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University of Toronto
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LE
MENESTREL
JOURNAL
MONDE MUSICAL
MUSIQUE ET THÉATEES
74e ANNEE — 1908
BUBEA.UX DU MÉNESTREL : 2 bis, RUE VIVIENNE, PARIS
HEUGEL et Cia, Éditeurs
TABLE
DU
JOÏÏENAL LE MÉJSTESTBEL
74e ANHÉE — 1908
TEXTE ET MUSIQUE
X" 1. — k janvier 1908. — Pages 1 à 8.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (2e article), Julien Tier-
sot. — II. Semaine théâtrale : première représentation
de la Belle au Bois dormant, au Théâtre-Sarah-Bernhardt,
reprise de la Veine, au Vaudeville, Paul-Emile Che-
valier. — III. Bilan musical de 1907, Arthur Pougin.
— IV. Revue des grands concerts. — V. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — Théodore Dubois.
Menuet.
X" 2. — 11 janvier 1908. — Pages 9 à 16.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (3° article), Julien Tier-
SOt. — II. Bulletin théâtral : reprise de Coralie et Cie,
au Nouveau-Théâtre, Amédée Boutarel. — 111. Petites
Notes sans portée : L'auteur reflété dans son œuvre,
Raymond Bouyer. — IV. Regards en arrière (2e article) :
Un joli Noël, Léopold Dauphin. — V. Revue des grands
concerts. — VI. Nouvelles diverses, concerts et nécro-
loe
Chant. — «Faques-Dalcroze.
Adieu la rose (Idylles et Chansons, n° o).
X" 3. — 18 janvier 1908. — Pages 17 à 24.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (4° article), Julien Tier-
SOT. — II. Semaine théâtrale : première représentation
de Ce veinard de Bridache, au Théâtre-Cluny, Amédée
Boutarel. — III. Une collahoration manquée : Sporschil
et Beethoven, Amédée Boutarel. — IV. Revue des grands
concerts. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — I. Philïpp.
Bonde des Korrigans (Féerie, n° 5).
Hj» 4. _ 25 janvier 1908. — Pages 25 à 32.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (5e article), Julien Tier-
SOT. — II. Semaine théâtrale : première représentation
des Deux Hommes, à la Comédie-Française, Amédée Bou-
tarel. — III. Petites notes sans portée : Un document
inaperçu sur l'orchestration des maîtres, Raymond
Bouyer. — IV. Revue des grands concerts. — V. Nou-
velles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — Théodore-' pïifjaîs. ; *,,' \ '
Le Pêcheur de Syracuse (Odelàltv's afttiqtees'naC5)': **'
X° 5. — 1" février 1908. — Pages 33 & &.; ;
I. Soixante ans de la vie de Gluck (6e article), Julien Tier-
sot. — II. Semaine théâtrale: Kéou/.'erÉii'rt" \\y fV^èça,' '
A. Pougin; premières représent;'.Uo'ns <i'i'-ti ■ ■D>i'i>rf.e. ,.ju
Vaudeville, et de Tour tel in s' a m lise; aux Tolies-Drama-
tiques, Amédée Boutarel. — III. Correspondance de Bel-
gique : première représentation de Baldie, à l'Opéra
flamand d'Anvers, Lucien Sûlvay. — IV. Revue des
grands concerts. — V. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
Piano. — Paul Vidal.
Danse des crotales Zino-Zina).
M0 6. — 8 février 1908. — Pages 41 à 48.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (7e article), Julien Tier-
sot. — II. Semaine théâtrale : premières représentations
du Boule-en-Train, à l'Athénée, et du Bonheur de Jacque-
line, au Gymnase, Amédée Boutarel. — III. Revue des
grands concerts. — IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
Chant. — Jaques-B-alcroze.
Au bois de l'amour (Idylles et Chansons, n° 3).
X° 7. ~ 15 février 1908. — Pages 49 à 56.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (8e article), Julien Tier-
sot. — II. Petites notes sans portée : Questions embar-
rassantes sur l'évolution de l'orchestre, Raymond Bouyer.
— III. Revue des grands concerts. — IV. Nouvelles
diverses.
Piano. — «I. Massenet.
Panaderos (Espada).
X" 8. — 22 février 1908. — Pages 57 à 64.
I. Soixante ans de la vie de Gluck [9« article), Julien Tier-
sot. — II. Semaine théâtrale : première représentation
d'Espada et reprise de T/jcrese au Théâtre de Monte-Carlo,
Paul-Emile Chevaliek; première représentation des Tri-
bulations d'un Gendre au Théâtre-Cluny, Amédée Bouta-
rel. — III. Revue des grands concerts. — IV. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — Jean Déré.
Langage d'amour.
j\° 9.-29 février 1908. — Pages 65 à 72.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (10e article), Julien
Tiersot. — IL Semaine théâtrale : première représen-
tation de Ghyslaine et de la Habanera à l'Opéra-Corni-
que, Amédée Boutarel; reprise de Geneviève de Brabant,
aux Variétés, Paul-Emile Chevalier. — III. Revue des
grands concerts. — IV. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
Piano. — «V. Massenet.
Toréador et Andalouse (Espada).
X° 10. — 7 mars 1908. — Pages 73 à 80.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (11e article), 'Julien
Tiersot. — II. Petites notes sans portée : Autres pro-
blèmes soulevés par l'évolution de l'orchestre, Raymond
Bouyer. — III. Revue des grands concerts. — IV. Nou-
velles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — René Lenormand.
La Grâce suprême.
IV 11.
■ 14 mars 1908.
, 81 ai
I. Soixante ans de la vie de Gluck (12e article), Julien
Tiersot. — II. Antoine Stradivarius, à propos d'un livre
récent, Arthur Pougin. — III. Revue des grands con-
certs. — IV. Nouvelles diverses et concerts.
Piano. — Paul Vidal.
Gavotte (Zino-Zina).
X° 12. — 21 mars 1908. — Pages 89 à 96.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (13e article), Julien
Tiersot. — II. Semains théâtrale : première représen-
tation d'Occupe-toi d'Amélie! aux Nouveautés, Paul-
Emile Chevalier. — III. Petites notes sans portée :
Orchestre et littérature, Raymond Bouyer. — IV. Revue
des grands concerts. — V. Nouvelles diverses, concerts
et nécrologie.
Chant. — Jaques-Dalerozc.
Rose du bois joli (Les Jumeaux de Bergame).
' \ >IV":li3?.'i- 28 mars 1908. — Pages 97 à 104.
1'. 'Soixante' ans' de la vie de Gluck (14e article), Julien
, XlERSOT. — IL Semaine théâtrale : première représenta-
; {tion de la Poudre aux Moineaux, au Palais-Royal, et
'"reprise de. Madame Flirt, au Gymnase, Paul-Emile
Cheva-isœr - --*- III. Petites notes sans portée : Orchestre
•' 'et*. littérature: échange de bons procédés, Raymond
'■.•Bouyer'. ^- "«TV. Revue des grands concerts. — V. Nou-
velles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — Paul Vidal.
Menuet (Zino-Zina).
X° 14. — 4 avril 1908. — Pages 105 à 112
1. Soixante ans de la vie de Gluck (15e article1), Julien
Tiersot. — IL Semaine théâtrale : reprise de Namouna,
à l'Opéra, A. Boutarel. — III. Revue des grands con-
certs. — IV. Nouvelles diverses et concerts.
Chant. — «Jaqucs-Dalcroze.
Couplets de V aiguille (Les Jumeaux de Bergame).
X' 15. — II avril 1908. — Pages 113 à 120.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (16* article), Julien
Tiersot. — IL Semaine théâtrale : première représen-
tation de Qui qu'a vu Ninelte, au Théâtre Cluny, A. Bou-
tarel. — III. Petites notes sans portée : L'appréhension
de la décadence ou la superstition du progrès, Raymond
Bouyer. — IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrolo-
gie.
Piano. — Rodolphe Berger.
Entr' acte-gavotte (Le Chevalier d'Éon).
X' 16. — 18 avril 1908. — Pages 121 à 128.
I. Soixante ans de la vie de Gluck il7e article), Julien
Tiersot. — II. Semaine théâtrale : premières représen-
tations de Simone, à la Comédie-Française, et du Che-
valier d'Eon, à la Porte-Saint-Martin, Paul-Emile Che-
valiek; première représentation de la Courtisane de
Corinthe. au Théâlre-Sarah-fiernhardt. Amédée Bouta-
rel. — III. La Musique et le Théâtre aux Salons du
Grand-Palais il" article), Camille Le Senne. — IV. Nou-
velles diverses, concerts »-t nécrologie.
Chant. — Rodolphe Berger.
La lettre de Bosila (Le Chevalier d'Éon).
X' 17. — 25 avril 1908. — Pages 129 à 136.
1. Soixante ans de la vie de Gluck (18e article), Julien
Tiersot. — II. Semaine théâtrale : première représen-
tation du Coup de Foudre, aux Folies-Dramatiques,
Amédée Boutarel. — III. La Musique et le Théâtre aux
Salons du Grand-Palais (2e article), Camille Le Senne.
— IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — Rodolphe Berger.
Mazurka, air de ballet (Le Chevalier d'Éon).
X" 18. — 2 mai 1908. — Pages 137 à 144.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (19e article), Julien
Tiersot. — IL Semaine théâtrale: premières représen-
tations de l'Incendiaire et du Scandale de Monte-Carlo, au
Gymnase, du Boi aux Variétés, Paul-Emile Chevalier.
— III. La Musique et le Théâtre aux Salons du Grand-
Palais (38 article), Camille Le Senne. — IV. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — Rodolphe Berger.
Rêverie de la Dubarry (Le Chevalier d'Éon).
Xe 19. — 9 mai 1908. — Pages 145 à 152.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (20e article), Julien
Tiersot. — IL Bulletin théâtral : première représenta-
tion de Madame Gribouille, au Palais-Royal, P.-E. C.
— III. La Musique et le Théâtre aux Salons du Grand-
Palais (4e article), Camille Le Senne. — IV. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — Rodolphe Berger.
Roses de France, air de ballet (Le Chevalier d'Éon).
X" 20. — 16 mai 1908. — Pages 153 à 160.
I. Hippolyle et Aride à l'Opéra, Arthur Pougin. —
IL Semaine, théâtrale : premières représentations de
Mariage d'Etoile, au Vaudeville; de la Conquête des
fleurs, à l'Athénée; & Autour de la lampe et de V Invita-
tion à Vamour, aux Escholiers, Paul-Emile Chevalier.
— III. La Musique et le Théâtre aux Salons du Grand-
Palais (5e article), Camille Le Senne. -- IV. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — Rodolphe Berger.
Petits oiseaux (Le Chevalier d'Eon).
V-
1. — 23 mai 1908. — Pages 161 à 16S.
I. Semaine théâtrale : premières représentations de Boris
Godounow, à l'Opéra, et du Clown, à POpéra-Comique,
Arthur Pougin ; reprise de Jeunesse, au Gymnase, P.-E. C.
— IL La Musique de Gluck, correspondance, Camille
Saint -Saens. — III. La Musique et le Théâtre aux Salons
du Grand-Palais (6e article), Camille Le Senne. — IV.
Nouvelles diverses et concerts.
Piano. — A. Périlhou.
Gavotte, de Haendel.
X" 22. — 30 mai 1908. — Pages 169 à 176.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (21e article), Julien
Tiersot. — IL Semaine théâtrale : première représen-
tation de Snegourotchka, à l'Opéra-Comique, Arthur
Pougin. — III. La Musique et le Théâtre aux Salons du
Grand-Palais (7e article), Camille Le Senne. — IV. Nou-
velles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — Raoul Pugno,
Étoile filante (Les Cloches du souvenir, n° %).
X" 23. — 6 juin 1908. — Pages 177 à 184.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (22B article), Julien
Tiersot. — IL Bulletin théâtral : première représentation
du Chant du Cygne, à l'Athénée, Paul-Emile Chevalier.
— III. La Musique et le Théâtre aux Salons du Grand-
Palais (8° article), Camille Le Senne. - IV. Nouvelles
diverses et concerts.
Piano. - Y.-K. Nazare-Aga.
Les Yeux clos, valse lente.
X* 24. — 13 juin 1908. — Pages 185 à 192.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (23e article), Julien
Tiersot.— IL Semaine théâtrale : reprise d'Amoureuse à
la Comédie- Française. A. Boutarel. — III. La Musique
et le Théâtre aux Salons du Grand-Palais (9° article),
Camille Le Senne. — IV. Deux nouvelles sonates de
Ch-.-M. Widor. — V. Nouvelles diverses, concerts et né-
crologie.
Chant. — Ernest Moret.
Je ne sais pas où va la feuille morte.
Ni- 25. — 20 juin 1908. — Pages 193 à 200.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (24- article), Julien
Tiersot. — II. La Musique et le Théâtre aux Salons du
Grand-Palais (10' et dernier article), Camille Le Senne.
— III. Une lettre inédite de Russini, Julien Tiersot. —
IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — Théodore Dubois.
Adagio.
NI" 26. — 27 juin 1908. — Pages 201 à 208.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (25" article), Julien
Tiersot. — II. Une famille de grands luthiers italiens :
Les Guarnerius (1er article), Arthur Pougin. — III. Quel-
ques souvenirs sur le grand violoniste Kode, Arthur
Pougin. — IV. Nouvelles diverses, concerts et nécro-
logie.
Chant. — René Lenormaod.
Ni- 27. — 4 juillet 19
Piu-'i-s 209 k 210.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (26' article), Julien
Tiersot. — II. Une famille de grands luthiers italiens :
Les Guarnerius (2' article), Arthur Pougin.— III. Com-
ment je devins bibliothécaire du Conservatoire, J.-B.
"Wecserlin, avec une préface de Chaules .Malherbe. —
IV. Nouvelles diverses et concerts.
Piano. — Marquise de A'egrone.
Tristesse et Sauterelles.
Ni' 28. — 11 juillet 1908. — Pages 217 à 224.
I. Les concours du Conservatoire, Arthur Pougin. —
II. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — Marquise de A'egrone.
Aubade.
NI' 2i».
18 juillet 1908. — Pages 225 k 232.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (27' article), Julien
Tiersot. — II. Les concours du Conservatoire (fin), Arthur
Pougin. — III. Nouvelles diverses, concerts et nécro-
logie.
Piano. — Frédéric Biuet.
Sur les coteaux.
Ni" 30. — 25 juillet 1908. — Pages 233 à 240.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (28" article), Julien
Tiersot. — II. La distribution des prix au Conserva-
toire, Arthur Pougin. — III. Une famille de grands
luthiers italiens : Les Guarnerius (3e article), Arthur
Pougin. — IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — Edouard Toumon.
K' 31. — 1" août 1908. — Pages 241 k 248.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (29' article), Julien
Tiersot. — II. Petites notes sans portée : Nos impres-
sions de saison sur la musique plus ou moins « vocale a,
Raymond Bouyer. — III. Une famille de grands luthiers
italiens : Les Guarnerius (4* article), Arthur Pougin.
— IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — Robert Vollstcdt.
Marche des petits magots.
NI' 32.
8 août 1908. — Pages 249 k 25'
I. Soixante ans de la vie de Gluck 1 30" article). Julien Tiersot.
— II. Molière à Pézénas, Arthur Pougin. — III. Une
famille de grands luthiers italiens : Les Guarnerius
(5" article), Arthur Pougin. — IV. Nouvelles diverses et
nécrologie.
Chant. — Ernest Moret.
Ole ton voile.
Ni- 33. — 15 août 1908. — Pages 257 à 264.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (31- article), Julien
Tiersot. — II. Petites notes sans portée : Nos impres-
sions d'actualité sur les musiques militaires, Raymond
Bouyer. — III. Une famille de grands luthiers italiens :
Les Guarnerius (6' article). Arthur Pougin. — IV. Nou-
velles diverses et nécrologie.
Piano. — Rodolphe Berger.
Par les prés fleuris.
A- 34. — 22 août 1908. — Pages 265 k 272.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (32e article), Julien
Tiersot. — II. Bulletin théâtral : première représenta-
tion de l'Homme de la Montagne, â Cluny, P.-É. C. —
III. Don Juan de Mozart et E.-T.-A. Hoffmann, Amédée
Boutarel. — IV. Une famille de grands luthiers italiens -
Les Guarnerius (7- article!, Arthur Pougin. — V. Nou-
velles diverses et nécrologie.
Chant. — René Lenormand.
Aube en montagne.
Ni' 35. — 29 août 1908. — Pages 273 à 280.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (33° article), Julien
Tiersot. — II. Petites notes sans portée : La musique
de la lumière, Raymond Bouyer. — 111. Une famille de
grands luthiers italiens : Les Guarnerius (8e article),
AnTHUR Pougin. — IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
Piano. — Eniil Frey.
Romance.
Ni" 36. — 5 septembre 1908. — Pages 281 k 288.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (34" article), Julien
Tiersot. — II. Une famille de grands luthiers italiens :
Les Guarnerius (9' article), Arthur Pougin. — III. Lit-
térature musicale, Arthur Pougin. — IV. Nouvelles
diverses et nécrologie.
Chant. — lf.-K. A'azare-Aga.
Madrigal archaïque*
A'° 37. — 12 septembre 1908. — Pages 289 à 296.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (35' article), Julien
Tiersot. — II. Petites notes sans portée : La musique de
la lumière (suite et fin), Raymono Bouyer. — III. Litté-
rature musicale (2' et dernier article), Arthur Pougin. —
IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
Piano. — Y.-K. Niazare-Aga.
Charnu* d'automne, valse lente.
A'° 38. — 19 septembre 1908. — Pages 297 k 304.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (36" article), Julien
Tiersot. — II. Semaine théâtrale : reprise de Paul et
Virginie, au Théâtre-Lyrique de la Gaité, Arthur Pougin ;
première représenta lion de Mam'zelle Trompette, aux
Folies-Dramatiques, A. Boutarel. — III. Une famille de
grands luthiers italiens: Les Guarnerius (9" article),
Arthur Pougin. — IV. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
Chant. — Raoul Pugno.
Feuilles mortes.
Ni- 39. — 26 septembre 1908. — Pages 305 à 312.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (3T article), Julien
Tiersot. — II. Sarasate, Arthur Pougin. — III. Petites
notes sans portée : Encore un signe des temps, Raymond
Bouyer. — IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
Piano. — Robert Yollstedt.
Roses de France, gavotte.
A" 40. — 3 octobre 1908. — Pages 313 à 320.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (38° article), Julien
Tiersot. — Semaine théâtrale : première représentation
de L'Or, au Théâtre-Saralt-Bernhardt, AnTHUR Pougin;
première représentation de Madame Bluff, aux Bouffes-
Parisiens. Amédée Boutarel. — III. Une famille de grands
luthiers italiens : Les Guarnerius (10' article), Arthur
Pougin. — IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
Chant. — Gabriel Fabre.
Suages dans l'eau (Poèmes de Jade(.
A' 41.
lu octobre 1908. — Pages 321 k 328.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (39' article), Julien
Tieusot. — II. Semaine théâtrale : reprise de Jean de
Nivelle au Théâtre-Lyrique-Municipal, Arthur Pougin;
premières représentations du Bon roi Bagobert à la
Comédie-Française, de la Maison en ordre au Vaudeville,
de Mossieu le Maire au Théàtre-Déjazet et de la Revue de
Cluny, Paul-Emile Chevalier; première représentation
du Petit Fouchard au Gymnase, Am. Boutarel.— III. Nou-
velles diverses et nécrologie.
Piano. — Rodolphe Berger.
La Friponne, polka-mazurka.
Ni' 42. — 17 octobre 1908. — Pages 329 à 336.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (40' article), Julien
Tiersot. — II. Une famille de grands luthiers italiens :
Les Guarnerius ill" articles Arthur Pougin. — III. Nou-
velles diverses et nécrologie.
Chant. — Ernest Moret.
Chanson au bord de l'eau.
A* 43. — 24 octobre :
— Pages 337 k 344.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (41' article), Julien
Tiersot. — II. Après la répétition générale du Cnpusailc
des Dieux, Arthur Pougin. — III. Une famille de grands
luthiers italiens: Les Guarnerius (12- article), Arthur
Pougin. — IV. Revue des grands concerts. — V. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — Albert La
Valse de ballet.
ulr
Ni- 44. — 31 octobre 1908. — Pages 345 à 352.
I. Soixante ans de la vie de Gluck 'if article'. Julien
Tiebsot. — II. Semaine théâtrale : première représenta-
tion du Crépuscule des Dieux à l'Opéra, Arthur Pougin;
premières représentations de l'Heure de ta Bergère, au
Palais-Royal, et d'Arsène Lupin, à l'Athénée, Paul-Emile
Chevalier. — III. Revue des grands concerts. — IV. Nou-
velles diverses, concerts et nécrologie.
Chant. — •!. Jlassenet.
Ni" 45.-7
abre 1908. — Pages 353 à 360,
I. Soixante ans de la vie de Gluck 43" article , Julien
Tiebsot. — II. Semaine théâtrale : première représen-
tation du Passe-Parloul au Gymnase, Paul-Emile Che-
valier. — III. Une Famille de grands luthiers italiens :
Les Guarnerius (13* et dernier article . AnTHUR PoOGuT,
— IV. Revue des grands concerts. — V. Nouvelles
diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — P. Bades.
b'un pus léger, petite marche.
A- 46. — 14 novembre 190*. — Pages 361 à 368.
I. Soixante ans de la vie de Gluck '44' article;, li lien
Tiersot. — II. Semaine théâtrale : première représenta-
tion de ta Bohème, au Théâtre-Lyriquede la Galle, Arthur
Pougin; premières représentations de la Patronne, au
Vaudeville, et de S. A. A., aux Bouffes-Parisiens, Paul-
Emile Chevalier; première représentation de Plumard et
Barnabe, au théâtre Cluny, A. Boutaiiel. — II. Petites
notes sans portée : L'art musical au Salon d'automne,
Raymond Bouver. — III. Revue des grands concerts. —
IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
Chant. — Gabriel Uupont.
Caresses.
A'4Î.
21 novembre 1908. — Pages 369 à 376.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (45* article), Julien
Tiersot. — II. Semaine théâtrale : première représenta-
tion de Dix minutes d'auto! aux Nouveautés, et de
l'Enfant de mu sœur au Théàtre-Déjazet, Paul-Emile
Chevalier. — III. Deux lettres inédites de Rameau,
Arthur Pougin. — IV. Revue des grands concerts. —
V. Nouvelles diverses et nécrologie.
Piano. — A. Périlhou.
Bourrée et Musette, sur des thèmes populaires.
A" 48. — 28 novembre 1908. — Pages 377 à 384.
1. Soixante ans de la vie de Gluck (46" article), Julien
Tiersot. — II. Semaine théâtrale: première représenta-
tion des Révoltés, au Théàtre-Sarah-Bernhardt, A. Bouta-
rel. — III. Petites notes sans portée : l'Histoire de la
musique et l'avènement tardif de l'érudition musicale,
Raymond Bouyer. — IV. Revue des grands concerts. —
V. Nouvelles diverses et nécrologie.
Chant. — Rejnaldo Uahn.
Dans l'été.
A" 49.
5 décembre 1908. — Pages 385 à 392.
I. Soixante ans de la vie de Gluck (47" article). Julien
Tiersot. — II. Semaine théâtrale : .reprise du Petit
Faust aux Folies-Dramatiques, Paul-Emile Chevalier.
— III. Petites notes sans portée : De l'interprétation nou-
velle des vieux maîtres, Raymond Bouyer. — IV. Revue
des grands concerts. — V. Nouvelles diverses.
PlA
• Gabriel Fauré.
'jième nocturne.
A'" 50. — 12 décembre 1908. — Pages 393 à 400.
I Soixante ans de la vie de Gluck (48' article', Julien
Tieusot — II. Semaine théâtrale : première représenta-
tion de Sanga, à l'Opéra-Comique, Artiiir Pougin;
première représentation du Foyer, à la Comédie-Fran-
çaise, A. Boutarel. — III. Revue des grands concerts.
— IV. Nouvelles diverses.
Chant. — «I. Massenet.
Le Noël des humbles.
K- si. — 19 décembre 190S. — Pages 401 à 408.
1. Soixante ans de la vie de Gluck (49- article, Julien
Tiersot. — Peliles notes sans portée : La vogue de Bach
depuis la découverte de sa puissance expressive. Raymond
Bouyer. — III. Revue des grands concerts. — I\ . Nou-
velles diverses, concerts et nécrologie.
Piano. — I. Philipp.
Deux figurines.
A» 52. — 26 décembre 1908. — Pages 409 k 416.
I Soixante ans de la vie de Gluck (50' article), Julien
Tiersot — II. Semaine théâtrale: première représenta-
tion du Lys au Vaudeville, Paul- mile Chevalier.
— III Un opéra de marionnettes en 1676 >l article .
Arthur Pougin. — IV. Revue des grands concerts.
— V. Nouvelles diverses et nécrologie.
Chant. — Gabriel Fauré.
Roses ardentes La Chanson d'Eve .
Soixante-quinzième année de publication
PRIMES 1909 du MÉNESTREL
JOURNAL DE MUSIQUE FONDÉ LE 1er DÉCEMBRE 1833
Paraissant tous les samedis en huit pages de texte, donnant les comptes rendus et nouvelles des Théâtres et Concerts, des Notices biographiques et Études
sur les grands compositeurs et leurs œuvres, des articles d'esthétique et ethnographie musicales, des correspondances étrangères.
des chroniques et articles de fantaisie, etc.,
publiant en dehors du texte, chaque samedi, un morceau de choix (inédit) pour le CHAIVT ou pour le PIAN© et offrant à ses abonnés,
chaque année, de beaux recueils-primes CHAVF et PIAXO.
C H -A_ -IN T (1er MODE D'ABONNEMENT)
Tout abonné à la musique de Chant a droit GRATUITEMENT à l'une des primes suivantes :
E. JAQUES-DALCROZE
JUMEAUX DE BERGAME
Deux actes de Maurice Lena
(D'après Florian)
Partition chant et piano
Tout abonné à la
J. MASSENET
ESPADA
Ballet-pantomime
de René Maugars
Partition pour piano seul
THEODORE DUBOIS
ODELETTES ANTIQUES
JAQUES-DALCROZE
Idylles et Chansons
Deux recueils format in— i°
RAODL PUGNO
CLOCHES DU SOUVENIR
GEORGES HUE
Liieds dans la pofèt
Deux recueils format in-i°
RODOLPHE BERGER
LE CHEVALIER D'ÉON
Opéra-comique en 4 actes
d'ÂRMAND SlLVESTRE et HENRI GAIN
Partition chant et piano
JT X .A. JM O (2" MODE D'ABONNEMENT)
musique de Piano a droit GRATUITEMENT à l'une des primes suivantes :
J. SEBASTIEN BACH
DOUZE CHORALS
(Transcrits pour piano par I. Piiilipp)
RAOUL PUGNO
Paysages
Deux recueils in-4°
ERNEST MORET
JONCHÉE D'OCTOBRE
ERNEST MORET
Pages Blanehes
Deux recueils in-4°
PAUL VIDAL
ZINO-ZINA
Ballet-pantomime
de Jean Richepin
Partition pour piano seul
GRANDES F»T=tIJVtE^
, LES PRIMES DE PIANO ET DE CHANT RÉUNIES, POUR LES SEULS ADONNÉS A L ABONNEMENT
(3e Mode)
— GABRIEL PIERNÈ —
bfl CROISADE DES E^fA^TS
Légende musicale en quatre parties
1. Le Départ. = 2. La Grande Route. = 3. La Mer. = 4. Le Sauveur dans la tempête
Grande et belle partition in-4° avec couverture de Giraldon en chromo
LEO DELIEES
VICTOR MASSE
JEAN DE NIVELLE PAUL ET VIRGINIE
Opéra en trois actes
Partition chant et piano
Reprise «lu Théâtre-Lyrique de le
Opéra en trois actes
Partition chant et piano
Reprise <lu Théâtre-Lyrique de
NOTA IMPORTANT. — Ces primes sont déliTrées gratuitement dans nos bureaux, 3 bis, rue Viyienne, depuis le 10 décembre, à tout
ancien ou nouTel abonné, sur la présentation de la quittance d'abonnement au HÉXHHTREL pour l'année 1909. Joindre au prix d'abonnement
un supplément d'VX ou de DEUX francs pour l'enyoi franco dans les départements delà prime simple ou double. (Pour l'Etranger, l'émoi franco
des primes se règle selon les frais de Poste.)
Les abonnés an Clianl peuvent prendre la prime Piano et vice versa. - Ceux au Piano et au Chant réunis ont seuls droit à la grande Prime . - Les abonnés au texte seul n'ont droit à aucune prime .
CHANT CONDITIONS D'ABONNEMENT AU « MÉNESTREL * PIANO
1" Mode d'abonnement : Journal-Texte, tous les samedis ; 26 morceaux de chant : | 2" Mode d'abonnement : Journal-Texte, tous les samedis ; 26 morceaux de piano :
Fantaisies, Transcriptions, Danses, de quinzaine en quinzaine; 1 Recueil-
Prime. Paris et Province, un an : 20 francs; Étranger : Frais de poste en sus.
Scènes, Mélodies, Romances, paraissant de quinzaine en quinzaine; 1 Recueil-
Prime. Paris et Province, un an : 20 francs ; Étranger, Frais de poste en sus.
CHANT ET PIANO RÉUNIS
3" Mode d'abonnement, comprenant le Texte complet, 26 morceaux de enant, 26 morceaux de piano, les 2 Recueils-Primes ou une Grande Prime.
Un an : 30 francs, Paris et Province; Étranger : Poste en sus.
46 Mode d'abonnement. Texte seul, sans droit aux primes, un an : 10 francs.
On souscrit le 1" de chaque mois. — Les 52 numéros de chaque année forment collection.
Adresser franco un bon sur la poste à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne.
400C. - 74e ANNIE. - N° I. PARAIT TOUS LES SAMEDIS
Samedi \ Jauvier 1908.
(Les Bureaux, 2"'% rue Yiviemie, Paris, ii-arr')
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
lie Numéro : 0 fp. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
lie Numéro : 0 fr*. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bous-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 (r., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. — Pour l'Etranger, les frais de poste ea 6us.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (2" article», Julien Tieiisot. — II. Semaine théâtrale :
première représentation de la Belle au Bois dormant, au Théâtre-Saroh-Bernbardt;
reprise de la Veine, au Vaudeville, Paul-Emile Chevalier. — III. Cilan musical
de 1907, Arthur Poucin. — IV. Revue des grands concerts. — V. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
MENUET
de Théodore Dubois. — Suivra immédiatement : Ronde des Korrigans, n° o
de Féerie, petite suite pour piano de I. Philipp.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
Adieu la rose, n° 5 des Idylles et Chansons de Jaques-Dalcroze, sur des poésies
de Gabriel Vicaire. — Suivra immédiatement: te Pêcheur de Syracuse, n° 4
des Odelettes antiques, de Théodore Dubois, sur des poésies de Giiari.es Dubois.
PRIMES GRATUITES DU MÉNESTREL
pour l'année 1908
Voir à la 8e page du journal.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
ORIGINES ET NOM DE GLUCK
Puisque nous en sommes à cette question du nom, ouvrons,
pour n'y plus revenir, une parenthèse à l'effet de préciser
certaines notions qui lui sont relatives. Une autre corruption a
tenté de se produire, à une époque plus moderne, et en France:
elle a pour résultat de changer, par un menu détail, l'orthogra-
phe, et, conséquemment, la prononciation de ce nom, en ajoutant
sur l'u un tréma, qui, suivant les règles de l'écriture allemande,
ferait prononcer, à la française, « Gluck », au lieu de « Glouck »,
cette dernière étant la prononciation allemande, et la véritable.
Cette erreur s'est répandue à tel point que, tout récemment en-
core, nous avons lu le tréma surérogatoire, chaque jour pendant
près d'un mois, sur l'affiche des représentations d'Orphée au
Théâtre de la Gaité (1); en outre, le premier passant venu peut,
(1) Constatons au contraire avec satisfaction que les affiches de l'Opéra et de
l'Opéra-Comique ont, après quelques tâtonnements, définitivement accepté et tenu
pour définitive la véritable orthographe : •• Gluck », sans tréma.
en consultant la plaque indicatrice d'une des rues qui longent
la partie postérieure de l'Opéra, s'assurer que, voulant faire
honneur à un maitre classique en donnant à la dite rue son nom.
la ville de Paris a diminué la valeur de son hommage en lui
accordant la superfluité d'une faute d'orthographe ; ces plaques
portent pour inscription : « Rue Gluck ».
Il ne peut y avoir aucun doute quant à la réalité de cette faute.
Les documents sont unanimes. Biographies, pièces d'archives,
lettres autographes, titres de partitions françaises, allemandes,
italiennes, tous, même en variant sur les consonnes, s'accordent
à écrire l'u de « Gluck » sans tréma.
Bien mieux, d'anciens écrits français, interprétant l'orthographe
dunom d'aprèssa prononciation, substituaientla diphtongue «ou »
à la simple voyelle. Voici, par exemple, trois titres de mor-
ceaux gravés à Paris :
Les Dons de l'Amour, ariette, par M. le chevalier Glouk:
Duos à deux dessus avec symphonie, par M. le chevalier Glouk ;
Les Regrets, ariette à voix seule, par M. le chevalier Glouk.
Il nous est resté des polémiques gluckistes et piccinistes un
amusant pamphlet imprimé sous le titre de « Lettre du serpent
d'une paroisse de village à M. de la Harpe ». Mathurin — c'est
le serpent — écrit les mots comme il les entend, et voici son
style :
« Y avait dans notre journal tout plein de belles choses, car je
n'y comprenions goutte. Ça parlait contre M. Guelouque....J'étions
content parce quej'étions fâché contre ce biau M. Guelouque. à
cause que M. le curé m'avait prêté un air de son plus nouveau
opéra, et que ce diable d'air ne pouvait pas aller sur mon ser-
pent, etc. »
Enfin, il est un dicton allemand dont le sens est qu'il n'y a que
la différence d'un tréma qui empêche Gluck d'être le bonheur
et Hândel le commerce : or, « commerce » se dit Handel, el
« bonheur » Gliick.
Il y a donc accord unanime, et ceux qui ont le souci de la
correction devront prendre le parti de dénommer l'auteur d'Or-
phée, non pas Gliick, mais Gluck, et de prononcer Glouck.
Revenons aux ancêtres de notre musicien.
Nous ne connaissons encore que son arrière-grand-père,
Melchior Gluck, que nous avons vu marier, à Neustadt-sur-la-
Waldnab, au commencement de 1(349, avec Catherine Kreutzer.
Cette union produisit, à la fin de l'année même, un premier fils,
Johann Niklas. Un autre enfant vint après, Johann Adam, qui
nous intéresse davantage, puisque c'est lui qui continua la
lignée. Ce deuxième Gluck coopéra à la prospérité de la famille.
Il était Hofjager, ou Venator aulicus, au service du prince dt
Sagan, et se disait bourgeois de Neustadt : sa bourgeoisie consis-
tait en la possession d'une maison qui, après sa mort, fut
vendue pour la somme de 373 florins, à partager entre ses
LE MÉNESTREL
cinq enfants (il en avait eu neuf, de deux mariages) : richesses
modestes, et qui montrent ce qu'étaient les plus heureux de la
famille. Notons au passage que tous les fils de ce garde-chasse
avaient tenu à honneur, au point de vue professionnel, de
suivre ses traces : l'un, Alexander, était, à l'époque du partage,
garde- forestier du prince Kinsky, en Bohême; le second,
Léopold, garde-forestier en Hongrie ; GeorgesJChristophe, veneur
du prince de Raudnitz; un gendre, même, était à la fois maître-
tailleur et chasseur à Raudnitz; un dernier, Jean-Christophe,
était encore 'enfant (1).
Le premier de cette génération, Alexandre, né vers 1(680,
avait d'abord imité l'exemple de son aïeul, le premier Gluck :
il s'enrôla pour faire la guerre, et porta l'arquebuse au service
du prince Eugène de Savoie ; sans doute, en cette qualité, pritril
part aux batailles contre les Français, à Hochstedt et à Mal-
plaquet. Puis, voulant aussi faire une fin, il se maria avec une
certaine Anna Walburga, dont nous ne connaissons même pas
le nom de famille, fut d'abord garde-forestier à Weidenwang,
qui est un bien pauvre village retiré dans les montagnes du
Haut-Palatinat; il y vit naitre ses deux premiers fils, en 1714
et 1716 (au total, il eut sept enfants); mais, d'humeur nomade,
il changea de résidence dès 1717. Il retourna dans les forêts de
la Bohême, vers lesquelles l'attiraient sans doute les souvenirs
de ses origines, fut d'abord garde - forestier au service du
comte de Kaunitz, à Neuschloss, dans le nord du pays;
nous le retrouvons, en 1722, maitre-forestier du comte de
Kinsky, à Kamnitz, — en 1724, en la même qualité chez le
prince de Lobkowitz, à Eisenberg; enfin, quand il mourut (en
1747, précise l'historien bohémien Dlabacz), il était à Reichstadt,
au service de la Grande-Duchesse de Toscane (2). On voit qu'il
aimait à courir le monde, et ne craignait pas de changer de
maitre.
Cet exemple sera, dans un autre milieu, fidèlement suivi par
son fils, — car Alexandre Gluck, l'ancien soldat d'aventures, le
pauvre forestier, est le père de Christophe Willibald, son
premier né, et notre héros.
Weidenwang ! Humble retraite, étonnée du caprice de la
destinée qui y a fait venir au monde un si grand homme ! Gluck
y naquit le 2 juillet 1714 et y fut baptisé le 4. Ces deux dates
sont les seules traces de son passage qu'il y ait laissées ; elles
ont suffi pour faire connaître, dans toutes les parties de l'univers
où il y a des gens pour lesquels ce qui touche au génie n'est
pas indifférent, le nom d'une localité qui, sans cela, fût resté
ignorée de tous à la distance de quelques lieues (3).
La partie du Haut-Palatinat où est situé ce très petit village,
aujourd'hui peuplé de cent quatre-vingts habitants seulement,
est assez éloignée de celle où nous avions vu s'établir en pre-
il) Sur tous ces détails, voy. Schmid : Oh.- W. Von Gluck, pp. 9 et suiv., et Supplé-
ment, pp. 464 etsuiv.
(2) A. êcHMip, loc. cit. p. 11.
(3) Le registre des baptêmes de Weidenwang a conservé les inscriptions relatives
à la naissance des deux lils aînés d'Alexandre Gluck. D'après l'extrait communiqué
à Ant. Schmid pour son livre sur Gluck (voy. Suppl. p. 461), la première porte les
noms suivants : « Baplizans, Simon Pabst (4 Juli 1714) ; Baptizalus. Clirislophorus
Willibaldus; Parentes, Alexander Gluck, uxor Walburga, renat.; Levantes Uhris-
tophe Fleischmann, hospes in Weidenwang. » On remarquera sur ce document, tel
du moins que nous le trouvons reproduit, une particulaiité qui mérite d'être relevée,
et serait de nature à nous troubler un peu si nous ne trouvions àla corriger immé-
diatement : seul et unique entre tous ceux que nous oflïent le XVII1 et le XVIII'
siècle, l'acte de baptême de l'auteur û'Alceste orthographierait son nom de famille :
Gluck. Des discussions s'en sont déjà suivies, non pour prétendre que tel serait son
vrai nom, ce que personne en Allemagne n'a jamais admis, mais pour soutenir que
l'enfant né à Weidenwang n'était pas l'illustre artiste, celui-ci étant Gluck, et non
Gluck. Mais les observations directes que Schmid a pu faire sur la pièce originale
lui ont permis le démontrer que l'extrait, malgré tous les cachets et signatures qui
ont servi a l'authentiquer administrativement en 1842 et 1844, ne reproduit pas
exactement l'inscription véritable, et que, dans celle-ci, l'u est surmonté non de
deux points, mais d'uu seul signe ayant la forme d'un accent, tourné à la vérité en
sens inverse du signe qui doit surmonter l'u dans l'écriture cursive allemande, mais
pourtant plus ressemblantà ce signe qu'au tréma (voy. pp. 14 el SS6). Ces! donc bien
Gluck, non Gluck, que, sans prétendre à donner un modèle de belle écriture a voulu
tracer en 1714 le curé de Weidenwang. Ajoutons que, sur l'acte de baptême du
deuxième enfant, Antoine, le nom de famille fait complètement défaut. Toutes ces
menues particularités indiquent qu'on serait mal avisé de faire trop de cas d'écrits
provenant d'un pays. où il est permis de croire que l'-instruotion n'était pas supé-
rieure, ni le souci impérieux d'une correction absolue, et d'ailleurs où la famille de
Gluck ne fit que passer.
mier lieu la famille, et l'aspect en est tout différent. Si retiré-
qu'il soit, j'y voulus un jour, pendant un voyage en Allemagne,
me rendre en pèlerinage. Ne pénètre-t-on pas mieux le sens de
la vie des hommes quand on a appris à connaître au moins les
milieux où ils ont vécu ? L'aspect des lieux (surtout lorsqu'il
s'agit de la nature immuable) ne perait-il pas à lui seul nous
révéler quelque chose de ce qu'ils ont suggéré ?
Il faut, pour se rendre à Weidenwang en partant de Nurem-
berg, prendre le chemin de fer dans la direction de Ratisbonne,
puis s'arrêter à mi-claemin, à Neumarkt, et passer sur la ligne
d'intérêt local de Beilngries, enfin descendre à la station defier-
ching, où il y a encore une lieue et demie environ à faire à pied
pour monter au village.
Le trajet est facile, et la promenade non sans agrément. Le
pays, quoique d'un bel aspect, avec ses verdures sombres,
n'offre pas assez d'imprévu pour attirer les touristes : l'on
s'y trouve donc en pleine nature, en pleine vie populaire.
Après avoir suivi la base arrondie d'une colline, le chemin
va tout droit, montant en pente douce au milieu des prés,,
suivant le fond d'une vallée solitaire que bordent à pic des
coteaux parallèles. Sur le plus haut sommet, à droite, deux
vieilles chapelles, grises et massives, se dressent côte à côte, pitto-
resquement perchées. Sur les faites, la forêt s'étend à perte de
vue. Ce ne doit pas être une mince besogne que d'être garde-fores-
tier dans cette région, et le père de Gluck n'avait pas une sinécure !
Au reste, le paysage n'a rien des aspects romantiques du Harz ou de
la Suisse saxonne. Cependant, ces montagnes sont de celles qui
forment l'arête centrale de l'Europe, et je ne saurais dire si les-
ruisseaux qui prennent leur source là-haut envoient leurs eaux
à la mer Noire, par le Danube, ou à la mer du Nord par le
Rhin. Et cette observation topographique nous révèle une pre-
mière analogie entre la configuration du pays et la destinée du
génie de Gluck, source pure qui. des cimes vers lesquelles elle
a jailli, a déversé ses ondes fécondantes sur tous les pays de
l'Europe musicale : l'Allemagne, l'Italie, la France.
Weidenwang est au fond de la combe, à l'endroit où les
collines tendent à se rapprocher. Les stations d'un chemin de
croix, en nous rappelant que nous sommes ici en pays catholi-
que, nous annoncent la proximité d'un lieu habité : voici en
effet le village, avec ses maisons disséminées, entourées de ver-
gers, sa simple petite église, dont le clocher est surmonté d'une
calotte de fer-blanc au sommet de laquelle est planté un dra-
peau métallique, et le presbytère, seule maison d'apparence
bourgeoise, toute coquette au milieu de la verdure et des fleurs.
L'aspect de ce joli village de montagne donne l'impression d'une
confiance parfaite, d'une quiétude absolue.
A l'entrée, la piété des habitants, aidée sans doute par celle
de quelques autres admirateurs, a érigé à la mémoire de Gluck
un petit monument, simple, mais digne : un buste, une brève
inscription rappelant le nom, la date, le lieu.
A l'heure du jour où les paysans sont aux champs, la plupart
des maisons sont closes. J'en avise une, pourtant, par la porte
de laquelle brille le feu d'une forge, et, m'approchant, qu'aper-
çois-je à l'intérieur? Une femme, le marteau à la main, frappant
sur le fer ! Sont-ce donc les femmes qui, en ce rude pays, font
le métier de forgeron ?
Et quand, le soir venu, je reviens sur mes pas, le chemin
commence à s'animer par le passage des villageois revenant au
gîte, la journée finie. Ils s'avancent gravement, en silence. Les
femmes, grandes et fortes, ont le visage dur ; elles portent bra-
vement leurs fardeaux, leurs outils, serpes, faulx, comme les
hommes. Les enfants marchent pieds nus.A marencontre s'avance
un homme, portant sur l'épaule une houe : il a d'abondants
cheveux crépus, le visage glabre, marqué de petite vérole,
comme le célèbre buste de Houdon ; etquandnous échangeons le
salut d'usage, il me semble, quoique la flamme manque au regard,
que j'ai comme une vision rapide de Gluck même (I).
(1) Les lecteurs du ménestrel voudront bien excuser s'ils reconnaissent dans les
lignes précédentes quelques traits d'un article que j'ai publié ici même, il y a envi-
ron deux ans et demi : Au pays de Gluck ■; ces détails m'ont paru nécessaires à repro-
duire pour compléter le tableau d'ensemble.
LE MENESTREL
L'aspect de ce peuple n'a pas dû changer beaucoup depuis la
naissance de l'artiste. Mais d'ailleurs, lui-même a très peu participé
à la vie du pays. A peine ses regards ont-ils pu distinguer ces
chaumières aux charpentes massives et aux pignons rabattus en
auvent; tout au plus ses petits pieds ont-ils fait leurs premiers pas
sur ce chemin au bord duquel se dresse aujourd'hui le monu-
ment à sa gloire. Il n'avait que trois ans, en effet, quand son
père l'emmena de Weidenwang ; et il oublia ou dédaigna si bien
son pays natal que, lorsqu'il se maria, il désigna pour tel la
ville voisine, Neumarkt (1).
(A suivre.) Julien Tfersot.
SEMAINE THÉÂTRALE
Tiiéatoe-Sarah-Berniiaudt. — La Belle au Bois dormant, féerie lyrique en un
prologue, deux parties et quatorze tableaux, de MM. Jean Richepin et Henri
Cain, musique de M. Francis Thomé. — Vaudeville. La Veine, comédie en
quatre actes, de M. Alfred Capus.
Des vers, rien que des vers, et l'on ne saurait vraiment s'en plaindre,
cette ibis, car ils sont tour à tour exquis, juvéniles, sonores, pimpants,
classiques, inattendus, suivant qu'ils expriment les premières ardeurs
du Prince Charmant, les innocences ou l'éveil de la petite princesse, ou
les maternelles anxiétés de la bonne madame Landry. Ils habillent, ces
vers de vrai poète, le vieux conte du vieux Perrault, la Belle au Bnis
dormant, d'un vêtement mille fois plus riche et plus brillant encore que
tous les costumes et tous les décors imaginés par les peintres et les dessi-
nateurs, et ils ont comme très aimables adjuvants une musique douce,
limpide, facile et convenablement discrète de M. Francis Thomé, et l'i-
dée philosophique toute consolante, dont se sont agréablement servis
MM. Jean Richepin et Henri Cain, que l'amour est plus fort que la
mort.
Ils ont eacore et surtout comme idéale interprète Mme Sarah Ber-
nhardt, Prince Charmant d'étonnante souplesse et de diction nette, pré-
cise et captivante. Et à côté de la célèbre artiste, on a eu plaisir à
applaudir au talent très frais, à la nature joliment adroite, neuve et
sincère, d'une toute jeune débutante, Mlle Andrée Pascal, età la douceur
automnale de Mme Judic, toute d'excellente bonté.
Reprises sur reprises en cette fin d'année 1907 ; le Vaudeville lui.
même se met de la partie en empruntant à sa voisine, les Variétés, la
Veine de M. Alfred Capus, qui émigré rue de la Chaussée-d'Antin avec
sa principale interprète et créatrice, Mlle Jeanne Granier. On ne vous
redira pas les heureuses qualités et de la comédienne et de la pièce, le
succès est, trop récent encore pour que l'on ait eu le temps d'oublier. L'on
se contentera de noter l'espèce de sérieux nullement malséant qu'ont
■pris les quatre actes de M. Capus au cours de ce petit voyage ; et lors-
■qu'on vous rappellera que, chez M. Samuel, les interprètes principaux
s'appelaient Mlle Lavallière, MM. Guitry et Brasseur et que, chez
M. Porel, ils se dénomment MM. Dumény et Louis Gauthier et
MUe Heller, l'on n'aura pas besoin d'insister beaucoup sur la physiono-
mie nouvelle prise par la comédie : la fantaisie et l'ironie ont fait place
à la tenue et à la correction, et ce n'est point éloge banal que d'affirmer
que la Veine s'accommode aussi bien des uns que des autres.
Paul-Emile Chevalier.
BILAN MUSICAL DE 1907
Jetons un rapide regard sur ce que nous ont valu, au point de vue
musical, les douze mois de l'année qui est maintenant entrée dans le
domaine de l'histoire. Constatons d'abord que la direction agonisante
de l'Opéra a fait un effort avant de céder la place à celle qui devait lui
succéder : elle nous a donné cette fois ce qu'elle ue nous avait pas offert
depuis longtemps, quatre actes d'opéra et deux actes de ballet. On con-
çoit qu'après cet effort elle doit être épuisée. Quant à l'Opéra-Comique,
toujours autrement actif que son grand frère, l'année se solde pour lui
par un total de seize actes en cinq'ouvrages, sans compter une reprise
importante et sensationnelle. Cela est bien, mais, malgré tout, combien
c'est peu pour un grand pays comme la France, qui est à la tête du
(1) Voir le texte du contrat de mariage de Gluck en 1750, op., Schmid, loc. cil..n. 2K. i
mouvement musical, et pour tant de compositeurs qui attendent leur
tour et qui ont le désir el le droit de se présenter devant le public. Es-
pérons qu'enfin les choses vont changer avec la résurrection de ce
Théâtre-Lyrique si longtemps attendu i l sur l'activité duquel artistes
et public ont le droit de compter. Avec trois grandes scènes musicales,
dirigées avec ardeur, douées de courage, de hardiesse et de bonne vo-
lonté, l'art sérieux sera bien représenté chez nous. Quant à l'art frivole.
je veux dire l'opérette, qui pendant un demi-si . '■ ■ de réels
services et qui a eu jusqu'à cinq théâtres simultanément a sa disposi-
tion, elle est injustement dédaignée depuis quelques années et obligée
de se réfugier sur les petites scènes « a cote d, où, pour beau,
raisons, on la voit réduite a sa plus simple expression, n'ayant ni l'es-
pace matériel ni le personnel nécessaires à ses gentils ébats. Voici
pourtant irae le théâtre qui lut justement son berceau, cet aimable
théâtre des Bouffes-Parisiens, reprend la parole après un long
et pour son retour à la vie, décrochant un succès, semble devoir renouer
des traditions fâcheusement disparues. Tout cela est de bon auj;
nous laisse espérer que l'année qui s'ouvre sera plus favorable a la
musique et plus fertile en œuvres nouvelles de tout genre que <c-lles
qui l'ont précédée. Qu'ainsi en soit !
En attendant, voici le bilan, aussi complet que possible, de
vient d'expirer.
Opéra. — La Catalane, drame lyrique en quatre actes dont un pro-
logue, paroles de MM. Paul Ferrier et Louis Tiercelin. musique de
M. Fernand Leborne (il Mai). — Le Lac des Aulnes, ballet en deux actes
et cinq tableaux, scénario et mus. que de M. Henri Maréchal, chorégra-
phie de M. Vanara (25 Novembre).
Opéra-Comiqie. — Cireé, poème, lyrique en trois actes, paroles de
M. Edmond Haraucourt, musique de MM. Paul et Lucien llillemacher
(17 Avril). — La Légende du point d'Argentan, pièce en un acte, paroles
de MM. Henri Cain et Arthur Bernéde, musique de M.Félix Fourdrain
(idem). — Ariane et Barbe-Bleue, coule en trois actes, paroles de
M. Maurice Maeterlinck, musique de M. Paul Dukas (10 Mai). — For-
tunio. comédie musicale en cinq actes, paroles de MM. Robert de Fiers
et A. de Caillavet d'après le Chandelier d'Alfred de Musset, musique de
M. André Messager (o Juin). — Le Ckemineau, drame lyrique en quatre
actes, paroles de M. Jean Richepin, musique de M. Xavier Leroux
(6 Novembre). — A signaler la remise à la scène, à ce théâtre, du pre-
mier chef-d'œuvre français de Gluck, Iphigénie en Auiide, représenté
pour la première fois à l'Opéra le 19 Avril 1774 (Décembre).
Odéox. — La Faute de l'abbé Mourel, pièce en quatre actes et onze ta-
bleaux, tirée du roman d'Emile Zola par M. Alfred Bruneau. avec
musique de scène du même (Mars).
Chatelet. — Salomé, drame musical en uu acte, paroles d'Oscar
Wilde, musique de M. Richard Strauss (8 Mai). Avait été représenté
précédemment à Berlin, puis, sur le texte français original, au théâtre
de la Monnaie de Bruxelles.
Gaité. — Les Hirondelles, opérette en trois actes, paroles de M. Mau-
rice Ordonneau, musique de M. Henri Hirchmann (20 Février). Avaii
été représenté précédemment à Berlin, puis aux Galeries-Saint-Hubert
de Bruxelles.
Théatre-Ré.iane. — Pétrone, drame lyrique en un acte, paroles de
M. le marquis de Caslellane, musique de M. Raymond de Burlet
(27 Mai, dans une représentation extraordinaire au bénéfice de la can-
tatrice Marie Sasse, qui devait mourir peu de mois aprési. — Réie
d'Opium, pantomime lyrique en un acte, scénario de M. Paul Franck,
musique de M. Edouard Mathé (14 Décembre, dans une des matinées de
la Société de l'histoire du théâtre).
Bouffes-Parisiens. — L'Ingénu libertin, « conte galant » en trois
actes, paroles de M. Louis Artus, musique de M. Claude Terrasse
(Il Décembre).
Théatre-Sarah-Berxhardt. — La Belle au Bois dormant, féerie lyrique
en un prologue, deux parties et quatorze tableaux, paroles de MM. Jeau
Richepin et Henri Cain, musique de M. Francis Thomé (Décembre).
Vaudeville. — Princesses d'amour, pièce en quatre actes et sept
tableaux, de Mme Judith Gautier, avec musique de scène de M.Edmond
Laurens (24 Janvier).
Porte-Saint-Martin. — Le Manteau du Boi, pièce en quatre actes et
en vers, de M. Jean Aicard, avec musique de scène de M. J. Massenet
(22 Octobre).
Théâtre des Arts (alias Batignolles). — // parait que ça se passait sous
Charles 17 ou le Trou d'Almanzor. opéra bouffe en un acte, paroles de
MM. Rip et Vilned, musique de M.Willy Redstone (9 Févr.er).— La
LE MENESTREL
Tragédie de Salomé, « drame muet » en deux actes et sept tableaux, scé-
nario de M. Robert d'Humières, musique de M. Florent Schmitt
(9 Novembre).
Théâtre Mamgny. — Giska la Bohémienne, ballet-mimodrame avec
chœurs, paroles de M. Edmond Le Roy, musique de M. Léo Pouget
(3 Septembre).
Folies-Bergère. — Plaisir d'amour, pantomime-féerie en neuf ta-
bleaux, se nario de M. Catulle Mendès, musique de M. Emile Bonamy
(7 Septembre).
Moulin-Rouge. — La Victoire d'Igra. pantomime en un acte, scénario
de M. André Arnyvelde, musique de M. Edouard Mathë (23 Janvier).
— La Feuille de vigne, féerie opérette en deux actes et dix tableaux,
paroles de M. Paul Ferrier, musique de M. Henri Hirchmann
(20 Février). — La Lime, mimodrame en un acte, scénario de M. Henri
Ferrare, musique de M. André Fijan (24 Avril). — Eglé ou l'Enfant de
la vache, opérette mythologique en deux actes et cinq tableaux, paroles
de MM. Emile et Philippe Moreau, musique de M. Claude Terrasse
(7 Mai).
Paiusiana. — Vive la Parisienne, fantaisie-opérette en cinq tableaux,
paroles de M. Maurice Froyez, musique de MM. Justin Clérice, Borel-
Clerc, Emile Bonamy et Colo-Bonnet (26 Janvier). — Les Colles de la
Femme, vaudeville-opérette en un acte, paroles de M. E. Jouliot, airs
nouveaux de M. Borel-Clerc (14 Avril).
Cigale. — Coco-Chéri, opérette en deux actes et quatre tableaux, pa-
roles de MM. Emile Codey et Trébla. musique de M. François Perpignan
(17 Décembre).
Théâtre des Mathurins. — Les Rois s'amusent, folie-opérette en un
acte, paroles de M. Lecom te- Arnold, musique de M. H. Bresles (31 Jan-
vier). — Le Petit Lever de la Parisienne, croquis parisien en un acte,
paroles de M. Paul Franck, musique de M. Edouard Mathé (27 Mars).
Théâtre des Capucines. — Miss Zozo, opérette en un acte, paroles de
MM. Maurice Ordonneau et André Alexandre, musique de M. Georges
Haakman (17 Mars). — Son Petit Frère, opérette en deux actes, paroles
de M. André Barde, musique de M . Charles Cuvillier (10 Avril) — Loys,
conte lyrique en un acte et en vers de M. Léon Moine, avec musique de
scène de M. Eugène David-Bernard (Avril).
Tréteau-Royal. — Fleur de petun. folie-opérette en un acte, paroles
de MM. Ripet Charles Lafargue, musique de M. AYilly Redstone (Mai).
— Joe, « american sketch », paroles de M. Montignac, musique de M.
Mauprey; Souper de rupture, opérette en un acte de M. Willy, musique
de M. Edouard Mathé (22 Septembre). — Panthéon-Courcelles, fantaisie
lyrique en un acte, paroles de M. Georges Courteline, musique de
M. Claude Terrasse (Octobre).
Casino de Paris. — Scandale mondain, pantomime en uuacte, scénario
de M. Camil.e de Marthon, musique de M. Paul Fauchey (7 Décembre).
Scala. — Frivola, opérette en deux actes et sept tableaux, paroles de
MM. René Champault et Edgar Favart, musique de M. Raphaël Beretta
(27 Mars).
Ba-ta-clax. — Les Hussards île l'Empereur, opéra-comique en trois actes,
paroles et musique de M. Georges Spitzmuller (Octobre).
Apollo. — La Chair, mimodrame en un acte, scénario de MM. Wague
et Lambert, musique de M. Chantrier (1er Novembre).
Théâtre Femina. — Vert Galant, pièce en un acte, de M. Emile Moreau,
avec musique de scène de M. Philippe Moreau. — La Chouanne, épisode
lyrique, paroles de M. Paul Gravollet, musique de M. Edmond Missa
(10 Décembre).
Nouveau-Théâtre. — L'Entrée principale, fantaisie-opérette en un
acte, paroles de MM. Pierre Bossuet et Georges Lèglise, musique de
M. Lucien Farjall (Mai).
Salle du Journal. — Daphnis et Chloé, idylle lyrique en quatre actes,
paroles et musique de M. Alexandre dAgiout (23 Avril).
Lyon (Grand-Théâtre). — Roseline, ballet-pantomime en deux actes,
scénario de M. Georges Ricou, musique de M. Raymond Balhman
(Février). — La Balafre, drame lyrique en deux actes, paroles de
MM. Maurice Lecomte et Hippolyte Operto, musique de M. Georges
Palicot (8 Mars).
Bordeaux (Grand-Théâtre). — Le Péage, ballet, scénario de M. Georges
de Dubor, musique de M. Antoine Banés (Février).
Nice (Capucines). — Le Flirt de Colombine, opérette en un acte, pa-
roles de M. Jaques Redelsperger. musique de M. Cuvillier (3 Février).
— (Opéra) : La Petite Sirène, opéra en deux actes, paroles de M. Henry
Gauthier- Villars, musique de Mme la comtesse Armande de Polignac
(o Mars). — Le Nazaréen, oratorio en trois parties, paroles de M. le
comte de Waresquiel, musique de son fils M. le vicomte de Wares-
quiel.
Lille (Théâtre municipal). — Le Dragon vert, opéra en deux actes^
paroles de MM. Philippe de Rouvre et Henry Gauthier- Villars, mu-
sique de M. Emile Ratez, directeur du Conservatoire (Mars).
Grenoble. — Manoèl, drame lyrique, paroles de MM. G. Montoya et
J.-D. de Lambgrl, musique de M. Emile Nermi (Mars).
Angers. — La Ruse de Pierrette, opéra-comique en un acte, musique
de Mlle Dell'Aqua (27 Janvier).
Calais (Théâtre municipal). — Jean de Calais, légende lyrique, mu-
sique de M. Marc Delmas (Mars).
Biarritz (Casino municipal). — Les Diamantines, ballet, musique de
M. A. Tésorone (Octobre).
Chalon-sur-Saône. — Cantate en mémoire de la défense de Chalon-
sur-Saône en 1814 et des soldats morts pour la patrie en 1870, paroles
de M. A. Courballée, musique de M. Charles Rochas (8 Septembre,
pour l'inauguration du monument commémoratif).
L'HAY(chez M. Jules Gravereaux). — Le Triomphe du dieu Pan, opéra-
ballet, poème et musique de M. Alexandre Michel (23 Juin).
Aix-les-Bains. i— Le Violon enchanté, ballet, scénario de MM. Louis
Schneider et André Sciama, musique de M. T. -A. Brunetti (Juillet).
Pont-aux-Dames (pour la maison de retraite des artistes dramatiques).
— Amour et Sport, opérette en un acte, paroles de M. Félix Puget, mu-
sique de M. O. de Lagoanère (28 Juillet).
A ajouter divers ouvrages français représentés â l'étranger :
Bruxelles (Théâtre de la Monnaie) — La Légende de la perle, ballet-
divertissement en deux actes et trois tableaux, sujet et musique de
il. J. Jacob (Février). — (Théâtre-Molière). — La Bérengerie, opérette
en trois actes, paroles de M. Jack d'Avize, musique de M. Petrus
(Février). — (Olympia). — Betty ou l'Entente cordiale, opérette en trois
actes, paroles de MM. Paul Bilhaud et Maurice Hennequin, musique de^
M. Eustache de Lorey (4 Octobre).
Liège (Théâtre de la Renaissance). — Rose-Pompon, opéra-comique,
paroles de MM. Fernand Bessier et Sarnet-te, musique de M. Esteban
Marti (Octobre).
Gand (Grand-Théâtre). — Linario, drame lyrique en trois actes, pa-
roles de M. Franz Ruty. musique de M. Nicolas Daneau ("2 Janvier). —
Le Fiancé de Colombine, ballet-pantomime en un acte, musique de M.Ro-
bert Guillemyn (Novembre).
Monte-Carlo. — Nais Micoulin, drame lyrique en deux actes, tiré de
la nouvelle d'Emile Zola, paroles et musique de M. Alfred Bruneau
(2 Février). — Thérèse, drame musical en deux actes, paroles de M. Ju-
les Claretie, musique de M. J. Massenet (7 Février). — Tlié.odora, dra-
me musical en trois actes et cinq tableaux, paroles de MM. Victorien
Sardou et Paul Ferrier, musique de M. Xavier Leroux (19 Mars). — (Pa-
lais des Beaux-Arts). L'Importun, ballet-pantomime, scénario de
MM. Georges Boyer et Hansen, musique de M. Louis Ganne (Mars).
MoNTitEux. — La Métamorphose de Narcisse, fête musicale avec chœurs
et danses, paroles de M. Jacotet, musique de M. Lucien Rousseau
(25 Mai). Arthur Pougin.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts-Colonne. — La 153° audition de la Damnation de Faust de Ber-
lioz au Ghàtelet fut pour M. Colonne et son orchestre l'occasion d'une ovation
prolongée. L'exécution a été de tous points remarquable. Les solistes étaient
M"cGrandjean, MM. Cazeneuve, Sigwalt et Eyraud: ils furent tous très fêtés..
J. J.
— Concerts-Lamoureux. — La symphonie en ut majeur de M. Paul Dukas n'est
pas une œuvre grandiose et puissante ; elle n'a pas la correction classique des
composilions de M. Saint-Saèns, ni la rêverie prenante de celles de César
Franck, et laisse pressentir pourtant parfois, malgré son indéniable origina-
lité, l'influence de ces deux maîtres. Elle est d'ailleurs infiniment agréable,
joyeuse, pleine de jeunesse et de couleur. Le premier mouvement est d'une
LE MÉNESTREL
architecture musicale très ferme et très belle; il présente trois jolis thèmes,
violons majeur, violons mineur, cuivres, et ces thèmes sont développas avec
autant de richesse que d'éclat, avec une exubérance à ravir un méridional.
L'andante se compose de deux phrases tendres et douces à travers lesquelles
la flûte sème des notes cristallines. Les violons donnent d'un bout à l'autre et
la mélodie se maintenant toujours dans le caractère calme et empreint de
sérénité du début, il en résulte une légère impressiou de monotonie. Quant
à la troisième et dernière partie, Allegro spiriloso, elle permet de reconnaître
l'auteur de l'Apprenti sorcier et ses fraîches combinaisons instrumentales. De
petites phrases mélodiques semblent s'échapper de l'orchestre, tantôt comme
les oiseaux d'une volière, tantôt comme les capricieuses arabesques d'un feu
d'arliBce; l'ensemble s'achève au milieu des sons retentissais des cuivres et
des cymbales, dans une sorte de féerie d'insirumeniatinn. En résumé, cette
symphonie est le chef-d'œuvre d'un excellent artiste au point de vue du
rythme et du coloris: rien de plus. C'est déjà beaucoup. L'ouvrage de
M.Pierre Hermant. Sagesse, poème de M. Paul Verlaine, n" I, Bon Chevalier,
a paru bien faible; un long récitatif sans couleur, sans saveur, dont M. Froe-
lich, malgré tous ses efforts, n'a pu racheter la médiocrité. Le concert, sous la
direction de M. Paul Vidal, s'est terminé par l'ouverture des Maîtres-Chan-
teurs, la Chevauchée et la scène des Adieux de la Walkyrie. Il semble que le
rôle de Wotan convienne bien à M. Froelich ; l'inflexion de tendresse, qu'il
essaie de communiquer à sa voix rauque et puissante en s'adressant à sa fille
qu'il a condamnée, devient parfois d'un effet particulièrement heureux.
ASIÉDÉE BoUTAREI..
— Programmes des concerts de demain dimanche :
Conservatoire : Relâche.
Cbàtelet, Concerts-Colonne : La Damnation de Faust (Berlioz), chantée par
M"e Louise Grandjean, MM. Cazeneuve, Fourncts et Eyraud.
Salle Gaveau, Concerts-Lamoureux : Sympkonie pastorale (Beethoven). — Aiv
à'Iphigénie en. Tauride (Gluck), par M"" Isnardon. — Futm (Jean Poueigh). — Concerto
en ré, pour orgue et orchestre (Haondel), par M. Eugène Gigout. — Pliidulé (Duparc),
par Mm0 Is'tardon. — Capriccio espagnol (Rimsky-Korsakow). — Le concert sera
dirigé par M. Paul Vidal.
— Le Conservatoire nous a offert, le vendredi 27 décembre, la séance d'au-
dition des envois de Rome, consacrée cette fois aux compositions de M. Aymé
Kunc, grand prix de 1902. Le programme comprenait : 1° Fantai-ie en forme
de danses, pour orchestre; 2° Suite dramatique pour orchestre, fragments:
(a. Adagio molto espressivo; 6. Scherzo final); 3° Poèmes en musi que : N° 2,
chanté par M"1' Louise Mancini(ce morceau n'a pas été exécuté): 4° Fantaisie
pour piano et orchestre : 5° Psaume 147, pour soli. chœurs, o^gue et orchestre.
Les deux numéros les plus importants étaient la Fantaisie pour piano, qoi a
fait surtout apprécier le talent de Mme G. de Lausnay (Lucie Léon) chargée de
la partie de piano, et le l'saume, dont les soli étaient chantés par MUe Louise
Mancini et Ravaut. MM. Nansen et Carbelly, avec M. Ronnet à l'orgue. Ce
Psaume est divisé en trois parties : 1° Grand chœur (avec un quatuor solo),
qui n'est pas sans un certain caractère mélodique, avec moins de fracas
orchestral que nous en avaient offert les morceaux précédents; 2° Pastom'e pour
soprano solo et choeur, précédée d'une importante introduction symphonique;
3° Prélude, choral, final. L'exécution générale a été excellente ettrès sure, sous
la direction de M. Paul Vidal.
— La première séance de la Inondation J.-S. Rach, salle Pleyel, a été
particulièrement intéressante, consacrée tout entière à l'illustre cantor. Le
programme comprenait l'ouverture en si mineur pour orchestre à cordes et
flûte, le concerto en ré pour deux violons et le concerto brandebourgeois pour
flûte, violon et piano, où furent fort applaudis M. Charles Rouvet, le directeur si
habile de cette si instructive et artistique institution, MM. Rlanquart, Gra-
vrand et Jemain. La partie vocale, dans laquelle Mme Maurice Gallet a fait
apprécier sa voix généreuse conduite avec un art consommé, comprenait une
« cantate italienne » sur un texte profane : « non sa che sia dolore »,pour so-
prano et orchestre à cordes avec flûte, œuvre importante consistant en une
ouverture et deux airs très développés dont le second surtout, une mer-
veille de grâce et d'esprit fut bissé; — et un air pour contralto extrait de
« gratulation cantate », excellemment traduit par l'organe vibrant de Mme Oli-
vier. Cet air, que Bach n'a pas utilisé et a laissé sans emploi connu (son
vaste génie lui permettait ces prodigalités), est constitué par la partie vocale
intégrale dont M™ H. Fuchs donna une excellente adaptation française, et
une bas>e non chiffrée que M. Jemain a harmonisée. De cette tâche ingrate
et difficile, il s'acquitta avec tact et respect. M. Paul Vidal conduisait l'or-
chestre avec son autorité accoutumée. La Fondation Rach prend chaque
année un essor plus grand, juste récompense des efforts persévérants, des
patientes recherches de son sympathique directeur M. Charles Rouvet.
— Quatuor-Parent. — A la dernière soirée du cycle Schumann, M"0 Su-
zanne Cesbron a retrouvé la même poésie et le même succès en iuterprétant
le beau poème vocal en huit chants. l'Amour et la Vie d'une femme, redemandé
par un nombreux public. MUc Marthe Dron, qui l'accompagnait, n'a pas été
moins applaudie en évoquant sous ses doigts fuselés la vie intérieure des
deux be les sonates juvéniles, la première en fa dièse mineur (op. 11), sorte
d'improvisation romantique qui compte parmi les « beautés d'expression », la
seconde en sol mineur (op. 22), plus classique de forme, qui se range parmi
les « beautés de proportion » : les artistes aiment mieux la première, et le
public préfère la seconde. Enlevée par M. Parent et Mllc Dron, l'admirable
sonate en ré mineur (op. 121) résume souverainement lo génie mémo de
Schumann, avec son exaltation discrète et sa fièvre. Raymond Rouver.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(POUR LES SEULS ABOYÉS A LA MUSIQUE)
Avec ce premier numéro de notre 74" année de publication, non- donnons un
Menuet de Théodore Dubois : musique finement écrite et d'une distinction
On a toujours plaisir à frayer avec des oeuvres de bonne compagnie, qui n'ont ni la
banalité courante des compositeurs à la course, ni les vides quintessences ou liallu-
cinations de nos chercheurs d'infini.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
D'après une dépêche publiée ces jours derniers, le conseil municipal de
Vienne aurait décidé d'entreprendre les démarches nécessaires pour obtenir
le transfert des restes mortels du célèbre compositeur Haydn, qui seraient
inhumés à côté de ceux de Beethoven et de Schubert. Cette dépêche ajoute
que le tombeau de Haydn se trouve actuellement a Eisenstadt (Tyrol). D'a-
bord, Eisenstadt n'est pas située en Tyrol, mais en Hongrie; c'était, on le
sait, la résidence des princes Esterhazy, les protecteurs de Haydn, qui fut
leur commensal jusqu'à son extrême vieillesse, c'est-à-dire jusqu'au jour où
l'âge l'obligea à leur demander sa retraite et où il alla se fixer à Gumpendorf,
faubourg de Vienne, dans une petite maison achetée par lui. Justement, Fétis
annonce que l'inhumation du vieux maître eut lieu à Gumpendorf, ce qui con-
tredirait le détail donné par la dépêche. Il est vrai que Fétis est loin d'être
infaillible, et d'ailleurs il serait possible que cette inhumation n'eût eu qu'un
caractère provisoire, et que les restes de Haydn eussent été transportés ensuite
à Eisenstadt.
— L'inauguration solennelle du nouveau théâtre de la Cour, à Weimar.
aura lieu le 11 janvier. On sait quelle grande place a occupé dans l'art l'an-
cien théâtre dont la démolition a été rendue nécessaire par son état de vétusté.
Gœthe et Liszt, pour ne citer que ces d-ux grands noms, ont mis le comble à
sa renommée littéraire et musicale. Le grand-duc de Weimar n'a rien épar-
gné pour que la nouvelle scène soit entièrement digne de la précédente et
construite dans des conditions de confort vraiment irréprochables. Les invita-
tions aux fêtes qui se préparent seront faites en son nom par l'Intendance
générale, de sorte que tous les visiteurs seront considérés co urne les hôtes du
souverain. A la soirée du 11 décembre on donnera un intermède de M. Ri-
chard Woss, Jeux de fêle du priai mps, avec une musique de scène de
M. Félix Weingartner; viendra ensuite le « Prologue sur le théâtre» du Faust
de Gœthe, puis, après un entr'acte, le Camp de Wallenstein de Schiller, et
enfin, pour terminer le spectacle, la scène de la prairie formant le final des
Maîtres-Chanteurs de "Wagner. L'empereur d'Allemagne a promis de venir à
Weimar pour l'inauguration du nouveau théâtre*
— La comédienne Anna Schramm, qui a obtenu de grands succès à Rerlin
dans les rôles de soubrette, vient de distraire de la succession de sa sœur, dont
nous annoncions la mort il y a quinze iours, une somme de 7.500 francs, des-
tinée à constituer le premier subside d'une fondation d'un genre spécial dont
le but a été déterminé en ces termes : « Le comité de la société sera chargé,
au moyen des renseignements qu'il pourra se procurer sur la condition faite
aux acteurs dans les théâtres de l'Allemagne, d'exercer une pression sur les
municipalités, afin qu'elles imposent aux directeurs des théâtres qui leur
appartiennent l'obligation d'assurer aux membres les moins payés de leurs
troupes un minimum d'appointements pouvant leur permettre de se procurer
un logement convenable et de vivre dans une situation modeste assurément,
mais toujours honorable. »
— Voici quelques renseignements sur les quatre ouvertures écrites par
Wagner à l'époque de sa jeunesse et dont les partitions ont été découvertes
ou remises en lumière depuis peu de temps. Ce sont : le Roi Enzio, Poloniu.
Christophe Colomb et Rule Britannia. Toutes les quatre viennent d'être gravées à
Leipziget M. Sechiari a fait entendre tout récemment à ses concerts de Paris la
seconde et la troisième. Celle du Roi Enzio porte la date du 3 février 1832; elle
fut écrite pour le drame de Raupach. alors en vogue sur toutes les scènes
allemandes, et qui fut joué plusieurs fois à Leipzig, où Rosalie Wagner, la
sœur du maître, remplissait le rôle de Lucia di Viadagoli, tandis que la mu -
sique de son frère servait d'introduction au spectacle. L'ouverture de Polonia
a été pour Wagner l'occasion de manifester les sentiments chaleureux que lui
avait inspirés la révolution polonaise de 1831. Pendant son séjour à Paris il
offrit cet ouvrage au chef d'orchestre Duvinage, espérant quecelui-ci pourrait
le faire incrire au programme d'une fête de bienfaisance organisée par la
princesse Czarloryska au bénéfice des réfugiés Polonais. Cette fête eut lieu le
3 marslSiO, au Théâtre de la Renaissance, mais l'œuvre n'y l'ut pas exécutée.
Quarante années passèrent sans que le compositeur eût entendu parler de son
manuscrit. Duvinage parait l'avoir conservé vingt ans, pour le céder ensuite à
Henry LitolIT, de qui le tint à son tour Arban. Ce dernier en Ut transcrire les
parties en vue d'une audition à ses concerts du Casino. En 1879, l'éditeur
Choudens acquit la partition de cette ouverture à la vente du fonds Escudier ;
LE MÉNESTREL
il la communiqua à Paodeloup, qui la remit lui-même à Charles Nuitter ; ce
dernier la rendit à Wagner en 1881. Elle fut jouée à Palerme peu de temps
après. L'ouverture de Chrktoph* Colomb remonte à l'époque où Wagner s'oc-
cupait de l'opéra la Défense d'aimer ; elle a été composée pour le drame de
Théodore Apel portant le même titre qu'elle. On la fit entendre en 1833, aux
concerts du Gewandhaus, à Leipzig, et ensuite à Riga, le 19 mars 183S, sous
la direction de l'auteur. La Société des concerts du Conservatoire de Paris
l'essaya en 1840 et les choses en restèrent là; elle fut pourtant donnée en
audition publique le 4 février 1841, salle Herz ; Schlesinger conduisait l'or-
chestre. Wagner envoya ensuite les parties- instrumentales à l'entrepreneur
de concerts Jullien, de Londres : celui-ci n'en voulut pas et les retourna par
la poste au compositeur, qui refusa d'en prendre livraison afin de ne pas avoir
à payer les frais de port. On ne dit pas comment ces parties ont été retrou-
vées. Quant à l'ouverture de Rule Britannia, l'-squisse première de la parti-
tion, conservée aux archives de Bayreuth, por'e la date de 1836, mais
l'œuvre ne fut achevée qu'en mars 1837. à Kœnigsberg ; elle fut exécutée une
fois dans cette ville et une fois à Riga, sous la direction personnelle du
maître. Lors de sa première visite à Londres, en 1839 Wagner remit sa par-
tition a la Société philharmonique, espérant qu'elle serait jouée par elle, ce
qui n'eut pas lieu. Le manuscrit fut renvoyé à Paris en un paquet non affran-
chi. Wagner refusa de l'accepter, comme cela parait avoir été son habitude à
cause de sa détresse pécuniaire. Il croyait d'ailleurs pouvoir s'en passer, car il
avait en main les parties d'orchestre. Mais ces parties furent détruites en
1869, dans l'incendie de l'Opéra de Dresde. Quant au paquet refusé, on ignore
à la suite de quelles circonstances il tomba en la possession de M. E -W.
Thomas, l'ancien chef d'orchestre de l'Opéra, à Leicester, qui le vendit à
M. Cyrus Bertie Gamble. Il a été retrouvé en mai 1904. On lit sur le pre-
mier feuillet de la partition : « Richard Wagner, 15 mars 1837, Kœnigsberg,
Prusse ». R y a dans une annexe l'indication d'un arrangement de la coda
pour musique militaire.
— Au théâtre de Nuremberg un charmant intermède de Noël, Princesse
Ilerzlieb, paroles de Mmo Erica Gruge-Lorcher, musique de M. J. Wolf, vient
d'être représenté pour la première fois.
— Le théâtre de la Cour de Brunswick a donné comme nouveauté, à l'occa-
sion des fêtes de Noël, la première représentation d'un opéra nouveau de
M. Johannes Doebher, l'Apprenti sortir. Les paroles sont de M. Hermann
Erler, d'après la ballade de Goethe. L'ouvrage a obtenu un très grand succès.
— On rappelle un mot de souverain adressé au célèbre compositeur Fux,
l'auteur du fameux Gradus ad Parnassum. qui fut, à Vienne, successivement
maître de chapelle des trois empereurs Léopold, Joseph Ier et Charles VI. tous
trois excellents musiciens. Charles VI ne dédaignait même pas de tenir par-
fois sa partie dans son orchestre, outre qu'il lui arrivait d'accompagner au
piano telle ou telle cantatrice chantant au concert de la Cour. Il avait com-
mandé à Fux la musique d'un opéra intitulé Elisa, destiné à être représenté
pour l'anniversaire de la naissance de l'archiduchesse, sa tante. Or, il arriva
qu'à la troisième représentation de l'ouvrage, l'empereur eut la fantaisie de
remplacer son maître de chapelle au clavecin et de diriger lui même l'exécu-
tion; Fux, assis auprès de lui, lui tournait les pages de la partition. A un mo-
ment donné, où la direction présentait une réelle difficulté, le souverain se
tira d'affaire avec tant d'habileté, qu'en dépit des règles de l'étiquette Fux ne
put s'empêcher de crier un « bravo » retentissant. Puis, se penchant près de
l'oreille de son maitre : « Sur ma foi, Sire, vous feriez un excellent maître de
chapelle ». A quoi l'empereur lui répondit en souriant : « Je le sais bien,
mais j'aime autant être empereur ».
— Le compositeur Max Bruch, l'auteur de tant de cantates fameuses pour
chœur et orchestre : Odysseus, Arminius, Fmthiof, Achille, le Chant de la Cloche,
Leonidas, etc., célébrera, le lundi 6 janvier, à Cologne, le soixante-dixième
anniversaire de sa naissance. Il assistera le lendemain, dans la salle de Gùr-
zenich, à un grand concert donné en son honneur à cette occasion.
— Un petit-fils de Lortzing, maître de chapelle à Innspruck, vient de se
révéler compositeur en écrivant un opéra-comique, le Soulier d'or, qui sera re-
présenté prochainement à l'Opéra Populaire de Vienne.
— M. Gottschall vient de publier dans la Neue Revue deLeipzig d'intéressants
souvenirs personnels sur Henri Heine. On y trouve le récit suivant : « J'avais
été chargé par l'éditeur Campe de remettre au poète le premier exemplaire
imprimé de son Romancero. Je me rendis rue d'Amsterdam et me trouvai
bientôt, introduit derrière un paravent espagnol, près du lit où le malade
gisait dans une demi-obscurité. Le malheureux ne pouvait ouvrir les yeux; il
dut, avec ses doigts, soulever ses paupières pour voir le nouveau livre. Il le
prit dans ses mains et le considéra silencieusement; c'était comme un gage
de la gloire posthume qui l'attendait. Je compris alors que les lamentations
du flonmneero n'avaient été que l'écho poétique des souffrances qu'il avait endu-
rées. Peu à peu, il se mit à causer. Il entreprit le chapitre de ses « bêtes
noires», paTmi lesquelles comptaient Meyerbeer, la comtesse d'Agoult et
Louis Napoléon Bonaparte, le président de la République française, qu'il
détestait autant qu'il avait aimé Napoléon IEr. On parla naturellement de la
littérature allemande : de Gutzkow, 'te Laube, d'Herwegh, de Dingestedt...
enfin de Maurice Hartmann, qui devint la victime d'une de ses plus fines mo-
queries. Il dit de lui que c'était un très bel homme et qu'il espérait bien que
toutes les femmes en seraient amoureuses, à l'exception toutefois des neuf
muses ». Heine devait mourir quelques années après, en 1856. Tout ce qui
touche de près ou de loin ce grand poète d'esprit si français doit intéresser les
musiciens, car il est, parmi tous les écrivains, celui dont les œuvres ont été
le plus souvent choisies pour servir de texte à des compositions musicales. On
possède, sur des paroles de lui, 3.601 mélodies à une voix, 90 duos, 137 chœurs
mixtes, 232 chœurs pour voix d'hommes, 35 chœurs ou trios pour voix de
femmes, 12 mélodrames: en tout 4.127 compositions.
— Encore une application excentrique du gramophone. Dans le Bulletin
allemand des demandes de brevet, s'en trouve une d'un industriel qui a inventé
un appareil pour jouer des marches funèbres à un enterrement! Cet appareil
peut être mis en mouvement par le cocher du corbillard, et le son sort de
dessous la voiture. Il remplace, affirme son auteur, toute une fanfare.
— On télégraphie de Saint-Pétersbourg que M. Eugène Ysaye, en quittant
le Théâtre-Marie, où il venait de donner un de ses concerts, n'a pas retrouvé
l'un de ses violons. L'instrument a été enlevé pendant que M. Ysaye étritsur
l'estrade. Le violon disparu était un des plus beaux Stradivarius, connu sous
le nom de « l'Hercule » et d'une valeur de 50.000 francs. Les recherches n'ont
encore abouti à aucun résultat.
— On dit que M. Paderewski aurait été appelé à prendre la direction du
Conservatoire de musique de Varsovie, rendue vacante par la retraite de
M. Emile Mlynarski.
— A Trieste vient d'avoir lieu, avec un certain éclat, l'exécution des qua-
tuors couronnés dans un concours ouvert récemment par le Conservatoire de
cette ville. Deux de ces qua'uors, qui avaient tous deux obtenu le premier
prix, étaient dus au même compositeur, et ce compositeur était une femme,
une hollandaise, Mme Anna Lamhrecht. L'un avait pour épigraphe : In memo-
riam, l'autre : A celui qui m'a sauvé la vie. Tous deux ont produit une grande
impression, et on en loue surtout le tissu harmonique, très" remarquable delà
paît d'une femme. Le quatuor qui avait obtenu le second prix, dont l'auteur
est M. Adolfo Bossi, a été accueilli plus froidement.
— On doit représenter très prochainement, au Casino municipal de San
Remo, un opéra intitulé Jocelyn; dont la musique a été écrite par le maes4ro
Tedrschi sur un poème de feu Villanis. M. Tedeschi, qui est professeur de
harpe au Con.-ervatoire de Milan, n'est encore connu que par de nombreuses
compositions instrumentales.
— D'autre part, le théâtre Dal Vernie de Milan annonce la prochaine repré-
sentation d'un opéra en un acte, Jcba, du à un compositeur espagnol, M. Ra-
mon Rodriguez-Socas.
— Le 14 décembre dernier a eu lieu au Quenn's Hall de Londres l'audition
d'une œuvre nouvelle de M. Edward Elgar, The Wand of Youth (la baguette
de jeunesse). C'est une suite d'orchestre en sept mouvements qui portent les
titres suivants : Ouverture, Sérénade, Altnuet, Danse du soleil, Joueurs de corne-
muse, Berceuse, Elfes et géants. Le compositeur écrivit ces morceaux en 1869,
étant âgé de douze ans, à l'occasion d'une fête d'enfants qui fut donnée dans
la maison de son père; ses frères et sœurs les jouèrent sur différents instru-
ments. Us ont été entièrement remaniés pour constituer la suite d'orchestre
qui vient d'être exécutée et doit être suivie d'une autre du même genre.
— Voici une amusante nouvelle qui nous arrive d'Amérique. On
raconte que l'imprésario Hammerstein , de l'Opéra de Manhattan, a
fait arrêter, jeudi soir, au théâtre Majestic, à New-York, le ténor Carlo
Albani qu'il poursuit en vingt-cinq mille dollars de dommages et inté-
rêts pour violation de contrat parce qu'il joue sur d'autres scènes que les
siennes. Le ténor chantait II Trovatore quand l'agent de police se présenta sur
la scène pour l'arrêter. M. Albani protesta, mais tout ce qu'il put obtenir fut
d'achever la représentation sous les yeux du policeman. Celui-ci, observant
consciencieusement sa consigne de ne pas perdre de vue l'artiste, resta cons-
tamment à ses côtés jusqu'à la fin de l'opéra, faisant avec lui les sorties et les
entrées sans le quitter d'une semelle. A un moment où le héros de la pièce
recule vers les coulisses, l'agent se précipita, croyant que son prisonnier s'en-
fuyait. C'était grotesque ; si bien que le public, d'abord indigné, qui avait
sifflé le policpman, finit par donner libre cours à un rire général incoercible.
Après la représentation, M. Albani fut laissé en liberté sous caution de
25.000 dollars. On s'attend à un semblable incident quand Mme Tetrazzini, à
qui M. Conried, imprésario du Metropolitan Opéra de New-York, conteste le
droit de chanter sur une autre scène, va paraître à l'Opéra de Manhattan.
Tandis que les impresarii s'arrachent les chanteurs et les divas, le ténor
Constantino, qui chante à Boston, dispute à M. Caruso le litre de champion des
ténors et le défie devant une commission d'experts qui décidera lequel des
deux artistes est supérieur à l'autre. M. Constantino offre de parier cinquante
mille francs.
— Rien ne manquera à la gloire de l'inventeur du phonographe, puisque le
voici qui va devenir le héros d'une action chorégraphique. Un journal améri-
cain affirme qu'un M. Emile Durer, qui vit depuis longtemps dans son inti-
mité, vient de perpétrer le scénario d'un gand ballet-pantomime en deux actes
et onze tableaux, qui aura précisément pour titre Edison. La musique de ce
ballet a été confiée à deux compositeurs, et l'on compte qu'il sera joué dans
un avenir prochain.
— De Santiago de Cuba : Les concerts vocaux et instrumentaux organisés
par M. Rafaël P. Salcedo, à la< Société Beethoven, sont toujours fort réguliè-
rement suivis par une assistance très nombreuse qui goûte tout particulière-
ment les programmes composés presque exclusivement de musique française.
A la séance du 4 décembre, on a applaudi à l'excellente exécution de la Fan
LE MENESTKEL
taisie de A. Duvernoy, de la Danse des sylphes de F-. Gode-froid, de la trans-
cription de Neustedt sur la Romance du saule A' Othello de Rossini, do la Valse
arabesque de Lack et dos fragments des ballets, CoppéliaAe Del'bes. la Tempête
d'Ambroise Thomas et le Cid de Massenet.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Il serait dans les projets de M. Briand do modifier sur certains points
l'organisation actuelle de la Comédie-Française. Il s'agirait de rajeunir
rjuelquepeu le décret de Moscou. Mais la principale modification parait devoir
consister en une augmentation de la subvention. C'est toujours la princesse
qui paiera, — alias le contribuable.
— Toute cette semaine, à l'Opéra, ce ne furent que festons, ce ne furent
quastragales. Et l'on peut dire que l'on a enterré la direction de M. Gailhard
sous des Heurs, arrosées de quelques larmes qui n'étaient pas de crocodile. Mais
elle entend bien ressusciter, cette direction, et avant qu'il soit longtemps. S'il
faut en croire les palabres échangés, M. Gailhard n'est plus un homme, c'est
une institution qui ne doit pas périr. Vingt ans de direction bonne ou mau-
vaise ne lui suffisent pas; c'est à la pérennité qu'il vise. L'Opéra est son bien,
son fief, et il ne le quitte pas sans espoir de retour. Nous avons vu les adieux
de Fontainebleau, où il pressa sur son sein ses derniers maréchaux, M. I. de
Camondo, « l'éminent compositeur », et M. Gaston Dreyfus, qui représentait
« l'élite des abonnés ». Ces deux messieurs ont eu des paroles éloquentes et
émues. Et pourquoi pas ? M. Gailhard, qui fut un directeur discutable, n'est
pas assurément un mauvais homme. Il prépare tout doucement son retour de
l'île d'Elbe. C'est son droit, après tout. Espérons pour lui que l'Histoire n'ira pas
plus avant.
. — Et maintenant, voici installée la nouvelle direction. La» transmission des
pouvoirs », comme on dit un peu superbement, s'est correctement effectuée,
par l'aimable intermédiaire du commissaire du gouvernement, M. Bernheim.
Maintenant on va restaurer ferme le local, tant qu'on pourra ; et MM. Messa-
ger et Broussan espèrent, auxalentours du 2b janvier, inaugurer leur direction
nouvelle avec un Faust rétamé et complètement remis à neuf. Bonne chance et
longue prospérité ! Puissent-ils échapperaux complots déjà ourdis contre leur
administration, aux chausse- trappes déjà semées sous leurs pas.
— A peine installé en ses nouvelles fonctions de directeur de l'Opéra,
M. Messager a pris un congé de 48 heures, pour assister à la répétition géné-
rale et à la première représentation de son opéra Fortuniu, au Théâtre de la
Monnaie de Bruxelles, — ce soir samedi. M. Messager sera de retour à Paris
dès demain dimanche.
— Spectacles de dimanche à l'Opéra-Comigue : en matinée, Iphigénie eu
Aulide; le soir, Louise. Lundi, en représentation populaire à prix réduits :
Fortunio.
— C'est mardi prochain, 7 janvier, que commenceront les représentations
du Théàtre-Lyrique-Populaire de la Gaité.Les ouvrages qui feront l'affiche des
premiers spectacles seront Mireille, Mignon, Lakmé et la Traviala, tous ouvra-
ges autorisés par les auteurs et les éditeurs. Il faudra ensuite obtenir de
nouvelles autorisations pour les autres ouvrages annoncés. On ne les aura pas
toutes, — des compositeurs ayant l'intention de s'opposer absolument au
transfert de leurs œuvres des théâtres subventionnés au Théâtre-Lyrique de la
Gaité. C'est assurément leur droit.
— Le comité Edmond Membrée s'est réuni vendredi dernier, sous la prési-
dence de M. Gabriel Fauré. Il a été décidé qu'on donnerait au commencement
du mois de mars un festival, composé exclusivement des œuvres du maitre et
dont le produit sera affecté à un médaillon du compositeur. Ce médaillon sera
placé sur la façade de la maison-oii Membrée est né, à Valenciennes. Le comité
a été avisé par la municipalité de Valenciennes que le nom d'Edmond Mem-
brée était donné à une des rues de la ville.
— L'Académie de médecine a décerné une mention très honorable (concours
pour le prix Henri Lorquet) au docteur J. Ingegnieros.de Buenos-Ayres. pour
son mémoire intitulé le Langage musical et ses troubles hystériques.
— Notre sympathique confrère M. Georges Boyer quitte l'Opéra, où il a
exercé pendant près de vingt ans, avec la plus grande distinction et la plus
parfaite courtoisie, les fonctions de secrétaire général. Il entre en la même
qualité à la librairie OUendorff, où toutes les sympathies le suivront et où il
demeurera toujours en contact avec le monde des lettres et des arts.
— Le programme du neuvième samedi de la Société de l'Histoire du Théâ-
tre, aujourd'hui, à cinq heures, au Théàtre-Sarah-Bernhardt, comporte une
causerie de M. Camille Le Senne, et les récitations ou auditions suivantes,
qui accompagneront la causerie :
Air de la Reine des Huguenots (Meyerbeer), par M"" Alice Verlet, de l'Opéra-
Comique.
Air de Philine de Wgnon (A. Thomas), par M"" Pornot, de l'Opéra-Comique.
Le Misanthrope (scène de Célimène et d'Arsinoë), par M"" Suzanne Dèvoyod, de la
Comédie-Française, et Albert.
Le Jeu de l'amour et du hasard (scène de l'acte III), par M"« Bartet et M. Georges
Baillet, sociétaires de la Comédie-Française.
Air de Manon (Massenet), par M"» Donalda, de l'Opéra-Comique.
Conseils à une Parisienne (Alfred de Musset), par M. André Brûlé, de l'Athénée.
— Notre distingué confrère Edmond Stoullig vienl de faire parail
librairie Ollendorll'. ses excellentes Annales du Théâtre et de h, Musique. : le 32
volume de cette unique et précieuse publication, qu'a justemenl couronnée
l'Académie française, et qu'attendent avec une si légitime impatii
ceux qui, de près ou de loin, s'intéressent aux choses dramatiques et musi-
cales. On sait que chaque année le livre est orné d'une préface. Elle
fois, pour titre : L'Auteur dramatique, et elle esl signée Adolph Brissi
sur un sajet de brûlante actualité, un chef-d'œuvre de satire élégant
dante qui nous parait devoir faire quelque « bruit dans Landerneau .
— Le conseil municipal de Marseille a désigné comme directeur de l'Opéra
municipal, pour la saison prochaine, M. Saugey. l'ancien directeur di ! I Ipél
de Nice et l'actuel directeur du Casino de Vichy.
— On nous écrit de Nice pour nous signaler tout particulièrement les
brillants débuts d'une toute jeune cantatrice, Mllc' Lucienne Mantoue, i li
M1"1-' Esther Chevalier, de JOpéra-Comique, qui, tour à tour, dan- Mireille
Werther et Orphée, a l'ait chaleureusement applaudir une jolie voix, une
exquise virtuosité, un style délicieux, en même temps qu'un très agréable
talent de comédienne.
— A Chartres, très joli concert d'œuvras de Théodore Dubois qui, présent,
est l'objet de chaleureuses ovations. On fait grand succès aussi à M. Jean
Reder et à M. Willaume; à ce dernier l'on bisse le Sehrrzo-ea/se, pour violon
et piano, accompagné par l'auteur.
— SomÉiis et Concerts. — A la dernière séance du •< Lied moderne t, très gros
succès pour M"° Marteau de Milleville et M. Mausuière dans toute une série des
Poèmes de Jade, de Gabriel Fabre, accompagnés par l'auteur : ta Fleur défendue, la
Fleur d'oranger, De l'autre côté du fleuve et Ivresse d'amour. — Charmante matinée
musicale donnée par les élèves de M"" Le Grix. Très remarqués : M"" F.-M. (Chant
provençal, Massen-t), ït.-V. (Air du Musoli de la Perle du Brésil, F. David), Y.-V. et
M. L.-S. (duo de Sigurd, Eeyer), M"" E.-L. (air de Thaïs, Massenet) et M1" E. Arioso,
Delibes) — Salle des concerts de la rue d'Athènes, superbe festival Diémer d"nné
par les « Soirées d'Art » de M. Barrau. Outre le maître virtuose, on applaudit
M1" Marcello Preg'i, MM. David Devriès, Pu. Gaubert, J. Boucherit et L. Fnurnier.
Les Ailes, Dernières roses, les Cimes, le Cavalier, pour le chant, 3' Oriental'-, h Furet
pour piano, et des œuvres pour musique instrumentale valent très grand succès à
cette remarquable phalange d'interprètes. — Très brillante matinée musicale consa
crée aux œuvres de Théodore Dubois, chez M"' Marguerite Touzard. Grand succès
pour tous les interprètes, chaiulement félicités par le maitre qui accompagnait et a
exécuté avec la maîtresse de maison la Suite villageoise. Au programme, M. Saîler
lAnd'inte et scherzo-valse pour violon), M. Bas et M"' Fonlupt 'Pièces canonique* pour
hautbois et violoncelle), M"" Mary-Geist (Par le sentier et iJésir dCAcriti. M"- Y. Bru-
chausen (les Abeilles). — Chez M™* Cadot Archainbaud , charmante audition
d'élèves consacrée aux œuvres de Théodore Dubois, qui a vivement félicité" l'excel-
lent professeur et les charmants interprètes, tant pianistes que chanteurs ou chan-
teuses.
— Cours et Leçons. — M. Achille Kerrion a repris ses cours et leçons de violon-
celle et d'accompagnement, 13 bis, ruelamari.
NÉCROLOGIE
Nous avons le vif regret d'annoncer la mort, à Lille, de M. Maurice
Maquet, qui avait, en ces dernières années, provoqué dans cette ville un
mouvement musical très intense et fort intelligent. Simple dilettante, mais
très instruit et doué d'une rare activité, M.Maurice Maquet avait fondé en 1889, a
Lille, l'Orchestre et chœurs d'amateurs, société chorale et symphonique qui
fit, sous sa direction, de rapides progrès. En 1901, il la transforma en une
organisation plus puissante, la Société de musique de Lille, forte de deux
cents choristes et d'un orchestre de cent exécutants, à laquelle il devait con-
sacrer tout son enthousiasme, toute son énergie et sa remarquable intelligence.
Grâce à son initiative, Lille connut ainsi de belles séances musicales, où
furent révélées au public du Nord les grandes œuvres symphoniques et cho-
rales, telles que le Déluge de Saint-Saëns, Roméo et Juliette et le Requiem de
Berlioz, VAclus trauicus de Bach, les Béatitudes de César Franck, la Vestale de
Spontini, le Requiem de Brahms, d'importants fragments des Maîtres Chanteurs
et de Parsifal, jusqu'alors ignorées. La mort de M. Maurice Maquet, emporté
à l'âge de 44 ans .pai' une infiuenza infectieuse à la veille du festival Schubert
qu'il devait diriger, est une perte sérieuse pour la cause de l'art dans le nord
de la France, où son action avait été féconde autant que nécessaire.
— De Rome on annonce la mort du ténor Enzo Ghilardini, qui eut une
période de notoriété et de fortune. Frappé il y a un an d'une apoplexie incu-
rable, il ne se remit plus. Dernièrement, à l'hospice du Saint-Esprit, où il
avait élé placé, il fut pris d'un accès de folie : il manifestait constamment la
crainte d'être empoisonné, et pour cette raison refusant obstinément toute
espèce de nourriture, il est mort d'inanition.
— On annonce de Vienne la mort du jeune compositeur Hugo Kobler, qui
a fait jouer le 5 mai 1906, au Garl-Theater, l'Adolescent aux roses, opérette qui
obtint beaucoup de succès.
Henri Heugel, directeur-gérant.
en l'étude de Me Panhard. notaire, rue Rouge-
mont, 4, le 16 janvier 190S, à 2 heures.
LA PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE ET ARTISTIQUE
de diverses œuvres musicales. — Mise à prix (pouvant être baissée) : 1.000 fr.
S'adresser à M05 Panhard. notaire, et Haquin, avoué.
ADJUDICATION
LE MÉNESTREL
fesoixarrte-quatorsïièiïi© année d© publication.
PRIMES 1908 du MÉNESTREL
JOURNAL DE MUSIQUE FONDÉ LE 1er DÉCEMBRE 1833
Paraissant lous les samedis en huit pages de texte, donnant les comptes rendus et nouvelles des Théâtres et Concerts, des Notices biographiques et Études
sur les grands compositeurs et leurs œuvres, des articles d'esthétique et ethnographie musicales, des correspondances étrangères,
des chroniques et articles de fantaisie, etc.,
publiant en dehors du texte, chaque samedi, un morceau de choix (inédit) pour le CilAXT ou pour le PIANO et offrant à ses abonnés,
chaque année, de beaux recueils-primes CHANT et l'i t\«
C xi A. -N T (1er MODE D'ABONNEMENT)
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Un recueil grand format j=3U3
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à l'un des volumes in-8- des CLASSIQUES MARMONTEL : MOZART, HAYDN, BEETHOVEN, HUMMEL, CLEMENTI, CHOPIN, ou à l'un des
recueils du PIANISTE -LECTEUR, reproduction des manuscrits autographes des principaux pianistes -compositeurs, ou à l'un des volumes du répertoire des
danses de JOHANN STRAUSS, GUNG'L, FAHRBACH, STROBL et KAUL1CH, de Vienne, ou OLIVIER MÉTRA et STRAUSS, de Paris.
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aneien on nouvel abonné, sur la présentation de la quittance d'abonnement au M IvYKVritl,!, pour l'année 190S. Joindre au prix d'abonnement
un supplément d'IL'Y ou de UËl'\ francs pour l'envoi franco dans les départements delà prime simple ou double. (Pour l'Etranger, l'envoi franco
des primes se règle selon les frais de Poste.)
Les abonnés au Chant peuvent prendre la prime Piano el vice versa. - Ceux au Piano el au Chanl réunis ont seuls droit à la grande Prime . - Les abonnés au texte seul n'ont droit à aucune prime.
CHANT CONDITIONS D'ABQhNiiïiENT AU « MÉNESTREL » PIANO
!" Mode d'abonnement : Journal-Texte, tous les samedis; 26 morceaux de chant :
Scènes, Mélodies, Romances, paraissant de quinzaine en quinzaine; 1 Recueil-
Prime. Paris et Province, un an : 20 francs; Étranger, Frais de poste en sus.
2e Mode d'abonnement: Journal-Texte, tous les samedis; 26 morceaux de piano:
Fantaisies, Transcriptions, Danses, de quinzaine en quinzaine; 1 Recueil-
Prime. Paris et Province, un an : 20 francs; Étranger : Frais de poste en sus.
CHANT ET PIANO RÉUNIS
3e Mode d'abonnement, comprenant le Texte complet, 26 morceaux de ebant, 26 morceaux de piano, les 2 Recueils-Primes ou une Grande Prime.
Un on : 30 francs, Paris et Province; Étranger : Poste en sus.
4° Mode d'abonnement. Texte seul, sans droit aux primes, un an : 10 francs.
On souscrit le lor de chaque mois. — Les 52 numéros de chaque année forment collection.
Adresser franco un bon sur la poste à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne.
GÈRE, 20,
— IZacn Lorilïfiux).
— 74e ANNÉE. — RM.
PARAIT TOUS LES SAMEDIS
Samedi 11 Janvier 4908.
(Les Bureaux, 2bls, rue Vivienne, Paris, u-arr')
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
Bec
ENESTREL
Le flaméfo : o îv. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL. Directeur
lie fluméro : o fr. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. —Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste ea sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixanle ans de la vie de Gluck (3' article), Julien Tieusot. — II. Bulletin théâtral :
reprise de Coralie et C", au Nouveau-Théâtre, Amenée Boutarel. — III. Petites Notes
sans portée : L'auteur reflété dans son œuvre, Raymond Bouyer. — IV. Regards
en arrière (2" article) : Un joli Noël, Léopold Dauphin. — V. Revue des grands con-
certs. — VI. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
ADIEU LA ROSE
n° o des Idylles et Chansons de Jaques-Dalcroze, sur des poésies de Gabriel
Vicaire. — Suivra immédiatement : le Pécheur de Syracuse, n° 4 des Odelettes
antiques, de Théodore Dubois, sur des poésies de Charles Dubois.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de piano:
Ronde des Korrigans, n° o de Féerie, petite suite pour piano de I. Piiilipp. —
Suivra immédiatement : Danse des Crotales, a" 3 des Danses Tanagréennes de
Zino-Zina, ballet de Paul Vidal.
PRIMES GRATUITES DU MÉNESTREL
pour l'année 1908
Voir à la 8e page des précédents numéros.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
CHAPITRE II
ENFANCE DE GLUCK EN BOHEME
Retourné dans les forêts de Bohème d'où les siens s'étaient
autrefois arrachés, il n'y resta pas assez pour reprendre racine,
mais put au moins puiser la sève qui devait lui rendre la
vigueur native de sa race. Et d'abord, enfant, il y mena une
rude vie. Quand, dans sa vieillesse, il racontait à ses amis et à
ses proches, avec la complaisance accoutumée de ceux qui ont
fait fortune, les souvenirs de ses humbles commencements, il
disait que son père le chasseur ne l'avait pas élevé pour une vie
douce, mais au contraire prenait à tâche d'assouplir sa turbulence
et son humeur folle aune discipline sévère, même tyrannique ;
son frère cadet et lui devaient raccompagner dans ses tour-
nées forestières, au plus fort de l'hiver, marchant pieds nus sur
les chemins de Bohème, aidant à porter le gibier et les armes (I):
excellente préparation au rude métier auquel Gluck semblait
destiné par sa naissance, et qui ne l'empêcha nullement de
réussir dans une autre carrière ; au contraire, il s'en trouva
aguerri pour les luttes futures.
Mais une préparation plus directe fut celle qu'il reçut dans les
simples écoles de la Bohème.
La Bohême a été reconnue en tout temps pour un des pays les
plus musicaux de l'Europe. Un contemporain de Gluck, au
témoignage de qui nous aurons maintes fois à faire appel.
Burney, rapportait, au retour même d'un voyage où il l'avait
fréquenté à Vienne, cette opinion courante que, si les Bohémiens
possédaient les mêmes avantages que l'Italie offre à ses habi-
tants, ils les surpasseraient dans la musique (2). C'était, en ce
temps, le superlatif de l'éloge 1
Ce génie s'est perpétué, précisé et affiné avec les années. La
Bohème, aujourd'hui, possède une école de musique nationale,
une « musique tchèque » qui, depuis un demi-siècle, avec les
Smetana et les Dvorak, a eu maintes occasions d'affirmer sa vita-
lité. Au temps de Gluck, et longtemps encore après lui, personne
n'eût osé avouer une conception pareille, ni penser qu'elle dût
se réaliser jamais. Au régime continu du canon, la Bohème
semblait avoir perdu toute personnalité nationale ; sa mu-
sique, comme toutes les autres manifestations de sa vie,
était donc faite à l'image de celle dont ses oppresseurs lui impo-
saient l'exemple. Mais, qu'elle fût allemande plutôt que tchèque,
cette musique n'en restait pas moins excellente, et témoignait
d'une culture supérieure.
Les moindres musiciens du pays étaient gens de talent.
Faut-il rappeler le souvenir de Mozart, la satisfaction sans
mélange qu'il goûta à Prague, milieu plus musical qu'aucun où
il eût vécu jusqu'alors, la joie qu'il éprouvait à se voir toujours
(1) C'est Scbmid qui rapporte ces souvenirs (pp. 20, 21), sans préciser de qui il
les tient. Mais il raconte ailleurs qu'un frère de Gluck (non Antoine, le second entant
de la famille, son compagnon dans les courses avec le père, et qui mourut jeune,
mais le troisième, Franz, qui, entré à son tour dans l'administration forestière, y
parvint à un emploi plus élevé que les Gluck des générations antérieures, et habita
les villes Prague et Vienne) connut dans sa vieillesse le musicien bohémien Tomas-
chek, auquel il raconta des particularités que Schmid recueillit à son tourdelacouche
de ce dernier : c'est évidemment par cette voie que les détails sur l'enfance du grand
musicien nous sont parvenus. Tomaschek, né l'année même où Gluck vint a Paris
donner Iphigénie en AulHe (1774), a vécu jusqu'en 1850 ; il est fort possible qu'il ait
connu un de ses frères. Il a, d'autre part, témoigné jusqu'à la fin de sa vie
avoir conservé une impression ineffaçable du séjour de Mozart à Prague pour les
représentations de Don Juan. Et c'est chose remarquable que la continuité des sou-
venirs de cet honnête artiste, fermement attaché à sa patrie, qui, au milieu du XIX-
siècle, pouvait dire qu'il avait connu Mozart, et, mieux encore, raconter, transmis
par un seul intermédiaire, propre frère du maître, des souvenirs de l'enfance de
Gluck, remontant à un siècle et quart.
(2) Bubneï : L'État présent de la musique en Allemagne, et surtout en Bohême, etc. Tra-
duction française, tome III, IS10, p. 4.
dO
LE MÉNESTREL
exactement compris et interprété ? Populaire dès avant son arri-
vée, il entendait dans les rues les joueurs de harpe ou les
bandes d'instrumentistes nomades jouant les airs de Figaro, etil
s'amusait parfois lui-même à leur faire exécuter sa musique à
leur manière (1).
Berlioz a porté des témoignages analogues, soit dans les
relations que ses Mémoires ont laissées de son séjour à Prague,
soit, sous une forme plus fantaisiste, mais non moins vivante,
dans son ingénieuse nouvelle : Le Harpiste ambulant (£), dont le
point de départ est la rencontre qu'il fit, sur le chemin de
Prague, d'un musicien errant, lequel, ayant assisté à un de ses
concerts, engagea"la conversation en grattant sur sa harpe le
thème du scherzo de la Reine JMab, lui donnant ainsi une phy-
sionomie exotique toute particulière. — « Ah ! Prague, voilà
une ville musicale » ; ne peut-il pas se tenir de s'écrier au cours
du récit !
Wagner, dans son récit quasi autobiographique : Une Visite à
Beethoven, donne au passage une note également élogieuse : « Je
traversai les belles campagnes de la Bohême, ce pays privilé-
gié des joueurs de harpe et des chanteurs nomades. Dans un
petit bourg, je fis la rencontre d'une de ces nombreuses troupes
de musiciens ambulants, orchestre mobile composé d'un violon,
d'une basse, d'une clarinette, d'une flûte et de deux cors, sans
compter une harpiste et deux chanteuses femmes pourvues
d'assez jolies voix. Pour quelques pièces de monnaie ils exécu-
taient des airs de danse ou chantaient quelques ballades, et puis
ils allaient plus loin recommencer le même manège ». Et il
continue en racontant quev se joignant à eux, ils exécutèrent
ensemble, en pleine campagne, le septuor de Beethoven ! (3).
Faut-il rappeler enfin la plus digne illustration de la nature
bohémienne, celle que Weber a harmonieusement tracée en
écrivant le Freischiitz. dont l'action se déroule dans les forêts et
les gorges de l'antique royaume tchèque, où retentissent les
fanfares et les gais refrains des chasseurs, où les musiciens
rustiques font danser les filles aux rythmes fortement marqués de
leurs violons et de leurs cors, en poussant des cris gutturaux
semblables au hucheinent de nos paysans et de nos bergers de
France, où la poésie de la terre, enfin, s'exprime avec un accent
dont nul autre n'a jamais su égaler l'intimité ?
Burney, qui a parcouru la Bohème dans le voyage au cours
duquel il venait précisément de visiter Gluck à Vienne, a
cherché à se rendre compte des causes de cette supériorité du
peuple bohème en matière de technique musicale. Ses observa-
tions sont intéressantes, et méritent d'être reproduites.
« J'ai traversé, dit-il, toute la Bohème du midi au nord, m'in-
formant partout, et m'attachant à bien connaître comment le
peuple y apprenait la musique. J'ai su ainsi que, dans chaque
grande ville, et même dans tous les villages, il y a une école
publique où en même temps que l'on montre à lire et à écrire
aux enfants des deux sexes, on leur enseigne aussi la musique.
Partout où j'ai passé j'ai visité ces écoles.. A Czaslau, je les ai
trouvées en exercice. M. Jean Dulsick, l'organiste et chantre, et
M. Martin, le premier violon de l'église paroissiale, qui sont
aussi les maîtres d'école, m'ont procuré tous les renseignements
que je désirais. J'entrai dans la classe : elle était pleine de petits
enfants des deux sexes depuis l'âge de six ans jusqu'àdix, et
qui étaient occupés à lire, à écrire, et à jouer du violon, du
hautbois, basson et autres instruments. L'organiste tenait dans
une petite chambre de sa maison quatre clavecins, sur lesquels
de petits élèves s'exerçaient. Son fils, qui n'avait que neuf ans,
était déjà fort, et exécutait fort bien (4) ».
A Prague, dit-il encore, « pendant mon dîner à l'auberge de
la Licorne, des musiciens ambulants qui courent les rues en
troupe vinrent me saluer. Ils exécutèrent avec la harpe, le
violon et le cor plusieurs morceaux, menuets et polonaises, fort
jolis, sans que l'exécution ajoutât rien au mérite de la compo-
(1) Voy. Julien Tïersot : Élude sur Don Juan, Ménestrel de 1S87, ri»" 2 à 0.
(2) Hector Berlioz : Les Soirées de Vorchesbre, deuxième soirée.
(3) Revue et Gazelle musicale de Paris, 19 novembre 1840, p. 552.
'i i Burney : État présent de la musique, el ■ JJi. û.
sition. Peut-être pourra-t-on s'étonner qu'une ville comme
Prague, la capitale d'un royaume pour ainsi dire tout musical,
qui offre à chaque habitant un champ vaste au génie de la
musique, ne soit pas plus fertile en grands musiciens. 11 n'est
pas difficile de répondre à cette remarque, si on observe que la
musique est un des arts enfants de la paix, du loisir et de
l'abondance. Et s'il est vrai, suivant Rousseau, que les arts
n'ont jamais fleuri davantage que dans les siècles de corruption,
ces temps ont dû être toutefois des époques de richesse et de
tranquillité. Mais les habitants de la Bohême ne sont jamais
longtemps en paix. D'ailleurs, la haute noblesse suit la cour,
reste à Tienne et habite rarement la capitale : il arrive de là que
ceux des habitants de condition ordinaire qui s'adonnent à la
musique dans leur enfance ne trouvent point d'encouragement
pour poursuivre ensuite leur carrière et aller au delà d'être
musicien de rue ambulant, ou au service de quelque seigneur.
» Et en effet, la plupart de ces Bohémiens qui ont appris la
musique aux écoles publiques dans leur enfance, on les ren-
contre ensuite à la charrue ou attachés à d'autres emplois aussi
pénibles : et ce qu'ils savent de musique ne leur sert plus
alors qu'à les rendre capables de chanter à la paroisse et à
devenir pour eux une simple récréation domestique, ce qui est,
peut-être, le meilleur emploi et le plus honorable auquel on
puisse appliquer la musique.
» On lit dans des voyageurs que les nobles Bohémiens entre-
tiennent des musiciens à leur service. Mais c'est qu'en prenant
des domestiques ils ne peuvent pas faire autrement, puisque
dans toutes les écoles communes de village et de ville du
royaume, où sont envoyés tous les enfants de paysans et ceux de la
classe des artisans, en même temps qu'on leur apprend à lire
on leur enseigne la musique, excepté à Prague, où elle ne fait
point partie de l'instruction des écoles, mais les musiciens qu'on
y trouve.y sont envoyés de la campagne (1) ».
L'éducation musicale de Gluck et sa vocation même ne peu-
vent pas être mieux expliquées que par cet exposé d'une situa-
tion générale. C'est à ces mêmes écoles de la campagne bohé-
mienne, visitées par Burney quarante ans après qu'il y eût
passé, qu'il puisa ses premières connaissances en ces trois seules
matières : lecture, écriture, musique. S'il n'eût pas été Gluck,
c'est-à-dire un prédestiné, il serait ensuite, comme les autres,
retourné à sa charrue, ou à sa forêt, et ses talents eussent été
employés à chanter au lutrin et faire danser la jeunesse aux
jours de fêtes : l'art de musique, en un mot, n'eût été pour lui
qu'une « simple récréation domestique ». Et à regarder atten-
tivement aux choses, il semble bien que ce ne soit pas dans
une autre intention qu'il reçut ses directions premières et qu'il
commença sa vie.
(A suivre.) Julien Tïersot.
BULLETIN THÉÂTRAL
Théâtre des Nouveautés. — Reprise de Coralie et Cic, vaudeville
de MM. A. Valabrègue et M. Hennequin.
C'est une pièce à péripéties invraisemblables, pleine de mois amu-
sants et spirituels parfois. Tout s'y passe dans la maison Coralie et Cie,
<• Robes et Manteaux », maison pourvue de tous les accessoires utiles
ou nécessaires pour faciliter les intrigues. Il y a là des cloisons mou-
vantes derrière lesquelles des maris retrouvent leurs femmes, des pla-
cards au fond desquels ou découvre des personnages à demi étouffés,
tout cela vivant, mouvementé, jovial.
MM. Germain, Colombey et Baron fils, ont interprété leurs rôles avec
beaucoup d'entrain etde brio. M»|CRosineMaurel aurait pu suffire àempè-
cher le rire de chômerdans cette salle, tant elle a misd'imprêvuhumoris-
tique dans son personnage revêche de tante déplaisante et chicanière.
Mmes Carlix, Caumont, Saudry... ont obtenu aussi des succès variés,
selon les genres de talent qu'elles ont su déployer.
Am. B.
1 (1) Burneï : Etat présent de la musique, III, pp. 10 et suiv.
LE MÉNESTREL
II
PETITES NOTES SANS PORTÉE
CXXVI
L'AUTEUR REFLÉTÉ DANS SON OEUVRE
.1 .]/. le />• L. Gustave Richetot, (/ni
s'intéresse à la « physionomie» de
la musique.
Mystère et Clarté : devise de la musique même, de la belle musique !
Et tel pourrait être le sous-titre do ces brèves conclusions provisoires
sur la, physionomie delà musique, si la mode des sous-titres n'allait
point fêter son centenaire... Oui, ces conclusions seront brèves, parce
qu'elles se voudraient quelque. peu précises; — et provisoires, parce
que cet art éternellement mystérieux les veut telles !
Un l'ait nous a frappé (1) : Gluck et son continuateur Berlioz, les
deux plus passionnés avocats de l'expression musicale et dramatique,
n'hésitant jamais à transporter un morceau d'un ouvrage dans un
autre, pourvu que la situation soit analogue. Chez l'héritier poudré de
la Tragédie grecque, Armide parle le même langage violent que Tele-
macco; la malheureuse Iphigénie s'exprime sur les mêmes notes que
Circé. Chez le sombre adorateur du Drame shakespearien, Roméo sou-
pire idéalement la mélodie de Sardauapale ; l'antique Orphée devance
le chant de romantique bonheur d'un Lelio ; l'Idée fixe, qui passe en
bourrasque dans la Fantastique de 1830. ouïe premier leit-motiv d'amour
qui glisse en brise tiède au balcon de Vérone, est un encens qui brûle
sur les autels de plusieurs déesses, Stella Montis de l'enfance ou belle
Ophélie de la jeunesse : la même prière amoureuse invoque intérieure-
ment plusieurs divinités...
Ces deux maitres es expression lyrique ne sont pas les seuls fauteurs
de ces translations d'idées ; deux hommes de théâtre, parmi nos con-
temporains, en ont donné plus récemment l'exemple: ou sait qu'une
Coupe du roi de Thulé, composition juvénile, a pénétré, par fragments,
dans toutes les premières partitions de Massenet; l'éblouissant troi-
sième acte du Roi de Lahore eu fut extrait textuellement. Pareil sort
attendait la partition de Fiesque, qu'on retrouve dans tous les ouvrages
de Lalo, même dans sa symphonie en sol mineur de 1887 : disjecti mem-
brapoetœ... Ces exemples pourraient se multiplier.Or, voici, pourl'mstant,
notre conclusion : — Ce n'est point Te/emaceo, non plus qu'Armide, qui
s'exprime : c'est le chevalier Gluck: ce n'est ni Roméo, ni Sardanapale,
ce n'est pas l'Orphée de Virgile ou Lelio, romantique lecteur de Sha-
kespeare : c'est Hector Berlioz. Ce sont Gluck et Berlioz, avant tout,
qu'expriment la musique de Gluck et la musique de Berlioz ; c'est le
maître qui se traduit involontair ement dans son langage de composi-
teur. La, physionomie de la musique est, d'abord et surtout, la physiono-
mie du musicien. L'œuvre musicale n'est que le miroir de son auteur.
C'est « lui, toujours lui » qui se reflète dans l'éloquence qu'il prête à
ses héros de désespoir ou d'amour. Même au théâtre, le lyrisme essen-
tiel de l'art musical est essentiellement subjectif.
Bon gré, mal gré, le musicien n'est jamais peintre : sans titre ni pro-
gramme, la plus vivante de ses symphonies ne sera jamais nettement
figurative et plastique, descriptive et pittoresque. Même sans catalogue,
une peinture apparaît aux yeux plus explicite : même saus sujet défini,
des formes humaines ou naturelles se précisent; tandis que l'art musi-
cal ne peut rieu objectiver ni définir: son langage enchanteur ne sau-
rait rien articuler: il ne l'a jamais pu : ce n'est point son rôle. Et le
« portrait » que le musicien nous transmet de lui-même est bien vague :
cependant, il nous livre quelque indicible physionomie de son être...
Aux accents particuliers du génie de Gluck, comparez son buste
génial par Houdon ; évoquez la robuste image, très supérieure au por-
trait officiel de Duplessis, cette allure fièrement débraillée, sans jabot
ni perruque... En écoutaut la Fantastique, que nos jeunes chefs d'or-
chestre ont l'air de chérir, songez au portrait d'Hector Berlioz, si labo-
rieusement pâli par Courbet dans une ombre... Au finale incendié du
Crépuscule des dieux, éclairez la face despotique de Richard Wagner,
saisie par l'impressionniste Renoir, à Palerme... La tristesse léonine de
Beethoven ne sympathise-t-elle pas avec l'âme que nous suggèrent ses
derniers quatuors, qui nous parlent obscurément de son âme ? On
dirait de vagues « mémoires d'outre-tombe »... Et le « contraste »
initial de l'ouverture de Coriolan n'est-il point déjà tout Beethoven ?
« L'Empereur », s'écriait un médaillé de Sainte-Hélène, à la formi-
dable aurore du final majeur de la cinquième symphonie (2); mais ce
(1) Voir le Ménestrel des 12et26 octobre 1907.
(2i Oui, le finale de l'Ut mineur, et non pas celui de l'Héroïque, comme un éehotier
lé prétendait ces jours-ci !
revenant, n'est-ce pas, avant tout. L'effort victorieux du maître des
maitres ? Et son Fidelio n'est si beau que parce qui; son cher prison-
nier... c'esl lui-même! Enfin, la musique plus compliqn I un César
Franck ne nous émeul que parce qu'elle nous ressuscite quelque
lueurde sa belle âme, reflétée nagii'-iv -ur sa I.
Oui, l'âme de l'auteur se mire instinctivement dans soi œuvre; ei
plus cette âme est haute, plu- la physionomie mélodieuse nous semble
élevée. L'aspect du monument li'-nu ■
Essentiellement générale par son rague même, la musique, celte archi-
tecture émouvante, apparaît individuelle comme un parlant po
Expression volontaire ou reflet inconscient, c'esl une physionomie qui
trahit une disposition permanente ou des interi
mais c'est un accent qu'on n'oublie plus, des qu'il est original. La
musique instrumentale est le sourire ou la mélancolie sans pai
mélodie vocale, c'est la voix articul [ui commente le feu du regard.
Même aux lueurs de la rampe, cetle physionomie est toujours celle de
l'auteur. Et combien sa biographie, quand elle est connue (le calvaire
secret d'un Beethoven, par exemple), ajoute en nous de gloses fugitives
à ces effluves mystérieux !
(A suivre.) Raymond Bouter.
REGARDS EN ARRIÈRE
ii
UN JOLI NOËL
Au début de leur carrière, se rencontrant dans le Tout-Paris artiste,
Alphonse Daudet, poète, etFerdinand Poise, musicien, tous deux Nimois
et à peu près du même âge, devaient fatalement se lier d'amitié et colla-
borer. Fatalement aussi l'action de leur pièce devait se dérouler dans le
cadre du cher pays natal. Ils écrivirent donc les Absents, opéra-comique
en un acte, où l'un mit l'exquise saveur de son charme littéraire, et
l'autre la tendre mélancolie et la douce sentimentalité qui furent tuu-
jours la caractéristique de son tempérament musical.
Pourquoi faut-il que cette collaboration si pleine d'heureu>es pro-
messes n'ait pas eu de suite !... Daudet et Poise, demeurant unis, nous
auraient si bien dit à la scène, non pas !' 'Artésienne dramatique comme
fit le premier avec Bizet, mais des contes souriants, des comédies
amoureuses, des légendes chantantes où l'âme de leur Provence aimée
eût ouvert ses ailes légères et parfumées.
Mais non, regrettable rupture, les deux amis s'éloignent l'un de
l'autre. Poise à lu les Femmes d'artistes de Daudet et, chagrin, ne peut
lui pardonner d'avoir ainsi choisi pour modèle sa vie domestique et
d'eu avoir travesti en laid la jolie intimité. « Que ne racontait-il plutôt la
simple vérité? me disait-il; sans doute Tounietto et moi y eussions gagne de
paraître un peu, moins sottement ridicules, en même temps que moins
malheureux. » Et à ce propos, Poise se plaisait à faire revivre devant
moi certaines heures charmantes de son paisible intérieur dont Daudet
avait été le témoin, entre autres celle-ci que je vais dire et qui vrai-
ment aurait pu lui fournir l'occasion d'écrire, pour notre joie littéraire,
quelque nouvelle page digne de ses inoubliables Lettres de mon moulin.
C'est nuit de Noël. L'Opèra-Comique donne les Absents. Les deux
auteurs assistent à leur succès tandis que Tounietto, au logis, leur pré-
pare le traditionnel réveillon. A la sortie du théâtre, joyeusement,
bras dessus, bras dessous ils grimpent vers Montmartre, rue Mansart.
L'antichambre sent bon la truffe et le boudin. Le tout petit salon est
paré de lumières, de gui et de fleurs. Dans la cheminée flambe l'énorme
« bûche ». Sur la housse du grand piano à queue, une Crèche, faite avec
des santons de Marseille, montre l'Enfant Jésus entre le bœuf et l'âne,
et, derrière eux, une paire de chameaux bossus: à l'entour se groupent
la Vierge et les trois rois Mages « en manteaux rouge, jaune et bleu »:
plus haut, sur de minuscules coteaux verts s'approchent les bergers;
et planant sur le tout, descend du plafond, suspendue par un fil, une
large étoile découpée dans du papier doré, la Belle Étoile !
Près de ce piano se dresse une petite table — rectangulaire — recou-
verte d'une luisante nappe d'impeccable blancheur sur laquelle, en
attendant les soupeurs. trois couverts ont l'air de faire la cour à leurs
voisines les olives noires, les figues sèches et la fouace à l'huile.
Tounietto, seule, en bonne ménagère, a veillé à tout, tout mis en
ordre, tout préparé, tout cuisiné. Alerte, gaie, elle va. vient, heureuse
d'une idée à elle qu'elle eut au dernier moment et que Ferdinai
42
LE MENESTREL
encore. Mais sans plus tarder, dans un coin du couloir, en secret
— chut ! — elle lui en fait part, et celui-ci, ravi, de sourire et d'applaudir.
Minuit sonne. Les senteurs appétissantes qui viennent de la cui-
sine aiguisent les dents: la vue des flacons poudreux et des cristaux
clairs est réjouissante : zoù ! en avant ! on se met à table. Et les langues
de se délier, et les voix de se mêler. Daudet plus que jamais est étour-
dissant de verve. Ils causent de tout un peu et principalement — en
provençal — de leur « là-bas », des cigales, des Alpilles bleues, de
File de la Barthelasse. de leurs amis Mistral, Aubanei, Roumanille et
Roumiourniou. Tounietto, tout en racontan! à son tour, en son amu-
sant français bigarré d'italien, ses souvenirs du temps qu'elle était
danseuse à la Scala de Milan, surveille tout f« hé, l'artiste, la lampo que
filo t), songe à tout, débouche l'Asti (« ecco la botteglia ! »), arrange le
feu (« il fioco! ») Et les langues d'aller bon train, autant et plus que les
fourchettes.
Oui, d'un tel bon train tout allait que c'est à peine si, dans ce train-
là, Daudet entend l'accord mystérieusement arpégé qui vient subite-
ment de résonner comme à la fois proche et lointain. Quelques instants
après un autre accord semblable résonne... Qu'es aco?... Est-ce qu'on
révérait, par hasard?... Le château neuf des Papes jouerait-il âAlphonse
un mauvais tour ?... Il écoute : plus rien. Touuietlo et Poise se font du
pied sous la tab!e, se regardent en riant.
L'accord, cette fois, moins timide, reprend, suivi de quelques autres,
pour finalement se muer en une mélodie que Daudet maintenant
entend bien et reconnaît : « Per Santo Eslello ! es dé Saboli », s'écrie-t-il
en tapant sur la table; et le voici illuminé de joie, renversé sur le dos-
sier de sa chaise, levant haut son verre et chantant à plein gosier le
gai noël provençal. Ses hôtes font chorus, et, l'entraînant, ne lui per-
mettent pas de s'inquiéter d'où vient, si à propos, cet accompagnement,
lointain et proche, à sonorité vieillote et chevrotante.
Oh ! le mystère ne saurait plus longtemps lui échapper : la table sur
laquelle ils réveillonnent est une vieille épinette, louée pour la circons-
tance par Tounietto à l'insu de Poise, et c'est ce dernier qui, placé
devant le clavier, les mains cachées sous la nappe, en fait, pianissimo,
vibrer les cordes Fouillées... Et c'est, après l'air, chanté par tous, du roi
René et les noels sans fin, le tour du seul vieil instrument faisant suc-
céder les prestes rigaudons aux traînants menuets.
Le jour pâlissait les lumières que la voix des noéls alternait encore
avec les sons aigrelets de la vieille épinette disant, elle,
— Musiques fluettes et nettes
Comme gais babils de sornettes —
l'esprit vif et naïf joliment rococo et les grâces toujours jeunes quoique
surannées des toccatas, passacailles. musettes et gavottes des vieux
Couperin, Rameau, Lulli et Dominique Scarlalti, tous maîtres anciens
si chers au brave Poise.
Et Daudet, enchanté, avant de partir, embrassait de bon cœur, sur le
seuil de la porte, son hôtesse l'aimable Touuietto, femme d'artiste (!)
oui, mais si bonne ménagère, si gentiment accueillante, Tounietto qui
simplement, non sans délicate finesse, avait eu la spirituelle pensée
de lui faire, à lui poète, la surprise inattendue d'un réveillon exquise-
ment musical et certes peu bourgeois, « une Tounietto, n'est-ce-pas?
ajoutait Poise, ressemblant peu, heureusement pour elle et pour moi, à
celle que Daudet nous dépeint dans son livre. »
Léopold Dauphin.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Coucerts-ColonnG — Grand succès pour la Damnation de Faust, qui en est
à sa cent cinquante-quatrième audition. M,le Louise Grandjeau, M. Emile
Cazeneuve, M. Fournels et M. PaulEyraud nous ont donné une interprétation
vocale de premier ordre. Il est juste de mettre hors de pair les deux solistes
bien connus, M. Monteux, alto, et M. Gaudard. cor anglais : ils ont obtenu
auprès du public des applaudissements très mérités. L'orchestre a été excellent
et M. Colonne a reçu les ovations qui ne lui manquent jamais lors de ces audi-
tions de fête. - Am. B.
— Concerts-Lamoureux. — La Symphonie pastorale ouvrait le concert. L'or-
chestre, sous la direction ardente et vigoureuse de M. Paul Vidal, a rendu le
chef-d'œuvre de Beethoven avec une précision non exempte de sécheresse
dans la scène au bord du ruisseau, mais vivante et colorée dans la danse et
l'orage. Le Caprice espagnol de Rimsky-KorsaRow est surtout une pièce
de virtuosité in-trumentale aux bizarres accouplements de timbres, aux
fusées étincelantes, mais en somme d'une musicalité tout extérieure.
Il fut exécuté en perfection. Mme Jacques Isnardon a obtenu un grand
et légitime succès dans l'air à'Iphigénie en Tauride, de Gluck, et la char-
mante Phidylé. de Henri Duparc. La voix de la cantatrice est homogène,
bien timbrée, la diction nette, l'accent vigoureux. Elle a l'ait sensation.
Le concerto en cède Haendel pour orgue et orchestre est une œuvre admirable
trop rarement entendue et que M. Gigout a interprétée avec la virtuosité dont
il est coutumier. LTne suite d'orchestre inédite de M. Jean Poueigh, d'après
un conte de G. d'Esparbès, contient, comme beaucoup d'oeuvres de « jeunes »,
énormément de talent mis au service de très peu d'idées. Funn est une sorte
de petit triptyque fies Lavandières, les Fleurs du Sommeil, les Grives) nous
contant, ou visant à nous conter, les prouesses d'un petit dieu malin favo-
rable aux amoureux et qui commande en maître aux oiselets. Le sujet n'est pas
dépourvu d'agrément, voire même d'espièglerie. Il faut avouer que la muse
compliquée et contrapuntique de M. Poueigh est mal à l'aise dans un vête-
ment aussi léger et transparent. On a fait bon accueil à cette pièce instru-
mentale, qui est l'œuvre d'un musicien connaissant bien son métier, mais
auquel un peu plus de fantaisie n'aurait pas nui. J. Jemain.
— Programmes des concerts de demain dimanche :
Conservatoire : Symphonie pastorale (Beethoven). — Deux chœurs sans accompa-
gnement (Saint-Saëns). — Ballade pour piano (Gabriel Fauré), par M"' Marguerite
Long. — Scherzo i Lalo). — Trois chœurs pour voix de femmes (César Franck et
C. Erlanger;, orchestrés par M. Guy Ropartz. — Symphonie en ut (Haydn).
Châtelet, concert Colonne : Prélude du 1" acte de Loliengun (Wagner). —Con-
certo en sol mineur (Saint-Saëns), par M"" Germaine Arnaud. — Trois mélodies
(Th. Dubois), Si j'ai pa'lé, Printemps, la Voie lactée, par M. Plamondon. — La
Mer (Debussy). — Symphonie fantastique Berlioz).
Salle Gaveau, concert Lamoureux, sous la direction de M. Vincent d'Indy : Pre-
mière symphonie (Vincent d'Indy), pour orchestre et piano, avec le concours de
M"" Blanche Selva.' — Islar (Vincent d'Indy). — Egmonl (Beethoven), musique de
scène pour la tragédie de Gœthe, avec le concours de M"' Pironnay.
— L'orchestre des Concerts Marigny a exécuté avec beaucoup de succès,
sous la direction de M. de Léry, les befies Scènis gothiques de Périlhou. Cet
orchestre est devenu vraiment un des meilleurs et des plus homogènes de-
Paris.
— La Société J.-S. Bach (salle Gaveau) annonce pour le mercredi 29 jan-
vier le Défi de Phébus et de Pan et le Magnificat. Les soli seront chantés par la
grande cantatrice allemande Mme Maria Philippi, Mlle Cécile Valnor (de Genève),
Mlle Tripel, MM. Plamondon, Reder et Mary, organiste : M. A. Schweitzer ;
qui interprétera de plus le prélude concertant de la cantate n° 169. Chœurs et
orchestre (150 exécutants) sous la direction de M. G. Bret. Répétition pu-
blique la veille à 4 heures. (Entrée, S francs.) Billets et carnets d'abonnement
à la salle Gaveau et chez les principaux éditeurs.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour les seuls abonnés a la musique)
M. Jaques-Dalcroze, le jeune maître suisse, le compositeur du Bonhomme Jadis, de
Sancho et des Jumeaux de Bergame, vient de publier au Ménestrel un joli recueil
plein d'humour et de poésie tour à tour, sous le titre : Idylles et Chansons. Plusieurs
numéros en seront chantés prochainement avec orchestre dans nos concerts sympho-
niques. Nous détachons du recueil pour nos abonnés la plus courte de ces chansons :
Adieu la rose. Elle suffira à faire apprécier la note fine et délicate du musicien.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (S janvier 1908). — La première de
Forlunio a été, pour l'œuvre charmante de MM. de Caillavet, de Fiers et Messager,
un succès, sinon très enthousiaste, du moins très sympathique. Le cadre de
la Monnaie, est évidemment un peu vaste pour l'élégance aimable, toute en
détails, toute en nuances.de cette jolie partition. Elle est d'une coloration trop
uniformément délicate, sans grands accents, pour que son charme intime
puisse s'imposer tout do suite en ce théâtre dont les échos — nous l'avons
constaté plus d'une fois déjà — semblent s'être désaccoutumés des grâces
d'autrefois, souriantes et tendres spirituellement. Mais Forlunio ne serait pas
le premier ouvrage qui, accueilli tout d'abord avec quelque réserve, aurait
exercé ensuite, peu à peu, sur le public, une impression durable. L'œuvre,
en ses allures de comédie musicale, suivant pas à pas, sans s'arrêter — sans
respirer même parfois, — l'action, est si pleine de choses charmantes, expres-
sives, ciselées et caressées avec le goût le plus subtil, qu'il parait impossible
que le public n'en subisse pas bientôt l'empire. Elle est de plus intéressante,
en sa tentative très curieuse de compromis entre l'ancienne formule de
l'opéra-comique français et la forme nouvelle de comédie lyrique que l'on
rêve depuis si longtemps d'obtenir. Le deuxième acte et le premier tableau du
troisième, d'une teinte passionnée si finement pénétrante, ont été, dès le pre-
LE MÉNESTREL
l:;
mier soir, particulièrement goûtés. Et il est certain qu'aux auditions sui-
vantes bien des pages, savoureuses, attachantes, éloquentes en leurs moindres
indications, s'affirmeront comme elles le méritent. Fortunio a trouvé d'ail-
leurs à la .Monnaie une interprétation homogène, excellente en la plupart
de ses parties. Le rôle de Jacqueline a pour titulaire la très jolie Lilian Gren-
ville, dont la heauté captivante suffirait à nous faire comprendre l'amour du
petit clerc de maître André et jalouser l'heureuse fortune du capitaine Giava-
roche. M. Morati est un Fortunio un peu ténébreux, mais il chante à ravir la
mélodie des o Vieilles Maisons» et sa «Chanson» célèbre. M. Bourbon,
bourreau des cœurs, est un Clavaroche tout à fait « nature », et M. Decléry
ne fut jtmais artiste si bien disant, si consciencieux, si plein de bonne grâce
en son personnage de maitre André, dont il sauve, peut-être avec excès, les
cotés ridicules. Tout le reste est parfaitement mis au point; la mise en scène
est charmante, et il nous faut surtout louanger l'orchestre de M. Dupuis, qui
■a été absolument délicieux. — Au lendemain de celte « première », la Mon-
naie devait nous donner une reprise de la Valkyrie, avec M. Delmas, do
l'Opéra, engagé pour huit représentations. Un contretemps fâcheux, une in-
disposilion subite de MUK' Lalîitle, à qui la direction avait cru devoir confier
le rôle de Sieglinde, a forcé celle-ci a retarder celle reprise de quelques jours
et à l'aire relâche, — ce qui est, à la Monnaie, un événement rare. Il faudra
chercher une Sieglinde ailleurs, et faire tout de môme, enfin, ce par quoi on
aurait peut-être dû commencer. M. Delmas, outre le Wotan de la Valkyrie
chantera encore Hans Sachs des Maîtres Chanteurs r-t Méphislopbélès de Faust.
Il avait é'ô question aussi de Thaïs; mais le temps a manqué pour remettre
l'oeuvre à la scène. On presse maintenant les études du Cheinineau, du Méphis-
(ophélès de Boilo et d'Orphée, qui composeront 1rs prochains spectacles avec
les deux actes inédits de M. Jaques-Dalcroze, les Jumeaux de Bergame. J'ou-
bliais de vous dire que nous avons eu, en attendant, celte semaine, la pre-
mière d'un petit ballet de M. Léo Pouget, Ait pays dts Cigales, dont la
musique, bien rythmée et sans prétentions, présentée dans un cadre de mise
en scène lumineuse et brillante, a été fort applaudie. L. S.
— M. Félix Weingartner, le nouveau directeur de l'Opéra de Vienne, a
été présenté le 3 janvier dernier par M. Horsetzky, remplaçant le grand cham-
bellan, au personnel artistique du théâtre. Il a exprimé en peu de mots le
sentiment de joie et de fierté qu'il éprouvait en se trouvant à la tête d'une
institution aussi importante que l'Opéra de la Cour et en se voyant au milieu
d'un cercle d'artistes aussi distingués. Il a indiqué qu'en toutes choses sa
devise serait « Vorwaerts » (En avant), ajoutant que ce mot devait être pris
dans son sens le plus noble et le plus élevé. Quant au programme adopté par
lui, M. Weingartner n'en a point parlé pendant cette présentation officielle.
— Le 2 janvier a eu lieu à l'Opéra de Vienne la première représentation
du nouvel ouvrage de M. Cari Goldmark, le Conte d'hiver. Le succès a été
très grand. Le librettiste de M. Goldmark, son « grillon du foyer », comme on
dit dans son entourage, a été M. A. -M. Willner; il a su s'approprier adroite-
ment le scénario de Shakespeare et en tirer une suite non interrompue de
situations intéressantes. Comme dans ses œuvres précédentes, M. Goldmark
s'est montré très éclectique dans celle-ci. On y sent aussi bien l'influence de
Wagner que celle de Meyerbeer, de Verdi et des maitres de l'école française
moderne. Dans les passages où les péripéties de l'action provoquent des mou-
vements dramatiques d'une certaine véhémence, le compositeur a cherché à
ne point rester au-dessous de l'effet à produire en renforçant son orchestration
et en employant des harmonies modulantes avec plus de profusion qu'ail-
leurs. Le Conte d'hiver abonde en mélodies chantantes et en chœurs d'une
réelle heauté. On considère le prélude du premier acte comme un petit chef-
d'œuvre d'instrumentation: celui du second acte présente des thèmes dans le
goût populaire et les développe en variations ingénieusement écrites. L'Opéra
de Vienne a confié l'interprétation à des artistes de premier ordre. Ce sont
Mmes Kurz (Perdita), von Mildenburg (Hermione). Kittel (Pauline), MM. Sle-
zak (Leontes), Demuth (Polyxenes), etc.; tous ont fait de leur mieux ainsi
que les chœurs; et l'orchestre, sous l'habile direction de M. Bruno Walter,
n'a rien laissé à désirer. Le compositeur, qui assistait à la représentation, a
été rappelé tumultueusement après le premier acte, mais l'ovation a été plus
unanime encore après le deuxième. Le troisième a moins plu; le septuor
final, Dieux, abaissez- vos regards sur nous, ayant été supprimé, l'impression
d'ensemble a été compromise et l'on a dû songer à modifier dans la forme le
dénouement de l'ouvrage.
— Ainsi que nous le ■lisions samedi dernier, àl'occasioii des fêtes du cente-
naire de la mort de Joseph Haydn (31 mai 1809), le conseil municipal de
Vienne a résolu de faire les démarches nécessaires pour obtenir l'autorisation
de transférer les restes mortels du maitre au cimetière central de cette ville, à
côté de ceux de Schub-rt et de Beethoven. Dans une lettre adressée au prince
Nicolas Esterhazy, président du comité des fêtes. M. le docteur Lueger, maire
de Arienne, fait remarquer « qu'aucune disposition du testament de Haydn
ne peut être invoquée contre ce transport, car il est écrit dans ce testament,
qui est conservé aux archives du tribunal de première instance de Vienne,
que le corps du maitre doit être enterré avec un convoi de première classe,
selon les usages de l'église catholique orthodoxe; mais rien absolument n'est
indiqué en ce qui concerne le lieu où le célèbre compositeur entendait avoir
sa sépulture >'. La conclusion de M. Lueger est, par suite, que l'autorisation
devrait être accordée.
— D'autre part, nous lisons dans les Signale
Le conseil municipal
de Vienne voudrait bien pouvoir rendre à cette ville les restes mortels de
Haydn qui ont été transportés il y a quatre-vingt-dix sept ans a Eisenstadt,
en Hongrie. Ne serait-ce pas bien le cas de rappeler l'inscription que
Shakespeare fit mettre sur sa tombe : « Maudit soit qui louche à mes
cendres ». On sait que Haydn mourut à Vienne en 1809 et y fut enterré,
ou du moins, comme nous l'avons dit récemment, à Gupendorf, qui éU I al
un faubourg de cette capitale. Ce ne fut que onze ans après, en 1X20, que ses
cendres furent transportées à Eisenstadt, où un tombeau lui fut érigé dans
l'église du Calvaire parce qu'il y avaitexercé les tondions de mailre de chapelle
du prince Esterhazy.
— Le Pelit Bleu, de Bruxelles, publiait ces jouis derniers une dépécheainsi
conçue : « Los israélites riches de Berlin viennent de souscrire les fonds
nécessaires à 1 éreciion d'une statue de bronze à la mémoire du célèbre
compositeur Mendelssohn. Elle sera placée devant le collège juif de Berlin.
Ce sera la première statue d'israélile qu'on aura jamais édifiée dans la capi-
tale prussienne ». Il y a là une erreur de fait et une erreur de conséquences.
La ville de Berlin ne sera pas ornée d'une statue d'israélite. attendu que,
comme nous avons eu déjà l'occasion de le dire récemment. Mendelssohn,
issu de famille juive, n'était pas juif lui-même. Son aïeul, le célèbre philoso-
phe et écrivain Moses Mendelssohn, était israélite ; mais son père, le fameux
banquier Abraham Mendelssohn, avait abjuré la religion juive pour embras-
ser le luthérianisme. Mendelssohn était donc protestant, et la statue qu'on se
propose de lui élever à Berlin n'amènera aucune nouveauté au point de vue
du culte auquel il appartenait.
— A l'Opéra-Comiquc de Berlin le si intelligent et si artistique directeui
M. Gregor va monter une Chauve- Souris complètement remaniée. Le livret,
aussi bien que la partition de cette opérette, ont subi, depuis la première
représentation qui a eu lieu à Vienne, de nombreuses coupures et retouches.
M. Gregor a chargé un écrivain berlinois connu de reviser le livret, en se
rapprochant le plus possible du texte du Réveillon, la pièce de Meilhac et
Halévy, auquel le livret a été... emprunté indirectement. Car c'est une pièce
allemande, Dai Gefœngriiss, tirée de la comédie de Meilhac et Halévy, qui avait
servi de hase au premier librettiste de la Chauve-Souris. La première représen-
tation aura lieu prochainement.
— M. Joseph Wieniawski, l'excellent pianiste dont la carrière en Belgique
est depuis longtemps si brillante, doit donner prochainement à Berlin un
grand concert, dans lequel il se produira tout ensemble comme virtuose, com-
positeur et chef d'orchestre. Le programme comprendra sa symphonie en ré
majeur, dirigée par lui-même, son concerto de piano en sol mineur et quel-
ques lieder à deux voix. II exécutera, en outre, diverses compositions de
Weber, Chopin et Liszt. On sait que M. Wieniawski est le plus ancien des
premiers prix obtenus à notre Conservatoire dans la classe de Marnontel
père.
— Pou Ijuiihottr, l'ingin'eux gentilhomme de la Manche, tel est le titre d'une
« tragi-comédie musicale en trois actes, d'après Michel de Cervantes Saave-
dra », paroles de M. Georges Fuchs, musique de M. Antoine Beer-Walbrunn.
qui a été représentée pour la première fois, le l*r janvier dernier, au théâtre
de la Cour, à Munich. La soirée a été très brillante et les applaudissements
du public ont été de plus en plus nourris d'acte en acte. M. Félix Motil, « qui
sait donner vie et couleur à tout ce qu'il louche », a mis en relief avec éclat
toutes les qualités de l'ouvrage et en a assuré le succès. Le compositeur n'est
ni un révolutionnaire musical, ni un novateur en matière de sonorités ; sa
mélodie est suffisamment personnelle, ingénieusement humoristique, mais se
laisse entraîner parfois jusqu'au comique frisant la charge et la caricature.
D'ailleurs, certaines pages ont paru tout à fait réussies, par exemp'e, au
deuxième acte, la scène des plaintes d'amour, le dialogue chanté entre Doro-
thée et Lucinde et les trois grands airs de Don Quichotte. On a remarqué une
réminiscence probablement voulue de la Faust -Symphonie de Liszt. Un des
morceaux les plus unanimement appréciés a été le chœur final par lequel se
termine la partition. Les principaux rôles ont été tenus par MM.FeinhalsiDon
Quichotte), Sieglitz (Sancho Pança), Boysson (Fernando), M""-* Burg-Zimmer-
mann (Dorothée), Tordek (Lueinde-Dulcinée), M"e Hocfer (Emérenlia) et
Brunner (Marcelin). A la fin de la représentation, le librettiste et le composi-
teur ont été rappelés plusieurs l'ois sur la scène au milieu des acclamations.
Un portrait inconnu jusqu'ici de Sébastien Bach. La revue « die
Musik » publie, sous la signature de M. Alfred Overmann, un article intéres-
sant que nous analysons succinctement. Le Musée municipal d'Erfurt, y est il
dit, a fait récemment l'acquisition d'un portrait peint sur toile et remontant à
la première moitié du dix-huitième siècle. Au dos de ce portrait on lit l'ins-
cription suivante, tracée vraisemblablement à la même époque : « Joh. Sebast.
Bach, né le 21 mars 16S3, à Eisenach ». La toile mesure 60 centimètres de
hauteur sur 44 de largeur; elle reproduit l'image d'un homme d'environ
trente-cinq à quarante ans, ayant une physionomie très expressive encadrée
d'une perruque de dimension moyenne. Cet homme porte un vêtement gris-
bleu, laissant voir un gilet jaune ; il a le cou entouré d'un foulard de batiste,
dont les bouts enlacés tombent sur la chemise finement plissée. Un manteau
rouge a glissé à demi de l'épaule gauche. Serait-ce là un portrait peint d'après
nature, ou même celui qu'on cherche en vain depuis si longtemps et que l'on avait
pris l'habitude de nommer » le portrait de Bach d'Erfurt » parce que l'on a la
certitude qu'un élève de Bach, nommé Kittel, organiste à 1 Eglise des prédi-
14
LE MENESTREL
canls d'Erfurt, mort en 1809, en était le possesseur '? Il faut renoncer à cette
espérance, car nous savons que ce dernier portrait représentait le maître à un
âge avancé et dans une tenue de gala. On s'étonne de ne point retrouver dans
le nouveau portrait l'énergie caractéristique de la personnalité de Bach : nous
y voyons plutôt un homme calme et d'une distinction un peu passive. H faut
ajouter aussi que les proportions du nouveau portrait, quant aux différentes
parties de la tête et du visage, ne s'accordent entièrement ni avec celles des
autres portraits connus jusqu'à présent, ni avec celles du crâne trouvé à
Leipzig en 1895. et sur lequel les docteurs His et Seflher ont fait d'intéressants
moulages que le Ménestrel a reproduits. Il parait certain toutefois que l'inscrip-
tion est authentique et que toute idée de falsification doit être écartée. La
conclusion à laquelle il faut s'arrêter serait que le portrait acquis par le Musée
municipal d'Erfurt n'a pas été peint d'après nature et qu'il a été fait comme
celui du collège Joachimsthal de Berlin, soit de mémoire, par un artiste qui
en aurait reçu la commande, soit d'après des tableaux ou des gravures repré-
sentant les traits du maître. Quoi qu'il en soit, l'œuvre et belle et mérite d'at-
tirer l'attention.
— Une opérette nouvelle, Frnii Lebedame (la demi mondaine), paroles de
M. Frédéric Bernauer, d'après Cyprienne de M. Victorien Sardou, musique
de M. Wilhelm Goetzl, a été représentée avec succès à Prague le 31 décembre
1907. Le compositeur a écrit il y a peu d'années un opéra-comique joué en
1906 à l'Opéra-Royal de Berlin, Zierpuppen ou les Précieuses ridicules, texte
d'après Molière.
— On annonce do Leipzig que la maison Breitkopf et Hiirlel prépare une
édition complète des œuvres de Liszt, du même genre que ses belles éditions
des grands classiques. Elle a formé un comité composé d'anciens élèves ou
d'admirateurs du maitre, qu'elle a chargé du soin de revoir et de reviser les
manuscrits. Ce comité comprend les noms de MM. Eugène d'Albert, Ferruecio .
Busoni, Félix Mottl, Edouard ReiiFS. Bernhard Stavenhagen, Auguste Stradal,
Félix Weingartner et Philippe Wolfram.
— A Cologne, où est né le compositeur Max Bruch, le 6 janvier 1S38, on
vient de célébrer, comme nous l'avions annoncé, son soixante-dixième anni-
versaire. Il eut pour père un conseiller de police. C'est à sa mère, Wilhelmine
Almenraeder, cantatrice estimée, qu'il dut sa première éducation musicale.
Dèsl'àge de onze ans, une symphonie do lui fut exécutée à Cologne. Il ter-
mina sesétudes au Conservatoire de celte ville, où Ferdinand Hiller devint
son professeur de composition. Il travailla ensuite à Leipzig avec M. Cari
Reinecke, fit un séjour à Mannheim, où il connutVic or Lachner, et parvint à
faire représenter en 1863 son opéra de Loreley, texte d'après Geibel. Il écrivit
à cette époque beaucoup d'œuvres chorales, principalement ses Scènes de lu
légende de Frithjof. Il fut directeur de la musique à Cohlenlz de 180b à 1867 et
obtint de grands succès avec son célèbre concerto, qui fait partie du répertoire
de tous les violonistes. Il dirigea plusieurs années des orchestres, notamment
à Sondersbausen et à Berlin. Il épousa en 1880 la cantatrice M!le Clara
Tuczek. M. Max Bruch est le président de la section musicale de l'Académie
des beaux-arts de Berlin depuis la mort de Joseph Joachim. Il est considéré
comme le représentant le plus illustre de l'école de Mendelssohn; Parmi ceux
do ses ouvrages que nous n'avons pas mentionnés plus haut se trouvent un
opéra, Hermioiie, trois symphonies, des fragments d'une messe, de la musique
instrumentale et beaucoup de beaux lieder qui sont devenus populaires.
— On signale de Saint-Pétersbourg la première représentation, à l'Opéra
impérial, d'un ballet en un acte, le Pavillon d'Armide, dont le troisième chef
d'orchestre de ce théâtre, M. Tchérepnine, a écrit la musique sur le scénario
d'un peintre bien connu, M. Benois, qui en a dessiné aussi les décors et les
costumes.
— De Milan : M. Pietro Mascagni et son éditeur M. Edoardo Sonzogno
viennent de gagner le procès qu'ils avaient intenté conjointement à MM. Gio-
vanni Verga, le romancier sicilien, Pucci, éditeur, Giovanni et Domenico
Monleone, librettiste et compositeur de la nouvelle Cavalleria Rusticana qui,
ainsi que l'on sait, a été représentée déjà sur plusieurs scènes italiennes, de
même qu'à Ostende, et qui était sur le point d'être jouée à Vienne sous la
direction de M. Lehar. Le tribunal a reconnu que MM. Mascagni et Sonzogno
ont seuls le droit de se servir d'un livret tiré du drame de M. Verga et à
condamné les défendeurs à payer aux demandeurs les dommages qu'ils leur
ont causés ; il a interdit toutes les autres représentations de la nouvelle
Cavalleria Rusticana et a ordonné à l'éditeur de cette dernière de retirer du
commerce tous les exemplaires mis en vente.
— M. Rava, ministre de l'instruction publique du royaume d'Italie, a
adressé récemment à son collègue le ministre du trésor la demande des fonds
nécessaires pour un projet de loi tendant à la transformation (que nous avions
annoncée comme prochaine) du Lycée musical de Sainte-Cécile de Rome en
une institution d'Etat.
— La salle du Conservatoire de Milan, nous dit un journal italien, était
pleine dimanche dernier d'un public accouru plutôt pour connaître les héros
d'un roman récent que pour assister au concert qui se donnait au bénéfice de
la Société de prévoyance des artistes. A l'entrée de la comtesse de Monti-
gnoso (la mère de la petite princesse Monica), le public se leva pour la con-
templer. Quand le pianiste Enrico Toselli, le nouvel époux de la comtesse, se
présenta sur l'estrade, il fut accueilli par un silence profond, et la réserve du
public l'accompagna pendant toute la première partie de la Fantaisie hongroise
de Liszt. Il réussit pourtant à provoquer les applaudissements par une techni-
que remarquable et une égalité mécanique peu commune. A la -fin du mor-
ceau des bravos bruyants le saluèrent et le rappelèrent plusieurs fois à la
rampe. Le succès dura pendant tout le programme. M. Toselli dirigea l'or-
chestre pour l'exécution de sa Sérénade, de bonne forme, mais de médiocre
inspiration. A noter, la complète absence de l'aristocratie milanaise.
— On lit dans le Trovatore : « Le correspondant du Globe de New-York
télégraphie une nouvelle qui, si elle est confirmée, est destinée à soulever en
Italie un énorme intérêt, en même temps qu'elle provoquera une grosse ques-
tion légale. Un certain Gregorio Verdi, vivant à Boston, fils d'un simple
huissier de cette ville et descendant d'anciens émigrés italiens, aurait décou-
vert qu'il est le neveu au second degré de l'illustre compositeur. Comme les
legs faits par Giuseppe Verdi ont été établis d'après la croyance qu'il n'avait
point de parents, ce prétendu neveu aurait l'intention de réclamer l'héritage
du grand maestro et serait en train d'établir son identité auprès du consulat
italien en s'.ippuyant sur des documents par lui conservés, après quoi il vien-
dra en Italie. » Est-ce encore là un de ces puffs si fréquents en Amérique '.'
En tout cas, si le neveu en question existe, il nous parait qu'il s'y prend un
peu tard pour faire sa réclamation.
— Un acteur grand d'Espagne : Le roi Alphonse XIII vient de prendre une
décision qui excite un certain étonnement. Il a conféré à l'acteur bien connu,
Fernando Mendoza, la qualité de : « comte Balazote, comte de Lalaing. et
marquis de Fontanar ». Or, à chacun des deux premiers titres est attachée la
dignité de grand d'Espagne de i'e classe. C'est la première fois qu'une si
haute distinction est accordée à un membre du théâtre espagnol, et il est éga
lement caractéristique que la vieille aristocratie espagnole accepte cette déci-
sion du roi sans trop protester. Les grands d'Espagne ont un siège au Sérat
et sont traités d'Excellence. Le nouveau marquis de Fontanar ne songe ce-
pendant pas à renoncer à sa carrière et à quitter la scène. Il a été reçu par le
roi et. conformément au privilège que possèdent les grands d'Espagne de
lrc classe, il a conservé son chapeau sur sa tête, pendant qu'il se trouvait en
présence du souverain.
— A la fin du mois de décembre dernier a été vendue à Londres, dans les
locaux delà maison Sotheby, Wilkinson et Hodge, la célèbre collection Howe,
composée d'anciennes éditions de Shakespeare. Une nouvelle désagréable pour
les amateurs a été annoncée dès l'abord. M. Hodge a fait connaître qu' « un
inconnu s, probablement un grand collectionneur américain, avait acheté
en bloc vingt-huit éditions in-quarto de pièces de Shakespeare, mais que,
désirant n'en conserver que quatorze, il met tait les autres en vente. Au nombre des
quatorze qu'il gardait se trouvaient, parmi les plus précieuses, l'édition
à'Hainlet de 1004, et la première édition, de 1597, de Richard III. On estime
que 1' « inconnu » a du payer son lot total entre 230.000 et 380.000 francs.
Les prix obtenus par les quatorze numéros remis en vente ont été assez élevés,
la moyenne par pièce étant de 3.230 francs. Un Hamlet de 1611 a été vendu
10.230 francs (on l'avait payé 843 francs en 1874). Peines d'amour perdues,
édition de 1631, a obtenu 5.150 francs ; le Roi Lear, de 1608, a fait 5.125 francs :
Roméo et Juliette, de 1599, 4. 224 francs : les Joyeuses Commères de ~\Ymdsor, de
1619, 4.100 francs. On a donné 31.950 francs pour une première édition in-
folio de Shakespeare, datée de 1623, ce qui ne peut point passer pour un
record. Le prix de chaque exemplaire des deuxième, troisième et quatrième
éditions in-folio ont été de 2.302, 13.450 et 2.030 francs. Même les pièces apo-
cryphes de Shakespeare ont atteint de hauts prix : ainsi. Toute la Vie et la
Mort de Thomas, Lord Cromwell, édition de 1682, a été payé 5.6S7 francs : on en
avait donné 137 francs en 1812; et Locrine, édition de 1595, 3.075 francs. La
collection entière, moins les quatorze pièces gardées par 1' « inconnu » a rap-
porté 135.650 francs. Celte collection des éditions de Shakespeare avait été
constituée par Charles .Tennens, un ami de Haendel, le célèbre compositeur
du Messie.
— Sous ce titre, Une Histoire de la Musique en Angleterre, M. Ernest Walker
a publié récemment à Oxford un livre intéressant dont le but est d'esquisser
les formes principales de la musique dans le Royaume-Uni, depuis les pre-
mières manifestations de cet art jusqu'à la fin du dix-neuvième siècle. L'au-
teur accorde une place importante dans son ouvrage aux mélodies populaires
écossaises, irlandaises et du pays de Galles; il comprend parmi les maîtres
devant figurer dans la « biographie nationale » britannique, Haendel, né à
Halle, mais qui a vécu quarante-cinq ans en Angleterre et s'y était fait natu-
raliser. On s? rend compte aisément dès les premières pages de ce livre qu'il
s'agit ici non point d'une chronologie rapide, mais d'aperçus littérairement
présentés pour le lecteur aimant la musique. Nous y rencontrons un grand
nombre d'exemples notés, depuis de simples mélodies jusqu'à de longs frag-
ments d'œuvres chorales à plusieurs voix, ce qui permet de s'initier sans
efforts aux formes musicales et aux styles des différentes époques. Des index
alphabétiques ajoutent au prix de cette histoire musicale, qui est écrite avec
une réelle compétence et un talent clair et méthodique.
— Le jeune violoniste Kubelik, de retour à Londres depuis quelques jours,
vient de terminer une grande tournée artistique à travers le monde au cours
de laquelle il n'a pas donné moins de 240 concerts, qui lui ont rapporté, en
plus d'un nombre infini de cadeaux de prix, l'agréable somme de 1.250.000
francs. De ces 240 concerts, 110 ont été donnés en Amérique. 40 en Australie,
et les autres à Ceylan. dans l'Afrique du Sud, en Egypte, etc. Sa première
tournée américaine avait déjà rapporté 690 000 francs à M. Kubelik.
LE MENESTREL
i:>
— Un encouragement pour les amateurs de l'impôt sur le revenu imaginé
par nos gouvernants. Un journal anglais nous apprend qu'une jeune chan-
teuse a adressé à la Courtty Conrl une demande d'exonération de la taxe sur
la richesse mobilière, déclarant qu'elle manque de travail et que depuis une
longue période de temps elle n'a gagné qu'une guinée. Un entrepreneur de
concerts a agi de même, affirmant que les alfaires vont fort mal et qu'il est
dans l'intention d'abandonner son métier. Enfin, un professeur de musique
sollicite une remise, se voyant contraint d'accepter en province un emploi
qui lui rapporte à peine vingt schillings par semaine. On voit la situation qui
serait faite à nos pauvres musiciens le jour où nos excellents socialistes réus-
siraient à faire établir chez nous cet agréable impôt sur le revenu, objet de
leurs ardentes sympathies.
— On a parlé des traitements fastueux que les chanteurs en renom obtien-
nent en Amérique. Les chefs d'orchestre ne leur cèdent en rien et ne sont
pas moins favorisés. Un journal de là-bas nous apprend qu'à l'Opéra de
Manhattan de New- York, M. Gampanini a 5.000 francs par semaine, tandis
qu'au Métropolitain, M. Gustave Mailler reçoit 100.000 francs pour la saison,
du l01' février au 15 avril. M. Muck, de son coté, reçoit de la Société sym-
phonique de Boston 75.000 francs pour une saison de cinq mois ; la Société
des concerts de Pittsbourg donne 60.000 francs à son chef d'orchestre,
M. Emile Paur. et M. Cari Pohlig a 40,000 francs à Philadelphie. Quant aux
virtuose?, cela devient fantastique. Quand M. Paderewski fait une tournée de
quaire-vingts concerts, on lui garantit un minimum de 7.500 francs par
séance, mais sa tournée lui rapporte presque le double, soit environ
l.lOO.OOn francs, et celles du jeune violoniste Kubelik lui valent
6001000 francs.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
A l'Opéra, la salle est maintenant emplie d'échafaudages gigantesques
pour permettre aux ouvriers d'atteindre le plafond du cintre. Le plancher de
l'orchestre a disparu en attendant qu'on l'établisse plus bas avec une pente
destinée à l'engager un peu sous la scène. Les appareils de nettoyage par le
vide font rage dans tout le monument. Pendant ce temps, sur la scène, séparée
de la salle par le rideau de fer tenu constamment baissé, on répète activement.
Le régisseur général, M. Stuart, et le nouveau maitre de ballet, M. Staats.ont,
sous la direction de M. Messager, établi la mise en scène du premier tableau
de Faust, de celui de la Kermesse et des deux tableaux suivants. On compte
toujours faire la réouverture le 25, avec le chef-d'œuvre de Gounod. Lundi
27. même spectacle ; mercredi 29, Guillaume Tell ; vendredi 31, lus Huguenots.
— Voici, maintenant, par ordre alphabétique, la liste définitive des artistes
du chant rengagés ou engagés par la direction Messager-Broussan-Lagarde :
15 TÉNORS
MM. Alvarez, Corpait (Opéra-Comique), Dubois, Escalaïs, Féodorow, Gau-
tier (Lyon). Godait (Marseille). Gonguet. Jaunie, Muratore, Nansen, Nuibo,
Revol (débuts), Riddez, Van Dyck (en représentations).
Il BARYTONS
MM. Beck (Théâtre- Royal de Budapest), Boulogne (vient de Toulouse),
Carbelly, Dangès (Nice). Duclos. Gilly, Noté, Nucelly (Toulouse). Rolland
(débuts), Stamler, Triadou.
9 BASSES
MM. d'Assy, Cerdan, Davey (New-York), Chapelon (débuts), Delmas,
Gresse. Lequien (Lyon). Paty (Monnaie), Rogneau.
27 SOPRANOS
Mmes Aida (Monnaie). Agu ssol, Baroff (Nice). Agnès Borgo. Lucienne Bré-
val, Brozia. Campredon (débuts). Carlyle (débuts), Courbières (Lyon), Dubel,
d'Elty. Rose Féart. Gall (premier prix du Conservatoire), Mary Garden (en
représentations). Hatto. Henriquez (Opéra-Comique), Kousnietzowa (Saint-
Pétersbourg). Laute. Litvinne (en représentations), Mancini. Martyll. Mastio.
Mendès. Mérentié, Miranda (Nice). Samara (débuts), Vuillaume (Lyon).
19 CONTRALTOS
Mmes Arbell, de Buck (débuts), Charbonnel (Toulouse), Caro-Lucas. Uurif,
Flahaut. Goulaucourt, Lapeyrette (premier prix du Conservatoire). Mathieu,
Paquot d'Assy, Passama. Vinci.
— Spectacles de dimanche à l'Opéra-Comique ': En matinée, Iphigénie en
Aulide ; le soir, lu Traviata et les Noces de Jeannette. Lundi, en représentation
populaire à prix réduits : Mignon.
— A l'heure dite, le Théâtre-Lyrique Municipal a effectué son ouverture
le mardi 2 janvier. Il y avait là naturellement l'excellent M. Dujardin-
Reaumetz, sous-secrétaire d'Etat aux Beaux- Arts, le commissaire du gouver-
nement, M. Bernheim, le préfet de la Seine, le président du Conseil muni-
cipal, et tout un lot choisi de Conseillers municipaux qui émaillaient les fau-
teuils et les loges. Un vrai bouquet de fleurs ! On représentait Mireille, inter-
prétée par Mmes Marie Thierry. Marié de T'Isle, MM. Devriès, Vieuille et
Allard. Tout a marché sans encombre et la recette s'est élevée aux environs
de 2.500 francs. Monsieur et Madame le Maire se sont déclarés satisfaits.
— A l'occasion de cette inauguration, les directeurs Isola frères, pour
reconnaître l'appui précieux que leur a donné M. Albert Carré, lui ont
envoyé le bas-relief de Chapu. le Souvenir, avec ces lignes gravées sur le
socle :
A MONSIEUR ALBERT CARHË
En souvenir de l'inauguration
du Théâtre-Lyrique populaire te la Gaité
Leb Frères Isola.
~i janvier 1908.
Nul doute que dans quelques mois M. Alberi Carré ne ]
tour aux heureux directeurs du Lyrique le bronze fameux de Falguière :
In Fortune. Echange de, bons procédés.
— Il peut être bon de rappeler ici le tarif des places du nouveau Lyrique
municipal :
Avant-scène, loges de balcon, fauteuils d'orchestre l série .... !■>. ',
Fauteuils d'orchestre <i 'série)
— de balcon (1" rang) •,
— — (autres ran^s ;•
1" galerie, avant-scènes, fauteuils (1" rang 2 ;,n
— Fauteuils (autres rangs) _»
2»"> galerie, avant-scènes, fauteuils (1" rang) i ;,n
— Fauteuils autres rangs) i
Amphithéâtre ; « =q
Tarif vraiment démocratique.
— La Cour de cassation vient de rendre un jugement par lequel elle re-
connaît le bien fondé de. l'arrêt de la Cour d'appel dans le prucè- intenté par
le compositeur Wiensberger à la Société des auteurs, compositeur et édi
teurs de musique, dont le siège est rue Chaptal. On sait que M. Wiensberger
considérait comme contraire aux statuts de la dite Société la manière de ré-
gler les droits qu'elle percevait pour le compte des auteurs et notamment la
retenue qu'on faisait de certaines sommes qui devaient s'appliquer, dans l'esprit
des administrateurs., aux œuvres du domaine public ou à celles de composi-
teurs qui ne faisaient pas partie de la Société. M. Wiensberger ayant gagné
sa cause dans les trois degrés de juridiction, en première instance, en appel
et en cassation, la Société n'a plus qu'à s'incliner. Il va s'ensuivre un rema-
niement important des anciens comptes, d'après expert nommé par le tri-
bunal.
— Le journal le Temps publiait mardi dernier la dépêche suivante que lui
adressait son correspondant de Berlin :
M. Henri Marteau, professeur au Conservatoire de Genève, a été choisi comme
professeur de violon au Conservatoire de Berlin sur les indications de Joachim lui-
même, dont il prendra la classe. M. Marteau, né à Reims en 1874, a été un des plus
brillants élèves de Léonard. Il a joué en public dés l'âge de dix ans. Lors de ce pre-
mier concert il a été présenté au public par Gounod , qui lui a donné ainsiune sorte
de baptême artistique. La mère de M. Marteau est allemande.
La nouvelle pouvait sembler d'abord un peu singulière. M. Henri Marteau
le sentit sans doute, car il télégraphia aussitôt au Berlmer Tageblalt qu'en
acceptant la succession de Joachim il a posé comme condition de conserver sa
qualité de citoyen français et son grade d'officier dans la réserve de l'armée
française, ce qui semble encore assez bizarre. Au reste, tout n'est pas terminé
encore, comme on pouvait le supposer, et M. Henri Marteau a expliqué lui-
même, dans une lettre au Journal de Genève, où en est exactement l'affaire de
sa nomination au Conservatoire de Berlin :
Si les négociations ont été ouvertes avec l'autorisation impérial.», elles sont loin
d'être terminées. J'ai signé un protocole, voilà tout. Ce protocole doit être encore
soumis à l'approbation du ministre prussien des finances, puis à celle de la Diète
prussienne. Or ce dernier acte n'interviendra qu'en mars ou avril. La nouvelle est
inexacte, en ce sens que je ne succéderai pas au maitre Joachim dans ses fondions
de directeur de l'Académie de musique, mais seulement dans celles de professeur
de sa classe de violon.
Rappelons que M. Henri Marteau, après avoir fait sa première éducation de
violoniste avec l'excellent Léonard, entra au Conservatoire de Paris, et dès
son premier concours, e:i 1892. emporta d'emblée le premier prix. Il est né à
Reims le 31 mars 1874.
— Au titre étranger, en sa qualité de citoyen suisse, l'éditeur bien connu
Paul de Choudens. vient d'être fait officier de la Légion d'honneur par M. Pi-
chon. ministre des affaires étrangères.
— Fragment très curieux d'une lettre de Tschaïkowskv à une de ses amies,
celle qui l'aida et le protégea pendant tout le cours de sa carrière :
Vous me demandez pourquoi je ne compose pas un trio. Pardonnez-moi. ma
chère amie. Je voudrais bien vous faire ce plaisir, mais cela dépasse mes forces.
Mon appareil acoustique est arrangé d'une façon telle que je ne puis supporter la
combinaison du piano avec le violon ou le violoncelle. D'après mon avis,
tères de sons jurent l'un avec l'autre, et je vous assure que c'est pour moi le plus
grand des supplices que d'écouter un trio ou une sonate pour piano et instruments
à cordes. Je ne peux pas ni'expl iquer ce fait physiologique, je ne peu
constater.
C'est tout une autre chose que le piano avec orchestre ; là, non plus, n'existe pa*
une vraie union de sous musicaux ; le piano a un sou élastique qui se sépare de tout
ensemble musical ; mais ici il y a deux adversaires de ia même force
puissant et inépuisable en sons qui est dominé par le petit piano, sans apparence
mais plein de force, et il est même vaincu quand l'exécutant a du talent. Il va beau-
16
LE MÉNESTREL
coup de poésie dans cette lutte, et d'innombrables moments bien séduisants pour un
compositeur. Par contre, comme est peu naturelle l'union de ces trois individualités :
violon, violoncelle et piano ! Là se perdent les qualités de chacun. Le son chantant
et pénétrant, le timbre délicieux du violon ou du violoncelle paraissent monotones
à coté du roi des instruments, du piano, tandis que ce dernier lutte inutilement pour
prouver qu'il est aussi capable de chanter que ses partenaires.
Le piano a droit à l'existence dans trois cas seulement : 1° comme instrument
solo ; 2° en lutte avec l'orchestre ; 3° comme accompagnement, comme un fond de
tableau. Dans un trio, on considère comme chose certaine l'égalité et l'harmonie des
instruments ; elles n'existent pas entre le piano et les instruments à cordes. C'est
pourquoi il y a toujours quelque chose qui n'est pas naturel dans le trio ; chacun de
ces trois instruments cherche à exprimer quelque chose, qui n'est pas dans son carac-
tère et que l'auteur lui a imposé ; d'ailleurs, ce dernier rencontre toujours beaucoup
de difficultés à répartir les voix et à grouper les parties de ses pensées musicales. Je
rends pleine justice à l'art génial d'un Beethoven, Schumann et Mendelssohn, de
vaincre ces difficultés; je sais qu'il y a beaucoup de trios dont la musique est
exquise, mais je n'aime pas la forme du trio et je ne suis pas capable de créer avec
cette combinaison de sons. Je sais, chère amie, que vous ne partagez pas mes idées
à cet égard, car vous aimez le trio ; nous sommes, avec toute l'affinité de nos natures
musicales, deux individualités différentes, c'est pourquoi il n'est pas surprenant que
nous nous séparions en certaines choses
— Sait-on, dit le masque de fer du Figaro, ce que les Parisiennes appren-
nent le plus volontiers ? La statistique municipale s'en est enquise auprès de
l'Association polytechnique qui, dans ses cours populaires, enseigne toutes
sortes d'excellentes choses, entre autres la littérature, les langues étrangères,
les sciences, les arts d'agrément et les arts techniques. Et voici le résultat de
cette enquête : les cours les plus fréquentés par les demoiselles sont les cours
de mandoline. Elles se désintéressent moins de l'arabe que de Vantomobi-
lisme, car trois d'entre elles apprennent avec zèle la langue de Mahomet et
une seule consent à se faire initier aux mystères de la quatrième vitesse. Et
— pouvait-on le soupçonner? — à la composition décorative elles préfèrent
l'économie politique et la trigonométrie ! Ces deux sciences ne comptent pas
moins, en effet, de 70 élèves-femmes, alors que les classes de dessin d'agré-
ment sont fréquentées par 19 jeunes filles seulement. Mais elles se pressent
au cours de mandoline, qui délient le record avec 546 élèves.
M. Georges Jacob donnera cet hiver à 9 heures du soir, dans la salle de
la ScholaCantorum, 269, rue Saint-Jacques, une série de 4 auditions (27 jan-
vier, 24 février, 30 mars, 30 avril) consacrées à l'étude de l'oeuvre d'orgue de
J.-S. Bach. C'est la première fois que celte étude sera présentée au public.
L'intérêt en est d'autant plus grand que des publications récentes ont fait
mieux connaitre le génie de Bach, notamment les ouvrages d'André Pirro.qui
fera le commentaire des pièces annoncées au programme. Nous rappelons à
noslecleurs que M. Georges Jacob, dans un but de vulgarisation artistique, met
toutes les places de tribune gratuitement à la disposition du public.
— Il vient de paraître à Grenoble un volume qui, bien que venant un peu
tard, se présente sous un lel aspect qu'il se fait pardonner d'avoir été si long-
temps attendu : le Livre d'or du centenaire d'Hector Berlioz, à la rédaction du-
quel ont collaboré la plupart des écrivains ou des musiciens qui, en France
ou à l'étranger, ont étudié de façon spéciale l'œuvre et la vie du grand maître
français (MM. Reyer, Saint-Saéns, Henri Maréchal, Ed. Colonne, Bruneau,
Schuré, Lascoux, Boschot, Soubies, Tiersot, Weingartner, Winogradsky,
"Wotton, etc.) et qui, contenant de fort belles illustrations, imprimé à Gre-
noble sur vélin sorli des papeteries de Rives, est un magnifique hommage du
Dauphiné au maître musicien qui fut une des principales gloires de cette pro-
vince au dix-neuvième siècle. J. T.
— Une séance tout intime de musique réunissait ces jours derniers chez
Mme Mathilde Marchesi un certain nombre d'amis venus surtout pour enten-
dre sa fille, Mme Blanche Marchesi. qui avait quitté un instant Londres, où sa
situation s'est faite brillante depuis plusieurs années. Mme Blanche Marchesi a
charmé son auditoire en chantant une douzaine de morceaux français, alle-
mands ou anglais, qui mettaient en relief l'étonnante variété de son talent
pathétique et plein de mélancolie comme dans l'admirable Paire sur son rocher,
de Schubert, ou plein d'humour, d'esprit, et l'on dirait presque de gaminerie,
comme dans la chanson si curieuse du Coucou. On peut croire que les applau-
dissements ne lui ont pas manqué, non plus qu'à M. Lefebvre, clarinettiste
de l'Opéra, qui, dans le lied de Schubert, l'a accompagnée avec une rare habi-
leté, M. F. Ponsot étant au piano.
— Une jeune chanteuse française, élève de Mn,c Mathiîde Marchesi, Mllc Ju-
liette "Visseau, vient d'être engagée au Théâtre de Monte-Carlo, où elle deit
débuter dans les derniers jours de ce mois, d'abord dans Azucena du Trovolore,
ensuite dans Carmen.
Programme du 10e samedi de la Société de l'histoire du théâtre qui aura
lieu aujourd'hui, 11 janvier, à cinq heures, au Théàtre-Sarah-Bernhardt :
Causerie de M. Auguste Dorchain sur le « Public », accompagnée des récitations
ou auditions suivantes :
Une soirée perdue (Alfred de Musset), par M. Mounet-Sully, sociétaire de la Comé-
die-Française. — La Fête chez Thérèse ("Victor Hugo), par M"' Madeleine Roch, de la
Comédie-Française. — Les Premières (Alexandre Dumas fils), par M"" Marguerite
Brésil. — Le Théâtre Idéal (Théophile Gautier), par M"' Lillian Greuze, du Théàtre-
Sarah-Bernhardt. — Le Mariage de Figaro (Auguste Dorchain), par M"1 Zorelli, du
Théâtre-Antoine.— La Bataille d'Hernani (François Ooppèe;, par M. Leitncr, socié-
taire de la Comédie-Française. — Duo de Paillasse (Leoncavallo), par M"» Hatto et.
M. Gilly, de l'Opéra.
— Aujourd'hui samedi, à 4 h. 1/2, au Théâtre du Gymnase, deuxième
série des « Samedis de Madame ». Causerie de M. Julien Tiersot, sur l~s Chan-
sons Rustiques de la France, sujet éminemment attrayant, que l'érudit biblio-
thécaire du Conservatoire traitera avec sa compétence bien connue tt dont
l'intérêt sera encore rehaussé par de très nombreuses auditions de vieilles
chansons françaises, par Mmes Jeanne Raunay, de l'Opéra-Comique, Bertho-
lon-Mauvernay et M. Julien Tiersot lui-même. Au piano : M. Jemain.
— Dernière heure par cable : Enorme succès pour Louise de Charpentier
au Manhattan-Théâtre. Mary Garden acclamée.
NÉCROLOGIE
Nous annonçons avec regret la mort de M. Eugène Archainbaud, ancien
professeur de chant au Conservatoire, qui vient de succomber aux suites
d'une longue maladie, à l'âge de 74 ans. R avait été d'abord violoniste, et
dans ses jeunes années avait appartenu à l'orchestre de divers théâtres, entre
autres de la Porte-Saint-Marlin. Puis, s'étant découvert une jolie voix de
ténor, il entra au Conservatoire et y obtint les premiers prix de chant et d'opéra-
comique. L'exiguïté de sa taille le détourna d'aborder la scène, et il se
consacra uniquement à l'enseignement. Nommé professeur au Conservatoire
il y a une vingtaine d'années, il avait ensuite donné sa démission pour cause
de santé.
— A Trieste est morte le 14 décembre dernier, à l'âge de 53 ans. une canta-
trice qui pendant douze années fournit une carrière très brillante sous le nom
d'Anna d'Angeri. Fille d'un conseiller ministériel de "Vienne, où elle naquit,
apparentée à diverses familles nobles, elle s'appelait de son vrai nom Anna
Angermayer de Rebenberg. Élève de Mmc Mathilde Marchesi, qui était alors
professeur au Conservatoire de Vienne, elle fit sous sa direction de rapides
progrès, à peine âgée de 18 ans débuta d'une façon triomphale au Théâtre-
Social de Mantoue, puis bientôt, après s'être fait entendre à deux reprises à la
Scala de Milan, parcourut l'Europe, se produisit à Moscou, à Saint-Péters-
bourg, à Madrid, faisant admirer sa voix superbe et son rare tempérament
dramatique. Son mariage avec un négociant de Trieste, M. Vittorio Salem,
Lui fit abandonner le théâtre au milieu de ses succès, et depuis lors on ne
l'entendit plus qu'en cette ville, pour des œuvres de bienfaisance.
— Les.joumaux ont inséré une dépèche datée de Grenoble, 3 janvier, et
ainsi conçue ; — « On annonce la mort,- à l'âge de 80 ans, de M. Gruyer,
ancien conseiller général, chevalier de la Légion d'honneur. M. Gruyer avait
autrefois, sous le nom de Guardi, créé le rôle, de. Faust au Théâtre-Lyrique,
puis il avait chanté dans divers théâtres italiens. » Cette nouvelle n'est pas
tout à fait exacte, en se sens que l'artiste qui avait pris le nom de Guardi ne
créa pas le rôle de Faust. Il devait le créer, mais la maladie l'en empêcha, et
au dernier moment on dut avoir recours à Barhot pour sauver la situation.
C est seulement le 10 septembre (1839), à la reprise de Faust pour le renou-
vellement de la saison, que Guardi, pour son début, prit possession, du rôle.
Voici comment un journal l'appréciait : — « M. Guardi, qui joue à présent le
rô'e de Faust, est le jeune artiste qu'une indisposition empêcha d'y faire son
début l'hiver passé. Ce qui fut différé n'était pas perdu. M. Guardi est fort
bien de sa personne. Il n'a pas encore une très grande habitude du théâtre,
ce qui est tout simple, puisqu'il débute. Cela lui viendra avec le temps, et
comme il a l'air intelligent, on est endroit d'ajouter que cela lui viendra vite.
Sa voix est étendue, éclatante et suffisamment énergique: malheureusement
il la force, ce qui la rend chevrotante et en altère le timbre. C'est un "jeune
homme qu'il faut encourager, et qui peut aller loin s'il travaille. » Par
malheur, la santé de Guardi était moins solide que sa voix : pour cause d'in-
disposition il dut, au bout de quelques représentations, céder à Michot ce
rôle qu'il avait dû créer et qu'il n'avait pu que reprendre. On le vit encore,
l'année suivante, jouer Florestan de Fidelio aux côtés de Mme Viardot. Puis ce
fut tout, et il ne fut plus question de lui au Théâtre-Lyrique. Cette carrière
manquée ne l'a pas empêché, on l'a vu,' de devenir conseiller général de l'Isère
et chevalier de la Légion d'honneur sous son véritable nom de Gruyer.
— Un chanteur de l'Opéra de Vienne, Willy Hescb, est mort dans les pre-
miers jours de 1908 des suites d'une opération. Il avait obtenu de brillants
succès en 1896. Sa belle voix de basse et sa méthode excellente lui firent
acquérir une certaine réputation. Il a chanté beaucoup parmi les troupes
tchèques d'opéra, principalement le rôle de Kezal dans la Fiancée vendue de
Smetana.
Henri Heugel, directeur-gérant.
APÙnrD c'ans 'JOrme v'"e °-e province une situation de professeur de
XÀllUtlR 'chant lucrative et florissante. Conviendrait particulièrement
a un mrnag
d'artistes. S'adresser aux bureaux du journal.
Samedi 48 Janvier 1908.
4008. - 74e ANNÉE.- I\° 3. PARAIT TOUS LES SAMEDIS
(Les Bureaux, 2 bls, rue Vivienne, Paris, ii» arc-)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
lie flaméFo : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
lie Numéro : 0 fr. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sua.
SOMMAIEE-TEÏTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (fis article), Julien Tiersot. — II. Semaine théâtrale :
première représentation de Ce veinard de Bridacke, au Théàtre-Cluny, àmédée Bou-
tarel. — III. Une collaboration manquée : Sporscb.il et Beethoven, Amédée Boutarel.
— IV. Revue des grands concerts. — Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
RONDE DES KORRIGANS
n° o de Féerie, petite suite pour piano de I. Piiilipp. — Suivra immédiate-
ment : Danse des Crotales, n° 3 des Danses Tanagréennes de Zino-Zina, ballet
de Paul Vioal.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
le Pécheur de Syracuse, n° 4 des Odelettes antiques, de Théodore Dubois, sur des
poésies de Charles Dubois. — Suivra immédiatement : Au bois de l'amour, n°3
des Idylles et Chansons de Jaques-Dalcroze, sur des poésies de Gadriel Vicaire.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
CHAPITRE II
ENFANCE DE GLUCK EN BOHÊME
Parmi les illustres témoignages en faveur du génie musical
bohémien, je ne saurais omettre celui de Spontini, venu tout
récemment à notre connaissance, et de tout point conforme aux
précédents. Écrivant de Marienbad, le -12 août 1836, l'auteur de
la Vestale décrit les beautés romantiques de la contrée, aux-
quelles vient s'ajouter, dit-il, le charme naturel de l'harmonie.
« J'ai les oreilles fort agréablement frappées, à six heures du
soir, des sons délicieux et ravissants, qui parviennent jusqu'à
moi, des plus suaves et harmonieuses mélodies de Mozart,
d'Haydn, Beethoven, Gluck, Cherubini, Méhul, Weber, Spohr,
etc., qu'un petit nombre d'obscurs et modestes artistes de la
nature bohémienne, mieux organisés pour la musique que d'au-
tres peuples (artistes pendant les trois mois d'été, artisans et
ouvriers dans leurs campagnes et villages tout le reste de
Tannée) exécutent sur la promenade, avec une exactitude rare
d'instinct, d'intonation, de rythme, de mouvement, d'intention
et de justesse dans les nuances, et avec un sentiment enfin à me
faire éprouver, outre l'étonnement, les plus douces sensations I . . .
Oui, mon ami, voici l'art véritable dans la nature, et la nature
toute pure dans l'art, qui produisirent jadis les vrais grands
maîtres... » (I).
(1) Lettre autographe de Spontini, acquise par la Bibliothèque du Conservatoire le
13 décembre 1907.
liais revenons à Gluck.
Lorsqu'il eut douze ans, son père eut un avancement qui le
fit venir dans une autre partie des montagnes de la Bohême, à
Eisenberg, seigneurie du prince de Lobkowitz. Ce village est
proche delà petite ville de Kommotau, où il y avait un .limi-
naire de Jésuites : Christophe y fut placé pour poursuivre ses
études. La condition de la famille ne semblait guère, il est vrai,
le destiner à recevoir un pareil complément d'instruction : mais
il avait, n'en faisons aucun doute, manifesté la tendance sérieuse
de sa nature, et son aptitude au travail, de manière à justifier
cette exception. Au point de vue musical, il entrait au -
sachant déjà chanter et jouer du violon, connaissances acquises
aux écoles élémentaires de Neuschloss et de Kamnitz : il put se
livrer maintenant à l'étude du clavier, orgue et clavecin (c'était le
temps même, où, à Leipzig, le grand Bach publiait chaque année
un cahier de ses ingénieuses Partitas), et il acquit la pratique de la
musique d'ensemble en chantant au chœur de l'église Saint-
Ignace. Il resta là de 1726 à 1732.
Quand il sortit, il avait dix-huit ans. C'est l'Age d'être étudiant:
il s'en fut à Prague pour suivre les cours supérieurs de science
et de philosophie. Décidément il ne serait pas garde-forestier !
Mais le père l'était, lui, et il avait sept enfants à élever :
comment eût-il supporté la charge de ' subvenir aux besoins
d'une vie d'étudiant ? Bah ! si les ressources manquent, la
musique est là pour y pourvoir ! C'est ainsi que Gluck fut
amené, par la force des choses, à se consacrer sans partage à
Tart dans lequel ni lui ni personne ne pouvait alors soupçonner
qu'il dût remplir un jour de si grandes destinées.
Il donna des leçons de chant et de violoncelle. Il chanta et
joua dans diverses églises de la ville. A la Teinkirche, paroisse
du vieux Prague, il étudia sous la direction d'un éminent musi-
cien bohémien, le P. Czernohorsky, moine franciscain, auteur
d'un grand nombre de compositions religieuses dont la presque
totalité fut détruite dans un incendie. En Italie, Czernohorsky
avait eu pour élève Tarlini; revenu en Bohême, il fut maître de
Gluck : si son œuvre a disparu, au moins son esprit a-t-il
dignement survécu en de tels disciples.
Plus tard, le jeune artiste fut attaché au chœur du couvent
de Sainte-Agnès, habité par un ordre de chevaliers polonais,
dans la vieille ville ; il y reçut pour la première fois un
appointement mensuel.
Et dans la belle saison, aux jours de fête, il s'en allait dans
les villages, chantant et jouant de son instrument, faisant danser
les paysans, comme un véritable musicien bohémien qu'il était.
On le payait en nature : on lui donnait des œufs (1) !
Cette fréquentation intime du peuple, au cours de ce- es l-
pades de jeunesse, n'a-t-elle pas laissé d'imprimer quelques
(1) Sur ces détails biographiques, voy. Schmid, ouvrage cité.
18
LE MÉNESTREL
traces durables sur le génie de Gluck? A regarder certains traits
de'sôn œuvre, on pourrait le croire.
Il y a, parmi les airs de ballet i'Iphigénie en Aulide, un cer-
tain pas d'esclaves (que nous avons eu le regret de ne pas
entendre lors de la brillante reconstitution de ce chef-d'œuvre
qu'a donnée naguère l'Opéra-Comique) dont la tournure est très
particulière : en son style rococo, qui sent bien le dix-huitième
siècle, le thème se présente sous un aspect tonal qui a inspiré
à Gluck un développement fort différent des habitudes des danses
d'opéra, et qui révèle, à n'en pas douter, une origine populaire.
Les contemporains ne s'y sont pas trompés : l'air fut célèbre dès
l'origine sous le nom de Tirolois. « J'avoue qu'il n'est pas noble,
écrivait l'abbé Arnaud; mais faut-il qu'il le soir? » (1) L'écrivain
venait de dire en effet qu'il s'agissait d'une danse d'esclaves à
qui la liberté vient d'être rendue. A une époque plus proche de
nous, d'autres commentateurs éclairés de Gluck, B. Damcke et
M"e F. Pelletan, ont écrit que le titre de Cosaque devrait être pré-
féré, et Damcke, qui connaissait la musique russe, a relevé
des traits qui lui ont fait croire que ce thème de danse pourrait
provenir des bords du Don (2). Et il est bien vrai que, traité dans
le style orchestral plus moderne dont Glinka a donné un excel-
lent modèle avec sa fantaisie sur la danse russe Kamarinskaïa,
l'air des esclaves à'Tphigénie reprendrait une allure de chant
slave très caractérisée :
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Cet air, «qui n'est pas noble », est donc un air populaire; et
comme Gluck n'a jamais élé sur les bords du Don, mais qu'il a
passé vingt ans et plus en pays tchèque, ne doutons pas que ce
soit là, parmi les paysans des environs de Prague, qu'il l'a
entendu et retenu. Qui sait ? peut-être le leur a-t-il joué lui-
même pour rythmer leurs danses, — en attendant le jour loin-
tain de l'introduire dans la tragédie grandiose par laquelle
il inaugura sa grande réforme de la musique dramatique en
France.
Et je songe à un autre rapprochement encore. Dans le même
temps où, fils d'un garde-forestier, il menait une vie errante à
travers la Bohême, — presque une vie de mendiant, — il y
avait, très loin de là, un autre jeune homme, à peu près du
même âge que lui, fils d'un horloger de Genève, ayant fui la
maison paternelle, et qui, parmi des aventures analogues, songeait
aussi à consacrer son génie naissant à la musique. Celui-ci
vivait en Savoie ; il avait étudié à la maîtrise d'Annecy, chanté
sa partie au chœur de la cathédrale et montré l'art du clavecin
(qu'il ne connaissait guère) aux demoiselles de la ville. La
destinée l'appelait à porter vers une autre direction l'essor de
ses puissantes facultés : peut-être aussi, s'il ne réussit pas plus
complètement dans l'art musical (ce dont il eut le regret), fut-
ce simplement qu'il était dans un milieu moins favorable pour
développer ses aptitudes, — car, entre les musiciens de Prague
et ceux d'Annecy, il y a une différence (celle du bon au mau-
vais). Toujours est-il qu'ils se rejoignirent plus tard, et se com-
prirent, tous deux hommes du XVIIIe siècle, appelés à régner
sur l'esprit de leur temps : Jean-Jacques Rousseau, roi de
la pensée ; Christophe Gluck, roi de l'art.
En attendant d'avoir conquis son royaume. Gluck marchait sur
les routes, portant sur le dossonvioloncelle.il se trouva ainsi, un
beau jour, aux portes de Vienne (1736). Là vivaient lesLobkowitz,
au service desquels trois générations de Gluck, à notre connais-
sance, s'étaient succédé comme gardes-forestiers: ils accueillirent
le représentant de la quatrième génération comme musicien. Ce
(1) Mémoires sur la révolution opérée dans la musique par M. le chevalier Gluel;. 1381,
p. 33.
(2) Préface cVIphigénie en Aulide, édition Pelletan, p. xxv.
qu'il fit exactement chez eux, nous ne saurions le dire : sans
doute il vécut clans cet état de domesticité auquel les gens de
cette époque étaient si bien habitués dans leurs rapports avec
les grands (Jean-Jacques Rousseau, de son côté, n'était-il pas
valet?). Sans doute il utilisait ses multiples talents d'instrumen-
tiste (dont aucun, semble-t-il. n'allait jusqu'à la virtuosité) à
l'orchestre et à la chapelle du prince. Certainement il n'en était
pas le chef. Quant à sa production, nous ignorons s'il avait
commencé de la manifester par quelque œuvre ; il n'est pas
resté la moindre trace de musique de Gluck antérieurement à
son premier opéra.
Mais, tel il fut plus tard, tel déjà il devait être. « Gluck, écri-
vit postérieurement le Viennois Dittersdorff, était dans le parti-
culier un homme jovial, qui, en dehors de son état, avait du
monde et des lectures »(1). C'est avec ces qualités qu'on se fait
le mieux voir des princes. Au palais Lobkowitz, il fréquentait
les artistes de la capitale, et vivait au milieu de la plus bril-
lante société. Il fut distingué par un noble italien de Lom-
bardie, le comte Melzi : celui-ci l'attacha à sa personne. La
maison de ce gentilhomme n'était certainement pas comparable
à celle des Lobkowitz ; mais, outre qu'il ne rompit pas tout lien
avec eux (nous les retrouverons encore ensemble), Gluck avait
l'avantage de pouvoir se parer du titre de musicien de chambre,
et, ce qui valait cent fois mieux, d'aller en Italie, le rêve de
tous les artistes au XVIIIe siècle.
Il partit en effet, et suivit son nouveau maître à Milan.
La vie publique, la vie fiévreuse du compositeur d'opéras,
allait commencer pour lui.
Il était temps qu'il s'y décidât : au moment où il donna son
premier ouvrage, il était près d'avoir vingt-huit ans.
Nous allons donc le voir à l'œuvre. Mais déjà, avec ce que
nous savons de lui, nous pourrions presque dire par avance ce
que sera sa destinée. Nous avons observé en lui une nature
réfléchie, laborieuse et droite. Lui, qui devait accomplir dans son
art ce qu'on a pu appeler sans exagération une « révolution »,
il n'est point un révolté. Tout au contraire, il est docile, et va
oii on lui dit d'aller, marchant droit son chemin, même s'il
n'aperçoit pas très distinctement où il conduit. Quand il a atteint
le but qu'on lui a désigné, il se retourne : il se rend compte
alors qu'il a suivi la route de tout le monde. Il y a mieux à voir,
pense-t-il. Il poursuit donc; mais toujours il se retrouve au
carrefour banal, au pays déjà vu. Pourtant il faut aboutir : il ne
se lasse pas ; de plus en plus distinctement le véritable but lui
apparaît. Les difficultés s'accumulent ; on l'abandonne en route,
on voudrait enrayer sa marche en avant ; mais ses forces se sont
décuplées ; il franchit ou brise les obstacles, et, par un suprême
effort, atteint enfin au dernier sommet.
Tel est le résumé de la vie de Gluck.
Pour l'instant, nous ne faisons encore que le suivre à la
première étape de son long entraînement.
(A suivre.) Julien Tieksot.
SEMAINE THÉÂTRALE
Théatre-Glchy. — Première représentation de Ce veinard de Bridaclie,
vaudeville en trois actes, de MM. Hugues Delorme et F. Gally.
Ils sont vraiment, joyeux et singuliers, les avatars de ceBridache. La
plupart lui rapportent un nombre assez coquet de coups de pied et de
soufflets, mais le dernier de tous lui permet d'entrer comme brosseur
chez le général Guigaeminet. Il est décidément « veinard », ce Bridache.
D'abord, son honnêteté est récompensée. It a trouvé un portefeuille
bien garni de billets de banque et l'a rapporté au propriétaire, c'est-à-
dire à Henri Lamartelle,qui lui a donné eu échange un de ses costumes.
Mais Henri a reçu dans son appartement, pendant une absence de sa
femme Léontine, la tout aimable Gisèle de Lizière, tout aimée du baron
Maleiïoid. Ce dernier, apprenant le cas, vient faire esclandre et proposer
(1) Kaiil von DiTTEnsDORF, Bildungsbuch fur fange Tonhiinsller, Erfurt, 1810, p. 25.
LE MÉNESTREL
I!)
un duel à son rival. Bridache, grâce à ses habits d'emprunt, se fait
passer pour Henri et accepte le duel. Mais Malei'roid, ayant fait la con-
naissance de Léontine Lamartelle, n'a plus aucune envie de se battre
avec le mari ; une autre vengeance lui parait plus douce. Après son
départ, Léontine survient, respectablement escortée de ses parents.
Situation terrible, car Gisèle est dans l'appartement, et pas en toilette
de visite. Rassurons-nous; Bridache est là, tout sera sauvé : on le fait
passer pour un ami de province du nom d'Oscar Bûche, et Gisèle est
gratifiée pour la circonstance du nom bourgeois de Mmc Bûche. Mais
il est dit quelque part, c'est je crois dans Clément Marot, qu'une mau-
vaise fortune ne vient jamais sans en conduire avec elle une seconde,
une troisième et d'autres. Le dévouement de Bridache, qui a consenti à
être Lamartelle, puis Bûche, va devenir inutile, car, après un coup de
sonnette, entre le vrai, authentique et véritable Oscar Bûche, et
presque en môme temps que lui, l'élément militaire s'introduit eu la
personne du commandant Guigneminet, lequel est flanqué de la belle
Olympe de Liancourt, qui n'est aulre que la légitime épouse du héros
de cette pièce, autrement dit Mme Bridache, d'ailleurs en bonne dispo-
sition de prendre gaiment la vie sans tenir compte des liens matrimo-
niaux.
Nous n'en sommes encore qu'à la fin du premier acte, et pourtant , uous
avons vu tant de coups de théâtre pendant ce début de pièce, qu'il sera
bien difficile aux auteurs de maintenir au même niveau l'intérêt durant
le cours des actes suivants. Ils ne manquent cependant pas do piquant,
ces deux actes, et se passent dans l'hôtel de l'Union syndicale des demi-
mondaines de France ; l'un nous fait assister à la grande soirée annuelle
de l'Union et remet en face les unes des autres toutes nos vieilles con-
naissances du premier acte, y compris Bridache, devenu garçon de café
pour servir les rafraîchissements. On conçoit que tout ce monde dispa-
rate ne se coudoie pas sans qu'il y ait de fréquents échanges de mots
injurieux, de bousculades et de coups largement reçus ou donnés.
Bridache, on peut le croire, en reçoit beaucoup plus que sa part.
Au troisième acte, nous sommes dans le même hôtel, mais à l'heure
du coucher. Par la maladresse ou la malice du logeur, tous nos per-
sonnages se rencontrent de nouveau. C'est alors un cache-qui-peut
général ; on se glisse sous les lits, on s'enferme dans les placards, on
fait le mort sur les rayons sous de vieilles hardes ; enfin on utilise tout,
sauf les portes, car ces gens-là ont la conscience assez peu tranquille
pour désirer ne pas être vus.
Le public a été très amusé de ces drôleries bouffonnes et a donné
l'absolution à tous les coupables, se réjouissant de voir réparées toutes
les fourberies amoureuses et de penser que la vertu du bon Bridache a
été récompensée, comme nous l'avons indiqué plus haut. Ce vaudeville
est, on le voit, d'une rare moralité.
Son interprétation a été excellente avec MM. Hamilton (Bridache),
Julien (Henri), Armand-Marie (Froment) et Mmcs Renée Corciade
(Gisèle), J. Delys (Olympe), Frank-Mel, M. -Th. Lorza, J. Haimart,
Beuda, etc. Ahédée Boutarel.
UNE COLLABORATION MANQUÉE
SPORSCHIL & BEETHOVEN
A la date du 30 janvier 1823, Jean Beethoven traçait les lignes sui-
vantes sur l'un des cahiers de conversation de son frère :
Spohrschild est venu aujourd'hui chez moi; il te présente ses compliments,
et, si cela peut te convenir, il veut écrire pour toi un livret d'opéra.
Qui était ce Spohrschild, et qu'advint-il de la collaboration que cette
dernière phrase laissait espérer ou pressentir? Un opuscule publié à
Leipzig il y a quelques années à peine permet de répondre à ces ques-
tions, qu'aucun des biographes de Beethoven n'a jusqu'à présent éclair-
cies (1).
Sporschil, Johann-Chrysostomus, né à Brùnn eu 1800, termina en
1823, à Vienne, ses études juridiques, se rendit à Leipzig en 1827, de-
vint peu de temps après rédacteur de la Deutsche Xational Zeitung, qui
paraissait à Brunswick, cessa de collaborer à ce journal en 1833, con-
tinua ensuite assez obscurément sa carrière dans les lettres et se fixa
en 1858 à Vienne, où il mourut cinq ans après. Son nom, resté à peu
près inconnu des auteurs de lexiques, de dictionnaires et de littéra-
tures, a été pourtant citéincidemnient par Ludwig Nohl (2). Ses ouvrages
(1) JVeues ùber Beetlwven, par Hans Volkmann; Leipzig, 1905.
(2) Biographie de Beethoven, tome III, page 373.
parus en librairie forment environ cent cinquante volumes, originaux
ou traductions. On lui doit une « Histoire de la Monarchie autri-
chienne » et l'adaptation en langue allemand': du & lèbre roman d'É-
douard Bulwer (Lord Lytton), le» Damiers jours de Pompéi. Ce que fut
en L823 sa vie d'étudiant, nous pouvons le deviner par deux notes
inscrites sur les cahiers de conversation. La première est de la main de
Schindler; elle renferme l'indication d'un trait assez piquanl
portant à la tenancière d'un hôtel-pension :
Elle a prêté quinze llorins à Monsieur le poète Sborschil m . et maintenant
elle ne peut plus se les l'aire rembourser ; il lui a dit demeurer dans une cer-
taine maison, et il y est totalement inconnu. Elle avait avancé un jour cinq
llorins et un autre jour dix.
La seconde est du neveu Charles; elle nous révèle un di
caractéristique sur les habitudes du futur collaborateur de Beethoven,
et cela en ces termes peu discrets :
On le trouve du matin au soir assis au café, en train de joii'-r.
Une reprise des Ruines d'Athènes avait eu lieu le 3 octobre 1822
l'inauguration du nouveau théâtre Josephstudt de Vienne, el
ven avait composé pour la circonstance l'ouverture, op. itl, nommée
pour ce motif la Consécration de la maison, et un choeur avei
soprano et violon solo. Il avait en outre donné des dimensions plus
considérables à la Marche avec chœur, n" 0 de la partition, en y adap-
tant de nouvelles paroles du poète populaire C. Meisl. Malgré ces
remaniements, l'œuvre avait été reléguée dans les archives
très petit nombre de représentations, mais le directeur, K.-F. Hensler,
attribuait cet insuccès aux paroles et non à la musique. Dans ces con-
ditions, Beethoven et Sporschil paraissent avoir adopté la combinaison
la plus simple; le poète promit d'écrire un nouveau livret dont les
paroles s'adapteraient aux morceaux existant déjà de la partition des
Ruines d'Athènes; le compositeur s'engagea de son côté à modifier ces
morceaux quand le besoin s'en ferait sentir, afin que l'œuvre qui
allait voir le jour présentât les qualités d'unité, de force et du cohésion
à l'absence desquelles on attribuait le double échec des Ruines d'Athènes,
d'abord en 1812, à Pesth, lors de l'ouverture du théâtre allemand, et
plus récemment à Vienne, ainsi que nous venons de le voir.
Tout parait avoir été conclu dans l'espace d'une quinzaine de jours,
car, entre le 14 et le 16 février 1823, un inconnu inscrivit sur le
cahier de conversation :
Le directeur du théâtre Josephstâdt m'a dit aujourd'hui que nous enten-
drons peut-être un opéra de vous dans quatre semaines.
Sporschil se mit aussitôt au travail, mais avec une telle inexpé-
rience de la prosodie musicale, qu'il employa souvent des iambes,
c'est-à-dire des formules rythmiques composées d'une syllabe brève
suivie d'une syllabe longue, tandis que la notation exigeait précisé-
ment l'inverse, c'est-à-dire des trochées. Une pareille erreur rendait
inchantables toutes les fins de vers analogues à ce que nous appelons
rimes féminines. Beethoven recevait chaque acte à mesure qu'il était
terminé, consignait en marge certaines observations et aussi quelques
esquisses notées pour les morceaux nouveaux. Mais bientôt il se rendit
compte de l'impossibilité d'aboutir en s'en tenant aux premières con-
ventions. L'on avait cru d'abord en effet qu'un mois pourrait suffire à
Beethoven, puisqu'il ne devait faire que des remaniements, et que les
études au théâtre ne demanderaient point un laps de temps plus pro-
longé, puisque les chanteurs et les choristes savaient déjà par cœur la
musique et n'avaient à apprendre que les paroles substituées aux
anciennes. Mais Sporschil prétendait faire une œuvre personnelle ; il
transforma de telle sorte les grandes lignes du scénario que, sur les
huit numéros des Ruines d'Athènes, quatre demeurèrent inutilisables,
savoir : l'ouverture, le chœur des derviches, la musique mélodrama-
tique n° 5 et le récitatif et air de basse n" 7. Par contre, il fallait douze
morceaux entièrement nouveaux, soit : cinq airs, un duo, un trio, un
chœur, deux intermèdes d'orchestre et deux <i finales ».
Si Beethoven avait conservé quelque espoir d'aboutir, il se serait
contenté peut-être de demander un délai pour écrire sa partition, mais
il s'était promptement rendu compte de l'impuissance où se trouvait
son collaborateur de produire une pièce vraiment digne de son génie.
Dès le milieu du mois de mars il nouait des négociations avec Grill-
parzer. désirant obtenir de lui qu'il voulût bien tenter d'effectuer de
nouveaux changements au livret, des Ruines d'Athènes; mais Grillparzer
était absorbé par d'autres travaux. Il offrit un texte allégorique sur le
sujet de Mélusine. Cette diversion ne réussit pas. D'ailleurs Sporschil
s'efface de plus en plus; il écrit pourtant des lettres, ainsi qu'en témoi-
gnent les cahiers. « Comment te parait la lettre de Sporschil ? »
demande le neveu Charles, et Beethoven garde le silence. Cetait la fin
de cette éphémère collaboration.
II nous est permis, après quatre-vingt-cinq ans, de lire à notre tour
20
LE MÉNESTREL
le libretto refusé par Beethoven. Le manuscrit en est conservé à la
Bibliothèque royale de Berlin, il consiste en quatre feuilles in-folio
pliées par le milieu; le côté gauche renferme le texte primitif et le côté
droit les modifications. Quelques mots ou notes de la main de Beetho-
ven se sont glissés ça et là.
