  devise, 

Dieu  notre  suprême  appui  ! 


«  Le  11  janvier  1870,  -Wagner  terminait  l'esquisse  faite  au  crayon  du  Crépuscule  des 
Dieux,  et,  le  5  février  1871,  toute  lapartition  de  Siegfried.  Le  22  avril  1872,  il  quittait 
Triebschen  pour  s'installer  définitivement  à  Bayreuth. 

—  Le  théâtre  de  Lucerne  vient  d'offrir  à  ses  spectateurs  la  primeur  d'un 
ballet  inédit,  l'Horloge  ,  dû  à  la  collaboration  de  M.  Saracco  pour  le  scénario 
et  de  M.  Arturo  Strutt  pour  la  musique.  Le  jeune  compositeur  est  un  ancien 
élève  de  l'école  Sainte-Cécile  de  Rome,  déjà  connu  très  avantageusement  en 
celte  ville  comme  violoniste  et  comme  compositeur. 

—  On  vient  de  tenter  un  effort  sérieux  pour  améliorer  la  ventilation  du 
Queen's  Hall  de  Londres.  Un  appareil  installé  dans  une  vaste  chambre  voi- 
sine de  l'emplacement  réservé  à  l'orchestre  aspire  l'air  du  dehors,  l'échauffé 
ou  le  refroidit  selon  le  cas  pour  qu'il  soit  à  la  température  convenable  et  le 
projette  dans  la  grande  salle  de  concerts.  On  peut  ainsi  obtenir  1.300.000  mètres 
cubes  à  la  minute  et  toute  l'atmosphère  du  monument  entier  peut  être  renou- 
velée en  dix  minutes.  En  ralentissant  la  marche  afin  d'éviter  ou  de  réduire 
au  minimum  l'agitation  de  l'air  et  le  bruit,  il  est  possible  de  changer  tous  les 
quarts  d'heure  l'air  de  la  salle.  L'évacuation  se  fait  au  moyen  d'aspirateurs 
placés  sous  les  galeries.  Il  parait  que  les  chanteurs  ont  déclaré  que  ce  procédé, 
de  ventilation  leur  permettait  de  maintenir  en  bonne  disposition  leur  organe 
pendant  toute  la  durée  des  concerts.  Le  public,  dj  son  côté,  apprécie  l'avan- 
tage de  n'avoir  plus  à  respirer  un  air  vicié. 

—  Le  très  fortuné  compositeur  de  la  Geisha,  l'opérette  qui  a  fait  le  tour  du 
monde,  M.  Sidney  Jones,  vient  4e  donner  au  théâtre  du  Prince  of  Wales,  à 
Londres,  un  ouvrage  du  mémo  genre,  the  Kiny  of  Cadonia,  qui  ne  semble  pas 
devoir  être  moins  heureux,  car  il  a  obtenu  un  succès  complet.  On  en  dit  la 
musique  gracieuse,  alerte  et  très  vivante. 

—  Un  journaliste  américain,  M.  W.-J.  Henderson,  critique  musical  du 
Sun,  de  New-York,  montre  moins  d'enthou-iasme  que  les  Allemands  pour  les 
fameuses  représentations  dites  modèles  consacrées  par  le  Residenztheater  de 
Munich  aux  œuvres  de  Mozart.  M.  Henderson,  qui  a  assisté  récemment  a  ces 
représentations,  fait,  à  la  vérité,  un  grand  éloge  de  M.  Félix  Mottl  et  de  son 
orchestre  et  loue  aussi  la  mise  en  scène,  mais  il  n'eu  est  pas  de  même  des 
interprètes,  et  selon  lui  la  médiocrité  des  chanteurs  allemands  est  aussi  com- 
plète que  déplorable.  Des  exécutions  vocales  de  ce  genre,  dit-il,  ne  seraient 
pas  supportées  un  instant  à  New-York,  et  ce  n'est  vraiment  pas  la  peine  de 
faire  à  grands  frais  le  voyage  d'Europe  pour  assister  à  ces  prétendues  repré- 
sentations modèles.  Selon  lui,  les  interprètes  du  célèbre  trio  des  masques  de 
Don  Juan  sont  au-dessous  des  moindres  exigences  et  connaissent  à  peine  leurs 
rôles.  Seule,  M""-'  Bosetti,  qui  joue  Zeriine,  est  à  peu  près  supportable  ;  quant 
à  donna  Anna,  «  elle  lutta  constamment  pour  atteindre  l'intonation  juste:  pas 
une  seule  phrase  de  son  rôle  ne  fut  irréprochable,  et  elle  se  traînait,  au  mi- 
lieu des  rythmes  élégants  et  charmants  de  Mozart,  comme  une  paysanne  qui 
aurait  voulu  danser  un  menuet;  je  ne  puis  penser  sans  frémir  à  la  façon  dont 
elle  chanta  le  grand  air  du  second  acte.  Quant  à  Elvire,  elle  fut  plus  déplo- 
rable encore  ».  En  fait,  le  critique  ne  trouve  supportable  que  M.  Feinhals, 
Don  Juan  sans  doute  un  peu  lourd  et  trop  bruyant,  mais  qui  ne  manque  pas 
de  qualités,  et  il  exprime  le  regret  qu'on  ne  chame  pas  à  Munich  Don  Juan 
en  italien  «  le  texte  allemand  alourdissant  cette  musique  adorable  ».  N'est-ce 
pas  Hans  de  Biilow  qui  a  dit  à  ce  propos  :  «  Dans  les  œuvres  de  Mozart,  mon 
allemand  bien-aimé  me  donne  un  désespoir  de  vingt-cinq  carats.  Tous  les 
mouvements  sont  ralentis  ». 

—  La  décadence  de  Wagner  en  Amérique.  L'enthousiasme  délirant  qu'a- 
vait soulevé  là-bas  la  musique  de  Wagner  commença  à  se  refroidir,  parait-il, 
d'une  façon  singulière.  C'est  du  moins  ce  que  nous  apprend  un  article  de  la. 
Nord  American  Revint).  S'il  faut  en  croire  ce  périodique,  les  anciens  wagné- 
riens  exclusifs  ont  changé  d'idole  et  ne  jurent  aujom'd'hui  que  par  Richard 
Strauss  et  Debussy.  Salomé  et  Pelléas  et  Métisande  font  pâlir  la  Tétralogie;  les 
wagnériens  rationnels  étudient,  eux  aussi,  les  écoles  nouvelles,  tandis  que  les 
amateurs  qui  n'admiraient  qu'avec  de  nombreuses  réserves  trouvent  mainte- 
nant que  les  défauts  de  la  musique  de  Wagner  l'emportent  de  beaucoup  sur 
ses  qualités  et  qu'elle  est  souvent  ennuyeuse.  Enfin,  les  chanteurs  eux-mêmes 
se  sentent  fatigués  d'être  traités  comme  de  simples  instruments  d'orchoslre 
et  s'efforcent  de  favoriser  le  mouvement  de  réaction  antiwagnérien.  Bref, 
conclut  l'auteur  de  l'article,  «  la  musique  de  l'avenir  est  déjà  la  musique  du 
passé  ».  Qui  sait  s'il  n'en  sera  pas  bientôt  de  même  chez  nous. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 
Dans  sa  dernière  séance,  l'Académie  des  beaux-arts  a  fixé  la  date  de  sa 
séance  publique  annuelle,  qui  aura  lieu  le  samedi  7  novembre.  M.  Henri 
Roujon,  secrétaire  perpétuel,  doit  don  îer  lecture  d'une  notice  sur  la  vie  et 
les  œuvres  de  Verdi.  Nos  jeunes  artistes  vont  sans  doute  se  regarder  entre 
eux  à  cette  nouvelle  et  se  demander  :  Qui  ça.  Verdi?... 

—  Le  compositeur  Théodore  Gouvy,  mort  en  1898,  était  correspondant  de 
l'Institut,  et  à  ce  titre  avait  légué  à  l'Académie  des  beaux-arts  une  rente  de 
300  francs  destinée  à  servir  une  pension  de  ce  chiffre  à  uu  musicien  nécessi- 
teux, et  de  préférence  à  un  musicien  d'orchestre.  Par  suite  du  décès  de 
M.  Poulat.  jusqu'ici  titulaire  de  cette  pension,  l'Académie  vient  de  l'attribuer 
à  un  excellent  artiste,  M.  Castegnier,  ancien  hautbois  solo  de  l'orchestre  de 
l'Opéra-Comique.  Né  en  1826,  M.  Castegnier,  qui  est  par  conséquent  âgé  de 
82  ans,  avait  obtenu  au  Conservatoire  le  premier  prix  de  hautbois  en  1843;  Il 
avait  fait  ensuite  de  sérieuses  études  théoriques,  et  le  i  novembre  1860  il  faisait 
exécuter  sous  sa  direction,  en   l'église  Sai:it-Eustache,    une  messe  solennelle 


LE  MENESTREL 


327 


avec  chœurs  et  orchestre  qui  était  une  œuvre  remarquable  et  semblait  pro 
mettre  un  compositeur  d'avenir.  Malheureusement  la  maladie  vint,  dans  toute 
la  force  de  l'âge,  terrasser  le  pauvre  artiste  et  briser  sa  carrière.  L'Académie 
des  beaux-arts  a  été  bien  inspirée  en  lui  attribuant  la  pension  Gouvy.  Chose 
assez  singulière,  le  précédent  titulaire  de  cette  pension,  M.  Poulat,  né 
en  1827,  était  aussi  un  hautboïste  et  avait  obtenu  un  second  prix'  en  1849. 

—  MM.  Isola  frères,  directeurs  du  Théâtre-Lyrique  municipal  ont  dépêché, 
mardi  dernier,  leur  administrateur  M.  de  Lagoanère  près  du  conseil  munici- 
pal, pour  demander  le  droit  de  relever  d'uu  franc  le  prix  des  places  de  loges 

et  de  fauteuils  d'orchestre,  qui  est  actuellement  de  quatre  francs.  Après  une 
année  d'expérience,  ils  affirment  que  les  prix  actuels  qui  leur  sont  imposés 
'ne  sont  pas  assez  rémunérateurs,  étant  donnés  les  gros  frais  que  nécessitent 
'les  représentations  lyriques.  Le  tarif  des  autres  places  résinait  le  même 
qu'aujourd'hui.  Le  président  de  la  deuxième  commission,  M.  Grébauval,  a 
répondu  à  MM.  Isola  que  la  question  devait  être  préalablement  examinée.  Il 
s'agit  d'une  modification  du  cahier  des  charges  et  seul  le  conseil  municipal 
peut  la  décider.  M.  Armand  Massard  a  été  chargé  d'examiner  les  recettes  et 
les  dépenses  du  Lyrique,  de  façon  à  juger  si  l'exploitation  nécessite  réellement 
le  relèvement  réclamé  par  MM.  Isola.  Il  déposera  un  rapport  au  début  du 
mois  prochain.  Souhaitons-le  favorable.  Car  il  convient  de  rendre  justice  aux 
efforts  de  MM.  Isola  pour  maintenir  à  Paris  un  théâtre  lyrique,  qui  peut 
devenir  très  utile.  Ce  petit  surcroit  de  recettes  pourrait  aussi  leur  permettre 
de  renforcer  un  orchestre  décidément  un  peu  faible. 

—  A  l'Opéra  les  représentations  de  Mlic'  Marie  Garden  et  de  M.  Renaud  se 
poursuivent  triomphales,  mais  elles  vont  pourtant  prendre  fin  par  suite  du 
départ  des  deux  remarquables  artistes  pour  l'Amérique.  Demain  lundi 
M"0  Garden  chantera  encore  Roméo  cl  Juliette,  puis  mercredi  Hanilet,  avec 
M.  Renaud.  Celui-ci  donnera  sa  dernière  représentation  vendredi  21!  dans 
Rigolello  et  en  voilà  jusqu'au  printemps,  où  Paris  retrouvera  ses  deux  artistes 
préférés  dans  ces  mêmes  ouvrages  et  d'autres  encore. 

—  Nous  avons  donné  dimanche  dernier  le  tableau  des  abonnements  de 
l'Opéra-Comique,  tableau  qui  fixait  les  dates  des  trois  séries.  Voici  mainte- 
nant, rappelons-le,  parmi  quels  ouvrages  M.  Albert  Carré  compte  choisir  ses 
nouveautés  :  Solange,  de  MM.  Aderer  et  Salvayre,  Sanga,  de  M.  Isidore  de  Lara, 
Myrlil,  de  M.  Ernest  Garnier,  Chiquito,  de  MM.  Henri  Cain  et  Nouguès,  Leone, 
de  M.  Samuel  Rousseau,  Noël,  de  M.  Frédéric  d'Erlanger,  Macbeth,  de 
M.  Ernest  Bloch,  Pierre  le  Véridique,  de  M.  Leroux,  On  ne  badine  pas  aeec 
l'amour,  de  M.  Pierné,  le  Cœur  du  Moulin,  de  M.  Déodat  de  SévéracJ  Un  Matin 
de  Floréal,  de  M.  Marcel  Rousseau,  Ping-Sin,  de  M.  Maréchal,  te  Puits,  de 
M.  Marsick,  Dcnisetle,  de  M.  Fijan,  l'Heure  espagnole,  de  M.  Ravel,  Messaonda, 
de  M.  Ratez.  Un  joli  programme,  comme  on  voit,  avec  la  quantité  et  la  qualité. 
Nous  aurons  aussi  la  Flûte  enchantée  avec  une  nouvelle  traduction.  (Pourquoi  ? 
celle  de  MM.  Nuitter  et  Beaumont  était  excellente)  et  une  de  la  Sapho  de 
Massenet  avec  un  nouveau  tableau.  Peut-être  encore  quelques  œuvres  étran- 
gères :  Feuersnot,  de  M.  Richard  Strauss,  Ib  et  Christine,  de  M.  Leoni,  Paillass-, 
de  M.  Leoncavallo.  Voilà  donc  une  saison  qui  s'annonce  remarquable. 

—  Spectacles  de  dimanche  à  l'Opéra-Comique  :  en  matinée,  Lakmé  et  Phi- 
lémon  et  Baucis:  le  soir,  jfonun.  —  Lundi,  en  représentation  populaire  à  prix 
réduits  :  le  Barbier  de  Séville. 

—  M.  Gabriel  Dupont,  qui  a,  pendant  cet  été,  terminé  la  partition  de  la  Glu, 
écrite  sur  un  livret  tiré  par  M.  Henri  Cain  du  drame  célère  de  M.  Jean  Riche- 
pin,  va  se  mettre  à  la  composition  d'un  ouvrage  très  gai,  la  Farce  du  Cuvier, 
dont  M.  Maurice  Lena  lui  a  remis  les  trois  actes. 

—  MUe  Castel,  dont  nous  avons  signalé  les  heureux  débuts  dans  Paul  et  Vir- 
ginie, au  Lyrique  de  la  Gaité,  est  élève  de  M.  Delaquerrière..Un  autre  élève 
de  l'excellent  professeur,  M.  Paul  Franz,  ténor,  vient  d'être  engagé  à  l'Opéra 
où  on  compte  le  faire  débuter  en  janvier  prochain  dans  Lnheugrm. 

—  On  a  mis  en  vente  récemment,  dans  une  collection  d'autographes,  une 
lettre  bien  curieuse  dans  laquelle  l'exquis  pianiste  qu'était  Stephen  Relier 
portait  un  jugement  singulier  sur  Liszt,  jugement  dont  nous  lui  laissons, 
naturellement,  la  responsabilité.  Dans  cette  lettre,  adressée  à  une  amie  et 
datée  du  23  juillet  1844,  Heller  s'étonne  de  l'influence  exercée  par  le  talent 
de  Liszt  sur  sa  correspdnd.inte,  qui  n'a  pu  se  soustraire  à  l'action  du  fluide 
électrique  qui  jaillissait  des  mains  du  virtuose,  et  il  dit  :  —  «  Aujourd'hui 
vous  semblez  en  être  étonnée,  l'ivresse  et  l'enthousiasme  se  dissipant  peu  à 
peu.  Pour  moi  j'avoue  queje  n'y  comprends  rien,  absolument  rien.  L.  [iszt]  ne 
m'a  jamais  touché,  et  certes  je  ne  suis  pas  difficile  à  émouvoir  par  la  musi- 
que. Mais  la  main  sur  la  conscience,  devant  Dieu  et  devant  les  hommes,  je 
déclare  que  j'ai  toujours  écouté  Liszt  avec  la  meilleure  volonté  de  tomber  en 
syncope  aussi  bien  que  les  deux  tiers  de  l'Europe,  et  je  n'ai  jamais  pu  atteindre 
qu'à  un  étonnement  (modéré)  pour  la  vitesse  de  tel  trait  et  la  hardiesse  de 
telle  gamme  en  octave  ou  en  double  tierce.  Mais  quant  à  la  grâce  et  la  finesse, 
Chopin  en  est  le  modèle  inimitable,  et  encore  se  trouvé-telle  dans  ses  ravis- 
santes compositions,  mérite  que  L.  n'a  pas  et  n'aura  jamais.  » 

—  Dans  un  remarquable  article  publiée  par  la  Reçue  des  D'eux  Mondes  et 
consacré  tout  entier  à  l'œuvre  de  Gevaért,  le  maitre  Ch.-M.  Widor,  le  com- 
positeur  dejo  Korrigane  et  des  Pécheurs,  de  Saint-Jean,  établit  de  façon  fort 
curieuse  et  fort  savante  l'origine  de  la  collaboration  d'un  musicien  avee  un 
poète. 

Dans  l'antiquité,  écrit-il,  qui  disait  poète,  disait  musicien;  vers  et  musique  nais- 
saient'du  même  cerveau';  fii  "Eschyle,  ni  Sophocle,  ni  Euripide,  n'auraient  jamais 
'soupçonné  la  possibilité  d'Un  l'illêrateur"  et  iTun  musicien  collaborant  à  la"  mtme 


ceuvee.  Pour  eux,  littérature  et  composition,  c'étai  me  mène 

façade,  symétriquement  disposées  par  le  mémi  architecte.  Pari  i  •  même,  c'était  p»r 

l' rr  aile  »  musicale  que  commençai!  la  construction.  En  ■ 

fantaisies  rythmiques  de  Pindare  la  coupe  irrégulière  du  n  b  e-t-il  pu 

qu'il  ait  dû  écrire  sa  musique  tout  d'abord,  pins  s'efTurcer 

mots  avec  la  ligne  mélodique?  Le  dédoublemoni  des  fonction  musicien 

ne  se  fera  que  3  ou  400  ans  plus  tard  et  non  pa    au  pied   lu  P  rna         iu  io  l'Inde, 

mais  sur  les  bords  du  Tibre,  quand  Rome  ayant  conquis  le  territo 

génie  de  la  Grèce  à  son  tour  se  sera  emparé  de  l'âme  latine. 

menceront  à  s'adresser  a  des  compositeurs  pour  la  musique 

Térencc  et  leurs  successeurs. 

—  Au  cours  de  la  saison  dernière,  à  Bordeaux,  la  direction  du  Grand-Théàlra 
dut  remplacer  tous  les  musiciens  d'orchestre  à  la  suit'  i  3ya- 
dicat  des  musiciens.  M.  Montagne,  chef  d'orchestre,  qui  demeura,  ■• 

do  diriger  les  nouveaux  musiciens  non  syndiqués,  lut  mis  a  l'index  par  le 
Syndicat.  Or,  le  2  juillet  courant,  M.  Montagne  intentait  une  action  en 
S.000  francs  de  dommages- intérêts,  reprochanl  au  Syndicat  de  l'avoir  mis  i 
l'index,  d'avoir  publié  cette  mise  à  l'index  dans  son  Bulletin  officiel,  d'avoir 
rendu  impossible  sa  nomination  à  l'emploi  de  chef  d'orchestre  dans  une  im- 
portante station  thermale,  et  diminué  le  revenu  de  ses  droits  d'auteur,  puis- 
qu'on arrête  l'exécution  des  morceaux  de  musique  composés  par  IuL  Le 
tribunal  mit  la  cause  en  délibéré.  Le  jugement  a  été  rendu  dernièrement,  Le 
Syndicat  des  musiciens  est  condamné  à  300  francs  de  dommages- intérêts,  à  la 
suppression  de  l'index,  et  à  l'insertion  du  jugement  dans  les  trois  journaux  de 
Bordeaux,  dans  cinq  journaux  de  Paris  et  dans  l'organe  officiel  de  la  fédé- 
ration des  syndicats  des  musiciens.  Le  tribunal  n'a  pas  retenu  la  qualité  de 
patron  qu'on  avait  fait  valoir  contre  M.  Montagne. 

—  Certains  annalistes  italiens  semblent  s'être  donné  pour  tache,  depuis 
nombre  d'années  déjà,  d'élucider,  par  certains  travaux  forcément  un  peu  secs, 
mais  cependant  fort  utiles,  l'histoire  de  la  musique  et  du  théâtre  non  seule- 
ment dans  certaines  contrées,  mais  dans  certaines  villes,  parfois  même  peu 
importantes  et  d'un  intérêt  artistique  secondaire.  Néanmoins,  de  l'ensemble 
de  ces  travaux  partiels,  et  en  procédant  du  particulier  au  général,  il  résultera 
une  masse  de  documents  jusqu'ici  inconnus,  qui  permettront  d'établir  un  jour 
une  véritable  et  sérieuse  histoire  de  la  musique  en  Italie,  ouvrage  dont  nous 
ne  possédons  même  pas  un  simple  sommaire  et  qui  présenterait  un  intérêt 
de  premier  ordre.  Le  comte  OrlotT  eut  la  prétention,  il  y  a  tantôt  un  siècle 
d'offrir  au  public  un  ouvrage  de  ce  genre  dans  l'informe  compilation  qu'il 
publia  en  1822  sous  ce  titre  :  Essai  sur  l'histoire  de  la  musique  m  Italie,  depuis 
les  temps  les  plus  anciens  jusqu'à  nos  jours.  Outre  qu'un  tel  travail  était  impos- 
sible à  cette  époque  par  suite  de  l'absence  complète  de  documents,  ce  noble 
dilettante  était  parfaitement  incapable  de  le  mener  à  bien.  Parmi  les  petites 
monographies  dont  je  veux  faire  ressortir  l'utilité,  il  en  est  une  qui  vient  de 
paraître  à  Tivoli  :  L'arte  musicale  in  Tivoli  nei  secoli  XVI,  XVII  e  XVIII,  et 
dont  l'auteur,  M.  Giuseppe  Radiciotti,  a  déjà  publié  plusieurs  opuscules  du 
même  genre  sur  Sinigaglia,  Pesaro,  Recanati,  etc.  Pour  modestes  qu'ils 
soient,  les  écrits  de  cette  nature  ont,  je  le  répète,  plus  d'importance  qu'ils  ne 
paraissent,  en  ce  qu'ils  permettront  à  l'historien  futur  de  s'appuyer  sur  des 
données  certaines  pour  établir  les  bases  d'un  travail  général  et  sérieux.  Ou 
rencontre  dans  celui-ci  non  des  notices,  mais  des  notes  intéressantes  sur  un 
certain  nombre  de  musiciens  dont  les  noms  ne  figurent  jusqu'à  ce  jour  dans 
aucun  Dictionnaire  biographique  et  qui  sont  pour  la  première  fois  mis  en  lu- 
mière. A  ce  titre  seul  il  mérite  d'être  signalé  et  encouragé,  d'autant  plus  que 
l'auteur,  par  les  références  qu'il  accumule,  inspire  pleine  confiance  dans 
l'exactitude  des   renseignements  réunis  et  coordonnés  par  lui.  A.  P. 

—  L'excellent  pianiste  M.  Edouard  Risler  va  donner,  dans  le  courant  du 
mois  de  novembre,  une  série  de  concerts  en  Suisse  ;  il  se  fera  entendre  le  10 
à  Berne,  le  12  à  Genève,  le  13  à  Montreux,  le  14  à  Lausanne,  le  16  à  Vevey  et 
le  21  à  Neuchàlel. 

—  M.  Maurice  Dumesnil  vient  de  rentrer  à  Paris  après  une  très  brillante 
saison  à  Dieppe  où  son  succès  ne  s'est  point  démenti  une  seule  fois,  tour  à 
tour  remarquable  interprète  des  grandes  œuvres  pour  piano  et  orchestre  ou 
des  classiques  de  la  musique  de  chambre.  M.  Maurice  Dumesnil  se  prépare  à 
faire  à  l'étranger  une  grande  tournée  de  concerts. 

—  M.  Armand  Parent  a  organisé  au  Salon  d'automne  une  série  de  quatre 
séances  de  musique  de  chambre,  dont  la  première  a  eu  lieu  hier  vendredi,  et 
qui  se  continueront  les  vendredi  16,  23  et  30  octobre,  a  trois  heures.  Les  pro- 
grammes de  ces  séances  offrent  un  intérêt  particulier  par  la  présence  d'assez 
nombreuses  œuvres  inédites  ou  peu  connues.  C'est  ainsi  qu'hier  on  a  entendu 
un  quatuor  d'Ernest  Chausson  et  une  sonate  pour  piano  et  violon  d'Albert 
Roussel  (première  audition)  avec  M.  Parent  et  Mlle  Dron.  Les  programmes 
comprendront,  le  16  :  Quatuor  inédit  d'Edmond  Malherbe,  thème  et  variations 
pour  piano,  inédits,  de  René  Jullien  (avec  M.  Dorivab,  Les  Familiers,  de 
M.  Graviez;  le  23  :  Quatuor  inédit  de  Claude  Guillon,  sonate  de  piano  de 
V.  d'Indy  (avec  Mlle  Dron),  deux  poèmes  inédits  de  C.  Pineau:  le  30  :  Qua- 
tuor en  sol  mineur  de  G.  Fauré  avec  piano,  deux  pièces  pour  -hautbois  et 
piano,  de  J.  Rousse  (avec  M.  et  Mme  Bleuzet),  En  forêt,  œuvre  nouvelle  pour 
piano,  de  P.  Coindreau  (avec  M"e  Selva),  etc.  Le  quatuor  Parent  (Parent,  Loi- 
seau,  Brun,  Fournier)  prendra  part  à  toutes  les  séances. 

—  La  question  des  chapeaux  de  ces  dames  continue  à  préoccuper  les 
théâtres,  même  en  province.  C'est  ainsi  que  Rennes  suit  l'exemple  de  Paris- 
M.  Janvier,  maire  de  cette  ville,  vient  de  prendre  un  arrêté  par  lequel  il  in- 
terdit-report des  chapeaux  anx  ■hrotenfrs  T-Irstarta  d'orchestre  du  théâtre.  Lés 


328 


LE  MÉNESTREL 


dames  ne  pourront  assister  aux  représentations  théâtrales  que  nu-tète  ou 
coiffées  de  petits  chapeaux.  Cet  arrêté  a  révolutionné  le  monde  féminin  à 
Rennes. 

—  De  Marseille  :  C'est  avec  Hérodiade  que  s'est  effectuée  la  réouverture  de 
l'Opéra  de  notre  ville.  L'œuvre  de  Massenet  a  obtenu  un  accueil  enthousiasie 
du  public  marseillais.  Elle  était  brillamment  interprétée  par  MM.  Jérôme, 
Albers,  Aumônier,  Mmes  Catalan  et  Hiriberry.  M.  A.  Saugey,  notre  nouveau 
directeur,  avait  habilement  mis  au  point  cette  pièce,  si  difficile  à  monter.  Les 
décors  et  les  costumes  neufs,  la  mise  en  scène  rajeunie,  l'éclairage  très  réussi 
que  M.  A.  Saugey  avait  donné  à  Hérodiade  font  bien  augurer  de  la  nouvelle 

direction. 

—  De  Narbonne  :  Belle  représentation  à'Hérodiade,  dans  les  arènes  de  notre 
ville.  M.  Affre  dans  le  rôle  de  Jean,  M.  Auber  dans  celui  d'Hérode,  Mlle  De- 
georgis,  dans  Hérodiade,  et  MUe  Feltesse,  dans  Salomé,  ont  été  chaleureuse- 
ment applaudis. 

—  Aux  Concerts- Colonne.  Le  comité  de  l'Association  artistique  annonce 
que  des  concours  pour  admission  à  l'orchestre  auront  lieu,  au  Cbàtelet,  aux 

"dates  ci-après  :  mardi  13  octobre,  pour  les  places  d'altos,  violoncelles  et  con- 
trebasses; mercredi  14  octobre,  pour  une  place  de  hautbois.  Se  faire  inscrire 
au  siège  de  l'Association,  13,  rue  de  Tocqueville,  de  9  à  11  heures  ou  de  3  à 
5  heures. 

—  Cours  et  Leçons.  —  M»'  Renée  Richard,  de  l'Opéra,  a  repris  ses  leçons  de 
(liant,  8,  rue  d'Aumale.  —  M""  Jeanne  Leclerc,  de  l'Opéra-Comique,  a  repris  ses 
cours  et  leçons  de  chant,  13  bis,  rue  des  Mathunns.  —  M.  Paul  Seguy,  a  repris  ses 
cours  et  leçons,  d'après  la  célèbre  méthode  de  Faure,  93,  rue  Jouffroy.  —  M"'  Marie 
Henrion  (Bertier),  de  l'Opéra-Comique,  a  repris  ses  leçons  de  chant  et  déclamation, 


86,  avenue  de  Yilliers.  —  L'école  classique  de  la  rue  Pernety,  dirigée  par  M.  Ed. 
Chavagnat,  vient  de  rouvrir  ses  cours  d'harmonie,  solfège,  chant,  piano,  violon, 
diction.  —  M""  Virginie'  Haussmann,  l'éminente  cantalrice  et  excellent  professeur  de 
chant,  a  repris  ses  cours  et  leçons  de  chant,  en  français  et  italien.  8,  rue  de  Milan. 
—  École  de  musique  Galin-Paris-Chevé,  36,  rue  Vivienne.  Réouverture  des  cours 
et  leçons  particulières  de  chant,  piano,  solfège  (M-'  et  M""  Amand  Chevé),  harmonie 
et  cours  préparatoires  aux  examens  de  la  Ville  (M.  Cools).  —  M""  Breton-Halmagrand 
(4,  rue  du  Marché  Saint-Honoré)  reprendra  ses  cours  et  leçons  de  piano  le  jeudi 
15  octobre  et  les  autres  cours  à  partir  du  3  novembre. 

NÉCROLOGIE 

La  semaine  dernière  est  mort  à  Prague,  à  l'âge  de  85  ans,  le  pianir.te  Jacob 
Emile  Hock.  On  dit  que  c'est  le  dernier  des  membres  de  l'Association  des 
Davidsbiïndler  ou  confédérés  de  David.  Cette  société,  qui  fut  fondée,  dit-on,  . 
autrefois  par  Mozart,  avait  pour  but  de  mener  une  guerre  à  outrance  contre 
les  Philistins  de  la  musique.  Plusieurs  des  œuvres  de  piano  de  Schumann 
sont  des  allusions  musicales  à  cette  association,  notamment  la  Marche  des 
Davidsbiïndler  qui  termine  le  Carnaval.  Hock  fut,  en  son  temps,  un  virtuose, 
de  valeur.  Il  voyagea  dans  le  monde  entier  et  fut  lié  d'amitié  avec  Hanslick  et 
Brahms. 


Henri  Heugel,  directeur-gérant- 

L'Argus  de  la  Presse,  qu'un  violent  incendie  avait  détruit  il  y  a  plus  de  six  mois,  est 
complètement  réorganisé  et  réinstallé  au  Faubourg-Montmartre.  L'Argus  des  revues, 
publication  spéciale,  n'a  jamais  interrompu  sa  parution,  quant  à  l'Argus  de  l'Officiel 
et  aux  Archives  de  la  Presse,  l'un  et  l'autre  fonctionnent  comme  par  le  passé. 


EN  VENTE,   AU    MÉNESTREL,   2  bis,   RUE    VIVIENNE,    HEUGEL    et    Cie,   ÉDITEURS  —  Propriété  pour  tous  pats 


THEATRE- LYRIQUE 
QAITÉ 


LÉO  JH2LIBES 

JEAN    DE    NIVELLE 

Opéra-comique  eu  3  actes.  Poème  de  EDMOND  GOND1NET  et  PHILIPPE  G1LLE 


THEATRE -LYRIQUE 

de  la 

QAITÉ 


Partition  piano  et  chant,  net  :  20  francs.  —  Partition  piano  et  chant,  avec  récits,  texte  italien  et  français,  net  :  20  fraacs.  —  Partition  piano  seul,  net  :  12  francs 


MORCEAUX    DÉTACHÉS    PIANO    ET    CHANT 


1.  Chœur  des  vendangeuses 6 

1  Us.  Ballade  de  la  Mandragore  (M.-S.).'  .   .   .  5 

1  ter.  La  même,  en  sol  (S.) 5 

La  même,  chant  seul 1 

2.  Mélodie:  On  croit  à  tout  lorsqtifil'on  aime  (S.)  o 
2bis,.  La  même,  en  la  bémol  (M. -S.).    ......  5 

2 ter.  La  même,  en  sol  (C). o 

La  même,  chant  seul 1 

3.  Duo  :  Le  rossignol  et  la  fauvette  (C,  S.)  .  G 
5.  Couplets  de  Jean  de  Nivelle  (T.)  ....  5 
ot'is.  Les  mêmes,  pour  baryton 5 

Les  numéros  1  bis,  2,  11, 


6.  Duo  :  Eh  bien!  douce  Ariette  (T.,  S.)    .    .  7  50 

7.  Couplets  du  joli  berger  (B.) •  5» 

T  bis.  Les  mêmes,  en  sol  (T.) 5     » 

S.     Ronde  :  Avoine,  folle  avoine  (S.)  ....  5    » 

10.  Couplets  :  Se  consoler!  (C.) .  5     » 

lOtis.  Les  mêmes,  en  fa  mineur  (S.) 5     » 

11.  Fabliau  :  Dans  le  moulin  (S.) 7  50 

11  lis.  Le  même,  pour  mezzo-soprano 7  50 

12.  Duo  de  la  Mandragore  (T.,  S.) 7  50 

14.  Chant  de  guerre  :  La  gloire  est  là  (T.) ...  6     » 

15.  Strophes  :  Que  me  font  leurs  chan's'/ (C).  5     » 


151»s. 
16. 

16  bis. 
17. 

17  bis. 
17  1er, 
18. 
ISbis. 
19. 
19bis. 
21. 


»e(S,) 


18  et  19  sont  publiés  avec  accompagnement  d'orchestre  pour  les 


Les  mêmes,  en  sol  (S.)   .   . 
Couplets  de  la  bataille  (S.)    . 
Les  mêmes,  en  la  (M. -S.). 
Aird'Arlette  :  Ah!reviensdar,s 
Le  même,  en  sol  (M.-S.).   .   . 

Le  même,  en  fa  (C.)  . 

Romance  :  //  es(  jeune,  il  est  amoureux.  (  B.) 

La  même,  pour  téoor 

Stances  de  la  Bannière  (T.)  .    .    .-.    .    . 
Les  mêmes,  en  mi  (B.)  ........ 

Duo  :  Fuyez!Tristanestsurvospas(S:,T.) 
concerts  (en  location). 


5  » 
5  » 
5  » 
7  50 
7  50 
7  50 


TRANSCRIPTIONS    POUR     PIANO 


Marche-prélude 5    »    |    Marche  entr 'acte 


Anschutz  .    .  Bouquets  de  mélodies,  2  suites,  Battmann  .  .  Fantaisie  facile 

chaque 7  50  I    Bull.   .    .  .  Les   silhouettes    n°  ls  .    . 

P.  Baruot    .  Souvenirs 7  50  Croisez.    .  .  Fantaisie  mignonne.   .    . 

Battmann.    .  Les  succès  modernes  n°  20.   ...  5.»  I    G.  Lange  .  .  On  croit  à  tout,  transcripli' 


Marche  française 2  5') 


Neustedt  .   .   Ballade  de  la  Mandragore  ...  6 

Tkojelli    .    .   Les  Miniatures  n°  1  (la  ïandrajore).  3 

—        .    .  Les  Miniatures  n°  6  (mélodie  et 

marche) 3 


Renaud  me  Vilbac.  Deus  suites  concertantes,  à  quatre  mains,  chaque. 
Waldteufel.  La  Mandragore,  suite  de  valses 6     »    |    Deransart.   Polka 


TRANSCRIPTIONS     POUR     ORCHESTRE     ET     INSTRUMENTS     DIVERS 

Marche -entr'acte,  partition  d'orchestre,  net.   ...     5     »;  parties  séparées,  net.   ...     5    »;  chaque  partie  supplémentaire,  net .   . 


Bonnelle  .    .  Fantaisie  pour  harmonie,  parti- 
tion net 

Parties  séparées,  chaque,  net. 
Ch.Dancla  .  Fantaisiebrillante,  t,'ioH)n,  piano 
Deransart    .  Polka  pour  orchestre,  net .   .   . 


Glnin    .    .    .  Airs  pour //ù/c  seule .6 

—       ...  Fantaisie  ^our.  flûte  et  piano  .   .     9 

Guilbaut  .    .  Airs  pour  cornet  seul 6 

A.  HermaiNN.  Soirées  du  jeune  violoniste  n°  8, 

violon  et  piano 9 


A.  Hermann.  .  Soirées  du  jeune  flûtiste,  n°  S, 

flûte  et  piano 9 

P.  Taffanel.   .  Fantaisie,  flûle  et  piano  ....    9 
E. Waldteufel  La  Mandragore,  valse. orchestre, 


S.   —  (Enrr,.  LnrilWi; 


Samedi  17  Octobre  1908. 


4047.  -  74e  AWÉE.  -  V  42.  PARAIT  TOUS  LES  SAMEDIS 

(Les  Bureaux,  2bl",  rue  Vivieiuie,  Paris,  u-w) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


STREL 


lie  fluméFo  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henkj     HEUGKL.     Directeur 


lie  Numéro  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  IlL'UGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  6ts,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Boas-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,    Musique  de  Chant  et  de   Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de   poste  ea  sus. 

SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (34'  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Une  famille  de  grands  luthiers  italiens  :  Les  Guai-nerius  I  i  l"  article),  Arthi  r  Potion 

III.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  ae  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
CHANSON  AU  BORD  DE  L'EAU 
d'ERNEST   MoREr.    —    Suivra   immédiatement  :    Dormons  parmi    les    lys,    de 
.1.   Massenet. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 

VALSE-BALLET 

d'ALRKRT    Landry.    —    Suivra   immédiatement  :    D'un  pas  léger,   marche   dp 

P.  Bades. 


SOIXANTE     ANS     DE     LA    VIE     DE     GLUCK 

(1714-1774) 


CHAPITRE    Yin    :    Cinq  années  entre  Orfeo    et  Alceste 


Nous  ne  nous  arrêterions  pas  sur  ces  fêtes  de  cour,  toujours 
semblables  les  unes  aux  autres,  si  celles-ci  n'avaient  donné  lieu 


Au  plus  fort  de  la  guerre  des  gluckistes  et  des  piefinnistes,  un 
adversaire  passionné  de  Gluck  l'incrimina  d'un  plagiat  d'autant 


a  la  production  d'un  air  dont  l'exégèse  a  fait  couler  beaucoup 
d'encre  depuis  quelque  cent  trente  années. 


moins  vraisemblable  qu'il  eût  porté  sur  une  page  du  style  le  plus 
opposé  à  celui  de  ses  chefs-d'œuvre,  l'air  de  bravoure  ajouté  au 


330 


LE  MÉNESTREL 


rôle  d'Orphée  pour  conclure  le  premier  acte  aux  représentations 
françaises.  L'accusation  s'appuyait  sur  une  apparence  de  vrai- 
semblance, l'air  ayant  été  entendu,  avant  l'arrivée  de  Gluck  à 
Paris,  dans  un  opéra  de  Bertoni:  aussi  l'a-t-on  souvent  désigné 
sous  le  titre  d'air  de  Bertoni.  Cette  attribution  est  erronée  :  l'air  est 
bien  véritablement  de  Gluck,  et  c'est  Bertoni  qui  l'a  emprunté  (1). 
Mais  de  quelle  œuvre  provient-il  et  où  fut-il  chanté  pour  la  pre- 
mière fois?  Ce  fut  précisément  aux  fêtes  du  couronnement  de  1764. 
Cela  ressort  péremptoirement  des  explications  suivantes,  qui 
furent  données  en  réponse  à  l'accusation,  et  qui,  bien  que  pré- 
sentées sous  une  forme  impersonnelle,  émanent  évidemment  de 
Gluck  lui-même  : 

Il  faut  si  peu  de  talent  et  si  peu  de  mérite  pour  composer  des  airs  de  cette 
espèce  que  M.  le  chevalier  Gluck  est  peu  tenté  de  démentir  l'article  qui  a  la 
témérité  de  l'attribuer  à  Bertoni:  cependant,  comme  on  se  doit  à  la  vérité,  il 
faut  nécessairement  vous  apprendre,  messieurs,  que  M.  le  chevalier  Gluck  a 
composé  cet  air  pour  le  couronnement  de  l'Empereur,  et  qu'il  a  été  chanté  à 
cette  occasion  solennelle  à  Francfort  par  le  sieur  Totzi,  qu'il  l'a  inséré  ensuite 
dans  son  opéra  d'imlee,  exécuté  à  Parme  aux  fêtes  du  mariage  de  l'Infant 
pour  lesquelles  il  avait  été  appelé  de  Vienne,  et  que  cet  air  fut  chanté  à  Parme 
par  Madame  Girelli,  etc.  (2). 

L'air  de  Gluck,  que  nous  connaissons  par  Aristeo  et  par  Y  Orphée 
français,  est  bien  en  effet  de  la  musique  faite  pour  une  solennité 
impériale.  En  sa  haute  virtuosité,  brillante,  sonore,  non  sans 
majesté,  il  n'est  nullement  dénué  de  mérite.  Les  critiques,  par- 
fois très  sévères,  qui  lui  furent  adressées  à  une  époque  moderne, 
n'ont  été  formulées  qu'au  nom  des  principes  postérieurement 
énoncés  par  Gluck,  et  que  lui-même  n'a  jamais  entendu  appliquer 
avec  une  rigoureuse  intransigeance.  Il  est  vrai  qu'à  ce  point  de 
vue  elles  sont  parfaitement  justifiées. 

En  tout  cas,  le  futur  auteur  à'Alceste  n'attendit  pas  longtemps 
pour  retomber  dans  son  péché.  Ayant  donné  déjà  tant  de  preu- 
ves de  son  excellence  dans  un  genre  où  il  était  devenu  fort 
expert,  il  fut  requis,  dans  l'année  même,  de  composer  la  musi- 
que d'un  autre  ouvrage,  //  Parnaso  confuso,  qui  eut  pour  caracté- 
ristique prineipale  d'avoir  eu,  non  seulement  pour  auditeurs  un 
parterre  de  rois,  mais  encore  pour  interprètes  des  personnages 
de  même  sang.  Sur  la  scène,  les  quatre  archiduchesses  d'Autri- 
che chantaient,  et  l'archiduc  Joseph,  déjà  investi  du  titre  d'em- 
pereur, présidait  à  l'exécution  comme  maestro  al  cembalo. 

Cette  manifestation  d'art arcbiducal  eut  lieu  le  24  janvier  1765, 
dans  la  grande  salle  des  batailles  du  château  de  Schonbrunn, 
à  l'occasion  du  second  mariage  de  Joseph  II  avec  Marie-Josèphe 
de  Bavière.  La  musique  de  Gluck  aurait-elle  mal  porté  bonheur 
à  cet  Empereur?  Son  premier  mariage,  célébré  quatre  ans  plus 
tôt  aux  sons  de  Tetide,  avait  déjà  été  rompu  par  la  mort,  et  la 
seconde  femme  en  l'honneur  de  qui  il  conduisait  maintenant  en 
personne  H  Parnaso  confuso  devait  mourir  à  son  tour  au  bout  de 
deux  ans.  Quant  aux  chanteuses,  respectivement  âgées  de 
vinot-trois,  vingt-deux,  dix-huit  ans,  et  douze  ans  et  demi,  deux 
d'entre  elles  an  moins  étaient  promises  à  de  hautes  destinées  : 
la  troisième,  Marie-Amélie,  qui  représentait  Apollon,  devint 
duchesse  de  Parme  et  reine  des  Deux-Siciles;  la  petite  fille  de 

(1)  Cette  question  a  été  compendieusement  étudiée  et  discutée  dans  nos  articles  du 
Ménestrel  du  8  au  29  novembre  1896  et  du  -'i  juillet  1897,  ainsi  qu'au  cours  de  la  pré- 
face de  la  partition  d'Orphée  et  Eurydice  dans  l'édition  Pelletan. 

'2)  L'authenticité  du  renseignement  doit  être  d'autant  moins  révoquée  en  doute  que 
cette  note,  à  allure  de  communiqué,  futinsérée  dans  le  Journalde  Paris  (28  juillet  1779,1, 
oreane  en  quelque  sorte  officiel  de  Gluck  lorsqu'il  était  à  Paris  ;  qu'en  outre,  toutes 
les  assertions  qui  en  peuvent  être  vérifiées  sont  parfaitement  exactes;  qu'enfin  la 
musique,  par  les  caractères  définis,  s'adapte  parfaitement  au  cadre  des  fêtes  offi- 
cielles pour  lesquelles  elle  fut  conçue.  Mais  quelle  est  l'œuvre  de  circonstance, 
composée  par  Gluck,  dans  laquelle  ligure  l'air  en  question?  Il  est  vrai  que  ce 
document  décisif  nous  manque;  mais  peut-on  s'étonner  qu'il  ait  été  perdu,  étant 
donné  le  caractère  occasionnel  de  la  production,  loin  de  Vienne,  au  milieu  d'une 
cérémonie  ou  la  musique  n'était  qu'un  ornement  de  second  plan?  Cependant  nous 
ne  pouvons  pas  douter  que  l'œuvre  ait  existé,  sous  forme  de  cantate,  ou  de  diver- 
tissement ou  de  prologue,  semblable  par  la  forme  à  ces  petits  actes  que  nous  avons 
déjà  vu  et  reverrons  encore  écrire  par  Gluck  pour  des  fêtes  de  cour,  comme  ce 
Prologo  pour  les  noces  d'une  Archiduchesse,  dont  nous  parlerons  bientôt,  et  dont  la 
partition  fut  découverte  à  Florence,  il  y  a  une  vingtaine  d'années,  sans  quepersonne 
auparavant  en  eût  soupçonné  l'existence.  Nous  pouvons  donc  conserver l'espoird'une 
nouvelle  découverte  du  même  genre,  remettant  au  jour  l'œuvre  composée  par  Gluck 
pour  le  couronnement  de  Joseph  II,  dont  la  réalité  nous  est  ainsi  affirmée  avec  certi- 
tude. 


douze  ans  fut  reine  de  Naples.  Telles  étaient  les  qualités  des 
interprètes  de  Gluck  en  l'an  t76S. 

Il  y  en  avait  encore  une  autre,  plus  jeune  que  ses  sœurs  (car 
elle  avait  à  peine  dix  ans),  mais  qui  un  jour  devait  aussi  faire 
honneur  à  Gluck.  Pour  l'instant,  elle  n'avait  pas  d'autre  mari  en 
vue  que  Mozart.  Celui-ci,  appelé  naguère  à  montrer  ses  tatents 
enfantins  à  la  Hofburg.  et  ayant  pensé  tomber  sur  les  parquets 
cirés,  avait  été  secouru  par  la  princesse,  du  même  âge  que  lui, 
et  l'en  avait  remerciée  en  disant  qu'il  l'épouserait,  parce  qu'elle 
était  bonne,  tandis  que  ses  grandes  sœurs  n'avaient  pas  seule- 
ment fait  attention  à  lui.  Pourtant,  ce  mariage  ne  se  fit  pas,  car 
la  petite  amie  de  Mozart  —  c'est  Marie-Antoinette  qu'on  la 
nommait  —  préféra  plus  tard  épouser  le  roi  de  France.  Gluck 
sut  bien  la  retrouver,  le  moment  venu.  Bien  qu'elle  ne  fit  pas  sa 
partie  dans  //  Parnaso  confuso  (comme  chanteuse  elle  n'avait  pas 
encore  débuté),  nous  verrons  tout  à  l'heure  qu'elle  ne  resta 
pas  étrangère  à  cette  impériale  représentation  de  famille. 

Si  l'interprétation  fut  vraiment  digne  de  la  musique  de  Gluck, 
il  faut  avouer  que  les  archiduchesses  d'Autriche  avaient  des 
talents  fort  distingués.  Sans  présenter  les  difficultés  transcendantes 
des  pages  composées  pour  les  virtuoses  professionnels,  d'ailleurs 
écrite  avec  une  grande  habileté  pour  faire  valoir  les  chanteurs, 
cette  musique  n'en  exigeait  pas  moins  une  éducation  vocale 
avancée.  L'archiduchesse  Marie-Caroline-Josèphe,  par  exemple, 
avait  clans  son  rôle  (Melpomène)  un  air  de  bravoure  dans  lequel 
on  a  prétendu  reconnaître  l'air  du  couronnement,  replacé  dans 
Orphée  :  à  tort,  il  est  vrai,  car  les  deux  airs  ne  font  que  pré- 
senter des  analogies  de  forme  et  de  style,  sans  se  confondre 
en  une  seule  et  même  composition  ;  en  tout  cas,  le  second, 
comme  le  premier,  exige  pour  être  convenablement  exécuté 
des  qualités  de  virtuosité  que  ne  possèdent  pas  toujours  les 
princesses  (1).  La  petite  archiduchesse  Marie-Caroline-Louise 
eut,  pour  sa  pari,  à  dire  un  rondo  dont  le  thème  est  d'un  contour 
charmant  et  qui  est  un  excellent  modèle  de  musique  simple  et 
appropriée  à  l'enfance  (2). 

La  représentation  d'il  Parnaso  confuso  à  Schonbrunn  fut  suivie 
d'un  ballet,  ayant  pour  sujet  le  Triomphe  de  l'Amour  (l'on  ne  I 
dit  pas  si  la  musique  était  de  Gluck),  et  dont  la  raison    d'être 
principale  fut  de  permettre  à  la  plus  jeune  partie  de  la  famille 
d'Autriche  d'exhiber  ses  grâces  à  son  tour.  Un  tableau,  que  l'on 
peut  voir  aujourd'hui  à  Trianon  (nous  en  offrons  la  reproduc- 
tion ci-contre),  a  conservé  un  témoignage  fidèle  de  cette  aimable 
récréation  de  cour.  On  y  voit,  au  premier  plan,  une  jeune  fille 
(ou  plutôt,  par  la  taille,  une  enfant)  engoncée  dans  une  lourde  I 
robe  à  falbalas,  et  dansant  quelque  solennel  menuet,  droite  et 
raide,  avec  l'apparente  préoccupation  de  bien  garder  l'attitude 
enseignée  par  le  maitre  à  danser  (Noverre  sans  doute).   Cette  ] 
petite  personne  à  majesté  prématurée,   c'est  Marie-Antoinette. 
Pour  vis-à-vis,  elle  a  un  jeune  garçon,  son  frère  l'archiduc  Fer-  j 
dinand,  tandis  qu'entre  eux  leur  frère  Maximilien  exécute  les  I 
pas  de  l'Amour  (3).  D'autres  personnages,  vêtus  d'habits  et  de 
robes  rouges,  les  encadrent  à  l'arrière-plan;  ce  sont  des  enfants 
de  familles  nobles  :  Xavier,  comte  d'Auersperg;  Frédéric,  land- I 

(1)  La  Bibliothèque  du  Conservatoire  de  Paris  possède  une  copie  (moderne)  d'il 
Parnaso  Confuso.  L'identification  de  l'air  signalé  dans  cet  opéra  avec  celui  d'Orphée 
est  l'effet  d'un  de  ces  excès  de  zèle  qui  semblent  provenir  plutôt  de  l'envie  de  passer 
pour  découvrir  du  nouveau  que  d'un  souci  de  vérité  rigoureuse  :  il  n'y  a.  nous 
l'avons  dit,  qu'une  ressemblance  dans  le  style  général,  non  une  complète  identité  de 
forme,  entre  les  deux  morceaux.  Cette  confu«ion  a  en  pour  auteur  responsable  le  cri- 
tique allemand  Furstenau  (voy.  l'Echo,  1869,  n°"  33  et  34,  et.  la  préface  de  l'édition 
Péters,  par  Alfred  Dœrffel,  1873).  Nous  avons  publié,  au  cours  de  la  préface  d'Orphée 
et  Eurydice  dans  l'édition  Pelletan,  la  ritournelle  instrumentale  (très  longue)  et  l'ex- 
position vocale  de  cet  air  (transcription  pour  piano  et  chant). 

(2)  Les  archiduchesses  prirent  goût  à  ces  sortes  de  représentations  d'opéra  dont  elles 
étaient  les  protagonistes  ;  nous  verrons  plu*  tard  Gluck  composer  pour  elles  un  autre 
opéra,  la  Corona.  Hasse  contribua  aussi  à  leur  répertoire,  et  Burney  put  écrire  en  j 
1772  :  «  On  a  vu,  il  y  a  quelques  années,  quatre  archiduchesses  d'Autriche,  les  sœurs 
de  l'Empereur,  paraître  à  la  Cour  et  figurer  dans  l'opéra  d'Egérie,  écrit  par  Métastase 
et  mis  en  musique  par  Hasse,  absolument  pour  la  Cour  et  leur  plaisir.  Elles  étaient 
alors  très  belles,  chantaient  et  jouaient  trop  bien  pour  des  princesses;  et  le 
grand-duc  de  Toscane,  qui  était  aussi  fort  beau  cavalier,  dansait  dans  le  caractère 
de  l'Amour.  »  Etat  présent  de  la  musique,  II,  220. 

(3)  C'est  à  cette  particularité  que  fait  allusion  Burney  dans  la  citation  reproduile 
ci-dessus  :  «  Le  grand-duc  de  Toscane  dansait  dans  le  caractère  de  l'Amour  ». 


LE  MENESTREL 


grave  de  Furstenberg;  Joseph  et  Wenceslas,  comtes  de  Clary, 
—  et,  du  côté  des  filles,  Pauline  et  Christine',  demoiselles 
d'Auersperg;  Christine  et  Thérèse,  demoiselles  de  Clary.  Les 
traditions  dansantes  de  la  cour  de  Louis  XIV  étaient,  on  le  voit, 
fort  bien  suivies  à  Vienne,  voire  dépassées.  Le  tableau  indique 
les  noms  des  personnages,  inscrits  à  coté  de  chacun,  et  porte  la 
•date  de  1765, 

Une  autre  peinture,  restée  dans  le  même  lieu  (nous  la  repro- 
duisons aussi),  montre  le  groupe  des  quatre  archiduchesses  chan- 
tant //  Païnaso  confuso.  L'archiduchesse  Amélie  est  debout, 
tenant  un  arc  (c'est  Apollon,  en  robe  à  paniers).  Les  trois  autres 
sont  assises.  Près  de  l'archiduchesse  Josèphe  est  une  lyre  (l'at- 
tribut est  en  effet  celui  d'Euterpe,  qu'elle  représentait).  Entre 
elle  et  l'archiduchesse  Elisabeth,  on  voit  une  couronne,  un 
sceptre,  un  poignard,  et  un  papier  sur  lequel  on  lit  :  AU'  Au- 
çjusto  Giuseppe  la  pin  lucida  Stella  délia  Bavaria  reqgia.  En  haut, 
Pégase  s'élance  d'un  rocher.  Les  noms  des  personnages  sont 
inscrits  a  leurs  pieds,  et  on  lit  à  droite  du  tableau  ce  mono- 
gramme :  W.  f.  1778. 

Nous  sommes  très  bien  renseignés  sur  les  circonstances  dans 
lesquelles  ces  peintures  viennoises  sont  venues  à  Versailles. 
C'est  en  1778, (l'année  qui  suivit  Armide  et  précéda  la  seconde 
Iphigénie)  qu'entre  Marie-Antoinette  et  sa  mère  Marie-Thérèse  eut 
lieu  la  correspondance  dont  voici  des  extraits,  d'un  ton  charmant. 

Le  S  janvier,  l'impératrice  écrit  de  Vienne  : 

Mercy  (1)  m'a  envoyé  une  mesure  pour  un  tableau  que  vous  souhaiteriez 
avoir  pour  Trianon,  c'est  l'opéra  joué  aux  noces  de  l'Empereur.  Je  me  fais  le 
plus  grand  plaisir  du  monde  de  vous  servir,  mais  il  me  faut  une  explication. 
Il  y  en  a  deux,  l'un  l'opéra,  l'autre  le  ballet,  où  cette  petite  reine  était  avec 
ses  deux  frères.  Je  crois  que  vous  voudriez  avoir  ce  dernier,  ou  peut-être  les 
deux.  Vous  serez  servie;  mais  dans  ce  cas,  il  me  faudra  encore  une  mesure 
pour  le  second  tableau.  Savoir  de  quel  coté  le  jour  vient,  si  cela  doit  être  un 
cadre  ou  servir  de  tapisserie  attachée  à  la  muraille.  Je  tâcherai  que  vous  serez 
servie  avant  huit  ans  que  j'attends,  moi,  votre  portrait  avec  tant  d'empresse- 
ment; mais  je  ne  les  lâcherai  pas  avant  de  recevoir  ce  cher  et  tant  désiré  por- 
trait de  votre  part;  c'est  être  vindicative,  mais  la  paix  se  fera  facilement  en 
voyant  vos  traits.  Je  vous  embrasse. 

Le  15  janvier,  Marie-Antoinette  répond  : 

Ma  chère  maman  me  confond  par  ses  bontés  pour  les  tableaux.  Je  n'aurais 
jamais  osé  les  demander,  quoiqu'ils  me  feront  le  plus  plaisir  du  monde...  Je 
n'enverrai  pas  par  le  courrier  les  mesures  à  ma  chère  maman,  parce  que  le 
concierge  de  Trianon,  où  je  compte  faire  placer  les  tableaux,  est  absent. 

De  la  même,  le  18  mars  : 

Je  suis  bien  touchée  de  la  bonté  de' ma  chère  maman  pour  les  tableaux.  La 
mesure  est  parfaite;  ils  augmenteront  bien  le  plaisir  que  j'ai  quand  je  suis  à 
Trianon.  Ma  chère  mère  me  permet-elle  de  l'embrasser  de  toute  mon  ame  (2)? 

Ces  deux  tableaux,  transportés  postérieurement  au  château 
de  versailles,  ont  été  replacés  (par  la  Commission  d'organisation 
de  l'exposition  faite  à  Trianon  en  1867)  sur  les  indications 
d'Eudore  Soulié,  autrefois  Conservateur  du  Musée  de  Versailles, 
dans  la  salle  à  manger  du  Petit  Trianon,  à  la  place  même  qui 
leur  avait  été  attribuée  du  temps  de  Marie-Antoinette,  ainsi 
qu'en  témoignent  les  anciennes  mesures  retrouvées  sur  la  mu- 
raille en  souievant  la  boiserie  (3). 

C'est  ainsi  que  Versailles  offre  encore  à  nos  yeux  un  souvenir 
visible  et  presque  vivant  de  la  représentation  de  la  cour  d'Au- 
triche pour  laquelle  Gluck,  entre  Orphée  et  Alceste,  consacra 
quelques-uns  de  ses  précieux  instants. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(POUR    LES    SEULS    ABOIYIVÉS    A    LA    MCSH.HK' 


UNE  FAMILLE  DE  GRANDS  LUTHIERS  ITALIENS 

LES    GUARNERIUS 


Une  barque  arrive...  Une  barque  s'arrête...  Une  barque  s'enfuit,  et  voilà  tout  un  petit 
poème  d'amour  musicalement  raconté  et  de  façon  exquise  par  le  mélodiste  Ernest 
Moret.  Peut-être  n'a-t-il  jamais  été  plus  délicatement  inspiré  que  dans  celte  Chanson 
au  bord  de  l'eau  aux  trois  phases  si  diverses.  Le  bruit  des  rames  sur  l'eau,  avec  leur 
iéger  clapotement,  est  à  lui  seul  une  trouvaille  des  plus  ingénieuses. 

(1)  Le  comte  de  Mercy-Argenteau,  ambassadeur  d'Autriche  en  France. 

(2)  Lettres  de  Marie-Thérèse  et  Marie-Antoinette,  extraites  du  recueil  de  M.  Ar- 
hetto  (1S66),  pp.  230,  232  et  241. 

(3)  J'ai  dû  connaissance  de  ces  derniers  détails  à  la  compétence  éclairée  de 
M"'  Soulié,  tille  d'Eudore  Soulié  dont  il  vient  d'être  fait  mention,  ainsi  qu'à  l'obli- 
geant intermédiaire  de  notre  confrère  Paul  Collin. 


JOSEPH    GUARNERIUS    DEL    (JESU 
III 

LES  INSTRUMENTS  DE  JOSEPH  ci  ÀIWERIDS  DEL  GES1 

Spohr  possédait  aussi,  dans  sa  jeunesse,  un  superbe  Guarnei 
Gesù,  qui  lui  avait  été  donné  pendant  le  séjour  qu'il  lit  en  Russie  avec 
sua  maître  François  Eck,  et  dont  il  était  justement  glorieux.  Cel  ins- 
trument devait  être  pour  lui  !a  cause  d'un  vif  chagrin.  De  retour  de 
Saint-Pétersbourg  après  une  absence  de  dix-huit  mois,  Spohr  était 
revenu  à  Brunswick  pour  y  reprendre  son  service  à  la  chapelle  du 
duc,  son  protecteur;  puis,  avec  l'agrément  de  ce  prince,  il  s'était 
éloigné  de  nouveau,  pour  entreprendre  un  voyage  artistique  â  travers 
l'Allemagne.  C'est  au  cours  de  ce  voyage,  et  un  jour  qu'il  se  rendait  â 
Gcettingue,  qu'il  fut.  malgré  ses  précautions,  la  victime  d'un  événe- 
ment dont  ses  succès  de  virtuose  ne  suffirent  pas  à  le  consoler,  et  qu'il 
raconte  ainsi  dans  son  autobiographie  : 

Peu  de  temps  après  avoir  quitté  Brunswick,  je  m'étais  fait  faire  une 
boite  a  violon  digne  du  splendide  instrument  que  j'avais  rapporte  de  Russie  ; 
elle  était  de  la  plus  grande  élégance,  et  pour  la  garantir  des  accident-  de 
vovaçe,  je  l'avais  soigneusement  empaquetée  dans  ma  malle,  entre  mon  linge 
et  mes  habits.  Je  pris  en  conséquence  un  soin  tout  particulier  pour  que  cette 
malle,  qui  contenait  toute  ma  fortune,  fût  très  solidement  attachée  derrière 
ma  voiture.  Toutes  ces  précautions  ne  m'empêchaient  point  de  legarder  sou- 
vent si  tout  était  en  ordre,  et  cela  d'autant  mieux  que  le  conducteur  m'avait 
appris  que  plusieurs  malles  avaient  été  récemment  enlevées  de  derrière  des 
voitures  de  voyage.  Comme  celle  où  je  voyageais  n'avait  pas  de  fenêtre  de 
derrière,  cet  exercice  ne  laissait  pas  que  d'être  assez  fatigant  et  très 
ennuyeux  ;  aussi  fus-je  bien  aise  lorsque,  vers  le  soir,  nous  arrivâmes  au 
milieu  des  jardins  de  Gœttingue,  et  que  je  pus  me  convaincre  une  dernière 
fois  de  mes  propres  yeux  que  ma  malle  était  toujours  à  sa  place.  Charmé  de 
l'avoir  amenée  à  bon  port,  je  ne  pus  m'empécher  de  faire  la  remarque  à  mon 
compagnon  de  voyage  que  mon  premier  soin  serait  de  me  procurer  une 
forte  chaîne  et  un  cadenas  pour  fixer  plus  solidement  ma  malle  à  l'avenir. 

Projet  tardif  —  et  superflu,  comme  on  va  le  voir.  Spohr  con- 
tinue : 

Nous  arrivâmes  bientôt  aux  portes  de  la  ville;  on  commençait  déjà  à  allu- 
mer dans  les  rues.  La  voiture  s'arrêta  devant  la  douane.  Pendant  que  Beneke 
donnait  nos  noms  à  un  sergent,  je  demandai  à  un  des  soldats  qui  entouraient 
la  voiture  si  ma  malle  était  toujours  à  sa  place. 

T")e  quelle  malle  voulez-vous  parler  ?  me  répondit-il;  il  n'y  en  a  point 

derrière  votre  voiture. 

D'un  bond  j'étais  sur  la  route,  et  je  me  précipitai  hors  des  portes  de  la 
ville,  après  avoir  tiré  du  fourreau  mon  couteau  de  chasse. 

Si  j'avais  réfléchi  un  instant,  et  si,  au  lieu  de  courir  comme  un  écervelé,  je 
m'étais  arrêté  pour  écouter,  il  est  probable  que  j'eusse  entendu  les  voleurs  et 
qu6  je  les  aurais  atteints  pendant  qu'ils  s'enfuyaient  par  quelque  ruelle  ou  par 
quelque  chemin  de  traverse.  Mais  dans  mon  aveugle  furie,  j'avais  déjà  dé- 
passé l'endroit  où  j'avais  constaté  pour  la  dernière  fois  la  présence  de  ma 
malle,  et  je  ne  m'aperçus  de  l'excès  de  ma  précipitation  que  lorsque  j'étais 
déjà  à  travers  champs.  Inconsolable  de  ma  perte,  je  revins  sur  mes  pas,  et  pen- 
dant que  mon  compagnon  de  voyage  cherchait  une  auberge,  je  me  rendis  au 
poste  de  police  et  je  demandai  que  des  recherches  immédiates  fussent  ordon- 
nées dans  les  maisons  ornées  de  jardins  qui  se  trouvaient  à  la  sortie  de  la 
ville.  A  mon  grand  étonnement  et  à  mon  grand  chagrin,  j'appris  que  la  juri- 
diction de  la  police  au  delà  des  portes  de  la  ville  appartenait  à  Weende.  et 
qu'il  me  fallait  adresser  mes  plaintes  aux  autorités  de  cette  localité.  Comme 
Weende  se  trouvait  à  une  bonne  distance  de  Gœttingue.  je  fus  forcé  d'aban- 
donner ce  soir  là  de  plus  amples  recherches  pour  la  restitution  de  mon 
Guarnerius.  Je  passai  une  nuit  sans  sommeil  et  dans  un  état  d'esprit  qui 
m'avait  été  totalement  inconnu  depuis  le  commencement  de  mon  heureuse 
carrière.  Hélas!  n'avais-je  pas  perdu  mou  magnifique  Guarnerius,  le  témoin 
et  le  confident  de  tout  le  talent  artistique  auquel  j'avais  pu  atteindre  jus- 
qu'alors. Combien  légère  m'eût  paru  la  perte  de  tout  le  reste  '. 

Le  lendemain  matin,  la  police  vint  m'informer  qu'une  malle  vide  et  une 
boite  à  violon  avaient  été  trouvées  dans  les  champs,  derrière  les  jardins.  Ivre 
de  joie,  je  me  précipitai  dans  la  direction  indiquée,  dans  l'espoir  que  les 
voleurs  auraient  peut-être  laissé  le  violon  dans  sa  boite,  comme  un  objet 
sans  valeur  pour  eux;  mais  il  n'en  fut  point  ainsi...  Il  me  restait  pourtant 
un9  petite  consolation  :  l'archet .  un  excellent  Tourte,  fixé  au  couvercle  de  la 
boite,  n'avait  point  été  découvert  et  volé  par  ces  bandits. 

Joseph  Guarnerius  a  vécu  beaucoup  moins  âgé  que  Stradivarius;  il 
a  donc  beaucoup  moins  produit,  et  d'autant  moins  que  les  incidents 
de  son  existence  bizarre  ont  encore  interrompu  ses  travaux.  Ses  violons 


332 


LE  MÉNESTREL 


sont  donc  considérablement  plus  rares  que  ceux  du  vieux  maître  de 
Crémone,  ce  qui  fait  qu'on  en  recherche  aujourd'hui  les  exemplaires 
avec  une  sorte  de  fureur.  Cette  rareté,  jointe  à  leurs  qualités  exception- 
nelles, explique  le  haut  prix  auquel  ils  sont  maintenant  parvenus.  Je 
ne  crois  pas  qu'un  seul  Stradivarius  ait  jamais  atteint  le  chiffre  de 
30.000  francs  payé  par  Wilhelmy  à  George  Hart  pour  son  superbe 
Guarnerius  de  1737.  (A  remarquer  toutefois  que  la  boite  qui  enfermait 
ce  splendide  instrument  est ,  elle-même  un  véritable  objet  d'art  qu'on 
évaluait  à  o. 000  francs;  elle  est  en  argent  massif  et  très  artistement 
décorée  de  marqueteries  en  écaille.) 

Mes  recherches  ne  m'ont  pas  permis  de  trouver  d'autres  dates  que 
celles-ci  pour  des  violons  de  Joseph  Guarnerius  del  Gesù  :  1732,  1733. 
1734,  1735,  1740,  1741,  1742.  1743,  1744,  174S.  Ces  dates,  on  le  voit,  ne 
se  rapportent  qu'à  la  partie  brillante  de  la  carrière  du  grand  artiste. 
Guarnerius  étant  né  en  1680,  a,  selon  toute  apparence,  commencé  à 
travailler  pour  son  compte  entre  1706  et  1710.  Plus  ou  moins,  il  a 
donc  dû  nécessairement  produire  entre  1710  et  1732.  Mais  combien  de 
ses  instruments,  dont  beaucoup  sans  doute  appartenant  à  cette  période 
et  dont  nous  ne  connaissons  pas  les  dates,  sont  fâcheusement  enfouis 
dans  les  collections  égoïstes  des  amateurs  anglais,  ces  nécropoles  de  la 
grande  lutherie  italienne  !  (1  ) 

Jules  Gallay.  dans  ses  Luthiers  italiens,  a  donné,  au  point  de  vue 
général,  une  sorte  de  «  signalement  »  des  violons  de  Guarnerius  del 
Gesù,  qu'il  détaille  ainsi  :  —  «  Patron  :  souvent  petit;  il  a  varié.  — 
Bois  :  excellente  qualité.  —  Vernis  :  jaune  doré,  pâte  fine  et  élastique, 
rappelant  beaucoup  celui  d'Amati.  — ff  :  assez  ouvertes  et  tout  à  fait 
caractéristiques. —  Voûtes  :  ordinaires,  mais  plus  élevées  que  Stradi- 
varius. —  Éclisses  :  bonne  hauteur.  —  Coins  et  Filets  :  main-d'œuvre 
fort  habile,  ■>  Mais  tout  cela  ne  peut  être  considéré  qu'approximative- 
ment,  Guarnerius,  chercheur  obstiné  comme  Stradivarius,  et  toujours 
désireux  du  mieux,  ayant  constamment  modifié  sa  manière  au  moins 
dans  les  détails,  principalement  en  ce  qui  concerne  la  perce  des  ff  et 
la  forme  de  la  volute,  qui  varient  très  souvent. 

J'ai  dit  que  le  merveilleux  Guarnerius  del  Gesù  d'Alard  avait  été 
donné  au  Musée  instrumental  du  Conservatoire  par  la  famille  du  grand 
violoniste.  Le  Musée  possède  de  Guarnerius  quelques  souvenirs  de 
moindre  importance,  mais  présentant  tout  au  moins  un  intérêt  de 
curiosité,  entre  autres  deux  petits  rabots  mignons  provenant  de  son 
atelier,  offerts  par  Vuillaume  (n°  99  du  catalogue);  puis  des  chevalets 
qui  sont  compris  dans  une  série  où  l'on  en  rencontre  de  Stradivarius, 
d'Andié  Guarnerius.  de  son  fils  Joseph  et  de  Carlo  Bergonzi  (n"  94  du 
catalogue). 

(A  suivre.)  Arthur  Pougin. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 
De  notre  correspondant  de  Belgique  (14  octobre).  —  Nous  avons  eu  aujour- 
d'hui, au  Conservatoire  royal  de  Bruxelles,   une  audition  bien   intéressante  et 
assez  imprévue  :  celle  d'une   oeuvre  musicale  récente  de  M.  Gevaert,   une 

(1)  Beethoven  a  possédé  un  quatuor  superbe  d'instruments  à  cordes,  dont  deux 
portaient  le  nom  de  Guarnerius.  C'était  un  cadeau  l'ait  au  grand  homme  par  le  prince 
Lichnowski,  et  c'est  Schuppanzigh,  le  premier  violon  ordinaire  des  quatuors  de 
Beethoven,  qui  avait  provoqué  de  la  part  de  celui-ci  cette  libéralité  :  on  pouvait 
ainsi  essayer  les  œuvres  du  maître  chez  lui,  sans  l'obliger  à  se  déranger.  Le  fa- 
meux collectionneur  Aloys  Fuchs,  qui  s'occupa  aussi  de  littérature  musicale,  donna 
jadis  d,ns  les  Wiener  Sonntag  Biùller,  une  description  de  ce  quatuor  remarquable, 
qui,  selon  lui,  était  ainsi  composé  :  1"  un  violon  de  Joseph  Guarnerius,  1718,  de- 
venu la  propriété  de  Cari  Holz,  violnnceUisté  avec  lequel  Beethoven  était  lié  dans 
les  dernières  années  de  sa  vie,  et  qui  fut  plus  tard  directeur  des  Concerts  spiri- 
tuels à  Vienne;  2"  un  v  olon  de  Nicolas  Amati,  166",  qui  passa  entre  les  mains 
du  docteur  Ohmeyer,  et  fut  vendu  par  les  héritiers  de  celui-ci  à  M.  Huber,  de 
Vienne;  3°  un  alto  de  Yincenzo  Eugeri,  1670,  dont  Holz  fut  également  posses- 
seur; 4U  un  violoncelle  d'André  Guarnerius,  1712,  dont  le  propriétaire  ultérieur 
fut  un  M.  Wertheimer,  de  Vienne.  En  ce  qui  concerne  ce  dernier  instrument,  le 
violoncelle  attribué  à  André  Guarnerius,  Aloys  Fuchs  a  commis  une  erreur  évi- 
pente.  Ou  la  date  indiquée  (1712)  est  inexacte,  André  étant  mort  en  1698,  ou 
l'instrument  est  du.  a  un  autre  membre  de  la  famille,  soit  Joseph  I",  soit 
Pierre  1"  don  les  violoncelles  sont  aujourd'hui  très  recherchés.  Au  sujet  de  ce 
quatuor,  on  lisait  ce  qui  suit  dans  la  Gazette  musicale  du  12  septembre  1875  : 
à  Chacun  de  ces  instruments  portait  le  cachet  de  Beethoven  et  un  grand  B  gravé 
sur  le  fond.  Le  Juseph  Guarnerius  (sans  doute  un  Guarnerius  del  Gesù)  était  le 
plus  précieux  de  la  collection;  on  en  oll'rit  il  y  a  longtemps  1.500  florins  à  Holz, 
qui  refusa  de  s'en  dessaisir..  Aujourd'hui  que  les  Guarnerius  del  Gesù  sont  plus 
recherchés  encore  et  que  l'argent  a  une  valeur  moindre,  un  instrument  pareil  se 
paierait  de  8.000  a  10.000  francs.  Il  est  vrai  que  le  souvenir  do  Beeihoven  entrait 
peut-être  pour  quelque  chose  dans  l'offre  de  ces  1.500  florins.» 


messe  à  trois  voix  de  femmes  ou  d'enfants,  écrite  il  y  a  trois  ans  pour  la  basi- 
lique de  Notre-Dame-de-la-Treille,  à  Lille.  Les  compositions  do  M.  Gevaert 
sont  assez  rares  depuis  quelques  années.  L'illustre  maître  s'est  voué  tout  en- 
tier à  la  science,  à  la  théorie  ;  ne  vient-il  pas  do  publier  un  grand  Traité 
d'harmonie,  que  l'on  dit  admirable,  si  j'en  crois  le  témoignage  de  ceux  qui 
t'ont  lu  (sur  les  bonnes  feuilles  sans  doute,  car,  ne  l'ayant  pas  reçu,  je  ne 
pense  pas  qu'il  ait  paru  déjà)  ?  Une  œuvre  musicale  de  M.  Gevaert  est  donc 
une  bonne  fortune.  Je  viens  de  vous  dire  dans  quelles  circonstances  elle  est 
née.  Mais  le  grand  public  —  le  public  profane,  si  vous  voulez  —  ne  l'eût 
jamais  entendue  sans  l'excellente  idée  qu'a  eue  M.  Marivoet,  professeur  d'une 
des  classes  de  chant  choral  au  Conservatoire  —  à  moins  que  ce  ne  fût 
M.  Wotquenne,  le  très  érudit  trésorier  et  bibliothécaire  de  l'établissement  — 
de  la  faire  exécuter  dans  cette  audition  spéciale  qui  vient  d'avoir  lieu.  Le 
succès  le  plus  complet  a  récompensé  cette  heureuse  initiative.  La  messe  de 
M.  Gevaert  est  écrite  dans  le  style  le  plus  religieux  et  la  forme  la  plus  con- 
forme aux  prescriptions  du  pape  LéonX;  l'orgue  seul  l'accompagne,  pas  d'au- 
tres instruments  ;  aucun  sentiment  profane  n'en  trouble  l'inspiration  très 
haute  et  très  pure.  Et,  pourtant,  elle  est  d'un  charme  expressif  intense,  toute 
en  nuances  délicates,  et  toute  en  demi-teintes,  dans  l'exaltation  de  la  joie 
comme  dans  celle  de  la  douleur.  Je  ne  pourrais  mieux  comparer  cette  messe, 
vraiment  destinée  à  è(tre  chantée  par  des  voix  de  femmes  (ou  d'anges...)  et  à 
glorifier  le  culte  d'une  vierge  qui  s'appelle  «  de  la  Treille  »,  qu'à  l'exquis 
Requiem  de  M.  Gabriel  Fauré.  J'y  trouve  la  même  douceur  de  sentiment,  la 
même  grâce  dégagée  de  toute  matérialité  et  de  toute  violence  terrestre.  C'est 
très  austère,  avec  une  inOnie  sensibilité.  Après  l'exécution,  dirigée  par 
M.  Marivoet.  le  public  et  les  exécutants  ont  salué  M.  Gevaert  d'une  ovation 
enthousiaste, -à  laquelle  le  maître  toujours  jeune  (il  n'a  que  quatre-vingts  ans), 
a  répondu   par  quelques  paroles  émues  de   remerciements  à  ses  interprètes. 

L.  S. 

—  A  propos  du  trop  fameux  ballet  de  Sardanapal,  dont  l'insuccès  s'accentue 
déplus  en  plus  à  l'Opéra  de  Berlin,  nous  lisons  dans  le  Berliner  Tageblall  : 
«  On  parle  beaucoup  présentement  dans  1  entourage  do  la  Cour,  du  dépasse- 
ment extraordinaire  des  frais  sur  les  prévisions,  relativement  à  celte  panto- 
mime. On  dit,  de  source  certaine,  que  les  dépenses  se  sont  élevées  entre 
440.000  et  470.000  francs.  Ce  chiffre  doit  eocore  être  augmenté  du  montant 
des  recettes  que  les  répétitions  de  Sardanapal  ont  empêché  de  réaliser  par 
suite  des  relâches  qu'elles  ont  nécessitées.  Les  représentations,  pour  lesquelles, 
pendant  un  temps,  le  prix  des  places  a  été  majoré,  ont  élé  si  peu  fréquentées 
par  le  public,  et  ont  entraîné,  chaque  fois,  de  tels  déficits,  que  l'ouvrage  va 
cesser  d'être  joué  dans  un  délai  excessivement  court.  »  Ce  résultat  était  bien 
prévu  dans  les  milieux  artistiques,  où  l'on  regrettera  longtemps  sans  doute  le 
demi-million  gaspillé;  mais  on  sait  par  expérience  que  ce  ne  sont  jamais  aux 
plus  grands  chefs-d'œuvre  que  sont  accordés  les  plus  hauts  patronages. 

—  La  Vossische-Zéitung  fait  les  réfl-'xions  suivantes  au  sujet  de  l'augmenta- 
tion projetée  du  prix  des  places  à  l'Opéra  Royal  de  Berlin  :  «  11  y  a  quelques 
années,  un  fauteuil  de  parquet  coûtait  7  fr.bOc;  ce  prix  fut  élevé  à  lu  francs, 
et  à  présent  l'on  veut  faire  payer  la  même  place  1"2  fr.  30  c.  Ainsi,  le  prix  a 
été  presque  doublé  dans  un  très  court  espace  de  temps.  Que  l'on  ne  vienne  pas 
ici  essayer  d'établir  de  puériles  comparaisons  entre  les  tarifs  de  rotre 
Opéra-Royal  et  ceux  des  scènes  analogues  de  Paris  ou  de  Londres.  Nous  vivons 
dans  un  autre  pays,  nous  travaillons  dans  d'autres  conditions  et  nos  besoins 
d'art  sont  tout  différents.  Par  rapport  aux  nations  comme  la  France  et  l'An- 
gleterre, nous  vivons  plus  pauvrement  et  notre  existence  artistique  en  général 
est  beaucoup  plus  sérieuse  que  celle  de  l'étranger.  Chez  nous,  la  classe  moyenne 
est  très  cultivée,  mais,  par  de  pareils  prix,  elle  se  trouve  nettement  exclue  de 
l'Opéra-Royal.  Elle  ne  pourra  plus  payer  la  taxe  des  places  de  parquet,  et 
quant  aux  places  des  rangs  supérieurs,  il  est  impossible  de  s'en  procurer 
au  guichet,  car  elles  sont  toutes  accaparées  d'avance,  ainsi  qu'il  est  facile 
de  s'en  rendre  compte  en  se  présentant  aux  guichets  et  en  renouvelant  l'expé- 
rience une  douzaine  de  fois.  D'ailleurs  le  projet  comporte  aussi  l'exhausse- 
ment du  prix  des  places  dans  les  galeries  élevées  et  cela  rendra  impossible  à 
toute  une  catégorie  d'étudiants  ou  de  jeunes  artistes  qui  travaillent  à  Berlin 
de  fréquenter  l'Opéra.  Déjà  maintenant  il  y  a  un  grand  nombre  de  cercles 
parmi  les  gens  instruits  qui  sont  obligés  de  s'en  passer.  La  majoration  des 
tarifs  est  d'autant  plus  injustifiable  on  ce  moment  que  la  ville  de  Berlin  doit 
contribuer  pour  7  millions  et  demi  à  la  construction  du  nouvel  Opéra.  On  se 
demande  mémo  si,  dans  ces  conditions,  l'application  de  la  mesure  dont  il 
s'agit  ne  sera  pas  une  grave  imprudence. 

»  Tout  récemment,  l'expérience,  que  l'administration  des  spec'acles  royaux  a 
faite  avec  les  soirées  d'opéra  organisées  par  M.  Gura,  a  démontré  que  la  ma-  j 
joration  des  prix  donne  pécuniairement  de  mauvais  résultats.  A  la  dernière 
représentation  de  Lucia  di Lammermoor,  avec  Ernesto  Constantino,  celui  qui 
écrit  ces  lignes  peut  bien  dire  qu'il  n'y  avait  auprès  de  lui  aucun  spectateur 
ayant  payé  sa  place  douze  francs.  Il  faut  encore  citer  l'exemple  fourni  par  la 
reprise  de  Sardanapule ;  le  public  payant  s'est  abstenu  devant  la  surélévation 
du  prix  des  places.  Le  sort  du  répertoire  classique  sera  menacé  par  les  nou- 
velles taxations,  car,  si  le  public  ne  peut  jouir  des  belles  œuvres  sans  payer 
des  sommes  dérisoires,  il  ira  voir  les  ouvrages  d'un  genre  inférieur  qu'on  lui 
offre  à  bas  prix;  ce  sera  un  dommage  irréparable  pour  notre  art  national. 
Quant  au  répertoire  courant,  il  s'immobilisera  de  plus  en  plus,  se  laissant  en- 
vahir par  les  œuvres  de  Wagner  et  quelques  ouvrages  à  sensation,  tels  que 
la  Salomé  de  Strauss,  et  limitant  ainsi  son  action  comme  c'est  le  cas  à  Paris 
et  à  Londres.  On  peut  s'attendre  à  la  désertion  prochaine  d'une  partie  du    pu- 


LE  MÉNESTREL 


333 


blic  des  soins  consacrés  aux  classiques,  par  suite  des  représentations  d'opéra 
qui  auront  lieu  prochainement  au  Schil leitheatçr. ■  D'ailleurs,  l'Opéra-Royal 
n'est  déjà  plus  sans  concurrence,  car  l'Opéra-Comique  gagne  peu  à  peu  du 
terrain,  et  en  1913  il  jouera  les  drames  musicaux  de  Wagner  et  attirera  ainsi 
à  lui  une  partie  du  public  obligé  maintenant  d'aller  les  entendre  à  l'Opéra- 
Royal  ».  Telles  sont  les  réflexions  d'un  journal  impartial  qui  se  place  au 
point  de  vue  des  intérêts  pécuniaires  et  intellectuels  du  public  payant.  De  son 
coté,  VAllgemeine  Mmikseitung,  qui  incline  volontiers  dans  le  sens  wagnérien, 
apprécie  elle  aussi  très  sévèrement  l'idée  d'une  surélévation  du  prix  des 
places  au  théâtre.  Elle  ajoute,  en  ce  qui  concerne  les  opéras  de  Wagner  : 
o  La  calamité  que  nous  subissons  Cnira  enfin  le  1er  janvier  1914;  c'est  en 
effet  une  situation  inouïe  que,  dans  une  ville  de  trois  millions  d'habitants,  le 
monopole  de  l'Opéra-Royal  rende  pour  ainsi  dire  impossible  à  des  milliers 
d'amateurs  de  musique  d'entendre  les  œuvres  de  Wagner  à  cause  des  sommes 
élevées  qu'il  faut  dépenser  pour  cela  ». 

—  On  annonce  de  Vienne,  pour  le  24  octobre,  l'ouverture  du  nouveau  Théàlre- 
Johann-Strauss. 

—  Les  journaux  de  Vienne  annonçaient  récemment  qu'un  ancien  juge  mili- 
taire eu  retraite  qui  est  en  même  temps  un  amateur  passionné  de  musique, 
M.  Alexandre  Hajdecki,  avait  découvert  toute  une  série  de  lettres  et  de 
manuscrits  de  Beethoven.  Certains  restèrent  sceptiques  en  ce  qui  concernait 
l'exactitude  de  cette  nouvelle,  estimant  qu'après  les  recherches  de  Nohl,  de 
Nottebohm,  de  Thayer,  de  Frimmel  et  autres  historiens  du  maitre,  il  était 
invraisemblable  qu'on  put  encore  trouver  quelque  chose  de  nouveau.  Ceux-là 
se  trompaient.  Disons  pourtant  que,  de  musique,  il  n'est  pas  question  dans 
cette  affaire.  Mais  ce  qui  est  vrai,  c'est  que  M.  Hajdecki  a  eu  la  bonne  fortune 
de  mettre  la  main  sur  vingt-six  lettres  inconnues  de  Beethoven,  presque  toutes 
adressées  à  son  ami  Bernhard,  directeur  d'un  journal  de  "Vienne  et  auteur  de 
quelques  livrets  d'opéras  plutôt  médiocres.  A  ces  lettres  se  trouve  jointe  une 
pièce  très  importante,  un  long  pro  memoria  qui  ne  comprend  pas  moins  de 
47  pages,  que  Beethoven  adressait  au  même  Bernhard  et  qui  était  destiné  à  lui 
servir  de  base  pour  le  développement  d'un  recours  devant  le  tribunal  d'appel 
dans  les  circons'ances  qu'on  va  voir.  Ce  pro  memoria,  tracé  tout  entier  de  la 
propre  main  de  Beethoven,  de  sa  mauvaise  écriture  difficilement  déchiffrable, 
est  rtndu  d'une  lecture  plus  malaisée  encore  par  les  nombreux  changements 
et  corrections  dont  il  est  émaillé.  Cet  écrit  est  particulièrement  important  en 
ce  qu'il  montre  le  grand  cœur  de  Beethoven  et  l'affection  profonde  qu'il 
portail  à  son  neveu,  si  peu  digne  pourtant  de  son  amour. 

Lorsqu'en  1S15  le  frère  de  Beethoven  mourait,  laissant  après  lui  sa  femme, 
de  conduite  légère,  et  son  fils  Charles,  encore  dans  l'âge  le  plus  tendre,  le 
grand  homme  considéra  comme  son  devoir  de  séparer  l'enfant  de  la  mère, 
dont  le  détestable  exemple  n'aurait  pu  que  lui  être  très  nuisible,  et  n'eut 
point  de  cesse  qu'il  n'obtint  du  tribunal  nobiliaire  la  tutelle  de  son  neveu. 
Mais  après  cinq  années  il  apparut  à  ce  tribunal  que  le  van  précédant  le  nom 
de  Beethoven  ne  répondait  point  au  von  des  nobles  allemands,  et  il  rendit  une 
sentence  qui  annulait  la  première  décision:  l'enfant  dut  être  rendu  à  sa  mère. 
Beethoven,  déso'é,  voulut  alors  adresser  un  recours  au  tribunal  pour  les 
pauvres  mortels  qui  ont  le  malheur  de  ne  pas  être  nobles,  et  c'est  en  47  pages 
d'une  écriture  touffue  qu'il  esquissa  ce  recours,  qui  devait  être  rédigé  dans  la 
forme  juridique  par  son  ami  Bernhard.  Cette  esquisse  démontre  toute  la 
noblesse  de  sentiments,  toute  l'humanité,  toute  l'exquisité  d'àme  de  Beethoven, 
et,  ce  qui  est  inattendu,  une  culture  supérieure  chez  un  homme  qui,  d'après 
ce  qu'on  sait  de  certaiu,  n'avait  fréquenté  aucune  école  et  dont  on  a  toujours 
constaté  l'insuffisante  éducation  scientifique  et  littéraire.  Ce  qui  veut  dire  qu'i] 
s'était  instruit  lui-même.  Il  est  certain  que  dans  ce  document  très  curieux 
Beethoven  emploie  certaines  locutions  latines  parfaitement  correctes.  On 
assure  qu'un  journal  de  Vienne  a  déjà  acquis,  à  un  prix  très  élevé,  le  droit  de 
publier  dans  son  numéro  de  Noël  une  bonne  partie  de  ce  pro  memoria. 

Les  lettres  que  M.  Hajdecki  a  eu  la  chance  de  découvrir  sont,  dit-on,  très 
intéressantes,  et  jettent  une  lumière  sympathique  sur  la  vie  intime  de 
Beethoven,  dont  on  connaissait  déjà  la  bonté  brusque,  mais  pleine  de  tendresse. 
Dans  l'une  d'elles,  il  raconte  à  son  ami  Bernhard  qu'il  s'est  adressé  à  toutes 
les  cours  d'Europe  pour  solliciter  leur  souscription  à  sa  Missa  solemnis  et  que, 
seules,  les  cours  de  France,  de  Prusse  et  de  Russie  ont  répondu  à  son  invi- 
tation; et  il  le  prie  de  publier  dans  les  journaux  que  le  roi  Louis  XVIII  lui  a 
conféré  une  médaille  d'or.  Dans  une  autre,  écrite  sur  un  ton  burlesquement 
solennel,  il  informe  «  l'exccllentissime  M.  Bernhard,  directeur  de  tous  les 
journaux  d'Autriche  et  grand  librettiste  d'Europe  »,  qu'il  a  reçu  le  diplôme  par 
lequel  une  Académie  Scandinave  le  nomme  sociétaire  honoraire,  et  il  lui  ordonne 
de  répandre  cette  nouvelle  dans  tous  les  journaux  et  de  l'annoncer  même  par 
voie  d'affiches.  Au  reste,  ces  lettres  seront  prochainement  publiées  dans  une 
revue  de  Vienne  avec  des  notes  de  leur  possesseur,  M.  Hajdecki,  profond 
admirateur  de  Beethoven,  qui  y  joindra  d'autres  découvertes  faites  par  lui 
concernant  le  maitre  immortel.  Entre  autres,  il  parlera  d'un  hymne  italien 
dédié  à  Beethoven  par  un  certain  Callisto  Bassi,  qui,  dans  la  fougue  de  l'en- 
thousiasme, semble  s'être  montré  peu  respectueux  envers  d'autres  compositeurs, 
particulièrement  Mozart,  Haydn,  et  même  Salieri,  qui  était  alors  directeur  de 
l'Opéra  de  la  Cour.  Tous  Us  cercles  artistiques  de  Vienne  s'occupent  en  ce 
moment  des  manuscrits  beethovéniens  de  M.  Hajdecki  et  en  attendent  avec 
impatience  la  publication. 

—  Une  amie  de  la  célèbre  cantatrice  Pauline  Lucca,  morte  il  y  a  quelques 
mois,  Mme  Horowitz-Barnay,  publie  des  souvenirs  sur  la  grande  artiste  dans 
la  Xeue  Freie  Presse  de  Vienne.  Entre  autres,  elle   raconte   de  quelle  façon  la 


Lucca  perdit  instantanément  la  voix,  «  par  suggestion  »,  dit-elle.  Sans  nous 
porter  garants  de  l'exactitude  du  fait,  nous  le  reproduisons  d'après  la  narra- 
trice :  «  C'est  par  suggestion  que  Pauline  Lucia  perdit  sa  voix.  C'est  du  moins 
ce  qu'elle  m'a  affirmé  en  me  faisant  piomettre  de  n'en  parler  qu'après  sa 
mort.  Un  jour  que  je  lui  demandais  si  elle  chantait  encore,  elle  s'écria  pres- 
que avec  violence  :  —  a  Je  ne  chante  plus,  car  j'ai  perdu  ma  voix  tout  d'un 
o  coup,  en  une  heure,  en  une  minute,  par  suggestion  ».  —  Et  comme  je  la 
regardais,  étonnée  :  —  «  Oui,  oui,  par  suggestion,  conlinua-t-elle  avec  vebé- 
»  mence.  Voici  comment.  Vous  savez  que  mon  mari,  le  baron  Walhofen.  fut 
»  très  longtemps  malade,  et  qu'il  ne  m'entendait  pas  touvent  chanter.  Quand 
»  je  chantais,  il  voulait  que  ce  fût  un  chant  insignifiant,  qui  lui  plaisait  à 
»  cause  des  paroles,  mais  que,  moi,  je  ne  pouvais  pas  souffrir.  Un  jour  que 
»  nous  avions  invité  quelques  amis,  mon  mari  semblait  aller  mieux;  il  se  lit 
»  porter  au  salon  dans  son  fauteuil;  pour  lui  faire  plaisir,  je  chantai  son  chant 
«  préféré.  Il  sanglotait  de 'joie.  Il  me  prit  les  deux  mains,  me  caressa  les  che- 
»  veux  et  le  visage,  puis  balbutia  :  —  Je  te  remercie,  je  te  remercie;  tu  es  un 
»  ange  ;  j'emporte  ta  voix  avec  moi  dans  la  tombe.  —  Je  ris  et  je  lui  dis  :  — 
»  Tu  me  survivras  !  —  Il  répéta  :  J'emporte  ta  voix  dans  la  tombe  !  —  Deux 
»  jours  après,  le  baron  Walhofen  était  mort,  et  moi,  je  ne  pus  plus  jamais 
»  chanter  »  ! 

—  Les  représentations  wagnériennns  de  l'été  dernier,  au  Théâtre  du  Prince- 
Régent  de  Munich,  ont  laissé  un  déficit  de  plus  de  120.0U0  francs  que  la  ville 
a  du  prendre  à  sa  charge.  On  sait  que  la  subvention  qu'elle  accorde  annuelle- 
ment pour  ces  représentations  est  de  75.000  francs.  Nous  ignorons  si  cette 
dernière  somme  doit  s'ajouter  à  la  précédente,  ce  qui  ferait  alors  un  excédent 
de  dépenses  de  195.0U0  francs,  ou  si  elle  doit  en  être  réduite,  ce  qui  ramè- 
nerait à  4b.0Û0  francs  le  déficit  réel. 

—  A  Carlsruhe,  un  opéra  en  un  acte,  intitulé  Par  la  fenêtre,  vient  d'être 
représenté  pour  la  première  fois.  L'idée  du  livret  a  été  tirée  d'une  comédie  de 
Scribe.  La  musique  est  de  M.  Ivan  Knorr. 

—  Un  véritable  scandale  théâtral  a  eu  lieu  dernièrement  au  théâtre  de 
Gratz,  en  Autriche.  Pendant  une  représentation  de  l'opérette  de  M.  Oscar 
Straus,  les  Joyeux  Xibelungen,  des  nationalistes  allemands  commencèrent  à 
siffler,  à  pousser  des  cris  et  à  protester  par  un  vacarme  qui  prit  bientôt  de 
telles  proportions  que  la  police  dut  intervenir  et  débarrasser  la  salle  des  éner- 
gumènes  qui  troublaient  le  spectacle.  Ces  bons  citoyens  trouvaient  inconve- 
nant que  l'on  se  fût  permis  de  p'aisanter  les  hauts  personnages  de  l'épopée 
germanique.  Notons  en  passant  que  l'opérette  de  M.  Straus  a  déjà  plusieurs 
années  d'existence  et  a  eu  des  succès  en  Allemagne. 

—  On  se  souvient  qu'une  souscription  avait  été  organisée  l'année  dernière 
dans  le  but  d'élever  un  monument  au  pianiste  Alfred  Reisenauer,  à  Kceniss- 
berg,  sa  ville  natale.  Les  fonds  recueillis  sont  actuellement  suffisants  et  c'est 
au  sculpteur  de  Stuttgart,  M.  Bernhard  Klinkerfuss,  qu'a  été  demandé  le  mo- 
nument modeste  que  l'on  désire  placer  sur  la  tombe. 

—  De  Stockholm  on  télégraphie  le  succès  triomphal  qu'a  remporté 
Mmc  Aïno  Ackté  au  premier  concert  qu'elle  donnait  dans  la  capitale  suédoise, 
La  famille,  royale,  ainsi  que  toute  la  Cour,  avaient  tenu  à  aller  applaudir  la 
grande  cantatrice,  qui  dut  trisser  l'air  de  la  Folie  i'Hamlct  et  le  .Soir  d'automne 
de  Sibelius.  La  nombreuse  et  élégante  assistance  lui  fit  uns  superbe  ovation 
à  la  fin  de  ce  concert,  qui  inaugure  une  grande  tournée  que  Mme  Ackté  entre- 
prend dans  les  principales  villes  d'Europe  et  où  elle  se  fera  entendre  dans  les 
meilleurs  rôles  de  son  répertoire. 

—  Nous  avons  annoncé  que  dans  un  concert  donné  à  Christiania  on  avait 
exécuté  les  diverses  compositions  posthumes  trouvées  dans  les  papiers 
d'Edward  G-rieg.  Ces  compositions  comprenaient  :  trois  pièces  pour  le  pians 
(Slurmwolken,  Gnomenzug,  Im  wirbelden  Tanz);  onze  lieder  avec  piano,  écrits 
sur  -des  poésies  de  Bjoernson,  Andersen,  Dracbmann  et  autres  (Dos  blonde 
Mâdchen,  Mein  kleiner  Yogel,  Dich  liebe  ich,  Trunen,  Der  Soldat,  Auf  Ainars 
Ruinen,  Ieli  lieble,  Ein  schlieliter  Sang,  Seufzer,  Weinaclits.-Wiegenlied,  Der 
Jager),  enfin,  un  quatuor  inachevé  pour  instruments  à  cordes,  en  fa  majeur. 
Quoique  incomplet,  ce  quatuor,  dans  lequel  Grieg  a  paraphrasé  des  airs  de 
danse  populaires  en  Norvège,  a  surtout,  dit-on,  une  grande  valeur  artistique. 

—  M.  Willem  Kes,  fondateur  des  concerts  symphoniques  d'Amsterdam  eL 
en  ce  moment,  kapellmeister  des  concerts  symphoniques  de  Coblentz,  vient 
d'avoir  l'heureuse  idée  de  faire,  avec  le  célèbre  morceau  de  Schumann  pour 
cor  et  piano,  un  concertstûck  pour  violoncelle  et  piano.  On  espère  que  le 
célèbre  violoncelliste  Hollmau  fera  entendre  l'œuvre  nouvelle  cet  hiver  à 
Paris. 

—  Dans  une  note  intéressante,  la  Gazzetta  provinciale  di  B'-rgamo  (on  sait 
que  Bergame  est  la  ville  natale  de  Donizelti)  proteste  contre  un  acte  au 
moins  inconsidéré  du  ténor  Do  Marchi,  qui  aurait  vendu  récemment  un  objet 
constituant  un  souvenir  précieux  de  l'auteur  de  Lucia  di  Lammermoor  et  de  la 
Fille  du  Régiment.  Il  s'agit  d'une  couronne  de  lauriers  en  argent  massif,  de 
forme  trèi  élégante,  véritable  modèle  d'orfèvrerie  allemande,  dont  les  rubans 
por'ent  celte  inscription  :  Mister  Gaelano  Donizelti,  Wieh,  Marz  IS42.  C'était 
un  hommage  rendu  au  maitre  par  ses  admirateurs  de  Vienne,  sans  doute  après 
l'apparition  en  cette  ville  de  son  opéra  Linda  di  Chamounix,  dont  la  première 
représentation  eut  lieu  au  théâtre  de  la  porte  de  Carinthie  le  19  mai  18 i:>.  Le 
rédacteur  de  la  note  signalée  émet  l'avis  que  cette  couronne  doit  être  déposée 
sur  la  tombe  de  Donizelti  à  Bergame,  et  il  se  fait  l'initiateur  d'une  souscription 
destinée  à  racheter,  dans  ce  but,  des  mains  de  l'acquéreur,  un  objet  si  précieux 
pour  la  ville  qui  a  donné  le  jour  au  maitre  dont  la  gloire  rejaillit  sur  elle. 


334 


LE  MENESTREL 


—  Los  journaux  espagnols  nous  apportent  des  nouvelles  de  la  saison  qui  se 
prépare  au  Théâtre-Royal  de  Madrid.  Le  personnel  de  la  troupe  comprend  les 
noms  des  artistes  suivants  :  soprani  et  contralti,  MmcsBoninsegna,  Rosina  Stor- 
chio,  Gobatto,  Grissi,  Pareto,  Parsi  et  Alabao;  ténors,  MM.  Giraud,  Perea, 
Cristalli,  Godano,  Scampini  et  Gherlinzoni  (on  cite  celui-ci  comme  donnant 
non  seulement  des  ut,  mais  des  ré  et  des  mi!  avec  une  surprenante  facilité); 
barytons,  Titta  Ruffo,  Kaschmann  et  Gigada;  basses,  Mansuetto  et  Meana  (ce 
dernier  passant  de  la  Zarzuela  au  Théâtre-Royal).  Les  chefs  d'orchestre  seront 
MM.  Rabl,  engagé  d'Allemagne  spécialement  pour  diriger  l'exécution  des 
œuvres  de  Wagner,  Babagnoli  et  "Villa.  L'inauguration  de  la  saison  se  fera 
avec  la  Walkyrie;  on  chantera  la  Tétralogie,  à  l'exception  de  l'Or  du  Rhin.  La 
première  oeuvre  nationale  inédite  sera  Margarita  la  Tonnera.,  opéra  en  trois 
actes  et  huit  tableaux  de.  M.  Ruperto  Chapi,  écrit  sur  un  thème  de  Fernandez 
Shaw. 

—  Quelques  renseignements  sur  les  autres  théâtres.  La  Zarzuela  a  ouvert 
sa  saison  avec  une  zarzuela  comique  en  un  acte  et  deux  tableaux,  la  Orden  del 
dia,  paroles  de  M.  Fernandez  Palomero,  musique  de  M.  Vives,  qui  a  été  bien 
accueilli».  —  Au  théâtre  des  Novedades,  on  signale  le  médiocre  succès  d'une 
revue  politique,  el  Dura  Sevillano,  paroles  de  MM.  Mujica  et  "Villasefior,  mu- 
sique de  MM.  San  Felipe  et  Vêla.  —  Au  Grand-Théâtre,  on  a  reçu  avec 
faveur  une  comédie  lyrique,  el  Mentir  de  las  eslrellàs,  «  imitation  du  théâtre 
antique  ».  paroles  de  M.  Luis  Larra,  musique  de  M.  Hermoso.  —  Au  théâtre 
de  la  Latina,  deux  succès  :  las  Caletas,  zarzuela,  paroles  de  M.  Eduardo  Mon- 
lesinos,  musique  de  M.  Emilio  Borras;  et  Pesquisas  policiacax,  «  jeu  comico- 
lyrique  »,  paroles  de  M.  Miguel  Casan,  musique  de  M.  Anglada.  —  Enfin,  on 
annonce  comme  prochaines  quelques  nouveautés  :  au  Théàtre-Parish,  las 
Majas  de  Prumbo,  opéra  en  trois  actes  du  compositeur  Emilio  Serrano;  à  la 
Zarzuela,  Colomba,  opéra  de  M.  Vives,  et  la  Balada  de  los  vientos,  zarzuela  de 
M.  Emilio  Serrano  sur  un  livret  de  M.  Brun  ;  à  l'Apolo,  el  Canlo  de  los  mosque- 
leros,  opérette  dont  on  ne  nomme  pas  les  auteurs  ;  et  encore  la  Vida  es  brève, 
zarzuela  en  un  acte  dont  le  maestro  Falla  écrit  la  musique  sur  un  poème  de 
cenre  populaire  de  M.  Fernandez  Shaw,  qui  a  obtenu  un  prix  de  2.500  francs 
dans  un  concours  ouvert  par  l'Académie  de  San  Fernando. 

Aux  dernières  séances  des  Concerts-Promenades  qui  ont  lieu  auQueen's 

Hall  de  Londres,  la  musique  française  a  tenu  une  place  prépondérante  et  a 
reçu  du  public  un  accueil  enthousiaste.  La  sérénade  extraite  des  Impressions 
d'Italie  de  Gustave  Charpentier,  avec  solo  d'alto  par  M.  Wertheim.  l'Arlë- 
sienue,  de  Bizet.  Harold  en  Italie  et  le  scherzo  de  la  Fée  Mab,  de  R'.méo  et 
Juliette,  de  Berlioz,  la  Symphonie  espagnole  de  Lalo,  l'Apprenti  sorcier  de  Paul 
Dukas,  ont  été  dirigés  par  M.  Edouard  Colonne  au  cours  de  deux  séances 
dont  le  succès  a  été  exceptiounel.  On  a  entendu  à  d'autres  concerts  l'air 
d' tlcrodia.de  «  Ne  me  refuse  pas  »,  de  Massenet,  des  fragments  de  Samson  et 
Dalila.  de  Saint-Saëns,  la  barcarolle  des  Contes  d'Hoffmann,  d'Offenbach,  les 
Variations  symphoniques,  de  César  Franck,  et  quelques  morceaux  classiques  de 
Gluck. 

—  Les  deux  grandes  entreprises  lyriques  de  New-York  préparent  avec 
ardeur  leur  prochaine  campagne  d'hiver,  où  leur  rivalité  fera  la  joie  des  excel- 
lents vankees.  Au  Metropolitan-Opera,  qui  inaugurera  sa  saison  le  15  novem- 
bre avec  Aida,  chantée  par  Mme  Destinn  et  le  ténor  Caruso,  le  répertoire 
comprendra  P-rsifal,  Manon  (Massenet),  Ticfland  (Eug.  dAlbert),  Rienzi,  la 
Habanera,  Falstaff,  la  Cabrera,  les  Xoces  de  Figaro,  la  Walkyrie,  ta  Traviala, 
Madame  Butterfly,  la  Tosca,  la  Wally,  la  Dame  de  Pique,  le  Villi.  La  troupe  est 
ainsi  composée  ;  soprani,  Mnles  Emma  Eames,  Destinn.  Farrar,  Aida,  Marcella 
Sembrich,  Kaschowska.  De  Pasquali,  Formia,  Fremstad,  Mattfeld,  Gadsky, 
James,  Morena,  Rappold.  Sparkes  ;  contralti,  Flahaut,  Boehm,  Gay,  Maple- 
son,  Ranzemherg,  Wakefield,  Homer,  Niessen-Stohne,  Woehning;  ténors, 
MM.  Bonci,  Caruso,  Burrian,  Tecchi,  Bada,  Dehvary,  Bayer,  Grassi,  Joorn, 
Martin.  Koch.  Schmedes,  Quarti,  Reiss,  Burgstaller:  barytons,  Campariari, 
Noté,  Bégué,  Amto,  Muhlmann,  Feinhals,  Missiano,  Goritz,  Scotti,  Soornert; 
basses,  Rossi,  Blass,  Didier,  "Witherspoon,  Schubert,  Ananian,  Bozzano, 
Hinckley,  Paterna,  Waterous.  L'orchestre  (140  exécutants)  aura  pour  chefs 
MM.  Arturo  Toscanini,  Spetrino  et  Mahler. 

Le  Manhattan  ouvrira  ses  portes  le  9  novembre  avec  la  Tosca,  dont  les 
interprètes  seront  Mme  Labia,  MM.  Zenatello  et  Renaud.  Ici,  à  part  Salomé, 
ce  sont  les  répertoires  français  et  italien  qui  triompheront  avec  Grisélidis, 
Tha'is,  le  Jongleur  de  Notre-Dame  (où  Mme  Mary  Garden  personnifiera  le  Jon- 
gleur, écrit  pour  ténor,  tandis  que  les  trois  moines  seront  représentés  par 
MM.  Renaud,  Dufrane  et  Gilibert),  Louise,  Pelléas  el  Mèlisande,  Oletlo,  Samson 
cl  Dalila,  Princesse  d'auberge,  les  Pécheurs  de  perles,  les  Contes  d'Hoffmann.  Aux 
artistes  déjà  nommés,  il  faut  ajouter  les  suivants  :  soprani, M""3  Melha:,  Tetraz- 
zini.  Tancredi,  Espinasse.  Eva  Tetrazzini-Campanini,  Avezza,  Kœlling,  Agos- 
tinelli.  Trentini ,  Ponzano,  Severina;  contralti,  Gerville-Réache ,  Doria. 
Aldrich:  ténors,  MM.  Dalmorès,  Colombini,  Parola,  Taccani,  Montanari, 
Vallès  Venturini;  barytons,  Sammarco,  Renaud.  Périer,  Polese,  Crabbè; 
basses,  Arimondi,  Vieuille,  De  Segurola.  Les  chefs  d'orchestre  sont  MM.  Cleo  ■ 
fonte  Campanini,  Sturani  et  Parelli.  Le  répertoire  se  complétera  avec  l'Étoile 
du  Nord,  la  Fille  du  Régiment,  la  Somnambule,  le  Barbier  de  Séuille. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 
La  conférence  internationale  pour  la  revision  de  la  convention  littéraire  et 
artistique  de  Berne  a  été  ouverte  mercredi  à  Berlin,  dans  une  des  salles  du 
Reichstag,  par  un  discours  prononcé  par  M.  von  Schoen,  secrétaire  d'Etat  des 


affaires  étrangères.  L'Assemblée  a  élu  à  la  présidence  l'ex-ministre  prussien 
des  cultes  et  de  l'instruction  publique,  M.  von  Studt,  qui  a  désigné  au  choix 
de  l'assemblée  M.  Cambon,  l'ambassadeur  de  France,  comme  vice-président. 
M.  Cambon  s'est  levé  pour  remercier  l'assemblée  de  l'honneur  fait  à  la  délé- 
gation française  et  de  la  confiance  qu'elle  lui  avait  personnellement  témoi- 
gnée. M.  Cambon  délègue  ensuite,  pour  procéder  aux  travaux  de  la  commission, 
M.  Louis  Renault,  l'éminent  jurisconsulte. —  Voilà  qui  s'annonce  bien  assuré- 
ment. Mais  il  faudra  voir  la  suite.  La  délégation  française,  composée  de  diplo- 
mates et  de  personnalités  marquantes  dans  la  littérature  et  les  arts,  saura, nous 
en  sommes  convaincus,  soutenir  les  intérêts  français.  Mais  qu'il  nous  soit  per- 
mis d'exprimer  un  regret,  c'est  de  n'avoir  pas  vu  adjoindre  au  professeur 
Renault  des  hommes  comme  M.  Sauvel,  le  secrétaire  général  du  «  Syndicat 
pour  la  défense  de  la  propriété  intellectuelle  »,  ancien  avocat  à  la  Cour  de 
Cassation  et  au  Conseil  d'État,  qui  est  le  conseil  de  la  plupart  des  Sociétés 
dont  on  a  délégué  les  présidents  à  Berlin.  D'autre  part,  n'est-il  pas  surprenant 
que  1'  «  Association  littéraire  et  artistique  internationale  »,  à  laquelle  on  doit 
la  Convention  de  Berne,  n'ait  pas  vu  son  président,  M.  Georges  Maillard,  pren- 
dre place  à  coté  des  présidents  de  la  Société  des  gens  de  lettres,  des  Auteurs 
dramatiques  et  des  Artistes  français.  C'eût  été  pourtant  justice,  et  c'eût  été 
aussi  prudent.  La  délégation  allemande,  composée  de  techniciens,  aura  un 
grand  avantage,  celui  de  distribuer  ses  techniciens  dans  les  diverses  commis- 
sions, ce  que  la  délégation  française  ne  pourra  pas  faire  avec  le  seul 
M.  Louis  Renault.  Les  personnalités  de  MM.  Edouard  Sauvel  et  Georges  Mail- 
lard semblaient  s'imposer.  Le  gouvernement  français  a  pensé  autrement. c'est 
fâcheux  au  point  de  vue  pratique  et  ce  n'est  pas  encourageant  pour  ceux  qui 
consacrent  bénévolement  leur  temps  à  la  défense  de  la  propriété  intellectuelle 
et  qui,  étant  toujours  à  la  peine,  n'ont  pas  la  juste  récompense  d'être  au  com- 
bat final  quand  tous  les  désignait  pour  cela. 

—  Du  Journal  officiel  : 

Un  emploi  de  professeur  titulaire  d'une  classe  de  déclamation  dramatique  est 
vacant  au  Conservatoire  national  de  musique  et  de  déclamation,  par  suite  de  la 
démission  de  M""  Sarah-Bernhardt.  Les  candidats  à  cet  emploi  doivent  se  faire 
inscrire  au  secrétariat  du  Conservatoire  national,  pendant  un  délai  de  vingt  jours,  à 
partir  de  la  présente  insertion. 

—  L'Association  des  directeurs  de  théâtre  a  ainsi  constitué  son  bureau  pour 
la  saison  190S-1909   : 

Président  :  M.  Albert  Carré; 
Vice-présidents  :  MM.  Porel  et  Micheau  ; 
Trésorier  :  M.  Alph.  Franck  ; 
Secrétaire  :  M.  Richemond. 

—  Il  se  trouve  qu'à  l'Opéra,  par  suite  d'une  indisposition  du  ténor  Van 
Dyck,  il  a  fallu  reculer  d'une  huitaine  les  représentations  du  Crépuscule  des 
Dieux.Bonc,  mardi  prochain,  pense-t-on,  on  pourra  donner  la  répétition  géné- 
rale et  le  vendredi  suivant  la  première  représentation. 

—  En  attendant  ce  Crépuscule,  nous  avons  eu  de  fort  belles  représentations 
de  Tha'is  et  A'IIamlel,  où  MUe  Mary  Garden  et  M.  Renaud  ont  fait  leurs  adieux 
au  public  parisien,  avant  leur  départ  pour  l'Amérique.  Ce  furent  des  soirées 
d'enthousiasme,  où  on  ne  cessa  d'ovationner  les  deux  remarquables  artistes. 
Les  recettes  dépassèrent  22.000  francs.  En  voilà  jusqu'au  printemps. —  Ce  soir 
samedi,  rentrée  dans  Faust  de  Mme  Marie  Kousnietzof,  la  cantatrice  russe  dont 
on  se  rappelle  le  succès,  la  saison  dernière,  et  du  ténor  Muratore. 

—  A  l'Opéra-Comique,  la  semaine  fut  surtout  consacrée  au  maestro  Puccini, 
de  passage  à  Paris.  On  l'a  régalé  coup  sur  coup  de  ses  trois  partitions  :  la  Vie  _ 
de  Bohème,  la  Tosca  el  Madame  Butterfly.  Le  nouveau  chef  d'orchestre,  engagé 
spécialement  pour  le  répertoire  du  maestro,  a  donc  eu  beau  jeu  et  on  a  pu 
admirer  tout  à  son  aise  sa  fougue  transalpine.  On  ne  fait  pas  mieux  à  Milan  ou 
à  Turin.  —  Spectacles  de  dimanche  :  en  matinée,  Manon:  le  soir,  la  Tosca. 
Demain  lundi,  en  représentation  populaire  à  prix  réduits  :  la  Traviala. 

—  C'est  hier  vendredi  qu'ont  commencé  au  Théâtre -Lyrique  de  la  Gaité  les 
représentations  trihebdomadaires  qu'y  doit  donner  la  troupe  de  l'Opéra- 
Comique.  d'après  un  accord  conclu  entre  M.Albert  Carré  et  les  frères  Isola. 
La  première  affiche  comprenait  Phitémon  et  Baucis  et  la  Navarraise.  Viendront 
ensuite  Cendrillon,  le  Jongleur  de  Notre-Dame,  ta  Dame  Blanche,  etc.  —  Les 
représentations  de  Paul  et  Virginie  et  de  Jean  de  Nivelle  n'en  continueront  pas 
moins  dans  l'intervalle  avec  la  troupe  de  la  Gaité.  Il  viendra  même  s'y  ajouter 
la  Bohème  de  Leoncavallo.  On  dit  aussi  que  les  jours  sont  proc.ies  d'un  ou- 
vrage français  nouveau  que  les  Isola  vont  offrir  prochainement  au  public.  — 
En  matinée,  dimanche,  à  1  h.  1/2  :  Jean  de  Nivelle. 

—  Les  obsèques  du  regretté  Georges  Marty,  dont  nous  annonçons  plus  loin 
la  mort,  ont  eu  lieu  mercredi,  à  l'église  de  la  Trinité,  en  présence  d'une  foule 
émue  d'artistes  qui  avaient  tenu  à  rendre  ce  dernier  hommage  à  ce  confrère  si 
estimé  de  tous.  Il  nous  serait  impossible  de  citer  les  noms  de  tous  les  assis- 
tants, tellement  le  cortège  était  nombreux.  De  très  belles  couronnes  étaient 
portées  à  bras  par  des  délégués  ou  figuraient  sur  un  char  funèbre  spécial  mar- 
chant devant  le  corbillard.  Elles  étaient  adressées  par  la  Société  des  concerts 
du  Conservatoire,  la  Société  des  chefs  et  l'orchestre  du  Casino  de  Vichy,  la 
Chambre  syndicale  des  artistes  musiciens,  l'Association  artistique  des  Concerts- 
Colonne,  l'Association  des  Concerts-Lamoureux,  le  Cercle  musical,  la  Société 
mutuelle  des  professeurs  au  Conservatoire,  les  pensionnaires  de  Rome  et 
d'Athènes,  la  maison  Pleyel,  etc.  Pendant  l'office,  l'orchestre  et  les  chœurs  de 
la  Société  des  concerts  du  Conservatoire  ont  exécuté  la  Marche  funèbre  de  la 
3°  Symphonie  de  Beethoven,    l'Offertoire,  de  Th.  Dubois;  le  Pie  Jesu,  de  Gabriel 


LE  MEINESTUEL 


335 


Fauré,  chanté  par  M.  Cazeneuvc;  le  Beati  morlui,  de  Mendelssohn  ;  la  Marche 
héroïque,  de  Sainl-Saéns.  Les  cordons  du  poêle  étaient  tenus  par  MM.  Gabriel 
Fauré,  directeur  du  Conservatoire,  Théodore  Dubois,  ancien  directeur,  Paul 
Vidal,  chef  d'orchestre  de  l'Opéra,  et  Philippe  Gaubert.  second  chef  de  la 
Société  des  concerts.  Au  cimetière  des  Batignolles,  où  a  ou  lieu  l'inhumation, 
deux  discours  ont  été  prononcés  par  M.  Gabriel  Fauré  au  nom  du  Conserva- 
toire, el  par  M.  Heymânn  pour  la  Société  des  concerts. 

—  Note  du  Journal  : 

N'ous  croyons  savoir  qu'à  la  Société  des  concerts  du  Conservatoire,  un  groupe  très 
important  est  allé  offrir  a  M.  André  Messager  le  poste  de  chef  d'orchestrj,  devenu 
vacant  par  le  décès  de  Georges  Marty. 

L'associé  île  M.  Broussan  à  la  direction  de  l'Opéra  n'a  fait  et  ne  pouvait  faire 
devant  cette  démarche  d'ailleurs  heureuse  et  très  approuvée  aucune  réponse.  C'est 
au  ministre  de  l'instruction  publique  qu'il  appartient  d'autoriser  M.  André  Messager 
à  accepter  la  proposition  oflieielle  de  la  Société  des  concerts,  si  tant  est  que  les 
fonctions  de  M.  André  Messager  au  Conservatoire  soient  compatibles  avec  celles  de 
directeur  de  l'Académie  de  musique.  On  pourrait  trouver  un  arrangement. 

Parmi  les  autres  candidats  à  ce  même  poste  on  parle  de  MM.  Henri  llahaud 
et  Vincent  d'Indy. 

—  Lundi  prochain  aura  lieu  une  réunion  d'auteurs  dramatiques  en  vue 
de  fonder  une  Société  pour  l'exploitation  d'idées  dramatiques  au  moyen  du 
cinématographe.  La  France  sera  représentée  par  M.  Pierre  Decourcelle  et  par 
M.  Pallié.  Singulière  idée  qu'ont  les  auteurs  dramatiques  de  s'intéresser  à  une 
entreprise  qui  précisément  sera  la  ruine  du  théâtre,  à  un  moment  donné,  sur- 
tout dans  les  provinces  françaises.  C'est  ce  qu'on  appelle  lâcher  la  proie  pour 
l'ombre. 

—  La  musique  reprend  ses  droits,  et  après  plusieurs  mois  du  silence  annuel 
auquel  elle  est  condamnée,  voici  que  nos  grands  concerts  symphoniques  com 
mencent  à  rouvrir  leurs  portes  au  public.  En  attendant  que  la  Société  des 
concerts,  cruellement  éprouvée  par  la  perte  de  son  chef,  puisse  reprendre  son 
activité,  les  concerts  Colonne  et  Lamoureux  rentrent  en  lice,  et  voici  leur  pro- 
gramme pour  demain  dimanche  : 

Chàtelct,  Concert-Colonne  :  La  Damnation  de  Faust  (Berlioz),  soli  :  M"°  Grand- 
jean,  MM.  Cazeneuve.  Renaud,  Eyraud. 

Salle  Gaveau,  Concerts-Lamoureux  :  Ouverture  du  Freischutz  (Weber). —  Huitième 
Symphonie  (Beethoven). —  Prélu  le  d'Ariane  et  Barbe-Bleue  (Dukas).—  Till  Eulens- 
piegel  (Richard  Strauss).  —  La  Procession  nocturne  (RabaudJ. —  Les  Préludes  (Liszt). — 
Le  concert  sera  dirigé  par  M.  Chevillard. 

—  Il  est  superflu  d'insister  sur  ce  fait,  que  jamais  un  artiste  producteur  ne 
devrait  faire  de  critique.  Ceci,  pour  une  raison  bien  simple  :  c'est  que  l'artiste 
créateur  ne  saurait  être  éclectique,  parce  que  sa  visée  est  forcément  circons- 
crite, qu'il  ne  peut  et  ne  doit  rien  voir  en  dehors  de  son  idéal,  qu'il  marche 
droit  devant  lui,  en  dédaignant  et  en  méprisant  ce  qui  se  produit  à  droite  et 
à  gauche  contrairement  à  la  conception  qu'il  s'est  faite  de  l'art.  Plus  il  est 
fort,  et  plus  ce  mépris  est  inévitablement  complet.  Berlioz  nous  en  a  donné 
la  preuve  la  plus  éclatante.  Ne  sait-on  pas  d'ailleurs  que  Weber  traitait 
Beethoven  de  fou  et  que  Lamartine  avait  en  horreur  les  fables  de  La  Fontaine? 
Ceci  dit  pour  expliquer  ce  fragment  d'une  des  lettres  de  Bizel  que  publie  en 
ce  moment  la  Revue  de  Paris.  La  lettre  en  question  était  adressée  par  le  futur 
auteur  de  Carmen  à  madame  Halévy,  et  voici  comme  il  exprimait  son  opinion 
sur  Boieldieu  et  sur  la  Dame  blanche  : 

...Maintenant,  il  faut  que  je  vous  fasse  une  scène,  —  que  dis-je  ?  deux  scènes!... 
Vous  avez  dit:  •<  Le  Pré-aux-Clercs,  la  Dame  blanche,  les  Mousquetaires.  <> 

JjU  Dame  blanche  '... 

Ecoutez:  un  jour,  je  développais  devant  Halévy  des  théories  un  peu  subversives 
sur  la  Dame  blanche.  Je  disais  simplement  la  vérité  :  «  C'est  un  opéra  détestable, 
sans  talent,  sans  idée,  sans  esprit,  sans  invention  mélodique,  sans  quoi  que  ce  soit 
au  monde.  C'est  bète,  Ijète,  bète  !...  o  Halévy,  se  retournant  vers  moi  avec  son  fin 
sourire,  me  dit  (j'ai  un  témoin)  :  «  Eh  bien  !  oui,  tu  as  raison,  c'est  un  succès  incom- 
préhensible, cela  ne  vaut  rien  ;  seulement  il  ne  faut  pas  le  dire!...  » 

Il  avait  sans  doute  raison,  mais  faisons  justice  entre  nous,  gens  intelligents,  de 
cette  jocrisserie  prudhonimesque,  qui  ne  peut  plus  amuser  que  les  sapeurs,  les 
bonnes  d'enfants  et  les  concierges!...  Tout  ce  que  vous  voudrez:  Paul  de  Kock, 
Signol,  l'Empire,  tout,  tout,  tout  !  mais  pas  la  Dame  blanche  ! 

Et  c'est  en  lisant  cela  qu'on  doit  comprendre  pourquoi  un  créateur  ne  doit 
jamais  faire  de  critique. 

—  Aux  Folies-Dramatiques,  on  a  commencé  les  études  du  Petit  Faust 
d'Hervé.  C'est  Mllc  Jeanne  Saulier  qui  tiendra  le  rôle  de  Marguerite,  et 
Mlle  Jane  Pernyn  celui  de  Méphisto.  On  parle  de  Sulbac  pour  Valentin. 

—  Un  concours  aura  lieu  vers  la  lin  de  ce  mois,  à  l'Opéra,  pour  une  place 
de  contrebasse  vacante  à  l'orchestre  de  ce  théâtre.  Les  intéressés  sont  priés 
de  se  faire  inscrire  chez  M.  Coleuille,  régisseur  delà  scène. 

—  Strasbourg.  Le  Théâtre-Municipal  vient  de  reprendre  avec  succès  Abend- 
glocken,  opéra  lyrique  en  deux  actes,  de  M.  Marie-Joseph  Erb,  le  distingué 
compositeur  strasbourgeois.  La  première  représentation  de  Abendglochen,  au 
théâtre  de  Strasbourg,  avait  eu  lieu  le  13  février  1900.  A.-O. 

—  Cours  et  Leçons.  —  M"°  Jeanne  Faucher  a  repris  ses  leçons  et  cours  de  chant, 
à  Paris,  6,  rue  de  Savoie;  à  Lille,  12,  rue  de  Bourgogne.  —  Réouverture  des  cours 
de  gymnastique  rythmique  de  M"'  Bréchoud,  salle  Pleyel,  le  samedi  à  4  heures,  et  à 
l'Institut  Rudy,  le  vendredi  à  4  heures. 


NÉCROLOGIE 

GEORGES        JMLA.H.T-V 

C'est  avec  un  bien  vif  regret  que  je  suis  obligé  de  rendre  ici  les  derniers 
devoirs  à  l'artiste  excellent  et  très  distingué  qu'était  Georges  Marty.  J'av.i  ■ 
appris,  il  y  a  quelques  jours  à  peine,  qu'il  était  atteint  d'une  façon  très  grave, 
je  savais  que  c'était  à  force  de  courage  et  d'énergie  qu'il  était  parvenu  à  ter- 
miner la  saison  du  Casino  do  Vichy,  et  dimanche  soir  j'apprenais  sa  mort  '.  De 
caractère  un  peu  brusqué* et  qui  ne  savait  pas  arrondir  les  angles.  Marty  n'en 
était  pas  moins  un  parfait  honnête  homme  et  un  bon  camarade,  en  mémi 
temps  qu'un  travailleur  infatigable  et  un  artiste  bien  doué.  Né  à  Paris  le 
16  mai  18(10,  il  entrait  fort  jeune  au  Conservatoire,  où  il  fut  successivement 
élève  de  Gilletie,  de  M.  Théodore  Dubois,  de  César  Franck  et  de  M.  Ma 
pour  le  solfège,  l'harmonie,  l'orgue  et  la  composition.  1"'  médaille   de  solfège 

en  1875.  2e  et  1"  prix  d'harmonie  en  I S7G  et  1878,  il  te  présentait  au  t coui 

de  Rome  dès  l'âge  de  19  ans,  et  obtenait  une  mention  honorable  en  1879,  li 
second  grand  prix  en  1881  et  le  premier  en  1882,  pour  la  cantate  intitulé.' 
Edith.  Je  crois  que  c'est  avant  son  triomphe  à  ce  concours  que  nous  l'avions 
couronné,  à  la  Société  des  compositeurs,  pour  une  scène  lyrique  avec  orchestre 
qui  fut  exécutée  à  l'un  de  nos  concerts.  Après  le  voyage  règlement. m 
Italie  et  en  Allemagne,  Marty,  comme  tous  les  autres,  chercha  à  faire  -a 
situation,  non  sans  difficultés.  Il  fit  exécuter,  soit  aux  Concerts-Populaires  de 
Pasdeloup,  soit  à  ceux  de  Lamoureux.  quelques  compositions  symphoniques  : 
Ballade  d'hiver  (1873),  Matinée  de  printemps  (fragment  d'une  suite  d'orchestre 
intitulée  te  Saisons,  1887),  une  ouverture  de  Batlhasar,  une  Petite  tuile  roman- 
tique. Puis  il  écrivit  pour  le  Cercle  funambulesque  la  musique  d'une  pantomime 
intitulée  Lgsic,  et  un  poème  dramatique,  Merlin  enchanté,  qui,  je  crois,  fut  pré- 
senté au  concours  de  la  Ville  de  Paris.  Lors  de  la  trop  courte  campagne  lyrique 
ouverte  à  l'ancien  Eden  en  1892,  Marty  y  avait  rempli  les  fonctions  de  chef  des 
chœurs:  il  devint  chef  du  chant  à  l'Opéra  l'année  suivante  et  conduisit,  avec 
M.Vidal,  les  concerts  donnés  à  ce  théâtre;  c'est  là  que,  du  premier  coup, 
il  donna  la  preuve  et  la  mesure  de  ses  rares  qualités  de  chef  d'orchestre,  c'esfcà- 
dire  l'aplomb,  la  précision  et  l'autorité.  En  1894, Marty  était  nommé  professeur 
de  la  classe  d'ensemble  vocal  au  Conservatoire,  et  là  aussi  il  témoigna  de  ses 
précieuses  facullés  d'éducateur.  Mais  il  n'entendait  pas  se  désintéresser  de  son 
avenir  de  compositeur  :  tandis  qu'il  allait  faire  une  saison  comme  chef  d'or- 
chestre au  Théâtre  du  Liceo  de  Barcelone,  il  faisait  représenter  ici,  au  Théâtre- 
Lyrique  de  la  Renaissance,  un  opéra  en  trois  actes,  le  Due  de  Fendre  ilS'.)9i. 
En  même  temps,  il  publiait  un  assez  grand  nombre  de  mélodies  :  Brunetle, 
la  Sieste. Chansond'Avril,  Fleur  des  Eaux, Berceuse,  Toasl,Sonnet  mélancolique,  un 
Ave  Maria  pour  ténor,  etc.,  ainsi  que  diverses  pièces  de  piano.  En  1900  il 
entrait  comme  chef  d'orchestre  à  l'Opéra-Comique,  où  il  ne  devait  rester  que 
deux  ans;  en  1901,  à  la  suite  de  la  démission  de  M.  Taffanel,  il  était  élu  chef 
d'orchestre  de  la  Société  des  Concerts  du  Conservatoire,  et  eu  1904  il  succé- 
dait au  regretté  Samuel  Rousseau  comme  professeur  d'une  classe  d'harmonie 
(femmes).  Tout  cela  ne  l'empêchait  pas  d'écrire  encore  lamusique  d'un  drame 
lyrique  en  deux  actes,  Daria,  qui  fut  représenté  à  l'Opéra  le  27  janvier  1903. 
—  La  mort  de  Marty  doit  jeter  un  désarroi  profond,  juste  au  moment  de  la 
reprise  de  la  session,  àla  Société  des  Concerts,  où  il  s'était  vraiment  affirmé 
comme  chef  d'orchestre  de  premier  ordre  et  de  grande  envergure.  Qui  va 
prendre  le  bâton  pourla  campagne  prochaine?  Je  sais  bien  qu'il  v  a  un  second 
chef,  mais...  Et,  en  tout  cas,  qui  sera  appelé  à  lui  succéder  définitivement  ? 
Cet  événement  est  une  véritable  catastrophe  pour  la  Société  en  de  telles 
circonstances.  Arthur  Pougix. 

—  Une  cantatrice  qui  fut  autrefois  très  fêtée  en  jouant  au  Carl-Theater  de 
Vienne  les  rôles  des  opéras  d'Offenbach,  Anna  Grobecker,  vient  de  mourir  à 
Klagenfurt,  âgée  de  quatre-vingts  ans. 

—  De  Varèse  on  annonce  la  mort,  à  l'âge  de  67  ans,  de  M.  Pompeo  Cam- 
biasi,  dont  le  nom  fut  longtemps  et  activement  mêlé  à  l'administration  du 
théâtre  de  la  Scala  de  Milan.  Après  avoir  donné  des  preuves  d'ardent  patrio- 
tisme lors  des  luttes  du  risorgimento,  il  devint  conseiller  et  assesseur  commu- 
nal de  Milan,  et  en  cette  qualité  rendit  de  grands  services  à  ses  concitoyens. 
Dilettante  passionné,  il  prit  pendant  de  longues  années  une  part  importante 
et  fort  utile  à  la  direction  administrative  de  la  Scala,  et  mit  à  profil  cette 
situation  pour  publier  une  sorte  de  chronique  historique  de  ce  théâtre  conte- 
nant un  répertoire  chronologique  exact  et  complet  de  tous  les  ouvrages'  qui  y 
furent  représentés  depuis  sou  inauguration,  le  3  août  1778.  jusqu'en'lSSg.  Ce 
livre,  intitulé  la  Scala,  note  storiche  e  statistiche  et  rempli  de  documents  pré- 
cieux, a  eu  plusieurs  éditions,  dont  la  quatrième  forme  un  volume  in- J"  de 
plus  de  iOO  pages. 

Henri  Heugel.  direcleur-qérwu 

A  CÉDER  pour  cause  de   décès   un   très   bon  Fonds  de  pianos,   musique  et 
lutherie.  S'adresser  à  Mme  Pichot,  35.  rue  Malnoue,  à  Champs-sur-Marne 
(Seine-et-Oise). 

PROPRIETE   ARTISTIQUE    ET  LITTÉRAIRE  de  M.    TAC-COEN, 
compositeur  de  musique  (pseudonyme  Jacques  de  Presnovi. 
Mise  à  prix  :  1.000  francs.  —  A  adjuger  étude   de  Me  Ch.   Champetier  de 
Ribes,  notaire,  8,  rue  Sainte-Cécile,  le  23  octobre  à  1  heure. 
S'adresser  à  Me  Giraud,  curateur,  28,  rue  de  Lille,  et  audit  Me  Champetier. 

Viennent  de  paraître  chez  E.  Fasquelle  :  Maurice  Donnay,  Thétitre.lome  III  Geor- 
gelte  Lemeunier,  le  Torrent,  la  Basculel  0  fr.  50) ;  Georges  Duval  et  Xavier  Roux,  le 
Chant  du  Cygne,  comédie  en  3  actes,  représentée  à  l'Athénée  (3  fr.  50!  :  Pierre  Vtlie- 
tard,  La  Montée,  roman  |3  fr.  50i. 


336 


LE  MENESTREL 


PARIS,    AU    MÉNESTREL,    2 'bis,   RUE   VIVIENNE,    HEUGEL   et   Cie,    ÉDITEURS.    Propriétaires   pour  tous   pays 

" —  A1HBROISE    THOIttEAS  — " 


THÉÂTRE  JSlATIOISlHIi 
Li'OPÉRR 


HA|VILiET 


TJ4ÉATRE  H^TIO^HIl 

DE 

Ii'OPÉRfl 


Opér 


actes   et   sert    tableaux.   Poème   de   MICHEL    CARRE  et   JULES    BARBIER 


Partition  piano  et  chant net    20  francs.  —  Édition  spéciale  pour  ténor net    20  francs.  —  Partition  chant  seul net    4  francs. 

Partition  piano  solo,  réduite  par  Georges  Bizet.   .  net    12  francs.  —  Partition  piano  à  quatre  mains,  réduite  par  Georges  Bizet.    .  net  '25  francs. 

Partition  italienne net    20  francs.  —  Partition  allemande net    20  francs.  —  Livrets  italien  et  allemand,  chaque net    1  franc. 

Affiche  en  couleurs  d'ALPHONSE  de  Neuville.  .  net    5  francs. 


MORCEAUX     DETACHES     POUR     CHANT     ET     PIANO 


2.  Duo  -.Pourquoi  détournez-vous  les  yeux?  (B.-S.)  7! 

Le  même,  chant  seul net  »  S 

2  bis.  Cantabile,  extrait  :  Doute  de  la  lumière  (B) .   .  5 

Le  même,  chant  seul net  »  i 

2  1er.  Le  même  (S.  ou  T.) 5 

2q'".  Le  même  en  ul  (M. -S.) 5 

3.  Cavatine  de  Laerte  :  Pour  mon  pays  (T.).   .   .  4 

La  même,  chant  seul net  »  ï 

4.  Choeur  des  pages  et  officiers  (4  voix).    .    .    net  1 
5  bis,  Invocation  :  Spectre  infernal  (B.) 4 

La  même,  chant  seul net  »  ' 

5  ter.  La  même  (T:) 4 

6.  Air  du  livre  (S.) 7  : 

6  bis.  Lemême(M.-S.i 7  ! 

6  1er.  Fabliau,  extrait  :  Adieu,  dit-il,  ayez  foi  (S.)  .  4 

Le  même,  chant  seul net  a  S 

6q'".  Le  même  (M.-S.) 4 

Les  numéros  2  bis,  4,  i 

Les  numéros  2,  2  bis,  2  ter,  2q'",  3,  5  bis,  5  ter,  6,  6  ter,  ( 

Les  numéros  2,  2  bis,  2  ter,  2  q'°r, 


7.  Arioso  :  Dans  son  regard  plus  sombre  (M. -S.)  . 

Le  même,  chant.seul net 

7  bis.  Le  même  (C.) 

8.  Duo  :  Hélasl  Dieu  m'épargne  la  honte  (M.-S. 

etB«) 

9.  Chœur  des  comédiens 

10.  Chanson  bachique  (B.) 

La  même,  chant  seul  .....   net 
10  bis.  La  même  (T.) 

13.  Monologue  :  Être  ou  ne  pas  être  (B.) 

Le  même,  chaot  seul  .....    net 

13  bis.  Le  même  (T.) 

14.  Air  :  Je  t'implore,  à  mon  frère  (B")    .....' 

14  bis.  Le  même  (B.) 

15.  Trio  :  Le  voilai  Je  veux  lire  enfin  (S.,  M.-S., 


50 


15  bis.  Romance  extraite  :  Allez  dans  un  cloître  (E.) . 

15  1er.  La  même  (T.) 

16.  Grand  duo  :  Hamlet,  ma  douleur  est  immense 

(M.-S.,  B.) 

18.  Scène  et  air  d'Ophélie  :  A  vos  jeux,  mes  amis  (S.) 

18  bis.  Ballade  extraite  :  Pâle  et  blonde  (S.) 

La  même,  chant  seul net 

18  ter.  La  même  (M.-S.) 

19  bis.  Valse  :  Partagez-vous  ces  fleurs  (S.) 

La  même,  chant  seul net 


19  lei 


i  (M.-S.) 


10,  18,  19  bis  et  21  existent  avec  accompagnement  d'orchestre  poui 

•',  7,  7  bis,  10,  10  bis,  13,  13  bis,  15,  15  bis,  15  ter,  18,  18  bis,  181er,  18 

6  bis,  6 1er,  6ql",  10,  10  bis,  13,  13  bis,  18,  18  bis,  18  1er,  19  bis,  19  ter, 

Les  numéros  10  et  18  bis  existent  en  langue  anglaise. 


21.  Chant  des  Fossoyeurs,  à  1  ou  2  voix  (B.,  T.)  . 

Le  même,  chant  seul  ......   net 

21  bis.  Le  même,  à  1  voix  (T.) 

22.  Arioso  :  Comme  une  paie  fleur  (B.) 

Le  même,  chant  seul net 

22  bis.  Le  même  (T.) 

■  les  concerts  (location). 

q"",  19  bis.  191er,  22,  22  bis,  existent  en  langue  italienne. 
2-2,  22  bis   existent  en  langue  allemande. 


G.  Bizet. 

Brissler  . 
Bull.  .  . 
Cramer  . 
Grégoire 
Henbv.  . 
Ketterer 

Kruger  . 
Levbacb  . 


Abban . 

ElTI.lXG 

HEsnv  . 
Lumbve 
Mey.    . 


Arba.x  .  . 
Batiste  . 
Douard  , 
Th.  Dubo 
Ettling 
Génjn  . 


TRANSCRIPTIONS     POUR     PIANO     A     DEUX.     MAINS 


Les  Roses  d'hiver  : 

N"  49.  Doute  de  la  lumière 3 

50.  Chœur  des  pages 3 

51.  Chanson  bachique 3 

52.  Marche  danoise 3 

.        53.  Ballade  d'Ophélie 3 

54.  Valse  d'Ophélie 3 

Pré!  ude  de  l'Esplanade 5 

Marche  solennelle 9 

Pot- pourri 7 

Les_Silhouetles  n°  5 5 

Bouquets  de  mélodies,  deux  suites,  ch.  0 

Valse  et  ballade 5 

Les  chants  d'Ophélie 7 

Première  transcription 7 

La  Fêle  du  printemps,  'ballet 7 

.  Fantaisie-transcription 7 

Fantaisie  brillante  .1 9 


LvsBEno  . 
N'eustedt 


S.  Bafel. 
Tavax.  . 
Trojelli. 


Ballade  et  valse  d'Ophélie 

Transcriptions  : 

N"  1 .  Cantabile  du  duo  et  chœur  des 
pages 

2.  Fabliau  et  chanson  bachique. 

3.  Ballade  et  valse  d'Ophélie  .   . 

Transcription  brillante 

Marche  danoise  (Pages  enfantines  n°  18) 
Ballade  d'Ophélie  (Miniatures  n°  4).  .  . 
Airs  de  ballet  (Miniatures  n»  22).  .  .  . 
Airs  de  ballet  : 

N"   1 .  Danse  villageoise 

2.  Pas  des  chasseurs  .  * 

3.  Pantomime 

4.  Polka-mazurka 

5.  Pas  du  bouquet 

C.  Bacchanale 


Vauthhot  .  La  Fête  du  printemps,  airs  de  ballet  : 

N™  I .   Danse  villageoise 

2.  Pas  des  chasseurs 

3.  Pantomime 

't.  Valse-mazurka 

5.  Pas  du  bouquet 

G.  Bacchanale 

Le  ballet  complet net 

—         Trois  transcriptions  : 

N"  1.  Prélude  de  l'Esplanade.    .    .   . 

2.  Marche  danoise 

3.  Valse  d'Ophélie  ....... 

F.  Wachs   .   Récréations  lyriques  (3°  série)  : 

N"   13.   Doute  de  la  lumière 

14.  Chœur  des  pages  et  officiers. 

15.  Chanson  bachique.    ..... 

16.  Ballade  d'Ophélie  ...... 

17.  Valse  d'Ophélie 

18.  Pas  du  bouquet 


2  50 

2  50 
2  50 
2  50 
2  50 
2  50 


TRANSCRIPTIONS     POUR     PIANO     A     QUATRE    MAINS 


La  Fête, du  printemps,  ballet. 
N"  1 .  Danse  villageoise  .    . 

2.  Pas  des  chasseurs.  . 

3.  Pantomime. 


Valse- n 


l  I  k.l 


Prélude  de  l'Esplanade  . 
Marche  danoise.  .   .   . 
Valse  d'Ophélie.  .    .   . 
Marche  solennelle    .    . 
tes  Silhouettes  n-  5.   . 


Lefébure-Wéi.v  Fanlaisie-concertante 9    » 

Marks Po'.-pourri .    .    .-....,.,....     7  50 

Trojelli  ..    .    .  Les  Miniatures  n»  12 net    1  50 

R.  de  Vilbac.    .  Feole  concertante.  N""  15  et  16,  deux 

suites,  chaque 10    » 


DANSES     POUR     PIANO     A     DEON.     ET     QUATRE     MAINS 


Quadrille 

Uphélie-mazurka 

Les  chants  d'Ophélie,  valse 

Souvenirs  de  Christine  Xilsson,  mazurka 
Polka-mazurka 


Quadrille 

Le  même,  à  quatre  mains . 

Valse  d'Ophélie 

La  même,  à  quatre  mains  . 


Strauss  .   .  Polka  des  officiers' " 4  50 

Stutz  .   .   .  La  Freya,  polka 4  50 

Valiquet  .  Quadrille  (sans  octaves)]   .......  5    » 

—  Valse  d'Ophélie 6    » 


TRANSCRIPTIONS     POUR     INSTRUMENTS     DIVERS     OU     ORCHESTRE 


L'Opéra  concertant,  n"  4  : 

Piano,  violon  et  violoncelle  (contre- 
basse ad  libitum)  .  _ 

Piano,  flûte  et  violm  (contrebasse  ad 
libitum) 

Piano,  flûte  et  violoncelle  (contre- 
basse ad  libititm} 

Valse-mazurka,  mandoline  seule  .  net 
Ballade  d'Ophélie",  mandoline  seule  net 
Valse  d'Ophélie,  mandoline  seule,  net 

Quadrille,  orchestre net 

Marche,  grand  orgue.   ......... 

Marche  des  chasseurs,  harmonie.   .  cet 
Marché,  grand  orgue.  ......    .    .    .... 

0,-hélie-mazurka,  orchestre.   .    .    .:net 

Airs,  flûte  seule.    .    .   .• .'.'.-.. 


GÉxm  .   . 

GUILBAUT 

lii  Miu.;rr. 
Hlbmvxn. 


Levèoue  . 
Mavllr  . 


PÉRIER 

Raiiaud 


Fantaisie,  flûte  et  piano , 

"Airs,  cornet  seul 

Pot  pourri,  violon  et  piano 

Soirées  du  jeune  flûtiste  n"7  (flûte  et  p°) 
Soirées  du  jeune  violoniste  n°  7  i  violon 

et  piano)  .  » 

Six  mélodies  faciles,  violon  seul    .   .    . 
Ballet,  harmonie  : 

.V"  1 .  La  Fête  du  printemps  .    .  net 

2.  Pas  des  chasseurs.  ...  net 

3.  Pantomime net 

4.  Valse-mazurka net 

5.  La  Freya,  polka  ....  net 

6.  Stretle  finale net 

Fantaisie-transcription,  violon  et  piano 
Fantaisie,  violoncelle  et  piano 


IIexaui.t. 
Rose  .  . 
séllextk. 


Stutz  .  . 
Ta van.  . 
A.  Thomas 


Fantaisie,  harmonie net 

Fantaisie,  clarinette  et  piano 

Marche  funèbre,  harmonie  ....  net 
Fantaisie  concertante  violon  et  piano  . 

Quadrille,  orchestre  . net 

Valse  d'Ophélie,  orchestre  ....  net 
La . Freya,  polka,  orchestre  .  .  .  .  net 
£'0/)era.sympftortt"7uen08(pet.orch.)net 
La  Fêle  du  printemps  :  ballet,  orchestre 

Partition .net 

Parties  sépirées .    .    .    .   .   .    .  net 

Chaque  partie  supplémentaire  net 
Marche  danoise,  orchestre  : 

Partition net 

Parties  séparées .    .    ..-.-.    .  net 
Chique  partie  supplémentaire  net 


—  (Encre  Lorillem^ 


4048.  -  74e  ANNÉE.-  I\°  43.  PARAIT  TOUS  LES  SAMEDIS 


Samedi  U  Octobre  1908. 


(Les  Bureaux,  2b,s,  rue  Vivienne,  Paris,  u«arr-) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


lie  ftuméro  :  o  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  Numéro  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  IIICUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province. —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  ci.  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  ea  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (35e  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Après  la  répétition 
générale  du  Crépuscule  tles  Dieux,  Arthuh  Pougïn.  —  III.  Une  famille  de  grands 
luthiers  ilalïeos  :  Les  Guarnerius  (12a  article  i,  Arthur  Pouglv.  —  IV.  Revue  des  grands 

concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses,  concerts  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Mos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
VALSE  DE  BALLET 
(I'Albert   Landry.    —   Suivra   immédiatement  :    D'un   pas    léger,  marche    de 
P.  Badf.s. 


MUSIQUE  DE   CHANT 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
Dormons  parmi  les  lys,  nouvelle  mélodie  de  J.  Massenet,  poésie  d'HÉLÈNE  Picard. 
—  Suivra  immédiatement  :  Caresses,  nouvelle  mélodie  île  Gabriel  Dupont, 
poésie  de  Jean  Richepin. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 

(XTX-4.-X*7'7-4L) 


CHAPITRE  Mil 

CINQ  ANNÉES,  ENTRE  ailEEO  ET  AECESTE. 

Gluck  donna  à  la  même  époque  —  dans  la  même  semaine  — 
■un  ouvrage  plus  important,  qui  a  droit  à  prendre  place,  dans 
l'ordre  du  mérite,  immédiatement  après  ses  grands  chefs-d'œu- 
vres  :  Telemacœ,  opéra  en  deux  actes  représenté  pour  la  pre- 
mière fois  au  Théâtre  de  la  Cour  de  Vienne  le  30  janvier  1765; 
le  poème  avait  pour  auteur  l'abbé  Coltellini  (1). 

(1)  La  Bibliothèque  du  Conservatoire  de  Paris  possède  un  exemplaire  (copie 
ancienne)  du  Telemacœ  de  Gluck,  en  deux  volumes.  Des  fragments  autographes  sont 
conservés  à  la  Bibliothèque  Palatine,  à  Vienne.  —  Tous  les  biographes  et  tous  les 
dictionnaires  d'opéras  disent  que  cet  ouvrage  fut  représenté  pour  la  première  fois 
'à  Rome  en  1750.  M.  Wotquenne,  dans  son  catalogue  de  Gluck,  a  démontré  que  cela 
n'est  pas.  Encore  n'est-il  pas  assez  dégagé  de  l'influence  des  écrits  antérieurs 
lorsqu'il  concède  :  «  Il  se  peut  néanmoins  que  le  Telemaceo . soit  antérieur  à  l'année 
1165  »  :  les  considérations  exposées  dans  le  texte  qui  va  suivre  établissent  au 
contraire,  de  par  l'évolution  du  génie  de  Gluck,  que  cette  œuvre  n'a  pas  pu 
être  conçue  à  l'époque  prétendue.  Notons  que  M.  Gevaert  a  adopté  la  date 
de  1165  sans  en  faire  aucun  doute  (voyez  l'air  de  Telemaceo  publié  par  lui  dans 
les  Gloire*  de  l'Italie* .  —  Les  auteurs  de  répertoires  auxquels  il  est  fait  allusion  ci- 
dessus  (Félix  Clément,  Dictionnaire  des  opéras,  Hugo  Riemann,  Opern-IIandbuch)  se 
trompent  aussi  en  attribuant  à  un  seul  et  même  poète,  Sigismondo  Capece,  le  libretto 
de  tous  ies  Telemaceo  représentés  depuis  Scarlatti  jusques  et  y  compris  Gluck  :  ici 
encore,  M.  Wotquenne  a  corrigé  à  demi  l'erreur,  disant  que  l'ancien  poème  avait  été 
revu  et  coudensé  en  deux  actes  par  Marco  Coltellini  ;  mais,  de  même,  il  n'a  pas  été 
assez  loin  dans  la  rectification  :  la  comparaison  qu^  j'ai  faite  entre  le  Telemaceo  de 
Scarlatti  et  celui  de  Gluck  m'a  démontré  que  les  deux  poèmes  sont  entièrement  dif- 
férents. Ce  dernier  est  donc  bien  une  composition  personnelle,  non  un  simple  arran- 
gement, de  l'abbé  Coltellini,  et  l'ut  fait  spécialement  pour  Gluck.  —  Nous  avons  vu,  au 
■début  de  ce  chapitre,  que  Gluck  fit  son  voyage  de  Paris,  en  1774,  en  compagnie  de  ce 
même  Coltellini  avec  lequel  nous  le  voyons  maintenant  collaborer. 


Placé  à  égale  distance  de  temps  entre  Orfeo  etAlceste,  composé 
sur  un  poème  qui  n'est  pas  plus  de  Calsabigi  que  de  Métastase, 
Telemaceo  offre  une  sorte  de  compromis  entre  l'ancienne  manière 
et  celle  qu'avait  inaugurée  Orphée,  dont  il  semble  que  la  nou- 
veauté ait  effrayé  jusqu'aux  auteurs  mêmes.  Il  s'y  rencontre 
encore  nombre  d'airs  à  l'italienne,  et  l'emploi  du  recitàtivo  secco 
accompagné  au  clavecin  est  maintenu.  .Mais  à  coté  de  cela, 
l'œuvre  contient  des  parties  d'un  genre  nouveau,  que  l'art  anté- 
rieur avait  complètement  ignoré. 

Le  poème  est  d'une  forme  qui,  s'écartantde  celle  de  Métastase, 
annonce  et  inaugure  les  opéras  postérieurs  :  ceux  de  Mozart. 
En  sa  coupe  en  deux  actes  (tel  Don  Giovanni),  il  se  compose  d'une 
succession  de  tableaux,  généralement  courts,  mais  variés,  el 
offrant  entre  eux  des  contrastes.  Le  chœur  y  joue  un  rôle  impor- 
tant et  actif.  Tour  à  tour  on  assiste  à  un  sacrifice,  on  entend  la 
réponse  d'un  oracle,  l'évocation  des  Esprits  infernaux,  la  voix 
douloureuse  de  la  forêt  enchantée;  un  coro  di  donne,  au  dénoue- 
ment, escorte  Circé,  de  même  que,  dans  la  Zauberflote,  la  Reine 
de  la  nuit  sera  accompagnée  par  ses  fées. 