Le héros de la pièce est Alexandre le Grand. L'auteur a usé de la
liberté que l'on accorde aux poètes pour établir une relation, à tous
égards inadmissible historiquement, entre l'expédition qui amena le
conquérant victorieux dans l'oasis de Siwall, la plus belle de toutes
celles de la Lybie, et sa mort soudaine, qu'il fait intervenir au moment
où lui sont accordés les honneurs divins dans le temple de Jupiter
Ammon. On voit que l'idée de Sporschil n'était pas sans quelque gran-
deur.
D'abord, l'action de son poème dramatique se déroulait dans un coin
du monde universellement réputé par la beauté de sa verdure et de ses
eaux, dans un lieu célébré par Hérodote, par Pausanias, par Dio-
dore de Sicile, et qui apparait encore aujourd'hui aux touristes, après
la traversée du désert, comme une sorte de paradis terrestre où toutes
les peines sont effacées, toutes les fatigues oubliées, tous les biens de
la nature offerts avec prodigalité.
Joignons à cela que le choix d'Alexandre, conquérant et civilisateur,
comme personnage d'une action théâtrale que Beethoven devait illus-
trer, ne manquait pas de hardiesse, ni même d'à-propos. L'auteur de la
Symphonie héroïque affectionnait particulièrement la lecture de Plu-
tarque, et l'homme de guerre dont la vie, moins longue encore que celle
de Mozart, est un mélange d'actes magnanimes, de traits dénotant une
élévation de sentiments extraordinaire pour l'époque et d'actes que l'on
pourrait qualifier crimes s'ils n'avaient été commis dans le paroxysme
d'aveugles passions, devait nécessairement surexciter les facultés créa-
trices d'un artiste ébloui par les gloires d'autrefois, et lui inspirer le
désir de rehausser son œuvre projetée, par des formes pleines de ma-
gnificence, des rythmes d'une solennelle ampleur, des coloris resplen-
dissants.
Malheureusement, si la conception première de Sporschil était inté-
ressante dans sa généralité, la réalisation ne fut qu'un tissu d'enfan-
tillages. On en jugera par le scénario que nous reproduisons ici :
L'APOTHÉOSE AU TEMPLE DE JUPITER AMMON
Opéra sérieux en deux actes.
PKEMIEK ACTE
Vaste salle dans le style égyptien.
Scène l'1'. — Un chœur invisible assure à Alexandre que Jupiter ne lui
en veut plus du meurtre de Clitus. Le roi de Macédoine éprouve le
désir ardent d'entreprendre de graudes aventures et se décide à les
aller chercher au désert. Air.
Scène 2. — Roxane parait, hantée de mauvais rêves. Air. Dialogue
avec Alexandre ; elle cherche en vain à le détourner de ses entreprises
téméraires. Duo.
Changement à vue.
Place publique. Au fond, une ville égyptienne.
Scène 3. — Les guerriers d'Alexandre approchent. Le roi les harangue
pour leur inspirer le courage.
Scène 4. — Roxane parait avec ses suivantes. Chœur. Alexandre la
confie pendant le temps de son absence à la gardj de son ami
Héphestion. L'épouse et l'ami supplient Alexandre de leur permettre
de prendre part à l'expédition. Alexandre cède à leurs prières. Réci-
tatif, air, trio avec chœurs. Chant général de remerciement et
d'hommage.
DEUXIÈME ACTE
Au désert.
Scène lro. — De même qu'Alexandre a pris sa femme avec lui, ses
guerriers ont cru pouvoir emmener avec eux leurs amantes. Uu guer-
rier et son amie, près de mourir de soif, racontent la détresse dans
laquelle toute l'armée est tombée. Duo. Lorsque ces deux person-
nages ont disparu, la musique joue une marche funèbre.
Scène 2. — La musique de la marche funèbre accompagne un air
d'Alexandre. Une tempête éclate au désert; elle doit être représentée
scéniquement et musicalement de la façon la plus grandiose. Au
moment où les éléments se déchainent avec une violence inouïe, le
fantôme de Clitus assassiné parait. Il annonce à Alexandre sa mort
prochaine et la perte de toute son armée comme punition pour le
crime commis contre lui. La tempête se calme.
Scène 3. — Hephestiou arrive avec Roxane, à demi morte de soif.
Elle reprend des forces à la vue d'Alexandre. Trio. Quelques guerriers
d'abord et bientôt toute l'armée demandent que Ton abandonne ce pays
désastreux. Alexandre incertain implore les dieux pour qu'ils lui fassent
connaître leur volonté. La réponse des dieux ne se fait pas attendre; ils
font soudain apparaître un temple magnifique.
Changement à vue.
Le temple majestueux de Jupiter Ammon.
Scène 4. ■ — Danse en l'honneur des dieux. Le temple est orné d'une
manière féerique à cause de l'arrivée d'Alexandre, car les dieux ont
annoncé sa venue à tous les hôtes du sanctuaire. Alexandre s'avance et
est salué par les pontifes. Lorsqu'il demande quelle est la signification
de cette fête mystérieuse, un trône s'élève déterre avec cette inscrip-
tion : 'AXiSmopoç, et on lui indique qu'il doit s'asseoir parmi les dieux.
Il y consent volontiers. Mais Roxane intervient et se plaint dans un
« grand air » que cette apothéose lui fait perdre son époux. On lui
annoncé alors qu'elle obtiendra une place parmi les déesses. Chœur
final. Les trônes d'Alexandre et de Roxane montent vers le ciel.
On conçoit que Beethoven ait lu sans enthousiasme un pareil scéna-
rio. Les Ruines d'Athènes de Kotzebue pouvaient passer pour un éclatant
chef-d'œuvre à côté de cette platitude. Mais Sporschil eut l'âme assez
haute pour ne point conserver de ressentiment vis-à-vis du maître. Il
consacra un premier article à Beethoven dès le o novembre 1823,
dans le Morgcnhlatt fur qebildete Stànde de Stuttgart, et le signa S 1.
Plus tard il s'unit à ceux qui pleuraient Beethoven en publiant sur lui
une notice nécrologique. Il était bien renseigné sur certains faits ca-
ractéristiques, ayant passé de longues heures dans la maison du grand
compositeur durant les quelques semaines qu'avait duré leur collabora-
tion.
N'est-il pas intéressant de constater en terminant que cet homme,
dont l'existence a été en somme bien remplie par un labeur constant,
obtient aujourd'hui une place dans notre souvenir à cause de ses rela-
tions si courtes avec Beethoven. Il a su garder un cœur simple et sans
rancuue malgré ses ambitions littéraires, et mériter ainsi notre estime
et notre sympathie.
Amêdée Boltakel.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Nous avions cette fois au Conservatoire, pour commencer la séance, la
Symphonie pastorale. Je ne sais pas trop ce que je pourrais ajouter à ce que j'ai
eu l'occasion de dire, à diverses reprises, de cet incomparable chef-d'œuvre;
mais justement je trouve, dans l'analyse jointe au programme, quelques
lignes qu'il me plaît de reproduire, relativement à YOrage et aux procédés em-
ployés par Beethoven pour le peindre : — « Pour nous l'annoncer, dit fort
justement le rédacteur du programme, Beethoven ne fait rouler ni timbale,
ni tambour, ni grosse caisse ; il ne frappe point les cordes du violon avec le
bois de l'archet, s'abstenant ainsi des moyens les plus propres, en apparence,
à traduire un lointain grondement du tonnerre ou les premières gouttes de pluie:
un court frémissement, à peine perceptible, des instruments à cordes graves —
violoncelles et contrebasses, — alternant avec des traits de violons d'une forme
très simple en leur allure saccadée, suffisent au musicien pour produire un
effet de terreur grandissant. En quelques mesures, l'auditeur est préparé à une
explosion superbe où tous les exécutants d'un orchestre, d'ailleurs très res-
treint, s'unissent en accords pleins et francs ; c'est l'ouragan qui se déchaîne
avec une incomparable violence. Or, le musicien ne fait appel ni aux disso-
nances harmoniques, ni même à toutes les ressources de la polyphonie
dont il dispose : deux trompettes et deux timbales, c'est tout ce qu'il lui faut
pour clamer les fureurs de l'orage. Il n'a employé ni trombones, ni ophicléide,
ni contre-basson. Il n'a pas même doublé les deux bassons ni les deux cors.
Dans la seconde moitié delà scène seulement, la petite flûte (pour laquelle un
critique avisé demandait un jour une classe au Conservatoire) siffle au sommet de
l'édifice sonore. Presque à la fin, deux trombones, pendant douze mesures, pas
davantage, sonnent de terribles octaves. Avec une famille orchestrale volontai-
rement réduite, le plus tragique des musiciens, celui qui par la symphonie
seule a remué le plus de senliments humains, nous emporte dans le tourbillon
de sa tempête. Elle dure cinq minutes, elle ne fait pas grand bruit, et elle est
terrifiante. » Voilà qui est fort bien dit, et l'on ne saurait mieux faire. Et quand on
pense à nos compositeurs actuels, qui prodiguent à tout propos des harmonies
déchirantes, qui entassent des Pelions de cuivres sur des Ossas de cymbales
et de grosses caisses pour obtenir un fracas dans lequel la musique disparait, on
est bien aise d'en revenir à Beethoven, qui, avec des procédés si simples, trou-
vait moyen d'exciter la terreur et de vous secouer jusqu'au fond de l'àme. —
Après deux petits chœurs sans accompagnement de M. Saint- Saëns, nous avons
eu une aimable Ballade de M. Fauré pour piano et orchestre, composition
intéressante, dont Mme Marguerite Long a fait ressortir avec talent les qua-
lités de grâce et d'élégance. Un Scherzo de Lalo venait ensuite, morceau
LE MÉNESTREL
plein d'éclat, parfois presque de violence, où l'auteur du Roid'Ysa prouvé une
fois de plus avec quelle maestria il savait traiter l'orchestre. Deux chœurs
sans grande importance de César Franck (la Vierge à la crèche, Aux petds en-
fants), orchestrés par M. Guy Ropartz, et un chœur de Saint-Mien I 'Hospitalier
de M. Camille Erlanger succédaient à ce Scherzo plein de couleur, et le con-
cert se terminait par la jolie symphonie en ut d'Haydn (inédite), qui est la pro-
priété de la Socié'.é et qui a valu un vif succès à M. Bleuzet, dont le hautbois
a fait merveille. — A. P.
— Concerts-Colonne. — Après une exécution expressive du prélude de
Lohengrin par l'orchestre, une toute jeune pianiste, M"0 Germaine Arnaud,
est venue interpréter avec une sûreté, une sobriété de style, un mécanisme
absolument remarquables le 2° concerto de Saint-Saëns, en sol mineur. Trois
rappels, en tous points mérités, ontrécompensé cette juvénile audace. — Puis
M. Plamondon a chanté de sa voix pure et limpide, qu'il sait varier en des
nuances de douceur exquise, trois poèmes de M. Théodore Dubois, non inédits,
mais présentés pour la première fois avec leur accompagnement d'orchestre.
Rosées et la Voie Lactée, de Sully-Prudhomme. Printemps, de Charles Dubois,
le propre fils du compositeur, ont inspiré à l'éminent musicien trois pages
charmeuse?, d'un tour mélodique gracieux et expressif auxjuelles on ne peut
reprocher — tout fortuitement d'ailleurs, car ces pièces sont indépendantes —
que leur trop grande similitude comme mouvement et teinte générale. — Les
Esquisses symphoniques de M. Debussy (c'est ainsi que l'auteur de IJelléas inti-
tule lûi-mémeson poème instrumental la Mer) devaient figurer au programme.
Ajournée au dimanche suivant, cette œuvre a été remplacée par une nouvelle
exécution du Prélude à l'après-midi d'an Faune, du même compositeur, et par
la suite orchestrale tirée par M. Alfred Bruneau de son adaptation musicale,
la Faute de l'abbé Mourel. Du premier, il ne reste p'us rien à dire : à constater
seulement que ce Prélude, charmant d'ailleur*, continue d'occuper les pro-
grammes de nos grands concerts avec une régularité hebdomadaire que d'au-
cuns pourront qualifier d'obsédante. La suite de M. Bruneau est moins répan-
due. Des quatre numéros qui la constituent, la joie du Jardin et la Mort d'Albine
sont ceux auxquels le public a pris le plus de plaisir. L'exécution en fut colorée
et expressive. — La concert se terminait par la -iie audition de la Symphonie
Fantastique de Berlioz, dont M. Colonne met en lumière, de façon inimitable
et avec un en'housiasme communicatif, les romantiques splendeurs géniales
mais parfois aussi bien conventionnelles. .1. Jemain.
— Concerls-Lamoureux. — M. Vincent d'Indy, le duelliste de la veille, qui
dirigeait dimanche dernier le concert, a été accueilli par de chaleureuses accla-
mations. Elles s'adressaient en ce premier moment à l'homme qui avait pu
sortir indemne d'une galère où peut-être il eût mieux fait de ne pas se laisser
entraîner; bientôt elles s'adresseront au compositeur et au chef d'orchestre.
La « Symphonie sur un air monlagnard français pour orchestre et piano »,
vieille de vingt et un aïs, est toute jolie, jeune, pimpante et poétique, malgré
l'influence de l'école que l'on y sent toujours un peu. Le chant populaire pro-
vient de la région des Cîvennes. Exposé, puis développé au cours de la pre-
mière partie (adagio), il parait profond et recueilli, exprimint la douceur de
la solitude et la splendeur des heures ensoleillées. La seconde partie reste
d'allure classique un peu froide, malgré l'originalité de son orchestration. Le
thème montagnard y est repris successivement par les cuivres éclatants, par
les instruments à vent aux sons suaves et par les violons caressants. Enfin,
dans la troisième partie, la chanson grave se tranforme; elle devient un
scherzo jaillissant et d'une allure rythmique folle et capricieuse. C'est un
petit fracas de sonorités merveilleuses; on croit voir danser aux sons de cet
orchestre-là tous les lutins des Gévennes, les c< dracs » et les « trêves »,
autour des vieux cratères, sur les volcans inoffensifs et fleuris. La partie de
piano a été tenue avec une discrétion très artistique par Mlle Blanche Selva.
Après cette symphonie, M. d'Indy a fait entendre une sarabande et un menuet
extraits d'une suite en ré pour trompette, deux flûtes et orchestre à cordes;
ce sont là deux petites compositions du plus pur style archaïque. Un troisième
ouvrage du maître français a laissé une impression plus indécise; ce sont les
« Variations symphoniques » intitulées Istar; on les donnait pour la première
fois aux Concerls-Lamoureux. Au programme explicatif figure un extrait du
sixième chant de l'Épopée d'Izdubar; il s'y cache sans doute dans l'original,
sous la forme poétique des vers, un symbole très significatif; mais la musique
n'en reçoit pas un suffisant reflet. Elle est intéressante pourtant, oette musique
qui semble se dégager et s'idéaliser à mesure que se dévoile davantage la
merveilleuse beauté d'Istar ou d'Astarté. A la En, tout s'élève avec sérénité,
avec plénitude; on sent, malgré toutes les obscurités, un sentiment très
noble qui plane sur l'œuvre entière. M. d'Indy a été acclamé après chacun
des trois ouvrages de lui qu'il a dirigés. Son interprétation orchestrale de
VEgmont de Bsethoven, belle sous bien des rapports et suffisamment chaleu-
reuse, a laissé à désirer sur un point spécial. M. d'Indy enchaîne autant que
possible les entr' actes; et comme ils correspondent à des situations très dif-
férentes du drame de Gœlhe, leur juxtaposition produit un effet fâcheux par
le rapprochement trop intime de morceaux de musique très courts, exprimant
des sentiments très différents. L'air de bravoure et la romance ont été gracieu-
sement chantés par Mlle Mary Pironnay. Amédée Boutarel.
— Programmes des concerts de demain dimanche :
Conservatoire : Symphonie pastorale (Beethoven). — Deux chœurs sans accompa-
gnement (Saint-Saéns). — Ballade pour piano (Gabriel Fauré), par M»" Marguerite
Long. — Selierzo (Lalo). — Trois chœurs pour voix de femmes (César Franck et
C. Ei langer). — Symphonie en lit (Haydn).
Chatelet, Conc-rts-CoIonne : liélemption •
(Lalo), avec le concours di M. Jacques Thibaud. — La Ver Cl. Debussy), sous la
direction ds l'auteur. — Chacune, pour violon (Bach), pa A. .1 1 rhibaud. —
Symphonie fantastique Berlioz).
Salle Gavf.iu, Coiicris-Lamoureux, sous la direction de M. Vie
verture à'Iphigénie en Autide Gluck). — Lei Bolides •■■- Franck). — 1
Dardanus (Rameau), iurs de M" Marthe Philipp et M. Louis B
— Sauge fleurie (Vincenl d'Indj . — Deuxième symphonie, en i
d'Indy).
— Le 3° concert Sechiari a été des plu inl a entendu pour
la première fois la nouvelle Sinfonia sacra de M. Widor, pour orgue et or-
chestre. Très profonde impression. M. Marcel Dupré tenait te. 0
aussi la première audition d'une des ouvertures de Wagner, donl il
parlé depuis quelque temps : le Roi Enzio. si l'œuvre n'était pas de Wagner,
on pourrait dire qu'elle est bien insignifiante. Mais nous ne nous y risquons
pas. M. Widor exécuta délicieusement à l'orgue le concerto en fa de II
et M"c Minnie Tracey chanta avec beaucoup de succès des mélodies de Sibelius
et Emmanuel Moor.
— La Société Haydn-Mozart- Beethoven M"1- Edouard Galliat, MM. Calliat,
André Bittar, Le Métayer, Mn,î Adèle Clément) donnera sa première séance
de musique de chambre le mercredi 22 Janvier, à 9 heures du soir, salle Pleyel,
21, rue Rochechouart.
— M. Eugène Vsaye se fera entendre le mardi 21 janvier, à neuf h I
soir, au concert de la Société philharmonique de Paris, salle Gaveau, il. rue
La Boêtie. Son programme comprend : Sonate en la majeur (Bach), Chacoue
avec accompagnement d'orgue (Vitali), Sonate (Geminiani), Si'gfried-Idyll
(Wagner- Wilbelmj) et un caprice sur un thème de Saint-Saêns, par Ysaye
lui-même.
— La Nativité de M. Henri Maréchal vient de remporter un franc succès aux
Concerts- Populaires du Thédtre-Marigny dirigés par M. F. de Léry. Les belles
voix de Mm" Bureau-Berthelot et Judith Lassalle, de MM. Mary et Monys onl
soulevé de chaleureux et fréquents applaudissements.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour les seuls abonnés a la musique)
Elle est fine, charmante, vive et colorée, cette Ronde des Korrigans que nous
extrayons pour nos lecteurs de la jolie suite pour piano de I. Philipp : Féerie. Et,
qualité rare, elle fait beau;oup d'eftet sins êt"e diflicile. Elle fera donc la joie des
jeunes pianistes.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (13 janvier) : La reprise de ia Val-
kyrie, retardée inopinément par une indisposition de M"'e Lafitte, a pu avoir
lieu enfin samedi, avec un très grand succès. C'est M"0 Mérentié, la jeune et
belle artiste de l'Opéra, à qui la direction de la Monnaie avait fait appel pour
chanter le rôle deSiegliude; et elle y a été tout à son avantage; on a fort ad aairé
sa voix charmante et son instinct dramatique, à coté d'un Siegmund, nouveau
également, qui débutait ce soir-là. Ce débutant, qui se nomme Delrue, a pro-
duit une très bonne impression, par son organe d'un timbre tout à fait appro-
prié aux rôles de ténor wagnérien; il a séduit immédiatement le parterre. Mais
les honneurs de l'interprétation ont été, cela va sans dire, pour le prestigieux
Wotan, M. Delmas; le sentiment majestueux et tendre tout ensemble qu'il
donne au personnage est d'un grand artiste. Son succès a été considérable.
M°m Pacary a chanté Brûnhilde délicieusement, et M. Marcoux a fait un
Hounding superbe et farouche à souhait. En somme, très belle soirée. Samedi
prochain, M. Delmas chantera les Maîtres Ci tuteurs, où il fut déjà acclamé
l'an dernier.
A Anvers, la grande « première » attendue avec tant d'impatience, celle du
nouvel opéra de MM. de Tière et Jan Blockx, Baldie, a du être retardée aussi.
L'ouvrage des heureux auteurs de Princesse d'auberge et de la Fiancée de la mer
devait passer le 18 ; le décorateur a forcé la direction du Théâtre-Lyrique fla-
mand à remettre l'apparition de Baldie au 23. Les répétitions font présager
un triomphe nouveau pour le vaillant chef de l'Ecole flamande et pour son
excellent collaborateur, dont le poème est extrèmemement dramatique et mou-
vementé.
Je ne sais si la Monnaie aura le loisir de monter, cet hiver encore, en fran-
çais, l'œuvre de M. Blockx; elle y était résolue; mais en tout cas, si le temps
lui fait défaut, la chose est décidée pour la saison prochaine. Cette saison-là
sera féconde pour la musique belge. L"n autre ouvrage, en effet, très impor-
tant aussi, sera représenté à la Monnaie, et y fera certainement sensation,
non pas seulement à raison de sa valeur, mais aussi par le nom et la situa-
tion du compositeur, qui n'est autre que M. Edgar Tinel, le savant .
de l'École de musique religieuse de Malines. Jusqu'à présent, M. Tinel n'avait
LE MENESTREL
écrit que de la musique religieuse, — qui se recommandait, d'ailleurs, par des
qualités tout à fait dramatiques : ses beaux oratorios Francisais et Godelive
Font placé depuis longtemps parmi nos tout premiers maîtres. Cette fois, il se
décide à aborder le théâtre, avec un grand drame lyrique, d'un caractère assez
semblable, par le sujet, à celui de ses oratorios, mais qui se recommande par
des mérites pittoresques et tragiques particuliers. Ce sera un véritable événe-
ment, dont l'annonce seule a causé déjà, dans le monde musical belge, une
vive impression. Le titre de l'œuvre nouvelle de M. Tinel est Catharina.
Elle a pour sujet la légende — très tragique et très pittoresque — de sainte
Catherine d'Alexandrie, qui vivait, dit- on, au commencement du quatrième
siècle et souffrit le martyre sous le règne de Maximin Daïa. Parmi les épi-
sodes de la vie de la célèbre héroïne chrétienne figure le fameux mariage
mystique qui fut attribué tour à tour par les agiographes à sainte Catherine
d'Alexandrie et à sainte Catherine de Sienne. Le poème de Catharina est d'un
Hollandais établi en Allemagne, à Oberlahstein, M. Léo van Heemsteden.
L'adaptation française a été faite par le savant musicologue gantois, M. Flo-
rimond van Duyse.
La classe des Beaux-Arts de l'Académie Royale de Belgique a, dans sa
dernière séance mensuelle, élu membre associé M. Ch. Widor, en remplace-
ment d'Edouard Grieg, décédé. M. Widor avait des titres tout particuliers au
choix de l'Académie. Non seulement c'est un compositeur de grand talent,
— vous le savez, à Paris, bien mieux encore que nous, — mais il est un peu
Bruxellois... Il a suivi, en effet, pendant plusieurs années, les cours de notre
Conservatoire, dont il fut un des élèves les plus distingués ; et il a laissé en
Belgique, par son séjour, de nombreuses sympathies. Le concurrent de
M. Widor à la place d'associé de l'Académie était M. Richard Strauss.
L. S.
— La ville d'Anvers prépare de grandes fêtes pour célébrer le centième an-
niversaire de la naissance d'un de ses enfants les plus distingués, le compo-
siteur Albert Grisar.. C'est à Anvers, en effet, qu'est né, le 26 décembre 1808,
le compositeur aimable des Porcherons, de l'Eau merveilleuse, de Gilles ravisseur,
de Bonsoir, Monsieur Pantalon, et de tant d'autres petits bijoux trop dédaignés
aujourd'hui.
— De Vienne : La représentation de Fidelio, la première que dirigera le
nouveau directeur de l'Opéra de la Cour, M. Félix Weingartner, avec une
mise en scène entièrement nouvelle, qui devait avoir lieu le 17, a été ajournée
au 23. Au nombre des nouveaux artistes que M. Weingartner vient d'engager
se trouve le ténor flamand M. Swolfs, d'Anvers, qui n'a jamais chanté en
allemand et qui débutera dans le courant de la saison dans le rôle de Lohengrin.
— On vient de retrouver à Vienne un album renfermant dix-sept lieder do
Schubert écrits de sa propre main. Le maitre avait fait hommage de cet
album à la chanteuse Thérèse Grob, avec laquelle il se trouvait en relations
d'amitié; on l'a découvert parmi d'autres papiers dans la famille de cette
dernière. Un seul de ces lieder était resté inconnu jusqu'ici.
— La section de musique de la Bibliothèque royale do Berlin vient de s'en-
richir des manuscrits laissés par Wilhelm Taubert, grâce à la libéralité de ses
enfants. Ce compositeur, né le 23 mars 1811 à Berlin, mort dans cette même
ville le 7 janvier 1891, a écrit les opéras suivants : la Kermesse (1832), le Tzi-
gane (1834), Marquis et voleur (1842), Jogcjeli (1853), Macbeth (1857) et Cesario
(1874).
— De Leipzig : Le tribunal de l'Empire (Reichsgericht) vient de rendre un
jugement en dernière instance, qui fera jurisprudence en matière de droits
d'auteur. Il a décidé que l'Africaine continue à jouir de la protection de la loi
allemande relative aux droits d'auteur, uniquement parce que le livret se
trouve encore dans les conditions légales requises pour la protection et quoi-
que la partition de Meyerbeer soit tombée dans le domaine public. Ce juge-
ment met également fin, virtuellement du moins, au procès Carmen, où la
question des droits d'auteur s'est posée récemment dans des conditions iden-
tiques : la partition est tombée dans le domaine public, d'après la loi alle-
mande, mais un des auteurs du livret est encore en vie. Sur les quatre
experts consultés au sujet du différend Carmen, trois, d'ailleurs, MM. Fuld,
Osterrieth et Kohler, s'étaient déjà prononcés conformément à la manière de
voir que vient d'adopter le tribunal de l'Empire, tandis qu'un seul, M. Felisch,
avait défendu le point de vue contraire.
— On prépare pour le 23 janvier à Munich une fête en souvenir de Grieg.
Le dramaturge Bjoern Bjoernson de Christiania, la cantatrice Mme Irma
Koboth, le professeur M. Henri Schwartz et le quatuor Ahner ont promis
leur concours. La recette est destinée à constituer un fonds pour ériger un
monument au maitre norvégien.
— Le 11 janvier dernier a été inauguré le nouveau théâtre de la Cour, à
Weimar. L'empereur et le grand-duc, tous les deux en uniforme de général,
ont été reçus à l'entrée de leur loge par l'architecte, M. Littmann, le même
qui construisit le Schauspielhaus et le Théâtre du Prince-Régent, à Munich,
et le Théâtre-Schiller à Charlottenbourg. La pièce de circonstance, Jeux féeri-
ques du printemps, écrite par M. Richard Voss, a du son succès à « l'inoubliable
beauté » des décors et de la mise en scène; le fond et la forme en sont en
réalité très peu dramatiques. La musique de M. Félix Weingartner ponr cet
ouvrage a été composée sur des thèmes empruntés aux œuvres de Liszt; on
l'a trouvée intéressante et réussie. Le «Prologue sur le théâtre », extrait du
Faust de Gœthe, et le Camp de Wallenstein de Schiller ont été favorablement
accueillis. Un décor splendide, établi par le régisseur M. Widey, pour la
scène finale des Maîtres-Chanteurs, a été unanimement admiré. Le maitre de
chapelle de la Cour, M. Rabe, a dirigé magistralement la partie musicale. Le
proscenium de dimensions variables, sur lequel nous allons revenir, a bien
fonctionné pendant cette soirée de fête. — Le nouveau théâtre a été érigé sur
l'emplacement même où se trouvait le vieux monument dans lequel Gœthe fit
jouer ses ouvrages, ceux de Schiller et de tant d'autres poètes dramatiques.
Toutefois, la vieille construction avait été détruite par un incendie dès 1S25,
et Gœthe ne pénétra jamais, dit-on, dans le théâtre qui fut bâti pour la rem-
placer, ayant eu à se plaindre de l'administration à la suite d'intrigues de
coulisses dirigées contre lui. Ce dernier théâtre subsista jusqu'en 1907 et la
dernière représentation que l'on y donna fut celle de VIphigénie de Gœthe, le
17 février. Les plans de celui que l'on vient d'inaugurer furent approuvés
en juin 1905, mais la construction effective ne put commenc r qu'après la
démolition de l'ancienne salle, c'est-à-dire il y a onze mois. Ce peu de temps
a suffi, malgré les grandes difficultés que l'on a eues à vaincre. Pour établir
les fondations il fallut faire sauter à la dynamite des rochers de quatre mètres
d'épaisseur. La construction tout entière repose sur environ deux mille
piliers armés de fer, dont quelques-uns ont jusqu'à treize mètres et demi de
hauteur. Ce qui rend ce théâtre particulièrement intéressant, ce sont les trans-
formations dont le proscenium est susceptible. H n'y a pas de rampe à
l'avant-scène : la lumière est fournie par les lampes à réflecteur du plafond.
Le plancher de l'orchestre peut, à volonté, ou s'abaisser ou s'élever jusqu'au
niveau de la scène. Cet orchestre est muni d'une couverture, que l'on peut
librement enlever, et de plaques de résonances diversement disposables. La
scène peut comporter trois agencements différents ; l'un pour les grands
drames lyriques, l'autre pour les opéras dont ceux de Mozart sont le type, la
troisième pour le drame parlé, la tragédie ou la comédie. Pour les concerts sym-
phoniques avec chœurs, l'orchestre peut être placé sur la scène, et une conque de
résonance installée au-dessus sert à empêcher le son de se perdre. Toutes les
transformations,' agrandissements, etc. de la scène se font au moyen de
moteurs électriques. L'éclairage a été l'objet de soins particuliers : on a ima-
giné tout un système de prismes pour adoucir ou tamiser la lumière. L'amé-
nagement des loges d'artistes, derrière la scène, offre tout le confortable
nécessaire. On a pris toutes les précautions possibles pour assurer, en cas
d'incendie, la sécurité du public et du personnel artiste. Les places des
spectateurs s'élèvent en amphithéâtre, de telle sorte que pour personne la
vue des acteurs ne peut être masquée; il n'y a point de loges d'avant-scène;
les balcons sont presque entièrement de face et quelques loges spéciales sont
destinées aux botes princiers. Au second étage est le grand foyer et au troi-
sième une salle pour la vente des rafraîchissements. La façade extérieure est
entièrement simple, avec prédominance des formes droites. Le monument
Gcethe-Schiller, de Rietschel, a été placé devant les marches du péristyle. On
trouve que l'aspect général du théâtre s'accorde très bien avec les construc-
tions anciennes de la vieille ville de Weimar.
— Maja, drame lyrique en deux actes de M. Adolphe Vôgl, a été représenté
pour la première fois le 12 janvier dernier, à Stuttgart. Les rôles principaux
étaient tenus par Mnlc Senger-Beltaque, MM. Holm, Weil et Neudoerffer.
L'œuvre, dont le sujet est emprunté aux légendes hindoues, parait avoir
réussi.
— Un drame lyrique en quatre actes, paroles et musique de M. Isidore de
Lara, Soléa, a été joué dernièrement à l'Opéra de Cologne. Les principaux
rôles étaient tenus par Mme Gaszalevrics et M. Frédéric Rémond.
— Mme Sigrid Arnoldson, en route pour la Russie, donne quelques repré-
sentations extraordinaires dans plusieurs des théâtres principaux d'Allemagne.
La célèbre diva suédoise a chanté dimanche dernier, au Grand-Théâtre mu-
nicipal de Nuremberg, la Manon de Massenet. La direction de ce théâtre avait
expressément monté le chef-d'œuvre de Massenet pour M1™' Arnoldson, et son
triomphe y a été complet. Il y a eu six à douze rappels après les premiers
trois tableaux, mais l'enthousiasme arriva à son comble après la scène de
Saint-Sulpice. Le public de Nuremberg a fêté Mme Arnoldson d'une façon
unique. Après la représentation une foule d'environ cinq cents personnes
attendait la diva à la sortie du théâtre et lui fit une ovation spontanée, au
milieu des cris : Vive Arnoldson ! Vive Massenet ! (Hoch Arnoldson ! Hoch
Massenet!) Mme Arnoldson est maintenant partie pour Stuttgart, où elle
chantera au Théâtre-Royal Manon, Mignon et Carme n.
— La censure russe n'est pas ce qu'un vain peuple pense ; elle a des fiuesses
et des perspicacités inconnues aux « anastasies » des pays moins civilisés.
Elle vient de le prouver à Saint-Pétersbourg, en interdisant à la Société im-
périale de musique l'exécution de la Fête d'Alexandre, grande cantate de Haen-
del à quatre voix et orchestre. Le motif de cette mesure ? Simplement que la-
dite censure a su découvrir, dans cet ouvrage étonnamment subversif, des
« allusions révolutionnaires » relatives an tsar Alexandre, père de l'empereur
actuel Nicolas II. Rappelons que la Fête d'Alexandre, dont Haendel écrivit la
musique sur des paroles du grand poète Dryden, fut exécutée pour la première
fois à Dublin à la fin de 1741 ou au commencement de 1742. Pouvait-on sup-
poser que dès cette époque Dryden aurait conçu l'odieuse pensée de saper les
bases de l'empire moscovite '? Heureusement, les censeurs étaient là, caveant
consules !
— De Moscou : Après MM. Edouard Colonne et Georges Marty, c'est
M. Francis Casadesus qui dirigera, le 25 janvier, l'orchestre du Conservatoire
de la Société impériale de musique russe. A ce concert, spécialement réservé
aux compositeurs français, on entendra des œuvres de MM. Alfred Bruneau,
LE MENESTREL
23
.Francis Casadesus, Gustave Charpentier, Eugène d'Harcourt, Xavier Leroux,
Georges Marty et J. Massenet.
— Tandis que M. Eugène Ysaye, de retour à Bruxelles, se prépare à y di-
riger demaiu son troisième concert d'abonnement, dans lequel il fera enten-
dre à la queue-leu-leu les quatre ouvertures de Wagner récemment décou-
vertes : Kônig Ensio, Polonia, Christoph Colombus et Rule Britannia (ça, c'est
une joie), le signalement de son fameux Stradivarius, à lui volé à Saint-Pé-
tersbourg, est en train de courir le monde, sans que jusqu'ici on soit parvenu
à retrouver le fugitif. Ou annonce en effet que la police russe, mise en mou-
vement, a transmis aux polices des divers pays le signalement très détaillé de
l'instrument, connu sous le nom de 1' « Hercule ». Le voici dans sa teneur
exacte :
Un violon stradivarius estimé valoir GO. 000 francs, portant l'inscription latine An-
lonius Stradivarius faciebal Cremoneris anno 1732 et présentant, en outre, les particu-
larités ci-après : longueur 36 centimètres environ, vernissé de laque rouge, une
tache de la grandeur d'une pièce de vingt centimes sur la droite de la parti'' supé-
rieure de la table, près de la touché, à la tête de la touche, près de la cheville supé-
rieure, un petit trou triangulaire a été bouché.
— De Genève on nous télégraphie le grand succès remporté par le Bon-
homme Jadis interprété par Fugère lui-même. Ce soir-là, Jaques-Dalcroze fut
prophète en son pays.
— Les compositeurs français en Italie. C'estun journal italien qui fait cette
remarque: « Parmi les compositeurs français qui seront représentés chez nous
au cours de cette saison. Bizet et Massenet tiennent la première place. Sept
théâtres donneront Carmen et cinq les Pêcheurs de perles ; huit donneront la
Manon de Massenet. cinq Mignon et deux Tlnmlet de Thomas, un la Damnation
de Faust et un la Louise de Charpentier. Par contre, la musique allemande est
exclusivement représentée par Wagner. Un théâtre jouera les Maîtres Chanteurs,
un Tristan et deux Lohengrin. »
— Don Lorenzo Perosi, dont le dernier oratorio vient d'obtenir un si
grand succès, a quitté Rome ces jours derniers pour se rendre en Russie. Il
va diriger deux concerts composés de ses œuvres, l'un à Saint-Pétersbourg,
l'autre à Varsovie. Il est accompagné du père d'Amato, directeur de l'école
chorale de Saint-Pierre-du-Valican.
— Un opéra inconnu de Gluck ! Le fait peut paraître singulier: il est exact
pourtant. La trace de cet opéra, intitulé il Tigrane et qui, chronologiquement,
occuperait la cinquième ou sixième place dans le répertoire de l'illustre com-
positeur, a été retrouvée par un musicographe italien, M. Francesco Piovano,
qui rend compte de sa très intéressante découverte dans le dernier fascicule
du Recueil de la Société internationale de musique. C'est en visitant avec atten-
tion une riche collection de livrets d'anciens opéras faisant partie de la biblio-
thèque de l'Académie de Sainte-Cécile de Rome, que M. Piovano a été assez
heureux pour mettre la main sur celui qui a servi à la représentation de cet
ouvrage. En voici le titre : « /( Tigrane, drame pour musique, à représenter à
Crema à l'occasion de la Foire de Septembre de l'année 1743. La musique sera
de nouvelle composition del sig. Cristoforo Gluch (sic). » Et voici les noms des
personnages, avec ceux des interprètes :
MUridate, roi de Pont, et amant Sig. Settiniio Canini, Florentin.
d'Apamia.
Cieopatra, lille de Mitridate, et Sig' Caterina Aschieri, Romaine.
amante de Tigrane.
Tigrane, roi d'Arménie, sous le nom Sig. Felice Salimbani, Milanais.
d'Argene, amant de Cieopatra.
Apamia, sœur d'Oronte, et amante Sig" Giuditta Fabiani, Florentine.
de Tigrane.
Oronte, prince de Sinope, et amant Sig. Giuseppe Gallieni, Grémonais.
de Cieopatra.
Clearte, prince de Messageti, cou- Sig" Rosalba Buini, Bolonais?.
fédéré de Mitridate et ami de
Tigrane.
L'ouvrage était en trois actes, avec de nombreux « changements de scène»,
c'est-à-dire divers tableaux. Le nom du poète n'est pas inscrit sur le livret,
qui avait été déjà mis en musique deux ans auparavant par le compositeur
Giuseppe Arena, dont l'opéra avait été représenté à Venise, sur le théâtre
Grimani de Saint-Jean Chrysostome, dans l'automne de 1741. Ce livret, qui
n'était point nouveau, et qui avait été l'objet de nombreux remaniements,
datait déjà de plus d'un demi-siècle. En cherchant bien, M. Piovano est
parvenu à en découvrir l'auteur. Celui-ci est un certain abbé Francesco
Silvani, qui avait fait représenter à Venise, sur le théâtre Vendramin, dans
l'automne de 1691, avec musique de Marc' Antonio Ziani, un opéra intitulé bt
Virtù trionfante deU'amore e dell'odio. Le sujet de cet opéra est précisément
celui de Tigrane, bien que les noms des personnages diffèrent absolument,
mais on trouva dans ce dernier de nombreux vers du premier. Toutefois, ce
livret de l'abbé Francesco Silvani subit une première fois des retouches
imporlantes lorsqu'il fut remis en musique pour être représenté à Rome, au
théâtre Capranica, pendant la saison du carnaval de 1724 ; et ici on le retrouve
sous ces deux titres : la Virtù trionfante deU'amore e dell'odio, ossia il Tigrane.
Le premier arrangeur, resté inconnu, avait donné aux personnages les noms
du livret employé par Gluck. La musique de cette seconde Virtù trionfante
avait été écrite par trois compositeurs : Benedelto Micheli (premier acte),
Antonio Vivaldi (second acte) et Nicola Romaldi (troisième acte). Entui, le
livret du Tigrane, mis on musique par Gluck après Arena, av -
de nouveau et adapté par le grai i
misérablement à Paris après avoi ; I
Bourru bienfaisant. Ce livret servit encore, api '■■
positeurs : Lampuguani. Carcani, Picciuui, Tozzi, etc. Maiolenan
devenue la partition du Tigrane de Gluck ? Ceci
et il est probable qu'on n'y parviendra jamais. A celle époque, on n
pas en Italie la musique des opéras, et la partition manuscrite de
restait d'ordinaire dans le théâtre ou l'ouvrage avail
Tigrane. a présent ? Mais toujours est-il que grâce à la M. l'ran-
cesco Piovano on sait aujourd'hui que Gluck avait écrit el
Crema, en 1743, un ouvrage ainsi intitulé, et que cet ouvraf
oublié, est resté complètement inconnu de tous les historiens et • i
biographes. Et voilà, sinon un chapitre, du moins un épisode à ajouter, et
non sans quelque intérêt, au récit de la vie et des œuvres del'autcui
et des deux Iphigénies. A. 1'.
— Le théâtre de Monte-Carlo vient d'offrir à ses habitués la primeur d'une
opérette nouvelle, en trois actes : Œil de Gazelle, paroles de M. Paul (Terrier,
musique de M. Justin Clérice.
— De notre correspondant de New- York (6 ja Vous apprendrez
avec plaisir que la première de Louise a eu lieu vendredi passé avec beaucoup
de succès. Représentation excellente. Les artistes principaux, M"" Mary Gar-
deu, MM. Gilibert, Dalmorès et Mme Bressler-Gianoli ont été des plus remar-
quables. On s'attend à une longue suite de représentations de cette œavre,
tant le succès en a été franc et sponlané. »
— D'autre part, MMc Mary Garden a envoyé au Figaro de Paris la dépêche
suivante :
Gaston Cafmette, Figaro. Paris.
New-York. 0 janvier.
Je désire remercier par te Figaro les Mimi-Pinson pour la gentille dépêche qu'elles
m'ont envoyée. La première de Louise a été un succès étourdissant pour Chirpentier
et l'école française tout entière. J3 souhaite a tous mes amis de Paris une heureuse
année.
Mary Garden.
Et nous-mêmes avons reçu de la gracieuse artiste cette autre dépêche :
Thaïs et Louise, les deux plus grands succès qu'on ait connus jusqu'ici à New-
York.
— Les journaux américains parlent tous de l'éclatant succès de Louise au
Manhattan-Theatre, de New-York, et assurent qu'aucune œuvre, depuis bien
des années, n'avait excité à ce point l'enthousiasme. M11 Mary Garden. la
séduisante interprète du rôle de Louise a reçu, dans le cours d'une semaine,
plus de cent lettres de jeunes chanteuses américaines qui lui demandent son
patronage pour débuter à Paris; malgré ses fatigues, la cantatrice si
voulu répondre à toutes ses correspondantes et a consenti à les enie
espère en pouvoir distinguer quelques-unes et leur faciliter l'accès des théâtres
parisiens.
— L'ancien kapellmeister de la Cour à Stuttgart, M. Charles Polilig, donne
en ce moment des concerts en Amérique, et la presse s'élève assez vivement
contre la longueur de ses programmes. On écrit de Philadelphie : M. Pohlig
est retombé à Philadelphie dans la même faute qu'il avait déjà commise à
New-York; il fait des programmes trop longs. Le public ne peut absolument
pas soutenir deux heures et demie de musique. Les plus enthousiastes et les
mieux doués peuvent écouter pendant une heure trois quarts, pendant deux
heures au plus. Tout ce qui dépasse cette limite est un mal et une fatigue. Il
arrive même qu'une trop grande tension d'esprit agit non seulement sur les
auditeurs, mais aussi sur les exécutants, et que l'interprétation fléchit et
devient moins bonne qu'on est en droit de l'exiger ».
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Est-il utile de signaler que nous avons un nouveau ministre des Beaux-
Arts ? Celui qui part s'appelait Aristide Briand, celui qui vient se nomme
Charles Doumergue. Les choses d'art iront comme devant, traitées par des
intelligences d'à coté, plus dangereuses parfois que des ignorances absolues.
M. Briand laisse à son successeur quelques affaires embrouillées : l'aventure
du Théâtre-Lyrique populaire, la commission nommée pour la révision des
lois concernant la propriété artistique, un projet de revision du décret de
Moscou qui réglait jusqu'ici l'existence de la Comédie-Française, la croix de
Mrae Tinayre, etc., etc. — M. Doumergue fera bien de s'avancer avec prudence
sur un terrain aussi rempli d'embûches ; il est vrai qu'il garde auprès de lui
pour se guider, cet excellent M. Dujardin-Beaumetz, qui a fait ses preuves si
brillamment.
— La Société de l'LTnion centrale des arts décoratifs organise, sous la di-
rection de son président. M, Georges Berger, une » exposition des arts du
théâtre », qui aura lieu du 1er avril prochain au lb octobre. Mardi, une réu-
nion des principaux peintres de décors pour théâtres a été tenue sous la pré-
sidence de M. Georges Berger, dans le musée des arts décoratifs du pavillon
de Marsan, au Louvre. Après une discussion approfondie, il a été entendu
que chaque décorateur admis à figurer dans l'exposition théâtrale enverra
deux maquettes au plus. Seront seules acceptées des maquettes de décors
irréprochables au point de vue du talent déployé par leurs auteurs. En
dehors de ces œuvres modernes, des maquettes faites par des décorateurs
24
LE MÉNESTREL
dont la célébrité a honoré l'art au dix-neuvième siècle seront présentées
au public. L'exposition contiendra d'autres maquettes, dont quelques-unes,
datant du dix-huitième siècle, sont dues aux pinceaux de maitres de l'école
de G.alli Bibiena et de celle de Servandoni, ce qui veut dire et laisse
entendre que les décorateurs étrangers, anciens et contemporains, trou-
veront place dans les salles du rez-de-chaussée du Louvre attenantes au pa-
villon do Marsan. Les costumes, les armes, les bijoux, le matériel des mises
en scène avec les mille objets que comporte la mise en scène d'une pièce,
permettront de comparer ce qui se faisait timidement autrefois avec ce qui
est osé aujourd'hui dans des données plus réalistes. Il est UDe section de l'ex-
position théâtrale qui offrira un intérêt spécial M. Georges Berger a décidé
de créer une galerie de portraits de dramaturges et d'auteurs d'ouvrages de
geure, de compositeurs de musique, d'artistes du chant, de la tragédie, de la
comédie sous toutes ses formes, et delà danse, qui ont illustré les scènes de nos
grands théâtres du dix-septième siècle à nos jours. Ces portraits, à l'huile ou
au pastel, auront tous été exécutés par des peintres renommés contemporains
de leurs modèles. M. Georges Berger, auquel les amateurs et les collection-
neurs ne savent refuser aucun prêt, s'est déjà assuré de plus de cent cinquante
de ces portraits. Et ceci non compris les dossiers, les études de décors, les
estampes en couleur ou en noir, les gravures et lithographies qui formeront
un compartiment de l'exposition théâtrale.
— Une grande activité règne toujours à l'Opéra. En même temps qu'on procède
aux réparations convenues dans la salle, sur la scène et dans les dépendances
diverses du monument, on prépara dans les foyers les ouvrages qui formeront
les premiers spectacles de la nouvelle direction. La réouverture aura li u
aussitôt que ces travaux seront terminés. Cette réouverture se fera par une
soirée de gala, avec le Faust de Charles Gounod, encadré dans ses nouveaux
décors et interprété par MM. Muratore (Faust), Delmas (Mephistophélès),
Dangès (Valeotin) et Lequien (Wagner), Mmes Jeanne Hatto (Marguerite),
Martyl (Siebel) et Goutancourt (dime Marthe). MM. Dangès et Lequien feront
donc leurs premiers débuts dans cet ouvrage. — Ensuite viendra Guillaume
Tell pour la rentrée du ténor Escalaïs par le rôle d'Arnold, et les débuts de
M"e Gall par celui de Mathilde. — Les spectacles suivants sj composeront de
Rigoletto, de Verdi, dans lequel le baryton Duclos fera un premier début par le
rôle de Bigoletto, et M"e Lala Miranda par celui de Gilda, et de Lohengrin
avec MM. Feodorow, Beck, Mmes Kousnietzow et Feart dans les principaux
rôles.
— Spectacles de dimanche à l'Opéra-Comique : en matinée, le Chemincau;
le soir, Manon. — Lundi, en représentation populaire à prix réduits : LaTraviata.
— Les représentations de Mireille au Lyrique populaire vont prendre fin.
Mignon sera donné dès ce soir samedi. Après viendra Lakmé. Et puis? Et puis
quoi? Tout cela est d'un bien vif intérêt, vraiment. Comme le moindre grain
de mil nouveau ferait mieux l'affaire de tout le monde, des compositeurs et
du public ! Si c'est ainsi qu'on a compris le théâtre lyrique, quelle scène inu-
tile ! Et comme la fermeture définitive en est prochaine !
— La commission de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques a
envoyé aux sociétaires la communication suivante :
Dans le but de coopérer à l'œuvre du Théâtre- Lyrique populaire de la Gaité, votre
commission a accepté de fixer pour un délai de cinq mois et à titre purement provi-
soire les droits d'auteur perçus dans ce théâtre à 10 0/0.
Toutefois la commission vous rappelle que les auteurs d'ouvrages représentés au
Théâtre-Lyrique populaire de la Gaité n'en conservent pas moins le droit absolu de
n'autoriser cette représentation qu'ea réclamant le taux normal de 1L2 0/0.
— En 1834, la Société des artistes de l'Opéra-Comique, installée, depuis
l'abandon de la salle Ventadour, dans .celle de la place de la Bourse, qui avait
été construite pour le théâtre des Nouveautés, alors disparu, était dissoute et
remplacée par un directeur responsable, qui était Crosnier. C'était une trans-
formation administrative complète. Voici la note que nous trouvons à ce sujet
dans un journal du temps :
En procédant à la réorganisation du théâtre de l'Opéra-Comique, M. le ministre de
l'intérieur n'a pas négligé les intérêts et l'avenir des jeunes compositeurs français.
Ils sont garantis par un article du cahier des charges imposé au nouveau directeur,
qui est ainsi conçu :
« Les premiers prix de composition musicale auront un tour de faveur dans
l'année qui suivra l'expiration du temps de leur pensionnat, pour la représentation
d'un ouvrage à l'Opéra-Comique. S'ils n'ont pas un poème accepté par le directeur
de ce théâtre, celui-ci sera tenu de leur en fournir un. Au cas où la partition
lui paraîtrait trop faible, une commission, nommée par le ministre, décidera si elle
peut être exécutée. »
Une autre disposition accorde aux premiers prix de chant et aux premiers prix
d'instruments du Conservatoire qui n'auront pas d'engagement pour d'autres
théâtres, le droit de se faire entendre à l'Opéra-Comique au moins une fois dans
l'année qui suivra la distribution des prix.
Voilà certainement une dernière disposition qui n'a jamais été observée,
surtout en ce qui concerne les instrumentistes. Elle n'était pas cependant
sans intérêt pour eux, et même pour le public, et elle eût pu certainement
avoir son utilité. Rappelons que le ministre de l'intérieur qui s'occupait ainsi
de l'Opéra-Comique n'était autre que Thiers.
— Où allons nous, et où s'arrètera-t-on? M. Vincent d'Indy nous a donné
récemment un livre (que j'ai analysé ici même) sur César Franck, et cela est
fort bien. Franck, par ses œuvres et par l'influence qu'il a exercée sur ses
élèves et ses adeptes (ils sont devenus légion depuis qu'il est mort, et c'est
étonnant ce qu'on rencontre aujourd'hui de ses élèves), a tenu dans l'art con-
temporain une place assez considérable pour qu'il ne fut pas inutile de lui
consacrer une étude sincère et complète. Mais allons-nous faire ma;ntenant
pour lui ce qu'on a fait pour Wagner, et s'en va-t-on publier unî glose sur
chacune désœuvrés qui composent son vaste répertoire? Alors une existence
humaine ne suffirait plus à lire ce qu'on écrira sur la musique et les musiciens,
et, à tout prendre, il y a dans le monde autre chose que la musique, quelque
intérêt que nous lui puissions porter. Voici qu'un nouveau venu parmi nous,
M. Charles van den Borren, s'avise aujourd'hui de publier un volume de
228 pages sous ce titre : L'Œuvre dramatique de César Franck (Paris, Fischba-
cher, in-12), c'est-à-dire sur la partie la moins importante, et, il faut le dire,
la moins intéressante de l'œuvre du vieux maître, celle sur laquelle il y a le
moins sujet de s'appesantir. Franck était déjà sexagénaire lorsque lidée lui
vint de s'occuper de théâtre, pour lequel il n'était vraisemblablement pas né,
et son théâtre se borne, on le sait, à deux ouvrages, Suida et Ghisèle, repré-
sentés à Monte-Carlo après sa mort, le premier en 1894, le second en 1S96;
encore ce dernier n'était-il pas complètement achevé, et l'orchestration dut-
elle en être faite par cinq de ses élèves (des vrais, .ceux-là !), MM. V. d'Indy,
Ernest Chausson, de Bréville, Samuel Rousseau et Arthur Coquard. Qu il véri-
table intérêt une étude détaillée de ces deux ouvrages peut-elle présenter
pour la connaissance de la personnalité et du tempérament artistique de
César Franck? Ce n'est là qu'une sorte d'accident dans l'ensemble de sa
longue et honorable carrière, et je ne vois pas le fruit que l'on peut tirer d'une
telle étude, et à ce point développée. Car je constate qu'elle est faite avec le p'us
grand soin, et j'ajoute que le livre de M. van den Borren est écrit avec clarté
et élégance, ce qui ne se rencontre pas tous les jours. Mais tout de même, je
crois qu'il eût pu employer son temps de façon plus utile et plus profitable
pour tous. A. P.
— Au dernier Samedi de Madame, au théâtre du Gymnase, on a fort
ayplaudi M. Julien Tiersot, qui, en uns conférence pleine de charme, d'érudi-
tion et de variété, a fait l'histoire de la Chanson Populaire de France, joignant
l'exemple à la parole et chantant lui-même quelques-unes des perles de son
écrin si patiemment édifié, comme le Retour du Marin, les Noces de l'Alouette et
du Moineau, le Pauvre Laboureur. Mm= Jeanne Raunay prêtait à la séance
l'appoint de sa belle voix et l'autorité de son grand talent : le Roy Loys, En Re-
venant de Noces et Joli Tambour, la Rergère aux Champs, la Maumariée, ont valu
à l'éminente cantatrice des applaudissements enthousiastes partagés par
Mmo Berlholon-Mauvernay, à l'organe frais et clair, à la diction nette et spiri-
tuelle dans l'Ane de Marion, Mon Père avait cinq cents Moutons, li Mère et la
Fille, la Veille de Noces, la Mort du Mari. La séance a pris fin avec la jolie ronde
En passant par la Lorraine, chantée en trio. Le piano était tenu par M. Jemain.
— Le 11e samedi de la Société de l'histoire du théâtre aura lieu le
18 janvier, au Théàtre-Sarah-Bernhardt, à cinq heures précises. Au pro-
gramme :
Causerie de M. Edmond Haraucourt sur la S-Anz et les coulisses de jadis, accompa-
gnée des récitations ou auditions suivantes: Notre-Dame de Paris : (une représentation
au quinzième siècle (Victor Hugo), par M. Grandval, do la Comédie-Française. —
Prélude du Miracle de Saint-Nicolas (Gabriel Vicaire) : L\ Comédie en campagne
(J. Truffler), par M. Truffier, sociétaire de la Comédie-Française. — Le Roi Robert
(Haraucourt), par M"" Suzanne Thérays, de l'Athénée. — Air de la Basoche (Albert
Carré et Messager), par M™" Marie Thiéry, de l'Opéra-Comique. — Le Chariot de
Thespis (Th. Gautier), par H"' Marcilly, de l'Odéon. — Saint-Martin (Haraucourt),
par M'"" Marcelle Josset, du Gymnase. — Maître Palhulin (fragments). — Brueys et
Palaprat), par M"" Marcelle Josset et M. Frère, de l'Odéon.
— Un festival permanent de musique et d'orphéons aura lieu dans l'enceinte
de l'Exposition de Toulouse aux dates suivantes : 10, 17, 24 et 28 mai ; 7, 8,
14, 21, 28 juin ; 5, 12, 14, 19, 26 juillet; 2, 9, 15, 16, 23, 30 août ; 6, 13 et 20
septembre. — Ce festival est ouvert aux fanfares, harmonies, symphonies,
aux chorales d'hommes ou de femmes, aux chorales mixtes, aux sociétés de
trompettes, trompes de chasse et estudiantinas. — Il sera attribué par voie de
tirage au sort : Une prime en espèces de 2.000 francs, une prime de
1.000 francs, une de 500 francs, deux de 300 francs, une de 200 francs, dix
de 100 francs, vingt de 50 francs, dix primes de direction de 50 francs et deux
primes d'éloignement de 100 francs, au total : quarante-huit primes s'élevant
à 7.000 francs. De plus, deux cent médailles seront distribuées aux sociétés
qui auront pris part au festival. — Les adhésions des Sociétés devront être
adressées à la Direction de l'Exposition avant le 15 février,
NÉCROLOGIE
Un des artistes les plus anciens et les plus renommés de Dresde, Albert
Wolfermann, est mort subitement au Conservatoire de cette ville, où il s'était
rendu pour célébrer le trente -cinquième anniversaire de sa nomination
comme professeur de violon et d'ensemble d'instruments à cordes dans cette
institution. Né le 25 avril 1844, à Altenbourg, il avait partagé sa vie artis-
tique entre le professorat et la composition. On a de lui des morceaux ou
études pour violon et violoncelle, des compositions pour piano, des quatuors et
des lieder.
Henri Heugel, directeur-gérant.
4009. - 74e ANNÉE. - N° 4.
PARAIT TOUS LES SAMEDIS
Samedi 25 Janvier 1908.
(Les Bureaux, 2 blB, rue Vivienne, Paris, h- arr>)
(Le? manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus
MÉNESTREL
Le Kamépo : 0 fa. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
IiefluméFo: Ofp. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de posté ea sus.
SOMMAIRE-TEXTE
1. Soixante ans de la vie de Gluck (Ci" article), Julien Tiersot. — II. Semaine théâtrale :
première représentation des Deux Hommes, à la Comédie-Française, Amédée Bouta-
hel. — III. Petites notes sans portée : Un document inaperçu sur l'orchestration des
maîtres, Raymond Bouyer. — IV. Kevue des grands concerts. — V. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
LE PÊCHEUR DE SYRACUSE
n" 4 des Odelettes antiques, de Théodore Dubois, sur des poésies de Chahi.es
Dubois. — Suivra immédiatement : Au bois de l'amour, n° 3 des Idylles et
Chansons de Jaques-Dalchoze, sur des poésies de Gabriel Vicaire.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de piano:
Dansa des Crotales, n° 3 des Danses Tanagréennes de Zino-Zina, ballet do Paul
VmAL. — Suivra immédiatement : Panaderos, danse espagnole extraite du
nouveau ballet de J. Massbnet, Esp'ada, qui va être représenté prochainement
au théâtre de Monte-Carlo.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
CHAPITRE III
GLUCK COMPOSITEUR ITALIEN
A Milan, Gluck, pour parachever ses études musicales, fut
mis sous la direction de Sammartini.
Celui-ci est le second, et le dernier, que nous entendions
nommer comme ayant été maitre de Gluck. Il est fort à croire
que, sauf la routine de l'écriture courante, le futur réformateur
de l'opéra n'apprit pas grand'chose, soit avec l'un, soit avec
l'autre. Nature d'autodidacte, l'auteur n'a jamais su qu'assez
médiocrement ce qui s'enseigne à l'école, et ce qu'il y a de
meilleur en lui, c'est ce qu'il a trouvé par lui-même. Aussi bien,
l'on n'aperçoit guère quelles affinités pourraient exister entre.
Gluck et Sammartini, ce compositeur atout faire, touchant à tout,
maître de chapelle ou organiste dans plus de la moitié des églises
et des couvents de Milan, esprit d'initiative d'ailleurs, auteur
de symphonies qui ont précédé de longtemps celles d'Haydn,
et dans lesquelles Burney constatait une surabondance de notes,
un feu, une impétuosité qui l'entraînaient à « courir le galop » (I),
enfin si extraordinairement prolifique que, au rapport de Fétis,
une messe de sa composition est cotée comme œuvre 2 800 ! Et ce
il) Burney, Élal présent de la miisiqw, I, 81.
ne sont pas de simples œuvres d'une page qui constituaienl ce
total énorme, mais des sonates, des concertos, des cantates, des
messes, des motets, et jusqu'à des opéras. Quel temps pouvait-il
rester à un homme si occupé pour se consacrer au professorat,
et coopérer comme il l'eût fallu à la formation et au progrès
d'un esprit tel que celui de Gluck?
Non : celui-ci, n'en doutons pas, s'instruisit surtout par
l'exemple. Et le principal qui lui était proposé à Milan était
celui que lui offraient les opéras représentés au Regio-Ducal
Teatro pendant les saisons de carnaval. Docile comme nous
l'avons vu, il se mit donc à composer des opéras, comme les
autres. Le premier qu'il écrivit fut donné pendant la saison de
1741-42; il était fait sur un poème de Métastase, et avait pour
titre Arlaserse.
Cette première moitié du XVIIIe siècle fut l'époque la plus
florissante de l'opéra italien, suivant la formule que l'école
napolitaine avait imposée à toute l'Europe, la France exceptée.
Pendant un siècle environ, ce genre, voué à la mort de par sa
nature même, brilla d'un éclat factice. Les plus grands génies
de l'Allemagne, Hfendel, Gluck, Hasse, Graun, Chrétien Bach,
et jusqu'à Mozart, se crurent obligés de s'incliner devant sa
prépondérance, et se soumirent à ses lois. Bien plus : la tyran-
nie de ses formes s'étendit au delà du domaine de l'opéra; elle
s'exerça jusque dans le temple, et l'on vit le grand Bach, après
avoir composé ses premières cantates dans le style « vieil alle-
mand » qui convenait si bien à son génie et à la nature de son
œuvre, consentir lui-même à s'asservir, et couler ses inspira-
tions sublimes et si étonnamment diverses dans le moule rigide
de l'air italien avec milieu et Da capo.
Encore, si ce n'eût été qu'une affaire de forme ! Mais, vrai-
ment, l'opéra italien ne pouvait pas constituer une véritable
œuvre d'art. Il y avait en lui un vice fondamental : le men-
songe était à sa base.
Lorsque Gluck arriva en Italie, il, n'y avait pas. vingt ans que
le vénitien Marcello avait écrit son pamphlet célèbre : // Teatro
allamoda. Cette satire, de l'esprit le plus acéré et parfois le plus
fin, contient, épars dans ses diverses parties, des traits : de
mœurs de l'exactitude desquels nous aurions d'autant moins le
droit de douter que l'observation de la vie des coulisses, en
notre vingtième siècle, nous en ferait retrouver d'identiques
(car, parmi les capitales du monde civilisé. Cabotinville est
celle qui a le moins changé). Ce sont là choses secondaires à
notre point de vue. Mais le livre, à travers l'abondance des
détails, laisse apparaître un fond d'observations générales, rela-
tives à la constitution même du genre, lesquelles, groupées,
peuvent être ramenées à ces deux principaux articles :
Dans l'opéra, le drame doit être subordonné à la lt
scène, à la machinerie, aux accessoire*:
26
LE MÉNESTREL
La musique a pour seule raison d'être de faire briller les
chanteurs.
Et voici, pour préciser, quelques extraits de la satire de Mar-
cello. L'auteur y présente les erreurs qu'il flagelle sous forme
de prescriptions, formant, en effet, une sorte de code de l'opéra
italien au XYIII'' siècle (1).
« Avant de composer le livret d'un opéra, le poète moderne
demandera au directeur une note détaillée lui indiquant le
nombre de scènes qu'il veut avoir. S'il doit y faire figurer des
apprêts de festins, des sacrifices, des ciels sur la terre, ou d'autres
spectacles, il aura soin de s'entendre avec les machinistes pour
savoir par combien d'airs, de monologues ou de dialogues il
doit allonger les scènes, afin qu'ils aient toutes leurs aises pour
préparer ce qui leur sera nécessaire, sans s'inquiéter que l'opéra
pourra bien devenir languissant et ennuyer souverainement le
public. » Pp. 47-48.
«... Sa préoccupation essentielle sera de savoir si le directeur
n'a pas négligé de se pourvoir d'un bon ours, d'un bon lion, de
bons rossignols, de flèches, de tremblements de terre, d'éclairs, etc.
Pour terminer l'opéra, il amènera une scène d'une décoration
splendide. afin que le public ne parte pas avant la fin, et il ne
manquera pas d'y ajouter le choeur habituel en l'honneur du
soleil, de la lune ou du directeur. » Pp. 48-49.
« Il importe peu que le sujet de l'opéra soit historique..., mais
il devra mettre toute son attention à ce que le nombre des vers
ne dépasse pas douze cents. » P. 52.
« Quand le poète aura remis le livret de l'opéra, l'imprésario
ira d'abord, avant même d'en avoir pris lecture, le faire voir à
la prima donna, qu'il priera de vouloir bien l'entendre. Si elle y
consent, devront aussi assister à la lecture le protecteur, l'avo-
cat, le souffleur, le portier, un comparse, le tailleur, le copiste,
l'ours, le domestique du protecteur, etc. Chacun d'eux émettra
son opinion, désapprouvant ceci, cela, et le directeur répondra
gracieusement qu'il fera remédier à tout. Il remettra le poème
au maître de chapelle le quatrième jour du mois, en lui disant
qu'il faut absolument que l'opéra soit mis en scène le dou-
zième. » Pp. 106 -'107.
« Lorsqu'il se trouvera avec des chanteurs, et particulièrement
des castrats, le compositeur leur offrira toujours sa dextre, et
se tiendra chapeau bas et un peu en arrière. » P. 68.
« Si la seconda donna se plaignait de ce que son rôle ne con-
tienne pas autant de notes que celui de la première, il la con-
solera en égalisant le nombre au moyen de vocalises intercalées
dans les airs, de ritournelles, de passages de bon goût ou de
toute autre chose. » P. 73.
« L'air ne s'attachera par aucun lien au récitatif, mais le poète
fera son possible pour y introduire à tout bout de champ les
mots papillon, rossignol, caille, nacelle, jasmin, violette, tigre, lion,
baleine, écrevisse, dindonneau, chapon froid, etc. » P. 55.
« Si le sujet du drame voulait que deux époux se trouvassent
ensemble en prison et que l'un des deux dût mourir, il sera
indispensable que le survivant demeure en scène et chante un
air sur des paroles badines ou gaies, afin de dissiper la tristesse
du public... — Quand deux personnages devront échanger des
• serments d'amour ou tramer des complots, des embûches, etc.,
ils ne le feront qu'en présence des pages et des comparses. »
P. 57.
« Si la cantatrice doit faire jeter dans les fers un personnage
et qu'elle doive chanter un air d'imprécation, il n'y aura pas
d'inconvénient à ce que. pendant la ritournelle, elle cause et
rie avec lui, qu'elle lui désigne les masques des loges, etc. »
P. 102.
« Si le chanteur représente un esclave, un prisonnier dans
les fers, il apparaîtra bien poudré, avec un habit couvert de
pierreries, un casque très élevé, une épée, des chaînes bien
longues et bien brillantes qu'il fera résonner à tout moment. »
Pp. 79-80.
(1) Les renvois sont indiqués d'après la traduction d'EnsEST David : Le Tncàtre à la
mode de Benedetto Marcello (Fischbacher, 1890), a laquelle nous empruntons les ci-
ations. . |
« LorsquV/ sera en scène avec un autre acteur qui, suivan
l'exigence du drame, s'adressera à lui en chantant un air, il
n'y fera pas attention; il saluera les masques dans les loges,
sourira aux instrumentistes et aux comparses, afin que le public
comprenne bien qu'il est le signor Alipio Forconi, musico, et non
le prince Zoroastre qu'il représente. » P. 78.
Gluck n'avait donc pas tort quand, cinquante ans après Mar-
cello, écrivant dans un autre style, mais appuyant son affir-
mation par la composition d'Alcesle, il venait déclarer que
l'opéra italien était le spectacle « le plus ridicule ».
Or, les interprètes et les décors, pour être parmi les éléments
constitutifs de l'opéra ceux qui se trouvent le plus immédia-
tement en contact avec le spectateur, sont aussi les plus passa-
gers, les plus précaires : y subordonner les éléments durables
de l'œuvre d'art, musique et poésie, c'est vouer ceux-ci à périr
en même temps.
Le peintre et le poète
Laissent en expirant d'immortels héritiers.
Jamais l'affreuse nuit ne les prend tout entiers.
C'est précisément en déplorant la perte d'une des plus grandes
virtuoses dont l'histoire de l'art musical ait gardé le souvenir
que Musset a été amené à formuler l'idée contenue dans ces
vers. Oui : le virtuose disparaît, sans laisser après lui qu'un
souvenir qui bientôt s'efface; mais l'artiste créateur lègue son
œuvre à l'avenir. Quelle est donc sa faiblesse si, au lieu d'y
mettre sa pensée même, il s'abaisse à flatter le caprice de celui
qui ne représente que le moment qui passe? Si c'est à cela qu'il
borne son ambition, il peut reprendre pour lui le mot d'un ora-
teur : « Périsse ma mémoire! » Il ne laissera rien de lui.
C'est pour avoir méconnu cette vérité que les maîtres — de
grands maîtres, certes, — qui furent entraînés par la force des
choses à concevoir l'opéra tel qu'il fut pratiqué en Italie pendant
le XYIII" siècle, n'ont créé qu'une œuvre impuissante à survivre.
Genre artificiel, tout d'apparence et d'éclat extérieur, il ne par-
tagera pas, nous pouvons le croire, l'heureux sort d'autres pro-
ductions du passé qui, après de longs siècles d'oubli, n'ont eu
qu'à reparaître à la lumière pour reprendre une vie nouvelle,
car la vie ne s'en était jamais retirée. Lui, il est mort et bien
mort. Certes, dans l'ensemble considérable de ses productions,
il peut se retrouver de belles choses. Malgré tout, le génie mu-
sical, si comprimé soit-il, finit toujours par trouver un moyen de
s'épandre. Ce serait chose vraiment trop désolante s'il ne pouvait
absolument rien rester d'œuvres où Scarlatti, Pergolèse,Hfendel,
Porpora, Léo, Hasse, et tant d'autres, ont mis le meilleur de leur
génie! Il en subsiste, en effet, des pages musicales, et qui sont
admirables. Mais ce ne sont pas des œuvres : ce ne sont que
des morceaux. Et trouvàt-on un opéra italien dont toutes les
parties seraient parfaitement belles que l'ensemble n'en consti-
tuerait pas encore un chef-d'œuvre complet, parce que le
genre, de par son erreur fondamentale, était impuissant à pro-
duire des chefs-d'œuvre.
C'est dans ce genre que Gluck allait rester emprisonné pen-
dant trente ans.
[A suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THÉÂTRALE
Comédie-Française. — Première représentation : tes Deux Hommes.
comédie en quatre actes, de M. Alfred Capus.
On peut considérer M. Alfred Capus comme celui de nos auteurs de
comédie que préfère cette partie du public pour qui l'évocation d'une
vie élégante, facile, heureuse, traversée de petits chagrins et de grands
bonheurs, présente un très vif attrait. Aussi, l'apparition des Deux
Hommes à la Comédie-Française était-elle attendue avec une certaine
curiosité. On savait que l'écrivain théâtral s'y révélerait sous un jour
tout nouveau et présenterait au public un ouvrage à tendances très
arrêtées, une pièce à thèse en un mot.
Cette thèse, voici comment l'auteur des Deux Homme* semble l'avoir
conçue. L'homme qui veut, à notre époque, sortir victorieux de la
lutte quotidienne pour la vie, doit, non seulement s'armer d'intelli-
LE MENESTREL
gence et d'activité, mais s'alléger autant que possible des scrupules et
des délicatesses de sentiment, car ce sont là de -véritables entraves.
S'il ambitionne la fortune, qu'il aille droit au but, sans s'inquiéter des
fleurs parfumées qu'il piétine sur sou chemin à chaque étape de la vie.
Sa moralité doit avoir pour base la crainte des tribunaux ; il faut qu'il
soit inaccessible aux reproches de sa conscience. Tel est « l'honnête
homme d'aujourd'hui ». En opposition avec lui se place « l'honnête
homme d'autrefois », celui dont la droiture native s'effraie des compro-
mis. Sa conviction intime est que, s'il entrait dans la mêlée, il serait
fatalement parmi les vaincus. Sa prudence lui conseille donc de vivre
à l'écart; il se consolera de l'insignifiance de son rôle par une sereine
philosophie.
Ces deux hommes, M. Alfred Capus les met en face l'un de l'autre et
nous les représente dans une belle atmosphère où déborde la vie,
comme il sait les créer avec un incontestable talent. Les caractères de
ses deux personnages principaux manquent toutefois de la précision
qui permettrait au spectateur de voir nettement l'abîme qui les sépare;
ils restent flottants, et parfois même les actes qu'ils produisent demeu-
rent incompréhensibles.
Marcel Delonge, spirituel et de physique agréable, traverse l'existence
en dilettante. Il possède douze mille francs de rente, une misère au
théâtre, et s'avoue incapable d'augmenter ce revenu par le travail.
Il se croit sûr â l'avance, quelque effort qu'il fasse pour prendre part
aux luttes d'où l'on sort parfois riche et comblé d'honneurs, d'être
meurtri, d'être broyé par les autres, et cela, parce qu'il veut suivre sa
route avec loyauté, franchise et droiture. Au fond, cette soi-disant
résignation est d'un esprit faux et cache une incurable mollesse. Il
pourrait, s'il le voulait, accomplir une tâche modeste sans violer ses
jjriucipes d'équité.
Marcel visite assidûment une vieille amie des siens, Mmc Salvier,
qui possède un somptueux hôtel et y retient pour un mois comme
hôtes ses cousins. Paul Champlin et sa femme Thérèse. Paul est un
jeune avocat un peu trivial, mais plein de faconde. Il jouit, à Dijon,
d'une grande réputation. Dévoré d'ambition, il veut profiter de son
séjour à Paris pour se faire présenter à Bridou, le « Xucingen » du
jour, financier véreux mais possesseur d'une grosse fortune, et qui est
actuellement en procès avec le département de la Côte-d'Or.
Thérèse Champlin a fait un mariage dans lequel, à défaut d'amour,
l'estime rapprocha les époux. Femme éprise de tous ses devoirs, elle
repousse avec une réserve délicieuse les assiduités de Marcel. Celui-ci,
tout en continuant de l'aimer, tourne les yeux vers Jacqueline Evrard .
que ses intimes, Bridou, le comte Anthéor et autres ne quittent jamais
sans lui faire de sérieux cadeaux en or ou en billets de banque. Marcel
ne l'ignore point, aussi son caprice pour cette aventurière nous sem-
ble-t-il invraisemblable. L'intrigue se resserre pendant une soirée qui
réunit chez Jacqueline son ancienne amie do couvent, Thérèse Cham-
plin, et tous les personnages déjà connus. Jacqueline voudrait épouser
Marcel et ose le lui dire, mais il aime Thérèse et refuse; alors elle
s'offre â lui sans conditions : il la repousse encore. Humiliée, elle jure
de se venger.
Comment y parviendra-t-elle ? Oh ! sans beaucoup de peine. Elle
séduit Paul Champlin. l'enlève à Thérèse, et le fait accepter par Bri-
dou comme chef du contentieux dans sa banque. En outre, elle réussit
à ruiner Marcel, â qui Bridou, sur ses instances, a donné de perfides
indications financières. Champlin va donc quitter Thérèse. « Adieu,
lui dit-il, il faut que je retourne auprès de Jacqueline. Je suis en son
pouvoir, pris comme dans une trame ; je vais être riche, mais je serai
bien malheureux... » Ici, l'on commence à ne plus bien comprendre :
Thérèse, qui s'est toujours désespérément rattachée à l'idée du
devoir, à l'amour qu'elle a pour sa fille, n'aurait qu'à tendre la main à
son mari, â lui jeter un cri venu de son cœur, pour reconquérir, sinon
le bonheur, du moins la paix de son foyer. Nous attendions cet élan,
cett; révolte de l'âme endolorie... Non, rieu n'est venu. « Il est riche,
le malheureux », dit la jeune femme, et elle laisse partir son mari qui
s'éloigne honteux et méprisé, avili. La pièce finit là.
Thérèse retournera-t-elle vers Marcel pour vivre avec lui après un
divorce ? Marcel osera-t-il maintenant essayer de gagner sa vie, chose
déclarée impossible au premier acte de cette comédie ? Ou ne sait. Pas
plus que l'homme sans scrupules, l'homme de sentiment n'est â envier.
Paul et Marcel sont également misérables. Une seule personne triomphe,
c'est Jacqueline. Elle est riche, fêtée, adulée, et peut savourer sa ven-
geance.
Tout n'est donc pas entièrement clair dans cette pièce, mais sa belle
tenue littéraire et l'agrément de ses situations lui ont valu un très beau
succès. Elle a, de plus, des interprètes de tout premier ordre. M™ Bartet
est une Thérèse Champlin incomparable par la grâce et le charme, la
discrétion et la mesure. M ' Sorel nous a montré une Jacqueline
Evrard aux coquetteries perverses, très plastique iiu atours.
M. Le Bargy, dans le rôle di£B farcelDelo 'toutes
les ressources d'un talrnt lin el ■ i « -I ï « -ai. (juanl à M I il nous
a présente un Paul Champlin consciem ieusement étudié dans toutes
les nuances de son caractère. M""' Pierson mérite aussi d'être distin-
guée et il faut nommer encore MM. Ravet, Garay, Lafon, Laty,
\jmcs Provost et Faylis pour n'oublier persoi
La mise en scène a été comprise d'une façon toul artistique el
somptueuse. Quelques-uns ont pensé pourtant que le lu\e princier des
tentures et des ameublements n'était pas ici de rigueur el pouvait
paraître excessif dans des habitations qui ue sont pas des palais.
Amedée Boi i wu.i..
PETITES NOTES SANS PORTÉE
CXXVII
UX DOCUMENT INAPERÇU SUR L'ORCHESTRATION
DES MAITRES
A M. Maurice Emmanuel, commentateur érn/lil
des programme» de /a- Soi iétédi t ncerlf.
En écoutant l'Orage beethovénien de la Symphonie pastorale tourbil-
lonner, terrifiant, rapide et sobre, sous la bagunt-' Imagée de Marty,
notre émotion se reporte, une fois de plus, à la magistrale proposition
que Berlioz admirait chez Gluck : « Que les instruments ne doivent tire
mis en action qu'en proportion du degré d'intérêt ou de passion. >
C'est la loi fondamentale de la progression, (qui <■■ gil loui poème dra-
matique) appliquée aux éléments du drame orchestral, du poème sans
paroles. Et c'est encore un document, si l'on veut, sur la physionomie de
la Musique.
Ce n'est pas la première fois que Berlioz, le plus classique des roman-
tiques, nous fait remonter à Gluck, le plus romantique des classiques : â
l'automne, nous avons déjà constatél'accordentreles plus expressifs génies
de notre scène, et qui, pourtant, ne se faisaient jamais faute de trans-
porter uu morceau d'une œuvre dans une autre, pourvu irae la situation
fût analogue : de là, quelques nouvelles réflexions sur la signification,
moins expressive que suggestive, et, pour ainsi dire, métaphorique, de
l'art musical, — le tout pour aboutir à cette conclusion brève autant
que provisoire : « L'auteur reflété dans son œuvre » (1).
Aujourd'hui, mais sur un point plus particulier, l'accord parfait se
répète. Et cette proposition que Berlioz approuvait dans l'épitre dédi-
catoire â l'archiduc Léopold, grand-duc de Toscane, qui sert de préface
à.l'Alceste italienne, est un principe éminemment classique : c'est la
loi du crescendo de l'effet par la sobriété des moyens, c'est-à-dire une
des meilleures définitions du style. On pourrait ajouter : le style dans
la couleur; car la couleur, sonore ou silencieuse, a son style: et cet
indéfinissable mot n'est point le privilège de la ligne.
Il ne serait pas impossible de contrôler les actes avec les paroles
(bien que le génie ressemble à ce prédicateur idéal qui disait à ses
ouailles : Faites ce que je vous dis, et ne faites pas ce que je fais
montrer que le grand Gluck, aussi bien que son génial élève Berlioz, s'est
conformé d'instinct à cette loi de beauté. Quand on l'énonce, on entend
aussitôt l'infernale clameur des trombones sous les Non! véhéments
des démons d'Orphée; on évoque la couleur sombre de l'ouverture
à'Alceste où, plus beiiiozien que Berlioz, Gluck voyait ambitieusement
« le sujet de la pièce »; on est saisi d'horreur tragique, au seuil de
l'ouverture plus musicale à'Iphigénie en Aulide, à cette lamentation
majestueusement digne de Haendel, avant l'explosion de la despotique
sonorité: l'admirative érudition de Berlioz nous rappelle que les tim-
bales se taisent dans Orphée comme dans Alceste. que la grosse caisse
sans cymbales n' apparaît qu'au dernier chœur de la première /,.
et que, dans la seconde, la percussion, dite autrefois « musique turque »,
n'accompagne, en les soulignant, que les barbares '-bats des Scythes.
Et la Fantastique de 1830 ! Quel moins paradoxal exemple de sobriété ?
Malgré ses sauvages « passions », le premier temps se contente de
l'orchestre classique; le Bal vaporeux impose silence a tout éclat: dans
la Scène aux Champs, c'est l'orchestre de Mozart, additionné îles eha ■
lumeaux champêtres et des roulements discrets d'un tonnerre lointain:
les trombones et les étineelantes cymbales ne luisent que dans la nuit
de la Marche au supplice: et tout le crescendo se refoule éperdùmenl
dans le Sabbat final, où des connaisseurs aperçoivent comme un éclair
avant-coureur de la palette magique du Crépuscule des dieux.
Mais rendons à César... Aux érndits de nous analyser l'orchestre de
i (1) Voir le Ménestrel des il et il) octobre 19u7 et du 1 1 jam ier 190S.
28
LE MÉNESTREL
leur prédilection ! A notre confrère Julien Tiersoi, i orchestre ue Gluck ;
à notre confrère Adolphe Boschot, l'orchestre de Berlioz ; et bonne
chance à leurs prochains livres ! Notre enquête ne retiendra que l'Orage
beethovénien de la Pastorale.
On a beaucoup écrit sur ce paysage musical, où l'auteur voyait
plutôt des « sentiments » qu'une « peinture », et sur cet orage qui
nous étreint dés le ré bémol angoissant des basses... On a loué sa
sobriété rapide, qui nous « terrifie « avec un fracas modeste et des
moyens rudimentaires : on a vanté sa candide, mais incomparable
violence, où les dissonances harmoniques n'apparaissent pas, où les
trombones ne clament que tard: et le commentateur du programme, à
qui sont dédiées ces lignes, explique à propos « l'humanité » de ce
paysage instrumental. Mais une observation qu'on n'a jamais faite,
c'est que cette terreur dépend d'une progression d'orchestre, et non pas
seulement dans l'orage éphémère, mais dans l'ouvrage tout entier :
contrairement aux procédés classiques des Haydn et des Mozart, et de
Beethoven lui-même, faisant sonuer trompettes et timbales dès le pre-
mier tutti de la symphonie qui nous tient aussitôt sous son talon puis-
sant, le premier temps joyeux de la Pastorale, aussi naïvement que le
Bal futur de la Fantastique, ne fait appel qu'aux douceurs conjuguées
du quatuor et de l'harmonie renforcée des cors; le second temps, au bord
du ruisseau, n'est que gazouillements et fluidités; les trompettes ne
se réveillent qu'au troisième temps, à l'arrivée des lourds monta-
gnards dans la ronde interrompue par l'orage...
Btvoici le secret, bien simple, de l'orchestration beethovénienne : les
timbales se sont tues jusqu'au premier pas des géants du ciel : ne sont-
elles point réservées par le paysagiste à personnifier la fcudre? Donc,
jusqu'au premier éclair, le timbalier se repose, lacet... et le timbalier
du Conservatoire est le tonnerre incarné. Les trompettes redoublent de
rage, la petite flûte siffle, et puis deux trombones espacent leurs cla-
meurs dans le déluge passager... Le roulement des timbales s'éloigne
et s'éteint sous les baguettes spongieuses... Leur rôle est fini, puisque
la colère du ciel et du maître est passée...
Mais pourquoi les deux trombones reparaissent-ils bientôt jusqu'aux
derniers accords du finale d'actions de grâce? Pour équilibrer l'en-
semble et réchauffer la joie- qui paraîtrait froide après le tourbillon
fugitif. C'est là que se montre la haute raison du génie beethovénien;
le peintre de la Pastorale, aussi bien que le poète de l'Ut mineur, con-
naît la loi de la progression; sa palette est puissamment ordonnée
comme son âme : le chœur de ses neuf Muses symphoniques ne
chante-t-il pas lui-même un étonuant crescendo (1) couronné par le
finale de la Neuvième, où les voix s'unissent à tous les instruments
au sein de la fraternité triomphante ?
Et ce n'est pas seulement ce chœur idéal qui nous propose l'exemple
harmonieux du grand art, mais un simple concerto pour piano, le
quatrième, en sol, de 1806: regardez la grande partition de son premier
allegro, si cordialement héroïque et généreux : pas une note violente
non plus ! Ni trompettes ni timbales : et pourquoi ? Pour ménager, dans
l'andante suivant, la toute-puissance mystérieuse des basses... Et
quand le nuage a passé, les classiques sonneries bondissent allègre-
ment dans le rondo final, entre deux oasis si fraîchement contrastées
où le piano rêve. Môme crescendo des moyens dans le premier acte
intime et dans toute la partition de Fidelio, ce chef-d'œuvre méconnu
de la progression dramatique, où les trombones se déchaînent au qua-
tuor de la prison, cet orage des âmes.
Encore très gluckiste et déjà berliozien, Beethoven s'impose souve-
rainement à l'intersection de ces deux génies; avec plus de savantes
ressources que Gluck et moins de libertinage érnu que Berlioz, Beetho-
ven demeure (et quoi qu'on en dise) un maître en l'art d'orchestrer.
Enfin, l'orage de la Pastorale, comme l'enfer d'Orphée, perpétue, devant
nos sens éphémères, cette « belle simplicité » que le grand Gluck
enviait aux Tragiques d'Athènes ; et les trombones beethovéniens, en
sonnant leurs octaves, évoquent naturellement la majesté de la Genèse
traduite au plafond de laSixtine ou dans les Saiso?ts de notre Poussin.
« Belle simplicité », capable de réconcilier le Jéhovah de Michel-Ange
avec le Satan de Milton, et qu'oubliait un instant la poétique flamboyante
de Victor Hugo (2) quand son ironie prêtait ce vers à la caducité de
ses détracteurs :
L'Hippocrène est de l'eau; donc, le Beau, c'est le sobre.
(A suivre.) Ray.mo.\d Botjykh
(l.i II y a quelque chose, déjà, de cetle jirjgrtssiun voulue dans la trilogie sympho-
nique de Mozart (juillet-août 1788), qui commence par l'introduction de la symphonie.
en mi bémol pour aboutir à la fugue finale de Jupiter, en passant par la demi -
teinte intentionnelle de la délicieuse symphonie en sol mineur, un Gabriel de Sain -
Aubin sous un jour pluvieux...
(il L'ail poétique révolutionnaire de Victor Hugo se trouve dans les deux pièces
des Contemplations (I, 7 et 26).
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts-Colonne. — Une interprétation supérieurement comprise et réa-
lisée a fait ressortir, dans sa mystique douceur et dans tout son éclat, l'admi-
rable beauté du morceau symphonique de Rédemption de César Franck. La
Symphonie espagnole d'Edouard Lalo a pris, sous l'archet de M. Jacques Thi-
baud, un caractère tout particulier. L'empreinte des mélodies populaires ibé-
riques, qu'en dépit de son titre cette suite d'orchestre avec violon principal ne
possède que d'une façon tout accidentelle, l'exécutant a su la lui donner en la
jouant avec les inflexions voluptueuses d'une sensualité pleine de langueur.
Il a montré d'ailleurs que son talent peut rester entièrement sobre et clas-
sique en nous faisant entendre, dans un rendu superbe et une incomparable
virtuosité, la Chaconne, pour violon seul, de Bach, arrivant ainsi à présenter
toujours les grandes lignes du thème avec toute leur ampleur et leur noble
simplicité. — L'œuvre tripartite de M. Claude Debussy, la Mer, n'a pas d'autre
prétention que d'être une esquisse symphonique. Ce n'est donc pas un
ouvrage de forme irréprochable et de coloris somptueusement combinés.
L'auteur, séduit pendant un séjour dans l'île de Jersey par l'éclat chatoyant
de ce qu'il a vu, par le rythme ondoyant de ce qu'il a entendu, en a
fixé l'effet au moyen de traits hardis et éclatants et de coups de pin-
ceau d'une large touche, si toutefois l'on peut employer ces termes de
peinture quand il s'agit dt la palette orchestrale. Tout cela est un peu
lâché, mais, l'imagination aidant, on reconstitue l'ensemble d'après
les détails. Ainsi l'on peut achever soi-même le tableau et trouver du plaisir
à cette reconstitution. Les trois morceaux qui constituent ces « Esquisses
symphoniques » : « De l'aube à midi sur la mer, Jeux des vagues, Dialogue du
vent et de la mer '», nous représentent tour à tour les frissons moirés des
eaux sous les changeantes clartés du matin, le rythme berceur et caressant
des vagues, l'onde qui vient mourir sur le sable ou se briser contre le rocher
pour retomber en petites cascatelles ou en pluie d'écume, enfin la double
voix du vent et de la mer. tantôt légère et câline, tantôt furieuse et déchai-
née. Tout cela, est-ce de l'art? Ou mieux, est-ce de la musique ? Ce sont
plutôt des essais, des tentatives dont les compositeurs du présent ou de
l'avenir prendront ce qui leur conviendra. La manière discrète dont l'artiste
nous a présenté son œuvre nous interdit une critique de principes, on a tou-
jours le droit de tenter de nouvelles voies. Nous pouvons cependant espérer
que M. Debussy pourra bientôt, puisqu'il est arrivé à l'âge où la vie s'épanouit
dans sa maturité, à quarante-cinq ans, nous offrir le résultat définitif et
complet de son effort, son « chef-d'œuvre » en un mot. Cette première audi-
tion de la Mer, dirigée par le maître, non sans de laborieux travaux de mise
au point, n'en reste pas moins belle et intéressante. Le public a couvert
d'ovations le compositeur, exagérant la manifestation afin de protester contre
quelques sifflets. Le concert s'est terminé par la 45e audition de la Symphonie
fantastique de Berlioz, dans laquelle l'orchestre et son chef se sont montrés
dignes de tous les éloges ; l'auditoire les a chaleureusement acclamés.
A.llÉDÉE BoCTAREL.
— Concerts-Lamoureux. — Pour la deuxième, fois, M. Vincent d'Indy diri-
geait l'orchestre. Il s'y est montré un chef accompli, au geste sobre, à la
volonté nette et clairement exprimée avec une simplicité de moyens vraiment
impressionnante; l'exécution, qu'il s'agisse de ses propres œuvres ou de celles
d'autrui, fut d'une rare précision et d'une coloration , d'une vie intenses.
L'orchestre en ce jour s'est surpassé. Ce fut d'abord l'ouverture d'Iphigénie en
Aulide de Gluck, avec la péroraison de Wagner, puis les exquises Eotides de
César Franck aux rythmes berceurs, aux sonorités enveloppantes et diaprées.
D'importants fragments du Dardanus de Rameau venaient ensuite. Et cette
musique vieille de près de deux siècles, que d'aucuns pouvaient s'attendre à
ne trouver intéressante qu'au seul point de vue rétrospectif, s'est révélée éton-
namment jeune et vigoureuse, d'une vérité, d'une profondeur d'accent tenant
du prodige. Le délicieux air du 3e acte, où Mlle Marthe Philipp fut fort appré-
ciée, l'air de basse du 4e acte, « Monstre affreux », dont la voix mordante de
M. Louis Bourgeois souligna le caractère tragique et véhément, surtout les
ravissants airs de ballet (Menuet, Rondtau du sommeil et Rigaudon), furent pour
beaucoup d'auditeurs une révélation qui se mua bientôt en applaudissements
frénétiques. Quelle est l'œuvre contemporaine qui, au XXIIe siècle, pourra
exciter pareil enthousiasme chez nos arrière-petits-neveux?... Le reste du
programme comprenait deux pièces instrumentales de M. d'Indy, fort diffé-
rentes d'importance et de caractère : Sauge fleurie, légende pour orchestre,
page purement descriptive, d'ailleurs pleine de charme, de poésie et de pitto-
resque, et la Symphonie en si bémol dont il a été déjà rendu compte ici lors
de la première exécution en mars 1904, et qui, par l'élévation de la pensée, la
noblesse de l'ensemble, la logique de la construction, la richesse des dévelop-
pements et de la parure instrumentale, semble être jusqu'ici le chef-d'œuvre
du maitre-musicien. Une ovation prolongée salua M. d'Indy à la fin du concert.
J. Jemain.
— Programmes des conceits de demain dimanche :
Conservatoire : Symphonie en si bémol (Schumann). — Au temps d'Holberg, suite
dans le style ancien, 1" audition (Edouard Grieg). — Concerto de violon (Beethovem,
par M. Maurice Hayot. — Chœurs sans accompagnement : A. Adoremus le (G. Coisii;
B. Cruci/ixus à 8 voix (Lotti) : C. Au joly jeu (Clément Jennequin) ; D. Las, je n'ymy
plus (Guillaume Coslelay). — Ouverture à'Obéron (Weber.)
LE MÉNESTREL
Chatelet, Gonceris-Cotonne : Rédemption (César Franck). — Souvenirs (V. d'Indy),
sous la direction de l'auteur. — L'Apprenti sorcier (Dukas). — La Mer (Debussy), sous
la direction de l'auteur. — Psyché César Franck}, soli par M"" Judith Lassalle.
Salle Gaveou, Concerts-Lamoureux, sous la direclion de M. Fritz Steinbach, direc-
teur du Conservatoire de Cologne : Ouverture de Coriolan (Beethoven). — Mort et
Transfiguration (Richard Strauss). — Quatrième concerto, en sot majeur, pour piano
(Beethoven), par M. Uodowsky. — Première symphonie (Brahms).
Concerts-Populaires (Marigny, 3 heures) : Symphonie en ut majeur (Beethoven .
— a} Chant d'automne (Stan ' G-olestan) ; b) La Ptocession (C. Franck) : Mm0 Bureau-
Berthelot. — Scènes du bat (Delibesj. — a) Dam la nuit (Schumannj ; b) Pastorale
(ScarlattiJ ; e) Polonaise (Liszt) : M. A. Chevillou. — Danse macabre (Saint-Saëns) :
M. E. Mendels. — Don Juan (Mozart). — a) Danse des étoiles (Skelmans) ; h' Dormir et
rêver (Th. Dubois); c1 Souvenez-vous (Pierné) : Mm" Bureau-Berthelo'. — a Citant du
soir: b Rêverie (?chumann). — Scènes pittoresques (Massenet). — Chef d'orchestre :
M. Fernaiid de Léry.
— Mercredi 29 janvier, à 4 h. 1/2, au théâtre du Uymnase, sixième matinée
musicale et populaire (fondation Danbé), avec le concours de M""' Jeanne
Raunay, cantatrice des Concerts-Colonne et Lamoureux, M. Cesare Galeolli,
pianiste.
— Le deuxième cycle des cinq matinées musicales et populaires (fondation
Danbé) reprendra au théâtre du Gymnase, le 29 janvier, pour se continuer
jusqu'au 26 février, avec le concours de Mmc Jane Raunay, M"0 Demougeot,
de l'Opéra, Mllc Marcella Pregi, Mmes Roger-Miclos, Marie Panihès, MM. Louis
Diémer, E. Risler, pianistes, MM. Delmas, Plamondon, de l'Opéra, Brémont,
de l'Odéon, et des chanteurs de H Renaissance, sous la direclion de
M. H. Expert.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(POUR LES SEULS ABONNÉS A 1.4 MUSIQUE)
Des Odelettes antiques de Théodore Dubois, nous donnons un nouveau numéro à
nos abonnés. Le Pêcheur de Syracuse vogue sur la mer rose, au gré des brises. Il
chante Ilélios, le ciel et la ville chère qui pointe à l'horizon. Il chante surtout
La vierge au clair sourire
Plus bloode que le miel
dont son àme est remplie. Et la chanson de ce pêcheur a des grâces infinies et des
sérénités augustes. C'était l'époque heureuse où le plus simple artisan avait des
allures de prince et se drapait en sa tunique comme dans un manteau royal.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Voici la liste des œuvres lyriques nouvelles représentées en Italie au
au cours de l'année 1907 : 1. Testagrù, opérette en 4 actes, de M. P. Argentier
(Turin, th. Carignan, 15 Janvier). — 2. // pane altrui, opéra sérieux on un
acte, de M. Giacomo Orefice (Venise, Fenice, 19 Janvier). — 3. Lidia, esquisse
musicale en un acte, de M. Dante Aragno (Porto Maurizio, 22 janvier). —
4. Oriana, idylle en un acte, de M. Del Valle de Paz (Florence, Politeama,
30 janvier). — b. Lo Stregone, « bizarrerie », de M. Adello Santucci (Pesaro,
th. Rinnovati, 3 Février). — 6. Il Bacio délia Nixe, légende lyrique en 2 actes,
de M. Pietro Fiocca (Sienne, th. Rinnovati, 5 février). — 7. Le Fate blanche,
opéra sérieux en 3 actes, de M. Giovanni Vercellone (Reggio d'Emilie, 9 Fé-
vrier). — 8. I Chiostri in rouina, cantate, de M. Lodovico Corradini-Vasco
(Padoue, 10 Février). — 9. L'Apostata, opéra sérieux en 3 actes, de M. Anto-
nio Pagura (Parme, th. Royal, 11 Février). — 10. Primavera, opérette en
2 actes, de M. Emilin Ferrari (Milan, th. Philoilramatique, 14 Février). —
11. La Statua viva, opérette, de M. Aspromonte Vincenti (Cagliari, Février). -
12. Amori e Contras! i. opérette, de M. Felice Testa (Fubine, Février). —
13. Le Donne ne! 2000, opérette, de M. Carlini (Livourne, Février). — 14.
Pierrot e Pierrette, comédie lyrique en 2 actes, de M. Luigi Pistorelli (Casale
Monferrato, 16 Mars). — lb. // Natale, cantate en 2 parties, de M. Oreste
Ravanello (Padoue, Cercle artistique, 22 mars). — 16. Gulnara, tableau lyri-
que en 2 actes, de M. Gino Mezzadri (Ancône, 2 avril). — 17. La Grotta misle-
riosa, opéra-comique en 2 actes, de M. F'rancesco Lenzi (Mantoue, 13 avril).
— 18. Gloria, opéra sérieux, en 3 actes, de M. Francesco Cilèa (Milan, Scala,
15 avril). — 19. Sperduti net buio, opéra sérieux en 3 actes, de Al. Stefano
Donaudy (Païenne, Grand-Théâtre, 27 Avril). — 20. La Samarilana, oratorio
en 2 parties, de M. Leporatti (Alexandrie d'Egypte, Avril). — 21. Espiasione,
drame lyrique en un acte, de M. Gustavo Ottolenghi (Turin, th. Victor-
Emmanuel, 15 Mai). — 22. La Fiera di Vicchio, opérette en 3 actes, de
M. Anselmo Sormani (Pegognaga, 25 Mai). — 23. Tradita, scène dramatique,
paroles et musique de M. Gilberto de Winckels (Turin, th. Victor-Emnanuel,
29 Mai). — 24. Matrigna, opérette en 3 actes, de M. Michèle Andreoni (Cam-
piglia Maritima, Mai). — 23. VEsultansa délia slirpe, pantomime, de M. Dalla
Morea Centa (Turin, th. Carignan, 1er Juin). — 26. Tempora, idylle symbo-
lique en 4 parties, paroles et musique de M. Aldo Franchetti (Milan, Conser-
vatoire, 5 Juin). — 27. lyna, ovvero i Mal nulrili, opéra sérieux en un acte,
de M. Adelelmo Bartolucci (Pesaro, 22 Juin). — 2S. Aurelii. i lylle en un
acte, de M. Angelo Angioletti Barci 24 Juin . — 29. lm-lla,
Lombard*, opéra sérieux en 3 actes, de M. Giu . th. Qui-
rino, 18 Juillet). — 30. Animt infrmUe, opéra M. Et-
tore Bel Uni (Naples, th. Mercadante,9 Aoûl . — 31. i
en 2 actes, de M. Luigi Lombardi (Lugano, ■£> Août). — 32. G
médie lyrique en un acte, de M. Mario Tarenghi B .—33.
Ivano, opéra sérieux en un acte, de M. I< <■-, Poli-
teama Alfieri, 17 Août). — 34. Sozze Infamie, opéra sérieux en 3
M. Augusto Modoni (Medicina, 8 Septembre . -- 35, l
sérieux en 3 actes, de M. Giuseppc Burgio di Vîllal
cial i29 Octobre). — 36. Guardia nollurna, opérette en un ac i . di M. Carlo
Sabaino (Milan, th. Fossati, 29 Octobre). — 37. Il Giu . ne en un
acte, de M. Ettore Lucatello (Castelfranco, Octobre). —38. I
renlola, opérette, de M. Giorgio Castagnino (Carrare, 13 Octobre). — 39. Ma, -
cella, opéra sérieux en 3 actes, de M. Umberto Giordano th. Lyrique. 9 No-
vembre). — 40. Pailla c Francisco, drame lyrique en un acte, de M. Lui^'i
Mancinelli (Bologne, th. Communal, 1 1 Novembre.— il. Iglesias, esquisse
lyrique en un acte, de M. Vittorio Baravalle (Turin, lb. Victor-Emmanuel,
12 Novembre). — 42. Welve, opéra sérieux en ■', actes, de M. Antonio Castra-
cane (Modène, th. Slorchi, 23 Novembre). — i!. Fadelte, opéra sérieux en
trois actes, de M. Dario de Rossi (Rome, lb. Adriano, 23 Novembre). —
44. La Nave rossa, opéra sérieux en 3 actes, de M. Armando Seppilli (Milan,
th. Lyrique, 27 Novembre). — 4b. Brelagna, drame lyrique en un acte, de
M. Enrico Morlaccbi (Rome. th. Adriano, 4 Décembre). — 46. SeUecenlo, ta-
bleau lyrique en un acte, de M. Waller Borg (Naples, th. Mercadante,
7 Décembre). — 47. Transtns anima:, oratorio, de don Lorenzu IV-iu i lierre
nouveau Salon Pie, 18 Décembre). — iS. Il caporale Susino, opérette, de
M. Luigi Dall'Argine (Turin, th. Victor-Emmanuel, 20 Déci
— La ville de Milan, qui est la vraie capitale musicale de l'Italie, va, -
générosité de dilettantes intelligents, posséder ce que Paris ne possède pas
encore, une vraie salle de concerts. Sur le désir et l'initiative de M. Galli-
gnani. directeur du Conservatoire, il s'est formé un groupe de riches ama-
teurs qui ont réuni les fonds nécessaires a la construction d'une vaste salle
de concerts, pouvant contenir d'une part un orchestre puissant, de l'autre
2.500 auditeurs, et dans laquelle on pourra donner, à des prix modérés, de
grandes auditions symphoniques. Ici, à Paris, il parait que nous n'avons pas
de gens assez riches, et surtout assez amis de l'art, pour patronner une telle
entreprise. Quant à la Société des grandes auditions musicales de France, à
qui, semble-t-il, reviendrait de droit une telle initiative, elle préfère em-
ployer son argent à nous faire entendre au Trocadéro un médiocre oratorio
anglais de M. Elgar, ou à la Gaité le chef-d'œuvre pornographique de M. Ri-
chard Strauss connu sous le titre de Salomé.
— Un nouveau monument de Johann Strauss à Vienne. — Il y a deux ans
et demi, un monument a été érigé à Vienne en l'honneur du plus célèbre des
compositeurs populaires de la capitale autrichienne : c'était l'œuvre du sculp-
teur Franz Seifert ; et voilà qu'aujourd'hui s'achève, dans l'atelier d'un autre
artiste, M. Hellmer, un nouveau monument au même maître, destiné à deve-
nir l'ornement du grand parc de la ville. C'est un Strauss très jeune qu'a
voulu représenter M. Hellmer : le Strauss que l'on appelait familièrement
« Rattenfaenger », le comparant à un personnage d'une légende du douzième
siècle, parce qu'il a émerveillait et enchantait tout le monde par la puissance
de son archet magique. » Le sculpteur a mis beaucoup de fantaisie dans sa
conception. Sous un portique élevé, Johann Strauss s'avance, tenant son vio-
lan appuyé contre son genou ; le visage du maître s'élève vers le ciel, comme
s'il cherchait à y découvrir les notes, les mesures, les rythmes et les mélo-
dies ; son corps se balance dans une attitude familière aux danseurs lors-
qu'ils sont encore sous l'influence rythmique du mouvement de la valse. Le
cadre complète admirablement l'impression causée par cette reproduction du
physique de l'artiste. C'est une longue théorie de femmes dansantes qui for-
ment, à droite et à gauche, deux groupes montant toujours en une sorte de
bas-relief. Les figures, à mesure qu'elles s'éloignent, deviennent de plus en
plus légères, aériennes, vaporeuses, et semblant aspirer toujours davantage vers
leur inaccessible idéal, jusqu'à ce que, tout en haut, un seul couple domine,
et ce couple nous présente l'image toute gracieuse de deux jeunes filles unis-
sant leurs lèvres dans un baiser suave et doux. On n'imagine rien de plus
charmant, et l'effet de ce monument, au milieu des grands arbres et de la ver-
dure, sera évidemment exquis.
— Il est question, depuis assez longtemps déjà, de faire représenter l'opéra
du célèbre auteur des Contes fantastiques, Undine, d'après une nouvelle du
poète d'origine française La Motte-Fouqué. On annonce que M. Félix "\Vein-
gartner aurait l'intention de monter cet ouvrage à Vienne, pendant l'hiver
1908-09. Le bagage musical de E. T. A. HoO'manu comprend un nombre res-
pectable de partitions qu'il serait probablement bien difficile de retrouver
aujourd'hui. Undine passa longtemps pour avoir été brûlée lors de l'incendie
du Schauspielhaus de Derlin. L'œuvre musicale d'Hoffmann comprend : Jeu,
ruse et vengeance, 1801; le Renégat, 1803: Fausline, 1804; logeas ménétrier.
1S05, intermèdes: I Ecclésiastique de Milan, 1805: Amour et jalousie. 1S05:
Ëcharpe et fleur, 1805; la Soif de l'immortalité, 1803; le Revenant, 1S09; Aurora,
1811; Undine, 1816, opéras. I! faut ajouter encore un ballet, Arlequin, un mé-
lodrame, la Croix île la Baltique, un opéra inachevé. Julius Sabinus, une messe,
un miserere, une symphonie, une ouverture, un quintette pour harpe et
instruments à cordes, des chansons, des morceaux de piano, etc. Hoffmann
parle de musique dans un grand nombre de passages de ses œuvres littéraires.
30.
LE MÉNESTREL
L'un de ses personnages, Kreisler, a fourni à Schumann l'idée et le titre d'un
de ses meilleurs ouvrages pour piano : Kreisleriana.
— L'inauguration du nouveau théâtre de Weimar dont nous avons déjà
parlé il y a huit jours, a présenté cette particularité que. dans cette salle où
la loge d'honneur était occupée par l'empereur et le duc de Weimar, tandis
que des hôtes princiers, des sommités littéraires, des poètes et des journa-
listes remplissaient tous les coins, très peu de compositeurs éminents et un
nombre relativement restreint de dames ont été admis. L'élément féminin,
entièrement exclu du parquet, ne figurait qu'exceptionnellement aux deux
premiers rangs de l'amphithéâtre. Le théâtre ne contenant que 1.030 places
assises, on comprend qu'il a fallu se borner, mais beaucoup ont pensé pour-
tant que les femmes auraient pu être traitées avec un peu plus de galanterie.
La pièce de circonstance, Jeux féeriques du printemps, de M. Richard Voss,
n'a pas donné satisfaction à tous. On a reproché à l'auteur d'avoir fait ressor-
tir, avec une partialité trop exclusive, l'ancienne gloire littéraire du vieux
théâtre de Weimar, tandis qu'il laissait complètement de côté la brillante
période musicale de 1S48 à 1861, pendant laquelle Liszt créa, dans la petite
capitale que l'on a nommée l'Athènes de l'Uni, une vie artistique intense et
féconde, y fit représenter pour la première fois Loheugrin et le Barbier de Bagdad
et y remit en lumière Benvenulo Cellini de Berlioz, qui a été joué, à partir de
cette époque, à Londres et sur un grand nombre de scènes allemandes. Quant
à la musique écrite par M. Félix Weingartner pour l'intermède de M. Ri-
chard Voss, on a trouvé qu'elle avait su s'inspirer, avec beaucoup d'éloquence
et de pompe, de la pensée à laquelle avaient obéi les organisateurs de cette fête
inaugurale. En dépit de toutes les imperfections de la partie littéraire de
cette soirée, l'idée qui a été comprise et retenue par les assistants a été celle-
ci : « L'art ancien que Gœthe et Schiller ont rendu si florissant autrefois, cet
art qui a su briller avec un éclat nouveau grâce à Liszt vers le milieu du
dix-neuvième siècle, doit continuer sa inarche dans l'avenir .sans aucune dis-
tinction d'école. » Une ère nouvelle pourra-t elle commencer maintenant pour
le théâtre de Weimar et se continuer sans défaillances ? On peut l'espérer
avec confiance, car les moyens d'action ne manquent pas. Le Grand-Duc a en
effet pris à la charge de sa caisse privée la plus grosse part des frais de cons-
truction. La subvention annuelle était précédemment de 287.000 francs, mais
l'orchestre ayant été augmenté de seize musiciens et beaucoup de frais nou-
veaux étant à prévoir, on pense que cette subvention sera portée dorénavant
à 375.000 francs.
— L'empereur d'Allemagne vient de décider qu'à partir du 28 janvier pro-
chain des représentations populaires destinées aux ouvriers seront données
dans les trois théâtres royaux de Berlin. Il s'est réservé de choisir lui-même
les ouvrages qui devront être représentés. Les ouvriers seront admis indis-
tinctement à toutes les places et n'auront à payer qu'un prix uniforme de
soixante centimes.
; — Les directeurs de l'Opéra de Berlin, pour faciliter la compréhension de leurs
pièces aux personnes qui ont la vue courte et l'ouïe dure, ont imaginé, nous
apprend Comœdia, ce qui suit : au moyen d'un appareil a projection, les mots
de la pièce que l'on chante sont reproduits, en lettres distinctes, au-dessus de
la scène. Le texte apparaît ligne par ligne, au fur et à mesure que l'on
chante et cela se produit de la façon la plus simple. Le souffleur, qui lit la
partition placée sur des rouleaux n'a qu'à presser un bouton pour faire avan-
cer, sur le tableau du haut, les lignes d'une autre partition identique, mais
écrite en très gros caractères. L'invention est, dit-on, peu coûteuse, facile à
manier, et rend les plus grands services pour les représentations en langues
étrangères. Dédié à MM. Messager et Broussan.
— On a célébré le 19 janvier dernier, à Berlin, le soixantième anniversaire
de la naissance de M. Hermann Kretzschmar, l'illustre musicographe allemand.
Né en 1848 dans un petit village de Saxe, il fit d'excellentes études à Leipzig
et fut chargé en 1877 de la chaire de musique à l'université de Rostock.
Appelé successivement aux mêmes fonctions à Leipzig et à Berlin, le profes-
seur Kretzschmar vient d'être récemment nommé directeur de l'Académie
royale de musique d'église de cette dernière ville. M. Kretzschmar est à juste
titre considéré comme le plus remarquable d'entre les musicographes alle-
mands. On peut citer, parmi ses travaux les plus appréciés : l'Opéra vénitien et
les œuvres de Cavalli et (!'■ Cesti. 1892; VIncoronasione di Poppea, de Monte-
verde, 1894: Guide à travers 1rs rouverts, trois volumes, 1887; le Lied depuis
Schumann, 1881; la Musique de piano depuis Schumann, 1882; etc.,- etc.
— De Berlin : La reprise de Louise, de M. Charpentier, à l'Opéra-Comique
de M. Gregor, a été un grand succès. Le kapellmeiser, M. Tango, a conduit son
orchestre avec une sûreté très remarquée.
— L'intendant général des théâtres royaux de Munich, M. le baron de
Speidel, a rappelé par écrit au maire de la ville que le Prince Régent a donné,
par décret du 10 décembre 1907, l'autorisation d'organiser cette am.ée des
fêtes au théâtre qui porte son nom, mais a la condition que le budget muni-
cipal participerait aux dépenses pour une somme de 76.230 francs. Nous
avons fait connaître précédemment quelles œuvres seront montées et à
quelles dates auront lieu les représentations. Les fêtes comportent, outre les
interprétations wagnériennes, six soirées consacrées à trois des chefs-
d'œuvre de Mozart, les Xoces de Figaro, Don Juan et l'Enlèvement au Sérail.
Comme les années précédentes, ces opéras seront joués au Théâtre de la Ré-
sidence.
— La célèbre Singakademie (Académie de chant) de Dresde, fondée en
1840 par Robert Schumann, a fêté ces jours derniers le soixantième anni-
versaire de sa création. On sait que cette superbe société chorale a été, après
Schumann, dirigée successivement par Ferdinand Hiller, Robert Pfretzchner et
Frédéric Baumfelder. Son directeur actuel est M. Albert Fuchs, qui est à sa
tête depuis six ans et qui ne l'a pas laissé péricliter. Pour célébrer sa soixan-
tième année d'existence, la Singakademie a donné une exécution exemplaire
d'une des œuvres les pins séduisantes de son fondateur, te Paradis et la Péri.
— Il est d'usage traditionnel en Allemagne que les sociétés de concert et
les sociétés chorales offrent aux jeunes filles et aux jeunes femmes artistes
qu'elles ont engagées un bouquet de fleurs au moment où celles-ci se dispo-
sent à chanter devant le public. Dans bien des cas, cette coutume entraîne
des frais, sinon considérables, du moins assez importants pour que l'idée soit
venue de chercher à leur attribuer un autre emploi, beaucoup moins gracieux
sans doute, mais joli aussi dans son but.M"lc Claire LaPorte-Stolzenberg, profes-
seur de chant au Conservatoire de Dusseldorf. a proposé d'envoyer l'argent
réservé à l'achat des bouquets au Mozarteum de Salzbourg, afin de fonder,
sous les auspices de Mozart, une bourse que l'on appellerait la bourse des
fleurs, et qui serait attribuée à un jeune homme pauvre, bien doué pour la
musique, afin de lui permettre d'entreprendre des études régulières dans cet
art.
— Un enfant de dix ans nommé Mitja Itkis excite en ce moment la curio-
sité à Leipzig comme violoniste prodige. On dit déjà qu'un bel avenir pourrait
lui être réservé.
— Le premier volume de l'édition des œuvres complètes de Haydn publiée
par la maison Breitkopf et Hàrtcl vient de paraître à Leipzig. L'édition sera
terminée en dix à douze ans et le prix approximatif sera de 1.500 francs.
L'œuvre du maître est divisée en quatre parties: Musique d'orchestre, musique
de chambre, Musique de piano, Musique vocale.
— Nous lisons dans « l'Athenaeum » de Londres : « Le violon de Stradi-
varius, volé à M. Eugène Ysaye, au Théâtre-Marie de Saint-Pétersbourg,
avait été prêté en 1883, par les possesseurs d'alors, MM. Hill et fils, pour une
exposition à South Kensington. Ce violon est mentionné dans le livre Antonio
Slradivari, de W. H., A. F. et A. E. Hill, parmi les instruments dont la date
exacte est impossible à préciser, parce que les signes qui devraient l'indiquer
paraissent avoir été altérés. On croit que les deux derniers chiffres du millé-
sime inscrit, 1732, ont été changés ; néanmoins, il semble certain que ce
violon, qui est dans un bon état de conservation, appartient bien aux der-
nières années de Stradivarius. Il porte un vernis brun rouge foncé. Sa sono-
rité est puissante, mais M. Ysaye préférait celle de son Guarnerius, qui fut
acheté, il y a vingt-cinq ans, par feu W. E. Hill pour 600 guinées
(13.750 francs). » Le vol commis à l'Opéra de Saint-Pétersbourg parait avoir
pour auteur un homme qui ne se doutait pas de la valeur de l'objet dérobé. Le
Stradivarius qui a disparu était catalogué, comme nous l'avons dit, sous le
nom de 1' « Hercule ». Il avait été déposé au foyer des artistes du Théâtre-
Marie, pendant que M. Ysaye jouait sur son Guarnerius. A la fin du concert,
on s'aperçut que l'instrument et son étui n'étaient plus à l'endroit où on les
avait posés. Ce n'est pas la première fois qu'un événement pareil arrive en
Russie. Un autre Stradivarius y fut volé il y a déjà bien des années. On
l'avait acheté à Paris pour le tzar Alexandre Ier, et il fut d'apord déposé au
musée de l'Ermitage. On autorisa plus tard à s'en servir le premier violo-
niste de l'orchestre de la Cour, mais celui-ci ne se rendit pas compte de la
valeur de l'instrument et l'utilisa comme il aurait fait de tout autre. Un beau
jour, le Stradivarius ne fut plus retrouvé dans l'armoire vitrée où on le con-
servait. On le découvrit plus tard à Berlin, où il fut racheté pour 6.000 rou-
bles. Un luthier, qui se glorifiait d'avoir inventé le plus merveilleux des vernis,
s'offrit pour en remettre une couche au précieux violon ; on lui confia l'ins-
trument mais le résultat fut déplorable ; ce Stradivarius perdit dès lors toute
sa valeur.
— De Saint-Pétersbourg : la Société de musique a offert à M. Ysaye, à titre
de dédommagement pour le stradivarius qui lui a été volé récemment et que
des détectives recherchent en ce moment aux Etats-Unis, la somme de 30.000
roubles, environ 70.000 francs. A ce prix-là, on en perdrait volontiers
plusieurs.
— Le jeune et fameux pianiste Mark Hambourg vient d'être, parait-il, le
héros d'une aventure étrange qu'un journal anglais, le Daily Mail, raconte
ainsi d'après une dépêche qui lui est adressée de Varsovie. Etant un soir on
promenade dans la ville, il fut attiré, sur la nouvelle que sa femme l'appelait
d'urgence à l'hôtel, dans une petite rue et saisi par des hommes masqués qui
l'entraînèrent dans une cave aménagée en appartement. Là se trouvaient trois
hommes qui lui déclarèrent être les membres du comité d'une puissante asso-
ciation révolutionnaire et désirer entendre un peu de musique avant de
prendre les plus graves résolutions. Mark Hambourg s'installa devant un piano
à queue, excellent, parait-il, et joua les meilleurs morceaux de son répertoire.
Après quoi il fut remis en liberté. Le lendemain soir il donnait un concert et
il eut l'impression que la salle était pleine de révolutionnaires qui le remer-
ciaient d'avoir été agréable à leurs chefs, car il fut rappelé vingt-six fois.
— La ville de Christiania est dans la joie. Le genre lyrique n'avait jusqu'ici
d'autre asile, dans la capitale de la Norvège, que le Théâtre-National, qui ne
lui laissait qu'une place misérablement réduite, accordant tous ses soins et
toutes ses sympathies au seul genre dramatique et littéraire. Cette situation
LE MENESTREL
fâcheuse va prendre fin prochainement et l'opéra aura enfin un « chez lui ».
On annonce, en effet, qu'un groupe de capitalistes vient de se former dans ce
but et qu'il a réuni les fonds nécessaires à l'érection d'un grand théâtre lyrique
qui s'élèvera dans le plus heau quartier de la ville, en pleine Karl Johanncs-
strasse. Les plans sont prêts et les travaux vont commencer incessamment.
— A l'occasion du centième anniversaire de la naissance d'Albert Grisar, la
ville d'Anvers, anticipant de quelques mois sur la date par trop hivernale à
laquelle est venu au monde le compositeur (26 décembre 1N08), a décidé d'or-
ganiser pour les 9, 15 et 16 août prochain, un concours international do
sociétés chorales. Des prix seront distribués; ils consisteront en une somme
de 16.000 francs et différents objets d'art.
— Nous avons ait dimanche dernier le très grand succès qu'a remporté à
Genève le charmant Bonhomme Jmlis de Jaques-Dalcroze. interprété par
Fugère en personne. Voici ce que dit du grand artiste le journal la Suissr :
Ah! ce que cet homme est extraordinaire, bouleversant ! c'esl inexprimable. I! a
l'ait pleurer, puis hurler d'enthousiasme On ne joue pas, on ne chante pas avec plus
d'art, plus de sincérité, de musicalité, de verdeur, de bonhomie communicative, de
sensibilité exquise... Nous venons d'écrire que la perl'ection n'est pas de ce monde...
Si, parbleu! elle existe puisque Fugère est un artiste parfait.
Puis, passant au Jongleur de Notre-Dame représenté le même soir, la Suisse
s'exprime ainsi :
... M. Fugère a de nouveau chanté cette exquise « légende de la sauge » comme
d'ailleurs il chante tout le rôle de Boniface, de façon à émerveiller son auditoire. On
l'écoutait bouche bée, ému jusqu'aux larmes. Et quand il eut fini, ce fut une explo-
sion formidable de bravos, un indescriptible brouhaha dans la salle, qui réclamait le
bis. Aimablement alors, l'extraordinaire artiste bissa.
Notre publie a été ra*'i d'entendre ainsi l'œuvre émouvante de Massenet, qui
n'avait pas été reprise depuis la création à Genève, au temps des Codou, Galdan,
Jacquin. Le plaisir fut d'autant plus grand que M. Huguet avait donné d'autres
bons interprètes au « Jongleur de Notre-Dame », M. Cotreuil, toujours superbe
artiste, M. Bruzzi, intelligent et vaillant — qu'il a tort, seulement, de ne pas sacri-
fier pour une fois sa moustache qui, empâtée, lui déforme la lèvre supérieure — et
MM. Maskal avec sa jolie voix, M. Briamont, M. Duvernet, M. Montano, M. Branet
même, sans oublier M'"™ Ista et Paule Jussy, qui chantaient fraîchement dans la
coulisse. Voilà une belle soirée que nous devons à l'initiative artistique du direc-
teur Huguet.
— Après le beau-père, le gendre. Car Fugère a un gendre, qui est ténor
après avoir été pianiste et que nous entendrons bientôt à l'Opéra-Comique
de Paris. Or ce gendre, qui a nom Fernand Lemaire, s'est essayé à Genève
dans Werther et voici ce qu'en pense le Genevois :
Werther nous avait été joué par plusieurs ténors de mérite différents. Il vient de
nous être donné par M. Fernand Lemaire, avec le plus grand succès, ce dont
témoignent les his qui lui furent demandés, d'abord à l'air : «J'aurais sur ma poitrine »,
chanté avec élan , et aux Stances d'Ossian, dites avec émotion.
Nous avons déjà dit combien ce ténor a la voix étendue et généreuse. Nous avons
constaté aussi que l'habile chanteur sait trouver l'inflexion propre à chaque senti-
ment et, enfin, qu'il sait donner de la couleur aux sons, le comble de l'art.
— Le Grand-Théâtre de Genève a donné, le 18 janvier, la première repré-
sentation d'un ballet nouveau, les Deux Coqs, dont le scénario est dû à
MM. Pierre Edmond et Laffont, et la musique à M. Pierre Létorey. Ce petit
ouvrage a été fort bien accueilli.
— La maison Ricordi, de Milan, avait mis au concours la composition d'un
opéra anglais, avec un prix de 500 livres sterling (12.500 francs) pour le
vainqueur. Ce prix vient d'être adjugé, par la commission nommée à cet effet,
au compositeur Edouard Woodall-Taylor, auteur d'un opéra intitulé Angélus,
qui sera représenté au cours de la prochaine saison au théâtre Govent-Garden
de Londres.
— Du Petit Monégasque : Malgré une journée radieuse de printemps, il y
avait salle comble dans la coquette salle Garnier pour le premier Concert
moderne de Monte-Carlo. Après l'ouverture i'Euryanthe de Weber, très bien
exécutée par l'excellent orchestre de M. Jehin, on a applaudi avec enthou-
siasme Mlle Thérèse Duroziez dans un concerto de Schumann qui a mis en
valeur tout son beau talent de pianiste. Cette délicate musicienne a interprété
les deux parties de ce concerto avec une maestria qui lui a valu d'unanimes
et chaleureux applaudissements. Le charme, la vigueur, la virtuosité s'allient
en elle de la façon la plus heureuse, et surtout la parfaite musicalité de son
interprétation la place parmi les artistes sincères dignes de toute admiration.
Dans la seconde partie du programme elle a interprété avec un charme mélan-
colique et une agilité de doigté vraiment remarquables trois petites perles
musicales : Prélude de Haendel, Un sospiro de Liszt et Caprice-valse de Saiut-
Saëiis.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
La part de la musique est mince dans la liste des nominations faites par
le ministère de l'instruction publique et des beaux-arts, à l'occasion du
1e1' janvier, dans l'ordre de la Légion d'honneur. Elle se borne à la nomina-
tion de chevalier de M. Alexandre Georges, compositeur, l'auteur de Miarka,
de Charlotte Cordai) et de quelques autres ouvrages. Pourle théâtre nous avons a
enregistrer aussi celle de M. Truffier, l'excellent sociétaire de la Comédie-
Française, qui est aussi un poète aimable, ainsi que celles de deux auteurs
dramatique.-. MM. Gabriel Trarieux et Albert Guinon. Ajoutons que M. Léon
Hennique est promu au grade d'officier.
— Au Conservatoire : le Journal officiel a publié un arrêté en vertu du-
quel M. André Wormser, compositeur de musique, est nommé membre du ,
conseil supérieur d'enseignement (section des études musicales) du Conserva-
toire national de musique et de déclamation, en rempl ic i. Edouard
Risler, nommé professeur au Conservatoire.
— La réouverture de l'Opéra est toujours an iour lundi
prochain ■!' janvier. M. Serge Basset du Figaro donne à ce propos d'intéres-
sants détails sur les travaux de restauration accomplis pour l'embellissement
de la salle par la nouvelle direction :
... L'effort considérable qu'a tenté el réussi la nouvelle direction apparaîtra alors
dans tous ses résultats. En vingt-deux joui
entier a été faite; dans la salle, rajeunie, rem a a neu el iiannante,
les baignoires on I été découvertes de façon à étendre la vue ; tout l'ameublement
intérieur a été changé ; l'orchestn
qui mettait entre le public et lui un- lourd* e par une
balustrade à jour, du ton et du dessin des motif d elle est & jour, de
façon à ne point amortir les nuances d- l'orchestre.
Le plafond de Lenepveu, entièrement nettoyé, a repris toute -a beauté — comme
l'original foyer de la danse, dont les ors et les panneaux avaient perdu de leui
éclat. MM. Messager ci Brousean ont voulu que de partout le spectateur emportât
une impression d'élégance et de confortable. On s'en apercevra les samedi : on s'en
apercevra plus encore quand d'heureuses innovations, actuellementprojeléi
réalisées — comme la pose de sonneries électriques dans toutes les loges,
à permettre l'appel d'un chasseur ou des garçons du buffet; l'installation d'une
cabine téléphonique d'où des employés pourront appeler el faire avancer les voi-
tures, etc., etc.
Dans le grand foyer, des réflecteurs Fortùny enverront une lumière diffu
peintures de Baudry, comme, dans la galerie, sur les panneaux de Clairin, et don -
neront aux peintures et aux panneaux une nouvelle jeunesse. Dans la rotonde,
Paillard aura installé un buffet admirablement aménagé; des diners froids y .seront
servis, de façon a permettre aux Parisiens trop pressés par le temps avant le
du rideau de collalionner pendant un entr'acte.
Sur la scène a été installé, entre le rideau habituel et le théâtre . un rideau
d'avant-scène, peint par Carpezat, et qui se relèvera en deux parties, à droil
gauche de la scène. Il est de toute beauté et donnera l'impression d'une tapisserie
ancienne : les loges placées sur la scène se trouveront ainsi, quand le rideau se
refermera, séparées du « théâtrs » et en communication avec la salle.
— De son coté, M. Nicolet du Gaulois donne la composition des prochains
spectacles :
... L'affiche de la semaine prochaine comporte donc, outre la soirée de réouverture.
Faust, trois opéras et un ballet avec des distributions nouvelles.
Dans Guillaume Tell, la rentrée tout à fait sensationnelle du ténor Escalaïs et
les débuts de M"' Gall, premier prix du Conservatoire de l'année dernière.
Mercredi, Higolelto, avec les débuts de M?1' L. Miranda, une exquise cantatrice
autrichienne qui chanta à Covent-Gardcn sous la direction de M. Messagère! à Lyon,
sous celle de M. Broussan, ce qui la désignait pour être engagée des premières à
l'Opéra.
De même pour Cappella, dans4 pour la première fois par M"' Zambelli, l'étoile
fêtée dont on ne compte plus les triomphes.
Enfin samedi, représentation de Lohengrin, qui s'annonce magnifique avec la plus
célèbre des cantatrices de l'Opéra-Impérial de Pétersbourg, M"" Kousnia'.zoff. le
ténor M. Feolorow et M. Beck, qui nous vient de Budapest et de Bayreulh avec une
très belle réputation .
— Nous avons le plaisir d'annoncer le réengagement par la nouvelle
direction de l'Opéra de Mllc Louise Grandjean. la belle cantatrice, qui fera sa
rentrée seulement dans les premiers jours du mois d'avril. D'ici là, M"e Grand-
jean donnera, d'abord à Paris, une série de concerts chez Colonne, puis à
Genève, à Nice et à Monte-Carlo.
— Spectacles de dimanche à l'Opéra-Comique : en matinée, Iphigénie en
Aulide (dernière représentation); le soir Lakmé et les Noces de Jeannette. Lundi,
en représentation populaire à prix réduits: Mireille.
— Au Théâtre de la Gaité-Lyrique. nous avons eu toute une semaine de
Mignon, et les auditions de ce populaire ouvrage vont continuer encore toute
cette semaine. Voilà qui va bien. Et puis ce sera le tour de Lakmé, en atten-
dant la Traviata. Le peuple est heureux.
— Rameau devient décidément à la mode, ou s'en occupe de tous côt?s, et
pour peu que cela continue la province aura épuisé son répertoire avant que
l'Opéra ait pu nous offrir la première représentation A'Hippolyte el An
Après Dijon, qui, nous l'avons vu, a offert au public la représentation de
Dardanus, voici que Montpellier vient à son tour de monter Castor •■/ Pollux.
MM. Broca et Charles Bordes, directeurs du théâtre de cette ville, n'ont pa-
reculé devant l'effort, et c'est jeudi dernier, 23, qu'a eu lieu, devant l'inévi-
table sous-secrétaire d'Etat aux beaux-arts, la réapparition, on peut dire la
résurrection du chef-d'œuvre de Rameau. Rien n'avait été négligé pour l'éclat
de cette soirée assurément intéressante. C'est M""- Georgette Leblanc qui
avait été appelée spécialement à Montpellier pour chanter le rôle de Télaïre:
à côté, Mme Jane Dafïetye, de l'Opéra-Comique, jouait Phœbé, tandis que les
rôles masculins étaient tenus par MM. Jacquin. Mézy et Fassin. L'orchestre
et les chœurs, ceux-ci renforcés par des éléments empruntés à la Schola can-
torum, étaient dirigés par M. Charles Bordes.
— L'assemblée générale annuelle de la Société des auteurs, compositeurs
éditeurs de musique (10, rue Chaptal) aura lieu le lundi 24 fev
heure et demie, salle des Agriculteurs. 8, rue d'Athènes. Il est rappelé à
JIM. les sociétaires qu'en dehors des questions indiquées dans la lettre
32
LE MENESTREL
convocation qui leur sera adressée au moins quinze jours avant l'assemblée,
aucune autre question ne pourra être portée à l'ordre du jour de l'assemblée
générale si le conseil d'administration n'en a pas été préalablement saisi huit
jours au moins avant la séance (art. 28 des statuts et 114 du règlement
général).
Ordre du jour :
Rapport du conseil d'administration;
Ratification de la nomination d'un commissaire des comptes et d'un commissaire
des programmes (art. 27 des statuts) ;
Rapport de la commission des compte;
Rapport de la commission des retraites;
Rapport de la commission des programmes;
Modifications au règlement général, porlant sur les articles 3, S, 15, lii, 17, 23, 24,
36, 43, 47, 49, 60, 72 et 77 et dont le texte sera adressé aux sociétaires au moins huit
jours avant l'assemblée générale (art 39 des statuts).
Nomination :
1° De trois administrateurs (l auteur, 1 compositeur, 1 éditéuri, pour 4 ans;
2°. De. deux commissaires des comptes, pour 4 ans ;
3" De deux commissaires des programmes, pour 3 ans ;
4° De deux commissaires des retraites, pour 3 ans.
— La section de muùque de la Société Nationa'e des Beaux-Arts (Salon de
musique) s'ouvrira, comme les années précédentes, le 15 avril, au Grand-
Palais. Les compositeurs qui, en vue des auditions publiques dirigées par
M. Paul Viardot, pendant la durée du Salon, voudraient soumettre leurs
œuvres au jury désigné à cet effet, sont priés de les. envoyer au secrétariat
de la Société Nition île des B^iux-Arts, au Grand-Palais, Po te B, avenue
d'Antin, le samedi 4 février. A cet effet, les bureaux du secrétariat général
seront ouverts toute lajournée du 15, de 9 heures du matin à 0 heures du
soir. Rappelons que, l'an dernier, 92 œuvres de compositeurs ont été exécu-
tées au cours de 22 auditions publiques sous la direction de M. Paul Viardot,
que trois primes de 300 francs ont été distribuées et que ces mêmes primes
seront distribuées cette année.
De Nicolet du Gaulois : Un concours de ténors — destiné à démontrer
qu'on peut en découvrir encore et à aider ceux qui paraîtront vraiment doués —
a été organisé par Musica et Comœdia, auxquels se sont joints quelques grands
régionaux. Nous venons d'assister à la séance éliminatoire, où se sont fait
entendre les candidats de la région de Paris. Ce ne fut pas un banal spectacle.
L'élégance du jury et sa compétence étaient notoires. On y remarquait
Mmes Région, Bréval, Isnardon, MM. P. Vidal, Leroux, de Reszké, Muratore,
Salignac, Isnardon, Cazeneuve I D'autres encore. Ils ne se sont pas ennuyés,
pensons-nous. Oh ! les mines naïves ou prétentieuses de certains candidats !
Leur aspect souvent bizarre, leurs voix étranges ! On tracerait de bien jolis
croquis, d'après plusieurs d'entre eux ! Qu'ont pensé les jurés de celui qui
susurra Werther ? Et de celui qui déchiffra la Walkyrie ? Mais laissons les non-
valeurs. Quelques bonnes voix ont été révélées, et cela suffit à justifier la ten-
tative de nos confrères. Le jury délibère encore à l'heure où nous écrivons ces
lignes. Signalons pourtant les candidats qui nous ont intéressés. D'abord
M. FraDck, un peu âgé, et qui a travaillé, mais dont la voix est superbe ;
MM. Guérin, Baettin, Albino, Robert Lasalle, — belles promesses, — Bous-
quet, Perrot et Vial. Mais nous craignons fort que le Midi, au concours final,
ne l'emporte haut... la note.
Et en effet, voici les nouvelles qui nous arrivent de Toulouse, la capitale
des ténors, où il parait que le concours a été des plus remarquables : 156 chan-
teurs s'étaient fait inscrire, 118 ont été éliminés à la première épreuve ; 4 pre-
miers prix et 5 seconds prix ont été décernés. Premiers prix : MM. Falandry,
Loubressat, Villeneuve et Dominique. Ceux-ci prendront part à l'épreuve
parisienne. Seconds prix: MM. Aubert, Salles, Dejean Bordes, et Sautereau.
On assure que les voix des trois premiers prix sont superbes et n'auraient
rien à envier à celles d'un Tamagno ou d'un Caruso.
Le 12e samedi de la Société de l'histoire du théâtre aura lieu aujourd'hui
25 janvier, à cinq heures précises, au Théàtre-Sarah-Bernhardt. Au pro-
gramme :
Causerie de M. Franc-NohaiD, sur les Valets et Soubrettes, suivie d'auditions :
Duo du Maître de chapelle (Paêr), par M"' Dangès et M. Allard.
Louison (A. de Musset;, par M"" Clairville.
Air des A'oces de Flqa.ro (Mozart), par M"" Yallandri.
MoDOlogue du Mariage de Figaro (Beaumarchais), par M. Georges Berr.
Tartufe (Molière), scène de Dorine et Marianne, par M'"* Kolb et M11" Berge.
Le Malade imaginaire (Molière), par M"» Kesly et M. Reyrial.
I.e Jeu de l'amour et du hasard (Marivaux) (scène VI, acte III), par M11' Dussane et.
M. Brunot.
Paul et Virginie, V « Oiseau s'envole » (V. Massé), par M. Edwy,
— L'auteur du petit ballet : Au pays des Cigales, dont notre correspondant
de Bruxelles nous a annoncé la récente apparition au théâtre de la Monnaie.
M. Léo Pouget, est un jeune compositeur français, qui s'est heureusement
inspiré des airs populaires si vivants et si joliment rythmés du pays de Tar-
tarin et de la Tarasque. C'est précisément à Tarascon, et le jour même de la
fête de la fameuse Tarasque que so noue et se dénoue l'intrigue amoureuse
qui fait le sujet de ce gentil divertissement.
— Encore un exemple de décentralisation. Le théâtre des Arts annonce la
prochaine appariliou d'un grand drame lyrique en quatre actes, Gloria victis.
dont la musique a pour auteur Mme Pauline Thys, déjà connue par divers
autres ouvrages.
— Communiqué : Le maire de la ville de Rouen porte à la connaissance des
intéressés que la direction du théâtre des Arts est vacante pour l'exploitation
lyrique pendant l'année 1908-1909. Les demandes relatives à l'exploitation de
ce théâtre seront reçues avant le 10 février à la mairie de Rouen. Le cahier
dos charges sera envoyé ultérieurement à toute personne qui en fera la
demande.
— Très réussi, le concert de M"c Suzanne Decourt, la jeune et charmante
cantatrice qui a été si remarquable dans des œuvres de Sehumann, Grieg et
Gounod et surtout dans le grand air de Sigurd: Salut, splendeur du jour, de
Reyer. Elle a été applaudie et bissée avec enthousiasme par le public élégant
qui se pressait dans la salle Erard.
— La remarquable pianiste Blanche Selva se fera entendre dans deux séances
à la Salle Pleyel, les mardi 28 janvier et mercredi 5 février, à 9 heures du
soir. Le programme de la première séance comporte des œuvres de Bach.
Rameau. Liszt. Beethoven, Sehumann et Chabrier.
NÉCROLOGIE
Au moment où l'on s'occupe de célébrer le cinquantenaire de la mort de
l'admirable tragédienne que fut Rachel, voici que disparaît la troisième de
ses quatre sœurs, qui, toutes, ainsi qu'elle, eurent la passion du théâtre. Lia
Félix, qui joignait à une beauté pleine d'élégance un talent tout empreint de
tendresse et de sentiment pathétique, est morte cette semaine à l'âge de
77 ans, des suites d'une pneumonie. Lia Félix était l'élève de sa sœur, la
grande tragédienne: elle hésitait à débuter; la création de l'unique rôle fémi-
nin de la seule pièce de théâtre de Lamartine, Toussaint Loiiverture (Porte-
Saint-Martin, 1850), la mit en lumière. Dès lors elle fut appelée à interpréter
un grand nombre de rôles dans Jenny l'ouvrière, Claudie, la Poissarde, Ri-
chard III, les Xoei-s vénitiennes. Lorsque Rachel entreprit son voyage d'Amérique,
Lia, qu'elle emmena, lui servit de partenaire. De retour à Paris, elle fut en-
gagée à l'Ambigu pour créer les Orphelines de la Charité: puis à la Porte-
Saint-Martin, où elle joua Richard Darlihgton, là Closerie des genêts, la Tireuse de
caries: enfin à la Gaité où on la vit notamment dans la Maison du baigneur.
L'état de sa santé la força à renoncer momentanément à la scène; elle quitta
sa retraite, pour créer la Haine, de Victorien Sardou, et Jeanne d'Are, de Jules
Barbier. Depuis, elle ne joua plus.
— On annonce de Milan la mort en cette ville, à l'âge de 70 ans, du fameux
chorégraphe Luigi Danesi, qui obtint de grands succès en son genre. Il avait
débuté comme mime au théâtre de la Scala en 1859, et s'était fait remarquer
sous ce rapport. Son premier triomphe comme chorégraphe date de son ballet
Messaiiiîa, représenté sur ce théâtre en 1885, et que nous vîmes peu après ici,
à l'ancien Eden de la rue Boudreau. Il en donna ensuite beaucoup d'autres,
qui presque tous furent heureux et lui valurent une véritable renommée en
Italie : le Amadriade, Don I'aeheco, Gretchen, la Fata Ni'x, Arduino d'Irrea, la
Fala d'Oro. etc.
— De Rome on annonce la mort ducompositeur Augusto Moriconi, auteur de
nombreuses œuvres de musique religieuse, qui depuis vingt ans était le maitre
de chapelle fort distingué de la basilique de Santa Maria Maggiore.
— A Naples s'est éteinte, à l'âge de 92 ans, une ancienne cantatrice distin-
guée, M1"0 Adélaïde Gambaro, qui fut, dit un journal italien, directrice du
Conservatoire de musique de Gènes. Depuis trente ans elle s'était retirée
auprès d'une de ses sœurs, laquelle était veuve du célèbre compositeur Mer-
cadante.
— A la dernière heure, une dépèche de Londres nous apprend la mort en
cette ville, à l'âge de 62 ans, du célèbre violoniste Auguste Wilhelmy, qui
fut le digne émule de Joachim, auquel il n'a que peu survécu. Nous rappelle-
rons samedi prochain les détails de sa brillante carrière.
Henki Heugel, directeur-gérant.
En vente AU MÉNESTREL, 2. bis, rue Yivienne
Mélodies
Toujours des roses ! 6 » \ Où vit l'amour?
En traîneau, duo pour deux voix de femmes 0
(Paroles françaises de Stéphax Bordèse.)
— (Encre Lorili-ui).
Samedi 1" Février 1908.
4010. - 74e ANNEE. - IV 3. PARAIT TOUS LES SAMEDIS
(Les Bureaux, 2bl3, rue TMenne. Paris, h- arr)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
ÉNESTREL
lie Numéro : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEDGEL, Directeur
lie Numéro : 0 fr. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musiqife de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste ea sns.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie. de Gluck (6" articlei, Julien Tiersot. — 11. Semaine théiUrale : Réouverture de l'Opéra, A. Pougli ; premières représentations à'Un Divorce, an Vaudi
de Tourtelin s'amuse, aux Folies-Dramatiques', Ajiédée Boutarel. — 111. Correspondance de Belgique : première' représentation de Bahlie, à l'Opéra flamand d'Anvers, Li i ib.n
Solvay. — IV. Revue des grands conrerts. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
DANSE DES CROTALES
n° 3 des Danses Tanagréennes de Zino-Zina, ballet do Paul Vidal. — Suivra
immédiatement : Panaderos, danse espagnole extraite du nouveau ballet de
•T. Massk.net, Espada, qui va être représenté au théâtre de Monte-Carlo.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
AU BOIS DE L'AMOUR
n° 3 des Idylles et Chansons de Jaques-DalcKOZE, sur des poésies de Gaiiriel
Vicaire. — Suivra immédiatement : langage d'amour, mélodie de Jean In'.i .i,
sur des paroles de M010 Carmen Codou.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
(±p7_±-4-XTT-4=)
CHAPITRE III : Gluck compositeur italien
Entre l'époque où Marcello écrivit le Théâtre à la mode et celle | appliqué à la situation
de son propre début, il s'était produit,
un changement notable dans l'évolu-
tion de l'opéra italien : Métastase
avait paru. Dès lors, le satirique
n'aurait plus pu répéter le précepte
par lequel il avait inauguré son écrit :
« Le poète ne doit pas avoir lu ni
lire jamais les anciens auteurs latins
ou grecs, par la raison bien simple
que les anciens grecs et latins n'ont
jamais lu les modernes. » En effet,
l'abbé Métastase savait du latin autant
qu'homme d'Italie, ou d'Autriche. Au
reste, rien n'était changé au principe
ni à la forme de l'opéra : tout au
contraire, les défauts en étaient con-
sacrés par- l'excellence d'une forme
qui s'imposait avec de nouvelles
qualités. C'étaient toujours des scènes
en dialogues interminables, traitées
par le musicien en un sec récitatif
(recitativo secco : c'est le terme techni-
que), et, au bout, une strophe dont
les mots, incessamment répétés,
étaient destinés à être chantés dans
la forme fixe de l'air. Rien que les
airs, extrêmement longs toujours: on
en pourrait compter jusqu'à une tren-
taine dans un seul opéra. Pas de
morceaux d'ensemble : à peine un
duo, pour finir le second acte, et le
tutti final, généralement vulgaire, et „,w~'iï„
T , , .Ml, lA^TASfc.
heureusement court. Les paroles de
ces airs étaient un froid commentaire plus ou moins exactement | sieurs acteurs sont ap>
dramatique. Il était fort rare qu'on y
trouvât l'expression d'un sentiment :
c'étaient plutôt des sentences, surve-
nant à la fin des scènes, comme la
morale à la fin des fables de La Fon-
taine ou d'Esope; ou bien quelque
trait d'esprit précieux : on pourrait
croire parfois que l'idéal du drama-
turge italien fut de conclure chaque
dialogue en faisant chanter par un
des personnages le sonnet du Afisan-
throipe : « L'espoir, il est vrai, nous
soulage... On désespère, alors qu'on
espère toujours! »
Tel est le fond de celte poésie de
Métastase, dont on a fort exagéré les
mérites en son temps. Il fallait que
Jean-Jacques Rousseau eut l'esprit
terriblement obscurci par le dilettan-
tisme pour avoir pu le qualifier « le
seul poète du cœur, le seul génie fait
pour émouvoir par le charme de
l'harmonie poétique et musicale. «
Sans doute ses vers sont d'une forme
pure, facile et coulante; mais que
d'illusions se faisait le philos
quand il y pensait trouver l'accent de
la nature !
Aussi bien, la supériorité reconnue
au poète Métastase ne fit qu'aggraver
la condition subalterne du composi-
teur d'opéra. Le rôle de celui-ci fut
de plus en plus réduit à celui d'un
simple interprète. De même que plu-
elés à jouer successivement le même rôle
34
LE MÉNESTREL
de même les poèmes de Métastase furent un canevas sur lequel
d'innombrables musiciens brodèrent à tour de rôle leurs notes.
Il y en eut, comme VOlimpiade, Demofoonte, Didone abbandonata,
Exio, la Clemenza di Tito, qui furent traitées par d'innombrables
maestri, presque jusqu'au XIXe siècle, avec Cimarosa, Paisiello,
Guglielmi, quand les premiers collaborateurs du poète avaient
été les représentants de trois générations antérieures, les Pergo-
lèse, les Scarlatti, les Vinci, les Porpora.
Gluck fit donc comme tout le monde : il mit en musique les
tragédies de Métastase.
De 1741 à 1745, il travailla à dix opéras, dont deux pour les-
quels il composa quelques airs seulement; pour les huit autres,
dont il est seul auteur, six ont pour textes des drames du « poëta
cesareo ».
Le premier est Artaserce, représenté au Begio-Ducal Teatro de
Milan pour le carnaval de l'année 1742, et d'abord donné le
lendemain de Noël, 26 décembre 1741. Laissons de côté les
anecdotes suspectes et inventées après coup, comme celle de
l'air en style italien que Gluck aurait écrit pour se railler de
l'auditoire des répétitions, — toujours bienveillant, non moins
connaisseur, — et lui donner à croire que l'auteur en était Sam -
martini, mais qu'il avait si adroitement intercalé entre des airs
de son propre style que, devant le public, le prétendu chef-
d'œuvre national passa inaperçu. Il faut toujours que les bio-
graphes trouvent de ces récits piquants autant qu'inauthenti-
ques à servir à leurs lecteurs (1). Betenons donc seulement
de l'histoire de ce début que ce fut un succès, car le fait est
pleinement confirmé par la rapidité avec laquelle Gluck pour-
suivit sa carrière de compositeur d'opéras.
Il dut, en effet, recevoir sur-le-champ la commande d'un
ouvrage pour une autre des grandes scènes de l'Italie, le théâtre
Grimani de San Samuele, à Venise : Demetrio, signé de lui, y
fut donné pour la foire de l'Ascension (commencement de mai
1742). Un sopraniste remarquable, Felice Salembeni, interpréta
le rôle principal.
L'hiver suivant, à Milan, troisième opéra : Bcmofoonte, repré-
senté un an jour pour jour après le premier, 26 décembre 1742.
Quelques mois plus tard, il est encore chargé de la composi-
tion de l'ouvrage destiné à la saison d'opéra de Crema, résidence
épiscopale à quelques lieues de Milan. Les petites villes ita-
liennes se donnaient parfois des spectacles capables de rivaliser
avec ceux des grandes capitales : c'est ce que l'on put voir à
cette occasion, où, pour sa foire de septembre, Crema put avoir
le luxe d'un opéra nouveau de Gluck, et réunir pour l'inter-
préter une troupe comptant parmi ses membres des virtuoses
émérites : Salembeni, que nous avons déjà rencontré à Venise
aux côtés du jeune maitre, et qui, après cette seconde création,
quitta l'Italie pour se rendre à Berlin où il était engagé par le
roi Frédéric; un autre castrat, Giuseppe Gallieni, et deux canta-
trices, Giuditta Fabiani et Caterina Aschieri. On a longtemps
erré quant au titre de l'œuvre que Gluck écrivit à cette occa-
sion. Il n'y a même que peu de jours que l'on est fixé sur son
identité. Je puis donc être un des premiers à désigner positi-
vement et mettre à sa vraie place cet opéra, dont aucun biogra-
phe de Gluck n'a eu connaissance : il se nomme // Tigrane, et
a été écrit sur un ancien poème d'un opéra vénitien, remontant
à 1691, dont l'auteur est l'abbé Francesco Silvani, remanié à
plusieurs reprises, notamment, en dernier lieu, par Goldoni (2).
Revenu à Milan, Gluck y reçoit pour la troisième fois la
commande de l'opéra du carnaval; mais déjà, à l'ouverture de
la saison, il compose plusieurs morceaux (probablement tout le
premier acte) d'un ouvrage dû à la collaboration de plusieurs
(1) Voy., dans Desmoihestehres, Gluck et Piccini (Paris, Librairie académique, 187-2),
pp. 9 et 10, le récit imaginé d'après des éléments fournis par Schsmd, et appuyé d'une
inopportune citation de Scudo, dont le nationalisme italien ne pouvait manquer une
si belle occasion de se manifester par quelques phrases sonores et vides.
(2) Voy. Francesco Piovano, Un Opéra inconnu de Gluck, dans le Recueil de la Société
internationale de musique, n" de janvier-mars 1908. J'aurai à revenir longuement,
dans la suite de cette étude, sur ce remarquable et précieux autant que récent
musiciens: Arsace,Drammapermusïca(l), dont la dédicace estdatée
de Milan, le 18 décembre 1743. Notons que cette dédicace est
adressée par les Cavalieri Direttori « A Sua Altezza il Signor
Giorgio Cristiano del Sacro Romano Impero Principe di Lobkowitz,
Duca di Sagan, etc., Governatore e Gapitano Générale dello
Stato di Milano, etc. » Ainsi, jusqu'en Italie, Gluck retrouvait,
investi des plus hautes fonctions, l'ancien protecteur de sa
famille bohémienne.
L'œuvre principale pour cette année est Sofonisba (que la
plupart des biographes intitulent Siface, du nom d'un des prin-
cipaux personnages), représentée au Begio-Ducale Teatro le
13 janvier 1744. Le poème est, par un de ces mélanges hétéro-
gènes, fort en faveur en ce temps-là, mi-partie nouveau, mi-partie
emprunté aux poésies de Métastase. Comme pour Arsace, la
dédicace est offerte au prince de Lobkowitz, capitaine général
de l'État de Milan.
Il faut mentionner en passant la Finta Schiava , pasticcio
représenté à Venise pour la foire de l'Ascension de 1744, et à
la composition duquel Gluck participa en y introduisant, à notre
connaissance, deux airs, dont l'un au moins est emprunté à un
de ses ouvrages précédents (Tigrane).
A l'automne, nous le retrouvons à Venise, où « il famoso
Teatro Grimani di S. Gio-Crisostorno » monte, en octobre, son
Ipermestra, poème de Métastase. Cet opéra fut repris, six années
plus tard, dans sa capitale d'origine, Prague.
Poro (titre donné par dérogation à YAlessandro nelle Indie de
Métastase) est représenté, à Turin cette fois, « allapresenza di Sua
Maesta », pour le carnaval de 1745 (première représentation le
26 décembre 1744).
Si donc il était permis de comprendre dans la série l'acte
d' 'Arsace écrit pour l'ouverture de la précédente saison de car-
naval, nous aurions à compter cinq opéras auxquels Gluck
travailla en cette seule année, — trois entièrement de sa com-
position.
Enfin, revenu à Milan, il mit fin à cette première et très active
période de production en écrivant Ippolito (Fedra, disent la plu-
part des biographes), qui, fait aussi pour la même saison du
carnaval, fut représenté cinq semaines après le précédent opéra
de Turin, 31 janvier 1745. La dédicace inscrite sur le livret par
les Cavalieri delegati s'adresse encore au prince de Lobkowitz.
Dans ce bagage accumulé par Gluck pendant les trois premières
années de sa carrière, nous n'avons pas l'espoir, assurément, de
trouver l'équivalent d'Orphée ni d'Armide. Mais ces premières
œuvres, jetées généreusement au hasard de l'inspiration, nous
permettent d'assister à la formation de son génie, et cela seul
est d'un fort grand intérêt. Si nous considérons d'autre part que
cette partie de sa production est restée complètement inconnue,
nous en aurons assez dit pour justifier Texamen que nous en
allons entreprendre, et sur lequel nous nous arrêterons un
moment (2).
[A suivre.) Julien Tiersot.
il] Voir aussi sur cet opéra l'étude de M. F. Piovano ci-dessus désignée.
(2) Cette étude, qu'aucun biographe de G-luck n'a tentée, est grandement faci-
litée aujourd'hui aux travailleurs par le Catalogue Ikcmaliquc des œuvres de Chr. W. von
Gluck, publié par Al™ed Wotquenne (1904). Établi d'après les documents les plus
proches des originaux, ce catalogue a eu pour nous, en particulier, l'avantage de
nous permettre d'y voir clair dans un amas confus d'œuvres que nous avions sous
la main : un recueil, appartenant à la Bibliothèque du Conservatoire de Paris, de
cinq volumes d'airs manuscrits de Gluck (copies), dont la plupart remontent à la
première partie de sa carrière, et en sont les seuls vestiges venus jusqu'à nous.
Document précieux, on en conviendra. Malheureusement, les indications d'origine
ne sont presque jamais données sur les titres, où chaque air est simplement désigné
par ses premières paroles, le nom de l'auteur (écrit avec les orthographes les plus
diverses), quelquefois un nom d'interprète ou une date, mais où les titres d'œuvres
font presque continuellement défaut. Fort heureusement, M. Wotquenne, entre
autres connaissances approfondies, a celle du répertoire des poèmes d'opéras
italiens (Métastase et autres) qui lui est familier jusque dans Ls moindres dé-
tails. Il a pu ainsi, au seul vu des paroles, remettre à leur vraie place la plus grande
partie de ces morceaux. Il a, par exemple, reconstitué, grâce à notre collection,
la musique d'opéras entiers, tels que Demofoonte, dont les vingt-cinq airs, le duo et
le chœur final nous sont maintenant connus pour ce qu'ils étaient à l'origine. Si nous
ajoutons que M. Wotquenne a utilisé pour ses identifications non seulement les
poèmes de Métastase tels que les donnent ses œuvres complètes, mais qu'il a pu
LE MENESTREL
SEMAINE THÉÂTRALE
Opéra. — Réouverture avec la 1 29! >G représentation île Faust.
Après une fermeture à laquelle la nouvelle direction, en prenant
possession du théâtre, s'était vue obligée pour cause d'essentielles ré-
parations (songez que trente-trois années se sont juste écoulées depuis
la solennelle inauguration de la salle de Charles Garniev, le 5 jan-
vier 1875), nous avons pu, à la date précise fixée d'avance, le 25 jan-
vier, assister a la soirée de réouverture de l'Opéra. Celte exactitude ri-
goureuse, qui n'a pas dû, vu les circonstances, être facile à obtenir, ei
à laquelle nous n'étions plus habitués, est déjà un bon point en faveur
de la direction ; elle semble, sous ce rapport, nous reporter au temps
de l'administration d'Halanzier, où au jour fixé, à l'heure précise indi-
quée, les trois coups solennels résonnaient sur le plancher de la scèue
et donnaient à l'orchestre le signal de l'attaque. On oublie un peu trop
aujourd'hui, à Paris, que si l'exactitude est la politesse des rois, elle
devrait être surtout celle des administrations théâtrales, qui en prennent
trop (à l'aise avec le public qui les fait vivre. L'exemple que nous donne
l'Opéra serait bon à suivre de la part de tous.
Les réparations entreprises n'ont été, en ce qui concerne la salle,
qu'un violent et indispensable nettoyage, qui ne pouvait qu'eu éclaircir
l'aspect, sans en altérer ni l'ensemble ni les détails. Seul, l'orchestre a
été l'objet d'une double modification : d'une part, la clôture pleine qui
le séparait des spectateurs a été remplacée par une clôture ajourée ; de
l'autre, le plancher a été abaissé de vingt centimètres, ce qui est trop ou
trop peu. La construction, parait-il, ne permettait pas de faire davan-
tage. Il m'est avis qu'alors il valait mieux laisser les choses en l'état.
Effectivement, ce modeste abaissement de vingt centimètres est insuffi-
sant pour amortir l'effet éclatant de l'orchestre de Wagner; il était donc
inutile. En revanche, il est nuisible pour les ouvrages dont l'instru-
mentation n'est pas conçue d'après les mêmes principes. On a pu s'en
apercevoir à cette nouvelle audition de Faust, où les délicieux détails
de l'orchestre sobre et délicat de Gounod disparaissaient complètement.
Je n'en veux pour preuve,, entre autres, que l'accompagnement de
violon solo de l'air de Faust, qu'on entend à peine et dont l'effet est
absolument perdu.
On a beaucoup parlé de la nouvelle mise en scène de Faust. Il y a
beaucoup à louer sans doute, et peut-être aussi quelque peu à repren-
dre. Les nouveaux décors sont fort beaux et bien compris. Celui de la
Kermesse (Amable) est charmant; celui du jardin de Marguerite déli-
cieux et plein de poésie ; celui de l'église, un peu étroit peut-être, mais
sévère comme il convient (Carpezat) ; celui du retour des soldats (Jam-
bon), avec ses maisons aux loits couverts de neige, est superbe ; celui
de la fête, étincelant. Tout cela est très bien. Les costwmes ne me pa-
raissent pas tous aussi satisfaisants. Pourquoi nous avoir changé notre
Méphistophélès rouge, si caractéristique, et nous l'avoir fait tout noir,
comme celui de M. Boito ? Et si l'envie vous prend de monter le Me/is-
tofele de ce dernier, ne ferez-vous doux aucune différence entre l'un et
l'autre ? Et Marguerite, pourquoi lui enlever sa belle natte et emprison-
ner ses cheveux dans un petit bonnet qui la fait ressembler à une petite
paysanne frisonne comme j'en ai vu à Groningue et à Leuwarden ?
On a dit le bien qu'il fallait dire de l'entrain donné au tableau de la
kermesse et du mouvement qu'on a su lui imprimer. Il est certain que
nos choristes ont fait un effort, qu'ils ne sont plus Agés comme autre-
fois, qu'il prennent vraiment part à l'action et qu'ils se démènent
autant qu'il est possible. Ce n'est pas encore l'égal de ce que donnait
la troupe des Meiniugen, mais il y a progrès évident. Mais je deman-
derai pourquoi l'on a supprimé le prie-Dieu dans la scène de l'église ?
Nous voyons maintenant Marguerite simplement à genoux sur les
dalles, au milieu du théâtre, pendant qu'elle entend les imprécations
de Méphistophélès adossé à uu pilier. On comprend que dans cette
situation les mouvements lui sont très difficiles; elle ne peut ni tour-
ner la tête ni se débattre pour échapper aux accents de l'être diabolique,
et la scène devient d'un froid glacial. Il faut avouer que le changement
n'est pas heureux. J'en dirai autant de la mort de Valentin, qu'on fait
se relever maintenant et qui reste debout pour injurier sa sœur et la
maudire. Son monologue me paraissait d'un effet bien plus drama-
tique lorsqu'il se soulevait seulement pour exhaler ses dernières
retrouver presque toujours les libretti imprimés spécialement pour les représentations
de chaque opéra de Gluck, et que ceux-ci donnent les renseignements les plus
positifs concernant les titres, dates, lieux de représentation, interprètes, dédicaces,
remaniements, etc., l'on comprendra de quelle rare utilité un pareil travail doit être
pour celui qui veut aujourd'hui étudier Gluck. Je lui suis, pour ma part, grande-
ment redevable.
paroles el cracher -lu mépris au visage de la malheureuse. Prenons
garde que souvent le mieux est l'ennemi du bi servons la
tradition lorsqu'elle est a la l'ois intelligente et raisonnée.
Venons à l'essentiel, a L'interprétation, et constatons tout d'abord que
nous en avons fini av..-.: L'étonnante ; .niaisie qui depuis longtemps
avait pris ses aises dans les mouvements delà partitio
ces mouvements hem.' n iblis, de façon que la musique de
Faust ne reste pas à l'étal /trextmimo. C'esl M. Muratore qui
joue Faust: il y l'aii preuve d'excellentes qualil -. mais surtout il
chante l'air : Salut, <i meure cha U H pure à m
des nuances exquises qui ne s'A irteni pas du vrai style de L'œuvre;
c'esl parfait. M. Delman n'est pas pour nous un nouveau Méphisto; on
s;ui le talent qu'il déploie dans ce rôle; je lui reprocherai a
u certaine el trop grande prop insion .. La Lourdeur; il chante un peu
cela comme il chante Wotan, et je n'ai pas besoin de due qui
pas tout a l'ail la même chose. La voix juste de M M il o i - peut-être
un peu frêle pour le- passages dn il iques du rôle de M argue i
la cantatrice est habile et la femme est charmante; elle donm
sonnage une couleur pleine di gi
Valentin très bon. .rai. le. \l" Mastio uu Siebel to
je m'en voudrais de ne pas signaler M°" Gaulaucourt, .pu
dame Mari lie excellente. Orchestre, chœurs,
ges, et en particulier M"" Zambelli, qu'on ne saurai oublier.
En résumé, soirée très intéressante et d'un bon la nou-
velle direction.
Me sera-t il permis, en terminant, de rappeler a relie direction que
la prochaine année 1909 et le mois de mars de celte même année
verront tout ensemble le cinquantième anniversaire <!•• );i création de
Faust et le quarantième de son apparition sur la scène de l'( >péra '.' En
effet, Fausl fut joué pour la première fois au Théâtre-Lyrique du bou-
levard du Temple, le 19 mars 1859, et pour la première fois a L'Opéra
de la rue Le Peletier (pour sa 3081' représentation .. le 3 mars 1859 0
a le temps sans doute de se préparer à célébrer ce double anniversaire,
mais il est utile de ne pas l'oublier.
Aiithi i; PoiiGW.
Vaudeville. — Première représentation de Un Divorce, comédie
de MM. Paul Bourget et André Gury.
Nous assistons, dans cette pièce, à la dissolution du second foyer
conjugal de Gabrielle Darras, femme divorcée, qui a épousé, il y a
treize ans déjà, un ingénieur doué de l'esprit le plus large et affranchi
de tous préjugés. Elle a un fils de vingt-trois ans. celle jeune femme,
un fils de son premier lit, que son second mari, Darras. a reçu, élevé,
aimé comme s'il eut été son propre enfant. Ce lils, nommé Lucien, a
rencontré à la Faculté de Médecine une intelligente et jolie infirmière,
Berthe Planât. Il l'a revue ensuite dans la maison de sa mère, ou elle
était venue pour soigner une personne malade. Le charme très doux,
la dignité de caractère de cette jeune fille lui ont inspiré de l'amour.
Berthe résiste à cette passion que Gabrielle et son mari veulent extirper
à tout prix du cœur de Lucien.
Ils peuvent croire tout d'abord que ce résultat sera facile à obtenir,
car le passé de Berthe parait avoir été bien troublé. Elle a vécu marita-
lement avec un ami qui l'a délaissée dès qu'il s'est aperçu qu'elle allait
être mère. Elle a un enfant et le fait élever hors Paris. Mais cette liai-
son a été entourée de circonstances tellement particulières, la malheu-
reuse qui en a été la victime a montré une telle graudeur de sentiments,
une si haute conception du rôle de la femme dans la société, que toutes
les enquêtes et toutes les manœuvres tentées pour lui arracher son
prestige, le rehaussent avec éclat; elle monte de plus en plus sur son
piédestal d'honneur et d'honnêteté, s'élève même au poiut de devenir
la seule pure, la seule belle, la seule désirable, et tout le monde vibre
de sympathie pour elle quand elle dit: « Je ne reconnais pas avoir com-
mis de faute ». Lucien lui offre sa main, elle refuse.
Ici la situation devient superbe et pathétique. « Je ne vous épouserai
pas, dit Berthe, parce que ce serait renier mon passé qui, pour moi,
n'a pas de tache. J'ai contracté une uuion libre, par horreur pour les
compromis du mariage: elle a duré seulement trois mois et les consé-
quences en ont élé lamentables: je mourrais toutefois avant de laisser
dire qu'elles ont été honteuses. » Ici le public est pris, les applaudisse-
ments couvrent la voix de l'actrice. Berthe ne pourra donc consentir à
se donner à Lucien que par une nouvelle union libre, et Lucien, adop-
tant son point de vue, approuvant son passé, la défend avec éloquence
auprès de sa mère et de Darras. Il fait l'éloge de son amie, exalte ses
qualités rares et précieuses, peut enfin s'écrier en parlant de la triste
liaison : « Tout ce qui fait la valeur morale du mariage a été dans cette
36
LE MENESTREL
union. » Un tonnerre d'acclamations répond de tous côtés à cette flére
affirmation. Darras alors devient amer et agressif : « Et l'enfant, tu vas
le prendre aussi ? » La réponse est vive, cinglante : « Tu m'as bien
pris, toi, quand tu as épousé ma mère. » Un écho prolongé d'ovations
souligne dans l'assistance cette riposte d'une audace inouïe.
Ainsi le mariage après divorce est assimile par Lucien à l'union libre
qu'il veut contracter avec Berlhe; et les spectateurs acclament M. Paul
Bourget, au moment où il impose, dans une graduation d'effet magni-
fique et avec de superbes accents oratoires, la thèse qui ressort de sa
pièce. 11 y a plus. La scène est ici particulièrement émouvante et
tragique, à cause de la situation très spéciale de Gabrielle Darras,
mère de Lucien. Cette jeune femme, élevée dans le sein de la religion,
avait essayé de se dégager de ses croyances pour plaire à son second
mari, mais l'approche de la première communion de sa fille a réveillé
tous ses souvenirs; un parfum de sa jeunesse et de ses fleurs virgi-
nales lui est monté comme au visage: en accompagnant l'enfant aux
exercices pieux elle a eu le vertige; elle a senti Dieu, elle a senti son
àme rajeunir et la foi lui est revenue. Un prêtre, à qui elle demande de
l'admettre à la sainte table en même temps que sa fille, lui déclare
qu'elle est exclue de l'église à cause de son divorce, qu'elle n'est pas
mariée, qu'elle est en état d'union libre. Le triomphe de Berthe est
complet.
Dès lors, pour Gabrielle, c'en est fait de la paix de son àme, c'en est
fait de la joie du foyer : « Je devrais me réjouir de mon retour à la foi,
j'en suis épouvantée », dit-elle. Il n'y a plus en effet de remède, tout
est fini, tout est brisé. En vain le prèlra qui a troublé cette conscience
maladive apparaît-il à la fin, pour empêcher l'épouse, car elle l'est
malgré tout, d'abandonner le toit conjugal; en vain Darras, après avoir
insulté l'ecclésiastique indiscret lui tendra-t-il la main en rendant
justice à ses intentions; en vain ouvrira-t-il ses bras à sa femme en
lui promettant de nouveau sa tendresse: on sent que les anciens liens
ne se reformeront point, car les causes de dissolution dont nous avons
vu les effets subsisteront toujours. Le mariage civil après divorce n'a
pu réussir. Quant à l'union libre projetée entre Berthe et Lucien, elle
est ajournée à un an. Nous ne savons pas si elle sera heureuse.
Ici éclate le défaut de la pièce. Nous ne pouvons conclure. Nous
avons assisté à un prélude à deux existences, ou mieux à deux périodes
d'existences : nous ne saurions présumer quelle part de bonheur, ou de
peines, sera donnée au couple Berthe-Lucieu et, malgré la reconstitu-
tion in extremis des bons rapports conjugaux entre Gabrielle et Darras,
un doute subsiste, angoissant.
Mais la thèse de M. Paul Bourget est très clairement posée. Entre le
mariage chrétien indissoluble et l'union libre, il n'y a pas d'intermé--
diaire logique. Il faut choisir. Le divorce est simplement un état
précaire et transitoire qui a été institué pour ménager l'acheminement
de l'un à l'autre. Nous devons dire que les sympathies de l'auteur d'Un
Divorce se sont manifestées d'une façon peu équivoque en faveur de
l'union libre, et que le public a souligné de ses bravos les conclusions
hardies de la pièce. Le tout est d'attendre que notre état social soit
assez mûr et notre moralité suffisante pour que l'union libre ne s'offre
pas comme un « pot-bouille » matrimonial, mais devienne aussi stable
que peut l'être le plus saint des mariages.
Les rôles principaux de cette pièce ont été tenus d'une façon entière-
ment remarquable : par MUe Marthe Brandôs, une Gabrielle Darras
jeune, jolie, exaltée et mystique, toujours prête à prendre ses désirs
pour les réalités, très sensitive et enveloppante vis-à-vis de son fils, et
vraiment captivante parfois quand la passion la secoue et l'anime; par
M"'' Jeanne Heller. une infirmière gracieuse plus que sa profession ne
l'exigerait, mais sachant dire juste, avec réserve et discrétion; par
M. Lérand, qui a posé le rôle de Darras avec beaucoup d'autorité, de
distinction et de mesure; toujours maitre de lui-même, il a dessiné
son personnage dans un saisissant relief; enfin par M. Louis Gauthier
qui a su incarner fidèlement le caractère de Lucien; sans pose et sans
emphase, il soutient les principes qu'il a reçus de son père adoptif, se
montre amoureux avec dignité et rejette loin de lui toute compromis-
sion douteuse. Mme Cécile Caron, Mllc Ellen Andrée et M. Arquillière,
complétaient un ensemble detous points excellent. Lamise en scène a été
entièrement conforme à ce qu'exigeait le milieu où s'accomplit l'action.
Amêdée Boutakel.
Folies-Diumatioues. — Première représentation de Tourtelin s'amuse,
vaudeville en trois actes, de MM. H. Kéroul et A. Barré.
C'est la folie avec accès continus ; un feu d'artifice de mots baroques
fait rage constamment pendant ces trois actes. On rit aux éclats depuis
le commencement de la pièce jusqu'à la fin, car les saillies se succèdent
sans interruption.
Au premier acte, nous voyons défiler dans l'Agence matrimoniale
Séraphin des préfets en rupture d'étiquette, des directeurs de minis-
tères trop juvéniles pour leurs fonctions, des officiers ministériels, des
magistrats. Moyennant rétribution, des compagnes leur sont procurées
et, si les caractères s'accordent, on ira plus tard à la mairie. On va
d'abord à l'hôtel des Deux-Pigeons, à Fontainebleau. C'est une succur-
sale de l'Agence, ou plutôt uue maison auxiliaire discrète, où l'on peut
s'attarder eu villégiatures matrimoniales ou autres. Le notaire Tourte-
lin s'y trouve en ce moment. Venu de Périgueux pour chercher une
épouse, on lui a promis de lui procurer une héritière millionnaire,
mais sous condition qu'il aurait goûté, avant les noces, tous les fruits
défendus de la vie conjugale : les parents de la promise pensent s'assurer,
par ce moyen, qu'une fois entré dans le paradis du mariage notre ta-
bellion n'aura plus la tentation de rechercher des distractions prohibées :
il sera blasé.
C'est Mmc Séraphin qui afaitee conte à notre provincial, et l'a envoyé
ensuite aux Deux-Pigeons en bonne compagnie. Mais Tourtelin se fait
surprendre pendant son équipée par son ami Balossier, viveur intré-
pide qui entend bien profiter de cette aubaine pour le faire chanter au
meilleur diapason. Or. c'est précisément avec la femme de Balossier
que Tourtelin s'amuse. De stupides maladresses de Tourtelin vont tout
gâter, tout compromettre, quand le Deus ex machina du Vaudeville ar-
range tout et donne à qui de droit des yeux pour ne point voir. Balos-
sier, dûment trompé, se croit en possession d'une femme irréprochable
et Tourtelin se consolera de n'avoir point le million en songeant qu'il
fait dire de lui ce que l'on a dit de François Ier, « le roi s'amuse »,
Tourtelin s'amuse.
Les spectateurs aussi se sont bien amusés; ceux du moins dont les
oreilles et la vue ne pouvaient être offusqués par un amas d'inventions
extravagantes, de tableaux burlesques et de quiproquos affolants. Ils
ont applaudi MM. Milo, Rouvière, Prévost, Némo, M'"es Germaine Ety.
Marcelle Prince, Andrée Marly...., interprètes amusants de cette farce
aussi vide quant au fond que pétillante de mots saugrenus.
Am. B.
THÉÂTRE -LYRIQUE FLAMAND (vlâamsche opéra)
Balaie, drame lyrique en trois actes, poème de M. Nestor De Tière,
musique de M. Jan Blockx.
(De notre correspondant de Belgique.)
Anvers, 28 janvier 1908.
La première représentation du nouvel opéra de MM. De Tière et
Blockx a eu lieu, comme je vous l'avais annoncé, samedi. L'intérêt qui
s'attache — en Belgique et ailleurs — aux œuvres de l'original compo-
siteur de Princesse d'auberge, de la Fiancée de la mer, de Thyl Uylenspie-
gel et Milenka faisait de cette première un véritable événement.
L'action du drame, imaginé par M. De Tière, se passe, vers l'année
1785, dans un village flamand des rives de l'Escaut. C'est une sorte
d'études de mœurs rustiques, évoquant, dans le cadre réaliste des cou-
tumes locales de la Flandre, les passions et les sentiments élémentaires
et frustes de l'àme paysanne. On y voit dépeint, en traits rudes et sin-
cères, le caractère particulier des riverains de l'Escaut, — natures
lentes et lourdes, patientes et rêveuses, mais d'une exubérance débor-
dante dans la liesse et, quand la passion les secoue, d'une sauvagerie
redoutable.
La figure centrale du drame est Stavie Baldie, riche propriétaire cam-
pagnard, personnage hardi, impudent, homme d'affaires avisé, sans
scrupules, et grand coureur de filles. Pratiquant à la fois la débauche
et l'usure, faisant servir ceci à cela, il a établi peu à peu sa domination
sur tout le pays environnant : il préserve les paysans, les met aux abois
pour s'assurer, dans leurs intérieurs, des avantages d'autre sorte; puis
il prévient les révoltes par quelques largesses habilement distribuées,
qui lui valent une popularité de surface.
A ce personnage s'oppose celui de Théo, un type assez fréquent parmi
les populations flamandes : jeune campagnard à l'imagination abon-
dante, à l'esprit contemplatif, travaillé de confuses aspirations artisti-
ques et poétiques. Il rime et chante, est affilié à une Chambre de rhé-
torique, et s'essaie dans la sculpture sur bois, si bien qu'un oncle
fortuné va l'envoyer à Gand se perfectionner dans cet art.
Puis, c'est le vieux fermier Tennis, locataire et débiteur de Baldie.
le type du paysan âpre au gain, cupide et brutal, dont la déveine et la
ruine imminente achèvent d'aigrir le caractère violent et fourbe.
Tennis vit avec ses belles-filles, Veerle et Dina, dont la personnalité
LE MÉNESTREL
37
sympathique coutraste vivemeDt avec celle du vieux fermier: Veerle,
l'ainée, nature douce, tendre et rêveuse; Dina, la cadette, plus enjouée
et plus vive.
Théo, qui fréquente la maison, ne pouvait manquer, avec ses sédui-
santes qualités imagi natives, de faire impression sur les deux sœurs.
Quant à lui, il aime Veerle, et les deux jeunes gens se sont promis l'un
à l'autre. Dina, elle aussi, aime Théo, de toute la vivacité de son tem-
pérament impétueux; mais, généreusement, elle dissimule de son
mieux ses sentiments, sacrifiant son amour au bonheur de sa sœur.
Autour de ces figures principales gravitent quelques personnages
secondaires, tels que Rikus et Rika, respectivement valet et fille de
ferme chez Tennis, — braves cœurs, très amoureux l'un de l'autre, et
qui comptent se marier au premier jour.
Voilà bien c l iblis les acteurs du drame, dont vous vous représenterez
ainsi tout de suite très clairement la marche. Drame mouvementé haut
en couleur et nullement psychologique, ce qui ne l'empêche pas d'être
parfaitement logique en ses développements et d'apparence très vi-
vante même dans ce qu'il a de conventionnel au point de vue de la
recherche de l'effet. Il n'est personne qui, autant que M. De Ticre,
sache charpeuter une pièce, avec tout ce qui peut contribuer à la rendre
variée, touchante et pittoresque.
Au premier acte, l'action s'encadre dans une fête de la moisson ; les
premières scènes nous en présentent les préparatifs; les dernières nous
feront assister à sa joyeuse explosion. L'usurier Baldie et le sournois
Tennis sont tout de suite aux prises. Celui- ci exprime ses soucis d'ar-
gent; l'autre en profite pour lui faire entendre qu'il a jeté son dévolu
sur une de ses deux belles-filles, Veerle... A bon entendeur, salut! Avec
un peu de complaisance, tout s'arrangera... Les deux complices s'éloi-
gnent. Mais voici Théo : il vient prendre congé des jeunes filles, car il
va partir en apprentissage pour Gand; l'amour veillera pendant son
absence. Théo et Veerle se répètent de douces paroles, lorsque Baldie.
repassant par là, surprend le joli duo et s'en gausse. Théo, qui connait
le pouvoir malfaisant du bonhomme, le raille et le menace: ils vont en
venir aux mains ; mais Veerle les sépare. Raidie se retire, la rage au
cœur, tandis que les moissonneurs ramènent la gaité bruyante sur la
scène.
Au second acte, deux mois plus tard, nouvelle fête : la kermesse
d'automne, avec ses danses, ses jeux et ses ripailles. Théo est toujours
absent. Et Veerle, minée d'un mal mystérieux, se lamente et souffre,
au grand ennui du madré Tennis, qui a vu avec colère sa belle-fille
s'amouracher d'un « freluquet » et dédaigner Baldie, dont il se pro-
mettait de favoriser la convoilise... Nul ne connait la cause pour
laquelle Veerle dépérit. Nul autre que le valet Rikus, qui, un jour,
accourut aux cris de la pauvre fille, que le hideux Baldie, après avoir
tenté de la violenter, avait laissée demi-morte, tout en sang, dans
une chambre déserte de la ferme... Depuis, Veerle dépérit. Vainement
sa sœur Dina cherche à la consoler... Le malheur guette. Et justement,
l'horrible vision de Baldie se dresse soudain à ses yeux... Oui, c'est
encore l'odieux Baldie, cherchant, par la douceur cette fois, à lui arra-
cher un consentement... Veerle, indignée, le repousse violemment, lui
jette à la figure des bijoux qu'il lui offrait, et veut le tuer... Baldie se
retire, la rage dans l'âme. Veerle, chancelante, se traîne, appelant à
l'aide... Théo lui répond ! Théo, qui revient, bien à point, et qui a tout
appris, et qui s'affole... Mais hélas ! l'émotion, la douleur, la joie ont
été trop grandes pour la malheureuse qui, sans un cri, ferme les yeux,
et tombe inanimée, morte, sur sa couche... Théo, dans un cri de
désespoir, jure de la venger.
Au troisième acte, fête encore... C'est l'élection du roi de la Gilde de
• Saint-Sébastien, parmi les tireurs à la perche. On boit, on mange, on
chante. Six mois se sont passés depuis la mort de Veerle: Tennis,
ordonnateur du Festin et Baldie, tireur émérite, ne songent qu'à se
réjouir, d'autant plus que Hanske-leFou,le bouffon de la Gilde, amuse
tout le monde de ses lazzis. Baldie régale; Baldie est proclamé roi...
Seule, la petite Dina, songe toujours à sa sœur; elle est triste, et soup-
çonne le mauvais drôle d'être pour quelque chose dans le malheur... Et
Théo ? a-t-il oublié son serment ? Non: sans doute (l'auteur ne nous le
dit pas) a-t-il dû ajourner sa vengeance, et repartir... Mais le voilà
qui revient!... L'heure de la justice a sonné... Au milieu du brouhaha
de la fête, Théo surgit; il défie Baldie: il rappelle à la foule amassée
les forfaits du traitre, tous ses honteux exploits, dont le village a du,
par terreur, garder le secret; il ameute autour de lui les vengeances
qui dormaient; en face de l'usurier se dressent bientôt les poings
furieux... Des clameurs de mort retentissent. Théo vise le drôle d'une
flèche... Mais Dina se précipite ; elle ne veut pas que celui qu'elle aime,
au fond de son cœur, paie de sa vie le juste châtiment... Elle frappera
elle-même .. Elle saisit un couteau, et le plonge dans le sein de Baldie.
Je vous ai raconte ce poème avec quelque détail parce qu'il est tout
à fait caractéristique de l'art robuste, rude, essentiellement autochtone
dont M. Blockx est le chef en Belgique. Baldie complète, dans l'esprit
des deux auteurs, la trilogie lyrique dans laquelle ils se sont donné
pour tâche d'évoquer les mœurs llamandes sous leurs trois aspects
principaux: Princesse d'auberge, c'est la ville; la Fiancé
Flandre maritime ; Baldie, c'est la campagne. On retrouve ici, dan- la
partition comme dans le poème, la physionomie stylistique i -
des deux ouvrages antérieurs : de la couleur, une e
mais néanmoins lies intense, une conviction qui s'impose, une véhé-
mence un peu fruste, une ingénuité attendrie. L'inspiration Fe
M. Blockx a dû se réjouir des continuelles oppositions du livi
sant tour à tour do l'idylle au drame, du plaisant au sévère, avec, comme
cadre à l'action, ces déchaînements de liesse et do- passion populaires
dont l'évocation a toujours été chère aux musiciens de l'école an-
versoise.
Ce sont, naturellement, ces scènes-là qui. à la représentation, ont le
plus porté, et ce sont d'ailleurs les plus réussies. La fête de la moisson,
à la fin du premier acle, a été biss-e. Il y a là une série de i I
dansées, d'un entrain ei d'une verve charmante, et comparables aux
plus jolis spécimens du folklore flamand. Le plus grand nombre des
auditeurs, et les plus avertis, s'y sont trompés, et ont pris pour îles
chansons originales ce qui n'était que du pastiche, mais un pastiché
comme M. Blockx seul sait en faire. Tels : i u s s i les ihèmes populaires
qui traversent le deuxième acte, les épisodes burlesques du bouffon, m
troisième, et l'entrée tonitruante de la Gilde, sur un air de marche
rappelant un peu « le Sabre de mon père », mais qui, dans le mouve-
ment général de la scène, emporte tout...
Si le côté descriptif est supérieur au côté dramatique, celui-ci cepen-
dant est d'une indiscutable maîtrise. La façon dont 1.- compositeur a
silhouetté ses personnages et leurs vives oppositions psychologiques.
— l'amour serein et grave de Théo el de Veerle, la paysannerie cocasse
de Rikus et de Rika, la brutalité du vieux fermier, et surtout la figure
si hardiment campée de Baldie — est d'un maître peintreel d'un obser-
vateur vigoureux.
Ici, comme dans ses partitions précédentes, M. Blockx fait un emploi
abondant des thèmes conducteurs. Mais ils n'entrent pas, aulant que
ceux de Wagner, — au système duquel ils constituent le seul emprunt.
— dans la trame instrumentale, et se répètent plus qu'ils ne se déve-
loppent. Le récilatif estplutôt, chez le compositeur flamand, l'exception,
et les formes traditionnelles de l'ancien opéra « lyrique » subsistent, en
somme, et dominent. La grande importance est donnée au rythme,
plus encore qu'à la phrase mélodique, parfois assez courte, et aux
recherches orchestrales, peu compliquées.
Parmi les pages qui ont produit le plus d'impression, il faut citer,
au premier acte, le duo d'amour et le quatuor qui suit. Tout cet acte-là
d'ailleurs est charmant. Le deuxième est tenu tout entier dans une
note sombre et morne. Quant au troisième, sa coloration musicale, sa
vie intense, son mouvement tumultueux et farouche sont d'un très
grand effet, et la scène finale termine l'œuvre avec éclat.
Je n'entrerai pas dans le détail de l'interprétation et de la mise en
scène. L'une et l'autre, malgré la meilleure volonté et les efforts les
plus méritoires, sont, il faut le dire, inférieures à ce qu'il aurait fallu
pour mettre le drame complètement en valeur. Cela n'a pas empêché
Baldie de remporter un très vif et très franc succès, digne de celui des
deux autres parties de la trilogie flamande. Princesse d'aubère.
Fiancée de la mer. Des rappels chaleureux ont salué la fin de chaque
acte, où, après le premier, MM. Dû Tière et Blockx ont du paraître sur
la scène, et, au dernier, ils ont été l'objet d'une de ces ovations enthou-
siastes dont, seul, le public anversois possède le secret.
Lucien Solvay.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour les seuls
A LA HUSIQUB)
Pour le comte de Germont-Tonnerre, Paul Vidal a composé, sur un livret de Jean
Richepin, Zino Zina, toute une musique de billet dont il fut b-aucoup parlé, cet été,
sous les ombrages de Maisons-LaCBtte. Sur une petite s:ènc improvisée et caeliée
dans la verdure, des danseu-es</i™Welto évoluèrent gentiment et lirent admirer leur
"race aux derniers vestiges de notre haute aristocratie. La musique de Paul Vida!
fut surtout appréciée et, de lait, elle valaitmieux que ces petites l'êtes de circonstance.
On la publia, en attendant pour l'œuvrelte de plus hautes destinées. Il y eut surloui
une suite de Dîmes tanag tiennes qui remporta tous les suffrages et qui fut exécutée
d»puis par plusieurs de nos orchestres syinplioniques. C'est le dernier numéro de
cette suite Danse des crotales, que nous offrons aujourd'hui à nos abonnés.
38
LE MENESTREL
REVUE DES GRANDS CONCERTS
C'est la symphonie en si bémol de Schumann, la première, que le maître de
Zwickau dédia au roi de Saxe Frédéric-Auguste, qui ouvrait le dernier pro-
gramme de la Société des concerts. L'œuvre est intéressante sans doute,
mais combien l'orchestre en est généralement lourd, surtout si on le compare.
à celui de Mendelssohn ! Dans le final seulement, cet orchestre s'allège, s'é-
claircit, et ce final, il faut le dire, est absolument délicieux, délicieux de
finesse, de grâce, et de légèreté. Son effet est immanquable, et cette fois
encore le public l'a accueilli avec une véritable joie, qui s'est traduite par des
applaudissements vigoureux et répétés. Oh ! nous sommes loin du temps où
ce public du Conservatoire, trop pudibond alors, ne voulait pas entendre parler
de Schumann et ne l'accueillait qu'avec des murmures et parfois des sifflets.
Les temps sont changés — heureusement. La symphonie était suivie d'une
suite de Grieg pour instruments à cordes : Au temps d'Holberg. C'est un hom-
mage délicat que la Société rendait à la mémoire du poétique compositeur
Scandinave, mort il y a quelques semaines à peine. L'œuvre qu'elle nous
présentait est aussi un hommage que ce compositeur rendait à la mémoire
d'un poète du XVIIIe siècle, le baron Louis de Holberg, qu'on appelait le
Molière danois et qui fut, comme on l'a dit, le rénovateur de la littérature de
son pays, écrivain très fécond à qui l'on doit des comédies, des drames, des
romans et nombre d'ouvrages de divers genres. Celte suite, divisée en cinq
morceaux (Prélude — Sarabande — Gavotte — Air — Rigaudon), est comme une
sorte de pastiche des œuvres de ce genre dues aux vieux maîtres français et
allemands ; elle est d'une forme un peu archaïque, relevée par certaines touches
d'un modernisme piquant. Certaines parties en sont un peu pâles, mais la
Gavotte est fort aimable et le Rigaudon, dont le dessin est attaqué par le
violon solo, est tout plein de grâce et de gentillesse. M. Hayot, un maître vio-
loniste qu'on a le regret d'entendre trop rarement, est venu exécuter ensuite
l'unique et superbe concerto que Beethoven dédia à son ami Etienne de Breu-
ning et qui fut exécuté pour la première fois à Vienne, en 1807, par un excel-
lent artiste, François Klément. M. Hayot a déployé, dans l'exécution de cette
œuvre grandiose, un style d'une rare pureté, un mécanisme d'une surprenante
facilité, une justesse impeccable et un son charmant à qui l'on souhaiterait
seulement parfois un peu plus de volume. L'ensemble était parfait et a valu
au virtuose un succès brillant qui s'est traduit par trois rappels vigoureux et
des applaudissements sans fin. Toute une série de chœurs sans accompagne-
ment succédèrent au concerto : 1° Adoremw te (Corsi) ; 2° Crucifiœus, à huit voix
(Lotti): 3° -1» joty jeu (Clément Jannequin* ; i» Las, je n'yray plus (Guillaume
Costeley). Le premier est plein d'onction, le second d'une belle sonorité ;
le troisième a véritablement enchanté le public, qui l'a redemandé avec trans-
port. Mais aussi quelle grâce, quel esprit dans ce habillement de voix qui se
répondent et s'entrecroisent incessamment, quelle finesse dans en dialogue
continu, quelle fraîcheur dans l'inspiration, et enfin, pour parler le langage
de nos pédants actuels, quelle écriture ! Ils avaient bien du talent nos vieux
maîtres français, et je souhaiterais aux jeunes musiciens présomptueux de
l'heure présente, si fiers de leur prétendu savoir, d'écrire un simple morceau
à quatre parties de la valeur de ce chœur délicieux de maître Jannequin ; mais
je suis tranquille, ils n'en feront rien, et pour cause. Constatons néanmoins
que les quatre chœurs ci-dessus ont été dits à ravir par le personnel vocal. La
séance se terminaitpar l'étonnante, l'étincelante, l'admirable ouverture d'Obéron,
de Weber. Encore une dont nous ne sommes pas près d'avoir le pendant.
A. P.
— Concerts-Colonne. — Après une exécution correcte mais un peu froide
de l'interlude symphonique de Rédemption de César Franck, M. Colonne céda
la baguette à M. d'Indy qui dirigea son poème orchestral intitulé Souvenirs de
façon à en mettre en un saisissant relief toute la richesse instrumentale ainsi
que la magistrale ordonnance et le charme expressif. Le succès de M. d'Indy
a été unanime et éclatant. — Puis ce fut le tour de l'Apprenti sorcier, cette
page si spirituelle et colorée de M. Paul Dukas et que M. Colonne dut redire.
— Enfin M. Debussy dirigea à son tour son nouvel ouvrage la Mer. Pour la
première fois (ou la seconde) que l'auteur de Pelléas prenait contact avec le
"rand public comme chef d'orchestre, il fiut reconnaître qu'il s'est tiré à son
honneur de cette difficile épreuve, sans gestes exagérés, mais avec une préci-
sion et une sobriété qui ont été très remarquées. Les Trois Esquisses symphouiques
que M. Debussy a réunies sous le titre général de la Mer forment une suite
assez développée et où se retrouvent les procédés habituels du compositeur :
recherches harmoniques subtiles, complication orchestrale extrême, plan
vague et insaisissable, ensemble visant surtout au pittoresque, à la couleur,
bien plus qu'à l'expression d'une pensée ou d'un sentiment. A ce point de vue
spécial le n° 2 (Jeux de vagues) est d'un réalisme très savoureux. On a acclamé
l'œuvre et l'on a eu raison, car si l'on est en droit de discuter ses tendances
on ne peut refuser à M. Debussy le mérite d'une réelle et très captivante per-
sonnalité. — La Psyché do César Franck, supérieurement interprétée par l'or-
chestre, par Mllc Hélène Mirey et les chœurs, a semblé plus divinement belle
encore, en sa suave et géniale simplicité. J. Jesiain.
Concerts-Lamoureux. — A la manière vigoureuse et brève dont il a campé
l'ouverture de Coriolan, s'attachant à en faire ressortir le côté dramatique, on
peut considérer M. Frédéric Steinbach, qui a dirigé le concert, comme un
chef d'orchestre consciencieux, intelligent et très adroit. Né le 17 juin 1855, à
Grùnsfeld, près de Baden, il est venu à Paris il y a quelques années et a di-
rigé un concert dans la salle du Théâtre du Vaudeville. 11 remplit actuelle-
ment les fonctions de maître de chapelle à Cologne et de directeur du Conser-
vatoire de cette ville. Son physique n'excite que faiblement l'intérêt ; gros, la
tête carrée, les traits sans finesse, il a aussi peu que possible l'apparence d'un
artiste. Jamais son visage ne s'anime et ne trahit une àme musicale. Il a le
geste sobre ; cependant, nous l'avons vu deux ou trois fois s'énerver de la tête
aux pieds, les mains crispées, les bras étendus en haut; il obtient alors de
remarquables effets d'émotion. Ainsi ont été accentués, mis en relief, tous
les passages que l'on peut trouver ou déchirants ou désespérés dans Mort et
Transfiguration de M. Richard Strauss. Le public a d'ailleurs peu goûté ce
dernier ouvrage et n'a su aucun gré à M. Steinbach de le lui avoir présenté.
Ce fut encore bien pire pour la première symphonie en ut mineur de Brahms,
chose aussi interminable qu'habilement tissée, de laquelle d'autres que
M. Steinbach ont essayé, toujours en vain, de faire jaillir un souffle, une
grande pensée, ou simplement de faire naître ce sentiment quel qu'il soit, qui
devrait nous pénétrer dans toute œuvre musicale, mais surtout dans la sonate
et dans la symphonie, depuis le premier accord jusqu'à la mesure finale. Ce
qui manque au compositeur allemand, c'est la sensibilité, le don des larmes;
larmes de tendresse ou d'admiration avec lesquelles semblent avoir été pensés
tant de thèmes de Bach, de Mozart et de Beethoven.
Quis viderit illas, de lacrymis factas, sentiet esse rneis.
Brahms a parfois le don d'écrire, surtout d'orchestrer avec humour ; le plus
souvent il reste terne et sans chaleur. Pour notre tempérament français, il
parait maussade, ultra-morose ; il distille l'ennui. Un chef d'oeuvre, un vrai,
aurait du fout au moins réveiller dans l'assistance quelque flamme d'enthou-
siasme, c'est le concerto en sol de Beethoven qu'a joué M. Godowsky. Mais ce
pianiste slave n'a rien de sympathique .dans son jeu, rien d'aérien, de léger
ou d'expressif. Il est préoccupé surtout de la sonorité, ce qui est assurément
très naturel, maïs ses doigts sont rapides et implacables, rebelles à toute
nuance un peu délicate. L'artiste n'a pas paru très sur de lui-même dans un
des soli du Rondo vivace. En somme, cette belle composition a paru mono-
tone et décevante. On ne peut pourtant pas s'en prendre à Beethoven.
Amédée Boutarei..
— Programmes des concerts de demain dimanche :
— Conservatoire : Symphonie en si bémol n° 1 (S humann). — Au temps d'Holberg
(Grieg). — Concerto pour violon (Beethoven), par M. Maurice Hayot. — Chœurs sans
accompagnement : Adorcmus te (Corsii, Crueifixas (Lotti), Au Juhj Jeu (Jannequin),
Las, je riyray plus (Costeley). — Ouverture d'Obéron (Weber).
Chàtelet, concert Colonne : Ouverture de Léonore, n° 3 (Beethoven). — Le Rouet
d'Omphale (Saint-Saëns). — Psyché (César Franck), soli par M™* Hélène Mirey. —
Prélude de Parsifal (Wagner). — Récit de Loge de l'Or du Rhin (Wagner) et le
Chant de la Forge de Siegfried (Wagner), chantés par M. Van Dyck. — Les Mur-
mures de la Forêt (Wagner). — Fragments de lu Walkyrie (Wagner), par M. Van
Dyck. — Lu Chevauchée des Waîlcyries (Wagner).
Salle Gaveau, concert Lamoureux, sous la direction de M. Fritz Steinbach : Ou-
verture de Léonore, n° 3 (Beethoven). —Variations et fugue (Max Reger). — Six danses
allemandes (Mozart), transcrites par M. Steinbach. — 7° symphonie en ut majeur
(Schubert).
Concerts populaires (à 3 heures, Marigny) : Symphonie en ré (Beethovem. — Mélo-
dieu (Pierné), Mm0 G. Marty. — Le Rouet d'Ompliah (Saint-Saëns) ; a. Elude (Chopin);
B. Mephislo-Wateer (Liszt), M. Francis Coye. — Invitation à la Valse (Weber); La
Grotte de Fingal (Mendelssohn) ; Samson et Dalila (Saint-Saëns), M"' Georges Marty.
— A. Menuet Chavagnat) ; b. Castor et Pollux (Rameau); Marche nuptiale Ruhins-
teini. Chef d'orchestre : M. Fernand de Léry.
— Voici le programme du grand concert que Mmc Jeanne Baunay et
M. Gabriel Fauré donneront, le lundi 3 février, à quatre heures de l'après-
midi, salle des Agriculteurs, 8, rue d'Athènes :
Première parti*) : Quinze mélodies de Gabriel Fauré : Lyilia, Sérénade toscane, les
Berceaux, les Présents, Barcarolle, Clair de lune, Soir. Prison, An Cimetière, !■■ Parfum
impérissable, Accompagnement, Crépuscule, Paradis, Priant verba et /'- bon silenciewx.
Seconde partie : la Bonne Chanson, de Paul Verlaine.
Toutes ces œuvres de Gabriel Fauré, que chantera M",e Jeanne Baunay,
seront accompagnées par l'auteur.
— Le célèbre violoniste Emile Sauer donnera deux récitals à la salle Erarl
les lundi 10 et vendredi 28 février.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Put Ordre de l'Empereur
Première représentation pour la classe ouvrière de Berlin
Le Prince Frédéric d? Hambourg
Ainsi était rédigée dimanche l'affiche de l'Opéra-Royal où a eu lieu la pre-
mière des représentations populaires au prix uniforme de cinquante pfennigs
(U2 centimes 1/2). dont Guillaume H a eu l'initiative. Une demi-heure avant
le lever du rideau, plus une seule des 1.400 places que contient l'Opéra 1-Royal
(Krbll) n'était vide. De vrais gens du peuple, les hommes en costume du di-
LE MÉNESTREL
39
manche, les femmes en jupes à carreaux et en blouses de toutes les couleurs
de l'arc-en-ciel. Tout à coup, un murmure traverse celte foule et en un
instant les 1.400 spectateurs sont debout et se tournent vers la loge impé-
riale, où viennent de faire une entrée inattendue l'Empereur et l'Impératrice,
accompagnés du grand-duc et de la grande-ducbesse de Hesse-Darmstadt, du
prince Henri de Prusse et de la princesse Victoria-Louise. Dans les loges a
coté, les princes Joacbim et Oscar. L'attitude du public a été des plus cor-
rectes et l'Empereur a pris un visible plaisir de cette représentation qu'il a
suivie jusqu'à la fin du troisième acte.
— L'empereur Guillaume II s'est fait jouer cette semaine, par la musique
du deuxième régiment de la garde, un certain nombre de marches militaires
qui vont enrichir le répertoire de la garde. La musique joua aussi la marche
de Sambre-et-Meuse que Guillaume avait déjà fait apprendre à la musique du
Hohenzollera. Ces morceaux figureront au programme des prochaines fêles
de la cour.
— On se rappelle que M. Richard Strauss eut des démêlés assez sérieux
naguère avec la censure allemande, au sujet de sa Salomé. Il parait que la
question se rouvre à propos de son nouvel opéra, Electre, dont, s'il faut en
croire les bruits qui courent, le sujet, ou tout au moins la façon dont il est
traité, serait encore plus scabreux que celui de ladite Salomé, ce qui ne
manque pas de quelque saveur. On annonce que les difficultés sont telles que
la représentation de cette Electre, qui avait été annoncée comme devant être
donnée au printemps prochain, serait ajournée et reportée à l'année 1909.
Avis à la Société des grandes auditions dp France.
— M. Richard Strauss et son Electre ne sont pas seuls d'ailleurs à avoir
affaire avec la censure de Berlin. On devait donner au théâtre delà Résidence
de cette ville une comédie nouvelle intitulée Grelchen, que la censure arrêta
au moment de son arrivée à la scène. Le directeur, jugeant l'œuvre inoffen-
sive au point de vue des mœurs et de la morale, eut alors une idée. Il pro-
posa aux autorités spéciales une représentation à portes closes pour qu'elles
puissent la juger en toute connaissance de cause. Ainsi fut fait, et la repré-
sentation eut lieu en présence de deux seuls spectateurs, le président de la
police et le chef de la censure, qui virent, entendirent, jugèrent... et défen-
dirent.
— De Vienne (correspondance du Figaro) : M. Félix von Weingartner,
choisi pour la direction de l'Opéra-Impérial et entré en fonctions depuis le
commencement du mois, est monté, pour la première fois, au pupitre de
ehef d'orchestre, jeudi dernier. Il avait choisi Fidelio pour se présenter au pu-
blic. Le chef-d'œuvre de Beethoven a été exécuté d'une manière impeccable,
dans la forme où il avait été exécuté pour la première fois au Théâtre an der
Wien, le 20 novembre ISOo, c'est-à-dire avec l'ouverture de Léonore n° 2, et
en deux actes, sans interruption entre le premier et le deuxième tableau du
second acte. Contrairement à l'usage introduit par son prédécesseur, M. von
Weingartner avait disposé son orchestre de façon à l'avoir tout entier devant
lui, au risque de se trouver un peu éloigné de la scène. L'excellent directeur
a remporté un triomphe complet. S'imaginant peut-être rendre hommage à
M. Mahler, qui sera, très certainement, désolé de cet incident, quelques
spectateurs des galeries ont essayé de siffler. Ces procédés de mauvais goût
ont provoqué des protestations très vives et soulevé des salves d'applaudisse-
ments au début et à la fin de chaque acte. De tout premier ordre, les inter-
prètes : Mmes Weidt et Forst, MM. Schmedes, Weidemann, Demulh, Mayr et
Schroedter ont partagé avec leur directeur le succès de cette magnifique
soirée.
— L'Horoscope des étoiles (Sternengehot). le nouvel opéra de M. Siegfried
Wagner, qui devait être joué, en octobre 1907, au théâtre municipal de Ham -
bourg, a pu seulement venir en scène le 21 janvier dernier. Les principaux
interprètes, M""' Eleischer-Edel, MM. Birrenkoven et Dawison ont soutenu
l'ouvrage avec une énergie et un talent dignes de tous éloges ; le chef d'or-
chestre, M. Brecher, a fait l'impossible pour donner « vie et expression » à la
musique ; la mise en scène a été en outre excessivement belle et soignée. Le
public a tenu compte à tout le personnel du théâtre de l'effort déployé, de
sorte que l'on a pu considérer la représentation comme un succès. On dit que
l'Horoscope des étoiles reste dans la note moyenne des précédentes partitions de
l'auteur: plus d'expérience, plus de simplicité dans les harmonies, plus de
facilité à manier le leitmotiv, mais moins d'invention mélodique. Quant à
l'instrumentation, la manière dont les bois sont traités a paru intéressante.
Se conformant aux habitudes paternelles, M. Siegfried Wagner a composé
lui-même son libretto dont il a emprunté le sujet à l'histoire et à la légende.
L'époque est le XIe siècle, le lieu la_ ville de Fritzlar et ses environs. Le
scénario peut paraître bien insignifiant et puéril ; on va en juger d'ailleurs.
Conrad le Salique, élu roi d'Allemagne en 1024, a un ennemi héréditaire. Une
tireuse d'horoscope lui a prédit autrefois, d'après la position des étoiles, que
le fils de cet ennemi, qui se nomme Heinz, épouserait sa fille Agnès. Pour
rendre impossible l'accomplissement de la prédiction, Conrad a envoyé à un
de ses vassaux l'ordre écrit de tuer Heinz. Mais le vassal, pris de pitié, a fait
élever en secret l'enfant. C'est ici que la pièce commence. Conrad arrive à
Fritzlar, à la tète de son armée victorieuse. Ayant perdu une jeune fille qu'il
aimait, il fuit les réjouissances et va consulter les sorcières qui confirment le
précédent horoscope. En revenant à la ville, il trouve, au milieu de ses
soldats en liesse. Heinz lui-même suivi d'un estropié nommé Kurzbold : il
reconnaît le fils de son ennemi, car celui-ci est porteur de l'ordre qu'il avait
donné naguère de l'assassiner. Il se saisit du jeune homme et l'envoie à un
autre vassal, nommé Herbert, enjoignant à ce dernier de le tuer. Mais, un
chevalier amoureux d'Agnès et aimé par elle, mû par le seul désir d'éviter
qu'une injustice aussi noire soit commise, court cher. Herberl el lui défend
d'exécuter l'ordre qu'il a reçu. Herbert accepte fort mal que l'on se mêle de
ses affaires, provoque en duel Helferich, est blessé à mort et expire la nuit
suivante. Ses compagnons disent qu'il a été assassiné cette nuit-là même, el
Helferich, accusé du crime, ne pourrait se défendre qu'en faisant connaître
qu'au moment où' Herbert esl mort, il était lui-même dans la chambre d'Agnès.
Ne voulant pas compromettre la jeune princesse, il ne consent pas ■;, bc dis-
culper et se laisse considérer comme coupable du meurtre. Mais Agnès ne
l'entend pas ainsi. F/lle avoue son amour pour Helferich el décide qu'il ira en
Terre-Sainte expier la faute qu'il a commise en tuant Herberl en duel, eJ
déclare qu'elle l'épousera et saura montrer ainsi que l'horo copi mour
est supérieur à celui des étoiles. Heinz, qui n'a pas été tué, s'agenouille
devant elle et la supplie de lui permettre do l'aimer comme une sœur. Agnès
aura ainsi deux chevaliers et les chérira, l'un d'une tendresse amoureuse,
l'autre d'une amitié fraternelle. L'opéra finit ainsi. Tout cela est embrouillé,
contre nature el d'une psychologie plus que discutable, nulle, pourrait-on
dire.
— Une nouvelle singulière. C'est un journal étranger qui nous apprend
qu'à Oldenbourg, ville natale de Liszt, un comité s'est formé dans le but de
recueillir les fonds nécessaires à la construction d'une église (!) « qui devra
constituer un souvenir impérissable à la mémoire du compositeur ».
— Le pianiste Enrico Toselli devait donner le 2b janvier dernier à Breslau
son premier concert en Allemagne. Ce concert a été contremandé ;i la dernière
heure, vraisemblablement, disent les journaux, à la suite d'influences diplo-
matiques.
— Ainsi que nous l'avons annoncé, M. J. Paderewski a été appelé à
prendre la direction du Conservatoire de Varsovie; il a accepté les proposi-
tions qui lui ont été faites en ce sens, sous réserve toutefois qu'il pourra
continuer à donner des concerts en Europe et en Amérique. Il consacrera
seulement trois mois de l'année à l'exercice de ses nouvelles fonctions et s'est
engagé à résider à Varsovie six semâmes au printemps et six semaines en
automne.
— Trois opéras nouveaux vont incessamment voir le jour en Italie. Au
Théâtre-Royal de Parme, Ultime rose, paroles de M. Gnstavo Machi, musique
de M. Edoardo Lebegott; à la Feuice de Venise, il Figlio de! Mare, livret de
M. Luigi Orsini, musique du maestro Giuseppe Cigognani: el au Théâtre-
Social de Mantoue. i Goliardi, en trois actes, du compositeur Giovanni
Zagari.
— On sait déjà le triomphe obtenu à Rome parle nouveau drame de M.Ga-
briele d'Annunzio, la Nuvr, représenté le 11 janvier au théâtre Argenlina.
Mais il y a dans ce drame une partie musicale très importante, le poète
ayant voulu que son action soit souvent entremêlée de chants et de danses qui
aident à rendre plus frappant son symbolisme. Cette partie musicale est
l'œuvre, fort intéressante, dit-on, d'un jeune compositeur parmesan, M. Ilde-
brando Pizetli.
— La ville de Rome va avoir ses Concerts populaires dans des conditions
exemplaires. La municipalité a fait adapter à cet effet un vaste local, l'amphi-
théâtre Corea, qui peut contenir jusqu'à b.000 auditeurs, et pour l'organisa-
tion de ces concerts elle concède une subvention annuelle de 50.000 francs à
l'Académie royale de Sainte Cécile, qui porte le nombre de ses exécutants
ordinaires de 7o à 90 pour l'orchestre, et assume l'obligation légale et l'enga-
gement moral de faire prospérer l'institution. En s'exprimant ainsi, uu journal
ajoute que » l'amphithéâtre Corea sera unique en Italie dans son genre » et
que « la commune de Rome accomplit ainsi une haute fonction artistique,
offrant l'exemple d'une chose nouvelle et hardie, qui contribuera beaucoup
au progrès de la musique en Italie ».
— De Naples : Véritable et curieuse agitation parmi les dames de l'aristo-
cratie napolitaine, abonnées au théâtre San Carlo, contre la prochaine repré-
sentation de Salomé, le célèbre opéra de Strauss. Ce n'est pas le coté erotique
et sensuel qui suscite les scrupules des dames napolitaines, c'est le côté reli-
gieux qui les scandalise. On dit que dans tous les salons on fait circuler une
feuille de protestation, qui se couvre de signatures. Il parait que le cardinal
Prisco interviendrait aussi contre la représantation de Salomé.
— Le théâtre do Monte-Carlo vient de donner la première représentation
d'un nouveau ballet, les Contrebandiers, scénario de M. Georges Rose, musique
de M. Louis Narici, avec M"e Trouhanowa pour protagoniste très acclamée.
— De notre correspondant de Genève (23 janvier) : Les seules nouveautés
de la saison sont jusqu'ici les Armaillis, de Gustave Doret, et le Bonhomme
Jadis de Jaques-Dalcroze. Si la première de ces œuvres a bénéficié d'une mise
en scène admirable, grâce aux décors de Sabon, la seconde eut la chance non
moins grande d'être interprétée par l'incomparable Lucien Fugère. Son dé-
part prochain nous empêchera malheureusement de savourer comme elle le
mérite une partition pleine d'esprit et de sentiment. — Un gentil ballet de
MM. Pierre Edmond et Laffont, mis en musique par M Pierre Letorey, —
titre: les Deux Coqs — a été fort applaudi. — Massenet, le compositeur ordi-
naire et toujours extraordinaire des Genevois, après avoir triomphé une saison de
plus avec Manon et Werther, a de nouveau fait nos délices grâce à une excel-
lente reprise du Jongleur île Notre-Dame. Fugère a chanté « la Sauge » miracu-
40
LE MENESTREL
leusement, c'est le mot. Bientôt Thérèse, dont la distribution est excellente.
Demain, reprise de Louise. L'œuvre de Charpentier, étudiée sous la direction
du maitre Miranne, retrouvera son traditionnel succès. E. D.
— Le grand succès de Louise à New-York est constaté par les journaux
allemands. Nous lisons dans les Nouvelles de Munich : « Le Manhattan Opéra
de New- York a fait un coup de maître en montant Louise, de Gustave Char-
pentier. Pour toutes les représenta'ions qui ont eu lieu jusqu'ici la salle
entière avait été louée d'avance ».
— Nous trbuvoiis,d'autre part,dans le Musical America : <• Le public si nombreux
venu pour les représentations de Louise montre quel intérêt a excité la « plus
importantepremière de la grande saison d'opéra ». Quelques-uns avaient pensé
qu'un sujet si exclusivement français, présentant destabloauxd'un coloris localsi
caractéristique, perdrait quelque chose à être transplanté en Amérique: mais
les amateurs de théâtre de New-York ne se sont pas laissé influencer, et l'im-
pression profonde que l'opéra de Louise a fait naître, tant par les paroles que
par la musique, a été telle que le succès de cette œuvre si française est assuré
déOnilivement désormais. Les beautés musicales de Louise font valoir le drame
si poignant, si réaliste d'une vie véritablement humaine à notre époque, et
l'accent des situations est si vrai qu'elles tiennent en suspens l'âme des audi-
teurs. Miss Mary Garden a rendu admirablement dans tous ses détails le rôle
de l'ouvrière de Montmartre; l'égoïsme, l'opiniâtreté, joints à quelques traits
de mœurs populaires bien observés, ont formé un contraste très artistique
avtc la fraîcheur juvénile et le charme exquis de la cantatrice, en d'autres
passages de l'œuvre. MM. Gilibert et Campanini ont été aussi très appréciés.
A la première représentation, les auditeurs ont témoigné leur enthousiasme
par des acclamations frénétiques à la fin de chaque acte. Il y a eu même par-
fois des bravos avant que le rideau tombât et ces bravos trouvaient des échos
dans toutes les parties de la salle ».
— D'après la Frankfurler Zeitung, M. Conried directeurdel'Opéramétropo-
litain de New-York, serait actuellement décidé à se retirer. On parle, pour lui
succéder, de M. Gatti Casazza, directeur de la Scala de Milan.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Le conseil supérieur du Conservatoire (section dramatique) s'est réuni
sous la présidence de M. Dujardin-Beaumetz, eous secrétaire d'Etat aux
beaux-arts, assisté de Mn,e Bartet. MM. Gabriel Fauré, Victorien Sardou,
Jules Claretie, Paul Hervieu, Henri Lavedan, Alfred Capus, Adrien Bernheim,
Bigard-Fabre, d'Estournelles de Constant. Mounet-Sully, Antoine. Georges
Berr, F'ernand Bourgeat. L'ordre du jour portait la nomination d'un profes-
seur à la chaire d'histoire et littérature dramatiques. Le conseil a décidé de
présenter au ministre en première ligne M. Louis de Gramont et en seconde
ligne M. Albert Dayrolles.
— La commission supérieure des théâtres a décidé de provoquer une revi-
sion de l'ordonnance de 1898 sur la sécurité dans les théâtres et cafés-con-
certs. En outre de dispositions nouvelles qu'elle désire voir adopter, la
commission voudrait qu'on codifiât toutes les prescriptions de détails édictées
à des époques diverses pour en faire une ordonnance unique visant tous les
théâtres et concerts. Une sous-commission a été chargée de préparer cette
revision. En font partie, avec les membres techniques de la commission :
colonel des pompiers, directeur du laboratoire municipal, etc., MM. Yves Du-
rand, chef du cabinet du préfet de police, Turot, Mithouard, Quentin-Bau-
chart et Maurice Quentin, conseillers municipaux, Micheau, directeur des
Nouveautés. La commission a commencé par visiter les aménagements nou-
veaux de la scène, de la salle et des différentes dépendances de l'Opéra.
— L'Académie des beaux-arts a procédé, dans sa dernière séance, à la dé-
signation dos jurés qui seront appelé?, de concert avec les membres des sec-
tions compétentes, à rendre les jugements des divers concours pour les prix
de Rome à décerner en 1908. Pour la composition musicale, les trois jurés
désignés sont MM. Paul Hillemacher, Coquard et Wormser; adjoints,
MM. Charles Lefebvro et Widor.
— A l'Opéra, après la représentation de Fans', dont parle plus haut notre
collaborateur Arthur Pougin, est venue celle de Guillaume Tell, et c'est là
qu'on a pu voir l'opportunité du réengagement de M. Escalaïs. On peut bien
dire que, depuis son départ, c'en était à peu près fini de ce qu'on appelait le
« grand répertoire », celui desRossini, des Meyerbeer et des Halévy. Comme
il n'y avait plus de véritables « forts ténors », des ténors de gueule, pour le
mettre en pleine valeur, ce fut le déclin rapide de toutes ces œuvres de vastes
proportions qui eurent tant de vogue. Et cependant, Guillaume Tell, c'est
quelque chose. On l'a bien vu quand M. Escalaïs en a pu rétablir les vraies
traditions. La voix de l'artiste a conservé tout son métal, toute sou ampleur,
toute sa large façon de phraser. Ce fut une surprise et un triomphe. Auprès
de lui il faut signaler les heureux débuts deM,lcGall, l'intéressante lauréate des
derniers concours du Conservatoire. C'est assurément l'aurore d'une belle
carrière. Ladanseuse milanaise Aida Boni a de son coté fort réussi des entre-
chats qui n'étaient pas sans grâce. M. Busser conduisit les chœurs et l'orchestre
à la satisfaction générale. Il y a décidément quelque chose de changé dans le
royaume de l'Opéra. Comme il est bon qu'un musicien préside aux destinées
des choses musicales !
— Spectacles de dimanche à l'Opéra-Comique : en matinée, Iphigénie en
Aulide (on dit cette fois que ce sera bien la dernière représentation du chef-
d'œuvre de Gluck); le soir, Carmen. Lundi en représentation populaire à prix
réduits : la Vie de Bohème.
— Au Théâtre Lyrique de la Gaîté le Barbier de Sévillevà. alterner sur l'affiche
avec Mignon. C'est Mmr Jeanne Merey qui chantera Rosine. Les Frères Isola ont
bien fait de s'attacher cette charmante artiste de voix si pure et de talent si
brillant, qui n'aurait jamais dû quitter notre Opéra-Comique. — Ce n'est pas
tout, les mêmes frères inaugurent des matinées du jeudi. Ils ont commencé
avant hier par Orphée, interprété par notre grande Rose Caron.
— Aujourd'hui samedi, à cinq heures, au Théàtre-Sarah-Bernhardt, 13e sa-
medi de la Société de l'histoire du théâtre; causerie de M. Bourgault-Ducou-
dray sur le o chevalier Gluck », avec le programme suivant :
Iphigénie en Aulide, {air d'Agamemnom, par M. Ghasne, de l'Opéra-Comique;-
fragments à'Iphigénie, par M™« Yallandri, de l'Opéra-Comique; Orphée, romance du
Rêve (1" acte), par M"" Brôldy, de l'Opéra-Comique ; air de flûte (scène des Champs-
Elysées), par M. Gaubert; Alceste, air du 3' acte, par M"€ Mancini, de l'Opéra; air
du dernier acte (Vivre sans toi, vivre sans Alceste), par M. Beyle, de l'Opéra-
Comique; Armide, scène flna'e, par M"' Mancini, de l'Opéra; Ariette de ta Naïade,
par M»' Vallàndri de l'Opéra-Comique; Iphigénie en Tauride, (Unis dès la plus tendre
enfance), par M. Beyle, de l'Opéra-Comique ; (0 malheureuse Iphigénie), par il'" Man-
cini, de l'Opéra.
— La Société de musique nouvelle a donné à la salle Érard une séance fort
intéressante, dans laquelle on a entendu diverses compositions de Mmcs Hélène
Fleury et l'illiaux-Tiger, de MM. Théodore Dubois, Hérard, Jules Mouquet et
René Blirj. Le gros morceau du programme était le beau concerto de piano en
fa mineur de M. Th. Dubois, dont l'effet a été considérable grâce d'une part à
la haute valeur de l'œuvre, de l'autre au talent plein de charme à la fois et de
solidité déployé dans son exécution par M",c Henri Deblauve, qui a retrouvé
là le succès qui' l'avait accueillie quinze jours auparavant au Gbàtelet. On a
entendu encore de M. Théodore Dubois les ravissantes Musiques sur l'eau,
chantées par M"10 Hermann, une jolie suite pour flûte et piano extraite des
Poèmes rirgiliens, exécutée par M. Lafleurauce et l'auteur, et un terzettino
pour flûte, harpe et alto, exécuté par MM. Lafleurance, Maignien et Marcher.
Signalons aussi d'agréables mélodies de Mmc Hélène Fleury, chantées par
M",e Jeanne Arger avec son talent habituel.
- Les Concerts-Populaires d'Angers, si remarquablement dirigés par
M. Max d'Ollone, viennent de donner dimanche dernier une très belle séance
où le Wallenstein de d'Indy et Napbli de Charpentier ont été chaleureusement
acclamés. M. Léon Delafosse y a prêté le concours de son grand talent et
obtenu le plus éclatant succès.
— Au dernier concert populaire donné à Douai le 26 janvier, la Rapsodie
Cambodgienne de BourgaultDucoudray, dirigée par l'auteur, a obtenu le plus
vif succès. L'orchestre formé par M. Cuelnaere, directeur de l'Ecole de mu-
sique, a fait merveille dans l'interprétation de cette œuvre si colorée.
NÉCROLOGIE
Voici quelques détails sur Auguste Wilhelmy, dont nous avons annoncé
la mort il y a huit jours. Il s'est éteint à Londres, le 23 janvier dernier après
une grave maladie. Né le 21 septembre 1845 à Usingen, près de Nassau, il
prit ses premières leçons de violon chez K. Fischer, à Wieshaden, et devint
très rapidement un virtuose île premier ordre. De 1861 à 1864, il se perfec-
tionna dans son art au Conservatoire de Leipzig où il eut pour professeurs
Ferdinand David, Hauptmann et Richter. De retour à Wieshaden, il reçut
d(s leçons de Joachim Rail'. Encore élève, il se fit entendre aux concerts du
Gowandhàùs, en 1862. et. ses éludes terminées, commença des tournées en
Suisse (1863), en Hollande et en Angleterre (1866), en France et en Italie
(1867), en Russie (1868) et de nouveau en Suisse, en France et en Belgique
(1869). On l'entendit à Berlin en 1872, à Vienne en 1873, dans les deux Amé-
riques, en Australie et même en Asie de 1878 à 1882. Partout ses succès
étaient sensationnels. En 1886, il s'établit à Blasewitz, près de Dresde et y
demeura jusqu'en 1894, époque où il devint professeur en premier à la Guild-
hall Music-Scholl de Londres. Wilhelmy s'est adonné à li composition, mais
pas avec une grande activité. Une transcription de lui a été beaucoup jouée,
c'est l'aria de la troisième suite de Bach (en ré majeur), transposée pour les
cordes graves de l'instrument. Le talent de Wilhelmy a été comparé parfois
à celui de Joachim; sa carrière fut toujours, comme celle de son rival, extrê-
mement brillante et son enseignement très apprécié. Ce qui l'a rendu si
célèbre c'est un ensemble do qualités techniques grâce auxquelles jamais au-
cune difficulté matérielle ne pouvait gêner son interprétation, une ampleur
et une richesse de nuances dans la sonorité que l'on a bien rarement trou-
vées chez ses confrères, et enfin une virtuosité hardie et portant toujours le
cachet d'une, originalité toute personnelle.
Henri Heugel, directeur-gérant.
OCCASION
Pédalier Pleyel, état neuf, serait cédé pour bOO francs
S'adresser Ch. Henrv, 83, Grande-Rue, Besancon.
dans bonne ville de province une situation de professeur de
chant lucrative et florissante. Conviendrait particulièrement
CEDER
; ménage d'artistes. S'adresser au bureau du journal.
11. — 74e AMÉE. — N0 6.
PARAIT TOUS LES SAMEDIS
Samedi 8 Février 1908.
(Les Bureaux, 2bl8, rue Yivienne, Paris, ii-an-)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
ÉNESTREL
lie Numéro : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
Le Numéro : 0 fr. 30
Adresser fi\asco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienue, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. —Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste ea sas.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (7e article), Julien Tiersoj. — II. Semaine thtâirale :
premières représentations du Boule-en-Train, à l'Athénée, etdu Bonheur de Jacqueline,
au Gymnase, Amédée Boutaiiei.. — III. Revue des grands concerts. — IV. Nouvelles
diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chaut recevront, avec le numéro de ce jour :
AU BOIS DE L'AMOUR
n" 3 des Idylles et Chansons de Jaques-Dalcroze, sur des poésies de Gabriel
Vicaire. — Suivra immédiatement : Langage d'amour, mélodie de Jean Déré,
Sur des paroles de Mmc Carmen Codou.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
Panaderos, danse espagnole extraite du nouveau ballet de J. Masse.net, Espada,
qui va être représenté au théâtre de Monte-Carlo. — Suivra immédiatement :
Toréador el Andalouse, danse extraite du même ballot.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
CHAPITRE III
GLUCK COMPOSITEUR ITALIEN
Les partitions des premiers opéras de Gluck ont disparu toutes,
à l'exception d'une seule, Ipermeslra, dont l'unique exemplaire
(copie ancienne) est conservé au British Muséum. De celui qui
ouvre la série, Artaserce, il ne reste qu'un air; cinq seule-
ment de Demetrio; pas un seul de Poro, au sujet duquel une
vague indication donne à entendre que Kiessewetter en posséda
deux airs. Sofonisba, Ippolito, Tigrane, Arsace. la Finta Schiava, —
Ipermeslra aussi, — et surtout Demofoontc, nous sont connus par
des airs détachés, exemplaires, pour la plupart uniques, d'an-
ciennes copies dont l'ensemble forme un recueil en cinq vo-
lumes appartenant à la Bibliothèque du Conservatoire de Paris.
Tous les airs de Demofoonte, notamment, s'y trouvent : il n'y
manque, pour que la partition soit complète, que les récitatifs
et l'ouverture (celle-ci est sans doute une de ces « Symphonies »
de Gluck, qu'on trouve éparpillées, sans titres, dans diverses
bibliothèques, et qui n'étaient que des ouvertures d'opéras).
Puis donc que cet opéra, le troisième ouvrage de Gluck, a pu
être si parfaitement reconstitué, c'est lui que nous prendrons
pour type de son œuvre en cette première période de sa car-
rière, et que nous étudierons particulièrement.
Mais les récitatifs, avons-nous dit, manquent, et si nous
considérons l'étendue des scènes imprimées dans le poème de
Métastase, il semble que ce soit beaucoup. La vérité est que
ce n'est rien. Nous connaissons assez le style du récitatif d'opéra
italien au XVIIIe siècle pour savoir que, comme musique, il n'y
a là qu'une notation indifférente et formulaire de paroles, sans
accent comme sans contour. Ah! combien l'Italie avait oublie
ses origines musicales, celles du moins de cet opéra dont elle
était si glorieuse, et qui, en effet, était né chez elle, environ
cent cinquante ans avant la venue de Gluck! La langue musicale
avait bien changé; enrichie par de certains côtés, elle avait perdu
le secret de ce beau style récitatif qui constituait à lui seul toute
la musique du primitif opéra florentin, et que Monteverde
rehaussa de ses audacieuses et parfois déconcertantes harmonies.
L'école napolitaine, qui imposa sa règle à tout le dix-huitième
siècle musical, avait pris à tâche d'éliminer du récitatif tout ce
qui est vraiment musique, pour le reporter seulement sur les
airs. Si grand était son dédain qu'elle ne le jugeait même pas
digne d'un accompagnement sérieux : quand un air était fini,
l'orchestre s'arrêtait, laissant au clavecin, soutenu par de lourdes
basses, le soin de maintenir dans le ton les voix récitantes en
plaquant quelques accords; après quoi, le tour d'un nouvel air
étant revenu, les instruments rentraient et attaquaient une
ritournelle, marquant bien qu'en cet endroit seulement la vraie
musique allait commencer.
Gluck, qui, lorsqu'il écrivit Alcesle et sa préface, avait passé
vingt-cinq ans de sa vie à écrire dans cette forme obligatoire,
pouvait donc en être à bon droit lassé, et c'est en pleine con-
naissance de cause que, parmi les articles de sa protestation
célèbre, il put inscrire celui-ci : « Il ne faut pas laisser dans le
dialogue une disparate tranchante entre l'air et le récitatif »,
car cette disparate était aussi complète qu'il fût possible, ayant
pour termes de comparaison ces deux objets : l'œuvre organisée,
et le néant.
De fait, cet état dans lequel était tombée la déclamation musi-
cale avait été suivi d'une punition aussi immédiate que juste,
par l'accord unanime avec lequel le public de toute l'Italie
s'était, à l'Opéra, désintéressé du drame. C'était bien la peine
alors d'avoir un Métastase pour poète, et de le couronner de
lauriers authentiques ! Tous les témoins sont d'accord là-dessus,
et. avec une candeur qui fait parfois sourire, nous font l'exposé
d'une situation à la réalité de laquelle nous aurions peine à
croire si tant de gens n'étaient là pour nous affirmer qu'elle fût
bien telle. Il était entendu qu'on ne devait venir à l'Opéra que
pour entendre chanter des airs, — quelques airs, choisis à
l'avance, d'après leurs interprètes: et quand le musico ou la
prima donna avait achevé ses prouesses vocales, les spectateurs
se retiraient au fond des loges pour jouer aux cartes ou aux
échecs, prendre des glaces ou manger de la pâtisserie. « Les»
42
LE MENESTREL
échecs, dit le président de Brosses, sont inventés à merveille
pour remplir le vide de ces longs récitatifs, et la musique pour
interrompre la trop grande assiduité des échecs. » Voilà qui va
le mieux du monde! « J'aime tant causer pendant qu'on joue du
piano », disent aujourd'hui les dames au cours des réceptions
mondaines! Rien n'est changé. Il n'est pas jusqu'aux plus en-
thousiastes qui ne confirment ces indications par leur propre
attitude. Jean-Jacques Rousseau, qui ne sait parler des opéras
italiens que sur le ton de l'extase, nous révèle, dans ses Confes-
sions, quel genre de plaisir il y trouvait : il conte qu'à Venise,
las de passer les représentations à « babiller, manger et jouer
dans les loges ». il se dérobait souvent à la compagnie pour
aller écouter à sa guise. Il advint qu'un soir il s'endormit pen-
dant la représentation, et si profondément que « les airs brillants
et bruyants » ne le réveillèrent point; mais il fut tiré de son
sommeil par un chant si ravissant qu'il se crut en paradis! Le
charme de la musique italienne est assurément fort bien défini
par cette anecdote. Mais n'en pourrait-il pas être tiré une
autre conclusion, à savoir qu'un des effets produits par cette
musique sur Jean-Jacques Rousseau était de le faire dormir ? (1).
Consolons-nous donc de la perte des récitatifs que Gluck écri-
vit pour ses premiers opéras, et tenons-nous en à ses airs, où
nous avons chance de trouver des qualités plus personnelles et
plus musicales.
Mais d'abord, puisque nous avons choisi Demofoonte pour don-
ner une idée de ce qu'étaient les opéras de Gluck à cette pre-
mière période de sa carrière, il convient, si peu d'importance
qu'ait le drame par rapport à la musique, que nous en résumions
à grands traits le sujet.
Le Demofoonte de Métastase avait été mis pour la première fois
en musique en 1733 (neuf années par conséquent avant Gluck)
par Galdara, et représenté à Vienne. Il fut remis en musique,
jusqu'à trente- deux fois sous sa forme originale, par les compo-
siteurs suivants : Schiassi (1735), Duni (id.), Ferandini (1737),
Latilla (1738), Lampugnani (id.), Léo (1741), Gluck (id.), Verocai
(1743), Graun (1746), Hasse (1748), Pérez (1752), Sarti (17S3),
Cocchi (1754), Jomelli (1760), Piccini (1762), Majo (1764), Pam-
pani (id.), Bernasconi (1765), Vento (id.), Wanhal (1770), Anfossi
(1773), Paesiello (id.), Schuster (1776), Bianchi (1783), Tarchi
(1786), Gatti (1787), Prati (id.), Pugnani (1788), Brunetti (1790),
Federici (1791), Portugal (1794). Deux adaptations allemandes
furent mises en musique par Kozeluch (Prague, 1775), et Lind-
paintner (1811) (2); enfin la tragédie de Demophoon fut par deux
fois, à deux années de distance (la première fois aux premiers
jours de la Révolution), admise sur la scène de l'Opéra français,
mise en musique par deux maîtres étrangers, Cherubini (1788)
et Vogel (1789). L'inévitable Marmontel était l'auteur des paroles
de la première de ces deux partitions.
Les personnages de ce poème appartiennent au cycle de
l'épopée homérique. Démophoon, fils de Thésée et roi d'Athènes,
est cité parmi les guerriers qui prirent part au siège de Troie.
Au retour de la guerre, il épousa une princesse de Thrace ; la
tragédie de Métastase nous le montre roi de ce pays.
(1) Il serait curieux de savoir si Gluck et Jean-Jacques Rousseau, qui devaient
entretenir par la suite des relations sympathiques, se sont trouvés joints dés leur
premier séjour simultané en Italie. Rousseau, secrétaire de l'ambassade française
près la République de Venise, passa dans cette ville un peu plu? d'une année, du
printemps de 1743 au mois d'août 1744. Gluck y avait donné Demelrio un an aupa-
ravant (mai J742) ; il n'apparaît pas qu'en 1743, occupé de Demofoonte, Tigrane, Ar-
sace et Sofonisba, il se soit éloigné beaucoup de la région milanaise, liais la Finta
Schiava, à laquelle il donna quelques airs, fut représentée il Venise en mai 1744 et
il est d'autant plus naturel de penser qu'il était alors dans la ville cju'il avait à com-
poser pour l'automne la partition d'Ipermestra, donnée au même théâtre de Samt-
Chrisostome, si favorable au sommeil harmonieux de Jean-Jacques Rousseau. Rien
pourtant n'autorise à penser que les deux futurs grands hommes aient fait connais-
sance h cette première occasion de rencontre. — Notons encore, pour montrer à quel
point ils évoluaient dans le même cercle, qu'une lettre de Jean-Jacque3 Rousseau
du 23 juillet 1743, parle d'une affaire des hussards du prince de Lobkowitz.
(21 Cette énumération est donnée d'après VOpcrn-Hanbuch d'Huco Riejianm. JV
corrigé au passage la date, légèrement inexacte, de l'opéra de Gluck, que ce diction-
naire fixe à 1741. Il est vrai que l'ouvrage fut composé pour la saison du carnaval de
cette année-là; mais la première représentation en fut donnée le lendemain de Noël
donc en 1743 id'ap. Wotquekne, Catalogue de Gluck). Si le reste contient des
erreurs analogues, j'en dégage ma responsabilité.
Par une double réminiscence de la légende du Minotaure et
de celle d'Iphigénie, la Thrace est obligée par un oracle de sacri-
fier chaque année aux dieux une jeune vierge. Le sort a désigné
pour victime Dircea, fille (ou crue telle) de Matusio, grand du
royaume. Or, Dircea est unie par un mariage secret au prince
Timante, fils aine (ou cru tel) du roi, et elle est mère. Après beau-
coup d'explications, terminées par l'aveu de la situation (laquelle
ne permet pas que Dircea soit sacrifiée, puisque le dieu veut
une vierge), les deux coupables sont jetés en prison. Pourtant
le roi s'apaise. Mais voilà qu'au moment où il va pardonner se
produit le fatal coup de théâtre : Matusio, qui n'a rien vu, vient
annoncer à Timante, en se réjouissant fort, que Dircea n'est pas
sa fille, mais la fille du roi, laquelle lui fut confiée dès sa nais-
sance pour des raisons qu'il est inutile d'approfondir. Mais alors,
cette épouse, la mère de son enfant, c'est sa sœur ! . . . Bien
entendu tout s'arrange, et l'on apprendra au dénouement cet
autre secret : queTimante, de son côté, n'est pas le fils du roi,
mais celui de Matusio. Les pères se repassent donc mutuelle-
ment leurs progénitures, et tout le monde est content. — A ces
marionnettes chantantes s'ajoutent un autre fils du roi, Cherinto,
qui, plus jeune que Timante, pensait n'être pas l'héritier du
trône, et une princesse de Phrygie, Creuse, venue pour épouser
Timante ; Cherinto est amoureux d'elle ; mais comme elle veut
être reine, elle ne saurait accepter l'hommage d'un cadet : le
dénouement arrange encore cela. Un capitaine des gardes, castrat
comme un primo uomo, chante encore deux ou trois airs.
Est-il besoin, après cette analyse d'une pièce qui parvint à
retenir l'attention du public et des artistes pendant trois quarts
de siècle, de mettre en relief le caractère factice de l'opéra
italien, si ses meilleurs produits sont ce que nous venons de
voir ? Ces histoires de substitutions d'enfants sont d'un ridicule
achevé, et aucune impression de vie ne put se dégager de si
conventionnelles intrigues. Quant à la forme, elle ne vaut pas
mieux que le fond. Des dialogues inertes, suivis d'airs parfois
sans liaison avec eux, et cela recommençant vingt ou trente
fois de suite, voilà tout Demofoonte, et voilà tout l'opéra selon
Métastase. Même une situation exceptionnelle comme celle du
sacrifice ne donne lieu à aucun changement de ton. Bientôt,
pourtant, Gluck avec les Jphigénies et Alceste, Mozart avec
Idoménée, vont montrer à quelle hauteur la musique d'opéra peut
atteindre en traitant ces sortes de scènes : mais ici, ni le dialogue,
ni la musique ne subissent d'influence particulière ; l'action pour-
rait aussi bien se dérouler dans un vestibule, ou dans la chambre
de la princesse, il n'y serait pas parlé autrement que dans le
temple. Là, tandis qu'est préparé l'appareil religieux, si favo-
rable au développement musical, les comparses garnissent la
scène, mais ils restent muets, car il n'y a pas de chœurs dans
ces opéras ; pendant ce temps, le long et insipide dialogue au
clavecin continue à se dérouler à l'avant-scène, terminé par un
air, qui n'a même pas l'avantage ici d'être un des plus caracté-
risés qu'il y ait dans l'œuvre. Tout cela est affreusement
morne.
Nous voilà donc de plus en plus autorisés à ne voir dans
l'opéra de Gluck qu'une collection d'airs. Et ici, au moins, nous
allons trouver des satisfactions, qui parfois même seront grandes.
(A suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THÉÂTRALE
Théâtre de l'Athénée. — Première représentation du Boute-en-Tram,
comédie-vaudeville en trois actes, de M. Alfred Athis.
Cette pièce a conquis dès l'abord le public par sa gaité franche et de
bon aloi, provoquée par des situations d'un comique irrésistible. Le
rire, dont rien de trivial ni de grossier ne vient contrarier l'essor, s'y
déploie en toute liberté, dans l'aisance et le naturel d'un enchaînement
défaits ingénieux et imprévus. L'intrigue s'y noue et s'y dénoue au
milieu d'incidents invraisemblablement fous, mais logiques si l'on
LE MENESTREL
'i:;
accepte une ibis le grossissement de l'optique vaudevillesque. Gela
rappelle un peu la comédie italienne, parfois lourde et cependant tou-
jours folâtre, mouvementée et amusante.
Léa Tasselin. demi-mondaine, sur le retour. Théodore Poulette,
homme à tout faire, Malardier, maire de Villerhœuf, en Normandie,
propriétaire de terrains à bâtir et tenaueier de l'auherge-tripot, unique
dans l'endroit, voilà le trio d'aigrefins autour duquel vont graviter les
autres personnages de la pièce. Il s'agit de lancer la plage de Viller-
hœuf. Malardier, Poulette et Léa, maitresse de ce dernier, sont trois
larrons en foire, avec cette nuance que les deux derniers sont d'accord
pour flouer le premier. Poulette n'a pas un sou vaillant et il se fait
passer pour un des fonctionnaires influents du prince Ernest de Syl-
vanie. Grâce à lui, Léa aidant, la plage pourra devenir à la mode. On
va essayer d'y attirer le prince Ernest, et, pour flatter sa vanité, le
tripot Malardier prend pompeusement pour enseigne : « Hôtel de Syl-
vanie ». Toutefois, il n'y a encore que trois voyageurs dans la maison :
le couple conjugal Radinotet l'ami de ce couple, Brizard, surnommé
le boute-en-traiu. Est-ce par ironie qu'il est ainsi qualifié? On pourrait
le penser, car, malgré ses efforts, sa mine reste longue d'une aune.
C'est qu'il a perdu au pocker une somme de six mille francs, à lui
confiée par Radinot pour solder les dépenses communes, et son aveu,
fait à M™0 Radinot dont il est l'amant, ne peut avancer beaucoup ses
affaires.
Sur ces entrefaites, une nouvelle à sensation se répand. Le prince
Ernest vient de quitter Paris, enlevant une jolie aventurière, Nini
Gobbler. S'il pouvait venir à Villerbœuf, quelle aubaine ! Dans la
journée tombe en trombe, à l'hôtel de Sylvanie. le comte de Vavin-
court, hurlant comme un possédé. C'est à lui qu'a été ravie la belle
Nini : il la réclame à tous les échos de Normandie et veut tuer son
rival. Il donne le signalement des amants fugitifs, mais si vaguement
que chacun reste convaincu à Villerbœuf que les trois voyageurs des-
cendus d'abord à l'hôtel, rnonsieu'r. madame Radinot et Brizard, sont,
les deux premiers un officier d'ordonnance du prince Ernest et Nini
Gobbler. le troisième le prince Ernest lui-même.
Aussitôt, tout le village est en émoi; la plage va donc enfin devenir
célèbre. La fanfare de l'endroit vient, suivie de l'orphéon, jouer et
chanter sous les fenêtres de la chambre du pseudo-prince, c'est-à-dire
de Radinot. Celui-ci. croyant à une mystification préparée par le boute-
en-train Brizard, entre dans le jeu avec sa femme, qui trouve très
piquant de passer pour Nini Gobbler. Radinot répond aux hommages
de la population pendant que trio équivoque. Léa. Malardier et Poulette
sont au troisième ciel. Mais voici bien une autre histoire ; le vrai
prince, l'authentique Ernest de Sylvanie. flanqué de l'aimable Nini,
en chair et en os. arrive à son tour. Chacun s'accommoderait très bien
de sa présence à l'exception de Poulette, qui s'est donné de tels titres et
qualités à la cour de Sylvanie. que le moindre mal qu'il puisse atten-
dre est d'être traité publiquement d'imposteur et de perdre tout crédit
auprès de Malardier. Voulant faire partir le prince, il lui envoie uue
lettre signée : « Un de vos sujets indignés » pour lui reprocher les
scandales de sa vie. Là-dessus, l'explosion de je ne sais quelle arme à
feu fait croire à un complot anarchique. La police s'assure de tout le
monde et met en péril bien des secrets intimes que les intéressés
aimeraient à cacher. Finalement, rien de fâcheux ne se produit et le
scandale de toute cette atfaire suffira amplement à lancer la plage.
L'interprète hors pair de cette comédie-vaudeville est M. Galipaux :
il s'y montre le plus amusant des humoristes. Après lui on peut citer
Mmes Duluc, CavelL, Ael. Magda, Simon; MM. Bullier. Clément, André
Lefaur. etc. Le succès a été complet.
Théâtre du Gymnase.— Première représentation du Bonheur de Jacqueline,
comédie en quatre actes, de M. Paul G-avault.
C'est une pièce aimable et gentille, d'une saveur délicate, telle que l'on
pourrait en tirer des romans de Jules Sandeau ou d'Octave Feuillet.
Fernand et Jacqueline ont été élevés ensemble comme frère et sœur.
Jacqueline, dont la mère s'est remariée après l'avoir mise au monde,
a été confiée à la famille de Fernand ; les deux enfants ont grandi côte
à côte et viennent d'atteindre l'âge où naissent les désirs d'aimer.
Fernand chérit Jacqueline sans le lui avoir jamais déclaré; Jacqueline
aime aussi Fernand d'une affection intime et profonde, mais qu'elle
croit toute fraternelle. Très peu de chose sépare ce couple que l'amour
devrait réunir ; presque rien : un beau diseur, un homme sans cœur
et sans principes qui a captivé Jacqueline. Celle-ci trop habituée à Fer-
nand pour trouver en lui l'imprévu qui éveille dans l'âme un sentiment
nouveau, s'est donc laissé faire la cour par M. deLignières et va l'épouser.
Exquise toutefois jusque dans son envia-, la jeune tille a un scrupule;
si Fernand m'aimait ! songe-t-elle. I ir, c'est de le
lui demander à lui-même. Cela d<
charme triste et pénétrant. « Peut-être l'id er tous est-elle
venue. Fernand, dit la jeune fille' : si je vous la prête un instant.
comprenez-moi bien, ce n'est pas pour qu'elle s'éveille en vous, mais
pour vous demander de la formuler sans crainte -i elle existait. Elle
me rendrait très lier,;: votre petite Jacqueli i ■ is appartient trop
pour ne pas quitter tout et revenir droit ous l'ap-
pelez. »
Fernand l'appellerait de tous ses vœux dans le nid conjugal qu'il
n'ose plus rêver, maie, pensant qu'elle aime M. de Lig .il pré-
fère se sacrifier à son bonheur. Il lui déclare qu'il n'a pour elle que de
l'amitié, qu'une sympathie profonde; et, au moment même ou ce
mensonge désespère son âme en lui arrachant L'espérance, la joie et
L'allégresse animent le visage de Jacqueline, la rendant mille fois belle'.
mille fois désirable. C'est une jolie situation, aimablement impres-
sionnante en sa petite note pathétique.
On devine ce qui doit s'ensuivre. A peine mariée. Jacqui
malheureuse. Son mari la trompe avec une dame américaine, mistress
Beggs, et Fernand fait l'impossible pour qu'elle ne s'en aperçoive
point, croyant qu'elle en serait inconsolable. Il po
jusqu'à prendre à sa charge les aventures scandaleuses du
repondre en son lieu et place à une provocation en duel. C'est aller un
peu loin peut-être, mais la situation est théâtrale.. Si M. de Ligniéres
laisse un autre se battre pour lui, on le traitera de làcheet il sera disqua-
lifié : s'il accepte d'aller sur le terrain, sa femme saura tout. Cette désa-
gréable affaire est arrangée grâce à l'intervention de M Ravenel,
mère de Fernand, mais c'en est fait de la paix du ménage de Jacque-
line; la jeune femme, mise en demeure de renoncer à son amitié pour
Fernand, quitte le foyer conjugal, et. désabusée, blessée, meurtrie,
vient se blottir dans les bras de son ami d'enfance, sûre d'y rencontrer
toujours asile et protection. Le divorce est là pour permettre de renouer,
au nom de l'amour, les liens commencés sous l'égide fraternelle : Jac-
queline aura enfin trouvé le bonheur.
Mme Marthe Régnier joue avec une sensibilité doucement émue le
rôle de Jacqueline; sa grâce enveloppante et l'accent suave de ses in-
flexions convenaient particulièrement ici, et lui ont assure un.de ses
meilleurs succès. M. Abel Tarride personnifie avec gravite le jeune
amoureux qui se montre si enclin à se sacrifier : il s'est habilement
acquitté d'une tâche très difficile. M"" Anna Judic. sachant admirable-
ment se comporter et dire, a été charmante de distinction, de beauté,
d'indulgence, en représentant Mme Ravenel. 11 faut mentionner encore
Mme Félyne et MM. Charles Lamy, Henry Buguet, Joffre et Jean Dax.
La pièce a été présentée avec l'élégance et la recherche qui sont la
coquetterie du théâtre du Gymnase. Amédée Boitarel.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts-Colonne. — L'ouverture de Lêonore, brillamment exécutée, et
le Rouet d'Onipluile de Saint -Saêns, accueilli avec son habituel succès, précé-
daient sur le programme le « poème symphonique pour orchestre et chœur »
Psyché, de César Franck. M. Colonne sait, comme il convient, mettre toujours
en valeur le coté poétique et mystérieux, la tristesse recueillie ou désespérée
qui sont caractéristiques dans les œuvres de ce maître. Ainsi, pour donner
plus de charme à la légende antique de Psyché, il a relégué derrière les cou-
lisses le soliste et les chœurs. Les voix arrivaient, par suite, dans une sorte de
recul, comme tamisées par l'éloignement et semblaient descendre des hau-
teurs d'un palais de rêve. Le procédé n'est pas nouveau, mais il est toujours
utilisé avec succès au Chàtelet et produit chaque fois une très heureuse im-
pression. César Franck n'a pas réalisé dans Psj/c/ie une œuvre de tous points
féniale ou même constamment inspirée. L'obligation de sacrilier dans une
certaine mesure la musique pure à la musique descriptive a peut-être gêné
son essor: on pourrait supposer aussi que le sujet, empreint d'une volupté
toute profane, qu'il avait choisi, n'a pu s'adapter qu'imparfaitement aux ten-
dances de son caractère et aux besoins de son tempérament: mais, s: Psyché
reste une œuvre inégale, si l'on peut trouver un peu dépourvus d'invention,
quoique mélodieux et agréables, le Sommeil de Psyché, Psyclté i ii/i Déi
phirs et quelques autres fragments, d'autres pages sont admirables et renfer-
ment des oppositions de sentiments très heureusement exprimées d'où
naissent des développements pathétiques et pénétrants. Sous ce rapport ou
peut citer les tableaux Eros et Psyché. Souffrances et ravissement tfe Psyché, etc.
Tous les contrastes, M. Colonne les a supérieurement indiqués. MUe Hélène
Mirev, chargée des soli, possède une voix très étendue et d'une grande pu-
reté.Elle a "chanté avec beaucoup de style les plaintes de la troisième partie
qui précède le chœur : Amour, elle a connu ton nom. — La deuxième partie du
44
LE MENESTREL
programme comprenait des fragments wagnériens. M. Van Dyck s'est prêté
de bonne grâce aux exigences d'un public ravi de l'entendre : il a bissé le
Chant de la forge de Siegfried et le lied du printemps de la Walkyrie. Il inter-
prète ce dernier avec une exaltation croissante et en clame presque les me-
sures finales, pendant que l'orchestre reprend avec force le thème d'amour.
Le récit de Loge de l'Or du Rhin a été peu apprécié, mais l'assistance tout
entière a prodigué à M. Van Dyck des ovations sans fin et pleinement justi-
fiées. Le prélude de Parsifal, les Murmures de la forêt et la Chevauchée des Wal-
kyries ont été très bien rendus par l'orchestre.
AsiÉDÉE BdDTAREL.
— Concerts-Lamoureux. — Une nouveauté, pour Paris, corsait le pro-
gramme du concert de dimanche. Les Variations et Fugue de Max Reger,
compositeur allemand, professeur au Co iservatoire de Leipzig et titulaire de
la chaire de musique à l'Université de cette ville, constituent, je no dirai pas
un morceau de choix, mais un de ces plats de résistance où la santé et un
robuste estomac trouvent leur compte, plutôt qu'un goût raffiné et délicat.
Est-ce à dire que cette vaste composition soit sans valeur ? Non certes! et
l'on ne saurait sans injustice lui dénier une ingéniosité dans l'agencement,
une habileté dans l'orchestration qui imposent le respect. Mais voilà ! M. Max
Reger est savant, très savant, et il le montre, il le souligne, — d'abord par
le choix même du thème, d'une rare insignifiance, qu'il a emprunté à Adam
Hiller, ensuite par la mégalomanie, l'enflure de ces variations et surtout de
cette Fugue interminable, en dépit de son habileté technique. Le public
agité de sentiments contradictoires a manifesté diversement son appréciation.
M. Fritz Stoinbach conduisit avec autorité ce lourd et indigeste morceau de
pédagogie musicale, où l'on chercherait en vain une émotion vraie et autre
chose qu'une indifférente rhétorique. — Les Six Danses Allemandes de Mozart,
même avec l'instrumentation « additionnelle » de M. Steinbach, n'ajoutent
> rien à la gloire de l'auteur de Don Juan. Le moins qu'on en pui-se dire est
qu'elles ont fait sourire et, quand on rit, on est désarmé [Celles du Canari,
de la Vielle, et des Traîneaux sont desamusettes que la solennité du cadre fai-
sait paraître quelque peu empruntées. — La Ie Symphonie de Schubert, que
Schumann admirait fort et qu'il fitpiur la première fois exécuter aux Concerts
du Gewandhaus de Leipzig en 1839 (la date de la composition est de 1S2S. l'an-
née même de la mort de son auteur), contient des pages de tout premier
ordre qui font d'autant plus regretter les longueurs et les redites dont pres-
que aucune œuvre de Schubert n'est exempte. Néanmoins on l'entendit avec
plaisir, ainsi que l'ouverture de Léonore (n° 3) de Beethoven qui ouvrait le
programme. .1. Jemain.
— Programmes des concerts de demain dimanche :
Concerts- Colonne (Théâtre du Chàteletj, à deux heures et demie :
Ouverture de Tannhauser (R. Wagner). — Suite en ré (J.-S. Bach) : Aria. — Deux
mélodies (1™ audition) (Georges Brun) : a) La Neige (Armand Silvestre), b) Marine
(Paul Bourget) : M"" Laute-Brun. — Fantaisie pour piano, avec orgue (A. Périlhou)
(l™ audition) : M. Georges de Lausnay. — Danse de Salomi (R. Strauss). — Sympho-
nie en ut mineur, avec orgue (C. Saint-Saëns) il" audition aux Concerts-Colonne) :
orgue, M. Gabriel Pierné; piano, M. et M"' Georges de Lausnay. — Rondo cappric-
cioso (C. Saint-Saëns) : M. Firmin Touche. — Siegfried : Les Murmures de la Forêt
(R. Wagner), redemandé. — La Chevauchée dis Walkyries (R. Wagner), redeman-
dée. L'orchestre sera dirigé par M. Ed. Colonne.
Concerts-Lamoureux (salle Gaveau, 45, rue La Boëti*) :
Ouverture de la Flûte enchantée (Mozart). — Symphonie en ré mineur (César
Franck) : I. Lento; Allegro non troppo. — IL Allegretto. — III. A'iegro non troppo.
— Préludes de Miarka (Alex. Georges) ; a) premier prélude (Mon de Miarka) ; b) deu-
xième prélude (Pastorale et Marche romane) (première audition aux Concerts-
Lamoureux). — Conc-rto pour piano (Rimsky-Korsakow), M. Ricardo Viiies. —
Gwendoline (prélude du deuxième acte) (Chabrier). — Mazcppa (poème symphonique)
(Liszt). — Orchestre sous la direction de M. André Messager.
Concerts-Populaires (3 heures, Marigny) :
Symphonie inachevée (Schubert). — Lohengrin (rêve d'Eisa) (Wagner) : M"" Hélène
Lequiens. — Concerto en ut majeur, pour deux pianos et orchestre (Bach) :
M"' Mary Weingartner et M. SakolT Grunwaldt. — Patrie (Bizet). — Manfied (Schu-
mann) : a) Entr'acte; b) Sans des Vaches : cor anglais, M. Mathieu; c) Apparition de
la Fée des Alpes ; d) Dans un jardin (Ed. Combe) : M"' Lequiens. — Danse persane
(Guiraud). — Chef d'orchestre : M. Fernand de Léry.
— La 2e séance de la Fondation Bach dirigée par le violoniste Charles Bou-
vet a eu lieu salle Pleyel. Consacré exclusivement à Mozart, le programme
comprenait le quatuor en ré majeur pour cordes, la sonate pour piano et vio-
lon en sol majeur et ïe quatuor piano et cordes en sol mineur. Prenaient part
à l'exécution MM. Charles Bouvet, R. Marthe, J. Jemain, P. Brun et Gra-
vrand. M. Plamondon chanta de sa voix pure l'air à'Idoménée et trois courtes
pièces composées par Mozart sur des paroles françaises et dont deux furent
bissées. Tous les interprètes de cette intéressante séance furent très applaudis
par un public nombreux.
— Les matinées du Gymnase (Fondation Danbé) ont repris leur cours régu-
lier. Mercredi dernier on a applaudi un intéressant quintette pour piano et
instruments à cordes de Léo Sachs joué par M. Galeotti et le. quatuor Soudant
puis la sonate en ut mineur de Beethoven pour piano et violon et Varia de
Bach qui eut les honneurs du bis. Mme Marie Capoz, remplaçant Mme Raunay
indisposée, a été très apppéciée pour sa voix pure, sa diction claire et expres-
sive daus trois airs classiques et le Colibri d'Ernest Chausson. — La 7= matinée
aura lieu le mercredi 12 février avec le concours de MM. Théodore Dubois
Risler, Plamondon, MUe Demougeot et M. Gilly de l'Opéra.
— Lr 28 janvier, salle Erard, a eu lieu le 37e concert donné par la Société
instrumentale d'amateurs « la Tarentelle », avec le concours de M1Ie Renée
Billard et de M. Jan Reder. La première, toute jeune violoniste de grand
talent, a joué à ravir le Concerto de Mendelssobn. Le second a chanté, avec
beaucoup d'expression et de style, le Lamento de G.-R. Simia, pour chant et
orchestre, sur des paroles de Verlaine, et l'air d'Agamemnon, A'Iphigénie en
Aulide. On a entendu les Paysages normands, de Georges Sporck. très pitto-
resques et fort bien écrits, et, pour finir, les Erimiyes de Massenet. Il faut
louer une fois de plus l'excellente direction d'Edouard Tourey et l'exécution re-
marquable, la cohésion, la souplesse qu'il sait obtenir de son orche.-tre.
— La Société Haydn-Mozart-Beethoven (M,ne Edouard Calliat, MM. Calliat.
André Bittar, Le Métayer, Mlle Adèle Clément") donnera sa deuxième séance
de musique de chambre, le mercredi 12 février, à 9 heures du soir, salle Pleyel.
24, rue Rochechouart.
— Raoul Pugno va donner, salle Pleyel, trois concerts avec le concours de
Mlle Suzanne Cesbron. Ces trois séances auront lieu les vendredi 14, mardi 18
et vendredi 21 février. La première séance donnée avec le concours de
MM. Ed. Nadaud et Ph. Gaubert sera consacrée à la musique ancienne. Le
programme de la seconde ne comprend que des oeuvres de Schubert et de
Schumann, et celui de la troisième sera consacré à Chopin, Franck, Fauré,
Duparc et à deux premières auditions d'oeuvres de Raoul Pugno (Paysages.
suite pour piano, et les Cloches du Souvenir, cycle de mélodies interprétées par
Mlle Cesbron). La location sera ouverte le 4 février.
— Le 3e concert mensuel de la « Schola Cantorum » aura lieu à la salle
Gaveau, 43, rue de La Boêtie, le mercredi 12 février à 9 h. du soir. On y
donnera une grande sélection d'Euryanlhc, opéra romantique en 3 actes de
Cari Maria Von Weber (1823). Soli, chœurs et orchestre de la Scholo Canto-
rum ( 130 exécutants) sous la direction de M. V. d'Indy.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour les seuls abonnés a la musique)
Et voici encore un charmant numéro des Idylles et chansons de Jaques-Dalcroze :
Au bois de l'amour : c'est un peu compris dans la style populaire des fameuses Chan-
sons romandes du même auteur, mais d'un art plus raffiné. Cela fleure bon le thym
et la rosée; cela vit, cela court, avec, quand il le faut, une pointe de poésie et d'émo-
tion. Voila l'œuvre d'un musicien exquis, aussi loin de la banalité que des recher-
ches oiseuses. M. Jaques-Dalcroze est un musicien de belle santé.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De New-York : On affirme qu'entre M. Conried et les administrateurs
du Metropolitan Opéra un arrangement vient d'intervenir, en vertu duquel
M. Conried, en consentant, à la fin de la saison courante, à la résiliation de
son contrat, recevra la somme de 230.000 dollars à titre de dommages inté-
rêts. Le contrat de M. Conried n'expire, en effet, que dans trois ans. Conclu
primitivement pour une durée de cinq ans, il avait été prorogé, il y a que -
ques années. M. Conried continuera, jusqu'à celte date, à toucher son traite-
ment directorial qui est de 20.000 dollars par an, mais il n'aura plus droit à
sa part de dividendes qui s'élevait à une moyenne de 13.000 dollars par an.
Ce sont là des conditions très avantageuses pour M. Conried. Elles s'expliquent
par le fait qu'il dispose du droit de contrôle sur la moitié des actions plus
une de la Société. Dans cet état des choses, seul un arrangement à l'amiable
pouvait aboutir à une résiliation de contrat. La musique française n'aura pas
à regretter le départ de M. Conried. Il l'avait à peu près complètement
exclue de ses programmes.
La crise financière américaine est loin d'être terminée, et deux grandes
banques, parmi lesquelles la New Amsterdam National Bank, viennent encore
de faire faillite. Malheureusement, la New Amsterdam a parmi ses dépôts les
fonds de l'Opéra Métropolitain do New-York et de nombreux artistes. C'est
ainsi que le ténor Caruso, qui n'a décidément pas de chance aux Etats-Unis,
avait déposé dans cet établissement 200.000 francs, le ténor Bonci 30.000
francs. M",e Cavalieri 40.000 francs et miss Ethel Jackson tout ce qu'elle avait
gagné avec ta -logeuse Veuve.
D'après une correspondance de New-York, M. Cari Muck, qui abandonna
en 1906 les fonctions de chef d'orchestre de l'Opéra-Royal de Berlin pour aller
diriger les concerts symphoniques de Boston, reviendrait prochainement à
Berlin. On no sait encore s'il renoncera complètement à poursuivre sa carrière
en Amérique ou s'il a l'intention de la reprendre après un séjour en Europe.
Il existe dans l'État de Michigan (États-Unis) une loi assez singulière
qui proscrit sévèrement sur les théâtres tout épisode qui, de quelque façon
que ce soit, peut faire naître ou aviver dans le public la passion du jeu. On
donnait récemment dans une ville de cet Éiat ta Gioconda, de Ponchielli. Or,
on sait qu'au premier acte de cet ouvrage les ouvriers et les gens du peuple
sont fortement occupés a jouer aux dés. Le premier soir tout se passa tran-
quillement; mais le second jour, les gens de police avertis envahirent la
scène, arrêtèrent les joueurs et firent cesser le spectacle.
LE MÉNESTREL
V-j
— Recherches nouvelles sur l'origine du fènl save tlie King. —Un professeur
île musique de Genève, M. H. Kling, vient de faire connaître l'intéressant
résultat d'investigations qu'il a faites pour arriver à découvrir la provenance
de la mélodie initiale devenue si célèbre depuis que l'Angleterre en a fait son
chant national. Toutes les personnes qui ont voyagé dans la Suisse allemande
en prenant contact avec la population n'ont pu manquer d'entendre chanter
l'air du Gode save the King sur les paroles suivantes : « Heil dir im SUgef-
kranz, rufst Du mein Vaterland i>. Jusqu'à présent, l'on avait attribué la
composition de cet air à John Bull, Carey. Smith, Purcell, Lully. Haendel
et Schumacher. M. Kling pense en avoir trouvé l'origine dans un vieux
chant genevois : « Ce qu'é l'Aino ». Ce chant aurait été chanté pour la
première fois à un banquet politique, en 1603, pour célébrer la victoire des
Genevois sur les troupes du duc do Savoie en 1602. Des anglais recueillirent
la mélodie e1 la perlèrent on Angleterre, où l'organiste John Bull en fit un
arrangement pour une fête en l'honneur de Jacques Ier, en 1607. Le chant s'im-
planta peu à peu dans le pays et devint chant national. L'air se retrouve en France
au commencement du dix-huitième siècle. Lully eu aurait transcrit la musique.
Mnle de Brisson y aurait adapté dos paroles, et le morceau serait ainsi devenu un
hymne à la gloire de Louis XIV. Hiendel. de son cùté, en aurait fait une ver-
sion pour le roi Georges de Hanovre. Ensuite la mélodie passa en Allemagne
par la voie du Danemark. Le pasteur Henry Harries en avait fait un chant
d'anniversaire pour le roi Christian VIE et ce chant fut publié en 1700. Les
paroles formaient onze versets. Schumacher, qui modifia le texte vers 1793,
pour qu'il pût servir en Prusse, réduisit à cinq le nombre des strophes. Au
commencement du dix-neuvième siècle, la mélodie se répandit en Suisse et
revint ainsi à son point de départ. Zwissig y adapta un texte nouveau qui a
été traduit en français et en italien. Tels sont les renseignements nouveaux
que M. Kling a versés au débat toujours ouvert sur la composition du (loti
save the King. Nous les reproduisons à litre documentaire et naturellement
sous réserve.
— Le public anglais commencerait-il à avoir a9sez des programmes indi-
gestes des immenses concerts qui lui sont offerts quotidiennement? Le Mnsi-
rnl Kmes poursuit depuis quelque temps une campagne vigoureuse contre les
séance» musicales qui n'en finissent pas, et il demande instamment que la
durée des concerts ne dépasse pas deux heures.
— Au mois de juillet prochain. Londres verra une grande procession histo-
rique dont la splendeur est appelée à éclipser tout spectacle de ce genre qu'on
aura vu jusqu'à ce jour en Angleterre. En fait, il s'agit d'organiser une pro-
cession de douze mille personnes, avec cinq cents chars allégoriques et plu-
sieurs milliers de chevaux, de façon à représenter le développement de dix
siècles de l'histoire anglaise, depuis Alfred le Grand jusqu'aux premières
années du règne de la reine Victoria. Le cortège se développera sur un par-
cours d'au moins douze kilomètres. La principale difficulté qui se présente
pour le moment est de pouvoir trouver une localité centrale assez ample et
bien adaptée pour les répétitions nécessaires et pour la distribution des rôles
des douze mille personnes devant participer au cortège, il s'est formé un co-
mité pour recueillir les fonds nécessaires, et un grand nombre de personna-
lités de l'aristocratie et du Parlement font partie de ce comité. La direction
de l'organisation technique et artistique sera confiée à M. Frank Lascelles. qui
organisa avec beaucoup de succès, l'été dernier, la grande procession histo-
rique d'Oxford.
— Encore un petit violoniste prodige. Il en sort en ce moment de dessous
les pavés. Celui-ci est Russe de naissance, il se nomme Zimbalist, et comme
le jeune Mischa Elman il est élève de M. Léopold Auer. On assure que son
jeu est exempt de tout acrobatisme, et dans un concert qu'il vient de donner
au Queen's Hall de Londres il a obtenu un énorme succès en exécutant le
concerto de Tschaïkowsky, une suite en la mineur de Sinding et la Sympho-
nie espagnole de Lalo.
— Une vieille maison de Brewer Street, à Londres, devait être vendue der-
nièrement, mais miss Verne a fait appel à tous les amis de la musique pour
l'aider à empêcher cette vente, car dans cette maison appelée naguère
Hickford's Room, Mozart et sa sœur donnèrent des concerts peu après leur
arrivée à Londres en 1764. C'est là qu'on applaudit également Clémenti.
Abel (le virtuose de la viole di gamba), J.-C. Bach et d'autres musiciens
renommés. La maison avait été construite spécialement en vue d'auditions
musicales par M. Hickford en 1738; déjà en 1713 ce mélomane avait orga-
nisé des concerts dans sa première demeure située dans James Street, Hav-
market.
— M. Félix Weingartner, le nouveau directeur de l'Opéra de Vienne, pré-
pare une brillante reprise de Lakm?, avec Mmc Hedwig Francillo-Kaufmann.
de Berlin, dans le rôle principal.
— On a donné, à l'Opéra Impérial de Vienne, avec succès, un nouveau
ballet intitulé le Jugement dï Paris. Le scénario est du chorégraphe Hassrei-
ter. la musique du compositeur Skopitez.
— Le 24 janvier dernier a été donné à l'Opéra de Dresde Akté, drame
lyrique en quatre actes, texte et musique de M. Joan Manéen. L'œuvre n'est
pas une nouveauté, car elle a été jouée déjà en 1903 à Barcelone. Le compo-
siteur est de nationalité espagnole et possède sur le violon un véritable talent
de virtuose. Il est actuellement âgé de vingt-cinq ans seulement. Son opéra
met en scène un épisode de la vie de l'empereur Néron.
— La partie la plus importante de la collection d'autographes de Joseph
Joachim est actuellement vendue. Très peu de temps après la mort du maitre,
tous les manuscrits qu'il possédait avaient été remis à une mai
Leipzig; c'est cette maison qui vient de céder, à un amateur de Vienne, les
plus intéressants. On peut citer parmi ces derniers une contate di Bach, la
romance en /'« de Beethoven, le concerto de violon en la majeur de Mozart,
le trio en mi bémol majeur de Schubert et quelques autres autographes d'une
moindre valeur.
— On annonce de Nuremberg que le sculpteur Fritz Zadow a offert à la
municipalité de cette ville un buste du compositeur Hans-Loo Hassler, qui y
naquit en IC'Ji. Ce compositeur, le premier musicien allemand qui fit son
éducation musicale en Italie, séjourna à Venise, où il eut pour maitre le
fameux Gabrielli. Lorsqu'il retourna en Allemagne, il entra au servie, de Ro-
dolphe II à Prague et mourut à Francfort en 1712.
— Au commencement du mois de janvier dernier, l'orchestre Kaim, bien
connu à Munich et dans beaucoup d'autres villes où il a fait des tournées,
refusa de jouer à cause de la présence, dans la salle du concert, de M. Ro-
dolphe Louis, critique musical des Nouvelles de Munich dont les artistes
croyaient avoir à se plaindre. L'incident a fait quelque bruit en son temps; il
aurait pu paraître insignifiant s'il n'avait été l'indice d'une désorganisation
profonde et depuis longtemps menaçante. Cet orchestre, fondé en 1K9! par
M. Franz Kaim alors âgé de trente-cinq ans, put s'installer Jeux ans après
dans une salle de concerts construite spécialement pour lui. Il a été lui."
successivement par H. Winderstein (1893), Ilerman Zumpe (189b), Ferdinand
Loewe (1898), et, depuis, par MM. Félix Weingartner, Langenhahn, Siegmund
von Hausegger, Georges Dohrn et Peter Raabe. L'orchestre Kaim vient de
traverser une crise aiguë. Un concert, qui devait avoir lieu il y a une quin-
zaine de jours à Mannheim, a dû être contremandé par suite de la résistance
passive opposée par un certain nombre de musiciens. M. Kaim s'est vu con-
traint alors de congédier les plus en vue des « obstructionnistes », mais tous
les autres membres, à l'exception de deux, prirent fait et cause pour ceux qui
ava;entété renvoyés. Ils demandèrent leur réengagement et. sur le refus qu'ils
essuyèrent, quittèrent Mannheim et rentrèrent à Munich. M. Kaim, ne pou-
vant donner les concerts qui avaient été annoncés à Mannheim, à Pforzheim
et à Landau, déclara qu'il demanderait 375 francs de dommagei-intéréts à
chacun des artistes réfractaires. Ceux-ci répondirent qu'ils sauraient se
défendre devant les tribunaux. L'orchestre avait été engagé à jouer à l'expo-
sition de Munich pendant le courant de cette année. Le contrat avait été
rompu antérieurement aux incidents que nous venons de relater et les musi-
ciens attribuaient cet échec à la malveillance de la critique et de certains
compositeurs en vue. C'est là ce qui peut expliquer leur attitude et leur mé-
contentement. Quoi qu'il en soit, M. Kaim a réussi à constituer en dix jours
une nouvelle troupe d'artistes qui ont joué pour la première fois le 31 janvier
à Munich devant un public bienveillant. La suite des concerts d'abonnement
n'a pas été interrompue ; toutefois, la séance du 3 février n'ayant pu avoir
lieu à sa date, sera reportée à la fin de la saison. Quant aux artistes réfractaires.
ils ont formé un nouvel orchestre sous la direction de M. Moosmûller et ont
pris le titre de « Munchener Tonkiinstler Orchester ». Ils ont donné le 29 jan-
vier un concert consacré à Beethoven. On ne sait trop encore comment cela
finira, car, d'après l'avis général, deux graudes Sociétés de concerts sympho-
niques ne pourront subsister simultanément à Munich.
— Mme Héritte-Viardot vient de donner à Fleidelberg (où elle réside en ce
moment) une matinée de musique de chambre où ont été interprétées, avec un
succès retentissant, quelques-unes de ses œuvres, à savoir: un trio vénitien,
une sonate pour violon et piano, un quatuor et un choix de lieder. La critique
allemande ne tarit pas d'éloges sur la puissance et le talent si personnel de
l'auteur qui, tout en dédaignant la recherche des effets, sait par sa sincérité
même, par la facture impeccable et la seule force d'une instrumentation ma-
gistrale, tenir l'auditoire sous le charme tantôt des sensations les plus exqui-
sement douces, tantôt des émotions les plus violemment empoignantes.
— Auguste Wilhelmy et les, chiens de.iBayreuth. — Le baryton Eugène
Gura, mort le 26 août 1006, a raconté l'anecdote suivante qui a été recueillie
dans un livre paru récemment à Berlin. C'était à Bayreulh. pendant les repré-
sentations wagnériennes du mois d'août IS76. La municipalité de la petite
ville bavaroise avait établi presque subitement une taxe assez élevée sur les
chiens, et beaucoup de ces malheureux animaux étaient livrés à l'équarrisseur
parce que leurs propriétaires, désireux de se soustraire à la taxe, n'avaient pas
trouvé à les vendre. Wilhelmy. qui avait accepté l'emploi de premier violon
solo, au théâtre des fêtes, pris d'un sentiment de pitié, en acheta un grand
nombre, mais, exécédé bientôt d'entendre leurs aboiements et fatigué des
soins qu'il fallait leur donner, il songia au moyen le plus expéditif de s'en
défaire. Pour y arriver il se plaça un jour devant sa fenêtre ouverte à l'heure
où les artistes de l'orchestre se rendaient à la répétition, et à chacun de ceux
qui passaient devant sa maison, il offrait un de ses pensionnaires incommodes
ne réclamant aucun paiement, mais réussissant presque toujours à faire accep-
ter son cadeau, grâce à un boniment humoristique bien approprié. Eu arri-
vant à la répétition, chacun des musiciens traînant son chien derrière lui, fut
joyeusement surpris de voir que presque tous ses collègues avaient aussi le
leur. On attacha les animaux dans un hangar contigu à la scène, et l'on com-
mença l'une des parties de la tétralogie. Tout alla bien tant que l'orchestre
ioua fort et avec puissance, mais, dès le premier pianissimo, un tel bruit
d'aboiements domina la sonorité des instruments qu'il fut impossible de s'en-
tendre. Il fallut détacher tous les chiens et charger quelques hommes de ser-
46
LE MÉNESTREL
"vice de promener dans le parc ces auditeurs peu wagnériens. On cauça de
l'incident après la répétition et Wagner s'amusa tellement d'entendre chacun
des musiciens de son orchestre raconter de quelle manière s'y était pris
Wilhelmy pour lui colloquer, malgré la taxe, un de ses animaux, qu'il
invita le violoniste à déjeuner dans sa villa de Wahnfried. pensant passer
d'agréables instants en lui faisant raconter à lui-même tout ce qu'il avait dit
en la circonstance. Wilhelmy se prêta de fort bonne grâce à ce badinage.
Après le repas, il se mit à la fenêtre de la salle à manger, qui se trouvait au
rez-de-chaussée, pendant que les autres convives s'étaient groupés dans le
jardin, en face de lui. Ce furent alors les apostrophes les plus humoristiques,
proférées dans les dialectes de Wiesbaden et de Francfort plaisamment mé -
langés, le tout accompagné d'une mimique extravagante. «Ici, commença-t-il,
je vous recommande une race excessivement distinguée. Auriez-vous envie de
ce merveilleux barbet. Il cache dans les profondeurs de son cerveau l'âme
d'un comédien, c'est l'espèce favorite des acteurs ambulants. Les barbets sont
toujours alertes et pleins de gaité, ils excellent à faire mille jolis tours; ils
savent tout sans rien apprendre ; c'est le contraire des hommes qui apprennent
tant de choses pour en savoir si peu... Préférez-vous un basset? J'eu ai un
tout a fait incomparable ; il vous fera vivre dans l'opulence en fournissant
chaque jour votre table des plus beaux lapins et des plus superbes lièvres de
tout le voisinage... Est-ce un King-Charles qu'il vous faut, en voici un que je
vous offre, si petit, si gracieux! Vous pourrez le mettre dans votre poche et
rapporter aux répétitions du théâtre: il adore la musique de Wagner.... etc., etc.»
Cela dura ainsi longtemps et l'on se sépara au milieu des propos les plus folle-
ment incohérents. Quelques jours après, Wagner assistait à une autre répé-
tition pendant laquelle Wilhelmy joua supérieurement un solo. Le maitre
s'approcha de son interprète à la fin de l'acte, et lui cria dans son enfantine
admiration : « Très beau ! Admirablement beau! Vous méritez bien aussi que
l'on vous donne un chien, vous qui en avez tant distribué aux autres et avec
des mots si plaisants. »
— De "Varsovie: Le spectacle de gala organisé à l'Opéra a eu lieu hier avec
un succès éclatant. Des ovations enthousiastes en l'honneur de la France se
sont produites au cours de cette belle soirée qui fait le plus grand honneur à
M. Casimir Lalewski, l'éminent auteur dramatique, directeur des théâtres de
drame et de comédie. Acclamations, rappels innombrables, applaudissements
frénétiques, rien n'a manqué à l'éclat de cette représentation extraordinaire
composée uniquement d'œuvres françaises.
— Au Théâtre-Municipal de Kien on a donné la première représentation
d'un nouvel opéra en trois ac'es, Sœur Béatrix. dont le sujet est tiré du drame
de M. Maurice Maeterlink. La musique est due au jeune compositeur Ja-
novski, l'ouvrage obtint un grand succès.
— Une histoire amusante est celle-ci, qu'un journal étranger met sur le
compte du ténor Lunardi. Celui-ci donnait récemment une série de représen-
tations au théâtre de la cour à Bucharest. Le dernier soir il avait chanté
Otdlo, et le spectacle se prolongeait plus qu'il n'eût voulu, car il lui fallait
prendre aussitôt le train pour Budapest, où il devait chanter le lendemain.
Pour ne pas perdre de temps, notre ténor sort du théâtre en costume, comp-
tant prendre une voiture pour rentrer vivement à l'hôtel et se changer avec
la même rapidité. Il hèle un cocher, mais celui-ci, après s'être approché,
voyant cet homme tout noir et singulièrement accoutré, prend peur, fouette
son cheval et file au galop. Deuxième cocher, troisième cocher, même résul-
tat. Le temps s'écoulait, que faire ? Il se décida à se rendre à pied à l'hôtel,
_ au grand étonnement de ceux qu'il rencontrait en chemin et qui, s'amassant
autour de lui, lui firent escorte jusqu'au bout. Arrivé là, il put enfin se pro-
curer une voiture et se faire conduire à la gare, mais alors sans avoir le
temps de revêtir ses habits de ville et en laissant ses bagages derrière lui. Le
voilà donc enfin dans le train, toujours en costume à'Otello, et n'en pouvant
changer. Il va sans dire que durant le trajet il n'abandonna pas son wagon-
lit. Mais à Budapest il devait arriver en plein midi, et la sortie de la gare fut
plutôt mouvementée. La police dut organiser un véritable service d'ordre.
Grâce à elle il put obtenir un fiacre (encore!) et se faire conduire à l'hôtel.
Ici, une surprise l'attendait. L'hôlelier avait reçu une dépèche lui annonçant
que ce même jour, à midi, le sultan de Zanzibar arriverait à Budapest et
descendrait chez lui. De sorte qu'à son arrivée M. Lunardi fut pris aussitôt
pour le sultan et reçu en grande pompe par tout le personnel assemblé, qui
criait : Vive le sultan de Zanzibar! tandis qu'une belle jeune fille lui présen-
tait un superbe bouquet de roses. — L'histoire est un peu compliquée, et je
ne réponds pas de son absolue véracité, mais je la transcris telle que je la
trouve imprimée.
— La ville de Genève s'apprête à célébrer brillamment en JS09 les grandes
fêtes de la Réformation. A cet effet, M. le pasteur L. Rœrich a écrit les pa-
roles d'une cantate intitulée Post tenébras lux, dont la musique vient d'être
commandée à M. Otto Barblan, l'un des compositeurs les plus en vue.
— Au Théâtre Provisoire de Bàle vient d'avoir lieu avec succès la pre-
mière représentation d'une opérette, Turandot, musique de M. Hugo Neumeis-
ter.
— D'Amsterdam : Un comité composé de personnalités bien connues vient
d'oblenir la concession royale de fonder un théâtre d'opéra et d'opéra-comi-
que néerlandais qui sera une concurrence directe pour l'opéra allemand qui
régnait un peu en maitre dans deux théâtres d'ici.
— On assure qu'une société anonyme, qui s'est constituée récemment à
Rome, doit présenter prochainement à la municipalité le projet de construc-
tion, sur la piazza Colonna, d'un grand théâtre consacré à l'opéra italien. Ce
théâtre deviendrait, après vingt-cinq années d'exploitation, la propriété de la
ville. La cour, dit-on, qui s'intéresse à la question, lui accorderait une large
subvention.
— On doit donner prochainement au Théâtre Argentina de Rome une
nouvelle traduction du Roi Lear de Shakespeare, de M. Antonio Cippico.
La partie musicale qui doit accompagner cet ouvrage a été confiée au maestro
Gennaro Napoli.
— Au Théâtre-Martin de Madrid, on a donné une zarzuela dont le sujet
est tiré de coutumes Valencianes. Titre : Entre Narangos : auteurs : des paroles.
MM. Royo et Camacho; de la musique, le maestro Santonja.
— Par suite des événements atroces qui viennent de se produire à Lisbonne
et dont nous n'avons pas autrement à nous occuper ici, tous les théâtres de
cette-ville ont été fermés pendant huit jours.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
En raison de l'insuffisance des partitions adressées pour le concours
Rossini (composition musicale), l'Académie des beaux-arts proroge ce concours
à l'année 1909, et en fixe la clôture au 30 avril 1909. Le livret imposé reste le
même et a pour titre Luure et Pétrarque et pour auteurs MM. Fernand
Beissier et Eugène Adenis. L'Académie ouvre en même temps, et dès aujour-
d'hui, un nouveau concours pour le prix Rossini (poésie). Ce concours sera
clos également le 30 avril 1909. Le poème choisi dans ce dernier concours de
poésie servira de thème pour le concours Rossini (composition musicale) à
ouvrir en 1909 pour être clos le 30 avril 1910.
— La commission de revision de l'ordonnance de police sur les théâtres
s'est réunie pour la première fois dans le cabinet du préfet de police. Elle a
constitué son bureau de la façon suivante : M. Yves Durand, président ;
M. Quentin-Bauchart, vice-président; M. Le Gentil, secrétaire. Après un
échange de vues, la commission a décidé de nommer deux rapporteurs : l'un
M. Prêt, architecte de la préfecture de police, pour la question incendie;
l'autre, M. Henri Turot, conseiller municipal, pour toutes les questions d'ordre
et de police. La commission s'est ajournée à trois semaines pour la préparation
des rapports qui seront à l'ordre du jour de cette nouvelle réunion.
— Nos pauvres musiques militaires, qui étaient jadis l'honneur artistique
de nos régiments en même temps que la joie des modestes dilettantes de pro-
vince, continuent d'être bien malades. Qu'ont-elles donc fait à nos gouver-
nants pour que ceux-ci les pourchassent ainsi ? On ne saurait pourtant leur
reprocher d'être cléricales ! Et comment se fait-il que M. le président dn
Conseil, qui passait lui-même pour un véritable dilettante, les laisse persécuter
de la sorte, tandis que M. Morlot, qui avait pris si ardemment leur défense
devant la Chambre, reste muet maintenant devant le crime artistique qui se
prépare '? Toujours est-il que M. le ministre de la guerre a formé de sang-
froid le projet féroce de supprimer d'un trait de plume les musiques des
écoles d'artillerie et du génie. Après celles-là d'autres sans doute, puis d'autres
encore, puis... suppression complète. Demandez pourtant ce qu'ils en pensent
à nos petits troupiers, qui aiment leur musique, et qui, lorsqu'ils sont exté-
nués par une longue marche, se redressent tout d'un coup au coup d'annonce
de la grosse caisse, redeviennent crânes et farauds et se remettent allègre-
ment au pas en entendant la musique attaquer le pas redoublé de la Casquette
au pèr' Bugeaud ou une « mosaïque » sur Faust ou Rigoletto. Voilà pourtant où
nous en sommes. A la première annonce de la nouvelle, le Conseil municipal
d'Arras, particulièrement intéressé dans la question, a protesté contre le pro-
jet de M. le ministre de la guerre; presque aussitôt le Conseil municipal de
Lille a imité son exemple en émettant à l'unanimité un vœu pour le maintien
des musiques militaires, « qui constituent un élément puissant d'éducation
artistique ». Il faut que de tous côtés des protestations surgissent ainsi et se
généralisent, que de toutes parts des voix s'élèvent pour combattre par tous
les moyens le vandalisme artistique dont le chef supérieur de l'armée ne
craint pas de se rendre coupable. Ce serait vraiment une honte pour l'art et
pour la France que la destruction de nos musiques militaires, et il faut à tout
prix empêcher ce forfait.
— M. Pelisse, député de l'Hérault, avait écrit dans ce sens au général
Picquart, ministre de la guerre, qui vient de lui répondre par la lettre sui-
vante :
Monsieur le député,
Vous m'avez transmis, le 30 décembre 1907, un vœu adopté par le conseil général
de l'Hérault relatif au maintien, à Montpellier, de la musique du %' régiment du
génie. J'ai l'honneur de vous faire connaître que les musiques du génie ne répon ■
dent a aucune nécessité en temps de guerre et que, d'autre part, la mise en appli-
tion de la loi du 21 mars 1905, qui a pour conséquence la réduction des effectifs cri
temps de paix, contraint à ne laisser subsister aucun des organes dont l'existence
n'est pas absolument. justiliée.
C'est pour ces motifs que le projet de loi sur les cadres, déposé sur le bureau de
la Chambre des députés, a prévu la suppression des musiques du génie.
Agréez, etc.
Général Picquart,
Minisire île la guerre.
La décision du ministre a causé un profond désappointement parmi la po-
pulation.
LE MENESTREL
— A l'Opéra l'événement de la semaine parait avoir été l'apparition de la
cantatrice russe Mlle Marie Kousnietzoif dans Lshengrin et dans Faust. On lui a
fait un accueil presque triomphal. C'est tout à la l'ois une actrice remarquable
et une cantatrice admirable. Il faut signaler aussi la rentrée appréciée du ténor
Feodorow et le début du baryton Beck, qui nous vient d'Allemagne précédé
d'une réputation méritée et justifiée. M. Rabaud conduisait l'orchestre à la
représentation de Lohengrin et voici ce qu'en pense lu critique Gabriel Fauré :
« Compositeur de grande valeur, M. Henri Rabaud s'est révélé hier soir
comme conducteur de premier ordre. Précis, vigoureux, souple, admirable-
ment guidé par sa haute intelligence et sa magnifique culture musicale, le
nouveau chef d'orchestre de l'Opéra a débuté en maître. » Ce n'est pas nous
qui irons à l'encontre de ce jugement. — Disons .enfin que Mllc Zambelli a pu
danser enfin le délicieux ballet Coppilia, qui semble écrit pour sa grâce mali-
cieuse. L'œuvre de Delibes n'a certes pas eu à se plaindre de sa nouvelle in-
terprète. — Bonne représentation aussi de Rigoletto avec M110 Miranda et
M. Muratore. — Au résumé début de direction très vivante et très artis-
tique.
— MM. Messager et Broussan ont décidé de donner le Boris Godounow de
Moussorgski en mai prochain. La pièce sera représentée deux fois par
semaine, à partir du 15 mai jusqu'au 15 juin. Pour le rôle de Boris, la nou-
velle direction de l'Opéra a fait appel à M. Chaliapine. Les chœurs seront
chantés par des artistes russes et c'est M. Blurnenl'eld qui dirigera l'orchestre.
En automne, l'Opéra montera Sudko de M. Rimsky-Korsakow.
— Spectacles de dimanche à l'Opéra-Comique : en matinée, Carmen; le soir,
la Vif de Bohème e1 Cavalleria rusticàna. — Lundi, en représentation populaire
à prix réduits : Galathëe, la Fille du Régiment.
— De Nicolet du Gaulois: Les pierres qui meurent... Le vieil Hùtel-Dieu qui
va prochainement être détruit est la cause directe et immédiate de ce fameux
droit des pauvres qui pèse sur nos théâtres. Quand il fut construit, vers l'an 636,
Clovis II et les rois ses successeurs accordèrent comme dons à cet hospice les
reliefs de leurs palais et Philippe-Auguste lui accorda « la paille de ses apparte-
ments ». Saint-Louis lui donna le droit de prise, c'est-à-dire l'autorisation de
prendre les denrées sur le marché et de les payer s'il le voulait. C'est ce privi-
lège, très atténué, qui se retrouve dans les prélèvements que l'Assistance pu-
blique exerce sur nos théâtres en faveur des hôpitaux et que, en 1716, le duc
d'Orléans organisa définitivement. Selon le régent, on devait percevoir un
neuvième sur le prix des billets des spectateurs et cet argent devait servir à la
restauration de l'Hotel-1 Heu: mais, quand l'hôpital fut restauré, on se garda
bien de supprimer « cette prise » et on maintint cet usage jusqu'à nos jours.
Et voilà pourquoi chaque soir, avant même de songer si leur recette sera
bonne ou mauvaise, nos directeurs de théâtres doivent d'abord songer à acquit-
ter le « droit des pauvres ».
— Au Théâtre-Sarah-Bernhardt, aujourd'hui à cinq heures précises, qua-
torzième samedi de la Société de l'histoire du théâtre. Il comprendra une cau-
serie de M. Nozières sur Celles qu'on aime, avec les auditions ou récitations
suivantes :
I. Le Bavolel (Boisrohert,, Contre uns femms qui se fardait (Brébeul,1, par M"» Farna.
— 2. Le Lion amoureux, la Matrone aVEphèse 'La Fontaine), par M"1" Laparcerie-Riche-
pin. — 3. Air de Chérubin (Mozart), air du Débat de Pltœbus et de Pan (Bachi, par
M"° Lucie Vauthrin. — 4. Élégie (André Chénier), par M"" Jeanne'Dortzal. — 5. Une
Bonne Fortune (A. de Musset), par il"' Ventura. — 6. La lettre de la Périeliole (Offen-
baclu, Ce qu'on rêve (Rod. Berger), par M"" Germaine Gallois. — ". Élégie et Crépus-
cule (Al. Samain), par M""' Félyne. — 8. La Voluptueuse (Marcel Schwobi, par
H11'' Madeleine Garlier.
— Notre confrère M. René Brancour, conservateur du Musée du Conserva-
tion de musique, a donné à Metz, le 20 janvier, une conférence sur ce sujet :
Un musicien orientaliste : Félicien David ». La conférence était accompagnée
d'une audition de fragments du Désert et de halla-Roukh. Le succès a été
complet.
— En un seul volume (chez Fasquelle) vient d'être réuni tout le a Théâtre
en prose » de M. Catulle Mendès. On trouvera dans ce livre, avec les pre-
mières œuvres dramatiques de l'auteur, si passionnées et si intéressantes, le
célèbre drame « les Mères ennemies », qui fut un des plus grands succès de la
dernière moitié du dix-neuvième siècle et qui n'avait jamais été réim-
primé.
— Il pleut ! il pleut ! Tel est le titre de la nouvelle pantomime que vient de
nous donner le Nouveau-Cirque. C'est la charge d'une fête villageoise avec
accompagnement de fanfare, défilé de pompiers, de paysans et de paysannes,
de bohémiennes, inauguration de statue, concours d'animaux, etc. Dans ces
scènes burlesques et nautiques, il y a d6 la gaité, de l'entrain et tous les ta-
bleaux sont, extrêmement pittoresques. Le scénario s'achève par une déban-
dade générale sous une pluie torrentielle, au milieu du fracas du tonnerre et
de l'éblouissement des éclairs, et, épilogue attendu, le sauvetage de tous par
des pompiers plongeurs au son d'une marche triomphale. Plusieurs danses
ont été intercalées au cours des péripéties de cette action nautique inénarra-
ble, notamment une « Sabotière » et le « Fado ». De gracieuses ballerines, cos-
tumées à ravir, avivent le charme de ces divertissements qu'agrémente une
musique vive et pimpante.
— Concerts-Engel-Bathori. — Au jeudi du 23 janvier, à la salle de la
Société Française de Photographie, très brillante audition des œuvres d'Em-
manuel Chabrier, remarquablement interprétées par M"1 Jane liatbori et
M. Emile Engel. Soii dans le- pages lyriques comme Toutes les //•<■.
heureuse, soit dans d'humoristiques descriptions où se retrouve la verve du
célèbre auleur A'Espaûa telles que les gi
nrirds, M"11- .lune Bathori et M. F. lOn^el onl transporté L'auditoire. M""' Jane
Bathori qui joint à son beau style de chanteuse lyrique une réelle
de pianist» a interprété avec brio lu Bourrée fantasque et deux \o
ligues à deux pianos avec M. L. Aubert. Après la délicieuse Ode à '
la soirée s'est terminée par l'audition d'un important fragment de /;
chef-d'œuvre inachevé. Les chœurs étaient dirigés par le jeune ma
naldo Hahn qui, avec sa maestria habituelle, a su faire donner par 1- groupe
ment des jolies voix de toutes les élèves de M"1 .lin. liatbori et de M. E. En-
gel des nuances musicales d'un art des plus parfaits.
— Au Gymnase : Voici le programme du ■■■ .Samedi de Madame • d'au-
jourd'hui : - Benjamin Godard ». causerie par M. Auguste Dorchain. Pro-
gramme : Audition des œuvres suivantes de Benjamin Godard :
1. Angélus, par M11, Magdeleine Godard.
2. o' Solitwlr, li, Caralirr {aiilasl'ojur. |>;u M"" lio^'i-i'-MiclOS.
3. a) Amour fatal, b) Menuet Pompadour, c Printemps, par M. Maugu
4. Grand: air des Guelfes, par M"' Duval-Melchissédec.
5. Quatrième mazurka, par M Roger-Mii los.
6. Berceuse de Jqcelyn, par M"' Magdeleine Godard.
— Sous le patronage du Conseil municipal de Pari-, l'Association pour le
développement du chant choral et de l'orchestre d'harmonie., orga
grand festival d'œuvres du maitre Bourgault-Ducoudrny. dirigées par l'au-
teur, qui aura lieu au mois d'avril, dans la grande salle du Trocadéro, ei
célébrera l'héroïsme de la France à travers les siècles. Le caractère de ces
œuvres exigeant le concours de masses chorales extrêmement nombreuses,
M. Jean d'Estournelles de Constant, chef du bureau des théâtres, pré
l'Association, nous demande de faire appel à tous les amateurs de musique
de Paris, particulièrement aux dames musiciennes, et de les prier de \. .uIdji-
bien rehausser par leur collaboration l'éclat de cette solennité. Les ai
seront reçues par Mme Domange, 60, rue de Monceau, jusqu'au la février.
L'Association fait aussi appel aux amateurs de musique jouant les instru-
ments à anche. Les adhésions seront reçues par M. Henri Radigoer, directeur
de l'Ecole de chant choral et d'harmonie, palais du Trocadéro.
— Samedi dernier, au Théâtre Femina, vif succès pour les Poèmes d faé
de Gabriel t'abre, interprétés de façon exquise par M"8 Lucie "YYilhem. —
Même succès pour les mêmes Poèmes chez Mn,e Eugénie Dietz, interprétés cette
fois par M"1' Stirbain.
— Au concert qu'il vient de donner chez Erard, M. Paul Loyonnet un très
remarquable élève de M. I. Philipp. a remporté un succès extrêmement brillant
M. Loyonnet est un virtuose de talent exceptionnel. Dans un prugramme in-
téressant où voisinaient Beethoven (Sonate, op. 110). Liszt (fantaisie des
Huguenots), Chopin (Ballade, Polonaise, op. 53, Eludes}, Schumann Études
sj/mphoniques) et des modernes : Philipp (Phalènes, bissées). R. Hahn (valses),
Hérard (variations), Moreau (Impromptu), il a su captiver le public par un
style très pur et très simple, un son charmant et une hardiesse technique
rare. Il faut suivre ce jeune artiste qui a vraiment tout ce qu'il faut pour se
faire une belle place parmi les premiers.
— Au. dernier concert de la « Société, de musique ancienne et moderne »,
t''ès gros succès pour la sonate pour piano et violon de Théodore Dubois,
remarquablement interprétée par MM. Amédée et Maurice Reuchsel.
— Au 6e concert de la Société Sainte-Cécile de Bordeaux, vif succès pour
les Carillons flamands de Périlhou, remarquablement dirigés par l'excellent
chef d'orchestre Pennequin.
— A Reims, fort beau concert où triompha le ténor Plamondon dans l'a:r
de Lakmé, l'aubade du Roi d'Ys, deux mélodies de Théodore Dubois Si fai
parlé. Dormir et Rêver) et dans le duo de Sigurd avec M1111' Kaschowska.
— Alençon : Gros succès pour le concert donné au théâtre par la Sociélé
Philharmonique. En tète des artistes : le baryton Paul Seguy à la belle voix
et au style parfait qui fut rappelé trois fois après l'Hewte douce de Massenet,
Pétronille de "Wekerlin, et fit triompher une fois de plus le Crucifix de J. Faure.
en compagnie de M",e Riollant dont la jolie voix avait été applaudie dans la
cavatine des Huguenots. — Les bravos ne furent pas ménagés a M. Louis
Ruyssen, un l"' prix de violoncelle certain pour juillet prochain. — Les chœurs
mixtes sont très en progrès.
— De La Rochelle : Grand succès pour Mllc Marguerite Achard, la char-
mante harpiste, au 3e concert de la Société symphonique. Le talent de la
remarquable virtuose s'est affirmé surtout dans le Noyer, de Schumann, qu'elle
a interprété d'une façon exquise, et dans une de ses compositions. Caprice
oriental, où son double talent a fait merveille.
— Les Matinées Maxime Thomas se poursuivent avec un égal succès. Aux
dernières auditions on applaudit notamment des compositions nouvelles de
Henri Maréchal, Gabriel Dupont, Charles René, G. Falkenberg, C. Gilles et
Emile Dens. La prochaine matinée sera donnée en l'honneur et avec le con-
cours de M. Théodore Dubois dont on jouera notamment le quintette pou-
piano, hautbois, violon, alto et violoncelle.
AS
LE MÉNESTREL
NÉCROLOGIE
Nous apprenons la mort de Mme Eugénie Mauduit qui appartint à l'Opéra
pendant onze années. Après d'excellentes études au Conservatoire, études que
récompensèrent trois premiers prix. Mme Mauduit avait débuté à l'Académie
nationale de musique dans le rôle d'Alice, de Robert-le-Diable, et le public
avait apprécié, en elle, de précieuses qualités. A la suite de ces heureux
débuts, sa carrière se fît presque tout entière à l'Opéra; elle y fut surtout
applaudie daus la Juivs (elle chanta plus de cent fois le rôle de Rachel). l'Afri-
caine, Hainlei et Don Juan. Elle s'était consacrée depuis à l'enseignement, et
ses élèves perdent en elle un excellent professeur.
— Nous apprenons la mort de M. G-eorges Street, compositeur de musique
et homme de lettres. Il était né à Vienne (Autriche), en 1854, de parents
français. Il avait été à la fondation du journal le Malin secrétaire de la rédac-
tion, fonction qu'il occupa jusqu'au changement de direction. Excellent musi-
cien, il avait écrit plusieurs œuvres lyriques dont l'une surtout, Scaraniouche,
écrite en collaboration avec M. Messager, obtint au Nouveau-Théâtre un très
grand succès. Mignonnette, une opérette représentée au théâtre des Nouveau-
tés, ne fut pas moins bien accueillie et aussi un petit acte, Fidès, drame
mimé sur un livret de MM. Roger-Miles et Rossi et représenté à l'Opéra-
Comique en 1894. Ses intimes seulement connaissaient et appréciaient son
véritable talent de virtuose sur le violon. D'une santé délicate, notre regretté
confrère a été enlevé presque subitement, il y a deux jours.
— Le 31 décembre 1907 est mort à Trieste un artiste fort distingué, Giu-
seppe Sinico, qui était né en cette ville le 10 février 1836. Fils de Francesco
Pinico, artiste lui-même fort remarquable qui consacra toute son existence à
doter Trieste d'institutions musicales florissantes, et à qui celte ville doit une
profonde reconnaissance, il 'fut élève de son père, qu'il aida dans ses travaux,
surtout en publiant une Méthode de chant élémentaire à l'usage des écoles popu-
laires, il se consacra ensuite à la composition et fit représenter à Trieste plu-
sieurs opéras dont certains obtinrent un succès retentissant : i Moschettieri
(26 mars 1S59), Auront di Xevers (18611, Marinella (décembre 1861). Alessandm
St.radella, Sparlaco (20 novembre 1886). Dans Marinella, dont le poème pré-
sentait une page de l'histoire de Triesle, Sinico écrivit surlout un hymne
patriotique, l'hymne de San Giusto, qui devint le chant populaire de -la cité.
On connaît aussi de Giuseppe Sinico des romances, des mélodies à deux
voixetdescompositionsreligicuses.il dirigeait encore, à sa mort, l'Ecole
communale de chant.
— On télégraphie de New-York la nouvelle de la mort du compositeur
Edouard Mac Dowell, le musicien le mieux doué peut-être du Nouveau-Monde.
Né à New-York, vers 1861, il avait fait ses études à Paris et à Francfort.
Devenu un pianiste fort habile, il passa plusieurs années comme professeur
au Conservatoire de Darmstadt et à "Wiesbaden, puis retourna en Amérique,
où il fut, jusqu'er 1904, professeur à l'Université-Colombia. C'est a cette
époque qu'il fut frappé d'aliénation mentale et c'est dans l'asile où il avait
été recueilli qu'il est mort tout récemment. Il laisse un certain nombre de
compositions symphoniques qui, pour manquer d'originalité, ne sont pour-
tant pas sans mérite. Parmi ses œuvres pour le piano, il faut citer surtout
plusieurs suites et des concertos.
Henri Heugei,. directeur-gérant.
Pour paraître AU MÉNESTREL, 2 bis, rite Vivienne, HEUGEL ET Cic . éditeurs
Le jour de la première représentation à Monte-Carlo (15 février
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BALLET
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III. Petite Valse I »
IV. Boléro 1 50
V. Toréador et Andalouse 2 »
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PARAIT TOUS LES SAMEDIS
Samedi i:j Février 1908.
(Les Bureaux, 2 b'8, rue Vivienne, Paris, «• uv)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
lie fluméro : o fr. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Le Numéro : 0 fr. 30
Adresser fhanco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Boas-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province.— Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paria et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste ea sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck 18" article!, Julien Tiersot. — II. Petites notes sans
portée : Questions embarrassantes sur l'évolution de l'orchestre, Raymond Bouyer.
— III. Kcvue des grands concerts. — IV. Nouvelles diverses.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
PANADEROS
danse espagnole extraite du nouveau ballet de J. Massenet, Espada, qui sera
représenté ce soir même au théâtre de Monte-Carlo. — Suivra immédiatement :
Toréador et Andalouse, danse extraite du même ballet.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
Langage d'amour, mélodie de Jean Défié, sur des paroles de Mmc Carmen
Codou. — Suivra immédiatement : La Grâce suprême, nouvelle mélodie de
René Lenormand, poésie de E. Beadfils.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
(±T±-4:-±'7'T-4)
CHAPITRE III
GLUCK COMPOSITEUR ITALIEN
Dès la première page de Demofoonte, nous nous trouvons en
présence d'une réelle beauté.
En effet, après le dialogue obligé, l'opéra de Gluck commence
par un air qui a grande allure. Il n'appartient pourtant pas à
l'un des principaux rôles : c'est llatusio (ténor) qui le chante.
L'orchestre, en exposant la ritournelle, et plus tard en concer-
tant avec la voix, déroule un rythme énergique, dont la conti-
nuité fait penser à l'emploi qu'en avait fait autrefois Kuhnau
dans sa sonate descriptive du combat de David et Goliath, où
la même figure est destinée à représenter la force et la jac-
tance du géant. Ici le sentiment est un peu différent, mais non
sans analogie : c'est la protestation indignée du père contre la
contrainte où il est de trembler toujours pour la vie de son
enfant; et il y a, dans la musique de Gluck, un mélange de
fermeté et d'angoisse dont le public italien n'avait dû trouver
que peu d'exemples dans la production antérieure de ses maiëstri.
Des accents plaintifs contrastent par moments avec l'allure impé-
rieuse du mouvement général. Les cadences finales sont forte-
ment dessinées, avec un caractère d'affirmation. Ce premier
morceau de l'opéra de Gluck serait presque digne d'être signé
Haendel.
Toujours mis au bout des récitatifs, les autres airs continuent
de se développer en un excellent style, les dessins vocaux con-
certant volontiers avec ceux des violons, sans permettre ces
libertés avec la mesure que les chanteurs aiment d'ordinaire à
revendiquer. Le talent des virtuoses n'en parait que plus hardi.
L'énergie domine dans cette musique. C'est de la musique de
fer.
Mais voici, à la cinquième scène, un chant d'une beauté
accomplie, par lequel le génie de Gluck apparaît déjà dans sa
plénitude. Il appartient encore à un personnage de second plan,
le jeune prince Cherinto, dont l'interprète à la création était
une femme, Agata Elmi. Une voix de contralto solide et pleine
est nécessaire à l'interprétation de cette plainte d'amour, aussi
belle par la courbure de sa ligne mélodique que par son accent
expressif. Et voyez comme Gluck sait déjà s'affranchir des con-
ventions : il a jugé que le sentiment du personnage est trop
pressant pour lui permettre d'attendre, comme il dit, « la fin
d'une ennuyeuse ritournelle », et, contre toute règle, il la sup-
prime. Je ne puis résister au désir de faire connaître cet exemple
inédit d'un chant dont la beauté fait pressentir par endroits les
cantilènes d'Orphée : en voici le développement principal, pris à
la dernière reprise, de façon à poursuivre la phrase jusqu'à sa
conclusion (1).
f Voir ci-après : Air de Cherinlo.)
Et maintenant, nous allons voir s'affirmer cet art des con-
trastes qui forme une part du génie de Gluck : à celte plainte
d'un amant désespéré va s'opposer immédiatement le chant
d'une coquette qui se moque. Yoici les premières mesures du
sixième air, appartenant au rôle de la princesse Creuse.
(Voir ci-après : Air de Creuse.
Nous ne pouvons songer à analyser ces airs un à un. Il y en
a, avons-nous dit, vingt-cinq, plus un duo et l'ensemble final,
tous bâtis dans la forme immuable de l'air à l)a Capo avec
milieu. Du moins cette forme mérite-t-elle qu'on la décrive.
C'est d'abord une longue ritournelle, véritable exposition de
concerto (2). Lorsqu'elle est terminée, la voix se mêle au con-
cert, se superposant à la trame instrumentale, généralement très
peu compliquée, de l'orchestre, qui prend à tache de reproduire
aussi exactement que possible l'exorde précédemment joué à
découvert. Le développement se poursuit tranquillement, en
allant du ton principal à celui de la dominante. Parfois une
longue vocalise prend place ici, et ce n'est pas toujours la moins
il, On a gravé la partie de chant en grosses notes, et en petites notes les parties
purement instrumentales.
(21 Dans le Maître de chapelle, Paêr, se souvenant des traditions du XVII I
fait la parodie de cette forme en composant pour l'air de bravoure de sa prima-
donna un interminable prélude : mais ce qu'un italien taisait alors dans une inten-
tion satirique, tous ses prédécesseurs '.'avaient pratiqué le plus sérieusement du
monde.
50
LE MÉNESTREL
TÏnJen.do,t'in-tendo,in ■ gra.tatin gra.tal
Adagio
AIR DE CHEKINTo Demotoon n-:
bonne partie de l'air : tout au contraire, le meilleur de la subs-
tance musicale réside souvent dans ces longs dessins sans pa-
roles, comme si l'auteur, débarrassé de la contrainte, pourtant
si légère, du texte, en profitait avec joie pour s'ébattre! En tout
cas, ces sortes de mélismes ne sont pas des superfétations ni des
broderies adventices, comme les roulades de l'opéra rossinien ;
ce sont de véritables dévelop-
pements, où la voix, devenue
elle-même instrument, se mêle
à l'orchestre, pour aboutir en
parfaite harmonie à la cadence,
but final à atteindre . J'y crois
apercevoir une influence loin-
taine des chants ornés de la
musique grégorienne, qui ont
souvent tant de grâce, tant d'ex-
pression, tant de mystère.
Arrivée à ce point, la voix se
repose pendant quelques mesu-
res, remplies par l'orchestre, et,
s'il se peut, par les bravos de
l'auditoire ; puis elle repart, et
après un nouveau développement symétrique au premier, sur
les mêmes paroles, le discours musical revient au ton principal,
enfin conclut.
Cette forme de l'air serait encore admissible si tout s'arrêtait
là. Mais gardons-nous de l'espérer : nous n'en sommes encore
qu'à la première partie ; il faut maintenant entendre la seconde,
pour laquelle d'autres vers ont été préparés (sur commande) par le
poète. Cette seconde partie ou « milieu », écrite dans un ton
voisin, est cependant plus courte que la première. Les paroles y
AIR DE CREUSE iDï
sont moins répétées. Parfois le mouvement est modifié : il devient
lent au milieu d'un air vif, ou vif au milieu d'un air lent ; le
cas, rare chez Gluck, est fréquent au contraire chez Haendel,
qui trouve dans cette opposition des ressources dont il sait tirer
bon parti.
Et quand cette seconde partie est terminée, on revient à la
première, qui est recommencée
d'un bout à l'autre, sans qu'il
soit fait grâce d'une seule note!
Au contraire, les chanteurs en
ajoutent de leur façon. Et cela
se reproduit vingt-six fois au
cours d'un opéra comme Demo-
foonte, — car le duo, lui aussi,
est un morceau à reprise.
L'on comprend mieux, après
l'exposé des règles si tyran-
niques, ce que voulait dire Gluck
quand, dans sa préface d'Alceste,
il déclarait se refuser à « arrêter
un acteur dans la plus grande
chaleur du dialogue pour lui
faire attendre une ennuyeuse ritournelle », ou à « passer
rapidement sur la seconde partie d'un air quand elle est la
plus importante et la plus passionnée, afin d'avoir lieu de
répéter régulièrement quatre fois les paroles de la première
partie et fixer l'air où peut-être ne finit pas le sens ». Il pré-
tendait ainsi se soustraire à l'humiliation de voir son art assi-
milé à la besogne inférieure d'un manœuvre travaillant sur
mesure, d'un tailleur chargé d'habiller, non pas même des corps
vivants, mais des mannequins, et il exprimait justement son
LE .UENESTIŒL
indignation dédaigneuse en concluant: «En somme j'ai cherché
à bannir tous ces abus contre lesquels depuis longtemps crient
en vain le bon sens et la raison ».
(A suivre.) Julien Tiersot.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
cxxvnr
D'EMBARRASSANTES QUESTIONS SUR L'ÉVOLUTION
DE L'ORCHESTRE
A mon confrère musical, M. Pierre Charrier.
Aux vœux de saison se joignent souvent de brèves et curieuses re-
quêtes : l'un l'ait une amusante observation sur la physionomie de la
musique; un autre demande en quoi la musique est une métaphore:
intrigues par l'instrumentation de la Pastorale (II. quelques lecteurs
reviennent à la rescousse et voudraient nous interviewer à distance, en
plusieurs points, sur l'évolution, trois fois séculaire déjà, de l'orchestre.
Belles, mais redoutables questions que vous nous posez là! Le temps
manque, aujourd'hui, pour y répondre. C'est par un volume qu'il fau-
drait vous faire une réponse loyale, adéquate à ce grand sujet. Et
•peut-être, un jour, l'écrirons-nous... Mes chers lecteurs, en voici la
table :
1° Ce que je pense des transformations subies par l'orchestre depuis
trois cents ans ? — J'en pense énormément de choses, résumées, de
prime-saut, dans cette phrase que je sens quelconque : L'évolution de
l'orchestre a suivi l'évolution de la musique môme, qui, de la beauté
purement formelle, s'est constamment élevée à l'expression psychique,
non sans aspirer parfois à descendre jusqu'à la description pittoresque,
cherchant à caractériser, tour à tour, des âmes ou des choses...
L'évolution de l'orchestre serait donc un effet. Elle va devenir une
cause.
Aussi bien, n'est-ce pas la fonction qui crée l'organe, ou, plus idéa-
lement, la pensée qui grave la physionomie, lame qui se crée sa forme ?
Mais, réciproquement, l'enrichissement de la forme est-il sans action
sur l'âme? Un bel organe ne favorise-t-il point la fonction ? Posses-
seur d'un triple estomac, un Pantagruel géant n'aurait-il pas quelque
mérite supérieur à demeurer frugal et végétarien?
Or, depuis soixante hivers, et surtout dans ces derniers soirs, l'or-
chestre moderne a grandi démesurément, comme le Satyre païen du
poème :
Place à tout! Je suis Pan : Jupiter à genoux !
2° Et votre seconde question me demande quelle a été l'influence de
l'évolution de l'orchestre sur le développement de l'art musical... —
Cette influence sonore a été remarquable, quoique insensible; elle a été
naturellement moins intérieure qu'extérieure, mais elle a transformé la
symphonie et créé le concert; elle a permis le poème symphoniqne.
impossible sans une grande palette: elle a favorisé la musique céré-
brale ou visuelle, littéraire ou pittoresque ; à l'architecture abstraite elle
a substitué l'élément pictural : elle a donc réagi sur l'expression môme,
en offrant aux désirs de l'âme un vocabulaire nouveau; et, comme
toujours, l'évolution technique du dictionnaire influence, à son heure,
l'évolution expressive de la pensée. Des luthiers de Crémone aux inven-
tions, longtemps méconnues, d'Adolphe Sax, écoutez le crescendo du
progrès en marche... Et les cuivres chromatiques n'autorisent-ils pas des
effets qui manquaient encore à la palette enrichie par le Beethoven de
la Neuvième ? Car il y a des trous, quelques lacunes, dans la « furibonde
ritournelle » avant l'exposé du thème de la Joie ; et c'est pour avoir-
voulu les combler que Richard Wagner a passé pour sacrilège.
Enfin, l'évolution de l'orchestre a bouleversé le théâtre, ruinant le
vieil opéra, le remplaçant, à ses risques et périls, par le drame noté...
Sans l'orchestre, point de wagnérisme possible.
Souhaitez- vous quelques notes en marge de ce beau sujet ?
Tous les novateurs, tous les maîtres ont favorisé le développement
de l'orchestre : Monteverde, Rameau, Gluck, Mozart, Beethoven, etc.,
sans parler de tous les professionnels modernes du coloris. — Il y a
trois cents ans, VOrfeo de Claudio Monteverde (1607) possédait, au
déclin de la Renaissance, une très riche palette: mais l'érudition d'un
Romain Rolland nous dirait que le coloriste employait les tons moins
simultanément que successivement : pas d'ensemble. En génie clas-
sique, Haydn organise plus qu'il n'enrichit; mais voici Mozart qui
réinstrumente les grands oratorios de llaendel... Son Enlèvement au,
(1) Voir, dans le Ménestrel du 25 janvier 190$, notre précédente Note dont celle-ci
l'orme la suite.
Sérail, de 1782, qui s'évaporait naguère à notre grand Opéra, passa lui-
même pour une audace orchestrale : « Trop il: noies, Mozart ! »
grondait l'empereur Joseph II, l'italianisant... Mozart mélodiste '-st un
novateur en orchestration : ne l'oublions pas!
D'instinct, cependant, tous les grands maître oent les
forées orchestrales qu'en proportion de l'intérêt, de l'effet : c'est la loi
posée par le grand Gluck, un novateur, un bruyant (aux oreilles cha-
touilleuses de ses contemporains poudrés) ; consultez l'épitre
toire d'Alcesle, que notre Berlioz savait par co;ur... Gluck obéit ;i s;i
propre loi, ce qui n'est point sans mérite! Et le Mozart de h on Gio
vanni (1787) ne fait clamer les trombones que pour souligner l'entrée
mineure du Convive de pierre... Ce finale de son Don Juan, qui » sent
le fantôme » (I |, présage, en puissance, tout le Schumann .le Manfred
et de Faust: c'est du classique vivant, de l'art immortel... 1. ,
ans après, le Beethoven de la Pastorale (op. 68) réserve plus i a
ment les timbales pour son orage... Scolastiques et théoriciens pros-
crivaient les trombones de toute symphonie : Beethoven y recourt dans
trois chefs-d'œuvre (2) pour accroitre ou soutenir l'intérêt du drame
inelf'able. Ce que les conservateurs timorés ne comprennent pas mieux
que les novateurs exaspérés, c'est que le vrai génie créateur est ;■ |a
fois riche et ménager de ses richesses, sobre et prodigue quand î! faut
l'être. Et notre volcanique Berlioz est lui-même un sobre : témoin sa
Fantastique môme ; témoin surtout son Enfance du Christ, que les amis
de Mozart ou de M. Debussy doivent chérir entre toutes ses œuvres
inégales, mais géniales, dont le coloris est toujours juste. Berlioz
romantique est un gluckiste : son Requiem proportionne la clameur nu
drame universel de la Mort.
Avec Berlioz, la percussion s'affine, s'anime et devient pittoresque
ou psychologique. Chez Mozart, comme chez Haydn (3), la musique
turque n'est qu'une percussion grosso modo, sans subtilité : relisez l'ou-
verture banale de l'Enlèvement au Sérail ; ce n'est point là que le plus
sensuel des anges-musiciens a déployé les nuances de ses ailes...
Consultez ses cinq dernières symphonies, plutôt bruyantes pour les
idées menues qu'elles expriment, et l'ouverture « sans mélodie » des
Noces de Figaro : trompettes et timbales n'interviennent que pour
frapper fort, pour faire des forte dans un passage de vigueur comme
dans un finale d'opéra. Chez Beethoven, la batterie reste rare et plutôt
neutre ; mais les timbales émancipées s'exaspèrent pour blouser la
foudre.
Berlioz, après Beethoven et Weber, a fait de la percussion toute une
palette — - et, qui plus est, une palette dramatique, — intervenant avec
sobriété, brio, fantaisie, justesse, à propos : la cymbale y devient sata-
nique ; le triangle même a des trésors d'ironie... Il faudrait interroger,
à ce point de vue très spécial, mais suggestif, chacune de ses œuvres,
et chaque partie dans chacune d'elles, en soulignant des comparaisons,
sans oublier son fameux Traité d Instrumentation moderne, daté de 1844.
où la poésie ne perd jamais ses droits. Berlioz « joue de l'orchestre » ;
il en est le « virtuose » : en musique, il est peintre. Et le colossal
Richard Wagner lui doit énormément sur ce point... C'est, sans doute,
pour l'en remercier qu'il l'appelle un monstre: car les génies possèdent
rarement la mémoire des bienfaits.
Grâce à l'évolution de l'orchestre, le piédestal est resté sur la scène
et la statue est descendue parmi les instrumentistes : c'était fatal. Au
demeurant, n'y aura-t-il pas toujours de bonnes gens, comme le bon
Grétry, pour adresser ce reproche aux innovateurs '.' On l'a fait à Duni
lui-même, à Gluck, à Mozart, au Beethoven de Fidelio. qui nous parait,
aujourd'hui, superbement traditionnel... Les points de vue changent
au moins tous les trente ans ; et. de nos jours, la vitesse augmente.
Grâce, à l'évolution de l'orchestre, l'action théâtrale s'est résumée
dans l'ouverture, le drame sans paroles a conquis la symphonie, puis
inventé le poème symphoniqne : et toutes les aspirations expressives de
l'âme contemporaine ont versé leur espoir sans fin dans ce nouveau
cadre : avec l'enrichissement de la palette orchestrale, on peut être à la
fois banal et brillant, indigent et somptueux, médiocre et grandiose,
attribuer à la science qui s'apprend les apparences de l'idée que rien ne
remplace, et cacher sous la pourpre de la couleur la pauvreté du dessin.
L'orchestre, à l'instar du costume, est un grand dispensateur d'illu-
sions... S'enrichira- t-il encore ? — C'est la première question qui uous
sollicitera la prochaine fois.
(A suivre.) Raymond Bolyer
il) C'est le mot d'Auber sur le début analogue de l'ouverture de Don Juan, lois de
la reprise du chef-d'œuvre en 1834, au grand Opéra.
(2) L'Ut mineur, la Pastorale (1808-1809) et la .Xeuvième de 1S24 trio du scherzo el
finale avec chœur).
(3) Dans le joyeux finale de la Symphonie en ut, inédite, et propriété de la Société
des Concerts qui la joue depuis trente ans.
32
LE MÉNESTREL
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts-Colonne. — Le principal attrait de la séance résidait dans la
réalisation d'un rêve enfin obtenu par l'habileté du célèbre facteur Mutin.
L'installation sur la scène du Châtelet d'un orgue — portatif à cause des exi-
gences du théâtre — mais suffisamment important pour remplir l'immense
vaisseau et lutter avec les sonorités de l'orchestre. Grâce à cet adjuvant pré-
cieux, des œuvres jusqu'ici interdites aux Concerts-Colonne vont pouvoir se
donner couramment et le répertoire se varier et s'enrichir d'autant. C'est
ainsi que dimanche la belle symphonie en ut mineur de M. Saint-Saëns a pu
figurer au programme ainsi que l'intéressante Fantaisie pour piano, orgue et
orchestre, de M. Périlhou, excellemment jouée par MM. Georges de Lausnay et
G. Pierné, et très bien accueillie du public. On a fait bon accueil à deux mélodies
de M. Georges Brun : la Neige et Marine fort bien chantées par Mme Laute Brun
et qui, instrumentées avec discrétion et habileté, témoignent chez leur auteur
de qualités de charme et d'expression dignes d'être encouragées. Le reste du
programme partagé entre Wagner, Bach et Richard Strauss avec des œuvres
dont on ne peut plus rien dire, parce que trop connues, excita l'enthousiasme
du nombreux auditoire, qui fit aussi grand succès à l'excellent violoniste
Firmin Touche dans le Rondo capriccioso de M. Saint-Saëns. .T. Jemain.
— Concerts-Lamoureux. — Avec une réelle élégance et beaucoup de dis-
tinction, M. André Messager a dirigé l'ouverture de la Flûte enchantée, le
prélude du deuxième acte de Gwendoline d'Emmanuel Chabrier et deux frag-
ments de Miarka de M. Alexandre Georges, « Mort de Tiarko » et « Pastorale
et Marche romane » ; il a su mettre au service de ces œuvres d'un caractère
simple, et très purement musicales, ce talent plein de poésie et de délicatesse
qui fait le charme très vif de ses propres compositions. Cette musicalité a une
influence toute particulière sur le mode d'interprétation des ouvrages qui,
comme Maseppa de Liszt, rentrent dans le domaine descriptif. Dans cette com-
position ultra-violente, dont l'origine fut une simple élude pour piano, on
peut envisager de deux manières la perspective musicale, soit que l'on suppose
que le supplice du condamné qui va devenir roi, commence sous nos yeux et
que le cheval, en entraînant sa victime, s éloigne toujours de nous, soit que
l'on imagine que nous accompagnons la course fatale et que nous sommes
toujours immédiatement témoins de chacun de ses épisodes, y compris le
dernier. Celui-là est indiqué par la marche triomphale de Liszt et par les vers
de Victor Hugo :
Enfin le terme arrive, il courl, il vole.il tombe,
El se relève roi.
M. Messager n'a pas voulu entrer dans la voie d'une exécution figurative;
il a mis simplement en grand relief la substance musicale de l'œuvre,
adoptant en cela un point de vue que M. Camille Saint-Saëns a très judi-
cieusement mis en lumière dans une belle étude sur Liszt, dont la conclusion
est que l'artiste hongrois a été un maître éminent dans l'art de la description
orchestrale, mais que ses œuvres peuvent être comprises indépendamment de
toute idée extra-musicale et peuvent, sans programme, se suffire à elles-
mêmes. L'auteur de Fortunio parait avoir partagé cette manière de voir, et
c'est pour cela sans doute qu'il a tellement ralenti le mouvement du thème
des trombones au milieu du poème symphonique, Je telle sorte que le aalop
du cheval de la légende semblait s'être arrêté pour nous permettre d'écouter
un adagio délicieusement rendu. Il est difficile de présenter la même obser-
vation en ce qui concerne la Symphonie en ré de César Franck; pourtant le
premier morceau en a paru long et difficile a suivre, peut-être parce que l'im-
pression pathétique dont nous devons sentir de plus en plus l'enveloppement
à chaque reprise du thème n'a pas été suffisamment prévue, préparée et
graduée. M. Ricardo Vifiès a remarquablement joué un concerto pour piano
de M. Rimsky-Korsakow, composé en 1882. L'ouvrage comprend un allegro
à quatre temps et un presto à deux, reliés entre eux par une transition
brillante et humoristique de trompette. Très nuancé, très recueilli dans la
première partie, le jeu du pianiste a été nerveux et plein de fougue dans la
seconde. En entendant M. Vifiès, nous avons pu, comme l'assistance qui l'a
triomphalement fêté, avoir l'impression que nous étions en présence d'un
artiste joignant à une intelligence musicale développée une technique
irréprochable. Amédée Boutakel.
— Programmes des concerts de dimanche :
Concerts du Conservatoire du dimanche 16 février, à 2 heures 1/4 très précises :
Ouverture.de Lconore (n° 2) (1™ audition au Conservatoire) (Beethoven). — Platée.
fragments (1" audition; (J.-Ph. Rameau); la Folie: M"- Suzanne Cesbron, de l'Opéra-
Comique, M"" Coquelet; Mil. Mille et Boussagol. — Concerto en la majeur (n° 2,
pour piano (1™ audition au Conservatoire) (F. Liszt) : M. Arthur de Greef. — Suite
en re majeur (n°4) (1™ audition) (J.-S. Bachj. — Psaume iï (Mendelssohnj : soprano
solo, M1" Suzanne Cesbron; MM. Mille, Rouhier, David et |Narçon.— Le concert sera
dirigé par M. Georges Marty.
Concerts Colonne (Théâtre du Châtelet), à deux heures et demie :
Ferma/, Introduction du lf acte (V. d'Indy). — Symphonie en fa (1" audition) (H.
Dallier) : I. Largo et allegro, II. Allegretto et Final. — Air de Didon (Piccini) :
M- Georgette Leblanc. — Concerto pour violon et violoncelle, op. 102 (J. Brahms; •
I. Allegro, H. Andante, III. Final : M. Jacques Thibaud, M. Pablo Casais. - Quatre
poèmes [1« audition) (Gabriel Fabre) : a) Jai cherché Imite ans (Maeterlieck), b) les
Sept filles <l Orlamonde (Maeterlinck), c) Cantique ,1e la Vierge (Maeterlinck) d) 'ivresse
,1 amour (M- Judith Gautier, : M»- Georgette Ler.lanc. - Concerto pour piano,
violon et violoncelle, 1™ audition aux Concerts-Colonne (Beethoven) : M. Alfred
Cortot, M. Jacques Thibaud, M. Pablo Casais. — Lohengrin, prélude du 3< acte (R
Wagner). — L'orchestre sera dirigé par M. Ed. Colonne.
Concerts-Lamoureux (salle Gaveau, 45, rue La Boëtie), à 3 heures précises :
Ouverture i'Obéron (Weber). — Troisième Symphonie (1" audition aux Concerts-
Lamoureux) (Rimsky-Korsakow).— a) Trois mélodies russes (Rachmaninoiï) ; b) le
Rossignol (Aliabiefl) : M"' Marie Kousnietzoff; au piano, M. Straram. — Prélude à
l'après-midi d'un faune (Debussy). — Concerto en sol miDeur, pour orgue et orchestre
(Haendel) : M. Eugène Gigout. — Shyloch, musique de scène pour le drame d'Ed
mond Haraucourt (Fauré) : a) Entr'acle; b) Nocturne; e) Finale. —Orchestre sous la
direction de M. André Messager.
— Nouveaux-Concerts-Populaires. — Sous la direction de M. de Léry, l'or-
chestre a exécuté la « Symphonie inachevée » de Schubert, le prélude de
Lohengrin et donné une vibrante interprétation de l'ouverture de Patrie, de
Bizet, et de plusieurs fragments de Manfred. Le cor anglais de M. Mathieu
phrasa admirablement le délicieux Ranz des vaches. L'intérêt du concert était
surtout dans l'audition du concerto en ut majeur pour deux pianos, de Bach,
œuvre superbe et que l'on entend trop rarement. Quoi ce plus sublime après
l'exquis adagio, pendant lequel l'orchestre se tait pour laisser dialoguer les
deux pianos. que la merveilleuse fugue qui termine l'œuvre? L'interprétation,
confiée à M1Ie Mary Weingaertner, la pianiste bien connue, et à Mlle Sakoff
Grunwaldt fut de tous points parfaite. Deux mélodies de M. Combe, fort bien
chantées par MUe Luquiens, et la Danse Persane, de Guiraud. terminaient le
concert.
— La septième matinée musicale du Gymnase (fondation Danbé) fut parti-
culièrement attrayante et obtint un succès marqué. Mmc Roger-Miclos-Bat-
taille fit applaudir son jeu puissant et délicat en des pièces de Borodine,
Mendelssohn et Chopin. L'éminente pianiste interpréta ensuite ces deux
pièces exquises des Poèmes Sylvestres, de M. Théodore Dubois, le Banc de
mousse et les Myrtilles qui lui valurent de longues acclamations. Puis M. Th.
Dubois occupa lui-même le reste du programme avec une importante suite de
six mélodies. Odelettes antiques, dont c'était la première audition et qui, excel-
lemment chantées par M110 Demougeot et M. Plamondon, ont eu un énorme
succès. Il se dégage de ces six poèmes, dont les vers savoureux sont du fils
du compositeur, M. Charles Dubois, comme un parfum ancien et pénétrant,
un charme très particulier: Chanson de Pâtre, Incantation, le Jeune Oiseleur, le
Pécheur de Syracuse, la Jeune Fille à la Cigale, qui fut bissé, Prière de ÏEphèbe
forment autant de petits tableaux de genre, évocateurs magiques d'un monde
disparu. L'Amiante et le Scher;o-VaIse. brillamment enlevé par le violon de
M. Soudant, et le Duettino d'Amore pour violon et violoncelle, avec M. J. Be-
detti, complétaient la séance qui comprenait encore le beau quatuor à cordes
en mi bémol de Mozart et le final du quatuor n° 73 d'Haydn, interprétés par
MM. Soudant, de Bruyne, Migard et Bedetti. — La huitième matinée auralieu
mercredi 19 février, à 4 heures et demie, avec le concours de MUe Marcella
Pregi, MM. Louis Diémer, Jean Batalla, Gaubert et les chanteurs de la Re-
naissance dirigés par M. H. Expert. M. Diémer y jouera une importante par-
tie de clavecin.
— C'est hier soir vendredi que Raoul Pugno a donné sa première séance à
la salle Pleyel avec le concours de Mlle Suzanne Cesbron et de MM. Ed. Nadaud
et Pli. Gaubert. Nous en donnerons le compte rendu dans notre prochain
numéro. La seconde séance aura lieu mardi 18 et la troisième vendredi
21 février. On trouve des billets à la salle Pleyel et au Ménestrel, 2 bis, rue
Vivienne.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour les seuls abonnés a la musique)
Ce soir même, au théâtre de Monte-Carlo, on va représenter le nouveau ballet de
Massenet : Espada. Saisissant au vol l'actualité, à la minute même, nous donnons à
nos abonnés un numéro de cette petite œuvre d'un grand musicien, où revit toute la
verve colorée et scintillante du ballet fameux dut'»/. Cette danse intitulée Panaâeros
est toute de délicatesse et de morbidesse, destinée à faire contraste avec les pages
plus animées, plus emportées de la partition dont nous donnerons aussi quelques-
unes.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (12 février):
La reprise du Mépliistophélès de Boito a obtenu, à la Monnaie, tout le succès
que l'on pouvait souhaiter. L'œuvre, qui n'avait plus été jouée à Bruxelles
depuis vingt-deux ans (il y en a vingt-cinq que la première en français y
avait été donnée), a conservé son éclat de belle fresque décorative, haute en
couleur, son mouvement intense, son incohérence un peu, tout ce qui enfin
pendant longtemps fit sa fortune quand on s'avisa, après la chute initiale de
l'ouvrage en Italie, de les reconnaître. Le souille et l'ampleur majestueuse du
prologue et de l'épilogue, — qui sont décidément les deux plus belles pages
de l'opéra, — le quatuor du jardin, la mort de Marguerite, la nuit du sabbat
et la mort de Faust suffiraient au succès, et y ont suffi, cette fois encore, si
l'œuvre n'offrait en outre au décorateur et au metteur en scène des ressources
multiples d'effet, composant un spectacle brillant et animé. Ce spectacle, à la
LE MÉNESTREL
53
Monnaie, est vraiment plein d'attraits. L'exécution, par les chœurs et l'or-
chestre, n'est pas moins remarquable. Du cùté des artistes, elle manque un
peu d'élan et de chaleur, et aussi de puissance vocale. Nos chanteurs do
langue française ne sauraient suppléer, par leurs habituels mérites de diction
et de correction, à l'indispensable « foyer » que demande la musique ita-
lienne; et dece côté, il faut bien l'avouer, l'interprétai ion de Méphistophélii à la
Monnaie pèche évidemment. Ce qui n'empêche cependant M. Marcoux d'être
un Méphistophélès de superbe allure et de déclamation large, MUe Mazzonnelli
une Marguerite jolie et de voix fraîche, M. Lallitte un Faust pareil à la plu-
part de ses autres incarnations, et Mme Blancard et M. Dua très satisfaisants
en des rôles modestes. — Et maintenant, c'est au tour du Cliemineau, dont la
première, réservée en gala à l'Association de la Presse, aura eu lieu quand
paraîtront ces lignes. M. Xavier Leroux a passé quinze jours a Bruxelles, pour
surveiller les dernières répétitions. J'ai assisté aujourd'hui à la « générale ■>,
qui a produit une très grande impression. L'interprétation, avec M"c Croiza,
MM. Decléry, Bourbon et Dua est absolument remarquable. Ce sera, sans
aucun doute, un succès de grosse émotion.
Près de trois mois encore nous séparent de la clôture de la saison théâtrale,
et déjà l'on parle des représentations nombreuses qui tiendront la Monnaie
ouverte cet été. La troupe de la Porte-Saint-Martin, avec l'Affaire des Poisons,
de M. Sardou, et la troupe de M"10 Sarah Bernhardt, avec les derniers rôles de
la belle tragédienne, occuperont la scène pendant plusieurs semaines; après
quoi, pendant une quinzaine de jours, à la fin de juin, M. Emile Mathieu
offrira au public bruxellois la primeur de son nouveau drame lyrique,
la Reine Vastki, dont il organisera lui-même les représentations, avec l'or-
chestre, les chœurs et une partie des artistes de la Monnaie ; les rôles princi-
paux seront chantés par Mmos Croiza et Carlhaut. — Le 1CT juillet, toute la
troupe de la Monnaie partira pour Ostende, où le directeur du Kursaal,
M. Marquet, l'a engagée pour donner au théâtre de cette ville une série de
représentations sensationnelles.
Les deux semaines écoulées ont été fertiles, à Bruxelles, en concerts inté-
ressants. Le Conservatoire a honoré la mémoire de Grieg, mort récemment,
en donnant un concert de symphonie moderne, dont le numéro principal
était la Suite de Peer Gynt. On sait que les compositeurs modernes ne sont
admis à figurer sur les programmes du Conservatoire qu'après leur mort ;
mais tous les morts ne sont pas admis ; leur admission constitue en quelque
sorte un diplôme d'immortalité, particulièrement précieux, décerné par
M. Gevaert. Ainsi furent jugés digni inlrare, parmi les dernières illustrations,
Wagner et César Franck. M. Gevaert avait inscrit ceux-ci également sur le
programme de ce concert, le premier avec l'ouverture des Maîtres Chanteurs
et le second avec la belle symphonie en ré mineur. Toutes deux, ainsi que la
suite de Grieg, exécutés admirablement par l'incomparable orchestre de
M. Gevaert, ont obtenu un très grand succès, qui déterminera sans doute le
maître à faire entendre une fois encore ces mêmes œuvres au quatrième
concert de cet hiver. Le troisième sera consacré à la neuvième symphonie de
Beethoven, avec un quatuor de solistes tout à fait supérieur, composé de
jjmes Croiza et de Tréville, de MM. Laffitte et Blancard. — Aux Concerts-
Populaires, nous avons eu, dimanche dernier, une exécution — un peu terre
à terre et molle — du Paradis et la Péri de Schumann. — Aux Concerls-
Ysaye, en l'absence de son chef habituel, c'est M. Steinbach, de Cologne, qui a
dirigé la cinquième symphonie de Beethoven, de consciencieuses variations
inédites de M. Delune sur un thème de Haendel, le Cjncerto en ut mineur de
Beethoven et les Variations Symphoniques de M. Vincent d'Indy, exécutées par
M. Corlot avec sa fougue coutumière.
D'Anvers, nous arrive la confirmation du succès, de plus en plus grand,
du nouvel opéra de M. Jean Blockx, Baldie, au Théâtre- Lyrique flamand. Ce
vaillant et infatigable théâtre ne s'endort pas sur ses lauriers. Voici, en effet,
la liste des œuvres qui sont prêtes à êtres exécutées : le Faust de M. Zôllner,
un compositeur allemand, dont on a joué l'an dernier un drame lyrique
remarquable, la Cloche engloutie, d'après Hauptmann ; Reinaert de Vos, drame
lyrique en trois actes, par MM. August de Boeck et Raf. Verhulst ; lialewyn,
quatre actes, par MM. Jef Vander Meulen et René Declercq ; Rosemarijntje,
trois actes, par MM. Arthur Van Oost et Raf Verhulst et Kludde, trois actes,
par MM. Oscar Roels et Maurits Sabbe. En outre, M. Paul Gilson travaille
aclivement à Mariolyn, trois actes, de R. Verhulst; M. Léon "Walpot, direc-
teur de la musique du 1er guides, à une comédie lyrique en trois actes, De
Prinius, poème de J. Moruan ; et M. Emile Wambach, à Loreley, traduit d'un
texte allemand. L. S.
— C'est dans la seconde quinzaine de mars que sera donnée, au théâtre de
la Monnaie de Bruxelles, la première représentation des Deux Jumeaux, l'opéra-
comique de M. .Taques-Dalcroze, dont le principal rôle sera créé par Mme Ja-
ques-Dalcroze.
— Le Théàtre-Royalde Gand a donné la première représentation d'un grand
drame lyrique, intitulé Astarté, dont les auteurs sont M. Jules Guégnier pour
les paroles et M. Edouard Criel pour la musique. L'œuvre, interprétée par
jjmes Frémont et Daura, MM. Génicot et Montfort pour les rôles principaux,
parait avoir obtenu un vif succès.
— De notre correspondant de Liège : Le public des grands concerts sympho-
niques a fait un chaleureux accueil au poème symphonique la Voie de lu
mort de M. Armand Marsick dont M. Colonne avait, sous le titre A'Élégie
symphonique, donné la première audition à Paris. Cette œuvre a été rendue
avec une émotion et une conviction peu communes par M. Debefve et ton
remarquable orchestre.
— On a publié récemment a Milan le projet de décret réglant les disposi-
tions organiques du Conservatoire de cette ville, projet précédé d'un exposé
des motifs présenté par M. Rêva, ministre de l'instruction publique. Quoique
réalisant, dit-on, un progrès réel, ce document n'a pas excité une satisfaction
générale, et a même fait naître des critiques assez vives. La preuve en est
dans cette note que publie un journal de Milan: « Le -i de ce mois, se sont
réunis à l'Hôtel central de Rome MM. les professeurs Quintavalle et de Gua-
rinoni, représentants du Conservatoire de Milan -, P'ano, directeur; Piacentini
et Gasperini, professeurs du Conservatoire de Parme ;Trapani, Morelli, Taglia-
cozzi et Aglialori, professeurs du Conservatoire de Palerme. On a discuté tout
au long la question du décret organique proposé par le gouvernement pour le
Conservatoire de Milan, et on a décidé d'un commun accord d'empêcher que
cette proposition soit adoptée, et de présenter à sa place un nouveau projet
qui pourrait servir à tous les Conservatoires d'Italie. On espère atteindre le but
grâce à l'appui de nombreux députés, qui prennent intérêt à l'affaire ». Heu-
reux pays où les députés s'intéressent aux Conservatoires !
— « Il n'y a plus, dit notre confrère le Trouatore, il n'y a plus ni on dit, ni
suppositions, ni si, ni mais ; l'engagement du maestro Arturo Toscanini au
Métropolitain de New- York est absolument certain. Et non seulement cela,
mais un autre fait accompli est l'engagement aussi de M. Gatti-Casazza comme
directeur de ce même grand théâtre. Notre Scala perdra ainsi d'un seul coup
son illustre concerlatore et directeur d'orchestre et son accort et intelligent
directeur général ». De cette nouvelle il résulte que le maestro Toscanini ne
dirigera pas à la Scala la saison 1908-1909.
— Voici que les frères Paganini, fils du baron Achille Paganini et petits-
fils de l'illustre violoniste Nicolo Paganini, démentent la nouvelle donnée par
plusieurs journaux italiens (et reproduite par nous d'après eux), relativement
à la prétendue découverte de plusieurs manuscrits autographes de composi-
tions de leur aïeul. Ces autographes, qui sont en leur possession, figurent,
disent-ils, dans le catalogue par eux déposé chez un notaire de Parme,
M. Cesare Datta.
— Le Théâtre-National de Rome a donné le jour à une opérette nouvelle,
il Caporal Susine, dont la musique est due au maestro Luigi Dall'Argine,
et qui a été très bien accueillie. — D'autre part, on a représenté à Sienna une
opérette pour enfants, intitulée un Colpo di forluna, dont la musique a été
écrite par le compositeur G.-B. Pollini.
— M. Puccini, qui vient de se rendre en Egypte pour y faire une villégia-
ture de quelque durée, a confié avant son départ, à un ami, qu'il travaille en
ce moment à un nouvel opéra intitulé lu Fille de l'Ouest, dont le livret a été
tiré du drame du même nom de Belasco, par M. Zangarini.
— C'est à Crémone que naquit, en 156" ou 1568, le grand compositeur
Claudio Monteverde, justement considéré comme le père et l'initiateur du
drame musical moderne, auquel il a su donner, grâce à son inspiration su-
perbe et à son génie novateur, toute son ampleur pathétique et sa puissance
expressive. Crémone s'en est souvenue, et récemment un comité s'est formé
en cette ville dans le but de procéder à la publication d'une édition complète
des œuvres de l'illustre artiste, déjà réunies et coordonnées à cet effet par le
maestro Gaetano Cesari. Cette heureuse pensée a été vivement encouragée
par M. Arrigo Boito, l'auteur de Meftstofek, qui, dans une lettre adressée à
l'un des membres du comité, M. le professeur Novaii, exaltait en ces termes,
qui n'ont rien d'excessif, l'admirable génie de Monteverde : — «... Avoir été
dans son temps un conquérant audacieux d'éléments inexplorés dans le do-
maine de l'harmonie, un amplificateur de l'ensemble physique du mélodrame
(l'opéra), un précurseur de l'orchestre, avoir été le personnificateur des
timbres, le peintre de la parole, l'agitateur de son nouveau style que j'appel-
lerai animé (eoncitulo) et qui tend à accroîtra les moyens expressifs du rvthme
et des intervalles dans le sens de l'énergie, avoir méprisé et vaincu l'opposi-
tion des pédants, tous ces titres d'honneur présentent Monteverde au musi-
cien moderne comme un maître glorieux de toute forte, saine et savante
audace. S'il arrive enfin que dans Crémone, sa patrie, on soulève l'idée d'une
nouvelle édition des œuvres dues à l'auteur d'Or/eo et des iladrigali guerrieri,
et qu'elle trouve son accomplissement, la ville de Monteverde aura consacré à
la gloire de son enfant un monument supérieur au bronze... »
— Quand on prend de l'opérette on n'en saurait trop prendre. Un dilettante
napolitain, connu déjà par quelques ouvrages de ce genre, M. Francesco Mi-
relli, prince de Teora, vient d'en écrire trois d'un seul coup, dont voici les
titres : l'Assedio di Montauban, la Cicala, il Manieotio.
— Immédiatement après la mort de Joseph Joachim, la question d'ériger un
monument à sa mémoire fut soulevée ; on la jugea prématurée. Depuis, elle a
pris consistance ; avant la fin de ce mois, un concert sera donné par les trois
membres survivants du Quatuor-Joachim, et le bénéfice en sera consacré à
l'érection du monument. L'emplacement désiré pour le buste du maître serait
le vestibule du Conservatoire ou une des cours de l'établissement.
— M. Félix Weingartner a l'intention de remettre en honneur à l'Opéra de
Vienne le genre opéra-comique un peu délaissé avant lui; il va prochaine-
ment remettre en scèoe Don Pasquale de Donizetti. En même temps que
Lakmé, dont il prépare la reprise, il montera le Cliemineau de M. X. Le-
roux.
LE MÉNESTREL
' — Le concours ouvert à Vienne pour le prix Beethoven n'a pas été brillant
cette année. Ce concours comporte, on le sait, un prix de 2.000 couronnes.
Douze élèves ou anciens élèves du Conservatoire y avaient pris part cette fois,
mais le résultat a été lamentable, et le jury, en présence de travaux notoire-
ment insuffisants, n'a pas cru pouvoir accorder le prix.
— Un scandale à Vienne. On signale de cette ville la fuite de Mmc Frieda
Strindberg, épouse divorcée du célèbre auteur dramatique. Elle s'est efforcée
ainsi d'échapper aux suites d'une instruction ouverte contre elle pour mena-
ces, tentative de meurtre, vol, etc. Cette aventurière, âgée aujourd'hui de
trente-six ans, avait épousé il y a dix-sept ans le poète Strindberg, avec
lequel elle ne tarda pas beaucoup à divorcer. S'étant fixée alors à Vienne, elle
sut s'introduire dans la meilleure société de la capitale autrichienne. Devenue
l'intime amie d'une ex-actrice du Théâtre-Impérial, Mme Catherine Schratt,
qui, grâce à ses grandes relations, recevait chez elle beaucoup de personnages
de la haute aristocratie, elle fit la connaissance du prince Charles Fugger
Babenhausen. avec lequel elle noua une liaison, dans le but d'en retirer des
avantages matériels, fût-ce en le menaçant d'un scandale. Celui-ci, fatigué de
ses exigences, se décida à une rupture. Mais alors elle lui fit un jour, à l'hôtel
Bristol, une scène épouvantable, qu'elle termina par des coups de revolver.
Assez heureux pour ne pas être atteint, le prince jugea à propos de porter
plainte contre cette virago. On se rappela à ce moment à la police que deux
ans auparavant, dans des circonstances analogues, elle avait aussi tenté de tuer
le romancier VanOesteren, qui avait opportunément réussi à la désarmer. Et
en même temps une ex-actrice berlinoise, Mme Gemberg, déposait de son coté
une plainte contre la Strindberg, qu'elle avait chargée de vendre deux tableaux
de Lucas Cranach et de Bellini, et qui les avait vendus en effet, en s'appro-
priant l'argent qu'elle en avait reçu.
— De Berlin : Une panique s'est produite hier soir au nouveau Lortzing-
Theater, au cours d'une représentation de l'Enlèvement au Sérail de Mozart.
Pendant le premier acte, une odeur de fumée se répandit dans la salle ; quel-
qu'un se mit à crier : « Au feu !» ; le public se rua vers les issues malgré les
objurgations du chef d'orchestre et de plusieurs artistes qui étaient bravement
restés en scène, et la salle se vida sans accident grave toutefois. Voici ce qui
s'était passé : Un spectateur, en arrivant au théâtre, avait mis dans une
poche de son pardessus un cigare qu'il croyait avoir éteint et confié le tout au
vestiaire. Le pardessus se mit à flamber et avec lui plusieurs autres pardessus
qui se trouvaient à proximité. Le tout fut éteint en quelques minutes, mais
l'alerte avait été vive.
— M. Richard Strauss fait démentir la nouvelle publiée par plusieurs jour-
naux italiens que 1" éditeur M. Sonzogno l'aurait chargé de mettre en musique
la Fête de la Moisson, le livret de M. Salvadori, qui a été primé au concours de
M. Sonzogno et dont M. Mascagni refuse d'écrire la partition.
— L'intendance générale du nouveau théâtre grand-duca! de la Cour, à
Weimar. prépare une reprise de l'Opéra de Méhul Joseph avec des récitatifs
de M. Max Zenger. Sur ce même théâtre, dont la scène peut être aménagée
pour contenir un orchestre, ainsi que nous l'avons expliqué, a eu lieu le pre-
mier concert donné dans ce local. M. Peter Raabe en avait pris la direction.
Cette expérience, dont le résultat était attendu avec une certaine anxiété, a
donné satisfaction à tous et le succès en a été complet. L'acoustique de la
salle a été trouvée excellente pour la musique. A cette séance d'essai, M. Fe-
ruccio Busoni s'est fait beaucoup applaudir dans le concerto en mi bémol de
Liszt.
— Une opérette nouvelle en trois actes, le Concours de beauté, paroles de
M. Auguste Ûlleadorf, musique de M. Ferdinand Hoff, vient d'être jouée pour
la première fois au Théâtre-Municipal de Barmen.
— M. Rimsky-Korsakow, le célèbre compositeur russe, qui est décidément
infatigable, vient, dit-on, de terminer un nouvel opéra, qui a pour titre le
Coq d'or.
— La grande saison lyrique italienne se prépare à Saint-Pétersbourg. Ori
annonce les engagements de Mlnes Sigrid Arnoldson, Rosina Storchio, Lina
Cavalieri et Boronat, des ténors Anselmi et SobinolV, des barytons Nani et
Battistini, de la basse Navarrini et du chef d'orchestre Gino Golisciani. Le
répertoire comprendrait les ouvrages suivants : Manon, Don Pasquale, la Favo-
rite, Mignon, Faust, Rigoletlo, Maria di Rohan, Thaïs, Roméo et Juliette, Zaz-a,
Werther, Ernani, Carmen, la Bohème, les IJècheurs de Perles et la Traviata.
— Du Roull de Moscou (13/26 janvier 1908): Le 12/25 janvier 1908, l'orches-
tre du Conservatoire de la Société Impériale-Musicale Russe a donné, sous la
direction de M. Francis Casadesus. un concert d'œuvres françaises modernes.
Nous avions eu en novembre 1907 le plaisir d'entendre ce même orchestre di-
rigé par MM. Edouard Colonne et Georges Marty, les célèbres chefs d'orches-
tre français. M. Francis Casadesus, par ses qualités musicales et sa puissance
d'expression, ne doit rien à ses illustres prédécesseurs, et le concert d'hier soir
présentait un intérêt considérable, les œuvres inscrites au programme étant
toutes nouvelles pour nos oreilles. D'abord une ouverture de M. Eugène
d'Harcourt, le Tasse. Cet ouvrage bien ordonnancé, d'une facture nette, est
bien orchestré. Ensuite un poème délicat de M. Georges Marty, Nuit d'été,
écrit à la manière de Saint-Saèns, avec des sonorités simples claires et pleines
de charme. Après cette pièce, la première audition de la symphonie Scandi-
nave de M. Francis Casadesus. Trois parties seulement ; la première d'un style
sévère aux harmonies étranges, aux thèmes originaux, nous a un peu surpris,
mais la deuxième partie, un Largo expressif et mélodique, où la phrase se dé-
roule et s'enfle sans défaillance, coupée par un mouvement rapide aboutissant
à une reprise du thème principal est émolionnante. Quant à la troisième partie,
deux thèmes principaux très opposés la composent. Le premier, énergique,
brutal, au rythme syncopé, fait ressortir le deuxième. Ce dernier, mélodique,
large, se développant avec ampleur pour aboutir à une reprise du premier
thème, avec lequel se mélange, comme en une apothéose, le thème principal,
du premier morceau. — En la seconde partie du programme, les Impressions
d'Italie, de M. Gustave Charpentier, une série de tableaux intensivement poé-
tiques. M. Francis Casadesus a su mettre en valeur les beautés tour à tour
réalistes et pastorales de cette œuvre colorée. L'entr'acte symphonique de
Messidor, de M. Alfred Bruneau, chantant les moissons fécondes des jours
d'été, et les Perses, de M. Xavier Leroux, terminaient ce beau programme. —
M. Francis Casadesus a été accueilli avec enthousiasme ; sa franchise, sa fou-
gue, la vie dont il anime tout ce qu'il dirige, font que les sympathies du pu-
blic moscovite étaient amplement méritées.
— Du Tchass, Moscou (1S/29 janvier 1908 j : Au nouvel Opéra-Zimine la
septième représentation de Carmen était dirigée par le musicien français
M. Francis Casadesus. Nous ne pouvons que louer la direction de ce théâtre
d'avoir profité de la présence de ce symphoniste à Moscou pour nous faire
entendre un opéra français, dirigé par lui. L'œuvre était vivante, active ; sur
la scène comme à l'orchestre tout vibrait sous l'impulsion de ce bras vigou-
reux. On a acclamé le chef-d'œuvre. De nombreux rappels ont récompensé
M. Francis Casadesus'de ses efforts.
— Au Théàtre-Apolo de Madrid a eu lieu, sans succès, la représentation
d'un opéra nouveau, intitulé el Paleo de la presidencia, paroles de M. Michel
Echegaray. musique de M. Jimenez. L'ouvrage a été accueilli de telle façon
par le public que les auteurs l'ont retiré aussitôt.
— Un journal étranger annonce, sans en dire davantage, que MPe Xellie
Melba, aidée des conseils de M. Hammerstein, directeur du théâtre Man-
hattan de New-York, est en train de former eu Australie une grande com-
pagnie lyrique. Les chœurs eux-mêmes seront composés d'Australiens.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Le Journal Officiel publie les deux arrêtés suivants :
Par arrêté en date du 11 février 1908, du ministre de l'instruction publique
et des beaux-arts, M. Guy Ropartz, directeur de l'Ecole de musique, succur-
sale du Conservatoire national, à Nancy (Meurthe-et-Moselle), est nommé
membre du Conseil supérieur d'enseignemeot du Conservatoire na'ional de
musique et de déclamation (section des études musicales), en remplacement
de M. Messager, devenu membre de droit de ladite section en sa qualité de
directeur du théâtre national de l'Opéra.
Par arrêté en date du 10 février 190S, le ministre de l'instruction publique
et des beaux-arts a nommé M. de Grammont professeur titulaire du cours
d'histoire et de littérature dramatiques au Conservatoire national de musique
et de déclamation, en remplacement de M. Marcel Fouquier, démissionnaire.
— Le Musée Carnavalet vient de s'enrichir, grâce à d'heureuses libéralités,
de trois portraits particulièrement intéressants: un portrait de Dugazon, le
célèbre comique de la Comédie-Française, peint par Riesener, offert par
M. Félix Doistiu ; un portrait de Balzac sur son lit de mort, pastel de Girau-
det, offert par Mmo Marie Kolb. et le beau portrait d'Alexandre Dumas fils,
dû à M. Edouard Détaille, que M1"0 Malza, née Colette Dumas, fille de l'auteur
du Demi-Monde et de la Princesse Georges, a légué au musée par testament.
— Signalons à l'Opéra les très hsureux débuts du ténor Gauthier dans (es
Huguenots. Voix chaude et puissante, jeu intelligent, tout a contribué à son
succès. Très bonne acquisition pour les nouveaux directeurs de l'Opéra.
— A l'Opéra-Comique, le ténor Salignac a chanté pour la première fois le
rôle de Werther, et il s'y est montré le grand artiste qu'on sait. Son succès a
été des plus vifs. Très heureux aussi les débuts de Mlle Chenal dans Aphrodite.
Son intelligence scénique et sa belle voix ont su triompher des difficultés
d'un ouvrage pénible et sans inspiration.
— Le Comité du Salon d'Automne, qui s'efforce de fournir à tous les talents
originaux l'occasion de se produire, annonce, pour son exposition de 1908,
des séances de musique et de littérature dont les programmes seront en
grande partie composés d'œuvres inédites. Le Comité musical se compose de
MM. Bourgault-Ducoudray, A. Bruneau, Cl. Debussy, Paul Dukas, G. Fauré,
Vincent d'Indy, A. Magnard, O. Maus, A. Parent et A. Roussel (que de
musiciens automnals !). Le Comité littéraire comprend M",c de Noailles et
MM. Léon Dierx, A. France, Ch. Gide, G. Kahn, A. Mithouard, Ch. Morice,
Ch.-L. Philippe, .1. Renard, Rouché, R. de Souza, Verhaeren, F. Viélé-
Griflin. Les jeunes auteurs ou compositeurs qui désirent leur soumettre des
œuvres sont priés de faire parvenir leurs manuscrits -avant le SI mai. au
secrétaire du Salon d'Automne, M. Paul Cornu, 4, rue Antoine-Roucher (XVIe).
— De M. Jules Râteau dans l'Écho de Paris :
Le fait est aujourd'hui certain : au mois d'octobre 1909, le Tout-Paris sera convo-
qué à l'inauguration d'un nouveau théâtre. Et quel théâtre !
Dans la rue Cambon, en face les jardins du ministère de la Justice, se trouvent,
aux numéros 45 et 47, deux vieux hôtels avec cours et jardins. — Cour et jardin,
voilà qui est bien pour un théâtre !
Ces deux immeubles et leurs dépendances couvrent une superficie considérable.
Or une Société financière, aujourd'hui régulièrement constituée au capital de six
LE MÉNESTKEL
raillions de francs, vient d'acquérir les immeubles en question. L'option qui avait |
été prise sur cette affaire a été levée cette semaine, les signatures ont été échangées.
Les actionnaires de la Société sont peu nombreux — pas plus de douze — puisque
les participations sont de cinq cent mille francs au minimum. Les démolitions vont
commencer incessamment et les travaux seront poussés activement.
A la place des vieux bâtiments existants on verra s'élever: d'abord un superbe
hôtel, dont le luxe ne le cédera en rien au lu.xe des grands hôtels récemment cons-
truits dans le quartier des Champs-Elysées et de l'Arc-de-Triomphe, et puis un grand
et beau théâtre bâti suivant toutes les régies du confortable moderne, théâtre comme
nous n'en possédons pas encore à Paris.
Ce théâtre pourra contenir de quinze cents a deux mille spectateurs. 11 sera truqué,
combiné de façon à ce qu'on puisse y jouer indifféremment la comédie, le drame ou
la féerie.
— Du même journal, deux jours plus tard, sous la signature de R.
Trébor :
Nous avons annoncé à plusieurs reprises qu'il ne serait pas impossible que
M. Antoine quittai, dans dix-huit mois environ, la direction de l'Odéon, pour prendre
celle d'un théâtre construit à son intention, rue Cambon.
Une question se posera donc à cette époque : Qui sera directeur de l'Odéon ?
Plusieurs noms ont déjà été mis en avant, mais je suis en mesure d'aflirmer
aujourd'hui que celui qui a le plus de chance de diriger notre second Théâtre-
Français, dans un an et demi, est... M. Jules Claretie.
Bien entendu, l'éminent académien n'abandonnerait pas son poste d'adminis-
trateur de la Comédie-Française. L'Odéon serait adjoint à la Maison de Molière.
Et qu'on ne croie pas cette idée nouvelle. Il y a une quinzaine d'années, MM. Mark
et Desbeaux, qui venaient d'être nommés directeurs de l'Odéon, n'arrivaient pas à
a boucler » leur commandite. Le ministre d'alors proposa à M. Jules Claretie d'ad-
joindre l'Odéon a la Comédie. M. Jules Claretie était consentant; il ne manquait plus
que l'adhésion de l'Assemblée générale des sociétaires. L'Assemblée générale allait
être réunie quand MM. Mark et Desbeaux finirent par compléter leur commandite.
Espérons que ce projet, qui sourit autant à M. Doumergue qu'à M. Jules Claretie,
aboutira. L'Odéon reprendrait ainsi sa première destination, qui était de préparer des
artistes pour la Comédie et de donner les œuvres de jeunes autours et poètes de
talent que, faute de place, on ne peut jouer rue Richelieu.
Bref, le public serait heureux et de voir M. Antoine revenu sur les boulevards et de
voir XI. Jules Claretie qui, depuis bientôt vingt-trois ans, dirige si heureusement la
Maison de Molière, prisider également aux destinées de l'Odéon.
— C'est vers le milieu de la semaine qu'on compte pouvoir donner au
théâtre des Variétés la reprise de la grande opérette populaire d'Offenbaeh :
Geneviève de Brabant. La mise en scène de l'opéra-féerie de Jacques Offenbach
sera considérable : il n'y a pas moins de cent soixante exécutants et de quatre
cents costumes dessinés par les maitres du genre : Edel et Gerbault. Le.s dé-
cors sont au nombre de cinq : 1° La grande place de Curaçao, décor de Le-
meunier: "2" Le boudoir de Geneviève de Brabant, décor d'Amable ; 3° Le
départ pour la Croisade, décor de Paquereau ; 4° La grotte de la sorcière, dé-
cor de Chambouleron et Mignard ; 5° Les jardins d'Armide, décor d'Amable.
— Geneviève de Brabant fut créé aux Bouffes-Parisiens, le 19 novembre 1859,
par Désiré, Bonnet, Léonce et MUe Tautin et comportait deux actes et sept
tableaux. Cet opéra bouffe, agrandi et remanié par ses auteurs, fut repris au
théâtre des Menus-Plaisirs, le -20 décembre 1867, avec Zulma Bouffar comme
étoile, et il fut encore l'objet d'une transformation presque complète et converti en
opéra-féerie en cinq actes et quatorze tableaux pour les représentations en
18"S, au théâtre de la Gaité, dont Jacques Offenbach était devenu le directeur.
Les rôles principaux étaient joués à cette reprise par MM. Christian, Montau-
bry, Habay, Grivot, Legrenay, Gabel, Scipion, M1™ Thérésa, Berthe Perret
et Matz-Ferrare. C'est cette dernière version resserrée en trois actes que vont
représenter les Variétés. Les rôles des deux célèbres hommes d'armes intro-
duits dans la pièce pour la reprise aux Menus-Plaisirs seront interprétés avec
grande fantaisie par MM. Brasseur et Moricey.
— Le 15e samedi de la Société de l'Histoire du Théâtre aura lieu aujourd'hui
15 février, à cinq heures, au Théàtre-Sdrah-Bernhardt. Il comprendra une
causerie de M. Georges Loiseau sur « les Poèmes d'Edmond Rostand » et le
proeramme suivant de récitations et d'auditions de poésies de l'auteur de
Cyrano :
An ciel, par XI. Jacques de Féraudy; la Brouette, par XI. Xlaurice de Féraudy;
Vieu r conte, par Xt"° Andrée Pascal; la Ballade du petit manchon, par M"" Gabrielle
Robinne ; le Pare (avec adaptation musicale de M. André Fijani, par XI. Albert Lam-
bert 111s; l'Oublieuse, par XI. de Max; la Pastorale des cochons roses imusique de
Chabrieri, par XI. Dutilloy; Ballade des dindons (musique de Chabrier), par M"° Dié-
terle.
— A la salle Monceau, lundi dernier, concert entièrement consacré aux
œuvres de Théodore Dubois. On y entendit son beau quatuor pour instru-
ments à cordes, dont l'allégro tut bissé, ses deux pièces pour violoncelle
Andante-Canlabile et Menuet, ses deux pièces pour violon, Andnnle et Scherzo-
valse, le charmant duettino d'amore pour violon et violoncelle, l'Hymne nuptial
en quatuor, — toutes pièces remarquablement interprétées par Mil. Lederer,
Michaux et Liégeois. L'excellente pianiste, Ml,c Mary Weingartner, qui s'était
déjà distinguée dans l'exécution du quatuor, a interprété seule et avec un
gros succès la superbe » Étude de concert » en ré bémol et la Source enchantée
des Poèmes sylvestres. Mnlc Guionie de l'Opëra-Comique a chanté excellem-
ment Écoute la Symphonie et Dormir et rêver (bissé), et M. Mauguière Au bord
de l'eau et Poème de mai (bissé). Enfin les deux chanteurs réunis ont encore,
fait bisser le duo de Xavière. Tout un programme de saine musique' qui a été
vivement apprécié.
— A la dernière matinée du « Lied Moderne », vif succès pour les œuvres
d'Ernest Moret. D'abord tout un cycle de belles mélodies chantées par
M. G. Mauguière et Mme Marteau de Milleville : Tendresse, Sérénade florentine,
l'Heure inoubliable,, A vous ombre légère, Devant le ciel (Pété (bissé), /" Lettre,
Il pleut d'-s priâtes de fleurs. Soir d'i-i,-, etc., etc. Ensuite quelques pi
violon remarquablement exécutées par M. Bilewski : Ariette, Lied, I
pour un soir d'automne (bissée). On finissait par des œuvres d'Arthur Co-
quard.
— Les Trente Ans de Théâtre, qui reprendront ce mois-ci, comme chaque
année, les représentations de faubourgs, donneront le mardi ïi, au Théàlre-
Fémina, une soirée hors série en l'honneur de la création de leur dispen-
saire. Cette soirée de gala sera composée d'un superbe programme réservé
aux artistes non professionnels. On y entendra le dernier acte d'O
Verdi, chanté en costumes, à orchestre, sous la direction de M. Paul Vidal,
avec la mise en scène de l'Opéra, par la délicieuse cantatrice acclamée dans
toutes les réunions mondaines : M""' Charles Max, et c'est M. Le Lubez.
l'exquis ténor, qui chantera le rùle d'Othello. L'art dramatique sera repré-
senté par le ravissant Bohémos, de M. Zamacoïs, qui aura pour interprètes —
et cela est tout dire — MM. Marcel de Germiny, Henri de Bermingham et
M"e Barretta, la charmante nièce des éminents artistes de la Comédie-Fran-
çaise. Enfin, M. Paul Ferrier a, pour la circonstance, fait une comédie qui
est, parait-il, un chef-d'œuvre de grâce souriante, la Suit <!■■ Février, dont
l'interprétation sera confiée à deux de nos artistes les plus aimés. On peut dès
aujourd'hui s'inscrire pour cette représentation (2) francs la place), soit .i
Fémina, soit au siège des Trente Ans de Théâtre, o, rue Molière.
— Le concert donné, salle Erard, par M"c Henriette Renié, fut particulière-
ment brillant. Jamais la jeune et célèbre harpiste ne fut plus justement accla-
mée pour son jeu si personnel, sa merveilleuse technique. Parmi les pièces
les plus applaudies citons une pièce de concert pour harpe et six instruments,
de M. Henri Busser, une Fantaisie, de M. Cesare Galeolti, très captivante en
son chromatisme savoureux et lu Ballade fantastique de M"e Renié. Mmc Georges
Marty eut sa bonne part de succès avec les Stances de Sapho, de Gounod, et
quatre mélodies charmantes de son mari : Brunelte, Chanson, Fleurs fonces et
la Sieste, que celui-ci lui accompagnait.
— Du journal lu Dépêche de Toulouse, à propos du dernier concert sym-
phonique dirigé par M. Crocé-Spinelli : « .... Mais, il faut bien le reconnaître,
toutes les faveurs du public sont allées, dans la soirée d'hier, aux Chants de
Fètc, de notre distingué compatriote, M. Georges Guiraud, fils de notre confrère
en critique, M. Orner Guiraud. On sentait que l'auditoire retrouvait dans ces
deux pièces quelques-unes des qualités du terroir, ordre, clarté, émotion et
pureté mélodiques. En tous cas, malgré leur, modernisme harmonique, ces
deux œuvres ont été à la fois comprises et aimées du premier coup, par le
nombreux public de connaisseurs, qui assistait à ce quatrième concert. Les
deux pièces se déroulent dans le décor breton. La première, Pour lo Toussaint,
évoque la longue théorie des veuves, des amantes et des mères de marins,
allant déposer des fleurs et des couronnes à la chapelle des Trépassés près de
Paimpol. La marche qui se déroule est lente, grave, évocatrice. Et la voix du
récitant qui s'élève au-dessus de ce rythme de procession, dominant aussi le
bruit des vagues qui viennent battre le pied de la falaise et parfois s'écrasent
en tempête, décrit avec élégance la grandeur triste de ce souvenir aux ■ Morts
en mer '. » La deuxième, Pour l'Assomption, déjà interprétée par la Société du
Conservatoire il y a quelques années, est encore dans la note bretonne. Mais
ici les thèmes sont tout à la joie : habilement traités par le jeune maître, ils
passent, repassent, disparaissent pour reparaître encore, dans toute leur bon-
homie naïve, comme les rustiques farandoles des « pardons ■> de Bretagne.
Largement déclamés par M. Boulogne, le talentueux baryton, qui reparaissait
hier, en pleine forme, après quelques semaines de maladie, ces deux poèmes
ontvalu au jeune compositeur et à ses interprèles, M. Boulogne, M. Crocé-
Spinelli et les artistes de la Société, le plus vif et le plus franc succès. Accla-
mé, M. Georges Guiraud a du, par deux fois, paraître sur la scène. Nous
joignons bien sincèrement nos compliments à ceux du public.
A un grand concert organisé à Lyon par Mme Mauvernay, tout un lot de
mélodies do Louis Diémer ont obtenu un vrai succès : Les Ailes, Menuet,
Inquiétude, Essor, etc., etc.
Louis Diémer a été fort acclamé au dernier concert symphonique de
Grenoble où il exécuta le quatrième concerto de Saint-Saëns, quelques pièces
de Chopin, Rameau et Liszt et avec son brillant élève déjà maître, Georges
de Lausnay, sa ravissante Sérénade à deux pianos et le Scherzo de Saint-
Saëns.
De Toulouse : le Conseil municipal a nommé MM. Broca frères, pour une
période de trois ans. directeurs du théâtre du Capitole, en remplacement de
M. Justin Bover, directeur actuel. MM. Broca frères sont actuellement direc-
teurs du théâtre de Montpellier. M. Justin Boyer, qui était en fonctions depuis
six années sera vivement regretté par le public de Montpellier.
De Nice, on nous signale la profonde impression produite, l'autre
semaine, aux Capucines-Niçoises, par Mmc Georgette Leblanc, dans une série
de poèmes de M. Maurice Maeterlinck et de Mmc Judith Gautier mis eu mu-
sique par Gabriel Fabre (Chansons de Maeterlinck et Poèmes île jade). Tour à
tour comme conférencière et comme cantatrice, la brillante artiste s'est fait
longuement applaudir.
Henri Heugel, directeur-gérant.
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(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
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Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste ea sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (9« article), Julien Tiersot. — II. Semaine théâtrale : première représentation iVEspada et reprise de Thérèse au Théâtre de Monte-Carlo, Paul-Emile
Chevalier; première représentation des Tribulations d'un Gendre 3.1 Théàtre-Cluny, Amédf.e Boutarel. — III. Revue des grands concerts. — IV. Nouvelles diverses, concerts "i
nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
LANGAGE D'AMOUR
mélodie de Jean Déké, sur des paroles de Mmc Carmen Codou. — Suivra
immédiatement : La Grâce suprême, nouvelle mélodie de René Lenormand.
poésie de E. Beaufils.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
TORÉADOR ET ANDALOUSE
danse extraite du ballet de J. Massenet, Espada. — Suivra immédiatement:
Gavotte, extraite du ballet Zino-Zina, de Paul Vidal, livret de Jean
RlCIIEI'lN.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
(±T X^-±TT^)
CHAPITRE III : Gluck compositeur italien
Il fallait pourtant bien que les compositeurs s'ingéniassent à
tirer parti de ces formes, puisque l'emploi leur en était ordonné.
De fait, ces airs d'opéras n'étaient autre
chose que des sonates vocales : il appar-
tenait aux auteurs de les mettre en valeur
par des oppositions analogues à celles de
la musique instrumentale. A cette ordon-
nance purement musicale, Gluck s'enten-
dait très bien : toute la partition de Demo-
foonte en témoigne. Les mouvements
vifs et lents s'y entremêlent. Tantôt la voix
chante presque à découvert, sur un accom-
pagnement simple, tantôt au contraire
elle concerte avec les instruments. Dans
l'air de bravoure de la fin du premier
acte, un de ces chanteurs extraordinaires
comme en vit le dix-huitième siècle, Gio-
vanni Carestini (sa voix avait l'étendue du
ténor et du soprano tout ensemble, de ré2
à sol1) luttait bravement avec les fanfares
des trompettes et des cors, et prolongeait
clans le grave de longues tenues tandis
que les violons faisaient circuler à l'aigu
des dessins brillants aux notes nombreu-
ses. Puis, à côté, Cherinto, le jeune prince
que nous avons vu naguère si désespéré,
chantait une tendre cantilène, dans le
dessin de laquelle il nous semble recon-
naître la jolie ligne mélodique du menuet sur lequel, aux
Champs-Elysées, les Ombres heureuses ramènent discrètement
Eurydice à Orphée. Matusio, qui avait si excellemment ouvert
l'opéra par le premier air, en chante un autre, au troisième acte,
BENEDETTO MARCELLO auteur du Teatro alla Moda.
qui ne le cède en rien : un véritable morceau de situation, d'une
rondeur joviale, presque comique, et cela est fort bien, puisque
c'est par cet air que le vieillard vient
révéler que Dircea est la fille du roi,
pensant ainsi remplir d'aise tout le monde.
Voici l'exposition de ce morceau.
| Voir ci-après, air de Matusio.'
Parmi les cantilènes traitées avec le
plus d'amour par les nombreux maestri
qui mirent en musique le Demofoonte de
Métastase, il faut compter celle qui com-
mence par le vers : Misero pargoletto. Ce
morceau est chanté par Timante au mo-
ment où, venant d'apprendre que la
femme qu'il a rendue mère est sa sœur,
il aperçoit l'enfant, qu'on lui amène juste
à la même minute. Il s'apitoie sur ce pro-
duit du fâcheux inceste : « Pauvre petit !
Tu ne sais pas quel est ton malheur ! »
Un public moderne ne laisserait pas
d'accueillir cette situation par quelques
sourires, mais cela suffisait au XVIII
cle pour déterminer le summum de l'émo-
tion, et comme il s'agit du cantabilc d'onze
heures du soir, les compositeurs se sont
mis en grands frais d'inspiration pour ha-
biller ces pauvres paroles. Hasse a écrit
pour elles un bel andante. dont la pureté
mélodique et l'élégance d'ornementation l'ont pressentir Mozart.
Je connais aussi une jolie canzone de Léo, du meilleur style de
mélodie italienne. Gluck, dont l'inspiration est toujours grave,
a mis là un chant d'un beau style classique, qui peut faire
58
LE MÉNESTREL
1 l
AIR DE -MATDSIO iDébuii
pressentir de loin les chants d'Orphée : « Laissez-vous toucher
par mes pleurs. » En voici les premières mesures :
Largo
Quant à l'unique duo chanté à la fin du second acte par les
époux que la fatalité sépare, la plupart des compositeurs l'ont
écrit de manière à donner raison à l'auteur du Théâtre à la mode,
lorsqu'il posait en précepte que, dans ces sortes de situations, il
faut faire entendre une musique gaie pour dissiper la tristesse
du public. Les paroles écrites par Métastase s'y prêtaient à mer-
veille : Timante et Dircea vont être jetés en prison; ils n'en
sortiront que pour mourir: ils se font donc leurs adieux, mais
en quels termes galants! L'époux requiert de sa femme la licence
de lui prendre la main ; et ils se chantent, en unissant les voix,
les choses les plus aimables! Encore, chez Gluck, le style mu-
sical garde -t-il quelque chose de son austérité naturelle; mais
combien peu d'autres observent la même réserve 1 Les Gloires
de l'Italie ont donné la transcription du duo que Léo a écrit sur
les mêmes paroles, pour Naples : la musique en est agréable et
légère; elle serait parfaitement à sa place dans un opera-buffa,
interprétée par Léandre et Zerbinette.
L'analyse que nous venons de faire de cet opéra de Gluck,
le premier dont l'ensemble soit venu jusqu'à nous, pourrait suffire
à donner une idée de son art pendant cette partie de sa carrière,
et nous nous en tiendrions là, complétant seulement ces indi-
cations musicales par quelques autres tirées d'œuvres moins
intégralement conservées, si nous ne nous trouvions obligés de
nous arrêter pour élucider un point d'histoire qui vient s'offrir
à notre attention ici même, et sur lequel, par surcroît, il n'y a
que très peu de temps que la lumière a été portée.
Les précédents biographes ont établi que, Demofoonte ayant été
donné à Milan pour le carnaval de 1743, Gluck occupa les mois
qui suivirent à l'élaboration d'un autre opéra, qui fut repré-
senté, à l'automne de la même année, dans une autre ville.
Schmid, Fétis, et tous ceux qui les ont copiés, ont désigné pour
titre de cet opéra : Artamène, et pour lieu de représentation :
Crémone. En rédigeant son catalogue thématique, M. Wotquenne
a été amené à constater qu'aucun opéra de Gluck n'a été joué à
Crémone, tandis qu'un recueil de ses airs porte, sur plusieurs
titres, l'indication du théâtre de Crema, et parfois la date de
1743, ainsi que certains noms de chanteurs. De là à conclure
qu'on avait confondu à tort Crémone avec Crema, il n'y avait
qu'un pas. C'était bien, mais ce n'était pas encore assez : il aurait
fallu dire, pour être tout à fait dans la vérité, que Y Artamène de
Crémone, non seulement n'est pas de Crémone, mais encore
n'est pas Artamène. C'est ce qui nous a été démontré récemment,,
et ce que nous allons confirmer à notre tour.
D'après le catalogue de M. Wotquenne, Artamène, quatrième
opéra de Gluck, aurait été représenté à Crema, à une époque
incertaine de l'année 1743, et aurait eu pour interprètes quatre
artistes dont les noms sont désignés ; il serait écrit sur un livret
du vénitien Bartolomeo Yitturi, déjà mis en musique par deux
compositeurs : Fiorillo et Albinoni, et dont le principal person-
nage estunprinceindien.il convient d'ajouter que, au commence-
ment de mars 1746, Gluck fit représenter à Londres xm Artamène
dont la musique est tout autre que celle de l'ouvrage donné
à Crema en 1743 : il aurait donc ainsi composé, à quelques
mois de distance, deux ouvrages différents sous le même titre
et sur le même sujet.
Malheureusement, le livret imprimé pour les représentations
de Crema avait échappé à toutes les recherches. Par contre, le
recueil manuscrit du Conservatoire de Paris contenait clés airs
dont vingt (y compris un duo) parurent à M. Wotquenne appar-
tenir à cet opéra : il en inscrivit donc les thèmes sous le titre
d' Artamène, et, aucun document ne lui permettant de connaître
la place que chaque morceau devait occuper dans la pièce, il
les classa par ordre alphabétique.
Il ne m'avait pas échappé que les raisons d'attribuer à l'opéra
de Crema plusieurs morceaux compris dans cette énumération
étaient assez faiblement déduites, ou, pour mieux dire, complète-
ment omises. Tout d'abord, aucun des airs (du moins ceux de cette
période) qui forment l'ensemble de notre précieux manuscrit ne
porte le titre de l'opéra d'où il est tiré. Quand le livret est là,
tout va le mieux du monde : il suffit de comparer les vers
imprimés et copiés de part et d'autre pour mettre chaque air à
sa place. Mais dans le cas présent, ce document faisant défaut, il
faut bien s'en tenir aux indications des copies ; or, les seules
qu'on y trouve sont la mention du théâtre de Crema, inscrite sur
six morceaux, parfois avec la date de 1743, et les noms des inter-
prètes, ceux-ci inscrits encore sur quatre autres morceaux: au
total, dix sur la nature desquels notre document renseigne. Pour
les dix autres compris sous le même titre, je n'ai pas connais-
sance que rien ait pu autoriser à les grouper avec les précé-
dents.
D'autres objections m'apparaissaient encore. Cette composition
de deux Artamène à trente mois de distance était bien peu vrai-
semblable. Un air, sur lequel des raisons tout particulièrement
intéressantes ont attiré l'attention, commence par ce vers :
« Presso l'onda d'Acheronte » ; mais que vient faire l'Achéron dans
un sujet indien ? 11 ne fallait rien moins que la connaissance
approfondie du sujet qu'a M. Wotquenne, et la haute autorité de
M. Gevaert (qui, dans la préface de son édition d'Armide, assure
que l'air dont on vient de lire les premières paroles provient
d'Artamène) pour m'incliner à tenir pour fondé ce qui ne me
paraissait être qu'une hypothèse fragile, et je me disposais à
LE MENESTREL
l'écrire quand — le jour même où je m'y préparais — j'eus
connaissance d'une étude qui, en corroborant tous mes doutes,
a permis d'apercevoir enfin toute la vérité.
{A suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THÉÂTRALE
Monte-Carlo : Éspada, ballet en un acte, de M. René Maugars,
musique de M. J. Massenet ; reprise de Thérèse.
Pour accompagner sur l'affiche la reprise de Thérèse, le triomphe de
la saison dernière, et faire ainsi une « soirée Massenet », la direction a
décidé l'auteur de Werther à composer, sur un scénario de M. René
Maugars, le ballet en un acte dont nous venons d'avoir la première
représentation. Et cette « soirée Massenet » comptera encore, et dou-
blement cette fois, parmi les soirées sensationnelles de l'Opéra de
Monte-Carlo.
Espaça, c'est espagnol; il semble inutile d'y insister. Donc en une
posada, proche la plaza de toros, règne toute séduisante la belle Anitra,
•dont les danses lascives et la souple beauté captivent tous les habitués
•de l'endroit populaire., Seul Alvear, l'espada renommée, reste indiffé-
rent. Anitra s'offense de pareille froideur. Il faut qu'Alvear soit, lui
aussi, à ses genoux. Ce que femme veut... Et le beau toréador est pris
aux filets de l'enchanteresse qui, elle-même, se met à le profondément
aimer.
La fanfare annonçant le commencement de la corrida résonne au
dehors. Alvear doit aller combattre le taureau et Anitra, hantée de
fâcheux pressentiments, supplie le nouvel adoré de ne point, aujour-
d'hui tout au moins, risquer sa chère vie. Alvear est l'esclave du devoir.
Il part. Et voilà que, soudain, rentrent des hommes à la mine sombre,
une rumeur, dont la signification n'échappe pas à Anitra, parvient
jusqu'à la posada. Il y a eu un accident à la plaza. Si c'était Alvear !
Mais les habitués, indifférents et tapageurs, réclament leur danseuse
préférée, et le patron, brutalement, force Anitra, inquiète, anxieuse,
•éplorée, à redanser le « Pas de la Mercedes ». L'oreille aux aguets, le
cœur serré, les jambes flageolantes, elle tourbillonne entre les tables
■des buveurs excités, jusqu'au moment où l'on rapporte le corps san-
glant d'Alvear ! Alors la danse de la belle devient frénétique, incohé-
rente, sublime dans sa folie douloureuse, jusqu'au moment où elle
tombe inanimée à côté du cadavre de l'espada.
Il est aisé de pressentir tout ce qu'un artiste tel que M. Massenet a
pu dépenser de fougue, de couleur, de jeunesse, de débordante passion
■en un pareil sujet: de sa merveilleuse palette orchestrale sortent
toutes les rutilances de l'Espagne ensoleillée, remuante, populaire et
sensuelle. La lumière, la joie, le désir, comme aussi la douleur, sur-
gissent en tons chauds, en rythmes enivrants, en sonorités éclatantes.
Les dauses vous entraînent, les élans amoureux vous prennent; et
l'oeuvre s'achève, dans son mouvement endiablé, alors que l'on s'ima-
gine qu'elle vient à peine de commencer !
Pour établir le personnage d'Anitra, il fallait une danseuse qui fût
inoins danseuse que mime dramatique : M"e Trouhanowa, que nous
n'avons pas à présenter aux Parisiens, puisqu'elle parut à l'Opéra à la
fin de la direction Gailhard, a, en cette occasion, prouvé des qualités
d'intelligence et d'expression particulières. On l'a légitimement associée
au grand succès de la partition. Elle est, d'ailleurs, fort joliment en-
cadrée par le corps de ballet de Monte-Carlo et par une mise en scène
dans laquelle M. Gunsbourg a pu donner libre cours à son goût pour
les figurations nombreuses et turbulentes.
Et nous avons très grand plaisir à noter, une fois encore en ces
■colonnes, les applaudissements, les ovations et les bis qui saluèrent
la reprise de Thérèse. Faut-il rappeler toute la poésie, tout le charme,
toute l'éloquente évocation d'un passé aimable et séduisant qui se dégagent
•du premier acte, et, contraste supérieurement théâtral, l'impression de
trouble, de saisissement, de terreur qui vous étreint au second acte "?
Faut-il redire l'empreinte humainement vibrante et superbement tra-
gique donnée par M"e Lucy Arbell au rôle de Thérèse, dont elle fut
l'inoubliable créatrice ? Tout cela est encore trop présent à la mémoire,
— un an à peine s'est écoulé depuis la première représentation — pour
qu'il soit utile d'y revenir autrement que pour constater que l'œuvre
exquise et émotionnante et sa très personnelle interprète, à qui on a
redemandé, au second acte, la belle phrase : « Ah ! viens, partons »,
ont retrouvé, de la part des spectateurs, le même bel enthousiasme.
A M. Clément, «jui l'ut le premier Armand, élégant, enjôleur, à la
voix de caresses, à M. Dufranne, qui fat le premier André, mâle, gran-
diloquent, à l'organe tour à tour viril et ému, ont suça
son. MM. Roussëlière et Bouvet. Si M. Bouvet se rapproche de M. Du-
franne, ayant conservé au représentant du peuble son allure il
civisme, encore qu'il y ait dans sa personne et dans son chant moins
de saine rudesse, M. Roussëlière a surtoul marqué d'intensiti
vaillance le rôle du jeune marquis; au premier acte on lui a fait re-
chanter : « Le passé, mais c'est ta jeunesse », el e'étail justice.
Paii.-1C.mile Chevalier.
Théâtre- Cllny. — Première représentation des Tribulalioru d'un Gendre,
comédie-vaudeville en trois actes, de MM. Grenet-Dancourt et Eugène
Héros.
Le condiment du très modeste festin qu'est la représentation de cette
pièce, nous le trouverons dans le gentil modèle italien Zita, non dé-
pourvu de grâce et pourvu de jolis yeux noirs d'une amusante expres-
sion mutine. On devine que nous sommes chez un peintre. Il se nomme
Lucien Rinel. Les combats de la vie d'artiste ont été si âpres pour lui
qu'il en est réduit à vendre ses toiles au maitre usurier Isaac. Il vient
de perdre sa femme et celle-ci lui a laissé, avec un fils encore au ber-
ceau, une belle-mère, vis-à-vis de laquelle d a ce crue l'on nomme, en
langage juridique, une dette d'aliments. Tenant compte de sa déclara-
tion, qu'il n'a pas de ressources suffisantes pour payer une pension en
argent, le tribunal l'a condamné à recevoir à son foyer sa belle- mère,
et celle-ci. sans se faire attendre ni se faire annoncer, vient en triom-
phatrice, prendre la place que les magistrats lui ont octroyée. A son
arrivée le vide se fait autour de Rinel, un oncle à succession s'enfuit,
une jeune fille charmante, Cécile Moulavent, qu'il voulait épouser, lui
est arrachée à cause des charges nouvelles qui lui incombent, tout le
cercle d'intimité se disperse, c'est le comble de la désolation, a 0 Adam !
toi qui n'eus jamais de belle-mère, je t'implore, viens à mon secours ! »
s'écrie le malheureux peintre, se croyant sûr que sa maison va devenir
un enfer.
Il se trompe ; c'est en paradis que son home se transforme. Sa belle-
mère, Mme Brunois, est pour lui une providence. Elle a introduit dans
l'atelier d'abord la propreté, puis l'aisance, enfin le luxe et la richesse.
Elle a su faire rendre des points au vieux juif Isaac, réduit a payer dix
mille francs les tableaux qu'il avait naguère pour trois cents. Le bon-
heur rè^ne maintenant où trônait précédemment la misère, car Rinel.
traité en fils par sa tutélaire compagne, l'aime à son tour comme une
mère ; tellement que notre pièce risquerait de s'affadir au milieu de
cette félicité sans incidents, si les personnages que Mme Brunois a précé-
demment mis en fuite ne revenaient un à un, tous séduits par ses
bonnes qualités, tous amoureux d'elle, tous la demandant en mariage.
Mais elle est la perfection même, cette femme qui a su si bien conquérir
son rendre. Elle éconduit, sans en blesser aucun, tous les imprudents
qui la sollicitent. Elle sait même mettre le comble à ses bons offices en
conduisant jusqu'au dénouement le plus heureux une petite intrigue
renouée subrepticement après la rupture violente du premier acte.
Cécile Moulavent aimait en effet Rinel qui le lui rendait bien, mais
le hasard des circonstances avait séparé les deux jeunes gens. Au
dernier acte, la belle- mère, toujours affectueuse et prévenante, rappro-
che Lucien et Cécile, et c'est sous son regard maternel qu'ils échangent
leur baiser de fiançailles, lui promettant bien, à elle, de la considérer
toujours comme leur bienfaitrice et leur providence. L'enfant de Lucieu
sera élevé par la présente belle-mère, et la future épouse promet de le
chérir autant que ceux qu'elle aura plus tard, peut-être plus, dit-elle
avec un suave sourire, afin de lui faire oublier qu'il n'a plus de mère.
Cette scène finale, qui aurait pu rester toute délicate et intime, a été
o-àtée comme à plaisir par l'intervention de trois dés amoureux de
Mme Brunois : ils arrivent, déguisés en conducteurs d'automobdes et
vêtus d'énormes peaux d'ours, s'effondrer ensemble aux pieds de leur
idole. Le succès de la pièce eu a été. très compromis.
L'interprétation a été vraiment excellente. Mme Gilberte, très expéri-
mentée, très naturelle et d'une tenue parfaite, a soutenu les deux der-
niers actes en leur prêtant un caractère de semi-distinction nullement
désagréable. M. G. Saulieu s'est bien comporté à côté d'elle, sans tou-
tefois posséder la même aisance et la même habitude du théâtre.
Mmc Frank-Mel provoque toujours le rire par ses attitudes, ses jeux de
physionomie et ses gestes saugrenus. Mlle Benda a été un attrayant
modèle; sa manière d'estropier la langue italienne a pu paraître
piquante presque autant que sa mimique toujours vive et sa physio-
nomie incessamment mobile et changeante. M1Ie M. Meunier a été gra-
cieuse en ingénue. Les autres rôles ont été remplis avec talent par
GO
LE MÉKE^TRKL
MM. Armand Marie, Valût, Perret, Marius, G. Mori, G. Barrai,
Mmos Limery, G. Girardot et L. Ariette.
Sans être une pièce bien faite dans le sens que l'on attache à ces
mots, celle-ci a pourtant des qualités moyennes. Elle mérite la bien-
veillance de cette partie du public qui sait trouver du plaisir à la repré-
sentation d'un vaudeville, même quand celui-ci ne fait pas appel à la
gaité grossière et se contente d'en côtoyer les domaines, non sans y
tenter d'ailleurs quelques incursions sous forme d'équivoques plus ou
moins finement déguisées. Les Tribulations d'un Gendre constituent un
titre entièrement trompeur ; la pièce devrait s'appeler le Plus Heureux
des Gendres. Le personnage de la belle-mère y est entièrement sympa-
thique ; c'est le monde renversé du vaudeville.
Amédée Boutarel.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts-Colonne. — Mme Georgette Leblanc-Maeterlinck a chanté, selon sa
manière et avec tout son talent, l'air de Castor et Pollux de Rameau: « Tristes
apprêts, pâles flambeaux », qui sera dans trente ans bicentenaiie, et l'œuvre
toute moderne que le programme intitule Quatre p aimes. Trois de ces poèmes,
J'ai -marché trente ans, les Sept Filles d'Orlamonde et Cantique à la Vierge, sont
de M. Maeterlinck; le quatrième, Ivresse d'amour, est de Mme Judilh Gautier.
Il est peut-être superflu de nommer le compositeur, M. Gabriel Fabre, car les
morceaux qui ont été joués au Chàtelet y arrivaient précédés d'une réputation
établie en France et à l'étranger. Ce ne sont pas de grands ouvrages, mais
tous ceux qui possèdent l'art de dire en sauront tirer très agréablement parti.
Le dernier sort tout à fait de l'ordinaire ; c'est une petite mélopée infiniment
douce, voluptueuse et languissante, que Mmc Georgette Leblanc a mimée en
même temps que chantée et qui convient à son tempérament d'une façon
complète. — Une symphonie nouvelle de M. Henri Dallier nous ramène aux
formes classiques. Elle est correctement écrite dans la tonalité de fa, rap-
pelle un peu les procédés de Beelhoven, et aussi ceux de Schumann et de
César Franck ; mais, si les thèmes n'en sont pas d'une inspiration très élevée,
ils produisent néanmoins une impression de calme repos et dénotent un sen-
timent artistique très noble quand on ne les sépare point de leurs développe-
ments. Le public a fait un chaleureux accueil à cette composition nouvelle du
sympathique organiste de l'église de la Madeleine. — Le prélude de Fervaal
de M. Vincent d'fndy est une de ces petites choses qui peuvent valoir beau-
coup lorsque leur interprétation correspond bien à la pensée qui les a fait
naître. A ce point de vue, l'intellectualité de M. Colonne n'est jamais en
défaut et il a su, cette fois encore, nous donner, par la musique, une vision
très intime de cette ambiance parfumée de fleurs et de verdure dans laquelle
un adolescent malade renaît peu à peu à la vie. — Pourquoi faut-il qu'un
concerto pour violon et violoncelle, op. 102 de Brahms, se soit imposé ici à
l'assistance et l'ait mise dans la situation désagréable de désirer acclamer
deux artistes en protestant contre le compositeur dont ils exécutaient la
musique! MM. Jacques Thibaud et Pablo Cazals se sont montrés dans cet
ouvrage incomparables de virtuosité bien coordonnée et d'ensemble magis-
tralement ferme et puissant. Lorsque plusieurs interprètes jouant de con-
cert arrivent à laisser croire qu'ils sentent exactement de même et n'ont plus
qu'une àme musicale, c'est alors qu'ils provoquent l'émotion la plus profonde
et la plus pénétrante, leur conviction gagne peu à peu. devient éloquente,
irrésistible. On l'a vu surtout lorsque M. Alfred Cortot, s'adjoignant à
MM. Jacques Thibaud et Pablo Cazals, a exécuté avec eux le concerto pour
piano, violon et violoncelle, op 56 de Beethoven. La tache était pour lui par-
ticulièrement délicate ; il s'est préoccupé de ne pas laisser éteindre l'éclat de
son instrument par la sonorité plus soutenue des deux autres, tout en évitant
l'exagération dans l'effet, le déséquilibre et l'emphase. Rien de plus parfait
comme compréhension générale. Quant à l'ouvrage en lui-même, il appartient
au premier style du maître, et est, dans toutes ses parties, d'une admirable
beauté. Le largo a été interrompu par les applaudissements: il s'enchaîne au
final par une transition d'une merveilleuse aisance et chaque instrumentiste
présente ensuite tour à tour et comme en se jouant les phrases musicales
alertes et vives de ce final écrit en forme de « Rondo alla Polacca ». Dire que
les interprètes ont eu du succès serait peu: leur triomphe a été unanime et
sans réserves : après cela, le prélude du troisième acte de Lohengrin qui ter-
minait le concert ne pouvait plus être qu'une sortie. On en est du reste un
peu las. Amédée Boutarel.
— Concerts-Lamoureux. - Sous l'élégante et précise direction de M. Messa-
ger, l'orchestre a donné une exécution chaude et vibrante de la belle ouver-
ture à'Obéron de Weber, puis en première audition, à Paris, la 3e symphonie
de Rimsky-Korsakow. Cette symphonie, construite dans le moule classique et
avec des thèmes sans grand relief, est honorable, intéressante même, mais ne
laisse pas deviner le merveilleux coloriste de sons qu'est l'auteur à'Ântar et
surtout de Sehéhèrazade. Ce fut une surprise, presque une déception, de ne
plus rencontrer ici ces éblouissants jeux sonores auxquels le maître russe nous
avait accoutumés. — M11'- Marie Kousnielzoff chanta d'une voix claire et habi-
lement conduite trois mélodies assez ternes de Rachmaninofî et un fâcheux
air à roulades d'Alabieff qui a paru oeu à sa place dans un programme sérieux.
Le beau concerto pour orgue et orchestre de Haendel, magistralement joué
par M. Gigout, et le délicieux Shylock de M. Gabriel Fauré, au charme prenant
et évocateur, terminaient la séance. J. Jemain.
— Programmes des concerts de dimanche :
Au Conservatoire même programme que dimanche dernier.
Concerts-Colonne. (Théâtre du Chàtelet). à deux heures et demie :
Ouverture de Benvenvlo Cellini (Berlioz). — Nocturne, première audition (Jean
Huré), pour orchestre et. piano : M. Raoul Pugno. — Concerto en la majeur (Mozart),
pour contrebasse et orchestre, Allegro, Amiante, Rondo: M. S. Koussevitzky. —
Omêa, quatrième acte, première audition (Arthur Coquard) : Oméa, M"e Louise
Grandjean ; Aram, M. Muratore; un berger, M. Rocco. — Les Djinns, poème sympho-
nique (César Franck) : M. Raoul Pugno. — Tristan et Yseult (R. Wagner), a) Prélude
(orchestre), 6) Mort d'Yseult : M"1 Louise Grandjean. — Eol Kiirei (Max Bruch) :
M. S. Koussevitzky. — Lohengrin, Prélude du troisième acte (R. Wagnerj.
L'orchestre sera dirigé par M. Ed. Colonne.
Concerts-Lamoureux (salle Gaveau, 45, rue La Boétie), à trois heures pré-
cises.
Ouverture à.'Euryanlhe (Webor). — Huitième Symphonie en fa majeur (Beetho-
ven). — Siegfried (les Murmuras de la forêt) (Wagner). — Deuxième poème lyrique
sur le Livre de Job (H. Rabaud) : Job, M. Vilmos-Beck (première audition aux
Concerts-Lamoureux). — Deuxième Concerto, pour violon, flûte, hautbois, trompette
et orchestre (J.-S. Bach), arrangé par M. Félix Mottl (première audition aux Con-
certs-Lamoureux). — La Jeunesse d'Hercule, poème symphonique (Saint-Saëns).
Le concert sera dirigé par M. Henri Rabaud.
— Troisième concert mensuel de la Schola Cantorum : Euryanthe à la Salle
Gaveau. — Serait-ce la faute de l'exécution dans une salle décidément défec-
tueuse (et malgré la très musicale direction de M. Vincent d'Indy, chef d'or-
chestre) ou de l'ouvrage lui-même, vicié par un livret encore plus naïvement
mélodramatique que Fidelio? Serait-ce la faute de ces « morceaux choisis »
qui gâtent la perspective? car le second acte intégral, que le vaillant Eugène
d'Harcourt nous donnait au concert, en mars 1895, avait paru plus poignant...
Toujours est- il que la « sélection » d'Euryanthe, « opéra romantique «de
1823, composé par l'auteur du Freischûtz sur les dialogues insipides d'un bas-
bleu de la Restauration, ne semble guère avoir emballé, comme dit notre
argot, les auditeurs exigeants de 190S ! Encore une fois, malgré la haute
musicalité du chef, malgré la jolie voix tendre du noble Adolar (M. Plamon-
don), la basse loyalement chantante du sombre Lysiart (M. Monys) et les
talents contrastés de Mlles Mary Pironnay et Jeanne Lacoste, dans un ensem-
ble instrumental et vocal assez terne il est vrai, nous n'avons plus retrouvé le
particulier frisson de grand art que nous avait communiqué, le 30 novem-
bre 1906, la magistrale exécution A'Egmont; l'ouverture même, si juvénile,
avec son court largo mystérieux, n'a point sonné; l'auditeur semblait regret-
ter le fantastique allemand du Freischûtz ou le fantastique oriental à'Obéron,
violence Et volupté... Dramatiquement, oui, sans doute, le poème est plutôt
candide : et lors de la reprise française de 1857, au Théâtre-Lyrique, le feuil-
letonniste des Débats, admirateur du musicien, puisqu'il s'appelait Hector
Berlioz, avouait n'avoir jamais vu plus niais librettiste... Et puis, musicale-
ment, les ultra-wagnériens que nous sommes devenus sur le tard ne goûtent
plus, même chez Wagner, les cavatines et morceaux faciles... Mais, aussitôt
que l'oreille contemporaine a surmonté la première impression fâcheuse de
l'ensemble, où le rossinisme intempestif de l'époque arrête à trop d'instants
la force expressive d'un germanique génie, précurseur plus ou moins conscient
d'un avenir prochain, l'àme découvre de grandes beautés saisissantes, des
concisions tragiques, des oasis d'exquise fraîcheur : le poétique début, l'amé-
nité chevaleresque, la première cavatine élégiaque d'Euryanthe, l'admirable
et nocturne frémissement de la mineure apparition d'Emma, le sombre duo
des traîtres, qui présage Ortrude et Frédéric, avec l'invocation grandiose à la
nuit : Dunkle Nacht, le zéphyr qui Hotte autour de l'héroïque jeunesse d'Ado-
lar, la touchante prière d'Euryanthe accusée, le prélude du troisième acte et
plus d'une page des dernières scènes révèlent un maître d'avant-garde et qui
ne saurait vieillir ; sujet légendaire français, tiré de « l'histoire de Gérard de
Nevers et de la belle et chaste Euryanthe, sa mie », emploi du leit-motiv,
couleur mystérieuse du quatuor et des timbres, orchestre sobrement coloré,
chœur agissant, ouverture qui prépare et qui résume, mais tout cela n'est-ce
point, vingt-sept ans plus tôt, Geneviève et, qui plus est, Lohengrin ? Et je le
demande à M. Georges Servières, dernier biographe du musicien, la respon-
sabilité de notre tiédeur du mercredi soir 12 février 1908 n'incomberait-elle
pas en partie au lyrisme critique de Robert Schumann qui nous chantait
monts et merveilles de l'opéra romantique de Carl-Maria von Weber ?
Ravmoxd Bouveii.
— En trois séances données à la salle Pleyel, Raoul Pugno s'est affirmé à
nouveau le maître pianiste qu'acclame tout l'univers. Il avait pour très dignes
partenaires Mu° Suzanne Cesbron, MM. Nadaud et Gaubert. La première
séance était consacrée aux maîtres du passé comme Rameau, Couperin.
Scarlatti, Gluck, le vieux Bach, etc., etc. ; la seconde exclusivement à
Schumann et à Schubert: la troisième aux maîtres modernes, César Franck,
Fauré, Duparc et autres. Cette troisième séance fut particulièrement intéres-
sante en ce qu'elle nous initia à quelques œuvres récentes de Pugno, qui est
aussi un compositeur inspiré, quand la pratique du clavier lui en laisse le
loisir. Ce fut d'abord une suite de pièces' de piano réunies sous le titre de
Paysages, pièces d'une coloration intense et d'une force technique surpre-
nante. Le Tintement de clochettes est vraiment prodigieux. Puis M"0 Cesbron
chanta de façon émouvante un cycle de sept mélodies composées sur des
L\L MENESTREL
Gl
poésies de Maurice Vaucaire : Les Cloches du souvenir. Elles furent toutes
applaudies furieusement et on les rapprochait de cette autre série do mélodies
si prenantes de Pugno : Amours Brèves, — dont M"'*-' Arger fit le succès. —
Au résumé, ces trois séances tournèrent pour Raoul Pugno a l'apothéose.
— Mercredi dernier, au Théâtre des Arts, on a donné un petit festival
Reynaldo Hahn, où l'exquis musicien a triomphé tout le long d'un programme
qui ne fut qu'un enchantement. MIIIC Bartet, oui M"10 Bartet de la Comédie-
Française, a d'abord lu de sa voix divine une notice sur la vie et les œuvres du
jeune compositeur, qui est déjà un maître consacré. Puis Mn,c Jane Bathori
et Reynaldo Hahn lui-même ont sorti les plus jolies perles de l'écrin mélo-
dique qu'il s'agissait de mettre en lumière. Ils y ont réussi excellemment, et
les bravos et les bis n'ont pas cessé de crépiter. A mettre hors de pair le Pays
musulman et le Bal de Béatrice d'Esté, — celui-ci exécuté par une petite troupe
de symphonistes triés sur le volet. Le succès fut tel etl'afflnence du public si
grande qu'il a fallu refuser l'entrée du théâtre à une foule suffisante pour
l'emplir une seconde fois, si bien qu'une autre matinée est d'ores et déjà
fixée pour le 4 mars. On peut louer dès à présent.
— La Fondation J.-S. Bach, instituée et dirigée depuis six ans par l'érudit
violoniste Charles Bouvet, donnera sa troisième séance le samedi 29 février,
salle Pleyel, à 9 heures du soir. Outre la première audition d'une des suites
d'orchestre du XVIIe siècle français, extraite du remarquable ouvrage publié
par M. J. EcorcheviUe, le programme de cette soirée comportera : le concerto
pour trois et quatre violons aux XVIIe et XVIIIe siècles. Mme Jane Arger s'y
fera entendre dans un air de J.-S. Bach avec hautbois, deux violons et alto
(sans basse) et M. Julien Tiersot dirigera l'orchestre.
— Mercredi soir, 26 février, à la Salle des Agriculteurs, 8, rue d'Athènes,
œuvres de MM. Claude Debussy et Gabriel Dupont, exécutées par Mme Ca-
mille Fourrier, M"e Renée Lénars, M. Maurice Dumesnil et le « quatuor
Luquin ». Le valeureux pianiste Dumesnil exécutera toute la série des
fameuses Heures dolentes de Gabriel Dupont.
— Festival Wagner. Sous la direction de Félix Mottl et avec le concours de
jjmo Kaschowska. les Concerts-Lamourcux donneront jeudi soir, 27 février,
un festival consacré aux œuvres de Wagner. Félix Mottl dirigera les préludes
et ouvertures de ses principaux ouvrages, et Mme Kaschowska interprétera les
quatre poèmes pour chant du maître, la ballade de Senta et la- Mort d'Yseult.
La location des places pour ce concert est déjà ouverte salle Gaveau et chez
les principaux éditeurs de musique.
— Le 10 mars prochain, le violoniste hongrois Alexandre Sébald donnera
à la Salle des Agriculteurs, S, rue d'Athènes, un récital de violon dans lequel
il exécutera les 2i caprices de Nicolo Paganini. C'est la première fois que pa-
reil programme sera donné à Paris.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour les seuls abonnés a la musique)
M. Jean Déré, dont nous avons déjà donné ici des mélodies qui furent bien
accueillies, vient d'en composer une nouvelle, Langage d'amour, du succès de
laquelle on peut bien augurer. Cela a tout le charme, le velouté et la fraîcheur d'ins-
piration de la jeunesse. Sans doute M. Déré, en avançant daos la vie, écrira des
mélodies plus fortes et plus nourries, il n'en écrira pas qui aient plus d'agrément.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (19 février) : Ainsi que je l'avais prévu
dans ma précédente correspondance, le C'iemineau de MM. Richepin et Leroux
a remporté à la Monnaie un très grand succès, auquel l'interprétation n'est
certes pas étrangère. Tout le monda a pu constater ce fait éclatant, c'est que
les artistes lyriques, généralement habitués à interpréter des rôles héroïques,
distingués, exigeant un souci de tenue et de composition, sont presque toujours
excellents quand ils représentent des rustres ou des ouvriers. Il est rare
qu'une œuvre dont le sujet est « peuple » ne soit pas interprétée excellem-
ment... Cela tient à ce que les sentiments simples, même quand cette simpli-
cité est un peu artificielle (et c'est le cas du Chemineau), sont beaucoup plus
faciles à exprimer avec force et justesse, parce qu'ils sont plus faciles à com-
prendre et à éprouver, que des sentiments qui exigent une préparation et,
dirais-je, une sorte de divination. Mais encore faut-il, même pour communi-
quer au public ces émotions très simples, de la voix et du talent. Or, il s'est
trouvé que la troupe de la Monnaie possédait justement des artistes ayant
toutes qualités voulues pour donner au Chemineau l'interprétation rêvée.
MM. Bourbon et Decléry ont été — celui-ci surtout — admirables dans les
rôles du Chemineau et de François, et Mlle Croiza a été une Toinette émou-
vante et pathétique ; tous les petits rôles ne sont pas moins bien tenus par
MM. Dua (Toinel), Blancard (maître Pierre), La Taste et Caisso, et M"e Ey-
reams. Ajoutons que l'orchestre de M. Dupuis a été tout à fait supérieur, et
que la mise en scène est d'un pittoresque qui sent à plein nez l'odi
campagne. La première représentation était donnée, on grand ;.'ala. au béné-
fice de la mutualité do la Presse; le prince héritior Albert de Belgique, la
princesse Albert et la princesse Clémentine, fille du roi. y assistaient dans la
grande loge royale; tous les ministres étaient là aus*i, ainsi qu'un grand
nombre d'autorités et tout ce que les mondes bruxellois, — le grand, le demi
et l'artistique — comptent de mieux. Il y a eu quatre ou cinq rappels après
chaque acte; pendant un entr'acte, le prince a fait appeler M. Leroux et les
directeurs de la Monnaie pour les féliciter, et à la fin une ovation enthousiaste,
à laquelle les « augustes spectateurs » ont été les premiers à prendre part, a
forcé le compositeur, quoi qu'il eût fait pour résister, à venir saluer <ur la
scène le public en délire. Bref, c'a été une belle fête. — Cette semaine, nous
aurons les débuts d'une troupe italienne qui nous vient d'Amsterdam, avec
des éléments, parait-il, de premier ordre et conduits par un chef d'orchestre
italien; cette troupe nous donnera, en matinée, la Tosca, Paillasse et Caval-
leria. Puis viendront les Jumeaux tle Bergame de M. Jaques-Dalcroze, qui
accompagneront sur l'affiche la Marie-Magdeleine de Massenet. C'est la pre-
mière fois que nous verrons sur la scène ce délicieux dreme sacré, que nous
applaudîmes depuis longtemps au concert.
Les Concerts-Populaires nous ont présenté dimanche un violoniste russe,
inconnu encore sur nos rivages, M. Mischa Elman. Malgré sa jeunesse (il n'a
pas vingt ans), il est doué des qualités les plus précieuses : une justesse de
son absolue, une sûreté exlraordinaire, du sentiment, du stylo même et une
virtuosité déliant tous les obstacles. M. Elman a joué le concerto en ré majeur
de Brahms, le Rondo capriccioso de Saint-Saëns et des fantaisies acrobatiques,
qui lui ont valu un petit triomphe. L'orchestre de M. Dupuis a exécuté, à ce
concert, la belle et radieuse symphonie en ut mineur de Saint-Saëns et une
œuvre inédite d'un de nos derniers prix de Rome, M. Martin Lunssens, un
« tableau musical » d'après le Roméo et Juliette de Shakespeare, très long, très
dramatique et très intéressant, — une véritable œuvre de compositeur sym-
phonique et d'homme de théâtre à la fois. — Au Cercle artistique. M. Stein-
bach, de Cologne, dirigera un « festival Bach », qui prendra deux soirées et
où sera exécuté, avec le concours des chœurs de la Deutsclter Gesaui/i^n'in
de Bruxelles, un copieux programme de cantates et de concertos du maître,
notamment la Kajfee-Cdntate et Eole apaisé, rarement entendues. Enfin
MM. Dern et Lauweryns ont repris, avec un vif succès, leurs très attachantes
séances de 1' » Histoire de la Sonate » pour violon et piano, et M. Durant
poursuit avec un zèle que rien n'arrête ses « Concerts historiques » de sym-
phonie et de virtuosité. Il en est arrivé à Schumann, après Bach, Haydn,
Mozart et Beethoven; il abordera prochainement Liszt, Chopin. Berlioz.
Wagner, Brahms, César Franck, puis la musique contemporaine, française,
slave et belge.
Le Théâtre-Royal de Liège fait, lui aussi, à l'exemple de ses confrères de
Bruxelles et de province, de la décentralisation française. Jeudi prochain.
27 courant, il donnera la première représentation d'un drame lyrique inédit
de M. Henri Hirchmann, le jeune auteur de l'opérette, les Hirondelles. Le titre
et le sujet de ce drame lyrique suffiraient à attirer l'attention : Hernaui. C'est,
en effet, du drame de Victor Hugo que le poème a été tiré, avec l'autorisation
expresse de la famille Hugo et de ses éditeurs, qui n'avaient jamais consenti,
vous le savez, à ce que les œuvres du grand poète servissent de texte à de la
musique d'opéra. M. Hirchmann avait présenté sa partition aux directeurs de
la Monnaie; mais leur programme était déjà surchargé : alors, le composi-
teur, impatieut de prouver qu'il sait faire autre chose que de l'opérette lil est
sorti d'ailleurs du Conservatoire de Paris en remportant à l'Institut le prix
do composition musicale! n'a pas hésité à confier au théâtre liégeois le soin
de sa nouvelle gloire. Voici quelle est la distribution d'Hernani : Mme Fel-
tesse, Dona Sol; M. Redon, Hernani: M. Cremel, Don Carlos; M. Malherbe.
Don Ruy Gomez. Je me rendrai à Liège pour cette très curieuse première, et
je vous ferai part du résultat. L. S.
— On vient de mettre à l'étude, à la Monnaie de Bruxelles. Marie-Magde-
leine de Massenet transformée en action dramatique comme on l'a vue à Xice
d'abord, à l'Opéra-Comique de Paris ensuite. Les deux rôles de Méryem et
de Jésus seront tenus par Mlle Lina Pacary et M. Verdier qui les ont créés
à Nice lorsque l'ouvrage y fut donné sous cette forme en 1903.
— La commune d'Ixelles-lez-Bruxelles (Belgique) organise, pour les di-
manches 3 et 12 juillet 1908, un grand festival international pour sociétés
d'harmonies, fanfares, de chant d'ensemble, chorales mixtes, symphonies et
trompettes. De nombreuses primes, dont la première est de 1.500 francs, se-
ront réparties entre les sociétés participantes. Des couronnes en vermeil
sont réservées aux sociétés possédant le plus beau drapeau, cartel ou ban-
nière, ainsi qu'aux sociétés ayant la plus belle tenue civile, militaire ou de
fantaisie. Chaque société recevra une médaille commémorative de grand
module. Outre les primes ci-dessus, les sociétés étrangères participeront
entre elles à une répartition spéciale de primes. Des démirches seront faites
auprès des administrations de chemins de fer pour l'obtention des réductions
d'usage sur les prix des transports. Pour renseignements et bulletins d'adhé-
sion, s'adresser à il. Emile Duray, bourgmestre, hôtel de ville d'Ixelles-
Bruxelles (Belgique).
— A l'occasion du vingt-cinquième anniversaire de la mort de Wagner
(13 février 1883), on va publier très prochainement à Berlin deux cent
soixante-neuf lettres adressées par le maître à sa première femme, la comé-
dienne Minna Planer.
62
LE MENESTREL
— La commission du budget de la chambre prussienne des députés a exa-
miné la situation financière du Conservatoire de musique de Berlin et reçu la
déclaration du commissaire du gouvernement faisant connaître que les
fonctions de Joseph Joachim étaient doubles, car il remplissait à la fois celle
de directeur de l'établissement et celle de professeur de violon. Pour l'avenir,
ces fonctions seront séparées. M. Henri Marteau a été chargé de la classe de
violon, mais aucune décision n'a encore été prise en ce qui concerne la direc-
tion du Conservatoire. Tout cela concorde bien avec ce qui a été dit au
moment de la mort de Joseph Joachim.
— Le quatrième Congrès de Pédagogie musicale aura lieu à Berlin, pendant
la semaine de Pâques. Il sera organisé de la même façon que les précédents,
c'est-à-dire que les travaux seront répartis dans les quatre sections suivantes :
Pédagogie générale de la musique — Questions scientifiques — Art du chant
— Enseignement du chant. H a été décidé que les questions qui intéressent
l'activité du Congrès ne seront plus débattues en sections par plusieurs ora-
teurs, mais que l'étude préalable en sera confiée à des commissions qui sou-
mettraient leurs résolutions au vote des divers groupes. Les adhésions au
Congrès sont nombreuses. Il promet de présenter un réel intérêt.
— La soirée donnée à l'Opéra de Berlin à l'occasion du jour de la nais-
sance de l'empereur a offert une véritable splendeur. La salle était, de haut
en bas, garnie de milliers de roses et d'œillets. Les ministres, le corps diplo-
matique, les représentants des États confédérés étaient tous présents. Les
dames étaient couvertes de joyaux et de diamants. C'était ruisselant de ri-
chesses. L'entrée des souverains eut lieu avec une grande solennité ; les trom-
pettes se firent entendre du haut de la salle, tandis que l'orchestre attaquait
la Marche royale. Guillaume II avait choisi pour spectacle un opéra-comique
français, Jean de Paris de Boieldieu, qui n'a cessé d'être au répertoire de tous
les théâtres allemands, tandis qu'on ne l'a pas entendu à Paris depuis plus
d'un demi-siècle. L'ouvrage avait été remonté pour la circonstance, et la
mise en scène, entièrement renouvelée, offrait des tableaux charmants.
— M. Félix Weingartner abandonne définitivement la direction des con-
certs de la Chapelle Royale à Berlin. Il conduira encore l'orchestre pendant
les deux derniers concerts de la saison, puis un successeur lui sera donné
pour l'année prochaine. Le concert qui a eu lieu le 7 février dernier a été
l'occasion d'un grand succès, pour le chef d'orchestre intérimaire, M. Robert
Laugs, de Hagen.
— Il a été question depuis longtemps déjà d'un concerto inédit de Schu-
mann, dont Joseph Joachim possédait le manuscrit. Dans une biographie du
célèbre violoniste, dont une nouvelle édition a paru récemment, M. Andréas
Moser a publié la lettre suivante dans laquelle Joachim analyse ce concerto.
Vous me demandez des éclaircissements sur un concerto de violon de Schumann^
dont je possède le manuscrit. Je ne puis vous en parler sans émotion : il a été com-
posé en effet pendant la dernière demi-année qui a précédé la crise dans laquelle a
sombré la raison du maître si aimé dont je fus l'ami (Dusseldorf, 11 septembre-
3 octobre 1853), c'est là ce que l'on peut lire sur la page titre.
Après avoir formulé quelques réserves sur la valeur, toute relative à son
avis, de l'œuvre, Joachim l'analyse ainsi :
Le premier morceau, « dans un mouvement énergique mais pas rapide » en ré mi-
neur, mesure C barré, a quelque chose de capricieux dans le rythme, tantôt prenant
un élan impétueux, tantôt s'attardant avec obstination. L'on arrive ainsi rapidement
au premier tutti et à un second thème doux et d'une beauté, d'un charme exquis.
C'est du vrai Schumann ! Pourtant la construction musicale du passage ne donne pas
une satisfaction complète. Il survient peu à peu des épisodes destinés à conduire,
avec variété, à des traits de virtuosité; mais ces traits ne permettent pas à l'instru-
ment solo de fournir une conclusion brillante avant le deuxième tutti, parce que la
phrase de violon est souvent peu avantageuse pour le soliste et reste sans effet. Le
second tutti reprend dans la tonalité de fa majeur le début du morceau. Le solo qui
suit parait d'un sentiment presque trop intime pour un concerto. Il s'y trouve un
point d'orgue sur la dominante du ton principal très délicatement écrit. Gela pour-
rait être beau et significatif, mais il ne semble pas possible de le mettre tout à fait
en valeur, parce que la région dans laquelle est noté le passage et la manière dont
il est accompagné par l'orchestre ne soutiennent pas suffisamment l'impression.
Profonde, virginale et pleine d'âme apparaît la seconde partie qui porte l'indication
« lentement ». "Vient ensuite une mélodie pleine d'expression. Que n'a-t-il pu durer
ce moment de conception beau comme un rêve du maître divin! La mélodie en est
si chaleureuse, si intime, telle que Schumann en écrivait aux anciens jours d'inspi-
ration ! Mais la fantaisie florissante, il m'en coûte beaucoup de l'avouer, fait place
bientôt à des tâtonnements maladifs; le flot s'arrête, le motif se développe thémati-
quement, et, comme si le compositeur avait hâte de s'arracher à la monotonie de ses
idées, il reprend son élan pour arriver à uoe accélération de mouvement qui aboutit
au dernier morceau, à trois temps, en forme de polonaise, portant l'indication : a Avec
vivacité mais pas vite ». Le motif principal revient avec une impulsion nouveLe,
mais sans variété dans les développements. Le rythme manque alors de souplesse.
D'intéressants détails abondent pourtant ici, par exemple les réminiscences gra-
cieuses de l'adagio, formant contraste avec le motif un peu pompeux du final. Mais
l'on ne peut éprouver un moment de satisfaction complète; on sent que c'est de
l'habitude, et non plus d'une inspiration joyeuse, qu'émanent les développements.
Les répétitions deviennent fatigantes et les traits, qui voudraient être brillants,
exigent du violon solo un travail excessif et ingrat. Vous comprenez maintenant,
mon cher Moser, pourquoi vous avez dû m'éerire si souvent pour obtenir les rensei-
gnements que je vous donne. On se résigne difficilement à faire des restrictions sur
les œuvres d'un maître que l'on s'est habitué à aimer et à vénérer de tout son cœur.
Berlin, 5 août 1898. Joseph Joachim.
Le concerto inédit de Schumann sera essayé prochainement à Berlin devant
des auditeurs admis sur invitations. On craint de nuire à la gloire du maître
en le faisant entendre dès l'abord en public.
— De Vienne : à l'occasion du soixantième anniversaire de l'avènement au
trône de l'empereur François-Joseph, la direction de la Volksoper organise,
pour le mois de mai prochain, des « Kestspiele » dont le programme est ainsi
fixé ; 2 mai, Lohengrin ;3 mai, les Noces de Figaro ; o mai, Tannhâuser: 6 mai,
Lohennrin : 7 mai, Fidelio : 8 mai, Tannhâuser ; 10 mai, Don Juan ; 12 mai,
Fidelio. Parmi les artistes qui prêteront leur concours à ces représentations
de gala, citons : Mmes Burk-Berger et Preuse-Matzenauer, de l'Opéra de la
Cour de Munich ; Fleischer-Edel (Hambourg), Leffler-Burkhard (Opéra de la
Cour de Wiesbaden), Minnievon Nast (Opéra de la Cour de Dresde). Margue-
rite Siems (Prague). Svaerdstroem-Werbeck (Tbéàtre-Royal de Stockholm) ;
MM. Henri Albers (Paris), Alfred de Bary (Dresde), Frédéric Brodersen
(Munich) et de tous les artistes de la Volksoper. La direction musicale a été
confiée aux kapellmeisters de la Cour, Karl Gille et Alexandre von Zem-
linsky.