Le  titre  de  cet  opéra,  si  l'auteur  avait  voulu  par  là  annoncer 
exactement  le  sujet,  aurait  dû  être  :  Circé  abandonnée.  Le  drame 
est  comme  un  prototype  d'Armide.  Est-ce  pour  cette  association 
d'idées  que  Gluck  a  repris  l'ouverture  de  Telemaceo,  encore  qu'elle 
ne  soit  pas  très  caractéristique,  pour  servir,  après  quelques  re- 
touches, de  préface  instrumentale  à  son  grand  opéra  français  de 
1777?  Cela  pourrait  être.  Cette  série  de  tableaux,  qui  semblent 
détachés  d'un  roman  d'aventures  plutôt  qu'être  des  scènes  de 
tragédie,  a  en  effet  de  l'analogie  avec  la  succession  d'actes  aux 
tons  variés  qui  constitue  le  poème  de  Quinault.  Au  point  de 
vue  musical,  ce  fut  tout  avantage  que  Gluck  ait  eu  l'occasion 
de  composer  cet  ouvrage  à  l'époque  oit  il  l'a  fait.  Il  y  réalisa. 
pour  la  formation  de  son  style,  un  progrès  que  l'on  peut  consi- 
dérer comme  définitif,  obligé  qu'il  fut  de  passer  de  la  simple  et 
émouvante  pastorale  antique  à  l'action  plus  extérieure  dont  son 
nouveau  collaborateur  lui  fournit  la  trame,  trouvant  dans  la  con- 
ception générale  du  poème,  avec  un  moindre  sentiment  lyrique, 
plus  de  mouvement  extérieur,  plus  de  sensation  apparente  de 
vie,  ayant,  enfin,  l'occasion  de  composer,  sinon  un  drame,  du 
moins  un  ensemble  de  tableaux  musicaux  dont  la  réalisation 
devait  mettre  en  valeur,  et  à  ses  yeux  mêmes,  une  tles  faces 
caractéristiques  de  son  génie. 

Quelques-uns  de  ces  tableaux  viendront  nous  révéler  qu'il 
reste  encore  des  beautés  inconnues  à  glaner  dans  l'œuvre  de 
Gluck.  La  première  scène,  de  forme  un  peu  étriquée,  avec  sa 
succession  de  petits  morceaux  aux  reprises  courtes,  ne  manque 
pourtant,  dans  sa  composition  générale,  ni  d'abondance  ni  de 
souplesse.  C'est  un  sacrifice,  où  l'on  entend  des  chœurs,  un  trio, 
des  ritournelles  d'orchestre,  des  danses.  Les  airs  de  ballet  sont 
très  variés  de  ton  :  l'un,  le  premier,  est  une  des  meilleures  pi 


338 


LE  MÉNESTREL 


instrumentales  que  Gluck  ait  écrites,  en  un  style  vieil  allemand 
qui  fait  songer  à  Bach,  un  Bach  plus  imprégné  du  goût  du 
XVIIIe  siècle  ;  d'autres  sont  à  la  française,  en  rythme  de  menuets 
ou  de  gavottes;  d'autres  enfin  évoquent  le  mouvement  soutenu 
des  pantomimes  d?  Orphée  ou  à'Alceste.  Un  des  ensemhles  vocaux, 
en  mesure  a  trois  temps,  a  quelque  chose  de  l'allure  du  chœur 
qui  commence  le  second  acte  d' 'Orphée;  et  si  l'oracle  n'inspire  pas 
le  même  effroi  que  celui  à'Alceste,  c'est  peut-être  que  sa  prophé- 
tie ne  doit  pas  amener  des  conséquences  si  tragiques  :  Gluck  est 
fort  hien  homme  à  l'avoir  voulu  ainsi. 

Mais  voici  une  page  maîtresse:  le  récit  d'un  confident  racon- 
tant les  effrayants  mystères  de  la  forêt  enchantée,  où  les  arbres 
sont  des  hommes  métamorphosés,  où  l'on  voit  le  sang  rougir  la 

(Andante) 


terre  sous  la  cognée  du  bûcheron  :  Bosco  d'antiche  pianto,  orrido 
enero.  Gela  est  admirable,  et  à  peu  près  unique.  Ce  n'est  pas 
encore  l'horreur  tragique  d'Alceste  devant  les  Enfers:  la  musique 
est  ici  plus  extérieure,  et  d'une  saveur  encore  italienne  :  elle 
évoquerait  plutôt  l'impression,  précieuse  entre  toutes,  de  ce  récit 
de  Monteverde  où  la  messagère  vient  dire,  éplorée,  qu'Euridice 
est  morte  ;  c'est  bien  en  effet,  à  la  différence  de  technique  près, 
le  style  retrouvé  de  l'ancienne  pastorale  mythologique,  dont 
l'accent  est  si  profond.  Il  est  une  phrase  de  chant,  la  réponse  de 
la  voix  enchantée,  qui  nous  semble  aussi  admirable  d'expres- 
sion que  belle  de  forme.  Ne  résistons  pas  au  désir  de  reproduire 
ce  fragment  si  digne  d'être  sauvé  de  l'oubli,  et  où  l'inspiration 
de  Gluck  apparaît  dans  toute  sa  plénitude  : 


Une  autre  scène  nous  montre  Télémaque  pénétrant  dans  la 
forêt  où  il  pense  retrouver  son  père  parmi  les  victimes  de  la 
magicienne.  L'invocation  qu'il  chante  a  le  même  thème,  grave 
et  religieux,  que  celle  d'Agamemnon  à  «  Diane  impitoyable», 
et  cela  est  fort  bien,  car,  dans  l'un  comme  dans  l'autre  cas,  c'est 
le  même  «  cri  plaintif  de  la  nature  »  qui  s'élève,  ici  le  père  sup- 
pliant la  déesse  de  sauver  son  fils,  là  le  fils  priant  pour  retrouver 
son  père.  Puis  Télémaque  poursuit  sa  recherche  inquiète,  et  le 
chant  que  maintenant  l'orchestre  lui  accompagne  est  celui  que 
nous  entendrons  une  dernière  fois  clans  Armide  :  «  Esprits  de  haine 
et  de  rage  »,  après  l'avoir  déjà  vu  employer  trois  fois  (dans 
Sofonisba,  le  Nosse  d'Ercole  e  d'Ebe,  et  la  Clemensa  diTito),  toujours 
dans  d'analogues  situations  d'horreur  fantastique. 

Quant  aux  airs,  écrits  pour  la  plupart  dans  la  forme  antérieure, 
ils  ne  nous  offriront  pas  d'aussi  intéressants  sujets  d'observation. 
H  en  est  deux  cependant  qui  se  distinguent  de  cet  ensemble  de 
formules  trop  connues  par  un  sentiment  vraiment  personnel  et 
expressif. 

Berlioz,  qui  a  consacré  à  Telemacco  quelques-unes  de  ces 
pages  d'un  enthousiasme  pénétrant  dont  il  avait  le  secret  quand 
il  écrivait  sur  Gluck  ou  sur  Beethoven,  les  a  appréciées  en  ces 
termes,  qui  nous  interdisent  d'en  chercher  d'autres. 

C'est  d'abord  une  cantilène  par  laquelle,  au  moment  de  quitter 
Circé,  Ulysse  s'efforce  de  justifier  son  abandon  : 

«  Tout  ce  que  la  tendresse  a  de  plus  irrésistible,  la  grâce  de 
plus  simple  et  de  plus  touchant,  semble  avoir  été  épuisé  pour 
embellir  ce  chant;  et  certes,  si  le  roi  d'Ithaque  en  résistant  à 
l'amour  de  Circé  fait  preuve  de  fidélité  conjugale,  s'il  répond 
par  un  refus  aux  offres  brillantes  de  l"enchanteresse,  il  faut  con- 
venir que  ses  accents  ont  une  telle  douceur  et  ressemblent  si 
fort  à  ceux  de  l'amour,  qu'il  est  heureux  pour  lui  que  sa  chaste 
épouse  ne  puisse  les  entendre.  La  seconde  partie  de  l'air,  sur- 
tout, me  semble  sublime: 

'i  Lieta  yeder  ti  bramo 
«  Del  mio  rigor  mi  pento. 
«  Ah  !  vorrei  dir  ch'io  t'amo  ; 
«  Ma...  non  lo  posso  dir. 

a  La  manière  dont  est  jeté  ce  mot  :  Ma,  indique  tout  ce  qu'il  en 
coûte  à  Ulysse  pour  rester  fidèle.  Il  exprime  un  regret  si  pas- 
sionné, si  profond...  »  (1). 

L'autre  est  un  air  de  la  nymphe  Astéria,  par  qui  Télémaque  fut 
sauvé  de  la  mort,  et  qui,  de  cette  rencontre,  a  gardé  un  tendre 

1 1  Gazelle  musicale  de  Paris,  1835,  p.  10  :  Telemacco,  article  d'IIr.CTOn  Berlioz. 


souvenir.  «  Ah!  je  l'ai  toujours  présent,  quand  de  sa  main  faible 
et  glacée  il  serra  ma  main  secourable;  quand,  promenant  autour 
de  lui  des  regards  sans  flamme,  il  commença  lentement  à  mouvoir 
ses  yeux  encore  couverts  des  voiles  de  la  mort,  puis  les 
ouvrit  à  la  lumière...  et  me  perça  le  cœur...  0  jour!...  ô  doux 
regard  !...  ô  souvenir  !...  ô  amour  !...  ».  Ayant  cité  ce  texte, 
Berlioz  continue:  «Je  n'ai  jamais  trouvé,  même  dans  les  ouvrages 
immenses  que  Gluck  écrivit  depuis,  rien  de  plus  simplement  ni 
plus  noblement  beau  que  ces  accents  d'une  victime  résignée, 
dont  la  plainte  s'exhale  sans  amertume  vers  un  passé  plein  de 
poignants  souvenirs.  Le  chant  et  l'harmonie  sont  si  admirable- 
ment mariés  qu'on  ne  peut  savoir  si  l'effet  résulte  de  l'un  plutôt 
que  de  l'autre. L'instrumentation...  elle  est  nulle;  les  instruments 
à  cordes  sont  seuls  employés.  Mais  comme  chaque  partie  est  des- 
sinée !  !  !  Sous  le  vers  :  Quando  appannati  e  tardi  pria  giro  gli  occhi 
intorno,  les  violons  déroulent  une  longue  période  à  laquelle  les 
altos  viennent  se  joindre  bientôt  après;  les  trois  parties  se  mê- 
lent, se  croisent,  montant  et  descendant  doucement;  le  sang 
commence  à  circuler,  la  vie  se  communique  de  proche  en  proche. 
«Il  promène  ses  yeux  autour  de  lui  :  Pria  giro  gli  occhi  intorno-»  ; 
et  le  chant,  s'élevant  peu  à  peu,  revient,  par  un  crescendo,  faire 
explosion  sur  les  mots  «  E  poigli  appersi  al  giorno  :  puis  les  ouvrit 
à  la  lumière  » .  Un  léger  accent  de  reproche  se  fait  sentir  dans  la 
phrase  :  «  E  mi  Irafisso  il  cor  » .  Après  un  silence,  Asteria  reprend 
sur  un  ton  plus  élevé  :  «  O  giorno  !  !  ».  Second  silence  plus  pro- 
longé... Le  chant  s'élève  encore  :  «  O  dolce  sguardi'l  »  Troisième 
silence...  et  la  voix,  se  traînant  péniblement  jusqu'au  son  le  plus 
aigu,  avec  les  paroles  :  «  O  rimembranza  !  »  retombe  tout  à  coup, 
comme  le  soupir  étouffé  d'un  cœur  qui  se  brise  en  murmurant  : 
«  O  amor  !  »  et...  plus  rien...,  pas  une  note  de  ritournelle...  l'or- 
chestre se  tait...  que  pourrait-il  ajouter  en  effet  qui  ne  fût  au 
moins  inutile'?...  Pasta!  Nina  ravissante!  Elle,  elle  seule  doit 
chanter  la  désolante  mélodie  que  Gluck  a  tirée  du  fond  de  son 
cœur  (1)  ». 

Pourrions-nous  nous  dispenser,  après  cette  citation  où  le 
chant  de  Gluck  est  si  subtilement  analysé  presque  note  par  note, 
d'en  reproduire  la  transcription,  surtout  quand  nous  pouvons 
faire  celle-ci  sur  le  même  exemplaire  par  lequel  Berlioz  a  connu 
l'œuvre  et  en  a  éprouvé  de  si  douces  émotions  (2)? 

(1)  Gazelle  musicale  de  Paris,  1834,  p.  174  :  Gluck,  article  d'HECTon  Berlioz. 

(2)  Berlioz  a  même  laissé  des  traces  de  son  écriture  sur  cet  exemplaire  de  Telemacco 
appartenant  à  la  Bibliothèque  du  Conservatoire  ;  on  la  reconnaît  dans  une  note  origi- 
nale, par  laquelle  il  rectifie  l'incorrection  d'un  mot  italien  écrit  sous  la  musique,  et 


LE  MENESTREL 


:;'i 


Telemacco  est  une  partition  si  riche  en  matière  musicale  que 
Gluck,  suivant  son  habitude,  y  a  pu  reprendre  des  thèmes  et  des 
fragments  nombreux  sans  l'épuiser.  Nous  avons  déjà  noté  au 
passage  quelques-uns  de  ces  emprunts,  par  exemple  l'invoca- 
tion de  Télémaque  devenue  premier  thème  de  l'ouverture  A' Iphi- 
génie enAulide  et  du  chant  d'Agamemnon  ;  il  est  facile  d'en  allonger 
la  liste.  La  même  Iphigénie  s'est  enrichie  encore  (sinon  à  la  pre- 
mière représentation,  du  moins  lors  du  remaniement  qui,  sui- 
vant de  près,  donna  à  cet  opéra  sa  forme  définitive)  du  bel  air 
de  danse  dont  nous  avons  signalé  la  présence  dans  la  première 
scène  de  Telemacco,  immédiatement  après  l'ouverture. 

Iphigénie  en  Tauride  aussi  s'est  parée  de  quelques-unes  de  ses 
dépouilles  :  un  air  de  Télémaque  :  Non  dir  mi  cKio  viva,  passé, 
avec  un  simple  changement  au  début,  dans  la  bouche  d'Oreste, 
est  devenu  son  air  agité  :  «  Dieux  qui  me  poursuivez  » .  L'air  de 
Circé  :  5e  a  estinguer  non  batasta,  pris  lui-même  à  Antigono,  est 
chanté  définitivement  par  Iphigénie  sur  les  paroles  :  «  Je  t'im- 
plore et  je  tremble  ». 

Un  air  d'Asteria  :  Perdo,  o  dio,  l'amato  bene,  après  une  première 
station  dans  le  Fesle  d'Appollo,  reparaîtra  dans  la  Cythère  assiégée 
parisienne. 

Mais  c'est  surtout  Armide  qui  bénéficiera  des  reprises  faites 
par  Gluck  sur  son  bien.  Outre  l'ouverture  et  le  duo  :  Esprits 
de  haine  et  de  rage,  déjà  signalés,  l'introduction  orchestrale  de  la 
scène  entre  Armide  et  Hidraot  au  second  acte,  et  les  apostrophes 
successives  de  la  Haine  :  «  Amour,  sors  pour  jamais  »  (air  :  Dali' 
orrido  saggiomo,  passé  d'abord  dans  le  Feste  d'Apollo)   et  «   Suis 


l'amour  puisque  tu  le  veux»  (Nolte  fedel  custode,  aussi  employé 
dans.  Paride  ed  Elena)  sont  tous  matériaux  empruntés  à  Telemacco. 
Cette  œuvre,  bien  que  n'ayant  pu  survivre  dans  son  état  inté- 
gral, a  donc  donné  des  preuves  de  vitalité  qui  lui  méritent  une 
place  à  part  dans  l'ensemble  de  la  production  de  Gluck.  Il  im- 
portait de  la  lui  restituer. 

Deux  ans  et  demi  passèrent  encore,  durant  lesquels  le  maitre 
continua  de  couler  sa  vie  banale  de  musicien  de  cour.  Pendant 
ce  temps,  il  fit  encore  deux  ouvrages  de  circonstance,  pour  des 
fêtes.  Le  premier  ne  fut  même  pas  exécuté  :  il  a  pour  titre  la 
Corona,  et  avait  été  écrit  afin  d'être  chanté  pour  la  fête  de  l'em- 
pereur François  Ier  par  ses  quatre  filles  les  archiduchesses,  mises 
en  goût  par  le  succès  qu'il  Parnaso  confuso  n'avait  pu  manquer 
d'obtenir  l'année  précédente  ;  mais  l'Empereur  mourut,  et,  par 
suite  du  deuil,  la  représentation  fut  décommandée.  L'autre  est 
un  Prologo,  pour  une  autre  fête  en  l'honneur  d'une  archidu- 
chesse, célébrée  à  Florence  le  22  février  1767;  il  fut  exécuté  au 
théâtre  de  la  Pergola  (1).  C'est  une  simple  cantate  dramatique 
avec  chœur  et  un  seul  personnage  :  ce  dernier,  à  la  vérité,  est 
Jupiter. 

Cependant,  Gluck  songeait  à  de  plus  grandes  actions.  Il  nous 
l'a  dit  :  «  Lorsque  j'entrepris  de  mettre  en  musique  l'opéra 
(YAlceste,  je  me  proposai  de  mettre  fin  à  tous  les  abus...  »  C'est 
toujours  un  effort  rare  que  de  vouloir  mettre  fin  à  tous  les  abus. 
Étudions  de  quelle  manière  il  s'y  prit  pour  l'accomplir. 

(A  suivre.)  Julien-  Tiersot. 


APRES    LA    REPETITION    GENERALE    DU    CREPUSCULE  DES  DIEUX 


Cinq  heures  et  demie.  Fichtre  !  il  ne  s'agit  pas  d'être  en  retard.  Je 
hèle  un  cocher,  qui  s'avance  avec  sa  guimbarde. 
—  Où  allons-nous,  bourgeois  ? 

duquel  il  dit:  «  Appanti  est  là  pour  appannati{tcmes)» .  Il  avait  apporté  l'air  de  Tele- 
macco en  Italie,  et  l'avait  montré  à  Mendelssohn,  lequel,  l'ayant  pris  pour  un  air  mo- 
derne, de  quelque  Bellini,  s'en  était  moqué  (voir  ses  Mémoires,  Premier  voyage  en 
Allemagne,  4""  lettre,  Leipzig);  il  est  fait  allusion  à  la  querelle  qu'ils  eurent  il  cette 
occasion  dans  l'article  même  de  la  Gazette  musicale,  à  la  suite  de  la  citation  ci-dessus: 
«  Je  fis  entendre  un  jour,  en  Italie,  ce  morceau  déchirant  à  un  musicien  d'un  talent 
fort  distingué;  il  le  trouva  insignifiant  et  me  prouva  sa  nullité  par  une  foule  de  rai- 
sonnements péremptoires.  Je  sentis  dès  ce  moment  que  je  le  haïssais  de  toutes  mes 
forces;  je  ne  crois  pas  pouvoir  lui  pardonner  jamais  ».  C'était  le  temps  où,  de  son 
coté,  Mendelssohn  disait  de  Berlioz  qu'il  avait  «  des  envies  de  le  dévorer  »,  et  assu- 
rait que  toutes  ses  attitudes  n'avaient  pas  d'autre  but  que  de  lui  permettre  de  trouver 
à  se  marier  ! 


—  A  l'Opéra. 

Mou  homme  change  de  couleur.  Il  a  l'air  de  me  prendre  pour  un 
échappé  de  Chareuton,  et  fait  mine  de  s'éloigner.  Il  se  ravise  pourtant, 
et  voulant  me  faire  répéter  : 

—  S'il  vous  plaît,  bourgeois  ? 

—  Eh  bien,  à  l'Opéra. 

Il  parait  décidément  ahuri.  Après  tout,  se  dit-il  sans  doute,  ce  n'est 
pas  très  loin,  et  si  mon  voyageur  veut  contempler  tranquillement  le 
buste  de  Charles  Garnier,  c'est  son  affaire.  —  Et  hue  !  cocotte. 

(1)  Prologo  fatto  gia  in  occasione  del  fuluro  felice  porta  di  S.  A.  H.  Maria  Luisa.  etc.. 
La  Musica  e  del  célèbre  Sigr  Cavalière  Glncli.  Une  partition  manuscrite,  non  autographe, 
de  cette  œuvre  inconnue  jusqu'alors,  fut  retrouvée  en  1888  à  la  Bibliothèque  duXiceo 
musicale  de  Florence  ;  elle  fut,  à  cause  de  sa  rareté,  gravée  en  1891  à  Leipzig  Breitkopf 
et  Hiirtel). 


340 


LE  MÉNESTREL 


Tant  bien  que  mal  nous  arrivons,  après  avoir  franchi  les  innombra- 
bles fondrières  qui  nous  séparent  du  temple  d'Euterpe  et  de  Terpsi- 
chore,  et  je  ne  m'occupe  plus  de  mon  bonhomme  que  pour  lui  payer  sa 
course. 

J'entre.  On  entre,  car  malgré  l'heure  matinale  les  couloirs  sont  déjà 
pleins.  Songez  donc,  ma  chère,  il  s'agit  de  Wagner,  et  on  nous  a  pré- 
venus qu'on  ne  pourrait  entrer  ni  sortir  une  fois  chaque  acte  com- 
mencé. (Non,  ça  n'était  pas  si  rigoureux  que  ça,  car  on  entrait  très  bien 
pendant  les  actes,  et  on  sortait  de  même  avant  la  fin.) 

Tout  de  même,  on  se  place.  Je  regarde  ma  montre  :  six  heures  un 
quart.  C'est  le. quart  d'heure  de  grâce  accordé  aux  retardataires.  On 
donne  de  la  scène  le  premier  signal.  M.  Messager  pénètre  dans  l'or- 
chestre et  prend  place  au  pupitre.  Son  arrivée  est  saluée  par  une 
bordée  d'applaudissements.  Solennellement  on  frappe  les  trois  coups, 
la  salle  est  aussitôt  plongée  dans  l'obscurité,  et  le  prélude  commence. 
En  voilà  pour  deux  heures  —  moins  cinq,  comme  on  disait  au  Palais- 
Royal. 

Le  rideau  se  lève  —  je  veux  dire  se  sépare  —  et  nous  assistons  à  la 
scène  des  trois  Nomes.  Ces  trois  antiquailles  jabotent  pendant  dix-sept 
minutes,  montre  en  main,  après  quoi  le  décor  change  pour  nous  mettre 
en  présence  de  trois  autres  personnages  :  Siegfried,  Bruuehilde  et  le 
cheval,  le  fameux  Grane.  qui  a  heureusement  la  délicatesse  de  ne  pas 
mêler  sa  voix  à  celle  de  ses  maitres,  bien  qu'il  assiste  à  tout  leur  entre- 
tien. 

Ci  finit  le  prologue,  incontinent,  suivi  du  premier  acte,  que  je  ne 
raconte  pas  aujourd'hui,  vous  réservant  ça  pour  la  semaine  prochaine. 
Le  rideau  tombe,  c'est-à-dire  se  rapproche,  sérieusement.  Il  est  juste 
huit  heures  dix.  Ça  fait  bien  deux  heures  —  moins  cinq,  toujours 
comme  au  Palais-Royal  et  comme  on  nous  l'avait  promis.  On  se  détend, 
on  se  dépèche  de  quitter  la  salle  pour  aller  casser  une  croûte.  C'est  le 
triomphe  du  buffet.  On  se  serre,  on  se  presse,  on  s'écrase.  Ceux  qui 
ont  eule  bon  esprit  de  retenir  des  tables  sont  les  victorieux.  Les  autres 
doivent  se  contenter  d'entourer  le  comptoir  et  de  grignoter  un  sand- 
wich ou  une  brioche  en  absorbant  une  coupe  de  Champagne  ou  un 
verre  de  malaga. 

Et  c'est  là  qu'on  peut  admirer  les  belles  madames  en  tenue  Directoire, 
la  taille  sous  la  gorge,  la  robe  en  fourreau  de  parapluie,  le  haut  du  bras 
encerclé  d'un  serpent  d'or  qui  en  fait  trois  fois  le  tour,  et  une  coiffure 
à  la  Récamier.  Vous  trouvez  ça  joli  ?  Pas  moi.  Et  il  faut  les  entendre 
papoter  : 

—  Ma  chère  amie,  j'ai  vu  le  Gotterdàmmerung  à  Bayreuth  (ça  donne 
du  chic,  de  dire  le  titre  en  allemand);  vrai,  ce  n'était  pas  mieux. 

—  Je  vous  assure  qu'à  Munich  c'était  très  bien. 

—  Moi,  dit  une  troisième,  je  ne  l'avais  encore  entendu  qu'au  Chàteau- 
d'Eau,  il  y  a  quelques  années.  Litvinne  était  superbe,  et  puis  l'or- 
chestre était  caché  ;  c'était  bien  mieux.  Seulement,  on  avait  fait  des 
coupures,  c'est  dommage. 

—  Oh!  ne  me  parlez  pas  de  ça.  Il  faut  représenter  les  œuvres  telles 
qu'elles  ont  été  écrites. 

—  On  dit  pourtant  qu'en  Allemagne  même  on  fait  des  coupures. 

—  Les  Allemands  n'y  entendent  rien. 

Tout  à  coup  on  sonne.  Déjà  !  Ça  ne  fait  rien.  En  un  clin  d'œil  les 
tables  se  vident  et  le  comptoir  se  dégarnit  ;  on  règle  et  on  file.  Songez 
donc  1  On  veut  bien  lâcher  un  morceau  de  pâté,  mais  on  ne  veut  pas 
perdre  une  note  du  Crépuscule,  si  nombreuses  soient-elles.  Et  puis,  on 
n'aurait  qu'à  fermer  les  portes,  comme  on  l'a  annoncé  ! 

Loges  et  fauteuils,  tout  est  occupé  de  nouveau.  C'est  le  second  acte. 
Nous  en  avons  cette  fois  pour  une  heure  dix.  C'est  d'abord  le  dialogue 
d'Alberich  et  de  Hagen,  puis  le  retour  de  Siegfried,  puis  l'arrivée  des 
chasseurs  et  la  longue  harangue  (oh  !  combien  longue!)  que  Hagen  leur 
adresse,  et  enfin  la  grande  scène  du  double  mariage  et  l'imprécation  de 
Brunehilde.  Gros  succès  d'interprétation.  Double,  triple  rappel.  Il  n'y 
a  qu'une  voix  dans  la  salle,  une  fois  le  rideau  fermé  :  Grandjean  est 
superbe  de  vaillance  et  d'émotion,  Van  Dyck  n'a  jamais  mieux  clai- 
ronné, et  Delmas,  et  Gilly,  et  Mlk'Rose  Fèart... 

Une  demi-heure  d'entracte,  et  le  troisième  acte  commence.  C'est 
celui  de  la  mort  de  Siegfried  et  le  point  culminant  de  l'œuvre.  Scène 
de  Siegfried  et  des  Filles  du  Rhin  ;  long  récit  de  Siegfried  (oh  !  combien 
long  !)  racontant  son  existence  ;  son  meurtre  par  Hagen,  qui  amène 
l'admirable  marche  funèbre  ;  la  déploration  de  Brunehilde  sur  le  corps 
de  celui  qui  fut  son  époux,  etc.,  et  tout  se  termine  par  l'écroulement 
du  Walhalla.  Chute  du  rideau.  Nouveaux  applaudissements,  nouveaux- 
rappels,  nouvelles  acclamations.  Les  belles  madames  surtout  font  cra- 
quer leurs  gants  à  force  d'applaudir  et  s'enrouent  à  force  de  crier.  (Vous 
savez  que  si  les  wagnériens  sont  féroces,  les  wagnériennes  sont  en- 
raaées.) 


On  sort.  C'est  le  coup  du  vestiaire.  Les  paroles  se  croisent  pendant 
que  les  pieds  s'écrasent.  —  C'est  grandiose  !  —  Oui.  Tout  de  même  un 
peu  long.  —  Et  quel  orchestre  !  —  Sans  doute  ;  mais  je  demande  des 
coupures.  —  Eh  bien,  vous  en  aurez  dans  huit  jours,  et  en  attendant, 
vous  aurez  entendu  l'œuvre  au  complet.  —  Je  reviendrai  dans  huit 
jours... 

Et  chacun  tire  de  son  côté.  La  foule  s'écoule  peu  à  peu,  le  théâtre  se 
vide,  les  lumières  s'éteignent,  il  est  minuit  et  demi... 

—  Cocher,  ramenez-moi  chez  moi. 

Arthur  Pougin 


UNE  FAMILLE  DE  GRANDS  LUTHIERS  ITALIENS 

LES    GUARNERIUS 


JOSEPH    GUARNERIUS    DEL    GESU 
III 

LES  INSTRUMENTS  DE  JOSEPH  GUARNERIUS  DEL  GESU 

I!  va  sans  dire  que  les  violons  de  Joseph  Guarnerius  del  Gesù  ont 
été  l'objet  d'innombrables  imitations,  qu'il  faut  d'ailleurs  distinguer 
entre  elles.  Il  y  a  les  imitations  frauduleuses,  celles  que  certains 
luthiers  italiens  peu  scrupuleux  s'efforçaient  de  faire  passer  et  de 
vendre  pour  des  originaux,  dont,  naturellement,  elles  n'avaient  pas  la 
valeur.  Mais  il  y  eut  aussi  les  imitations  de  bonne  foi,  qui  se  donnaient 
comme  telles  et  qui  ne  cherchaient  pas  à  en  imposer.  Il  y  eut  enfin  ce 
qu'on  pourrait  appeler  peut-être  des  imitations  inconscientes,  au 
nombre  desquelles  on  peut  citer  certains  violons  de  Joseph  Guarne- 
rius, fils  d'André,  qui  ressemblent  tellement  à  ceux  de  son  cousin 
Joseph  del  Gesù,  que  souvent  ils  furent  attribués  à  celui-ci.  Parmi  les 
imitations  de  bonne  foi  il  faut  surtout  mentionner  celles,  fort  habiles, 
de  notre  luthier  français  Vuillaume,  dont  un  échantillon  excita  un 
jour  l'étonnement,  on  pourrait  dire  la  stupéfaction  de  Pagauini. 

C'était  lors  du  premier  séjour  de  Paganini  à  Paris.  Son  fameux 
Guarnerius  avait  besoin  sinon  d'une  réparation  proprement  dite,  du 
moins  de  quelques  soins  qui  réclamaient  le  secours  et  l'expérience  d'un 
luthier,  et  à  cet  effet  il  le  confia  pour  quelques  jours  à  Vuillaume. 
Celui-ci,  heureux  d'avoir  en  main  un  instrument  si  admirable,  eut 
aussitôt  l'idée  d'en  faire  une  copie  aussi  exacte  que  possible.  Il  se  mit 
à  l'œuvre  et  réussit  effectivement  à  imiter  son  modèle  de  façon  si  par- 
faite que,  ayant  montré  ce  violon  à  Paganini,  le  grand  virtuose  en  fut 
émerveillé  :  la  forme  et  l'aspect  de  la  caisse,  l'adaptation  du  manche, 
la  volute,  tout  était  si  exactement  ressemblant  que  l'on  pouvait  s'y 
méprendre.  Bref,  Paganini  l'ayant  essayé  et  se  montrant  très  satisfait 
de  la  sonorité  de  ce  pseudo-Guarnerius,  le  trouva  tellement  à  son  goût 
qu'il  exprima  le  désir  de  l'acheter;  mais  Vuillaume,  très  fier  du  succès 
qu'il  obtenait  auprès  de  lui,  le  lui  offrit  gracieusement.  C'est  cet  ins- 
trument qui  passa  plus  tard  aux  mains  de  Sivori,  et  dont  l'existence 
faillit  se  terminer  dans  un  drame.  C'est  toute  une  petite  histoire,  dont 
on  counait  peu  les  éléments. 

Sivori,  j'ai  eu  l'occasion  de  le  dire,  fut  le  seul  élève  que  Paganini 
consentit  jamais  à  former,  et  cela  grâce  à  un  incident  bizarre  qui 
signala  sa  naissance  et  qui  amena  la  première  rencontre  du  maître  et 
du  disciple,  alors  à  peine  âgé  de  cinq  à  six  ans.  J'emprunte  le  récit  de 
cette  rencontre  à  l'un  des  biographes  italiens  de  Paganini.  C'est  lors  du 
retour  de  celui-ci  à  Gènes,  en  1822  : 

Il  y  avait  de  bons  amis,  dit  l'écrivain.  Parmi  les  premiers  se  trouvait  son 
protecteur  le  marquis  di  Negro,  qui  eut  toujours  pour  lui  une  affection  de 
père,  et  son  vieux  maître  Costa,  lequel  était  orgueilleux  de  son  élève,  et  il  y 
avait  de  quoi.  Celui-ci  avait  préparé  la  plus  heureuse  surprise  à  Paganini. 

Un  soir  que  tous  deux  avaient  été  invités  à  une  fête  de  famille  par  le  mar- 
quis, Costa,  pendant  que  tous  les  convives  causaient  et  riaient,  se  leva  et  dit 
tout  haut  : 

—  Messieurs,  votre  mémoire  vous  rappellera  certainement  à  tous  cette 
fameuse  soirée  de  1817,  où  ici,  à  Gènes,  au  Théâtre  Sant'Agostino,  notre 
illustre  Paganini,  donnant  un  concert,  excita  parmi  nous  l'enthousiasme  que 
sait  inspirer  son  génie.  Vous  vous  rappellerez  aussi  qu'à  la  fin  d'un  agilaln 
sublime,  taudis  que  tous  étaient  extasiés  à  l'entendre,  on  entendit  un  gémis- 
sement sortir  du  fond  d'une  loge... 

—  C'est  vrai,  c'est  vrai,  exclama  Paganini  ému.  Je  m'en  souviens  comme 
si  c'était  aujourd'hui.  On  me  dit  qu'en  ce  moment  une  signora,  enceinte  de 
huit  mois,  avait  voulu  malgré  tout  venir  au  concert,  et,  prise  de  douleurs, 
tomba  en  faiblesse  et  dut  être  emportée  en  toute  hâte. 

—  Oui.  et  cette  signora  était  la  Sivori,  qui  dans  la   nuit  mit  au  monde  nn 


LE  MÉNESTREL 


341 


enfant.  Eh  bien,  cet.  enfant,  âgé  aujourd'hui  de  six  ans,  a  un  tel  transport 
pour  le  violon  qu'il  ressemble  parfaitement  à  notre  Paganini  quand  il  était  à 
cet  âge.  J'éprouve  le  désir  de  vous  en  l'aire  juges  vous-mêmes. 

Et  ce  disant,  il  fit  venir  le  petit  Sivori,  qui,  tout  rouge  d'émotion,  n'osait 
regarder  personne  en  face.  Rassuré  par  les  caresses  de  Costa  et  parles  paroles 
affectueuses  des  assistants,  il  reprit  peu  a  peu  contenance,  et,  invité  par  son 
maitre,  il  se  mit  à  exécuter  un  morceau  avec  tant  de  désinvolture  et  tant  de 
suavité  que  Paganini  lui-même,  l'enlevant  de  terre,  l'embrassa  affectueuse- 
ment, puis  dit  à  Cosla  : 

—  Maitre,  si  vous  voulez  bien,  je  donnerai  des  leçons  à  ce  petit  Sivori. 

—  Si  je  veux  bien  ?  Avec  grand  plaisir,  mon  cher  Nicolo.  Faites,  faites 
vraiment.  Mais  à  vous  dire  franchement,  c'est  un  rêve  pour  moi  que  vous 
vouliez  consentir  à  donner  des  leçons.  Jamais,  autant  que  je  sache,  vous 
n'aviez  voulu  le  faire. 

—  C'est  que  c'est  un  cas  très  intéressant  pour  moi,  maitre,  répondit  en 
riant  Paganini. 

—  Vous  avez  raison.  —  Quant  à  loi,  mon  petit  Camille,  dit-il  à  l'enfant,  tu 
peux  faire  en  peu  de  temps  avec  lui  ce  que  tu  ne  ferais  pas  en  cent  ans  avec 
moi  (1). 

Paganini  prit  eu  grande  affection  son  petit  élève,  qui  lit  honneur  à 
ses  soins  et  devint,  on  le  sait,  ainsi  que  Bériot,  Alard,  Vieuxtemps, 
Léonard.  Joachim,  Wieniawski,  etc.,  l'un  des  plus  grands  violonistes 
du  XIXe  siècle.  Il  écrivit  expressément  pour  lui  un  concertino  ainsi 
qu'une  série  de  six  sonates  avec  accompagnement  de  guitare,  alto  et 
violoncelle,  dont  Sivori  conserva  pieusement  les  manuscrits,  et  qu'il 
lui  faisait  exécuter  en  public  en  ne  dédaignant  pas  de  l'accompagner 
lui-même  sur  la  guitare.  Malgré  les  voyages  de  l'un  et  de  l'autre,  le 
maitre  et  l'élève  se  revirent  souvent,  toujours  avec  joie;  et  c'est  dans 
une  de  ces  rencontres  que  Paganini.  pour  prouver  à  Sivori  toute  sa 
tendresse  et  le  cas  qu'il  faisait  de  son  talent,  lui  fit  don  du  beau  violon 
imité  de  Guarnerius  que  Vuillaume  avait  fait  pour  lui.  Sivori  reçut  ce 
présent  avec  reconnaissance,  et  il  va  de  soi  qu'après  la  mort  de  Paga- 
nini ce  pseudo-Guarnerius  devint  pour  lui  une  relique  particulière- 
ment chère.  C'est  ce  violon  pourtant  qui  faillit  périr  un  jour,  ou  plutôt 
une  nuit,  en  compagnie  de  son  nouveau  maitre,  dans  un  naufrage  en 
rivière.  En  une  lettre  amusante.  Sivori  faisait  connaître,  il  y  a  une 
trentaine  d'années,  les  détails  de  cette  aventure  humide  à  son  ami 
Oscar  Comettant.  Je  transcris  presque  intégralement  cette  lettre 
curieuse,  en  en  retranchant  seulement  cinq  où  six  lignes  d'introduc- 
tion, sans  rapport  avec  le  sujet  : 


Paris,  le  11  février  1878. 


Mon  cher  Comettant, 


..  .Vous  avez  parlé  de  mon  Vuillaume.  que  vous  m'avez  souvent  entendu 
jouer;  mais  vous  n'en  connaissez  probablement  pas  l'histoire,  qui  est  une 
curieuse  histoire. 

Ce  violon  du  célèbre  luthier  français  a  été  fabriqué  expressément  pour 
Paganini  sur  le  modèle  du  Guarnerius  que  cet  illustre  artiste  jouait  en  public. 
Un  jour,  étant  à  Gênes,  mon  pays  natal,  je  reçus  une  lettre  douce  à  mon 
cœur  et  que  je  conserve  précieusement,  par  laquelle  il  me  faisait  présent  de  ce 
bel  instrument.  Il  m'engageait  à  me  rendre  à  Nice,  pour  confronter  le  Vuil- 
laume avec  le  Guarnerius. 

C'était  en  1840,  et  déjà  la  maladie  qui  devait  être  fatale  à  Paganini  l'avait 
rendu  si  impressionnable  qu'il  ne  pouvait  plus  entendre  la  musique  que  de 
loin.  Il  me  fit  mettre  avec  les  deux  violons  dans  une  chambre  à  coté  de  la 
sienne,  et  j'essayai  alternativement  les  deux  instruments.  Bien  que  le  violon 
de  Vuillaume  fût  entièrement  neuf  et  que  les  sons  en  fussent  nécessairement 
un  peu  durs,  il  fut  facile  d'en  reconnaître  les  belles  qualités,  et  Paganini  le 
mit,  dès  ce  moment,  presque  au  même  rang  que  son  Guarnerius. 

L'usage  constant  que  j'ai  fait  de  mou  Vuillaume  l'a  certainement  beaucoup 
amélioré,  et  j'y  tiens  pour  plus  d'un  motif,  comme  vous  voyez.  Il  a  été  mon 
compagnon  de  voyage  dans  toute  l'Europe,  en  France,  en  Belgique,  en  Angle- 
terre, enllollande,  en  Allemagne.en  Autriche, en  Russie,  en  Suisse,  en  Espagne. 
enPortugal,  etc.,  et  dans  les  deux  Amériques,  soit  soixante-sept  villes  desÉtats- 
Unis.  puis  La  Havane,  le  Pérou,  le  Chili,  le  Brésil,  Buenos- Ayres,  Montevideo, 
etc.  Dans  tout  ce  long  parcours,  mon  fidèle  compagnon  s'est  superbement 
comporté  :  à  peine  si  les  grandes  chaleurs  des  pays  équatoriaux  ont  agi  sur  la 
colle,  en  faisant  bailler  la  table  et  les  éclises  :  mais  ces  petits  accidents  ont  été 
facilement  réparés,  et  c'est  en  Europe  que  de  cruelles  épreuves  attendaient 
mon  instrument,  à  mon  retour  d'Amérique. 

C'était  en  Vénétie.  J'étais  parti  de  la  ville  d'Udine  pour  aller  donner  un 
concert  dans  une  autre  ville  voisine.  Nous  étions  quatre  dans  la  voiture  :  mon 
accompagnateur,  Belloni,  et  un  prêtre  passionné  de  musique  qui  ne  voulait 
pas  perdre  une  de  messéances.  Le  froid  était  vif,  il  gelait;  j'étais  enveloppé 
dans  mi  pelisse,  ayant  sur  les  genoux  un  Amati  avec  mon  Vuillaume. 

Dans  la  nuit,  entre  une  heure  et  deux  heures,  quand  nous  dormions  tous 
profondément,  nous  fûmes  reveillés  horriblement  par  la  voiture  qui  versait 
dans  un  mare  d'eau  gelée,  assez  profonde.  Lî  poids  du  véhicule,  avec  les  che- 
vaux, le  cocher  et  les  voyageurs,   rompit  la  glace   avec' fracas,  et  nous  nous 


(I)  Orcsle  Bruni  :  Xicolo  Paganini,  célèbre  ciolinista  genovese.  —  Fireuze.  1873,  in-i 


trouvàme  dans  l'eau  jusqu'au  cou.  L'accompagnateur  brisa  d'un  coup  de 
poing  une  vitre  d'un  vasistas  en  se  blessant  grièvement:  le  prêtre  passa  le  pre- 
mier par  cette  brèche  et  nous  aida  à  sortir  de  la  mare.  Belloni  avait  reçu  un 
coup  violent  sur  un  œil  ;  moi.  je  n'avais  que  des  contusions  légères,  mais  tous 
mes  vêtements  étaient  traversés  par  l'eau  glacée.  Je  n'avais  pas  biche  ma 
boîte  à  violon,  mais  elle  s'était  ouverte,  et  mes  pauvres  instruments  étaient 
dans  le  plus  pileux  état.  Je  les  crus  perdus  à  jamais. 

Nous  nous  dirigeâmes,  grelottant,  vers  une  maison  de  paysan  qui  se  trou- 
va.I  sur  la  route.  Le  brave  rural  nous  prit  d'abord  pour  des  brigands  et  refusa 
d'ouvrir.  Enfin  il  nous  donna  l'hospitalité  et  alluma  du  feu.  Les  blessés  parent 
panser  leurs  blessures,  et  nous  changeâmes  de  linge  et  d'habits. 

Le  lendemain  de  cette  terrible  nuit,  mon  premier  soin  lut  de  m'enquérir  d'un 
luthier  assez  capable  pour  tenter  de  réparer  les  graves  avaries  de  mes  violons. 
De  luthier,  il  n'y  en  avait  point  dans  le  pays,  mais  on  m'apprit  qu'il  se  trouvait 
dans  le  village  voisin  un  barbier  renomné,  non  point  pour  la  coupe  des  che- 
veux et  la  légèreté  de  son  rasoir,  mais  pour  son  habileté  à  raccommuibr  les 
violons.  Ja  crus  à  une  pi  lisanterie  :  un  barbier  de  village  émule  des  Stradi- 
varius, des  Amati,  des  Guarnerius!  J'aurais  ri  beaucoup,  si  j'avais  eu  la 
moindre  envie  de  rire. 

Cependant  je  voulus  m'assurer  du  fait,  et  je  me  rendis  chez  ce  curieux 
barbier.  Il  me  lit  voir  des  violons  réparés  par  lui,  et  je  fus  étonné  de  l'habileté 
de  ce  passé-maitre  raseur.  De  plus  en  plus  rassuré,  je  me  décidai  à  lui  confier 
la  réparation  de  mes  deux  chers  instruments:  Un  mois  après,  ce  barbier  di 
qualità  me  rendit  mon  Amati  en  parfait  état  et  mon  Vuillaume  (qui  avait  le 
plus  souffert)  entièrement  ressuscité.  Le  manche  était  remplacé  et  toutes  les 
petites  plaies  étaient  fermées  et  si  bien  cicatrisées  que  le  malade  se  portait 
mieux  qu'avant  sa  maladie.  Jamais  ce  bel  instrument  ne  me  parut  meilleur 
ni  si  beau  qu'après  ce  mois  passé  dans  la  maison  de  santé  du  plus  luthier  des 
barbiers,  qui  certainement  devait  être  aussi  le  plus  barbier  des  luthiers. 

Voilà,  mon  cher  Comettant,  l'histoire  de  mon  violon;  elle  valait  bien,  n'est- 
ce  pas?  la  peine  d'être  racontée. 

Que  Dieu  lui  conserve  la  santé,  et  à  moi  aussi. 

Je  suis  votre  tout  dévoué.  Camillo  Sivori. 

(A  suivre.)  Arthur  Poigin. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(pour  les  seuls  abonnés  a  la  musique) 


Du  brio,  de  l'élégance,  de  la  fantaisie  en  des  rythmes  un  peu  connus  sans  doute, 
mais  qu'on  retrouve  avec  plaisir,  telles  sont  les  qualités  qui  recommandent  à  nos 
lecteurs  l'aimable  Valse  de  Ballet,  de  M.  Albert  Landry,  qui  lui-même  est  un  aimable 
musicien.  De  toutes  ces  amabilités  que  peut-il  rassortir,  sinon  de  l'agrément  ? 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts-Lamoureux.  —  Après  toute  une  saison  d'absence  causée  par  la 
maladie.  M.  Chevillard  a  repris  possession  de  son  orchestre,  et  l'ovation  una- 
nime et  prolongée  qui  a  salué  son  apparition  au  pupitre  lui  a  montré  en  quelle 
estime  le  tient  son  auditoire  et  quel  plaisir  son  retour  cause  à  tous.  Après  une 
exécution  magistrale  de  l'ouverture  du  Freijschùtz  deWeberet  de  la  Symphonie 
en  Fa  (n°  8)  de  Beethoven,  que  l'orchestre  rendit  avec  la  grâce  aimable  qui 
convient  à  celte  œuvre  de  charme  et  d'intimité,  le  programme  comportait  trois 
compositions  modernes  nouvelles  pour  lui,  sinon  inédites,  et  de  caractères  très 
différents.  L'introduction  du  troisième  acte  d'Ariane  et  Barbe-Bleue  de  M.  Paul 
Dubas  est  une  page  sévère,  aux  stridences  voulues,  d'une  pâte  orchestrale 
remarquable  comme  tout  ce  qu'écrit  l'auteur  de  l Apprenti  sorcier,  mais  qui,  au 
concert,  et  malgré  les  éclaircissements  nécessaires  de  la  notice  explicative, 
apparait  quelque  peu  obscure.  —  Till  Eulenspiegel  de  M.  Richard  Strauss  est  le 
poème  symphonique  le  plus  pittoresque,  le  plus  scintillant  et  spirituel,  le  plus 
extérieur,  pourrait-on  dire,  de  tous  ceux  qu'a  écrits  la  plume  de  ce  virtuose  de 
l'orchestre,  l'auteur  de  la  Symphonie-  domestique  et  de  Salomé.  Till  est  le  symbole 
allemand  de  l'ironie,  de  l'espièglerie  populaire  :  il  tient  de  l'étudiant  et  du 
gamin,  raisonne  et  agit  comme  eux.  Le  compositeur  a  trouvé  des  thèmes 
joyeux  et  caractéristiques  pour  personnifier  son  héros  et  nous  le  montre  succes- 
sivement dévastant  un  marché  dans  lequel  il  se  promène  à  cheval  :  parodiant, 
déguisé  en  moine  et  perché  sur  une  borne,  la  prédication  au  peuple  :  lutinant 
des  jeunes  filles  qui  le  repoussent  ;  discutant  devant  un  aréopage  de  doctes 
savants  et  se  moquant  d'eux  ;  puis,  victime  de  ses  propres  excès,  Till  est 
arrêté,  jugé  et  condamné  à  mort.  On  le  devine,  en  ceci  la  musique  tend  à 
exprimer  des  faits  et  non  des  sentiments  ;  elle  est  donc,  sauf  dans  l'épisode 
final  du  jugement  et  de  la  mort  qui  a  une  vraie  grandeur  tragique,  purement 
descriptive  et  pittoresque.  Or,  on  connaît  l'habileté  vraiment  miraculeuse  avec 
laquelle  M.  Strauss  sait  tirer  de  l'orchestre  des  effets  bizarres  et  nouveaux.  Son 
Till  Eulenspiegel  est  véritablement  étonnant  de  verve  et  d'esprit.  Une  exécution 
d'une  sûreté,  d'une  clarté  parfaites,  n'a  pas  peu  contribué  au  succès  d'enthou- 
siasme qu'a  excité  cette  page  rutilante  et  rabelaisienne.  —  D'une  essence  plus 
intime,  d'une  expression  plus  concentrée  est  apparue  la  Procession  Nocturne  de 


342 


LE  MENESTREL 


M.  Henri  Rabaud,  exécutée  déjà  dans  d'autres  enceintes.  Faust,  en  proie  à  son 
incurable  mélancolie,  s'enfonce  dans  une  forêt  et  rêve,  lorsque  se  déroule  à  ses 
yeux  le  cortège  religieux  de  la  Saint-Jean  qui  se  perd  bientôt  dans  le  lointain. 
La  lueur  des  cierges  éclairant  magiquement  les  arbres  séculaires,  la  naïveté 
des  chants,  la  Foi  qui  s'épand  sur  lui  sans  le  pénétrer,  plongent  Faust  dans  un 
désespoir  sans  fond,  et  il  «  pleure  alors  de  brûlantes  larmes,  les  plus  amères 
qu'il  ait  jamais  versées  ».  Sur  ce  thème  d'une  réelle  beauté.  M.  Rabaud,  avec 
une  sobriété  dont  on  doit  le  louer,  a  écrit  une  œuvre  sévère,  mais  d'une  émo- 
tion concentrée  et  qui  lui  fait  grand  honneur.  Des  divers  épisodes  qui  se 
déroulent  —  la  mélancolie  de  Faust  —  la  procession  —  et  le  désespoir,  — 
c'est  le  dernier  qui  m'a  paru  avoir  le  mieux  inspiré  l'auteur.  Il  a  su  trouver 
dans  les  dernières  pages  des  accents  vraiment  beaux  et  émouvants.  —  On  a 
fêté  ces,  trois  intéressants  tableaux  symphoniques,  que  M.  Chevillant  a  conduits 
magistralement  et  auxquels  une  heureuse  péroraison  était  fournie  par  les  Pré- 
Indes île  Liszt,  premier  et  génial  créateur  de  cette  captivante  forme  d'art. 

J.  Jemain. 

—  De  leur  côté,  les  Concerts -Colonne  ont  effectué  leur  réouverture  avec  la 
Damnation  de  Faust  sous  la  vaillante  direction  de  M.  Colonne.  L'interprétation, 
avec  MIle  Grandjean,  M.  Renaud,  le  ténor  Lemaire  et  la  basse  Eyraud.  a  été 
fort,  remarquable. 

—  Programmes  des  concerts  de  demain  dimanche  : 

Châtelet,  Concerts-Colonne  (à  l'occasion  de  l'anniversaire  de  la  naissance  de 
Georges  Bizet)  :  Ouverture  de  Patrie  (Bizet).  —  Fragments  de  Bjainileli  i  Bizet),  chan- 
tés par  M.  Plamondon  et  M1'1  Demellier.  —  Borna  (Bizet).  —  Concerto  en  la  mineur 
pour  piano  (Grieg),  par  M™'  Samaroff.  —  Fragments  des  Pécheurs  de  Perles  (Bizet), 
chantés  par  MM.  Plamondon  et  Dangès.  —  Vous  ne  priez  pas  et  Adieux  de  l'Hôtesse 
Arabe.  (Bizet),  par  M"c  Demellier.  —  Fragments  de  V Artésienne  (Bizet). 

Salle  Gaveau,  Concerts-Lamoureux  :  Ouverture  de  Patrie  (Bizet).  —  Symphonie 
écossaise  (Mendelssohn).  —  Oceano  Nox  (E.  Flament).  —  Concerto  en  mi  majeur  pour 
piano  (Bach),  par  M.  Louis  Diémer.  —  Ballade  syinphonique  (Chevillard).  —  Till 
Eulenspieget  (R.  Strauss). 

—  La  Société  J.-S.  Rach,  sous  la  direction  de  M.  G.  Rret,  donnera  cet  hiver 
six  grands  concerts.  Après  une  reprise  de  la  Passion  selon  saint  Jean,  elle  fera 
entendre,  avec  le  concours  des  solistes  les  plus  justement  réputés,  la  première 
partie  de  la  Messe  en  si  mineur,  VAelus  trayions,  le  Magnificat,  de  grandes  Can- 
tates, entre  autres  la  célèbre,  Wachet  auf,  et  diverses  œuvres  instrumentales. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

Joseph,  le  célèbre  opéra  de  Méhul,  va  reparaître  au  printemps  prochain 
sur  plusieurs  scènes  de  l'Allemagne.  M.  Max  Zenger  a  revisé  la  partition  et  a 
composé  des  récitatifs  remplaçant  les  dialogues  parlés.  Dans  cette  forme,  nou- 
velle, l'œuvre  sera  jouée  en  février  1909  à  l'Opéra-Royal  de  Rerlin,  avec 
M.  Ernest  Kraus  dans  le  rôle  principal.  Les  théâtres  de  la  Cour,  à  Weimar 
et  à  Dessau,  la  donneront  ensuite. 

—  La  Société  des  Philharmoniques  de  Vienne  donnera  dans  sa  prochaine 
saison  deux  concerts  solennels  dans  lesquels  seront  exécutées  la  Messe  en  si 
mineur  de  Rach  et  la  Missa  solemnis,  de  fieethoven.  Elle  fera  entendre  ensuite 
la  Messe  da  Couronnement  de  Liszt  et  le  Te  Deunt  de  Rruckner.  Dans  ses  con- 
certs d'abonnement  elle  donnera  successivement  le  Baltha:ar  de  Haendel,  la 
Croisade  des  Enfants  de  M.  Gabriel  Pierné  sous  la  direction  de  l'auteur, 
YElie  de  Mendelssohn  pour  le  centenaire  du  maître,  et  Roméo  et  Juliette,  de 
Berlioz. 

—  On  confirme  les  chiffres  énormes  auxquels  se  sont  élevés  les  frais  du 
ballet  de  Sardanapal  à  l'Opéra-Royal  de  Berlin.  Le  total  s'élèverait  à  47S.000fr. , 
comprenant  une  dépense  réelle  de  437. 300  francs,  et  un  manque  de  gagner  de 
37..'ln!i  francs,  à  cause  des  représentations  qui  ont  dû.  être  supprimées  à  cause 
des  répétitions.  Il  faudra  encore  ajouter  à  ces  sommes  le  délïcit  qui  se  produit 
sar  la  recette  moyenne  dn  théâtre,  chaque  fois  que  l'on  joue  cet  ouvrage. 
L'esprit  allemand  s'exerce  à  sa  manière  contre  ce  malencontreux  ballet  ;  les 
Signale  font  les  réflexions  suivantes  :  «  Les  trois  soporifiques  les  plus  efficaces 
que  l'ont  ait  récemment  découverts  sont  :  Le  Véronal,  le  Trional  et  le  Sarda- 
napal ».  Sans  beaucoup  de  peine,  on  aurait  pu  trouver  mieux  peut-être. 

—  M.  Hans  Gregor,  le  directeur  de  l'Opéra-Comique  de  Berlin,  se  propose 
d'organiser  des  conférences  en  matinée,  pour  servir  de  préparation  ou  de 
commentaire  anticipé  à  certains  opéras  qu'il  a  l'intention  de  faire  représenter. 
Chaque  personne,  en  louant  une  place  pour  la  représentatiou,  recevrait  un 
coupon  lui  permettant  d'assister  gratuitement  a  la  conférence.  C'est  avec 
Pellèas  et  Mélisande  que  cette  innovation  doit  être  essayée. 

—  L'orchestre  des  artistes  musiciens  de  Munich  (Mûnchner  Tonkùnstler- 
Orchester)  annonce  qu'il  donnera,  pendant  la  saison  190S-1909,  huit  concerts 
symphoniques  dans  la  salle  de  l'Odéon.  Les  chefs  d'orchestre  dont  les  noms 
suivent  dirigeront,  aux  dates  indiquées,  chacun  un  concert.  MM.  Gustave 
Manier  ("27  octobre),  Frédéric  Steinbach  (10  novembre),  Edouard  Colonne 
(24  novembre;.  Max  Schillings  (10  décembre),  Félix  "Weingartner  (o  janvier), 
Hans  Pfdtzner  (2  mars),  Charles  Panzner  (20  mars),,  et  Bernhard  Stavenhagen 


(1er  avril).  Parmi  les  œuvres  françaises  inscrites  aux  programmes,  nous  remar- 
quons les  suivantes  :  Symphonie  fantastique,  Jlarold,  en  Italie  et  ouverture  de 
Rob  Roy,  de  Berlioz;  Rédemption,  de  César  Franck;  le  Rouet  d'Omphale,  de 
M.  Saint-Saéns:  Prélude  à  l'après-midi  d'un  faune,  de  M.  Debussy;  l'Apprenti 
sorcier,  de  M.  Paul  Dukas,  etc. 

—  L'Opéra  de  Dresde  a  profité  de  la  présence  du  roi  d'Espagne  pour  donner, 
en  représentation  de  gala,  le  drame  lyrique  d'Akté,  du  compositeur-violoniste 
M.  Joan  Manen.  Les  Nouvelles  de  Dresde  ont  écrit  à  cette  occasion  :  «  Ce  fut  un 
bonheur  pour  nous  que  le  compositeur  ait  pu  assister  à  la  représentation  de 
son  œuvre  et  être  présenté  au  souverain  qui  règne  sur  son  pays,  dans  le  lieu 
même  où  il  venait  de  triompher.  Le  roi  Alphonse  a  accordé  au  jeune  artiste, 
dont  le  talent  promet  beaucoup,  une  des  décorations  de  sa  couronne.  » 

—  Le  comité  central  de  l'Association  des  artistes  musiciens  allemands  vient 
d'instituer  un  concours  pour  un  prix  de  1.200  francs  à  décerner  à  l'auteur 
d'une  grande  composition,  en  un  ou  plusieurs  morceaux,  pour  violon  et 
orchestre.  Feront  partie  du  jury  :  Mil.  Max  Reger,  Hugo  Kann,  Henri  Mar- 
teau, Jaques-Dalcroze,  Charles  Fiesch  et  E.  de  Mandyorewski.  Pour  plus 
amples  renseignements,  s'adresser  à  M.  Adolphe  Goettmann,  Bûlowstrasse,  83, 
Berlin. 

—  De  Rayreuth  :  Il  est  d'ores  et  déjà  décidé  que  des  Festspiele  auront  lieu 
l'année  prochaine.  Les  représentations  de  cette  année,  notamment  les  nou- 
veaux décors  de  Lohrngrin,  ont  occasionné  à  l'administration  des  frais  consi- 
dérables qu'il  a  été  impossible  de  récupérer  en  une  seule  saison.  C'est  pour 
couvrir  ces  dépenses  qu'on  a  résolu  de  jouer  deux  années  de  suite,  comme  on 
l'a  fait  déjà  en  1901  et  1902,  où  le  Vaisseau-Fantôme  fut  joué  dans  une  mise  en 
scène  et  des  décors  entièrement  nouveaux.  Le  programme  de  1909  se  compo- 
sera, comme  celui  de  cette  année,  de  Parsifal,  Lohengrin  et  de  l'Anneau  du 
Nibelung.  Mmc  Cosima  Wagner  est  entièrement  remise  de  la  grave  attaque 
qui  l'a  tenue  éloignée  de  Bayreuth  durant  presque  tout  l'hiver  dernier. 
Toutefois,  elle  ne  reprendra  pas  la  direction  des  Festspiele,  qui  se  trouvera 
l'année  prochaine  aussi  entre  les  mains  de  M.  Siegfried  Wagner. 

—  Un  cas  de  susceptibilité  allemande  dégénérant  en  querelle  d'allemand. 
On  représentait  à  Gratz  (Styrie)  une  opérette  de  M.  Oscar  Strauss,  1rs  Joyeux 
Nibelungs,  qui  est  une  caricature  amusante  de  la  saga  germanique,  sur  le  type 
de  la  Belle  Hélène.  Les  pangermanistes,  très  chatouilleux  par  nature,  comme 
on  sait,  virent  là  une  intention  de  ridiculiser  le  sentiment  national  allemand, 
et  le  cercle  Sikdmark  publia  un  manifeste  excitant  à  accueillir  comme  elle  le 
méritait  une  opérette  donnée  juste  au  moment  où  «  les  hordes  slaves  mena- 
çaient le  germanisme  en  Autriche  ».  Avant  la  représentation,  le  directeur  fit 
savoir  que  l'idée  ne  lui  était  jamais  venue  de  faire  une  démonstration  antial- 
lemande. Cela  paraissait  avoir  calmé  les  esprits,  mais  le  rideau  une  fois  levé 
et  lorsqu'on  vit  figurer  les  Nibelungs  en  caricature,  le  germanisme  offensé  se 
manifesta  par  des  cris,  des  sifflets  et  des  battements  de  pieds  comme  si,  dit  un 
journal,  on  eût  été  à  la  Diète  de  Dohème.  Une  autre  partie  du  public,  pour- 
tant allemande,  se  leva  et  réclama  le  silence.  Mais  le  bacchanal  persista,  et 
l'on  dut  suspendre  la  représentation.  Le  bourgmestre  fit  alors  occuper  le  par- 
terre par  des  gendarmes  qui  débarrassèrent  la  salle  des  éléments  les  plus  tapa- 
geurs. L'opérette  put  alors  poursuivre  sa  carrière  et  la  représentation  continua 
troublée  seulement  par  quelques  sifllets  isolés. 

—  Les  compositeurs  allemands  d'opérettes  mettent  les  bouchées  doubles.  On 
annonce  toute  une  série  d'ouvrages  de  ce  genre  prêts  à  paraître  à  la  scène. 
L'auteur  de  la  bienheureuse  Veuve  joyeuse,  M.  Franz  Lehar,  vient  d'aviser  les 
directeurs  du  Raimund  Theater  de  Vienne  qu'il  était  prêt  à  leur  livrer  sa 
nouvelle  opérette,  Amour  de  Tzigane;  en  même  temps  il  en  termine  une  autre, 
Fils  de  prince,  et  il  vient  de  signer  un  traité  pour  une  troisième.  D'autre  part, 
M.  Oscar  Strauss  va  donner  au  Theater  An  der  Wien  son  opérette  le  Soldat 
valeureux,  et  il  en  écrit  une  autre  intitulée  la  Vallée  de  la  vie,  sur  un  livret  de 
MM.  R.  Lothar  et  M.  Dreyer.  Enfin,  M.  E.  Mannard  doit  faire  représenter  in- 
cessamment au  théâtre  de  Rreslau  une  opérette  sous  ce  titre,  le  Prince  de  Mo- 
nico,  tandis  que  M.  Cari  Kappener  en  termine  une  qui  s'appellera  le  Cortège  des 
maris.  Sans  compter  M.  Léon  Full.qui  prend  date  avec  une  opérette  qui  a 
nom  la  Divorcée. 

—  M.  Alexis  Davidow,  neveu  du  célèbre  violoncelliste  et  compositeur  Da- 
vidow,  vient  de  terminer  un  opéra  intitulé  la  Cloche  engloutie,  qui  doit  être 
représenté  prochainement  à  Mayence. 

—  La  saison  lyrique  du  Grand-Théâtre  de  Saint-Pétersbourg  doit  s'inau- 
gurer prochainement  et  promet,  à  ce  qu'on  assure,  d'être  tout  particulièrement 
brillante.  On  signale,  parmi  les  ouvrages  qui  doivent  constituer  le  répertoire  : 
Aida,  Rigoletto,  Thaïs,  Don  Pasquale,  i  Puritani,  Eugène  Onéguine,  la  Traviata,  la 
Favorite,  etc.  Dans  la  liste  des  artistes  engagés  se  trouvent,  entre  autres,  les 
noms  de  Mmes  Lina-Cavalieri  et  Boronat  et  de  MM.  Anselmi,  Gherlinzoni, 
Navarrini,  Mattia  Rattistini  et  un  jeune  baryton,  Enrico  Nani,  sur  lequel  on 
fonde  les  plus  grandes  espérances. 

—  Un  directeur  dans  l'embarras,  imprésario  in  angustie,  c'est  celui  du  théâtre 
russe  d'Helsingfors  (Finlande),  M.  Dietrichs,  lequel  se  plaint  —  le  cas  est 
rare  !  —  de  la  trop  grande  bienveillance  à  l'égard  de  son  théâtre  et  de  ses 
artistes  du  critique  de  la  Gazette  Finlandaise,  qui  ne  tarit  pas  dans  ses  comptes 

rendus  d'éloges  sans  Restriction,  et  qui  n'a  pas  assez  de  phrases  superlative- 
ment  laudatives  lorsqu'il  doit  formuler  un  jugement  sur  l'ensemble  d'une 
interprétation.  Le  susdit  directeur  a  cru  devoir  adresser  au  journal  une  lettre 
dans  laquelle  il  déplore  cette  indulgence   excessive  qui   le  met,   dit-il,   dans 


LE  MÉNESTKEL 


343 


une  situation  cruelle  parce  que,  lorsqu'il  veut  hasarder  uue  observation  à 
quelqu'un  de  ses  acteurs,  celui-ci  se  rebelle  en  lui  mettant  sous  les  yeux  un 
article  de  la  Gazette  Finlandaise,  où  il  est  dit  qu'il  est  toujours  irréprochable. 
Très  gêné  dans  sa  conduite,  il  se  voit  contraint  de  prier  le  critique  d'être  un 
peu  plus  sévère  pour  son  personnel,  afin  qu'il  lui  soit  permis  d'obtenir,  à  l'aide 
de  conseils  et  d'observations  adressés  a  ses  pensionnaires,  des  exécutions  plus 
soignées  et  plus  artistiquement  homogènes. 

—  Le  théâtre  national  de  Christiania  vient  de  donner  la  première  représen- 
tation d'un  fragment  d'opéra  de  Grieg,  sur  un  texte  de  Bjornstjornc-Bjôrnson. 
r.a  r-n™-,„r,i    ,..,;  fut  écrit  vers  1880,   avait   déjà  été  joué   dans  les   concerts, 

,  il  a  paru  produire  une  meilleure  impression,  tant  au  point 
'au  point  de  vue  dramatique.  Le  sujet  est  tiré  d'une  vieille 
e,  Olav  Tryguason. 

•■  de  la  Scala  de  Milan  est  arrêté  pour  la  prochaine  saison,  dit 
le  Trovatore,  en  ce  qui  concerne  les  opéras.  On  donnera  la  Vestale,  André  Ché- 
nier,  Boris  Godouno/}',  Iris,  les  Vêpres  siciliennes,  Paolo  e  Franeesra,  Manon  Les- 
caut, Elektra  de  Strauss.  Théodora  de  X.  Leroux  et  le  ballet  A'Exrelsior.  Ce  pro- 
gramme ne  pouvait  ne  pas  faire  une  excellente  impression,  étant  donné  son 
éclectisme  bien  entendu,  tant  pour  la  nationalité  des  auteurs  que  pour  les  di- 
vers genres  de  musique,  qui  vont  du  classicisme  le  plus  pur  à  la  modernité  la 
plus  audacieuse.  Attendons  donc  à  l'épreuve,  ayee  confiance,  les  nouveaux 
directeurs  de  la  Scala.  Quant  aux  artistes,  on  n'en  connaît  pas  encore  la  liste 
complète,  mais  les  noms  déjà  publiés  sont  excellents.  Parmi  les  soprani 
figurent  Mmcs  Berlendi.  Mazzoleni,  Mérentié  (de  l'Opéra  de  Paris),  Micucci  el 
Canetti:  parmi  les  ténors.  MM.  Garbin,  Bassi,  Rousselière,  Gaudenzi;  parmi 
les  barytons,  Stracciari,  Parvis,  Angelini-Fornari;  et  parmi  les  basses,  Schia- 
lapine,  De  Angelis  et  Cirino.  Le  chef  d'orchestre  est  M.  Edoardo  Vitale. 

—  Un  journal  italien  donne  la  nouvelle  suivante  :  «  Don  Lorenzo  Perosi, 
caressant  depuis  longtemps  l'idée  d'une  nouvelle  composition  musicale,  s'est 
rendu  en  Sardaigne  pour  étudier,  dans  leur  ingénue  et  primitive  expression, 
les  chants  populaires  de  ce  pays.  Il  s'est  ensuite  embarqué  sur  un  vapeur  qui 
longe  les  côtes  de  la  Sardaigne.  puis  est  parti  pour  Palerme  d'où  il  retournera 
sous  peu  en  Sardaigne  pour  compléter  ses  recherches  sur  les  chants  popu- 
laires, recherches  auxquelles  on  doit  attribuer  aussi  son  voyage  en  Sicile  ». 

—  Voici  que  la  courte  et  dramatique  existence  du  musicien  de  génie  qui 
avait  nom  Pergolèse  et  qui,  mort  à  vingt-six  ans.  laissa  à  tout  le  moins  deux 
chefs-d'œuvre,  le  Stabat  Mater  et  la  Serva  padrona,  inspire  en  ce  moment  deux 
de  ses  jeunes  confrères  italiens.  On  annonce  en  effet  la  prochaine  apparition 
de  deux  opéras  portant  ce  titre:  Pergolèse,  l'un  écrit  par  le  maestro  Gilherto  de 
Lunghi  sur  un  livret  de  M.  Locatelli,  l'autre  dû  au  compositeur  Vittore  Vene- 
ziani.  Bs  ne  sont  pas  les  premiers,  d'ailleurs,  et  le  grand  artiste  a  déjà  été  mis 
deux  fois  à  la  scène.  On  a  joué  à  la  Scala  de  Milan,  le  16  mars  1837,  un  opéra 
intitulé  Pergalesi,  dont  la  musique  avait  été  écrite  par  Ronchetti-Monteviti 
(qui  fut  depuis  directeur  du  Conservatoire  de  cette  ville),  et  au  mois  de  mars 
1878  on  a  donné  à  Jesi,  ville  natale  du  maître,  un  drame  de  P.-L.  Grazioli. 
qui  avait  pour  titre  G.  Battista  Perr/olexi. 

—  C'est  un  fait  singulier  que  l'opérette,  créée  en  France,  où  elle  a  eu  la  for- 
tune, que  l'on  sait,  et  cultivée  ensuite  en  Allemagne,  où  elle  ne  fut  pas  moins 
florissante,  n'a  poussé  en  Italie  que  de  maigres  racines  et  n'a  donné  que  des 
fruits  inconsistants,  sans  saveur  et  sans  originalité.  Tandis  qu'elle  triomphait 
"h""  ■">■"•  -■■"■•" : — '-1--  et  charmantes   compositions   d'Hervé,    d'Offen- 

d'Audran,   de  Planquette   et  de   tant  d'autres. 
.  victorieusement  les  Strauss,  les  Suppé,  les  Mil- 
etc,  et  que  les  ouvrages   de   tous   ces   composi- 
■  l'Europe,  la  pauvre   opérette  italienne,   dénuée 
•tait  pas  d'une  insipide  banalité  et  ne  pouvait 
s  de  son  pays.  Cela  est  d'autant  plus   extraordi- 
naire que  pendant  plus  d'un  siècle  la  vraie  gloire,  la  gloire  incontestée  des 
musiciens  italiens  a  toujours  été  le  genre  bouffe,   où   ils  s'épanouissaient  en 
des  accents  d'une  gaité  prodigieuse,   se  montrant  sous   ce   rapport  incompa- 
rables  et   inimitables.  Qu'on  se  rappelle  les  noms  de  Galuppi,  de  Piccinni. 
d'Anfossi,  de  Sarti,  de   Paisiello,   de   Guglielmi,   de  Cimarosa,    sans    oublier 
Rossini  et  Donizetti.  La  pauvre  opérette  italienne  est  donc  dans  le   marasme, 
et  sa  santé  est  tellement  débile  qu'on  s'ingénie   à    trouver  les  moyens   de  lui 
donner  un  peu  du  nerf  et  de  l'agilité  qui  lui  manquent.  A  cet  effet,   un  jour- 
nal de  là-bas,  h  Spettacolo,  ouvre  un  concours  pour  un  livret  d'opérette  avec 
un  prix  de  mille  francs  pour  le  vainqueur,  après  quoi  on  procédera  à   un  se- 
cond concours  pour  la  mise  en  musique  du  livret  choisi.  Peut-être  l'idée  est- 
elle  heureuse,  et  réussira-t-elle  à  faire  sortir  enfin  la  malade  de  l'état  léthar- 
gique où  elle  est  restée  enfermée  jusqu'ici. 

—  Nous  reproduisons  d'après  un  de  nos  confrères  italiens  cette  nouvelle 
donnée  d'une  façon  peut-être  un  peu  obscure.  Le  ministre  de  l'instruction 
publique  a  confié  à  une  commission  composée  de  MM.  Pinelli,  professeur  au 
Lycée  Sainte-Cécile  de  Rome,  Enrico  Polo,  du  Conservatoire  de  Milan,  et 
Turchi,  de  la  Philharmonique  de  Bologne,  le  soin  d'examiner  les  autographes 
de  Paganini  conservés  par  le  neveu  du  célèbre  violoniste  dans  une  villa  de  la 
province  de  Parme,  dans  le  but  de  les  faire  acquérir  par  l'État.  La  commission 
a  reconnu  l'importance  de  ces  autographes,  parmi  lesquels  se  trouvent  de 
précieux  ouvrages  en  partie  encore  inconnus.  L'ensemble  consiste  en  33  auto- 
graphes inédits,  en  14  manuscrits  revisés,  en  18  pièces  aussi  inédites  avec 
accompagnement  de  piano  du  maestro  Dacci,  avec   13  autographes   de  mor- 


ceaux naguère  publiés  par  Schonenberger  à  Paris  cl  six  autres  pièces  (dont 
deux  autographes  et  une  manuscrite)  de  Rossini.  Mozart,  l'a'-r.  I'arinelli  et 
autres  avec  les  parties  d'orchestre,  enfin  un  paquet  de  musique  tant  manus- 
crite qu'imprimée  qui  appartenait  à  Nicolo  Paganini.  Il  y  a  en  outre  0  duos. 
14  trios,  10  quatuors,  11  menuets  et  14 sonates  ou  sonatines. 

—  L'harmonie  cesse  décidément  de  régner  da  1res,  où  l'accord 
parfait  passe  à  l'état  de  mythe.  A  Prato,  l'orchestre  du  théâtre  Métastase  s'est 
déclaré  en  grève  et  a  refusé  de  prêter  son  concours  >  l'e  técution  de  la  Féduru 
de  M.  Giordano,  sous  prétexte  d'un  article  de  journal  dans  lequel  il  était 
traité  avec  une  certaine  sévérité.  Ce  que  vovant,  le  directeur  a  suspendu  les 
représentations,  se  réservant  d'en  appeler  ans  tribunaux.  Voilà-t-il 
musiciens  bien  avancés  ? 

—  Nouvelles  de  la  prochaine  saison  d'hiver  à  La  Haye.  A  l'Opéra-Royal 
français  une  série  de  représentations  de  M"":  Sigrid  Arnoldson,  la  délicieuse 
cantatrice  ;  au  premier  concert  de  la  Société  pour  l'encouragement  de  l'art 
musical,  exécution  de  lu  Damnation  tir  Faust  sous  la  direction  de  M.  Edouard 
Colonne;  à  l'Opéra  néerlandais,  premières  représentations,  sous  la  direction 
des  auteurs,  de  trois  ouvrages  importants  :  lu  Cloche  engloutie  de  Zôllner, 
Tiefland  d'Eugène  d'Albert,  et  lïenesius  de  Weingartner;  enfin,  des  lé 
fameux  quatuor  tchèque  consacrées  à  Beethoven,  et  des  séances  de  musique 
de  chambre  moderne  données  par  le  pianiste  Dirk  Scbûfer,  qui  est  un  compo- 
siteur distingué,  et  le  violoncelliste  Anton  Hekking.  —  La  saison  de  ['Opéra- 
Royal  français  s'est  ouverte  par  une  représentation  superbe  de  Ijikmé.  de 
Delibes,  pour  le  début  sensationnel  d'une  jeune  et  charmante  cantatrice, 
M"0  DynaBdumer,  nièce  et  élève  de  Mme  Lecocq-Beumer,  de  Bruxelles,  donl 
le  succès  a  été  éclatant.  Belle  voix,  vocalisation  parfaite*  bonne  diction, 
excellent  sentiment  scénique,  cette  jeune  artiste  réunit  toutes  les  qualités.  Elle 
a  fait  preuve  d'une  étonnante  virtuosité  dans  l'air  des  Clochettes,  qui  a  été 
bissé  d'enthousiasme  et  qui  lui  a  valu  une  longue  ovation. 

—  On  se  souvient  qu'à  l'occasion  d'une  soirée  d'anniversaire,  Mrai"  Melba  Ut 
don  à  l'hôpital  de  Londres  d'une  somme  de  50.000  francs.  Pour  rappeler  ce 
souvenir,  une  plaque  commémorative  a  été  placée  dans  l'établissement  et  deux 
lits  nouveaux  porteront  le  nom  de  la  cantatrice. 

—  M.  Edward  Elgar  vient  de  résigner,  pour  cause  de  santé,  ses  fonctions 
comme  membre  titulaire  de  la  chaire  de  musique  Richard  Peyton.  à  Birmin- 
gham. Il  avait  reçu  le  titre  de  professeur  de  cette  chaire  en  1905.  et  avait 
consacré  sa  leçon  inaugurale  à  l'avenir  de  la  musique  anglaise. 

—  On  a  fait  entendre,  au  festival  de  Shellield,  le  Requiem  de  Verdi,  une 
suite  sur  l'opéra  de  Rimsky-Korsakow,  ta  Nuit  île  tfoèï  Christmai,  Èœ),  lu 
Passion  selon  saint  Mathieu,  de  Bach,  la  Symphonie  avec  chœurs,  de  Beethoven. 
l'Enfant  prodigue,  de  M.  Debussy,  etc.  Le  programme  du  festival  de  Bristol 
comprenait  une  œuvre  nouvelle  de  M.  Charles  Stanford,  Ode  sur  la  mort  'de 
Wellington,  le  concerto  pour  violon,  de  Brahms,  exécuté  par  M.  Kreisler,  et 
VÉlie,  de  Mendelssohn,  qui  a  été  donné  cette  année  dans  un  grand  nombre  de 
villes  d'Angleterre. 

—  La  musique  comme  moyen  thérapeutique  en  faveur  des  idiots.  La  direc- 
tion d'un  établissement  spécial,  le  Metropolitan  Asylwn  de  Witham  (Angle- 
terre), fait  savoir  qu'un  changement  notable  s'est  produit  dans  cet  Institut 
depuis  la  création  d'une  bande  musicale  d'instruments  de  cuivre,  autrement 
dit  une  fanfare.  On  a  reconnu  chez  les  enfants  choisis  pour  faire  partie  de  cette 
bande  une  rapide  et  considérable  amélioration  des  facultés  mentales.  Certains 
même,  considérés  jusqu'ici  comme  absolument  incurables,  vont  beaucoup 
mieux,  et  l'on    entrevoit  l'espoir  de  les  guérir. 

—  «  Les  aventures  et  les  mésaventures  sentimentales  du  ténor  Caruso.  dit 
un  journal  italien,  i  Teatri,  sont  sur  le  point  d'avoir  un  épilogue  agréable.  A 
peine  le  bruit  se  répandait-il  que  sa  compagne  n'était  plus  d'accord  avec  lui 
qu'une  jeune  fille  américaine,  miss  Lilian  G.  Berbours,  lui  télégraphia,  avec 
cette  désinvolture  qui  caractérise  les  enfants  de  la  Nord-Amérique,  en  lui  pro- 
posant de  l'épouser.  Elle  était  très  belle,  elle  ne  manquait  point  de  ce  que 
nous  appellerons  le  capital  adéquat  à  son  désir  matrimonial,  et  elle  se  sentait 
surtout  malheureuse  de  la  solitude  imméritée  du  divo.  Enrico  Caruso  ne  fut 
point  insensible  à  ce  geste  d'extravagance  atfectueuse,  il  entra  en  relations 
étroites  avec  l'Américaine  et,  à  ce  qu'on  assure,  les  noces  auront  lieu  régu- 
lièrement. De  son  côté,  Adia  Giachetti  (la, compagne)  a  décidé  de  retourner  à 
l'art  lyrique   > . 

—  Un  qui  n'est  pas  à  plaindre,  c'est  M.  Harry  Lauder,  un  des  acteurs  les 
plus  applaudis  des  théâtres  de  Londres,  qui  vient  d'être  engagé  pour  une 
grande  tournée  au  pays  des  dollars.  Sa  tournée  aux  Etats-Unis  durera  vingt 
semaines,  pour  chacune  desquelles  il  recevra  la  bagatelle  de  1000  livres 
sterling,  soit '23.000  francs.  De  sorte  que  pour  cent  quarante  jours  il  encaissera 
une  somme  totale  de  300.000  francs.  A  ce  prix-là  je  risquerais  bien  une  cour- 
bature. Et  vous  ? 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 
Une  grosse  nouvelle.  Il  s'agit  de  la  question  du  déplacement  et  de  la 
reconstruction  du  Conservatoire,  depuis  si  longtemps  pendante  sans  qu'il  fut 
possible  d'arriver  à  une  solution.  La  voici  engagée  de  nouveau,  et  cette  fois 
d'une  façon  non  seulement  sérieuse,  mais  pratique  et  surtout  rapide,  ce  qui 
est  une  essentielle  qualité.  C'est  au  désastre  de  l'hôtel  des  téléphones,  à  l'in- 
cendie du  Gutenberg,  qu'on  doit  la   nouvelle  combinaison  qui  a  surgi  tout  à 


344 


LE  MÉNESTREL 


coup.  On  cherchait  la  possibilité  de  placer  l'un  des  trois  nouveaux  bureaux 
téléphoniques  dans  un  point  très  central  de  Paris,  à  portée  facile  du  public. 
Mais  où?  point  de  terrains  vacants  nulle  part.  Un  député,  M.  Chautard,  pro- 
pos-, d'en  créer  un.  en  délogeant  le  Conservatoire,  l'endroit  paraissant  parti- 
culièrement propice.  Mais  où  ëmigrerail  le  Conservatoire?  A  la  caserne  de  la 
Nouvelle-France,  un  peu  plus  haut  dans  le  faubourg  Poissonnière.  Ce  serait 
tout  profit  pour  le  Conservatoire,  dont  les  locaux  actuels  sont  trop  petits  et 
mal  installés;  et  la  guerre  n'y  perdrait  pas,  car  on  lui  fournirait  les  moyens 
de  construire  ailleurs  une  caserne  neuve.  Ce  n'est  pas  d'aujourd'hui  qu'il  est 
question  de  ce  transfert.  On  en  parlait  déjà  il  y  a  vingt  ans.  Mais  la  dépense 
à  engager  et  l'intervention  de  plusieurs  ministères  dans  les  négociations  n'ont 
pas  facilité  celles  ci,  qui  n'ont  jamais  pu  aboutir.  L'appui  apporté  au  projet 
parle  ministre  des  travaux  publics  permettra  peut-être  d'y  arriver.  Si  on  cal-, 
cule  que  la  reconstruction  du  Conservatoire  coûterait  à  elle  seule  3.600.000  fr., 
mais  qu'il  faut  prévoir  o  millions  en  chiffres  ronds  pour  y  adjoindre  une  salle 
d'auditions  et  de  concerts  qui  fait  défaut  à  Paris,  bien  que  le  projet  en  ait  été 
maintes  fois  dressé  ;  si  on  ajoute  B00.003  francs  pour  construction  d'une 
caserne  neuve,  on  arrive  à  une  dépense  totale  de  b  millions  et  demi.  Trois 
millions  seraient  trouvés  dans  la  revente  d'une  partie  des  terrains  du  Conser- 
vatoire et  dans  une  contribution  du  ministère  des  postes  (crédits  d'extension 
des  services  téléphoniques).  Le  reste  serait  l'objet  d'une  demande  spéciale  de 
crédits.  La  combinaison  aurait  déjà,  nous  dit-on.  l'agrément  de  principe  des 
divers  ministères  intéressés.  Reste  a  l'étudier  en  détail.  Ce  sera  l'affaire  d'une 
commission,  dont  M.  Chautard  demande  ia  création.  Quant  à  l'exécution,  elle 
serait  rapide  : 

En  raison,  dit  M.  Chautard,  de  la  nécessité  où  se  trouve  l'administration  des  télé- 
phones d'effectuer  au  plus  tût  les  travaux  de  réinstallation  et  d'accroissement  qu'elle 
projette  et  que  réclame  le  service,  il  faudrait  obtenir  que  le  Conservatoire  abandonnât 
sans  délai  toute  la  partie  de  l'immeuble  qui  devrait  être  remise  au  ministère  des 
postes. 

Cela  ne  se  fera  pas  sans  inconvénients  ni  sans  quelque  trouble  dans  les  habitudes, 
mais  nous  croyons  savoir  que  le  directeur,  du  Conservatoire  et  le  corps  enseignant 
tout  entier  mettront  le  plus  grand  empressement  à  se  plier  aux  difficultés  de  la 
situation,  tant  leur  désir  est  vif  de  voir  enfin  se  réaliser  le  projet  qui  permettra  de 
donner  à  chacun  des  cours  l'installation  commode,  pratique,  nécessaire,  réclamée 
depuis  si  longtemps,  digne  enfin  de  notre  grand  éiablissement  national. 

En  échange,  le  Conservatoire  prendrait  immédiatement  possession  des  locaux  de 
la  caserne,  évacués  par  les  services  militaires,  et  s'y  installerait  provisoirement. 
Étant  donnée  la  configuration  du  terrain,  les  travaux  de  reconstruction  du  Conserva- 
toire pourraient  commencer  de  suite  sur  les  deux  tiers  environ  de  l'emplacement 
projeté. 

Et  voilà  comment  il  se  fait  que,  très  rapidement  peut-être,  étant  données 
les  circonstances,  le  Conservatoire  se  trouverait  déplacé,  reconstruit,  et  enfin 
en  possession  d'une  demeure  convenable,  élevée  expressément  pour  lui  et 
selon  ses  besoins,  au  lieu  de  la  masure  immonde  et  piteuse  dans  laquelle  on 
le  laisse  pourrir  depuis  si  longtemps.  Que  les  dieux  lui  soient  propices,  et 
qu'enfin  Paris  possède  une  école  musicale  digne  de  l'art  et  digne  de  lui- 
même! 

—  Dans  sa  dernière  séance,  l'Académie  des  beaux-arts  a  attribué  le  prix 
Beulé  (1.500  francs)  à  M.  Raoul  Laparra.  ancien  prix  de  Rome,  ex-pension- 
naire de  la  'Villa  Médicis,  et  auteur  de  la  Habanera,  ouvrage  représenté  récem- 
ment à  l'Opéra-Comique. 

—  Informé  que  les  articles  32  et  56  de  la  nouvelle  ordonnance  de  police 
sur  les  théâtres  étaient  restés  lettre  morte  dans  plusieurs  théâtres,  M.  Lépine 
a  adressé  une  circulaire  aux  commissaires  de  police  ieur  enjoignant  de  faire, 
à  l'impioviste,  des  inspections  dans  ces  théâtres  et  d'y  surveiller  particulière- 
ment les  endroits  interdits  aux  fumeurs  :  loges  d'artiste,  foyer,  magasins, 
ateliers,  cage  de  scène  et  dépendances,  dégagements,  —  et,  à  l'occasion,  de 
dresser  procès-verbal  aux  délinquants. 

—  L'Opéra-Comique,  qui  n'avait  pas  joué  Louise  depuis  d'assez  longs  mois  — 
pourquoi?  —  en  a  donné,  jeudi,  une  très  bonne  reprise  devant  une  salle 
archibondée  qui  a  fait  relever  le  rideau  trois  et  quatre  fois  après  chacun  des  actes 
du  roman  musical  de  vie  si  pittoresque  et  si  intense  de  Gustave  Charpentier. 
Il  y  avait  d'ailleurs,  ce  soir-là,  une  distribution  des  beaux  jours,  avec  Fugère, 
qui  faisait  sa  rentrée  dans  le  rôle  du  Père,  qu'il  a  créé  et  où  il  reste  artiste 
merveilleux  de  bonhommieet  d'autorité  tout  à  la  fois,  avecMlle  Berthe  Lamare, 
qui  chantait  Louise  pour  la  première  fois  et  jouait  le  personnage  avec  des 
qualités  de  charme,  d'intelligence  et  de  nervosité  tout  à  fait  prenantes,  avec 
M.  Léon  Beyle,  Julien  parfait,  avec  Mlk'  Lassalle,  une  mère  émue  et  réaliste, 
avec  M.  Francell,  un  élégant  Plaisir  de  Paris,  avec  encore,  dans  tout  ce  petit 
monde  qui  grouille  de  si  amusante  façon  dans  l'œuvre,  Mme  Guionie  (Irma), 
Mllc  Rachel  Launay  (l'Apprentie),  M.  Vigneau  (le  Chansonnier),  et  Mmc  de 
Poumayrac  (le  Gavroche)  et  tant  et  tant  d'autres  aux  divers  mérites.  —  Orphée 
est  descendu  en  scène.  L'ouvrage  passera  vraisemblablement  dans  une  quinzaine. 
MUe  Raveau  chantera  Orphée,  Mn,e  Vallandri  incarnera  Eurydice  et  MUc  O'Brien 
interprétera  le  rôle  de  l'Amour.  —  Saur/a,  le  drame  musical  de  M.  Isidore  de 
Lara,  sera  décidément  la  première  nouveauté  de  la  saison  à  l'Opéra-Comique. 
On  répète  déjà  les  ensembles  sous  la  direction  de  l'auteur.  Mais  alors,  que 
devient  la  Solange  de  M.  Salvayre?  —  Spectacles  de  dimanche  :  en  matinée, 
Tosca;  le  soir,  Louise.  Lundi,  en  représentation  populaire  à  prix  réduits  : 
Mignon. 


—  Au  Conservatoire.  —  Un  emploi  de  professeur  titulaire  d'une  classe  d'har- 
monie au  Conservatoire  est  vacant,  par  suite  du  décès  de  M.  G.  Marty.  Les 
candidats  doivent  se  faire  inscrire,  au  secrétariat  du  Conservatoire,  dans  un 
délai  de  quinze  jours  à  partir  de  la  présente  insertion. 

—  Les  matinées-conférences  de  critique  orale  données  l'année  dernière  par 
M.  Camille  Le  Senne  à  l'École  des  Hautes-Études  sociales,  auront  la  suite 
nécessitée  par  l'éclatant  succès  de  celte  tentative  originale  qui  est  la  résur- 
rection sous  une  forme  vivante  et  militante  de  l'enseignement  théâtral  hebdo- 
madaire des  Sarcey  et  des  LaPommeraye  dans  l'ancienne  salle  des  Capucines. 
La  seconde  année  des  semaines  théâtrales  de  notre  brillant  collaborateur 
commencera  en  novembre  dans  le  hall  de  la  rue  de  la  Sorbonne  où,  chaque 
lundi,  à  4  heures  1/4,  le  <•  Feuilleton  parlé  i  sera  consacré  à  l'analyse  drs 
grandes  nouveautés  dramatiques  ou  musicales. 

—  Je  reçois  le  second  volume,  qui  vient  de  paraître  (librairie  Ernest  Leroux), 
du  beau  recueil,  et  fort  intéressant,  des  Chants  et  Chansons  populaires  du  Niver- 
nais, recueillis  et  classés  par  un  vrai  poète,  M.  Achille  Millien,  enfant  di 
pays,  avec  les  airs  transcrits  et  notés  par  J.-G.  Pénavaire.  C=  volume  n'est  pa: 
moins  substantiel  que  le  précédent  et  n'offre  pas  moins  d'intérêt  pour  l'élude 
du  folk-lore  de  nos  provinces.  Le  premier  contenait  les  complaintes  et  le 
chants  historiques  (complaintes  religieuses  —  légendaires,  tragiques  et  drama 
tiques — criminelles),  au  nombre  de  260.  Celui-ci  est  consacré  aux  chanson 
anecdotiques  (sujets  imaginaires  ou  romanesques  —  guerre  et  garnison, sujet 
familiers,  petites  aventures  —  chansons  plaisantes  et  facétieuses),  et  ne  com 
prend  pas  moins  de  210  numéros.  Il  en  est  de  charmantes,  de  ces  chansons;  i 
en  est  que  nous  connaissons  déjà,  car  nul  n'ignore  que  la  même  idée  so  re 
trouve  souvent,  traitée  de  façon  différente,  dans  nos  différentes  provinces,  e 
ne  diffère  que  par  la  forme;  mais  ici  cette  forme  est  parfois  pleine  de  grâce 
de  tendresse  et  de  mélancolie,  et  la  musique  qui  accompagne  la  poésie  ne  1 
lui  cède  en  rien,  avec  son  caractère  de  tristesse  douce  et  résignée.  Je  m  . 
rappelle,  parcourant  à  pied,  il  y  a  bien  longtemps,  toute  la  longue  chaîne  d 
Mor.van,  contrée  d'une  couleur  parfois  un  peu  sombre  et  qui  s'arrête  au  Nivei 
nais,  avoir  été  frappé  par  les  chants  touchants. et  caractéristiques  que  me  fai 
saient  entendre  les  paysans  conduisant  leur  charrue  ou  rentrant,  aux  première 
heures  du  soir  et  presque  à  la  nuit  tombante,  leurs  troupeaux  à  l'étable.  Sou 
le  soleil  couchant,  dans  la  pénombre  du  crépuscule,  cela  était  d'une  douceu 
inGnie  et  laissait  au  cœur  une  impression  délicieuse.  Cette  impression,  je  la 
retrouvée  en  feuilletant  avec  attention  le  beaureeueil  que  nous  offre  M.  Achill 
Millien,  recueil  dont  le  troisième  et  dernier  volume  est  annoncé  comm 
devant  paraître  incessamment  et  que  je  ne  saurais  trop  recommander  à  tou 
ceux  qu'intéresse  cette  question  des  chants  populaires  de  nos  provinces  d 
France.  A.  P. 

—  C'est  une  terrible  concurrence  que  fait,  au  café  concert,  le  Nouveau 
Cirque  avec  sa  nouvelle  Revue.  Car,  s'il  y  a  toujours  des  clowns  dans  le  luxueu 
établissement  de  la  rue  Saint-Honoré.  il  y  a,  en  plus,  cette  fois,  des  vedettt 
nombreuses,  telles  que  M"c  Lise  Fleuron,  dont  le  sourire  est  toujours  sédui 
sant,  que  M"c  Angèle  Lérida,  aussi  charmante  comme  femme  que  comm 
chanteuse,  que  M.  Régiane,  compère  à  l'organe  conquérant,  que  Mli0  Cécil 
Delagarde,  de  belle  humeur,  et  que  MM.  Danverset  Baldy,  comiques  do  répi 
tatinn.  Tout  ce  petit  monde,  augmenté  du  personnel  habituel  de  la  maison, 
compris  le  corps  de  ballet  traditionnel,  déambule  agréablement  au  travers  d( 
scènes,  inventées  pour  la  circonstance,  par  MM.  Codey  et  Trébla.  Comm 
apothéose,  un  nouveau  truc  qui  fait  déferler,  du  cintre  dais  la  célèbre  piscint 
d'imposantes  cascades  que  colorent,  innombrables  et  divers,  des  torrents  élet 
triques. 

Couns  et  Leçons.  —  M"'  Menant  a  repris  ses  leçons  particulières,,  et  reprendra  e 
novembre  ses  cours  de  musique  d'ensemble  pour  jeunes  fille':— et  dames  amateur 
18,  rue  du  Val-de-Gràce.  —  M.  et  M"*  Mougin  ont  repris  leurs  cours  et  leçons  c 
piano,  solfège  et  dictée  musicale,  29,  rue  des  Vinaigriers.  —  M.  et  M"""  Henri  Dt 
blauwe  ont  repris  leurs  leçons  de  piano  et  de  violoncelle,  142,  rue  Lafayetle. 

NÉCROLOGIE 

Lundi  dernier  est  mort  subitement  M.  Georges  Pellerin,  l'un  des  deu 
agents  généraux  de  la  Société  des  auteurs  et  compositeurs  dramatiques.  A; 
cien  avoué,  il  avait  compté  dans  sa  clientèle  la  Société,  dont  il  devait  deven 
l'agent  en  1892,  succédant  dans  celte  charge  à  M.  Debry,  qui  avait  lui-mèn 
succédé  à  Péragallo.  C'était  un  très  aimable  homme,  serviable  et  de  relatioi 
sûres.  Très  ferré  sur  toutes  les  questions  de  procédure  et  de  jurisprudence, 
était,  pour  la  commission  et  pour  les  auteurs',  d'uu  précieux  secours  dans  1 
questions  sur  lesquelles  il  pouvait  être  consulté.  Georges  Pellerin  a  succom! 
aux  suites  d'une  congestion  cérébrale  que  rien  ne  faisait  prévoir.  Il  avait  cil 
quante-neuf  ans.  Ses  obsèques  ont  été  célébrées  jeudi,  en  l'église  Noire-Dam 
de-Gràce  de  Passy,  et  l'inhumation  a  été  faite  au  cimetière  Montmartre. 
Dès  que  la  mort  de  M.  Pellerin  lui  fut  connue,  la  commission  des  auteui 
que  ce  deuil  a  profondément  affligée,  s'est  réunie  d'urgence  et  a  nomi 
administrateurs  provisoires  de  sa  charge,  maintenant  vacante,  MM.  A.  A 
gneron,  contrôleur  général  de  la  Société,  et  A.  Bloch,  fondé  de  pouvoirs 
M.  Pellerin. 

Henri  Heugei.,  direeteur-géranL 


—  (Encre  Lorilleoii. 


4049.  -  U°  ANNÉE.-  A0  M.  PARAIT  TOUS  LES  SAMEDIS  Samedi  31  Octobre  4908 

(Les  Bureaux,  2bls,  rue  Vivienne,  Paris,  n«iir>) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


lie  fluméro  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Ite  fluméro  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  — Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, 20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (42a  article),  Julien  Tiersût.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  première  représentation  du  Crépuscule  des  hieux  à  l'Opéra,  Arthur  Pougin;  premières  repré- 
sentations de  VHeure  de  fa  Bergère,  au  Palais-Royal,  et  d' Arsène  Lupin,  à  l'Athénée,  Paul-Ksule  Chevalier.  —  III.  Revue  des  grands  concerts.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts 
et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
DORMONS  PARMI  LES  LYS 

mélodie  de  J.  Masseneî.  — Suivra  immédiatement  :  Caresses,  mélodie  de  Gabriel 

DlPONT. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 

D'UN  PAS  LÉGER 

marche   de   P.    Bades.   —   Suivra  immédiatement  :    liourrée  et   musette,  de 

A.  PÉIULIIOC. 


SOIXANTE     ANS     DE     LA    VIE     DE     GLUCK 

(±T  14-1774) 


CHAPITRE    IX    :    Alceste. 


Alceste,  deuxième  ouvrage  dû  à  la  collaboration  de  Gluck  et 
de  Calsabigi,  fut  représenté  pour  la  première  fois  sur  le  Théâtre 
de  la  Cour  à  Vienne,  le  16  décembre  1767  (1). 

Dans  cette  étude,  qui  nous  a  procuré  l'occasion  de  révéler  tant 
de  particularités  ignorées  dans  l'œuvre  de  Gluck,  nous  devons 
tenir  pour  connus  du  lecteur  les  cinq 
chefs-d'œuvre  qu'il  a  donnés  à  la  France 
et  ne  pas  nous  livrer  sur  eux  à  d'inutiles 
analyses.  Cependant,  il  faut  nous  arrêter 
de  façon  particulière  sur  la  partition  de 
ïAlceste  italienne  par  la  raison  que  cette 
œuvre  est  toute  différente  de  Y  Alceste 
française. 

Le  premier  acte  est  celui  qui,  de  l'une 
à  l'autre,  a  subi  les  moindres  modifica- 
tions. L'ordre  des  tableaux  y  est  le  même. 
Encore  ne  saurait-on  dire  que  la  version 
française  ne  soit  qu'une  adaptation  de 
l'italienne,  car  il  n'est,  en  vérité,  pas  un 
seul  morceau  qui  n'ait  été,  non  seulement 
écrit  une  seconde  fois  par  la  main  de  Gluck 
(le  manuscrit  autographe  de  la  partition 
française  (2)  en  fait  foi),  mais  notablement 
remanié  à  cette  seconde  rédaction. 

On  l'aperçoit  dès  l'ouverture.  Dans  la  version  française,  ce  mor- 
ceau s'enchaine,  sans  conclure,  aux  premiers  accords  du  chœur 


qui,  sans  rompre  le  développement  du  discours  musical,  vient 
se  mêler  aux  instruments  pour  en  continuer  l'harmonie.  Dans 
l' Alceste  italienne,  l'ouverture,  sans  connaître  ce  prolongement, 
s'arrête  simplement  d'elle-même  sur  une  cadence  à  la  domi- 
nante, à  quoi  répondent  immédiatement  les  trompettes  sonnant 

pour  annoncer  la  proclamation  du  héraut. 

Au  premier  chœur  (complètement  re- 
manié) succédait,  dans  la  première  parti- 
tion, une  Aria  cli  pantomimo  che  exprime 
desolasione  e  lutto.  Cet  épisode  a  été  supprimé 
dans  la  partition  française,  et  la  musique 
renvoyée  au  tableau  du  Temple,  où  elle 
accompagne  la  célébration  du  sacrifice. 
Son  accent,  son  rythme  même  l'y  des 
tinaient  moins  bien  qu'à  exprimer  1 
désolation  et  le  deuil. 

Mais  ne  nous  arrêtons  pas  aux  détails 
ils  sont  trop  !  Bornons-nous  donc  à  men- 
tionner que,  dans  son  premier  air,  Alceste 
ne  s'en  tient  pas  à  apostropher  ses  enfants  : 
ceux-ci  (Eumèle,  Aspasie,  personnages 
inconnus  à  l'ouvrage  français)  lui  répon- 
dent, unissant,  au  milieu  de  l'air,  leurs 
voix  plaintives. 

Au  second  tableau,  la  marche  religieuse  et  toute  la  partie 
chantée  jusqu'à  la  sortie  précipitée  du  peuple  ont  subsisté,  mais 


(1)  Je  ne  sais  par  suite  de  quelle  confusion  cette  date  a  été  inexactement  rapportée  par  plusieurs  biographes  ou  éditeurs  de  Gluck,  avancée  par  eux  d'une  année  (voir  l'édition 
Pelletau  et  celle  de  M.  Gevaert,  qui  s'accordent  à  indiquer  le  26  décembre  1766).  Cette  erreur  provient  sans  doute  de  la  façon  quelque  peu  vague  avec  laquelle  Schmid  a 
présenté  les  documents  relatifs  à  la  première  représentation  d' Alceste:  cependant,  en  y  regardant  avec  attention,  il  apparaît  bien  que  le  compte  rendu  du  Wiener  Diarium  qu'il  cite 
est  de  l'année  1767,  et  qu'il  donne  pour  la  première  représentation  la  date  du  16  décembre.  Quant  à  Fétis,  toujours  soigneux,  voici  comment  il  nous  renseigne  :  «  Gluck  écrivit  à 
Vienne,  de  1761  à  1764,  Alceste,  Paris  et  Hélène  et  Orphée  »  (p.  31  du  4"  vol.  de  la  Biographie  universelle  des  musiciens.)  Plus  loin  :  «  Il  écrivit,  en  1766,  l'.-i/ceste  de  Calzabiei  » 
(p.  33).  Il  ajoute  pourtant  que  la  représentation  eut  lieu  l'année  suivante,  et,  au  catalogue  chronologique,  arrive   eniin  à  donner  sans  faute  la  date  de  l'année  1767  (p.  39  . 

(2)  Le  manuscrit  autographe  de  la  partition  française  cVAIces/e  appartient  à  la  Bibliothèque  Nationale. 


346 


LE  MÉNESTREL 


toujours  avec  des  retouches.  L'exemple  noté  que  nousallons  donner 
va  montrer  jusqu'où  ces  remaniements  pouvaient  aller,  et  à  quel 
point  ils  modifiaient  parfois  l'économie  de  la  composition.  Alceste, 
restée  seule  dans  le  temple,  dit  le  récitatif  correspondant  à  celui 


que  nous  connaissons  :  «  Où  suis-je  ?  0  malheureuse  Alceste  !  »  Mais 
l'air  qu'elle  enchaîne  n'est  pas  :  «  Non,  ce  n'est  pas  un  sacrifice  »  ; 
c'est  celui  qui  devint  :  «  Divinités  du  Styx  ».  Or,  voici  l'exposition 
de  cet  air  telle  qu'elle  nous  est  révélée  par  la  partition  italienne. 


A   ,          ALCESTE 

Tromb.Cors  H1?  FI. 

ALCESTE 

T 

romb.Cors  H^  FI. 

ALCESTE 

rr\ 

/ 

Om      - 

bre! 

f 

Lar 

_     ve! 

f\     ,        ,        , 

Com 

.  pa   _ 

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di 

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-•  rpf        1( 

.  te! 

f~^ 

Non  vi 

cnie_do,non  vo.gliopie 

.  ta. 

Non   vi 

chie-do.                Non 
Tromb.etc.  Vio. 

vo.glio, 
,           Trorr 

Non 
b.Vi 

vi 

ol. 

chie.do.noa  vo.glio  pie 

- ta' ^*z  r*^s  f>— 

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^          ^ 

~p/^p 

p    /]. 

7* 

_f*    * 

Jff 

Tous 

etc. 

On  a  peine  à  reconnaître  les  grandes  lignes  de  la  phrase 
illustre,  —  et,  de  fait,  il  n'y  a  même  pas  une  mesure  de  chant 
qui  soit  identique  dans  les  deux  versions.  Berlioz  a  maintes  fois 
avoué  sa  préférence  pour  le  premier  énoncé  de  l'invocation  dans 
la  forme  italienne,  où  le  dialogue  entre  l'héroïne  et  les  voix 
souterraines  représentées  par  les  instruments  est  mieux  dessiné 
qu'avec  les  paroles  françaises  :  Divinités  du  Styx.  En  effet,  s'il  est 
vrai  que  le  caractère  déclamatoire  de  ces  mots  est  en  grand  rapport 
avec  l'esprit  de  la  scène,  par  contre  leur  long  déroulement  a  pour 
résultat  de  confondre  sur  un  même  temps  fort  la  dernière  syllabe 
de  l'hémistiche  avec  l'attaque  des  instruments  qui  répondent,  et 
cela  est  moins  heureux.  L'on  ne  peut  cependant  méconnaître 
que,  dans  son  ensemble,  la  période  française  ait  vraiment 
plus  de  grandeur. 

Avec  la  fin  de  l'acte  du  temple  commencent  à  se  prononcer  les 
différences  complètes  que  nous  n'allons  plus  cesser  d'avoir  à 
constater.  Après  qu'Alceste  a  lancé  son  défi  aux  puissances  in- 
fernales, —  sans  s'engager  encore  avec  elles,  et  sans  avoir  rappelé 
le  prêtre,  —  le  peuple,  qui  fuyait  naguère,  rentre  dans  le  temple. 


Là  se  place  un  morceau  de  grand  caractère  :  un  chœur  dialogué, 
où.  sur  la  trame  modulante  de  l'orchestre,  les  voix  dialoguent 
entre  elles,  se  renvoyant  l'une  à  l'autre  des  paroles  découragées  : 
«  Est-il  quelqu'un  qui  s'offre?  —  Personne  ne  se  présente-t-il 
encore?  —  Vain  espoir!  —  J'aime  la  vie...  —  Mon  vieux  père... 

—  Mes  enfants...  —  Mon  époux...  —  Ma  femme...  —  Objets  ai- 
més, —  Tant  amoureux,  —  Si  tendres...  »  Ces  voix  dissé- 
minées arrivent  à  se  réunir  en  une  harmonie  commune;  puis  elles 
reprennent,  s'éparpillant  de  nouveau  :  «  Les  abandonner  dans  le 
deuil!...  —  Les  laisser  dans  les  larmes!...  —  Je  n'ai  pas  le  cœur. 

—  Je  ne  me  sens  pas  tant  de  vertu.  —  Je  tremble  d'y  penser...» 
Gluck  a  donné  là  un  premier  exemple,  peut-être  le  plus  poussé, 
de  l'art  qu'il  avait  naturellement  de  faire  parler  les  foules.  Evo- 
quer à  propos  de  cette  page  oubliée  le  souvenir  des  chœurs  des 
Maîtres  Chanteurs  serait  à  peine  déplacé.  Un  épisode  animé,  peut- 
être  nécessaire  à  l'économie  de  l'œuvre,  vient  malheureusement 
interrompre  cette  belle  impression  d'art  en  y  faisant  succéder 
la  banalité  d'un  finale  d'opéra. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SEMAINE     THEATRALE 


Opéra.  —  Le  Crépuscule 


Dieux,  drame  musical  en  trois  actes  et  un  prologue, 
{-13  octobre 


A  tout  prendre,  le  Crépuscule  des  Dieux  n'est  pas  plus  long  que  les 
grands  ouvrages  du  répertoire  de  notre  Opéra,  il  y  a  un  demi-siècle.  Sa 
durée  ne  dépasse  pas  celle  de  la  Juive  ou  de  Charles  VI,  des  Huguenots 
ou  du  Prophète,  et  en  commençant  le  spectacle  à  sept  heures,  on  en 
pourrait  très  bien  terminer  la  représentation  aux  approches  de  minuit, 
même  sans  faire  de  coupures.  Mais  Wagner,  qui  prétendait  ne  rien 
faire  comme  tout  le  monde  et  qui  tenait  surtout  à  a  épater  »  les  popula- 
tions, eut  cette  trouvaille  géniale  de  diviser  l'exécution  de  son  œuvre 
en  deux  parties  coupées  par  un  repas  plantureux,  ce  qui  était  d'ailleurs 
très  allemand  comme  procédé  gastronomique.  Il  fit  crier  ainsi  à  l'ori- 
ginalité —  d'autres  diraient  à  l'excentricité  —  et  il  atteignit  le  but  qu'il 
cherchait,  celui  de  faire  parler  de  lui.  Dieu  sait  si  l'on  a  souvent 
reproché  jadis  à  Meyerbeer  son  amour  de  la  publicité  et  le  soin  qu'il 
prenait  de  fixer  et  d'entretenir  toujours  l'attention  sur  sa  personne  et 
sur  ses  œuvres  ;  mais  Meyerbeer  n'en  était  qu'à  l'enfance  de  l'art,  et 
quel  passé  maître  charlatan  en  eût  pu  remontrer  à  Wagner  pour  l'éclat 
et  l'effronterie  de  la  réclame  ?  Il  savait  bien  ce  que  c'est  que  le  public, 
même  en  Allemagne,  et  comme  il  le  faut  traiter. 

Toutefois,  il  est  un  point  sur  lequel  Wagner  s'est  trompé  ;  c'est 
lorsqu'il  a  cru  qu'on  pouvait  abuser  impunément,  je  ne  dirai  pas  de  la 
patience,  mais  de  la  faculté  d'attention  du  public.  Je  dis  que  l'artiste 
qui  oblige  l'auditeur  à  écouter  deux  heures  de  musique  sans  désem- 
parer (comme  le  prologue  et  le  premier  acte  du  Crépuscule,  qui  s'en- 
chainent)  ne  se  rend  compte,  ni,  d'une  part,  des  conditions  de  l'art 


paroles  et  musique  de  Richard  Wagner,  version  française   d'Alfred  Ernst. 
1908.) 

qu'il  exerce,  ni,  de  l'autre,  de  l'étendue  des  facultés  humaines.  Outre 
qu'il  est  difficile  à  un  compositeur  d'être  sublime  pendant  deux  heures, 
ilne  l'est  pas  moins  de  trouver  des  oreilles  capables  de  discerner,  dans 
de  telles  conditions  d'attention  et  de  fatigue,  les  beautés  musicales 
qu'on  peut  lui  offrir.  Dans  la  situation  toute  spéciale  et  particulière 
qu'il  avait  su  se  faire  à  Bayreuth,  Wagner,  souverain  absolu  et  omni- 
potent, a  pu  se  dire  à  lui-même  :  «  Je  forcerai  bien  le  public  à  m'écou- 
ter.  »  Parfaitement  :  le  public  l'a  écouté  —  à  Bayreuth.  Mais  partout 
ailleurs,  et  tout  d'abord  en  Allemagne,  il  a  fallu,  pour  faire  accepter 
l'œuvre,  l'alléger  considérablement,  et  tailler  sans  pitié  dans  cette  forêt 
musicale  si  touffue  et  si  encombrante,  où,  pour  rappeler  le  mot  d'un 
plaisant,  les  arbres  empêchaient  de  voir  la  forêt.  Et  on  a  coupé,  et  on 
a  rogné,  et  on  a  supprimé,  tout  comme  on  avait  déjà  coupé,  rogné  et 
supprimé  dans  Tannhâuser,  dans  Lohengrin  et  dans  Tristan,  parce  que, 
il  faut  bien  le  dire,  Wagner,  malgré  son  génie,  n'a  jamais  eu  ni  le 
sens  du  théâtre,  ni,  au  point  de  vue  purement  musical,  le  sens  si  pré- 
cieux de  l'équilibre  et  des  proportions.  Voyez,  dans  le  Crépuscule,  la 
scène  interminable  des  Nornes,  qui  ouvre  le  prologue  ;  voyez,  au  pre- 
mier acte,  ce  dialogue  entre  Hagen,  Gunther  et  Gutrune,  qui  semble  ne 
devoir  jamais  finir;  voyez  encore,  au  tableau  suivant,  le  sermon  que 
Waltraute  fait  à  Brunehilde,  qui  contient  pourtant  de  belles  parties, 
mais  qui  a  le  tort  impardonnable  de  durer,  montre  en  main,  vingt- 
cinq  minutes  ;  et  la  harangue  de  Hagen  aux  chasseurs,  et  le  récit  de 
l'existence  de  Siegfried  fait  par  lui-même  !...  Que  de  longueurs,  que  de 


LE  MENESTREL 


347 


redites,  que  d'inutilités,  pour  écraser  l'auditeur  sous  le  poids  d'un 
bavardage  musical  souvent  intolérable  ! 

Et  il  faut  noter  que  ce  défaut  dans  l'équilibre  et  dans  les  proportions 
est  la  conséquence  en  quelque  sorte  fatale  de  son  système,  le  système 
de  la  prétendue  «  mélodie  infinie  ».  Wagner  proscrivait  de  façon 
absolue  les  morceaux  de  forme  arrêtée  :  duos,  trios,  etc.,  qui  ne  peuvent, 
par  le  fait  même  de  leur  construction,  se  prolonger  plus  que  de  raison, 
et  qui  ont  une  conclusion  inévitable.  Mais,  écrivant  ses  poèmes  lui- 
même  et  faisant  parler  ses  personnages  à  sa  guise,  il  mettait  ses  paroles 
en  musique  et  se  laissait  entraîner  par  elles  sans  se  rendre  compte,  si 
l'on  peut  dire,  du  temps  et  de  l'espace,  allant  toujours,  toujours,  jusqu'à 
ce  que  ses  personnages  aient  dit  tout  ce  qu'il  voulait  leur  faire  dire. 
On  comprend  que.  dans  ces  conditions,  les  longueurs  soient  fatales, 
mais  on  comprend  aussi  que  lorsqu'elles  sont  excessives,  comme  c'est 
surtout  le  cas  dans  le  Crépuscule,  ainsi  que  dans  Tristan,  l'auditeur  le 
mieux  disposé  finisse  par  être  fatigué,  quoi  qu'il  eu  ait,  et  voie  s'évanouir 
son  attention. 

C'est  ce  que  les  Allemands,  qui  ne  sont  pas  bâtis  autrement  que  les 
autres  hommes,  ont  fini  par  éprouver,  et  c'est  pourquoi  nulle  part -en 
Allemagne,  sinon  à  Bayreuth,  on  n'exécute  le  Crépuscule  dans  son  inté- 
gralité. Lorsqu'il  y  a  six  ans  (17  Mai  1902),  sous  la  direction  deM.Cor- 
tot,  une  série  de  représentations  en  fut  donnée  au  Théâtre  du  Chàteau- 
d'Eau,  ce  fut  avec  les  coupures  pratiquées  d'ordinaire;  et  c'est  dans  ces 
seules  conditions  que  l'ouvrage  pourra  prendre  sa  place  dans  le  réper- 
toire de  l'Opéra,  encore  que  je  ne  croie  pas  qu'il  y  trouve  jamais  la 
fortune  de  Tanrihâuser  et  de  Lofiengrin,  en  dépit  des  deux  scènes  cruelles 
qui  ouvrent  le  second  acte  de  celui-ci. 

Précisément,  j'ai  rendu  compte  ici-même  du  Crépuscule  des  Dieu.rïovs 
des  représentations  très  honorables  que  nous  en  offrit  naguère  le  Chà- 
teau-d'Eau,  avec  le  concours  de  Mme  Litvinne,  superbe  Brunehilde,  ayant 
pour  partenaire  M.  Dalmorès  incarnant  Siegfried.  Vais-je  donc  recom- 
mencer à  vous  raconter  dans  tous  ses  détails  ce  poème  enfantin,  naïf 
autant  qu'il  est  possible,  maladroit  par  surcroit,  et  qui  semble  un  défi 
jeté  au  sens  commun  et  au  sens  théâtral?  Ce  poème  ne  peut  offrir  un 
semblant  d'intérêt  au  spectateur  que  lorsqu'il  connait  non  seulement 
les  deux  ouvrages  qui  l'ont  précédé,  la  Valkyrie  et  Siegfried,  mais  sur- 
tout le  prologue  de  la  Tétralogie,  l'Or  du  Rhin,  qui  explique  et  expose  le 
sujet  et  l'idée  mère  de  l'œuvre  totale.  Or,  c'est  précisément  ce  prologue 
révélateur.  l'Or  du  Rhin,  qui,  des  quatre  parties  de  la  Tétralogie,  reste 
aujourd'hui  la  seule  inconnue  du  public  parisien.  iPar  exemple,  méfiez- 
vous  de  celui-là  pour  l'avenir  :  il  n'a  qu'un  acte,  mais  qui  dure 
deux  heures  trois-quarts  !). 

Y  a-t-il,  comme  certains  le  prétendent  pour  pouvoir  admirer  eu 
Wagner  le  poète  avant  le  musicien,  y  a-t-il  une  austère  leçon  de 
morale,  voire  une  pensée  profondément  philosophique  dans  le  sujet 
que  Wagner  a  traité  avec  autant  et  de  si  cruels  développements  en 
cette  œuvre  colossale,  qui  a  surtout  le  défaut  d'être  trop  profondément 
colossale  ?  Où  diable  la  morale  et  la  philosophie  vont-elles  se  nicher  ? 
En  réalité,  c'est  l'amour  de  l'or  qu'il  a  voulu  flétrir  dans  cette  œuvre 
profondément  symbolique  (on  n'eût  pas  cru  Wagner  si  méprisant  pour 
«  ce  vil  métal  »),  cet  or  dont  tous,  même  les  dieux!  se  disputent  avec 
fureur  la  possession,  et  qui  est  l'unique  cause  des  maux  qui  déchirent 
le  monde.  Ce  que  Le  Sage  avait  traité  en  cinq  actes  comiques  dans 
Turearet,  Balzac  en  trois  actes  dans  Mereadet,  l'un  et  l'autre  en  simple 
prose,  Wagner  le  délaya,  musicalement,  et  dans  le  genre  féerique  et 
légendaire,  en  quatre  opéras  gigantesques. 

C'est  dans  l'Or  du  Rhin  que  nous  faisons  connaissance  avec  Thor- 
rible  nain  Albèrich,  le  chef  de  cette  race  informe  de  gnomes  qu'on 
appelle  les  Nibelungen.  Albèrich  est  en  possession  de  l'or  enfoui  dans 
le  fleuve  et  dont  il  a  su  s'emparer,  cet  or  qui  doit  lui  donner  la  toute- 
puissance  à  la  condition  qu'il  renonce  pour  jamais  aux  joies  et  aux 
ivresses  de  l'amour,  et  avec  lequel  il  s'est  fait  forger  un  anneau,  — 
l'anneau  des  Nibelungen,  —  qui  doit  exciter  les  convoitises  de  tous. 
Successivement,  dans  la  Valkyrie  et  dans  Siegfried,  c'est  d'abord  Wotan. 
le  dieu  suprême,  qui  veut  s'emparer  de.  cet  anneau  pour  en  payer  la 
rançon  de  Freia,  la  déesse  de  l'amour  et  de  la  beauté,  que  retiennent 
prisonnière  les  deux  géants  farouches  Fafner  et  Fasolt,  lesquels  ne 
consentent  qu'à  ce  prix  à  la  délivrer.  Wotan,  qui,  malgré  son  caractère 
divin,  n'en  est  pas  à  cela  près  d'une  canaillerie,  se  rend,  à  l'aide  d'un 
subterfuge,  maitred' Albèrich,  le  réduit  à  l'impuissance  et  l'oblige  à  se 
défaire  en  sa  faveur  de  l'anneau  magique,  qu'il  remet  alors  aux  deux 
géants  en  échange  de  leur  captive.  Mais  dès  que  ceux-ci  se  trouvent  à 
leur  tour  en  possession  du  talisman,  chacun  veut  l'avoir  à  lui  seul. 
Une  querelle  ne  tarde  pas  à  s'élever  entre  eux  à  ce  sujet,  et  cette  que- 
relle dégénère  bientôt  en  un  combat  dans  lequel  Fasolt  est  tué  par 
Fafner,  désormais  seul  propriétaire  du  trésor.  Nous  voyons   ensuite 


Siegfried, b'jeuue  hémou'-r  lui-même  letiéani  Faine  ipii  s'esl  inutile- 
ment transformé  en  dragon,  pour  s'emparer  de  l'anneau,  grâce  auquel 
il  pourra  braver  impunément  tous  les  périls  pour  aller  délivrer  la  fille 
de  Wotan,  la  vierge  Brunehilde,  que  celui-ci,  pour  la  punir  de  Lui 
avoir  désobéi,  a  laissé  endormie  sur  un  rocher  qu'il  a  entouré  de 
llammes  éternelles. 

C'est  précisément  après  la  délivrance  de  Brunehilde  par  Siegfried, 
qui  termine  Siegfried,  que  commence  le  Crépuscule  des  Dieux,  i  Pourquoi 
seulement  le  «  crépuscule",  puisque  c'est  leur  anéantissement  com- 
plet?! Au  prologue,  après  la  conversation  ténébreuse  et  bien  inutile 
des  trois  Nornes,  les  Parques  Scandinaves,  nous  assistons  aux  adieux 
de  Brunehilde  et  de  Siegfried,  qui  s'en  va  courir  le  monde,  on  ne  sait 
pourquoi.  En  partant,  il  laisse  à  celle  qu'il  aime  l'anneau  magique 
qu'il  a  conquis  sur  le  géant  Fafner. —  Le  premier  acte  nous  amène 
dans  une  salle  du  vaste  manoir  des  Gibichungen,  sur  les  rives  'Ju 
Rhin.  Là  se  trouvent  le  roi  Gunther,  son  frère  Hagen  et  leur  sœur 
Gutrune.  Dans  un  long  entretien,  ils  décident  que  Gunther  épousera 
Brunehilde,  tandis  que  Gutrune  devra  s'unir  à  Siegfried.  Survient 
celui-ci,  à  qui  Gutrune  verse  un  philtre,  (à  moi,  Trwtant)  qui  le  rend 
épris  d'elle  en  même  temps  qu'il  lui  enlève  le  souvenir  de  Brunehilde. 
Siegfried  demande  aussitôt  la  main  de  Gutrune  et  propose  a  Gunther 
de  lui  ramener  Brunehilde.  Le  théâtre  change,  et  nous  nous  retrou- 
vons dans  le  décor  du  prologue  et  auprès  de  Brunehilde.  Wotan,  qui 
pense  encore  à  l'anneau  et  qui  est  désolé  de  s'en  être  séparé,  envoie 
auprès  d'elle  la  Valkyrie  Waltraute  pour  la  décider  à  la  restituer  aux 
dieux.  Brunehilde  refuse,  et  Waltraute  s'éloigne,  désolée.  C'est  alors 
qu'on  voit  arriver  Siegfried,  métamorphosé  de  façon  méconnaissable. 
11  arrache  l'anneau  du  doigt  de  Brunehilde  et  l'entraîne  malgré  elle 
dans  le  manoir  des  Gibichungen. 

Second  acte,  sur  les  rives  du  Rhin,  devant  le  manoir.  Siegfried 
parait,  amenant  Brunehilde  à  Gunther.  Cris  de  joie  au  retour  du 
héros.  On  prépare  les  deux  noces,  celle  de  Gunther  et  de  Brunehilde. 
celle  de  Gutrune  et  de  Siegfried,  qui  a  repris  sa  forme  première.  En 
voyant  l'anneau  à  son  doigt,  Brunehilde  crie  à  la  trahison  et  l'accable 
de  reproches  inutiles  puisque,  grâce  au  philtre  de  Gutrune,  il  a  tout 
oublié.  Alors,  pour  se  venger,  elle  révèle  à  Hagen  le  secret  de  la  vul- 
nérabilité de  Siegfried,  qui  ne  peut  être  tué  que  s'il  est  frappé  entre  les 
deux  épaules.  De  ce  moment,  la  mort  de  Siegfried  est  décidée. 

Troisième  acte,  une  vallée  boisée  aux  bords  du  fleuve.  Les  Filles  du 
Rhin  s'ébattent  en  chantant  dans  les  eaux  lorsqu'arrive  Siegfried.  Elles 
lui  demandent  l'anneaud'or  qui  brille  à  son  doigt.  Il  refuse  d'abord,  puis 
consent,  mais  alors  elles  refusent  à  leur  tour  et  lui  prédisent  sa  fin  pro- 
chaine :  —  «  Aujourd'hui  même,  tu  mourras.  »  Lui  ne  fait  qu'en  rire. 
(C'est  là  l'une  des  scènes  les  plus  délicieuses  de  l'œuvre.)  Voici  venir 
les  chasseurs,  les  compagnons  de  Siegfried.  On  l'entoure,  on  lui 
demande  un  récit,  et  il  s'exécute.  Mais  auparavant  on  boit,  et  Hagen  lui 
verse  un  nouveau  philtre  (!!)  qui  va  lui  rendre  peu  à  peu  la  mémoire. 
Siegfried  raconte  donc  son  histoire,  mais  lorsqu'il  envient  à  sa  conquête 
de  la  Valkyrie,  Hagen,  qui  l'accuse  de  trahison,  le  frappe  de  sa  lance 
dans  le  dos.  Le  héros  tombe  et  expire  en  prononçant  le  nom  de  Brune- 
hilde, dont  il  a  retrouvé  le  souvenir.  La  nuit  est  venue,  on  fait  une 
litière  de  branchages  pour  y  placer  le  corps  de  Siegfried,  et  le  cortège 
funèbre  se  met  en  marche.  —  Après  un  changement,  nous  nous  retrou- 
vons chez  les  Gibichungen.  On  rapporte  le  corps  inanimé  de  Siegfried, 
et  Hagen  veut  s'emparer  de  l'anneau.  Mais  Gunther  lui  défend  d'y  tou- 
cher, et,  comme  naguère  les  géants,  les  deux  frères  se  battent  alors  pour 
avoir  le  talisman,  et  Gunther  est  tué  par  Hagen...  Mais  déjà  Brunehilde 
a  retiré  l'anneau  du  doigt  de  Siegfried  et  l'a  lancé  dans  le  Rhin  en 
s'écriant  :  «  La  lin  des  Dieux  est  proche.  Mais  si  leur  race  disparait,  je 
lègue  à  ceux  qui  prendront  leur  place  un  trésor  incomparable  :  l'amour. 
Ni  l'or  ni  la  puissance  ne  donnent  le  bonheur.  »  Et  tandis  que  Hagen 
est  englouti  dans  le  Rhin,  où  il  s'est  précipité  pour  conquérirl'anneau, 
un  bûcher  est  dressé  sur  l'ordre  de  Brunehilde,  sur  lequel  ou  porte  le 
cadavre  de  Siegfried.  Elle-même,  montant  sur  Grane,son  cheval  fidèle, 
s'élance  sur  ce  bûcher  pour  aller  rejoindre  dans  l'infini  celui  qu'elle  a 
tant  aimé.  Alors  un  grand  bruit  se  fait  entendre,  la  nue  éclate  et  se 
déchire,  et  l'on  voit  au  loin,  à  la  lueur  d'un  immense  incendie,  le 
Walhalla,  la  demeure  céleste,  qui  s'écroule  et  disparait  dans  les  flammes. 
C'est  le  Crépuscule  des  Dieux,  ou  plutôt  leur  fin  dernière. 

Tel  est  ce  drame  bizarre,  auquel  on  ne  saurait  refuser  une  certaine 
grandeur,  mais  qui  est  singulièrement  incohérent  et  d'une  construction 
informe,  avec  des  procédés  scéniques  d'une  puérilité  vraiment  décon- 
certante. A  remarquer  seulement  qu'au  dénouement  un  seul  de  ses 
personnages  reste  vivant  :  c'est  Gutrune.  Tous  les  autres  :  Siegfried. 
Brunehilde,  Hagen,  Gunther,  jusqu'au  cheval,  le  pauvre  Graue.  pé- 
rissent violemment.  C'est  un  massacre  général. 


348 


LE  MÉNESTREL 


On  sait  que  l'analyse  d'une  œuvre  de  Wagner  est  impossible  en  ce 
qui  concerne  le  détail  ;  il  y  faudrait  un  volume.  Je  ne  l'essayerai 
donc  pas.  Pour  ce  qui  est  de  l'ensemble,  on  connaît  assez  aujourd'hui 
et  les  théories  et  les  procédés  du  musicien  pour  qu'il  soit  inutile  d'en- 
tamer une  nouvelle  glose  à  leur  sujet.  D'ailleurs,  une  bonne  partie  de 
la  musique  du  Crépuscule  des  Dieux  est  déjà  connue  du  public,  qui  l'a 
entendu  dans  les  concerts,  et  il  va  sans  dire  que  c'est  la  meilleure.  Il 
est  certain  que  l'œuvre  est  longue,  lourde  et  fatigante,  surtout  telle  que 
nous  l'avons  entendue,  d'autant  plus  fatigante  au  point  de  vue  musical 
qu'elle  est  parfois  rebutante  au  point  de  vuescénique  ;  il  est  non  moins 
certain  qu'elle  contient  des  pages  admirables  et  d'une  envolée  superbe, 
encore  que  ces  pages  elles-mêmes  pèchent  souvent  par  une  longueur 
excessive,  comme  la  très  belle  scène  de  Waltraute  avec  Brunehilde. 
qu'on  voudrait  pouvoir  louer  sans  réserve,  n'était  la  lassitude  qu'elle 
finit  par  procurer.  Il  faut  bien  en  dire  autant  de  l'énorme  récit  dans 
lequel  Siegfried  raconte  ses  exploits  et  qui  excède  les  bornes  permises. 
D'autre  part,  tout  le  dialogue  de  Hagen,  de  Gunther  et  de  Gutrune  dans 
leur  manoir  est  d'un  développement  vraiment  intolérable,  et  l'intérêt 
n'en  excuse  pas  la  longueur.  Mais  la  jolie  scène  des  adieux  de  Siegfried 
et  de  Brunehilde  au  prologue,  mais  le  délicieux  épisode  des  Filles 
du  Rhin,  si  plein  de  grâce,  de  couleur  et  de  poésie,  mais  l'émouvant 
et  pathétique  tableau  de  la  mort  de  Siegfried  avec  sa  prodigieuse 
marche  funèbre,  tout  cela  est  d'une  beauté  achevée  et  d'une  réelle 
splendeur.  Si  je  considère  l'ensemble  toutefois,  je  ne  puis  m'empècher 
de  regretter  toujours  que  Wagner  traite  la  voix  humaine  comme  une 
quantité  négligeable.  Ici  comme  ailleurs,  c'est  bien  l'orchestre  qui  est 
omnipotent,  c'est  lui  qui  est  le  maitre  et  le  roi,  il  s'impose  trop  exclu- 
sivement aux  dépens  des  voix  qui  lui  sont  sacrifiées  sans  pitié,  et  on  ne 
saurait  trop  répéter  que  ce  principe  est  faux  dans  son  essence,  et  que 
l'oreille  de  l'auditeur  en  est  affectée.  Depuis  longtemps  sans  doute  tout 
a  été  dit  à  ce  sujet,  mais  il  n'est  pas  mauvais  de  tenir  encore  nos  jeunes 
musiciens  en  garde  contre  une  erreur  si  funeste. 

Passons  à  l'exécution.  Ici.  ce  qu'il  faut  louer  sans  réserve,  c'est 
l'ensemble,  la  précision  et  l'harmonie  des  masses.  Orchestre  et  chœurs 
se  surpassent  sous  la  direction  à  la  fois  souple  et  nerveuse  de  M.  Mes- 
sager. Pleins  de  vigueur  quand  il  le  faut  —  et  il  le  faut  souvent  dans 
cette  musique  —  ils  savent  observer  aussi  les  nuances  les  plus  déli- 
cates, et  donner  à  chaque  phrase,  à  chaque  période  l'accent,  la  cou- 
leur et  l'inflexion  que  chacune  comporte  et  réclame.  Ceci  est  bien  près 
de  la  perfection,  et  il  y  a  vraiment  longtemps  qu'à  l'Opéra  nous  nous 
étions  vus  à  pareille  fête.  C'était  une  joie  que  cette  sûreté,  cette  déci- 
sion dans  le  rendu  général  d'une  œuvre  si  complexe  et  si  fertile  en 
effroyables  difficultés. 

Je  n'ai  rien  à  dire  de  M.  Van  Dyck.  sinon  qu'il  est  égal  à  lui-même, 
et  l'on  sait  qu'il  est,  soit  en  Allemagne,  soit  en  France,  le  ténor  wagné- 
rien  par  excellence,  tant  musicalement  que  scéniquement.  M"''  Grandjean 
a  mis  toute  sa  vaillance,  toute  son  ardeur  au  service  du  rôle  écrasant 
de  Brunehilde,  en  y  joignant  sa  jolie  voix;  mais  justement,  elle  se 
dépense  sans  compter,  et  je  crains  que  de  tels  rôles  soient  meurtriers 
pour  cette  voix  dont  ils  finiraient  par  altérer  la  pureté.  Il  n'importe: 
son  succès  a  été  grand,  et  il  était  mérité,  car  elle  s'est  montrée  non 
seulement  excellente  cantatrice,  mais  comédienne  ardente  et  pathétique. 
M.  Delmas.  avec  sa  superbe  diction,  a  donné  au  personnage  du  traitre 
Hagen  la  couleur  sombre  et  farouche  qui  lui  convient  :  M.  Gilly  fait 
bien  sonner  sa  belle  voix  dans  le  rôle  de  Gunther.  et  le  joli  soprano  de 
Mlle  Rose  Féart  trouve  le  moyen  de  briller  dans  celui,  un  peu  sacrifié, 
de  Gutrune.  Entre  la  répétition  générale  et  la  première  représentation, 
le  personnage  de  Waltraute,  dont  l'unique  scène  a  tant  d'importance, 
avait  changé  de  titulaire.  C'est  Mllc  Lapeyrette  qui  l'a  chanté  définiti- 
vement, en  y  faisant  preuve  d'excellentes  qualités. 

Les  personnages  épisodiques  ne  méritent  pas  moins  d'éloges.  Xous 
avons  retrouvé  MUe  Lapeyrette,  en  compagnie  de  Mmes  Gall  et  Laute- 
Brun,  dans  le  trio  des  Filles  du  Rhin,  qu'elles  ont  fort  bien  chanté.  Il 
faut  en  dire  autant  de  Mracs  Charbonnel,  Caro-Lucas  et  Alice  Baron, 
qui  représentent  les  trois  Nornes,  sans  oublier  de  mentionner  M.  Du- 
clos  pour  la  courte  scène  du  nain  Albérich  avec  Hagen. 

En  résumé,  l'interprétation  et  l'exécution  du  Crépuscule  des  Dieux  font 
le  plus  grand  honneur  à  l'Opéra,  et  s'il  faut  en  louer  chacun,  il  faut  en 
féliciter  particulièrement  M.  Messager,  qui  en  avait  assumé  la  direction 
et  qui  a  obtenu  le  résultat  que  chacun  a  pu  apprécier.  —  Artuub   Pougin. 


Palais-Royal  :  L'Heure  de  la  bergère,  comédie-vaudeville  en  3  actes,  de 
M.  M.  Ordonneau.  —  Athénée  :  Arsène  Lupin,  pièce  en  3  actes  et  4  tableaux, 
de  MM.  F.  de  Croisset  et  M.  Leblanc. 

Nous  avions  déjà  «  l'Heure  du  berger  »  ;  grâce  à  M.  Maurice  Ordon- 
neau, nous  avons  maintenant  l'Heure  de  la  bergère.  Cette  heure  nouvelle. 


c'est  mistress  Blossom  qui  entend  la  faire  sonner.  Pourquoi?  Parce 
que,  divorcée  d'un  yankee  fatigué,  qui  remplissait  plutôt  mal  ses  de- 
voirs conjugaux,  et  serrée  de  très  près  par  le  joyeux  fêtard  Frobertville, 
elle  a  peur  que  ce  dernier,  semblant  avoir  abusé  et  paraissant  abuser 
encore,  ne  soit  pas  non  plus  à  la  hauteur  de  sa  tâche.  Comme  elle  est 
d'idées  assez  larges,  elle  acceptera  de  devenir  madame  Frobertville. 
mais  seulement  après  épreuve  concluante.  Elle  fera  signe  à  l'improviste 
à  son  fringant  prétendant,  qui  devra  répondre  sans  hésitation  à  son 
premier  appel. 

Frobertville.  qui  toujours  fut  excessivement  brillant,  malgré  la  pré- 
caution qu'il  a  eue  de  s'ingurgiter  une  drogue  composée  évidemment 
avec  la  recette  des  Dragées  d'Hercule,  et  à  cause  d'une  blonde  Rose,  qui 
autrefois  fut  sa  femme  de  chambre,  et  encore  d'une  charmante  madame 
Sabourdin.  qui  fut  déjà  beaucoup  mêlée  à  son  existence  de  célibataire. 
Frobertville,  le  pauvre,  est  pris  tout  à  fait  au  dépourvu  1  Heureusement 
pour  lui,  mistress  Blossom  est  femme  de  bon  sens  ;  elle  pardonne  la 
défaillance  passagère  et  renonce  aux  preuves  personnelles,  convaincue, 
quand  même,  que  l'avenir  lui  réserve  une  part  fort  belle  de  joies 
conjugales. 

L'Heure  de  la.  bergère,  qui  n'a  point  été  écrite  pour  les  jeunes  filles, 
est  bien  jouée  par  la  troupe  du  Palais-Royal  qui  se  reconstitue  peu  à 
peu.  En  effet,  voici  revenir  au  bercail  M.  Charles  Lamy,  un  des  plus 
fins  parmi  les  comédiens  de  composition  du  moment,  et  M.  Hurteaux. 
dont  la  suffisance  bedonnante  n'est  point  sans  rondeur.  Ils  reprennent 
la  place,  qu'on  leur  avait  vu  quitter  avec  déplaisir,  parmi  M.  Le  Gallo, 
de  bel  entrain.  M'^Dickson,  Pierval,  Yrven,  Paule  Evian,  Ariel,  adroites, 
sympathiques  ou  élégantes,  Mme  Guilty,  caricaturale,  et  M.  Diamand. 
nigaud  bon  enfant.  M.  Barrai,  qui  fut  de  la  Comédie-Française,  prête 
son  comique  très  apprêté  à  un  personnage  aussi  éjiisodique  qu'inutile. 

L'anecdote  policière  est  en  grande  mode  à  Paris  depuis  déjà  quelque 
temps,  mode  qui,  comme  tant  d'autres,  nous  vient  d'Angleterre,  encore 
qu'elle  fut  créée  à  Paris,  voici  des  années,  par  le  bon  et  inventif  roman- 
cier Gaboriau.  Le  joli  monsieur  mis  avec  recherche  et  crochetant,  en 
cravate  blanche  et  en  impeccable  habit,  les  serrures  des  maisons 
chic  où  on  recherche  sa  présence  décorative  et  séductrice,  a  su  se 
gagner  les  sympathies  vivaces  des  dames  qui  ne  se  lassent  pas  d'ap- 
plaudir à  ses  canailleries  menées  avec  élégance  et  dilettantisme.  Elles 
s'en  lassent  si  peu  —  et  il  est  juste  de  dire  que  leurs  compagnons  se 
laissent  facilement  gagner  à  leurs  préférences  —  que  voilà  bien  le 
troisième  échantillon  de  cambrioleur  mondain  qu'on  nous  offre  sur  des 
scènes  parisiennes. 

La  veine,  loin  de  s'épuiser,  après  ce  semblant  d'abus,  continue  de 
plus  belle,  et  l'Athénée  tient,  à  n'en  pas  douter,  un  gros  succès  avec 
l'Arsène  Lupin,  que  MM.  Francis  de  Croisset  et  Maurice  Leblanc  ont 
découpé  dans  le  roman  du  dernier  nommé. 

Faut-il  vous  raconter  les  exploits  hardis  et  d'un  modernisme  raffiné 
de  cet  Arsène  Lupin,  reçu  dans  la  haute  société  sous  le  nom  de  duc  de 
Chamerace?  Non,  car  l'on  craindrait  de  s'égarer  dans  les  complications 
pas  toujours  assez  claires  des  auteurs,  et  d'atténuer  l'effet  produit  par 
un  découpage  absolument  adroit,  qui  dose  de  façon  très  roublarde  — 
c'est  le  mot,  encore  qu'il  soit  plutôt  trivial  —  la  fantaisie,  l'esprit, 
l'anxiété  et  la  sentimentalité.  Le  mieux  est  d'y  aller  voir,  d'autant 
que  vous  trouverez  condensées  là  les  impressions  gaies  ou  palpitantes 
qu'il  vous  faudrait  aller  chercher  et  au  Vaudeville,  et  aux  Nouveautés 
et  à  l'Ambigu.  Trois  genres  en  simplement  quatre  tableaux,  ce  n'est 
point  déjà  si  mal. 

Arsène  Lupin,  c'est  M.  André  Brûlé,  dont  l'élégance  désinvolte,  la 
morgue  insolente,  la  vivacité,  le  don  juanisme  très  gamin,  et  l'émotion 
distinguée  assurent  au  crocheteur  de  serrures,  tout  comme  au  duc  de 
Chamerace,  l'approbation  unanime.  A  côté  de  lui.  et  en  face  de  lui, 
M.  Escoffier  a  dessiné  d'heureuse  façon  la  silhouette  du  policier  Guer- 
chard,  fin  limier  qui,  aux  applaudissements  de  tous,  se  laisse  finalement 
rouler.  Mme  Duluc,  touchante  et  discrète,  M"e  Jeanne  Rosny,  aimable, 
avec  encore  M"  Ety,  MM.  Bullier,  Lefaur,  Benedict  et  d'autres  forment 
une  bonne  distribution.  Mais  pour  peu  que  cette  vogue  continue,  vous 
verrez,  avant  pas  bien  longtemps,  que  les  fils  à  papa  n'auront  plus  que 
l'idée  fixe  de  s'entraîner  à  l'amusante  et  si  bien  portée  cambriole.  — 
Castigat  ridendo  mores...  Paul-Émile  Chevalier. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(pour  les  seuls  abonnés  a  la  musique) 


Voici  une  mélodie  nouvelle  du  maître  charmeur  Massenet  :  Dormons  parmi  les  lis. 
Une  caresse  qui  effleure,  un  parfum  qui  s'envole,  et  comme  un  vague  souvenir  de 
cette  Pensée  d'automne  qui  courut  les  deux  mondes.  A  remarquer  l'originale  ingénio- 
sité de  l'accompagnement  qui  s'applique  si  bien  à  tous  les  contours  de  la  mélodie, 
comme  ces  robes  ajustées  à  la  mode  du  jour  qui  moulent  le  corps  de  nos  grandes 
élégantes. 


LE  MÉNESTREL 


349 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts-Colonne.  —  En  souvenir  Je  Georges  Bizet,  né  le  2b  octobre  1838, 
M.  Colonne,  au  bras  toujours  jeune,  a  l'allure  toujours  vaillante,  avait  eu 
l'heureuse  idée  de  consacrer  à  l'auteur  de  Carmen  le  programme  de  son  con- 
cert de  dimanche  au  Châtelet.  L'ouverture  de  Patrie,  que  Pasdeloup  commanda 
à  Bizet  (en  mémo  temps  que  celle  de  Phèdre  à  M.  Massenet  et  celle  A'Arteveld 
à  Guiraud),  date  de  1874.  Elle  est  trop  connue  pour  qu'on  puisse  en  parler  et 
vanter  ses  mérites,  qu'une  exécution  brillante  et  chaleureuse  mit  bien  en 
valeur.  Une  sélection  do  Djamileh,  petit  acte  plein  de  poésie  et  de  charme, 
malgré  un  orientalisme  trop  conventionnel,  venait  ensuite.  La  Rêverie  d'Ha- 
rouii  (M.  Plamondon),  avec  les  chœurs  de  coulisse,  et  la  Chanson  de  Chasel 
(Mlk'  Dentellier)  sont  des  pages  aimables,  d'une  clarté  limpide,  et  que  l'on 
s'étonne  de  voir  traitées  avec  une  rare  sévérité  par  les  critiques  de  l'époque 
accusant  à  leur  sujet  Bizet  de  <c  Wagnérismo  »  et  d'obscurité  (mai  1S72, 
Albert  Wolff).  La  symphonie  Iioma,  qui  date  do  1866,  ne  fut  pas  non  plus  à 
l'abri  de  ce  même  reproche  vraiment  trop  commode  pour  abriter  les  incom- 
pétences illustres.  D'une  construction  logique  basée  sur  des  thèmes  mélodi- 
ques pleins  de  fraîcheur  et  de  charme,  avec  même  une  certaine  unité  rare 
pour  l'époque  entre  les  divers  morceaux,  cette  symphonie  demeure  une  œuvre 
vraiment  originale  et  qui  aurait  dû  trouver  grâce,  même  succès,  auprès  des 
auditeurs  de  Pasdeloup  en  1860.  Les  Pêcheurs  de.  Perles,  dans  lesquels  la  voix 
pure  et  souple  do  M.  Plamondon,  celle  puissante  et  généreuse  de  M.  Dangès 
furent  fort  appréciées,  puis,  deux  mélodies  (accompagnées  au  piano  par 
M.  E.  Wagner)  :  Vous  ne  priez-  pas  et  les  Adieux  de  .l'Hôtesse  arabe,  que  M"0  De- 
mellier interpréta  avec  de  beaux  accents  dramatiques,  complétaient  ce  cycle 
Bizet  que  la  célèbre  Suite  de  V Artésienne  couronna  superbement.  Au  milieu 
du  programme,  Mlul!  Olga  Samaroff  joua  avec  un  mécanisme  très  sur,  un  style 
sobre  et  expressif,  mais  une  sonorité  un  peu  mince  pour  l'immense  salle,  le 
joli  et  captivant  concerto  de  Grieg  pour  piano.  Son  succès  fut  vif. 

.T.  Jemain. 

—  Concerts-Lamoureux.  —  L'ouverture  de  Patrie  de  Bizet  ouvrait  le  pro- 
gramme. Cet  hommage  rendu  à  l'anniversaire  du  maître  français,  on  entendit 
avec  plaisir  la  Symphonie  en  la  mineur  de  Mendelssohn  que  M.  Chevillard  a 
raison  de  conserfer  à  son  répertoire  en  dépit  de  l'ostracisme  dont  certains 
voudraient  voir  frapper  le  maitre  allemand;  puis  deux  premières  auditions 
eurent  les  honneurs  de  la  séance.  Deux  maîtres  inégalement  réputés.  J.-S. 
Bach  et  M.  E.  Flament,  s'y  présentaient  au  public.  La  compétence  limitée  de 
l'auteur  de  ces  lignes  ne  lui  permet  pas  de  porter  un  jugement  motivé  sur  le 
concerto  du  premier  et  le  poème  symphonique  du  second.  Cependant  il  avoue 
préférer  le  concerto  pour  piano  et  orchestre,  dans  lequel  M.  Diémer  eut  un 
succès  triomphal  et  qu'il  traduisit  avec  un  art  consommé  et  une  technique 
merveilleuse.  Ce  concerto,  paraît-il,  n'avait  jamais  encore  été  entendu  à 
Paris,  et  c'est  grand  dommage,  car  il  apparaît  fort  beau.  L'Oceano  Nox  de 
M.  E.  Flament,  compositeur  plus  jeune  que  le  précédent,  est  une  vaste  fresque 
sonore  brossée  d'après  le  célèbre  poème  de  Victor  Hugo  et  qui  essaie  de  nous 
décrire  la  mer  infinie,  d'entrevoir  les  drames  terribles  que  recèle  son  sein 
profond.  M.  Flament  manie  l'orchestre  avec  aisance  et  ses  thèmes  sont  francs 
et  se  détachent  vigoureux.  11  m'a  semblé  qu'il  a  un  faible  exagéré  pour  la 
trompette  bouchée,  mais  ce  goût  est  légitime,  et  d'ailleurs  le  public  a  fêté  la 
composition.  M.  Chevillard  est  un  kapellmeister  universellement  réputé: 
mais  on  le  connaît  moins  comme  compositeur  et  c'est  dommage,  car  sa  Bal- 
lade symphonique,  qu'après  dix-huit  ans  de  silence  il  se  décidait  à  nous  faire 
entendre,  se  déroulait  avec  un  intérêt  grandissant...  lorsque  tout  sombra 
dans  la  nuit.  Terreslra  Nox!  L'électricité  était  la  coupable.  La  fée  moderne  a 
de  ces  caprices.  Après  une  attente  assez  longue  et  l'espérance  d'un  plomb  répa- 
rateur, le  public,  sur  le  conseil  paternel  de  M.  Gaveau,  se  retira  lentement  en 
regrettant  les  lampes  à  huile  et  les  quinquets  ancestraux  fumeux,  mais 
fidèles!  Intérim. 

—  Programmes  des  concerts  de  demain  dimanche  : 

Châtelet,  Concerts-Colonne  :  Première  symphonie  (Beethoven).  —  La  Vision  du  Dante 
(Raoul  Brunel),  chantée  par  M"'"  Litvinne,  MM.  Plamondon,  CarbelH  et  Koubitzky. 

—  L'Apprenti  Sorcier  (Paul  Dukas).  —  Variations  symphoniques   (César  Franck),  par 
M*  Blanche  Selva.  —  Sadko,  chanson  indoue  (Rimsky-Korsakow),  par  M.  Koubitzky. 

—  Le   Crépuscule  des  Dieux  (Richard  Wagner)  :   a)   Marche    funèbre  ;    b)  Mort  de 
Brunehilde,  par  M"'°  Litvinne. 

Salle  Caveau,  Concerts-Lamoureux,  sous  la  direction  de  M.  Chevillard  :  Deuxième 
symphonie,  en  ré  majeur  (Brahms).—  Impressions  d'un  site  agreste  (Jules  Mauguê).  — 
Morceau  de  concert  pour  violon  (Saint-Saëns),  par  M.  Johannès  Wolff.  —  Schéhéra- 
zade  (Rimsky-Korsakow).  —  Suite  symphonique  du  3°  acte  des  Maitrcs  Chanteurs 
(Wagner). 

—  Un  comité  composé  de  MM.  Saint-Saëns,  Théodore  Dubois,  Gabriel 
Fauré,  André  Messager,  Alfred  Bruneau,  Gabriel  Pierné,  Paul  Vidal,  Adrien 
Berheim,  Edmond  Stoullig,  Fernand  Bourgeat,  Gabriel  Parés,  Ph.  Gaubert, 
Gallon,  Th.  Heymann,  A.  Dandelot,  s'est  formé  pour  organiser  un  concert  à 
la  mémoire  de  Georges  Marty  et  au  .bénéfice  de  sa  veuve,  le  dimanche  lo  no- 
vembre, dans  la  salle  du  Conservatoire,  avec  le  concours  de  l'orchestre  et  des 
chœurs  de  la  Société  des  Concerts,  de  M.  Camille  Saint-Saëns  et  d'artistes 
éminents.  On  peut,  dès   aujourd'hui,  retenir  ses  places  chez  M.  Dandelot. 

[    83,  rue  d'Amsterdam.  Prix  des  places  :  orchestre,  20  francs;  balcon, 20 francs; 
I  premières  loges,  20  francs  la  place  ;  baignoires  et  deuxièmes  loges,  12  francs 
j   la  place;  stalle  d'amphithéâtre.  8  francs;  troisièmes  loges   et  amphithéâtre, 
7  francs  la  place. 


—  Après  quatre  brillantes  séances  de  musique  de  chambre  inédite  au  Salon 
d'automne,  la  prochaine  saison  du  Quatuor-Parent  recommencera  le  mardi  soir 
3  novembre,  a  la  Schola  Canlorum.  Les  3,  10,17  et  2i  novembre  seront  consa- 
crés au  cycle  Schumann,  avec  le  concours  de  la  charmante  M'""  Mellot- 
Joubert,  qui  chantera,  le  17,  l'Amour  du  Poète,  et  de  la  toujours  vaillante 
M110  Marthe  Dron,  qui  prendra  part  a  toutes  les  soirées  ;  les  séances  des  1' ",  H, 
\'j  et  22  décembre  appartiendront  au  cycle  Franck. 