— Il parait quel'un des plus gros succès à Vienne, en ce moment, est celui
qu'obtient une ballerine marocaine nommée Sulamite Rahu, qui, nu-pieds, nu-
jambes, nu-bras et nu... poitrine (que pourrait-on demander de plus? dit un
journal), exécute avec habileté les danses de son pays, entre autres, la danse
des épées et la danse du ventre. Le publie chaque soir accourt en foule.
Grand bien fasse aux Viennois. Nous savons à quoi nous en tenir là-dessus,
après nos Expositions.
— Un concert a été donné à Vienne le 10 février dernier par le club des femmes
viennoises. Au programme n'avaient été admises que des œuvres de compo-
siteurs féminins. On a entendu un Stabat mater de la vicomtesse deGrandval;
un chant religieux de Louise Reichardt, la fille de l'écrivain musical du même
nom. morte en 1826; un psaume pour solo et chœur de femmes, de Kitty von
Escherich: des pièces pour piano de Clara Wieck, l'épouse de Schumann, de
C. vonHerzogénburg et de MIle Cécile Chaminade. Les compositrices de lieder
étaient représentées par Fanny Mendelssohn, sœur du maitre, morte le 17
mai 1847.
— L'Union des entreprises de théâtre et de concert de l'Autriche, suivie
en cela par l'Association des scènes théâtrales autrichiennes et par la Société
musicale d'Autriche Hongrie, a décidé que chaque coupon pour une place de
théâtre ou de concert serait majoré, selon son prix, d'un supplément variant
entre quatre et dix centimes. On espère que le public acceptera cette petite
surtaxe, qui est destinée à grossir le fonds des retraites pour les vieillards et
les invalides ayant appartenu au monde artiste, et pour les veuves et les
orphelins de ces derniers. La perception a commencé le 15 février.
— Une fête musicale presque intime a été donnée à Munich à la mémoire
d'Edouard Grieg et au profit du monument qui doit être élevé en l'honneur
du compositeur. La séance était ouverte par un discours, ou plutôt une simple
allocution du fils de Bjoernstjerne Bjoernson, rappelant la vie et la carrière
de Grieg. Le programme du concert comprenait simplement le quatuor en sol
mineur, op. 27, quelques lieder et la sonate pour violoncelle en la mineur,
op. 36.
■ — Malgré ses occupations nombreuses qui l'obligent à des déplacements
fréquents entre Leipzig, Berlin et Hambourg, M. Arthur Nikisch a voulu
témoigner sa sympathie à M. Franz Kaim de Munich à l'occasion de la crise
que traverse son orchestre. Il lui a offert d'entreprendre avec cet orchestre,
pendant le cours de l'automne prochain, une tournée de concerts dans plu-
sieurs grandes villes de l'Europe.
— Le théâtre de la Place Gaertner, à Munich, a donné le S février dernier
la première représentation de l'opérette nouvelle la Bonne à tout faire, musi-
que de M. Henri Reinhardt, paroles de MM. Waldberg et A. -M. Willner.
— On a donné à Copenhague, à la mémoire d'Edouard Grieg, un concert
dont le programme offrait un intérêt tout particulier, car il ne comprenait
que des œuvres écrites par Grieg lui-même, mais qu'il avait cru perdues au
cours de ses voyages et qui ont été retrouvées depuis sa mort par sa veuve,
jjme Nina Grieg. Ces œuvres, pour la plupart récentes, comprennent, outre un
quatuor à cordes et un certain nombre île lieder, toute une série de pièces de
piano qui ont été exécutées à souhait par le pianiste Jules de Rœntgen. Elles
sont, au dire des journaux allemands, plus intéressantes encore par leur
valeur propre que par le fait de la curiosité qui s'y rattache.
— On va fonder un Conservatoire au Pirée, port historique d'Athènes, qui
est aujourd'hui une ville de près de -iO.OUO habitants. C'est M. G. Masos, le
directeur du Conservatoire d'Athènes, qui a été chargé de l'organisation du
nouvel établissement.
— Les journaux italiens nous apprennent que M. Gabriele d'Aununzio écrit
en ce moment un livret d'opéra pour le maestro Ildebrando Pizzetti, le compo-
siteur qui fut son collaborateur pour son drame la Nave, dont il écrivit les
chœurs, les danses et la musique de scène. L'ouvrage, dont la donnée est à la
fois historique et légendaire, aura pour titre la Rosa di Cipro. Le maestro
Pizzetti, qui paraît avoir en ce moment tous les bonheurs, vient d'être nommé,
après concours, professeur de contrepoint et fugue à l'Institut royal musical
de Florence.
— Don Fino, le prêtre compositeur qui s'est déjà fait connaître par divers
ouvrages, termine en ce moment deux œuvres importantes. L'une, intitulée
Noemi et Rulh, est un véritable oratorio, dans toutes les conditions du genre;
l'autre, qui a pour titre Deborah et qui est aussi inspirée par la Bible, est ce-
LE MÉNESTREL
03
pendant empreinte de passion, de sorte qu'elle forme un opéra proprement
dit. Le style de celle-ci diffère, par conséquent, complètement de celui de
la première. Noémi et Ruth doit être exécutée dans le cours do la présente
année.
— Depuis plusieurs années la Suisse est lasse de son chant national, Rufst
Du mein Vaterland..., c'est-à-dire : Si tu mfappelles, ô ma patrie! que l'on
chante sur le même air que le God save the King; mais jusqu'à présent aucun
autre chant n'a paru présenter les conditions désirées pour remplacer celui-là.
L'hymne bien connu TriU'st im Morgenroth daher (Quand tu Vacances dans la
/unir de l'aube) a été proposé par la Suisse française, mais ou en trouve la
poésie trop contemplative et l'on regrette que la musique offre, dès le déhut,
une ressemblance assez frappante avec la Saulu lucia napolitaine. En atten-
dant l'on se prépare à célébrer cette année le centième anniversaire de la
naissance des deux poètes Alberich Zwissig, né le 17 novembre 1808, auteur
des paroles Rufst Du mein Vaterland, qui ont été adaptées à la musique du God
save the King, et Leonhard Widger, né le 12 juin de la même année, qui a
écrit le texte du TriU'st im Morgenroth daher. Un monument commémoratif
sera érigé à ces deux poètes dans la ville de Zurich, sur les bords du lac.
— ■ A Zurich, au 9° concert de la Tonhalle. très grand succès et longues
acclamations pour le 2e concerto de Widor, remarquablement interprété par
Emile Frey. L'orchestre était dirigé par le maître Widor lui-même, qui est
reparti dès le lendemain pour Leipzig, où il va diriger au Conservatoire sa
nouvelle symphonie avec orgue.
— Apparition, au Théâtre-Principal de Barcelone, d'une nouvelle zarzuela,
intitulée la Reina Volln. « Le livret de Guimera, dit un journal, est mille fois
supérieur à la musique qu'écrivit pour celte fantaisie le maestro Morera ». Il
n'empêche que ce petit ouvrage a obtenu un grand succès.
— On annonce que la prochaine saison d'opéra au Covent Garden de Lon-
dres commencera le 30 avril pour prendre fin le 30 juillet. Les chefs d'or-
chestre seront MM. Richter, Campanini et Panizza.
— On télégraphie de Londres que le Théâtre-Royal de Windsor a été détruit
par un incendie qui a éclaté hier matin à cinq heures. Les causes du sinistre
ne sont pas encore nettement déterminées.
— On a publié récemment à Cambridge la biographie du musicien anglais
William Sterndale Bennett (1816-1875). Parmi les documents que nous ren-
controns dans cet ouvrage se trouve une lettre de Schumann relative à un
voyage projeté en Angleterre. Ce voyage ne put avoir lieu, mais la lettre
indique combien étaient modestes les prétentions du compositeur, alors à
l'apogée de la réputation qu'il put acquérir de son vivant, et celles de Clara
Schumann qui avait obtenu pendant sa carrière déjà longue de glorieux suc-
cès de pianiste. Nous reproduisons le fragment suivant de la lettre :
Dusseldorf, S janvier 1854.
Nous arriverions à Londres au commencement de mai et rentrerions pour le
1" juin. La question se pose : Pourrions-nous, en si peu de temps, gagner assez
pour couvrir les dépenses de notre voyage et de Dotre entretien quotidien que nous
évaluons au moins à 2.500 francs. Si vous pensez que nous pouvons avoir cela, nous
ne demanderons rien de plus. Je voudrais mentionner une autre chose; vous n'en
serez pas surpris puisque vous m'en avez parlé déjà dans votre lettre- Je ne voudrais
pas rester oisif à coté de ma femme, mais je voudrais me faire connaître comme
compositeur et comme chef d'orchestre ; c'est là mon plus grand désir. Pourriez-
vous négocier en ce sens. Il y aurait peut-être chance d'aboutir avec la société phil-
harmonique. J'ai beaucoup d'o-uvres qui pourraient, je l'espère, trouver bon ac-
cueil en Angleterre : te Paradis et la Péri, une ouverture, la musique mélodrama-
tique pour Manfred de Byron, une symphonie nouvelle récemment achevée et
beaucoup d'autres choses qu'avant tout j'aimerais à vous faire connaître.
Clara Schumann ne put aller en Angleterre que cinq ans après, en
juin 1836; elle y donna quelques concerts et dut même revenir en toute hâte,
ayant été prévenue que son mari touchait à sa dernière heure, dans la mai-
son de santé d'Endeuich. près de Bonn. Elle conserva toujours la plus vive
reconnaissance à la famille de Slerndale Bennett. Trente-trois ans après, elle
écrivait à son fils : « Je n'oublierai jamais combien vos parents ont été bons
pour moi quand je suis venue pour la première fois en Angleterre. »
— Le retentissant succès de Louise en Amérique a eu cet effet inattendu de
soulever dans les journaux et dans le public une polémique vive et prolongée
entre les partisans de l'art ancien, admirateurs exclusifs des opéras italiens du
répertoire, et les adeptes de l'art nouveau, dont M. Gustave Charpentier se
trouve être à New-York le représentant le plus en vue. La belle interprète de
Louise, MUe Mary Garden, bien Française par son éducation artistique, mais
Américaine de naissance, ne pouvait manquer d'être entraînée dans la mêlée.
Elle a exprimé ses vues sur l'art vocal scénique avec beaucoup de compétence,
les résumant ainsi dans des lignes publiées par le Musical America : «Mon
art diffère entièrement de celui des autres chanteurs d'opéra. Les succès que
j'ai remportés, et ceux que j'espère obtenir encore, ne sont pas, ne seront ja-
mais des succès rie cordes vocales. J'ai trouvé le genre qui convient à ma voix:
je veux être jugée, non point seulement d'après mon chant, mon jeu ou ma
tenue sur la scène, mais d'après la résultante de toutes ces choses combi-
nées. » Quant à l'œuvre qui a fourni à Mlle Mary Garden l'occasion de se pré-
senter à ses compatriotes sous un jour entièrement favorable, voici comment
elle a été jugée tout récemment par M. Gustave Mahler. qui en donna la pre-
mière représentation à l'Opéra de Vienne le 24 mars 1903 : « Louise est une
œuvre caractéristique de l'époque. Charpentier est un musicien de génie.
Louise est un modèle que les compositeurs feraient bien d'étudier. Elle vivra».
— On câble de New-York au Daily Mail qu'un comité international de di-
recteurs d'Opéras y est en formation, qui se donnerait comme lâche de
réduire les gages exagérés qu'on paie actuellement aux chanteurs et canta-
trices. Une réunion, à laquelle plusieurs représentants d'Opéras européens
auraient pris part, aurait m lieu ces jours-ci au Metropolitan-Opera, réunion
au cours de laquelle on aurait désigné une commission permanente chargée
rie veiller sur les intérêts du comité directorial international. Ce
première fois qu'une information do ce genre est mise eu circulation. Nom
croyons que cette fuis encore un peu de réserve est rie circonstance.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Le fait saillant de la semaine à l'Opéra a consisté dans les débuts de
Mllc Lapeyrette dans Samson et Dalila. i in sait que cette jeune artiste fut une
des triomphatrices des derniers concours du Conservatoire, el
tenu l'autre soir devant le public le drapeau de l'École. Il y a certes beaucoup
à espérer de M"'- Lapeyrette.
— Pourquoi l'Opéra ne reprendrait-il pas une ancienne tradition que la
direction Gailhard, qui eu a abandonné bien d'autres, a laissé fâchi
tomber en désuétude. Cette tradition consistait à indiquer sur l'affiche, en
chiffres très apparents, le nombre de représentations dfi o ragi -présenté.
On a annoncé, pour la réouverture, la 1299 de Faust: pourquoi ne pas faire
de même, comme cela se faisait naguère, pour tous les ouvrages du réper-
toire? Il n'est pas sans intérêt, même pour le specteur vulgaire, de
de savoir que les Huguenots, par exemple, ont dépassé leur 1050e représenta-
tion, et que Guillaume Tell approche de sa 900'-'. Ce sont là d'ailleurs des litres
de gloire, non seulement pour ces ouvrages et pour leurs auteurs, mais pour
l'Opéra lui-même, et nul. parmi le public, ne songerait assurément à se
plaindre du petit renseignement historique qui lui serait ainsi offert. Même
observation est faite à l'Opéra-Comique, très intermittent sous ce rapport.
— A l'Opéra-Comique. la répétition générale de. lu Habituera, de M. Raoul
Laparra elie Gligslaine, de M. Marcel Bertrand, parait fixée à lundi prochain et
la première représentation à mercredi. Spectacle de jeunesse puisque M. La-
parra a trente et un ans et M. Bertrand vingt-trois. Que la fortune leur soit
légère '.
— Spectacles de dimanche à l'Opéra-Comique : en matinée, Manon; le soir,
la Traviata et Cavatleria ruslicana. Lundi, en représentation populaire à prix
réduits : Mignon.
— Après Mireille, après Mignon et /'■ Rarbier de Séoilte, le Théâtre-Lyrique
municipal passe à Lahmé. C'est toujours d'un intérêt palpitant. Quand la
municipalité que l'Europe nous envie se mêle de choses d'art, on voit
comme elle y réussit '. Ces gens-là sont tout au plus bons pour organiser des
orphéons ou des fanfares et ils ont la prétention de faire vibrer la lyre d'Or-
phée. Oh 1 les maladroits !
— Hier soir vendredi, au théâtre des Variétés, on a dû donner la première
représentation (reprise) de Geneviève de Rrabant, d'Offenbach, grande édition
revue, agrandie et illustrée par le directeur Fernand Samuel. Samedi prochain
nous rendrons compte de toutes ces merveilles.
— Trop longtemps négligé. Rameau, par un juste retour de faveur, a repris
depuis quelques années la place qui lui est due parmi les fondateurs du drame
lyrique. Après la réédition de ses œuvres, après l'hommage unanime de la
jeune école musicale et delà critique française, il ne lui manquait plus qu'une
étude, digne de son génie, pour ressusciter sa grande figure. Cette étude,
M. Louis Laloy nous la donne aujourd'hui dans un Rameau, publié à lalibrairie
Félix Alcan (collection des Maîtres de la Musique). M. Louis Laloy étudie
d'abord la vie de son héros, dont il caractérise ensuite l'esprit par des traits
justes et sobres, pour montrer dans son œuvre le type achevé de cet art clas-
sique français, celui de Racine ou de Poussin, où s'équilibrent dans une
parfaite harmonie la raison et la sensibilité. Consacré au Maître qui, entre
tous, fut à la fois un savant et un artiste, cet ouvrage est lui-même d'un
savant et d'un artiste. (1 vol. in-8 écu, 3fr. 50 c.)
— Aujourd'hui, à cinq heures, au Théàtre-Sarah-Bernhardt. 16e samedi de
la Société de l'histoire du théâtre. Causerie de M. Pierre Soulaine sur lu Ro-
mance, accompagnée du programme suivant :
Charmante Gabrielle (attribué àHenri Vf), par Jl»°Rollin;Sout«n<"rs (Victor Massé),
par M. Nansen; Plaisir d'amour (Martini), par M"1 Mancini; Femme sensible Méhul .
par M. Nansen ; Un jeune Troubadour qui chante et fait la guerre (Ltelamare), par
Mu« Mancini; Adieu (Schubert), par M"" Borgo; le Soleil de ma Bretagne Loisa Pu-
get), par M"" Jeanne Darlays; le Luc NiedermeyerJ, par M11" Borgo; VAndaloust
(Monpou), par M. Nucelly; Mu Normandie (Frédéric Bérat), par M"" Mancini; te
Myrtes sont flétris (J. Faure- ; te Illusions (poésies du prince de Tarente, musique de
M. L. Broussan), par M. Nucelly ; lu Muison grise (tiré de Forlunio, Audit Messa-
ger), par M. Nansen.
— Correspondance :
Monsieur le Rédacteur,
Permettez-moi de présenter quelques mots de rectification an sujet du bienveil-
lant article que le Ménestrel du samedi 8 février a consacré à mes recherches sur
l'origine de la mélodie du God saee llie King.
1° En ce qui concerne Eaendel, je n'ai pas dit qne ce compositeur avait fait une
version pour le roi George de Hanovre, mais qu'on avait aussi mis son nom en
avant dans la nomenclature présumée des auteurs delà mélodie du God save Ou
King.
2» Je ne prétends point que Zwyssig d'auteur de la musique du Cantiq
ait adapté à la mélodie un texte nouveau qui aurait été ensuite traduit en français e:
en italien.
64
LE MENESTREL
Le texte allemand de notre Rufst du, mein Vaterland, qui se chante comme hymne
officiel dans la Suisse allemande, est de Jean-Rodolphe Wyss (né à Berne, le 4 mars
1782 et mort dans cette mémo ville, le 21 mars 18301, tandis que le texte français,
très populaire dans la Suisse romande, est de M. Henri Roehrich père, pasteur à
Genève.
En résumé, je crois, mais sans pouvoir l'affirmer d'une manière absolue, que la
mélodie du God save a pour origine notre vieux chanl genevois de l'Escalade, qui
fut chanté pour la première fois à un banquet en 1603. L'auteur des paroles, comme
celui de la musique, est resté inconnu.
Je conclus que la mélodie ci-dessus a pu être empruntée à un air populaire déjà
connu avant 1603, que l'auteur ou les auteurs ont modifié et accommodé à leurs inten-
tions. En tout cas, la ressemblance entre notre vieil air genevois et la mélodie du
God save est très frappante. Cela est tellement vrai, qu'un jour, ayant fait chanter
la mélodie du Ce qu'é l'aino, parles élèves de ma classe de solfège au Conserva-
toire, un monsieur anglais, qui assistait à ma leçon, s'approcha de moi, me disant :
« Cet air, c'est le God save à l'envers ! »
En vous remerciant de l'hospitalité que vous voudriez bien accordera ces quelques
rectifications, veuillez agréer, Monsieur le Rédacteur, l'assurance de ma haute con-
sidération.
H. Kling,
Genève, 12 février 1908. Professeur.
— Le Grand-Théâtre de Lyon a donné, le 11 février, la première représen-
tation d'un opéra inédit en trois actes et quatre tableaux, Madeleine, paroles de
M. Louis Payen, musique de M. Valentin Neuville, dont les principaux rôles
ont pour interprètes M"es Glaessens et de Wailly et MM. Gaidan et Faure-
Fernet. M. Valentin Neuville, qui a fait son éducation musicale au Conserva-
toire de Bruxelles, où il a obtenu les premiers prix d'harmonie et d'orgue,
est depuis longtemps fixé à Lyon, où il remplit les fonctions d'organiste à
l'église Saint-Nizier. Il a déjà fait représenter au Grand-Théâtre, en 1906, un
premier ouvrage intitulé Tiphaine, et il a fait exécuter le mois dernier, aux
Grands-Concerts, un « triptyque » musical sous le titre de Fourvières.
— D'Alger, on nous télégraphie l'énorme succès remporté par la Tlié'èse
de Massenet, qui fut tout un triomphe pour sa principale interprète,
Mme Bawlers. tragique et émouvante. La pièce a été montée avec grand soin
par le directeur Carvalho et toute la presse constate cette, belle réussite.
— La vaillante Société chorale d'amateurs Guillot de Sainbris, actuellement
dirigée par M. J. Griset avec grand talent et grand succès, nous a donné un
concert très intéressant, selon sa coutume. Il s'ouvrait par le prologue et la
6e partie des Béatitudes de César Franck, que la Société exécuta la première,
croyons-nous, en 1880, l'auteur tenant l'orgue à la chapelle du Palais de Ver-
sailles. Car le bon César Franck fut pendant vingt ans l'accompagnateur atti-
tré de la Société d'amateurs, qui s'en souvient avec fierté. Venaient ensuite le
joli chœur Sur la mer de M. d'Indy; deux chansons chorales du XVIe siècle et
le Miserere du regretté Alpb. Duvernoy. Dans la 2° partie, deux chœurs dans
le genre ancien de M. Reynaldo Ilahn, tout à fait délicieux : Pleurez avec
moi (Agrippa d'Aubigné) et les Fourriers d'été (Cb. d'Orléans), lre audition, ont
été brillamment tétés. Puis le 2e acte de la Jacquerie, de M. Arthur Coquard, a
retrouvé tous les bravos qui l'accueillaient aux représentations de l'Opéra-
Comiquo il y a quelque douze ans. Enfin, un chœur très enlevé deTschaïkowsky.
L'exécution de tous ces morceaux si divers a été remarquable par les chœurs
dont le rôle était prépondérant et les plus chaleureux éloges sont dus aussi
aux solistes : Mmos Judith Lassalle, Herbelin, Lasseline-Grisy; MM. Et. Millot,
Boucrel, Laurent-Lasson, etc.
— Au dernier concert H. Lefort, salle des Agriculteurs, Mme Bureau-Ber-
thelot a chanté, de façon à se la faire bisser, la mélodie de Ch. Levadé : Sur
la Montagne.
— Au concert de M1,e Magdeleine Trelli, gros succès pour les Abeilles, de
Théodore Dubois, et le Caprice en ré mineur d'Antonin Marmontel.
— M. Léon Moreau nous prie de prévenir les amis et admirateurs du re-
gretté chanteur Paul Daraux si souvent applaudi à Paris qu'une souscription
publique est ouverte en faveur de sa veuve et que les souscriptions doivent
être adressées à M. Serge Basset, 26, rue Drouot.
— Soirées et concerts. — Le barytoa Paul Seguy vient de donner sa 3" matinée de
la saison, avec son succès habituel. La première partie de la séance fut consacrée à
l'audition de quelques élèves : M""' et M"" Barlet, Barry, Godol'e, Guibbert, Saville,
Tresse, M. Maunoury, qui ont tous fait montre de véritables qualités. La seconde
partie fut occupée par M"1 Germaine Dienne, l'excellente violoncelliste, M"" Blanche
Huguet, l'admirable soprano dramatique et enfin le maître de la maison. Parmi les
morceaux chaudement applaudis : le l'1 air d'Hérodiade et VHeure douce de Massenet ;
Prxerpine de Paisiello; Iphigcnic do Campra; le Nil de X. Leroux; les couplets de
Chérubin dî Mozart, etc., etc. — A l'audition artistique chez M— J. Aron, succès pour
M. Béral dans Pluie en mer de L. Filliaux-Tiger accompagné par l'auteur et pour
M"1 Demougeot et M. Gautier dans le duo de Sigurd. — Chez l'excellent professeur
M"" Touzard, qui tenait avec maitrise le piano, matinée musicale consacrée aux œu-
vres de M. Henri Maréchal; on a chaudement applaudi M"" Péri dans \ Malgré moi ,
M"" Geist dans l'arioso de Daphnis et Clûoè, M™1 Poinsot dans celui de la Taverne des
Trabans, M"' Gautier avec une prière de Calendal, M. Choinet, enlin, dans des pièces
de violoncelle qui ont même obtenu les honneurs du bis. — Dimanche dernier a eu
lieu, salle Erard, l'audition des élèves des cours supérieurs de M. Girardin Marchai,
sous la présidence de M. I. Philipp, professeur au Conservatoire, avec le gracieux
concours de M"" Achard, Bourgarel, Baron, Schaefer et de MM. Lafleurance et
Courras de l'Opéra et Bernard et Schaefer. Grand succès pour les élèves de M"' Gi-
rardin Marchai dont la plupart sont déjà des virtuoses accomplies ainsi que pour les
excellents interprètes. Parmi les élèves les plus applaudies citons : LelyLamyfFa/se-
capriee de I. Philipp) , Jeanne Lafleurance (Mandolinata de Saint-Saêns-Paladilhe) ,
Nathalie Radesse (Paraphrase sur Rigolelto), Jeanne Lefèvre (concerto de Grieg) ,
Lucienne Schneider (12- Rapsodie de Liszt).— Très belle matinée chez M"" Blanche
Huguet, l'admirable cantatrice qui fit applaudir, après VAIcesle de Gluck, Noël de
neige et Vers les fleurs de Fourdrain, des mélodies de G. Paulin, puis Chanson de ma
mie, Mélancolie, le Vin de l'Amour et Promenade de Paul Puget qui obtinrent les honneurs
du bis par acclamation. Les auteurs tenaient le piano. A coté de l'exquise chanteuse-
professeur, on applaudit : M"' Bl. Marot qui chanta du Paulin, du Paisiello ; M. Paul
Seguy qui chanta de grand style et de belle voix le trio i'Hamlet, ayant pour parte-
naire M-" Huguet et Marot. Gros succès pour les poésies dites si puissamment par
M"' Nancy Verriet. — Très intéressante audition d'élèves chez M™" Duez, et vif succès
pour les airs d'IIérodiade iM"" Rheims), à'Esclarmonde (M"' Tournieri et de Thaïs
(M"' Cadet-Labb. M"' Plocque a très bien chanté Moi de Beynaldo Hahn, et
M"" Donatelli et M"° Cadet-Lubi ont uni leurs jolies voix dans le duo du Roi d'Ys. —
Dans les salons de la rue de Ponthieu, très intéressante audition des élèves du
distingué violoniste M. André Tracol, dont quelques-uns sont en passe de deve-
nir de véritables virtuoses. Accompagnés par leur professeur, ils ont joué des
œuvres de Beethoven, Schumann, Saint-Saëns, Dvorak, etc.
NÉCROLOGIE
Encore un vieux compagnon, un bon camarade auquel il me faut adres-
ser ici le dernier adieu. Georges Pfeifi'er, qu'une maladie cruelle et doulou-
reuse tenait éloigné de tout depuis plusieurs mois, a succombé le 14 de ce
mois. Fils d'une pianiste justement renommée, M"1" Clara Pfeiffer, à qui il dut
son remarquable talent de virtuose, il était né à Versailles le 12 décembre
183S, et reçut pour la composition les leçons de Maleden et de Damcke. Il se
produisit de bonne heure en public et y obtint de vifs succès, grâce à un jeu
plein d'élégance, dans lequel la délicatesse n'excluait pas la vigueur. Ses trois
concertos avec orchestre, exécutés par lui à Paris et à Londres, furent
accueillis avec une grande faveur. En même temps il se faisait connaître
comme compos'iteur de musique de chambre, avec des œuvres intéressantes,
écrites avec une grande pureté de forme : trio, quatuor el quintette avec
piano, sextuor pour instruments à vent, sonate à deux pianos, sonates avec
violon et avec violoncelle. Puis vinrent des œuvres plus importantes encore:
une symphonie : un Allegro symphoniqite pour piano et orchestre; Jeanne d'Arc,
poème symphonique (Cbàtelet 1872) ; Agar, « scènes lyriques » (Mars 1875).
Il avait aussi le désir d'aborder le théâtre, ce qui ne lui fut donné que plus
tard, bien que dès 1S62 il ait fait exécuter dans un concert un petit opéra-
comique intitulé le Capitaine Pioch. Il réussit enfin à faire représenter à
l'Opéra-Comique un gentil acte, l'Enclume (23 juin 1884), et plus tard un
ouvrage plus important, le Légataire universel (6 juillet 1901), dont la partition
joignait aune inspiration aimable de bonnes qualités de facture et un véri-
table sentiment scénique. (Il laisse d'ailleurs trois opéras inédits, Jeanne de
Naples, Kénilworth et les Truands.) A tout cela ne se réduit pas son bagage con-
sidérable de compositeur, qui comprend encore, outre de nombreux morceaux
de concert (Polonaise brillante, Valse rêveuse, Variations artistiques, Tarentelle
a deux pianos, etc.), des études, des sonatines, des romances sans paroles, des
mélodies vocales... Très longtemps recherché comme professeur, Georges
Pfeiffer avait renoncé à l'enseignement pour se consacrer à ses travaux, et
aussi aux soins de la maison Pleyel, dont il était le principal associé. Il était
aussi, depuis la mort du regretté Samuel Rousseau, notre président à la
Société des compositeurs de musique, du comité de laquelle il faisait partie
depuis plus de trente ans, et à laquelle il apportait tout son dévouement.
Enfin, il s'était fait connaître aussi comme critique, et sous ce rapport avait été
collaborateur du Voltaire et de divers journaux de modes. — Arthur Pohgin.
— Le mois dernier est mort dans une maison de santé de Reggio d'Emilio,
où il était interné depuis plusieurs années, un artiste qui avait joui naguère
d'une grande et légitime renommée, le pianiste Carlo Andreoli. Né en 1840 à
Mirandola, d'une famille qui, comme celle des Puccini, est depuis longtemps
consacrée à la musique, il étudia d'abord avec son père et un de ses frères,
puis vint à Milan et fut, au Conservatoire, élève du fameux Angeleri. Sorti
de l'école, il se fit connaître bientôt comme virtuose, obtint de très grands
succès non seulement on Italie, mais à l'étranger et particulièrement à
Londres, où il se produisit souvent en compagnie de Bazzini et de Piatti. Au
bout de quelques années pourtant il revint se fixer à Milan, où il fonda des
concerts populaires, puis succéda à sen maître Angeleri comme professeur au
Conservatoire. Il conserva ces fonctions jusqu'au jour où sa raison sombra et
où la démence obligea à l'enfermer. Et alors il fut l'objet d'un bien joli acte
de tendresse et de générosité de la part d'un de ses élèves, M. Frugatta, qui,
pour ne lui faire perdre ni son traitement ni son droit à la pension, le rem-
plaça gracieusement pendant plusieurs années.
— Un professeur de piano au Conservatoire de Vienne, Wilhelm Dorr, est
mort le 30 janvier dernier. Il était estimé pour son enseignement et aussi
comme compositeur de mélodies et de musique religieuse.
— Karl Nehe, basse à l'Opéra-Royal de Berlin, vient de. mourir dans cette
ville à l'âge de 50 ans. Il avait obtenu de brillants succès à Wio:baden, à
Dessau, à Karlsruho et dans d'autres villes. On l'appréciait beaucoup dans les
rôles bouffes.
— Un chanteur de talent, Denis O'Sullivan, né en 1868, vient de mourir à
Colombus (Ohio). Bien connu à Londres, cet artiste qui était excellent acteur,
a tenu le rôle principal dans l'opéra-comique de M. Charles Stanford, Shatnus
O'Brien, joué en 1876.
Henri Heugel, directeur-gérant.
4014. — 74e àHÉE. — l\° 9.
PARAIT TOUS LES SAMEDIS
Samedi -29 Février 1908.
(Les Bureaux, 2 bls, rue Vivienne, Paris, n- arr)
(Le? manuscrits doivent ôlrc adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
ENESTREL
lie flaméro : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL. Directeur
lie fluméro : 0 fi». 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, LettreB et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paria et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste ea sus.
SOMMAIRE-TEXTE
. Soixante ans de la vie de Gluck (10* article), Julien Tiersot. — II. Semaine théâ-
trale : première représentation de Gliyslàine et de la Habanera à l'Opéra-Comique,
A.MÉDSE Bol-tarel; reprise de Genwiive de Brabant, aux Variétés, Paul-Émile Che-
valier. — 111. Revue de? grands concert?. — IV. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
TORÉADOR ET ANDALOUSE
•danse extraite du ballet de J. Massknet, Espada. — Suivra immédiatement:
G-ivotle, extraite du ballot de Pall Vidal : Zino-Zina.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
Lu Grâce suprême, nouvelle mélodie de René Lexormand, poésie de E. Beaefils.
— Suivra immédiatement: Rose du bpisjoli, chanté dans les Jtimeaux de Befgame,
de Jaques-Dalcroze, dont la représentation est prochaine au théâtre de la
Monnaie de Bruxel'es.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
CHAPITRE III
GLUCK COMPOSITEUR ITALIEN
Dans le Recueil de la Société Internationale de musique qui porte
la date de « Janvier-Mars 1908 » (1), M. Francesco Piovano, de
Rome, a donné, sous le titre : Un opéra inconnu de Gluck, un
article dans lequel, apportant les preuves les plus décisives, il
a établi que Gluck n'a jamais écrit qu'un Arlamène, celui de
Londres en 1746, et que l'opéra qu'il a fait représenter àCrema
en 1743 se nomme /( Tigrane, titre resté inconnu antérieurement
dans l'énumération des œuvres de Gluck. Pour preuve, il présente
un exemplaire du livret imprimé, qui, après les titres, lieuj
date, dédicace, etc., porte à la place accoutumée la mention :
« La Musica sara di nuova composizione del Sig. Cristoforo Gluck » ;
il y retrouve en outre les paroles de dix airs qui sont parmi les
vingt inscrits au catalogue Wotquenne sous la rubrique Arlamène,
et il y a toute apparence que deux pages manquant à ce livret
contenaient les paroles de deux autres airs, ce qui porte à douze
le nombre des morceaux de ce Tigrane, inconnu hier, dont le
manuscrit du Conservatoire a conservé la musique.
il) Nous avons déjà cité cet article, dont on remarquera la date, dans l'énuméra-
tion des œuvres de Gluck paru dans le numéro du 1" février 1908. L'on ne nous
reprochera pas d'être en retard avec les publications récentes, pour les utiliser et
les signaler à nos lecteurs !
Mais ce n'est pas tout, et le titre même de l'article de M. Piovano,
trop modeste, n'en dit pas assez: ce n'est pas « un »: opéra
inconnu de Gluck dont il nous révèle l'existence, mais, sinon
deux, tout au moins un et demi ! Nous apprenons, en effet, par
la suite de son étude, cette autre particularité inédite : que
l'opéra de Milan, pour inaugurer sa saison de 174-3- 1 i- (dont le
deuxième spectacle devrait être la Sofonkba de Gluck) avait
représenté, en décembre, un Arsace dont la musique était due à
la collaboration de plusieurs compositeurs, non nommés. Or, six
des airs compris dans le catalogue thématique à l'article Arlamène
sont écrits sur des paroles de cet Arsace : ils sont donc de Gluck ;
et deux autres qu'on retrouve dans d'autres parties du recueil
manuscrit sont dans le même cas, ce qui porte à huit le nombre
des airs que nous savons avoir été composés par Gluck pour
cet opéra non moins ignoré hier que ne l'était Tigrane. Ces huit
airs appartiennent tous au premier acte, qui, d'après le livret,
devrait en compter dix, plus un chœur d'introduction : il est
permis de supposer que ce chœur et les deux airs qui man-
quent ont été perdus, et que Gluck a composé toute la musi-
que du premier acte (TArsace.
Avant de poursuivre, puisque ce manuscrit du Conservatoire
de Paris, dont il est tant question depuis quelques pages, est à
peu près l'unique source qui nous renseigne sur la musique des
premières œuvres de Gluck, il convient que nous l'étudiiuns
dans son ensemble et avec quelque attention. Aucune descrip-
tion n'en a encore été faite (son existence même a fait l'objet
de quelques mystères jusqu'à ces derniers temps). M. Wotquenne
est, à ma connaissance, le seul qui en ait fait usage, et c'est
d'après ses seules indications qu'en a pu parler M. F. Piovano.
Il convient donc de traiter ce document comme on fait pour les
manuscrits du moyen âge, car il en a la même importance, et
la même rareté. Bien que sortant un peu du cadre d'une biogra-
phie et plutôt destinée à un travail purement bibliographique,
cette étude est trop intimement liée à notre sujet, et en même
temps trop nécessaire, inédite aussi, pour que nous craignions
de l'entreprendre ici.
L'ensemble du recueil se compose de cinq volumes reliés : la
reliure est moderne (des environs de ISiO), et les feuillets des-
tinés à recevoir des inscriptions particulières (titres, tables, cotes)
sont remplis d'écritures successives de trois sous-bibliothécaires:
Leroy, Octave Fouque, et moi-même. Sur les dos sont inscrits
les titres suivants : pour les trois premiers volumes : Gluck :
Airs, Scènes, Duos italiens, Vol. A, B, C; pour les deux derniers,
simplement : Airs, Scènes; la lettre [E n'est pas gravée sur le
dos du cinquième volume, où elle est inscrite seulement sur
une collette apposée à une époque récente.
Ces cinq volumes réunissent sous la même reliure des copies
(distinctes entre elles) d'airs pour chant avec accompagnement
d'orchestre, écrits uniformément (sauf quelques exceptions) sur
66
LE MENESTREL
papier du même format oblong, dit à l'italienne. La collection
semble avoir appartenu au Conservatoire depuis sa fondation :
la cote d'inventaire indique qu'elle fut comprise dans le pre-
mier catalogue des livres de la Bibliothèque. Nous ne savons
rien de plus sur sa provenance. Mais il résulte du contenu
même qu'elle fut établie par un contemporain ayant une
connaissance très exacte de l'œuvre de Gluck, particulièrement
de sa première partie, si peu connue : la méthode suivie dans
le classement en est la preuve certaine. Aucun nom d'opéra
n'est inscrit sur les registres (sauf pour les deux derniers vo-
lumes, qui sont comme un supplément postérieurement cons-
titué) ; cependant les airs, dont, à deux ou trois exceptions près,
nous connaissons maintenant toutes les provenances, sont géné-
ralement groupés par œuvres.
Un rapide coup d'œil sur la composition de l'ensemble, main-
tenant que nous voyons clair sur le détail, va nous permettre
de rendre compte de sa composition.
Le volume A commence par une série de cinq airs qui, les
plus récemment identifiés, sont parmi ceux qui proviennent de
cet Ai-sace dont l'existence vient d'être révélée par notre con-
frère italien. Il importe que nous nous arrêtions particulièrement
sur les morceaux appartenant à cette œuvre ainsi qu'à Tigrane :
nous en indiquerons donc les titres en détail.
N° 1, Benchè copra al sole il volto, Aria ciel Sic/' Gluch (c'est l'air
final de la 8e scène du 1er acte d'Arsace). Notons que le chiffre
•1749 inscrit sur ce titre du morceau, qui est aussi la première
page du manuscrit, n'est pas, comme l'ont cru MM. "Wotquenne
et Piovano, une date, mais la cote d'inscription du livre à l'in-
ventaire de la Bibliothèque du Conservatoire.
N° 2, 5e ficlo l'adorai, Aria ciel Sig' Cluch (2e scène d'Arsace).
N° 3, Becitativo : No che non hà la sorte Piu sventure p. mi, con
l'Aria : Fra il rimorso e fret Vaffanno, ciel Sig1 Cluch. Cette dernière
indication est une erreur du copiste : les premières paroles de
l'air sont : Si vedro cpiell'alma ingrata; c'est l'air final du premier
acte d'Arsace.
N° 4, Si cadra con grave scempio, Aria del Sig' Cluch (4e scène
d'Arsace).
N° 5, Perfido, traditore, Aria del Sig' Cluch (10e scène d'Arsace).
Ces cinq airs sont suivis de cinq autres empruntés à différents
ouvrages, savoir : L'Innocensa justificata, Ipermestra, Orfeo, C atone
(air détaché), Esio.
Puis vient la série complète des airs de Tigrane, dont nous don-
nons, comme pour Arsace, les titres complets :
N° 10. — Sig' Giudita Fabiani — Nel Teatro di Crema — del Sig.
Christoforo Gluck. Les premières paroles sont : Vezsi lùsinghe e
sguardi (Tigrane, acte I, scène 9). Cet air a été introduit plus tard
dans la La Caduta dei giganti.
N° 11. — Aria Canto solo con sinfonia del Sig1' Xforo Gluck. —
Sig' Salembeni. — Paroles : Rasséréna il mesto ciglio (Acte III,
scène 11). Paroles reproduites postérieurement dans Artamène,
mais avec une autre musique.
N° 12. — Il Sig' Felice Salimbeni. — Del Cristoforo Cluch. —
In Crema, 4743. — Paroles : Si ben mio morro se il moi (Acte I,
scène 12).
N° 13. — Sig" Giuditta Fabiani — nel Teatro di Crema, 4743. —
Del Sig' Cristoforo Gluck. — Paroles : Troppo ad un aima, e caro
(Acte 1, scène 1). Reproduit dans la Finta Schiava.
N° 14. — // Sig' Giuseppe Galieni. — Del Sig' Cristoforo Cluch.
— In Crema 4743. Paroles : Care pupille amate (Acte II, scène 15).
N° 15. — Aria Canto Solo con sinfonia de! Sig' Christoforo Gluck.
— Sig" Schieri (Aschieri). Paroles : Priva del Caro bene (proba-
blement Acte II, scènes 13 à 15, page déchirée du livret).
N° 16, — Sig' Giuseppe Gallieni, nel Teatro di Crema, 4743, Del
Sigr Xforo Gluch. Paroles : 5e spunta arnica Stella (Acte I, scène 10).
N° 17. — Sig* Giuditta Fabiani Nel Teatra di Crema. Der Sig'.
Cristoforo Cluch. C'est un double de l'air Vessi lusinghe e sguardi,
déjà copié sous le n° 10.
No ig_ — Il Sic/ Giuseppe Gallieni. — Der SigT Cristoforo Cluch.
In Crema, 4743. — Paroles : Se in Grembo a lieta aurora (Acte II,
scène 7).
N° 19. — Aria Canto solo con Sinfonia del Sig' Xforo Gluck. —
Sig' Salimbeni, Paroles: Parto da te mio bene (Acte II, scène H).
N° 20. — Duello con Sinfonia del Sig' Cristoforo Cluck.- Paroles :
Lungi da te ben mio (Acte II, scène 18).
N° 21. — Aria Canto solo con Sinfonia del Sig' Xforo Gluck.
Paroles : Presso fonda d'Acheronte (Acte III, scène 12).
N° 23. — Aria Canto solo con Sinfonia del Sig' Cristoforo Gluck.
Paroles : Nero turbo in Cielo imbruna (Acte I, scène 13).
Le numéro 22, intercalé à sa place ci-dessus, est l'air de
la Clemensadi Tito : Se mai senti. Enfin, le volume s'achève par huit
airs, dont les paroles de six ont été retrouvées dans Ippolito,
tandis que celles des deux autres fPadre rameuta et Sparge almar)
n'ont pas encore pu être identifiées exactement. Vu leur grou-
pement dans une série consacrée à Ippolito, ne pourrait-on pas
croire que ces airs ont pu appartenir à ce dernier opéra, fût-ce
en tant qu'airs ajoutés au livret' original ?
Le volume B commence par l'air de Sofonisba : La sul margine
del Lete, — après quoi il est entièrement consacré à des airs, un
récitatif, un duo et une marche orchestrale de Demofoonle, au
total vingt morceaux.
Le volume C complète la série Demofoonle, par neuf morceaux
encore. Puis viennent isolément un air d'Arsace : Ternaquell'alma
audace, scène 4, — un d'Alceste, — une série d'onze fragments de-
Sofonisba (dont deux replacés dans Artamène et la Clemensa di Tito),
un d'Ipermes'tra, et encore deux cl' Arsace : Quando ruina con le sue
spume (scène 6) et Colomba innamorata (scène 7) ; un dernier de
Tigrane: Parto da te (déjà copié dans le volume A, n° 19, avec le
même titre), enfin un air de Semiramidericonosciula.
Le volume D, plus récent et de composition plus diverse,
renferme deux airs d' Ipermestra, deux de la Finta schiava, dont
l'un : Troppo ad un aima e cara, a été signalé précédemment
comme provenant de Tigrane (vol. A, n° 13), mais se présente
ici sous son affectation nouvelle, ainsi qu'en témoigne cette ins-
cription sur le titre : 1744, In S. Angelo nella Ascensa (même
inscription en tête de l'autre morceau du même ouvrage) ; puis
des airs de la Clemensa di Tito, Orfeo, Alceste. Au n° 3 est
inséré un certain Aria con cavatina nell' Orfeo, Napoli S. Carlo,
4774, étranger aux deux partitions d'Orphée de Gluck, et d'un
tout autre style musical (non admis par M. Wotquenne sur le
catalogue des œuvres de Gluck), morceau qui mériterait d'être
étudié de près, et d'avoir son attribution discutée : je me
réserve de le faire dans une autre partie de ce travail.
Le volume E, postérieur encore, ne donne plus que des frag-
ments d'opéras français : Armide et Alceste.
Nous voilà donc exactement fixés, et sans hésitation possible,
sur la provenance de toute cette musique de Gluck, — et mainte-
nant il nous est permis de reprendre notre examen critique
sans craindre les erreurs. Au reste, nous en avons déjà presque
assez dit pour définir le caractère de l'œuvre de Gluck en
cette première partie de sa carrière ; quelques nouvelles cita-
tions d'œuvres postérieures à Demofoonle suffiront pour compléter
les observations précédentes : Tigrane et Arsace, les deux opéras
découverts récemment, nous en fourniront les éléments essen-
tiels.
[A suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THÉÂTRALE
Opéra-Comique. — La Sabanera, drame lyrique en trois actes, paroles et
musique de M. Raoul Laparra. — Ghyslaine, drame lyrique en un acte,
paroles de MM. Gustave Guiches et Marcel Frager, musique de M. Marcel
Bertrand. (Premières représentations le 26 février 1908.)
Conduits par les fluctuations capricieuses d'une musique toujours la
' même et toujours changeante, nous allons avoir, pendant trois saisis-
sants tableaux, la vision intense de la vie du peuple dans un village
castillan. En Espagne, la danse fait partie des mœurs populaires plus
peut-être qu'en d'autres pays ; elle se mêle aux souvenirs de deuil
LE MENESTREL
67
presque autant qu'aux réjouissances ; elle devient comme un enivre-
ment que l'on respire dans l'atmosphère, quelque chose né du sol, une
institution nationale. Sur cette terre d'Espagne, sous les feux du
soleil on dans l'ombre du soir, au sein des joies ou des tristesses, il se
trouve toujours des couples pour danser et un aveugle pour les ac-
compagner aux sons de sa guitare. C'est là ce qu'a très fidèlement
observé M. Raoul Laparra, c'est là ce qu'il a excellemment montré pen-
dant les trois actes de son drame lyrique. Nous commençons à deviner
quelle peut être la signification du titre adopté par lui pour sou œuvre,
et quel rôle va jouer constamment le motif de la danse insulaire en
s'adaptant à toutes les situations du drame, Habanera.
Dans la grande salle d'un vieux palais, habité maintenant par des
paysans, Ramon a essayé vainement de trouver l'oubli de son mal
d'amour au milieu de joyeux compagnons ; ils ont foi, le laissant seul.
Le ciel est radieux sous un soleil d'été ; les maisons du village s'offrent
aux regards par une fenêtre ouverte, comme resplendissantes pour une
fête; le branle joyeux des cloches vibre au loin ; des musiques passent
au dehors, jouant des airs populaires. La belle jeune fille Pilar entre
en costume de mariée castillane, tout animée, tout heureuse. Elle vou-
drait apporter le bonheur au jeune homme qui se consume sans qu'elle
connaisse la cause de son tourment, car il va devenir presque son pa-
rent. Le mariage qui se prépare doit en effet l'unir à Pedro, le frère de
Ramon. Mais Ramon semble atteint de folie, il prend dans ses bras la
fiancée de son frère, comme entraîné par le balancement de la Haba-
nera, et resserre de plus en plus l'étreinte. Pedro survient et prodigue
à l'aimée, qui va devenir sa femme, baisers et marques de tendresse.
Celle-ci s'éloigne, et lorsque son fiancé se hâte pour la suivre, Ramon
se dresse et veut l'en empêcher. Une querelle s'engage ; Pedro s'affaisse
frappé d'un coup de poignard. Nul ne soupçonne qui a pu être le
meurtrier, car les deux frères avaient l'un pour l'autre la plus vive
affection. Le vieux père trempe sa main dans le sang de la victime, et,
l'appliquant sur le visage de son autre fils, devenu assassin, lui fait
jurer de tirer vengeance du forfait. Pilar, inerte, est tombée sur le ca-
davre. Une longue clameur s'élève dans la foule.
La lune d'aulomne laisse tomber ses pales clartés dans la cour inté-
rieure d'une vaste maison. La famille en deuil est là réunie. Troisformes
noires se projettent, éclairées par la lueur d'un falot; ce sont le père, le
frère et la fiancée du mort. De l'autre côté se montre la tranquille assis-
tance des serviteurs, écoutant, faisant leurs réflexions, fumanl et ne
demandant pas mieux que d'être entraînés vers des idées moins tristes
par l'arrivée des aveugles et des mendiauts portant des guitares. Na-
guère, cette habitation était pleine d'allégresse. Maintenant il semble
impossible d'oublier jamais le drame sanglant dont la famille reste
inconsolable et dont la jeune fille a le plus souffert. Pourtant, c'est
cette même jeune fille, c'est Pilar, qui provoque à la danse quelques
étrangers perdus dans des coins d'ombre. Les groupes s'ébranlent; le
rythme vague de la Habanera se dessine, et des couples se forment,
s'agitant à peine au sein de la douleur âpre et persistante. Ces hommes,
cette jeune fille n'ont pu oublier entièrement toute joie, parce que leur
conscience est saine. Un seul d'entre eux est irrémédiablement perdu,
c'est Ramon. Tourmenté de remords, il voit constamment le spectre de
sa victime. Comme cela s'observe parfois dans les contrées du Midi, le
misérable se croit hanté. Au rythme de la Habanera se sont ravivées
ses craintes ; il devient blême d'effroi quand le blême fantôme de Pedro
se place en face de lui, derrière un pilier, et qu'il entend ces mots sor-
tant de la bouche livide du mort : « Si tu n'avoues pas demain ton forfait
à Pilar, je la prendrai avec moi dans ma tombe. » Pilar en effet l'a en-
traîné à la danse ; le jour suivant, elle doit l'épouser. Aura-t-il la force
d'obéir à l'injonction du spectre et de confesser son crime à la fiancée
qu'il adore? On ne le sait, on ne le devine pas ; la situation est belle et
tragique.
Au cimetière, les derniers reflets d'un jour d'automne tombent sur
la sépulture de Pedro. Chaque tombeau porte une petite lampe funé-
raire, selon l'usage de certaines provinces méridionales : les allées sont
jonchées de feuilles mortes : un cortège passe en longeant les murs.
On chante, on psalmodie; ce sont là d'étranges voix. Le cré-
puscule s'étend, les lumières pâlissent et s'éteignent, les cimes des
collines les plus proches sont devenues noires. Noirs aussi , en
leurs vêtements de deuil, Ramon et Pilar sont là. Tous les deux, ils
paraissent en proie à un mal intérieur : ses lèvres à lui s'ouvrent, et
des paroles entrecoupées s'en échappent, comme un aveu qu'il ne peut
achever. Quant à elle, affaiblie et souffrante, elle se traîne, agenouillée
d'abord sur la tombe, ensuite immobile et prosternée. La nuit est venue ;
plus un souille, plus un bruit. L'obscurité est complète, quelques étoiles
brillent seulement en haut. Un petit glas sonne quelque part dans la
campagne, si imperceptible, si persistant, si lointain ! Ramon veut
emmener Pilar et s'aperçoit qu'elle est morte. Il prend l'allure des
aveugles qui, le soir précédent, jouèrent la Habanera, et se pe*d dans
les ténèbres. Il mourra de ses remords.
La musique de M. Raoul Laparra u'a pas encore en elle ces germes
étincelants par lesquels s'affirme une œuvre de maitre. Elle a pourtant
son style propre et y reste fidèle depuis le commenceni
fin. Le motif de la Habanera, toujours présent à l'espril car tout ie
remémore, est habilement tisse à travers la partition, et cela seul montre
que le compositeur possède à fond sa technique et ne fait que ce qu'il a
bien voulu faire. Il souhaite assurément que l'on n'isole point sa musi
que des situations pour lesquelles il l'a conçue, et c'est pour cela sans
doute qu'il a évité de parti pris toute envolée de pur lyrisme et a laissé
les sonorités, sauf quelques exceptions rareset peu heureuses, dans une
teinte neutre et discrète. Cela ne les empêche point de produin
impression des choses qui arrivent à leur heure et sont exactement ce
qu'elles doivent être. Quant aux fragments de déclamation musicale,
leur forme est toujours appropriée aux sentiments, aux situations, i in
est frappé par la persistance du mode mineur et par l'expression dou-
loureuse qui se dégage de certains passages instrumentés dans un
coloris particulièrement sombre.
L'œuvre de M. Laparra, bordelais de naissance, prix de Rome de 1963
et actuellement âgé de trente et un ans, est l'une des plus intéressantes
que nous ayons entendues depuis longtemps. Elle a son originalité, son
caractère ; tous ses éléments, paroles, musique et mise en scène, ton» ni
un ensemble artistique d'une rare homogénéité. U-s'agit maintenant pour
le compositeur d'élargir ses horizons et de trouver des issues plus vas* s
pour des élans auxquels un texte littéraire imparfait et une musique
un peu trop subjuguée n'ont pu donner tout leur essor. Le charme de
T-œuvre réside dans l'observation scrupuleuse de la réalité. Jouée de-
vant le public d'un théâtre populaire de Naples ou de Tolède, la Haba-
nera exciterait un indicible enthousiasme. L'homme méridional y re-
connaîtrait ses passions. C'est là, croyons-nous, une louange peu
banale.
L'interprétation a été remarquable par l'intelligence avec laquelle
ont été réalisés les caractères si vivants des personnages. M. Séveilhac.
sous les traits de Ramon, s'est livré avec exubérance, ne ménageant
ni sa voix, ni son jeu. M"'' Demellier, dans le rôle de Pilar, est arrivée a
incarner une Espagnole au sang chaud, mais toujours gracieuse et
n'exagérant en rien le côté passionné ou sensuel du tempérament de la
Castillane. Elle a chanté avec art et mesure une musique qui ne doit
point briller pour elle-même. MM. Salignac et Vieuille méritent d'être
compris aussi dans l'élite de celte interprétation où nul, à la vérité, ne
s'est montré médiocre. La mise en scène a été parfaite; nous l'avons
indiquée assez minutieusement pour ue point y revenir. L'orchestre,
dirigé par M. Ruhlmaim, a soutenu hautement sa réputation.
Ghyslaine, petit ouvrage intéressant mais peu original d'un composi-
teur de vingt-trois ans, met en scène une histoire d'amour de l'époque
du moyen âge. Christiane, épouse infidèle, est supplantée par unedouce
jeune fille, Ghyslaine. Longtemps absente, elle vient redemander sa
place au foyer et se frappe d'un coup de poignard en apprenant que le
pape a prononcé l'annulation de son mariage. Dans la partition, plu-
sieurs morceaux très agréables ont conservé la forme traditionnelle de
F opéra-comique. D'autres s'offrent avec des tendances plus modernis-
tes. Il y a là un mélange, uu manque d'unité de style qui inquiète un
peu et semble obliger à retenir l'éloge que l'on aimerait à prodiguer
sans autant de réserve à un artiste jeune et d'un véritable talent.
Tout à fait charmante et fraîche, M,le B. Lamare a chanté avec un
grand charme et une véritable distinction le rôle de Ghyslaine.
MUe Kowska lui a été peu inférieure et MM. Ghasne, Guillamat.
Lavarenne et Souchon se sont efforcés, non sans succès, de mettre en
relief leurs personnages, tous assez difficiles à soutenir, parce qu'ils
font partie d'un scénario trop, peu vivant.
Amédée Boutarel.
Variétés. — Geneviève de Brabant, opéra-féerie en 3 actes et "i tableaux.
d'Hector Oémieux et E. Tréfeu, musique d'Oltenbach.
M. Samuel a un faible pour Offenbach, et les Parisiens ont un faible
pour M. Samuel quand il monte, si joliment, les ouvrages «lu plus
étonnant compositeur de musique légère que la France ait, avec Hervé,
connu jusqu'à ce jour. Donc, aux Variétés, ce fut, cette fois, le tour de
Geneviève de Brabant ; et comme la pièce, dont la première remonte à
novembre 1859, ne fut jamais reprise à Paris depuis les représentations
qu'en donna Offenbach lui-même à la Gaité, en 1875, cela avait pour
beaucoup, si non pour presque tous, l'attrait d'une vraie nouveauté.
Faut-il dire que la soirée fut triomphale pour la partition, éblouissante
68
LE MENESTREL
d'entrain et. de gaité, avec des coins d'inspiration délicieuse et des pages
de belle envolée comme l'étonnant finale du « départ pour la Palestine » ?
Encore une fois, c'est de l'Offenbach et du très bon Offenbach, comme
la mise en scène luxueuse et de goût raffiné est du Samuel et du très
bon Samuel. A ceux que la musique pourrait laisser indifférents —
où sont-ils, qu'on les montre au doigt? — on doit conseiller d'aller
quand même aux Variétés : ils seront éblouis par des décors superbes,
des costumes merveilleux signés Gerbault et Edel, et ils ne pourront
qu'être captivés par la voix sûre et prenante de Mlle Geneviève Vix,
transfuge del'Opôra-Comique. qui, le soir de la première, a révolutionné
les vieux habitués de la salle du boulevard Montmartre, mal habitués à
entendre si remarquablement chanter et qui bissèrent tant qu'ils
purent. Ils applaudiront au charme toujours captivant, à l'organe tou-
jours charmeur de Mme Germaine Gallois, à la joliesse infinie de
M"-" Jeanne Saulier, aux notes cristallines de M"e Melsa, à la fantaisie
tivs fine de M. Guy, à la fantaisie épique de M. Brasseur, à la fantaisie
primesautière de M. Max Dearly, au bon comique de M. Prince et au
respect des traditions de M. Petit. Et, bien qu'ils en aient ces réfrac-
taires, ils sentiront que, tout malgré eux, leurs jambes se mettront en
branle et leurs pieds en trémoussements au seul entrainement des
rythmes irrésistibles.
« Ohé ! Ohé! de la fenêtre, ohé ! » avouez aussi, enfile-notes gentils
et de bonne compagnie, qu'elle vous fait un tantinet loucher, la vieille
Geneviève de Brabant, ô vous qui vous essoufflez à vouloir dérober à votre
Maitre ses secrets de verve endiablée et d'esprit .bouleversant ! Ah ! si
vous pouviez vous tailler une tranche, si petite soit-elle, de ce pâté, ce
mirifique « pâté qui renferme du veau et du jambon » et bien autre
chose avec ! Mais il est à croire qu'il a été emporté en Palestine par le
duc de Sifroy et qu'il y est resté. Qui de vous aura le courage de faire
le voyage pour rapatrier avec lui la belle gaité française ? Il ne s'en-
nuiera pas celui-là, qui, peut-être bien, point à un horizon ass.ez
proche, et, je vous le jure, il ne nous ennuiera pas non plus.
Paul-Emile Chevalier.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts-Colonne. — Il faut féliciter M. Colonne de nous avoir donné la
primeur d'un important fragment lyrique inédit — tout un acte entier — d'un
ouvrage du à M. Arthur Coquard, poème et musique. Oméa, qui fut excellem-
ment interprété par M11-" Grandjean, MM. Muratore et Rocca, a obtenu
dimanche un légitime succès. Ce quatrième acte, le dernier de l'ouvrage de
M. Coquard. apparaît puissant et dramatique, solidement charpenté, rehaussé
d'une instrumentation éclatante et pondéré.». Le compositeur, sans cesser
d'être fidèle à la mélodie expressive libre, emploie avec aisance des thèmes
conducteurs qui donnent, à sa partition une unité, une cohésion remarquables.
Le héros Aram est une sorte de Prométhée, victime de la haine, qui meurt
enchaîné à son rocher. La consolatrice parait : c'est Oméa. Elle calme le
désespoir d'Aram en lui montrant qu'il laisse une œuvre immortelle. Scène
de passion ardente et conclusion épique: la mort dans la fou ire et l'apo-
théose. Cette page est vraiment, belle et le public l'a senti. - M. Raoul Pugno
a interprété, comme il sait le faire, les admirables Djinns de César Franck et
en première audition un Nocturne avec orchestre de M. Jean Huré. Ce mor-
ceau, qui n'est pas sans charme et contient de jolis détails pour l'instrument
solo, m'a paru manquer d'un plan bien établi et semble plutôt une improvi-
sation qu'une œuvre pensée et réfléchie. Néanmoins on lui a fait bon accueil.
— M. Koussevilzky. qui joue de la contrebasse comme d'autres du violon et en
tire des effets étonnants, a été fort acclamé dans un concerto de Mozart et le
Kol Xidrci de MaxBruch. écrits tous deux, si je ne me irompe, pour le violon-
celle. M"0 Grandjean a été superbe dans la Mort d'Yseull et l'orchestre non
moins digne d'éloges dans l'ouverture de Benvenuio Cellini de Berlioz et le
prélude du 3e acte de Loltengria. J. Jemain.
— Concerts-Lamoureux. — M. Henri Rabaud s'est montré chef d'orchestre
énergique en même temps qu'artiste très sincèrement convaincu. Il dirige
avec des mouvements de bras expressifs et des flexions de toute sa personne
qui font penser parfois qu'il va bondir sur certains groupes d'instrumentistes.
Au point de vue métier, il possède une qualité très frappante, l'absolue pré-
cision; au point de vue art, il montre qu'il y a en lui beaucoup de jeunesse
et d'entrain, de la sensibilité, l'amour de la belle amplitude sonore, et le
sentiment juste des nuances. Il a bien fait ressortir le caractère dramatique
de l'ouverture d'Euryanthe, sachant distinguer avec un sens délicat les mo-
ments chevaleresques, les moments de tendresse et les moments pathétiques,
par exemple, la plainte douloureu-e à laquelle succède la triomphante péro-
raison. Il a de même appliqué tous ses soins aux effets gracieux de la huitième
symphonie de Beethoven, la conduisant avec beaucoup de iinesse et donnant
une jolie fluidité à l'allégro scherzando. Comme compositeur, nous avons pu
apprécier M. Henri Rabaud dans son « Deuxième poème lyrique sur le Livre
de Job ». C'est une œuvre véhémente écrite pour orchestre avec partie vocale
prépondérante, sur la traduction même d'Ernest Renan. M. Vilmos-Beck a
chanté cet ouvrage d'une voix forte et vibrante, mais l'accueil du public a été
un peu indécis. Cela ne saurait surprendre quand il s'agit de la première au-
dition d'un morceau assez long mais très intéressant au début, qui exige en
somme de l'auditeur un véritable effort d'attention. Une petite merveille, c'est
le deuxième concert ■> de Bach pour violon, flûte, hautbois, trompette et
orchestre. M. Félix Mottl en a réalisé la basse et en a transcrit la partie de
trompette afin de la rendre exécutable sur les instruments d'aujourd'hui. Exé-
cutable, sans doute, mais pas facile pourtant; on s'en est aperçu à quelques
légers accidents. Tous les mouvements sont écrits dans le beau style fugué
du maitre, sauf l'andante. Dans ce dernier, le violon domine superbement, la
trompette apparaît à peine et l'orchesire se fait infiniment discret. Tout ici
est douceur, phrases poétiques et presque solennelles. On a applaudi avec fré-
nésie. Le programme comprenait encore tes « Murmures de la forêt » do Sieg-
fried et. fe poème symphonique de Saint-Saëns, la Jeunesse d'Hercule.
Améoée Boutarel.
— Programmes des concerts de demain dimanche :
Conservatoire : Ouverture de Coriolan (Beethoven) ; l'Enfance du Christ (Berlioz),
so'i par MM. Plamondon, Bartet, d'Assy, Narçon, Delmont, Millot, M™1 Mellot-
Joubert; Ouverture du Freisehûts (Weber).
Concerts-Lamoureux, à 3 heures, orchestre sous la direction de M. Henri lïabaud :
1° Symphonie, en ré majeur, de Mozart; 2° concerto de Bach pour violon, flûte,
hautbois, trompette et orchestre (réalisation du continuo par Félix Mottl) ; Prométhée
triomphant, poème de Paul Reboux, musique de Reynaldo Hahn (voir aux nouvelles
diverses pour le détail et les exécutants de cette œuvre).
Concerts-Popu'aires (à 3 heures, Marigny) : 1° Symphonie en ré mineur (C. Franck) ::
2° Hérodiade, air (Massenet) : M™" Laute-Brun, de l'Opéra; 3° Poème hongrois (Ed.
Nissarès) : M. E. Mendels, sous la direction de l'auteur; Danse du Faune et du Satyre-
(A. Bernn) ; 5° Concerto, piano et orchestre (Pierné) : M"° Jane Weil ;6° La Flûte enchan-
tée, ouverture (Mozart) ; 7° a) La Neige : b} Marine (Georges Brun) : M"' Laute-Brun,
sous la direction de l'auteur; 8° a) Romlo capriccioso (Mendelssohn), orchestré par
A. Deslandres ; b) Polonaise (A. Deslandres), sous la direction de l'auteur. Chef"
d'orchestre : M. Fernand de Léry.
— A la huitième matinée Daubé, au Théâtre du Gymnase, on a fait fête-
au maitie Diémer. qui « clavecinait » dans les trios de Rameau avec le flûtiste
Gaubert etle violoncelliste Bedetli, puis, seul, en d'exquises piécettes d'anciens-
maitres qu'il joue d'incomparable manière. Avec son élève Balada, l'illustre
virtuose donna à deux pianos une étourdissante interprétation de sa valse en
octaves. On applaudit encore MUc Marcella Pregi en d'aimables mélodies de
Diémer chantées avec un art consommé, MM. Soudant et Bedetti, et les chan-
teurs de la Renaissance, qui, dirigés par M. H. Expert, furent excellents-
d'ensemble et de précision. — A la neuvième matinée, grand succès pour
Mmc- Marie Gauthier, qui interpréta des pièces de Mozart, Chopin et Liszt avec
sa maestria coutumière, pour M. Mauguière chantant de poétiques et fines
mélodies de M. Georges Hue que celui-ci accompagnait, pour Mme Jane Ba-
thori détaillant avec son lalent coutumier d'expressifs lieder de M. de Brôville,
pour M. Jean Bedetti en des pièces de violoncelle de G. Fauré et Davidoff,
enfin pourMM.de Bruyne, Bedetti et Jemain dans le beau quatuor avec piano-
de Beethoven et l'amusant Scherzo-Valse de Ch. Levadé. — La dixième matinée
aura lieu mercredi 4 mars avec le concours de Mme Mellot-Joubert, Mlle C liny
Richez, M. Brémont, M. Puyans, le quatuor de harpes Tassu Spencer,
MM. Ch. Lefebvre, Paul Rougnon et M",p de Faye-Jozio, compositeurs.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour
AROXXÉS A LA MUSIQUE)
De nouveau nous puiserons dans le nouveau ballet de Massenet : Espada, pour en
tirer ce Toréador et Andalouse aux tons vibrants, qui fait penser à la fameuse Ara-
r/onaise du Cid et qui est de la même famille assurément. Cependant, quand on les
rapproche l'un de l'autre, on voit que les deux morceaux sont tout différents. Leur
père-leur a insufflé la même vie exubérante, mais leurs traits restent divers.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
L'empereur Guillaume If vient, dit-on, à l'occasion du soixante-dixième
anniversaire de naissance du compositeur Max Bruch, de le nommer chevalier
de l'ordre du Mérite pour les sciences et les arts.
Il avait été question, depuis assez longtemps déjà, delà démolition éven-
tuelle des bâtiments actuels de l'Opéra-Royal de Berlin lorsque le nouveau
monument aurait été construit. On vient d'annoncer que ce projet est défini-
tivement abandonné. Selon le désir manifesté par t'empereur, on s'efforcerait
de rendre le plus possible au vieil immeuble l'aspect qu'il avait avant l'in-
cendie de 1842. On pense que fe nouvel Opéra sera construit sur l'emplace-
ment occupé maintenant par le Théàtre-Kroll.
LE MÉNESTREL
69
— Voici qu'un journal autrichien, le Theater Courier, prétend connaître et
l'aire connaître les « dessous » de l'affaire Mahler, c'est-à-dire les véritables
causes qui ont obligé l'artiste à abandonner la direction de l'Opéra-Impérial
de Vienne. Il raconte ainsi les faits. L'engagement du chanteur Schrôd ter arri-
vait à expiration, et M. Mahler ne voulait point le renouveler, à moins d'une
réduction des appointements de l'artiste. Celui-ci ne l'entendait point de cette
façon, et s'en alla dans la circonstance porter ses doléances à l'intendant du
théâtre, M. le princo de Montenuovo, qui fit comme Ponce Pilale. Le
Schrôdter s'adressa alors à un très haut personnage, qui lui donna raison, si
bien que le prince dut s'exécuter et déclarer à M. Mahler que l'engagement
en question devait être renouvelé dans les mêmes conditions; le plus curieux,
c'est qu'il lui exprimait en même temps son déplaisir de la fâcheuse situa-
tion financière dans laquelle se trouvait le théâtre. Là-dessus, M. Mahler pré
tendit donner sa démission. Or, on assure que de 1000 à 1907 il avait déjà
donné cinq fois cette démission, à laquelle l'intendant n'avait jamais voulu
donner suite. On peut se rendre compte de son étonnement et de son dépit
lorsque après avoir, le matin, joué de nouveau de cette démission, il lut dans
le Journal officiel du soir qu'elle était acceptée !
— Un jubilé de la Création d'Haydn. Le mois prochain aura lieu à Vienne
une fête intéressante; elle est destinée à commémorer un concert qui eut lieu
le '27 mars 1808 dans la salle d'honneur de l'université. On exécuta la Création
et ce fut à la fois la dernière séance de la société dite « Concerts d'amateurs >■
et la dernière audition de l'ouvrage à laquelle ait assisté le compositeur. On
se propose do donner le 27 mars 1908 la Création telle qu'on l'interprétait
autrefois, avec un petit chœur et un petit orchestre. Des chanteurs de pre-
mier ordre seront chargés des soli.
— Un membre de la famille Mendelssohn, M. Ernest Mendelssohn-Bar-
tholdy, de Berlin, a offert à l'empereur d'Allemagne une villa qu'il possède
aux environs de Home, sous condition que cette villa servirait d'habitation
de convalescence pour les artistes musiciens qui se rendraient à Rome.
L'empcreur.en acceptant cette condition, a fait connaître qu'uneannexe serait
ajoutée aux constructions existant déjà et que l'on y recevrait des peintres et
des sculpteurs afin qu'ils puissent y travailler en toute liberté.
— Le Stradivarius de M. Eugène Ysaye retrouvé. Le violon de Stradivarius
« l'Hercule », jui avait été volé à M. Eugène Ysaye à la fin du mois de
décembre dernier, pendant un concert donné au Théâtre- Marie de Saint-
Pétersbourg, vient d'être retrouvé. La police autrichienne a pu saisir ce
précieux instrument dans la ville de Prérau, sur la frontière polonaise. Un
aubergiste de la localité l'avait acheté pour quarante-trois couronnes, c'est-à-
dire moins de quarante-six francs. Le violon a été transporté à Vienne où son
heureux propriétaire a pu sans doute déjà en reprendre possession, car il a du
se rendre dans cette ville après avoir donné, à la fin de la semaine dernière,
des concerts à Berlin.
— Les amis du pianiste Alfred Reisenauer, que nous avons entendu à Paris
au printemps de l'année dernière, et qui est mort il y a cinq mois, s'occupent
d'ériger un monument en son honneur à Koenigsberg, sa ville natale. L'idée
en a été mise en avant par une protectrice de l'artiste, Mme la comtesse
Joséphine de Schwerin.
— Une nouvelle opérette en trois actes, le Baron Trenck ou le Pandour, pa-
roles de MM. A. -M. Willner et R. Bobansky, musique de M. Félix Albini, a
été jouée pour la première fois le 15 février dernier au vieux Théâtre-Munici-
pal de Leipzig. On en a trouvé la musique charmante. Elle S3 rapproche,
comme genre, beaucoup moins do l'opérette que de l'opéra-comique. Le ba-
ron Trenck, colonel d'un régiment de Pandours est un personnage historique.
Il vécut au temps de Marie-Thérèse d'Autriche, de 1711 à 1749.
— Un « nouveau théâtre national suédois » a été inauguré à Stockholm le
18 février dernier en présence du roi, des membres du gouvernement et des
représentants de té, littérature et des arts. On joua d'abord un prologue de
M. Thor Hedburg et ensuite le drame de jeunesse, Master Olaf, de M. Auguste
Strindberg. On vante beaucoup l'édifice au double point de vue architectural
et scénique.
— On a donné récemment au théâtre de Bakou (Caucase russe) la représen-
tation d'un opéra inédit intitulé Lsila et Meciun. On ne nous fait malheureuse-
ment pas connaître le nom de l'auteur, qui a écrit tout à la fois les paroles et
la musique. Mais les journaux russes nous apprennent que cet auteur est
Persan, et font remarquer que cet ouvrage est le premier opéra du à un com-
positeur persan.
— Le violoniste Bronislaw Hubermann, qui fait en ce moment une tournée
de concerts en Russie, a eu dernièrement une désagréable surprise. Son cor-
respondant d'Odessa lui fit savoir que les autorités de la ville exigeaient, pour
!ùi permettre de jouer, qu'il déposât une caution de mille roubles, pour
répondre des manifestations politique i auxquelles pourraient donner lieu ses
concerts. L'artiste, comme on pouvait s'y attendre, s'est empressé d'aller jouer
ailleurs.
— De notre correspondant de Genève: La Thérèse de J. Massenet, donnée pour
la première fois mardi dernier, sur notre scène municipale, a produit une profonde
impression que la presse genevoise est unanime à constater. La fertilité, la fraî-
cheur d'invention d'un maître qu'on peut à bin droit qualifier de fécon 3, a posi-
tivement émerveillé ; on l'admire dans lu partie vocale de l'œuvre, on la retrouve,
admirable au même degré, dans l'orchestration. Si émouvant qu'ait été le Mas-
senet de Werther et de la Nauarraise, son œuvre nouvelle nous donne, pourrait-on
dire, un frisson nouveau. Tendre, sentimentale dans le premier acte, dont les
points culminants nous ont semblé être la « chute des feuilles » et le grand
duo des souvenirs, la partition évoque, au second acte, avec une impression-
nante réalité, la Terreur avec tout ce que cette époque contint d'angoisses, de
pleurs et de sang. L'interprétation fut de premier ordre : Thérèse: M""- Rose
Soïni ; Armand de Clairval : M.' Bruzzi ; André Thorel : M. Michel Dufour.
Excellente mise en scène de MM. Huguet et Poyard. M. Miranne conduisait
notre orchestre, auquel il fait accomplir des prodiges. — Thérèse était accom-
pagnée sur l'affiche d'Yvonne, dramatique petit acte plein de sentiment et de
mélodie, de Max Sergent, musique de Georges de Seigneux, qu'on a beaucoup
applaudi. !•;. D.
— De la Gazette de Liège :« La symphonie de M. Widor, dont la partie
d'orgue a été parfaitement interprétée par M. 0. Waitz, est l'une des œuvres
les plus distinguées et Bien modernes de l'auteur; il a condensé dans sa parti-
tion les données essentielles de sa conception de l'orgue et des effets qu'il at-
tend de l'instrument. Conception élevée, pensées attrayantes, facture magis-
trale même dans ses plus intrépides libertés, opulente variété de moyens et
de développements, combinaisons mêlées de rythmes et de sonorités, dans
lesquels l'orgue reste toujours au premier plan lorsqu'il survient, grâce au
tact du compositeur, quia su l'isoler de l'ensemble en employant des sonorités
de timbre essentiellement différents et ei maintenant toujours les autres
parties orchestrales importantes à une certaine distance de la partie princi-
pale. Tout cela s'y trouve, tout cela s'y enchaîne, s'y déploie avec une par-
faite lucidité! L'œuvre a produit un effet grandiose, surtout par la solennelle
ampleur et l'imposant éclat de son final! — L'auditoire a écouté avec un
recueillement absolu celte superbe composition magnifiquement exécutée,
laquelle est loin d'être à la portée des esprits vulgaires ; il a compris ce qu'il
y avait non pas s ulement d'ingénieux, mais de majestueux dans l'œuvre du
maître français. Il a été ému, notamment dans la seconde partie, par ces
chants choraux pénétrants et nobles, transformés à chaque instant par des
artifices de rythme, d'intonation ou de contrepoint et gardant leur profonde
unité. Sous cette diversité apparente, l'intérêt allait croissant, et quand la der-
nière note était dite, le public faisait à l'œuvre, à l'orchestre et au composi-
teur, rappelé cinq fois par la salle entière, une ovation qui semblait ne devoir
jamais finir. »
— De Milan : Les successeurs, à la Scala, de MM. Gatti-Casazza et Arturo
Toscanini, nommés le premier, directeur, le second, chef d'orchestre du
Metropolitan Opéra de New-York, ne sont pas encore désignés, mais il est
probable que M. Gatti-Casazza sera remplacé par M. Thémistocle Pozzali.
directeur du Teatro Régie de Turin, tandis que les fonctions de chef d'orchestre
seront partagées entre deux jeunes maestri, MM. Barone et Serafini.
— De Milan on signale le très grand succès remporté à la Scala par la
Louise de Charpentier, avec MUe Frances Aida pour principale interprète
acclamée.
— A l'occasion du centenaire du Conservatoire de Milan, le maestro Galli-
gnani, directeur de cet établissement, avait ouvert un concours pour la
composition d'un opéra en un acte sur un livret de M. Carlo Zangarini, entre
tous les élèves des classes de compo-ition licenciés de la dernière année ou
de l'année en cours. Le jury chargé de juger ce concours, formé de MM. Um-
berto Giordano, Armando Seppilli et Giacomo Oreûce, a attribué le prix au
jeune compositeur Emanuele Gennai, élève du professeur Gaetano Coronaro.
— Dans le but de rechercher, de découvrir et de faire connaître les trésors
d'art musical qui, oubliés et ignorés, restent enfouis dans les archives
publiques ou privées, M. Guido Gasperini, bibliothécaire et professeur d'his-
toire de la musique au Conservatoire royal de Parme, voudrait voir réunir à
Ferrare une assemblée de musicologues à l'occasion des fêtes qui auront lieu
en cette ville, au printemps prochain, en l'honneur du célèbre Frescobaldi. A
cet effet, il publie un appel à ses collègues et amis, en les priant de donner
leur adhésion à cette assemblée. Le comiLé ferrarais des fêtes de Frescobaldi
prête tout son appui au projet conçu par l'excellent professeur, et se prépare
déjà à organiser une réception chaleureuse à tojs ceux qui répondront à son
appel.
— Les journaux italiens racontent qu'il y a quelques jours, à l'École Sainte-
Cécile de Rome, pendant une répétition, un élève présenta à M. Richard
Strauss une partition do Salomé en le priant de vouloir bien y mettre sa signa-
ture, à quoi le compositeur répondit, en français : s Non, non. pas de Salomé
aux élèves!... Mozart! Mozart! Beethoven!... ■■ L'élève obtint pourtant sa si-
gnature, mais il s'éloigna un peu contrit. Si l'anecdote est vraie, M. Richard
Strauss renouvelait ainsi le mot du bon curé à ses ouailles : s Faites ce que je
dis, mais ne faites pas ce que je fais. »
— Au théâtre de la Zarzuela de Madrid, première représentation d'une
zarzuela en troi ; tableaux, Sanlos e msigas, paroles de M. Linares Rivas, mu-
sique du maestro Baldomir, jouée par M'"" Irène Alba, Joaquina Pino. Ma!
donaldo et MM. Guel, Cava, Rifart, etc. Succès.
— Une preuve de courage et de présence d'esprit vient d'être donnée par
une jeune Australienne, miss Olive Moore, en représentation au théâtre de
70
LE MENESTREL
Manille, dans les îles Philippines. Pendant une représentation du Mikado,
l'orchestre s'arrêta tout à coup, les chaises furent projetées l'une sur l'autre, et
les murs du hàtiment parurent ébranlés. Déjà les spectateurs se précipitaient
vers les issues et une panique peut-être terrible allait se produire. C'est alors
que miss Moore. qui était en train de chanter l'air: Seule et pourtant vivante,
rassura tout le monde par son sang-froid. En la voyant continuer de chanter,
l'orchestre se remit à jouer, les spectateurs reprirent leurs places et la repré-
sentation put s'achever. L'incident qui avait provoqué les inquiétudes était un
léger tremblement de terre comme il en arrive souvent dans les régions aus-
trales. Mlle Moore venait probablement d'éviter- une véritable catastrophe en
ne se laissant pas effrayer. On lui fit une ovation triomphale à la fin de la
soirée.
— Un rédacteur d'un journal de Londres, le Daily Mail, a fait une enquête
auprès des principaux chefs de bandes musicales pour savoir quel était le
genre de musique préféré des auditeurs de concerts en plein air. Les artistes
interrogés ont tous affirmé que le goût du public s'affine incontestablement.
Assurément certains airs de danse sont toujours en vogue, et l'on écoute aussi
avec beaucoup de plaisir les fragments d'opéreltes qui ont le plus grand succès
dans les théâtres spéciaux. Mais les auditeurs accordent beaucoup d'attention
et montrent une grande sympathie aux transcriptions des œuvres wagné-
riennes. en même temps qu'ils goûtent la musique de Beethoven, de Liszt, de
"Weber, de Mozart, et même de Bach. La musique française est aussi de leur
part en grand honneur. Toutefois, la première place reste à la musique ita-
lienne, et spécialement à la contemporaine, qui est décidément la plus popu-
laire. Les vieux maîtres italiens sont en décadence: parmi eux Bossini seul
se maintient très populaire dans le public des concerts militaires, mais unique-
ment par l'ouverture de Guillaume Tell, qui obtient toujours de vifs applau-
dissements. On aime beaucoup les arrangements des opéras de Verdi. Mais ce
qui plait surtout au public, ce sont les transcriptions des ouvrages de Puccini,
ainsi que ceux de l'a Cavalleria rusticana de Mascagni, de Pagliacci de Leon-
cavallo et do la Gioconda de Ponchielli. — Des goûts et des couleurs...
— De New-York on cable encore un succès français à l'actif de M. Ham-
merstein, le directeur du Manhattan Opéra. Après Thaïs et Louise, c'est le tour
de Pelléas et Mèlisande, toujours avec la même interprète acclamée. Mlie Garden.
On voit combien le répertoire français a assuré, cette saison, la réussite bril-
lante du second théâtre lyrique de New -York. Aussi le Metropolitan, qui
jusqu'ici, sous l'hostile direction de M. Conried, l'avait écarté de parti pris,
veut s'y mettre à son tour. Et déjà il annonce pour la saison prochaine
l' Attaque du moulin de M. Bruneau! C'est un coup rude pour M. Hammerstein,
qui devra se contenter de représenter Cendrillon, Hérodiade, Grisélidis et Sapha.
Toutefois sa part semble encore assez belle.
— L'exislence des acteurs chinois ne saurait être comparée à celle de nos
comédiens européens, soit que ceux-ci exercent leur profession dans une
capitale ou une ville importante, soit qu'ils fassent de grandes tournées dans
divers pays du continent ou au delà des mers. En aucun pays du monde
n'existe pour les comédiens un mépris pareil à celui dont ils sont l'objet on
Chine, où, tout d'abord, ils sont exclus des examens pour le mandarinat et de
toute espèce de fonctions publiques. Dans les villes où ils séjournent, les
théâtres sont relégués dans les faubourgs les plus mal famés et placés auprès
de certaines maisons qu'il est inutile de caractériser davantage. Une
troupe de comédiens ne peut d'ailleurs pénétrer dans une ville sans en
avoir obtenu l'autorisation d'une autorité municipale ou autre. Il arrive par-
fois qu'un personnage important ait l'envie d'ajouter le spectacle aux divertis-
sements qu'il offre à ses invités : il engage alors une troupe d'acteurs, qui
n'ont d'autre salaire que le logement et la nourriture. Pour gagner quelque
chose en plus, il faut qu'ils aient la chance de plaire beaucoup aux spectateurs.
Alors, au cours de la représentation, un domestique de confiance, délégué par
le mécène, s'arme d'un gong et d'un bâton, se met en devoir de faire la quête
et à chaque groupe de sapèques recueilli par lui, frappe sur le gong avec son
bâton. C'est là le casuel des comédiens. Dans chaque théâtre public se trouve
une loge d'honneur, et lorsque quelque mandarin y vient prendre place, les
acteurs, avant de commencer, se présentent tous en rang sur l'estrade, se
prosternent et s'écrient en chœur : « Seigneur, nous vous saluons trois fois ».
Il n'y a d'ailleurs dans ces théâtres ni rideau, ni souffleur, ni rampe, ni
décors, jii mobilier. L'esprit des spectateurs doit suffire à toute illusion.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Concours pour des emplois de chef et sous-chef de musique militaire. On
lit dans le Bulletin Officiel du ministère de la guerre :
Un concours pour les emplois de chef et de sous-cbef de musique dans l'armée
aura lieu cette année. Le jury, formé de professeurs du Conservatoire national de
musique, de compositeurs et de deux chefs de musique militaires, sera présidé par
M. Gabriel Fauré, directeur dû Conservatoire. L'épreuve éliminatoire (harmonie)
qui constitue la première partie du concours est fixée au 12 mars prochain, et
sera passée comme précédemment au chef-lieu ie chaque corps d'armée; les
épreuves définitives (épreuve instrumentale et épreuve d'orchestration) seront
subies à Paris, dans un local désigné par le gouvernement militaire de Paris. Il
n'est apporté aucune modification pour le concours de la présente année à l'instruc-
tion du l'i février 1903, ainsi qu'au programme qui s'y trouve annexé.
— Le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts a accepté la pré-
sidence d'honneur de 1"« Association amicale des professeurs de musique vocale
des Lycées et Collèges de l'État ». Bésultat du référendum pour la constitution
du bureau : Président : M. Louis Pister, professeur au lycée Buffon à Paris ;
Vice-Président : M. Clérisse, professeur au lycée d'Évreux-; Secrétaires :
MM. Louis Luigini, profe-seurau lycée d'Auch, Laffont, professeur au ljcée
d'Albi : Trésorier : M. Labatut, professeur au lycée d'Agen ; Membres du bu-
reau : MM. Py, professeur au lycée de Montauban, Nivert, professeur au lycée
d'Alençon ; Hansen, professeur au lycée de Beims; Bousse, professeur au
collège de Le Quesnoy : Thierry, professeur au lycée de La Bochelle : Boche,
professeur au lycée de Marseille; Graff, professeur au collège de Saumur;
Chavet, professeur au lycée d'Alger: Gourdet, professeur au collège de Meaux.
— La commission de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques a
tenu cette semaine une importance séance sous la présidence de M. Alfred
Capus. Étaient présents : MM. Paul Ferrier, Pierre Decourcelle, Jean Biche-
pin, Paul Milliet, Gaston de Caillavet, Alexandre Bisson, Maurice Ordonneau
et Paul Gavault. Assistaient en outre a la séance les deux agents généraux,
MM. Bobert Gangnat et Pellerin. A la suite de la lecture de l'important
rapport de M. Pierre Decourcelle, lecture qui n'avait pas pris moins de trois
séances, la commission, après discussion, a décidé l'adoption d'un ensemble
de réformes touchant la perception des droits d'auteur en province. Ces ré-
formes seront codifiées en dix articles. El'es seront prochainement communi-
quées aux membres sociétaires sous la forme d'une circulaire. Et pour assu-
rer et surveiller l'exécution de ces mesures, la commission a décidé, en outre,
la création de trois postes d'inspecteurs placés sous sa direction exclusive.
Les agen's généraux se sont trouvés, dans la discussion, d'accord avec la
commission sur tous les points qui pouraient les concerner. Autre décision
qui avait été, on s'en souvient, très réclamée dans une des dernières assem-
blées générales de la Société : conformément au rapport de la sous-commis-
sion nommée à cet effet, à l'unanimité, la commission a voté la création d'un
bulletin mensuel destiné à mettre les sociétaires au courant des travaux de la
commission et à, entretenir, entre eux et elle, les rapports nécessaires au bon
fonctionnement et à la prospérité de la Société.
— Le conseil d'administration de la Société des auteurs, compositeurs et
éditeurs de musique a procédé au renouvellement de son bureau pour
l'année 190S. Ont été élus : Président, M. Joubert, éditeur ; vice-président,
M. Pessard. compositeur; secrétaire général, M. Victor Meusy, auteur; secré-
taire adjoint, M. Chillemont. compositeur; trésorier, M. Gaudet, éditeur.
— Spectacles de la semaine à l'Opéra : ce soir samedi, Ariane (59e représen-
tation) ; lundi, Samson et Dalila et Coppélia; mercredi, la Valkyrie : vendredi,
le Prophète: samedi, Tannhâuser.
— En même temps que les répétitions du ballet d'Éi. Lalo, Xamouna, qu
doit passer dans le milieu de mars, les études d'Hippolylc et Aride se poursui •
vent à l'Opéra avec la plus grande activité. Les décors, dont les maquettes
furent établies sous la direction de M. Pierre Lagarde, ont été commandés à
M. .Tusseaume, qui fera ainsi ses débuts à l'Opéra, et à MM. Carpezat,Bonsin,
Bochette et Landrin, qui se sont engagés à livrer tous ces décors le 15 mars.
Bippoli/te el Aride passera donc au plus tard dans les premiers jours d'avril.
— Spectacles des jours gras à l'Opéra -Comique :
Dimanche : matinée, le Chalet, Werther ; soirée, Manon. — Lundi : matinée, la Fille
du Régiment, la Traviala; soirée (au tarif ordinaire), Carmen. — Mardi : matinée,
les Noces de Jeannette, Madame Butterfly : soirée, à huit heures, Cavalleria rusticana ,
la Vie de Bohème. — Mercredi : à huit heures et demie, la Habanera, Gityslaine. —
Jeudi : matinée, Manon; soirée, la Habanera, Gityslaine.
— Aujourd'hui 29 février, à cinq heures, dix-septième samedi de la Société
de l'histoire du théâtre. Au programme :
Une causerie de M. Ernest Tissot sur « le Pardon au théâtre » avec les récitations
ou auditions suivantes : Ariane, de Thomas Corneille (scène III de l'acte 4), par
M™' Renée Parny, du Théâtre- Sarah-Bernhardt, et M. Rouyer, du théâtre Antoine.
La Nuit d'octobre (fragment), par M"* Marcelle Géniat, de la Comédie-Française.
a) Ich tjrolle nicltt [J'ai pardonné), de Schumann ; b) Le Voyageur, de Gabriel Fauré,
par M"1 Elise Kutscherra. Le Pardon, de M. Jules Lemaitre (1" acte), par M"" Julia
Bartet, Renée du Minil et M. Raphaël Duflos, sociétaires de la Comédie-Française.
— C'est demain dimanche, qu'aura lieu aux Concerts-Lamoureux la pre-
mière audition de Prométhée triomphant, poème de M. Paul Behoux, musique
de M. Beynaldo Habn. qui, nous dit-on, n'a jamais écrit d'oeuvre plus vi-
brante, plus colorée et plus puissante. Pour interpréter la remarquable parti-
tion du jeune et brillant compositeur, une distribution hors de pair a été
choisie, la suivante :
M"" Lindsay, Vénus; Lapeyrette, Minerve; Heilbrdnner, Diane ; MM. Delmas,
Jupiter; Carbelly, Prométhée; Chanoine-Davranches, Vulcain; C;rdan, Neptune;
Sardel, Mars.
Les chœurs et l'orchestre (2C0 exécutants) seront placés sous l'habile direc-
tion de M. Henry Babaud.
— De Nicolet. du Gaulois : « La deuxième éliminatoire du concours deténors,
organisé par Comœdia et Musica, a eu lieu hier soir. Cent vingt-cinq candidats
étaient inscrits. Soixante -quatorze se sont fait entendre, devant un jury où
l'on remarquait MM. A. Carré, Muratore, Salignac, Isnardon et G. Pioch. La
salle s'est fort divertie en écoutant et en regardant, surtout, certains concur-
rents. Qui célébrera dignement le brave ouvrier qui, d'une main noire de
cambouis, fit signe qu'il ne voulait pas d'accompagnement : « Pas d'musi-
que! » et ëcorcha l'air de Mignon! le timide éphèbe qui ne put trouver la
première note de la cavatins de Mireille, et poussa, en la cherchant, des cris
inarticulés ! d'autres encore ! Je ne sais qui le jury élira. Voici les noms de
ceux qui m'ont paru dignes d'être retenus : MM. Soissons, Marcelin, Barré,
Platovicb, Bapper, Thénard, Mario — grand favori du public — Balland,
LE MÉNESTREL
Toussains, Delacarrière, Pasquet, Classens, Robert. Aucun « oiseau rare »
là-dedans, mais quelques voix généreuses ou jolies de timbre. La séance, en
tout cas, fut extrêmement réjouissante. Rires, applaudissements crépitaient ».
— Ceux qui ont connu naguère le fameux critique P. Scudo, célèbre en son
temps à la R-vuc des Deux Mondes et mort fou en 1864, n'ont pas oublié cet
homme d'un extérieur très correct, à cheveux, moustache et barbiche complè-
tement blancs, sanglé dans sa redingote comme un ancien capitaine de cava-
lerie retiré des affaires. Scudo, qui, avant (l'entrera la Revue des Deux Mondes
avait collaboré à divers journaux et recueils, l'Ordre, le Sied*, l'ancienne
Revue de Paris, la Revue indépendante, etc., et qui était doué d'unî forte dose
de vanité, avait ébauché à l'École de Choron une éducation musicale restée
malheureusement incomplète. 11 avait été là le condisciple d'Hippolyte Mon-
pou, du grand chanteur Duprez, de la future M",L' Stoltz et de quelques autres.
Mais il n'apparaît pas que, pour une raison ou pour une autre, il ait été
compté parmi les favoris de ce grand honnête homme, martyr de son art, que
fut le brave et excellent Choron. C'est ce qui résulterait tout au moins d'une
lettre que celui-ci adressait justement à son ancien élève Duprez, le ïï août
1831, et dans laquelle il nous fait une révélation posthume aussi singulière
qu'inattendue. Elle est analysée dans un récent catalogue d'autographes en
ce peu de mots, qui suffisent à nous donner une idée de la valeur morale
que Choron attribuait audit Scudo: — « Intéressante lettre dans laquelle il
lui donne des détails sur la deslinée de quelques artistes de leurs amis. Il
lui conseille de se méfier de Scudo, qui est un escroc fieffé > Et du coup,
voilà un homme à la mer.
— Les Fêtes et les Chants de la Révolution française (1). Ce qu'a voulu
M. Julien Tiersot, l'auteur de ce livre, il nous le dit dans une préface d'une
belle tenue littéraire dont la pensée peut se résumer dans cette phrase : « La
musique est le seul de tous les arts qui remplisse à la fois le double but
poursuivi par l'institution des fêtes nationales. Elle participe à leur éclat
extérieur, en même temps qu'elle en sait exprimer le sentiment intime. »
Quelques mots encore et l'idée apparaîtra dans toute sa netteté : « Toutes les
religions ont connu la vertu du chant et considéré son usage comme légitime et
nécessaire. » La musique a donc été, dans le passé révolutionnaire, en même
temps que la saisissante expression du culte de la patrie, le meilleur élément
d'éducation nationale pour le peuple. Elle devra continuer d'être cela dans
l'avenir. On voit que M. Tiersot n'est pas un sceptique; au besoin, il sait ne
point pousser la crainte d'être « dupe » jusqu'à méconnaître ce qu'il y a de
noble et d'élevé, de sentimental même, dans un beau mouvement, soit chez
un homme, soit dans l'acte imposant d'une collectivité. On calomnie souvent
son semblable quand on se laisse dominer par la préoccupation de tout inter-
préter en prenant pour base l'intérêt. D'ailleurs, les recherches de notre auteur
sont empreintes d'une critique historique judicieuse, méticuleuse même. Il
nous conduit à travers les journées mémorables de la Révolution, journées de
fête et journées de deuil, et nous fait connaître' l'origine des hymnes, expres-
sion du génie de musiciens comme Gossec, Méhul, Cherubini, Lesueur, et
celle des chansons, voix anonyme du peuple, tantôt sarcastique, tantôt patrio-
tique et guerrière. On reste stupéfait en voyant combien l'esprit de tolérance
s'alliait, en littérature, aux revendications en faveur d'un ordre nouveau. La
veille de la fête de la Fédération, 13 juillet 1790, on exécuta dans l'église
Notre-Dame la Prise de la Bastille, hiérodrame tiré des livres saints, paroles et
musique de Marc-Antoine Désaugiers. Le texte était emprunté aux psaumes
de David, à l'épitre de Jacques et au livre apocryphe de Judith. Plus tard,
l'inspiration de Gossec produisit un véritable chef-d'œuvre, te Chant du
44 Juillet, « le plus beau type que nous ait laissé l'art lyrique de la Révolution »,
exprimant un « rêve sublime de fraternité ». Les cérémonies funèbres donnent
naissance à des œuvres très caractéristiques, dont la meilleure peut-être fut la
Marche lugubre du même compositeur. Le Chant du départ de M»hul est l'objet
d'une prédilection particulière de la part de M. Tiersot; il la mérite presque
autant que la Marseillaise. Puis, nous arrivons au Ça ira, pièce instrumentale
du musicien de bals publics Bécourt, agrémentée d'un texte dont les deux
premiers mots auraient été dits par Franklin, et à la Carmagnql-, couplets à
danser sur la musique desquels nombre de poètes ont adapté des paroles. Le
doux Florian en fil un appel à la fraternité. Deux strophes de lui sont particu-
lièrement curieuses :
Que faut-il au républicain?
Une arme, du cœur et du pain.
L'arme pour l'étranger,
Du cœur pour le danger
Et du pain pour ses frères.
Il fut un cheval de renom,
Celui des quatre fils Aymon.
Pourquoi l'Antiquité
L'a-t-elle tant vanté?
C'est qu'il portait des frère
Le livre abonde en ingénuités de ce genre. Nous ne pouvons malheureuse-
ment pas insister. Il suffit d'avoir signalé aux personnes désireuses de connaître
notre époque révolutionnaire dans ses manifestations littéraires et musicales
un ouvrage intéressant et consciencieux sous tous les rapports. La lecture en
sera pour elles pleine d'attrait. An. B.
— M. Léopold Bellan, le distingué syndic du conseil municipal de Paris,
nous informe qu'il vient de charger Mme Marteau de Milleville, la cantatrice
et professeur de chant bien connue, de la direction générale de l'Enseignement
moderne dont il est le Président Fondateur et qui comprend tant à Paris que
dans la banlieue 103 sections en plein fonctionnement.
— h'Estucliantina, courrier des Sociétés mandolinistiques, organise son troi-
sième concours international de composition pour instruments à plectre
(1) Paris, Librairie Hachette, 1908.
[mandolines, guitares, etc.). Des prix consistant en diplômes, médailles de
bronze, d'argent, de vermeil, d'or et ISO francs en espèces, seront accordés
aux lauréats. Pour tous renseignements, écrire à M. de Houe-. H, Fanbourg-
Saint-Martin, Paris.
— M. Alex. Guilmantest de retour de Mannheim, où il a fait entendre, au
milieu d'unanimes bravos, à la » Musikalischr; Akademie -, sa premii
phonie pour orgue et orchestre, ainsi que plusieurs pièces de Bach. I
naux de Mannheim sont unanimes pour constater son très brillant succès.
— Lundi 2 mars, à 0 heures du soir, salle de Géographie, 184, boulevard
Saint-Germain, M. Éd. Risler donnera un concert au profil du Patronage ie
Nazareth, avec le concours de M"" Marcella Pregi et de M. Armand Parent.
— Mercredi i mars, salle Erard, à 9 heures du soir, concert de chai
par Mllc Magdeleine Trelli, avec le concours de M. Gabriel Fauré: au pro-
gramme, des œuvres de J.-S. Bach, R. Schumanii, Th. Dubois, G
R. Chansarel, C.-M. "Widor, G. Pierné forment la première partie, la
deuxième partie étant consacrée aux œuvres de G. Fauré accompagnée- par
l'auteur.
— Vendredi 6 mars, à 9 heures du soir, salle Pleyel, séance de Préludes el
de Sonates donnée par M. Pablo Casais, violoncelliste, M"1, Hélène Zielinska,
harpiste et M. Bienvenidu Socias. pianiste. Œuvres de J.-S. Bach et de Em-
manuel Moor.
— D'Alger : Après un début de saison très agité, le calme e.-t revenu
complet à notre Municipal, et avec la calme le succès. Et parmi les plus gros
succès de la présente campagne, il faut signaler celui de Thérèse, que M. Henri
Carvalho a monté avec beaucoup de soins et de goût. Le triomphe fut spontané
et sera durable pour l'œuvre nouvelle, exquise et angoissante, du maître
Massenet, donnée dans deux jolis décors neufs et interprétée avec beaucoup de
charme et d'émotion par M"le Bawlers, très bien secondée par MM. Gautier,
Valdor et Désesquier. Ce même soir, et avant Thérèse, nous avons eu la
primeur du Fou, en un acte de M. Félix Maire, musique de M. Maiiziu. qui,
de bonne facture et de saine simplicité, a très agréablement réussi, avec,
comme interprètes, M"105 Looze, Bawlers, MM. Delpret et Gautier. — A
signaler aussi, parmi les très bonnes représentations, celles de Werther, cet
autre chef-d'œuvre de Massenet, avec, comme ténor, M. Gibert, et comme
chanteuse, d'abord Mme Bawlers, puis Mme Marie Lafargue, qu'une indis-
position avait tenue éloignée du théâtre et qui nous revient à la grande joie
du public.
— De Bordeaux : Soirée d'inoubliable éclat arlistique au Cercle philharmo-
nique. Le glorieux maître Francis Planté et son ami Léon'Delafosse ont inter
prêté, comme seuls ils savent le faire, quinze œuvres admirables à deux
pianos. Ce fut un enchantement, un éblouissement... Mêlée de puissance, de
maîtrise, d'étincelante virtuosité, l'exécution des deux merveilleux pianistes a
soulevé la salle entière, qui, debout, a fait à MM. Francis Planté et Léon
Delafosse une immense ovation.
— On nous signale de Nantes le gros succès remporté par M. F'ernand
Lemaire, le gendre de l'illustre doyen de l'Opéra-Comique, M.Lucien Fugère.
Sa voix superbe, son style, l'ont fait longuement applaudir dans Werther et
Roméo et Juliette. Les Nantais lui ont prodigué les bravos et les rappels.
M. Lemaire retournera à Nantes, dans quelques jours, pour y chanter Manon,
Lakmé, Lohengrin. Il se fera entendre aussi comme pianiste.
— On vient de donner avec grand succès à Calais, au Théâtre-Municipal,
une série de représentations du Caprice, opéra-comique en deux actes de
M. Georges Andrique, pour le livret, et pour la musique de M. Fernand
Masson, chef de chant à l'Opéra-Comique de Paris.
— Soirées et Concerts. — M. et M"' Chavagnat ont donné une matinée de leurs
élèves pour l'audition d'œuvres de M. Périlhou, qui ont été chaleureusement applau-
dies. Citons en passant Scherzo-Ballade, Chanson de Guillot-Martin, Pastorale. Conte,
Divertissements sur des Laendler de Schubert, Nell, Rigaudon, Promenade, Passepied,
Dans les bois, Gigue, la Primavera, Valse en sourdine et le Moulin fort bien inter-
prétées par M"" Martin, Manent, Thuillant, 0. Marienkoff, M. Ortion, M"" Houdas,
M. Paringaud, Cavallier, Badaire et Carayon. Au même programme, succès pour
Course fantastique, Caprice d'enfant et Un sourire de M. Chavagnat. — Belle soirée
chez M"* Marty pour l'audition de ses élèves dans des mélodies de Théodore Du-
bois, parmi lesquelles les plus applaudies ou les mieux interprétées furent Au jardin
d'amour, Rosées, la Lune s'effeuille sur l'eau, Ecoute la symphonie, Trimaso et surtout
le Jeune Oiseleur et la Jeune Fille à la cigale (Odelettes antiques). M"' Micheline K«hn
interpréta remarquablement la Fantaisie pour harpe et M. Gabriel Willaume les
Deuc pièces pour violon.
NÉCROLOGIE
C'est avec un réel chagrin qu'il me faut annoncer ici la mort de M. Salvator
Castrone, marquis de la Rajata, connu artistiquement sous le nom deMarchesi,
époux de Mme Mathilde Marches!, l'éminent professeur de chant. Chanteur,
compositeur, professeur et écrivain, M. Marchesi. qui était né le lb'jan . iei 1822
àPalerme, d'une famille d'origine princière, avait été obligé de s'éloigner de la
Sicile en raison de ses principes libéraux, et s'était consacré à l'art. Après avoii
reçu à Milan des leçons de chant de Lamperti et de Fontana, il se vit obligé
de s'enfuir en Amérique pour avoir pris part ;< la révolution de 1848 contre
les Autrichiens. Là, il fit son premier début à New-York dans Ernani, mais ayant
reconnu que son éducation musicale était incomplète, il devint, de retour en
Europe, l'élève de Manuel Garcia. Il profita grandement des conseils de son
12
LE MÉNESTREL
nouveau taaitre, et bientôt il se fit une belle réputation à Londres dans les
concerts par sa splendide vojs de baryton et son élégante manière de chan-
ter. Après une brillante tournée à travers toute l'Allemagne, au cours de
laquelle il épousa, à Francfort, Mlle Mathilde Graumann, il fut engagé avec
elle dans les troupes italiennes de Berlin, de Bruxelles et de Londres, où
leurs succès furent éclatants. En 1854, tous deux donnent des concerts à
Vienne, puis s'établissent en cette ville, où ils deviennent professeurs au
Conservatoire. Plus tard ils firent des -voyages à Londres, où M. Marcbesi
se fait applaudir dans Faust et dans Don Juan, puis à Paris, où ils donnent des
concerts historiques, sont engagés ensuite comme professeurs au Conserva-
toire de Cologne, et enfin, après avoir repassé par Vienne, se fixent décidé-
ment à Paris, où Mn,e Marchesi ouvre une école dont on connaît l'universelle
renommée. M. Marchesi ne fut pas seulement un chanteur et un professeur
hors de pair. Artiste instruit, il a écrit nombre de romances françaises, de
Ueder allemands, de canzonneltes napolitaines; il a publié une Méthode et
des études de chant, et il a donné des traductions italiennes d'un grand
nombre d'opéras allemands et français : Abou-Hassan, Tannhduser, Lqhengrin,
le Vaisseau-Fantôme, Iphigënie en Tauride, Médée, la Vestale, etc. Vice- président
de la ligue franco-italienne, il était chevalier de la Légion d'honneur, com-
mandeur de la Couronne d'Italie et de divers ordres étrangers. Il laisse à
tous ceux qui l'ont connu le souvenir d'un homme de cœur, d'un homme de
bien et d'un galant homme. Arthur Pougi.v.
— Maurice Schirmann, professeur de chant à Berlin, est mort dans cette
ville à l'âge de 48 ans. Russe de naissance, il avait commencé sa carrière à
Vienne. Un opéra de lui, ÏOndine, a été joué au Théàtre-Kroll, à Berlin.
— Il vient de mourir à Bordeaux un honorable fonctionnaire, M. Louis
Clesse, directeur de la manufacture de tabacs de cette ville, à qui un souvenir
est dû en raison de l'amour qu'il portait à la musique et qui se traduisait
d'une façon vraiment exceptionnelle.
M. Clesse, dit un journal, outre qu'il était fonctionnaire distingué — et
dont la mort sera vivement regrettée — était un grand amateur de musique.
Depuis quelques années, en effet, il avait réuni à Bordeaux un orchestre
d'amateurs qui passait pour le seul du genre. L'originalité de cet orchestre,
composé d'excellents musiciens, au nombre de 60 ou 80, était qu'ils jouaient
pour M. et Mme Clesse seuls, sans aucun invité. M. Clesse avait une biblio-
thèque musicale très remarquable et variée à ce point qu'en plus de deux ans
les musiciens, qui jouaient une fois par semaine, ne répétèrent jamais le même
morceau.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Viennent de paraître chez E. Fasquelle : L'Autre, pièce en 3 actes, de P et V.
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Frères d'armes, Justice, les Mères innemies, la Femme de Tabarin), de Catulle Men-
dès (3 fr. 50 c.) ; Théâtre (Le Masque, la M arche nuptiale), d'Henry Bataille (3 fr. 50 c.) ;
Deux fantômes, roman, de Jules Perrin (3 fr. 50 e.) ; Notes de roule, Maroc, Algérie,
Tunisie, d'Isabelle Eberhard, publiées avec une préface par Victor Barrucand,
illustrations de Rochegrosse, Dinet, Noire et Bonnaud (3 fr. 50 c.) ; M. Dupont,
chauffeur, nouveau roman comique de l'automobilisme, d'Henri Kis'emaeckers
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1. Marche ' 30 :i- Musette
-2. Ballabile 2 » V Tambourin.
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G. Menuet. . .
". Sarabande.
J3 anses _A_ n. c 1 e xx xx e
2 » 8. Gourante
1 » 9. Gavotte
1 50
1 50
10. Danse des Ménades
CZ . — 3D a. xx s e s T anagréenne
2 » 11. Danse d'Aphrodite . . .
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4(M!>. — 74
Samedi 7 Mars 1908.
- N° 10. PARAIT TOUS LES SAMEDIS
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(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
ENESTREL
lie Numéro : o fr. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Le Numéro : Ofp. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Boas-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (118 article), Julien Tiersot. — II. Petites notes sans portée : Autres problèmes soulevés par l'évolution de l'orcbeslrc, Raymond Rouyer. —
III. Revue des grands concerts. — IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
LA GRACE SUPRÊME
nouvelle mélodie deRENÉLENORMAND. — Suivra immédiatement : Rose du bois joli,
chanté dans les Jumeaux de Bergame, de Jaques-Dalcroze.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de piano:
GAVOTTE
extraite du ballot de Pail Vidai. : Zino-Zina, sur un livret de Jean Ricuepin. —
Suivra immédiatement : Menuet, extrait du même ballet.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
(±7 1 «4 - ± 7" T -4 )
CHAPITRE III : Gluck compositeur italien
Voici d'abord un air dont le contour gracieux et l'expression
tendre contrastent avec la sévérité des premiers exemples
donnés : excellent modèle du style XVIIP siècle en ce qu'il a de
meilleur, et auquel il me semble apercevoir un air de famille
commun à d'autres beaux chants, dont les plus définitifs sont
de Gluck lui-même (l'air de la Naïade d'Armide, par exemple),
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ta e
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—s —
Rasséréna il raesto ciglio (Tigrane).
tandis que d'autres, plus anciens, pourraient être retrouvés
dans les airs de danse ou la musique tle clavecin de Rameau,
et qu'enfin le plus illustre type nous en est fourni par le grand
Bach : je songe à ce cantique spirituel, moitié chant d'amour
et moitié prière, qu'on a retrouvé noté dans l'album de musique
d'Anna ilagdalena, la compagne du vieux maître; avec son inti-
mité, dont l'émotion est profonde, j'y retrouve presque exactement
la même ligne qui forme le meilleur du chant de Glu ck.
74
LE MÉNESTREL
Cette exposition, que nous avons donnée jusqu'à sa cadence à la
dominante, est celle d'un air du troisième acte de Tigrane. Voici
un autre fragment du même opéra, brève citation, ayant seule-
ment pour raison de présenter la ligne élancée, qui révèle un
artiste de race, par laquelle s'expose l'air final du premier acte :
im . bru -lia .
Ces premières mesures d'un air d'Arsace ont, de leur côté,
l'aspect d'une danse du vieux temps. Les premières notes évo-
quent le souvenir du rigodon de Dardanus de Rameau, tandis
que les cadences et la répétition musicale du second vers sont
des formules familières de l'école napolitaine, dont Gluck ne
craignait pas parfois d'emprunter les procédés.
pri. va delca.ro be _ ne, pri.vadelca.ro
Nous avons signalé que certains morceaux de ces opéras sont
des airs de haute virtuosité, où le principal du développement
musical est dans la vocalise. Voici, pour donner une idée de la
hardiesse des chanteurs qui les interprétaient, les parties les
plus caractéristiques d'un de ces airs : d'abord l'attaque de la
voix, puis le principal développement vocalisé. C'est à un des
deux seuls airs du manuscrit dont il reste à déterminer les
origines que cet exemple est emprunté. La voix commence par
une longue tenue formant pédale intérieure au milieu des bro-
deries contrepointées des instruments, procédé familier à Bach :
L'exposition du premier motif s'achevant, le chanteur poursuit
,insi :
De tels passages notés suffisent à faire comprendre au lecteur
quelles étaient les hautes qualités des virtuoses chanteurs ca-
pables de les interpréter : l'étendue de leurs voix, la puissance
-du souffle, la sûreté et la souplesse de la méthode, tout un
ensemble de qualités transcendantes dont le secret est depuis
longtemps perdu, et qui explique leur prédominance tyrannique
à l'époque où ils brillaient de tout leur éclat.
Revenant à Tigrane, voici que nous rencontrons un air dont la
forme générale est bien connue de quiconque est familier avec
les derniers chefs-d'œuvre de Gluck. C'est un air de Sofonisba,
dont les premières paroles sont : « Presso fonda d'Acheronte. »
Voici la première attaque de l'orchestre, suivie de l'entrée de
la voix qui répond exactement aux instruments :
"' ^ ujI'I'lu "JjlUUjuj
nii^iiiinijijjjjj 'Tiiji i
»«'. ro navfra
fia . gai
Il faudrait poursuivre la citation pour reconnaître à coup
sur le morceau dont celui-ci est l'ébauche; c'est l'invocation
à'Àrmide : « Venez, venez, haine infernale ! » En continuant,
nous retrouverions le développement complet : le rauque appel
des cors et des hautbois, que nous entrevoyons déjà ici, la fan-
fare arpégeant l'accord parfait à la voix et aux cors, et surtout
la dissonance si expressive des deux hautbois. « Sauvez-moi
de l'amour ! » clame Armide en cet endroit, et l'héroïne de
l'opéra italien exhalait de même un cri de desespoir amoureux :
« Mi giurasti, oh Dio ! d'amarmi, E qui vengo or senza te. — Tu me
jurais, ô Dieu! de m'aimer, et ici je reviens sans toi! » Mais ce
n'est pas tant sur la justesse du rapprochement expressif que
j'appelle l'attention sur cet accent, c'est sur l'invention musicale
elle-même. Il n'est personne qui, à notre époque où les oreilles
ont le droit d'être blasées sur les sonorités, n'ait été touché, en
entendant la musique de Gluck, par le son d'une simple note
de hautbois venant se piquer par-dessus la trame des violons et
apportant ainsi la sensation subite d'une plainte aiguë. Il im-
porte de constater que cette trouvaille géniale est le produit des
premières réflexions de l'auteur, que l'on en trouve le premier
emploi dans son quatrième opéra, écrit pour une petite ville de
la province italienne, et tel qu'il sera reproduit dans l'œuvre
LE MENESTREL
75
de sa puissante maturité. Au reste, l'écriture des deux versions
est bien différente : ébloui par l'éclat de la première inspiration,
le jeune compositeur a voulu trop bien faire, multipliant les
dessins secondaires, notant des accompagnements touffus. Assagi
par trente-cinq ans de pratique, après avoir déclaré explicite-
ment qu'il voulait « réduire ses efforts à rechercher une belle
simplicité », il transformera de la manière suivante, dans
YArmide de 1777, les premières mesures notées ci-dessus d'après
le Tigrane de 1743 :
Cors et Bassons
(A suivre.)
Julien Tiersot.
PETITES NOTES SANS PORTEE
CXX1X
AUTRES PROBLEMES SOULEVES PAR L'ÉVOLUTION
DE L'ORCHESTRE (1)
À la mémoire de notre confrère musical
Eugène de Solenière.
Musicalement, le cuivre est uue importante, mais dangereuse
valeur; et si l'histoire instrumentale a ses périodes de hausse et de
baisse, nous sommes évidemment ou nous semblons être dans une ère
de richesse, en fait, du moins, d'orchestration. C'est un éblouissement,
si « l'oreille aussi a sa vue » : cuve immense où se reflètent tous nos
songes, creuset gigantesque où s'élaborent vaguement toutes nos rêve-
ries, « et dites si vous connaissez au monde quelque chose de plus
riche, de plus joyeux, de plus doré, de plus éblouissant que ce tumulte
de cloches et de sonneries ; que cette fournaise de musique ; que ces
dix mille voix d'airain chantant à la fois dans des flûtes de pierre
hautes de trois cents pieds; que cette cite qui n'est plus qu'un orchestre;
que cette symphonie qui fait le brait d'une tempête (2)... » Vous vous
rappelez, dans la Notre-Dame de Paris de 1831, cette évocation de la
capitale moyenâgeuse par le moins musical et le plus plastique des
poètes, — « masse de bruits sublimes » et « sons de toute forme »
qu'il voit « passer » dans l'air lumineux : or, cette image nous hante
toujours dans la congestionnante « fournaise » de l'orchestre moderne.
Peut-il s'enrichir encore ? — Et c'est là, je crois, mes assidus lec-
teurs, la troisième de vos questions... Mais, pour entrevoir l'avenir,
ne faut-il pas revoir très brièvement, d'abord, comment l'orchestration
s'est enrichie dans le passé ?
Il y a trois cent un ans, au crépuscule incertain de la Renaissance,
l'Orfeo de Monteverde (1607) était, nous le savons maintenant, très
riche en cuivres, en trombones, en instruments singuliers et désuets,
mais toujours employés par groupes, par familles, par petits paquets,
successivement, jamais simultanément : ce que nous appelons l'ensemble
était ignoré. Même un siècle plus tard, au début du XVIIIe, Bach et
Haendel choisissent les instruments appropriés à la physionomie sévère
ou pastorale du morceau, puis les traitent en solistes, rivaux obligés des
voix. Mais, à la période d'opulence, a succédé promptement une
période d'organisation : n'est-ce point la loi de toutes les littératures
et de tous les arts, à leur instant classique? C'est Malherbe après Ron-
sard; c'est la régularité du XVIIe siècle après la floraison du XVIe; or,
la musique, art jeune, donc retardataire, ne connaît pas aussitôt cet
âge de docte « appauvrissement », et cette période n'arrive à son apogée
qu'après 1730, avec Haydn : aperçu que nous pouvons qualifier d'ingé-
(1) Voir le Ménestrel du samedi 15 février 1908.
(î) Cette citation, comme tous autres passages entre guillemets, est empruntée à la
prose de Victor Hugo qui voyait, comme Théophile Gautier, de très matérielles cor-
respondances entre la forme sonore et la forme colorée.
nieux, puisque nous le devons à la sagacité de M.Romain Rolland, qui
dit positivement : « 11 s'est un peu passé, dans l'orchestn , çra
s'est passé dans les grands Etats modernes : l'unité du pouvoir central
a tué la vie des provinces. » Au savant audacieux, cette « centralisa-
lion » parait « excessive ».
Quoi qu'il eu soit, quand l'art classique est devenu scolastique, le
retour à la richesse correspond à la revanche romantique,
Renaissance : il brille avec Weber, fantastique ami du Freischtits, avec
Berlioz, gigantesque décorateur du Requiem, du Te Deum et de la Mar-
seillaise, aux refrains encadrés d'une légion de timbales, où se mêle
éperdùment « tout ce qui possède un cœur et une voix ». Voici l'âme
contemporaine qui revêt sa forme. De Bach à Beethoven, et de
ven à Wagner, c'est le crescendo 'Je l'orchestre qui domine tout : à
mesure qu'un art d'agrément accroît son empire sérieux sur le
la technique s'enrichit; à la chanson, qui suffisait à la candeur des
ancêtres, à l'opéra, qui désennuyait la frivolité des dilettanti. le beau
panthéisme de l'orchestration nouvelle a substitué -a fournaise et sa
tempête. Depuis l'Ut mineur, demain centenaire, les sonorités ont enflé
leur marée montante. Le crescendo fut continu pendant un îiècli de
science positive et de fiévreux lyrisme.
Et l'âme, à son tour, a profité des progrès de la technique; des ins-
truments nouveaux ont mis de nouveaux tons sur la palette orchestrale :
la clarinette, au déclin du siècle de Mozart, puis la clarinette-basse,
déjà si romantique au dernier acte des Huguenots 1 1836); le contre-bas-
son, connu du Beethoven de la Cinquième et de la Neuvième: la petite
flûte sifflant dans la Pastorale; le cor anglais, qui prélude à ia plainte
agreste de Tristan; les cors et tous les cuivres enfin chromatiques; la
robuste famille des saxhorns, ces cuivres doux; la personnalité -> ante
du tuba, ce Fafner de la forêt sonore dont la flûte sensuelle est l'oiseau;
toute l'armée de l'invasion wagnérienne, et le saxophone qui, depuis
1872, chante douloureusement au prélude de notre Artésienne avant de
célébrer, dix ans plus tard, dans Parafai, l'Enchantement du Vendredi-
Saint, et, succédané du contre-basson, le sarrusophone. cher au Don Juan
vieilli, mais toujours incandescent, de Richard Strauss dont l'Electra
promet à nos oreilles éblouies (dirait Hugo) de détrôner Salomé...
Le xylophone, ou claque-bois, que Saint-Saëns, poète symphonique,
réservait, il y a trente-trois ans, aux claquements d'os de sa Danse
macabre, s'estglissé moins spécialement dans la danse ultra-voluptueuse
de cette petite Salomé géante comme l'éternelle Volupté: la harpe, cette
chaste Éloa des timbres, a quitté le paradis musqué des salons pour
l'enfer sauvage de l'orchestre; et ne devient-elle pas chromatique à
son tour ? Le célesta pique des étoiles dans le noir azur du quatuor : le
Glockenspiel égrène ses étincelles dans l'Incantation du feu ; sans compter
les piments et le cayenne et tous les pickles de la percussion : la grosse
caisse renversée par Berlioz, pour renforcer le tonnerre caverneux des
timbales; la lourde mailloche de la grosse caisse ou la dure baguette de
la timbale frappant la cymbale phrygienne; les cymbales infiniment
nuancées; le triangle trillant éperdùment dans la fusée d'un tutti ; le
tam-tam fatal, le tambour et le tambourin, tout l'arsenal militant que
mobilise Une Vie de héros (1)...
Il est vrai que beaucoup d'unités sont tombées en désuétude, avec le
hautbois d'amour on de chasse et toute la famille galante des violes et
des luths ; on n'emploie plus guère que des trombones ténors, des clari-
nettes en si bémol, des cors en fa et des trompettes en ut : l'unification
se poursuit dans la féodalité des groupes instrumentaux. Mais d'an-
ci ens instruments deviennent des personnages nouveaux dans l'orches-
tre : après l'orgue, comme auxiliaire, voici le piano comme timbre,
non seulement dans la dernière partie de la puissante symphonie en
ut mineur de Saint-Saëns, mais dans la première symphonie (sur un
thème montagnard français) et dans le Chant de la cloche (1886) de Vin-
cent d'Indy; voici le premier des instruments, la voix humaine, qui se
mêlait souverainement au finale de la Neuvième beethovénienue et des
symphonies plus descriptives de Liszt ou de Mahler, pour s'introduire
ensuite, au simple titre d'instrument, dans Fervaal et dans l'Étranger,
de même que dans le troisième des Nocturnes, très ichistlériens, de
Claude Debussy; le Berlioz de Lelio. qui a tout prévu,, comme son
colossal contemporain Balzac, ne pressentait-il pas ce timbre et cet
emploi du chœur à bouche fermée que l'érudition retrouve au Conser-
vatoire, eu 1845, dans les Druides oubliés de Limnander ? Les voix sans
paroles de nos Sirènes debussystes ont des aïeules... Et tel émule de
Richard Strauss réclame la trompe d'auto, pour noter la physionomie
d'un enlèvement très moderne...
Et vous me demandiez si la composition présente de l'orchestre se
modifierait bientôt?
î) Et non pas : la Vie d'un lu-
76
LE MÉNESTREL
— Bientôt ? Non, je ne crois pas !
Après l'ère de richesse romantique et son apogée wagnéro-straus-
sienne, nous semblons traverser une nouvelle période d'organisation
stationnaire. Techniquement, le progrès orchestral de la symphonie
classique n'est pas très sensible de 1824 à 1876 par exemple, de la Neu-
vième immense de Beethoven à la première, en ut mineur, de Brahms,
que ses admirateurs appellent très hyperboliquement la Dixième (1) : et
la palette sonore des crépuscules romantiques peut-elle dépasser l'am-
ple et grandiose péroraison transfigurée du poème instrumental : Tod
und Verklœrung, de l'Allemand Richard Strauss, qui se jouait le même
dimanche que les fiers Souvenirs de Vincent d'Indy, le magistral
Apprenti sorcier de Paul Dukas et la Mer sournoise de Claude Debussy ?
Chabrier, déjà, fut éblouissant. Et, dès le "2.1 avril 1877. à notre
Opéra, dans le finale du troisième acte du Roi de Lahore, où la rutilante
armée des cuivres et le gong scandent l'envolée des voix, Massenet
juvénile ne réalisait-il pas un maximum d'incantation symphonique?
Enfin, le statu quo présent n'aurait-il point d'autres causes, moins
techniques et plus générales : Expressivement, l'art musical, comme
tous les autres arts, se réfugie désormais dans l'intimité. Les œuvres
contemporaines ont l'air d'être obscurément éclairées par un jour
d'orage... On parle à voix basse, presque mystérieusement. On recher-
che moins le grand «chambard » des poèmes symphoniquesdeLisztetde
ses remarquables héritiers originaux de la musique russe (si savou-
reuse pourtant, dans son allure dansante ou sa mélancolie pittoresque,
et dont l'harmonie (2) semble avoir beaucoup préoccupé les veilles de
nos dédaigneux Debussystes) que le recueillement subtil et les combi-
naisons plus rares entre les plus aériens des timbres. De là le succès,
encore une fois, de notre Enfance du Christ et la vogue renaissante de
Mozart, de Rameau, des anciens qui furent les jeunes, — et, dans la
littérature, du théâtre, si fin, de Musset! —Tout se tient, dans la parure
et le goût d'un temps.
Et, alors, quelle a été l'influence de l'orchestre sur la littérature ou
de la littérature sur l'évolution de l'orchestre? Quatrième et dernière
question, qui fera l'objet de notre prochaine étude.
(A suivre.) Raymond Bouyer.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts-Lamoureux. — C'est un plaisir rare et dont il convient d'apprécier
le prix que celui qu'on éprouve en découvrant chez un artiste de marque un
stade nouveau de développement parcouru et l'affirmation d'une maîtrise
définitive. C'est le cas de M. Reynaldo Hahn dont on connaissait surtout jus-
qu'ici la muse aimable, gracieuse, intime, qui paraît se complaire, comme
par amour, aux harmonies fines, aux phrases caressantes et alanguies. Son
Prométhée triomphant, révèle chez le jeune compositeur une puissance, une
ampleur, une noblesse des lignes qui seront pour beaucoup une révélation.
Sur le mythe de Prométhée, M. Paul Reboux a écrit un poème dialogué glo-
rifiant et magnifiant le travail, l'effort moderne, l'énergie. Enchaîné sur son
roc, le Titan s'offre en holucauste aux serres et au bec du vautour qui le
dévore. Vainement les dieux, auteurs de son supplice, viennent-ils le supplier
de leur rendre leur puissance déchue en faisant de nouveau s'incliner le front
des hommes. Prométhée reste sourd à leur voix : qu'importe sa propre tor-
ture, si, par elle, l'humanité enfin affranchie reste maîtresse de ses destins!
Sur ce thème suggestif exprimé en vers harmonieux, M. Reynaldo Hahn a
établi une partition copieuse dont l'exécution intégrale sans arrêt dépasse une
heure de durée, et l'on peut dire que pendant ce long laps de temps l'intérêt
ne languit pas un seul instant. Le compositeur ayant à traiter une cantate a
eu la sagesse de demeurer dans les traditions du genre tout en l'enrichissant
des ressources d'une imagination fertile en inventions mélodiques, et d'une
technique fort avisée. Il a ainsi brossé une suite de tableaux ou mieux de
fresques dont plusieurs sont d'une coloration intense, d'un pittoresque achevé,
comme le chœur des nymphes: « Que ta parole d'amour s'accomplisse », la
marche des dieux d'une si noble allure, l'air de Minerve avec son curieux et
persistant dessin de flûte, l'air de Diane et celui deVénus, le premier rapide et
lumineux, le second d'une exquise fraîcheur, l'épisode si caractéristique où
Vulcain et ses cyclopes se refusent à accompagner les dieux et, au bruit des
marteaux et des enclumes, les trahissent au profit des hommes dont la plainte
et les chants d'espérance s'élèvent du fond de l'horizon. Cette partie, et le
monologue de Prométhée qui la suit : « Que le monde est désert d'où sont partis
les dieux », sont empreints d'une véritable grandeur tragique, et l'œuvre
s'achève en un ensemble majestueux développé avec une souveraine maî-
trise. Interprété de remarquable manière par M"es Lindsay, Lapeyrette, Heil-
(1) En passant par la Septième, en ut majeur, de Schubert, — cinquante minutes
d'inspiration sentimentale et cuivrée, — du pathétique en marche.
(î) Étudier, à ce point de vue, ta Fille de neige, de Rimsky-Korsakow, et l'opéra
de Moussorgski, Boris Godounoff, que les Parisiens entendront bientôt.
bronner, MM. Delmas, Carbèlly, Chanoine-d'Avranches, Sardet, Cerdan et les
chœurs sous la direction intelligente et précise de M. Henri Rabaud, le Pro-
méthée triomphant de M. Reynaldo Hahn a été longuement acclamé par un
public exceptionnellement nombreux qui, auparavant, avaitfait fête à la Sym-
phonie en ré majeur de Mozart, et à l'adorable concerto de Bach pour violon,
flûte, hautbois et trompette, joué en toute perfection par MM. Soudant, Des-
champs, Gillet et Yvain. — J. Jemain.
— Concerts-Lamoureux. — Festival Wagner-Mottl. du jeudi soir 27 février.
— Au rebours des premiers festivals du jeudi soir qui, faute d'auditeurs, ces-
sèrent promptement, cette séance avait attiré toutes les élégances du Tout-
Paris mélomane. Sous un déluge, une noire mêlée dans la rue boueuse où les
autos aveuglants interceptent les tramways en panne ; et, dans la blanche
bonbonnière Gaveau, les décolletés les plus emperlés parfument les habits
noirs à revers de soie : on est venu moins pour "Wagner que pour Mottl, que
dis-je"? pour Wagner dirigé par Mottl... En effet, ce fut très beau. Sans
préalables répétitions, après une simple lecture ininterrompue des sept nu-
méros wagnériens du programme, on était d'accord, le général était sûr de
ses nouvelles troupes; et quel superbe orchestre aussitôt qu'il retrouve un
chef! L'absence péniblement prolongée de l'excellent musicien Camille Che-
villard nous a valu, cet hiver, « une exposition internationale universelle »
de Kapetlmeister de toute provenance et d'inégale autorité. Jeudi soir, le geste
autoritaire et toujours noblement animé de l'Allemand Félix Mottl a galva-
nisé soudain cette admirable armée sonore en nous faisant revivre, pendant
deux trop brèves heures de belle fièvre, les plus beaux instants français des
Camille Chevillard et des Charles Lamoureux : ne serait-ce pas son meilleur
éloge '.' Ouvertures et préludes ont défilé, rajeunis, comme si nous venions de les
découvrir : cela, c'est le privilège de la beauté. De la vibrante ouverture du
Vaisseau-Fantomé au prélude austère de Parsifal, de 1842 à 1882, quarante
ans d'évolution, despotique et de génie ! Le pur prélude de Lohengrin, entre
tous, fut un moment souverain, dont le lent crescendo, lentement déroulé,
nous versa la splendeur du ciel... Au milieu de cette carrière orchestrale, qui
fut elle-même un crescendo sans pareil, se placent les quatre poèmes vocaux
que Richard Wagner appelait des « esquisses pour Tristan » : le premier, Der
Enqel. présage la mort d'Isolde; le second, Im Triebhaus, est bâti sur les
thèmes du douloureux prélude du troisième acte, avec les tierces espacées
comme la solitude et que le prélude webérien du troisième acte d'Euryanthe
avait entrevues; le troisième, Schmerzen, a l'accent héroïque de l'entrée de
Tristan, parente du thème de l'Epée (ces trois poèmes orchestrés par Mottl);
le quatrième, Traume, orchestré par Wagner en personne, est connu : voici,
déjà, les intervalles de l'hymne a la Nuit, avec leur « physionomie » d'extase
morbide... Précédés de la dramatique ballade de Senta, ces quatre poèmes
furent bien dits par Mme F. Kaschowska, qui termina la séance en chantant
la mort d'Isolde avec plus de conviction que de voix. Wagner avait raison
d'écrire : « On ne refait pas Tristan et Isolde. » En revivant cette musique
furieuse et pâmée, on sent ce qui manque aux plus parnassiens de ses imita-
teurs : l'amour de Mathilde Wesendonck, la solitude angoissée des nuits de
Venise et, d'abord, le génie. Raymond Bouyer.
— Programmes des concerts de demain dimanche :
Conservatoire : Ouverture de Coriolan (Beethoven). — L'Enfance du Christ (Ber-
lioz), soli par MM. Plamondon, Bartet, Paty, Narçon, Delmont, Millot, Mm0 Mellot-
Joubert. — Ouverture du Freischiitz (Weber).
Chàtelet, concert Colonne, Festival Shakespeare-Berlioz : Fragments de Itoméo et
Juliette (Berlioz), avec le concours de M ""' Judith Lassalle et M. Mauguière. — La Tem-
pête (Berlioz), pour chœurs, orchestre et piano à quatre mains, par M"' Riss-Arbeau
et M. Monteux-Barrière — Ouverture du Roi Lear (Berlioz), duo de Béatrice et Béné-
dict (Berlioz), par M"'1 Maud Herlenn et Judith Lassalle. — Fragments d'Hamlet
(Berlioz).
Salle Gaveau, concert Lamoureux : Symphonie en ut mineur, n° 5 (Beethoven). —
Prélude du Déluge (Saint-Saëns). — Promilhée triomphant, poème de Paul Reboux,
musique de Reynaldo Hahn (deuxième audition) :
Jupiter MM. Delmas (de l'Opéra)
Prométhée Carbèlly (le l'Opéra)
Vulcain Chanoine-d'Avranches
Neptune Cerdan
^ars ,. \ Sardet
Un jeune apprenti )
Vénus M„„ Lindsay (de l'Opéra)
Une Mère )
Minerve Lapeyrette (de l'Opéra)
Diane Heilbronner (del'Opéra-Comique).
Dryades, Sylvains, Chœurs des hommes.
Orchestre et chœurs : 200 exécutants.
Le concert sera dirigé par M. Henri Rabaud.
Concerts-Populaires (Marigny, 3 heures): Euryanthe (Weber) ; Rodelinde (Haendel):
M" E. de Marco; Symphonie la Reine ^aydn) ; la .Calandrina (Jomelli) : M»° E. de
Marco; Rapsodie (Laloi, Nocturne (G. Fauré): M"« Cella Delavrancea; Romance, violon
et orchestre (G. Fauré) : M. Mendels, sous la direction de l'auteur ; Pelléas et Méli-
sande, Marche au Supplice (Berlioz). — Chef-d'orchestre, M. Fernand de Léry.
— Le programme de dimanche, chez M. de Léry, était copieux. Il faut en
détacher la symphonie de César Franck, dont l'exécution a été vraiment
bonne l'ouverture de la Flûte enchantée dite avec précision et grâce, l'air
d'Uérodiade et des mélodies intéressantes, de M. Georges Brun, chantés avec
talent par Mme Laute-Brun, et finalement le Concerto (op. 12) de M. Gabriel
Pierné, interprété par Mlle Jane Weil, qui a obtenu, cette année même, un
LE MÉNESTREL
brillant premier prix dans la classe de M. I. Philipp.M"e Weil a été accueillie
avec la plus grande faveur: elle a remarquablement joué la spirituelle œuvre
de M. Pierné. Succès aussi pour M. Ad. Deslandres qui conduit en première
audition une vivante Polonaise de sa composition et le Rondo Capriccioso de
Mendelssohn qu'il a très finement orchestré.
— En un gala de charité, sous la présidence de S. A. H. Mmc la duchesse
de Vendôme, au Théâtre Marigny, a eu lieu la création de trois ouvrages inté-
ressants et qui ont obtenu un réel succès. Lu Pèlerin d'amour est un drame
lyrique en un acte, tiré d'une poétique légende par M. Paul Hugounet et
Charles Lancelin, mis en musique par M. Joseph Jemain. Tour à tour
rêveuse ou dramatique, mélodique sans banalité, recherchée sans être obscure,
cette partition a beaucoup plu. Les principaux rôles étaient chantés par
Mmes Périllardet Jackson. MM. L. Bourgeois et P. Margueritte. Le compositeur
dirigeait l'orchestre, ainsi que pour un ballet également inédit, {Impatient,
musique de M. J. Jemain, œuvre légère et spirituelle qui fut dansée congru-
ment par des amateurs dont la charité fit des artistes. Une comédie de M. d'Es-
paron, un Cas de conscience fort bien jouée par M"0' Herval et May, MM. de
Beaupierre et Dallix, eut aussi un grand succès. Une assistance nombreuse et
particulièrement brillante remplissait le Théâtre Marigny.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour les seuls abonnes a la musique)
C'est la première fois que nous donnons ici une mélodiB du musicien si distingué
qu'est M. René Lenormand. Nous sommes heureux de le compter parmi les nôtres
et l'on verra par cette Grâce suprême que nous publions aujourd'hui, d'un contour si
lin et d'une tendresse si délicate, qu'il doit prendre sa place tout à côté des
Reynaldo Hahn et des Ernest Moret. Et nous ne pensons pas lui donner là un mince
éloge.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De noire correspondant de Belgique (i mars). — La première représenta-
tion à'Hernani, opéra en cinq actes de M. Henri Hirchmann, au Théàtiv-
Royal de Liège, a été un nouveau succès pour la musique française et l'occa-
sion d'une véritable manifestation de sympathie pour l'art français. Les Lié-
geois avaient tenu à recevoir dignement, en lui faisant fête dès le matin, le
représentant de la France. M. Dujardin-Beaumetz, sous-secrétaire d'État aux
Beaux-Arts, venu expressément en Belgique pour la circonstance, en même
temps qu'un assez grand nombre de critiques parisiens, de M. le comte d'Or-
messon, minisire de France à Bruxelles, et d'autres notabilités officielles et
artistiques, sans oublier M. Gustave Rivet, sénateur, et adaptateur du drame
de Victor Hugo. C'est assurément à M. Rivet, un familier de la famille Hugo,
que M. Hirchmann a du d'obtenir une autorisation qui fut toujours refusée aux
composileurs; car si Verdi mit en musique, lui aussi, Hernani, il le fît, vous
le savez, en dépit du poète. On comprend que celui-ci, qui avait en horreur
les musiciens, n'ait pas été très satisfait de la désinvolture avec laquelle les
librettistes italiens avaient tripatouillé son drame. Il eut été, certes, moins
mécontent de la façon dont s'y est pris M. Gustave Rivet. Toute la marche du
drame, la succession des scènes, et jusqu'au texte même, ont été respectés. A
peine l'adaptateur a-t-il modifié certains vers ça et là, et supprimé ceux qui
faisaient longueur. Le travail a été fait très adroitement. Ainsi présentée,
l'œuvre s'offre sous l'aspect d'un excellent livret d'opéra, où les situa-
tions abondent et sont vraiment musicales, non peut-être comme l'enten-
dent les adeptes du drame psychologique wagnérien ou debussyste, mais avec
du mouvement, de la couleur et de l'éclat. M. Hirchmann n'apas cherché à lui
donner une autre musique que celle qu'elle réclamait. C'est de la vraie mu-
sique d'opéra ne se chargeant d'aucun vain travail thématique, et avant tout
scénique et théâtrale dans son mouvement, son coloris, la forme de ses idées,
claires et chantantes, et de son orchestration, distinguée, brillante et sans
lourdeur, ce qui ne l'empêche pas d'être presque toujours intéressante. Le
spirituel auteur de la Petite Bohème et des Hirondelles ne se donne pas pour
un novateur; ce n'est pas un réactionnaire non plus. Son seul but, c'est de
faire du théâtre qui plaise au public, qui l'émeuve et le charme parles moyens
les plus sûrs. Tout en bannissant les vieilles formules surannées, les airs, les
morceaux détachés, les chœurs insuffisamment justifiés, il ne craint pas de
faire de la mélodie comme en ont fait la plupart des maîtres français desquels
il se réclame — ô courage! — sans rougir: les Massenet. les Gounod et les
Delibes. Les cinq actes de sa partition sont vivants, variés, et ils n'ennuient
jamais. Après deux premiers actes, courts et rapides, qui sont comme un pro-
logue, l'intérêt se développe dans une heureuse gradation. Le troisième acte,
auquel l'amour du vieux Ruy Gomez donne une teinte mélancolique péné-
trante, est remarquable à tous égards. Ls quatrième, avec la scène des tom-
beaux et son final décoratif de grand effet, a beaucoup d.1 caractère. Le cin-
quième enfin, aussi doux et aussi calme que le précédent était bruyant, est
d'une poésie exquise et s'achève en un duo d'amour absolument délicieux.
— Le succès a été chaleureux, voire enthousiaste. Dès le quatrième acte, ou
appelait le compositeur sur la scène; après le cinquième, on appelait svec
lui les artistes, le directeur, le régisseur et le chef d'orchestre '. L'interpréta-
tion A'IIemani au Théâtre de Liège est très satisfaisante. A côti ] M- i -i-
lesse. une Doua Sol de voix facile, et M. Rebel, un Don Carlos de boum;
volonté, il faut citer surtout le baryton. M. Kedoo, dont l'organe superbe et
la belle allure ont fait merveille dans le rôle d'IIernani. L'orchestre, uu peu
maigre, est habilement conduit par M. Kochs, et la mise en scènf i I
convenable. Inutile d'ajouter que les autorités ont vivement félicité l'auteur
et les interprètes. Pendant un entr'acte, M. Dujardin-Beaumetz a remis au
directeur du théâtre, M. Dechesne. la rosette d'Officier de l'Instruction pu-
blique, et au régisseur et au chef d'orchestre les palmes académiques.
Lucien Solvay.
— Eh bien, non, décidément, et quoi qu'on en ait dit, le fameux Hercule
n'est pas retrouvé, et la petite histoire de sa découverte û Prerau était fausse.
M. Ysaye, qui est en ce moment a Vienne, a vu en ellet un violon que l'on
avait cru un instant être son célèbre Stradivarius et qu'on lui a présenté,
mais il a déclaré ne pas reconnaître son instrument. L'Hercule continue de
courir le monde.
— Ainsi que nous l'avons annoncé en janvier dernier, le Conseil municipal
de Vienne a fait des démarches pour obtenir l'autorisation de transférer les
restes mortels de Joseph Haydn au cimetière central de cette ville, où une
place était déjà réservée au maitre dans l'endroit appelé le bosquet des musi-
ciens. Celte autorisation vient d'être refusée. On sait que Haydn mourut à
Gumpendorf, faubourg de Vienne, le :il mai ISO!) et fut enterré dans le cime-
tière local de l'endroit. Son corps fut exhumé ensuite et transport'' à
tadt, en Hongrie. Si le refus de permettre de procéder à une nouvelle exhu-
mation est maintenu, les cendres du maitre resteront dans l'église du Calvaire
où elles se trouvent depuis quatre-vingt-sept années.
— M. Feruccio Busoni, qui s'est fait entendre à Paris aux Concerts-Sechiari
le "20 février dernier, vient d'être relevé des fonctions de directeur des classes
de piano au Conservatoire de Vienne, qu'il avait acceptées et dont il avail pris
possession en septembre 1907. M. Busoni avait été appelé à ce poste en rem-
placement de M. Emile Sauer. Le motif de sa radiation des cadres du profes-
sorat, c'est une absence prolongée qui a duré plusieurs mois. Mais l'éminenl
artiste se défend dans le passage suivant d'une lettre publiée par le < Courrier
de la Bourse » de Berlin : « Lorsque j'acceptai, dit-il, après une longue résis-
tance, les fonctions de professeur à Vienne, je fis remarquer à ces messieurs
de là-bas qu'il me serait impossible, tant que je n'aurais pas rempli tous les
engagements par moi contractés, de m'assujettir à un enseignement régulier.
Je signifiai moi-même que cette première année devait être considérée comme
une année d'essai, et que lorsqu'elle serait expirée, je pourrais, en cas de
satisfaction réciproque de leur part et de la mienne, m'établir à Vienne et
signer un contrat de plus longue durée. Sur ces entrefaites, je tombai malade
et dus remettre un concert annoncé à Vienne. Je fus obligé aussi de renvover
à une date ultérieure un voyage artistique pendant lequel je devais jouer de
nouveau dans cette ville. J'eus l'honneur d'écrire à la direction du Conserva-
toire que je ferais tous les efforts possibles pour me trouver à Vienne en
mars, et que, quels que soient les événements, j'y resterais sans interruption
du 21 avril jusqu'à la fin de l'année scolaire, qui se clôt le 15 juillet. En
réponse à cette communication, je reçus, à ma grande surprise, l'avis formel
que l'on me rayait des cadres comme ayant manqué aux clauses de mon
contrat. Ce contrat m'accordait d'ailleurs en tout état de cause un congé
annuel de deux mois pendant la période des études scolaires. En cette cir-
constance, ma pensée se reporte vers mes élèves du Conservatoire de Vienne,
qui sont devenus chers à mon cœur, et je dois, à cause d'eux, ne point laisser
tomber cetle affaire sans exiger qu'il lui soit donné les éclaircissements
qu'elle comporte ». Rappelons que M. Busoni a écrit des transcriptions que
l'on classe aujourd'hui parmi les meilleures du genre et aussi des œuvres
originales, notamment un concerto dont le final est avec chœur. H s'occupe
en ce moment de la composition de son premier opéra, Choix de fiancée,
d'après une nouvelle du célèbre conteur Th. -A. Hoffmann.
— Le successeur de M. Feruccio Busoni, comme directeur de l'enseigne-
ment du piano au Conservatoire de Vienne, sera probablement M. Léopold
Godowsky. Cet artiste s'est acquis une grande réputation comme musicien et
comme virtuose; on l'a souvent nommé i un spécialiste de la main gauche ».
Il passe pour être un interprète hors ligue de Chopin. Parmi ses paraphrases
de concert le? plus connues, on peut citer la Vie d'arlistc et le Beau Danube
bleu d'après Johann Strauss.
— La cantatrice Pauline Lucca, dont nous annonçons plus loin la mort, a
laissé un testament qui a été ouvert par les soins de l'autorité judiciaire. Elle
a institué pour légataire universelle sa fille unique, la baronne Marie de
Rhaden, née de son premier mariage. Elle a fait, en outre, un certain nombre
de legs particuliers. Sous forme de fidéicommis, une substitution a été or-
donnée. Dans le cas où MllcMarie de Rhaden mourraitsans avoir été mariée, un
tiers de la succession devrait revenir à la Société de sauvetage de Vienne, un
sixième à la Fondation-Lucca d'Ischl pour les enfants pauvres, un sixième à
l'hôpital des frères de la miséricorde de Vienne. Quant au tiers restant, il est
destiné à l'exécution des legs divers que doit distribuer dès à présent la léga-
taire. L'ensemble de la succession est évalué à 2 millions. Les biens de Pau-
line Lucca comprenaient des sommes d'argent déposées à Vienne, une villa à
Reichenau et des valeurs mobilières. Lorsqu'en 1890 la grande artiste arriva
très malade à Vienne, c'est la Sociélé de sauvetage qui la transporta de la
78
LE MÉNESTREL
gare à son habitation. Depuis cette époque, elle a témoigné un intérêt très
vif et une sympathie toute particulière pour cette société, à laquelle un tiers
de la succession est éventuellement attribué comme nous venons de le voir.
— Une affaire de plagiat fait en ce moment beaucoup de bruit dans les cer-
cles musicaux viennois. Pendant l'automne de 190b, un jeune compositeur du
nom de Frédéric Habn s'établit à Vienne. Il racontait qu'il avait été élevé
dans un couvent de Jésuites, a Zeckau, mais que, poussé par une irrésistible
vocation musicale, il s'était résolu à dire adieu à ses professeurs, afin de se
vouer entièrement à la composition. Il parvint à intéresser à ses prétendus
ouvrages quelques personnalités éminentes appartenant au cercle des arts,
notamment la princesse Clémentine de Metternich et une autre dame de
grande distinction. Il fit entendre dans deux concerts plusieurs œuvres musi-
cales dont il s'attribuait la paternité ; après quoi, le succès qu'il obtint décida
ses protectrices à l'aider de leur bourse. Elles se déclarèrent prêtes à former
un fonds au moyen duquel ses compositions pourraient être éditées. On lui
trouva, en outre, une place de professeur de musique dans une institution
dirigée par les Jésuites. Il apparut alors que ce M. Frédéric Hahn n'était qu'un
maladroit plagiaire et qu'il avait donné comme siennes des compositions de
Joseph Rheinberger (1839-1901), qu'il s'était contenté de copier note pour
note. C'est au violoniste Ondriczek et à l'ancien chanteur d'opéra Schittenhelm
que l'en doit la découverte de la fraude. On s'étonne un peu qu'un pareil
manège ait pu faire illusion pendant plus de deux années.
— L'empereur d'Autriche François-Joseph a accepté le protectorat des
grandes fêtes qui doivent avoir lieu à Vienne en mai -1909, à l'occasion du
centième anniversaire de la mort de Joseph Haydn.
— Le conseil municipal de Vienne a décidé, dans sa séance du 27 février
dernier, qu'un tombeau serait érigé dans le cimetière central de la ville, pour
recevoir les restes mortels de Charles Czerey. l'auteur d'environ deux milliers
et demi de compositions, parmi lesquelles 64 pour piano à six mains, 4S9pour
piano à quatre mains et '1574 pour piano à deux mains.
— La Chauve-Souris de Johann Strauss est en permanence à l'Opéra-Comique
de Berlin depuis les jours du carnaval ; on l'a jouée dimanche, lundi, mer-
credi et vendredi de cette semaine ; on la donne encore ce soir.
— A la salle Mozart de Berlin, M. Léon Rinskopf, chef d'orchestre des
concerts d'Ostende. a fait entendre le Carnaval de Princesse d'Auberge, de Jan
Blockx, dont le succès a été très grand. Au même concert on a donné une
ouverture d'Edgar Tinel, pour le drame lyrique Godolewa et quelques autres
œuvres de compositeurs flamands.
— La Société internationale de musique, section de Berlin, vient d'organiser
une audition des plus intéressantes de « compositions pastorales » des seizième,
dix-septième et dix-huitième siècles. Le programme comprenait des œuvres
françaises, anglaises, italiennes et allemandes de Couperin, Rameau, Daquin,
Pasquini, Peerson, John Bull, Scarlatti, Martini, D'Anglebert, J.-S.
Bach, Francisque, J.-K. Fischer et Chambonnières. M"10 Wanda Landowska
a joué différents ouvrages de ces maîtres sur un clavecin construit à Paris.
— Dans un concert donné dans la salle Blûthner de Berlin, pour l'inaugu-
ration d'un orgue nouvellement installé, M. Wilhelm Leupold a fait entendre
des œuvres de Haendel et la cinquième symphonie de Ch.-M. Widor qui a
produit une impression des plus vives. Mlle Fanny Opfer a chanté ensuite un
psaume de Liszt.
— La nouvelle persécution imaginée par le chancelier allemand contre les
Polonais sujets de la Prusse commence à porter des fruits qu'il n'attendait
peut-être pas. En attendant le boycottage de toutes les marchandises alle-
mandes dans la Pologne russe, les pianos ont ouvert la marche. Dans tout le
pays, les pianos allemands sont mis à l'index. Vingt-cinq pianistes de Varso-
vie ont pris l'engagement de ne donner ni concerts ni leçons sur des pianos
de fabrique allemande, et ils invitent tous leurs confrères compatriotes à faire
de même.
— Les fêtes du carnaval à Munich ont été l'occasion de représentations
de gala au Théâtre-National de la Cour, et, cette année comme les précé-
dentes, car il s'agit d'une véritable tradition, c'est la Chauve-Souris qui a dé-
frayé les spectacles. Le chef-d'œuvre de Johann Strauss a été interprété par
les éminents artistes de l'Opéra MIIes Martha Bommer, Fladung, Mme Preuse-
Matzenauer. MM. Brodersen, Felmy, Geis. etc. Une danse serpentine « à la
Loïe Fûller » a été introduite dans le scénario pour former un nouvel épisode,
un peu inutile a-t-on pensé. C'est le chef d'orchestre des théâtres de Munich
et de Bayreuth. M. Franz Fischer, qui a dirigé les représentations.
— De Leipzig : « Au Théâtre-Municipal, où l'on prépare une reprise de
Louise de Charpentier, M,ne Sigrid Arnoldson a obtenu, dans Mignon, l'appro-
bation enthousiaste du public et de la critique ».
— Les sœurs du Sacré-Cœur de Budapest organisent tous les ans sur leur
théâtre particulier une représentation qui permet aux meilleures élèves de
l'établissement de montrer à un public d'invités leur habileté dans l'art de la
déclamation, du chant et de la danse. Ces jours derniers a eu lieu dans la
salle des fêtes une représentation des scènes de la vie de sainte Elisabeth.
Cette représentation avait un attrait particulier, parce que l'archiduchesse
Sophie, une petite-fille de l'empereur d'Autriche, et une des meilleures élèves
du Sacré-Cœur. jouait le rôle principal: elle y fut, parait-il, remarquable. La
mère de la jeune actrice, l'archiduchesse Auguste, assistait à la représentation.
— Le compositeur Henri de Kaan vient d'être nommé directeur du Conser-
vatoire de musique de Prague, auquel il était attaché depuis 1890 comme
professeur de piano. Né en 1852, à Tornopol. en Galicie, il fut l'élève de Blo-
dek et de Skuhersky à Prague, et accompagna Dvorak à Londres en 1884.
Membre de l'Académie François-Joseph pour l'art et les sciences, il a écrit de
la musique de chambre, un poème symphonique, Sakuntala, une suite d'or-
chestre, une fantaisie pour orchestre intitulée Églogues de printemps, des
études et des concertos pour piano, et deux opéras, le Fugitif et Germinal.
— Signalons à Genève, sons la direction de M. Léopold Ketten, une très
belle exécution A'Athalie, avec la musique de Mendelssohn. Trois cents cho-
ristes. « Le premier soprano, dit un journal de l'endroit, était MUe Verdan,
dont on connaît la voix charmante ; MUes Gautier, Culoz et Sautier étaient ses
partenaires et le succès des quatre cantatrices et de leur interprétation si fine
et si nuancée a été des plus vifs. L'orchestre a deux pages à lui tout seul, une
copieuse ouverture un peu poncive et la célèbre Marche., qui fut bien rendue.
Toute cette partie musicale avait été préparée par M. Léopold Ketten, avec
sa haute compétence et sou zèle accoutumés, et ce n'était pas une petite affaire
que de mener à bien cette incursion scénique : le résultat a fait honneur aux
artistiques efforts de l'excellent directeur. »
■ — M. Mathis Lussy a publié récemment, dans un numéro de la Vie musi-
cale (Lausanne), sous ce titre : De l'Accent esthétique, un article fort intéressant,
dans lequel on retrouve toutes les qualités de l'auteur du Traité de l'Expression
musicale et de tant d'autres ouvrages précieux.
— A la Fenice de Venise, énorme succès pour la Thaïs de Massenet, « le
succès le plus prompt, le plus continu et le plus cordial de toute la saison »,
dit un journal vénitien. L'œuvre est admirablement interprétée par sa belle
protagoniste italienne Mlle Carmen Mélis et le célèbre baryton Kaschmann.
Le violoniste Hector Cassellari a soupiré délicieusement la Méditation, qu'il a
dû bisser au milieu de l'enthousiasme général.
— L'Association italienne des Amis de la musique, présidée par le comte
Guido Visconti di Modrone, avait ouvert récemment un double concours de
composition pour un quatuor pour piano et instruments à cordes et pour un
poème chanté. Les prix consistaient en deux médailles d'or, et les œuvres
couronnées devaient être exécutées publiquement dans les concerts de l'Asso-
ciation. Ce concours vient d'être jugé : le prix du quatuor a été attribué à
M. Mario Tarenghi, de Milan, et celui du poème chanté à Mlle Élisabetta
Oddone, aussi de Milan.
— M. Gabriele d'Annunzio, à qui l'on a reproché souvent ses emprunts aux
œuvres littéraires du présent ou du passé, vient d'être pris à partie par le
journal de Florence Rivista christiana pour avoir mis à contribution avec trop
de persistance, parait-il, le texte des livres saints. Un rédacteur de cejournal,
M. Giovanni E. Meille, a cité deux cents vers de la dernière pièce du poète,
laNave, qui auraient été copiés dans la Bible, soit exactement tels quels, soit
avec de légers changements.
— Cette fois, c'est une avalanche de premières représentations dont la nou-
velle nous arrive d'Italie. Procédons par ordre, pour ne pas faire d'erreurs.
Au théâtre Ponchielli de Crémone, le 18 février, Terra promessa, poème dra-
matique en trois parties, paroles de M. Carlo Zangarini, musique de M. Arrigo
Pedrolla, élève de M. Coronaro au Conservatoire do Milan. Accueil favorable.
— Au théâtre Dal Verme de Milan, le 25 février, Jeba, drame lyrique en un
acte, paroles et musique d'un jeune compositeur Argentin, M. Rodriguez
Socas. Vers fâcheux, musique sans originalité, dit un journal. — Au théâtre
Victor-Emmanuel de Turin, aussi le 25 février, la Principessa, drame lyrique,
en trois actes et quatre tableaux, paroles de MM. A. Cantone et De Angelis,
musique de M. Gaetano Capozzi. Le sujet n'est autre que l'aventure bizarre
qui a illustré les noms de la princesse de Caraman-Chimay et du violoniste
tzigane Rigo. Succès. — Au Politeama de Bari, Yelda, opéra en deux actes,
musique de M. Léopoldo Gassane. Applaudissements au compositeur malgré
une fâcheuse exécution. — Au Politeama de Gènes, la Tradita, opéra, musi-
que de M. Luigi Camelleni, dont le succès parait avoir été médiocre. Dans
cette Tradita, dit un critique, il y a plus de musique de Donizetti, de Bellini,
de Verdi et de Rossini que du maestro Camelleni, ce qui prouve au moins que
celui-ci est doué d'une bonne mémoire. — A Rome, à l'Association de la
Presse, la Pupilla, opéra-comique, poème tiré de la comédie de Goldoni. qui
porte le même titre, musique de M. Giuseppe Mancini. — Enfin, au théâtre
Morlacchi de Pérouse, il Monumento a Pietro Perugino, musique « peu vivace
et peu originale » de M. Tei. — Et c'est tout.
— Le Trovatore nous apprend que « le ténor Masini, vu son âge avancé,
quittera la scène le mois prochain. Il donnera sa représentation d'adieux à
l'Opéra italien de Saint-Pétersbourg, et se retirera ensuite à Naples, dans sa
splendide villa au Vomero. »
— On nous écrit de Milan :
Alfredo Testoni vient de terminer sa pièce intitulée Gioacchino Rossini. Il l'a lue i.
y a quelques jours à Bologne à son ami Zicconi, l'acteur présumé du rôle principa-
le premier acte se passe en l'automne de l'année 1820. Rossini triomphe à Naples e
dans toutes les villes d'Italie ; il est aussi traité en héros à Paris, lors des représen-
tations du Barbier de Séville. C'est un jeune homme de vingt-huit ans, beau, élégant,
pas encore riche, en chicane continuelle avec l'imprésario Barbaja, occupé chaque
jour par une nouvelle amourette. Ces premières années de Rossini se passent au
milieu de querelles et d'aventures amoureuses, pour se terminer par le mariage du
maître. Testoni a essayé de mettre à la scène la vie musicale si variée de cette
LE MÉNESTREL
7:>
époque et Ton voit déliler les types les plus turieux : comiques, ténors, prima donna,
compositeurs, etc. Entre le premier et second acte, neuf années se sont écoulées :
nous nous trouvons à Paris au mois d'août 1329, pendant les représentations de
Guillaume Tell, accueillies avec enthousiasme. Rossini est reçu à la cour comme un
souverain. Le troisième acte se passe à Bologne, en mai 1851 ; Rossini y a pris domi-
cile au palazzo Donizelli. Au quatrième acte nous sommes do nouveau à Paris. Le
maitre, alors âgé de soixante-huit ans, est devenu irritable. Il ne pense plus qu'aux
bons repas. C'estun jour de mars de l'année 18G1). Rossini reçoit une visite. Richard
Wagner est chez lui ! Les deux géants sont assis en face l'un de l'autre : le passé et
l'avenir. Le maitre allemand, qui est encore méconnu malgré ses quarante-sept ans,
a le public et la presse contre lui; il ne parvient pas à vaincre les difficultés qui
s'opposent à la représentation de son Tannhiiuser; le maitre italien, par contre, a été
célèbre dès les premières années de sa vie artistique. La première représentation de
Gwaechino Rossini aura probablement lieu à Milan.
— LTn concert historique dont le programme était singulièrement intéressant
à été donné récemment à Florence avec le plus grand succès. Voici ce pro-
gramme : 1. Chant grégorien : Hodie Christus, répons; — 2. Palestrina
(1624-94) : Tardumergo (polyphonie) ; — 3. Gregorio Allegri (1380...) : Cor mun-
dum, du Miserere ; — 4. Palestrina : Sanctus de la Messe Iste Confesser; —
5. Palestrina : Queste sarannoben, madrigal (la polyphonie hors de la liturgie) ;
— 6. Clari (1679-1754) : Addio, campagne amené, madrigal (l'instrumentation
dans la polyphonie); — 7. Lulli (1633-1687) : Air de Zéphir de l'Opéra d'Atys
(le lyrisme dans la polyphonie) ; — 8. Mozart (1736-17911 : Lacryinosa de la
Messe de Requiem ; — 9. Cherubini (1760-1844) : Ave Maria, solo de ténor
(l'élément dramatique au service de la liturgie) ; — 10. Charles Gounod
(181S-1S93) : Benedictus de la Messe de Sainte-Cécile (le romantisme dans le
chant sacré) ; — 11. Lorenzo Perosi (vivant) : Agnus Dei de la 2e Messe ponti-
ficale; — 12. Lorenzo Perosi : Hymne de la paix du Giudiz-io universale (carac-
tère musical de l'oratorio moderne) ; — 13. Marche antique (1200). L'exécution
de ce programme, très remarquable, était dirigée par M. Virginio Cappelli, le
distingué directeur de la chapelle de la S. Annunziata.
— On a représenté au Théâtre-Principal de Barcelone un «tableau lyrique »
intitulé Vora'lmar, dont la musique est due à un jeune compositeur nommé
Alfonso, encore à son début. Cette saynète a été bien accueillie, et on y
signale surtout une certaine « chanson de la cloche », qui est, dit un journal,
« pleine de poésie ».
— Au théâtre Avenida de Lisbonne on a donné la première représentation
d'une « féerie maritime » et musicale intitulée a Filha dus Ondas, paroles de
M. Luiz d'Aranjo, musique de M. Calderon. La succès a été médiocre.
— Les auteurs londoniens demandent la suppression de la censure, ou plu-
tôt du censeur, unique fonctionnaire qui décide sans appel du sort des pièces,
lis désireraient la création d'un tribunal d'appel, qui se prononcerait en der-
nier ressort. Ce tribunal se composerait de trois personnes : la première nom-
mée par l'Association des auteurs dramatiques, la deuxième par le lord chan-
celier, la troisième choisie par les deux précédentes.
— Le 3 février dernier, c'était la dixième représentation de Thais au Man-
hattan Opéra de New-York. Salle bondée et succès enthousiaste pour Mary
Garden : « Tout New-York court voir Thaïs, nous écrit un correspondant ».
Il en est de même pour Louise. Voilà donc deux réussites exceptionnelles pour
l'art français en Amérique.
— M. Charles Pohlig et une vingtaine de musiciens de l'orchestre de Phila-
delphie ont été victimes d'un accident de chemin de fer. Ils revenaient d'un
concert donné à Widmington lorsque le train dérailla près de la station de
Chester. M. Pohlig reçut des contusions assez sérieuses et dut remettre à plus
tard les concerts annoncés à Philadelphie. Les autres artistes ont à regretter
la perte de plusieurs instruments de valeur qui ont été mis en pièces.
— L'excellent directeur de l'Opéra de Buenos-Ayres, M. Bonetti, vient de
traiter pour les opéras français Ariane, Tlui'is, Manon et Mignon qu'il représen-
tera au cours de la saison prochaine. H les portera aussi à Montevideo.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
A l'Opéra, nous avons eu la rentrée, dans Samson et Dalila, du ténor
Alvarez toujours vaillant, toujours vibrant. On annonce pour lundi la 60e re-
présentation A' Ariane (rentrée de M"L' Arbell).
— Spectacles de dimanche à l'Opéra-Comique, en matinée Alceste (avec
Mme Litvinne) ; le soir Carmen. Lundi, en représentation populaire à prix
réduits : Mireille.
— Aujourd'hui, à cinq heures, au Théàtre-Sarah-Bernhardt, 18e samedi de
la Société de l'histoire du théâtre. Causerie de M. Robert Eude sur « la Fan-
taisie », avec le programme de récitations et d'auditions suivant:
Mise au point (Tristan Bernard), par M-' Marthe Régnier; Galipettes, par M. F. Ga-
lipaux ; Chansons, par M"" Marguerite Deval ; Bon conseil aux amants i Victor Hugo),
par M"" Clairville ; Cadet Roussel (scène VII, acte III i (J. Richepini, par M"" Mitzy-
Dalti et M. Armand Bour ; les Eors-d' œuvre et le dîneur (Xavier Roux), par M"" Yrven :
a) le Rondeau de l'opérette (Xanrof), b) la Vie de château (Zamacoïs), par II"" Lise
Berty ; Vieilles légendes, par M"c Cora-Laparcerie-Richepin ; le Marquis de Carabas
(acte III, scène II) (Romain Coolus), par M. de Max et M"« Pascal ; Fantaisies pari-
siennes (H. de Fleurigny), par 11" Anna Thibaud ; entin, duo des hommes d'armes de
Geneviève de Brabant, par MM. Brasseur et Moricey, des Variétés.
— M. Henri Michel, conservateur de la Bibliothèque dAmiens, vient de
réunir en un volume sous ce titre : La Sonate pour clavier avant Beethoven, le
texte d'une série de cinq conférences faites par lui en cette ville sur ce sujet
fort intéressant (Fischbacher, éditeur, un vol. in-8°). Ce livre est une sorte
d'introduction, très substantielle, a une seconde étude que l'auteur se propose
de faire des sonates de Beethoven. Cette introduction offre un résumé très
complet de l'histoire de la formation de la sonate de piano, dont l'origine
première est dans la « suite « instrumentale, qui se cou lement
d'une série de quatre ou cinq airs de danse (pavane, passacailh', gaillarde,
gigue, etc.), qui n'avaient aucun rapport direct et que rien ne reliaii
eux. C'est a Kuhnau que l'on doit le premier essai de transformation
suite en sonate, et c'est Charles-Philippe-Emmanuel Bach qui a donné
ensuite a la sonate sa véritable forme. Tout ceci est bien exposé dan- le livre
de M. Henri Michel, qui envisage ensuite ia sonate dans les œuvres des
maîtres qui ont précédé Beethoven, c'est-à-dire Haydn, Mozart, Clementi et
Rust. Le point historique est bien tracé, le récit est très clair et la forme
vraiment élégante sans manifester aucune prétention. C'est une étude hés
précise, à recommander à tous ceux qui admirent cette forme admirable de la
sonate, la plus belle manifestation du génie musical en dehors de la sympho-
nie. Je ne chercherai qu'une petite chicane à l'auteur, à propos de son titre.
Pourquoi imiter les Allemands en disant « clavier » au lieu de » piano •.
Chez eux, klavier veut dire piano; mais nous autres Français nous faisons une
distinction, parce que le clavier n'est qu'une partie du piano. D'ailleui
titre : sonate de clavier, prête pour nous à amphibologie, car l'orgue est aussi
un instrument à clavier. Une fois faite cette petite observation, le livre de
M. Henri Michel n'en reste pas moins utile et vraiment intéressant. A. P.
— A la 49e matinée musicale du violoncelliste Maxime Thomas, toute la
deuxième partie du programme était consacrée aux œuvres de M. Théodore
Dubois. Très vif succès pour le beau quintette excellement interprété par
M,uc Bleuzet, Mllc R. Billard, MM. Bleuzet, Videix et Maxime Thomas. — et
pouria si remarquable interprète des lieder modernes, Mm" Durand-Texte,
qu'on a applaudie dans V Effeuilleincnl et le duo de Xavière avec M. Béral. puis
dans la grande scène lyrique : l'Enlèvement de Proserpine.
— La 27e assemblée générale de la Société des employés du commerce d>-
musique a eu lieu le 1er mars à la mairie Drouot sous la présidence de
M. Paul Girod. Après avoir donné lecture des rapports et conlirmé dans leurs
fonctions les membres du bureau sortants, nous avons été heureux de cons-
tater que les compositeurs, amateurs et éditeurs de musique, continuent
d'encourager par leur adhésion ces modestes employés qui déploient une si
grande activité pour la diffusion de leurs œuvres. Aussi, est-ce grâce au géné-
reux concours de ses membres honoraires que cette belle Société a vu son
capital de 43.748 fr. 04 c. en 1903 passer à 73.208 fr. 48 c. en 1907. La réu-
nion a pris fin sur un vote de remerciements adressés aux membres bienfai-
teurs.
— M. A. Dorival, élève de M. I. Philipp, a remporté il y a deux ans un
brillant premier prix. H vient de donner un premier concert chez Erard et a
fait apprécier une belle assurance technique, un jeu vivant et intelligent. Son
succès a été réel et mérité. Son programme se composait de Prélude et fugue
en mi mineur de Mendelssohn, Carnaval de Schumann, Ballade op. 22 et Po-
lonaise, op. 33, de Chopin, de la Valse-Étude de Saint-Saëns et de la sonate
pour piano et violon de M. Enesco. Dans ce dernier morceau M. Dorival avait
pour partenaire l'auteur, et les deux artistes ont joué la sonate avec une belle
conviction, une grande ardeur.
— La Société J.-S. Bach donnera, le mercredi 11 mars, son cinquième
concert avec un magnifique programme : 1° Cantate pour le dimanche Esta
mihi n° 139 (première audition) ; 2° Concerto italien, joué sur le clavecin par
Mme Wanda Landowska ; 3° Ode funèbre. Les soli seront chantés par quatre
remarquables artistes étrangers spécialement engagés : MIle von Ghlen (de
Londres), Mme de Haan-Manifarges (de Rotterdam). MM. Rohmann (de Franc-
fort) et Zalsman (d'Amsterdam). Orchestre et chœur de la Société J.-S. Bach,
sous la direction de M. Gustave Bret. Répétition publique, le mardi 10 mars,
à quatre heures.
— Le prochain concert de la Société philharmonique, le dernier de l'abon-
nement, aura lieu mardi 10 mars, à 9 heures, salle Gaveau. C'est un grand
festival Franck qui aura lieu à cette occasion avec le concours de Mme Mellot-
Joubert, M. Ch. Clark, M. Alfred Cortot, M. Louis Vierne, des chœurs et
orchesti'3 sous la direction d'Edouard Colonne. Au programme, cantahile et
pièce héroïque pour orgue. Variations symphoniques (Cortot), Rébecca, ora-
torio (chœurs, orchestre et solistes). Psaume 130 (orgue, chœurs et orchestre).
— Extrait du Courrier républicain de Douai, au sujet d'un concert donné
par la Société « La Lyre » pour l'audition d'œuvres de Théodore Dubois :... s En
dehors des choristes, M. Théodore Dubois avait d'excellents interprèles: iSP" Mar-
celle Demougeot chanta ses « odelettes » (Jeune fille à la Cigale, bissée) avec un
art infini et des délicatesses extrêmes et je sais peu de cantatrices qui auraient
mis une intensité de sentiments plus grande, une virtuosité plus brillante, un
coloris plus puissant dans les pages admirables de Notre-Dame de la Mer. Accla-
mée et bissée par nos « dilettanti » enthousiasmés, elle a été la triomphatrice
de cette soirée dont elle en fut aussi le charme. M. Mauguière s'efforça d'égaler le
talent de sa partenaire et on lui bissa, avec elle, le fameux >< duo de la Grive
de Xavièrc. Enfin l'archet merveilleusement souple et sur de M. Willaume
rendit intéressant et agréable un long Concerto réputé pour sa difficulté et fit
apprécier le son très chaud, très enveloppant de ce violoniste de valeur. Inter-
prètes et auteur ont été confondus dans les mêmes applaudissements, fré-
LE MENESTREL
quents et unanimes. L'assistance se devait d'ailleurs à elle-même de manifester,
aussi sincèrement qu'elle l'éprouvait, son admiration pour ces mélodies d'un
rythme piquant, pour ces chœurs au chant noble et large, pour cette Notre-
Dame de la Mer si intensément colorée, si invinciblement impressionnante,
pour toute cette musique d'une composition impeccable, claire, limpide, élé-
gante, bien française. »
— Du Courrier de Versailles : « Marie-Magdeleine ne fut pas un succès, ce fut
un triomphe : exécution parfaite, salle pleine, enthousiasme de l'assistance,
rappel des artistes et surtout admirable beauté de l'œuvre interprétée, tout
fera de cette soirée une soirée mémorable dans les annales de la jeune salle
Notre-Dame. S'il fallait distribuer tous les éloges mérités, nous prendrions
trop de place; nous tenons cependant à- féliciter d'une manière spéciale le
jeune chef d'orchestre qui a vraiment révélé sa maîtrise au milieu de ses
120 exécutants. »
— On écrit de Colmar : « Notre théâtre prend, sous la direction très artis-
tique et très éclairée de son directeur, M. Goldberg, un brillant essor et nous
avons eu d'admirables représentations du Bal masqué de Verdi et de la Flûte
enchantée. Comme nouveauté toute prochaine et de tout premier rang, nous
allons avoir Manon de Massenet, avec une mise en scène entièrement belle et
pleine de vie, réglée par le directeur lui-même. L'orchestre sera conduit par
M. Schilling-Ziemsen, dô*nt un opéra nouveau en trois actes, Sonuenwendglut,
sera joué pour la première fois le 2S mars prochain. »
— Soirées et Concerts. — Intéressante séance donnée par le violoniste brésilien
Francisco Chiaffitelli, à la Salle Pleyel. Après le trio en mi majeur de Mozart, joué
avec un ensemble remarquable par MM. L. Delune, Chiaffitelli et M"" Delune,
M. Chiaffitelli a remporté un très vif succès dans la Ciaccona, pour violon seul, de
Bach. Nous l'avons encore beaucoup apprécié pour sa belle sonorité, son mécanisme
pur et son interprétation toute personnelle dans différentes pièces classiques et
modernes. — Très belle audition, dans les salons de M. et M™' Jacques Rouché, des
élèves de M. Jules Chevallier. Elle était surtout consacrée à des œuvres de Bachet
de M. Gabriel Grovlez. Toutefois, le succès parait avoir été pour deux mélodies
d'Henry Février, chantées en intermède : Elle avait trois couronnes et VIntruse. — A
la matinée d'élèves de M. Georges Cuignache, on a fort goûté la « Grande valse de
concert » de Louis Diémer, interprétée par M"" Rachel Gaisenbaud, et « l'Étude n° 1 »
de Théodore Dubois, exécutée par M"" Suzanne Endrès. — Au Théâtre des Arts,
tout à fait charmante audition des œuvres de Charles Levadé. La jolie voix de
M"1 Bureau-Berthelot fait merveille dans les Cloches du pays du charmant composi-
teur.
NÉCROLOGIE
La cantatrice Pauline Lucca est morte à Vienne le 28 février dernier.
Elle souffrait depuis huit années d'un cancer intestinal. La dernière opération
avait eu lieu en novembre 1907 et n'avait laissé que bien peu d'espérance.
Depuis cinq semaines la malade ne supportait plus aucune nourriture. Née le
25 avril 1841, à Vienne, Pauline Lucca montra dès l'âge de trois ans qu'elle
avait une voix juste et de belle sonorité. A dix ans, elle attirait déjà l'atten-
tion par son chant. En 1848, son père perdait toute sa fortune pendant une
crise financière ; dès lors, on compta sur l'enfant pour apporter plus tard un
soulagement à la famille. Elle trouva en effet à utiliser sa voix dans les
églises et se fit admettre, en 1836, parmi les choristes de l'Opéra de Vienne.
Sa grâce et sa gentillesse l'ayant fait remarquer peu à peu, on lui confia trois
ans plus tard un tout petit rôle dans la Flûte enchantée, et, presque aussitôt
après, elle fut engagée comme prima donna à Olmûtz, y obtint un grand
succès dans Valentine des Huguenots et se rendit ensuite à Prague, où elle
joua le répertoire. C'est là que, pendant une représentation de la Vestale de
Spontini, donnée à son bénéfice, M. de Hulsen, qui était dans une loge, appré-
cia tellement son talent qu'il lui offrit un brillant engagement à l'Ûpéra-Royal de
Berlin. Elle y débuta le 1er avril 1S61 et y chanta des rôles de caractères très diffé-
rents, depuis Fra Diavalo jusqu'à Don Juan, depuis le F'reischûl: jusqu'à l'Africaine,
qu'elle y interpréta la première. Plus tard, Mignon et Carmen devinrent ses rôles
de prédilection. A l'Opéra-Royal, son nom suffisait à remplir la salle. A partir de
1872, époque à laquelle un conflit avec sa rivale Mathilde Mallmger l'obligea à
quitter Berlin, elle chanta en Angleterre, en Amérique, en Russie, en Italie et à
Vienne. « Elle passait pour un phénomène, a écrit d'elle un critique, et elle
l'était en réalité. Son originalité exclut toute comparaison avec d'autres can-
tatrices; on ne saurait mieux définir sa personnalité qu'en lui appliquant
l'expression française : elle a le diable au corps ». Son organe était d'une puis-
sance exceptionnelle à l'aigu et d'une sonorité particulièrement belle. Le son
vibrait avec force et frappait l'oreille même de très loin, toujours avec fraî-
cheur et netteté. On en était saisi parfois, a-t-on dit, avec la soudaineté d'une
secousse électrique. L'engouement que l'on éprouva pour l'artiste fut tel que
l'on voulut voir en elle toutes les qualités, et que l'on n'hésita point à la com-
parer à Rachel pour la puissance dramatique. Pauline Lucca épousa en 1865
le lieutenant, baron Adolphe de Rhaden, et se remaria en 1S74, après divorce,
au major de Wallhofen, qui mourut en 1879. Elle se retira définitivement de
la scène au commencement de 1890. Elle a vécu depuis à Vienne avec le titre
de chanteuse de la Chambre impériale et royale d'Autriche et de Prusse et
cantatrice honoraire de l'Opéra de Vienne.
— Les funérailles provisoires de Pauline Lucca ont eu lieu à Vienne lundi
dernier. Le corps, placé dans un cercueil de plomb a été transporté de la mai-
son mortuaire à l'église dite Dorotheerkirche, où les élèves des classes de chant
du Conservatoire s'étaient réunis pour le recevoir. La cérémonie était dès
lors achevée, car les restes de la cantatrice doivent, dit-on, être conduits à
Gotha pour y être incinérés, après quoi, ils seront ramenés à Baden, près de
Vienne, pour y recevoir la sépulture définitive. La fille de Pauline Lucca, la
baronne Marie de Rhaden, a reçu de l'Intendance générale des théâtres
royaux de Berlin le télégramme suivant : « Du plus profond de mon cœur je
vous plains sincèrement de la perte que vous avez éprouvée, et je pense aux
relations d'art et d'amitié qui, pendant de longue années, ont existé entre
madame votre mère et mon père et moi. Mais avant tout, je prends part à ce
deuil au nom de l'Opéra-Royal qui fut le berceau de la gloire de cette artiste
unique dans son genre que fut Pauline Lucca et qui lui doit une des plus
brillantes époques de son histoire. Pénétré de ces sentiments, je fais déposer sur
le cercueil de la cantatrice qui ne sera jamais oubliée, une couronne de lauriers
comme témoignage de fidélité dans l'affection et la reconnaissance. Georges de
Hulsen. t
— Le 17 février est mort à Londres, a l'âge de 93 ans, le doyen des facteurs
de piano d'Angleterre, John Brinsmead, qui était né à Wear-Gifford (North
Devon) le 19 octobre 1814. Il avait fondé en 1835 sa fabrique de pianos, qni
prit rapidement une importance considérable et atteignit une très grande
renommée. Il avait, au mois de juin 1907, fêté le 70e anniversaire de son
mariage; mais dès la Noël suivante il perdit toute sa connaissance, qu'il ne
recouvra pas depuis lors, si bien qu'il ne connut pas la mort de sa femme,
qui s'éteignait il y a quelques semaines. De ses deux fils, Thomas et Edgard,
qui étaient ses deux associés depuis 1863, le second, Edgard, a publié en
1868 une Histoire du Piano, dont une seconde édition, complétée, parut en
1879.
Henri Heugel, directeur-gérant.
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Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
S0MMAIEE-TE1TE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (12e article), Julien Tiersot. — II. Antoine Stradi-
varius, il propos d'un livre récent, Arthur Poûgin. — III. Revue des grands concerts.
— IV. Nouvelles diverses et concerls.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
GAVOTTE
extraite du ballet de Paul Vidai. : Zino-Zina, sur un livret de Jean Riciiepin. —
Suivra immédiatement : Menuet, extrait du mémo ballet.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
Rose du bois joli, chanté dans les Jumeaux de Bergdme, de E. Jaques-Dalcroze
(poème de Maurice Lena, d'après Florian). qui vont être représentés prochai-
nement au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles. — Suivront immédiatement :
les Couplets de l'aiguille, chantés dans le mémo ouvrage par Mme E. Jaques-
Dalcroze.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
CHAPITRE III
GLUCK COMPOSITEUR ITALIEN
Mystères capricieux du génie ! Voilà qu'Armide nous offre
un autre morceau que Gluck s'est emprunté à lui-même, le repre-
nant encore à une œuvre de cette première période. Un air de
Sofo7iisba commence ainsi :
\ y ki - l*
^^ —
- Hautbois
/ Jéforr "r m — i '
sul
Si.
ynar. gi . ne del
Violons
Basses
-ffirtÊff"
tfcftHr
Cors
* « f m 1* 0 m
l /bl,t< pj-|_^._[Lp-
(Il Une faute de gravure, que je regrette d'avoir laissé échapper à la correction,
est restée dans la notation de l'air : Rasséréna il meslo ciglio, de Tigrane, dont la pre-
mière page du précédent numéro du Ménestrel donnait le début : il fallait quatre
dièses à la clef, et non trois. La plupart de nos lecteurs auront sans doute rectifié
d'eux-mêmes, tant le ton de mi est naturel et franchement établi dans l'exposition
de cet air. Je prie ceux qui collectionnent le journal de faire la correction nécessaire,
en ajoutant à la plume l'accident oublié. J. T.
J-û-J.
Le .
te mille
e
roi
J
• r : *
— 9^-m
r# r f 0
lîLïll
"fwé*0 —
LLLJ^
•0 *r
Nous y reconnaissons le véhément dessin des instruments à
cordes et l'appel alterné des voix et des instruments qui ont
reparu dans le duo : « Esprits de haine et de rage! ». Comme
pour l'invocation à la haine, le développement entier confirme
la ressemblance. Et il n'est pas jusqu'au « milieu » de l'air (ici,
par exception, écrit dans un autre mouvement) où nous ne
retrouvions encore des accents connus, et si différents :
ve . drai s io t in _ gan . nai
Ces quatre mesures ne nous offrent-elles pas le dessin, par-
faitement formé, du chœur d'Orphée : « Euridice va paraître » ?
Ainsi, les traits qui caractérisent Gluck jusque dans ses
œuvres les plus définitives se trouvent déjà indiqués, mieux que
cela, nettement dessinés à plusieurs places dans les premiers
essais de sa jeunesse. A travers les métamorphoses par les-
quelles il passera, nous entrevoyons un génie qui restera toujours
identique à lui-même. Sa nature musicale est une : s'il est vrai
qu'en apparence elle aura à subir la fluctuation de tendances
successives, c'est elle pourtant qui commandera toujours, et qui
présidera à l'évolution générale. Au moment de l'effort que nous
considérons ici, le jeune artiste en est encore aux tâtonnements
du début ; mais son instinct le guide si justement que, dans trente-
cinq ans, il reviendra souvent toucher à son point de départ,
et empruntera à ses productions premières les matériaux dont
il formera l'édifice complet destiné à faire l'admiration de la
postérité.
Telle est, très ignorée jusqu'à ce jour, et pour la première
fois étudiée avec l'attention qu'elle mérite, l'œuvre de la tren-
tième année de Gluck. Nous y avons constaté un singulier mé-
lange d'hésitation et d'assurance. La sincérité y est manifeste ;
mais elle ne craint pas de se laisser guider par l'exemple
d'autres qui passent pour expérimentés. Il est manifeste qu'à ce
moment de sa vie Gluck recherche principalement ce qui doit
le .mettre hors de pair, et pour tout dire, le succès. Venu en
Italie à l'époque du grand prestige de l'art de ce pays, il ne
82
LE MENESTREL
prétend qu'à faire de la musique italienne : il en accepte les
formes consacrées, et fait de son mieux pour s'y façonner.
Mais voilà que, sans qu'il le veuille, il se trouve incapable de
tomber au rang d'un vulgaire imitateur. Trop robuste est sa
nature : il a beau faire, la musique qu'il compose sur des paroles
de Métastase reste, malgré tout, celle dont il a apporté de son
pays d'origine l'inspiration première.
L'accident d'ailleurs est commun : Haendel, Hasse, et les fils
de Bach, et bientôt Mozart, auront beau, comme lui, se confor-
mer à toutes les règles, ils ne composeront point du tout la
même musique que Tergolèse, Stradella ou Jomelli. Au reste
ils sont tous parfaitement inconscients de cela. Les hommes du
XVIIIe siècle avaient des idées si élémentaires quant à la nature
du génie musical chez les diverses nations ! Pour eux, tout se
réduisait à des formes extérieures, tout se résumait en des pré-
ceptes. Dans dix ans, nous verrons, à Paris, la grande querelle
se déclarer, non pour rechercher si le génie musical français
est plus ou moins grand que le génie musical italien (pour
celui de l'Allemagne, il était tenu pour inexistant, nul n'en
avait cure), mais pour savoir si la langue française est apte à
la musique, et si les chanteurs de l'Opéra de Paris peuvent être
encore écoutés quand on a eu le bonheur d'entendre chanter
les virtuoses émasculés d'Ausonie.
Donc, qu'il en eût ou non conscience, et de même que Monsieur
Jourdain faisait de la prose, Gluck, à Milan, faisait de la musi-
que allemande. Si quelques airs de ses premiers opéras renfer-
ment clans leur parties extérieures des formules du style napo-
litain, dans aucun on ne pourrait trouver ce charme facile, cette
grâce doucement mélancolique, cette amabilité tour à tour mu-
tine et turbulente, qui caractérisent la véritable musique ita-
lienne. Le fond de son inspiration reste austère. Les analyses pré-
cédentes ont plus d'une fois amené le nom de Bach, pour faire
comprendre l'inconnu parla comparaison avec le connu. Certes
le style de Gluck n'a rien des qualités transcendantes du génial
cantor, ni l'abondance de ses ressources, ni la puissance de son
imagination harmonique, ni sa science des combinaisons. Ses
qualités sont autres. Et cependant il garde avec lui un tel air
de famille que c'est à lui qu'à cette minute il nous fait le plus
spontanément penser. Il le rappelle même par des procédés :
telles ses longues tenues de la voix autour desquelles se déroule
la symphonie, tels encore ses dialogues contrapointés du chant
et de l'orchestre, et l'importance, sinon la richesse, de ce der-
nier élément. Ainsi, même par les formes extérieures, il ne
peut s'empêcher de témoigner qu'il reste musicien allemand.
Mais en même temps il nous semble apercevoir en lui des
qualités que nous chercherions en vain clans l'art de l'Alle-
magne non plus qu'en celui de l'Italie : un souci de logique, une
aptitude à exprimer un état d'âme, à donner, par un rythme
ou une tournure de phrase, l'impression d'une physionomie, à
composer, en un mot, une musique de caractère. Cette autre
tendance, il semble bien que nous en pourrions reconnaître quel-
ques traits si nous regardions ailleurs : c'est celle de l'esprit
français, et que nos auteurs nationaux n'ont pas laissé de mani-
fester déjà en quelques circonstances. Le génie puissant qui lui
devait donner sa consécration définitive ne s'était pas encore
révélé. Mais patientons quelque trente ans: celui qui n'est
aujourd'hui que l'auteur de Demofoonte et de Sofonisba doit être
le messie qui viendra régénérer la musique française. Le pays
qu'il aura à conquérir lui est encore inconnu; mais voyez : il
fait déjà des provisions pour ses campagnes à venir !
Et précisément voici que, pour la première fois, il va toucher
le sol de la France, théâtre futur de son triomphe. Dix ans
presque entiers passés dans la Haute-Italie, autant d'opéras écrits
pour les mêmes villes, c'était beaucoup pour la coutume et pour
les caprices du public. Il était temps que Gluck allât voir d'au-
tres pays.
L'état général de l'Europe se trouvait d'ailleurs avoir son con-
trecoup sur sa situation particulière. La guerre, à ce moment,
sévissait partout. Une fois de plus, la Bohème était en feu: l'Au-
triche, gouvernée par une femme, semblait une proie sur
laquelle s'acharnaient les convoitises de l'Europe coalisée ; Fran-
çais et Anglais étaient aux prises, et à Fontenoy. disputaient à
qui des deux tireraient les premiers, tandis qu'une autre armée
de Français et d'Espagnols réunis envahissait l'Italie et venait
jusque sous Milan inquiéter les autorités autrichiennes, les
repousser même pour un temps.
C'est en cette même année 1745, où tous ces événements se
passèrent, que Gluck quitta pour la première fois l'Italie hospi-
talière à sa jeunesse. Nous pouvons penser qu'ils ne furent
pas étrangers à ce départ, car c'est avec un prince de la famille
de ses anciens protecteurs, retrouvée naguère au gouvernement
de l'Etat de Milan, qu'il va se mettre en route : le prince Ferdi-
nand-Philippe de Lobkowitz partait pour un voyage en France
et en Angleterre (1 ) : il l'accompagna.
Mais cette guerre, la « guerre en dentelles », comme on l'a
appelée, n'était pas faite pour arrêter l'essor des arts; elle
n'empêchait personne de chanter ni d'aller à l'Opéra. N'est-ce
pas le temps où le Maréchal de Saxe se faisait accompagner par
une troupe, d'acteurs et d'actrices d'opéra- comique, communi-
quait parfois ses ordres de bataille sous la forme d'un couplet de
vaudeville rimé par Favart sur un air connu, et, dans les jours
de calme, avait la politesse d'envoyer ses comédiens au camp
ennemi pour le distraire ? La carrière de Gluck n'en devait
pas être interrompue : tout au contraire, il allait trouver dans
cet accident de la politique une occasion d'étendre son champ
d'opérations et de visiter de nouveaux pays en y faisant enten-
dre sa musique.
L'Opéra italien de Londres, après beaucoup d'aventures, aux-
quelles Haendel avait été mêlé, pas toujours fort à son profit,
était alors gouverné par un comité de nobles anglais, sous
la direction effective de l'un d'eux, lord Middlesex. Cette aris-
tocratie était favorablement disposée pour le descendant des
forestiers de la famille Lobkowitz, devenu compositeur à succès:
Gluck fut engagé à venir à Londres pour composer les opéras de
la saison 1746. Dans le courant de l'année précédente, à la suite
cle son prince, il s'achemina vers l'Angleterre, en traversant le
Piémont et la France.
(A suivre.) Julien Tiersot.
ANTOINE STRADIVARIUS
PROPOS D'UN LIVRE RÉCENT
Voici un véritable monument élevé à la gloire du plus grand artiste
dont l'histoire de la lutherie fasse mention : Antoine Stradivarius, sa
vie et son œuvre, par MM. Henry, Arthur et Alfred Hill (2). Chose sin-
gulière, ce n'est pas dans son pays que l'auteur de tant d'admirables
chefs-d'œuvre a trouvé des historiens. Les plus récentes publications
faites en Italie sur les luthiers célèbres (et elles sont assez nombreuses,
quoique d'une importance secondaire) s'occupent bien de Stradivarius,
cela va sans dire, mais non point d'une façon spéciale et personnelle en
ce qui le concerne. C'est à l'étranger que Stradivarius a trouvé des
historiens et des biographes. En France d'abord, avec la monographie
publiée par Fëtis à l'instigation de Vuillaume : Antoine Stradivari,
(1) Dans sa relation de voyage en Allemagne en 1772. Burney parle de ce certain
prince de Lobkowitz, renommé pour sa bonté, et qui était en' Angleterre, en 1735 et
1746 fort lié avec le fameux comte Saint-Germain qui Dt tant de bruit dans ce temps-
là non seulement par son talent sur le violon, mais par sa conduite mystérieuse et
son caractère équivoque. Ce prince, ajoute Burney, s'est à présent retiré du monde,
et ne veutpas voir ses connaissances ni même ses meilleurs amis pendant quelques
mois de suite. Il avait cultivé la musique, dont il avait poussé l'étude assez loin,
non seulemeut pour la bien juger et jouer de plusieurs instruments, mais pour com-
poser, ce qu'il faisait d'une manière supérieure. Sa nièce, la comtesse de Thun, me
donna plusieurs de ses pièces, qui avaient un grand mérite de nouveauté, particuliè-
rement un air pour deux orchestres, qu'aucun maître en Europe n'aurait désavoué. »
État présent de la musique, 11, 255. La comtesse de Thun nous est bien connue d'autre
part par la protection qu'elle accorda tour à tour à Haydn et à Mozart. Nous retrou-
vons ces nobles familles bohémiennes dans toute l'histoire de la musique au
_XVIII" siècle.
(2) Traduction française de M. Maurice Reynold, précédé d'une Introduction de
M. Camille Barrère, ambassadeur de France en Italie (Paris, Fischbacher, un vol.
in-4° avec superbes illustrations).
LE MÉNESTREL
83
luthier célèbre, connu sous le nom de Stradivarius (Paris, Vuillaume,
1856, in-8°). En Allemagne on a eu ensuite non une biographie pro-
prement dite, mais un travail intéressant de M. Cari Schulze sous ce
titre : St7-adivaris Geheimniss (le Secret de Stradivarius), publié à Berlin
en 1901. Enfin, voici venir en Angleterre un livre définitif sur le glo-
rieux luthier de Crémone, qui a été aussi célébré en vers de différentes
façons et en différentes langues : en français par Edmond Roche, en
anglais par l'anglais George Eliot, par l'américain Longfcllow, d'au-
tres encore (1).
Il faut dire que l'Angleterre s'est toujours montrée particulièrement
passionnée pour les chefs-d'œuvre de la lutherie, qu'elle a toujours
professé une grande admiration pour les grands luthiers italiens, et
qu'elle a manifesté cette admiration par des publications et des écrits
nombreux dont les uns et les autres étaient le sujet. Le beau livre de
George Hart sur le Violon, traduit en français par Alphonse Royer, est
fort bien fait, plein d'intérêt et d'une importance capitale; MM. Ilill
ont publié déjà, avant leur superbe étude sur Stradivarius, un ouvrage
intitulé Giovanni-Paolo Maggini, sa vie et ses œuvres. Davidson a
donné de son côté le Violon, traité théorique et pratique de sa construc-
tion (1801) (2). Et il existe à Londres divers journaux spécialement
consacrés à la lutherie; j'en ai connu un, entre autres qui, prenant
pour titre le nom môme abrégé de Stradivarius, s'intitulait theStracl (3).
En France on s'est aussi beaucoup et très sérieusement occupé de
lutherie depuis ces dernières années. L'ouvrage superbe d'Antoine
Vidal, les Instruments à archet (3 vol. in-i° avec 100 planches et por-
traits à Peau-forte de Frédéric Hillemacher), n'a d'analogue dans
aucune langue, et l'auteur l'a fait suivre d'un autre volume sur la Luthe-
rie. Mon vieil ami Auguste Tolbecque, outre deux brochures intéres-
santes, a publié récemment un excellent livre, très bien illustré aussi,
sur l'Art du luthier. Enfin, sans parler de l'ouvrage de Laurent Grillet,
les Ancêtres du violon et du violoncelle, qui n'est qu'une copie effrontée de
celui de Vidal, il faut mentionner les publications intéressantes de
Jules Gallay et de MM. Constant Pierre, Eugène de Bricqueville, Léon
Mordret, etc.
Le livre que j'annonce ici sur Antoine Stradivarius, qui se présente
dans des conditions matérielles d'une rare beauté, dignes du maitre
qui en est l'objet, est plein d'intérêt, non seulement par son sujet, mais
par la façon dont il est traité. Ses auteurs, fils et successeurs de feu
M. William Hill, l'un des plus importants négociants en instruments
de Londres, où ce commerce est très florissant par suite du grand
nombre d'amateurs qui existent en Angleterre, ont été élevés dans la
religion des beaux produits de l'ancieune lutherie italienne, qu'ils ont
étudiés professionnellement avec l'attention et le soin les plus scrupu-
leux, et surtout avec un véritable sentiment artistique. Leur critique
comparative est très serrée, non seulement des instruments de tel
maitre par rapport à tel autre, mais de ceux, quant à leur valeur rela-
tive, d'un même artiste selon les différentes phases de sa carrière. Et
quand cette carrière active s'est prolongée, comme il est arrivé pour
Stradivarius, pendant les trois quarts d'un siècle (Stradivarius est mort
à 93 ans et n'a cessé de travailler jusqu'à son dernier jour), on comprend
(1) L'atelier écnit vaste et calme. — Le vieux maitre
Aussitôt que le jour venait à reparaître,
Entrait, et, revêtant son tablier de peau,
S'asseyait gravement sur l'antique escabeau.
Il prenait un compas, mesurait une éclisse,
Frappait du doigt la table, ou du manche tigré
Caressait le contour. — Ou son œil inspiré,
Grandi parla recherche, aiïermi par les luttes,
Suivait complaisamment la courbe des volutes.
Puis, après ce moment de rêve, l'action
Reprenait. — Calme et sans préoccupation,
Le vieillard, pour finir son œuvre commencée,
Se hâtait de la main comme de la pensée.
Ce modeste savant, cet artiste accompli,
Dont le nom immortel a surmonté l'oubli,
Que le temps a grandi, que la gloire couronne,
C'était Stradivarius, le luthier de Crémone.
(Edmond Roche : Poésies Posthumes, avec préface de M. V. Sardou).
Edmond Roche était violoniste, et avait été élève d'Habeneck au Conservatoire.
(2) A signaler encore ; le Violon et les Luthiers, dictionnaire biographique des grands
artistes italiens, par Pearce ^1866); Musical noies, par Adye (1869) ; les Ancêtres du
Violon, par Heron-Allen (1882); Soles sur la construction du violon, par YV.-B. Coven-
try il902).
(3) George ilarth nous donne, entre autres, une preuve assez bizarre de l'admira-
tion, on pourrait dire de l'adoration de ses compatriotes pour Stradivarius : — « Les
habitants de Crémone, dit-il, se forment à peine une idée de l'entraînement que
nous ressentons pour leur illustre concitoyen. Ils s'étonneraient bien d'apprendre
que le nom de Stradivarius est le nom de baptême de plus d'un anglais. » (Le Violon,
p. 181.)
l'intérêt qui peut s'attacher à des remarques faite ; la plus
judicieuse et avec une expérien - L'appré-
ciation est très intéressante des produ le £ adivarius selon
les différentes époques de la longi p iodi u tvi i maitre, en ce
qu'elle nous met au fait des modificatio qu'il apportait dan-; su ma-
nière par suite de ses recherches in'' son désir d'atteindre
à la perfection absolue, désir grâce auquel il put enfanter un si grand
nombre de chefs-d'œuvre.
Quant à la partie historique de leur travail, rien n'a
les auteurs pour la rendre aussi exacte et aussi compli te
voyages en Italie, correspondance active, recherches de I
lations de toutes sortes et avec tous pays, rien n'ai
but, et l'on peut croire qu'il est atteint de la façon la plus heureuse.
L'existence de Stradivarius, tranquille et sédentaire, est d'ailleurs com-
plètement exempte de romanesque et sevrée de tout incident ; '-11" peul
se résumer en ces deux seuls mots: famille et travail. Né en 1644 a
Crémone, où il mourut aux derniers jours de 1737, Stradivarius entra
dès l'âge de douze ou quatorze ans, comme élève dan3 l'atelier de
Nicolo Amati, le plus fameux luthier d'alors, des lui uns duquel il sut
largement profiter tout en conservant sa personnalité el en se laissant
entraîner par son génie. Marié en 1007 avec une jeune veuve, sa ca-
dette de deux années, dont le mari s'était suicidé, il vit bientôt ses
affaires prospérer assez pour pouvoir, en 1680, acheter au prix de
7.000 lires impériales une maison sise sur la piazza San Domenico
(aujourd'hui piazza Roma), qu'il habita jusqu'à sa morl I i. lui 1698,
après trente et un ans de mariage, il perd sa femme, qui lui avail
donné cinq enfants. L'année suivante il se remarie, voit son ménage
s'augmenter encore de six enfants, perd sa seconde femme dans les
premiers jours de mars 1737 (elle avait 73 ans), et meurt lui-même de
vieillesse le 18 décembre de la même année.
Dans l'atelier de Nicolo Amati, Stradivarius se trouvait avoir pour
condisciples, avec Jérôme, le fils de celui-ci, Fraucesco Ruger, Giovau
Battista Rogeri et sans doute quelques autres. Les premiers instru-
ments signés de lui datent de 1060 et 1667. alors qu'il était encore chez
son maître, et ils sont conçus dans la forme d'Amati; ce n'est qu'un
peu plus tard qu'il conquerra son indépendance et affirmera sa person-
nalité, et c'est surtout entre 1670 et 1680 que son style commence à se
faire jour.
Une fois établi chez lui, peu de temps après son mariage, la période
de fécondité commence pour ne s'arrêter qu'à son dernier jour. Sait-on
combien, après de longues et consciencieuses recherches, on lui attri-
bue d'instruments ? plus de onze cents ! tant violons qu'altos et violon-
celles, sans compter quelques instruments de fantaisie (2 violes de
gambe, 2 guitares, 2 pochettes, et peut-être quelques luths et man-
dores), et sans compter encore ce qu'il laissa à sa mort dans son atelier,
soit 91 violons, 2 violoncelles, plusieurs altos et un quiutette d'instru-
ments incrustés. En dix ans. de 1000 à 1700, il produit 77 violons,
3 altos et 13 violoncelles; de 1700 à 1710, 98 violons. 2 altos et 5 vio-
loncelles; de 1710 à 1720, 125 violons et II violoncelles. La seule année
1709, la plus féconde, donne 21 violons et 1 violoncelle. Et quand on
songe à la qualité de tous ces instruments, à la perfection que leur
auteur avait atteinte, aux soins qu'il apportait à chacun, au génie dont
il y faisait preuve, on reste confondu d'une t jlle production.
MM. Hill nous apprennent que lorsqu'il devint très vieux. S
rius, qui avait bien la conscience de sa valeur et qui n'ignorait pas
que son nom était célèbre, eut la coquetterie de son aie et voulut s'en
faire gloire auprès du public, en l'indiquant sur ses étiquetti s,
de la date des instruments qu'il continuait de construire. C'est ainsi
qu'un violon de 1732 porte cette mention : fait à 89 ans: un autre, de
1733, à 91 ans; un violoncelle de 1736, d 92 ans: enfin, un violon de
1737, l'année de sa mort, à 93 ans!
Un certain nombre des violons de Stradivarius sont connus dans le
public spécial, sous un nom qui leur a été attribué et qu'ils doivent,
soit à une particularité quelconque, soit au nom même de l'artiste
célèbre ou de l'amateur auquel ils ont appartenu. On connaît ainsi,
d'une part le Messie, la Pueelle, le Sancy, te Dauphin, le Uédicis, le Tos-
can, puis le Violli, le Rode, le Vieuxtemps, l'Alard, le Eabeneck, enfin le
Betls, le l'arke, le Boissieu, Il lier. etc.
(I) Sur cetta maison, aujourd'hui reconstruite, le marbre
portant cotte inscription :
1. 1 s'élevait la maison ou
DIYA81
PORTA LE VIOLON AU PLUS II UT DEGRÉ DE LA rEnFE. TIOS
LÉGUANT AINSI A CREMONE
LE NOM IMPERISSABLE D'iN MAITRE SANS RIVAL
DANS SUN ART.
84
LE MENESTREL
On sait la manie de certains amateurs, surtout anglais, qui, par
simple gloriole, s'amusent à collectionner et à conserver chez eux de
beaux instruments, principalement des Stradivarius, qu'ils enferment
précieusement dans des vitrines et qui sont ainsi rendus inutiles. On
cite ainsi, entre autres, pour le passé, les noms des ducs de. Hamilton,
de Marlborough. de Cambridge, du comte de Falmouth, de lord Mac-
donald... Aujourd'hui on connait trois de ces amateurs, MM. Charles
Oldham, Brandt et le baron Knoop, qui sont en possession chacun
d'un quatuor de Stradivarius ainsi immobilisé. C'est la rage de ces
amateurs fortunés qui fait monter les prix des instruments d'une façon
fantastique et qui les rend inabordables pour les artistes en vue des-
quels ils ont pourtant été faits, qui sauraient en tirer parti pour leur
plus grande joie et celle du public, et qui ne peuvent pas disposer de
30, 40 ou 50.000 francs pour acquérir un bel instrument. MM. Hill,
qui sont peut-être un peu trop intéressés dans la question, s'expriment
ainsi à ce sujet : — « Tout récemment, quelques écrivains ont exprimé
avec une grande vivacité leurs sentiments pour et contre la formation
de collections de ce genre, et certes il y -a beaucoup à dire des deux
côtés. Quant à nous, les ravages causés par le temps, et surtout par la
maladresse, l'incurie dont tant de beaux instruments ont été victimes,
nous font préconiser les collectionneurs qui par leurs soins, leur res-
pect attentif, ont conservé, et conservent encore, pour la joie de la pos-
térité, quelques-uns des chefs-d'œuvre d'antan. »
Je ne vois pas trop l'avantage et le profit que la postérité pourra
tirer d'instruments parfaitement conservés et qui ne serviront à rien.
Ce qui est certain, c'est qu'un violon n'est pas comme un tableau, des-
tiné à être encadré pour être offert aux regards du public. C'est un
engin sonore, fait pour charmer les oreilles par la richesse et la beauté
des sons qu'il porte dans ses flancs, pour émouvoir l'âme grâce aux
accents pénétrants et passionnés que lui prête le talent d'un grand
artiste. A quoi sert-il de le conserver avec un soin si jaloux s'il doit
rester toujours inutile et muet? En fait, le violon est créé pour le vio-
loniste, et non pour l'amateur qui le capitonne tendrement et le tient
sous verre et sous clef, pour le montrer avec orgueil comme il montre
un beau chien ou un cheval de race.
Cette réflexion faite, et c'est la seule critique que j'adresserai au beau
livre de MM. Hill, je le recommande vigoureusement à tous ceux qui
aiment le violon, à tous ceux qui joignent à leur affection l'admiration
que mérite ce roi des instruments, dont la grâce, la noblesse et la
beauté extérieures accompagnent et complètent si heureusement les
incomparables qualités musicales. Et je n'ignore pas que ceux-là sont
nombreux.
Arthur Pougin.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts-Larcoureux. — Le Promèthée triomphait! de M. Reynaldo Hahn, sur
le poème de M. Paul Reboux, vient exactement à son heure; c'est la glorifi-
cation du travail dans les temps nouveaux. On se figure quel enthousiasme
pourrait soulever une œuvre aussi largement conçue et d'une aussi belle réali-
sation musicale, si les circonstances permettaient un jour de la faire entendre
dans une très vaste enceinte à l'occasion d'une solennité nationale. Le carac-
tère pathétique des successions musicales, partant au début de la tonalité d'ut
dièse mineur, produit une impression des plus vives; mais Promèthée, acca-
blé d'abord, se ressaisit en songeant aux hommes ses frères, et son espérance
en l'avenir est exprimée par le joli dessin rythmique répondant à la phrase
« Vous que j'illuminai de la céleste flamme... » Alors l'humanité s'éveille et
le titan crucifié tressaille :
Mon supplice est donc pris pour une apothéose,
Mon sang pour la pourpre d'un roi.
Et, de très loin, un chœur ravissant s'élève sur ces fraîches paroles :
Déjà, couronné d'or par l'aube à peine éclose
Ton front rayonne ! Gloire à toi !
Promèthée qui a donné le feu aux hommes, pressentant déjà leur victoire,
voit à ses pieds les dieux déchus. Ils viennent le supplier de restaurer leur
ancien culte en forçant de nouveau l'humanité à s'incliner devant leurs autels.
Vénus, Diane et Minerve, en un trio d'une grâce exquise, cherchent à le flé-
chir, mais il répond dédaigneusement :
Non, vous n'êtes pas l'harmonie,
Yous n'êtes pas la volupté,
Et l'on peut embellir la vie
Sans votre orgueilleuse beauté.
Les déesses pensent être plus heureuses en agissant isolément- chacune
d'elles cherche à séduire par le charme qui lui est propre. Minerve c'est
MUc Lapeyrette, dit un chant calme et noble, maintenu toujours dans le
timbre grave de la voix. Diane lui succède alerte et vive, sous les traits de
Mllc Heilbronner. Un orchestre où d'ingénieux dessins se succèdent l'accom-
pagne; il semble faire assaut avec la voix dans une petite cavalcade toute de
caprice et d'imprévu. Enfin Vénus met en œuvre tout l'attrait de. ses séduc-
tions. En écoutant Mlle Lindsay dire amoureusement ces jolis vers :
Dans un discret battement d'ailes, | Et mettais, comme une aube pure,
Sur le front des amants fidèles Le bleu flottant de ma ceinture
J'envoyais ma félicité, I A l'horizon des nuits d'été.
la salle entière a été saisie, et un frémissement d'admiration n'a pu se conte-
nir quand, sur les derniers mots, un délicieux arpège, qui commence au
grave et que les violons achèvent à l'aigu, s'est élevé doucement avec une
suave sonorité. Il est écrit dans une forme qui rappelle vaguement la succes-
sion des harmoniques constitutifs delà gamme, telle qu'on les obtient sur un
cor. en n'utilisant pas le mécanisme chromatique. Les pages d'une expression
pénétrante abondent dans la partition de M. Reynaldo Hahn, alternant avec
des passages humoristiques très curieusement imaginés. L'on ne peut man-
quer de remarquer sous ce rapport l'air de Mars, dont les sauts répétés de neu-
vièmes, de septièmes et de dixièmes nous font penser à un dieu pourvu de
bottes de sept lieues. Parmi les grotesques, Vulcain et ses cyclopes ne pou-
vaient être oubliés. Le tumultueux et amusant vacarme que fait l'orchestre
pour agrémenter leurs voix est une trouvaille des plus baroques, mais très
bien en situation. Tout redevient d'une sereine beauté à l'entrée du chant
magistral en fa majeur, sur lequel Promèthée signifie aux dieux son
refus. « Allez, maîtres déchus », s'écrie-t-il, et la scène s'achève en un superbe
monologue dans lequel M. Carhelly, servi par un solide organe et par l'inspi-
ration la plus élevée du compositeur, a montré d'éminentes qualités en l'art de
dire, avec les nuances justes, une musique dont choque note a sa signification
particulière. Dans le personnage de Jupiter, M. Delmas s'est montré, comme tou-
jours, artiste de premier ordre. Il était intéressant de comparer entre elles les
voix des deux artistes, l'un baryton et l'autre basse chantante; lutte courtoise
dans laquelle il y eut deux vainqueurs. Promèthée triomphant, se termine par un
chœur d'une énergie et d'une vigueur extrêmes, rehaussé par la variété des
rythmes d'accompagnement et le coloris parfois étincelant de l'instrumenta-
tion. Nous avons désigné déjà les principaux interprètes: il faut citer encore
MM. Chanoine-d'Avranches, Cerdan et Sardet, qui méritent bien de n'être
pas oubliés. L'orchestre, conduit avec autorité par M. Henri Rabaud, a été su-
perbe de cohésion et de puissance. Le public a fait un accueil enthousiaste à
l'œuvre de M. Reynaldo Hahn. L'a solide et magistrale structure de toutes les
parties qui la composent, et l'invention mélodique toujours soutenue qui
l'anime, ne pouvaient manquer de s'imposer à l'admiration. Vers le milieu,
les délicieux épisodes où se rencontrent les soli chantés par des voix fémi-
nines reposent l'esprit qui voudrait s'y attarder avec prédilection, mais l'unité
de l'ensemble en serait compromise et le maître nous entraîne avec un redou-
blement d'énergie vers la péroraison. L'intérêt ne faiblit jamais. Le concert
avait commencé par une excellente audition de la symphonie en ut mineur de
Beethoven et le prélude du Déluge de M. Saint Saêns, d'un sentiment si intime
et profond dans sa forme simple et pure. L'introduction du troisième acte de
rin a terminé la séance. Amédée Botjtarel.
— Concerts-Colonne. — L'anniversaire de la mort de Berlioz avait suggéré à
M. Colonne l'idée de grouper en un programme exclusivement consacré au
maitre français celles de ses œuvres qui furent directement inspirées de Sha-
kespeare. C'est ainsi que nous avons eu l'ouverture du Roi Lear, œuvre de
jeunesse, mais qui contient plus que des espérances; une importante sélection
de Roméo et Juliette (scène d'amour, strophes où triompha le beau contralto de
Mml? Judith Lassalle, scherzo de la Reine Mab, scherzetlo chanté d'exquise manière
parM. Mauguière et les chœurs et qui fut hissé, Fêle clie: Capulet) : puis laFan-
taisie sur la Tempête pour chœur, orchestre et piano à 4 mains dont l'intérêt ne
masque pas assez la longueur, mais où Berlioz utilise un piano à 4 mains
comme partie orchestrale, de très heureuse manière ; les voix conjuguées de
Mmes Maud Herlem, au timbre vibrant et clair, et Judith Lassalle détaillèrent
de façon à ravir tout l'auditoire du Chàtelet l'expressif et sentimental duo de
Béatrice et Bénédict: et la séance prit fin avec le chœur pour voix de femmes,
assez anodin, sur la mort d'Ophélie et la Marche funèbre })Our la dernière scène
il Hamlet, qui est une page assez peu connue, mais grandiose en sa morne
splendeur tragique, impressionnante intensément avec sa psalmodie plain-
tive des voix éloignées et sa longue progression aboutissant à un feu de salve.
C'est là du Berlioz de la bonne veine, qui devrait figurer souvent au réper-
toire de nos grands orchestres. Tout ce programme fut dirigé par M. Colonne
et exécuté pir ses musiciens avec une belle ardeur romantique.
J. Jesiain.
— Programmes des concerts de demain dimanche :
Conservatoire : Relâche.
Chàtelet, concert Colonne: Ouverture du Roi d'Ys (Lalo). — Symphonie inachevée
(Schubert). — Fragments de la Nuit de Noël (Rimsky-Korsakoff), chantés par M"» de
Wieniawski. — Ballade (Gabriel Fauré), par M. Alfred Cortot. — Rapsodie espagnole
(Maurice Ravel). — Deux mélodies (Rimsky-KorsakofT;, par M"" de Wieniawski. —
Variations symplwniques (César Franck), par M. Alfred Cortot. —Marche de Tannhau-
ser (R. Wagner).
Salle Gaveau, concert Lamoureux, sous la direction de M. André Messager : Ou-
verture de Fidélio (Beethoven). — Anlàr (Rimsky-KorsakofT). — Prélude du 4° acte
de la Catalane (Le Borne). — Scène finale du Crépuscule des Dieux (R. Wagner), avec
le concours de M"" Kaschowska. — Prélude du 3" acte de Tristan et Yseult
(R. Wagner). — Ouverture des Maîtres Chanteurs (R. Wagner).
— Une partie du programme du Concert de Léry de dimanche était consa-
crée aux œuvres de M. Gabriel Fauré qui a tenu à présenter lui-même au
LE MÉNESTREL
83
public une très intéressante et remarquable jeune virtuose sortie cette année
même avec un beau premier prix de la classe de M. I. Philipp : M"° Gella
Delavrancea, interprète parfaite de ce délicat chef-d'œuvre la Ballade (op. 19).
M"0 Delavrancea a dit, en plus, avec une sonorité prenante, un stylo person-
nel, une technique très pure le noble Nocturne en mi bémol. Son succès a
été extrêmement brillant. On a redemandé la délicieuse « romance o jouée
avec art par M. Mendels, et M. Fauré a dirigé, pour terminer, sa musique
pour Pelléas, si expressive, si fine, si émouvante. — Dans la première partie
du concert, M. de Léry avait fait entendre la Symphonie la Heine de Haydn,
Euryanthe de Weber, et la pittoresque Rajisadie Norvégienne de Lalo, et
M"10 di Marco a chanté avec talent un air de Haendel et In Calandrina de
Jomelli.
— La dixième et dernière matinée Daubé au théâtre du Gymnase a eu lieu
mercredi. Programme très varié, et cependant d'une excellente tenue artis-
tique, justifiant une fois de plus le caractère populaire et éducateur de ces
intéressantes matinées musicales qui voient clore leur huitième année d'exis-
tence. Ce fut d'abord Mmc Mellot-Joubert. dont la voix pure, le style parfait
mirent en valeur de charmantes mélodies de M. Paul Rougnon et Charles
Lefebvre accompagnées par les auteurs. Du même M. Lefebvre on avait ap-
plaudi, à l'ouverture de la séance, un quintette pour piano et instruments à
cordes du plus bel effet, excellemment joué par le jeune pianiste Paul Gay-
raud (dont on a apprécié ensuite la technique brillante dans la MéphistoVa Ise
de Liszt) et MM. Soudant, de Bruyne, Migard et Bedetti. Le quatuor Soudant
fît encore entendre la jolie Sérénade de Mozart, VEymne Autrichien d'Haydn, et
M. Migard interpréta, avec sa maîtrise coutumière, une agréable fantaisie
pour alto, accompagnée au piano par l'auteur M. P. Rougnon. M. Brémont
déclama, avec l'art consommé qui le distingue, deux poésies de MmL- de Faye-
Jozin, d'un charmant sentiment, une Pastorale avec flûte par M. Puyans, Sur
un vieux cadran solaire avec quatuor, mises en musique par le poète lui-même
qui tenait la partie de piano. La seconde adaptation fut bissée. Enfin le qua-
tuor de harpes chromatiques (Mme Tassu-Spencer, Mlles R. L'énars, Labatut
et Chalot), donna une exécution parfaite de pièces transcrites de Grieg aux-
quelles le public, charmé, fit ajouter un Menuet de Mozart. — Ainsi prit fin
cette nouvelle série de matinées artistiques, dont il convient de féliciter
M. Jemain, qui les organisa, et ses dévoués partenaires, MM. Soudant, de
Bruyne, Migard et Bedetti.
— Poursuivant ses captivantes reconstitutions archaïques, M. Charles
Bouvet, en la troisième séance de la Fondation Bach chez Pleyel, a donné
une sélection avisée des concertos pour trois et quatre violons aux XVHe et
XVIIIe siècles. Très bien secondé par M. et Mmi- G. Wagner, MM. Jemain,
Gravrand, Bleuzet et Mmc Laloy-Babaïan, le distingué violoniste exécuta des
œuvres fort remarquables de Léo et Vilvaldi, les unes avec piano, les autres
avec orchestre à cordes. — Une suite française du XVIIe siècle (auteur in-
connu, version J. Ecorcheville). que dirigea aussi M. Julien Tiersot, complé-
tait le programme que le talent délicat, la voix pure de Mme Jane Arger (air
de Bach : « O flammes cruelles ! » avec hautbois, Giasone de Cavalli et Pastorale
de Couperin) diversifia fort agréablement.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour les seuls abonnés a la musique)
Le nouveau billet de Paul Vidal, Zino-Zina, est à peine publié que les scènes de
France et d'Allemagne s'en emparent déjà avec empressement, tant la partition en
est fraîche et bien venue. Nos orchestres aussi en recherchent les « suites symphoni-
ques », et partout on en bisse surtout la jolie Gavotte que nous offrons aujourd'hui à
nos abonnés. Ni Rameau, ni Lulli n'ont rien écrit de plus fin et de plus délicat.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Dans l'après-midi du S mars dernier, le théâtre de la Cour, à Meiningen
a été la proie des flammes. On devait jouer le soir la Fiancée de Messine, de
Schiller. La répétition du matin avait fini vers une heure et quart. Presque
aussitôt après, on vit filtrer à travers les jointures de toutes les portes et fenê-
tres d'épais nuages de fumée. L'alarme fut aussitôt donnée, mais le feu
sévissait avec une grande intensité, précisément sous la garde-robe des artistes,
ayant probablement pris naissance dans les sous-sols où se trouvent les
appareils de chauffage. Qjelques vêtements ou costumes ont pu être sauvés.
On est parvenu aussi à déménager la plus grande partie de la bibliothèque et
à mettre à l'abri des ouvrages précieux, grâce à la rapidité avec laquelle une
partie du 32e régiment d'infanterie est accourue sur le lieu du sinistre. Toute-
fois, deux beaux pianos à queue, dont l'un était estimé six mille francs, ont
été détruits, leur poids et leurs dimensions n'ayant pas permis d'en essayer le
sauvetage. A cinq heures, tout l'intérieur du théâtre était consumé. Les bâti-
ments brûlaient encore à sept heures. Le duc de Meiningen avait quitté sa
résidence depuis quelques jours et se trouvait au Cap-Martin. Les dégâts maté-
riels seront couverts par les compagnies d'assurances. — Le théâtre qui dis-
parait avait été construiten 1830-1831 par le duc Bernhard : il fut inauguré le
17 décembre 1831, dixième anniversaire de on couronnement, par une repré-
sentation de l'ra Diavolo. La troupe, comprenant un il.nl.!- pei
et de drame, était sous la direction privée d'un nommé Bethmann. Les direc-
teurs changèrent souvent jusqu'en 18G0, époque à partir de laquelle lu i
doté d'une subvention, fut placé sous le haut protectorat du Duc. avec un
intendant à sa tête. Après l'avènement de Georges H. 20 septembre Is
troupe des Meininger acquit la grande célébrité qu'elle a toujours cor.
depuis. Le prince, qui avait longtemps pratiqué la peinture, et avec un talent
qui fit dire à Wilhelm Kaulbach : « S'il n'était pas né prince, il serait d
un plus grand peintre que moi », s'adonna cœur et àme aux choses théâtrales
et contracta en 1873 une alliance morganatique avec une des actrices les plus
remarquables de sa troupe, Hélène Franz, qu'il fit baronne de Heldburg. On a
célébré le 2 avril 19013, à Meiningen, le quatre-vingtième anniversaire de sa
naissance. La troupe des Meininger a commencé à faire des tournées en 1874.
Dans les dix-sept années qui suivirent, elle en fit quatre vingt-une dans
trente-huit villes : vingt en Allemagne, deux en Hollande, cinq en Bussie,
cinq en Autriche, deux en Belgique et une en Suisse, Angleterre, Danemark
et Suède. Ces tournées prirent fin en 1S90, abolies par une ordonnance du
prince.
— A la suite de l'incendie du théâtre grand-ducal de Meiningen, le duc
Georges a décidé que, jusqu'à la fin de la saison d'hiver, la troupe des Mei-
ninger ferait des tournées. Quoi qu'en aient dit plusieurs journaux, aucune déter-
mination n'a encore été prise quanta la reconstruction des bâtiments détruits.
La cause exacte du sinistre n'a pu être encore déterminée d'une façon
précise.
— La mesure qu'a prise U direction du Conservatoire de Vienne contre
M. Feruccio Busoni, en le relevant de ses fonctions comme professeur de
piano, aura cette conséquence, un peu inattendue peut-être, qu'un certain
nombre des élèves de l'éminent pianiste, qui l'avaient suivi de Berlin à
Vienne, vont quitter le Conservatoire en même temps que leur professeur, ou
du moins en ont témoigné l'intention en protestant contre la décision qui les
prive de l'enseignement qu'ils aimaient. Leur attitude et les démarches qu'ils
ont faites dans le but de manifester publiquement leur estime et leur atta-
chement pour M. Busoni ne semblent pas devoir produire le résultat désiré
puisque le poste rendu vacant a déjà été attribué à M. Godowsky, ainsi que
nous l'avons annencé.
— On écrit de Vienne que le ministère de l'instruction publique et des
cultes vient d'établir, pour les élèves qui fréquentent les cours de composi-
tion dans toutes les écoles de musique d'Autriche et de Hongrie, deux prix
d'Etat de mille couronnes chacun.
— D'après une communication faite par voie d'afUcbe par l'Intendance des
théâtres royaux de Berlin, M. Félix Weingarlner aurait rompu le contrat qui
l'engageait avec cette administration théâtrale pour la direction des concerts
de l'Opéra-Royal, sous prétexte qu'un arriéré pécuniaire, qu'il considérait
comme lui étant dû, n'avait pas été payé. L'affiche ajoutait qu'un procès serait
fait à l'artiste el que, les concerts symphoniques ne devant plus être dirigés
par lui, le prochain serait conduit par M. Ernest von Schucb, de Dresde.
M. Weingarlner, à qui une somme de 16.000 francs, payable par mensualités,
était allouée comme honoraires pour les dix concerts de la saison, n'ayant
pas été payé le 31 janvier, a adressé une réclamation à l'Intendance le 19 fé-
vrier suivant. N'ayant point reçu de réponse, il a écrit de nouveau le ±\ lé-
vrier, déclarant qu'il considérait comme rompu l'engagement contracté. De
son coté, l'Intendance estime que M. Weingartner n'ayant pas dirigé de
concert en janvier, il ne lui était point du d'honoraires pour ce mois. Les
choses en sont là et s'arrangeront peut-être à l'amiable. Il faut du moins
l'espérer.
— Voici quelques renseignements précis sur Eleklra. Ils ont été commu-
niqués par M. Richard Strauss lui-même, pour couper court à de fausses nou-
velles qui avaient circulé. La partition sera terminée au plus tùt à la fin de
1908. La première représentation aura lieu vraisemblablement à Dresde, au
commencement de 1909. Aussitôt après, l'œuvre sera donnée à Munich, ville
natale du compositeur qui espère venir l'y diriger lui-même. M. Richard
Strauss écrit ta musique sur le texte même du poète Hugo von Hoffmanns-
thal, mais il a fait de très nombreuses coupures dans ce texte. Eleklra sera en
un acte comme Salomé et aura la même durée. Elle comprendra en tout neuf
scènes. Le rôle d'Elektra est pour soprano, celui de la reine pour mezzo-so-
prano, celui d'Oreste pour baryton et celui d'Egisthe pour ténor.
— Dans le cours de cette année, si nous en croyons le « Standard », un
théâtre anglais sera fondé à Berlin. On y jouerait des pièces d'auteurs britan-
niques, morts ou vivants. On ne dit pas dans quel local auront lieu les repré-
sentations.
— D'après le Berlin?!- Tageblatt, M. Hans Gregor, le directeur de l'Opéra-
Comique de Berlin, dont l'intelligence et l'esprit d'initiative se sont si sou-
vent affirmés, aurait l'intention de fonder à Berlin un grand théâtre sur
lequel on pourrait faire entendre le même répertoire qu'à l'Opéra-Royal-.
— A la suite des incidents suscités par les musiciens de l'orchestre Kaim
rie Munich et dont nous avons parlé il y a quelques semaines, le comité musi-
cal de l'Exposition qui doit avoir lieu cette année à Munich a donné sa démis-
sion. Il comprenait parmi ses membres, entre autres notabilités, MM. !
Mottl, Siegmund von Hausegger et Max Schillings.
86
LE MENESTREL
— La grande artiste, Pauline Lucea, qui vient de mourir, a été l'une des
cantatrices au talent le plus souple que l'on ait vues au théâtre. Elle fut, dans
la vie privée, une personnalité féminine entièrement aimable et gracieuse.
Belle comme interprète de Meyerbeer, elle était adorable dans Mignon. Le
chef-d'œuvre d'Ambroise Thomas eut en elle une fervente admiratrice ; elle
le chanta beaucoup à Londres et en fit un de ses opéras de prédilection en
Allemagne. Plus tard, elle adopta aussi Carmen et beaucoup ont assuré n'avoir
jamais entendu chanter cet ouvrage d'une façon aussi saisissante que par elle.
Pauline Lucca exerçait une sorte de séduction par sa bonne humeur franche
et cordiale. On trouvait très piquant de l'entendre parler en dialecte viennois.
Un jour de l'année 1SS6, peu de temps après la bataille de Sadowa, l'empereur
Guillaume étant venu la saluer sur la scène de l'Opéra de Berlin, reçut d'elle
cette répartie faite précisément en ce dialecte : « Oh '. Majesté, comme vous
avez vilainement maltraité mes compatriotes ! » L'empereur se mit à rire et
continua de s'entretenir familièrement avec la jeune femme qu'il intimidait si
peu. L'histoire du portrait de Pauline Lucca avec Bismarck à ses côtés, que
nous avons racontée au mois d'août dernier, a fait le tour de la presse. La
cantatrice est représentée avec une ample jupe soutenue par la crinoline de
rigueur à l'époque impériale ; la figure vue de trois quarts est fort jolie et le
bras droit tient une petite ombrelle. Bismarck est de profil, le visage tourné
vers sa belle compagne. Cette photographie fut faite à Ischl en 1865. Pauline
Lucca avait parmi ses faiblesses celle de se croire un éminent cordon bleu.
Lorsque l'on critiquait son chant, cela l'impressionnait fort peu, car elle était
sûre d'elle-même; mais si l'on mettait en question ses capacités de maîtresse
de maison sachant au besoin préparer elle-même un repas, alors elle devenait
inflammable comme la poudre; un rien la jetait dans des exaspérations d'en-
fant. Ses amis s'avisèrent un jour d'exploiter à ses dépens ce petit travers.
Elle en avait invité à diner quelques-uns en signant ses lettres « Baronne de
Wallhofen » comme c'était son habitude, et elle avait déployé à cette occasion
tous ses talents culinaires. Les convives s'étaient donné le mot. On se met à
table. Le premier service est apporté, chacun mange et se tait. Après le se-
cond, nul ne dit un mot sur l'excellence des mets. Le troisième service suc-
cède aux deux premiers et le silence est encore plus profond qu'auparavant ;
on se serait cru dans un sépulcre. C'en était trop. Pauline Lucca se lève,
comme mue par un ressort, et. ne pouvant plus contenir sa fureur, éclate en
invectives contre ces invités qui engloutissent les meilleures choses comme si
c'était une pitance faite pour nourrir des oisons. Un éclat de rire homérique
accueille aussitôt cette sortie. Surprise d'une attitude aussi singulière, la can^
tatrice regarde un à un tous ses hôtes, finit par comprendre la situation et se
livre elle-même à un rire inextinguible. On devine combien la fin du dîner fut
joyeuse et si les louanges manquèrent dans la bouche des convives pour ap-
précier en véritables gourmets tous les plats. Les scènes de ce genre n'étaient
point rares chez Pauline Lucca. Son caractère enjoué, son entrain extraordi-
naire semblaient répandre la joie autour d'elle. A diverses époques pourtant,
elle connut la tristesse, et, pendant les vingt années qui précédèrent sa mort,
la maladie lui rendit parfois l'existence bien amère. Elle reprenait courage
après les périodes pénibles. On raconte qu'elle chanta pour la dernière fois le
30 octobre 1899, jour de la mort de son mari, le baron de Wallhofen. Il avait
désiré l'entendre encore une fois. Elle dit quelques morceaux de son réper-
toire, et ajouta, pour finir, une élégie universellement connue en Allemagne
sous le titre Jour des Morts et commençant par ces mots : «Still auf den Tisch,
die diiflenden Reseden » (Calmes sur la table, les résédas odorants...). Au
milieu de son chant, la cantatrice éclata en sanglots et ne put l'achever qu'en
entrecoupant chaque mot de ses larmes. Depuis, cette voix qui avait enchanté
les foules se tut pour toujours.
On a installé depuis quelque temps au théâtre de la Cour, à Stuttgart, un
appareil ozonateur destiné à rendre l'air plus respirable en lui conservant un
état de pureté aussi complet que possible. L'expérience, maintenue dans de
justes limites, car l'air trop chargé de gaz prend une odeur de phosphore, a
donné des résultats satisfaisants. Les chanteurs ont trouvé, parait-il, que le
mélange de l'ozone à l'atmosphère facilite l'émission de la voix. Quant au
public, on a déjà essayé de lui faire envisager le théâtre où fonctionne l'appa-
reil comme un sanatorium où il pourra trouver un repos très hygiénique
pour le corps, en même temps que des délassements pour l'esprit. Certains
médecins ont approuvé ces essais sur lesquels nul ne peut se prononcer défi-
nitivement encore.
— De Cobourg : D'après une dépêche de M. Siegfried Wagner, Mme Cosima
"Wagner serait tombée gravement malade à Santa Margherita (Riviera di
Levante) et son étal inspirerait des inquiétudes. La veuve de Richard Wagner
villégiature à Santa Margherita depuis le commencement de février. On se
rappelle qu'en décembre 1900, Mmc Cosima Wagner eut, au château de Lan-
«enburg. une première attaque qui a mis ses jours en danger. Au mois d'oc-
tobre dernier, il s'est produit une deuxième attaque, de beaucoup moins
violente que la première et dont toute trace avait disparu le 23 décembre der-
nii-r. "ù M" Cosima Wagner a célébré le 70' anniversaire de sa naissance
dans un état de santé excellent.
Cest avec une sorte d'enthousiasme qu'a été accueillie, à Budapest, la
première représentation, attendue avec curiosité, i'Eliane, opéra dû à l'un des
doyens des compositeurs hongrois, M. Edmond Mihalovich. Le sujet, tiré du
cycle de nos légendes du moyen ège, sans être très dramatique, a Eéanmoins
inspiré le compositeur de la façon la plus heureuse, et lui a permis d'écrire
une musique d'une forme solide et superbe, en même temps que d'une rare
originalité. L'effet a été immense, et le succès s'est traduit par trente rappels
à l'auteur.
— Le poète d'Annunzio prépare en ce moment une trilogie historique pour
la scène. Cette trilogie est destinée aux fêtes de 1911. La première partie, por-
tant le titre « Le Roi Numa », décrit la Rome des Rois; la deuxième, Rome-
République, et la troisième, la Rome-Impériale, sera intitulée : « Néron ».
— La Société du Quartetto de Milan vient de donner un concert exclusive-
ment composé d'oeuvres de M. Gabriel Faurë. Très gros succès pour les
œuvres si finement musicales du maître français et notamment pour la mélo-
die, le Don silencieux, qu'on a bissée d'acclamation.
— On a donné avec beaucoup de succès, au théâtre Carlo-Felice de Gènes,
un opéra intitulé Eidelberga mia, dont M. Alberta Colantuoni a tiré le livret
du drame de M. Meyer-Fœrster, Viel Heidelberg, et dont la musique a été
écrite par M. Usaldo Pacchierotti. On dit cette musique fort élégante, em-
preinte tour à tour de gaîté et de mélancolie, parfois d'une expression pro-
fonde, comme il convient au sujet, d'une forme très moderne, avec un
orchestre brillant et coloré. L'œuvre a été soutenue d'ailleurs par une inter-
prétation excellente, qui comprend les noms de Mmes Mathilde Biuschini,
Marenzi, Algos et de MM. Palet, Quercia, Cappa, Checci, Federici, Foglia,
Sdssa et Ceriani.
— Nous avons fait connaître la représentation à Gênes d'un opéra intitulé
Tradita, paroles et musique de M. Camellini, en relatant l'opinion d'un de nos
confrères italiens, disant qu'il y avait dans cet ouvrage plus de musique de
Donizetti, de Bellini, de Verdi et de Rossini que de l'auteur. Un autre nous
apprend aujourd'hui que le spectacle a été empreint d'une forte dose d'origi-
nalité. « Rarement, dit-il, il arrivera d'assister à une première — et unique —
représentation comme celle de Tradita. J'ai dit assister, mais ce n'est pas le
mot propre ; car le public, nombreux et de bonne humeur, n'a pas vraiment
assisté au spectacle, il en est devenu partie intégrante, chantant avec les ar-
tistes presque tout l'opéra. C'est la première fois que le public émeute et com-
pose, et le fait mérite une mention dans l'histoire du théâtre. Ce qui est vrai,
c'est que pendant le cours de trois actes l'auteur a fait défiler devant nos...
oreilles, quoique pourtant assez détérioré, tout notre répertoire lyrique de
]S"20 à 1860 et au delà. D'abord, ne comprenant pas, le public a commencé à
siffler, mais ensuite, familiarisé avec l'idée (ou les idées) de l'autour, il s'est
mis à chanter la Tradita avec les acteurs. Admirable communion de sympa-
thie. Toutefois, à la fin, et le rideau tombé sur le dernier acte, l'inexorable
sifflet, le sifflet vengeur a repris ses droits, et s'en est donné à cœur joie ».
— Le théâtre de la Renaissance, à Liège, a donné le 7 mars la première
représentation de la Malonita, opérette en trois actes, paroles de MM. Léon
Rabbe et Paul Monconsin, musique de M. Marius Lambert, qui a été chaleu-
reusement accueillie.
— Une nouvelle assez singulière. Aucun directeur français ou belge ne
s'étant présenté pour prendre l'an prochain la direction du Grand-Théâtre de
Gand, M. Castellano, directeur de la troupe italienne qui a parcouru la Bel-
gique, il y a trois ans, seul candidat, a obtenu la concession. Gand aura donc
une troupe italienne.
— Le Grand-Théâtre de Genève a représenté tout récemment un opéra nou-
veau, le Nain du Hasli, paroles de MM. Baud-Bovy et Henri Cain, musique
de M. Gustave Doret. La partition est, dit-on, charmante et d'une très heu-
reuse couleur.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
La soixantième représentation à'Àriane à l'Opéra eut son incident. Voici
qu'au dernier moment Mlle Féart, subitement grippée, se vit dans l'impossibi-
lité de chanter le rôle de Phèdre. Avec la plus charmante bonne grâce,
Mlte Louise Grandjean, bien que son engagement avec la nouvelle direction
de l'Opéra n'eût pas encore commencé, accepta de remplacer sa camarade. On
sait avec quel art et quel magnifique talent Mllc Louise Grandjean avait créé
le rôle; elle y a retrouvé l'éclatant succès de la première représentation; pen-
dant toute la soirée, elle a été très fêtée par un public ravi de son admirable
interprétation autant que de son dévouement souriant à l'Opéra et à l'œuvre
de MM. Catulle Mendès et Massenet. Que cette aimable manière d'agir change
agréablement des procédés aigres et bizarres en usage chez certaines de nos
« étoiles » du chant qui, uniquement préoccupées de leur intérêt person-
nel et de leur gloire déclinante, pensent si peu aux obligations morales et
aux responsabilités qu'elles ont prises vis-à-vis d'eeuvres qui servirent pour-
tant à leur réputation ! Espérons que les futurs auteurs de Bacchus, suite
à'Ariane, sauront s'en souvenir. — Le même soir on a applaudi furieusement
à la réapparition de Mlle Luey Arbell dans Perséphone. Que de rappels au mi-
lieu des « roses » !
— Excellente nouvelle pour l'Opéra. Le remarquable baryton Renaud vient
d'y signer pour une série de représentations de Tannhâuser, Rigolelto et Bam-
lel. Mlle Mary Garden, de retour d'Amérique après les triomphes que nous
avons enregistrés dans Thaïs et Louise, chantera sans doute avec M. Renaud.
Serait-elle Ophélie? — Les débuts de M"" Brozia dans Rigolelto sont fixés au
23 mars, et le même soir on donnera ,1a reprise du ballet Xamouna.
— Concours d'un décor pour l'Opéra: Sur la demande de nombreux artistes,
la direction de l'Opéra, qui met au concours le décor du quatrième acte de
Samson et Dalila (scène du Temple), fait savoir que la remise des maquettes de
LE MÉNESTREL
87
ce concours se fera au Grand-Palais, porte B, au siège de la Société natio-
nale des beaux-arts, dans la journée du 1er mai, et non dans celle du 27 mars,
ainsi que cela avait été précédemment annoncé. Ces maquettes figureront au
salon de la Société nationale des beaux-arts, dont le comité désignera le lau-
réat qui recevra une prime de bOû francs et aussi la commande, aux frais de
la direclion de l'Opéra, s'il offre les garanties de pratique nécessaires.
— Dans le courant de la semaine prochaine on reprendra à l'Opéra-Co-
mique l'Ariane et Barbe-Bleue de M. Dukas avec tous les créateurs, M"1C Geor-
gettc Leblanc et M. Vieuille en tète. — Spectacles de dimanche : en matinée,
Galathée el Werther] le soir, Cavalleria rusticana et Madame Butterfly. Lundi, en
représentation populaire à prix réduits : Mignon.
— Le comité de la Société des compositeurs de musique avait à nommer,
dans sa dernière séance, son président, en remplacement du regretté Georges
Pfeifl'er. C'est M. Alexandre Guilmant, l'un des vice-présidents, qui a été élu.
Par ce fait, un vice-président se trouvant à élire en remplacement de
M. Guilmant pour compléter le bureau, le choix du comité s'est porté sur
M. Jules Mouquet.
— L'assemblée générale annuelle de l'Association mutuelle des secrétaires
généraux des théâtres et concerts de France a eu lieu au foyer du public des
Variétés, mis gracieusement à la disposition de l'Association par M. Fernand
Samuel. Après lecture des rapports annuels, il a été procédé aux élections. Le
comité, pour l'exercice 1908-1909, a été ainsi constitué : Présidentd'honneur:
M. Georges Boyer; président : M. Jules Brasseur; vice-présidents : MM. Du-
b'erry et Edmond Stoullig: secrétaire général : M. Charles Akar; secrétaire-
trésorier : M. P. François : secrétaire du comité : M. P. Bréban ; membres :
MM. Fursy, Deglise, Fernand Lefebvre et Camille Malacan. L'Association a
décidé de donner, -au Trocadéro, le jeudi 30 avril, une grande matinée au béné-
fice de sa caisse de retraites ; il paraîtrait que le programme de cette repré-
sentation nous promet d'inédites surprises.
— Une vente aux enchères, intéressante et curieuse, aura lieu à l'Hôtel
Drouot les jeudi 19 et vendredi "20 mars, qui attirera certainement un grand
nombre d'amateurs. C'est la vente, après décès, des collections de M. Arthur
Maury, qui donna un si grand élan au commerce des timbres-poste. M. Maury
était lui-même un amateur très curieux et averti, qui avait porté ses efforts
de divers cotés, comme on peut le voir par l'intéressant catalogue illustré de
sa vente. Nous n'avons pas à parler ici de ses collections militaires (armes,
coiffures, harnachements, drapeaux, emblèmes), mais nous pouvons signaler
tout ce qui a trait aux marionnettes, spécialité particulièrement chère à
M. Maury, et qu'il avait réussi à rendre très riche. Il avait eu la bonne for-
tune d'acquérir tout le matériel de l'ancien et célèbre théâtre d'ombres chi-
noises de Séraphin, dont un grave magistrat a publié à Lyon, en 1875, sous
le couvert de l'anonyme, avec les beaux types de l'imprimeur Scheuring, une
histoire abondamment illustrée. M. Maury avait exhibé tout ce matériel vrai-
ment curieux à l'Exposition universelle de 1S89, et notre collaborateur Arthur
Pougin en avait longuement rendu compte ici-même. Depuis lors, il avait
encore enrichi sa riche collection de marionnettes ; il avait même eu l'idée
de faire revivre l'ancien théâtre de Séraphin,et, il y a une dizaine d'années, il
l'avait en effet ressuscité dans la petite salle du passage de l'Opéra ; mais le
gcùt n'y était plus, et l'entreprise dura quelques jours à peine pour s'éteindre
dans l'indifférence. Ce n'était pas seulement les poupées, ce n'était pas seule-
ment les décors du théâtre Séraphin qu'il avait pu recueillir : il avait trouvé
aussi un portrait au pastel de ce grand homme méconnu, une maquette du
rideau du théâtre, nombre de manuscrits des pièces représentées (de Guille-
min, de Dorvigny, d'Amédée Noizette et autres), des recueils, manuscrits
aussi, d'airs de danse et de chansons de Mozin « chef d'orchestre », du théâtre,
enfin des affiches, des « billets de faveur », et jusqu'au brevet sur parchemin,
daté du 22 avril 1784, permettant au « sieur Séraphin d'établir un spectacle
d'ombres chinoises ». Mais la collection Arthur Maury comprenait encore des
centaines et des centaines de marionnettes de toutes sortes, marionnettes des
théâtres des foires Saint-Germain et Saint-Laurent, du Guignol Lyonnais,
pupaz-zi et buratlini italiens, silhouettes en métal découpé chinoises, siamoi-
ses, javanaises, turques, poupées de tout genre et de tous pays, et jusqu'à des
silhouettes de Willette provenant du Chat noir, de burlesque mémoire. C'est
tout un coté du théâtre intime qui passe sous nos yeux et qui va disparaître
au veut des enchères, de ce théâtre évidemment sans importance artistique
ou littéraire, mais qui lient sa place, et une place à part, dans l'histoire de
la civilisation.
— Comment Wagner est mort. A propos du 2b" anniversaire de la mort de
Wagner, la Revue musicale de Lyon publie ce récit curieux des derniers jours
du maître à Venise et de sa fin foudroyante :
Le 15 septembre 1882, la famille Wagner arrivant à Venise, s'installait dans le
magnifique palais Vendramin (loué au duc délia Grazia, Dis de la duchesse de Beri'y)_
Le maître venait, au grand repos de Venise, fortifier ses forces déclinantes, calmer
ses pressentiments attristés, apaiser ses angoisses fréquentes, dans la tranquillité
absolue et la dour-e vie familiale. Très entouré et soigné par sa femme Cosima, par
sa belle-Ulle Daniela von Biilovv, ses filles Eva et Isolde, amusé par son fils adoré
Siegfried, rejoint bientôt par l'admirable ami, devenu beau-père, le noble, excellent
Liszt, Wagner, heureux, calmé, reprenait meilleure mine et, avec un entrain gran-
dissant, travaillait à son drame les Pénitents ou les Vainqueurs, d'inspiration boud-
dhique. Chaque jour, les promeneurs de la place Saint-Marc voyaient arriver l'illustre
vieillard enveloppé dans son vaste pardessus, avec le fameux béret de velours noir
sur la tête, venant s'asseoir au café Lavena; près de lui, Cosima, l'épouse bien-
aimée, très grande, très maigre, aux yeux si beaux, si lumineux de pensées; leurs
deux filles blondes, très blondes, Dncs i dans sa
quatorzième année. Là, paisib e, . mine,
avec Liszt, des amis, souriait à ses enfants -• ■
ramiers familiers.
C'était toujours au Tramonto, lorsque les llumi-
neni inuie la Basilique : alors - maiti par la
vision unique, splendide, des mosaïques en Qammi - où 'or, subi
ruisselle ; leur fulgurant rayonnement embrase I i | ,
auréolaient déjà les cheveux blam - du viei ard. - Pi
de Lavena I
Pendant quatre mois, celte chère intimité familiale remplit Ve tbique
bienveillance; tous les -promeneurs connaissaient e( saluaient Wi
santé raffermie, la bonne humeur, les longues el quotidii nnes liaient
éloigner, dissiper craintes ou inquiétudes. Pour fêler Noël, le maître,
tant, organisa même une soirée musicale. Dans la belle
cello, absolument vide, mais fleurie, éc'airée à giorno, pour Cosima, la fan
quelques intimes, II. Wagner dirigea, avec un, fougue el une animation surpre-
nantes, une symphonie inédite, composer dan* >.i vingtiè année; puis Liszt au
piano joua avec son âme, qui était d'essence supérieure, i i son co m de bonté fran-
ciscaine.
Le matin du mardi, du fatal mardi 111 février, H. Wagnei fc
accoutumée, puis, revêtu de la somptueuse simarre de soie
vénitien, coiffé du béret de même couleur, il se promena dan
palais Vendramin, travailla, causa ave les siens el, vers une heure, recul son fidèle
gondolier Ganasseta pour fixer avec lui" la promenade de la jou i trdage
quotidien amusait beaucoup le maître, enchanté, disait-il, de faire quelques progrès
dans le dialecte vénitien et de mieux comprendre ainsi les mille légendes, i -
riettes, plaisanteries, tendres, salées, mélancoliques, des fils de la lag
là, R. Wagner était particulièrement enjoué, il riait aux farces contées pai
gondolier, lorsqu'on sonna le dîner de deux heures. Toujours lidèlb à son immua-
ble tradition d'exactitude, le maître se leva pour rejoindre aussitôt sa famille, en
traversant sa chambre à coucher. Ganasseta le vit tout à coup porter la main à son
cœur, et s'affaisser sur un fauteuil; le pauvre gondolier éperdu courut, reçut dans
ses bras le maitre, dont les yeux étaient déjà éteints et qui murmurait : « Frau,
Doctor, Frau, Doctor... »
Ce furent ses dernières paroles. Aidé par la vieille et fidèle Betly. Gauassela
étendit R. Wagner sur le lit, l'enveloppant de ses soieries éclatâmes. A ce moment-
là, accourureDt Cosima Wagner, Liszt. Siegfried, les trois jeunes li les, le médecin,
la maison entière, tous terrifiés, anéantis. Tout soin éta t inutile, tout espoir vain, le
voyage de l'esprit sublime vers l'immortalité était déjà commencé... R.Wagner avait
été foudroyé par une dilatation du cœur.
Quelques jours après, dans le petit jardin de Wahnfried, la terre allemande reci
vait les dépouilles d'un de ses plus glorieux enfants; au-dessus de la tombe de
granit, dans les arbres des solitaires allées du Hof-Garten, les oiseaux innombra-
bles continuent les perpétuels Murmures de la Forêt...
— Je suis en retard avec une brochure substantielle et fort intéressante de
M. P. Fromageot sur le Théâtre de Versailles et la Montansier, qui m'intéressait
d'autant plus que j'ai publié dans le dernier Bulletin de la Société de l'histoire
du théâtre une notice très complète sur le Théàtre-Montansier à Paris (aujour-
d'hui les Variétés) pendant la période révolutionnaire, c'est-à-dire depuis sa
fondation au Palais-Royal en 1790 jusqu'à son transfert au boulevard Mont-
martre en 1807. En consultant les Archives de Seine-et-Oise et ses riches col-
lections personnelles, M. Fromageot a pu nous faire connaître des détails
nombreux et jusqu'ici inconnus sur le long séjour de la Montansier à Ver-
sailles avant son établissement à Paris, sur son occupation de la première
salle de spectacle de la rue Royale à pariir de 1738, et sur la salle de la rue
des Réservoirs construite par elle en 1777. Il nous familiarise encore avec la
physionomie si curieuse et si originale de cette femme étonnante, intrigante
fieffée, intelligente jusqu'au bout des ongles, et qui avait vraiment le génie du
théâtre. Sa brochure, ornée de deux jolies vues extérieures des deux théâtres
de Versailles, ne contient malheureusement pas de portrait de la Montansier,
pour cette excellente raison qu'il n'en existe aucun. M. Fromageot en a cher-
ché, M. Lenôtre aussi, qui a longuement parlé d'elle, moi aussi, et nous
n'avons rien trouvé. A. P.
— Festival Gounod-Massenet : Demain dimanche, lb mars, à 2 h. 1 2. au
Trocadéro, 216e et dernière matinée de gala de la Société des Concerts classi-
ques modernes : Faust, Roméo, Mireille, lu Reine de Saba, le Roi de iMhore,
Manon, Ariane. Thais. le Cid, Hérodiade, avec M"'1 Demougeot, de l'Opéra ;
Mme Marie Boyer, de l'Opéra-Comique : M. Xuibo. M. et Mm0 Dubois, de
l'Opéra ; Mme Theysson. Intermèdes : G. Secrétan, Grandmougin, Coye,
M"° Tamisier. Prix des places : 2 fr., 1 fr. 50 et 0 fr. 30. Mêmes prix en loca-
tion : au Trocadéro.
— AuThéâlre-Sarah-Bernhardt, aujourd'hui, à cinq heures, 19e samedi de
la Société de l'histoire du théâtre; causerie de M. Paul Meunier sur les Can-
tatricis et les Tragédiennes, avec le programme de récitations et d'auditions sui-
vant :
Phèdre (acte 1", scène III : Racine), par M™ S. Weber et II"' Madeleine Roch. —
Le Florentin tune scène; La Fontaine). — Oreste acte 1", scène II; Voltaire), par
M"' Segond-Weber, M1" Madeleine Roch et M. Dessonnes. — Hippolijte et Ari<
( <t Rossignols amoureux », avec accompagnement de flûte; Rameau;, par M°" Aline,
Vallandri. — Si'roe (air du « Lent oubli », avec accompagnement de violon: Haendel),
par M11' Marguerite Vinci ; Céphale et Procris air de l'Aurore ; Grétryl. par M"" Aline
Valandri. — Paris et Hélène icantilène: n O ma beauté que j'aime ! » Gluck), par
M1" Marguerite Vinci. — Un air de Grèlry, par M. Noté. — Castor et Pollux passe-
pied; Rameau s par M"" Sandrini et Bauvais.
— Après l'important Récital qu'il donnera jeudi soir, 19 mars, à Bruxelles
dans la salle de la Grande-Harmonie, M. Joseph Wieniawski doit se rendre à
LE MÉNESTREL
Berlin pour y diriger, le 9 avril, sa Symphonie, en y exécutant son Concerto
en sol mineur. Ce voyage fait d'avance quelques bruits dans le monde musical,
car voilà plusieurs années que l'éminent pianiste et compositeur n'était plus
retourné dans la capitale allemande, depuis le succès triomphal qu'il y avait
remporté, en jouant avec Joachim sa belle sonate pour piano et violon.
— Au magnifique concert donné dans le grand amphithéâtre de la Sor-
bonne, par le lycée Louis-le-Grand, on a particulièrement remarqué à côté
de nos premières actrices et chaleureusement applaudi une jeune et jolie
cantatrice, Mlle Eva Olchanski, brillante élève de M™ Eslher Chevalier de
l'Opéra-Comique, qui possède une superbe voix de soprano dramatique et est
douée d'un véritable tempérament de théâtre. Elle chanta avec un style et un
art parfaits, notamment le grand air de YÏphigénie de Gluck et aussi le duo
du troisième acte de Sigurd. où elle avait pour excellent partenaire M. Caze-
neuve. Et toute l'assistance, composée de plus de 4.000 personnes, l'a accla-
mée d'enthousiasme.
— Une matinée- concert très brillante, organisée par les soins de Mme Marie
Bôze, a eu lieu au Trocadéro au profit de l'Orphelinat de Bourse et de Banque.
L'organisatrice avait voulu prendre part elle-même à la fêle en se faisant
applaudir d'abord dans VAve Maria (Bach-Gounod), et en jouant, avec M. Le-
quien la scène de la prison de Faust, qui lui a valu un grand succès. Le pro-
gramme, très abondant, comprenait le Passant, par MUcs Boch et Bobinne de
fa Comédie-Française avec Mlle Jeanne Pihuit chantant la sérénade; une opé-
rette: Amour et Sport, par Mlles Lambrecht, Franck et Ducan, MM. Bourgeois
et Victor Henry; puis toute une série de virtuoses, MllK Juliette Dantin (vio-
lon), Lénars (harpe), M. Schmitz (piano), et de chanteurs, M»8 Duval, M. Du-
peyron, et encore MUe Ludgar, de l'Odéon, M. Lemarchand, du Théàtre-Sarab-
Bernhardt, disant des poésies, etc. Inutile de dire que la séance a été
extrêmement fructueuse pour la caisse de l'Orphelinat. Ajoutons que
Mme Marie Boze a reçu la médaille d'argent de la Mutualité, pour les services
rendus par elle au cours de sa longue carrière.
— Du Petit Provençal, au sujet de l'exécution de la « Symphonie néo-clas-
sique » de M. Eugène d'Harcourt, exécutée à Marseille par o l'Association
artistique des concerts classiques » : « Après notre avant première d'hier
matin, il est permis de constater, sans préambule, que la Symphonie néo-clas-
sique de M. Eugène d'Harcourt a obtenu, sous la direction de son auteur, une
franche réussite, un de ces succès bien faits pour réjouir l'àine d'un composi-
teur et le récompenser du travail que lui a causé son œuvre. »
— Intéressant concert symphonique à Épinal, samedi dernier. Au pro-
gramme l'ouverture du Roman d'Elvire d'Ambroise Thomas, deux Scènes
lyriques de Grieg, les Impressions d'Italie de Charpentier, et l'Inde de Weckér-
lin, ode-symphonie en deux parties avec chœurs et soli.
Soirées et Coxcerts. —' Chez M. et M™. Louis Diémer, soirée musicale des plus
réussies avec, au programme, le maitre de maison, toujours d'exécution admirable,
M™° Georges Marty, M"*MarcellaPregi, MM. Emil Frey, Hayot, Salmon etDenayer.Très
gros succès pour tous et notamment pour les Cimes, Essor, mélodies de Diémer, la Sieste,-
mélodie de Georges Marty, et la transcription pour piano par M. Emil Frey du Cavalier de
Diérner, qu'on a.bissée. —Matinée très musicale chez M. et Mmc Colonne, avec, comme
clou, M"° Demellier qui a très jotiment chanté les Poèmes de Jade de Gabriel Fabre,
l'auteur au piano. — Salle Pleyel, tout à fait intéressante séance donnée par
Mmc Catherine Laennec. Le remarquable professeur s'est fait vivement applaudir dans
diverses œuvres d'Ernest Moret : Prélude, en ré majeur, A VAube, Mazurkas en la mi-
neur, en* ré majeur, en sol tlièse mineur, en la majeur et en mi mineur. Gros succès
aussi pour M"' Lyvenat dans l'air i'Hërodiade de Massenet. — M"' Magdeleine Trelli,
qui s'était déjà fait applaudir comme pianiste en un concert récent salle Erard, vient
de se produire à nouveau, mais cette fois comme cantatrice. En un programme qui
ne comportait pas moins de vingt mélo lies d'auteurs classiques et modernes, elle a
montré, en même temps qu'une voix pure et bien timbrée conduite avec un art con-
sommé, une remarquable souplesse s'adaptant avec un rare bonheur au style propre
à chaque composition. M. Gabriel Fauré a accompagné à la jeune artiste sept de ses
mélodies (Automne, Poème d'un jour, au Cimetière', le Parfum impérissable, Pleur jetée) et
a joué avec elle à deux pianos sa Ballade aux contours si délicats, au charme si
pénétrant. Auteur et interprète ont été longuement fêtés. Parmi les autres numéros
de chant les plus goûtés, qu'accompagnait M. Jemain, citons la Marguerite de
Schubert, Joies et Douleurs de A. Coquard, Aurore de J. Jemain, Effeuillement de Th.
Dubois, l'Embarquement pour Cythère de E. Chansarel, la Petite couleuvre bleue de
Ch.-M. Widor, etc.
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X°s 1. Rosette, ma Rosette : « Douce et mutine à la fois » 4 »
2. Duetto : «Ah! que la veillé d'un beau jour est 'longue! » 4 »
3. Duo du portrait : « Ami, depuis longtemps je l'ai donné mou cœur » 7 S0
4. Air de la fiancée : « Fiancée, le joli mot! ». 4 »
4ki*. Le même transposé un ton plus bas 4 »
5. Je suis étranger! : « Toujours joyeux, toujours content! » . . , . 7 50
Nos 0. Maitre et maîtresse : « Ah ! que c'est chose différente! » ..... 5 »
7. Duo d'Arlequin et Rosette : « Avec l'amour on ne badine pas » . . 7 S0
8. Couplets de l'aiguille :« Cours vite,- petite aiguille » 4 »
'J . Sérénade : « Rose du bois joli » 3 »
9"'. Le même pour ténor et soprano 3 »
10. Quatuor à la lune : « Coucou, madame la lune ......... S »
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SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (13e article), Julien Tiersot. — II. Semains théâ-
trale : première représentation d'Occi/pe-toi d'Amélie! aux Nouveautés, Paul-Emile
Chevalier. — 1H. Petites notes sans portée : Orchestre et littérature, Raymond
Bouyer. — IV. Revue des grands concerts. — V. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
ROSE DU BOIS JOLI
chanté dans les Jumeaux de Bergame, de E. Jaqies-Dalcriize ipoème de
Maurice Lena, d'après Florian). qui vont être représentés prochainement au
Théâtre de la Monnaie de Bruxelles. — Suivront immédiatement: les Couplets
de l'aiguille, chantés dans le même ouvrage par Mme E. Jaques-Dalcroze.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
Menuet, extrait du ballet de Paul "Viual : Zino-Zina. sur un livret de Jean
Richepin. — Suivra immédiatement : Entf acte-Gavotte du Chevalier d'Êon,
nouvelle opérette de Rodolphe Berger (livret cTAhmand Silvestre it Henri
Cain), qui va être représentée au Théâtre de la Porte-Saint-Maitin.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
(l^l-i-lTT^)
CHAPITRE IV
YOYAGE EN ANOLETERRE
L'année 1745, pendant laquelle Gluck fît son voyage d'Italie
en Angleterre, est, pour la France, une de ces époques d'ac-
calmie qui précèdent toujours les grands événements. La guerre,
si peu nationale, n'occupait personne, si ce n'est ceux qui y
étaient directement intéressés. Le pays était généralement calme.
La future marquise de Pompadour n'était encore que Mme Lenor-
mand d'Étiolés. Et le grand mouvement philosophique ne s'était
pas encore prononcé. Les encyclopédistes se recueillaient. Seul
Voltaire avait commencé des escarmouches, dont personne ne
soupçonnait les conséquences futures; lui-même était en grand
crédit. Il régnait sans conteste au Théâtre-Français, admiré
comme l'héritier de Corneille et de Racine. Deux tragédiennes,
l'une déjà mûre, M"e Dumesnil, l'autre dans tout l'éclat triom-
phant de son début, Mlle Clairon, rivalisaient pour les interpré-
ter, tandis que Molière continuait à former la base du répertoire
comique.
A l'Opéra, quelques années en deçà, Rameau avait donné ses
cinq premiers chefs-d'œuvre, les meilleurs : Hippohjle et Arir.ie,
Castor et Pollux, les Indes galantes, les Fêles d'Hébé, Dardanus. Mais
depuis cinq ans il s'était arrêté dans sa production, et ses
œuvres étaient encore si peu établies au répertoire qu'au
celles qui viennent d'être nommées ne fut jouée en 17î-'i : Glucli
ne put donc pas les entendre au passage. A la vérité, ce fut en
cette année même que le maître français fil sa rentrée au théâtre,
donnant coup sur coup des ouvrages de moindre importance,
mais en grand nombre pour un temps si courl : la Pritu
Navarre, sur un poème de Voltaire, le 23 février, à la coar;
Platée, à Versailles aussi, cinq semaines après (31 mars): [mis.
à l'Opéra de Paris, les Fe'les de Polgmnie, le 12 octobre, et le Temple
de la Gloire (encore avec Voltaire) le '.) décembre : quatre opéras
en une seule année. Mais ces titres seuls indiquent que les
hautes visées dont témoignent les premières œuvres se -
abaissées devant les exigences du goût présent. De fait, en cette
année 174S, le répertoire de l'Opéra fut presque exclusivement
composé de ballets ou de pièces comiques : VÉcok des Amants, de
Niel ; Zaïde, de Royer : les Fêtes de Thalie, de Mouret ; Zèlindw^
roi des Sylphes, de Rehel et Francœur, avec l'acte de la Provençale,
de Mouret; puis encore, à Versailles, les Amours de Ragonde, la
comédie lyrique de Mouret à laquelle songeait Jean-Jacques
Rousseau lorsqu'il composait le Devin du village, non pour l'imiter,
certes, mais au contraire pour montrer le peu dont l'opéra
français avait été capable dans le domaine de la musique bouffe.
Quant à l'ancien réperloire tragique, il était fort négligé : seul
Thésée de Quinault et Lulli avait été remis à la scène à la fin de
1744 et s'y était maintenu jusqu'en mars suivant; en mars aussi
on donna quelques représentations de l'Amodia de Grèce, de
Destouches ; et ce furent les seuls souvenirs que l'année
où Gluck passa à Paris consacra à la production classique du
XVIIe siècle (I).
Au Concert spirituel, les motets de Mondonville, à grand
chœur et grand orchestre, s'imposaient avec éclat à la faveur du
public, partageant les programmes avec les concertos et les
sonates qu'exécutaient les instrumentistes les plus renommés
d'Europe, ainsi qu'avec les airs d'opéras italiens qui, en atten-
dant l'invasion prochaine des Bouffons, prenaient cette voie
détournée pour initier les Français aux séductions de la mélodie
d'outre-monts ("2). Gluck en aurait pu profiter pour offrir au
public parisien les prémices de son génie, sous la forme des
airs de ses opéras de Milan ou de Venise : il n'en fit rien; il
fallut dix-huit ans encore pour que son nom, avant de s'inscrire
triomphalement sur l'affiche de l'Opéra, parût pour la première
fois au concert, avec un motet pour voix seule (qui ne nous est
point connu), — en attendant celte autre occasion, postérieure
encore, où, le programme ayant annoncé un air de lui, gluc-
(1) M. Charles Malherbe abien voulu nous donner, d'après les Archives de l'Opéra.
la liste des ouvrages composant le répertoire de l'année 1745.
(2) Sur le réperloire du Conceit spirituel, voy. Michel Brevet, les Concerta ■:
Frame .
90
LE MÉNESTREL
kistes et piccinnistes furent aux prises, les uns acclamant, les
autres témoignant" hautement leur mépris, — jusqu'au moment
où on leur apprit que l'air chanté était de Jomelli... (I).
Il y avait aussi la Foire, dont les spectacles, en 1745, furent
tout particulièrement agités. Depuis quelque dix ans, Favart en
était le grand fournisseur ; il y avait donné en 1741 la Chercheuse
d'esprit. A ce moment, ce n'était plus l'Opéra, mais la Comédie
qui s'efforçait de réfréner l'insolence de ces acteurs de tréteaux,
coupables de parodier les Sociétaires : elle obtint, la fermeture
du théâtre de la foire Saint- Germain à la suite d'une représen-
tation scandaleuse où le public brisa les barrières et monta sur
la scène, et n'autorisa la saison de la foire Saint-Laurent qu'à la
condition qu'on n'y jouerait que la pantomime. Une jeune fille
de dix-sept ans, Justine Duronceray, venait d'y débuter, ignorant
encore si elle serait danseuse, chanteuse ou comédienne, et
Favart, auteur, régisseur et directeur tout ensemble, lui tenait
des propos si tendres, que l'année ne s'acheva pas sans qu'elle
eut changé son nom en celui de M"'c Favart. C'est elle qui, clans
l'été, se montra sous le galant travesti d'un berger dans la jolie
pantomime des Vendanges de Tenvpè, dont son futur mari avait
tracé le scénario, sur des airs de vaudeville, et ce spectacle
donnait une si charmante impression d'art que Boucher
voulut fixer sur la toile plusieurs tableaux qu'il représen-
tait (2).
Telles sont les manifestations de la vie nationale auxquelles
il put être donné à Gluck d'assister en traversant la France.
L'on jugera, par ce résumé, de l'impression, probablement très
diverse, qu'il dut éprouver à ce premier contact avec la ville
qui, dans trente ans, sera en guerre à cause de lui, et deviendra
le champ de bataille de ses plus décisives victoires. Observateur
attentif, s'il n'eut pas la bonne fortune de trouver au répertoire
les grandes œuvres qui auraient pu le plus utilement lui servir
de modèles, il ne manqua pas, soyons-en assurés, de faire des
remarques fécondes. Il apprit, par exemple, que la musique ne
tenait pas tout entière dans les opéras de l'école napolitaine ; il
subit aussi le premier frottement avec la société parisienne,
dont l'esprit, malgré quelques incompatibilités extérieures, était
bien plus sympathique à sa nature que celui des autres nations,
y compris la sienne. — Au reste, nous ne saurions dire exacte-
ment le temps qu'il passa à Paris. Nous savons seulement, par
les dates de sa carrière, qu'il fut libre de quitter Milan à la fin
du carnaval, et qu'il était à Londres, prêt à faire exécuter un
nouvel opéra, en janvier de l'année suivante. La grand'ville
ayant toujours eu pour les princes étrangers des charmes irré-
sistibles, nous pouvons penser que celui qu'il accompagnait
d'Italie en Angleterre y voulut passer toute la belle saison, et
que Gluck, d'autant mieux placé pour aller partout qu'il était
de la compagnie d'un seigneur d'importance, put se familiariser
déjà par un assez long séjour avec la vie française.
Ayant passé le détroit, il se trouva dans un nouveau milieu,
tout différent encore. Cette fois, il faillit en être tout désorienté.
Vingt-cinq ans plus tard, dans un entretien particulier avec
Burney (qui, sans le connaître encore, avait été un de ses pre-
miers auditeurs en Angleterre), il contait les souvenirs de ses
tribulations à Londres. « Il y était allé, disait-il, à une époque
très défavorable pour lui, alors qu'Haendel était dans une si
haute réputation que l'on n'était guère disposé à entendre
d'autres compositions que les siennes. La rébellion éclata; tous
les étrangers furent regardés comme dangereux au gouverne-
ment.; la salle de l'Opéra avait été fermée par ordre supérieur,
et ce ne fut qu'avec beaucoup de difficulté et d'adresse que Lord
Middlesex avait obtenu la permission de la faire rouvrir, et
seulement pour y jouer la Caduta de Giganti qui fut regardée
comme une pièce de circonstance et politique. Gluck n'y avait
travaillé qu'avec crainte , soit par rapport au petit nombre
d'amis qu'il avait alors en Angleterre, soit parce qu'il redoutait
il) Correspondance littéraire de Grimm, Uiierot, etc. Juin 1781.
(2) Mémoires de Favart. — Cf. A. Font, Favart, l Opéra-comique et la Comédie-Vt
deville.
la fureur de la populace à l'ouverture du théâtre, opération
à laquelle on n'avait employé que des étrangers . et des
papistes (1) ».
Ce que ne disait pas Gluck, et dont sans doute il ne se ren-
dait pas clairement compte lui-même, tout occupé de son art,
c'est que cette effervescence dont il faillit devenir victime avait
des causes générales, et bien plus sérieuses que celles qui pou-
vaient provenir de la situation musicale, si désavantageuse
qu'elle- fut. En cette année 1746 où il donna à Londres deux
opéras nouveaux,. l'Angleterre passait par une des crises les
plus graves dont son histoire fasse mention. Tandis que, sur le
continent, ses armées venaient de se faire battre à Fontenoy, à
l'intérieur la guerre civile était déchaînée : le prétendant de la
dynastie des Stuarts, Charles-Edouard, soulevait l'Ecosse, et,
avant de livrer la bataille, désastreuse pour lui, de Culloden,
s'était avancé avec ses bandes jusqu'à deux journées de Londres.
Beau moment pour chanter l'opéra ! L'on comprend de reste que
le peuple n'ait pas vu d'un œil très sympathique ces étrangers,
débarquant de France pour faire de la musique, tandis qu'on se
battait aux portes. Il pouvait donc être très légitimement ques-
tion de fermer le théâtre en un pareil moment. S'il en eût été
ainsi, Gluck en aurait été pour ses peines et sa traversée de l'Eu-
rope. Nous allons voir que le dommage fut moindre ; mais cette
nouvelle expérience lui fit faire plus ample connaissance avec
les difficultés de la vie publique, et lui apprit à s'armer contre
elles de la cuirasse d'un triple airain !
tA suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THÉÂTRALE
Nouveautés. — Occupe-toi d'Amélie ! pièce en 3 actes et 4 tableaux,
de M. Geoi'ges Feydeau.
« Occupe-toi d'Amélie ! » c'est en ces ternies que le jeune Etienne,
appelé à faire une période de vingt-huit jours, recommande, à son très
bon ami Marcel Courbois, la toute blonde Amélie, ancienne femme de
chambre promue femme de luxe. Marcel sera donc le mentor et l'ange
gardien de la fragile personne, d'autant mieux qu'il a précisément
besoin d'elle pour toucher le très fort héritage déposé entre les mains
d'un sien oncle de Hollande, héritage qui ne lui sera remis que le jour
où il se mariera, volonté expresse du papa défunt. Amélie sera présen-
tée comme fiancée au Van Putzeboum — c'est le Hollandais — qui,
précisément, doit filer pour les Amériques; et, alors qu'il sera par delà
l'Océan, on n'aura qu'à lui télégraphier que la cérémonie a eu lieu et
il n'aura, lui, qu'à envoyer le chèque tant attendu.
Voilà qui se présenterait classiquement et laisserait prévoir une issue
heureuse et prompte, si Etienne ne revenait à l'improviste du régiment
et n'apprenait que le bon Marcel s'est beaucoup trop intimement occupé
d'Amélie, et si l'oncle Van Pulzeboum ne renonçait à son voyage pour
avoir le plaisir d'assister au mariage. « Une seule solution, s'écrie
Etienne, qui a sur le cœur l'infidélité d'Amélie et de Marcel ; il faut au
Putzeboum un mariage, nous allons lui en donner un». Et c'est fort
simple, en effet : Etienne louera une salle de mairie et grâce à un
excellent copain très pince-sans-rire qui, pour un jour, jouera les mai-
res, on simulera la légale cérémonie. Hurrah !
Au jour dit, les acteurs de la petite farce, leurs amis et connaissances,
sont réunis dans la salle austère et tous s'amusent et s'étonnent du
beau sérieux avec lequel l'ami complaisant tient son personnage de
marieur officiel. C'est fini ! Van Putzeboum a été bien roulé ! Marcel
se tord ; et Etienne se tord, et il se tord d'autant plus que ce n'est point
seulement Van Putzebjum qui a été roulé, mais aussi le bon Marcel...
Certainement Marcel, puisque le maire était un vrai maire et qu'il est
marié pour de bon à Amélie ! Ah ! Ah ! mon malin, tu as voulu en goû-
ter du ii'uit défendu, eh bien maintenant te voilà forcé d'en manger
toute ta félone dévie !
Que, cependant, les moralistes superbes ne se hâtent pas trop
d'applaudir à la faute punie. Marcel arrive à se débarrasser d'Amélie,
qui le gène pour d'autres amours, en la faisant pincer en soi-disant
fragrant délit avec Etienne lui-même. Battu... et pas content, le pau-
vre Etienne en aura doncélé pour ses seuls frais d'esprit machiavélique.
(I) Burneï : État présent de lamusique, III, 230.
LE MÉNESTREL
!M
Ceci c'est le fond de l'histoire, la trame vaudevillesque avec laquelle
M. Georges Feydeau, roi du rire et des inventions les plus comique-
ment burlesques, a bâti quatre tableaux d'une drôlerie intense et d'un
étonnant imprévu, enfilant les scènes aux scènes avec une dextérité et
une maestria remarquables, campant les personnages d'un mot drôle
ou d'un geste, bizarre, et dépensant sans compter une verve jamais tarie
et une belle humeur toujours renouvelée.
Occupe-loi d'Amélie ! est fort piaisamment joué par la troupe des
Nouveautés. M. Germain, policier retraité, père d'Amélie, type de papa
Cardinal tout à fait trouvé; M. Marcel Simon, Marcel adroitement tur-
bulent; M. Baron fils, Etienne très en dehors ; M. Girier, Van Putze-
boumon ne peut plus réjouissant; MllcCassive, Amélie vivante et capti-
vante ; M"c Carlix, petite femme du monde douce et séduisante, indiquent
gaillardement le .chemin de la belle victoire à leurs camarades,
MM. Landrin, Decori, Ardot, Grêlé et Gaillard.
Paui.-Emile Chevalier.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
cxxx
ORCHESTRE ET LITTÉRATURE (1)
A M. Henri Lichtenbergcr,
le philosophe-musicien.
Nous laisserons aujourd'hui le progrès technique et les prouesses des
facteurs ou des instrumentistes, qu'il faut nommer pourtant : car le
progrès de la lutherie silencieuse ou de l'exécution musicale a toujours
accompagné les métamorphoses de l'orchestration; là encore, il faudrait
noter les influences réciproques, des rapports variés de cause à effet.
Le grand Gluck, qui a sobrement enrichi les Champs-Elysées mélodieux
ou les Enfers sonores de son temps, tremblait de confier certaines par-
ties à certains instruments, vu la faiblesse notoire des instrumentistes :
c'était l'heure candide et vieillotte « où l'ut au-dessus des portées faisait
trembler les violons, le la aigu les flûtes, et le ré les hautbois... ». Lui-
même semblait ignorer, malgré son intuition de poète, les sons graves
de la clarinette, du cor et des trombones olympiens. On se tenait, alors,
dans l'éternel médium : « In medw tutissimus ibis », disait le dieu d'Ovide
à l'haéton...
Phaéton, maintenant, sans choir ni déchoir, risque tout: on ne re-
cherche plus seulement, comme Berlioz, la quantité, la rareté, la nou-
veauté des timbres; on essaie, avec les musiciens russes, leurs dialogues
les plus subtils ; la polyphonie renaissante ou l'harmonisation nouvelle
ose les effets les plus éthérés en divisant indéfiniment le quatuor: on
obtient des pianissimos avec la masse entière des instruments; on
exploite les mines inexplorées des combinaisons sans fin. Richard
Strauss, renchérissant sur Richard Wagner, a complété les familles ou
les groupes : on veut couramment trois clarinettes, trois flûtes, quatre
cors; et l'exécution se fait un jeu des complexités de l'orchestration.
Elevés ou graves, les registres les plus scabreux n'effarouchent plus- la
précision ni la solidité des exécutants : on joue suave avec une armée
sonore; on frappe fort, on joue gros, avec l'orchestre classique : Haydn
et Mozart lui-même sonnent vigoureusement dans la bonbounière Ga-
veau. C'est un renouvellement de la palette orchestrale. Et n'est-ce pas
là l'une des dernières originalités de l'art ultra-byzantin qui devient le
nôtre ? Aux bas siècles, les poètes ont le cœur pauvre et la rime
riche. . .
Est-ce à dire que tout soit pour le mieux dans le meilleur des or-
chestres possible? Au lieu de chercher luxurieusement du nouveau, les
sages se préoccupent de la pondération, de l'équilibre à trouver dans
les rapports def'harmonie avec le quatuor ou plutôt le quintette à cordes,
tour à tour écrasant ou chétif ; on cherche des intermédiaires entre, les
différentes voix du quatuor ; ou perfectionne les bois; dans la centrali-
sation des pouvoirs sonores, commencée par Haydn, achevée par Wa-
gner, on se permet de rêver un retour à plus d'individualité dans les
groupes. Mais, très inspirés par la poésie, depuis Verlaine, ces rêves
pour ainsi dire fédéralistes nous ramènent de la technique à l'expression
qui la domine; et nous ne pourrons éluder le précipice. double et trouble
de la quatr.ème question que le sphynx contemporain nous impose :
Quelle a été l'influence de l'orchestre sur la littérature ou de la littérature
sur l'orchestre ?
Influence nulle, à première vue ^puisque « l'oreille aussi a sa vue »)...
(1) Voir le Ménestrel du samedi 7 mars 1908.
Longtemps, la musique parut insignifiante aux poètes. Dans l'an-
tiquité, musique et poésie oe faisaienl qu'un; mais le romantisme
apparaît, là comme ailleurs, aux antipodes de l'antiquité. Nous avons
dit maintes fois, ici mèmi!, ce qu'un Victor Hugo, ci qu'un Théophile
Gautier pensaient du plus cher de tous les bruits ; Stendhal, Mérimée,
Musset, même Delacroix, étaient surtout dilettantes ; Vigny,
deviné Berlioz et son 'Requiem (1). Sous Louis-Philippe, encore plus
que sous Louis XIV, les musiciens faisaient bande â part; l'oreille
française avait perdu le sens de la difficulté; tout précurseur qu'il
s'était montré, noire vieil Obermann (que M. Faguel bannit s;ms
remords (2) de l'histoire littéraire) ne dépassait poinl les séductions de
la mélodie.
Eu France du moins, les littérateurs ne fréquentaient que les peintres;
et quelques peintres, seulement, frappaient chez les musiciens : c'esl
le moment de citer le violon d'Ingres ou le violoncelle d'Harpignies,
sans oublier que la pâleur sourcilleuse et quasi monacale d'Ernest
Hébert honore toujours nos soirées de musique de chambre... l'eu
de lettrés, au demeurant, se montrent sensibles au baiser de la Musique,
cette reine aveugle, qui ne sait rien du monde extérieur; sa subjectivité
native semble un déli sans trêve à l'objectivité des arts plastiques et des
lettres : que signifie cette palette où l'exécutani ne puise que du vague •'
Elle est suspecte aux musiciens mêmes, aux plus coloristes des musi-
ciens; et c'est Berlioz qui nous prévient « qu'il ne faut pas attribuer
une telle importance aux moyens matériels de l'art des sons ». Le vir-
tuose de l'orchestre ajoute, en littérateur, « qu'une sonate de Beethoven,
exécutée sur une ôpinette, n'en restera pas moins une merveille d'ins-
piration... ».
Bref, la littérature rivalise plus volontiers avec la peinture ; les
Orientales ont devancé Decamps. Et ce n'est que tout récemment que la
peinture essentiellement concrète a voulu se faire musicienne, avec les
nocturnes de l'impressionnisme ou les camaïeux d'un Carrière...
C'est seulement de nos jours, j'allais écrire de nos soirs, que la poésie.
wagnénisée comme le reste, demande a l'orchestration des effets nou-
veaux. Songer à l'orchestre ! Imiter l'orchestre ! Voilà bien le « frisson
nouveau » d'un crépuscule où les yeux croient voir les nuances des
voyelles et des sentiments, où l'oreille visionnaire aperçoit « la couleur
des sons » ! (3). Ou en connaît ici les précurseurs et le Baudelaire des Poèmes
en prose ou du mystique sonuet des Correspondances, l'un des premiers
Wagnériens français... Richard Wagner, « grand homme et peu
wa°nérien », a semé partout la fusion des arts ; l'univers des songes a
fleuri singulièrement au souille de Bayreuth... Depuis Verlaine et
Mallarmé, nos poètes décadents sont tous mélomanes : « De la musique
avant toute chose... », dit l'Art poétique, essentiellement musical, de
Verlaine ; et Mallarmé, ce frère mystérieusement parisien du transa-
tlantique James Whistler, qui ne veut rien garder des choses que la
suggestion, goûte éperdûment « la musique du silence »... Il devait
avoir des remords, en se trouvant trop clair. On connaît le dandysme
orchestral d'un Swinburne ou d'un Gabriele d'Annunzio.
Et le vers libre du ci-devant symbolisme, n'est-ce pas la mélodie
continue? Ce fut une poésie très invertébrée qui correspondait à notre
inquiétude entichée des impressions plus ou moins suggestives, des
escamotages de l'ébauche, de l'abus général de l'esquisse et de la
fausse note, des dessins de Rodin, de l'estompe de Carrière ou des
sirènes debussystes... Déchet discret de la splendeur wagnérienne, le
Debussysme, qu'ost-il à son tour, sinon le symbolisme et l'impression-
nisme réconciliés tardivement dans l'art musical, la Damoiselle élue des
Préraphaélites anglais qui s'accommode enfin du néant de Whistler?
Le 30 avril 1902. Pelléas et Mèlisande ont délicieusement anémié plus
d'un poète convalescent qui revenait à la sauté...
Depuis le Nordau de Dégénérescence ou le Nietzsche du Cas Wagner,
tous les philosophes, comme tous les poètes, se préoccupent de la musi-
que, ue serait-ce que pour la maudire (A) ; on y reconnaît la dernière
étoile, avec l'ultime religion des hommes; bannis de la vie, le mystère
et l'au-delà se sont réfugiés dans l'orchestre : et c'est dans la nuit de
l'Inconscient que la Muse nous invite à descendre afin d'entrevoir bril-
lerson « secret ».
Mais, en fait d'influences, n'est-ce point la littérature qui a com-
mencé ? La poésie romantique n'a-t-elle pas inconsciemment incendié
(1) Voir notre Nore du 21 août 1907, Alfred de Vigny mélomane.
(2) Lesnomsde Sénancour et i'Obermann ne figurent pas dans les chapitres lit-
téraires de l'Histoire générale publiée par Armand Colin.
(3) Klanrjfarbe, disent les Allemands. — CI'., dans le Ménestrel, notre série des Pein-
tres mélomanes 1900-1901) elles derniers chapitres i'Obermann précurseur et inusicien
(1906).
(4) Tel Victor de Laprade, le poète-philosophe, auteur d'un petit livre intitulé
sans remords : ConMe la Musique.
92
LE MÉNESTREL
l'orchestre à sa flamme ? La musique, tardive et passive, a subi la
splendeur ambiante ; elle a reflété le crépuscule des dieux qui s'en
vont... N'a-t-elle point reçu plus qu'elle n'a donné ? Question d'échan-
ges, toujours délicate; action et réaction perpétuelles, mais difficiles a
départager! Nous l'essaierons bientôt, pourtant, à seule fin de sauver
l'honneur de nos conclusions.
(A suivre.) Raïiiond Bouïeb.
iNOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour les seuls abonnés a la musique)
Mercredi prochain, on annonce au théâtre delà Monnaie de Bruxelles, qui devient
de plus en plus une véritable scène parisienne, U première représentation des
Jumeaux de Bergame, une nouvelle œuvre de M. E. Jaques-Dalcroze, le charmant
compositeur du Bonhomme Jadis. Nous pouvons annoncer à l'avance qu on la trou-
vera pleine de verve et de saine gaieté. C'est un petit chef-d'œuvre enfanté dans la
joie. Devançant l'actualité, nous détachons, dès aujourd'hui, de la partition une des
pages les plus fraiches : Rose du bois joli. Cela vous a un parfum de vieille et douce
chanson qui vous prend au cœur.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts-Colonne. — L'ouverture du Roi d'Ys a été acclamée par la salle
entière, ravie de l'entendre interprété*; avec tant d'éclat, et aussi tant de
charme poétique, car le sentiment suave et rêveur avec lequel a été rendu
l'adagio emprunté au rôle de Rozenn (1er acte, En silence pourquoi souffrir? ),
a valu au violoncelle solo une approbation flatteuse. Le récitatif et air d'Oxana
dans la Nuit de Noël, opéra de M. Rimsky Korsakow, et deux airs d'un autre
opéra du même maitre, Snégourotchka ou In Fille de neige, ont reçu un accueil
lavorable ; ce sont des morceaux d'une inspiration simple et d'une grâce
mélancolique. Mme de Wieniawski, née Mouromtseff, fille du président de la
première Douma, a su les mettre en lumière par l'aimable séduction de sa
jolie voix pure et de sa diction délicate. — La Rapsodie espagnole de M. Mau-
rice Eavel était entendue pour la première fois. Elle a été saluée par les
acclamations de toute une partie du public. Si l'on se rappelle l'extrême froi-
deur avec laquelle on écouta, l'année dernière, une pièce sympbonique du
même compositeur, la Rarqw. sur l'eau, il faut se réjouir de ce revirement que
justifie pleinement la valeur de l'œuvre nouvelle. Les quatre parties de cette
rapsodie — pourquoi rapsodie, puisque, d'après le programme, tous les thè-
mes en sont originaux ? — forment autant de petites descriptions symphoni-
ques ou tableaux, qui se succèdent rapidement les uns aux autres et. malgré
certains défauts d'écriture, ne cessent guère d'être captivants. Bien qu'il y ait
dans tout cela peu de musique proprement dite, il s'en dégage une jeunesse,
un coloris, un mouvement contre lesquels on ne résiste pas, une sincérité très
grande aussi, qui fait songer aux Impressions d'Italie de Charpentier. Il sem-
ble que M. Ravel, de retour d'Espagne, la tête rempli? de rythmes, de bruits
de castagnettes, de parfums respires pendant les belles nuits, ait cherché à
extérioriser musicalement toute l'éblouissante poésie dont il se trouvait
comme imprégné. Ce sont tour à tour des effluves langoureuses, des rires
joyeux, des remous de foules, des danses échevelées où toutes les ressources
instrumentales sont habilement employées. Un bis impétueux a obligé
M. Colonne à faire redire la seconde partie, Malaguina. — M. Alfred Cortot
artiste de grande intelligence et d'un savoir étendu, a triomphé magistrale-
ment dans la Ballade en fa dièse, op. 19, de M. Gabriel Fauré. La "sonorité
qu'il tire du piano est merveilleusement timbrée et impressionne comme
quelque chose de vivant et d'expressif en soi. Il a su éviter l'écueil de U
monotonie, si dangereux d'ordinaire quand on interprète ce morceau, et l'a
maintenu dans une note rêveuse avec des nuances pleines de poésie. Il a
rendu ensuite les Variations symphoniques de César Franck, tantôt avec une
douceur pénétrante, tantôt avec une puissance presque solennelle. Les mani-
festations les plus enthousiastes lui ont montré combien sou talent si intellec-
tuel, et si impeccable par son coté technique, a porté sur l'assistance. Ce fut
là uu magniuque succès pou, le pianiste et pour le musicien. Le programme
comprenait encore la Symphonie inachevée de Schubert et la marche de
Tannhâmer. Amédée Bjuiaiu.:,„
— Concerts-Lamoureux. — M. André Messager reprenait la baguette direc-
trice qu'il manie avec une aisance en même temps qu'une précision tout à
lait agréables à voir. Après l'ouverture de Fidelio de Beethoven, Ântar, la cap-
tivante symphonie de Rimsky-Korsakow. a obtenu son succès accoutumé.
Cette musique, où la plus noble inspiration s'allie à toute la magie rythmique
et orchestrale d'un maitre incontesté, est de celles qui s'imposent et dont le
charme prenant ne se discute pas. L'interprétation en fut merveilleuse
et valut à M. Messager et à son orchestre une ovation méritée. — La scène
linale du Crépuscule des Dieux de Wagner est toujou
rs impressionnante par sa
majesté; M°'« Kaschowska y montra dans le rôle de Brunehilde des qualités
de cantatrice, encore que la voix un peu mince ait été parfois submergée sous
la poussée orchestrale. — L'ouverture des Maîtres Chanteurs et le prélude du
troisième acte de Tristan, dont la longue mélopée du cor anglais fut superbe-
ment rendue par M. Gundstoett, complétaient la sélection wagnérienne servie
à l'admiration du public. On a fait bon accueil au Prélude du quatrième acte
de la Catalane de M. F. Leborne, qui est une page composite, contenant, habi-
lement traités et se pénétrant les uns les autres de curieuse manière, les
thèmes sur lesquels la partition entière est bâtie. Le compositeur y montre
une grande habileté et par cela même intéresse plus qu'il n'arrive à émouvoir.
J. .Iemain.
— Programmes des concerts de demain dimanche :
Conservatoire : Symphonie en la, n° 7 (Beethoven). — Réiemption (César Franck),
avec le concours de M"" Rose Féart et de M. Brémont.
Chàtelet, concert Colonne consacré aux œuvres suivantes de Richard Strauss et
sous sa direction : Prélude du 1" acte de Guntram. — a) Heimliche Au/forderjmg et
b) Stœndchen, chantées par Mm" de Wieniawski. — Mort et Transfiguration. — Sinfonia
Domestica. — a) Die Naeht ; b) Ail' mein Gedanken ; c) Zueignung, chantés par Mn,c de
Wieniawski. — Danse de Salomé.
Salle Gaveau, concert Lamoureux, sous la direction de M. Vincent d'Indy : Ouver-
ture de Manfred (Schumann). — Viviane (Chausson). — Jour d'été à la montagne
(d'Indy). — Concerto en ré majeur pour piano, violon et flûte (Bach), par M11' Selva,
MM. Soudant et Deschamps. — Symphonie en sol mineur, n° 40 (Mozart).
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique : La Monnaie annonce pour la semaine
prochaine la première des Jumeaux de Bergame, l'opéra inédit de M. Jaques-
Dalcroze, qui avait du être r -lardé par l'indisposition d un des principaux
interprèles, M. Decléry. Il n'y a eu, ces jours derniers, à signaler qu'une
reprise assez incolore de Saimon et Ditila et une représentation d'une jeune
artiste de l'Opéra, M"'-' Dube!, qui est venue s'essayer, non sans succès d'ail-
leurs, dans Faust. — Tout l'intérêt de cette semaine s'est porté sur les
concerts, extraordinairement copieux et, je me hâte d'ajouter, très « attractifs ».
Le Conservatoire nous a donné, sous la direction du toujours jeune kapellmeis-
ter le baron Gevaert, une admirable exécution do la neuvième symphonie,
avec un quatuor de choix, composé de Mmes de Tréville et Croiza, de
MM. Lalfitte et Blancard, tous pensionnaires de la Monnaie ; elle était pré-
cédée du concerto pour piano en mi bémol de Mozart, joué à ravir par
M. Arthur De Greef. — A la nouvelle et très peu confortable salle Patria,
nous avons eu un concert symphon que, dirigé, avec une correction sans
flamme, par le chef hollandais M. Viotta, et auquel prenait part heureusement
l'excellent violoniste M. Thibaud; puis, un concert Bach (il y en aura trois,
composant un « festival »), où l'on a beaucoup applaudi un autre violoniste,
M. Smit, remplaçant M. Eugène Ysaye e:i voyage, et que précédait une
conférence de M. Vincent d'Indy. Celui-ci était venu à Bruxelles pour pré-
sider aux premières séances musicales annuelles de la « Libre Esthétique ».
consacrées e:i majeure partie à ses œuvres; on y a entendu notamment une
transcription inédite, par M"1' Blanche Selva, du poème symphonique, Sou-
venirs, et une sonate nouvelle pour piano (op. 63), qui n'avait pas encore été
exécutée en public. Ou sait quelle part M. Vincent d'Indy a toujours prise
aux séances de la Libre Esthétique, qui a célébré cette année son dixième
anniversaire, et. à celles des « Vingt » qui la précédèrent. U était juste qu'elle
lui rendit à cette occasion un hommage spécial, — sans oublier d'autres
maîtres, qu'elle a contribué aussi à faire connaître, tels que Chausson, et à
faire aimer, tels que César Franck. — Lundi prochain, au Concert annuel de
la très importante Ecole de musique de Saint-Josse-ten-wood-Schaerbeck, on
entendra, pour la première fois en Belgique, l'œuvre nouvelle de M. Gabriel
Pierné, les Enfants à Jérusalem. La veille, la .Société de musique de Tournai
consacrera son grand concert au célèbre oratorio de M. Edgar Tinël, Franciscus;
avec le concours de M"1' Auguez de Montalant, de MM. Plamondon, Frôlich,
etc. — Enfin, la ville de Bruxelles, choisissant l'œuvre destinée à être exé-
cutée à la cirémonie patriotique annuelle de la Place des Martyrs, le 23 sep-
tembre (a l'occasion de nos « trois glorieuses »), a porté ses préférences sur
une Cantate patriotique di notre jeu:ie compositeur M. Georges Lauweryns, —
œuvre de grand effet et d'inspiration vibrante. Elle aura pour interprètes
quatorze cents enfants des écoles communales, avec accompagnement des
musiques militaires, sous la direction de M. H.iyoio. L. S.
— La villa Falconieri, près de Frascati, dans la campagne romaine, que
M. Ernest Mendelssohn-Bartholdi a donnée à l'empereur Guillaume pour
servir de lieu de convalescence à des artistes et à des littérateurs, va étie res-
taurée et aménagée d'après les plans de l'architecte de Ihne. Le professeur
Bruno Paul, à qui l'on s'était adressé d'abord, a soumis un projet que l'on a
rejeté comme étant d'uu style trop peu historique. Quelques personnes ont
pensé qu'il y aurait lieu peut-être, du moins en ce qui concerne la disposition
intérieure, de ne pas imiter avec trop de rigueur les constructions d'autrefois.
Les pièces de dimensions énormes sont difficiles à chauffer et se prêtent mal à
l'adaptation du confort moderne. L'Italie n'est pas toujours chaude et ensoleillée;
il ne faudrait pas que les convalescents imitassent les dames romaines de la
décadence, qui, pendant l'hiver, restaient toute la journée couchées afin de
ne point se geler. QuelqiiesTiTs de plus sërontmieux appréciés parles malades
que le style architectural.
LE MÉNESTREL
93
— De Berlin : La comtesse Wilma Festetics, dont le mariage avec le tzi-
gane Nyary Rudi, qu'elle avait connu à Munich, provoqua, l'année derniers-,
une si grosse sensation, est engagée, avec son mari, pour une série de con-
certs, au Splendid Café, à Berlin. C'est du moins ce qu'annonce la Berliner
Zeitung am Mittag, en ajoutant que le traité est signé pour deux mois et que
le couple touchera 212 fr. 50 c. par soirée. La comtesse s'est engagée a pa-
raître chaque soir à coté do son mari.
— M. Siegfried "Wagner vient d'annoncer à ses amis, paraît-il, qu'il est en
train de mettre la dernière main à son septième opéra, Dielfich de Berne, dont
il a écrit le texte et la musique. On dit que cet ouvrage sera joué à la lin de
la saison prochaine, non pas à Hambourg comme les précédents opéras de
l'auteur, ni à Dresde comme on l'a dit, mais à l'Opéra-Royal de Berlin.
— Pauline Lucca, la créatrice de Mignon à l'Opéra-Royal de Berlin, le
10 décembre 1868, a occupé en ces dernières semaines toute la presse alle-
mande, tant sa mort a réveillé de souvenirs. Nous avons raconté en janvier
1905 l'histoire d'une tasse de thé présentée à la jeune chanteuse dans les cou-
lisses de ce même théâtre par l'empereur d'Allemagne, ce qui valut à ce
monarque d'être traité de « vieil officier «par la carriériste de l'artiste. Mais si
Guillaume Ier se montrait empressé auprès de Pauline Lucca, l'impératrice
Augusta n'acceptait qu'avec peine ses manières simples et quelque peu dédai-
gneuses de l'étiquette. Elle avait réussi, par son opposition, à lui fermer
longtemps l'accès des concerts de la Cour. On l'y invita pourtant unjouretla
souveraine, désirant se conformer aux usages, s'approcha de l'artiste pendant
un entr'acte et lui posa cette question : a Avec qui aimez-vous mieux chanter,
Madime Lucca, avec Niemann ou bien avec Wachtel? — Oh ! Majesté, s'écria
étourdiment la jeune femme, je m'en soucie comme d'une saucisse ». Cette ex-
pression, dite en dialecte viennois, équivaut à la pire manière de paraphraser
en français la locution : « Je m'en moque ». L'impératrice s'éloigna en mur-
murant en français : « Quelle horreur! » 0 i sait que Pauline Lucca quitta
l'Opéra do Berlin en 1812, rompant son engagement dont elle avait en vain
demandé la résiliation, et justifiant sa décision dans une lettre qui renfermait
ca passage : « Mon honneur d'artiste a été trop profondément blessé et la
coterie ennemie s'estmontrée trop peu délicate dans les moyens qu'elle a em-
ployés contre moi. » Il s'agissait d'une hostilité violente dirigée contre l'ar-
tiste en faveur de la cantatrice rivale Mathilde Mallinger. Pauline Lucca, qui
ne fut jamais wagnérienne, quitta la place, mais elle eut les rieurs de son
coté. Un jour qu'elle jouait Chérubin dans les Noces de Figaro tandis que
Mathilde Mallinger représentait la comtesse, elle répondit à cette exclama-
tion : « Mais, Chérubin, qu'y a-t-il donc?» par cette boutade qui n'était pas
dans le rôle : « Il y a des impertinences ». Pauline Lucca termina la lettre
dans laquelle est formulé son adieu au public de Berlin par ce vers, extrait
d'un chant que lui avait dédié Frédéric Gumbert : « C'était si, beau et cela
dut Unir pourtant ». N'est-ce pas li un des premiers indices de cette
mélancolie qui jeta quelques ombres sur une vie heureuse, bien qu'attristée
par la dissolution d'un premier mariage, la naissance d'uue enfant infirme,
et surtout le deuil qui termina une seconde union jusque-là sans nuages.
Nous avons raconté c^lte scèna samedi dernier, mais l'erreur d'une seule
lettre nous a fait rapporter inexactement le chant. C'était l'avant-veille de la
Toussaint de 1899. Le baron de Wallhofen.se sentant mourir voulut en-
tendre une dernière fois la voix de sa femme. Elle chanta plusieurs airs. et.
pour finir, une élégie du poète Hilm commençant par ces mots : « S tell' auf
den Tisch die duftenden Reseden... ». c'est-à-dire : « Mets sur la table les
résédas odorants, porte ici les derniers chrysanthèmes rouges et parlons encore
une fois d'amour comme autrefois en mai ». On aime à penser que ce fut
bien en ce jour, ainsi qu'en l'a dit, que chanta pour la dernière fois la canta-
trice qui eut parmi ses plus beaux rôles Mignon, Marguerite, la Fille du régi-
ment, les deux Zerlines de Don Juan et de Fra Diavolo, Valentine, Sélica, etc.
Pauline Lucca avait quatre-vingt-dix-sept rôles d'opéras à son répertoire.
Grâce à ces ouvrages, son nom est resté attaché à l'une des périodes les plus
brillantes de l'histoire de la musique. Un détail amusant montre combien ce
nom est resté populaire : les confiseurs viennois vendent encore des bonbons
connus sous la désignation de « Lucca-Augon », yeux de la Lucca.
— Dans le cours de l'été prochain doit commencer à Vienne la construc-
tion d'une nouvelle salle de concerts dont les dimensions, dit-on, seront
énormes. L'État, la Société des concerts de Vienne, la Société des Amis de la
musique et la Société chorale supporteront les frais de la construction. Un
pense que la nouvelle salle pourra être inaugurée en 1910.
— La nouvelle opérette de M. Franz Lehar, t'Humme aux Irois femmes, texte
de M. Julius Bauer, dont la première représentation a été donnée à l'occasion
des dernières fêtes deNoél et du nouvel an au théâtre An der Wien, àVienne.
a été jouée pour la première fois en Allemagne, au théâtre Wilhelm de Mag-
debourg, le 12 mars dernier. On en a trouvé la musique originale et mélodi-
que. L'instrumentation soignée et la bonne structure des « finales » ont été
beaucoup appréciées.
— Le duc d'Anhalt a conféré à M?e Sigrid Arnoldson, pendant la représen-
lation de Carmen, au théâtre de la cour à Dessau, l'ordre du mérite pour arts
et sciences. C'est la plus haute distinction qu'une artiste peut recevoir dans
ce pays. La représentation n'a été qu'une suite d'ovations pour la célèbre
diva suédoise.
— La section des instruments de musique du Musée industriel de Stuttgart
vient de s'enrichir de trois pièces importantes et précieuses qui lui ont été
offertes par M. Georges Steingraeber, do Munich. Ce sont trois instruments
anciens à clavier, décorés d'une façon délicieuse. Le premier est une êpinette
du seizième siècle, qui porte la signature de « Francesco Poggio, Rome ».
D'une forme qu'en Italie on appelle ordinairement a lucerna, il est artistique-
ment et richement décoré, et il présente cette particularité que les touché;
inférieures sont couleur de café, les supérieures étant noires. De décorations
beaucoup plus riches est un cimbalone, qui porte la signature de « Giovanni
Ferrini, Florence » avec la date de 1G99. Ses décorations, très historiées, dé-
rivent directement, dit-on, de l'art de Raphaël. Le troisième instrument,
aussi très jolimeDt orné de peintures, est un clavecin qui a un manuel et
deux cordes par note.
— L'Opéra de Leipzig prépare activement les reprises prochaines de VEnlé-
vemenl au sérail, de Mozart, et de Louise, de Charpentier.
— Les essais tentés déjà depuis bien des années par les auteurs dramatiques
de l'Allemagne, pour former une corporation destinée à protéger leurs intérêts,
paraissent être enfin sur le point d'aboutir. On dit qu'une association va être
fondée sur le modèle de la Société des auteurs de France. Les statuts eu
seront très prochainement élaborés. On parle, pour la présidence, de M. Mas
Dreher. et de M. Walter Bloem comme conseil judiciaire. Un grand nombre
d'écrivains distingués, parmi lesquels se trouve M. Sudermann, ont accepté
d'entrer dans le comité d'organisation.
— On annonce que l'intendance de l'Opéra de Francfort vient de s'assurer
le droit de faire représenter pour la première fois en Allemagne la Habanera
de M. Raoul Laparra. Disons à cette occasion que le jeune compositeur aérril
originairement son livret en langue espagnole, utilisant les observations qu'il
avait recueillies en 1900. pendant un séjour à Madrid, et surtout en 19<)3
pendant qu'il résidait à Burgos. Il avait été séduit par cette forme de pièce
théâtrale espagnole nommée zarzuela. La scène du troisième acte de/" //»'/./-
nera, avec les lumières sur les tombes, a été vue par lui à Madrid un jour des
morts, au campo-santo de San Isdro.
— Le propriétaire d'une des salles de concerts de Dresde envoie aux artistes une
circulaire pour leur faire connaître qu'il met à leur disposition, s'ils veulent
utiliser son local, un accompagnateur au piano, des musiciens pouvant prêter
leur concours pour jouir des duos, trios ou quatuors, enfin un public nom-
breux pour remplir h salle. De cette façon, les virtuoses dont le talent n'a pas
encore fait sensation sont sûrs de ne pas jouer devant des banquettes vides.
La précaution n'est peut-être pas inutile, car, à Dresde comme en beaucoup
d'autres villes où sévissent trop de concerts, le public commença à ne plus se
déranger aussi volontiers qu'autrefois pour entendre de la musique de
chambre.
— Au théâtre de la place Gaertner, à Munich, Miss Ruth Saint-Denis, que
l'on a pu apprécier à Paris il y a deux ans, obtient un grand succès en ce
moment par ses danses sur la musique de Lakmé, Elle voyage accompagnée de
six Hindous qui lui servent de figurants, d'un régisseur et d'un chef d'or-
chestre. Elle attache beaucoup d'importance à la partie musicale destinée
à marquer le rythme en faisant valoir ses pas et sa mimique.
— Des fêtes musicales commenceront à la fin du printemps à l'Opéra de
Cologne. On jouera des œuvres allemandes sous la direction de MM. Ernest
von Schuch, Steinbach et Félix Mottl; une représentation de Pelléas et Mèli-
sande de M. Claude Debussy sera donnée par la troupe du théâtre de la Mon-
naie de Bruxelles et les fêtes se termineront pendant la dernière semaine de
juin par le Falslaff de Verdi.
— Tous les biographes d'Ibsen ont raconté que le célèbre dramaturge a eu.
dans sa jeunesse, un penchant pour le dessin et la peinture. On ne connaissait
pourtant, jusqu'à présent, de lui que deux tableaux et deux aquarelles qui font
partie de collections privées. Or, on vient de découvrir chez un propriétaire
de Nitedalen, dont la femme est la veuve d'un ami d'enfance d'Ibsen, sept
autres aquarelles et deux grands tableaux d'une authenticité incontestable.
Toutes ces oeuvres datent de la jeunesse du poète.
— Des touristes américains formant une nombreuse société visitèrent un
jour la maison natale de Beethoven. Ils manifestèrent bruyamment leur ad-
miration pour le génie du maitre, regardèrent tout avec une curiosité presque
indiscrète, posèrent mille questions au gardien. A la fin, une jeune miss se
mit au piano et commença le premier morceau de la sonate en ul dièse
mineur, voulant ainsi faire montre des sentiments d'enthousiasme qu'elle
éprouvait à sa manière. Le gardien restait muet, ne paraissant aucunement
ému par le jeu de cette étrangère. Un peu déçje et impatientée, elle s'adressa
directement à lui : « Je pense, dit-elle, que beaucoup de musiciens sont
venus ici et ont joué sur cet instrument? — Certainement, madame, répondit
le gardien, l'année dernière Paderewski a visité cette maison et la chambre
où nous som nés. — Ah! lit la jeune personne un peu interdite. — Mais,
ajouta le gardien, Paderewski refusa de jouer lorsque ses amis le lui deman-
dèrent: il dit simplement : Non, je n'ensuis pas digne ».
— Le Théâtre-Municipal de Hambourg vient de donner pour la première
fois avec un très grand succès la Manon du maitre Massenet.
— Le Conservatoire Hoch, de Francfort-sur-le-Mein. semble en ce moment
traverser une crise très grave. On annonce que deux professeurs des classes
de violon, M"e Anna Hegner et M. Félix Berber. viennent de donner leur dé-
mission, et le directeur lui-même, M. Bernhard Scholz, le compositeur très
distingué, résigne ses fonctions, qu'il occupait depuis ISS3, c'est-à-dire depuis
94
LE MÉNESTREL
vingt-cinq ans. On va jusqu'à parler tout bas — ceci pourtant n'est encore
qu'un bruit — d'une dissolution possible de l'établissement.
— Une opérette nouvelle en trois actes, la Fièvre du mariage, paroles de
M. Pordes-Milo. musique de M. Franz Rumpel, a été donnée le 14 mars der-
nier à Breslau, sous la direction du compositeur, et a obtenu beaucoup de
succès.
— De Christiania : Les restes du célèbre compositeur Edouard Grieg seront
transportés cette semaine dans une tombe qui a. été acquise par la famille du
défunt et qui ne manque pas d'originalité. C'est une grotte naturelle, située
dans un rocher à Troldhangen, près de Bergen, sur la pointe extrême d'un
fjord donnant sur un lac. De terre, la grotte est inabordable et du coté du lac,
sur lequel le rocher tombe à pic, elle n'est accessible qu'en barque et après
avoir escaladé une vingtaine d'échelons fixés dans la pierre. C'est dans cette
grotte, qui n'est visible que du côté du lac et qui sera fermée pour toujours
ces jours-ci par une plaque en marbre, que Grieg dormira son dernier sommeil.
Un monument tout aussi original lui sera érigé à Bergen, sa ville natale. Le
comité, qui s'y est formé pour commémorer sa mémoire, a renoncé à l'idée de
lui faire élever une statue. A la place, on construira un hall musical qui
portera le nom de Grieg et dans lequel on cultivera de préférence sa
musique.
— Un fait assez rare : deux virtuoses, mari et femme, violoncellistes tous
deux, se présentant ensemble au public. C'est ce qui vient de se produire au
dernier concert de la Société Diligentia, à La Haye, où l'excellent violoncel-
liste Pablo Casais et sa femme (née Guilhermina Suggia) ont remporté un
grand succès en exécutant d'une façon superbe un concerto pour deux violon-
celles du compositeur hongrois Emmanuel Moor.
— Voici le programme des oeuvres de musique sacrée qui ont été et seront
exécutées pendant le carême par la chapelle du dôme de Milan : — S Mars :
Messe Jesu nostra redemptio, à 4 voix mixtes, de Pierluigi de Palestrina ; —
15 Mars: Missa ad usum capellœ Ponlificiœ, à 4 voix mixtes, d'Alessandro Scar-
lalti; — 22 Mars : Messe de S tons, à S voix mixtes, d'Antonio Gruce ('?;; —
29 Mars : Messe Quai donna, à 5 voix mixtes, de Roland de Lattre: — 5 Avril :
Messe 0 quam gloricsum estregnum, à 4 voix mixtes, de Luis de Vittoria; —
12 Avril : Missa inhonorem S. Sebastiarii, à 4 voix mixtes, de Cari Thiele ; —
19 Avril: Pontificale de Pâques (quand les orgues sont complètement éteints) :
Missa Pontificalis in honorent S. Carnli Borromei, pro canonizationis solemnis
centenaris, à 6 voix inégales, de Salvatore Gallotti. — Les deux Messes de
Scarlatti et de Salvatore Gallotti n'ont encore jamais été exécutées au dôme.
— A la Scala de Milan un nouveau ballet en un acte et trou tableaux, les
Porte-bonheur (en français), avec musique brillante de M. Ricardo Drigo, a
obtenu un vif succès. Le scénario est du chorégraphe Pratesi.
— A la Fenice de Venise, le 1er mars, première représentation d'un opéra
en trois actes, il Figlio del mare, poème de MM. Antonio Beltramelli et Luigi
Orsini, musique de M. Giuseppe Cigognani. joué par Mmcs Elvira Magliulo et
Maria Avezza et MM. Garcia Minolfi et Guaccarini. Musique bien faite, mais
lourde, sans air et sans émotion. Peu de succès. — Et au Théâtre-Royal de
Parme, le 5, apparition d'un opéra en deux actes, le Base rosse (les Roses
rouges), paroles de MM. Cesare Hanau et Gustavo Micchi, musique assez
agréable d'un jeune compositeur, M. Edoardo Lobegott, avec Mmes Poli-Rar.-
dacio et Rolando et MM. lschierdo, Mazza et Birdi comme interprètes.
Accueil favorable.
— Le Conservatoire de Pesaro, fondé par les soins de Rossini dans sa ville
natale, a l'été dignement, par deux grands concerts, le 116° anniversaire de la
naissance de l'illustre artiste (29 février). Le programme du premier de ces
concerts, organisé par M. Amilcare Zanella, le jeune directeur de l'école,
comprenait, après un entretien d'un des professeurs, M. D'Angeli, sur l'œuvre
et le génie de Rossini, l'ouverture de Guillaume Tell, la Prière de Moïse, le
finale de Norma, de Bellini, l'air : Selva opaca (Sombre forêt) de Guillaume
Tell, chanté par M"c Oliva Petrella, le Menuet du Bourgeois gentilhomme, de
Lully, le chœur populaire d'ï Lombardi, et, comme œuvre absolument incon-
nue de Rossini, une Aria ail' antica pour quatre sopranos, dont l'effet a été
considérable. A l'exécution de ce programme prenaient part 250 artistes, or-
chestre et chœurs.
— Un « tableau lyrique » en deux actes, le Campane (les cloches), musique
de M. Antonio Corsini, a été exécuté à Bari, au Cercle Saint-Vincent-de-Paul.
— Et au théâtre de Bénévent on a représenté une opérette pour enfants,
genre de spectacle qui depuis quelques années paraît eu grande faveur en
Italie; cette opérette, intitulée Cenerentola (Cendrillon), est en trois actes et a
pour auteurs MM. L. Corradi, pour les paroles, et Carmelo Castagnino, pour la
musique.
De notre correspondant de Lisbonne : Au Théàtre-San-Carlos, l'opéra
Eaulo e Francesm de Mancinelli a été bien reçu. Le célèbre baryton Titta Ruffo
l'a fort bien chanté. Les autres artistes Piccaletti et Krismer médiocres. —
Madame Butterfly de Puccini eut du succès au deuxième acte. MUe Krusceniska
fut une « Butterfly » superbe.
La maison Puttick et Simpson, de Londres, a vendu récemment aux
enebères plusieurs violons de grands auteurs. Trois Stradivarius ont atteint
un prix moyen de 420 livres sterling; pour l'un d'eux, le prix s'est élevé à
450 livres (11.250 francs). Un Guarnerius (on ne dit pas lequel, il y a cinq
luthiers de la même famille) a fait 285 livres (7.12b francs) et un Guauagnini
(même observation) a atteint seulement 125 livres (3.125 francs).
— On a donné dernièrement,. au Brixton-Theatre de Londres, la première
représentation d'un opéra romantique nouveau en trois actes," Nigel, libretto
de M. Percy Pinkerton. musique de M. Stephen R. Philipott».
— On vi»nt de reprendre à Londres, au Théàtre-Adelphi, un joli opéra-
comique de M. André Messager, Mirette, quifut créé enl894au Savoy-Theatre.
et qui n'avait pas reparu à la scène depuis lors. Cet ouvrage, écrit sur un
livret de M. Michel Carré, n'a jamais été joué à Paris.
— M. Hammerstein vient d'annoncer que leManhattan-Opera de New- York
a engagé pour vingt représentations, qui auront lieu au cours de la saison pro-
chaine, Mlle Mary Garden, la cantatrice qui a chanté cette année avec un
triomphal succès thaïs, Louise et Pëllëas et Mélisande.
— Une saison d'opéra et d'opérette, qui doit commencer à la lin d'avril et
durer pendant le resle du printemps et l'été, a été organisée par MM. Stair.
Havlin et Achille Alberti, au West End Théâtre de New-York, sous la déno-
mination de « The Helena Noldi Opéra Company ». Les vingt cinq meilleurs
artistes des orchestres des « Manhattan et Metropolitan Opéras » ont été en-
gagés. Mme Noldi chantera les principaux rôles.
— Voici le grand ténor Caruso transformé en défenseur de la morale ou-
tragée. Qui l'aurait pu croire? Si l'on doit s'en rapporter au New-York
Amerimn, le célèbre virtuose se serait fait là-bas sociétaire et patron d'une
« Association pour l'abolition du vice ». Le bilan moral de cette Association,
qui compte trente-quatre années d'existence, est des plus brillants. Dans le
cours de la dernière année elle a fait détruire environ douze tonnes de livres
et de dessins immoraux, et provoqué l'arrestation de beaucoup de commer-
çants indignes, faisant confisquer dans une seule maison 180.000 cartes pos-
tales illustrées. Le nombre des arrestations s'est élevé à 185, et les amendes
infligées atteignent 30.000 francs. Ah ! c'est qu'en Amérique on ne plaisante
pas avec la morale. C'est égal, en apprenant l'enrôlement de Caruso dans cette
association bienfaisante, un journal italien ne peut s'empêcher de dire:
Quantum mutatus...
— Les directeurs de théâtres d'opéra de New-York ont déclaré la guerre aux
demandes formulées par l'Union protectionniste musicale de cette cité, et
l'automne prochain il est probable que les pianos, les pianolas et même les
gramophones remplaceront les orchestres dans les théâtres (à moins que la
réconciliation ne se soit effectuée dans l'intervalle). Les musiciens unionistes
réclament une augmentation de salaire que les directeurs considèrent exor^
bitante et, comme chaque directeur de théâtre de New-York appartient à
l'Association de direction théâtrale, l'organisation croit qu'elle est assez
puissante pour lutter contre l'Union. Les directeurs déclarent qu'ils paient
déjà des salaires assez élevés et qu'ils ne veulent point avoir une échelle à
plusieurs prix. En ce qui concerne les deux théâtres d'opéra de New-York, les
musiciens contestent qu'il soit légal d'importer des musiciens étrangers
« jaunes » et déclarent que les directions doivent acquiescer à leur demande,
sans quoi la métropole américaine devra si contenter de pianos et des divers
échantillons de « musique de conserve ».
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Par ordre du général commandant la place de Paris, les chefs de corps
viennent d'être prévenus que les musiques militaires des régiments d'infante-
rie et les fanfares devraient être en état de jouer sur les places publiques et
les squares de la Ville à partir du T'r mai.
— M. Marcel Hutin de l'Écho de Paris a pris aux frères Isola une interview
qui n'est pas sans importance, comme on va voir :
Dans l'après-midi d'hier, j'ai conversé avec les Trères Isola au sujet de l'Opéra-
Populaîre.
— Notre intention, m'ont-ils dit, est de continuer la saison prochaine l'œuvre que
nous avons entreprise et pour laquelle M. Carré s'est employé avec une si intelli-
gente activité. Jusqu'à présent, nous n'avons pas demandé le concours de MM. Mes-
sager et Broussan pour les œuvres du répertoire de l'Opéra, que nous sommes
décidés à monter. Ce concours, nous sommes dès à présent certains de le rencon-
trer auprès de ces messieurs, qui nous ont fait déjà connaître les ouvrages popu-
laires parmi lesquels nous pourrons faire notre choix.
» L'Opèra-Populaire nous intéresse. Le public aussi prend goût à nos repré-
sentations. Ce n'est pas seulement par devoir, mais aussi par plaisir, que nous
poursuivons cette entreprise. Nous sommes persuadés que M. Albert Carre conti-
nuera à collaborer, avec l'ardente conviction et le beau désintéressement qui carac-
térisent cet homme de cœur et cet artiste, au Lyrique-Populaire. Dans quelle
mesure? Nous nous entendrons certainement avec le directeur de l'Opéra-Comique.
» Nous avons fait cette année un essai. Il fallait tàter le public. Vous avez pu
juger parnos salles bondées combien, avec le prix des places si abordable que nous
avons consenti, le public a pris goût à notre expérience. Après la Traviata, nous
donnerons, avec le concours de la troupe de l'Opéra-Comique et dès lundi, Galalliée
et la Fille du Régiment. Le lundi suivant, nous allons. tàter un peu de l'opéra avec
Lucie de Lammermoor, qui sera chantée par M"' Alice Verlet et des artistes que
nous avons engagés spécialement et dans des décors à nous. Enfin, avant le 15 juin
date de notre clôture, on jouera les Dragons de Villars, la Basoche, de Messager, avec
l'élégant ténor Francell (tans le rote de Clément Marot, et nous finirons notre saison
d'essai avec Paul et Virginie, à moins que nous ne commencions par la belle œuvr
de Victor Massé notre saison prochaine.. . :
— Et vous allez jouer, la saison iprochaine, des œuvres nouvelles?
— Parfaitement. Notre intention est bel et bien de donner des ouvrages, inédits,
à côté de reprises intéressantes ou de représentations d'oeuvres musicales françaises
ou étrangères, inédiles, où à peu prés, en France, après avoir triomphe partout
ailleurs qu'à Paris.
LE MÉNESTREL
— Avec des artistes nouveaux ?
— Des artistes réputés que nous sommes déjà en train d'engager.
— Mais il vous faudra une subvention très forte du Conseil municipal, comme
l'Opéraet l'Opéra-Comique sont subventionnés par l'État?
— Nous verrons cela. A chaque jour sa peine. »
Ce sont là d'excellents projets. Tous les Parisiens approuveront les Isola et con-
tribueront, j'i'n suis sur, au succès du Lyrique-Populaire.
— L'Association des directeurs de théâtre a voté la résolution suivante :
L'Association des directeurs de théâtres de Paris, repoussant toute solidarité à
l'égard de ceux de ses adhérents qui auraient pu se livrer à des manœuvres
ayant pour but de priver l'Assistance publique ou la Société des Auteurs
d'une partie des droits qui leur sont reconnus sur les recettes des spectacles,
délègue : M. Albert Carré, président de l'Association, MM. Micheau et
Crémier auprès du directeur de l'Assistance publique avec mission de prendre
connaissance des rapports qui lui ont été adressés, à ce sujet, par ses inspec-
teurs, et de s'associer à l'enquête faite pour en rechercher le bien-fondé.
— Vendredi dernier, à l'Opéra, Ml,c Borgo a repris le rôle do Valentine
des ffuguenos dans lequel elle a retrouvé tout le succès auquel elle est habi-
tuée.
— A signaler à l'Opéra-Comique la rentrée si atlendue de Mu,c G-eorgelte
Leblanc dans Ariane et Barbe-Bleue. On a fêté de la belle manière la magni-
lique et pathétique artiste. — Spectacles de dimanche : en matinée Ariane et
Barbe-Bleue; le soir, Aphrodite. Lundi, en représentation populaire à prix ré-
duits : Le Barbier de Séville et Ghyslaine.
— Le Théâtre de l'Opéra-Comique prend l'initiative d'une souscription des-
tinée à élever un monument sur la tombe de son regretté directeur de la
musique. Alexandre Luigini. Il s'adresse à tous ceux qui ont conservé un
souvenir reconnaissant à cet excellent musicien, à ce noble artiste, et il leur
demande do participer au juste hommage qu'il voudrait rendre à sa mémoire.
Les fonds seront centralisés à la caisse de l'Opéra-Comique, rue Marivaux. On
pourra souscrire de 2 à 6 heures.
— Un petit point amusant d'histoire semi-artistique, établi par Flntermé-
diaire. Récemment, notre collaborateur Arthur Pougiti posait dans ce journal
la question suivante :
Le petit almanach les Spectacles de Paris de 1785 donnait la liste complète non
seulement des artistes, mais de tous les employés de l'Opéra. Or, dans celle des
a Ouvreurs et ouvreuses », on trouve ceci :
Le sieur Pigoreau j Ouvrant la baignoire, les timbales,
La D"' Menghini S les crachoirs, au rez-de-chaussée.
Malgré toutes mes recherches, il m'a été jusqu'ici impossible de découvrir ce
qu'étaient les timbales et les crachoirs. On voit seulement que c'était des loges au
rez-de-chaussée ; mais quel en était le nombre, quelle place occupaient-elles rela-
tivement à la baignoire — l'unique baignoire — quel en était le prix, combien de
places comportaient-elles ? Autant de questions qui restent pour moi sans réponse.
Qui pourra me renseigner sur les timbales et les crachoirs de l'Opéra?
La question a reçu une réponse au moins partielle de la part de M. Eugène
Grécourt dans le dernier numéro de l'Intermédiaire ; la voici :
Je retrouve, dans mes notes, des indications qui me permettent de donner satis-
faction à M. Arthur Pougin, en ce qui concerne bs crachoirs et les timbales. La salle
du boulevard Saint-Martin, construite par Lenoir après l'incendie de l'Opéra en
1781, comprenait un certain nombre de loges établies directement sur la scène: Il en
existait deux de chaque cùté du trou du souffleur; elles étaient disposées comme
celui ci et désignées sous le nom de crachoirs. Deux autres lo^es étaient situées de
chaque coté de la scène. Celles qui étaient contigués à l'orchestre portaient le nom
de timbale, et les deux autres plus près de U scène étaient, en raison de leur
forme, dénommées chaises de poste.
Voilà un petit mystère éclairci. Mais on avait do drôles de noms, à la fin
du dix-huitième siècle, pour caractériser certaines loges de l'Opéra. Timbales,
crachoirs, chaises de poste, qui diable fut l'inventeur de ces dénominations
bizarres ?
— L'Assemblée générale annuelle des Trente Ans de Théâtre a eu lieu,
à la mairie de l'Hôtel de Ville, sous la présidence de M. Adrien Bernheim.
Le rapport moral du président-fondateur, constatant la pleine prospérité de
l'œuvre et rappelant la reconnaissance d'utilité publique par le conseil d'État,
a été adopté a l'unanimité, ainsi que le rapport financier du trésorier, M.Charles
Reynaud, iudiquant que, du 1er janvier au 31 décembre 1907, 81.022 fr. 80 c.
ont été distribués (41.930 francs aux pauvres du théâtre et 39.072 fr. 80 c. aux
personnels des théâtres). Le dispensaire des Trente Ans de Théâtre sera inau-
guré le lundi 4 mai.
— M.HénriHirchmann.qui obtient en ce moment un vif succès à Liège avec
son nouvel opéra, Hernani, peut se flatter d'avoir déjà un bagage considérable.
Voici en effet, sauf omissions, la liste des ouvrages qu'il a fait représenter
jusqu'ici : If Siècle, légende en un acte. Boite à musique, 4 novembre 1896;
— l'Amour à la Bastille, un acte, Opéra-Comique, 14 décembre 1897 ; — le
Retour, pantomime en un acte, Boite à musique, 20 mars 1898 ; — Folles
Amotirs, divertissement en deux tableaux (avec M. de Lagoanère), Olympia.
11 septembre 1S9S ; — Lovelace, drame lyrique en quatre actes, Théâtre de la
République, 19 septembre 1898; — Néron, ballet en un acte (avec M. de La-
goanère), 31 octobre 1898 ; — Les Sept Péchés capitaux, ballet en un acte (avec
le même), Olympia, 28 janvier 1S99 ; — l'ers les Étoiles, ballet-féerie, Olympia,
1899 : — les Mille et Nuits, ballet en un acte, Olympia, 7 octobre 1899 ; —
Paillasse, pantomime en un acte, Folies-Bergère, 19ll2 ; — Colette et le Cheva-
lier, pantomime en un acte. Salle de Géographie. 1902 : — Joujoux perfection-
nés, ballet en un acte, Salle du Journal, 1903; — les Hirondelles, opéra-comique
en trois actes, Berlin. Central-Théâtre, févriei I90i; — la Petite Bohême,
opérette en trois actes, Variétés, 20 janvier 1905; — Rolande, drame musical
en trois actes, Opéra de Nice, mars 1905; — Hernani, opéra en oii
Théâtre-Royal de Liège, mars 1908.
— Nous apprenons que. sous le patronage de la Société des grandes audi-
tions musicales de France, un grand festival sera donné en l'honn
mémoire d'Edouard Grieg. La grande cantatrice d Bayrentb,
M""- Filon Gulbranson, se ferait, parait-il. entendn ilenn'té, qui aurait
lieu le samedi 11 avril, à la salle Gaveau, Vi, rue de Laii
— Aujourd'hui, à .'i heures, au Théâtre-Sàrâh-Bernhardt, 21e samedi d-: la
Société de l'histoire du théâtre. Causerie de M. Léopold Lacour sur la Jeu
Fille, avec récitations et auditions suivantes :
Lu Jeune Fille (Th. Gautier) ; Sylvie (fragment) (Gérard de Neriral , par M'" Valois :
duo du Roi cTYs (Lalo), par'H™ Laute-Brun el M" Marguerite Vinci; le '
Séville (scène de Rosine et de Figaro) (Beaumarchais), par M"1 Alice Clairville et
M. Pillot; Chant hindou (Bemberg), par M"' Marguerite Vinci Elle aimait trop /<• bal,
c'ésteequi l'a tuée (Victor Hugo); Sarah, belle d'indalenee { Victor flugo), par M"- du
Minil ; air du t'id (Massenetl, par M™" Laute-Brun ; On ne badine pat avec Vamour
(A. de Musset), par M"' Géniat ; Romance (Gharaînade), par M11- Marguerite Vinci .
— Il y a quelques jours à peine, une toute jeune et jolie cantatrice, dont
nous avons eu souvent l'occasion d'enregistrer les succès dans les concerts et
dans les salons, M"0 Eva Olchanski partait pour Bruxelles, où les directeu rs
du Théâtre-Royal de la Monnaie, sollicités parles maitres Massenet et Cli.-M.
Widor l'avaient priée de venir se faire entendre. L'audition eut lieu.
Mlle Olchanski chanta tour à tour d'importants fragments de Sigurd, de Faust,
à'IIérodiade, i'Iphigénie en Tauride et d'Ariane. MM. Kufferalh et Guidé furent
frappés tout de suite par la superbe voix de soprano, par le style et la
méthode de cette jeune fille et surtout par le tempérament de théâtre qu'ils
observèrent en elle. La cause était gagnée. L'engagement a été signé au cours
de la semaine pour trois ans et dans de très belles conditions. M11* Olchanski
fera son premier début très probablement dans Hérodiade ou Ariane. Ajoutons
qu'elle est une des brillantes élèves de Mnlc Esther Chevalier, de l'Opéra-
Comique, le distingué professeur qui a réussi à développer en elle toutes les
belles qualités d'artiste dont cette jeune fille est douée. C'est là un début qui
promet d'être sensationnel.
— Lundi dernier, salle des Agriculteurs, Mml! M. Long de Marliave et
M. Maurice Hayot ont donné une superbe audition des sonates pour piano et
violon de César Franck et de M. Gabriel Fauré, suivies de la Sonate à
Kreutzer de Beethoven. Mme Long de Marliave a joué avec des nuances
exquises, un fini et une délicatesse de toucher tout à fait remarquables;
M. Hayot avec un beau son et un style très sobre et très pur. Les deux ar-
tistes ont obtenu un magnifique résultat d'ensemble. La sonate de M. Gabriel
Fauré a été particulièrement bien rendue; le second morceau, très difficile,
et le final, très vivant, ont provoqué les applaudissements de toute l'assistance.
Dans la Sonate à Kreutzer, l'andante con variazioni a été pour ses brillants
interprètes un véritable triomphe. Les notes de chaque phrase musicale, égre-
nées avec une finesse et une minutie charmantes, ont ravi l'oreille sans jamais
nuire par leur grâce un peu coquette au beau sentiment de la mélodie. On
ne pouvait mieux comprendre et mieux interpréter le chef-d'œuvre de Bee-
thoven et les deux autres sonates qui figurent parmi les plus belles qu'ait
produites l'art moderne. Au. B.
— Le concert annuel donné par les élèves du Conservatoire de Perpignan
a été un des meilleurs que nous ayons entendus. Au riche programme figu-
raient une Romance sans paroles de Mendelssohn pour instruments à cordes
et harpe chromatique, fort bien tenue par M"" Louise Rey ; le duo i'Aîda
bien chanté par Mlles Vaills et Llech ; le redoutable concerto peur violon de
Beethoven, eulevé avec une maestria étonnante par la jeune et charmante
violoniste. Mlle Gabrielle Baille, et la Symphonie pastorale du menu auteur .
Le talent de tous les jeunes artistes qui se sont fait entendre nous a prouvé
que notre école de musique était en grand progrès et cela grâce à la compé-
tence de son infatigable directeur, M. Gabriel Baille.
— Le Grand-Théâtre de Bordeaux a donné avec succàs la représentation
d'un ballet inédit intitulé An Pays d'Armor, scénario de MM. Belloni et de
A.-P. deLannoy, musique de M. N.-T. Ravera.
— Le 27 mars aura lieu, à la salle des Agriculteurs, rue d'Athènes,
le concert de Mme Regina d'Artelly, la remarquable cantatrice russe, avec
le concours des compositeurs Diémer, Paul Vidal, Coquart, du violoniste
Enesco et du pianiste Lortat-Jacob.
— Mme Juliette Toutain-Grûn, la remarquable virtuose, donnera un concert
avec l'orchestre Colonne, le mardi 24, à 9 heures, salle Érard. Au programma :
Concertos de Schumann, Chopin, Litoltï, Saint-Saéns.
— SotaÉES et Concerts. —L'audition des élèves de M. et M— Jean Canivet était
tout entière consacrée aux œuvres de Théodore Dubois. Crand succès pour les
pièces de piano : Daphnis, le Lèlhè, l'Allée solitaire, le Réveil, Danse el chœur des lutins,
le Banc de mousse, les Abeilles, Risette, les Myrtilles, Roses et Papillons, les Oiseaux, Clin-
conne, Danse rustique. Éludes de concert, etc., exécutées avec beaucoup de goût.
M"» Durand-Texte prêtait le concours de son beau talent, en guise d'intermède, i
cette intéressante matinée. Elle fut merveilleuse dans les mélodies Ce qui dure,
Effeuitlement, ta Voie lactée, et dans les délicieuses Musiques sur l'eau : Écoute ta sym-
96
LE MENESTREL
phonie et la Lune s'effeuille sur l'eau. — A Versailles, l'audition des élèves de
M"' taure Taconnel était également consacrée aux œuvres dû même maître. L" ce
fut uniquement le chant qui triompha et l'on parut goûter fort la Jeune fille à la cigale,
le Jeune Oiseleur et Y Incantation fdes Odelettes antiques), l'Air était doux, Effeuillement.
Printemps, etc., etc. Le violoncelliste Liégeois lit merveille dans le Menuet. VAndanti
cantabile > t l'Entr'acte-Bigaudon de Xavière. On termina par une importante sélection
cX'Abeii-Hamel où se di>tinguèrent M""Gonse, Jouart, Yincenot, Liure Taconnet et
M. Stéphane Austin. Le grand duo final fit une profonde impression. — Au Lyceum-
Club, succès pour les œuvres de L. Filliaux-Tiger, interprétées par l'auteur:
Impromptu, Sourie <o/ rieieuse furent plus applaudis que jamais; M1"" Fernand Depas
a été hissée dans Suis ta Morrinniers. — Salle Pleyel, très intéressante audition du
« Choral Le Grix » i;ui nous a donné une trèsbonne audition de tout lepremier acte
de Marie-Magtlekii c, de Messenet, avec comme solistes Mr Eliet, MM. Marquai rc »t
Legrand.
NÉCROLOGIE
On annonce la mort, à l'âge de 49 ans, d'un compositeur d'opérettes anglais,
daller Slaughter. dont certains ouvrages de ce genre ont obtenu de vifs suc-
cès : Gentleman Joe, the French-Maid, Her Royal Higlvess, Orlando Dando, Majo-
' rie, S. M. le Roi, Lady Tattees, etc.
— Le 8 mars dernier est mort à Vienne Joseph Stritzko, compositeur de
chœurs pour voix d'hommes et d'opérettes, parmi lesquelles deux ont eu du
succès, Tip, Top et Hochzeit auf sacramentel.
Henri Heugel, directeur-gérant.
cause de santé, dans une grande ville du Nord, un fonds
de commerce de musique, à des prix extrêmement
avantageux. Prendre l'adresse et les renseignements au bureau du journal.
Chemins de fer de l'Ouest. — Voyage circulaire en Bretagne. — La Com-
pagnie des Chemins de fer de l'Ouest fait délivrer toute l'année par ses gares
et bureaux de ville de Paris des billets d'excursion de I'e et 2e classes, vala-
bles 30 jours, aux prix 1res réduits de : (io francs en lre classe et 50 francs en
2e classe, permettant de faire le tour de la presqu'île bretonne. — Itinéraire :
Rennes, Saint-iIalo,Saiiit-Servan, Dinard-Saint-Êno'gat, Binon, Snint-Brienc,
Guingamp, Lànnion, Moiiaix, Roscoff, Brest, Quimper, Douarnenez, Pont-l'Abbé,
Concarneau, Lorient, Auray, Qiiiberon. Vannes, Savenay, Le Croisic, Guérande,
Saint-Xazaire, Pont-Château, Redon, Rennes. — Ces billets peuvent être pro-
longés trois fois d'une période de 10 jours, moyennant le paiement, pour
chaque prolongation, d'un supplément de 10 0/0 du prix primitif.
Pour paraître AU MÉNESTREL. 2 bis, rue Vivionne, HEUGEL ET G10, éditeurs
Le jour de la première représentation au Théâtre de la Porte-Saint-Martin
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LE CHEVALIE
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PARTITION CHANT ET PIANO b«
Prix net. .15 francs A^JVIfl^D SIllVEST^E et HEN^I CRlfi
PARTITION CHANT ET PIANO
Prix net : 15 francs
MORCEAUX IDE G H .A. 2ST T DÉTACHÉS
Couplets du lieutenant de police : « Ah ! quel plaisir. » 1 50
Duetto : « : II. faut ni amour au but courir, vite, v 1 30
Final-valse : « On te cachera, on t'arrangera. » 2 »
Couplets de la toilette : « Un peu de air m in sur la bouche. »... 1 75
Le Chagrin de Rosita : « Mon Éon a disparu. » 1
Rêverie de la Dubarry : « Parfois f éprouve une tristesse. » . . . . 1
2pscoupletsdulieutenantdepolice:«Pour(eshommes/esuw(en-;6;e. » l 73
Couplets d'Éon : « Un insolent coin me tantôt. « 1 75
Romance d'Annette : « Mais crois-tu donc que c'est bien ilrô'e. « . . 1 30
Est-ce oui? Est-ce non?: « Le sort de ton ami dépend de to:. •> . . '2 »
Petits oiseaux :« Emplisses d'un murmuré d'ailes. » I »
22. Duo comique (le lieutenant de police, WandcrlloclO : « Si i
(Les numéros 1. 3, 4. 7. 8. 9, li, 15, I i et 2' p mi
N°
Pi
neige et froidure. ».
Cavatine
Daetto : « Je ne sais pas écrire. » .
La lettre de Rosita : o Si lu suçais, mon chevalin-. » . . .
Romance de la fleur : « Tiens, reprends la petite fleur. », .
Couplets de Wanderflock : « Ôk! Celte Anneite, quel trésor I
Valse de la Parisienne : « Ah! qu'c'est bon! »
Menuet de la Dubarry : « Que tout est charme. »'. ■ . . . .
Chanson d'Éon : « Vivent les folles escapades. »
Air de Rosita : « Vous mentez! »
Lettre de Russie (2 voix) : « Sain1, mon beau cousindéFra
La même pour une seule voix
ons continuez à me turlupiner. » 1 50
chant seul sans accompagnement, chaque net : 0 33)
1 »
1 50
1 75
1 »
2 50
1 50
1 30
l »
TRANSCRIPTIONS POUR PIANO SEUL
!. Entr'acte-Gavotte. ..... 1 » | •'!. Entr'acte-Lamento 1 i
Marche triomphale
3. Mazurka.
AIRS DE BALLET. - LE MARIAGE D'UNE ROSE
1 30 | G. Boutons de ns-)r, staccato
S. Rose de France, bciiqrzetto 2 » |
1 » | 7. Adoration, andante
I. Strette-Finale 1 50
IVtXJSIQTJB HZ» E;
SUITE DE VALSES
Net : 2 francs
GRANDE POLKA
Net : 1 fr. 50
y g S'adresser au MÉNESTREL, 2 bis, rue Vivienne, pour la location des parties d'orchestre
de la mise en scène, et des dessins des costumes et décors
EN PRÉPARATION DES TRADUCTIONS ALLEMANDE ET ANG-LAISE
18. - 74' ANNÉE.— i\° 13.
PARAIT TOUS LES SAMEDIS
Samedi 28 Mars 4908.
(Les Bureaux, 2 b:% rue Vivienne, Paris, h- an')
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
lie fluméro : o ft>. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
lie flumépo : 0 ft». 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de posté en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (IV' article), Julien Tiersot. — II.
Flirt, au Gymnase, Paul-Emile Chevalier. — III. Petites notes i
concerts. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
MENUET
extrait de Zino-Zina, ballet de Paul Vidal. — — Suivi a immédiatement :
Entracte-Gavotte, extrait du Chevalier d'Éon, opérette de Rodolphe Berger,
qui va être prochainement représentée à la Porte-Saint-Marlin.
taine théâtrale : première représenlalion de
portée : Orchestre et littérature; échange
la Poudre aux Moiiu-uu.
de bons procédés, Ra
au Palais-Royal, et reprise de Madame
■ i\i> Bouver. — IV. Revue des grands
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
COUPLETS DE L'AIGUILLE
exlrails des Jumeaux de Bergame, arlequinade de E. Jaqies-Dalcroze. —
Suivra immédiatement : La Lettre de Rositu, exlraite du Chevalier d'Éon, opé-
rette de Rodolphe Berger.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
(±T 1-4-1774)
Quant à Haendel, c'est bien à tort
expliquer le froid accueil reçu par
Gluck. Il avait assez affaire de
s'occuper de lui-même et de sa
propre situation sans chercher à
faire obstacle à la carrière d'un
jeune artiste qui n'était aucune-
ment en conflit avec lui.
En 174(3, il y avait huit ans que
Haendel avait fini d'écrire son
dernier opéra. Entrepreneur de
spectacles, en concurrence avec
les théâtres rivaux, en lutte per-
pétuelle avec la noblesse et les
artistes, il s'était ruiné deux fois,
en avait pensé mourir, et toujours
s'était relevé de ses chutes comme
par miracle. Depuis longtemps, il
ne donnait plus que les concerts
auxquels nous avons dû la pro-
duction de ses admirables orato-
rios. Au moment où Gluck aborda
dans l'île, il venait de subir une
nouvelle faillite, pour n'avoir pas
pu achever la saison précédente ;
et ce furent cette fois les événe-
ments politiques qui le sauvèrent,
grâce à l'idée qu'il eut de composer
un « Oratorio de circonstance » où
étaient exaltés les sentiments
patriotiques du peuple anglais,
tandis que Judas Macchabée, donné,
par une coïncidence heureuse.
CHAPITRE IV : Voyage en Angleterre.
qu'on l'a mis en cause pour | comme le chant triomphal que tout le monde voulut accla-
mer.
Ces œuvres étaient exécutées à
Covent-Garden, tandis que Gluck,
au théâtre d'Hay-Màrkèt, donnait
la Cadula de' Giganti et Artamène. Ils
ne se gênaient donc aucunement
l'un l'autre, et les circonstances
étaient telles que Haendel n'avait
point à prendre ombrage de la pré-
sence de Gluck.
Mais les mots historiques ? 11 est
vrai qu'il en est un beaucoup plus
connu (surtout en France, où l'on
aime tant ces sortes de propos)
que le Afessie, Sanison et la Fêle.
d'Alexandre. Un le résume généra-
lement en cette courte phrase :
« Gluck, aurait dit Haendel, est
musicien comme mon cuisinier. »
Quand il s'agit d'aussi graves affai-
res, il importe de remonter aux
sources et ne se point prononcer
à la légère. Conscient de mon
devoir, j'ai donc procédé à l'en-
quête indispensable : c'est dans
Bukney. Life of Hiindel, 178S, p. 33,
que j'ai trouvé pour la première,
fois imprimée la phrase illustre ;
et voici, traduits avec le respect
qui sied, les termes exacts de ce
combien précieux document :
après la victoire, apparut | « Quand Gluck vint pour la première fois en Angleterre, il
98
LE MENESTREL
n'était pas encore un grand et célèbre maître comme il le
devint par la suite. Je me souviens que Mmc Cibber demanda
une fois en ma présence à Haendel ce qu'il pensait de lui comme
compositeur. Il répondit avec un juron : « Il s'entend au contre-
point autant que mon cuisinier Waltz. »
Je me fais gloire d'avoir révélé à mes .contemporains, par cette
citation Adèle, 1° le nom de la dame anglaise à qui Haendel a
fait cette confidence sensationnelle; 2° l'habitude qu'avait l'au-
teur au Messie de jurer dans la société des femmes du monde
(il prononçaprobablement': Goddam! mot dont Figaro allait bientôt
célébrer l'illustration) ; 3° et surtout, le nom injustement oublié
du cuisinier qui supportait la comparaison avec Gluck quant à
l'entente du contrepoint, talent qui devait lui être d'un impor-
tant secours pour la préparation de ses sauces. Quant à la cri-
tique qui se mêle à ces accessoires, reconnaissons qu'elle est
parfaitement fondée, et que, surtout à cette époque de sa jeu-
nesse, après des études faites presque sans maître, avec la seule
pratique de l'opéra italien, celui qui devait écrire Armide
n'était pas très grand clerc en matière scolastique. Ses qualités
étaient autres.
Au reste, les biographes ont rapporté un autre mot de Haendel,
adressé à Gluck lui-même, aussi bien vraisemblable, quoique
d'un esprit parfaitement diffèrent. Gluck, étant allé respec-
tueusement visiter le vieux maître, dont il savait bien admirer
le génie, — voire l'habileté de contrapunctiste, — lui faisait
confidence de ses désillusions après son peu de succès. A quoi
Haendel, avec un flegme qu'explique un séjour de près d'un
demi-siècle chez les Anglais, répondit :
« Vous vous êtes donné trop de mal avec votre opéra, mais
c'est ici bien hors de propos ! Pour les Anglais, il faut, de toute
façon, concevoir une musique qui marche droit et puisse se
battre sur la peau d'un tambour (I). »
Ces mots sont le cri du cœur exhalant le désenchantement
d'un maître qui s'était, toute sa vie, vu aux prises avec l'incom-
préhension, et savait que les oreilles où tombaient maintenant ses
paroles étaient bien faites pour les entendre. Ce sont eux seuls
qui méritent d'être retenus. Quant aux petites médisances mon-
daines, il faut, vinssent-elles d'un Haendel, n'y attacher que
l'importance qu'elles méritent, c'est-à-dire point du tout.
Les opéras que Gluck donna à Londres sont la Caduta de' Giganli
et Artamene. Nous ne connaissons rien des représentations
de ces œuvres, si ce n'est les dates, et les quelques indications
que donne Burney, soit dans son Histoire de la musique, soit
dans son récit de voyage : Étal présent de la musique, où il
consigne les souvenirs dont Gluck lui fit confidence lors de
l'entretien qu'ils eurent à Vienne en 1772 (2).
La Caduta de' Giganli fut représentée au Théâtre d'Hay-Market
de Londres pour la première fois le 7 janvier 1746 (3). Le
(1) Reichardt, ap. Scumid. Ce dernier auteur dit (p. 29) faire la citation d'après le Ton-
kunstler-Lexicon de Gerber ; mais je ne l'ai trouvée ni dans l'édition de 1790 ni dans
celle de 1812 de ce dictionnaire. J'ai lu dans deux biographies, l'une allemande,
l'autre française (les meilleures que nous possédions sur Gluck), l'observation sui-
vante appliquée sérieusement à la boutade de Haendel : » Le conseil ne fut pas
perdu, et c'est de ce moment que Gluck conçut l'idée de renforcer ses chœurs,
notamment par des trombones. » Ce que c'est que de comprendre ! Je n'aurais jamais
cru que l'idée d'écrire une musique imitantle bruitdu tambour eùtpour conséquence
l'introduction des trombones dans l'accompagnement des chœurs funèbres i'Orphée
et éL'Alceste ! La méprise est d'autant plus piquante que, jusqu'alors, et pour long-
temps encore, Gluck n'eut pas à composer de chœurs pour ses opéras, et que le
premier emploi qu'il fit des trombones unis aux voix est de seize ans postérieur,
ayant eu lieu en 1762, dans Or/eo, d'après une fort ancienne tradition de la musique
religieuse allemande, qui n'a aucune relation avec le conseil ironique donné par
Haendel en 1746 !
(2) Burney, A General Hislory of musk, 1789, t. IV, pp. 452-454. — De l'Étal présent
de la musique, etc., 1810, t. III. pp. 229 et suiv.
i3) Voy. Burney, History, et Wotquenne, Catalogue GlueU. Je tiens en outre de
M. .1. S. Shedlock, notre excellent confrère de Londres, des renseignements qu'il a
bien voulu, à mon intention, chercher dans les documents anglais contemporains.
Voici d'abord l'annonce de la première représentation telle qu'elle est libellée par
un journal trois jours avant l'ouverture du théâtre :
■ Général Adverliser, 1740.
Jan 4. — Thursday.
Haymarket La Caduta de' Giganti.
Théâtre . . The Fait of the Giants.
A Musical Brama in
two parts. »
duc de Cumberland assistait à cette représentation; il y
écouta un compliment composé en son honneur. Des danses
nouvelles composées par Auretti, où parut la charmante Violetta,
plus tard Mistress Garrick, furent applaudies. Parmi les chan-
teurs, Gluck retrouva trois de ses anciens interprètes de Milan
et de Venise : les castrats Monticelli et Jozzi, et la cantatrice
Thérèse Imer. Du poème, nous ne savons pas un mot, pas même
le nom de l'auteur ; toute trace du libretto a disparu. Quant à
la musique, Burney l'apprécie dans son histoire en analysant un
à un les six morceaux qu'en ut graver un marchand de musique
de Londres ; mais c'est plutôt d'après cette lecture qu'il en parle
qu'en évoquant, semble-t-il, ses propres souvenirs de la repré-
sentation.
Il n'est pas exact, comme il l'a rapporté plus tard d'après les
communications de Gluck (nous avons déjà cité le passage), que
le théâtre n'ait pu représenter dans la saison que la Caduta
de' Giganti, à la faveur des applications fortuites du poème aux
circonstances politiques, car un opéra-buffa de Galuppi,// Trionfo
délia Continenza, prit sa place le 28 janvier (1). Le 4 mars fut
donné un second opéra de Gluck, Artamene, qui eut dix repré-
sentations, jusqu'au 12 avril (2) ; nous n'en savons rien de plus
que pour la Caduta. Enfin la saison fut terminée avec Alessandro
nelf Indie, de Lampugnani, que suivit encore un autre ouvrage
de Galuppi, Antigono.
(A suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THÉÂTRALE
Palais -Royal : Lu Poudre aux Moineaux, vaudeville en 3 actes, de
MM. Maurice Desvallières et Lucien Gleize. — Gymnase : Madame Flirt,
comédie eu 4 actes, de MM. Paul Gavault e( Georges Berr.
Mongrésin est un charmant garçon, architecte de son état et horri-
blement volage de sa nature, encore qu'il aime énormément sa jeune
femme, liais, voilà, il ne peut pas rencontrer un jupon sans immédia-
tement s'enflammer et jeter « sa poudre aux moineaux » ; et lorsque,
le soir, il rentre au domicile conjugal, il a usé toute cette précieuse
poudre, ce dont se plaint assez justement Mnlc Mongrésin. Il a beau se
raisonner, le pauvre, se cabrer pour échapper à la tentation, il est sans
volonté pour éviter le danger. Ah ! si seulement il y avait encore des
couvents d'hommes! Il irait bien vite là emprisonner sa fragile fidélité.
Emprisonner... prison ! Si les couvents ont disparu, les prisons demeu-
rent ! C'est cela ! Il se fera coffrer aux lieu et place d'un sien ami,
condamné à huit jours pour excès de vitesse en automobile ; il fera, dans
le calme de sa cellule, provision de- « poudre » et, à sa libération,
Mmi' Mongrésin n'aura plus rien à lui reprocher et, lui, aura enfin
rendu la paix à sa conscience alarmée.
Or. Mongrésin, qui n'a vraiment pas de chance, est écroué à la
« Santé » dans un pavillon nouveau exclusivement destiné aux auto-
mobilistes et dont le directeur, -mondain, aimable et très parisien, a
tout mis en œuvre pour faire oublier aux chauffeurs éternellement
braqués, les injustices trop souvent répétées des contraventions ineptes.
Il est permis d'y recevoir des dames en ce paradis nouveau ; aussi
Mongrésin s'empresse-t-il de convoquer sa femme. Pourquoi est-ce
Navarette, des Folies-Bergère, qui franchit le seuil de la geôle et non
Mmc Mongrésin ? Tour de passe-passe, cher aux vaudevellistes, qui fait
rebondir la pièce, l'embrouille de plus belle et la rendrait interminable
sans l'adresse et l'esprit des auteurs qui finissent, après mille amu-
santes péripéties, à rendre l'époux à l'épouse.
La Poudre aux Moineaux estjouée avec entrain, belle humeur, etmème
quelque originalité, par M. Le Gallo, avec infiniment de talent et de
En ce qui concerne la correspondance de la date avec celle du calendrier en usage
sur le continent, rappelons, d'après M. A. Wotquenne, qUe le calendrier anglais
retardait de onze jours sur le calendrier grégorien, lequel ne fut adopté dans les
Iles Britanniques qu'en 1752. — Les représentations de la Caduta de' Giganti, au
nombre de six seulement, eurent lieu les 7, 11, 14, 18, 21 et 25 janvier.
(1) Sur les représentations des opéras de Galuppi à Londres, voy. Burney, History,
etc., pp. 453 et 454, et Wotouexne, Baldassare Galuppi, Elude bibliographique^ 19Û2,p. 20.
(2) Le General Adverliser annonce en effet, sous la date du 4 mars :
« A New Opéra eall'd Artamene *.
Et les représentations suivantes sont mentionnées aux dates de 8, 11, 15, 18,
22 mars, et 1, 5, 8 et 12 avril (Communication de M. J.-S. Shedlock).
LE MÉNESTREL
99
discrétion par M"c Madeleine Dolley, avec chic et amabilité par
M. Cooper. Mlles Corciade, Yrven, MM. Reschal et Diamand complètent
un honnête ensemble.
C'est à l'Athénée que le Gymnase a emprunté cette Madame Flirt
qu'il vient de remonter, on est tenté de se demander pourquoi. Non
que la comédie de MM. Paul Gavau't et Georges Berr ne soit tout à
fait charmante, plus que charmante même en plusieurs passages, mais
parce que son apparition remonte à peine à six ou sept années et que
le nombre de ses représentations, au square de l'Opéra, fut tout à fait
respectable, car ce fut un très grand succès. Qui donc à Paris n'a pas
été séduit encore par la nature exquise de M"K' de Varigny et quels
doux yeux ne se sont pas embellis d'une larme furtive à la belle sim-
plicité de son dévouement ?
Donc c'est surtout dans l'interprétation que réside, cette fois, le plus
grand intérêt, et il n'est point mince puisque les deux principaux rôles
sont confiés à Mmo Marthe Régnier et à M. Tarride. Il n'est point pos-
sible d'être plus joliment mutine et plus délicieusement attendrie que
la première, et plus largement naturel et fin que le second. La direction
du Gymnase a encadré les deux remarquables protagonistes de femmes
jolies et d'élégance raffinée, telles M"''s Madeleine Charny et Bérangère,
et de comédiens d'excellente volonté, tels MM. Jean Dax, Gaston Des-
champs, Arvel, Rabiot et Baûer.
Paul-Emile Chevalier.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
CXXXI
ORCHESTRE ET LITTÉRATURE : ÉCHANGES DE BONS
PROCÉDÉS (1).
.1 .1/"L' Hélène Dentellier, dramatique
interprèle de la Habanera.
Influences réciproques de l'orchestre sur la littérature et de la litté-
rature sur l'orchestre : telle est donc la double donnée du problème à
la fois expressif et technique, dont il faut très nettement distinguer les
deux termes.
1° En résumé, quelle a été l'influence de l'orchestre sur la littérature ?
Nulle à première vue, et médiocre d'abord, en effet, même en 1830; car
les plus grands poètes, et surtout les poètes français, sont rarement
sensibles à la musique pure. Et notre Victor Hugo, dans deux pièces
célèbres (2), a décrit plastiquement la musique, voire même la sympho-
nie, mais en sculpteur du vers, en rhétoricien souverain de la rime...
Alto sonne richement avec chapiteau, etc. ; et, pour rimer avec amour
(au lieu de le remplacer comme au couvent), c'est l'évocation toute
pittoresque d'un « orage de bruit », suivi d'une « musique ailée »,
Où la basse, en pleurant, apaise le tambour.
Or, il s'agit du puissant Palestrina, « père de l'harmonie », qui n'a
jamais écrit que pour les voix a capella... Bientôt, pour argenter les
dômes merveilleux de la sainte architecture qui va sombrer dans la
nuit des temps, la Musique devient à propos « la lune de l'Art ». Et
quand il veut célébrer l'hymne qui « sort du monde », le plus sculptural
des poètes évoque
Un pâtre sur sa llùte abaissant sa paupière...
Bref, si les grauds écrivains en général, et les poètes en particulier,
sont d'instinct des visuels ou des auditifs, Hugo, comme Flaubert et
Gautier, comme Gœthe lui-même, et j'allais ajouter Berlioz, est un
regard qui voit la musique... Toutefois, de plus en plus mélomanes, les
peintres contemporains et nos récents littérateurs d'avant-garde doivent
beaucoup à la fréquentation des concerts, à leur commerce amoureux
avec l'orchestration moderne. L'ouverture des Maîtres-Chanteurs, par
exemple, nous est apparue, voici vingt-sept ans déjà, comme une
seconde Nature, un autre monde, une merveilleuse coupe de panthéisme
où tous nos sens buvaient la vie à pleins bords, avec dévotion ! Audi-
teur, exécutant, quelle volupté d'être une monade, une unité pensante
en cet univers! Personnifiant la Renaissance ivre de vie, le Satyre du
poète sculptural n'était pas soudain plus grand que notre humble moi
plongé par le génie des sons dans ce radieux abime... Ivresses domini-
cales du passé ! Joies juvéniles et spirituel enchantement des soirs de
(1) Voir le Ménestrel du samedi 21 mars 1908.
(2) Que la Musique date du seizième sièele (Les Hayons et les Ombres. XXXV ; mai 1837i;
— Ecrit sur la plinthe tFun bas-relief anli/pie. à W'. Louise Bertin Les Contemplations,
III, 21; juin 1833).
Vendredi-Saint 1 Les fragments, alors inédit-:, de Tristan et la voluptueuse
mort d'Isolde ne nous exaltaient pas moins, dans l'atmosphère nais-
sante d'un printemps plus doux... 11 y a. maintenant, plus d'un quart
de siècle, l'orchestre a rayonm véritablement sur la Littérature
éblouie.
Et, 2° (comme nous l'avons fait pressentir), la littératuiv n'avait pas
attendu cette heure d'éblouissement wagnérien pour inlluen
chestre.
Assurément, les bons musiciens poudres de jadis se souciaient aussi
peu de la littérature que les plumitifs à catogan - lient des
progrès enfantins de l'orchestration; et c'était l'heureux âge d'or ou le
bon vieux temps de la musique absolue. Mais, de bonne heui
1S30, voyez la domination de la littérature, écoute/, le crescendo de
l'intellectualité ! Le XIV" siècle veut attacher un sens a la note. El le
nom seul de Shakespeare ne suffit-il pas é composer ing
ment tout un programme Berlioz, de même qu'il suffirait à fournir
toute une exposition Delacroix ? La musique littéraire est paralli le â La
floraison de la peinture littéraire. Une même cause a lleuii deux ra-
meaux. Et déjà. Mendelssohn, le sage lettré du romantisme, n'avait-il
point musique, dés l'avril de ses dix-sept ans, le Songe d'une Nuit d'été?
Sans parler du dieu Beethoven qui songeait à Shakespeare en prolon-
geant un adagio mineur de quatuor ou de sonate, avanl de so - <
Faust! Berlioz, le romantique par excellence, est un peintre lettré,
nourri de Shakespeare et de Virgile, un volcan qui recèle en son ombre
incandescente un tombeau virgilien. Littérature, la pauvre clarinette <-n
mi bémol qui caricature, au sabbat de la Fantastique, la sentimentale
poésie de la Femme aimée ! Littérature, l'Idée fixe qui parcourt les
symphonies évocatrices ! Littérature, le quadruple orchestre ôveilleur
du Requiem et les cymbales pianissimo du Sanctus. avant-courrières
séraphiques des demi-sonorités du prélude majeur de Lohengrin .' Vio-
lence ou douceur, la littérature est l'àme de cet art: et c'est elle que l'o-
reille soupçonne dans la llùte, au duo des jeunes filles shakespeariennes,
autour d'un pâle jet d'eau, dans la nuit. .. Et Schumann littérateur et poète,
« le poète des sons »,dont l'harmonie fut plus expressive que l'orchestre !
Et Wagner, donc ? Avec le géant de Munich et de Bayreuth, n'est-ce
pas le poème viril qui s'impose à la musique « qui est femme » ? Et
Debussy, maintenant, ce petit-maitre es voluptés morbides, dont la
subtilité s'emmêle aux cheveux de nuit de Bililis, tandis que la Damoi-
selk Élue soupire accoudée aux balcons d'or du ciel ? Que d'emprises
littéraires depuis Baudelaire jusqu'à Maeterlinck, depuis les Fleurs du
Mal jusqu'au Trésor des Humbles, en passant par la Sagesse, maintes fois
cynique, de Verlaine ! Que nous voici déjà loin de la lyrique nuit verte
de Siegfried ou de l'orchestration « rouge-feu » du Nibelheim ! A l'ita-
lianisme empourpré de la Tétralogie, à son u boltin des leit-motive ». les
humbles préfèrent, et pour cause, le silence d'un nouvel orchestre : et
Wagner a lui musicalement comme la foudre en un jour de neige...
Aux grandes synthèses de la fresque wagnérienne, à ses belles avalan-
ches sonores, se substitue clandestinement une mosaïque nouvelle,
un pointillisme orchestral, assez byzantin d'allure ; à la polyphonie
scolastico-franckiste, à ses complexités touffues, succèdent trop mièvre-
ment les harmonies éparpillées ; wagnériens d'hier, les admirateurs
décadents de YOrfeo ressuscité du vieil Italien Monteverde se font au-
jourd'hui les avocats de la demi-teinte; et n'est-ce pas l'individua-
lisme qui réagit partout contre les excès de la centralisation ? Tout
s'effrite et s'émiette... A peu près seul, isolé dans sa classique et fa-
rouche indépendance, Paul Dukas traite orchestralement la légende de
Maeterlinck comme la légende de Goethe : il l'ait pénétrer le soleil,
qu'adorait Rameau (1), dans le dédale moyenâgeux des lourds piliers
romans, et la magistrale orchestration de sa symphonie en trois actes
dépasse de toute sa fierté la trop symbolique indolence d'Ariane et Barle-
Bleue. C'est ici l'orchestre affranchi du joug littéraire : est-ce le XX- siè-
cle,est-ce l'avenir? Est-ce, au théâtre, une exception qui confirme larègle
nouvelle du drame musical, en affirmant, comme au concert non plus
vocal mais symphonique, la revanche de la musique absolue? Est-ce
un progrès, uu pas en avant ? Ne serait-ce pas plutôt un regret du passé
robuste et de la santé des maîtres ?
En tous cas i et ce sera notre prochaine conclusion de ce dangereux
sujet i, n'est-ce pas encore et toujours le mot progrés qui sert de leit-
motiv, chaque fois qu'il est parlé d'orchestration ? Comme s'il fallait
éternellement, bon gré mal gré, progresser... Dans un siècle où. l'avenir
de l'art pur est menacé par le présent de la science pratique, il n'y a
plus d'autre idéal. — ou plutôt l'idéal devient synonyme d'appoint tout
matériel.
Aujourd'hui, résumons-nous en constatant cette loi : quelle que soit
(li Dans la superbe invocation des Indes galantes 23 août 1735
400
LE MENESTREL
l'influence intermittente de l'orchestration sur les littérateurs, c'est
toujours la muse littéraire qui devance la muse symphonique, car
l'ainée est plus active comme la pensée même. Au temps du Beethoven
de la Pastorale, à l'heure où le paysage se fait musique, il y a beau
temps déjà qu'il s'est fait littérature avec Jean-Jacques et ses posthumes
amies: et. de nos jours (ne craignons point de le répéter), Debussy
après Wagner, c'est Verlaine après Hugo ; c'est le crépuscule discret
que nous prenons pour l'aube, après un crépuscule éblouissant que
nous prenions pour une aurore... Tardive éclosion de symbolisme ou de
vers-librisme instrumental, tous ces petits poèmes rustiques ou senti-
mentaux, toutes ces impressions qui veulent évoquer la Bretagne magi-
que ou l'Espagne en fête ! Répercussion de la vieille littérature sur l'art
jeune des sons ! Quand le vérisme s'est emparé de l'antique Italie de
Palestrina, nous avons eu des tranches de vie musicales, depuis la Ca-
valleria rusticana d'hier jusqu'à la Habanera d'aujourd'hui; — quand
le prérapliae'litisme de Florence ouvre un jardin secret dans les brumes
positives de Londres, c'est un prélude littéraire au chuchotement de-
bussysle qui frissonnera plus tard : littérature, l'extrême réalité ; litté-
rature, l'extrême rêve ; et, de part et d'autre, peu de musique, car l'âme
du temps n'ose guère chanter... La musique de chambre est un sanc-
tuaire, à l'écart ; et, symphoniste au théâtre, Dukas est exceptionnel.
Mais voici le Mœterlinck dolent d'Ariane et de Mélisandc qui se con-
vertit sans remords à la virgilienne clarté de la Fie des Abeilles, à l'ita-
lienne plasticité de Uonna Vanna: serait-il désormais permis d'entrevoir
le musicien lumineux, rêvé par Nietzsche au rythme azuré des flots
méditerranéens?
Tout arrive ici -bas, même la beauté.
(A suivre.) Raymond Bouyer.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts-Colonne. — C'est décidément mal comprendre les intérêts d'un
compositeur que de lui consacrer la totalité d'un programme symphonique.
Déjà dans la récente séance consacrée exclusivement à Berlioz, ce défaut
s'était manifesté, engendrant la monotonie ; dimanche, ce fut une réelle fati-
gue que procura l'audition ininterrompue d'œuvres de M. Richard Strauss,
malgré le grand intérêt de ces compositions, — ou à cause de cet intérêt
même. — On connaît « la manière » du maître allemand, sa complexité
d'écriture, sa prodigieuse habileté dans l'agencement de thèmes qu'il semble
choisir comme à plaisir dénués de toute valeur intrinsèque et empreints sou-
vent d'une surprenante vulgarité, son orchestration rutilante et riche en trou-
vailles ingénieuses et spirituelles ; pour tout dire en un mot : un talent
colossal mis au service d'une conscience artistique que l'on voudrait moins
soucieuse de l'effet immédiat et brutal. — Une audition nouvelle de la Sym-
phonie domestique n'est point faite pour changer cette opinion, et si je demeure
très admirateur du beau poème instrumental Mort et Transfiguration où l'élé-
vation et le lyrisme du sujet ont pu maintenir le musicien dans une sphère
de réelle beauté, je persiste à considérer la « Domestica » comme une erreur
regrettable, en dépit de la maîtrise incomparable qui a présidé à sa composi-
tion. Outre ces deux œuvres, le programme comprenait encore le Prélude de
Guntran, une œuvre de jeunesse de M. Strauss, jouée en 1894 à Weimar. et
où l'auteur, qui n'a pas encore donné sa mesure, s'affirme déjà par les plus
sérieuses qualités en trois actes fort dramatiques; puis la Danse de Salomé, déjà
célèbre, et en toute justice, car c'est une page d'un éblouissant éclat. M. Ri-
chard Strauss dirigeait l'orchestre avec l'autorité et l'habileté qu'on lui con-
naît, et le succès qu'il remporta, succès dont une large part revient à la belle
phalange de M. Colonne, fut vraiment digne de sa puissante personnalité. A
signaler encore plusieurs mélodies que le compositeur accompagna lui-même
au piano et qui valurent une ovation méritée àMme de Wieniawski qui, d'une
voix un peu menue, mais avec un grand charme, les interpréta.
J. Jemai.v.
— Concerls-Lamoureux. — Sous la direction de M. Vincent d'Indy. l'ou-
verture de Manfred, de Schumann. et le morceau symphonique de Rédemption.
de César Franck, ont paru manquer, l'un de tendresse passionnée et d'élans
dramatiques, l'autre de cette beauté mystique dont la première phrase, digne
de Sébastien Bach, doit nous donner immédiatement l'impression. Ce dernier
a pourtant été joué dans la note émue et fervente qui fait rarement défaut aux
disciples de Franck lorsqu'ils exécutent ou font exécu'.er ses œuvres.
M. d'Indy s'est retrouvé mieux dan3 sa sphère en dirigeant son poème pour
orchestre, Jour d'ètè.à la montagne. Cette jolie composition mérite une petite
analyse détaillée. Premier tableau, Aurore: au début (violons), un son aigu,
voix désolée; c'est la tristesse de l'ombre qui s'en va. Seul, le cri de l'orfraie
résonne dans la nuit (basson), puis la sonorité change, s'élève, un chant
d'alouette (flûte) monte vers le ciel. Tout frémit, un air léger passe sur les
plaines (harpe, piano), le soleil apparaît radieux (cuivres). Deuxième tableau,
Jour : adagio de violons, hautbois champêtres, danses de paysans, menaces
d'orage au loiD, roulements de tonnerre. Troisième tableau, Soir : le retour.
thèmes montagnards, tristes comme presque toutes les chansons d'Auvergne.
Charmants effets d'orchestre pour dépeindre l'éparpillement des troupeaux
(piano etpizzicati de cordes). Rêverie du poète qui célèbre en son cœur la
gloire de Dieu. Retour du son aigu exprimant la nuit et du cri de l'orfraie.
L'obscurité s'étend... L'œuvre de M. d'Indy, jouée aux Concerts-Colonne en
février-mars 1906, y réussit fort peu ; son succès a été au contraire unanime
dimanche dernier. C'est une sorte de peinture musicale très mélodique, un
hymne à la joie, à la vie, à la nature et au créateur. Ici, tout se maintient
dans un sentiment toujours noble, élevé, tranquille et calme. Viviane, poème
symphonique d'Ernest Chausson, est une musique de conte de fée, gracieuse,
agréable, simple et fraîche. — Nous rentrons dans le domaine des classiques
avec le concerto en ré majeur de Bach pour piano, violon et flûte, fort bien
joué par MM. Th. Soudant, P. Deschamps, et surtout par M11'- Blanche Selva.
qui a été acclamée à cause de son style entièrement impersonnel tout en
restant d'une magistrale beauté. Le concert s'est terminé par une interpré-
tation sans mièvrerie ni fadeur de l'admirable Symphonie en sol mineur de
Mozart. Elle est écrite sans parties de trompettes ni de timbales, mais en
l'écoutant, nul ne songe à s'en apercevoir. Amédée Boetarel.
— La présence de M. Théodore Dubois, venu pour diriger ses œuvres,
avait attiré, dimanche dernier, une foule énorme au concert populaire Mari-
gny. MUe Magdeleine Trelli, qui joua fort bien le Lamento capriccioso, le Léthé
et les Abeilles pour piano, Mme Bureau-Berlhelot, dont la voix délicieuse fit
merveille dans la Lune s'effeuille sur l'eau et la Jeune Fille à la cigale, que l'on
bissa, M. Pascal, flûtiste au son joli, fin et distingué à qui l'auteur accompa-
gna la suite pour flûte et piano, et l'orchestre dans la Marche héroïque parta-
gèrent le très grand succès de M. Théodore Dubois. Dans la première partie
fort bonne exécution, sous la direction de M. de Léry, des Scènes alsaciennes
de Massenet, avec' M. Ronchini au pupitre de violoncelle et M. Bâton à celui
de clarinette.
— Programmes des concerts de demain dimanche ;
Concerts du Conservatoire, à deux heures. — Symphonie en la, n" 7 (Beethoven).
— Rédemption (César Franck), poème-symphonie en deux parties d'Edouard Blau :
L'Archange, M"' Féart, de l'Opéra; le Récitant, M. Brémont. Le concert sera dirigé
par M. Georges Marty.
Concerts Colonne (Théâtre du Chàtelet), à deux heures et demie. — La Damnation
de Faust, légende dramatique en quatre parties, d'Hector Berlioz: Marguerite,
M"' Louise Grandjean ; Faust, M. Emile Cazeneuve; Méphislophélès, M. Fournets;
Brander, M. Paul Eyraud. Orchestre et chœurs sous la direction de M. Ed. Colonne.
Concerts-Lamoureux (salle Gaveau), à trois heures. — Troisième symphonie, Rhénane
(Schumann) : 1, allegro: 2, scherzo ; 3, andante ; 4, maestoso ; 5, allegro. —Joie,
poème symphonique (AU. Bachelet), première audition. — Quatrième béatitude (César
Franck) : ténor solo, M. R. Plamondon ; la voix du Christ, M. Alb. Gébclin. — Pre-
mière symphonie (en trois parties), sur un « air montagnard français» (Vincent d'Indy),
au piano, M. Ed. Risler. Concert sous la. direction de M. Vincent d'Indy.
— M. Gotlfried Galston, l'excellent pianiste hongrois qui a donné l'année
dernière cinq récitals à Paris, se fera entendre de nouveau, salle des Agricul-
teurs, les 2 et! avril prochain. Il jouera des œuvres de Bach, Chopin, Liszt,
Schubert, Schumann et Brahms.
— On annonce pour le 14 avril, au Trocadéro, une audition de la Passion
selon saint Mathieu de J.-S. Bach qui, sous le patronage de la « Société
J.-S. Bach » de Paris, aura lieu avec le concours du « Chœur de la Toonkunst »
et de l'orchestre du « Concertgebouw » d'Amsterdam, placés sous la direction
de M. Willem Mengelbert. Chœurs et orchestre formeront un ensemble d'en-
viron 400 exécutants.
NOTRE SUPPLEMENT MUSICAL,
(POUR LES 8EULS ABOIVNÉS A LA MUSIQUE)
Devant le succès qui a accueilli la Gavotte extraite de Zino-Zina, nous offrons à
nouveau aujourd'hui à nos abonnés une des pages les plus charmantes du charmant
ballet de M. Paul Vidal, un Menuet tout de grâce et de joliesse qui ne pourra que
séduire tous les amateurs.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Do notre correspondant de Belgique (25 mars). — En attendant les Jumeauxr
de Bergame, retardés encore une fois (il faut espérer qu'ils viendront enlin au
monde lundi prochain), la Monnaie a fait cette semaine une excellente reprise
de Siegfried. C'est à Bruxelles, on s'en souvient, que l'œuvre de Wagner fut
donnée pour la première fois on franc lis (comme toute la Tétralogie d'ailleurs),
sous la direction artistique de M. Franz Servais; et c'est M. Lafarge qui
chantait le rôle principal. Depuis, Siegfried fut repris avec M. Dalmorès. Cette
fois, le jeune héros est incarné par M. Verdier, qui y dépense sa voix sonore
et des qualités dramatiques vraiment remarquables. M. Laffitle joue le rôle
LE MÉNESTREL
LOI
de Mime, qu'il avait interprété à l'Opéra, et c'est Mlle Pacary qui personnifie
Brunehilde, où elle applique ses précieux dons de cantatrice et son art de
parfaite musicienne. A part cela, tout marche bien. M. Delmas vient aussi, de
temps en temps, nous chanter la Valbjrie. On répète la Marie-Magdeleine de
M. Massenet, que l'on compte donner pour la semaine sainte, et l'on prépare
les reprises de Pelléf/s et Métisande et de Salomé, pour MUc Marie Garden. A ce
propos, nous avons appris avec curiosité, par un journal de théâtres parisien,
que MM. Messager ol Broussan ayant décidé de monter à l'Opéra l'œuvre de
de M. Richard Strauss, avec la même interprète, les représentations que
celle-ci va nous donner bientôt seront simplement une « répétition générale ».
L'euphémisme est charmant. Les Bruxellois auraient certainement mauvaise
grâce en se figurant qu'ils puissent avoir la primeur de quelque chose avant
Paris. Ceux qui l'on cru se sont fait d'étranges illusions. Ils s'imaginaient, par
exemple, avoir eu la primeur i'Hérodiadc, de Sigurd, de Salammbô, de Fervaal,
de l'Étranger, de bien d'autres encore. Quelle erreur! Ce n'étaient la que de
simples « répétitions générales », et c'est bien à Paris qu'ont eu lieu les pre-
mières représentations. Voici un point d'histoire enfin établi. Il ne peut,
d'ailleurs, que flatter infiniment notre amour-propre.
Le Concert-Populaire de dimanche dernier nous a fait entendre une sym-
phonie inédite d'un compositeur liégeois, qui est une « compositrice »,
M""1 Henriette Van den Boorn-Coclet, — œuvre honorable, sagement écrite,
dont le féminisme se réjouira, sans trop d'orgueil — puis, le Poème de la Forêt
de M. Albert Roussel, et le deuxième concerto de Brahms, pour piano, joué
excellemment par un pianiste allemand de bonne école, M. Schnabel. La
Libre Esthétique a donné cette semaine deux matinées consacrées à la jeune
musique française et belge (œuvres de MM. Wilkowski, Vincent d'Fndy,
Roussel, de Bréville, Delcroix, etc.). Enfin, on nous promet pour lundi (le
même soir malheureusement que la première des Jumeaux de Bergame à la
Monnaie) une séance consacrée entièrement à M. Gabriel Fauré, qui accom-
pagnera lui-même toute une série de mélodies anciennes et nouvelles (il n'y
en aura pas moins de vingt-sept, sans compter deux duos!) chantées par
M"c Mockel et M. Austin.
A Tournai, l'exécution, à la Société de musique, de l'oratorio de M. Edgar
Tinel, Francisais, a été tout simplement admirable, et le succès fait au compo-
siteur et à son œuvre a pris les proportions d'un véritable triomphe. Rarement
nous vimes pareil enthousiasme. Une juste part de ce succès revient à l'inter-
prétation, dirigée avec une chaleureuse vaillance par M. De Loose. L. S.
— D'Anvers : On vient de donner avec un très grand et très légitime
succès la première représentation des Pêcheurs de Saint-Jean. De nombreux
rappels saluèrent, après chaque acte, l'œuvre très remarquable de M. Widor,
dirigée avec beaucoup de fougue et de sentiment par M. de la Fuente. Parmi
les interprètes, MM. Campagnola et Close, MUes Fournier et Rodhain méri-
tent des éloges.
— Les fantaisies de l'électricité. Un accident bizarre s'est produit cette
semaine à la station centrale d'électricité de la ville de Liège. Un tuyau de
vapeur reliant la conduite principale au moteur qui actionne les dynamos a
sauté, provoquant une interruption du courant. Immédiatement tout le centre
de la ville et tous les abonnés de la compagnie ont été privés d'éclairage. Les
théâtres n'ont pu donner leurs représentations. On se rappelle que pareille
mésaventure s'est produite à Paris.
— Le jury du concours pour le pensionnat musical à Rome, jury composé
de MM. Giuseppe Martucci, président ; Falchi. Scontrino, Mascagni. Zanella.
Coronaro et Bolzoni, a décerné le prix au jeune compositeur Corrado Bar-
bieri. ex-élève du Lycée musical Rossini à Pesaro. où il fit ses études sous la
direction de MM. Mascagni et Ciccognani. Il obtint son diplôme de « maestro »
en 190i, pour une Cantate à Rossini pour soli, chœurs et orchestre. Celle avec
laquelle il vient de sortir vainqueur du concours est intitulée ta Notte de
Natale; c'est un épisode chrétien des catacombes de Rome, mis en vers par
M. Carcano.
— Nous avons déjà fait connaître que le projet de réorganisation du Con-
servatoire de Milan élaboré par le ministre de l'Instruction publique était
loin do satisfaire les intéressés, qui ont fait entendre à ce sujet d'énergiques
réclamations. La question a été portée à la Chambre, où elle a fait l'objet
d'une interpellation du député Torrigiani sur l'avenir des Conservatoires, in-
terpellation à laquelle le ministre a fait une réponse jugée peu satisfaisante.
Le projet ministériel devant s'appliquer successivement à tous les Conserva-
toires, une protestation s'est élevée aussitôt de la part du personnel enseignant
de celui de Parme, qui, dans une réunion spéciale, a adopté l'ordre du jour
suivant :
Le personnel du Conservatoire royal de musique de Parme, réuni aujourd'hui en
séance extraordinaire pour déterminer la ligne de conduite à suivre en suite de l'in-
terpellation discutée hier à la Chambre italienne relativement aux réformes néces-
saires dans les Instituts de musique de l'État, en même temps qu'il félicite l'hono-
rable Torrigiani et les autres députés d'avoir soulevé au Parlement une si noble
question, proteste contre les déclara, ions du ministre, et affirme son énergique
vo'onlé de résister à l'approbation d'un projet partiel et qui ne répond ni aux néces-
sités artistiques ni aux exigences économiques du Conservatoire de Milan; déclare
sa méfiance dans l'œuvre lente de commissions et d'inspections boiteuses et néces-
sairement incompétentes. Invile enfin les honorables députés qui ont pris à cœur la
question à opérer une pression énergique sur le gouvernement afin que celui-ci
veuille : 1° renoncer au dessein de résoudre un problème qui estde caractère natio-
nal, complexe et très élevé, de façon hâtive et partiale autant que contraire à l'opi-
nion unanimement manifestée par la fédération du personnel des Conservatoires
royaux; 2» mettre la réforme à l'élude d'un point de vue large et en complet accord
avec les directions et les représentant? des divers Instituts. Le même personnel,
convaincu des bontés de la cause, supérieure à toules petites rivalités d'intéri
de personnes, convaincu que les études musicales comme on prétend les organiser
ne peuvent donner les fruits qu'on en attend, convaincu que l'approbation du projet
concernant Milan serait un obstacle à la solution entière du problème, fait des vo;ux
pour que soit évité le recours à des moyens extrêmes pour obtenir un résultat de
noble et haute culture.
— On se préoccupe beaucoup à Florence de l'état de décadence dans lequel
est tombé le théâtre en cette ville, et particulièrement le théâtre musical.
Le conseil communal, qui récemment s'est beaucoup occupé de cette
question, avait nommé une commission chargée par lui d'étudier le.' causes
de cette décadence et de proposer le3 moyens d'y remédier. Contraire-
ment aux habitudes invétérées des commissions, celle-ci a travaillé, et elle a
présenté au conseil un rapport dans lequel, après avoir fait un ample examen
des conditions actuel'es du théâtre à Florence, elle conclut en émettant les
propositions suivantes : 1° créer le plus promptement possible un orchestre
municipal stable qui puisse donner chaque année une série de concerts popu-
laires, et, d'autre part, pourrait être concédé à une entreprise qui, avec des
idées élevées sur l'art, serait appelée à diriger une des grandes scènes lyriques
de Florence ; 2° mettre la ville en état de dispoFer d'un théâtre qui corresponde,
par sa structure intérieure, aux exigences des spectacles modernes; -i0 confier
l'exploitation de ce théâtre a une ou plusieurs directions annuelles qui, suc-
cessivement, donneraient des spectacles d'opéra, de prose (comédie) ou d'opé-
rette; 4° aider l'action commerciale de semblables directions en leur donnant
gratuitement le théâtre, l'éclairage, l'orchestre, les masses chorales et les
comparses, ou en fournissant, selon les cas, une partie seulement de ces élé-
ments gratuits, pour le théâtre de musique, ou, pour la comédie ou l'opérette,
assurer aux compagnies un minimum de recette quotidienne; 5° imposer,
dans ces conditions, un chiffre minimum de représentations, avec l'assurance
que ces spectacles soient particulièrement consacrés à la culture intellectuelle
du peuple.
— La municipalité de Velletri s'est souvenue. qu'elle avait donné le jour à
un grand artiste, Ruggiero Giovanelli, qui fut le successeur de l'illustre Pales-
trina dans la direction de la chapelle de Saint-Pierre-du-Vatican, et elle vou-
drait lui rendre un hommage digne de lui en publiant celles de ses œuvres qui
sont restées inédites, et elles sont nombreuses. Giovanelli, qui était né à
Velletri vers 1560 et quj. vivait encore en 1613, fut d'abord maître de chapelle
à l'église Saint-Louis-des-Français à Rome, puis à celle du collège allemand,
et fut nommé au Vatican le 12 mars 1394. Chose singulière, il n'a guère publié
que des compositions profanes, c'est-à-dire cinq recueils de madrigaux, deux
recueils de villanelles et un de canzonettes, auxquels il faut ajouter seulement
deux livrets de motets. Mais il va sans dire qu'il a écrit un grand nombre de
compositions religieuses d'une très haute valeur, messes, psaumes, Mise-
rere, etc., qui sont toutes restées en manuscrit. De nombreuses copies de ses
madrigaux et villanelles se trouvent dans les bibliothèques de Bologne, Fer-
rare, Bruxelles, Londres, Dresde. Quant aux manuscrits de ses œuvres reli-
gieuses, ils sont conservés avec soin dans les archives de la basilique du
Vatican et dans celles de la chapelle Sixline, et. fait assez étrange, malgré les
instances faites auprès du pape Pie X dans un but assurément fort honorable
le pontife a formellement refusé jusqu'ici de donner communication de ces
manuscrits, si bien que l'édition projetée par la ville de Velletri ne pourra
probablement comprendre que des œuvres profanes de Giovanelli. On a peine
à s'expliquer le motif d'un refus pareil, lorsqu'il s'agit d'une entreprise des.
tinée surtout à faire revivre la gloire d'un artiste illustre qui a été l'honneur
de la chapelle pontificale. Quoi qu'il en soit, la municipalité de Velletri a
chargé un jeune musicien fort distingué, M. Vincenzo Argenti, de rechercher
de tous côtés les œuvres du vieux maître, d'en prendre des copies exactes, de
les collationner avec soin et d'en diriger et surveiller la publication.
— Une revue allemande donne la description de la chambre du palais Ven-
dramin, à Venise, dont Wagner avait fait un cabinet de travail. Six cents
mètres de précieuses étoffes de soie couvraient les murs, disposés en festons
et en cascades fantastiques : soie rose, azur, jaune, qui donnait à la chambre
un aspect étrange; parmi ces festons couraient des guirlandes de roses, aussi
en soie. Six rideaux de diverses nuances, de l'azur au bleu céleste, amortis-
saient la lumière éblouissante des fenêtres. Un divan antique, couvert d'étoffes
précieuses, occupait le milieu de la pièce. Sur le sol étaient étendus des lapis
moelleux de peaux de bètes. Un parfum pénétrant était dans l'air. C'est là que
travaillait Wagner, le visage tourné du côté du jour. Un jour, un poète vien-
nois lui envoie un livret d'opéra en lui demandaut une réponse. Il lui répond
en effet : « J'ai lu votre livret, je l'ai examiné, je l'ai trouvé bon, mais pas
assez pour me faire renoncer au principe auquel je suis resté fidèle toute ma
vie, c'est-à-dire d'écrire moi-même mes livrets. Vous saurez que je suis très
avare; si vous venez à Venise, vous verrez que votre manuscrit, qui est plutôt
volumineux, a une place honorable dans ma bibliothèque : je lui ai donné le
n° 2983 ; c'est le dernier numéro des livrets qu'on m'a envoyés jusqu'à ce jour.
Un chiffre respectable, n'est-il pas vrai ?
— Depuis l'époque de sa révocation comme directeur des classes de piano
au Conservatoire de Vienne, M. Feruccio Busoni s'est rendu dans cette ville et a
pris contact avec ses élèves. Douze d'entre eux ont quitté l'élablissement pour
suivre le maitre et profiter de son enseignement privé. D'autre part, M.Léopold
Godowsky, choisi pour occuper le poste vacant, a décliné l'honneur que l'on vou-
lait lui faire, bien que la direction, pour obtenir son acceptation, ait élevé le
:I02
LE MÉNESTREL
fr-aitement de l'emploi à 4.000 couronnes. MM. Eugène d'Albert et Maurice
Rosenthal, vers qui l'on s'est alors retourné, ont refusé tous les deux de rem-
placer M. Busoni. Dans ces conditions, l'état de l'enseignement du piano au
Conservatoire de Vienne devient si précaire et les élèves si peu nombreux, que,
pour celte fin d'Année du moins, les classes pourraient bien être supprimées.
— On doit inaugurer le 16 mai prochain un monument en l'honneur de
Johcnnès Brahms, sur le Karlsplatz de Vienne.
— Le Tonki'us'ler-Orchester de Vienne, sous la direction de M. Oscar
•Nedbal, vient de clore son premier cycle de concerts par une superbe audi-
tion des Impressions d'Italie, de M. Gustave Charpentier.
— Quelques détails sur la façon de travailler de Wagner sont donnés à un
journal par un de ses intimes, M. Wilhelm Weissheimer. C'est dans l'hôtel
delà Cour d'Europe, à Briebrich, dit celui-ci, que fut écrit Siegfried. Le maitre
travaillait seulement le mitin;il consacrait l'après-midi à ses amis, àSchnorr
de Carolsfeld et à moi. C'était une vraie jouissance d'entendre Schnorr répéter
la chanson de l'épée. Quand l'idée venait à Wagner do faire Mime, lequel était
admirable, Wagner était superbe dans ce rôle ; il s'enveloppait, puis tournait
et criait dans un fausset à faire trembler les murs. Il faisaitcertainesgrimar.es
à vous faire civire qu'on avait devant les yeux le plus horrible nain qui fût
snr la terre. M. Weissheimer était l'hôte de Wagner lorsqu'il composa les
Maîtres Ùlùintcurs. Wagner, poursuit-il, écrivait chaque jour environ six pages
de partition. La scène entre Eva, Madeleine et le chevalier fut tracée tout
d'un trait. Il s'amusait beaucoup en imaginant l'ensemble des enfants, et il
était curieux de le voir courir et sauter par la chambre en chantant leur
chœur. Pe idant son travail, il était très agité. Quand il était en veine de
trouver quelque chose de nouveau, il fallait le laisser seul et ne le point
déranger. Il oivrait le balcon et criait : « Ne me tro.iblez pas ; je suis en
en'anlement ».
— Un opîra bouffe nouveau en trois actes, Carmencita, musique de
51. Paul Zschorlich, vient d'être joué pour la première fois à Prague avec un
succès discuté.
— Ainsi que nous l'avons annoncé, un théâtre anglais va être fondé à Ber-
lin. L'entreprise, dont l'initiative appartient à la comédienne M"R' Meta Illing,
a déjà trouvé, parait-il, l'appui financier qui lui est nécessaire et l'on espère
pouvoir commencer les prenrères représentions en octobre prochain. Mm5 Illing
s'occupa en ce moment de la location d'une des salles de théâtre existant
â Berlin. Le nouveau théâtre jouerait tous les jours de la semaine et donne-
rait, le mercredi et le samedi, comme cela se fait en Anglctere, des matinées
pour les élèves des institutions d'enseignement de la ville. Quant au réper-
toire, il comprendrait les œuvres de la littérature anglaise auxquelles s'ad-
joindraient quelques pièces américaines. Une des originalités de ce théâtre
eonsisterait en ce qu'jl porterait ses choix de préférence sur des pièces ins-
tructives par les tableaux de mœurs ou les descriptions qu'elles pourraient
renfermer.
— Plusieurs journaux de Munich, estimant qu'à la suite des circonstances
que nous avons relatées il y a quelques semaines, les membres de l'orchestre
Kaim n'ont pas toujours agi conformément aux convenances professionnelles,
et ont porté obstacle à l'organisation des concerts qui devaient avoir lieu cette
année à l'exposition de Munich, oat décidé de ne plus donner aucune publi-
cité aux débats qui pourraient s'élever désormais sur l'irritante question des
Goncerts-Kaim. Toutefois, le bruit qui a été fait autour de cette affaire a
fourni l'occasion d'examiner quelle est la situation des musiciens d'orchestre
en Allemagne. M. Kaim nia que les artistes de son orchestre soient moins
bien payés que ceux des autres institutions analogues de concerts symphoni-
qnes dans son pays; les chiffres suivants peuvent donc être considérés comme
eonstituant une indication générale pour les grandes villes de l'Allemagne.
Le traitement le moins élevé, dans l'orchestre Kaim, serait de 159 francs par
mois, soit 1.800 francs par au, mais ce n'est là qu'ua traitement de début que
l'on conserve peu de temps. Le traitement de 3.000 francs peut, au contraire,
être consi 1ère comme supérieur à la moyenne, car, dit-on, deux musiciens
seulement ont pu le dépasser. Quant à celui de 5.030 francs, mentionné
somme étant le maximum, on ne dit pas dans quelles conditions il a été
attribué. On peut se faire une idée, par ce qui précède, des appointements
gue reçoivent en Allemagne les musiciens des orchestres symphoniques. Eu
Angleterre, leur situation est plus avantageuse, du moins d'après ce que nous
apprend un rédacteur du Daily Express, M. S. L. Bensusan. Il a fait le relevé
de ce que reçoivent les artistes des deux grands orchestres de Londres, celui
de Queen'sIIall et du London Symphony Orchestra. D'après lui, les membres de
ces deux orchestres touchent en moyenne une guinée par concert, c'est-à-
dire 26 fr. 2b c, et les chefs de pupitre le double. Une répétition est duo gra-
tuitement par les musiciens, mais chacune des autres leur est payée 13 francs.
M. Bensusan pense que l'audition d'une œuvre importante devrait coûter, à
Londres, environ 4.000 franc*, tandis que sur le continent, le même ouvrage
serait joué moyennant 2.000 francs, et il attribue à cette différence la rareté
des exécutions d'ouvrages nouveaux en Angleterre. Quoi qu'il en soit, pour
arriver à des conclusions plus précises en ce qui concerne la situation faite
anx artistes anglais et allemands, il faudrait savoir exactement le nombre de
concerts auxquels doivent participer ceux qui, comme cela se fait en Alle-
magne, sont payés mensuellement.
— Le dernier concert d'abonnement de la Chapelle de la Cour, à Stuttgart,
a été consacré à la musique française moderne. Un public chaleureux a fait le
plus brillant accueil aux Impressions d'Italie de Charpentier et à la deuxième
suite du Conte d'avril de Widor. MUe Dennery, de l'Opéra de Cologne, a chanté
avec le plus vif succès des airs d'opéras de Massenet (Hérodiade) et de Gounod.
Enfin M. Widor a joué lui-même plusieurs morceaux pour orgue de sa compo-
sition et dirigé sa troisième Symphonie en mi bémol pour orgue et orchestre.
L'art français et le maitre français ont été toute la soirée acclamés.
— M. Edward Elgar nous communique les statuts d'une nouvelle société
musicale qui vient de se constituer à Londres sous le titre The Musical League
et dont il est le président. Cette Société a commencé à fonctionner à partir
du 23 mars dernier. Elle a pour but de donner chaque année un grand festi-
val dans une ville dont elle fera choix, en prenant en considération les avan-
tages que les municipalités voudront bien accorder. On fera entendre à ce fes-
tival d'importants ouvrages inédits ou peu connus de compositeurs de toutes
nationalités. Tous les membres adhérents de la ligue verseront une cotisation
annuelle d'une guinée, soit 26 fr. 25 c, moyennant quoi ils pourront soumettre
au comité les manuscrits de leurs œuvres. Ces œuvres auront droit à l'examen,
et, si cet examen leur est favorable, elles seront inscrites aux programmes des
festivals. On fera appel autant que possible, pour cesfestivals, au concours des
artistes et des sociétés musicales des villes ou centres musicaux où ils auront
lieu, et la direction en sera offerte aux compositeurs ou chefs d'orchestre les
plus en vue. La ligue évitera tout conflit avec les organisations musicales exis-
tantes; elle s'efforcera de faciliter les relations et les contacts permettant aux
musiciens d'échanger leurs idées. Elle viendra en aide, dans des conditions
qui seront déterminées, aux artistes ayant à lutter contre des difficultés de
carrière ou des embarras momentanés. Les membres du comité de la ligue
musicale sont les compositeurs dont les noms suivent : MM. Edward Elgar,
président : Frédéric Delius, vice-président; Alexandre Mackenzie. Adolphe
Brodsky, W.-G. Mac Naught, Henry J. Wood, Granville Bantock, Philippe
Agnew, Percy Pitt, Norman O'Neill, Harry Evans.
— L'administration du British Muséum de Londres vient de donner une
preuve de bon goût et de sens artistique malheureusement trop rare. Elle a
refusé le legs que lui avait fait par testament le docteur Oidham, mort récem-
ment, legs consistant en cinq violons admirables de maitres, parmi lesquels le
fameux Toscan, de Stradivarius. Le Conseil du Musée a déclaré, dit-on, pour
expliquer son refus, qu'il serait criminel d'enfermer dans des vitrines ces
merveilleux instruments de musique, et qu'il vaut mieux les laisser jouer
pour la plus grande joie deï musiciens. Avis aux égoïstes et farouches collec-
tionneurs anglais, qui, par vanité, accaparent ainsi des centaines de violons
et de violoncelles du plus grand prix et de la plus grande beauté, qu'ils lais-
sent tranquillement dormir au grand détriment des artistes trop peu fortunés
pour les leur disputer. En ce qui concerne le Toscan, dont il est question ici,'
disons que cet instrument superbe, acheté à Florence en 1794 par un cerlain
Kerrau prix de 50 zecchini (environ 1.000 francs), était vendu en 1865 pour
6.230 fraucs, et vingt-trois ans plus tard, en 1888, était payé 25.000 francs
par la maison Hill, de Londres.
— Uu procès assez singulier se poursuit en ce moment à Londres. Le di-
recteur et le gérant d'une Société qui prend le titre d' « Académie de la voix
naturelle » sont appelés devant le tribunal pour répondre du délit d'escroque-
rie. Cette Société préconisait et prétendait posséder une méthode sûre pour
produire la voix et former un chanteur de quiconque, lut-il sourd et jouit-il
de l'organe le plus faux de la terre. L'Académie de la voix naturelle s'enga-
geait à transformer le gosier le plus rebelle, de façon à en faire un Faure ou
une Bellincioni. Les élèves ne se firent point prier, parait-il, pour verser entre
les mains du directeur (!) et du gérant (!) des dizaines et des centaines de
livres sterling ; mais ils finirent par s'apercevoir qu'ils ne faisaient aucun
progrès sur la route de la gloire et de la fortune, et, complètement désillu-
sionnés, se convainquirent qu'ils étaient dupes de simples filous. De là à
porter plainte, il n'y avait qu'un pas : ce pas est franchi, et l'Académie de la
voix naturelle semble se trouver dans de mauvais draps, en compagnie de
son directeur et de son gérant.
— De Chicago : Le charmant baryton Léon Rennay continue ici le cours
de ses nombreux succès. A son dernier récitai, il s'est fait très vivement
applaudir dans nombres d'œuvres françaises, notamment dans l'Heure exquise
de Reynaldo Hahn, Marquise et Chant provençal de Massenet.
— Le jeune et déjà célèbre violoniste hongrois dan Kubelik, celui-là même
qui, on se le rappelle, avait « assuré sa main gauche pour 50.000 francs »,
accomplit en ce moment une tournée aux Etats-Unis qui lui rapporte
SO.000 dollars (soit 400.000 francs). M. Kubelik, qui possède aujourd'hui plu-,
sieurs millions, s'occupe lui-même du placement des sommes qu'il gagne avec
son archet. Il vient de donner ordre à la Banque américano-hongroise i
New-York d'acheter pour son compte une mine de cuivre située dans l'Arizona.
L'ordre a été télégraphié au vice-président de la Banque habitant Budapest,
qui l'a fait immédiatement exécuter. Dans ces conditions-là, il n'est pas désa-
gréable de posséder un certain talent sur le violon.
— Les Américains sont féroces en matière de moralité. On annonce de
là-bas que cinq artistes viennent d'être arrêtés à Newark (New-Jersey) pour
avoir joué une pièce intitulée la Vengence du Millionnaire, qui est tout simple-
ment l'affaire Thavv, arrangée pour la scène. Le juge Howel a ordonné l'arres-
tation immédiate de tout artiste qui se permettrait d'interpréter en public
« celte pièce immorale et dangereuse pour les mœurs des citoyens ».
LE MÉNESTREL
103
— Celle-ci se passe en Amérique, il est à peine besoin de le dire, et elle
nous est rapportée par le Talking Machine Wortd de New-York. Ce journal nous
apprend qu'à Portland un individu cité devant le juge pour le paiement d'une
dette contractée par un emprunt, s'oblstinait à nier qu'il eût jamais reçu un
centime de son prétendu créancier, tandis que celui-ci affirmait que le prêt
avait été fait par lui dans sa maison, et que le débiteur avait promis verbale-
ment de rendre la somme dans le délai d'un mois. C'est ici que l'affaire se
corse. L'inculpé ayant juré solennellement que tout ce qu'on lui reprochait
était pure invention, l'avocat du créancier lit avancer et paraître à la barre...
un phonographe qui se trouvait dans la chambre de celui-ci au moment de la
scène de l'emprunt, et lui lit prononcer textuellement les paroles prononcées
en la circonstance par les deux interlocuteurs. Le juge, reconnaissant alors
parfaitement la voix de l'un et de l'autre, condamna séance tenante le débi-
teur peu scrupuleux. Qu'on vienne donc dire maintenant que le phonographe
n'est pas un instrument de progrès : le voici appelé en justice comme témoin
victorieux.
— Pourquoi les grandes cantatrices sont-elles grasses? Un journal amé-
ricain pose cette question, et pour prouver que les grandes voix féminines
sont toujours accompagnées d'un embonpoint respectable, il publie les por-
traits quelque peu rebondis d'un certain nombre de chanteuses renommées,
Mmes Tetrazziui, EmmaCalvé, Marcella Sembrich, Nordica. Destina. Et quelle
est la cause de cet embonpoint, demanJe-t-il; est-ce la faute du chant? Une
célèbre cantatrice, M""' Lilli Lehmann, qui est dans le cas des précédentes,
répond que les grandes chanteuses ne deviennent généralement renommées
qu'après la quarantaine (aïe!), que c'est d'ordinaire à cet âge que les femmes
commencent à engraisser, et que les chanteuses, qui vivent peut-être plus
largement, engraissent plus que les autres. Une autre exprime l'avis que ses
collègues engraissent trop facilement parce qu'elles ne serrent pas assez leur
corset, dans la crainte d'altérer leur voix.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
A l'Opéra : MM. Messager et Brou^san sont rentrés à Paris mercredi de
retour de leur voyage à Berlin, où, comme nous l'avons dit déjà, ils étaient
allés assister à une représentation des Huguenots, dont la mise en scène a été
complètement remaniée.
C'est demain soir dimanche qu'aura lieu la reprise de Xamouna, le ballet de
Lalo. Première représentation, le lendemain lundi.
On compte que Mllc Mary Garden sera rentrée à Paris vers la fin de la se-
maine prochaine et on espère qu'elle débutera sur la scène de notre Académie
nationale de musique aux alentours du 13 avril. Il est fortement question,
avant de faire aborder à l'exquise artiste le rôle d'Ophélie dans VHamlel
d'Ambroise Thomas, où elle aurait pour partenaire M. Renaud, de la laisser
paraître d'abord dans la Thaïs de M. Massenet; on sait quels triomphes elle vient
de remporter à New-York dans cet ouvrage qu'elle chanta toujours avec grand
succès, en France même, notamment à Aix-les-Bains.
Nous avons annoncé déjà les représentations russes qui seront données, au
nombre de six, du 15 mai au 13 ju n. M. Serge de Diaghilew, qui est l'im-
présario de l'affaire, a ainsi arrêté la distribution de Boris Godounow, l'opéra
de Moussorgsky :
Boris Godounow MM. Chaliapine (Opéra-Impérial Russe).
Le faux Dimitri Smirnuw (Opéra-Impérial de Moscou).
Pioiène Kastorski (Opéra-Impérial de Saint-Pétersbourg).
Varlaam Charoriov» (Opéra-Impérial de Saint-Pétersbourg).
Marina Mra™ Félia Litvinne (Opéra de Paris).
La Nourrice Pétrenko (Opéra-Impérial de Saint Pétersbourg).
Le Tsarévitch Féodor Fougarinova (Opéra-Impérial de Moscou).
Le chef d'orchestre sera M. Félix Blumenfeld, de l'Opéra-Impérial de Saint-
Pétersbourg, que les Parisiens ont déjà pu apprécier aux concerts russes de
l'an dernier. Les décors seront l'œuvre du peintre Golovine : M. de Diag-
hilew s'est également assuré le concours de M. Alexandre Sauine, metteur
en scène des théâtres impériaux, et des chœurs du Grand-Théâtre de
Moscou.
Et puisque nous parlons des projets « étrangers » des directeurs de l'Opéra,
répétons le bruit diaprés lequel ils se seraient assurés non seulement de la
Salomé, de M. Richard Strauss, mais encore de son Electre inédite. Les Pari-
siens n'auront vraiment plus le droit de se plaindre qu'on ne les tient pas au
courant du mouvement musical 'extérieur !
— A l'Opéra-Comique : Tandis que les répétitions de Snegourotchka sont
poussées très activement, on vient de mettre en train les éludes du Clown de
M. de Camondo.
M. Albert Carré vient d'engager une cantatrice du Théâtre-Impérial de
Moscou, M,le Elisabeth Baratoff. Ajoutons que la jeune chanteuse, qui n'est
rien moins que princesse, travailla avec M. Emile Bourgeois. M1'1' Henriette
Solner vient également de signer pour deux années, à partir de septembre
prochain.
Spectacles de demain dimanche. En matinée : le Jongleur de Notre-Dame et la
Habanera; en soirée : Mignon. Lundi, en représentation populaire à prix réduits :
Ariane et Barbe-Bleue.
— MM. Isola ont été reçus, cette semaine, parla 1° Commission du Conseil
municipal, à laquelle ils ont déclaré que, eu présencj des résultats obtenus,
ils étaient décidés à demander à la Ville de Paris la transformation en exploi-
tation définitive de l'exploitation provisoire de la Gaité en Lyrique populaire.
Mais alors les directeurs, obligés d'envisager l'éventualité d'une collaboration
moins efficace de l'Opéra-Comique, ont manifesté leur intention de i
une troupe complète. Dans ce cas, ils voudraient que les modifications qu'ils
se proposent de faire eussent l'assentiment de la Ville de Paris avec laquelle
ils désirent rester en parfait accord. La 4° Commission statuera dans quelque*
jours. Nous pouvons ajouter que MM. Isola ont déjà entendu plusi
vrages inédits en vue de leur prochaine campagne théâtrale. TienJrions-nouj
enfin le vrai Lyrique, tant souhaité qui pourra voler de ses propres ailes et ne
point demeurer une pâle et inutile succursale de nos scène- subventijnaées?
— On annonce pour les premiers jours du mois d'avril, à la Porte S uni
Martin, la première représentation de l'opérette n mvelle de M. Im pli :
Berger, le Chevalier d'Eon, Sur un livret d'Armand Silvestre t de M. 11 al
Cain. M. Edmond Brouette, d'après les on-dit, prépare des merveilles d.; mis?
en scène et a assuré à l'œuvre une interprétation di prinv) car ello qui com-
prend les noms de MUes Thévenet. Anne Dancrey, ltachel Lauuay, Germaine
Huber, M. Fairy, de MM. . Félix Huguenet, Gaston Dubosc et Ferval, pour
ne citer que les principaux. Les déçois, que l'on commence a livrer au
théâtre, ont été brossés par MM. Lemeunier (1er acte), Jambon (2* et 3" actes)
et Amable (4e acte), et la maison Landolf prépare un nombre cmsi 1 Srabl d
costumes neufs qui seront une très fidèle reconstitution de l'époq m il
Louis XV.
— Aujourd'hui 28 mars, à cinq heures, au Théàtre-Sarah-Berahurdt, ■!'.' sa-
medi de la Société de l'histoire du théâtre. Causerie de M. Paul Ginisly sur
le Directeur d" théâtre, avec le programme de récitations et d'auditions sai-
vant :
Monsieur Nicotel (XXXi, par M"" Lutzi. — Les Fiançiilles delà M • r r.t , ■. Barras),
par M. Janvier. — La Mort de Piaf-Piaf (A. Damusi, par M. Gazalis. — lu h ■ >
qui connaît son publie (Th. de Banville), par M"° J. Bellanger. — Le Figura < <i<> h i
leur Véron (Albéric Second), par M"" M. Cartier. — Nestor Roqmplan (Th. do Bm-
ville) par M"" J. Bellanger. — L'Huissier du Dire -leur (A. Houssaye), par M Pai i L
— Rondeau de Madame Favart (Offenbach), par M"0 Simo i-Girard. — Air de Pail-
lasse (Leoncavallo), par M. Pascual, de l'Opéra -Royal de Madril. — Chanso i à bhre
de Tabarin (Emile Pessard), par M. Carbelly, accompagné par l'auteur.
— M. Fallières a accepté l'invitation qui lui a été faile. par le Comité de
l'Association pour le Développement du chant choral et de l'orchestre d'har-
monie, d'assister à la solennité artistique que l'Association organise au Troca-
déro, le dimanche 5 avril, à 2 h. 1/2, pour célébrer la Franc.) héroïque à tra-
vers les siècles. Les œuvres de M. Bjurgault-Dacoudray seront interprétées sous
la direction de l'auteur par 1.300 c'.ioristes et avec le concours de M"" Lipey-
rette, de MM. Duclos et Vérin, de l'Opéra. La musique militaire du 103: et
l'Harmonie des anciens musiciensde l'armée accompagneront. MM. Alexandre
Guilmant et Bonnet tiendront l'orgue.
— Mardi dernier était le centième anniversaire de la naissance de Maria-
Felicita Malibran. C;tte cantatrice, morte à vingt-huit ans des suites d'uae
chute de cheval après laquelleon la releva le visage en sang et la tète cju .
verte de contusions, car elle avait été traînée pendant une longue distance, a
mené, pendant onze années, une existence presque triomphale. Née à Paris,
le 24 mars 1808, elle mourut le 23 septembre 1836. à Manchester, où elle avait
été appelée pour prendre part à un festival. Ou lui fit là des funérailles prin-
cières et on voulut lui ériger un tombeau définitif, mais ses restes durent être
rendus à sa famille; ils ont été inhumés avec pompe au cimetière de Laekja,
à Bruxelles, dans un mausolée où une statue de marbre, par Greefs, a été
placée. Maria-Felicita. fille de Manuel del Popolo Vicente Garcia, était douée
des dons les plus précieux. Conduite a Naples dès l'enfance par son père, qui
lui enseigna le chant quand le moment fut venu, elle joua, dès l'âge de cinq
ans, dit Fétis, au théâtre Fiorentini, le rôle de l'enfant dans l'Agnese de Paer.
Deux ans après, Panseron et Herald, se trouvant à Naples, lui enseignèrent
l'un le solfège et l'autre le piano. Les années passèrent. Garcia ayant été
appelé à Londres en qualité de premier ténor du Théâtre du Roi, une indis-
position de M"'e Pasta lui fournit l'occasion de faire débuter sa fille sur cette
scène, le 7 juin 1823, dans le rôle de Rosine du Barbier d" Séuille. Appréciée
dès l'abord, elle fut engagée pour le reste de la saison. Son père la conduisit
ensuite à New-York, où elle excita l'enthousiasme du public et contracta,
malgré sa répugnance, un mariage avec le négociant français Malibran, qui fit
de mauvaises affaires et dont sa femme se sépara l'année suivante. Maria
Malibran revint en Europe et se présenta pour la première fois devant u:i
public théâtral parisien dans Sémiramis, donnée à l'Opéra au bénéfice de GallL
Engagée aussitôt au Théâtre-Italien au chiffre de 1.073 francs par soirée, elle
en chanta triomphalement le répertoire, sans cesser de voyager en Angleterre
et en Italie. A Londres, en 1833, le théâtre Drury-Laue lui donna 88.0UO francs
pour quarante représentations; pour vingt-quatre, l'Opéra-Italien de la même
capitale lui paya, en mai-juin 1833. la somme de 67.373 francs. La même
année elle souscrivit à Milan un engagement pour cent quatre-vingt-cinq
représentations, aux appointements de 42J.O0O francs. Le rôle dans lequ 1 elle
a laissé le plus de souvenirs est celui de Desiemona dans Ulelto. On a dit
parfois que Maria Malibran s'était épuisée en s,.' livrant avec trop de passion
aux sentiments qu'elle avait à exprimer au théâtre. Allie J de Musset a soutenu
poétiquement cette légende :
Que ne détournais-tu la tète pour sourire
Comme on en use ici quand oa feint d'être ému?
Hélas! on t'aimait tant qu'on n'eu aurait rien \u.
Quand tu chantais le Saule, au lieu de ce délire,
Que ne t'occupais-tu de bien porter ta lyre?
— La Pasta fait ainsi : que ne I imitais tu ?
104
LE MENESTREL
Maria Malibran épousa, le 29 mars 1886, Charles de Bériot, après jugement
portant annulation de son premier mariage, prononcé par les tribunaux de
Paris. Les deux époux se rendirent à Bruxelles et y donnèrent ensemble un
concert au bénéfice des Polonais. Moins de six mois après, la mort venait
mettre fin à tous les rêves de bonheur et de gloire que la jeune femme s'était
promis à la suite de cette union. La Malibran a composé beaucoup de noc-
turnes, de romances et de chansons, dont plusieurs ont été gravés. Après sa
mort, les productions de ses dernières années ont été publiées en un album
portant ce titre : Dernières pensées musicales de Marie -Félicité Garcia de Bériot.
On a exécuté le 17 mars 1837 à la Scala de Milan une cantate funèbre, A
la Malibran. du poète Piazza, dont la musique a été écrite par Goppola. Doni-
zetti, Mercadante, Paccini et Yaccaj.
— Le 9 avril prochain, M. E. Jaques-Dalcroze, 1 auteur du Bonhomme Jadis
et des Jumeaux de Bergame, donnera, salle des Agriculteurs, 8, rue d'Athènes,
une séance de gymnastique rythmique. Comme il le fit l'année dernière au
Conservatoire national de musique, M. E. Jaques-Dalcroze y exposera sa
curieuse et très nouvelle méthode et Mllc M. Bréchoux présentera ses élèves.
On trouvera des invitations au Ménestrel.
— A la suite de deuils récents qui viennent de la frapper, MmeAstruc Doria
a prié le quatuor vocal Battaille d'accepter sa démission. L'emploi de soprano
sera maintenant tenu par M"e Mary Garnier, l'éminente et renommée canta-
trice; son talent et les travaux d'ensemble qu'elle a déjà faits avec le quatuor
vocal Battaille assurent à cette belle association la continuation des succès
qu'elle recueille partout.
— Le 17 mars dernier a eu lieu à Metz la première représentation d'un
opéra nouveau en trois actes, le Duc Réginald, musique de M. Otto Brucks,
directeur du théâtre municipal, où a été joué l'ouvrage. Le compositeur a été
rappelé après chaque acte. L'action se passe au temps des croisades et est dé-
veloppée dans la forme du grand opéra.
— Soirées et Concerts. — Au Théâtre-Mondain, charmante audition des élèves
de M"' Pdiiline Vaillant. On applaudit à de foit intéressantes exécutions de scènes
importantes de Mignon, d'Ambroise Thomas, de Cendrillon, de Massenet, de Jean de
Xivelle, de Léo Delibss, et d'Hamlet, d'Ambroise Thomas.
NÉCROLOGIE
Le 11 mars dernier est mort à Leipzig le compositeur et écrivain musi-
cal Fr. Th. Cursch-Biihren. Né le 10 janvier 1839 à Troppau, en Autriche, il
apprit dès l'âge de cinq ans le violon et l'orgue et essaya bientôt après de
composer. Il se fit admettre plus tard parmi les membres de l'orchestre de
Johann Strauss, et devint ensuite lui-même chef d'orchestre au théâtre de
Worms et à celui de Trêves. Il a laissé des intermèdes chantants, des mélo-
dies et de très beaux chœurs, d'hommes.
— De Turin on annonce la mort, à l'âge de 71 ans, du compositeurGaetano
Foschini, ex-professeur d'harmonie au Lycée musical de cette ville. Auteur
d'un bon Traité d'harmonie, il avait fait représenter à Constantinople, en
1864, un opéra sérieux intitulé Giorgio il bandito. Dans sa jeunesse il avait
publié un assez grand nombre de morceaux de piano, consistant surtout en
variations et fantaisies sur des thèmes d'opéras.
— Morte par amour! Une jeune artiste italienne, Maria-Francesca Pertusio,
qui était chef d'attaque des premiers violons dans l'orchestre de Monte-Carlo,
s'est suicidée dans des conditions dramatiques. La belle Italienne s'était ren-
contrée avec un de ses collègues, elle lui plut, et ils s'aimèrent. Mais l'in-
constance devaitmettre fin à cette passion. L'amoureux se détacha peu à peu de
l'aimée, puis l'abandonna, et elle, désespérée de cet abandon, résolut de mou-
rir. Elle acheta un revolver, monta dans une voiture, se fit conduire au
cimetière, et là. appliquant l'arme sur sa poitrine, se tira deux balles dans le
cœur. La mort de la pauvrette fut instantanée.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Tl"n ■»! ili ri le 3 avril 1908, 1 heure après-midi, en l'étude de Me Plcche,
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Duetto :■ 'Ah! que la veille d'un beau jour est longue! ». .... 4 »
Duo du portrait : 0 Ami, depuis longtemps je t'ai donné mon cœur » 7 30
Air de la fiancée : « Fiancée, le joli mot! » 4 »
Le même transposé un ton plus bas i »
Je suis étranger! : « Toujours joyeux, toujours content! »-.--... 7 30
s 6. Maître et maîtresse : « Ah! que c'est chose différente! » 5 »
7. Duo d'Arlequin et Rosette : « Avec l'amour on ne badine pas » . . 7 30
8. Couplets de l'aiguille : « Cours vite, petite aiguille » 4 »
9. Sérénade : « Rose du bois joli » 3 »
9Li". Le même pour ténor et soprano 3 »
10. Quatuor à la lune : « Coucou, madame la lune » S »
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Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste ea ans.
SOMMAIEE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (15" article), Julien Tierso
reprise de Namouna, à l'Opéra, A. Boutarel. — III. Rev
IV. Nouvelles diverses et concerts.
— II. Semaine Ihéi'itrale :
; des grands concerts. —
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour les
COUPLETS DE L'AIGUILLE
chantés par Mme Jaques-Dalcroze dans les Jumeaux de Bergàme, l'arlequinade
nouvelle de E. Jaques-Dalcroze (poème de Maurice Lena, d'après Florian).
qui vient d'être représentée au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles. — Suivra
immédiatement : la Lettre de Rosita, chantée dans le Chevalier d'Éon, opérette
nouvelle de M. Rodolphe Berger (poème d'ARMAND Silvestre et Henri Gain),
qui va être représentée au Théâtre de la Porte-Saint-Màrtin.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
XEnlf acte-Gavotte du Chevalier d'Éon, l'opérette nouvelle de Rodolphe Berger.
— Suivra immédiatement la mazurka extraite du ballet (Le Mariage d'une
rose) de la même opérette.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
CHAPITRE IV
VOYAOE EN ANGLETERRE
Les découvertes de documents et d'oeuvres se rapportant
à la première période de la vie de Gluck se multiplient, en ce
moment, nous dirions presque de jour en jour. Au lendemain
de l'apparition du dernier numéro du Ménestrel, où il était fait
usage du petit nombre de documents présentement connus sur la
Cadula de' Giganli, M. A. Wotquenne, dont le Catalogue thématique
des œuvres de Gluck nous est si précieux, a bien voulu m'écrire
pour me donner le renseignement complémentaire que voici :
« Le livret de cet opéra est actuellement connu; on vient de
le retrouver à la Bibliothèque Victor-Emmanuel à Rome. Ce
livret est de Fr. Vaneschi... »
Suivent d'autres détails sur la composition des parties lyri-
ques du poème. Ils arrivent parfaitement à temps pour être
utilisés dans la suite de ce travail, où ils vont compléter les
données déjà acquises. Il ne reste donc qu'à rectifier ce qui a
été imprimé dans le dernier numéro, -d'après des indications
remontant à 1904, relativement à l'ignorance où l'on était du
poème de la Caduta de' Giganli et du nom de son auteur.
Six airs de chacun des deux opéras de Gluck représentés en
Angleterre furent gravés, sous ce titre : The /avourite Somjs
in the opéra calFd la Caduta de' Giganti [Artamene] ; London,
Wakh (1). Ce fut la première musique de l'auteur d'Armide qui
ait été admise aux honneurs de l'impression. Etait-ce la meil-
leure qu'il eût composée jusqu'alors ? Celle que nous ont précé-
demment fait connaître les manuscrits est là pour nous répondre,
sans que d'ailleurs nous ayons à constater une notable diversité
de style, que les chants de ses premiers opéras italiens ont
souvent plus de beauté. Sans doute est-ce l'effet d"un choix
commandé par les circonstances; peut-être aussi l'impression
que nous éprouvons à cette lecture provient-elle simplement de
l'arrangement fait au goût anglais, uniformément à trois parties
(deux violons et basse, la voix marchant toujours avec le premier
violon). Toujours est-il que cette musique nous apparaît sèche
et formulaire. La virtuosité n'en est pas complètement écartée ;
mais ce n'est plus cette virtuosité hardie dont nous avons noté
antérieurement de remarquables exemples : celle-ci est modérée,
prudente, et ne se hasarde pas à des prouesses trop incertaines !