—  Le  pianiste  Harold  Bauer  donnera  deux  récitals  les  mardis  3  ei  10  no- 
vembre à  la  salle  des  Agriculteurs.  Billets  en  vente  chez.  MM.  Max  Eschig, 
13,  rueLaffitte;  Durand,  4,  place  de  la  Madeleine  ;Grus,  place  Saint-Augustin, 
et  Orphée,  lli,  boulevard  Saint-Germain. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (28  octobre./  : 

La  Monnaie  vient  de  faire  deux  fort  belles  reprises  :  celle  d'Orphée  et  celle 
de  Siegfried.  La  première  a  été  remarquable  par  son  excellent  ensemble,  sa 
tenue  pleine  de  style  et  de  noble  émotion.  M1"0  Croiza,  qui  abordait  le  rôle 
d'Orphée,  y  a  appliqué  ses  qualités  habituelles  d'interprétation,  son  art  du 
chant  qui,  de  plus  en  plus,  s'affirme  et  se  précise,  sans  préjudice  d'un  constant 
souci  d'expression.  Mllc  Seroen,  quoique  un  peu  faible,  n'a  pas  passé  inaperçue 
dans  le  rôle  d'Eurydice,  et  l'orchestre  a  été  digne  de  ses  meilleurs  jours.  C'est 
l'orchestre  aussi  qu'il  convient  de  louer  à  propos  de  la  reprise  de  Siegfried.  Le, 
interprètes  étaient  les  mêmes  que  l'an  dernier,  Mllc  Pacary,  Briinnhilde  im- 
peccable, M.  Verdier,  Siegfried  plein  de  juvénile  ardeur,  Mme  Croiza. 
MM.  Billot  et  Lafhtle  ;  seule,  M"''  Lily  Dupré  (l'oiseau)  était  nouvelle,  et  l'on 
ne  s'en  est  pas  mal  trouvé.  —  Je  vous  ai  signalé  dernièrement  l'engagement 
de  Mme  Friche,  après  le  départ  de  M"'e  Mazarin.  Sans  faire  partie  d'une  façon 
immuable  de  la  troupe  de  la  Monnaie  et  bien  que  ne  chantant  qu'en  représen- 
tations, l'excellente  artiste  nous  restera  une  bonne  partie  de  l'hiver.  Outre 
Carmen,  qui  lui  a  servi  de  «  rentrée  »,  elle  reprendra  Louise,  qu'elle  créa  ici 
avec  tant  de  succès,  il  y  a  quelques  années  ;  de  plus,  sa  présence  a  décidé  la 
direction  à  monter,  dès  cette  année,  avec  elle,  l'Ariane  et  Barbe-Bleue  Au 
M.  Dukas,  qui  sera  même  la  première  nouveauté  de  la  saison,  avant  la 
Sainte-Catherine  d'Alexandrie  de  M.  Tinel  et  même,  dit-on.  Monna  Vanna  dont 
la  première  à  Bruxelles  dépend  naturellement  de  l'Opéra  de  Paris.  En  atten- 
dant, on  nous  promet  pour  bientôt  la  Juive,  que  nous  attendons  sans  aucune 
impatience. 

La  saison  des  grands  concerts  va  bientôt  commencer.  Elle  débutera  le  S  no- 
vembre par  la  première  matinée  des  Concerts-Populaires.  Ceux-ci  ont  un 
programme  fort  intéressant  de  solistes  et  clôtureront  par  une  exécution 
imposante  du  Déluge  de  M.  Saint-Saèns  et  de  la  Sulamite  de  Chabrier.  Les 
Concerts- Ysaye  n'ont  pas  fait  connaître  ce  qu'ils  comptent  nous  faire  entendre: 
mais  nous  pouvons  être  assurés  qu'ils  nous  offriront,  comme  toujours,  des 
œuvres  curieuses  d'avant-garde.  Les  Concerts-Durant  reprendront  cet  hiver 
leur  revue  des  maîtres  classiques  et  romantiques,  commençant  par  Bach  et 
Haendel  pour  finir  par  Wagner  et  Brahms,  sans  oublier  les  auteurs  belses. 
Quant  au  Conservatoire,  M.  Gevaert  nous  réserve  quatre  matinées  qui.  "race 
à  la  vigueur  et  à  l'enthousiasme  toujours  juvéniles  de  son  illustre  chef,  ne  le 
céderont  en  rien  à  celles  des  années  précédentes. 

Dimanche  dernier,  la  séance  publique  annuelle  de  la  classe  des  Beaux- 
Arts  de  l'Académie  royale  nous  a  fait  entendre  la  cantate  du  premier-second 
grand  prix  de  Rome  de  l'an  dernier,  M.  Herberigs,  sur  le  poème  de  M.  Valère 
Gille,  Geneviève  de  Brabant:  œuvre  touffue,  habile,  pleine  de  savoir-faire,  mais 
peu  sincère.  Elle  était  précédée  d'un  magistral  discours  de  M.Edgar  Tinel  sur 
Pie  X  et  la  musique  sacrée,  à  propos  du  fameux  Molu  proprio  du  pape,  qui  a  déjà 
fait  couler  beaucoup  d'encre.  M.  Tinel  a  traité  la  question  avec  une  hauteur 
de  vues  et  une  sagacité  remarquables,  moutrant  le  service  considérable  que 
Pie  X  a  rendu  à  la  musique  religieuse,  dont  il  poursuit  très  intelligemment 
—  et  très  artistiquement  —  la  rénovation.  La  réforme  que  le  pape  réclame 
fut  indiquée  déjà  il  y  a  longtemps  par  Wagner:  seulement,  le  pape,  plus  mo- 
derniste que  Wagner,  ne  base  pas  comme  lui  sa  réforme  sur  le  culte  exclusif 
de  la  musique  palestinienne,  dont  l'abus  pourrait  devenir  fatal  aux  dévelop- 
pements et  à  l'avenir  de  la  musique  sacrée.  M.  Tinel  a  insisté  pour  que  les 
compositeurs  d'aujourd'hui  prennent  comme  modèle  l'admirable  Bach,  source 
unique  de  toute  véritable  inspiration.  l_  g_ 

—  Le  Théâtre-Royal  de  Liège  a  offert  à  ses  habitués  la  primeur  d'un  ballet- 
pantomime  inédit  en  un  acte,  intitulé  Marion.  Les  auteurs  de  ce  petit  ouvrage 
sont  M.  Ambrosiny  pour  le  scénario  et  M.  Devena  pour  la  musique. 

—  La  conférence  pour  la  révision  du  traité  de  Berne,  à  Bjrlin.  poursuit 
activement  ses  travaux.  Certains  points  paraissent  actuellement  acquis  :  entre 
autres  la  survivance  du  droit  d'auteur  pour  une  durée  de  cinquante  ans 
semble  devoir  être  adoptée  comme  principe  général  auquel  les  Etats  jusqu'ici 
réfraclaires  se  rallieraient  dans  un  délai  qui  parait  être  prochain.  Le  rapport 
général  de  la  conférence  pourrait  être  terminé  vers  la  fin  de  la  semaine  pro- 
chaine. On  croit  que.  les  signatures  seront  échangées  vers  le  7  novembre. 

L'Association  professionnelle  allemande  du  livre,  comprenant  les  hommes  de 


350 


LE  MÉNESTREL 


lettres,  artistes,  libraires  et  autres  intéressés,  a  offert  un  grand  banquet  de 
trois  cent  vingt-trois  couverts  aux  membres  de  la  conférence  pour  la  revision 
de  la  convention  de  Berne.  La  délégalion  française  était  représentée  par 
MM.  Lavisse,  Hervieu  et  Renaud.  —  Ajoutons  à  ces  nouvelles  qu'au  dernier 
moment  nu  avait  fini,  dans  les  sphères  gouvernementales  françaises,  par  re- 
connaître que  la  présence  à  Berlin  de  MM.  Sauvel  et  Maillard,  pour  y  défendre 
nos  intérêts  en  ces  délicates  circonstances,  s'imposait  absolument  puisqu'ils 
étaient  le  plus  qualifiés  et  aussi  le  plus  au  courant  de  ces  questions  spéciales. 
On  avait  donc  décidé  de  les  envoyer  en  qualité  de  «  délégués  techniques  ». 
M.  Albert  Sauvel  s'est  vu  obligé  de  décliner  l'invitation  tardive  qui  lui  était 
faite,  pour  des  raisons  personnelles  et  douloureuses.  Mais  M.  Maillard  a  pu 
suivre  les  débats  et  on  peut  être  assuré  qu'il  n'y  pas  perdu  son  temps. 

—  C'est  hier,  30  octobre,  qu'a  dû  avoir  lieu  à  Tienne  l'inauguration  du 
Théàtre-Johann-Strauss. 

—  Joseph,  de  Méhul.  que  l'on  n'avait  pas  joué  depuis  longtemps  à  l'Opéra 
de  Vienne,  vient  d'être  remis  en  scène  avec  beaucoup  de  succès  par  M.  Wein- 
gartner,  qui  a  dirigé  lui-même  la  première  représentation.  Les  dialogues  par- 
lés ont  été  remplacés  par  des  récitatifs  venus  de  Paris,  mais  dont  l'auteur  est 
inconnu  si  l'on  en  croit  les  journaux  de  Vienne.  Ces  récitatifs  ont  produit  un 
excellent  effet;  ils  ont  été  composés  en  utilisant  des  thèmes  de  Méhul,  mais, 
d'après  les  harmonies  employées,  on  croit  pouvoir  les  attribuer  à  un  musicien 
de  l'époque  contemporaine. 

—  La  direction  de  l'Opéra  de  Vienne  prépare,  pour  le  mois  de  décembre, 
un  cycle  Mozart  comprenant  l'Enlèvement  au  Sérail.  Cosi  fan  lutte,  tes  Noces 
de  Figaro,  Don  Juan  et  la  Flûte  enchantée. 

—  Il  est  dès  à  présent  décidé,  parait-il,  qu'il  y  aura  des  représentations  au 
théâtre  des  fêtes  de  Bayreuth,  non  seulement  en  1909,  mais  chaque  année 
jusqu'en  1913.  Les  spectacles  de  l'an  prochain  seront,  nous  l'avons  dit,  les 
mêmes  que  ceux  de  1908;  on  jouera  Lohengrin,  l'Anneau  du  Nibelung  et  Par- 
sifal.  La  direction  restera  entre  les  mains  de  M.  Siegfried  Wagner. 

—  Voici,  d'autre  part,  les  dates  fixées  pour  ces  représentations  wagnériennes 
de  Bayreuth  :  Lohengrin  sera  joué  le  22  juillet  et  les  1".  5,  12  et  19  août; 
Parsifal,  les  23  et  31  juillet,  ainsi  que  les  4,  7,  8,  Il  et  20  août.  Les  représen- 
tations de  l'Anneau  du  Nibelung  auront  lieu  du  25  au  28  juillet  et  du  14  au 
17  août.  A  ce  sujet,  la  direction  des  Festspiele  vient  de  publier  la  déclaration 
suivante,  qui  peut  paraître  un  peu  singulière  :  —  «  Pour  mettre  fin  à  l'abus 
du  trafic  de  billets,  que  nous  avons  vainement  tenté  de  supprimer  entièrement 
par  d'autres  moyens,  les  cartes  d'entrée  ne  seront  délivrées  que  contre  un 
engagement  écrit,  par  lequel  l'acquéreur  s'oblige  à  ne  pas  transmettre  ces 
cartes  en  d'autres  mains  sans  notre  autorisation,  sous  peine  d'une  amende 
conventionnelle  de  30  marks  (37  fr.  80  c.)  par  carte.  Ces  amendes  seront 
versées  dans  la  caisse  de  la  fondation  des  bourses  wagnériennes.  Cet  engage- 
ment sera  envoyé  aux  souscripteurs,  afin  qu'ils  y  apposent  leur  signature 
avant  l'expédition  des  cartes.  » 

—  Les  amateurs  de  chorégraphie  et  les  artistes  de  Munich  s'intéressent  en  ce 
moment  très  vivement  aux  danses  des  trois  sœurs  Marguerite,  Eisa  et  Bertha 
Wiesenthal.  Le  répertoire  de  ces  jeunes  filles  se  compose  de  plusieurs  valses 
de  Strauss,  le  Beau  Danube  bleu,  Roses  du  Sud,  etc.,  de  fragments  mimés  de 
Beethoven,  de  Chopin,  de  Grieg  et  du  Carnaval  de  Schumann,  de  laendler  de 
Schubert  et  de  Lanner,  enfin  d'extraits  de  Manon,  de  Massenet.  Dans  ces  der- 
niers fragments,  le  charme  caressant  des  jolies  danseuses  a  été  tout  particu- 
lièrement apprécié. 

—  Mme  Félia  Litvinne  a  chanté  pour  la  première  fois,  à  Munich,  dans  un 
concert  d'orchestre,  des  fragments  d'oeuvres  de  MM.  Casella  et  Georges  Hue. 
Le  succès  de  la  grande  cantatrice  a  été  considérable.  On  l'a  rappelée  et  bissée 
après  la  plupart  de  ses  morceaux  et  notamment  dans  les  pages  de  Schumann 
(Diechterliebe)  et  de  Beethoven,  ainsi  que  dans  les  beaux  Poèmes  maritimes  de 
Georges  Hûe. 

—  M.  Engelbert  Humperdinek  partira  pour  New-York  en  janvier  ou 
février  1909  afin  de  pouvoir  diriger  la  première  représentation  de  son  opéra 
les  Enfants  du  roi,  qui  doit  avoir  lieu  le  1er  mars  au  Metropolitan  Opéra  House. 

—  L'ancien  intendant  général  de  la  Cour,  à  Weimar,  vient  de  remettre  la 
direction  des  services  à  son  successeur,  M.  de  Schirac. 

—  Des  fêtes  commémoratives  viennent  d'avoir  lieu  à  Bamberg  en  l'honneur 
de  E.-T.-A.  Hoffmann,  l'auteur  des  Contes  fantastiques.  Cet  écrivain  célèbre 
vécut  en  effet  dans  cette  ville  de  1808  à  1813  et  s'y  distingua  comme  directeur 
de  la  musique  du  théâtre,  comme  compositeur  et  comme  poète,  comme  dessi- 
nateur et  comme  nouvelliste.  Le  conseil  municipal  et  la  direction  du  théâtre 
de  Bamberg  ont  voulu  honorer  Hoffmann  le  26  octobre  dernier  à  l'occasion  du 
centième  anniversaire  de  sa  première  apparition  à  la  tête  de  l'orchestre  du 
théâtre.  Une  plaque  de  souvenir  a  été  scellée  sur  la  façade  delà  maison  qu'il 
habitait  et  une  représentation  de  gala  des  Contes  d'Hoffmann  d'Offenbach  a  été 
donnée,  avec  un  prologue  de  circonstance  écrit  par  M.  Pfeiffer. 

—  La  Société  Spohr,  de  Cassel,  qui  était  en  voie  de  formation,  vient  de  se 
constituer  définitivement.  M.Beir,  le  maître  de  chapelle  de  la  Cour,  a  été  élu 
président.  On  compte  parmi  les  membres  du  comité  un  petit-fils  et  une 
arrière-petite-fille  de  Spohr,  M.  Louis  "Wolff  et  MUc  Ida  Wittich.  et  plusieurs 
personnalités  musicales  des  grandes  villes  d'Allemagne.  Pendant  la  dernière 
séance,  M.  Louis  Wolff  a  parlé  du  monument  que  l'on  est  sur  le  point  d'ériger 
à  Brunswick  en  l'honneur  de  Spohr,  disant  qu'il  faut  éviter  que  celui  que  l'on 


va  élever  à  Cassel  puisse  ressembler  au  premier.  Il  a  été  question  aussi  d'aviver 
le  mouvement  d'opinion  qui  se  produit  depuis  quelque  temps  en  faveur  des 
œuvres  de  Spohr,  en  donnant  au  théâtre  de  Cassel  Jessonda  et  en  faisant  exé- 
cuter aux  concerts  d'abonnement  de  cette  ville  une  cantate  du  maître  et  sa 
symphonie  en  ut  mineur. 

—  A  Marienbad,  après  sa  brillante  tournée  de  concert,  Mllc  Gabrielle  Endom 
remporta  un  véritable  succès,  en  présence  du  roi  d'Angleterre  ;  elle  excella 
en  exécutant  avec  une  rare  pénétration  de  style  des  pièces  de  Scarlatti, 
L.  Filliaux-Tiger,  et  la  deuxième  Rhapsodie  de  Liszt.  Le  monarque  félicita 
vivement  la  jeune  artiste. 

—  La  ville  de  Lausanne  est  plus  fortunée  que  la  ville  de  Paris.  Elle  a  pu 
inaugurer,  il  y  a  un  mois  environ,  un  édifice  simple,  mais  élégant,  spacieux 
et  pratique,  édifié  d'après  les  plans  de  M.  G.  Corbaz,  architecte,  et  sur  le 
fronton  duquel  on  lit  ces  mots  en  lettres  d'or  :  Conservatoire  de  musique.  Voici 
l'intéressante  description  qu'un  journal  nous  donne  de  ce  nouveau  monument, 
situé  dans  la  rue  du  Midi  : 

Le  vestibule  d'entrée  et  l'escalier,  supporté  pardes  colonnes  de  fer  recouvertes  de 
staf  et  décorées  de  lampes  en  1er  forgé,  sont  vastes,  très  clairs  et  plaisants  à  l'œil. 
Au  rez-de-chaussée  le  logement  de  la  concierge  et  divers  locaux  de  service,  chauffage 
central,  etc.  Au  premier  étage  :  cinq  classes  spacieuses,  le  bureau  du  directeur  et  la 
salle  d'attente.  Au  deuxième  étage:  sept  classes  et  UDe  salle  de  théorie  pour  vingt 
élèves.  A  chaque  étage  des  lavabos  et  cabinets  aux  installations  exira-modernes.  Les 
classes  sont  séparées  par  une  double  paroi  de  briques,  dans  laquelle  est  interca'ée, 
avec  jeu  d'air,  une  couche  de  liège.  Une  disposition  analogue  a  été  adoptée  pour  les 
planchers.  Grâce  à  ces  sortes  de  sourdines,  on  n'entend  pas  du  tout  ce  qui  se  passe 
d'une  classe  à  l'autre,  condition  indispensable  dans  un  établissement  de  ce  genre. 
Tout  l'étage  supérieur  est  occupé  par  la  Salle  de  concerts  et  de  conférences,  qui 
mesure  Mm,30  sur  llm,20.  Cette  salle,  très  haute,  très  gracieuse  avec  son  papier  vieil 
or,  ses  appliques  électriques  et  ses  lustres  à  gaz,  avec  ses  neuf  fenêtres  encadrées 
de  lambrequins  couleur  grenat,  ornés  de  passementeries,  a  une  acoustique  excellente, 
parait-il.  Elle  peut  contenir  250  personnes.  Au  fond,  une  estrade  que  l'on  peut 
agrandir  ou  réduire  à  volonté.  Le  mobilier  est  composé  de  fauteuils  fixes,  très  élé- 
gants, et  dont  le  siège  à  bascule  permet  une  circulation  facile.  Contiguë  à  cette  salle 
dont  elle  n'est  séparée  que  par  une  paroi  mobile,  une  salle  plus  petite,  de  même 
style,  peut  lui  être  annexée  en  cas  de  grande  affluence. 

La  ville  de  Lausanne  est  plus  fortunée  que  la  ville  de  Paris, 

—  Le  résultat  du  concours  Sonzogno  que  nous  avons  annoncé  naguère, 
concours  ouvert  pour  la  composition  d'un  Psaume  à  voix  seule  et  d'un  Thème 
avec  variations  pour  orchestre,  a  été  absolument  négatif.  Des  treize  manus- 
crits envoyés  pour  le  Psaume  et  des  neuf  présentés  pour  le  Thème  varié,  au- 
cun n'a  été  jugé  digne  du  prix  par  le  jury  chargé  de  l'exécution.  Néanmoins, 
M.  Edouard  Sonzogno  a  résolu  de  faire  exécuter  publiquement  la  composition 
qui,  dans  chacun  des  deux  concours,  a  paru  réunir  les  plus  sérieuses  qua- 
lités. 

—  En  rendant  compte,  dans  la  Provincia  de  Crémone,  des  fêtes  qui  viennent 
d'avoir  lieu  à  Ferrare  pour  célébrer  le  trois-centième  anniversaire  de  la  nais- 
sance du  célèbre  organiste  Girolamo  Frescobaldi,  le  professeur  Angelo  Berenzi 
émet  le  vœu  que  la  ville  de  Crémone  se  souvienne  aussi  d'un  de  ses  plus  illus- 
tres enfants,  le  grand  compositeur  Claudio  Monteverde,  qui  peut  être  considéré 
comme  le  père  de  l'opéra  moderne,  et  souhaite  que  ce  souvenir  soit  consacré 
par  elle  d'une  façon  éclatante,  par  une  manifestation  digne  du  génie  de  cet 
artiste  admirable  et  que  ses  compatriotes  semblent  trop  oublier.  L'illustre 
auteur  à'Arianna  et  à'Orfeo  a  bien  droit,  en  effet,  â  l'hommage  qu'on  réclame 
pour  lui,  car  son  nom  est  indissolublement  attaché  à  la  création  du  vrai  drame 
musical.  Le  professeur  Berenzi,  qui  se  fait  le  champion  de  sa  gloire,  s'est  fait 
connaître  récemment  par  plusieurs  publications  intéressantes  relatives  à  la 
lutherie  et  à  quelques-uns  dts  plus  grands  luthiers  italiens  ;  Stradivarius, 
Gaspar  da  Salo,  Maggini,  etc. 

—  Le  théâtre  San  Carlo  de  Naples  prépare  une  saison  d'hiver  que  l'on 
assure  devoir  être  tout  particulièrement  brillante.  Parmi  les  ouvrages  inscrits 
au  répertoire  on  cite  le  Crépuscule  des  Dieux  (mis  en  scène  par  le  régisseur  du 
théâtre  de  Munich  et  dirigé  par  M.  Giuseppe  Martucci),  Thaïs,  Roméo  et  Juliette, 
Aida,  Eamlet,  Carmen,  Gloria,  de  Cilèa,  Perugina  de  Mascheroai,  Ratcliff  de 
Mascagni  et  Batlisla,  le  drame  religieux  de  don  Fino,  dirigé  par  l'auteur.  Des 
artistes  engagés  on  ne  cite  encore  jusqu'ici  que  les  noms  de  Mn,cs  Borgatti  et 
Litvinne,  du  ténor  Amedeo  Bassi,  de  l'excellent  baryton  Titta  Ruffo,  qui 
jouera  Hamlet,  de  MM.  Gillon,  Vignas  et  d'un  ténor  anglais  de  grande  répu- 
tation, M.  John  Cormack,  qui  se  produira  pour  la  première  fois  en  Italie.  La 
saison  s'ouvrira  le  5  décembre  par  le  Crépuscule  des  Dieux,  pour  se  terminer 
au  bout  de  cinq  mois,  le  30  avril. 

—  Un  ténor  généreux.  C'est  un  artiste  italien,  M.  Giovanni  Zenatello,  déjà 
connu  par  sa  libéralité,  qui,  dit-on,  a  offert  à  la  municipalité  de  Vérone,  sa 
ville  natale,  une  somme  de  200.000  francs  pour  la  construction  d'un  Poli- 
teama. 

—  La  prochaine  saison  lyrique  du  théâtre  San  Carlos  de  Lisbonne,  qui 
semble  devoir  prendre  une  importance  exceptionnelle,  présentera  à  tout  le 
moins  un  caractère  de  nouveauté  dont  on  n'avait  point  d'exemple  jusqu'ici; 
c'est-à-dire  qu'elle  sera  divisée  en  trois  périodes,  dont  l'une  consacrée  à 
l'opéra  français  avec  des  artistes  français,  la  seconde  à  l'opéra  italien  avec 
des  artistes  italiens,  et  la  troisième  à  l'opéra  allemand  avec  des  chanteurs 
allemands.  C'est  avec  le  répertoire  français  que  s'ouvrira  la  saison,  le  14  ou  le 
15  novembre  prochain.  On  jouera  Manon,  Werther,  Mignon,  Lakmé  et  le  Chemi- 


LE  MÉNESTREL 


351 


neau,  avec  un  personnel  choisi  surtout  parmi  les  meilleurs  artistes  de  l'Opéra 
et  de  l'Opéra-Comique  et  comprenant  les  noms  de  MU1CS  Marguerite  Carré, 
Hélène  Demellier,  Bessie  Abott,  Fely  Dereyne  et  Lucienne  Mantou  et 
MM.  Godart,  Nuibo,  Breton,  Bourbon,  Viaud  et  Lequien;  le  chef  d'orchestre 
sera  M.  Alphonse  Catherine.  Les  ouvrages  dialogues  seront  représentés  dans 
leur  forme  originale,  c'est-à-dire  avec  le  dialogue  parlé.  Le  15  décembre  com- 
mencera la  campagne  italienne,  avec  une  troupe  ainsi  composée  :  MmM  Bian- 
chini-Capelli,  Kruscenislci,  Farnetli.Meicick,  Di  Angelo,  Magliulo,  Baldassare 
et  Sanz,  et  MM.  Leliva.  Carpi,  Scampini,  Rostowski,  Spadoui  (ténors),  Rapi- 
sardi,  Narri,  Ancona.  Viale  (barytons)  et  Mardones  (basse).  Le  chef  d'orches- 
tre sera  sans  doute  M.  Leopoldo  Mugnone.  Au  répertoire,  Aida,  les  Hugue- 
nots, le  Prophète,  il  Trovatore,  la  Traviata,  Madame  Butterfly,  la  Juive,  Samson  et 
Dalila,  Capuleli  e  Montecchi,  de  Bellini,  véritable  exhumation,  et  la  Salomé  de 
M.  Richard  Strauss.  Enfin,  le  15  mars  1009,  la  saison  italienne  étant  termi- 
née, l'opéra  allemand  aura  son  tour  avec  trois  exécutions  du  cycle  entier  des 
Nibelaïu/en  de  Wagner,  dirigées  par  M.  Fritz  Beidler.  la  mise  en  scène  étant 
celle  du  théâtre  du  Prince-Régent  de  Munich.  Voici  les  noms  des  artistes  qui 
prendront  part  à  ces  exécutions  :  Mmcs  Lucy  Weidt  (Opéra  de  Vienne),  Emmy 
Burg-Zimmermann  (Prince-Régent  de  Munich),  Ottilie  Costa-Feklwock  (Nu- 
remberg), Sophie  Bischoff-David  (Opéra  de  Berlin),  MM.  Pennarini  (Ham- 
bourg). Franz  Costa  (Nuremberg),  Hans  Breuer  (Opéra  de  Vienne),  Willi 
Buers  (Munich),  Ludwig  Friinkel  (Magdebourg),  Willi  Tauber  (Berlin),  Jean 
Bischoff  (Berlin)  et  Adolphe  Ziehler  (Stettin).  Voilà  une  entreprise  qu'on  peut 
qualifier  de  hardie  et  qui  à  coup  sur  est  intéressante,  ne  fut-ce  qu'en  raison 
de  sa  nouveauté. 

—  Au  Bechstein-Hall  de  Londres,  très  grand  succès  pour  M.  Charles  Levadé, 
qui  accompagnait  ses  œuvres  au  cours  du  récital  donné  par  M.  Théodore  Byard, 
qui -a.  délicieusement  chanté  Aubade  mélancolique,  du  jeune  compositeur,  et 
Sonnet  matinal,  de  Massenet. 

—  La  musique  n'a  pas  été  oubliée  aux  fêtes  du  troisième  centenaire  de  la 
fondation  de  Québec,  et  les  Canadiens  n'ont  pas  oublié  non  plus  leur  origine 
française.  Des  concerts  très  brillants  ont  été  donnés,  dans  lesquels  des  artistes 
de  New-York  avaient  été  appelés  à  se  mêler  aux  artistes  nationaux,  et  le  ré- 
sultat a  été  excellent.  On  avait  publié  pour  la  circonstance  plusieurs  composi- 
tions où  le  souvenir  de  la  mère-patrie  était  rappelé  d'une  façon  touchante, 
ainsi  qu'en  témoignent  les  paroles  caractéristiques  de  diverses  mélodies  :  Res- 
tons Français;  Soyons  loyaux,  mais  toujours  Français:  Gardons  le  doux  parler  de 
notre  enfance...  Nos  compatriotes  du  Canada  ne  peuvent  pas  douter  du  senti- 
ment affectueux  et  reconnaissant  que  nous  inspire  un  tel  attachement  et  de  la 
joie  qu'il  nous  procure.  Mentionnons,  en  ce  qui  concerne  ces  fêtes  musicales, 
nne  composition  d'une  artiste  de  Montréal,  M'"e  Ernest  Brousseau.  la  Marche 
du  Tricentenaire,  dédiée  par  l'auteur  au  premier  ministre  de  la  province  de 
Québec  et  qui  a  été  accueillie  avec  un  véritable  enthousiasme. 

—  Il  vient  de  se  fonder  à  Montevideo  (Uruguay)  une  «  Sociedad  Orguestral 
Nacional  »  sous  la  direction  du  musicien  Louis  Sambucetti.  Ilya  déjà  long- 
temps que  la  nécessité  d'une  telle  initiative  se  faisait  sentir.  Elle  n'a  pu  réussir 
que  grâce  à  l'appui  que  le  gouvernement  vient  de  donner  à  M.  Sambucetti. 
En  effet,  il  doit  remettre  au  directeur  une  somme  de  3.500  francs  par  concert 
(à  raison  d'un  par  mois),  tous  les  frais  étant  au  compte  de  ce  directeur  et  les 
recettes  devant  être  remises  au  gouvernement.  Le  16  septembre  a  eu  lieu  le 
premier  concert  avec  un  plein  succès.  Au  programme  l'ouverture  de  Patrie, 
de  Bizet,  la  Danse  de  Gipsy,  de  Saint-Saëns,  l'Esquisse,  de  Dubois,  le  prélude 
de  Lohengrin,  la  deuxième  rapsodie  de  Liszt,  le  Pas  guerrier,  de  Reyer,  etc., 
ont  été  magistralement  exécutés.  Le  président  de  la  République,  M.  Williman, 
assistait  au  concert.  La  critique  a  été  unanime  à  reconnaître  les  efforts  de 
M.  Sambucetti  qui,  avec  des  éléments  assez  hétérogènes,  a  su  réunir  un 
orchestre  qui,  avec  le  temps,  arrivera  à  exécuter  dans  la  perfection  les  oeuvres 
les  plus  difficiles  des  grands  musiciens.  Il  nous  est  agréable  de  voir  dans  de 
lointaines  contrées  des  disciples  de  nos  grands  maîtres  français  être  à  la  tête 
du  mouvement  artistique  ;  aussi  faisons-nous  des  voeux  pour  la   prospérité  de 

'-•!a  S.  0.  N.  et  pour  son  excellent  chef. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

MM.  Isola,  directeurs  du  Lyrique  municipal  de  la  Gaîté,  sont  en  instance 
auprès  du  conseil  municipal  pour  obtenir  des  facilités  nouvelles  d'exploitation 
de  leur  entreprise.  Ces  facilités  pourraient  consister  soit  dans  l'autorisation 
d'élever  le  prix  des  places  de  choix,  soit  dans  une  subvention  à  accorder  par 
la  Ville.  MM.  Isola  s'en  sont  entretenus  avec  MM.  Chérioux,  Dausset  et 
Deville. 

—  Nos  théâtres  ont  décidément  entre  eux  un  élan  de  fraternité  qui  ne  laisse 
pas  que  d'offrir  quelque  intérêt,  et  la  Comédie-Française  vient  d'en  offrir  une 
preuve.  Un  de  nos  jeunes  compositeurs.  M.  Henri  Hirschmann,  a  fait  repré- 
senter récemment  en  Belgique  et  avec  succès,  sur  un  livret  de  M.  Gustave 
Rivet,  un  opéra  intitulé  Hernani,  dans  lequel  l'adaptateur  avait  respecté  autant 
qu'il  était  possible  l'économie  générale  du  chef-d'œuvre  de  Victor  Hugo.  Cet 
ouvrage  était  reçu  par  MM.  Isola  pour  la  Gaité-Lyrique.  Mais  pour  le  mettre 
en  scène,  le  théâtre  n'avait  pas  le  matériel  nécessaire,  c'est-à-dire  les  décors. 
On  avait  espéré  un  instant  dans  le  concours  de  l'Opéra,  qui  pourrait  trouver 
dans  ses  magasins  les  décors  pouvant  s'adapter  au  drame  ;  mais  il  y  fallut 
renoncer,  tous  les  décors  étant  d'une  dimension  trop  grande  pour  le  cadre  de 
la  Gaîté.  Les  représentants  de  la  famille  Victor  Hugo,  avec  M.  Gustave 
Simon  en  tète,  l'auteur  du  livret,  le  compositeur,  se  sont  donc  adressés  au 


sons-secrétaire  d'État  aux  beaux-arts,  M.  Uujardin-Beaumetz,  en  le  priant  de. 
venir  en  aide  à  un  théâtre  se  trouvant  dans  l'impossibilité  de  monter,  faille 
de  décors,  un  ouvrage  important  dû  à  un  jeune  artiste  français.  C'esl  alors 
qu'on  eut  recours  à  la  Comédie-Française,  dont  une  Assemblée  générale  des 
sociétaires  fut  réunie  à  cet  oll'et,  ces  jours  derniers,  par  M.  Jules  Clarelie. 
M.  Claretie  avait  tout  d'abord  demandé  au  comité  de  prêter,  pour  collaborer  à 
une  intéressante  tentative  d'art,  les  décors  d' Hernani 'à  la  Gaîté.  A  l'unanimité,  le 
comité  avait  fait  ressortir  ce  qu'il  y  avait  de  dangereux  et  d'anormal  dans  une 
telle  demande.  Pourquoi  ne  prêterait-on  pas  aussi  un  jour  les  décors  de  Huy 
Bios,  les  décors  du  Ciil?  Et  si  la  Comédie-Française  veut  rejouer  Hernani, 
comment  fcra-l-ellr?  M.  Claretie  répondit  que-  rien  ne  devait  entraver  les  né- 
cessités du  répertoire,  et  que  la  Gaîté  tiendrait  toujours  les  décors  à  la  dis- 
position de  la  Comédie,  comme  s'ils  étaient  au  magasin  du  boulevard  Bineau. 
Bref,  M.  Claretie  en  ayant  appelé  du  comité  à  l'Assemblée  générale,  celle-ci, 
tout  en  se  rangeant  à  l'avis  du  comité,  a  décidé,  à  titre  tout  à  fait  exception- 
nel, avec  les  réserves  les  plus  formelles,  et  pour  donner  une  preuve  de  sym- 
pathie à  une  œuvre  française  et  en  souvenir  de  Victor  Hugo,  d'accueillir  géné- 
reusement la  prière  qui  lui  était  adressée.  Se  rendant  aux  raisons  à  la  fois 
morales  et  artistiques  données  par  l'administrateur,  elle  a  donc  voté,  à  l'una- 
nimité, que  les  décors  &.' Hernani  seraient  prêtés  au  théâtre  d<-  la  Gaîté. 

—  La  Société  des  concerts  du  Conservatoire,  réunie  lundi  dernier  en  Assem- 
blée générale,  a  choisi  son  chef  d'orchestre,  en  remplacement  de  Georges 
Marty;  elle  a  élu  à  l'unanimité  M.  André  Messager.  Pour  la  première  fois,  le 
chef  d'orchestre  de  la  Société  des  concerts  sera  en  même  temps  directeur  de 
l'Opéra.  Il  y  a  cependant  un  rapprochement  qui'  l'on  ne  manquera  pas  de  faire. 
Le  fondateur  delà  Société,  Habeneck,  venait  en  ell'et  d'abandonner  l'adminis- 
tration de  l'Académie  royale  de  musique,  lorsque  le  vicomte  de  La  Roche- 
foucauld le  nomma  inspecteur  général  du  Conservatoire  sous  la  direction 
Cherubini,  en  même  temps  qu'il  devenait  chef  d'orchestre  de  la  Société  des 
concerts,  le  9  mars  1828.  Tous  les  musiciens,  tous  les  amis  de  la  musique 
applaudiront  au  choix  que  vient  de  faire  la  Société.  Aucun  artiste  n'était 
mieux  désigné  pour  diriger  ces  concerts  que  M.  André  Messager.  La  façon 
magistrale  dont  il  a  conduit  l'orchestre  aux  premières  représentai  ions  du 
Crépuscule  des  Dieux  l'avait  déûnitivement  désigné  pour  un  poste  qui  est  l'un 
des  plus  élevés  parmi  nos  institutions  musicales. 

—  La  seconde  séance  des  concours  d'admission  aux  classes  de  chant  a  eu 
lieu  mardi  au  Conservatoire  sous  la  présidence  de  M.  Gabriel  Fauré,  assis'é 
de  MM.  Ch.  Lenepveu,  Bourgault-Ducoudray,  Adrien  Bernheim,  Jean  d'Es- 
tournelles,  Véronge  de  la  Nux,  Delmas,  Escalaïs,  Paquot  d'Assy.  Dubois,  d.:- 
l'Opéra,  Fugère,  Périer,  de  l'Opéra-Comique,  et  Landesque.  91  élèves 
(31  hommes  et  60  femmes)  avaient  été,  après  les  premières  épreuves  de  la 
semaine  dernière,  admis  à  passer  l'examen  final.  Ont  été  admis  définitivement 
10  hommes  et  15  femmes.  Voici  les  noms  de  ces  nouveaux  élèves  :  MM.  Capi- 
taine, Cousinou,  Delgal,  Elain,  Hopkins,  Vezzani,  Marte,  Guis,  Dutreix. 
Philos  ;  Mlles  Delpreto,  Lubin,  Vadot,  Weykaert,  Arcos,  Charin.  Debarbieux, 
Hemmerlé,  Cavalieri,  Hay.  Joutel,  Kirsch,  Robur,  Klain,  Amohissa. 

—  L'État  fait  vendre  par  le  domaine,  au  dépôt  du  mobilier  national,  rue 
des  Écoles,  vendredi  prochain,  les  costumes  de  Faust  réformés  parla  nouvelle 
direction  de  l'Opéra.  Les  magasins  de  l'Opéra  ont  aussi  livré  pour  cette  vente 
les  anciens  costumes  de  l'Africaine,  de  Guillaume  Tell,  des  Huguenots,  A'Hamlet, 
de  la  Favorite,  de  Don  Juan,  à' Aida  et  du  Prophète. 

—  La  banlieue  parisienne  sera  bientôt  envahie  par  les  effigies  de  Jean- 
Jacques  Rousseau.  Montmorency  possédait  une  statue  de  l'auteur  d'Emile  et 
du  Devin  du  village,  motivée  tout  naturellement  par  son  séjour  en  cet  endroit 
champêtre.  Asniéres  en  avait  une  de  son  coté,  on  se  demande  pour  quelle 
raison,  par  exemple.  Et  voici  que  depuis  quelques  jours  Ermenonville  peut  se 
glorifier  d'un  troisième  monument  consacré  à  la  gloire  de  l'illustre  écrivain, 
monument  qui  avait  là,  comme  à  Montmorency,  sa  raison  d'être.  C'est  di- 
manche 18  octobre  qu'à  eu  lieu  l'inauguration  de  cette  nouvelle  statue,  élevée 
par  les  soins  d'un  comité  que  présidait  M.  Chopinet,  député  de  l'Oise,  et  dont 
faisait  partie  M.  Thiénard,  maire  d'Ermenonville.  Des  discours  ont  été  pro- 
noncés à  cette  occasion,  cela  va  sans  dire,  dont  un  par  M.  Viviani,  ministre 
du  travail,  dans  lequel,  cela  va  sans  dire  aussi,  il  n'était  point  question  de 
musique.  La  petite  ville  d'Ermenonville  était  en  fête.  Une  musique  militaire 
et  les  fanfares  de  Montagny,  Baron,  Crépy-en- Valois.  Nanteuil-le-Haudoin 
prêtaient  leur  concours  à  la  cérémonie,  qui  comprenait  cortège,  défilé,  ban- 
quet et  enfin  visite  au  tombeau  de  J.-J.  Rousseau,  à  l'île  des  Peupliers.  N'ou- 
blions pas  de  dire  que  le  monument  est  l'œuvre  du  sculpteur  Greber. 

—  A  l'Opéra  se  poursuivent  les  représentations  de  la  cantatrice  russe 
Mmc  Kousnietzoff.  Elles  ont  commencé  avec  Roméo  et  Juliette,  où  le  succès  de 
l'artiste  fut  très  vif  et  très  mérité.  Aujourd'hui  samedi,  c'est  le  tour  de  Thaïs. 

—  A  l'Opéra-Comique.  voici  Solange  qui  semble  vouloir  reprendre  le  pas  sur 
Sanga.  On  annonce  que  l'opéra  de  MM.  Salvayre  et  Aderer  a  repris  possession 
de  la  scène.  Mais  Sanga  n'a  peut-être  pas  dit  son  dernier  mot.  Lutte  émou- 
vante. —  Spectacles  de  dimanche  :  en  matinée,  Louise;  le  soir.  Manon.  Lundi, 
en  représentation  populaire  à  prix  réduits  :  le  Barbier  de  Séville. 

—  Communication  de  M.  Otto  Goldschmidt.  le  ce  manager  de  Sarasate  ->  : 
«  Comme  exécuteur  testamentaire  de  Sarasate,  je  fais  ici  connaître,  et  cela 
dans  l'intérêt  de  tous  les  violonistes  et  de  tous  les  luthiers,  que  le  Stradiva- 
rius de  l'année  1724,  sur  lequel  Sarasate  jouait  toujours  en  public,  et  qui 
n'appartenait  pas  à  la  couronne  d'Espagne  et  n'avait  pas  davantage  été  donné 
à  l'artiste  par  la  reine  Isabelle,  a  été  légué  au  musée  du  Conservatoire  de 


352 


LE  MÉNESTREL 


Paris.  Le  deuxième  Stradivarius,  de  l'année  1713,  reviendra  au  musée  du 
Conservatoire  de  Madrid.  Les  deux  instruments,  comme  le  violon  de  Paganini. 
à  Gênes,  doivent  être  conservés  pour  les  époques  à  venir.  Si  quelque  jour, 
dans  les  temps  futurs,  tous  les  instruments  de  Stradivarius  venaient  à  être 
gâtés  par  les  violonistes,  ces  deux  derniers,  tout  au  moins,  resteraient  et 
serviraient  de  modèles.  Pour  le  second  de  ces  Stradivarius,  j'ai  décliné  une 
offre  de  80.000  francs.  En  dehors  de  ces  deux  instruments,  il  existe  dans  la 
succession  de  Sarasate  un  excellent  violon  de  Wuillaume  et  un  autre  de 
Gand.  Ce  dernier  porte  la  dédicace  :  au  premier  prix  du  Conservatoire  de  Paris 
en  l'année  1837.  Ces  deux  instruments  ont  été  légués  au  Musée-Sarasate  de 
Pampelunc.  Sarasate  ne  possédait  pas  d'autres  violons.  Agréez,  etc.  Otto 
Goldschrr.idt.  »  Ceci  du  moins  est  net  et  précis.  Quelques  personnes  pourront 
peut-être  regretter  de  voir  augmenter  le  nombre  des  violons  enfermés  comme 
reliques  et  rendus  inutiles,  sous  prétexte  de  servir  de  modèles  aux  générations 
qui  succéderont  à  la  nôtre,  et  voudront  construire  des  instruments  d'après 
ceux  de  Stradivarius.  Depuis  longtemps  d'ailleurs  les  luthiers  s'adonnent  à 
cet  innocent  exercice,  et  pas  toujours  avec  succès.  Quoi  qu'il  en  soit,  nous 
pouvons  être  reconnaissants  à  Sarasate  d'avoir  laissé  au  Conservatoire  de 
Paris  un  instrument  dont  la  valeur  est  déjà  presque  inestimable.  Notre  pre- 
mière institution  musicale  reçoit  ainsi  un  hommage  et  aussi  un  témoignage 
de  reconnaissance  de  la  part  du  grand  artiste  qui  lui  doit  une  partie  de  sa 
formation  et  de  ses  succès. 

—  D'autre  part,  les  journaux  espagnols  complètent  les  renseignements  qui 
avaient  été  donnés  jusqu'ici  sur  le  testament  de  Sarasate.  On  sait  déjà  que  ses 
deux  principales  héritières  sont  ses  deux  sœurs,  doua  Micaela  et  do^a  Fran- 
cisca.  Avec  tous  les  meubles  qui  garnissaient  son  appartement  à  Paris,  Sara- 
sate a  laissé  à  Y  ayuntamienlo  de  Pampelune  deux  tableaux  et  le  piano  de  sa 
villa  de  Biarritz.  Il  lègue  15.000  francs  aux  pauvres  de  Pampelune,  pareille 
somme  à  la  Maison  de  la  Miséricorde,  23.000  francs  à  l'Académie  de  musique 
de  la  même  ville  et  40.000  francs  à  la  Bibliothèque  musicale.  Enfin,  ce  n'est 
pas  à  Mmc  Berlhe  Marx-Goldschmidt,  mais  à  sa  fille,  qu'il  laisse,  en  guise  de 
dot,  la  belle,  villa  de  Biarritz. 

—  Mercredi,  au  cimetière  de  Passy,  a  été  inauguré  le  tombeau  de  Bosine 
Laborde,  du  au  sculpteur  Landowski.  MM.  Théodore  Dubois,  de  l'Institut,  et 
Henri  Cain,  en  deux  allocutions  émues  et  extrêmement  goûtées,  ont  rappelé 
la  belle  carrière  et  l'existence  toute  de  travail  de  la  grande  artiste.  Les  nom- 
breux amis  de  Rosine  Laborde  (que  recevaient  ses  enfants  adoptifs,  le  capi- 
taine et  Mme  Potron-Laborde)  ont  vivement  félicité  le  sculpteur  Paul  Lan- 
dowski  de  son  œuvre,  où  revit  d'une  manière  si  frappante  la  physionomie  à 
la  fois  douce,  spirituelle  et  volontaire  de  la  célèbre  cantatrice. 

—  Connaissez-vous  Guignol'?  —  Ah!  oui,  celui  des  Champs-Elysées.  — 
Non,  pas  celui-là:  mais  le  vrai,  le  seul,  le  Guignol  authentique,  le  Guignol 
lyonnais,  celui  dont  tant  de  petites  baraques  de  pantins  ont  méchamment 
usurpé  le  litre.  Guignol,  avec  son  confrère  Gnafron,  est  une  gloire  lyonnaise, 
un  fruit  du  terroir:  il  est  la  personnification  bizarre  du  canut  (ouvrier  en  soie), 
le  canut  frondeur,  blagueur,  parfois  un  peu  fripouille,  mais  bon  enfant,  par- 
lant franc,  goguenard,  et  surtout  spirituel  et  amusant.  Il  y  a  maintenant,  pa- 
raît-il, cent  ans  que  Laurent  Mourguet,  le  fameux  montreur  lyonnais  de  ma- 
rionnettes, imagina,  pour  remplacer  Polichinelle,  le  type  local  de  Guignol,  et 
l'offrit  au  public  dans  son  petit  théâtre  de  la  rue  Noire,  qu'il  transporta  par  la 
suite  en  divers  endroits.  Mourguet  avait  de  l'esprit,  et  c'est  lui-même  qui 
non  seulement  faisait  agir  et  mouvoir  ses  marionnettes,  mais  imaginait  les 
pièces  qu'il  leur  faisait  jouer  et  qui  sont  empreintes  d'un  vrai  sentiment  co- 
mique, en  même  temps  qu'elles  reproduisent  les  types  et  les  coutumes  de  la 
région  lyonnaise,  avec  la  personnalité  de  Guignol  toujours  en  évidence.  Bref, 
Guignol  est  resté  si  populaire  parmi  ses  compatriotes,  que  ceux-ci  viennent 
de  célébrer  avec  éclat  le  centenaire  de  sa  venue  au  monde,  en  une  cérémonie 
brillante  et  quasi  officielle,  puisqu'elle  était  placée  sous  la  présidence  d'hon- 
neur du  préfet  du  Rhône,  du  gouverneur  militaire  et  du  maire  de  Lyon. 
Guignol,  d'ailleurs,  a  plus  d'importance  qu'on  ne  le  supposerait,  et  il  a  occupé 
des  historiens  sérieux.  Je  possède  dans  ma  bibliothèque  un  livre,  devenu  rare, 
dû  à  un  grave  magistrat  qui  était  en  même  temps  un  fin  lettré,  et  qui  n'a  pas 
rougi  de  consacrer  les  loisirs  que  lui  laissait  son  austère  profession  à  réunir 
et  à  livrer  au  public  le  «  Théâtre  lyonnais  de  Guignol,  publié  pour  la  première 
fois  avec  une  introduction  et  des  notes  »  (Lyon,  Scheuring,  2  vol.  in-S°  illus- 
trés). De  même,  il  a  paru  à  Lyon,  pour  les  années  1867,  1868  et  1869,  un 
almanach  burlesque  intitulé  :  o  Almanach  de  Guignol ,  saiirique,  drolatique  et 
amusant  ».  Vous  voyez  donc  que  Guignol  n'est  pas  ce  qu'un  vain  peuple 
pourrait  penser,  qu'il  a  tenu  et  qu'il  tient  encore  une  place  importante 
dans  la  vie  lyonnaise  et  que  sa  gloire  n'est  pas  près  de  s'éteindre,  puisque, 
dans  sa  reconnaissance,  sa  ville  natale  vient  de  fêter  son  centenaire  d'une 
façon  aussi  brillante  que  louchante. 

—  A  la  Revue  Bleue  (revue  politique  et  littéraire),  sous  la  nouvelle  direction 
de  M.  Paul  Fiat  qui  conserve  sa  rubrique  des  «  Théâtres  »,  notre  collabora- 
teur, M.  Raymond  Bouyer,  qui  collabore  à  cette  revue  depuis  de  longues 
années,  est  chargé  de  la  critique  musicale  à  partir  du  mois  de  novembre. 

—  M.  René  Brancour,  conservateur  du  musée  du  Conservatoire  de  musique, 
a  donné  à  Leyde  une  conférence  qui  a  obtenu  un  vif  succès,  sur  le  sujet  sui- 
vant :  le  sentiment  musical  chez-  les  portes  romantiques. 


—  Les  concerts  en  province.  La  saison  promet  d'être  très  brillante  dans 
nos  grandes  villes.  Dès  le  18  octobre,  l'Association  des  Concerts  classiques  de 
Marseille,  dont  l'orchestre  compte  80  exécutants,  a  repris  ses  séances  (il  y  en 
aura  vingt-trois)  sous  la  direction  de  M.  Gabriel-Marie.  On  annonce,  entre 
autres  œuvres,  la  Symphonie  en  ut  majeur  de  M.  Paul  Dukas,  la  Mer  de 
M.  Debussy,  YHijmne  à  Vénus  de  M.  Albéric  Magnard,  la  Trilogie  de  Wallenstein 
de  M.  V.  d'Indy,  la  Rapsodie  Roumaine  de  M.  Enesco,  la  Symphonie  domestique 
de  M.  Richard  Strauss,  et  la  Fille  de  neige  de  Rimsky-Korsakolf.  Comme 
solistes.  l'Association  s'est  assuré  le  concours  de  MM.  Diemer,'  Batlala  et 
Schelling  (piano),  Kreisler  et  Enesco  (violon),  André  Hekking  (violoncelle). 
Joseph  Bonnet  (orgue),  et  de  M,B  Marguerite  Carré  et  Marié  de  l'Isle  (chant). 
—  A  Lille,  la  Société  des  Concerts  populaires,  dirigée  comme  précédemment 
par  M.  Alfred  Goriot,  a  commencé  le  25  octobre,  avec  le  concours  de  M.  Raoul 
Pugno.  Elle  donnera  sept  séances,  dont  deux  avec  chœurs,  et  continuera 
l'histoire  de  la  symphonie,  entreprise  l'an  dernier.  Elle  annonce  deux  œuvres 
importantes,  le  Déluge,  de  M.  Saint-Saèns,  et  les  Enfants  de  Bethléem,  de 
M.  Gabriel  Pierné.  D'autre  part,  Mme  Maquet,  continuant  l'œuvre  si  intéres- 
sante fondée  par  son  mari,  annonce  trois  grands  concerts  dont  l'un  consacré 
à  César  Franck  et  à  Berlioz,  un  autre  à  Beethoven  et  à  Wagner,  elle  troisième 
à  Haydn.  On  entendra,  entre  autres,  les  Saisons  d'Haydn  et  les  Béatitudes  dé 
César  Franck.  —  La  Société  des  Concerts  populaires  d'Angers  a  repris  aussi 
ses  séances  le  25  octobre,  sous  la  direction  de  M.  Max  d'OUone.  Le  programme 
du  premier  concert  comprenait  deux  compositions  importantes  de  M.  Jean 
Huré  et  se  terminait  par  le  divertissement  des  Érinnycs  de  Massenet. 

—  Mme  Esther  Chevalier,  de  l'Opéra-Comique,  et  M.  Lorant,  de  l'Opéra, 
reprendront,  à  partir  du  2  novembre,  leur  cours  si  recherché   f» 

lyrique  (opé:a,  .opéra-comique  et  opérette)  et  d'e 
de  la  Société  française  de  photographie,  51,  rue 
avec  la  salle  Berlioz).  Inscriptions  et  renseignen 
Mme  Esther  Chevalier  continue,  toujours  avec  le  ] 
particulières  de  chant. 

—  Couns  et  Leçons.  —  M""  Jane  Arger  reprendra  se< 

3  novembie  1908  sous  la  direction  de  M.  H.  Letocart,  .^ do  cnapelle  organiste 

du  grand  orgue  de  Saint-Pierre-de-Xeuilly.  Cours  d'ensemble  (chœurs  mixtes  et 
pour  voix  de  femmes),  1"  et  3e  mardis,  de  3  heures  à  4  h.  1/4.  Prix  :  8  francs  par 
meis.  Cours  de  duos,  trios,  quatuors  (maximum  5  élèves  par  cours),  2e  et  4e  mar- 
dis, de  3  heures  à  4  heures.  Prix  :  15  francs  par  mois,  45,  rue  Saint-Ferdinand 
(avenue  de  la  Grande-Armée).  —  Aparlirdu  15  novembre,  chez  M™'Girardin-Marchal, 
rue  Le  Verrier,  4  (Luxembourg),  cours  d'histoire  de  la  musique  par  J.  Chantavoine. 
Au  programme  :  Haydn,  Mozart,  Beethoven,  avec  auditions  musicales. 

—  Soirées  et  Concerts.  —  L'école  classique,  dirigée  par  M.  Chavagnat,  vient  de 
donner  sa  première  audition  de  la  saison  qui  a  obtenu  le  plus  vif  succès.  Parmi  les 
morceaux  les  plus  applaudis,  nous  citerons  Caprice  d'enfant,  de  Chavagnat,  finement 
détaillé  parM"e  Thuilant,  et  le  Poète  (n°  7  du  Poème  avril),  du  même  auteur,  déli- 
cieusement interprété  par  M"'  Carayon. 

NÉCROLOGIE 
Nous  avons  le  très  vif  regret  d'annoncer  la  mort  à  Bruxelles  (Saint-Josse- 
ten-Noode)  de  M.  Théodore  Solvay,  père  de  notre  excellent  collaborateur  et 
ami  Lucien  Solvay.  Fils  d'un  musicien  et  pianiste  distingué  lui-même, M. Théo- 
dore Solvay.  qui  était  né  à  Rebecq-Rognon  le  11  septembre  1821,  fut, 
au  Conservatoire  de  Bruxelles,  élève  de  Michelot,  et  eut  la  bonne  fortune  de 
recevoir  à  Paris  des  leçons  et  des  conseils  de  Chopin.  Il  se  produisit  d'abord 
avec  succès,  puisse  consacra  à  l'enseignement  et  eut  pour  l'un  de  ses  premiers 
élèves  le  duc  de  Brabant,  aujourd'hui  Léopold  II,  roi  des  Belges.  M.  Théodore 
Solvay  fut  pendant  longtemps  mêlé  de  façon  très  active  au  mouvement  musi- 
cal de  Bruxelles,  à  l'époque  où  ce  mouvement  était  entretenu  par  Fétis.  Bériot, 
Léonard,  Etienne  Soubre,  Servais,  Vieuxtemps.  etc.  C'est  lui  qui  incita 
Adolphe  Samuel  à  fonder  à  Gand  des  concerts  populaires  à  l'imitation  de 

ceux  de  Pasdeloup.  Il  laisse  un  assez  grand  nombre  de  compos'»-'   - ';- 

publiées,  qui  comprennent  des  mélodies  vocales,  des  îr 
quelques  pièces  instrumentales. 

—  M.  Alexandre  Guilmant  vient  d'être  cruellement  é 
tions  les  plus  chères  par  la  perte  de  sa  femme.  Nos  plus 
grand  artiste.  Les  obsèques  ont  eu  lieu  à  Meudon  lundi 

—  De  Saint-Pétersbourg  on  annonce  la  mort,  à  l'âge 

italien,  Redento  Zara,  fixé  depuis  plusieurs  années  en  Russie,  où  il  s'était  fait 
une  bonne  situation  comme  accompagnateur  et  professeur  de  chant.  Ancien 
élève  du  Conservatoire  de  Milan,  où  il  avait  eu  comme  maîtres  Dominiceti  et 
Angelo  Catalani,  il  fit,  presque  au  sortir  de  l'école,  représenter  à  Savone  un 
opéra  en  un  acte  intitulé  Aci  e  Galatea.  Il  publia  un  certain  nombre  de  mélo- 
dies vocales  dont  on  vante  la  finesse  et  la  saveur,  et  que  ses  compatriotes,  les 
artistes  de  l'Opéra  italien  de  Saint-Pétersbourg,  à  qui  il  servait  souvent  d'ac- 
compagnateur, chantaient  et  répandaient  volontiers. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

A  CÉDER  pour  cause  de   décès   un  très  bon  Fonds  de  pianos,  musique  et 
lutherie.  S'adresser  à  Mme  Pichot,  35,  rue  Malnoue,  à  Champs-sur-Marne 

(Seine-et-Oise). 

Viennent  de  paraître,  chez  M.  E.  Fasquelle  :  André  de  Lorde,  Une  leçon  à  la  Salpè- 
trière,  tableau  dramatique  en  2  actes  (1  franc)  ;  Claude  Ferval,  Ciel  rouge,  roman 
(3  fr.  50)  ;  Ch.-H.  Hirsch,  Nini  Godaehe,  roman  (3  fr.  50). 


4050.  -  74e  AMÉE.-  ,\°  U.  PARAIT  TOUS  LES  SAMEDIS  Samedi  7  Kmmhn  i908- 

(Les  Bureaux,  2  •"»,  rue  Vivienne,  Paris,  u-  tn>) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


Le  Numéro  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  Numéro  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  ois,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de   Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.   —   Pour  l'Étranger,   les  frai3  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  'i3"  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine  théâ- 
trale :  première  représen:ation  du  Passe-Partoul  au  Gymnase,  Paul-Emile  Cheva- 
lier. —  111.  Une  Famille  de  grands  luthiers  italiens  :  Les  Guarnerius  iI3°  et  dernier 
articles  Arthur  Pougin.  —  IV*.  Revue  des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses, 
concerts  et  nécrologie. 

MUSIQUE   DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
D'UN  PAS  LÉGER 
petite  marche,  de  P.  Bades.  —  Suivra  immédiatement  :  Bourrée  et  musette,  de 
A.  Périlhoo. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 
Caresses,  nouvelle  mélodie  de  Gabriel  Dupont,  poésie  de  Jean  Richepin.  — 
Suivra  immédiatement  :  Dans  l'été,  nouvelle  mélodie  de  Reynalijo  Haiin. 
poésie  de  Mme  Desbofides-~Valmore. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 

(±|-7"±-4-J.'T'7-4) 


CHAPITRE  IX 


ALCESTE 


'  Dès  les  premières  noies  du  second  acte,  nous  nous  retrouvons 
parmi  des  harmonies  connues  ;  mais  ce  ne  sont  pas  celles  que 
l'on  entend  à  cette    même  place'  dans   VAlceste  française;   ces 

:accords  de  début  sont  les  mêmes  qui,  près  du  dénouement 
français,  ouvrent  la  scène  à  la  fin  de  laquelle  Alceste  se  livre 
aux  puissances  de  la  Mort.  C'est  en  effet  à  l'entrée  des  Enfers 
que  se' déroule  le  premier  tableau  du  second  acte  dans  VAlceste 
italienne.  Alceste,  dans  son  ardeur  fiévreuse,  s'est  rendue  là  en 
sortant  du  temple,  accompagnée  de  sa  suivante  Ismène  (rôle 
complètement  retranché  de  VAlceste  française).  Ismène  chanle  un 
air  (devenu  celui  du  grand-prêtre:  «  Déjà  la  mort  s'apprête  »); 
puis,  sur  l'ordre  de  la  reine,  elle  la  laisse  seule. 

Le  monologue  qui  commence  alors  présente  de  nombreux  points 
communs  avec  la  partie  correspondant  de  l'ouvrage  français. 
Celui-ci  a  pourtant  éliminé  un  épisode  du  plus  grand  caractère. 
Alceste  a  commencé  d'invoquer  les  esprits  d'outre-tombe.  Sou- 
dain, une  voix  souterraine,  accompagnée  par  les  lugubres 
accords  des  trombones,  répond  à  son  appel,  —  et  elle  a  peur  ! 
Cette  peur  de  la  femme  héroïque,  qui  n'a  pas  reculé  devant  la 
pensée  du  sacrifice,  mais  qu'épouvante  maintenant  l'aspect  du 
monde  inconnu,  est  musicalement  représentée  par  les  traits  les 

,    plus  frappants:  aux  instruments  à  cordes  en  sourdine  se  dessine, 


obstinémenl  répété,  un  rythme  saccadé,  à  la  fois  mystérieux  et 
haletant;  des  accords  des  hautbois  el  des  bassons,  auxquels 
se  mêle  l'antique  chalumeau,  viennent  parfois  s'y  plaquer,  à 
des  places  irrégulières,  répondant  à  la  voix,  —  et,  sur  cette 
traîne  harmonique  dont  les  modulations,  en  leur  apparence 
désordonnée,  se  déroulent  avec  la  plus  normale  logique,  Alceste 
fait  entendre  des  cris  de  terreur,  inarticulés,  palpitants,  éperdus... 
Il  y  a  là  un  mélange  de  réalisme  extérieur  et  d'émotion  intime 
qui  fait  de  cette  page  un  chef-d'œuvre  d'art  presque  unique  en 
son  genre. 

Pourquoi  Gluck  l'a-t-il  rejetée  de  son  œuvre  définitive?  On 
n'en  comprend  que  trop  la  raison  :  dans  VAlceste  française,  le 
monologue  n'est  que  le  commencement  d'une  succession  d'épi- 
sodes dramatiques  auxquels  prennent  part  tour  à  tour  Alceste, 
Hercule  et  les  divinités  agissantes  des  Enfers;  c'est  donc  le 
sentiment  d'une  juste  proportion  de  l'édifice  sonore  qui  l'a 
obligé  à  ce  sacrifice,  sans  lequel  le  monologue  d'Alceste  eût  été 
d'une  étendue  exagérée  (l).Dans  VAlceste  italienne, un  tel  défaut 
n'était  pas  à  craindre,  car  ce  monologue,  avec  les  réponses  des 
Enfers,  constitue  à  lui  seul  toute  la  scène.  Aussi  l'auteur  ne 
craint-il  pas  de  répéter  deux  fois  la  mélopée  sur  une  seule  note  : 
E  vuoi  morire,  qui,  en  français  (Malheureuse,  où  vas-tu?},  ne  fait 
qu'une  apparition  rapide,  —  et  c'est  après  cette  plainte  deux 
fois  proférée  qu'Alceste,  ayant  ressaisi  son  courage,  déclare  (et 
avec  quel  admirable  accent  !)  sa  résolution  de  se  dévouer  à  son 
époux.  Un  dessin  rapide  et  éclatant  des  violons  répond  à  sa  parole  ; 
une  fanfare  où  les  trombones  et  les  cors  mêlent  leurs  sons  retentit 
et  une  voix  de  basse,  celle  d'une  divinité  infernale,  accompagnée 
par  les  mêmes  instruments  stridents  et  sonores,  chante  un  air 
fortement  rythmé,  qui  a  un  accent  de  triomphe.  Cet  air,  nous  le 
connaissons:  Gluck  ne  l'a  pas  écarté  de  VAlceste  française  ;  mais 
il  y  est  placé  dans  une  situation  qui  lui  fait  perdre  une  partie 
de  sa  valeur,  chanté  par  Caron,  pour  exiger  d'Alceste  qu'elle 
tienne  sa  promesse,  non  pour  exprimer  la  joie  des  Enfers  à  la 
pensée  d'une  si  belle  proie.  Quel  qu'ait  été  l'effort  de  Gluck 
pour  l'approprier,  par  des  changements  de  sonorité,  à  ce  nouveau 
rôle,  il  faut  avouer  que  cette  musique  convenait  bien  mieux 
à  sa  destination  primitive.  —  Après  ce  dialogue  formidable. 
Alceste  implore  qu'il  lui  soit  permis  de  revoir  une  dernière  fois 
son  mari  et  ses  enfants.  La  voix  infernale,  toujours  mêlée  aux 
accords  des  trombones,  répond:  «  Que  cela  soit  accordé  »,  et 
l'épouse  héroïque,  après  avoir  chanté  la  cantilène  devenue  plus 
tard:  «  O  divinités  implacables  »,  s'éloigne,  tandis  que,  sur  un 
air  d'orchestre   dont  le   style  démodé   fait  contraste    aveu  les 

(1)  Berlioz  a  exprimé  maintes  l'ois  des  regrets  bien  légitimes  pour  ce  sacritice  et 
s'est  efforcé  d'en  atténuer  l'efl'et,  soit  en  faisant  entendre  dans  ses  concerts  ie  mono- 
logue d'Alceste  accru  de  cet  épisode  de  la  version  italienne,  soit  en  le  citant  en 
exemple  dans  son  Traité  d'instrumentation,  soit  enlin  en  l'introduisant  dans  la  parti- 
tion qu'il  fut  chargé  d'établir  puur  la  reprise  d'Alceste  à  l'Opéra  de  Paris  en  1860. 


354 


LE  MÉNESTREL 


accents  éternellement  jeunes  qui  ont  précédé,  le  tableau  s'achève 
par  un  Pantomimo  di  Numi  infernali. 

La  dernière  partie  du  second  acte  italien  correspond  au  second 
acte  français.  Elle  débute,  et  d'une  façon  tout  à  fait  mesquine, 
par  un  divertissement  qui,  sous  cette  première  forme,  fut  jugé 
sévèrement.  «  Cette  fête,  mal  placée  et  ridiculement  amenée, 
dit  Jean-Jacques  Rousseau,  doit  choquer  à  la  représentation, 
parce  qu'elle  est  contraire  à  toute  vraisemblance  et  à  toute 
bienséance.  »  Il  n'a  rien  subsisté  de  la  musique  dans  la  scène 
française  correspondante,  si  ce  n'est  le  chœur  d'introduction, 
qui  aurait  pu  disparaître  aussi  sans  dommage. 

Le  dialogue  dans  lequel  Admète  arrache  à  Alceste  le  secret 
de  son  dévouement  est,  dans  l'opéra  italien,  une  ébauche, 
beaucoup  plus  poussée  dans  l'opéra  français,  où  d'ailleurs  elle 
est  exécutée  dans  le  même  esprit  et  avec  des  procédés  analo- 
gues. La  partie  lyrique  y  est  moins  importante;  les  beaux  chants  : 
«  Bannis  la  crainte  et  les  alarmes  »  et  «  Je  n'ai  jamais  chéri  la 
vie  »  n'y  figurent  pas  encore.  Seul,  l'air  si  expressif  d' Admète  : 
«  Barbare,  non  sans  toi  »,  avec  son  cri  poignant:  «  Je  ne  puis 
vivre  »,  a  son  équivalent  dans  la  version  italienne,  sur  ces  pa- 
roles :  No,  crudel,  no  posso  vivere. 

Les  déplorations  qui  terminent  l'acte  sont  analogues  dans  les 
deux  versions,  mais  sensiblement  plus  développées  dans  la  pre- 
mière. Leur  étendue  a  pu  mériter  la  critique  que  Racine  dit  avoir 
été  adressée  aux  derniers  chœurs  de  son  Esther,  dont  la  musique 
fut  jugée  «  un  peu  longue,  quoique  très  belle.  Mais,  objecte-t-il, 
qu'aurait-on  dit  de  ces  jeunes  Israélites  si,  le  péril  étant  passé, 
elles  en  avaient  rendu  à  Dieu  de  médiocres  actions  de  grâces?» 
Peut-être  Gluck  et  Calsabigi  se  souvinrent-ils  que  Racine  avait 
projeté  d'écrire  une  Alceste,  et,  pour  cette  raison,  l'imitèrent, 
songeant  que  le  dévouement  de  leur  héroïne  méritait,  lui  aussi, 
mieux  que  de  médiocres  lamentations.  Il  y  a  d'ailleurs,  dans  la 
composition  générale  de  leur  fin  d'acte  une  harmonie  vraiment 
digne  d'être  rapprochée  de  celle  du  poète  français.  Deux 
strophes  différentes  du  chœur  (conservées  en  français  sur  les 
paroles  :  «  Tant  de  grâces,  tant  de  beauté  »  et  «  Oh  !  que  le 
songe  de  la  vie  »)  circulent  et  se  répètent  à  travers  la  scène, 
énonçant  des  vérités  graves,  à  la  manière  des  chœurs  antiques; 
elles  alternent  avec  d'autres  chants  que  disent  les  coryphées 
(Ismène,  Evandre)  ou  Alceste,  même  les  deux  enfants,  car  ceux-ci, 
un  moment,  mêlent  leurs  voix  en  une  plainte  qui  évoque  le  souve- 
nir de  certaines  monodies  du  XVIIe  siècle  italien,  si  émouvantes 
en  leur  spontanéité.  Si  donc  quelque  monotonie  résulte  de  l'en- 
semble, c'est  uniquement  celle  qui  provient  d'une  accumulation 
de  beautés  trop  prolongées.  Il  est  notamment  une  invocation  : 
«  Vesta,  tu  che  fosti  e  sci  »  où  le  beau  style  du  chant  est  rehaussé 
par  un  accompagnement  de  trombones  doux  et  de  chalumeaux, 
lequel  pourrait  bien  avoir  servi  de  modèle  à  Berlioz  pour 
l'instrumentation  de  l'air  de  son  Faust  :  «  Voici  des  roses  ». 
L'acte  se  termine  par  l'air  d' Alceste,  dont  l'ample  mélodie  se 
déroule  comme  une  draperie  antique  :  Ah .'  per  questo  (  Ah  !  malgré 
moi  mon  faible  cœur  partage),  suivie  par  l'allégro  où  l'émotion 
passionnée  s'allie  à  l'éclat  du  beau  chant  italien  :  E  il  più  fiero 
di  tutti  i  tormenti,  la  sévère  pensée  du  chœur  (Oh  !  que  le  songe 
de  la  vie...)  alternant  avec  la  plainte  de  la  monodie, — ■  et  certes, 
il  ne  pouvait  venir  à  la  pensée  ni  de  Gluck,  ni  de  personne,  de 
retrancher  une  page  d'une  aussi  parfaite  et  définitive  beauté. 

Le  dernier  acte  est  presque  entièrement  différent  dans  les 
deux  œuvres.  On  ne  trouve  dans  la  version  française  que  deux 
morceaux  de  l'italienne,  l'air  Misero!  e  che  faro?  (Alceste,  au  nom 
des  dieux)  et  la  psalmodie  du  chœur,  avec  sa  répétition  lointaine  : 
«  Pleure,  ô  patrie!  »  Le  lieu  de  la  scène  est  le  palais  d'Admète  : 
cet  acte  est  donc  un  prolongement  du  second.  Nous  y  assistons 
au  spectacle  émouvant  des  derniers  adieux  d' Alceste,  et  de  sa 
mort  parmi  les  siens.  Là,  Calsabigi  a  très  heureusement  suivi  de 
près  Euripide,  dont  il  reproduit  presque  textuellement,  dans  sa 
belle  langue  italienne,  les  traits  les  plus  touchants.  Alceste  rap- 
pelle à  son  époux  qu'elle  s'est  donnée  à  lui;  puis  elle  poursuit  : 
«  Ah!  le  don  mérite  une  récompense!  La  voici.  Je  te  supplie: 
que    nos  chers  enfants  ne  te  voient  pas  aux  bras    d'une    autre 


épouse.  Si  tu  le  promets,  si  tu  le  jures,  à  moi,  aux  chers  enfants, 
aux  dieux,  je  fermerai  en  paix  mes  yeux  pour  le  sommeil 
éternel.  » 

Et  Admète  éperdu  répond  : 

«  Alceste  !  mon  trésor  !  Ah  !  ce  dont  tu  me  pries,  c'est  mon 
devoir  sacré  !  Oui,  je  le  promets,  je  le  proclame,  je  le  jure,  aux 
dieux,  à  toi  :  seule,  Alceste,  je  t'aimai  vivante  ;  morte,  tou- 
jours je  t'adorerai...  » 

C'est  dans  la  forme  libre  du  récitatif  accompagné  que  Gluck  a 
traduit  musicalement  ces  paroles,  mêlant  parfois  aux  accents  de 
la  voix  un  expressif  et  discret  dessin  des  violons  ;  et  cette  nota- 
tion du  sentiment  le  plus  intime  est  d'une  infinie  délicatesse, 
d'un  charme  profond  et  rare,  très  conscient  d'ailleurs  et  voulu, 
ainsi  qu'en  témoigne  la  précision  des  indications  expressives, 
dont  les  partitions  de  ce  temps-là  sont  si  peu  prodigues,  surtout 
dans  les  récitatifs  :  Molto  appassionato  —  Lento  —  Tulto  con  gran 
pamone.  Ce  dialogue  trouve  son  expansion  lyrique  en  un  court 
duo,  qui  n'est  lui-même  qu'un  dialogue  où  chante  la  tendresse 
plutôt  que  le  désespoir,  et  qui  s'achève  en  s'éteignant  en  un 
adieu  éploré. 

Soudain,  à  l'orchestre,  des  voix  formidables  retentissent  ;  la 
troupe  infernale  envahit  le  palais  et  vient  arracher  Alceste  à  la 
douleur  des  siens. 

Etla  déploration  recommence, presque  aussi  prolongée  qu'à  l'acte 
précédent.  Le  chœur  chante,  en  accords  funèbres  :  Piangi,  opalria, 
a  Tessaglia:  è  morta  Alceste  !  et  d'autres  voix  répondent,  l'imitant  au 
loin:  Piangi  !....  Les  coryphées  alternent,  exhalant  de  nouvelles 
plaintes;  mais  le  chœur  recommence:  Piangi,  o  patria! ...  Il  en  est 
ainsi  par  quatre  fois,  le  thème  se  déroulant  longuement  pour 
exprimer  un  deuil  sans  fin.  L'on  pourrait  trouver  de  pareils 
exemples  de  lamentations  harmonieuses  dans  les  oratorios  de 
Carissimi  ;  et  certes,  il  faut  louer  Gluck  d'avoir  voulu  renouer 
une  admirable  tradition  musicale,  oubliée  en  son  temps,  et  de 
l'avoir  fait  revivre  avec  tant  de  puissance.  Malheureusement,  le 
théâtre  a  des  exigences  trop  souvent  contradictoires  avec  l'ex- 
pansion du  lyrisme  ;  aussi,  dans  Y  Alceste  définitive,  cette  page 
chorale  n'a  pas  pu  subsister  dans  son  intégralité.  Gluck  y  a 
repris  seulement  la  psalmodie  du  double  chœur,  fragment  d'une 
admirable  beauté,  dont  les  accords  semblent  contenir  en  subs- 
tance la  douleur  de  tout  un  peuple. 

Le  dénouement,  pour  différent  qu'il  soit  de  celui  de  la  version 
française,  est  également  sot.  Admète  veut  mourir,  Apollon 
apparaît,  ramène  Alceste,  et  l'on  chante  un  chœur. 

A  la  simple  lecture  de  la  partition  originale,  Jean-Jacques 
Rousseau  a  été  frappé  par  le  défaut  fondamental  de  l'œuvre  : 
«  Tout  y  roule  presque  sur  deux  sentiments,  l'affliction  et 
l'effroi  ;  et  ces  deux  sentiments,  toujours  prolongés,  ont  du 
coûter  des  peines  incroyables  au  musicien  pour  ne  pas  tomber 
dans  la  plus  lamentable  monotonie.  »  L'adaptation  française, 
poiîr  l'exécution  de  laquelle  l'auteur  de  la  Nouvelle  Héloïse  a 
donné  d'heureuses  idées  (1),  a  corrigé  quelques-uns  de  ces  vices 
de  construction  ;  il  convient  donc  que  nous  attendions  le 
moment  de  cette  seconde  apparition  pour  considérer  Alceste  en 
tant  qu'œuvre  définitivement  organisée. 

Pourtant,  telie  qu'elle  fut  donnée  à  Vienne  en  176",  Alceste 
constituait  dans  l'évolution  du  génie  de  Gluck  un  progrès  dont  il 
est  nécessaire  de  faire  ressortir  les  traits  dominants.  Cette  évo- 
lution, certes,  Orphée  l'avait  commencée:   Alceste   n'a  fait   que 


■  1)  Les  Observations  sur  /'Alceste  italien  de  M.  te  Chevalier  Gluck  de  Jean- Jacques- 
Rousseau  ^adressées  à  Burney),  notes  hâtives  et  incomplètes,  simple  brouillon  trouvé 
danssas  papiers,  furent,  il  faut  bien  le  spécifier,  écrites  par  le  philosophe  pendant 
les  dernières  années  de  sa  vie,  à  l'époque  où  son  état  mental  donnait  lieu  à  de  si 
tristes  inquiétudes.  Il  convient  donc  de  ne  pas  insister  sur  ce  qu'il  y  a  de  maussade 
dans  certaines  de  ses  critiques, ,  celles  parexemple  qui  portent  sur  la  scèi.e  du 
Temple,  ou  sur  l'air:  Ombre,  larve,  dont  Rousseau  aurait  voulu  que  Gluck  fit  un 
rondeau  !  Mais  d'autres  sont  si  bien  justifiés  que  Gluck  en  a  tenu  le  plus  large 
compte  dans  son  travail  d'adaptation  il  la  scène  française.  Si  l'on  regarde  au  détail, 
la  comparaison  de  ses  corrections  avec  les  remarques  de  Rousseau  est  des  plus 
insti-U'  tives.  Enfin,  les  conseils  donnés  quant  àla  conduite  générale  de  la  pièce  ont 
été  fort  exactement  suivis,  et  les  auteurs  ont  reçu  du  philosophe  l'idée  du  contraste 
entre  les  larmes  d'Alceste  et  l'allégresse  de  la  fête,  au  second  acte,  en  quoi  l'on  peut 
dire  qu'ils  lui  furent  redevables  de  beaucoup. 


LE  MENESTREL 


3S5 


suivre  l'impulsion  venue  de  cette  œuvre  inaugurale,  mais  en 
dépassant  de  beaucoup  le  but  atteint  en  premier  lieu.  Orptiéè 
n'était  qu'une  pastorale  mythologique,  un  tableau  enfermé  dans 
un  cadre  restreint.  Alceste,  c'est  la  tragédie  antique  elle-même, 
avec  toute  sa  profondeur  de  sentiment  pathétique  et  son  ampleur 
de  développement.  La  scène  du  temple  est  un  monument  de 
l'art  lyrique  dont  aucune  œuvre  précédente  n'aurait  pu  faire 
soupçonner  l'équivalent.  Celle  des  Enfers,  renonçant  aux  arti- 
fices qui  constituaient  antérieurement  la  meilleure  part  des  spec- 
tacles analogues,  met  aux  prises  une  àme  souffrante  avec  les 
puissances  mystérieuses  de  l'au-delà.  Et  depuis  la  première 
note  (l'accord  initial  de  l'ouverture)  jusqu'à  la  dernière  (la 
déploration  funèbre)  en  passant  par  les  chants  monodiques  ou 
choraux  répandus  sur  tous  les  épisodes  du  drame,  la  douleur 
s'exprime  en  des  accents  venus  du  fond  del'àme,  et  renouvelés 
de  scène  en  scène  avec  une  incroyable  profusion. 
{A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Gymnase.  —  Le  Passe-Partout,  comédie  en  3  actes  de  M.  Georges  Thurner. 

M.  Georges  Thurner.  un  vrai  jeune  à  qui  le  succès  a  souri  dès  ses 
récents  débuts  avec  le  Bluff  et  surtout  avec  Mariage  d'étoile,  joué  au 
Vaudeville,  vient  de  faire  représenter,  au  Gymnase,  une  nouvelle 
comédie,  tout  à  la  fois  de  mœurs  et  de  caractères,  où  se  retrouvent 
toutes  les  aimables  qualités  d'observation,  de  logique,  de  vivacité  et 
de  clarté  qu'on  avait  applaudies  dans  ses  œuvres  précédentes  et  où 
s'affirment  des  dons  d'auteur  dramatique  de  métier  sûr  et  habile. 

Le  Passe-Partout  est  le  journal  parisien  en  vogue  et  son  directeur,  au 
faciès  néo-napoléonien,  se  dénomme  Lionel  Régis.  Et  tout  en  nous 
initiant,  de  plaisante  façon,  aux  secrets  du  bureau  directorial  du 
grand  quotidien,  où  la  littérature  hâtive  ne  sert  qu'à  masquer  des 
affaires  sujettes  à  caution,  où  les  portes  ne  semblent  capitonnées  que 
pour  étouffer  le  bruit  des  déclarations  amoureuses  plutôt  brutalement 
faites  aux  jolies  quémandeuses,  M.  Thurner  s'attache  principalement 
à  disséquer  l'âme  et  le  cerveau  de  son  Lionel  Régis. 

Fils  de  ses  œuvres,  servi  par  énormément  de  chance,  puissamment 
aidé  par  uue  confiance  en  soi  illimitée,  un  inébranlable  aplomb  et  un 
cynisme  sans  égal,  ni  trop  bête  ni  trop  intelligent,  et,  surtout,  de  sens 
moral  d'une  élasticité  à  toute  épreuve,  Lionel  Régis  est,  avant  tout,  le 
type  de  l'égoïste  le  plus  effroyable,  celui  dont  la  cruauté  est  consciente. 

Son  «  moi  »  seul  compte;  les  siens  peuvent  trimer  misérablement  ou 
même  crever  de  misère,  peu  lui  importe,  pourvu  que  l'or  déborde  de  son 
gousset;  il  jettera  même  positivement  sur  le  pavé  frère  et  sœur  lorsque 
leur  présence  arrive  à  tant  soi  peu  le  gêner.  Autour  de  lui,  il  annihile 
toutes  les  volontés,  paralyse  toutes  les  initiatives,  atrophie  tous  les  cer- 
veaux. Ceux-ci  ne  sont  que  sots,  ceux-là  qu'imbéciles,  il  le  dit  à  qui 
veut  l'entendre,  il  le  leur  dit  même  à  eux;  lui  seul  est  toute  l'intelli- 
gence, toute  la  valeur  et  toute  l'énergie  utile.  Et  ceux  qui  l'entourent 
sont  si  complètement  médusés  et  aussi  si  désespérément  veules  et  si 
mal  taillés  pour  lutter  contre  les  forbans  de  son  espèce,  qu'il  règne  par 
la  terreur  môme  sur  ceux  qui  lui  sont  incontestablement  supérieurs. 

En  homme  cependant  ose  se  dresser  en  face  de  lui  pour  lui  barrer  la 
route;  cet  homme,  c'est  son  propre  frère.  S'il  sort  de  sa  léthargie  cou- 
tumière,  c'est  qu'il  veut  arracher  aux  griffes  de  l'être  de  proie  une 
femme  qu'il  aime.  Et  l'on  aurait  beau  jeu  pour.  ici.  discuter  avec 
M.  Thurner  la  rapidité  d'un  dénouement  trop  facile  que  rien  n'explique, 
si  l'on  n'entendait  lui  tenir  compte  des  moments  agréables  dont  on  lui 
est  redevable. 

Lionel  Régis,  c'est  M.  Dumény,  dont  la  suffisance  dégagée  donne  au 
personnage  relief  et  vérité.  Il  n'y  a,  à  proprement  parler,  que  ce  rôle, 
qui,  dans  le  Passe-Partout,  soit  d'importance.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai 
que  Mme  Marthe  Régnier  arrive,  à  force  de  talent,  à  en  donner  à  celui 
de  la  femme  pour  laquelle  les  deux  frères  en  viennent  presque  aux 
mains,  et  que  M.  Dubosc  prête  une  bonne  allure  à  ce  frère  d'abord 
|  patito,  enfin  justicier.  Mme  Henriot,  l'espiègle  M"0  Clairville,  l'élégante 
M"e  Damiroft',  MM.  Leubas  et  Jean  Dax  sont  à  la  tête  d'un  bon  et 
agréable  ensemble. 

Paul-Emile  Chevalier. 


UNE  FAMILLE  DE  GRANDS  LUTHIERS  ITALIENS 


LES    GUARNERIUS 


JOSEPH    lifARNEHI!  s    DEL    GE8TJ 
III 

LES  INSTRUMENTS  DE  JOSEBH  GUAItNEMUS  DEL  <;ESI 

Revenons  aux  vrais  (iuarnerius,  pour  laire  connaître  un  êtri 
lier,  qui  ne  fut  pas  étranger  à  leur  fortune  en  France,  non  plus  qu'à 
celle  des  instruments  des  autres  grands  luthiers  italiens. 

C'était  un  pauvre  diable  d'Italien  qui  s'appelait  Luigi  Tarisio,  abso- 
lument dépourvu  d'instruction,  mais  ayant  le  sens  du  brocantage,  et 
surtout  celui  des  vieux  instruments.  Il  était  doue  à  cet  égard  d'une 
sorte  de  ilair  singulier,  qu'il  devait  sans  doute  au  hasard,  mais  que  la 
pratique  finit  par  affiner  d'une  façon  toute  particulière.  Très  madré 
d'ailleurs,  ayant  aussi  le  sens  des  affaires,  et  ne  s'en  laissant  pas  con- 
ter facilement. 

Vers  1827,  Tarisio  arrivait  pour  la  première  fois  à  Paris,  ou  il  aait 
venu  à  pied,  apportant  une  petite  pacotille  d'instruments,  qu'il  allait 
offrir  à  nos  luthiers.  Il  éprouva  d'abord,  parait-il,  quelques  difficultésà 
inspirer  confiance,  son  extérieur  étant  loin  de  plaider  eu  sa  faveur.  Il 
finit  cependant  par  être  bien  accueilli  et  encouragé  par  l'un  d'eux, 
Chanot,  quilui  acheta  plusieurs  violons,  en  les  payant  comptant,  bien 
entendu.  Muni  de  ce  petit  pécule,  qui  lui  permettait  de  recommencer, 
et  profitant  des  remarques  qu'il  avait  vu  faire  à  Chanot,  notre  homme 
retourna  en  Italie,  renouvela  ses  recherches,  et  revenait  au  bout  de  trois 
mois  avec  une  nouvelle  cargaison,  qu'il  écoula  cette  fois  avec  plus  de 
facilité.  Très  «  bric  à  brac  »  d'ailleurs,  il  n'achetait  pas  que  des  instru- 
ments complets;  tout  lui  était  bon:  volutes  isolées,  tables  d'un  auteur, 
éclisses  d'un  autre,  etc.,  il  prenait  tout  ce  qu'il  trouvait,  et  finit  par 
placer  tout  cela  chez  certains  de  nos  luthiers,  qui  se  livraient,  avec  ces 
débris,  à  d'étranges  assemblages.  Mais  il  apportait  aussi  de  véritables 
trésors,  et  plus  d'un  Stradivarius,  d'un  Guarnerius,  d'un  Amati.  d'un 
Bergonzi,  est  venu  en  France  grâce  à  lui,  et  a  fait  la  joie  de  nos  artistes 
et  de  nos  amateurs. 

Pendant  près  de  trente  ans,  Tarisio  fit  ainsi  la  navette  entre  l'Italie 
et  la  France,  épuisant  son  pays  sous  le  rapport  des  instruments  et 
enrichissant  le  nôtre,  et  aussi  l'Angleterre,  où  il  avait  fini  par  se 
rendre.  Chacune  de  ses  arrivées  ici  causait  une  sorte  d'émotion  dans  le 
monde  spécial  de  la  lutherie,  où  il  était  fiévreusement  attendu,  et  l'on 
conçoit  qu'il  trouvait  son  compte  dans  ses  voyages. 

Puis,  un  beau  jour,  en  1854,  on  apprend  la  nouvelle  de  sa  mort. 
C'était  un  événement,  car  on  supposait  bien  qu'il  avait  laissé  quelque 
chose  derrière  lui,  et  on  ne  se  trompait  pas.  Mais  la  surprise  devait  être 
plus  grande  encore  qu'on  ne  s'y  attendait.  Ici,  j'emprunte  d'intéres- 
sants renseignements  à  Antoine  Vidal,  qui  fut  directement  informé  à 
ce  sujet  par  Vuillaume  en  personne  : 

. .  .On  apprit  que  Tarisio  laissait  une  magnifique  collection  de  vieux  instru- 
ments ;  il  y  avait  là  tout  un  trésor  !  Un  de  nos  luthiers  parisiens,  des  plus 
intelligents  et  des  plus  habiles,  M.  J.-B.  Vuillaume,  n'hésite  pas.  Il  se  met 
de  suite  en  communication  avec  la  famille  du  défunt,  et  part  pour  l'Italie  le 
8  janvier  18bb.  Il  arrive  a  Novare  et  se  fait  conduire  près  deFontenette  iFon- 
tanetto)  à  la  ferme  de  la  Croix,  petite  proprié  t  é  qui  avait  appartenu  à  Tarisio. 
où  il  trouve  réunis  les  héritiers  avec  toutes  les  apparences  delà  misère  la  plus 
sordide!  Après  les  saluls  d'usage,  M.  Vuillaume  aborda  de  suite  la  grande 
question  :  «  Où  sont  les  instruments  ?  —  A  Milan;  mais  nous  avons  ici  six 
violons.  —  Où  sont-ils  ?  —  Là.  »  Et  on  indiquait  un  coin  où  gisaient  >ix  cais- 
ses empilées  deux  par  deux  ;  on  n'aurait  pu  les  placer  autrement,  il  n'y  avait 
pas  un  meuble. 

On  amène  donc  ces  caisses  sur  le  sol  nu,  au  milieu  de  la  chambre.  M.  Vuil- 
laume se  met  à  genoux  pour  en  examiner  le  contenu,  et  découvre  successi- 
vement :  1°  un  magnifique  Ant.  Stradivari  ;  2"  un  Guarnerius  del  Gesu.  admi- 
rable; 3°  un  Charles  Bergonzi,  unique  de  conservation  ;  4°  deux  J.-B.  Guada- 
gnini,  presque  intacts:  3"  et  enfin  le  fameux  violon  neuf  de  A.  Stradivari. 
resté  pendant  soixante  années  dans  la  collection  du  comte  Cozio  de  Salabue, 
et  qui  avait  été  acquis  par  Tarisio  en  182-i.  Il  y  avait  longtemps  que  ce  dernier 
en  avait  parlé  avec  emphase  à  Paris  ;  mais,  en  habile  marchand,  il  se  gardait 
de  le  faire  voir,  bien  certain  d'eu  obtenir  un  prix  considérable  quand  il  le  vou- 
drait (1). 

Lorsque  M.  Vuillaume  eut  mis  à  nu  ces  six  admirables  instruments,  dont 
la  beauté  était  encore  rehaussée  par  l'aspect  misérable  du  lieu,  il  resta  un 
instant  immobile,  toujours  à  genoux,  promenant  son  regard  de  l'un  à  l'autre, 
entouré  des  hommes,  des  femmes  et  des  enfants  qui  le  regardaient  avec  de 

(1)  Cette  circonstance  a  valu  à  ce  violon  le  nom  de  Messie,  toujours  attendu  et 
n'arrivant  jamais  !  Le  catalogue  de  l'Exposition  de  Londres  au  Kensington-Museum 
de  187-2,  où  il  ligura  sous  ce  nom,  en  donoe  une  belle  photographie. 


336 


LE  MÉNESTREL 


grands  yeux  ébahis  !  Certains  sujets  choisis  par  les  peintres  ont  mérité  moins 
que  celui-là  les  honneurs  du  pinceau. 

Après  être  tombé  d'accord  avec  les  intéressés  sur  l'estimation  de  ces  six  vio- 
lons, M.  Vuillaume  partit  de  suite  pour  Milan.  A  son  arrivée  en  cette  ville,  il 
fut  conduit  dans  un  petit  hôtel  de  dernier  ordre,  appelé  avec  quelque  peu 
d'exagération  Hôtel  des  Délices,  demeure  habituelle  de  Tarisio  et  son  quartier 
général.  Là,  dans  une  petite  chambre,  se  trouvaient  entassés  pêle-mêle  deux 
cent  quarante-quatre  violons,  altos  et  violoncelles  d'anciens  maitres.  Après 
examen  fait,  le  tout,  formant  un  ensemble  de  230  instruments,  fut  estimé, 
d'accord  avec  les  parties,  à  la  somme  de  80.000  francs,  payés  comptant,  et 
M.  Vuillaume  revint  en  France  avec  cette  précieuse  collection  qui  ne  tarda 
pas  à  se  disperser  de  tous  les  cotés.  Disods,  pour  terminer,  que  Tarisio  lais- 
sait, en  mourant,  à  ces  parents  que  nous  avons  vus  si  misérables  dans  la 
pauvre  ferme  de  la  Croix,  une  fortune  de  300.000  francs,  produit  de  son  com- 
merce depuis  1823  environ  jusqu'en  1834.  Cet  homme,  qui  ne  savait  ni  lire  ni 
écrire,  avait  concentré  toutes  ses  facultés  sur  la  lutherie  ancienne,  et  à 
force  d'activité,  d'intelligence  et  d'économie,  était  parvenu  à  ce  résultat  sur- 
prenant dans  une  branche  d'affaires  qui  n'était  en  réalité  que  du  brocantage  (1). 

C'est  là,  sans  aucun  doute,  un  fait  unique  dans  l'histoire  du  com- 
merce de  la  lutherie,  et  l'on  peut  affirmer  sans  crainte  qu'il  ne  trouvera 
jamais  son  pareil.  De  telles  circonstances  ne  se  renouvellent  pns. 

Il  aurait  été  intéressant  de  savoir,  par  le  détail,  de  quoi  se  compo- 
sait la  série  vraiment  prodigieuse  des  244  instruments  découverts  à 
Milan  par  Vuillaume.  Il  est  évident  que  toute  l'ancienne  lutherie  de 
Crémone  et  de  Brescia  devait  figurer  là,  avec  tous  ses  représentants, 
et  qu'avec  les  Stradivarius,  les  Guarnerius,  les  Amati,  les  Bergonzi,  les 
Maggini,  devaient  se  trouver  côte  à  côte  les  Slorioni,  les  Landolfi.  les 
San  Serafino,  les  Grancino,  les  Testore,  les  Montagnana,  les  Gaghauo, 
les  Cappa.  les  Rugieri.  les  Mantegazza...  C'est  un  ensemble  dont  la 
seule  pensée  donne  le  vertige.  Nous  avons  vu  que  dans  les  six  premiers 
violons  de  grand  choix  qui  étaient  restés  à  la  misérable  ferme  de  la 
Croix  se  trouvait  un  Guarnerius  del  Gesù  «  admirable  ».  Précédemment, 
Tarisio  en  avait  apporté  d'autres  en  France,  etGallay,  dans  les  «  notes  » 
ajoutées  par  lui  au  livre  de  l'abbé  Sibire,  en  signale  un  surtout  dont 
l'état  était  vraiment  exceptionnel  :  —  «  M.  Chanot,  dit-il,  nous  a  parlé 
plus  d'une  fois  avec  admiration  d'un  inestimable  violon  de  Guarnerius 
que  lui  vendit  Tarisio.  et  qui  avait  encore  sa  louche,  ses  chevilles,  ses  poignées 
et  sa  barre  d'origine.  Cet  instrument,  très  épais  en  bois,  n'avait  jamais 
été  détablé.  Il  fut  acheté  par  M.  de  Kermoisan,  qui,  nous  le  croyons,  le 
possède  encore.  »  C'était  presque  le  pendant  du  fameux  Messie  de  Stra- 
divarius. 

Malheureusement,  depuis  Tarisio,  les  Guarnerius,  comme  déjà  les 
Stradivarius,  ont  été  accaparés  par  les  collectionneurs  anglais,  qui  les 
recherchaient  avec  fureur  pour,  selon  leur  sotte  et  funeste  habitude, 
les  enfermer  précieusement  dans  leurs  vitrines,  où  leur  voix  admirable 
est  réduite  au  silence.  C'est  ce  qui  fait  que  leur  rareté  est  devenue  si 
excessive.  On  a  vu  qu'aujourd'hui,  et  par  le  fait  de  cette  rareté,  leurs 
prix  ont  atteint,  et  même  dépassé  ceux  des  Stradivarius.  Cela  suffirait  à 
faire  leur  éloge,  si  nous  n'avions,  pour  justifier  davantage  notre  admi- 
ration, l'opinion  exprimée  sur  eux  par  Paganini,  Vieuxtemps,  Alard  et 
autres  grands  artistes. 

Joseph  Guarnerius  del  Gesù  fut.  lui  aussi,  en  son  genre,  un  artiste 
de  premier  ordre,  absolument  hors  de  pair,  dont  le  talent,  lorsqu'il 
brille  de  tout  son  éclat  dans  les  plus  beaux  de  ses  produits,  n'a  pas 
été  plus  égalé  que  celui  de  Stradivarius.  Représentants  illustres  d'un 
art  plein  de  noblesse,  qu'ils  surent  porter  à  un  état  de  perfection  idéale, 
les  deux  maitres  tiennent  incontestablement  la  tète  dans  cette  grande 
armée  des  luthiers  italiens  dont  ils  sont,  plus  que  tous  autres,  l'honneur 
et  la  gloire. 

Mais  la  renommée  très  grande  et  très  légitime  de  Joseph  del  Gesù 
ne  doit  pas  nous  rendre  injustes  pour  les  autres  membres  de  cette  inté- 
ressante et  laborieuse  famille  des  Guarnerius,  qui  furent  tous  des 
luthiers  distingués  et  qui  ont  bien  mérité  de  l'art  et  de  leur  profession. 
J'ai  eu  plaisir,  pour  ma  part,  à  rappeler  le  nom  et  les  travaux  de  ces 
vieux  maitres,  dont  l'activité  s'est  étendue  sur  tout  un  siècle,  j'ai  été 
heureux  do  rendre  hommage  à  leur  talent,  et  à  le  mettre  en  lumière 
autant  que  me  le  permettaient  les  trop  rares  documents  que  l'on  possède 
•encore  sur  ces  travailleurs  si  habiles  et  si  bien  doués. 

Arthur  Pougin. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerls-Colorme.  —  Après  une  bonne  exécution  de  la  Symphonie  en  ut 
majeur  de  Beethoven,  M.  Colonne  a  donné  une  importante  sélection  d'une 
œuvre  primée  au  concours  de  la  Ville  de  Paris  en  1900,  la  Vision  de  Danle. 

1    Les  Instruments  à  archets,  t.  I,  pp,  123-125. 


L'auteur,  M.  Raoul  Brunel,  s'y  rétèle  compositeur  habile  et  instrumentateur 
avisé.  Parmi  les  fragments  exécutés  dimanche  et  qui  furent  accueillis  avec 
faveur  grâce  à  une  interprétation  vocale  qui  réunissait  les  noms  de  Mme  Félia 
Litvinne,  de  MM.  Plamondon.  Carbelly  et  Koubilzky.  le  tableau  de  l'Enfer,  très 
puissant  et  d'un  coloris  intense,  m'a  paru  le  mieux  venu  de  l'ensemble.  Le  sé- 
duisant et  prestigieux  scherzo  de  M.  Dukas.  l'Apprenti  sorcier,  obtint  son  suc- 
cès accoutumé,  ainsi  que  les  Variations  symphoniques  de  César  Franck,  où 
MIle  Selva,  par  son  jeu  sobre  et  pur,  sa  technique  parfaite,  s'affirma  une  fois  de 
plus  pianiste  remarquable.  Une  expressive  mélodie  de  Rimsky-Korsakow, 
chantée  en  russe,  par  M.  Kouhitzky,  fut  fort  goûtée  d'un  public  très  vibrant 
dont  l'enthousiasme  ne  connut  plus  de  bornes  après  l'audition  magistrale  de 
la  scène  finale  du  Crépuscule  des  dieux,  où  Mmc  Félia  Litvinne,  l'orchestre  et  son 
chef  se  surpassèrent  àl'envi.  .T.  Jemain. 

Concerts-Lamoureux.  —  Le  Morceau  de  concert  pour  violon,  op.  62,  de 
M.  Saint-Saëns  a  fait,  dimanche  dernier,  sa  première  apparition  aux  Concerts- 
Lamoureux.  On  l'avait  entendu  au  Chàtelet,  sous  la  direction  de  M.  Ed. 
Colonne,  dès  le  14  novembre  1880,  avec  M.  Camille  Lelong  comme  soliste.  Cet 
ouvrage  de  forme  libre  et  de  style  très  classique  n'est  pas  unique  dans  l'œuvre 
du  maître;  nous  en  avons  de  lui,  pour  piano,  de  quasi-similaires.  Il  possède 
des  qualités  de  facture  suffisantes  pour  éveiller  dès  le  début  l'intérêt  et  le 
soutenir  jusqu'à  la  fin;  il  ne  faut  pas  toutefois  s'attendre  à  y  trouver  rien  de 
passionné  ni  de  passionnant,  rien  surtout  qui  puisse  profondément  charmer 
ou  émouvoir.  L'auteur  parait  avoir  voulu  seulement  nous  offrir  sept  ou  huit 
minutes  de  musique  agréable  pour  reposer  l'esprit.  Il  a  pensé  sans  doute  que, 
si  l'inspiration  ne  vient  pas  peur  une  vaste  composition,  il  ne  faut  pas  pour 
cela  se  priver  d'en  écrire  une  petite,  surtout  lorsque  l'on  peut  le  faire  avec 
perfection,  ce  qui  est  bien  le  cas  ici.  Dès  le  commencement  du  morceau,  des 
traits  d'une  contexture  assez  ordinaire  montent  en  fusées,  jusqu'à  une  note 
suraigùe  que  le  virtuose  soutient  jusqu'au  moment  où  un  accord  d'orchestre 
vient  y  ajouter  une  harmonisation  parfois  imprévue.  C'est  d'un  joli  caractère 
et  d'une  aimable  ingéniosité.  Le  violoniste,  M.  Johannès  Wolff,  a  obtenu  le 
succès  d'instrumentiste  que  mérite  son  talent  sérieux,  l'aisance  de  son  jeu  et 
son  beau  phrasé  dans  les  passages  de  chant.  On  l'a  rappelé  chaleureusement. 
—  Les  Impressions  d'un  site  agreste,  de  M.  Jules  Maugué,  ont  une  allure  indé- 
cise et  papillotante,  formant  contraste  avec  l'œuvre  si  fermement  écrite  de 
M.  Saint-Saëns.  La  dénomination  de  poème  symphonique  parait  un  peu  pré- 
tentieuse pour  ce  tout  petit  tableau  d'impressionnisme  musical;  il  y  a  là 
quelques  motifs  un  peu  secs  et  très  sommairement  ouvragés,  parmi  lesquels 
une  assez  jolie  phrase  que  se  passent  les  instruments.  L'orchestration  ne  s'offre 
pas  exceptionnellement  brillante  ou  colorée.  Le  reste  du  programme  compre- 
nait la  Symphonie  n°  2  de  Brahms,  en  ré  mineur,  la  Suite  symphonique  en 
quatre  parties,  Schéhérazade,  de  Rimsky-Korsakoxv,  et  des  fragments  des  Maî- 
tres-Chanteurs, de  Wagner.  M.  Chevillard  a  dirigé  avec  un  respect  sincère  et 
convaincu  l'œuvre  de  Brahms,  surtout  le  premier  et  le  second  mouvement,  qui 
exigent,  ici  ou  la,  beaucoup  de  charme  et  un  peu  de  poésie.  Le  scherzo  a  été 
dit  avec  une  nuance  sentimentale  et  vaguement  idyllique,  très  bien  de  mise 
pour  ce  fragment  schumannien;  le  final  a  paru  d'une  intensité  de  son  écla- 
tante et  crue.  La  salle  Gaveau  ne  supporte  pas  ces  sonorités  violentes  et  peu 
fondues.  Quanta  Schéhérazade,  c'était,  on  s'en  souvient,  un  des  triomphes  de 
l'éminent  chef  d'orchestre  dont  l'absence,  pendant  une  année  entière,  n'a  pas 
été  sans  laisser  des  regrets.  La  musique  de  Rimsky-Korsakow  se  prête  mieux 
que  celle  de  Brahms  aux  véhémences  orchestrales  et  n'exige  pas  un  aussi  par- 
fait équilibre  de  tous  les  éléments  de  l'instrumentation;  la  fantaisie  capri- 
cieuse qui  s'en  dégage  avec  des  aspects  humoristiques  et  imprévus  a  très 
vivement  agi  sur  l'auditoire;  la  brillante  interprétation  a  été  acclamée. 

AMÉDÉE  Boi'TAREL. 

—  Programmes  des  concerts  de  demain  dimanche  : 
Chàtelet,  Concerts-Colonne  :  Deuxième  symphonie  (Beethoven).  —  Marche  funèbre 

et  Mort  de  Brunehilde  du  Crépuscule  des  Dieux  (Richard  Wagner)  :  Brunehilde, 
M""  Litvinne.  —  CoDcerto  en  ré,  pour  violon  (Beethoven),  par  M.  Lucien  Capet.  — 
Tristan  et  Yseult  (H.  Wagner):  Prélude  (par  l'orchestre)  et  Mort  d'Yseult,  par  M  ""Félia 
Litvinne. 

Salle  Gaveau,  Concerts-Lamoureux,  sous  la  direction  de  M.  Chevillard  :  Symphonie 
en  re  majeur  n"  35  (Mozart).  —  Scè.ie  et  air  du  2'  acte  d'IIulda  (César  Franck),  par 
M""  Jeanne  Raunay.  —  La  Mer  (Debussy).  —  Concerto  pour  violoncelle  (Saint-Saëns), 
par  M™"  Caponsacchi-Jeisler.  —  Les  Nuits  d'été  (Berlioz),  chantées  par  M™«  Jeanne 
Raunay.  —  Ballade  symphonique  (Chevillard).  —  Till  Eulenspiegel  (Richard  Strauss). 

—  Voici  le  programme  détinitivement  arrêté  du  très  beau  concert  qui  sera 
donné  le  dimanche  13  novembre,  à  deux  heures,  dans  la  salle  du  Conservatoire, 
par  la  Société  des  concerts,  avec  le  concours  de  M.  Camille  Saint-Saëns,  en 
hommage  à  Georges  Marty  et  au  bénéfice  de  sa  veuve  : 

Ouverture  de  Ballhazar  (Georges  Marty)  ;  Shylock,  suite  d'orchestre  (Gabriel  Fauré); 
1"  acte  (fragments),  Alceste  (Gluck)  :  M""  Hatto  et  M.  Delmas,  de  l'Opéra;  Concerto 
pour  piano  en  ut  mineur  (Mozart)  :  M.  Camille  Saint-Saëns;  Symphonie  avec  chœurs 
(Beethoven)  :  M""  Gall  et  Lapeyretle,  de  l'Opéra,  MM.  Cazeneuve  et  F'rôlich. 

L'orchestre  et  les  chœurs  du  Conservatoire  seront  dirigés  pour  la  première 
fois  par  M.  André  Messager. 

Le  quatuor  Capet,  composé  de  MM.  Lucien  Capet,  André  Tourret,  Louis 
lîailly  et  Louis  Hasselmans,  se  prépare  a  reprendre  très  prochainement  ses 
séances,  qui  auront  lieu  dorénavant  dans  la  salle  des  Agriculteurs  de  France, 
rue  d'Athènes,  à  neuf  heures  du  soir.  Le  programme  des  six  concerts  de  cette 
saison  comportera  l'audition  intégrale  des  dix-sept  quatuors   de  Beethoven. 


LE  MÉNESTREL 


3:57 


Les  dates  de  ces  six  séances  sont  ainsi  fixées  :  jeudi  19  novembre,  vendredi 
4  décembre,  mardi  12  janvier,  lundi  1er  février,  mercredi  3  et  mercredi 
31  mars. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 


(POUR    I.R8    SEULS    AKONNK8 


Elles  vont  d'un  pus  léger  les  trois  petites  ballerines,  et  le  maître  de  ballet,  par  der- 
rière, leur  marque  la  mesure  d'un  gros  bâton  frémissant  sur  le  parquet.  L'homme 
est  épais  et  vulgaire,  les  petites  femmes  graciles  s'envolent  tout  en  tulle,  lamusique 
court  triviale  un  peu,  comme  il  convient,  alerte  pourtant  et  bonne  lille.  Brève  page 
de  joie  signée  P.  Bades. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

Le  nouveau  Théàtre-Johann-Strauss,  de  Vienne,  a  été  inauguré  le 
30  octobre  dernier.  Le  programme  de  la  soirée  comprenait  :  un  prologue  de 
M.  Wolfgang  Madjera,  des  chœurs  chantés  par  l'association  chorale  Schubert 
et  les  Mille  et  une  Nuits  de  Johann  Strauss.  C'est  peut-être  ici  l'occasion,  ne 
fût-ce  que  pour  prouver  l'utilité  de  la  scène  qui  vient  de  s'ouvrir,  de  remar- 
quer que  pendant  la  saison  théâtrale  1906-07  neuf  opérettes  de  Johann  Strauss 
ont  été  jouées  1.313  fois  en  pays  de  langue  allemande,  savoir  : 

La  Chauve-Souris 494  représentations. 

La  Guerre  joyeuse 32  — 

Une  Nuit  à  Venise 31  — 

Le  Prince  Mathusalem 6  — 

Le  Mouchoir  brodé  de  la  reine  ....  12  — 

Les  Mille  et  une  Nuits 271 

Le  Forestier 41  — 

Le  Sang  viennois    .    . I  lb  — 

Le  Baron  tzigane 311 

Total 1.313  représentations. 

Le  chiffre  se  suffit  à  lui-même  sans  beaucoup  de  commentaires.  On  peut 
cependant  ajouter  que  le  frère  du  Roi  de  la  valse,  Joseph  Strauss,  n'est  pas 
non  plus  un  oublié  de  la  scène.  Son  opérette  Brise  de  printemps  a  été  donnée 
275  fois  pendant  la  même  saison  1906-07. 

—  En  même  temps  que  l'administration  du  Conservatoire  de  Vienne  était 
placée  parmi  les  services  dirigés  par  l'état  autrichien,  quatre  sections  d'ensei- 
gnement y  furent  organisées,  la  première  pour  le  piano,  ayant  à  sa  tête 
M.  Godowsky;  la  seconde  pour  le  violon  et  les  deux  autres  pour  la  composi- 
tion et  le  chant.  On  pense  que  M.  Sevcik,  de  Prague,  sera  nommé  directeur 
des  classes  de  violon.  On  ne  dit  rien  de  spécial  pour  les  classes  de  chant. 
Quant  à  celles  de  composition,  il  avait  été  question  de  les  confier  à  MM.  Richard 
Strauss  et  Max  Reger,  mais  ces  deux  artistes  ont  décliDé  l'honneur  que  l'on 
voulait  leur  faire  et  ont  déclaré  ne  pouvoir  accepter.  Le  bruit  avait  couru  que 
M.  Max  Reger,  qui  occupe  à  l'université  royale  de  Leipzig  les  deux  emplois 
de  directeur  de  l'association  chorale  et  de  directeur  de  la  musique,  et  qui  est 
en  outre  professeur  au  Conservatoire,  résignerait  ces  différents  emplois  et 
transporterait  sa  résidence  à  Munich.  M.  Max  Reger  a  démenti  télégraphique- 
ment  la  dernière  de  ces  nouvelles  et  a  fait  savoir  qu'il  a  renouvelé  pour 
plusieurs  années  son  engagement  avec  le  Conservatoire  de  Leipzig. 

—  On  vient  de  créer  à  l'Université  de  Vienne  deux  nouvelles  chaires  artis- 
tiques :  une  d'esthétique  musicale,  qui  est  confiée  au  docteur  Richard  W'al- 
laschek,  critique  du  journal  la  Zeit;  et  une  d'histoire  de  la  musique,  qui  est 
confiée  au  docteur  Maximilien  Diez,  lequel  est  aussi  une  des  notabilités  de  la 
critique. 

—  MmeLilli  Lehmann  a  fait  don  à  l'Association  des  scènes  allemandes  d'une 
somme  de  12.500  francs,  dont  les  intérêts  sont  destinés  à  être  distribués  en 
secours  aux  artistes  lyriques  tombés  dans  l'indigence. 

—  Voici  que  l'aviation,  qui  fait  tant  parler  d'elle  en  ce  moment,  va  jusqu'à 
exciter  l'inspiration  des  musiciens.  On  annonce  qu'un  compositeur  allemand 
bien  connu  par  des  oeuvres  nombreuses  et  importantes,  M.  Auguste  Bun^ert 
s'inspirant  des  prouesses  aéronautiques  de  son  compatriote  le  comte  Zeppelin, 
termine  présentement  un  grand  poème  symphonique  qu'il  intitule  le  Premier 
grand  voyage  de  Zeppelin. 

-  La  société  chorale  de  Dresde  «  Dresdner  Kreuzchor  »  a  célébré  le 
360e  anniversaire  de  sa  fondation.  Elle  a  exécuté  dans  l'église  de  la 
Croix  des  œuvres  de  Henri  Sehiilz,  qui  fut  maître  de  chapelle  de  la 
Cour,  et  de  Sébastien  Bach.  Cette  sociélé  fait  remonter  son  origine  à 
l'année  1548.  époque  à  laquelle  l'électeur  Maurice  de  Saxe  accorda  sou  patro- 
nage aux  chanteurs  qui  la  constituèrent.  Depuis  l'année  17S6,  les  artistes  de 
l'Opéra  do  Dresde  et  ceux  de  la  chapelle  de  la  cour  chantèrent  souvent  pendant 
ies  offices  de  l'après-midi  dans  l'église  de  la  Croix.  De  leur  côté,  les  membres 


du  Kreuzchor  ont  été  employés  pendant  un  siècle  entier  (1717-1817 1.  à 
renforcer  les  chœurs  du  théâtre,  jusqu'au  moment  mi  Weber  organisa  l'en- 
semble vocal  que  l'on  nomma  le  Chœur  de  l'Opéra  Royal.  Toutefois,  le 
Kreuzchor  conserva  sa  forte  individualité.  Il  occupe  une.  place  importante  dans 
l'histoire  de  la  musique,  à  cause  des  belles  auditions  qu'il  a  données  sous  la 
direclion  de  maitres  illustres,  comme  Antonio  Lotti.  Adolphe  liasse,  Weber, 
et  beaucoup  d'autres.  L'on  peut  citer,  parmi  les  hommes  célèbres  qui  ont 
assisté  à  ces  auditions,  Frédéric  le  Grand,  Sébastien  Bach,  Napoléon  I,r  et 
Goethe.  Lorsque  Wagner  lit  représenter  Bienzi  à  l'Opéra  de  Dresde,  les  choristes 
du  théâtre  élant  insuffisants,  on  eut  recours  au  Kreuzchor,  qui,  déjà  depuis 
longtemps,  avait  cessé  de  prendre  part  aux  représentations.  Il  n'a  pas  continué 
d'ailleurs  de  chanter  dans  les  opéras  et  borne  actuellement  son  activité  au 
service  de  l'église.  Il  se  fait  entendre  les  jours  de  fét  ■,  principalement  à 
l'office  des  vêpres,  à  deux  heures  de  l'après-midi. 

—  Le  Prime  de  Monaco,  opérette  nouvelle  en  trois  actes,  livret  de 
M.  E.  Schlack,  musique  de  M.  Henri  Mannfred,  vient  d'être  jouée  pour  la 
première  fois  au  théâtre  de  Breslau. 

—  Une  opérette  nouvelle,  le  Roi  de  la  valse,  paroles  de  M.  Robert  Reitensteinl 
musique  de  M.  Ludwig  Mendelssohn,  vient  d'être  représentée  pour  la  première 
fois  au  théâtre  de  la  Cour,  à  Mannheim.  Ce  petit  ouvrage  a  eu  du  succès. 

—  Au  Théâtre-Municipal  de  Brunn  a  été  donnée,  le  25  octobre  dernier,  la 
première  représentation  d'une  opérette  nouvelle  en  trois  actes,  la  Sauvage 
Comtesse.  Le  texte  est  de  M.  Auguste  Xeidharl,  la  musique  de  M.  Adolphe 
Ripkas  de  Rechlhofen.  Ce  dernier  est  un  jeune  officier  d'artillerie  de  l'armée 
autrichienne. 

—  Une  symphonie  pour  orchestre  de  M.  Paul  Ertel,  l'Homme,  inspirée  au 
compositeur  par  un  triptyque  de  M.  Lesser  Uri,  a  été  exécutée  à  Hambourg 
avec  un  grand  succès. 

—  M.  Henri  Marteau  a  fait  entendre  pour  la  première  fois,  au  deuxième 
concert  du  Gewandhaus  de  Leipzig,  un  nouveau  concerto  de  violon  de 
M.  Max  Reger.  C'est  une  «  vaste  »  composition  qui  ne  dure  pas  moins  d'une 
heure  trois  minutes  et  qui,  selon  un  journal,  est  «  un  combat  perpétuel  du 
violon  contre  l'orchestre  ».  On  fait  remarquer  que  M.  Max  Reger,  qui  est  âgé 
de  trente-cinq  ans  à  peine,  marque  du  chiffre  10S  sa  dernière  composition  : 
Prologue  symphonigue  pour  une  tragédie,  tandis  qu'il  y  a  six  mois  il  n'en  était 
qu'à  son  œuvre  100.  Cela  promet,  pourvu  qu'il  aille  longtemps  du  même 
traiu  !  Reste  à  savoir  si  la  qualité  égale  la  quantité. 

—  Dans  son  premier  numéro  de  l'année  190S-09,  consacré  tout  entier  à 
Chopin,  la  revue  Die  Musik  a  publié  deux  polonaises  inédites  du  maître.  La 
première,  en  la  bémol  majeur,  remonte  à  l'époque  de  la  première  jeunesse  de 
Chopin;  il  n'avait  que  neuf  ans,  parait-il,  lorsqu'il  la  composa.  La  seconde, 
en  sol  bémol  majeur,  est  aussi  une  œuvre  appartenant  à  la  période  d'achemi- 
nement et  d'essais;  on  y  reconnaît  pourtant  à  des  marques  peu  équivoques  le 
génie  du  grand  artiste  qui  devait  faire  du  piano  l'interprète  souverain  de  ses 
sentiments.  Celte  œuvre,  d'après  ce  qu'affirme  M.  A.  Polinski,  qui  l'a  com- 
muniquée au  journal  berlinois,  n'existe  plus  en  manuscrit  autographe;  on  en 
possède  seulement  une  copie  faite  de  la  main  d'un  ami  d'enfance  de  Chopin. 
Oscar  Kolberg,  ethnographe  de  mérite  et  éditeur  d'un  recueil  en  plusieurs 
volumes  de  chants  populaires  polonais.  Kolberg  copia  plusieurs  des  premières 
compositions  de  Chopin,  morceaux  de  piano,  mélodies  vocales,  dont  la  plu- 
part furent  gravées  comme  œuvres  posthumes;  il  avait  eu  sans  doute  le  pres- 
sentiment de  la  célébrité  future  de  son  ami.  Le  numéro  de  Die  Musik  ivnferme, 
entre  autres  articles,  un  récit  détaillé  des  derniers  moments  de  Chopin.  Il 
contient  aussi  d'intéressantes  illustrations.  Ce  sont  d'abord  trois  portraits  de 
Chopin  et  une  reproduction  de  la  maison  où  il  est  né,  à  Zelazowa  Wola,  près 
de  Varsovie.  Viennent  ensuite  deux  autres  portraits,  un  de  la  mère  de  Cho- 
pin, Justine  Krzyzanowska,  et  un  de  son  père,  Nicolas  Chopin,  qui  était  ori- 
ginaire de  Nancy  et  fut  professeur  de  français,  d'abord  au  collège  de  Varsovie, 
ensuite,  à  partir  de  1812,  à  l'école  d'artillerie  de  cette  ville.  La  série  se  pour- 
suit par  une  photographie  d'un  tableau  que  possède  la  famille  du  maître  et 
qui  nous  le  montre  assis  sur  son  séant  sur  son  lit  de  mort,  tandis  qu'une 
dame,  sa  sœur  sans  doute,  veille  auprès  de  lui.  Il  y  a  encore  un  portrait  de 
Chopin  au  crayon,  le  représentant  après  qu'il  eut  rendu  le  dernier  soupir,  un 
moulage  de  ses  traits,  une  reproduction  de  sa  main,  et  une  image  du  monu- 
ment qui  se  trouve  dans  l'église  de  la  Sainte-Croix,  à  Varsovie.  C3  monu- 
ment, adossé  à  un  mur,  comprend  le  buste  de  Chopin,  une  inscription  portant 
la  date  de  sa  naissance  (2  mars  1809),  la  date  de  sa  mort  (17  octobre  1849),  et 
une  urne  sur  laquelle  sont  gravés  ces  mots  :  «  Ici  repose  le  cœur  de  Chopin». 
Nous  rappelons  que  la  date  de  naissance  de  Chopin  n'est  pas  le  2  mars  1809, 
mais  le  22  février  1810.  Signalons  encore,  parmi  les  autographes  du  grand  ar- 
tiste que  renferme  le  numéro  spécial  consacré  à  Chopin,  un  fac-similé  des 
derniers  mots  qu'il  a  écrits,  les  voici  :  «  Je  vous  conjure  de  faire  ouvrir 
mon  corps  pour  que  je  ne  sois  pas  enterré  vif  ». 

—  Tschaikowsky  etTolstoï. —  UAllgemeine  Musik-Zeilung reproduit  quelques 
documents  intéressants  sur  les  relations  qui  s'établirent  vers  IS76  entre  le 
célèbre  éirivain  russe  Tolstoï  et  son  compatriote  musicien  Tschaikowsky. 
Tolstoï  rêvait  alors  de  faire  servir  la  musique  à  l'extension  de  son  apostolat 
populaire,  et  l'appui  d'un  compositeur  déjà  illustre  ne  lui  paraissait  pas  à 
dédaigner  pour  cette  tâche.  «  Lorsque  j'ai  fait  la  connaissance  de  Tolstoï, 
écrivait  dix  années  après  Tschaikowsky,  mon  premier  sentiment  fut  une 
frayeur  mêlée  de  timidité.  Il  me  sembla  que  ce  puissant  scrutateur  des  cœurs 


358 


LE  MENESTREL 


allait  pénétrer  d'un  regard  tous  les  secrets  de  mon  âme.  Devant'  lui,  pensais- 
je,  on  ne  saurait  cacher  aucune  des  souillures  que  l'on  peut  avoir  au  fond  de 
soi-même,  afin  de  ne  montrer  que  ce  qui  est  beau.  Toutefois,  me  disais-je,  il 
doit  être  bon  et  sentir  avec  délicatesse  ;  il  est  comme  un  médecin  qui  visite 
une  plaie  et  connaît  tous  les  endroits  douloureux,  sachant  remédier  à  tout  ce 
qui  pourrait  irriter  le  mal,  et  en  même  temps  je  comprendrai  que  rien  ne 
peut  rester  caché  pour  lui.  Puis  l'idée  contraire  me  tourmentait  :  je  songeais 
que  si  son  caractère  n'était  pas  compatissant,  il  mettrait  sans  ménagement  le 
doigt  sur  ma  blessure.  L'une  et  l'autre  chose  m'ell'rayaient  également.  Cepen- 
dant rien  de  pareil  n'arri va.  Le  romancier  qui  connaissait  si  bien  les  cœurs 
montrait,  dans  ses  relations  avec  les  hommes,  une  nature  simple,  sincère  et 
droits.  Il  ne  m' apparut  pas  tel  que  je  l'avais  craint  ;  il  n'adoucit  pas  les  cotés 
douloureux  de  ma  vie,  mais  De  me  causa  non  plus  aucune  souffrance  nou- 
Telle.  Je  compris  dès  l'abord  qu'il  n'avait  pas  dessein  de  me  soumettre  à  un 
examen  et  qu'il  voulait  seulement  causer  sur  la  musique,  car  il  s'y  intéressait 
très  vivement  alors.  Chose  particulière  :  il  aimait  à  nier  Beethoven  et  à  con- 
tester son  génie.  Ce  n'était  pas  là  le  trait  distinctif  d'une  nature  élevée.  Vou- 
loir abaisser  un  artiste  ainsi  consacré  dans  l'opinion  générale  pour  le  mettre 
au  niveau  de  sa  propre  incompréhension,  c'est  la  marque  d'un  homme  dont 
l'esprit  n'a  pu  s'affranchir  de  certains  partis  pris  ».  Nous  pouvons  ajouter  ici 
que  Tolstoï  ne  cherchait  pas  seulementà  parler  de  musique  avec Tschaikowky; 
il.tenait  aussi  à  lui  marquer  combien  ses  compositions  l'avaient  captivé.  Pour 
lui  en  faire  entendre  quelques-unes,  Nicolas  Rubinstein  organisa  une  soirée 
musicale  au  Conservatoire  de  Moscou.  En  présence  d'une  assistance  nom- 
breuse, le  romancier  moraliste  ne  put  retenir  ses  larmes  pendant  l'audition 
de  l'andante  du  quatuor  en  ré  majeur.  Tschaikowky  a  déclaré  depuis  que 
jamais  aucun  témoignage  d'admiration  ne  lui  causa  plos  de  joie  que  celui-là. 
Poursuivant  lès  idées  qui  lui  étaient  chères, Tolstoi  se  Hâta  d'envoyer  au  maître 
musicien  un  recueil  manuscrit  de  chansons  populaires,  accompagné  de  la 
lettre  suivante  :  «  Cher  Peter  Iljitsch,  je  vous  adresse  les  chants  dont  nous 
avons  parlé.  Je  les  ai  relus  encore  une  fois.  Vous  avez  entre  les  mains  un  mer- 
veilleux trésor,  mais,  pour  l'amour  du  ciel,  écrivez  les  accompagnements  à  la 
manière  de  Mozart  et  de  Haydn,  et  non  à  la  Beethoven,  à  la  Schurnann,  à  la 
Berlioz;  je  veux  dire  que  vous  ne  devez  pas  faire  des  recherches  d'art  pour 
trouver  des  effets  inattendus.  J'aurais  bien  des  choses  à  vous  communiquer 
encore,  car  je  n'ai  pu  qu'à  peine  effleurer  jusqu'ici  quelques-uns  des  sujets 
que  j'avais  envie  d'aborder.  Je  n'en  ai  pas  eu  le  temps,  mais  néanmoins  ma 
jouissance  a  été  très  grande.  Mon  dernier  séjour  à  Moscou  me  laisse  un  des 
meilleurs  souvenirs  que  j'aie  conservés;  je  n'ai  jamais  reçu,  pour  mes  travaux 
littéraires,  une  plus  douce  récompense.  Et  combien  Rubinstein  est  digne 
d'être  aimé  !  Remerciez-le  de  nouveau  en  mon  nom,  car  il  m'a  gagné  à  lui...  ». 
Tschaikowsky  répondit  :  «  Cher  comte,  je  vous  remercie  cordialement  pour 
l'envoi  des  chansons.  Je  dois  cependant  vous  dire  avec  sincérité  qu'elles  ont 
été  notées  par  une  main  peu  experte  et  n'ont  conservé  que  de  faibles  traces 
de  leur  beauté  originelle.  Le  défaut  principal  est  que  ces  chansons  ont  été  re- 
maniées artificiellement  et  abusivement,  afin  qu'elles  pussent  se  plier  à  un 
rythme  régulier.  Seuls,  les  airs  de  danse  russes  possèdent  un  rythme  régulier 
et' une  mesure  d'accompagnement  uniforme;  les  chansons  populaires  n'ont  rien 
de  commun  avec  ces  airs  de  danse.  En  outre,  la  plu;  grande  quantité  de  ces 
chansoDS  ont  été  transcrites,  intentionnellement  et  sans  discernement,  dans 
la  tonalité  pompeuse  de  ré  majeur,  ce  qui  ne  convient  guère  au  caractère  des 
véritables  chants  russes.  Cela  sonne  presque  toujours  d'une  façon  peu  con- 
forme au  sentiment  qui  devrait  se  dégager  de  la  musique,  et  fait  ressembler 
ces  chansons  à  de  vieux  cantiques  slaves.  En  somme,  les  chansons  que  vous 
m'avez  envoyées  ne  sauraient  être  présentées  dans  une  version  systématique- 
ment régulière,  et  cela,  précisément  parce  que  des  chants  populaires  doivent 
être  publiés  tels  que  le  peuple  les  chante.  Cette  publication  exigerait  une  en- 
tente très  fine  du  sens  musical,  jointe  à  une  très  grande  érudition  portant  sur 
l'histoire  de  la  musique.  Je  ne  connais  personne  qui  soit  capable  de  la  faire, 
à  l'exception  de  Balakirew  et  peut-être  de  Prokunin.  Ces  chansons  pourraient 
servir  de  matériaux  pour  une  symphonie;  je  les  utiliserai  certainement  de 
cette  manière,  quelque  jour  ».  Il  est  probable  que  Tolstoï  éprouva  une  assez 
vive  déception  en  lisant  le  contenu  de  cette  lettre,  car  la  correspondance  entre 
lès  deux  maîtres  en  des  spécialités  si  différentes  parait  s'être  arrêtée  là.  Pour 
Tschaikowsky,  ce  fut,  semble-t-il,  un  véritable  désenchantement.  11  ne  se 
consola  point  d'avoir  t-ouvé,  chez  celui  qui  avait  été  longtemps  l'objet  de  son 
culte,  des  entés  indignes  d'un  homme  de  génie;  il  n'eut  plus  en  lui  la  même 
foi  et  n'éprouva  depuis  qu'une  satisfaction  incomplète  en  lisant  ses  écrits. 

—  De  La  Haye  :  M",c  Sigrid  Arnoldson  'vient  de  chanter  Manon  pour  la 
première  fois  en  Hollande.  La  représentation  donnée  au  Théâtre-Royal  fran- 
çais de  La  Haye  a  été  extrêmement  brillante.  Après  le  tableau  de  Saint-Sul- 
pice,  le  public  a  fait  à  la  brillante  artiste  une  véritable  ovation.  La  salle  avait 
été  louée  plusieurs  jours  d'avance,  malgré  l'augmentation  du  prix  des  places. 

—  Un  journal  suisse  nous  apprend  que  ia  bibliothèque  du  Grand-Théâtre  de 
Genève  «  vient  de  recevoir  de  Mme  Barton  la  partition  d'orchestre  originale, 
manuscrite,  du  Déluge,  de  M.  C.  Saint-Saèns  ». 

—  Un  journal  de  Rome,  il  Tirso,  ouvre  un  concours  national  pour  la  com- 
position d'un  opéra  en  un  acte.  Il  n'offre  point  de  prix  en  argent,  mais  il 
s'engage  à  faire  représenter  l'ouvrage  couronné  sur  le  théâtre  Costanzi,  avec 
ane  interprétation  de  premier  ordre,  pendant  la  saison  d'hiver  1910.  Le  coa- 
eouts  sera  clos  le  15  avril  1909. 


—  Un  chanteur  qui  a  joui' en  Italie  d'une  certaine  renommée,  le  baryton 
Lelio  Casini,  vient  d'être  frappé,  dans  toute  la  force  de  l'âge,  d'une  façon  ter- 
rible; atteint  d'aliénation  mentale,  il  a  dû  être  transporté  dans  une  maison 
de  fous  à  Frigionaia,  en  Toscane.  Il  avait  débuté  avec  beaucoup  de  succès  à 
Pise  en  1887,  et  de  là  s'était  [ait  applaudir  à  Milan,  à  Rome,  à  Florence  et  à 
l'étranger.  Une  maladie  de  la  gorge  l'ayant  ensuite  obligé  à  quitter  le  théâtre, 
il  s'était  consacré  à  l'enseignement  du  chant,  d'abord  à  Florence,  puis  à  Milan, 
et  avait  formé  des  élèves  qui  lui  faisaient  honneur. 

—  Le  maestro  Camillo  de  Nardis  a  fait  exécuter  sous  sa  direction,  dans  la 
cathédrale  d'Ortona,  un  a  drame  sacré  »  intitulé  i  Turchi  in  Ortona,  dont  il  a 
écrit  la  musique  sur  un  ancien  poème  de  Domenico  Bolognese  (le  collabora- 
teur attitré  du  compositeur  Petrella,  pour  qui  il  écrivit  les  livrets  de  Morosina, 
Marco  Visconti,  l'Assedio  di  Lcida,  etc.).  Ce  drame  a  pour  sujet  l'invasion  des 
Turcs  sur  les  côtes  Adriatiques  en  1S6B,  alors  qu'ils  saccagèrent  et  incen- 
dièrent les  villes  de  Pescara,  Francavilla,  Vasto  et  Ortonj.  «  L'exécution  fut 
très  précise,  dit  un  journal;  l'orchestre  était  composé  de  4o  artistes  du  San 
Carlo  de  Naples.  Les  chanteurs  furent  très  applaudis.  Après  la  première  par- 
tie le  maestro  De  Nardis  a  été  applaudi  à  trois  reprises,  et  à  la  fin  le  public 
s'est  levé  en  masse  en  le  rappelant  huit  fois.  L'église  était  éclairée  a  giorno  et 
les  auditeurs  étaient  au  nombre  de  plus  de  6.000  ». 

—  On  prépare  à  Londres,  au  théâtre  Covent-Garden,  une  grande  solennité 
artistique  sous  le  patronage  de  la  princesse  de  Galles,  du  marquis  de  San 
Giuliano,  ambassadeur  d'Italie,  et  des  ambassadeurs  de  Russie,  d'Autriche- 
Hongrie  et  des  États-Unis.  Il  s'agit  d'une  matinée  exceptionnelle  qui  sera  don- 
née an  profit  de  la  souscription  pour  le  monument  a  la  mémoire  de  la  grande 
tragédienne  Adélaïde  Ristori  à  Cividale  (Frioul).  Tous  les  premiers  artistes 
des  théâtres  de  Londres  ont  promis  leur  concours  à  cette  manifestation 
artistique. 

—  Lorsque  Mozart  fut  conduit  en  Angleterre  par  son  père  avec  sa  sœur 
Marianne*  en  1765,  la  petite  famille  habita  à  Londres  une  maison  située  au 
n°  20  de  la  Frithstreet,  dans  un  quartier  alors  fort  élégant,  mais  dont  l'élé- 
gance a  depuis  longtemps  disparu.  C'est  là  que  l'enfant  prodige  écrivit  plu- 
sieurs compositions,  entre  autres  un  recueil  de  sonates  dédiées  à  la  reine 
Charlotte  et  qui  porte  son  op.  3.  Cette  maison,  qui  garde  un  souvenir  histo- 
rique, et  qui  a  déjà  été  restaurée  plusieurs  fois,  vient  d'être  tout  récemment 
l'objet  d'une  nouvelle  réparation. 

—  Dans  une  interview,  M.  Gatti-Casazza,  directeur  du  Métropolitain  de 
New-York,  a  confié  à  un  journaliste  qu'il  comptait  représenter  prochaine- 
ment sur  ce  théâtre  deux  opéras  inédits  de  M.  Debussy,  dont  le  sujet  est  tiré 
de  deux  nouvelles  d'Edgar  Poe  :  the  Fall  of  the  house  of  Usher  et  the  Devil  in 
the  Belfry.  Le  premier  de  ces  ouvrages  est  en  deux  actes,  le  second  en  un 
seul,  et  le  compositeur  insiste  pour  qu'ils  soient  donnés  tous  deux  ensemble, 
dans  la  même  soirée.  M.  Debussy  assure  que  la  musique  de  ces  opéras  diffère 
essentiellement,  par  le  style  et  par  l'inspiration,  de  celle  de  Pclléas  et  Méli- 
sande.  Il  a  d'ailleurs  promis  à  M.  Gattis-Casazza  son  tout  dernier  ouvrage, 
la-  Légende  de  Tristan,  qui  n'est  pas  encore  terminé. 

—  Les  journaux  américains  nous  apportent  la  nouvelle  du  grand  succès 
obtenu  à  New-York  par  une  nouvelle  opérette  intitulée  Flujfij  Ru/jles,  dont  les 
auteurs  sont  MM.  Mac  Nally  et  Irwin  pour  les  paroles,  et  M.  "VV.-E.  Francis 
pour  la  musique; 

—  La  fameuse  opérette  la  Veuve  joyeuse,  qui  a  déjà  tant  fait  parler  d'elle, 
continue  d'être  de  bonne  hum'eur.  On  vient  d'en  donner  à  New-York,  au  New- 
Amsterdam-Theàtre,  une  série  de  421  représentations  qui  ont  fait  une  recette 
totale  de  812.000  dollars  (i  millions  50.600  francs  environ)  et  qui  ont  réuni 
un  ensemble  de  700.000  spectateurs.  L'auteur  doit  être  aussi  joyeux  que  sa 
veuve. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

Quelques  échappées  sur  le  rapport  de  M.  Buyat  préparé  pour  la  Chambre 
des  députés:  Budget  des  Beaux-Arts.  En  ce  qui  concerne  l'Opéra,  M.  Buyat 
en  constate  d'abord  la  bonne  administration.  Les  travaux  nouveaux  imposés  par 
le  cahier  des  charges  ont  été.  accomplis.  Tous  les  petits  traitements  ont  été 
augmentés,  et  pleins  de  sollicitude  pour  leur  personnel,  les  nouveaux  direc- 
teurs ont  amélioré  les  locaux  qui  lui  sont  attribués  et  «  installé,  à  l'Opéra 
même,  un  cabinet  dentaire  et  un  cabinet  de  consultation  médicale  à  l'usage 
des  artistes,  employés  et  ouvriers  de  la  maison,  les  soins  étant  absolument 
gratuits  ».  M.  Buyat  dresse,  ensuite,  une  liste  des  ouvrages  montés  par  la  di- 
rection Messager,  Broussan.  Lagarde,  et  de  ceux  qui  seront  montés  prochaine- 
ment. Il  déclare  que  les  magasins  de  décors^  trop  éloignés  du  théâtre,  sont 
devenus  tout  à  fait  exigus  et  qu'un  agrandissement  de  ce  magasin  des  décors 
est  de  toute  urgence.  La  machinerie,  ajoute-t-il,  est  vieille,  démodée,  et  ne 
se  prête  pas  à  exécuter  une  quantité  d'effets  scéniques  réalisés  partout  ailleurs. 
Le  plancher  de  la  scèue  s'effrite,  L'éclairage  est  insuffisant.  »  Il  faut  aviser. 
Autres  obstacles  encore  :  la  concurrence  américaine  et  la  concurrence  moné- 
gasque. M.  Buyat  estime,  enfin,  qu'il  faudrait  préserver  les  artistes  contre  la 
rapacité  des  agences,  qui  atteint  surtout  les  chanteurs  ou  comédiens  modestes. 

Sur  M.  Jules  Claretie  (Comédie-Française)  : 

IL  a  la  politesse  —  un  peu  ironique  — de  ne  décourager  aucun  de  ses  successeurs, 
et  la  saine  volonté  de  ne  pas  se  décourager  lui-même.  Nous  nous  en  félicitons  bien 
sincèrement  et  nous  souhaitons,  pour  notre  part,  que  les  destinées  de  notre  Théâtre- 
Français  lestent  encore  longtemps  aux  mains  de  ce  lettré  avisé  et  délicat,  de  ce  di- 
plomate qui,  au   milieu  d'administrés  plus  irritables  souvent  que  des  poètes,  sut 


LE  MÉNESTREL 


359 


presque  toujours  à  temps  éviter  la  guerre  et  trouver  en  tout  cas,  '[nanti  elle  fut 
devenue  inévitable,  d'élégantes  solutions. 

Sur  M.  Albert  Carré  : 

M.  Albert  Carré  a  pleinement  réussi  à  l'Opéra-Comique.  Il  est  fait  pour  ce  théâtre 
ou,  si  vous  préférez,  ce  théâtre  est  fait  pour  lui,  et  il  aurait  vraiment  tort  de  le  vau- 
loir  quitter.  Il  a  poussé  aussi  loin  que  possible  l'art  du  décor.  Une  mise  en  scène 
impeccable,  des  effets  de  lumière  surprenants  exercent  sur  le  public  un  irrésistible 
attrait. 

—  Le  conseil  supérieur  du  Conservatoire  s'est  réuni  cette  semaine  pour 
procéder  a  l'élection  d'un  professeur  de  déclamation  dramatique,  en  rempla- 
cement de  Mmc  Sarah  Bernhardt,  démissionnaire.  Ont  été  présentés  au 
ministre,  à  qui  appartient  la  nomination  officielle  :  en  première  ligne, 
M.  Jules  Leitner,  sociétaire  de  la  Comédie-Française,  qui  avait  jusqu'ici 
suppléé  M"10  Sarah  Bernhardt;  en  seconde  ligne,  Mm0  Renée  du  Minil,  socié- 
taire de  la  Comédie-Française. 

—  La  mort  de  l'excellent  et  très  respectable  cardinal  Mathieu,  archevêque 
de  Toulouse,  qui  était  l'un  des  membres  les  plus  éminents  de  l'Académie 
française,  a  tout  naturellement,  en  ces  derniers  jours,  excité  l'attention  des 
reporters  et  des  chroniqueurs.  Parmi  les  nombreuses  anecdotes  qui  ont  été 
publiées  à  son  sujet,  il  en  est  une  au  moins  bizarre,  dont  il  serait  difficile  de 
garantir  l'authenticité,  mais  qui  a  le  mérite  d'être  originale.  On  raconte  que  le 
digne  prélat,  qui  aimait  assez  surprendre  son  monde,  entrait  un  jour  à  l'im- 
proviste  dans  une  des  églises  de  son  diocèse,  à  l'heure  des  vêpres.  Reconnu 
aussitôt  par  l'organiste,  celui-ci,  désireux  de  lui  faire  honneur,  .mais  ne 
sachant  trop  par  quel  moyen  faire  connaître  aux  fidèles  la  présence  de  leur 
archevêque,  eut  tout  à  coup  une  idée  géniale  :  ce  fut  do  faire  une  improvisa- 
tion sur  un  thème  vraiment  caractéristique,  et  ce  thème  n'était  autre  que 
celui  de  la  chanson  bien  connue  :  Tiens!  voilà  Mathieu...  Si  le  fait  est  vrai,  le 
cardinal,  qui  était  un  homme  d'un  esprit  très  fin,  dut  sourire  de  l'esprit  de 
l'organiste. 

—  Après  deux  siècles,  on  s'avise  enfin  d'élever  un  monument  à  Regnard. 
Toutefois,  ce  n'est  pas  à  Paris,  sa  ville  natale,  que  sera  ainsi  glorifiée  la 
mémoire  de  l'auteur  du  Joueur,  des  Folies  amoureuses  et  du  Légataire  universel, 
qui  fut  aussi  celui  du  Carnaval  de  Venise,  opéra  mis  en  musique  par  Campra 
et  représenté  en  1699  avec  un  succès  éclatant  :  c'est  à  Dourdan.  où  il  mourut 
en  1709,  exerçant  les  charges  de  lieutenant  des  eaux  et  forêts  et  des  chasses  et 
de  grand  bailli  de  la  province  de  Hurepoix.  Regnard  ne  fut  pas  seulement  un 
grand  poète  comique,  et  le  premier  après  Molière  ;  ce  fut  aussi  un  grand  voya- 
geur devant  l'Eternel,  et  la  première  partie  de  son  existence  fut  singulière- 
ment mouvementée.  Après  avoir  visité  deux  fois  l'Italie,  il  revenait  en  France 
sur  une  frégate  anglaise  qui  fut  attaquée  et  prise  par  deux  vaisseaux  algériens. 
Sa  gastronomie  lui  fut  favorable  (il  était  gros  mangeur  et  aimait  la  bonne 
chère).  Vendu  quinze  cents  livres  à  un  riche  algérien,  il  en  devint  le  cuisinier, 
et  bientôt  le  favori.  Mais  il  devint  aussi  le  favori  d'une  des  femmes  de  celui-ci, 
et  cela  faillit  le  faire  mettre  à  mort.  En  tout  cas  il  fut  emprisonné 
et  chargé  de  chaînes,  et  allait  passer  sans  doute  un  mauvais  quart  d'heure, 
lorsque  le  consul  de  France,  au  prix  d'une  forte  rançon,  obtint  sa  mise 
en  liberté.  Regnard  revint  à  Paris,  rapportant  ses  chaînes  en  guise  de  sou- 
venir. Cette  aventure,  qui  aurait  pu  tourner  mal,  n'avait  porté  nulle  atteinte 
à  ses  désirs  ambulatoires.  Du  midi  il  passa  au  nord,  visita  la  Belgique  et  la 
Hollande,  le  Danemark  et  la  Suède,  puis,  avec  deux  autres  Français,  entreprit 
une  expédition  au  pôle  Nord.  Après  avoir  vu  la  Laponie,  il  alla  jusqu'à  l'ex- 
trémité du  golfe  de  Bothnie,  pénétra  jusqu'à  la  mer  glaciale  et  ne  s'arrêta  que 
lorsque  la  terre  lui  manqua.  Après  cette  campagne  il  parcourut  la  Pologne,  la 
Hongrie,  l'Allemagne,  et  enfin  revint  de  nouveau  eu  France,  où  bientôt  il 
commença  sa  carrière.  On  peut  donc  dire  que  Regnard  fut  sinon  le  premier, 
du  moins  l'un  des  premiers  explorateurs  des  terres  glaciales,  et  il  n'avait  que 
vingt-six  ans  lorsqu'il  accomplit  cette  prouesse.  Il  en  avait  trente-deux  lorsqu'il 
fit  son  début  à  la  Comédie-Italienne  avec  sa  première  comédie,  le  Divorce,  et 
depuis  lors  il  n'arrêta  plus,  se  produisant  soit  à  ce  théâtre,  soit  à  la  Comédie- 
Française,  soit  à  l'Opéra.  Et  comme  il  était  musicien,  c'est  lui  qui  écrivit  la 
musique  du  divertissement  de  la  Sérénade,  un  petit  acte  en  prose  qu'il  donna 
à  la  Comédie-Française  en  1693.  C'est  sur  la  grande  place  de  Dourdan  que 
dans  un  an,  le  4  septembre  1909,  pour  célébrer  le  deux-centième  anniversaire 
de  la  mort  de  Regnard,  on  inaugurera  son  monument,  une  haute  stèle  de 
pierre,  supportant  la  reproduction  en  bronze  du  poète  par  Foncou. 

—  On  a  beaucoup  parlé  ces  derniers  jours,  à  propos  d'un  fait-divers  lugubre, 
d'un  certain  «  théâtre  hébreu  ».  Un  théâtre  hébreu  ?  à  Paris  ?  Les  gens  res- 
taient sceptiques  et  n'y  voulaient  croire.  Le  fait  était  exact  pourtant,  bien  que 
le  titre  de  l'établissement  ne  le  fut  pas  tout  à  fait.  Il  existe  au  bas  de  la  rue 
Saint-Denis,  près  de  la  place  du  Chàtelet,  à  l'ancien  Edeu-Goncert,  un  théâtre 
où  sont  données  d  une  façon  à  peu  près  régulière  des  représentations  de  pièces 
écrites  dans  le  dialecte  d'un  certain  nombre  d'israélites.  Ce  dialecte  n'est  pas 
la  langue  hébraïque.  C'est  le  dialecte  où  se  mêlent  des  mots  allemands,  hé- 
breux, polonais,  qui  constitue  le  langage  de  la  plupart  des  israélites  de  Po- 
logne, de  Roumanie,  de  Russie  et  d'une  partie  de  l'Autriche.  Beaucoup  font 
à  Paris  des  séjours  plus  ou  moins  prolongés.  C'est  pour  eux  que  ce  théâtre  a 
été  créé.  Les  acteurs  sont  tous  des  israélites  anglais  et  américains,  et  voici 
comment  on  l'explique.  On  sait  qu'il  y  a,  à  Londres  et  à  New-York,  une  très 
nombreuse  colonie  d'israélites  polonais,  russes,  galiciens,  dont  le  langage  est 
précisément  ce  dialecte  mélangé  d'hébreu,  d'allemand  et  de  polonais,  colonie 
tellement  nombreuse  que  les  théâtres  semblables  à  celui  de  la  rue  Saint-Denis 
qui  ont  été  créés  sont  toujours  bondés.  C'est  en  Amérique  que  les  jiièces  sont 


jouées  ilal,  uni;  e  Iles  émjgrerH  ensuite -à  Londres  et  à  Paris.  Ce  sont  ou  des 
traductions  de  pièces  étrangères  —  le  Roi  Lear,  par  exemple  —  adaptée»  au 
public  particulier  auquel  elles  sont  destinées,  ou  des  pièces  originales,  sym- 
boliques en  général,  où  les  auteurs  tiennent  compte  des  mœurs,  des  idées,  de 
de  la  religion  même  de  leurs  auditeurs,  telles  le»  Violons  Se  "David  mu  ))i*u. 
Homme,  Diable,  je  nées  actuellement  sur  la  scène  de  la  rue  Saint-Denis. 
Alïïchcs  et  programmes  de  spectacle  sont  imprimés  en  caractères  hébraïques. 
Le  public  n'est  guère  composé  que  d'israélites  capables  de  comprendra  le  lan- 
gage des  acteurs,  et  si  quelquefois  un  étranger  s'y  égare,  il  doit  se  contenter 
d'essayer  de  deviner,  d'après  les  gestes  des  acteurs  et  d'après  le  mouvement 
de  la  pièce,  le  sens  du  spectacle.  Si  le  fait  n'est  pas  pour  l'étonner  —  il  en  est 
ainsi  pour  lui  dans  tous  les  théâtres  étrangers  —  sa  surprise  doit  augmenter 
quand,  pendant  les  entr'actes,  il  voit  circuler  des  marchands  qui  offrent  aux 
spectateurs  des  gésiers  et  des  foies  de  volaille,  comme,  dans  n'importe  quels 
autres  théâtres  des  marchands  offrent  des  oranges  ou  des  berlingots. 
Autres  pays,  autres  mœurs!  Le  cas  de  ces  profanes  est  d'ailleurs  assez  rare  et 
le  théâtre  hébreu,  puisque  ainsi  on  le  dénomme,  constitue  la  distraction  de 
toute  une  colonie  parisienne,  en  môme  temps  qu'un  lieu  de  rendez-vous  pour 
les  étrangers,  heureux  de  se  retrouver,  de  loin  en  loin,  le  soir,  aux  feux  de  la 
rampe. 

—  A  l'Opéra  nous  avons  eu  une  nouvelle  Thaïs  charmante  en  la  personne  de 
Mmc  Kousnietzoff,  célèbre  ajuste  titre  en  toutes  les  Russies.  Elle  a  joué  et 
chanté  avec  un  tel  art,  une  telle  puissance  do  séduction  et  nue  émotion  si 
communicative,  que  la  salle  entière,  à  maintes  reprises,  l'a  acclamée  et  triom- 
phalement rappelée  après  chaque  acte.  M.  Dangès,  qui  prenait  possession  du 
rôle  d'Athanaél,  lui  a  prêté  ses  belles  notes  de  baryton  et  dans  la  composition 
du  personnage  a  montré  une  belle  autorité  de  chanteur  et  de  comédien.  —  A 
partir  de  cette  semaine  les  représentation)  du  Crépuscule  des  Dieux  commen- 
ceront à  l'heure  normale  pour  finir  à  minuit.  Mais  c'est  surtout  sur  la  dimi- 
nution des  entr'actes  qu'on  gagnera  le  temps  nécessaire  pour  cela;  on  ne 
coupera,  en  effet,  que  dix-sept  minutes  de  musique  sur  quatre  heures  vingt.— 
Hippolyte  et  Aricie  reparaitra  sur  l'affiche  lundi  prochain,  avec  MM"  Bréval 
fiai),  Hatto,  Maslio,  MM.  Altchewsky,  Delmas,  Gresse,  etc.  —  Les  rôles  dé 
Bacchus,  l'oeuvre  nouvelle  de  MM.  Catulle  Mendès  et  Massenet,  ont  été  remis 
hier  aux  principaux  artistes  qui  doivent  en  faire  la  création  :  M1"5  Brésal, 
Lucy  Arbell,  MM.  Muratore  et  Gresse. 

—  Comme  nous  l'avions  annoncé,  on  a  procédé  cette  semaine  à  la  vente 
d'un  grand  nombre  de  costumes  réformés  du  matériel  de  l'Opéra,  provenant 
de  divers  ouvrages  du  répertoire  :  Faust,  l'Africaine,  le  Prophète,  Don  Juan,  les 
Huguenots,  etc.  La  séance  n'a  pas  été  précisément  brillante,  un  seul  acquéreur 
s'étant  présenté.  Le  tout  a  été  adjugé  pour  la  somme  de  ô'.OOO  francs  à  un 
exportateur  qui,  agissant  au  nom  d'un  syndicat  de  costumiers  anglais,  les 
enverra  dans  les  grandes  possessions  britanniques  de  l'Afrique  australe,  ponr 
monter  la  garde-robe  —  sans  doute  fort  indigente  —  des  «  Fantaisies-Johan- 
nesburgeoises  »  ou  du  «  Kimberley-Lyrique  ». 

—  M.  Charles  Malherbe,  archiviste  de  l'Opéra,  a  adressé  au  Figaro  la  lettre 
que  voici  ; 

Mon  cher  confrère, 

Voulez-vous  me  prêter  la  grande  publicité  du  Figaro  pour  rectifler  une  erreur  qui 
est  en  train  de  faire  le  tour  de  la  presse  parisienne,  et  même  étrangère?  Il  est  très 
vrai  que  le  musée  de  l'Opéra  s'est  enrichi  de  deux  souvenirs  précieux  :  le  bureau  de 
Rossini  et  une  statuette  en  biscuit  qui  le  représente  assis  sur  un  canapé.  Seulement, 
ces  objets  ont  été  donnés,  non  pas  comme  on  l'a  dit,  par  un  neveu  de  Cherubini 
mais  par  les  deux  petits-fils  du  célèbre,  chanteur  Tamburini,  JIM.  Victor  et  Joaehim 
Tamburini,  celui-ci  tilleul  de  Rossini. 

La  curieuse  statuette  provient  de  la  collection  artistique  jadis  formée  par  leur 
arrière-grand-père,  Bordogni,  qui,  dans  sa  jeunesse,  avait  été  camarade  de  Rossini, 
et  vint  terminer  sa  carrière  à  Paris  où,  pendant  vingt-cinq  ans,  il  fut  professeur  de 
chant  au  Gons  ervatoire. 

En  offrant  ces  reliques  au  musée  de  l'Opéra,  MM.  Tamburini  ont  donc  obéi  a  un 
sentiment  familial  qui  les  honore;  ils  rappellent  ainsi  le  souvenir  de  deux  artistes 
qui  furent  les  amis  et  les  interprètes  de  l'illustre  maestro. 

Veuillez  agréer,  etc. 

Ch.  Malherbe, 
Archiviste  de  l'Opéra. 