Au reste, il se pourrait que l'éditeur n'eût pris que les airs
les plus faciles, et que son choix ne donnât pas une idée fidèle
du style général. Presque tous ceux qu'il a choisis ont une
allure dansante, le plus souvent à trois temps, en stvle de
menuet. Aucun morceau de haut style n'a été compris dans la
sélection. Est-ce à dire que Gluck n'en avait admis aucun dans
ses opéras anglais ? Nous ne saurions l'assurer.
Pourtant il est un air dont nous connaissons déjà les paroles:
Basserena ilmesto cig/ii; elles avaient, dans Tigrane, inspiré une
charmante cantilène. Ces vers se retrouvent clans Artamene mais
avec une autre musique, moins suave et sensiblement infé-
rieure (2). Et cette dernière obtenait à Londres le plus çrand
(1) Le Général Advertiser- du 25 mars 1746 publie l'annonce suivante, doot nous
retenons seulement ici les articles 1 et 3 :
New Misic
Tliis Day is publis'ied
1 The favourito Songs in the Opéra c iltfd Artamene.
3 The favourite Songs in La Caduta de' Giganli.
Being ail the Opéras perform'd tliis Winter.
Communication de M. J.-S. Shedlock.
(■2i L'on se souvient que les biographes ont cru longtemps qu'un opéra de Gluck
avait été représenté en 1743, sou* le nom d'.lrfa mène, h Crémor i disaient les uns, à
Crema rectifiaient les autres. A ce propos, M. Wotquenne a écrit dans son catalogua
des œuvres de Gluck : « 11 ne faut pas confondre VArtamène de Londres avec celle de
Crema. A mon avis ces deux œuvres sont entièrement dissemblables, et je suis per-
suadé que le libretto primitif (1743) — si on parvient à .en retrouver un exemplaire
— confirmera ma conjecture. . Voilà qui étail parler en vrai prophète ! La conjecture
était mieux fondée encore que ne le pensait l'écrivain: en effet, nous savons aujour-
d'hui que non seulement l'opéra de Crema 1743' diffère totalement, par son libretto
comme par sa musique, de VArtamène de Lon 1res (1746), mais, mieux èni
n'est pas Artamene, ayant pour nom Tigrane.
106
LE MÉNESTREL
succès : Burney rapporte que, chantée par Monticelli, elle était
bissée à toutes les représentations. Comme le motif principal y
est, dit l'historien musical, exposé d'abord sept fois, puis redit
sept fois encore au Da capo, c'était donc, après le bis, vingt-huit
fois que les spectateurs l'avaient entendu ! Est-ce pour plaire au
goût anglais que Gluck avait ainsi renoncé à la belle ordon-
nance de la première composition pour y substituer des redites
bonnes uniquement à faire entrer de gré ou de force sa musique
dans les oreilles récalcitrantes des insulaires ?
Mais ce n'est pas tout, et la comparaison des airs de la Caduta
de' Giganli et i'Arfamène avec ceux des opéras italiens antérieurs
vient nous éclairer sur une autre intéressante particularité. Des
six airs connus de la Caduta, trois reproduisent purement et
simplement trois airs de Tigrane, paroles et musique ; un duo
est pris dans Ippolito ; la musique d'un cinquième air est celle
d'un morceau d'Ipermeslra adaptée à un texte nouveau.
Le livret complète et corrobore ces premières observations :
les textes des airs que Gluck dut mettre en musique pour for-
mer son premier opéra de Londres sont généralement emprun-
tés à des poèmes antérieurs d'auteurs divers. L'un est extrait
d'Endimione de Métastase, inséré déjà dans Tigrane; un autre
provient de VIssipile du même poète, et se rencontre également
dans la Sofoyiisba. Un emprunt a été fait à Ipermestra, un autre
à Achille de Métastase; enfin un duo, qui termine le premier
acte, est extrait deY Ippolito (1).
Dans Artamène, deux airs sont empruntés, l'un à Demofoonte,
l'autre à Sofonisba. Les textes de trois autres proviennent de
deux opéras de Métastase, Ezio, Adriano in Siria et du Tigrane
que nous connaissons d'autre part ; mais ici la musique ne sem-
ble pas provenir de précédents ouvrages de Gluck.
Les opéras londoniens de Gluck, surtout le premier (car
Artamène semble déjà accuser un changement de système), nous
offrent donc un exemple parfaitement authentique de ce que,
dans l'opéra italien du xvmc siècle, on appelait un pasticcio,
œuvre disparate, sorte de manteau d'Arlequin, composé de
fragments épars réunis arbitrairement à la faveur d'un scénario
qui, on le devine, devait emprunter aux circonstances de sa
création peu de naturel et de spontanéité.
L'on a, au sujet de ces compositions factices, raconté une
histoire, dont le fond sans doute est vrai, mais qui, dans la
plupart de ses rédactions, contient une erreur importante à
rectifier. Après les représentations de ses deux opéras à Londres,.
Gluck aurait été requis de composer un pasticcio avec les
meilleurs airs de ses opéras antérieurs, réunis sur un poème
nouveau dont le sujet était la légende de Pyrame et Thisbé; or,
cette œuvre aurait subi un échec complet, dont Gluck fut
d'abord étonné, ne pouvant comprendre comment une musique
estimée à si haut prix à Milan et à Venise pouvait ainsi laisser
indifférent un autre public. Il réfléchit pourtant, et comprit
que la raison du succès d'abord, de l'échec ensuite, provenait
de ceci : dans les œuvres originales, chaque air était à sa vraie
place, exprimant le sentiment d'une situation déterminée ; dans
le pasticcio au contraire, ces airs étaient sortis de leur milieu
naturel : ils perdaient donc toute leur signification, et n'étaient
plus qu'un vain bruit de notes plus ou moins ingénieusement
agencées. Cette circonstance occasionnelle aurait été la cause
première des idées de Gluck sur l'expression de la musique
dramatique, et le point de départ de sa réforme future.
C'est Suard, notable champion de la cause gluckiste, qui a
rapporté cette anecdote, d'après une communication du maître,
plusieurs années d'ailleurs après sa mort (-2). Elle n'a rien en soi
(1) Communication de M. Alfred Wotquenne. Ajoutons qu'un programme de con-
cert, dont on lira le détail ci-après, nous fait encore connaitre les premiers vers de
trois airs de la Caduta île Giganti, dont l'un est précisément celui dont nous retrou-
vons trace dans le livret comme avant été utilisé par Gluck dans Ipermestra en
1744.
(2) Encyclopédie méthodique, partie Musique (t. I, 1788j, article Allemagne, signé
Suard. « Ce fut en Angleterre, dit l'écrivain, que Gluck conçut la première idée
d'une musique vraiment dramatique ; voici comment il l'a raconté lui-même à
que d'acceptable : elle est en accord parfait avec l'esprit de
l'auteur d'Alceste et la logique des événements. Elle a pour-
tant un défaut, que voici : le prétendu pasticcio de Piramo e Tisbe,
sur des airs de Gluck, représenté à Londres en 1746, n'a jamais
existé. Ce petit point d'histoire est hors de contestation aujour-
d'hui : les écrivains les mieux avertis, tels que M. Wotquenne,
et. plus récemment, M. F. Piovano, ont renoncé à comprendre
au nombre des œuvres de Gluck ce Piramo e Tisbe, dont, sauf
l'unique mention de Suard, si postérieure et si lointaine, personne
n'a jamais su retrouver la moindre trace. La preuve de sa non-
existence m'a été confirmée récemment par M. Shedlock, qui, en
m'envoyant obligeamment les détails que les documents anglais
contemporains lui ont permis de recueillir sur la Caduta de' Gi-
ganti et Artamène, a constaté l'absence de toute mention d'un
Piramo e Tisbe, soit de Gluck, soit de tout autre auteur, œuvre
nouvelle ou musique parodiée, comme ayant été représenté sur
la scène anglaise en 1746 (I).
Mais cette circonstance accessoire n'infirme en rien le fond du
récit : changeons un titre, en remplaçant l'imaginaire Piramo e
Tisbe par l'authentique Caduta de' Giganli, et nous apercevrons
la vérité tout entière. Oui, le pasticcio composé d'airs des
anciens opéras italiens de Gluck, c'est la Caduta de' Giganti : nous
en avons retrouvé à d'autres sources tous les éléments consti-
tutifs; tout ce qu'on vient de lire en l'attribuant à Piramo s'y
applique parfaitement. L'insuccès avait laissé des souvenirs pro-
fonds dans l'esprit du compositeur, car, muet sur tant d'ouvra-
ges du même temps, il y revenait sans cesse dans des entretiens
postérieurs : nous le savons par Burney et par Suard. Ses confi-
dences étaient toujours accompagnées de commentaires signifi-
catifs, pour prouver qu'il avait compris la leçon :
« Il s'appliqua, rapporte Burney, à bien connaitre le goût
anglais. Il observa surtout à quoi l'auditoire semblait prendre
le plus de plaisir, et trouvant que le naturel et la simplicité
faisaient le plus grand effet sur les spectateurs, il s'est tou-
jours attaché depuis à écrire pour la voix plus dans les tons
propres des affections humaines et des passions qu'à flatter
les amateurs de la science ou de la difficile exécution ; et
l'on peut remarquer que la plupart des airs d'Orphée sont
aussi simples, aussi naturels que des ballades anglaises (2) ».
(A suivre.)
Julien Tiehsot.
l'auteur de cet article. » Quant au titre du pasticcio, le rédacteur l'indique en des
termes peu aflirmatifs : «...le poème, qui était, autant que nous pouvons 7ious le
rappeler, Pyrame et Thisbé. » Fétis, dans la première édition de sa Biographie, n'a
guère fait que reproduire l'article de cette Encyclopédie pour tout ce qui concerne la
première partie de la vie de Gluck ; il dit donc, de son côté : a ... le poème qui s'ap-
pelait, à ce qu'on croit, Pyrame et Thisbé. » Cette formule dubitative ne l'empêche
pas d'inscrire bravement et sans hésitation ce titre, dans sa seconde édition, au cata-
logue des œuvres de Gluck, à son rang chronologique, — et tous les moutons de
Panurge de la musicographie ontsuivi. C'est ainsi que se forment les vérités histo-
riques. — Mentionnons à cette occasion que le prétendu Artamène de 1743 (qui est
Tigrane) est bien indiqué par Suard comme ayant été donné à Crema, et que la pre-
mière édition de Fétis reproduit cette indication, qui est exacte; mais la
deuxième édition imprime « Crémone », ce qui ne fait qu'ajouter une seconde
erreur à celle qui déjà était en cours.
(1) Il ressort des communications obligeantes qu'a bien voulu m'adresser notre
excellent confrère londonien, et dont j'ai déjà fait bon usage, qu'en 1745, le 25 jan-
vier, c'est-à-dire pendant que Gluck était en Italie, fut donnée au théâtre de
Covent-Garden la première représentation d'un opéra de Pijramis and Thisbé, parodie
tirée du Songe d'une nuit d'été de Shakespeare ; et l'annonce du General Advertiser
indiquait le nom de l'auteur en ces termes : « The Music compos'd by Mr. Lampe. » Cet
ouvrage fut donné en janvier et février de la même année, puis repris à l'automne,
où il eut encore quelques représentations, jusqu'en décembre. Mais pendant tout ce
temps (sauf peut-être aux dernières représentations) Gluck n'était pas en Angleterre,
et il n'est pour rien dans la production de cet opéra anglais, qui n'est pas un pas-
ticcio, et ne fut pas donné en 1746, non plus qu'aucun autre Piramo e Tisbe. —
L'annonce des publications musicales insérée dans le General Advertiser du
25 mars 1746, et où nous avons déjà trouvé la citation des airs de la Caduta de*
Giganti et Artamène (voir ci-dessus), s'achève par cet article :
5. Pyramas and Tltisbe by Mr. Lampe.
Le nom du véritable auteur est donc, on le voii, exactement rapporté, et cet auteur
n'est pas Gluck. — Cf. aussi F. Piovano. Un opéra inconnu de Gluch, Recueil de la
Snriélc internationale de musique, janvier-mars 1908, p. 273.
I (2) Bubney, État présent de la musique, etc., III, 230.
LE MÉNESTREL
m:
SEMAINE THÉÂTRALE
Opéra. — Reprise de Namouna, ballet en deux actes et trois tableaux de
Ch. Nuitter et Petipa, musique d'Edouard Lalo (30 mars 1908).
A l'époque de la première représentation du Roi d'Ys à l'< )péra-
Comique, en mai 1888, on racontait que, plusieurs années auparavant,
M. Vaucorbeil, inspecteur des beaux-arts, avait terminé un rapport au
ministre en déclarant, à propos de ce bel ouvrage qu'aucun théâtre
n'avait encore accepté, que la France « se déshonorerait en ne jouant
pas une pareille musique ». On sait que M. Vaucorbeil, devenu direc-
teur de l'Opéra, s'est refusé à monter le Roi d'Ys, et imposa non seule-
ment à Lalo la composition d'un ballet, mais exigea qu'il accepterait le
scénario de Namouna, sur un sujet tiré des Mémoires de Casanova.
Tout refus était impossible, il fallait être joué. On était au 30 juillet
JiS.si : la partition devait être livrée le 31 octobre. Le maitre, alors âgé
de cinquante-neuf ans, ne put résister à l'excès de travail auquel il dut
s'astreindre ; une attaque d'hémiplégie l'obligea au repos avant que la
tâche ne fut terminée. 11 restait trois morceaux à orchestrer; Gounod
voulut bien s'en charger. La répétition générale eut lieu le 7 février
1882, mais une indisposition de Mm'' Sangalli. à laquelle tout le monde
n'a pas ajouté foi, vint tout remettre en question. Il parait toutefois que
la danseuse tomba ensuite réellement malade, de sorte que la première
représentation ne put être donnée, que le 6 mars. Namouna était, sur
l'affiche, accompagnée du Comte Ory. L'œuvre ne réussit pas et
n'occupa la scène que pendant seize soirées. Elle reparait aujourd'hui,
non sans éclat, vingt-six ans après sa création.
Dès le début, la musique de Namouna se pose en larges couches so-
nores. Un joli cantabile leur succède ; nous l'entendrons souvent dans
la suite, et c'est sur son rythme ondoyant que nous verrons, au dénoue-
ment, s'éloigner sur les eaux de la mer Ionienne la tartane avec sa
grande voile latine teintée de rouge et de rose, qui portera vers quelque
ile de rêve Namouna, l'esclave rachetée, et Don Ottavio enlacés. Car
c'est une toute simple histoire d'amour qui va passer sous nos yeux
au moyen de belles pantomimes.
Namouna, l'esclave charmante, appartenait au forban Adriani. Ayant
perdu, au casino de Corfou, sa barque et le produit de ses rapines, il l'a
offerte comme dernier enjeu, et la chance a tourné contre lui. Don
Ottavio, devenu le maitre de la jeune fille, s'empresse de lui rendre la
liberté, car elle l'intéresse, mais non pas toutefois par amour ; il aime
en effet une grande dame du nom d'Héléna. Namouna, au contraire, est
subjuguée par lui : elle n'aura plus qu'un désir, qu'un but, attirer son
attention et prendre une place dans son cœur. La musique, brusque et
tumultueuse pendant la scène du jeu, laisse s'exhaler ce sentiment
tendre dans une mélodie langoureuse, dont chaque membre, bien symé-
trique, comprend huit mesures, et dont le second, avec ses timides
montées par demi-tons, est un ravissement pour l'oreille. Ainsi finit le
prologue.
Au lever de la toile d'avant-scène, pour le premier acte, l'orchestre
•exécute un prélude symphonique de très noble allure. Les violons et
les harpes scintillent â l'aigu, pendant que se développe un large thème
de violoncelles, auquel répond bientôt le cantabile du début qui main-
tenant se passionne et s'exalte. On est étonné de trouver là ce morceau
si ferme et si fort; c'est un prélude; il devrait être placé en tète de
l'ouvrage, car il en résume musicalement l'action tout entière.
Quand le second rideau s'écarte, nous sommes dans une sorte de
carrefour, à Corfou. C'est le temps et le lieu de la foire. Ottavio fait
exécuter une sérénade sous le balcon d'Héléna. Adriani, le joueur
malheureux, met en fuite les ménétriers et provoque Ottavio.
Namouna. déguisée en bouquetière, intervient auprès des duellistes,
danse en leur offrant des fleurs et les oblige à se séparer. Ils jurent de
se revoir l'épée à la main. La fête foraine s'ouvre par d'éclatantes fan-
fares; on en entendra de tous côtés, sur le balcon d'Héléna, au fond du
carrefour, puis à droite, sur des tréteaux disposés pour une parade
populaire. La musique est ici extrêmement perçante, mais ingénieuse
comme effet, et agrémentée de très heureux divertissements.
C'est d'abord un pas très gracieux, dans lequel chaque danseuse
agite en ses mains et frappe en cadence de petites cymbales. Vient
ensuite une pantomime de Namouna cherchant à inspirer un sentiment
à Ottavio. Elle se présente à lui en déployant une grâce espiègle et
mutine, secondée en ses poses exquises par une mélodie de valse
lente qui est une merveille de style. Vers la fin, M1Ie Zambelli achève
son jeu de séduction en acceptant une cigarette qu'elle porte à ses
lèvres et dont elle imite les tourbillonnantes fumées sur les dernières
phrases de son joli thème, jouées en prestissimo. On se souvient peut-
être qu'en 1.S82 il fut interdit d'allumer la cigarette; l'interdiction a été
maintenue, mais cela n'a nullement nui au succès de M'1 Zambelli
dont la mimique a été charmante et la virtuosité très remarqui .
Quelques pages moins captivantes prolongenl avec variété ce final
d'acte; ce sont un Tambourin, deux Airs marocains notés pendanl
l'exposition universelle de 1878, une Gitane, enfin les parades de
foires, qui jettent de nouveau leurs stridents appel . Li peuple envahi I
les alentours des voitures foraines: au-dessus du tumulte de la rue
planent, par intermittences, quelques phrases passionnées : elles indi-
quent les prières et supplications qu'Otlavio adresse a Héléna. Mais,
tout à coup, l'amoureux se voit entouré de spadassins conduits par
Adriani ; ces bandits sont a leur tour mis en fuite par les marins de
Namouna, qui se saisissent d'Ottavio et L'entraînent jusque sur une
tartane amarrée au rivage, en lui montrant une dame voilée qui observe
et commande. Il s'agit d'un enlèvement. La dame, qui n'est autre que
Namouna, monte également en barque, laissant aux brises le soin de
conduire sa petite flottille, pendant que la Eéte populaire bat son plein
dans une sorte de vertigineux tournoiement.
Une ile de la mer Ionienne, offrant aux regards des ruines de temples
antiques, est la demeure d'Ali, marchand d'esclaves. Toutes belles,
toutes paresseusement couchées, ses captives se livrent aux lan-
gueurs d'un demi-sommeil pendant l'heure de la sieste. Entre temps
quelques-unes dansent séparément ou forment des ensembles. Au loin,
sur les flots tranquilles, apparait une barque balancée mollement,
pendant qu'un long motif, au grave de l'orchestre, semble traduire les
murmures sourds de l'eau dans les profondeurs à travers les récifs.
C'est là une musique imitative d'un genre original, dont on n'a pas
encore abusé. Mais qui donc arrive, qui débarque ? C'est une dame
voilée; elle vient acheter toutes les esclaves, ses anciennes compagnes,
et leur rend la liberté. Ottavio s'approche d'elle, touché de sa généro-
sité ; elle laisse tomber son voile, il reconnaît la belle bouquetière, il
tombe dans les bras de Namouna. L'orchestre chante délicieusement
pendant cette scène d'amour. Un thème varié d'une poésie rêveuse
s'élève doucement, c'est comme l'épithalame de ces fiançailles commen-
cées. Ottavio et Namouna dansent au milieu de gerbes de fleurs; c'est
délicat et charmant. Un solo de flûte, étincelant et chatoyant à la fois.
emporte Namouna dans un rythme binaire d'un tour aussi léger
qu'imprévu. Des pirates viennent troubler cette fête : Adriani les con-
duit, mais les dieux veillent sur les amoureux et favorisent la beauté !
Les belles affranchies enivrent de volupté les corsaires, et leur chef qui
a voulu s'élancer sur Namouna est poignardé par une des jeunes filles.
Aussitôt Ottavio, Namouna et leur joli cortège féminin, montent sur
la tartane aux voiles roses et s'éloignent à travers les flots bleus, pen-
dant que la musique exprime, dans une tonalité plus passionnée qu'au
début, le charme de cette course d'amour au bercement des vagues.
Tout est fini et tout commence. Namouna a conquis Ottavio.
Le libretto de Namouna n'est pas un chef-d'œuvre ; il a permis
d'établir une mise en scène de bon goût, mais sans aucun de ces grou-
pements somptueux et d'une belle ligne, qui forment, pour les yeux,
un spectacle dont l'effet d'ensemble n'est pas à dédaigner, surtout vu
de loin. Namouna est un ballet à regarder plutôt de près. M"e Zambelli
en est l'étoile presque constamment devant nous. Elle a le sens du
rythme, qui semble vivre en elle et animer tous ses mouvements. Ils
prennent ainsi une signification et rendent la musique suffisamment
parlante, captivante et précise. M1105 Meunier. G. Couat, L. Piron,
Sirède, MM. L. Staats, excellent Ottavio. Girodier et Ferouelle ont très
agréablement dansé ou mimé leurs personnages.
La musique de Lalo est essentiellement remarquable par la fermeté
du contour. Des morceaux comme le thème varié, la valse lente en la
mineur', le solo de flûte, ont une incontestable valeur d'invention, de
style et d'orchestration. Ce sont de petits chefs-d'œuvre par l'ingé-
niosité de leur facture et par le tour original qui les distingue. Le
nombre des pages médiocrement venues est très restreint dans Namouna.
mais il est impossible de ne point remarquer une sorte de déséquilibre
entre la sonorité très crue de certains morceaux et la suavité, la dis-
crétion, la finesse et l'élégance des autres. Les situations, il est vrai, ne
sont pas les mêmes : cependaut le défaut subsiste : il fut vivement senti
en 1882. La fécondité d'imagination de Lalo pour varier les rythmes
parait rarement s'épuiser : on vole de surprise en surprise â travers la
partition de Namouna, et, si parfois la puissance créatrice y faiblit faut
soit peu, le prestige de quelque effet imprévu orchestral, ou rythmique
rehausse singulièrement telle ou telle partie moins réussie qu'une
autre, et lui prête un charme d'imprévu tout particulier. Ainsi, surune
jolie personne, un bijou, une parure placés au bon endroit, ajoutent a
sa démarche, à ses attitudes, un attrait neuf et piquant.
L'interprétation de Namouna par l'orchestre a été animée et chaleu-
108
LE MENESTREL
reuse; d'un grand charme parfois. M. Paul Vidal l'a dirigée avec une
magistrale sûreté de main, donnant la plus complète impression d'une
vie musicale intense.
Cette reprise s'est affirmée comme un succès. Sera-t-il durable? Il
faut l'espérer. Elle a toujours un double mérite, l'œuvre qui peut
renaitre et réussir, en reprenant pour la seconde fois son essor plus
d'un cruart de siècle après son heure.
Amédée Boutarel.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts-Colonne. — La cent cinquante-cinquième audition de la Damnation
de Faust avait pour interprètes MUe Louise Grandjean, MM. Emile Cazeneuve,
Henri Dangès et Paul Eyraud. En Marguerite, M1,e Grandjean est restée
l'interprète passionnée de Phèdre et d'Isolde à l'Opéra; elle dramatise le
rôle plus que la plupart de ses devancières, et surtout en soigne la diction;
ses inflexions sont justes et chaque détail, même ceux qui exigent la plus pure
articulation, sont impeccablement rendus. Elle sait d'ailleurs chanter le lied;
on a pu s'en apercevoir en écoutant la ballade du Roi de Thulé, qui a été
bissée. M. Cazeneuve est bien en possession du rôle de Faust; s'il se permet
un changement très discutable dans la musique du récitatif qui précède la
Marche hongroise, du moins, à une tenue près, il chante le duo avec Margue-
rite tel que l'a écrit Berlioz, ce que peu d'autres ont fait avant lui. M. Henri
Dangès, qui tient le personnage de Méphistophélès, n'a pas une voix très mé-
lodieuse, mais elle est bien posée et porte admirablement quand les notes ne
s'écartent pas trop de son registre moyen. L'artiste a eu beaucoup de succès
dans la sérénade, si entièrement italienne de forme mélodique et d'accom-
pagnement; il a dû la répéter tout entière. M. Paul Eyraud a été un excel-
lent Brander. Les deux solistes, M. Monteux (alto) et M. Gaudard (cor anglais)
ont parfaitement joué comme toujours. M. Colonne et son orcheslre ont é é
acclamés après la Marche hongroise et le Ballet des Sylphes qui ont été rede-
mandés. Asiédée Borrr.vnEt..
— Concerts-Lamoureux. — La Symphonie Rhénane de Schumann, dont
M. "Vincent d'Indy dirigeait l'exécution, fut traduite par l'orchestre avec un
soin scrupuleux et une émotion contenue du meilleur effet. Evidemment
l'orchestration en parait toujours massive, compacte et terne surtout pour nos
oreilles habituées aux chatoiements éblouissants de l'instrumentation mo-
derne, mais quel charme, quelle grâce, quelle noblesse aussi ne dégage pas
cette symphonie, quelle invention, quelle ingéniosité dans les détails !... Une
autre œuvre, non moins digne d'être louée — un fragment plutôt — la
4e Béatitude de César Franck, excellemment rendue par MM. Plamondon et
A. Gébelin, excita un véritable enthousiasme, que la belle exécution, par
M. Risler et l'orchestre, de la symphonie de M. V. d'Indy sur un air monta-
gnard cévenol 'put seule égaler. Auteur et interprète furent longuement accla-
més.— Il me reste à parler de la première audition d'un poème symphonique de
M. Alfred Bachelet, intitulé «Joie». Cette joie est personnifiée par le
poète qui révèle la toute-puissance de l'art « à ceux qui souffrent, à ceux qui
peinent, à ceux qui pensent,... et tous, ravis, s'arrachant à la torpeur oppri-
mante de l'ombre, avides de repos, d'oubli, de joie, suivent le pcète vers
l'Idéal que dans leur nuit il fait resplendir. » Sur celte donnée assez vague,
le jeune chef d'orchestre de l'Opéra a échafaudé un important ouvrage dont
il faut louer sans réserve la sincérité, l'orchestration ingénieuse et recherchée
tout en regrettant que des thèmes mieux choisis et plus caractéristiques
n'aient pas fourni au compositeur un plus grand relief et un élément de va-
.riété dont l'absence se fait sentir. Le violon solo de M. Tb. Soudant person-
nifiait le Poète en une partie d'une véritable difficulté et dont l'artiste se
tira fort habilement. L'accueil fait à la « Joie » de M. Bachelet par le public
fut assez contradictoire : ce poème, qui abonde cependant en détails char-
mants, en subtilités orchestrales peut-être excessives, a paru long et diffus.
D'autres pages de M. Bachelet, comme sa Fiona, ou encore Légende d'Ondine,
jadis entendues et où se révélait la nature fine et poétique du musicien,
eurent un meilleur sort. .1. Jemain:
Ce programme clôturait la saison régulière de concerts. It n'est donc pas
sans intérêt de jeter un regard d'ensemble sur les « acquisitions » de l'année.
Par ce mot il faut entendre des œuvres réellement révélées au public parisien,
et non simplement transportées du théâtre au concert, qu'il s'agisse de com-
positions françaises ou étrangères. Des premières on eut : une Ouverture drama-
tique de M. J. Mazelier : une petite Suite de M. Debussy, orchestrée par
M. Busser ; Faunes et Dryades de M. Roussel ; une Étude symphonique de
M. G. Samazeutlh; Fuma, suite d'orchestre de M. J. Poneigh : Joie de
M. Bachelet, et enfin le Prométhée triomphant de M. Reynaldo Hahn ; plus des
mélodies de M. Pierre Hermant. Du coté étranger: une Suite de Grieg; Carna-
val ouverture de Dvorak; En Bohême, poème symphonique de Balakirew ;
le Barbier de Bagdad de P. Cornélius ; lre Symphonie de Brahms ; Variations et
Fugues de Max Reger ; 3e Symphonie de Rimsky-Korsakovv : Concerto Brande-
bourgeois de J.-S. Bach. Ce tableau témoigne de la louable activité qui anime
l'association des Concerts-Lamoureux à laquelle on ne saurait faire un grief
de l'éclectisme qui préside à ses choix. J. J.
— Programmes des concerts de demain dimanche :
Conservatoire : Symphonie en la majeur n° 4 (Mendelssohn). — Concerto en sol
mineur, pour orgue (Haendel), 1™ audition au Conservatoire: M. Alexandre Guil-
mant. — Quatre cho3urs anciens, 1" audition : a) Regina Cœli, à 6 voix (R. de Lassusi ;
b) Laboravi, à 5 voix, avec accompagnement d'orgue (J.-Ph. Rameaui ; c) Je voy des
glissantes eaux (G. Costeley) ; d) Villageoise de Gascogne (Claude Le Jeune). — Rapso-
die mauresque (M. Eug. Humperdinck) ; a) Tarifa: Élégie au coucher du soleil;
b) Tanger : Une nuit au café maure ; c) Tétuan : Chevauchée dans le désert. Le con-
cert sera dirigé par M. Georges Marty.
Salle Gaveau (concert Lamoureux), sous la direction de M. André Messager : la
Damnation de Faust (Berlioz) : M™ Jeanne Raunay (Marguerite), MM. Renaud (Mé-
phistophélès), Fernand Lemaire (Faust), Carbelly (Brander).
— Au dernier concert populaire du Théâtre Marigny, l'excellent chef d'or-
chestre M. F. de Léry a fait entendre pour la première fois une œuvre
importante de M. Edouard Chavagnat. la Nuit, poème symphonique en deux
parties divisées en six épisodes. Cette composition intéressante a obtenu un
succès très vif et très sincère.
'-■ Trois des plus grands maîtres de notre École française : MM. Camille
Saint-Saëns, Théodore Dubois. Ch.-M. Widor, participeront au superbe concert
que donnera l'éminent violoncelliste Pierre Destombes, à la salle Pleyel. le
lundi 4 mai, à neuf heures. Avec le concours des auteurs, Pierre Destombes
interprétera les Sonates pour piano et violoncelle : op. SO de Widor, celle de
Th. Dubois et l'op. 123 de Saint-Saëns.
— La salle Erard donnera, les samedis 4 et 11 avril, deux concerts qui ne
peuvent manquer d'intéresser au plus haut point le monde musical. Le cé-
lèbre pianiste Edouard Risler s'y fera entendre en compagnie de MM. A. Pa-
rent et G. Enesco dans des œuvres de Beethoven, P. Dukas, Théodore Dubois
(nouvelle sonate pour piano). Reynaldo Hahn (Sonatine). V. d'Indy. Chop in,
Liszt. On peut retenir ses bille's au prix de 20, 10 et o francs, à la salle Érard,
à l'Agence Démets, 2, rue Louvois, et chez les éditeurs Durand et Grus.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL,
(pour les seuls aboiynés a la. musique)
C'est lundi dernier qu'on a donné à la Monnaie de Bruxelles la première repré-
sentation des Jumeaux de Bergame, de Jaques-Dalcroze, et la « soirée fut délicieuse »,
nous écrit-on, ce qui n'est pour surprendre personne de ceux qui sont au courant
des gestes artistiques de ce fin musicien. Sa nouvelle petite œuvre est une merveille
de vie pimpante et spirituelle. Nous en détachons aujourd'hui pour nos abonnés les
Couplets de V aiguille qui ont valu à leur charmante interprète, M™' Jaques-Dalcroze,
un succès des plus vifs. .
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (1er avril) :
La première des Jumeaux de Bergame, à la Monnaie, a pris les proportions
d'un événement, auquel le nom du compositeur, M. Jaques-Dalcroze, dont les
jolies chansons d'enfants sont ici populaires, et l'attente impatiente de cette
« première », depuis longtemps annoncée et sans cesse reculée, avaient donné
une importance particulière. Si M. Jaques-Dalcroze est épris de simplicité, il
n'est rien moins qu'un compositeur banal. Il l'a prouvé en maintes occasions.
Mais cette fois, il a voulu montrer, j'imagine, qu'il est possible de faire œuvre
d'artiste très moderniste, même dans une matière où se développent naturel-
lement des sentiments très peu compliqués.
Le sujet des Jumeaux de Bergame a été emprunté par M. Maurice Lena, le
librettiste du Jongleur de Notre-Dame, à Florian. Seulement, là où celui-ci avait
indiqué a peine une action frêle, fantaisiste, sans autre intérêt que celui d'un
quiproquo tout au plus ébauché, M. Lena a écrit une piécette, où l'intrigue se
corse d'incidents spirituels, plaisants et tendres à souhait. Arlequin doit
épouser demain Rosette qu'il aime. Ce soir même, elle a promis de lui donner
son portrait, avec quelques écus. Mais avant qu'il ne vienne chercher le gage
d'amour, un autre est venu, à qui Rosette, par méprise, l'a donné. Cet autre,
c'est le frère d'Arlequin, arrivé de Bergame à l'improviste. Même taille, même
visage, même costume : Rosette, dans l'obscurité, l'a pris tout naturellement
pour son fiancé. Arlequin cadet, bouche bée, s'est laissé faire. Et elle s'étonne
fort lorsqu'elle entend ensuite Arlequin aine lui dire qu'il n'a rien reçu d'elle.
Serait-il fou'? Ou Rosette le tromperait-il... déjà? Il se cache et fait le guet.
Arlequin cadet revient, heureux d'une bonne fortune qu'il ne cherche pas à
s'expliquer et donne à la belle une sérénade passionnée. Arlequin aine, sans
chercher à reconnaître l'intrus, tombe sur lui à bras raccourcis et le met en
fuite. Rosette entend des cris. Elle accourt à la \oix aimée qui gémit et se
plaint... Elle trouve Arlequin... Eh quoi! Ce n'est pas lui qui criait!... Qui
donc, alors'.'...
Une autre femme cependant s'est mêlée à l'aventure, Nérine, qu'Arlequin
repousse et qui a juré de se venger. Elle aussi a rencontré Arlequin cadet, et
LE MÉNESTREL
109
a pris, pour le vrai, celui qu'elle croit le seul. Elle lui a fait une scène de
jalousie, et lui a dérobé le portrait avec les écus. Elle veut arracher les yeux
au traître qui n'en peut mais. Et alors, dans la nuit, les quatre personnages
se poursuivent à tatous, se prenant les uns pour les autres, enchevêtrant
l'intrigue, jusqu'à ce que, à la fin, sous la clarté d'un falot, le mystère se
découvre... Les deux Arlequins s'embrassent. Nérine, qui avait dérobé le
portrait et les écus de Rosette, restitue; et vous pensez bien que tout finit par
deux mariages, au lieu d'un.
Floriari n'avait tiré qu'un faible parti du rôle de Nérine et surtout de ce que
la méprise de Rosette a de plaisant; le chassé-croisé de la lin, dans l'obscurité,
n'existe guère non plus dans sa pièce. M. Lena a embrouillé la chose à plaisir,
très adroitement, selon les meilleures règles du quiproquo, et coloré l'ingé-
nuité du dialogue florianesque d'un peu de mignardise ironique et malicieuse,
voire d'anachronique modernité. La prose rythmée dans laquelle le livret est
écrit se colore de vagues assonances. Et tout cela, même à la simple lecture,
est charmant.
Sur ce joli et fragile canevas, M. Jaques-Dalcroze a brodé une partition qui
en suit pas a pas, non seulement les incidents, mais les moindres mouvements
et les moindres aspects. Figurez-vous une sorte de pantomime chantée, où
l'orchestre souligne les mots et les gestes, exprime ce qui se passe dans les
cœurs et traduit même ce qui se passe dans les estomacs, avec d'amusants
détails d'instrumentation, spirituels et pittoresques. Toute la partition est
pleine de distinction, de vivacité, de grâce doucement passionnée, et surtout
d'intentions.
L'œuvre reste donc des plus intéressantes, et vraiment nouvelle, dans ses
aspirations même un peu ambitieuses. Elle a charmé d'abord, puis attaché le
public par son abondance mélodique, sa forme ingénieuse et la curiosité de
ses rythmes, si variés que l'exécution en est difficile. Cette exécution a trouvé,
par bonheur, des artistes qui l'ont fait paraître facile, au contraire, tant ils y
ont mis d'adresse et de talent. C'est Mme Jaques-Dalcroze, la femme du com-
positeur, qui créait le rôle de Rosette; encore peu expérimentée comme
comédienne, elle est, en revanche, cantatrice délicieuse, de voix charmante et
do diction exquise. M11'- Symiane faisait Nérine, excellemment. Quant aux
deux Arlequins, ils ont trouvé en MM. Dua et Decléry des interprètes absolu-
ment remarquables. Mais que dire de l'orchestre, dont la tache était particu-
lièrement ardue? Il a été simplement admirable.
Des applaudissements et des rappels ont salué les deux actes des Jumeaux
de Bergame; et, à la fin, une ovation a été faite au compositeur, caché au
fond d'une seconde loge. En somme, voilà encore une bonne répétition géné-
rale pour Paris, comme diraient Comœdia... et mon éminent confrère M. Ca-
tulle Mendès.
Quelques jours auparavant, nous avons eu, à l'Ecole de Musique de St-Josse-
ten-noode-Schaerbeek, l'audition, également fort belle, d'un petit ouvrage nou-
veau, les Enfants à Bethléem, de M. Gabriel Pierné, sur un poème de
M. Gabriel Nigond. Exécutée admirablement par quatre cents voix de jeunes
filles et d'enfants, l'œuvre a obtenu un très grand succès. Elle est d'ailleurs
tout à fait délicieuse, dans son charme ingénu, pleine de sensibilité, de gra-
cieuse tendresse et de mysticisme naïf, et elle a produit une profonde impres-
sion. — Grand succès aussi pour le récital vocal consacré à l'œuvre de
M. Gabriel Fauré, à la Salle Patria. M'"e Marie Mockel et M. Austin ont
chanté, avec de mauvaises voix, mais infiniment de goût et de sentiment, les
nombreuses mélodies anciennes et nouvelles inscrites au programme. Il n'y
a eu à regretter que la détestable acoustique de la salle, qui. comme toujours,
a compromis gravement le charme de diction des interprètes et empêché
qu'on ne comprit un mot des paroles. Le public a fait à l'illustre compositeur
— qui accompagnait lui-même ses œuvres au piano — un accueil triomphal-
L. S.
— Un écrit d'Anvers au Gaulois : On vient de donner avec un très grand et
très légitime succès la première représentation des Pécheurs de Saint-Jean. De
nombreux rappels saluèrent, après chaque acte, l'œuvre très remarquable.de
M. Widor, dirigée avec beaucoup de fougue et de sentiment par M. de La
Fuente. Parmi les interprètes, MM. Campagnola et Close, Mlles Fournier et
Rodhain méritent des éloges.
— Il vient de paraître à Berlin, dans le vingt-cinquième cahier des
« Communications de la Société Mozart » publié par M. Rodolphe Gênée, la
reproduction d'un livre de musique donné par Léopold Mozart en cadeau à
son fils, l'auteur de Don Juan, à l'occasion du sixième anniversaire de sa fête
patronale, 31 octobre 1762. Le livre comprend cent-soixante-seize pages,
sur lesquelles sont réparties cent-vingt six petites pièces de piano arrangées
en forme de « Suites ». Lj but que sa uroposait le père de Mozart, c'était do
constituer un document précieux pour l'instruction de l'enfant, tant en ce qui
concernait le développement systématique de la technique au point de vue
clavier que par rapport à l'éducation de l'oreille et au maniement des har-
monies pour la composition. L'éditeur fait remarquer que les compositeurs
des pièces ne sont que rarement indiqués. Parmi les plus connus se trouvent
Ph.-E. Bach, Hasse et Telemann ; Gottfried Kirchhoff, artiste ancien presque
oublié figure dans le recueil avec une ravissante sonatine. Les appellations
des pièces sont généralement celles-ci : Menuet, Polonaise, Gigue, Sara-
bande et Allemande. On voit qu'il s'agit là d'une publication éminemment
intéressante, comme tout ce qui a rapport à la culture musicale d'un cerveau
comme celui rie Mozart.
— Il vient de paraître à Berlin, en deux forts volumes, deux cent soixante-
neuf lettres de Wagner, adressées à sa première femme Wilhelmine, ou,
d'après l'abréviation usuelle, Minna Planer, qu'il avait épousée le 24 no-
vembre 1836, à Kœnigsberg, après avoir fait sa connaissance deux ans aupa-
ravant, au théâtre de Magdebourg. Cette publication n'a pas donné entière
satisfaction sous tous les rapports. Il y manque les notes qui eussent été né-
cessaires pour faire connaître certains personnages dont le nom seul est cité,
pour donner l'explication de certaines allusions et pour rattacher entre elles
bien des circonstances de la vie du maître. L'on n'y trouve pas non plus l'in-
dex alphabétique des noms et des faits, qui est indispensable pour permettre
de consulter utilement un ouvrage documentaire quelconque. Mais surtout, le
caractère unilatéral de cette correspondance, les réponses de Minna Planer aux
lettres reçues faisant absolument défaut, en fausse évidemment l'esprit et
confirme l'opinion générale que Wagner, dont l'égoïsme envers des amis dé-
voués comme Liszt, comme Bulow, est aujourd'hui bien avéré, a
aussi, en beaucoup d'occasions, manqué d'égards vis-à-vis de Minna. Les
lettres, telles qu'elles sont présentées, ne laissent pas d'ailleurs cett'.- impres-
sion; elles semblent démontrer l'affection du maitre pour sa femme pendant
les vingt-deux années de leur union. Aussitôt qu'il était éloigné d'elle, il sen-
tait le besoin de lui écrire régulièrement. La correspondance commence en
1842, époque de la première représentation de Bienzi à Dresde; elle s'arrête
avec le séjour de Wagner à Vienne, en 1863, avant qu'il ait reçu de Louis II
cet appel pressant qui commença pour lui une nouvelle existence, en lui don-
nant, à Munich, une situation exceptionnelle. Les lettres qui viennent de
paraître, et qui, sans doute, ne constituent pas l'ensemble complet de celles
que l'on possède, ne présentent pas un intérêt considérable au point de vue
du développement du génie du maitre ou de la filiation de ses œuvres; elles
éclairent seulement le côté biographique; l'artiste y disparait un peu derrière
l'homme privé. Wagner s'y montre avec les défauts de son caractère qui
n'excluent pas toujours une certaine bonté de cœur. Il est vrai que bien des
traits de sa vie démentent cette impression que laissent plusieurs passages de
la correspondance, mais en face du révolutionnaire aux passions violentes que
fut Wagner en art et en politique, rien ne doit étonuer, pas même l'incohé-
rence et la contradiction. Minna Planer parait s'être conduite en épouse dé-
vouée pendant le séjour que fit Wagner à Paris et à Meudon de 1839 à 1842.
Elle connut tous les tourments de la pauvreté, de la misère même, qu'elle sut
rendre supportable, et se montra vaillante et énergique au milieu de tous les
déboires de carrière que son mari, et elle plus encore peut-être, eurent à
subir pendant de longues années. Toutefois, les événements politiques de
1S49 et le rùle que Wagner y joua semblent avoir ébranlé sa confiance et elle
paraît avoir hésité beaucoup avant de se décider à suivre en exil l'artiste dont
peut-être le talent si contesté ne lui en imposait plus. Entre eux, la vie com-
mune cessa en 1S5S. Pourtant Wagner n'avait pas perdu toute idée d'une ré-
conciliation ou d'un rapprochement dans l'avenir. Pendant l'année 1861,
époque des trois représentations tumultueuses de Tannhâuser à Paris, il y
songeait encore. Minna Planer termina sa vie à Dresde et mourut le 23 janvier
1866. Elle était née le 5 septembre 1809 à Oederan, en Saxe.
— A l'occasion de la reprise des Huguenots à l'Opéra-Royal de Berlin, à
laquelle ont assisté l'Empereur d'Allemagne et les directeurs de l'Opéra de
Paris, il est intéressant de savoir que le chef-d'œuvre de Meyerbeer a été
joué jusqu'à présent trois cent douze fois à ce théâtre, depuis le 30 mai 1842,
date de la première représentation, jusqu'au 23 mars 1908, c'est-à-dire dans
un intervalle de soixante-six ans. Les cantatrices et les chanteurs qui ont tenu
le plus souvent les rôles principaux sont : pour Valentine, Nm0 von Vogger-
huber; pour Marguerite de Valois, Mmc Herrenburg-Tnczek et M1"' Lilli Leh-
manu; coïncidence singulière, ces trois cantatrices ont tenu chacune quatre-
vingt-une fois ces rôles respectifs. M"c Dietrich a figuré vingt-sept fois sur la
scène sous les traits du page Urbain; Raoul de Nangis a eu pour interprètes
cinquante-quatre fois M. Th. Formes et quarante-cinq fois M. Niemann :
M. Fricke a joué cent treize fois Marcel; M. Salomon cent vingt-quatre fois
Saint-Bris et M. Schmidt quatre-vingt-cinq fois Nevers. Parmi les artistes
qui ont interprété les Huguenots à l'Opéra-Royal à titre de chanteurs ou canta-
trices de passage, il faut citer Mmc Schroeder-Devrient et M"le Pauline Viar-
dot qui ont joué Valentine quatorze et treize fois ; M. Wachtel qui a joué dix-
huit fois Raoul; M. Formes qui a paru trois fois en Marcel; M. Franscher
une fois en Saint-Bris, et MM. Nollet, Kruze et Rehlkopf, qui ont représenté
Nevers chacun une fois.
— Un expert comptable, M. Rodolphe Putz, vient de léguer ce qu'il pos-
sédait, estimé à 120.000 couronnes, aux artistes de la Philharmonie de
Vienne.
— Les journaux viennois s'entretiennent d'un petit fait qui a donné lieu à
quelques cancans. Le 13 mars on donnait à l'Opéra-Impérial une représenta-
lion de Tannhâuser. dans laquelle M. Herman Winckelmann remplissait le
rôle principal. M. Weingartner était à la tête de l'orchestre et conduisait sur
une partition qui avait servi jadis à Wagner lui-même et dont on avait en-
levé le feuillet de titre. Or, sur ce feuillet était imprimé ce qui suit :
h Tannhâuser et le concours des chanteurs à la Wartburg, grand opéra roman-
tique en trois actes, de Richard Wagner. Partition imprimée en lithographie
sur le manuscrit de la main du compositeur. Seule, la possession de cet
exemplaire donne le droit d'exécuter cet opéra, après accord avec le compo-
siteur. Dresde, 1845. » Et de sa propre main, Wagner avait écrit : « Le
7 février 1847 j'ai dirigé la treizième représentation de cet opéra, sur
cette partition. Richard Wagner. « Comme on connaissait l'histoire de celle
partition et de ton feuillet de titre, les journaux s'emparèrent du fait, ut
demandèrent ce qu'était devenu ce feuillet précieux et comment et par qui il
410
LE MENESTREL
avait été enlevé. On sut bientôt qu'il était dans les bureaux de la direction
du théâtre, d'où il devait passer sous peu, à titre de document historique,
dans les archives de l'intendance. Mais encore, par qui avait-il été détaché de
la partition '? Par l'ancien chef d'orchestre, M. Gustave Mahler, qui. le consi-
dérant comme une relique précieuse, l'avait enlevé et emporté chez lui. Après
quoi, en quittant l'Opéra, il l'avait rendu à l'administration.
— Un aimable souvenir d'Haydn. Le 27 mars 1808 on donnait à Vienne,
dans la salle académique de l'Université, devenue aujourd'hui le Palais des
Académies, une exécution de la Création, l'oratorio d'Haydn, en présence du
vieux maître, alors âgé de 76 ans. et qui, pour la dernière fois peut-être, se
montrait en public. Pour commémorer ce souvenir à un siècle de distance, la
Société des Amis de la musique a donné, à la date exacte, le 27 mars der-
nier, dans la même salle, une audition du célèbre oratorio, avec chœur et
orchestre réduits. C'était un pieux hommage rendu à la mémoire de l'artiste
illustre qu'on néglige peut-être un peu trop aujourd'hui au profit de musiciens
plus tapageurs et d'un génie plus discutable. Remarquons toutefois que cette
exécution de 1808 était loin d'être la première, de la Création. Lors du second
voyage d'Haydn à Londres, en 1793, il avait reçu le livret de la Création, que
le poète Lidley avait tiré du Paradis perdu de Milton et l'avait rapporté à
Vienne, où son ami van Swieten, administrateur de la Bibliothèque impé-
riale, lui en avait fait la traduction allemande. Il mit deux années à écrire sa
partition. Lorsqu'elle fut terminée, la Création fut exécutée pour la première
fois, sous sa direction, dans le palais du prince de Sehwarzemberg, aux frais
de la Société des amateurs, qui avait réuni un ensemble de ISO exécutants,
chœurs et orchestre. Les plus hauts personnages de la cour, l'élite de la so-
ciété de Vienne, des artistes, des gens de lettres, avaient tenu à honneur
d'assister à cette audition, dont le succès fut complet et retentissant. Le poète
Garpani, l'ami et lebiographe d'Haydn, parlant de cette séance mémorable,
écrivait : — « Nous vîmes se dérouler devant nous une longue suite de beau-
tés inconnues jusqu'à ce moment : les âmes, étonnées, ivres de surprise et
d'admiration, éprouvèrent pendant deux heures consécutives ce qu'elles
avaient senti bien rarement : une existence heureuse, produite par des désirs
toujours plus vifs, toujours renaissants et toujours satisfaits. » Carpani lui-
même fit une traduction italienne du livret des Saisons, et quelques années
après l'ouvrage fut ainsi exécuté chez le prince de Lobkowitz, Salieri diri-
geant l'orchestre et les soli étant chantés par Weitmûller, Radichi et
M"lc Fischer. Ce fut un triomphe pour le vieux composiseur, dont l'entrée
dans la salle fut annoncée par des fanfares, tandis que la princesse Esterhazy
et son ancienne élève. M"]ede Kurbeck. couraient au-devant de lui pour l'in-
trcduire.
— Un journal de Vienne a publié les lignes suivantes extraites d'un ordre
de la police daté du 2l:i juillet 1S33 : « Wagner, Richard, sujet dangereux au
point de vue politique. Cet individu est un ancien capellmeister de Dresde et
l'un des adhérents les plus en vue du parti révolutionnaire: il est poursuivi
pour avoir participé au mouvement insurrectionnel de Dresde en 1849 et doit
avoir l'intention de se rendre, de Zurich, où il est actuellement domicilié, à
Dresde. Il a maintenant quarante-deux ans (c'est quarante ans qu'il eût fallu
écrire), est de moyenne taille, porte des cheveux bruns et parfois des lunettes.
Dans le cas où on pourrait le saisir, il faudrait le remettre entre les mains de
la police de Dresde ».
— On vient de reprendre Louise à Breslau et avec un très grand succès.
L'œuvre vivante et attachante de Gustave Charpentier, remontée avec un grand
soin par le directeur Loewe. a trouvé en MUe Berhunk une Louise remar-
quable, imprimant au personnage son véritable caractère d'amoureuse roma-
nesque. Exécution orchestrale de tout premier ordre, avec M. Pruvver comme
kapellmeister.
— M. Franz Lehar, le compositeur de la Veuve joyeuse, écrit en ce moment
une nouvelle opérette, Vilja, la jeune fille de la forêt dont la première repré-
sentation aura lieu simultanément au théâtre An der Wien, de Vienne, à
Londres et à Berlin.
— Les vieux contes de fées renferment, on le sait, des trésors inépuisables:
la poésie, le dessin et la peinture s'en inspirent: le théâtre aussi, mais non
sans rencontrer bien des difficultés. Il s'est formé l'année dernière, à Munich,
une société dont le but est de faire représenter sur la scène, avec un
personnel d'artistes et d'amateurs dévoués, les minuscules chefs-d'œuvre de
la littérature enfantine. Le premier essai en ce sens a eu lieu le 27 mars der-
nier : on a joué un petit ouvrage lyrique écrit d'après un conte d'Andersen.
le Garieur de porcs. M. Edgar Istel a écrit pour cette Muette une musique
gracieuse et M. Th. Herrmann a fourni les dessins pour la mise en scène.
— Le théâtre de la Cour, à "Wiesbaden, donnera du 10 au 20 mai des repré-
sentations de fête auxquelles assistera l'empereur d'Allemagne. On jouera les
Contes d'Hoffmann d'Offenbach. Obéron, Annide. Lohengrin et quelques pièces
dramatiques saDs musique.
— La reconstruction du théâtre de la Cour, à Meiningen. paraît devoir être
bientôt commencée et menée ensuite très rapidement. L'idée de couvrir les
frais d'érection de la nouvelle scèoe au moyen d'une souscription nationale à
laquelle toute l'Allemagne serait appelée à participer a été préconisée par quel-
ques personnes, mais le duc de Saxe-Meiningen a télégraphié du Cap-Martin,
où il est actuellement en villégiature, qu'il ne donnait pas son assentiment à
un pareil projet. En fait, on espère que l'inauguration du théâtre que l'on va
construire pourra s'effectuer en octobre 1009. Pendant la saison prochaine, la
troupe des Meininger jouera dans les deux théâtres de la Cour, à Gotha et à
Cobourg. — Le duc Georges vient d'adresser aux habitants de Meiningen l'ex-
pression des sentiments qu'il a éprouvés après le sinistre qui a détruit le
théâtre de la Cour. Il l'a fait dans les termes suivants : « Lors de l'incendie
qui a complètement anéanti, à mon grand chagrin, mon vieux théâtre, tout
secours humain a été impuissant à sauver le sanctuaire d'art oue nous aimions;
il n'existe plus. Ma consolation dans ce malheur est, avant toutes choses, de
n'avoir à déplorer la perte d'aucune vie humaine, et aussi de penser que,
malgré les plus sérieux dangers, tout a été fait pour arracher aux flammes
tout ce qui pouvait leur être arraché. Remercier ceux qui ont risqué leur vie
pour conjurer la catastrophe est un besoin de mon cœur qui veut maintenant
ne plus subir aucun retard. Mais je dois aussi penser aux autres, à ceux qui
ont contribué avec dévouement à porter secours, où ils ont pu et comme ils
ont pu. A tous, je serre la main, car tous m'ont fait éprouver un sentiment
qui rend heureux, celui de la reconnaissance pour ce qu'ils ont tenté pour
moi. »
— M. Eugène. d'Albert, le célèbre pianiste auteur des opéras Tiefland,
Flauto solo et Tragaldabas, travaille en ce moment à une nouvelle œuvre
lyrique, Izeil, dont le sujet est emprunté aux légendes de l'Inde.
— Un journal de Leipzig nous apprend qu'on vient de retrouver, par hasard,
une épinette qui a appartenu à l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche. C'est
à Aussig, sur l'Elbe, qu'on a découvert co joli instrument, accompagné d'une
lettre autographe de l'impératrice, par laquelle la souveraine en faisait don à
une de ses dames de compagnie. L'administration de la cour impériale de
Vienne, avisée du fait, s'est montrée aussitôt disposée à faire l'acquisition de
ce souvenir précieux pour elle.
— Un fait unique dans les annales de théâtre, s'est produit la semaine passée
à l'occasion de la première représentation de Mignon à l'Opéra-Italien de Saint-
Pétersbourg. Dès que le chef-d'œuvre d'Ambroise Thomas fut annoncé avec
Mme Sigrid Arnoldson dans le rôle de la protagoniste, les billets furent enle-
vés dans la journée même, malgré les prix énormes (200 francs les loges.
3b francs les fauteuils, etc.). Plusieurs familles appartenant à l'aristocratie de
Varsovie et de Riga, qui avaient fait expressément le voyage à Saint-Péters-
bourg pour applaudir la diva suédoise, n'ont pu obtenir de places à aucun
prix. L'imprésario se trouva alors obligé de faire placer une cinquantaine de
fauteuils sur la scène même, derrière les coulisses, au prix de 30 roubles par
place. En une demi- heure il n'en restait plus un seul. Est-il nécessaire de
dire que la diva fut couverte d'applaudissements et de Heurs? On lui a bissé
tous les morceaux principaux. La semaine prochaine M"'e Sigrid Arnoldson
chantera à Saint-Pétersbourg, à I'Opéra-Italien, Ophélie A'IIamlet et Manon.
— On nous signale de Rome le triomphe que vient de remporter Mlle Far-
netti dans Madame Butterfly, au théâtre Costanzi. Mllc Farnetti fut déjà, on
s'en souvient, une délicieuse Ariane à Turin, d'une tendresse et d'une poésie
infinies. Elle est aujourd'hui l'artiste la plus en lumière de toute l'Italie, et
comme elle chante très bien le français, il ne serait pas impossible que nous
l'entendions avant peu à Paris dans une très importante création. Ce serait
une joie et un triomphe.
— Un archet précieux par le souvenir qui s'y attache, celui dont le grand
violoniste Paganini se servit dans son dernier concert, est en ce moment, s'il
faut en croire un journal allemand, la Musildiistrumeulen Zeitung, l'objet d'une
convoitise acharnée. Cet archet avait été donné, dit-on, par Paganini, à un de
ses élèves amateurs, le comte de Cassole, qui, à son tour, en avait fait don à
Verdi. On en a déjà offert, dit le journal en question, à qui nous laissons la
responsabilité de cette nouvelle, la somme de 10.000 livres sterling, c'est-à-dire
230.000 francs; mais le possesseur actuel en exige 15.000 livres. Le plus haut
prix d'un archet de Tourte, le fameux fabricant, n'a jamais dépassé 1.000 francs.
On voit que le souvenir de Paganini se paierait cher !
— Du dernier numéro de l'Italie et la France, l'intéressante revue publiée
à Paris par notre excellent confrère, M. Pietro Mazzini, nous détachons ces
lignes intéressantes sur les théâtres en Italie :
L'Italie compte en tout 1.517 théâtres, c'est-à-dire un théâtre par 22.068 habitants.
Mantoue a le maximum avec un théâtre pour 7.761 habitants; la province de Potenza
a le minimum avec un théâtre pour 102.142 habitants. Les villes qui en ont le plus
grand nombre sont: Naples avec 21 théâtres; Milan avec 17 théâtres; Turin avec
12 théâtres; Gènes, Bologne et Florence avec 11 théâtres chacune; Rome avec 9;
Catane avec 7; Venise, Livourne et Païenne avec 6 chacune; Bergame, Padoue, Fer-
rare, Modanc et Catanzare avec 5 chacune. Le théâtre italien qui contient le plus
grand nombre de spectateurs, c'est la Scala de Milan (3.500 places); viennent après
le Vittorio Emmanuele de Turin (3.200 places) et le San Carlo de Naples (3.000 places).
Mais ces chiffres peuvent encore être augmentés, car, comme on sait, dans les théâtres
italiens, on admet des spectateurs debout. Ainsi le Politeama Gcnovese, avec les
places debout, peut contenir 3.300 personnes.
— La Gazzetta Ferrarese annonce que le maestro Ettore Ravegnani vient de
découvrir, en examinant les rares manuscrits que contient la Bibliothèque
communale de Ferrare, celui d'une messe complète d'un musicien Ferrarais
presque inconnu, Paolo Isnardi, qui vivait au XVIe siècle. En parcourant ce
manuscrit, M. Ravegnani eut l'impression que l'œuvre était fort belle ; mais,
ne se liant pas à ses seules lumières, il envoya la Messe à « des personnes
compétentes » de Rome, qui lui répondirent qu'en effet l'œuvre était
superbe, imposante, qu'on désirait des détails sur ce musicien jusqu'ici ignore
qui avait nom Isnardi, et que la Messe, dans laquelle on rencontrait jusqu'à des
procédés à la Wagner (!). pourrait être signée Palestrina (!!). Là-dessus, le maestro
Ravegnani conçut le projet de préparer une grande exécution de cette Messe à
LE MENESTREL
111
l'occasion des prochaines grandes fêtes données en mémoive de l'illustre orga-
niste Frescobaldi, fêtes qui réuniront à Ferrare un grand nombre d'artistes.
— Nous ajouterons, pour notre part, que si le compositeur Isnardi est peut-
être fort oublié, il n'est pas aussi complètement inconnu qu'on le prétend. Il
est mentionné dans le Lexique des musiciens de Gerber, dans la Biographie
universelle des musiciens de Fétis, dans d'autres encore, où nous apprenons
qu'il naquit à Ferrare, fut moine et supérieur de l'abbaye du Mont-Gassin,
maître de chapelle de la cathédrale de Ferrare, et enfin qu'il publia des
Messes à 5 et 6 voix, des Psaumes, des Magnificat, Lamentations, motets, etc.,
ainsi que trois recueils de madrigaux à 5 voix.
— On a représenté à Ghieti un petit opéra intitulé le Noël de Pierrot, dont la
musique est due à un jeune compositeur, M. V. Monti.
— Certains êtres ont des idées au moins bizarres. Celle dont il est ici ques-
tion a amené un événement tragique. La chose se passe à Lisbonne, où, à
l'occasion du carnaval, un petit théâtre populaire s'est avisé de représenter
une action scénique dont le sujet n'était autre que la reproduction du sinistre
attentat dont le roi Carlos et sou jeune fils ont été les victimes. Mais voici
que pendant la représentation, F « acteur » chargé du rôle de Buica, l'assas-
sin terroriste, ayant en main une carabine que sans doute on ne croyait pas
chargée, visant son frère qui personnifiait le roi Carlos, le vit tomber mortel-
lement blessé. L'assassin, involontaire, cette fois, voyant son frère inanimé,
se suicida immédiatement.
— Nous lisons dans le Musical News : « L'Opéra-Royal de Covent-Garden
atteint cette année le centième anniversaire de sa reconstruction après l'in-
cendie de sa première salle. Le syndicat de ce théâtre a l'intention de commé-
morer cet événement un peu plus tard. »
— Nous sommes heureux de signaler les succès de Mllc Gerville-Réache au
Manhattan Opéra de New-York où elle a eu dans le répertoire italien et le
français, notamment dans laNavarraise, un véritable triomphe. Les grands con-
certs ne l'ont pas moins acclamée dans diverses villes telles que Boston dont
la célèbre association symphonique lui a fait fête.
— De Saigon. Nous venons d'avoir, devant uue salle enthousiaste, la pre-
mière représentation de Louise, qu'on nous promettait depuis plusieurs saisons
déjà. Il a fallu toute la ténacité et toute la foi artistique de notre actif direc-
teur, M. Baroche, pour que nous puissions enfin applaudir l'œuvre superbe-
ment humaine de Gustave Charpentier, qui a été montée avec beaucoup de
soins et unsouci très heureux de pittoresque et de réalisme.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
La ¥ commission da Conseil municipal s'est occupée du Théàtra-Lyrique-
Municipal. L'exploitation provisoire de MM. Isola devant prendre fin le
15 juin, on a arrêté les bases de l'exploitation définitive qui commencera à
celte époque. Le concours de l'Opéra et de l'Opéra-Comique paraissant assuré,
le bail courra jusqu'en 191" aux conditions actuelles. La commission a en
outre émis le vœu « que les pouvoirs publics déclarent illicite le commerce
habituel des billets de théâtre et prescrivent entre autres sanctions la ferme-
ture des agences publiques ou clandestines, sous réserve d'autorisation à des
établissements exerçant la simple fonction de commissionnaire. »
— Les délégués des auteurs dramatiques et des directeurs de théâtre se
sont réunis au siège de la Société des Auteurs, 8, rue Hippolyte-Lebas. Étaient
présents: MM. Alfred Capus, Henry Bernstein,A. de Caillavet.Paul Gavault et
Pierné pour les auteurs et les compositeurs, MM. Albert Carré, Micheau, Po-
rel, Franck et Richemond pour les directeurs. On a examiné la question des
billets de faveur. La discussion, commencée à neuf heures, durait encore à
minuit; elle continuera ces jours-ci. Si auteurs et directeurs sont tout à fait
d'accord sur les mesures à prendre, aucune réglementation définitive n'a pu
encore être formulée.
— A l'Opéra nous avons eu les débuts de Mlle Brozia dans Rigoletlo. On
sait que cette excellente artiste nous vient de la Monnaie de Bruxelles et
appartenait encore la saison dernière à l'Opéra-Comique. où elle avait de
grand succès. Elle ne semble pas devoir moins réussir à l'Opéra, si on juge
par l'accueil très chaleureux qui lui a été fait.
— A l'Opéra-Comique, on a vu reparaître non sans plaisir l'exquis Jongleur
de Noire-Dame de Massenet, qui est venu fort à propos étayer sur la même
affiche le jeune succès de l'Habanera de M. Laparra. La centième représenta-
tion du Jongleur est bien prochaine. — L'Opéra russe de Rimsky-Korsakow,
Snegourotchku , passera vraisemblablement vers le 15 avril. M. Albert Carré a
voulu se hâter d'arriver avant la saison russe de l'Opéra. — Spectacles de
dimanche: en matinée, Werther: le soir, Manon. Lundi, en représentation
populaire à prix réduits : Barbe-Bleue.
— L'Opéra-Comique a porté son choix sur le statuaire Auguste Maillard
pour l'exécution du monument à élever au regretté compositeur et chef d'or-
chestre Luigini.
— Comme c'était à prévoir, après la direction aventureuse de M. Antoine
à l'Odéon, les malheureux actionnaires ont dû voter la liquidation de la
Société actuelle. Sur le rapport lu par M. Antoine lui-même à ses actionnai-
res et sur les conclusions adoptées, voici, d'après notre confrère le Temps,
quelques détails complémentaires.
Dans son rapport, M. Antoine constate que le capital social, qui était de
600.000 francs, comprenant les décors du Théâtre du boulevard de Strasbourg,
l'apport personnel de M. Antoine et 200.000 francs d'espèces, a été entièrement
absorbé.
Ce qui l'a entamé principal m. on t les fraie qu'a «
la salle, ei qu'on peul évaluer 1200. an Pendan r3S années
d'exploitation, M. Antoine a fait de très bel 630.000 u pour la pre-
mière année : pour la seconde on dépassera le chiffre de 750. i n M
frais quotidiens onl été très élevés : de 3.300 fi in :s par jour la pi
sont actuellement de 2.600 francs par joui'.
M. Antoine a obtenu cinq ans des m 'Odéon pour acquitte!
nellement le passif, qui ssl -!<■ lin uni Irik, .-h viron.
...Et lout aussitôt M. Antoine, qui ne se décourage pas pour si pi
d'une nouvelle Société, qui est déjà en voie de formation, au capital de
300.000 francs. 600.000 ci 300.000 feront 900 .000 francB. Ce n.'esl pas encore lie
chiffre rond.
— Le Théâtre de la Porte- Saint-Martin fait relâche pour les répétitions
d'ensemble du Clievaiier d'Eon. Rappelons que les principaux interprètes de
cet « opéra-comique à grand spectacle » sont MM. Huguenet, Gaston Dubosc,
Mllcs Anne Dancrey, Cécile Thévenel. Rachel Launay . Germaine Huber,
M. Ferval, etc. La répétition générale aura lieu lundi prochain, 0 avril, en
soirée. Le lendemain, 7 avril, première représentation.
— Au Théàtre-Sarah-Bernhardl, ii" et dernier '< Samedi de la Société de
l'Histoire du Théâtre», aujourd'hui 4 avril, à cinq heures. Causerie de M. Jean
d'Estournelies de Constant sur la Musique sous la Révolution, avec le programme
suivant :
PREMIÈRE PARTIE
Romances de salon.
Languir d'amour (1792) (Ch. -H. Plantadei, par M"' Demougeot. — Te lien aima
(1791) (Ch.-H. Plantade) ; Ah! gardez-vous de me guérir (1793; (Garat.i, par .M i, ■ .
Chansons de la rue.
Ahlçaira! (1790) (Bécourt), par M. Gilly. — L% Carmagnole 1792 X... . pi:
M. Gresse et l'École de chant choral.
Chants patriotiques.
Hymne de Roland à Roncevaux (1792) (Rouget de l'islei, par M. Gilly. — Veillons au
salut de l'Empire (1792) (Dalayrac), par M. Gresse.
Chants pour les fêtes nationales et décadaires.
Hymne pour la fête des époux ilO floréal 1798) (Méhul), par AI"C Vinci, avec accom-
pagnement de clarinettes, cor et bassons. — Hymne pour la fête de la reconnaissano
(10 prairial 1799) (Cherubini), par M"" Demougeot.
DEUXIÈME PARTIE
OEuvres de théâtre.
LaCaverne (1793), drame lyrique, paroles de Darey (Le Sueur) : air de Séraphine.
parM""Gall. de l'Opéra. — Dniis le Tyran, ma lire d'école à Corinlhe 1795 . opéra.
paroles de Sylvain Maréchal (Grétry) : duo de Géronte et de Chrysoslome, par
MM. Azéma et Bouteloup.
TROISIÈME PARTIE
Hymnes de la Révolution /musique choralei.
Hymne à la Liberté, dit ensuite Hymne à la Nature (1793t, paroles de Yaron (Gossec).
— Ode patriotique à la Bataille de Fleuras (1793), paroles de Lebrun fCatelj, par
l'École de chant choral, avec accompagnement du quintette éo lien (clarinettes, ilùte.
cor, clarinette basse et bassons.1.
— Correspondance :
Monsieur le Directeur,
Permettez-moi, tout en vous remerciant d'avoir, à propos d'Hernani, mentionné les
ouvrages que j'ai déjà donnés, d'ajouter à la liste crue vous avez fait paraître, les
noms suivants :
Ahasvérus, oratorio en deux actes, couronné par l'Institut au concours Rossini
et exécuté au Conservatoire par la Société des Concerts.
Une suite symphonique en quatre parties, aux Concerts de l'Opéra.
Les Meules, pièce d'ombres en huit tableaux. — Paris.
Pierrot poêle, ballet en un acte. — Théâtre de la Gaité.
Le Mariage au Mannequin, ballet en un acte. — Casino de Royan.
Les Favorites, ballet en un acte. — Olympia.
Paillasses, mimodrame en un acte. — Folies-Bergère.
Au temps de la poudre, ballet en un acte. — Monte-Carlo.
L'Amoureux de la lune, opéra-comique eu un acte. — Cercle Volney.
Recevez, Monsieur le Directeur, l'expression de mes sentiments distingués.
Henri Hirchmann.
— La commission du prix biennal institué par l'Association de la critique
dramatique et musicale, sur la proposition de M. Maxime Vitu , s'est réunie,
sous la présidence de M. Camille Le Senne, et a décerné ce prix, d'une
valeur de cinq mille francs, à un travail manuscrit de M. Jules Guillemot, sur
« les préfaces d'auteurs dramatiques célèbres ».
— Rappelons que pour l'intéressante solennité artistique qui aura lieu au
Trocadéro. dimanche prochain, M. Bourgault-Ducoudray a composé une série
d'œuvres pour soli, chœurs, orgue et harmonie à la gloire de la France. Ce
monument consacrant la France Héroïque sera exécutée par plus de l.oOO
chanteurs et la répétition qui a eu lieu dimanche dernier fait présager un succès
colossal. La recette est au bénéfice du monument élevé à la mémoire de
Wilhem, fondateur de l'Enseignement musical populaire en France.
— Avant-hier, M. Gottfried Galston a donné son premier récital, salle des
Agriculteurs. Le programme comprenait la sonate en sol de Schumann. douze
Laer.dler entièrement ravissants de Schubert, quatre pièces, op. 119. de
Brahms, la Ballade op. US et les Variations sur un thème de Paganini du
même maître. Ces morceaux de Brahms, à laquelle semble étranger le senti-
ment si profond et si pénétrant qui se dégage des Laendler de Schubert, ont
des qualités d'une autre nature. La variété des efforts pianistiques, l'imprévu
qui s'en dégage et intéresse constamment l'esprit, font de chacun d'eux de vérita-
442
LE MENESTREL
Lies boites à surprises. Un public nombreux a longuement applaudi M. Gais-
ton après chaque numéro de son beau programme, reconnaissant par là la
magistrale puissance technique de son jeu et sa grande intelligence musicale
qui lui permet de s'assimiler le style de tous les maîtres. An. B.
— De Lyon, on nous signale les applaudissements chaleureux qui accueilli-
rent le jeune ténor Fernand Lemaire, gendre et élève de Fugère. Le succès fut
tel, dans Werther et Lakmé, que les directeurs du Grand-Théâtre ont fait signer
à M. Lemaire un engagement pour quarante représentations adonner au cours
de la saison prochaine : parmi les ouvrages qu'il chantera, citons, outre ceux
joués cette saison, Manon, le Jong'eur de Notre-Dame et Fidelio.
— A Lille, au Grand-Théàlre, magnifique succès de Marie-il a gdeleine.
Après chaque acte nombreux rappels et enthousiasme débordant. Très bonne
interprétation. Orchestre et chœurs remarquables.
— De Nancy. C'est sur les applaudissements de la salle entière que le rideau
tombe à la fin de la première représentation du Bonliomme Jadis,, de M. Jaques-
Dalcroze. La délicate et spirituelle partition, bien exécutée par l'orchestre de
M. Alloo, a été rendue à souhait par M. Grimaud, et aussi par M1Ie Bon et
M. Gérard.
— En même temps que ce bulletin de victoire de Nancy, nous en arrive un
autre de Tunis, toujours pour ce même Bonhomme Jadis, qui a ravi par sa jeu-
nesse, son esprit et sa grâce tous les spectateurs, il. Alberti s'est montré
plein de verve et de belle humeur, M"° Rolland tout à fait charmante, M. Cou-
mont fort agréable et l'orchestre de M. Bergalonn.e excellent.
— De Nice. Très belle reprise d'Ariane dont on se rappelle le retentissant et
prolongé succès de la saison dernière. Cette fois, le rôle de Thésée a été joué
et chanté par M. Muratore, qui le créa à l'Opéra de Paris, et l'on sait tout ce
que le vibrant artiste y déploie de belle fougue juvénile, de charme et de
vaillance vocale. A ses côtés on a fait fête aussi à M"e Borgo, également
prêtée par l'Opéra, qui a été une attendrie et touchante Ariane, et on a réap-
plaudi et à l'apparition de M1,e Degeorgis dans Perséphone, et à la belle exé-
cution orchestrale de M. Dobbelaere et à la remarquable, et très belle et très
heureuse mise en scène de M. Villefranck.
— Thérèse, la triomphante Thérèse du maître Massenet qui, deux saisons
durant, fournit les soirées sensationnelles de l'Opéra de Monte-Carlo, fait
maintenant son victorieux tour de France. Nos correspondants nous signalent
des représentations enthousiastes à Marseille et à Tunis. Dans la cité pho-
céenne, c'est M1Ie Marié de Lisle qui fut l'héroïne acclamée du drame si pre-
nant, fort bien entourée par MM. Codou et Boyer ; à Tunis c'est Mllc Billaut
qui a interprété le personnage tout à son honneur, MM. Cormetty et Saimprey
s'élant montrés artistes de mérite dans leurs rôles respectifs.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Pour paraître AU MENESTREL, 2 bis, rue Vivienne, HEUGEL ET G", éditeurs
Le jour de la première représentation au Théâtre de la Porte-Saint-Martin
- PROPRIÉTÉ POUR TOUS PAYS-
LE CHEVALIER D'ÉON
_^._ OPÉRA-COMIQUE EN QUATRE ACTES ~U^_
PARTITION CHANT ET PIANO ™ PARTITION CHANT ET PIANO
Brix^t: 15 francs AÎflVTAflD SILiVEST^E et HE^I Cfll^ Prix net : 15 francs
Livret, prix net : 2 francs
MOE-aE^Tjrx e e chant détaches
Nosl. Couplets du lieutenant de police :« Ah! quel plaisir. >< lot)
2. Duetto : « Il faut en amour au but courir vite. » 1 50
Final-valse : « On te cachera, on t'arrangera. » 2
Couplets de la toilette : « Un peu de carmin sur la bouche. »...
Le Chagrin de Rosita : « Mon Êon a disparu. »
Rêverie de la Dubarry : « Parfois j'éprouve une tristesse. » . . . .
2"s couplets du lieutenant de police : <i Pour les hommes je suis terrible. »
Couplets d'Éon : o Un insolent comme tantôt. »
Romance d'Annette : « Mais crois-tu donc que c'est bien drôle. » . .
Est-ce oui? Est-ce non?: » Le sort de Ion ami dépend de toi. •• . .
Petits oiseaux : « Emplissez d'un murmure d'ailes. »
22. Duo comique (le lieutenant de police, "Wanderflock;
1
1 »
1 »
1 73
1 7b
1 50
'12. Cavatine : « Pourquoi malgré neige et froidure. » 2
13. Duetto :« Je ne sais pas écrire. » 2
14. La lettre de Rosita : « Si tu savais, mon chevalier. ....... 1
15. Romance de la fleur : « Tiens, reprends la petite fleur. » 1
16. Couplets de Wanderflock : « Oh! Cette Annelte, quel trésor! » . . 2
17. Valse de la Parisienne : « Ah! qu' c'est bon! » 1
18. Menuet de la Dubarry : « Que tout est charme. » 1
19.. Chanson d'Éon : « Vivent les folles escapades. » 2
20. Air de Rosita : « Vous mentez! » 1
21. Lettre de Russie (2 voix) : « Salut, mon beau cousin de France. ». 1
21'" La même pour une seule voix 1
Si vous continuez à me turlupiner. » 1 50
sans accompagnement, chaque net : 0 35)
(Les numéros 1. 3, 4. 7, 8. 9. 14, 15, 17 et 21 pour chant seul
TRANSCRIPTIONS POUR PIANO SEUL
, , . • 2 » | 2. Entr'acte-Gavotte 1 « | 3. Entr'acte-Lamento 1 » |
Marche triomphale
AIRS DE BALLET.
LE MARIAGE D'UNE ROSE
5. Mazurka 1 50 | 6. Routons de roses, staccato 1 » | 7. Adoration, andante 1
S. Rose de France, scherzetlo 2 » | '.). Strette-Finale 1 50
SUITE DE VALSES
Net : 2 francs
MUSIQUE DE
RODOLPHE BERGER
GRANDE POLKA
Net : 1 fr. 50
N. B. — S'adresser au MÉNESTREL, 2 bis, rue Vivienne, pour la location des parties d'orchestre
de la mise en scène, et des dessins des costumes et décors
EN PRÉPARATION DES TRADUCTIONS ALLEMANDE ET ANOLAISE
ie, 20,
4020. - 74e ANNEE. — iV 13. PARAIT TOUS LES SAMEDIS Samedi If Avril 1908.
(Les Bureaux, 2 bls, rue Vivienne, Paris, «• an")
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LB
ENESTREL
Le fluméfo : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEDGEL, Directeur
Le Numéro : 0 fr. 30
Adresser franco à M. Henhi HEUGKL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte ot Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Eour l'Étranger, les frais de poste ea sas.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (10" article), Julien Tiersot. — II. Semaine théâ-
trale : première représentation de Qui qu'a vil Ninette, au Théâtre Cluny, A. Bouta-
rel. —III. Petites notes sans portée: L'appréhension de la décadence ou la superstition
du progrès, Raymond Bouter. — IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
ENTRACTE-GAVOTTE
du Chevalier d'Èon, opérette nouvelle de Rodolphe Berger (poème d'ÂRMAND
Silvestre et Henri Gain). — Suivra immédiatement la mazurka extraite du
ballet (Le Mariage d'une rose) de la même opérette.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
a Lettre de Rosita, chantée dans le Chevalier d'Éon, l'opérette nouvelle de
Rodolphe Berger (poème d'ARMAND S:lvestre et Henri Cain). — Suivra
immédiatement : La Rêverie de la Dubamj, extraite de la même opérette.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
CHAPITRE IV
V O YA GE EN ANGLETERRE
De fait, ce voyage en Angleterre, qui fut un échec artistique,
ne fut pas sans avoir eu une influence heureuse sur le dévelop-
pement de l'esprit de Gluck. A défaut d'un succès professionnel
et immédiat, l'expédilion eut pour lui l'importance d'un voyage
d'observations et d'étude. Le Bohémien qu'il était continuait à
courir le monde, mais il n'y passait pas en indifférent. Resté en
Italie, il se fût engourdi en continuant à satisfaire les dilellanli :
quand il en fut sorti, il s'aperçut qu'il y avait d'autres lieux sur
terre que les opéras de Milan et de Venise, d'autres êtres humains
que les castrats et les prims donne. Et voici que chez un peuple
moins musicien il trouvait des exemples d'un art plus sévère, et
manifestement plus durable. Put-il rester insensible à la beauté
sereine, grave et forte, des chants de Haendel ? Les opéras anglais
d'Ame, de leur côté, lui offraient d'autres modèles et pouvaient
l'aider à fixer sa pensée déjà hantée par l'idée de « la noble sim-
plicité ». Du même Arne, il entendit sans aucun doute, en cette
année où le sentiment patriotique du peuple anglais eut tant
d'occasions de se surexciter, le chant national, presque alors
dans sa nouveauté : Raie Britannia; ne doutons pas qu'il ait res-
senti encore une vive impression de cet hymne aux lignes pré-
cises, non sans raideur, mais où vibre un enthousiasme latent,
et qui sonne comme un chant de trompette. C'était un spécimen
de plus à ajouter aux « ballades anglaises », dont Barney veut
qu'il ait, dans ses œuvres postérieures, retrouvé la naïveté.
Il ne faut pas oublier enfin qu'il venait.de faire un assez long
séjour en France, sans avoir eu d'autre occupation que de regarder
et d'écouter. Outre que, là encore, il avait constaté l'existence
d'une musique autre que celle de l'opéra italien, il avait
surpris au passage certaines prédispositions de l'esprit français
qui étaient bien pour le faire réfléchir. Si, par exemple, il alla
au Théâtre-Français, il put entendre le misanthrope critiquer le
mauvais style du sonnet d'Oronte, « ce style figuré dont on fait
vanité », et « la pompe fleurie de tous ces faux brillants où
chacun se récrie », traiter cela de « colifichets dont le bon sens
murmure », et y préférer la vieille chanson où la passion « parle
toute pure ». La vieille chanson ! N'avait-il pas toujours pré-
sente à la mémoire celle de la Bohème, — en attendant qu'il
apprit à connaître les ballades anglaises? Quant aux « colifi-
chets», en était-il de pires que ces airs à roulades, uniquement
destinés à satisfaire la vanité des virtuoses et « le méchant goût
du siècle » ? Alceste disait encore : « Ce n'est point ainsi que parle
la nature ». La naturel Gluck n'avait jamais entendu parler
de cela dans les écoles où il avait été élevé. Et pourlant, le mot
allait être bientôt répété par tous les gens capables de penser,
et lui-même était des mieux aptes à en comprendre le sens.
Homme du dix-huitième siècle, pendant que les écrivains et
les philosophes suivaient une voie parallèle, il était, lui, le mu-
sicien prédestiné à prendre la nature pour principe de son art.
Il y songeait déjà obscurément.
Mais que d'obstacles il devait trouver devant lui ! Ces vains
artifices de virtuosité, cet arbitraire de conventions passées à
l'état de dogmes, il lui faudrait d'abord renverser tout cela! Que
pouvait-il, à lui seul, contre de telles forces de résistance?
D'abord, il fallait vivre, et aussi conquérir le succès, — fut-ce
dans un genre faux, — afin d'avoir l'autorité nécessaire pour faire
ensuite triompher la cause.
Nous allons donc voir Gluck, pendant vingt-huit ans encore,
s'appliquer à préparer cette conquête. A quelles compromissions
il fut obligé de céder pour parvenir à ses fins, c'est ce dont son
séjour en Angleterre va nous donner un premier exemple. Des
concerts furent donnés, où l'on exécuta sa musique : l'ouverture
de la Caduta de' Giganti (perdue), et des airs du même opéra (1).
(1) Voici, d'après le General Advertiser, le programme d'un de ces concerts :
Entertainment of Vocal and Instrumentai. Misic
Overture Délia Caduta de Giganti, compOs'd by Signor Gluck.
Airs : Care Pupille.
Volgo Dubbioso.
Pensa clie il cielo tréma
front that opéra.
Ce concert est annoncé dans sept numéros du General Advertiser, depuis le 11 mars
114
LE MÉNESTREL
Mais voici de quoi nous surprendre : tandis que se poursuivaient
les répétitions d'Artamène, les journaux annoncèrent sa participa-
tion à un concert en' les termes suivants :
Dans la grande salle de Mr. Hickford, Brewer's street, le mardi
44 avril, M. Gluck, compositeur d'opéras, donnera un concert de mu-
sique avec les meilleurs acteurs de l'Opéra ; particulièrement il créditera,
accompagné par l'orchestre, un Concerto pour 26 verres à boire accor-
dés par l'eau de source: c'est un nouvel instrument de sa propre inven-
tion, sur lequel on peut exécuter ce qui peut être joué par le violon ou
le clavecin. Il espère satisfaire ainsi les curieux et les amateurs de
musique (1).
Un concerto pour verres à boire ! On a vu cette prouesse re-
nouvelée de nos jours par des virtuoses de spectacles forains ;
et l'on raconte que Rossini, ayant été invité à venir entendre
ses œuvres ainsi transcrites, s'en revint en disant : « Je viens
d'entendre mon ouverture de Guillaume Tell joliment rincée. »
Gluck « rinça » donc aussi sa musique avec accompagnement
d'orchestre. Peut-être même il récidiva, car le même concert
fut annoncé de nouveau, le 19 avril, « à la demande de personnes
de qualité, dans la salle du Petit-Théâtre de Hay-Market » (2).
Mais comment s'étonner? Le public n'a-t-il pas toujours re-
gardé l'art comme un amusement, et les artistes comme ses
jouets ? Rappelons-nous Lulli jouant Pourceaugnac, et, à la
course des apothicaires, défonçant un clavecin sous le poids de
sa chute, pour dérider le roi. Un poète faisait au grand Corneille,
déjà auteur du Cid, ce beau compliment : » Et que ta bonne hu-
meur ne se lasse jamais! » L'on avait vu jadis Roland de Lassus,
à la cour de Bavière, organiser des mascarades et y prendre
part en personne; et le premier de la lignée des Bach, Hans,
arrière-grand'père de Jean-Sébastien, s'était fait la réputation
du musicien ■< qu'on ne peut entendre sans rire » ; son portrait,
conservé par Philippe-Emmanuel, le représente en costume
burlesque, agitant les grelots de la Folie ! Il fallait en passer
par là dans ce temps, pour avoir le succès. Et Gluck voulait le
succès : cela lui était nécessaire.
Au reste, la variété de ses ressources lui permettait de ne pas
rester trop longtemps à ce degré d'infériorité. Nous allons le
voir maintenant devenir auteur de sonates : ce sera mieux. Il
avait trouvé à Londres un éditeur pour faire paraître les airs
favoris de ses opéras : il s'en présenta un second qui ne craignit
pas de publier six sonates de sa façon, pour deux violons et
basse (3). Avec cette production nouvelle, l'art de Gluck va nous
apparaître sous un aspect encore différent. N'y comptons pas
trouver la révélation d'un génie inconnu : quelle que soit la
diversité de son effort, il reste toujours le maître de la tragédie
lyrique, et rien autre. Mais il n'en est pas moins intéressant de
savoir de quelle manière il s'est essayé à la pratique de la mu-
sique pure. De fait, ces sonates sont manifestement des essais
d'écolier, un écolier des mieux doués, certes, et très soucieux
jusqu'au 25, jour rnème du concert. Cf. dans Wotquexne, Catalogue Gluck, p. 191,
l'annonce d'un programme de concert presque identique, pour le 11 mars, d'après le
Daily Advertiser. Il est probable qu'il s'agit, comme dans le cas précédent, de la
première annonce du même concert, qui n'eut lieu que le 25. — M. Schedlock, en
m'adressant cette communication, ajoute que la mention du nom de Gluck faite à
l'occasion de ce concert, comme auteur de l'ouverture de la Cadula de' Giganti, est
la seule qu'il ait trouvée dans les journaux du temps; partout ailleurs les représen-
tations de ses opéras sont annoncées sans qu'il soit nommé.
(1) Daily Advertiser du 31 mars 1746, d'ap. Wotquenke, Cat. de Gluck, p. 191,
note 1.
(2) Wotqdenne, loc. cit. — M. Schedlock me fait observer que le General Advertiser
annonce, de même que le Dailij Advertiser, le concert de Gluck pour le U avril, mais
seulement dans son numéro du 31 mars, et cette annonce ne fut pas répétée les jours
suivants; il pense donc, non sans apparence de raison, en pouvoir conclure que ce
concert n'eut pas lieu et qu'il fut remis à une date ultérieure (23 avril). En effet, le
même journal annonce cet autre concert dans ses numéros des 19, 22 et 23 avril (ce
dernier pour le jour même), indiquant pour local The Utile Théâtre in the Uaymarkel.
Gluck n'aurait donc donné à Londres qu'une seule audition de sa musique pour
verres à boire.
(3) Six Sonatas for Iwo Violins and a thorougli Bass composed by Sig' Gluck composer
(O the Opéra, London, Simpson. Ces sonates ont été rééditées dernièrement en Alle-
magne, et ont pris place dans la collection dite Collegïiim musicum, sous le titre
inexact de trios, et avec l'addition, non d'une réalisation, mais d'un accompagne-
ment de piano dont l'indiscrétion et l'importunité ôteraientà la composition originale
tout son caractère propre, si les exécutants n'avaient la faculté de le supprimer
complètement, ce qui est certainement leur devoir strict.
de bien faire, mais qui cherche sa voie. S'il est une partie de
son œuvre où l'influence de Sammartini, son maitre de Milan,
se fasse sentir, c'est, bien plus que ses opéras, cette production
de sa jeunesse qui la révèle : aussi énoncerais-je volontiers l'hy-
pothèse que ces sonates, éditées à Londres en 1746, étaient
apportées d'Italie, composées depuis longtemps peut-être, comme
exercice pratique pour la préparation à l'art d'écrire.
Les six sonates sont coulées clans le même moule, uniformé-
ment divisées en trois parties, savoir : 1° un mouvement lent
et grave; 2° un allegro; 3° un menuet. Chaque partie se partage
elle-même en deux reprises, la première s'achevant sur une
cadence à la dominante ou au relatif, la seconde aboutissant à
la tonique : forme déjà archaïque au milieu du XVIIIe siècle,
plus italienne qu'allemande, rappelant plutôt Corelli que Bach,
et qui laisse vraiment trop peu de prise à l'invention. L'on re-
marquera dans ce plan l'absence de l'andante dont la place est
toujours réservée au milieu des sonates classiques, commenças-
sent-elles par une introduction lente. Les morceaux sont peu
développés. C'est, en somme, une musique d'école, où le souci
des artifices du contrepoint et du développement selon les règles
l'emporte sur celui de l'invention thématique et de l'expression.
Les deux violons sont presque toujours disposés en réponses à
la quinte ou à l'unisson. Dans un menuet (celui de la première
sonate), ils marchent en canon d'un bout à l'autre du morceau.
Les thèmes ont souvent la futilité des broderies italiennes; on
pourrait à bon droit leur adresser le même reproche qu'à
Sammartini : trop de notes, trop de turbulence et d'extériorité.
Pourtant on sent parfois une nature inventive, une imagination
chaleureuse et dont les ressources sont variées. Malgré leur
identité de formes, ces six sonates ne se ressemblent pas,
car ce que l'auteur y a mis de lui-même les diversifie. L'une
développe un motif chromatique, traité avec un soin qui sent
bien son jeune compositeur ; elle se continue par un allegro
d'un bon style classique, où le génie allemand ne peut s'empê-
cher de transparaître malgré tout. Une autre commence par un
gracieux six-huit qui évoque déjà la pensée de Mozart. D'autres
enfin sont construites sur les dessins d'opéras bouffes comme il
s'en trouve à profusion dans Pergolèse, clans Léo, dans Jomelli.
Ainsi, toujours cherchant sa voie en faisant des incursions
dans les domaines les plus divers, Gluck passa ce temps de sa
vie, dix-huit mois environ, durant lesquels il fut éloigné de
l'Allemagne, son pays natal, et de l'Italie, qui semblait être de-
venue sa patrie d'adoption. S'il ne put rapporter de cette cam-
pagne le souvenir d'un triomphe, du moins n'y perdit-il pas ses
peines. Ce fut pour lui une époque de méditations et d'épreu-
ves : elle compte pour beaucoup dans l'évolution de sa pensée
et de son génie ; les réflexions qu'il y fit nous ont valu sans doute
les chefs-d'œuvre futurs.
L'achèvement de la season mit fin à ces occupations diverses.
Gluck reprit la mer pour revenir sur le continent. Vers la fin
de 1746, il débarqua à Hambourg.
(A suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THÉÂTRALE
Tuéatre de Cluny. — Première représentation de Qui qu'a vu Ninelle? vaude-
ville-opérette en trois actes et quatre tableaux, de MM-. Jules Oudot et Jean
Drault, musique arrangée par M. Lebailly.
Cette pièce a répandu toute la soirée une franche gaité sur la salle
entière. Emaillée de couplets lestement conduits sur des airs d'opé-
rettes célèbres, comportant aussi de petits finals anodins, elle sollicite
le spectateur sans le violenter et le divertit avec une variété de moyens
constamment renouvelée ; rien ne choque ici, ni situations risquées,
ni fâcheux équivoques, ni mots malsonnants : nous sommes égayés
par une aventure des plus banales, dont les suites sont présentées
avec une toute cordiale bonhomie et un sens du pittoresque parisien
des plus réjouissants.
La pâtisserie Bouriquet. rue du Faubourg-Poissonnière, est aujour-
LE MENESTREL
iio
d'hui plus animée que de coutume ; c'est le jour du concours d'opéra-
comique au Conservatoire de musique, jour qui doit décider de la des-
tinée de Ninette Bouriquet, élève de la classe de M. Isnardou. Si elle
manque son premier prix, sa famille la donnera en mariage au mitron
Hildefonse; si elle revient lauréate du concours, son père lui laissera
suivre la carrière théâtrale. Mais voici Ninette ; elle entre en coup de
vent, furieuse de n'avoir pas obtenu de prix. Des couplets piquants
nous révèlent quelles furent les causes de sa mésaventure ; elle a péché
par excès de réserve pendant les visites qu'elle a faites aux membres du
jury; ils se sont vengés de son attitude vertueuse en lui préférant une
rivale. Partageant l'indignation de sa fille, la mère chante à son tour
une chanson bouffonne sur l'air du sabre de la Grande Duchesse. Trois
protecteurs de la jeune fille prennent fait et cause pour elle dans un
rataplan expressif: Viennent ensuite les strophes du roi Wladimir XIX
de Thérapie, suivies d'un quatuor espagnol et du final de l'enlèvement.
Ce prince Wladimir XIX s'ennuie prodigieusement à Paris, et nous
le dit sans euphémismes; après avoir promené sa neurasthénie dans
tous les bouges, lassé de sa vie dissolue, il veut un oiseau rare, une
divette de théâtre, mais irréprochable comme l'héroïne française
Jeanne d'Arc. Son premier ministre doit lui procurer cette merveille, à
laquelle il offrira sa main et son trône. Ninette est tout indiquée dans
la circonstance, ayant manqué son prix par excès de vertu. Il faut seu-
lement la faire débuter sur une scène parisienne, et c'est dans ce but
qu'on l'a soustraite à la pâtisserie familiale par un enlèvement en auto.
Précisément le théâtre de Cluny, où doit avoir lieu la première repré-
sentation de l'opérette anglaise Ta Girl, Bébé, vient de perdre l'étoile de
sa troupe. Ninette, mise à l'épreuve, chante son morceau de concours,
un air de Manon. Le régisseur émerveillé l'engage séance tenante.
Elle débute en effet, ce qui nous procure l'avantage de voir, pendant
tout un acte, une parodie joyeuse d'opérette anglaise, avec trucs de
scène, clowneries, tours de passe-passe, machineries féeriques et mu-
sique appropriée. Mais la représentation de cette parodie est double-
ment troublée : d'abord par le roi Wladimir, qui, dans une avant-
scène, déclare son amour à la prima donna Ninette, ensuite par trois
spectateurs des fauteuils qui invectivent terriblement la pauvrette. Ce
sont les époux Bouriquet et le mitron Hildefonse. Exaspérés, ils finis-
sent par envahir la scène ; alors le chef machiniste fait s'ouvrir sous
leurs pas des trappes de plancher et ils disparaissent dans les dessous
comme des dieux de féerie.
Au troisième acte, tout le monde se retrouve au bal Tabarin et
l'accord se fait d'une façon touchante. Wladimir demande à Bouriquet
la main de sa fille. Ninette sera reine, et Bouriquet, pourvu de titres
de noblesse, fera figure à la cour. M. Fallières donnera les palmes
académiques à Hildefonse, pour le dédommager d'avoir perdu sa fiancée.
MUe Reine Leblanc, qui a passé, dit-on, par le Conservatoire, a chanté
très gentiment et bien tenu son personnage ; Mme Franck-Mel, en mère
d'élève, a eu beaucoup de succès ; Mlle Ethel a parodié un jeune
Anglais amoureux avec une aimable désinvolture. M. Hamilton, vieux
beau ; M. Lureau, pâtissier comiquement vulgaire ; M. Geo, acrobate
excentrique; M. Saulieu, prince d'opérette; M. Kovai, mitron, et
MM. Perret, Mari, Remongin, Marius, Mmes Chrysias, Darcia. Hai-
mard, Benda, Limery... ont constitué une interprétation parfaitement
bonne dans l'ensemble et excellente de la part des premiers rôles. La
musique, sans prétention aucune, a remplacé avantageusement les
plates facéties au milieu desquelles se traînent tant de vaudevilles
depuis des années. Celle de la Bous-Bous-Mee, au quatrième tableau,
est de M. Borel-Clerc. Le reste consiste en emprunts à des ouvrages
connus. La mise en scène est jolie. Le succès a été très vif et très
spontané. Il ne peut manquer de se maintenir.
A.MÉDÉE BOUTAREL.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
CXXXII
L'APPRÉHENSION DE LA DÉCADENCE OU LA SUPERSTITION
DU PROGRÈS (1).
A notre grand poète,
5fme Lucie Delarue-Mardmts.
Ce sera notre conclusion de ce grand sujet !
Une petite remarque, un document inaperçu sur l'orchestration des
maitres, à propos de Beethoven et du paysage si sobrement nuancé
de la Pastorale, a réveillé tout un monde d'embarrassantes questions
(1) Voir le Ménestrel des 11 et 25 janvier 1908; et, plus spécialement, sur YÉvolution
de Vorehestre, les n" des 15 février, 7, 21 et 28 mars.
sur l'Évolution de l'orcliestre. Et délaissant pour une saison le problème
plus étendu de la physionomie de la Musique où l'auteur se reflet! in-
consciemment dans son œuvre, nous n'avons pas craint d'évoquer
devant nos lecteurs les transformations subies par L'orchestre des temps
modernes depuis Monteverde, pendant trois siècles, en essayant de
noter au passage les influences inégalement réciproques
sur la technique et de la technique sur l'expression, de l'orchestre sur
la littérature et, d'abord, de la littérature sur l'orchestre.
En effet, vaguement littéraire ou strictement musicale, c'est presque
toujours l'évolution psychologique qui devauce l'évolution matérielle
et qui la conduit: au théâtre, au concert même, le choix d'un livret ou
d'une poésie fugitive est révélateur; interrogez Mozart et sou Don Juan,
ce chef-d'œuvre de « romantisme », au gré d'Eugène Delacroix ! Mais
l'inlluence expressive de l'àme ou de la littérature ambiantes ne se
manifeste pas moins sur le secret de la pure musique orchestrale et du
moderne « poème symphonique » : après Beethoven, après Weber,
après Berlioz, elle éclate chez Liszt, le plus Littéraire des musiciens,
fiévreux interprète du romantisme de notre Oberm/mn ut de nos plus
grands poètes français. Toutefois, cette prépondérance livresque n'esi
point le monopole du virtuose échevelé des sonorités : une épigraphe
la révèle à la première page des Heures Dolentes de Gabriel Dupont,
aussi nettement que les paroles dans une mystérieuse mélodie de
Gabriel Fabre; et Maeterlinck ou "Verlaine ont remplacé les poètes
laurés du Parnasse dans le souci des jeunes. Depuis l'intimité pianis-
tique du Poème des Montagnes jusqu'au poème orchestral des Souvenirs,
une même pensée, tout intérieure, élève le savoir franrais de Vincent
d'Indy. « Dis-moi qui tu mets en musique, et je te dirai qui tu es... »
Et, parmi tant de problèmes béants, un sphynx malicieux s'est permis
de nous demander si la composition présente de l'orchestre se modi-
fierait bientôt... Chi lo sa? Notre modeste enquête n'a pu qu'observer
une sorte de régression, sinon de réaction, contre l'abus ou l'excès de
la richesse; écouter Fauré, puis Debussy, qui « tintent d'argent à côté
des ors décoratifs de Wagner; après l'automne empourpré, constater
la longue indécision d'un hiver frileux, ultima Thu/e... * La peur de
l'emphase », comme nous l'a démontré récemment Aurel ! (1). Il
devient de bon ton de répudier tout lyrisme. Et nos snobs emboitent le
pas neigeux des ironistes qui ne veulent plus « hurler avec les loups » :
compositeurs, exécutants mettent la sourdine; à force d'être exigeantes,
l'oreille et l'àme contemporaines ne pourront plus tolérer que la mu-
sique du silence...
— Oubliez-vous Richard Strauss ?
— Pas le moins du monde ! Et l'ardente Symphonie domestique évoque
plutôt un ménage bruyant, que dis-je ? « une vie de héros! ù Mais, ici,
Paul Dukas, l'architecte indépendant de la belle Symphonie en ut, sem-
ble à peu près le seul à s'affranchir d'un Debussysme envahissant. Et
la dernière question ne nous fait pas grâce : Est-ce un progrès ? Où
donc est le progrès ? Et faudra-t-il éternellement progresser? Tout pro-
grès matériel ne contiendrait-il pas, au contraire, un germe de déca-
dence idéale ?
Décadence ou progrès, — l'Évolution de l'orchestre, comme toute
humaine évolution, peut être envisagée sous ces deux points de vue ;
et revoici les deux avocats qu'un peintre intelligent (2) entendait au
fond de toute cause. Opposition fatale ! N'est-ce pas l'Absolu toujours
aux prises avec le Relatif ?
Les doctrinaires se présentent d'abord. Écoutons-les : « Le Beau ne se
trouve qu'une fois », écrivait M. Ingres... non point, mais Delacroix
versatile et puriste, alors qu'il prêtait l'oreille aux déductions de son
dogmatique ami Chenavard : et Marie Bashkirtseff, en artiste, a pres-
senti, dans son Journal, que la beauté de l'Acropole fut l'éclat d'un
moment qui ne se retrouvera plus jamais... Gluck, de même, au
théâtre, en Tragique exilé d'Athènes, et Beethoven, Apollon sourcil-
leux des neuf Muses symphoniques, ont atteint cette heure de perfec-
tion souveraine où la sobriété s'impose à la puissance : et ce n'est
qu'exceptionnellement que leurs drames ou leurs symphonies recou-
rent à la voix olympienne des trombones. Que dire après eux ? Com-
ment mieux dire ? Or, voici l'antique lance de Wotan qui s'embusque
afin d'arrêter le jeune glaive de Siegfried...
De peur d'être dupes, les vieux amis du Beau se méfient de toute
innovation violente ou mystérieuse. Ou bien, de crainte d'être injuste,
on admet assez aveuglément toutes les nouveautés: on admire toute
innovation confondue avec l'originalité, pourtant très différente : on
voit partout des personnalités; on découvre du génie partout, jusqu'en
(1) M"" Alfred Mortier, dans une spirituelle réponse à la causerie de M. Alfred
Mortier sur le snobisme musical et la nouvelle école (Concert-Rou^e, les 7 et 21 fé-
vrier 1908).
(2) Le mélomane Eugène Delacroix, dans ses Agendas.
416
LE .MÉNESTREL
soi-même... Compositeur, on voudrait dépasser Wagner, ou se distin-
guer discrètement aux antipodes ; auditeur, exécutant, on n'a de goût
que pour le rare, le subtil : vive le progrès ! Tout ce qui est nouveau,
par cela seul, parait beau; les génies furent contestés : donc, tout
novateur que l'on conteste est un génie. En vertu de ce beau raisonne-
ment d'avant-garde, on monte dans tous les trains où il est décent
d'être vu, car la vanité s'en môle et corrobore l'appréhension d'une
injustice. Ailleurs, nous avons déjà dit, sans arrière-pensée, comment
le philistin s'est fait-snob (1)...
Or, n'est-ce pas la môme évolution réelle qui revêt, dans le prisme
humain des cerveaux, les deux aspects contrastés de la décadence ou du
progrès ? D'une part, des remords et des regrets, le « remords du passé »,
le regret de l'ordre et des « belles époques » ; — de l'autre, des ova-
tions sans fin pour la richesse acquise et pour tous les tons inédits de
la palette orchestrale! Bravo, le Debussy déchaîné de la Mer, bravo le
Richard Strauss de la Sa/ome récente ou de la prochaine Electra! Bee-
thoven ou Wagner, ces anciens, ne soupçonnaient pointchose pareille...
Et le progrès bruyant nous enivre.
On retrouverait partout ce duel d'opinions, car il réside à la hase
même de l'Esthétique. Même dualité de vues sur l'art grec : autrefois,
on nejuraitquepar leconwi de Polyclôte, par la froideur, qu'on croyait
immuable autant qu'absolue, d'un profil; dorénavant, on est tout près
de ne voir dans la régularité du dogme hellénique qu'un moment de
l'histoire de l'art, incessamment modifié lui-même, et peut-être dépassé
par la moderne expi-ession. L'histoire mieux approfondie a « déplacé »
nos jugements : aucun Winckelmann ne croit plus à l'Absolu, qu'il
veuille rayonner sur l'acropole dorienue d'Athènes ou sur la colline
sonore de Bayreuth...
L'antinomie est-elle,irréductible?Il faudrait, en tous cas, pour tenter
la conciliation, l'espace d'un livre, d'une thèse, ou plutôt l'art cérébral
d'un Lichtenberger. d'un Bergson ! Nos auditeurs, plus rassis, se trou-
vent simplement partagés entre la crainte judicieuse d'être dupes et de
tomber dans chacun des panneaux que la roublardise contemporaine
offre au snobisme, — ou la peur inavouée de paraître bourgeois en
méconnaissant le progrès.
Le progrès! On le voit partout, on ne trouve plus d'autre mot ; c'est
l'entité qui survit à tous les dogmes. On ne s'imagine pas assez volon-
tiers que le changement, beaucoup mieux que le progrés, est la loi de
l'art qui fait partie de la vie; ou semble oublier que l'art, comme le
mot, est « un être vivant » :
La main du songeur vibre et tremble en l'écrivant...
Et n'est-ce pas cotte loi fondamentale des contrastes qui fait succé-
der insensiblement le murmure au tapage, la précision constructive au
flou de l'impressionnisme et la ligne renaissante à la couleur épuisée ?
De Wagner, qu'on brûle, ou de Rameau, qu'on adore, lequel eut rai-
son?— Peut-être bien chacun d'eux, mais à son heure... Le grand
Gluck, qui transportait la romantique jeunesse de Berlioz, apparaît
solennellement glacial, comme David ou M. Ingres, à nos Debussystes.
adorateurs très imprévus de Mozart: affaire de perspectives et de points
de vue ! Tout passe et tout change, et seule demeure la magistrale pro-
bité du sentiment. Gluck et Phidias brillent immortels, au-dessus du
brouillard des temps, comme un éclair d'absolu : car leur àme altiôre
a trouvé sa forme impérissable ; malgré les progrés du coloris, la Pas-
torale de Beethoven est encore la reine des interprétations de la nature,
au même titre profond qu'un paysage obscurci du Poussin. Oui, Ber-
lioz le coloriste avait raison de laisser « les moyens matériels » à leur
place, qui ne sera jamais la première.
Au même concert de l'année, après avoir applaudi l'essor vertigi-
neux par où Richard Strauss évoque la Transfigura/ion dans la Mort, il
nous est arrivé de tressaillir davantage à l'ingénuité du concerto en sol
(op. 58) de Beethoven, merveilleux, en effet, toujours, par la sobre
émotion qu'il exhale ; et ce jeune centenaire de 1806 a gardé sa verdeur
auprès des colosses contemporains. Pareillement, aucune des grandes
symphonies beethovéniennes ne suggère l'impression d'avoir été dé-
passée : affirmons hardiment qu'elle ne le sera point. C'est qu'à la fois
expressive et technique, l'incessante métamorphose de l'orchestration
manifeste avant tout, comme la musique même, l'auteur reflété dans
son œuvre, avec son lyrisme intangible sous le costume de son temps :
l'art, comme le visage, est le miroir de l'âme. « Quand les géants
rient, la terre tremble » (2) ; et la Symphonie en la, qui précédait, aux
dernières séances du Conservatoire, la Rédemption franckiste nous criait
mystérieusement à l'oreille que l'évolution de l'orchestre n'est que
l'évolution pathétique de l'àme humaine.
(A suivre.) Raymond Bouyer
(1) Dans la Revue Bleue du 25 août 1906.
(2) Vieux proverbe saxon, cité dans le programme par M. Maurice Emmanuel.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour les seuls abosnés a la musique)
Voilà le Chevalier d'Éon lancé déjà à grand fracas dans le monde du théâtre; c'est
un petit diable charmeur qui ne rencontrera pas de cruelles évidemment et qui
remportera le succès de vive force à coups d'estoc et de taille. Nous donnons donc
aujourd'hui à nos abonnés un Entracte-gavotte qui a cet avantage de renfermer deux
des motifs qui seront les plus populaires de la nouvelle opérette, de ceux qui
restent obstinément dans l'oreille. Rodolphe Berger en a peu écrit d'aussi ave-
nants.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
L'inauguration du monument de Brahms sur le Karlsplatz de Vienne,
annoncée précédemment pour le 10 mai, aura lieu le 7 du même mois, à
l'occasion du soixante-quinzième anniversaire de la naissance dumaitre. Pour
cette solennité, on chantera, pour la première fois à Vienne, un chœur de
Brahms intitulé : Paroles de fête et de siuvenir. La veilla de la cérémonie on
donnera une audition du Requiem allemand, et le lendemain on fera entendre
le cycle de mélodies, d'après Ludwig Tieck, qui porte pour titre : Maguelone.
La Société Brahms de Vienne prépare d'autres auditions.
— Le Conservatoire de Vienne semble décidément avoir été mal inspiré en
se séparant aussi brutalement qu'il l'a fait de M. Ferruccio Busoni. Après le
refus de M. Godowski d'accepter l'héritage de son confrère, l'existence de la
classe supérieure de piano semble mise en question. Il n'y reste plus, en
effet, que deux élèves, tous les autres, très attachés à leur professeur, ayant
suivi M. Busoni à Berlin, — de sorte qu'il se pourrait que la classe fut appelée
à disparaître.
— A la réunion annuelle de l'Association des chanteurs de Vienne, le pré-
sident a lu une lettre dans laquelle le ministre de l'Intérieur félicite les so-
ciétés musicales d'avoir, ainsi que nous le disions il y a quinze jours, pris
l'initiative de faire construire un vaste bâtiment comportant des salles d'au-
dition pour les concerts de toute nature et des annexes destinées à permettre
d'installer des classes pour l'enseignement musical. L'appui du gouvernement
est assuré à l'entreprise et le Conservatoire sera transporté dans le nouveau
local.
— Un journal de Vienne, Erdgeist, vient de publier une lettre humoristique
de Beethoven qu'il croit inédite. Elle est adressée à un rédacteur de la Wiener
Zeitung nommé Bernhard et a rapport à une distinction honorifique reçue •
par Beethoven d'une Société Scandinave. Le maître prie son ami de parler de
l'événement dans son journal. Voici la lettre : « A sa très noble Excellence
H. de BerDhard, directeur de toutes les entreprises de journaux et le meilleur
poète d'opéra de l'Europe, Dominm Bernardus non sanctus. Nous vous prions
de bien vouloir rédiger les lignes relatives à notre promotion comme membre
d'une Société Scandinave, de les remettre à l'imprimeur, d'en hâter l'insertion
au journal, de donner à la nouvelle toute publicité, de la faire afficher dans
les lieux les mieux fréquentés, etc., etc., etc. Je suis affreusement absorbé
par les notes de musique à écrire et par des embarras de toutes sortes
(Beethoven joue sur les deux mots Noten, noies de musique, et Nôten, em-
barras) ; c'est la raison pour laquelle je ne ne puis aller vous voir, Amice
optiine. Veuille le ciel que je ne tarde pas longtemps à le faire. Dans cet
espoir, je reste toujours votre: Amiens optimus Beethoven Bonnensis. a
— M. Félix Weingartner vient d'écrire le texte d'un grand poème lyrique
en deux parties auquel il donne le titre de Gotgotha et qu'il compte mettre
prochainement en musique.
— Le plagiaire Frédéric Hahn, dont nous avons parlé récemment, se voyant
menacé de poursuites judiciaires, à la suite d'une mise en demeure énergique
d'avoir à produire ses manuscrits pour être examinés, s'est décidé à les
brûler tous. L'imposture est donc manifeste et l'on peut même s'expliquer
maintenant comment elle a pu se prolonger environ deux années. M. Hahn
avait toujours la précaution de ne faire entendre ses œuvres prétendues qu'en
petit comité, renonçant à l'audition dès qu'il apprenait qu'un homme compé-
tent viendrait y assister. Il avait aussi le soin de donner à ses coexécutants
des parties d'accompagnement et de jouer lui-même de mémoire les mélo-
dies principales. Un jour qu'il avait produit comme sienne une symphonie de
Rheinberger, op. 163, réduite à quatre mains et qu'il avait exécuté sans mu-
sique selon son habitude les parties essentielles, il répondit à quelqu'un qui
le questionnait sur sa prodigieuse facilité : « L'ouvrage est devant mon esprit
aussi clair et aussi distinct que le tableau d'un peintre peut l'être devant les
yeux; je puis en écrire toutes les parties quand et comme il me plaît. » On
se souvient que dans cette misérable affaire, le coupab'e ne recherchait pas
précisément une gloire même frelatée, mais simplement des subsides de la
part de ceux dont il trompait la confiance. Espérons que ses pareils seront
découragés pour longtemps.
— La visite que l'Orchestre philharmonique de Berlin va faire à la fin de ce
mois à Paris, sous la direction de M. Richard Strauss, ne sera que la pre-
LE MÉNESTREL
mière étape d'une grande tournée que ces artistes entreprendront en France
et dans l'Europe méridionale pour retourner ensuite dans le Nord. Ils visite-
ront ainsi successivement Bordeaux, Madrid, Lisbonne, Oporto, Santander,
Bilbao, Barcelone Marseille, Lyon, Genève, Neucliàtel, Lausane, Fribnurg,
Berne, Baie, Galsruhe, et enfin La Haye, où, pendant l'été, ils donneront,
comme de coutume, leurs concerts annuels.
— Un technicien de Munich, qui s'est fait une réputation par ses travaux
pour garantir les monuments contre les dangers d'incendie, a écrit ce qui suit
relativement au rideau de fer des théâtres : « Quoiqu'il existe de rigoureuses
prescriptions dans le but d'assurer en cas de sinistre la séparation de la scène
et de la salle, on ne peut la réaliser que très imparfaitement, parce que
l'on ne possède pas, pour constituer l'obstacle, une matière suffisamment ré-
fractaire contre lefeu. Fermer, comme on l'a fait jusqu'à présent, une ouver-
ture do plus de deux cents mètres carrés par des rideaux de fer ou d'asbeste,
est tout à fait iilu oire; le foyer, s'il est actif, les consumera facilement,
comme onl'a vu lors de l'incendie du théâtre de Stuttgart. On est arrivé à fabri-
quer aujourd'hui de puissants rideaux mobiles en béton de fer; ils résistent a
toutes les épreuves et l'on peut espérer qu'en les utilisant l'on parviendra à
séparer, en cas de danger, la scène et la salle en deux parties dont l'isolement
ne sera plus précaire ».
— A Leipzig, tout près de l'église Saint-Thomas, où Sébastien Bach rem-
plit autrefois les fonctions de cantor et d'organiste, l'on s'occupe en ce mo-
ment de l'érection d'un monument en l'honneur de ce maitre, qui doit être
inauguré le dimanche 17 mai. La veille aura lieu dans l'église une audition
de musique religieuse comportant deux cantates et le Magnifiait. Le lendemain
il y aura dans la salle du Gewandhaus, l'après-midi, un concert de musique de
chambre et le soir une exécution intégrale et sans les coupures d'usage de la
Passion selon saint Mathieu. Une représenta'ion de fête sera donnée au Nou-
veau-Théàtre-Municipal à l'occasion de ces solennités.
— La musique subit actuellement une sorte de crise en Allemagne. Après
les démêlés dont l'orchestre Kiim a été l'occasion et qui ont eu pour consé-
quence de compromettre l'organisation des concerts à l'Exposition de
Munich, voici que l'un des chefs d'orchestre les plus estimés des provinces du
Nord, M. Julius Buths, se trouve contraint de renoncer à la situation qu'il
occupait depuis dix-huit ans à Dusseldorf et que, par suite, le festival du
Bas-Rhin n'aura sans doute pis lieu cette année. Cette fête musicale tradi-
tionnelle a, pour la première fois, parait-il, laissé l'aanée dernière un déficit,
et une campagne a été aussitôt dirigée contre M. Buths, que l'on rendait
moralement responsable de l'insuccès des concerts, faisant valoir ce fait qu'il
n'est pas considéré comme une des célébrités de l'orchestre. L'opinion géné-
rale est que la situation précaire d'institutions musicales jusqu'ici en posses-
sion de la faveur publique a d'autres causes que le plus ou moins de noto-
riété d'un chef dirigeant. On pense que l'interprétation sincère et respec-
tueuse des grands ouvrages peut mériter les applaudissements, beaucoup plus
que ces exécutions brillantes qui font de toute musique une sorte de morceau
de concours destiné à faire valoir les exécutants. A la suite des incidents de
Dusseldorf, M. Arthur Nikisch a été sollicité de prendre la direction Ai fes-
tival du Bas-Rhin, mais il a décliné les offres qui lui ont été faites en ce
sens.
— Nette Orchestervereinigung, tel est le titre d'une société symphonique
d'amateurs instrumentistes qui vient de se fonder à Berlin, sous le patronage
de M. le conseiller Heinthal, et qui se propose d'organiser, à des dates indé-
terminées, des concerts dont la direction sera confiée à M. G. Zimmer. Tout
amateur désireux de faire de la musique d'orchestre peut faire parlie de cette
société. Il a'a même pas besoin de se munir d'instruments, M. le conseiller
Heinthal mettant tous ceux nécessaires à la disposition des exécutants. C'est
jeudi dernier, 9 avril, que le nouvel orchestre a dû donner son premier concert.
— A l'église de la Croix de Dresde, le 380e anniversaire de la naissance de
Giovanni Gabrieli (1557-1612) vient d'être célébré avec pompe. On a exécuté
plusieurs oeuvres du vieux compositeur vénitien, parmi lesquelles une sonate
pour trois violons, violoncelle et orgue, des motets et autres pièces religieuses
extraites des recueils portant pour titres Symphoniae sacras, Intonation? e
Ricercari, etc. L'art du contrepoint a paru très grand chez Gabrieli et maints
passages de ses ouvrages ont pu être considérés comme renfermant l'indica-
tion do bien des effets dont la musique moderne a tiré largement parti.
— Le Conservatoire de Coblentz va célébrer, pendant les fêtes de Pâques, le
centième anniversaire de son existence. De grandes fêtes musicales y sont
organisées à cet effet, auxquelles on exécutera, entre autres œuvres, la Messe
solennelle de Beethoven, ainsi que des fragments du Parsifal de Wagner et la
Sinfonia domestica de M. Richard Strauss.
— Correspondance de Francfort (3 avril) :
MoNsiEun,
Le numéro du Ménestrel du 21 mars contient aux « Nouvelles diverses de l'Étran-
ger » une note annonçant « une crise très grave » au Conservatoire de Francfort,
crise qui pourrait même amener la dissolution de l'établissement. Les Curateurs
de l'Institution croient de leur devoir de rectifier cette note. La démission de
plusieurs professeurs et de M. Bernhari Scholz, le directeur, n'a rien à voir avec la
vie intérieure du Conservatoire. Chacun de ces messieurs a un motif particulier et
dilTérent, qui a donné lieu à leurs démissions. Tous quittent la Conservatoire
accompagnés des meilleurs vœux de l'Administration. Aucun désaccord ne s'est
produit, et on se sépare dans les meilleurs fermes.
Le bruit que l'établissement pourrait être dissous est absurde, vu le grand
nombre de professeurs excellents qui gardent leur position, l'affluence non
diminuée des élèves et le capital important qui donne une base assurée à l'institu-
tion.
Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de nos sentiments les plus distingués.
Dr. Iloeh's Conserva!
Les Curateur* -
Emile Sulzbacii, Ara. Pester!
— On avait annoncé pour la semaine de Pâques, à Berlin, la tenue du
quatrième congrès de pédagogie musicale, dans lequel doivent se traiter toutes
les questions intéressant l'enseignement musical : composition des programmes
d'étude, réforme de l'art du chant, organisation des cours pratiques, etc. Ce
congrès est remis aux fêtes de la Pentecôte, et se réunira du 7 au 10 juin
prochain. Les artistes désireux de suivre ces travaux peuvent s'adresser pour
obtenir, sans frais, les renseignements utiles, à la direction du congrès,
37, Ansbacherstrasse, a Berlin.
— De Saint-Pétersbourg on nous signale le véritable triomphe remporté au
Théâtre-Italien par Mmc Arnolison dans Werther.
— Une aventure presque dramatique est arrivée à une jeune cantatrice fort
aimée en Italie, M"° Bel Sorel, qui donnait des représentations à Lemberg.
Au sortir du spectacle du Théâtre-Municipal, elle fait avancer sa voiture pour
se rendre chez elle. Le cocher était sans doute d'accord avec un individu qui
sauta sur le siège tandis que la voiture s'en allait à fond de train. Bientôt, la
course se prolongeant, la jeune femme fut prise d'inquiétude, d'autant qu'elle
se voyait arriver en pleine campagne. Elle mit la tête à la portière, il appela
au secours en italien et en français. Fort heureusement elle fut entendue par
un particulier qui, lui-même dans sa voiture qu'il conduisait, accourut à son
aide pendant que le cocher et son compagnon s'enfuyaient au plus vite. M"'' Bel
Sorel, évanouie de frayeur, put cependant indiquer son hôtel, où elle fut
reconduite par son sauveu/. C>mm2 elle avait sur elle tous ses bijoux, repré-
sentant une valeur de 200.00J couronnes, outro 12.000 couronnes en argent,
on suppose naturellement que les malandrins avaient projeté de la dépouiller
et de la voler. La police, mise au courant de l'affaire, a fait des recherches qui
jusqu'ici sont restées infructueuses.
— De Bruxelles, on nous écrit le grand succès remporté par M"' Minnie
Tracey, à qui l'on bisse les Fleurs de Massenet et que l'on rappelle plusieurs
fois après Elégie, du même maitre, M. Jacobs accompagnant mag'slralement
au violoncelle.
— Après les Anversois, les Louvanistes viennent de faire un grand succès
à la nouvelle œuvre de M. Jan Blockx, Baldie, qui continue de triompher au
Théâtre-Lyrique d'Anvers. Représentée mardi dernier au théâtre flamand de
Louvain, Baldie a été acclamée par un public enthousiaste. Les confrères de
M. Blockx sont les premiers à lui rendre hommage. Quand l'œuvre fut repré-
sentée à Anvers, il y a deux mris, le compositeur Paul Gilson publia dans un
grand journal bruxellois un compte rendu très détaillé et très élogieux. Cette
fois c'est M. Léon Du Bois, directeur de l'École de musique de Louvain, qui
prend la plume pour analyser et exalter le nouveau drame lyrique. Voici un
extrait de ce très chaleureux article :
Nous sommes heureux de constater que décidément notre Art national commence
à prendre la place qui lui est due, et que le public rend enfin justice, malgré quel-
ques aristarques grincheux, à nos poètes et musi 'iens dramatiques.
Le poème de Nestor de Tière a dé la vie, de l'action, des conflits de passion, des
oppositions très vives de caractères tantôt tendres, tantôt d'une énergie farouche...
La scène tragique finale au milieu de la fête laisse une très grande, une très forte
impression.
Quant à la partition de Jan Blo:kx, elle est bien digne de ses deux aînées,
Princesse d'Auberge et la Fiancéi de la Mer. Peut-être mi préférence irait-elle à
Baldie.
Dans cette œuvre-ci, Blockx s'est plus attaché à décrire les sentiments intimes des
personnages. Sous ce rapport, le rôle de Veerle est admirablement traité. 11 est
d'une émotion réellement poignante. La scène de la mort de Veerle, — alors que
dans le lointiin on eatend des échos de fête — est certes une des belles pages,
sinon la plus belle de la partition. D'ailleurs, tout le second acte qui débute par
une belle prière à la Vierge, chantée par Dina, est à mettre hors pair.
On sait avec quelle miestr a Jan Blockx s'entend à faire vibrer l'àme des foules...
Pour s'en onvaincre, il n'y a qu'à écouter le final du premier acte avec ses rondes
entraînantes d'une vie débordante de joie populaire, d'un rythme curieux, original
et surtout de caractère si véritablement flamand, ensuite la fête du tir à l'arc, avec
son pittoresque cortège et les chants facétieux de Hattske-de-Zot, fêle qui se termine
par la scène tragique du coup de couteau de Dina, et dans laquelle le maitre Blockx
a pu affirmer une fois de plus ses étonnantes facultés de compositeur dramatique. »
— Le Théàtre-Verdi, de Florence, a donné la première représentation d'un
drame lyrique en trois actes. Fnusta, dont M. RenzoBianchi a écrit la musique
sur un livret de M. Mario Cerati, et qui avait pour principaux interprètes
jyrmes xicci et Masnata, MM. Palet et Pacini. — Et le Casino municipal deSau
Remo a offert à son public un opéra en trois actes, Jocelyn, dont, il n'est pas
besoin de le dire, le livret posthume de Luigi -Alberto Villanis a été tiré du
délicieux poème de Lamartine, et dont la musique a pour auteur M. Luigi
Tedeschi. Celui-ci était joué par Mmcs Ricci et Garelli,MM.Fiore et DiMarchi.
Il ne semble pas que l'un ou l'autre de ces deux ouvrages soit destiné à révo-
lutionner l'art.
— Un artiste italien fort distingué, M. Lorenzo Parodi, qui s'est fait con-
naître comme compositeur et comme écrivain spécial, vient de lancer le pre-
mier numéro, très intéressant, d'une revue nouvelle, la Rassegna internazionala
di musica, qui paraîtra mensuellement, à Gènes, par les soins des éditeurs
Serra.
118
LE MENESTREL
— Le mariage Toselli-Louise de Saxe, qui a déjà fait couler tant d'encre,
menace d'occuper encore sérieusement la publicité. Les deux époux, pianiste
italien et princesse allemande, ne paraissent pas, dans leur ménage, jouir
d'une entente parfaite. Un journal de Carlsruhe, la Presse Badoise, croit savoir
que MmeToselli a annoncé à des amis à Lindau qu'elle était décidée à se sépa-
rer de son nouvel époux et à rentrer en Allemagne.
— C'est le 30 avril que doit commencer à Londres la saison lyrique du
théâtre Covent-Garden.On y jouera, comme les années précédentes, des opéras
en français, en italien et en allemand. Les ouvrages de Wagner seront dirigés
par M. Hans Richter. La troupe sera extrêmement riche, comme on peut le
voir par cette liste des artistes engagés : Mme* Lina Cavalieri, Nellie ftlelba,
Maria Destinn, Bryhn, Dereyne, Gilibert-Lejeune, Endorf, Gulbranson, Seve-
rina, Tetrazzini, Knûpper-Egli, Sparkes, Osborn-Hannah, Halchard, Miranda,
Rider-Kelsey, Walker (soprani); Maria Gay, Archibald, Santley, Sones,
Thornton, Lunn, Kirkby, Wilkham (mezzo-soprani) ; MM. Bonci, MacGormak.
Cornélius Henke, Zenatello, Knote, Zocchi. Nietan. Hyde, Jûrn (ténors);
Gilibert, Fournets, Crabbe, Galetti, Creswold, Geis, Kniipfer, Mang, Scotti,
Van Rooy. Marcoux, Zadon, Radford, Sammarco, Navarrini, Scandiani,
Whitehill (barytons et basses).
— Au Brixton-Theatre de Londres, apparition d'un opéra romantique en
trois actes intitulé Nigel, dû à la collaboration de M. Percy Pinkerton poul-
ies paroles et de M. Stephen R. Philipotts pour la musique.
— Un concert de musique française a eu lieu le mois dernier à Manchester.
La première partie du programme comprenait des compositions de Lully,
Rameau, Marais et Caix d'Herveloix. Ce dernier était un musicien de la cham-
bre du duc d'Orléans, joueur de viola da gamba, qui apubliédes « Pièces de
"Viole » en 1725-1732 et des « Pièces pour la flûte » en 1726-1731. La seconde
partie du concert a été consacrée tout entière à M. Reynaldo Hahn. Le Musical
Times en rend compte en ces termes : « La musique sur des poésies de Leconte
de Lisle, Verlaine et M. Henri de Régnier, montre que M. Reynaldo Hahn
est un lyrique d'une originalité saillante et dont la force expressive se traduit
avec délicatesse. Onze de ses mélodies ont été chantées par Mme Durand-
Texte accompagnée par le compositeur; lui même en a interprété trois, parmi
lesqu elles AûPays musulman a été la plus remarquée. M. Hahn a exécuté avec
M. Georges Pitsch ses variations pour violoncelle et piano, et avec M. Louis
Fleury ses variations pour flûte et piano. »
— A l'église Saint-Georges, à New-York, a eu lieu au commencement du
mois d'avril une très bonne interprétation de l'oratorio, pour soli, choeurs et
orchestre, les Sept Paroles du Christ, de M. Théodore Dubois. Le Russian Sym-
phony Orchestra avait été engagé spécialement pour la circonstance. Le choeur
comprenait plus de cent exécutants dirigés par l'excellent organiste M. Homer
Norris.
— De Boston, on nous écrit le grand succès remporté par le charmant
baryton Léon Rennay que l'on ovationne après Chantons les amours de Jean,
et Maman dites-moi, de Weckerlin, un Rondel et la Bonne chanson, de Rey-
naldo Hahn.
— ■ Encore une qui nous vient en droite ligne d'Amérique. La scène se passe
à Boston, à moins que ce ne soit à Philadelphie. Un violoniste, qui a donné la
veille un concert, se présente dans les bureaux du premier journal de la ville,
pour se plaindre d'un oubli qui lui est préjudiciable: « Qu'est-ce donc? lui
demande-t-on. — Eh bien, j'ai répété hier trois ou quatre fois à votre repor-
ter que mon violon était un Stradivarius, et ce matin il n'en a pas dit un seul
mot. — Ah ! pardon, répond le rédacteur, ceci c'est une affaire; si M. Stra-
divarius désire qu'on parle de son violon, c'est deux dollars la ligne ; autre-
ment, rien ! » Tête du violoniste !
— En voici une autre de la même cuvée, comme disait Montaigne. Cette
fois, nous sommes bien à Boston, et c'est à l'orchestre de cette ville que par-
venait une lettre avec cette suscription : A M. A. Bruckner, aux soins de l'Or-
cliestre de Boston, « Symplwny Hall » Boston (Mnss). La lettre, émanant d'une
sorte d'Argus de la presse, était ainsi conçue : — « Monsieur, nous consta-
tons avec plaisir que vos symphonies sont beaucoup jouées cette année-ci par
les orchestres américains, et nous venons vous offrir de vous adresser, pour
la somme de... tous les articles qui paraîtront dans les journaux des États-
Unis concernant l'exécution de ces œuvres. » L'excellent Argus ignorait que
ledit Bruckner avait rendu son âme au ciel voici déjà douze années.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
A l'Opéra, on pousse ferme les dernières études d'Hippolyte et Aricie,
dont on pense donner la première représentation vers la fin du mois.
— Al'Opéra-Comique c'est avec la Fille déneige de Rimsky-Korsakow qu'on
compte en finir d'abord (première vers le 20 avril), avant d'en arriver au
Clown de M. de Camondo. — Spectacles de dimanche : en matinée, la cruelle
Aphrodite; le soir, Carmen. Lundi, en représentation populaire à prix réduits :
Barbe-Bleue.
— Nous avons déjà publié les avis favorables à l'exploitation du Théâtre-
Lyrique émis par les deux commissions municipales compétentes. Le conseil
municipal a ratifié à l'unanimité, avant de clore sa session, ces conclusions,
on accordant à MM. Isola le privilège de dix années, avec le concours des
artistes, des ouvrages et du matériel de l'Opéra et de l'Opéra-Comique. L'ère
de l'exploitation régulière est dès maintenant ouverte et MM. Isola s'occupent
sans tarder de constituer leur troupe personnelle. Le premier engagement
signé a été celui de M. David Devriès, le charmant ténor de l'Opéra-Comique,
qui sera désormais attaché au Théàtre-Lyrique-Municipal où il a déjà remporté
de si brillants succès.
— Les présidents d'honneur de la Société des auteurs et compositeurs dra-
matiques, MM. Victorien Sardou et Ludovic Halévy ; le président actuel,
M. Alfred Capus ; MM. Massenet, Saint-Saëns, Paul Hervieu, Henri Lavedan,
Maurice Donnay, Jean Richepin et tous leurs collègues de la commission
s'occupent d'organiser une représentation de gala au profit de la caisse des
retraites de la Sociélé des auteurs. De tels patronages font prévoir quel sera
l'éclat de cette fête à laquelle les plus illustres artistes seront heureux d'ap-
porter leur concours. Elle aura lieu le 10 mai prochain, dans la salle de
l'Opéra, gracieusement offerte par MM. Messager et Broussan. Ajoutons que
M. Gabriel Pierné, spécialement chargé d'établir le programme avec l'aide
précieuse de M. Gabriel Astruc, est en pourparlers avec les directeurs des
plus grandes scènes d'Europe, et notamment avec S. Exe. le comte de Hûl-
sen, intendant général des théâtres royaux d'Allemagne ; M. F. Weingartner,
directeur de l'Opéra de Vienne; M. Higgins, président du Covent Garden
Opéra de Londres; M. Raoul Gunsbourg, directeur de l'Opéra de Monte-
Carlo, etc., etc. C'est dire qu'on peut prévoir pour la représentation des
Auteurs dramatiques un programme incomparable.
— Nous avons assisté dimanche à une solennité musicale pour laquelle la
première épithète qui vienne à l'esprit est celle de réconfortante. Ce fut, sous
le titre : « La France héroïque », un concert vocal et instrumental auquel ont
participé quinze cents chanteurs, hommes et dames, appartenant à diverses
sociétés d'ensemble choral de Paris, une musique d'harmonie formée d'élé-
ments civils et militaires, des chanteurs de l'Opéra (MM. Duclos et Vérin,
M1Ie Judith Lassalle), et, sous les doigts de M. Guilmant. l'orgue; toutes ces
forces musicales sous le commandement de M. Bourgault-Ducoudray, dont
elles interprétèrent les œuvres. Celle;-ci, uniquement œuvres de musique na-
tionale, sont apparues, par leur groupement même, avec une signification par-
ticulièrement haute, résumant la vie d'un artiste qui, sans se soucier des
fluctuations de la mode, n'a jamais cessé de viser le but qui, dès sa jeunesse,
lui était apparu comme le plus digae : associer les voix du peuple en un
ensemble propre à exprimer harmonieusement les sentiments collectifs les
plus élevés. Quelques-uns des morceaux inscrits sur le programme avaient
trente-huit années d'âge, ayant été (date significative) écrits pendant la guerre
de 1870; d'autres, marquant les diverses étapes de la même carrière, ont en
même temps permis d'apercevoir la continuité de l'effort : tels un Hymne à la
Patrie, pour le 11 juillet, composé quand cette date redevint la fête de la troi-
sième République; Au Souvenir de Roland, VApothéosedeshéros, nos pères (pro-
ductions plus récentes) ; puis encore, transcrites en chœur, des chansons bre-
tonnes, affirmant la vitalité inépuisable du génie populaire, et encore la
Bapsodie cambodgienne, si colorée, dont les éléments thématiques sont em-
pruntés aux traditions musicales d'une contrée lontaine. Sur tout cela passe un
souffle de lyrisme qui vivifie l'inspiration; les compositions sont tracées à
grandes ligues et en larges plans, avec des oppositions de sonorité nettement
marquées, des harmonies simples et tonales, où domine l'accord parfait — et
cela est fort bon, car un art populaire ne doit pas se perdre dans les subtilités,
et nous avons bien vu l'autre jour qu'avec ces simples accords des voix, cet
art est encore le plus vivant. De fait, je serais fort tenté de penser que l'art
conçu dans cet esprit, tout en se rattachant intimement au passé, redeviendra
l'art de l'avenir. Tel motif de M. Bourgault-Ducoudray, comme son Hymne à
la Liberté, (un des chants de 1870), semble un écho du XVIII0 siècle ; pourquoi
non, si c'est au XVIIIe siècle que s'est exprimée le plus fortement la pensée
vers laquelle il se reporte aujourd'hui. Si l'artiste en a su retrouver l'accent,
c'est donc qu'il a réussi. Le progrès de la musique ne consiste pas uniquement
à agencer de savantes dissonances : il peut avoir des visées plus hautes et
plus véritablement sérieuses. Bref, il y aurait fort à philosopher là-dessus, et
ce ne fut pas là un des moindres avantages que nous a offerts l'exemple donné
par M. Bourgault-Ducoudray et son armée lyrique. Saluons donc la manifesta-
tion d'art à laquelle ils nous ont permis d'assister, non seulement pour elle-
même, mais pour les lendemains qu'elle nons promet. Julien Tiersot.
— Une intéressante appréciation de Tschaïkowsky sur Bizet et sa Carmen,
en même temps que sur les tendances des compositeurs modernes :
Plier, pour me reposer de mes propres œuvres, j'ai joué la Carmen de Bizel, d'un
bout à l'autre. C'est un chef-d'œuvre dans toute l'acception du mot, c'est-à-dire
une des rares créations qui traduisent les efforts de toute une époque musicale. 11
me semble que notre époque présente se distingue du passé par un signe caracté-
ristique : les compositeurs recherchent des effets jolis et piquants, ce que n'ont fait m
Mozart, ni Beethoven, ni Schubert, ni Schumann. La nouvelle école russe est-elle
autre chose qu'un ensemble d'harmonies piquantes, de combinaisons originales d'or-
chestration et d'autres choses aussi superficielles? Autrefois, quand on composait,
on créait, — maintenant on cherche à découvrir. Ce progrès de la pensée musicale
est un produit de la pure intelligence; c'est pourquoi la musique contemporaine
est pleine d'esprit, piquante et curieuse, mais aussi froide et dénuée de senti-
ment.
Mais voilà qu'un Français vient, chez qui tout ce piment et tous ces excitants ne
paraissent pas être le résultat de la recherche et de la pensée, mais qui coulent
comme de source, qui flattent l'oreille et en même temps émeuvent le cœur, comme
s'il nous disait : « Vous ne voulez pas quelque chose de grandiose, de puissant, —
vous voulez quelque chose de joli, voilà — vous avez un joli opéra. En vérité, je ne
connais rien qui puisse être appelé, avec plus de justesse, joli. Bizet n'est pas seu-
lement un compositeur bien de notre temps, mais aussi un artiste qui ressent pro-
LU MENESTREL
149
fondement, un maître. Je suis persuadé que dans dix ans Carmen sera l'opéra le plus
populaire du monde entier. Mais nul n'est prophète dans sou pays. A Paris, Carmen
n'a pas eu un grand succès.
Ceci était écrit en 1880.
—'Nous venons de donner l'opinion de Tschaïkbwsky sur Bizet et sur
Carmen. Voici comment, dans une aulre lettre écrite à son frère, vingt-quatre
heures après, il lui parlait de Massenet et de Marie-Magdeleine,
Hier, je t'écrivais sur Bizet ; aujourd'hui, c'est Massenet. J'ai trouvé son oratorio,
Muric-Mui/deleine, chez N. F. Après avoir lu le texte, où non seulement on présente
les circonstances dans lesquelles se trouvent le Christ avec Madeleine, Judas et le
Golgotha, et même la Résurrection, j'eus comme un préjugé contre cette œuvre,
car elle me semblait trop audacieuse. Mais quand je commençai à la jouer, je vis de
suite que je n'avais pas affaire à une œuvre de moyenne valeur. Le duo entre le
Christ et la Magdeleine est un chef-d'œuvre. Je fus si émotionné de cette profonde
musique que je versai des lorrents de larmes... En musique, les français sont main-
tenant les maîtres. Aujourd'hui, j'ai tout le temps pensé à ce duo, et j'ai composé,
sous cette impression, une mélodie qui rappelle beaucoup Massenet...
— M. Camille Le Senne a brillamment clôturé lundi dernier à l'École des
hautes études sociales la première série de ses conférences hebdomadaires
sur le mouvement dramatique et musical par une causerie qui avait réuni
une très nombreuse assistance. Après avoir remercié le public de l'indul-
gente attention qui lui a permis de passer en revue au cours de vingt-deux
leçons les genres les plus différents, le drame moderne avec Samson, Coeur à
cœur, la Femme une. la comédie avec l'Éventail, les Dcu.r Hommes, l'Amour
mille, Charnu sa va', la pièce à spectacle avec l'Affaire drs poisons, Sherloclc
Holmes, l'Apprentie, et même le grand vaudeville avec Occupe-toi d'Amélie, res-
suscitant ainsi le feuilleton parlé d'Henri de Lapommcrayo et de Sarcey,
notre excellent collaborateur a donné rendez-vous à ses auditeurs pour le
premier lundi de novembre, au milieu des plus vifs applaudissements.
— A la suile de la mort du regretlé Amand Chevé, qui avait succédé à
son père comme directeur de l'École Galin-Paris-Chevé, une reconstitution
de la Société civile de l'École, dont la fondation remontait à 1895, fut jugée
indispen;able. Cette reconstitution a été effectuée récemment, après quoi on
a procédé, en Assemblée générale, à une réorganisation complète des divers
comités, ainsi qu'à la nomination du nouveau directeur appelé à prendre la
succession de M. Amand Chevé. C'est M. Alfred Giraudet, ancien artiste de
l'Opéra, ex-professeur de la classe d'opéra au Conservatoire, que l'Assemblée
a choisi et nommé directeur par acclamation.
— On sculp'eur alsacien. M. Ringel d'Ilzacli, vient d'achever neuf bustes
allégoriques destinés à personnifier, sur des figures humaines, le caractère
spécial que l'on attribue à chacune des symphonies de Beethoven. Les deux
premières sont représentées sous l'aspect de deux télés de jeunes gens aux
visages animés de gracieux sourires. Le buste qui correspond à la troisième,
l'Héroïque, a des traits forts et puissants : il éveille l'idée d'un titan comme
embelli parla victoire. Le caractère que Berlioz nomme « archangélique »
dans l'adagio de la quatrième symphonie a été heureusement reproduit pour
la personnification de cette œuvre ; l'artiste, en créant le type qu'il rêvait,
semble avoir été hanté par quelque vision idéale, comme le furent les maîtres
italiens de la Renaissance en modelant certains de leurs ouvrages destinés à
orner les églises. Le cinquième buste est une allégorie de la symphonie en ut
mineur. On peut voir une sorte de Prométhée pas encore triomphant, en lutte
avec le destin et représentant l'humanité. La Pastorale s'offre naturellement
sous un aspect tout autre, étant figurée par une figure empreinte de sérénité,
comme si le plus doux rayon de lumière l'éclairait doucement. L'artiste alsa-
cien s'est efforcé de rappelerle mot de Wagner : « Apothéose de la danse » dans
les traits et l'attitude du buste représentant la Septième symphonie. La hui-
tième ne lui a inspiré naturellement que des idées de calme et de douceur
qu'il a essayées de rendre sur le marbre. Quant au huste de la neuvième, on
doit y voir, parait-il, un spectateur en train de contempler la vie et la beauté
humaines, et II faut, en le regardant, songer à ce vers de l'Oie à la joie :
« Embrassez-vous, millions d'êtres ! »
— La librairie Laurens vient de faire paraître une nouvelle série de son
élégante collection si gentiment illustrée des « Musiciens célèbres » : Grétry,
par Henri deCurzon; Mendelssohn, par Paul de Stœcklin; et Paganini, par
J.-G. Prod'homme. M. de Curzon nous a donné un Grétry fort aimable, étudié
avec soin et résumant bien la vie et l'œuvre d'un des patriarches de l'opéra-
comique, œuvre vivante encore, quoique certains en puissent penser, car lé
jour où l'on nous rendrait Richard et l'Amant jaloux, Zémire et Azor et l'Épreuve
villageoise, sans compter le Tableau vivant, on verrait le public y prendre un
autre plaisir qu'à certains ouvrages de ce temps-ci, ambitieux et vides, prô-
nés par des admirateurs de convention, dont l'enthousiasme débordant ne
saurait en imposer aux auditeurs sincères et désintéressés. En disant tout le
bien qu'il pense et qu'il a raison de penser de Grétry, l'écrivain ne peut s'em-
pêcher de constatai ce qu'on pourrait appeler parfois le « lâché » de son
orchestre; il ignore peut-être que Grétry avait fini par se désintéresser telle-
ment de cette partie de son travail qu'il avait confié l'orchestration de ses
vingt derniers ouvrages à Panseron, le père de l'auteur de VA B C musical.
En somme, le petit volume de M. de Curzon est fort bien venu. — J'en dirai
autant de celui que M. Paul de Stœcklin a consacré à Mendelssohn, en ren-
dant à ce musicien exquis la justice qui lui est due et que lui marchande un
peu trop aujourd'hui un certain clan où il est de mode de faire les renchéris
à son égard, alors qu'on semble se pâmer devant les œuvres lourdes, épaisses
et indigestes d'un Johannes Brahms. En ce qui me concerne, et à rencontre
de divers critiques français et allemands, je tiens l'auteur du Songe <i une mai
d'été, de la Symphonie écossaise et d.-s ouvertures de /.'».</ IUn et di Hébridi
pour l'un des plus grands artistes qu'ait produits le dix-neuvième siècle, ef je
suis aise de l'entendre dire de si heureuse façon par M. Paul de Stœcklin. —
Le Paganini de M. Prod'homme est un peu bien san< véritable intéi
me semble qu'il y avait mieux à faire, au sujet de ce virluo e éloi
cette espèce de simple procès-verbal de ses voyages et de
puis, s'il est permis de n'être pas violoniste, il n'est vraiment pas permis,
quand on veut parler sérieusement, d'accueillir sans s'informer certaines
calembredaines, et de prétendre, par exemple, que Paganini montait parfois
son violon avec des cordes de violoncelle (celle-là est par trop roide : . el que
dans un concert il lui arriva de se servir d'une canne de jonc en gui
chet!... C'est se fier un peu trop à la crédulité des lecteurs, si ignorants qu'on
les puisse supposer, et c'est faire rire à se3 dépens par ceux qui savent ce que
c'est qu'un violon. y\, [>
— Les grands concerts. Le Conservatoire reste seul sur la brèche. Voilé -~on
programme pour demain dimanche:
Symphonie en ta majeur, rr 'i Mendelssohn).— Concerto en sol mineur, pour
orgue (Haendel.i, 1" audition au Conservatoire: M.Alexandre Guilmant. — Quatre
chœurs anciens, 1" audition: a) Regina Cœli, à 6 voix (R. de Lassus ; b l
5 voix, avec accompagnement d'orgue (J.-Ph. Rameau) ; c) Je voy de gli anb eam
(G. Costeley) ; d) Villageoise de Gascogne (Claude Le Jeune).— Rapsodie mauresque
(M. Eug. Huinperdinck) : a) Tarifa : Élégie au coucher du soleil; h Tanger: Une
nuit au café maure; c) Téluan : Chevauchée dans le désert. Le concert sera dirigé
par M. Georges Marty.
— M. Gottfried Galston a donné mardi dernier, salle des Agriculteurs, son
second et dernier récital, consacré aux œuvres de Chopin, de Liszt et de Bach.
Cet artiste n'interprète pas Chopin comme M. Paderewrki ou M. d'Albert,
c'est-à-dire avec une sensibilité profonde, presque maladive comme la pos-
séda le mailre polonais ; il ne semble pas avoir une prédilection marquée
pour les impressions de demi-teinles ou les douceurs du legato, qui ne lui
sont d'ailleurs nullement inaccessibles; son véritable domaine, ce sont les
grandes transcriptions exigeant une exécution transcendante, celles de
M. Busoni entre toutes. Dans les ouvrages de ce caractère, son talent d'assi-
milation et sa technique souveraine s'imposent par la puissance dans l'effet, la
largeur dans le jeu, la hardiesse et le feu dans l'exécution e t la compréhen-
sion grandiose du style d'orgue et du style d'orchestre. M Galslon est un
batailleur de grands combals : il l'a montré superbement dans le Prélude et
Fugue en ré mineur et la Chaconne de Bach, et dans la Valse de Méphisto de
Liszt. Des Chorals de Bach el la Fantaisie de Liszt sur un fragment de la
basse continue de la canlate Weinen, klagen, sorgen, zagen... (Pleurer, gémir,
douter, pâtir, c'est le pain quotidien des hommes) sont aussi parmi les
œuvres dont il fait supérieurement ressortir la noble.beauté. Rappelé nombre
de fois à la fin du concert, il a répondu aux acclamations en détaillant avec
délicatesse un laendler de Brahms, rêveur comme une valse de Schubert ou
de Strauss, et nne petite pièce également de Brahms. Ce fut un délicieux re-
pos. Amédëe Boutarel.
— M. Pierre Destombes donnera le lundi 27 avril un concert à la salle
Pleyel. A cette soirée qui promet d'être des plus brillantes, l'éminent violon-
celliste interprétera trois sonates pour piano et violoncelle de nos grands maî-
tres français, Camille Saint-Saèns, Théodore Dubois el Ch.-M. Widor. avec
le concours des auteurs.
— Au Châtelet, les 26 et 27 avril, deux concerts de gala avec l'orchestre de
la Philharmonie de Berlin, sous la direction de M. Richard Strauss. Au pro-
gramme deux symphonies de Beethoven et des œuvres de Wagner. Weber,
B?rlioz et Richard Strauss.
— Rappelons que c'est mardi prochain que sera exécutée au Trocadéro la
Passion selon saint Mathieu de Bach, sous la direction de M. Mengelberg, avec
des chœurs, un orchestre et des interprètes de premier ordre.
— Aux Concerts-Touche, très remarquable séance consacrée aux œuvres de
M. Théodore Dubois. M"e Demougeot a très gros succès avec l'Invocation de
Notre-Dame de la mer et Dormir et récer, qu'on lui bisse, comme on bisse à
l'orchestre la Petite Marche extraite de la Suite Miniature. M. Théodore Dubois
a non seulement accompagné ses solistes, mais encore il a dirigé l'excellent
orchestre. Le public ne lui a ménagé ni rappels ni ovations.
— De Nancy : Malgré l'inégalité de l'artiste chargée du rôle principal, la
Thérèse, du maître Massenet, vient de triompher sur la scène de notre Muni-
cipal. Il n'y a que des éloges à adresser à MM. Grimaud et Breton-Caubet et
à l'orchestre de M. Alloo, qui a nuancé délicieusement ou tragiquement
l'émotionnante partition.
— Le Théâtre-Municipal de Strasbourg a donné avec beaucoup de succès, le
31 mars dernier, un opéra nouveau en un acte Paria, musique de M. Félix
Gorter. Le compositeur a lui-même écrit son livret, d'après un drame de
Michel Béer, le frère de Meyerbeer.
— L'École nationale de. musique de Boulogne-sur-Mer vient délie, par un
décret récent, érigée en succursale du Conservatoire national de musique et
de déclamation.
— Nous apprenons que la maison Rouart, Lerolle et Cie, qui vient d'acqué-
rir le fonds Louis Gregh, et la représentation des .< Editions LTniverselles
et Scblesinger, a décidé de créer à sa Succursale du 78 de la rue d'Anjou^ une
iâO
LE MENESTREL
Section de Musicologie, qui sera placée sous la haute direction de M. Jules
Ecorcheville. Les publications annexes de la Société internationale de musi-
que (section de Paris) feront désormais partie de ce tonds d'ouvrages sur la
musique.
— Soiuées et Concerts. — Salle Erard, concert tout à fait réussi donné par M. Louis
Fournier et M"' Fournier de Noce, avec le concours du maître Louis Diémer. Beau-
coup de bravos pour les très excellentes exécutions de plusieurs airs classiques et
des mélodies de Diémer, Chanson du soirel Menuet, par M"" Fournier de Noce, pour
Il délicieuse interprétation de la Gavolle pour les Heures et les Zéphyrs, de Rameau,
par M. Louis Diémer, et pour la belle ampleur de son du vio'oncelljste Fournier. —
M"' Esther Chevalier, de l'Opéra-Comique, a donné une brillante audition de quel-
ques-unes de ses élèves de chant, en présence d'une assemblée d'élite. On a tour
à tour applaudi des jeunes filles et des jeunes femmes toutes admirablement stylées
et qui font honneur à l'enseignement si universellement apprécié de leur distingué
professeur. Citons : M"" Olchanski, Lucy Nancey, Weil, Warin, de Lisle, Th.
Lcoceur; M"" Henry Reyne et Iiispal; M"" A.. Mayer et de Fontêle, et, en plu-', un
jeune baryton bas-c, M. A. Clair.al, duuô d'une très belle voix. M"' S. Goldîtein,
de la Porte-Saint-Marlin.M. L. Bélières, du Théâtre des Nouveautés, et le violon-
celiste Hewilt, a-.'.ompagné par sa jeunj sneir, prétiient leur cpa'.iirs à cette
solennité qui a été pour tous l'occasion de chaleureux succès. Au pi in o, M"" Georges
Chrétien, la fi lèle et distinguée accompagnatrice des ours qui a eu sa large part des
applaudissements. — Très réussi le concert donné par Mme Regina d'Artelli, salle
des Agriculteurs. La cantatrice russe a interprété d'une belle voix sympathique,
avec style et émotion, du Gluck, des chansons anciennes, du Diémer, accompagné
par l'auteur, et du Coquard. M. Enesco a été incomparable dans l'Aria de Bach.
Grand succès aussi pour l'excellent pianiste Lortat-Jacob. — M. M°,c et M"* Wein-
gaertner viennent de donner, salle Erard, une fort jolie matinée musicale consacrée
en majeure partie aux œuvres de Théodore Dubois. Les Poèmes sylvestres, les Poèmes
virgiliens, la suite Au jardin, des extraits d'Aben Hainet et de la Farandole, l'Hymne
nuptial, le final du concerto et l'andante de la sonate pour violon, les mélodies
A Do'.arnenez et Par le sentier valurent de mérités applaudissements aux élèves des
excellents professeurs. On a fait fête à M110 Marie Weingaertner qui a joué supérieu-
rement les Éludes de concert en /«majeur et en la bsmil majeur. — Charmante audi-
tion des élèves de M"» Péraldi, au ours de laquelle on applaudit M"" G. de G. fies
Phéniciennes (VHérodiade, J. Massenet), L. A. (Aragonaise du Cid, J. Massenet), R. L.
(Le Pdtre, Chavagnat), L. B. [Mazurka de Coppélia, Delibes), M. G. (Source capricieuse,
Filliaux-Tiger), E.P. (.Valse/ente de Coppélia, Delibes). M"" Péraldi a eu grandsuccès
en exécutant la Grande Valse de concert de Diémer. — Au concert de M"" Chave-
Praly, exécution excellente d'œuvres de Théodore Dubois. M"" Bureau-Berthelot a
chanté de façon exquise les Musiques sur l'eau, Dormir et rêver, la Prière de l'Ephèbe
et ta Jeune Fille à la cigale (Odelettes antiques) qu'il a fallu bisser. On terminait parle
beau quintette (violon, clarinette, alto, violoncelle et piano), très chaudement
accueilli. — M. Vaillant vient de faire entendri les élèves de ses cours classiques de
piano et, parmi les nombreuses exécutantes, il comient de mentionner M"0' G. F.
(Pizzicati de Sylvia, Delibes), S. H. (Smvenir d'Alsace, Lack), B. D. (te Roide Lahore,
Massenet-Périlhou) et G. D. [Les Myrtilles, Th. Dubois). — Salle Mustel, très
agréable intermède au cours de l'audition des élèves de M. Maurice Galabert.
M"1 Meininger s'y fait applaudir en chantant Je t'aime de Massenet et l'air de
Cavalleria Ruslicana de Mascagni. — Chez M. et M»" Louis Diémer, remarquable
soirée musicale tout au long de laquelle on ovationne le maître de la maison et
M. Edouard Risler qui jouent d'unique façon la Sérénade de Diémer, transcrite à
deux piaios par M. G. de Lausnay. M"1 Kinen et M. Wa-mbrodt remportent un
gros succès dans des fragments de Marie-Magdeleine de Massenet et MM. Sechiari et
Fournier retrouvent tous les applaudissements auxquels ils sont habitués. — Au
concert donné par M"1 Levilly et ses élèves, l'excellent professeur a fort joliment
interprété les Poèmes de Jade, de Gabriel Fabre, accompagnée par l'auteur. — Chez
Mm0 Vieuxtemps matinée musicale consacrée aux œuvres de M. Henri Maréchal :
fragments d'opéras ou d'oratorios, mélodies et chœurs furent très applaudis. Trois
bis, notamment, accueillirent le terzetto de la Taverne des Trabans, la Chanson béar-
naise, brillamment enlevée par M. Mary, et le duo de Daphnis et Chloé délicieuse-
ment chanté par M"° A. Duclos et M. Moncla. — Salle Hoche, très intéressant
concert donné par M"0 Madeleine £reux qui a particulièrement bien interprété le
Concerto de Mendelssohn, avec accompagnement de quintette, et Primavera de
Périlhou. On a aussi beaucoup applaudi M™' Berthe Leblanc qui, d'une voix chaude
et bien timbrée, a fait entendre un air de Sigurd et Rêve de Moret. — M"" Cadot-
Laffitte vient de faire entendre ses élèves parmi lesquels nous avons tout spéciale-
ment remarqué MM. R. et J. D. (Sonatine, Lack), M"" P. A. (Da)is les bois, Périlhou,
et Danse de Colombine, Ad. David), MM. R. D. (Rigaudon, Chavagnat), P. F. (Menuet,
Dedieu-Peters), et M"" M. G. (Chanson du Meunier, Schubert-Lange), L. H. (Taren-
telle, Marmontel), M"" M. et M"" B. C. (Valse Caprice, Strauss-Philipp).— La dernière
matinée de M11' Marguerite Touzard, le distingué professeur, a été des plus bril-
lantes. Les œuvres de M. Georges Hue, accompagnées par l'auteur, ont été remar-
quablement interprétées par M"»1 Ch. Boichin, Alice Gautier, MM. Choinet, violon-
celliste, et Pyans, flûtiste. Grand succès pour M"° S. Richebourg qui a délicieuse-
ment chanté Croquis d'Orient et Jeunes chansons sur de vieur airs; très nombreux
bis. — Dimanche dernier, brillante matinée chez M. et M™5 Chavagnat pour l'audi-
tion d'œuvres d'auteurs divers, transcrites à 4 mains et exécutées par Mm3 Filliaux-
Tiger ayant pour partenaire Mllc de Gentils. Gros succès pour les dix pièces de
genre et le Romin d'Arlequin du maître Massenet, ainsi que pour diverses pièces
de Rameau, Viardot, Alary et Armingaud. Chaleureusement applaudies aussi
plusieurs délicieuses compositions de M— Filliaux-Tiger pour chant, violon et
et piano remarquablement interprétées par M™" Barroux, Drouin et Lehericy
Guyonnet; sans oublier deux gracieuses adaptations musicales dites par M"1 Marie
Féraud, des Mathurins, et accompagnée par l'auteur, Mra0 Filliaux-Tiger.
NÉCROLOGIE
Uu pianiste élégant qui s'était fait depuis longtemps à Paris une excel-
lente réputation de professeur, M. Cb. Neustedt, est mort le 3 de ce mois à
Neuilly. Il était né, croyons-nous, à Saumur, vers 183$. Il a publié, outre un
grand nombre de transcriptions et de fantaisies sur des airs d'opéras faites
avec goût,. une centaine de compositions originales écrites avec délicatesse par
une main légère et exercée. Parmi ces dernières, on peut citer surtout 20 études
progressives, Feuillets d'album, Bluettes musicales, Pièces musicales, transcriptions
classiques, etc.
— De Bruxelles, on annonce la mort, dans un âge très avancé, de l'ancien
ténor Deligne, qui fut le premier époux de Mlle Pauline Lautcrs. Ce mariage
ne tarda pas beaucoup à se rompre par un divorce, et la jeune cantatrice, qui
débuta en 1833 à l'ancien Tnéàtre-Lyrique sous le nom de M'"0 Deligne-
Lauters, dans un opéra de M. Gevaert, le Billet de Marguerite, devint par la
suite Mmc Gueymard et se fit à l'Opéra la renommée que l'on sait.
— On nous apprend do Rome la mort, à l'âge, de 90 ans, d'une cantatrice
qui eut, dans la première moitié du dix-neuvième siècle, son heure de véri-
table célébrité. Clara Novello, devenue plus tard comtesse Gigliucci, était la
plus jeune des quatre filles de Vincent Novello, organiste de talent, né à
Londres de famille italienne, qui fut le londateur en cette ville de la fameufe
maison d'éditions musicales qui porte son nom. Elle-même naquit à Londres le
15 juin ISIS, et dès sa plus tendre enfance fut mise entre les mains de pro-
fesseurs qui commencèrent son éducation musicale. Conduite ensuite à Paris,
elle passa quelque temps à l'Ecole classique de Choron : après quoi, de retour
à Londres, elle devint l'élève de Mo-chelès pour le piano et de Michael Costa
pour le chant. Dès 1836 elle commençait à se faire connaître dans les concerts
et festivals, à Londres et dans les provinces, et ses succès la firent bientôt
appeler en Allemagne. Sa belle voix et son grand style lui valurent de vrais
triomphes à Leipzig, à Dresde, à Munich, à Vienne, à Weimar, à Berlin, et
aussi à Sdint-Péter.-bourg. Etant rentrée en Angleterre, elle fut engagée à
l'Opéra italien de Londres, et après une saison très br. liante fut appelée en
Italie. Elle se fit applaudir alors à Bologne, à Padoue, à Gènes, à Rome, à
Modène, puis alla faire une nouvelle saison au théâtre de Drury-Lane et prit
part, en 1844, au grand festival de Birmingham. C est alors qu'elle épousa le
comte Gigliucci et renonça à la carrière arlistique. Ce ne devait être que pour
un 'temps, et des circonstances l'obligèrent, en 1830, à paraître de nouveau
devant le public. Elle retrouva alors ses succès passés en se produisant dans
les concerts, en faisant apprécier son grand style dans les séances d'oratorios
et en se montrant encore au théâtre, non seulement à Londres, mais à Rome,
Lisbonne, Madrid, Milan et même en Allemagne. Cette seconde partie de son
existence artistique prit fin en 1860. Elle lit alors définitivement ses adieux
au public, et alla se retirer en Italie, où elle a vécu encore pendant près d'un
demi-siècle. Clara Novello a été certainement l'un des derniers représentants,
et des plus accomplis, de l'ancienne et belle école de chant italien.
— Emile Heckel, éditeur des lettres de Wagner et fondateur du patronat
de Bayreuth, est mort le 30 mars dernier à Mannheim, à l'âge de 76 ans.
— Un musicien qui exerça successivement les fonctions de maître de cha-
pelle à Mayence, à Berne, à Bàle, à Wurtzbourg, à Cassel et à Wiesbaden,
Karl Reiss, vient de mourir à Francfort à l'âge de 79 ans. Il est l'auteur d'un
opéra, Otlo l'archer, qui fut représenté à Mayence en 1836.
— Joseph Sucher, ancien chef d'orchestre à l'Opéra de Berlin, où il avait
été appelé en 1888, à l'époque où sa femme, la cantatrice Rosa Sucher, née
Hasselbeck, y était engagée comme chanteuse dramatique, vient de mourir
dans cette ville. Né le 23 novembre 1843, à Dœbœr, en Hongrie, il étudia le
droit à Vienne avant de se vouer complètement à la musique. Nommé chef
d'orchestre au Théâtre-Municipal de Leipzig en 1876, il s'y maria l'année sui-
vante et vint deux ans après prendre les mêmes fonctions à Hambourg où
Tyjme Rosa Sucher fut engagée comme prima donna et où les deux artistes
vécurent dix années, après lesquelles des offres leur furent faites pour Berlin.
Mme Rosa Sucher fit ses adieux à la scène le 3 novembre 1903, au Théâtre-
Royal de Berlin.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Viennent de paraître : chez E. Fasquelle : Les Royautés, poème, d'Abel Bonnard
( 3 fr. 50) ; Ce qu'il fallait savoir, roman, d'Ernest Tissot (3 fr. 50) ; Comment on devient
Colon, de Charles Géniaux (3 fr. 50).
Chez Hach3tte, Musiciens d'aujourd'hui, de Romain Rolland (3 fr. 50 c).
Chemins de fer de l'Ouest.
Dans le but de faciliter les relations entre Le Havre, la Basse -Normandie
et la Bretagne, il sera délivré, du 1er avril au 2 octobre 1908, par toutes les
gares du réseau de l'Ouest et aux guichets de la Compagnie normande de
navigation à vapeur, des billets directs comportant le parcours par mer du
Havre à Trouville et par voie ferrée de la gare de Trouville-Deauville au
point de destination et inversement. Le prix de ces billets est ainsi calculé :
Trajet en chemin de fer, prix du tarif ordinaire ; trajet en bateau, 1 fr. 70
pour les billets de lre et 2e cl. (chemin de fer) et lre cl. (bateau). Un service
spécial de trains est organisé entre Trouville-Deauville et Le Mans, pour
assurer les relations ci-dessus. MM. les voyageurs sont priés de consulter les
affiches concernant ces trains qui sont apposées dans toutes les gares et haltes
du réseau de l'Ouest.
, — l'HiiniMiii: <
F-, 20,
(Encre Lonli-m).
Samedi IX Avril 1908.
4021. - 14' A.WÉE. - N» 16. PARAIT TOUS LES SAMEDIS
(Les Bureaux. 2 b!", rue Vivienne, Paris, u- an")
(Le? manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
ENESTREL
lie 5améro : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Le fluméfo : 0 fi». 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Boas-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, Î0 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste ea sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck il7e article), Jclien Tiersot. — II. Semaine théâtrale : premières représentations de Simone, à la Comédie-Française, et du Chevalier d?Éon, à la
Porte-Saint-Martin, Paul-Emile Chevalier; première représentation de la Courtisane de Corinlhe, au Théâtre-Sarah-îïernhardl. Amédée Boitarel. — III. La Musique et le Théâtre
aux Salons du Grand-Palais (1" article!, Camille Le Sensé. — IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
LA LETTRE DE ROSITA
chantée dans le Chevalier d'Éon, l'opérette nouvelle de Rodolphe Berger. —
Suivra immédiatement : Rêverie de la Dubnrnj, extraite de la même par-
tition.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
MAZURKA
extraite du ballet du Chevalier d'Éon, l'opérette nouvelle de Rodolphe Berger.
— Suivra immédiatement : Roses de France, scherzetto extrait du même
ballet.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
CHAPITRE V
Gluck à Vienne.
Revenu sur la terre d'Allemagne, il fallut que Gluck s'éveillât
de son rêve d'émancipation, encore vague d'ailleurs, pour
retomber dans la vulgaire réalité. Les difficultés de la vie le
guettaient ; le seul moyen qu'il eût d'en sortir était de suivre
l'ornière. Il se mit derechef en quête d'un engage-
ment pour écrire l'opéra de la saison dans une
ville quelconque, quitte à recommencer ailleurs
l'année suivante, et ainsi de suite jusqu'à la fin
de sa vie. Il eut la bonne fortune de trouver im-
médiatement ce qu'il cherchait : l'imprésario
Mingotti, dont la troupe donnait les représenta-
tions d'opéra à Dresde, le prit avec lui. Son bio-
graphe bohémien Dlabacz spécifie qu'il fut nommé
musicien de la chapelle de la cour de Dresde « avec
un traitement important » (1). Toujours est-il
qu'un .double mariage princier ayant eu lien, le
même jour, à la cour de Saxe.il fut chargé de
composer l'opéra, complément nécessaire des
fêtes ..nuptiales, — car, notons-le, les opéras
nouveaux, dans l'Allemagne de ce temps-là.
n'avaient guère d'autre raison d'être que de faire
l'ornement des fêtes seigneuriales, et Gluck eut
maintes fois l'occasion d'asservir son génie à ces
sortes de nécessités. L'ouvrage qu'il produisit
cette fois avait pour titre : Le Xozze d'Ercole e
d'Ebe : il fut représenté au château de Pillnitz, le
29 juin 1747. Au nombre de ses interprètes, il
eut la bonne fortune de trouver une artiste d'un rare mérite,
Regina Mingotti, une des plus célèbres cantatrices italiennes
du XVIIIe siècle. Celle-ci, par une exception presque unique,
1 Gottfried Johann Dlabacz, KûnstlerLexileoa fur Bohmen, Prague, 1815, col. 470.
GLUCK JELNE
ne bornait pas son effort à faire entendre les sons de sa voix, si
beaux qu'ils fussent : elle avait le souci de composer un rôle,
de représenter une action (1), qualités rares en ce temps- là, et
dont Gluck ne put manquer d'être vivetnent frappé.
Quelques copies de la partition desNozze d'Ercole
e d'Ebe nous ont été conservées, notamment par
la bibliothèque de Dresde. Celle-ci possède aussi
l'exemplaire unique d'une autre œuvre de Gluck:
le manuscrit d'une septième sonate pour deux
violons et basse, distincte de la suite de six so-
nates gravées à Londres. Le style en est assez
notablement différent, et la coupe n'est pas la
même ; les trois morceaux se succèdent dans
l'ordre suivant : Allegro, Andanle, et Finale à trois
temps, plus développé qu'un menuet. Cette sonate
est encore plus surchargée d'ornements que les
précédentes. C'est bien de la musique de cour
allemande à la mode du XVIIIe siècle. Elle a des
atours qui font penser à ceux que portait
Mlle Cunégonde, fille du baron Thunder-Tentronckh
en 'Westphalie, les jours où elle était en habit
d'apparat. En vérité, Gluck n'était pas l'homme
prédestiné à donner la vie à cette forme d'art.
Un événement de famille vint modifier ses
projets. Son père mourut. Il était à ce moment
maitre-forestier à Reichstadt, cette petite ville de
Bohême qui devait être un jour érigée en duché
pour « l'Aiglon ». La part d'héritage de l'artiste consistait en un
débit de boissons dans levillage de Johnsdorf, près Georgenthal.
(1) Voy. Burnet, État présent de ta musique, 111, 137. « Ses talents comme actrice
lui valurent autant d'applaudissements que son chant. Elle rendit le rôle .
manière originale et forte avec laquelle Garrick surprit à son début. »
122
LE MENESTREL
Gluck s'en fut encore une fois en Bohême, pour y vendre son
débit ; et, comme la Bohême est à moitié chemin entre Dresde
et Vienne, il rentra dans cette dernière ville.
Là, toujours recherché pour ses talents, il fut chargé d'écrire
l'opéra nouveau destiné à célébrer l'anniversaire de naissance de
l'Impératrice Marie-Thérèse : Semiramide riconosciuta, poème de
Métastase (représenté au Théâtre -Impérial le 14 mai 1748). La
partition a été conservée, et l'on a de nos jours réédité six
airs, sans que nous puissions dire quelle raison a pu déterminer
cette faveur accordée à une œuvre d'intérêt secondaire, au
détriment d'autres morceaux qui eussent plus dignement repré-
senté la production de Gluck en cette partie de sa carrière.
Et comme il n'avait pas à Vienne une position stable, il fallut
bien qu'il partit encore. Mingotti le reprit comme Ka/pdhneisler de
sa troupe, laquelle, cette année-là, s'en alla faire la saison à
Copenhague. Ce fut pour célébrer la venue au monde d'un prince
danois que sa musique fut cette fois employée : il écrivit
la Contesa de'Numi (que la plupart des biographes intitulent
Totale, sans que l'on puisse savoir pourquoi), et cet opéra en
deux parties, qui ne se compose que de douze airs et deux en-
sembles, fut représenté au château de Charlottenbourg le
9 avril 1749, deux mois et demi après la naissance du prince
héritier, futur roi Christian VII, qu'il s'agissait de fêter en mu-
sique. — Entre temps, il renouvela dans un concert (19 avril) sa
prouesse de Londres, la jugeant sans doute excellente pour les
peuples du nord, en donnant une nouvelle audition de ses œu-
vres sur le Glas-harmonica.
De nouveau installé à Vienne, il se fiança, ou du moins tenta
de le faire : la fille d'un riche marchand, Maria-Anna Pergin,
attira ses hommages, et ne les découragea point. « Ce fut, a-t-il
avoué, l'époque la plus heureuse, et en même temps la plus
malheureuse de sa vie » (1); car le père ne voulut pas d'un
gendre dont la position était aussi peu assurée qu'était encore
celle de Gluck. Il s'éloigna. Il n'alla pas à Rome, et n'y
donna pas Telemacco (postérieur de quinze années), comme
le veulent les biographes ; mais (ce qu'ils ont ignoré) il retourna
en Bohême, et composa pour Prague un opéra plus impor-
tant que tout ce qu'il avait éparpillé aux quatre vents de
l'Europe depuis son départ d'Italie : Ez-io, représenté, dit le
libretto, au « Nuovo Teatro di Praga nell' Carnavale dell' auno
1750 ». Il n'était pas alors question de théâtre tchèque dans
la capitale bohémienne ;• c'est donc sur un texte italien (de Mé-
tastase) que Gluck, comme plus tard Mozart, fut obligé de
composer la musique destinée par lui à être offerte à ses
compatriotes comme hommage de sa maturité (2).
Il nous avait bien dit qu'il cherchait à adapter son art à la
diversité du goût des nations, et cette préoccupation, dange-
reuse pour de moins forts, fut cause que son génie s'accrut de
tout ce qu'il lui fut donné d'observer et de retenir chez les diffé-
rents peuples, pour s'élever plus tard à la compréhension de la
complète humanité. Dans la Bohême germanisée du XVIIIe siè-
cle, presque aux confins de la Saxe, non loin de Leipzig où,
dans le moment même, Sébastien Bach achevait sa carrière, il
fit de la musique allemande : non de la musique de Bach (mais
d'abord, qui donc a fait du Bach, si ce n'est Bach lui-même?),
mais une musique sensiblement différente de ce qu'il avait
produit en Italie et en Angleterre, d'un style plus serré et plus
fort. Dans la plupart des morceaux d'Ezio, la voix fait corps avec
la symphonie, sans avoir souvent plus d'indépendance que dans
les airs du grand cantor où elle concerte avec les instruments
obligés. Les harmonies chromatiques ne sont pas rares; les
basses ont plus de mouvement, moins de monotonie que dans
les airs accoutumés du répertoire italien. Peut-être aussi Par-
ti) Schmid, C. W. R. v. Gluck, p. 46.
(2) A partir d'à présent, nous pourrons étudier les opéras de Gluck dans des par-
titions complètes, bien que rares encore. C'est ainsi que pour Ezio, le catalogue de
M. Wotquenne mentionne trois partitions anciennes conservées dans les Bibliothè-
ques de Dresde, Berlin et Londres (British Muséum), ainsi que la copie du Conser-
vatoire de Bruxelles. Il convient d'y ajouter une autre copie (moderne), provenant.
d'Otto Jahn, et appartenanl ii la Bibliothèque du Conservatoire de Paris.
deur intérieure que nous avons signalée parfois dans les pre-
mières compositions s'est-elle affaiblie : le jeune maître, conti-
nuant son éducation pratique, a fini de jeter son premier feu, et
s'assagit. Mais si la fougue est retenue, il acquiert d'autres qua-
lités de forme, une autorité plus grande; et, pour ses dons
naturels et primesautiers, il saura bien les retrouver quand il
faudra.
Il y a dans cet opéra un morceau qui mérite d'être signalé
avec une attention particulière, d'abord pour sa valeur propre,
puis à cause des destinées qui lui furent réservées. C'est l'air :
« 5e povero il ruscello... — Si le pauvre petit ruisseau mur-
mure lentement et à voix douce, un rameau ou une pierre
arrête presque son cours. » Pour exprimer cette tranquillité,
Gluck a confié aux violons un dessin obstiné en sextolets de
doubles croches, tandis qu'un hautbois s'y superpose en un
chant contemplatif auquel la voix répondra bientôt. A lire cette
description, il semble que nous parlions de tel de ces beaux
airs de Bach où le hautbois dialogue éloquemment avec la voix
sur un rythme continu des instruments à cordes ou de la basse.
Or, cet air, ceux-là même le connaissent qui ne sont familiers
qu'avec les chefs-d'œuvre français de Gluck : c'est l'air d'entrée
d'Orphée dans les Champs-Elysées : « Quel nouveau ciel pare
ces lieux 1 ».Et c'est bien, dans les paroles, le même sentiment
de calme. Mais combien les modifications apportées en dernier
lieu ont affiné, épuré la notation première! Dans son premier
état, l'air est encore tout scolastique, avec des formules de
cadences en style rococo : c'est un air à reprise, avec un milieu
qui, pour produire l'antithèse obligée, oppose l'agitation des
éléments au calme précédemment décrit, après quoi les violons,
le hautbois et la voix, retournant au commencement, déroulent]
une seconde fois, et avec quel flegme, le tableau du ruisseau
qui murmure! Dans Orphée, toutes ces anomalies ont disparu : '
retouchant sa première ébauche, supprimant les parties qui
datent, et, avec un bonheur incroyable, les remplaçant par des
inflexions si heureuses qu'on ne. pourrait pas croire, si la preuve
n'était là, qu'elles ne sont pas le produit du premier jet, ren-
dant enfin le chant plus libre et moins subordonné, Gluck arrive
à tracer un tableau musical dont nous n'avons pas à dire ici
quelle est la poétique impression : tout le monde l'a éprouvée.
Mais si, dans.É'sio cette impression est encore imparfaite, il n'en
est pas moins vrai que tous les éléments du chef-d'œuvre défi-
nitif y sont déjà contenus.
Un autre air du même opéra a joui d'une faveur d'un autre
genre. Au dernier acte de l'Akeste française est un épisode ajouté
après coup pour compléter le dénouement, jugé insuffisant par
le public de la première représentation. On a dit que la musique
de ce remaniement n'avait pas été écrite par Gluck, obligé de
s'éloigner de Paris, et, en son absence, suppléé par Gossec ;
aussi a-t-on attribué à ce dernier la composition de l'air que
chante Hercule devant le palais d'Admète : « C'est en vain
que l'enfer compte sur sa victime. » C'est une erreur : l'air
provient d'Ezio. Pourtant il n'est pas dit que Gossec n'a pas
contribué à lui donner sa forme dernière, car l'air d'Alceste est
sensiblement différent de celui d'Ezio, et la retouche fut loin de
constituer une amélioration, ce qui n'est pas habituel quand
Gluck reprenait lui-même une de ses anciennes compositions.
L'air d'Hercule, aux allures de marche quelque peu poncive,
était à l'origine un cantabik d'un style soutenu, chantant les
adieux émus d'un héros captif (le primo uomo) à celle qu'il aime.
Cet air : « Ecco aile mie catene », qui fait pendant au Misero par-
goletto de Demofoonte, mérite d'être retenu par sa belle forme
de chant classique et son expression pathétique : la dernière
partie, notamment, est fort belle, quand, sur un vibrato des vio-
lons, la voix chante avec un accent de désespoir : « Caro mio
bene, addio ! » C'est déjà du vrai Gluck (1).
Comme nous l'avons déjà constaté en analysant un précédent
(1) Cet air est de ceux que Gluck avait principalement retenus de sa production
initiale. Il en avait fait lui-même une copie pour l'offrira Klopstock. Berlin possède
cet autographe.
LE MÉNESTREL
123
opéra italien, les airs sont placés dans un ordre destiné à les
faire ressortir les uns par les autres. Mais les formes ne sont
pas plus variées qu'autrefois. Pourtant, cette partition compte
déjà quatre airs sans reprise. C'est déjà un progrès ! Le second
acte s'achève par un trio, le troisième par un ensemble (cette
dernière partie insignifiante dans tous les opéras de ce temps).
Tout au débul, l'orchestre fait entendre une marche très courte,
surchargée de notes, dans un style un peu tzigane. Dix-sept airs
avec reprise obligée, ritournelle et milieu, complètent l'œuvre,
dont l'ensemble est d'ailleurs très honorable.
(A suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THEATRALE
Eomédie-Française. Simone, pièce en 3 actes, de M. Brieux. — Pobte-Saiht-
Maiitin. Le Chevalier d'Éon , opéra-comique en i actes. d'Armand Silvcstre
et M. Henri Cain, musique de M. Rodolphe Berger.
Un matin, dans leur demeure provinciale, on a trouvé inanimés les
corps de M. et M""' de Sergeac, l'un et l'autre percés d'une balle de
revolver. M",e de Sergeac élait morte sur le coup; M. de Sergeac a
survécu à sa blessure. Qui a tué ? Pourquoi a-t-on tué ? Problèmes que
seul le survivant pourrait résoudre; mais M. de Sergeac, par un phé-
nomène dont la science peut citer plusieurs exemples, a totalement
perdu la mémoire depuis le moment où le drame s'est produit. On va
cependant tenter un dernier effort et essayer de réveiller les souvenirs
de celui qui croit sa femme partie. M. de Lorsy, le malheureux père de
la victime, M. de Sergeac père, un avocat venu de Paris et le médecin
qui a soigné le blessé forment un espèce de tribunal familial ; le méde-
cin se réserve le droit de conduire seul et à sa guise l'interrogatoire,
l'état du convalescent exigeant encore de grandes précautions. Et peu â
peu les ténèbres qui encombrent l'esprit de Sergeac se dissipent: il
revit et revoit les moments qui précédèrent immédiatement la scène
sanglante ; mais il ne pourrait reconstituer le drame lui-môme si M. de
Lorsy, incapable de se maîtriser plus longtemps, ne lui sautait à la
gorge en l'accusant d'être le meurtrier! ..Oui, oui! C'est vrai, c'est
bien lui qui a assassiné ! Use rappelle maintenant... Et s'il a tiré sur
sa femme qu'il adorait, c'est qu'en rentrant à l'improviste chez lui, il
l'a trouvée dans les bras de son meilleur ami...
Quinze ans se passent. On a fait le silence sur la tragique fin de
Mmc de Sergeac, ou a quitté la petite ville de province aux souvenirs
trop cruels et Sergeac a élevé sa fille unique, Simone, dans l'amour et
le respect d'une mère qu'elle a à peine connue. Les douleurs et les
remords s'endorment jusqu'au jour où Simone aime et veut se marier.
On a raconté au futur beau-père une histoire de chute de cheval: mais
on l'a racontée si mal, car on n'a pas l'habitude du mensonge, que le
bonhomme intrigué enquête à droite et à gauche et finit par apprendre
la vérité. 11 s'oppose nettement au mariage de son fils. Quelle sera
l'attitude de Sergeac vis-à-vis de Simone ? Et quelle sera celle de
Simone vis-à-vis de son père ?
Simone exige d'abord que son père lui explique un refus que ne lais-
sait pas prévoir toute la sollicitude dont elle a été entourée. Sergeac se
refuse à ternir la mémoire adorée d'une mère. Alors Simone, elle aussi,
finit par arracher d'uue vieille servante l'épouvantable secret de famille.
Peut-elle juger la conduite de son père et a-t-elle le droit de le con-
damner ! M. Brieux avait pensé oui. Mais le public de la répétition
générale n'a point voulu le suivre; et, comme c'était son droit, il a fait
jouer sa pièce devant le public de première avec un nouveau dénoue-
ment. C'est M. de Lorsy, — il a le droit de parler puisque sa fille fut
la victime — . qui affirme à Simone qu'elle peut et doit garder toute son
affection a. son père.
Après un premier acte de netteté absolue, de moyens brutalement
terre à terre mais impressionnants et de sobriété fort angoisante, la
pièce de M. Brieux semble s'embarrasser d'un problème de résolution
lente et difficultueuse ; la précision des caractères s'estompe, l'intérêt
s'éparpille en des scènes inutiles et la curiosité, si énergiquement et
adroitement éveillée au début, s'émousse.
Simone est jouée supérieurement en son début, alors que M. Grand
d'abord, puis MM. Leitner, Numa, Ravet et M11'' Kolb trouvent, pour
se mouvoir, un terrain supérieurement préparé. Il y eut, par la suite,
quelque chose d'hésitant, puis d'outré dans le jeu des interprètes ;
Mme Piérat et M. Grand, la première la moins bien partagée, tout en
demeurant les parfaits et impressionnables artistes que l'on sait et que
l'on aime, abusèrent de sanglots et de cris impuissants à suppléer
l'émotion trop factice de l'auteur, visiblement gêné par un sujet dan-
gereux.
Il n'y a pas de problème ardu, il n'y a pas de larmes à la Porte-Saint-
Martin, théâtre de drame pourtant, que la baguette d'un magicien,
M. Brouette, vient de temporairement transformer en théâtre de musi-
que aimable, et de quelle fai-on ! Mais procédons par ordre.
Vous savez l'histoire véridique du Chevalier d'Eon. Armand Silvestre
et M. Henri Cain s'en servirent pour trousser un élégant opéra-comique
que M. Rodolphe Berger, musicien d'infinies ressources et d'inventions
multiples, para à profusion de joliesse, de sentiment ou de gaiti
Donc Eon, pour suivre à la cour de Versailles, une danseuse d'Opéra,
Rosita, dont il est épris, se déguise en femme et le travestissement lui
va si bien que tout le monde s'y trompe, même MnK Dubarry. Cette fan-
taisie vaudrait même quelque prison à l'aventureux amoureux, si, pré-
cisément, on ne cherchait, dans l'entourage du roi. une femme assez
adroite pour arriver jusqu'à l'impératrice de Russie qui, trompée tui-
les vrais sentiments de Louis XV, vient d'interdire à tout français
l'entrée de son empire. Eon gardera donc sa robe à paniers et, malgré
les larmes de Rosita, partira pour Pétersbourg afin de regagner la con-
fiance de la tzarine Elisabeth.
L'ambassade réussie, Eon revient à Paris embrasser sa Rosita jamais
oubliée, et apporter un bon et beau traité d'alliance avec la Russie.
Voici le thème. Mélangez-y un Lieutenant de Police coureur et tenant
à sa place un diplomate étranger très méchant qui essaie d'empêcher
Eon de réussir, des amies de Rosita, comme elle danseuses à l'Opéra,
et comme elle joliment gazouillantes, des amis d'Eon bons et joyeux
lurons, et vous aurez la formule avec laquelle Armand Silvestre et
M. Henri Cain ont bâti ces quatre actes que, fait assez rare par le
temps qui court, tout le monde pourra aller applaudir.
Nous avons dit déjà combien M. Rodolphe Berger, dont c'était le
début dans un théâtre classé, avait été heureusement inspiré par le
sujet. Ce qui domine le plus dans son importante partition c'est le
charme et un perpétuel souci d'écriture distinguée et soignée dans ses
moindres détails. Mais il n'y a pas là que du charme, il s'y trouve
aussi de la fantaisie et de l'amusement fort spirituel, et le premier
acte, à lui seul, montre bien toutes les ressources dont il dispose : que
ce soit le chœur comique des policiers, la délicieuse entrée de Rosita
et des danseuses, avec, un peu après, la poétique scène de déclaration,
l'ensemble très carré et d'allure martiale du duel, le fin duetto d'Éon
et de Rosita : « Il faut en amour au but courir vite », ou l'entraînant
final-valse bissé par toute la salle et déjà populaire, tout est merveil-
leusement en place et dénote chez le compositeur une étonnante facilité
et un entendement très juste des coupes convenables au théâtre. Et si
l'on pousse plus avaut dans l'œuvrette, il faut signaler la rêverie de la
Dubarry, avec son accompagnement au lointain, les couplets du Lieu-
tenant de police qu'on redemande à M. Huguenet, les endiablés cou-
plets d'Éon : « Je l'ai rossé, blessé, cassé », l'entracte-lamento avec son
solo de violon, la romance de Flore soupirée aux oiseaux de Rosita, la
« lettre de Rosita » et la « romance de la Fleur », le point culminant
de la soirée, la « Valse de la Parisienne », le petit chœur des rats de
l'Opéra, l'éblouissant ballet, sans compter les sonores finales du second
et troisième acte. En voilà, n'est-il pas vrai ? beaucoup plus qu'il n'en
faut pour assurer le succès.
Et si le succès n'était point venu de l'œuvre elle-même, M. Brouette
l'eût très certainement forcé tant il se montra superbement prodigue
non seulement pour la distribution, mais encore pour la mise en
scène. Réunir sur une même affiche les noms de M. Huguenet, qui,
comme on l'a dit fort à propos, enterre ici sa vie de garçon avant son
entrée à la Comédie-Française, de M. Gaston Dubosc, l'un et l'autre
pleins de verve et de finesse, de M"e Thévenet, qui apporte sa science
de chanteuse et s-jn allure royale, de M"1' Anne Dancrey, qui. transfuge
du café concert, fait son entrée sur une vraie scène avec tant de bel
entrain et une voix si sympathiquement solide, de M"es Rachel Launay
et Fairy, ' oiseaux gazouilleurs empruntés à l'Opéra-Comique, de
M"e Germaine Huber. une toute jeune débutante quia conquis le public
par son charme et sa voix très fraîche, de M. Ferval, un baryton de la
belle école, n'était déjà point à la portée de n'importe qui ; mais encadrer
cette distribution vraiment unique de décors et de costumes comme on
n'en a jamais vus, tant le luxe s'y marie étroitement au bon goût et à
l'exactitude, la corser d'un défilé éblouissant, et d'un ballet aux tona-
lités précieuses où l'on bisse M110 Yette Rianza, où l'on fête le capti-
vant sourire de M"0 Suzy Deguez et où on acclame des petites filles tout
à fait surprenantes, cela c'est le fait d'un Mécène, et ce qui est encore
beaucoup plus rare, d'un Mécène doublé d'un homme du goût le plus
averti et le plus parfait. Paul-Emile Chevalier.
d2i
LE MENESTREL
TnÉATRE-SAïun-BERNHARbT. — La Courtimne de Corinthe, drame en cinq actes et
un prologue, en vers, de MM. Michel Carré et Paul Bilhaud, musique de scène
de M. Ch. Levadé.
Cléonice., courtisane de Corinthe, reçoit chez eile des amis, et parmi
eux le gracieux èphèbe Dinias qui la supplie. Elle l'attire d'un mouve-
ment maternel, laisse reposer sa tète sur-ses genoux, lui fait raconter
son histoire. Puis, tout à coup tremblante, elle s'écarte, rajuste ses
voiles sur sa poitrine, s'enroule dans ses vêtements, et, se dressant
soudain, montre le plus grand égarement. En Dinias qui l'adore et que
son cœur allait aimer, elle a reconnu son propre fils. Le jeune homme
est né en effet des suites d'une violence atroce qu'elle a subie de la
part de Pausanias, vainqueur de Platées. Pour se venger de cet outrage
sur les Grecs, elle, d'origine phénicienne, elle affole d'amour les
hommes de Corinthe, ruine les familles et désole les foyers. Sa haine
vise surtout le jeune Pausanias, fils du stratège de Sparte, qui la pour-
suit avec une farouche ardeur. Elle se promet à lui, le rend voleur et traî-
tre à son pays, se refuse ensuite et l'avilit en le dénonçant à l'archonte.
Il est jeté en prison. Dinias, chassé par sa mère qui ne peut ni tolérer
ses transports passionnés, ni lui dire la vérité parce qu'un oracle a prédit
sa mort pour le jour où il l'apprendrait, est tombé dans un délire
voisin de la folie. Il cherche son rival que les juges ont acquitté eu
haine de Cléonice ; il le rencontre déjà, ils en viennent aux mains.
Entre eux la courtisane se précipite et dit tout bas à Pausanias :
o arrête, il est mon fils ! » Mais Pausanias ne croit pas à cet aveu et n'y
voit qu'une ruse de femme désireuse de le tromper ; il crie à la foule
ce qu'il vient d'entendre, et alors Cléonice, craignant que son fils
n'apprenne qu'elle est sa mère et ne meure, selon le mot de l'oracle,
poignarde Pausanias et est lapidée par le peuple. Sa mort est douce
pourtant, car Dinias est daus ses bras et gardera, le reste do sa vie, le
sentiment de la suprême étreinte de sa mère, suave pour son àme
comme une caresse d'amour.
Avec Mme Sarah Bernhardt, il faut toujours se souvenir du passé, du
passé très lointain surtout, de l'aurore d'une carrière dont les heures
du jour et le crépuscule n'out point dépassé l'éclat. Son intuition du
grand art se reconnaît toujours, malgré les artifices qu'elle emploie à
présent. Apprécier sa manière dans une nouvelle interprétation est
aujourd'hui sans objet ; elle fut, en ses heureux moments, une des
gloires de la scène française, nous voulons en garder le souvenir.
M. de Max a fait de Pausanias une figure romaine et non grecque ;
elle en est d'autant plus frappante au théâtre et étonnamment caracté-
ristique. M. Maxudian a prêté une dignité noble et simple au philo-
sophe Démophon, dont M. Le Roy, êphèbe amoureux très sympathique,
s'est posé en disciple modeste et charmant. MM. Ch. Krauss, Maury.
Chameroy, Mmes Renée Parny et Léo Misley restent un peu dans la
pénombre. Cette dernière pourtant représente avec un véritable charme
la fiancée de Dinias et dit très bien les vers.
La mise en scène de la Courlimne de Corinthe est fraîche et bien en
perspective. La musique de M. Levadé se perd dans le cadre ; elle
aurait mérité d'être moins reléguée.
En résumé, cette pièce met enjeu de beaux sentiments et de belles
situations ; elle est adroitement conduite, mais l'action parait lente au
cours des cinq actes précèdes d'un prologue. Rien dans la versification
ne fait étinceler les pensées et c'est vraiment dommage.
AmÉDÉE BoUTAIIEL.
LA MUSIQUE ET LE THEATRE
ElixaE. Setlons du Grand-Palai!
(P?,emier article.)
A qui reviendra la propriété définitive du Grand-Palais? Il a été bâti
pour le compte de l'État, avec les deniers des contribuables, mais sur
un terrain appartenant à la Ville (Charles X, en un jour de munificence,
lit l'abandon à la municipalité parisienne pour un prix dérisoire de
l'immense lagune, d'ailleurs marécageuse, qui bordait le Cours-la-
Reine). Le bail prendra bientôt fin et, si nos édiles se refusaient à le
renouveler, ils deviendraient légalement propriétaires du monument
édifié par l'architecte Thomas. Ce quadrilatère n'est pas très beau (la
partie la plus intéressante, celle qui regarde la Seine, est un pastiche
de la façade des appartements impériaux sur la cour de Diane, à Fon-
tainebleau) ; sa façade rappelle la classique devanture du Kursaal ; le
dos d'une de sa toiture serait plutôt un dos de mammouth ; .sa nef est
baignée d'un jour si cru que les plus épaisses superpositions de vélums
ne parviennent pas à l'adoucir ; le plan intérieur manque de clarté...
et aussi l'immense rotonde de l'avenue d'Antin. Tel quel cependant il
a un grand mérite pour les artistes qui regrettent et regretteront jusqu'à
la quatrième génération le Palais de l'Industrie aux dispositions si
pratiques : il existe et c'est le seul cadre d'art favorable aux grandes
exhibitions esthétiques. Aussi n'envisagent-ils pas sans quelque
inquiétude la prochaine échéance. L'Etat est un propriétaire fastueux
qui se contente d'une redevance en quelque sorte fictive. La Ville
serait-elle aussi accommodante et surtout ne compliquerait-elle pas sa
générosité d'exigences particulières difficiles à satisfaire?
En attendant que l'affaire soit réglée, en ne changera rien à la tradi-
tion — ou à la routine ; les deux associations jadis rivales, mainte-
nant à peu près fraternelles, de la Nationale des Beaux-Arts et des
Artistes français se partageront le Grand-Palais sous l'œil neutrale-
ment bienveillant, si j'ose dire, de M. Dujardin-Beaumelz. Comme
d'ordinaire, la Nationale ouvre la marche avec une exposition assez
sélectionnée, car les tableaux ne sont pas au nombre de plus de
douze cents, chiffre modeste parce temps d'exhibitions foisonnantes. La
rubrique qui nous intéresse s'y trouve du reste plus abondamment
représentée que d'habitude. Je commencerai donc sans autre préambule
notre promenade annuelle eu faisant pour cette première excursion un
prélèvement sur chaque série avant d'adopter le classement rigoureux.
La peinture symbolique et en même temps symphonique, car elle
évoque tout un monde d'idées dans une ambiance aussi musicale que
picturale, où, suivant l'admirable définition de Baudelaire, les couleurs
et les sons se répondent, a pour principal représentant le président de
la S. B.A., M. Roll. La vaste toile, d'une exécution à la fois vigoureuse
et souple, qu'il intitule : Vers la Nature, pour l'Humanité, est ifne marche
à l'idéal, un cadre de rêve dans lequel chaque fervent du progrès peut
faire entrer ses aspirations personnelles. Sous un ciel d'automne, d'un
gris bleuté, qu'illumine au-dessus de l'horizon la blancheur d'une
forme féminine, l'Isis éternelle, des groupes, aux regards extasiés ou
suppliants, aux mains tendues, ascensionnent vers la nature, vers la
vérité; éloquent commentaire delà strophe célèbre d'Alfred de Musset:
Et pourtant elle est éternelle
Et ceux qui se sont passés d'elle
Ici-bas ont tout ignoré....
La caravane passe ; l'idéal se rapproche. Il reste des victimes sur le
sable du désert. M. Roll les a symbolisées à droite de son tableau dans
le groupe formé par une veuve et le mort étendu sans linceul dont elle
fait la veillée funéraire toute à son deuil, à l'écart de la foule
indifférente. Parmi les groupes de nombreux portraits : le physiologiste
Dastre, le professeur Metchnikoff, Daniel Berthelot, le chirurgien Hart-
mann. Ou voit quelle ampleur et quelle portée lyrique M. Roll a données
à sa composition. C'est bien une symphonie, comme je le disais tout à
l'heure ; toute la tonalité des gris dégradés avec une merveilleuse finesse
y chante lyriquement.
M. Auburtin, le panoramiste dont l'Aube des cygnes remplit le
panneau central d'une autre salle, est également préoccupé des
combinaisons harmonieuses qui assimilent ou tout au moins appa-
rentent le peintre et le musicien ; il a orchestré sa toile en artiste
familier avec toutes les ressources de l'instrumentation colorée. Mais
il n'a aucune visée philosophique ; sa conception demeure plastique.
Il a voulu nous montrer, dans la buée que les premiers rayons du
soleil font flotter sur un lac ombragé par des frondaisons pâles aux
découpures menues, la similitude de lignes qui offrent la souple nudité
des naïades se dressant sur les ilôts de rochers et la grâce élégante des
cygnes fendant le flot de leur poitrail évasé comme une proue de galère.
L'effet est délicat et charmant du mélange des femmes-cygnes et des
cygnes féminisés. Les reflets de l'aube, tamisés par l'atmosphère
humide, estompent du même velouté la candeur laiteuse des duvets et
la nacre des épidermes. L'ensemble se compose avec une souple
élégance.
Le panneau décoratif de M. Victor Koos : la Forêt chante est compris
dans un parti pris tout différent, celui du carton de tapisserie : très
peu, trop peu d'air circule à travers ces épaisses frondaisons au milieu
desquelles trône un Pan, joueur de flûte. Une nymphe aux appas épa-
nouis vocalisa sur cet accompagnement primitif. Les échos répondent.
Dans un coin du tableau une mère, vraiment gigogne, allaite d'innom-
brables enfants. Et nous devons en conclure que le continuel renouveau
du genre humain est une des principales modalités de l'harmonie uni-
verselle. Cette conception ne manque pas de poésie. M. Koos aurait pu
la traduire avec plus de légèreté; en revanche le tableau se recommande
LE MENESTREL
125
par une réelle somptuosité ; les Gobelins ou Beauvais sauraient la
traduire avantageusement grâce aux matières substantielles et riches
dont ils disposent. Les artistes tels que M. Koos n'ouvrent aucune
perspective sur l'idéal aux horizons infinis, mais ils sont d'excellents
collaborateurs des metteurs en scène esthétiques et des grands
tapissiers.
La fantaisie comique a beaucoup de représentants à la Nationale.
C'est M. Jean Veber qui occupe le plus de place et qui aura le plus
fervent public avec la Guinguette. Ce panneau décoratif, « destiné à
l'Hôtel de Ville » dit le livret, ou plutôt commandé par la municipalité
parisienne, n'a rien d'académique et même échappe complètement à la
solennité bourgeoise, troisième République, protocole démocratique,
pompes Élyséeunes, à la mode depuis quelques années pour la décora-
tion monumentale. Si les dimensions du panneau à remplir ont forcé
M. Jean Veber a faire de la peinture au kilomètre, du moins a-t-il
voulu que ce vaste espace devint une frise aux aspects multiples. Sa
kermesse se décomposerait aisément en feuillets d'album.
Décor : uu restaurant de Robinson ; grands arbres, munis de plates-
formes pour les clients qui ne récalcitrent pas aux suppléments. Les
frondaisons rousses où tirebouchonnent les escaliers en vis bornent la
scène de chaque côté. L'auberge étale une face camarde mais bien
vivante, gros nez, lourdes paupières comme les maisons animées
qu'évoque M. Jean Veber dans la plupart de ses paysages fantastiques.
Comme toile de fond, la vue de Paris et l'inévitable tour Eiffel dressant
son mat sans agrès au-dessus des toits moutonnants. Une tonalité
ambrée que souligne la crayeuse aridité du sol enveloppe ce panorama
de fin d'été. Et tout le long de la cour d'hôtellerie, longue comme une
plage du Calvados à marée basse, foisonnent des groupes de fantoches
d'une cocasserie originale : automobilistes énormes et trapus sous leurs
peaux de bique comme des ours du pôle qui auraient changé de four-
rure ; cyclistes appareillés, l'homme suant et soufflant, la femme
outrageusement bombée dans sa culotte de zouave ; mariés du samedi
campés devant le photographe; soldats en permission faisant vis-à-vis
à des trottins en vadrouille dans un quadrille aussi lourd qu'une
bourrée, au rythme marqué par un orchestre de rencontre où les
cuivres sont plus cabossés que de vieux chaudrons ; joueurs de boules
en bras de chemise qui se rapprochent pour discuter un coup douteux ;
couples folâtres perpétuant la tradition des personnages de Paul de
Kock ; déjeuneurs qui cuvent le vin poisseux et digèrent péniblement
les nourritures épaisses ; garçons affairés ; enfants geignards — enfin,
au coin du tableau, le peintre qui trace pour la postérité ce croquis des
humbles joies des gens de petite vie.
L'inspiration de M. Willette — il figure aussi parmi les fournisseurs
de l'Hôtel 'de Ville et laissera plus d'une page notablement calligraphiée
sur les murs de l'ancien parloir aux bourgeois — s'est mise en demi-
deuil dans la Vision funéraire de Pierrot... Ce ne sont pas tout à fait les
pompes funèbres, bien que Pierrot, étendu sur sou matelas dont un
dossier de chaise remplace le traversin, paraisse mort et bon à enterrer ;
le peintre ordinaire de l'amant deColombine et de toute sa dynastie n'a
pas voulu sonner un glas romantique pour le pantin désarticulé de la
commedia dell'arle. Il a remplacé la grosse cloche par un carillon pres-
que joyeux et aussi (car la grâce Hellène hante et affole ce Montmar-
trois irréductible) par la flûte à neuf trous, la syrinx sur laquelle un
petit faune chèvre-pieds promène ses doigts agiles et ses lèvres mo-
queuses. Quant aux dernières prières, elles sont dites sur un rythme
presque joyeux par de belles personnes à peu près uniquement vêtues
d'immenses chapeaux à plumes, de bas noirs et de ceintures dorées.
Une petite danseuse est également venue apporter comme suprême
hommage la guirlande de ses bras nus et la ligne souple de ses attitudes.
A titre d'intermède reposant après ces toiles où les personnages
grouillent jusqu'à déborder sur le cadre, voici un tableau de M. René
Mènard, Poestum, qui serait une admirable maquette de décor pour un
drame antique, avec son temple aux architectures d'un jaune de rouille,
ses arbres aux ramures compactes, ses rochers de relief si âpre qu'ils
semblent taillés au ciseau par quelque statuaire surhumain et ses
nuages aux flancs chargés de givre qui roulent leurs épaisses volutes
sur la ligne de l'horizon. Mais au cours d'une première visite à ces
salles encombrées on n'échappe pas à la sollicitation des tableaux
animés ; ils vous happent pour ainsi dire au passage ; certains d'ailleurs
sont de petites galeries parisiennes où fourmillent les figures connues :
par exemple, ce hall de grand cercle de M. Jean Béraud qui fait songer
au Club de Félix Cohen, un des durables succès de l'ancien Vaudeville.
On retrouve la précision un peu sèche mais aussi le sentiment très vif
de la distinction mondaine, qui caractérise toutes les évocations moder-
nistes du plus répandu de nos peintres de genre, dans ce groupement
et ce grouillement autour du lapis vert des joueurs passionnés ou
distraits parmi lesquels les valets de pied promènent leur solennité
morne avec la coupe impeccable de leurs livrées. Et j'en veux rappro-
cher de suite le seul portrait qu'ait envoyé M. Guirand de Scœvola,
celui d'un grand clubman dont le nom a figuré sur plus d'une affiche
de revue d'amateurs : le marquis de Massa, étude très poussée, d'an
relief caractéristique avec de jolis détails d'exécution.
Entre les portraits de théâtre qui sont assez nombreux, choisissons
aujourd'hui une discrète, très discrète effigie (car elle ne figure au cata-
logue qu'avec des initiales) de M"10 Berthe Cerny, par M. Bracquemond.
L'éminenle pensionnaire et imminente sociétaire de la Comédie-
Française est représentée dans un décor neutre, en simple toilette
d'intérieur, jaune pale et blanc délicat ; une rose à la main : sur les
lèvres le sourire prometteur qui voltigeait déjà, en des Odéonies révo-
lues, sur la bouche en fleur du petit mitron de Numa Iiou.me.slan. La
physionomie spirituelle, mobile et toujours un peu étonnée, s'affirme
en élégance mondaine et en grâce charmeresse dans cette ambiance
bourgeoise aux reflets apaisés.
Le Roi de théâtre de M. Roger Jourdain nous transporte au contraire
en plein réalisme artificiel du tripot comique. L'acteur qui va représen-
ter au naturel un porte-couronne, gros homme bedonnant, aux traits
gonflés, au crâne chauve, est installé dans sa loge, devant la table de
toilette où traînent les fards et les cosmétiques, et, consciencieusement, il
procède à son maquillage. Une petite femme, assise à sa droite sur un
siège inconforlable, lui débite les potins de la maison. Il dessine l'arc
des sourcils et le prolonge d'un coup de crayon jusqu'aux joues luisan-
tes d'onguents. Debout derrière sa chaise, l'habilleur tient la perruque.
Sur les meubles trainent le manteau de pourpre, et tous les accessoires
du déguisement historique tandis qu'aux patères de la muraille s'accro-
che le feutre cabossé et pend le mac-farlane aux plis fatigués.
Les modèles de M"0 Madeleine Lemaire n'appartiennent pas au sexe
des tragédiens videurs de bocks mais figurent au premier plan dans les
pièces à spectacle, sous le ruissellement de lumière électrique, parmi
les défilés et les ballabiles. Ce sont deux Fées professionnelles, deux fées
de féerie, Chàtelet ou music-hall. Le peintre les a vêtues d'étoffes
pailletées, de soies chatoyantes dont chaque cassure a des luisants de
métal, et la richesse de es oripeaux s'harmonise avec la somptuosité
du fond qui semble tendu des mêmes satins à reflets.
Aussi épris de belles étoffes, mais les chiffonnant d'une main plus
souple et les traduisant avec une palette moins lumineuse, car le pas-
telliste transparait toujours sous le peintre, M. Pierre Carrier-Be leuse
évoque un jeu de scène de comédie italienne sous ce titre : le Maraudeur.
Dans uu décor de parc dix-huitième siècle, une très jeune Colombine
aux yeux de pervenche, à l'attitude sensuellement iûgénue de petit
Greuze, est assise sur un banc, face au spectateur. Un éphèbe, en cos-
tume Watteau, s'est glissé derrière elle et, lentement, glane un baiser
sur l'épaule nue. Maraude et marivaudage. Il ne manque à l'épisode si
galamment conté que des rimes de Rostand et des pizzicati.
Pour finir plus solidement, empruntons à la peinture d'histoire dra-
matisée les deux toiles de M. Abbey et celle de M. de La Perche Boyer.
Celui-ci expose avec un Tolstoï d'énergique relief une lady Macbeth qui
se recommande par l'intensité expressive. M. Edwin-Austin Abbey a
envoyé deux panneaux en longueur, peu aérés, très garnis. Le premier
représente le duc de Glocester et lady Anne aux funérailles d'Henri \'I : les
personnages principaux, l'ambitieux et féroce avorton qui a charge offi-
cielle de tenir l'épée nue du roi défunt, lady Anne, blême sous ses
coiffes empesées et traînant derrière elle le lourd manteau de deuil, se
détachent sur une frise très décorative, de surabondante figuration : le
défilé des femmes qui. conformément au rite des funérailles, portentsur
l'épaule la hallebarde renversée.
L'autre composition, les Filles du, roi Lear, offre le même parti pris
de rouges profonds et de noirs agatisés, mais le grouillement de figu-
rants ne se retrouve qu'à la droite du tableau où le monarque imbécile
s'éloigne suivi de ses chevaliers. Les trois quarts de la toile sont rem-
plis par Cordelia dont le roi de France baise respectueusement la main
et par ses sœurs. Celles-ci. hautaines sous leurs harnais de roi des bro-
cards, toisent dédaigneusement l'enfant assez sotte pour n'avoir pas
voulu sauver sa part d'héritage au prix de basses flagorneries. Les gestes
sont dramatiques et les étoffes habilement traitées, si la lumière est
factice et l'atmosphère raréfiée... Aussi bien je n'accepte pas sans
réserves la formule, d'ailleurs très personnelle, de M. Abbey, mais je
ne saurais trop le féliciter de l'appliquer avec conviction à illustrer
Shakespeare. 11 donne là un exemple que devraient bien suivre nos
peintres de genre ou d'histoire qui recourent à de continuels et insipi-
des emprunts au Larousse, laissant en friche l'incomparable répertoire
de sujets qu'est la collection de nos grands écrivains de théâtre.