—  A  l'Opéra-Comique.  Sanga,  la  nouvelle  œuvre  de  M.  Isidore  de  Lara  en 
répétition,  a  décidément  pris  possession  de  la  scène.  Les  principaux  interprètes 
en  sont  Mlles  Chenal,  Nelly  Martyl,  MM.  Fugère,  Beyle,  Ghasne,  Belhomme,  etc. 
—  Ce  soir,  samedi,  on  donnera  Louise.  Spectacles  de  dimanche  :  en  matinée 
Werther;  le  soir,  la  Vie  de  Bohême  et  Cavalleria  rusticana.  Lundi,  en  représen- 
tation populaire  à  prix  réduits  :  Mireille, 

—  On  a  donné  vendredi  au  Théâtre-Lyrique  de  la  Gaité  la  première  repré- 
sentation de  la  Bohème,  de  M.  Leoncavallo.  Notre  collaborateur  Arthur  Pou- 
gin  en  donnera  son  impression  dans  le  prochain  numéro  du  Ménestrel. 

—  De  notre  confrère  Aderer  du  Temps  :  Des  représentations  russes,  placées 
sous  le  patronage  du  grand-duc  et  de  la  grande-duchesse  Wladirnir,  doivent 
avoir  lieu  en  mai,  au  Chàteiet.  Elles  se  composeront  de  quatre  spectacles  ; 
deux  d'entre  eux  seront  consacrés  à  l'Opéra,  les  deux  autres  au  ballet.  Chacun 
de  ces  spectacles  sera  donné  cinq  fois  y  compris  la  première.  Les  opéras  choi- 
sis sont  te  Prince  Igor,  de  Bjrodine,  et  la  Pskovitaine  (que  l'on  intitulera  peut- 
être  Ivan  le  rerr/6feJ,deRimsky-Korsako\v.  Les  spectacles  de  ballet,  qui  eom- 
rnencerout  assez  tard  dans  la  soirée,  vers  neuf  heures  sans  doute,  compren- 
dront trois  œuvres  :  Baymonda,  deux  actes  de  Glazounow  ;  le  Pavillon  d'Armide 


360 


LE  MENESTREL 


un  acte  de  Tcherepoine,  et  un  ouvrage  chorégraphique  du  même  auteur,  écrit 
spécialement  pour  Paris  et  qui  se  nomme  l'Oiseau  d'or. 

—  Le  Congrès  théâtral  :  Parmi  les  principaux  rapports  inscrits  pour  les 
travaux  du  Congrès,  qui  a  lieu,  rappelons-le,  dimanche,  de  dix  heures  à  midi, 
et  lundi,  de  quatre  heures  à  six  heures  et  demie,  à  l'Opéra-Comique,  citons  : 
«  Le  Rétablissement  de  la  censure  »,  par  M.  Maurice  Lefèvre;  «  les  Décors 
lumineux  »,  par  M.  Eug.  Franz;  «  la  Mise  en  scène  à  Bayreuth  »,  par 
M.  Stuart;  »  le  Théâtre  et  les  enfants  »,  par  M.  Franc-Nohain  ;  «  la  Double 
scène  »,  par  MM.  Giranne  et  G-robon  ;  «  les  Théâtres  en  plein  air  »,  par 
M.  Jules  Râteau;  «  la  Mise  en  scène  dans  les  théâtres  de  comédie  »,  par 
M.  Nicoulès,  et  d'autres  de  Mme  Jane  Misme,  M.  Georges  Bureau,  etc.,  etc. 

—  M.  Camille  Le  Senne  inaugurera  lundi  prochain,  9  novembre,  à  4  h.  1/4, 
dans  le  hall  de  l'Ecole  des  hautes  études  sociales,  16,  rue  de  la  Sorbonne,  la 
seconde  année  de  son  feuilleton  parlé  hebdomadaire.  Il  fera  sa  première  cau- 
serie sur  l'Émigré  de  M.  Paul  Bourget. 

—  Sous  ce  titre  :  Théâtre  en  vers,  M.  Catulle  Mendès  publie  chez  Fasquelle 
quatre  pièces,  dont  deux  ont  connu  le  succès,  le  grand  succès  :  la  Part  du  Roi. 
à  la  Comédie-Française;  la  Reine  Fiammette.  à  l'Odéon.  Les  deux  autres,  le 
Roman  d'une  nuit  et  les  Traîtres,  n'ont  jamais  été  représentées,  et  même  les 
Traîtres  ne  sont  qu'un  fragment  du  drame  resté  sur  le  chantier.  A  lire  ce 
fragment,  on  regrettera  que  le  poète,  absorbé  par  d'autres  œuvres  et  par  son 
labeur  continu  et  quotidien  de  trente  années,  n'ait  pas  jugé  à  propos  de  ter- 
miner l'œuvre. 

—  .Le  Grand-Théâtre  de  Lyon  vient  de  donner  la  première  représentation 
de  Salomé,  non  point  celle  de  M.  Richard  Strauss,  comme  on  pourrait  le  croire, 
mais  une  autre  Salomé,  dont  la  musique  est  due  à  M.  Mariotte,  ancien  officier 
de  marine  qui,  comme  Rimsky-Korsakow,  donna  sa  démission  pour  se  con- 
sacrer entièrement  à  la  musique,  et  qui  est  aujourd'hui  professeur  de  piano  au 
Conservatoire  de  Lyon.  M.  Mariotte  avait  mis  en  musique,  tout  comme 
M.  Strauss,  le  poème  d'Oscar  Wilde,  et  sa  partition  était  à  peu  près  terminée 
lorsque  la  Salomé  de  celui-ci  parut  à  Berlin.  Ce  fut  un  coup  cruel.  Comment 
faire,  pour  ne  pas  perdre  le  fruit  de  son  travail  ?  Il  fallut,  pour  obtenir  la 
faculté  de  faire  représenter  l'ouvrage,  ouvrir  des  négociations,  d'abord  avec 
les  éditeurs,  puis  avec  M.  Strauss  lui-même,  qui  n'entendaient  pas  qu'on  offrit 
au  public  une  autre  Salomé  écrite  sur  le  poème  d'Oscar  Wilde.  Ces  négocia- 
tions ont  duré  près  de  deux  ans,  et  leur  succès  n'a  été  obtenu  qu'avec  de  fortes 
restrictions.  En  effet,  M.  Mariotte  n'a  obtenu  l'autorisation  de  faire  jouer  sa 
pièce  qu'à  Lyon,  sur  le  Grand-Théâtre,  et  un  nombre,  de  représentations  déter- 
miné par  contrat  et  qui  ne  peut  pas  être  dépassé.  L'œuvre  nouvelle  parait 
d'ailleurs  avoir  été  accueillie  avec  une  grande  faveur.  Elle  est  jouée  par 
Mlle  de  Vailly  (Salomé),  MM.  Cotreuil  (Hérode),  Auber  (Iokanaani,  Grillières 
(le  jeune  syrien),  et  M10  Soïni  (Hérodias).  Le  compositeur  dirigeait  lui-même 
l'exécution. 

—  Un  autre  essai  de  décentralisation  vient  de  se  produire  à  Marseille.  Le 
théâtre  des  Variétés-Casino  a  donné  ces  jours  derniers  la  première  repré- 
sentation d'une  opérette  inédite  en  trois  actes,  la  Belle  aux  cheveux  d'or,  paroles 
de  MM.  Herbel  et  Bouvet-Verneuil,  musique  de  M.  Eugène  Poncin,  chef 
d'orchestre  de  l'Olympia.  Gros  succès,  dit-on,  pour  l'œuvre  nouvelle  et  pour 
sa  principale  interprète,  M,le  Germaine  Huber. 

—  M.  C.-A.  Collin,  ancien  élève  de  l'École  Niedermeyer,  aujourd'hui  orga- 
niste de  l'église  Notre-Dame  de  Rennes,  vient  de  publier  la  très  intéressante 
partition  d'une  cantate  religieuse  pour  soli,  chœurs  et  orchestre  ;  le  Vœu  à 
Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle,  écrite  par  lui  sur  des  paroles  de  l'escellent 
poète  Louis  Tiercelin.  Cette  importante  composition  a  été  exécutée  récemment 
à  diverses  reprises,  à  Rennes,  à  l'occasion  de  plusieurs  fêtes  religieuses,  et  elle 
a  produit  une  excellente  impression.  M.  A.  Collin  a  d'ailleurs  de  qui  tenir.  Il 
est  fils  de  musicien,  et  son  père,  M.  Charles  Collin,  compositeur  fort  distingué, 
est  depuis  1845,  c'est-à-dire  depuis  soixante-trois  ans,  organiste  du  grand  orgue 
de  la  cathédrale  de  Saint-Brieue. 

—  Couas  et  Leçons.  —  M"'  Gh.  Lamoureux  Brunet-I.afleur  a  repris  ses  cours  de 
chant  et  ses  leçons  particulières,  6,  rue  de  Say.  —  M.,  M—  et  M"'  Weingaertner  ont 
repris  leurs  cours  et  leçons,  24,  rue  de  Saint-Pétersbourg.  —  M-  Maria  Samuel 
reprendra  ses  leçons  et  cours  de  piano  le  15  novembre,  35,  rue  d'Hauteville  et  55  bis, 
rue  de  Ponthieu. 

NÉCROLOGIE 

Le  professeur  Rodolphe  Thoma,  ancien  directeur  du  Conservatoire  de 
•Breslau,  vient  de  mourir  dans  cette  ville.  Né  le  22  février  1829,  à  Lehsewitz, 
près  de  Steinau,  il  établit  rapidement  sa  réputation  comme  organiste.  II  a 
composé  deux  oratorios,  Moïse  et  Jean  le  Baptiseur,  deux  opéras,  Helgas  Rosen 
(1890)  et  Jone  (1894),  et  beaucoup  de  morceaux  de  musique  religieuse. 

Henri  Heugel,  directeur-garant. 


Vient  de  paraître  chez  Ch.  Delagrave  :  Léon  Brémont,  l'Art  de  dire  et  le  Théâtre 
(3  fr.  50  c). 


Paris,  Au  MENESTREL,  2  bis-,  rue  Vivienne,  HEUGEL  &  Ce 

Editeurs-Propriétaires  pour  tous  pays» 

GEORGES    MARTY 

LYSIC 

Pantomime  en  1  acte,  partition  piano  solo,  net  :  6  francs. 

Prix.    I  l 

Prélude,  extrait S     »       Danse,  extraite C 


EDITH 


Scène  lyrique,  ,partition  piano  et  chant,  net  :  o  francs. 
MÉLODIES 


Chanson  (1-2) 3 

Toast  (1-2) 3 

La  Sieste  (1-2) 5 

Chanson  d'avril  (1-2) 4 


Idylle  (1-2)  .   . 
Brunette  (1-2).    , 
Il  faut  aimer.   . 
Centenaire  (1-2) 


Sonnet  mélancolique  (1-2) 5     » 

Ave  Maria,  pour  ténor 5     » 


Chœur  des  Romains  à'Bérodiade  (MassenetJ,  transcrit  pour  piano  4  mains     1  30 


iDYliliES  ET  CHAfiSOTiS 

Sur  des  poèmes  de  GABRIEL  VICAIRE 

Prix  net. 

I .  Robin  et  Marion 3    » 

II.  La  Chanson  des  Regrets 3     » 

III.  Au  bois  de  l'amour 1  SO 

IV.  La  belle  morte 1  50 

V .  Adieu  la  rose 1    » 

VI.  Petite  Marie 2  50 

Le  recueil.    .    .    .   Prix  net    6  francs 
Musique   de 

E.   JAQUES-DALCROZE 


Ch.-M.    WIDOR 


LA   NUIT  DE  WALPURGIS 

Partition  d'orchestre Prix  net    30  francs. 

Parties  séparées  d'orchestre —  50    — 

Chaque  partie  supplémentaire —  3     — 

En  préparation  ;   Transcription  pour  deux  pianos. 


GABRIEL   DUPONT 


LE  CHANT  DE  LA  DESTINÉE 

Partition  d'orchestre Net    10     » 

Parties  séparées  d'orchestre Net    15     » 

Chaque  partie  supplémentaire Net      1  50 


VERSION  POUR  PIANO.   .  Prix  net    4    » 


EN  PRÉPARATION  :  Transcription  pour  deux  pianos 


4051.  -  74e  AIME.—  I\°  46.  PARAIT  TOUS  LES  SAMEDIS 


Samedi  M  Novembre  1908. 


(Les  Bureaux,  2bl",  rue  Yivieune,  Paris,  u-ur) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


ENESTREL 


Ite  flaméro  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  flamépo  :  0  fp.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  IIEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  — Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


J.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (44°  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale  : 
première  représentation  de  la  Bohème,  nu  Théâtre-Lyrique  de  laGaité,  Arihur  Pougin; 
premières  représentations  de  la  Patronne,  au  Vaudeville,  et  de  S.  A.  H.,  aux  Bouffes- 
Parisiens,  Paul-Emile  Chevalier;  première  représentation  de  Plumard  et  Barnabe,  au 
théâtre  Cluny,  A.  Boltarel.  —  II.  Petites  notes  sans  portée  :  L'art  musical  ou  Salon 
d'automne,  Raymond  Bouyer.  —  III.  Revue  (les  grands  concerts.  —  IV.  Nouvelles 
diverses  et  nécrologie. 

MUSIQUE  DE  CHANT 

N'is  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

CARESSES 

nouvelle   mélodie  de  Gabriel  Dupont,  poésie  de  Jean  Richepi?;.   —  Suivra 

immédiatement  :  Dans  l'été,  nouvelle  mélodie  de  Reynaldo  Hahn,  poésie  de 

M.me  Desbordes-Vai.niore. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  : 
Bourrée  et  musette,  de  A.  Périlhou.  —  Suivra  immédiatement  :  9e  nocturne,  de 
Gabriel  Faire. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 


CHAPITRE  IX 


ALCESTE 


Ce  sont  là  les  qualités  propres  au  génie,  et  dont  le  prédestiné 
emporte  avec  lui  le  dépôt  dans  la  tombe.  Mais  Gluck  a  fait  mieux 
encore  que  de  les  posséder  :  il  a  légué  à  l'avenir  le  secret  des 
trouvailles  par  lesquelles  il  est  parvenu  à  extérioriser  l'expres- 
sion du  sentiment  humain  dans  les  profondeurs  duquel  il  avait 
su  pénétrer.  Ce  furent  en  effet  des  découvertes  fécondes  que  celles 
dont,  lui  premier,  il  donna  les  modèles  dans  VAIceste,  quand, 
ayant  sacrifié  les  artifices  de  la  virtuosité  vocale,  il  y  substitua 
un  élément  d'expression  autrement  riche  :  l'orchestre,  tour  à 
tour  voix  intérieure  et  suggestion  des  impressions  du  dehors. 
■Quelques-uns,  avant  lui,  pressentant  sa  trouvaille,  avaient  tenté 
quelques  efforts  dans  le  même  ordre  d'idées  ;  il  en  était  résulté 
certains  balbutiements,  dont  l'histoire  a  pris  bonne  note.  Mais 
c'est  Gluck  seul  qui  a  donné  à  l'orchestre  la  vie  complète,  lui 
assignant  parfois  la  première  place  dans  l'ensemble,  lui  ensei- 
gnant à  prononcer  lui-même  le  discours  dont  l'éloquence  doit 
entraîner  l'esprit  de  l'auditeur.  Par  lui,  violons,  hautbois  ou 
trombones  ne  sont  plus  seulement  des  agents  sonores  :  ce  sont 
des  entités  vivantes,  des  personnages  de  l'action.  A  certaines 
conceptions  sont  associées  certaines  sonorités.  C'est  ainsi  que  les 


rauques  accords  des  trombones  accompagnent  toujours  les  voix 
infernales.  Là,  d'ailleurs,  n'est  pas  la  principale  trouvaille  de 
Gluck  :  Monteverde  en  avait  eu  déjà  l'intuition,  sans  en  avoir  su 
faire  comprendre,  ni  peut-être  compris  lui-même,  toute  la  portée, 
car  sa  tentative  d'Orfeo  ne  fut  pas  renouvelée.  Notons  d'ailleurs 
que,  dans  l'emploi  de  tels  procédés,  Gluck  sait  toujours  échapper 
au  danger  de  tomber  dans  le  convenu  et  dans  la  formule.  Son 
orchestre,  aux  combinaisons  les  plus  variées,  donne  toujours  la 
sensation  de  la  vie.  C'est  cet  orchestre  qui,  dans  la  scène  du 
Temple,  suggère  l'idée  du  prodige  dont  l'éclat  restera  éternelle- 
ment éblouissant.  C'est  lui  qui,  par  des  touches  discrètes,  mais 
sombres,  dépeint  l'horreur  des  mystères  infernaux.  Et  quand  le 
poème  met  aux  prises  les  conflits  de  l'àme,  les  dessins  d'instru- 
ments les  plus  expressifs,  disons  mieux,  les  plus  représentatifs 
de  l'émotion  définie  par  les  mots,  viennent  se  mêler  à  la  parole 
déclamée  ;  et  c'est  sans  doute  la  plus  géniale  invention  de 
Gluck  d'avoir  ainsi  rendu  l'orchestre  parlant.  Bientôt  Armide, 
Agamemnon,  Oreste,  pourront  nous  révéler  l'état  de  leurs  âmes 
par  les  traits  extérieurs  les  plus  justement  appropriés  :  Alceste 
et  Admète  furent  les  premiers  personnages  d'opéras  qui,  par 
l'intermédiaire  des  instruments,  «  libres  d'animaux  stupides  j>, 
comme  disait  Shakespeare,  aientsu  livrer  le  secret  de  leurs  cœurs. 

De  fait,  cette  invention  de  Gluck  a  transformé  l'art,  car  elle  a 
été  le  point  de  départ  de  la  symphonie  expressive  dont  il  n'est 
point  nécessaire  de  dire  ici  quelle  fut  la  destinée  postérieure. 
Qu'il  suffise  de  rappeler  que  c'est  à  Gluck,  au  Gluck  i'Alceste, 
qu'elle  doit  son  existence. 

Après  tant  de  créations  géniales,  il  est  presque  superflu 
d'ajouter  que  rien  ne  pouvait  plus  subsister  de  l'art  antérieur, 
basé  sur  la  convention.  En  effet,  VAIceste  de  Gluck  a  consommé 
la  définitive  rupture  avec  le  passé.  L'opéra  italien  du  XVIIIe  siècle 
en  fut  frappé  à  mort,  et  ne  se  releva  pas.  Or,  de  tels  coups  ne 
sont  jamais  portés  sans  causer  une  émotion  parmi  les  témoins 
delà  bataille.  Pourtant,  il  faut  reconnaître  que  le  publie  de 
Vienne  à  qui  en  fut  offert  pour  la  première  fois  le  spectacle,  fit 
bonne  contenance,  —  peut-être  parce  que  ceux  qui  comman- 
daient en  chef  ne  montraient  pas  des  visages  menaçants,  —  ou, 
pour  prendre  une  autre  image,  que  si  les  constructeurs  présen- 
taient aux  regards  du  public  un  monument  nouveau,  bien  qu'il 
dût  rendre  caduc  l'édifice  antérieur,  ils  ne  se  donnaient  point 
encore  des  airs  de  le  vouloir  détruire. 

Toujours  est-il  qu'Alceste,  en  sa  nouveauté,  reçut  un  aussi  bon 
accueil  que  les  optimistes  pouvaient  le  souhaiter  :  les  quelques 
témoignages  contemporains  qui  nous  en  sont  venus  en  font  foi. 

Voici  d'abord,  en  style  de  procès-verbal,  la  relation  du  lende- 
main, telle  que  l'imprima  le  Wiener  Diarium  : 

Samedi  et  les  jours  suivants  a  été  représenté  au  Théâtre  de  la  Cour  le 
nouvel  opéra  nommé  Alceste,  honoré  de  la  présence  de  S.  M.  l'Empereur  et  de 
plusieurs  hauts  personnages  royaux. 

Il  ne  nous  est  pas  possible  de  clore  cet  article  sans  donner  à  nos  lecteurs 


m* 


LE  MÉNESTREL 


une  connaissance  aussi  proche  que  possible  de  la  tragédie  italienne,  en  même 
temps  que  sans  acquitter  envers  la  direction  théâtrale  actuelle  le  tribut  de 
louanges  qui  lui  est  dû  :  que  de  son  coté,  on  n'a  rien  laissé  manquer  pour 
donner  au  public  d'ici  des  spectacles  qui  ont  obtenu  à  juste  titre  l'admiration 
générale  et  le  succès  auprès  de  tous  les  connaisseurs. 

Après  une  analyse  du  poème,  le  journal  continue  ainsi: 
Il  nous  faudrait  être  trop  prolixes  si  nous  voulions  mettre  en  pleine  lumière 
les  louanges  dues  à  M.  Calsabigi  pour  son  heureux  arrangement  de  cette 
matière,  et  que  M.  le  Chevalier  Gluck  mérite  justement  en  ce  qui  concerne  la 
musique  ;  mais,  pour  tout  dire  en  abrégé,  nous  voulons  annoncer  seulement 
que  tous  deux,  celui-là  dans  la  poésie,  celui-ci  dans  la  musique,  ont  exprimé 
si  heureusement  et  avec  tant  d'art  toutes  les  passions  qui  se  présentaient,  que 
l'on  ne  doute  point  que  cet  opéra  doive  être  tenu  par  tous  les  connaisseurs, 
oui,  par  l'avenir  même,  pour  un  chef-d'œuvre  (1). 

A  côté  de  ces  éloges  compassés,  d'ailleurs  non  douteux,  en 
voici  d'autres  d'un  ton  enthousiaste  : 

.Te  me  trouve  au  pays  des  merveilles  !  Un  opéra  sérieux  sans  castrats,  une 
musique  sans  exercices  de  solfège,  ou,  comme  je  pourrais  mieux  l'appeler, 
sans  gargarismes,  un  poème  étranger  sans  enflure  et  sans  pointes  !  Avec  cette 
triple  merveille  s'est  rouvert  le  Théâtre  de  la  Cour. 

Quelques  jours  plus  tard,  le  même  écrivain  ajoutait: 

Ce  sujet  tomba  dans  la  main  créatrice  de  Gluck,  dans  la  main  d'un  homme 
pour  qui  la  musique  ne  consiste  pas  seulement  dans  une  série  d'accords  et  de 
résolutions,  mais  sait  trouver  les  accents  de  la  passion,  et,  si  nous  osons  em- 
ployer ces  mots  avec  la  permission  des  Lycurgues  de  la  musique,  les  accents 
de  l'âme,  et  créer  pour  cela  un  chant  expressif  et  parlant  ;  —  dans  la  main 
d'un  homme  qui  compose  avec  l'esprit  d'un  poète,  et  qui,  lorsque  l'ouvrier 
musical  est  enchaîné  par  la  règle  commune,  s'élève  audacieusement  au-dessus 
des  règles,  et,  par  la  liberté  de  son  génie,  devient  lui-même  règle  et 
modèle  (2). 

Ils  furent  donc  quelques-uns  qui  comprirent.  Qu'importent  après 
cela  les  propos  ordinaires  des  gens  d'esprit  et  des  gens  du 
monde,  inséparables  de  toute  grande  manifestation  d'art:  que, 
pour  spectacle  de  réouverture,  le  théâtre  avait  donné  une  messe 
d'enterrement,  —  qu'on  y  versait  des  larmes,  oui,  d'ennui,  — 
qu'il  fallait  être  bien  bon  pour  s'intéressera  une  sotte  qui  meurt 
pour  son  mari  (3), —  toutes  plaisanteries  qui  perdent  beaucoup, 
il  est  vrai,  à  être  détachéesde  l'accent  viennois  qui  leur  convenait 
si  bien  !  Nous  en  avons  assez  entendu  d'autres  à  Paris,  en  des 
circonstances  analogues:  ce  sont  paroles  nécessaires,  et  sans 
lesquelles  il  semblerait  qu'un  chef-d'œuvre  nouvellement  éclos 
a  passé  inaperçu  (4)  ! 

Ce  fut  aux  répétitions  surtout  que  Gluck  trouva  ses  peines. 
Non  qu'il  y  rencontrât  des  résistances  provenant  de  mauvaises 
volontés  ;  mais  comment  les  interprètes  d'une  œuvre  si  en  dehors 
des  conditions  d'exécution  ordinaires  auraient-ils  pu  du  premier 
coup  satisfaire  à  ses  exigences?  Voici  un  récit  qui  nous  en 
apprendra  long  sur  les  difficultés  de  cette  préparation  :  nous  le 
devons  à  Noverre,  que  l'on  pourrait  qualifier  le  Gluck  du  ballet, 
car  il  fut,  lui  aussi,  un  révolutionnaire  dans  son  art.  Venu  depuis 
peu  a  Vienne,  après  avoir  passé  par  divers  théâtres  de  France  et 
d'Allemagne,  il  y  trouve  l'auteur  d'Alceste  dans  tout  le  feu  de 
ses  premières  études  : 
Gluck,  raconte-t-il.  avait  introduit  des  chœurs  dans  cet  opéra.  Il  n'avait  pu 

1  Wiener LHarhim,  1767,  n°  10*,  ap.  Schmid,  Gluck,  p.  1 13. 

2  SoNSEXFiïLS,  Briefe  iiber  die  WOenerische  Scliaubàhnc,  1-768^  ap.  Schmid,  Gluck,  p.  125. 

3  Schmid,  Gluck,  pp.  125-126. 

(4  II  convient  de  mentionner  encore  l'opinion  de  Buuney,  qui  n'est  pas  ;i  propre- 
ment  parler  la  sienne,  puisqu'il  ne  vit  pas  représenter  Alceste  au  cours  de  son  voyage 
en  Allemagne  (177-2),  mais  celle  des  amateurs  de  Vienne  avec  lesquels  il  s'entretint  : 

il  résulte  des  principes  de  Gluck  qu'il  doit  y  avoir  peu  d'accompagnements  dans 
les  airs  de  l'opéra  d'Alceste,  et  qu'ils  y  >ont  ménages  avec  discrétion;  qu'il  n'y  a 
point  d'interruption  dans  les  parties  vocales;  que  le  récitatif  y  est  rarement  accompa- 
gné: qu'il  n'y  a  pas  un  seul  air  à  Da  Capo  dans  toute  la  partition;  ce  qui,  au  juge- 
racnt  de  ceux  qui  l'ont  vu  représenter,  la  rend  vraiment  théâtrale,  et  si  intéressante, 
que  les  yeux  ne  veulent  plus  quitter  la  scène  un  instant,  parce  que  l'attention  est 
toujours  si  occupée  et  la  terreur  si  grands,  que  l'âme  se  trouve  dans  une  anxiété 
i  ntinuelle  qui  la  fait  flotter  entre  l'espérance  et  la  crainte  sur  le  dénouement  jusqu'à 
il  dernière  scène  du  drame;  de  manière  que  la  musique  seule  prête  de  l'énergie  ou 
d:- la  douceur  à  la  déclamation,  suivant  les  situations  différentes  des  caractères... 
Quoique  Gluck  s'attache  à  étudier  la  simple  Nature,  il  est  souvent  savant  et  tra- 
vaillé dans  ses  petits  airs,  autant  que  dans  ses  grandes  parties  vocales  et  ses 
;  impagnements  ;  et  dans  ce  génie,  il  est  plus  que  poète,  plus  que  musicien,  c'est 
tut  excellent  peintre.  On  voit,  on  entend  ses  instruments  dessiner  la  situation  de  l'ac- 
te ir  et  donner  tin  ton  de  couleur  de  plus  à  la  passion».  Etat  présent  de  lu  musi- 
WK,  11,23.-35. 


rassembler  qu'un  petit  nombre  de  chanteurs  dans  la  ville  ;  il  eut  recours  à 
ceux  de  la  cathédrale  (1).  Mais  ils  ne  pouvaient  agir  ni  paraître  sur  le  théâtre. 
Gluck  les  distribua  derrière  les  coulisses.  Ces  chœurs  étaient  en  action;  ils 
exigeaient  du  mouvement,  des  gestes,  de  l'expression.  C'était  demander  l'im- 
possible :  comment  faire  mouvoir  des  statues?  Gluck  vif,  impatient,  était 
hors  de  lui-même,  jetait  sa  perruque  à  terre,  chantait,  faisait  des  gestes; 
peines  inutiles!  Les  statues  ont  des  oreilles,  il  n'entendent  point;  des  yeux, 
et  ne  voient  rien.  J'arrivai,  et  je  trouvai  cet  homme  de  génie  et  plein  de  feu 
dans  le  désordre  qu'impriment  le  dépit  et  la  colère  ;  il  me  regarde  sans  me 
parler,  puis,  rompant  le  silence,  il  me  dit  avec  quelques  expressions  énergi- 
ques que  je  ne  rends  pas  :  «  Délivrez-moi  donc,  mon  ami,  de  la  peine  où  je 
suis  !  Donnez  par  charité  de  l'action  à  ces  automates.  Voilà  l'action  :  servez- 
leur  de  modèle,  je  serai  votre  interprète.  »  Après  avoir  passé  inutilement 
deux  heures  entières  et  employé  tous  les  moyens  d'expression,  je  dis  à  Gluck 
qu'il  était  impossible  d'employer  ces  machines,  qu'elles  gâteraient  tout,  et  je 
lui  conseillai  de  renoncer  totalement  à  ses  chœurs  (2).  «  Mais  j'en  ai  besoiû, 
s'écria- t-il,  j'en  ai  besoin  !  Je  ne  puis  m'en  passer!  »  Sa  peine  m'inspira  une 
idée  :  je  lui  proposai  de  distribuer  les  chanteurs  et  de  les  placer  derrière  les 
coulisses  de  telle  sorte  que  le  public  ne  put  les  apercevoir,  et  je  promis  de  les 
remplacer  par  l'élite  de  mon  corps  de  ballet,  de  lui  faire  faire  tous  les  gestes 
propres  à  l'expression  du  chant,  et  de  combiner  la  chose  de  manière  à  per- 
suader au  public  que  les  objets  qu'il  voyait  agir  étaient  ceux  qui  chantaient. 
Gluck  pensa  m'éloull'er  dans  l'excès  de  sa  joio  ;  il  trouva  mon  projet  excel- 
lent ;  et  son  exécttlion  produisit  l'illusion  la  plus  complète  (3). 

L'on  conçoit  qu'avec  de  pareils  à  peu  près,  Gluck,  qui  avait 
l'ambition  de  fondre  en  une  irréprochable  harmonie  tous  les 
éléments  constitutifs  de  l'œuvre,  ait  eu  peine  à  se  sentir  pleine- 
ment satisfait,  et  qu'il  ait  ambitionné  pour  l'avenir  des  destinées 
plus  favorables!  Au  reste,  la  première  interprétation  d'Alceste 
parait  avoir  été  consciencieuse,  brillante  même  par  endroits.  La 
signora  Antonia  Bernasconi,  viennoise  d'origine,  dans  le  rôle 
d'Alceste,  le  signor  ïibaldini  dans  Admète,  défendirent  avec  vail- 
lance le  bon  renom  du  maître.  Et  pourquoi  ne  citerions-nous 
pas  auprès  d'eux  les  noms  des  autres  chanteurs  qui  furent  aussi 
à  l'honneur,  —  l'honneur  d'avoir  été  les  créateurs  du  chef- 
d'œuvre  nouveau  :  Filippo  Laschi  (le  grand-prêtre),  Domenico 
Poggi  (l'Oracle),  Teresa  Eberardi  et  Antonio  Pulini  (les  deux 
confidents  Ismène  et  Evandre)  ?  Nous  ignorons  les  noms  des  deux 
enfants  d'Alceste.  Pour  l'orchestre,  on  doit  penser  qu'accoutumé 
depuis  plus  de  dix  ans  au  style,  aussi  bien  qu'aux  exigences  de 
son  kapellmeister,  il  ne  fut  pas  l'indigne  interprète  des  beautés 
qu'il  eut  à  faire  pour  la  première  fois  retentir.  «  La  présence  de 
Gluck  est  nécessaire  comme  le  soleil  !  »  Heureusement  le  soleil 
était  là. 

[A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SEMAINE    THÉÂTRALE 


Théâtre-Lyrique  (Gaîté).  —  La  Bohème,  opéra  en  quatre  actes,  paroles  et 
musique  de  M.  Leoncavallo.  Version  française  de  M.  Crosti.  (6  novembre.) 
Il  y  a  précisément  neuf  ans  que  nous  fîmes  connaissance  pour  la  pre- 
mière fois  avec  la  Bohème  de  M.  Leoncavallo,  lors  de  la  représentation 
de  cet  ouvrage  à  la  Renaissance  (1er  octobre  1899),  transformée  pour  la 
seconde  fois  en  Théâtre-Lyrique.  La  pièce  était  fort  bien  montée,  avec 
M.  Leprestre  (Marcel),  le  pauvre  Soulacroix,  mort  depuis  (Schaunard), 
Mlle  Thévenet  (Musette)  et  M"e  Fraudaz  (Mimi).  En  Italie,  la  Bohème 
avait  partagé  les  faveurs  du  public  avec  la  Vie  de  Bohème  de  M.  Puccini, 
jouée  dans  le  même  temps  et  qui,  sans  être  assurément  fort  originale, 
lui  est  certainement  supérieure  au  point  de  vue  de  la  grâce  et  de  la  dis- 
tinction. 


il)  Rappelons  que  les  fin  puis  étaient  exclus  de  l'opéra  italien  antérieur:  les  théâtres 
d'opéras  u'avaient  donc  pas  de  groupe  choral  spécialement  constitué.  Pourtant  lt 
partition  d'Orfeo  en  comportait;  c'était  la  le  premier  effet  de  l'initiative  réformatrice 
de  Gluck.  Mais  les  chœurs  d'Orphée,  d'aspect  plus  purement  musical,  sont  faciles  à 
mettre  en  scène,  et  pourraient  presque  être  chantés  dans  l'immobilité.  Ceux  d'Alceste 
sont  bien  davantage  des  chœurs  d'action  :  est-il  besoin  d'invoquer  d'autre  exemple 
que  la  fuite  du  peuple  à  la.  lin  de  la  scène  du  temple  ? 

(2)  Déjà  des  coupures  !...  Le  remède  ordinaire  des  interprètes  incapables.  —  Coupel- 
les chœurs  d'Alceste!!!. . . 

(3)  Lettres  sur  hi  danse,  sur  les  ballets  et  les  arts,  par  M.  Novemie,  ancien  maitre  des 
baliets  en  chef  de  la  cour  die  Vienne  et  de  l'Opéra  de  Paris,  Saint-Pétersbourg,  1803. 
Tome  premier,  pp.  160-1G1.  —  Noverre  avait  déjà  publié  antérieurement  une  série  de 
Lettres  sur  la  danse,  à  Lyon  et  Stuttgart,  17S0. 


LK  MENESTHE 


m 


Ici,  nous  avons  une  pièce  en  quatre  actes,  divisée  en  «leux  parties 
bien  distinctes,  séparées  par  une  sorte  de  cloison  étancho.  C'est-à-dire 
deux  actes  burlesques,  non  point  d'opéra  bouffe,  mais  d'opérette  éche- 
velée,  suivis  de  deux  actes  de  gros  mélodrame  vulgaire.  L'impression 
est  singulière  en  présence  de  cette  opposition  brutale  et  sans  prépara- 
tion. Malgré  ce  défaut  grave,  le  poème,  en  somme,  iruoique  fait  à  la 
diable  et  sans  grand  souci  de  la  logique,  n'est  pas  ennuyeux.  M.  Leon- 
cavallo  a  pris  dans  Mûrger  quelques  situations  qu'il  a  assemblées  telle- 
ment quellement,  sans  se  préoccuper  outre  mesure  de  la  finesse  de  la 
couture.  Il  a  cherché  des  situations  et  il  les  a  trouvées  dans  le  roman, 
les  traitant  à  la  grosse  et  les  offrant  sans  plus  de  façons  au  public,  qui 
lui-même  les  a  acceptées  comme  on  les  lui  présentait. 

Le  malheur  est  que  si  M.  Leoncavallo  ne  s'est  pas  donné  beaucoup  de 
peine  pour  établir  sa  pièce,  il  ne  semble  pas  s'en  être  donné  beaucoup 
plus  pour  écrire  sa  musique.  Quelle  banalité,  grands  Dieux!  et  com- 
bien est  vulgaire  cette  musique,  où  l'on  ne  découvre  pas  l'ombre  d'une 
idée,  où  tout  est  poncif,  sans  grâce,  sans  relief  et  sans  nouveauté,  où 
le  chant  est  sans  saveur,  où  les  harmonies  sont  plates,  où  l'orchestre 
est  gros,  brutal  et  sans  sonorité  malgré  sa  violence.  Je  ne  conteste  pas 
à  l'auteur  un  certain  sentiment  de  la  scène.  voir<'  une  certaine  verve, 
mais  cette  verve  est  grossière,  triviale,  pour  dire  le  mot,  et  va,  dans  sa 
violence,  jusqu'à  l'épilepsie.  Cette  Bohème  est  le  digne  pendant  de  ce 
Paillasse  que  M.  Gailhard  eut  la  lumineuse  idée  de  nous  faire  connaître 
naguère  à  l'Opéra,  sans  doute  parce  qu'il  n'avait  pas  trouvé  dans  les 
cartons  de  nos  compositeurs  un  ouvrage  plus  mauvais. 

Il  faut  rendre  justice,  toutefois,  à  la  direction  de  la  Gaité,  pour  le 
soin  qu'elle  a  apporté  dans  la  distribution  de  ladite  Bohème,  dont  l'in- 
terprétation est  vraiment  excellente.  M"c  Nicol-Bilhaut-Yauchelet.  que 
nous  avions  vue  si  rayonnante  dans  Jean  de  Nivelle,  a  fait  preuve  de 
souplesse  en  s'emparant  du  rôle  de  Mimi,  où  elle  s'est  montrée  vrai- 
ment touchante.  M11'-  Tiphaine  nous  a  donné  une  Musette  amusante  et 
pleine  de  verve  ;  elle  est  parvenue,  à  force  d'art,  à  procurer  du  relief  à 
la  chanson  banale  du  premier  acte,  qu'elle  a  détaillée  de  façon 
si  charmante  qu'elle  L'a  fait  bisser.  M.  Devries,  lui  aussi,  a  su 
donner  de  l'accent  aux  romances  de  Rodolphe,  qui  n'en  ont  guère 
par  elles-mème,  et  M.  Simart  est  un  Marcel  plus  qu'honorable. 
Quant  à  M.  Boulogne,  qui  est  ce  qu'on  appelle  un  «  brûleur  de  plan- 
ches »  et  dont  la  voix  porte  bien,  c'est  un  Schauuard  excellent,  d'un 
comique  plein  de  franchise  et  d'expansion,  aussi  bon  chanteur  que  bon 
comédien.  Tous,  d'ailleurs,  concourent  à  un  ensemble  parfait,  y  com- 
pris l'orchestre  et  les  chœurs,  qui  se  distinguent  sous  la  direction  très 
sûre  de  M.  Amalou. 

Alillll  II     I'mIT.IX. 

Vaudeville  :  Lu  Patronne,  comédie  en  4  actes,  de  M.  Maurice  Donnay.  — 
Bouffes-Parisiens  :  S.  A.  R.,  opérette  en  3  actes,  de  MM.  Xanrof  et  Chancel, 
musique  de  M.  Yvan  Caryll. 

La  Patronne,  c'est  la  dénomination  assez  à  la  mode,  mais  absolument 
triviale,  de  toute  femme  qui  règne  sur  un  groupe  quelconque.  Il  n'y  a 
pas  bien  longtemps,  le  terme  était  quelque  peu  méprisant;  aujourd'hui, 
il  est  admis,  si  admis  que  M.  Maurice  Donnay,  membre  de  l'Académie 
française,  n'a  pas  hésité  à  en  qualifier  Madame  Nelly  Sandral,  dont  il 
vient  de  tenter  l'analyse  psychologique. 

Mmo  Sandral,  de  qui  le  salon  extrêmement  brillant  est  fort  recherché 
en  suite  de  la  très  puissante  situationfinancièredesouiuari.vogueentre 
deux  âges,  celui  où  l'on  a  droit  de  moraliser  les  jeunes  et  celui  où  on 
a  l'espoir  légitime  encore  d'éveiller  les  désirs.  Vivant  avec  M.  Sandral 
sur  le  pied  d'une  très  mondaine  indifférence  n'excluant  nullement  les 
relations  de  courtoise  et  philosophique  camaraderie,  Nelly  enchante  les 
jours  de  Vincent  Le  Hazayet  sa  liaison  est  de  tenue  irréprochable,  si 
irréprochable,  même  que  cela  lui  permet  de  gourmander  celles  de  ses 
amies  qui  n'ont  nul  souci  d'enrayer  les  vagabondages  de  leurs  cœurs 
incertains. 

Elle  morigène  donc  la  jolie  M"'c  Destrié,  qui,  après  avoir  ensorcelé 
Robert  Bayanne,  le  tout  jeune  secrétaire  de  Sandral.  le  lâche  sans 
vergogne  pour  satisfaire,  un  nouveau  caprice.  Et  le  gamin,  frais  émoulu 
de  son  Dauphiné,  tout  illusions,  ardeurs  et  hardiesses  naïves,  cruel- 
lement meurtri,  brutalement  désenchanté,  dit  à  sa  rhère  patronne  des 
choses  si  sévèrement  justes  sur  la  conduite  très  légère  des  parisiennes 
à  la  mode,  que  Nelly  Sandral  fait  un  retour  sur  elle-même,  se  juge 
comme  le  simple  montagnard  la  jugerait  s'il  savait  sa  liaison,  et  rompt 
avec  Le  Hazay.  Mais  est-ce  bien  seulement  par  respect  subit  d'une 
austère  morale  qu'elle  agit  ainsi  et  Robert  Bayanne,  ardent,  gentiment 
planté  et  d'éloquence  tout  à  fait  touchante,  ne  peut-il  être  envisagé 
comme  le  successeur  probable  du  calme  et  déjà  grisonnant  Le  Hazay  ? 

Après  un  épisode  dramatique  au  cours  duquel  Bayanne  s'avère  une 


parfaite  petite  crapule,  air  il  s'est  haussé  plutôt  vite  au  diapason  de< 
hommes  d'affaires  peu  scrupuleux  chez  qui  il  fréquente,  et  au  cours 
duquel  Nelly  prend  inconsidérément  sa  défense,  le  rideau  tombe  sans 
que  nous  soyons  bien  fixés  sur  la  vraie  crise  morale  qu'a  subie  la  Pa- 
tronne de  M.  Donnay. 

Répétée  généralement  en  cinq  actes,  jouée  en  quatre'  seulement,  la 
comédie  nouvelle  contient  un  premier  acte  de  verve  étincelante.  d'esprit 
flamboyant  et  de  mouvement  tout  à  fait  divertissant  :  du  Donnay  pre- 
mière majùère,  que  la  gravité  actuelle  de  l'auteur  ne  saurait  faire  oubl  ier. 
fille  est,  comme  il  fallait  s'y  attendre,  supérieurement  défendue  par  la 
troupe  du  Vaudeville,  avec,  en  tète  de  la  distribution.  M"*  Jeanne  Gra- 
nier,  vive,  émue  et  vraie  toujours,  M.  Lérand,  de  pittoresque  étonnant, 
et  M.  Tarride,  dont  le  talent  sauve  un  personnage  d'absolue  insigni- 
fiance. Et  à  côté  d'eux,  il  faut  féliciter,  surtout.  M"r  Marguerite  i-  • 
pour  les  très  grands  progrès  accomplis  par  la  charmanl'-  comédienne, 
et  M.  Puylagarde,  de  jeunesse  triomphante,  avec,  dans  le  jeu  très  net. 
beaucoup  de  variété,  d'émotion  et  d'élan. 

S.  A.  R.  Son  Altesse  Royale,  pour  ceux  que  pourraient  intriguer  ces 
trois  lettres,  d'aspect  d'autant  plus  bizarre  que  S.  A.  R.  n'est  autre  que 
le  Prince  Consort,  dont  on  se  rappelle  le  très  joli  succès,  voici  cinq  ans. 
à  l'Athénée.  Pourquoi  donc,  en  passant  aux  Bouffes  et  en  devenant 
musicale,  la  charmante  comédie  de  MM.  Xanrof  et  Chancel  a-t-elle 
perdu  un  titre  tout  heureux  qui  avait  l'avantage  et  d'être  clair  et  d'avoir 
déjà,  durant  de  longs  soirs,  retenu  la  bienveillante  attention  du  public? 
Après  tout,  ceci  est  affaire  aux  auteurs,  à  qui  il  faut  savoir  gré,  surtout, 
de  n'avoir  pas  trop  abimé  leurs  trois  actes  pour  les  ramener  à  la 
formule  ordinaire  de  l'opérette  telle  qu'on  la  confectionne  depuis  nom- 
bre et  nombre  d'années. 

On  ne  vous  redira  pas  les  aventures  de  la  gentille  reine  Sonia,  l'élan 
de  fierté  du  prince  consort  Cyrill,  les  emportements  amoureux  de  la 
régente  Xénofa,  tout  cela  est  assez  proche  de  nous  pour  qu'il  soit 
inutile  d'y  revenir.  Mais  on  doit  vous  présenter  M.  Yvan  Caryll,  qui 
musiqua  l'anecdote. 

M.  Yvan  Caryll,  qui  est  anglais,  jouit,  par  delà  la  Manche,  d'une 
fort  agréable  réputation  que  lui  a  value,  sans  nulle  doute,  l'aisance  sym- 
pathique avec  laquelle  il  écrit.  C'est  la  facilité,  en  effet,  qui  se  dégage 
tout  d'abord  de  sa  très  touffue  partition  et,  à  cette  facilité  s'ajoute  delà 
bonne  humeur,  sans  grande  personnalité,  mais  bien  allante  et  de  preste 
sonorité.  Les  petits  ensembles  légers  de  son  œuvrette  sont  de  beau- 
coup les  mieux  venus,  et  tels,  comme  celui  de  la  demande  en  mariage 
au  premier  acte,  comme  celui  de  la  scène  entre  le  lieutenant  Sandor  et 
les  dames  d'honneur,  et  comme  plusieurs  pitreries  menées  par  le  Con- 
seil des  ministres,  d'excellent  théâtre  et  de  coupe  amusante,  font  passer 
sur  la  pénurie  de  l'invention  dans  les  parties  sentimentales  ou  lan- 
goureuses, ou  la  banalité  des  innombrables  motifs  de  valses. 

S.  A.  R.  a  trouvé,  aux  Bouffes,  une  aimable  interprétation  d'ensem- 
ble d'où  émergent  M.  Henri  Defreyn,  comédien  et  chanteur  absolument 
séduisant  qui  arrive,  tant  il  phrase  gentiment,  à  tromper  le  public  sur 
la  qualité  des  choses  qu'il  a  à  chanter,  M"c  Marguerite  Deval,  de  diction 
et  de  geste  de  complications  toujours  abracadabrantes,  très  souvent  ori- 
ginalement cocasses,  et  Mlk  Suzanne  Dumesuil,  joli  oiseau  roucoulant 
échappé  de  la  cage  sonore  de  la  rue  Favart.  M.  Tournis,  un  nouveau 
venu,  barytonnant,  pas  maladroit  du  tout,  avec  les  fantoches  coutu- 
miers,  Hasti,  Milo  de  Meyer,  Milo,  aident  au  succès  de  S.  A.  R.,  succès 
accentué  par  de  nombreux  bis  et  aidé  par  une  mise  eu  scène  où  les 
petits  ensembles  déjà  signalés  sont  fort  adroitement  réglés  à  la 
manière  remuante  et  symétrique  anglaise,  mais  sans  jamais  tomber 
dans  ce  que  cette  manière  a,  trop  souvent,  d'exagéré  et  d'horripilant. 

Paul-Emile  Chevalier. 


Théâtre  Clcny.  —  Plumard  et  Barnabe,  vaudeville  en  trois  actes  de  MM.  Iïenry 
Moreau  et  Qninel. 
C'est  un  vaudeville  militaire  dans  lequel  chaque  personnage  semble 
improviser  tout  ce  qui  peut  lui  venir  à  l'esprit,  au  hasard  de  la  ren- 
contre. Le  public  a  d'ailleurs  marqué  par  une  joviale  hilarité  qu'il  pre- 
nait grand  plaisir  aux  facéties  des  auteurs.  Le  décor  du  premier  acte 
représente  un  magasin  de  mercerie  dans  une  ville  de  province.  C'est  là 
que  se  nouent  les  intrigues  du  sous-préfet  de  Nogeut-sur-Loire  (?) 
avec  Friquette,  la  mercière;  du  lieutenant  de  Beaugency  avec  la  femme 
du  sous-préfet;  d'une  demi-douzaine  de  simples  fusiliers  avec  des 
demoiselles  de  magasin  et  la  bonne  de  la  sous-préfecture;  enfin  du 
colonel  de  la  Bécotte  avec  la  mercière,  la  sous-préfète,  les  demoiselles 
de  magasin  et  la  bonne  à  tout  faire;  on  voit  qu'il  cumule,  celui-là.  Nous 
sommes  et  nous  restons  dans  l'incohérence  la  plus  complète.  Le  second 
acte  se  passe  dans  la  salle  à  manger  de  la  sous-préfecture.  Le  colonel, 


364 


LE  MENESTREL 


sempiternellement  amoureux  et  cassé  comme  un  don  Juan  nonagénaire. 
soupe  avec  ses  soldats  déguisés  en  civils  et  les  prend  pour  de  hauts 
fonctionnaires  de  l'endroit,  pendant  que  le  sous-préfet  et  Friquette 
dorment  dans  la  pièce  à  côté.  Tout  se  dénoue  à  la  fin  dans  une  chambre 
f  deux  lits,  dont  les  placards,  soupentes,  armoires  sont  remplis  de  sol- 
dats. Naturellement,  pendant  ces  trois  actes,  chacun  s'est  agité  dans  le 
vide  et  nul  n'a  pu  mener  à  bien  son  intrigue,  excepté  Friquette  et  le 
sous-préfet. 

L'interprétation  a  été  excellente  de  la  part  de  M""  Franck-Mell,  qui  a 
joué  le  rôle  de  la  femme  du  colonel  avec  le  plus  parfait  naturel  et  un 
sens  du  ridicule  de  très  bon  aloi.  Elle  a  prouvé  combien  le  tact  et  la 
mesure,  même  dans  les  folles  plaisanteries,  l'emporte  sur  la  charge 
effrénée  et  les  contorsions  outranciéres.  M"11'  Benda  s'est  montrée  actrice 
pleine  de  vivacité,  de  coquetterie  et  de  gaité,  sous  des  costumes  très 
attrayants.  M.  Grégoire  a  personnifié  avec  quelque  monotonie  le  vieux 
militaire  entêté  d'amour,  fat  et  prétentieux  à  la  fois.  Les  autres  rôles 
étaient  tenus  par  Mmes  Juliette  Barton.  Jane  Peyral,  Fernande. 
MM.  Perret,  Saulieu,  Marius,  Koval.  Valot.Remongin  et  Fugère.  On 
peut  bien  dire,  après  avoir  vu  cette  pièce  réjouir  la  salle  entière,  que  le 
public  accepte  tout  pourvu  qu'on  le  fasse  rire.  Il  a  même  bissé  un  final 
avec  musique  (!)  au  deuxième  acte. 

Amédée  Boutarel. 


PETITES   NOTES  SANS   PORTÉE 


CXXXVIII 
L'ART  MUSICAL  AU  SALON  D'AUTOMNE 

A  M.  Camille  Le  Senne. 

Que  les  splendeurs  sonores  du  Crépuscule  des  Dieux  ne  nous  interdi- 
sent point  d'accorder  un  souvenir  au  Salon  d'automne  !  C'était  le  sixième  ; 
et  parlons  à  l'imparfait  de  ce  défunt,  car  il  vieut  de  fermer  ses  portes. 
Le  silence  et  l'ombre  ont  repris  possession  de  ses  parois  glaciales.  A 
l'heure  qu'il  est.  la  musique  de  la  lumière  et  la  couleur  du  son  chan- 
tent à  l'Opéra,  quand  la  nuit  tombe  :  du  bel  orchestre  français  que 
dirige  la  souplesse  érudite  et  précise  d'André  Messager  l'essaim  des 
longs  rêves  s'envole:  mais  que  ces  féeries  fugitives  ne  nous  versent  pas 
un  philtre  oublieux  !  Retenons  quelques  œuvres  et  quelques  noms  qui 
nous  parlent  de  la  mélodie  des  lignes  ou  de  la  symphonie  des  teintes. 

Ce  souvenir,  n'est-ce  pas  la  meilleure  justification  de  la  critique?  Un 
Salon  passe,  comme  les  plus  éblouissantes  sonorités  du  théâtre  ou  du 
concert;  et,  depuis  les  ancêtres  de  l'enthousiaste  Diderot,  depuis  les 
annotations  de  Mariette  et  les  Réflexions  sur  quelques  causes  de  l'état  pré- 
sent de  la  peinture  en  France,  publiées  par  M.  La  Font  de  Saint- Yenne 
en  l'an  de  grâce  royale  et  poudrée  1747,  que  reste-t-il,  grands  dieux  ! 
de  deux  siècles  de  Salons  annuels,  si  ce  n'est  ces  remarques  ou  ces  im- 
pressions plus  ou  moins  parasites,  qui  demeurent  enroulées  comme  un 
lierre  fidèle  autour  du  tronc  desséché  du  livret?  Que  reste-t-il,  aujour- 
d'hui déjà,  des  efforts  dispersés  du  sixième  Salon  d'automne,  au  milieu 
des  rousseurs  plaintives  des  feuilles  mortes?  Repeuplons  un  instant 
ses  travées  dégarnies,  son  estrade  muette. 

Ce  sixième  Salon  ressembla  fort  à  ses  cinq  aines.  Son  ambition  fut 
trop  de  fois  décevante.  Mais,  comme  si  l'étrangeté  ne  se  suffisait  plus, 
elle  multiplie  maintenant  les  attractions:  musique,  littérature,  essais 
d'arrangement  décoratif,  sections  étrangère  ou  rétrospective.  Total  : 
3.444  envois.  Après  l'art  russe  et  l'art  belge,  au  lieu  de  l'art  allemand 
promis  pour  1908,  nos  yeux  ont  refait  connaissance  avec  la  peinture 
finlandaise  :  il  a  fallu  faire  ample  crédit  à  cette  vingtaine  de  travail- 
leurs, dont  l'ainé  n'a  guère  dépassé  la  quarantaine  décisive.  Leur 
maitre,  Edelfelt  (1834-1905),  était  venu  d'Helsingfors  à  Paris,  pour 
achever  ses  études  à  l'atelier  Gérôme  ;  et  ses  débuts  lumineux  remon- 
tait à  notre  engouement  pour  le  «  plein-air  »;  il  était  surtout  portrai- 
tiste :  témoin  son  grand  Portrait  du  chef  d'orchestre  11.  kajanus,  sa 
dernière  oeuvre,  appartenant  à  la  Société  philharmonique  de  sa  ville 
natale.  Quel  musicien  finlandais  s'emparera  de  cette  étraDge/„eV/e«tfe  du 
:.  dévala,  curieusement  illustrée  par  M.  AxelGallen,  le  plus  imaginatif 
de  ces  honnêtes  Finnois,  moins  apparentés  à  la  Russie  qu'à  la  Suède  ? 
C  Jel  musicien  fera  chanter  les  filles-fleurs,  absentes  ici,  de  Yallgren  ? 

Auprès  de  l'avenir,  le  passé.  Rétrospectives  tendancieuses,  —  ici, 
l'histoire  est  écrite  ad  probandum.  En  vertu  du  beau  syllogisme  :  «  Des 
génies  furent  contestés,  tout  contesté  donc  est  un  génie»,  nos  chers 
dj  :adents  ont  résolu  de  se  donner  des  ancêtres  :  irréguliers  évadés  de 
i  coloristes  dédaigneux  de  la  forme,  visionnaires  guettés  par  la 


névrose.  En  lîtûo,  M.  Ingres  était  convoqué  comme  devancier  deManet; 
en  1908,  le  Greco  jouera  le  rôle  d'un  Cézanne  de  la  Renaissance,  défor- 
mateur  exsangue  sacrifiant  les  souvenirs  de  la  charnelle  Venise  à  l'Es- 
pagne de  Torquemada;  rapprochées  des  bohèmes  toujours  mystérieux,. 
—  Monticelli,  Bresdin.  —  les  planches  de  Chifflart  seront  la  modeste 
apothéose  du  prix  de  Rome  qui  a  mal  tourné...  La  démonstration,  fort 
heureusemenl.  fait  une  niche  à  ses  organisateurs  en  prouvant  victo- 
rieusement à  rebours;  et  dès  1903,  la  furibonde  leçon  de  dessin  — 
donnée  par  le  maitre  français  du  Bain  turc  aux  hoirs  du  peintre  d'Olym- 
pia !  Cette  année  môme,  si  tous  ces  révolutionnaires  de  jadis  ou  de 
naguère  exaltent  l'imagination  qui  nous  manque,  chacun  d'eux  atteste 
une  science  préalable,  une  éducation  première  et  (que  feu  Cézanne  me 
pardonne  !)  un  métier  sans  lequel  le  plus  farouche  idéal  ne  saurait  sor- 
tir du  chaos.  Mieux  représenté.  Domenico  Theotocopuii,  surnommé  le 
Greco  par  les  Vénitiens,  ses  premiers  maîtres,  nous  aurait  dit  ce  qu'il 
garda  de  la  païenne  Venise  sous  l'exténuation  de  ses  têtes  ou  dans 
l'enfer  de  ses  rêves.  Rodolphe  Bresdin,  que  Champfleury  rendit  trop 
péniblement  fameux  sous  le  sobriquet  de  Chien-Caillou  ^1),  fut  un  «  pri- 
mitif »  du  romantisme,  un  très  minutieux  graveur  moins  épris  de 
Remhrandt  que  d'Albert  Durer.  François  Chifflart  l'ut  un  romantique 
dans  l'école,  enhardi  par  Michel-Ange  et  Victor  Hugo;  Baudelaire  ad- 
mirait son  soulle;  nous  estimons  son  savoir.  Monticelli  lui-même  avait 
appris;  on  voit  maintenant  qu'il  savait  :  la  preuve  est  faite:  à  côté  de 
tel  portrait  digne  de  Ricard,  significative  est  son  évolution  depuis  la 
ligue  traditiorinelle  de  1813  jusqu'à  la  mosaïque  exaspérée  de  1874;  et 
cette  nature  d'exception,  qu'on  voudrait  aujourd'hui  donner  pour 
modèle,  nous  apprend  seulement  à  son  tour,  après  les  maitres  et 
comme  eux,  que  la  véritable  indépendance  est  fille  du  savoir.  Un  Wag- 
ner, dans  son  burg  altier,  ne  nous  chante  pas  autre  chose. 

Donc,  le  résultat  déjoue  les  vœux  de  la  thèse.  Et  puis,  la  démonstra- 
tion s'offre  incomplète  ou  diffuse  :  il  y  avait  trop  peu  de  Greco,  s'il  y 
eut  trop  de  Monticelli:  de  telle  sorte  que  l'un,  qui  fut  puissamment 
singulier,  parut  chétif,  et  que  l'autre,  qui  fut  capricieusement  varié,. 
parut  monotone.  Monticelli  foisonnait  :  177  cadres  en  deux  salles  et 
demie,  ce  fut  trop  pour  un  improvisateur,  maintes  fois  pastiché  depuis 
qu'il  est  célèbre:  et  l'écrin  féerique  aurait  gagné,  sans  doute,  à  ne  réu- 
nir que  les  plus  authentiques  joyaux.  Belle  occasion,  toutefois,  pour  les 
amoureux  d'art  d'interroger  la  pâte  expressive  et  le  langage  mystérieu- 
sement muet  de  la  couleur  !  Où  finit  le  sujet,  la  musique  commence.. 
«  Je  peins  pour  dans  trente  ans  »,  disait  le  bohème  marseillais  qui  se 
réclamait  de  vieille  noblesse  vénitienne  ;  il  disait  cela  du  ton  de  Sten- 
dhal affirmant  ne  devoir  être  entendu  que  vers  1880...  Monticelli  repré- 
sente éminemment  la  peinture  musicienne  ou  musicale  ;  avec  les 
raclures  des  palettes  magistrales  ou  magiques,  il  évoque  le  Décaméron 
des  rêveries  somptueuses  et  des  nuances  vagabondes,  —  plus  coloriste 
que  Diaz  et  petit-cousin  fiévreux  de  Watteau. 

Dangereux  exemple  pour  nos  jeunes  fa  presto  qui  manquent  à  la  fois 
de  patience  et  de  savoir!  «  Je  suis  trop  pressé  de  produire  un  résultat  », 
s'écriaitEugène  Delacroix  en  1822;  et  ce  mal  de  l'a  peuprés,  quis'étend, 
ne  vint-il  point  gâter  ici  le  joli  triptyque  verdoyant  d'un  mélomane, 
M.  Pierre  Laprade  ?  Devenons  assez  bienveillant  pour  être  sévère.  Et 
que  d'aberrations,  sous  couleur  de  «  retour  au  style  »  !  Cependant,  voici 
l'imagination  qui  cherche  à  refleurir  entre  les  ruines  involontairement 
accumulées  par  la  modernité,  de  Whistler  à  Cézanne;  et  le  Salon  d'au- 
tomne nous  propose,  avec  quelque  embarras  de  langage  encore,  une 
leçon  qu'on  n'espérait  plus.  M.  René  Piot  décore  à  fresque,  en  lettré 
qui  sait  peindre,  une  Chambre  funéraire  sur  deux  thèmes  liturgiques  : 
labeur  intelligemment  plastique  et  coloré,  qui  nous  présage  d'artistes 
lendemains.  Moins  savant  et  plus  tendre,  M.  Maurice  Denis  effleure,  en 
cinq  panneaux  trop  grands.  l'Histoire  de  Psyché  :  rêve  méritoire  et  tou- 
jours beau  sujet!  Depuis  l'antique  roman  d'Apulée,  ce  thème  éternel- 
lement moderne  comme  un  sourire  inspira  La  Fontaine  et  Prud'hon. 
Victor  de  Laprade  et  César  Franck,  tous  les  vrais  poètes,  sans  oublier 
les  vers  ardents  de  notre  vieux  Corneille,  amoureux,  comme  notre  vieux 
Poussin,  de  la  jeune  Beauté.  L'Amour  s'y  déclare  mystiquement 
jaloux  : 

Je  le  suis,  ma  Psyché,  de  toute  la  nature: 

Les  rayons  du  soleil  vous  baisent  trop  souvent  (2)... 

Quel  thème  plus  mélodieux  pour  un  décorateur  mélomane  et  des 
musiciens  français  ?  Et  la  belle  forme  seule  peut  exprimer  l'âme.  Effor- 
rous-nous  vers  elle.  Enfin,  que  nous  a  dit  la  musique  au  Salon  d'au- 
tomne? Car  elle  n'était  pas  seulement  dans  un  lumineux  portrait  de 
chef  d'orchestre  au  pupitre  ou  dans  les  trop  nombreuses,  mais  sugges- 


flj  Dans  une  célèbre  nouvelle  réaliste,  parue  en  1845. 
(2)  M.  Reynaldo  Ilalin  a  mis  eu  musique  ces  beaux  vers. 


LE  MÉNESTREL 


3oo 


tives  symphonies  colorées  d'un  Monticelli;  Psyché  timide  ne  l'accapa- 
rait point  tout  entière...  La  musique  l'ait,  dorénavant,  partie  de  tous 
nos  Salons  du  printemps  ou  de  l'automne  :  depuis  1 904,  le  grain  musical 
a  germé.  Cette  année,  tandis  que  les  poètes  élisaient  le  mardi,  l'infati- 
gable Armand  Parent  réservait  cinq  vendredis  à  la  plus  moderne 
musique  de  chambre,  du  9  octobre,  au  0  novembre.  Heureuse  et  nouvelle 
occasion  de  rapprocher  les  arts,  de  confronter  les  tendances  du  jour,  ces 
fameuses  tendances  qu'on  devine  à  travers  la  diversité  des  tempéraments 
qui  ne  sont  pas  tous  des  personnalités...  La  prétentieuse  iguoranec  de 
trop  de  peintres  de  Montmartre  ou  d'ailleurs  ne  fait-elle  pas  le  plus 
amusant  contraste  avec  la  complication  coutumière  aux;  musiques 
d'avant-garde  ?  Et  comment  un  amateur  de  savantes  harmonies  subtiles 
pourrait-il  (ou  peut-il)  tolérer  ces  «  fauves  »  de  la  palette  contemporaine, 
qui  «  n'emballant  »  que  les  suobs  ou  que  leurs  marchands  ?  La  plus 
décadente  des  musiques  paraîtrait  pure  à  coté  des  toiles. 

Mais  voici  bien  autre  chose  :  alors  que  tel  décorateur  assagi  retourne 
à  la  ligne  au  point  dépasser  déjà  pour  «académique»  (1),  il  n'est  guère 
de  jeune  musicien  dont  le  savoir  ne  vise  à  l'impressionnisme.  Et  qu'allez- 
vous  augurer  de  ce  chassé-croisé?  Rêve  debussyste  ou  monticellique, 
cet  «  état  d'âme  »  un  peu  morbide  se  révèle  d'abord  et  surtout  chez  nos 
Petits-Poucets  de  la  mélodie  vocale  ;  auraient-ils  encore  peur  de  l'Ogre 
de  Bayreuth?  Ils  sont  des  deux  sexes.  Mais  leur  jeunesse  adore  pareil- 
lement l'ombre,  la  neige  nocturne,  le  froid  des  airs  pâlis,  tous  les  menus 
mystères  familiers  qui  font  chantonner  dans  la  nuit  les  petits  enfants  ; 
la  gamme  primitive  par  tons  entiers  est  leur  «  frisson  nouveau  »  : 
voudraient-ils  «  recommencer  »  la  musique,  comme  nos  jeunes  peintres, 
oublieux  de  la  forme,  ont  entrepris  de  recommencer  la  peinture?  Seule, 
une  rare  harmoniste,  la  fille  d'un  bon  sculpteur,  M""  Marguerite Debrie, 
chante  les  Heures  claires.  Bravo,  mademoiselle  !  Honneur  à  la  clarté 
française,  qui  s'est  compliquée  depuis  la  Dame  blanche! 

Pareille  ambition  d'impressionnisme  chez  nos  petits  paysagistes  du 
clavier:  témoin  la  suite  nouvelle,  En  Forêt,  de  M.  Pierre  Coindreau. 
qu'idéalise  la  cristalline  sonorité  de  M"°Selva.  Parmi  tant  de  mauvaises 
peintures,  ne  médisons  jamais  de  la  virtuosité  des  exécutants  !  D'autre 
part,  c'est  la  complication  foncièrement  harmonique  du  prélude  de 
Tristan  qui  fit  l'incompréhension  des  premiers  auditeurs  français  (2), 
sans  excepter  Berlioz  ;  et  n'est-ce  pas  cette  sorte  d'hypertrophie  poly- 
phonique, un  peu  «  tristanienne  »  en  vérité,  qui  retarda  longtemps  et 
qui  diffère  encore  un  peu  la  pleine  intelligence  ou  la  consécration  des 
plus  doctes  quatuors  de  l'école  franckiste  :  par  exemple  l'austère  qua- 
tuor à  cordes,  inachevé,  d'Ernest  Chausson,  que  M.  d'Indy  termina 
pieusement  et  que  M.  Parent  fit  connaître  en  1900,  chez  Pleyel,  ou  le 
grand  quatuor  audacieusement  classique  de  M.  Edmond  Malherbe,  un 
prix  de  Rome  qui  ne  redoute  pas  de  placer,  dans  une  immense  fugue 
finale,  une  harmonie  sous  chaque  double-croche  ?  Sans  excès  d'archi- 
tecture ou  d'impressionnisme,  la  plus  sincère  primeur  de  l'automne,  ce 
fut  une  vivante  sonate  pour  piano  et  violon,  de  M.  Albert  Roussel,  que 
nous  ont  passionnément  révélée,  dans  un  demi-jour  de  quatre  heures. 
M.  Parent  et  M"e  Dron  :  pendant  qu'à  l'Opéra  de  solennelles  harmonies 
cuivrées  sonnent  le  crépuscule  des  Dieux  germains,  un  tel  ouvrage 
apparaît  comme  un  symptôme  rassurant  pour  notre  avenir  musical. 
(A  suivre.)  Raymond  Bohyer. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts-Colonne.  —  Une  des  grandes  joies  artistiques  de  M.  Colonne,  c'est 
de  nous  faire  entendre  les  symphonies  de  Beethoven;  le  grand  chef  d'orches- 
tre français  a  toujours  eu  à  cœur  de  maintenir  sur  ses  programmes  ces  chefs- 
d'œuvre  dont  aucun  n'est  encore  défloré  ;  on  lui  doit  de  magnifiques  interpré- 
tations de  la  Neuvième,  mais  il  faut  aussi  lui  savoir  gré  d'avoir,  dans  ces 
dernières  années,  paré  d'un  charme  d'interprétation  tout  nouveau  les  sym- 
phonies moins  célèbres  et  moins  jouées  du  maître,  la  huitième,  par  exemple, 
et  la  deuxième,  qu'il  donnait  dimanche  dernier.  Cette  dernière  remonte  au 
o  avril  1803  ;  elle  a  donc  cent  cinq  ans,  et,  si  l'on  s'en  aperçoit  à  la  forme  de 
l'écriture,  il  est  impossible  de  ne  pas  être  frappé  par  le  sentiment  toujours 
jeune  et  juvénile  qui  s'en  dégage  et  lui  conserve  tout  son  attrait.  Il  n'y  a  nulle 
part  de  plus  aimable  expansion  d'humeur  joyeuse  que  dans  la  phrase  en  la 
majeur  de  l'Allégro  con  brio,  exposée  par  les  clarinettes  et  les  bassons  d'abord, 
ensuite  par  le  quatuor.  Le  linal  renferme  aussi  bien  des  inspirations  d'une 
exquise  fraîcheur,  après  un  début  un  peu  brusque  et  saccadé  qui  fait  penser  à 
une  lutte    champêtre   entre   villageois.    M.   Colonne    a    été   personnellement 

il)  L'intransigeante  jeunesse  fait  déjà  celle  injure  à  M.  Maurice  Denis... 
(2)  Le  mercredi  '25  janvier  lSGi),  au  premier  concert  wagnérien, salie Ventadour  ;  et 
le  diminche  15  novembre  1874.  au  Cirque  d'Hiver,  chez  Pasdeloup. 


acclamé  pour  la  superbe  exécution  que  lui  et  son  orchestre  ont  donnée  du 
chef-d'œuvre.  Nous  ne  quittons  pas  encore  Beethoven  :  voici  son  admirable 
concerto  pour  violon,  que  M.  Lucien  Capet  a  rendu  avec  un  beau  style  clas- 
sique et  une  connaissance  approfondie  des  re  sources  de  son  instrument.  Le 
public  a  fait  fêle  à  ce  véritable  artiste.  Le  reste  du  programme  était  consacré 
à  Wagner  et  à  MIU<!  Litvinne,  son  interprète  intelligente,  Dère  et  passionné- 
ment éprise.  File  a  fait  appel  à  toute  sa  puissance  el  son  énergie,  à  toute  sa 
personnalité  d'a:t  el  à  toutes  les  ressources  de  son  organe,  pour  rendre  avec 
éclat  les  deux  scènes  les  plus  vivantes  que  Wagner  ail  écrites  :  la  dernière 
expression  d'amour  d'Isolde  sur  le  point  de  mourir,  et  le  douloureux  et  tra- 
gique renoncement  de  Brunnhilde  au  moment  ou  elle  Be  précipite  dans  les 
flammes  du  bûcher  de  Siegfried.  M.  Colonne  a  sa  manière  spéciale  de  rendre 
cette  musique,  et  cette  manière  est  très  différente  de  celle  des  théâtres  alle- 
mands. Il  met  l'orchestre  plus  en  relief,  en  dégage  davantage  tous  les  thèmes, 
tous  les  dessins,  toutes  les  intentions.  I*ar  suite,  la  participation  de  la  voix 
chantée  perdrait  beaucoup  de  son  importance,  si  le  tempérament  robuste  de 
la  cantatrice  et  ses  moyens  vocaux  ne  lui  permettaient  poinl  de  résister  vic- 
torieusement dans  cette  lutte  un  peu  inégale  en  apparence,  quoique  au  fond 
parfaitement  belle  et  grandiose  par  l'ell'et  d'ensemble  qu'elle  produit.  Au 
concert,  aucun  autre  mode  d'interprétation  ne  donnerait  d'aussi  bons  résul- 
tats. La  séance  s'est  terminée  par  une  longue  ovation  à  M Félia  Litvinne,  à 

l'orchestre  et  à  son  chef  toujours  si  vibrants.  AmÉDÉE  Doutarel. 

—  Concerts-Lamoureux.  —  Programme,  mixte,  de  tendances  très  diverses 
et  capable  de  satisfaire  fous  les  goûts.  Mn"'  Raunay.  dont  la  belle  diction  dra- 
matique sait  imprimer  du  relief  même  à  ce  qui  n'en  semble  pas  comporter,  a 
traduit  éloquemment  les  pâles  mélodies  de  Berlioz,  le  Spectre  de  la  Rote,  Absence, 
l'Ile  inconnue,  qu'une  orchestration  sans  couleur  ne  parvient  pas  à  vivifier. 
L'auteur  de  la  Damnation  n'a  rien  à  gagner  à  ce  rappel  de  pages  mures  pour 
l'oubli.  La  scène  et  l'air  du  i"  acte  de  llulda,  de  César  Franck,  avec  ses  accents 
sauvages  et  tragiques,  sa  déclamation  puissante,  ontvalu  à  M1""  Raunay  d'una- 
nimes acclamations.  —  Un  succès  du  meilleur  aloi  a  accueilli  l'exécution  par 
Mme  Caponsacchi-Jeisler  du  I'1'  concerto  pour  violoncelle  de  M.  Saint-Saëns, 
œuvre  de  charme  plutôt  que  de  force  et  que  la  jeune  artiste  au  son  pur  et 
expressif,  à  l'archet  précis,  rendit  d'excellente  manière.  —  Les  Esquisses  Sym- 
phoniques  de  M.  Debussy,  que  l'auteur  de  Pelléas  intitule  un  peu  pompeuse- 
ment la  Mer,  et  que  les  Concerts-Lamoureux  avaient  déjà  données,  sont  des 
pages  curieuses,  captivantes  par  endroits,  d'une  orchestration  fertile  en  effets 
nouveaux,  en  recherches  subtiles,  mais  dont  on  a  vite  fait  de  résoudre  la 
séduisante  énigme.  Ce  n'est  là  qu'un  jeu  d'esprit,  habilement  traité,  où  on 
cherche  vainement  trace  d'une  émotion  quelconque.  La  mer.  la  grande, infinie 
et  douloureuse  mer  a  le  droit  d'être  autrement  chantée.  —  Beaucoup  plus 
franche,  d'une  santé  plus  saine  et  plus  robuste  est  apparue  ensuite  la  Ballade 
symplwnique  de  M.  Chevillard,  qu'un  accident  d'éclairage  avait  fâcheusement 
interrompue  il  y  a  quinze  jours.  Thèmes  précis  et  expressifs,  développements 
ingénieux,  instrumentation  souple  et  lumineuse,  tout  est  à  louer  dans  cette 
composition  de  l'éminent  chef  d'orchestre,  auquel  le  public  et  les  exécutants 
eux-mêmes  n'ont  pas  ménagé  les  applaudissements.  —  La  charmante,  mais  un 
peu  menue  symphonie  en  ré  majeur  de  Mozart  et  le  rutilant  et  verveux  Tilt 
Eulenspiegel  de  Richard  Strauss  formaient  les  deux  porliques  par  où  s'ouvrait 
et  se  clôturait  le  concert  :  j'avoue  préférer  le  dernier.  .T.  Jemaix. 

—  Programmes  des  concerts  de  demain  dimanche  : 

Conservatoire  (concert  donné  en  hommage  à  Georges  Marty  et  au  bénéfice  de  sa 
veuve)  :  Ouverture  de  Ballhasar  (Georges  Marty).  —  Shylock,  suite  d'orchestre  (Ga- 
briel Fauré).  —  1"  acte  (fragments)  d'.ileesle  (Gluck',  par  M""  Ha'.to  et  M.  Delmas.  — 
Concerto  pour  piano  en  ut  mineur  (Mozart),  par  M.  Camille  Sainl-Saëns.—  Sympho- 
nie avec  choeurs  (Beethoven),  soli  par  M""  Gall  et  Lapeyrette,  MM.  Cazeneuve  et 
Frolich.  —  Le  concert  sera  dirigé  par  M.  André  Messager. 

Châtelet,  Concerts-Colonne  :  Ouverture  de  Sigurd  (E.  Reyer  .  —  Sympltonie héroïque 
Beethoven.  —  Trois  nocturnes  Cl.  Debussy.  —  Poème,  pour  violon  et  orchestre 
(Ern.  Chausson),  parM. Capet.  — Siegfried,  «  les  Murmures  de  la  Forêt     II.  Wagner). 

—  Danse  de  Sa  tome  (Richard  Strauss). 

Salle  Gaveau,  Concerts-Lamoureux.  sous  la  direction  de  M.  Chevillard  :  Symphonie 
pastorale  (Beethoven).  —  Scène  et  air  du  1"  ace  d'Alceste  (Gluck),  par  M-"  Isnardon. 

—  Fantaisie  pour  piano  el  orchestre  (II.  Lutzj,  par  M.  G.  de  Lausnay.  —  {star  Vin- 
cent dTndy).  —  Phidylé.  mélodie  (II.  Duparcl,  par  M"'  Isnardon.  —  Francesca  •!■ 
Rimini,  poème  symphonique  iTsehaïkowsky).  —  L'Invitation  >t  I"  valse  [Wêber  . 

—  La  Société  J.-S.  Bach,  sous  la  direction  de  M.  G.  Bret,  annonce  deux 
auditions  de  la  Passion  selon  saint  Jean  :  l'une  le  mercredi  -25  novembre  en 
soirée;  l'autre,  sur  le.  désir  de  nombreuses  familles,  le  jeudi  2G  en  matinée  à 
;',  heures.  Les  célèbres  chanteurs  George  Walter  (de  Berlin)  et  Zalsman 
(d'Amsterdam)  reprendront  leurs  rôles  de  l'Evangéliste  et  du  Christ.  La 
location  est  ouverte  salle  Gaveau  et  chez  les  éditeurs:  el  comme  l'année 
dernière,   il  est  prudent  de  se  hâter. 


NOTRE    SUPPLÉMENT     MUSICAL 
(pour  les  seuls  abonnés  a  la  musique) 


Gabriel  Dupont,  le  compositeur  des  Heurts  dolentes,  du  Chant  de  lu  destinée,  de  la 
Glu  oeuvre  encore  in  partihus  dont  ou  entendra  parler)  nous  donne  aujourd'hui  une 
mélodie  nouvelle  :  Caresses,  sur  une  poésie  de  Jean  Riehepin.  Toute  de  charme  et 
d'émotion  douce,  on  verra  qu'elle  répond  à  son  titre.  M™'  Max.  la  si  remarquable 
cantatrice  mondaine,  la  chanta  avec  un  extraordinaire  succès. 


366 


LE  MEINESTUEL 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  notre  correspondaul  de  Belgique  (11  novembre)  : 

La  concession  du  théâtre  de  la  Monnaie,  qui  fut  accordée  à  MM.  Guidé  et 
Kufferath  pour  un  terme  de  neuf  ans,  expire  à  la  Cn  de  la  saison  actuelle.  Le 
conseil  communal  de  Bruxelles  s'est  occupé,  dans  sa  dernière  séance,  de  la 
question  de  savoir  s"il  convenait  de  mettre  à  nouveau  la  direction  de  la  Mon- 
naie en  adjudication,  ou  si,  MM.  Guidé  et  Kull'erath  ayant  donné  au  public  et 
àla  Ville  toute  satisfaction,  il  ne  serait  pas  beaucoup  plus  simple  et  plus  juste 
de  leur  accorder,  sans  appel  aux  amateurs,  le  renouvellement  de  leur  conces- 
sion. C'est  à  ce  dernier  parti  que  le  conseil  s'est  rallié,  en  principe,  à  une 
majorité  extrêmement  llatteuse  pour  les  directeurs  actuels.  L'ouverture  de  la 
succession  n'aurait  servi  qu'à  faire  sortir  de. l'ombre  des  candidats  fantaisistes 
et  à  infliger  aux  trente-cinq  conseillers  communaux  bruxellois  le  supplice  de 
visites  et  de  démarches  aussi  ennuyeuses  qu'interminables.  Aucun  candidat 
sérieux  ne  pouvait  songer  à  se  mettre  sérieusement  en  opposition  avec 
MM.  Guidé  et  Kufferath.  Un  instant,  il  fut  question  de  M.  Noté,  de  l'Opéra, 
et  même  de  M.  Van  Dyck.  Mais  ces  messieurs  constatèrent  bien  vite  que  leurs 
chances  étaient  illusoires  et  que  c'eut  été  se  compromettre,  sans  succès  et  sans 
profit  pour  eux,  en  des  manœuvres  électorales  généralement  peu  dignes  d'ar- 
tistes de  talent,  ayant  mieux  à  employer  leur  temps.  Le  conseil  commuual  a 
donc  renommé  virtuellement  MM.  Guidé  et  Kull'erath  pour  un  nouveau  terme 
de  neuf  ans.  Il  s'est  réservé  seulement,  au  préalable,  de  modifier  certains 
points  du  cahier  des  charges,  qui  seront  soumis  à  l'acceptation  dos  directeurs 
actuels.  Quels  seront  ces  points  ?  Nous  ne  savons.  Ils  auront  trait,  sans  doute, 
à  la  situation  du  petit  personnel,  qui  a  toujours  été,  d'ailleurs,  l'objet  de  la 
sollicitude  de  ces  messieurs:  en  tout  cas,  ils  ne  pourront  changer  sensiblement 
le  régime  existant.  Loin  de  l'aggraver,  il  serait  même  du  devoir  du  conseil 
communal  de  l'alléger,  étant  donnés  les  sacrifices  énormes,  toujours  plus  lourds, 
que  les  exploitants  de  la  Monnaie  ont  dû  s'imposer  en  ces  dernières  années, 
sans  que  leurs  ressources  fussent  en  rien  augmentées.  Il  faut  vraiment  du  cou- 
rage et  de  l'abnégation  pour  garder  le  théâtre  au  niveau  auquel  il  n'a  cessé  de 
se  maintenir.  MM.  Guidé  et  Kull'erath  n'en  ont  jamais  manqué.  Loin  de  leur 
créer  des  difficultés  nouvelles,  les  pouvoirs  publics  devraient  avoir  à  cœur  de 
leur  en  être  reconnaissants. 

L'éclectisme  intelligent,  qui  leur  a  toujours  servi  de  guide  dans  leur  gestion, 
vient  de  leur  valoir  encore  une  victoire  éclatante.  La  reprise  de  la  Juive,  que  l'on 
réclamait  à  cor  et  à  cris,  a  obtenu  cette  semaine  un  très  gros  succès.  Il  y  avait 
treize  ans  que  l'œuvre  d'IIalévy  n'avait  plus  été  représentée  à  Bruxelles.  On 
l'a  revue  avec  d'autant  plus  d'intérêt,  j'allais  dire  de  plaisir,  que  MM.  Guidé 
et  Kull'erath  en  ont  fait  une  reconstitution  absolument  complète,  où  la  mise 
en  scène,  l'interprétation  et  le  respect  du  style,  de  la  couleur  et  du  caractère 
de  cet  opéra-type  surpassent  certainement  tout  ce  qui,  en  ce  sens,  fut  jamais 
réalisé  ici. Cette  abnégation  de  leurs  propres  goûts  artistiques  vaut  bien  qu'on 
l'admire.  La  foule  leur  en  saura  gré,  en  acclamant  la  Juive,  avec  la  même 
ardeur  —  peut-être  davantage  encore  !  —  qu'elle  met  habituellement  à  accla- 
mer des  œuvres  plus  conformes  au  sentiment  moderne. 

M.  Verdier,  MmH  Pacary  et  de  Tréville  ont  dépensé,  en  cette  manifestation 
d'art  rétrospectif,  le  meilleur  de  leurs  qualités  de  chanteurs  et  de  musiciens; 
et  l'éclat  du  spectacle  est  sans  pareil  dans  les  fastes  du  grand-opéra  à  Bruxelles. 
Ajoutons  que  le  régisseur,  M.  Mcrle-Forest,  y  a  trouvé  l'occasion  d'appliquer 
sa  précieuse  connaissance  des  traditions  et  son  habileté  bien  connue. 

Je  crois  avoir  négligé  de  vous  signaler,  dans  mes  précédentes  correspon- 
dances, —  et  cela  par  suite  de  circonstances  personnelles  fort  douloureuses, 
qui  me  vaudront,  je  l'espère,  le  pardon  du  Ménestrel,  —  une  autre  soirée  vic- 
torieuse, quoique  de  moindre  importance,  celle  où  fut  représenté,  il  y  a  quinze 
jours,  un  petit  ballet  inédit,  Quand  les  chais  sont  partis...  tout  à  l'ait  ravissant. 
Le  scénario,  qui  est  de  M.  Ambrosiny,  l'excellent  maître  de  ballet,  a  cet 
avantage  rare  d'être  amusant,  avec  esprit,  et  original,  sans  recherche.  Les  chats 
de  l'affaire,  ce  sont  les  domestiques  d'une  très  grande  maison  qui,  en  l'ab- 
sence des  maîtres,  mettent  le  logis  sens  dessus  dessous  et  font  une  noce  à  tout 
casser,  jusqu'au  moment  où  les  patrons  rentrent  à  l'improviste  et  troublent  la 
fête.  M.  Ambrosiny  a  traité  ce  sujet  léger  et  tout  contemporain  avec  une  fan- 
taisie très  drôle,  qui  n'a  d'égale  que  celle  dont  le  compositeur,  M.  Georges 
Lauweryns,  a  rempli  sa  partition,  en  y  ajoutant  du  charme,  de  la  mélodie,  un 
mouvement  endiablé  et,  ce  qui  ne  gâte  rien,  une  couleur  et  un  esprit  dans 
l'orchestration  qui  dénotent  un  musicien  maître  de  son  art  et  ennemi  de  toute 
banalité.  H  y  a  plus  que  des  promesses  dans  cette  œuvrette,  dont  le  succès  a  été 
considérable.  On  n'avait  plus  vu  depuis  bien  longtemps,  à  la  Monnaie,  un 
ballet  obtenir  une  telle  vogue:  on  le  joue  trois  fois  par  semaine!  !  ! 

Les  Concerts-Populaires  ont  inauguré  dimanche  la  saison  des  grandes 
matinées  dominicales  par  un  programme  fort  intéressant,  exécuté  remarqua- 
blement, sous  la  direction  de  M.  Sylvain  Dupuis.  On  a  beaucoup  applaudi  la 
jolie  sonorité  et  la  chaleur  entraînante  du  jeune  violoniste  Miseha  Elman  dans 
le  concerto  en  la  de  Glazounow;  et  l'orchestre  nous  a  fait  entendre,  outre 
la  quatrième  symphonie  de  Beethoven,  des  Variations  sytnphoniques  de  M.  Paul 
Gilson,  excessivement  amusantes,  présentant  un  simple  thème  de  quatre 
mesures  de  vingt  façons  différentes,  tour  à  tour  élégie,  marche,  danse  cosaque, 
scène  lyrique,  nocturne,  que  sais-je  ?  C'est  du  Fregoli  musical,  exécuté  avec 
une  adresse  consommée,  mais  tout  de  même  fort  désillusionnant.  M.  Gilson 


a  l'air  de  nous  dire:  «  La  musique,  ce  n'est  donc  pas  plias  difficile  que  ça;  pas 
besoin  d'idée6;  un  petit  thème  insignifiant  suffit  pour  faire  rire  ou  pleurer.... 
Voulez-vous  du  drame,  de  la  danse,  de  la  comédie,  du  triste,  du  gai,  de  l'abra- 
cadabrant ?  Voilà!»  Et  je  soupçonne  fort  le  compositeur,  qui  est  un  pince- 
sans-rire,  de  n'avoir  pas  voulu  nous  prouver  autre  chose.  Où  irons-nous  si 
les  prestidigitateurs  se  mettent  eux-mêmes  à  débiner  leurs  trucs  ?       L.  S. 

—  Yersiegelt  est  le  litre  d'un  opéra-comique  dont  le  sujet  o  été  emprunté  par 
MM.  Bicbard  Batka  et  Pordes-Milo  à  une,  comédie  de  Rauppach.  La  musique 
est  de  M.  Léo  Blech,  l'un  des  chefs  d'orchestre  de  l'Opéra-Royal  de  Berlin. 
L'ouvrage  parait  avoir  eu  un  grand  succès.  Le  mot  «  versiegelt  »  signifie 
"  sous  scellés  ».  Il  s'agit  en  effet  de  la  détresse  dans  laquelle  se  trouvent  un 
bourgmestre  et  une  jeune  veuve,  en  même  temps  qu'un  autre  couple,  amou- 
reux comme  eux,  parce  que  les  circonstances  les  ont  obligés  à  se  cacher  dans 
une  vaste  armoire  sur  laquelle  un  employé  de  justice  est  venu  mettre  les 
soellés.  L'interprétation  de  cette  comédie  musicale,  sous  la  direction  du 
compositeur,  n'a  rien  laissé  à  désirer  et  tous  les  spectateurs  ont  été  d'accord 
pour  louer  la  musique. 

—  Les  journaux  allemands  publient  quelques  détails  statistiques  à  l'occasion 
de  la  500e  représentation  des  Noecs  de  Figaro,  de  Mozart,  qui  a  eu  lieu  récem- 
ment à  l'Opéra-Royal  de  Berlin.  La  première  de  ce  chef-d'œuvre  fut  donnée  à 
ce  théâtre  il  y  a  cent  dix-huit  ans.  le  14  septembre  1790  :  on  en  donnait  la 
centième  en  .18-27,  la  300e  en  1877  et  la  -400e  en  1892,  ce  qui  prouve  que  Mozart 
ne  pâlit  pas  encore  trop  devant  Wagner.  On  fait  remarquer  que  lors  de  la 
première  apparition  des  Noces,  en  1700.  on  payait,  à  l'Opéra-Royal,  une  place 
de  balcon  seize  silbergros  (I  fr.  92)  et  une  place  de  parquet  dix  silbergros 
(1  fr.  -44).  Les  temps  ont  changé.  Aujourd'hui  il  faut  payer  huit  marks,  soit 
dix  francs,  pour  un  fauteuil,  et  il  est  question  d'élever  encore  ce  prix,  ce  qui 
donne  de  l'humeur  aux  dilettantes  berlinois. 

—  Les  autographes  formant  la  collection  Zeune-Spitta  vont  être  mis  en 
vente  à  Berlin  du  23  au  2-3  novembre.  Il  y  cn  a  de  rois,  de  princes,  de  savants, 
de  poètes,  d'écrivains,  de  musiciens,  de  peintres  et  de  comédiens.  Parmi  les 
documents  les  plus  rares  se  trouve  une  quittance  sur  parchemin,  signée  du 
comte  Dunois,  bâtard  d'Orléans,  1448.  Gela  remonte  presque  à  l'époque  de 
Jeanne  d'Arc,  qui  fut  brûlée,  comme  on  sait,  en  1431.  Les  hommes  les  plus 
éminenls  dans  la  littérature,  Voltaire,  Gœthe,  Schiller,  Lamartine,  Victor 
Hugo,  Béranger,  sont  représentés  dans  la  collection.  Quant  aux  musiciens,  ils 
y  figurent  en  très  grand  nombre  par  des  autographes  de  toute  nature.  Les 
amateurs  pourront  pousser  leurs  enchères  sur  des  pièces  importantes  de  Phi- 
lippe-Emmanuel Bach.  Haydn,  Mozart,  Méhul,  Rouget  de  l'Isle.  Weber, 
Beethoven,  Schubert,  Rossini,  Meyerbeer,  Spontini.  Paganini,  Berlioz,  Liszt, 
Mendelssohn,  Chopin,  Schumann,  AntoineRubinstein,  Tschaikow sky,  Brahms, 
Richard  "Wagner...  Les  correspondances  êpistolaires.  sont  particulièrement 
révélatrices  ;  elles  dévoilent  naïvement  les  faiblesses  et  la  vie  intime  des  grands 
compositeurs  dont  nous  ne  voyons  plus  qu'exceptionnellement  les  misères, 
n'envisageant  que  leur  génie  et  le  rayonnement  de  leur  gloire.  De  Beethoven, 
nous  avons  plusieurs  lettres,  parmi  lesquelles  une  encore  inédite  signée  «  Votre 
Ludwig  van  Beethoven  »  et  datée  «  du  Ie1'  mai  ».  Elle  a  trait  à  l'irrégularité  qu'ap- 
portait le  prince  Kinsky  à  payer  la  pension  à  laquelle  il  s'était  engagé  vis-à- 
vis  de  Beethoven.  On  y  lit  le  passage  suivant  :  «...  et  maintenant  je  ne  reçois 
pas  même  ce  misérable  argent  aux  dates  fixées...  et  cela  se  passe  dans  notre 
Autriche  monarchique  et  anarchique  !!!!!!...  Ma  situation  est  devenue  plus 
précaire  et  j'ai  à  ma  charge  entière  l'enfant  de  mon  frère...  »  Spontini  nous 
apparaît  avec  les  petitesses  de  son  immense  orgueil  dans  une  correspondance 
adressée  à  «  Monsieur  le  Grand  Maréchal  »  au  sujet  des  droits  que  sa  femme 
pouvait  avoir  d'être  reçue  àla  Cour;  on  y  lit  :  «  ...  quoique  M.  le  comte  (de 
Redern)  sache  parfaitement  que  la  noblesse  de  Mad.  Spontini  est  de  beaucoup 
plus  ancienne  que  celle  de  M1™  la  comtesse  de  Redern...  »,  etc.  Plus  modeste 
se  montre  Chopin  et  d'un  caractère  plus  sympathique.  Il  a  pourtant  des  accès 
de  mauvaise  humeur,  ainsi  qu'en  témoigne  ce  passage  d'une  lettre:  «  ...  lu  m'as 
appris  ce  matin  quelque  chose  qui  m'a  été  parfaitement  désagréable",  c'est  que 
tu  as  donné  mon  buste  à  A***  ;  il  va  tout  dire  à  M"10  R***  qui  est  une  créa- 
ture insupportable  ».  Le  mot  créature  est  un  euphémisme  :  Chopin  avait  écrit 
le  mol."  porc  ».  Une  petite  pièce  à  acquérir  serait  le  chiffon  de  papier  sur 
lequel  Chopin,  en  quête  d'un  logement,  a  noté,  moitié  en  français,  moitié  en 
polonais,  des  indications  relatives  au  local  qu'il  souhaiterait  que  l'on  parvint 
à  lui  trouver.  D  désire  que  cela  soit  dans  les  rues  de  Verneuil,  de  Bourgogne, 
de  Beaune  ou  Las-Cases.  Il  voudrait  un  salon,  une  salle  à  manger,  trois 
chambres  à  coucher  et  un  cabinet  de  travail,  le  tout  donnant  sur  un  long  cor- 
ridor et  loin  de  tout  voisinage  fâcheux  ou  bruyant.  Au  bas  de  la  feuille  est 
tracé  de  sa  main  le  plan  de  l'appartement  idéal.  C'est  amusant,  humoristique 
et  documentaire  à  la  fois.  Parmi  les  autographes  musicaux  de  Chopin  qui  se- 
ront mis  en  vente  se  trouvent  six  grandes  études  faisant  partie  de  l'œuvre  10, 
savoir  :  X°  -4,  ut  dièse  mineur:  n°7,  ut  majeur;  n°  9,  ré  bémol  majeur:  n°  10, 
la  bémol  majeur;  n°  11,  mi  bémol  majeur,  et  n°  12,  ut  mineur.  Nous  aurons  à 
revenir  sur  cette  riche  collection,  dont  nous  sommes  encore  loin  d'avoir  épuisé 
les  numéros  sensationnels. 

—  Dans  cette  même  vente  d'autographes  figurera  un  petit  poème  comique  de 
douze  vers,  presque  inconnu  jusqu'à  présent,  que  Richard  Wagner  a  dédié  «  à 
son  aimable  hôtelier,  M.  Louis  Kraft  »,  propriétaire  de  l'hôtel'  de  Prusse,  à 
Leipzig,  où  Richard  Wagner  avait  l'habitude  de  descendre,  chaque  fois  qu'il 
rendait  visite  à  sa  ville  natale.  Sur  cette  petile  poésie,  qui  est  datée  du 
22  avril  1871  et  dans  laquelle  il  vante  en  rimes  dithyrambiques  les  mérites  de 


LE  MÉNESTHEL 


367 


son  «  noble  hôtelier  »,  Richard  Wagner  a  écrit  une  mélodie  pour  une  voix.  11 
est  à  remarquer  qu'au  printemps  9831;  où  il  était  descendu  à  l'hôtel  de  Prusse 
à  Leipzig.  Richard  Wagner  se  trouvait  à  un  tournant  très  important  de  son 
existence  tourmentée.  Il  se  rendait  a  ce  moment  de  Bayreuth  à  Berlin,  pour 
y  conférer  au  sujet  des  comités  de  patronage  sur  le  concours  desquels  il  vou- 
lait fonder  financièrement  les  Festspiele  île  Bayreuth. 

—  Le  portrait  de  Beethoven,  par  Slieler,  mis  en  vente.  —  Une  nièce  de 
Spohr,  la  comtesse  de  Sauorma.  de  Berlin,  s'est  résolue  à  mettre  en  vente  un 
portrait  original  de  Beethoven  qu'elle  possède,  celui  que  Stieler  a  peint  en 
1819.  Elle  a  connu  le  peintre,  qui  lui  a  raconté  comment  Beethoven,  après 
s'être  laissé  supplier  on  vain  pendant  des  années  sans  avoir  consenti  à  donner 
une  pose,  arriva  un  jour  dans  l'atelier  et  dit  à  l'artiste  :  ci  Vous  savoz  pour- 
quoi je  viens  ici  ».  Stieler  avait  justement  toute  prête  une  petite  toile  de 
71  centimètres  de  haut  sur  •">'>  de  large:  il  commença  aussitôt  à  esquisser  le 
portrait.  Il  put  saisir,  d'après  l'original,  les  traits  du  visage,  reproduire  les 
cheveux,  les  yeux  et  par-dessus  tout  le  teint  frais  et  dispos  du  grand  musicien, 
mais  le  temps  lui  manqua  pour  les  mains  qu'il  peignit  sans  modèle,  d'après 
sa  fantaisie.  C'est  très  dommage,  car  les  autres  portraits  du  maitre,  ceux  de 
Hornemann  (1802),  de  Letronne  (181  i),  de  Màhler  (1815),  de  Kloher  (1817),  de 
Schimon  (1819),  de  Dietrieh  (1821)  et  de  Decker  (1820),  ne  nous  montrent  pas 
non  plus  les  mains.  On  sait  que  le  portrait  de  Stieler,  que  l'on  disait  jus- 
qu'ici avoir  été  fait  en  1822,  et  nous  représenter  le  maitre  au  moment  où  il 
écrivait  la  Messe  solennelle,  est  peint  la  tète  de  face  et  le  haut  du  buste  de 
trois  quarts.  La  main  gauche  tient  un  cahier  de  musique  et  la  main  droite 
s'appuie  sur  les  feuillets,  serrant  entre  les  doigts  un  crayon  ou  une  plume. 
Beethoven  parait  réfléchir  avant  d'ajouter  quelques  notes  à  celles  qui  sont  déjà 
écrites.  Le  portrait  s'arrête  vers  le  milieu  de  la  poitrine.  La  physionomie  est 
très  belle  et  très  significative. 

—  Mllc  Juga  de  Wesendonk,  petite-fille  de  l'amie  de  Wagner.  Mathilde  de 
Wesendonk,  vient  de  se  fiancer  avec  le  comte  Alphonse  Maluschka. 

—  La  chambre  de  commerce  de  Leipzig  a  envoyé  à  tous  les  facteurs  d'ins- 
truments de  musique  une  lettre-circulaire  à  l'effet  d'avoir  leur  avis  sur  la  fon- 
dation projetée  d'un  musée  instrumental  dans  cette  ville.  Ce  musée  serait  dès 
l'abord  constitué  par  l'achat  de  la  célèbre  collection  de  M.  Paul  de  Wit,  que 
le  public  est  actuellement  admis  à  visiter.  M.  Paul  de  Wit,  né  à  Maestriclit 
en  1S32,  est  un  violoncelliste  de  valeur.  Il  fonda  en  1S80  sous  le  titre 
ZeUschri/t  fi'ir  Inslrumenlcnbitu,  une  revue  spéciale  qui  subsiste  encore.  Il  a 
cherché  à  remettre  en  honneur  la  viola  di  gamba  et  donna  des  concerts  sur 
cet  instrument.  Il  a  publié  un  recueil  d'adresses  de  tous  les  facteurs  d'ins- 
truments de  musique  du  monde  entier,  dont  la  cinquième  édition  parut  eu 
-1897,  et  d'intéressants  documents  sur  les  vieux  luthiers  depuis  le  seizième 
siècle  jusqu'à  la  fin  du  dix-neuvième. 

—  L'intendance  générale  des  théâtres  royaux  de  .Munich  fait  savoir  que  le 
traité  conclu  par  elle  en  1901,  pour  dix  années,  avec  la  Société  du  théâtre  du 
Prince-Régent  est  prorogé  jusqu'au  19  août  1910. 

—  L'Abbé  Uourd,  tel  est  le  litre,  d'un  opéra  nouveau  en  trois  actes,  qui  vient 
d'être  représenté  à  Maglehourg.  Le  livret  a  été  tiré  du  célèbre  roman  de  Zola. 
la  Faute  de  l'Abbé  Mourcl:  la  musique  est  de  M.  Max  Oberleithner.  Le  compo- 
siteur a  déjà  écrit  un  opéra  en  quatre  actes,  Ghilana. 

—  De  Cologne  :  Le  Residen/.-Thoater  vient  de  refermer  ses  portes. 
Mme  Annie  Neumann-Hofer  et  M.  Erwin  Baron,  qui  en  avaient  pris  la  direc- 
tion il  y  a  deux  mois,  se  retirent  après  avoir  vainement  lutté  contre  la  froi- 
deur et  le  manque  d'intérêt  du  public  à  l'égard  de  leurs  efforts  artistiques. 
«  Nous  sommes  venus  dans  la  capitale  rhénane,  déclarent-ils  dans  un  mani- 
feste, avec  de  grandes  illusions  artistiques:  nous  nous  sommes  trouvés  en 
moyenne  de  dix  à  douze  heures  en  scène  et  tout  ce  que  nous  avons  récolté,  ce 
sont  une  maison  et  une  caisse  vides  tous  les  soirs.  »  Il  est  incontestable  que 
la  nouvelle  direction  s'est  donné  beaucoup  de  peine,  mais  le  public  de  Co- 
logne, comme  celui  de  beaucoup  d'autres  villes,  préfère  les  musics-halls  aux 
théâtres  où  l'on  cultive  l'art  dramatique.  La  caution  de  9.000  marks  déposée 
à  la  présidence  de  la  police  reste  acquise  au  personnel  artistique  et  technique 
du  Residenz-Theater. 

—  Le  Théâtre-Municipal  de  Dusseldorf  vient  de  jouer  pour  la  première  fois 
un  opéra  nouveau,  le  Cœur  froid,  paroles  et  musique  d'un  jeune  compositeur 
autrichien.  M.  Robert  Konta,  qui  n'avait  encore  rien  écrit  pour  la  scène.  Le 
livret  de  cet  ouvrage  est  tin''  d'un  conte  de  Wilhelm  llaufl'. 

—  De  Saint-Pétevshourg  :  Le  Saint-Synode  a  interdit  la  représentation  de 
Salomé,  d'Oscar  Wilde,  qui  devait  avoir  lieu  au  théâtre  de  la  Cour. 

—  Le  premier  concert  Siloti.  a  Saint-Pétersbourg,  a  été  consacré  à  la 
mémoire  de  Rimsky-Korsakow.  Le  programme  comprenait  seulement  des 
œuvres  du  maitre  et  un  prologue  de  circonstance  pour  orchestre. 

—  Milan  est  furieuse.  Miian  est  sans  orchestre,  et  ses  théâtres  sont  aux 
abois.  Tous  les  musiciens  sont  en  grève  depuis  quelques  jours  ;  après  avoir 
réclamé  une  augmentation  d'appointements  qu'ils  se  sont  vu  refuser  par  les 
diverses  administrations,  d'une  entente  commune  ils  ont  déserté  et,  à  leur 
tour,  ont  carrément  refusé  le  service.  On  a  vu  alors,  spectacle  bizarre  !  le  vaste 
Théâtre  DalVerme  représenter  la  Bohème  et  Carmen avec  un  simple  piano  teuu 
par  le  ch  f  d'orchestre  Ferrari.  Alors,  protestations  des  spectateurs,  plaisante- 
ries, lazzi  de  toutes  sortes,  puis  cris  d'oiseaux,  bacchanal.  chahut,  etc.  Au 
Théàtre-Fossati,  où  l'on  joue  l'opérette,  il  a  fallu  se  contenter  aussi  d'un 
piano.  De  même  au  Théâtre-Lyrique.  On  devine  que  les  recettes  se  ressentent 


largement  de  cet  état  de  choses,  le.  représentai  ions  lyriques  manquant  absolu- 
ment d'ampleur  et  de  majesté.  Quand  et  comment  tout  cela  linira-t-il  ?  on  ne 

sait  trop.  Mais  il  semble  bien  que  les  directions  théâtrales  ser ibligéea  de 

venir  à  composition  el  de  céder  aux  exigences  des  artistes,  sou.  peine  de  loir 
le  public  devenir  de  plus  en  plus  rare,  et,  eu  lin  de  compte,  rester  tranquille- 
ment chez  lui. 

—  De  Piacenza.  par  dépêche  :  Succès  extraordinaire  de  Werther,  sacré  chef- 
d'œuvre  par  public  enthousiaste.  L'œuvre  maîtresse  de  Massenet  était  fort 
bien  chantée  par  le  ténor  Pelati  (Werther),  M"'  Montegiglk)  Charlotte), 
M.  Delgrielo  (Albert),  el  M11"  Dimazio  (Sophie),  Fort  belle  exécution  -ou.  la 
direction  du  maestro  Callo. 

—  Il  y  a  six  ans  on  vit  paraître  avec  succès,  sur  un  des  théâtres  de  Londres, 
une  troupe  de  douze  jeunes  danseuses  choisies  avec  le  plus  grand  soin  par  le 
manager  parmi  les  plus  délicieusement  jolies  de  leur  profession.  Elles  se 
présentaient  sous  l'appellation  de  Gilison  Girls,  allusion  au  type  féminin  mis  a 
la  mode  par  le  fameux  dessinateur  américain  de  ce  nom.  Or,  il  arriva  qu'après 
quelques  semaines  un  pair  d'Angleterre  s'énamoura  d'une  de  ces  beautés  dan- 
santes, demanda  sa  main  et  l'épousa,  si  bien  que  l'humble  miss  Eva  Carrington 
devint  lady  Clifford.  L'exemple  devint  contagieux,  et  une  seconde  tiibsou  Girl, 
miss  Camilli  Giffard,  ayant  séduit  lord  Aherdace,  ne  tarda  pas  beaucoup  a 
devenir  sa  femme.  Miss  Gates  épousa  ensuite  le  baron  von  Ditton,  tandis  que 
trois  autres,  les  misses  Mary  Fairbairn,  May  Kennedy  et  Christino  numphries 
épousaient  les  trois  frères,  les  richissimes  Smilhson.  l'n  peu  plus  tard  encore. 
Eva  Hellidson  devint  marquise  de  Florac,  Ililda  Harris  accorda  son  cœur  el  sa 
main  au  banquier  Drummond,  Barbara  Dean  et  Elice  Rey  épousèrent  les 
milliardaires  Loder  et  Max  Andrew,  alors  que  Rathleen  Davvis  devenait,  en 
épousant  M.  Hardage,  la  nièce  du  duc  de  Portland,  l'homme  le  plus  riche  du 
Royaume-Uni,  ce  qui  n'est  pas  peu  dire.  Enfin,  une  seule  des  Gibson  Cirls 
restait  libre,  miss  Sylvia  Storoy.  la  plus  adorablement  belle,  dit  on,  de  ce 
groupe  renommé  pour  sa  beauté  ;  cela  ne  pouvait  durer  plus  longtemps,  et 
celle-ci  vient  d'épouser  ces  jours  derniers  lord  Powlett,  membre  de  la  Chambre 
des  lords.  De  sorte  qu'à  l'heure  présente,  les  douze  jolies  danseuses  sont  toutes 
devenues  marquises,  duchesses  ou  milliardaires.  Le  jeté  battu  a  du  bon. 

—  Au  festival  de  Norfolk  et  Norwich,  qui  s'est  terminé  la  semaine  dernière, 
on  a  donné  le  Songe  de  Gerontiw,  le  Roi  Olaf  et  les  Enigma-Yariations  de 
M.  Elgar,  le  Stabat  Maler  de  Dvorak,  le  Requiem  de  Brahms.  In  Xuil  île  Noël 
de  Hugo  Wolf,  la  Symphonie  avec  chœurs  de  Beethoven,  la  Symphonie  en  soi 
mineur  de  Mozart,  des  motets  de  Bach,  et  une  œuvre  nouvelle,  Cleopalra. 
cantate  dont  les  paroles  sont  de  M.  Gerald  Cumberland  et  la  musique  de 
M.  Julius  Harrisson.  M""'  Theresa  Carreno  a  exécuté  le  concerto  en  si  bémol 
de  Tschaikowsky  et  M.  Kreisler  le  concerto  pour  violon  de  Beethoven. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 
L'Académie  des  Beaux-Arts  a  tenu  samedi  dernier, en  présence  d'un  audi- 
toire nombreux  et  particulièrement  choisi,  et  sous  la  présidence  de  M.  Luc- 
Olivier  Merson,  président  en  exercice,  sa  séance  publique  annuelle.  Cette 
séance  s'est  ouverte  par  l'exécution  d'un  morceau  symphonique  intitulé  Noël 
berrichon  (suite  pour  petit  Orchestre),  de  M.  Marcel  Rousseau,  après  quoi 
M.  Luc-Olivier  Merson  a  prononcé  un  excellent  discours  dans  lequel  il  a 
adressé  aux  lauréats  des  concours  de  Rome  des  conseils  paternels  et  précieux, 
dictés  par  un  sentiment  très  élevé  et  un  sincère  amour  de  l'art.  On  a  procédé 
ensuite  à  la  proclamation  des  grauds  prix  des  derniers  concours  peinture 
sculpture,  architecture,  gravure,  composition  musicale1,  puis  M.  Henrv  Rou- 
jon,  secrétaire  perpétuel  de  l'Académie,  a  pris  la  parole  pour  lire  une  notice 
sur  la  vie  et  les  travaux  de  Giuseppe  Verdi,  notice  très  substanlielle,érrite  dans 
une  langue  à  la  fois  élégante  et  ferme,  et  fertile  en  aperçus  ineénieux.  Lue  avec 
une  rare  habileté,  cette  notice,  accueillie  par  de  vifs  applaudissements,  a  ob- 
tenu le  succès  le  plus  complet  et  le  plus  mérité.  La  séance  s'est  terminée  par 
l'exécutioo.  sous  la  direction  de  M.  Paul  Vidal,  de  la  scène  lyrique  de  M.  André 
Gailhard  qui  a  remporté  cette  année  le  premier  grand  prix  de  composition. 
Elle  avait  pour  interprètes  M"''5  Chenal  et  Alice  Verlet  et  M.  Devriés. 

—  On  a  publié  cette  semaine  le  renouvellement  du  conseil  supérieur  d'en- 
seignement du  Couservatoire,  qui  se  trouve  ainsi  composé  pour  trois  ans  : 

Section  des  éludes  musicales. 

Douze  membres  choisis  en  dehors  du  Conservatoire  :  MM.  Rêver.  Massenet.  Saint- 
Saèns,  Paladilhe,  de l'Institut;  Bruueau.  Paul  Dukas.  G.  Pierné,  André   Wormser 
compositeurs  de  musique;  Pierre  Mlo,  critique  musical  :  H.Maréchal,  P. -Y.  delà  Nux 
inspecteurs  de    l'enseignement    musical:    Guy   Reparu,   directeur  de 
musique,    à  Nancy. 

Ilnii  professeurs  titulaires  nommés  par  le  ministre  :  M.  Lenepveu,  de  l'Institut' 
M—  RoseCaron,  MM.  A.  Giiilmanl.  P.  Taflanel.  Paul  Vidal.  Widor.  Edouard  Itisler, 
Camille  Chevillant. 

Quatre  professeurs  titulaires  élus  par  leurs  collègues:  MM.  Edmond  Duvernov 
Louis  Diémer,  Lavignac,  Lefoit. 

Section  désuétudes  dramatiques. 

Dix  membres  choisis  en  dehors  du  Conservatoire  :  MM.  V.  Sardou,  II.  Lavedan 
Paul  llervieu.  M.  Donnai-,  Jean  Riehepin,  de  l'Académie  française:  M-«  Bartet 
sociétaire  de  la  Comédie-Française  :  MM.  Iirieux,  A.  Capus,  François  de  Curel,  auteurs 
dramatiques;  Mounet-Sutly,  doyen  de  la  Comédie-Française. 

L'n  professeur  de  déclamation  nommé  par  le  ministre  :  M.  Silvain. 

Fn  professeur  de  déclamation  élu  par  ses  collègues  :  M.  Leloir. 

A  peine  ce  tableau  était-il  publié  qu'un  nom  s'y  trouve  déjà  à  remplacer. 
En  effet,  la  mort  de  M.  Y  ictorien  Sardou,  que  nous  annonçons  d'autre  part, 
laisse  un  vide  à  combler  dans  la  section  des  études  dramatiques. 


368 


LE  MENESTREL 


—  M.  Leitner,  de  la  Comédie-Fi-ançaise,  est  olficielement  appelé  à  prendre, 
au  Conservatoire  de  musique  et  de  déclamation,  la  succession  de  M'"c  Sarah 
Bernhardt,  démissionnaire. 

—  Si  les  nouvelles  données  par  le  Figaro  du  7  novembre  sont  exactes,  tout 
serait  allé  vraiment  au  mieux  à  la  conférence  "de  Berlin  pour  la  révision  de  la 
Convention  de  Berne.  Qu'on  en  juge  : 

On  serait  enfin  parvenu  à  inscrire  dans  la  loi  internationale  le  principe  de  l'unifi- 
cation de  la  propriété  littéraire  dans  tous  les  pays,  en  adoptant  le  chi lire  de  50  ans 
après  la  mort  de  l'auteur,  chiffre  qui  est  celui  de  la  législation  française;  toutes  les 
formalités  jusqu'à  présent  nécessaires  pour  que  la  protection  fut  acquise  seraient 
supprimées;  les  droits  de  l'auteur  sur  la  traduction  de  ses  ouvrages,  qui  n'étaient 
reconnus  que  si  la  traduction  avait  été  faite  dans  un  délai  de  10  ans  après  la  publi- 
cation du  livre,  dureraient  aussi  longtemps  que  ses  droits  sur  l'œuvre  originale. 
Enfin,  parmi  les  principales  réformes  vraisemblablement  conquises,  il  faudrait  faire 
figurer  les  articles  politiques  jusqu'alors  tenus  en  dehors  de  la  propriété  littéraire, 
et  qui  jouiraient  de  la  même  protection  que  toutes  les  autres  productions  de  l'esprit. 

Seraient  également  protégés  les  droits  de  l'auteur  sur  l'œuvre  reproduite  parle 
cinématographe,  et  proclamé  le  principe  que  l'œuvre  d'un  compositeur  ne  peut  êlre 
reproduite  par  le  gramophone  ou  le  phonographe  sans  son  autorisation  préalable. 

Nos  nouvelles  directes  qui  s'arrêtaient  au  29  octobre,  il  est  vrai,  n'étaient 
pas  aussi  précises.  Le  principe  de  la  durée  uniforme  de  la  propriété  artistique 
en  tous  pays  portée  à  30  ans  post  mortem  n'avait  été  adopté  dans  la  commission 
spéciale  qu'à  quatorze  voix  contre  trois.  Or  on  sait  qu'il  faut  l'unanimité  pour 
l'adoption  définitive  d'une  modification  à  apporter  à  la  Convention  de  Berne. 
Cette  unanimité  a-t-ellc  été  obtenue  par  la  suite  à  l'assemblée  générale  qui 
devait  suivre  les  réunions  de  commissions?  C'est  possible.  En  revanche,  l'accord 
s'était  bien  fait  unanime  sur  la  suppression  des  «  formalités  »  de  dépôt  et  sur 
le  «  droit  de  traduction  ».  Au  29  octobre  la  question  dite  des  «  phonographes  » 
n'avait  pas  encore  été  abordée.  On  disait  aussi  que  la  Hollande,  la  Russie,  les 
États-Unis  montraient  de  bonnes  dispositions  pour  se  rallier  à  la  Convention 
de  Berne,  dont  jusqu'ici  elles  s'étaient  tenues  écartées. Enfin  l'Angleterre  sem 
blait  promettre  de  modifier  certaines  parties  de  sa  législation  intérieure  pour 
la  rendre  plus  conforme  aux  dispositions  de  la  Convention  de  Berne. 

—  Puisque  nous  parlons  de  la  Convention  de  Berne,  di-ons  aussi  qu'on  va 
profiter  de  l'heureux  mouvement  de  la  jeune  Turquie  vers  des  idées  plus  civi- 
lisatrices pour  tenter  de  lui  faire  reconnaître  aussi  le  principe  de  la  propriété 
artistique  et  même  do  l'amener  à  se  rallier  à  la  bienfaisante  et  loyale  Conven- 
tion de  Berne.  On  devrait  avoir  de  grandes  chances  de  réussir. 

—  A  l'Opéra  on  a  repris  les  intéressantes  représentations  d'ilippolgte  et 
Aricie  pour  la  rentrée  de  Mllc  Bréval,  qui  y  a  retrouvé  son  beau  succès  des 
premiers  soirs.  M.  Altchewsky,  le  ténor  russe,  succédait  à  M.  Plamondon  dans 
le  rôle  d'Hippclyte.  Il  y  a  fort  réussi.  —  On  joue  à  présent  le  Crépuscule  des 
Dieux  dans  les  conditions  ordinaires  de;  autres  spectacles.  On  commence  à 
sept  heures  et  demie  pour  finir  aux  environs  de  minuit,  sans  entr'acte  dina- 
toire.  Les  recettes  ne  s'en  maintiennent  pas  moins  au  beau  fixe. 

—  Spectacles  de  dimanche  à  l'Opéra  Comique:  en  matinée,  Louise;  le  soir, 
Manon. —  Lundi,  en  représentation  populaire  à  prix  réduits  :  la  Vie  de  Bohème. 

Mmc  Marguerite  Carré  est  partie  cette  semaine  pour  Lisbonne,  où  elle  doit 

donner  au  théâtre  San  Carlos  des  représentations  (en  français)  de  Manon. 

—  Un  catalogue  récent  d'autographes  contient  la  mention  d'une  lettre"  de 
l'académicien  Alexandre  Duval,  le  fameux  auteur  dramatique  qui  fut,  aux 
premières  années  du  XIXe  siècle,  le  collaborateur  très  habile  de  la  plupart  de 
nos  musiciens  :  Méhul,  Boieldieu,  Catel,  d'Alayrac,  Délia  Maria,  Deshayes, 
Tarchi,  etc.  Cette  lettre,  datée  du  22  février  1829.  et  adressée  à  Rouget  de  Lisle, 
est  ainsi  analysée  :  —  «  Andrieux  lui  a  parlé  de  son  opéra  et  le  lui  a  recom- 
mandé. La  recommandation  était  inutile,  mais  Alexandre  Duval  est  d'avis  que 
la  représentation  de  l'œuvre  de  Rouget  de  Lisle  sera  difficile  à  obtenir.  Il  y  a 
beaucoup  de  talent  dépensé  sur  un  sujet  usé  «  dans  lequel  Rossini  a  déployé 
»  toute  l'étendue  de  son  génie,  toutes  les  ressources  de  son  art.  Quel  est  main- 
»  tenant  le  compositeur  qui,  après  lui,  voudrait  s'exposer  aux  dangers  de  la 
»  comparaison  ».  —  Quel  était  donc  ce  poème  d'opéra  dont  le  sujet  avait  ins- 
piré déjà  Rossini  ?  Pour  qui  connaît  les  Mémoires  de  Berlioz,  la  réponse  est 
facile  :  c'était  Othello.  En  effet,  Berlioz  reproduit  dans  ses  Mémoires  une  lettre 
que  lui  adressait  Rouget  à  la  date  du  20  décembre  1830  (il  venait  d'obtenir 
enfin  son  prix  de  Rome),  et  dans  laquelle  l'auteur  de  la  Marseillaise  lui  deman- 
dait un  rendez-vous  pour  lui  faire  «  une  et  peut-être  deux  propositions».  Ber- 
lioz, alors  sur  son  dépari,  ne  put  se  rendre  à  son  désir,  et  il  en  parle  ainsi  : 

„  J'ai  su  plus  lard  que  Rouget  de  Lisle,  qui,  pour  le  dire  en  passant,  a  fait 

bien  d'autres  beaux  chants  que  la  Marseillaise,  avait  en  portefeuille  un  livret 
d'opéra  sur  Olhello,  qu'il  voulait  me  proposer.  Mais  devant  partir  de  Paris  le 
lendemain  du  jour  où  je  reçus  sa  lettre,  je  m'excusai  auprès  de  lui  en  remet- 
tant à  mon  retour  d'Italie  la  visite  que  je  lui  devais.  Le  pauvre  homme  mou- 
rut dans  l'intervalle.  Je  ne  l'ai  jamais  vu.  »  Peut-être  est-ce  dommage.  Rouget 
de  Lisle,  qui  avait  déjà  tenté  d'introduire  Shakespeare  à  l'Opéraavec  unMoc- 
belh  dont  un  autre  prix  de  Rome,  Chelard,  avait  écrit  la  musique,  mais  qui 
fut  repré;enté  sans  succès  le  29  janvier  1827,  aurait  sans  doute  été  plus  heu- 
reux avec  Olhello  et  avec  Berlioz,  a  qui  son  admiration  bien  connue  pour  Sha- 
kespeare aurait  pu  inspirer  un  chef-d'œuvre. 


—  Au  moment  où  les  Folies-Dramatiques  préparent  une  brillante  reprise 
du  Petit  Faust,  il  est  intéressant  de  passer  en  revue  les  principaux  créateurs 
et  interprètes  du  chef-d'œuvre  d'Hervé.  Ce  fut  Hervé  lui-même  qui  créa  Eaust; 
à  coté  de  lui,  Blanche  d'Antigny  fut  Marguerite;  Van  Ghel,Méphisto;  Millier, 
Valentin.  A  la  reprise  de  la  Porte-Saint-Martin,  nous  voyons  Cooper  dans 
Faust,  Sulbac  dans  Valentin,  Jeanne  Granier  dans  Marguerite,  Samé  dans 
Méphisto.  A  celle  des  Variétés,  c'est  Guy  qui  joue  Faust,  Brasseur.  Valentin: 
Méaly,  Marguerite;  Pernyn,  Méphisto.  Aux  Folies-Dramatiques,  trois  de  ces 
artistes  reprendront  leur  rôle  :  M"e  Pernyn,  MM.  Cooper  et  Sulbac,  et  c'est 
M"e  Jeanne  Saulier  qui  jouera  Marguerite. 

—  Couns  et  Leçons.  —  M™'  K.-J.  Chassein-fterlzog  a  repris  ses  cours  et  leçons  de 
chant,  8,  rue  de  Valenciennes.  —  M""  Isambcrt  reprendront  leurs  cours  et  auditions, 
le  '20  novembre,  3,  rue  Guichard. 

NÉCROLOGIE 

-VICTORIEN       SARDOU 

L'art  dramatique  français  a  fait  cette  semaine  une  perte  irréparable.  Son 
représentant  le  plus  éminent,  Victorien  Sardou,  est  mort  dimanche  à  Paris, 
où  on  l'avait  ramené  de  Marly  en  ces  derniers  jours.  On  espérait  pouvoir  le 
transporter  dans  le  Midi  pour  vaincre  le  mal  dont  il  était  atteint  depuis 
quelque  temps,  mais  son  état  empira,  et  bientôt  tout  espoir  était  perdu.  — 
Nous  ne  saurions,  en  quelques  lignes  rapides,  avoir  la  prétention  de  retracer 
la  vie  et  la  carrière  d'un  écrivain  de  cette  trempe  et  de  cette  envergure. 
Quelques  titres,  quelques  dates  suffiront  à  en  rappeler  les  principaux  faits. 
Constatons  d'abord  que  Sardou  a  occupé  la  scène  pendanttout  un  demi-siècle 
et  qu'il  a  fait  jouer  plus  de  soixante  pièces,  dont  cinquante  furent  des  succès 
et  quelques-unes  des  triomphes.  Il  a  abordé  tour  à  tour  tous  les  genres: 
comédie  d'intrigue,  comédie  de  caractères,  bouffonnerie  pure,  drame  intime, 
et  jusqu'au  grand  drame  historique.  Qui  ne  se  rappelle  tous  ces  litres  qui 
tinrent  si  longtemps  les  affiches  de  tous  les  théâtres  "?  les  Pattes  de  mouche. 
Monsieur  Garât,  Nos  lions  villageois,  la  Famille  Benoiton,  Maison  neuve,  Nos  inti- 
mes, les  Ganaches,  les  Pommes  du  voisin,  Séraphine,  Fernande.  Dora.  Daniel  Rachat, 
Odette,  et  Patrie,  et  la  Haine,  et  Fédora,  et  Théodora,  et  Cléopnlre.  que  sais-je  ? 
Et  l'on  peut  dire  de  Sardou  qu'il  est  mort  les  armes  à  la  main,  car  c'est  il  y  a 
quelques  mois  à  peine  qu'il  donnait  à  la  Porte -Saint-Martin  son  dernier 
drame,  l' Affaire  des  poisons,  qui  fit  tant  de  bruit.  N'oublions  pas  que  Sardou  a 
été  incidemment  et  quelque  peu  mêlé  à  la  musique,  et  qu'il  a  fourni,  seul  ou 
en  collaboration,  quelques  livrets  à  nos  compositeurs  :  Bataille  d'amour,  de 
Vaucorbeil  (Opéra-Comique,  1863),  les  Prés  Sainl-Gervais,  de  Charles  Lecocq 
(Variétés  1874),  Picculino,  d'Ernest  Guiraud  (Opéra-Comique,  1876),  les  Noces 
de  Fernande,  de  Louis  Défies  (id.,  .1878),  Patrie  de  Paladilhe  (Opéra,  1886), 
sans  compter  le  Roi  Carotte  à  la  Gailé  avec  Oflénbach  et  la  Fille  de  Tabarin 
avec  Pierné.  —  Il  a  paru  sous  ce  titre  :  Victorien  Sardou,  il  y  a  un  an  ou  deux, 
un  livre  de  M.  Hugues  Rebell  (librairie  Juven). 

3VE  ARIE        F  A.~VA.  R.  T 

Une  grande  arliste,  qui  pendant  plus  de  trente  ans  tint  une  place  éminente 
à  la  Comédie-Française,  M"le  Marie  l'avart  (de  son  vrai  nom  Pierrette -Ignace 
Pingaud),  est  morte  mercredi  à  Paris.  Née  à  Beaune  le  16  février  1833,  elle 
entrait  à  douze  ans  au  Conservatoire  dans  la  classe  de  Samson,  en  sortait  deux 
ans  après  avec  un  accessit  de  tragédie  et  un  second  prix  de  comédie  (1847),  et 
débutait  à  la  Comédie  le  19  mai  1848,  dans  Valérie,  pour  jouer  ensuite  Ché- 
rubin du  Mariage  de  Figaro.  Au  bout  de  trois  ans,  un  coup  de  tête  la  faisait 
partir  pour  entrer  aux  Variétés  où  elle  jouait  Mignon,  la  Petite  Fadette,  la  Vie  de 
Bohème...  Mais  bientôt  elle  rentrait  au  bercail,  je  veux  dire  à  la  Comédie- 
Française,  où  sa  beauté  pleine  d'élégance,  jointe  à  un  talent  de  premier  ordre, 
ne  tarda  pas  à  lui  faire  conquérir  la  première  place.  Dès  le  15  juillet  1854,  à 
vingt  et  un  ans,  elle  était  nommée  sociétaire.  Elle  fui  une  jeune  première,  et 
ensuite  un  premier  rôle  d'un  ordre  vraiment  exceptionnel,  se  montrant  aussi 
bien  dans  l'ancien  répertoire  que  dans  le  répertoire  moderne,  dans  la  tragédie 
(Andromaque,  Mithridate),  que  dans  la  comédie,  et  faisant  de  nombreuses  créa- 
tions dans  lesquelles  elle  déployait  parfois  une  passion  ardente  avec  un  jeu 
plein  de  grandeur,  aidés  par  une  diction  superbe  (ceux  qui  l'ont  vue  dans 
la  Nuit  d'octobre  avec  Delaunay  auront  peine  à  l'oublier).  Parmi  ses  créations 
il  faut  citer  Sullivan,  le  Sage  et  le  Fou,  Mademoiselle  de  la  Seiglière,  le  Fils  de 
Giboger,  Fanlasio,  le  Supplice  d'une  femme,  le  Fils,  Galilée,  l'Aventurière,  Julie, 
On  ne  badine  pas  avec  l'amour...  Et  quels  succès  dans  le  Gendre  de  M.  Poirier. 
dans  Marion  Delorme  I  En  1881,  blessée  des  mauvais  procédés  de  Perrin  à  son 
égard,  elle  donna  sa  démission.  On  la  vit  alors  à  la  Gaité  dans  Lucrèce  Borgia, 
à  l'Odéon  dans  Xuma  Roumestan,  puis  elle  fit  quelques  tournées  en  province, 
et,  l'âge  arrivant,  elle  se  retira  définitivement  de  la  scène.  On  peut  dire  de 
Marie  Favart  qu'elle  fit  vraiment  honneur  à  la  Comédie-Française,  où  pendant 
de  longues  années  elle  porta,  de  la  façon  la  plus  remarquable,  tout  le  poids  du 
répertoire. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

Viennent  de  paraître  chez  E.  Fasquelle  :  Michel  Proiins,  le  Cœur  double,  roman 
dialogué  (3  fr.  50  c.j;  Jules  Perrin,  la  Terreur  des  images  (3  l'r.  50  c);  Catulle  Mendès, 
Théâtre  en  vers:  le  Roman  d'une  nuit,  la  Part  du  lloi,  la  Heine  Fiametle,  les  Traîtres 
(3  fr.  50  c). 


■  (Encre  Lorulïiuj. 


403-2.  -  Vf  A.WÉE.  -  iV  47.  PARAIT  TOUS  LES'  SAMEDIS  Si"»c,li  '2]  "•«■*«  ,,J"8 

(Les  Bureaux,  2bl8,  rue  Vivienne,  Paris,  ii- m-) 
(Les  nianuscrils  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publics  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  :iax  iiulcura.) 


Le  flaméFo  :  0  fr.  30 


THÉÂTRES 


MUSIQUE    ET 

Henhi     HEUG  KL.      Directeur 


E 


Le  flaméro  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  IIEUGEL,  directeur  du  MÉNESTRF.L,  2  bis,  rue  Vivienr.e,  les  Manuscrits.  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  — Texte  et  Musique  de  Chaut.  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,    Musique  de  Chant  et  de   Piano,  30  fr.,   Paris  et  Province.   —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (/i~i°  article),  Julien  Tieiisot.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  première  représentation  de  Dix  miaules  (Tantôt  aux  Nouveautés,  el  de  l'Enfant  de  ma  si 
au  Théâtre-Déjazet,  Paul-Ëmile  Chevalier.  —  III.  Deux  lettres  inédites  de  Hameau,  Arthur  Pougin.  —  IV.  Kevue  des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUK   DK  PIAXO 

Nos  abonnés  à  la  musique  ae  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

BOURRÉE    ET    MUSETTE 

de  A.    Pémliiou,   sur   des  thèmes    populaires.   —   Suivra    immédiatement 
Neuvième  Nocturne,  de  Gabriel  Faire. 


MUSIQUE   DE  CHANT 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  : 

DANS    L'ÉTÉ 

nouvelle  mélodie  de  Reynaldo  LTaiin.  —  Suivra  immédiatement  :  Le  Noël  des 

humbles,  de  J.  Massenet. 


SOIXANTE     ANS     DE     LA    VIE     DE     GLUCK 


(  ±T  J.-4-  Î-*7T-<S,) 


CHAPITRE    IX    :     Alceste. 


Gomme  pour  Orfeo  ed  Euridice, 
la  représentation  publique  d'.l/- 
ceslc  ne  suffit  pas  à  satisfaire  aux 
besoins  de  propagande  de  Gluck: 
il  voulut  que  son  nouvel  ouvrage 
fut  également  publié.  Cette  fois,  il 
évita  les  embarras  de  la  gravure 
à  Paris;  un  imprimeur  de  "Vienne, 
Jean-Thomas  de  Traltnern ,  se 
chargea  de  faire  parailre  la  par- 
tition, qui  sortit  de  ses  presses 
sous  le  millésime  de  1769. 

Ce  volume  n'est  pas  seulement 
précieux  par  la  musique  que 
reproduisent  ses  deux  cent  trente- 
trois  pages;  il  l'est  presque  à  un 
égal  degré  par  le  simple  feuillet 
qui  suit  le  titre,  et  qui  contient 
cet  écrit  célèbre  entre  tous  dans 
la  littérature  musicale  :  la  préface 
â'Alceste.  Si  connu  que  soit  le  do- 
cument, il  ne  nous  est  pas  permis 
de  ne  pas  le  reproduire.  Le  voici 
donc,  fidèlement  traduit  d'après 
la  rédaction  italienne  originale. 
Il  est  adressé,  sous  forme  d'épitre 
dédicatoire,  à  l'archiduc  Léopold, 
grand- duc  de  Toscane,  plus  tard 
empereur  sous  le  nom  de  Léo- 
pold II  (I). 


(1)  Nous  avons  adopté,  pour  U  reproduc- 
tion de  cette  epitro,  la  traduction,  très  fidèle, 
de  rédition  Pelletai!,  de  préférence  à  celle 
-qu'on  voit  le  plus  souvent  citer,  et  ijui  l'ut 
imprimée  en  France  du  vivant  mémo  de 
Gluck  (dans  les  Mémoires  pour  servira  ^histoire 


/a.     JLs 

C  E  S  T  E.  ' 

T      R 

A       G       E       D       I       A, 

-M  li  S  S  A    IN     M  V  S  I  C  A 

SZGXORX   CAT.J.GZISXZ   CRISTO  FOSO   GZUCK. 

t  U     ...        I       .     ."■     ■       .  I      I      J      ,       I    —L^Jg   ■      ■ .      I       ,    ^—^ 

D      E       D      ICA      TA 
A       S     LT     A 

A    E   T    E   Z    Z   A     R   E   A   E   E', 

L     UCIDIICA 

P   ï   E   T8   O      LEGPOLDO 
G  R.  AN-     D  -II-CA 


-.-  ::■* 


t    j    t.    :•     y    -i 


GIOVANNI 


T  O  M  A  S  O     r,  E     T  R  A  T  T  N  E  R  N. 


.V  D  C  C  L  X  r  X. 


C&A 


Altesse  Royale  ! 

Lorsque  j'entrepris  de  composer  la  mu- 
sique de  YAlceste,  je  me  proposai  de  la 
dépouiller  entièrement  de  tous  ces  abus 
qui,  introduits  soit  par  la  vanité  mal  en- 
tendue des  chanteurs,  soit  par  la  trop 
grande  complaisance  des  maitres,  depuis 
si  longtemps  défigurent  l'opéra  italien,  et 
du  plus  pompeux  et  dj  plus  beau  de  tous 
les  spectacles  en  font  le  plus  ridicule  et 
le  plus  ennuyeux.  Je  songeai  à  réduire  la 
musique  à  sa  véritable  fonction,  qui  est 
de  seconder  la  poésie  dans  l'expression 
des  sentiments  et  des  situations  de  la 
fable,  sans  interrompre  l'action,  ou  la 
refroidir  par  des  ornemenls  inutiles  et 
superflus,  et  je  crus  que  la  musique 
devait  être  à  la  poésie  comme,  à  un 
dessin  correct  et  bien  disposé,  la  vivacité 
des  couleurs  et  le  contraste  bien  ménagé 


de  la  révolution  opérée  dans  la  musique  par 
M.  le  Chevalier  Gluck,  1781,  et  antérieurement, 
dans  la  Gazelle  de  littérature);  celle-ci  conte- 
nait quelques  infidélités  de  détail  qui  vont 
parfois  à  altérer  le  sens.  —  Le  traducteur 
français  de  YEtat  présent  de  lu  musique  de 
Bliineï,  dit,  dans  une  noie  de  la  page  où  son 
auteur  reproduit  le  même  document  (t.  II, 
p.  231)  que  «  celte  préface,  qui  est  un  chef- 
d'œuvre  de  goùi,  d'érudition  et  de  raison 
musicale,  a  clé  écrite  par  VAbate  l'otlellini, 
poète  distingué  qui  se  trouvait  alors  à 
Vienne  ».  Cela  peut  être  :  Gluck,  musicien, 
non  homme  de  lettres,  a  très  bien  pu.  pour 
donner  lit  forme  convenable  a  ses  idées, 
demander  à  un  écrivain  db  métier  de  tenir 
la  plume  à  sa  place.  L'iibbe  Coltellini  n'est 
I  as  un  inconnu  pour  nous:  nous  l'avons 
déjà  rencontré  deux  fois  avec  Gluck,  d'abord 
cnmmc  son  compagnon  de  voyage  à  Paris  en 
1704,  puis,  l'année  suhante,  comme  son  col- 
laborateur pour  Tclemacco, 


370 


LÉ  MÉNESTREL 


des  lumières  et  des  ombres,  qui  servent  à  animer  les  figures  sans  en  altérer  les 
contours.  Je  n'ai  donc  voulu  ni  arrêter  un  acteur  dans  la  plus  grande  chaleur 
du  dialogue  pour  lui  faire  attendre  une  ennuyeuse  ritournelle,  ni  le  retenir 
au  milieu  d'une  parole  sur  une  voyelle  favorable,  soit  pour  faire  parade  dans 
un  long  passage  de  l'agilité  de  sa  belle  voix,  soit  pour  attendre  que  l'orchestre 
lui  donne  le  temps  de  reprendre  haleine  pour  une  cadence.  Je  n'ai  pas  cru 
devoir  passer  rapidement  sur  la  seconde  partie  d'un  air,  fùt-elle  même  la 
plus  passionnée  et  la  plus  importante,  afin  d'avoir  lieu  de  répéter  régulière- 
ment quatre  fois  les  paroles  de  la  première  partie,  et  finir  l'air  où  peut-être 
ne  finit  pas  le  sens,  pour  donner  au  chanteur  facilité  de  faire  voir  qu'il  peut 
varier  capricieusement  un  passage  d'autant  de  manières  ;  en  somme  j'ai  cher- 
ché à  bannir  tous  ces  abus  contre  lesquels  depuis  longtemps  crient  en  vain  le 
bon  sens  et  la  raison. 

J'ai  imaginé  que  l'ouverture  devait  prévenir  les  spectateurs  sur  l'action  qui 
va  se  représenter,  et  en  former  pour  ainsi  dire  l'argument:  que  le  concours 
des  instruments  devait  se  régler  en  proportion  de  l'intérêt  et  de  la  passion,  et 
qu'il  ne  fallait  pas  laisser  dans  le  dialogue  une  disparate  tranchante  entre  l'air 
et  le  récitatif,  afin  de  ne  pas  tronquer  à  contre-sens  la  période,  ni  interrompre 
mal  à  propos  la  force  et  la  chaleur  de  l'action. 

J'ai  cru  en  outre  que  mes  plus  grands  efforts  devaient  se  réduire  à  recher- 
cher une  belle  simplicité,  et  j'ai  évité  de  faire  parade  de  difficultés  au  pré- 
judice de  la  clarté:  je  n'ai  jugé  estimable  la  découverte  de  quelque  nouveauté 
qu'autant  qu'elle  était  naturellement  suggérée  par  la  situation  ou  utile  à 
l'expression;  et  il  n'est  pas  de  règle  d'ordre  que  je  n'aie  cru  devoir  sacrifier  de 
bonne  volonté  en  faveur  de  l'effet. 

Voilà  mes  principes.  Par  bonheur,  le  livret  se  prêtait  à  merveille  à  mon 
dessein  ;  le  célèbre  auteur  imaginant  un  nouveau  plan  pour  le  drame,  y  avait 
substitué  aux  descriptions  fleuries,  aux  comparaisons  superflues,  et  aux  sen- 
tencieuses et  froides  moralités,  le  langage  du  cœur,  les  passions  fortes,  les 
situations  intéressantes,  et  un  spectacle  toujours  varié.  Le  succès  a  justifié 
mes  maximes,  et  l'approbation  universelle  d'une  ville  aussi  éclairée  a  fait 
voir  clairement  que  la  simplicité,  la  vérité  et  le  naturel  sont  les  grands  prin- 
cipes du  beau  dans  toutes  les  productions  de  l'art.  Toutefois,  malgré  les  ins- 
tances répétées  des  personnes  les  plus  respectables  pour  me  déterminer  à 
publier  mon  opéra  par  l'impression,  j'ai  senti  tout  le  risque  que  l'on  court  à 
combattre  des  préjugés  aussi  généralement  et  aussi  profondément  enracinés, 
et  je  me  suis  vu  dans  la  nécessité  de  m'assurer  du  patronage  très  puissant  de 
"Votre  Altesse  Rovale,  implorant  la  grâce  de  graver  en  tête  de  mon  œuvre  son 
auguste  nom,  qui  avec  tant  de  raison  réunit  les  suffrages  de  l'Europe  éclairée; 
le  grand  Protecteur  des  beaux-arts,  régnant  sur  une  nation  qui  a  la  gloire  de 
les  avoir  relevés  de  l'oppression  universelle,  et  de  produire  dans  chacun  les 
plus  grands  modèles  ;  dans  une  cité  qui  a  toujours  été  la  première  à  secouer 
le  joug  des  préjugés  vulgaires  pour  s'ouvrir  une  voie  vers  la  perfection. 
Lui  seul  peut  entreprendre  la  réforme  de  ce  noble  spectacle  auquel  tous  les 
beaux-arts  ont  tant  de  part.  Si  l'on  réussit,  il  me  restera  la  gloire  d'avoir  posé 
la  première  pierre,  et  ce  témoignage  public  de  la  haute  protection  à  la  faveur 
de  laquelle  j'ai  l'honneur  de  me  déclarer  avec  le  plus  humble  respect, 

DE  V.  A.  R. 

Le  Très-humble.  Très-dévoué,  Très-obligé  Serviteur 
Christophe  Gluck. 

Cette  préface  est  un  manifeste  d'art  complet.  Il  touche  à  tout  : 
au  passé  qu'il  faut  abolir,  aux  réformes  nécessaires  du  temps 
présent,  à  l'œuvre  de  l'avenir,  à  celle  de  toujours. 

Ce  qu'il  faut  détruire,  c'est  l'opéra  italien.  Il  est  visé  presque 
à  chaque  ligne.  Le  premier  paragraphe  est  une  attaque  à  fond 
contre  lui.  La  vanité  des  chanteurs,  les  vains  ornements  qui 
arrêtent  l'action,  les  ritournelles  qui  refroidissent  le  dialogue, 
les  vocalises,  les  formes  arbitrairement  périodiques,  ce  qui  est 
contraire  au  naturel  et  au  bon  sens,  ce  qu'a  de  vicieux  un  art 
d'essence  aristocratique  et  qui  n'a  jamais  voulu  se  retremper 
aux  sources  pures  de  la  vérité  et  de  la  vie,  tout  cela  est  àprement 
dénoncé  dans  cet  exorde.  Plus  loin  encore  :  les  disparates  entre 
le  récitatif  et  l'air,  la  vaine  parade  des  difficultés,  et  (ce  qui 
est  à  la  base)  les  vices  du  drame  :  froides  et  sentencieuses 
moralités,  descriptions  fleuries,  comparaisons  superflues.  Enfin, 
pour  conclure,  cette  parole  révolutionnaire  :  «  Il  n'est  pas  de 
règle  que  je  n'aie  cru  devoir  sacrifier  de  bon  cœur...  » 

Mais  lorsqu'on  veut  faire  une  révolution,  ce  n'est  pas  tout  de 
détruire  :  il  faut  fonder.  A  cela,  Gluck  s'emploie  avec  une  égale 
ardeur.  Voici  donc  ce  qu'il  veut  :  un  drame  qui  représente  des 
passions  fortes  et  parle  le  langage  du  cœur  ;  un  ton  général  de 
simplicité  et  de  sincérité  ;  une  allure  de  discours  naturelle  et 
libre.  Comme  mode  nouveau  d'expression,  par  une  réaction 
naturelle  contre  l'abus  du  chant,  l'orchestre  est  mis  en  valeur  : 
Gluck  a  «  imaginé  »  d'en  faire  une  voix  expressive,  destinée  à 
devenir  plus  puissante  que  celles  des  plus  brillants  virtuoses. 

Et  par-dessus  tout  est  affirmée  l'union  intime  de  la  musique 


et  de  la  poésie,  —  mieux  encore,  la  subordination  de  la  musique. 

Il  a  été  fait  parfois  à  la  préface  d' Alceste  des  objections  de 
détail  :  celles-ci,  nous  allons  le  voir,  ne  reposent  habituellement 
que  sur  des  malentendus.  Tel  est  le  cas  pour  celles  que  Berlioz, 
en  son  souci  de  ne  pas  paraître  aveuglé  par  l'admiration,  formula 
dans  sa  belle  étude  sur  Alceste,  reproduite  en  dernier  lieu  dans 
son  volume  A  travers  chants. 

Il  conteste,  avec  la  préoccupation  nullement  dissimulée  de 
répondre  à  des  critiques  dont  il  avait  lui-même  été  l'objet,  que 
l'ouverture  doive  indiquer  le  sujet  de  la  pièce.  C'est  fort  bien  dit. 
Mais  Gluck  n'a  jamais  écrit  cela.  C'est  dans  la  traduction  fran- 
çaise la  plus  répandue  (1)  que  Berlioz  a  lu  la  phrase  incriminée  : 
mais  la  pensée  de  Gluck  y  est  reproduite  inexactement  :  celui-ci 
a  simplement  écrit  que  la  symphonie  doit  «:  former  pour  ainsi 
dire  l'argument  »  de  l'action  représentée  (2).  L'argument,  dans 
les  usages  du  XVIIIe  siècle,  était  un  résumé  de  la  pièce,  imprimé 
en  tête  du  libretto  ou  de  la  partition  (3),  véritable  programme 
qui  peut  être  comparé  à  ceux  de  nos  symphonies  modernes  ;  il 
avait  en  effet  pour  but  de  «  prévenir  les  spectateurs  de  l'action 
à  représenter  ».  L'assimilation  de  la  préface  instrumentale  qu'est 
une  ouverture  d'opéra  à  cette  préface  littéraire  était  donc  par- 
faitement justifiée,  et  Gluck  avait  tous  les  droits  à  en  faire  ressortir 
la  nouveauté,  car  les  ouvertures  antérieures  n'étaient,  nous  le 
savons,  que  des  compositions  parfaitement  étrangères  aux  opéras 
qu'elles  commençaient.  Lors  donc  que  Berlioz  écrit  sur  l'ouver- 
ture de  Léonore  qu'elle  est  «  en  quelque  sorte  l'opéra  en 
raccourci  »,  et  que  Wagner,  renchérissant,  ajoute  qu'elle  «  nous 
présente  le  drame  par  avance  »,  qu'elle  est  «  le  drame  lui-même 
à  sa  plus  haute  puissance  »,  ils  ne  font,  eux,  les  deux  puissants 
maîtres  de  l'orchestre  expressif  et  représentatif,  que  reproduire 
en  d'autres  termes  la  pensée  de  Gluck,  en  laquelle  est  en  effet 
contenu  le  germe  de  tout  l'art  symphonique  du  XIXe  siècle. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SEMAINE  THEATRALE 


Nouveautés  :  Dix  minutes  d'auto .'  pièce  en  3  actes,  de  MM.  Georges  Berr  et 
Pierre  Decourcelle.  —  Déjazet  :  L'Enfant  de  ma  sœur,  pièce  en  3  actes,  de 
MM.  Mouézy-Eon  et  Francheville. 

En  dix  minutes  d'auto  on  va,  aujourd'hui,  relativement  assez  loin: 
certaines  personnes  même  peuvent  aller  fort  loin,  témoin  la  gente  Jac- 
queline, qui  trouve  le  moyen,  en  ce  laps  de  temps  relativement  court, 
de  pousser  jusqu'à  l'adultère.  N'imaginez  pas  surtout  que  notre  dame 
soit  volage  ;  non,  c'est  la  petite  femme  la  plus  honnête  du  monde  :  si 
elle  a  ridiculisé  son  pharmacien  de  mari,  c'est  par  simple  erreur.  A 
la  sortie  du  bal  des  Quat'-z-Arts,  elle  est  montée  en  taxi-auto  avec  un 
monsieur  costumé,  tout  comme  son  maître  légitime,  en  doge  de  Venise. 
Le  dit  doge  s'étant  moutré  très  entreprenant,  elle  a  cru  devoir  céder  en 
épouse  soumise,  et  ne  s'est  aperçue  de  sa  fatale  méprise  qu'en  arrivant 
à  sa  porte!  Le  pharmacien  a  connu  l'incident  et  s'en  vengera  post-mor- 
tem. 

Ayant  un  jour  été  giflé  dans  la  rue  par  le  commandant  Laloucagne, 
parce  que,  parait-il,  il  regardait  trop  la  dame  qui  l'accompagnait,  il 
jure,  s'il  vient  à  mourir,  de  faire,  de  ce  féroce  jaloux,  le  seigneur  de 
Jacqueline,  fautive  malgré  elle.  Il  établit  donc  un  précis  testament  par 
lequel  il  lègue  toute  sa  fortune,  un  million  bien  sonnant,  à  Laloucagne, 
avec  charge  pour  lui  d'épouser  sa  veuve;  il  fait  du  commandant  le 
familier  de  son  intérieur,  et,  en  homme  qui  sait  ce  qu'il  veut,  il  tré- 
passe. 

Laloucagne  n'est  que  peu  surpris  de  pareille  aubaine,  car  il  est  de 
ce  Midi  où  l'on  s'étonne  assez  difficilement;  déplus,  le  million  est  bon  à 
prendre  et  Jacqueline  aussi,  puisqu'elle  est  exquise.  Et  voilà  que  les 

(1)  Celle  des  Mémoires  pour  la  révolution,  etc.  Voir  note  ci-dessus. 

(2)  Ho  imaginato  che  la  Sinfonia  debba  prévenir  gli  spettatori  delVazione  elle  a  da 
rappresentarsi,  e  formarne  per  die  eosi   Vargomento. 

;3)  Les  trois  partitions  italiennes  de  Gluck,  Orfeo  ed  Euridice,  Alceste  et  Paride  ed 
Elena,  qui  sont,  nous  le  savons,  les  premières  partitions  d'opéras  italiens  qui  aient 
été  gravées,  sont  toutes  trois  précédées  d'un  Argomento. 


LE  MENESTJŒL 


.'571 


indiscrétions  lui  apprennent,  le  jour  même  de  son  mariage,  pourquoi  le 
sort  l'a  si  bellement  favorisé.  Si  Jacqueline  a  commis  une  faute,  il  est 
plus  que  probable  qu'elle  persévère  dans  le  mal.  Vite  en  chasse  pour 
trouver  le  larron  d'homme.  Après  s'être  égaré  sur  plusieurs  pistes  fan- 
taisistes, Laloucagne  finit  par  découvrir  que  le  second  doge  de  Venise 
n'était  autre  que  lui-même.  Tout  est  bien  qui  finit  bien. 

Dir  minutes  d'auto  !  est  un  vaudeville  fort  adroitement  construit,  qui 
ne  manque  ni  d'originalité,  ni  de  mouvement,  et,  pourtant,  toute  la 
gaieté  que  l'on  en  attend  ne  s'en  impose  pas  assez  spontanément.  Les 
trois  actes  sont  fort  bien  joués  par  M"''  Blanche  Toutain,  qui  a  beau- 
coup de  talent,  par  M11'-  Sandry,  qui  a  de  la  vivacité,  par  M.  Decori,  qui 
a  de  l'entrain  tapageur,  par  M.  Germain,  qui  a  de  la  fantaisie,  et 
aussi  par  Mme  Rosine  Maurel,  MM.  Baron  fils,  Landrin  et  Paul  Ardot. 
qui  ont  du  métier. 

A  Déjazet,  c'est  d'une  très  grosse  farce  qu'il  s'agit,  tout  à  fait  incohé- 
rente, mais  traitée  avec  une  telle  force  comique  que  l'effet  en  est  irré- 
sistible. C'est  au  second  acte  surtout  que  MM.  Mouézy-Eon  et  Frau- 
cheville  ont  fait  preuve  d'abracadabrante  invention  en  nous  faisant 
assister  à  un  examen  de  droit  passé  devant  un  impayable  jury  par  un 
garçon  de  café  remplaçant  le  candidat.  Cela  n'a  ni  queue,  ni  tête,  c'est 
déraisonnable  follement,  et  c'est  tout  à  fait  amusant,  si  amusant  que 
l'on  ne  garde  qu'un  assez  vague  souvenir  du  premier  et  du  troisième 
acte,  d'ailleurs  plus  calmes. 

M.  Armand  Morins,  très  en  dehors,  tout  à  fait  bon  enfant  et  jovial, 
M.  Max  André,  une  copie  pas  maladroite  de  M.  Max  Dearly,  Mme  Paule 
Rolle,  discrète  et  sure  d'elle-même.  M"es  Mala  et  Oviès,  juvénilement 
gaies,  Mllc  de  Massol,  gentille,  MM.  Wildor  et  Wagman  sont  à  la  tète 
d'un  bon  ensemble  qui  semble  devoir  assurera  l'Enfant  de  ma  sœur  une 
carrière  des  plus  honorables.  Paix-Emile  Chevalier. 