(A suivre.) Camille Le Senne.
426
LE MENESTREL
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(POUB LES SEULS ABONNÉS A LA MUSIOUE)
Puisons encore dans l'inépuisable partition du Chevalier cTÉon, puisqu'aussi bien
ces représentations sont l'événement théâtral de la saison printanière à Paris, et
qu'on ne parle partout que de la musique de Rodolphe Berger et de la prodigalité
de goût exquis du directeur Brouette. A la jolie Gavotte que nous avons donnée la
semaine dernière, ajoutons pour nos abonnés celte exquise Lettre de Rosita que la
mignonne danseuse adresse à son cher chevalier pendant qu'il remplit sa périlleuse
ambassade auprès de la Cour de -Russie. C'est une des pages les plus chaudement
applaudies; il est juste d'ajouter qu'elle est soupirée de façon charmante par
M"' Germaine Huber, une débutante dont les jolies notes cristallines ont ravi le
public.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (14 avril). — La « première » de la
Marie-Magdeleine de M. Massenet aura lieu demain, Jeudi-Saint, à la Monnaie.
Tout fait prévoir un gros succès. C'est Mme Pacary et M. "Verdier, les inter-
prètes de l'œuvre à Nice, quand elle parut tout d'abord sur la scène, qui
chanteront, ici aussi, les rôles de Meryem et de Jésus. La mise en scène a
été, de la part de M. Kufferath, l'objet des soins les plus intéressants ; elle
sera scrupuleusement conforme aux récits des Evangélistes et aux mœurs de
l'époque. Samedi, reprise de Pelléas et Mélisatide, avec MUc Mary Garden, qui
vient d'arriver à Bruxelles et y restera jusqu'au dernier jour de la saison,
c'est-à-dire jusqu'au 4 mai. Outre Pelleas, la charmante artiste chantera Manon
et la Traviata. Vous savez qu'elle devait chanter aussi — et même danser ! —
Salomé ; mais, rentrée un peu tardivement d'Amérique, elle n'a pas eu le
temps de mettre le rôle au point et de le répéter ; il a donc fallu remettre
l'épreuve au mois d'octobre prochain. Je ne sais si M"e Garden la tentera,
comme on Fa annoncé, à l'Opéra ; mais il est certain qu'elle la tentera à la
Monnaie, sa gloire ne dut-elle pas y gagner grand'chose. Eu attendant, c'est
Mme Charles-Mazarin qui reprendra, ces jours prochain, l'œuvre de M. Richard
Strauss, dont elle fut, l'an dernier, la créatrice à la Monnaie, en français.
M""' Mazarin chantera également la Tosca et Carmen, et reprendra raDg dans
la troupe l'an prochain.
Nous avons eu lundi, à l'Alhambra, une admirable exécution de la Passion
selon saint Mathieu, de J.-S. Bach, par la Société Maalschappij tôt brondering
der Toonkiinsl, d'Amsterdam, accompagnée de l'orchestre du ■■ Concertgebouw»,
et sous la direction du célèbre chef d'orchestre, M. Mengelherg. L'œuvre nous
était depuis longtemps familière, grâce au Conservatoire de Bruxelle?, où
M. Gevaert l'a fait entendre souvent en ces dernières années. Mais, quelle
que fut la perfection de ces interprétations, celle des Hollandais les a
dépassées au point de vue de la beauté de la sonorité, de la délicatesse des
nuances, de la pureté et de l'onction du sentiment. L'orchestre, les chœurs,
les solistes (M"ies Nordeurer et De Haan, MM. Urlus et Meeschaerts, des
autistes absolument supérieurs) composent un ensemble réellement incom-
parable, où tout se fond, s'harmonise, dans une expression profondément et
religieusement impressionnante. Vous entendrez d'ailleurs ces merveilleux
interprètes au Trocadéro. L'effet qu'ils ont produit, dans la salle de l'Alham-
bra (idéale au point de vue de l'acoustique) a été très grand et leur succès
triomphal.
Quelques jours auparavant, M. Théodore Radoux avait exécuté, au Conser-
vatoire de Liège, la Passion selon saint Jean, qui est beaucoup moins connue.
La réussite de cette tentative hardie et difficile a été complète. Exécution
excellente, d'ailleurs, qui a valu à l'éminent directeur des ovations et des
louanges bien méritées.
Comme on le voit, Bach jouit en ce moment, en Belgique, d'une vogue
toute spéciale. Il y a eu, cet hiver, à Bruxelles, en son honneur, de nom-
breux concerts, et même plusieurs festivals comprenant chacun une série
d'auditions. Dans l'évolution de la musique contemporaine, et à l'issue vrai-
semblable de la crise qu'elle a traversée, ce retour au plus austère des maîtres
anciens est assez caractéristique pour être signalé. L. S.
— De Magdebourg : La première représentation en langue allemande de
Chérubin vient d'avoir lieu au Stadttheater. La délicieuse comédie musicale de
M. Massenet, très soigneusement mise en scène, a été chaleureusement
accueillie par le public littéralement ravi qui emplissait la salle. L'orchestre,
sous la direction de M. Goellrich, a enUvé la fine partition avec tout l'entrain
nécessaire. Parmi les interprètes, M"e Bauer, dans le rôle de Chérubin :
M,ne Elbe, dans celui de la danseuse Soledad. et M. Fraenkel, en Jacopo, ont
eu la plus grosse part des applaudissements. La traduction allemande de
M. Otto Neitzel témoigne d'une grande habileté.
— A propos des représentations si brillantes de Chérubin de Massenet, au
théâtre de Magdebourg, les « Dernières nouvelles de Munich » ont publié,
sous la signature de M. A. Eisert, un article dont nous reproduisons seule-
ment ce court passage : « ... Tandis que Mozart a traité l'histoire de Chérubin
en simple épisode, Massenet a fait de ces amours de page le fond même d'une
œuvre qui a captivé l'auditoire pendant la soirée entière. L'ouverture com-
mence par des trilles pleins d'éclat, et prend ensuite un coloris, espagnol
étincelant. Comme sortant d'un rêve qu'il se hâte de réaliser, Chérubin, dans
son désir d'aimer, semble voltiger d'une fleur à l'autre. Malgré les désappoin-
tements amers qui surviennent, le grand, le pur délire d'amour ressort tou-
jours en une sorte d'apothéose. Massenet s'est montré optimiste avec une
constante sérénité; pour cette raison même, sa musique sera une satisfaction
exquise pour tous ceux qui savent goûter dans toute leur expansion la joie
et le bonheur de vivre. «
— Le Stadttheater de Cologne annonce la première représentation de ce
même Chérubin pour les environs du 13 mai.
— M. Richard Strauss n'a pas une prédilection très marquée pour les Amé-
ricains depuis les incidents qui ont signalé les vaines tentatives d'acclimata-
tion de Salomé à l'Opéra métropolitain de New- York. Sollicité de contribuer
par quelque fragment de musique ou quelques lignes de prose à la rédaction
d'un fascicule destiné à commémorer une fête en l'honneur de Gœthe donnée
par une association chorale de New-York, M. R. Strauss signifia son refus
par la lettre suivante : « A l'honorable comité du Liederkranz allemand. De
tous les vices de l'humanité, ceux que j'abhorre le plus sont le manque de
talent (Talentlosigkeit) et la flagornerie. Que servent à ce beau pays d'Amé-
rique les œuvres d'art européennes, si l'esprit qui pourrait s'en dégager reste
confiné dans le vieux monde. Puisse la fête si opportune en l'honneur d'un
libre et brillant esprit (Gœthe) réussir complètement pour votre société. C'est
ce que je souhaite, en souvenir reconnaissant des belles heures passées dans
votre cercle. Votre sincèrement dévoué Richard Strauss. » Profilons de la
circonstance pour dire que M. R. Strauss a renoncé récemment à collaborer à
la revue « Morgen ». dans laquelle a paru, il y a onze mois cet écrit singulier
que l'on a nomme le manifeste de Fontainebleau et qui semblait nier la pos-
sibilité du progrès en musique.
— Un festival-Wallenstein se prépare en ce moment dans la ville d'Eger,
en Bohème, où le général si célèbre pendant la guerre de Trente ans fut
assassiné en 1634. Pour la reconstitution de l'entrée de Wallenstein à Eger
en 1625, la musique se composera de fragments authentiques du seizième et
du dix-septième siècle. Tout à fait exact en ce sens sera la bande militaire
des lansquenets, comprenant les instruments suivants : petites flûtes, flûtes,
six cornets à bouquin fabriqués d'après un vieux modèle du musée national
de Munich, bassons, tambours et timbales. On jouera la marche historique
des lansquenets, remontant à 1S09 environ, et une autre marche dite le
o Schwartenhals de 1349 ». Dans le trio de ces deux marches, les lansquenets,
formant un chœur d'hommes, chantaient en même temps que jouaient les
instruments. Les fanfares de la suite de Wallenstein présenteront un intérêt
tout particulier: elles seront exécutées par dix trompes d'alarme employées
autrefois en cas d'incendie, et par trois trombones. Malgré le peu d'étendue
dont disposent, dans leur registre, les premiers de ces instruments, les vieilles
sonneries qu'ils auront à jouer offrent une variété de rythme extraordinaire.
Non moins curieuse sera, au point de vue historique, la musique des corpo-
rations, celle du conseil, le branle-bas des drapeaux, la ronde des patriciens,
la danse des glaives des lansquenets, la danse des bergers, le train des labou-
reurs, car tout cela sera reconstitué avec des airs, à peu près inconnus main-
tenant, des seizième et dix-septième siècles, la plupart pour instruments à
vent en bois. A deux concerts qui ont eu lieu samedi dernier et le dimanche
des Rameaux au Théâtre-Municipal d'Eger, on a exécuté, en attendant la fête,
les- fanfares d'entrée de l'armée, un prélude pour orchestre écrit pour la cir-
constance par M. Henri Schmidt, et la marche historique avec chœur des
lansquenets.
— Un nouveau théâtre, de genre grandiose, s'élève en ce moment, à Milan,
à la Porta Venezia. La salle comptera 23 mètres de long sur 20 de large. Au
premier étage se trouvera un balcon à deux rangs de fauteuils, qui, face à la
scène, se continuera en amphithéâtre. L'éclairage naturel, comprenant dix
larges fenêtres au rez-de-chaussée et autant au premier étage, permettra les
spectacles diurnes. Un promenoir servira de dégagement au parterre, et, d'une
vaste terrasse ouverte sur le premier étage, une partie du public pourra, durant
la saison d'été, assister au spectacle. A l'étage de la galerie et derrière celle-ci
on aura deux salons de retraite et un promenoir octogonal. A l'angle de la
rue Mascagni et de la rue Sirtori, en contiguïté avec la scène, surgit un édi-
fice spécial à quatre étages où seront disposées 2i loges pour les artistes,
•S loges pour les comprimari (rôles accessoires), et deux autres grandes loges
pour les « masses ». Le gros de la construction est déjà terminé depuis quel-
que temps, et l'on commence les travaux de décoration. Tel qu'il apparaît,
l'ensemble de ce nouveau théâtre, qui s'élève sur l'emplacement du Bain de
Diane, semble très heureux et très harmonieux.
— Au Théàtre-Garibaldi, de Trévise, première représentation d'un opéra en
trois actes, Yvon, du maestro Guarnieri, joué par M",es Elisa Allegri et Maria
Avezza, MM. Tasca et Vinci. La musique, dit un critique, a le caractère delà
composition de l'école allemande; souvent pourtant y domine le sentiment de
la musique italienne. L'ouvrage, dont l'exécution était dirigée par l'auteur,
parait avoir été bien accueilli.
— Et au Théàtre-Paganini. de Gênes, apparition d'un drame lyrique en
trois actes, Ester, dont le livret a été tiré par M. Aldo Martinelli d'une tragé-
die biblique de Silvio Pellico, Ester d'Engaddi, et dont la musique est l'œuvre
d'une jeune compositrice, Mlle Joie Gasparini, déjà connue par un petit ouvrage
LE MENESTREL
127
en un acte, Lista, représenté il y a quelques années au Politeama Génois. Il
semble que la critique, par galanterie, se montre très courtoise et très indul-
gente à l'égard de la jeune maestro. En réalité, son œuvre parait avoir obtenu
ce que nous avons coutume d'appeler un succès d'estime, et surtout un succès
local. Elle avait pour interprètes Mm" Clara Joanna, le ténor Lagustena. le
baryton Minolfi et la basse Stefani.
— Le compositeur Lorenzo Parodi écrit en ce moment une grandiose trilo-
gie inspirée des trois grandes manifestations de la civilisation humaine :
Athines-Rome-Paris. C'est un triptyque symphonique avec choeurs et soli, et
aussi danses et scènes mimées, qui formera un spectacle plein de grandeur et
d'un genre nouveau. Pour Athènes, reconstitution des danses et des fêtes dyo-
nisiaques, sur une musique écrite selon le système grec; poai Rome, cortèges
guerriers et marches triomphales, avec les chants dans les catacombes; pour
Paris, « toute la raffinerie de la pensée moderne ».
— M. Guido Gasperini. bibliothécaire et professeur d'histoire de la musique
au Conservatoire royal de Parme, vient de prendre une initiative intéressante,
de l'importance de laquelle on peut se rendre compte par la lecture de la
circulaire suivante, qu'il adresse à ses collègues et aux érudits de toute
l'Italie :
Dans les bibliothèques publiques et particulières, dans les archives des vieilles
églises, des couvents, des anciennes familles patriciennes, reposent inexplorés,
négligés ou inconnus, beaucoup et beaucoup de trésors de l'ancien art musical
italien. Rechercher, reconnaître, enregistrer ces trésors, et ensuite les divulguer et,
s'il est possible, les publier, serait un acte souverainement utile aux études, souve-
rainement avantageux pour le renom de notre art et pour le patrimoine national.
Mais un tel travail ne peut être accompli par l'effet d'efforts isolés. Pour que les
monuments de l'art musical italien soient, dans leur immense variété, étudiés et
remis en lumière, il est nécessaire que les efforts se réunissent, que les études, les
recherches soient coordonnées sous le guide d'un consentement commun. Pour
obtenir cela et obtenir, d'autre part, que ces recherches et ces études soient tenues
en très grande considération et soient encouragées et soutenues par qui peut les
encourager et soutenir, il est nécessaire que les travailleurs s'unissent en une
association qui veuille et sache activement tracer la voie et partager les travaux, afin
que cette grande œuvre s'accomplisse avec sécurité pour ses résultats.
Je propose, par conséquent, aux collègues et amis de former cette association; et
puisque au printemps prochain doit être célébrée à Ferrare la glorieuse mémoire de
Gerolamo Frescobaldi, et puisque le comité Ferrarais des fêtes Frescobaldiennes a,
avec un noble élan, accueilli et approuvé mon projet, en offrant son appui précieux
à l'association proposée, je propose que notre première réunion se tienne à Ferrare
même,, à l'occasion de ces fêtes.
Ce n'est point le moment ni le lieu d'exposer mes idées particulières relativement
au programme des travaux à discuter dans cette première réunion. Je ne voudrais
pas les exposer sans avoir, auparavant, entendu les opinions et les conseils de nos
honorables collègues. Je vous prie donc, pour cela, de vouloir bien maintenant
accorder votre consentement à mon projet, en l'accompagnant des considérations qui
vous paraîtront opportunes. Après quoi je pourrai vous soumettre le programme par
moi préparé.
— De Montreux : M. Mathis Lussy, auteur du Traité de l'Expression musi-
cale, de l'Anacrouse, et de tant d'œuvres si personnellement remarquables, vient
de fêter son 80e anniversaire. Malgré son âge, son activité est demeurée mer-
veilleuse et il travaille en ce moment à un nouvel ouvrage qui, comme ses
aines, fera sensation dans le monde musical. Le comité de l'Association des
musiciens suisses a envoya à M. Mathis Lussy un joli souvenir en témoignage
d'estime et d'atl'ection.
— Le nouveau St. James's Hall, de Londres, sera ouvert le 25 de ce mois
et la première série des Promenades-Concerts y commencera aussitôt. Le
chef d'orchestre sera M. Lyell-Tayler. D'autres chefs d'orchestre alterneront
avec lui.
— Discussions très animées à Londres, touchant le projet de la célébration
du troisième centenaire de Shakespeare en 1916. Il semble désormais certain
qu'on réunira les 200.000 livres sterling nécessaires (3 millions) ; il reste à
décider de quelle façon elles seront employées. La première idée avait été
d'élever au poète un monument sur une place de Londres; beaucoup la com-
battent maintenant, estimant que ce monument serait une chose inutile et qui
n'ajouterait rien à la gloire de Shakespeare. M. Bernard Shaw, le célèbre écri-
vain, dit que l'Angleterre n'a pas un sculpteur capable de concevoir un monu-
ment vraiment shakespearien ; il ne voit dans toute l'Europe qu'un seul artiste
capable d'une telle entreprise, c'est M. Rodin, et il croit ses compatriotes trop
chauvins pour permettre qu'un étranger soit chargé de glorifier le divin Will.
Avec beaucoup d'autres, M. Bernard Shaw soutient que la meilleure façon
d'honorer la mémoire de Shakespeare serait la création d'un théâtre national
où ses œuvres seraient représentées avec une mise en scène parfaite, une sorte
de Bayreuth shakespearien. D'autres proposent une publication populaire des
œuvres de Shakespeare accompagnées de notes, à distribuer dans toutes les
écoles...
— C'est demain dimanche, jour de Pâques, que doit s'ouvrir la saison
lyrique de printemps au grand théâtre du Lycée de Barcelone. C'est Bamlet,
d'Ambroise Thomas, qui inaugure cette saison avec l'excellent baryton Titta
RulTo dans le rôle principal. Parmi les artistes qui font partie de la troupe,
on cite les noms de M™3 Maria Pozzi et Graziella Pareto, de MM. Garbin.
Ghilardini, Fazzini, Schiavazzi, Guido Vaccari, etc. Le chef d'orchestre est
M. Edoardo Vitale.
— Au Théâtre-Principal de Barcelone on a donné une œuvre nouvelle,
intitulée ta Liai; vision lyrique en six tableaux, musique de M. Bartoli.
— De New-York : Les deux Opéras viennent de terminer leur saison. Le
chiffre total des représentations qui ont eu lieu au Métropolitain et au
Manhattan est de 250, dont 131 au Métropolitain et 125 au Manhattan. Dans
ces 256 représentations, les compositeurs italiens tiennent encore la tète avec
143 soirées. La musique française a fait les frais de 71 représentations, tandis
que les compositeurs allemands n'ont eu que quarante fois eu tout les hon-
neurs de l'affiche. Les mélomanes new-yorkais ont dépensé pendant la saison
qui vient de prendre fin la somme de 3.960.000 dollars, soit près de vingt mil-
lions de francs. Sur cette somme, 2.310.000 dollars ou 1 1 .350.000 francs ont
été encaissés par les deux Opéras, le restant est allé aux organisateurs des
grands concerts et aux autres manifestations musicales. Da tous les artistes
qui ont chanté cet hiver à New- York, M""' Tetrazzini a gagné la plus grosse
somme : 200.000 fr. pour vingt représentations. M"* Mary Garden a eu
1.500 dollars, ou 7.500 fr. par soirée, et emporte à Paris la bagatelle de
187.500 fr. M"0 Géraldine Farrar a touché 103.000 fr. pour trente représenta-
tions. M""-' Emma Calvé n'a chanté que trois fois à l'Opéra, à raison de
1.500 dollars, mais elle a gagné plus de 75.000 fr. à chanter dans les grands
concerts. Ne parlons pas de M. Caruso. qui va nous revenir avec 30.000 dol-
lars. Ajoutons seulement que les kapellmeisters des deux Opéras ont gagné
chacun cent mille francs et que de tous les virtuoses qui se sont produits ce
hiver, M. Padercwski a été le mieux partagé : il n'a gagné que 300.000 francs!
PARIS ET DÉPARTEMENTS
A l'Opéra :
C'est le 22 de ce mois que M. Renaud fera sa rentrée dans Wolfram de
Tannhaiiser. Il chantera la semaine suivante Rigolello.
Quant à M"0 Mary Garden ses débuts sont fixés au 4 mai dans Thaïs; elle
aura comme partenaire, dans le rôle d'Athanaêl. M. Renaud.
La reprise de l'Huinlel d'Ambroise Thomas, qui aura lieu dans la dernière
semaine de mai, servira de second début à la délicieuse artiste. C'est M. Re-
naud qui chantera Hamlet et Mlle Paquot d'Assy la mère. Mlle Zambelli fera
les honneurs du célèbre ballet de la Fête du printemps.
M. Henry Février a signé définitivement avec la direction pour la repré-
sentation de Monna Vanna, drame lyrique en quatre actes, écrit d'après la
pièce exquise de M. Maurice Maeterlinck. Cet ouvrage sera donné à l'Opéra
dès le début de la saison 1909 et mis très prochainement en répétitions.
M. Pierre Lagarde s'occupe dès maintenant des décors.
— A l'Opéra-Comique :
M. Léon David, revenu au théâtre de ses débuts, où il se fera entendre dans
Werther, Manon, Carmen et Lakmê, a donné la première de ces représenta-
tions dans Werther, qu'il a chanté de façon tout à fait exquise.
On active les dernières répétitions de Snegourotchka qui. sauf imprévu,
passera avant la fin de ce mois. M. Chérépine. le chef d'orchestre de Saint-
Pétersbourg, préside aux ensembles musicaux.
Voici quels seront les spectacles pendant les fêtes de Pâques :
Dimanche, matinée à 1 h. 1/2 : le Jongleur de Notre-Dame (MM. Salignac, L. Fugère,
Allard); la Habanera: soirée, à 8 heures : Cavalleria rustieana, Werther (M"" B. La-
mare, Lucy Vauthrin ; MM. Léon David, Allard, Guillamati ; lundi, matinée, à 1 heure,
les Noces de Jeannette (M"" A. Pornot, M. Vigneau) ; le Chemineau; soirée, à 8 heures :
Manon (M"" Vix, MM. Léon Beyle, Ghasne, Delvoye); mardi, à 8 h. 3/4, 12' représen-
tation de l'abonnement du mardi A : Laknvi (M"' Marie Thiérv, MM. Léon David,
Dufranne); mercredi, à 8 heures : la Vie de Bohème (Mm' Marguerite Carré, M. Ed.
Clément, M""Tiphaine, MM.L. Fugère, Delvoye, Jean Périer); Cavalleria rustieana.
— Les directeurs de théâtres de Paris réunis, la semaine dernière, au foyer
du Vaudeville, en assemblée générale, ont pris la décision de supprimer tota-
lement tous les billets de faveur de quelque nature qu'ils soient à partir du
1er septembre prochain. M"10 Sarah Bernhardt. M. Héros, directeur du Palais-
Royal, et M. Max Maurey, directeur du Grand-Guignol, ont seuls voté contre.
M. Antoine, directeur de l'Odéon, s'est aussi déclaré hostile à cette mesure.
Il convient également d'enregistrer l'abstention au vote de M. Abel Deval,
directeur de l'Athénée, de M. Lucien Richemond, directeur des Folies-Dra-
matiques, et de MM. Isola frères, directeurs du Lyrique-Municipal de la Gaité,
des Folies-Bergère et de l'Olympia. Ces messieurs, bien que parfaitement
d'accord avec leurs confrères et pensant comme eux que le billet de faveur
est la plaie vive du théâtre, estiment qu'avant de s'engager pour six années,
laps de temps fixé par le syndicat des directeurs, il serait préférable de pra-
tiquer un essai avant l'application d'une réforme aussi radicale. Les décisions
prises par l'assemblée des directeurs ont été soumises à la commission des
auteurs. En voici l'énumération : 1° Les billets d'auteurs seront supprimés et
remplacés par un droit fixe par jour, variant selon l'importance du théâtre et
qui sera versé à l'agence Prudhommeaux, où les auteurs toucheront leur
redevance (Conséquence : suppression du trafic des marchands de billets).
2° Les directeurs de théâtres pourront disposer quotidiennement et pour leurs
amis de vingt places de faveur, exonérées de tous droits. Ces places seront
déposées, aux noms des titulaires, au contrôle du théâtre, pour leur être
remises à leur arrivée au spectacle. Pour les autres, ils devront acquitter les
droits afférents aux billets payants. 3° Les contrats consentis par la Société
seront, dorénavant, conclus pour une période de six années (au lieu de
trois).
— L'exercice des élèves du Conservatoire a laissé une agréable impression
de jeunesse et de fraîcheur. Les classes instrumentales ont fourni un orchestre
d'une sonorité fondue et homogène, capable de faire sentir les nuances et les
coloris les plus délicats. On aurait aimé à l'entendre dans une ouverture
428
LE MENESTREL
romantique, celle du Freischùtz par exemple, ou celle i'Obérôh; celle de la
Flûte enchantée, qui figurait au programme et qui a été rendue avec finesse,
n'a pas eu le succès triomphal qu'aurait obtenu sans nul doute une interpré-
tation plus subtilement vivante de cet organisme musical aux fibres si ténues,
tissées en arabesques si cipricieuses. Le poème symphonique de Psyché, de
César Franck, exigeait une exécution d'un grand style et d'une extrême flui-
dité; la jeune phalange orchestrale s'y est montrée constamment attentive
avec une sorte de ferveur, et la musique du maître, toujours aérienne et
transparente non sans quelque monotonie, a produit une impression très vive
et toute favorable à ses interprètes. Les chœurs ont charmé l'assistance par la
juvénile ardeur des voix; ils étaient renforcés par des basses prises en dehors
du Conservatoire. Un intermède charmant a été l'audition du concerto de
Bach en ré mineur pour deux violons, par Mlles Talluel et Pollet, bonnes mu-
siciennes et virtuoses toutes gracieuses. Des fragments de la Flûte enchantée,
comprenant deux finals, nous ont permis de faire plus spécialement connais-
sance avec le personnel des classes de chant. M. Jourde, basse noble, s'est
placé au premier rang, dans l'invocation et l'air de Sarastro. Mlle Lambert,
soprano d'un joli timbre, M. Coulomb, doué de go Ci t et possédant une bonne
méthode, M. Vaurs, basse comique; Mmes Rénaux. Thévenet, Garchery;
M1I|!S Bonnard, Jurand, Raveau, Pradier, Demougeot, Lalotte, Amoretti,
Robur, Gustin, Bourdon, Daumas, Duvernay, Fraisse, Yvon; MM. Paulet.
Ponzio, Tareria, Imbert, ont lous contribué excellemment à l'interprétation
du chef-d'œuvre de Mozart. Le chœur des prêtres a été dit avec un très bel
équilibre dans toutes les parties. Un flûtiste de l'orchestre a été très remar-
qué. M. Henri Busser et M. Tafl'anel ont préparé avec zèle et dirigé cette belle
séance, toute à l'honneur de notre grande institution musicale.
Amédée Boltarel.
— C'est une exposition bien curieuse, bien charmante, et surtout bien pa-
risienne, que l'exposition théâtrale qui vient de s'ouvrir, par les soins de
M. Georges Berger, dans les salles du Musée des arts décoratifs, au pavillon
de Marsan. C'est comme une sorte de résumé animé de l'histoire du théâtre,
qui se déroule devant les yeux éblouis et fascinés par tant de jolies choses.
La série — nombreuse et exquise — des portraits, est à elle seule un véritable
enchantement, par la beauté et 1» variété des objets : toiles, pastels, gouaches,
miniatures. Nous y relevons, pour les morts, les elfigies de Molière et d'Ar-
mande Béjart, du fameux arlequin Dominique de la Comédie-Italienne, de La
Fontaine, d'Adrienne Lecouvreur. de Lekain, de Marie Fel, de la Champ -
meslé, l'amie de Racine, de la Duclos, par Largillière, puis ceux de Mllc Ran-
court, de Talma, par Riesener, de Dueis.par le baron Gérard, de M"G George,
d'Eileviou, par Boilly, de Mlle Mars, par le même, de la Grassiui, par M"ie Vi-
gée-Lebrun, de Mole, de la Malibran, par Pedrazzi, de Marie Taglioni, par
Lépaulle, de Casimir Delavigne, par Ary Schefl'er, de Victor Hugo et
d'Alexandre Dumas fils, de Bonnars, de Déjazet, par Eugène Devéria, de
Berlioz, par Gustave Courbet, d; Richard Wagner, par Rmoir, de Barroilbet
par Couture, de Paganini (sur un couvercle de tabatière), d'Alice Ozy, par
Chassériau...
On pense bien que les vivants ne sont pas oubliés. Nous trouvons parmi
eux, Mme Segond- Weber, par Gilbert ; M'"= Julia Barlct et Mlie Brandès, par
Chartran : M"e Bréval, par Bonnat ; Mme Louise Sylvain, par Hawkins :
M",c Sarah-Bernbardt, par La Gandara ; M",c Reichenberg. par Saintin :
Mlle Sorel, par François Flameng : M11» Zambelli, par Carrier-Belleuse ;
Mme Rachel Boycr, par Boutet de Monvel ; Mme Héglon, par Humbert ;
Mme Jeanne Hading, par Rolshoven; M"e Brindeau, par Besnard. etc.
Et les bustes ne sont pas moins nombreux ni moins intéressants. Ici nous
trouvons les figurés de Poisson, de Rameau, de Voltaire, de George Sand, de
Verdi, de Bouffé, de Bocage, de la Taglioni, de Fanny Ellsler, de Gab.-ielle
Krauss, de Mmt Rose Caron, que sais-je?
Puis, pour les sujets spéciaux (aquarelles, dessins, etc.), l'Exposition nous
offre une vue de la Foire St-Laurent, de Gravelot; deux scènes du Malade
imaginaire et du Bourgeois gentilhomme, de Boucher; la Fosse aux lions au
théâtre de Coreid-Garden : le Foyer de la danse à l'Opéra, d'Eugène Lami; hi
Loge d'Hortcnse Schneider, par Edmond Morin ; la Leçon de danse à l'Opéra, de
Renoir.
Il n'est pas besoin de dire que la série des maquettes de décors, éclairées
de façon spéciale, fera aussi la joie des curieux et des amateurs. Elle est déli-
cieuse, cette série, avec les noms -de S.rvandoni, Carpezat, Poisson, Rubé.
Visconti, Chaperon père et fils, Jambon, Amable, Bénédite, Crucbet, Lemon-
nir, Bersounet, Jules Chère!, Le Meunier.
. Et les marionnettes, les pantins, les poupées, les pupazzi, les fantoches de
toute sorte, et les curiosités de tout genre ; et les bibelots divers ; les objets
ayant appartenu à tel ou tel artiste, comme la montre de Rachel, les casta-
gnettes de Marie Taglioni, l'éventail de M"c Mars ; tout cela, pour n'être pas
absolument artistique, n'est pas moins amusant et n'en piquera pas moins
la curiosité. Nous ne saurions en dire davantage, car la place nous manque;
mais allez à l'exposition théâtrale, et vous ne perdrez pas voire temps, et
vous en reviendrez enchanté.
— Correspondance :
Paris, 9 avril 190 i
MOX CHER DIRECTEUR,
Il est toujours regrettable de dissiper les illusions. Celles d'un collectionneur
s'appellent douces manies, el méritent au moins qu'on les épargne"; mais cellesdu
brocanteur s'appellent mauvaises farces quelquefois, et, la vérité oblige alors à en
faire prompte justice.
Dans son dernier numéro, le Ménestrel rapporte, d'après un journal allemand, Die
Musikinstrummien Zeitung, la nouvelle d'un archet dont Pagaoini se serait servi
•i dans son dernier concert j> et qu'on chercherait à vendre le plus cher possible, cela
se devine. «Cet archet avait été donné, dit-on, par Paganini a un de ses élèves
amateurs, le comte de Cassole (sic), qui à son tour, en avait fait don à Verdi. » Et,
soi-disant, le possesseur aurait déjà refusé pour cette merveille 250.000 francs !
On voit bien qu'une telle information a été lancée par la gazette allemande aux
environs du premier avril. Les archets ne valent tout de même pas autant que les
violons, et les violons les plus fdmeux n'ont jamais atteint ce prix-là ! Mais voici le
côté piquant de l'affaire : c'est que ce fameux archet n'est pas entre les. mains de
celui qui croit le posséder ; il est tout simplement sous vitrine dans le musée de
l'Opéra, et ce cadeau nous fut fait par les héritiers du comte nonde Cassole, mais
de Cessole, lequel était maire de Nice, au temps de la domination italienne. Grand
amateur de musique, le comte entretenait avec le célèbre virtuose les relations les
plus amicales ; il lui donnait même l'hospitalité, ce qui explique la présence de cet
archet entre ses mains ; d'autant plus que ledit archet, s'il m'en souvient bien,
appartenait au comte, et fut seulement prêté par lui à Paganini, pour la séance
musicale qui avait lieu dans ses salons.
Il me parait donc utile, et j'espère que la publicité du Méntstrel y contribuera, de
mettre en garde les acquéreurs. 11 nî faut pas qu'il en soit maintenant de l'archet de
Paganini comme jadis de la canne de Voltaire, et qu'on en tire autant d'exemplaires
qu'on trouvera de naïfs admirateurs.
Bien cordialement à vous.
Ch. Malherbe, Archiviste de VOpéra.
— La Revue théâtrale vient de publier sous ce litre : L'Opéra nouveau, un
numéro spécial très curieux, imprimé avec un grand luxe, et qui sera pour
l'avenir un document d'autant plus précieux que le texte est accompagné
d'Une centaine de superbes illustrations qui font passer sous les yeux tout le
personnel de cette immense maison : direction, administration, artistes du
chant et de la danse. ch=fs d'orchestre, chefs de chant, régisseurs, peintres,
dessinateurs, et jusqu'aux choristes et aux machinistes. Le côté pittoresque n'est
pas négligé, non seulement celui qui est en vue du public, décors, costumes,
etc., mais celui qui lui est forcément caché : les coulisses, les dessus, les
dessous, le théâtre des répétitions, le service d'électricité, « le coin des
cloches », tout ce qui concourt enfin au plaisir du spectateur tout en restant
invisible pour lui.
— Salle Erard. M. Paul Braud, avec le concours de MM. Louis Dutten-
hofer, Emile de Bruyn, Bleuzet, Mimart, A. Delgrange et Léon Letellier, a
consacré à la musique de Beethoven une très belle soirée. Toujours au piano,
J'excellent artiste a montré ses grandes qualités de style dans le trio de
l'Archiduc, la sonate en ut mineur avec violon, celle en ré majeur avec vio-
loncelle et dans le quintette en mi bémol avec hautbois, clarinette, cor et
basson. Il a été très applaudi ainsi que tous ses partenaires par une assistance
charmée du talent dont chaque interprète a fait preuve. M. Duttenhofer avait
exécuté la veille, avec M. Galtfried Galston, salle des Agriculteurs, la sonate
pour piano et violon de M. Ferruccio Busoni, œuvre forleet d'une belle allure
dont c'était, croyons-nous, la première audition à Paris.
— De Lille : Mlle Jeanne Faucher vient de donner, dans la salle du Conser-
vatoire et avec le concours de quelques-unes de ses élèves, de Mmes Monteux-
Barrière et Bruguière-Hardel, de MM. Blanquart et Elcus. un très joli concert
qui a enchanté tous les auditeurs. M. Périlhou avait fait le voyage pour
accompagner ses œuvres et on l'a ovationné, en même temps que ses inter-
prètes, après Musette, Au-dessous, Nell, Iselina, Nocturne, les Heureuses funé-
railles, Chanson de Guillot-Marlin et Ballade. Très charmante exécution aussi
du trio et du chœur de la Vierge de Masscnet et du duo du Roi d'Ys de Lalo.
NÉCROLOGIE
Un artiste modeste et fort distingué, Gaetano Coronaro, professeur de
haute composition au Conservatoire de Milan, est mort en cette ville le
5 avril. Né à Vienne en 1S52, il avait fait son éducation musicale sous la
direction de Franco Faccio, alors chef d'orchestre de la Scala. H en sortit en
1873, après avoir fait exécuter dans un des exercices de l'école, sous sa direc-
tion, une scène lyrique intitulée un Tramonlo, dont M. Arrigo Boito lui avait
fourni les paroles, et dont le succès fit presque événement a Milan, où l'on en
parla durant plusieurs semaines. A ce moment. M'ne Lucca, le grand éditeur
de musique, avait mis à la disposition de l'administration du Conservatoire
une somme destinée à faciliter le voyagea l'étranger de l'élève qui semblerait
le plus apte à profiter de cette faveur. Coronaro fut appelé à bénéficier de
cette libéralité intelligente, et grâce à elle il pat visiter plusieurs des grands
centres artistiques de l'Europe : à Paris, Vienne, Berlin, Cologne, Leipzig
et Dresdd. De retour à Milan, il s'occupa de composition, publia un Album
vocal formé de six morceaux de chant, et écrivit la musique d'un opéra inti-
tulé la Creolu, qui fut représenté au théâtre communal de Bologne, le 24 no-
vembre. 1S78, par Pétrovich, Kascbmann. Mmcs Fricci et Gargano. A ce mo-
ment il était devenu, depuis 1S76, second chef d'orchestre à la Scala. Il écrivit
encore deux opéras, Malamme, donné au Grand-Théâtre de Brescia le 20 jan-
vier 1894 et un Çurioso Accidente qui fut joué à Turin il y a quelques années.
Déjà professeur d'harmonie au Conservatoire de Milan, il fut appelé, à la
mort d'Alfredo Catalani, à lui succéder comme professeur de haute composi-
tion, et sa classe, qui lui valut de nombreux succès, était une des plus renom-
mées de l'école.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Samedi i'.î Avril 1*108.
4022. - 74e ANNÉE.- IV0 17. PARAIT TOUS LES SAMEDIS
(Les Bureaux, 2 "'% rue Vivienne, Paris, «• arr')
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.»
LE
ENESTREL
lie fluméyo : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEDGEL, Directeur
lie flaméFo : 0 fr. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivieune, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. —Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste ea ans.
SOMMAIRE-TEXTE
1. Soixante ans de la vie de Gluck (18" article), Jïlien Tiersot. — II. Semaine théâ-
trale : première représentation du Coup de Foudre, aux Folies-Dramatiques, Amédée
Boutahel. — III. La Musique et le Théâtre aux Salons du Grand-Palais (2" article),
Camille Le Senne. — IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
MAZURKA
extraite du ballet du Chevalier d'Êon, opérette nouvelle de Rodolphe Berger.
— Suivra immédiatement : Roses de France, scherzetto extrait du même
ballet.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
Rêverie de la Dubarry, extraite du Chevalier d'Èon, opérette nouvelle de
Rodolphe Berger. — Suivra immédiatement : Petits oiseaux, romance extraite
de la même opérette.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
CHAPITRE Y
GLUCK A VIENNE
Quand Gluck revint à Vienne, un événement s'était produit, qui
lui importait grandement : l'insensible Joseph Pergin avait passé
de vie à trépas, et sa veuve avec ses deux filles quittant la belle
maison du Graben étaient allées s'installer plus modestement
dans la banlieue de Vienne, à Neustift. C'est là que les retrouva
le jeune maitre, toujours épris, et ayant à son actif un succès de
plus. L'accord fut vite établi, et, le 15 septembre 1750, Christo-
phoriM Gluckh et Maria Anna Pergin furent unis par les liens du
mariage en l'église catholique de Saint-Ulrich. L'acte qualifie
tous ceux qui y sont nommés : « Très noblement nés », Wold-
edelgeborene (1), depuis Joseph Pergin, le marchand enrichi en
Hollande, jusqu'à Alexandre Gluck, l'ancien garde-forestier de
Weidenwang en Bavière, dont l'épouse Anna Walburga, mère
du nouveau marié, servait naguère, des verres de bière aux
paysans de Bohème en leur débit de boissons à Johnsdorf près
Georgenthal. L'union, bien qu'elle n'ait été consacrée par aucune
postérité, fut, à ce qu'il semble, des plus heureuses : Gluck
(1) A. Schmid, Ritter von Gluck, reproduit le texte de cet acte de mariage, suppl. B,
page 'i62.
passa tout le reste de sa vie auprès de cette épouse aimable,
fidèle et dévouée, aux côtés de laquelle, après trente-sept ans,
il mourut.
L'année suivante ne fut marquée par aucun événement nota-
ble dans la vie artistique de notre héros. Serait-ce la lune de miel
qui causa cet arrêt momentané de son activité? (1). Au reste, les
succès de ses œuvres antérieures commençaient à s'affirmer
hors de sa présence. Prague, après Esio, donna dans l'automne
ITpermestra de Venise qui remontait déjà à six ans. Esio même
fut joué à Leipzig en 1751.
Au carnaval de 1752, nous retrouvons Gluck à l'œuvre, de
nouveau à rrague, où il donne Issipi.le, sur un poème de Méta-
stase, opéra dont la partition n'a laissé après elle que quelques
épaves.
Enfin, dans le courant de la même année, il entreprend une
nouvelle campagne en Italie, et non sans gloire : il donne à
Naples la Clemenza di Tilo, dont le poème de Métastase avait
déjà été mis en musique par des maîtres tels que Caldara, Léo,
Hasse, et devait l'être encore par Mozart. La partition est une
des plus importantes et des plus remarquables de tout son
répertoire d'opéras italiens'(2). C'est toujours une collection de
sonates vocales entrecoupées de récitatifs : au total vingt-trois
airs (pas même un seul duo) et un ensemble final. Sur ces airs,
deux seulement ne sont pas à reprise, mais se développent d'un
seul jet, sur un plan analogue à celui de la cantilène posté-
rieure : « Unis dès la plus tendre enfance ». Les vingt et un
autres sont écrits uniformément dans la coupe obligée qui
nous fut familière dès son premier ouvrage : ritournelle de
concerto, exposition formée d'un double développement, milieu,
et reprise de l'exposition tout entière. Plusieurs de ces airs
renferment de longs passages en style orné, où la vocalise, loin
d'être une superfétation, fait partie intégrante de la composition,
constituant la musique même, la musique pure. Nous avions
déjà fait pareille observation sur les premières œuvres : nous
avons ici l'occasion de la renouveler, et par là de montrer que,
depuis dix ans, Gluck en était encore aux mêmes pratiques.
Tout à la fin de l'œuvre, nous reconnaissons un dessin dont
nous avons déjà entrevu l'ébauche, et que nous retrouverons
(1) Les biographes llxent à 1751 la représentation de la Clemenza di Tilo a Naples,
et à la fin de la môme année l'entrée de Gluck comme kàpellmeister chez le prince
de Saxe-IIildburghausen. Mais les plus récentes recherches Cnore. / Teatri di
Napoli, VoTo.LE.NNi;, Catalogue GlucU: ont fait reculer d'une année la date de cette
représentation; et comme l'entrée de Gluck chez le prince sus-nommé est, d'après
le seul document qui nous renseigne (l'autobiographie de Dilt3rsdorf), subordonnée à
cette représentation, il faut donc reporter à 1752 tout ce que, dans la vie de Gluck,
on avait cru jusqu'ici appartenir à 1751. Cela étant, il conviendrait de rectifier la
note 1 page 19S du catalogue Wotquenne, qui, après avoir donné 1752 comme date
de la Clemenza, maintient cependant 1751 pour l'entrée chez le prince, mais
postériorité reconnue.
(S) La Bibliothèque du Conservatoire de Paris possède une partition ancienne de
la Clemenza di Tito.
130
LE MÉNESTREL
encore plus tard, dans Armide, au duo : « Esprits de haine et de
rage». Le tracé en est déjà plus assuré que dans Sofonisba, et
se rapproche de la version définitive. Le morceau n'en est pas
moins encore ici un grand air de bravoure, avec milieu et Da Capo.
La Clemensa di Tito contient une très belle page de musique pure
et expressive à la fois, un des meilleurs airs de Gluck et un des
plus admirables modèles qu'on puisse offrir du beau chant ita-
lien. C'est l'air: Semaisenti spirarti sulvolto, que chantait Caffa-
relli à la fin du second acte.
Cet air a une histoire.
Après que le hautbois, instrument obligé, a déroulé les amples
lignes d'une ritournelle au grand style, la voix commence et
soutient un chant large, se combinant aux dessins divers, parfois
agités, de l'orchestre : soudain, quand il semble que tout est près
de finir, elle s'élance sur une note aiguë, et s'y maintient pendant
plusieurs mesures en clamant des paroles désespérées : « Son questi
g( estremi, gV estremi sospiri», tandis que les hautbois, les violons
et la basse l'enveloppent d'âpres dissonances. C'était d'une im-
pression si poignante, d'une forme si inusitée et si hardie, que
les interprètes, auxquels s'étaient peut-être joints quelques bons
confrères, n'osèrent pas risquer l'audition publique sans être
couverts par l'approbation d'un maître.
Ils s'adressèrent à Durante.
C'était un maître en effet : il le prouva par sa réponse. « Je
ne puis décider, déclara-t-il, si ce passage est entièrement con-
forme aux règles de la composition; mais ce que je puis vous dire,
c'est que nous tous, et moi pour commencer, nous devrions très
hautement nous faire gloire si nous l'avions conçu et écrit (1). »
L'harmonie litigieuse n'est nullement en désaccord avec les
règles. 'Voici les quatre mesures qui la contiennent (2) :
C'est simplement, tout le monde l'aura reconnu, une pédale
supérieure de dominante sur laquelle viennent se heurter des
dissonances ; mais celles-ci sont d'une correction parfaitement
classique. Cependant on n'avait jamais employé ce procédé
harmonique avec une telle acuité, et l'on ne peut s'étonner
de l'espèce d'effroi qu'il a causé tout d'abord dans un milieu
où l'on ne savait guère s'écarter des consonances les plus
fades.
Plus tard, reprenant l'air entier, Gluck l'introduisit dans Iphi-
génie en Tauride, où il est devenu : « 0 malheureuse Iphigénie ».
Il redoubla l'effet de la dissonance en faisant chanter la note
aiguë. par toutes les voix du chœur intervenant en ce seul en-
droit pour dire ces paroles : « Mêlons nos cris plaintifs à ses
gémissements », et nous avons tous admiré la puissance et la
beauté de la composition sous cette "forme dernière. Encore l'air
original laisse-t-il peut-être une impression plus complètement
satisfaisante, soit que les paroles italiennes auxquelles fut subs-
titué un texte français médiocre s'accordent mieux avec le
style de son chant, soit qu'il s'en dégage une fraîcheur de pre-
mier jet dont le charme ne peut nous laisser insensibles.
L'air est malheureusement encore à reprises. Combien ces re-
dites devaient être fastidieuses à l'audition ! Celle-ci pourtant
eut un avantage : puisqu'il y avait « reprise », il devait nécessai-
rement y avoir « milieu » ; or, celui que Gluck a trouvé pour
compléter cette exposition, tout en en différant complètement,
lui a paru si intimement lié à la mélodie principale qu'il n'a
pas voulu l'abandonner en composant Iphigénie : il l'a repris
pour faire suite à l'air : c'est le thème du choeur du sacrifice aux
mânes d'Oreste : « Contemplez ces tristes apprêts ». En voici le
chant sous sa forme première :
Al mio spir.to dal se.no dis.cial.to La me. mo.ria de tan . ti mar . ti . ri,
La me . mo.ria de tan.ti mar. ti . ri
JMb
tmr
*
Sa.ra dol . ce con ques.ta mer . ce.
à
^m
à
g
m
Ainsi Gluck, continuant à semer les productions de son génie
à travers le monde, faisait des provisions qui devaient lui servir
plus tard à édifier ses chefs-d'œuvre définitifs. Et déjà il apparais-
sait que, sous leur première forme, ses œuvres ne devaient point
être éphémères. Il n'était pas encore revenu de Naplesque déjà
les copies de l'air : 5e mai senti circulaient à Vienne. Une chan-
teuse de concert renommée, Mlle Heinisch, le fit entendre dans
les réunions musicales du prince de Saxe-Hildburghausen :
celui-ci, émerveillé, n'ignorant pas d'ailleurs le haut mérite du
compositeur, voulut, lorsqu'il revint, faire sa connaissance
personnelle. Ses bonnes manières et sa culture générale ache-
vèrent de le gagner ; Gluck devint l'ami de la maison, et le
prince le nomma son maître de chapelle.
(A suivre.) Julien Tiersot.
(1) Cette anecdote, rapportée par Reichardt, a été reproduite dans Gerber, Lexikon
der Tonkunstler, édition de 1812, t. II, col. 345, 346.
(2) Nous avons dû, pour la clarté de la réduction, transposer à l'octave grave la
partie d'alto (batterie de croches), et supprimer 11 partie de 1" violon qui, dans la
partition, suit à l'unisson le 1" hautbois, en y mêlant un rythme syncopé formé d'une
croche suivie de noires.
LE MENESTREL
131
SEMAINE THÉÂTRALE
Folies-Dramatiques. — Le Coup de Foudre, comédie-vaudeville en 3 actes,
de M. Xanrof.
M. Léon Xanrof a retenu de ses années de droit et de stage le point
de départ de cette pièce. L'article 234 du Code civil exige, pour la
reconnaissance d'un enfant, une seule condition, l'authenticité de la
déclaration. Par suite, toute personnne qui se déclare, devant un offi-
cier de l'état-civil, père d'une autre, est réputée l'être légalement tant
que les intéressés n'ont pas établi la preuve du contraire. Nous allons
voir un impudent valet devenir, de par la loi, lepère desonmaitre. Ce
dernier est un excellent jeune homme sans parents connus ; on dirait
presque sans nom, car il a été inscrit sur les livres de l'état-civil sous
celui de Vigile-Jeûne par un magistrat facétieux qui, cherchant le saint
du quantième sur le calendrier, avait trouvé à la date l'indication
d'abstinence relative aux quatre-temps. Donc, le jeune Vigile aurait
besoin d'un père et désirerait beaucoup avoir une famille. Approchant
de sa majorité, il recherche en mariage M"c Jeannine Brétisel, fille
d'un membre de l'Académie des Sciencas. Celui-là, grand savant,
regarde plus volontiers au-dessus de sa tête qu'à ses pieds. Se trouvant,
il y a vingt et un ans déjà, en voyage avec sa sœur Aglaure dont il
avait la surveillance, ils descendirent ensemble dans un hôtel pour y
passer la nuit. Un terrible orage éclata. Brétisel, pour observer le phé-
nomène, monta vite sur le toit de la maison, laissant Aglaure toute
seule au salon. Que se passa-t-il alors ? Elle-même nous le raconte
avec exubérance, car c'est un moment heureux de sa vie. Lorsqu'elle se
précipita dans sa chambre, un inconnu s'y trouvait, ils s'aimèrent ;
ce fut vif comme l'éclair qui jaillissait au dehors, violent comme un
coup de foudre. En se réveillant le matin, elle se trouva seule, éprise
d'amour pour celui qu'elle n'avait vu qu'à peine aux lueurs de la nuit
d'orage. Depuis elle l'a cherché vainement. Un fils lui est né, c'est
Vigile ; elle ne l'a pas reconnu, mais l'aime tendrement et cherche
toujours son père.
Cependant, le valet de Vigile, Alfred, prend tout à coup des airs de
hautaine protection chez son maître, et, lorsque celui-ci veut rappeler
à ses devoirs ce domestique insolent, il en reçoit la réponse qu'un fils
doit à son père obéissance et aliments. Alfred compte bien vivre gras-
sement sur les revenus de Vigile. Il réussirait sans doute si son jeu
ne gênait Aglaure ; mais, malgré sa bonne volonté, celle-ci ne peut
reconnaître en ce malotru l'homme qui lui a laissé un si vivant sou-
venir d'amour. Là-dessus intervient un commandant séduisant et
brave ; il flaire avec un dégoût méprisant la fourberie au milieu de
laquelle sa bonne étoile l'a conduit, se déclare Le héros de lanuit d'orage,
reconnaît Vigile pour son fils, et demande la main d'Aglaure. Vigile a
donc maintenant deux pères et Aglaure deux prétendants. Une seconde
nuit d'orage, toute semblable à la première, permet de reconstituer la
scène de séduction et de démasquer l'imposture d'Alfred.
L'interprétation a été excellente avec Mmcs Augustine Leriche, Daus-
mont, Marie-Louise Roger, MM. Milo, Rouvière. Némo, Félix Ander,
Prévost et Arnaudy. La pièce a obtenu un beau succès.
Amédée Boutabel.
LA MUSIQUE ET LE THÉÂTRE
st-u-x. Salons c3L"w. C3rJrstxL<3L-'F>sk.lsi±s
(Deuxième article)
Le règlement de la Nationale ne limite qu'à six pour les sociétaires
et à quatre pour les associés et les simples exposants, dans toutes les
sections, le nombre des envois (exception faite pour la section d'art
décoratif et d'arts appliqués dont le nombre n'est pas limité). Cette
méthode, plus libérale que celle des Artistes Français, a le grand avan-
tage de permettre la composition de panneaux où se révèle sous tous
ses aspects la physionomie des talents individuels. C'est ainsi que
M. Zuloaga a fait une brillante rentrée avec trois envois qui montrent
en réel progrès de virtuosité ce jeune maître d'un « genrisme » supé-
rieur. Ou admirera dans sa réunion d'espagnoleries truculentes le
Nain marchand d'outrés — il porte là-bas le nom de Gregorio el botero
— superbe morceau à la Velasquez, face hébétée, corps difforme mais
robuste, chemise de grosse toile écrue, pantalon de velours brun et
l'accessoire obligé des deux outres en peau de bouc.
Les Sorcières de Ségovie ne nous montrent plus un monstre isolé
mais une collection de monstres, qui tiennent un sabbat en guenilles.
Le peintre les a groupées sur un promontoire de roches et elles ne col-
lectionnent pas seulement tous les types de laideurs grotesma -. elles
échantillonnent aussi une surprenante variété de rouges, de verts, de
bleus qui donnent les plus originaux rapports de tons. M. Zulo
un coloriste vraiment habile. Sou éclairage seul demeure contestable.
Plus rêvé que vrai (et d'un rêve fébrile) il évoque une ambiance de
cauchemar autour du nain comme autour des larves caricaturales cepen-
dant présentées dans le plein jour. En revanche, on ne s'étonnera pas
de voir dans le troisième tableau une gitane se découper sur le sombre
décor d'une posada, accrochant à ses oripeaux des traînées de lumière
électrique, car il s'agit cette fois d'une composition théâtrale. Ou y
reconnaîtra, non sans la curiosité amusée d'un spectacle d'originale lan-
terne magique, la grande cantatrice M"' Lucienne Bréval dans le cos-
tume de Carmen au deuxième acte du drame lyrique de Bizet : châle
brodé à fond noir, fleurs de grenade piquant la chevelure, physio-
nomie d'une âpre vitalité tragique ressortant en vigueur d'un fond à
la Goya.
On s'arrêtera longtemps — et ce ne sera pas une méditation super-
flue par ce temps de fantaisies déliquescentes, d'art diffluent et dis-
persé — devant la muraille où les six envois de M. Raffaelli composent
un ensemble de tout premier ordre, solide, substantiel, d'une haute et
impressionnante maîtrise. Point de tricherie ni d'appel aux petites
ressources du métier, mais le plein triomphe delà difficulté vaincue par
un beau peintre qui est en même temps un merveilleux observateur.
L'Apprentie de M. Gustave Geffroy, qui fut un des succès de l'Odéon
au cours de cette saison si agitée sur la rive gauche, revit au naturel,
dans la première de ces toiles. Elle déambule le long du quai du Lou-
vre, le carton tenu d'uue main, le parapluie serré de l'autre, sur le dos
une casaque de la Samaritaine, sur la tète un chapeau à quatre quatre-
vingt-dix garni de fournitures indigentes, aux pieds de lourds « ribouis »,
des godillots pour trottin. Un chef-d'œuvre de réalisme et aussi tout
un symbole, celui de la destinée des petites plébéiennes qui vont faire
à la fois l'apprentissage de l'existence et celui du gagne-pain. — A titre
de robuste pendant, pris toujours dans la vie humble mais qui, celte
fois, ne comporte ui rêve d'avenir ni radieuses échappées, un bûcheron
à bourgeron rouge et son chien, lequel a une physionomie curieusement
humaine, bien personnelle. Et vous retrouverez encore avenue d'Antin
le Raffaelli non moins magistral de la banlieue rendue loyalement
sous ses aspects les plus austères et du Paris grouillant des environs
de l'Opéra, maintenant centre et cœur de la grande ville (cœur agité et
centre cosmopolite). Regardez le boulevard des Italiens pris devant le
pavillon de Hanovre. C'est un tableau de musée et un document saus
prix pour les historiens futurs de notre foisonnant vingtième siècle.
M. Courtois n'a exposé qu'un tableau, mais il a dû le faire grand,
très grand pour garnir la salle des mariages de l'Hôtel de Ville de
Neuilly. Son Paradis perdu garnit les trois quarts de la muraille qui
fait face au panneau symbolique de M. Roll. C'est une toile immense :
un arc-en-ciel la divise en deux parties à peu près égales. D'un côté un
Adam très en chair, et qui a pu sans inconvénient prêter une de ses
côtes pour dédoubler l'humanité, est étendu sur le gazon dans la pose
avantageuse d'un baryton préhistorique. Il accepte nonchalamment
la pomme que vient de cueillir une Eve grassouillette aux branches
d'un pommier couvert à la fois de fleurs et de fruits, réunion vraisem-
blable sous un climat paradisiaque. Dans l'autre partie du tableau,
Eve, enveloppée d'un grand manteau brun qui la drape en chanteuse
d'opéra, serre sur sa poitrine le petit Cain, premier fruit de ses en-
trailles, et dirige un regard mélancolique vers l'Éden perdu. Elle est
visiblement maigre, mais Adam, qui nous apparaît de dos, a gardé
toute sa carrure, et il en a besoin car nous le voyons porter de lourds
filets vers la barque amarrée au rivage.
Ce second groupe symbolise évidemment les conséquences du péché
originel. L'ensemble — où nous devons voir une contre-partie sincère
et par conséquent respectable du procédé de décoration Puvis de Cha-
vannes — n'est pas sans lourdeur avec ses figures par trop ressenties ;
mais le paysage se compose poétiquement, et la dégradation lumineuse
des fonds met en valeur le jolis clos normand — d'une Normandie
d'Asie-Mineure — où s'épanouit le pommier fleuri.
M. Maurice Denis chavannise au contraire, mais avec des qualités
très personnelles d'exécution souple et des colorations charmantes,
dans son Éternel printemps destiné à la décoration d'un hôtel particulier.
où il évoque aussi le répertoire d'harmonieuses attitudes des primitifs
italiens. Trois panneaux, dont les cadres de grisailles représentent
les douze signes du zodiaque, contiennent les épisodes caractéris-
tiques des saisons. La premier est consacré à la musique et à la danse ;
432
LE UENË-TREL
une théorie de vierges aux longs voiles blancs évolue autour d'une vio-
loniste en tunique bleue ; des fleurettes avivent de touches pointillées
cette scène de rêve située dans un décor poétique. Le second nous
montre une jeune femme cueillant des roses et ses compagnes qui
tressent des couronnes. Dans la dernière composition, la chasse et la
vendange servent de prétexte à de gracieux groupements. L'exécution
reste volontairement sommaire et cet archaïsme prémédité n'est pas
sans engendrer quelque monotonie, mais il y a un concert vraiment
harmonieux d'assemblage de lignes et d'unisson de tonalités.
M. Lerolle demeure fidèle aux colorations blondes où s'estompent et
flottent, en gardant leur rythme charmeur, des figures féminines péné-
trées de la grâce antique. Les deux panneaux qu'il intitule Douces
journées sont des compositions virgiliennes à l'ambiance brumeuse
que soulignent des traînées transparentes de blanc et d'indigo. L'une
dispose une réunion de jeunes femmes sur un cap qui domine la mer
bleue : deux musiciennes en tunique flottante et un petit cercle d'audi-
trices rêveuses; dans l'autre le paysage s'argente autour des baigneuses
presque uniquement vêtues
De ces brouillards légers que l'aurore soulève
Et qu'avec 1; matin on voit s'évanouir...
M. Osbert donne à ses personnages des contours de statues polychro-
mées par le reflet de la mer et des verdures. Toutes ses femmes sont
des Muses, et Apollon reconnaîtrait ses préférées dans le très beau
groupe du Soir antique qui regarde le soleil mourir à l'horizon d'une
lente et souveraine agonie. Douleur, la Brume du matin, Coin solitaire
se composent décorativement et se prêteraient à être grandis pour
meubler de vastes surfaces monumentales.
L'idéal antique garde un autre fidèle en M. Alexandre Séon. Son
Orphée pleurant Eurydice est d'une noble simplicité de lignes, avec
l'habituelle surenchère d'austérité des procédés, et sa Beauté un com-
mentaire grave de la célèbre strophe de Baudelaire :
Je trône dans l'azur comme un sphynx incompris ;
J'unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes.
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.
Les peintures de M. Séon ne sont pas indifférentes. Elles font penser
tour à tour à des dessins d'Ingres sommairement teintés et à des mo-
dèles de Gustave Moreau dépouillés de leur harnais de pierres pré-
cieuses. M. Marzocchi de Bellucci a traité en fresque le Rêve du faune
et suffisamment rajeuni cette donnée classique. M. Walter Crâne
rappelle Burne Jones (et l'obscurcit) dans son allégorie de l'Art et la Vie
qui ne dit plus rien à force d'en vouloir trop dire. M. Crébassa s'offre
au contraire la joie des claires couleurs et des notations franches dans
son plafond de la Danse (destiné à une salle de mairie) où les étoffes et
les chairs chantent avec la même allégresse.
M. Gervex expose l'esquisse d'un plafond pour le palais de l'Elysée
qui parait extrêmement chargé d'une richesse et d'un foisonnement
tout vénitiens. Maquettes ou compositions entièrement réalisées,
voici quelque chose de moins fastueux mais d'une grâce plus enve-
loppante, plus charmeresse, les études des plafonds exécutés au Caire
par M. Hippolyte Berteaux : La Jeunesse invoquant les lumières des
sciences, des lettres et des arts, « pour le palais de Son Excellence Seifoul-
lah Yousry Pacha » nous apprend le catalogue. Voilà un pacha qui a
le goût des allégories édifiantes ! Du moins en aura-t-il été récom-
pensé, caries esquisses annoncent des œuvres d'une souplesse d'exécu-
tion et d'une qualité lumineuse vraiment rares que reproduisent la
Primavera et le Réveil de Vénus du même peintre.
Revenons à la modernité en nous arrêtant devant le panneau consi-
dérable établi par M. Caro- Del vaille pour l'hôtel Westminster et
intitulé le Paon blanc. Cette toile recouvrira le mur d'un hall. Elle repré-
sente une salle commune ; elle y fera donc office de miroir. Le peintre
a groupé des personnages d'âges et de sexes différents, de types
généralement amorphes, de physionomies en quelque sorte anonymes,
ainsi qu'il convenait ; à gauche, des jeunes gens au profil anglo-saxon,
gourmés, rasés suivant la mode qui crée des messieurs tout en peau
d'aspect peu récréatif ; à droite une mère, une chambrière, des enfants.
Au milieu uu voyageur d'une quarantaine d'années, assis dans un
fauteuil d'osier à l'horrible carcasse en forme de bain de siège, caresse
un paon blanc dont le plumage s'éventaille sur les marches basses d'un
escalier intérieur. Ces comparses de la période d'attente qui précède le
diner sont rendus avec quelque sécheresse et témoignent un peu trop
d'indifférente placidité dans leurs rôles de tenue. Mais il y a un mor-
ceau vraiment délicieux, dont la grâce anime le tableau : une jeune
femme â demi penchée. Elle monte d'un pas souple, et sa robe d'étoffe
légère ondule comme la roue ocellée du paon.
M. Weerts évoque avec une ferveur émouvante qui donne un véri-
table élan lyrique à son procédé d'ordinaire sec, concentré et même un
peu étriqué, l'Instant étemel, celui où l'aveu fleurit sur les lèvres des
amants dans une aube printanière. Cet instant est commenté au bas du
cadre par un quatrain dont les intentions sont excellentes et les alexan-
drins médiocres. L'auteur l'a rimé en forme d'apostrophe de l'Élu à
l'Aimée (ce genre de poésie réclame des majuscules comme il exige
des points d'exclamation).
Ah ! je l'ai votre aveu, grand de tout son mystère !
Notre instant fugitif plus qu'un ciel a valu.
Entre nous a passé la beauté de la terre
Et l'ampleur du silence où plane l'absolu.
Illuminant ce pathos d'un rayon de son soleil intérieur ou témoi-
gnant à la mauvaise littérature une indifférence qui serait bien de son
âge, la jeune fille vient de se donner pour la vie et se tient debout près
d'une fenêtre ouverte. Son regard glisse au dehors, cherchant l'avenir,
tandis que l'amant agenouillé pose sa bouche sur la main tremblante.
Une ambiance délicatement attendrie enveloppe la scène.
Trois immenses compositions de M. Rachou sont destinées à la
mairie de Toulouse. Elles ont le mérite d'être sérieuses et remplies,
ce qui les empêche de paraître encombrantes. Le peintre y célèbre sans
emphase ni déclamation le travail des populations des rives de la
Garonne. Nous y retrouvons les tonalités d'un blond rosé qui poudrent
les arbres et le sol de cet heureux pays d'une cendre d'or où s'étein-
drait un lointain couchant. La Famille, de M. Lhermitte, nous ramène
à la gravité de Millet avec plus de précision dans le style et un foison-
nement de détails dans la composition. Le cadre est d'une grande
beauté: des laboureurs au repos, des bœufs blancs sur lesquels on
pose le joug, une meule que les rayons bas enveloppent et baignent
d'une lumière dorée filtrant jusqu'à l'ombre portée. Le moissonneur
dont la journée est finie et dont la faux pèse sur l'épaule regarde avec
une tendresse inconsciemment recueillie le nourrisson allaité par sa
mère. Une fillette qui regarde, une mère-grand complètent le groupe.
Ce tableau émouvant ramènera sur les murailles du Luxembourg la
tradition des Géorgiques de France.
Dans la pose un peu théâtrale que comportent la somptuosité de la
décoration du Vatican et le caractère d'un costume datant de Velasquez,
Don Fernando F.. « chambellan de cape et d'épée de Sa Sainteté Pie X »,
arbore avec une fringante élégance un pourpoint, des hauts de chausses,
un mantelet, une fraise tuyautée. Le directeur de l'école de Rome,
M. Carolus Duran, s'est offert la joie, très vive pour un coloriste aussi
maître de sa palette et de sa pâte, de faire passer toute la série des
noirs savoureux, ternes ou profonds en cette image protocolaire. Le
morceau est délicieux et l'on peut dire, sans crainte d'associer les
contraires, que le peintre français, le plus apparenté â Rubens, a mis
tout son métier comme toutes ses complaisances dans cette page sobre-
ment fastueuse.
Si M. Carolus Duran semble le traducteur prédestiné des dernières
pompes souveraines, M. Friant a le tempérament d'un fabricant de
mélodrames populaires ou d'un illustrateur de romans- feuilletons. Il
voit gros — et en gros. Il peint de même, il ne cherche guère à figno-
ler, et d'ailleurs son talent, très spécial, ne se prêterait pas aux re-
cherches psychologiques, mais il a le sentiment dramatique et se soucie
par-dessus tout d'impressionner le spectateur. Sa Peine Capitale —
dont l'actuel parti pris de clémence fait une composition archaïque —
est le procès-verbal d'une des anciennes matinées de la Louisette relé-
guée maintenant au magasin d'accessoires. Devant la porte de la
Roquette se découpent, sur un ciel d'aube strié de bandes livides, les
deux montants de la guillotine. Le condamné sort delà prison, l'aide
du bourreau a jeté un bourgeron sur sa chemise échancrée d'où sort
un col de taureau aux vertèbres saillantes. L'aumônier cherche à lui
masquer l'échafaud, mais il écarte le crucifix et regarde avidement,
hypnotisé par la sinistre machine. Les bourreaux attendent, impassi-
bles et muets comme des agents du destin ; les gendarmes ont formé
le cercle. Au demeurant, une vulgarité brutale qui n'est pas sans
grandeur. — Pour contraster avec cette violente enluminure, voici la •
Leçon de mandoline du même peintre — une mère et sa fillette dans un
jardin — toute en joliesse de contours et gaitê de lumière, sans aucune
trace des bitumes qui endeuillent le décor de l'exécution capitale.
Le talent très réel de M. Lévy-Dhurmor a subi cette année une sorte
d'infiltration métallique. Le peintre ne s'est pas contenté d'évoquer les
Fondeurs dans la gloire ardente des fournaises et des tourbillons de
rouge fumée, il leur a emprunté une coulée' de bronze pour son Bee-
thoven au masque puissant, au crâne qu'on voit bouillir comme une
chaudière et dont les yeux lancent des flammes à la façon des tètes de
morts de la mise en scène du Freischûlz. L'effort est excessif, mais le
résultat intéressant et l'on éprouve quelque satisfaction à voir surgir
LE MENESTREL
133
;iu milieu de tant d'œuvres neutres cette caboche colossale forgée sur
l'enclume romantique.
Arrêtons-nous cependant sur des impressions plus douces à la fin de
cette nouvelle promenade. M. Guillaume Dubufe, grand organisateur
du Salon de la Nationale, ne se contente pas de mettre en valeur les
envois de ses confrères avec un goût très sûr et un méritoire éclectisme ;
il expose d'aimables notations de Capri, Athènes et Interlaken, où son
tempérament de fin coloriste peut faire jouer harmonieusement les
tons de pierres précieuses depuis la lapis-lazuli jusqu'à l'émeraude et
à la topaze brûlée. Mais on goûtera tout particulièrement dans la
section des dessins la Madone en bleu d'un galbe très pur sous ses
voiles de lin. Une impression subtile, teintée de mélancolie, se dégage
également de l'exposition de M. Jean Gounod. La grâce aristocratique
d'un modèle fémiuin et ses attaches uu peu frêles font penser au
maître Hébert, mais l'exécution est'bien personnelle avec la délicatesse
des tons transparents sur les chairs nues. Et les deux autres toiles,
Soir d'été et Tendresse sont des visions poétiques, légèrement formulées,
sous lesquelles semble courir un rapide accompagnement musical.
(A suivre.' Camille Le Senne.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour les seuls adonnés a la musique)
Les extraits du Chevalier cV-Èon ayant, auprès de nos abonnés, aussi grand succès
que la partition elle-même auprès du public de la Porte-Saint-Martin, continuons
nos emprunts à l'œuvre charmante de Rodolphe Berger. Voilà donc un nouveau
fragment du Ballet des Roses, une mazurka tout à fait entraînante et franche de rythme
sur laquelle font leur entrée les «Roses mousses ». Au théâtre, le plaisir des oreilles
ne le cède en rien à celui des yeux tant les costumes rivalisent de charme, d'élégance
et de richesse avec la musique. Nous n'avons qu'un regret, celui de ne pouvoir
envoyer à nos lecteurs, en même temps que cette Mazurka, un bouquet des fleurs
délicieuses qui la mettent si bien en valeur.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique ("2-2 avril). — Le beau drame sacré de
M. Massenet, Marie-Magdeleine, a obtenu, le jeudi-saint, à la Monnaie, un
gros succès, devant un public extrêmement brillant et clialeureux. L'œuvre
avait été mise en scène par la direction avec des soins particulièrement
curieux et artistiques, qui en réalisaient aussi fidèlement que possiblel'atmos-
phère religieuse et pittoresque. Plastiquement, les quatre parues de Marie-
Magdeleine faisaient quatre tableaux merveilleusement composés et réglés.
Musicalement, ils ont été, pour les interprètes, l'occasion d'une belle victoire.
Mme Pacary ebante avec un art et un sentiment remarquables le rôle de
l'héroïne, qu'elle créa à Nice ; M. Verdier, également créateur à Nice, prête
sa belle voix à celui de Jésus; et Mme Blaucard et M. Artus ont complété cet
excellent ensemble. Une mention toute spéciale doit être accordée aux chœurs,
dont la tache est exceptionnellement importante, et qui ne se distinguèrent
jamais par autant de conviction, d'expression nuancée, délicate et colorée, et
à l'orchestre, admirable, comme il sait l'être sous le bâton de M. Sylvain
Dupuis. Il n'en a pas fallu davantage pour que les grandes pages, tendres et
émouvantes, de l'œuvre produisissent une impression très douce de charme et
de ferveur. Le deuxième acte surtout, délicieusement interprété, a été acclamé,
ainsi que les touchantes déplorations de la Madeleine, au troisième, et la
scèue finale delà résurrection, dont l'effet, rendu par un curieux jeu de glaces.
a été très grand. — MUe Mary Garden, après sa « rentrée » dans Pellêas et
Mélisande. a repris Manon, où elle est si pleine de vie et de passion. C'est mer-
veille de voir avec quelle souplesse une artiste est capable de se transformer
à ce point, de passer d'un extrême à l'autre, de la candeur naïve d'une « petite
princesse » de Maeterlinck à la coquetterie frémissante de la courtisane
amoureuse de l'abbé Prévost, et d'être, avec cela, toujours personnelle et tou-
jours intéressante, parce que toujours vraie. MUe Garden nous a dit sa joie
d'incarner des personnages si divers. L'hiver prochain, à New-York, elle
compte chanter, outre Manon, où elle ne s'est pas encore montrée aux Amé-
ricains, un autre rôle de M. Massenet, bien différent, celui du Jonglsur de Notre-
Dame... Oui, le jongleur, en travesti !... Le personnage demande une inter-
prétation claire, jeune, légère et vibrante, tout ensemble; cela ne se trouve
pas toujours chez un ténor, chez un fort ténor, car le rôle exige des « moyens »
peu ordinaires; — et cela se trouvera tout naturellement chez un soprano,
servi par une intelligence comme celle de MlleMary Garden. — Une autre
artiste, d'intelligence pénétrante, Mme Georgette Leblanc, est venue donner à
l'Alcazar une sorte de récital composite, causerie, drame et chant, dans lequel
elle a fait entendre quelques-uns des beaux « poèmes de M. Maeterlinck »,
mis en musique de façon si expressive par M. Fabre. Le lendemain elle a
joue Monna Vanna. Succès enthousiaste. L. S.
— Un portrait pittoresque de chef d'orchestre tracé dans un journal belge;
il s'agit do M. Alex. Birnbaum, qui diriges à Bruxelles le dernier concert
Ysaye :
Sa manière est expressive et héroïque, superlativement, Il pa une
symphonie comme un colonel des cuirassiers pour charj Une fo m tra-
vail est terrible! Il sabre, il lutte, il boxe, il soulèvi les poids, rdeaux
sur les épaules, il porte le monde : c'est Hercule Ulas. Il per-
suade, il dissuade, il insinue, et suggère, il ordonne, il fascine, léfend:
c'est'aussi Eschine et Démosthène. 11 lève les bras au ciel, i. prend les dieu
témoin, il offre son ànie an Tiùs-llaut; ou bien il bénit ■
à moins qu'il ne tourne une mayonnaise ou môle une salade. Parfois aussi il con-
duit à quatre, et son bâton devient une chambrière; ou bien c'est une < a.nne i pèche
dont il ferre'et amène quelque mystérieux poisson. Parfois il se ruche, empoigne,
terrasse, écrase son adversaire; il fait des coups de jiu-jitsn; ou bien il i
comme Miss Isadora Duncan ; à moins qu'il ne se torde de douleur ou qu'il n'exulte
de joie.
— M. Richard Strauss vient d'être nommé chef d'orchestre des concerts
symphoniques de la Chapelle royale de Berlin, en remplacement de M. I'élix
Weingartner. Cette nomination a surpris tout le monde et M. Richard Strauss
lui-même, car, étant déjà l'un des kapellmeister de l'Opéra-Royal, rien,
jusqu'à la dernière heure, ne lui avait fait supposer que le choix put tomber
sur lui. On sait aussi que l'empereur n'a jamais apprécie beaucoup la musique
de M. Richard Strauss, et cela seul paraissait devoir écarter pour un temps
indéfini sa candidature. Quoi qu'il en soit, le compositeur s'est empressé
d'accepter les propositions qui lui étaient faites et s'est déclaré disposé à
signer un engagement de trois années. Il a tenu toutefois à se réserver pour
la prochaine saison d'hiver, la faculté de se faire suppléer pendant quelques
séances. La question du répertoire des concerts a été abordée; on jouera en
1908-09 plusieurs symphonies de Haydn et de Mozart, et toutes celles de
Beethoven.
— Il parait que le superbe stradivarius du grand violoniste .Toacbim a été
acquis par M. Robert Mendelssohn, le riche banquier de Berlin qui appartient
à la famille de l'auteur de la Symphonie écossaise, et qu'il a confié cet instru-
ment, sa vie durant (!) au violoniste Cari Klinger, qui fut l"un des meilleurs
élèves de Joaehim.
— Une vente intéressante d'autographes musicaux vient d'avoir lieu à
Berlin. Les plus hauts prix ont été atteints par ceux de Beethoven. Une lettre
de lui de onze pages, la plus longue qu'il ait écrite d'après ce que l'on croit, a
été adjugée à M. Kanka, de Prague, au prix de 2.562 francs ; une autre, por-
tant au bas ces mots : « Votre ami souffrant, Beethoven », est montée à
1.230 francs ; une troisième, adressée à son frère Jean et portant en marge
cette indication : « Venez d'abord, il y a des affaire; d'une grande impor-
tance » a été vendue en lot avec deux autres, et a obtenu 2.623 francs. Un
billet envoyé à Grillparzer a été payé 875 francs ; en voici le contenu : a La
direction souhaiterait vivement de connaître vos conditions au sujet de
Melusine. Mon intérieur est depuis quelque temps dans un grand désordre.
Après-midi, vous me trouverez au café de l'Abeille d'Or ; si vous voulez bien
venir, je vous prie de venir seul, cir votre importun satellite. Monsieur
Schindler. est extrêmement contraire à mes idées ». Parmi les autres manus-
crits, un fragment de la cantate de Bach Es isl dos Heil uns kornmen lier (C'est
le Sauveur qui nous vient) a obtenu 230 francs ; une lettre de Chopin à
Mme "Wodczinska : « Le piano vous a-t-il plu ? S'il en est autrement, je
consens à ce que vous me mettiez en pièces », a été poussée jusqu'à 775 francs.
Une lettre de Gluck a excité beaucoup de curiosité; elle a été acquise au prix
de 1.937 francs. Un contrat, signé du même maître, relatif à ses opéras
Iphigénie en Tauride et Eclio et Narcisse, cédés moyennant 20.000 livres, a
trouvé acheteur pour 375 francs.
— Il y a tout de même des gens qui usent de singuliers procédés pour se
faire des rentes, sans recourir à l'élevage classique des lapins. Une chanteuse
de théâtre, Mme Eichbaum-Deultoff, et son mari, M. Eichbaum, architecte à
Charlottenbourg (Berlin), avaient imaginé un truc pour vendre très cher des
pianos achetés à très bas prix, en faisant annoncer qu'une cantatrice d'opéra
offrait de vendre d'occasion le piano qui lui avait servi. Ils en vendaient
comme ça des tas, parait-il, si bien que la ligue des négociants allemands de
pianos s'émut de cette concurrence déloyale, et porta plainte contre ses auteurs,
qui furent condamnés par le tribunal de première instance, lequel s'exprimait
ainsi : — « Il est fait défense aux accusés, sous peine d'une amende de
400 marks pour chaqu« récidive, d'offrir publiquement en vente des pianos,
avec cette déclaration, qu'une chanteuse d'opéra offre à vendre d'occasion
son inst-ument, ou avec d'autres déclarations semblables contraires à la
vérité.» Les dits accusés firent appel de ce jugement; mais il fut prouvé que,
par le moyen employé par eux. ils étaient arrivés à vendre jusqu'à cinq pianos
en un seul jour, et que dans 1 espace d'une année ils en avaient placé plus de
cent. Or ces pianos, que les experts ont qualifié de « pianos de menuisiers »,
étaient achetés par eux. 365 marks, et, sous prétexte d' « occasion », vendus
aux amateurs 433 marks. Ils ont. cherché à s'excuser en affirmant qu'ils
avaient fait un traité avec une fabrique, par lequel celle-ci s'engageait à
fournir à la chanteuse un piano neuf pour chaque concert qu'elle donnait en
différentes villes au prix de 363 marks, alors que cette même fabrique ven-
dait ces mêmes pianos 750 marks au public. Rien n'y fit, et la cour d'appel
confirma purement et simplement le premier jugement.
— Plusieurs manuscrits encore inconnus du compositeur Anton Bruckner
(1821-1806) viennent d'être offerts par un de ses anciens camarades. M. Joseph
134
LE MENESTREL
Seiberl, au musée municipal de Lintz; ce sont : une messe chorale sans Kyrie
ni Gloria, datée de 1844; une autre messe chorale en ut majeur, pour orgue,
alto et deux cors; un chœur à quatre voix en fa mineur; un chant funèbre
pour quatre voix d'hommes et trois trombones intitulé Devant le tombeau
d'Arneth (Arnetb était un prélat de l'église Saint-Florian, à Lintz); un chœur
mixte à quatre voix, le Noble cœur, texte de Marinelli ; un chœur d'hommes à
quatre voix, écrit pour un anniversaire de naissance ; deux motets pour
chœurs d'hommes; deux chants funèbres pour chœurs mixtes à quatre voix;
enfin une lettre adressée par Bruckner à son ami M. Seiberl, à Saint-Florian,
du 19 mars 1852.
— Un monument en l'honneur de Bach, dont l'auteur est M. Charles
Seriner, sera dévoilé à Leipzig le 17 mai prochain. Des fêtes musicales d'une
durée de trois jours seront organisées à cette occasion.
— A l'Opéra-Populaire de Vienne a eu lieu, le 14 avril dernier, la première
représentation d'un opéra nouveau en trois actes, Frau Holda. Le compositeur,
M. Max Egger. a composé lui-même son livret, d'après une nouvelle de
Rodolphe Baumbach, publiée en 1881. Le même théâtre annonce, pour le
milieu du mois de mai. des représentations de Werther et de Pelléas et Méli-
sunde, avec des chanteurs de l'Opéra-Comique de Paris.
— A l'occasion des fêtes du jubilé de l'empereur François-Joseph, l'asso-
ciation des chanteurs de la Basse-Autriche donnera le 7 mai prochain, dans
le parc du château de Schœnbrunn, une sérénade à laquelle prendront part un
chœur de plus de quatre mille voix et toutes les musiques militaires de
Vienne.
— - Il faut que la politique se mêle sottement aux questions artistiques,
même les plus intéressantes. A l'occasion des fêtes du jubilé de l'empereur
François-Joseph, on avait projeté, à Vienne, de donner, au Théâtre An der
Wien, une série de représentations d'œuvres données dans la langue et
dans les costumes des diverses parties de l'empire. Naturellement, l'art tchèque
devait avoir sa part dans cette manifestation curieuse, et la troupe du Théâtre-
National de Prague s'apprêtait à se rendre â Vienne à cet effet. Mais on avait
compté sans les pangermanistes, qui ont menacé de faire du scandale aux
spectacles tchèques s'ils se produisaient, et l'on a du y renoncer. Et l'on pré-
tend que les Viennois sont très artistes !...
— Le beau monument du sculpteur Hellmer en l'honneur de Johann
Strauss, dont nous avons parlé en janvier dernier, est en pleine voie d'exécu-
tion. Il sera érigé dans le parc municipal de Vienne où sont déjà les statues
de Schubert et du peintre Makart. B aura sept mètres de haut sur onze de
large. Sa forme est celle d'une vaste arcade au milieu de laquelle on voit, sur
un piédestal, le jeune Johann Strauss, très svelte et très élancé, dans une de
ses attitudes favorites lorsqu'il jouait du violon. Des deux côtés de l'arcade
s'élève une double théorie de jeunes femmes et de jeunes filles dansantes;
deux d'entre elles, qui se rencontrent au sommet, s'étreignent avec passion
dans un baiser. En bas, deux figures méditatives complètent harmonieuse-
ment le cadre. Ce monument sera tout entier en marbre des carrières de
Siebenbùrgen, à l'exception de la statue de Johann Strauss qui sera faite en
bronze. Les frais s'élèveront à 150.000 couronnes, sur lesquelles une somme
de 30.000 a été souscrite par le ministère de l'instruction publique. L'œuvre
est déjà baptisée ; on l'appelle à Vienne le monument de la valse, Walzer-
Monumcnt.
— La dernière fille de Lortzing, M"10 Lina Krafft, établie à Vienne depuis
1848, époque où son père remplissait les fonctions de chef d'orchestre au
théâtre An der Wien, est maintenant âgée de quatre-vingts ans, et ses
moyens d'existence sont si précaires que l'Opéra-Populaire de Vienne a du
organiser à son bénéfice une représentation de l'Armurier, l'un des ouvrages
les plus appréciés du maître. On a souvent rappelé cette épitaphe, gravée sur
le tombeau de Lortzing : « Son chant fut allemand et de l'Allemagne lui vint
sa souffrance; sa vie fut une lutte contre la misère et l'envie. La souffrance a
fui maintenant loin de ce lieu de repos ; le combat est fini, le chant résonne
encore ». On sait que Lorlzing mourut dans l'indigence; des funérailles pom-
peuses lui furent faites, mais sa famille n'en resta pas moins dans la gêne.
Un monument en son honneur a été inauguré au mois de décembre 1906 au
Jardin des Plantes de Berlin, près de l'île Jean-Jacques Rousseau.
— Le Deutsches-Theater de Prague organise pour le mois prochain, sous la
direction de M. Angelo Neumaun, des représentations de gala auxquelles parti-
ciperont les troupes les plus célèbres de l'Europe. Le corps de ballet de l'Opéra et
la troupe de l'Opéra-Comique de Paris donneront chacun deux représentations ;
le Lessing-Theater de Berlin, trois; l'Opéra-Comique de Berlin, deux; l'Opéra
de la Cour de Dresde, une; l'Opéra de la Cour de Vienne, une; le Hofburg-
Theater de Vienne, une; le Bofschauspielhaus de Dresde, une; le théâtre de
la Cour de Schwerin, deux représentations. L'Opéra-Comique de Paris jouera
Werther et Pelléas et Mèïisancle; le corps de ballet de l'Opéra de Paris, la Kor-
rigane et la Muladetta.
— Un journal étranger nous apprend que la succession de M. Henri Marteau
comme professeur de la classe supérieure de violon au Conservatoire de
Genève sera très vivement disputée. Parmi les nombreux candidats en pré-
sence on cite surtout, entre autres, les noms de MM. Hugo Heermann et Cari
Flesch. Ce dernier ne nous est pas inconnu. Hongrois d'origine, il est né à
Mosonyi en 1873 et il a fait son éducation de violoniste au Conservatoire de
Paris, d'où il est sorti en 1894 avec un très brillant premier prix. Le même
journal croit savoir qu'il serait aussi question, au Conservatoire de Genève,
« de confier une classe de chant au célèbreFugère ».I1 ne donne toutefois cette
nouvelle que « sous toute réserve ». Nous savons cependant que l'offre a été
réellement faite au remarquable artiste.
— Le Théâtre-Verdi, de Florence, a donné, le 11 avril, la première repré-
sentation de Rhea, opéra en quatre actes, paroles de M. Paul Milliet, musique
de M. Spiro Samara, qui parait avoir obtenu un vif succès. L'action, très dra-
matique, se déroule à Chio dans la seconde moitié du XIVe siècle, en un
temps où la patrie (l'une des patries !) d'Homère formait une sorte de répu-
blique instituée par des aventuriers génois. Le compositeur, qui est Grecd'ori- '
gine, s'est servi avec habileté de diverses mélodies de son pays qui donnent à
sa partition une couleur caractéristique. On cite, parmi les pages les mieux
venues, au premier acte une romance de ténor et un duo d'amour impression-
nant, au second un intermezzo et un quatuor dramatique, et au troisième
1' « hymne à l'astre delà nuit », un second duo et un trio bien venu. L'exécu-
tion, excellente, réunissait les noms deMmK Del Signore et Tandi.de MM. Gar-
bin, Benedetti et Cocchi.
— On vient de placer, à Livourne, dans le vestibule du Théâtre-Rossini,
une plaque commémorative portant une inscription ainsi conçue :
Pour honorer Gioacchino Rossini
ici oii s'élevait l'ancienne enceinte de Livourne
fut, par l'œuvre de G.-B. et Innocenzo Gragnani, ingénieurs,
érigé ce théâtre
que l'Académie des Fulgidi acquérait
et avec les divines mélodies du Mosè
le soir du 75 octobre IS42
ouvrait solennellement.
— Le syndic de Rome, M. Nathan, et une délégation de députés se sont
rendus auprès de M. Rava, ministre de l'instruction publique, renouvelant
leurs instances pour que soit résolue la question de la transformation du
Lycée musical Sainte-Cécile en un Conservatoire d'État. Le ministre a promis
de porter la question au Conseil des ministres et d'appuyer le projet de tout
son pouvoir.
— On donne comme imminente, en Italie, la publication d'un Scherzo pour
piano inconnu et inédit de Rossini, que celui-ci offrait, à Florence en 1850. à
la marquise Teresa Menafoglio, veuve du chevalier Giuseppe Ricci, victime de
la politique de François IV, duc de Modène. L'édition, très élégante, adressée
au ministre Luigi Rava, qui avait autorisé l'acquisition du manuscrit, sera
accompagnée d'un fac-similé de la dédicace autographe de Rossini, d'un por-
trait de l'intelligente et cultivée marquise Menafoglio et d'une notice histo-
rique préliminaire. Elle est faite avec l'autorisation du Lycée musical de Pesaro,
propriétaire, comme ou sait, des œuvres de Rossini.
— C'est étonnant les découvertes qu'on fait depuis quelque temps concer-
nant la musique et les grands musiciens; elles abondent de tous côtés. Une
nouvelle parvenue cette semaine à Paris nous apprend qu'on vient de trouver
à Chiavari (province de Gènes), chez un médecin, « quatre nocturnes pour
violon et piano de la main de Pagauini », ainsi qu'une série de vingt-cinq
lettres de l'illustre virtuose « et son violon préféré ». Il est surprenant que
Paganini, qui tenait sa musique aussi secrète que possible, ne voulant pas
qu'un violoniste y pût jeter les yeux, ait laissé s'égarer ainsi quatre composi-
tions intéressantes. Quant à « son violon préféré », c'est l'admirable Joseph
Garnerius qu'il jouait dans tous les concerts et qui l'accompagna dans toutes
ses pérégrinations à travers l'Europe. Or, il ne saurait se trouver chez un mé-
decin à Chiavari, attendu qu'il repose tranquillement dans une vitrine expo-
sée à l'hôtel de ville de Gênes, Paganini l'ayant légué par testament à la
municipalité de cette ville, où il était né. Ce simple détail nous rend méfiant
pour le reste de la nouvelle.
— Un de nos confrères italiens publie ce qui suit : « Aux premiers feux de
l'aurore du mois d'avril, un vendredi, le Secolo XIX a lancé à ses lecteurs la
nouvelle d'un grand projet d'après lequel on verrait bientôt réunis sous une
direction unique les principaux théâtres lyriques d'Italie, sans compter qu'on
construirait un nouveau grand théâtre à Rome. Les adhérents et les sous-
cripteurs ne manqueraient pas. Le comte de San Martino verserait
200.000 francs, à la condition d'être président; l'éditeur Sonzogno, 100.000;
le commandeur Florio, 300.000; le chevalier De Sanna, 300.000. L'imprésario
Frattini disposait, parait-il, par lui-même et pour le compte de ses amis, d'un
capital d'un demi-million, mais au moment de se décider il quitta la séance.
M. Walter-Mocchi aurait promis un million de la Société Italo-Argentine et
serait directeur général artistique du nouveau trust, lequel prendrait pour lui
les théâtres de laScala de Milan, San Carlo de Naples, Regio de Turin, Massimo
de Palerme, Costanzi et Adriano de Rome, Fenice de Venise, etc. Nous avons
lu tout cela avec stupéfaction et même avec une sérieuse préoccupation. Où
finirons- nous, nous, agents de théâtre? Où finiront les impresarii? Par cha-
rité, ne nous abandonnez pas, vous de la « Maison de repos » Giuseppe
Verdi! » Tout cela ne parait pas absolument sérieux, malgré les précisions
énoncées. Cependant, il y a longtemps déjà que certains projets de ce genre
sont dans l'air et qu'on en parle chez nos voisins.
— Sous ce titre : Trésors musicaux destinés à la destruction, le Giornale d'Italie
publie quelques extraits d'une lettre adressée par le Dr Johannes Wolff, écri-
vain musical berlinois, à la Kirchcnmusikulisches Sahrbruch. L'importance de
celte lettre est considérable en raison des révélations qu'elle apporte sur Fin-
LE MÉNESTREL
133
curie et le manque de soins dont sont l'objet à Rome, au Vatican, les trésors
que l'art musical a accumulas là depuis plusieurs siècles, et dont la destruction,
par suite d'une coupable impéritie, serait une véritable calamité.
On devrait croire, dit le docteur WolIT, qu'une institution qui a une histoire lumi -
neuse comme celle de la chapelle Julia (il Saint-Pierre) conserverait jalousement et
avec orgueil tous les souvenirs de son noble passé. Mais quand je fus introduit dans
la bibliothèque musicale de la chapelle pour y chercher le recueil manuscrit de
quelque canliones, recueil qui avait appartenu à Léon X, je fus épouvanté de voir
l'incurie avec laquelle on trailo l'héritage artistique d'un temps si glorieux.
Dans une salle située au point le plus élevé de Saint-Pierre, insuffisamment pro-
tégée contre la poussière et contre l'humidité, enfermés dans de primitives armoires
rainées par le temps, je trouvai, dans un désordre confus de précieux manuscrits,
précisément le recueil que je cherchais : de magniliques chorals tellement imprégnés
d'humidité ot de saleté que l'on pouvait à peine détacher un feuillet de l'autre. C'est
ainsi que vont, dépérissant de façon irréparable, des manuscrits contenant des
messes de Josquin Deprés, de Jean Mouton, de Verdelot, de Lhéritier, sans compter
le précieux legs de Pitoni, qui, outre 32 volumes d'œuvres théoriques et historico-
musicales, comprend près de 200 messes, parmi lesquelles des compositions colos-
sales à 48 voix en 13 chœurs. De splendides missels avec de précieuses miniatures
sont ici voués à une destruction certaine; d'autres imprimés, mais pourtant de
grande valeur, gisent dispersés ça et la dans des armoires, souillés et abimés. Des
exemplaires des premières éditions des œuvres de Josquin, de Vittoria, de Pales-
trina, ces derniers en quantité particulièrement considérable, sont traités comme des
papiers de rebut.
Et après avoir complété une longue liste d'ouvrages abandonnés de la sorte,
le docteur WolIT conclut ainsi :
Nous espérons que finalement les gardiens de tan t de trésors se rappelleront ce
qu'ils doivent aux grands maîtres, qu'ils voudront reconnaître le dommage dont ils
sont eux-mêmes la cause, afin de ne plus laisser davantage détruire ce que d'autres
bibliothèques acquerraient avec joie à quelque prix que ce fût. Beaucoup de choses
parmi les plus précieuses, comme les autographes de Palestrina, semblent déjà
irrémédiablement perdues. Que la chapelle Julia prenne au moins dans la considé-
ration qui leur est due les derniers témoignages de son ancienne gloire. Autrement,
il sera désirable que l'intervention d'une main puissante pourvoie énergiquement à
une plus décente conservation de la bibliothèque.
— Une ode, dont les paroles ont été composées par le duc d'Argyll et la
musique par sir Charles Villiers Stanford, sera jouée à Londres pour l'ouver-
ture de l'exposition franco-britannique, le M mai prochain.
— M. Nicolay, de la Scala de Milan, vient de donner à Londres plusieurs
récitals dans lesquels il s'est fait applaudir dans un répertoire excessivement
bien choisi et varié. Parmi les morceaux les plus appréciés se trouvaient des
airs de Lucrezia Borgia, de Donizetti, du Songe d'une nuit d'été, d'Ambroise
Thomas, de la .lotir fille de Perth, 'de Bizet, les stances de Lakmé, de Léo
Delibes, les Deux Grenadiers de Schumann, etc.
— La cantatrice Géraldine. Farrar vient de courir uu grave danger. A la fin
d'une représentation au théâtre de Baltimore, elle s'était avancée sur le
devant de la scène pour répondre aux acclamations et aux rappels du public,
lorsque tout à coup le rideau tomba brusquement. Un chanteur se précipita
sur elle et l'attira en arrière avec violence. Le rideau heurta le diadème qui
ornait les cheveux de la chanteuse et le mit en pièces, mais ni elle, ni l'artiste
qui l'avait sauvée n'en éprouvèrent aucun mal.
— Le ténor Dippel, qui vient d'être adjoint, pour la direction artistique du
Metropolitan Opéra de New-York, à M. Gatti-Casazza, ancien directeur de la
Scala de Milan, a répondu à un rédacteur du New-York Américain qui le ques-
tionnait sur ses projets: — «Jusqu'à l'arrivée de mon futur collègue M. Gatti-
Casazza, il ne me convient pas de faire entendre ce que nous entendons faire
dans la prochaine saison. Je puis dire pourtant que nous nous efforcerons de
maintenir l'équilibre entre l'opéra allemand, français et italien, et que peut-
être nous nous aventurerons à un essai ou deux d'opéra anglais, par exemple
avec celui encore inconnu de VAngelus, qui a remporté le prix du concours de
l'éditeur Ricordi. J'ai grand espoir que l'opéra américain et les chanteurs
américains acquerront un jour de l'importance, et quoique jusqu'à présent je
n'aie pas eu la chance d'entendre une œuvre américaine adaptée au genre de
l'opéra, je n'en serai pas moins toujours disposé à encourager la cause de la
musique américaine ».
— Pendant les semaines du carême, les œuvres de compositeurs modernes
qui ont été jouées le plus souvent dans les églises de New-York sout celles
de MM. Elgar. Théodore Dubois. Saint-Saêns, Guilmant, Brahms, Bossi et
même Wagner, dont l'ouverture de Taunhauser a été entendue dans l'église
du Tabernacle de Broadway en même temps que la Marche héroïque de Jeanne
d'Arc de M. Théodore Dubois. Dans l'amalgame bizarre que forme le réper-
toire de la musique religieuse à New- York, Bach et Palestrina ont tenu
naturellement une place importante.
— De New-York on nous signale les succès obtenus par M. Gustave Borde
et comme professeur et comme chanteur. Parmi les morceaux de son réper-
toire les plus applaudis, on nous signale : Vision fugitive d' Hérodiade de Masse-
net, Stances de Lakmé de Delibes, Toast de Marty, la Pluie de J. Hubert,
l'Arioso du Roi de Lahore de Massenet, Purgatoire de Paladilhe, etc.
— On continue à publier des chiffres sur la saison musicale qui vient de se
terminer à New-York. Le Manhattan Opéra, que dirige M. Hammerstein, a
donné cent vingt cinq représentations et a encaissé 4.300.000 francs, tandis que
le Metropolitan Opéra de M. Conried a eu une recette totale de o. 800.000 francs
avec cent trente et une représentations. Abstraction faite des sommes énormes
que coûtent les étoiles européennes, les frais des deux Opéras new-yorkais
sont énormes. C'est ainsi que les chœurs du Manhattan qui comprennent
cent trente personnes coûtent par semaine 10.300 francs, tandis que l'or-
chestre, composé de quatre-vingts exécutants, coûte 18.OH0 francs par semaine.
Au Metropolitan, les chœurs, moins nombreux, reviennent à 7.200 francs
par semaine, mais l'orchestre coûte également 18.000 francs par semaine.
Parmi les artistes qui ont gagné la forte somme durant la saison qui vient
de unir, citons l'excellent baryton français. M. Renaud qui, en vingt-sept
représentations, a gagné 120.000 francs: la célèbre basse russe. M. Chaliapine,
qui a joui'' vingt fois et qui. tout comme M. Caruso, a été payé 5.000 francs
par représentation; M. Bonci, le ténor rival de Caruso, qui u touché 3.500
francs par représentation et le ténor allemand Dippel, le- nouveaux direc-
teurs du Metropolitan, qui a chanté quatre fois pour le modeste total de
80.000 francs. M. Dippel remplaçait les ténors malades, dans n'importe quel
rôle.
— M. Hammerstein; a raconté l'anecdote qui suit. « Un imprésario engagea
une troupe d'artistes pour jouer dans plusieurs villes de l'Amérique du Sud.
Le steamer parti, les passagers (irent connaissance. L'un des chanteurs
s'adressant à un autre lit cette réflexion : 0 Mais, vous êtes un ténor; moi,
j'ai été engagé comme devant être le seul ténor. » — « C'est exactement
comme moi », répondit l'autre. Entendant ces propos, trois nouveaux artistes
s'avancèrent, chacun d'eux déclarant qu'il avait été engagé comme seul ténor.
Le cas devenait inexplicable: on alla trouver l'imprésario. Il reçut les cinq
ténors avec son plus gracieux sourire et leur dit d'un air satisfait : « Tran-
quillisez-vous, tout est pour le mieux; vous êtes cinq en ce moment-ci, mais
attendez seulement que nous ayons débarqué ; je suis très sûr que dés les
premiers jours de noire arrivée, la fièvre jaune aura emporté au moins quatre
d'entre vous. Les choses s'arrangeront donc tout naturellement et avant
même que nous ayons donné notre première représentation. A vos ordres,
messieurs. »
PARIS ET DÉPARTEMENTS
L'Académie des Beaux-Arts a arrêté, comme suit, les époques des diverses
épreuves auxquelles seront soumis les concurrents pour le grand prix de
Rome (composition musicale).
Samedi 2 mai : Concours d'essai; sujets de fugues et de chu-ors (au Palais de
Compiègne).
Samedi 9 mai : Jugement du concours d'essai (au Conservatoire de musique .
Mercredi 13 mai : Terme de rigueur pour le dépùt des cantates ià l'Institut).
Jeudi 14 mai : Examen des cantates, paroles fà l'Institut).
Vendredi 15 mai : Concours définitif; choix de la canlate (à l'Institut).
Samedi 16 mai : Concours définitif; mise en loges (au Palais de Compiègne .
Vendredi 20 juin : Jugement préparatoire (au Conservatoire).
Samedi 27 juin : Jugement définitif (à l'Institut).
— A l'Opéra, la rentrée du baryton Renaud a été, comme il fallait s'y
attendre, tout à fait éclatante. Ses amis et admirateurs l'ont fêté la soirée
entière dans le rôle de Wolfram de Tannhaûser où il excelle, et. à la fin du
spectacle, le public a grandement manifesté sa joie de voir revenu à notre
Académie nationale le très personnel artiste.
— A l'Opéra-Comique, la première représentation de Snégourolclika, qui
devait avoir lieu ces jours-ci, est renvoyée aux premiers jours du mois de
mai.
Spectacles de dimanche. Eu matinée : Forlunio; en soirée : Manon. Lundi,
en représentation populaire à prix réduits : le Chcmineau.
— C'est aujourd'hui samedi que les « Trente ans de Théâtre •■■ donnent, à la
Gaité, leur matinée annuelle de Pâques. M. Massenet accompagnera la
seconde audition de ses Chansons des bois d'Anuirantlw (Mlla Marie Leconte, de
la Comédie-Française ; MUes Louise Grandjean, Lucy Arbell ; MM. Muratore
et Gilly, de l'Opéra), des fragments de Chérubin, la romance de la Sauge du
Jongleur de Noire-Dame, des airs de Werther, du Roi du Lahore, à'Hérodiade et
des mélodies, qui auront peur interprètes les mêmes artistes que les Bois
d'Amaranlhe auxquels se joindra M. Lucien Fugère, de l'Opéra-Comique. On
donnera aussi la seconde représentation de la Revue de Pâques, de M. A. Vélv.
avec Wm Robinne, Campton, Cernay. Deval. Faber, Leriche, Marly, Anna
Thibaud; MM. Baillet, Cooper, Guyon. Maurel, Pougaud et Regnaud. Au pro-
gramme également, le Misanthrope et VAuvergnai (M. Polin), ClutmoU IS30
(Mme Pierrat), la lettre de la PèriclioU (M""' Germaine Gallois) et les Blindes
enfantines (M110 Vaillant et ses élèves).
— Concerts-Colonne. — Vendredi-Saint. — L'idée de placer à la suite
d'un très long programme wagnérien un seul morceau de Berlioz très courl.
/o Marche funèbre pour la dernière scène d'Humlet, a pu être considérée comme
impliquant une petite nuance de regret. Assurément M. Colonne aimerait à
donner des séances comportant une plus large place pour l'art français, mais
la puissante polyphonie orchestrale de Wagner a déshabitué nos oreilles de
bien des œuvres simples, et notre admiration a besoin d'être forcée. Chose
étrange pourtant, après la marche funèbre du Crépuscule des Dieux, honnie en
1876, applaudie maintenant, la marche funèbre A'Hamlet ne pâlit point, ne
perd rien. La première met en jeu une bande complète d'instruments de
cuivre supplémentaires, utilise dans leur épanouissement toutes les ressources
d'orchestration créées par Berlioz et par Liszt, réunit les thèmes de trois par-
titions; la seconde n'a besoin pour se produire que d'un orchestre ordinaire,
mais les instruments y sont utilisés avec un tel sentiment de l'expression que
chaque note parle et contribue à émouvoir. Berlioz, dont le caractère est si
136
LE MÉNESTREL
méconnu, composa cet ouvrage unique en son genre à l'une des heures les
plus lamentables de sa vie; il y a mis son âme shakespearienne, et quiconque
l'écoutera sans parti pris de scepticisme en sera profondément remué. L'ova-
tion qu'a soulevée ce morceau sur le coup de minuit l'a suffisamment prouvé.
Qn avait auparavant acclamé dans le répertoire wagnérien M. Van Dyck dou-
blement bissé avec le Chant de la forge dé tSiègfriêdiet le lied de la Walkgrie,
et JIme Félia Litwinne, qui a chanté avec une conviction et. un sens pathétique
bien rares la scène finale du Crépuscule des Dieux. L'interprétation orchestrale
de ce concert a été toujours belle et parfois grandiose. Ajiédée Boutarei,.
— Programme du concert du Conservatoire de demain dimanche , à
2 heures :
Symphonie en ttt mineur, n- 3 (Saint-Saêns). — Concerto pour violoncelle (Ed.
Lalo) : M. André Hekking. — Joseph (fragments! (Méhul) : M. R. Pfamondon, de
l'Opéra. — Scherzo du Songe d'une nuit a'êté (Mendelssohn) : flûte, M. Ilennebains.
— Le Prince Igor (Borodine) : Danse polovtsienne avec choeurs. — Le concert sera
dirigé par M. Georges Marty.
— - Voici, d'autre part! le programme de chacun des deux concerts que don-
nera la Philharmonie de Berlin, sous la direction de M. Richard Strauss, le
dimanche 26, en matinée, à 2 h. 1/2. et le lundi 27, en soirée, à 9 heures, au
théâtre du Chàtelet :
. Premier concert. — Ouverture du Roi Lear (Berlioz). — Symphonie, n° 7, en ^(Bee-
thoven). — Till Eulenspiegel (R. Strauss). — Prélude de Tristan et Yseult (R. Wagner).
— Enchantement du Vendredi-Saint, Parsifal (R. Wagner). — Ouverture d'Obéron
(Weber).
Deuxième concert. — Ouverture du Vaisseau fantôme (R. Wagner). — Symphonie
héroïque (Beethoven). — Ouverture de Benvenuto Cellini (Berlioz). — Don Juan,
poème symphonique (R. Strauss). — Ouverture des Maîtres chanteurs (R. Wagner).
— Cosi fan lutte, le célèbre opéra de Mozart, dont le texte littéraire a été
l'objet de bien des transformations, modifications ou arrangements, va subir
encore un nouvel avatar. M. Charles Scheidemantel écrit en ce moment, pour
la musique de cet ouvrage, un livret sans aucun rapport avec l'ancien, et
c'e^t à la comédie de Calderon Dame Kobold, qu'il en emprunte les péripéties.
On sait que la partition de Cosi fan lutte fut commandée à Mozart par l'empe-
reur Joseph II; ce qui en avait donné l'idée, c'était une certaine histoire
compliquée d'un pari, qui s'était passée à Vienne. L'empereur mourut avant
la première représentation, qui eut lieu le 26 janvier 1790, ce qui priva
Mozart du poste de second maître de chapelle de la Cour qu'il attendait
comme récompense. C'est Lorenzo da Ponte, le librettiste des Xoces de Figaro
'et de Don Juan, qui composa les paroles de l'opéra-comique en deux actes
Cosi fan tulle ossia la scuola deç/li amanti, dont l'action se passe à Naples dans
le courant du dix-huitième siècle. Lorsqu'il fut question de monter l'ouvrage
à Paris en 1807, le sujet parut peu moral et l'on adapta la musique de Mozart
à une pièce portant pour titre le Laboureur chinois. Plus lard, en 1862, le texte
original de da Ponte fut joué au Théâtre-Italien, mais il produisit sur le public
une impression très peu favorable; aussi, lorsque le Théâtre-Lyrique voulut
faire entrer le chef-d'œuvre dans son répertoire, les librettistes Michel Carré
et Jules Barbier furent-ils chargés de confectionner un nouveau scénario. Ils
l'empruntèrent à la comédie de Shakespeare Love's labours lost; la première
représentation fut donnée le 31 mars 1863. Comme on aurait dû s'y attendre,
le résultat ne répondit pas à l'effort que l'on avait tenté; la musique avait
perdu trop de sa vie et de son charme en s'appliquant à d'autres épisodes que
ceux pour lesquels Mozart l'avait créée. En Allemagne, où l'on joue constam-
ment Cosi fan lutte, il n'existe peut-être pas deux théâtres sur lesquels l'œuvre
soit représentée d'une façon absolument identique. Une des versions le plus
souvent adoptées est celle du chef d'orchestre Hermann Levi, mort le 13 mai
1900; mais celle-là non plus n'est pas à l'abri des retouches ou changements
que peut y apporter la fantaisie des directeurs et des régisseurs. Il est curieux
de constater que cent dix-huit années n'ont pas suffi pour Gxer définitivement
le texte à chanter sur la musique si vivace de Cosi fan lutte.
— L'illustre violoniste Ysaye donnera deux concerts, avec l'orchestre
Colonne, dirigé par MM. Ed. Colonne et Jacques Thibaud, le dimanche 3 mai,
en matinée, et le jeudi 7 mai, en soirée, 45, rue La Boetie.
— De retour d'Allemagne et d'Italie, où ils viennent de donner une série
de 59 concerts, M. Sarasate et M" Berthe Marx-Goldschmidt, qui ne se sont
pas fait entendre à Paris depuis plusieurs années, donneront, les jeudi, 7 et
14 mai, à trois' heures, deux séances musicales au Trocadéro.
— Le célèbre pianiste I.éon Delafosse donnera, le mercredi 20 mai, au
Théàtre-Réjane, un concert avec orchestre; il y interprétera entre autres
œuvres le concerto pour piano et deux flûtes de Bach, l'allégro de concert de
Chopin, avec l'orchestration d'Ed. Malherbe, et sa belle et pittoresque fan-
taisie.
— jSoslecteurs saventles hautes espérances que nous a données, depuis son prix
au Conservatoire, le jeune talent de Mlle Geneviève Dehelly : cette brillante et
sincère pianiste, qui faithonneur à sonvieux et vaillant maître Delaborde, est du
petit nombre de celles qui tiennent leurs promesses. Elle nous l'a récemment
prouvé, chez Erard, dans un récital où le sentiment le plus délicat s'alliait à
la virtuosité la plus robuste, depuis la Pathétique de Beethoven jusqu'à l'étour-
dissante, mais regrettable fantaisie de Liszt sur le Don Juan de Mozart, en
passant par plusieurs pièces de Chopin, quelques études, le subtil prélude (n° 17)
et la quatrième ballade (op. 32) en fa mineur, dont l'interprétation fit resplendir
toute la beauté. Raymond Bouter.
— Une revue anglaise, Strand, rend compte d'un référendum ouvert entre
les grands pianistes pour connaître leurs œuvres préférées. C'est surtout
Chopin qui sort victorieux de cette épreuve. Paderewski déclare que les deux
compositions préférées par Un, et à grande distance de toute autre, sont la
Ballade en sol mineur et la Fantaisie de Chopin. D'autres, parmi lesquels
MM. Emile Sauer, Léopold Godowski et Max Hambourg, manifestent leur
préférence pour la sonate en si bémol mineur et la Marche funèbre. Après
Chopin, les compositeurs favoris sont Jean-Sébastien Bach, Brahms (concerto
en ré) et Schumann (Fantaisie, op. 17). « Chose étrange à constater, dit le
journal, Beethoven a obtenu peu de suffrages ». Beethoven est trop « vieux
jeu ».
— Au dix-huitième siècle se fondèrent dans nombre de villes de province
des entreprises de concerts fort intéressantes et qui étaient assez générale-
ment modelées sur celle duConcert spirituel, créé à Paris par Anne Philidor.
C'est ainsi que fut formé le Concert de Lille, à l'histoire duquel se trouve
étroitement mêlée la création du Conservatoire de cette ville, et qui vécut
pendant près d'un siècle, de 1726 à 1816. Et c'est cette histoire, qui est loin
d'être sans intérêt, que nous raconte dans une charmante plaquette agréable-
ment illustrée, simplement intitulée le Concert de Lille, M. Léon Lefebvre,
dont j'ai eu plusieurs fois à faire connaître les nombreux et solides travaux
sur le théâtre et la musique dans l'ancienne capitale de la Flandre. Ce travail,
moins important sans doute que l'Histoire du Théâtre de Lille, dont j'ai rendu
compte ici même il y a quelques mois, n'en est pas moins précieux, et nous
donne, entre autres, certains détails curieux sur les commencements de Mon-
donville qui. avant de venir à Paris et de triompher au Concert spirituel, fit
ses débuts de virtuose et de compositeur à Lille, où il arrivait à peine âgé de
vingt ans. Très documenté, comme tous ceux du même auteur, ce petit écrit
apporte une heureuse contribution à l'histoire de la musique en province.
A. P.
— De Saint-Quentin : les orphéonistes Saint-Quentinois, sous la direction
de M. Ludovic Créty, viennent de donner, au Théâtre-Municipal, une soirée
musicale tout à fait réussie et qui fait grand honneur à celte vaillante
société chorale. Beaucoup d'applaudissements aussi pour Mme Marga Theys-
son, MM. Teodoroff et Duclos dans les airs d'Hérodiude, de Sigurd et les duos
d'Hamlet et de Sigurd.
— Soirées et Concerts. — La dernière audition des élèves-pianistes de l'Ecole
classique dirigée par M. Chavagnat était exclusivement consacrée aux œuvres de
M. Théodore Dubois, qui présidait. il"» Badaire (Ombres et Lumières), M. delà Presle
(Eludes de concert), Mllc André (Clair de lune et Danse rustique), M"" Drouin (la Source
enchantée et les Myrtilles), M"° de Gentile (Galatea) et M1" Favre (Scherzo et les Abeilles)
se sont particulièrement fait remarquer. — Comme tous les hivers, Mllc Poulalion
a donné une série de soirées qui ont été fort suivies. Parmi les artistes applaudis,
citons M"" Vilma dans l'Eventail de Masse-net, et 'le fabliau de Manon, M"' Renée
Dantèze dans Werther, M"1 Gerfhuis dans Lakmé, M"" Hélène Sirbain dans Pensée
d'Automne de Massenet et M"" Jarland dans Marie-Magdeleine. — Au 10" concert de
musique de chambre donné par Y « Action internationale », très belle interprétation
de la Sonate pour violon et piano de Théodore Dubois par M. Willaume et
M"c Weingaertner, qui joue de façon charmante Chaconne et la Source enc/tan/eV,
tandis que M. Bizet, vil tuose remarquable sur l'orgue Mustel, interprète Offertoire
et Toccata et que M. Willaume obtient grand succès avec Saltarello. — Salle Le-
moine, très intéressante audition des élèves de M. et M™ Jules Chevallier. M"" G.,
L.-T., M"" E., F.. A.-L., MM. S. et V., ont prouvé l'excellence de l'enseignement de
leurs maîtres dans des fragments de Manon, d'IIérodiade, de Werther de Massenet,
d'Hamlet d'Ambroise Thomas et de Lakmé de Delibes — Le « Quatuor Luquin »
a donné une excellente audition du Quatuor en la mineur avec piano de Théodore
Dubois; interprètes: M""Alvair, MM. Luquin, Jurgensen et JullieD, et la « Société
moderne d'instruments à vents » a, de son coté, fort joliment interprété la petite
suite Au Jardin du même maître. C'était une première audition qui a eu giand
succès et a fait applaudir MM. Fleury, Blanquart, Gaudard, Cahuzac, Capdevielle et
Hermans.
NÉCROLOGIE
On annonce de Bologne la mort, à l'âge de 86 ans, du compositeur Fran-
cesco Zecchini. Cet artiste avait fait représenter en 1856, sur le théâtre de
Sira (iles Ioniennes), un opéra sérieux intitulé Matilde d'Ihghillàrra. Treize ans
après, en 1869, cet ouvrage ayant été reproduit à Bologne, au théâtre Conta-
valli, l'auteur fut chargé d'écrire une nouvelle partition pour une autre scène
de la ville, le. théâtre Brunetti. Il mit cette fois on musique un livret bouffe,
intitulée la Conversaziorie al bulo, et cette nouvelle œuvre fut offerte au public
dans la saison du printemps de 1871.
— De Pignerol, on apprend la mort d'un dilettauti passionné, Giovanni
Carlo Rospigliosi, qui était âgé de 8b ans. Les diverses fonctions qu'il avait
occupées d'assesseur communal, de président de la Caisse d'épargne, etc., ne
l'avaient pas empêché de s'occuper de musique et d'y prendre le plus vif
intérêt. Possesseur d'une très riche collection d'eeuvres musicales anciennes et
modernes, il avait publié un petit écrit sous ce titre : Notifie dei maeslri ed
artisti di musica Pisloiesi (Pistoie, 1878, in-12).
Henri Heugel, directeur-gérant.
Vient de paraître chez E. Fasquelle : La Dentelle de Thermidor, de Georges Rivol-
let (3 fr. 50 c.).
4023. - 74° AMÉE.- i\° 18. PARAIT TOUS LES SAMEDIS
(Les Bureaux, 2 "'", rue Vivienne, Paris, u- an')
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
i 2 Mai 1908.
LE
MENESTREL
Ite JluméFo : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
lie fluméro : 0 fr. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, ÎO fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en ans.
SOMMAIRE-TEXTE
1. Soixante ans de la vie de Gluck il9e article), Julien Tiersot. — II. Semaine théâtrale :
premières représentations de l'Incendiaire eldu Scandale de Monte-Carlo, au Gymnase ;
du Roi aux Variétés, Paul-Emile Chevalier. — III. La Musique et le Théâtre aux
Salons du Grand-Palais (3" article!, Camille Le Senne. — IV. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
RÊVERIE DE LA DUBARRY
extraite du Chevalier d'Èon, l'opérette nouvelle de Rodolphe Berger. — Suivra
immédiatement : Petits oiseaux, romance extraite de la même opérette.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
Roses de France, scherzetto extrait du ballet le Mariage d'une rose de Rodolphe
Bercer. — Suivra immédiatement une Gavotte de Haendel, transcrite pour
piano par A. Périliiol".
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
CHAPITRE Y
GLUCK A VIENNE
Ce n'était point un amateur ordinaire que le Feld-Maréchal
Joseph Friedrich prince de Saxe-Hildburghausen, au nom de qui
lesbiographes ajoutent habituellement la qualité de favori de l'Im-
pératrice Marie-Thérèse. Les « Académies » (le mot était encore en
usage à Yienne au temps de Mozart et de Beethoven) qu'il donnait
dans ses salons du palais Rofrano, sur le glacis de Josephstadt,
étaient de véritables concerts de symphonies comme on n'en
pouvait pas souhaiter de plus hautement artistiques, et étaient
fréquentées par la plus brillante société de la capitale. Le
prince avait réuni sous son toit les artistes capables de consti-
tuer le meilleur orchestre : Schmidt, hautbois et cor de basset,
Tune, bassoniste, les frères Hubaczek au pupitre des cors, le
violoncelliste Gentsch, et, comme premier violon, Karl Ditters,
dit Dittersdorf, futur compositeur de symphonies et d'opéras-
comiques (parmi lesquel un certain Doklor und Apoteker est
resté au répertoire), compagnon de Gluck dans un de ses
voyages en Italie, et à qui nous devons un récit autobiogra-
phique auquel sont empruntés la plupart des détails que nous
rapportons présentement (1).
Gluck dirigea cette troupe harmonieuse pendant plusieurs
(I) Karl von Dittersdorf, Seine latrie Biographie... Erfurt, 1810, pp. 23 et suiv.
années. Que lui fit-il jouer ? Des concertos, des airs d'opéras,
et, nous dit-on, des symphonies. Mais quelles symphonies?
Nous ne sommes encore qu'en 1752, et le « père de la sympho-
nie », Joseph Haydn, n'avait pas encore commencé d'écrire. Sa
première symphonie, en effet, n'est datée que de 1750 : les
recherches les plus récentes ont confirmé cette date (1), que
Fétis avait indiquée depuis longtemps : « Haydn écrivit dans
les premiers mois de 1159 sa première symphonie (en ré) •>,
cependant qu'à un autre article le même biographe général
des musiciens nous annonce que Gossec publia sa première
symphonie « la même année, en 475A ». J'ai déjà conté plusieurs
fois cette petite historiette, et je la redirai certainement encore,
car j'y trouve beaucoup de plaisir. Bref, 1752, année où Gluck
eut à diriger des symphonies chez le prince de Saxe-Hildburg-
hausen, est antérieur soit à 1759, soit à 1754. Quelles sym-
phonies étaient-ce donc, si les authentiques « pères de la
symphonie », en France et en Allemagne, n'en avaient point
encore écrit?
La vérité est qu'au milieu du XVIIIe siècle il y avait beau
temps que les orchestres d'Allemagne et d'ailleurs possédaient
un répertoire de symphonies. L'école de Mannheim était floris-
sante et renommée : son meilleur maitre, Johann Stamitz (un
bohémien comme Gluck, mort avant que ni lui ni Haydn eussent
rien produit qui importe) peut passer à juste titre comme ie
précurseur du genre en Allemagne. Emmanuel Bach avait donné
à Berlin, dès 1741, plusieurs Sinfonie, dont les manuscrits,
voire une partition gravée sur cuivre en 1759, nous sont con-
nus (2). Et déjà, en Italie, Gluck avait, dès ses premiers pas,
rencontré Sammartini, dont les symphonies faisaient dire cin-
quante ans plus tard à un voyageur : « J'ai trouvé le père du
style d'Haydn. »
Mais, dira-t-on, si le véritable père de la symphonie était
Sammartini, cette forme d'art ne serait donc pas, comme on le
prétend toujours, essentiellement allemande ? Mon Dieu, non.
La symphonie est un genre allemand parce qu'Haydn, Mozart,
Beethoven et Schumann en ont créé les chefs-d'œuvre ; mais
l'invention n'en appartient aucunement à l'Allemagne (3). La
(1) Voir notamment la collection complète des œuvres de Joseph Haydn, dont
le piemier volume vient de paraître, précédé d'une préface de M. Eusebius Man-
dyczewski .
(2) Voy. Wotquenne, Catalogue thématique des œuvres de C.-Ph.-Em. Bach, p. 6i.
(3) Le fait est que la symphonie pré-haydnique jouissait de peu de considéra-
tion en Allemagne ; nous en pouvons juger par cette observation recueillie par
Burney au cours de son voyage en ce pays : « Les symphonies de Mannheim, tout
excellentes qu'elles sont, passent dans l'esprit des personnes de bon goût pour
être maniérées et ennuyantes quand ou les entend pendant quelque temps de suite,
étant presque toutes d'un seul jet, et parce que leurs auteurs donnent trop à l'imi-
tation. •> Burney. Etat présent de la musique, III, 191. Cette opinion s'est perpétuée en
France jusqu'au commencement du XIX' siècle : à l'époque où Méhul s'essayait à
écrire des symphonies (qui sont loin de contenir le meilleur de son génie), le genre
passait pour secondaire et essentiellement scolastique : et pourtant, à la même épo-
que, Beethoven composait la Symphonie en ut mineur !
138
LE MÉNESTREL
symphonie primitive n'est pas autre chose que l'ouverture d'opéra
italien, Sinfonia, en opposition avec l'Ouverture française, dont la
forme est autre. Celle-ci, chez Cambert, Lulli et ses successeurs,,
et dans les premiers opéras de Rameau, est composée de deux
mouvements qui s'enchaînent : une introduction lente et grave,
et un mouvement animé en style généralement fugué. La Sin-
fonia des opéras italiens, en usage dès la fin du XVIIe siècle,- est
une composition en trois morceaux séparés, que Jean-Jacques
Rousseau a très exactement définie en ces termes :
« Ils (les Italiens) débutent par un morceau saillant et vif, à
deux ou à quatre temps; puis ils donnent un aMante à demi-
jeu, dans lequel ils tâchent de déployer toutes les grâces du
beau chant, et ils unissent par un brillant allegro, ordinaire-
ment à trois temps » (1).
C'est ainsi qu'Àlessandro Scarlatti se trouve avoir fait des
Symphonies longtemps avant Haydn; et je sais un certain ma-
nuscrit du dix-huitième siècle contenant seize symphonies à
orchestre de Domenico Scarlatti, dont les formes correspondent
exactement à la description ci-dessus, et qui n'ont certainement
pas été écrites pour servir d'ouvertures à des opéras (2). Les
premiers français qui voulurent faire de la musique italienne
ont composé ainsi des symphonies sans le savoir : l'ouverture
du Devin du village, pourrai1- elle-même passer pour une sym-
phonie — pauvre symphonie ! Quoi qu'il en soit, la définition
de Rousseau est également applicable aux productions de la
symphonie primitive, et jusqu'aux premières œuvres d'Haydn
et de Mozart, de Gossec aussi; et si ces derniers maîtres ajou-
tèrent à la triade une quatrième unité, le menuet, ils ne firent
en cela -que dédoubler le troisième morceau, qui, d'abord
« brillant allegro à trois temps », se subdivisa en menuet main-
tenant la tradition du « trois temps », et en finale continuant
d'être « un brillant allegro » .
Dittersdorf, dont l'autobiographie donne quelques renseigne-
ments intéressants sur les manifestations musicales auxquelles
il prit part aux côtés de Gluck, écrit sur lui cette phrase tex-
tuelle :
« Gluck laissa le prince prendre copie de beaucoup de ses
compositions, symphonies et airs, et chaque morceau de la
plume de ce merveilleux compositeur était un nouveau et déli-
cat régal pour nos oreilles. »
D'autre part, plusieurs bibliothèques musicales d'Allemagne
(à Vienne, Berlin, Dresde, Wolfenbùttel) possèdent de lui plu-
sieurs compositions orchestrales classées sous le titre de sym-
phonies.
Allons-nous donc avoir maintenant à regarder Gluck comme
. un des fondateurs du genre porté par Beethoven au plus haut
degré de sa splendeur ? Pourquoi non ? Déjà des ouvertures
d'opéras qui nous ont passé sous les yeux nous étaient apparues
comme de véritables symphonies italiennes, en trois morceaux,
•excellents modèles du genre. Celle A'Ezio , notamment, est
remarquable. Son premier mouvement a bien le caractère
« saillant et vif » décrit par Rousseau : il se développe brillam-
ment et logiquement en passant du ton principal à la dominante^
puis, après un court développement, rentrant dans le ton et
s'y arrêtant : Mozart ne procédait pas autrement. L'andante est
d'un heureux style « vieil allemand », qui nous fait songer que
l'œuvre fut écrite pour Prague, et dans les derniers temps de
la vie de Bach, à qui il semble rendre un instinctif hom-
mage ; enfin le morceau à trois temps, plutôt finale que menuet,
termine la composition avec l'éclat qui convient.
Gluck a replacé cette symphonie en tète de la Clemenza di Tito;
(lj J.-J. Rousseau : Dictionnaire de Musique, art. Ouverture. — Voici, d'autre part,
en quels termes le Théâtre à la mode, satirique à son ordinaire, s'exprime sur le
même sujet. : « La symphonie consistera en un tempo francesi très accéléré de dou-
bles croches, à tierce majeure, qui sera suivi d'un lento à tierce mineure, et se ter-
minera par un menuet, une gavotte ou une gigue, de nouveau ii tierce majeure; le
maestro renoncera aux fugues, aux imitations, etc., comme choses antiques et com-
plètement opposées aux habitudes modernes. » Traduction E. David, p. 73.
(2) Ce manuscrit, que j'ai sous les yeux en écrivant cette note, n'a été connu d'au-
cun musicographe, et n'est mentionné dans aucune bibliographie, ni de Fétis, ni de
Riemann, ni d'Eitner.
mais, dans l'œuvre écrite pour Nâples, il renonça à la sévérité
de l'andante et substitua un autre morceau, d'un ton plus
clair et d'un style plus orné, mieux fait pour plaire en Italie.
Par là, il manifesta qu'il n'avait pas encore sur l'ouverture les
idées qu'il exposa et réalisa magnifiquement par la suite .; mais
en même temps il montra qu'il était loin d'être sans aptitude
pour la musique instrumentale. Les sonates de Londres sont
sensiblement dépassées par ses symphonies. S'il se peut que
quelques-unes de ces œuvres, parmi celles qu'on a retrouvées
sous ce simple titre, ne soient que des ouvertures d'opéras qu'on
n'a pas pu identifier, il est probable aussi que d'autres fnrentécri-
tes spécialement en vue du concert. L'une porte des sous-titres
(en français) qui sont bien dans le goût musical du XVIII''
siècle : « La Tempête. — Le Calme. — La Réjouissance » ~(\).
C'est déjà presque le programme de la Symphonie pastorale ! Bref,
la production de ces pages instrumentales représente un nouvel
effort à compter en faveur de l'activité artistique de Gluck ;
celle-ci, nous le voyons, s'est exercée dans tous les domaines
de l'art.
Ce fut à constituer ce répertoire de concert qu'il occupa prin-
cipalement, semble-t-il, les quelques années qu'il passa chez le
prince de Saxe-Hildburghausen. Il y était aimé et considéré.
Dittersdorf nous le montre dans l'intimité de la maison, pre-
nant part 'aux entretiens familiers, lançant parfois quelque
réflexion humoristique, en italien, pour n'être compris que des
initiés ; puis, aux jours d'exécution, en habit de cérémonie, le
violon a la main, à la tête de son orchestre, .ayant autour de
lui tout ce que Vienne comptait de plus noble et de plus éclairé
dans la haute société. Si Joseph Pergin avait vécu assez pour
le voir ainsi dans sa gloire, il n'aurait plus hésité maintenant à
lui donner sa fille !
A vrai dire, dans cette futile ville de Vienne, le répertoire
musical ne se soutenait pas toujours à de grandes hauteurs ; il
y fallait souvent sacrifier à des dieux moins sévères. Par deux
fois au moins, Gluck dut prendre une part active aux fêtes que
son prince offrait à Marie-Thérèse en son château de Schlosshof,
fêtes dont l'éclat, si l'on s'en rapporte aux descriptions, pourrait
presque soutenir la comparaison avec celui des fêtes données
en France par Fouquet à Louis XIV. Dans l'une comme dans
l'autre circonstance, la musique sérieuse fut bannie. Le futur
auteur d'^4/ces(e n'eut à écrire que des bagatelles : le Cinesi
(24 septembre 1754), sorte de divertissement chanté, cinq airs
seulement, et la Dansa '(5 mai 17SÎ5), pastorale d'aussi peu d'im-
portance, prétexte à faire entendre la célèbre prima-donna
Caterina Gabrielli. Des ballets-pantomimes, l'Orfano délia China,
Alessandro furent, ajoutés pour compléter les spectacles quand ces
petits actes furent donnés au théâtre de la Cour de Vienne, ce
qui eut lieu, comme de coutume, à des jours de fêtes prin-
cières.
Cette position prépondérante que, par une lente accession,
Gluck prenait dans les hautes sphères musicales de la capitale
autrichienne, le conduisit à la plus haute situation qu'il put
alors ambitionner. Depuis trois ans, Marie-Thérèse s'occupait de
réorganiser les théâtres impériaux. En 1752, elle en avait confié
la direction générale aux comtes Franz Esterhazy et Jacob Du-
razzo ; deux ans plus tard (juin 1754), ce dernier devint seul
directeur général du Théâtre de la Cour : il nomma Gluck
kapellmeister de l'Opéra avec un traitement de 2000 florins (2).
(A suivre.) Julien Tiersot.
(1) Cette symphonie compte dans son orchestre les instruments à cordes', deux
hautbois, un basson et deux cors. C'est exactement la composition de l'orchestre du
prince de Saxe-Hildburghausen dont nous avons pu citer par leurs noms les prin-
cipaux exécutants. Cela seul serait une raison de croire que ce fut spécialement pour
cet orchestre que la symphonie fut composée. Cf. Wotqcekne, Catalogue de Gluck,
pp. 164 et 220.
(2) Voy. Schjud, pp. 51, 52 et 67. Au sujet des dates indiquées par cet auteur,
M. A. Wotquenne a fait cette observation : « Un détail reste obscur dans cette période
de la vie de Gluck. Schmid nous dit que le -compositeur1 avait été nommé lsapell-
meisler der Oper, à Vienne, en 1754. Mais alors on ne comprend pas que le rédac-
teur du.libretto romain de ÏAntigono assigne encore à Gluck. en 1756 les fonctions de
Maître de chapelle du Duc de Saxe-Hildburghausen, tandis qu'il indique soigneu-
,E MENESTREL
loMi
SEMAINE THEATRALE
Gymnase. — L'Incendiaire, drame en I acte, d'IIeyermaiis , adaptation de
M. Schurmann.; Le Scandale de Monte-Carlo, comédie en 3 actes, de
M. Sacha Guitry. — Variétés. Le Roi, comédie en 4 actes, de MM. G. -A.
de Gaillavet, R. de Fiers et E. Arène.
C'est un spectacle inattendu évidemment en tel endroit que celui que
nous donne, en ce moment, le Gymnase avec une exhibition étrangère,
qui figurerait avantageusement sur une scène de music-hall, et une
petite pochade, non sans agréments, qui aurait gagné à être poussée
au comique et, ainsi, aurait pu faire florès aux Nouveautés ou au
Palais-Royal.
Cet Incendiaire, traduit en français à notre intention par M. Schur-
mann, sert de prétexte quelconque aux transformations de M. Théo
Bouwmeester, un acteur extrêmement goûté par delà la Manche, et qui,
à une certaine habileté de comédien, joint une particulière et vertigi-
neuse aptitude à se diversement grimer, et cela en moins de temps
certes qu'il n'en faut pour l'écrire. Frégoli d'ordre plus relevé, M. Bouw-
meester ne joue pas moins de sept rôles à lui tout seul et y accuse du
pittoresque et de la facilité.
Le Scandale de Monte-Carlo, avec un premier acte tout plaisant, avec
beaucoup d'inventions drolatiques, avec des qualités de vie et d'imprévu,
pose M. Sacha Guitry, qui ne s'était encore essayé que dans de courtes
piécettes, en auteur comique avec lequel on aura probablement à
compter lorsqu'il aura usé un trop-plein de jeunesse et de gaminerie
qui l'empêche d'être suffisamment maitre de soi, de sa plume et de sa
pensée ; encore mal conscient de ses forces, il s'essouflle généreuse-
ment bien avant que d'arriver au but, et c'est là le défaut de débutant
dont il aura à se corriger d'abord.
M. Tarride, M"1'' Marie Magnier et M"'' Clairville présentent joliment
l'anecdote de la petite Rosette Vignon lâchée à Monte-Carlo par un
ami de rencontre, qui, ayant .triché au jeu, s'empresse de quitter nui-
tamment la principauté, et recueillie par son voisin de chambre, vieux
beau aimablement galant. L'histoire demeure banale, sauf en son
point de départ d'allure amusante.
Si la pièce de M. Sacha Guitry s'avère tout inconsistante, le Roi de
MM. A. de Caillavet, R. de Fiers et E. Arène ne se recommande
pas par beaucoup plus de solidité. Mais le succès va, de nos jours, aux
choses superficielles, et le public a appris à se contenter de mots
heureux et de dialogue scintillant. Ici, il a large mesure, et les auteurs
lui ont fourni, en outre, le malin plaisir d'entendre fronder les gens au
pouvoir. Penseront-ils à se fâcher nos ministres si galamment égra-
tignès ? Ils auraient tort ; car, en y regardant de près, ils verront que
le Roi n'est guère mieux traité qu'eux et que la noblesse n'échappe pas
non plus aux coups droits de nos tout modernes satiriques.
Il vient de Cerdagne ce Roi à la belle barbe blonde ; et s'il vient
pour, sans doute, nous taper grâce à quelque gigantesque emprunt, il
n'oublie pas que Paris est la ville de tous les plaisirs et que les femmes
y sont plus jolies et plus ensorcelantes que nulle part ailleurs. C'est
pourquoi il met à mal et la bonne amie du député socialiste Bourdier,
une belle et célèbre comédienne, qu'il connut d'ailleurs lors d'un pré-
cédent séjour, et la femme même du dit député. Que voulez-vous que
fasse Bourdier contre une tète couronnée ? Tout socialiste qu'il est, il
finira bien par se convaincre que Sa Majesté lui fit très grand honneur,
d'autant que cet accident lui permet de réaliser les deux plus beaux
rêves de sa vie de politicien démocrate : marier sa fille au fils de
son voisin, le marquis de Chamarande, et devenir ministre.
Le Roi est excellemment joué par la troupe des Variétés , d'autant
plus excellemment que tous les rôles en évidence sont fort adroitement
présentés, et MM. Brasseur, Guy, Prince, Numès. Moricey, Petit,
Mmes Lender et Diéterle peuvent garder pour eux une grande part des
applaudissements de la soirée. Mais le triomphe est allé à Mlle Laval-
lière et à M. Max Dearly si pleius, l'un et l'autre, de débordante,
originale et jolie fantaisie ; qu'ils parlent ou qu'ils gesticulent, leur
art est si primesautier, en même temps que si toujours vraisemblable,
que les rires ne diminuent qu'alors qu'ils sortent de scène.
Paul-Emile Chevalieii.
sèment que Métastase est attaché a la Cour Impériale. » On pourrait objecter que
le nouveau titré de Gluck a pu être ignoré des impresarii de Rome quand ils
l'engagèrent pour le carnaval de 1756, tandis que les qualités de Métastase étaient
acquises et connues depuis de longues années. Il n'est pas moins vrai qu'un supplé-
ment d'informations, avec production de textes authentiques,. né serait point super-
flu. N'est-ce pas aux musicographes de Vienne qu'il appartiendrait d'élucider les
points encore obscurs de l'existence de Gluck dans leur ville :
LA MUSIQUE ET LE THEATRE
emat Salons dix Grand-Pal;
(Troisième article
Plus la concurrence devient âpre et meurtrière dans le domaine des
arts libéraux, plus les producteurs sentent la nécessité
dans un genre bien défini. Ils s'en évadent parfois comme d'une pri-
son, mais il faut bien vite y rentrer comme dans un asile. C'est ainsi
que M. Caro-Delvaille, si discuté, je dirais presque si diffamé a propos
de sa grande composition destinée a la salle commune d'un hôtel de
voyageurs — les duretés y abondent en ellét et aussi les sécheresses,
compensées d'ailleurs par quelques morceaux de choix — retrouve le
bon public et la critique louangeuse des Salons précédents avec le glo-
rieux tableau de nu exposé dans une galerie voisine : académie féminine
harmonieuse et ferme, d'un modelé délicieux, d'une pâte onctueuse et
d'un coloris ambré, la vraie traduction du célèbre alexandrin :
Chair de la femme, argile idéale, ô merveille !
M. Bracquemond, dont j'ai déjà signalé l'intéressant portrait de
M""! Berthe Cerny, a également envoyé une savoureuse élude de nu.
M. Armand Berton enveloppe ses modèles d'une pénombre laiteuse et
les campe en des attitudes familières ; l'un relève sa chevelure, l'autre
se regarde dans un miroir à main. C'est un accessoire obligé depi is le
Titien. M. Emile Brin dont la maitrise s'affirme, teintée d'un.' grâce
Hellène subtilement archaïque, étend une femme sans voiles sur
les coussins d'une chaise longue. A signaler la femme au sofa de
M. Friesck et les études de Mme Dubufe Wehrlé, dont un délicat profil
d'enfant. Les sujets antiques ne surabondent pas comme dans les salles
de la Société voisine et rivale où se dégorge annuellement le trop-plein
des dictionnaires de mythologie comparée: voici cependant, car tout se
retrouve, même à la Nationale, une Petite Conrliaane de M. Tête qui
figurerait avec honneur dans lecortège d'Aphrodite, un Sommeil de Diane
de M. Alfred de Glehn dont la donnée classique est rajeunie par d'heu-
reuses trouvailles de détail dans le groupement des nudités féminines,
enfin une Faunesse de M. Maurice Eliot qui se coiffe au-dessus d'une
fontaine, à l'ombre des lauriers-roses. L'invention du peintre se com-
plique ici de quelques réminiscences littéraires, mais elles n'alourdis-
sent pas le tableau, restant en quelque sorte à la surface.
Encore un peu de chairs blondes et de cheveux dénoués à la section
des dessins où d'ailleurs le nu se pastellise et s'aquarellise délicatement :
femme à sa toilette de M. Bottini, Cigale de M. Pierre Carrier-Belleuse.
les études de maternité de M. Jean Dedina et celles de Mmr Béatrice
How, l' Hébé endormie et la Raccliante de Mmc Mac-Monnies, les ligures
mythologiques de M. Osbert en sa foisonnante composition du Retour
du jour, qui symbolise le réveil de la terre dans l'harmonie et la clarté.
On composerait un salonnet séparé avec les envois des humoristes.
Il ne serait pas sans prétention car l'humour demande un effort continu,
mais il offrirait beaucoup d'agrément et de variété. Dans An eerele de
M. Jean Béraud on retrouve sa précision un peu sèche et en somme
peu renouvelée. En revanche, M. Jeanniot s'amuse et nous amuse. Il
nous intéresse aussi avec la fantaisie délicieusement harmonisée. le fin
bariolage de ses baigneuses dont la tonalité blonde du sable fin fait
ressortir le galbe élégant, s&Professionnal Reauty vaincue parles ardeurs
d'une chaude journée et nonchalamment étendue sur des coussins
devant la mer, son souvenir de Versailles, sa Landaise et sa Campine
belge. Il y a là les plus séduisants bouquets de jaunes, de roses, de verts,
dont chacun s'épanouit librement, mais concourt à l'effet d'ensemble.
M. Jeanniot expose aussi, aux dessins, une série d'illustrations pour
une étude du Misanthrope : profils penchés de l'opportuniste Philinte.
sourires béats du susceptible Oronteenmal de sonnet, mines railleuses
de Célimène, gros dos de l'homme aux rubans verts, arêtes aiguës
d'Arsinoé, grâces sautillantes des petits marquis, la Cour et la Ville
évoquées en plein relief.... Artiste exquis, celui-là. artiste rare, car son
originalité n'a rien de factice et n'est que l'extériorisation d'un tempé-
rament bien personnel.
Un Carnaval Bruxellois de M. Charles-Nicolas Lambert mérite ..de
retenu- l'attention: c'est le meilleur des tableaux un peu fâcheusement
exilés dans le pourtour d'un des paliers du double escalier. Les mas-
ques y grouillent avec une curieuse intensité de vie: descente de
la Courtille au pays belge dont certains détails, notamment la rencon-
tre d'un vieux marcheur et d'un déguisé à tète de mort semblent traités
à l'eau-forte. De M. Guillaume Roger une originale Farandole aux
lanternes, qui pourrait figurerdansles mises en scène de l'Opéra-Comique.
M. Louis Picard occupe un panneau avec des compositions originales
140
LE MENESTREL
et lumineuses, mais d'une lueur apaisée, plus transparente qu'épandue,
portraits d'enfants et de petite marchande d'oranges, rayons de lune,
contemplation. Voici encore deux artistes de tempéraments très divers:
M. Tony Minartz, qui s'amuse surtout aux touches et aux taches bario-
lées, dans l'Ovation au torero vainqueur, d'une harmonie jaune et rouge
piquée de points crayeux, et dans le quadrille réaliste des Clodoches
d'une dégaine à la Daumier; M. Louis Legrand, bon peintre et dessi-
nateur spirituel. Ses notations resteront comme autant de documents
précieux pour l'histoire de nos mœurs au XXe siècle. Elles sont d'une
égale abondance et d'un aussi curieux raffinement à la peinture où
M. Legrand a envoyé une Danseuse et d'élégantes mondanités, femme
au gant, femme au corset, deux visiteuses qui échangent des commé-
rages, et aux dessins où l'on remarquera, avec les Arabesques et les
Inséparables, un très souple pastel de Petite Ballerine, fleurette chorégra-
phique cueillie d'une main légère.
Le pinceau de M. Hochard écrase comme un trait de fusain les
contours des types remarquablement observés des promeneurs de la
terrasse des Tuileries, des Badauds si bien formulés qu'en effet ils mé-
ritent la majuscule, du Thé à Bagatelle où les snobinettes évoquent, en
gentillesse amusée, les souvenirs de leurs aïeules du XVIIIe siècle, la
réception à l'Académie française où le profil de M. Barrés se détache
sur le médiocre fond architectural de la grande salle. Cette " première "
académique, qui eut son public parisien comme une "générale " du Vau-
deville ou de Réjane, est répétée par un dessin du même artiste. On le
trouvera au rez-de-chaussée dans le voisinage intéressant de beaucoup
d'autres fantaisies humoristiques: la Femme au théâtre de M. Bottini,
la Course de Taureaux de M. Jacques Brissaud, qui a le sens de la mise
en scène, les pastels très chargés de M. Charles Dufresne, Loge, Cirque,
Beuglant, feuillets d'album du cabotinisme provincial, croquis d'expres-
sion de M. Hector Dumas, la Fin du Morceau, étude de violoniste fine-
ment aquarellisée par M™ Florence Fontaine (le piano est en baisse
cette année, â la Nationale; c'est le violon qui l'emporte), les deux
Midi-nettes de M. Isaac Israels qu'on pourra comparer au triomphant
trottin des Variétés, Eve Lavallière, les poétiques nocturnes de
M. Etienne de Lierres dont l'accompagnement musical glisse jusqu'aux
lointains rivages où s'étend sur le vieux quai, les très ibséniens nuages
dans le Fjord de M. Lunois, le Moulin de la Galette de M. Martel, la tète
de gitane et la Carmen de M. Edouard Morero, le mélancolique et déli-
cieux pastel, Après l'orage, d'Ana Osterlind, maintenant M"10 Edouard
Sarradin, les petits Trotlins très trottinants de M. Pezen. Dédions aux
amateurs de Salomés (nous n'en chômerons pas avant longtemps) la
tète coupée de Iochanaan que Mmc Ripa de Roveredo a traitée dans un
parti pris romantique.
M. Albert Guillaume demeure fidèle à ses notations gaies et à son
idéal gras. A l'inverse de M. Boldini.qui ne voit que des maigres, et de
M. de la Gandara, qui inventerait au besoin des décharnées, il n'aperçoit
dans la nature que des femmes trapues, mafflues, à estomacs de canti-
nières, à poignets aussi boudinés que la cuisse d'un petit enfant, à
doubles mentons prolongés jusqu'aux oreilles. Il leur prête d'ailleurs
une graisse distinguée, cherchant ses modèles parmi les gens du monde.
Le morceau le plus réussi est intitulé Plaisir sévère. Il détaille le contenu
d'une logo d'entre-colonnes à l'Opéra. Quelle est l'affiche? Le peintre
a la discrétion de ne pas s'expliquer: mais tous les auditeurs semblent
hypnotisés par un auguste et religieux ennui; les figures sont tendues,
les bouches luttent avec angoisse contre la montée des bâillements; les
crânes même sur lesquels se joue le reflet des ampoules électriques
apparaissent cruellement déprimés. Le recueillement plane et, dans un
autre cadre, le sommeil ne serait pas loin.
D'autres fantaisies de M. Albert Guillaume nous promènent à travers
des milieux plus divertissants, couples qui tournoient au jardin de
Paris, orchestre de tziganes féminins dont la maestria et les œillades
tiennent sous le charme un consommateur sensible, jeune femme écou-
tant le téléphone, peintre bedonnant qui indique « le mouvement » d'une
pose de Diane chasseresse à un gentil modèle. L'artiste cherche la
diversité des impressions, mais pour les ramener au même point de
satire sans méchanceté et de moquerie tempérée par la belle humeur.
Notre guignol forain ou boulevardier a d'ailleurs toute une série de
peintres attitrés qui le connaissent réellement dans les coins. M. Isaac
Israël, Callot des saltimbanques et des « arpètes », M. José Belon qui
évoque gaiement le jeu de massacre du Retour des Perdants (côté pelouse).
M. Léon Carré qui note avec raison cette antithèse éphémère (car ceci
aura bientôt tué cela) du cocher et du chauffeur. Cà et là l'inévi-
table mais déjà caduc Diabolo par M»« Dannenberg, Au Concert de
M. Slillingford et, sous l'étiquette de l'entente cordiale, The. Gipsy de
M""' Boughton-Leigh et Liltle Girl in Curlpapers de M""' Ardron.
Le Ramuntcho de M. Pierre Loti nous a valu un intéressant grand
spectacle et une pièce médiocre en Odéonie. A titre de compensation.
le maitre Gustave Colin expose le commentaire animé d'un des passa-
ges les plus caractéristiques du roman et les plus inutiles du drame; il
nous montre une partie de pelote au rebot sur la place de Sare. Le jeu
de rebot est le jeu classique des basques. Le peintre reconstitue, grâce
à sa merveilleuse connaissance de la race pyrénéenne, l'ambiance
recueillie de ces « assemblées » silencieuses où coup pour coup on
n'entend que le sifflement aigu de la balle chassée le long des gantelets
ou le bruit sec du projectile s 'écrasant sur le fronton avec une force
qui jetterait à terre l'homme le plus vigoureux. Et les adversaires qu'il
groupe en des poses nobles, lanceurs ou « rechasseurs ». comme on dit
là-bas, symbolisent vraiment ce peuple aux lèvres cousues, avare de
ses paroles jusque dans la fièvre du jeu national. Aussi bien il considère
que cette langue, isolée parmi tous les idiomes européens, ne doit pas
être jetée aux quatre vents du chemin, ayant une origine sacrée. Son
historien national, l'abbé d'Iharce de Bidassouet, n'est-il pas tenté
d'affirmer que Dieu parlait basque dans l'Eden: « Je ne sais pas, dit-il,
si la langue du Père éternel était escuarra ; je ne serais pas assez hardi
pour soutenir que le créateur parlait basque: ce qu'il y a de certain
c'est que le nom de l'arche, en basque ark, arkha, et celui du bois dont
l'arche ou arkha devait être construite sont des mots basques... que
l'on se souvienne donc enfin qu'il n'y a aucune langue dans tout l'uni-
vers qui approche plus de la langue que le Père éternel a inspirée à
Adam. »
Parlait-on basque autour du pommier fatal? Le couple adamique
du grand tableau de M. Courtois hésiterait peut-être à répondre, mais
les joueurs de rebot de M. Gustave Colin diraient oui, sans barguigner.
M. Charles Cottet nous conduit dans une contrée moins ensoleillée,
mais aussi grave que le pays basque. Son tableau, composé de types
que le peintre a étudiés à l'Ile de Sein et à Douarnenez, est intitulé :
Au pays de la mer, Douleur. Nous sommes toujours en plein répertoire
de M. Loti ; de Ramuntcho nous revenons à Pécheurs d'Islande. C'est
Gaud, la fière héroïne, qui se penche sur la civière où s'allonge le
cadavre enfin retrouvé du mari victime de l'océan. Plus généreux que
le romancier, le peintre lui a rendu celui qu'elle appelait en gémissant
sur la grève. Autour d'elle sont groupés la mère, l'aïeule, un trio de
pécheurs, silencieux et sombres, des femmes en pleurs : épilogue de
drame bien mis en scène et robustement formulé. M. Cottet lui a
donné l'impressionnante simplicité d'une mise au tombeau avec la
disposition classique des saintes femmes. L'Ile de Sein et son pano-
rama coupé par les lignes droites des mâts et des agrès, se détachant
sur un ciel brumeux qui se reflète dans l'eau glauque, mettent bien à
leur plan les figurants de cette scène d'un réalisme symbolique.
Les modes second Empire ont gardé un groupe de notateurs amusés.
M. Charles Guérin, dont la virtuosité très personnelle donne de la
grâce aux lourds chignons écrasés sur la nuque et de l'envolée au
ballon des crinolines à cerceaux d'acier, résume leur effort dans son
Duo sur la terrasse. Mais les costumiers, nombreux même à la Nationale,
préfèrent généralement la splendeur des oripeaux asiatiques. L'Évo-
cation de Kundry de M. Egusquiza n'apparait eu réalité que comme un
morceau de ce genre : le peintre a sacrifié le sens wagnérien au
plaisir de manier de souples étoffes dans un décor suggestif. C'est
également le but poursuivi par Mme Lee Robins dans ses deux études
d'espagnoles, l'une au châle noir, l'autre à la mante de crêpe bleu, par
M. Petroff-Vodkine dans la Danse arabe, par M. Albert Aublet dans sa
mendiante tunisienne et M. Antoni dont le Fou sur le marché de
Blidah fait songer à Dehodeucq. M. Anthonissen expose aussi un
croquis très caractéristique ; mais le panneau le plus intéressant, car
le rendu des tulles roses, des soies vertes, des velours d'un rouge
profond est relevé par une adroite disposition, se compose des envois
de M. Dinet. Son Oulei-Naid en costume de fête a la finesse d'un
Tanagra oriental, et les chairs de ses petits modèles ont des luisants
d'or rouge à travers le feuillage des lauriers-roses. M. Girardet entoure
du même trait précis que ses autres figurines le galbe élégant de sa
Mauresque sur la terrasse.
Ces Bédouineries sont innombrables. Les bretonneries se contentent
d'être nombreuses : au hasard Danse bretonne de M.Bartlett; le Calvaire
de M. Lucien Gros ; le souvenir de Roscoff. de M. Léon Couturier; les
jeunes Bigoudines de M. Norselius (l'intérieur Bigoudin est à la mode;
qu'on se le dise dans la jeune école) ; la Sortie de l'église de M. Pierre
Boyer; les Lavandières de M. Piet; les Tricoteuses de MUe Nourse.
Tout un album du Finistère auquel il convient de joindre les délicates
berrichonneries de M. Delachaux dont l'accent très Petite- Fadelte, très
Mare-au-Diable, voire François le Champi, serait allé droit au cœur de la
bonne Mme Sand à l'heure apaisée où elle ne vivait plus qu'une vie de
rêve parmi les fileuses et les dentellières.
LE MÉNESTREL
141
Le grand décor a gardé ses régionalistes. Les peintres de Venise
forment un groupe compact et — phénomène qui prouve l'incompa-
rable variété d'aspects de la ville des lagunes — pas un observateur n'a
la même vision colorée. Que M. Guillaume Roger évoque le palais des
Doges ou Saint- Georges, que M. Koopman note les irisations de l'eau
dormante d'un canalà Chioggia, queM. Iwil nuance les jeux de l'aurore
sur les dômes et les façades de marbre patinées par les siècles, que
M. Desmoulin s'attarde à dessiner la maison du Tintoret ou que
M. Stewart affile dans l'air le clocher des Frari, dans la lanterne magique
passe une Venise tour à tour rose, violet pale, bleu teinté, rouge-
orange. Les peintres de notre Midi ont plus de fixité. Ainsi M. Monte-
nard s'en tient à l'indigo cru daus ses vues de Beaulieu, de la Crau, du
Var. Et il est bien vrai que notre ciel de Provence travaille pour le
bleu de Prusse !
(A suivre.)
Camille Le Senne.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour les seuls abonnés a la musique)
Parmi les plus jolies pages du Chevalier d'Éon, de Rodolphe Berger, il faut certai-
nement citer la Rêverie que murmure La Dubarry sur un orches're de danse au
lointain. M"" Cécile Thévenet y était exquise. Nous pensons donc, être agréables à
nos abonnés en la leur soumettant.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Réponse du berger à la bergère. Nous avons dit de quelle façon brutale
,es représentations du Théâtre-National de Prague s'étaient trouvées exclues
des fêtes jubilaires de l'empereur François-Joseph à Vienne. Par contre, on
organise en ce moment, à Prague, un cycle de représentations d'où la langue
allemande sera rigoureusement exclue. Ces représentations seront données
par un ensemble polonais de Lemberg. un ensemble croate d'Agram, un
ensemble serbe de Neusaltz, un ensemble slovène de Laibach et deux troupes
de dilettantes, dont une petite-russienne et l'autre slovaque.
— Le grand violoniste Joachim était possesseur d'une importante collection
de manuscrits de musique de grands maîtres qui comprenait certaines œuvres
considérables, entre autres une cantate de Bach, le concerto de violon en la
majeur de Mozart, une romance de Beethoven, un trio de Franz Schubert,
le Lobgesang de Mendelssohn. la Fantaisie pour violon de Scliumaun, etc. A
l'exception des manuscrits de Mendelssohn et Schumann, cette collection,
d'autant plus précieuse que certaines pièces portaient des dédicaces des
auleurs à Joachim, a été vendue par les héritiers à la maison G. -G. Boerner,
de Leipzig, qui, elle-même, l'a aussitôt revendue à un riche amateur autri-
chien.
— Petit procès de théâtre. Un médecin qui avait pris une place au bureau
pour assister à une représentation de Carmen, à l'Opéra-Gomique de Berlin, a
intenté contre l'administration du théâtre une action en remboursement du
prix de sa place, pour ce motif que M"0 Maria Labi, qui devait jouer le rôle
principal et dont le nom figurait sur les affiches du jour, avait été remplacée
au dernier moment par une autre cantatrice, et que le changement n'avait été
porté à la connaissance du public qu'au moyen d'un imperceptible petit
placard, suspendu au mur, dans le voisinage du guichet de perception. Le
médecin, n'ayant pu obtenir, le soir de la représentation, le remboursement
du prix d'entrée payé par lui. s'était adressé aux tribunaux, alléguant qu'il
n'avait pas vu le placard apposé. Devant deux juridictions, il a obtenu gain
de cause. Le jugement a été motivé de la manière suivante : « Considérant
que, dans l'ensemble d'une représentation d'opéra, l'interprétation des rôles
principaux est chose essentielle, et que, par suite, la représentation peut
perdre, de son intérêt et de sa valeur si C3 ne sont plus des artistes remar-
quables qui remplissent les rôles principaux, condamne, etc. » En consé-
quence, le plaignant a été remboursé du montant de ses débours. Il en aurait
été de même en France, car la jurisprudence est fixée depuis longtemps chez
nous dans le sens de celle établie par les tribunaux de Berlin. Toute modifica-
tion de dernière heure sur f affiche doit être faite d'une façon très apparente
et avant l'ouverture des guichets.
— Une jolie aubaine pour la Philharmonie Viennoise. On annonce qu'un
dilettante passionné, nommé Rodolphe Putz, qui vient de mourir à Vienne,
a prouvé son amour pour la musique en léguant toute sa fortune, soit plus
d'un million, à la Philharmonie.
— L'affaire de plagiat dont on s'est tant occupé à Vienne depuis quelques
semaines vient de se terminer définitivement par l'aveu du coupable. M. Fré-
déric Hahu a écrit la lettre suivante au chanteur d'opéra. M. Schittenhelm,un
des artistes qui avaient contribué le plus résolument à le démasquer : « Je
déclare par ces lignes que j'ai effectivement copié toutes mes prétendues com-
positions dans les œuvres originales de Rheinberger. Je vous prie de vous dé-
sister dès à présent de toute action contre moi. Je regrette profondément de
vous avoir trompé et d'avoir trompé le public avec vous. Frédéric Ilahn. i
Quand cette lettre a été connue, l'administration du collège des Jésuites de
Kalksburg, près de Vienne, a retiré à M. Hahn les fondions qu'il occupait
comme préfet des études musicales dans cette institution.
— L'Association Goethe, se conformant à une résolution r<ri ^r» antérieure-
ment par son comité, vient de faire placer sur le tombeau de la cantatrice
Corona Schrœter, dans le cimetière d'ilmenau, en Thuringe, une plaque de
cuivre de grande dimension, portant à sa partie supérieure une lyre avec une
torche renversée. Au-dessous on lit cette inscription : » Ici repose Corona
Schrœter, morte le 23 août 1902. » Cette artiste, supérieurementdouée, obtint
de grands succès comme chanteuse et comme tragédienne à Weimar, où elle
fut amenée par Gœthe qui l'avait entendue à Leipzig. Ce grand poète i-t beau-
coup d'autres, ses contemporains, lui ont prodigué les louanges les plus eni-
vrantes. La première, elle mit en musique la ballade du liai des Aulnes et
composa aussi un certain nombre de lieder qui ont été gravés de son vivant
et dont une édition de luxe a été faite il y a seulement quelques années.
Corona Schrœter fut en outre un peintre d'un certain talent, ainsi qu'en témoi-
gnent deux portraits d'elle-même de sa propre main qui ont été reproduits
dans le Ménestrel en juillet I90o. Corona Schrœter eut plusieurs frères ou sœurs.
L'ainé. nommé Jean Samuel, était un pianiste remarquable. Il voyagea en
Angleterre vers 1780, et obtint au concert de la reine une place distinguée
comme successeur de Chrétien Bach. On fit courir le bruit que. dans le ceref'
de ses élèves qui appartenaient tous à la noblesse, il s'éprit d'une jeune lille
et l'épousa secrètement. Les parents parvinrent à faire rompre cette union et
dédommagèrent, dit-on, l'artiste en lui faisant une rente de douze mille francs.
Rien ne prouve absolument la vérité de cette histoire romanesque. Plus tard.
Samuel Schrœter obtint d'être présenté au roi Georges IV, amateur passionné
de musique, et fut attaché à sa chapelle. Il mourut en 1788. d'une maladie de
poitrine. Comme sa sœur, il écrivit plusieurs compositions dont quelques-unes
furent publiées.
— Le musée Bach, à Eisenach, vient de recevoir en cadeau plusieurs
vieux instruments à vent et à cordes très précieux. On a l'espoir maintenant
de réunir avant peu toute la collection des instruments de musique usités du
temps de Bach. Le musée Bach a été visité, il y a peu de temps, par l'abbé
Lorenzo Perosi, qui a inscrit sur le livre, d'or cet hommage au maître :
« Magno magislro parvus discipului. — Laurentius Perosi. »
— Voici le programme des solennités musicales en l'honneur de Bach, qui
doivent avoir lieu pendant ce mois à Leipzig : 16 mai, après-midi : motets de
fête à l'église Saint-Thomas ; soir : concert religieux dans la même église,
cantates et magnificat: 1" mai, matin : service divin à l'église Saint-Thomas,
selon la liturgie en usage du temps de Bach ; immédiatement après, dévoile-
ment du monument; soir : concert de musique de chambre dans la salle du
Gewandhaus ; 18 mai, double concert religieux à l'église Saint-Thomas ; de
trois heures et demie à six heures, première partie de la Passion selon saint
Mathieu ; de huit heures à dix heures, deuxième partie du même ouvrage.
Cette grande œuvre, qui dure plus de quatre heures, comme on le voit, sera
exécutée sans aucune coupure. Les directeurs des concerts seront MM. Gus-
tave Schreck, cantor de l'église Saint-Thomas, et Cari Straube, directeur de
la Société-Bach (Bachverein). La veille de la fête, M. Adolphe Hamm. orga-
niste de la cathédrale de Bàle, donnera dans l'église Saint-Thomas un concert
d'orgue composé entièrement des œuvres du maitre.
— Samedi dernier, dans l'après-midi, le théâtre de la Place Gaertner, à
Munich, a donné devant une salle comble une représentation de gala de la
Chauve-Souris, ayant pour interprètes des artistes de l'Opéra de la Cour, unis
à ceux de la troupe ordinaire du théâtre. C'étaient Mn,e Bosetti, MUes Linda,
Menge. MM. Koppe, Walter, Basil, Koenig, Zeder et Glonny. Le public n'a
cessé de prodiguer ses applaudissements à ces chanteurs d'élite, qui ont joué
avec autant de talent musical et scénique, autant de finesse dans la diction,
que de verve et de gaieté joyeuse et franche. L'orchestre et les ensembles ont
été superbes d'entrain sous l'habile direction de M. Steinbôck. La toile est
tombée, à la fin du spectacle, sur une scène toute couverte de fleurs et de
couronnes.
C'est les 3, 4 et 5 mai qu'aura lieu à Kœnigsberg le premier festival de
la Prusse orientale, qui est organisé sous la présidence du prince Frédéric -
Guillaume de Prusse, et auquel le comité s'est efforcé de donner le plus vif
intérêt. Le programme comprendra exclusivement de grandes œuvres classi-
ques allemandes. On y exécutera le premier jour la cantate de Bach, le Défi
de Phœbus et de Pan, la symphonie en si bémol de Schubert et le concerto
de violon de Brahms, le second jour, la symphonie avec chœurs de Beethoven,
avec le concerto de piano en sol majeur et deux ouvertures du même maitre :
enfin, le troisième jour, la symphonie en ut majeur de Schubert et diverses
œuvres de Mozart.
— Une petite fête vient d'avoir lieu dans le village d'Absam, près d'Ins-
pruck, en l'honneur du luthier Jacob Stainer, qui y naquit le 14 juillet 1621,
et y mourut en 1683. A l'auberge Ebner. qui jouit d'une, vieille réputation, a
été inaugurée une sorte de chambre-musée, « Jakob. Stainer Stube >, dans
laquelle on a réuni quelques souvenirs du vieux maitre. La cérémonie ne pou-
142
LE MENESTKEL
vait se terminer sans un peu de musique. Un violoniste, M. de Kundratitz, a
joué les deux romances de Beethoven et la cavatine de Rail', sur un violon de
Stainerl prêté par le musée » Ferdinandeum » d'Inspruck. Stainev, après
avoir manifesté dès son enfance de grandes aptitudes pour la construction des
violons, entra dans l'atelier de Nicolas Amati, à Crémone, et y fabriqua
d'excellents instruments devenus très rares. L'un de ces derniers, daté de 164 f-,
appartint à M. Desentelles, ancien intendant des menus-plaisirs du roi, et
devint plus tard la propriété de Gardel. premier maître de ballets à l'Opéra.
Stainer, ayant épousé une fille d'Amati. s'établit avec elle à Absam, mais,
obligé de travailler trop vite afin de pouvoir céder ses violons, ses altos et ses
basses aux plus bas prix possibles, sa réputation en reçut quelque atteinte. Il
sut la relever pourtant, trouva de bonnes commandes, et monta un atelier en
s'attacbant quelques élèves. Les instruments de cette deuxième époque de la
vie de Stainer sont datés d'Absam, 1650 à 1667. On dit qu'à la mort de sa
femme. Stainer se relira dans un couvent de Bénédictins et y passa le reste
de ses jours. Il y lit seize violons en choisissant ses bois avec le plus grand
soin, en envoya quatre à l'empereur et un à chacun des douze électeurs de
l'empire. Ce sont ces violons qui été ont connus depuis sous la dénomination de
Stainer-électeur. Le roi de Prusse Frédéric-Guillaume II en a possédé un.
Tous, à l'exception de trois, ont été perdus de vue depuis longtemps. Des
esquisses biographiques de Stainer out été publiées par S. Ruf, à Inspruck
en 1872, et par F. Leutner, en 189S. D'après une tradition qui n'est peut-être
pas absolument certaine, Stainer serait mort dans le dénuement, et après
avoir perdu la raison.
— De Saint-Pétersbourg, on télégraphie que Mlk' Lina Cavalieri vient de
chanter au Petit-Théâtre la Manon de Massenet avec un succès triomphal.
— On annonce que le grand pianiste Paderewsky est définitivement nommé
directeur du Conservatoire de Moscou.
— Un spectacle original a été donné pendant la semaine sainte, au théâtre
de la ville d : Deventer, en Hollande. On a représenté les épisodes principaux
de l'histoire de la Passion, en établissant une mise en scène d'après des
tableaux de peintres célèbres, et, pendant le temps nécessaire pour changer
les décors, un orchestre et des chanteurs invisibles exécutaient des morceaux
de Gounod, A. Houck, Mendelssohn, Schubert, Prume, Wensink et Richard
Hol. choisis de façon à exprimer des sentiments conformes à ceux que de-
vait faire naitre la vue des reproductions scéniques. Toute la partie musicale
a été dirigée par M. Wensink. Le public a paru s'intéresser très vivement à
ces représentations d'un genre original.
— Le Théàtre-Verdi, de Vicence, adonné, le même soir, la première repré-
sentation de deux opéras dus au même compositeur, M. Andréa Ferretto.
L'un, Fantasma, est en un acte et écrit sur un sujet tiré des lyriques d'Emilio
Praga. Le second, qui compte deux actes, a pour titre la Violiimta, et son
livret a pour auteur M™8 Anita Zappa. L'un et l'autre out été favorablement
accueillis.
— A San Sepolero on a représenté pour la première fois un opéra bouffe
intitulé Don Chrisciotte. dont les auteurs sont MM. Lorenzo Coleschi pour les
paroles et Simone Besi pour la musique.
— Un compositeur turinois, M. Giuseppe-Paolo Ruggeri, a fait exécuter au
Théàtre-Donizetti de Bergame une composition importante, une « epo-sym-
phonie » intitulée Pielro Mi'cca. L'œuvre a été très sympathiquement accueillie,
surtout dans sa seconde partie.
— La comédie en quatre actes de M. Alfredo Testoni, Gioacchino Rossini,
dont nous avions annoncé la prochaine apparition en en faisant connaître le
sujet, vient d'être représentée au Théàtre-Niccolini de Florence. Le nom et la
gloire universelle, de son héros n'ont pas suffi à lui porter bonheur. Elle est
tombée tout à plat.
— La statistique est toujours une belle science. Elle nous fait connaître
aujourd'hui (ou a la prétention de nous faire connaître) le nombre actuel des
artistes lyriques italiens. Si nous devons nous en rapporter à elle, l'art italien
serait représenté, a l'heure présente, par 430 soprani, 130 mezzo-soprani ou
contralti, 350 ténors, 240 barytons, 130 basses, 30 basses comiques, 130 com-
primari (rôles secondaires), et 200 maestri chefs d'orchestre. On remarquera
que tous ces chiffres sont ronds et ne comportent aucunes fractions. La statis-
tique est toujours une belle science.
— L'Orchestre symphonique de Madrid vient de publier le programme des
six concerts qu'il va donner au Théâtre-Royal, sous la direction de M. Enri-
que-Fernandez Arbos. Comme œuvres de résistance, ce programme comprend
trois symphonies de Beethoven, Scltéhérasade, de Rimsky-Korsakow, la sym-
phonie en ré mineur de César Franck, le Concerto Brandebourgeois de Bach,
Finlanda de Sibelius, Mort et Transfiguration de Richard Strauss, avec diverses
productions espagnoles de Villar, Arregui et Lavina.
— Toute une série de zarzuelas nouvelles sur les diverses scènes de Barce-
lone. Au Théâtre-Martin, Emisa la comedianta, deux actes et quatre tableaux,
musique accorte et légère de M. Calleja, dont on a redemandé plusieurs mor-
ceaux. Succès. — A l'Apollo, el Ccloso extrcmeno, adaptation lyrique d'une nou-
velle de Cervantes, musique de M. Barrera, dans laquelle on a distingué
surtout deux morceaux fort agréables. — Et à la Zarzuela, Pepe Botella, deux
actes, paroles de M. Ramos Carrion, musique de M. Vives, le compositeur
très populaire. L'œuvre était attendue avec impatience; le succès n'a pas
répondu à cette attente. Poème et partition ont été froidement accueillis ; et
on a remarqué seulement, pour la seconde, quelques airs populaires et le
prélude du second acte, écrit sur un motif attribué au roi Joseph Bonaparte.
— Nous recevons le premier numéro d'un nouveau journal spécial qui vient
de paraître à Barcelone sous le titre de Musical Emperium, et qui se publiera
chaque mois.
— La musique militaire du Royal Artillery de Newcastle-nn-Tyne, sous la
direction de M. Robert Smith, vient d'être engagée pour une tournée de six
mois en Australie. Cette bande, dont les solistes sont de premier ordre, sles-t
acquis une grande réputation en donnant des concerts dans différentes villes
de. l'Angleterre. Avant leur départ pour l'Océanie, les musiciens se sont fait
entendre au Tyne-Theatre avec un programme comprenant les Scènes pitto-
resques de Massenet, l'ouverture i'Obéron et celle de Tannhduser; le public
leur a fait un accueil enthousiaste.
— Une association d'Oxford a organisé récemment une représentation théâ-
trale d'un genre particulier, et jusqu'ici sans doute inédit. C'est-à-dire que
tous les acteurs étaient des sourds-muets, et aussi les spectateurs, ce qui
complétait l'originalité. Les quelques personnes douées de l'oreille et de la
parole qui assistaient à. cette représentation racontent que l'impression était
étrange du silence de cette foule qui suivait avec une attention passionnée les
mouvements et jusqu'aux jeux de physionomie les plus délicats et les plus
imperceptibles des acteurs. L'idée d'un spectacle de sourds-muets surgit évi-
demment de la pantomime. Mais il ne s'agit pas ici de pantomimes, mais de.
comédies et de drames véritables, avec de longs dialogues développés à l'aide
des doigts et suivis avec une tension d'esprit surprenante par des spectateurs
familiers avec ce langage, dont ils ne perdent pas un détail, pas une particu-
larité. La représentation, on peut le constater, obtint un énorme succès. Mais
il va sans dire que l'enthousiasme des spectateurs ne se manifesta pas, comme
nous avons coutume de le faire, avec des applaudissements et des battements
de mains. La représentation terminée, tous se levèrent d'un seul mouvement,
et, une fois debout, agitèrent longuement les bras en l'air pour témoigner
ainsi aux acteurs, leurs camarades, tout le plaisir et toute la satisfaction qu'ils
leur avaient fait éprouver.
— La troupe du Metropolitan Opéra Company de New- York vient de
donner à Boston une « grande semaine d'opéra ». Mme Géraldine Farrar a
obtenu de véritables triomphes, notamment dans Mignon, dans la Bohème et
dans Bon Giovanni.
— Une très brillante saison de concerts vient d'avoir lieu, à Montréal
(Canada), où le public a acclamé tour à tour, avec la Symphonie de New-
York, le jeune violoncelliste Jean Gérardy, le pianiste Pachmann, M"ie Nor-
dica, Mme Marcella Sembrich, et aussi M. Paderewsky, dont la présence a été
la cause d'une sorte de scandale. Il va sans dire que le célèbre pianiste a
obtenu le succès auquel il était habitué. Mais justement, la foule était si con-
sidérable pour l'entendre que le manager, M. Veitch, a voulu mettre à profit la
circonstance en exigeant de ceux-mèmes qui avaient pris leur billet d'avance
un supplément d'entrée d'un dollar. On conçoit les réclamations très légi-
times et les discussions ardentes provoquées par cette façon de procéder. Il
en est résulté un tel tumulte dans la salle que le virtuose a dû s'interro mpre
pour obtenir enfin le silence et l'attention des auditeurs.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Par 17 voix contre 6 et 3 bulletins blancs, le conseil supérieur du
Conservatoire, réuni mardi matin au sous-secrétariat des Beaux-Arts, a décidé
de supprimer, à la fin de la période d'essai décidée en 1903, c'est-à-dire dans
quelques mois, la classe de harpe chromatique.
— Lundi prochain nous aurons à l'Opéra une belle reprise de Thaïs, pour
les débuts de Mlle Mary Garden. On sait le grand succès que l'originale artiste
a remporté dans cet ouvrage à New-York. A Paris elle aura, pour Athanaél,
le même partenaire qu'elle avait trouvé chez les Américains, le baryton v
Renaud. La soirée s'annonce donc exceptionnelle. Le vendredi suivant1
deuxième représentation de cette même Thaïs.
— A l'Opéra, la répétition générale à'BUppolyte et Aride est fixée- au
dimanche 10 Mai et la première représentation au mercredi suivant.
— A l'Opéra-Comique, répétition générale de Snegourotchka, l'opéra russe
de Rimsky-Korsakoff, mercredi prochain 6 Mai ; première représentation le
vendredi suivant.
— Spectacles de dimanche à l'Opéra-Comique : en matinée : Werther et
les Noces de Jeannette; le soir, Lakmé et Gavalleria rusticana. Lundi, en repré-
sentation populaire à prix réduits : le Cliemineau.
— La lecture des catalogues d'autographes n'est jamais sans quelque utilité.
Dans l'un des plus récents, nous trouvons l'analyse d'une lettre de Choron,
dont 1 École, restée justement célèbre, a formé un grand nombre d'artistes
parmi lesquels Duprez, Rosine Sloltz, Hippolyte Monpou, Dietsch, Scudo,
Clara Novello, Mme Hébert-Massy, etc. Dans cette lettre, datée du. 21 octo-
bre 1908 et adressée à Napoléon, Choron demandait à l'empereur la grâce de
lui accorder l'inspection générale de l'Université. Aux états de service qu'il
invoquait en faveur de cette demande il joignait la date de sa naissance :
21 octobre 1771, ce qui permet d'opérer une rectification à la notice sur Choroa
de la Biographie universelle, des musiciens de Fétis, qui indique 1772.
— Mme Wanda Landowska, l'excellente pianiste au jeu si fin et si délicat,
avait, au cours d'une tournée récemment faite par elle en Russie, élé invitée
par le vieux poète Tolstoï à aller passer les fêtes de Noël auprès de lui, dans
LE MENESTREL
L4I
son ermitage de .Tasnaga-Poljana. Ce qu'on ignore assez généralement, c'est
que le comte Léon Tolstoï est un passionné de musique, et qu'il en fait sou-
vent lui-même. M'"c Landowska ayant l'ait part des impressions que lui avait
laissées cette visite a une rédactrice d'une publication allemande, Welt-Spiegel,
M"10 Stéphanie Goldenring, celle-ci les reproduisit dans ce journal, auquel
nous empruntons une partie du récit qu'elle prête à l'aimable artiste :
... Le comte se porte bien. Il fait chaque jour de longues promenades ii pied ou à
cheval, puis lit sa nombreuse correspondance. A midi nous nous réunissions pour le
repas. Je jouais ensuite pendant une heure ou une heure et demie, après quoi
Tolstoï retournait à son travail. Après diner, vers sept heures, je recommençais a
jouer, chaque jour, jusqu'à onze heures et demie ou minuit. Tolstoï s'entend extra-
ordinairoment en musique. Encore aujourd'hui il joue souvent tout seul, ou à quatre
mains avec sa Lille, et il aime spécialement la musique classique. Ses compositeurs
préférés sont Haydn et Mozart; de Beethoven tout ne lui plail pas, et de l'époque
postérieure à Beethoven son auteur favori est Chopin.
La musique ancienne de Bach, Haendel, Couperin, Rameau, Scarlatti, l'enflamme
d'un enthousiasme extraordinaire. « C'est incroyable, dit-il, que de pareils joyaux
restent enfouis dans les bibliothèques, et soient si peu connus môme des artistes,
qui exécutent toujours les mêmes œuvres. Cette musique me transporte dans un
autre monde, je ferme les yeux et il me semble que je vis dans les siècles passés. »
Les anciennes danses nationales françaises le charment aussi tellement que je
devais lui en jouer tous les jours. La musique populaire l'émeut profondément.
Lui-même a recueilli en son temps des motifs populaires russes, dont il envoyait un
certain nombre à Tsohaïkowsky avec prière de les transcrire à la manière de Haendel
et de Mozart, non à celle de Schumann ou de Berlioz.
Quelquefois je lui faisais de la musique pendant cinq heures de suite. Je craignais
même de le fatiguer avec tant de musique ancienne; mais il me rassurait, en me
disant qu'au contraire cette musique tranquillisait ses nerfs, tandis qu'au contraire
la musique moderne est surtout propre à exciter le système nerveux. Si quelques-
unes des œuvres que je lui faisais entendre ne lui plaisait pas, il me le disait d'une
façon délicate, mais décidée. Et chaque morceau entendu était par lui analysé avec
beaucoup de justesse et d'intérêt...
— On a soutenu que le génie était une forme de la démence, et, à l'appui
de cette théorie, on a parfois cité l'exemple de Schumann, dont toute la vie
fut troublée de désordres cérébraux. Le docteur Pascal, dans le Journal de
Psychologie, démontre que cet exemple n'est rien moins que concluant. D'après
les biographes de l'illustre musicien, les récits de sa femme, les rapports de
ses médecins, le procès-verbal de l'autopsie, il a pu reconnaître toutes les
phases des maladies de Schumann et en rétablir, en quelques sorte, le dia-
gnostic posthume. Suivant le docteur Pascal, Schumann aurait été atteint de
deux affections distinctes. De vingt-trois à quarante-deux ans. il a souffert
d'une psycho-névrose constitutionnelle, se manifestant par des crises où l'on
a vu, à tort, les signes d'une démence précoce. Ces crises d'exaltation et
d'abattement sont communes à toutes les maladies nerveuses, et l'on ne trouve,
pendant cette première période, aucun symptôme de folie. Les facultés
intellectuelles, la personnalité, la conscience demeuraient absolument
intactes ; chacune de ces crises s'explique historiquement par quelque surme-
nage, excès de travail ou de vie sentimentale. Les plus graves furent causées
par le Paradis et la Péri, Manfred, Faust, les symphonies; il est d'ailleurs à
remarquer que, pendant la durée de ces crises, Schumann n'a composé aucun
ouvrage; il a écrit tous ses chefs-d'œuvre dans des périodes de santé, et cela
même va contre la théorie qui veut confondre la démence avec le génie. En
1S50 apparaissent des symptômes nouveaux, embarras de la parole, hallucina-
tions de l'ouïe, rictus épileptiques, affaiblissement du jugement, délire. Le
malade voit des anges, des démons ; il se sent poursuivi par des hyènes ou des
tigres; il entend un lu perpétuel; tantôt il est obsédé par la peur de la mort
et tantôt par l'idée du suicide; il se croit coupable, il s'accuse de crimes
imaginaires ; par horreur de lui-même, il se jette dans le Rhin. On le sauve,
on l'enferme dans une maison de santé où il meurt après quatre années de
déchéance continue. C'est le processus ordinaire de la paralysie générale,
maladie absolument distincte de la première, de cette psycho-névrose qui avait
affligé la jeunesse du musicien. Cette fois, c'est la vraie folie. Elle commence
en 1830, et, dès qu'elle commence, Schumann cesse d'écrire. Chez lui comme
chez le Tasse, Newton, Volta, Nietzsche et tant d'autres, le génie s'éteint en
même temps que la raison.
•— Programme du 20" et dernier concert du Conservatoire, demain diman-
che :
Symphonie en ut mineur, n" 3 (C. Saint-Saëns). — Concerto pour violoncelle (Ed.
Laloi, par M. André Hekking. — Joseph, iragments (Méhul), par M. R. Plamondon.
— Scherzo du Songe dkme Nuit d'Eté (Mendelssohn). — Danse polovtsienne avec
chœurs du Prince Igor (Borodine).
— La Société J.-S. Bach (salle Gaveau), clôturera sa saison le mercredi
6 mai, avec un superbe programme et une magnifique interprétation.
1" Cantate H'err wie du willsl (MM. George Walter (de Berlin) et Hans Vaterhaus
(de Francfort) ; 2» Première sonnle pour piano et violon (MM. Ed. Risler et Jacques
Thibaud); 5" cinq préludes et fugues du Clavecin bien tempère (M. E. Risler); 4" Clm-
conne, pour violon seul (M. Jacques Thibaud); 5" cantate Sie werden ans Sabn
(MM. Walter et Vaterhaus).
Orchestre et chœurs sous la direction de M. Gustave Bret. Le mardi 3 mai.
à quatre heures, répétition publique.
— La linale du concours des ténors organisé par nos confrères Comœdia et
Musica a eu lieu mardi après-midi devant un jury de notabilités, dans la salle
de l'Opéra-Comique, obligeamment mise à la disposition des organisateurs
Jiax_.iL -Albert Carré. La liste des ténors inscrits pour cette épreuve décisive
ne comprenait pas moins de vingt-cinq noms. «Tout d'abord, dit judicieusement
Nicolet du Gaulois, il faut constater qu'à deux ou trois exceptions près, forts
ténors, ténors de demi-caractère ou ténors légers, ont été très intéressants a
entendre. Il y a évidemment parmi eux beaucoup d'organes violents a l'émis-
sion bruiale. qui ont besoin d'être dégrossis, polie et édnqués. Il y eu a
d'autres pour lesquels il reste bien peu de chose a faire pour qu'ils suient en
état de paraitre sur la scène.» Voici les récompenses qui ont été décernées :
M. Falandry, le vainqueur, âgé de vingt-doux ans. originaire de Montpellier,
mi il exerce la profession de garçon limonadier, a reçu le prix de 1.000 francs
offert par M. Pierre Ladite. Aux dix suivants : MM. Dominique (Toulouse.,
Paul Franz (Paris), Villeneuve (Béziors), Loubressac (Pari- . Mario d'ans .
Robert Lassalle (Paris), Georges Foy (Hordeauxi, Ani Marthe
(Bordeaux), et Accard (Dijon), des médailles de vermeil offertes par Comœdia
et Musica. Un diplôme est décerné à chacun des participants à l'épreuve
finale. L'éducation du vainqueur sera assurée par Musica, pendant deu
auprès d'un professeur éminent. Ce concours de ténors non professionnels se
renouvellera tous les cinq ans. Il sera suivi, l'année prochaine, d'un concours
de contralti.
— Dimanche dernier on a posé, à Rodez, la première pierre du musée des
Artistes aveyronnais que la ville fait construire, sur une de ses places, avec le
concours du sculpteur Denys Puech el de la cantatrice Emma Calvé, qui ont
donné, le premier, 40.000 francs, et la seconde, 20.000 francs. Cette cérémo-
nie était présidée par M. Denys Puech. Elle a eu lieu en présence des autori-
tés locales, de plusieurs personnages politiques et de nombreux artistes. Elle
a été suivie à midi d'un grand banquet. Plusieurs orateurs ont signalé le
réveil de l'art dans le Rouergue et ont constaté que M. Puech, Mm,: Emma
Calvé et d'autres artistes y avaient largement contribué. Cette fête s'est termi-
née par une soirée de gala au théâtre, où M™ Emma Calvé s'est fait entendre
et a été chaleureusement applaudie. Au moment où la fête se terminait, le
maire a annoncé que le conseil municipal avait décidé de donner le nom de
Denys Puech à un boulevard et celui d'Emma Calvé à une place de la ville.
— M. Gaston Bernheimer, le distingué pianiste et compositeur, vient de se
faire entendre à la salle Pleyel, et a été accueilli par le nombreux et élégant
public avec un enthousiasme très légitime. Son jeu. tout de charme, de sou-
plesse et de virtuosité a séduit le public, qui a chaleureusement applaudi le
virtuose. Le programme, du plus haut intérêt artistique, comportait plusieurs
œuvres, inconnues à Paris, de Théodore Leschetitzky et des pages de
M. Bernheimer lui-même.
— Salle archicomble, chez Pleyel, pour la séance de sonates donnée par
M. Pierre Dostombes et public très artiste attiré sans doute aussi par la pré-
sence des trois auteurs. MM. Saint-Saéns, Théodore Dobois et (.'.h. -M. Widor,
jouant chacun leur œuvre avec le très remarquable violoncelliste. Dire qu'on a
acclamé les trois maitres, leur brillant interprète et leurs œuvres remarquables,
semble inutile. Il faut, cependant, noter que c'était la première fois que
M. Théodore Dubois se produisait en public comme pianiste-exécutant et.
comme il était facile de le prévoir, il s'en est tiré tout à son honneur.
— M. Clarence E. Shepard, un organiste tout à fait remarquable, vient de
donner, salle Gaveau, un concert qui lui a valu très grand succès après l'exé-
cution de diverses pièces de Bach, Mendelssohn, Couperin et Haendel. Miss
Charlotte Lund a fort joliment chanté des mélodies modernes, notamment
Mai deReynaldo Hahn.
— Le concert donné à Villeneuve-sur-Lot. à l'occasion du Congrès des
Fédérations mutualistes, a obtenu le plus éclatant succès. Plus de deux mille
spectateurs assistaient à cette soirée. M. Fugère. M"'' La Palme et M. Francell
y ont fait merveille. M. Fugère a été incomparable, comme toujours, dans le
Bonhomme Jadis el ses vieilles chansons ; M. Francell et M1K' La Palme, dans
le Bonhomme Jadis et Lakmé, ont été vigoureusement applaudis. Le public
enthousiasmé a fait des ovations à tous les artistes.
— L'Opéra de Nice vient de donner la première représentation d'un drame
lyrique en un acte, la Marana, dont la musique est due à un jeune composi-
teur jusqu'ici complètement inconnu, M. Florencio Odéro. Ce petit ouvrage
avait pour interprètes Mmes Charlotte Wyns et Degeorgis, MM. Moore et
Sorrèze.
— De Dijon : La réputée maîtrise de Sainte-Bénigne (Société Palestrina), si
habilement dirigée par M. l'abbé Moissonet, a fait entendre le jour de Pâques,
en première audition et avec succès, le Kyrie, Gloria et Agnus d'une messe
inédite de M. Joseph Baume. Au Salut, on a donné Surrexit a Mortuis de
M. Widor, Vivants et Glorieux de Haendel, et Tu es Petrus de M. Th. Dubois.
— A propos des Concerts Rosenthal : Moriz Rosenthal se trouvant légère-
ment souffrant, les organisateurs de ses concerts ont décidé de reculer de
quelques jours la date de son premier récital. Les quatre concerts que le grand
pianiste doit donner à la salle des Agriculteurs sont donc définitivement fixés
comme suit : les 3. 9. 14 mai en soirée, et le 21 mai en matinée. Les porteurs
de billets pour le concert du 30 avril devront s'adresser à l'administration des
Concerts Rosenthal. maison Moullé. 1, rue Blanche, pour l'échange des billets.
Les abonnés aux quatre concerts conserveront leurs billets du 30 avril ; ces
billets seront valables pour le récital du -21 mai.
— M"10 Blanche Marchesi, la remarquable cantatrice, qui depuis trop long-
temps déjà n'a pas été entendue à Paris, voulant répondre aux sollicitations
des nombreux admirateurs de son superbe talent, donnera un Récital à la
1U
LE MENESTREL
— Les dimanche 3 et jeudi
Orchestre sous la direction de i
Salle Erard, le mardi 19 mai. Nous publierons prochainement le programme
de cette soirée artistique.
— Parmi les musiciens de l'école allemande moderne, Anton Bruckner
occupe une place considérable. Grâce à l'artistique initiative de M. Louis
Hasselmans, dont le talent et l'autorité de kapellmeister se sont déjà si
incontestablement affirmés, la « Huitième Symphonie » du maître viennois
sera exécutée, pour la première fois en France, au concert qui aura lieu salle
Gaveau. à trois heures, le jeudi 14 mai, avec le concours des . Concerts-
Lamoureux. Le programme de cette très intéressante séance comporte, en
outre, la- Procession nocturne, de, H. Rabaud, les « Chants d'épreuve » des
Maîtres chanteurs, de Richard Wagner, interprétés par M. Emile Cazeneuve,
l'Après-midi d'un Faune de C. Debussy et Catalonia de I. Albeniz.
— Les jeudi 7 et 14 mai, au Trocadéro, concerts de M. Sarasate et de
Mme Berthe Max-Goldschmidt.
mai. à la salle Gaveau, Concerts Ysaye.
Colonne et Jacques Thibaud.
— M. J. Bilevski, le jeune et déjà renommé violoniste, annonce pour le
5 mai, à la salle Erard, un concert au cours duquel il fera entendre les
concertos pour violon et accompagnement de double quintette de Bach et de
Lalo, la belle sonate pour violon et piano de Widor, accompagnée par
l'auteur, les Airs russes de Wieniawski et la Berceuse pour un soir d'automne
d'Ernest Jloret.
— Le samedi 9 mai prochain, à 9 heures du soir, le « Maennerchor » de
Zurich donnera, avec le concours de l'orchestre Lamoureux, un grand concert
au Trocadéro en faveur d'ceuvres de bienfaisance. Cette société, composée de
chanteurs de premier ordre, présente un intérêt tout particulier non seule-
ment au point dé vue artistique mais encore au point de vue de l'enseigne-
ment populaire du chant, aujourd'hui de pleine actualité, et de l'éducation
musicale telle qu'elle est pratiquée en Suisse. Elle fut, en effet, fondée par
Naegeli, l'initiateur du chœur d'hommes à quatre voix, qui est cultivé surtout
en Allemagne, en Autriche et en Suisse. Wagner en fit partie, comme
membre honoraire, lors de son séjour à Zurich. Pour la première fois le
Maennerchor de Zurich, qui jouit à l'étranger d'une grande réputation, se fera
entendre en France. On peut se procurer des billets jusqu'au 8 mai chez
M. Ernest Relier, 3. Cité d'Hauteville et le 9 mai au Trocadéro.
— Soirées et Concerts. — A la deuxième séance de sonates donnée salle Erard, par
M. et M"' E. Loiseau, très bonne exécution de la sonate pour violoncelle et piano
de Théodore Dubois par M" Loiseau et M. Fournier. On a fait un chaleureux
accueil à l'œuvre et à ses interprètes. — A Reims, charmante audition des élèves de
M" A. de Beaujeu. On applaudit M"" M., B. et M"' C. {Avril, Lefebvre), M- B.,
M"' B. (duo du Roi d'Ys, LalO!, M™ M. (air de Cendrillon, Masseneti et M"' C.
(Mehuef d Exaitdét, Wekerlin). — M"1 Blanche Huguet a donné salle Pleyel un inté-
ressant concert au cours duquel elle s'est fait vivement applaudir dans Voie laclée,
Dormir et river, Désir d'Avril, de Théodore Dubois, que l'auteur lui accompagnait.
Gros succès aussi pour le trio de la G«;to de l'Emir, chanté par M"° Huguet et
MM. Moncla et Seguy, et pour Promenade sentimentale, du même maître, trio pour
violon, violoncelle et piano, fort joliment exécuté par M. F. de la Haulle, M"" Dienne
et M. Masson. — M™ Marquet vient de faire entendre ses nombreuses élèves en deux
séances données à Nevers et à Bourges et devant, comme toujours, un public'd'élite
qui a fait fête au vaillant et renommé professeur. Parmi les élèves qu'il convient de
citer particulièrement, nommons M"" de S. V. (air du Sommeil de Psyché, A. Thomas),
R. (Par le Sentier, Dubois'i, P. (« Se Consoler », de Jean de Nivelle, Delibes), d-'A. [Si
mes vers avaient des ailes, Hahni, de S. V. {Elégie, Massenet), R. (Stella, Faurej,
Mmt B. (« Pleurez mes yeux » du Cid, Massenet), M" M. G. (« Jours de Juin » de
Thérèse, Massenet), M"" M. (Pitclwunelte, Massenet), P. (air de Psyché, A. Thomas),
T. (air.de Thérèse, Massenet), de G. (air d'Eunoé (l'Ariane, Massenet), M. de V. lair
d'Hérode d'Hérodiade, Massenet), M11" P. (Mai, Hahn), R. (L'Heure exquise, Hahni,
B. (air du Roi de Lahore, Massenet), D. (Stella, Faurei, et M"" G. et M. de V. (duo
d'Hamlet, A. Thomas). — A la sixième séance de musique ancienne et moderne pour
harpe, salle Pleyel, il™ Brun-Fontaneau, MM. JolTroy et Brun ont délicieusement
joué le Terzettino de Th. Dubois, pour harpe, llùte et alto, et Mm0 Brun-Fontaneau,
MM. "Wollf, JolTroy et un charmant quatuor, sous la direction de l'auteur, n'ont pas
eu moins de succès avec la Fantaisie pour harpe et orchestre du même compositeur.
NÉCROLOGIE
Le 7 avril dernier, est mort,'à l'âge de 33 ans, Georges -Frédéric Cawthorne,
organiste, pianiste, compositeur et professeur à Sheffield.
— De Turin on annonce la mort, le 12 mars, du compositeur Gaetano
Foschini, qui fut aussi, en son temps, un chef d'orcheslrc exercé. Né à
Po'esella le 25 Août 1836, il fut d'abord élève de son père, puis de Domenico
I-'oroni. A la niort de son père, il lui succéda comme organiste du dôme de
Cologna Yeneta (1850), et quelques années après entreprit la carrière de chef
d'orchestre, qui le conduisit à Gonstantinople, où il fit représenter, en 1864,
un opéra intitulé Giorgo il baniito. En 1873 il était nommé directeur de l'Ecole
de musique d'Asti, et en 1S89 il devenait professeur d'harmonie et de contre-
point au Lycée musical de Turin, qu'il ne quitta qu'en 1900. Outre un certain
nombre de compositions : pièces d'orchestre et de piano, morceaux religieux,
etc., cet artiste a écrit un ouvrage didactique très important : Traité raisonné
de li Théorie et de la Pratique de l'Harmonie, en trois volumes, dont le succès
fut considérable.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Vient de paraître chez Dujarric et G"
d'Amv Fav, traluction française de M"
: Lettres intimes d'une musicienne
B. Sourdillon.
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POUR PIANO
PREMIÈRE SÉRIE DEUXIÈME SÉRIE
(Du très facile au facile.) (Du facile à la moyenne difficulté.)
MES POUPÉES
MES JOUETS
1.
Bébé poupart.
11.
Polichinelle.
2.
Bébé jumeau.
12.
Tambour et trompette.
3.
Bébé maillot.
13.
Jeu de massacre.
4.
Bébé baby.
14.
Lanterne magique.
S.
Bébé marcheur.
15.
Boite à musique.
6.
Poupée dormeuse.
16.
Le chemin de fer
7.
Poupée valsante.
17.
Jeu de grâce.
8.
Poupée nageuse.
1S.
Guignol.
9.
Poupée parlante.
19.
Le volant.
10
Ponpée merveilleuse.
20.
Le diabolo.
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IMPRMIEIUE CE\TRA
mu. — 74e A.WÉE. - Y 19.
PARAIT TOUS LES SAMEDIS Samedi 9 Mai 1908.
(Les Bureaux, 2"", rue Vivienne, Paris, ii'arr>)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
ENESTREL
lie flaméro : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
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lie Numéro : 0 fp. 30
Adresser franco à M. Hbnbi HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francB, Paris et Province. — Texte ot Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paria et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sna.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (20" article), Julien Tieusot. — II. Bulletin théâtral :
première représentation de Madame Gribouille, au Palais-Royal, P.-É. C. — III. La
Musique et le Théâtre aux Salons du Grand-Palais (4' article), Camille Le Senne. —
IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
ROSE DE FRANCE
scherzetlo extrait du ballet le Mariage d'une rose de Rodolphe Berger. — Sui-
vra immédiatement une Gavotte de Haendel, transcrite pour piano par
A. PÉRILHOU.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
Petits oiseaux, romance extraite du Chevalier d'Éon, la nouvelle opérette de
Rodolphe Berger. — Suivra immédiatement : Étoile filante, n° 2 des Cloches
dit souvenir, de Raoul Pugno. poésies de Maurice Vaucaire. . .
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
CHAPITRE V
OLTJCK A. VIENNE
Jusqu'alors Gluck n'avait donné à Vienne, comme ouvrage
nouveau, que Semiramide rieonosciuta. Il était temps qu'il affir-
mât sa direction par une production inédite : il fit représenter
i'fnnnocensa jt/stificata (S décembre 17oo).
Ce n'était qu'un acte, destiné surtout, semble-t-il, à faire
briller la Gabrielli. Nous avons déjà entrevu cette virtuose célè-
bre aux fêtes de Schlosshof. Vingt-cinq ans plus tard, Mozart
parlera longuement d'elle dans une lettre, non sans tempérer
les louanges qu'il lui décerne par quelques réserves assez
sérieuses :
« Quiconque a entendu la Gabrielli dit et dira toujours qu'elle
n'était qu'une chanteuse de traits et de roulades. Elle méritait
l'admiration par la manière très particulière dont elle rendait
la musique, mais cetle admiration ne durait pas au delà de la
quatrième audition : elle ne pouvait pas plaire à la longue, car
on est vite fatigué des roulades. Elle avait le malheur de ne
savoir pas chanter ; elle n'était pas en état de savoir filer un
son convenablement d'un bout à l'autre ; elle n'avait pas de
messa di voce, elle ne savait pas soutenir la voix, en un mot,
elle chantait avec art, mais sans intelligence » (1).
Pour satisfaire cette chanteuse à mécanique perfectionnée,
Gluck dut combiner une suite d'airs dosés d'après les propor-
tions suivantes : sur dix morceaux que contient la partition, la
Gabrielli en avait cinq, dont un duo ; le castrat lui donnait la
réplique dans le duo, et chantait deux airs; les trois airs
restants étaient le partage des deux autres chanteurs : ainsi
le voulait la hiérarchie. Quant au poème, c'était encore un de
ces composés hétérogènes de strophes lyriques empruntées à
Métastase pour les airs, et, pour les récitatifs, d'un dialogue sans
aucun rapport avec l'autre élément. Il était écrit que Gluck ne
pourrait sortir sans un effort considérable de ces errements de
l'opéra italien, « contre lesquels réclament le bon sens et la
raison », grondait-il à part soi, avant de le déclarer ouver-
tement dans la préface d'Alceste.
Et pourtant, malgré tant de circonstances défavorables, nous
allons surprendre en quelques endroits les premiers symptômes,
obscurément manifestés, d'une tendance nouvelle.
V limocenza justijicala (2), c'est la Vestale, une vestale qui n'a
pas commis la faute. Malgré toutes les atténuations, la situation
fondamentale reste tragique et passionnée. Or, que trouvons-
nous dans les dernières scènes de l'opéra, après que nous
avons subi l'enfilade obligatoire d'airs selon la formule ? Des
chœurs ! Des chœurs mêlés à l'action ! Le peuple a envahi le
temple, il réclame le châtiment de l'infidèle, et il chante ses
menaces, sa colère ! La prétresse lui répond, non par un air à
roulades, mais par une prière, — Preghiera, dit en propres termes
la partition, — et son invocation à la Casta diva est un Cantabile
du plus beau style expressif, dont la convenance dramatique est
d'autant plus remarquable que le chant est interrompu par
l'action avant d'avoir atteint la cadence finale : procédé fort
usité aujourd'hui, mais dont je crois bien avoir trouvé là le pre-
mier exemple. Le peuple répond encore par un chant de grâces.
La musique des chœurs n'est pas bonne ; mais il n'importe :
voilà pour la première fois une volonté nettement manifestée,
celle de faire de l'opéra autre chose qu'un concert en costumes,
et des morceaux de chant autre chose que des sonates vocales.
C'est à cela que Gluck s'emploiera désormais avec une ténacité
qui devra trop souvent encore céder devant les obstacles. En
tout cas, notons la date : celle du jour où, pour la première
fois, nous le voyons entrer dans la voie d'une réforme qu'il
saura bien finir par imposer.
(1) Lettres de Mozart, trad. de CunzON, p. 17S. II faut remsrquer que l'extrait
ci-dessus fait partie d'un parallèle entre la virtuose vieillie et Aloysia v\
Mozirt était fort amoureux: cetle considération pourrait ùler quelque ■
critiques.
(2) La Bibliothèque du Conservatoire de Paris possède une partition ancienne de
l'Innocenta justifi ala.
146
LE MÉNESTREL
Voici, pour donner une idée du beau style classique de ce
chant, l'exposition de la prière de la Yestale gluckiste. Elle
semble d'une forme et d'un accent tout modernes en comparai-
son des productions qui lui sont contemporaines.
CLAUDIA
Notons deux particularités clans d'autres parties de la même
œuvre. L'invocation de la vestale : « Fiamma ignola » est le
deuxième état de l'air : « Presso l'onda $ Adhérante », que nous
avons déjà trouvé dans Ticjrane, et qui prendra dans Armide
sa forme définitive : « Yenez, venez, haine implacable ! » Les
dessous, surchargés de notes dans l'opéra de 1743, sont ici déjà
éclaircis.
Dans un autre air, il y a un dessin dont le long déroulement
nous est bien connu : l'orchestre le fait entendre dans la ritour-
nelle, et, après lui, la voix le répète. Le voici :
C'est une des inflexions mélodiques les plus heureuses de
l'air du sommeil de Renaud, dans Armide déjà nommée. Gluck
savait reprendre son bien où il le trouvait, et c'était toujours
dans de bons endroits.
Aussitôt après qu'il eût donné YInnocenza juslifcala, Gluck se
rendit pour la troisième fois en Italie, où il eut à composer
l'opéra pour le carnaval de Rome. Ce nouvel ouvrage fut
Antigono, sur un poème de Métastase, dont la première repré-
sentation eut lieu au Théâtre Argentina le 9 février 1756.
S'il est vrai, comme il nous l'a dit, que Gluck se conformait
au goût des nations en écrivant dans le style qui convenait à
chacune, il faut conclure que le goût des Romains était fort
mauvais, car Antigono (1) est assurément, entre toutes les parti-
tions de Gluck qu'il m'a été donné de lire, celle qui révèle la
(1) La Bibliothèque du Conservatoire de Paris possède un exemplaire manuscrit
(ancien) $ Antigono,
moindre préoccupation d'art. Une ouverture, avec de gros éclats
de trompettes, vingt et un airs d'un style poncif, tous à reprises,
une marche et un ensemble final, voilà tout cet opéra, où il est
impossible de retrouver trace des nobles efforts commencés
par ailleurs. Le milieu, sans doute, ne les eût pas permis.
Parmi les anomalies déjà signalées comme traits de moeurs
dans l'opéra italien, en voici une que nous n'avions pas encore
vu se produire avec une pareille effronterie. Parfois (rarement),
dans les premiers opéras de Gluck, nous avons pu constater
que des rôles d'hommes, écrits pour voix de soprano, eurent
des femmes pour titulaires (Agata Elmi : Cherinto de Demofoonte ;
Rosalia Andrejdes : Massinissa de Sofonisba: Mad. Frasi : Briarée
de la Caduta di" Giganti; Regina Mingotti même : Hercule des
Nosze d'Ercole e d'Ebe). Cette pratique efféminée, pour laquelle
la grâce du travesti est la seule excuse, n'est point encore
abolie aujourd'hui, surtout dans l'opérette. Mais que dire de
cette autre, qui consistait à donner des rôles de femmes, de
grandes amoureuses d'opéra, à des hommes, ou, pour parler
plus congrument, à des castrats ? L: 'Antigono de Gluck nous en
apporte un double témoignage : Bérénice y était chantée par
« Gio. Belardi, virtuoso di caméra di S. A. S. E. di Baviera », et
Ismène par « Vicenzo Caselli » (1). La consigne de cet opéra
romain était évidemment : « Pas de femmes! », car, sur six
rôles, dont cinq sont écrits dans la tessiture de soprano ou con-
tralto (un seul est pour ténor), aucun n'était tenu par une per-
sonne du beau sexe. Cela eût probablement offusqué la mo-
rale..- (2).
(A suivre.) Julien Tiersot.
(1) Voy. Wotquesse, Catalogue de Gluck, p. 198.
(2) L'usage de confier les rôles féminins aux castrats était à peine exceptionnel
dans l'opéra italien. Le Théâtre à la mode le raillait en ces termes : « Si le virtuose a
l'habitude de jouer des rôles de femme, il portera toujours un corset et aura sur lui
des mouches, du fard, un miroir, et se fera la barbe deux fois par jour. » Traduction
E. David, p. 82.
LE MENESTREL
IAT>
BULLETIN THÉÂTRAL
Palais-Royal. — Madame Gribouille, comédie-vaudeville en trois actes,
de MM. Abel Tarride et A. Cheuevière.
Pour empêcher Honore Dignei'eu.v, qu'elle enchante de ses faveurs,
de devenir ridicule en suite d'une faute probable de madame son épouse,
Gilberte Boulard 11'hésile pas à se sacrifier en accaparant à son profit le
jeune et papillotant Lucien Fonlal. L'honneur conjugal de 1)i,liu-ivii\
est sauf, mais son honneur extra-conjugal est très sérieusement mis à
mal et le ridicule n'en est que plus notoire, ce à quoi n'avait pas songé la
petite Madame Gribouille. Or Gilberte ne peut vivre aux côtés d'un homme
trompé par elle sans être prise d'immenses fous rires ; c'est pour cela
qu'elle quitta naguère le gros M. Boulard pour s'attacher à la destinée
du long M. Digncreux, et c'est pourquoi elle rendra ce Dignereux à sa
femme pour essayer de faire le bonheur de Fontal. Il y a gros à parier,
bien que les auteurs ne nous le disent pas. pour qu'avant peu la sen-
sible et nerveuse personne ne puisse regarder sans rire le dernier élu...
Alors vous pensez ce qui arrivera.
Madame Gribouille, qui se recommande par une tenue fort agréable
et dans l'invention et dans le dialogue, a paru un peu calme aux habi-
tués du Palais-Royal. M"os Yahne et Dolley, artistes de finesse, n'ont
pu qu'accentuer le coté « comédie » de l'affaire. M. Le Gallo, très en
dehors, avec MllE Corciade. MM. Coquet. Rablet, Reschal et Diamand
forment, par ailleurs, un ensemble comique honorable.
P.-É. C.
LA MUSIQUE ET LE THÉÂTRE
€t"«.3K. Salons du Grand-Palai:
(Quatrième article)
Il n'apparait pas que la peinture ait tiré grand profit du voisinage de
la littérature dans l'intimité des cénacles constitués un peu partout en
ces premières années du vingtième siècle. Les bonnes volontés étaient
réciproques, mais les deux arts sont restés isolés et même à des plans
très distants. En revanche deux formes spéciales de la peinture et de la
musique, l'impressionnisme et la symphonie, auront presque fusionné
au cours de la même période. L'impressionnisme pictural appliqué au
rendu des grands effets architecturaux et décoratifs s'était longtemps
réduit à des notations documentaires patiemment réunies, sommaire-
ment juxtaposées. Nos impressionnistes actuels ont accompli un pro-
grès décisif en empruntant à la composition musicale ses procédés les
plus subtils, combinaisons de nuances, recherches d'accords, plénitude
d'harmonie.
Considérés à ce point de vue de la pénétration réciproque des arts
fraternels, les grands ensembles décoratifs de M. Le Sidaner sont essen-
tiellement musicaux. Qu'il évoque les jardins mélancoliques et les
vieilles façades de Hampton-Court — qui seraient le merveilleux décor
d'un drame lyrique sur un livret de Maeterlinck, — le jardin du vivier,
la cour de la Fontaine, le Palais, la Balustrade, dans leur pénombre
chaudement colorée ou sous uue couche de givre, ce sont de véritables
symphonies qu'il réalise. De même il fait musicalement vibrer l'at-
mosphère autour de Saint-Paul dont 11 transforme les lignes précises
en architectures de rêve, et les dimensions restreintes de ces tableaux
donnent l'impression troublante d'une sorle de quintessence d'infini.
M. Maurice Lobre obtient les mômes effets, avec plus de simplicité
mais un égal souci de l'accord mélodique, dans ces admirables inté-
rieurs d'églises : Verrière de Saint-Louis, dite Rose de France, cha-
pelles de la cathédrale de Chartres aux fines ogives, chapelle du châ-
teau de Versailles. Il y fait chanter les vitraux qui donnent toute la
gamme des rouges, des violets, des verts tendres, des jaunes safraués
et les lignes pures des arabesques architecturales sont autant de thèmes
lyriquement développés.