DEUX  LETTRES   INCONNUES  DE  RAMEAU 


On  n'en  est  plus  aujourd'hui  à  discuter  les  théories  de  Rameau  sur 
l'harmonie,  et  l'on  sait  de  façon  certaine  à  quoi  s'en  tenir  à  leur  sujet 
et  ce  qu'il  en  faut  penser.  Le  temps  est  passé  des  grandes  disputes,  des 
polémiques  ardentes  qui  s'élevèrent  autour  d'elles  et  qui  n'auraient  plus 
maintenant  de  raison  d'être,  et  nous  ne  percevons  plus  que  par  le  sou- 
venir l'écho  lointain  des  batailles  dont  elles  furent  l'objet.  Mais  Dieu  sait 
à  combien  de  discussions,  de  gloses,  d'éloges  et  de  critiques  donnèrent 
lieu  les  idées  du  vieux  maître  lorsqu'il  les  produisit.  Que  l'on  parcoure 
les  recueils  et  les  écrits  du  temps,  le  Journal  des  savants,  le  Mercure  de 
France,  les  Mémoires  de  Trévoux,  certains  pamphlets,  et  l'on  se  fera  une 
idée  de  la  passion  avec  laquelle  on  discutait  alors  sur  un  sujet  si  ardu. 
Et  ce  n'est  pas  seulement  chez  nous,  mais  aussi  à  l'étranger,  que  des 
musiciens,  des  savants  et  jusqu'à  de  simples  lettrés  (ceux-ci  d'ailleurs 
n'y  comprenant  rien  et  battant  les  buissons)  se  lancèrent  dans  la  bataille 
et  prirent  part  à  la  mêlée.  Combien  ds  noms  trouve-t-on  qui  prirent 
part  à  ces  débats  !  Pour  la  France.  Montéclair,  le  P.  Castel,  D'Alem- 
ïert,  Grimm,  Diderot,  Jean-Jacques  Rousseau  ;  pour  l'Allemagne, 
Sorge,  Euler,  Marpurg,  Mattheson;  pour  l'Italie,  le  P.  Martini,  d'autres 
encore. 

C'est  le  P.  Martini  qui,  dans  le  premier  volume,  paru  en  1757,  de  son 
grand  ouvrage  resté  inachevé,  Sloria  delta  musica,  analysant  le  système 
de  Rameau,  qualifiait  son  auteur  de  célèbre  scrittore  di  musica  teorica  e 
pratica  de'  nostri  giorni.  C'est  là  sans  doute  ce  qui  fit  naitre  entre  eux 
des  relations  dont  nous  avons  la  preuve  par  deux  lettres  que  Rameau 
adressait  au  savant  maitre  italien,  lettres  que  je  crois  inconnues  en 
France  et  que  je  trouve  dans  les  Memorie  sloriche  de/  P.  M.  Giambatlista 
Martini,  publiés  un  an  après  sa  mort,  à  Naples,  en  1785.  par-  le  P.  Délia 
Valle.  Ces  lettres,  assez  indifférentes  par  elles-mêmes,  n'acquièrent 
guère  d'intérêt  que  par  les  noms  de  leur  auteur  et  de  leur  destinataire  ; 
mais  cet  intérêt  pourtant  est  réel,  comme  tout  ce  qui  se  rattache  à 
Rameau,  et  c'est  ce  qui  m'engage  à  les  tirer  du  livre  où  elles  sont  res- 
tées enfouies  depuis  plus  d'un  siècle.  Elles  nous  prouvent  d'ailleurs 
qu'en  Italie  aussi  l'on  s'occupait  des  théories  et  du  système  du  maitre 
français. 

Rameau  avait  lancé,  en  1759,  le  Prospectus  du  «  Code  de  musique» 
qu'il  allait  faire  paraître  l'année  suivante,  avec  les  caractères  de  l'Im- 
primerie royale.  Il  devait  souhaiter  à  ce  Code  de  musique  (1),  ouvrage 

(1)  Voici  le  titre  exact  et  un  peu  compliqué  de  cet  ouvrage  :  Code  de  musique  pra- 
tique, ou  Méthode  pour  apprendre  la  musique  même  à  des  aveugles,  pour  formel'  la 
voix  et  l'oreille,  pour  la  position  de  la  main  avec  une  mécanique  des  doigts  sur  le 
clavecin  et  l'orgue,  pour  l'accompagnement  sur  tous  les  instruments  qui  en  sont 
susceptibles,  et  pour  le  prélude  ;  avec  de  nouvelles  réflexions  sur  le  principe  sonore. 


fort  important, une  grandi'  publicité,  et  c'est  assurément  a  son  sujetqu'il 
s'adressait  au  P.  Martini.  Celui-ci  n'était  pas  seulement  le  plus  savant 
contrepointiste  de  l'Italie  ;  il  avait  fait  aussi  de  profondes  études  de 
mathématiques,  et  ceci  devait  le  rendre,  aux  yeux  de  Rameau,  plus  apte 
que  qui  ce  f ùt  à  se  rendre  compte  de  sfs  recherches  et  de  ses  théories. 
Ou  verra  facilement  que  les  deux  lettres  ici  reproduites  ne  sont  point 
les  premières  que  Rameau  lui  ait  adressées,  et  il  est  bien  probable  que 
ce  ne  fuient  point  non  plus  les  dernières.  La  correspondance  de  ces  deux 
illustres  artistes  dut  être  même  assez  abondante,  et  il  est  regrettable 
que  nous  ne  puissions  avoir  connaissance  des  réponses  que  Martini  put 
faire  à  Rameau.  Quoi  qu'il  en  soit,  voici  les  deux  lettres  de  celui-ci: 

A  Paris,  ce  6  juillet  1759. 
Mon  très  Révérend  Père, 

En  témoignant  à  Monsieur  Beccari  la  profonde  reconnaissance  que  m'ont 
inspirée  les  sentimcns  d'estime  dont  votre  illustre  Société  veut  bien  m'hono- 
rer,  je  lui  ai  donné  en  même  tems  à  connoitre  combien  j'étois  ravi  d'appren- 
dre que  vous  fussiez  chargé  du  ^oin  d'examiner  mon  ouvrage.  C'est  à  ceux  qui 
ne  veulent  qu'en  imposer,  de  craindre  les  censeurs  éclairés:  pour  moy,  qui  ne 
cherche  que  la  vérité,  mon  Révérend  Père,  si  j'ai  lieu  de  me  plaindre,  ce 
n'est  que  sur  le  petit  nombre  de  juges  que  nous  offrent,  en  fait  de  connois- 
sances  musicales,  même  les  plus  savantes  Académies.  Les  traitez  et  les  sys- 
tèmes sur  l'harmonie  n'ont  été  multipliez  sans  fruit  et  sans  succès  que  parce 
qu'on  n'avoit  point  encore  envisagé  le  phénomène  du  corps  sonore.  C'est  de 
ce  phénomène  même  que  j'ai  vu  sortir  les  réflexions  que  j'ai  l'honneur  de 
soumettre  au  jugement  de  l'Institut  :  je  l'attens,  ce  jugement,  avec  la  plus 
grande  impatience  ;  quel  qu'il  puisse  être,  il  me  sera  infiniment  précieux.  Si 
je  ne  mérite  point  votre  approbation,  vous  me  rendrez  du  moins  le  service 
inestimable  de  me  faire  connoitre  mes  erreurs. 

Je  suis  avec  l'estime  la  plus  profonde  et  la  considération  la  plus  respec- 
tueuse, mon  très  Révérend  Père, 

Votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur, 

Rameau. 

Rameau,  on  peut  le  remarquer,  n'avait  pas  coutume  de  se  faire  si 
humble  et  de  se  montrer  si  modeste,  surtout  envers  un  homme  dont  il 
était  l'ainé  de  vingt-trois  ans,  lui-même  en  ayant  alors  soixante-seize. 
C'est  que,  d'une  part,  le  caractère  sacerdotal  de  son  correspondant  lui 
inspirait  le  respect,  et  que,  d'autre  part  et  au  point  de  vue  de  l'art,  il 
savait  à  qui  il  s'adressait  et  que  le  P.  Martini,  dont  la  renommée  était 
européenne,  était  un  juge  vraiment  digne  de  lui  et  tel  iru'il  le  pouvait 
souhaiter.  La  «  Société  »  dont  il  parle  dans  cette  première  lettre  et 
dont  il  sollicite  le  jugement  est-elle  l'Académie  de  l'Institut  de  Bologne, 
ou  celle  des  Philharmoniques  de  cette  ville,  toutes  deux  également 
célèbres  et  qui  l'une  et  l'autre  comptaient  le  P.  Martini  au  nombre  de 
leurs  membres  les  plus  influents  ?  C'est  ce  que  je  ne  saurais  dire.  Mais 
on  voit  quel  prix  Rameau  attachait  à  leur  appréciation  et  combien  il  la 
désirait. 

Il  la  désirait  à  tel  point  qu'après  avoir  envoyé  au  P.  Martini  un  pre- 
mier manuscrit  de  l'ouvrage  qu'il  lui  soumettait,  on  verra,  par  sa 
seconde  lettre,  écrite  cinq  mois  après  la  précédente,  qu'il  lui  en  faisait 
parvenir  un  second,  dans  lequel  il  avait  opéré  des  suppressions  pour 
ne  pas  se  rencontrer  inutilement  avec  lui  et  son  Histoire  de  la  musique 
(dont  le  second  volume,  d'ailleurs,  ne  devait  paraitre  que  vingt  ans 
plus  tard  et  longtemps  après  la  mort  de  Rameau  i. 

Voici  cette  seconde  lettre  : 

A  Paris,  ce  2  décembre  1759. 
Mon  Rév.  Père, 

Je  viens  d'apprendre  dans  le  moment  que  vous  travaillez  à  un  ouvrage  dont 
la  troisième  partie  tientde  prèsàmes  nouvelles  réflexions,  et  j'ensuis  d'autant 
plus  charmé  que  nous  pourrons  rendre  à  l'art  tout  le  lustre  qu'il  a  perdu 
depuis  longtems  :  aussi  dois-je  vous  envoyer,  pour  la  première  partie,  la 
démonstration  fondée,  tant  par  le  principe  que  sur  notre  propre  expérience, 
d'un  fait  très  essentiel  auquel  personne  ne  paroit  avoir  encore  pensé,  et  dont 
même  tous  les  écrits  sur  la  musique  s'éloignent  extrêmement:  peut-être 
m'aurez-vous  prévenu  dans  mes  réflexions,  mon  Révérend  Père,  peut-être 
aussi  la  chose  vous  aura-t-elle  échappé.  J'aurai  l'honneur  de  vous  envoyer  en 
même  tems  un  nouveau  manuscrit  de  mon  ouvrage,  dont  je  retrancherai 
presque  toute  la  préface  et  ce  qui  concerne  l'antiquité,  d'autant  que  ce  doit 
être  le  sujet  de  votre  Histoire  sur  la  musique.  Si  vous  me  faites  l'honneur  de 
me  répoudre  par  la  voie  de  Monsieur  Mangol  à  Parme,  j'ose  vous  prier  de  me 
mander  quelque  chose  de  Monsieur  l'abbé  Arnaud. 

Je  suis  avec  la  plus  respectueuse  considération,  mon  Révérend  Père, 

Votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur. 

Rameau  (1). 

(1)  L'abbé  Arnaud,  qui,  on  le  sait,  s'occupait  beaucoup  de  musique,  et  qui,  plus 
tard,  lors  de  la  guerre  des  gluckistes  et  des  piccinnistes,  se  montra  l'un  des  plus 
furieux  défenseurs  de  Gluck,  était  aussi  en  correspondance  avec  le  P.  Martini.  Il  se 
trouvait  sans  doute  en  Italie  à  ce  moment,  puisque  Rameau  en  demande  des  nou- 
velles à  ce  dernier.  Quant  à  Mangot,  qui  était  alors  à  Parme,  et  à  qui  Raiceau  prie 
le  P.  Martini  oe  remettre  la  réponse  à  sa  lettre,  c'est  sans  doute  son  beau-frère,  car 
on  sait  que  Rameau  avait  épousé  une  demoiselle  Mangot. 


372 


i.K  MENKSÏREL 


H  est  regrettable  que  nous  n'ayons  point  d'autres  vestiges  de  la  cor- 
respondance échangée  entre  Rameau  et  le  P.  Marlini,  surtout  que  nous 
ne  puissions  connaître  les  réponses  que  l'illustre  savant  italien  fit  au 
grand  compositeur  français.  Cette  correspondance  n'eût  pas  été  sans 
utilité  pour  l'histoire  des  idées  de  ce  dernier.  Malheureusement,  le 
P.  Délia  Valle.  en  publiant  ce  qu'il  appelle  assez  improprement  les 
Mémoires  du  P.  Martini  et  en  y  insérant  les  deux  lettres  de  Rameau, 
sans  d'ailleurs  les  accompagner  d'aucunes  notes,  n'a  pas  eu  sans  doute 
la  possibilité  de  faire  connaître  ces  réponses,  dont  il  n'aura  pas  trouvé 
les  minutes  dans  les  papiers  consultés  par  lui.  En  tout  état  de  cause,  il 
m'a  paru  qu'il  n'était  pas  sans  intérêt  de  mettre  en  lumière  les  deux 
lettres  de  l'auteur  de  Castor  et  Pollu.r,  restées  enfouies  depuis  cent 
vingt-cinq  ans  dans  le  petit  volume,  extrêmement  rare  aujourd'hui,  où 
elles  avaient  été  publiées. 

Arthur  Pougin. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts-Colonne. — M.  Lucien  Capet  est  un  violoniste  de  race,  dont  la  carac- 
téristique semble  être  surtout  la  simplicité.  Il  a  rendu  avec  une  pureté  d'ex- 
pression, une  vérité  d'accent  rares  l'émouvant  Poème  pour  violon  et  orchestre 
d'Ernest  Chausson.  C'est  une  page  vraiment  belle  et  impressionnante,  chaude 
et  lumineuse,  que  l'on  doit  s'étonner  de  no  pas  voir  plus  souvent  figurer  dans 
les  programmes  de. concerts  et  que  M.  Colonne  a  eu  bien  raison  de  produire. 
—  Les  Nocturnes  de  M.Dehussy,  déjà  entendus  ailleurs,  ont  reçu  d'une  partie 
de  l'auditoire  un  accueil  sympathique.  Xuages,  Fêles,  Sirènes,  sont  des  pièces 
curieuses,  chatoyantes,  à  l'instrumentation  coloréc.d'un  impressionnisme  infi- 
niment séduisant,  défiant  toute  analyse,  que  l'on  ne  peut  se  défendre  d'aimer, 
encore  qu'on  se  demande  pourquoi,  visions  de  rêve,  poussière  de  musique  aux 
thèmes  menus,  architecture  indécise  s'estompant  dans  la  brume:  voilà  bien 
ces  vapeurs  flottâmes  dans  un  ciel  mélancolique  d'automne  et  revêtant  des 
formes  fantastiques,  ces  bruits  lointains  de  fête  furaine,  accusant  par  le 
contraste  la  tristesse  d'un  cœur  douloureux,  ce  balancement  monotone  de  la 
mer  avec  les  jeux  irisés  des  vagues  clapotantes.  L'auteur  n'agii  qu?  sur  nos  nerfs 
peut-être  et  nous  excite,  nous  irrite  même  sans  nous  émouvoir;  mais  le  résul- 
tat est  là,  indéniable,  il  finit  même  par  nous  charmer.  Le  philtre  qu'il  nous 
verse  est  magique  :  c'est  sans  doute  un  poison,  mais  combien  son  goût  est' 
exquis!...  M.  Colonne  a  rendu  ces  pièces,  d'une  difficulté  d'exécution  rare, 
avec  une  sûreté,  une  couleur,  un  entrain  irrésistibles,  et  une  bonne  part  du 
succès  obtenu  lui  revient  de  droit.  —  Le  reste  du  programme  comprenait  l'ou- 
verture de  Sigurd  de  Reyer,  la  Symphonie  Héroïque  de  Beethoven,  les  Murmura 
de  la  Forêt  de  Wagner  et  la  Danse  de  Salomé  de  Richard  Strauss.  L'orchestre  v 
fut  superbe  et  d'un  ensemble  parfait.  J.  Jejiain. 

—  Concerts-Lamoureux.  —  Une  excellente  interprétation  de  la  Symphonie  pas- 
torale nous  a  permis  une  fois  de  plus  de  goûter  ce  chef-d'œuvre  dans  la  pléni- 
tude de  son  charme  et  de  sa  beauté  poétique.  Tout  le  génie  de  Beethoven  est 
là  et  jamais  le  langage  de  la  nature,  ses  voix  et  ses  bruits  n'ont  été  rendus 
avec  un  art  aussi  empreint  de  suave  douceur,  d'exquise  sensibilité,  de  rêverie 
tendre  et  d'exultante  allégresse.  Un  moment  délicieux,  c'est  le  milieu  de  la 
scène  au  bord  du  ruisseau,  quand  la  musique  exprime  si  bien  la  langueur  qui 
s'empare  de  tous  les  êtres  pendant  l'instant  le  plus  chaud  du  jour.  Les  instru- 
ments ont  alors  des  dialogues  si  calmes  et  d'une  si  pénétrante  intimité  que  le 
tableau  qu'a  entrevu  Beethoven  se  présente  à  l'imagination,  idéal,  enchanteur, 
et  tel  que  la  nature  nous  en  otl're  parfois,  quand  nous  avons  l'âme  assez  heu- 
reuse pour  pouvoir  les  aimer,  les  apprécier  et  les  comprendre.  A  1  admirable 
conception  de  Beethoven,  nous  ra1  tacherons  une  simple  mélodie  pour  chant  et 
orchestre,  Pkidylé,  de  Henri  Duparc,  d'après  Leconte  de  Lisle.  La  musique  en 
est  d'une  grâce  incomparable  et  d'une  sincérité  d'accent  digne  d'un  maitre. 
Lepassage  :  «  Repose.  0  Phidylé  !  »  est  noté  avec  un  tel  bonheur  que  l'on  y  sent 
toute  l'adoration  passionnée  de  l'adolescent  pour  la  jeune  fille  qu'il  admire 
sans  vouloir  l'éveiller.  Dans  cette  scène  délicieuse  d'idylle,  l'orchestration  est 
fine,  discrètement  colorée,  chatoyante.  La  partie  vocale  a  été  chantée  par 
M"10  Jacques  Isnardon.  Cette  cantatrice  possède  un  organe  au  timbre  éclatant, 
dont  elle  abuse  parfois  pour  lancer  certaines  succes?ions  sonores  comme  des 
sons  do  trompette.  Dans  Phidijlé,  comme  dans  l'air  à'Alcesle  de  Gluck,  que 
Mme  Isnardon  avait  exécuté  d'abord,  les  phrases  bien  dites  n'ont  pu  faire 
oublier  tout  à  fait  celte  stridence  inopportune.  Le  public  a  su  gré  de  ses 
efforts  à  l'artiste  en  la  rappelant  après  chaque  morceau.  Deux  premières 
auditions  sont  à  signaler  à  ce  concert.  Francesca  du  Rimini,  poème  sympho- 
nique  de  Tschaikowsky,  est  une  œuvre  violente  et  tumultueuse,  où  s'affirme 
un  art  polyphonique  puissant  malgré  sa  lourdeur,  mais  dans  lequel  manque 
entièrement  la  note  ingénue  et  tendre.  L'œuvre  serait  plus  sympathique 
si  le  déchaînement  des  sonorités  y  tenait  un  peu  moins  de  place  et  si  l'in- 
vention mélodique  en  était  plus  riche  et  plus  vibrante,  d'émotion.  La  Fan- 
taisie pour  piano  et  orchestre  de  M.  Henri  Lulz  n'est  pas  sans  mérite,  mais 
non  plus  sans  monotonie  et  sans  sécheresse.  En  écoulant  les  thèmes  habile- 
ment agencés  de  ce  morceau,  j'ai  cherché  en  vain  un  endroit  où  le  composi- 
teur ait  donné  une  preuved'expansion  ou  de  sensibilité.  Les  traits  confiés  au 
piano  m'out  paru   manquer  d'originalité  à  ce  point  que  l'union  de  cet  instru- 


ment avec  l'orchestre,  comprise  ainsi,  n'a  plus  aucune  raison  d'être.  Le  pia- 
niste., —  c'était  M.  Georges  de  Lausnay,  — a  bien  mis  en  reliefsa  partie,  mais  il 
lui  était  impossible  d'y  intéresser  particulièrement  l'auditoire.  Les  Variations 
symphoniques  de  M.  Vincent  d'Indy  intitulées  Islnr  ont  trouvé  une  approba- 
tion unanime.  Elles  sont  d'une  écriture  superbe  et  la  dernière  partie  en  est 
pleine  d'élégance  et  d'élévation.  La  séance  s'est  terminée  par  YInrilalion  à  la 
valse,  orchestrée  par  M.  Félix  Weingartner.  La  réunion  des  deux  thèmes 
principaux  qui  sonnent  ensemble  et  marchent  parallèlement  dans  l'adaptation, 
mais  non  pas  dans  l'original  de  Weber,  est  un  des  plus  curieux  exemples  que 
l'on  puisse  signaler  d'une  orchestration  ingénieuse  et  humoristique. 

Amkdée  Boutabel. 

—  La  Société  des  concerts  du  Conservatoire  reprend  cette  semaine,  après  le 
concert  donné  en  hommage  à  la  mémoire  de  l'excellent  et  regretté  Georges 
Marty,  le  cours  régulier  de  ses  admirables  séances,  sous  la  nouvelle  direction 
de  M.  André  Messager.  Il  y  a  précisément  aujourd'hui  quatre-vingts  ans 
(c'était  en  1828)  qu'elle  inaugurait  son  existence  en  donnant,  dans  la  salle  de 
1.1  rue  Bergère,  son  premier  concert  sous  la  conduite  magistrale  d'Habeneck, 
alors  chef  d'orchestre  de  l'Opéra. 

Voici  les  programmes  des  concerts  de  demain  dimanche  : 

Conservatoire  :  Symphonie  héroïque  (Beethoven).  —  Deux  chœurs  sans  accompa- 
pagnenient  (Costeley  etjannequin).  —  Le  Ttouet  d'Omphale  (Saint-Saëns).  —  Rébêcca 
(César  Franck),  avec  le  concours  de  Mm"  Auguez  de  Montalant  etM.  Dutlos.  — Ouver- 
ture des  Maîtres  Chanteurs  (Richard  Wagner). 

Chàlelet  (concert  Colonne),  dirigé  par  M.  Gabriel  Pierné  :  Quatrième  Symphonie 
(Beethoven).  —  Prélude  à  l'après-midi  d'un  Faune  (Debussy).  —  Le  Cltasseur  maudit 
(César  Franck).  —  Anlar  (Bimsky-KorsakofT).  —  Croquis  d'Orient  (Georges  Hue)  avec 
le  concours  de  Mmc  Mellot-Joubert.  —  Don  Juan,  poème  symphonique  (Richard 
Strauss). 

Salle  Gaveau  (concert  Lamoureux),  sous  la  direction  de  M.  Chevillard  :  Ouverture 
de  la  Faute  de  l'Abbé  Mou rct  (Bruneau).  —  Symphonie  en  ré  mineur  (César  Franck). 
—  ScèDe  et  air  du  1er  acte  du  Vaisseuit-Fantùim  (Wagner),  par  M.  Frœlich.  —  Les 
Murmuies  de  la  Forêt  (Wagner).  —  Concerto  en  la,  pour  violon  (Mozart),  par 
M.  Bouchent.  —  Air  de  la  Fête  d'Alexandre  (Ha-ndel),  par  M.  Louis  Frœlich.  —  La 
Procession  Nocturne  et  Valse  de  Mèphisto  (Liszt). 

—  Les  Matinées  Musicales  et  Populaires  (Fondation  Daubé),  subventionnées 
de  l'État,  vont  inaugurer  au  Théâtre  de  l'Ambigu  leur  neuvième  année  d'exis- 
tence. M.  Reynaldo  Hahn,  le  sympathique  compositeur  et  chef  d'orchestre 
bien  connu,  a  accepté  la  présidence  de  la  Société,  dont  M.  .T.  Jemain  demeure 
l'administrateur  artistique  et  MM.  Th.  Soudant,  De  Bruyno.  Migard  et  Bedetti 
les  membres  actifs.  La  première  des  dix  séances  annoncées  aura  lieu  le  mer- 
credi 2  Décembre,  avec  le  concours  de  M.  Messager,  directeur  de  l'Opéra  et 
chef  d'orchestre  des  Concerts  du  Conservatoire. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(pour    les   SEULS  AIîOMNÊS  a   la   musique) 


On  sait  comme  M.  Périlhou,  le  délicat  musicien,  excelle  à  faire  revivre  du  passé 
des  thèmes  populaires  un  peu  oubliés  et  à  les  adorner  de  faron  discrète  de  variantes, 
d'harmonies  et  même  de  contrepoints  choisis  avec  le  goût  le  plus  sur.  II  obtient 
ainsi  de  petites  pièces  achevées,  dignes  des  maîtres  exquis  du  clavecin  frauçaip, 
comme  Rameau  ou  Couperin.  Cette  Bourrés  et  cette  Musette  que  nous  olTron-s  aujour- 
d'hui à  nos  abonnés  n'en  dépareront  certainement  pas  la  collection. 


NOUVELLES    DIVERSES 


On  s'intéresse  en  ce  moment  à  Dresde  et  à  Munich  aux  dispositions  que 
va  prendre  M.  Richard  Strauss  en  ce  qui  concerne  la  distribution  des  rôles 
A'Elcktra.  Mme  Schumann-Heink  parait  dès  à  présent  désignée  pour  celui  de 
Klytemnaestra;  mais  qui  sera  la  première  Elektra?  Le  compositeur  a  eu  le 
choix  entre  bien  des  cantatrices,  mais,  plus  heureux  que  Paris  qui  ne  put 
faire  don  de  sa  pomme  qu'à  une  seule  déesse,  il  fera  dès  l'abord,  si  cela  lui 
plait,  deux  heureuses  et  même  davantage,  car  son  œuvre  sera  représentée  à 
Dresde  le  23  janvier  1309,  et  à  Munich  presque  aussitôt  après.  Pour  Dresde, 
on  avait  cru  qu'il  se  déciderait  en  faveur  de  M"e  Krull,  car  c'est  elle  qui  aborda 
la  première  le  rôle  de  Salomé  dans  cette  ville.  Il  n'en  a  pas  été  ainsi  et  la 
cantatrice,  qui  attendait  sa  décision  pour  renouveler  son  engagement  avec 
l'Opéra-Royal  ou  se  retirer  selon  le  cas,  a  pris,  dit-on,  ce  dernier  parti.  Pour 
Munich,  Mme  Burk-Berger  et  Mlle  Fassbender  sont  actuellement  les  titulaires 
choisies, mais  quelle  sera  la  préférée  pour  le  premier  soir?  M.  Strauss  parait  incli- 
ner pour  M,le  Fassbender.  «J'ai  prié  Molli,  aurait-il  dit,  de  me  donner  Mllc  Fass-' 
bender  comme  première  Elektra.  Ce  rolo  renferme  en  vérité  dans  l'original 
quelques  passages  très  ardus,  et  se  trouve  écrit,  la  plupart  du  temps,  dans  un 
registre  exigeant  de  constants  efforts  pour  lesquels  l'organe  brillant  de 
Mu,°  Burk-Berger  semble  bien  convenir;  pourtant,  je  me  déciderai  sans  doute 
pour  Mllc  Fassbender,  parce  que  j'estime  que  son  individualité  et  son  tempé- 
rament correspondent  particulièrement  au  caractère   du   personnage  ».  Pour 


le  mejne<tri;l 


avoir  cette  excellente  artiste,  M.  Strauss  est  même  entré  dans  la  voie  îles 
concessions  et  a  autorisé  M.  Mottl  à  faire  les  légers  changements  que  nécessi- 
terait l'organe  de  la  cantatrice.  Parmi  les  passages  les  plus  difficiles  de  la  par- 
tition, il  y  a,  d'après  ce  que  l'on  assure,  un  monologue  d'Eleklra  d'une  com- 
plication extraordinaire.  Le  style  adopté  par  le  compositeur  pour  ce  dernier 
venu  de  ses  ouvrages  est  d'ailleurs  tout  différent  de  celui  do  ses  précédents 
opéras  ou  drames  lyriques,  Détresse  de  feu  ou  Salomé,  par  exemple.  On  compte 
beaucoup  sur  la  scène  finale  à'Elektra,  qui  sera,  dit-on,  des  plus  grandioses. 
C'est  une  scène  de  danse  et  de  pantomime.  Un  orchestre  aux  enlacements 
formidables,  «  aux  cent  bras  »  (hundertarmiges),  accompagnera,  entraînera 
plutôt  la  danseuse,  par  le  déchaînement  do  tous  les  instruments  dans  un  tour- 
billon rythmique  dionysiaque.  Avec  M.  Strauss  la  simplicité  n'est  pas  de  mise; 
il  faut  toujours  que  l'œuvre  à  venir  étonne  et  stupéfie,  et,  comme  cela  no 
peut  se  produire  ni  par  la  supériorité  de  l'idée,  ni  par  une  plus  grande 
richesse  d'invention  mélodique,  chez  un  maitre  dont  le  talent  reste  circonscrit, 
il  reste  l'extension  des  moyens  matériels.  Là,  il  n'y  a  plus  de  limites,  la  fan- 
taisie folle  se  déploie  à  l'aise.  On  peut  s'attendre  à  rencontrer  dans  Eleklra  un 
coloris  orchestral  pour  ainsi  dire  aveuglant,  des  sonorités  d'une  extrême 
acuité  et  une  polyphonie  éblouissante. 

—  La  bibliothèque  de  l'Association  des  artistes  musiciens  de  Berlin,  qui  a 
été  ouverte  au  public  le  2  novembre  dernier,  pour  favoriser  la  divulgation  de 
la  musique  dans  les  classes  pauvres,  vient  de  s'enrichir  de  la  collection 
d'œuvres  musicales  de  M.  Karl  Klindworth.  Cette  collection  comprend  princi- 
palement des  partitions  d'orchestre,  des  partitions  piano  et  chant,  un  nombre 
considérable  de  morceaux  classiques  et  modernes,  une  série  particulièrement 
intéressante  d'ouvrages  de  Berlioz  et  de  Liszt,  et  toutes  les  éditions  d'œuvres 
célèbres  revues  par  Biilow,  par  Klindworth  lui-même  et  par  d'autres  profes- 
seurs éminents.  Il  y  a  aussi  beaucoup  de  livres  relatifs  à  la  musique,  en  fran- 
çais, en  allemand  et  en  auglais.  Cette  bibliothèque,  établie  dans  le  but  de 
prêter  les  ouvrages,  a  organisé  un  service  journalier  fonctionnant  même  le 
dimanche,  à  l'exception  des  jours  de  grandes  fêtes.  Chacun  peut  emprunter  ce 
qui  lui  convient  et  le  garder  chez  soi  un  temps  déterminé. 

—  Les  journaux  étrangers  annoncent  que  MUo  Géraldine  Farrar,  la  jeune 
cantatrice  que  sa  beauté  a  rendue  aussi  célèbre  que  son  talent,  s'est  fiancée  au 
baryton  Antonio  Scntti,  son  camarade.  Tous  deux  sont  partis  pour  New-York, 
où  ils  chanteront  au  Métropolitain. 

—  On  fait  grand  bruit  à  Vienne  d'un  nouveau  ténor,  nommé  Tamini,  dont 
la  voix  superbe  égale,  parait-il,  celle  de  Tamagno,  et  qui  était,  il  y  a  quelques 
années,  directeur  d'une  banque  à  Munich.  Le  début  dans  Carmen  de  ce  nou- 
veau chanteur  a  produit  sur  le  public  une  impression  indescriptible,  à  ce 
point  qu'au  sortir  du  théâtre  la  foule  l'attendait  et  l'a  accompagné  jusqu'à  son 
hôtel  au  milieu  des  cris  et  des  applaudissements. 

—  Correspondance  de  Leipzig: 

Cher  Monsieur  et  Confrère, 

Je  trouve  dans  votre  estimé  journal  du  14  courant,  page  367,  un  petit  article  me 
concernant  mais  qui  n'est  plus  conforme  à  l'actualité.  Permettez- moi  unepet:te  recti- 
fication- Il  s'agit  de  la  fondation  d'un  musée  instrumental  pour  la  ville  de  Leipzig. 
D'après  votre  notice,  mon  musée  historique  devrait  servir  de  pierre  fondamentale.  Or 
ce  dernier  n'existe  plus,  l'ayant  cédé  il  y  a  à  peu  près  quatre  ans  a  un  riche  commer- 
çant de  Cologne,  vrai  mécène  et  rare  admirateur  de  musique.  11  vient  de  construire 
comme  musée  un  somptueux  bâ  iment  attenant  à  sa  villa  dans  la  Woirihgerstrasse, 
près  du  jardin  zoologique  de  Cologne.  Dernièrement,  il  s'est  également  mis  en  pos- 
session de  la  col'ection  Krauss  de  Florence,  et  ces  deux  collections  réunies  forment 
un  eosemble  unique  au  monde.  Ce  musée  deviendra  un  jour  la  propriété  du  Conser- 
vatoire de  Cologoe,  suivant  la  volonté  testamentaire  du  possesseur  actuel. 

Notre  bonne  vil  e  de  Leipzig,  et  je  me  plais  à  ajouter  le<  musiciens  et  professeurs 
eux  aussi,  ne  se  sont  occupés  d'aucune  façon  de  mon  musée  lant  qu'il  était  à  leur 
disposition,  et  il  n'est  que  tout  juste  que  l'idée  venant  par  trop  tard  ne  se  réalise 
pas  aussi  facilement  comme  bien  on  le  pense. 

Vous  remerciant  bien  sincèrement  pour  l'honneur  que  vous  me  faites  dans  les 
quelques  lignes  de  votre  article,  je  vous  prie  d'agréer,  Monsieur,  l'assurance  de  mes 
sentiments  très  respectueux.  P.vul  de  'YVit. 

—  C'est  lundi  prochain  que  doit  commencer  la  vente  delà  collection  Zeune- 
Spitla,  dont  nous  avons  parlé  la  semaine  dernière.  Un  joli  fragment  d'auto- 
graphe de  Haydn  est  cité  dans  le  catalogue;  l'original  a  été  adressé  au  docteur 
Krûger,  à  Bergen,  ci  Si  je  me  rends  compte,  écrivait  Haydn,  que  mon  nom  est 
non  seulement  connu  chez  vous,  mais  que  mes  ouvrages  y  sont  accueillis  avec 
plaisir  et  provoquent  les  applaudissements,  je  dois  me  dire  que  le  vœu  que 
mon  cœur  forme  le  plus  chaleureusement  est  accompli  dans  toute  sa  pléni- 
tude. Ce  vœu  est  que.  dans  lotis  les  pays  où  mes  travaux  ont  pu  se  répandre, 
je  ne  sois  point  considéré  comme  un  ministre  trop  indigne  de  l'art  sacré  que 
je  cultive  ».  Dans  une  autre  lettre,  adressée  à  un  de  ses  éditeurs,  peut-être 
Artaria.  Haydn  énumère  les  œuvres  qu'il  a  en  portefeuille  à  l'époque,  c'est-à- 
dire  vraisemblablement  vers  1779.  Ce  sont  :  une  messe  solennelle,  un  Slabut, 
un  oratorio,  il  Rilorno  di  Tobia,  une  canlate,  l'Isola  disabitata,  trois  symphonies 
nouvelles  et  six  nouveaux  quatuors.  A  coté  des  souvenirs  du  patriarche  de  la 
symphonie,  ceux  du  patriarche  deFcrney  ne  feront  pas  mauvaise  figure.  On 
vendra  une  carte  à  jouer  sur  laquelle  est  dessiné  le  profil  de  Voltaire  dans  une 
attitude  un  peu  monacale.  Un  pique  est  placé  à  peu  près  à  l'endroit  du  cœur 
et  un  autre,  effacé  en  partie,  sert  de  coiffure  au  philosophe.  On  pourra  se 
procurer  en  même  temps  quelques  mots  tracés  en  latin  de  la  main  de  l'au- 
teur de  Candide,  et  renfermant  une  louange  assez  plate  à  l'adresse  du  roi  de 
Prusse  qui  fut  son  ami,  les  voici  :  «    Yir  supra  titulos  !  Omîtes  Iwmines  edoces, 


ruiii  patriaè  mores  amendas  dignus  es  Federico  Mugno...  »  L'art  classique  Aà  Vol- 
taire fait  penser  naturellement  aux  comédiens,  lieux  billets  de  la  tragédienne 
Rachel  font  partie  de  la  collection  Zeune-Spiita;  l'un  d'eux  renferme  cette 
plainte  mélancolique  :  «  ...cela  est  peu  poétique,  s'occuper  d'emballer  des 
casseroles  le  matin,  quand  le  soir  on  doit  représenter  une  superbe Agrippine  ^ 
D'IllUmd,  le  célèbre  acteur  et  poète,  nous  pouvons  signaler  une  pièce  très 
intéressante  pour  l'histoire  du  théâtre;  c'est  un  écrit  de  neuf  pages  qui  fut 
envoyé  à  la  comédienne  Hethmann,  qui  avait  voulu  jouer  le  rôle  de  Ji  i 
d'Arc  dans  la  tragédie  de  Schiller,  et  qui  menaçait  de  rompu 
à  la  suite  du  refus  qu'Illland  avait  opposé  à  ce  désir.  Il  s'efforce  de  la  calmer 
en  lui  expliquant  avec  compétence  les  motifs  de  sa  décision,  I  no  autre  jolie 
pièce  à  posséder  serait  une  lettre  de  l'acteur  Kemble  à  Misslress  Siddons,  l'ac- 
trice à  laquelle  Gainsborough,  Lawrence  et  d'autres  grands  peintres  nul  rendu 
témoignage  pour  sa  grâce  et  sa  beauté.  Terminons  par  quelques  li^ 
rossantes  auxquelles  la  signature  donnera  sans  doute  certaine  valeur  ;  Mon 
cher  pelit  ami  !  Tous  les  clous  du  monde  (et  j'en  ai  quatre  sur  la  même 
main)  ne  m'empêcheront  pas  de  vous  embrasser.  Merci  pour  mon  cher  Roméo. 
Cn.  Gouxod.  »  Saint-Cloud,  1S6G. 

—  L'Association  Mozart  de  Dresde  vient  d'envoyer  à  ses  membres  son  sep- 
tième bulletin  annuel.  Il  renferme  la  relation  des  faits  importants  qui  oui  eu 
lieu,  pendant  les  douze  derniers  mois,  pour  honorer  la  mémoire  de  Mozart. 

—  Un  jeune  pianiste  de  onze  ans,  M.  Georges  Szell,  élève  de  M.  Richard 
Robert,  de  Vienne,  vient  de  se  faire  entendre  dans  la  salle  de  l'Opéra  de 
Dresde  devant  un  cercle  de  connaisseurs  et  a  obtenu  beaucoup  do  succès. 
C'est  M.  Ernest  von  Schuch,  l'éminent  chef  d'orchestre,  qui  l'a  présenté  à  son 
auditoire. 

—  La  quatrième  session  de  la  nouvelle  Bach-Gesellschaft  vient  de  se  tenir 
à  Chemnitz.  Il  a  élé  décidé  que  l'on  célébrerait  la  cinquième  fête  de  Bach  en 
1910,  à  Duisbourg.  La  société  compte  actuellement  731  membres.  Le  musée 
Bach,  établi  à  Eisenach,  dans  la  maison  natale  du  mailre,  a  été  visité  par 
3.71S  personnes  ;  les  dons  pour  l'achat  d'autographes  de  Bach  sont  toujours 
nécessaires  et  seront  bien  accueillis.  Joseph  Joachim,  qui  faisait  partie  du 
comité,  a  été  remplacé  par  M.  Henri  Marteau.  Deux  autres  membres  ont  élé 
choisis  ;  ce  sont  MM.  Alfred  Heuss,  de  Leipzig,  qui  a  écrit  dos  ouvrages  de 
circonstance  pour  les  dernières  fêtes  de  Bach,  et  Johannes  Wciss,  de  Hei- 
delberg.  M.  Georges  Bornemann,  d'Eisenach,  a  été  nommé  surintendant  du 
Musée.  Pendant  les  séances  qui  ont  été  tenues  à  Chemnitz,  on  a  parlé  lon- 
guement de  la  reconstitution  des  vieux  instruments  de  l'époque  de  Bach, 
aujourd'hui  disparus.  M.  Richard  Buchmayer,  de  Dresde,  a  fait  une  confé- 
rence sur  les  instruments  à  clavier  d'autrefois.  La  conclusion  sur  la  question 
des  instruments  a  été  que  l'on  ferait  des  essais  dans  un  concert  lors  du  pro- 
chain festival  et  que  l'on  chercherait  à  s'orienter  d'après  l'opinion  du  public. 
Line  révision  de  la  grande  édition  do  l'œuvre  de  Bach  a  été  décidée.  Les 
résultats  en  seront  publiés  et  notés  sur  les  planches  gravées.  Il  a  été  convenu 
que  l'on  élirait  un  comité  dont  les  fonctions  consisteront  à  tenir  toujours  prêt 
le  matériel  nécessaire  pour  l'interprétation  des  œuvres  religieuses  de  Bach 
afin  de  pouvoir  subvenir  à  tous  les  besoins  et  faciliter  ainsi  les  auditions 
dans  un  grand  nombre  d'églises.  Une  brochure  renfermant  des  conseils  et 
des  indications  relatives  aux  œuvres  de  Bach  va  être  publiée  par  les  soins  de 
la  Société. 

—  Un  drame  lyrique  en  quatre  actes,  Mai  Brun,  dont  le  scénario  a  été  tiré 
d'un  roman  provençal,  a  eu  dimanche  dernier,  à  Stuttgart,  sa  première  repré- 
sentation. L'auteur  du  texte  et  de  la  musique,  M.  Pierre  Maurice,  est  origi- 
naire de  la  Suisse  française,  il  a  passé  par  le  Conservatoire  de  Paris  et  vit 
maintenant  à  Munich.  Son  ouvrage,  très  bien  défendu  par  M"1-  Sutter,  qui  in- 
terprétait le  rôle  de  Misé  Brun  (Misé  est  une  jolie  abréviation  de  Mia  Signora, 
Madame),  et  dirigé  avec  beaucoup  de  chaleur  et  de  vie  par  M.  Max  Schillings, 
parait  avoir  pleinement  réussi. 

—  De  Sainl-Pétershourg  :  La  représentation  de  Salotné,  d'Oscar  Wilde,  que 
le  Saint-Synode  a  interdite  au  théâtre  de  la  Cour,  aura  lieu  au  Théâtre 
privé,  mais  à  la  condition  que  le  titre  de  Salomé  soit  changé  en  celui  de  Fille 
de  Roi  et  que  tous  les  noms  bibliques  soient  remplacés  par  des  noms  païens. 
La  scène  de  la  danse  aura  lieu  devant  un  roi  profane.  Le  préfet  de  police  et 
la  censure  ont  assisté  à  la  répétition  générale  qui  a  eu  lieu  hier. 

—  Autre  dépèche  de  Saint-Pétersbourg,  postérieure  celle-ci  et  relative  à 
l'œuvre  même  de  Richard  Strauss  : 

Le  Saint-Synode  vientde  renouveler  l'interdiction  dont  avait  élé  frappé  Salomé,  de 
M.  Richard  Strauss.  Une  démarche  a  été  faite,  en  outre,  auprès  du  Tsar,  pour  le 
supplier  de  s'opposer,  le  cis  échéant,  à  toute  représentation  partielle  ou  totale  de 
l'ouvrage,  dans  l'étendue  de  l'empire  russe. 

—  On  puilie  le  programme  de  la  prochaine  saison  lyrique  du  Théâtre 
Costanzi  de  Rome,  placé  aujourd'hui  sous  l'administration  do  la  Société 
théâtrale  internationale  et  sous  la  direction  artistique  du  maestro  Orefice.  La 
saison  s'ouvrira  le  50  décembre  avec  la  Valkyrie.  Le  répertoire  comprendra 
Aida,  Madame  Butler/h/,  le  Prince  Zilah,  do  M.  Frank  Alfano  (inédit).  Attiré 
Chénier,  la  Damnation  de  Faust,  Pelléas  el  Mélisande,  Bltea  ('?),  il  Troralorc  et 
Gioconda.  Le  tableau  de  la  troupe  comprend  les  noms  suivants  :  soprani  et 
mezzo  soprani,  M"ies  Krusceniski.  Burzio,  Giachetti,  Pucci,  Ferrani,  Tarquini, 
Boccarusso,  Claessons,  Costanlini,  Caresoli.  Viskoska,  Cesaretti  :  ténors, 
MM.  Garron,  Vaccari,  Scampini,  Dardani,  Farina.  Calleia  :  barytons.  MM.  Tilta 
Ruffo,  De  Luca,  Viglione,  Borghése.  Giraldoni  ;  basses,  MM.  Walter.  Berardi. 
Chef  d'orchestre,  M.  Polacco. 


374 


LE  MÉNËSTKEL 


—  On  a  exécuté  en  ces  temps  derniers  à  Naples,  dans  l'église  Saint-Jacques- 
des-Espagnols,  une  messe  inédite  du  compositeur  Giambattista  Pinna.  Cette 
œuvre  importante  a  été  fort  bien  accueillie  et  a  produit  une  profonde  im- 
pression. 

/' —  Le  théâtre  du  Corso  de  Bologne  a  représenté  un  opéra  du  maestro  Cas- 
tracane,  T Anima  del  denaro.  Cet  ouvrage  avait  été  donné  précédemment  à 
Modène  sous  le  titre  de  Welve.  Mais  l'auteur,  en  lui  donnant  ce  nouveau  titre, 
l'a  remanié  complètement.  Il  n'a  pas  obtenubeaucoup  plus  de  succès  dans  ces 
nouvelles  conditions,  et  le  public  l'a  reçu  avec  froideur. 

—  Le  pauvre  compositeur  Romualdo  Marenco,  mort  dans  la  misère  il  y  a 
quelques  mois,  avait  laissé,  comme  nous  l'avons  dit  alors,  la  partition  d'uu 
opéra  qu'il  n'avait  jamais  pu  faire  représenter  jusqu'alors.  Quelques  personnes 
s'intéressèrent  à  cet  ouvrage,  dont  il  avait  écrit  aussi  le  livret,  et  s'occupèrent 
de  le  présenter  au  public.  En  effet,  il  vient  de  faire  son  apparition  au  théâtre 
de  Novi,  le  7  novembre,  sous  le  titre  de  Federico  Struensée,  car  il  rappelle  la 
vie  et  la  mort  tragique  de  ce  personnage  historique.  L'accueil  des  spectateurs 
parait  avoir  été  simplement  courtois,  en  raison  des  circonstances.  «  La  mu- 
sique, dit  un  journal,  se  ressent  en  général  de  l'époque  où  elle  a  été  écrite, 
c'est-à-dire  il  y  a  trente  ans  environ.  »  Les  interprètes  étaient  Mnle  Rossi- 
Murini.  Mlle  Dolores  Frau  et  MM.  Da  Gradi,  Caronna,  Spoto  et  Zawrowski. 

—  On  a  représenté  à  Pise  un  opéra  nouveau  intitulé  Malia.  dont  la  musique 
a  été  écrite  par  un  tout  jeune  compositeur  à  son  début,  M.  A.  Manini,  de 
Livourne,  sur  un  livret  de  valeur  modeste  dû  à  M.  A.  Pisani.  Aidée  d'une 
bonne  exécution,  cette  musique  paraît  avoir  plu  beaucoup. 

—  La  musique  adoucit  les  mœurs.  Une  petite  ville  de  Toscane,  Campi-Bisenzio. 
vient  d'en  donner  une  preuve  convaincante.  On  venait  de  donner  au  théâtre  de 
cette  ville  une  représentation  de  Rigoletlo.  Au  sortir  du  spectacle,  quelques 
amateurs  se  mirent  à  discuter  sur  les  mérites  du  baryton  Rizzi,  et  des  compa- 
raisons s'établirent  entre  celui-ci  et  un  autre  baryton,  Yigiani,  qui  récemment 
avait  chanté  Ernani.  La  discussion  s'échauffa,  les  contradictions  apparurent, 
peu  à  peu  les  gros  mots  se  mirent  de  la  partie,  si  bien  que  finalement  la  parole 
fut  aux  revolvers.  Bref,  au  cours  de  la  rixe,  trois  de  ces  dilettantes  furent 
blessés  assez  grièvement. 

—  Une  des  cantatrices  italiennes  les  plus  justement  renommées,  M""  An- 
gelica  Pandolfini,  dont  les  succès  sont  éclatants,  depuis  plusieurs  années,  dans 
son  pays  et  à  l'étranger,  doit  épouser,  au  mois  de  janvier  prochain,  un  ingénieur 
milanais,  M.  Cuttica,  et  par  suite  abandonner  sa  brillante  carrière  et  renoncer 
au  théâtre.  C'est  une  perte  pour  la  scène  lyrique  italienne. 

—  Nouvelles  des  théâtres  de  Madrid.  Aux  Novedades,  on  a  donné  une 
zarzuela  dramatique  en  un  acte,  la  Cruz  del  Canchal,  paroles  de  MM.  Farfan 
de  los  Godos  et  Peralta,  musique  de  MM.Candela  et  Vêla.  Au  Grand  Théâtre, 
vif  succès  pour  un  drame  lyrique  intitulé  el  Corlijo,  paroles  de  MM.  Soler  et 
Custadio,  musique  de  M.  Cassado  ;  les  auteurs  ont  été  appelés  sur  la  scène: 
moins  heureuse  a  été  une  zarzuela  donnée  sous  le  titre  de  la  Golfa  del  Manza- 
nares,  dont  la  musique  a  été  écrite  par  M.  de  Calleja  et  Lleo  sur  un  livret  dont 
on  ne  nomme  pas  l'auteur.  —  Enfin,  au  théâtre  Eslava,  premières  représen- 
tations de  la  Republica  del  amor,  opérette,  paroles  de  MM.  Paso  et  Martinez 
Sierra,  musique  de  M.  Lleo,  et  de  la  Balsa  de  accile,  paroles  de  M.  Sinesio 
Delgado,  musique  de  M.  Lleo,  déjà  nommé.  «  C'est,  dit  un  journal,  une  déli- 
cieuse saynète,  avec  des  situations  comiques  et  de  bon  goût  qui  font  le  plus 
grand  plaisir  au  public,  et  les  trois  numéros  de  musique  composés  par  le 
maestro  Lleo  ont  été  goûtés  et  ne  tarderont  pas  à  devenir  populaires.  » 

—  Nous  avons  annoncé  que  M.  Edward  Elgar  a  résigné,  pour  cause  de 
santé,  ses  fonctions  de  membre  titulaire  de  la  chaire  de  musique  Richard 
Peyton,  à  l'université  de  Birmingham.  Cette  chaire  lui  avait  été  confiée  en 
1905.  La  nomination  de  son  successeur,  M.  Granville  Bantoek  est  actuelle- 
ment un  fait  accompli  et  a  obtenu  l'approbation  générale.  M.  Granville  Ban- 
toek est  âgé  de  quarante  ans.  Ses  compositions  pour  orchestre  :  ouvertures, 
poèmes  symphoniques,  le  Christ,  symphonie  pour  un  festival,  et  plusieurs 
ouvrages  scéniques  ont  établi  sa  réputation. 

—  Mme  Adelina  Patti  a  chanté,  le  4  novembre  dernier,  à  Londres,  dans  un 
concert  au  bénéfice  des  enfants  pauvres.  Elle  a  ainsi  aidé  à  réaliser  la 
somme  de  23.000  francs,  recette  nette  du  concert. 

—  Les  œuvres  de  compositeurs  français  occupent  une  place  très  importante 
sur  les  programmes  des  artistes  qui  donnent  des  récitals  d'orgue  en  Angle- 
terre et  à  Londres  particulièrement.  Pendant  la  dernière  quinzaine  on  a  fait 
entendre  :  Angélus,  de  Massenet;  Hymne  nuptial,  Chant  pastoral,  Bénédiction 
nuptiale,  de  Théodore  Dubois;  Pastorale  et  Final  de  la  deuxième  symphonie, 
Andante,  Cantabile  et  Scherzo  de  la  quatrième  symphonie,  de  M.  Ch.  Widor; 
Hymne  séraphique,  Fugue  eu  ré,  Morceau  de  concert,  Quatrième  sonate,  Toc- 
cata, deGuilmant;  Grand  chœur  dialogué,  de  Gigout;  Andante  en  sol,  de 
Batiste,    etc.,  etc. 

—  On  a  pu  lire  dernièrement  dans  le  Daily  News  la  nouvelle  à  peine  croyable 
que  Mme  Emma  Albani,  la  cantatrice  qui  s'est  acquis  une  célébrité  comme 
interprète  des  grands  oratorios  exécutés  aux  festivals  que  donnent  périodique- 
ment certaines  villes  d'Angleterre,  aurait  consenti,  moyennant  une  rétribution 
de  douze  mille  francs  par  semaine,  à  chanter  dans  des  petits  théâtres  ou  cafés- 
concerts  du  royaume  britannique.  La  cantatrice  aurait  déclaré  dans  une  inter- 
view que  l'idée  de  chanter  devant  un  public  nouveau  pour  elle-même,  quand 
il  est  permis  aux  spectateurs  de  fumer  et  de  boire,  ne  lui  est  pas  antipathique. 
Mm0  Albani,  de  son  vrai  nom  Marie-Louise-Cécile  Lajeunesse,  est  née  le  2  no- 


vembre 1852,  à  Chainbly,  près  de  Montréal  ;  elle  a  travaillé  à  Parisavec  Duprez 
et  débuta  au  théâtre  de  Messine  dans  la  Somnambule.  Elle  chanta  ensuite  à  la 
Pergola  de  Florence,  et,  à  partir  de  1872,  à  Londres,  à  Paris,  à  Saint-Péters- 
bourg et  en  Amérique.  On  l'entendit  à  Berlin  en  1887  dans  la  Trauiata,  Lucia 
di  Lammermoor,  le  Vaisseau-Fantôme  et  Lohengrin.  Son  talent  lui  valut  alors  le 
titre  de  chanteuse  de  la  chambre  royale.  Elle  épousa,  en  1878,  M.  Ernest  Gye, 
qui  dirigeait  à  cette  époque  le  théâtre  Covent  Garden.  Mme  Albani  joint  à  ses 
qualités  de  cantatrice  un  joli  talent  de  pianiste. 

—  Les  organistes  sont-ils  destinés  à  disparaître  ?  C'est  une  question  qu'agite, 
dans  une  de  ses  récentes  chroniques  du  Daily  Telegraph,  M.  Joseph  Bennett, 
le  doyen  des  critiques  musicaux  de  l'Angleterre.  Dans  cette  chronique,  qui  a 
pour  titre  Mécanisme  el  musique,  notre  confrère  n'est  pas  loin  de  répondre 
affirmativement  à  cette  question,  non  certes  au  point  de  vue  général,  mais  en 
ce  qui  touche  un  grand  nombre  d'églises  modestes  et  pauvres,  dont  les  res- 
sources sont  insuffisantes  pour  rémunérer  un  organiste  de  talent.  «  Il  est  à 
prévoir,  dit-il,  que  dans  l'avenir  nous  verrons  l'orgue  mécanique  décidément 
glorifié.  Il  sera  besoin  seulement  d'un  jeune  curé  ou  d'une  autre  personne 
capable  de  surveiller  le  fonctionnement  du  mécanisme  de  l'instrument  et  de 
changer  les  rouleaux  au  moment  voulu.  Peut-être  ces  exécutions  déplairont- 
elles  à  beaucoup,  en  raison  de  la  froide  unité  du  rythme;  mais  il  faudra  s'y 
accoutumer.  On  ne  peut  pas  tout  avoir.  » 

—  A  Londres,  la  maison  d'édition  Chappell  a  fondé  une  nouvelle  société 
chorale  de  250  voix  qui  prendra  le  titre  de  Société  chorale  de  la  Queen's 
Hall  et  qui  se  proposera  spécialement  de  faire  connaître  les  œuvres  des  jeunes 
compositeurs  anglais.  Le  directeur  sera  M.  Franco  Leoni,  connu  comme  excel- 
lent professeur  et  auteur  de  deux  opéras,  ainsi  que  de  nombreuses  romances 
devenues  populaires  ;  l'organiste  et  accompagnateur  sera  M.  F.-B.  Kiddle.  La 
Société  donnera  aussi  de  bonnes  exécutions  d'oeuvres  importantes  écrites  en 
ces  dernières  années  par  des  compositeurs  du  continent  et  qui  ne  sont  pas 
encore  connues  en  Angleterre. 

—  M.  Joseph  Bennett.  critique  musical  bien  connu  en  Angleterre,  qui  donna 
des  articles  au  Sunday  Times  et  à  beaucoup  d'autres  journaux,  avant  de  con- 
sacrer son  activité  au  Daily  Telegraph,  vient  de  publier  ses  souvenirs  sous  ce 
titre  :  Forty  Years  of  Mnsic  (quarante  ans  de  musique),  1865-1905.  C'est  là 
plutôt  un  recueil  de  petits  faits  personnels  et  d'anecdotes  qu'un  ouvrage  métho- 
diquement composé,  mais  maintes  pages  sont  intéressantes  et  l'ensemble 
présente  l'attrait  d'une  agréable  récréation.  Il  y  a,  par  exemple,  le  récit  d'une 
faute  de  direction  commise  par  S.-S.  Wesley,  chef  d'orchestre  du  festival  de 
Gloucester,  en  1865,  et  toute  semblable  à  celle  que  Berlioz  a  tant  reprochée 
à  Habeneck  lors  de  la  première  audition  de  sa  Grande  Messe  des  Morts  aux 
Invalides.  Pendant  l'exécution  du  concerto  en  sol  mineur  de  Mendelssohn,que 
jouait  au  piano  M"10  Arabella  Goddard,  Wesley  posa  tout  à  coup  sur  son 
pupitre  l'archet  qui  lui  servait  à  conduire,  et,  sans  se  presser,  sortit  de  sa 
poche  une  tabatière  et  se  mit  en  devoir  d'en  extraire  une  prise  de  tabac  qu'il 
aspira  consciencieusement.  Son  premier  violon  voyant  le  danger,  indiqua 
pendant  ce  temps  la  mesure  à  l'orchestre  et  aucun  manquement  ne  se  pro- 
duisit. M.  Bennett  raconte  aussi  qu'à  un  autre  festival,  celui  de  Norwich,  en 
1869,  on  donna  une  sélection  d'un  oratorio  de  H.  Pierson,  Hézechias,  qui  ne 
fut  jamais  terminé.  Les  amis  de  l'auteur,  peut-être  lui-même,  s'avisèrent  de 
vouloir  acheter  l'influence  du  célèbre  critique  du  Times,  James  William 
Davison,  et  lui  envoyèrent  une  somme  respectable  en  bank-notes.  Le  lende- 
main, Davison  faisait  insérer  dans  le  Times  que  son  opinion  n'était  pas  à 
vendre,  et  que  ceux  qui  avaient  cru  pouvoir  la  mettre  à  prix  devaient  passer 
à  la  caisse  du  journal,  où  leur  argent  leur  serait  rendu.  Nul  ne  se  présenta  et 
les  fonds  furent  versés  à  une  œuvre  de  bienfaisance.  Recueillons  encore  au 
hasard  du  volume  une  de  ces  anecdotes  que  M.  Bennett  nous  conte  avec  pré- 
dilection. Certain  jour,  le  chef  d'orchestre  Charles  Halle,  qui  était  aussi  un 
excellent  pianiste,  fut  invité  a  un  «  at-Home  »  ou  réunion  intime.  Onle  pria  de 
se  mettre  au  piano,  mais,  pendant  qu'il  jouait,  un  bruit  ininterrompu  de  con- 
versations ne  lui  permit  pas  de  faire  entendre  tranquillement  une  seule  note. 
Il  commença  par  manifester  quelque  impatience,  mais  nul  n'y  prit  garde,  tant 
on  s'occupait  peu  de  la  musique.  Alors,  il  parut  oublier  l'assistance  ets'absor- 
bant  comme  pour  lui  seul,  joua  longtemps,  très  longtemps, jusqu'à  ce  qu'enfin, 
lassé,  mortifié,  furieux,  il  se  leva  du  piano  et  voulut  traverser  le  salon  pour 
trouver  quelque  coin  obscur  où  cacher  son  dépit.  Mais  la  maîtresse  de  maison 
et  plusieurs  invités  s'approchèrent  de  lui,  le  comblant  de  louanges  et  le  féli- 
citant d'avoir  gardé  pour  la  fin  son  meilleur  morceau.  «  Je  dois  être  recon- 
naissant de  vos  intentions,  dit  l'artiste,  mais  la  musique  était  de  trop  ici  et 
personne  ne  l'a  écoutée  »,  Et  répondant  à  l'exclamation  d'une  dame  qui  voulait 
protester,  il  ajouta  :  «  Si  vous  aviez  prêté  la  moindre  attention  à  ce  que  j'ai 
joué,  vous  vous  seriez  aperçu  que  le  dernier  morceau  n'était  ni  meilleur  ni 
moins  bon  que  le  premier  elle  second,  car  c'est  le  même  que  j'ai  exécuté  trois 
fois  de  suite  sans  y  changer  une  seule  mesure  ». 

—  Le  Musical  America  de  New-York  nous  confirme  la  nouvelle  que  M1,c  Mary 
Garden  jouera  prochainement  au  Manhattan  Opéra  le  rôle  de  Jean  dans  le 
Jongleur  de  Notre-Dame,  de  Massenet.  Cette  création,  car  c'en  est  bien  une 
puisque,  jusqu'ici,  le  personnage  du  jongleur  a  été  tenu  par  un  ténor,  promet 
de  faire  sensation  et  l'artiste  s'y  est  préparée  de  toutes  manières,  afin  de  porter 
le  travesti  avec  une  aisance  parfaite.  Elle  entrera  en  scène  couverte  d'un 
manteau  de  soie  orange,  brodé  de  fleurs  vertes  et  bleues,  et,  le  laissant  tomber, 
elle  apparaîtra  sous  un  vêtement  ajusté,  tout  rehaussé  de  filets  d'or.  Pour  la 
scène  de  la  danse,  elle  aura  un  autre  costume  approprié,  laissant  aux  mouve- 
ments du  corps  toute  leur  liberté. 


LU  MÉNESTKEL 


375 


PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

La  question  de  la  reconstruction  du  Conservatoire.  Elle  reste  à  l'ordre 
du  jour,  par  suite  de  l'incendie  de  l'hôtel  des  téléphones  que  l'administration 
voudrait  transférer  au  faubourg  Poissonnière,  mais  elle  entre  dans  une  phase 
nouvelle.  Voici  qu'on  ne  songe  plus,  parait-il,  aux  terrains  de  la  caserne  de 
la  Nouvelle-France  pour  y  placer  le  nouveau  Conservatoire;  l'administration 
de  la  guerre  ne  saurait,  dit-on,  où  placer  les  400  hommes  qui  occupent  là  un 
terrain  où  on  en  pourrait  mettre  3.0110.  Il  a  donc  fallu  chercher  autre  chose, 
et  M.  Dujardin-Beaumel'z,  sous-secrétaire  d'État  aux  heaux-arts,  qui  a  pris  la 
chose  à  cœur,  s'en  occupe  activement.  Son  choix  se  serait  porté  sur  l'annexe 
de  l'ancien  collège  libre  des  jésuites  situé  rue  de  Madrid,  qui  présenterait  une 
surface  très  ample  et  largement  suifisante  pour  y  réunir  tous  les  services  du 
Conservatoire  :  les  classes,  la  bibliothèque,  le  musée  et  les  logements  de  la 
direction  et  des  employés.  Le  Temps  a  donné  à  ce  sujet  des  renseignements  et 
des  détails  très  circonstanciés,  que  nous  ne  pouvons  faire  mieux  que  de  lui 
emprunter  : 

L'établissement  des  jésuites  se  composait  de  deux  parties,  toutes  deux  en  façade 
rue  de  Madrid,  mais  séparées  l'une  de  l'autre  par  cette  rue.  Tandis  que  l'établisse- 
ment principal  s'étendait  de  la  rue  de  Madrid  à  la  rue  de  Stockholm,  l'autre  montait 
de  la  rue  de  Madrid  à  la  rue  d'Edimbourg.  C'est  sur  cette  annexe,  inférieure  en  éten- 
due mais  encore  très  spacieuse,  que  M.  Dujardin-Beaumetz  a  porté  ses  vues.  Il  ne 
lui  reste  plus  qu'à  faire  l'acquisition  do  l'immeuble,  acquisition  vraisemblablement 
très  coûteuse,  mais  à  laquelle  il  sera  aisé  de  subvenir  par  l'aliénation  des  terrains 
du  Conservatoire  actuel.  La  vente  de  ces  terrains,  très  recherchés,  laissera  môme,  en 
sus  du  prix  d'achat,  un  boni  qui  servira  à  payer  les  frais  de  construction  et  d'instal- 
lation. 

Car  il  y  aura,  de  toute  nécessité,  à  construire.  Nous  nous  en  sommes  rendu  compte 
en  visitant,  hier,  14,  rue  de  Madrid,  l'annexe  destinée  à  devenir  le  petit  séminaire 
des  vocations  musico-théâtrales. 

Nous  y  avons  vu,  en  bordure  de  la  rue,  une  vaste  construction  de  trois  étages  dont 
les  deux  premiers  servaient  de  classes  et  le  plus  élevé  de  dortoir.  Ces  trois  étages 
reposent  sur  un  sous-sol  qui,  tout  en  étant  à  rez-de-chaussée  sur  la  rue,  est  souterrain 
ou  à  peu  près,  du  côté  du  jardin.  Le  sol  sur  lequel  l'établissement  se  développe  est 
en  effet  en  pente  si  rapide  qu'il  y  a  entre  la  chaussée  de  laruo  de  Madrid  et  le  niveau 
de  la  cour  intérieure  une  différence  de  cinq  mètres  soixante-quinze. 

Cette  cour  intérieure,  dont  la  surface  est  énorme,  est  bornée  au  nord  par  les  mai- 
sous  à  locataires  de  la  rue  d'Edimbourg,  à  droite  par  les  maisons  de  la  rue  de  Rome, 
et  à  gauche  par  les  maisons  de  la  rue  du  Rocher.  On  en  aliénerait  une  partie,  celle 
qui  s'étend  jusqu'à  la  rue  de  Rome,  et  qui  est  actuellement  occupée  par  un  garage 
d'automobiles,  et  le  prix  de  cette  vente,  ajouté  au  boni  que  laisserait  la  vente  des 
terrains  de  la  rue  du  Faubourg-Poissonnière,  permettrait  à  l'administration  des 
beaux-arts  de  faire  du  nouveau  Conservatoire  une  installation  à  la  fois  très  pratique, 
très  spacieuse  et  très  hygiénique. 

En  quoi  cette  installation  consistera-t-elle? 

Deux  projets  ont  déjà  été  étudiés  par  l'architecte  du  gouvernement,  M.  Blavette, 
et  soumis  au  sous-secrétaire  d'État  des  beaux-arts.  Le  premier  consisterait  à  ins- 
taller dans  les  deux  étages  supérieurs  de  l'immeuble  actuel  le  musée  et  la  biblio- 
thèque, et  à  répartir  les  classes  en  partie  dans  le  premier  étage  et  le  sous-sol,  en 
partie  dans  des  constructions  nouvelles  édifiées  au  fond  de  la  cour,  le  long  des  im- 
meubles de  la  rue  d'Edimbourg.  Le  second,  qui  nous  paraît  de  beaucoup  le  plus 
pratique  et  d'ailleurs  serait  moins  dispendieux,  installerait  dans  le  sous-sol  du  bâti- 
ment actuel  les  collections  du  musée,  répartirait  les  classes  au  premier  et  au  second  ' 
étage,  et  réserverait  le  troisième  pour  les  appartements  du  directeur,  du  secrétaire 
général  et  des  employés. 

Quant  à  labibliothèque,  on  construirait  pour  elle,  dans  la  cour.enretour  d'équerre 
sur  le  bâtiment  principal,  un  édifice  spécial.  La  partie  de  cet  édifice  la  plus  rappro- 
chée de  la  façade  serait  consacrée  à  l'installation  de  deux  petits  théâtres  d'étude 
pour  les  classes  d'opéra  et  de  déclamation.  Sur  la  gauche  du  terrain,  en  face  par 
conséquent  de  la  bibliothèque  et  de  l'autre  côté  de  la  grande  cour  intérieure,  une 
seconde  construction,  prolongée  jusqu'à  la  rue  d'Edimbourg,  sur  laquelle  elle  aurait 
une  sortie  indépendante,  abriterait  la  salle  des  concerts. 

On  conserverait  dans  son  état  présent,  et  à  son  niveau  actuel,  la  partie  postérieure 
delà  cour,  plantée  d'arbres.  On  creuserait,  pour  la  faire  descendre  au  niveau  de  la 
rue  de  Madrid  et  assainir  ainsi  le  sous-sol,  qui  serait  complètement  dégagé,  la  partie 
antérieure.  On  accéderait  de  la  première  cour  à  la  seconde  par  une  double  rampe  et 
par  des  escaliers  qui  seraient  de  l'effet  le  plus  heureux. 

Tel  est  vraisemblablement  le  plan  qui  aura  les  préférences  de  M.  Dujardin-Beau- 
metz. On  ne  pourra  qu'applaudir  à  sa  réalisation. 

Puisse-t-elle  s'opérer  rapidement,  et  puissions-nous  voir  enûn  le  Conserva- 
toire logé  dignement  et  abandonner  le  taudis  infect  auquel  on  le  condamne  à 
pourrir  depuis  si  longtemps  ! 

—  La  nouvelle  convention  littéraire  définitivement  votée  par  le  congrès 
international  de  Berlin  comprend  trente  articles  qui  traitent  des  points  sui- 
vants :  assimilation  des  droits  des  traductions  aux  droits  des  œuvres  origi- 
nales ;  protection  des  articles  politiques  publiés  dans  les  journaux  ;  protection 
contre  la  reproduction  des  œuvres  musicales  au  moyen  d'instruments  de 
musique  mécaniques,  les  droits  régulièrement  acquis  des  fabricants  étant 
respectés  :  protection  des  œuvres  littéraires  et  artistiques  contre  la  reproduc- 
tion par  le  cinématographe,  d'autre  part,  protection  des  vues  cinématogra- 
phiques originales  contre  les  reproductions  non  autorisées  ;  suppression  des 
formalités  à  l'intérieur  de  la  Ligue  ;  prote'ction  des  œuvres  assurée  dans  les 
Etats  signataires  de  la  convention  indépendamment  des  prescriptions  légales 
du  pays  d'origine  ;  durée  de  la  propriété  littéraire  uniformément  fixée  à  cin- 
quante ans,  post  mortem,  sauf  pour  les  Etats  signataires  de  la  convention  qui 
voudront  admettre  un  plus  court  délai.  En  somme,  un  certain  nombre  d'avan- 
tages acquis,  mitigés  malheureusement  quelquefois  par  des  restrictions  qui 
leur  ôtent  de  leur  importance. 


—  Le  jury  des  examens  d'admission  aux  classes  du  Conservatoire  n'a  pas 
eu  a  entendre,  la  semaine  dernière,  moins  de  306  lirais  cent  six)  candidats  aux 
classes  de  déclamation.  Pauvre  juryl  Cet  ensemble  de  300  aspirants  à  la 
gloire  de  la  rampe  comprenait  134  hommes  et  17'2  femmes,  sur  lesquels,  après 
la  première  épreuve  éliminatoire,  32  îles  premiers  et  30  des  secondes  ont 
été    admis   à  passer  l'examen  définitif.   A    la   suite    de  celui-ci,    13 

et  13  femmes  ent  été  admis  décidément  dans  les  classes.  Voici  les  noms  de- 
ces   vainqueurs   d'une  bataille  qui  a  été  chaude  : 

Hommes  :  MM.  Fontaine,  Dutet,  Le  Gai,  Mendaille,  Battendier,  Lestemas,  Rocher 
Pradier,  Saint-Mars,  Fraison,  Maunié,  Faure,  douillet,  Polack  et  Jaskin. 

Femmes  :  M""  Capazza,  Dues,  Polack,  Sylviae.  Dieudonné,  Lauzarme,  i;  ono 
Borelli,  Dauzon,  Reynaud,  do  France,  Garcerie,  de  Chauveron. 

—  M.  Camille  SaintSaëns,  qui  redoute  les  rigueurs  de  notre  saison  hiver- 
nale, a  quitté  Paris.  Il  se  rend  à  Toulouse  d'abord,  puis  en  Espagne,  d'où  il 
s'embarquera  pour  Le  Caire,  où  il  est  habituellement  l'hôte  du  prince  d'Aren- 
berg  et  du  frère  du  Khédive.  L'illustre  compositeur  ne  passera  que  quelques 
semaines  en  Egypte.  Il  est  attendu,  en  ell'et,  au  mois  de  mars,  à  Monte-Carlo, 
où  il  assistera  à  la  première  représentation  de  son  œuvre  nouvelle:  la  Fui. 
qu'il  a  écrite  en  collaboration  avec  M.  Brieux.  Ajoutons  qu'en  arrivant  à 
Toulouse,  M.  Saint-Saéns  a  trouvé  une  dépêche  de  New-York  qui  lui  appre- 
nait le  magnifique  succès  qu'avait  remporté  la  veille  au  soir,  au  Manhattan 
Opéra,  Samson  et  Dalila,  interprété  par   M.  Dalmorès  et  M1"1'  Gerville-Réache. 

—  Une  grippe  fâcheuse  qui  s'est  abattue  sur  le  gosier  délicat  du  ténor 
Van  Dyck  vient  entraver  malheureusement  le  cours  des  représentations  m 
brillantes  du  Crépuscule  des  Dieux  à  l'Opéra.  Il  a  fallu  en  reporter  la  sixième  et 
la  septième  représentation  au  mercredi  2o  et  au  samedi  28  du  mois  courant. 

—  Dimanche,  on  a  donné,  en  représentation  gratuite,  l'exquise  Thaïs  de 
Massenet,  interprétée  par  la  séduisante  cantatrice  russe  M",e  Marie  KousnietzoM' 
et  le  baryton  Dangès.  Cette  même  œuvre  a  dû  être  chantée  encore  hier  ven- 
dredi pour  la  rentrée  de  M"1'  Brozia,  non  encore  entendue  dans  ce  rôle  de 
Thaïs,  qui  doit  convenir  tout  particulièrement  à  sa  beauté  et  à  son  talent. 

—  Selon  toutes  probabilités,  l'opéra  Sanga  de  MM. Isidore  de  Lara,Choudens 
etEugène Morand  pass?ra  à  l'Opéra-Comique  dans  les  premiers  jours  de  décem- 
bre. La  Solange  de  MM.  Salvayre  et  Aderer  suivrait  de  près.  —  Spectacles  de 
dimanche  :  en  matinée,  la  Vie  de  Bohème,  Philémonet  Soucis  ;  le  soir.  Carmen. 

—  Lundi,  en  représentation  populaire  à  prix  réduits  :  Le  Barbier  de  Sécillc  et 
Cavalleria  rusticana. 

—  Mme  Marguerite  Carré  a  triomphé  à  Lisbonne.  Elle  y  a  chanté  Manon 
et  la  Vie  de  Bohème  au  milieu  d'un  véritable  enthousiasme.  L'exquise  cantatrice 
est  rentrée  à  Paris  pour  reprendre  sa  place  aux  spectacles  de  l'Opéra-Comique. 

—  M11»  Béatrice  La  Palme,  de  l'Opéra-Comique,  vient  d'épouser  M.  Issaurel. 
qui  appartient  au  même  théâtre. 

—  Toujours  grande  activité  au  Tûéàtre-Lyrique  de  laGaité.  Avec  une  géné- 
rosité sans  égale,  M.  Albert  Carré  continue  à  passer  aux  Frères  Isola  les  meil- 
leures œuvres  du  répertoire  de  l'Opéra-Comique.  C'est  ainsi  qu'on  voit  à 
présent  le  Jongleur  de  Noire-Dame  et  la  Xavarraise  réunis  constituer  à  la  Gaîté 
des  affiches  sensationnelles.  Les  frères  Isola  ont  aussi  inauguré,  cette  semaine, 
des  matinées  du  Jeudi  avec  Paul  et  Virginie. 

—  Tant  de  zèle  vraiment  mérite  d'être  encouragé.  Aussi,  la  deuxième  com- 
mission du  conseil  municipal  vient-elle  d'autoriser  le  relèvement  de  4  francs 
à  S  francs  du  prix  des  huit  premiers  rangs  d'orchestre  ainsi  que  des  places  des 
premières  loges.  De  plus,  la  Ville,  qui  a  déjà  fait  don  à  MM.  Isola  du  loyer 
du  théâtre,  évalué  à  cent  mille  francs,  prendrait  à  sa  charge,  à  partir  de  11109. 
les  dix  mille  francs  d'impôt  foncier  qu'acquitte  le  théâtre.  Quant  à  la  question 
d'une  subvention,  elle  a  été  renvoyée  à  l'année  prochaine,  l'état  du  budget 
ne  permettant  pas  de  l'examiner  actuellement.  M.  Emile  Massard  a  été  chargé 
du  rapport. 

—  Aux  Folies-Dramatiques,  mardi  prochain,  répétition  générale  du  Petit 
Faust  :  mercredi,  première  représentation. 

—  Plus  heureuse  que  Paris,  la  ville  de  Lyon  possède  depuis  quelques  jours 
une  belle  et  vaste  salle  de  concerts,  à  laquelle  elle  a  très  opportunément 
donné  le  nom  de  salle  Rameau,  et  qui  a  été  inaugurée  solennellement,  le 
dimanche  8  novembre,  en  présence  de  M.  le  sous-secrétaire  d'État  aux  Beaux- 
Arts,  par  un  concert  donné  avec  le  concours  de  la  Société  des  Grands-Con- 
certs de  Lyon,  des  chœurs  de  la  Schola  cantorum,  de  MmM  Mellot-Joubert  et 
Legrand-Philipp,  de  MM.  Plamondon  et  de  la  Cruz-Frœlich.  sous  la  direction 
de  M.  Witkowski.  Le  programme  de  ce  concert  était  composé  d'un  acte  des 
Fêtes  d'Hèbé,  opéra-ballet  de  Rameau,  et  de  la  Symphonie  avec  chœurs  de 
Beethoven. 

Voici  la  description  de  la  nouvelle  salle,  qui  semble  avoir  été  conçue  et 
exécutée  de  façon  très  heureuse  par  l'architecte.  M.  Clermont  : 

La  salle  de  concerts,  contenant  environ  1.800  places,  est  au  premier  étage.  Elle 
comprend  elle-même  trois  étages  :  le  plan  inférieur  est  entièrement  occupé  par  des 
fauteuils  et  par  la  scène  légèrement  surélevée;  la  première  galerie  fait  tout  le  tour 
de  la  salle  ;  les  côtés  sont  réservés  à  des  loges  découvertes  :  le  fond  est  garai  de  fau- 
teuils et  la  partie  située  au-dessus  de  la  scène  est  réservée  à  l'orgue  et  aux  choristes. 
Une  seconde  galerie  n'occupe  que  le  fond  de  la  salle.  La  salle  est  rectangulaire, 
longue  de  33  mètres,  largo  de  18,  haute  de  13.  De  vastes  baies  à  vitraux  et  un  ciel 
ouvert  lui  donne,  le  jour,  une  abondante  lumière.  L'éclairage  électrique  est  assuré 
par  des  lampes  fixées  au  plafond.  Pas  de  lustre  :  ce  serait  gênant  à  la  fois  pour  la 
vue  et  pour  l'acoustique. 


37(i 


LE  MENESTREL 


L'accès  a  lieu  par  quatre  escaliers  il  chacun  des  angles  de  remplacement,  chaque 
escalier  donnant  directement  à  l'extérieur.  Deux  foyers-promenoirs,  vestiaires,  gui- 
chets, etc.,  complètent  les  accessoires  de  la  salle  principale. 

Tout  le  gros  œuvre  de  la  construction  est  en  pierre  de  taille,  maçonnerie  et 
ciment  armé  :  la  scène  est  formée  d'une  simple  estrade  en  ciment  armé  sans  aucun 
décor  mobile,  sans  boiseries  ni  tentures  autres  que  celles  des  porles  d'eDtrée,  de 
façon  à  élre  absolument  à  l'abri  d'un  incendie;  les  dégagements  larges  et  donnant 
directement  à  l'extérieur  assurent  la  complète  sécurité  du  public. 

—  On  savait  bien,  jusqu'ici,  que  Rameau  avait  fait  dans  sa  jeunesse  un 
séjour  à  Lyon  comme  organiste,  mais  on  ne  connaissait  ni  la  date  certaine  de 
ce  sujet  ni  aucuns  détails  à  son  sujel.  M.  Léon  Vallas  nous  apprend,  dans  la 
Revue  musicale  de  Lyon,  que  c'est  en  1714  que  Rameau  résida  en  cette  ville,  et 
que  C'est  au  couvent  des  Jacobins  qu'il  y  occupa  le  poste  d'organis'.e.  Pour 
preuve,  il  publie  ce  fragment  de  l'inventaire  des  Jacobins  conservé  aux  Archi- 
ves départementales  du  Rhône,  qui  contient,  au  chapitre  intitulé  Gages  de 
l'Organiste,  deux  quittances  de  Rameau  : 
Gages  de  l'organiste. 

Nota  qu'on  ne  voit  pas  dans  aucun  livre  de  comptes  qu'on  ait  donné  des  appoin- 
tements à  l'organiste  qui  a  joué  nos  orgues  avant  le  temps  marqué  dans  les  quittances 
cy-après. 

P.  n°  1.  Quittance  demain  privée  passée  à  Lyon  le  1"  juillet  filt  par  le  S' Rameau 
Organiste  de  la  somme  de  100  livres  qu'il  a  reçue  du  Père  Alissan  Procureur  des 
Jacobins  pour  ses  appointements   de  6  mois  échus  à  la  St  Jean  dernière.  Signé 


P.  n°  11.  Quittance  de  main  privée  passée  à  Lyon  le  13  décembre  1714  parle  susd. 
Rameau  de  la  somme  de  50  livres  qu'il  a  reçue  du  Père  Alissan  Procureur  des 
Jacobins  pour  un  quartier  de  ses  appointements  échu  à  la  lin  du  mois  de  septembre 
dernier.  Signé  Rameau. 

On  sait  donc  maintenant  de  façon  certaine  que  Rameau  fut,  pendant  toute 
l'année  4714,  organiste  des  Jacobins  à  Lyon.  Et  l'on  sait  aussi  qu'il  abandonna 
Tannée  suivante  ces  fonctions,  où  il  eut  pour  successeurs  deux  artistes  nommés 
Antoine  Fiocco  et  Etienne  Le  Tourneur. 

—  Do  Troyes.  Au  concert  donné  salle  Bécard,  par  la  Société  Philharmo- 
nique des  Chemius  de  fer  de  l'Est,  foule  énorme  et  très  grand  succès  pour 
l'excellent  baryton  Fcrval,  dont  la  jolie  voix  a  fait  merveille  dans  le  récit  et 
la  Cavatine  du  Chevalier  d'Eon,  l'opéra-comique  de  Rodolphe  Berger,  dont  il 
fut  un  des  créateurs  à  Paris,  et  dans  la  «  romance  de  l'étoile  »  du  Tannhaiiser. 
Avec  M"e  Bleuzé,  à  l'organe  charmant,  il  a  chanté  aussi  le  duo  A'Hamlet,  et  le 
succès  des  deux  excellents  artistes  fut  tel  qu'ils  durent  ajouter  au  programme 
le  Crucifix,  de  Faure. 

—  La  dernière  réception  mensuelle  et  artistique  de  M.  Chavagnat,  directeur 
de  l'École  classique,  a  été  des  plus  intéressantes.  On  y  a  entendu  un  excellent 
baryton,  M.  Desprez,  élève  de  Mme  Nicole-Ratte,  qui  a  délicieusement  inter- 
prété Tristesse,  de  M.  Chavagnat,  et  Mue  Baroux,  un  ravissant  soprano,  qui  a 
Cnement'détaillé  Papillon,  du  même  auteur.  N'oublions  pas  non  plus  M.  Henri 
Bénard,  une  basse  à  la  voix  chaude  et  vibrante,  M.  CoifDer,  un  excellent  violo- 
niste, M.  Seudier,  un  charmant  lénor,  et  Mlle  Chavagnat,  qui  a  dit  trois  adapta- 
tions musicales  inédites  de  M.  Chavagnat. 

—  La  Voix  professionnelle.  Leçons  pratiques  de  physiologie  appliquée  aux 
carrières  vocales,  par  le  Dr  Pierre  Bonnier,  laryngologiste  de  la  clinique  mé- 
dicale de  l'Hôtel-Dieu,   laryngologiste  consultant  de  la  Comédie-Française  et 


de  l'Opéra-Comique  (Cours  du  Théàtre-Réjane  1907-1908).  Un  volume  in-8° 
(Bibliothèque  Larousse),  illustré  de  39  gravures.  Le  Dr  Pierre  Bonnier  a  consi- 
gné dans  ce  volume  ses  intéressantes  conférences  de  l'an  dernier  au  Théàlre- 
Réjane.  Nul  n'était  mieux  qualifié  pour  parler  de  la  voix  professionnelle  que 
le  distingué  laryngologiste  de  la  Comédie -Française  et  de  l'Opéra-Comique, 
et  l'ouvrage  qu'il  nous  donne  aujourd'hui,  fruit  d'une  longue  expérience,  sera 
infiniment  précieux  pour  tous  ceux  qui  chantent  ou  qui  parlent  en  public, 
acteurs,  avocats,  professeurs,  conférenciers,  etc. .Ecrit  avec  autant  de  clarté  que 
de  précision,  remarquablement  documenté  et  nourri  d'aperçus  originaux  et  de 
remarques  pratiques,  il  leur  apprendra  une  foule  de  choses  utiles  qu'ils 
ignorent  trop  généralement  sur  la  manière  de  conduire  leur  voix  et  de  lui 
faire  rendre  tout  ce  qu'elle  peut  donner.  On  y  trouvera  d'abord  des  indica- 
tions sur  les  qualités  du  son,  sa  production  et  sa  propagation,  et  la  descrip- 
tion de  l'appareil  vocal,  puis  des  observations  sur  l'hygiène  de  la  voix,  l'étude 
de  la  voix  dans  les  diverses  professions,  et  enfin  un  chapitre  sur  le  chant,  la 
respiration,  le  timbre,  l'intensité,  etc. 

—  Cours  et  Leçons.  —  M"10  Guyon-Delaspre  a  repris  ses  leçons  de  piano  et  de 
chant,  157,  Boulevard  Saint-Germain. 

NÉCROLOGIE 

Le  plus  âgé  vraisemblablement  de  tous  les  pianistes  allemands,  Inghofl, 
né  en  1S22,  vient  de  mourir  à  Baden-Baden.  Il  laisse  une  fille,  M"e  Amélie 
Ingholï.  qui  s'est  établie  à  Mannhein,  où  elle  est  appréciée  comme  professeur 
de  chant. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

A  VENDRE  :   Violoncelle  en  parfait  état  et  authentique  portant  l'inscription 
suivante  :  Johannès   Baptista    Guadagnini  p/acentinus  fecit  mediolani  47U.. 
S'adresser  à  M.  Dépret,  à  Pont-1'Evèque  (Calvados). 

AVIS 

MM.  HEUGEL  et  G'"  portent  à  la  connaissance  des  édi- 
teurs et  marchands  de  musique  qu'ils  viennent  d'acquérir  de 
M.  A.  JOANIN,  qui  les  avait  publiées  d'abord,  les  œuvres  sui- 
vantes de  M.  GABRIEL  PIERNÉ  : 

■1.  La  Croisade  des  E.wanis,  légende  en  4  parties.  (Partition  chant  et  piano, 
orchestration,  livret  et  tous  morceaux  détachés  et  arrangements). 

2.  Les  Enfants  a  Bethléem,  mystère  en  2  parties.  (Partition  chant  et  piano, 

orchestration,  livret,'  morceaux  détachés.) 

3.  Tuois  Adaptations  musicales  :  la  Marjolaine,  Nuit  divine,  NoSI. 

4.  Mélodies    :    Berceuse,   le   Mariage   de    Marion,    les    Marionnettes,   le    Petit 

Bonhomme  et  chœurs  y  adhérant. 

5.  Adac.ietto  pour  vin'on  et  piano  ou  quatuor  à  cordes. 
0.  Ballit  de  coun,  six  airs  à  danser  pour  orchestre. 

C'est  donc  désormais  à  MM.  HEUGEL  et  Gie  que  devront  être 
adressées  toutes  demandes  concernant  ces  diverses  œuvres  de 
M.  GABRIEL  PIERNÉ. 


En  vente  AU  MENESTREL,  2  bis,  me   Vivienne,  HEUGEL  ET  CIE,  éditeurs. 

PROPRIÉTÉ    POUR    TOUS    PAYS 


THEODORE    DUBOIS 


COMPOSÉES   POUR    LES   EXAMENS   ET   CONCOURS  DU   CONSERVATOIRE   (ANNÉES   1896   A   1905) 

Ai'ec  accompagnement  de  piano 


Premier   Livre 

POUR.    LES     CLASSES     DES     CHANTEURS 
Prix  net  :  10  francs. 


Deuxième    Livre 

POUR     LES     CLASSES     D'INSTRUMENTISTES 
Prix  net  :  10  francs. 


ÉDITION  POPULAIRE  sans  accompagnement  de  piano.    Chaque  livre,   net  :  2  francs 


4053.  —  74e  A,\,\ÉE.  -  N°  48. 


PARAIT  TOUS  LES  SAMEDIS 


Samedi  28  Novembre  1908. 


(Les  Bureaux,  2b">,  rue  TiTienne,  Paris,  u<  >rr') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


ENESTREL 


Le  Numéro  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEDGEL,     Directeur 


Le  Numéro  :  0  fi*.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province. —  Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, 20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de   Piano,  30  fr. ,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,   les  frais  de  poste  en  sus. 

SOMMAIRE-TEXTE 


1.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (46"  article),  Julien  Tieiisot.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  première  représentation  des  Révoltés,  au  Théâtrc-Sarah-Bernh.irdt,  A.  BoUTAREL.  —  III.  Petites 
notes  sans  portée  :  l'Histoire  de  la  musique  et  l'avènement  tardif  de  l'érudition  musicale,  Raymond  Bouyer.  —  IV.  Revue  des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

DANS   L'ÉTÉ 

nouvelle  mélodie  de  Reynaldo  Haiin,  poésie  de  M"w  DESBORDes-VAUionc.  — 

Suivra  immédiatement  :  Le  Noël  des  humbles,  de  J.  Massenet. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano: 

NEUVIÈME  NOCTURNE 

de  Gabriel  Fauré.   —   Suivra  immédiatement:  Le  Polit  soldai  de  plomb  ai  la 

Chanteuse  roumaine,  nos  2  et  3  des  Figurines,  nouveau  recueil  de  I.  Piiu.ipp. 


SOIXANTE     ANS     DE     LA    VIE     DE     GLUCK 


(±T  ±^-XT'7^) 


CHAPITRE    IX   :    Alceste. 


L'auteur  des  Troyens  reproche  encore  à  Gluck  de  «  n'attacher 
aucun  prix  à  la  découverte  d'une  nouveauté  »,  parce  qu'  «  une 
découverte   musicale  quelconque,  ne  fût- 
elle  qu'indirectement    liée  à  l'expression    gjMj 
scénique,   n'est  pas  à    dédaigner.    »  Mais    •-•=°=tS Kl  J&&*. 

je  pense  que  là  encore  il  y  a  confusion  sur    JBJ11  HKejI 

le  sens  des  tenues.  11  ne  s'agit  point  d'in- 
novations dans  la  technique,  de  décou- 
vertes destinées  à  enrichir  les  ressources 
de  l'art:  cela,  certes,  Gluck  a  assez  bien 
montré  qu'il  ne  le  tenait  aucunement  en 
mépris  !  Mais  il  n'en  est  pas  question  dans 
la  préface  ;  celle-ci  ne  veut  parler  que  de 
trouvailles  fortuites  d'ordre  purement  mu- 
sical, d'idées  mélodiques  d'un  tour  heureux, 
que  d'autres  n'auraient  pas  eu  la  vertu  de 
sacrifier  :  lui,  il  affirme  que  ce  sacrifice 
est  nécessaire,  que  le  drame  ne  doit 
admettre  l'intervention  d'aucun  élément 
qui  ne  concoure  expressément  à  l'inter- 
préter. Cette  intransigeance,  dans  un  exposé 
de  principes,  ne  mérite  aucunement  le 
blâme. 

Quant  à  la  légère  impropriété  signalée 
dans  la  phrase  :  «  La  musique  doit  être  à 
la  poésie  ce  que  la.  couleur  est  au  dessin, 
etc.  »,  elle  ne  semble  pas  constituer  un 
vice  vraiment  rédhibitoire.  Tels  sont  les 
dangers  "de  la  littérature!  Comparaison 
n'est  pas  raison.  Gluck  a  voulu  dire  que 
la  musique  et  la  poésie  dans  l'opéra 
doivent  être  confondus  aussi  intimement 
que  la  couleur  et  le  dessin  dans  la  peinture  :  c'était  simplement 
renouveler  par  une  image  l'affirmation  d'une  vérité  clairement 


exprimée  par  les  paroles  précédentes,  et  qui  reste  l'idée  fon- 
damentale de   l'épitre. 

Pour  la  questi le  la  subordination  de 

j  la  musique  à  la  poésie,  elle  est  fort  grave 
en  effet.  Mais,  par  son  caractère  de  géné- 
ralité, elle  sort  du  cadre  de  l'examen  d'un 
seul  écrit  et  d'un  seul  ouvrage,  qui  est 
l'objet  de  ce  chapitre.  C'est  donc  pour  le 
moment  où  nous  aurons  à  embrasser  dans 
son  ensemble  l'œuvre  de  Gluck  et  à  en 
dégager  la  signification  que  nous  devons 
la  réserver. 

Donc,  sans  rechercher  pour  l'instant  si 
l'un  ou  l'autre  des  deux  éléments  doit 
être  subordonné,  restons  dans  les  termes 
de  l'affirmation  de  Gluck  :  que  la  véritable 
fonction  de  la  musique  est  de  i  seconder 
la  poésie  dans  l'expression  des  sentiments 
et  des  situations  de  la  fable  ». 

C'est  là,  en  effet,  une  vérité  essentielle. 
Mais,  au  fait,  est-ce  donc  une  invention 
de  Gluck,  et  l'idée  était-elle,  en  son  temps, 
une   si   grande    nouveauté  ?    Non    certes. 
L'union  de  la  musique  et  de  la  poésie  est,  au 
contraire,  pour  tout  lyrisme,  une  obliga- 
tion vitale,  une  nécessité  de  tous  les  temps. 
Bien  d'autres  l'avaient  affirmée  avant  lui 
et  l'ont  affirmée  encore  après.   Ainsi  l'ont 
fait  tous  les  grands   fondateurs  ou  grands 
réformateurs.  Rappelons-nous  ces  paroles 
de  Caccini  et  de  Péri,  écrites  dans  les  pré- 
faces des  Nouvelles  musiques  (Xuove  musiche' 
et  de  YEuridice  florentine  de  1600,  le  premier  opéra  connu  : 
«  M'étant    convaincu,   dit  |  le  premier,   qu'une  telle  musique 


378 


LE  MÉNESTREL 


(celle  des  contrapunctistes)  ne  procurait  d'autre  plaisir  que  celui 
d'une  harmonie  agréable  à  l'oreille,  l'esprit  ne  pouvant  être 
frappé  sans  la  parfaite  intelligence  des  paroles,  il  me  vint  l'idée 
d'introduire  une  espèce  de  chant  par  lequel  il  fût  possible  pour 
ainsi  dire  de  parler  en  musique...  »  (1). 

«  Ayant  considéré,  professe  le  second,  qu'il  s'agissait  d'une 
œuvre  dramatique,  et  qu'en  conséquence  il  fallait  reproduire 
la  parole  par  le  moyen  du  chant,  je  pensai  que  les  anciens  qui 
chantaient  sur  la  scène  des  tragédies  entières  devaient  se  servir 
à  cet  effet  d'une  mélodie  plus  accentuée  que  celle  du  parler 
ordinaire,  sans  arriver  cependant  au  chant  proprement  dit... 
Ayant  observé  les  accents  que  nous  employons,  à  notre  insu, 
dans  certaines  affections  très  vives,  telles  que  la  joie,  la  dou- 
leur, etc.,  je  les  mis  à  profit.  (2)  ». 

Traversons  deux  siècles  et  demi,  et,  passant  par-dessus  Gluck, 
venons  jusqu'à  Wagner.  Voici  ce  qu'il  nous  dira: 

«  L'erreur  dans  l'opéra  consiste  en  ce  qu'on  a  fait  d'un  moyen 
de  l'expression  (la  musique)  le  but,  et  du  but  de  l'expression 
(le  drame)  un  moyen  (3)  ». 

Donc,  en  des  termes  divers,  c'est  partout  la  même  idée  :  la 
véritable  fonction  de  la  musique  est  de  «  seconder  »,  de  «  ren- 
forcer »  la  poésie. 

Les  poètes,  de  leur  côté,  ont  plus  d'une  fois  rêvé  cette  alliance. 
C'est  Shakespeare,  disant  que  «  musique  et  douce  poésie  doivent 
s'accorder  comme  frère  et  sœur  (3  b)«.  C'est  Ronsard,  s'efforçant 
d'unir  le  chant  à  ses  odes,  et  ambitionnant  de  faire  «  revenir 
l'usage  de  la  lyre  (la  musique),  laquelle  seule  doit  et  peut  ani- 
mer les  vers  (4)  ». 

Des  penseurs,  des  conducteurs  d'ùmes,  ont  parlé  de  même. 
Calvin,  signalant,  d'après  Saint-Paul,  l'influence  de  la  parole  sur 
les  mœurs,  ajoute  cette  observation  pénétrante:  «  Mais  quand  la 
mélodie  est  avec,  cela  transperce  beaucoup  plus  fort  le  cœur.  » 
Plus  austère  encore  dans  ses  conséquences,  tout  en  affirmant 
le  même  principe,  la  Sorbonne,  en  1693,  condamne  l'opéra,  le 
jugeant  plus  dangereux  que  la  comédie,  à  cause  qu'  «  à  la 
faveur  de  la  musique,  dont  tous  les  tons  sont  recherchés  et 
disposés  exprès  pour  toucher,  l'àme  est  bien  plus  susceptible  de 
passion  (S)  ». 

Ce  ne  sont  donc  pas  les  idées  d'un  jour,  ce  sont  des  vérités 
éternelles  que  Gluck  a  exprimées  dans  la  préface   à'Alcesle. 

Et  déjà  nous  l'avions  vu  recevoir  l'impulsion  presque  directe 
des  idées  des  philosophes  français  qui,  exactement  dans  le  même 
temps,  accomplissaient  leur  œuvre  parallèle.  Ceux-ci,  dans  le 
bouillonnement  de  leur  pensée  multiple,  avaient  été  jusqu'à 
exposer  des  idées  sur  la  musique,  et  ces  idées  étaient  semblables 
à  celles  dont  il  assura  l'application  par  son  œuvre. 

Mais  ils  auraient  eu  beau  en  dire  cent  fois  plus  long,  et  mul- 
tiplier les  belles  paroles,  que  c'eût  été  peine  perdue  si  l'homme 
d'action  n'était  venu  qui  devait  porter  les  principes  dans  le 
domaine  du  fait  accompli.  Car.  si  grand  mérite  qu'il  y  ait 
d'apercevoir  distinctement  un  but,  il  y  a  quelque  chose  de  meil- 
leur encore:  c'est  d'y  atteindre,  et  sans  cela  rien  n'est  fait. 

Ce  fut  bien  que  l'union  nécessaire  de  la  musique  et  la  poésie 
ait  été  proclamée  en  des  discours  persuasifs  :  ce  fut  mieux  encore 
que  cette  union  ait  été  réalisée  par  l'art. 

Alcesle  représente,  dans  l'histoire  de  la  musique  dramatique,  et 
plus  particulièrement  de  la  tragédie  lyrique,  le  moment  précis 
où  un  idéal  entrevu  devint  pour  la  première  fois  tangible.  Mais 
croyons  bien  que  ce  résultat  fut  dû  bien  plutôt  à  la  puissance  de 
l'intuition  chez  son  auteur  qu'à  la  lucidité  de  sa  raison. 

En  vérité,  et  quelle  que  soit  l'admirable  logique  avec  laquelle 

(1)  Préface  des  Nuove  Musiclte  di  Giulio  Caccini,  traduite  parM.  Gevaert  dans  l'An- 
nuaire du  Conservatoire  de  Bruxelles,  1881. 

("2i  Avviso  ai  letton  en  tète  de  l'Euridiceàe  Pari,  traduit  par  M.  Gevaert  dans  l'An- 
nuaire du  Conservatoire  de  Bruxelles,  1882. 

(3)  Richard  Wagner,  Opéra  et  drame,  préface. 
(3  u)  1"  Sonnet  de  Shakespeare. 

(4)  Voy.  Julien  Tiersot,  Ronsard  et  la  musique  de  son  temps,  pp.  1  et  7. 
(b)  Voy.  J.  Ecorcheville,  De  Lullià  Rameau,  l'Esthétique  musicale,  p.  57. 


il  accomplit  sa  mission,  il  ne  faut  pas  dire  que  Gluck  est  un 
système  :  il  est  un  génie.  Et  si  nous  devons  l'applaudir  d'avoir 
écrit  la  préface  à'Alceste,  nous  devons  l'admirer  bien  plus  encore 
pour  avoir  composé  Alceste  elle-même. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SEMAINE  THEATRALE 


Théatrjs-Saraii-Bernhardt  :   les  Dévoilés,  drame  en  cinq  actes  et  six  tableaux, 
de  MM.  Henri  Gain  et  Edouard  Adenis. 

Ces  révoltés  sont  des  représentants  des  classes  ouvrières  eu  Russie, 
que  les  crimes  de  la  police  et  des  patrons,  dont  ils  sont  témoins  ou  vic~ 
times,  ont  jetés  dans  la  voie  révolutionnaire  et  terroriste.  La  pièce  de 
MM.  Henri  Cain  et  Edouard  Adenis  peut  se  classer  parmi  les  mélodrames 
tendancieux.  Elle  semble  avoir  été  écrite  pour  stigmatiser  les  agisse- 
ments iniques,  monstrueux  souvent,  que  l'on  a  tant  reprochés  au 
tsarisme,  et  pour  expliquer  les  représailles  nihilistes.  Abstraction  faite 
de  la  question  humanitaire  que  nous  n'avons  pas  à  envisager  ici,  les 
Récollés  ne  provoqueront  peut-être  chez  le  spectateur  qu'une  sensation 
de  nervosité  au  lieu  de  l'émotion  profonde  qu'eût  sans  doute  comportée 
le  sujet  si  les  auteurs  nous  avaient  fait  pénétrer  plus  avant  dans  la 
conscience  des  personnages  et  s'étaient  attachés  à  mettre  sous  nos  yeux 
les  réalités  simples  et  poignantes  de  vies  assombries  et  sacrifiées,  que 
traverse,  à  peine  comme  une  vague  lueur,  l'espoir  d'un  affranchissement 
lointain.  Nous  nous  plaisons  d'ailleurs  à  reconnaître  que  la  pièce  nou- 
velle est  habilement  construite  et  que  les  incidents  qu'il  fallait  y  intro- 
duire y  sont  reliés  entre  eux  avec  adresse  et  ingéniosité.  Le  plus  sensa- 
tionnel est  l'exécution,  par  ses  camarades,  du  traître  Brener.  Dans  un 
cabaret  dont  le  décor  est  fort  impressionnant,  on  l'attache  sur  une  table 
et  une  bombe  est  disposée  devant  l'entrée  de  telle  sorte  que  l'explosion 
se  produira  nécessairement  aussitôt  que  la  porte  aura  été  ouverte.  Or, 
cela  ne  peut  manquer  d'arriver  dans  quelques  minutes,  car  la  troupe 
cerne  la  maison.  Tous  les  compagnons  s'échappent  laissant  le  misérable 
qui  se  débat  dans  son  impuissance.  L'instant  est  terrible  ;  des  coups 
retentissent  contre  la  porte  qui  va  céder.  Brener  hurle  son  angoisse  : 
«  N'ouvrez  pas,  nous  allons  tous  sauter.  »  Mais  la  minute  tragique  est 
déjà  passée,  l'explosion  a  eu  lieu,  la  vengeance  est  accomplie,  la  toile 
tombe  sur  l'effondrement  du  décor  qui  brûle  avec  d'horribles  et  sanglants 
reflets  d'incendie. 

Ce  n'est  là  qu'un  hors-d'œuvre.  Voici  maintenant  le  récit  de  l'aven- 
ture simpliste  qui  sert  de  trame  aux  Récoltés.  Simon  Randzew,  contre- 
maître dans  la  fabrique  d'Apraxine,  a  une  femme  jeune  et  belle  qui 
travaille  à  l'usine  et  a  excité  la  convoitise  du  maitre.  Épouse  irrépro- 
chable, elle  a  résisté  aux  séductions  et  n'a  plus  même  à  les  combattre, 
ayant  dès  l'abord  écarté  avec  décision  tout  propos  indiscret.  Mais  son 
mari  a  donné  asile  à  un  ami  qui  a  sauvé  autrefois  son  enfant,  et  que 
recherchait  la  police.  C'est  là  un  acte  puni  par  la  transportation  en 
Sibérie,  c'est-à-dire  la  mort  dans  les  tortures  et  le  désespoir.  Apraxine, 
ayant  tout  appris,  propose  à  Sonia  Randzew  cet  ignoble  marché  :  «  Tu 
seras  à  moi  ou  je  livrerai  ton  époux  ».  Après  une  résistance  pathétique, 
Sonia,  qui  adore  Simon,  est  obligée  d'accepter  et  se  livre  comme  une 
épave.  Depuis,  sa  santé,  sa  vie  paraissent  irrémédiablement  compro- 
mises ;  elle  dissimule  sa  souffrance,  mais  son  mari  devine  qu'il  a  dû  se 
passer  quelque  chose  d'affreux.  Mis  sur  la  trace  de  l'infamie  par  un 
concours  fortuit  de  circonstances,  il  oblige  sa  femme  à  tout  avouer  dans 
une  scène  déchirante,  dont  l'effet  est  très  bien  ménagé.  Instruit  de  tout 
maintenant,  il  peut,  en  toute  sécurité  de  conscience,  prendre  le  rôle  de 
justicier.  Le  public  lui  pardonne  tout  d'avance  et  au  besoin  en  fera  un 
héros.  11  se  met  à  la  tète  d'un  mouvement  populaire,  pénètre  la  nuit 
chez  son  ancien  patron  et  l'égorgé  en  criant  au  peuple  :  «  Debout  ! 
Debout!  »  Sa  cause  devient  ainsi  celle  de  tous,  le  fait-divers  s'agrandit 
et  le  dénouement  prend  une  allure  forte  et  vraiment  théâtrale. 

M.  Henry  Krauss  a  marqué  en  traits  vigoureux  la  ligure  de  Simon 
Randzew;  rien  ne  reste  dans  l'ombre,  de  ce  qu'il  dit,  de  ce  qu'il  fait. 
Mme  Rosny-Derys  s'est  montrée  touchante  et  pathétique  avec  discrétion 
et  mesure  dans  le  rôle  de  Sonia;  elle  a  su  dire  sans  emphase,  et  retenir 
l'attention  sans  exagérer  son  jeu.  M.  Decœur  s'est  montré  très  réaliste 
lorsque,  lié  sur  sa  table  de  supplice,  il  est  placé  entre  les  soldats  qui 
l'épargneraient,  car  il  est  de  la  police  secrète,  et  la  bombe  qui  fera  bru- 
talement son  œuvre  de  destruction.  Parmi  les  autres  interprètes,  il  est 
juste  de  louer  MM.  Chameroy,  Jean  Worms,  Duard,  Hermann  et  sur- 
tout Aurèle  Sydney,  qui  a  réjoui  la  salle  par  son  accent  anglais  très  en 


LE  MENESTREL 


-37'.) 


situation  ;  Mn"'s  Rosy,  Cerda,  Suzanne  Desroches,  Alisson,  de  Cerny  et 
Cliemma. 

La  mise  en  scène  est  pittoresque,  soignée  dans  le  détail  et  toujours 
bien  appropriée  aux  tableaux  qu'elle  encadre. 

Amédée  Boutabel. 


PETITES   NOTES   SANS   PORTÉE 


CXXXIX 

L'HISTOIRE  DE  LA  MUSIQUE  ET  L'AVÈNEMENT  TARDIF 

DE  L'ÉRUDITION  MUSICALE 

A  M.  et  M-  Paul  Landormy. 

Serait-ce  déjà  l'heure  du  crépuscule,  non  seulement  pour  les  Dieux 
germains,  mais  pour  le  génie/  Où  l'érudition  commence,  la  création 
cesse...  Sans  parler  des  horizons  plus  ou  moins  obscurcis  par  notre 
pessimisme  qui  s'apitoie  d'avance  sur  l'avenir  de  l'Art,  très  menacé 
dans  uue  démocratie  positive,  les  historiens,  de  plus  en  plus  nombreux, 
pourraient  s'alarmer  (s'ils  en  trouvaient  le  temps)  de  notre  engouement 
pour  l'Histoire;  et  les  artistes  n'auraient  plus  mauvaise  grâce  à  trans- 
poser, pour  leur  propre  compte,  un  mot  fameux  :  «  Nous  savons  tout; 
mais  nous  ne  savons  que  cela...»  Voyez  l'art  décoratif  :  depuis  qu'il  sait 
tous  les  styles,  n'est-il  pas  impuissant  à  dégager  de  toute  réminiscence 
un  modem  slyle?  On  ne  parle  jamais  tant  d'art  nouveau  que  parmi  des 
bibelots  anciens...  Nous  devenons  bibliothécaires  ou  collectionneurs; 
est-ce  un  «  état  d'àme  ;>  suffisant  pour  redevenir,  un  beau  matin, 
créateurs  ?  Le  crépuscule  tombe  sur  nos  richesses  entassées;  le  crépus- 
cule sonne  par  la  voix  des  tubas  wagnériens.  L'heure  change  ;  et  le 
soir  est  descendu  sur  la  toile...  Il  serait  injurieux,  assurément,  de 
nous  comparer  aux  Byzantins  qui  savouraient  la  possession  d'un  long 
passé  dans  leurs  bibliothèques, —  pâles  érudi  ts  «  sous  l'œil  des  Barbares  »... 
Mais,  au  lendemain  de  "l'éblouissant  coucher  de  soleil  romantique 
qu'irradia  le  génie  d'un  Richard  Wagner,  la  joie  n'est  point  sans 
mélange  de  voir  partout  les  bibliothèques  s'accroitre,  en  même  temps 
que  les  musées,  «  ces  prisons  de  l'Art  ». 

On  ne  peut  tout  avoir  :  l'automne  du  souvenir  et  le  printemps  de 
l'amour,  la  maturité  du  savoir  et  la  jeunesse  du  génie.  Soyons  donc 
savants,  sans  remords.  Nous  le  serons  malgré  nous,  car  ce  ne  sont 
point  les  livres,  les  bons  livres  même,  qui  nous  manquent  !  L'histoire 
de  l'art  est  en  pleine  vogue;  et  l'histoire  de  la  musique  emboite  le  pas, 
—  tardive  comme  la  musique  elle-même. 

Encore  un  «  signe  des  temps  »  !  Et  que  de  signes  !  Le  médecin  qui 
voudra  nous  ausculter  ne  manquera  point  de  symptômes...  Nous 
aimons  tant  les  documents  que  nous  en  fournissons  avec  indiscrétion 
sur  notre  propre  vie. 

Donc,  nous  aimons  l'histoire,  et  l'histoire  de  l'art  ;  et  nous  consta- 
tons, en  historiens,  ces  penchants  nouveaux.  Que  signifient-ils?  Ils 
nous  disent,  d'abord,  que  notre  amour  de  l'art  devient  scientifique;  ils 
s'accordent  avec  la  diffusion  récente  des  expositions  rétrospectives. 
Autour  des  pastels  fatigués  ou  des  partitions  jaunies,  les  livres  pullu- 
lent :  des  «  collections  »  rivales  éclosent  chaque  jour,  pour  nous  parler 
des  maîtres  d'autrefois.  Nous  n'ignorons  plus  rien  du  Quattrocento  ;  le 
XVe  siècle  italien  nous  est  plus  familier  que  notre  âme  :  car  nous  y 
voyons  plus  clair.  Nous  ressemblons  à  ces  jeunes  savants  qui  néglige- 
raient la  saison  d'aimer  pour  annoter  les  brûlantes  épitres  de  M"''  de 
Lespinasse,  adoratrice  d'Orphée...  Le  bon  Ghirlaudajo  n'a  plus  de 
secrets  pour  nous;  grâce  à  Michel  Brenet  (I),  nous  devinons  mieux 
Palestritia  que  ne  l'imaginait  le  génie,  peu  musicien,  de  Victor  Hugo; 
nous  connaissons  le  jeune  Haydn  plus  exactement  que  le  vieil  Haydn 
eu  personne.  Et  Sophocle  avait,  sur  notre  érudition,  cette  immense 
infériorité  de  ne  pouvoir  se  proclamer  «  du  siècle  de  Périclès  »...  Le 
malheur  veut  qu'on  soit  du  moyen  âge  ou  de  la  Renaissance  sans  oser 
l'avouer  pertinemment;  et  sait-on  que  la  guerre  pour  laquelle  on  part 
durera  trente  ou  cent  années?  Nous  avons  changé  tout  cela;  doréna- 
vant, uous  savons  tout,  sauf  ce  que  nous  serons  demain... 

L'histoire  et  l'historien  font  des  prodiges  :  grâce  à  M.  Vincent  d'Indy, 
l'angélique  instinct  d'un  César  Franck  est  devenu  le  plus  autoritaire 
des  credo;  grâce  à  MM.  Schweitzer  et  Pirro,  le  calme  génie  de  Bach 
devient  conscient  de  toute  la  poétique  foret  qu'il  recèle;  grâce  à 
MM.  Lionel  de  la  Laurencie  et  Louis  Laloy,  le  génie  calculé  de  Rameau 


(1)  Puleslrina,   Haydn   dans  la  collection  des  Maîtres  île  la  Musique,  publiés  sous 
la  direction  de  M.  Jean  Chantavoine  (Paris,  Alcan,  1U07-1909). 


reprend  sa  place  un  peu  tardive,  a  cùté  d'un  Poussin,  dans  no  arl 
classique.  Il  se  peut  que  nous  ajoutions  parfois  un  peu  de  nous-mêmes 
dans  ces  modernes  portraits  des  vieux  maîtres;  mais,  d'être  nés  après 
Wagner  et  parallèlement  à  M.  Debussy,  notre  avantage  est  incontes- 
table. Et  notre  pessimisme  initial  avait  des  regrets  superflus.  Réjouis- 
sons-nous done;  enrichissons-nous  dans  les  temples  désiniër —  du 
savoir;  enorgueillissons-nous,  en  songeant  que  nos  grands-parents 
(sans  remonter  plus  loin)  n'avaient  d'autres  clartés  que  le  Dictionnaire, 
universel,  il  est  vrai,  du  bon  Fétis,  un  «  précurseur  »,  en  réalité,  «  dont 
il  ne  faut  pas  trop  médire  »  :  et  n'oublions  jamais  que  notre  cher  grand 
Berlioz,  dont  l'ironie  taquinait  Fétis,  ne  savait  piis  un  traître  mot  du 
grand  Bach  :  pour  les  échevelés  du  romantisme,  cet  Homère  musical 
n'était  qu'une  perruque.  Et  Berlioz  ne  connaissait  guère  mieux  Rameau 
ni  Mozart,  ce  Virgile  poudré;  les  Mémoires  du  Romantique  par  excellence 
sont  beaucoup  moins  sûrement  documentés  que  ses  biographies  pos- 
thumes ;  héritier  des  maitres  de  93,  le  Berlioz  colossal  de  1830  ignorait 
ces  fêtes  de  la  Révolution  qu'un  érudit  nous  dévoile.  Oui,  Berlioz  en 
savait  moins  que  Fétis;  et  c'est  peut-être  une  des  meilleures  raisons  pour 
lesquelles  il  fut  Berlioz. 

Depuis  Fétis  et  son  dictionnaire  alors  universel,  depuis  Félix  Clément 
et  ses  Musiciens  célèbres,  l'histoire  de  l'art  musical  a  parcouru  l'évolution 
la  plus  rapide  et  la  plus  féconde  :  elle  appartient,  depuis  la  fin  du  siècle, 
aux  spécialistes;  et  nos  universitaires  s'y  distinguent.  Tel  docteur  es 
lettres  cultive  les  champs  encore  ingrats  du  moyen  âge;  tel  autre  s'élève 
ingénieusement  d'Aristoxène  à  Rameau.  L'érudition  succède  à  la  litté- 
rature: après  le  vague  empire  de  la  synthèse,  la  féodalité  des  analyses 
particulières,  —  chaque  érudit  cantonné  dans  son  burg;  après  les 
dictionnaires,  les  biographies. 

Tout  n'est  pas  encore  dit,  cependant:  «  L'idée  que  nous  nous  faisons 
des  maitres  est  incomplète»,  écrit  le  défenseur  prudent  de  Fétis  :  «  nous 
les  voyons  trop  isolés,  nous  sommes  portés  à  exagérer  leur  indépen- 
dance et  leur  originalité,  parce  que  nous  n'avons  pas  eu  encore  le  temps 
de  les  replacer  dans  leur  milieu,  de  reformer  autour  d'eux  les  flots  de 
musique  dont  leur  oreille  fut  bercée.  »  On  ne  saurait  mieux  dire:  et 
M.  Louis  Laloy  conclut  (1)  :  «  En  d'autres  termes,  l'histoire  de  la  mu- 
sique ressemble  aujourd'hui  à  ce  qu'était  l'histoire  de  la  politique,  quand 
les  grands  rois,  les  grands  ministres  et  les  grands  capitaines  la  rem- 
plissaient à  eux  seuls,  ou  bien  l'histoire  littéraire,  quand  Homère, 
Sophocle,  Horace  et  Virgile  s'y  dressaient,  chacun  sur  son  piédestal, 
comme  de  belles  statues  le  long  d'un  portique.  Elle  en  est  au  culte  des 
héros,  à  l'apothéose  du  génie.  Ce  qui  lui  mauque,  c'est  le  sentiment  de 
la  continuité  :  et  il  ne  faut  pas  s'en  étonner  ni  s'en  plaindre  :  il  est  naturel 
que  toutes  les  sciences  historiques  passent,  à  leur  tour,  par  les  mêmes 
phases  de  développement.  » 

Xous  ne  nous  plaignons  pas  du  tout,  quand  M.  Romain  Rolland  nous 
parle  avec  une  audace  tranquille  des  Musiciens  d'autrefois  et  des  Musiciens 
d'aujourd'hui  ;  quand  l'optimisme  de  M.  Camille  Bellaigue  sympathise 
avec  l'optimisme  de  Mendelssohn;  quand  M.  Jean  Chantavoine  s'atta- 
que au  génie  contrasté  de  Beethoven  avec  la  même  heureuse  vaillance 
qu'aux  aspects  variés  de  Munich  (2)  :  quand  M.  Calvocoressi  confond 
dans  sa  ferveur  le  génie  savant  de  Liszt  et  le  génie  primaire  de  Mous- 
sorgski;  nous  saurions,  quand  M.  Theodor  de  Wyzewa  découvre  du 
nouveau  dans  l'enfance  inspirée  de  son  cher  Mozart;  nous  tressaillons, 
quand  notre  confrère  Adolphe  Boschot  soupçonne  un  masque  byronien 
sur  les  traits  de  Berlioz  ;  nous  regardons  encore  les  portraits  des  anciens, 
Gluck,  par  Julien  Tiersot,  Herofd  ou  Boieldieu,  par  Arthur  Pougin, 
Grétry,  par  Henri  de  Curzou,  Weber,  par  Georges  Servières,  après 
avoir  bu  le  philtre  de  la  pensée  waguérienne  avec  Lichtenberger, 
Dauriac  ou  Prod'homme.  On  ne  se  plaint  pas  ;  mais  on  s'étonne  un 
peu:  —  Pourquoi,  se  dit-on,  cette  histoire  musicale  fut-elle  si  longtemps 
négligée  ?  Le  Don  J uan  d'un  Mozart  ne  fait-il  point  partie  du  meilleur 
de  nous-mêmes,  au  même  titre  que  la  Phèdre  d'un  Racine? 

Un  professeur  musicien  (3),  qui  prépareune  biographie  de  ce  Brahms 
dont  il  est  un  des  plus  fervents  admirateurs  français,  vient  de  nous 
répondre  en  une  substantielle  et  charmante  causerie.  Ce  retard,  dans 
l'enseignement  historique  d'un  art  qui  nous  possède  aujourd'hui  plus 
que  la  poésie  même,  s'expliquerait  par  tous  les  soubresauts  de  l'évo- 
lution :  depuis  Gounod,  seulement,  jusqu'à  M.  Ravel,  que  de  chemin  ! 
Les  vieilles  musiques  sont  si  vite  oubliées,  et  les  nouvelles  sont  sus- 
pectes: la  seule  musique  existante  n'est-elle  pas  celle  qu'on  fait  ou  que 
l'on  entend  ?  Chaque  génie  qui  vient  proclame  à  la  fois  la  naissance  et 

(Il  Dans  la  Chronique  des  Arts,  du  9  novembre  1907,  page  327. 

(2)  Munich,  dans  la  collection  des  Villes  d'art  célèbres  (Paris,  Laurens,  1908). 

(3)  M.  Paul  Landormy,  dans  sa  première  conférence  du  9  novembre  1908  sur  les 
Grandes  Epoques  de  ta  Musique,  à  la  salle  de  la  Société  d'Horticulture. 


380 


LE  MENESTREL 


lapogée  de  la  musique:  et  la  musique,  pourtant,  va  toujours  plus  loin... 
Depuis  Platon,  depuis  Monteverde,  qui  passa,  de  son  temps,  pour  un  fou, 
le  phénomène  se  reproduit  sans  trêve  avec  un  Gluck,  un  Wagner  (1)  ; 
et  dans  l'édifice  sonore,  c'est  toujours  tout  à  recommencer.  En  musique, 
les  vieux  absents  ont  toujours  tort,  aussi  bien  que  les  nouveaux  venus 
qui  deviendront  bientôt  des  anciens...  Le  présent  seul  compte. 

Une  telle  instabilité  n'est  guère  favorable  aux  recueillements  de  l'his- 
toire :  il  y  a  moins  de  cinquante  ans,  le  passé  ne  semblait  que  barbarie, 
à  peine  au  delà  du  XVIIP  siècle.  Et  Berlioz,  nous  l'avons  dit,  ne  savait 
rien  de  Rameau. 

Seconde  raison,  suivant  l'aimable  conférencier  :  —  Les  sanctuaires 
anciens  restent  debout,  quelque  indifférence  que  certaines  époques 
aient  montrée  pour  la  splendeur  des  ruines  ;  mais  la  musique  fugitive 
ne  vit  qu'à  la  condition  d'être  exécutée:  le  comple  serait  vite  fait  des 
lecteurs  qui  vont  la  déchiffrer  des  yeux  dans  la  poussière  des  archi- 
ves... Et  voilà  pourquoi  l'éphémère  et  capricieuse  musique  resta  si 
longtemps,  comme  les  gens  heureux,  sans  histoire. 

Le  prochain  historien  de  Johannès  Brabms,qai  connaît  si  nettement 
les  origines  de  son  art,  nous  permet tra-t-il  de  risquer,  pour  conclure, 
une  troisième  raison  ?  Nous  croyons  pouvoir  l'extraire  de  la  nature  mémo 
de  la  musique,  le  premier-né  des  arts,  mais  le  dernier  par  son  dévelop- 
pement. Artjeune  essentiellement,  la  musique  apparaît  constamment, 
dans  l'histoire  de  l'humanité,  retardataire  ou  tardive;  elle  ne  s'élève 
pas,  chez  les  Grecs,  à  la  perfection  de  la  statuaire  lumineuse  ;  elle  retarde, 
avec  les  temps  modernes,  à  chacun  des  grands  tournants  de  l'évolution  : 
Mozart  fleurit  longtemps  après  Raphad  et  Racine;  et  n'est-ce  pas  cette 
absence  de  parallélisme  qui  rend  les  comparaisons  entre  les  arts  si  dan- 
gereuses? De  nos  jours  même  (un  autre  fin  causeur  (2)  ne  me  démentira 
point),  la  crise  debussyste.  qui  jette  le  désarroi  dans  le  camp  des  snobs, 
ne  se  produit-elle  pas  longtemps  après  les  balbutiements  fraternels  de 
l'impressionnisme  ou  du  vers  libre  ?  Oui,  la  musique  retarde  un  peu. 
C'est  son  droit.  Ne  nous  étonnons  donc  plus  que  son  histoire  imite  sa 
démarche,  et  qu'un  piano  soit  apparu  si  tardivement  dans  une  soute- 
nance de  thèse  ! 

(A  suivre.)  Raymond  Bouyer. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Après  un  concert  donné  à  la  mémoire  de  son  ancien  chef,  le  regretté 
Georges  Marty,  la  Société  des  concerts  du  Conservatoire  a  repris,  dimanche 
dernier,  le  cours  habituel  et  régulier  de  ses  séances  sous  la  direction  de  son 
nouveau  chef,  M.  André  Messager.  Ce  n'est  pas  sans  un  certain  plaisir  que, 
pour  ma  part,  je  voyais,  sur  le  programme  de  cette  première  séance,  entre  le 
nom  de  Beethoven  avec  !a  Symphonie  héroïque  et  celui  de  Wagner  avec 
l'ouverture  des  Maîtres  chanteurs,  ceux  de  quatre  compositeurs  français,  deux 
anciens  :  Guillaume  Costeley  et  Clément  Jannequin,  et  deux  modernes  :  César 
Franck  et  M.  Saint-Saéns.  Le  fait  est  assez  rare  pour  être  noté,  et  j'en  fais 
tous  mes  compliments  à  la  Société.  On  attendait  à  l'œuvre  M.  Messager, 
encore  inconnu  chez  nous  comme  chef  d'orchestre  de  concert,  et  je  ne  répon- 
drais pas  qu'il  n'eut  pas  quelque  émotion  en  se  trouvant  pour  la  première  fois 
à  la  tète  de  cette  admirable  phalange  instrumentale,  l'une  des  premières  du 
monde  assurément.  La  tenue  est  excellente,  le  geste  sobre  et  précis,  l'autorité 
réelle.  Peut-être  les  premiers  mouvements  de  l'Eroica  ont-ils  été  un  peu 
retenus,  et  l'élan  de  l'orchestre  aurait-il  demandé  un  peu  plus  de  liberté: 
mais  l'ensemble  n'en  était  pas  moins  très  beau  et  d'un  bel  effet.  Après  la 
symphonie  nous  avons  eu  deux  vrais  bijoux,  deux  chœurs  sans  accompagne- 
ment :  Je  uoy  des  glissantes  eaux,  de  Guillaume  Costeley,  et  Au  joli/  jeu,  de 
Clément  Jannequin,  chantés  d'une  façon  adorable,  avec  un  ensemble  parfait 
et  des  nuances  exquises.  Le  premier  est  une  sorte  de  madrigal,  d'une  couleur 
charmante;  le  second,  en  style  de  canon,  avec  ses  entrées  et  ses  réponses,  est 
d'un  effet  infaillible.  Aussi  a-f-il  été  redemandé  avec  acclamations.  Le  Rouet 
d'Omphale,  cette  jolie  fantaisie  symphonique  de  M.  Saint-Saéns,  précédait 
l'exécution  de  Rébecca,  scène  biblique  écrite  par  César  Franck  sur  des  vers 
harmonieux  de  M.  Paul  Collin.  C'est  une  sorte  d'oratorio  en  raccourci 
plus  intime  que  solennel,  avec  un  certain  caractère  agreste,  comprenant  cinq 
morceaux  :  1.  Introduction  et  clueur  de  jeunes  filles;  2.  Air  (Rébecca)  et  chœur  de 
jeunes  filles;  3.  Chœur  des  chameliers:  i.  Duo  (Eliézer  et  Rébecca)  ;  S.  Chœur  de 
jeunes  filles.  L'air  de  Rébecca,  qui  est  comme  une  serte  de  duo  entre  la  voix 
de  soprano  et  le  chœur,  est  d'un  joli  effet  et  d'un  sentiment  plein  de  grâce;  le 
chœur  des  chameliers  est  curieux  et  rappelle  un  peu  Félicien  David;  le  duo 
d'Eliézer  et  de  Rébecca  est  peut-être  un  peu  froid  et  voudrait  un  peu  plus 
d'accent.  L'ensemble  de  l'œuvre  est  aimable  et  reposant.  Les  soli  étaient 
chantés  d'une  façon  remarquable  par  Mm«  Auguez  de  Montalant  et  M.  Duclos. 


(1)  Cf.  nos  impressions  sur  le   caractère  et  la  succession  des 
dans  la  Revue  bleue  du  8  août  1908. 

(2)  M.  Arthur  Coquard;  cf.  l'Écho  de  Paris  du  9  novembre  1908. 


à  qui  l'on  peut  faire  compliment  surtout  de  son  excellente  prononciation, 
qualité  trop  rare  pour  qu'on  ne  lui  en  tienne  pas  compte.  A  propos  de  l'ouver- 
ture des  Maîtres  chanteurs,  qui  terminait  le  concert  et  qui  a  été  dite  d'une  façon 
superbe,  je  ne  sais  trop  pourquoi  mon  excellent  confrère  Maurice  Emmanuel, 
le  très  distingué  rédacteur  des  programmes  de  la  Société,  a  jugé  bon  de  partir 
en  guerre  contre  les  compositeurs  d'opéras-comiques.  En  analysant  cette 
ouverture,  «  il  y  a  loin,  dit-il,  d'un  tel  emploi  des  thèmes  principaux,  dans 
une  ouverture  symphonique,  à  la  rhapsodie  misérable  qui,  en  trop  d'opéras, 
plus  ou  moins  comiques,  juxtapose  les  différents  airs,  sans  que  le  moindre  lien 
les  unisse.  »  Si  M.  Emmanuel  veut  prendre  la  peine  de  lire  avec  attention 
certaines  ouvertures  de  Méhul,  de  Cherubini,  même  de  Bprton,  il  acquerra  la 
preuve  que,  bien  que  conçues  dans  cette  forme,  ce  no  sont  pas  toujours  de 
misérables  rhapsodies.  Et  je  ne  rougis  pas  d'avouer  qu'Auber  lui-même  a  écrit 
dans  ces  conditions,  des  ouvertures  qui,  pour  n'être  point  de  style  classique, 
sont  de  véritables  bijoux.  Après  cet  aveu  plein  de  franchise  et  d'humilité,  on 
peut  me  lapider;  je  n'en  démordrai  pas.  A.  P. 

Concerts-Colonne.  —  Une  première  audition  bien,  captivante  a  eu  lieu  au 
dernier  concert,  celle  de  trois  mélodies  de  M.  Georges  Hùe,  choisies  parmi 
les  huit  qui  portent  le  titre  général  de  Croquis  d'Orient.  Ce  sont  là  des  ouvrages 
de  d  mension  modeste,  mais  d'une  acuité  d'observation  singulière.  Quiconque 
a  entendu  chanter  des  étrangers  venus  des  pays  du  Levant,  remarquera  que 
les  trois  morceaux  :  Rerceuse  triste.  l'Ane  blanc  et  Chanson  d'amour  et  de  souci, 
produisent  une  impression  toute  semblable  à  celle  de  leurs  airs  exotiques  ; 
il  sera  frappé  de  trouver  tant  de  ressemblance  d'accent,  de  forme  et  de  coloris 
entre  les  petits  ouvrages  d'art,  ciselés  avec  tant  d'élégance,  et  les  chansons 
populaires  dont  on  saisit  de  prime  abord  l'allure  originale.  L'A  ne  blanc,  pat- 
exemple,  rappelle  à  s'y  méprendre  la  musique  lointaine  dont  nous  parlons  ; 
c'est  la  même  persistance  de  rythme,  la  même  apparente  simplicité,  la  même 
insouciance  de  toute  recherche  et  de  tout  raffinement.  Nous  n'en  avons  pas 
moins  là  une  miniature  exquise.  La  Chanson  d'amour  et  de  souci  lui  est 
supérieure  pourtant,  comme  plus  empreinte  de  poésie  et  d'un  caractère 
plus  élevé.  Les  paroles  sont  une  aimable  paraphrase  de  certains  versets  de 
l'Ecclésiaite  et  la  musique  se  déroule  lentement,  finement,  avec  beaucoup 
de  douceur  et  une  tristesse  suave  et  pénétrante.  L'orchestration  de  ces  mélo- 
dies est  écrite  avec  aisance,  et  toujours  agréable.  M",e  Mellot-Joubert  a  dit 
ces  petits  poèmes  avec  beaucoup  d'àme  et  de  sincérité;  M.  Blanquart  a  bien 
rendu  la  partie  de  flûte  solo  qui  les  rehausse  d'un  coloris  délicat.  Les  pro- 
grammes provoquent  parfois  de  bien  intéressantes  comparaisons.  Voici  la 
quatrième  symphonie  de  Beethoven  et  le  Prélude  à  l'après-midi  d'un  faune,  de 
M.  Debussy.  Le  premier  de  ces  ouvrages  exprime  la  joie  tantôt  vive  et  agis- 
sante, tantôt  méditative,  mais  toujours  franche,  fraîche,  heureuse  et  sincère 
dans  ses  manifestations;  le  second,  au  contraire,  a  pour  caractéristique  l'exté- 
riorisation un  peu  pénible  et  vague  des  sentiments  de  volupté  langoureuse  et  du 
désenchantement  de  l'homme  qui  cherche  la  jouissance  dans  une  oisiveté  pure- 
ment sensuelle  ou  dans  une  sorte  de  far  niente  se  rapprochant  de  la  vie  animale. 
On  peutjuger,  en  écoutant  l'un  après  l'autre  ces  deux  ouvrages,  que  notre  manière 
de  comprendre  la  joie  n'est  pas  exactement  la  même  que  celle  de  nos  ancêtres 
d'il  y  a  un  siècle.  —  Trois  poèmes  symphoniques  ont  été  offerts  au  public  de 
cette  séance  et  ont  été  bien  accueillis  •  Anlar,  dont  la  longueur  et  les  conti- 
nuelles redites  lassent  un  peu  la  patience  ;  c'est  une  musique  de  primitif, 
malgré  certains  raffinements:  le  Chasseur  maudit,  de  César  Franck,  a  une 
tout  autre  valeur  d'invention  et  de  facture;  c'est  l'œavre  dune  époque 
moyenne,  trop  longue  aussi  et  se  répétant  beaucoup,  mais  supérieurement 
orchestrée  ;  Don  Juan,  enfin,  de  M.  Richard  Strauss,  est  un  ouvrage  de  puis- 
sante envergure,  frisant  l'ère  des  décadences,  mais  d'un  éclat  exceptionnel. 
Cette  diversité  dans  les  numéros  du  programme  a  permis  à  M.  Pierné,  qui 
dirigeait  l'orchestre,  de  montrer  ses  belles  qualités  d'assimilation,  la  3ûreté 
de  son  coup  d'œil  et  l'ardeur  communicative  avec  laquelle  il  sait  faire  com- 
prendre et  réaliser  ses  idées  et  ses  intentions.  Amédée  Boutahel. 

—  Concerts-Lamoureux.  —  Après  une  exécution  vraiment  belle  et  impres- 
sionnante par  la  vie,  l'intelligence  et  la  clarté,  de  l'admirable  Symphonie 
héroïque  de  Beethoven,  M.  Chevillard  nous  a  donné  une  sélection  du  dernier 
ouvrage  de  M.Alfred  Bruneau,  la  Faute  de  l'abbé  Mouret,quc  l'on  entendit  avec 
plaisir.  Puis  ce  fut  la  symphonie  de  César  Franck,  dont  une  interprétation 
prestigieuse  rehaussa  encore  la  pure  et  noble  beauté.  M.  Frôlich,  de  sa  voix 
au  timbre  puissant,  à  l'accentuation  remarquable,  chanta  l'air  du  Vaisseau  fan- 
tôme de  Wagner  et  celui  de  la  Fêle  d'Alexandre  de  Haendel;  il  y  fut  fort  fêté, 
ainsi  que  M.  Boncherit,  qui  détailla  avec  beaucoup  de  charme  et  de  finesse  le 
délicat  concerto  en  la  pour  violon,  de  Mozart,  tes  Murmures  de  la  forêt  de 
Wagner,  et  deux  suggestifs  poèmes  symphoniques  de  Liszt,  la  Procession  noc- 
turne et  Méphisto-valse,  valurent  à  l'éminent  chef  et  à  son  orchestre  des  accla- 
mations méritées.  On  ne  peut  en  effet  rêver  d'exécution  plus  fouillée,  plus 
précise  et  plus  captivante  de  ces  superbes  pages  instrumentales.     J.  Jeu  AIN. 

Programmes  des  concerts  de  demain  dimanche  : 

Conservatoire  :  Symphonie  héroïque  (Beethoven).  —  Deux  chœurs  sans  accompa- 
gnement ^Costeley  et  Jannequin).  —  Le  Rouet  d'Omphale  iSaint-Saëns).  —  Rébecca. 
(César  Franck),  avec  le  concours  de Mmc  Auguez  de  Montalant  et  M.  Dullos. —  Ouver- 
ture des  Maîtres  Chanteurs  (Richard  Wagner). 

Chàlelet,  Concerts-Colonne  :  Cinquième  symphonie,  eu  ut  mineur  (Beethoven).  — 
La  Fiancée  du  Timbalier  (Saint-Saëns)  et  Marguerite  au  rouet  (F.  Schubert),  chantées 
par  M™1  Litvinne.  —  Fantaisie  symphonique  (H.  Welsch),  pour  piano,  par  M.Georges 
de  Lausnay.  —  Le  Vagabond  malheur  (Casadesus)  et  le  Cavalier  (L.  Diémer),  par 
M""  Litvinne.  —  Suite  d'orchestre  de  Pelléas  et  Mélisande  (G.  Fauré).  —  Cinq  poèmes 
(Richard  Wagner),  par  M"" Litvinne.  —  Scène  du  Vénusberg  du  Tannhauser  (Richard 
Wagner). 


LE  MÉNESTREL 


381 


Salle  Gaveau,  Concerts-Lamoureux,  sous  la  direction  de  M.  Ghevillard  :  Ouverture 
d'Egmont  (Beethoven).  —  Symphoniotte  en  la  mineur  (Rimsky-Korsakow).  —  Le 
Sommeil  de  Canapé  (Samazeuilh),  par  M"°  Jeanne  Hatto.  —  Symphonie  inachevée 
(Schubert).  —  Air  de  ienska  d'Onéguine  (Tschaïkowsky)  et  air  de  Cosi  fan  lulle 
(Mozart1,  par  M.  Félix  Sénius.  —  Le  Vénusberg  (Wagner). 

—  MM.  Lucien  Capet,  André  Tourret,  Louis  Batlly  et  Louis  Hasselmans 
donnent,  cette  année  comme  les  précédentes,  la  série  entière  des  dix-sept 
quatuors  de  Beethoven.  La  première  séance  a  eu  lieu  la  semaine  dernière 
dans  la  salle  des  Agriculteurs  et  a  été  consacrée  aux  quatuors  op.  18,  n°l, 
op.  95  et  op.  427.  Ces  œuvres  sont,  selon  les  pays  et  le  genre  de  talent  des 
exécutants,  l'objet  d'interprétations  très  diverses.  Joachim  et  ses  partenaires  leur 
donnaient  une  ampleur  de  sonorité  que  ne  semble  pas  rechercher  le  quatuor 
Capet,  dont  la  manière  est  fine,  fluide  et  transparente.  La  soirée  n'en  a  pas 
moins  été  un  magnifique  succès  pour  les  quatre  artistes,  et  l'impression  causée 
par  les  morceaux  lents  au  caractère  poétique  et  rêveur  a  été  vive  et  profonde. 

Am.  B. 

—  La  troisième  soirée  d'art  de  M.  Barrau  a  été  particulièrement  intéressante. 
Commencée  par  un  quatuor  de  Mozart,  terminée  par  le  quatuor  de  M.  Camille 
Saint-Saëns,  on  a  entendu  entre  temps  une  œuvre  pour  violon  et  piano  de 
M.  Moullé,  fort  bien  jouée  par  MM.  Saury  et  Léon  Moreau,  et  de  fines  mélo- 
dies de  M.  de  Saint-Quentin.  Le  succès  de  la  soirée  a  été  pour  une  jeune  vir- 
tuose, MUo  Cella  Delavrancea,  dont  le  talent  est  fait  de  délicatesse,  de  charme 
et  d'originalité.  Mlle  Delavrancea,  qui  a  travaillé  au  Conservatoire  avec  1? 
regretté  Alphonse  Duvernoy  et  avec  M.  I.  Philipp,  y  a  remporté  l'année  passée 
un  très  brillant  prix.  Son  interprétation  de  deux  études  de  Chopin  (op.  10,  n°  5, 
et  25,  n°l)  et  de  la  Ballade  (op.  23)  du  même  maître  a  été  extrêmement  remar- 
quable et  lui  a  valu  un  succès  très  vif  et  très  mérité.  Ce  succès  s'est  répété 
après  les  Variations  à  deux  pianos  de  Saint-Saëns,  jouées  avec  la  précision  la 
plus  fine  en  compagnie  de  son  maître  M.  Philipp. 

—  A  la  Société  J.-  S.  Bach  (salle  Gaveau),  le  mercredi  2  décembre,  deuxième 
■concert  avec  le  concours  du  ténor  allemand  George  Walter.  Programme  : 
i.  Concerto  pour  violon  en  la  (Daniel  Herrmann);  2.  Cantate  Ich  armer  Mensch 
(M.  George  Walter);  3.  Sonate  pour  deux  flûtes  et  continua  (MM.  Blar.quait  et 
Krauss,  MUe  Léon)  ;  4.  a)  Air  de  la  Cantate  n°  160;  h)  Geislliche  Lieder  (M.  George 
Walter);  a.  Premier  Concerto  brandebourgeois,  pour  deux  cors,  trois  hautbois, 
etc.  —  Chef  d'orchestre  ;  M.  G.  Bret.  Bépélition  publique  :  le  mardi  1er  dé- 
cembre, à  quatre  heures  (entrée  5  francs). 

—  La  première  des  matinées  musicales  populaires  (Fondation  Danbé),  dont 
nous  avons  annoncé  déjà  la  reprise,  aura  lieu  mercredi  prochain  2  décembre 
à  i  heures  au  théàire  de  l'Ambigu.  Au  programme,  œuvres  de  MM.  Saint-Saëns 
et  André  Messager,  et  concours  effectif  du  second  et  de  Mmc!  Carrère-Xanrof, 
Mariette  Sully,  MIIes  Bakkers  et  Vizentini,  MM.  J.  Périer,  Francell,  Yvain, 
Delahègue  et  le  quatuor  Soudant.  —  La  deuxième  matinée  est  annoncée  pour 
le  mercredi  9  décembre  avec  le  concours  de  M.  Gabriel  Fauré,  Mme  Jeanne 
Raunay  et  le  quatuor  vocal  Battaille. 


NOTRE    SUPPLEMENT    MUSICAL 

(pour  les  seuls  abonnés  a  la  musique) 


Mmo  Desbordes-Valmore  !  C'est  déjà  un  peu  la  poésie  du  passé,  mais  d'un  passé 
élégiaque  qui  ne  va  pas  sans  charme,  où  les  tons  se  sont  adoucis  sous  la  patine 
des  années  bienfaisantes,  où  les  douleurs,  autrefois  et  déjà  résignées,  des  amours 
trahies  du  poète  ont  pris  des  teintes  de  rêve.  Le  musicien  Reynaido  Hahn  excelle  à 
rendre  les  harmonies  de  ces  pâles  couleurs,  et  c'est  pourquoi  cette  nouvelle  mélodie, 
Dans  Z'étè,  devra  compter  parmi  ses  meilleures.  On  la  voudrait  accompagnée  par 
quelque  harpe  attardée  d'une  vieille  grand'mère. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 


De  New-York  :  L'ouverture  du  Manhattan-Opera  vient  d'avoir  lieu  avec 
Thaïs.  L'œuvre  de  Massenet,  qui  avait  été  un  des  grands  succès  de  la  saison 
dernière,  a  été  triomphalement  accueillie  par  une  salle  comble  qui  a  rappelé 
un  nombre  incalculable  de  fois  sa  remarquable  et  vivante  interprète,  MUe  Mary 
Garden,  et  son  digne  partenaire,  le  baryton  Renaud. 

—  A  New-York,  à  la  salle  Carnegie,  à  l'occasion  des  fêtes  de  Noël,  sera 
donnée  le  19  décembre,  sous  la  direction  de  M.  Frank  Damrosch,  une  exécu- 
tion des  Enfants  à  Bethléem  de  Gabriel  Pierné.  Deux  cents  enfants  sont 
engagés  déjà  pour  chanter  les  chœurs. 

—  Encore  une  invention  américaine  :  le  travail  en  musique.  Un  fabricant 
de  Chicago  observa  par  hasard  que  ses  ouvriers  travaillaient  beaucoup  plus 
activement  les  jours  où  un  joueur  d'orgue  de  Barbarie  venait  moudre  ses  airs 
devant  la  porte  de  son  usine.  On  fit  des  expériences  et  l'on  constata  qu'en  fait 
rien  ne  stimule  davantage  l'ouvrier  pour  un  travail  rapide  que  l'audition  d'une 
marche  ou  d'une  danse  vivace.  La  première  expérience  pratique  fut  faite  à 


Canacharie,  dans  l'État  de  New-York,  en  une  fabrique  où  les  ouvriers  tra- 
vaillaient à  forfait.  La  production,  dans  les  salles  où  l'on  avait  installé  un  piano 
mécanique,  était  de  beaucoup  supérieure  a  celle  des  autres  salles,  où  il  n'y 
avait  point  de  musique,  et  récemment,  une  expérience  a  été  faite  en  plus  grand 
à  Chicago,  dans  une  fabrique  qui  avait  reçu  une  commande  très  importante  de 
viande  on  conserve  pour  l'escadre  du  Pacifique,  commande  qui  était  extrê- 
mement pressée.  Les  directeurs  de  l'usine  réunirent  un  grand  orchestre  qui 
fut  placé  dans  la  grande  cuisine  centrale,  et  c'est  aux  sons  de  la  Mattcbiche  et 
de  Viens,  Poupoule  que  des  millions  et  des  millions  de  boites  de  conserves  furent 
préparées,  fermées  et  expédiées.  «  Un  nouvel  horizon,  dit  un  journal,  s'ouvre 
pour  les  musiciens  gais,  bien  entendu,  car  il  parait  que  la  musique  de  Wagner 
ne  vaut  rien  pour  mettre  le  thon  en  boites  •>.  Encore  faut-il  choisir  son  réper- 
toire. 

—  A  Los  Angeles,  en.Californie,  l'orchestre  symphonique  a  inscrit  sur  ses 
programmes  de  la  saison  plusieurs  œuvres  françaises  et  a  fait  entendre  à  son 
premier  concert,  sous  la  direction  de  M.  Harley  Ilamilton,  la  deuxième  sym- 
phonie de  M.  Saint-Saëns  et  l'air  d'Hérodiade,  «  Vision  fugitive  »,  de 
M.  Massenet.  Dans  la  même  ville,  on  a  exécuté  à  des  concerts  d'orgue  des  ou- 
vrages de  César  Franck  et  de  M.  Alex.  Guilmanl. 

—  A  la  «  Société  Beethoven  »  de  Santiago  de  Cuba,  si  artistiquement  diri- 
gée par  M.  Rafaël  P.  Salcedo,  très  gros  succès  pour  le  Concerto  capriccioso  de 
Théodore  Dubois,  très  bien  exécuté  par  Mllc  de  la  Torre  Silva.  M.  Salcedo 
s'est  fait  applaudir  aussi  en  jouant,  avec  M"c  Caballero,  la  transcription  à 
quatre  mains  de  Renaud  de  "Vilhac  sur  la  Psyché  d'Ambroise  Thomas. 

—  Un  costume  à  l'usage  des  dames  pianistes.  —  Une  virtuose  anglaise  du 
piano,  Mmc  Ethel  Leginska,  fait  des  essais  de  réforme  sur  la  manière  de  s'ha- 
biller des  personnes  de  son  sexe  qui  jouent  des  instruments  à  clavier.  D'après 
son  opinion,  le  costume  que  portent  les  pianistes  qui  se  font  entendre  dans 
les  concerts  est  peu  approprié  aux  circonstances.  Les  longues  robes  et  les 
traînes  peuvent,  chez  une  artiste  de  tempérament,  s'embarrasser  dans  les 
pédales  ou  dans  les  barreaux  de  la  chaise  sur  laquelle  doit  s'asseoir  l'exécu- 
tante. D'autre  part,  les  robes  décolletées  glissent  facilement  le  long  des 
épaules  pendant  le  jeu  et  peuvent  gêner  les  bras  et  les  mains  dans  leurs  évo- 
lutions. Mieux  que  cela,  le  seul  sentiment  de  cette  possibilité  agit  sur  l'inter- 
prète d'une  façon  troublante  et  la  préoccupation  qui  en  résulte  lui  fait  perdre 
sa  présence  d'esprit.  Les  corsets  trop  étroits  compromettent  aussi  le  jeu  des 
pianisles  en  diminuant  ou  en  supprimant  l'aisance  des  mouvements.  Pour 
toutes  ces  raisons,  Mm0  Ethel  Leginska  s'est  fait  confectionner  un  costume 
sous  lequel  désormais  elle  se  présentera  au  public  pour  jouer  du  piano.  Il 
consiste  en  une  large  jupe  de  couleur  sombre,  descendant  jusqu'aux  chevilles, 
et  en  un  corsage  qui,  par  la  coupe  et  la  disposition  des  plis,  rappelle  un  peu 
une  blouse  d'ouvrier.  Le  col  est  ouvert  de  façon  à  ne  pas  comprimer  la  gorge. 
Les  manches  sont  longues  et  nullement  ajustées,  afin  de  laisser  toute  liberté 
à  l'artiste  pendant  son  interprétation. 

—  M.  Hans  Richter  abandonne,  parait-il,  les  fonctions  de  directeur  des 
Concerts  Halle  de  Manchester,  qu'il  cumulait  avec  celles  de  chef  d'orchestre 
des  représentations  waguériennes  au  théâtre  Covent-Garden  de  Londres.  Les 
motifs  invoqués  par  l'artiste  pour  expliquer  sa  détermination,  —  son  grand 
âge  et  les  ménagements  qu'exige  sa  santé,  —  ne  sont  pas  les  véritables  causes 
de  sa  retraite.  On  assure  qu'il  se  retire  parce  que  le  public  de  Manchester  s'est 
divisé  en  deux  camps,  l'un  affirmant  résolument  ses  préférences  pour  la  mu- 
sique ancienne  et  spécialement  pour  les  oratorios  de  Haendel,  l'autre  ne 
cachant  pas  ses  prédilections  pour  les  œuvres  de  Wagner,  Brahms  et  Richard 
Strauss.  M.  Hans  Richter  préfère  ne  pas  affronter  les  mécontentements  qu'il 
rencontrerait  d'un  coté  ou  de  l'autre  selon  la  voie  dans  laquelle  ses  tendances 
personnelles  l'engageraient.  Il  sera  remplacé  vraisemblablement  par  le  second 
chef  des  Concerts-Hallé,  M.  Beidler,  le  gendre  de  Mmc  Cosima  Wagner. 

—  Le  Conservatoire  de  Vienne  devient  définitivement  institution  d'État.  Il 
prend  la  dénomination  d'Académie  impériale  et  royale  pour  la  musique  et 
l'art  théâtral. 

—  On  vient  de  publier  à  Berlin  une  nouvelle  édition  critique  des  œuvres  litté- 
raires de  Weber,  comprenant  tous  les  écrits  connus  ou  demeurés  enfouis  dans 
les  recueils  où  ils  ont  paru  pour  la  première  fois.  Ce  recueil,  établi  méthodi- 
quement par  M.  Georges  Kaiser,  fournira  quelques  documents  nouveaux  pour 
les  biographes  futurs  du  célèbre  compositeur.  Il  renferme  beaucoup  de  frag- 
ments que  l'on  a  imprimés  nombre  de  fois,  par  exemple  les  remerciements 
que  Weber  adressa  aux  artistes  et  au  public  le  19  juin  1821,  lendemain  de  la 
représentation  du  Frcischiiiz  à  Berlin,  mais  on  relit  toujours  avec  saiisfaction 
des  lignes  émues  comme  celles-là,  car  elles  nous  montrent  sous  un  jour  entiè- 
rement favorable  et  beau  le  maître  dont  l'œuvre  marque  une  des  dates  les  plus 
importantes  de  l'histoire  de  la  musique,  celle  de  la  création  d'un  opéra  popu- 
laire en  Allemagne,  conçu  d'après  la  formule  de  l'opéra-comique  français. 

—  Un  volume  nouveau  de  lettres  de  Richard  Wagner  va  paraître  prochai- 
nement à  Berlin  sous  le  titre  :  Richard  Wagner  à  ses  interprèles.  Il  contiendra 
près  de  quatre  cents  lettres,  la  plupart  encore  inédiles,  adressées  aux  artistes 
qui  ont  été  les  collaborateurs  du  maître  à  Bayreuth.  Le  contenu  du  livre  for- 
mera ainsi  une  sorte  d'histoire  de  ce  que  l'on  est  convenu  d'appeler  l'œuvre 
de  B jyreuth.  Les  premières  correspondances  sont  datées  de  1872  et  les  der- 
nières s'arrêtent  à  1SS3,  année  de  la  mort  de  Wagner.  Les  lettres  ont  été 
classées  et  révisées  par  M.  Erich  Kloss.  Celles  qu'a  échangées  Wagner  avec 
M.  Hans  de  Wolzogen  tiennent,  dans  le  recueil,  une  place  importante.  Les 


38*2 


LE  MENESTREL 


antres  sont  adressées  à  des  personnalités  bien  connues  par  lesquelles  on 
peut  citer  Frantz  Betz,  Marianne  Brandt,  Ed.  Dannreulher,  Karl  Eckert, 
Franz  Fischer,  Richard  Fricke,  Henri  Gudehus,  Eugène  Gura,  Julius  Hey, 
Karl  Hill,  Louise  Jaide,  Karl  Klindworth,  Lilli  et  Marie  Lehmann,  Her- 
inann  Levi,  Thérèse  Malten,  Amalie  Materna.  Félix  Mottl,  Angelo  Neu- 
mann,  Albert  Niemann,  Henri  Porges,  Théodore  Reichmann,  Louise  Reuss- 
Belce,  Hans  Richter,  Karl  Riedel,  Alexandre  Ritter,  Joseph  Rubinstein, 
Emile  Scaria,  Antoine  Seidl,  Gustave  Siehr,  Joseph  Sucher,  Auguste  Wil- 
helmj.  Hermann  Winckelmann,  Herman  Zumpe,  etc. 

—  Dans  le  premier  concert  symphonique  dAltona,  une  ouverture  pour 
Cyrano  de  Bergerac,  de  M.  Johann  Wagenaar,  a  été  entendue  pour  la  première 
fois. 

—  Le  15  décembre  prochain,  le  théâtre  de  Weimar  célébrera  le  cinquan- 
tième anniversaire  de  l'apparition  à  la  scène  du  Barbier  de  Bagdad  de  Peter 
Cornélius.  A  la  représentation  de  gala  qui  aura  lieu  à  celle  occasion,  on  don- 
nera le  Barbier  de  Bagdad  et  un  prologue  de  circonstance  écrit  par  M.  Cari 
Cornélius,  le  fils  du  compositeur,  qui  habite  actuellement  àBàle. 

—  Les  amateurs  de  chorégraphie  de  Munich  sont  dans  la  consternation 
parce  que  leur  étoile,  Mlle  Haber,  se  voue  à  l'opérette.  Elle  a  paru  au  Théâtre 
de  la  Cour  pour  la  dernière  fois  comme  danseuse  et  travaille  présentement  le 
chant  avec  Mmc  Bosetti.  Elle  était  sympathique  à  tous  et  sa  réputation  de 
grâce  et  de  beauté  n'était  pas  usurpée.  Pendant  onze  années,  les  principaux, 
rôles  des  ballets  du  répertoire  furent  remplis  par  elle,  et  ses  triomphes  dans 
Coppélia  et  dans  d'autres  ouvrages  moins  connus  sont  encore  présents  à  la 
mémoire  de  ceux  qui  l'ont  suivie  depuis  ses  débuts.  Elle  n'était  pas  seulement 
une  ballerine  exquise:  ses  rôles  de  simple  figuration  la  mirent  hors  de  pair 
tant  elle  y  paraissait  délicieusement  jolie.  Elle  était,  dans  le  Jongleur  de  Notre- 
Dame,  la  madone  qui  fait  des  miracles.  Elle  représenta  aussi  la  reine  dans  la 
Rose  du  jardin  d'amour  de  M.  Hans  Pfitzner,  et  s'y  montrait  non  moins  tou- 
chante. On  l'appréciait  aussi  lorsqu'elle  dansait  des  czardas  ou  autres  danses 
populaires,  y  mettant  un  entrain  et  une  flamme  extraordinaires.  A  la  fin  de 
sa  représentation  d'adieux,  elle  a  quitté  la  scène  en  marchant  sur  les  fleurs 
qu'on  lui  jetait  de  tous  côtés. 

—  Le  roi  de  Wurtemberg,  après  avoir  pris  l'avis  de  personnes  compétentes, 
vient  d'approuver  les  plans  que  lui  a  soumis  l'architecte  Littmann,  pour  la 
construction  du  nouveau  Théâtre-Royal  de  Stuttgart.  L'ancienne  salle,  détruite 
par  un  incendie  le  20  juin  1902,  avait  remplacé  un  autre  vieux  théâtre,  brûlé 
lui-même  un  siècle  auparavant.  Depuis  six  ans  on  parlait  toujours  d'ériger 
une  nouvelle  scène,  mais  les  projets  n'aboutissaient  pas  et  la  question  risquait 
d'augmenter  le  nombre  de  celles  qui  restent  éternellement  pendantes.  Cette 
fois,  on  va  peut-être  se   mettre  sérieusement  à  l'œuvre,   car  les  dispositions 

paraissent  avoir  été  prises  avec  une  maison  de  Stuttgart,  qui  s'est  chargée  de 
construire  le  monument  sous  la  direction  de  M.  Littmann. 

—  A  Ostende  vient  d'être  donnée,  avec  un  très  grand  succès,  une  audition 
du  nouveau  mystère  de  M.  Gabriel  Pierné  :  Les  Enfants  à  Bethléem,  qu'on 
doit  précisément  entendre  aussi  à  Paris  aux  Concerts-Colonne,  au  moment 
des  fêtes  de  Noël.  A  Ostende,  l'exécution  était  sous  la  direction  de  l'habile 
chef  d'orchestre  Rinskolï.  L'œuvre  a  été  longuement  acclamée  par  un  public 
ému  et  enthousiaste.  Le  chant  des  enfants,  au  nombre  de  cent,  a  produit 
surtout  une  grande  impression.  Les  soli  étaient  confiés  a  M"10  Simiane  (de  la 
Monnaie  de  Bruxelles),  belle  voix  de  mezzo-soprano  (la  Vierge),  à  M110  Rachel 
Calunaers.  jolie  voix  de  soprano,  à  M.  Proot,  superbe  baryton  et  enfin  à 
M.  Léo  Van  der  Haegen,  qui  tient  le  rôle  de  l'âne.  Car  l'âne  et  le  bœuf  chan- 
tent en  la  circonstance.  Le  succès  fut  tel  qu'une  deuxième  exécution  dut 
suivre  presque  immédiatement,  devant  une  foule  énorme. 

—  Nous  avons  fait  connaître  le  répertoire  établi  pour  la  grande  saison 
lyrique  du  Théâtre  San  Carlo  de  Naples.  Au  répertoire  dramatique  il  faut 
ajouter  deux  ballets,  tous  deux  français  :  Coppélia,  de  Delibes,  et  Au  Japon  de 
M.  Louis  Ganne.  Et  voici  le  tableau  de  la  troupe  :  soprani  et  conlralti, 
Mmos  Gemma  Bellincioni,  Emma  Carelli,  Amelia  Karola,  Felia  Litvinne, 
Emma  Druetti,  Lilian  Grenville,  Carmen  Melis,  Nini  Frascani,  NerinaLollini, 
Lina  Maggi-Queirolo,  Graziella  Pareto.  Alice  Powers,  Carolina  White, 
Béatrice  "Wheeler  ;  ténors,  MM.  Bassi,  Borgatti,  Francesco  Vignas,  Paggi, 
Mac  Cormack,  Fazzini,  Gilion,  Gallo  ;  barytons  et  basses,  Mario  Ancona, 
Mattia  Battistini,  Formichi,  Berenzone,  Kaschmann,  Galeili,  Giovanelli,  Tita 
Ruffo,  Pignitaro,  Luppi,  Queirolo. 

—  Le  Théâtre  Dal  Vernie  de  Milan  a  donné  la  première  représentation  d'un 
drame  lyrique  en  quatre  actes,  Tess,  livret  tiré  par  M.  Luigi  Illica  d'une  nou- 
velle anglaise,  musique  de  M.  Frédéric  d'Erlanger.  Cet  ouvrage  n'est  pas  abso- 
lument nouveau  ;  il  avait  été  donné  le  10  avril  1906  au  Théâtre  San  Carlo  de 
Naples,  mais  l'émotion  causée  par  la  fameuse  éruption  du  Vésuve  en  avait 
interrompu  les  représentations,  et  il  était  resté  â  peu  près  inconnu.  Sa  nouvelle 
apparition  â  Milan  ne  parait  pas  lui  avoir  été  absolument  favorable.  On  repro- 
che au  livret  un  manque  complet  d'intérêt  et  à  la  musique  un  manque  aussi 
complet  d'originalité.  En  somme,  le  succès  parait  avoir  été  modeste. 

—  L'abbé  Perosi,  le  directeur  de  la  chapelle  Sixtine,  écrit,  dit-on,  un  opéra. 
Il  s'agit  d'un  drame  lyrique  dont  le  sujet  n'est  autre  que  Bornéo  et  Juliette.  Le 
livret  aurait  une  forme  tout  â  fait  nouvelle,  et  le  compositeur  est  très  avancé 
dans  son  travail.  Don  Perosi  se  défend  cependant  d'avoir  conçu  son  œuvre  au 
point  de  vue  théâtral  et  peut-être  est-elle  conçue  simplement  comme  étude 
leligioso-profane  en  vue  d'exécution  en  salle  de  concerts. 


—  C'est  aux  derniers  jours  du  présent  mois  de  novembre  que  doit  commencer 
la  grande  saison  de  l'Opéra  khédivial  du  Caire,  pour  se  terminer  le  9  mars  1909. 
On  signale  parmi  les  artistes  engagés,  Mmns  Regina  Alvarez,  Elena  Bianchini- 
Coppeli,  Eugenia  Burzio,  Giorgina  Caprile,  Elvira  De  Hidalgo,  Rosina 
Lucchini,  Carmen  Melis,  Giuseppina  Zoffoli,  et  MM.  Giovanni  Bardi,  Icilio 
Ceileia,  Federico  Carbonetti,  Ernesto  Giaccone,  Ferruccio  Corradetti,  Giuseppe 
Krismer,  Silvano  Isalberti,  Umberto  Macuez,  Antonio  Magini-Coletti,  Arturo 
Romboli,  Torres  De  Luna,  etc.  Chef  d'orchestre  :  M.  Giacomo  Armani.  Au 
répertoire  :  Marcelin,  la  Damnation  de  Faust,  les  Maîtres  chanteurs  de  Nuremberg, 
Anna  Karénine... 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

M.  Emile  Massard,  au  nom  de  la  ^deuxième  commission  du  conseil  mu- 
nicipal, vient  de  rédiger  un  rapport  sur  le  fonctionnement  du  Lyrique- 
Municipal  de  la  Gaité  et  les  modifications  au  cahier  des  charges  demandées 
par  ses  directeurs,  MM.  Isola.  M.  Emile  Massard  constate  que  si,  au  point  de 
vue  de  la  bonne  tenue  des  spectacles,  le  Lyrique-Municipal  a  donné  de  bous 
résultats,  il  n'en  a  pas  été  de  même  pour  les  recettes.  Celles-ci  ne  semblent 
pas  suffisantes  pour  assurer  la  marche  normale  de  l'exploitation.  Le  rapporteur 
expose  dans  quelles  conditions  l'Opéra-Comique  et  l'Opéra  prêtent  leur 
concours  au  Lyrique.  M.  Carré  fournit  les  décors,  costumes,  accessoires  et 
artistes  pour  certaines  représentations,  en  échange  de  quoi  MM.  Isola  doivent 
remettre  au  directeur  de  l'Opéra-Comique  200  francs  par  soirée  et  25  0/0  sur 
la  recette  brute.  Quant  à  l'Opéra,  il  prête  gratuitement  les  costumes  et  acces- 
soires. MM.  Broussan  et  Messager  ont  même  eu  l'obligeance  de  consentir  ce 
prêt  pour  des  pièces  qui  n'étaient  pas  de  leur  répertoire  comme  Jean  de  Nivelle 
et  l'Attaque  du  Moulin.  Pour  les  artistes,  MM.  Isola  les  paient  au  prix  fixé  par 
leur  engagement  avec  l'Opéra.  M.  Massard  voudrait  obtenir  un  traitement 
plus  doux.  MM.  Isola,  qui  bénéficient  déjà  de  la  suppression  du  loyer,  avaient 
demandé  une  subvention,  mais  ils  ont  depuis  renoncé  à  ce  projet.  M.  Massard 
propose  au  conseil  municipal  de  leur  permettre  d'augmenter  d'un  franc  par 
place  les  huit  premiers  rangs  de  l'orchestre,  les  avant-scènes,  les  premières 
loges  et  les  fauteuils  de  balcon.  Ces  places  seront  ainsi  portées  de  4  à  S  francs. 
Le  nombre  des  places  à  0  fr.  50  sera  fixé  à  quatre  cents.  Enfin,  la  deuxième 
commission  voudrait  que  les  places  à  un  franc  ne  fussent  plus  mises  en  loca- 
tion, ceci  pour  empêcher  le  trafic  des  marchands  de  billets.  D'autre  part. 
M.  Massard  est  d'avis  que  la  Ville  doit  payer  l'impôt  foncier  (10.000  francs 
Dar  an),  acquitté  jusqu'ici  par  MM.  Isola,  et  se  charger  des  réparations. 

—  L'Académie  des  beaux  arts  a  décidé  que  le  prix  Bordin,  de  la  valeur  de 
3.000  francs,  à  décerner  en  1910,  sera  attribué  au  meilleur  ouvrage  sur  la  musi- 
que ou  sur  l'histoire  de  la  musique,  publié  dans  les  cinq  dernières  années. 

—  La  commission  de  la  Société  des  auteurs  et  compositeurs  dramatiques 
s'est  réunie,  cette  semaine,  sous  la  présidence  de  M.  Paul  Hervieu.  Elle  s'est 
occupée  de  la  question  de  la  succession  de  Georges  Pellerin,  dont  la  solution 
est  très  prochaine.  Nous  croyons  savoir,  en  tous  cas,  que  son  choix  est  irrévo- 
cablement fixé  à  ce  sujet  et  qu'elle  a  définitivement  écarté  le  projet  du  rachat 
des  deux  charges.  Au  cours  de  la  séance,  la  commission  a  reçu  les  délégués 
du  syndicat  et  s'est  entretenue  assez  longuement  avec  eux  de  différentes  ques- 
tions d'actualité. 

—  M.  Louis  de  Gramont  a  repris,  au  Conservatoire,  son  cours  d'histoire  du 
théâtre  et  de  littérature  dramatique.  Notre  distingué  confrère  commence  par 
résumer  l'histoire  du  théâtre  français,  depuis  ses  origines  jusqu'à  Alexandre 
Hardy.  11  parlera  ensuite  des  grands  écrivains  du  dix-septième  siècle  et  des 
chefs-d'œuvre  classiques. 

—  A  l'Opéra,  les  répétitions  de  Monna  Vanna  sont  poussées  vigoureusement 
et  tous  les  artistes  s'y  montrent  pleins  d'ardeur.  — La  direction  adécidé  d'ad- 
joindre à  son  répertoire  le  gentil  ballet  de  M.  Saint-Saèns,  Javotte,  qui  fut 
d'abord  donné  à  l'Opéra-Comique.  Le  maître  de  ballet,  M.  Staats,  en  arrête  la 
nouvelle  mise  en  scène.  —  Enfin,  les  maquettes  des  décors  de  Bacchus  sont 
déjà  sur  pied.  Comme  on  voit,  la  nouvelle  direction  n'entend  pas  s'endormir 
et  on  ne  peut  nier  vraiment  qu'une  nouvelle  vie  de  travail  règne  à  l'Opéra. 

—  A  l'Opéra  Comique,  la  répétition  générale  de  Sarvga  semble  fixée  au 
lundi  7  décembre,  dans  l'après-midi,  et  la  première  représentation  au  mercredi 
suivant.  —  Ce  soir,  samedi  :  Louise.  Dimanche,  en  matinée,  la  Vie  de  Bohème 
et  Philémon  et  Bancis  ;  le  soir,  la  Tosca.  —  Lundi,  en  représentation  populaire 
à  prix  réduits  :  la  Traviata, 

—  M.  Henry  Expert,  qui  rend  avec  tant  de  talent,  tant  de  savoir  et  tant  de 
désintéressement  un  service  inappréciable  à  l'histoire  de  la  musique  française, 
continue  avec  une  ardeur  que  rien  ne  saurait  troubler  la  série  si  précieuse  de 
ses  publications  des  œuvres  des  maîtres  musiciens  de  la  Renaissance  française. 
Il  y  a  là  une  œuvre  de  patriotisme  artistique  qu'on  ne  saurait  trop  louer  ni 
trop  encourager.  D'autant  que  les  compositions  ainsi  tirées  de  l'obscurité  où 
elles  sommeillaient  sont  simplement,  et  pour  la  plupart,  des  chefs-d'œuvre. 
Elles  prouvent  en  tout  cas  que  le  génie  de  nos  grands  artistes  desXV-'etXVP 
siècles  ne  le  cédaient  à  qui  que  ce  soit,  et  que  ces  artistes  furent  des  maîtres 
dans  toute  l'acception  du  terme,  o  II  nous  faut  préserver  de  l'oubli,  dit  fort  jus- 
tement M.  Expert,  rendre  à  la  vie,  à  l'immortalité  les  œuvres  de  nos  pèt'es, 
inestimable  patrimoine  intellectuel  que  menacent  à  la  fois  le  vandalisme 
inconscient  du  temps,  le  vandalisme  brutal  des  passions  aveugles  et  celui,  non 
moins  coupable,  de  l'ignorance  indifférente.  L'art  musical  de  la  Renaissance 
présente   des  compositions  d'une  beauté  de  forme  achevée,  d'une  impeccable 


LE  MÉNESTREL 


383 


maîtrise  d'écriture:  bien  mieux,  il  est  la  peinture  la  plus  sincère,  la  plus  cap- 
tivante des  idées,  des  mœurs,  des  sentiments,  des  passions  de  la  Société,  en 
cette  époque  où  s'exaltent  les  caractères  et  se  déploient  les  énergies  intimes  de 
notre  race.  »  Partant  des  principes  ainsi  exposés,  M.  Expert  s'est  mis  à  l'œu- 
vre, et  depuis  plusieurs  années  nous  offre  toute  une  longue  série  de  compo- 
rtions superbes,  traduites  par  lui  en  notation  moderne  et  mises  en  partition 
avec  le  plus  grand  soin.  C'est  là  simplement  une  œuvre  de  bénédictin,  qui  ne 
fait  pas  seulement  honneur  à  celui  qui  l'a  conçue  et  entreprise,  mais  qui  est 
tout  à  la  gloire  de  l'art  national.  Grâce  à  lui,  nous  connaîtrons  maintenant 
autrement  que  par  leurs  noms,  tous  ces  artistes  jadis  fameux  qui  s'appelaient 
Claude  G-oudimel,  Clément  Jannequin,  Guillaume  Costeley,  Jacques  Mauduit, 
Claudia  Lejeunc,  Josquin  des  Prés,  Jean  Mouton,  et  tant,  tant  d'autres  qui 
sont  l'honneur  et  la  gloire  de  l'art  musical  français  et  qui  étaient  les  dignes 
émules  des  maîtres  plastiques  delà  Renaissance,  les  Glouet,  les  Jean  Goujon, 
les  Philibert  Delorme...  Le  volume  des  «  danceries  »  de  Claude  Gervaise, 
Eslienne  du  Tertre  et  divers  anonymes  que  M.  Expert  vient  de  faire  paraître 
n'est  ni  moins  curieux  ni  moins  intéressant  que  ceux  qui  font  partie  déjà  de 
cette  collection  précieuse  à  tant  de  titres.  A.  P. 

—  Le  Figaro  annonce  en  ces  termes  la  publication  du  livre  de  notre  collabo- 
rateur Arthur  Pougin  sur  Monsigny,  dont  les  lecteurs  du  Ménestrel  ont  eu  la 
primeur  : 

C'est  toute  une  histoire  de  l'ancien  Opéra-Comique  de  la  Foire  et  de  la  Comédie- 
Italienne,  pendant  un  quart  de  siècle,  que  M.  Arthur  Pougin  nous  retrace  en  racon- 
tant, la  vie  du  compositeur  Monsigny  dans  le  fort  joli  volume  qu'il  publie  sous  ce 
litre  ;  Monsigny  et  son  temps  (Fisclibacher,  éditeur).  En  exposant  la  brillante  carrière 
de  ce  musicien  charmant,  qui  fut,  avec  Duni  et  Philidor,  l'un  des  créateurs  du  genre 
de  l'opéra-comique,  en  nous  rappelant  les  triomphes  de  l'auteur  de  Rose  et  Colas,  du 
Déserteur,  de  Félix,  d'Aline,  reine  de  Golconde,  M.  Pougin  fait  revivre  à  nos  yeux,  dans 
des  portraits  pleins  de  charme  qu'accompagnent  des  anecdotes  piquantes,  les  inter- 
prètes fameux  de  ces  jolis  chefs-d'œuvre,  tous  chanteurs  exquis  en  même  temps  que 
comédiens  accomplis,  et  qui  ont  laissé  dans  l'histoire  de  notre  art  lyrique  une  trace 
lumineuse  :  Clairval,  Laruette,  Caillot,  Trial,  et  ces  femmes  aussi  séduisantes  par 
leur  beauté  que  par  leur  talent,  M"™  Favart,  Mm"  Trial,  M"'°  Laruette,  M1""  Dugazon, 
etc.  C'est  là  une  véritable  reconstitution  historique,  à  la  fois  précise  et  lidèle,  dans 
laquelle  l'auteur  n'a  rien  oublié,  car  il  nous  présente  aussi  les  collaborateurs  de 
Monsigny,  entre  autres  Sedaine,  qu'il  considère  comme  un  librettiste  de  génie,  et 
Collé,  que  son  mépris  bizarre  pour  les  musiciens  n'empêchait  pas  de  s'associer  à  eux 
à  l'occasion.  Ce  qui  complète  l'attrait  de  ce  livre 'aimable,  publié  avec  un  grand  luxe, 
ce  sont  les  charmantes  illustrations  qui  l'accompagnent  :  portraits,  costumes,  scènes 
théâtrales,  qui,  toutes,  sont  des  reproductions  d'estampes  du  temps  et  même  de 
tableaux,  qui  n'avaient  jamais  été  gravés,  de  More.au,  Cochin,  Gravelot,  Boucher,  La 
Tour...  L'histoire  artistique  se  double  ainsi  d'une  précieuse  galerie  iconographique, 
qui  éclaire  le  texte  de  la  façon  la  plus  intéressante  et  la  plus  heureuse. 

—  On  a  souvent  parlé  de  la  dépense  de  force  que  doivent  fournir  les  doigts 
d'un  pianiste  exécutant,  et  de  nombreux  calculs  ont  été  faits  à  ce  sujet.  On 
ne  se  doute  guère  dans  le  public  de  la  fatigue  qui  doit  résulter  pour  un  virtuose 
de  l'exécution  d'un  morceau  quelconque,  et  l'on  peut  s'en  rendre  compte  par 
ce  qui  suit.  Une  touche  de  piano  ne  se  baisse  que  sous  la  pression  d'un  poids 
minimum  de  75  grammes  (celui  de  trois  écus  de  5  francs);  mais  l'attaque  du 
son,  surtout  dans  une  grande  salle,  exige  de  l'artiste  un  effort  beaucoup  plus 
considérable.  Dans  le  premier  allegro  du  concerto  en  mi  b  de  Beethoven,  le 
pianiste  «  pétrit  »  de  la  main  gauche  4.476  notes  et  5.450  de  la  main  droite. 
Ce  total  de  0.926  notes,  multiplié  par  la  pression  minimum  de  75  grammes 
par  note,  donne  au  total  le  chiffre  respectable  de  744.450  kilos,  c'est-à-dire  le 
poids  de  29.778  écus  de  5  francs!  Et  ceci  nous  prouve  une  fois  de  plus....  que 
décidément  la  statistique  est  une  bien  belle  chose! 

—  Demain  dimanche,  aux  Folies-Dramatiques,  doit  être  donnée  la  répétition 
générale  (reprise)  du  Petit  Faust  d'Hervé.  A  huitaine  le  compte  rendu. 

—  Par  suite  du  décès  de  Georges  Marty,  la  Société  du  Casino  de  Vichy 
vient  de  confier  la  direction  de  ses  grands  Concerts  symphoniques  à  M.  Phi- 
lippe Gauberl,  le  très  distingué  chef  d'orchestre  adjoint  des  Concerts  du 
Conservatoire.  M.  Gaubert  est  un  artiste  éminent,  dont  la  nomination  sera 
unanimement  approuvée. 

—  Sur  la  recommandation  de  M.  Colonne,  M.  Armand  Marsick  vient  d'être 
nommé  chef  d'orchestre*,  professeur  de  contrepoint  et  fugue  au  Conserva- 
toire royal  d'Athènes. 

—  De  Nîmes  :  Notre  théâtre  vient  de  nous  donner  la  première  représentation 
de  Grisélidis.  La  partition  exquise  du  maître  Massenet  a  conquis  d'emblée 
notre  public,  qui  a  fait  fête  aussi  aux  excellents  interprètes,  M"es  Grill  et 
Delcour,  MM.  Caillot,  Mikaelly  et  Lacoume. 

—  Le  Grand-Théâtre  de  Lyon  a  donné  samedi  dernier  la  première  représen- 
tation d'un  drame  lyrique  intitulé  le  Prêcheur  de  Sainl-Othmar ,  qui  n'est  autre 
que  VÊvançjélisle,  opéra  dont  M.  "Wilhelm  Kienzl  a  écrit  les  paroles  et  la 
musique  et  qui  a  obtenu  un  vif  succès  en  Allemagne  en  ces  dernières  années. 
L'adaptation  française  de  cet  ouvrage  a  été  faite  par  M.  Louis  Schneider. 

—  On  vient  de  donner  à  Lille  un  grand  concert  consacré  à  la  mémoire 
d'Edouard  Lalo,  enfant  de  cette  ville,  concert  organisé  avec  le  concours  de 
Mlle  Bréval,  de  MM.  Louis  Diémer,  Alfred  Cortot  et  Enesco,  et  dont  le 
succès  a  été  complet.  Le  programme  ne  comprenait  que  des  œuvres  de  Lalo. 
Mllc  Bréval  a  chanté  l'air  de  Margared  du  Roi  d'Ys,  M.  Diémer  a  fait  entendre 
le  beau  concerto  que  le  compositeur  lui  dédia  naguère,  M.  Enesco  a  exécuté 
la  Symphonie  espagnole,  et  l'orchestre,  sous  la  direction  de  M.  Cortot,  s'est 
distingué  dans  la  Rupsodie  norvégienne  et  l'ouverture  du  Roi  d'Ys,  où  le  solo  de 
violoncelle  était  rendu  par  M.  Cruque. 


—  Soirées  et  Conœrts.  —  L'audition  mensuelle  d'élèves  de  l'école  classiqua  diri- 
gée par  M.  Chavagnat,  consacrée  aux  œuvres  de  M Filliaus-Tiger  et   \.  Collin,  et 

de  MM. Falkenberg,  Jacob  h  Chavagnat,  a  été  des  plus  intéressantes.  \  signaler  parti- 
culièrement, M""  Iloudas  (Esprit  des  rêves,  Chavagnat),  M"'  Cavalier  Sérénade  <3"/./.m-, 
Chavagnat),  M"'  Mai-lin  l Les  Ombres,  du  poème  Avril,  Chavagnat]  et,  surtout, 
Mlu  Drouin  qui  a  chanté  Pluie  en  mer,  de  Filliaux-Tiger,  el  joué  Voici  le  renouveau, 
tlu  poème  Avril  de  Chavagnat. 

NÉCROLOGIE 

FA.XJT-.     TAFFANEL 

Encore  une  mort,  encore  un  deuil!  Nous  avons  à  enregistrer  celte  fois  la 
perte  d'un  des  plus  grands  artistes  de  ce  temps,  Paul  Taffanel,  qui  est  mort 
dimanche  matin,  après  une  longue  agonie  qui  l'avait  laissé  sans  connaissance 
depuis  trois  jours.  Virtuose  d'un  ordre  absolument  exceptionnel,  musicien 
instruit,  chef  d'orchestre  doué  de  rares  qualités,  Paul-Claude  Tall'anel  était 
né  à  Bordeaux  le  10  septembre  1844.  Petit-fils  d'un  luthier,  fils  d'un  professeur 
qui  était  chef  de  musique  de  la  garde  nationale,  il  fut  élevé  dans  un  milieu 
essentiellement  musical  où  ses  aptitudes  personnelles  ne  trouvèrent  que  des 
encouragements.  Envoyé  de  bonne  heure  à  Paris  et  recommanda  à  Dorus, 
celui-ci  l'admit  dans  sa  classe  du  Conservatoire,  où,  dès  son  premier  concours, 
en  1860,  il  remportait  d'emblée  le  premier  prix  do  flûte.  Il  entra  alors  dans  la 
classe  d'harmonie  de  Reber,  où  il  se  vit  décerner  un  premier  prix  en  1802, 
puis,  Reber  ayant  été  nommé-  professeur  de  composition,  il  suivit  son  maître 
dans  sa  nouvelle  classe,  et  obtint  le  premier  prix  de  fugue  en  1805.  J'avais 
raison  do  dire  que  Taffanel  était  un  musicien  instruit. 

En  1864,  après  avoir  passé  deux  ans  à  l'orchestre  de  l'Opéra-Comique,Talfanel 
entrait  à  celui  de  l'Opéra,  où  il  ne  tardait  pas  à  devenir  première  flûte.  Il  faisait 
partie  alors  de  la  Société  des  Jeunes  Artistes  de  Pasdeloup,  qu'il  accompagna 
lorsque  celui-ci  fonda  les  Concerts-Populaires.  Il  n'y  devait  pas  rester  longtemps, 
car  son  admirable  talent  de  virtuose  le  faisait  appeler,  en  1S67,  comme  première 
flûte  à  la  Société  des  concerts  du  Conservatoire.  Très  actif  de  sa  nature  et 
doué  d'un  véritable  tempérament  d'artiste,  il  fondait  en  1S79,  avec  MM. GiHet 
(hautbois),  Turban  (clarinette),  Brémond  (cor),Espaignet  (basson)  et  de  Bailly 
(contrebasse),  cette  délicieuse  Société  de  musique  de  chambre  pour  instruments 
à  vent  dont  les  succès  furent  si  éclatants  non  seulement  à  Paris,  mais  en 
Angleterre,  en  Allemagne  et  en  Russie.  Entre  temps  il  prenait  part  à  un  de 
nos  concours  de  la  Société  des  compositeurs  et  se  voyait  couronner  pour  un 
fort  joli  quintette  d'instruments  à  vent.  En  1890  il  était  nommé  troisième 
chef  d'orchestre  à  l'Opéra;  en  1892,  à  la  retraite  de  Jules  Garcin,  il  était  élu 
chef  d'orchestre  de  la  Société  des  concerts,  et  l'année  suivante  il  succédait  à 
M.  Colonne  comme  premier  chef  à  l'Opéra.  Il  ne  fut  pas  moins  heureux  dans 
cette  nouvelle  carrière  que  dans  celle  de  virtuose.  Il  y  joignit  bientôt  celle  de 
professeur.  En  1893,  à  la  retraite  d'Henri  Altès,  il  était  nommé  professeur  de 
flûte  au  Conservatoire,  et  peu  après  il  se  voyait  chargé  de  la  direction  de  la 
classe  d'orchestre.  C'est  lui  qui,  à  ce  titre,  dirigeait  les  exécutions  de  tous  les 
exercices  et  des  auditions  des  envois  de  Rome.  Il  y  a  sept  ans,  sentant  quelques 
atteintes  de  fatigue,  il  donnait  sa  démission  à  la  Société  des  concerts,  où  il 
était  remplacé  par  le  pauvre  Marty,  disparu  quelques  jours  avant  lui,  et  l'année 
dernière,  atteint  déjà  par  la  maladie,  il  quittait  l'Opéra.  C'est  à  ee  moment 
que  nous  l'avions  choisi,  à  l'Association  des  artistes  musiciens,  pour  succéder 
comme  président  à  M.  Emile  Réty.  Nous  n'avons  aujourd'hui  que  le  regret  de 
l'avoir  eu  si  peu  de  temps  à  notre  tête.  Taffanel  a  occupé  une  grande  place,  et 
très  importante,  dans  le  monde  musical  de  ces  trente  dernières  années,  et  soit 
comme  virtuose,  soit  comme  chef  d'orchestre,  soit  comme  professeur,  il  a 
rendu  de  nombreux  et  signalés  services.  C'était  un  véritable  artiste,  doué 
d'initiative,  et  pourvu,  sous  les  rapports  les  plus  divers,  de  qualités  de  premier 
ordre  et  tout  à  fait  exceptionnelles.  Arthur  Podgin. 

—  Le  11  novembre  dernier  est  mort,  à  New-York,  Auguste  Vianesi.  qui  fut 
chef  d'orchestre  pendant  quelques  années  à  l'Opéra  de  Paris.  Il  avait  succédé 
à  Ernest  Altès  le  1er  juillet  1887  et  fut  remplacé  en  1891  par  Charles  Lamou- 
reux.  Auguste  Vianesi  était  né  le  2  novembre  1837  à  Livourne.  Après  avoir 
fait  son  éducation  musicale  sous  la  direction  de  Pacini  et  Dohler.  il  vint  à 
Paris  en  1837,  avec  une  recommandation  pour  Rossini.  Nommé  chef  d'or- 
chestre du  Théâtre  Drury-Lane  de  Londres  en  1859,  il  remplit  ensuite  des 
fonctions  analogues  à  New-York,  Moscou,  Saiut-Pétersboug,  de  nouveau  à 
Londres,  puis  sur  plusieurs  théâtres  de  l'Angleterre  et  du  continent,  enfin  à 
Philadelphie.  Il  fut  chef  d'orchestre  de  l'Opéra  Métropolitain  de  New- York 
pendant  la  première  saison  de  la  direction  Abbey,  Schœffel  et  Grau  en  1883. 
et  conduisit  ensuite  les  représentations  de  l'Opéra  allemand  en  1892  el  1893. 
Dans  les  dernières  années  de  sa  vie,  il  se  tint  uu  peu  à  l'écart,  n'étant  plus 
guère  en  relations  qu'avec  quelques  amis.  C'est  lui  qui  dirigea,  dans  la  salle 
du  Trocadéro,  la  première  audition,  à  Paris  de  la  Légende  de  sainte  Elisabeth,  de 
Liszt,  le  8  mai  1SS6.  Le  rôle  du  Landgrave  Louis  était  chanté  par  M.  Faure. 
Liszt,  qui  assistait  à  l'audition,  s'est  montré  ravi  de  l'effet  grandiose  qu'avait 
produit  l'orgue  dans  la  scène  finale.  Vianesi  était  considéré  à  eette  époque 
comme  un  chef  d'orchestre  plein  de  vigueur  et  d'activité. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 

PROFESSEUR  DE  CHANT.  Une  place  de  professeur  de  chant  (homme 
ou  femme)  est  vacante  à  V  École  nationale  de  musique  de  Valenciennes.  — 
Traitement  :  1.200  francs.  —  Adresser  les  demandes  avant  le  30  décembre  au 
Directeur  de  l'Ecole. 


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LE  MENESTREL 


Soixante-quinsclèiTiei     année     d©     publication 


PRIMES   1909  du  MÉNESTREL 

JOURNAL    DE    MUSIQUE    FONDÉ   LE    1er   DÉCEMBRE   1833 

Paraissant  tous  les  samedis  en  huit  pages  de  texte,  donnant  les  comptes  rendus  et  nouvelles  des  Théâtres  et  Concerts,  des  Notices  biographiques  et  Éludes 

sur  les  grands  compositeurs  et  leurs  œuvres,  des  articles  d'esthétique  et  ethnographie  musicales,  des  correspondances  étrangères, 

des  chroniques  et  articles  de  fantaisie,  etc., 

publiant  en  dehors  du  texte,  chaque  samedi,  un  morceau  de  choix  (inédit)  pour  le  CllAiW  ou  pour  le  PIANO  et  offrant  à  ses  abonnés, 

chaque  anuée,  de  beaux  recueils-primes  C'HA.YT  et  l'IAYO. 


C  Xi  A.  _N  T    (1er  MODE  D'ABONNEMENT) 
Tout  abonné  à  la  musique  de  Chant  a  droit  GRATUITEMENT  à  l'une  des  primes  suivantes  : 


E.  JÀQUES-DALCROZE 

JUMEAUX  DE  BERGAME 

Deux  actes  de  Maurice  Lena 

(D'après  Florian) 

Partition  chant  et  piano 


THÉODORE  DUBOIS  RAOUL  PDGNO 

ODELETTES    ANTIQUES  CLOCHES  DU  SOUVENIR 


JAQUES-DALCROZE 

Idylles  et  Chansons 

Deux  recueils  format  in-4° 

PIANO 


GEORGES  HUE 

Ldeds  dans  la  pofèt 

Deux  recueils  format  in-4° 


(2°  MODE  D'ABONNEMENT) 


RODOLPHE  BERGER 

LE    CHEVALIER    D'ÉON 

Opéra-comique  en  4  actes 

d' Armand  Silvesire  et  Henri  Cain 

Partition  chant  et  piano 


Tout  abonné  à  la  musique  de  Piano  a  droit  GRATUITEMENT  à  l'une  des  primes  suivantes  : 


J.   MÀSSENET 

ESPADA 

Ballet-pantomime 

de  René  Maucars 

Partition  pour  piano  seul 


J.  SEBASTIEN  BACH 

DOUZE  CHORALS 

(Transcrits  pour  piano  par  I.  Piiilipp) 

RAOUL  PUGNO 

Paysages 

Deux  recueils  in-4° 


ERNEST  MORET 

JONCHÉE   D'OCTOBRE 

ERNEST  MORET 

Pages    Blanehes 

Deux  recueils  in-4° 


PADL  VIDAL 

ZINO-ZINA 

Ballet-pantomime 

de  Jean  Riciiepin 

Partition  pour  piano  seul 


GRANDES      Ï^FMMES 

PRIMES  DE  P1M0  Eï  DE  CIHNI  RÉUNIES,  POUR  LES   SEULS  ABONNÉS  A  L'ABONNEMENT  COMPLET   (3e  Mode) 


—  GABRIEL    PIERNÈ  — 

LA  CROISADE  DES  E^fA^T 

Légende  musicale  en  quatre  parties 

1.  Le  Départ.   =  2.  La  Grande  Route.  =  3.  La  Mer.  =  4.  Le  Sauveur  dans  la  tempête 

Grande  et  belle  partition  in-4°  avec  couverture  de  Giraldon  en  chromo 


H.EO    x>esx*zb:e:s 


VICTOR     m;ass£ 


JEAN    DE    NIVELLE     PAUL   ET   VIRGINIE 


Opéra  en  trois  actes 
Partition  chant  et  piano 
Reprise     du    Thëàtro-Lyrique    de 


Ropi 


Opéra  en  trois  actes 
Partition  chant  et  piano 

lu    Tliéàtro-Ijjr-ique    de    l£ 


NOTA  IMPORTANT.  —  Ces  primes  sont  délivrées  gratuitement  dans  nos  bureaux,  3  bis,  rue  Vivienne,  à  partir  du  10  décembre  prochain,  à  tout 
ancien  ou  nouvel  abonné,  sur  la  présentation  de  la  quittauce  d'abonnement  au  MÉXE'iTREL,  pour  Tannée  190».  Joindre  au  prix  d'abonnement 
un  supplément  d'IIS  ou  de  DEUX  francs  pour  l'envoi  franco  dans  les  départements  de  la  prime  simple  ou  double.  (Pour  l'Etranger,  l'envoi  franco 
des  primes  se  règle  selon  les  frais  de  Poste.) 

Les  abonnés  an  Clianl  peuvent  prendre  la  prime  Piano  el  vice  versa.  -  Ceux  au  Piano  el  au  Cbanl  réunis  onl  seuls  droil  à  la  grande  Prime .  -  Les  abonnés  au  texte  seul  n'onl  droit  à  aucune  prime . 

CHANT  CONDITIONS  D'ABONNEMENT  AU  «  MENESTREL  »  PIANO 

1"  Mode  d'abonnement  :  Journal-Texte,  tous  les  samedis  ;  26  morceaux  de  chant  :      |      2"  Mode  d'abonnement  :  Journal-Texte,  tous  les  samedis  ;  26  moroe 
Scènes,   Mélodies,   Romances,   paraissant  de  quinzaine  en  quinzaine;    1    Recueil- 
Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs  ;  Étranger,  Frais  de  poste  en  sus. 


!>E  piano  : 

Fantaisies,    Transcriptions,    Danses,    de    quinzaine  en    quinzaine;     1     Recueil- 
Prime.  Paria  et  Province,  un  an  :  20  francs;   Étranger  :  Frais  de  poste  en  sus. 


CHANT  ET  PIANO  RÉUNIS 

3-  Mode  d'abonnement,  comprenant  le  Texte  complet,  26  morceaux  de  enant,  26  morceaux  de  piano,  les  2  Recueils-Primes  ou  une  Grande  Prime. 

Un  an  :  30  francs,  Paris  et  Province;  Étranger  :  Poste  en  sus. 

4"  Mode  d'abonnement.  Texte  seul,  sans  droit  aux  primes,  un  an  :  10  francs. 

On  souscrit  le  1"  de  chaque  mois.  —  Les  52  numéros  de  chaque  année  forment  collection. 

Adresser  franco  un  bon  sur  la  poste  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bù,  rue  Vivienne. 


■    L.lic  LuroJcu^- 


Samedi  S  Décembre  1908. 


405*.  -  74e  ANNÉE.—  N°  49.  PARAIT  TOUS  LES  SAMEDIS 

(Les  Bureaux,  2  b",  rue  ViYienne,  Paris,  u-  m>) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


JSec'd 


LE 


MENESTREL 


Le  flaméro  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGKL.     Directeur 


lie  Numéro  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienr.e,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de   Piano,  30  fr. ,   Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sua. 

SOMMAIRE-  TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  (47"  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  reprise  du  Petit  Faust  aux  Folies-Dramatiques,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Petites 
notes  sans  portée  :  De  l'interprétation  nouvelle  des  vieux  maîtres,  Raymond  Bouyeu.  —  IV.  hevue  des  grands  concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 
NEUVIÈME  NOCTURNE 
:!e  Gabriel  Faire.   —  Suivra  immédiatement:  Le  Petit  soldat  de  plomb  et  la 
Chanteuse  roumaine,  nos  2  et  3  des  Figurines,  nouveau  recueil  de  I.  Piiilipp. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant: 
LE  NOËL  DES  HUMBLES 
de  J.  Massenet,  poésie  de  Jein  Aicard.  Suivra  immédiatement:  Roses  ardentes, 
n°  3  de  la  Chanson  d'Eve,  de  Gabriel  Fauré,  poésie  de  Cn.  van  Lebergiie. 


PRIMES  GRATUITES  DU  "MÉNESTREL  "  POUR  L'ANNÉE  1909  (voir  à  ta  r  page  du  journal). 
SOIXANTE     ANS     DE     LA    VIE     DE     GLUCK 

(AT  ±4- J-TT--*) 


Sept  ans  encore  !  Sept  ans, 
pendant  lesquels  Gluck  con- 
tinua de  se  débattre  et  à  piéti- 
ner sur  place,  sans  que  son 
effort  d'Or/eo  et  cl'Alcesle  lui 
eût  été  compté  plus  que  s'il 
n'eût  remporté  qu'un  vulgaire 
succès  d'opéra!  Les  apparen- 
ces ne  le  trompaient  pas.  Il 
savait  bien  que  le  peu  à  quoi 
il  avait  abouti  à  Vienne,  et 
au  prix  de  combien  de  luttes, 
était  resté  sans  écho  et  sans 
lendemain.  Les  biographes, 
surtout  les  panégyristes  pos- 
térieurs, ont  beau  nous  le 
montrer  déjà  dans  l'éclat  du 
triomphe,  leurs  louanges  ne 
prévalent  pas  contre  l'obser- 
vation exacte  des  faits.  «  Ja- 
mais, écrit  l'un,  jamais  opéra 
ne  fit  verser  plus  de  larmes 
et  n'obtint  plus  d'applaudis- 
sements. Pendant  deux  ans 
on  ne  voulut  voir  aucun 
autre    opéra    sur    le    théâtre 

(*)Ce  dessin,  comme  celui  qui  paraî- 
tra dans  le  prochain  numéro  (la  maison 
natale  de  Gluck)  aurait  du  trouver  sa 
place  au  commencement  de  notre  étu- 
de, dans  le  chapitre  relatif  aux  origines 
et  à  la  naissance  de  Gluck.  N'ayant  pu 
nous  en  procurer  assez  tût  les  photo-  ' 
graphies  (quo  nous  avons  fait  faire  ex- 
pressément en  vue  de  cette  publica- 
tion), nous  avons  dû  les  réserver  pour 
les  faire  paraître  dans  le  dernier  cha- 
pitre, commençant  aujourd'hui. 


CHAPITRE    X    :    D'Alceste    à    Iphigénie    (1767-1774). 


de  la  Cour  (1)...  »  Soit:  il  se 
peut  que  le  succès  i'Alceste 
se  soit  prolongé  un  peu  au 
delà  des  limites  ordinaires,  et 
que  la  série  des  représenta- 
tions, au  lieu  de  s'épuiser  en 
une  seule  saison,  s'en  soit 
continuée  jusqu'à  l'année  sui- 
vante. Mais  ces  deux  années 
passées,  c'était  comme  si  Al- 
ceste  n'eût  jamais  plus  existé 
que  n'importe  quoi  de  Léo 
ou  de  Jomelli  :  on  •  ne  la 
représenta  pas  ailleurs,  et  le 
théâtre  se  remit  à  donner  des 
opéras  à  l'italienne,  tout  com- 
me s'il  ne  s'était  rien  passé. 
Quand  Burney  vint  à  Vien- 
ne, ii  y  entendit  apprécier 
Akeste  de  manières  diverses, 
parfois  avec  admiration  (2): 
mais  il  n'en  put  pas  juger  par 
lui-même,  car  il  y  avait  beau 
temps  que  l'œuvre  avait  dis- 
paru du  répertoire.  Or,  son 
voyage  date  de  1772  :  il  y 
avait  donc  à  peine  cinq  ans 
que  l'œuvre  avait  paru  pour 
la  première  fois,  et  elle  sem- 
blait reléguée  dans  le  do- 
maine des  choses  mortes. 


MONUMENT    DE    GLUCK  A    WEINDENWANG 

( Reproduction  interdite.} 


Ii    Eneycloimlie  méthodique,   partie 
musicale,     article     Allemagne,    signé 

SUARD. 

(2)  Burney,  État  frisent  de  la  musique, 

L  II,  pp.  23'.-235. 


386 


LE  MÉNESTREL 


Pourtant,  l'éclat  passager  que  lui  avaient  procuré  les  repré- 
sentations avait  valu  à  Gluck  un  avantage.  Il  l'avait  posé  en 
chef  d'école.  Après  Alceste,  la  Tienne  musicale  fut  divisée  en 
deux  camps.  Burney  va  nous  renseigner  encore  là-dessus  : 

«  L'esprit  de  parti,  dit-il,  parmi  les  poètes  comme  parmi  les 
musiciens,  est  porté  aussi  loin  à  A'ienne  que  partout  ailleurs. 
Métastase  etHasse  sont  à  la  tète  d'une'des  principales  sectes;  et 
Galsabigi  et  Gluck  à  la  tète  de  l'aulre.  La  première,  regardant 
toute  innovation  comme  de  la  charlatanerie,  reste  attachée  à 
l'ancienne  forme  du  drame  musical  dans  laquelle  le  poète  et  le 
musicien  exigent  une  égale  attention  (1)  de  la  part  du  specta- 
teur, le  poète  dans  le  récitatif  et  la  narration,  le  compositeur 
dans  les  airs,  dans  les  duos  et  dans  les  chœurs.  La  seconde 
s'attache  davantage  aux  effets  scéniques,  à  la  convenance  des 
caractères,  à  la  simplicité  de  la  déclamation  et  de  l'exécution 
musicale,  plus  qu'à  ce  qu'ils  appellent  des  descriptions  fleu- 
ries, etc.  (2).  » 

De  fait,  cette  rivalité  n'était  pas  sans  causer  à  ceux  qu'elle 
venait  déranger  dans  leur  tranquillité  des  inquiétudes  que, 
malgré  leur  impassibilité  apparente,  ils  ne  savaient  pas  trop 
bien  cacher.  Le  doux  Métastase  en  devint  comme  un  mouton 
enragé.  Ne  venons-nous  pas  de  le  voir  accuser  Gluck  de  charla- 
tanisme, —  ce  reproche  qu'en  tout  temps  l'on  a  vu  faire  aux 
novateurs  quand  l'éclat  de  leur  génie  vient  frapper  l'attention 
publique?  Courtois  et  patient  en  apparence,  Métastase  était 
connu  pour  supporter  si  peu  la  contradiction  que  si,  dans  un 
entretien,  il  apercevait  quelqu'un  qui  fût  d'un  autre  avis  que 
le  sien,  il  cessait  aussitôt  de  parler  et  demeurait  silencieux  (3). 
Il  y  a  apparence  que,  pendant  les  deux  ans  que  les  repré- 
sentations d' Alceste  suivirent  leur  cours,  il  dut  assez  souvent 
se  taire  !  Quand,  à  Paris,  l'entreprise  de  V Encyclopédie  fut  com- 
mencée, les  éditeurs  lui  avaient  demandé  d'écrire  l'article  : 
Opéra;  il  s'y  refusa,  alléguant  que  ses  opinions  sur  ce  sujet  ne 
pourraient  pas  plaire  à  la  nation  française  (4)  ;  or,  c'est  à  cette 
même  nation  française  que  Gluck  allait  bientôt  faire  appel  pour 
juger  en  dernier  ressort  de  sa  cause,  compromise  par  les  Vien- 
nois. Comment  ces  deux  chefs  départi  auraient-ils  pus'entendre? 

Gluck  en  était  alors  à  la  période  de  déception  que  tout  homme 
de  génie  a  connue,  quand,  ayant  découvert  la  vérité,  l'appor- 
tant, l'exposant  avec  joie  aux  yeux  de  tous,  il  constate  qu'on  ne 
veut  pas  la  voir.  Expérience  désolante,  et  contre  laquelle  bien 
des  efforts  ont  dû  être  brisés.  Pour  lui,  avec  son  tempérament, 
il  n'en  devait  pas  éprouver  de  découragement:  mais  il  en 
ressentit  une  irritation  profonde.  Ayant,  peu  d"années  après,  fait 
paraître  un  troisième  opéra  en  collaboration  avec  Calsabigi, 
Paride  ed  Elena,  il  donna  cours  à  sa  mauvaise  humeur  en  écri- 
vant une  préface  qui  n'a  plus  rien  de  la  noble  gravité  de  celle 
d' Alceste.  D'abord,  il  n'y  est  presque  pas  question  de  Paride  ed 
Elena,  mais,  revenant  sur  le  passé,  l'auteur  y  récrimine,  attaquant 
de  front  ses  adversaires,  disant  leur  fait  à  ceux  qui  s'obstinent 
à  ne  le  pas  comprendre  et  empêcher  qu'on  le  comprenne.  Ah! 
il  sait  bien  leur  dire  leur  fait,  aces  «  ennemis  du  Héros»,  comme 
on  les  appelle  aujourd'hui  après  Carlyle.  Nietzsche  et  Richard 
Strauss  !  Lisez  les  premiers  paragraphes  de  cette  épitre,  dédiée, 
comme  la  précédente,  à  un  prince  de  la  famille  impériale  : 

A  SON  ALTESSE  LE  DUC  GIOVANNI  DE  BRAGANCE 

En  offrant  à  Votre  Altesse  cette  nouvelle  œuvre  de  ma  composition,  je  cherche 
moins  un  protecteur  qu'un  juge.  Une  àme  assurée  contre  les  préjugés  de  la 
coutume,  une  connaissance  ^-ullisante   des  grands  principes  de  l'art,  un  goût 

(1)  L'écrivain  aurait  plus  exactement  défini  l'opéra  italien  du  XVIII1  siècle  s'il 
avait  ajouté  à  l'adjectif  «  égale  »  cet  autre  :  «  et  successive  »,  la  suite  de  ses  expli- 
cations montrant  fort  bien,  en  ell'et,  que  le  rùle  du  poète  et  celui  du  musicien  y  res- 
taient parfaitement  distincts,  tandis  que  l'effort  de  Gluck  consistait  iv  les  fondre  en 
un  seul. 

(2i  Bur.xEY,  Étal  présent  de  In  musique,  t.  II,  p.  202. 

(3)  BunxEY,  État  présent  de  la  musique,  t.  II,  p.  199. 

(4)  BmiNEï,  État  présent  de  la  musique,  I.  II,  p.  198.  —  C'est  à  cette  circonstance, 
révélée  par  l'écrivain  anglais,  que  nous  devons  que  l'article  OÉnA  dans  YEnq/clo- 
péïliea.it  été  écrit  par  Cahuzac.  A-t-il  gagné  ou  perdu  au  change?  Nous  ne  saurions 
le  dire.  Mais  l'article  Opéiia  dans  le  Dictionnaire  de  musique  de  Jean-Jacques 
Rousseau  est  beaucoup  plus  intéressant. 


formé  non  pas  tant  sur  les  grands  modèles  que  sur  les  fondements  invaria- 
bles du  beau  et  du  vrai,  voici  la  qualité  que  je  cherche  daDs  mon  Mécène,  et 
que  je  trouve  réunies  dans  Votre  Altesse. 

L'unique  raison  qui  m'avait  induit  à  imprimer  et  livrer  au  public  la  mu- 
sique d'Alceste  était  l'espérance  de  trouver  des  continuateurs  qui,  n'ayant  plus 
qu'à  passer  par  une  route  ouverte,  stimulés  par  les  pleins  suffrages  d'un  pu- 
blic éclairé,  auraient  à  cœur  de  détruire  les  abus  introduits  dans  le  spectacle 
italien,  et  le  porter,  aussi  avant  qu'il  se  puisse,  à  la  perfection. 

J'eus  la  douleur  de  l'avoir  tenté  jusqu'ici  en  vain. 

Les  «  gens  de  bon  goût  (1)  »  et  les  pédants,  de  qui  la  troupe  est  infinie,  et 
qui  sont  le  plus  grand  obstacle  au  progrès  des  beaux-arts,  se  sont  déchaînés 
contre  une  méthode  qui,  si  elle  s'intronisait,  détruirait  d'un  trait  leurs  pré- 
tentions à  être  arbitres  de  l'opinion  et  directeurs  de  l'action. 

On  a  cru  pouvoir  porter  un  jugement  sur  Alceste  d'après  des  répétitions 
informes,  mal  conduites,  et  plus  mal  exécutées;  on  a  calculé  dans  une  chambre 
l'effet  qu'une  telle  œuvre  pourrait  produire  au  théâtre,  avec  la  même  sagacité 
qu'autrefois,  dans  une  cité  de  la  Grèce,  quelqu'un  voulait  juger  à  quelques 
pieds  de  distance  des  statues  destinées  à  être  érigées  sur  de  hautes  colonnes. 
Une  oreille  délicate  a  trouvé  peut-être  trop  âpre  une  cantilène,  ou  un  pas- 
sage trop  fortement  senti  et  mal  préparé,  sans  penser  que  peut-être  à  sa  place 
il  représentait  le  maximum  de  l'expression  et  le  superlatif  du  contraste.  — 
Un  pédant  a  profité  d'une  négligence  judicieuse,  ou  peut-être  d'une  erreur 
d'impression  (2),  pour  les  condamner  comme  un  péché  mortel  contre  les  mys- 
tères de  l'harmonie  :  et  l'assemblée  a  pu  décider  unanimement  contre  une  mu- 
sique barbare  et  extravagante  ! 

Il  est  vrai  qu'on  juge  les  autres  parties  avec  un  semblable  critérium;  mais 
on  n'en  juge  pas  avec  plus  de  sûreté  ni  de  lumière.  Votre  Altesse  en  verra 
tout  de  suite  la  raison.  Plus  on  cherche  la  vérité  et  la  perfection,  plus  l'exacti- 
tude et  la  précision  sont  nécessaires.  Les  différences  qui  distinguent  Raphaël 
du  troupeau  des  peintres  à  la  douzaine  sont  insensibles,  et  quelques  altéra- 
tions de  contours,  qui  ne  gâteront  pas  la  ressemblance  d'une  caricature,  défi- 
gureront entièrement  le  portrait  d'une  belle  dame.  Je  n'en  veux  pas  d'autre 
exemple  que  mon  air  dans  Orfeo  ;  «  Che  furà  sema  Euridice  » .  Changez  seule- 
ment quelque  chose  dans  la  manière  de  l'exprimer,  il  devient  une  danse  de 
Buratliui.  Une  note  plus  ou  moins  tenue,  un  renforcement  négligé  du  mou- 
vement ou  de  la  voix,  une  appoggiature  hors  de  place,  un  trille,  un  passage, 
une  roulade,  peuvent  ruiner  toute  une  scène  dans  un  opéra  semblable, 
tandis  que  le  même  changement  ne  fera  rien  à  un  opéra  ordinaire,  ou  ne  fera 
que  l'embellir.  C'est  pourquoi  la  présence  du  compositeur  à  l'exécution  de 
cette  espèce  de  musique  est,  pour  ainsi  dire,  aussi  nécessaire  que  la  présence 
du  soleil  dans  l'œuvre  de  la  nature.  Il  en  est  absolument  l'àme  et  la  vie,  et 
sans  lui  tout  reste  dans  la  confusion  et  dans  les  ténèbres. 

Mais  il  faut  être  préparé  à  ces  obstacles  tant  qu'il  y  aura  au  monde  de  ces 
gens  qui  se  croient  autorisés  à  décider  sur  les  beaux-arts  n'importe  com- 
ment, parce  qu'ils  ont  le  privilège  d'avoir  une  paire  d'yeux  et  une  paire 
d'oreilles.  C'est  par  malheur  un  besoin  trop  commun  chez  les  hommes  que  la 
manie  de  vouloir  parler  des  choses  précisément  auxquelles  ils  entendent  le 
moins,  —  et  j'ai  vu  dernièrement  un  des  plus  grands  philosophes  du  siècle  (3) 
se  mêler  d'écrire  sur  la  musique,  et  prononcer  comme  oracles  : 

«  Rêveries  d'aveugles  et  sottises  de  romans!  (4).'..  » 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SEMAINE  THEATRALE 


Folies-Dramatiques  :   Le  Petit  Faust,  opéra-féerie  en  3  actes  et  6  tableaux, 
d'Hector  Crémieux  et  Jaime,  musique  d'Hervé. 

Je  suis  Méphisto,  serviteur  fidèle 

De  l'ange  déchu  qu'on  nomme  Satan. 
Et  voilà  que.  tout  près  de  quarante  années  après  sa  première  appari- 
tion —  23  Avril  1869  —  le  gentil  Méphisto  réapparaît  en  son  maillot 
rouge  sur  cette  même  scène  des  Folies-Dramatiques  où  il  naquit  et, 
devant  un  public  ravi,  chante  une  fois  de  plus  sa  chanson  célèbre.  Si 
M.  Debrenne,  le  nouveau  directeur,  n'a  rien  négligé  pour  donner  tout 
l'éclat  possible  à  cette  reprise,  luxe  et  richesse  de  bon  goût  dans  les 
costumes  et  dans  les  décors,  distribution  réunissant  un  faisceau  de 
gloires  dès  longtemps  établies,  il  est  juste  de  dire  que  la  partition 
d'Hervé  reste  le  principal  atout  de  ces  représentations  qui,  très  évidem- 
ment, devront  faire  courirTout-Paris,  ceux-ci  venant  pour  réentendre  les 

(1)  .  Buonr/ustai  ».  Comparez  l'ironique  expression  de  Berlioz  à  l'adresse  du  cri- 
tique influent  :  «  Il  faut  beaucoup  de  goût...  i 

(2)  Il  y  a  beaucoup  de  fautes  dans  la  partition  de  Y  Alceste  italienne,  presque  au- 
tant que  dans  la  française,  et  ce  n'est  pas  peu  dire  !  J.-J.  Rousseau  s'est  plaint  de  la 
fatigue  que  ces  incorrections  lui  avaient  causée  à  la  lecture. 

(3i  II  paraîtrait  que  ce  •<  grand  philosophe  du  siècle  »  serait  seulement  le  jésuite 
espagnol  Arteaga,  L'épithète  est  un  peu  forte. 

(-4  Première  partie  de  la  préface  de  Paride  ed  Elena,  traduite  directement  sur  le 
texte  italien  de  la  partition  originale  (Vienne,  1770). 


LE  MÉNESTREL 


387 


airs  dont  leur  jeunesse  fut  agréablement  bercée,  souvenirs  de  beaux 
jours  envolés,  ceux-là  suivant  pour  faire  connaissance  avec  l'œuvre 
dont  ils  entendirent  tant  et  tant  parler. 

Et  ni  les  uns  ni  les  autres  ne  regretteront  leur  petit  voyage,  car  elle 
est  restée  étonnamment  jeune,  vive,  alerte,  spirituelle,  la  musique  de 
cet  étonnant  Hervé,  elle  est  même  demeurée  musique  en  son  genre,  ou 
folle  ou  jolie,  puisque  ceux  qui  voulurent  l'imiter  s'y  brûlèrent  mala- 
droitement des  ailes  trop  fragiles.  C'est  un  petit  chef-d'œuvre,  vrai- 
ment, et  e'est  même,  on  peut  le  dire,  le  chef-d'œuvre  de  la  parodie. 
Ecoutez  avec  quelle  adresse,  quelle  malice,  et  en  même  temps,  toujours, 
quelle  espèce  de  respect,  Hervé  se  sert  des  motifs  de  Gounod  pour  les 
déformer  drôlement  ou  en  faire  jaillir  de  l'étonnante  et  inattendue  fan- 
taisie. Celui-là,  qui  fut  capable  d'écrire  pareille  parodie,  non  seulement 
savait  à  merveille  son  métier  de  musicien,  mais  encore  était  très  cer- 
tainement outillé  pour  entreprendre  besogne  beaucoup  plus  sérieuse. 

Le  soir  de  la  reprise,  les  bravos  crépitèrent  tout  au  long  de  la  repré- 
sentation et  les  bis  furent  innombrables  ;  on  redemanda  et  les  couplets 
de  Valentin  et  le  chœur  des  soldats,  et  le  final  du  premier  acte,  et  le 
triple  chœur  des  cocottes,  des  vieillards  et  des  étudiants,  et  la  valse  des 
Nations,  et  la  variation  dansée  par  M11''  Sandrini,  de  l'Opéra,  s.  v.  p.,  et 
le  trio  du  Vaterland,  et  d'autres  numéros  encore.  Et  on  engloba,  dans  le 
succès  très  vif,  M1,c  Jeanne  Saulier,  qui  abordait  pour  la  première  fois 
le  rôle  de  Marguerite  et  y  fit  montre  de  joliesse,  d'adresse  et  de  fan- 
taisie, notamment  dans  les  couplets  allemands  du  second  acte,  M"1' Jane 
Pernyn,  accorte  et  si  bien  chantante,  M.  Cooper,  toujours  élégant,  et 
M.  Sulbac,  toujours  comique,  tous  trois  ayant  déjà,  antérieurement, 
été  grandement  applaudis  dans  les  personnages  respectifs  de  Méphisto, 
de  Faust  et  de  Valentin. 

Paul-Emile  Chevalier. 


PETITES   NOTES   SANS   PORTÉE 


CXL 

DE    LTXTERPRÉTATIOX    NOUVELLE    DES  VIEUX    MAITRES. 

ET  PARTICULLÈREMEXT  DE  BACH 

A  l'intelligent  promoteur 
de  la  Société  Bach,  Gustave  Brel. 

Au  superbe  concert  extraordinaire  à  la  mémoire  de  Georges  Marty, 
sous  l'élégante  direction  de  M.  André  Messager,  directeur  de  l'Opéra 
comme  le  fut  Habeneck,  notre  souvenir  se  plaisait  à  remonter  le  cours 
de  quatre-vingts  ans  ;  et,  glorieux  de  la  présence  des  maîtres,  ce  diman- 
che lo  octobre  1908  nous  «  rappelait»,  comme  si  nous  avions  pu  l'en- 
tendre, la  première  séance  du  dimanche  9  mars  1828.  Mêmes  auteurs  et 
même  décor.  Il  semble  qu'ici  le  temps  s'arrête.  Et  des  voix  fugitives 
nous  donnent  un  avant-goût  de  l'immortalité.  Mais,  par-delà  Gluck 
Mozart  et  le  dieu  Beethoven,  il  nous  plait  de  remonter  plus  avant  le 
fleuve  du  passé  :  l'austère  volupté  de  l'érudition  nous  tient. 

Ce  ne  sont  plus  seulement  les  livres  (i  )  qui  nous  ressuscitent  levieux 
temps  silencieux,  mais  les  concerts  :  la  France  mélomane  a  progressé 
depuis  les  premières  séances  «  historiques  »  du  bon  Fétis,  qui  comptait 
parmi  ses  auditeurs  M.  le  comte  Alfred  de  Vigny  :  c'était  eu  1833,  l'année 
d'Eugénie  Grandet.  Eu  1908,  à  côté  de  Y  Héroïque  beethovénienne,  aussi 
vivante  qu'au  premier  jour  (2),  Guillaume  Costeley.  Clément  Jannequin 
marient  les  voix  dans  le  gai  savoir  français  de  leurs  madrigaux  ■  au 
Conservatoire,  à  la  Schola  Cantorum,  à  la  Sorbonne,  à  la  Société  Bach, 
l'àme  du  passé  renait  une  heure,  en  chantant...  Jean-Sébastien  Bach  ! 
Le  nom  très  allemand  du  vieux  cautor,  qui  ne  fut  pas  toujours  vieux  ni 
cantor,  n'eltarouche  plus  les  affiches  mêmes  du  Concert-Rouge  ou  du 
Concert-Touche  ;  à  quand  son  triomphe  au  music-hall  désaffecté  ?  Ce 
vieux  Bach,  qu'ignorait  notre  Berlioz,  nous  enchante  ;  et  son  éternelle 
jeunesse  refleurit  éloquemment  sur  tantde  ruines  volcaniques...  L'idéale 
bonhomie  de  son  àme  reflétée  dans  son  art  n'est  plus  lettre  morte. 
11  nous  semble  le  comprendre,  à  force  de  l'aimer.  Xous  respirons  tardi- 
vement cet  impérissable  parfum. 

Les  concerts,  donc,  collaborent  avec  les  livres  à  notre  soudaine  édu- 
cation musicale.  Et  sans  préjuger  du  «menu»  de  la  saison,  voici,  déjà, 
deux  preuves  :  Issé  (1(397),  pastorale  héroïque  et  naïvement  française,  à 
la  Schola:  la  Johannes-Passion  (1723),  savamment  touchante  et  °-erma- 

(1)  Voir  te  Ménestrel  du  28  novembre  1908. 

(2)  L'Héroïque  figurait  au    premier  .programme    de   la  Société  des   Concerts     le 


nique,  à  la  Société  Bach.  Ici,  notre  vieil  André-Cardinal  Destouches.ee 
jeune  mousquetaire  du  Roy,  promu  galant  compositeur  d'opéras;  — 
là,  le  bon  géant  que  son  nom  seul  évoque:  Jean-Sébastien  Bach.  De 
pari  el  d'autre,  la  voix  du  passé. 

Pourquoi  ce  revenez-y  tardif .'  Pourquoi  cette  ardeur  de  convertis  pour 
une  musique  si  différente  de  la  notre  .'  11  ne  faudrait  pourtant  pas  faire 
à  s.  M.  le  Snobisme  l'honneur  exorbitant  de  tout  expliquer  (et  nous 
croyons  l'avoir  déjà  dit),  ce  goûl  du  XX  siècle  naissant  pour  L'ancien 
tient  :i  des  secrets  psychologique.»  uiieux  enracines  que  le  Capi 
la  mode.  On  admire  à  sa  hauteur  le  despotique  génie  d'un  H 
Wagner;  mais  on  parait  las  de  la  gigantesque  «hystérie»  de  ses  demi- 
dieux  :  nos  Petits-Poucets,  qui  fredonnent  dans  l'ombre  sans  lune,  ne 
veulent  plus  hurler  avec  les  loups  de  Bayreuth  ;  Aurel  nous  répéterait, 
avec  sa  grâce  métaphysique,  qu'amants  ou  musiciens  «  ont  peur  de 
l'emphase  »(1)...  Et  voila  pourquoi,  depuis  quelques  hivers,  la  jeunesse 
la  plus  avancée  se  retourne  enfin  vers  la  tradition  française  ou  l'immortel 
enseignement  du  grand  Bach.  Le  Poète  ajouterait  :  la  perruque  du 
vieux  cantor  est  redevenue  crinière  :  et  la  voix  du  lion  légendaire  se 
mêle  aux  tendresses  plaintives  de  saint  Jean...  Ce  n'est  qu'une  image, 
mais  expressive  de  notre  «  état  d'àme  ». 

Sans  symbole,  le  fait  parle  seul.  Et  nous  courons  donc,  en  foule  des 
plus  sélect,  applaudir  respectueusement  les  tendres  sublimités  de  la 
Johannes-Passion  dans  la  bonbonnière  Gaveau.  Pour  nous  reposer  de 
tant  d'émois  romantiques,  nous  pleurons  avec  délices  sur  la  Passion  du 
Sauveur;  notre  àme  est  une  Magdeleine  qui  se  recueille  voluptueuse- 
ment sur  un  tombeau  :  comme  les  belles  madames  qui  couraient  aux 
Carmélites,  nous  ne  quittons  les  pastorales  héroïques  de  Versailles  que 
pour  entendre  les  sombres  oraisons  de  l'oratorio.  Mais  au  sein  de  ces 
divines  douleurs,  nous  restons,  bon  gré,  mal  gré,  romantiques  ;  et  l'in- 
terprétation de  ces  vieux  monuments  mélodieux  apparaît  des  plus 
modernes. 

Problème  nouveau  !  Pourquoi  ce  rajeunissement,  d'ailleurs  signe  de 
la  vie  '.'  Le  pathétique  des  interprètes  semble  combler  le  désir  secret  des 
auditeurs  ;  la  jolie  voix  angoissée  du  ténor  George  Walter  (de  Berlin) 
parait  ravir  d'aise  fervente  nos  plus  parisiennes  auditrices  :  cet  Am- 
fortas  de  l'oratorio  fait  des  conquêtes  parmi  les  âmes.  Mais  que  signifie 
cette  inconsciente  métamorphose  d'un  chef-d'œuvre  ? 

Il  y  a  quelque  trente-trois  ans,  à  l'heure,  lointaine  déjà,  de  noire 
renaissance  musicale,  où  le  savoir  d'un  Camille  Saint-Saéns  félicitait  le 
zèle  des  Vervoitte.  des  Bourgault-Ducoudray,  des  Lamoureux,  et  compa 
rait  nos  lentes  résurrections  de  Haendel  et  de  Bach  aux  splendeurs 
périodiques  des  festivals  de  Birmingham,  nos  rares  musiciens  se  préoc- 
cupaient, d'abord  et  surtout,  de  la  difficulté  matérielle  et  de  la  presque 
impossibilité,  de  ressusciter  ces  monuments  de  l'art  vocal:  en  ces  cathé- 
drales sonores,  ils  s'effrayaient,  cherchant  en  vain  des  nuances  entre 
les  piliers  des  grosses  notes,  interrogeant  anxieusement  les  ombres 
de  la  basse  chiffrée,  redoutant  le  monotone  défilé  des  airs  et  l'in- 
fidélité de  leurs  traductions,  inquiets  de  la  diversité  même  des  trom- 
pettes, des  flûtes  ou  des  violes...  En  un  mot,  c'était  la  forme  de  ces 
vastes  oratorios  qui  troublait  une  ferveur  sans  tradition.  Depuis  1873', 
on  a  voyagé.  Les  archives  ont  reçu  des  visiteurs...  A  Saint-Eustache. 
en  1900,  un  parfum  de  Thomasschule  s'exhalait  déjà  sous  les  voûtes 
sonores  quand  la  vaillance  d'Eugène  d'Harcourt  nous  rendit/.  Messie 
décoratif  ou  les  deux  journées,  plus  profondes,  de  la  Matth'àus- Passion, 
et,  sous  un  rayon  diapré  du  vitrail,  chaque  auditeur  wagnérien  pouvait 
se  prendre  un  instant  pour  Walther  amoureux  d'Eva.  Depuis  sept  aus, 
notre  religion  de  Bach  s'est  encore  éclairée:  auditeurs,  interprètes,  c'est 
«  le  musicien-poète  »  que  nous  recherchons  à  travers  la  formelle  beauté 
de  la  fugue  ou  du  contrepoint  :  un  organiste  érudit,  M.  Schweitzer. 
nous  a  mis  sur  la  voie  de  cette  «  poésie  »  latente  sous  la  rigueur  des 
architectures;  après  le  musicien  Schweitzer,  un  docte  universitaire, 
M.  André  Pirro,  nous  a  parlé  de  l'orgue  et  de  l'esthétique  du  plus 
grand  des  Bach:  de  la  lettre  on  remonte  à  l'esprit.  Catholiques  et  luthé- 
riens sympathisent  pendant  une  soirée,  réconciliés  par  l'art  profond  de 
ce  «  christianisme  idéal  »  ;  les  mélomanes  sans  foi  sont  pénétrés  par 
l'auguste  candeur  de  cetle  science  emplie  d'àme. 

Hier,  c'était  la  forme  qui  nous  rebutait  :  aujourd'hui,  c'est  lesentimen 
qui  nous  attire.  Instruits  plus  qu'hier,  nous  demandons,  dorénavant, 
autre  chose  à  ces  drames  sacrés  que  l'archaïque  majesté  d'un  portail  ou 
d'un  cadre:  nous  les  voulons  vivants,  parce  que  nous  les  sentons 
vivants  ;  et  les  interprètes  nouveaux  ne  trompent  nullement  notre 
attente. 

Acteurs  ou  spectateurs  de  ce  drame  sans  pareil  dans  l'histoire.  — 
acteurs  des  chœurs  tumultueux  ou  spectateurs  des  chorals  inspirés,  — 

.1.  Se  rappeler  l'amusante  conférence  contradictoire  de  M.  et  M"'  Alfred  Mortier, 
les  7  et  21  février  1908  au  Concert-Rouge. 


388 


LE  MÉNESTREL 


les  choristes,  qui  chantent  tous  en  français,  semblent  s'exalter  vocale- 
ment  pour  commenter  le  texte  évangélique  ;  et  les  solistes,  qui  chantent 
tous  en  allemand,  mettent  dans  l'interprétation  du  texte  sacré  cette 
ardeur  néo-germanique  qui  nous  avait  déjà  frappés  dans  la  pantomime 
des  kapéllmeister  d'outre-Rhin  :  «  l'historien  »  de  ce  texte  qui  raconte- 
un  drame  n'est  plus  un  impartial  récitant,  mais  un  ténor  frissonnant  de 
pieuse  angoisse,  un  évangéliste  à  la  déclamation  heurtée,  nourrie 
d'accents  et  d'effets.  Le  chœur,  qui  personnifie  la  foule  juive,  insiste 
sur  le  motif  obstiné  que  l'érudit  présente  à  ses  lecteurs  comme  un  essai 
de  leit-motiv  vocal  ;  l'instrumentiste  ne  semble  plus  ignorer  qu'un  trait 
de  basse  ou  qu'une  ritournelle  de  violon  peint  l'esprit  d'ombre  ou  de 
lumière  :  on  accepte  loyalement  tout  ce  qui  fait  image  ;  et  toute 
«  image  »  est  soulignée.  Une  atmosphère  de  ténèbres  plane,  avec  la  neu- 
vième heure,  sur  l'arioso  d'une  voix  grave  ;  une  robuste  espérance 
éclaircit  l'essor  final  des  voix  qui  montent  vers  le  Sauveur. 

Peut-être,  aujourd'hui,  versant  dans  l'excès  contraire,  ajoutons-nous 
ou  demandons-nous  trop  d'intentions  descriptives  ou  psychologiques  à 
la  sérénité  du  vieux  Bach  :  notre  lyrisme  de  1908  étonnerait  peut-être 
la  foi  du  Vendredi-Saint  de  l'an  de  grâce  1~23  ou  1724  (car  la  date  de  la 
Passion  selon  saint  Jean  reste  incertaine)  ;  et  telle  forme  que  nous 
croyons  «  poétique  »  se  retrouverait  dans  le  langage  plus  certainement 
absolu  de  la  musique  instrumentale....  Il  est  évident  que  Jean-Sébas- 
tien Bach  était  un  trop  haut  musicien  pour  n'avoir  pas  été  poète  en  son 
art;  mais  évitons  de  vouloir  en  faire  trop  dire  à  sa  poésie  ;  trop  long- 
temps méconnue  sous  la  forme,  l'e.rpr'ession  prend  sa  revanche  :  il  ne 
faudrait  pas  exagérer  maintenant  ses  vertus.  Gare  aux  dangers  de  l'exé- 
gèse ou  du  maniérisme  !  Quoi  qu'il  en  soit,  la  voix  des  interprètes  s'ac- 
corde avec  le  vœu  des  auditeurs  pour  dramatiser  ce  mélodieux  évangile. 

Un  tel  regain  de  romantisme,  ou  plutôt  cette  modernisation,  discrète 
encore,  des  chefs-d'œuvre,  ne  tient  pas  seulement  au  portrait  nouveau 
que  notre  imagination  se  fait  d'un  vieux  maître  :  elle  est  générale,  à 
présent.  De  même  que  la  jeune  critique  est  heureuse  de  traiter  le  loin- 
tain Destouches  «  d'arriviste  »  et  de  trouver  dans  ses  paysages  musicaux 
des  neuvièmes  ou  des  traces  bien  naïves  d'impressionnisme  (1),  de 
même  l'érudition  célèbre  «  l'intimité  »  du  grand  Bach  et  compare  son 
style  évangélique  aux  plus  beaux  récits  wagncriens  (2).  Pour  un  peu, 
le  bon  Destouches  serait  déclaré  debussyste....  Est-ce  parce  qu'il  a  fait 
un  voyage  dans  l'Extrême-Orient  ?  Wagner  et  ses  leit-motive  nous 
obsèdent;  nous  avons  bu  le  philtre  d'Isolde.  Bref,  nous  gardons 
nos  soucis  actuels,  môme  dans  ce  repos  sacré,  dans  cette  trêve  de  Dieu. 
Loin  de  solenniser  Gluck,  nous  rêvons  aussi  d'humaniser  sa  grandeur  : 
semblables  à  ces  tragédiennes  qui  veulent  rajeunir  la  tradition  quand 
elles  jouent  Bérénice  ou  Phèdre.... 

De  l'antique  Cadmus  jeune  postérité  ! 

(A  suivre.)  Raymond  Bouyeii. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts-Colonne.  —  Le  nom  de  Mme  Félia  Litvinne  avait  attiré  au  Chàtelet 
un  auditoire  nombreux.  La  voix  de  la  réputée  artiste  est  toujours  d'une 
admirable  splendeur,  mais  le  choix  des  œuvres  qu'elle  a  eu  à  interpréter  ne 
lui  donnait  pas  les  moyens  de  la  développer  dans  toute  son  ampleur.  La 
Fiancée  du  Timbalier,  de  Saint-Saëns,  sur  l'admirable  poème  de  Victor  Hugo, 
est  une  pièce  plutôt  descriptive  où  seulement  un  instant  éclate  un  cri  de 
passion  qui  ne  suffit  pas  à  effacer  une  impression  de  monotonie.  La  Mar- 
guerite au  rouet,  de  Schubert,  à  la  si  profonde  tristesse,  aux  accents  si  doulou- 
reux, demande  un  cadre  moins  vaste,  un  milieu  plus  intime  pour  atteindre  à 
toute  son  intensité  dramatique.  Mme  Litvinne  se  retrouva  dans  les  cinq  poèmes 
de  Wagner,  l'Ange,  le  Temps  replie  ses  ailes,  Sous  les  Palmiers,  Souffrances  et 
Aires  —  les  deux  derniers  surtout  —  où  elle  parvint  à  la  vraie  et  sereine 
beauté,  à  la  plénitude  de  l'émotion  artistique  :  son  succès  y  fut  complet. 
Etre  interprété  par  uue  telle  artiste  constitue  pour  un  compositeur  un  avan- 
tage ne  permettant  pas  de  juger  avec  une  absolue  indépendance  l'œuvre  sou- 
mise à  notre  appréciation.  C'est  le  cas  du  Vagabond  malheur,  le  poème  pour 
chant  et  orchestre  de  Francis  Casadesus  que  M.  Colonne  a  donné  en  première 
audition.  Sur  des  vers  assez  torturés  et  peu  harmonieux,  le  musicien  a  écrit 
une  page  dont  la  caractéristique  est  une  tristesse  profonde,  une  rare  vibration 
dans  la  douleur.  La  déclamation  est  juste  et  l'orchestre  remarquablement 
naît.'.  On  a  fait  bon  accueil  à  ce  poème,  qui  semble  présager  un  musicien 
curieux  et  original.  M",e  Litvinne  a  aussi  chanté  le  Cavalier,  de  L.  Diémer, 
orchestré  par  A.  Casella,  dont  elle  a  fait  ressortir  le  rythme  entraînant.  — 
Une  Fantaisie  symphonique  de  M.  Henri  Welscb,  pour  piano  et  orchestre,  a 
valu   à  M.   Georges  de  Lausnay  un  succès   mérité  par  son  jeu  clair  et  précis, 

ili  M.  Lionel  de  la  Laurencie  dans  sa  notice  sur  Issê. 

i.S)  André  Pirro,  J.-S.  Bach,  page  185;  dans  la  collection  des  Maîtres  de  tu  Musique 
publiés  sous  la  direction  de  M.  Jean  Chantavoine  (Paris,  Alcan,  1906*. 


aux  nuances  délicates.  L'œuvre  est  classique  de  forme  et  de  tendances,  k- 
piano  traité  avec  habileté,  ainsi  que  l'instrumentation,  et  l'ensemble  témoigne 
d'un  louable  effort.  La  délicate  suite  d'orchestre  de  M.  Gabriel  Fauré  sur 
Pelléas  et  Mélisande,  et  notamment  l'exquise  Frileuse,  ont  eu  leur  succès  accou- 
tumé. Le  programme  comprenait  encore  la  symphonie  en  vt  mineur  de 
Beethoven   et  le  Venusberg    de   Wagner.   L'orchestre   fut   excellent. 

J.  Jemaix. 

Concerts-Lamoureux.  —  Une  «  symphoniette  »  en  la  mineur,  de  Rimsky- 
Korsakow,  dont  c'était  la  première  audition,  a  été  froidement  accueillie;  c'est 
un  ouvrage  construit  sur  des  motifs  russes  d'une  simplicité  vraiment  enfantine 
et  dont  les  développements  disproportionnés  ne  rehaussent  que  bien  peu  la 
trop  mince  valeur.  Dès  le  début,  on  est  désagréablement  surpris  par  la  ressem- 
blance rythmique  frappante  du  thème  un  peu  mesquin  adopté  par  le  composi- 
teur russe  avec  la  jolie  entrée  de  violons  dans  la  Symphonie  pastorale  de  Bee- 
thoven. Les  deux  derniers  mouvements,  caria  symphoniette  en  comporte  trois, 
ne  rachètent  pas  cette  impression;  on  y  chercherait  vainement,  ou  des  ingé- 
niosités instrumentales,  ou  un  beau  coloris,  ou  un  sentiment  poétique  élevé. 
Après  le  demi-insuccès  de  cette  composition,  le  Sommeil  de  Cunope,  poème 
pour  chant  et  orchestre,  de  M.  G.  Samazeuilh,  entendu  également  pour  la 
première  fois,  a  déchaîné  des  protestations.  Malgré  le  talent  de  M"e  Jane 
Hatto,  chargée  de  la  partie  vocale,  les  vagues  et  ternes  dictions  musicales,  qui 
remplacent  ici  la  mélodie  absente,  n'ont  pu  empêcher  le  sombre  ennui  de 
s'abattre  pesamment  sur  la  salle.  Nous  avons  tous,  hélas!  vainement  cherché 
quel  genre  de  mérite  peut  avoir  ce  fragment.  Nous  n'y  avons  trouvé  ni  mélo- 
pées suivant  avec  un  sentiment  juste  de  l'expression  la  forme  littéraire  des 
paroles,  ni  effets  d'instrumentation  dont  on  puisse  dire  qu'ils  forment  un  cadre 
approprié  au  tableau  que  le  musicien  a  voulu  évoquer  devant  notre  imagina- 
tion. Elle  est  pourtant  bien  recherchée,  l'orchestration  de  ce  sommeil  de 
Canope,  mais  ses  sonorités  hétéroclites,  ses  rugosités,  son  manque  de  consis- 
tance nous  amènent  à  cette  conclusion  que  l'auteur  a  eu  pour  principale  pré- 
occupation d'écrire  autrement  que  les  maîtres  ;  il  y  a  pleinement  réussi.  La 
Symphonie  inachevée  de  Schubert  a  paru  divine  à  côté  des  deux  précédents 
ouvrages,  si  pauvres  d'invention;  on  l'a  fêtée,  acclamée  comme  jamais.  Elle  a 
même  valu  à  M.  Chevillard  et  à  ses  instrumentistes  une  ovation  toute  spon- 
tanée, et  c'était  justice,  car  leur  manière  de  l'interpréter  a  été  tout  à  fait 
remarquable,  et  malgré  ses  nombreuses  redites,  l'œuvre  n'a  pas  causé  un  seul 
instant  de  lassitude.  M.  Félix  Sénius  a  chanté  l'air  de  Lenski  dans  l'opéra 
à'Oaéguine  de  Tschaïkowsky  et  la  délicieuse  ariette  de  Cosi  fan  lutte.  La  voix 
de  cet  artiste  sonne  avec  éclat  dans  la  force  et  il  sait  en  graduer  très  linement 
les  inflexions  dans  la  douceur.  Elle  est  d'ailleurs  parfaitement  homogène  et 
soutient  les  sons  sans  effort.  Le  concert  avait  commencé  par  l'ouverture 
d'Egmont;  il  s'est  terminé  par  le  Venusberg  de  Wagner.  Ces  deux  morceaux  ont 
été  rendus  avec  chaleur  par  l'orchestre.  Amédée  Boltarel. 

—  Programmes  des  concerts  de  demain  dimanche  : 

Conservatoire,  sous  la  direction  de  M.  André  Messager  :  Grande  messe  en  si  mineur 
(Bach);  soli  :  M™"  Mastio,  Auguez  de  Montalant,  Charbonnel,  MM.  Deyriès  et 
Frôlich. 

Chàtelet,  Concerts-Colonne  :  Symphonie  pastorale  (Beethoven).  —  Concerto  en  fa 
pour  violon  (Lalo),  par  M.  Jacques  Thibaud.  —  Deux  Poèmes  (Louis  Brisset),  chantés 
par  M"  Laute-Brun.  —  trois  Nocturnes  (Cl.  Debussy).  —  Morceau  de  concert  pour 
violon  (Saint-Saëns),  par  M.  Jacques  Thibaud.  —  La  Chevauchée  des  Wallcyries 
(R.  Wagner). 

Salle  Gaveau,  Concerts-Lamoureux,  sous  la  direction  de  M.  Chevillard  :  Première 
symphonie,  en  si  hémol  (Schumann).  —  VEnfartt  prodigue  (Cl.  Debussy)  (première 
audition)  :  ai  Prélude  et  air  de  Lia,  par  M™'  Charlotte  Lormont:  b)  Cortège  et  air  de 
danse.  —  Concerto  en  mi  bémol,  n°  5,  pour  piano  (Beethoven) ,  par  M.  Harold  Bauer. 
—  Les  Troyens,  chasse  et  orage  (Berlioz).  —Aie  à.' Idoménée  (Mozart),  par  M"" Charlotte 
Lormont.  —  Marche  polovtsienne  du  Prince  Igor  (Borodinei. 

—  La  première  matinée  Danhé  à  l'Ambigu  a  valu  à  M.  Messager,  auquel  la 
séance  élait  consacrée,  un  véritable  triomphe,  ainsi  qu'à  ses  interprètes  : 
M»''s  Bakkers.  Mariette  Sully,  MM.  Périer  et  Francell.  A  signaler  parmi  les 
délicates  et  spirituelles  compositions  les  plus  applaudies  de  l'éminent  direc- 
teur de  l'Opéra, et  dont  plusieurs  ont  été  bissées,  le  duo  d'Isoline  (M"c  Bakkers 
et  M.  Reynaldo  Hahn),  celui  de  Véronique  (M"e  Mariette  Sully  et  M.  Périer), 
les  airs  de  Forlunio  et  de  la  Basoche  (M.  Francell),  ceux  de  Véronique  et 
d'Isoline  (M.  Périer),  les  Dragons  de  l'Impératrice  (MUe  Sully).  Le  programme 
comprenait  encore  le  trio  en  fa  de  M.  Saint-Saëns,  fort  bien  enlevé  par 
M"e  M.  Vizentini,  MM.  Soudant  et  Bedelti,  et  le  septuor  du  même  pour 
piano,  trompette  et  quintette  à  cordes,  dans  lequel  MM.  Yves  Nat,  Yvain, 
Delabègue  et  le  quatuor  Soudant  furent  fort  appréciés.  —  La  deuxième  mati- 
née aura  lieu  mercredi  9  décembre  (œuvres  de  M.  Gabriel  Fauré.  avec  le 
concours  de  l'auteur,  de  Mu,es  Jeanne  Raunay,  Marguerite  Long,  le  quatuor 
vocal  Battaille  et  le  quatuor  instrumental  Soudant). 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(POUR    LES    8EUL8    ARONNBS    A    LA    MUSIQUE) 


De  la  sérénité  dans  des  harmonies  curieuses,  voilà  la  caractéristique  du  Neuvième 
nocturne  de  Gabriel  Fauré.  Le  mouvement  lent  permet  de  les  savourer  tout  à  son 
aise  ces  harmonies,  imprévues  peut-être,  mais  assurément  orthodoxes,  puisqu'elles 
sont  signées  et  garanties  par  l'actuel  directeur  de  notre  École  nationale  de  musique, 
ne  l'oublions  pas. 


LE  MÉNESTREL 


389 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 
A  l'occasion  du  centième  anniversaire  de  la  naissance  de  Mendelssohn 
(3  février  1809),  et  devançant  la  date  de  doux  mois,  un  volume  intéressant 
vient  de  paraître  à  Essen;  c'est  la  correspondance  du  maitre  avec  Karl  Klin- 
gemann, alors  conseiller  de  légation  de  l'état  de  Hanovre  à  Londres,  et  avec 
le  professeur  orientaliste  Frédéric  Rosen.  Les  lettres  à  Klingemann  sont  tout 
particulièrement  intéressantes,  parce  qu'elles  nous  apportent  une  preuve  nou- 
velle du  sérieux  avec  lequel  Mendelssohn  envisageait  son  travail  artistique  et 
de  l'influence  qu'il  s'efforçait  d'exercer  comme  compositeur.  Klingemann  fut 
son  collaborateur  et  lui  fournit  le  texte  de  plusieurs  mélodies  ou  oratorios. 
11  y  eut  même  une  crise  dans  les  relations  des  doux  amis,  lorsque  Men- 
delssohn, désirant  ardemment  un  livret  d'opéra  qui  devait  porter  le  titre  de 
Perronte,  pressait  Klingemann  de  l'écrire,  tout  en  imposant  au  malheureux 
poète  tant  de  conditions  a  remplir  que  la  tache  ne  put  jamais  être  terminée. 
Le  livre  qui  vient  d'être  offert  aux  admirateurs  de  l'un  des  musiciens  les  plus 
sympathiques  du  siècle  dernier  a  été  publié  par  M.  Karl  Klingemann,  le  fils 
du  conseiller  à  qui  sont  adressées  la  plupart  des  lettres:  il  renferme  sept  por- 
traits de  personnes  ayant  appartenu  au  cercle  d'intimité  de  Mendelssohn, 
des  feuillets  d'album,  des  dessins  de  sa  main,  un  fac-similé  de  lettre  et  deux 
lieder  également  reproduits  en  fac-similé.  Une  esquisse,  sommairement 
crayonnée,  se  trouve  placée  en  tête  de  la  correspondance;  elle  doit  avoir  été 
faite  pendant  le  voyage  en  Ecosse  de  l'année  1829  et  représente  la  ville 
d'Edimbourg  vue  de  la  mer  dans  le  lointain.  Au-dessous  on  lit  des  vers,  très 
peu  réussis,  il  faut  l'avouer.  En  voici  la  traduction  :  «  Nous  t'avons  aimée 
très  chaudement,  quand  nous  avons  vécu  dans  ton  enceinte,  et  toi,  tu  nous  as 
rafraîchis,  et  tu  nous  as  reposés  de  nos  fatigues.  Cependant,  nous  nous 
sommes  lassés  à  la  fin,  et  tu  nous  es  apparue  comme  une  ville  de  Philistins 
avec  tous  tes  établissements  d'éducation.  Cela  nous  a  soudainement  détournés 
de  toi  et  nous  n'avons  plus  voulu  vivre  dans  ton  atmosphère.  Nous  te  regar- 
dons maintenant  de  très  loin,  enveloppée  de  vapeurs  et  de  nuages  embrumés. 
Il  nous  semble  pourtant  que  notre  affection  te  revient  et  se  porte  encore  sur 
toi  à  cause  de  ton  élite  intellectuelle  ».  C'est  pendant  son  voyage  en  Ecosse 
que  Mendelssohn  conçut  sa  belle  ouverture  de  la  Grotte  de  Fingal  et  sa  Sym- 
phonie écossaise,  qui  fut  commencée  en  1829,  terminée  seulement  en  1S42  et 
exécutée  le  13  mars  de  cette  même  année  aux  concerts  du  Gewandhaus  de 
Leipzig.  On  lit  dans  une  lettre  de  publication  ancienne,  que  Mendelssohn 
adressait  le  29  juillet  1829  à  ses  pareots  :  «  Au  milieu  d'un  brouillard  épais, 
nous  avons  visité  aujourd'hui  le  palais  où  la  reine  Marie  a  vécu  et  a  aimé. 
Ce  qu'il  faut  avoir  vu,  c'est  une  petite  chambre  avec  un  escalier  tournant  près 
de  la  porte.  C'est  par  là  que  les  conjurés  montèrent  et  surprirent  Rizzio,  le 
traînèrent  dehors,  et,  après  avoir  franchi"  trois  salles,  l'assassinèrent  dans  un 
coin  sombre.  Li  chapelle  attenante  n'a  plus  de  toit.  Le  gazon  et  le  lierre  y 
poussent  ;  c'est  devant  l'autel,  maintenant  brisé,  que  fut  couronnée  Marie 
Stuart  comme  reine  d'Ecosse.  Là,  tout  est  saccagé,  pourri,  et  on  voit  le  ciel 
de  l'intérieur.  Je  crois  que  c'est  aujourd'hui  que  j'ai  trouvé  le  début  de  ma 
Symphonie  écossaise.  »  Ce  début  est  une  sorte  de  complainte  en  la  mineur, 
jouée  par  les  altos,  et  dont  le  caractère  de  profonde  tristesse  est  tout  à  fait 
saisissant.  Un  chant  populaire  doit  avoir  été  la  source  de  l'inspiration  de 
Mendelssohn. 

—  On  annonce  de  source  officielle  qu'à  partir  du  1er  janvier  1909  le  ratta- 
chement de  l'administration  du  Conservatoire  de  Vienne  aux  services  de  l'État 
autrichien  sera  un  fait  définitivement  accompli.  C'est  M.  Karl  Ritter  qui 
deviendra  le  président  du  conseil  de  l'enseignement.  Il  se  passera  d'ailleurs 
encore  deux  années  avant  que  l'institution  soit  pourvue  d'un  nouveau  local. 

—  La  première  nouveauté  que  l'on  a  donnée  au  Théàtre-Johann-Strauss  de 
Vienne  a  été  l'opérette  Bub'  oder  Mâdel  (Garçon  ouFille),  paroles  de  MM.  Félix 
Dôrmann  et  Adolphe  Altmann.  musique  d'un  jeune  compositeur  que  l'on  dit 
fort  bien  doué,  M.  Bruno  Granichstàdten,  dont  c'est  le  premier  ouvrage. 

—  De  nouvelles  habitudes  et  de  nouveaux  modes  de  réclame  en  matière 
théâtrale  sont  en  voie  de  s'implanter  à  Berlin.  Certains  directeurs  de  scènes 
de  second  ordre  ont  organisé  des  services  de  commis  voyageurs  ou  placiers  en 
billets  de  théâtre.  Ces  intéressants  courtiers  se  présentent  chez  les  particuliers 
et  lorsqu'ils  ont  réussi  à  se  faire  recevoir  par  quelque  innocent  subterfuge,  ils 
entreprennent  l'éloge  de  la  pièce  nouvelle  et  terminent  invariablement  leur 
boniment  par  l'offre  de  coupons  pour  les  prochaines  représentations.  Selon  le 
cas,  les  coupon*  sont  payés  plus  ou  moins  cher  qu'au  bureau  de  location  ou 
aux  guichets.  On  assure  que  ces  procédés  réussissent  parfois,  mais,  jusquà 
présent,  les  administrations  théâtrales  sérieuses  se  sont  abstenues  d'y  avoir 
recours. 

—  De  Berlin  :  On  a  procédé,  ces  jours-ci,  à  la  vente  de  l'importante  collec- 
tion d'autographes  de  compositeurs  célèbres  que  nous  avions  annoncée.  Des 
prix  élevés  ont  été.  atteints.  Plusieurs  manuscrits  de  Chopin  ont  été  adjugés 
pour  des  sommes  variaut  entre  1.000  et  1.630  franc*.  Une  collection  de  douze 
lettres  du  compositeur  à  son  ami  Fontana  a  été  vendue  pour  3.000  francs. 
Trois  autographes  du  compositeur  tchèque  Smetana.  l'auteur  de  la  Fiancée 
vendue,  ont  trouvé  preneur  pour  1.800  francs.  Une  lettre  inédite  de  Beethoven 
a  été  achetée  030  francs,  et  sept  petites  lettres  du  maitre  ont  rapporté  423  francs. 
Cinq  lettres  de  Brahms  ont  trouvé" acquéreur  à  212  francs,  une  lettre  de  Haydn 


à  112  francs,  un  manuscrit  de  Schubert  à  350  francs,  une  lettre  de  Schumann 
à  90  francs  et  un  manuscrit  du  même  à  343  francs,  un  manuscrit  de  Tschaï- 
kowsky  à  600  francs.  Un  des  prix  les  plus  forts  a  été  atteint  par  la  petite 
composition  de  Richard  Wagner,  dédiée  à  un  hôtelier  de  Leipzig  et  dont  le 
Ménestrel  a  parlé  récemment,  qui  a  été  adjugée  au  prix  de  1.250  francs. 

—  Une  rivalité  peu  édifiante,  mais  bien  compréhensive,  s'est  élevée  à  l'Opéra 
de  Munich  entre  les  deux  cantatrices  Mmo  Burk-Berger  et  M"'-  Fassbender,  à 
l'occasion  de  la  première  représentation  d'Eleklra  dans  cette  ville.  M.  Richard 
Strauss  ayant  donné  la  préférence  à  M"'!  Fassbender,  ainsi  que  nous  le  disions 
il  y  a  quinze  jours,  M1""  Burk-Berger,  qui  croyait  avoir  le  droit  d'être  choisie, 
a  envoyé  sa  démission  à  l'Intendance  des  théâtres  royaux.  Pour  le  moment, 
le  rôle  d'Eleklra  n'a  donc  plus,  à  Munich,  qu'une  seule  titulaire;  c'est  peu, 
car  la  musique  de  M.  Strauss  doit  être,  dans  son  dernier  ouvrage,  encore  plu-; 
compliquée,  difficile  et  fatigante  que  dans  la  précédente  partition  de    S 

—  L'académie  de  chant  Robert-Schumann  de  Dresde,  sous  la  direction  de 
M.  Albert  Fuchs,  a  donné  pour  la  première  fois  à  Dresde,  avec  un  ensemble 
de  quatre  cents  exécutants,  la  Croisade  des  enfants,  légende  musicale  en  quatre 
parties  de  M.  Gabriel  Pierné.  Cet  ouvrage,  qui  fut  primé  au  commencement 
de  l'année  1904  au  grand  concours  musical  institué  par  la  Ville  de  Paris,  a 
été  donné  pour  la  première  fois  devant  un  public  payant,  aux  Concerts-Colonne, 
le  22  janvier  1903.  On  l'a  joué  depuis  avec  grand  succès  dans  plusieurs  villes 
d'Allemagne. 

—  A  l'occasion  de  la  reconstruction  du  théâtre  de  Meiningen,  récemment 
détruit  par  un  incendie,  le  duc  de  Saxe-Meiningen  a  déclaré  qu'il  prenait  à  sa 
charge  le  million  et  demi  considéré  comme  nécessaire  pour  réédifier  ce 
théâtre. 

—  La  société  internationale  Mozarteum,  dont  le  siège  est  à  Salzbourg,  vient 
d'offrir  à  Mmc  Lilli  Lehmann.  à  l'occasion  du  soixantième  anniversaire  de  sa 
naissance  (23  novembre),  un  témoignage  de  reconnaissance  très  flatteur  pour 
la  cantatrice  qui  a,  toute  sa  vie,  interprété  les  œuvres  de  Mozart  avec  un  talent 
reconnu  partout.  Par  les  soins  de  M.  Rodolphe  de  Freisauff,  un  petit  livre 
intitulé  Feuille  de  souvenir  a  été  imprimé  pour  elle  à  un  seul  exemplaire:  il 
renferme  le  récit  des  relations  qui  ont  eu  lieu  entre  M™  Lehmann  et  le  Mo- 
zarteum et  les  pages  de  texte  sont  rehaussées  par  de  beaux  dessins  et  de 
superbes  aquarelles.  Le  conseil  municipal  de  Salzbourg  n'a  pas  oublié  non 
plus  l'anniversaire  de.  la  cantatrice  et  lui  a  fait  parvenir  ses  hommages  sous  la 
forme  d'une  adresse  qui  a  été  votée  d'acclamation. 

—  Il  vient  de  se  constituera  Athènes  une  Société  des  auteurs  dramatiques, 
dont  la  présidence  a  été  dévolue  au  prince  Nicolas,  qui,  parait-il,  est  un  écri- 
vain dramatique  délicat.  Il  suffit,  pour  être  admis,  d'avoir  eu  un  ouvrage 
représenté  au  moins  trois  fois.  La  nouvelle  Société  est  la  seule  de  ce  genre  qui 
n'impose  pas  à  ses  membres  une  cotisation  fixe.  Les  frais  d'administration 
seront  couverts  par  des  représentations  extraordinaires  que  les  auteurs  organi- 
seront avec  le  concours  d'artistes  de  diverses  troupes. 

—  De  Genève  :  M.  Bruni  vient  de  nous  donner,  comme  nouveauté.  Chéru- 
bin, et  la  délicieuse  «  comédie  chantée  »  du  maitre  Massenet  a  ravi  le  public 
qui  s'était  rendu  en  foule  à  cette  première  représentation.  C'est  là  vraiment 
spectacle  de  délicats,  tant  par  la  qualité  de  l'oeuvre  si  fine  littérairement  et 
musicalement,  que  par  la  manière  dont  elle  a  été  montée  et  dont  elle  a  été 
interprétée.  Mlle  Rolland  a  été  un  exquis  Chérubin,  crâne  et  attendrie  tour  à 
tour,  et  M.  Bruineu  s'est  montré  excellent  sous  les  traits  du  philosophe.  Il 
faut  complimenter  aussi  M"e  Allard  de  sa  jeunesse  dans  Nina  et  Mlle  Marsyas 
de  son  élégance  dans  l'Ensoleillad. 

—  Du  Guide  Musical  de  Bruxelles,  à  propos  de  la  belle  exécution  des  Enfants 
à  Bethléem  qui  vient  d'être  donnée  à  l'Académie  de  musique  d'Ostende  : 

Cette  œuvre  est  charmante  dans  sa  variété  d'allures.  Le  caractère  populaire  d?s 
rondes  enfantines  du  début  fait  place,  peu  à  peu,  à  des  accents  plus  élevés;  ce  soat 
les  appels  de  l'Étoile,  annonçant  la  naissance  de  l'Enfant-Dieu,  puis  le  défilé  des 
Rois  mages,  dont  la  musique  est  d'un  pittoresque  achevé.  Dans  la  seconde  partie. 
l'Étable,  la  musique  de  M.  Pierné  s'éthérise,  enveloppe  le  poème  d'une  atmosphère 
de  mysticité  tout  à  fait  prenante  ;  le  musicien  a  d'exquises  trouvailles  de  sentiment 
pour  rendre  la  joie  émue,  la  naïve  tendresse  des  enfants  s'approchant  de  la  Crèche  : 
l'on  arrive  au  summum  de  l'émotion  à  l'appel  du  chœur  «  Jésus!  »,  où  s'exprime 
l'étonnement  ravi  de  la  phalange  enfantine  :  la  berceuse  qui  suit  est  d'un  charme 
inexprimable,  puis  les  sonorités  s'atténuent,  et  l'œuvre  se  termine  en  des  accords 
vaporeux,  d'un  délicieux  elfet  de  rêve  ! 

Le  mystère  de  MM.  Nigond  et  Pierné  a  été,  de  la  partde  M.  le  directeur  fiinskopt. 
l'objet  des  soins  les  plus  attentifs:  aussi  l'exécution  en  fut-elle  excellente  :  le  chœur 
d'enfants,  qui  joue  ici  le  rôle  essentiel,  s'est  très  bien  comporté,  chantant  juste,  avec 
des  attaques  précises  et  d'exquises  nuances.  Quant  aux  soli,  ils  ont  été  tenus  à 
souhait  par  M""  Symiane,  Caluwaert,  Claessens,  De  Corte,  Ds  Coster,  MM.  Vander 
Haegen  et  Proot,  sans  oublier  le  récitant,  M.  Jean  Simar. 

Les  Enfants  à  Bethléem  out  produit  une  émotion  si  profonde  qu'une  seconde  exécu- 
tion en  a  été  décidée  tout  aussitôt. 

—  M.  Jean  Gérardy,  le  jeune  et  très  brillant  violoncelliste  dont  les  succès 
sont  si  grands  depuis  quelques  années,  vient  d'être  nommé  professeur  au  Con- 
servatoire de  Liège,  en  remplacement  de  M.  Léon  Massart.  La  nouvelle  en  a 
été  annoncée  directement  au  public  par  M.  Théodore  Radoux.  directeur  de 
l'École,  au  premier  concert  du  Conservatoire,  où  M.  Gérardy  venait  de  se 
faire  entendre  dans  le  concerto  de  Lalo.  —  On  annonce  aussi  que  M.  Eucène 
Ysaye  fonde  à  Liège  une  société  de  quatuors  avec  MM.  Gérardy.  Léon  Van 
Hout  (altoi  et  un  second  violon  dont  on  ne  dit  pas  encore  le  nom.  Et  l'on 
ajoute  enfin  que  M.  Ysaye  pourrait  bien,  lui  aussi,  être  nommé  prochainement 
professeur  au  Conservatoire. 


390 


LE  MENESTREL 


—  On  a  inauguré  récemment,  dans  le  jardin  public  de  Trieste,  un  buste  du 
compositeur  Giuseppe  Sinico,  dû  au  sculpteur  Giovanni  Mayer.  Né  le  10  fé- 
vrier 1836  à  Trieste,  où  il  mourut  le  31  décembre  1907.  Giuseppe  Siuico  est 
l'auteur  de  trois  opéras  qui  furent  représentés  avec  succès  en  cette  ville  : 
i  Moschettieri  (2G  mars  1859),  Aurora  diNevers  (1861)  et  Marinella  (décembre 
1862).  Le  nom  de  Sinico  avait  été  surtout  rendu  populaire  à  Trieste  par  sou 
père,  Francesco,  qui,  maître  de  la  chapelle  des  Jésuites  et  directeur  de  la 
société  philharmonico-dramatique,  fut  le  créateur  du  chant  choral  populaire 
en  cette  ville,  œuvre  à  laquelle  il  consacra  tout  son  temps,  tous  ses  efforts, 
toute  son  existence,  et  qui  donna,  grâce  à  son  talent,  des  résultats  merveil- 
leux. Francesco  Sinico  était  aussi  un  compositeur  distingué,  à  qui  l'on  doit, 
outre  un  opéra  intitulé  i  Virluosi  in  Barcellona,  des  chœurs  pour  une  tragédie 
de  Somma,  Parisinu.  sans  compter  des  messes,  des  hymnes,  des  motets  écrits 
pour  le  service  de  sa  chapelle,  et  de  nombreux  chœurs  pour  ses  écoles  popu- 
laires. 

—  On  raconte  que  les  premiers  et  les  plus  célèbres  facteurs  de  pianos  d'Eu- 
rope et  des  Etats-Unis  ont  tous  des  échantillons  de.  leur  fabrication  à  Rome, 
dans  les  salles  du  Vatican.  Un  grand  nombre  de  ces  instruments  ont  été  offerts 
au  Pape  par  les  facteurs  eux-mêmes,  d'autres  sont  des  cadeaux  des  visiteurs. 
Le  pape  Pix  X  était,  dit-on,  dans  sa  jeunesse  un  pianiste  fort  habile:  aujour- 
d'hui, très  avancé  en  âge  et  parfois  souffrant,  il  lui  arrive  rarement  de  mettre 
les  mains  sur  un  piano;  il  aime  mieux  se  faire  faire  de  la  musique  par  certains 
des  monsîgnori  qui  habitent  le  Vatican,  et  dont  certains  ont  un  véritable  talent 
de  virtuose.  L'accordeur  des  pianos  de  Sa  Sainteté  est  un  vieux  moine  aveugle, 
qui,  avant  d'entrer  dans  les  ordres,  était  un  professionnel  de  la  facture  et  tra- 
vaillait en  Suisse. 

—  Au  théâtre  Victor-Emmanuel  de  Turin,  première  représentation  d'uu 
opéra  en  quatre  acte,  Serafina  d'Albania.  livret  médiocre  tiré  par  M.  Alfredo 
Mancini.  d'un  roman  de  M.  Mizazi  :  Marito  e  sacerdote.  musique  plus  médiocre 
encore,  parait-il,  de  M.  Angelo  Francesco  Cuneo.  contrebassiste,  professeur 
au  Conservatoire  de  Milan.  «  Cette  musique,  dit  un  journal,  fut  jugée  mono- 
tone, pesante  et  absolument  dépourvue  d'originalité.  »  Au  résumé,  aucun  suc- 
cès. 

—  Le  Théâtre  de  San  Remo  a  donné  la  première  représentation  d'une  opé- 
rette en  trois  actes  qui  a  pour  titre  il  Maestro  Bottera  e  la  sua  opéra.  La 
musique  de  cet  ouvrage  est  due  à  la  collaboration  de  deux  frères,  les  maestri 
Gessi. 

—  Le  grand  théâtre  du  Lycée  de  Barcelone  publie  le  programme  de  sa  sai- 
son. Au  répertoire  :  la  Damnation  de  Faust,  Aida,  Lohengrin,  les  Barbares  (Saint- 
Saëns),  Samson  et  Dalila,  Tannhâuser,  il  Troratore,  Gioconda,  Dinorah  (le  Pardon 
de  Ploêrmel),  Faust,  l'Attaque  du  moulin.  Madame  Builerflu,  Zaza.'La.  troupe  est 
ainsi  composée  :  Mmea  Emma  Carelli.  Lina  Pasinï- Vitale,  Isabella  Svicher, 
Alice  Cuccini,  Maria  Pozzy,  Cecilia  Gagliardi,  Gilda  Longari-Ponzone  ; 
MM.  Francesco  Vignas,  Giliou.  Schiavazzi,  Tomaso  Franca,  RamonBlanchart, 
De  Luca,  Molina,  Giuseppe  Pacini,  Mugnoz.  Nicoletti-Kormann.  Chef  d'or- 
chestre. M.  Edoardo  Mascheroni. 

—  De  Lisbonne,  on  télégraphie  que  M.  Nuibo  et  Mlle  Jessie  Abott  ont 
chanté  Lakmé,  au  San  Carlos,  en  soirée  de  gala,  avec  un  gros  succès. 

—  De  Londres  :  A  la  salle  Bechstein,  Mmc  Perelli  a  donné  un  récital  com- 
prenant des  œuvres  de  Massenet,  Reynaldo  Hahn,  Mascagni,  Puccini  et 
Wagner.  Elle  a  chanté  aussi  des  mélodies  anglaises,  mais  le  grand  succès  de 
la  soirée  est  allé  à  M.  Reynaldo  Hahn,  dont  la  mélodie  D'une  prison  a  été 
superbement  interprétée.  —  A  la  salle  .Eolian.  M.  Alfred  Cortot  s'est  fait 
chaleureusement  applaudir  en  interprétant  des  œuvres  de  Bach,  la  sonate  de 
Liszt,  des  Laendler  de  Schubert,  les  Variations  symphoniques  de  Schumann 
et  plusieurs  œuvres  de  Chopin,  notamment  l'étude  en  la  mineur,  qui  a  produit 
sur  l'auditoire  une  grande  impression. 

—  Un  marchand  de  musique  de  Leicester  vient  d'acquérir  un  instrument 
aussi  curieux  que  rare,  et  dont  on  dit  merveille.  C'est  un  clavecin  à  plumes 
âgé  de  près  de  trois  cents  ans  et  dans  un  état  de  conservation  superbe,  qui 
fut  construit  à  Anvers  par  André  Ruckers  «  le  vieux  »,  qu'on  appelait  ainsi 
pour  le  distinguer  de  son  [ils,  André  Ruckers  «  le  jeune  ».  Or,  on  sait  qu'An- 
dré Ruckers,  qu'on  pourrait  surnommer  le  Stradivarius  du  clavecin,  vécut  de 
1579  à  1651.  L'instrument,  qu'on  dit  avoir  été  joué  par  Haendel,  est  orné  de 
peintures  très  fines  de  Van  der  Meulen.  Construit  en  bois  de  bouleau,  avec 
diverses  incrustations  et  ornements  de  cuivre,  il  est  long  de  six  pieds  et  large 
de  deux  pieds  huit  pouces.  Il  a  deux  claviers  et  quatre  divers  timbres  ou 
registres  :  luth,  hautbois,  harpe,  et  luth  avec  hautbois.  Le  son  est  agréable  et 
plein  d'expression.  Sur  la  caisse  de  résonance  se  trouve  la  date  de  construc- 
tion :  1614,  et  au-dessus  des  claviers  l'inscription  suivante  :  Andréas  Bûchers 
me  fecit  Antverpiae.  On  connaît,  parait-il,  fort  peu  de  clavecins  à  plumes  anté- 
rieurs à  cette  date  de  161-1. 

—  Bis,  rappels,  ovations,  <■  Marseillaise  »  et  «  God  save  the  King  »,  rien  ne 
manqua  vraiment  à  la  réception  enthousiaste  qui  vient  d'être  faite,  samedi  et 
dimanche  dernier,  à  M.  Rodolphe  Berger,  qui  avait  été  convié  à  venir  diriger, 
à  Eastbourme,  l'orchestre  privé  du  duc  de  Devonshire.Plus  de  trois  mille  per- 
sonnes acclamèrent,  à  chaque  séance,  le  compositeur  au  nom  si  populaire, 
qui  venait  pour  la  première  fois  en  Angleterre  et  dut  promettre  de  revenir  au 
printemps   prochain.   Au  programme,   Amoureuse,  naturellement;   puis   des 


œuvres  récentes  qui  déchaînèrent,  elles  aussi,  d'interminables  bravos  :  ta 
Patrouille  passe,  ronde  de  nuit  ;  Rions  toujours!  valse  viennoise  ;  A  quoi  pensesr. 
vous  ?  valse  lente  :  le  Cri-Cri,  polka  moderne  ;  Philippine,  valse  viennoise  ;  les 
airs  de  ballets  de  Madame'"''  (Polka  des  Amours,  Valse  de  l'Étoile,  Marche  bur- 
lesque), Marche  des  soireux,  Printania,  pièce  degenre,  elDans  le  silence  de  la  nuit, 
valse-sérénade.  Et  sur  la  demande  expresse  de  la  salle  entière,  M.  Rodolphe 
Berger  dut  ajouter  au  programme  encore  une  de  ses  toutes  dernières  valses, 
déjà  célèbre  à  Londres,  Perdition!  On  fêta  aussi  l'excellent  chef  de  l'orchestre 
privé  du  duc  de  Devonshire,  M.  P.  Tas,  qui  avait  eu  l'heureuse  idée  de  faire 
venir  M.  Bodolpbe  Berger,  et  qui,  à  la  tête  de  ses  cinquante  instrumentistes 
tout  à  fait  remarquables,  conduisit  supérieurement  la  suite  de  Coppêlia  de 
Delibes,  l'ouverture  du  Roi  d'Ys  de  Lalo  et  le  ballet  du  Cid  de  M.  Massenet. 

—  Nous  lisons  dans  le  Musical  America  :  «  M.  Oscar  Hammerstein  s'est  attiré 
toutes  les  sympathies,  non  pas  seulement  à  cause  de  son  énergie,  mais  parce 
qu'il  nous  a  dégagés  de  la  vieille  routine  dans  laquelle  était  tombée  notre  vie 
d'opéra  avec  les  anciens  impresari,  qui,  au  commencement  de  chaque  nou- 
velle saison,  promettaient  nombre  d'oeuvres  nouvelles  et  ne  donnaient  jamais 
aucune  suite  à  leurs  promesses.  M.  Hammerstein  a  démontré  avec  évidence 
qu'il  n'est  pas  vrai,  ainsi  que  l'assuraient  ses  prédécesseurs,  que  les  Américains 
préfèrent  les  vieux  ouvrages  aux  modernes.  Les  opéras  de  Massenet,  Charpen- 
tier et  Debussy,  —  Thaïs,  Louise  et  Pelléas  et  Mélisande,  —  ont  produit  les 
meilleures  recettes  de  la  saison  dernière.  » 

—  Encouragés  par  le  succès  des  deux  grandes  entreprises  rivales  d'opéra  à 
New-York,  un  groupe  d'italiens,  réunis  en  société,  s'est  présenté  pour  louer 
l'ancienne  Académie  de  musique,  avec  l'intention  d'y  donner  une  saison  mu- 
sicale de  vingt  semaines  pendant  l'année  1909. 

—  Le  New  York  Times  précise  quelques  détails  sur  le  séjour  en  Amérique,  à 
partir  de  1803,  de  Lorenzo  da  Ponte,  librettiste  de  Don  Juan  et  des  Xoces  de 
Figaro.  Né  à  Ceneta,  petite  ville  de  la  République  de  Venise,  le  10  mars  1749, 
da  Ponte  vécut  d'abord  en  Italie,  se  fit  des  ennemis  à  cause  des  opinions  poli- 
tiques et  religieuses  qu'il  hasardait  comme  professeur,  et  vint  à  Vienne  où 
l'empereur  Joseph  II  le  nomma  poète  de  l'Opéra-Italien,  probablement,  sur  la 
recommandation  de  Salieri.  Des  désaccords  avec  Léopold,  successeur  de 
Joseph  II,  l'obligèrent  à  quitter  l'Autriche.  Il  se  rendit  alors  en  Hollande,  y 
essaya  le  métier  d'entrepreneur  d'opéra  ambulant  et  gagna  ensuite  Londres. 
Sans  jamais  réussir,  il  fut  administrateur  de  théâtre,  courtier  en  chanteuses, 
libraire,  marchand  de  musique,  et  se  décida  enfin  à  passer  en  Amérique  pen- 
dant l'année  1803.  Après  avoir  essayé  avec  un  insuccès  complet  toutes  sortes 
d'affaires,  il  finit  par  se  fixer  à  Columbia  en  qualité  de  professeur  de  langue 
italienne.  Lorsqu'en  1823,  Manuel  Garcia  débarqua  en  Amérique  avec  la 
Malibran,  da  Ponte  s'introduisit  chez  le  chanteur.  La  première  entrevue  fut 
une  véritable  scène  d'opérette.  Lorsque  le  poète  déclina  sa  qualité  d'auteur 
du  librelto  de  Don  Juan,  Garcia,  enthousiasmé,  lui  sauta  au  cou  et  tous  les 
deux  se  mirent  à  danser  à  travers  la  chambre  en  chantant  la  chanson  à  boire 
de  Don  Giovanni.  Plus  tard,  da  Ponte  voulut  se  créer  une  situation  comme 
manager  pour  des  entreprises  d'opéra  ;  il  fit  bâtir  une  salle  de  spectacle  à 
New-York,  mais  ne  parvint  pas  à  y  amener  le  public.  En  désespoir  de  cause, 
il  ouvrit  un  magasin  de  librairie.  Le  commerce  des  livres  fut  pour  lui  très  peu 
lucratif  et  le  pauvre  collaborateur  de  Mozart  voyait  chaque  jour  les  dames  les 
plus  qualifiées,  avec  leurs  riches  toilettes,  passer  devant  sa  boutique  avec 
indifférence  pour  entrer  chez  le  pâtissier-confiseur,  son  voisin,  et  s'approvi- 
sionner amplement  de  gâteaux  et  de  fruits  confits.  Il  songea,  par  désespoir,  à 
se  faire  épicier,  mais  ce  projet  ne  fut  jamais  réalisé.  Précédemment,  da  Ponte 
avait  essayé  la  vente  des  eaux-de-vie  et  ouvert  une  distillerie.  Peu  de  temps 
avant  sa  mort,  le  malheureux  poète  écrivait  :  «  Dix-huit  mois  se  sont  passés 
sans  que  j'aie  trouvé  un  seul  élève.  Moi,  introducteur  de  la  langue  italienne  en 
Amérique;  professeur  de  plus  de  deux  mille  personnes  dont  les  progrès 
éblouirent  l'Italie,  moi.  poète  de  Joseph  II,  auteur  de  trente-six  drames,  ins- 
pirateur de  Salieri,  de  Weigl,  de  Martini,  de  Winter  et  de  Mozart,  après 
vingt-sept  années  de  labeur  assidu  je  n'ai  plus  un  seul  élève  et,  âgé  mainte- 
nant de  près  de  quatre-vingt-dix  ans,  il  ne  me  reste  plus  un  morceau  de  pain 
a  manger  en  Amérique.  »  Da  Ponte  mourut  â  New-York,  le  17  août  1838.  La 
veille  de  sa  mort,  il  écrivit  un  sonnet  et  l'offrit  au  médecin  qui  l'avait  soigné 
pendant  sa  maladie. 

—  A  moi,  la  fanfare!  Une  bonne  nouvelle  pour  les  virtuoses  d'instruments 
de  cuivre.  Si,  comme  certains  l'affirment,  l'emploi  de  ces  instruments  prédis- 
pose à  une  calvitie  précoce,  ce  qui  est  assurément  fâcheux,  il  procure  en  com- 
pensation, parait-il,  l'immunité  contre  plus  d'une  terrible  maladie.  C'est  ce 
que  nous  apprend  un  certain  docteur  Johnson,  de  Kalaska,  qui  assure  que  les 
personnes  qui  par  leur  profession  ont  de  fréquents  contacts  avec  le  cuivre 
blanc  ou  jaune  sont  presque  complètement  à  l'abri  de  toute  atteinte  du  cho- 
léra asiatique.  Les  bacilles  du  typhus  sont  détruits  à  l'instant  par  un  millio- 
nième de  grain  de  sel  de  cuivre,  et  les  joueurs  d'instruments  de  cuivre  qui 
ont  commencé  tôt  leur  carrière  et  fonctionnent  régulièrement  n'ont  rien  à 
craindre  de  la  tuberculose.  Ce  bienheureux  effet  est  produit  par  la  toute  petite 
quantit?  de  sel  de  cuivre  qui  est  absorbée  par  la  peau  au  contact  du  métal. 
Cette  quantité  minuscule  est  d'ailleurs  par  elle-même  sans  inconvénient,  tan- 
dis qu'une  plus  forte  dose  deviendrait  facilement  vénéneuse. 

—  Si  ceci  n'est  pas  du  «  bluff  »,  le  fait  vaut  la  peine  d'être  enregistré.  La 
direction  du   Métropolitan-Opera  de    New- York    fait  savoir    qu'elle  a  déjà 


LE  MÉINESTKEL 


391 


encaissé,  à  l'heure  présente,  72o.on0  dollars  d'abonnements,  soit  3.623.000  fr. 
Elle  ajoute  qu'elle  est  certaine  d'avoir  encore  sous  peu  de  quoi  doubler  au 
moins  cette  somme,  et  qu'elle  parviendra  à  un  chiffre  total  de  l.bOO.000  dol- 
lars, c'est-à-dire  7  millions  et  demi  de  francs. 

—  Le  17  novembre  dernier,  M.  Oscar  Hammerstein  a  ouvert  la  nouvelle 
salle  d'opéra  de  Philadelphie.  6.100  spectateurs  ont  assisté  à  ia  soirée  d'inau- 
guration. On  a  joué  Carmen.  Ce   théâtre  fut  érigé  en   cinq  mois  seulement. 

—  Au  dernier  concert  de  l'orchestre  de  Philadelphie,  M.  Cari  Pohlig,  l'émi- 
nent  chef  d'orchestre  dont  la  réputation  s'est  faite  à  Stuttgart,  a  fait  entendre 
avec  un  très  grand  succès  les  Impressions  d'Itilie  de  M.  Gustave  Charpentier. 

—  Le  nouveau  théâtre  Colon  de  Buenos- Ayres,  si  fameux  dès  sa  récente 
inauguration  et  sur  lequel  la  réclame  s'est  exercée  avec  tant  d'ardeur  en  ces 
derniers  mois,  parait  néanmoins  avoir  des  commencements  plutôt  difficiles. 
On  annonce  déjà  qu'à  la  suite  de  sa  première  saison,  la  société  théâtrale  in- 
ternationale qui  avait  pris  en  mains  ses  destinées  se  trouve  en  déficit  d'un 
demi-million.  C'est  une  entrée  de  jeu  peu  encourageante. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

L'Académie  des  beaux-arts,  dans  sa  dernière  séance,  s'est  occupée  à 
dresser  la  liste  des  candidats  à  la  place  de  correspondant  dans  la  section  de 
composition  musicale,  par  suite  du  décès  de  M.  Rimsky-Korsakow. 

—  Un  groupe  important  d'auteurs  dramatiques  s'est  réuni  au  café  Riche, 
sous  la  présidence  de  M.  Maurice  Desvallières.  But  de  la  séance  :  la  question 
de  l'agence  Pellerin.  Après  avoir  entendu  M.  Georges  Ohnet,  qui  a  fourni  des 
explications  les  plus  complètes  et  les  plus  intéressantes  sur  l'historique  et  le 
fonctionnement  des  deux  agences,  les  auteurs  présents  ont  examiné  les  diffé- 
rentes solutions  de  celte  importante  question,  et  la  motion  suivante,  présentée 
par  M.  A.  Aderer,  a  été  adoptée  à  l'unanimité  : 

Un  groupe  de  soixante-dix  auteurs  et  compositeurs  dramatiques,  après  s'être  livré 
à  une  longue  étude  des  questions  soulevées  par  le  décès  de  l'un  des  agents  de  la 
Société  des  auteurs  et  s'être  assuré  auprès  d'un  conseil  judiciaire  que  le  rachat  des 
deux  charges  des  agents  par  la  Société  ne  se  heurte  à  aucune  dilliculté  juridique  et 
ne  peut  offrir  que  des  avantages,  —  laissant  de  côté  les  questions  de  personnes  pour 
ne  songer  qu'à  l'intérêt  général  :  «  Demande  à  la  commission  d'étudier  les  combi- 
naisons diverses,  financières  et  autres,  qui  aboutiraient  au  rachat  des  deux  agences.  » 

D'un  autre  côté,  nous  croyons  savoir  qu'au  cours  de  sa  dernière  séance,  la 
commission  des  auteurs  et  compositeurs  dramatiques  s'est  occupée  de  cette 
question,  mais  n'a  pris  aucune  décision. 

A  l'Opéra,  toujours  continuation  des  belles  soirées  du  Crépuscule  des  Dieux, 
et  répétitions  très  poussées  de  Monna  Vanna.  Mardi  dernier  on  a  soumis  aux 
auteurs  de  Bacchus  les  maquettes  des  décors  établis  par  M.  Rochette.  Mardi 
prochain  ce  sera  le  tour  des  décors  confiés  à  M.  Amable. 

—  A  l'Opéra-Comique,  on  pense  toujours  pouvoir  donner  au  cours  de  la 
semaine  prochaine  la  répétition  générale  et  la  première  représentation  de 
Sanga.  Ce  soir  samedi,  on  donnera  Manon  avec  Mme  Marguerite  Carré.  Spec- 
tacles de  dimanche  :  en  matinée  Carmen:  le  soir  Louise.  Lundi  en  représenta- 
tion populaire  à  prix  réduits  :  la  Basoche. 

—  Veut-on  savoir  avec  quel  enthousiasme  on  rendait  compte,  en  l'an  de 
grâce  1809.  de  la  représentation  d'un  ballet  à  l'Opéra?  Voici  comment  Geof- 
froy, le  fameux  Geoffroy,  l'ennemi  avéré  de  Talrna,  parlait,  dans  son  feuilleton 
du  Journal  de  l'Empire  (i%  décembre  1809).  de  la  Fête  de  Mars,  divertissement 
représenté  trois  jours  auparavant  : 

Ce  nouvel  ouvrage  de  M.  Gardel  avait  attiré  la  plus  brillante  assemblée  :  le  roi  et 
la  reine  de  Bavière,  le  roi  et  la  reine  de  Naples  ont  honoré  la  représentation  de  leur 
présence,  et  ces  augustes  spectateurs  ont  été  accueillis  avec  des  applaudissements 
unanimes.  Ce  n'est  pas  une  action  dramatique  qu'il  faut  chercher  dans  ce  divertisse- 
ment, mais  une  suite  de  tableaux  enchanteurs  et  d'allégories  ingénieuses  :  l'auteur 
y  a  développé  cette  imagination  riche,  ce  génie  pittoresque,  celte  science  des  groupes 
qu'on  admire  dans  ses  nombreuses  productions. 

Le  théâtre  représente  d'abord  une  vaste  et  délicieuse  campagne,  voisine  de  la  mer; 
sur  le  devant  s'élèvent  les  statues  d'Apollon,  dieu  des  arts  ;  de  Cérès,  déesse  des 
moissons;  de  Mercure,  dieu  du  commerce.  Chaque  divinité  est  environnée  d'une 
foule  d'adorateurs;  tout  semble  respirer  la  paix,  l'abondance  et  le  bonheur,  lorsque 
la  Discorde,  que  l'Enfer  a  vomie  de  son  sein,  vient  ravager  la  terre  et  répandre  la 
consternation  parmi  les  peuples.  Jupiter,  touché  de  leurs  maux,  envoie  le  dieu  Mars 
pour  consoler  le  monde  et  en  chasser  la  Discorde.  Mars  s'acquitte  dignement  d'un 
emploi  si  glorieux;  son  bras  extermine  les  monstres  qui  désolaient  l'humanité;  sa 
victoire  assure  la  tranquillité  de  l'univers;  tout.  l'Olympe  assiste  à  son  triomphe.  Le 
vainqueur  de  la  Discorde,  après  avoir  joui  de  la  reconnaissance  et  des  hommages  des 
nations,  retourne  sur  les  ailes  de  la  Gloire  dans  le  séjour  des  dieux.  Telle  est  cette 
noble  et  brillante  allégorie,  dont  le  public  a  saisi  avec  enthousiasme  toutes  les 
applications.  L'exécution  répond  à  la  beauté  de  l'invention,  et  rien  ne  manque  à 
l'enchantement  de  ce  spectacle. 

Ce  qui  y  manqua,  ce  fut  sans  doute  les  spectateurs,  car  malgré  la  présence 
allégorique  de  Mars,  vainqueur  de  la  Discorde,  qui,  dans  l'espèce,  représentait 
Napoléon  Ier,  empereur  des  Français,  le  chef-d'œuvre  de  Gardel  ne  put  se 
maintenir  plus  de  trois  fois  sur  l'affiche.  Et  le  pauvre  Kreutzer,  auteur  de  !a 
musique  de  la  Fête  de  Mars,  que  Geoffroy  se  dispense  de  nommer,  dut  regretter 
de  s'être  donné  si  grand'peine  pour  si  peu  de  profit. 


—  La  musique  actuelle  en  Allemagne  et  Autriche-Hongrie,  tel  esl  le  titre  du 
second  volume  que  M.  Eugène  d'Harcourt  vient  de  publier  comme  compte 
rendu  de  la  mission  dont  il  a  été  chargé  par  le  gouvernement  (in-8°  avec 
90  illustrations,  Fischbacher,  éditeur).  On  voit  que  l'auteur  a  pris  son  rôle  au 
sérieux.  Ce  nouveau  volume  est  extrêmement  intéressant,  et  témoigne  d'un 
travail  énorme  et  d'une  rare  conscience.  Celui  qui  a  lu  avec  attention  ces 
360  pages  bourrées  de  renseignements  de  toutes  sortes  très  bien  prési 
peut  se  flatter  d'être  au  courant  du  mouvement  musical  de  l'Allemagne  con- 
temporaine, et  non  seulement  de  l'Allemagne  proprement  dite,  mais  de  l'Au- 
triche, de  la  Hongrie,  de  la  Bohême.  Conservatoires,  théâtres,  concerts, 
enseignement,  librairie  musicale,  lutherie,  facture,  instrumentale,  rien  n'est 
oublié,  tout  est  passé  en  revue  avec  le  soin  le  plus  scrupuleux.  Des  détails 
fort  intéressants  sur  les  représentations  théâtrales,  sur  les  concerts,  sur  les 
grandes  exécutions  musicales,  des  notes  sur  tous  les  artistes  en  vue  :  chan- 
teurs et  cantatrices,  chefs-d'orchestre,  compositeurs,  virtuoses,  professeurs,  le 
tout  provenant  d'un  homme  qui  sait  voir  et  entendre  et  dont  la  compétence 
est  indéniable,  donnent  à  ce  livre  un  intérêt  réel  et  puissant.  Les  questions 
d'administration  relatives  soit  aux  théâtres,  soit  aux  Conservatoires  et  aux 
écoles,  ne  sont  pas  négligées  et  sont  fort  utiles  comme  points  de  comparaison 
avec  ce  qui  se  produit  chez  nous.  M.  d'Harcourt,  d'ailleurs,  ne  néglige  rien; 
il  nous  donne  les  dimensions  des  théâtres  et  des  salles  de  concerts,  s'occupe 
de  la  machinerie  scénique  et  de  la  plantation  des  décors,  compare,  juge, 
approuve  ou  propose  des  réformes.  En  un  mot,  son  œuvre  est  complète, 
intelligente,  et  fait  réfléchir  le  lecteur.  L'auteur  a  visité  spécialement  une 
quinzaine  de  capitales  et  de  villes  importantes  :  Carlsruhe.  Stuttgart,  Munich, 
Vienne,  Budapest,  Prague,  Dresde,  Berlin,  Hambourg,  Hanovre,  Dusseldorf. 
Cologne.  Francfort,  Wiesbaden,  Mannheim,  et,  ne  pouvant  tout  voir,  il  s'est 
renseigné  sérieusement  sur  un  grand  nombre  d'autres,  telles  que  Brème, 
Bonn,  Aix-la-Chapelle,  Brunswick.  Dantzig,  Breslau,  Darmstadt.  etc.  J'ajoute 
que  les  nombreuses  illustrations  dont  il  est  accompagné  (portraits,  vues  et 
plans  de  théâtres  et  de  salles  de  concerts,  graphiques,  etc.)  complètent  de  la 
façon  la  plus  utile  et  la  plus  heureuse  ce  livre  remarquable  à  beaucoup 
d'égards  et  qui  devrait  être  entre  les  mains  de  tous  nos  musiciens  —  si  nos 
musiciens  n'étaient  pas  généralement  si  paresseux  pour  lire  ce  qui  peut  les 
intéresser.  A.  P. 

—  On  sait  quels  services  rendent  aux  amateurs  de  spectacle  les  Annales  du 
Théâtre  et  de  la  Musique,  où,  chaque  année,  notre  érudit  confrère  Edmond 
Stoullig  retrace  la  vie  théâtrale  avec  un  agrément  qui  n'exclut  pas  la  docu- 
mentation. Les  artistes  y  trouvent  le  souvenir  de  toutes  les  interprétations  et 
les  spectateurs  y  revivent  les  heures  de  joie  et  d'émotion  qu'ils  vécurent  au 
théâtre.  Grand  est  le  succès  de  ce  livre  en  un  temps  où  tout  le  monde  adore 
les  choses  de  la  scène.  Le  nouveau  volume,  qui  vient  de  parailre  chez  Ollen- 
dorff,  est  orné  d'une  exquise  préface  intitulée  «  Contre  toute  tradition  »,  où  le 
brillant  critique  Nozière  a  mis  sa  plus  mordante  verve  et  sa  plus  spirituelle 
ironie. 

—  De  Lille  :  Nous  venons  d'avoir  la  première  représentation  de  Thérèse,  qui 
a  obtenu  sur  notre  scène  municipale  un  très  gros  succès.  Plusieurs  rappels 
après  chaque  acte  et  vibrante  ovation  à  la  fin  de  l'œuvre  nouvelle  du  maitre 
Massenet.  Mme  Sancya,  puis  MM.  Borelli  et  Vallorès,  avec  l'orchestre  sous  la 
direction  de  M.  Dupuy,  ont  contribué  pour  leur  part  à  cette  belle  réussite. 

—  La  Société  des  concerts  de  Toulouse  a  donné  sa  première  séance  de  la 
saison,  sous  la  direction  de  M.  Crocé-Spinelli.  Au  programme  :  la  symphonie 
eu  ré  de  Beethoven,  la  cavatine  de  Renaud  de  YArmide  de  Gluck  et  l'air  du 
Freischiit;  chantés  par  M.  Boulo,  Y  Angélus,  de  M.  Trépard.  le  concerto  de  violon 
de  Mendelssohn  exécuté  par  M.  Jean  Ten  Hâve,  et  Irlande,  d'Augusta 
Holmes. 

—  A  la  Société  des  Concerts  d'Angoulème,  grand  succès  pour  MIIe  Suzanne 
Decourt,  soprano  dramatique,  qui  a  principalement  été  fort  applaudie  après 
le  grand  air  de  Sigurd,  de  Reyer  :  «■  Salut,  splendeur  du  jour  ». 

—  MUe  Madeleine  Mauduit.  fille  de  la  regrettée  Eugénie  Mauduit  dont  les 
succès  à  l'Opéra  sont  encore  présents  à  la  mémoire  de  tous,  fera  cet  hiver  ses 
débuts  en  public  en  chintant  dans  plusieurs  grands  concerts,  notamment  à 
Nice,  dans  la  Suisse  française  et  en  Belgique. 

—  MUe  Hortense  Parent  fonde  un  nouveau  service  à  son  école  préparatoire 
au  professorat  du  piano  :  une  association  de  secours  mutuels  entre  les  mem- 
bres de  l'école.  Une  vente  organisée  au  profit  de  cette  œuvre  naissante  aura 
lieu  au  siège  de  l'école,  rue  de  Tournon,  9,  du  lundi  7  décembre  au  dimanche 
13  compris,  de  une  heure  à  sept.  —  (Objets  pour  étrennes,  timbres,  bullet. 
Prix  modérés.) 

—  On  a  donné  au  Grand-Théâtre  de  Lyon  la  première  représentation  d'un 
ballet  inédit,  le  Sorcier  de  la  forêt,  dont  la  musique  est  due  à  M.  Brunetti.  chef 
d'orchestre  de  l'Opéra  de  Nice. 

—  Cours  et  Leçons.  —  M—  Marie  Roze  a  repris  ses  levons  de  chant  et  de  décla- 
mation lyrique,  ainsi  que  ses  cours  d'ensemble.  —M"1  C.  Martel  a  repris  ses  cours  et 
levons  particulières  de  ehant  et  piano,  60.  boulevard  de  Clichy. 

He.nri  Helgel,  directeur-gérant. 

Vient  de  paraître,  chez  E.  Fasquelle  :  Lucie  Delarue-Mardrus,  Marie,  fille-mére, 
roman  (3  fr.  50  c). 


392 


LE  MÉNESTREL 


Soixante-quinzième    année     do    publication 


PRIMES  1909  du  MÉNESTREL 

JOURNAL    DE    MUSIQUE    FONDÉ   LE    1er   DÉCEMBRE   1833 

Paraissant  lous  les  samedis  en  huit  pages  de  texte,  donnant  les  comptes  rendus  et  nouvelles  des  Théâtres  et  Concerts,  des  Notices  biographiques  et  Études 

sur  les  grands  compositeurs  et  leurs  œuvres,  des  articles  d'esthétique  et  ethnographie  musicales,  des  correspondances  étrangères,    ' 

des  chroniques  et  articles  de  fantaisie,  etc., 

publiant  en  dehors  du  texte,  chaque  samedi,  un  morceau  de  choix  (inédit)  pour  le  CHAUT  ou  pour  le  PIAN©  et  offrant  à  ses  abonnés, 

chaque  année,  de  beaux  recueils-primes  CHA\T  et  PIAXO. 


Tout  abonné  à  la 

E.  JAQBESDALCROZE 

JUMEAUX  DE  BERGAME 

Deux  actes  de  Maurice  Lésa 

(D'après  Florin) 
Partition  chant  et  piano 


Tout  abonné  à  la 

J.   MASSENET 

ESPADA 

Ballet-pantomime 

de  René  Maugars 

Partition  pour  piano  seul 


C  -H.  A.  iS    T    (1er  MODE  D'ABONNEMENT) 
musique  de  Chant  a  droit  GRATUITEMENT  à  l'une  des  primes  suivantes  : 


THÉODORE  DUBOIS 

ODELETTES    ANTIQUES 

JAQUES-DALCROZE 

Idylles  et  Chansons 

Deux  recueils  format  in— 1° 


RAOUL  PUGNO 

CLOCHES  DU  SOUVENIR 

GEORGES  HUE 

Iiieds  dans  la  Fofèt 

Deux  recueils  format  in-4° 


RODOLPHE  BERGER 

LE    CHEVALIER    D'ÉON 

Opéra-comique  en  4  actes 

d' Armand  Silvestre  et  Henri  Cain 

Partition  chant  et  piano 


_P  X  A.  lS    O    (1'  MODE  D'ABONNEMENT) 
musique  de  Piano  a  droit  GRATUITEMENT  à  l'une  des  primes  suivantes  : 


J.  SEBASTIEN  BACH 

DOUZE  CHORALS 

(Transcrits  pour  piano  par  I.  PiiilippI 

RAOUL  PUGNO 

Paysages 

Deux  recueils  in-4" 


ERNEST  MORET 

JONCHÉE  D'OCTOBRE 


ERNEST  MORET 

Pages    Blanches 

Deux  recueils  in-4° 


PAUL  VIDAL 

ZINO-ZINA 

Ballet-pantomime 

de  Jean  Richepin 

Partition  pour  piano  seul 


GRANDES      PRIMES 
REPRÉSBHTAHT,  CHACUNE,  LES  PRIMES  DE  PIANO  ET  DE  (MI  RÉUNIES,  POUR  LES  SEULS  ABONNÉS  A  L'ABONNEMENT  COMPLET   (3e  Mode)  : 

—  GABRIEL    PIERNÈ  — 

LiA  GROISADE  DES  ENFANTS 

Légende  musicale  en  quatre  parties 

1.  Le  Départ.   =  2.  La  Grande  Route.  =  3.  La  Mer.  =  4.  Le  Sauveur  dans  la  tempête 

Grande  et  belle  partition  in-4°  avec  couverture  de  Giraldon  en  chromo 


LÉO     I^EïLilIOESS 

JEAN    DE    NIVELLE 

Opéra  en  trois  actes 


-VICTOR      1WASSE 

PAUL   ET  VIRGINIE 

Opéra  en  trois  actes 


Reprise 
îis,  rue  Vi 


Partition  chant  et  piano 

lu    Théàtrc-Lyriquo    de 


partir  du   10  ilécenibre    proclia 


Partition  chant  et  piano 
Reprise    du    Tléàtre-Lyrique    de     la    Gaîte 

UCiTA  IMPORTANT    —  Ces  primes   sont  délivrées    gratuitement  dans  nos    bureaux 
"neienounouverabonné.surla  présentation  de  la  quittance  d'abonnement  au  1IE\E<«TBEL  pour  1  année  1909.  Joindre  au  prix  d'abonnement 
un  supplément  A'VX  ou  de  DEUX  francs  pour  l'envoi  franco  dans  les  départements  de  la  prime  simple  ou  double.  (Pour  l'Etranger,  l'envoi  franco 
des  primes  se  règle  selon  les  frais  de  Poste.) 

Les  abonnés  au  Chanl  peuvent  prendre  la  prime  Piano  et  vicevérsa.  -  Ceux  au  Piano  et  au  Chant  réunis  ont  seuls  droit  à  la  grande  Prime.  -  Les  abonnés  au  texte  seul  n'ont  droit  à  aucune  prime. 

CHANT  CONDITIONS  D'ABONNEMENT  AU  «  MÉNESTREL  »  PIANO 

1"  Mode  d'abonnement  :  Journal-Texte,  tous  les  samedis  ;  26  morceaux  de  chant 
Scènes,  Mélodies,  Romances,  paraissant  de  quinzaine  en  quinzaine;  1  Recueil 
Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :  20  francs  ;  Étranger,  Frais  de  poste  en  sus. 

CHANT  ET  PIANO  RÉUNIS 

3-  Mode  d'abonnement,  comprenant  le  Texte  complet,  26  morceaux  de  chant,  26  morceaux  de  piano,  les  2  Recueils-Primes  ou  une  Grande  Prime 

Un  on  :  30  francs,  Paris  et  Province;  Etranger  :  Poste  en  sus. 

4'  Mode  d'abonnement.  Texte  seul,  sans  droit  aux  primes,  un  an  :  10  francs. 

On  souscrit  le  1"  de  chaque  mois.  —  Les  52  uuméros  de  chaque  année  forment  collection. 

Adresser  franco  un  bon  sur  la  poste  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne. 


2'  Mode  d'abonnement:  Journal-Texte,  tous  les  samedis;  26  morceaux  de  piano: 
Fantaisies,  Transcriptions,  Danses,  de  quinzaine  en  quinzaine;  1  Recueil- 
Prime.  Paris  et  Province,  un  an  :   20  francs;   Étranger  :   Frais  de  poste  en  sus. 


40SS.  —  74e  ANNÉE.  —  iV  oO. 


PARAIT  TOUS  LES  SAMEDIS 


Samedi  12  Décembre  1908. 


72/ . 


(Les  Bureaux,  2  b",  rne  Vivienne,  Paris,  h-  m') 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 

MÉNESTREL 


Le  flaméro  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


lie  fluméFo  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienr.e,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an, Texte  seul:  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant, 20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano, 20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  f48"  article),  Julien  Tiersot.  —  II.  Semaine  théâtrale  :  i 
première  .représentation  du  Foyer,  à  la  Comédie-Française,  A.  Boutarel.  —  111.  Ri- 


des 


aprésentation  de  Saiiga,  à  l'Opéra-Comiqu 
ands  concerts.  —  IV.  Nouvelles  diverses  e 


iïOi 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

LE  NOËL  DES  HUMBLES 

de  J.  Massenet,  poésie  de  Je»n  Aicard.  Suivra  immédiatement:  Roses  ardentes, 

n°  3  de  la  Chanson  d'Eve,  de  Gabriel  Fauré,  poésie  de  Cii.  van  Lerergiie. 


MUSIQUE  DE  PIANO  V   fl.  P.  J_ 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  ûV^iano: 

DEUX   FIGURINES 

du  nouveau  recueil   de   I.   Piin.irp.   —   Suivra   immédiatement  :   le  premier 

entr'acte  de  Monna  Vanna,  de  Henry  Février,  poème  de  Maurice  Maeterlinck. 


PRIMES  GRATUITES  DU  "MÉNESTREL  "  POUR  L'ANNÉE  1909  (Voir  à  la  s*  page  des  précédents  numéros). 
SOIXANTE     ANS     DE     LA    VIE     DE     GLUCK 

(±T  ±  -4=  -  ±  T  T  -4  ) 


CHAPITRE    IX    :    D'Alceste 

Ainsi,  chef  d'école  sans  disciples,  général  sans  armée,  Gluck  I 
ne  cessait  d'exhaler  à  tout  venant  son  irritation  de  ne  se  pas 
■voir  suivi.  Sa  méchante  humeur  trouvait  partout  des  raisons  de  \ 
se  répandre.  Voici, 
presque  contempo- 
rain A'Elena  e  Pa- 
ride,  un  document 
d'un  autre  genre  xV 
qui  va  le  montrer 
sous  un  aspect  nul- 
lement contradic- 
toire avec  celui 
sous  lequel  il  nous 
est  déjà  apparu. 
C'estune  lettre  d'un 
médecin,  probable- 
ment français  (la 
lettre  en  tout  cas 
est  écrite  en  fran- 
çais) en  séjour  à 
Vienne  en  1 769. 
Habitué  au  langage 
des  cours,  cet  écri- 
vain (qui  ne  signe 
pas,  et  dont  nous 
ne  connaissons  pas 
non  plus  le  corres- 
pondant, mais  dont 
nous  avons  sous  les 
yeux  la  lettre  mê- 
me), prend  des  airs 
de  mystère  pour  dire  les  moindres  choses,  et  fait  penser  à' ce 
personnage  an  Misanthrope  qui,  au  dire  de  Célimène,  a  -toujours 
Un  secret  à  vous  dire,  et  ce  secret  n'est  rien. 


MAISON    NATALE    DE 

■    ltijinduc 


a    Iphigénie    (1767-1774). 

Policier  peut-être  autant  que  diplomate,  il  rapporte  à  son 
correspondant  les  propos  de  Vienne,  parlant  sans  charité  de 
son  confrère  Van  Swieten  (ce  médecin  mélomane  dont  on  connaît 

les  relations  avec 
i  Haydn  et  Mozart), 
à  qui,  dit-il,  «  il 
est  très  difficile  de 
plaire  quand  on 
est  médecin  ».  Mais 
il  avait  commencé 
sa  lettre  en  l'entre- 
tenant de  Gluck, 
occupé  à  ce  mo- 
ment même  d'or- 
ganiser la  partie 
musicale  des  fêtes 
qui  se  préparaient 
à  la  cour  de  Parme 
pour  le  mariage  de 
l'archiduchesse 
Marie-Amélie  (une 
des  interprètes  à'Il 
Parnasso  confuso 
avec  l'Infant  don 
Ferdinand  :  Gluck 
avait  composé  à  cet 
effet  le Fesle d'A polio, 
ouvrage  qui,  après 
des  retards  dont  va 
nous  entretenir  la 
lettre,  fut  en  défi- 
nitive   représenté    à   Parme    le   24   août  1769. 

Si  l'écrivain  s'y  montre  d'une  discrétion  qui  confine  à 
l'excès,  Gluck  au  contraire  y  apparaît  sans  diplomatie,  gardant 


WEIDEXWAXY 


394 


LE  MÉNESTREL 


partout  son  franc  parler,  et  ne  se  privant  jamais  d'appeler  les 
choses  par  leur  nom.  Au  fait,  c'était  chose  de  si  grande 
importance  que  de  savoir  ce  que  Gluck  avait  dit  de  la  vie  à 
Parme  !  Et  l'on  conçoit  que  celui  qui  rapporte  ses  paroles  ait 
pris  toutes  ses  précautions  avant  d'aborder  un  si  grand  sujet  ! 

Sa  lettre  est  datée  de  Vienne,  45  mai  1169.  On  observera  de 
quelle  façon,  encore  à  cette  époque,  un  homme  vivant  dans  la 
société  devienne  orthographiait  le  nom  de  l'auteur  d'Akeste. 

....  J'ai  quelque  autre  chose  à  vous  mander,  qui  me  donne  de  l'inquiétude: 
je  vous  ouvre  mon  cœur;  j'ai  été  entre  deux  si  je  devais  le  faire  ou  non.  Il  me 
paraissait  de  blesser  ma  délicatesse  en  le  faisant,  je  craignais  de  m'exposer  et 
de  causer  inutilement  de  la  peine  :  de  l'autre  coté,  il  me  paraît  de  manquer, 
en  ne  le  faisant  pas,  au  devoir,  et  à  la  reconnaissance  d'un  sujet,  et  d'un  ami  : 
d'ailleurs  la  chose  passé1  par  vos  mains  :  vous  m'aimez,  vous  êtes  prudent  ; 
ainsi  vous  userez  sagement  des  connaissances  que  je  m'en  vais  confier  à  votre 
discrétion.  Voici  de  quoi  il  est  question. 

La  Cour  de  Parme  appela  Cloue,  maitre  de  musique  de  celle  de  Vienne, 
pour  faire  l'opéra  qu'on  doit  donner  à  l'occasion  des  fêtes  du  mariage. 
Celui-ci  étant  différé,  par  la  raison  que  vous  savez,  il  a  demandé  la  permission 
de  revenir  chez  lui  pour  ses  affaires  :  il  l'a  obtenue  à  condition  qu'il  se  rendra 
à  Parme  quand  on  aura  besoin  de  lui.  Il  y  a  quelques  jours  qu'il  est  de  retour. 

Hier  au  soir,  une  personne  qui  connaît  beaucoup  la  Cour  de  Parme,  qui 
estime  beaucoup  le  gouvernement,  et  qui  a  quelque  attachement  à  ce  pays-là, 
m'a  dit  que  Cloue  disait  qu'à  Parme  on  ne  respire  que  la  misère,  la  gêne  et  la 
crainte,  qu'il  ne  voudrait  pas  y  vivre,  car  tout  y  est  en  confusion,  et  que  le 
gouvernement  est  violent  et  despotique.  Je  fis  semblant  de  ne  pas  pouvoir  le 
croire  en  lui  disant  que  tous  les  étrangers  partaient  de  Parme  enchantés  de  la 
Cour  et  du  gouvernement,  et  d'autres  raisons.  Cette  personne  me  répondit 
qu'elle  ne  l'avait  pas  entendu  parler  de  la  sorte  lui-même,  mais  que  les  gens 
qui  avaient  répété  cela  n'avaient  aucun  intérêt  à  lui  prêter  ces  discours:  que 
d'ailleurs  c'est  un  Allemand  grossier,  un  cheval  qui  ne  voit  pas  plus  loin  que 
sa  musique,  que  c'est  pour  cela  qu'il  n'avait  trouvé  de  bon  à  Parme  que  la 
musique  de  la  Cour.  Ceci  à  la  vérité  se  combine  de  quelque  façon  avec  ce  que 
j'ai  entendu  d'ailleurs.  On  m'avait  bien  dit  que  Cloue  louait  la  musique  de  la 
Cour  de  Parme,  on  ne  m'a  pas  dit  qu'il  fasse  l'éloge  d'autre  chose.  L'autre 
jour.  Calsabigi,  ami  de  Cloue,  disait,  en  parlant  de  l'élection  du  pape,  qu'il 
était,  bien  que  le  mariage  fût  différé,  parce  qu'il  savait  que  rien  n'était  prêt  à 
Parme,  que  tout  était  en  confusion,  et  qu'on  n'aurait  pas  su  où  loger  les 
époux.  Je  répondis  à  cela  qu'il  fallait  que  Cloue  n'eût  vu  que  le  palais  de  Molli, 
et  pas  du  tout  celui  du  jardin  de  Colarno,  et  les  appartements  vis-à-vis  Saint 
Paul.  Par  parenthèse,  ce  même  Calsabigi  m'avait  dit  que  Cloue  revenait  à 
Vienne  pour  trois  mois:  cela  marquerait  que  le  mariage  ne  se  ferait  pas  si  tôt. 
Si  ces  choses  sont  vraies,  comme  elles  sont  vraisemblables,  je  serais  très  fâché 
qu'on  eût  fait  venir  d'aussi  mauvaise  musique  de  Vienne.  On  a  ici  une  grande 
opinion  de  la  Cour  de  Parme:  maison  est  facile  à  recevoir  les  mauvaises 
impressions.  Ce  Calsabigi  m'a  invité  plusieurs  fois  à  diner  chez  lui,  j'y  irai 
exprès  et  je  tâcherai  de  choisir  un  jour  que  son  ami  y  soit  (1). 

C'est  que  Gluck  avait  quelques  raisons,  à  ce  moment  de  sa 
carrière,  de  ne  pas  voir  les  choses  en  rose.  Non  seulement  il 
.avait  à  se  plaindre  que  son  effort  d'artiste  fût  méconnu,  mais 
encore  il  commençait  à  se  débattre  au  milieu  de  difficultés  d'un 
autre  ordre,  au  milieu  desquelles  il  faillit  bientôt  sombrer,  et  où 
tout  autre,  moins  fort  que  lui,  se  serait  perdu  sans  rémission. 
Qu'allait-il  faire  dans  cette  galère,  d'ra-t-on  après  avoir  lu  les 
détails  de  ce  chapitre  inconnu  de  sa  vie  ?  Il  est  vrai  qu'il  s'y 
engagea  bien  imprudemment.  Le  récit  qui  va  suivre,  et  qu'on 
ne  trouve  encore  rapporté  dans  aucune  biographie,  va  faire 
connaître  cet  épisode  de  son  histoire,  qui  fut  près  de  tourner  au 
tragique. 

Pendant  de  longues  années,  l'intendance  des  théâtres  de 
Vienne  avait  été  aux  mains  du  comte  Durazzo.  Celui-ci  avait  eu, 
du  moins,  le  mérite  de  comprendre  le  génie  de  Gluck,  et  avait 
mis  en  lui  sa  confiance.  Nous  avons  bien,  à  la  vérité,  vu  Favart 
lui  reprocher  parfois  quelques  menues  indélicatesses,  —  quand, 
par  exemple,  il  constatait  que  les  sommes  qui  lui  étaient  dues, 
et  que  Durazzo  affirmait  à  Marie-Thérèse  avoir  versées,  n'étaient 
jamais  parvenues  à  leur  destination  ;  ou  encore  qu'ayant  envoyé 
de  Paris  à  Vienne  le  scénario  d'une  comédie-ballet,  il  avait  reçu 
pour  réponse  que  cet  ouvrage  ne  pouvait  pas  convenir,  mais  avait, 
à  quelque  temps  de  là,  appris  indirectement  que  son  sujet  était 
représenté  sous  le  nom  d'un  autre  auteur,  sans  que,  bien 
entendu,  il  en  eût  jamais  perçu  aucune  rétribution.  Au  reste,  sa 
bonne  humeur  de  vaudevilliste  frondeur  ne  s'en  était  trouvée 

(li  La  lettre  autographe  dont  sont  tirés  les  extraits  ci-dessus  appartient  à  la  Biblio- 
thèque du  Conservatoire. 


aucunement  altérée.  «  J'ai  servi  gratis,  écrivait-il.  J'ai  seulement 
prié  le  comte  de  vouloir  bien  me  continuer  l'honneur  de  sa 
correspondance.  Il  m'a  fait  la  grâce  d'accepter  mes  offres.  Je 
n'ai  point  à  m'en  plaindre,  j'ai  reçu  de  Son  Excellence  les  lettres 
les  plus  obligeantes  ;  je  puis  me  glorifier  de  quelque  chose, 
c'est  d'être  en  commerce  de  lettres  avec  monseigneur  le  comte 
de  Durazzo,  dont  les  talents  sont  connus  en  tous  genres,  à  Paris 
comme  à  Vienne...  (1)  »  Mais  ne  nous  arrêtons  pas  à  ces  minu- 
ties :  c'était  monnaie  courante,  à  ce  qu'il  paraît,  dans  le  monde 
où  vivaient  tous  les  personnages  de  notre  récit,  et  nous  allons 
en  voir  bien  d'autres  ! 

Or,  le  comte  Durazzo  avait  fini  par  quitter  Vienne,  étant 
devenu  ambassadeur  d'Autriche  près  la  République  de  Venise. 
«  Je  suis  malheureusement  dans  un  pays  d'où  on  ne  saurait  rien 
écrire  d'intéressant»,  mandait-il  bientôt  à  son  fidèle  correspon- 
dant (2),  regrettant  sa  capitale  et  les  milieux  artistes  parmi 
lesquels  il  avait  vécu  et  régné.  Il  n'en  avait  pas  moins  fallu  lui 
trouver  un  remplaçant.  Et  ce  n'était  pas  chose  facile,  car,  à  ce 
moment,  la  situation  des  théâtres  de  Vienne  tendait  à  devenir  de 
jour  en  jour  moins  favorable.  L'économie  de  Marie-Thérèse  avait 
commencé,  comme  toujours,  par  rogner  sur  le  budget  de  la  mu- 
sique. Burney  a  rappelé  que,  sous  le  précédent  règne,  on  pouvait 
voir  à  Vienne  des  opéras  dont  les  décorations  et  habits  coûtaient 
à  l'Empereur  jusqu'à  trente  mille  livres  sterling.  «Mais,  ajoute- 
t-ilj  les  guerres  continuelles,  et  tant  d'autres  calamités  qui  ont 
affligé  ce  pays-ci,  ont  tellement  épuisé  le  trésor  public  et 
appauvri  les  fortunes  des  particuliers,  qu'on  a  été  forcé  de 
supprimer  ces  prodigalités,  ce  qui,  à  mon  avis,  honore  bien 
davantage  le  gouvernement.  Car,  conclut  l'écrivain  anglais, 
quoique  j'aime  beaucoup  la  Musique,  j'aime  encore  mieux 
l'Humanité  (3).  »  Voilà  des  paroles  pleines  de  vertu.  Mais  peut- 
être  les  sentiments  qui  les  inspirèrent  nous  ont-ils  fait  perdre 
plusieurs  chefs-d'œuvre  que  Gluck  aurait  pu  produire  encore.  Ils 
furent  cause,  en  tout  cas,  que  ce  grand  artiste  fut,  en  quelques 
semaines,  acculé  à  la  banqueroute,  et  perdit  la  plus  grande  partie 
de  la  fortune  que  son  activité  antérieure  lui  avait  gagnée. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


SEMAINE  THEATRALE 


Opicra-Comique.  —  Sanga,  drame  lyrique  en  quatre  actes,  paroles  de  MM.  Eu- 
gène Morand  et  Paul  de  Choudens,  musique  de  M.  Isidore  de  Lara. 
(Première  représentation  le  9  décembre  1908.) 

«  De  nos  jours,  en  Savoie.  »  Je  prends  les  divisions  et  les  indica- 
tions exactes  du  livret. 

Acte  premier.  —  Une  ferme  près  des  Alpes.  —  Nous  sommes  chez 
le  fermier  Vigord,  un  grincheux,  égoïste,  de  caractère  violent  et  absolu. 
Les  paysans  battent  le  blé,  fout  des  gerbes  de  paille  et  les  rentrent  au 
grenier.  Entre  temps,  on  chante  et  l'on  danse.  C'est  le  jour  de  la  recette 
des  métayers.  L'un  apporte  trop  peu  d'argent,  et  est  rabroué  soigneu- 
sement. Un  autre,  qui  a  cinq  enfants  et  qui  vient  s'excuser  de  n'avoir 
rien  à  donner,  est  chassé  brutalement,  en  dépit  de  ses  prières  et  de 
celles  de  la  jeune  Lena,  la  nièce  du  fermier,  que  sa  dureté  fait  charger 
de  malédictions. 

Vigord  a  projeté  de  marier  son  fds  Jean  avec  sa  nièce  Lena.  Mais  il 
y  a  un  obstacle.  Jean  est  devenu  l'amant  d'une  des  filles  de  moisson 
engagées  à  la  journée.  Sanga.  Tous  deux  ont  juré  de  s'appartenir,  et 
Jean  ne  veut  pas  entendre  parler  de  Lena.  Vigord  est  furieux,  et  chasse 
Sanga.  Et  comme  Jean  veut  la  suivre,  pour  le  retenir  il  évoque  le  sou- 
venir de  sa  mère,  morte.  Jean  fond  en  larmes,  et  reste. 


:li  Mémoires  et  correspondance  de  Favart,  t.  II,  p.  272  et  suiv.  (Lettre  de  Favart  à 
Dancourt,  du  4  avril  1763l  Voir  aussi  (p.  266)  la  lettre  de  Dancourt  à  Favart,  de 
Vienne,  13  mars  1763  :  «  La  régie  de  M.  le  comte  Durazzo  étant  devenue  suspecte, 
etc.  » 

(2)  Mémoires  et  correspondance  de  Favart,  t.  II,  p.  233  (Lettre  de  Durazzo  à  Favart, 
de  Venise,  9  décembre  17671. 

(3)  Bubkey,  Etat  présent  de  la  musique,  t.  II,  p.  318.  Ces  mots  sont  ceux  par  les- 
quels l'auteur  termine  la  relation  de  son  séjour  à  Vienne. 


LE  MENESTREL 


393 


Acte  deuxième.  —  Les  montagnes  des  Alpes  couvertes  de  neige.  — 
Pour  un  beau  décor,  saprelotte  !  c'est  un  beau  décor,  avec,  dans  l'orage, 
des  effets  de  lumière  successifs  qui  sont  prodigieux.  Mais  quel  acte 
bizarre,  et  combien  inutile  !  Nous  voyons  arriver  Sanga,  qui  s'écorche 
les  mains  et  les  genoux  pour  grimper  de  roche  en  roche.  Et  pourquoi 
faire  ?  Je  n'en  sais  rien,  ni  vous  non  plus,  probablement.  Elle  se  pro- 
mène comme  ça,  sur  les  rochers,  au  milieu  de  la  nuit  et  sous  l'orage, 
simplement  pour  exhaler  sa  colère  contre  Vigord,  qui  l'a  chassée.  Et 
puis,  quand  elle  a  fini  et  que  la  neige  commence  à  tomber,  elle  s'en  va 
tranquillement  par  où  elle  était  venue.  Bizarre,  cet  acte,  tout  à  fait 
bizarre.  Mais  quel  décor  !  Bravo,  Jusseaume  !  Bravo,  M.  Carré  ! 

Acte  troisième.  —  Dans  la  ferme,  à  l'intérieur  de  la  maison.  —  Il 
faut  croire  qu'un  certain  temps  s'est  écoulé,  car  nous  assistons  à  la  noce 
de  Lena  et  de  Jean,  qui  a  fini  par  se  décider.  Seulement,  il  s'est  décidé 
sans  se  décider,  car  lorsque  tous  les  amis  sout  partis,  que  les  cadeaux 
ont  été  faits  à  la  mariée  et  qu'il  reste  seul  avec  elle,  il  finit  par  lui 
déclarer  qu'il  l'aime  bien  en  tant  que  cousine  mais  pas  du  tout  comme 
épouse,  et  qu'il  pense  et  ne  pensera  jamais  qu'à  Sanga.  Il  aurait  pu  lui 
dire  ça  huit  jours  plus  tôt  ;  il  n'aura  pas  eu  le  temps,  probablement. 
Mais  voilà  qu'au  milieu  de  cet  entretien  dépourvu  d'agrément,  un  orage 
furieux  éclate  ;  et  comme  ça  tout  à  coup,  en  cinq  minutes,  une  inonda- 
tion se  déclare,  et  les  maisons  du  village  croulent  de  tous  côtés.  Les 
chemins  sont  coupés,  les  ponts  sont  emportés  eu  moins  de  temps  qu'il 
n'en  faut  pour  le  dire.  La  ferme  elle-même  commence  à  s'écrouler,  en- 
vahie qu'elle  est  par  les  eaux,  et  celles-ci  entraînent  dans  l'abime  Vigord 
et  sa  nièce,  tandis  que  Sanga  arrive  dans  un  bateau  pour  sauver 
Jean. 

Acte  quatrième.  — Le  désert  des  eaux.  La  ferme  inondée.  —  Ici,  nous 
sommes  sur  le  toit  de  la  ferme,  où  Sanga  et  Jean  se  sont  réfugiés.  Us 
causent  tous  les  deux,  pendant  que  l'eau  continue  de  ravager  tout.  Elle 
monte  toujours,  toujours,  si  bien  qu'elle  les  atteint  bientôt  et  les  fait 
disparaître  à  leur  tour. 

Telle  est  la  pièce,  sur  l'intérêt  de  laquelle  je  m'en  voudrais  d'insister. 
Maintenant,  en  avant,  la  musique  ! 

Peut-être  ne  connaissez-vous  pas  M.  Isidore  de  Lara,  l'auteur 
d'icelle  ?  On  en  a  pourtant  beaucoup  parlé,  en  ces  derniers  jours.  Le 
compositeur  a  été  interviewé  de  tous  côtés,  on  nous  a  fait  connaître 
son  physique  athlétique,  la  couleur  de  ses  cheveux,  l'éclat  de  ses  yeux, 
on  nous  a  même  entretenu  longuement  de  son  esthétique  (l'esthétique 
de  M.  Isidore  de  Lara  !!!),  de  son  symbolisme  et  d'un  tas  d'autres  cho- 
ses. «  Taillé  en  force,  la  chevelure  noire  fièrement  rejetée  en  arrière, 
l'œil  hardi,  la  main  cordiale,  tel  est  Isidore  de  Lara,  l'auteur  de  Sanga  », 
dit  l'un.  «  Un  homme,  un  compositeur,  un  poète,  un  penseur,  tel  est 
Isidore  de  Lara  »,  dit  l'autre.  Et  un  troisième  :  «  Quelques  amis  savent 
que  cet  esprit,  formé  aux  études  philosophiques  et  nourri  de  lectures, 
serait  plus  capable  de  «  psychologie  musicale  »  que  bien  d'autres  qui 
nous  en  obsèdent.  Mais  M.  Isidore  de  Lara  ne  produit  pas  tant  avec 
son  savoir  et  sa  raison  qu'il  n'apporte  au  théâtre  lyrique  tel  qu'il  le 
rêve  sa  sensibilité,  sa  passion,  son  instinct  et  son  cœur.  » 

Un  phénomène,  quoi  !  cet  homme-là. 

II  est  assez  difficile,  toutefois,  de  démêler  les  origines  de  M.  Isidore 
de  Lara.  Un  journal  italien  m'affirme  qu'il  est  israélite  et  Portugais  de 
naissance  (ebreo  portoghese  di  nascita),  tandis  qu'un  journal  français 
me  certifie  qu'il  est  né  à  Londres  d'un  père  espagnol  et  d'une  mère 
anglaise.  Ce  qui  parait  certain,  c'est  qu'il  fut  envoyé  jeune  en  Italie  et 
qu'il  devint,  au  Conservatoire  de  Milan,  élève  de  Mazzucato. Ledit  Maz- 
zucato  étant  mort  il  y  a  juste  trente  et  un  ans,  le  31  décembre  1877,  il 
en  résulte,  que  M.  Isidore  de  Lara  doit  avoir  atteint  sa  majorité  depuis 
quelque  temps  déjà.  Son  éducation  musicale  terminée  (quoique  de- 
meurée bien  imparfaite),  le  jeune  artiste  se  rendit  à  Londres,  où  pen- 
dant plusieurs  années  il  se  fit  professeur  de  chant,  tout  en  publiant  un 
certain  nombre  de  mélodies  vocales.  En  1892  il  faisait  exécuter  un  ora- 
torio intitulé  la  Lumière  d'Asie,  dont  la  partition,  remaniée  par  lui, 
devint  celle  d'un  opéra  représenté  l'année  suivante,  sous  le  même  titre, 
au  théâtre  de  Covent-Garden.  C'est  alors  que  M.  Isidore  de  Lara  alla 
s'installer  à  Monaco,  où,  grâce  à  une  protection  puissante,  il  produisit 
successivement  plusieurs  ouvrages,  dans  des  conditions  d'interpréta- 
tion absolument  exceptionnelles  :  Amy  Robsart  (  1894).  avec  Mmc  Emma 
Calvé,  MM.  Alvarez  et  Lassalle  ;  Moïna  (1897),  avec  Mlne  Emma  Bellin- 
cioni,  MM.  Yan  Dyck,  Maurel,  Bouvet  et  Boudouresque;  et  Messaline 
(1899),  avec  M"u' Héglon,  M"e  Jeanne  Leclerc,  MM.  Tamagno,  Bouvet 
et  Yinche.  Mais  ce  n'était  pas  assez  d'être  compositeur;  M.  Isidore  de 
Lara  voulut  être  aussi  son  poète,  tout  comme  Wagner,  avec  lequel  il 
n'a  d'ailleurs  que  des  points  de  ressemblance  très  éloignés.  Il  traça 
donc  le  livret  d'un  drame  lyrique  intitulé  Soléa,  que  M.  Jean  Richepin 
mit  en  vers,  que  lui-même  mit  eu  musique  et  que  M.  Otto  Neitzel  tra- 


duisit en  allemand,  et  cette  Soli-n  fut  représentée  an  Théâtre-Municipal 
de  Cologne  le  19  décembre  1907.  Dans  ce  livret,  empreint  du  plus  pur 
néo-romantisrne,  on  voyait  un  chevalier  chrétien  amoureux  d'un.'  bohé- 
mienne (Soléa)  qui  elle-même  s'éprend  de  lui  et  trahit  les  siens  au  bé- 
néfice de  la  croix,  des  soudards  ivres  à  vendre  el  i  pendre,  des  nonnes 
bienfaisantes,  des  foules  indécises  et  insouciantes  «  dansant  sur  un 
volcan  ».  puis  des  coups  de  sabre,  des  coups  de  canon,  des  sonneries 
de  trompettes,  des  marches  et  contre-marches,  une  bataille  navale, 
l'explosion  d'une  citadelle  qui  saute,  etc.,  enfin  un  opéra  â  la  fois  mili- 
taire, maritime,  religieux,  et  surtout  excentrique.  Tel  est  le  dernier 
fruit  de  la  muse  héroïque  de  M.  Isidore  de  Lara,  car  Sanga,  que  j'ai  eu 
tort  de  ne  pas  mentionner  encore,  est  antérieur.'  â  Soléa  et.  avant  de 
venir  à  Paris,  a  été- représentée  à  l'Opéra  de  Nice  le  19  février  Puni. 

De  toutes  les  œuvres  du  compositeur,  je  n'avais  encore  fait  connais- 
sance qu'avec  Messaline,  qui  nous  avait  été  offerte  à  la  liait'-  il  y  a  deux 
ou  trois  ans,  et  je  trouvais  que  c'était  une  assez  mauvaise  connaissance. 
Je  ne  suis  pas  persuadé  que  Sanga  lui  soit  très  supérieure,  et  je  pen- 
cherais plutôt  pour  la  négative.  Comme  je  le  disais  en  commençant, 
on  nous  a  beaucoup  parlé,  depuis  quelques  jours,  de  1'  «  esthétique  » 
de  M.  de  Lara.  Je  ne  sais  ce  qu'elle  est,  cette  esthétique;  mais  ce  que 
je  sais  bieu,  c'est  que  ses  résultats  ne  sont  pas  brillants.  Quelle  musi- 
que banale,  melliflue,  sans  conviction,  sans  couleur  et  sans  portée, 
sans  inspiration  surtout  !  Il  n'y  a  pas  là-dessous  l'ombre  de  l'ombre 
d'une  idée  musicale,  ou,  quand  par  hasard  il  s'en  trouve  un  atome,  on 
salue  au  passage,  comme  au  premier  acte,  un  souvenir  à'Hamlet  ou  un 
autre  de  la  Valkyrie.  Pas  une  phrase  qui  se  tienne  debout,  pas  une 
période  qui  ait  un  sens;  tout  cela  est  mou,  lâche,  terne  et  sans  saveur. 
Je  préfère  encore  la  musique  irritante  et  crispante  de  quelques-uns, 
parce  que  si  celle-ci  me  déchire  souvent  les  oreilles,  elle  vit  du  moins 
et  me  prouve  que  l'auteur  a  un  but  qu'il  veut  atteindre,  un  horizon 
vers  lequel  il  tend.  Ici,  c'est  le  néant  complet,  absolu.  Une  harmonie 
plate  et  sans  consistance,  un  orchestre  où  les  cuivres  font  rage  sans 
avoir  de  sonorité,  où  un  tapage  infernal  tient  la  place  de  la  véritable 
vigueur.  Sous  ce  rapport,  le  second  acte,  l'acte  de  la  tempête,  est  iné- 
narrable; il  faut  entendre  ce  prélude  ambitieux  et  interminable,  et 
toute  cette  scène  de  Sanga,  où  l'infortunée  pousse  des  cris  à  fendre 
L'âme?  Quel  vide  dans  ce  bruit  qui  n'est  même  pas  tumultueux  et  qui 
n'a  aucun  sens  !  Mais  je  n'en  veux  pas  dire  davantage  :  on  ne  prend 
pas  un  merlin  pour  écraser  une  mouche,  et  où  il  n'y  a  rien  la  critique 
perd  son  encre. 

Et  pourtant,  quel  soin  apporté  flans  l'exécution  générale,  et  quelle 
interprétation  pour  une  œuvre  (?)  si  mal  veuue  !  M"e  Chenal,  pleine  de 
chaleur  dans  ce  rôle  de  Sanga.  où  elle  déploie  un  vrai  tempérament 
d'artiste,  tant  comme  chanteuse  que  comme  comédienne  :  M11"  Nelly 
Marlyl,  toute  gracieuse,  tout  aimable,  toute  charmante  dans  celui  de 
Lena,  le  seul  auquel  le  spectateur  puisse  porter  quelque  intérêt  : 
M.  Fugére,  excellent,  à  son  ordinaire,  en  représentant  le  fermier 
Vigord  ;  M.  Beyle,  qui  sauve  par  son  habileté  ce  que  le  personnage  de 
Jean  a  de  faux  et  presque  de  ridicule  ;  M.  Delvoye,  qui  fait  briller  sa 
voix  superbe  dans  celui  du  paysan  Gauchut  ;  sans  oublier  M"c  Lassalle. 
qui  cache  sa  jeunesse  sous  les  rides  de  la  Vieille,  et  qui  fait  preuve  à 
la  fois  d'adresse  et  de  bonne  volonté. 

La  mise  en  scène  est  ce  qu'elle  est  toujours  à  rOpéra-Comiirue, 
grâce  à  M.  Albert  Carré.  Le  tableau  de  la  ferme  est  charmant,  enso- 
leillé, plein  de  mouvement,  de  gaité  et  de  belle  humeur  (avec  des 
poules,  de  vraies  poules,  s.  v.  p..  picorant  dans  la  paille).  Celui  de  la 
montagne  est  saisissant,  d'une  ampleur  superbe,  avec  ses  effets  d'orage, 
et  celui  de  l'inondation  ne  lui  cède  en  rien  comme  impression  terrible. 
Tout  cela  est  d'une  vérité  que  rien  ne  saurait  surpasser. 

Ajoutons  enfin  que  l'ensemble  est  complété,  sous  la  ferme  direction 
de  M.  Ruhlmann,  par  l'excellence  de  l'orchestre  et  des  chœurs. 

Arthur  Pougin. 


Comédie-Française. 


-  Le  Foyer,   comédie   en   trois    actes,   de   MM.  OctaY 
Mirbeau  et  ïhadée  Xatanson. 


Le  «  Foyer  »  est  un  établissement  où  l'on  reçoit  des  jeunes  filles 
dépourvues  de  tous  moyens  d'existence,  afin  de  les  instruire  et  de  leur 
apprendre  un  métier.  Il  a  comme  directeur  le  baron  Courtin.  uoble  de 
race,  sénateur,  membre  de  l'Académie  française  et  commandeur  de 
la  Légion  d'honneur.  Ce  personnage  est  le  type  de  la  médiocrité  par- 
venue. Regardez  cette  figure  solennelle  avec  sa  tare  d'insignifiance 
accentuée  par  des  favoris  trop  soignés,  elle  peut  appartenir  aussi  bien 
à  un  ministre  qu'à  l'huissier  de  son  cabinet  ;  soyez  sur  que  cet  homme- 
là  n'existe  ni  par  le  talent,  ni  par  la  conscience,  ni  par  la  dignité  de  sa 
vie.  Il  restera  honnête  si  rien  ne  l'écarté  de  la  bonne  route  facile  à 


396 


LE  MÉNESTREL 


suivre  ;  il.ressemblera  alors  à  un  grand  nombre  de  ses  contemporains  : 
mais,  s'il  surgit  des  difficultés,  dès  la  première  il  perdra  la  tète,  et  la 
culotte  verte  de  l'Immortel,  aussi  bien  que  le  grand  cordon  de  la  chan- 
cellerie, courront  risque  sérieux  de  scandale  et  d'éclaboussures.  Il  a 
pour  femme  la  créature  la  plus  coquette,  la  plus  papillotante,  la  plus 
frivole,  futile  et  jolie  qu'on  puisse  imaginer.  Maîtresse  de  l'archimil- 
lionnaire  financier  Biron,  elle  s'est  lassée  de  lui  lorsqu'il  a  pris  de 
l 'âge  et  de  l'embonpoint.  Il  manque  de  distinction,  de  tenue,  tandis  que 
le  jeune  Robert  d'Auberval  est  si  séduisant,  avec  les  petits  airs  de  so- 
cialiste mondain  qu'il  se  donne  !  N'a-t-elle  pas  droit  à  un  nouveau 
caprice,  cette  jeune  élégante  entourée  d'hommages  qu'elle  savoure  dans 
la  soie  et  les  fleurs  ?  Son  mari  nous  a  exposé  déjà  sa  maxime  de  gou- 
vernement ;  elle  tient  en  trois  mots  :  «  Taire  le  mal  ».  Il  sait  bien  que 
sa  femme  l'a  longtemps  trompé,  mais  il  n'ignore  pas  non  plus  qu'en 
feignant  de  ne  rien  savoir,  il  a  été  payé  de  sa  complaisance  par  des 
sommes  considérables  qui  sont  venues  accroître  le  bien-être  de  son 
intérieur,  et  lui  ont  permis  d'afficher  un  luxe  et  un  confortable  au- 
dessus  de  ses  propres  ressources. 

Courtin  a  écrit,  selon  la  bonne  formule,  des  livres  humanitaires.  Il  a 
fait  de  la  charité  un  terrain  de  rapport  et  du  «  Foyer  »  une  exploita- 
tion. Les  jeunes  filles,  casernées  dans  l'établissement  sous  l'autorité  de 
Mllc  Rambert,  sont  mal  nourries  et  victimes  de  méthodes  pédagogiques 
expéditives  et  déprimantes.  Les  produits  de  leur  travail,  vendus  au 
dehors,  formeraient  pour  l'institution  des  ressources  nullement  négli- 
geables si  l'honnête  baron,  sénateur  et  académicien,  ne  s'en  servait 
pour  soutenir  son  train  de  maison  et  pour  spéculer  à  la  Bourse.  Les 
choses  en  sont  venues  au  point  qu'une  catastrophe  est  imminente.  Une 
enfant  recueillie  au  «  Foyer  »  est  morte  dans  un  placard  où  on  l'avait 
enfermée  pour  la  punir,  et  ensuite  oubliée  ;  d'autres  sont  tombées  ma- 
lades par  manque  d'hygiène  ou  à  la  suite  de  traitements  barbares.  Les 
journaux  ont  ébruité  ces  faits  ;  la  justice  va  ordonner  une  enquête. 
Grâce  à  ses  appuis  auprès  des  ministres,  Courtin  saura  bien  se  tirer  de 
ce  mauvais  pas  :  il  suffira  pour  cela  de  jeter  à  la  porte  Mlle  Rambert, 
qui  ne  mérite  pas  d'autre  traitement  ;  mais  la  comptabilité  du  «  Foyer  » 
accuse  un  déficit  de  trois  cent  mille  francs,  et  si  une  vérification  en 
est  faite,  on  reconnaîtra  bientôt  que.  dans  l'asile  ouvert  par  le  sénateur, 
la  morale  et  l'éducation,  de  même  que  la  charité,  la  bienfaisance  et  la 
philanthropie  n'ont  été  que  des  masques.  Sous  ces  masques,  il  y  avait 
la  dilapidation,  le  vol  ou  pis  encore.  Il  faut  donc,  de  toute  nécessité, 
trouver  la  forte  somme.  Qui  peut  la  donner?  Biron.  Qui  saurait  la 
solliciter  avec  un  charme  irrésistible?  Thérèse  Courtin,  son  ancienne 
maîtresse  qu'il  adore  et  supplie  chaque  jour  de  revenir  à  lui.  Et 
qui  peut  décider  Thérèse  à  s'adresser  à  Biron?  Son  mari,  Courtin 
lui-même,  qui  s'effondre  ici  plus  bas  que  l'on  ne  saurait  dire. 

C'est  là  le  comble  de  la  vilenie;  l'abjection  même.  La  scène  est  à  ce 
point  supérieurement  traitée  qu'elle  ne  révolte  guère,  tant  ce  qui  s'y 
passe  est  attendu,  indispensable  et  considéré  comme  la  seule  issue  pos- 
sible d'une  situation  intolérable.  Après  une  certaine  résistance,  Thé- 
rèse court  chez  Biron  et  se  livre  à  lui  comme  autrefois.  Elle  organise 
avec  lui  une  croisière  qui  va  devenir  une  sorte  de  pseudo-voyage  de 
noces.  On  emmènera  le  jeune  d'Auberval,  qui  chantera  des  romances  à 
la  belle  Thérèse  que  Biron  veut  bien  partager  avec  lui;  Courtin,  le 
mari  complaisant,  écrira  sous  le  ciel  d'Italie  le  rapport  sur  les  prix  de 
vertu  que  lui  a  confié  l'Académie,  et  Biron  rattachera  cyniquement  le 
fil  de  ses  anciennes  jouissances.  Quant  au  «  Foyer  ».  un  ancien  direc- 
teur de  prison  se  charge  de  l'exploiter  et  d'en  tirer  d'honnêtes  profils. 

Le  Foyer  est  certainement  l'une  des  pièces  les  mieux  conduites,  les 
plus  solidement  écrites,  les  plus  hardies  et  les  plus  adroitement  pré- 
sentées que  nous  ayons  eues  depuis  longtemps.  Il  n'y  a  là  ni  poésie, 
ni  visions  sympathiques.  ITn  observateur  a  passé  avec  son  scalpel  ;  froi- 
dement, impassiblement,  il  a  ouvert  des  plaies,  en  a  relevé  les  bords  et 
nous  les  a  montrées.  La  société  est-elle  ainsi  gangrenée?  —  Assuré- 
ment l'on  ne  voudrait  pas  le  croire,  mais  les  auteurs  sont  dans  leur 
droit,  si  le  moindre  germe  des  ignominies  qu'ils  ont  dévoilées  se  trouve 
dans  son  sein.  Le  reste  est  exagération  de  moraliste  chagrin  ou  gros- 
sissement d'optique  théâtrale.  Dans  les  temps  nouveaux,  pensent  les 
auteurs  du  Foyer,  la  charité  doit  disparaître  et  faire  place  à  la  seule 
justice.  L'idée  est  assurément  belle  si  l'on  sait  la  comprendre.  Elle  a 
été  magistralement  présentée  dans  un  ouvrage  d'économiste  raru  en 
1846, 

L'interprétation  du  Foyer  est  glorieuse  pour  la  Comédie-Française. 
Les  acteurs  ont  senti  que  tout  ce  qu'ils  avaient  à  dire  est  écrit  dans  un 
style  fort,  concis.incisif,  et  dont,  par  suite,  tous  les  mots  doivent  porter. 
Ils  ont  soigné  leur  diction  et  nous  croyons  que  bien  rarement  une 
œuvre  a  laissé  pareille  impression  de  clarté.  Mais  le  plus  grand  mérite 
des  interprètes,  c'est  la  discrétion  des  moyens.  Tous  les  personnages 


sont  une  véritable  lie  sociale.  Eh  bien,  tous  nous  semblent  si  incons- 
cients du  juste  et  de  l'injuste,  si  dominés  par  les  ambiances,  si  entraî- 
nés par  les  vices  d'état  —  il  y  a  des  vices  d'état  comme  des  grâces 
d'état  —,  que  l'on  serait  tenté  de  les  absoudre  et  de  rejeter  leur  abjec- 
tion sur  la  société  tout  entière.  L'art  de  bien  dire  peut  causer  de  pareils 
malentendus  et  faire  naitre  de  telles  illusions.  Il  y  a  unanimité  dans 
l'éloge  pour  Mme  Bartet,  délicieusement  captivante  avec  ses  coquetteries 
perverses  et  sa  vivacité  mutine  ;  pour  M.  Huguenet,  qui  fait  de  Courtin 
ce  vaniteux, béat  dont  le  visage  porte  l'empreinte  d'une  nullité  préten- 
tieuse; pour  Mme  Pierson,  type  frappant  de  la  vieille  fille  acerbe  et 
cruelle  que  guette  peut-être  l'hystérie;  enfin  pour  M.  de  Féraudy,  qui  a 
fait  de  Biron  une  sorte  de  félin  usant  de  toutes  les  souplesses  humi- 
liées, et  pour  M.  Truffier,  type  amusant  d'abbé  déjà  gâté  par  ses  fré- 
quentations, mais  actif,  agité,  voulant  exercer  une  influence;  c'est  lui 
l'aumônier  du  «Foyer  «.Les  autres  rôles  ont  aussi  d'excellents  titulaires 
en  MM.  Joliet,  Ravet,  Croué,  Grandval,  Paul  Numa,  Jacques  de 
Féraudy,  M"?  Amel,  Persoons  et  Lynnès.  L'ouvrage  comporte  deux 
décors:  ils  sont  luxueux  et  d'un  joli  effet. 

ÂMÉDÉE  BotTAREL. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


C'est  l'excellent  Georges  Marty  qui  avait  eu  l'initiative  et  l'honneur  de 
remettre  en  lumière,  en  1902,  à  la  Société  des  Concerts,  cette  œuvre  colossale, 
surhumaine,  qui  a  nom  la  Messe  en  si  mineur  de  Jean-Séhastien  Bach,  colos- 
sale par  ses  proportions,  sa  forme  et  sa  beauté,  colossale  aussi  par  l'effort 
immense  qu'elle  exige  de  la  part  de  tous  pour  son  exécution.  Dans  sa  biogra- 
phie, devenue  justement  célèbre,  du  fameux  cantor  de  Leipzig,  Spitta  a  dit 
avec  raison:  «Toutes  les  compositions  de  Bach,  fussent- elles  perdues,  à 
l'exception  de  cette  Messe  en  si  mineur,  qu'elle  suffirait  seule  pour  la  faire 
apprécier  par  la  postérité  comme  ayant  eu,  pour  ainsi  dire,  la  révélation 
divine.  »  La  Messe  en  si  mineur,  écrite  sur  les  paroles  latines  de  la  liturgie, 
est  une  messe  catholique  due  à  un  protestant.  C'est  pour  la  cour  de  Saxe,  qui 
était  catholique,  que  Bach  en  commença  la  composition,  en  écrivant  le  Kyrie 
et  le  Gloria,  qu'il  fit  parvenir  au  prince  Frédéric-Auguste,  en  exprimant  le 
désir  d'être  nommé  compositeur  de  la  cour,  ce  qui  l'aiderait  à  lutter  contre 
les  ennuis  qu'il  avait  à  subir  de  la  part  des  administrateurs  de  la  Thomasschule. 
Ce  n'est  que  plus  tard,  et  à  diverses  reprises,  qu'il  la  reprit  et  la  termina. 
Certaines  parties  de  l'œuvre  ne  sont  point  originales  et  sont  des  adaptations 
au  texte  latin  de  diverses  cantates  écrites  précédemment  par  Bach  ;  ainsi  le 
Grattas,  le  Qui  ioilis,  le  Patrem  omnipotentem,  le  Crucifixus.  Mais  Spitta  fait 
remarquer  que  Bach  a  montré  une  grande  habileté  dans  ces  adaptations,  avec 
un  grand  souci  de  la  justesse  d'expression.  Il  est  à  peu  près  certain  que  la 
Messe  ne  fut  jamais  exécutée  en  entier  à  l'église  ;  ses  proportions  (elle  dure 
plus  de  deux  heures)  eussent  dépassé  de  beaucoup  la  durée  de  l'office.  On  sait 
d'ailleurs  de  source  certaine  que  Bach  ne  la  donna  jamais  intégralement 
même  à  Leipzig,  mais  qu'il  en  faisait  exécuter  des  fragments  aux  jours  de 
fête  :  il  frisait  entendre  ainsi  le  Kyrie  au  premier  dimanche  de  l'Avent.  le 
Gloria  à  Noél,  le  Sanclus  à  Noël,  à  Pâques  et  à  la  Pentecôte,  YHosanna,  le 
Benedietus,  YAgnus  Dei  et  le  Dona  nobis  pacem  pendant  la  communion  des  jours 
solennels,  et  le  Credo  au  service  de  la  fête  de  la  Trinité. 

Ce  qui  étonne,  dans  certaines  œuvres  de  Bach,  et  particulièrement  dans  la 
Messe  en  si  mineur,  c'est  l'habileté  qu'on  est  bien  obligé  de  supposer  de  la 
part  des  artistes  qu'il  avait  à  sa  disposition.  Dans  cette  composition  gigan- 
tesque (où  l'orchestre  ne  comprend  ni  clarinettes,  ni  cors,  ni  trombones),  il 
lui  fallait  des  solistes  vraiment  éprouvés  :  violon,  flûte,  hautbois,  trompettes 
(celles-ci  ont  des  traits  fantastiques  à  l'aigu),  et,  sans  parler  des  principales 
parties  vocales,  ce  qu'il  exige  des  chœurs,  particulièrement  les  sopranos  et  les 
ténors,  est  formidable,  au  point  de  vue  non  seulement  de  la  puissance  et  de 
l'étendue  des  voix,  mais  des  difficultés  et  de  la  rapidité  de  la  vocalisation.  Et 
il  faut  bien  dire  que  lorsque  l'œuvre  est  exécutée  dans  son  intégralité,  ainsi 
que  nous  venons  de  l'entendre,  l'effort  est  vraiment  prodigieux.  Mon  intention 
ne  saurait  être  ici.  on  le  conçoit,  d'esquisser  seulement  une  analyse  de  la 
Messe  ;  à  peine  puis-je  me  permettre  de  signaler  sommairement  queiques-uns 
des  vingt-deux  morceaux  qui  la  composent  :  le  Gloria,  superbe  d'éclat  dans  sa 
première  partie,  avec,  ensuite,  des  vocalises  étonnantes  où  les  soprani  se  sont 
montrés  héroïques  ;  le  Lawlamus.  air  de  soprano  d'un  caractère  délicieux, 
ainsi  que  le  Domine  Deus,  duo  pour  soprano  et  ténor  avec  flûte  solo,  qu'accom- 
pagne simplement,  avec  l'orgue,  un  pizzkuti  de  violoncelles  ;  le  Cum  sancto 
spiritu,  chœur  admirable,  d'une  ampleur,  d'une  couleur  et  d'une  sonorité 
superbes  :  le  Cruci/ixus,  autre  chœur,  empreint,  celui-ci,  d'un  sentiment 
poignant  de  douleur  indéGnissable  ;  le  Resurrexit,  puissant,  majestueux, 
immense,  avec  ses  éclats  de  trompettes  et  ses  vocalises  inouïes...  Mais  je  ne 
veux  pas  dresser  un  catalogue  et  je  n'en  saurais  dire  davantage,  fl  me  reste 
d'ailleurs  à  peine  assez  de  place  pour  féliciter  la  Société  dans  son  ensemble 
et  rendre  à  chacun  la  justice  qui  lui  est  due  en  ce  qui  concerne  la  beauté  de 
l'exécution  :  aux  solistes  chanteurs  et  instrumentistes,  Mmes  Mastio,  Auguez 
de  Montatant.   Charbonnel.   MM.   Devriès   et  Frœlich  d'une  part,  MM.  Brun 


LE  MÉNESTREL 


397 


(violon),  Hennebains  (flûte),  Bleuzet  ihautbois),  Lachanaud  (trompette), 
d'autre  part  :  aux  chœurs,  d'une  solidité,  d'une  crànerie  et  d'une  précision 
exemplaire;  à  l'orchestre  enfin  et  à  son  chef,  M.  Messager,  qui  tous  se  sont 
surpassés,  ont  montré  une  vaillance  extraordinaire  et  ont  fait  des  prodiges. 
Il  n'y  a  encore  qu'au  Conservatoire  qu'on  peut  avoir  la  joie  d'entendre  une 
pareille  œuvre,  pareillement  exécutée.  A.  P. 

—  Concerts-Colonne.  —  M.  Debussy  sait  à  l'occasion  produire  des  œuvres 
délicieusement  idéalistes  :  la  Damoiselle  élue,  l'Après-midi  d'un  faune  et  quel- 
ques morceaux  de  piano  le  démontrent  avec  un  charme  irrésistible.  Pourquoi 
donc  cet  artiste  si  doué  s'est-il  lais.-é  entraîner,  dans  l'ouvrage  intitulé  Trait 
nocturnes,  à  des  bizarreries  d'instrumentation  qui  évoquent  bien,  il  est  vrai, 
des  images,  mais  avec  une  certaine  pauvreté  d'imagination  et  une  monotonie 
extrême.  Prenons  le  premier  nocturne,  Nttur/es.  On  s'aperçoit  de  suite  qu'il 
s'agit  de  ces  nuages  aux  tons  de  plomb  et  d'étain,  qui  couvrent  le  ciel  pendant 
certains  jours  d'hiver:  —  le  cor  anglais  et  le  hautbois  ont  des  notes  qui  corres- 
pondent entièrement  à  l'impression  do  tristesse  que  le  musicien  veut  pro- 
duire ;  —  on  écoute  donc  d'abord  avec  une  attention  très  captivée,  puis  on  se 
lasse  quand  le  même  effet  revient,  revient  toujours  ;  l'on  se  surprend  alors  à 
penser  que  la  mélodie  est  pauvre  et  ne  se  renouvelle  pas.  Lorsqu'ensuite  nous 
entendons  le  second  nocturne,  Fêles,  les  bizarreries  de  l'instrumentation  nous 
intéressent,  sans  parvenir  toutefois  à  cacher  le  peu  de  valeur  rythmique  et  le 
peu  de  nouveauté  des  fanfares  grimaçantes  que  les  trompettes  jouent  en  sour- 
dine, sur  un  accompagnement  de  cordes  au  grave.  Ou  pourrait  comparer  cela 
à  une  épaisse  frange  foncée  surmontée  d'un  grêle  fil  d'acier  se  repliant  en 
arabesques.  M.  Debussy  me  pardonnera  de  parler  ici  d'un  fragment  de  la 
Symphonie  pastorale  que  l'on  a  donnée  au  même  concert.  Il  y  a  une  danse  de 
villageois  dans  l'œuvre  de  Beethoven  ;  cette  danse  est  d'un  rythme  lourd, 
mais  le  sentiment  qui  s'en  dégage  est  sain  et  robuste.  A  l'inverse  le  nocturne 
Fêtes  nous  fait  songer  à  ces  réjouissances  équivoques  du  peuple  dans  lesquelles 
se  mêle,  avec  l'élément  citadin,  les  flirts,  les  grossièretés,  les  drôleries  paysan- 
nesques,  toutes  choses  laides  et  fréquentes  qui  peuvent  assurément  devenir 
matière  d'art,  mais  auxquelles  ne  songeait  pas  l'àme  de  Beethoven.  Le  troi- 
sième nocturne,  Sirènes,  est  beaucoup  mieux  réussi.  L'introduction  d'un 
chœur  de  femme  à  quatre  parties,  traité  comme  une  famille  insu-umentale.  y 
produit  un  effet  charmant.  —  Le  concerto  en  fa  pour  violon,  de  Lalo,  est  une 
œuvre  d'heureuse  inspiration.  Il  débute  par  un  andante  des  plus  agréables  ; 
ensuite  le  mouvement  et  la  passion  se  font  jour  dans  un  Allegro.  Les  deux  autres 
morceaux,  Andantino  et  Allegro  con  fuoeo,  sont  d'une  grâce  exquise;  élégante 
et  distinguée  dans  l'un,  vive,  joyeuse  et  folâtre  dans  l'autre.  M.  Jacques 
Thibaud  a  interprété  ce  bel  ouvrage  avec  un  style  plein  de  noblesse,  une  belle 
sonorité,  une  virtuosité  simple  et  pleine  d'aisance.  Il  a  joué  aussi  le 
Concertstuck,  op.  20,  de  Saint-Saëns,  une  des  compositions  de  jeunesse  du 
maître.  L'assistance  a  rappelé  maintes  foi»  chaleureusement  l'excellent  vio- 
loniste. Elle  s'est  montrée  un  peu  froide  pour  deux  mélodies  de  M.  Louis 
Brisset,  Aux  jardins  idéals  et  Guitare.  Ces  deux  pièces,  que  le  programme 
appelle  «  poèmes  »,  ne  brillent  point  par  l'invention,  et  leurs  accompagne- 
ments d'orchestre  n'y  ajoutent  guère  qu'un  peu  de  vulgarité.  Elles  ont  été 
chantées  par  Mme  Laute-Brun.  La  Chevauchée  des  Walkyries  complétait  le  pro- 
gramme. Amédée  Boitarel. 

—  Concerts-Lamoureux.  —  Peut-il  être  encore  dit  quelque  chose  de  neuf 
sur  la  première  symphonie  de  Schumann?  Est-il  besoin  d'insister  sur  les 
qualités  maîtresses  de  celte  œuvre,  une  des  plus  personnelles,  des  plus  pro- 
fondément inspirés  du  maître  ;  sur  ce  premier  mouvement  au  rythme  persis- 
tant jusqu'à  l'obsession,  qui  étreint,  pénètre  et  martèle  l'oreille  et  l'esprit; 
sur  le  larghetto,  une  des  pages  les  plus  belles,  non  pas  seulement  de  Schu- 
mann, mais  de  toute  la  musique  ;  sur  le  scherzo  si  ingénieusement  varié  avec 
l'alternance  de  ses  deux  trios  ;  sur  le  finale  aux  délicates  dentelures,  à  la  grâce 
incomparable?  L'exécution  par  l'orchestre  de  M.  Chevillard  fut  satisfaisante, 
d'une  correction  un  peu  sèche  peut-être,  sauf  dans  le  larghetto,  qui  fut  traduit 
avec  une  belle  émotion  contenue.  Le  cinquième  concerto  de  Beethoven  valut 
à  M.  Harold  Bauèr  un  succès  chaleureux.  Le  brillant  pianiste  nous  revient 
après  une  assez  longue  éclipse,  en  possession  d'une  technique  admirable, 
d'une  maîtrise  complète  mises  au  service  d'une  rare  conscience  artistique, 
également  dédaigneux  des  effets  faciles  et  des  recherches  vaines.  Son  jeu 
n'est  pas  seulement  un  plaisir,  mais  un  enseignement.  —  La  Chasse  et  l'orage 
des  Troyens  de  Berlioz  et  une  Marche  Polorlsienne  du  Prince  Igor  de  Borodine, 
complétaient  la  partie  purement  symphonique  du  concert.  Du  premier  mor- 
ceau il  ne  reste  à  parler  que  de  l'exécution  vivante  et  colorée  qu'en  donna 
M.  Chevillard  ;  du  second,  qui  terminait  brillamment  la  séance,  on  doit  louer 
la  verve,  l'entrain  qui  se  dégagent  de  rythmes  curieusement  combinés,  l'ins- 
trumentation éblouissante  (qui  est  due  à  Rimsky-Korsakow,  car  le  Prince  Igor 
fut  laissé  inachevé  par  Borodine)  tout  en  regrettant  certaines  vulgarités 
qu'explique  sans  les  excuser  pourtant  le  caractère  tout  extérieur  de  cette  page 
pittoresque.  —  Je  ne  sais  si  c'est  bien  servir  la  cause  d'un  compositeur  que 
de  soumettre  à  l'admiration  de  ses  contemporains  les  moindres  pages  sorties 
de  sa  plume,  même  infantile.  La  cantate  qui  valut  à  M.  Debussy  le  prix  de 
Rome  en  188 i  ne  semble  pas  plus  mériter  les  honneurs  d'une  exécution  solen- 
nelle que  les  cantates  de  ses  rivaux  des  mêmes  années:  je  ne  crois  pas  que 
le  regretté  Marty,  queMM.  Pierné,  Charpentier,  pour  ne  parler  que  des  jeunes 
lauréats  de  cette  époque,  devenus  des  maîtres  aujourd'hui,  aient  beaucoup  de 
gloire  à  récolter  de  ces  résurrections  d'œuvres  de  jeunesse  qui  ne  sont,  en 
somme,  que  des  exercices  d'école,  coulés  tous  dans  un  même  moule  suranné 
et  qui  ont  pour  principal   caractère   de   ne  présenter   aucune  originalité.  Ces 


réserves  faites,  je  reconnais  qu'on  peut  entendre  sans  déplaisir  les  fragments 
de  l'Enfant  prodigue  que  M.  Chevillard  nous  a  donnés  dimanche  et  dont 
M"1"  Charlotte  Lormont  a  détaillé  avec  charme  la  cantilène  obligée;  je  con- 
sentirai même  à  deviner  le  Debussy  du  XX«  siècle  dans  la  gamme  par  tons 
entiers  (non  harmonisée  encore)  dont  se  pare  (déjà!)  l'air  de  danse  qui  suit: 
et  je  conclurai  en  constatant  que  le  public  a  paru  s'intéresser  à  ces  premiers 
balbutiements  d'un  jeune  talent  cherchant  sa  voie  et  non  encore  affranchi  de 
la  tutelle  scolastique.  si  méprisée  depuis.  .1.  Jemain. 

—  Programmes  des  concerts  de  demain  dimanche  : 

Conservatoire,  sous  ladirection  de  M.  André  Messager    '  .r.in  l>   Messe  en  «mineur 
(Bach);  soli  :  M™'  Mastio,  Auguez  de  Montalant,  Charbonnel,   MM.    Di 
Friilicli. 

Chùtelet,  Concerts-Colonne  :  Septième  symphonie,  <a  la  Beethoven  .  —  Air  de 
Cassandre  de  la  Prise  de  Troie  (Berlioz),  par  M-  Delna.  —  .1»  Cimetière  Haxd'Ollone 
et  le  Roi  des  Aulnes  (Schubert-Berlioz),  par  M™  Delna.  —  Concerto  en  un  bémol  pou 
piano,  n°  3  (Sainl-Saéns;,  par  M™'  Marguerite  Long.  —  £e»  Troyens  à  Cartilage  (Ber- 
lioz), Mort  de  Didon,  par  M"'  Delna.  —  Ouverture  du  (animal  romain  (Berlioz. 

Salle  Gaveau,  Concerts-Lamoureux,  sous  la  direction  de  M.  Chevillard  :  Ouverture 
cVIphigénie  en  Aulide  (Gluck).  —  Psyelié  (C.  Franck).  —  Deux  poèmes  (Caplel  ,  pal 
M"' Rose  Féarl.  —  Ouverture  des  Maîtres  Chanteurs  (Wagner.  —  Lamenta  Ma 
d'Ollone).  —  Suite  lyrique  (Grieg).  —  Air  de  Fidelio  (Beethoven),  par  M"'  Rose  Féart. 
—  Symphonie  en  ut  mineur  avec  orgue  'Saint-Saëns  . 

—  La  deuxième  séance  du  quatuor  Capet  a  été  un  succès  artistique  d'ordre 
élevé.  La  beauté  des  quatuors  op.  18,  n°3.  op.  74  et  op.  13-'i  s'est  affirmée 
d'autant  mieux  que  les  interprètes  ont  apporté  dans  leur  style  les  modifica- 
tions que  comportent,  selon  l'époque  de  leur  composition,  les  trois  chefs- 
d'œuvre  de  Beethoven.  Le  premier  appartient  encore  à  la  période  d'achemi- 
nement pendant  laquelle,  tout  en  se  dégageant  de  plus  en  plus  de  l'influence 
de  ses  prédécesseurs,  Beethoven  la  subissait  encore.  Le  second  pénètre  bien 
plus  profondément  dans  l'àme.  émeut  irrésistiblement  par  son  Adagio  en  la 
bémol  et  entraine  dans  le  tourbillon  si  léger  de  son  final  avec  une  vivacité 
d'allure  extrêmement  caractéristique.  Le  troisième,  dernier  de  la  série  des 
quatuors,  est  excessivement  court  ;  son  Lento  assai  est,  dit-on,  l'adieu  suprémi- 
de  Beethoven  à  son  art  avant  de  laisser  tomber  sa  plume  pour  ne  plus  la 
reprendre  ;  c'est  une  effusion  musicale  rêveuse,  calme  et  reposante  qui  semble 
sortir  du  cadre  des  impressions  terrestres.  Le  final,  au  contraire,  s'y  rattache: 
il  témoigne  de  toute  la  robuste  énergie  du  maître  ;  il  a  son  histoire  :  c'est  le 
morceau  qu'on  appelle  «  la  résolution  difficilement  prise  ».         Am.  B. 

—  La  deuxième  matinée  Danbé  était  consacrée  aux  œuvres  de  M.  Gabriel 
Fauré.  L'éminent  directeur  du  Conservatoire  accompagnait  lui-même  ses 
exquises  mélodies  :  Lydia,  les  Berceaux,  au  Cimetière,  Sérénade,  Clair  de  lune, 
Bareàrolle,  Accompagnement,  que  Mme  Jeanne  Raunay  détailla  avec  l'art  con- 
sommé qu'on  lui  connaît.  Le  quatuor  vocal  Battaille  (Mmes  Garnier,  Olivier. 
MM.  Drouville  et  L.-Ch.  Battaille)  interpréta  le  cantique  et  le  madrigal  et  y  fut 
très  applaudi,  ainsi  que  Mnie  Marguerite  Long,  dont  le  beau  talent  de  pianiste 
s'affirma  dans  la  Romance,  la  Valse-Caprice  et  dans  le  superbe  quatuor  en  sol 
mineur,  avec  MM.  Soudant,  Migard  et  Bedetti.  La  célèbre  Berceuse,  par  le  vio- 
lon de  M.  Soudant,  fut  très  appréciée,  et  aussi  le  joli  quatuor  à  cordes  d'Haydn 
qui  terminait  la  séance.  —  La  prochaine  matinée,  mercredi  16 décembre,  réu- 
nira les  noms  de  MM.  Alexandre  Georges  et  Léon  Moreau.  Mlle  J.  Brohly  et 
Tagliafeno,  MM.  Cossira  et  Lucien  Berton. 

—  Le  Concert-Marigny  débutait  par  l'ouverture  du  Roi  d'Ys  et  la  symphonie 
en  mi  bémol  de  Mozart.  Les  deux  œuvres,  si  différentes  de  style,  ont  été  enle- 
vées de  verve  par  M.  de  Lêry  et  son  orchestre.  Par  contre,  la  Danse  macabre 
et  le  Rouet  d  Omphule,  ces  deux  chefs-d'œuvre  de  C.  Saint-Saèns,  ont  été  inter- 
prétés avec  quelque  négligence.  Mais  on  a  apprécié  particulièrement  le  beau 
talent  de  Mlle  Cella  Delavrancea  dans  les  nobles  Variations  symphoniques  pour 
piano  et  orchestre,  de  César  Franck.  La  technique  de  cette  charmante  pianiste 
est  fort  brillante  et  d'une  clarté  absolue,  sa  sonorité  est  exquise.  Mais  ce  qu'il 
faut  louer  avant  tout,  c'est  son  style  naturel,  sa  fougue  juvénile,  son 
expression  émouvante.  Mlle  Delavrancea  a  été  longuement  applaudie  et  rappe- 
lée. La  jeune  artiste  fait  le  plus  grand  honneur  à  l'enseignement  de  M.  I.  Phi- 
lipp. 

—  Un  autre  virtuose  de  la  même  école,  M.  Maurice  Dumesnil.  a  eu  un 
véritable  et  très  brillaut  succès  au  cinquième  festival  Barrau.  Son  programme 
se  composait  du  quatuor  de  Chausson  joué  par  MM.  'Wuillaunie,  Maçon  et 
Feuillard,  et  des  intéressantes  Variations  de  M.  Camille  Chevillard.  dont  la 
superbe  interprétation  a  valu  à  M.  Dumesnil  trois  ou  quatre  rappels.  Des 
pièces  de  harpe  de  MM.  G.  Fauré  et  G.  Pierné,  bien  dites  par  M,le  Laskine.  et 
le  quatuor  de  Borodine.  complétaient  le  programme. 

—  La  «  Fondation  J.-S.  Bach  »,  instituée  et  dirigée  par  l'excellent  violo- 
niste Charles  Bouvet,  donnera  cet  hiver  quatre  séances  du  plus  haut  intérêt, 
qui  auront  lieu,  Salle  Pleyel,  à  9  heures  du  soir.  La  première  sera  donnée  le 
jeudi  17  décembre,  au  profit  du  musée  créé  dans  la  maison  natale  de  J.-S.  Bach  à 
Eisenach.  Cette  séance  comportera  un  programme  exclusivement  composé 
d'œuvres  du  «  maître  des  maîtres  »,  entre  autres  la  première  audition  d'une 
cantate  italienne, Amoretraditore,  et  la  cantate  nuptiale  0  hohler  tag ,  chantée  par 
Mme  Mellot-Joubert.  MM.  A.  Guilmant,  G.  Panneton.  J.  Tiersot,  J.  Jemain. 
G.  Blanquart,  L.  Bleuzet  collaboreront  à  cette  fête  de  bienfaisance  artistique 
pour  laquelle  le  poète  Ch.  Grandmougin  a  écrit  spécialement  une  pièce  en 


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LE  MÉNESTREL 


vers  :  Les  Derniers  Jours  de  J.-S.  Bach  qu'il  dira  lui-même.  —  Seconde  séance 
le  vendredi  29  janvier.  École  Autrichienne.  —  Troisième  séance  le  samedi 
27  février.  Écoles  diverses.  —  Quatrième  séance  le  mardi  30  mars.  Ecole 
Anglaise. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(POUR    LES    8EUL8    ABONNÉS    A    I.A    MU8IQUK") 


Noël  approche.  Xous  pensons  donc  être  agréables  à  nos  abonnés  en  leur  offrant  un 
Noël  écrit  tout  exprès  pour  eux  par  le  grand  maître  Massenet,  sur  une  poésie  char- 
mante de  Jean  Aicard:  Le  Noël  des  Humbles,  sorte  de  cantique  tout  simple,  où  l'émo- 
tion du  musicien  a  su  s'allier  très  heureusement  à  la  grâce  naïve  du  poète. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

De  notre  correspondant  de  Belgique  (9  décembre).  —  La  Monnaie  est  tout 
à- la  préparation  des  œuvres  nouvelles  qu'elle  offrira  au  public,  à  peu  de  dis- 
tance l'une  de  l'autre,  très  prochainement.  La  composition  très  diverse  de  la 
troupe  lui  permet  de  travailler  ainsi  plusieurs  partitions  à  la  fois  et  de  les 
présenter  à  peu  près  en  même  temps,  sans  que  la  marche  du  répertoire  en 
souffre  aucunement.  Monna  Vanna  (dont  les  principaux  rôles  sont  confiés  à 
Mme  Pacary  et  à  M.  "Verdier)  passera  le  lendemain  de  la  première  à  l'Opéra  : 
Aïiane  et  Barbe-Bleue,  selon  les  circonstances,  ou  lui  succédera  ou  la  précédera. 
Puis  viendra  Sainte-Catherine  lie  Sienne,  l'œuvre  inédite  de  M.  Edgar  Tinel, 
qui  exigera  un  grand  déploiement  de  chœurs  et  de  mise  en  scène  ;  peut-être 
aurons-nous  aussi  la  Habanera,  de  M.  Laparra,  sans  compter  quelques  reprises 
importantes,  et  quelques  autres,  non  désagréables,  comme  celles  du  Pardon 
de  Plbërmel  et  de  Bornéo  et  Juliette  avec  Ml,e  de  Tréville,  de  Paillasse,  du 
Tableau  parlant  de  Grétry,  de  l'Attaque  du  Moulin,  avec...  Mais,  chut!  Ceci  est 
encore  un  secret  pour  les  Bruxellois.  En  attendant,  nous  avons  eu  la  reprise, 
assurément  sensationnelle,  de  la  Salomé  de  M.  Bichard  Strauss,  que  Mme  Ma- 
zarin  avait  créée,  ici,  en  français,  il  y  a  deux  ans.  Celle-ci  a  trouvé  en 
jTme  Friche  une  héritière  qui  l'a  fait  victorieusement  oublier  par  des  qualités 
musicales  et  vocales  de  premier  ordre,  unies  à  une  interprétation  plastique  et 
expressive  tout  à  fait  remarquable.  La  plupart  des  autres  personnages  avaient 
retrouvé  leurs  titulaires  anciens.  Mais  l'ensemble,  admirablement  mis  au 
point,  la  mise  en  scène  plus  suggestive,  l'orchestre  magnifique,  la  compréhension 
de  l'œuvre  plus  parfaite,  tout  cela  a  contribué  à  mettre  en  relief,  mieux  encore 
que  la  première  fois,  la  couleur  éclatante  et  le  mouvement  extraordinaire  de 
cette  partition  follement  et  insolemment  éblouissante,  écrasante  et  crispante, 
qui  prend  d'assaut  l'admiration,  comme  une  forteresse.  Le  succès  a  été  très 
grand.  Quelques  jours  avant,  la  Monnaie  afait  repris  les  Pêcheurs  de  Perles,  de 
Bizet,  où  MUe  de  Tréville  a,  une  fois  de  plus,  fait  triompher  son  exquise  vir- 
tuosité et,  pour  achever  le  contraste,  les  Noces  de  Jeannette  et  le  Maître  de  Cha- 
pelle, qui  n'ont  pas  valu  moins  d'applaudissements  à  M.  Decléry,  le  plus 
artistes  de  nos  chanteurs.  —  Le  Théâtre-Molière  continue  ses  intéressantes 
matinées  d'opéra-comique,  qu'il  avait  inaugurées  si  heureusement  l'année  der- 
nière. On  a  donné  récemment  Haydée,  puis  Galathée  et  le  Chalet.  L'accueil  fait 
à  ces  résurrections  d'œuvres  toujours  charmantes  n'a  pas  cessé  un  seul  ins- 
tant d'être  chaleureux.  Une  très  aimable  troupe  les  interprète  avec  vaillance 
et  même  avec  talent.  Il  y  a  notamment  un  baryton,  M.  Tarquini  d'Or,  qui  a 
une  jolie  voix  et  qui  chante  à  ravir.  Il  n'en  fallait  pas  plus  pour  rendre  la  vie 
à  un  répertoire  que  l'on  a  peut-être  été  trop  pressé  de  faire  mourir.       L.  S. 

—  Le  ministère  des  cultes  de  Prusse  vient  de  consentir  à  verser  une  contri- 
bution de  73.000  francs,  afin  de  permettre  la  continuation  de  l'édition  complète 
des  œuvres  de  Joseph  Haydn.  Les  frais  nécessités  par  cette  grande  entreprise 
sent  évalués  à  environ  300.000  francs. 

—  C'est  l'excellente  artiste  Mme  Thila  Plaichinger  qui  interprétera  la  pre- 
mière le  rôle  d'Elektra  à  l'Opéra-Boyal  de  Berlin,  dans  le  dernier  ouvrage 
dramatique  de  M.  Bichard  Strauss.  La  première  représentation  à  ce  théâtre 
est  actuellement  fixée  au  4  février  1909. 

—  C'est,  parait-il,  une  jeune  artiste  autrichienne,  M"e  Mimi  Aguglia,  qui 
vient  de  battre  le  record  des  rappels  à  la  rampe.  Son  succès  a  été  si  grand  au 
théâtre  .In  der  Mien,  de  Vienne,  dans  une  comédie  dont  elle  remplissait  le 
principal  rôle,  qu'elle  n'a  pas  été  rappelée  moins  de  cinquante  fois  dans  le 
cours  de  la  soirée.  Enfoncé,  Caruso  ! 

—  On  annonce  les  fiançailles  de  MUc  Eva  Wagner  avec  l'écrivain  wagnérien 
bien  connu  M.  Houston  Chamberlain.  Le  mariage  est  fixé  au  26  décembre 
prochain. 

—  Lundi  dernier  a  été  donnée  à  l'Opéra  de  Francfort  la  première  repré- 
sentation d'une  opérette  nouvelle  en  trois  actes,  Prima  ballerina,  texte  de 
M.  Max  Beimann,  musique  de  M.  Otto  Schwartz.  L'action  se  passe  au  temps 
de  Frédéric  le  Grand  et  la  première  ballerine  à  laquelle  fait  allusion  le  titre 
de  l'ouvrage  est  la  célèbre  danseuse  de  la  Cour,  la  signora  Barbarini.  Une 
opérette  du  même  compositeur.  Hôtel  Eva,  a  été  représentée  à  Cassel  en  1906. 


—  Le  jury  chargé  de  juger  divers  concours  ouverts  au  Conservatoire  de 
Milan,  pour  des  places  vacantes  de  professeurs,  a  terminé  ses  travaux.  Il  a 
nommé  professeur  de  chant  M.  Vittorio  Vanza,  et  professeur  d'histoire  et 
d'esthétique  musicale  M.  G-iusto  Zampieri,  qui  suppléait  déjà  dans  cette 
classe  M.  Galli,  démissionnaire.  En  ce  qui  concerne  la  classe  de  composition, 
le  concours  reste  nul,  le  jury  n'ayant  trouvé  parmi  les  candidats  «  aucun  qui 
fut  digne  de  monter  sur  le  siège  qui  avait  été  occupé  jadis  par  Ponchielli  et 
Catalani  ». 

—  La  fabrique  du  Dôme  de  Milan  avait,  pour  prendre  part  aux  fêtes  du 
centenaire  du  Conservatoire,  ouvert  un  concours  réservé  aux  anciens  élèves 
diplômés  de  cet  établissement  pour  la  composition  de  pièces  pour  deux 
orgues.  Le  jury  de  ce  concours,  présidé  par  monsignor  Angelo  Nasoni  et 
composé  de  MM.  Salvatore  Gallotti,  Giuseppe  Terrabugio,  Giuseppe  Bamella 
et  Adolfo  Bossi,  organiste  du  Dôme,  ayant  examiné  dix-neuf  envois  faits 
par  quinze  artistes,  a  décerné  les  récompenses  suivantes  (prime  de  100  francs 
et  une  médaille  d'argent)  :  à  M.  Marco  Anzoletti,  professeur  au  Conserva- 
toire, pour  une  Fantaisie  sacrée:  à  M.  Carlo  Censi,  pour  une  Fantaisie  en 
forme  de  Toccata  et  pour  un  Largo  (Offertoire)  ;  à  M.  Ciro  Grassi,  premier 
organiste  au  Santo  do  Padoue,  pour  un  Interlude  (thématique);  Alessandro 
Marinelli,  organiste  à  Santa  Maria  et  sous-directeur  de  l'Institut  Doni- 
zetti  de  Bergame,  pour  un  Mouvement  de  sonate;  et  à  M.  Carlo  Pedron, 
sous-bibliothécaire  au  Conservatoire,  pour  un  Mouvement  de  sonate.  Le  jury 
a  accordé  ensuite  des  médailles  de  bronze  à  MM.  Albergoni,  Cattaneo  et  Norsa 
(deux  à  chacun  des  deux  derniers,  qui  avaient  envoyé  deux  pièces).  Les  œu- 
vres primées  avec  la  médaille  d'argent  seront  exécutées  publiquement  au 
Dôme. 

—  Une  série  d'opéras  nouveaux  en  Italie.  Au  Politeama  de  Gênes,  le 
28  novembre,  Aixa,  drame  lyrique  en  trois  actes  et  un  prologue,  livret  de 
M.  P.  de  Luca,  musique  de  M.  Edoardo  Bellini,  dont  un  journal  caractérise  le 
sort  en  ces  termes  :  o  II  tombe  dans  les  bras  d'un  public  clairsemé,  et  il 
meurt  ;  mais  il  meurt  bien,  comme  la  protagoniste,  au  milieu  des  pleurs  du 
prochain  ».  Poème  et  musique,  l'un  vaut  l'autre,  et  ne  vaut  rien.  — A  Florence, 
le  même  jour,  Cadore,  drame  lyrique  en  trois  actes,  paroles  de  M.  Emilio 
Nardini,  musique  du  maestro  Montico.  L'action,  très  mouvementée,  prend  sa 
source  dans  le  soulèvement  anti-autrichien  de  l'Italie  en  1848  ;  la  musique, 
faible,  manque  de  chaleur  et  de  passion,  et,  au  point  de  vue  mélodique,  se 
fait  remarquer  par  de  nombreuses  réminiscences  et  autant  de  lieux  communs. 
L'interprétation  elle-même  estmédiocre.  —  Au  Politeama  de  Turin,  UGrillo  del 
focolare  (le  Grillon  du  foyer),  comédie  musicale  en  trois  actes,  paroles  de 
M.  Cesare  Hanau,  musique  d'un  jeune  compositeur  de  vingt-trois  ans, 
M.  Biccardo  Zandonai,  pour  son  début  au  théâtre.  Début  heureux,  et  qui 
promet,  parait-il.  —  Enfin,  au  théâtre  Dal  Verme  de  Milan,  le  1er  décembre, 
Fasma,  drame  lyrique  en  trois  actes,  livret  de  M.  Arturo  Colautti,  musique 
de  M.  Pasquala  La  Botella.  Du  bon  et  du  mauvais  :  du  mauvais  dans  le  drame, 
qui  met  en  action  un  épisode  de  la  terrible  insurrection  polonaise  de  1830- 
1832,  sans  intérêt  et  sans  caractère  ;  du  bon  dans  la  musique,  vivante,  bien 
écrite  et  bien  instrumentée,  mais  qui  manque  malheureusement  de  qualités 
seéniques.  Bonne  interprétation  de  la  part  de  M"""  Emma  Carelli  et  Cocyte, 
de  MM.  Giorgini  et  Bapisardi. 

—  Le  God  save  the  king  sera  désormais  chanté  et  exécuté  dans  une  mesure 
uniforme.  On  sait  que  le  chant  national  anglais  était  exécuté  sans  aucune  pré- 
cision, tantôt  lentement,  comme  une  marche  funèbre,  tantôt  allègrement, 
comme  un  air  de  danse.  Sur  le  désir  du  roi  Edouard  VII,  on  a  fixé  pour  l'avenir 
le  mouvement  de  l'hymne  de  façon  exacte,  mouvement  qui  comprendra  S4 bat- 
tements à  la  minute.  Et  ainsi,  l'Angleterre  n'aura  plus  rien  à  craindre  d'une 
invasion  allemande. 

—  On  a  joué  le  2S  novembre  dernier  au  théâtre  de  la  Cour,  à  Londres,  un 
nouvel  opéra  sur  un  sujet  britannique,  Enid.  Le  livret  est  de  M.  Ernest  Bhys; 
il  est  extrait  d'un  des  plus  beaux  cycles  de  romans  celtiques,  celui  que  l'on 
appelle  habituellement  Mabinogion,  et  dont  on  peut  trouver  l'origine  dans  les 
romans  de  Chrétien  de  Troyes.  La  musique  est  de  M.  Vincent  Thomas,  qui  a 
dirigé  lui-même  son  œuvre. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

Comme  nous  l'avions  annoncé,  l'Académie  des  Beaux-Arts  a  procédé, 
dans  sa  dernière  séance,  à  l'élection  d'un  membre  correspondant  en  rempla- 
cement de  Bimsky-Korsakow,  qu'elle  avait  élu  l'année  dernière  et  qui  était 
mort  quelques  mois  à  peine  après  avoir  obtenu  cette  distinction.  Son  choix 
s'est  porté  cette  fois  sur  M.  Humperdinck,  l'auteur  de  cette  élégante  partition 
de  Hunsel  et  Gretel,  dont  nous  avons  pu  juger  la  valeur  à  l'Opéra-Comique. 
M.  Engelhert  Humperdinck  est,  avec  M.  Richard  Strauss,  le  musicien  le  plus 
eu  vue  de  l'Allemagne  actuelle.  Né  à  Siegburg  le  1er  septembre  1834,  élève 
du  Conservatoire  de  Cologne,  puis  de  l'École  royale  de  musique  de  Munich, 
il  obtint  successivement  les  prix  des  trois  fondations  Mozart,  Mendelssohn  et 
Meyerbeer.  Professeur  un  instant  au  Conservatoire  de  Barcelone,  puis  à  celui 
de  Francfort,  il  devint  critique  musical  de  la  Gazette  de  Francfort,  et  commença 
à  se  faire  connaître  comme  compositeur  par  quelques  mélodies  vocales  et 
deux  ballades  pour  chœur  et  orchestre  (la  Cloclu;  d'Edenhall,  le  Pèlerinage  de 
Kevlaar),  jusqu'au  jour  où  il  fut  mis  en  pleine  lumière  par  son  opéra  de 
Hansel  et  Gretel,  dont  sa  sœur  lui  avait  fourni  le  livret  d'après  une  vieille 
légende  (1894).  Deux  ans  après,  il  donnait,  avec  beaucoup  moins  de.  succès, 
un  second  ouvrage,  les  Enfants  du  Boi,  qui,  selon  un  critique  allemand,  ■>  peut 


LE  MÉNESTREL 


399 


être  considéré  comme  un  rejeton  dégénéré  du  drame  wagnérien  ».  Enfin,  en 
1905,  il  faisait  représenter  un  troisième  opéra,  h  Mariage  à  contre-cœur,  dont, 
cette  fois,  sa  femme,  M"10  Hedwige  Humperdinck,  avait  tiré  pour  lui  le  livret 
d'une  comédie  d'Alexandre  Dumas,  les  Demoiselles  de  Saint-Cgr.  M.  Humper- 
dinck était  déjà  membre  correspondant  de  la  Société  des  compositeurs. 

—  Le  conseil  municipal  a  adopté  les  conclusions  du  rapport  de  M.  Emile 
Massard  sur  les  modifications  à  apporter  au  contrat  qui  lie  les  frères  Isola 
avec  la  Ville  de  Paris  pour  l'exploitation  du  Théâtre-Lyrique  populaire.  Ces 
modifications,  le  rapporteur  les  juge  indispensables  par  suite  de  diverses 
circonstances,  telles  que  :  crises  sur  les  théâtres,  concours  insullisant  des 
théâtres  d'Etat,  gestion  un  peu  trop  «  large  »  motivée  dit-il.  par  le  désir  de 
bien  faire,  et  il  ajoutait:  «  La  situation  va  devenir  meilleure,  car,  à  la  suite 
do  quelques  conférences,  il  a  été  entendu  que  le  directeur  de  l'Opéra-Comique 
ferait  les  sacrifices  nécessaires  et  que  le  théâtre  de  la  Gaité  sera  à  mémo  de 
fonctionner  dans  les  conditions  primitivement  indiquées  ».  —  Les  modifica- 
tions adoptées  portent,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  sur  les  deux  points 
suivants  :  1»  Augmentation  de  certaines  places  de  luxe  (élever  de  un  franc  le 
prix  des  places  des  premières  loges,  des  avant-scènes,  des  huit  premiers  rangs 
des  fauteuils  d'orchestre)  ;  2°  La  Ville  prendra  à  son  compte  l'impôt  foncier 
payé  jusqu'ici  par  les  concessionnaires. 

—  Une  alerte  à  l'Opéra.  Tous  nos  lecteurs  sont  évidemment  déjà  au  courant, 
par  la  lecture  des  autres  journaux  qui  se  sont  occupés  copieusement  de  l'inci- 
dent. Donc,  M.  André  Messager,  l'un  des  codirecteurs  de  notre  Opéra,  avait 
cru  devoir  donner  sa  démission,  pensant  n'être  pas  d'accord  tout  à  fait,  sur 
certains  points,  avec  son  associé  M.  Broussan.  Le  ministre  des  beaux-arts  a 
réussi  à  dissiper  tous  les  nuages  d'un  malentendu  qui  n'était  pas  vraiment 
très  important,  et  M.  Messager  a  accepté  de  continuer  à  l'Opéra  la  belle  besogne 
artistique  qu'il  y  a  déjà  commencée,  en  collaboration  de  M.  Broussan.  On  se 
félicitera  de  cet  heureux  dénouement,  qui  réunit  à  nouveau  deux  personna- 
lités sympathiques  à  tous  et  qui  peuvent  assurer  de  belles  destinées  à  notre 
première  scène  lyrique. 

—  Tout  continue  d'ailleurs  à  marcher  à  souhait  dans  la  maison  au  point  de  vue 
des  études  et  du  travail.  Monna  Vanna  est  à  peu  près  sur  pied  et,  jeudi  der- 
nier, on  en  a  commencé  les  études  d'orchestre.  Tout  se  présente  admirable- 
ment. D'autre  part,  mercredi,  on  a  présenté  aux  auteurs  de  Bacchits, 
MM.  Massenet  et  Catulle  Mendès,  les  dernières  maquettes  de  leurs  décors. 
Tout  a  été  bien  arrêté  et  convenu,  et  de  ce  côté  aussi  on  va  marcher  avec 
ardeur. 

—  A  l'Opéra-Comique  on  a  commencé  les  études  pour  la  reprise  de  la 
Sapho  de  Massenet,  avec  le  nouveau  tableau  ajouté  à  l'oeuvre,  sur  les  conseils 
de  M.  Albert  Carré.  Cette  reprise  sera  donnée  au  courant  du  m  ois  de  janvier. 
—  Spectacles  de  dimanche  :  en  matinée,  Carmen  ;  le  soir,  Manon.  —  Lundi,  en 
représentation  populaire  à  prix  réduits  :  la  Traviata. 

—  Lettre  de  M.  Reynaldo  Hahn  adressée,  à  M.  Serge  Basset  du  Figaro  : 

Cher  monsieur  et  ami, 
Je  vous  serais  inûniment  obligé  de  vouloir  bien  rectifier  diverses  informations 
parues  concernant  la  représentation  que  le  théâtre  des  Arts  prépare  pour  les  mati- 
nées du  23,  du  24  et  du  26.  Il  ne  s'agit  ni  d'une  audition  de  mes  œuvres,  ni  (Dieu 
merci  I)  d'un  oratorio  —  mais  de  certaine  Pastorale  de  Noël,  tirée  par  MM.  de  La  Tour- 
rasse  et  Gailly  de  Taurines  d'un  «mystère»  du  quinzième  siècle,  et  mise  en  mu- 
sique par 
Votre  dévoué 

Reynaldo  Hahn. 

—  Mme  Blanche  Marchesi,  ayant  signé  un  superbe  engagement,  partira  le 
11  décembre  prochain  pour  une  grande  tournée  de  concerts  en  Amérique  qui 
ne  se  terminera  qu'au  mois  d'avril  de  l'année  prochaine. 

—  Note  de  Nicolet  du  Gaulois  :  «  Il  y  a  un  peu  plus  de  cinq  ans  —  le 
31  juillet  1903  —  nous  annoncions  dans  notre  courrier  des  spectacles  la  mort 
de  M"'e  Rosine  Stoltz,  créatrice  de  la  Favorite,  qui   venait   de  s'éteindre  dans 


un  hôtel  de  l'avenue  de  l'Opéra,  à  l'âge  de  90  ans.  Complètement  oubliée, 
vivant  depuis  de  longues  années  dans  une  retraite  absolue.  M""-'  .Stoltz  dis- 
parut sans  bruit.  Sa  mort  passa  presque  inaperçue.  C'est  à  peiue  si  quelques 
journaux  lui  consacrèrent  une  courte  nécrologie.  On  l'inhuma  au  cimetière 
do  Pantin.  Deux  personnes  seulement  suivirent  le  char  de  dernière  classe  qui 
transporta  sa  dépouille  en  cette  lointaine  nécropole.  Comme  elle  ne  laissait 
rien,  la  pauvre  Léonore  fut  inhumée  dans  une  concession  de  cinq  ans,  dont 
un  vieil  ami  de  la  cantatrice  lit  les  frais.  Cette  concession  a  expiré  le  l"r  août 
dernier.  La  tombe  de  la  pauvre  artiste  était  complètement  abandonnée.  De 
la  croix  de  bois  fichée  en  terre,  il  ne  restait  plus  que  la  branche  verticale  ; 
l'autre  avait  disparu,  emportée  par  le  vent  et  les  pluies  d'orage.  On  nous 
apprend  aujourd'hui  que  l'administration  du  cimetière  a  dû,  en  vertu  des 
règlements,  «  exproprier  •>  les  restes  de  la  célèbre  cantatrice.  Cela  veut  dire 
que  ceux-ci  ont  été  jetés  dans  la  fosse  commune,  la  concession  n'ayant  pas 
été  renouvelée.  Pauvre  Léonore  !...  » 

—  Le  maitre  Louis  Diémer  est  de  retour  d'une  magnifique  excursion  artis- 
tique à  Grenoble,  Genève  et  Lausanne.  Au  théâtre  municipal  de  Grenoble, 
dans  un  concert  excellemment  dirigé  par  M.  Armand  Ferté,  le  programme 
comportait  des  œuvres  de  Rameau,  Mozart.  Beethoven  et  Diémer.  A  Genève, 
dans  la  grande  salle  du  Conservatoire,  avec  l'autre  maitre  Edouard  Risler,  les 
deux  merveilleux  virtuoses  ont  interprété  —  avec  quel  succès  !  —  Mozart. 
Schumann,  Saint-Sams.  et  la  fameuse  Sérénade  de  Diémer  lui-même.  Enfin, 
à  Lausanne,  dans  la  grande  salle  du  Conservatoire,  Louis  Diémer  a  donné  un 
admirable  récital  de  clavecin  et  de  piano.  Au  clavecin,  du  Bach,  Hameau 
(quel  succès  pour  la  Gavotte  des  heures  et  des  Zéphyrs  /),  Mozart,  Couperin, 
Daquin  et  Dandrieu  ;  au  piano,  du  Beethoven,  Liszt,  Mozart,  G.  Fauré, 
B.  Godard  et  Diémer.  Et  ce  furent  trois  soirées  triomphales  où  la  maîtrise,  la 
technique,  la  virtuosité  de  l'éminent  professeur  de  notre  Conservatoire  furent 
acclamées  et  glorifiées  de  la  plus  émouvante  façon. 

—  Samedi  dernier,  au  concert  Rouge,  délicieux  «  Récital  Fabre»  donné  par 
M"c  Raymonde  Delaunois  avec  le  concours  de  l'auteur,  de  Mlle  Jenny  Pirodon 
et  de  M.  Georges  Pitsch.  Les  Chansons  de  Maeterlinck  et  les  Poèmes  de  Jade  ont 
tenu  sous  le  charme  tous  les  auditeurs,  admirablement  interprétés  par  Ml,e  De- 
launois, comme  les  pièces  de  piano  par  M"c  Pirodon. 

—  Ariane  vient  de  remporter  un  nouveau  triomphe,  cette  fois  à  l'Opéra  de 
Marseille,  où  M.  Saugey,  avec  un  souci  de  belle  et  heureuse  mise  en  scène 
(et  à  ce  point  de  vue  les  Marseillais  avaient  vraiment  été  peu  gâtés  jusqu'à 
présent),  avait  mis  tous  ses  soins  et  toutes  ses  brillantes  qualités  artistiques  à 
dignement  présenter  l'œuvre  maîtresse  du  maitre  Massenet.  Une  interprétation 
de  premier  ordre  mit  en  pleine  lumière  les  très  nombreuses  pages  vibrantes  et 
prenantes  de  la  partition  ;  MUe  Suzanne  Cesbron,  dont  le  soprano  est  un  des 
plus  jolis  que  l'on  puisse  entendre  et  dont  l'art  de  chanter  est  de  si  captivante 
musicalité,  a  été  une  admirable  Ariane,  touchante,  émue,  dramatique  :  on  lui 
a  redemandé  la  phrase  «  Tu  lui  parleras,  n'est-ce  pas  ?  »  et,  si  on  n'avait  craint 
d'abuser,  on  lui  aurait  redemandé  et  o  Oh  !  le  cruel  !  i>  et  «  C'était  si  beau  !  o. 
A  ses  côtés,  M"le  Catalan  a  déployé,  dans  le  rôle  très  lourd  de  Phèdre  une  puis- 
sance vocale  et  tragique  tout  à  fait  remarquable,  de  grand  et  immédiat  effet 
sur  le  public,  et  le  ténor  Granier  s'est  affirmé  chanteur  de  fougue,  de  jeune 
vaillance  et  de  parfaite  compréhension.  Il  faut  aussi  complimenter  M.  Lafont, 
un  Pirithoùs  à  l'organe  généreusement  sonore,  M"e  Hiriberry,  Perséphone  de 
large  et  impressionnante  diction,  et  Mrac  Dorly,  dont  la  voix  est  aussi  sympa- 
thique, en  Eunoé,  que  le  physique.  Il  faut,  enfin,  couvrir  de  louanges  l'orchestre 
de  M.  Rey,  souple,  varié,  brillant,  très  en  progrès  sur  ce  qu'il  était  il  n'y  a 
encore  que  quelques  années,  —  on  l'a  forcé  à  bisser  l'adorable  andante 
commentant  la  douleur  d'Ariane, —  et  inscrire  à  ce  complet  bulletin  de  victoire, 
quatre  rappels  après  chaque  acte,  les  chœurs  bien  stylés  et  le  ballet  joliment 
réglé.  Voilà  Ariane  partie  à  Marseille  pour  un  nombre  de  représentations  que  la 
première  soirée  permet  de  prévoir  des  plus  respectables. 

Henri  Heigel,  directeur-gérant. 


En  vente,  chez  L.  CARTERET,  5,  rue  Drouot,  et  AU  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Vivienne 


Magnifique  volume 


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MASSENET 


de  400  pages 

Imprime'  par  Lahure, 

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LE      MUSIOIEÎY 


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de  400  pages 

imprimé  par  Lahure. 

Relié  :  35  francs 


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Couverture   en    couleur   dessinée    par    QIRALDON 

Ouvrage  orné  d'un  beau  portrait  en  héliogravure  et  de  200  gravures  dan3  le  texte  d'après  des  documents  inédits,  portraits. 

décors  de  théâtre,  manuscrits  de  Massenet,  etc. 

Il    a    été    tiré    30    exemplaires    do    grand    luxe    sur    papier    clu    Japon 


400 


LE  MENESTREL 


En  vente  AU  MÉNESTREL,  2  bis,  rue   Vivienne,  HEUGEL  et  Cie,  éditeurs-propriétaires. 


NOËL 


MESSES 


L.  LAMBILLOTTE.  Messe  Pastorale,  soli  et  chœurs  à  quatre  voix  (S.A.  T.  B.), 
avec  orgue  ou  orchestre  complet. 

Partition  chant  et  orgue Net. 

Chaque  partie  vocale Net. 

.  (Parties  d'orchestre  en  location.) 
N1C0U-CH0RON.  .liesse  de  la  Nativité,  composée    sur    des  Noëls,  soli  et 
chœurs  à  3  voix  égales  ou  inégales  (T.  S.  B.),  orgue  et  orchestre. 

Partition  chant  et  orgue Net. 

Chaque  partie  vocale Net. 

Parties  d'orchestre  complètes Net. 

—  Nouvelle  version  à  4  voix  (S.  C.  T.  B.) Net. 

P.   KUNC.  Messe  de  la  Xativité,  soli  et  chœurs  à  trois  voix(S.T.B.)  avec 

orgue,  hautbois,  quintette  à  cordes  et  harpe  ad  libitum  : 

Partition  complète Net. 

Parties  de  chœurs,  chaque Net. 

Chaque  partie  instrumentale Xet. 

—  Réduction  pour  chant  et  orgue  seul Xet. 

SAMUEL  ROUSSEAU.   Messe   Pastorale.  Soli  et  chœurs  à  trois  voix  (S.  T.  B.) 

avec  orgue  (quintette  à  cordes,  hauthois  et  harpe  ad  libitum). 

Partition  chant  et  orgue Net. 

Chaque  partie  vocale Net. 

Chaque  partie  d'orchestre Net. 

TH.  SOURILAS.  Messe  sur   des   Noëls,  soli  et  chœurs  à  trois  voix  (S.  T.  B.) 
avec  orgue  ou  orchestre. 

Partition  chant  et  orgue Net. 

Chaque  partie  vocale Net. 

(Parties  d'orchestre  en  location.) 


10     » 

1  m 

2  50 


MOTETS 


R.  P.  CDLLIN.  Puer  natus  est,  solo  et  chœur  à  voix  égales,  avec  hautbois 

ou  violoncelle  et  orgue,  harpe  (ad  libitum) 6    » 

P.   BRYDAINE.   Les  Gaudes,   pour  Noël  àl  voix,  avec  accompagnement 

d'orgue 2  50 

L.  DIETSCH.  Agnus  Dei  sur  un  Noël,  chœur  (S.  T.  B.) Net.     2     » 

TH.  DUBOIS.  Adeste  fidèles,  transcription  du  chant  ordinaire  pour  soli  et 
chœurs  (S.  A.  T.  B.),  avec  variations  pour  violon  ou  violon- 
celle, harpe  (ad  libitum) 9     » 

Chaque  partie  de  chœur Net.     »  30 

—      Ecce  advenit,  motet  pour  Noël,  chœur  (S.  A.  T.  B.).   .    .     Net.     2     » 
Parties  séparées. 


P.  KUNC.  Itodie  Chrislus  natus  est,  solo  et  chœur  (S.  A.  T.  B.).    .    .  Net. 

Chaque  partie  vocale Net. 

L.  LAMBILLOTTE.  Pastores  erant  vigilantes,  solo    et  chœur   (S.  A.  T.  B.), 
avec  orgue  ou  orchestre. 

Partition  avec  orgue Net. 

Chaque  partie  vocale Net. 

Parties  d'orchestre  complètes Net.   10    » 

Chaque  partie  supplémentaire  du  quintette  à  cordes.  Net.     1  50 


2  50 
»  30 


30 


NOELS    (paroles  françaises; 


C.  ANDRES.  L'Eglise  illuminée,  solo  de  mezzo-soprano Net. 

AUDAN.  Noël  à  2  voix,  avec  solo  de  baryton  ou  mezzo-soprano  .... 
A.  BLANC  et  L.  DAUPHIN.  Petit  Noël  pour  chœur  d'enfants.  .  .  .  Net. 
BOISSIER-DURAN .  Le  Saint  Berceau,  Noël  pour  ténor  ou  soprano   avec 

chœur  ad  libitum 

L.  BORDÈSE.  Noël  à  1,  2  ou  3  voix,  en  solos  ou  chœurs 

Gaston  CARRAUD.  Noël 

L.  DAUPHIN.  Rose  et  blanc,  petit  Noël  avec  chœur,  ad  libitum 

—  Le  Noël  des  Bergers,  chœur  à  quatre  voix,  orgue  ad  libil.    Net. 
A.  DESLANDRES.  Tout  fait  silence,  solo  et  chœur  à  trois  ou  quatre  voix  avec 

harpe  (ad  libitum) Net. 

Chaque  partie  de  chœur Net. 

—  Chantez,  troupe  sainte  des  anges,  solo  et  chœur  à  deux  voix.  Net. 

Chaque  partie  de  chœur Net. 

—  Dans  les  splendeurs  de  la  voûte  azurée,  solo  et  chœur  (S.  T.B.  B.).Net. 
DESMOULINS.  Trois  Noëls  : 

1.  Noël  de  Lop  i  de  Vega.  -  2.  Noël.  -  3.  La  Vierge  à  la  crèche. 

A.  DIETRICH.  Heureuse  nuit,  solo  et  chœur  à  trois  voix Net. 

P.  FAUCHET.    Venez,  l'Enfant  vous  attend  dans  l'étable,  solo  de  mezzo- 

soprauo Net. 

R.  P.  GONDARD.  La  paix  au  doux  pays  de  France,  duo  pour  voix  égales.  Net. 

—  C'est  l'heure  du  grand  mystère,  duo  pour  voix  égales  .    .    .     Net. 

ED.  GRIEG.  L'Arbre  de  Noël,  chanson  d'enfant 

REYNALDO  HAHN.  Pastorale  de  Noël,  mystère  du  XVe  siècle  en  4  tableaux 

(avec  le  livret-lexte),  soli  et  chœur  à  4  voix Net. 

—  Xoël  de  Werther  pour  mezzo-soprano  et  voix  d'enfants    .... 

A.  HOMES1.  Noël -d'Irlande  (1.2) 

CHARLES  LECOCQ.  Le  Noël  des  petits  enfants,  à  1,  2  ou  3  voix  ad  lib.  : 

l.Les  Petits  Rois  Mages.  2.  Les  Petits  Bergers.  3.  La  Bûche  de 

Noël.  4.  Prière 

F.  LISZT.  La  Nuit  de  Noël  (d'après  un  ancien  Noël),  pour  ténor  solo  et 
chœur  de  femmes,  avec  accompagnement  d'orgue.  En  parti- 
tion et  parties  séparées. 

H.  MARÉCHAL.  Noël  d'Artois,  mezzo-soprano  ou  baryton 


2  30 
»  20 
2  50 
»  30 


4     » 
1  50 


1  30 
1  50 


J.  MASSENET.   Le  Noël  des  humbles  (1.2.3.) Net. 

—  La  Veiller  du  petit  Jésus  (1.2) 

—  Le  Petit  Jésus  (1.2.3) 

—  Souvenez-vous,  Vierge  Marie  (1 ,2. 3) 

A.  PÉRILHOU.  La  Vierge  à  la  crèche 

G.  PIERNÉ.  Les  Enfants  à  Bethléem,  mystère  en  2  parties,  soli  et  chœurs.  Net 

—  La  Croisade  des  enfants,  légende  en  4  parties,  soli  et  chœurs.  Net 

SOUNIER-GEOFFROY.  Noël 

LE  MINTIER.  Quel  éclat  dans  la  nuit,  solo  de  mezzo-soprano  ....     Net. 

—  Venez  enfants  de  Dieu,  traduction  de  VAdeste  fidèles 

J.  TŒRSOT.  Anciens  Noëls  français 


3 

» 

IN 

» 

3 

» 

1 

50 

1 

50 

10.  Voici  la  nouvelle 

11.  Quoi,  ma  voisine,  est-tu  fâchée? 
12    Quand  Dieu  naquit  à  Noël  .   .   . 

13.  Noël  provençal  Ilfxvn"  s.) .   .   . 

14.  Noél  bressan  (xvu°  s.) 

15.  Noël  provençal  III  :  Ah!  quand 
reviendra-t-il? 

16.  Noël  bourguignon  (xviii"  s.)  .   . 

17.  Noël  alsacien 

18.  Le  Mystère  de  la  Nativité.  .   .   . 

19.  Prologue  de  la  Crèche 


Chantons,  je  vous  en  prie (xvc  s.) 

2.  Au  Saint-Nau,  vieux  Noël   en 

langage  poitevin 

3.  Oit  s'en  vont  ces  gais  bergers  .   . 

4.  Dureau  la  Durée  {1103)  .... 
ô.  Tous  les  Bourgeois  de  Châtres  . 
6.  Noël  provençal  I  (xvue  s.)  ... 
1.  Voici  la  Xoët 

8.  Sus!  Qu'on  se  réveille  (Noël  dia- 

logué)  

9.  A    minuit   fut    fait    un    réveil 

(1703)  

Le  recueil  complet,  prix  net  :  8  francs 

SAMUEL  ROUSSEAU.  Noël,  solo  et  chœur  ad  lib.  (2  tons) Net 

G.  VERDALLE.  Le  Carillon  de  Noël 

M.  VERSEPUY.  Le  Père  Noël  chez  nous,  chanson  d'Auvergne  ....     Net 

P.VIDAL.   Chant  de  Noël,  pour  soprano  solo  avec  chœurs 

Chaque  partie  de  chœur Net. 

Le  même,  à  une  voix  (1.2) 

—        Noël,  ou  le  Mystère  de  la  Nativité,  4  tableaux,  soli  et  chœur.  Net. 

Ci. -M.  WEBER.  Noël  pour  mezzo-soprano 

J.-B.  WECKERLIN.   AToe7.'  Noël!  (1.2) 

—  La  Fête  de  Noël,  avec  ace1  de  piano  et  orgue   ad  lib. 

—  Voici  Noël . 


NOELS    POUR    ORGUE    SEUL 


ANCIENS  NOËLS  (2  Noëls  de  Saboly,   1  de  Lully  et  1  Noël  languedo- 
cien anonvme) 3  73 

ANCIENS  NOËLS  i3  Noëls  de  Sabolv  et  1  du  roi  René  d'Anjou).    ...     2  30 

B.  MINÉ.  Op.  42.  Recueil  de  Noëls  '30  numéros) ....     H  -»• 

L.  NIEDERMEYER.  Pastorale 


F.  LISZT.   L'Arbre  de  Noël: 

X°  1.  Vieux  Xoël,  3  fr.  —  N»  2.  La  Nuit  sainte,  3  fr.  —  N»  3. 

Les  Bergers  à  la  crèche,  4  fr.  —  N°  4.  Les  Rois  mages  . 

R.  de  V1LBAC.   L'Adoration  des  bergers. 


MÉDITATIONS    POUR    INSTRUMENTS    DIVERS 


CHERUBINI.  Aie  Maria,  pour  violon,  violoncelle  et  harmonium 7  50 

A.  DESLANDRES.  I"  Méditation,  pour  violon,  piano  et  harmonium  ....  15     » 

—  2*-  Méditation,  pour  violon,  violoncelle,  piano  ou  harpe,  harmo- 

nium et  contrebasse 18     » 

—  3e  Méditation,  pour  cor,  violon,  violoncelle,   harpe  ou   piano, 

orgue  et  contrebasse. .    .  IS     » 

—  i'  Méditation,  sur  le  noël  Tout  fait  silence,  pour  violon,  violon- 

celle, harpe  ou  piano,  orgue  et  contrebasse 15     » 

TH.  DUBOIS.  Mélodie  religieuse,  pour  violon  et  piano 6     » 

La  même,  pour  violoncelle  et  piano ' fi     » 

La  même,  pour  violon,  orgue  et  harpe  (ou  piano).   :    .    .    .  7  50 

La  même,  avec  orchestre 

—  Andante  religioso,  pour  violon  et  piano 6     » 

Le  même,  pour  violoncelle  ou  piano.       6    » 

—  Méditation-Prière,  pour  violon,  orgue  et  harpe  (ou  piano)   ...  7  30 
CH.  GOUHOD,  Méditation  sur  le  1er  prélude  de  Bach,  pour  violon  et  piano.  7  30 

La  même,  pour  violoncelle  et  piano 7  50 

La  même,  pour  piano,  violon  ou  violoncelle  et  orgue.    .    .  7  50 
PAUL  VIDAL.  Andante  pastoral  (Extrait  du  Noël)  pour  v 


LEFÉBURE-WÉLY.  Hymne  à  la  Vierge,  méditation  religieuse  pour  orgue, 
violon,  violoncelle  et  piano  (ad  libitum  ) 

—  Air  de  Slradetla,  pour  piano,  violon  ou  violoncelle  et  orgue  .    . 

MARSICK.  Prière,  pour  violon,  piano  et  orgue  .    . 

J.  MASSENET.  Méditation  religieuse  (Thaïs),  pour  violon  ut  piano  .... 

La  même,  pour  violoncelle  et  piano.    .    . 

La  même,  pour  violon,  orgue  et  harpe. ou  piano 

—  Le  Dernier  sommeil  de  la  Vierge,  pour  violon  et  piano 

Le  même,  pour  violoncelle  et  piano . 

Le  même,  pour  violoncelle,  piano  et  orgue 

SAMUEL  ROUSSEAU.  Bergers  et  Mages,  pastorale  pour  hautbois  ou  violon- 
celle, violon,  harpe,  orgue  et  contrebasse. 

Partition  et  parties  séparées Net. 

—  Méditation,  pour  violon  et  orgue,  haipe  et  contrebasse  (ad  libi- 
tum)   Net. 

La  même,  avec  orchestre. 

Élégie,  pour  violon  et  piano  ou  orgue 

La  même,  avec  orchestre, 
ioloncelle,  harpe  et  orgue net.     2  30 


7  50 
'.)  » 
7  50 
C    » 

6  » 

7  50 


,  20,  1 


—  ^Encn  Uruku). 


Samedi  19  Décembre  1908. 


4056.  -  74e  ANNÉE.-  N°  Ci.  PARAIT  TOUS  LES  SAMEDIS 

(Les  Bureaux,  2"1*,  rue  Vivieuue,  Pari3,  u-  m-) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


MENESTREL 


Le  Huméro  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THEATRES 

Henri     HEUGEL,     Directeur 


Ite  fluméro  :  0  fp.  30 


Adresser  franco  à  M.  Hbnri  IIL'UGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  — Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.; Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,   Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr. ,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frai3  de  poste  en  au». 


SOMMAIEE-TEXTE 


J.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  d9''  article',  Julien  TtEnsoT.  —  II.  Petites  notes  sans 
portée:  La  vogue  de  Bach  depuis  la  découverte  de  sa  puissance  expressive,  Raymond 
Bouter.  —  III.  Revue  des  grands  concerts.  —  IV.  Nouvelles  diverses,  concerts  et 
nécrologie. 

MUSIQUE  DE  PIANO 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

LE  PETIT  SOLDAT  DE  PLOMB  el  LA  CHANTEUSE  ROUMAINE 

nos  2  et  3  des  Figurines,  nouveau  recueii  de  I.  Piiilipp.   —   Suivra  immédia- 
tement une  Valse  intime  de  Théodore  Dubois. 


MUSIQUE  DE  CHANT 
Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  chant: 
Roses  ardentes,  n°  3  de  la  Chanson  d'Ere,  de  Gabriel  Fauré,  poésie  de  Cil.  van 
Lerberghe.  —  Suivra  immédiatement  :  l'air  de  «  La  main  »,  chanté  par 
M.  Muratore  dans  Monna  Vanna,  le  nouvel  opéra  de  MM.  Henry  Février  et 
Maurice  Maeterlixck,  qui  va  être  représenté  prochainement  à  l'Académie 
nationale  de  musique. 


PRIMES   GRATUITES  DU   MÉNESTREL 

pour  l'année  1909 

Voir  à  la  8"  page  des  précédents  numéros. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 


CHAPITRE  X 


D  'ALCESTE    A     il'UK.t  \ll 

(1767-1774) 

Quelques  années  avant  l'époque  jusqu'à  laquelle  nous  a  conduit 
cette  histoire,  il  était  arrivé  à  Vienne  un  certain  Giuseppe 
Afflisio  (1),  napolitain  et  intrigant.  Il  avait  bonne  mine,  l'habi- 
tude du  monde  et  de  la  galanterie  ;  ayant  débuté  dans  la  vie  au 
service  plus  ou  moins  subalterne  de  divers  seigneurs,  il  vint 
chercher  en  Autriche  cette  fortune  que  les  étrangers  trouvent  par- 
fois trop  facilement  dans  la  capitale,  au  hasard  des  aventures.  Son 

ili  Le  récit  qui  va  suivre  reproduit,  en  le  suivant  pas  à  pas,  l'étude  sur  Glucli  als 
Wiener  Theaterdirektor  (Gluck,  directeur  de  théâtre  à  Vienne,  d'après  des  sources  d'ar- 
chives) publiée  par  M.  Oscar  Teuber  dans  le  Acnés  Wiener  Tagblall  du  18  mars  1897 
(n°  77).  Notre  regretté  confrère  Oscar  Berggruen  avait,  aussitôt  après  la  publication, 
donné  dans  le  Ménestrel  (n"  du  28  mars  1S97Ï  un  résumé  de  cet  écrit  contenant  des 
particularités  de  la  vie  de  Gluck  jusqu'alors  ignorées  de  tout  le  monde  ;  c'est 
usqu'ici,  croyons-nous,  la  seule  trace  qu'on  en  puisse  signaler  en  France. 


talent  sur  la  harpe  et,  ajoute  la  chronique,  la  protection  d'une 
belle  cantatrice,  lui  donnèrent  accès  auprès  du  prince  de  Hildburg- 
hausen  :  il  commença  par  en  recevoir  la  charge  de  capitaine- 
lieutenant  dans  l'armée,  puis,  passant  deux  grades,  devint  rapi- 
dement lieutenant-colonel,  sans  obligation  de  service.  Entre 
temps,  il  enleva  une  femme  du  monde,  fut  mis  pendant  quelque 
temps  aux  arrêts  dans  une  forteresse,  puis  disparut,  ayant  besoin 
de  se  refaire  une  virginité. 

Car  ses  ambitions  s'étaient  développées  à  ces  premiers  essais  : 
maintenant,  il  ne  visait  pas  à  moins  qu'à  devenir  le  directeur 
des  théâtres  impériaux. 

Ce  ne  fut  pas  sans  peine  que  Marie-Thérèse  se  résigna  à  subir 
les  prétentions  de  ce  candidat  équivoque.  Mais  il  signor  Afflisio 
était  de  ces  invpresarii  qui  savent  rendre  leurs  bons  offices  agréa- 
bles aux  archiducs,  et  contre  de  telles  influences  les  impé- 
ratrices ne  peuvent  rien  !  Ce  fut  donc  «  en  tremblant  »,  dit 
l'historien,  qu'elle  céda  aux  instances  de  son  premier  ministre  le 
prince  de  Kaunitz  et  signa  la  nomination  proposée,  sous  la  réserve 
que  le  nouveau  directeur  n'aurait  aucunes  relations  avec  l'Empe- 
reur son  fils,  et  que  Kaunitz  lui-même  devrait  s'interdire  de 
«  jamais  visiter  ni  recevoir  chez  lui  aucune  de  ces  femmes  ou 
fliles  ». 

«  Je  ne  veux  pas,  lui  écrivait-elle,  que  vous  vous  mettiez  à  la 
tête  des  comédiens.  Je  veux  un  homme  convenable  d'ici  qui  me 
donne  tranquillité  au  sujet  de  cette  méchante  engeance  (1).  Vous, 
et  le  nom  de  Starhemberg,  m'êtes  trop  chers  pour  que  je  veuille 
les  voir  mêlés  au  rebut  du  royaume.  » 

Kaunitz  s'inclina.  Il  n'en  devint  pas  moins,  sans  titre  officiel, 
le  protecteur  général  des  scènes  viennoises,  car  l'infamie  du 
théâtre  et  des  dames  de  théâtre  ne  lui  paraissait  peut-être  pas 
aussi  horrible  qu'à  son  auguste  souveraine. 

Giuseppe  d'Afllisio  devint  donc  directeur  général  des  théâtres 
de  Vienne.  Il  les  administta- si  bien  que.  dans  l'espace  d'un  peu 
plus  d'un  an  et  demi  (de  janvier  1768  à  octobre  17o9),  il  eut 
vite  fait  d'engloutir  les  fonds  que  lui  avaient  confiés  ses  amis  de 
l'aristocratie.  Il  lui  fallut  se  mettre  en  quête  d'autres  victimes. 
Il  les  trouva  dans  les  personnes  du  baron  Francesco  Lopresti 
(dont  le  père,  colonel  baron  Lopresti,  avait  déjà  été  en  son  temps 
directeur  des  théâtres  de  Vienne)  —  et.  fait  inconcevable,  du 
chevalier  Christophe-Willibald  Gluck. 

Par  quelle,  aberration  l'auteur  des  purs  chefs-d'œuvre  qu'on 
venait  d'applaudir  put-il  consentir  à  s'associer  aux  louches  com- 
binaisons d'un  aventurier  qu'il  avait  eu  le  temps  d'apprécier  à 
sa  juste  mesure  ?  Sans  doute,  étant  depuis  longtemps  lui-même 
kapellmeister  de  l'Opéra,  il  pensa  que  l'occasion  était  favorable 
pour  étendre  son  influence  en  prenant  la  haute  direction  du 
théâtre.  Il  songeait  qu'il  aurait  ainsi  plus  d'autorité  pour  accom- 

(1)  Base  Brut.  L'Impératrice  avait  des  sévérités... 


402 


LE  MÉNESTREL 


plir  la  réforme  d'art  à  laquelle  son  premier  effort  n'avait  pas 
suffi.  11  voulait  aussi,  n'en  doutons  pas,  tenter  d'arracher  l'Opéra 
de  Vienne  à  cet  état  d'impuissance  et  d'anarchie  dont  les  répéti- 
tions d'Alceste  nous  ont  donné  de  suffisantes  preuves.  Aussi  bien, 
regardons  aux  dates.  Bien  qu'elles  eussent  pu  nous  être  données 
avec  un  peu  plus  de  précision,  nous  savons,  par  l'article  de 
revue  qui  fournit  la  principale  documentation  de  ce  chapitre, 
que  c'est  en  janvier  1768  qu'Âfflisio  commença  sa  direction.  Or, 
c'était  le  16  décembre  1767  qu'avait  eu  lieu  la  première  repré- 
sentation d'Alceste.  S'il  est  vrai  que  cet  ouvrage  fut  donné  sans 
interruption  pendant  deux  ans,  c'est  donc  Afflisio  qui  en  eut  le 
bénéfice  ;  il  est  facilement  concevable  que  l'auteur,  grisé 
par  ce  succès  sans  précédent,  ait  prétendu  en  recueillir  lui- 
même  les  avantages.  Notons  enfin  que  les  personnages  aristo- 
cratiques dont  nous  avons  lu  les  noms  dès  les  premières  lignes 
de  ce  récit  étaient  les  amis  de  Gluck.  Le  prince  de  Saxe-Hild- 
burghausen,  aujourd'hui  protecteur  d'Afllisio,  avait  précédem- 
ment été  le  sien,  et  il  s'était  longtemps  paré  du  titre  de  son 
maître  de  chapelle.  C'est  encore  dans  le  palais  Lopresti  qu'il 
habitait,  et  que  Gluck  avait  dirigé  ses  concerts.  Lors  donc  qu'il 
entrevit  l'éventualité  d'être  associé  avec  de  si  hauts  personnages, 
c'est-à-dire  quand  ceux-ci  eurent  besoin  de  son  argent,  il  en  fut 
ébloui.  Le  fils  du  garde-chasse  de  Bohême,  maintenant  bourgeois 
enrichi,  fit  comme  tous  les  autres  :  il  reprit  pour  son  compte  le 
rôle  de  Monsieur  Jourdain.  Par  acte  d'association  en  date  du 
11  octobre  1769,  Gluck  déclara  s'intéresser  pour  un  quart  à 
tous  les  profits  et  pertes  de  l'entreprise  des  théâtres  de  Vienne. 

Il  y  avait  pour  plus  de  cent  mille  florins  de  dettes  avouées. 
Le  désordre  dans  la  direction  artistique  était  sans  bornes.  Et 
quand  la  confusion  fut  à  son  comble,  l'inénarrable  Afflisio  prit  le 
prétexte  d'un  voyage  d'art  en  Italie  pour  abandonner  le  chevalier 
à  ses  propres  ressources,  et  le  laissa  seul  comme  administrateur 
des  scènes  viennoises. 

Car  ce  n'était  pas  seulement  de  l'Opéra  que  Gluck  avait  assumé 
la  direction  :  tous  les  spectacles  de  Vienne  étaient  compris  dans 
l'entreprise.  Il  y  en  avait  quatre,  parfaitement  distincts.  L'opéra 
italien  et  le  théâtre  français  alternaient  leurs  représentations  au 
théâtre  de  la  Cour.  Celui  de  la  Porte  de  Carinthie  abritait  la 
troupe  du  théâtre  allemand.  Il  y  avait  encore  une  autre  mani- 
festation d'art,  et  qui  n'était  pas  la  moindre  :  celle  de  l'amphi- 
théâtre, où  avaient  lieu  les  combats  d'animaux.  Ne  nous  récrions 
pas  si  Gluck  eut  pendant  quelques  semaines  la  responsabilité  de 
ces  sortes  d'exhibitions,  et  voyons  plutôt  en  quoi  elles  consis- 
taient. Burney  qui,  en  un  mois  passé  deux  ans  plus  tard  dans 
la  ville,  a  si  bien  observé  et  nous  fait  si  bien  connaître  la  vie 
de  Vienne,  reproduit  dans  une  note  de  son  récit  le  programme 
d'un  de  ces  spectacles,  d'après  un  des  billets  à  la  main  qu'on 
distribuait  dans  les  rues  les  dimanches  et  jours  de  fêtes  : 

Aujourd'hui.  ..  par  permission  de  l'Empereur,  auront  lieu  dans  le  grand 
amphithéâtre,  à  5  heures  précises,  les  divertissements  suivants  : 

1°  Un  bœuf  sauvage  de  Hongrie  au  milieu  du  feu  (c'est-à-dire,  le  feu  sous 
la  queue,  des  pétards  attachés  aux  oreilles  et  aux  cornes,  et  aux  autres  parties 
du  corps)  sera  ensuite  enlevé  par  les  chiens  dogues  ; 

2°  Un  cochon  sauvage  sera  attaqué  de  la  même  manière  par  des  chiens 
dogues  : 

3°  Un  grand  ours  sera  immédiatement  après  déchiré  par  des  chiens  dogues  ; 

4°  Un  loup  sauvage  chassé  par  des  chiens  courants  de  l'espèce  la  plus 
rapide  ; 

5°  On  fera  battre  un  taureau  sauvage  de  Hongrie  furieux  contre  des  chiens 
sauvages  et  affamés  ; 

6°  On  fera  attaquer  un  ours  frais  par  des  chiens  de  chasse  : 

7°  On  fera  amener  un  sanglier  sauvage  récemment  pris,  lequel  combattra 
pour  la  première  fois  contre  des  dogues  défendus  de  leur  armure  de  fer  ; 

S0  On  montrera  un  tigre  d'Afrique  très  beau  ; 

9°  Il  sera  remplacé  par  un  ours  ; 

10°  Ensuite  par  un  bœuf  de  Hongrie  furieux  ; 

11°  Et  enfin  par  un  ours  furieux,  affamé,  qui  n'aura  pas  mangé  depuis  huit 
jours,  et  qui  combattra  avec  un  jeune  taureau  sauvage,  et  le  mangera  vivant 
sur  la  place,  et  s'il  ne  peut  en  venir  à  bout,  on  le  fera  aider  par  un  loup  (1). 

Le  bon  Anglais,  tout  en  constatant  qu'  «  on  voit  habituellement 
à  ces  spectacles  barbares  jusqu'à  deux  ou  trois  mille  personnes, 

(1)  Burneï,  État  présent  de  ta  musique,  t.  II,  p.  284-85. 


parmi  lesquelles  on  remarque  un  grand  nombre  de  femmes  de 
qualité  »,  déclare,  avec  son  flegme  inné,  que  «  les  amusements  du 
peuple  de  cette  capitale  ne  sont  pas  faits  pour  caractériser  une 
nation  polie  et  civilisée».  Gluck  s'était  pourtant  engagé  à  y  pour- 
voir lorsqu'il  signa  son  acte  d'association  du  11  octobre  1769. 

On  veut  bien  nous  dire  que  les  taureaux  sauvages  et  les  chiens 
de  feu  n'eurent  pas  besoin  de  subir  son  impulsion  artistique  pour 
poursuivre  leurs  exploits  dans  l'amphithéâtre.  Nous  le  croyons 
volontiers.  Mais  il  n'en  restait  pas  moins  trois  troupes  à  diriger, 
et  Gluck  ne  s'intéressait  qu'à  une  :  celle  de  l'Opéra.  Comme  les 
fonds  manquaient,  il  s'occupa  de  réaliser  des  économies  au 
moins  sur  l'une  d'elles. 

Ce  ne  fut  pas,  notons-le  bien,  sur  la  troupe  française  que  porta 
son  essai  de  réformes,  et  dans  ce  fait  nous  pouvons  trouver  une 
preuve  nouvelle  de  la  sympathie  qui  l'attirait  vers  la  France  et 
devait  prochainement  l'amener  à  consacrer  définitivement  à  ce 
pays  les  plus  précieux  dons  de  son  génie.  La  victime  qu'il  avait 
choisie  était  la  troupe  du  théâtre  allemand,  qui  d'ailleurs  jouait 
habituellement  devant  des  salles  vides.  Sans  prendre  l'avis  de 
personne,  il  se  proposa  d'en  demander  la  dissolution,  projetant 
d'utiliser  le  théâtre  où  elle  donnait  ses  représentations  (celui  de 
la  Porte  de  Carinthie,  où  Beethoven  devait  donner  plus  tard  la 
première  audition  de  la  Neuvième  Symphonie)  pour  y  exhiber 
les  grimaces  de  Hanswurst,  le  Polichinelle  viennois. 

Le  sacrifice  allait  être  consommé,  et  déjà  Gluck  avait  engagé 
une  compagnie  de  bouffons  connue  du  public  viennois  pour  avoir 
joué  ses  farces  sur  un  théâtre  de  faubourg  (Leopoldstadt),  quand 
un  des  comédiens  allemands,  Steffani  l'ainé,  éleva  sa  protes- 
tation et  celle  de  ses  camarades,  en  adressant  à  l'Empereur  lui- 
même  un  pro  memoria  justificatif  et  défensif.  Gluck  y  était  désigné 
comme  l'administrateur  du  théâtre  qui,  poussé  par  Lopresti,  pré- 
tendait s'opposer  au  progrès  du  théâtre  allemand  en  le  faisant 
reculer  jusqu'au  temps  de  la  farce.  Au  nom  de  tous  les  acteurs 
allemands,  il  protestait  contre  ce  dangereux  projet,  et  suppliait 
Joseph  II  «  de  conjurer  cet  attentat  contraire  à  toutes  les  ordon- 
nances impériales,  de  les  protéger,  eux,  contre  les  coteries  et 
la  sottise,  cle  sauvegarder  l'honneur  de  la  nation,  de  détourner 
l'injure  qui  menaçait  la  ville  de  Vienne,  et  de  conserver  au 
moins  un  théâtre  à  l'intelligence  des  hommes  sains.  » 

«  Un  destin  malheureux,  continuait-il,  semble  menacer  notre 
scène  de  la  plus  triste  décadence,  car  Gluck,  qui  a  pris  la  direc- 
tion du  théâtre  en  l'absence  d'Afllisio,  en  est  arrivé  déjà  ce 
mardi  à  faire  représenter  par  la  troupe  ambulante,  qui  jusqu'à 
présent  avait  amusé  le  peuple  par  ses  grossières  plaisanteries, 
ses  farces  sur  le  théâtre  de  la  Porte  de  Carinthie.  Nous  ne  vou- 
lons pas  signaler  d'abord  que  cette  entreprise  est  tout  à  fait 
contraire  à  la  très  haute  ordonnance  de  Votre  Majesté,  qui  pré- 
tend bannir  à  jamais  de  la  scène  l'ordure  et  l'imbécillité  des 
improvisations.  Mais  comment  Gluck  pourra-t-il  déguiser  son 
intention  ?...  » 

Ayant  protesté  que  l'état  du  théâtre  allemand  n'était  pas  si 
misérable,  Steffani  poursuit  ainsi  son  attaque  :  «  Le  goût  et  les 
bonnes  mœurs  ne  doivent  jamais  devenir  victimes  des  intérêts 
particuliers  :  Gluck  ne  doit  donc  pas  rester  en  état  d'introduire 
de  nouveau  les  farces  si  justement  défendues.  Toute  la  troupe 
des  acteurs  allemands  se  jette  aux  pieds  de  Votre  Majesté  et  la 
supplie  de  lui  accorder  sa  très  haute  protection  contre  cet  incon- 
venant projet  de  laisser  représenter  dans  la  ville  les  pièces 
improvisées.  Elle  la  demande  pour  elle,  pour  les  mœurs,  pour 
le  goût  et  pour  l'honneur  de  la  nation,  à  qui  ce  serait  faire  injure 
aux  yeux  de  toute  l'Allemagne.  Les  grimaces  et  les  insanités 
populaires  ont  deux  baraques  dans  le  faubourg  :  que  Votre 
Majesté  réserve  au  moins  aux  hommes  intelligents  la  seule  scène 
où  la  plaisanterie  convenable  et  le  plaisir  moral  ont  leur  place 
réservée.  » 

De  belles  paroles  comme  celles-là  ont  toujours  chance  de  faire 
de  l'effet.  Au  fait,  que  les  comédiens  allemands  aient  voulu 
défendre  leurs  intérêts,  rien  n'était  plus  naturel.  Mais  quand, 
affectant  d'élever  la  question,  ils  prétendaient  parler  au  nom 
d'un  art  national,  étaient-ils  vraiment  si  bien  fondés  à  hausser  la. 


LE  MENESTREL 


403 


voix  ?  Pour  prendre  si  véhémentement  la  défense  du  théâtre 
allemand,  il  aurait  fallu  qu'il  y  eut  un  théâtre  allemand.  Or,  on 
serait  bien  empêché  de  dire  aujourd'hui  quelles  œuvres  si  litté- 
raires avaient  à  leur  répertoire  ces  comédiens  qui  le  prenaient 
de  haut  avec  l'auteur  à'Alceste.  La  vérité  est  que,  par  un  de  ces 
parallélismes  dont  l'histoire  a  donné  maintes  fois  l'exemple, 
tandis  que  Gluck  s'efforçait  à  Vienne  d'accomplir  sa  réforme  de 
la  tragédie  lyrique,  dans  une  autre  partie  de  l'Europe  des 
poètes  et  des  écrivains,  véritables  fondateurs  de  la  littérature 
allemande,  accomplissaient  une  œuvre  analogue  et  également 
novatrice.  Le  premier  drame  de  Lessing  date  de  la  môme  année 
qa'Alceste.  Mais  le  mouvement  qui  s'inaugurait  par  là  était  encore 
trop  peu  étendu  pour  avoir  eu  sa  répercussion  à  Vienne.  Ce 
n'était  point  du  tout  pour  se  conformer  à  son  impulsion  que  les 
comédiens  allemands  se  débattaient  avec  tant  d'ardeur,  et  quant 
à  Gluck,  il  était  fort  excusable  si,  tout  occupé  de  sa  propre 
réforme,  il  n'avait  pas  deviné  qu'il  s'en  accomplissait  une  autre, 
dans  une  branche  toute  différente  de  1'activilé  humaine,  au  plus 
loin  de  l'Allemagne  du  nord.  Aussi  bien,  les  directeurs  de 
théâtre  ne  sont-ils  pas  obligés  à  tant  d'initiative;  ils  n'ont  point 
coutume  de  prévoir  ainsi  l'art  de  demain  ! 

Bref,  la  question  de  principe  n'eut  à  jouer  qu'un  rôle  secon- 
daire dans  cette  querelle,  où  il  y  a  toute  apparence  que  d'autres 
influences  furent  plus  efficaces.  Les  comédiens  allemands 
eurent  gain  de  cause.  L'Empereur  fit  signifier  à  «  l'administra- 
teur Gluck  »  qu'il  voulait  que  le  théâtre  de  la  Porte  de  Carinthie 
fût  ouvert  quatre  jours  par  semaine  et  réservé  trois  fois  au 
théâtre  allemand  régulier. 


[A  suivre. 


Julien  Tiersot. 


PETITES  NOTES  SANS   PORTÉE 


CXLI 


LA  VOGUE  DE  BACH,  DEPUIS  LA  DECOUVERTE  (1) 
DE  SA  PUISSANCE  EXPRESSIVE 

Au  violoniste  éntdil,  Charles  Bouvet. 

Encore  Bach;  partout  Bach.  L'Homère  de  l'harmonie,  qu'adorait  la 
maturité  de  Beethoven,  ne  ressuscite  plus  seulement  à  la  Société  Bach, 
avec  la  Johannes-Passion  de  sa  grande  époque  ou  d'aimables  musiques 
instrumentales,  entrecoupées  de  plaintives  prières  :  le  17  décembre, 
première  soirée  de  la  Fondation  Bach,  que,  naturellement,  le  violoniste 
Charles  Bouvet  consacre  tout  entière  à  Bach  (audition  de  l'exquise  Can- 
tate nuptiale,  etc.);  le  18,  deuxième  concert  mensuel  de  la  Schola;  pro- 
gramme :  «  OEuvres  de  Bach  »  (première  audition  d'un  concerto  pour 
deux  altos;  et  deux  magistrales  Cantates  pour  fêtes  religieuses).  Déjà, 
les  6  et  13  décembre,  au  Conservatoire,  où  le  regretté  Georges  Marty 
nous  avait  fait  connaître,  en  deux  fois,  les  six  chants  de  ce  «  poème  de 
la  Joie  »  qu'on  nomme  l'Oratorio  de  Noël,  la  Grande  Messe  en  si  mineur 
a  magnifiquement  sonné  sous  l'aristocratique  direction  d'André  Mes- 
sager; ce  n'était  point,  d'ailleurs,  ici,  la  première  fois  que  s'imposait  à 
notre  frivolité  vaincue  la  plus  colossale  des  cinq  messes  du  «  Jupiter 
de  la  musique  »  (2),  Zeus  paisiblement  tonnant  de  la  fugue  :  la  révéla- 
tion du  formidable  Credo,  qui  dure  quarante-quatre  minutes  à  lui 
seul  (3),  remonte  au  dimanche  10  janvier  1875.  sous  le  consulat  de  feu 
Deldevez:  et  la  belle  initiative  du  trop  oublié  Jules  Garcin  nous  révé- 
lait la  Messe  entière  le  22  février  1891.  Notre  éducation  ne  s'est  point 
faite  en  un  jour.  Enfin,  tout  virtuose  qui  se  respecte  ne  manque  plus 
d'inaugurer  le  programme  «  historique  »  de  son  récital  par  la  Fantaisie 
chromatique  ou  par  la  transcription  d'une  brillante  loccata. 

Voilà  de  bonnes  preuves  de  notre  fureur  bachique  (comme  écrirait 
une  ouvreuse  attentive  à  noter  la  mode).  Et  belles  occasions,  n'est-ce 
pas?  de  retourner  au  «  musicien-poète  »  en  compagnie  de  MM.  Schweit- 


(1)  Voir  te  Ménestrel  du  5  décembre  1908. 

(2)  Définition  de  M.  Reyer,  citée  par  M.  Dandelot,  dans  son  livre  sur  la  : 
Concerts  de  4828  à  1897  (Paris,  G.  Havard  fils,  1898). 

(3)  Kyrie  et  Gloria  durent  une  heure  sept  !  Dimensions  tout  allemandes.. 


zer  et  Pirro,  sans  oublier  le  DrDwelshauvers,  exégèle  de  la  Passion  selon 
saint  Jean;  de  vérifier  notre  idée  récente  de  la  puissance  expressive  de 
son  art  monumental;  enfin,  d'apercevoir  comment  et  jusqu'où  cette 
conception  nouvelle  d'un  génie  lointain  se  reflète  en  l'actuelle  interpré- 
tation de  ses  vieux  chefs-d'œuvre. 

Au  sujet  de  cette  puissance  expressive  dont  nous  exagérons  mainte- 
nant le  détail,  après  l'avoir  niée  trop  longtemps  dans  l'ensemble,  il 
faudrait  constater  d'abord,  avec  les  érudits,  les  emprunts  de  Bach  à 
ses  cantates  antérieures.  L'année  dernière,  à  pareille  époque,  la  meil- 
leure preuve  du  var/ue  inhérent  à  la  physionomie  de  la  Musique,  où 
l'avons-nous  trouvée  ?  Dans  les  plus  dramatiques  des  maîtres  de  la 
scène  ou  de  l'orchestre,  le  grand  Gluck  et  son  plus  direct  héritier  Ber- 
lioz, qui  n'hésitent  jamais  à  transporter  un  morceau  d'un  ouvrage  dans 
un  autre,  pourvu  que  le  sentiment  total  soit  au  moins  analogue  I  .Le 
plus  grand  des  Bach,  avant  eux,  ne  faisait  pas  autrement  :  le  génie 
avant  tout  musical  des  deux  Passiom  ou  de  la  Messe  en  si  mineur  em- 
pruntait à  ses  cantates  sacrées,  voire  même  profanes,  des  fragments 
entiers;  et  faut-il  en  laisser  voir  une  trop  vive  surprise? 

Au  lendemain  de  l'archaïsme,  à  l'heure  où  la  différence  n'était  pas 
encore,  musicalement,  bien  tranchée  entre  le  profane  et  le  divin,  une 
seule  musique  régnait,  que  nous  appelons  classique  ;  et  notre  Berlioz 
en  souriait  dans  les  motets  des  vieux  maitres,  qu'il  connaissait  mal,  ou 
s'en  indignait  dans  les  opéras  de  Lulli  :  son  romantisme  exigeant  ne 
distinguait  pas  grand'chose  entre  l'aird'église  et  la  chanson  à  boire.  Ou 
m'objectera  vite  que  la  faculté  critique  a  besoin  d'une  longue  expérience 
pour  saisir  les  détails  expressifs  ;  que  les  musiques,  comme  les  physio- 
nomies, ne  se  révèlent  pas  au  premier  abord  ;  que  toutes  les  toiles  des 
primitifs  ou  tous  les  portraits  emperruqués  semblaient  autrefois  pareils 
au  regard  sans  érudition...  Sans  doute.  Mais  cet  air  d'uniformité  n'en 
est  pas  moins  frappant  dans  les  vieilles  musiques  ;  une  monotonie 
rapproche  l'opéra  de  l'oratorio  :  profanes  ou  sacrées,  —  le  fait  est  remar- 
quable dans  les  partitions  de  Haendel  ;  la  fresque  a  peu  de  ressources, 
et  la  palette  du  grand  style  offre  peu  de  nuances.  Et  puis,  à  toutes  les 
époques  de  l'art,  le  génie  particulier  d'un  maitre  exprime  identiquement 
les  différents  objets  de  son  culte  :  le  César  Franck  de  Psyché  ne  dément 
point  celui  des  Béatitudes,  pas  plus  que  le  Puvis  de  Chavannes  de 
Sainte-Geneviève  ne  fait  oublier  celui  àeVirgile.  Aussi  bien,  le  brave  Alle- 
mand qu'était  Jean-Sébastien  Bach  ne  cherchait  point  midi  à  quatorze 
heures:  sur  un  petit  rythme  guilleret  des  violons,  que  ne  désavouerait 
pas  la  gaieté  de  son  Défi  de  Phébus  et  de  Pan,  le  ténor  de  sa  160e  can- 
tate religieuse  vocalise  :  Ich  iveiss  dos  mein  Erlôser  lebt...  «  Je  sais  crue 
mon  Sauveur  est  vivant  !  »  Il  est  vrai  qu'une  telle  assurance  a  de  quoi 
justifier  la  plénitude  naïve  de  la  joie. 

Donc,  le  compositeur  fervent  de  l'Oratorio  de  Noël  ne  craint  pas  de 
se  citer  lui-même  et  d'emprunter  des  airs  à  son  Dramma  per  Musica, 
même  au  Choix  d'Hercule  !  Ailleurs,  et  réciproquement,  un  air  de  cour 
est  devenu  l'air  de  la  Pentecôte.  Voilà  de  quoi  faire  réfléchir  nos  exé- 
gètes...  Et  l'admirable  Crucifixus,  cinquième  partie  de  l'immense  Credo 
de  la  Grande  Messe  en  si  mineur,  n'est  lui-même  qu'un  extrait  de  la  can- 
tate Weinen,  Klagen;  ce  qui  n'empêche  nullement  ce  Crucifixus  mineur, 
à  quatre  voix,  d'exhaler  un  parfum  d'ombre,  une  atmosphère  de  ténè- 
bres, la  senteur  des  vieilles  pierres  imbues  de  l'encens  des  siècles... 
Libre  à  notre  imagination  d'errer  dans  ce  jour  de  vitrail,  et  d'y  mettre 
peut-être  plus  d'intentions  que  le  pieux  musicien  n'en  mettait  dans  sa 
musique  !  Et  sepultus  est...  Un  abîme  s'ouvre,  à  nos  yeux,  avec  le  tom- 
beau, dans  le  pianissimo  des  voix  graves... 

Déjà  l'Incarnatus  (n°  IV  du  Credo),  le  douloureux  Incarnants  que  Bach 
veut  si  chrétiennement  sombre  et  que  Beethoven  entendra  si  poétique- 
ment tendre  (2),  est  expliqué  par  nos  raffinements  contemporains 
comme  une  angoisse  de  l'homme  indigne  du  sacrifice  divin...  Puis,  et 
quoique  facile  et  prévue,  la  transition  de  l'ombre  à  la  lumière,  au  ResurrexU 
majeur,  éblouit  toujours.  Ici,  l'expression  totale,  aussi  bien  que  la  volonté 
de  l'auteur  d'être  expressif,  n'est  point  niable  ;  elle  apparaît  dans  la  tris- 
tesse du  mode  et  la  stagnation  du  mouvement.  Oui,  mais  gardons- 
nous  de  détailler  trop  d'intentions  dans  un  effet  de  sourdine  paradi- 
siaque (3)  ou  dans  une  entrée  de  fugue,  dans  une  ritournelle  de  (lùte  ou 
dans  tel  rythme  angoissé  des  violons  !  Hantise  expressive,  qui  nous 
poursuivra  bientôt  jusqu'au  milieu  des  œuvres  instrumentales  ! 
(A  suivre.)  Raymond  Bol'yer. 


(1)  Voir  le  Ménestrel  des  12  et26  octobre  190"  et  du  11  janvier  1908. 

i,2)  Dans  son  superbe  Credo  de  la  .Messe  en  ré. 

(3)  Accompagnement  de  l'air:  Je  suis  le  Bon  Pasteur  (85"  cantate! . 


404 


LE  MÉNESTREL 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts-Colonne.  —  Un  des  principaux  attraits  Je  la  séance  de  dimanche 
résidait  dans  l'audition  toujours  trop  rare  de  Mme  Delna.  L'organe  exceplionne. 
de  la  célèbre  cantatrice,  celte  voix  pure  et  ample,  évoquant  l'idée  d'un  beau 
fleuve  paisible  aux  rives  ensoleillées,  donne  à  tout  ce  que  l'artiste  interprète 
un  charme  incomparable.  Traduits  par  Mme  Delna,  l'air  de  Cassandre,  la  mort 
de  Didon,  de  Berlioz,  deviennent  des  pages  de  sereine  splendeur  qui  provoquent 
l'émotion  et  la  prolongent.  L'interprétation  fouillée  et  originale  que  Mme  Delna 
a  apportée  du  Roi  des  Aulnes  de  Schubert  peut  être  discutée,  mais  n'en  demeure 
pas  moins  d'un  captivant  intérêt. — ■  Mme  Marguerite  Long  exécuta  avec  une 
grande  sûreté,  dans  un  sentiment  simple  et  un  style  sobre  exempt  de  recher- 
ches inutiles,  le  3e  concerto  de  Saint-Saèns,  que  l'on  entend  bien  rarement,  et 
qui  contient  des  pages  intéressantes  d'une  belle  fougue  juvénile.  La  jeune 
pianiste  obtint  un  triple  rappel  fort  mérité.  —  La  pièce  symphonique  de 
M.  Max  d'Ollone,  An  cimetière,  s'inspire  de  la  tristesse  qu'évoque  un  pâle  jour 
d'automne  près  d'une  tombe  récemment  fermée.  Le  compositeur  a  su  trouver 
dans  une  instrumentation  habile  des  accents  douloureux  et  passionnés  qui 
rendent  bien  l'impression  funèbre  et  désespérée  qu'il  a  voulu  exprimer.  On  a 
favorablement  accueilli  cette  page  inédite  excellemment  rendue  par  l'orchestre, 
qui  s'est  en  outre  couvert  de  gloire  dans  les  ouvertures  berlioziennes  de 
Benvennto  Cellini,  du  Carnaval  romain,  et  dans  la  Symphonie  en  la  de 
Beethoven.  J.  Jemain. 

—  Concerts-Lamoureux.   —  Avec  le  Lamenta    de   M.  Max  d'Ollone,  nous 
sommes  en  présence  d'une  composition  orchestrale  d'un  style  élevé,   d'une 
expression  très  noble  et  d'une  facture  sobre  et  large.  Le  sujet  ne  comportait 
aucune  recherche  instrumentale  de  détail  et  l'auteur  l'a  parfaitement  compris. 
Le  sentiment  de  tristesse  qu'il  s'agissait  de  rendre   aussi   intense  que  possible 
est  produit  par  la  persistance  d'un  même  intervalle  dans  un  dessin  mélodique 
très  simple.  Ici  ou  là,  quelques  épisodes  se  greffent  sur  l'idée  principale  et 
sont  presque  aussitôt  abandonnés.  A  la  fin,  un  petit  effet  d'orchestre   indique 
une   extériorisation   momentanée  de  la  douleur,  un   soupir   ou    une  plainte 
violente;  tout  aussitôt  arrive  l'accord  linal.  Le  public  a  fait  un  très   sympa- 
thique accueil  à  cette  vision  rêveuse  qui  pourrait  bien   être  celle  d'un   désa- 
busé. C'était  là  une  première  audition  de  choix.  Une  autre  a  moins  réussi  : 
les  «  Deux  poèmes  »  de  M.  A.  Caplet,  Préludes  et  Angoisse,  ne  méritaient  pas 
en  effet  le  même  accueil.  Nous  avons  pour  guide  à  travers  leurs  méandres 
deux  élucubrations  en  vers  décadents  dont  la  lecture  n'est  point  faite  pour 
nous  bien  disposer  en   faveur  de   la  musique.   Cette   dernière  n'est  pourtant 
pas,  à  beaucoup   près,   aussi   prétentieusement   recherchée  que  les  vers,    ni 
aussi  fausse  comme  évocation  d'images  ;  elle  se  contente  d'être  banale  et  de 
n'évoquer  rien  du  tout.  Mlle  Bose  Féart  a  eu  toutes   les   peines  du  monde  à 
éviter  au  musicien  un  désagréable  échec.  Quant  à  elle,   on  l'a   mise  hors  de 
cause;  on  l'attendait  dans  l'air  àeFiaelio,  qu'elle  devait  chanter  avant  la  fin  de 
la  séance.  Elle  s'y  montra  cantatrice  intelligente  et  suffisamment  pathétique. 
Le  cor,  dont  le  timbre  a  tant  d'affinité  avec  la  voix  humaine,  et  dont  la  partie 
écrite  par  Beethoven  pour  ce  morceau  est   prépondérante   et     parfaitement 
noble,  a  produit  le  plus  bel  effet  en  accompagnant  le  chant  tantôt  discrète- 
ment, tantôt  avec  quelque  violence.  C'est  là  une   de   ces   choses  simples  dont 
Beethoven  avait  le  secret.  M"e  Rose  Féart  a  su  atteindre  et  soutenir   sans  dif- 
ficultés les  notes  aiguës  qui  expriment  si  bien  l'agitation  de  Léonore;  son 
organe  est  résistant,  il  émet  le  son  purement  et  ne  le  laisse  pas  chevroter. 
L'artiste  a  été  fêtée  et  rappelée  comme  on  pouvait  s'y  attendre  après   sa   b-il- 
lante  interprétation.  Il  esta  remarquer  que  l'air  de   Fidelio,  comme   celui  du 
Freisch&ts,  rentre  dans  la  catégorie  des  airs  italiens  honnis  si  souvent  aujour- 
d'hui. Cette  forme  d'art  ne  saurait  pourtant  être  condamnée  sans  que  la  con- 
damnation s'étende  à  tout  le  domaine  ancien  de  l'art.  L'air   italien,   avec  son 
récitatif,  son    andante    ou    adagio    et    son   allegro,   n'est   en  effet  pas   autre 
chose  qu'un  raccourci  d'ouverture,  de  sonate,  de  concerto  ou   même   de   sym- 
phonie. Il  n'est  pas  sur  d'ailleurs  que  les  cadres  anciens,  qui   ont  donné  lieu 
à  une  telle   efflorescence  de  chefs-d'œuvre,  ne   puissent  être   utilisés  par  les 
maîtres  modernes  avec  un  réel  bonheur.  Voyez  la  Symphonie  en  al   mineur 
de  M.  Saint-Saèns.  que  l'orchestre  a  très  bien  rendue  au  dernier  concert;  elle 
n'a  pas  été  gênée  dans  son  essor  par  le  plan  tout  classique  adopté  par  le  com- 
positeur et  suivi  assez  strictement,  tandis  que  la  Suite  lyrique  de  Grieg,  qui  se 
développe  en  pleine  fantaisie,  semble  avoir  perdu   dès  l'abord  ses   ailes   et  ne 
pouvoir  prendre  son  essor.  Elle  donne  l'impression   d'un   enfantillage   quand 
elle  ne  provoque  pas  l'indifférence  ou  l'ennui.  L'exécution  en   a   été   pourtant 
aussi  bonne  que  possible,  mais  cela  ne  suffit  pas  à  soutenir  une  musique  sans 
véritable  consistance.  Le  programme  comprenait  encore  l'ouverture  à'Iphigénie 
en  Avlide,  de  Gluck,  trois   courts   fragments   de  Psyché,   de  César  Franck,   et 
l'ouverture  des  Maîtres  chanteurs,  qui   a  valu  un  triomphe  à  M.  Chevillard   et 
à  son  orchestre.  Amédée  Boitarel. 

—  Programmes  des  concerts  de  demain  dimanche  : 

Conservatoire  :  pas  de  concert. 

Châtelet,  Concert-Colonne,  sous  la  direction  de  M.  Gabriel  Pierné  :  Huitième  Sym- 
phonie, en  fa  (Beethoven).  —  Stances  de  Sapho  (Ch.  Gounod),  par  M»»  Marie  Delna. 
—  Rédemption  (César  Franck).—  Rapsodie (Ph.  Gauberi).  —  Quatrième  concerto  pour 
piano  (C.  Saint-Saêns),  par  M-' Riss-Arbeau.  —  a)  L'Ouragan,  fragment  du  3'  acte 
(A.  Bruneau)  ;  b)  L'attaque  du  Moulin  (La  Guerre)  (A.  Bruneau),  par  M"'  Marie 
Delna.  —  Joyeuse  Marche  (Em.Chabrieri. 


Salle  Gaveau,  Concert-Lamoureux,  sous  la  direction  de  M.  Chevillard  :  Ouverture 
de  Don  Juan  (Mozart).  —  Symphonie  en  ut  mineur,  avec  orgue  (Siint-Saënsi,  avec  le 
concours  de  M.  Louis  Vierne,  organisle  de  Notre-Dame  ;  piano  :  M""  Le  Breton, 
M.  Deiacroix.  —  Concerto  pour  violon  (Beethoven),  par  M.  Henri  Marteau.  —  Toc- 
cata, pour  orgue  seul  (Widor),  par  M.  Louis  Vierne.  —  Scène  finale  du  Crépuscule 
des  Dieux  (Wagner),  par  M11-*  Agnès  Borgo. 

—  La  3e  matinée  Danbé  à  l'Ambigu  ne  fut  pas  inférieure  en  intérêt  aux 
précédentes.  Les  compositeurs  Alexandre  Georges  et  Léon  Moreau  accompa- 
gnaient leurs  œuvres.  Du  premier  les  poétiques  Chansons  deLeilah  exquisement 
traduites  par  M.  Lucien  Berton,  celles  de  Miarka  où  Mlle  J.  Brohly  obtint  une 
ovation  méritée,  et  des  pièces  en  trio,  Poèmes  d'amour,  pour  piano,  violon  et 
violoncelle  ;  du  second,  avec  M.  Cossira  comme  interprète,  trois  mélodies  fort 
originales,  la  Grotte,  Cœur  solitaire  et  Cûlinerie.  Une  jeune  pianiste,  M1,c  Taglia- 
ferro,  fut  très  remarquée  pour  son  jeu  ferme  et  nuancé  dans  des  pièces  de 
Rachmaninoff,  Chopin,  et  surtout  dans  le  quintette  de  Schumann,  où  le  qua- 
tuor Soudant  (avec  M.  Schwab  remplaçant  M.  Bedetti  absent)  eut  sa  part  de 
succès,  ainsi  que  dans  les  fragments  de  Tschaïkowsky  et  Mozart.  —  La  4e  ma- 
tinée, le  23  décembre,  comprendra  des  ceuvreB  de  Debussy,  Boéllmann,  Lully, 
F.  Masson,  par  M"le  Blanche  Marot,  MM.  Plamondon,  Jean  Bedetti,  et  le 
double  quatuor  à  cordes  et  contrebasse. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(pour  les  seuls  aboies  a  la  musique) 


Ce  sont  de  vraies  Figurines  de  Saxe  que  ces  nouvelles  petites  pièces,  pour  piano, 
de  M.  Philipp.  E'ies  en  ont  la  délicatesse  et  la  fragilité.  Ce  Petit  soldat  n'est  pas 
bien  menaçant,  malgré  ses  roulements  sur  un  tambour  tout  menu  et  qui  doit  être 
enguirlandé  de  roses.  Et  cette  Chanteuse  roumaine,  avec  ses  airs  alanguis,  semble 
bien  tirer  sa  chanson  d'une  voix  de  porcelaine.  C'est  tout  à  fait  curieux  et  spirituel. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER 

Le  directeur  de  l'Opéra-Populaire  de  Vienne,  M.  Simons,  vient  de  choi- 
sir pour  régisseur  de  son  théâtre  MUeC.  Krauss,  ancienne  figurante  do  l'Opéra, 
qui  s'essaya  aussi  comme  chanteuse.  Bien  des  fois,  des  femmes  ont  rempli  les 
fonctions  de  directrices  de  troupes  théâtrales,  mais  assez  rarement,  sans  doute, 
elles  ont  été  appelées  à  tenir  l'emploi  difficile  de  régisseur  d'une  scène 
lyrique. 

—  Il  y  a  eu  mardi  huit  jours,  un  fait  très  ordinaire,  mais  cependant  singu- 
lier si  l'on  considère  les  causes  qui  l'ont  produit,  s'est  passé  à  l'Opéra  de 
Vienne.  L'affiche  du  jour  portait  les  Contes  d'Hoffmann  d'Offenbach  pour  la 
représentation  du  soir.  A  la  dernière  heure,  le  spectacle  fut  changé;  on  joua 
la  Bohème  de  M.  Leoncavallo.  Le  motif  de  cette  substitution  n'était  pas  une 
indisposition  d'artiste  comme  ou  aurait  pu  le  supposer,  mais  un  scrupule  de 
la  direction,  qui  voulut,  parait-il,  donner  satisfaction  à  des  craintes  supers 
titieuses  qui  lui  avaient  été  exposées.  Quelqu'un  se  rappela,  au  dernier  moment, 
que,  le  8  décembre  1881.1e  Ringtheater  avait  été  consumé  par  les  flammes,  et 
que,  précisément  ce  jour-là,  on  donnait  les  Contes  d'Hoffmann.  Cette  coïncidence 
parut  émouvoir  à  ce  point  certaines  personnes  que  l'administration  du  théâtre, 
à  laquelle  on  fit  part  de  cet  état  d'esprit,  jugea  opportun  de  modifier  le  spec- 
tacle. 

—  La  Société  internationale  de  musique  fait  connaître  qu'à  l'occasion  des 
fêtes  du  centenaire  de  la  naissance  de  Joseph  Haydn,  elle  tiendra  son  troi- 
sième congrès  à  Vienne,  du  2o  au  29  mai  1909.  Les  fêtes  auront  lieu  sous  le 
protectorat  de  l'empereur  F>ançois-Joseph.  En  dehors  d'une  assemblée  des 
membres  de  la  Société,  pendant  laquelle  on  exéculera  des  œuvres  de  Haydn, 
il  y  aura  cinq  auditions  soit  à  l'église,  soit  dans  des  salles  de  concert,  soit  à 
l'Opéra.  Il  y  aura  en  outre  des  réceptions,  des  visites  aux  lieux  historiques  tt 
dans  les  musées,  enfin  une  excursion  à  Eisenstadt,  où  se  trouve  le  château  de 
la  famille  Esterhazy,  bâti  eu  16S3  et  agrandi  en  1805.  Hadyn  a  été  enterré  à 
Maria  Einsiedel,  lieu  de  pèlerinage  tout  voisin.  Le  congrès  sera  divisé  en  cinq 
sections  comprenant  les  domaines  suivants  :  I.  Histoire  de  la  musique  ancienne 
et  nouvelle  ;  mise  au  point  de  la  mu-ique  historique  pour  l'exécution  ;  histoire 
de  l'Opéra;  musique  pour  le  luth.  —  II.  Ethnographie  musicale,  musique 
exotique  et  folklore.  —  III.  Théorie,  esthétique,  didactique.  —  IV.  Bibliogra- 
phie et  question  d'organisation,  commissions,  musique,  populaire.  —  V.  Mu- 
sique d'église,  catholique  et  protestante,  subdivision  pour  l'étude  de  la 
construction  des  orgues. 

—  On  signale  une  séance  très  intéressante  du  congrès  des  américanistes 
qui  s'est  tenu  récemment  à  Vienne,  séance  dans  laquelle  un  professeur  de 
New-York,  M.  Boas,  a  rendu  compte  de  l'expédition  accomplie  dans  le  haut 
Pacifique  sous  la  direction  du  défunt  américaniste  Jesup.  Le  conférencier  a 
fait  entendre,  à  l'aide  du  phonographe,  des  chants  groenlandais.  des  chants 
et  des  musiques  indiennes,  des  paroles  du  dialecte  Guarany,  en  usage  encore 


LE  MÉNESTREL 


405 


dans  certaines  parties  du  Brésil,  et  diverses  aulres  curiosités  du  monde  amé- 
ricain qui  peu  à  peu  disparait.  Ces  particularités,  recueillies  avec  beaucoup  de 
peines  et  de  soins  par  divers  savants  et  chercheurs,  sont  réunies  maintenant 
dans  les  archives  phonogrammiques  do  l'Académie  des  Sciences  de  Vienne. 

—  De  Vienne  :  M.  Richard  Strauss  vient  d'arriver  ici  et  a  déjà  assisté  hier 
à  une  répétition  au  piano  de  sa  nouvelle  œuvre,  Elektra,  à  l'Opéra  de  la  Cour. 
La  première  à  Vienne  aura  lieu  immédiatement  après  celles  de  Dresde  et  de 
Berlin. 

—  La  cantatrice  wagnérienne  Mmo  Rosa  Sucher,  âgée  aujourd'hui  de  soi- 
xante et  un  ans,  vient  de  subir,  dans  un  sanatorium  de  Vienne,  une  opération 
qui  a  pleinement  réussi. 

—  On  va  placer,  sur  la  tour  de  l'Hotel-de-Villc  de  Munich,  un  grand  caril- 
lon qui  comptera  parmi  les  plus  importants  de  l'Europe.  R  ne  comprend  pas 
moins  de  quarante-trois  cloches,  qui  ont  été  fondues  par  la  maison  Oberas- 
cher  frères,  de  Munich.  La  percussion  est  effectuée  par  des  battants  dont  le 
poids  varie  de  2  lui.  et  demi  à  124  kilogrammes,  en  proportion  de  la  grosseur 
des  cloches,  battants  qui  sont  mis  en  mouvement  au  moyen  de  l'électricité. 
Ce  carillon,  comme  ceux  des  Flandres,  peut  se  jouer  à  la  main  sur  un  clavier, 
ou  se  faire  entendre  automatiquement,  au  moyen  d'un  cylindre  semblable  à 
celui  d'un  orchestrion.  La  rapidité  d'action  du  mécanisme  permet  de  répéter 
une  même  note  trois  fois  en  une  seconde.  Les  travaux  du  carillon  sont  diri- 
gés par  M.  Hartmann,  propriétaire  de  la  fabrique  royale  d'horloges  de  cloches. 

—  On  assure  que  décidément,  et  contrairement  à  la  nouvelle  qui  en  avait 
été  donnée,  M.  Engelbert  Humperdinck  n'a  pas  accepté  les  fonctions  de  pro- 
fesseur de  composition  au  Conservatoire  de  Vienne.  Retenu  à  Berlin  par  des 
occupations  nombreuses  et  des  travaux  importants,  l'auteur  de  Hanse!  et 
Gretel  a  du  décliner  définitivement  les  offres  qui  lui  avaient  été  faites  à  ce 
sujet. 

—  Depuis  longtemps,  aucune  œuvre  française  n'a  réussi  aussi  pleinement 
en  Allemagne  que  la  Croisade  des  enfants,  de  M.  Gabriel  Pierné.  On  l'a  entendue 
depuis  deux  années  à  Munich,  Augsbourg,  Leipzig,  Wurtzbourg.  Essen, 
Hambourg.  Metz,  Dortmund,  Dresde  et  d'autres  villes  encore.  Cologne  a  con- 
tinué la  série  par  une  audition  triomphale  donnée  au  commencement  de 
décembre  aux  grands  concerts  Gûrzenicb,  sous  la  direction  de  M.  Frédéric 
Steinbach.  Le  bel  ouvrage  de  M.  Gabriel  Pierné  a  été  apprécié  par  la  Cblnische 
Zeitung  dans  un  article  long  et  chaleureux  auquel  nous  empruntons  seule- 
ment les  quelques  extraits  suivants,  choisis  au  hasard  :  «  Dans  cette  œuvre, 
dit  le  critique,  Gabriel  Pierné  se  montre  à  nous  dès  l'abord  comme  un 
maître...  Il  surpasse  assurément  tous  les  français  de  l'école  nouvelle  par  son 
habileté  à  construire  les  morceaux  et  nous  n'avons  jamais,  à  aucun  endroit  de 
l'ouvrage,  l'impression  que  le  souflle  puisse  lui  manquer;  quand  il  commence 
une  période,  il  sait  toujours  hardiment  la  conduire  à  son  point  culminant.  Il 
a  encore  sur  beaucoup  d'autres  le  très  appréciable  avantage  de  posséder  un 
sentiment  très  sur  du  style,  qui  lui  a  permis,  aussi  bien  dans  les  tableaux  qui 
ont  la  mer  pour  cadre  de  fond,  que  dans  celui  où  les  enfants  s'arrêtent,  pris 
d'admiration  devant  la  nature  épanouie  au  printemps,  de  ne  pas  écrire  dans 
U  forme  usitée  au  théâtre,  mais  de  rester  toujours  Adèle  à  celle  de  l'oratorio. 
Gabriel  Pierné  a  obtenu  les  plus  subtils  effets,  soit  par  la  façon  dont  il  tra- 
duit les  appels  lointains  des  enfants,  soit  par  sa  manière  de  faire  chanter  les 
voix  d'en  haut,  soit  enfin  par  l'emploi  de  coloris  caractéristiques,  toutes 
choses  qu'il  sait  trouver  le  plus  naturellement  du  monde.  » 

—  On  annonce  de  Prague  que  le  compositeur  Vchezlaw  Norak  vient  d'être 
nommé  professeur  de  composition  au  Conservatoire  de  ceUe  ville. 

—  A  Gorlitz.  en  Silésie,  au  concert  symphonique  de  l'orchestre  de  la  Ville, 
fort  artistiquement  dirigé  par  M.  Oskar  Jùttner.  très  gros  effet  pour  l'ouver- 
ture de  Frilhiof,  de  M.  Théodore  Dubois. 

—  On  vient  d'inventer  en  Allemagne  un  fonctionnaire  d'un  nouveau  genre. 
Les  journaux  nous  apprennent  en  effet  que  les  autorités  de  police  de  Berlin 
ont  créé  un  emploi,  dont  le  besoin  se  faisait  vivement  sentir,  de  «  censeur  des 
registrations  phonographiques  ».  Ce  fonctionnaire  a  pour  missien  de  prendre 
connaissance  de  toutes  les  registrations  nouvelles,  et  il  a  le  pouvoir  d'inter- 
dire et  de  supprimer  celles  qui,  à  son  avis,  pourraient  offenser  la  religion  ou 
la  morale.  C'est  que,  vous  savez,  on  ne  plaisante  pas  avec  la  morale,  à  Berlin  '. 

—  On  sait  que  le  Musée  instrumental  du  Conservatoire  de  Bruxelles, 
quoique  installé  d'une  façon  presque  aussi  fâcheuse  que  le  notre,  n'en  est  pas 
moins  un  des  plus  riches  et  des  mieux  catalogués  d'Europe,  grâce  à  son 
excellent  conservateur,  M.  Manillon.  Récemment  encore,  il  s'est  enrichi  d'une 
rare  et  superbe  collection  d'instruments  fabriqués  dans  les  anciennes  provinces 
belges  et  qui  constituent  une  véritable  histoire  de  la  facture  instrumentale  en 
Belgique  depuis  le  XVIe  siècle.  Cette  collection,  qui  avait  été  formée  avec  le 
plus  grand  soin  par  l'ancien  notaire  César  Snoeck,  mort  il  y  a  quelques  années, 
et  qui  a  été  offerte  au  Musée  par  M.  Louis  Cavens,  comprend  437  pièces 
d'époques  différentes,  représentant  toutes  les  branches  de  la  facture  :  clave- 
cins, orgues,  lutherie,  instruments  à  vent  de  toute  sorte  et  de  tout  genre,  et 
jusqu'à  des  tambours  et  des  sonnailles. 

—  Les  répercussions  de  la  politique  se  font  sentir  au  théâtre.  Le  II  décem- 
bre dernier,  au  Théâtre-International  de  Moscou,  l'on  jouait  une  opérette 
viennoise;  l'un  des  acteurs  qui  représentait  un  officier  autrichien  fut  hué  de 
tous    les   coins   de  la  salle  aux  cris  de  «  à  bas  les  Allemands  »  dès  qu'on  le 


vit  paraître  en  scène  avec  son  uniforme.  Quelques  poings  menaçants  s'.Hant 
levés  contre  les  manifestants,  un  pugilat  en  règle  allait  commencer  lorsque 
la  police,  faisant  irruption  dans  la  salle,  appréhenda  aussitôt  les  plus  fougueux 
d'entre  ces  derniers,  les  conduisit  au  foyer  et  leur  dressa  procès-verbal.  Il-  en 
seront  quittes  pour  une  forte  amende. 

—  Une  dépêche  de  Milan  annonce  que  dimanche  dernier  a  eu  lieu,  en 
présence  des  autorités,  des  représentants  du  gouvernement  et  de  la  munici- 
palité et  d'une  assistance  nombreuse  d'artistes,  la  célébration  du  centenaire 
du  Conservatoire  de  musique,  qui  porte  aujourd'hui  le  nom  de  Conservatoire 
Verdi.  La  solennité,  très  brillante,  avait  réuni,  cela  va  sans  dire,  non  seule- 
ment tout  le  personnel  actuel,  mais  tous  ceux  des  anciens  élèves  de  l'institu- 
tion qui  se  trouvaient  alors  à  Milan  ou  qui  s'y  étaient  rendus  pour  la  circons- 
tance. On  sait  que  la  réunion  d'un  grand  congrès  musical  avait  été  décidée  à 
l'occasion  de  la  solennité  du  centenaire.  L'inauguration  de  ce  congrès  a  eu 
lieu  dès  le  lendemain  14,  dans  la  salle  des  fêtes  du  Conservatoire,  sous  la 
présidence  de  M.  Salvanini,  représentant  du  ministre  de  l'instruction  pu- 
blique, et  en  présence  du  préfet  et  du  maire  de  Milan.  Plusieurs  discours  ont 
été  prononcés,  qui  ont  été  accueillis  par  de  vifs  applaudissements,  et  les  tra- 
vaux des  sections  ont  aussitôt  commencé.  Le  comité  de  la  section  française 
de  ce  congrès,  qui  durera  du  14  au  21,  est  composé  de  MM.  Bruneau,  Che- 
villard,  Ed.  Colonne,  Dallier,  Louis  Diémer,  Théodore  Dubois,  Paul  Dukas, 
César  Galéolti,  Alexandre  Georges,  Eugène  Gigout,  Alexandre  Guilmant, 
Eugène  d'Harcourt,  V.  d'Indy,  Charles  Lenepveu,  J.  Massenet,  André  Messa- 
ger. Paladilhc,  Paul  Vidal  et  Widor. 

—  De  Milan  :  M"IE  Gemma  Bellincioni,  la  célèbre  cantatrice  italienne,  a 
l'intention  de  renoncer  peu  à  peu  à  la  scène  lyrique  et  de  s'adonner  exclusi- 
vement à  l'art  dramatique.  On  savait  depuis  quelque  temps  que  la  voix  de  la 
grande  artiste  avait  quelque  peu  perdu  de  sa  splendeur  d'autrefois,  tandis 
que,  comme  comédienne,  M",e  Bellincioni  se  trouve  à  l'apogée  de  son  talent. 
Mmc  Bellincioni  vient  de  traiter  avec  un  imprésario  pour  une  tournée  de  cinq 
ans  qui  la  conduira  probablement  à  travers  toute  l'Europe  et  au  cours  de  la- 
quelle elle  se  fera  applaudir  en  première  ligne  comme  comédienne,  et  en 
seconde  ligne  seulement,  comme  cantatrice. 

—  Les  journaux  italiens  nous  apprennent  que  la  tombe  de  Pergolèse.  qui  a 
été  inhumé  dans  le  dôme  de  Pouzzoles,  va  être  déclaré  monument  national  et 
que  des  travaux  importants  vont  y  être  effectués  pour  la  tirer  de  son  état 
presque  misérable.  Elle  sera  entièrement  revêtue  de  marbre,  et  la  voûte  sera 
décorée.  Accosté  à  la  paroi  où  on  lit  l'inscription  du  défunt  professeur  Gio- 
vani  Mestica,  s'élèvera  un  élégant  sarcophage  artistique.  Et  les  restes  mortels 
de  l'auteur  du  Slabal  Mater  et  de  la  Serra  padrona  auront  ainsi  un  monument 
digne  de  son  génie. 

—  Un  souvenir  amusant  du  fameux  baryton  Georges  Ronconi,  qui,  aux 
environs  de  1840.  faisait  les  beaux  jouis  de  notre  Théâtre-Italien.  Il  avait  com- 
mencé sa  carrière  dans  son  pays,  à  une  époque  où  la  censure  du  gouvernement 
autrichien,  maître  de  l'Italie  septentrionale,  faisait  des  siennes  et  se  montrait 
impitoyable.  Il  était  interdit  au  théâtre  de  faire  entendre  jamais  le  mot  de 
liberté  (liberté),  qui  devait  toujours  être  remplacé  par  celui  de  loyauté  (leallà). 
Voici  qu'un  soir,  à  Milan,  Ronconi,  qui  était  favori  du  public,  oublie  la  re- 
commandation et,  dans  {forma,  laisse  échapper  le  mot  proscrit.  La  police  est 
en  émoi,  et  mon  baryton  s'en  va  réfléchir  en  prison,  pendant  trois  jours,  sur 
les  inconvénients  du  défaut  de  mémoire.  Il  allait  prendre  sa  revanche  avec 
esprit.  Rendu  à  la  liberté  et  reparaissant  à  la  scène,  il  fait  sa  rentrée  dans 
l'Elisir  d'amore,  où,  faisant  allusion  à  un  paysan  qui  s'est  engagé,  il  a  à  dire  : 
«  Il  a  vendu  sa  liberté,  il  s'est  fait  soldat  ».  Naturellement,  il  chante  :  «  Il  a 
vendu  sa  loyauté  »,  ce  qui  devenait  inepte  et  ce  qui  fut  applaudi  par  la  salle 
entière,  qui  connaissait  son  histoire.  Dès  le  lendemain,  le  chanteur  était 
appelé  à  la  police,  où  on  lui  faisait  remarquer  avec  une  certaine  brutalité 
qu'on  ne  vendait  pas  sa  loyauté,  et  que  ce  qu'il  avait  dit  était  ridicule.  Il  rap- 
pela alors  au  magistrat  que  quelques  jours  auparavant  on  l'avait  coffré  pour 
s'être  servi  du  mot  de  liberté,  et  qu'il  n'avait  pas  envie  de  recommencer.  Oui 
fut  quinaud  ?  Ce  fut  le  commissaire,  qui  ne  trouva  rien  à  répondre  à  ce  rai- 
sonnement, et  qui  dut  s'en  contenter. 

—  Au  Théâtre  Eslava  do  Madrid,  apparition  d'un  petit  ouvrage  intitulé  : 
Si  te  mnjeres  mandasen,  qui  n'est,  suivant  un  journal,  o  ai  saynète,  ni  zar- 
zuela,  ni  revue,  mais  qui  tient  de  tout  cela  ».  Les  paroles  sont  de  MM.  Pas- 
cual  Frutos  et  Manolita  Caballero,  la  musique  de  MM.  Lleo  et  Flo»Hetti.  Et 
au  Salon  Regio,  représentation  d'une  zarzuelita,  los  Estuiiantes  burtado 
paroles  de  MM.  Manola  Castro  et  Tiedra,  musique  de  M.  Castillo. 

—  Avant  de  partir  pour  l'Amérique  et  à  la  suite  d'une  grande  tournée  dans 
les  provinces  anglaises  et  en  Ecosse,  Mme  Blanche  Marchesi  a  donné  à  Lon- 
dres un  récit  il  d'adiea  dj:it  le  programme,  très  curieux,  n'était  autre  qu'une 
sorte  d'historique  de  la  forme  de  la  chauson  en  France,  en  Angleterre  en 
Italie  et  en  Allemagne.  Ce  programme  était  divisé  chronologiquement  en 
quatre  parties.  Le  premier  comprenait  Adam  de  la  Halle  (air  du  Jeu  de  Robin 
et  Marion),  Henri  Lawes  (air  de  Cornus),  Lully  (le  Sommeil  de  Persêe)  Henri 
Purcell  (air  de  the  Libertine),  et  trois  anonymes  du  XVI=  siècle  (chansons  avec 
accompagnement  de  luth  ou  de  harpsicorde)  ;  dans  la  seconde  partie,  Caccini 
(madrigal),  Monteverde  (air  d'Ariane),  Al.  Scarlatti  (la  Violette),  J.-S.  Bach 
(chanson),  Gluck  (deux  chants  sur  des  poésies  de  Klopstock),  Haydn  (can- 
zonettajet  Mozart  (lied)  ;  pour  la  troisième  partie,  Beethoven  (lied),  Schubert 
(lied),  Schumann  (id.),  Liszt  (id.),  Brahms  (id.)   et   Hugo  Wolf  (id.);  enfin. 


406 


LE  MENESTREL 


dans  le  quatrième,  Berlioz  (Vittanelle),  César  Franck  (Roses  et  Papillons),  Léo 
Delibes  (Myrlo),  Henri  Duparc  (Phydilé)  et  Debussy  (Mandoline).  Un  succès 
d'enthousiasme  a  accueilli  la  cantatrice,  qui  a  défrayé  ce  programme  non 
seulement  avec  son  délicieux  talent,  mais  avec  son  habileté  surprenante  à 
saisir  et  à  s'approprier  tous  les  styles,  et  à  rendre  chacun  d'eux  dans  son  carac- 
tère propre  et  avec  la  couleur  qui  lui  convient. 

—  Londres.  —  Le  choral  de  voix  d'hommes  de  Swansea  qui,  dans  les  der- 
niers concours,  a  remporté  le  prix  de  160  livres  sterling  a  donné  un  grand 
concert  à  l'Albert  Hall.  Très  remarquée  l'exécution  de  la  Marche  Hongroise  de 
Laurent  de  Rillé.  Beaucoup  de  succès  aussi  pour  Mme  Penfro  Rowlands, 
M.  Bowen  et  M.  John  Mac  Cormack,  le  ténor  irlandais. 

—  A  propos  de  l'incommodité  du  costume  moderne  pour  les  artistes  exé- 
cutant des  œuvres  en  solo  dans  les  concerts,  le  Musical  A'ews  écrit  :  «  L'inno- 
vation de  Miss  Ethel  Leginska,  en  ce  qui  concerne  la  manière  de  s'habiller 
des  femmes  pianistes,  aura  des  suites  heureuses  sous  bien  des  rapports.  On 
commence  a  comprendre  que  la  tenue  de  soirée  se  prête  mal  aux  nécessités 
de  l'interprétation  musicale  sur  les  instruments  à  cordes  ou  à  clavier.  Il  est 
étrange  que  personne  jusqu'ici,  n'ait  paru  s'en  apercevoir.  Pour  le  violoniste, 
comme  pour  le  pianiste,  une  chemise  empesée,  des  cols  rigides,  des  man- 
chettes tombant  facilement  sur  les  mains,  sont  de  véritables  supplices,  et  l'ar- 
tiste qui  aura  le  courage  de  s'en  débarrasser  se  félicitera  sans  doute  de  l'avoir 
osé.  » 

—  On  annonce  que  l'érudit  compilateur  M.  Joyce,  déjà  connu  pour  ses 
recherches  sur  les  vieux  chants  britanniques,  publiera  prochainement  sous  le 
titre  Chants  anciens  et  vieille  musique  populaire  irlandaise,  un  volume  renfer- 
mant 800  spécimens  inédits  de  mélodies  qui  ont  été  recueillies  dans  les 
maisons  des  paysans  irlandais  de  tous  les  districts. 

—  La  première  symphonie  qu'ait  écrite  M.  Edward  Elgar  a  été  jouée  le 
3  décembre  dernier  à  Manchester.  Elle  porte  pour  dédicace  :  «  A  Hans  Richter, 
vrai  artiste  et  véritable  ami.  »  L'ouvrage  a  été  conduit  par  le  célèbre  chef 
d'orchestre  wagnérien  et  naturellement  très  applaudi. 

A  la  salle   Bechstein.   de  Londres,  très   grand   succès   pour   l'excellent 

pianiste  Henri  Schidenhelm  dans  des  œuvres  classiques  et  les  Myrtilles,  de 
Théodore  Dubois. 

—  D'après  les  revues  américaines,  Mmc  Marcella  Sembrich  aurait  déclaré 
qu'à  la  fin  de  la  présente  saison  elle  se  retirera  de  la  scène  et  ne  chantera 
plus  que  dans  les  concerts. 

—  Un  journal  étranger  assure  que  Tiefland,  l'opéra  de  M.  Eugène  d'Albert, 
dont  le  succès  a  été  si  grand  par  toute  l'Allemagne,  vient  de  faire  «  un  four 
noir  »  au  Métropolitain  de  New-York,  en  dépit  d'une  exécution  superbe  et 
d'une  mise  en  scène  hors  ligne. 

—  Au  premier  concert  public  donné  par  le  «  Cercle  harmonique  »  nouvelle- 
ment fondé  à  la  Nouvelle-Orléans,  très  grand  succès  pour  miss  RuthHarrison, 
la  directrice  du  cercle,  dans  la  Forza  del  Destina,  de  Verdi,  et  l'Heure  grise,  de 
Rodolphe  Berger.  Au  programme,  très  ecclectiquement  intéressant,  les  stances 
de  Lakmé,  de  Delibes,  chantées  aux  applaudissements  de  la  salle  par  M.  Char- 
les Worms,  et  des  œuvres  de  Wagner,  Grieg,  Guiraud,  Liszt,  Sinding,  etc. 

■  Qui  le  croirait  ?  Les  Chinois  auraient  un  hymne  national,  une  Mar- 
seillaise à  eux  !  On  le  prétend,  du  moins.  Un  érudit  de  Pékin  aurait  mis  la 
main  récemment  sur  ce  document  jusqu'à  ce  jour  oublié  et  qui,  si  on  l'en 
croit,  ne  remonterait  pas  à  moins  de  six  mille  ans,  ce  qui  est  un  bel  âge  pour 
un  chant  patriotique.  Quant  à  l'auteur  du  chef-d'œuvre,  il  demeure  complète- 
ment inconnu. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

Le  conseil  supérieur  du  Conservatoire  (section  musicale)  s'est  réuni, 
cette  semaine,  au  ministère  des  beaux-arts,  sous  la  présidence  de  M.  Du- 
jardin-Beaumetz,  sous-secrétaire  d'État  aux  beaux-arts,  assisté  de  MM.  Ga- 
briel Fauré,  Massenet,  Lenepveu,  Paladilhe,  Adrien  Bernheim,  Jean  d'Es- 
tournelles,  Broussan,  Albert  Carré,  Widor,  Bisler,  Guy  Ropartz,  Véronge  de 
La  Nux,  Gabriel  Pierné,  Paul  Vidal,  Edmond  Duvernoy,  Lefort,  Henri 
Maréchal,  Pierre  Lalo,  Lavignac,  André  Wormser,  Fernand  Bourgeat.  Il 
s'agissait  de  présenter  au  choix  du  ministre  un  successeur  à  M.  Georges 
Marty,  décédé,  professeur  d'harmonie  au  Conservatoire.  Vingt  et  un  candidats 
étaient  en  présence.  Après  plusieurs  tours  de  scrutin,  il  a  été  décidé  que 
M.  Dallier  serait  présenté  en  première  ligne,  M.  Schmitt  en  seconde  ligne  et 
M.  Bloch  en  troisième  ligne.  Faisons  remarquer  à  ce  sujet  que  M.  Dallier, 
qui  e;t  l'un  de  nos  premiers  organistes,  est  depuis  de  longues  années  titu- 
laire du  grand  orgue  de  Saint-Eustache,  et  que  MM.  Florent  Schmitt  et  Bloch 
ont  obtenu  chacun  le  grand  prix  de  Rome. 

—  M.  Adolphe  Brisson  est  nommé  membre  du  conseil  supérieur  d'ensei- 
gnement du  Conservatoire  de  musique  et  de  déclamation  (section  des  études 
dramatiques),  en  remplacement  de  M.  Victorien  Sardou. 

—  On  a  distribué  aux  sénateurs  le  rapport  de  M.  Gustave  Rivet  sur  les 
beaux-arts.  Le  rapporteur  commence  par  regretter  l'invasiou  de  l'art  drama- 
tique étranger  et  constate  que  la  Comédie-Française  seule  a  su  résister  à 
ces  inquiétantes  infiltrations.  Parlant  de  l'Opéra,  M.  Rivet  regrette  vivement 
que,  dans  les  travaux  exécutés  il  y  a  onze  mois,  il  n'ait  pas  été  fait  une  part 
aux  réformes  nécessaires  pour  mettre  la  scène,  au  point  de  vue  de  la  machi- 


nerie, au  niveau  de  certains  grands  théâtres  de  l'étranger.  Il  souhaite  que  les 
directeurs  de  l'Opéra  fassent  moins  souvent  appel  au  concours  d'artistes 
étrangers,  et,  tout  en  établissant  les  ouvrages  montés  depuis  leur  entrée  en 
fonctions,  il  enregistre  avec  confiance  leur  promesse  d'oeuvres  nouvelles  atten- 
dues non  sans  impatience  dans  le  monde  spécial  de  la  musique.  Le  rapporteur 
passe  rapidement  sur  les  incidents  créés  à  la  Comédie-Française  par  le  Foyer 
et  par  la  Furie.  Il  constate  que  le  répertoire  occupe  la  place  à  laquelle  il  a 
droit  dans  les  programmes  de  la  Maison  de  Molière,  et  il  ne  parait  pas  parti- 
san du  rétablissement  du  comité  de  lecture.  Passant  à  l'Opéra-Comique,  il 
signale  les  efforts  constants  d'une  direction  intelligente  et  l'excellence  des 
résultats  financiers  qui  en  sont  l'éloquente  conséquence.  M.  Rivet  aborde 
l'Odéon  pour  déplorer  que  M.  Antoine  ait  trop  manifestement  voulu  en  changer 
le  genre  et  il  estime  qu'il  ne  faut  pas  désespérer  de  le  voir  triompher  des 
difficultés  de  l'heure  présente.  Enfin,  il  arrive  au  Théâtre-Lyrique  de  la  Gaité. 
Il  établit  l'intelligente  initiative  des  frères  Isola  et  il  conclut  que  la  Ville  de 
Paris  devrait  leur  accorder  une  subvention  après  avoir  insisté  sur  la  nécessité 
d'une  institution  qui  peut  rendre  de  grands  services  à  l'art  français  et  aux 
jeunes  compositeurs. 

—  Les  admirateurs  d'Hector  Berlioz  avaient  reçu,  la  semaine  passée^-  «  de 
la  part  de  la  Fondation  Berlioz  et  de  la  Société  du  Vieux-Montmartre  »,  une 
invitation  ainsi  conçue  : 

Vous  êtes  prié  de  vouloir  bien  assister  à  la  pose  d'une  plaque  commémorative 
sur  la  maison  qu'habita  Hector  Berlioz  à  Montmartre,  22,  rue  du  Mont-Cenis, 
maison  dans  laquelle  il  composa  Béatrix  et  Bénédict  et  Earold  en  Italie,  de  1834 
à  1837. 

Cette  première  manifestation  de  la  Fondation  Hector-Berlioz  aura  lieu  le  dimanche 
13  décembre  1908,  à  l'occasion  du  39*  anniversaire  de  la  mort  du  Maître. 

Rendez-vous  au  pied  de  la  statue,  square  Vintimille,  à  dix  heures  précises.  Une 
visite  aura  lieu  aussitôt  au  tombeau. 

Dimanche  matin,  en  effet,  les  membres  et  le  comité  de  la  Fondation 
Berlioz,  dont  le  président  est  M.  Edouard  Colonne,  se  sont  réunis  autour  de 
la  statue  de  l'auteur  des  Troyens,  et  de  là  se  sont  rendus  à  la  maison  de  la 
rue  du  Mont-Cenis,  avec  ceux  de  la  Société  du  Vieux-Montmartre.  Après 
l'inauguration  de  la  plaque  commémorative,  la  plupart  d'entre  eux  sont  allés 
rendre  une  visite  à  la  tombe  de  Berlioz,  au  cimetière  Montmartre.  Ajoutons 
que  la  Fondation  Hector-Berlioz  vient  de  publier  son  premier  rapport,  qui 
porte  les  dates  de  Mars-Décembre  1908. 

—  A  l'Opéra-Comique,  grande  activité  comme  toujours.  On  mène  de  front 
les  éludes  d'Orphée,  qui  va  descendre  en  scène,  pour  les  débuts  de  Mlle  Ra- 
vaud,  et  celles  de  Sapho,  qui  passera  au  courant  de  janvier.  —  Le  théâtre  a 
repris  ses  matinées  du  jeudi  avec  Louise.  — Spectacles  de  dimanche  :  en  ma- 
tinée, Peltéas  et  Mélisnnde;  le  soir,  la  Vie  de  Bohème  et  Cavalleria  ruslicana. 
Lundi,  en  représentation  populaire  à  prix  réduits  :  Mignon. 

—  Etant  donné  le  grand  succès  des  spectacles  actuels  du  Théâtre-Lyrique 
de  la  Gaité,  MM.  Isola  se  voient  dans  l'obligation  de  reculer  de  quelques  jours 
la  première  d'Hernani.  de  MM.  Gustave  Rivet  et  Henri  Hirchmann.  Quant  à 
la  reprise  de  Cendrillon  de  M.  Massenet,  avec  le  concours  des  artistes  de 
l'Opéra-Comique.  elle  aura  lieu,  comme  il  a  été  précédemment  annoncé,  pour 
faire  la  période  des  vacances  de  Noél  et  du  Jour  de  l'An. 

—  Le  dimanche  27  sera  donnée,  aux  Concerts-Colonne,  à  l'occasion  des 
fêtes  de  Noël,  sous  la  direction  même  de  l'auteur,  la  première  audition  en 
France  des  Enfants  à  Bethléem,  mystère  en  deux  parties  de  M.  Gabriel 
Pierné,  sur  un  livret  de  M.  Gabriel  Nigond,  avec  la  belle  distribution 
suivante  : 

La  Vierge.  Mu,c  Auguez  de  Montalant. 

L'Étoile.  M""  Mastio. 

Jeannette.  M»"  Bathori-Engel. 

Nicolas.  M""  Mellot-Joubert.- 

Lubin.  M"'  de  Schutter. 

Le  Récitant.  M.     Brémont. 

L'Ane.  M.    Cazeneuve. 

Le  Bcettf.  ) 

Un  Pâtre.  V    M.    Froelich. 

Une  Voix  céleste.  ) 

400  enfants  appartenant  aux  groupes  d'enseignement  moderne,  groupes  mixtes 
Bolivar,  Molière,  Foyatié  ;  professeurs  M""  Moisson,  MM.  Bayer  et  Levasseur. 

—  Le  fait  est  officiel  !  Le  Chantecler  de  M.  Edmond  Rostand  va  entrer  en 
répétitions  à  la  Porte-Saint-Martin.  Lecture  du  1er  acte  a  déjà  été  faite  aux 
artistes  par  M.  Jean  Coquelin  en  personne,  et  l'effet  en  a  été  prodigieux. 
Nous  pouvons  donc  nous  attendre,  dans  quelques  mois,  a  de  belles  soirées 
d'art. 

—  La  déplorable  situation  faite  aux  œuvres  françaises  par  l'absence  de  con- 
vention artistique  et  littéraire  avec  la  Hollande,  et  contre  laquelle  tout  le 
monde  n'a  cessé  de  protester,  serait-elle  près  de  cesser,  et  cela  par  le  simple 
bon  vouloir  et  la  simple  honnêteté  des  entrepreneurs  de  spectacle  qui,  jusqu'à 
présent,  tiraient  honteusement  parti  de  cette  inqualifiable  lacune  de  la  législa- 
tion ?  Une  nouvelle,  inouïe,  invraisemblable,  qui  nous  arrive  d'Amsterdam, 
tendrait  à  nous  le  faire  croire...  Acceptons-en  l'augure!  Il  y  a  là-bas,  en 
effet,un  nouveau  théâtre, le NooréNederlavscke  Opera,qui  joue  un  répertoire  d'oeu- 
vres très  artistiques,  avec  des  éléments  de  premier  ordre.  Le  chef  d'orchestre 
de  ce  théâtre  est  un  belge,  M.  François  Rasse,  compositeur  distingué,  prix  de 
Rome,  qui,  pendant  trois  ans,  occupa  à  la  Monnaie  de  Bruxelles  les  mêmes 
fonctions,  à  côté  de  M.  Sylvain  Dupuis,  et  fut  aussi  chef  d'orchestre,  l'an  der- 


LE  MÉNESTREL 


407 


nier,  au  Capitole  de  Toulouse.  Or,  grâce  à  l'influence,  aux  efforts  intelligents 
de  M.  Rasse,  la  directrice  de  ce  théâtre,  M"0  Catteau-Esser,  vient  de  s'adres- 
ser à  la  maison  Choudens  pour  le  matériel  de  Carmen  et  au  Ménestrel  pour 
celui  de  la  Fiancée  de  la  mer  !  En  outre,  elle  a  traité  avec  M.  Rasse  lui-même 
pour  la  représentation  d'un  drame  lyrique  de  lui,  Dèidamia,  non  édité  encore, 
en  s'engageant  à  lui  payer  des  droits  d'auteurs.  Le  fait,  pour  un  théâtre  hol- 
landais, de  monter  des  œuvres  françaises  sans  se  contenter  de  faire  bâcler 
une  orchestration  par  le  premier  venu,  est  tellement  nouveau  qu'il  mérite 
d'être  signalé.  Et  c'est  un  précédent  précieux,  dont  l'importance  n'échappera 
à  personne.  Rendons  grâce  à  M.  Rasse  qui,  depuis  plusieurs  années,  met  son 
talent  â  faire  connaître  et  applaudir  les  œuvres  musicales  françaises,  d'avoir 
contribué  à  la  reconnaissance  d'un  principe  aussi  légitime  que  celui  de  la 
propriété  littéraire  dans  un  pays  où,  depuis  trop  longtemps,  il  était  remplacé 
par  le  système  beaucoup  plus  sommaire  de  la  piraterie. 

—  Le  ténor  Gibert,  qui  a  laissé  à  Bordeaux  d'inoubliables  souvenirs,  no- 
tamment dans  le  Cid,  Hérodiade,  Cavalleria,  etc.,  vient,  après  le  baryton  Noté, 
de  se  faire  entendre  aux  Bouffes-Bordelais,  et  son  succès  a  été  triomphal.  Il 
a  dit,  entre  autres  morceaux,  l'aubade  du  Uni  d'Ys  avec  goût  et  en  chanteur 
sûr  de  lui. 

—  La  réouverture  des  auditions  musicales  Maxime  Thomas  était  réservée 
aux  œuvres  du  grand  pianiste  Louis  Diémer,  ayant  pour  interprètes,  outre 
l'auteur  lui-même,  la  belle  cantatrice  M"1C  Durand-Texte,  MM.  Marcel  Bâillon, 
violoniste,  Fernand  Gillet.  hautboïste  des  Concerts-Lamoureux,  et  le  distingué 
violoncelliste  Maxime  Thomas.  Tous  les  numéros  inscrits  au  programme, 
notamment  la  romance  pour  violon,  le  premier  grand  trio,  un  fort  joli  chœur 
à  quatre  voix,  plusieurs  ravissantes  mélodies,  valurent  à  l'éminent  auteur  et  à 
ses  brillants  partenaires  de  frénétiques  applaudissements  et  des  bis  nombreux. 
La  matinée  se  termina  par  l'exécution  de  cinq  pièces  pour  piano  solo;  on  fit 
une  ovation  sans  fin  au  maitre  Diémer. 

—  Un  concours  est  ouvert  pour  l'obtention  d'une  place  de  professeur  de 
piano  (classe  supérieure)  au  Conservatoire  de  Rennes.  Le  titulaire  recevra  un 
traitement  annuel  de  1.200  francs.  Le  concours  aura  lieu  à  Paris,  au  Conser- 
vatoire national  de  musique  et  de  déclamation,  à  une  date  qui  sera  ultérieu- 
rement fixée.  Les  candidats  des  deux  sexes  pourront  y  prendre  part.  Pour  être 
admis  à  concourir,  les  candidats  devront  justifier  de  leur  nationalité  française; 
ils  sont  priés  de  joindre  à  leur  demande  des  copies  certifiées  conformes  des 
titres  et  diplômes  dont  ils  peuvent  se  recommander.  Les  conditions  du  con- 
cours sont  les  suivantes  : 

1°  Morceau  imposé  :  l'Absence  et  le  Retour,  de  Beethoven,  op.  81  ; 

2°  Morceau  au  choix,  dont  deux  exemplaires  devront  être  fournis  pour  le  jury  ; 

3°  Lecture  à  vue  d'un  morceau  inédit  et  exécution  de  fragments  réputés  difficiles, 
tirés  des  ouvrages  d'enseignement  du  piano  (études  et  coiicertosl. 

Les  demandes  des  candidats  devront  être  adressées  à  Rennes  à  M.  le  direc- 
teur du  Conservatoire  et  seront  reçues  jusqu'au  31  décembre  1908  inclus,  der- 
nier délai.  L'entrée  en  fonctions  aura  lieu  immédiatement  après  la  nomination 
préfectorale. 

—  Un  festival  en  l'honneur  du  jeune  maître  Gabriel  Dupont,  et  consacré 
en  grande  partie  à  sa  musique,  vient  d'avoir  lieu  à  Caen.  Deux  œuvres,  prin- 
cipalement, ont  retenu  l'attention  et  suscité  l'enthousiasme  d'un  auditoire 
d'élite  :  les  Poèmes  d'Automne  et  les  Heures  dolentes.  Ces  dernières,  déjà 
très  connues  dans  notre  ville,  y  étaient  jouées  pour  la  première  fois  par 
Maurice  Dumesnil.  Le  Ménestrel  s'est  longuement  étendu  sur  l'œuvre  et 
l'interprète,  lors  de  la  première  audition  de  1906  ;  constatons  donc  seulement 
ce  nouveau  grand  succès.  Quant  aux  Poèmes  d'Automne,  Mme  Vierne-Taskin 
sut  admirablement  créer  l'atmosphère  de  sensibilité  douloureuse  et  d'inti- 
mité troublante  qui  se  dégage  de  cette  musique  si  poétique  et  personnelle. 
Lorsqu'une  artiste  arrive,  par  la  seule  force  d'une  musicalité  hautement 
intelligente,  à  s'identifier  l'esprit  de  l'œuvre  au  point  d'en  devenir  le  complé- 
ment inséparable,  nécessaire,  un  banal  éloge  ne  saurait  suffire  :  adressons 
simplement  à  Mme  Vierne-Taskin  l'hommage  ému  d'une  sincère  et  reconnais- 
sante admiration. 

—  De  Montpellier  :  Très  belle  première  représentation  de  Marie  Magdeleine, 
avec,  comme  principale  interprète,  Mlle  Maximilienne  Mirai,  qui  a  supérieure- 
ment chanté  la  belle  partition  du  maître  Massenet.  A  côté  d'elle,  MM.  Jobbert 
et  Mondaud  et  MUe  Donaldson  ont  eu  aussi  grand  succès,  comme  l'orchestre, 
supérieurement  dirigé  par  M.  Alloo,  et  la  mise  en  scène  très  soignée  par 
M.  Mirai.  Cette  création  de  Marie  Magdeleine  permet,  dit  un  de  nos  confrères, 
«  d'inscrire  dans  les  annales  du  Grand-Théâtre  de  Montpellier  un  succès  con- 
sidérable et,  on  peut  ajouter,  de  bon  aloi  ». 

—  D'Avignon  :  Nous  venons  d'avoir  la  première  représentation  des  Pécheurs 
de  Saint- Jean  et  la  partition  de  M.  Widor.  qui  abonde  en  pages  émouvantes 
et  fortes,  a  produit  sur  un  public  nombreux  une  très  profonde  impression.  Le 
succès  a  été  absolument  décisif  dès  cette  première  soirée.  L'œuvre,  bien  mon- 
tée par  M.  Martini,  était  convenablement  défendue  par  M"L>  Clerval,  M.  Conty 
et  M"e  Devriès.  M.  Alenus  a  été  chef  d'orchestre  attentif  aux  moindres  indi- 
cations de  l'auteur. 

— ■  De  l'Avenir  de  Reims  :  Festival  Th.  Dubois.  —  Très  beau  succès.  Cette 
fois,  a  menti  le  proverbe  qui  prétend  que  nul  n'est  prophète  dans  son  pays. 
Aussi  notre  compatriote  fut-il  accueilli  par  des  applaudissements  répétés, 
lorsqu'il  parut  sur  l'estrade,  accompagnant  et  assistant  M.  P.  Dazy,  qui  allait 


exécuter  —  c'était  la  première  fois,  â  Heims  —  cette  belle  sonate  de  piano 
que  nous  avions  vue  sur  «  chantier  »,  à  Rosnay,  i  la  lin  de  l'été  de  190".  Elle 
justifie  amplement  les  éloges  unanimes  qui  en  ont  été  faits  par  la  presse 
musicale.  VA  miaule  quasi  adagio,  en  particulier,  nous  a  charmé  par  les  mélo- 
dies abondantes  et  distinguées  sur  lesquelles  il  est  construit.  M.  P.  Dazy  a 
affirmé,  de  nouveau,  son  beau  talent  de  pianiste  sobre  et  correct,  et  la  vail- 
lance avec  laquelle  il  enleva  le  brillant  et  difficile  final  lui  valut,  avec  les  féli- 
citations du  maitre,  les  vifs  applaudissements  de  l'auditoire.  M'""  Bureau- 
Berthelot,  l'un  des  professeurs  réputés  de  Paris,  soliste  des  Concerts-Colonne, 
a  chanté,  avec  une  jolie  voix  et  une  méthode  parfaite,  un  ait  de  Xavier e,  nne 
charmante  mélodie.  Dormir  'i  Rêver,  et  deux  des  fines  et  si  savoureuses  Ode- 
lettes antiques  que  le  maitre  a  écrites  sur  les  vers  délicats  de  son  fils,  le  pro- 
fesseur Charles  Dubois.  La  séance  s'est  terminée  avec  l'audition  entière,  par 
MM.  Dazy,  Vaysmann  et  Aubert,  du  superbe  trio  en  ut  mineur,  bien  connu  à 
Reims.  Et  la  salle  tout  entière  a  fait  une  véritable  ovation  au  compositeur  et 
à  ses  valeureux  interprètes. 

—  L'ouverture  des  Pécheurs  de  Suint-Jean  de  M.  Widor  vient  d'être  exécutée 
avec  un  grand  succès  au  quatrième  concert  d'abonnement  de  l'orchestre  sym- 
phonique  de  Strasbourg,  sous  la  direction  de  M.  Uans  Pfilzner. 

—  Soirées  et  Concehts.  —  Salle  Pleyel,  audition  des  élèves  de  l'école  Beel 

de  M""  Balutet.  M""  Jeanne  L.  L'Escarpolette  de  Sylvia,  Delibes),  Jeanne  B.  et  G.  D. 

Œntr'acte  de  Don  César  de  Bazan,  Massenet),  Marthe  1).  Papillota  blancs,  Mas 
Marie  Louise  H.  [Arugonaise  du  Cid,  Massenet',  Berthe  G.  Le  Bal  de  Béatrù  d'£ 
Reynaldo  Hahn)  et  Cécile  B.,  B.-G.,  B.-D.  et  F.-W.  (Divertissement  de-  Erinnyes 
Massenet),  se  font  tout  spécialement  remarquer.  —  A  l'intéressante  soirée  donnée 
parM.Chavagnat,  on  a  vivement  applaudi  M.  Desprez,  dans  Tristesse,  otM1  'Chavagnat, 
dans  Sur  l'aile  d'un  songe,  l'un  et  l'autre  morceau  du  maitre  de  maison.  —  Salle 
Monceau,  intéressant  concert  donné  par  M""  Marguerite  Morel,  au  cours  duquel 
M"  Revel  remporte  grand  succès  avec  te  Jour  et  J'ai  dans  t-i  plaine,ie  Jean 
Hubert,  et  M.  Plamondon,  dans  l'air  de  Sigurd,  de  Reyer.  —  Salle  Mustel,  audition 
des  élèves  de  M.  Galabert.  Applaudissements  pour  Mt;'  Marguerite  B.  dan-  Romance 
hongroise  de  Delibes  etChaconne  de  Théodore  Dubois.  Comme  intermède,  M  Cécil 
Winsback  obtient  grand  succès  avec  l'.lnoso  de  Delibes,  l'air  de  Louise  de  Charpen- 
tier, ainsi  que  M.  Joseph  Bizet  avec  la  Toccata  pour  orgue  de  Dubois.  —  Au  concert 
donné  par  lui  salle  Pleyel,  M.  Raymond  Marthe  obtient  très  grand  succès  avec  la 
sonate  pour  violoncelle  et  piano  de  Théodore  Dubois,  que  le  maitre  a  jouée  avec  lui. 
M-*  Durand-Texte  chante  délicieusement,  du  même  auteur,  Efleuillement,  Désir 
d'Avril  et  Par  le  Sentier,  qu'on  lui  bisse. 

NÉCROLOGIE 

De  Berlin,  on  annonce  la  mort  du  compositeur  Albert-Hermann  Dietrich, 
à  peine  connu  de  nos  comtemporains,  mais  qui  fut  un  artiste  d'un  véritable  ta- 
lent. Né  près  de  Meissen.  le  28  août  1829,  il  fut,  au  Conservatoire,  élève  de 
Rietz  et  de  Moscheles,  puis  reçut  à  Dusseldorf  des  leçons  de  Schumann,  dont 
il  fut  un  des  disciples  les  plus  remarquables.  Après  avoir  été  directeur  des 
concerts  et  de  la  musique  de  la  ville  à  Bonn,  puis  chef  d'orchestre  de  la  cour 
à  Oldenbourg,  il  vivait  retiré  depuis  de  longues  années.  Dietrich  avait  beau- 
coup écrit.  Outre  une  symphonie  en  ré,  outre  un  opéra, Robin  Hood,  représenté 
avec  succès  à  Francfort  en  1879,  on  connaît  de  lui  plusieurs  compositions 
chorales  avec  orchestre,  un  concerto  de  violon,  un  autre  de  violoncelle,  des 
trios  avec  piano,  diverses  sonates,  puis  des  lieder,  des  chants  à  deux  voix,  des 
chœurs  et  des  morceaux  de  piano. 

— On  annonce  la  mort  à  Berka,  près  de  Weimar,  du  compositeur  Erich-Wolf 
Degner,  directeur  de  l'Ecole  grand-ducale  de  musique.  Né  dans  les  environs 
de  Chemnitz  le  S  avril  183S.  cet  artiste  distingué  avait ,  avant  de  se  fixer  à 
Weimar,  dirigé  les  écoles  de  musique  de  Pettau  et  de  Gratz.  Excellent  pro- 
fesseur, il  était  compositeur  de  véritable  talent.  On  cite  parmi  ses  œuvres  une 
symphonie  en  mi  mineur,  une  ouverture,  une  vaste  composition  chorale  inti- 
tulée Martha,  des  chœurs  pour  voix  de  femmes,  des  pièces  pour  piano  et  pour 
orgue,  etc. 

—  On  annonce  de  Rome  la  mort  du  maestro  Giuseppe  Perosi,  père  du 
jeune  compositeur  don  Lorenzo  Perosi  dont  les  succès  sont  si  éclatants  dans 
le  genre  de  l'oratorio.  Giuseppe  Perosi,  qui  était  né  à  Tortona,  où  il  fut  pendant 
de  longues  années  maitre  de  chapelle,  était  lui-même  un  compositeur  non 
sans  talent.  C'est  à  lui  que  son  fils  dut  le  commencement  de  son  éducation 
musicale.  Il  était  né  à  Lomellina  en  184-2. 

Henri  Helgel,  directeur-gérant. 

Vient  de  paraître  chez  E.  Fasquelle  :  Georges  Ancey,  Athènes  couronnée  de  violettes 
[3  IV.  50  c.)  ;  Edmond  Haraucourt,  Trumaille  et  Pélisson,  roman  3  fr.  50  c). 

INSTITUT  CHEVÉ,  36.  rue  Vivienne. 
Nouveaux  cours  particuliers  mixtes.  Ouverture  le  11  janvier;  on  s'inscrit  tous 
les  jours  de  2  heures  à  6  heures  au  siège  de  l'institut.  Prix:  10  francs  par  mois. 
Cours  normal,  cours  d'harmonie  (contrepoint  et  fugue),  cours  d'histoire  d-  la 
musique,  avec  auditions  musicales,  cours  de  chant  perfectionné  et  chant  d'en- 
semble, cours  de  solfège,  cours  de  piano  (méthode  Galin-Paris-Chevé),  cours  de 
violon,  cours  de  flûte,  cours  d'harmonium,  cours  d'accompagnement,  cours  de  diction 
et  déclamation  (mise  en  scène),  cours  de  sténographie  (système  Aimé  Paris), 
cours  d'Espéranto  correspondance  étrangère).  Leçons  particulières  :  S  et  10  francs 
l'heure. 


408 


LE  MÉNESTREL 


En  vente  :   Au  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienue,  HEDGEL  et  Cle,  Editeurs. 


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Broché,  net  :  6  fr.  Relié  :  14  tr. 

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GRAND    CHOIX    DE    PARTITIONS    RICHEMENT    RELIÉES 

ARIANE,  THÉRÈSE,  CHÉRUBIN,  LES  PÊCHEURS  DE  SAINT-JEAN,  LE  JONGLEUR  DE  NOTRE-DAME,  XAVIÉRE,  LE  BONHOMME  JADIS, 
LA  CHAUVE  SOURIS  (Johann  Strauss),  GRISELIDIS,  CENDRILLON,  LOUISE,  LA  CARMÉLITE,  ORPHÉE  AUX  ENFERS,  PRINCESSE 
D'AUBERGE,  LA  FIANCÉE  DE  LA  MER,  PHÈDRE,  LA  TERRE  PROMISE,  MIGNON,  H  AMLET,  LAKMÉ,  MANON,  WERTHER,  SAPHO,  PAUL 
ET  VIRGINIE,  SIGURD,  LE  ROI  D'YS,  THAÏS,  LA  NAVARRAISE,  FIDELIO,  LA  FLUTE  ENCHANTÉE,  DON  JUAN,  HÉRODIADE,  FAUST, 
CARMEN,  LES  HUGUENOTS,  LE  CID,  LE  ROI  LA  DIT,  SYLVIA,  COPPÉLIA.  LA  KORRIGANE,  MILENKA,  YEDDA,  CONTE  D'AVRIL, 
CAVALLERIA  RUSTICANA,  ESCLARMONDE,  MARIE-MAGDELEINE,  LE  ROI  DE  LAHORE,  LE  CAID,  LA  STATUE  DU  COMMANDEUR,  etc. 


■-U,  i 


4057.  -  74e  OSA  -  \°  o-2.  PARAIT  TOUS  LES  SAMEDIS 


Samedi  26  Décembre  1908. 


(Les  Bureaux,  2"'*,  rue  Virienne,  Paris,  u»irr) 
(Les  manuscrits  doivent  être  adressés  franco  au  journal,  et,  publiés  ou  non,  ils  ne  sont  pas  rendus  aux  auteurs.) 


LE 


Rec'd    \ 

3  AN  l-:: 
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lie  flaméro  :  0  fr.  30 


MUSIQUE    ET    THÉÂTRES 

Henri    HEUGEL,     Directeur 


lie  flaméro  :  0  fr.  30 


Adresser  franco  à  M.  Henri  HEUGEL,  directeur  du  Ménestrel,  2  bis,  rue  Vivienne,  les  Manuscrits,  Lettres  et  Bons-poste  d'abonnement. 

Un  an,  Texte  seul  :  10  francs,  Paris  et  Province.  —  Texte  et  Musique  de  Chant,  20  fr.;  Texte  et  Musique  de  Piano,  20  fr.,  Paris  et  Province. 

Abonnement  complet  d'un  an,  Texte,  Musique  de  Chant  et  de  Piano,  30  fr.,  Paris  et  Province.  —  Pour  l'Étranger,  les  frais  de  poste  en  sus. 


SOMMAIRE-TEXTE 


I.  Soixante  ans  de  la  vie  de  Gluck  1 50°  article),  Julien  Tieusot.  —  11.  Semaine  théâtrale  : 
Première  représentation  du  Ltjs,  au  Vaudeville,  Paul-Emile  Chevalier.  —  III.  Un 
opéra  de  marionnettes  en  1676  (1"  article),  Arthur  Pougin.  —  IV.  Revue  des  grands 
concerts.  —  V.  Nouvelles  diverses  et  nécrologie. 


MUSIQUE  DE  CHANT 

Nos  abonnés  à  la  musique  de  chant  recevront,  avec  le  numéro  de  ce  jour  : 

ROSES   ARDENTES 

n»  3  de  la  Chanson  d'Eve,  de  Gabriel  Padré,  poésie  de  Gn.  van  Lerrerghe.  — 
Suivra  immédiatement  :  l'air  de  «  La  main  »,  chanté  par  M.  Muratore 
dans  Monna  Vanna,  le  nouvel  opéra  de  MM.  Henry  Février  et  Maurice 
Maeterlinck,  qui  va  être  représenté  prochainement  à  l'Académie  nationale 
de  musique. 


MUSIQUE  DE  PIANO 

Nous  publierons  samedi  prochain,  pour  nos  abonnés  à  la  musique  de  piano  une 
Valse  intime,  de  Théodore  Dubois.  —  Suivra  immédiatement  :  premier  entr'acte 
(Sous  la  Unie),  de  Monna  Vanna,  le  nouvel  opéra  de  MM.  Henry  Février  et 
Maurice  Maeterlinck,  qui  va  être  représenté  prochainement  a  l'Académie 
nationale  de  musique. 


Avec  ce  dernier  numéro  de  notre  74e  année  de 
publication,  nos  abonnés  trouveront  encartées  dans 
"  LE  MÉNESTREL  "  la  TABLE  DES  MATIÈRES  pour 
l'année  1908,  ainsi  que  la  liste  de  nos  PRIMES 
GRATUITES  pour  l'année  1909. 


SOIXANTE    ANS    DE    LA    VIE    DE    GLUCK 


CHAPITRE  X 


h'alcestje   a   iphigexie 


(1767-1774) 

C'était  rompre  tout  l'équilibre  à  grand'peine  établi  par  les 
combinaisons  de  Gluck.  Les  difficultés  financières  s'aggravèrent. 
Afflisio,  toujours  absent,  donna  des  instructions  pour  que  main- 
tenant on  se  débarrassât  des  Français.  Mais  Gluck,  dans  sa  pré- 
férence avouée  à  leur  égard,  avait  déjà  fait  des  engagements 
pour  une  nouvelle  troupe  d'acteurs,  auxquels  il  avait  d'ores  et 
déjà  assuré  vingt-sept  mille  florins  d'appointements  et  de  frais 
de  voyage.   Il  fut  désavoué  par  ses  associés,  la  dette  portée  à 


son  compte  personnel,  et  la  dissolution  de  la  troupe  française 
confirmée.  La  Cour  et  Kaunitz  protestèrent  et  menacèrent  du 
retrait  du  privilège.  Gluck  fut  obligé  de  prendre  sa  défense  : 
dans  une  lettre  datée  du  13  novembre  1769,  il  exposa  toutes  les 
péripéties  de  ce  drame  de  coulisses,  et  demanda  que  les  mesures 
dont  on  le  menaçait  fussent  suspendues. 

La  réponse  de  Kaunitz  fut  un  refus. 

Alors  Gluck  écrivit  un  long  mémoire  justificatif  en  français 
qu'il  adressa  à  l'Empereur.  Il  dit  que  la  véritable  cause  de  la 
ruine  du  théâtre  devait  être  cherchée  dans  l'indifférence  de  la 
noblesse.  «  On  dit,  argumente-t-il,  que  la  noblesse  réclame  le 
théâtre  français.  Pourquoi  alors  la  salle  était-elle  vide  aux  plus 
belles  représentations,  avec  de  superbes  ballets  ?  Pourquoi  ne 
s'est-il  jamais  trouvé  trente  personnes  pour  sacrifier  cent  ducats 
par  an  à  un  plaisir  qu'on  leur  dit  si  précieux  ?  » 

Cette  démarche  mit  Kaunitz  en  fureur.  Le  jour  même  où 
l'Empereur  lui  transmit  le  mémoire,  il  adressa  au  ffofmusik- 
kavalier  (intendant  de  la  musique  de  la  Cour)  un  billet  de  sa 
main  où  étaient  tracés  les  mots  les  plus  vifs  sur  «  le  galimatias. 
les  sophismes  et  les  faux  syllogismes  »  de  Gluck,  et  sur  «  tout 
l'édifice  d'intrigue  de  l'association  Afflisio,  Gluck,  Lopresti,  qui 
ne  voulait  que  duper  l'aristocratie.  » 

Une  grêle  de  décrets  de  Cour  et  de  règlements  de  toute  sorte 
s'abattit  alors  sur  eux.  Kaunitz  déclarait  que  le  public  était 
victime  des  plus  infâmes  tromperies  et  que  la  Cour  était  atteinte 
et  compromise.  Afflisio  avait  fini  par  revenir  d'Italie.  Il  tenta 
une  dernière  fois  de  sauver  la  situation,  en  représentant  des 
bouffonneries  dont  il  se  promettait  des  montagnes  d'or.  L'illustre 
Bernardon  Kurz  joua  des  farces  à  transformations  et  riches  d'équi- 
voques :  il  n'eut  que  des  salles  vides.  Alors  Afflisio  capitula.  Un 
magnat  hongrois,  le  comte  Johann  Kohàry,  prit  la  charge  de 
l'entreprise  des  théâtres  viennois,  et  permit  au  Lieutenant- 
Colonel  directeur  de  s'éclipser,  ce  qu'il  fit~~sur-le-champ  :  per- 
sonne à  Vienne  n'entendit  plus  jamais  parler  de  lui. 

Mais  tandis  que  le  coquin  s'en  allait  faire  pendre  ailleurs, 
Gluck  restait,  lui,  honnête  homme  et  grand  homme,  dans  sa 
ville  d'adoption  qu'il  avait  honorée  des  chefs-d'œuvre  de  son 
génie.  Coupable  seulement  d'un  excès  de  confiance,  et  peut- 
être  aussi  d'un  mouvement  de  présomption  qui  l'égara,  il 
devait  nécessairement  jouer  le  rôle  de  victime  expiatoire.  Il 
paya  :  les  économies  que  lui  avaient  valu  trente  ans  d'activité 
bien  ordonnée,  et  la  fortune  de  sa  femme,  étaient  là  pour  lui 
permettre  de  faire  honneur  à  ses  imprudents  engagements  :  il 
n'y  faillit  pas.  Madame  Gluck  devint  malade.  Lui-même  tomba  en 
disgrâce  à  la  Cour.  Le  prince  de  Kaunitz  l'avait  complètement 
abandonné.  Le  comte  Kohàry  recevait  des  lettres  où  il  était 
remercié  d'avoir  débarrassé  la  Cour  de  «  l'antipathique  associe 
d'Afflisio  ».  Bref,  au  commencement  de  l'année  1770,  l'auteur 
d'Or/eo  et  à'Alceste  était  un  homme  à  la  mer. 


410 


LE  MÉNESTREL 


Heureusement,  Gluck  n'était  pas  homme  a  se  laisser  démonter. 
Il  lutta;  il  revint  au  rivage,  et  de  nouveau,  avec  plus  de  vigueur 
que  jamais,  il  vainquit.  A  la  veille  d'atteindre  la  soixantaine,  il 
recommença  sa  vie.  Sa  fortune  était  ébréchée  :  il  la  reconstitua. 
On  a  raconté,  à  mots  plus  ou  moins  couverts,  qu"aux  hénéfices 
d'auteur  que  lui  procuraient  ses  œuvres  il  en  avait  joint  d'autres, 
de  nature  toute  différente,  en  faisant  l'échange  des  diamants  (1). 
De  quelque  ironie  que  l'on  enveloppe  ordinairement  cette  insi- 
nuation, je  ne  trouverais,  je  l'avoue,  aucun  inconvénient  si  elle 
était  vraiment  justifiée.  L'œuvre  de  Gluck,  en  soi,  est  essentiel- 
lement désintéressée.  Elle  réalise  d'elle-même  un  idéal  fort  au- 
dessus  de  nos  vulgaires  contingences:  si,  cet  idéal  étant  atteint, 
l'auteur  a  eu  en  outre  l'habileté  nécessaire  pour  ajouter  à  la 
pure  joie  de  sa  création  d'autres  avantages  moins  immatériels, 
nous  pouvons  nous  en  étonner,  car  ce  n'est  pas  l'usage  du  génie 
de  penser  à  tant  de  choses  différentes  ;  mais  nous  ne  devons 
aucunement  l'en  blâmer,  un  tel  souci  n'ayant  fait  aucun  tort  à 
la  pureté  native  de  sa  production.  Et  si  ses  aptitudes  furent  si 
diverses  qu'il  y  joignit  encore  la  faculté  de  s'occuper  d'autres 
transactions,  d'ailleurs  parfaitement  honnêtes,  eh  bien,  il  a  eu 
encore  raison  de  le  faire  !  Il  a  été  un  mauvais  directeur  de 
théâtre,  et  c'est  tant  pis  ;  mais  s'il  fut  un  habile  marchand  de 
diamants,  ce  fut  tant  mieux.  Et  cette  occupation  insolite  nous 
apparaît  maintenant  d'autant  plus  justifiable  que  la  raison  qu'il 
eut  de  s'y  livrer  fut,  sans  doute,  qu'ayant  été  ruiné  par  son  art. 
il  jugea  qu'il  fallait  bien  trouver  ailleurs  le  moyen  de  réparer 
les  pertes  qu'il  lui  avait  causées.  Trompé  par  les  fausses  appa- 
rences qu'offraient  à  ses  yeux  éblouis  les  promesses  de  ses  pré- 
tendus amis  de  l'aristocratie,  il  se  rattrappa  sur  leurs  femmes 
en  leur  vendant  des  bijoux  !  Il  fit  bien  :  il  ne  pouvait  mieux 
faire  ! 

Au  reste,  malgré  les  atteintes  subies  dans  cette  aventure,  il 
ne  semble  pas  que  la  fortune  de  Gluck  se  soit  trouvée  sérieu- 
sement compromise.  Lui-même  n'attendit  guère  pour  reprendre 
dans  la  société  de  Vienne  la  place  qu'il  y  avait  antérieurement 
tenue.  Burney,  notre  guide  fidèle  et  informé,  va  bientôt  nous  le 
montrer  dans  son  intérieur,  ainsi  qu'à  la  table  des  plus  notables 
personnages  de  la  ville,  sans  que  le  tableau  qu'il  en  trace  nous 
inspire  aucune  pitié  pour  sa  situation  :  bien  d'autres,  qui  ne 
s'étaient  pas  ruinés  dans  des  entreprises  théâtrales,  s'en  fussent 
largement  contentés  ! 

Quant  à  son  activité  productrice,  il  est  vrai  qu'elle  subit  pen- 
dant cette  période  un  apparent  ralentissement.  C'est  que  Gluck 
se  préparait  à  un  dernier  effort,  qui  ne  devait  aboutir  qu'après 
un  long  temps.  Dans  les  sept  ans  qui  séparent  YAlceste  italienne 
de  la  première  Iphigénie,  il  ne  composa  que  deux  ouvrages,  ses 
derniers  opéras  italiens.  Par  un  trait  de  son  caractère  digne 
encore  d'être  noté,  il  les  fit  l'un  et  l'autre  aux  époques  les 
plus  proches  de  ses  embarras,  donnant  ainsi  une  nouvelle 
preuve  de  son  activité  inlassable  et  de  sa  ferme  volonté  d'aboutir. 
Le  Fesle  d'Apollo  furent  représentées  à  Parme  le  24  août  1769,  six 
semaines  avant  la  date  de  son  contrat  d'association  (2)  ;  Paride 
cd  Elena  est  du  30  novembre  1770,  c'est-à-dire  du  commence- 
ment de  la  saison  qui  suivit  celle  de  ses  déceptions. 

(A  suivre.)  Julien  Tiersot. 


1i  C'est  Castil-Blaze  qui  a  mis  le  premier  cet  o  on  dit  »  en  circulation  :  «  Gluck 
laissa  un  héritage  de  600.000  livres,  qu'il  avait  gagnées  en  partie  en  faisant  le  com- 
merce des  diamants.»  [Académie  royale  ik  musique,  t.  I,  p.  402.)  L'autorité  est 
suspecte.  Desnoiresterres  y  a  ajouté  quelques  parcelles  de  confirmation,  bien  éloi 
t'nêes  encore  de  la  certitude  voir  la  note  de  lap.  300  de  son  livre  :  Gluck  et  Piccinni). 
Le  meilleur  argument  qui  nous  semble  venir  à  l'appui  de  cette  tradition  est  qu'elle 
n'offre  rien  d'invraisemblable  ni  d'incompatible  avec  ce  que  nous  savons  du  carac- 
tère de  Gluck,  vigoureux  lutteur  pour  la  vie,  et  qui  ne  s'embarrassait  pas  de  vains 
préjugés  lorsqu'il  voulait  atteindre  un  but  d'ailleurs  aussi  légitime  que  celui-là. 

i-2i  Rappelons-nous  la  lettre  dans  laquelle  étaient  rapportés  les  propos  que  Gluck 
aurait  tenus  sur  la  vie  à  Parme,  en  un  premier  séjour  :  cette  lettre  était  datée  du  milieu 
de  mai  1169,  et  il  y  était  dit  que  Gluck  avait  profité  du  retard  des  fêtes  à  l'intention 
desquelles  il  avait  composé  son  opéra  pour  revenir  à  Vienne,  où  l'appelaient  ses 
affaires  :  long  et  fatigant  voyage,  avec  la  traversée  des  Alpes,  en  un  temps  où  les 
moyens  de  locomotion  étaient  primitifs.  Nous  savons  maintenant  quelles  affaires 
retenaient  Gluck  à  Vienne  cette  année-là  :  il  ne  fallait  pas  moins  pour  le  décider 
à  un  pareil  déplacement  pour  quelques  semaines. 


SEMAINE    THEATRALE 


Vaudeville.  —  Le  Lys,  pièce  en  4  actes,  de  MM.  Pierre  Wolff  et  Gaston  Leroux. 

Voici  un  gros  succès,  et  un  succès  qui  va  tout  droit  et  tout  victo- 
rieusement à  rencontre  de  la  morale.  C'est,  présenté  avec  beaucoup 
d'adresse,  de  clarté  et  de  logique,  et  surtout  de  tact,  le  thème,  pas  très 
nouveau  mais  toujours  d'actualité,  du  droit  a  l'amour.  Aux  applau- 
dissements répétés,  par  quatre  et  cinq  fois,  de  toute  une  salle. 
MM.  Pierre  Wolff  et  Gaston  Leroux  sapent  le  plus  désinvoltement  du 
monde  tous  les  préjugés  sociaux  modernes,  et  les  plus  farouches  défen- 
seurs des  traditions  familiales  ne  sont  pas,  fait  à  noter,  ceux  qui 
applaudissent  le  moins  bruyamment.  Signe  des  temps  modernes,  peut- 
être,  où  la  société  tend  à  se  désagréger,  clament  les  moralistes,  à  se 
modifier,  disent  simplement  les  philosophes. 

Qui  donc,  en  effet,  parmi  le  millier  de  personnes,  et  plus,  entassé 
dans  la  salle  du  Vaudeville,  penserait,  sur  le  moment  même  où 
faction  se  déroule,  à  donner  tort,  une  seconde  seulement,  à  Christiane 
de  Magny  qui,  sansdot, —  monsieur  son  papa  a  galamment  mangé  toute 
la  fortune  avec  la  dame  de 'pique  et  les  dames  de  cœur,  —  ayant  vu  se 
flétrir  peu  à  peu  Odette,  sa  sœur  ainée,  imnariable  faute  d'argent,  ayant 
deviné  toutes  les  souffrances  endurées  en  silence  par  la  pauvre  vieille 
fille,  et  rencontrant  sur  son  chemin  un  honnête  homme  qu'elle  aime 
et  dont  elle  est  aimée,  se  donne  ;i  lui,  ne  pouvant  l'épouser  ?  Elle  ré- 
clame, en  ce 'monde,  sa  part  de  bonheur,  tout  comme  l'a  réclamée. 
avant  elle,  la  Louise  de  Gustave  Charpentier,  tout  comme  d'autres 
l'ont  réclamée  depuis,  et  elle  la  réclame  éloquemment,  noblement,  non 
au  nom  d'un  plaisir  plus  ou  moins  passager  ou  d'un  caprice  plus  ou 
moins  blâmable,  mais  au  nom  de  la  liberté  individuelle.  Si  Georges 
Àrnault  n'était  point  marié  déjà  avec  une  femme  qui  a  accepté  la  sépa- 
ration depuis  dix  ans,  mais  qui  se  refuse  à  divorcer,  elle  serait  devenue 
sa  compagne  légitime  ;  ne  l'ayant  pu,  elle  s'est  donnée  simplement, 
honnêtement,  est- on  tenté  de  dire.  Mais  l'honneur  du  nom  des  Magny. 
réclame  impérieusement  le  père,  surenchérit  un  frère  peu  sympathique 
qui  déchaîne  le  drame  familial  parce  que  l'on  a  jasé  sur  les  rencontres, 
pourtant  anodines,  de  Christiane  et  de  Georges  et  qu'en  suite  de  ces 
racontars  il  manque  un  mariage  avec  une  très  riche  et  assez  laide 
voisine?  L'honneur  des  Magny,  riposte  Christiane  poussée  à  bout, 
c'est  lui  précisément  qui  l'a  forcée  à  cacher  un  amour  qu'elle  eût  été 
heureuse  de  crier  à  la  face  du  monde  hypocrite,  qui  l'a  forcée  à  mentir 
vilainement  ;  l'honneur  des  Magny,  c'est  de  l'égoïsme,  cruel  de  la  part 
du  père  qui  a  joyeusement  vécu  a  sa  guise  sans  s'inquiéter  de  l'avenir 
de  ses  enfants  ruinés,  honteux  de  la  part  du  frère  qui  trouve  plus  hono- 
rable, sans  doute,  de  vendre  son  nom  et  sa  personne  à  une  jeune  fille, 
qu'il  n'aime  pas  et  ne  peut  aimer,  que  d'obéir  loyalement  aux  lois  sou- 
vent inéluctables  de  la  nature. 

Mais  Le  Lys?  Ce  ne  peut  être  évidemment  Christiane,  malgré  toutes 
les  qualités  dont  les  auteurs  l'ont  joliment  adornée.  Certes  non.  Le  Lys, 
c'est  Odette,  la  malheureuse  ainée  qui,  jusqu'alors,  un  éternel  sourire 
contraint  sur  ses  lèvres  décolorées,  a  enduré  l'agonie  lente  de  sa 
stérile  jeunesse  sans  une  plainte,  sans  un  regret,  le  cœur,  l'esprit,  la 
chair  meurtris  silencieusement  :  c'est  Odette  qui,  tout  à  coup,  contre 
tous,  prend  la  défense  de  Christiane.  Elle  a  raison,  elle  a  mille  fois 
raison  !  Et  elle  qui  a  le  droit  de  parler,  car  à  elle  seule  elle  a  très  suffi- 
samment et  très  douloureusement  payé  le  tribut  dû  à  l'honneur  fami- 
lial, absout  la  cadette  adorée.  Qu'elle  suive  sa  vie  et  que  cette  vie  lui 
donne  tout  ce  qu'elle  y  pourra  trouver  de  belles,  grandes  et  saines 
joies... 

Telle  est  la  thèse  hardie  de  MM.  Pierre  "Wolff  et  Gaston  Leroux,  que 
l'on  discutera  très  certainement  alors  que.  chez  soi,  l'on  sera  de  sang- 
froid,  mais  à  la  solution  de  laquelle  chacun  se  ralliera  sans  le  moindre 
combat  alors  que  l'on  sera  complètement  pris  par  une  action  habile- 
ment conduite  et  très  heureusement  présentée. 

Le  Lys  a  trouvé,  au  Vaudeville,  des  défenseurs  d'ordre  tout  à  fait 
remarquable  avec  Mme  Madeleine  Lély,  qui,  triomphalement,  débute  à  la 
Chaussèe-d'Antin,  dans  le  beau  rôle  de  Christiane,  avec  toutes  ses 
qualités  naturelles  de  charme,  d'émotion  et  de  vigueur,  avec  M"e  Su- 
zanne-DespTès.  d'un  art  très  sûr  et  très  étudié  dans  le  personnage  diffi- 
cile d'Odette,  avec  M.  Lèrand,  un  comte  de  Magny  de  belle  tenue,  de 
grande  autorité  et  de  parfait  sentiment,  et  avec  M.  Joffre,  tout  à  fait 
plaisant  en  vieil  ami  de  la  famille,  hon  et  conciliant.  M.  Coste,  nou- 
veau venu  aussi  chez  M.  Porel,  avec  d'autres  d'ailleurs  qui,  ceux-là, 
ne  feront  que  vraisemblablement  passer  dans  la  maison,  et  Mlles  Carrèze, 
Delza  et  Adrienne  Doré  sont  dignes  de  leurs  grands  chefs  de  file. 

Paul-Emile  Chevalier. 


LE  MENESTREL 


111 


UN  OPÉRA  DE  MARIONNETTES  EN  1676 


LA    TROUPE    ROYALE   DES   PYGMÉES 


L'Opéra  do  Lully,  dont  la  brillante  inauguration  s'était  faite  le 
la  novembre  1072  avec  les  Fêles  de  l'Amour  et  de  Bacchus,  éiait  depuis 
trois  ans  environ  en  pleine  prospérité  et  attirait  la  cour  et  la  ville,  qui 
ne  cessaient  de  s'émerveiller  des  prodiges  que  leur  offrait  ce  spectacle 
jusqu'alors  incomparable.  Cadimis  et  Hermione,  Alcesle,  Thésée  s'étaient 
succédé  déjà  avec  un  succès  retentissant  et  à  la  grande  joie,  de  tous  ceux 
qui,  les  uns  par  goût  véritable,  les  autres  par  simple  ostentation,  se 
rendaient  en  foule  à  un  théâtre  ouvertement  protégé  par  le  souverain  et 
qui,  d'ailleurs,  il  faut  le  constater,  avait  réalisé  dés  ses  débuts  un  état 
de  perfection  idéale.  Les  poèmes  de  Quinault,  la  musique  de  Lully,  les 
décors  de  Bérain,  les  «  machines  »  de  Vigarani.  tout  contribuait,  avec 
une  interprétation  dont  les  principaux  sujets  :  Beaumavielle,  Clédière, 
MUcs  Saint-Christophe,  Marie  Aubry,  Marie  Brigogne,  étaient  des 
artistes  de  premier  ordre,  tout  contribuait  à  réaliser  cette  perfection. 
Dans  tout  Paris  il  n'était  question  que  de  l'Opéra,  qui  était  l'objet  de 
toutes  les  conversations  et  qui  faisait  tourner  toutes  les  têtes. 

En  de  telles  conditions,  il  eût  été  bien  étonnant  que  nul  n'eut  songé 
à  une  sorte  d'imitation,  de  parodie,  si  l'on  peut  dire,  d'une  entreprise 
artistique  qui  semblait  déjà  passer  presque  à  l'état  d'institution  et  dont 
la  vogue  ne  se  démentait  pas  un  instant.  Cela  ne  pouvait  tarder,  et  nous 
en  allons  avoir  la  preuve. 

Il  existait  alors  à  Paris  un  certain  La  Grille,  qui,  plus  que  tout  autre, 
était  à  même  de  se  rendre  compte  du  succès  qu'obtenait  l'Opéra.  Ce 
La  Grille,  resté  complètement  obscur,  était  un  chanteur  qui  faisait 
partie  de  la  musique  du  roi,  dans  laquelle  on  le  trouve  dès  1600  ou 
environ.  Son  véritable  nom  (il  semble  qu'il  était  noble)  était  Dominique 
Normandin  de  La  Grille.  On  ne  sait  rien  sur  son  compte,  sinon  que,  en 
sa  qualité  de  musicien  du  roi,  il  concourut  non  seulement  à  l'exécution 
de  divers  ballets  dansés  devant  Louis  XIV  et  par  lui-même,  mais  aussi 
à  celle  de  plusieurs  ouvrages  de  Lully  lorsqu'ils  étaient  représentés  tout 
d'abord  à  ia  cour.  Il  parait  bien  assuré  toutefois  qu'il  n'appartint  jamais 
au  personnel  de  l'Opéra  même.  Mais  il  prit  part  aussi  à  la  représenta- 
tion de  certains  ouvrages  de  Molière,  de  ceux  qui  comportaient  des 
divertissements  chantés  et  dansés.  Pour  toutes  ces  raisons,  et  bien  que 
son  nom  ait  étépromptement  oublié,  il  semble  bien  que  ledit  La  Grille  a 
dû  jouir  en  son  temps  d'une  sorte  de  notoriété  d'ordre  tout  au  moins 
secondaire. 

Je  rencontre  son  nom  pour  la  premier»  fois  dans  la  distribution  du 
fameux  Ballet  royal  des  Arts,  dont  Lully  avait  écrit  la  musique  sur  des 
vers  de  Benserade,qui  fut  représenté  devant  les  reines,  au  Palais-Royal, 
le  8  janvier  1(363.  et  dont  le  succès  fut  tel  qu'on  le  joua  dix  fois  à  la 
Cour  jusqu'à  la  fin  du  carnaval.  Dans  ce  ballet  Louis  XIV  personni- 
fiait un  berger,  tandis  que  Madame  figurait  Pallas  ;  Lully,  de  son  côté, 
représentait  un  chirurgien  :  quant  à  La  Grille,  il  se  montrait  sous  les 
traits  d'Esculape,  et  chantait  ce  petit  récit  sur  la  médecine,  où  l'on 
retrouve  les  coiicetti  familiers  à  Benserade  : 

Bel  art,  qui  retardez  l'infaillible  trépas, 

En  secrets  merveilleux  votre  science  abonde  : 

Faut-il  que  vous  n'en  ayez  pas 
Contre  le  plus  commun  de  tous  les  maux  du  monde  ? 
Un  cœur  tout  languissant  et  qui  s'en  va  mourir 
Mettrait-il  son  espoir  en  vos  seules  racines  '.' 

C'est  à  l'Amour  a  le  guérir, 
Et  comme  il  fait  les  maux,  il  fait  les  médecines  (1). 

C'est  encore,  sans  aucun  doute,  eu  qualité  de  musicien  du  roi  que 
La  Grille  prit  part,  comme  je  l'ai  dit,  à  l'exécution  des  intermèdes  de 

il)  A  propos  du  BnU.il  des  Arts,  on  lit  ceci  dans  l'Histoire  de  la  musique  de  Bouide- 
let:  —  «Gomme  le  Roi  sçaitla  musique  en  perfection,  et  qu'il  dansoit  le  mieux  des 
seigneurs  de  toute  la  Cour,  il  ordonna  à  Lambert  et  à  Lully  de  composer  un  grand 
balet  dont  le  sieur  de  Benserade  lit  les  paroles  et  Beauchamp  les  entrées;  il  fut 
accompagné  de  machines  les  plus  surprenantes  de  l'invention  du  marquis  deSourdéac 
et  El  Grillé,  grands  machinistes,  et  représenté  au  Louvre  en  1663,  avec  une  magnili- 
cence  qui  surpassoit  tout  ce  qu'on  peut  imaginer  des  opéras  de  Venise.  Le  Roi  y 
dansa  masqué  dans  plusieurs  entrées.  »  —  Il  y  a  ici  plusieurs  erreurs.  Tout  d'abord. 
Lambert  (le  futur  beau-père  de  Lully)  n'eut  pas  plus  de  part  au  Ballet  îles  Arts  qu'à 
aucun  des  autres  ouvrages  de  celui-ci.  Ensuite,  ce  ballet  fut  représenté,  nous  Pavons 
vu,  non  au  Louvre,  mais  au  Palais-Royal.  Enfin,  je  ne  sache  pas  que  La  Grille  se 
soit  jamais  ocupé  de  machines;  aucun  contemporain  ne  le  signale  sous  ce  rapport, 
et  il  est  bien  certain  qu'il  se  borna,  en  ce  qui  concerne  le  Ballet  des  Arts,  à  chanter 
le  petit  récit  qu'on  vient  de  lire. 


deux  pièces  de  Molière  bus  de  leur  apparition  première  à  la  Cour  :  le 
Bourgeois  gentilliomme.  représenté  à  Chambord  le  14  octobre  1670,  et 

Psyché,  jouée  dans  la  salle  des  Machines,  aux  Tuileries,  l'année  sui- 
vante1. Dans  les  divertissements  du  Bourgeois  gentilhomme,  il  figurait  le 

"  i"  musicien  »  et  le  «  2e  Poil. -vin  ...  Dans  Psyché  sou  intervention 
avait  plus  d'importance  :  sous  le  costume  de  Vertumne  il  avait  à  chan- 
ter, dans  le  prologue,  un  assez  long  duo  dialogué  avec  Gave,  qui  faisait 
Palémon;  puis,  plus  loin,  on  le  retrouvail  en  1  concertant  «  et  en 
«  1er  satyre  ». 

Mais  c'est  ici  qu'il  faut  signaler  un  incident  bizarre,  et  l'on  peut  se 
demander  de  quelle  singulière  incartade  La  Grille  avait  pu  se  rendre 
coupable  lorsque,  peu  de  temps  avant  la  représentation  de  '-es  deux 
ouvrages,  il  avait  été  incarcéré  à  Saint-Germain,  par  ordre  du  roi  lui- 
même.  On  n'a  aucun  détail  sur  ce  fait  assez  étrange,  dont  la  connais- 
sance ne  nous  est  donnée  que  par  le  petit  document  que  voici,  relatif 
précisément  a  l'élargissement  du  captif  : 

De  par  le  Roy. 

Sa  Majesté  ayant  fait  arrester  et  mettre  dans  les  prisons  de  ce  lieu 
Germain  en  Lave  le  nommé  La  Grille,  musicien  de  Sa  Chambre,  pour  quel- 
ques rapports  qui  avoient  esté  faits  à  Sa  Majesté,  a  ordonné,  ordonne  au  capi- 
taine Danville,  exempt  des  gardes  de.  la  Prévolé  de  son  Hostel,  d'élargir  et 
mettre  hors  de  prison  ledit  La  Grille,  et  à  cet  effet  d'en  donner  la  descharge 
au  geôlier  en  vertu  du  présent  ordre. 

Fait  à  Saint-Germain  en  Laye,  le  18  mars  1670  il). 

Quel  que  lut  le  délit  commis  par  La  Grille,  l'affaire  ne  devait  pas 
être  fort  grave,  puisque,  malgré  cet  incident,  il  continua  d'occuper  ses 
fonctions  dans  la  musique  du  roi,  et  que,  comme  nous  le  verrons,  cela 
ne  l'empêchera  pas,  quelques  années  plus  tard,  de  solliciter  et  d'obtenir 
de  Louis  XIV  une  rare  preuve  de  bienveillance. 

Nous  touchons  justement,  après  l'apparition  de  Psyché,  au  moment 
où  Lully,  ayant  eu  l'habileté  de  se  substituer  à  Pierre  Perrin,  déten- 
teur du  privilège  de  l'Opéra,  et  d'obtenir  du  roi  la  révocation  à  son  pro- 
fit de  ce  privilège,  s'occupait,  après  s'être  fait  délivrer  de  nouvelles 
lettres  patentes,  de  la  création  et  de  l'organisation  de  son  Académie 
royale  de  musique.  Comment  se  fait-il  donc  que  La  Grille,  en  com- 
merce continuel  avec  celui-ci  pour  le  service  de  la  Cour,  qui  devait  les 
rapprocher  chaque  jour,  ne  se  soit  pas  fait  enrôler  par  lui  dans  le  per- 
sonnel de  l'Opéra?  Quoi  qu'il  eu  soit,  on  peut  croire  facilement  que 
c'est  le  succès  éclatant  qui  accueillit  le  nouveau  théâtre  qui  lui  inspira 
la  pensée  non  certes  d'une  concurrence,  impossible  à  tous  égards,  mais 
d'une  sorte  de  modeste  imitation,  de  parodie,  comme  je  l'ai  dit,  dont  la 
réussite  n'eût  rien  présenté  d'extraordinaire. 

Il  s'agissait  d'une  chose  nouvelle  en  soi,  d'un  théâtre  de  marion- 
nettes lyriques,  qui  serait  comme  un  diminutif  de  l'Opéra,  où  l'on 
jouerait,  à  son  exemple,  des  pièces  musicales,  agrémentées  de  danses, 
de  «  machines  »  et  de  divertissements,  mais  dont  les  personnages 
seraient  représentés  par  de  simples  pantins. 

En  fait,  tandis  qu'il  personnifiait  Bacchus  dans  le  prologue  de  Thésée 
lors  de  l'apparition  de  cet  ouvrage  à  la  Cour,  le  11  janvier  1673,  La 
Grille  savait  employer  son  temps  et  préparait  la  réalisation  de  ce  projet, 
qu'à  ce  moment  il  était  bien  près  de  voir  réussir  i  i).  Le  petit  démêlé  qui 
lui  avait  fait  faire  connaissance  avec  les  prisons  de  Sa  Majesté  n'avait 
pas,  comme  on  va  le  voir,  ébranlé  son  crédit  auprès  du  roi.  et  ce  crédit 
doit  avoir  été  réel  puisqu'il  lui  fit  obtenir  une  faveur  vraiment  extraor- 
dinaire, celle  de  créer  et  d'ouvrir  un  nouveau  théâtre,  même  dans  les 
conditions  modestes  où  celui-ci  se  présentait.  Et  à  la  date  du  .'11  mars 
l(i7'i  il  se  voyait  délivrer  un  privilège  dont  voici  le  texte  : 

Privilège  accordé  à  Dominique  de  Normandin,  tieur  d<'  La  Grille, 
pour  ses  nouvelles  marionnettes,  sous  le  nom  de  trouppe  royale  des  Piginées. 

Louis,  par  la  grâce  de  Dieu,  roy  de  France  et  de  Xavarre.  à  nos  amès  et 
féaux  les  gens  tenaus  nos  cours  de  Parlement.  Maistres  des  requestes  ordi- 
naires de  nostre  hostel,  baillifs,  sénéchaux,  prevost,  juges,  lieutenans  et  tous 
autres  nos  justiciers  et  officiers  qu'il  appartiendra,  salut. 

Nostre  bien-aimé  Dominique  de  Xormandin,  escuyer.  sire  de  La  Grille, 
nous  ayant  humblement  l'ait  remonstre  qu'il  a  trouvé  une  nouvelle  invention 
de  marionnettes  qui  ne  sont  pas  seulement  d'une  grandeur  extraordinaire 
mais  mesme  représentant  des  commedies  avec  des  décorations  et  des  ma- 
chines imitant  parfaitement  la  danse  et  faisant  la  voix  humaine,  lesquelles 
serviront  non-seulement  de  divertissement  au  public  mais  serviront  d'instruc- 
tion pour  la  jeunesse  : 

Lui  accordons  le  privilège  de  donner  ses  représentations  pendant  le  cours 
de  vingt  années  à  dater  du  présent  dans  nostre  bonne  ville  et  faux  bourgs  de 
Paris  et  par  toutes   autours  (elles  bourgs  et  lieux  de  notre  royaume   qu'il 

(li  Archives  nationales,  registre  du  secrétaire  du  Roi,  O1, 1  -i. 
i.ii  On  le  retrouve,  toujours  à  :a  Cour,  personnifiant  un  Zéphir  dans  le  prologue 
à'Atys   10  janviar  1676',  puis  jouant  Apollon  dans  le  prologue  d'isi's  (5  janvier  1077.. 


U'2 


LE  MÉNESTREL 


jugera  à  propos  ;  deffendant  expressément  à  toute  personne  de  quelque  qualité 
ou  condition  que  ce  soit  d'apporter  audit  exposant  aucun  trouble  ou  empêche- 
ment dans  la  jouissance  du  présent  privilège  ;  à  condition  par  lui  de  ne  rien 
faire  contre  l'honnêteté  publique,  deffendant  à  toutes  personnes,  de  quelque 
qualité  ou  condition  que  ce  soit,  même  à  celles  de  nostre  maison  d'y  entrer 
sans  payer,  d'y  faire  aucun  désordre  à  peine  de  punition  exemplaire.  Car  tel 
est  nostre  plaisir. 

Donné  à  Versailles,  le  31e  jour  de  Mars  de  l'an  de  grâce  1675  et  de  notre 
règne  le  trente-troisième.  Signé  :  Louis  (1). 

(A  suivre.)  Arthur  Pougix. 


REVUE  DES  GRANDS  CONCERTS 


Concerts-Colonne.  —  Une  impression  musicale  absolument  helle  et  com- 
plète a  été  produite  à  cette  séance  par  le  concerto  en  »/  mineur  de 
M.  Saint-Saëns  et  son  interprète-pianiste,  Mme  Riss-Arbeau.  Bien  rarement 
nous  avons  été  charmé  par  une  sonorité  plus  pure,  un  jeu  plus  perlé.  Même 
dans  les  passages  de  la  fin,  où  nombre  de  notes  s'égrènent,  pas  un  trait  n'a 
manqué  son  effet  et  le  piano,  adnirablement  uni  avec  l'orchestre,  a  conservé 
auprès  de  lui  toute  son  indépendance  et  tout  son  éclat.  Deux  fragments  de  la 
première  partie  ont  tout  spécialement  mis  en  relief  le  beau  sentiment  musical 
et  la  distinction  de  l'excellente  artiste  :  c'est  le  decrescendo  de  l'aigu  au 
grave  un  peu  avant  la  fin  du  morceau  et  surtout  la  montée  du  grave  à  l'aigu 
par  laquelle  il  se  termine.  C'est  là  une  des  plus  belles  choses  pianistiques  qui 
aient  été  écrites  et  l'exécution  en  a  été  tout  à  fait  irréprochable,  tant  par  sa 
graduation  ménagée  avec  une  admirable  finesse  de  nuances  que  par  sa  magni- 
fique transparence.  Mmc  Riss-Arbeau  a  été  non  moins  remarquable  dans  le 
final,  dont  elle  a  rendu  superbement  la  péroraison.  —  A  côté  de  cet  ouvrage, 
le  morceau  symphonique  de  Rédemption  représentait  l'école  française  dans 
une  autre  branche  de  l'art,  d'une  façon  plus  glorieuse  encore.  A  propos  de  la 
phrase  mystique  du  début,  Emmanuel  Chabrier  avait  dit  un  jour:  «  Cela  c'est 
la  musique  même  ».  A-surément,  et  l'on  peut  ajouter  que  Bach  aurait  pu 
signer  cette  mélodie  d'un  contour  pur  et  suave  et  d'une  expression  si  calme 
et  si  fervente  à  la  fois.  —  Une  jolie  composition  qui  nous  était  offerte  pour  la 
première  fois,  c'est  la  Rapsodie  sur  des  thèmes  populaires  de  M.  Ph.  Gaubert, 
le  flûtiste  bien  connu.  L9  premier  morceau,  intitulé  Dans  In  Montagne,  ne 
manque  ni  de  charme  ni  de  poésie  ;  l'orchestration  en  est  un  peu  chargée, 
mais  elle  sonne  fort  bien  et  les  thèmes  populaires  ne  sont  nullement  noyés 
dans  ce  flot  harmonieux.  Le  second  morceau.  Fcle,  n'a  pas  la  même  distinction  ; 
il  est  vif,  violent,  tumultueux.  L'ouvrage  a  été  très  bien  accueilli,  mais,  à  ce 
concert,  l'apparition  de  M"'e  Delna  ne  pouvait  manquer  de  refroidir  un  peu  le 
public  pour  tout  ce  qui  n'était  pas  elle.  Cette  cantatrice  possède  toujours 
cette  voix  étoffée  de  velours  et  de  soie,  pourrait-on  dire,  qui  sort  sans  aucun 
effort  et  reste  entièrement  homogène  dans  tout  son  registre.  Elle  a  chanté  au 
naturel  l'épisode  appelé  «  la  Guerre  »  dans  l' Attaque  du  Moulin  de  M.  Bruneau, 
sachant  prendre  l'accent  du  peuple  pour  maudire,  en  nous  racontant  la  mort 
de  ses  deux  fils  tombés  dans  la  même  bataille.  Un  fragment  de  l'Ouragan, 
toujours  de  M.  Bruneau,  convenait  bien  aussi  à  la  cantatrice,  mieux  peut-être 
que  les  stances  de  Sapho  de  Gounod,  dont  le  caractère  pathétique  et  le  lyrisme  ne 
sauraient  d'ailleurs  se  passer  de  la  scène.  Mmc  Delna  a  été  rappelée  par  la  salle 
entière  et  a  dû  reparaître  trois  fois.  Le  programme  comprenait  encore  ia 
symphonie  en  /Vi,n08,  de  Beethoven,  et  l'amusante  Joyeuse  Marche  d'Emma- 
nuel Chabrier.  AllÉDKE  BOUTAREL. 

—  Concerts  -Lamoureux.  —  L'ouverture  de  Don  Juan  de  Mozart  fut  exécutée 
dimanche  avec  fougue  et  précision  par  l'orchestre  de  M.  Chevillard.  et  la 
symphonie  en  ut  mineur  de  M.  Saint-Saëns,  qui  venait  ensuite,  fut  accueillie 
avec  la  faveur  que  mérite  cette  belle  composition  aux  nobles  proportions,  aux 
thèmes  savamment  combinés,  à  l'orchestration  pleine  et  puissante,  et  dont 
Y  adagio,  avec  sa  phrase  si  expressive,  demeure  la  page  maîtresse.  Par  contre, 
je  ne  sais  rien  de  plus  désagréable  à  l'oreille,  au  milieu  des  sonorités  conjuguées 
de  l'orchestre  et  du  grand  orgue,  que  l'addition  du  piano  —  et  à  quatre  mains  ! 
—  remplaçant,  de  par  la  volonté  expresse  du  compositeur,  la  harpe  qui  serait 
là  si  bien  à  sa  place,  avec  son  timbre  élégiaque  et  rêveur.  Il  est  avéré  que  la 
sonorité  ainsi  obtenue  est  triviale  et  vulgaire  (sans  que,  bien  entendu,  l'instru- 
mentlui-mème  doiv-i  en  rien  être  incriminé).  —  Le  concerto  de  Beethoven  pour 
violon  a  valu  à  M.  Henri  Marteau  un  succès  que  la  protestation  solitaire  d'un 
contempteur  de  la  virtuosité  ne  saurait  infirmer.  Le  larghetto  surtout  fut 
traduit  par  l'artiste  avec  une  maîtrise,  une  sérénité  véritablement  superbes. — 
L'audition,  dans  un  concert  d'orchestre,  d'un  solo  de  grand  orgue  peut  paraître 
un  peu  déplacée,  ces  deux  puissances  musicales  formant  par  leur  association 
une  des  formes  d'art  les  plus  complètes  qui  soient;  cette  réserve  faiie,  et  tout 
en  regrettant  que  M.  Vierne  n'ait  pas  profité  de  l'occasion  qui  s'offrait  à  lui 
d'exécuter  une  des  pièces  de  Haendel,  par  exemple,  où  instruments  et  orgue 
dialoguent  si  congrument,  il  faut  reconnaître  qu'il  a  donné  de  la  brillante 
Toccata  de  Ch.-M.  Widor  une  traduction  de  perfection  rare.  —  Le  programme 
se  terminait  par  la  scène  finale  du  Crépuscule  des  Dieux,  où  l'orchestre  et 
Mllc  Agnès  Borgo  dans  le  rôle  de  Brunnhilde  eurent  leur  juste  part  de  succès. 

J.  Jemain. 

(t)  Archives  nationales. 


—  Programmes  des  concerts  de  demain  dimanche  : 

Conservatoire  :  Symphonie  écossaise,  n°  3  (Mendelssohn).  —  a)  Introduction  et  alle- 
gro (Schumann)  ;  h)  Variations  symphoniques  (César  Franck),  par  M.  Raoul  PugDO.  — 
Les  Préludes,  poème  symphonique  (Liszt).  —  Chœurs  sans  accompagnement  (1™  au- 
dition) :  a)  Il  est  bel  et  bon  (Passereau)  ;  h)  Ma  mère,  helkis!  maryez-moi  (Pierre  de  la 
Rue)  ;  c)  Las,  je  n'iray  plus  (G.  Costeley).  —  Ouverture  du  Freischùlz  (Weber). 

Chàtelet,  Concerts-Colonne  :  Ouverture  à'Egmont  (Beethoven).  —  Fantaisie  hon- 
groise (Liszt),  par  M.  Maurice  Dumesnil.  —  Les  Maîtres  Chanteurs,  fragments  (Wagner). 
—  Les  Enfants  à  Bethléem,  mystère  en  deux  parties,  poème  de  M.  Gabriel  Nigood, 
musique  de  M.  Gabriel  Pierné  il"-  audition  à  Paris,  sous  la  direction  de  l'auteur)  : 
M""  Auguez  de  Montalant  (la  Vierge),  M11"  Mastio  (l'Étoile),  M™  Engel-Bathori  (Jean- 
nette), M"  Mellot-Joubert  (Nicolas),  M""  de  Schutter  (Lubin),  M.  Brémont  (le  Réci- 
tant), M.  Cazeneuva  (l'Ane),  M.  Frôlich  (le  Bœuf),  M.  G.  Mary  (une  voix  céleste); 
chœurs  par  400  enfants. 

Salle  Gaveau,  Concert-Lamoureux.à  trois  heures,  sous  la  direction  de  M.  Chevillard: 
Symphonie  héroïque,  en  mi  bémol  (Beethoven)  :  a  Allegro  con  brio  ;  h)  Adagio  assai 
(marche  funèbre)  ;  c)  Scherzo  ;  d;  Finale.  —  Concerto  en  ré  mineur,  pour  piano,  n°  20 
(Mozart)  ;  Allegro,  Romance,  Rondo  :  M.  Arthur  de  Greef.  —  Christus,  marche  des 
Rois  Mages  (Liszt),  première  audition  au  Concert-Lamoureux.  —  Pastorale  de 
YOratorio  de  Noël  (J.-S.  Bach).  —  Le  Crépuscule  des  Dieux  (Wagner)  :  a}  Marche 
funèbre  ;  b)  Scène  finale  :  M""  Agnès  Borgo. 

—  La  lre  séance  de  la  Fondation-Bach,  salie  Pleyel,  offrait  un  intérêt  parti- 
culier. M.  Charles  Bouvet  avait  consacré  tout  son  programme  au  grand  Cantor 
et  choisi  deux  cantates  parmi  celles  qu'on  n'entend  jamais.  L'une,  Amnrc 
tradittore,  fut  chantée  par  M.  Pannetou;  l'autre,  la  Cantate  nuptiale,  «  0  Holder 
Tag  »,  valut  à  Mme  Mellot-Joubert  une  ovation  méritée  non  seulement  par  sa 
voix  d'une  exquise  pureté,  mais  encore  pour  sou  intelligence  du  style  afférent 
à  cette  musique  si  passionnément  expressive  malgré  son  apparente  froideur. 
L'artiste  fut  excellemment  secondée  par  la  flûte  de  M.  Blanquart.  le  hautbois 
de  M.  Bleuzet,  un  orchestre  à  cordes  conduit  par  M.  Julien  Tiersot  et  le 
clavecin.  Une  superbe  poésie  inédite  sur  Bach  fut  dite  par  l'auteur,  M.  Grand- 
mougin:  le  maître  Guilmanl  joua  à  l'orgue  des  extraits  habilement  choisis 
dans  l'œuvre  de  son  grand  ancêtre,  et  le  concerto  en  ut  mineur  pour  piano, 
flûte  et  violon,  valut  à  MM.  demain.  Blanquart  et  Bouvet  des  applaudissements 
unanimes. 

—  Très  intéressant  concert  de  la  Société  de  musique  nouvelle,  jeudi  dernier, 
salle  Monceau.  Au  programme,  des  pièces  pour  piano  de  Carlos  Salzedo,  des 
mélodies  d'Arthur  Coquard  :  Isolement,  Extase  et  Haï-Luli  (chantées  par 
M"'  Monroé)  et  trois  œuvres  importantes  de  Ch.-M.  "Widor  :  sonate  en  ré 
mineur  pour  violon  et  piano  remarquablement  interprétée  par  Bilewski  et 
l'auteur;  sonate  en  la  majeur  pour  violoncelle  et  piano,  admirable  sous  l'archet 
d'André  Hekking  et  avec  l'accompagnement  de  l'auteur;  enfin  Choral  et 
variations  pour  harpe  et  orchestre  (la  partie  de  harpe  par  M.  Salzedo).  Nous 
n'avons  pas  à  parler  de  cette  dernière  composition  qui  fait  aujourd'hui  le  fond 
du  répertoire  de  tous  les  harpistes,  mais  nous  constaterons  l'effet  produit  par 
les  deux  sonates,  la  première  développée  d'après  deux  seuls  thèmes  sur  un 
plan  d'architecture  classique,  la  seconde  fantaisiste,  mélodieuse,  aux  oppositions 
d'idées  et  de  rythmes,  le  pathétique  et  émouvant  andante  contrastant  avec  un 
final  joyeux  et  ensoleillé.  Dans  son  numéro  du  13  juin  dernier,  le  Ménestrel  a 
d'ailleurs  publié  une  étude  sur  ces  deux  œuvres  qui  honorent  si  grandement 
l'école  française. 


NOTRE    SUPPLÉMENT    MUSICAL 

(pour  les  seuls  abonnés  a  la  musique) 


C'est  la  continuation  de  cette  Chanson  d'Eve  où  Gabriel  Fauré  a  mis  tant  de  déli- 
catesses. Ce  numéro  nouveau,  Roses  ardentes,  se  distingue  d'abord  par  une  ferveur 
contenue,  qui  peu  à  peu  s'élève  et  finit  dans  une  sorte  d'explosion.  C'est  une  des 
meilleures  inspirations  du  maître  mélodiste. 


NOUVELLES    DIVERSES 


ÉTRANGER  ' 
Le  Jongleur  d»  Notre-Dame,  l'œuvre  depuis  longtemps  promise  au  Man- 
hattan Opéra  de  New-York,  vient  d'y  être  représentée  avec  un  succès  una- 
nime, succès  de  musique  et  d'interprétation  presque  sans  précédent.  Nous 
lisons  à  ce  sujet  dans  le  Musical  America  :  o  En  ce  qui  concerne  l'interprétation 
et  la  mise  en  scène  du  Jongleur  d'.  Notre-Dame,  ouvrage  qui  compte  parmi  les 
meilleurs  de  l'un  des  représentants  les  plus  éminents  de  la  grâce  mélodique  et 
de  l'élégance  de  l'école  française,  on  doit  dire  que  ce  fut  un  incontestable 
triomphe.  L'œuvre  est  si  caractéristique,  si  éloignée  des  chemins  battus  et 
elle  est  donnée  avec  une  telle  finesse  dans  tous  ses  détails  qu'elle  devra  deve- 
nir une  des  plus  puissantes  attractions  de  la  saison.  Miss  Mary  Garden,  qui 
joua  pour  la  première  fois  en  travesti  le  rôle  du  Jongleur,  s'identifia  à  son 
personnage  avec  un  tel  enthousiasmé  que  l'on  a  volontiers  oublié  qu'elle 
chantait  de  la  musique  écrite  originairement  pour  la  voix  d'un  ténor.  M.  Mau- 
rice Renaud  a  rendu  la  Légenle  de  la  Sauge  avec  un  charme  si  pénétrant  que 
ce  fut  là,  pour  beaucoup  d'auditeurs,  le  moment  le  plus  beau  de  la  soirée. 
M.  Dufranre  a  mérité  aussi  d'être  loué  dans  le  rôle  du  Prieur.  Une  assistance 


LE  MÉNESTREL 


13 


des  plus  nombreuses,  plus  brillante  que  l'on  n'en  vit  jamais  dans  cette  salli- 
d'opéra,  suivit  cette  représentation  avec  une  attention  toujours  captivée,  et 
tous  les  entretiens  des  entr'actes  roulaient  sur  l'attrait  peu  commun  de  cette 
œuvre.  » 

—  Quelques  autres   opinions  de  la  critique   américaine   sur  le  Jongleur  de 
Noire-Dame  : 
M.  H.-J.  Finck  dans  la  New-York  Evcning  Posl  : 

Massenet  est  un  mélodiste  très  personnel,  un  des  rares  qui  existent  maintenant  ; 
nous  trouvons  un  charme  singulièrement  gaulois  dans  son  coloris  orchestral,  toujours 
délicat,  varié,  approprié  aux  situations.  A  ce  point  de  vue,  le  Jongleur  de  Notre-Dame 
est  digne  de  tous  nos  éloges  et  il  est  inutile  d'ajouter  que,  grâce  à  M.  Campanini, 
aucune  des  beautés  de  la  partition  ne  reste  cachée.  Pour  l'interprétation  de  cette 
œuvre  sur  la  scène,  M.,  llammerstein  a  produit  un  ensemble  qui  ne  pouvait  être 
égalé  nulle  part  ailleurs. 

M.  Smith  dans  la  New-Yà'k  Presi  : 

C'est  la  plus  charmante  chose  en  son  genre  qui  ait  jamais  vu  le  jourà  New- York: 
elle  s'adresse  immédiatement  aux  sentiments  des  spectateurs  les  moins  sceptiques, 
aussi  bien  qu'à  ceux  des  plus  blasés  parmi  les  habitués  de  l'Opéra. 
M.  R.  Aldrich  dans  le  New-York  Timts  : 

Le  Jongleur  de  Noire-Dame  est  original  par  son  sujet,  par  la  façon  dont  il  est  traité, 
et  aussi  par  sa  musique.  Massenet  a  mis  là  ses  plus  délicates  fantaisies,  sa  maitrise 
la  plus  raffinée;  il  a  créé  une  atmosphère  et  a  caractérisé  par  sa  musique  les  per- 
sonnes, l'époque  et  le  lieu  de  l'action. 
M.  de  Koven  dans  le  Nnu-York  World  : 

Toute  la  partition  du  Jongleur  de  Noire-Dam",  est  un  chef-d'œuvre;  elle  a  ce  fini  et 
cette  élégance  de  style,  de  même  que  cette  instrumentation  discrète  et  intensément 
colorée  qui  caractérisent  le  compositeur,  il.  llammerstein  vient  donc  de  gagner,  sans 
contestation,  la  première  bataille  dans  la  campagne  entreprise  pour  l'Opéra  de 
New-York. 
M.  Ziegler  dans  le  New-York  Herald  : 

Massenet  parait  s'être  imprégné  de  l'esprit  de  la  légende  et  l'avoir  reflété  dans  sa 
musique.  Dans  le  détail  comme  dans  l'ensemble,  le  Jongleur  de  Notre-Dfimepvèsente 
un  vif  intérêt  et  sa  force  de  fascination  n'est  pas  niable. 

M.  A.  St.  J.  Brenon  dans  le  New-York  Morning  Telegraph  : 
C'est  encore  un  de  ces  délicieux,  surprenants,  nouveaux  opéras  que  la  bonne  for- 
tune, ou  plutôt  l'instinct  naturel  si  avisé  de  M.  Oscar  Hammerstein  a  su  découvrir 
et  présenter  au  public  avide  d'œuvres  distinguées,  autant  que  fatigué  d'entendre  à 
satiété  de  vieux  ouvrages  d'un  répertoire  constamment  le  même. 

—  Le  trafic  des  billets  de  théâtre  n'est  pas  seulement  une  plaie  parisienne, 
il  sévit  aussi  à  New-York,  et  avec  tant  d'intensité  qu'une  ordonnance  de 
police  a  dû  intervenir,  portant  défense  aux  individus  sans  qualité  de  vendre 
les  billets  de  théâtre  ou  de  concert  dans  les  rues,  dans  les  hùtels  et  dans  les 
locaux  loués  par  des  agences. 

—  De  New- York  ;  Le  Symphony  Concert's  vient  de  donner  pour  la  première 
fois  en  Amérique,  avec  le  plus  grand  succès,  une  nouvelle  œuvre  de  M.  Ga- 
briel Pierné  :  Les  Enfants  à  Bethléem.  Trois  cents  enfants  prenaient  part  à 
cette  exécution  dirigée  par  le  célèbre  chef  Frank  Damrosch.  Le  27  décembre 
aura  lieu  à  l'église  Saint-Georges  de  New-Y'ork,  avec  le  concours  des  enfants 
des  maitrises  et  du  «  Russian  Symphonie  orchestre  »,  une  nouvelle  exécution 
de  l'œuvre  de  Pierné,  sous  la  direction  de  M.  Homer  Borris. 

—  On  écrit  de  Boston  à  la  date  du  1er  décembre  :  «  La  première  pierre  de 
la  nouvelle  salle  d'Opéra  a  été  posée  le  30  novembre  par  M.  Eben  D.  Jordan, 
président  de  la  Boston  Opéra  Company,  qui  fait  bâtir  la  salle  à  ses  frais  et  la 
louera  à  ladite  Société.  Une  cassette  renfermant  des  papiers  commémoratifs  a 
été  placée  dans  les  fondations.  » 

—  De  New-Y'ork  :  Mlle  Lina  Cavalieri  va  ouvrir  ici  un  magasin  de  parfu- 
merie. Rassurons  tout  de  suite  les  admirateurs  de  la  grande  cantatrice  : 
M™  Cavalieri  ne  quittera  pas  le  théâtre  pour  se  livrer  au  commerce  des 
odeurs  suaves.  Interviewée  au  sujet  de  ses  projets  par  un  journaliste  new- 
yorkais,  M""'  Lina  Cavalieri  a  déclaré  que,  raffolant  des  parfums,  elle  s'est 
mise  à  étudier  la  chimie  et  que  depuis  longtemps  elle  fabrique  elle-même  ses 
parfums,  ses  poudres  et  ses  crèmes.  Elle  va  simplement  faire  bénéficier  le 
public  de  ses  inventions  et  c'est  son  frère  qui  gérera  la  maison  de  commerce 
qu'elle  va  fonder.  A  la  gloire  de  la  scène  elle  ajoutera  celle  du  laboratoire,  et 
il  est  certain  qu'elle  aura  autant  de  succès  comme  chimiste  que  comme 
artiste. 

—  Le  conseil  municipal  de  Rio-de-Janeiro  vnnt  de  décider,  après  une  dis- 
cussion assez  longue,  que  les  spectatrices  ne  seraient  plus  désormais  admises 
en  chapeau  à  n'importe  quelles  places  dans  les  théâtres,  quels  que  soient  les 
chapeaux,  grands  ou  petits.  R  convient  de  dire  qu'à  Rio,  les  femmes  en 
portent  d'extravagants,  la  mode  parisienne  faisant  loi  au  Brésil.  Bref,  le  con- 
seil municipal  a  décidé  ce  qui  suit  :  «  Article  premier.  Tous  les  théâtres 
seront  pourvus  de  vestiaires  avec  casiers  spéciaux  pour  les  chapeaux  de 
femmes.  —  Art.  2.  Les  propriétaires  ou  locataires  de  théâtres  devront  être 
obligés  de  se  conformer  au  présent  règlement  dans  les  trois  mois  qui  suivront 
son  adoption.  — Art.  '■'>.  Toute  infraction  entraînera  une.  amande  de  b'OO  francs 
et.  en  cas  de  récidive,  le  théâtre  sera  fermé.  » 

—  Au  Teatro-Solis  de  Montevideo,  très  intéressant  le  premier  concert  donné 
pari'  «  Orchestre  national  »  placé  sous  l'intelligente  direction  du  maestro 
Luis  Sambucetti.  Au  programme  les  œuvres  de  Bizet,  Mendelssohn,  Liszt.  Ci- 
marosa,  Wagoer.  Schubert.  Ad.  David,  et  de   MM.  Reyer  (le  Pas  guerrier  de 


Sigurd),  Théodore  Dubois  (Esquisse,  bissée  au  violoncelliste  B.  Mazucchi), 
Saint-Saêns  et  Pierné.  Le  gouvernement,  voulant  reconnaître  et  encourager  les 
efforts  de  la  jeune  Société,  lui  alloue  une  subvention. 

—  Les  dilettantes  de  Saint-Pétersbourg  viennent  d'être  les  victimes  d'une 
assez  jolie  canaillerie,  accomplie  avec  une  audace  vraiment  extraordinaire  et 
qui  montre  que  la  fourberie  humaine  n'a  pas  de  bornes.  Il  y  a  quelque  temps, 
des  affiches  colossales  appliquées  sur  tous  les  murs  de  la  capitale  annonçaient 
un  prochain  concert  qui  devait  avoir  lieu  avec  le  concours  du  fameux  ténor 
Caruso,  dont  le  nom.  cela  va  sans  dire,  s'étalait  en  lettres  gigantesques.  Les 
amateurs  se  présentèrent  en  foule  pour  retenir  leurs  places,  mais  il  leur  fut 
répondu  que,  malheureusement,  tous  les  billets  avaient  été  accaparés  par  des 
revendeurs.  Qu'à  cela  ne  tienne  !  comme  on  voulait  à  toute  force  entendre 
Caruso.  on  en  passa  par  toutes  les  conditions  des  marchands  de  billets,  qui 
vendirent  ceux-ci  trois,  quatre  et  cinq  fois  le  prix  annoncé.  Mai-  roïci  la  sur- 
prise. Lorsque  les  spectateurs  se  présentèrent  à  l'entrée  de  la  salle  le  soir  in- 
diqué pour  le  concert,  on  leur  annonça  que  Caruso  venait  d'envoyer  un 
télégramme  pour  faire  connaître  qu'il  était  trop  souffrant  pour  se  rendre  à 
Saint-Pétersbourg.  On  juge  de  la  colère  générale  '.  Cependant,  les  administra- 
teurs de  la  soirée  s'empressaient  de  déclarer  qu'ils  allaient  rendre  le  prix  des 
billets,  mais  le  prix  réel,  et  non  celui  majoré  par  les  prétendus  revendeurs, 
leurs  complices,  —  et  le  tour  était  joué.  Il  va  de  soi  que  dès  le  lendemain  ces 
industriels  très  ingénieux  étaient  loin  de  Saint-Pétersbourg,  où  leur  exploit  a 
causé  le  scandale  que  l'on  pense. 

—  Un  manuscrit  précieux  de  Mozart.  Lorsque  le  petit  Mozarl,  après  de 
brillants  concerts  donnés  en  Angleterre  pendant  l'année  1704,  dut  cesser  de 
jouer  en  public  à  cause  de  la  maladie  de  son  père,  il  profita  de  la  circons- 
tance pour  composer  hâtivement  et  sans  discontinuer.  Il  se  fit  un  petit  album 
et  y  écrivit  toute  sorte  de  musique.  Cet  album  d'un  enfant  de  huit  ans  dont 
on  ignora  longtemps  l'existence,  faisait  partie  de  la  collection  d'autographes 
de  M.  Eroest  Mendelssohn  Bartholdy,  qui  en  a  fait  présent  à  l'empereur 
d'Allemagne  il  n'y  a  pas  longtemps.  Il  renferme  des  menuets,  des  adagios, 
des  preslos  et  aussi  une  fugue,  la  première  que  l'on  possède  de  la  main  de 
Mozart.  Ces  morceaux  ont  élé  publiés  tout  récemment  à  Leipzig  par  la  mai- 
son Breitkopf. 

—  Nous  avons  annoncé  la  publication  d'un  recueil  de  lettres  de  'Wagner 
qui  a  paru  sous  ce  titre  :  Richard  Wagner  à  ses  interprètes.  Les  moyens  employés 
par  la  maison  de  Wahnfried  pour  se  procurer  ces  lettres  n'ont  pas  toujours  été, 
parait-il,  d'une  extrême  délicatesse.  Mme  Lilli  Lehmann  se  plaint,  en  ce  qui  la 
concerne,  d'avoir  été  victime  de  sa  complaisance,  a  II  y  a  environ  vingt-trois 
ans,  écrit-elle  aux  Dernières  nouvelles  de  Munich,  je  reçus  un  jour  de  Mme  Co- 
sima  Wagner  la  prière  de  lui  communiquer  les  lettres  que  Richard  "Wagner 
m'avait  écrites.  Très  éloignée  de  soupçonner  que  l'on  pût  faire  un  emploi 
abusif  de  cette  correspondance,  j'empaquetai  le  tout  et  l'envoyai  en  communi- 
cation à  Mme  Cosima  Wagner.  Après  quelques  semaines  ou  quelques  mois 
peut-être,  les  lettres  me  furent  retournées...  Le  30  novembre  1008,  j'eus  con- 
naissance de  la  publication  prochaine  de  la  correspondance  de  Wagaer  avec 
ses  interprètes,  etc.  o  Mmc  Lehmann  fait  connaître  alors  qu'en  réponse  à  un 
télégramme  qu'elle  avait  adressé  à  "M.  von  Gross,  elle  reçut  de  Mllc  Eva 
Wagner  une  lettre  qu'elle  cite  tout  au  long.  Dans  cette  lettre,  MUe  Eva  Wagner 
prétendait  que  la  maison  de  Wahnfried  possède  un  droit  de  propriété  sur  les 
lettres  de  Wagner  et  ne  semblait  même  pas  se  douter  que  l'improbité  du 
moyen  employé  pour  se  procurer  ces  lettres  suffirait  à  rendre  ce  droit,  s'il 
pouvait  exister,  extrêmement  contestable.  Ede  ajoutait  :  •  Nous  avons  voulu 
élever  aux  artistes  qui  ont  interprété  l'œuvre  de  Wagner,  et  à  vous-même  par 
conséquent,  un  monument  d'honneur  très  glorieux,  et  si  nous  avions  omis 
votre  nom.  cela  aurait  été  la  marque  d'une  incompréhensible  mésestime  pour 
votre  personnalité.  »  Mnie  Lehmann  répond  à  cette  dernière  phrase  et  en 
même  temps  aux  prétentions  des  héritiers  de  Wagner  :  «  La  maison  de 
Wahnfried  ne  peut,  par  elle-même,  élever  un  monument  aux  interprètes  qui 
ont  vécu  avec  Wagner  et  ont  collaboré  avec  lui.  Le  respect  et  l'amitié  qui 
nous  animèrent  tous,  à  Bayreuth  ou  ailleurs,  lorsque  nous  chantious  ses 
œuvres,  l'aidèrent  puissamment  en  lui  permettant  de  voir  ses  créations 
vivantes  devant  lui.  C'est  là  notre  monument...  Peut-être  aurais-je,  moi  aussi, 
donné  mon  assentiment  a  la  publication  de  certaines  de  mes  lettres  si  on  me 
l'avait  demandé.  Cela  n'ayant  point  été  fait,  je  suis  obligée  de  me  plaindre  de 
l'action  déloyale  qu'a  commise  la  maison  de  Wahnfried. 

—  Un  jeune  musicographe  de  Munich.  M.  Edgar  Istel.  a  communique  à  l'édi- 
teur d'un  almanach  Wagner  qui  paraîtra  prochainement  à  Berlin  pour  l'année 
1909.  une  relation  intéressante  écrite  par  le  fils  de  Weber  à  l'occasion  de  la 
première  représentation  de  Tannhdusrr,  qui  eut  lieu  à  Dresde  le  10  octobre  1845; 
nous  en  donnons  les  quelques  extraits  suivants  :  «  La  petite  personne  du 
jeune  compositeur  parut  au  pupitre;  pâle  et  agité,  il  leva  ce  même  bâton 
que  j'avais  vu  si  souvent  dans  mon  enfance  entre  les  mains  de  mon  père.  La 
manière  de  diriger  de  Wagner,  devenue  depuis  si  différente,  présentait  alors 
beaucoup  de  ressemblance  avec  celle  de  Weber.  Les  mouvements  étaient  pour 
la  plupart  très  simples,  presque  étriqués,  mais  la  précision  de  ces  indications 
écourtées  qu'il  donnait  avec  le  bâton  ne  laissaient  place  à  aucune  hésitation. 
De  plus  amples  balancements  ou  écarts  de  la  main  ou  du  bras  ne  se  produi- 
sirent qu'aux  moments  les  plus  significatifs  et  les  plus  passionnés,  mais  tous 
les  gestes  de  Wagner  agissaient  sur  l'orchestre  avec  une  force  électrique 
irrésistible.  La  masse  des  spectateurs  qui  remplissaient  la  salle  et  qui  com- 
prenaient tout  l'entourage  de  Wagner,  de  Semper,  de  Rielschel,  de  Bende- 


LE  MÉNESTREL 


manu,  c'est-à-dire  l'élite  intellectuelle  de  Dresde  à  cette  époque,  ne  manifesta 
pour  l'œuvre  que  des  sympathies  peu  unanimes  et  plutôt  isolées.  Les  mots  de 
Yenusberg  (montagne  de  Vénus),  Sângerkampf  (.tournoi  de  chanteurs),  Rom- 
fahrt  (pèlerinage  à  Rome). etc.,  donnaient  lieu  à  toutes  sortes  de  propos  singu- 
liers. La  majorité  du  public  espérait  que  l'auteur  de  Itienzi  lui  offrirait  un  opéra 
aux  tons  éclatants,  plein  de  mélodies  très  en  dehors,  d'un  coloris  somptueux 
et  d'une  sonorité  grandiose  et  puissante  plutôt  que  fondue  et  homogène;  en 
un  mot,  une  œuvre  copieuse  du  plus  moderne  Style,  écrite  à  la  manière  de 
Meyerbeer.  Par  contre,  une  minorité  d'auditeurs  s'était  formée  de  ceux  qui, 
connaissant  à  fond  le  Vaisseau  fantôme,  s'attendaient,  de  la  part  du  musicien,  à 
une  fantaisie  romantique  échevelée  »...  On  sait  que  Tannhâuser  réussit  fort 
peu  à  Dresde  en  1S43.  Le  fils  de  Weber  nous  apprend  que  le  public  sortit  de 
la  représentation  en  parlant  baut.  criant  et  gesticulant  comme  les  membres 
des  assemblées  politiques  houleuses  de  ces  temps  révolutionnaires.  Les  plus 
avisés  avaient  bien  senti  qu'il  y  avait  dans  la  partition  des  pages  réellement 
belles,  mais  la  forme  musicale  déroutait  un  auditoire  habitué  à  toute  autre 
chose.  Nous  rendons  la  parole  au  fils  de  Weber,  qui  va  nous  parler  de  samère 
et  de  Mn,L'  Schrœder-Devrient.  L'opinion  de  Caroline  Weber,  née  Brandt,  est 
d'autant  plus  intéressante  que  pendant  l'année  1814  Clément  Brentano,  le 
poète  bien  connu  de  la  première  Loreley,  avait  communiqué  à  Weber  les  élé- 
ments d'un  livret  d'opéra  sur  le  sujet  de  Tannhâuser  et  que  le  futur  auteur  du 
Freiscbûl:  s'en  était  chaleureusement  épris.  Une  donna  pourtant  jamais  suite  à 
l'idée  qu'il  avait  eue  d'écrire  un  ouvrage  en  collaboration  avec  Brentano.  «  La 
veuve  de  Weber,  continue  le  narrateur,  avait  suivi  la  représentation  avec  une 
attention  soutenue,  secouant  parfois  la  tète  quand  la  musique  la  surprenait 
ou  Détonnait.  A  l'endroit  du  tournoi  des  chanteurs,  elle  fît  doucement  cette 
observation  :  «  Le  père  aurait  écrit  cela  tout  autrement  ».  Ella  se  leva  quand 
tout  fut  fini,  et  dit  en  entendant  les  discussions  à  haute  voix  des  spectateurs  : 
«  Oui,  oui,  cela  s'est  passé  ainsi  a  Vienne  après  ia  première  représentation  de 
»  Dan  Juan;  allons  sur  la  scène,  il  faut  que  je  serre  la  main  de  Wagner  ». 
Lorsque  Wagner  vit  la  veuve  de  Weber,  il  s'élança  vers  elle  avec  agitation, 
lui  tendit  la  main  et  s'écria  tout  haut  :  a  Eh  bien  '?  »  Mais,  avant  que  la  ré- 
ponse attendue  ait  eu  le  temps  d'intervenir.  M"10  Schrœder-Devrient,  qui 
avait  chanté  le  rôle  de  Vénus,  sortit  de  la  garde-robe  où  elle  se  préparait  à 
changer  de  vêtements  et  se  montra  telle  qu'elle  était  apparue  dans  la  scène 
finale  de  l'opéra,  en  peignoir  blanc,  avec  de  magnifiques  cheveux  blonds;  elle 
saisit  ma  mère  entre  ses  bras  avec  l'empressement  passionné  qui  lui  était 
habituel,  et  s'écria  :  «  N'est-ce  pas,  petite  madame  Weber  (Weberchen)...  en 
»  voilà  une  musique  !...  Il  n'en  deviendra  pas  moins  un  grand  homme!  » 
Riant  alors  d'un  rire  bruyant,  elle  dissipa  en  un  instant  la  gène  dans  laquelle 
on  s'était  trouvé  après  l'exclamation  de  Wagner.  Cette  scène  fantastique,  dont 
les  détails  se  sont  gravés  inoubliables  dans  mon  souvenir,  se  ravive  encore 
pour  moi  chaque  fois  que  je  vois  tomber  le  rideau  d'un  théâtre  sur  le  dénoue- 
ment de  Tànnhduser.  Et  quoique  j'aie  peu  compris  les  œuvres  de  Wagner  qui 
ont  suivi  celle-ci,  je  pense  que  Tannhâuser  reste  parmi  les  ouvrages  les  plus 
remarquables  que  l'art  allemand  ait  produits  ». 

—  Une  manifestation  artistique  d'un  nouveau  genre.  L'idée,  assez  bizarre, 
en  est  due  à  un  entrepreneur  de  concerts  hongrois.  M.  Norbert  Dunkl,  l'orga- 
nisateur des  tournées  de  MM.  Jan  Kubelik,  Hubermann  et  autres  virtuoses 
renommés.  Il  a  eu  la  pensée  d'un  spectacle  qu'il  a  baptisé  de  ce  titre  :  «  le 
Dramaconcert  »,  et  qui  consiste  en  ceci,  que  des  œuvres  ou  des  fragments 
d'œuvres  de  musique  classique  sont  insérés  dans  les  péripéties  d'un  drame 
dont  les  principaux  interprètes  sont  aussi  les  interprètes  de  cette  musique, 
c'est-à-dire  qu'ils  sont  à  la  fois  comédiens  et  virtuoses.  Ce  que  veut  l'inven- 
teur, dit-il,  c'est,  en  somme,  offrir  au  grand  public  qui,  pour  diverses  raisons, 
ne  suit  pas  les  grands  concerts,  des  exécutions  musicales  d'une  valeur  excep- 
tionnelle, confiées  à  des  virtuoses  de  renom,  à  travers  les  incidents  et  les 
émotions  d'une  action  théâtrale.  L'œuvre  dramatique  est  due  à  M.  Corneille 
Abranyi,  écrivain  hongrois  distingué,  et  comme  la  première  tournée  de  ce 
«  dramaconcert  »  doit  avoir  lieu  très  prochainement  en  Italie,  elle  a  éié  tra- 
duite en  italien  par  un  jeune  publiciste  milanais.  Les  trois  artistes  qui  se 
montreront  sous  ie  double  aspect  de  comédiens  et  de  virtuoses  sontM"eOlper 
pour  le  piano,  Mlle  Bel  Sorel  pour  le  chant,  et  un  jeune  russe,  M.  Svar- 
zenstein,  pour  le  violon.  Ils  seront  escortés,  pour  les  autres  rôles  de  l'ouvrage, 
de  plusieurs  acteurs  de  profession.  A  tout  prendre,  l'idée  de  M.  Dunkl  est 
originale  ;  reste  à  savoir  ce  qu'elle  donnera  dans  la  pratique. 

—  Mmo  Annie  Krull,  qui  avait  quitté  l'Opéra  de  Dresde  en  novembre  der- 
nier parce  que  M.  Richard  Strauss  ne  l'avait  pas  choisie  comme  protagoniste 
de  son  Eléktra,  s'est  consolée  sans  doute  de  sa  déception  puisqu'elle  vient  de 
rentrer  en  grâce  près  de  la  direction. 

—  De  Constantinople.  Très  grand  succès  pour  M.  Byard,  le  charmant  chan- 
teur anglais  qui,  en  compagnie  de  M.  Charles  Levadé,  lait  dans  les  pays 
d'Orient  une  tournée  de  concerts  au  cours  de  laquelle  le  succès  ne  se  dément 
pas  un  instant.  On  l'a  acclamé  ici  dans  le  Pauvre  laboureur,  vieille  chanson 
recueillie  par  Tiersot,  Psyché,  de  Paladilhe,  Chanson  d'amour  de  Levadé,  le 
Semeur,  d'A.  de  Castillon,  et  Aubade  mélancolique,  de  Levadé. 

—  Le  folklore  musical  continue  de  produire  ses  fruits  de  tous  cotés.  Je  reçois 
de  Belgique  sous  ce  simple  titre  :  les  Vieilles  Chansons,  un  recueil  fort  intéres- 
sant, dû  à  la  collaboration  de  M.  Théodore  Radoux,  directeur  du  Conserva- 
toire de  Liège,  de  son  fils,  M.  Charles  Radoux,  ancien  prix  de  Rome,  et  de 
l'excellent  musicien  qu'est  M.  Albert  Dupuis.  Ce  recueil  très  curieux  contient 
quarante-trois   chansons  populaires,    cràmignons,    noëls   et  rondes  du    pays 


wallon,  harmonisés  pour  chœur  mixte  avec  ou  sans  accompagnement  de  piano, 
et  d'une  façon  très  habile,  par  les  trois  éditeurs.  Il  a  été  établi  pour  l'exécu- 
tion de  ces  «  Vieilles  Chansons  »  qui  a  eu  lieu  sous  cette  forme,  avec,  un 
énorme  succès,  à  l'Exposition  universelle  de  Liège  de  1903.  Il  n'intéresse  pas 
seulement  la  Belgique  personnellement,  mais  aussi  nos  provinces  du  Nord, 
dont  la  Wallonie  est  si  proche,  et  qui,  sous  ce  rapport,  se  font  mutuellement 
des  emprunts,  c'est-à-dire  que  telle  ou  telle  chanson  populaire  se  trouve  in- 
différemment et  se  perpétue  dans  les  deux  contrées,  par  suite  d'un  voisinage 
naturel.  Il  en  est  ainsi  particulièrement  des  noëls,  qui,  pour  la  plupart  venus 
de  France,  ont  subi  toutefois  quelques  modifications  en  passant  chez  nos  voi- 
sins. Toutes  ces  chansons,  d'un  accent  mélodique  et  d'un  rythme  pleins  de 
franchise,  ont  été  habilement  transcrites  à  quatre  voix,  ce  qui  n'empêche  de  le- 
pouvoir  chanter  à  voix  seule,  dans  leur  état  naturel.  Elles  forment  un  en- 
semble charmant  et  plein  de  grâce  dont  il  faut  féliciter  les  heureux  éditeurs. 
—  Et  puisque  l'occasiun  s'en  présente,  j'en  profite  pour  féliciter  aussi 
M.  Charles  Radoux  fils  de  sa  très  intéressante  partition  de  Geneviève  de  Bra- 
bant,  la  scène  lyrique  écrite  sur  un  poème  de  M.  Volère  Gille,  qui  lui  a  valu 
le  grand  prix  de  Rome  à  Bruxelles  au  concours  de  1907.  A.  P. 

—  D'Amsterdam  :  L'éminent  chef  d'orchestre  Ed.  Colonne  est  venu  ici  don- 
ner, avec  le  plus  éclatant  succès,  un  concert  de  musique  symphonique  fran- 
çaise de  G.  Fauté,  César  Franck,  Paul  Dukas,  Claude  Debussy,  Gabriel 
Dupont  (Les  Heures  dolentes)  et  deux  auditions  de  la  Damnation  de  Faust,  de 
Berlioz. 

—  On  télégraphie  de  Milan  que  le  congrès  ■  musical  vient  de  se  terminer  au 
milieu  de  grandes  fêtes  artistiques,  concerts  et  représentations  de  gala.  Di- 
manche, le  conseil  municipal  avait  invité  les  congressistes  à  une  grande 
réception  au  château  Sforza.  A  la  séance  de  clôture,  les  noms  des  membres 
du  comité  français  ont  été  de  nouveau  acclamés  d'enthousiasme. 

—  Un  journal  italien  fait  remarquer  que  l'année  1909  marquera  l'anniver- 
saire de  la  naissance  ou  de  la  mort  de  plusieurs  musiciens  :  Haydn.  Chopin, 
Mendelssohn  et  Federico  Ricci  (auxquels  il  joint  à  tort  Liszt,  qui  est  né  en 
1811  et  non  en  1809).  En  effet,  Mendelssohn  est  né  à  Berlin  le  3  février  1809. 
Chopin  près  de  Varsovie  le  1er  mars  et  Federico  Ricci  à  Naples  le  22  octobre, 
tandis  qu'Haydn  est  mort  le  31  mai  de  la  même  année.  A  la  liste  de  notre 
confrère  nous  ajouterons  les  deux  noms  de  Duni,  né  à  Matera  le  9  février  1709, 
et  de  D'Alayrac,  qui  mourut  à  Paris  le  29  .novembre  1809.  Nous  ajouterons 
aussi  qu'on  pourrait  célébrer,  en  1909,  le  cinquantenaire  du  grand  violoniste 
compositeur  Louis  Spohr,  l'auteur  de  Faust  et  de  Jessonda,  mort  le  22  novem- 
bre 1839,  et  le  cent-cinquantenaire  de  Haendel,  qui  mourut  le  13  avril  1739. 
De  même  encore,  on  pourrait  célébrer  le  neuvième  centenaire  de  la  mort  du 
moine  musicien  Heriger  (31  octobre  1009,  supérieur  du  monastère  de  Lobbes, 
à  qui  l'on  doit  le  chant  de  l'hymne  de  la  Vierge  :  Ave  per  quant,  et  celui  de 
deux  antiennes  de  saint  Thomas  :  <>  Tlwrna  Bidyine  et  O  Thoina  aposlo/e.  On 
sait  déjà  que  le  centenaire  de  Joseph  Haydn  ne  restera  pas  inconnu  à  Vienne, 
où  l'on  prépare  une  commémoration  imposante.  De  même,  on  doit  inaugurer 
à  Varsovie  un  grand  monument  à  la  gloire  de  Chopin.  Il  serait  bien  étonnant 
qu'on  oubliât,  en  Angleterre,  l'occasion  de  fêter  la  mémoire  de  Haendel.  Quant 
à  Mendelssohn,  nous  n'avons  pas  appris  jusqu'ici  que  rien  se  projette  à  Berlin 
en  son  honneur;  il  est  vrai  que  les  allemands  rougissent  aujourd'hui  de  l'au- 
teur de  Paulus  et  du  Songe  d'une  nuit  d'été;  ils  lui  préfèrent  l'art  hystérique, 
maladif  et  inconvenant  de  Richard  Strauss.  Grand  bien  leur  fasse. 

—  Ceux  des  peuples  étrangers  qui  aiment  vraiment  le  théâtre  nous  envient 
l'admirable  institution  (on  peut  lui  donner  ce  nom)  qu'est  notre  Comédie- 
Franraise,  consacrée  au  culte  de  nos  grands  classiques  :  Corneille,  Molière. 
Racine,  Regnard,  etc..  qui  sont  toujours  de  sa  part  l'objet  des  plus  grands 
soins  et  du  plus  grand  respect,  et  dont  les  chefs-d'œuvre  sont  toujours  offerts 
au  public  dans  les  conditions  d'une  interprétation  absolument  hors  de  pair. 
On  sait  qu'un  essai  a  été  tenlé  récemment  en  Italie  pour  la  création  d'un 
théâtre  ce  ce  genre,  auquel,  en  imitation  de  notre  «  maison  de  Molière  »,  on 
avait  donné  le  nom  de  maison  de  Goldoni,  casa  di  Goldoni.  L'essai  n'a  pas  eu 
tout  le  succès  qu'on  en  espérait;  mais  le  premier  pas  est  fait,  on  y  reviendra. 
Il  était  d'ailleurs  le  fait  d'un  artiste  convaincu,  qui  agissait  avec  ses  seules 
forces  et  qui  n'a  pas  trouvé  l'appui  qu'il  méritait.  Voici  qu'en  Espagne  un 
projet  du  même  genre  a  pris  naissance,  et  celui-ci  avec  l'aide  des  pouvoirs 
publics.  Le  Sénat  espagnol  vient  en  effet  de  voter  sans  discussion  un  projet  de 
loi  présenté  par  M.  Cabeslany,  poète  et  auteur  dramatique,  pour  créer  un 
théâtre  national  espagnol  sur  le  modèle  de  la  Comédie-Française.  L'opinion 
des  artistes  et  des  auteurs  est,  dit-on,  partagée  au  sujet  de  ce  projet,  auquel, 
néanmoins,  une  grande  majorité  e?t  favorable,  et  l'on  croit  fermement  qu'il 
sera  adopté  sans  opposition  par  la  Chambre.  Les  éléments  du  nouveau  théâtre 
national  existent  déjà  dans  le  «  Teatro  Espaiiol  »  dont  la  troupe  classique  a 
pour  chefs  don  Fernando  Diaz  de  Mendoza  et  sa  femme  Mn,c  Maria  Guerrero. 
l'excellente  comédienne  dont  le  public  parisien  a  pu  apprécier  le  très  grand 
talent  lors  des  représentations  qu'elle  vint  donner  à  l'Athénée,  en  1900,  avec 
ses  compagnons,  MM.  de  Mendoza,  Cirera,  Robles,  Just,  Calvo,  Urquijo  et 
ftjmes  Ruiz,  Boffil,  Bueno,  Cancio,  etc.  Si  le  projet  en  question  prend  corps  et 
réussit,  comme  on  l'espère.  l'Espagne  et  Madrid  posséderont  sous  peu  leur 
grande  scène  nationale,  où  pourront  être  représentés,  dans  les  meilleures 
conditions  d'interprétation,  les  chefs-d'œuvre  du  théâtre  classique  dus  à  Cal- 
dei'on,  Alarcon,  Lope  de  Vega,  Tirso  de  Molina,  Moreto,  Moratin,  qui  escor- 
teront les  œuvres  puissantes  des  dramaturges  contemporains. 


LE  MÉNESTKEL 


415 


—  Le  5  décembre  dernier,  au  Bechstein-hâll  de  Londres,  plusieurs  mélodies 
de  M.  Gabriel  Fauré,  ebantées  par  M"10  Swinton,  ont  obtenu  un  grand  succès. 
Le  12,  M.  Raoul  Pugno  a  exécuté  son  beau  Concerlstiick  pour  piano  et 
orchestre  au  Queen's  Hall  et  s'est  fait  chaleureusement  acclamer. 

PARIS  ET  DÉPARTEMENTS 

A  l'Opéra-Comique,  la  reprise  à:Orphée  avec  M"0  Raveau  doit  être  bon 
prochaine,  puisqu'on  a  répété  déjà  en  costumes  et  avec  l'orchestre.  La  répéti- 
tion générale  sera  donnée  au  bénéfice  de  l'Orphelinat  des  arts.  Les  études  de 
Sapho  sont  également  activement  poussées.  Ce  soir  samedi  on  donne  Manon. 
Dimanche,  en  matinée  :  la  Tosca;  le  soir  :  Louise. 

—  Dimanche,  en  matinée,  au  Lyrique-Municipal  :  Jean  de  Nivelle;  le  soir  : 
te  Jongleur  de  Notre-Dame  et  la  Navarraise.  Mardi  29  décembre,  première 
représentation  de  Cendrillon. 

—  Une  nouvelle  saison  d'opéra  russe,  très  importante,  qui  doit  avoir  lieu 
dans  la  salle  du  Chàtelet  aux  mois  de  mai  et  juin  prochains,  s'organise  en 
ce  moment  par  les  soins  de  M.  Serge  de  Diaghilew.  Saut  rectifications  et 
adjonctions,  le  programme  de  cette  saison  doit  comprendre  les  ouvrages 
suivants  :  le  Prince  If/m-,  de  Borodine;  la  Pskovitaine,  de  Rimsky-Korsakow; 
Raymonda,  ballet  de  M.  Glazounow;  le  Pavillon  d'Armide  et  l'Oiseau  d'or,  ballets 
deM.Tchérepnine.  Parmi  les  artistes  engagés  en  cette  circonstance,  nous  voyons 
figurer,  outre  le  nom  de  Mme  Félia  Litvinne,  favorite  du  public  parisien,  ceux 
de  M.  Ghaliapine.  que  nous  avons  vu  aux  représentations  de  Boris  Godounow 
à  l'Opéra,  de  Mllc  Lydia  Lipkowska,  une  jeune  et  brillante  étoile  de  l'Opéra 
russe  de  Saint-Pétersbourg,  do  M"10  Petrenko,etc.  Les  chefs  d'orchestre  seront 
MM.  Blurrienfeld  et  Tchérepniue. 

—  De  Nicolet,  du  Gaulois  :  «  On  chuchote,  dans  les  milieux  musicaux  et 
mondains,  de  représentations  sensationnelles  qui  auraient  lieu,  au  mois  de 
mai  prochain,  dans  un  théâtre  particulier.  Il  s'agirait  de  la  restitution  à  la 
scène  d'un  des  plus  grands  chefs-d'œuvre  de  la  musique  dramatique.  Le 
mystère  entretenu  autour  de  cette  initiative  est  grand  encore.  Respectons-le. 
Mais  nous  démentira-t-on  si  nous  avançons  que  les  représentations  seraient 
dirigées,  pour  le  chant,  par  M.  Jean  de  Reszké,  et  pour  l'orchestre  par 
M.  Reynaldo  Hahn  ?  » 

—  On  se  rappelle  le  grand  succès  obtenu  l'an  dernier  par  le  gala  organisé 
à  l'Opéra  au  bénéfice  du  monument  Beethoven  à  Paris.  Le  comité  chargé  de 
réunir  les  fonds  pour  l'érection  de  ce  monument  a  décidé,  avec  l'autorisation 
du  ministre  et  du  sous-secrétaire  d'Etat  des  beaux-arts,  qu'un  deuxième  gala 
aurait  lieu  à  l'Opéra,  le  28  janvier  prochain. 

—  La  jolie  revue  milanaise  .1rs  el  labor  publie,  dans  un  numéro  spécial 
consacré  au  centenaire  de  la  maison  Ricordi,  divers  autographes,  dont  quel- 
ques-uns très  curieux,  d'artistes  illustres  qui  ont  été  en  relations  d'affaires 
avec  les  célèbres  éditeurs.  Voici  une  lettre  de  Berlioz,  relative  à  une  édition 
de  son  Requiem  : 

Mardi  22  février  1853. 
Monsieur. 

Les  épreuves  de  mon  Requiem  me  sont  parvenues  quatre  jours  après  votre  lettre. 
Je  me  suis  aussitôt  occupé  de  les  corriger,  et  aujourd'hui  je  vous  les  ai  expédiées 
par  la  diligence,  l'écriture  dont  les  pages  sont  chargées  ne  permettant  pas  de  les 
mettre  à  la  poste. 

Il  reste  encore  beaucoup  de  fautes;  en  conséquence  je  vous  prie  de  me  renvoyer 
cette  épreuve  où  elles  sont  indiquées  eu  même  temps  qii'î/n  exemplaire  corrigé,  afin 
que  je  voie  comment  toutes  ces  corrections  auront  été  loi  tes  et  s'il  ne  reste  plus  de 
fautes,  avant  d'imprimer.  Cest  un  retard  de  quelques  semaines  apporté  à  la  publica- 
tion de  l'ouvrage;  mais  ce  retard  est  nécessaire.  C'est  une  trop  belle  édition  pour  y 
laisser  le  moindre  défaut.  Car  je  dois  vous  remercier  et  complimenter  votre  graveur; 
son  travail  est  admirable  et  aucun  de  mes  ouvrages  n'a  encore  été  aussi  bien  édité. 

En  m'envoyant  une  seconde  épreuve  joignez  y  celle  du  titre,  auquel  vous  ajouterez 
ces  mots  : 

(.  2mc  édition  revue  par  l'auteur,  et  contenant 
plusieurs  modifications  importantes.  » 

Du  reste  le  titre  devra  rester  le  même  quecelui  de  l'édition  française.  Veuillez  me 
dire  aussi  dans  votre  prochaine  lettre,  combien  d'exemplaires  vous  pourrez  m'aecor- 
der  et  à  quelle  époque  précise  vous  voulez  que  j'annonce  dans  le  Journal  des  Débats 
et  ailleurs,  la  mise  en  vente  de  l'ouvrage.  Je  regrette  beaucoup  de  ne  pouvoir  entrer 
eu  arrangement  avec  vous  pour  d'autres  partitions  publiées  ou  inédites,  car  je  ne 
fus  jamais  aussi  satisfait  d'aucun  graveur  que  je  le  suis  du  vôtre. 

Recevez,  monsieur,  l'assurance  des  sentiments  distingués  de 

Votre  tout  dévoué, 

Hector  Berlioz. 

10,  rue  de  Boursault,  Paris. 

El  voici  une  lettre  de  Paganini,  protestant  contre  les  indignes  contrefaçons 
que  l'on  publiait  de  ses  oeuvres,  sans  souci  même  de  l'exactitude  et  de  la  cor- 
rection; elle  est  d'un  français  un  peu  débraillé  : 

.  Indigné  par  tant  des  ouvrages  de  musique  que  l'on  publie  avec  mon  nom,  et  qui 
ne  sont  que  des  plagiats  malheureux  ou  des  fausseté,  je  déclare  que  à  l'excep- 
tion de  : 

1"  24  capricci  o  studi  per  il  viol  i  no  ; 

2"   G  quartetti  per  violino,  viola,  violoncello  e  chitarra; 

3"  12  sonatine  di  violino  e  chitarra. 

Le  tout  par  moi  cédé  en  propriété  à  l'établissement  de  musique  de  M.  Jean  Ricordi 
d'Italie  tous  les  autres  ouvrages  sent  apocrifes,  comme  l'on  reconnaîtra  lorsque,  ainsi 
que  je  me  propose,  je  publierai  entier  ma  musique. 

Paris,  le  28  octobre  1S3Ô. 

Paganini. 


—  M.  Jtaoul  Pugiiii  prêtera  son  concours  aux  concerts  du  Conservatoire 
les  dimanches  27  décembre  et  3  janvier  prochains.  Il  interprétera  l'Introduc- 
tion ri  Allegro  de  concert  de  Schumanu  et  les  Variation»  de  Franck,  pour 
piano  et  orchestre. 

—  M.  Léon  Delafosse,  dont  les  auditions  sont  toujours  si  rares  à  Paris 
prêté  li'  concours  de  son  grand  talent  à  la  matinée  de  gala  qui  fut  donnée 
dimanche  dernier  au  Conservatoire.  L'éminent  artiste  a  exécuté  avec  un  arl 
pianistique  hors  de  pair  —  où  se  mêlent  puissance,  charnu-  et  étincelante 
virtuosité  —  des  pages  de  Rubinsteia,  de  Chopin  el  de  Tschaikowsky.  Une 
salle  comble  et  enthousiaste  a  l'ait  a  M.  Léon  Delafosse  un  accueil  enthou- 
siaste. 

—  Le  Grand-Théâtre'  de   Bordeaux,  qui   depuis  prés  d'un    siècle  - 

jours  distingué  dans  le  genre  chorégraphique,  vient  de  donner  la  première 
représentation  d'un  ballet  inédit.  In  Belle  Écossaise,  dû  à  la  collaborai  ion  de 
MM.  Roques  et  Belloni  pour  le  scénario  et  Adalbert  Mercier  pour  la  musique. 
On  dit  cette  musique  fort  aimable,  et  l'on  constate  le  vif  succès  de  l'ouvrage 
et  de  ses  deux  principales  interprètes,  MllM  Lirva  et  Le  Gall. 

—  Soirées  et  Concerts.  —  Très  bonne  audition  d'élèves  donnée,  dans   I 
Poulalion,  par  M""  Péraldi.  L'excellent  professeur  se  l'ait  vivement  applaudir  dans 
les  cinq  numéros  de  Réception  à  la  cour,  de  Chavagnat,  Mlu  Jeanne  .1.  duos  ta  Naïade, 
de  Binet,  et  Eli  sabetb  M.  dans  le  Clair  de  lunede  Werther  de  Massenet  ont 

de  succès.  —  Salle  Pleyel,  très  importante  séance  d'élèves  donnée  par  M.  P 
Courras  et  M"'  J.-Pb.  Courras.  Parmi  les  très  nombreuses  exécutions,  il  faut  signaler 
tout  particulièrement  celle  de  la  Valse  des  olivettes  de  la  Farandole,  Dubois  l 
(M.  Yves  L.),  Au  /il  de  l'eau,  Lack  CM""  Marie-Thérèse  L.i,  Andanle-Idijllc  ,   Lysberg 
(M""  Alice  P.  et   Marguerite  P.),  les  Aimées,  air  de  ballet  à'Aben-Hamet,  Duboi 
(M"1  Lucie  P.),  Mazurka,  Lack  (M"°  Jeanne  G.),  Valse  interrompue,  Wachs    M      Bu 
zanne  G.),  Chant  d'Avril,  Lack  (M"«  Edith  G.).  Valse  chromatique,  Godard   M     Geor- 
gette  L.).    Dans  les  intermèdes  on  a  grandement  applaudi   VAndante  pastoral  pour 
violoncelle  extrait  du  Noël  de  Vidal,  tort  bien  joué  par  M.  Gaston  Courras,  i 
pagné  par  M""  Clémence  Lecomte. 

NÉCROLOGIE 

De  Nice  nous  arrive  la  nouvelle  de  la  mort  d'un  excellent  artiste, 
M.  Pierre  Perny,  qui  fut  un  pianiste  élégant,  un  professeur  émérite  et  un 
compositeur  très  actif.  Il  avait  occupé  naguère  les  fonctions  de  chef  d'orchestre 
au  Théâtre-Italien  de  Xice.  Il  était  né  en  cette  ville,  qu'il  n'a  pour  ainsi  dire 
jamais  quittée.  Ce  qui  ne  l'empêcha  pas  de  publier  près  de  deux  cents  mor- 
ceaux de  piano  :  caprices,  romances  sans  paroles,  divertissements,  airs  de 
danse,  etc.,  toujours  écrits  avec  une  grâce  aimable  et  d'une  main  expérimen- 
tée. M.  Perny  est  mort  le  7  décembre,  âgé  de  86  ans. 

—  On  annonce  la  mort  violente,  à  Milan,  d'un  ancien  choriste  nommé  Giu- 
seppe  Mascherpa,  qui  était  âgé  de  66  ans  et  qui  avait  été  admis  à  la  »  Maison 
de  repos  »  de  Verdi.  Il  s'est  suicidé  en  se  tirant  un  coup  de  revolver  i  la 
tempe  droite,  dans  le  cimetière  monumental.  Ce  n'est  pourtant  pas  dans  ce  but 
que  Verdi  avait  fondé  son  asile  pour  les  vieux  artistes  '. 

Henri  Heugel,  directeur-gérant. 


Paris  AU  MÉNESTREL,  2  bis,  rue  Vivienne,  HEUGEL  &  O',  éditeurs 


J. 


ASSENET 


POEME    DES    FLEURS 

1.  Prélude,  trio  pour  1er  et  2e  soprani  et  contralto 2  bO 

Ou  pour  chœur  à  trois  voix  de  femmes,  chaque  partie   ...  7b 

II.  L'hymne  des  fleurs,  solo  pour  contralto 1 

III.  La  danse  des  rameaux,  duo  pour  Ie'  et  2e  soprani  ....  17.' 

Ou  pour  chœur  â  deux  voix  de  femmes,  chaque  partie   ...  33 

IV.  Chanson  de  mai,  chœur  pour  trois  voix  de  femmes   ....  1   73 

Chaque  partie  séparée 33 

Le  recueil  complet  grand  in-4° net     i  francs. 


NOUVELLES     MELODIES 


C'est  l'amour!  (1-2-31.   .   . 
Dormons  parmi  les  lis  (1-2) 


1  30 
1     » 


L'heure  solitaire,  duo   (S.  et  G.)    2  bO 
Le  Noël  des  humbles  ;  1-2-3  |  .   .     1 


416 


LE  MÉNESTREL 


En  vente  :   Au  Ménestrel,  1  bis,  rue  Vivienue,  HECGEL  et  Gie,  Editeurs. 


ETRENNES  MUSICALES  1909 


DOUZE    MENUETS    INEDITS 

L.    VAN    BEETHOVEN 
Recueil  in-S°  cavalier  piano  2  mains,  net  :  3  francs. 
Recueil  in-S°  cavalier  piano  4  mains,  net  :    5  francs. 


ANNEE  PASSEE 

i  2    pièces    caractéristiques    par 

J.    MASSENET 

POUR  PIANO  A  4  MAINS 

recueil  grand  jn-8%  net  :  10  francs. 


LES  CLAVECINISTES 

26    pièces   extraites   de   la  grande   Collection   di 
AMÊDÉE    MÉREAUX 

ANNOTÉES,  CORRIGÉES,  DOIGTÉES  PAR  I.  PHILIPP 

Un  recueil  grand  format  Jésus,  net  :  15  francs. 


LA    CHANSON"    DES    JOUJOUX 

Poésies     de     JULES    JOUY.     —     Musique     de     CL.     BLiNC     et    L.     X>A.TJI>HIISI 

Vingt  petites  chansons  avec  cent  illustrations  et  iquarelles  d'ADRIEN  MARIE 
Un  volume  richement  relié,  fers  de  J.  Chéret  (dorure  sur  tranches  ■.  —  Prix  net:   1  O  francs. 


LES  PERLES  DE  LA  DANSE 

CINQUANTE    TRANSCRIPTIONS   MIGNONNES 

SUR  LE  CÉLÈBRE   RÉPERTOIRE 

d'Olivier  MÉTRA 

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LES  SILHOUETTES 

VINGT-CINQ    PETITES    FANTAISIES-TRANSCRIPTIONS 

SUR  LES   OPÉRAS,   OPÉRETTES   ET   BALLETS 

EN  VOGUE 

PAR 

GEORGES      BULL 


LES    MINIATURES 


QUATRE-VINGTS  PETITES    TRANSCRIPTIONS   TRES    FACILES 

SUR   LES   OPÉRAS   EN   VOGUE,   MÉLODIES   ET   DANSES   CÉLÈBRES 

CLASSIQUES,   ETC., 

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Le  recueil  broché,  net:  10  fr.—  Richement  relié,  net:  15  fr.  £  Le  recueil  broché,  net:  20  fr.  —  Richement  relié,  net:  25  fr.  £  Le  recueil  broché,  net:  20  fr.  — Richement  relié,  net:  25  fr. 

MANON,^"^TIcirrDE  J.  MASSENET 

Edition  de  luxe,  tirée  à  100  exemplaires  sur  papier  de  Hollande,  format  grand  in-4°,  avec  7  eaux-fortes  hors  texte  et  8  illustrations  en  tête 
d'acte,  par  PAUL  AVRIL.,  tirage  en  taille-douce,  à  grandes  marges,  encadrement  couleur,  livraison  en  feuilles,  nel:  100  francs. 


MÉLODIES  DE  J.  MASSENET       s   MISES  DES  STRAUSS  DE  YIMIE   ? 


LES  PETITS  DANSEURS 

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JOHANN    STRAUSS,    FAHRBACH,  OFFENBACH,   HERVÉ,    ETC. 
Ch.  vol.  broché,  net:  10  fr.  Richement  relié:  15  fr.  g  Ch.  vol.  broché,  net  :  10  fr.  Richement  relié  :  15  fr.  &         Couverture-aquarelle  de  Firmin  Bouisset,  net:  10  fr. 


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CONTENANT   CHACUN  VINGT  MÉLOE 


5  volumes  in-8°  contenant  100  danses  choisies 

BEA0X    PORTRAITS    DES  AUTEURS 


Poèmes    virgiliens,  net  :  8  fr.  - 

Six  valses,  net  :   5  fr.  ■ 

Premières  valses,  net  :  5  fr.  - 

Les  Heures   dolentes,  net  :  8  fr. 


THEODORE    DUBOIS.    —    Poèmes    Sylvestres,  net  :  8  fr. 
■  ERNEST   MORET  —  Dix  mazurkas,  net  :   6  fr. 
REYNALDO  HABN  —  Berceuses   à  4   mains,  net  .  4  fr. 
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ifantines 


8  fr.  —  EDMOND  MALHEKBE Vi 


?t  pièces  enfanli 


CH.  LECOCQ.  Fleurs  nipponnes  (10  n°s) net. 

AJIEL.  Chansons  d'Aïeules  (illustrations) net. 

CBAMIiVADE.  Mélodies,  recueil  (2  tons) net. 

P.  DELMET.  Chansons,  2  vol.  (illustrés) chaque  net. 

A.  HOLMES.  "Vingt  mélodies net. 

G.  FAURE.  Mélodies,  4  vol.  chaque  (20  n°s) net. 

LÉO  DELIBES.  Mélodies,  2  vol.  in-8°.    .    .' chaque  net. 

G.  CHARPENTIER.  Poèmes  chantés,  1  vol.  (2  tons) net. 

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LES  SOIRÉES  DE  PÉTERSBOURG,  30  danses  choisies,  4e  volume. 


M.  VERSEPUÏ.  Chansons  d'Auvergne  (30  û") net.  8 

XAVIER  LEROUX.  Les  Sérénades  (10  n<") net.  5 

J.  TIERSOT.  Noëls  français  (20  n«) net.  8 

J.  TIERSOT.  Chants  de  la  Vieille-France  (20  nos) net.  8 

J.  MASSENET.  Chansons  des  Bois  d'Amaranthe net.  5 

RETNALDO  BAHN.  Vingt  mélodies.  1  vol.  in-8°  . net.  10 

M.  ROLLINAT.  Pastorales  (20  n°5) net.  10 

J.-B.  WElKERluN.  Bergerettes  du  XVIIP  siècle net.  5 

J.-B.,WECKERL1N.  Pastourelles  du  XVIIIe  siècle net.  5 

A.  PÉRILHOU.  Chants  de  France,  vieilles  chansons net.  5 

G.  FABRE.  Chansons  de  Maeterlinck  (10  nos) net.  5 


JOSEPH    GTJNG'L.  —  Célèbres 

OLIVIER    MÉTRA.      —    Célèbres    danses    on    3    vol.    in-S°,    eba 

STRAUSS  DE  PARIS,  célèbre  répertoire  des  Bals  de  l'Opéra,  2  volumes  brochés 


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volumes    in-8*.     Ch.   volume  broché. 


10  fr.;  richement  relié  :    15  fr. 
net    ÎO    francs.    —    OLIVIER    MÉTRA 
Chaque,  prix  net  :  8  fr.  (Chaque  volume  contient  25 


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GEORGES     BIZET 


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50  transcriptions  en  2  vol.  gd  in-4"  50  transcriptions  en  2  vol.  gJ  in-4*  50  transcriptions  en  2  vol.  gd  in-i° 

Chaque  vol.  broché,  net  :  15  francs.  —  Relié  :  20  francs.  ^  Chaque  vol.  broché,  net  :  15  francs.  —  Relié  :  20  francs.  ^  Chaque  vol.  broché,  net  :  15  francs.—  Relié:  20  francs. 


NOUVELLES     PARTITIONS     POUR     PIANO 


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Œuvres  choisies,  en  5  volumes  \n-&* 
Broché,  net  :  15  fr.  Relié  :  35  fr. 
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Broché,  net  :  6  fr.  Relié  :  14  fr. 
édition,  reliée  en  1  volume,  net  :  10  francs 


/g      IglWèi; 

BEETHOVEN 

Œuvres  choisies,    en  4  volumes 

Broché,  net  :  12  fr.  Relié  :  28  I 

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Œuvres   choisies,  en  4  volumes   in-8" 

Broché,  net  :  12  fr.  Relié  :  28  fr. 

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HAYDN 


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Broché,  net  :  6  fr.  Relié  :  14  fr. 

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HUMMEL 

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Broché,  net  :  6  fr.  Relié  :  14  fr. 

Même  édition,  reliée  en  1  volume,  net  :    10  franc  s. 


GRAND    CHOIX    DE    PARTITIONS    RICHEMENT    RELIÉES 

ARIANE,  THÉRÈSE,  CHÉRUBIN,  LES  PÉCHEURS  DE  SAINT-JEAN,  LE  JONGLEUR  DE  NOTRE-DAME,  XAVIÈRE,  LE  BONHOMME  JADIS, 
LA  CHAUVE-SOURIS  (Johann  Strauss),  GRISELID1S,  CENDRILLON,  LOUISE,  LA  CARMÉLITE,  ORPHÉE  AUX  ENFERS,  PRINCESSE 
D'AUBERGE,  LA  FIANCÉE  DE  LA  MER,  PHÈDRE,  LA  TERRE  PROMISE,  MIGNON,  HAMLET,  LAKMÊ,  MANON,  WERTHER,  SAPHO,  PAUL 
ET  VIRGINIE,  SIGURD,  LE  ROI  D'YS,  THAÏS,  LA  NAVARRAISE,  FIDELIO,  LA  FLUTE  ENCHANTÉE,  DON  JUAN,  HÉRODIADE,  FAUST, 
CARMEN,  LES  HUGUENOTS,  LE  CID,  LE  ROI  LA  DIT,  SYLVIA,  COPPELIA,  LA  KORRIGANE,  MILENKA,  YEDDA,  CONTE  D'AVRIL, 
CAVALLERIA  RUSTICANA,  ESCLARMONDE,  MARIF-MAGDELEINE,  LE  ROI  DE  LAHORE,  LE  CAID,  LA  STATUE  DU  COMMANDEUR,  etc. 


A 


nil.,„.,^T0N  PUBL'C  LIBRARV 

■Miinuii 

3  9999  06607  928  4 


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