Symphonie encore la Cérémonie religieuse à Assise qui datera dans
l'œuvre déjà considérable de M. Lucien Simon comme composition fas-
tueuse bien plutôt que comme réunion de figures animées. Les person-
nages sont pourtant nombreux : archidiacre, prêtres, jeunes sémina-
ristes semblables à des collégiens ensoutanés; mais les corps paraissent
modelés sommairement, les faces machurées. II n'y a de parfaitement
rendu — c'est d'ailleurs le comble de l'art — que l'harmonieux et
somptueux accord des colonnes de marbre rose, du dais de velours
d'une pourpre profonde, des lourdes orfèvreries de l'autel, de la chape
d'or de l'officiant el des moires blanches à bordures d'or que portent les
acolytes, sans oublier les dessous mystérieux d'une pénombre brouillée
de reflets où les flammes des cierges tremblen - larmes ar-
dentes.
Mentionnons encore, — hors série, mais les œuvres sont appan
par leur tendance, — les envois de M"" Suzanm I aj -Grassot et de
M. Burnand. Ne retrouve-t-on pas un peu de la filiation morale de la
touchante grand'maman de la Robe rougee\ di la Cota e du flan
dans le triptyque exposé par l'artiste qui porte son nom .' Le titre est
humanitaire : Fraternité, mais une exécution sobre el des détails d'une
réelle finesse commentent la légende o les fortunés s'honon
rir les indigents ». Quant à M. Burnand, on a réservé une salle au
premier étage,. sous le pourtour de la coupole aux compositions d'un
beau caractère où il commente les paraboles, qui rayonnent autour de
l'évangélique « aimez-vous les uns les autres » comme les comparti-
ments mystiques d'une rosace de verrière. Les vm-s de \
M. Guirand de Scévola, parterre d'eau, parterre du nord, sur la ter-
rasse et surtout l'Heure dorée, d'un ton d'ambre fondue, rentrent dans
la série des ensembles décoratifs très harmonisés dont je parlais tout à
l'heure, ainsi que les vues d'antiques chàtellen es de M. Marius Michel.
A signaler un diptyque — ils sont aussi rares que les triptyques se
montrent indiscrètement foisonnants — le Matin et le Soir de M. Albert
Dagneaux.
Le portrait mondain n'est pas en baisse : au contraire, il n'a
jamais mieux nourri son homme et c'est une spécialité plus fructueuse
que l'élevage des lapins ou des pintades. Mais il parait en voie de trans-
formation ; les maitres du genre, M. Boldini et M. de La Gandara l'orien-
tent vers le phénomène d'histoire naturelle. Il ne leur suffit plus, de
contourner en volutes, en arabesques, en festons, en astragales les
femmes du monde qui font le généreux abandon de leur anatomie dans
un but esthétique : ils les apparentent aux sirènes, lesquelles, comme
vous savez, d'après les documents les plus sérieux de l'encvclopédie
mythologique, élaient moitié créatures humaines, moitié poissons. Re-
gardez la femme aux prunelles songeuses que M. de La Gandara a cam-
pée de profil. La main sur laquelle s'appuie cette exquise personne n'est
pas une main, mais une nageoire solidement palmée. Regardez aussi
la femme au corsage décolleté dont M. Boldini tord le col avec une vio-
lence si inquiétante : ce n'est pas l'ossature qui tend l'épidémie mais
une arête, une double arête tranchante. L'illusion est si complète qu'on
craint de voir ces monstres délicieux dépérir hors de leur ambiance
native et qu'on voudrait prier l'un des voisins de la S. A. F.. M. Louis
Béroud, à qui ce tour de force est familier, d'amener à leurs pieds les
vagues, ourlées d'écume, où se retrempent, du matin au soir, les Né-
réides de Rubens. Et à défaut de M. Béroud, M. La Lyre, qui dispose
d'un aquarium mobile, pourrait leur rendre le même office charitable.
Si M. La Gandara (vous ai-je dit qu'au nombre de ses envois
figure Mm'' Dolley'.'' et M. Boldini, son frère d'armes, changent leurs
modèles en compagnes des Tritons, sans leur donner, hélas ! les formes
puissantes des robustes matrones de la salle du Louvre, M. Agache les
minéraliss. Son portrait de femme est sculpté dans la pierre la plus
précieuse et la plus dure, avec incrustation d'yeux d'émail. Arrivons à
des formules moins exceptionnelles : le portrait aristocratique sismé
par M. Dagnan-Bouveret, jeune femme en robe de soirée dont la blan-
cheur est soulignée par la note à la fois vive et profonde d'un manteau
de peluche incarnat, l'harmonie blanc-bleuté du portrait de J/me Gervex
par son mari, l'impressionnante sobriété du groupe familial peint par
M. Prinet dans un décor très observé, le portrait de jeune homme de
M. Aman Jean, le maitre graveur Jiraequemond devant sa plaque de
cuivre, sous l'écran qui lamise et rabat la lumière, par son dise. pie
La Touche représenté modestement assis dans un coin de la toile. Ça
et là les portraits de famille de M. Guiguet, MaK Agathe Léonard par
M. Henri Bénard, une étude de jeuue fille de M. Cornillier, une autre
de M. André Davids, une Altesse impériale et royale. M™' l'Archidu-
chesse Marie-Joseph d'Autriche, peinte par M""' Mathilde de Flolow
avec simplicité et sûreté ; le sculpteur Bartholomé se détachant sur les
verdures du Père -Lachaise et le bas-relief symbolique de son monu-
ment aux morts, œuvre robuste et sobre de M. Charles Giron;
M"" Marthe Ponsot, par Hawkins: le peintre Agache. par M. Rosset
Granger, Mm" Rima Barcali et M'"" Alfina Angeli par M. Julius
Rolshoven.
L'étude de femme en toilette de style, de M. Rixens, la solide série
des Anquetin et des Brissaud nous ramènent aussi à la tradition du
grand portrait français, formulé avec largeur et simplicité. De M. Os-
terlind un envoi tout à fait séduisant dans sa grâce sans apprêt et la
148
LE MÉNESTREL
souplesse de l'exécution où l'on sent la science, non l'effort. Mme Bres-
lau a intitulé Vie pensive les deux portraits de femmes qu'elle a
groupés dans un intérieur de décoration stylisée, mais sobre. L'artiste
y figure en personne avec une compagne d'enfance au faciès énergique
et songeur et un grand lévrier blanc dont la souple anatomie dessine
une arabesque vivante au milieu du tableau. Une des deux femmes est
vue de dos, mais la figure apparaît de profil grâce au mouvement indi-
qué pour tendre une lettre à l'autre femme accoudée sur la table au
premier plan. Composition admirable pour l'intensité de vie amicale et
esthétique qu'elle révèle au moyen des procédés les plus simples, sans
brutalité de dessin ni violence de couleur.
Quelques portraits d'artistes plus spécialement caractérisés retien-
nent les curieux et « font de l'argent » pour employer le vocabulaire
des jours de vernissage. Voici d'abord notre Galipatix national, par
M. Alaux. 11 est très vivant, très nature, le nez au vent, la riposte en
arrêt sur les lèvres minces, le regard direct et gouailleur, moitié gamin
de Paris, moitié gavroche des Transatlantiques, les pouces dans les
entournures du gilet. Il monologue sans parler. M. Jean Sala nous mont re
un Coquelin aine qui a dépouillé le Cyrano picaresque et le grand
valet. Il est anémié et pour ainsi dire amenuisé : on cherche, sans le
retrouver dans cette iigure au sourire banal, l'àpre relief de ce masque
si personnel du Scapiu idéal qui est en môme temps l'incomparable
amant de Roxane. M. Edouard Sain s'est montré excellent peintre et
aussi observateur loyal en campant la grande cantatrice Félia Litvinne
sans tricherie, sans artifices de lumière dans le décor, rendu au na-
turel, de son rôle A' Hélène.
M. Bellery-Desfontaines a portraituré solidement, mais avec quelque
surenchère de mise en scène romantique, le virtuose-compositeur
Georges Encsco. M. Armand Point prête une suggestive étrangeté à
J/Ile Lilly Jacobsen de Copenhague et Mmc Hitz a tracé un robuste cro-
quis de Jl/m0 Gerha rdl-Hauplman. L'Henry Maret de M. Delécluse est à la
fois accueillant et moqueur. YEmile Verhaeren de M. Tribout énigma-
tique et songeur. M. Dedina a envoyé une bonne étude d'après
Mme J.-H. Rosny. Dans l'exposition de M. John Lavery, qui n'a pas
renoncé à la préciosité, qui semble même s'y complaire mais en tire
des effets curieux sinon des colorations très vraisemblables, il faut rete-
nir, pour le rythme de la démarche et l'élégance de la ligne, Miss Lily
Elsie, as ihe Merry Widow.
Nous retrouverons bientôt au Salon des Artistes français le prosateur
le plus envié, le plus exalté, le plus pastiché par les nouvelles généra-
tions, l'auteur du Lys rouge et de ['Histoire comique, M. Anatole France,
dans une vaste toile de M. Henri Martin où les rayons du soleil Tou-
lousain pleuvent sur son chapeau mou et son mac-farlane comme les
giboulées printanières sur les Parisiens de 1908. Mais il figure déjà à la
Nationale. M. Woog ne lui a pas ménagé la ressemblance de détail.
Seulement pourquoi l'a-t-il serré entre deux portes et lui a-t-il donné
un n°z lumineux ? C'est d'ailleurs un des phénomènes les plus singu-
liers de ce premier Salon. Plus les contemporains évoqués dans le
quadre ou l'ovale réglementaires sont notoires, plus le peintre croit
devoir augmenter l'intensité expressive en élargissant le pain à cache-
ter lumineux qu'il leur colle au milieu de la face. Nous avons ainsi,
avenue d'Antin, une douzaine d'effigies qui éclairent à distance comme
les nez incandescents des clowns anglais.
Aux dessins, une très fine étude d'après Mme Jeanne Lion de l'Odéon,
le délicieux trottin de l'Apprentie, la vaillante ingénue de l'Alibi, par
M™ Marguerite ILrold; M. Rcynaklo Hahn, par Mme la baronne Lam-
bert, née de Rothschild, qui a mis en relief la caractéristique person-
nalité du compositeur de la Carmélite; un solide portrait de Mme Jeanne
Brindeav, par M. Brindeau de Jarny, qui expose aussi deux vivants
portraits de nos confrères Maurice Level et René Fraudet ;le très applaudi
conférencier Léo Clarelie, « lecturer » à clientèle mondiale, parMmeSta-
sia Kviatowska ; M. Jules Gauthier, par M. Auguste Berlon ; Mm° Car-
rier-Belleuse, par M. Pierre Carrier-Belleuse : le pianiste Montoriol-
Tarrès, dessin énergique de M. Charles Milcendeau. M. René Ouillon-
Carrère n'a pu se dispenser d'asseoir le très mobile Pierre Mortier et de
le fixer dans une pose naturelle chez tout autre ; mais c'est la seule in-
vraisemblance de ce remarquable pastel à reflets de lumière frisante,
d'un dessin élégant et d'un fin coloris.
La gravure contient quelques numéros intéressants à noter sous
notre rubrique : J.-S. Bach, d'un relief énergique et le ressemblant Bau-
delaire de M. Jacques Beltrand, qui reste fidèle à la formule menacée de
la gravure sur bois ; jWlle Lily Arena et Mn" Cyclone de M. Edgar Cha-
hine; le l'uvis de Chavannes et le Rodin, lithographies par M. Hochard :
les compositions gravées par M. Kupka pour illustrer les Erinnyes de
Leconte de Lisle : le Molière de M. Jules Letoula, malheureusement
inauthentique comme toutes les effigies du grand Poqueliu. N'est-il pas
navrant de penser que les traits du moindre cabot des temps modernes
passeront à la postérité, avec garantie du gouvernement, je veux dire
sous cachet du cabinet des estampes, et qu'il faut nous contenter de
portraits de Molière dont le meilleur est un travail de seconde main?
J'ai sur ma table le catalogue de la vente de l'excellent Péricaud qui va
porter au feu des enchères la bibliothèque théâtrale formée par lui pen-
dant un demi-siècle. Le portrait y domine ; pas de troupe de l'ancien
boulevard du Crime ou des plus modernes entreprises qui n'y figure
au grand complet, en des suites de gravures, de lithographies ou de
dessins. Ces albums, ces portefeuilles iront tôt ou tard à la Bibliothèque
Nationale, et nos arrière-petits-neveux n'aurout pas le droit d'ignorer
comment Alcide Touzez avait le nez fait, tandis que nous sommes cou-
damnés à ne jamais savoir jusqu'à quel point l'auteur d'Elomire et les
autres pamphlétaires ont calomnié le mari de la Béjart dans leurs cari-
catures à la plume !
M. Alexandre Lunois évoque le très curieux gigotement d'une danse
espagnole, le Panadcros ; il y a un Germinal caractéristique de M. Ha-
rold Percival. d'amusantes charges de M. Jean Veber, un cadre de trois
eaux-fortes formant la suite de Fauteuils et Couloirs du spirituel observa-
teur montmartrois Tony Minartz. Et voici, dans la section d'art décoratif
et arts appliqués, le théàtrelui-mèmereprésenté par quelques maquettes
de décor: premier acte de Carmen de M. Bersonnet; projets pour les
opéras russes de Rimsky-Korsakoff. La suite la plus complète a été ex-
posée par M. Ménessier; elle comprend les quatre principaux décors de
la pièce à spectacle qui réalisa cette année les plus belles recettes en
Odéon^e : l'Apprentie, de M. Gustave Geffroy. On sait que les invités
de M. Antoine emportèrent de cette œuvre copieuse une impression de-
panorama mouvant et rétrospectif. Leur rétine emmagasina le con-
tenu de deux recueils d'Epinaleries aux touches violentes, d'ailleurs très
curieusement contrastées et dont le dessin, creusé dans le cuivre par un
maitre aquafortiste, subsiste sous l'empâtement des coloris : un album
militaire, genre Margueritte, résumant les péripéties tragiques des deux
sièges et un album de croquis plébéiens : grandeur et décadence de la
famille Pommier.
La première maquette de M. Ménessier nous montre le rempart à la
fin de décembre 1871, la nuit, du côté de Mônilrnontant, talus ouatés-
do neige, feux allumés à l'abri des casemates. Ce bivouac de gardes-
nationaux a pour pendant le décor du Père-Lachaise (cinquième ta-
bleau), le cimetière au matin du 28 mai 1871 — aube sanglante delà
déroute de la Commune, la fin de la bataille, les sépultures saccagées,
les portes brisées des chapelles où gisent des cadavres de fédérés tués
dans leur cachette. Des lueurs pâles flottent sur le faubourg silen-
cieux qu'occupent méthodiquement les troupes régulières. Voici encore
la rue des Amandiers, le jour d3 la capitulation de Paris (pre-
mier siège) ; la boucherie devant laquelle les femmes vont former de
lamentables files pour attendre la distribution de viande, le mur où un
afficheur va coller le placard annonçant la reddition de la ville après
quatre mois d'héroïsme inutile. Cette maquette est l'impressionnante
reconstitution d'un coin du vieux Belleville si modernisé par les tram-
ways et les funiculaires. Une vision moins tragique termine la série :
la rue devant l'Elysée Ménilmontant. une terrasse de mastroquet, un
pavé raboteux sur lequel a échoué une voiture de marchande des quatre-
saisons, et le mur, l'affreux mur, derrière lequel s'épanouit toute la flo-
raison des refrains de 1878, date mémorable dans l'histoire des chansons
de café-concert, car elle marqua l'apothéose de l'Amant d'Amanda.
(A suivre.) Camille Le Senne.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour
SEULS ABONNES A LA MUSIQUE)
Encore ce scherzetto du joli ballet de Rodolphe Berger : Le Mariage d'une rose. Il
est plein de verve et d'esprit et rappelle la meilleure manière de Léo Delibes. Il
donnait des ailes à M"' Rianza, la danseuse-étoile, qui s'y couvrait de gloire.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Do nolro correspondant de Belgique (6 mai) :
Le théâtre de la Monnaie a clôturé lundi soir la saison par la soirée tradi-
tionnelle, dite « d'adieux ». Soirée abondamment fleurie, très enthousiaste et
très cordiale. E'ie avait ceci de caractéristique pour une soirée d'adieux, c'est
LE MÉNESTREL
149
qu'aucun des artistes qui y ont pris part, dans le spectacle coupé d'usage, ne
nous quitte l'an prochain... Tous les adieux étaient donc de simples « au
revoir ». Ils n'en ont pas été moins chaleureux. La majeure partie de la
troupe est, en effet, réengagée, notamment les deux chefs d'orchestre,
MM. Dupuis et Ernaldy, M1™5 Pacary, Croiza, de Tréville, Eyreams, Bourgeois
et Symiane, MM. LalElte, Verdier, Morati, Decléry, Bourbon, Petit, Artus,
La Taste, Naudès, Gaisso, Delrue et Dua. Seuls, M'"™ Seynal, Garlyle, Blari-
card, Rozann, Manzonelli, MM. Layolle, Marcoux et Blancard s'en vont.
Parmi les nouveaux engagements, citons ceux de M""> Mazarin, qui fit partie
de la troupe l'année dernière, de M"8 Lily Dupré, une chanteuse légère, qui
nous arrive d'Anvers, de MM. Saldon, ténor, Castelly, baryton, Gallin et Billot,
basses. Et n'oublions pas le réengagement de Mllc Mary Gard en, en représen-
tations, avant son départ d'Amérique et à son retour. — Le programme des
ouvrages qui seront montés l'hiver prochain n'est pas encore arrêté, et ne
pourrait l'être encore, 'cela va sans dire. En tout cas, MM. Guidé et Kufl'erath
y ont inscrit déjà l'Ariane et Barbe-Bleue de M. Paul Dukas (que créera très
probablement M"e Mary Garden) et le drame lyrique inédit de M. Edgar Tinel.
Catherine d'Alexandrie, dont l'audition donnée cette semaine aux directeurs de
la Monnaie a produit une très grande impression, — œuvre d'inspiration
puissante et élevée, de caractère à la fois très décoratif et très expressif, et
tout à fait digne, en somme, de l'auteur de l'admirable oratorio, Franciscus.
MM. Guidé et Kufferalh ont reçu également, pour être monté dès le début de
la saison, un charmant ballet en un acte de M. Georges Lauwpryns, dont ce
sera le début au théâtre; le scénario, très original, est de M. Ambrosiny; titre :
Quand les citais sont partis... Du même jeune compositeur nous avons entendu,
cette semaine, à la dernière séance de « l'Histoire de la Sonate ». une Sonate
pathétique pour violon et piano, exécutée par M. Deru et l'auteur, et dont le
succès a été considérable ; M. Eugène Ysayc doit la faire entendre, le mois
prochain, à Paris, avec M. Raoul Pugno.
La Monnaie, à peine fermée, se rouvrira lundi, pour donner asile à la troupe
complète du théâtre de la Porte-Saint-Martin, qui, M. Coquelin aîné en tète,
vient y donner une série de représentations de l'Affaire des poisons de
M. Sardou, du Mariage de Figaro, de Cyrano de Bergerac et de l'Abbé Constantin.
A ces représentations, qui dureront du 11 au 17 mai, succéderont celles que
nous donneront Mme Sarah-Bernhardt et sa troupe : la Belle au bois dormant,
les Bouffons, la Sorcière, la Courtisane île Corinthe, l'Aiglon et. naturellement
aussi, la Dame aux Camélias. — Vous savez que M. Emile Mathieu, le gracieux
compositeur belge, auteur de Bachilde et de la Fille de Roland, se proposait de
monter prochainement à la Monnaie son nouveau drame lyrique, la Reine
Vasthi, que des difCcul'és de mise en scène avaient empêché MM. Guidé et
Kufferalh de jouer dans le cours de la saison ; malheureusement, au moment
où tout était décidé, M. Mathieu n'a pu réunir l'interprétation qu'il souhaitait,
et le projet a été abandonné, pour être réalisé dans deux ans, au printemps
de 1910, année de l'Exposition universelle de Bruxelles.
Le mois prochain, l'orchestre et la troupe de la Monnaie, avec sou chef,
M- Sylvain Dupuis, se reformeront et iront à Cologne donner une représen-
tation de la Bohème et une représentation de Pelléas et Mélisande, — celle-ci
avec M11'- Garden et M. Périer. Puis, au mois de juillet, la plupart de nos
artistes partiront pour Ostende. où aura lieu, au nouveau théâtre, une saison
d'opéra.
La direction de la Monnaie vient de publier une statistique intéressante :
c'est celle des ouvrages qui ont été donnés dans le cours de la saison écoulée
et du nombre de représentations que ces ouvrages ont eues. Il résulte de cette
statistique que c'est Massenet qui tient le record avec CO représentations ;
suivent Wagner, avec 30 représentations, Gounod et Ambroise Thomas
(chacun 29), Ganne (28) et Delihes (22). Les ouvrages le plus joués ont été
Faust (29 fois), Ariane (23 fois), le petit ballet do Ganne Au Japon (28 fois),
Lakmè (22 fois), Werther (19 fois) et le Chemineau (17 fois). L. S.
— Gros succès à Bruxelles pour M"e Delaunois qui chanta, a la salle Patria,
des Chansons de Maeterlinck mises en musique pai Gabriel Fabre, notamment :
J'ai marché trente ans et Elle l'enchaîna.
— La célébration du centenaire de la mort de Haydn, à Vienne, au mois
mai 1909, coïncidera avec le troisième congrès de la Société internationale
de musique. Le programme définitif de ce congrès n'est pas encore élaboré,
mais jusqu'à présent, les sujets suivants ont été proposés : 1° A quelle date
faut-il placer les débuts et l'apogée de la Renaissance en musique ? — 2° De
la reconstitution des œuvres de musique ancienne en vue de l'exécution. —
3° L'indépendance de la musique à l'égard du drame lyrique. — 4° Prépara-
tion de missions musicologiques déléguées par des corps savants. — 5° La
documentation rigoureuse de la musicologie actuelle. — 6° L'instruction
musicale dans les établissements d'enseignement supérieur et secondaire. —
7° La polyphonie a-t-elle son origine dans les spéculations des théoriciens ou
dans la pratique des musiciens ? — 8° « Thésis et Dyuamis » dans la théorie
antique. — 9° Le rythme mesuré et le rythme oratoire dans le chant gré-
gorien. — 10° Les accidents au quinzième et au seizième siècles. — 11° Con-
sonance et dissonance. — 12° Influence des instruments non tempérés sur
l'avenir de la musique. — 13" Les caractéristiques de la musique sacrée. —
14° Réformes dans la construction des orgues.
— A la fin de l'une des dernières représentations des Contes d'Hoffmann
d'ûffenbach à l'Opéra-Populaire de Vienne, le directeur, M. Rainer Simons. a
été grossièrement insulté par le ténor Adolphe Gussmann, que les choristes
du théâtre et les machinistes saisirent au -sitôt et jetèrent à la porte. Des
observations que M. Rainer Simons avait cru devoir Caire a son pensionnaire,
et qui ne portaient que sur l'interprétation artistique de son rôle, avaient
été l'origine du contlit. A la suite de cet incident, le directeur du théâtre
An der Wien, où M. Gussmann devait chanter cet été, a refusé de traiter
avec lui.
— A l'Opéra-Royal de Berlin, ou a donné, le 30 avril dernier, la première
représentation d'un opéra nouveau de M. Reznicek, Donna Diana. Malgré
quelques faiblesses d'interprétation, l'ouvrage a été bien mis en lumière par
l'orchestre, sous la direction de M. Edmond Strauss, et a obtenu du
succès.
— Une grande fête musicale aura lieu le 19 mai prochain, à Munich, à
l'occasion de l'ouverture de l'Exposition. La Symphonie avec chœurs de
Beethoven sera donnée dans la salle de l'Odéon sous la direction de M. Félix
Mottl, en présence des représentants du Gouvernement et des personnalités
les plus importantes de. toutes les branches de l'art et de la littérature. Les
soli de la symphonie seront chantés par Mmcs Anna Stronk-Kappel, Adrienne
Krauss-Osborne, MM. Hess et Félix Krauss.
— La fête annuelle de la Société générale allemande de musique aura lieu
décidément du l'-1 au 5 juin à Munich. Cette date a pu être fixée, en dépit des
difficultés considérables qu'avait rencontrée l'organisation de cette solennité.
Y participeront les deux orchestres de la Cour do Stuttgart et de Munich
même.
— Après les pianos mécaniques, nous ne pouvions manquer d'avoir des
violons pourvus d'un système permettant de jouer sans avoir appris. Les
journaux allemands donnent la description d'un instrument pareil. Comme
pour la vielle, l'archet est remplacé par un disque frottant sur les cordes en
tournant, et, pour suppléer au jeu des doigts de la main gauche, on a disposé
des crochets en nickel qui sautillent sur le manche. Naturellement le résultat
est complètement antimusical et inexpressif, comme celui qu'ont donné les
pianos construits pour répondre à des besoins analogues.
— Une chanteuse qui fit sa réputation au théâtre de la Cour, à Munich, et
qui, depuis plusieurs années, s'est fait remarquer en Amérique par ses
excentricités autant que par ses succès, Mmc Fritzi Scheil', vient d'obtenir
gain de cause dans un procès en divorce intenté à son mari, le lieutenant de
hussards M. von Bardeleben. C'est elle qui, il y a un an, s'improvisa conduc-
trice de locomotives et fit plusieurs voyages montée sur une machine portant
le n° 19. Naturellement, elle n'oublia pas de se faire photographier dans ce
o nouveau rôle ».
— La reconstruction du théâtre de la Cour, à Meiningen, parait entrer
dans une phase d'exécution définitive. Le duc Georges vient de donner son
assentiment au projet de monument qui lui a été soumis par M. Behlert,
architecte de la ville. La construction sera établie dans le style corinthien, en
forme d'amphithéâtre avec deux rangs de loges ou galeries.
— On annonce comme imminente en Italie la représentation de deux
ouvrages nouveaux : auThéàtre-Victor-Emmanuel de Turin, Maria-AnlonietUi.
drame lyrique, musique de M. Giuseppe Galli ; et à Gerignola, Omoniza,
opéra, paroles et musique de M. Litterio Butti.
— Un journal italien fait connaître ainsi l'œuvre importante à laquelle
s'attache en ce moment don Lorenzo Perosi : « Complètement rétabli, le
maestro Perosi a commencé, en la menant déjà assez avant, une œuvre im-
portante dont il a déjà été parlé, nous voulons dire les dix suites d'orchestre
qui doivent porter les noms de villes d'Italie. Trois de ces suites sont déjà écrites,
celles sur Florence, Borne et Venise. La dixième sera dédiée à l'Italie. Cette
dernière se distinguera des autres en ce que. au lieu d'être purement sympho-
nique, elle comprendra des chœjrs. Une œuvre de cette ampleur et de cette
importance coûtera au compositeur environ trois années de travail. Elle ne
comptera pas moins de 2.500 pages, dont 900 sont déjà écrites, et le désir
d'arriver à son accomplissement fait refuser au maestro toutes les offres et les
propositions de concerts qui lui ont plu et qui lui pleuvent de toutes parts.
Actuellement il écrit la suite intitulée Bologne. Il n'a pas encore arrêté les
noms des villes qu'il donnera aux autres suites, mais certainement il choisira
parmi les plus artistiques de l'Italie. »
— Un congrès féminin s'est teuu récemment à Rome, dans lequel de nom-
breuses questions de divers genres ont été traitées et développées par plu-
sieurs dames de haute culture intellectuelle. Particulièrement la musique et le
théâtre ont fait l'objet de discussions intéressantes dans une section spéciale
de ce congrès, présidée par un écrivain bien connu, Mme Dora Melegari.
Nous empruntons à notre confrère de Milan, il Monde- artistico, le résumé de
ces discussions :
La comtesse Toresina Franchi -Verney-Tua, la célèbre violoniste (1), résume les
études faites parles différentes rapporteuses^ et exprime cette idée que la culture
musicale n'imp ique chez la femme aucune diminution de ses qualités morales et
cite à ce sujet l'exemple d'illustres virtuoses féminins. Il appartient, dit-elle, au
tempérament italien, d'approfondir l'instruction musicale et de la répandre avec
i 11 M"0 la comtesse Franchi -Verney, bien connue de tous les artistes français qui
vont à Rome, a fait son éducation musicale à Paris comme élève de Massart au
Conservatoire, où, sous son nom de jeune lille, Teresina Tua, elle obtint, à peine
âgée de treize ans, seule et à l'unanimité, un superbe premier prix (1880).
[50
LE MENESTREL
patience et persévérance. — M" Zaira Cortini-Falchi, professeur, parlant aussi de
la musique, a proposé la constitution d'une association nationale rie musique,
ayant pour objet l'amélioration artistique et économique de la classe. — La question
de la femme compositeur a fait l'objet d'un rapport de M""' Elisabetta Oddone, qui
fait ressortir le scepticisme auquel se heurtent les tentatives féminines. Au reste,
dit-elle, la femme ne prétend pas égaler le génie masculin. A elie une place plus
modeste : intéresser par la délicatesse des sons, par une particulière manifestation
du monde intérieur féminin. Elle conclut en disant qu'une voie est tracée à l'acti-
vité musicale féminine, et que le triomphe sera certain si l'on veut s'intéresser à
l'éducation des femmes en. ce sens. — M»' Edvige Ghibaude a traité ia question du
chant choral à l'école. Elle constate que le chant choral est trop négligé dans les
écoles élémentaires. Elle fait ressortir pourtant les effets bienfaisants qu'il produit
sur les jeunes âmes, ce qui est si vrai que les principaux Etals civilisés l'ont rendu
obligatoire et ne cessent de l'encourager. Giez nous, continue-t-elle, le chant cho-
ral est peu et mal pratiqué. Elle demande enlin qu'il soit législativement obliga-
toire dans les écoles primaires et secondaires, et que les aspirants professeurs
subissent des examens sérieux pour pouvoir consciencieusement enseigner le
chant. — M"* Guazzaroni lit une communication de M"" Adajevvsky relative au
folklore musical, puis on passe à la question de « la femme à l'orchestre », dont
parle Mm0 Sarli-Montessori, qui soutient qu'il faut vaincre le préjugé que la femme
exécutante puisse faire concurrence à l'homme; la femme, pour des raisons phy-
siques et esthétiques, ne jouera jamais certains instruments qui ne conviennent
qu'à l'homme. On approuve sa proposition pour une plus grande participation de
la femme dans l'orchestre, en la recommandant surtout pour les instruments à
archet. — Une ex actrice, JIm" Virginia Marini, a parlé de la femme dans l'art dra-
matique, démontrant son'influence sur cet art comme inspiratrice, surtout comme
artiste, et l'a encouragée à se maintenir pure, parce que l'art n'est pas le résultat
d'une mentalité morbide, mais au contraire d'une haute et saine mentalité. Elle a
cité l'exemple de la belle Isabella Andreini, la célèbre comédienne du seizième
siècle, qui fut louée par le Tasse, par Marini et par Chiabrera, mère et femme
exemplaire, et celui d'Adélaïde Ristori, qui brilla parmi les femmes les plus dis-
tinguées, comme elle avait brillé parmi les plus grandes actrices tragiques de son
temps. —N'oublions pas, en terminant, de mentionner l'ordre du jour relatif au
folklore musical, qui fut adopté par acclamation sur la proposition de M"" Adajewsky
et qui était ainsi conçu : « L'assemblée exprime le vœu qu'il se constitue une
association entre les femmes de tous les pays, pour qu'elles s'occupent de recher-
cher et de réunir les airs populaires. »
— La Chitarra francese ria Guitare française), c'est le titre d'un opuscule
plus intéressant qu'il n'est gros, et dont l'auteur est M. Oscar Chilesotti,
l'excellent musicographe ilalien qui s'est fait une sorte de spécialité de tout
ce qui concerne l'étude et l'histoire des anciens instruments à cordes pincées
et de leur musique, et dont j'ai eu plus d'une fois l'occasion de louer ici les
excellents travaux. Il s'agit, dans celui-ci. de la crise que subit le luth, entre
le seizième et le dix-septième siècle, et de l'abandon progressif de cet instru-
ment, devenu insuffisant en présence des progrès opérés dans la musique, au
profit delà guitare, plus mélodique par elle-même, d'une sonorité plus corsée,
et qui offrait à l'exécutant des ressources beaucoup plus considérables. Je ne
saurais entrer ici dans plus de détails à ce sujet; il me suffit d'avoir fait
connaître le but de l'auteur, très bien exposé par lui, et de recommander
eomme il le mérite son modeste travail, aussi intéressant que tous ceux qui
l'ont précédé. A. P.
— L'Association musicale de Barcelone avait organisé, pendant le carême,
huit grands concerts symphoniques qui ont été donnés dans la salle du grand
théâtre du Lycée, les trois premiers sous la direction de M. Crocé-Spinelli,
ancien prix de Rome, directeur du Conservatoire de Toulouse, les autres sous
celle de M. Lamotc de Grignon. directeur artistique de l'Association, avec le
concours de M. Sainl-Saèns et de MM. Granados et Lliurat. piani tes, et de
l'Orphéon Graciench. Parmi les œuvres importantes exécutées aux six pre-
miers concerts, il faut signaler : les Béatitudes, de César Franck; Maiifred, de
Sehumann: la symphonie en tni b de Glazonnow; le concerto de piano en la
mineur, de Grieg; la symphonie en ré mineur, de Schumann; le concerlo de
piano en la. du même; la Forêt enchantée, de Vincent d'Indy; la Mer. de
Gilson; Fantaisie un ri-, de Guy Ropartz; Lëiwre, d'Henri Duparc. etc.
M. Saiut-Saéns prenait part aux deux dernières séances ; il y a exécuté le
concerto en ut mineur et la sonate en mi b, op. 31, de Beethoven, son propre
quatrième concerto, la partie de piano de son septuor de la Trompette, et,
avec M. Granados, une transcription pour deux pianos de la sonate en si b
mineur, de Chopin. Il a fait entendre aussi son poème symphonique la .Jeu-
nesse d'flercule.
— La compagnie lyriquj catalane, qui occupe en ce moment le Théâtre-
Principal de Barcelone sous la direction du maestro Lambert, a donné
récemment plusieurs œuvres nouvelles : el Miracle de Santa Agnes, musique
de M. Montserrnt; la Llar, musique de M. Bartoli; et el Testament d'Amelia.
de M. Espadaler. Ce., diverses œuvres ont alterné avec les représentations de
la Sonia Espina et de la Reinavella, du poète Guimera et du compositeur
Morera.
— Au dernier concert symphonique donné par le Grand Orchestre Portu-
gais, sous la direction de M. Michel Angelo Lambertini, au théâtre Dona
Amelia de Lisbonne, on a exécuté avec beaucoup de succès les Impressions
£ Italie de Gustave Charpentier et le prélude du Déluge de Saint Saëns, dont
l'interprétation a été excellente.
— On vient d'inaugurer à Londres une nouvelle salle de concerta. St-Jume's-
Hull. qui contient 1200 places. Cet'e salle est destinée à remplacer l'ancien
St-Jame"s-Hall de Regentstreet, bien connue de tous les artistes qui ont
joué à Londres. A l'extérieur, le bâtiment, en style renaissance anglais,
rappelle le ci Victoria-Hall » de Genève, en plus simple. Dans le sous-sol,
un restaurant, où deux cents personnes peuvent prendre place. La salle de
concert proprement dite a un parterre et une galerie. Les sièges sont, à toutes
les places, de» stalles aménagées pour que l'on puisse y déposer manteaux et
chapeaux. Au lieu du vulgaire velours rouge, ce nid à microbes et à pous-
sières, une étoffe faite de poils de chèvres, de fort bonne apparence, les
recouvre. La plate-forme de l'orchestre peut contenir quatre-vingts exécutants,
et ses deux cotés sont occupés par un orgue construit par Brindley et Poster,
de Sheffield. La ventilation est admirablement réalisée. L'air frais, tiré du
dehors, passe d'abord dans un filtre humide où il se débarrasse de ses pous-
sières, de là dans les tuyaux chauffés par la vapeur (en été rafraîchis par
l'eau) et finalement dans la salle où des ventilateurs électriques le distribuent
par vingt-six ouvertures grillées. A la hauteur du plafond, un moteur et des
extracteurs pompent l'air vicié et le rejettent au dehors. Enfin, ce qui a son
importance en cas de panique, toutes les portes s'ouvrent indifféremment en
dedans et en dehors. Cette salle va servir tout d'abord à une série de « Pro-
menade-Concerts » journaliers.
— Le phonographe appliqué au théâtre. Celle-ci nous arrive en droite ligne
d'Angleterre, et elle comporte un procédé nouveau dans la perfection de la
mise en scène, où le naturalisme pourra être porté à sa plus haute expression.
Le manager d'un théâtre des provinces anglaises était fort embarrassé pour
résoudre une grave difficulté scéuique. Dans un drame pathétique il avait,
pour un épisode de grande chasse, à faire entendre à diverses reprises le
rugissement d'un lion, ce qui est assez difficile â reproduire au naturel. Aucun
de ses artistes n'avait les poumons assez puissants pour remplir le rôle du
lion, et d'autre part il avait dû, par suite de l'opposition de son personnel,
abandonner l'idée, caressée un instant, de se faire prêter un fauve et de l'ins-
taller dans les, coulisses pour en obtenir les rugissements nécessaires. Tout à
coup une idée lui vint : faire enregistrer dans un phonographe les cris du roi
du désert. Il s'adresse à un directeur de ménagerie, tout prêt à lui rendre
service. On place l'instrument dans la cage de l'animal, mais celui-ci. après
avoir regardé d'abord d'un air soupçonneux ce meuble étrange, au lieu de
rugir essaie d'entrer sa tète dans le pavillon, puis bientôt la secoue et le met
en pièces. C'était à recommencer. Cette fois on s'y prend autrement. On place
l'engin seulement devant la cage, à une distance suffisamment respectueuse,
et en mémo temps on excite le lion en lui montrant, de loin, une pièce de
viande dont la vue provoquait ses désirs et sa colère, si bien qu'il se mit à
grogner d'abord et à rugir ensuite comme on le désirait. Notre manager n'en
demandait pas davantage; il emporta son instrument dûment approvisionné,
et, le soir, les spectateurs furent... tellement épouvantés quand ils entendirent
les terrib'es rugissements qui sortaient du phonographe qu'ils se précipi-
tèrent hors de la salle en masse et comme affolés. Ce fut le vide instantané.
— Un journal deNew-York prétend que des pourparlers sont engagés en ce
moment pour organiser une tournée de concerts en Amérique de l'orchestre
philharmonique de Berlin, sous la direction de M. Siegfried Wagner.
Mmc Cosima Wagner accompagnerait son fils. Les journaux allemands ont
accueilli cette nouvelle sans y croire plus que nous.
— Les Américains n'ont pas de rancune. On sait la petite mercuriale que
leur a adressée récemment M. Richard Slrauss à propos de l'interdiction qui
a frappé les représentations de Salomé à New-York pour cause d'immoralité.
Cela n'a pas empêché M. Oscar Hammerstein de demander à M. Strauss ses
conditions pour l'exécution en cette ville de son nouvel opéra, Electre, aussi-
tôt qu'il sera achevé. L'au\eur de Salomé, qui est bon prince et dont la mo-
destie est connue, a répondu qu'il se contenterait d'une redevance de
10.000 dollars, soit 30.000 francs. On ne sait pas encore si M. Hammerstein a
accepté.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
C'est samedi dernier que les aspirants au concours de Rome ont subi, à
Compiègne. la pieinière épreuve, cellj du ejneours d'essai qui décide du
choix des élèves qui participeront au concours définitif. Ceux-ci ne peuvent
être que six au maximum, qui doivent être choisis parmi les dix jeunes
artistes qui se sont présentés cette fois et dont voici les noms : M,k' Nadia
Boulanger. MM. Mazellier, André Gailhard, Tournier, Marc Delmas, Flament,
Niverd, Raymond Saurai. Galan et Chevaillier. Le sujet de la fugue a été
dicté aux candidats par AI. Camille Saint-Saëns, après quoi M. Théodore
Dubois leur a lu le poème sur lequel ils doivent écrire un chœur à quatre
parties; c'est une poésie de Sully-Prudhomme, intitulée : .1 l'Hirondelle.
— Snegourotchka joue de malheur à TOpéra-Comique. Voici Mme Marguerite
Carré atteinte de la grippe et la présentation de cette œuvre remise à la
saison prochaine. Par suite c'est le Clown de M. Camondo avec M"cFarrar qui
va prendre les devants. On en annonce la répétition générale pour jeudi
et la « première » pour le samedi 16. — Spectacles prochains : ce soir samedi,
le Jongleur de Notre-Dame et (es Noces de Jeannette. Dimanche, en matiDée:
In Vie de Bohème et la Habituera : le soir Carmen; Lundi, en représentation
populaire â prix réduits ; Mireille.
— L'Opéra n'a pas eu beaucoup plus de chance. M"e Mary Garden devait
chanter Tlui'is. lundi dernier, en compagnie de M. Renaud, et voici qu'au der-
nier moment elle fut prise d'une subite attaque d'inlluenza, qui obligea à
changer le spectacle et à rendre une partie d'une formidable recelte. On
espère pouvoir la retrouver lundi prochain, si, comme tout le fait supposer,
LE MÉNESTREL
loi
Mllc Garden est, cette fois, en état de chanter. A propos de Tluiis, l'originale
artiste vient de donner à l'un de nos confrères (Nicolet du Gaulois) une cu-
rieuse interview :
C'est par Tluiis que j'ai débuté à New- York et c'est par la même œuvre que je
débute à l'Opéra, dit-elle. Une grande émotion encore, ce début à l'Opéra ! Décidé-
ment, je devrai bien des émotions à Thaïs. Vous comprenez : on n'affronte pas ainsi
tout un public gâté, sceptique aussi, qui exige d'autant plus que l'on est plus
connu, sans ressentir, ati fond de soi, la petite é|>nn\ ;mj!i\ Ou se ilil que c'es' !.. -f . ■ .
que tout ira bien. Mais on a beau dire : ça vous lienl la, dans le cœur, '-t ça vous
mord et ça vous serre... Mais quel rù e superbe, Thaïs ! Ce m'est une passion. Voilà
une courtisane! Ah ! celle-ci l'est magniliquemenl. Ce n'est pas de la fanfreluche, ce
n'est pas la poupée d'amour comme Aphrodite, comme Phrynô. Ah ! non, ce n'est
pas la courtisane de sucre... Thaïs, c'est la bête féroce!
Et la belle cantatrice nous apprend ensuite qu'elle chantera Hrmilet avec
M. Renaud, puis Faust: qu'après cela elle ira donner à Cologne des représen-
tations de Pelléas et Mélisande avec ses camarades MM. Dufranne et Jean
Périer, et enfln qu'elle fera, le 16 novembre prochain, l'inauguration de son
théâtre à Philadelphie :
Je dis mon, parce qu'il est bâti à cause de moi. Le directeur du Manhattan
Opéra, M. Hammerstein, a été si heureux dans cette dernière campagne, qu'il a tout
de suite imaginé d'avoir un autre théâtre à Philadelphie, un auditorium de
A. 000 places, où il m'a fait promettre d'aller tous les hivers le plus longtemps pos-
sible. J'ai passé un contrat pour quatre ans, cinq mois chaque saison. Je partagerai
mon temps entre le Manhattan de New- York et le nouvel opéra de Philadelphie. Je
jouerai Sapho, Grisétidis, le Jongleur de Notre-Dame en travesti, Salomé...
— Nous aurons encore à l'Opéra quelques autres belles soirées avec
M"" Rose Caron. notre grande Caron, qui va y donner des représentations
de Salammbô et de Sir/unl. Enfin ne dit-on pas que Caruso, oui Caruso lui-
même, va chanter chez MM. Messager et Broussan au bénéfice de la caisse
des retraites de la Société des auteurs. Ce serait pour 1 ■ Il juin. Caruso sortira
pour cette occasion un de ses opéras italiens les moins défraîchis.
— A 1 Opéra encore la locat:on est ouverte pour les représentations de
Boris Godounow qui auront lieu, sous le patronage de LL. AA. IL le grand-duc
et la grande-duchesse Wladimir. les 19. "21, 2i, 26, 31 mai, 2 et 4 juin.
M. FélixBlumenfeld. l'éminent chef du Théâtre-Impérial de Saint-Pétersbourg.
a dirigé déjà quelques répétitions d'orchestre. Aux ateliers du boulevard
Berthier. on achève le montage des sept décors envoyés de Russie.
— La troisième Chambre du tribunal, que présidait hier M. Allaire, a solu-
tionné ce curieux procès intenté par un éditeur allemand contre la direction
de la Scala de Paris, parce que les auteurs d'une revue, jouée dans cet éta-
blissement, s'étaient permis d'emprunter plusieurs airs à une opérette autri-
chienne sur laquelle il a tous droits de propriété. L'Écho de Paris rappelle en
quelques mots l'affaire. Il y a plusieurs mois, dans la revue l'nitr ms beaux
yeux, les auteurs avaient intercalé quatre airs empruntés à In Joyeuse Veuve.
Ils auraient ainsi défloré en France une œuvre qui, ayant à peine vingt mois
d'existence, fut représentée avec un immense succès sur de nombreuses
scènes de l'étranger et a rapporté des sommes extrêmement considérables
comme droits d'auteur. L'éditeur, M. Adolf Sliwinski, a donc assigné la direc-
tion de la Scala en 36.000 francs de dommages-intérêts pour le préjudice
causé, préjudice qu'il a été amené ainsi à établir :
Le concert de la Scala contient 1.200 places. La revue Pour vos beaux yeux a eu
120 représentations. Et, comme j'estime à 0 fr. 25 par place le dommage qui m'a été
causi du chef de l'emprunt de quatre ou cinq passages de la- Joyeuse Veuve, je
n'ai qu'a multiplier 1.200 par 12j, et le total par 25 centimes, soit : 36.000 francs.
Le tribunal n'a pas pris en considération cet ingénieux raisonnement, et,
déboutant l'éditeur de sa demande, il l'a condamné en tous les dépens de son
téméraire procès. A l'argument que faisait valoir M. Sliwinski, à savoir que
l'opérette autrichienne avait été publiée concurremment à Vienne et à
Leipzig et que l'œuvre dès lors devait rentrer dans la sphère d'application
de la Convention de Berne du 9 septembre 1886, à laquelle ont adhéré
l'Allemagne et la France, le jugement répond :
Attendu que Sliwinski, contrairement aux prescriptions formelles de la Conven-
tion de Berne, ne justifie pas l'accomplissement en Allemagne d'aucune des forma-
lités prescrites par ia législation de ce pays;
Attendu, dans ces conditions, qu'on ne peut pas dire que le pays d'origine de
l'œuvre soit l'Allemagne;
Attendu que les auteurs de la partition et les prétendus auteurs du livret sont
tous Autrichiens ;
Que la pièce a été éditée, comme il vient d'être dit, à Vienne;
Que. de plus, avant d'être ainsi éditée à Vienne, elle y avait été représentée au
théâtre ;
Attendu, dès lors, qu'il y a doublement Heu de mettre l'opérette susdite sous
l'empire de la convention conclue à Vienne, le 11 décembre 1866, entre la France et
l'Autriche, des œuvres d'esprit et d'art;
Attendu que la déclaration prescrite par cette convention n'a pas été faite au
ministère de l'intérieur, en France, pour l'opérette : la Joueuse Veuve, dans
les trois mois de sa première représentation ou de sa première publication en Au-
triche ;
Qu'en conséquence, Sliwinski est mal fondé à poursuivre la direction de la Scala
pour représentations en France d'airs dépendant de la partition de cette opé-
■rettè ;
Attendu d'un autre côté, que c'est vainement que Sliwinski invoque la protection
de la loi française, en disant que le livret est tiré d'une comédie française de
Meilhac...
Et le jugement conclut en disant qu'en raison du défaut d'enregistrement
au ministère de l'intérieur à Paris, dans les trois mois de la première repré-
sentation au public, a Vienne (Autriche), dj la r ■
jouir en Francedu bénéfice delà propriété littéraire au pr)fit d -
ou de leurs cessionnaires.
— L'Assemblée générale de l'Association des Artistes musiciens :
Taylor) aura lieu le mardi 12 mai, à une heure el i ■un ■ préci
grande salle du Conservatoire de musique ei de déclam ition entrée par la rua
du Conservatoire). Ordre du jour ; 1" Compte rendu sur la gestion !
pendant l'année 190"! et la situation financier-' el a Vssoci ition, par
M. Paul Bougnon, vice-président; 2" Approbation i- l'année
1907; 3" Vote du projet de budget de l'année 1909 i setion de quinze
membres du Comité.
— Le premier des quatre récitals de M. Moriz Rosenthal a eu lieu uurdi ;i
la salle de la rue d'Athènes. Le célèbre pianiste viennois, qui ne s'était pis
produit à Paris depuis plusieurs années, nous revient toujours en pi
d'une technique prodigieuse, d'une gamme de colorations éblouissantes, avec
en plus d'autrefois une note de charme et d'émotion qui lui manquait un peu
jadis. Auparavant M. Rosenthal, qu'il le cherchât ou non. étonnait sans
émouvoir ; cette fois il a su. en des accents tendres ou pathétiques, Caire
vibrer tout son auditoire en une communion de pensée et de sentia
constitue le plus bel éloge qu'on puisse décerner :i -on superbe et prestigieux
talent. Le Prélude et Fugue de Bach, la sonate op. 109 de Beelb
naval de Schumann. surtout les ; /' lutte . la Valse et la Berceuse de Chopin
ainsi que le Sclierzo du même maître; le poétique Vo lurne en mi bémol et le
délicat Impromptu de Gabriel Fauré: enfin de l'artiste même, une amusante
pièce. Papillons, qui fut bissée, une Eumoreske et Fuguto sur des motifs de
J. Strauss, dont le virtuosisme effréné ne masqu? pas la pauvreté a
et un Chanl polonais de Chopin que M. Rosenthal dut ajouter au programme,
valurent à l'admirable pianiste des ovations sans fin. Le %■ récital a li iu ce
samedi 9 mai, et les autres les 1 i et 21 .
— Un violoniste de talent et de race, tout jeune encore. M. Bilewski,
vient de donner à U salle Erard un très brillant concïrt qui lui a valu un
gros succès comme interprète et du concerto en mi majeur de Baeh et de la
%*■ sonate, op. 79. pour piano et violon de Widor. que l'auteur lui accompa-
gnait, et qui valut quatre rappels aux deux interprètes, et du concerto de
Lalo, et de l'émotionnante Berceuse pour an soir d'automne d'Ernest Moret. Il a
joué tout son programme avec une sonorité tout à fait particulière, une
technique et un style absolument remarquables et. par-dessus tout, un
charme intense et pour ainsi dire douloureux qui en fait une des personna-
lités les plus marquantes parmi les grands virtuoses modernes.
— MM. Alfred Cortot, Jacques Thibau I. Pablo Casais, les trois célèbres
virtuoses, vont donner trois séances à Paris. Les dates sont fixées aux 13. 16
et 19 mai en soirée, salle des Agriculteurs. Deux séances seront consacrées aux
œuvres de Rameau, Corelli, Beethoven. Mendelisohn. Brahms, Dvorak et
Lalo. el la troisième exclusivement à l'audition des trios de Schumann.
— La Société des concerts classiques de Marseille a donné, pjur la clôture
de sa saison, la première audition d'un poème symphoniqne de M.Jules Gou-
dareau. Voix d'eu haut, œuvre considérable et digne d'intérêt, dont l'exécutioa
a obtenu un très vif succès.
— Oa nous écrit de Mulhouse que le 2 mai, au concert de » Coacordia ».
à eu lieu la première audition d'une œuvre importante de M. Charles Lefeb-
vre, la Fille de Jephté, poème lyrique pour soli. chœurs et orchestre, écrit sur
une poésie d'Alfred de Vigny. Le programme du concert comprenait aussi le
bel oratorio de Ma=senet, Marie-Magdeleine. Les deux œuvres, exécutées d'uni
façon remarquable sous l'excellente direction de M. J. Ehrarl, ont été accla-
mées, et leur succès a été complet. Ce succès a été partagé par M. Piamo 1-
don. l'excellent chanteur qui était l'interprète principal de l'une et de l'autre.
— Soirées et Concerts. — Audition des élèves de M. et M"" Billard, de l'Opéra, e;
grand succès pour M'1" N... dans Cavalleria, M1" B. et M. Berquierre dans le duo de
Lakmc, Mrae D... dans l'air de la Vierge, de Massenet, et dans nombre de mélodies
du maître toujours applaudi.
NÉCROLOGIE
Un pianiste distingué qui s'était fait chanteur d'opéra d'abord, d'opé-
rette ensuite, Henri Emmanuel, est mort cette semaine à Paris, à l'à"e de
66 ans. Né à Paris le 15 mai 1842, il était entré de bonne heure au Conserva-
toire, où il avait obtenu successivement le second et le premier accessit, le
second prix et enfin le premier prix de piano (1862). Puis il avait pris le
théâtre, s'était engagé comme ténor à Bordeaux, à Strasbourg, avait fait une
apparition à l'Opéra-Comique en 1869, puis était allé à Marseille, de là au
Caire, et, de retour à Paris, s'était montré aux Variétés et aux Bjulïes-Pari-
siens. Dans ces dernières années il s'était livré à l'enseignement. Comme
compositeur. Emmanuel avait publié un certain nombre de morceaux de chant.
— Augusta Gôlze, chanteuse de la Cour de Saxe, vient de mourir à Leip-
zig. Nommée en 1874 professeur de chant au Conservatoire de cette ville.
elle abandonna bientôt ses fonctions dans cet établissement tout en conti-
nuant ses leçons privées. Liszt l'appréciait beaucoup, principalement pour sa
manière de présenter les parties déclamées de ses mélodrames. Elle fut en
effet un excellent professeur de diction. On compte parmi ses élèves
jimes Panny Moran-Olden. Adrienne Kraus-Osborne, etc.
Henri Heigel, directeur-gérant.
loi
LE MÉNESTREL
Paris, AU MÉNESTREL, 2 bis, rue Vivienne, HEUGEL et Ge, éditeurs-propriétaires.
lUOTETS POUR LE ]H0IS DE JUARIE
C. ANDRÈS. Ave Maria, à 2 voix égales 6 »
E. BATISTE. Ave Maria, à 2 voix (S. et T. ou B.) . 1 50
H. BEMBERG. Ave Maria, 1 voix 4 »
F. BENOIST. Ave Maria (M. S.) 3 »
G. BERARDI. ArsJtforta, 1 voix avec harmonium
et piano 5 »
_ Are Maria, 1 voix avec harmonium
et violoncelle b »
E. BERGER. Aue Mono, 1 voix 5 »
BIENAIMÉ. Are njni» cœlorum, 4 voix ..... 3 »
BLIN (abbé). Salve regina, 3 voix 2 50
_ Sub tuum, 2 voix 2 50
BOUICHÈRE. Aie Maria (S. ou T.) 3 »
— Salve regina, 4 voix (S. A. T. B.i . . 4 50
_ Sancla Maria, 4 voix (S. A. T. B.). . 7 50
Parties séparées.
L. BROCHE. Aie Maria, 1 voix, violon ad lib ... 5 »
BRIDAYNE (Père). Litanies de la Sainte Vierge . . 3 75
CAZENAUD. Ave Maria, 1 voix, orgue et violoncelle
ad lib 6 *
CHEROUVRIER. Litanies, spli et chœur, 3 voix. . 9 »
CHERUBINI. Célèbre Ave Maria :
>"°9 1 pour soprano ou ténor 5 »
2 pour contralto ou baryton 5 j>
3 pour soprano ou ténor avec violon. . 6 »
4 pourcontralto ou baryton avec violon. 6 »
5 avec orchestre 15 »
-. Regina cœli, posthume. 2 ou 3 \oix . 7 50
_ Benedkta lu, trio (S. T. B.) 6 »
L. COHEN. Ave Maria (T. ou S.) 3 "a
C. CCI. Ave Maria, 2 v. (S. etC), avec chœur ad lib. 6 »
_ Le même, lv. (S. ou C), avec chœur ad lib. 5 »
L. DE CR0ZE. Regina cœli, 3 voix 9 »
F. DANJOU. Salve regina, 4 voix (S. A. T. B.). . . 6 »
— Célèbre Sub tuum, 4 voix (S. A. T. B.). 6 »
Parties séparées.
L DELIBES. Are Maris Stella, 2 voix 6 »
A. DESLANDRES. Ave Maria (T. ou S.), avec violon
ou violoncelle 6 *
— Inviolata (T. ou S.) avec clari- _ _
nette ou violon ou cor anglais. t oO
— Tota pulchra es, ténor et chœur
avec harpe 9 »
Parties séparées, chacune, net. . » 30
— Ave Maris Stella, duo (S. et T.) . 6 »
— Sub luutn, trio (S. T. B.), avec cor,
violon, violoncelle, 1 arpe, orgue
et C. B. Partition et parties
d'instruments (le cor ad lib). . 12 »
_ Sancta Maria, duo pour 2 sopr. G »
DIETSCH Sancta Maria, 4 voix 4 50
TH DUBOIS Ave Maria en la b solo (S. ou T.) . . 5 »
là M. Bosquin).
Le même en fa, mezzo-sop 5 »
Le même en mi p pour C. ou B . . . 5 »
Le même en la b pour S. ou T. avec
violon ou violoncelle et harpe. . . 7 50
Le même en fa pour mezzo-sop. a\ec
les mêmes instruments 7 50
— Ave Maria en sol (S. ou T.) 5 »
(à M. Miquel).
Le même en fa, mezzo-sop 5 »
Le même en mi b pour C. ou B. . . 5 »
Ave Maria en mi b ^ ?
— Ave Maria en la majeur 5 »
(à Ch. Lefebvrc.
— Ave Maria en mi b, baryton .... 5 »
— Ave Maria en sol, duo (S. et T.). . . 5 »
Ave Maria en mi b min., duo 2 sop. 5 »
_ Ave Maria en sol majeur, chœur
(S. A. B. T.) 5 »
Parties séparées.
— Ave Maria en la b, chœur (S.A.T.B.). 5 s
Parties séparées.
— Ave Maria en la mineur, solo de so-
prano et chœur (S. A. T. B.} . . . 5 »
Parties séparées.
— Are Maria en ta b. duo (T. et B.),
chœur (S. A. T. B.) 6 »
Parties séparés.
_ Sub tuum en re o. trio S. T. B.) . . ô »
— Sub tuum en la b, quatuor (S.C.T.B.). G »
— Regina Cœli en si b, solo, duetto et
et chœur à 3 voix (S. T. B. ,. . . . 6 »
Parties séparées.
Le même avec orchestre ....... » »
— Non fecit tailler, motet solennel, soli,
chœurs (S. A. T. B.) et orchestre.
Partition réduite par l'auteur, net. . 4 »
Chaque partie vocale séparée, net. . » 50
Partition et parties d'orchestre.
— Ego Mater (Extrait du précédent),
solo de soprano *
Le même avec orchestre.
E. DUVAL. Sub tuum, antienne, 4 voix 3 75
D'ETCHEVERRY. Ave Maria, 1 voix 2 50
D'ETCHEVERRY. Sub tuum, 1 voix
J. FAURE. Ave Maria en mi b ponr M. S. ou T.,
orgue ou piano et chœur ad lib . . .
— Ave Maria en mi j? (S. ou T.) et ch. ad lib
Parties dé chœur.
Ave Maria en la mineur, avec violon ou
violo'icelle
— Ave Maria, avec violon ad lib
— Mater divinœ gratiœ
— Sancla Maria (1. 21, 1 voix
Le même avec piano, violon et orgue
ad lib
— Sub tuum (B. ou M. S.), chœur ad lib. .
Parties de chœur.
GABRIEL FAURÉ, Ave Maria, à2v. de femmes, net
C. FRANCK. Ave Maria, à 4 voix
F. A. GEVAERT. Tota pulchra es
GLUCK. Ave Maria, 'i voix
— Mater divinœ gratice, solo et chœur ad lib .
CH. G0UN0D. Célèbre Ave Maria sur le premier
Prélude de Bach :
N" 1 Pour soprano ou ténor ....
1 bis Pour mezzo-soprano
1 ter Pour contralto ou baryton . . .
2 Pour soprano avec violon ou vio-
loncelle, orgue ad lib. et piano.
2 bis Même édition pour M. S. . . .
2 ter Même édition pour C. nu B. .
3 Avec orchestre pour sopr., violon
solo, orgue et piano.
Partition et parties d'orch. net.
3 bis Pour orchestre et chœur avec
violon principal . ... net.
Le chœur séparé ' .
— Inviolata, à 2 voix égales
GUGLIELMI. Monstra le, à 2 voix
F. HALÉVY. Ave Maria, soprano
H£NDEL. Eece concipies, 4 voix
— Hymne à la Sainte Vierge
J. HENRY. Ave Maria, 1 ou 2 voix
G. HÉQUET. Salve regina, 4 voix
HIMMEL. Sancta Maria, soprano et chœur ad lib .
HUMMEL. O Virgo intemeruta, solo et chœur ad lib.
KERVAL. Ave Maria
P. KUNC. Regina cœli
— Ave Maria, 4 voix
LABAT DE SÉRÈNE. C:i;brs "eaina cal:, à 3 voix
égales
Parties séparées in-16.
A. LAFFITTE. Aie Maria, 2 voix
LAF0RESTERIE. Ave Maria, 1 voix, avec orgue,
piano ou harpe ad lib ....
E. LAL0. Litanies, choral pour dessus, ténor et
busse, orgue ou piano
LAMBILLOTTE. Ave Maria, mi b, chœur ....
— Ave Maria, solo mi b
— Ave Maria, duo
— Ave Maria, canon
— Ave Maria (de Doosl
— Ave Maria (duo dialogué) . . . .
Ave Maria, pastorale 3 voix . . .
— Ave Maris Stella, chœur, 4 voix .
— Ave Maris Stella, chœur, 3 voix .
— Ave Maris Stella, 2 chœurs . . .
— Ave regina, trio. .
— Benedkta Maria, solo et chœur. .
Recordare, o Virgo, chœur. . . .
— Regina cœli, chœur
— Regina cœli, en sot, solo et chœur.
— Regina cœli, en la b, chœur . . .
— Salve regina, solo et chœur . . .
— Salve regina (Diàbelli)
— Tota pulchra es, en mi b, solo et
chœur
— Tota pulchra es
— Tota pulchra es, en ut, solo avec
hautbois
Tota pulchra es en ta, solo avec
hautbois
— Sub tuum, chœur
Parties vocales de ces divers mor-
ceaux, chaque net.
0RLAND0 LASSO. Salve regina, 4 voix
LEFÉBURE-WÉLY. Ave Maria
X. LEROUX. Ave Maria (1, 2, 3)
LIMNANDER. Ave Maria,. 2 ou 3 voix
— Regina cœli., 2 ou 3 voix
— Salve regina, 1 voix
R. LINDAU. Ave Maria, pour C. et S
CH. LOISEL. Ave Maria en la b (S. ou T.) ....
— Ave Maria en fa (S. ou T.)
— Ave Maria en ta mineur (Si. S.'. . ■
Ave Maria en re (B. ou C.)
Ave Maria e^ ut, 4 voix
— Ave Maria en sot, 4 voix
1 50
2 50
CH. LOISEL. Sub tuum (S. ou M.-S.)
— Aima redemptoris, 4 voix. . . . . .
— Ave Maris Stella, 4 voix
— Monstra te, 4 voix . .
— Regina cœli, 4 voix ........ .
— Célèbre Salve regina, 4 voix. . .'. .
DE LONGPÉRIER. Sub tuum
F. LUÇON. Ave Maria, 3 voix (S. T. B.)
— Sub tuum, 3 voix (S. T. B.)
— Tota pulchra es, 4 voix
CH. MAGNER. Ave Maria (M.-S. ou B.)
H. MARÉCHAL. Ave Maria S., solo et chœur a\ec
orgue (contrebasse ad lib. ) . . .
Parties de chœurs, chaque net.
MARM0NTEL. Ave Maria (S. i
— Sancta Maria
G. MARTY. Ave Maria (T.)
MASCAGNI. Célèbre Ave Maria (intermezzo) :
N09 1. Soprano ou ténor avec piano
2. Soprano ou ténor avec piano, harmo-
nium, harpe, violon, violoncelle ad lib.
3. M.-S. ou B. avec piano
4. M.-S. ou B. avec piano, harmonium,
harpe, violon, violoncelle ad lib.. . .
5. C. ou basse avec piano
6. C. ou basse avec piana, harmonium,
harpe, violon, violoncelle ad lib. . .
J MASSENET. Célèbre AveMaria (Méditation) :
N™1. M.-S. avec piano ou orgue . .
1 bis. Sop. avec piano ou orgue . . .
2. M.-S. avec violon, piano ou
harpe et orgue ad lib. . . .
2 tas. Sop. avec violo .piano ou harpe
et orgue ad lib
— Ave Maris Stella, 2 voix
MELIANI. AveMaria, 3 voix
MENDELSSOHN. Sub tuum, duo
A. MINÉ Célèbre Ave Maria :
N°! 1. En sol mineur pour T. ou S
2. En fa mineur pour M.-S. ......
3. En sol mineur pour T. avec violon . .
4. En fa mineur pour M.-S. avec violon .
Parties de chœur ad lib.
DE M0NGE. Ave Maria, pour M.-S
— Sub tuum, 4 voix
Parties séparées.
G. M0UREN. Ave Maria, 1 voix
— Ave Maria, 4 voix
S. NEUK0MM. Ave Maria, 4 voix
— Salve regina, 4 voix .......
NICOU-CH0RON. Regina cœli, soli et chœur ad lib.
N1EDERMEYER. Ave Maria (S. ou T.)
Ave Maria (M.-S. ou B.), avec
chœur , ._ .
— Inviolata, 2 voix .
— Monstra le, 4 voix a\cc solo de
ténor ou soprano
Sancta Maria, 5 voix
PALADILHE. Salve regina (S. ou T.)
PALESTRINA. Dèi mater aima, 4 voix
PAN0FKA. Ave Maria (S. ou T.)
PÉRILHOU. Ave Maria
PILOT. Félix es Sacra
P0RET. Ave Maria, 4 voix
S. ROUSSEAU. Ave Maria en ta, S. ou T. et chœur
ad lib. à 4 voix mixtes avec orgue,
viulon, violoncelle, harpe, con-
trebasse. Partition
Pa-ties de chœur.
Le même, en solo avec orgue seul .
— AveMaria, Icn/'u.fM.-S. ouB.). . .
Le même, pour T. ou S
— Ave Maria, trio pour voix égales. .
— Sub tuum (S. ou T.)
Ave Maris Stella (S. ouï.) . . . .
— Mater divinœ gratiœ, duo voix égales.
— Tota pulchra es, duo ou chœur pour
v. égales avec une 3° partie ad lib.
D. RUBINI. .Ire.l/arta (S.j
RUBINSTEIN. A. e Maria, duo
H. DE RUOLZ Ave. Maria, 3 voix
G. DE SAINBRIS. Ave Maria (S. ou T.), avec violon
ou violoncelle ad lib
— Salve regina, G voix
SAINT-QUENTIN. Sub tuum
SCHMITT. Ave Maria, chœur hommes
— Alrnu redemptoris (T.), avec chœur. . .
SCHUMANN. Ave Maria, duo avec violonc"° art (ita
STRELETSKI. AveMaria
CH. DE TRY. Ave Maria (T. ou S.)
— Maria Mater, 3 voix
L. VALANCOURT. Sub tuum (M.-S. ou B.). . . .
WHITE Ave Maria (S.)
CH.-M. WIDOR. Ave Maria, 2 voix, S. et C. avec
piano ou harpe et orgue ad lib.
1 50
2 50
2 50
7 50
7 50
7 50
7 50
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3 50
6 »
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4 50
6 »
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4 »
3 »
3 75
— (£ocrt LonL.ui>.
4023. - 74e AMÉE. - ,\°20. PARAIT TOUS LES SAMEDIS Samedi 16 Mai 1908.
(Les Bureaux, 2 bla, rue Vivienne, Paris, u- arc-)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
lie flaméro : o fr. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
Le Numéro : 0 fr. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. —Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Pari3 et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIEE-TEXTE
I. Bippolyte et Aricie à l'Opéra, Arthur Pocgin. — II. Semaine théâtrale : premières
représentations de Mariage d'Étoile, au Vaudeville; de la Conquête des fleurs, à l'Athé-
née ; d'Autour de la lampe et de l'Invitation à Vamour, aux Escholiers, Paul-Emile
Chevalier. — III. La Musique et le Théâtre aux Salons du Grand-Palais (5e article),
Camille Le Senne. -■ IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
PETITS OISEAUX
romance extraite du Chevalier d'Éon, la nouvelle opérette de Rodolphe Berger.
— Suivra immédiatement : Étoile filante, n° 2 des Cloches du souvenir, de Raoul
Plgno, poésies de Maurice Vaucaire.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
une Gavotte de Haendel, transcrite pour piano par A. Périlhoc. — Suivra
immédiatement : Les Yeux clos, valse lente de Nazare-Aga.
A. l'Opéra
HIPPOLYTE ET ARICIE
ar>e of*. .a. 3Vi e: -a_ xj
Lorsque, le 13 mai 1908, le rideau s'est levé à l'Opéra sur la
première représentation de la « reprise s à' Bippolyte et Aricie,
il y avait cent soixante-quatorze ans que l'ouvrage avait fait sa
première apparition sur ce théâtre (1er octobre 1733), et il y en
avait cent vingt-quatre que le nom de Rameau avait complète-
ment disparu de l'affiche (Castor et Pollux fut le dernier de ses
ouvrages qui fut représenté, en 1784). Il y a lieu de croire
que dans tout le répertoire lyrique européen, Hippolyte et Aricie
est l'unique exemple d'un opéra jugé digne de reparaître devant
le public après cent soixante-quatorze ans d'existence.
Il y avait dix ans que, depuis son établissement définitif à
Paris au retour de Glermont-Ferrand, où il avait fait fonctions
d'organiste à la cathédrale, Rameau sollicitait vainement les
poètes pour en obtenir un livret d'opéra (il y a eu une lettre de
lui à Houdard de Lamotte qui est singulièrement instructive et
intéressante). Tous s'étaient dérobés à ses instances, tous, hor-
mis un seul, et celui-là était Yoltaire. L'auteur de Mérope, qui
avait confiance en lui, avait écrit à son intention le poème d'un
opéra intitulé Smnson, et Rameau s'était mis aussitôt à l'œuvre.
Malheureusement, le sujet de Samson était, comme l'indique son
titre, tiré de l'Ecriture sainte. Il n'en fallut pas davantage pour
allumer certaines passions, et la cabale des dévots, celle-là
même qui, soixante ans auparavant, avait failli étouffer Tartuffe,
réussit, en haine de Yoltaire, à étrangler Samson, sous prétexte
qu'il était indigne de transporter à la scène un sujet aussi
auguste. Or, à quelques années de là, on l'avait précisément
mis à la scène, ce sujet, non d'une façon noble et dramatique,
comme on le voulait faire à l'Opéra, mais d'une façon burlesque
et beaucoup moins respectueuse, dans une sorte de parade
représentée à la Comédie-Italienne. Yoltaire le constatait lui-
même en ces termes, lorsqu'il fit imprimer son livret de Samson
dans le recueil de ses œuvres:
Une comédie de Samson fut jouée longtemps en Italie. On en donna une
traduction à Paris en 1717, par un nommé Romagnesi. On la représenta sur
le théâtre français de la Comédie prétendue italienne, anciennement le palais
du duc de Bourgogne. Elle fut imprimée et dédiée au duc d'Orléans, Régent
de France. Dans cette pièce sublime. Arlequin, valet de Samson. se battait
contre un coq d'Inde, tandis que son maître emportait les portes de la ville
de Gaza sur ses épaules. En 1732. on voulut représenter à l'Opéra de Paris une
tragédie de Samson, mise en musique par le célèbre Rameau: mais on ne le
permit pas. Il n'y avait ni Arlequin ni coq d'Inde : la chose parut trop
sérieuse. On était bien aise de morliGer Rameau, qui avait de grands talents.
Yoici donc Rameau, qui avait cru toucher au port, redevenu
Gros-Jean comme devant. Mais il avait la rage du théâtre, sentant
bien qu'il était né pour lui, et il ne se découragea pas. Grâce à
son ami, l'opulent financier Leriche de la Popelinière, qui était
un dilettante passionné, il put se mettre en relations avec un
poète médiocre, mais qui avait l'avantage de relations suivies
avec l'Opéra, où, en dépit de sa qualité de prêtre, il s'était fait
jouer à diverses reprises. Je veux parler de ce fameux abbé
Pellegrin, objet de tant de brocards, celui-là même dont on
disait que :
Le matin catholique et le soir idolâtre.
Il dine de l'autel et soupe du théâtre.
ce qui lui était parfaitement égal.
Pellegrin avait donné à l'Opéra, en compagnie de divers com-
positeurs, Lacoste, Berlin, Salomon, Montéclair, Desmarets, une
douzaine d'ouvrages, entre autres Télérnaque, Médée et Jason, les
Fêtes de l'Été, Renaud ou la Suite d'Armide, et surtout Jepktê, dont
le succès venait d'èLre retentissant, grâce à la musique de Mon-
téclair. C'était donc, en son genre, un personnage, et qui pou-
vait, d'une façon particulièrement utile, satisfaire aux désirs de
Rameau.
Mais l'abbé était méfiant de sa nature, de plus très besogneux,
et avant de complaire à la Popelinière il entendit prendre ses
précautions. Il consentit donc à fournir un poème à Rameau :
seulement, il y mit une condition dont il ne pouvait démordre.
Comme, disait-il, il n'avait aucunes garanties au sujet des apti-
tudes dramatiques du compositeur, il exigeait de celui-ci qu'il
lui souscrivit une obligation de 50 pistoles pour le cas où, par
454
LE MÉNESTREL
sa faute, l'opéra n'aurait point de succès. C'était à prendre ou à
laisser : pas d'argent, pas de livret.
Rameau se soumit sans trop de peine à cette exigence, et
bientôt, en échange de sa signature, il recevait de Pellegrin le
livret d'un opéra intitulé Hippolyte et Aride, dont le sujet n'était
autre que celui de la Phèdre de Racine, que ce dernier avait
emprunté lui-même à Euripide. Je n'oserais dire que les vers
de l'abbé peuvent entrer en comparaison avec ceux de Racine.
Le sujet même avait été quelque peu bouleversé par lui pour
se conformer aux usages de l'Opéra et amener les tableaux, les
divertissements (!) et les épisodes somptueux, tantôt tragiques,
tantôt souriants, auxquels, depuis Quinault et Lully, le public
de ce théâtre était habitué : tels, entre autres, le tableau de la
descente de Thésée aux Enfers (deuxième acte) et celui de la
mort d'Hippolyte (quatrième acte). Avec tout cela, et au milieu
de ce poème bizarre, on trouve certaines situations vraiment dra-
matiques, comme celle qui a inspiré à Rameau l'admirable duo
du troisième acte, entre Phèdre et Hippolyte : Ma fureur va tout
entreprendre. Mais ce qu'il y a d'étrange, c'est le dénouement
imaginé par Pellegrin pour terminer cette tragédie de façon à
satisfaire les exigences des âmes sensibles et les convenances de
l'Opéra. Ici, nous sommes en pleine féerie, et, selon la mode
antique, le Deus ex machina va faire son office ordinaire. Dans
un jardin délicieux, Aricie se lamente et pleure la mort d'Hip-
polyte. Diane parait, recueille ses plaintes, et la console
aussitôt :
Ne t'afflige pas de sa mort !
Grâce à ma bonté secourable,
Bientôt tu n'auras rien perdu.
Bientôt un tendre époux va paraître à tes yeux.
Et l'on voit alors « les zéphyrs » qui « amènent Hippolyte dans
un char. » Joie, reconnaissance, embrassements, et, pour finir,
chœur des habitants de ce pays enchanté, dont les paroles sont
le chef-d'œuvre de la poésie de Pellegrin :
Chantons sur la musette,
Chantons !
Au son de la musette
Dansons !
Que l'Écho répète
Nos tendres chansons.
Croissez, naissante herbette.
Paissez, bondissants moutons..
Chantons, etc.
Tout cela est inepte, mais tout cela, fort heureusement, n'a
pas empêché Rameau d'écrire une œuvre superbe et ruisselante
de génie, d'une nouveauté puissante, une œuvre vivante, pathé-
tique et nerveuse, dans laquelle il accumulait des moyens et
des procédés inconnus jusqu'alors, et qui, en sonnant le glas de
l'opéra tel que l'avaient entendu Lully et ses successeurs, pré-
paraient la réforme que le grand maître allait achever avec
Castor et Pollux, Dardanus et Zoroastre.
C'est ce qui arrachait à Campra, le seul musicien vraiment
original qu'on eût connu depuis Lully, à Campra devenu vieux
et connu par trente ans de succès, un cri d'admiration à l'audi-
dition d' Hippolyte et Aricie, en dépit de l'opposition que témoi-
gnait le public, surpris et décontenancé par la nouveauté d'une
telle œuvre. Comme le prince de Conti, dont il dirigeait la mu-
sique, indécis lui-même, lui demandait son opinion sur cette
œuvre : « Il y a dans cette partition, répondit Campra, de quoi
faire dix opéras comme les nôtres; croyez-moi, Monseigneur, cet
homme-là nous éclipsera tous. »
C'est qu'en effet une opposition violente se déchaîna contre
Hippolyte et Aricie dès son apparition. Rameau avait cependant
voulu s'assurer en quelque sorte contre toute surprise; et comme
la Popelinière avait chez lui un théâtre et à son service des
chanteurs et un très bon orchestre, il avait voulu faire chez son
ami une exécution de son œuvre, de la beauté de laquelle Pelle-
grin lui-même avait été frappé ; si bien qu'après le premier acte
l'abbé, Rapprochant de Rameau, lui dit, en présence de toute
l'assemblée : — « Monsieur, quand on fait de si belle musique,
on n'a pas besoin de donner de garanties. Si l'ouvrage que voici
ne réussit pas, ce sera ma faute et non la vôtre. Voilà votre
billet. » Et ce disant, il déchirait le billet que le maître lui avait
souscrit.
Il n'en fut pourtant pas de même du public, malgré une inter-
prétation superbe qui réunissait dans Hippolyte et Aricie, pour les
rôles principaux, les noms de M"e Pélissier (Aricie), de Mlk'Antier,
(Phèdre), de Mlle Monville (OEnone), de Tribou (Hippolyte) et de
Chassé (Thésée). L'opposition des spectateurs fut telle, et si vives
furent leurs marques d'improbation, que Rameau en fut sur le
moment découragé. Il le fut à ce point qu'il -songea à renoncer
a une carrière qu'il devait faire pourtant si brillante et si belle :
« Je me suis trompé, s'écriait-il ; j'ai cru que mon goût réussi-
rait, et je vois qu'il n'en est rien. Mais je n'en ai point d'autre,
et je ne ferai plus d'opéras. » Fort heureusement, un revirement
se produisit dans le public à mesure que l'œuvre s'établissait,
ses beautés éclatèrent aux yeux les moins prévenus, et la mu-
sique cYHippolxjte et Aricie, sans vaincre les hostilités particulières,
s'imposa à l'admiration générale.
Nous venons, après tantôt deux siècles écoulés depuis sa pre-
mière apparition, de revoir cette œuvre intéressante, qui se
fait remarquer par sa chaleur, son accent et son mouvement
passionné. Mais nous sommes obligés, pour la juger sainement
aujourd'hui- et en discerner la réelle valeur, de nous mettre au
point, si l'on peut dire, et de nous reporter au temps où elle fut
conçue. Les hardiesses qui faisaient froncer le sourcil aux ama-
teurs de 1733 ne sauraient inquiéter actuellement notre esprit,
et depuis lors on en a vu bien d'autres. Il faut seulement se rap-
peler que lorsque surgit Rameau avec son tempérament nerveux
et pathétique, l'Opéra en était encore aux formes lentes et solen-
nelles de Lully et de ses pâles successeurs, les Colasse, les
Bertin, les Lacoste, les Gervais, les Bourgeois, les Colin de Bla-
mont, qui suivaient servilement la route tracée par le vieux
maître sans avoir même la monnaie de son génie. Un seul
musicien de valeur, doué d'une inspiration pleine de noblesse
et d'un véritable sens dramatique, Campra, avait montré, sur-
tout dans deux œuvres superbes, Tancrède et Hésione, que le
style de Lully n'était pas le seul à employer. Mais Campra,
artiste de premier ordre, n'était pourtant point un homme de
génie.
Il était réservé à Rameau de venir bousculer et bouleverser
ce qui s'était fait jusqu'alors à l'Opéra. Il arrivait avec des har-
monies neuves et audacieuses, des rythmes inconnus, pleins de
nerf et de vigueur, un orchestre vivant, coloré, agité, inquiet,
un style et un phrasé absolument personnels, et par- dessus tout
une déclamation d'une chaleur intense et un sentiment pathé-
tique d'une incomparable puissance. Mais tout cela, naturelle-
ment, n'est plus nouveau pour nous, et nous devons nous en
rendre compte pour comprendre l'immense service que Rameau
a rendu à l'art lyrique français en renouvelant ses moyens d'ac-
tion et en lui apportant, avec l'indépendance des formes, l'air,
la lumière et la vie.
Veut-on savoir ce que pensaient d' Hippolyte et Aricie ceux des
contemporains qui n'étaient pas confits dans la molle admiration
du passé ? Voici ce qu'en disait Daquin, le fils de l'organiste qui
avait été précisément le rival de Rameau :
Je veux aujourd'hui vous transporter dans une salle magique ; il faut vous
imaginer entendre cent musiciens ; c'est à vos oreilles auxquelles je vais offrir
les tableaux d'un autre Lebrun et d'un autre Rubens. Un peintre, tel grand
qu'il soit, ne cause que des émotions douces (!). M. Rameau remue et trans-
porte l'àme ; vous allez trouver de la variété dans l'invention et de la force dans
l'exécution. Tout est vivant et caractérisé.
Soyez attentif à ce premier tableau, c'est le second acte d'Hippolyte et Aricie.
Les Enfers s'ouvrent, j'entends les cris lugubres des coupables, les hurlemens
des Parques, les Démons sont déchaînés. Que l'image de la Furie avec Thésée
est effrayante ! Que de vérité dans l'expression ! Vous êtes saisi, et l'impres-
sion que font les sons sur votre oreille passe jusqu'à votre àme et la remplit
d'horreur. Au troisième acte, le monologue de Thésée, son invocation à Nep-
tune et le soulèvement des flots augmentent votre trouble. La peinture n'ex-
primerait ces images qu'imparfaitement, parce que la toile, toute vivante qu'elle
paroisse, est toujours muette; la musique parle. Au quatrième acte, le bruit
des cors, les symphonies brillantes invitent à prendre le plaisir de la chasse ;
LE MÉNESTREL
158
vous croyez être au milieu des forêts Il faut joindre aux tableaux que je
viens de vous offrir l'entrée des Amours au prologue, le chœur et la sympho-
nie du tonnerre; eu dernier morceau est d'une beauté sublime. On a lieu de
regretter le trio des Parques, qui, par l'attention singulière qu'il demande
pour l'exécution, n'a pu être entendu à l'Opéra tel que l'auteur l'avait fait
d'abord. Ce trio affecte tellement les sens, que les cheveux se hérissent; il n'y
a point de terme pour bien rendre tout l'effet qu'il produit; c'est, au-dessus
de l'agitation, de L'effroi; do la terreur; il semble que la nature s'anéantisse
et que tout aille périr.... (I).
Daquin, il faut le reconnaître, ne choisissait pas mal ses
exemples. Dans cette partition très fournie d'Hippolyte et Aricie,
les pages qu'il cite sont assurément parmi les plus remarqua-
bles. Sans vouloir faire de jeu de mots, on peut dire de l'acte
de l'Enfer, dont le mouvement est superbe, qu'il est plein de
flamme et de chaleur : la scène de Thésée avec Tisiphone et
l'ensemble vigoureux qui la termine, son dialogue avec Pluton,
les chœurs, tout cela est beau ; malheureusement, le trio si cé-
lèbre des Parques, qui est l'un des épisodes principaux de ce
tableau, n'a pas été rendu avec toute la correction et surtout
la justesse désirables. Quant au monologue de Thésée, c'est une
page d'une inspiration pleine de noblesse et d'une déclamation
pleine de grandeur; mais elle est empreinte aussi d'un grand
sentiment dramatique, et malgré le talent qu'il y déploie, je
trouve que M. Delmas lui donne parfois un ton trop solennel,
principalement dans le passage : Puissant maître des flots, favo-
rable Neptune, que sa lenteur alourdit plus que de raison. De
l'ampleur, d'accord; mais la grandiloquence est de trop. Ce
n'est plus Wotan qui parle ici, c'est Thésée.
Mais il y a d'autres pages encore à signaler, et par-ci par-là
certains fragments à mettre en lumière. D'abord, le duo d'un
rythme et d'un caractère si pathétiques de Phèdre etHippolyte,
au troisième acte : Ma fureur va tout entreprendre: puis, au qua-
trième, la déploration de Phèdre sur la mort d'Hippolyte : Non,
sa mort est mon seul ouvrage, dont l'accent est profondément dra-
matique; et précédemment, dans ce même acte, une phrase'
d'un sentiment délicieux d'Aricie à Hippolyte : Ah! prince,
croyez-en l'amour que j'en atteste, délicieusement chantée par la
débutante, Mlle Gall, et un chœur de chasseurs (rien du Frei-
sehiïtz) d'une très belle sonorité.
On a pratiqué certaines coupures dans la partition, particu-
lièrement dans le prologue et dans le cinquième acte. On eût
pu sans doute en faire davantage. Non que l'ouvrage soit long; il
n'y a pas un acte dont la durée dépasse trente-cinq minutes;
mais il y a trop de hors-d'œuvre, surtout trop de danses, qui
ralentissent l'action et amortissent l'effet scénique. Le livret est
littéralement bourré de cette indication : On danse, qui se repro-
duit à chaque instant; on la trouve quatre fois dans le prologue,
deux fois dans chacun des trois premiers actes, trois fois dans
le quatrième et deux fois encore dans le cinquième. On danse
trop dans cet opéra. Je crois que c'est de ce côté qu'on pour-
rait utilement faire des éclaircies, et l'ensemble y gagnerait à
coup sûr. Ce qui n'empêche qu'il n'y ait des airs de ballet char-
mants.
L'ouvrage a été monté avec un luxe de grand goût. Les dé-
cors, particulièrement ceux du prologue et du premier acte,
dont il faut louer le sentiment pratique et la délicieuse colora-
tion, sont très réussis. L'interprétation, généralement bonne en
son ensemble, a été, on le voit, l'objet des plus grands soins.
Elle n'était pas facile à obtenir pour une œuvre dont le style
tranchait de façon si complète avec les coutumes ordinaires, et
je sais que M. Messager n'a pas été sans se heurter à certaines
difficultés pour faire réaliser à nos artistes ce qu'il jugeait né-
cessaire. Ils auraient volontiers chanté cela comme du Gluck.
Mais Gluck est large, pompeux et solennel; il donne, ainsi qu'il
le voulait d'ailleurs, l'idée de la tragédie antique, tandis que
Rameau est mouvementé, tourmenté, et par-dessus tout plein
de vigueur et d'action. Il est le drame, et non la tragédie, et
l'on ne doit exagérer avec lui ni la lenteur des mouvements ni
la lourdeur de la déclamation.
(1) Daqui:
de Louis XV. 1732
C'est M'1, Bréval qui joue Phèdre. Elle y témoigne, à son ordi-
naire, d'un beau sentiment dramatique et d'une belle articula-
tion, auxquels elle joint le sens de la plastique et la noblesse
des attitudes. Le joli rôle d'Aricie a trouvé une interprète char-
mante en la personne d'une jeune débutante, M"c Gall, qui en
fait ressortir avec grâce toute la poésie et le charme mélanco-
lique. Elle est exquise. Il faut bien dire qu'étant données les
qualités physiques de M. Plamondon, dont le costume n'est pas
heureux d'ailleurs, on a peine à imaginer que deux femmes
puissent ainsi se disputer le cœur de ce héros. Je dois ajouter
que le théâtre lui convient moins que le concert: son accent
n'a rien d'agréable, la voix sort vraiment trop de la gorge, i I
son insuffisance au point de vue scénique est notoire dans ce
rôle d'Hippolyte qui exigerait tant de qualités diverses. Je n'ai
plus à louer M. Delmas comme acteur et comme chanteur.
et sa belle voix, son beau talent, font toujours merveille
dans celui de Thésée ; mais, je lui reprocherai sa trop grande
propension à la lourdeur. Ici, je l'ai dit, nous n'avons plus
affaire à Wagner, et les personnages de Rameau sont autre-
ment vivants, autrement agissants, autrement émouvants que
ceux de la Tétralogie ; il faut s'en rendre compte pour être dans
le ton et ne pas s'écarter de la vérité. Mme Caro-Lucas tire tout
le parti possible du rôle ingrat et difficile d'OEnone. qu'elle tient
avec intelligence. Quant aux personnages épisodiques. qui tous
ont leur importance, il n'y a que des éloges à adresser à leurs
interprètes : M1Ies Hatto (Diane), Mastio (l'Amour), MM. Gresse
(Pluton), Nucelli (Jupiter), Dubois (Tisiphone) et Xansen (Mer-
cure). Tous ont fait preuve de talent, d'un grand soin et d'un
grand zèle. Orchestre et chœurs, bien stylés, bien dirigés, ont
fait de leur mieux; ce mieux a été généralement très bien.
A ce propos, je dois faire remarquer que l'orchestre d'Hip-
polyte et Aricie a dû être reconstitué par M. Vincent d'Indy, les
partitions de Rameau ne le donnant jamais au complet, et
n'offrant, avec les basses et les parties de violons, que certaines
parties essentielles et les rentrées importantes ; le corps même
de l'orchestre était donc à compléter, et le travail était d'autant
plus difficile à effectuer qu'il existait à l'Opéra même plusieurs
versions, Rameau ayant considérablement retouché son œuvre
à l'occasion de telle ou telle reprise qui en était faite. Il fallait
donc choisir au milieu de ces différentes versions pour réaliser
un ensemble satisfaisant, et il n'est pas besoin de dire si une
main sûre et expérimentée était nécessaire à ce sujet. Nul mieux-
que M. d'Indy, qui avait déjà donné l'excellente réduction au
piano de la partition d'Hippolyte et Aricie, ne pouvait se livrer
avec succès à ce travail de reconstitution, qu'il a accompli de la
façon la plus satisfaisante, en s'efforçant de maintenir à l'or-
chestre de Rameau sa couleur et sa personnalité.
Arthur Pougix-
SEMAINE THEATRALE
YAUDEVir.LE : Mariage d'Étoile, comédie en 3 actes, de MM. A. Bisson et
G. Thurner. — Athénée : La Conquêtedes fleurs, comédie fantaisiste en 3 acles.
de M. Grillet. — Escholiers (Théàtre-Femina) : Autour de lu lampe, pièce
en 3 actes de M. André Ibels ; l'Invitation « l'amour, comédie en I acte, de
M. G. Loiseau.
Voici, au Vaudeville, une comédie fort agréable, dont la douce sim-
plicité n'exclut ni l'agrément, ni même la pointe d'émotion, et qui, par
surcroit, est délicieusement jouée. Elle fera la joie des personnes qui
vont chercher, au théâtre, autre chose qu'un cassement de tète ou
d'anormales émotions : et si elle a paru, le soir de la première repré-
sentation, un peu longuette par-ci par-là, il y a gros à parier que, dès
maintenant, ces longueurs ou ont disparu ou ont été atténuées.
Florence Bell n'est point que la comédienne la plus applaudie du
moment, elle est aussi la femme la plus captivante de Paris ; mil ne
peut l'approcher sans être conquis par son charme, et ce charme est
d'autant plus dangereux que la femme est tout à la fois audacieusement
et inconsciemment coquette. Florence a une grande fille de dix-neuf
do6
LE MÉNESTREL
ans, Gilberte, qui vit en province, gardée avec une affection jalouse par
le papa, qui passe pour l'oncle, le brave, timide et modeste Ildefonse
Lacrampe, qu'elle aima naguère alors qu'elle fréquentait au Conserva-
toire et que, lui, se préparait à devenir petit fonctionnaire en province.
Or, voilà que Gilberte aime et qu'elle veut se marier, e! que son choix
s'est nettement arrêté sur André Lamberthier, qui demeure avec ses
parents dans le même trou de Normandie ou de Bretagne, très conve-
nablement arriéré. M. et Mme Lamberthier poussent les hauts cris : la
fille d'une comédienne ! Elle est adorable là jeune fille, c'est vrai ; mais
la mère fait énormément parler d'elle. Et puis, quel est le père? Le bon
Lacrampe avoue que c'est lui ; et, pour régulariser une situatiou que la
sous-préfecture ne saurait admettre, il promet de décider Florence à
devenir sa femme, Florence qu'il n'a cessé d'aimer, mais à qui, depuis
bien longtemps déjà, il est devenu tout à fait indifférent.
Pour faire plus ample connaissance, les deux familles passent les
mois d'été sur une petite plage de l'Océan. Le charme de Florence opère
immédiatement: Lamberthier père et Lamberthier fils sont invincible-
ment pris. MmE Lamberthier en éprouve du dépit; Gilberte en souffre
douloureusement. Et la douleur de la jeune fille est si vive que Flo-
rence est obligée de s'en apercevoir, d'autant qu'André, mal maître de
lui. devient trop entreprenant. Florence, justement indignée, le chasse.
Voilà Gilberte cruellement meurtrie, et Lacrampe affolé du mal fait
à sa fille. Plus timide du tout, il montre à Florence tout le vide de sa
vie tapageuse et les devoirs qu'elle a envers son enfant. Et Florence,
bonne nature, renoncera au théâtre, à la folie, se transformera, si possible,
en rangée Madame Lacrampe, tandis qu'André, revenu d'un moment
d'affolement, sera pour Gilberte un exquis petit mari.
Florence, c'est Mme Granier et c'est le charme, l'esprit et l'émotion
mis au service d'une maîtrise et d'un tact difficilement surpas-
sables. M. Lérand, M. Joffre. M. Louis Gauthier, Mmes Marguerite et
Cécile Caron, Mlle Carèze, qui s'essaie très heureusement dans les
grandes ingénues, M"e Ellen Andrée et Mlle de Mornand, sont parfaits et
parfaites dans leurs rôles respectifs et contribuent pour leur très grande
part au succès de Mariage d'Etoile.
A l'Athénée, la fantaisie de M. Gustave Grillet, la Conquête des fleurs,
semble devoir, pour un court moment, interrompre les heures heu-
reuses de cet heureux théâtre. Histoire très naïve et assez prétentieu-
sement présentée, qui, pour échapper à l'indifférence qu'elle engendre,
aurait eu besoin, peut-être, du secours d'une poésie miraculeuse et
d'une transcendante mise en scène. Tels qu'ils sont, ces trois actes
passent enfantins et monotones ; on ne gardera, de la soirée, que le
souvenir de la grâce bien disante de Mme Duluc, du sourire exquis de
Mlle Brésil, de la jeunesse perverse et chaste tout à la fois de Mlle Greuze
et du comique adroit de Mllc Claudie de Sivry.
<> Les Escholiers », qui n'ont point fait parler d'eux cet hiver, enten-
dent rattraper le temps perdu, puisqu'ils n'annoncent rien moins que
trois spectacles pour cette fin de saison. Ils viennent de donner le
premier, salle Femina, composé d'un acte de M. Georges Loiseau.
l'Invitation à l'Amour, et de trois actes de M. André Ibels, Autour de la
lampe.
L'acte de M. Loiseau est une sorte de proverbe très moderne, d'esprit
parisien, de psychologie mondaine et de littérature raffinée. Il analyse
le premier rendez-vous d'amour du romancier à la mode, Jacques de
Guilde. et de Suzy. qui a de l'élégance et des lettres, et est joué tout à
fait délicatement par Mlle Jeanne Thomassin et par M. Georges Mauloy.
Autour de la lampe est beaucoup plus grave, extrêmement grave
même, en suite d'une situation effroyablement scabreuse : un fils qui
vole sa femme à son père. L'homme, doublement et si atrocement
trahi, en meurt, et les deux coupables, rivés l'un à l'autre par leur
félonie et leur crime, sont condamnés à mener l'existence peu agréable
que vous pouvez pressentir.
L'idée de M. André Ibels n'était point sans quelque chose de gran-
diose dans son horreur même et de très osé, puisqu'ici il n'est plus
nullement question de la fatalité chère aux tragiques grecs ; les cou-
pables raisonnent avant, pendant et après, ils savent où ils vont et se
rendent compte de leurs atroces responsabilités. Le sujet dangereux et
pénible demandait à être traité avec d'infinies précautions et de subtiles
adresses; M. André Ibels, sans doute dédaigneuxde telles tricheries, n'a
entendu que frapper fort, et la brutalité dont il fait montre, jointe à pas
mal d'inexpérience, rendent son drame d'audition difficile, malgré l'in-
térêt qui s'en peut dégager. Cela s'appelait encore, il y a quelques
années, du « théâtre d'avant-garde :>.
M. Marié de l'Isle et Mme Suzanne de Behr jouent avec conviction, le
premier parfait toujours en ces personnages de moralité et d'énergie
plutôt louches, la seconde très en progrès, encore que de débit si pré-
cipité qu'on perd une grande partie de ce qu'elle dit. M. Gabriel Frère
et MUe Marthe Meunier, d'abord, puis MM. Damorès, Chauot et Lan-
zerte complètent une bonne interprétation.
Paui.-Kmile Chevalier.
LA MUSIQUE ET LE THÉÂTRE
e».ti-:x. Salons du Grand-Pàlai
(Cinquième article)
La section de statuaire de la Nationale est plus considérable qu'à
l'ordinaire et d'ailleurs beaucoup mieux organisée. Elle occupe trois
emplacements, le jardin en bordure des Champs-Elysées, la galerie qui
prend jour sur ce jardin et qu'on a eu l'heureuse idée de diviser en
petits salonnets d'aspect très esthétique où les envois sont rangés à
peu près par catégories, enfin la grande rotonde faisant face à l'escalier
de l'avenue d'An tin.
C'est au milieu de celle-ci que M. Rodin a exposé ses trois envois,
un Orphée, le Monument à Whistler, enfin un groupe : Triton et Néréide...
Telles sont les désignations du catalogue ; ne les prenez pas au pied de la
lettre. Il n'y a là que des morceaux, indéniablement admirables, mais
très fragmentaires. On ne saurait contester qu'ils imposent à l'immense
majorité du public un effort de compréhension d'autant plus fatigant
que nos visiteurs des salons annuels ne sont pas habitués comme les
Italiens à déchiffrer des ruines monumentales et à donner un sens aux
tronçons glorieux découverts dans les fouilles. Ces envois du maître, à
qui nous devons tant d'œuvres d'un caractère héroïque, leur feront
l'effet de rébus. Cependant ils seront récompensés de leur méditation
s'ils veulent bien s'astreindre à quelques minutes de recueillement.
Rien de plus clair, quand on s'est mis dans la disposition d'esprit et
de vision nécessaire à cette espèce de conquête intellectuelle, que la
ligne douloureuse du gémissant Orphée dont la lyre demeure engainée
par la matière fruste. Dans la figure pour le monument de Whistler
qui se dressera sur une place de Londres, le dos est un chef-d'œuvre
de modelé ; on devine enfin — mais cette fois, moins facilement, il
faut l'avouer — le cachet pittoresque de ce groupe de divinités fluviales
où s'évoque la grâce antique. M. Rodin nous doit de les renvoyer l'an
prochain à l'état de complet achèvement.
M. Lamourdedieu, l'auteur de la plus importante figure nue exposée
dans les environs, est de ceux qui rodinisent mais qui finissent. Il a
raison, car le caprice michelangesque permis au maître serait moins
acceptable chez les disciples. Sa grande académie porte le titre de
Vénus moderne parant ses charmes; c'est en réalité une Aphrodite natura-
liste, de visage inexpressif, presque animal et d'attaches vulgaires,
mais qui donne une impression de force, et, si elle n'a point de
charmes qu'elle puisse « parer » suivant la bizarre expression de la
notice, du moins est-elle vraiment moderne et plébéienne. L'Hiver de
de M. Jules Desbois, destiné à quelque square, car l'Etat a eu l'excel-
lente inspiration d'acheter cette composition décorative, nous ramène
au style classique et, si on le transportait à Versailles sur la rampe de
verdure des grands escaliers, il serait en parfaite harmonie avec la
lignée de Coustou et de Puget. Ce vieillard, courbé et grelottant qui
ramène sur son corps une peau de bête, est traité à la façon de la
grande allégorie stylisée des chefs d'école du dix-septième et du dix-
huitième siècle.
Il serait plus difficile de « situer » en lui donnant un cadre conve-
nable l'Avalanche du statuaire hongrois Julius Steiner, figure de
femme accroupie ou plutôt ramassée en boule au bord d'uue roche
abrupte et qui se retient d'uue main à la crête avant de se laisser tom-
bera pic. Si on la place au niveau des autres statues, elle ne sera pas à
sa place; si on la hisse au sommet d'un monticule, le spectateur
cherchera instinctivement l'abîme où elle doit terminer sa course. Et, s'il
arrive bien qu'en France nous inaugurions des « gouffres » sous la pré-
sidence du ministre compétent, du moins le service des Beaux-Arts ne
les décore-t-il pas de statues. En revanche, pour continuer la série
macabre, rien ne serait plus facile que de caser les envois de M. Eugène
Bourgoin et de M. Lazare. L'un a représenté sous ce titre le Mort, la Mer,
en haut-relief, un cadavre roulé par le flot, motif d'une fontaine destinée
à symboliser l'élément tour à tour bienfaisant et néfaste, et l'ensemble
du monument pourrait figurer sur une des places de nos grandes cités
maritimes. Quant à la Destinée humaine de M. Lazare, qui s'apparente
sans tricherie au grand bas-relief de M. Bartholomé. sa place est tout
indiquée au cimetière du Sud encore peu fourni de statuaire allégo-
rique.
LE MENESTREL
157
L'Adam et Eve de M. Pierre Gras sont toujours engagés dans la
matière dure; ils luttent pour s'évader d'une sorte de limon de granit
et la conception allégorique ne manque pas de grandeur. Cà et là l'Au-
rore el les Ombres de M. Dejean, qui rappelle les grâces un peu mièvres
de Chapu, la Douleur assez banale et l 'Inspiration, mieux caractérisée,
de M. Gaston Toussaint, le Printemps, peu printanier de M. de Nieder-
hausen-Rodo qui a tout simplement sculpté une robuste tête d'éludé,
la Détresse, presque waguérienne, de M""' Bernières-IIenraux et le Cré-
puscule de M. José Clara, figure de femme d'un beau sentiment décoratif,
les Nymphes, de M. Lucien Schncgg. Le Monument Dalou, de M. Pierre
Roche, comporte deux allégories de détail : le peuple et l'idée répu-
blicaine. C'est le peuple qui porte le buste et l'idée républicaine qui le
gloriûe. Ainsi tout change, ainsi tout passe, ainsi tout revient. La
Nation et la Monarchie jouent exactement le même rôle dans les vastes
compositions de Versailles inspirées par Lebrun.
La sculpture aimable a de nombreux représentants. M. Injalbert
vient en tête avec un satyre et un faune du modelé le plus savoureux
et, comme toujours, d'un exquis sentiment décoratif. Dans la même
série et offrant les mêmes qualités de charme, le Berger de Lemnos de
M. Escoula, l'académie de M"G Poupelet, lo joueur de billes de M. Ca-
vaillou, qui serait Pompéien si les éphèbes antiques avaient connu ce
sport inoffensif, la statue pour fontaine de M. Aronson, d'un galbe
très pur, la statue de Harpiste de M. Francis Warrain. Le lot des
figurines est abondant avec mélange du classique et du moderne. Eu
effet, si M. Ha'.ou évoque la grasse hellène dans son Aphrodite résignée,
sa Baigneuse et sa Jeune fille au buisson, statuettes en marbre grec ou
en bronze à cire perdue, M. Wladimir Perelmagne assied devant un
piano à queue la jeune mère qui apprend Au clair de la lune à sa fillette,
et la Femme de ballet^ de M. Anders Oison, pourrait figurer dans les
ensembles du Chàtelet et des Folies-Bergère. La Salomé, de M. Agathon
Léonard, et sa Danseuse sont deux élégants motifs où l'or, l'argent,
l'émail et le bronze s'associent harmonieusement. Un statuaire vien-
nois, M. Ferdinand Oblinger, expose une gracieuse Chanson en faïence
et M. Clostre un menu Troltin qui semble échappé d'un tableau de
Raffaèlli. Autre céramique (de Lachenal), la Danse, de M11* Julie
Svirsky. et autre type parisien, la Modiste, de M. Henry Arnold.
M. Fix-Masseau évoque une amusante Silhouette IS30 ; les sportswo-
men de Mn)C Camille de Sainte-Croix, se livrant à des jeux variés dans un
jardin, sont au contraire de la plus actuelle modernité. Encore quelques
petits groupes : le Sacrale et ses élèves de M. Lerche, qui pourrait
fournir une jolie vignette pour le frontispice de la pièce de M. Charles
Richet représentée l'autre jour à l'Odéon au bénéfice de la maison des
étudiants, les Femmes dansant de Mlle Derruys (huit figurines pour un
surtout de table), la grande jardinière en bronze de M. Carabin autour
de laquelle des Bretons dansent la gavotte. M"° Odette Dulac, qui
cumule la petite statuaire et le théâtre, a modelé en cire deux aimables
petites tètes. Le Fruit défendu de Mmc de Frumerie est ingénieux et
spirituel. A signaler parmi les animaliers — si nombreux qu'ils pour-
raient se syndiquer — M. Jacques Froment-Meurice (Cheval de picador
et transport du marbre à Carrare), M. Rausen de Traulinborg, qui a
envoyé un chevalier colossal monté sur un coursier énorme, un
percheron croisé de mammouth. L'Ours blanc de M. Frisendahl
figurerait avec ampleur et autorité dans la collection d'Emile Bergerat
et le Petit chat en marbre noir de Dampt serait un joli cadeau à faire à
la prochaine Agnès primée aux concours du Conservatoire. M. Louis
de Monard a traduit en bronze, non sans ferveur romantique, la tra-
gique Chasse de l'Aigle de Leconte de Lisle :
L'Aigle tombe sur lui comme un sinistre rêve,
S'attache au col troué par ses ongles de fer,
Et plonge son bec courbe au fond des yeux qu'il crève.
Cabré, de ses deux pieds convulsifs battant l'air,
Et comme empanaché de la bète vorace
L'étalon fuit dans l'ombre ardente de l'enfer.
Beethoven hante le cerveau des statuaires comme celui des peintres,
mais les inspire diversement. Le « Beethoven d'impression » — ainsi
l'a étiqueté M. Imétinoff — est de l'iconographie de cauchemar. Celui
de Mme Mina Homolacs est jeune, au contraire, nullement infernal et
même poupin. M. Bourdelle a transformé en césar romain pour galerie
des antiques le bon bourgeois de génie que fut Ingres. Cett3 majoration
posthume tourne à l'apothéose; le morceau, qui se recommande par de
magistrales qualités d'exécution, nous étonnerait moins s'il faisait par-
tie d'un ensemble monumental où figureraient la Source et l'Œdipe.
De M. François d'Aulnay de très beaux bustes, bronze à cire psrdue,
fonte Hébrard. M. Stapfer a envoyé une tète de Jean-Baptiste,
M. Durousseau un Méphistophélès, M. Wernhes un portrait ressem-
blant et même parlant de M. 'Widor. Du prince Troubetzkoï. le docteur
Pozzi; de M. Paul Paulin, le peintre Guillaumin: de -M. Alfred Lenoir,
Adolphe Moreau père, dont la galerie fut l'origine de la collection
léguée au Louvre par M. Moreau-Nélaton.
Passons sans transition — aussi bien maintenant les communica-
tions sont directes et l'on fraternise avec la plus aimable cordialité —
à la Société des Artistes français. C'est l'immense déballage du Salon
officiel, le seul qui soit brevet; par le gouvernement, le Beul
distribue des médailles et des prix d'honneui élève! pour le
moins quadragénaires. Écourtons également les considérations prélimi-
naires. Cette exhibition annuelle, qu'on la visite à la bouscule ou qu'on
y fasse de calmes promenades à l'heure dorée, je veux dire quand les
vélums tamisent les premiers rayons de l'aube, n'a et ne peut avoir
rien de synthétique. Les trente-deux salles encombrées comme de 3
rayons de bazar ne laissent sur la rétine et dans la mémoire qu'une
série de visions fragmentées. La Nationale a eu des origines dissi-
dentes : elle est née d'une divergence d'opinions, d'un conflit de
tendances, et si la période héroïqu3 est passée, du moins peut-on se
figurer, en faisant un effort d'imagination, que la S. B. A. garde un
peu de la vitesse acquise; il y a des tressaillements, des secousses; ca
et là des courants semblent se dessiner. Chez les Artistes français, au
contraire, la pleine possession d'état, le bénéfice d'une tradition sécu-
laire ont tout assagi; il n'y a pas de fièvre dans l'air; on exploite
confraternellement une situation inattaquée. A l'ombre du vieux
pavillon chacun apporte sa marchandise plus ou moins neuve, plus
ou moins précieuse, sans se préoccuper de concourir à un effort
commun.
Le lot est mêlé et doit l'être. Personne ne supposera que sur 1.923
toiles exposées — pour ne prendre que le total d'une section — il
puisse y avoir la moitié ou le tiers de chefs-d'œuvre, de demi-chefs-
d'œuvre, de quarts de chefs-d'œuvre. L'important est que les tableaux
recommandables à certains titres et ayant une raison d'être en dehors
de la satisfaction naïve de leurs signataires ou du brocantage des mer-
cantis ne disparaissent pas sous une couche trop épaisse d'irréductibles
médiocrités. A ce point de vue le Salon de 1908, très méthodiquement
organisé par M. Thoumy, l'infatigable secrétaire général, et somptueu-
sement meublé (la Société a dû faire un héritage : il y a des kilo-
mètres de tapis havane et des centaines d'aunes de rideaux tabac
d'Espagne, couleurs reposantes pour l'œil), est consolant et méritoire.
S'il faut y chercher les bonnes choses, du moins les trouve-t-on assez
vite.
Il en est d'ailleurs qui s'imposent par leurs dimensions mêmes. Au
sommet du grand escalier, en passant le seuil de la salle d'entrée,
vaste comme la carène retournée d'un vaisseau de haut bord, nous
sommes immédiatement face à face avec le plus colossal spécimen de
peinture décorative : les trois panneaux de M. Edouard Détaille
destinés au Panthéon.
Ce triptyque de dimensions colossales est intitulé le Chant du Départ,
musique de Méhul, paroles de Marie-Joseph Chénier :
La victoire en chantant nous ouvre la barrière !
Il se compose à la façon d'un panorama, parties réelles d'un relief
apparent et parties simplement indiquées, en décor, pour former le
fond du tableau. Au premier plan, trois groupes de canonniers trainent
de vieilles bombardes de cuivre, face au public qui dans l'espèce repré-
sente l'ennemi. Ils sont râblés, trapus, très vivants sous leurs glo-
rieuses guenilles de traine-savates des journées héroïques de Fleurus et
Yalmy; le peintre les a traités avec le plus consciencieux réalisme,
qu'ils pointent les pièces, qu'ils manient l'écouvillon ou qu'ils poussent
aux roues embourbées. Derrière eux s'étend un rideau de spectres, chefs
et soldats sortis des tranchées où ils dormaient leur glorieux sommeil.
Comme dans la légende de Raffet :
C'est la grande revue
Qu'aux Champs-Elysées.
A l'heure de minuit,
Tient César décédé.
Seulement le Xapoléon des revues macabres est remplacé par la Vic-
toire des armées républicaines, montée sur un coursier ailé comme
Pégase. Elle chante l'hymne appelé à juste titre notre seconde Mar-
seillaise (car celui de Rouget de Lisle était déjà un chant du départ) et
ne manque pas d'envol lyrique. Reconnaissons d'ailleurs que dans la
galerie du Grand-Palais le groupe et son entourage semblent un peu
crayeux par la faute des toiles papillotantes qui l'avoisinent, mais l'en-
semble prendra toute sa valeur une fois en place et s'harmonisera avec
le cadre architectural du Panthéon. M. Edouard Détaille compte-t-il
allégoriser aussi le Chant des Victoires, de Méhul et Chénier, ou leur
Chant du Retour, dont la poésie a un faux air de cantate officielle ?
158
LE MÉNESTKEL
Tu fus longtemps l'effroi, sois l'amour de la terre,
0 République des Français !
Que le chant des plaisirs succède aux cris de guerre !
La Victoire a conquis la Paix...
Il reste là-bas assez de surfaces décorables pour y évoquer tout
notre répertoire de chants héroïques. Et ce serait au moins un sem-
blant d'unité pour cet ensemble disparate.
(A suivre.) Camille Le Senne.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour les seuls abonnés a la musique)
Détachons une dernière page de la partition du Chevalier cVEon. C'est une romance
dans le goût de celles qui avaient tant de vogue en 1830 pour la plus grande joie de
nos grand'mères et qui, à tout prendre, avaient, dans leur ingénuité, du charme
et de la sensibilité. Ces Petits oiseaux étaient chantés à la Porte-Saint-Martin d'une
voix fraîche et sûre par M"» Fairy et on les écoutait avec plaisir.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
A l'occasion du jubilé de l'Empereur François-Joseph, une sérénade a
été donnée au souverain, à sa famille et à ses hôtes, dans les jardins du châ-
teau de Schœnbrunn, par l'Association des chanteurs de la Basse-Autriche.
L'ensemble vocal et instrumental comprenait six mille six cents voix appar-
tenant à plus de deux cents Sociétés et la musique de cinq régiments.
— Le 7 mai dernier, a été dévoilé à Vienne, en présence d'un public nom-
breux, le monument érigé en l'honneur de Brahms, sur le Karlsplalz, pour
fêter, par un souvenir durable, le soixante-quinzième anniversaire de sa nais-
sance. A cette occasion un concert a été donné dans lequel on a fait entendre
des oeuvres chorales du maitre et le cycle de mélodies intitulé la Belle Ma-
guelone, paroles de Ludwig Tieck.
— De Vienne : Le programme des quatre représentations que le corps de
ballet, du Grand Opéra de Paris (avec MUc Sandrini) donnera au Thoater an der
Wien est arrêté comme suit : Le 18 et le 19 mai on jouera le ballet la Korri-
gane; le 20 et le 21, la MaladeUa.
— Gomme il fallait s'y attendre, M. Siegfried Wagner a démenti la nou-
velle, lancée par un journal américain, qu'il dût faire une tournée de concerts
dans le Nouveau-Monde avec l'orchestre philharmonique de Berlin et que
Mm<? Cosima Wagner dût l'accompagner.
— Un monument sera élevé prochainement en l'honneur de Louis Spohr, à
Brunswick, où il naquit le 5 avril 1784. Ce maître, qui fut à la fois violoniste
et compositeur, a laissé dix opéras parmi lesquels on connait encore principa-
lement Faust (1819) et Jessonda (1823), cinq oratorios, neuf symphonies, des
concertos et un grand nombre d'oeuvres de musique de chambre. Il mourut
à Cassel, le 2» octobre 1SS9.
— Le Cmservatoire-Ralï, de Francfort, a célébré, le 3 mai dernier, le
vingt-cinquième anniversaire de sa fondation. JoachinRaff, l'auteur des deux
symphonies Dans la forêt et Lénore, pour ne citer que celles qui ont été jouées
à Paris, avait été nommé en 1877, directeur du Conservatoire Hoch. Après sa
mort, survenue le 24 juin 1882, M. Bernhard Scholz lui ayant été donné
comme successeur, plusieurs des anciens collaborateurs du maitre se reti-
rèrent, et ouvrirent, au printemps de l'année 1883, un nouvel institut qu'ils
nommèrent Conservatoire-Raff. Le nombre des élèves n'était alors que de
soixante-dix. Parmi les fondateurs se trouvaient MM. Maximilien Fleisch et
Max Schwarz, qui sont encore aujourd'hui à la tête de l'établissement. L'en-
treprise prospéra grâce au concours d'éminents professeurs, notamment de
Hans de Bùlow, qui, quatre années durant, de 1884 à 1887, y fit régulière-
ment des cours de piano pendant une période déterminée. Parmi les élèves
du Conservatoire-Raff, on peut compter M. Richard Strauss et parmi les
anciens professeurs, M. Frédéric Steinbach. A la date de l'anniversaire, un
concert a eu lieu pendant lequel on a fait entendre des œuvres de Raff et de
Bûlow.
— A l'occasion de la quarante-quatrième réunion de l'Association générale
des musiciens allemands, qui aura lieu cette année à Munich, au commence-
ment de juin, des représentations de fête seront données au théâtre du Prince-
Régent. On jouera le Ier, le 3 et le b juin : Moloch de M. Max Schillings,
Ilsebill de M. Frédéric Klose, et les Troyens de Berlioz. Cette dernière œuvre
sera donnée telle que l'écrivit Berlioz, c'est-à-dire que l'on entendra, en une
seule soirée, la Prise de Troie, divisée en deux actes, dont le premier doit
durer cinquante deux minutes et le second vingt-deux, et 1rs Troyens à Car-
tilage, répartis en trois actes, avec des durées respectives de quarante, qua-
ran'.e-sept et quarante-cinq minutes. L'ensemble formera donc un total de
deux cent six minutes et devra durer, sans les entr'actes, trois heures et
vingt-six minutes. C'est M. Félix Mottl qui dirigera les représentations.
— La Neue Miisiek-Zeitung publie une liste de plus de deux cents musiciens
qui s'étaient destinés, ou mieux, avaient été destinés à d'autres professions.
Nous détachons de cette liste, à titre de simple curiosité, quelques noms signi-
ficatifs. On verra que, pour aucun des artistes dont il s'agit, il ne peut être
question de vocation manquée puisque tous ont été des compositeurs célè-
bres. Voici notre extrait, de la longue nomenclature dressée en Allemagne :
Berlioz, étudiant en médecine; Borodine, médecin professeur;' Bruckner,
maitre d'éco'e; Bulow, juriste; Peter Cornélius, comédien; César Cui, ingé-
nieur; Dvorak, boucher; César Franck, étudiant (figure à tort dans la liste,
car il n'a jamais étudié professionnellement que la musique); Gouvy, étudiant
en droit; Grisar, négociant; Kienzl, docteur en philosophie: Conradin
Kreutzer, juriste: Loewe, théologien; Lwoff, major général; Marsclmer,
juriste; Métra, comédien; Muck, juriste; Nessler, théologien; Perosi, prêtre:
Proch, étudiant en droit; Raff, maitre d'école ; Reissiger, étudiant en théo-
logie; Riemann, droit et philosophie; Rimsky-Korsakow, officier de ma-
rine; Rouget de l'Isle, officier; Schumann, étudiant en droit (non compris
sur la liste mais qui devrait y figurer); Tartini, juriste: Taubert, étudiant
en théologie: Tschaïkowsky, juriste; Vaccaï, étudiant en droit; Wagner,
étudiant en philosophie (il semble que son inscription à ce titre à l'univer-
sité de Leipzig ne fut qu'une formalité sans importance et qu'il n'entrevit
jamais d'autre carrière que celle de musicien ou de dramaturge); Wein-
gartner, étudiant (?) ; Zelter, maitre maçon ; Zumpe, professeur. On pourrait
continuer longtemps ce petit jeu si l'on voulait faire entrer en ligne les chan-
teurs, particulièrement les ténors.
— Une opérette nouvelle, Principessa, paroles de MM. Frédéric Grùnbaum
et Georges Burghardt, musique de M. Rodolphe Nelson, vient d'être jouée
avec succès au Théâtre de la Résidence, à Francfort.
— Vous connaissez 1' « espéranto », la nouvelle langue universelle qui a
remplacé le volapûk, de burlesque mémoire ? Or, urf congrès international
d'esperantistes doit se tenir à Dresde au mois d'août prochain, congrès à
l'occasion duquel sera donnée une série de représentations théâtrales dans la
langue nouvelle. Un professeur, M. Zamenhof, qui a traduit en espérant i
toutes les œuvres de Gcethe (pardonnez -lui, seigneur '■) et beaucoup de tragé-
dies grecques, prépare dès aujourd'hui la représentation de VIphigénie en Tau-
ride d'Euripide, qui sera jouée sur le Grand-Théâtre de Dresde en espéranto,
par une troupe composée d'artistes de toutes nationalités. Ce sera évidem-
ment d'un intérêt palpitant, avec cet avantage que dans la nouvelle langue
viendront se fondre et disparaître les accents divers de ces artistes si divers.
C'est égal, Euripide ne s'attendait pas à celle-là!
— De Leipzig, on nous signale le très gros succès remporté par Louise, au
Stadtheater. M. Gustave Charpentier s'est déclaré particulièrement touché
des témoignages de sympathie et d'admiration qu'il a reçus à l'occasion de
cette première.
— L'ensemble de l'Opéra de Saint-Pétersbourg doit commencer ses repré-
sentations au nouvel Opéra-Royal de Berlin, le 20 mai prochain. On donnera
la Vie pour le Tzar de Glinka.
— D'une correspondance de Saint-Pétersbourg nous détachons ce qui suit :
« Les prix des loges et des fauteuils se sont élevés subitement à notre Opéra
italien, comme le mercure sous l'effet d'un rapide changement de température,
quand on a annoncé Mignon avec M™10 Sigrid Arnoldson : 200 francs une loge,
35 un fauteuil, et ainsi du reste. Les amateurs, et de la plus haute aristo-
cratie, qui avaient fait expressément le voyage de Varsovie et de Riga, ne
voulurent pas renoncer au plaisir d'entendre et d'applaudir, à quelque prix
que ce fut, la diva suédoise, et obtinrent du directeur de faire placer une
cinquantaine de fauteuils sur la scène même, à 30 roubles chacun. On se
serait cru chez vous, à Paris, au temps de Molière. Le susdit directeur se
demande maintenant si ce n'est pas le cas d'élargir le théâtre pour les autres
représentations de la charmante artiste, qui va jouer successivement Hinnlet.
et Manon. »
— Sans grand fracas, sans tambour ni trompette, la petite Suisse, très
artiste, très musicale, fait des efforts méritoires pour encourager l'art. C'est ainsi
que la Confédération a accordé en 1907 à l'Association des musiciens suisses
une subvention de 5.000 francs, que cette Association a employée et partagée
de la façon suivante : Subside à la Société cantonale des chanteurs vaudois
pour l'organisation d'un cours de directeurs, 500 francs. Subside aux frais de
copie pour la fête de musique à Lucerne, 579 fr. 8b. Subside à la bibliothèque
de musique de Bàle, 300 francs. Pour trois bourses d'élèves, ensemble
1.100 francs. Versement de fonds pour l'édition d'oeuvres musicales, 2.000 fr.
Total, 4.479 fr. S5.
— D'autre part, la «Société suisse des professeurs de chant et de musique»
a consacré le subside de 1.000 francs qui lui a été alloué à un cours pour
organistes qui a eu lieu dans la seconde moitié de 1907, dans la Suisse
septentrionale et orientale, et dont les frais se sont élevés à 913 fr. 50. Ce cours
intercantonal a été donné par sept professeurs dans les églises de Baden,
Bàle, Rorschach, Soleure, Sachseln et Zug. Winterthur et Zurich : il a été
suivi par 29 élèves.
— L' Hérodiade de Massenet vient d'être, bien innocemment, la cause d'un
procès qui vient de se plaider à Milan entre artiste et imprésario, et qui s'est
LE MENESTREL
159
terminé au désavantage de celui-ci. Le motif du procès est d'ailleurs assez
curieux. Un chanteur. M. Carlo Walter. avait été engagé par M. Camillo
Bonetti, directeur de l'Opéra de Buenos-Ayres, avec obligation pour ce der-
nier de renouveler l'engagement à la lin de la première saison. Mais, le
terme arrivé, le directeur annonça à son pensionnaire qu'il se refusait à dou-
bler le traité, celui-ci ayant formellement refusé lui-même de chanter le rôle
de Phanuel dans Eérodiade, qui rentrait dans sou emploi de première basse.
Le chanteur répondit alors que s'il n'avait pas voulu jouer dans Sérodiade,
c'est qu'on avait pratiqué dans la partition des coupures trop considérables.
Ne croyez pas toutefois que ce soit par respect pour l'œuvre d'un maître que
M. Carlo Walter ait déploré ce procédé; oh !non, les chanteurs n'ont pas de ces
scrupules. C'est simplement parce que les coupures en question faisaient
perdre au rôle de Phanuel une partie de son importance et qu'il n'était plus
digne d'une première basse ! Et le tribunal lui a donné raison, et a condamné
le directeur à payer à l'artiste les appointements de l'engagement non renou-
velé par son fait.
— Enok Arden, le dernier opéra du regretté GaelanoCoronaro, dont nous avons
annoncé récemment la mort, sera joué au Théàtre-Verdi de Florence, dans la
grande saison d'aoùt-septembre, si les pourparlers qui ont cours entre le
comité des élèves du maestro et la présidence du théâtre aboutissent, comme
on l'espère, à un bon résultat. Le maestro SeraQn s'est offert immédiatement
et de la façon la plus désintéressée à monter et à diriger l'exécution de l'ou-
vrage, exauçant ainsi le vœu suprême que l'excellent Coronaro exprimait à la
fin de sa vie. Les décors et les costumes sont tout prêts, car l'ouvrage en était
déjà arrivé aux répétitions générales au Théâtre-Lyrique de Milan, où finale-
ment il ne put être joué par suite de la faillite de l'entreprise.
— De Palerme : Notre « Teatro Massimo » vient de nous donner la pre-
mière représentation de Thaïs, et l'œuvre exquise du maître Massenet a rem-
porté un triomphe de plus en Italie. Profonde impression artistique, dit
notre correspondant, enthousiasme pour la partition et pour sa belle inter-
prète, Mllc Carmen Melis, la remarquable Thaïs italienne. On a fêté aussi le
baryton Cigada. le ténor Dammacco elle maestro Marinuzzi qui, superbement,
a conduit tout le monde à la victoire.
— Le théâtre de Monte-Carlo vient d'offrir à son publie la primeur d'un
op^ra-comique inédit en trois actes, la Princesse voilée, dont les auteurs sont
M. Paul Lancret pour les paroles et Charles Egly pour la musique. Cet
ouvrage, qui avait pour interprètes Mlles Alice Kervan, Charley et Marie
Théry, MM. Bertrand, Poudrier, Alberthal, Bruney et Maury, a été très
favorablement accueilli.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Sur les dix aspirants au concours de Rome qui se sont présentés, comme
nous l'avons fait connaître, à l'épreuve préparatoire, six ont été admis au con-
cours définitif, dans l'ordre suivant : 1er M. André Gailhard. 2e prix de 1906,
élève de M. Charles Lenepveu ; 2e M. Mazellier, 2e prix de 1907, élève de
M. Ch. Lenepveu; 3e M. Delmas, élève de M. Charles Lenepveu; 4e M. Fla-
mant, élève de M. Gh. Lenepveu: 5e Mlle Nadia Boulanger, élève de M. Wi-
dor; 6e M. Tournier, élève de M. Ch. Lenepveu. Ces six concurrents entrent
en loge aujourd'hui même, samedi 16 mai, au château de Compiègne, et y
resteront jusqu'au 16 juin.
— Au Conservatoire. Voici quel était le programme de l'exercice public des
élèves qui fut donné .jeudi :
— Quatuor à cordes, op. 76 (J. Haydn): Allegretto, Allegro, Largo, Menuet, Presto.
— Duo de la Passion (Haendel). — a) Sa voix, b) Le Noyer (R. Schumanni. — Trio
pour deux violons et violoncelle, avec accompagnement de piano iPh.-Emni. Bach) :
Allegretto, Andantino, Allegro. — a) Le Chant de la fiancée (R. Schumann), b) Désir de
Printemps (Schubert). — a) L'Esclave (E. Lalo), b) Près de ma tombe obscure (Beetho-
ven). — Andante du quintette en mi bémol, pour piano et instruments à vent (Bee-
thoven). — a) Souvenir, b) Venise (Ch. G-ounod). — Chœurs sans accompagnement
(seizième siècle) : a) Noël : Un enfant nous est né, chœur à quatre voix mixtes (Eus-
tache du Caurroy) ; b} Fuyons tous d'amour le jeu, à quatre voix mixtes (Claude
Le Jeune) ; c) Il est bel et bon, à quatre voix mixtes (Passereau!. — Symphonie en ré
majeur, K. V. 385 (W.-A. Mozart): Allegro con spirito, Andante, Minuetto, Finale,
Presto. — a) L'Heure du mystère, b) Si je vous parlais de ma peine (R. Schumanm. —
La Truite (Schubert) . — Le Roi des Aulnes (Schubert).— Morceaux de fantaisie pour
piano, violon et violoncelle (R. Schumann) : a) Romance et Humoresque, b) Duetto
et Finale. — Air de Thésée (J.-B. Lulli). — Concerto pour orgue et orchestre
(Haendel).
Notre excellent collaborateur Boutarel nous fera samedi prochain un petit
compte rendu de cet exercice.
— La Société mutuelle des professeurs du Conservatoire annonce pour le
13 juin, au profit de sa caisse de retraites, une matinée à laquelle la Comédie-
Française, l'Opéra et le Conservatoire prêteront leur concours. Elle aura lieu
au Théàtre-Sarah-Bernhardt, mis obligeamment à la disposition de la Société.
M. L. Leloir, de la Comédie-Française, en organise le programme. Nous pou-
vons annoncer dès maintenant qu'il a été autorisé à y comprendre une pièce
inédite de M. Jules Claretie, l'Êpée.
— A l'Opéra, comme on pouvait s'y attendre, les représentations de Thaïs
avec MUe Mary Garden et M, Maurice Renaud sont des plus brillantes. On
s'arrache les moindres coins de la salle à prix d'or. M. Renaud a posé d'auto-
rité et avec un soin raffiné d'art le personnage compliqué d'Athanaël, tandis
que Mllc Garden donnait, de son coté, à celui de la courtisane Thaïs une ligure
plus curieuse, plus originale, plus tourmentée aussi que celle qu'on lui avait
vue jusqu'à ce jour sur la scène de l'Opéra. Il faut dire que les deux artistes
ont su se rapprocher bien plus du livre d'Anatole France qu'on no l'avait fait
encore et, comme la musique imagée et colorée du maître Massenet s'y est
toujours adaptée parfaitement, il en résulte une intensité d'émotion bien plus
grande. C'est donc un succès tout artistique auquel il convient d'applaudir des
deux mains. — Maintenant la nouvelle direction do l'Opéra, dont ou doit
admirer vraiment une activité si bien employée, est toute aux prochaines re-
présentations de l'opéra russe lliris Godounow. La première en sera à
mardi prochain 19 mai et là encore on peut s'attendre à des merveilles. Tous
les échos qui nous arrivent des répétitions sont excellents.
— L'Opéra-Comique russifiera également de son cùté. Voici qu'on annonce
pour vendredi prochain 22 mai la première de SnegouTolchàa, L'opéra de Rimskj -
Korsakow (répétition générale mercredi dans la journée a 1 heure). Aimez-
vous la Russie ? On en a mis partout. —Spectacles prochains : ce soir samedi,
le Barbier de Séuille et Cavalleria rustimna. Dimanche en matinée : Carmen |,.
soir, Werther. Après-demain lundi, en représentation populaire à prix réduits:
la Hubunera et la Fille du régiment.
— L'Assemblée générale de l'Association des artistes musiciens (fonda-
tion Taylor) a eu lieu dans la grande salle du Conservatoire. La séance
était présidée par M. Callon. M. Paul Rougnon, vice-président, a donné
lecture du rapport annuel, et quand il a exprimé les regrets du conseil
d'avoir reçu la démission de l'ancien président, M. Réty, il a été vivement
applaudi. Il a été procédé ensuite à l'élection des quinze nouveaux membres
du comité. Ont été nommés : MM. Henri Carré, Vernaelde, Charles Callon,
Henri Rabaud, Arthur Pougin, Seitz, Gurt, Wael-Munk, Polonus. Migard,
Bouvet, Falkenberg, Tournier, Villard et Alexandre Petit. M. Paul Xaffanel a
été nommé président.
— Les résultats des concours ouverts en 1907 par la Société des composi-
teurs de musique sont les suivants :
1° OEuvre symphonique pour piano et orchestre, en une ou plusieurs parties.
— Pas de prix.
2° Deus Abraham, duo pour ténor et baryton avec accompagnement d'orgue
et chœur à 3 ou 4 voix inégales. — Prix Samuel Rousseau (300 francsi,
offert par M"10 Samuel Rousseau, décerné à M. Georges Kriéger, Paris.
La Société met au concours, réservé aux seuls musiciens français, pour
l'année 190S, les œuvres ci-après :
1' Quintette pour piano et instruments à cordes. — Prix 500 francs (Fonda-
tion Pleyel-Wolff-Lyon) et exécution à l'un des concerts de la société.
2° Pie Jesu pour baryton solo et chœur à trois voix (sopranos, ténors et
basses) avec accompagnement d'orgue. — Prix Samuel Rousseau (300 francs),
offert par Mluc Samuel Rousseau.
3° Suite pour piano et un ou deux instruments au choix du concurrent. —
Prix 300 francs offert par la Société.
— Après l'exposition théâtrale du Pavillon de Marsan, que nous avons fait
connaître sommairement, voici une exposition rétrospective de portraits de la
seconde moitié du dix-neuvième siècle qui s'ouvre à Bagatelle, et dont cer-
taines pièces nous offrent un intérêt particulier. A signaler ici : un Pananini
d'Eugène Delacroix; un Liszt de Leyman : un Rossini d'Ingres; puis Marie
Malibran, de Bouclot; Pauline Garcia (Mme Yiardot), sa sœur, d'Arv Scheffer;
Alexandre Dumas père, d'Eugène Delacroix; deux George Sand, dont un de
Thomas Couture; Alphonse Baudet, d'Eugène Carrière; Edmond About, de Paul
Baudry ; Coquelin aîné, de Bastien Lepage. Et en sculpture, Charles Gounoil,
Alexandre Dumas, Charles Garnier, de Carpeaux, etc. Cette exposition orga-
nisée par MM. Roll, Rodin, Gervex, Jeau Béraud, Dubufe et une délégation
de la Société nationale des beaux-arts, va faire courir tout Paris à Bagatelle.
— Caruso, Melba, Renaud sur la même affiche ! Nous avons annoncé que
Caruso chanterait à l'Opéra, le mois prochain, au gala organisé par la Société
des auteurs et compositeurs dramatiques. C'est dans Rigolello que paraîtra le
célèbre ténor. Il aura comme partenaire Mme Nelly Melba, la célèbre étoile
de Covent-Garden, et Maurice Renaud. Fête d'art incomparable et absolument
unique. Ajoutons que le comité a tenu à réserver, dans cette représentation
admirable, une place importante à l'École française. Des démarches ont été
faites auprès des maîtres Camille Saint-Saëns et M. Massenet pour obtenir
d'eux la direction de deux fragments de leurs œuvres. Le prix des places,
pour cette représentation de gala, sera fixé d'ici peu : nous pouvons annoncer
d'ores et déjà que les place d'avant-scènes et de premières loges, ainsi que les
fauteuils d'orchestre et d'amphithéâtre, coûteront 100 francs. Les abonnés
des trois jours de l'Opéra auront, jusqu'au 20 mai, le droit d'option sur leurs
places habituelles.
— Quelques détails sur le Tarare de Salieri, à propos d'nn autographe de
son collaborateur Beaumarchais. On sait que celui-ci avait fait du poème de
cet ouvrage (dont la préface est si curieuse au point de vue de l'esthétique du
drame lyrique) une sorte de satire politique. On le savait dans le public, et la
curiosité était vivement excitée. Aussi, la répétition générale payante qu'on
en fit au profit du personnel donna-t-elle une.recette de 3.076 livres C sols.
La première représentation eut lieu le S juin 1787, et Beaumarchais, s'il faut
l'en croire, n'eut à se louer ni de la direction de l'Opéra ni des interprètes de
Tarare. Dans une lettre adressée au baron de Breteuil, sous-secrétaire d'État,
en date du 4 novembre 1787, il se plaint amèrement qu'on ait brusquement
interrompu les représentations de Tarare, auxquelles, dit-il, le public n'a cessé
de se porter en foule. Il accuse le directeur (Dauvergne) et les acteurs, et
s'exprime ainsi : « L'Opéra sera toujours à la charge du Roi;~rant qu'une juste
m
LE MENESTREL
rigueur ne le mettra pas sur un autre pié. Les comédiens-français n'eussent
pas gagné 700.000 livres avec la Folle Journée (le Mariage de Figaro) s'ils eussent
quitté le public à la 43e représentation. » Il exige donc qu'on retire du réper-
toire cet opéra, qu'il n'a pas désiré qu'on jouât et qui a couvert ses frais; c'est
la seule récompense qu'il demande des soins qu'il s'est donnés, et il ajoute :
« J'en avais commencé un autre; je viens de le jeter au feu, et que le dieu des
vers m'écorche vif comme Marsyas si jamais je fais rien jouer à celte indigne
pétaudière! C'est ce que j'ai dit hautement en quittant ce soir le spectacle. »
Il est certain que Beaumarchais n'avait pas lieu, notamment, d'être satisfait
de Laine, qui jouait Tarare, et qui, parait-il, avait son rôle en horreur. Le
26 juin, jour de la sixième représentation, il refusait de chanter, et il fallut
la menace de la prison pour l'y contraindre; et le « journal » de Francœur,
sous-directeur de l'Opéra, nous apprend ceci cinq mois après : « Le samedi
15 novembre (1787), le lendemain delà vingt-cinquième représentation de Ta-
rare, Laine fut arrêté par ordre du roy et conduit à la Force, au secret, pour
s'être plusieurs fois refusé de jouer son rôle, la veille, la vendredi notam-
ment. » On conçoit la. fureur de Beaumarchais, peu endurant de sa nature,
comme on sait, et dont la patience n'était pas la vertu dominante.
— Autorisés par M. le Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-
Arts, MM. Messager et Broussan mettront gracieusement la salle de l'Acadé-
mie nationale de musique à la disposition du comité Beethoven, pour y
donner, le mardi 16 juin prochain, une représentation de gala dont le produit
est destiné à l'achèvement du monument consacré à la gloire de l'illustre
musicien. Nous ferons connaître prochainement le programme de cette
représentation qui, si nous en croyons certaines indiscrétions, sera bien plus
belle encore que celle de l'an dernier, dont le succès est encore présent à la
mémoire de tous.
— M. Arthur Shattuch a donné, salle des Agriculteurs, deux concerts, dont
l'un avec le concours de l'orchestre Colonne, au cours desquels il a fait
montre de précieuses qualités de style et d'exécution, tant dans des pièces
classiques que dans des morceaux modernes. Dans le Liszt, et notamment
dans Saint-François de Paule marchant sur les flots, il a déployé énormément
de fouge et d'heureuse fantaisie.
— M. Alexandre Guilmant vient d'être nommé membre de la célèbre
Académie Boyale Suédoise de musique.
— La Société chorale « Maennerehor Zurich », fondée en 1826 par Naegeli,
dirigée ensuite par Baumgartner, et par Cari Attenhofer de 1866 à 1904, nous
a été présentée samedi dernier au Trocadéro par son chef actuel, M. Wolk-
mar Andréa?. Des chœurs de Schumann, Grieg, Silcher, Hegar, Gustave
Weber, Baumgartner, Attenhofer, G. Doret, Siegmund von Hausegger et
Volkmar Andreœ ont été chantés dans la plus grande simplicité de style et
le sentiment le plus sincère de l'expression juste. Toute cette musique pour
voix d'hommes, généralement à quatre parties, respire avec intensité la vie
libre et captivante; de chaque morceau se dégage un ensemble d'impressions
nées comme d'elles-mêmes chez le compositeur, parce qu'elles sont l'àme
même du pays qu'il a aimé, du sol qu'il a foulé. Envisagés à ce point de vue,
les chœurs de Silcher et d'Attenhofer sont de touchants chefs-d'œuvre. La
sincérité, déjà moins spontanée chez Grieg, descend encore d'un degré avec
\aMarche des morts de M. S. von Hausegger; c'est l'ouvrage d'un composteur
de talent, qui dirige son inspiration au lieu de se laisser conduire par elle.
M. G. Doret, au contraire, a décrit ce qu'il sentait et ce qu'il voyait, sans
reculer devant la vulgarité populaire des tableaux. Il nous en offre un, Fête des
Vignerons, dans lequel s'épanche, aux sons des tambours, des timbales et des
cors de chasse, la joie de vivre au grand air et de goûter dans sa plénitude
l'ivresse d'une communion villageoise quelque peu dionysiaque avec la nature.
Les chanteurs du « Maennerehor Zurich » ont la précision des instrumentistes
d'un excellent orchestre : chez eux, l'émission est très sûre, la justesse irré-
prochable, et une certaine àpreté virile dans la sonorité ne déplait pas. Ces
hommes, qui appartiennent à toutes les professions, montrent, par une diction
intelligente et bien sentie que le chant est pour eux un langage plus expressif
que la parole, une conviction. Ce concert a été rehaussé par une interpréta-
tion ûère et grandiose de la Symphonie en ut mineur de M. Saint-Saéns, avec
M, Vierne à l'orgue, MM. Heuberger et Castelberg au piano, et, au pupitre.
M. Wolkmar Andréas. Nous pouvons dire que l'exécution donnée de cette
œuvre par M. Andreœ ne le cède à aucune de celles que nous avons entendues
jusqu'ici. La puissance de l'orgue y était pour beaucoup, mais les qualités
musicales du chef d'orchestre, son enthousiasme jeune et communicatif, par-
dessus tout, son exubérance passionnée vers le milieu de la seconde partie,
ont agi sur l'auditoire irrésistiblement. Il a dirigé aussi l'ouverture du Carna-
val romain de Berlioz avec une compréhension, une fougue admirables; mais
cette œuvre dont le filet mélodique se précipite avec tant de vivacité ne peut
résister sans dommage aux défectueuses conditions d'acoustique de la salle
du Trocadéro. La séance s'est terminée par l'audition avec chœurs de la Mar-
seillaise orchestrée par Berlioz. Amédée Boutarel.
— Happelons que le célèbre pianiste Léon Delafosse donnera, le mardi
20 mai, au Théâtre Réjane, un très beau concert avec orchestre. Au pro-
gramme figureront dts œuvres de Bach, Schumann, Chopin, Saint-Saéns,
Debussy, Tschaïkowsky et Liszt, ainsi que la Fantaisie pour piano et orchestre
de L. Delafosse.
— Les quatre séances de Sonates anciennes et modernes (piano et violon)
données par Eugène Ysaye et Raoul Pugno auront lieu, à la salle Pleyel, les
samedi 16 mai, à quatre heures, jeudi 21 mai, a neuf heures, samedi 23 mai,
à quatre heures, mardi 26 mai, à neuf heures — deux matinées et deux
soirées. Aux programmes sont inscrits les noms de Bach, Mozart, Beethoven,
Brahms, Schumann, F'ranck, Saint-Saéns, Lazzari, Ropartz, Vierne. Pour re-
tenir les places, soit en abonnement aux quatre séances, soit par. concert,
s'adresser à la salle Pleyel. chez MM. Durand, Grus et A. Dandelot, orga-
nisateur des séances Ysaye-Pugno, 83, rue d'Amsterdam, qui 'recevra égale-
ment les demandes par correspondance et téléphone (n° 113.2b).
— Edouard Risler donnera, salle Gaveau, trois concerts d'orchestre, où il
apparaîtra en même temps comme kapellmeister et comme pianiste. La pre-
mière séance aura lieu le 2b mai, avec le concours du célèbre chanteur d'ora-
torios Jch. Messchaert. Pour tous renseignements s'adresser à la Société mu-
sicale et chez les principaux éditeurs.
— Mme Salmon ten Hâve, M. Jean ten Hâve et M. Joseph Salmon donneront
une seule séance de musique de chambre chez Pleyel le mercredi 20 mai, à
neuf heures du soir. Au programme : Trio de Lalo, Sonate en ut mineur
(piano et violon) de Beethoven et le Trio en mi bémol de Brahms. Bille's
chez MM. A. Durand, Grus, éditeurs, salle Pleyel et chez A. Dandelot, 8\
rue d'Amsterdam. Téléphone (n° 113.2b.)
— Mme Blanche Marchesi fera entendre le beau programme suivant au ré-
cital qu'elle donnera le mardi 49 mai, à la salle Erard, avec le concours de
MM. Henri Lefebvre et Ponsot :
Le Pdtre (avec clarinette obligato, M. Henri Lefebvre); Si tu es nrh de moi
(Bach); Dans la terre (Wagner) ; Oh! viens en rêve (Liszt); Personne ne l'a vu iLowe);
Chanson de la harpiste (Siegmund von Hausegger) ; Dédicace (Richard Strauss-
Neige); Chanson norvégienne impressionniste (Sigur Lie) ; le Forgeron (Brahms)';
C'est lui (Hugo Wolff) ; Introduction et Rondo (Wirton, M. Henri Lefebvre;
.1 la nuit iGounod); Azael (Air de l'Enfant prodigve, Debussy); Rêve (Ernest
Moret); Mandoline (Debussy); le Bonheur est chose légère (Saint-Saëns) (avec clari-
nette obligato, M. Henri Lefebvre) ; Air de la Tosca (Puccini).
— L'éminent pianiste Lucien "Wurmser donnera, les dimanches 17 et
24 mai, à 3 heures, salle des Agriculteurs, deux superbes matinées musicale.-.
Mme Jeanne Raunay et Jacques Thibaud participeront à la première ; la
seconde bénéficiera du concours de Mme Jane Balhori, de M. Emile Engel, et
du merveilleux quatuor Hayot.
— Malc Lucy Vaulhier donnera, lundi prochain, à huit heures et demie du
scir, salle Berlioz, un concert dont le programme est des plus attrayants, soli,
chœurs, orchestre, et dans lequel elle fera entendre son cours d'ensemble.
— Les 29, 30 et 31 mai, sera célébré en l'église Sainte-Clotilde, le cinquan-
tième anniversaire de l'inauguration de cette belle église, par un « triduum
solennel », où l'on exécutera, outre certaines œuvres des maîtres des XV0 et
XVIe siècles, celles aussi de tous les maîtres modernes qui se sont succédé
au grand orgue de cette église : César Franck, Théodore Dubois, Tourne-
mire, etc., les chœurs seront sous la direction de l'excellent maître de cha-
pelle Jules Meunier.
NÉCROLOGIE
Un homme de talent et' d'esprit, un écrivain charmant qui, pendant un
demi-siècle, a connu le succès, Ludovic Halévy, est mort à la fin de la semaine
dernière, à l'âge de 74 ans. Fils du poète Léon Halévy, neveu de l'illustre
compositeur de la Juive, appartenant par son mariage à la famille du célèbre
horloger Bréguet, il avait commencé sa carrière dans l'adminislration et était
devenu secrétaire-rédacteur au Corps législatif. Gela ne l'empêchait pas de
faire ses débuts d'auteur dramatique en donnant aux Bouffes-Parisiens, dès les
commencements de ce théâtre, toute une série de petites opérettes que sa
situation officielle l'obligea seulement de signer d'un pseudonyme. C'est donc
sous le nom de Jules Servières qu'il fit jouer aux Bouffes, outre le prologue
d'ouverture : Fuirez, messieurs, mesdames (avec Méry), Une Pleine Eau, Madame
Papillon, Ba-Ta-Clan, l'Imprésario, le Docteur Miracle, l'Opéra aux fenêtres, sans
compter Orphée aux Enfers, qu'il laissa signer seul à son collaborateur Hector
Crémieux. Mais bientôt il abandonna l'administration pour se livrer entièrement
à son goût pour le théâtre. C'est alors qu'il rencontra Henri Meilhac, qu'à eux
deux ils agrandirent et transformèrent le genre de l'opérette, et qu'avec la
collaboration d'Offenbach d'abord, de M. Lecocq ensuite, ils donnèrent en ce
genre toute une série de gentils chefs-d'œuvre : Barbe-Bleue, la Belle Hélène,
la Vie parisienne, la Grande-Duchesse de Gérolslein, la Périchole, les Brigands, le
Petit Duc, la Petite Mademoiselle, Janot... Là ne se borna pas l'association
Meilhac-Halévy ; on lui doit encore, outre le livret de Carmen, d'exquises
comédies : l'Été de la Saint-Martin, la Clé de Métella, Ij>toltc. la Veuve, la Boule,
la Petite Marquise, la Cigale, Loulou, l'Ingénue, Froufrou, le Mari de la débutante,
la Boussotte, etc. Puis, Ludovic Halévy renonça au théâtre comme- il avait
renoncé aux emplois, et s'adonna au roman, on sait avec quel succès, succès
qui le conduisit tout droit à l'Académie Française, où son ami Meilhac, qui
devait mourir avant lui, ne tarda pas à aller le retrouver. Qui ne connaît
Madame Cardinal et l'Abbé Constantin?
Henri Heugel, directeur-gérant.
f.:.. i ■ LoriKBT,
402ti. - 74- ANNÉE. - V 21. PARAIT TOUS LES SAMEDIS
Samedi 23 Mai 1908.
(Les Bureaux, 2 bl», rue Vivienne, Paris, u- an')
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
ENESTREL
lie flaméro : o fi». 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Le fluméro : Ofp. 30
Adresser franco à M. Henbi HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bit, rue Vivieune, les Manuscrits, Lettres et Boas-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province.— Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, Î0 fr., Paria et Province.
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SOMMAIEE-TEXTE
1. Semaine théâtrale : premières représentations de Boris Godounow, à l'Opéra, et du
Clown, à rOpéra-Comiquc, Arthur Pougin; reprise de Jeûneuse, au Gymnase, P.-E. C.
— II. La Musique de Gluck, correspondance, Camille Saint-Saens. — III. La Musique
et le Théâtre aux Salons du Grand-Palais (6e article), Camille Le Senne. — IV. Nou-
velles diverses et concerts.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour
GAVOTTE DE HAENDEL
transcrite pour piano par A. Périliiou. — Suivra immédiatement : Les Yei
dos, valse lente de Y.-K. Nazare-Aga.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
Étoile filante, n° 2 des Cloches du souvenir, de Raoul Pugno, poésies de Maurice
Vaucaire. — Suivra immédiatement : Je ne sais pas où va la feuille morte, nou-
velle mélodie d'ER.NEST Moret, poésie de Klixgsor.
SEMAINE THÉÂTRALE
Opéra : Boris Godounow, opéra en trois actes et sept tableaux, d'après Pousch-
kine, musique de Moussorgsky (19 mai 1908). — Opéra-Comique :'Le Clown,
nouvelle musicale en deux actes, paroles de M. Victor Capoul, musique de
M. I. de Camondo (16 mai 1908).
Entendons-nous bien, dès l'abord, et ne nous emballons pas plus que
de raison. Depuis plusieurs semaines qu'il est question de l'arrivée ici
d'une troupe russe, de Moussorgsky et des représentations de Boris Go-
dounow, on nous rebat les oreilles du mot de chef-d'œuvre, et il semble
que ledit Moussorgsky représente le summum et l'idéal de la musique
proprement russe. Pardon ! je connais un peu l'état de la musique
russe pour avoir pris la peine de l'étudier pendant dix ans, pour en
avoir suivi avec attention le mouvement, ce qui m'a permis de publier
le livre le plus complet qui ait encore paru en France à son sujet; en
particulier, j'ai étudié avec soin Moussorgsky, non dans sa musique de
théâtre, que je ne connaissais pas. mais dans sa musique de chant et sa
musique de piano (et elle est drôle, sa musique de piano !). Quant à
Boris Godounow, je savais dans quelles conditions l'ouvrage avait été
fait — et surtout refait, par une main qui n'était pas la sienne, de façon
à la rendre possible après le premier insuccès qui l'avait accueilli,
Moussorgsky n'étant pas musicien. Aussi, la représentation ne m'a-t-elle
causé aucun étonnement. Grâce aux retouches considérables dont elle a
été l'objet, la partition de Boris Godounow est devenue une œuvre inté-
ressante par son accent, par sa couleur ; mais un chef-d'œuvre, comme
on prétend nous le faire croire? ah! non, par exemple.
Permettez-moi d'abord de vous faire connaître l'auteur, dont je ne
veux pas nier les rares facultés naturelles au point de vue musical.
mais que l'indépendance de sou caractère et la versatilité, de son esprit
empêchèrent toujours de se plier à la discipline et aux règles sévères
d'un art qui veut être respecté lorsqu'on prétend l'exercer d'une façon
sérieuse. Artiste étrange, incomplet, à l'éducation insuffisante et tron-
quée, maladroit par ignorance dans sa façon de rendre et de traduire
ses idées, il était doué d'une faculté mélodique singulièrement savou-
reuse, profondément originale et d'un caractère parfois saisissant il).
L'existence de Moussorgsky est celle d'un bohème pour qui les pas-
sions et l'esprit d'indépendance poussé jusqu'à la sauvagerie ne con-
naissent pas de frein. Elève de l'Ecole militaire de Saint-Pétersbourg, il
en sort officier à dix-sept ans, mais donne sa démission au bout d'une
année. Comme il n'était point riche pourtant et qu'il lui fallait vivre, il
se livre d'abord à des travaux rebutants de traduction, après quoi il de-
vient successivement, ne pouvant se tenir nulle part, employé au dépar-
tement du génie civil, puis au département des forêts (ministère des
domaines), puis au département du contrôle. Et enfin, las de toute
espèce de contrainte, il dit décidément adieu à l'administration et re-
nonce à toute fonction assujettissante.
Mais Moussorgsky s'était toujours occupedemusique.il faisait partie
du fameux cénacle des cinq qui comprenait, avec lui, M. Balakirew.
Borodine, M. César Cui et M. Rimsky-Korsakow, ce petit clan intran-
sigeant qui mettait hors la loi musicale russe des arlistes comme Ru-
binstein et Tschaïkowsky, et qui prétendait qu'en dehors de leurs prin-
cipes farouches il n'y avait point de salut. C'est là qu'il connut
M. Rimsky-Korsakow. qui eut le bon esprit de se séparer un jour de
ses compagnons, et c'est là qu'il fut pris en affection par celui-ci. qui
reconnaissait ses rares dons naturels, mais qui ne put jamais l'as-
treindre à un travail sérieux et aux études indispensables. Ici, je prends
la liberté de me citer moi-même, ne pouvant mieux faire connaitre ce
qu'était, en tant que musicien, l'auteur de Boris Godounow:
C'est de celui-là qu'on peut dire, qu'il fut toujours un indépendant. S'il
occupe, ainsi qu'on l'a fait entendre, une place à part, isolée, parmi les musi-
ciens russes de son temps, s'il échappe à toutes les influences, s'il déploie
toutes les audaces, ce n'est pas seulement parce qu'il avait un tempérament
artistique tout particulier, mais aussi, mais surtout, parce que, resté volon-
tairement ignorant des principes de l'art, de l'orthographe même du métier,
il se permettait, comme sans y penser, les licences les plus étonnantes et tra-
duisait sa pensée telle qu'elle se présentait, sans se soucier de lui donner une
forme quelconque. I! y a vraiment, sous ce rapport, une analogie frappante
entre les productions de Moussorgsky et celles de nos prétendus poètes déca-
dents, avec cette différence pourtant qu'on ne peut nier les superbes éclairs
d'inspiration du musicien russe, et que ses chants, tout bizarres, tout diffor-
mes même qu'on les peut trouver, ont souvent en eux une force d'expression
et un accent dramatique dont nul. ne saurait méconnaître l'intensité. Il y
aurait injustice à prétendre que celui-là parlait pour ne rien dire : malheu-
reusement, il se contentait trop souvent de balbutier. Son éducation était à
ce point incomplète qu'il ne savait même pas tirer d'une idée le parti qu'elle
comportait, donner même un plan à une simple mélodie vocale. Ses roman-
ces ne sont pas écrites, elles n'ont aucun développement rationnel, et la plu-
part du temps elles finissent à peine commencées, brusquement, tournant
1) Modeste il ne justifiait guère ce prûnoml Petrovich Moussorgsky étail né à
Karvo, dans le gouvernement de Pskov, le 28 mars 183'J. Tué pat l'ivresse et ies
.-xcés, il mourut le 28 mars 1881. précisément le jour où i! accomplissait sa quarante-
deuxième année.
462
LE MÉNESTREL
court et sans que l'on sache pourquoi. Voyez 'le Dit de l'innocent, la Prière de
l'enfant. Dans lesflin, Sans soleil, Chanson d'enfant, d'autres encore. Avec cela,
des idées musicales d'une saveur étrange, d'une poésie souvent exquise et
d'un sentiment dramatique d'une étonnante profondeur ; de vrais cris de l'àme,
d'une intensité parfois tragique et toujours émouvante.
Moussorgsky était sans doute bien doué, et il eût pu faire parler de lui
s'il avait consenti à travailler et à. se familiariser avec la pratique de son art.
L'intérêt que ne cessa de lui porter M. Rimsky-Korsakow ne pouvait évidem-
ment s'adresser à une intelligence ordinaire, et l'on sait d'ailleurs que Mous-
sorgsky avait l'àme d'un poète. Mais il se figurait trop que l'imagination
suffit à un poète, et à une confiance aveugle en lui-même il joignait un trop
grand mépris du savoir et de ceux qui ont pris la peine de l'acquérir (1).
Un de ses biographes, qui n'est qu'un panégyriste, croyant excuser
son ignorance, disait de lui : — « Sans s'attacher à grandir les moyens
d'expression. Moussorgsky cherchait simplement à traduire les cris de
l'âme qui frappaient son oreille ou sonnaient en lui. Certes, il foula les
lois, mais fatalement, sous la pesée de sa pensée. » C'est bientôt dit. Mais
encore, pour fouler les lois d'une langue de façon à se le faire pardonner,
parfois même à se faire admirer, il faut précisément les connaître, et
connaître cette langue dont on veut se servir. C'est ce qu'ont fait les
artistes immortels, les Rameau, les Beethoven, les Rossini, les
Wagner. Quant à Moussorgsky, il ne connaissait pas la langue musi-
cale, et lorsqu'il a péché ce n'est point par génie, c'est par ignorance.
Si vous voulez faire des vers sans savoir ni l'orthographe, ni la syntaxe,
rii la métrique, quelque poésie que vous ayez dans l'àme vous ne par-
viendrez au point de vue littéraire qu'à faire des monstres. C'est là, au
point de vue musical, le cas de Moussorgsky, qui ne connaissait ni
l'orthographe ni la syntaxe, et qui, par conséquent, ne pouvait produire
que des œuvres informes et incomplètes. J'avais écrit à ce sujet à un
de mes amis de Saint-Pétersbourg, en lui disant ce que je pensais de
ce compositeur, à mon sens trop illettré, il me répondit :
Ce que vous me dites de Moussorgsky est on ne peut plus juste, et c'est
pourquoi il est méconnaissable dans ses œuvres posthumes, qui ont été corrigées
et remaniées par M. Rimsky-Korsakow, très fort au point de vue de la forme.
Il en est ainsi de ses chœurs, de lu Xuil un Mont-Ghauve, de la Khuvanlschina.
Rimsky vient de refaire aussi le Boris Godounow de Moussorgsky, et cette
refonte doit être représentée cet hiver par une société d'amateurs (et l'ouvrage
a été représenté ainsi en décembre 1896). Certains ont parlé du caractère
populaire de îa musique de ce compositeur. Quiconque voit les choses de
près sait cependant que pas une idée musicale de Moussorgsky n'a passé ni
ne peut passer dans le peuple, et que quand les idées de cet artiste s'élucident
et acquièrent quelque saveur, c'est de la muse populaire elle-même ou de
l'inspiration si éminemment nationale de Glinka qu'elles procèdent. Tout le
reste est difforme et bizarre, à moins que M. Rimsky-Korsakow ne l'ait purifié
et remanié...
Ceci m'amène enfin à Boris Godounow, dont la première représentation
eut lieu au Théâtre-Marie de Saint-Pétersbourg le 6 février 1874.
L'œuvre suscita à son apparition des discussions assez ardentec, mais,
finalement, n'obtint aucun succès. Moussorgsky avait fait entrer dans
sa partition quelques morceaux d'un premier opéra commencé par lui,
Salammbô, et qu'il n'acheva jamais. C'est son ami le professeur Nikolsky
qui lui avait suggéré l'idée de traiter le sujet historique et national de
Boris, dont Pouschkine avait fait un drame en prose et en vers, comme
le Jules César de Shakespeare. Moussorgsky s'empara du drame de
Pouschkine pour en l'aire un poème musical, conservant çà et là cer-
tains de ses vers et écrivant lui-même le reste en prose. L'œuvre était
de larges proportions et comportait quatre actes et un prologue. (On
nous l'a donnée à l'Opéra seulement en trois actes et sept tableaux,
c'est-à-dire avec de fortes coupures, entre autres la suppression du
tableau de l'auberge, qui semble devoir être caractéristique, aussi bien
au point de vue scénique que musical.)
Boris Godounow fut d'abord une sorte de maire du palais, c'est-à-dire
régent de l'empire russe pendant le règne de Féodor, fils d'Ivan le
terrible. Un second fils d'Ivan, nommé Dimitri. qui avait été exilé, fut.
à la mort de Féodor, trouvé la gorge percée. On accusa de ce crime
Boris, qui, ambitieux, avait voulu laisser le trône libre pour y monter
lui-môme et devenir tsar. Mais son règnefut court, et il mourut au moment
où le peuple, révolté par ses cruautés, s'apprêtait aie chasser pour couron-
ner tsarun usurpateurqui se faisait passer pour Dimitri sauvé parmiracle.
Ceci est une tradition. Disons que, d'autre part, le crime attribué a
Boris n'est nullement prouvé historiquement, non plus que sa cruauté.
On croit, au contraire, qu'il rendit son peuple heureux et agit pour le
bien de l'empire.
Quoi qu'iLen soit, le sujet avait été traité par Pouschkine dans le
sens de la tragédie grecque, sans donner à la personnalité de Boris une
il) Arthur PôUGiN : Essai historique sur la musique en Russie.
importance prépondérante, maïs en faisant du peuple russe, à l'imita-
tion du chœur antique, un être collectif impersonnel prenant une part
essentielle à l'action. Son drame, d'ailleurs, n'était pas par lui destiné
à la représentation. En lui empruntant son œuvre. Moussorgsky laissa
au chœur son rôle important, et c'est là certainement l'une des origi-
nalités de Boris Godounow.
D'action proprement dite, suivie et continue, il n'y on a pas dans ce
poème scénique, dont la construction est à peu près nulle. Il n'offre
guère qu'une succession de tableaux, de scènes et d'épisodes servant
de texte et de prétexte à la musique, et que ne relie entre eux aucun
lien solide, aucune apparence de charpente dramatique. Il est facile de
concevoir que l'œuvre primitive n'a pas été conçue en vue du théâtre
et du public. En voici le sommaire :
1" tableau. — La cour du monastère Novo-Diévitchi, où Boris s'est
retiré après l'assassinat du tsarévitch Dimitri. Le peuple estlà, deman-
dant un tsar. Des officiers de police circulent dans la foule, qui gémit
et implore. Mouvement, tumulte, grouillement, cris, exclamations. Un
diacre vient dire que, malgré l'insistance des boyards, Boris refuse le
trône. Désespoir de la foule. Puis passe une procession de pèlerins,
et les paysans s'agenouillent en leur demandant leur bénédiction.
2e tableau (qui devrait être le 3e, mais qui est transposé). — Une
cellule du monastère de Moscou. Un vieux moine, Pimène, sorte de
bénédictin, rédige la chronique de la Russie et enregistre l'histoire. Il
en est à l'assassinat de Dimitri par Boris, et il incite son jeune com-
pagnon, Grégory, à continuer sa tâche lorsqu'il ne sera plus là. Le
vieux Pimène s'éloigne pour aller à la prière, et Grégory, resté seul,
s'écrie :
— Boris ! tu es puissant, tous te craignent, nul n'ose te reprocher
ton crime, et ici, dans cette cellule, seul, un moine te dénonce au
jugement des hommes et de Dieu !
3' tableau. — La grande place du Kremlin, entre les cathédrales de
l'Assomption et des Archanges. C'est le jour du couronnement de
Boris, qui a enfin accepté. Le peuple est là. agenouillé, acclamant le
nouveau tsar. Carillon de grande fête. Pendant que résonne l'hymne
traditionnel de la Slava, le cortège se déroule : les gardes, les enfants
des boyards, les strelzi, un officiai tenant le bâton du tsar, puis les
boyards, les diacres, etc. Enfin parait Boris. Longue acclamation. Mais
Boris est triste. Ses remords l'accablent. 11 se lamente intérieurement
et implore la bénédiction du ciel. Puis, s'adressaut à la foule : « Saluons
les souverains défunts de notre Russie. Après, le peuple aura sa fête.
Tous, du boyard au pauvre mendiant, tous entreront ; tous, le tsar les
invite ». Et la foule reprend ses acclamations et ses chants.
4' tableau. — Un parc du château d'un voïvode à Sandomir, en.
Lithuanie. Celui-ci n'est pas très compréhensible, d'autant que son
inutilité est flagrante et qu'il ne répond à rien de ce qui précède et de
ce qui suit. Nous y voyons seulement qu'il est question d'une conspi -
ration polonaise contre Boris, et que l'un des conjurés, Grégory, est
amoureux de la belle Marina, fille du seigneur de céans, ce qui donne
lieu à un duo d'amour.
.5e Tableau. — Dans un appartement du palais de Boris, où se trou-
vent son fils Féodor et sa fille Xénia. Xénia pleure, parce que son
fiancé est mort. Pour la consoler, sa nourrice lui chante une chanson.
Puis les deux enfants jouent et entraînent la nourrice dans le jeu,
lorsqu'arrive Boris ; Boris caresse sa fille, donne des conseils à son fils,
et bientôt, resté seul, est en proie à une hallucination terrible. Il croit
voir sa victime, le tsarévitch qu'il a fait égorger, il voit sa plaie béante,
il a peur, il invoque le ciel... Soudain arrive un conseiller, Chomsky,
annonçant à Boris qu'une révolte se prépare, fomentée par un usurpa-
teur, qui soulève le peuple en se faisant passer pour Dimitri, le tsaré-
vitch tué par ses ordres. Fureur de Boris.
6e Tableau. — Une clairière dans la forêt de Kroumy. la neige tombe.
Une bande de serfs révoltés, hommes et femmes, amènent un boyard,
messager de Boris, surpris par eux, le bâillonnent et le tourmentent.
Arrive un innocent, pauvre mendiant, auquel les enfants font mille
misères. Puis ce sont deux moines vagabonds, qui excitent la foule à se
joindre à Dimitri, puis deux pères jésuites, chantant un hymne de
l'Eglise latine, et enfin parait Dimitri lui-même, àla tète de ses soldats,
qui invite tous ses partisans à le suivre. Cris, enthousiasme, clameurs,
acclamations, tous escortent le prétendant, qui marche sur Moscou.
L'innocent, resté seul, pleure sur sa patrie : « Larmes, coulez, larmes
amères! Pleure, mon âme endolorie! L'ennemi viendra, et le sang
coulera ! Partout le feu régnera. Oh ! malheur '. Laisse couler tes larmes,
peuple affamé ! »
7e Tableau. — La grande salle du Kremlin. Conseil des boyards, qui
discutent le châtiment à infliger à l'usurpateur, au faux Dimitri. Leur
LE MENESTREL
163
entretien est animé. Arrive Chomsky, qui leur annonce que Boris est
malade, qu'il a des visions terribles, qu'il crie, pleure, et semble vouloir
fuir en vain la vue d'une image qui le poursuit sans cesse, l'image
vengeresse du tsarévitch Dimitri. Boris entre, en effet, pâle, écumant,
le regard terrifié. A la vue des boyards, il se ressaisit un instant, mais
c'est pour retomber bientôt dans ses songes lugubres : « J'étouffe,
s'écrie-t-il ! Grâce! Amenez le tsarévitch! » On court appeler Féoilor,
qui vient se jeter daus les bras de son père. Mais tout est fini. Pris d'un
spasme suprême, Boris chancelle, tombe et meurt épuisé.
Telle est cette pièce singulière, dont l'intérêt est nul. mais qui avait,
pour le public russe, l'avantage de lui rappeler une page obscure et
légendaire de son histoire, et pour le musicien celui de lui permettre
de faire vibrer l'àme slave dans le souvenir toujours cher de ses
.ancêtres.
Moussorgsky en a tiré sans doute tout le parti qu'il en pouvait tirer,
dans la mesure que lui permettait son éducation trop imparfaite. J'ai
dit que son Boris Godounow n'avait point eu de succès à son apparition, et
•que ce n'est que lorsque M. Rimsky-Korsakow y eut mis la main, qu'il
eut apporté de l'ordre dans son désordre, qu'il eut refait l'orchestration,
qu'il eut refait même certaines parties, que l'ouvrage put reparaître à la
scène. Ce n'est pas à dire, assurément, que l'œuvre ait été complète-
ment transformée, mais c'est à dire que pour juger Moussorgsky d'après
elle, il en faut considérer le fond plutôt que la forme. A ne la prendre
que de cette façon, on en peut citer certaines pages qui font honneur â
l'auteur. Au premier tableau, toute la scène populaire, qui est vivante
et animée, avec des chœurs, dont l'harmonie, qui rappelle les anciens
modes grecs, produit un heureux effet: au second, le long monologue
du moine Pimène, qui est bien venu et d'un bon sentiment, avec son
système obstiné dans l'accompagnement; au troisième, l'épisode du cor-
tège impérial et du couronnement du tsar, avec les cris de la foule, le
chaut de l'hymne, le bruit des cloches, etc.; Moussorgsky avait évidem-
ment le sens du mouvement, comme il l'a prouvé encore plus loin, à la
scène de la révolte dans la forêt. A signaler aussi la curieuse chanson de
la nourrice au cinquième tableau, que je crois empruntée â un rythme
populaire, mais qui est bien mise en œuvre. Il y a un certain sentiment
dramatique, sans plus, dans l'épisode de la vision de Boris, et quant au
duo d'amour du quatrième tableau, il ne sort guère de la banalité. Ce
qui est à remarquer, dans la partition de Boris Godounow, c'est l'accent,
•c'est la couleur générale : la est sa vraie originalité. Quant à l'orchestre,
qui n'est pas symphonique. mais qui est ce qu'il doit être, ce qui est
excellent, si j'en parle, c'est pour complimenter M. Rimsky-Korsakow,
car qui connaît Moussorgsky sait bien qu'il était incapable de l'écrire
ainsi.
Nous sommes donc, comme je l'ai dit en commençant, en présence
d'une œuvre intéressante, mais dont il ne faut pas exagérer la portée,
et à propos de laquelle il ne faut pas, surtout, crier au chef-d'œuvre,
comme quelques-uns s'efforcent de le faire. Accordons-lui la place
qu'elle mérite et qui est honorable, sans chercher à nous tromper nous-
mêmes.
Ce qui est bien intéressant aussi, c'est le spectacle délicieux que nous
a offert cette représentation de Boris Godounow, chantée en russe devant
un public français. L'interprétation est excellente. Il faut d'abord tirer
de pair M. Chaliapine, grand chanteur, grand comédien, pour tout
dire grand artiste dans ce rôle de Boris, qui réclame tant de qualités.
il. Kastorsky, excellent dans celui du moine Pimène : M. Smirnow, très
chaleureux dans celui du faux Dimitri : Mme Ermolenko. charmante en
Marina, et M""-' Petienko. absolument parfaite en nourrice. Je ne puis
que citer leurs compagnons, en distribuant à tous les éloges qu'ils mé-
ritent pour leur soin, leur zèle et leur talent : MM. Charonow (Varlaam).
Altchewsicy (Chomsky), Chouprinikow d'Innocent), et Mmes Touga-
rinova (Féodor). etDagmara Renine iNenia). Chœurs excellents et pleins
d'entrain. Direction superbe de la part de M. Félix Blumenfeld, chef
d'orchestre de l'Opéra-Impérial de Saint-Pétersbourg. Les décors sont
très curieux. Mais ce qui est surtout curieux, ce qui est intéressant, ce
qui mérite l'éloge le plus complet, c'est la mise en scène. Dans cette
pièce où la foule joue un si grand rôle, cette foule est vivante, grouil-
lante, animée, pleine de mouvement, prenant vraiment part à l'action,
toujours agissante, sans jamais un moment de trouble ou de confusion.
C'est parfait, et ce spectacle est plein d'intérêt. Nous aurions, si nous
voulions en prendre la peine, quelques leçons à prendre de ce côté.
Arthur Pougin.
Le Clown, à l'Opéra-Comicpie.
On se rappelle le bruit qui courut naguère que Meyerbeer, pour en-
gager Yéron, alors directeur de l'Opéra, à monter Robert le Diable, s'était
engagé lui-même a faire les frais de l'orgue nécessaire a l'exécution de
l'ouvrage. Il fit démentir le bruit, qui était assurément faux. M. de Ca-
mando, qui est puissamment riche, comme Meyerbeer, et qui fait aussi
de la musique, pas la même, n'a pas fait démentir, il y a deux ans,
qu'il avait dépensé trois ou quatre cent mille francs pour s'offrir le luxe
de donner au Nouveau-Théâtre i aujourd'hui Théâtre-Réjane) trois re-
présentations du Glown au bénéfice de la Société des an
dont il est un des membres les plus influents et les mieux cotés. C'étai
un beau geste, et plein d'élégance. Le fait est que l'auteur lu < /,,„„, qln
s'était déjà produit devant le public dans uu concert où un excellent or-
chestre, dirigé par M. Camille Chevillard, avait tait entendre plusieurs
de ses compositions, avait, pour cette nouvelle et plus importante ten-
tative, fait choix d'une interprétation di primo carlello, <\ui réunissait les
noms de MM. Rousselîére. Renaud, Delmas. joints à ceux de M"'' Gé-
raldine Farrar, Mérentié et Margyl.
M. de Camondo, qui a véritablement la passion de la musique et qui
s'est astreint à des études suivies, est, me dit-on. élève de M. Gaston
Salvayre, avec qui il a travaillé activement pendant plusieurs années.
Lorsque, après s'être essayé dans divers genres, il eut l'idée de s'alta-
qaer au théâtre, il s'adressa à son ami Capoul en lui demandant de lui
construire uu livret d'opéra. Capoul, qui. lui, depuis qu'il ne chante
plus,"n'en a pas moins conservé la passion du théâtre, répondit a son
désir et lui fabriqua le livret du Clown, qui n'a rien de bien neuf et qui n'est
guère autre chose qu'un fait-divers mis en action, un de ces faits-divers
comme nous en trouvons le récit chaque matin dans les journaux, agré-
menté de titres et de sous-titres destinés à donner le frisson au lecteur.
Cela rentre dans la catégorie des Cavalleria Ruslicana et des Paillasse,
avec la note du vérisme italien, mais cela a surtout le défaut d'être trop
long. Au lieu de deux actes trop développés pour une action qui n'en
offre guère, il eût fallu se contenter de deux tableaux brefs et rapides,
dont précisément la rapidité aurait augmenté la puissance. En peu de
mots, voici le sujet.
Nous sommes à la fête de Neuilly, devant le cirque de M. Barbazan,
dont nous voyons les principaux sujets. C'est, avec M. et Mme Barbazan.
dont le rôle est assez effacé, la gentille Zéphirine, le clown Maxim,
l'étoile de la troupe, et l'ignoble pitre Auguste, qui, dans la vie privée,
est beaucoup moins gai que Boum-Boum. Maxim est amoureux de
Zéphirine, qui d'abord le fait poser, et qui semble prendre plaisir ensuite
à se laisser aimer, ce qui n'est pas du goût d'Auguste, lequel en tient
lui-même pour Zéphirine, et semble méditer un mauvais coup. Le pre-
mier acte se termine avec fracas, sur le boniment du Cirque, l'aunonce
bruyante de la représentation, l'appel véhément aux spectateurs, les
cris, les danses, l'orchestre, la grosse caisse, l'entrée et la bousculade
de la foule, etc. C'est le réalisme scénique tel que nous le connaissons
de longue date.
Au second, nous nous trouvons dans l'intérieur même du Cirque.
c'est-à-dire dans « les loges des artistes » . Le spectacle a commente
(Capoul a respecté les trois unités classiques de temps, de lieu et
d'action i, et tandis qu'il suit son train, nous voyons Maxim qui vient
faire sa cour à Zéphirine et batifoler avec elle. Auguste, qui les guette
sournoisement et que la jalousie ronge, est furieux, et son exaspération
est au comble lorsqu'il voit les deux amants s'embrasser tendrement. Il
disparait alors, et l'on sent qu'il va commettre une infamie. Bientôt, le
tour vient pour Maxim de se présenter devant le publie. Ou entend
les applaudissements, les bravos de la foule qui admire sa souplesse et
son agilité: on crie, on trépigne, les acclamations redoublent... puis
un immense cri d'horreur se fait entendre, et des exclamations de pitié,
et l'on sent que cette foule, tout à l'heure joyeuse et admirative, est
remplie d'angoisse... Que s'est-il donc passé ? L'infâme Auguste, pour
se venger de. Maxim, a scié le tremplin sur lequel, dans ses exercices.
Maxim doit rebondir, et le malheureux, en tombant, s'est brisé les
reins. Et voici qu'on rapporte le pauvre clown, ensanglanté, qui, après
une longue agonie i trop longue), vient mourir dans les bras de celle
qu'il aime.
• Mon Dieu, à tout prendre, ce scénario ne vaut ni plus ni moins que
tant d'autres que nous avons vu passer devant nos yeux. Banal, sans
doute, mais pas maladroit en somme; seulement, je l'ai dit. trop déve-
loppé, parce que dépourvu d'incidents, de telle sorte qu'au milieu de
longueurs inutiles, l'intérêt qu'il peut inspirer s'émousse et disparait.
Que dire de la musique de M. de Camondo ? Musique d'amateur
assez instruit assurément, sans trop d'originalité ni de personnalité (ce
qu'on ne saurait exiger d'ailleurs de la part d'un débutant), mais
paraissant déjà connaître jusqu'à un certain point les ressources d'un
métier encore nouveau pour lui. De nouveauté dans l'accent, dans le
dessin mélodique, il faut bien déclarer qu'il n'y en a aucune. Cette
remarque faite, ou doit reconnaître crue cette partition du Clown se
164
LE MÉNESTREL
tient passablement sur ses jambes, qu'elle est assez bien comprise dans
son ensemble, et que l'entente même de l'orchestre, pour un peu lourd
qu'il soit, n'est pas moins sans un semblant d'habileté.
Ici encore, comme naguère au Nouveau-Théâtre, l'interprétation est
de premier ordre. On y retrouve d'abord MIle Géraldine Farrar, déjà
familière avec sou rôle de Zéphirine. qu'elle joue et chante d'une façon
délicieuse, en y déployant toutes les ressources de sa jolie voix argen-
tine, dont le timbre est si séduisant. C'est M. Salignac qui personnifie
le Clown, et il s'y montre aussi remarquable comme chauteur que
comme comédien. Il a rendu surtout la scène de la mort du pauvre
saltimbanque en véritable artiste. Quant à M. Pèrier, il a fait un type
étonnant de l'ignoble Auguste, le pitre amoureux et criminel. A M. Fu-
gère, à M,les Thévenet et Bailac, sont échus des rôles de comparses
qui ne sont pas à la hauteur de leur talent.
Arthur Pougin.
Gymnase. — Jeunesse, comédie en 3 actes, de M. André Picard.
Le Gymnase vient de prendre à l'Odéon Jeunesse, la charmante
comédie de M. André Picard qui futjouée, par delà la Seine, endécembre
1905 et y obtint un fort joli succès. Et il n'y a pas de raison pour que
ce succès ne se retrouve au boulevard Montmartre, d'autant que
Mme Marthe Régnier, la si adorable Mauricette, et M. Tarride, le remar-
quable Dautran, ont repris les rôles qu'ils avaient crées. A coté d'eux.
M. Henry Burguet s'est affirmé comédien sûr de lui et d'allure toute
personnelle, et M"e Fériel a déployé énormément de charme, de dou-
ceur et d'émotion discrète. Vous pensez bien que, eu trois années à
peine, la pièce n'a pu perdre aucune de ses qualités de facture, de
précision et de sentiment : le recul permet même de mieux apprécier
toutes ces qualités, agréablement réunies surtout dans le premier acte,
un des plus heureusement venus qui soit.
P.-É. C.
LA MUSIQUE DE GLUCK
CORRESPONDANCE
Mon cher Ueugel,
Je lis, dans le Ménestrel, cette phrase :
« Gluck est large, pompeux et solennel ; il donne l'idée de la tragédie
» antique, tandis que Rameau est mouvementé, tourmenté, plein de
» vigueur et d'action... »
Laisser passer cela sans protester là contre est au-dessus de mes
forces; et le signataire de l'article me pardonnera, car ma critique
passe par-dessus sa tète sans l'atteindre: il n'a fait que traduire, en la
condensant, l'opinion de la presque totalité du public.
Depuis quelques années, avec les meilleures intentions du monde, par
suite de l'oubli des traditions, d'une interprétation inexacte des indica-
tions de l'auteur, on nous a donné des œuvres de Gluck une idée si
différente de leur nature véritable, que le public, en les admirant de
confiance, n'admire que l'ombre des chefs-d'œuvre qu'il croit connaître.
Gluck n'est ni large, ni pompeux, ni solennel; Gluck, c'est la vie.
c'est la passion, c'est le sentiment dramatique dans ce qu'il a de plus
intense.
A-t-il voulu reproduire la iragédie antique ? mais la tragédie antique,
c'est l'Orestie, c'est OEdipe Roi. Il me semble qu'il aurait eu plutôt pour
objectif la tragédie Cornélienne et Racinienne. Celle-ci a passé pour
ennuyeuse, dans un temps où de plats imitateurs l'avaient discréditée,
et lorsque des exécutions misérables la trahissaient indignement; lors-
que dans Andromaque, par exemple, le seul rôle d'Hermione était bien
rendu. Il n'en est plus ainsi depuis que M. Claretie, Mme Sarah
Bernhardt, nous ont fait voir des tragédies jouées d'ensemble dont tous
les rôles sont interprétés comme il convient; et quand on parle main-
tenant du Cid, de Phèdre, de Britannicus, il n'est plus question de
solennité ni d'ennui.
Il ne devrait pas en être question davantage quand il s'agit de Gluck.
Mais quoi ! alors que d'ordinaire on intlige aux œuvres musicales du
passé des mouvements trop précipités, inconnus dans le temps où ces
œuvres furent écrites, dés que l'on s'attaque aux opéras de Gluck,
c'est tout le contraire; on croit devoir procéder avec une majestueuse
lenteur; et ces pages brûlantes s'éteignent sous un manteau de glace.
Pour citer un exemple au hasard, l'air de Thoas : De noirs pressenti-
ments..., le morceau le plus fiévreux qui se puisse imaginer, dont la
fièvre confine ;i la démence, est toujours exécuté largement et solennel-
lement, contrairement aux intentions de l'auteur.
Comment savez-vous tout cela, me dira-t-on? Vous n'avez pas connu
Gluck. Non, mais j'ai beaucoup connu Berlioz, et Berlioz, dans sa pre-
mière jeunesse, avait vu représenter à l'Opéra les ouvrages de Gluck,
encore au répertoire, alors que les traditions n'étaient pas perdues,
alors que la « diction large », qui a tué le récitatif, n'était pas encore
inventée; il avait de ces représentations un souvenir très précis, et ce
souvenir, je puis l'affirmer, n'était nullement celui de la largeur et de
la solennité.
Nul auteur lyrique plus que Gluck ne fut jamais plus mouvementé,
plus tourmenté, plus plein de vigueur et d'action. Ce n'est pas sa faute
si les œuvres qu'on nous présente sous son nom sont dépourvues de
vigueur et de mouvement.
Et pourtant ces œuvres, ainsi présentées, ont un grand succès. Cela
tient à ce que des œuvres du génie, même mutilées, de la beauté se
dégage toujours; cela tient aussi à ce que ces exécutions erronées sont
confiées à d'admirables artistes. Mais combien ces artistes seraient
plus admirables encore, si on ne les égarait pas sur de fausses pistes,
en attachant à leurs cothurnes des semelles de plomb !
C. Saint-Saëns.
LA MUSIQUE ET LE THEATRE
»vi-:x. Salons cLu. Grancl-Falai!
(Sixième article)
Le temps est un grand justicier, mais" les réparations qu'il apporte
ne sont pas toujours exemptes d'ironie. Quand Baudelaire proclama
l'intime fraternité des beaux-arts et posa la loi des parfums, des cou-
leurs, des sons, distincts pour le vulgaire, en réalité confondus dans
toutes les manifestations esthétiques « comme de longs échos qui de
loin se répondent », cette théorie qui plus tard devait prendre force de
dogme fut violemment contestée par les peintres tandis que les musi-
ciens gardaient une neutralité plutôt bienveillante. Les protestations
les plus indignées éclatèrent dans le « sein » académique de la Société
du Salon annuel, vestale des traditions. Or, aujourd'hui vous trouverez
au Grand-Palais une vingtaine de toiles de dimensions considérables
appartenant à la peinture décorative et exposées sous les auspices de
la même vénérable association des Artistes français. Pas une qui n'ap-
plique le principe baudelairien des correspondances artistiques pour
donner un sens et un but au développement pictural : c'est le monde
des sons, évoqué dans la Musique, de M. Jean-Paul Laurens, et le Sens
de l'ouïe, de M. Moreau-Néret ; ce sont les odeurs, dans les Parfums du
soir, de M. Henri-Eugène Delacroix, le Pare, de M. Quost, le Prin-
temps, de M. Paul-Albert Laurens, les forces mystérieuses de l'univers,
dans le Magnétisme et l'Astronomie, de M110 Dufau... Et Baudelaire ne
triomphe pas seul. Visiblement notre peinture académique veut se
retremper aux sources Lamartiniennes ; elle a pris pour devise une
strophe des Méditations :
Car la nature est là qui t'appelle et qui t'aime :
Plonge- toi dans le sein qu'elle t'ouvre toujours...
Quand tout change pour toi, la nature est la même.
La nature était la même il y a quarante ans. mais les peintres « de
style » s'y plongeaient moins volontiers. Aujourd'hui ils y font la
pleine-eau. M. Jean-Paul Laurens. artiste digne de tous les respects,
développe, épanouit, extravase sa maîtrise dans le monde des sons,
comme je le disais tout à l'heure. La Musique est une vaste toile qu'en-
cadreront des architectures, car elle est destinée à la décoration du
théâtre de Castres où le peintre Toulousain a déjà mis toutes ses com-
plaisances : et en effet, comme pour le tableau de M. Edouard Détaille,
un entourage austère justifiera seul ce parti pris de tons neutres et de
teintes plates.
Un Beethoven titanesque, changé en ogre aux bottes de sept
lieues par ses proportions qui. au Salon, paraissent démesurées, rêve
sur son piédestal. Autour du géant s'enroule la farandole lyrique des
héros, des Muses, des allégories aux longs voiles flottants, la Vie, la
Mort, la Gloire, la Détresse, la Liberté, l'Amour. l'Espérance, espacés ■
depuis le socle du piédestal jusqu'à l'azur du ciel sur la ligne zig-
zagante d'une spirale sans fin. Ce mirage, qui effleure les genoux du
sublime pensieroso musical, est la zone supérieure, traitée en grisaille.
Au premier plan, et dans le bas du tableau, l'orchestre de la vieille
Société du Conservatoire, en costumes Restauration, redingotes à cols
de velours, épaisses cravates blanches, conduit par un kapellmeister
qui semble un portrait décroché du musée de la rue Sainte-Cécile, exé-
LE MÉNESTREL
165
cute la Neuvième Symphonie dontla ral'ale passe sur toutes ces échines
courbées. Il y arlà des dos admirables d'instrumentistes, des dos qui
vivent, qui respirent, qui jouent! et si l'ensemble accuse quelque
froideur dans le cadre très médiocre de la petite salle du Grand-Palais
où l'on a juché l'œuvre, il prendra sans doute à Castres sa vitalité
intense d'évocation lyrique.
C'est pour la mairie du dixième arrondissement, située en bordure
d'un des plus bruyants faubourgs de Paris, que M. Adrien Moreau-
Néret a peint sa grande toile'décorative du Sens de l'ouïe, composée avec
délicatesse, malheureusement peu équilibrée. Du moins ce concert
italien, cet hémicycle de marbre, cette vasque où s'éventaillent des
paons donneront-ils l'illusion de reposantes harmonies aux adminis-
trés du quartier Saint-Lazare assourdis par le tumulte des autos et des
camions. Le même immeuble municipal hospitalisera le panneau déco-
ratif de M. Henry-Eugène Delacroix étiquelé Parfums du soir : trois
femmes nues cueillant des fleurs dans une ambiance vraiment printa-
nière, couleur d'aubépine fleurie. M. Quost évoque aussi avec une
remarquable virtuosité, car c'est un très beau peintre de fleurs, la déco-
ration chatoyante du parc de Saint-Cloud où se fondent dans la même
harmonie la pourpre des géraniums, les tons ardents des roses tré-
mières et les taches multicolores de la foule en habits de fête. Même
légèreté aérienne avec de bons détails de nature morte dans les Fleurs,
de M. Mengin, pour la salle à manger du préfet de la Haute-Vienne
(l'Etat comble ses fonctionnaires !). Mais le plus délicieux Printemps est
celui de M. Paul-Albert Laurens, un des représentants de la filiation
du grand dynasto : paysage gaimeut décoratif, arbres d'un vert naissant,
rivière bleue, une mère qui dort avec son enfant, une baigneuse dont
les chairs tendres gardent encore le frisson de l'eau, un jeune père qui
enseigne à son fils l'art de moduler sur la flûte â sept trous. Un parfum
subtil émane de ce néo-Puvis de Chavannes aux proportions réduites.
L'humanité y goûte le bonheur de vivre avec la candeur de l'âge d'or.
Il y a au contraire de la rêverie purement cérébrale dans le panneau
décoratif que M. Henri Martin destine à la Sorbonne : l'Étude, une de
ces visions que le maitre idéaliste aime à encadrer dans les bordures de
pierre, sous les arbres à feuillages transparents d'uue sorte de jardin
d'Académus où une stèle porte la statuette de Minerve armée en guerre
' — sans doute contre les profanes — mais où déambulent des prome-
neurs en jaquettes et vestons et où M. Anatole France prêche la bonne
parole. Il s'adresse à un groupe d'auditeurs parmi lesquels, sans trop
serrer la ressemblance, on reconnaîtrait plus d'un type familier; il
parle avec douceur et continuité; les disciples lui prêtent une attention
recueillie. L'ensemble, harmonieux et que relèvent de jolies trouvailles
impressionnistes, serait tout à fait inattaquable si M. Henri Martin
n'exagérait le parti pris du tachisme lumineux au point de barbouiller
les costumes de ses péripatéticiens néo-style.
Notre Platon du vingtième siècle parait s'être frotté à un treillage
fraîchement peint, et ses fidèles ont quitté, pour venir l'entendre, des
bancs traîtreusement enduits de jaune et de vert. Les personnages,
disposés à droite et à gauche, jeune homme qui songe un livre à la
main, autre liseur étendu sur l'herbe, trio de causeurs assis, ont été
moins éprouvés par ces jeux de la philosophie et de la peinture fraîche.
Autour d'eux flotte une atmosphère blonde et rosée propice aux son-
geries, quelque chose comme une lueur d'aube où s'épanouiraient des
âmes.
L'action des forces naturelles commence également à préoccuper les
peintres. Elle a inspiré ;i M11'- Dufau un symbole et même — car il
s'agit d'un double panneau, commandé par M. Henry Marcel, pendant
son trop court passage à la direction des Beaux-Arts, et destiné à une
galerie de la Sorbonne qui porte le nom pompeux mais obscur de salle
des Autorités — deux symboles. L'un est intitulé: Astronomie, Mathéma-
tiques ; légende : « L'échange égal de forces opposées crée l'équilibre et
le rythme infini. » L'autre, étiqueté Radio-activité, Magnétisme, comporte
ces deux lignes de commentaire: «Toutes les forces radiantes unissent
pour l'éternelle activité la matière pondérable et l'impondérable. »
Mlle Dufau s'attaquait à des thèmes singulièrement abstraits. Elle
leur a prêté une forme concrète en les apparentant, sans rien abdiquer
d'une personnalité originale et intéressante entre toutes, aux nobles
modèles de symbolique plasticité qu'offrent les grands ensembles dé-
coratifs de M. Albert Besnard (exécutés pour la même Sorbonne et pour
l'Hôtel de Ville). Rien n'y subsiste des poncifs de l'ancienne allégorie.
Ici un homme et une jeune femme marquent un rythme de danse en
mouvement giratoire, les mains dans les mains ; deux figures nues,
d'un galbe délicieux, dont l'une sonne sur un triangle la brève cadence
de l'équilibre balancé issu de l'échange des forces contraires, soulignent
la mesure du geste et de la voix. Le paysage est paradisiaque : ciel de
saphir que diamantent les étoiles, eaux dormantes, arbustes où mon-
tent des lianes fleuries. Là, les forces magnétiques, représentées par les
éléments qui s'étreignent dans le ciel sous la forme de visions colossales,
se répercutent sur la terre en ferveur passionnelle: car scientifique-
ment l'Amour qui perpétue la race n'est qu'un afflux magnétique, le
rayonnement de la substance universelle sous la forme tangible et sous
l'impondérable.
La voûte d'un arc-en-ciel traversant la nue abrite un couple Adami-
que en marche vers la forêt profonde au pas de deux blancs coursiers :
« Si tu veux faisons un rêve — montons sur deux palefrois... » Seule-
ment ce n'est pas l'oiseau qui chante au fond des bois comme dans les
strophes idylliques de Victor Hugo ; on entend la voix impérieuse et
tyrannique du génie de l'espèce. M. Eugène Chigot salue plus simple-
ment la nature bienfaisante dans son triptyque (c'est le second que
nous rencontrons, ce ne sera pas le dernier; du Retour à ta vie par la
mer et les cluimps destiné à un sanatorium. On pourrait supprimer sans
inconvénient un des trois volets, celui qui représente le défilé des
clients à la porte de la clinique; la souffrance des « petits », étant,
comme on l'a dit avec raison, une des anomalies les plus extraordinaires
de l'ordre providentiel, est aussi un des plus déprimants spectacles :
mais le panneau où les enfants guéris jouent parmi les fleurs et les
légumes dans un verger de Picardie et la page centrale où ils se deta-
chent en vigueur, soit dit sans métaphore, sur le sable jaune et le ciel
rosé d'une plage normande, sont d'un sentiment très délicat.
Symboliste comme les peintres dont je viens de signaler les envois,
mais d'une façon inopportune et malavisée, M. Louis Béroud, l'auteur
d'une toile immense accrochée dans la grande galerie au-dessus de la
porte d'entrée : la Ruée. Pourquoi s'applique-t-il aussi frénétiquement
à compromettre sa maîtrise de nature-mortier affirmée une fois de plus
dans le même dépotoir par le délicieux petit quadre de la Salle Van Dyck
en trompe-l'œil ? Chaque année M. Béroud dérange bon gré, malgré,
déloge de leurs bordures, sous les prétextes les plus variés et généra-
lement les plus obscurs, des personnages considérables de notre musée
de Louvre. Il réveille la Joconde. il arrache à leurs lits d'herbes ma-
rines les Néréides et les Tritons de Rubens, il décadre les Madones et
les Saint-George, il mobilise les figurants des noces de Cana. Au-
jourd'hui c'est dans la galerie d'Apollon, dont la porte aux délicates
ferronneries cède sous la poussée d'une étrange jacquerie, qu'il lance le
peuple des arrivistes assoiffés de gloire ou de richesse à l'assaut d'une
énorme dondon allégorisant la Fortune. Ils ont appliqué des échelles
au piédestal de la déesse ; ils lui grimpent aux jambes. Et ce serait
attendrissant à force de puérilité si ce gaspillage de talent n'était démo-
ralisant pour les jeunes.
Comme Mlle Dufau. M. Paul Steck croit à l'intime union de l'Art et
de la Science. Il n'imagine pas que ceci doive tuer cela. Son plafond
destiné à la salle des mariages de l'Hôtel de Ville de Saint-Brieuc nous
montre une Science qui n'a rien de rébarbatif dans son ambiance d'un
vert bleuté et s'entendra fort bien, au point de vue esthétique, avec la
Fraternité également commandée par l'État. M. Zwiller est beaucoup
moins rassuré. Le maître alsacien groupe dans son ingénieuse compo-
sition des Arts vaincus par la Science des Muses à la Henner,d'un dessin
élégant, d'une chair nacrée, que terrifie le passage d'un dirigeable.
M. Santos-Dumont, chevauchant l'aéroplane, outrage Diane comme un
autre Actéon et elle lance dans la profondeur du firmament des flèches
impuissantes. Quant à ses compagnes, ce cigare géant — qui ne sera
jamais fumé — leur présage des catastrophes. Elles voient l'humanité
en marche vers un idéal de laideur ; elles se sentent inutiles sur la
terre à l'approche des temps
Où le globe rasé, sans barbe ni cheveux,
Comme un gros potiron roulera dans les deux.
Et dans un coin du tableau la Statuaire, inconsolable, mêle ses pleurs
à ceux de l'Architecture, non moins déprimée. Excusons-les d'ailleurs,
car elles sont élégantes, stylisées, convaincues — et bien peintes.
Il y a de grandes et belles qualités de dessin, des lignes souples, un
idéal sobrement académique, une méritoire sobriété de groupement
dans les deux immenses toiles allégoriques peintes par M. Raphaël
Collin pour la salle des fêtes de la préfecture de Limoges. Mais pour-
quoi les a-t-il accommodées à la sauce crevette? Cette tonalité de potage
bisque très étendu affadit particulièrement les deux superbes personnes
qui tiennent, celle-ci l'écusson de la ville, celle-là les tables de la Loi.
Un parti pris' du même genre, mais plus violent — plus légitime aussi
en raison du sujet — ensanglante de lueurs pourprées l'Aurore, de
M. Darrien, plafond commandé par le Conseil général de la Seine et
qui d'ailleurs ne manque pas d'intérêt romantique.
Le Chant du soir, de M. Ferdinand David (pour le théâtre d'Agen).
est harmonieusement composé. On trouvera une fastueuse entente des
effets décoratifs, une véritable prodigalité de belles étoffes et de ma-
166
LE MÉNESTREL
tières riches dans la Fontaine de Jouvence, de M. Paul Gervais, un motif
conforme aux exigences des ouvriers d'art de notre manufacture natio-
nale dans les Arts du feu du Limousin, panneau de M. Tapissier, poul-
ies Gobelins. Autre sujet qui pourrait être lyriquement développé,
l'Heure du soir, de M. Emile Noirot :
La Terre
Yers le Soleil, ainsi qu'un fabuleux trésor.
Hausse ses monts altiers chargés de neige et d'or.
Un grandissement de cette page poétique varierait d'une façon heu-
reuse l'album un peu usagé de nos toiles de fond théâtrales. On devrait
y joindre les nobles lignes des Ruines du théâtre grec de Taormine, que
M. Dupain étage sur la pente de l'Etna, et, dans une note plus violem-
ment tragique, le Brame de la mer, de M. Alexis de Hanzen, triptyque
où s'évoque toute l'existence de cette créature animée qu'est une carène :
le départ à pleines voiles, l'effort suprême au milieu de la tourmente,
le squelette de l'épave.
L'allégorie politique — et même internationale — est représentée au
Salon par la Pologne, de M. Alfred Plauzeau : « dévorée par les « trois
aigles », et ses enfants expropriés, la Pologne reste immortelle ».
Un Prométhée féminin dont trois becs aiguisés déchirent le flanc, des
chariots qui s'éloignent portant de mornes émigrants, tel est le tableau,
évidemment convaincu, mais dont la sincérité aurait eu besoin d'être
relevée par une exécution plus personnelle. Ce spécimen reste isolé. De
même la décoration fantastique n'est représentée que par deux envois,
d'ailleurs intéressants. Le Rêve de beauté, du peintre anglais Joy, réunit
la belle Hélène. Iphigénie, Cléopàtre. la fille de Jephté et Rosemonde,
dans le bois enchanté de Tennyson (qui pourrait être aussi un des
mobiles décors du second Faust). M. Edgard Maxence, dont l'art se
rattache à celui des primitifs, fait surgir une figure symbolique d'Égi-
pan, aux yeux moqueurs, aux lèvres rouges et cruelles parmi les fron-
daisons folles et les lianes d'un parc abandonné.
(A suivre* Camille Le Senne.
NOTRE SUPPLEMENT MUSICAL
(pour les seuls abouties a la musique)
M. Périlhou excelle dans ces petites transcriptions de morceaux classiques pour
piano, dans le genre de cette Gavotte de Haendel que nous publions aujourd'hui.
Elle était peu connue, bien qu'elle soit charmante, faisant partie d'une suite du
maître pour instruments à cordes bien peu souvent exécutée. Elle va devenir popu-
laire grâce à l'ingénieuse transcription de M. Périlhou.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
On écrit de Rome qu'un compromis a été signé par lequel, à partir du
1er juillet prochain, le théâtre Costanzi de cette ville passerait aux mains d'une
Société dont feront partie la maison Sonzogno et le comte de San Marlino.
Le journal l'Italie dit à ce sujet :
Le prix convenu serait de trois millions, dont un serait payé le 1" juillet, c'est-à-
dire à l'échéance du compromis. Au paiement de ce million contribuerait pour
500.000 francs M. Edouard Sonzogno. et pour 250.000 francs le comte de San Mar-
tino. Les derniers 250.000 francs seraient versés par la Société Italo-Argentine repré-
sentée par M. Walter Mocchi. La participation de la Société Italo-Argentine à
cette combinaison donnerait au Costanzi l'avantage de lui assurer le concours des
plus célèbres chanteurs en vogue, dont on déplore l'exode vers l'étranger, puisque
ladite Société a déjà engagé pour les prochaines saisons d'Amérique quelques-uns
de nos plus fameux artistes à des conditions qu'ils ne pourraient jamais trouver
dans les théâtres italiens. En outre, le Costanzi donnerait de grandioses représenta-
tions préparées par les théâtres de Buenos-Ayres, les spectacles ainsi préparés
là-bas pouvant être transportés à Rome.
Selon le même journal, les nouveaux propriétaires du Costanzi se propose-
raient d'acheter le terrain qui est derrière le théâtre, sur la via "Viminale, ter-
rain qui appartient à M. Sciolle, avocat du théâtre. De ce terrain on profite-
rait pour construire une nouvelle façade monumentale au Costanzi, devant
laquelle on ouvrirait une place ornée déplantes et de fontaines. Naturelle-
ment, toutes ces grandioses nouveautés dépendent de la transformation en
contrat définitif du compromis signé entre les propriétaires actuels du théâtre
et ceux qui leur seraient subtitués.
— M. le comte Malaguzzi-Valeri, inspecteur de la Pinacothèque de Brera à
Milan, a découvert, parait-il, chez un marchand de curiosités, un petit portrait
à l'huile, sur toile, exécuté avec une. rare finesse, et représentant Rossini à
l'âge de vingt-cinq ans environ, en grande toilette : habit noir, chemise ornée
de boutons de perles et saphirs, longue chaîne d'or sur la poitrine, etc. Net-
toyée avec soin, on a trouvé sur le dos de la toile la trace d'une inscription à
la plume qui prouverait que le portrait a été fait à PesarU, ville natale du
maître. Il est précieux en ce qu'il présente Rossini dans la pleine vigueur de
sa jeunesse et explique les succès qu'il rencontrait auprès du monde féminin.
On suppose qu'il fut fait en 1819, quand Rossini, ayant alors un peu plus.de
vingt-cinq ans et ayant écrit déjà, avec tant d'autres œuvres, la Pietra dipara-
gone, l'Italiana in Algeri, le Barbier de Séville, passa par Pesaro, où il reçut,
avec l'hospitalité de la famille Perticari. un accueil enthousiaste de l'Académie
locale qui lui fit ériger un buste.
— Le conseil communal de Venise a approuvé le projet qui lui a été pré-
senté d'élever une statue à Richard Wagner, au milieu des Jardins publics.
Un comité, composé de Vénitiens et de membres de la colonie allemande,
s'emploie activement à recueillir les fonds nécessaires à l'édification du mo-
nument.
— A l'occasion du cinquantième anniversaire de sa fondation, l'Académie de
chant de Vienne a fait graver une médaille reproduisant les traits de Bach,
d'après le buste que le sculpteur C. Seffner a reconstitué, en se servant -du
crâne qui fut découvert eu 1S94 dans le vieux cimetière de l'église Saint-Jean,
à Leipzig, et dont le Ménestrel a donné plusieurs reproductions. La médaille
sera offerte aux personnes qui ont mérité par quelque service la reconnais-
sance de l'Académie de chant.
— De Budapest ou nous télégraphie que Mme Sigrid Arnoldson a obtenu
dans Manon un véritable triomphe. La brillante cantatrice n'a pas été rappe-
lée moins de dix-huit fois. Après le tableau de Sainl-Sulpice, notamment,
elle a été longuement acclamée.
— Les chefs d'orchestre qui dirigeront à Bayreuth pendant la saison des
fêtes seront cette année MM. Hans Richter, Cari Muck, Michel Balling et
Siegfried Wagner.
— Tandis que d'excellents chanteurs russes nous donnent d'intéressantes
représentations du Boris Godounow de Moussorgsky, une autre troupe russe a
commencé au nouvel Opéra de Berlin une série de représentations, dont la
première a eu lieu mercredi dernier 20 mai. La troupe du théâtre de Saint-
Pétersbourg interprétera, au cours de cette saison, la Vie pour le Czar, de
Glinka, le Démon de Rubinstein, Eugène Onéguine, la Dame de Pique et ilfo-
zeppa de Tschaïkowsky et Dombrowsky du compositeur Naprawnik. Ces œuvres
seront chantées par les chœurs et les pensionnaires de l'Opéra-Impérial de
Saint-Pétersbourg.
— Le ballet du Théâtre-Impérial-Marie, de Saint-Pétersbourg, donnera
les 26 et 27 mai prochain, deux représentations à l'Opéra-Comique de Berlin.
La danseuse principale est M1Ie Paulowa. La troupe se compose de cinq
danseuses-solo, de trois premiers danseurs, de huit danseurs-solo et du corps
de ballet; elle doit se rendre à Prague après son séjour à Berlin. Le directeur
est M. Otto Bolm.
— Le 8 mai dernier, a commencé, dans le magasin d'antiquités artistiques
C.-&. Boerner, â Leipzig, la vente aux enchères des autographes et manuscrit1;
précieux faisant partie de la succession de Joseph Joachim et de celle de Phi-
lippe et Hedwige von Holstein. Les prix atteints dans cette vente n'ont pas été
aussi élevés que l'on aurait pu s'y attendre. Ainsi le manuscrit autographe
complet de la cantate de Bach en sol mineur, « Où dois-je m envoler? » n'a été
poussé que jusqu'à 6.937 francs; celui de la sonate de Beethoven, op. 78, en
fa dièse majeur, que sa dédicace à Thérèse de Brunswick, l'immortelle bien-
aimée, rend particulièrement intéressante, n'a pu obtenir que 6.375 francs. Les
principaux achats out été faits pour des marchands de Vienne et de Berlin.
— Le spectacle de gala qui sera offert le 27 mai au Président de la République
française par le Roi d'Angleterre, à Covent-Garden, se composera du premier
acte "des Pêcheurs de Perles avec Mme Tetrazzini, M. Marcoux chantant le rôle
de Nurabad, du deuxième acte de Faust, avec Mme Melba, et de danses
Louis XV par Mllcs Cerny et Legrand. Les directeurs de Covent-Garden ont
commandé une décoration florale de la salle qui ne coûtera pas moins de
37.300 francs. Des guirlandes de roses coureront tout le long des balcons et le
plafond sera entièrement recouvert de roses. La loge royale, au fond de la
salle, sera tendue de peluche rouge recouverte d'orchidées. En Angleterre, la
Cour n'intervient pas dans les frais des galas qui sont considérables. La direc-
tion les supporte exclusivement, mais elle vend les places au prix qui lui
plaît. C'est ainsi que les loges sont payées 1.040 francs, les fauteuils 183 fr. 75;
le reste est à l'avenant et tout est pris. Aussi, malgré les frais, le bénéfice sera
encore d'environ 80.000 francs.
L'idée de remplacer la statue banale que l'on voulait ériger à Londres en
l'honneur de Shakespeare, à l'occasion du trois-centième anniversaire de sa
mort, par une marque d'hommage d'une signification bien autrement grandiose
qui ne serait rien moins que la construction d'un vaste « théâtre national »,
où l'on jouerait les œuvres du grand dramaturge anglais, vient de donner lieu
à une manifestation imposante. Une réunion des adhérents ayant été annoncée
au Lyceum-Theatre, toutes les places ont été retenues dès l'abord et un
nombre considérable d'orateurs se sont fait inscrire pour prendre la parole. A
la tète du mouvement se trouvent plus de soixantes délégués, six évêques
et des personnes éminentes appartenant à toutes les classes de la société.
L'époque de l'anniversaire n'est d'ailleurs pas encore très proche, car Shakes-
peare mourut à Stratford-sur-Avon le 23 avril 1616.
LE MÉNESTREL
— La danse des millions dans les deux théâtres d'opéra de New-York, le
Métropolitain et le Manhattan. Les journaux américains nous apportent en-
core quelques détails à ce sujet. Le total des frais de la saison s'est élevé à
environ 10 millions, dépassant de t.SOOiOOO francs celui de la saison précé-
dente. De ces 10 millions, six ont été dépensés par le Métropolitain et quatre
par le Manhattan. Ce qui a coûté très cher au Métropolitain sans lui rien rap-
porter, c'est une troupe de chanteurs allemands « commandés » par
MM. Mailler et Hertz, tous très coûteux et dont le produit, disent les journaux,
« a été ténébreux comme les opéras wagnériens interprétés par eux au milieu
du vide désolant du parterre et des galeries. » Le Manhattan, de son coté,
était en déficit de 540.000 francs lorsqu'il s'est relevé, aux premiers jours de
janvier, avec les grands succès de Thaïs et de Louise et l'arrivée de la canta-
trice Luisa Tetrazzini, engagée pour quinze représentations à raison de
13.000 francs par soirée, et dont le succès fut tel qu'on lui demanda cinq
représentations supplémentaires. En réalité, la lutte à coups de dollars des
deux théâtres a été homérique. Le nombre total des représentations données
par eux a été de 256, dont 131 pour le Métropolitain et 123 pour le Manhattan.
Dans ce total, la musique italienne compte 145 représentations, la musique
française 71 (Thaïs, Louise, la Damnation, de Faasl, Pe/léas etUèlisande, les Coules
dllïoffmann), et la musique allemande 40.
— Le directeur d'une Société musicale formée à New- York, il y a un an et
demi, dans le but de faciliter les efforts des compositeurs américains pour la
création d'un art national, a fait publier par les journaux une liste des musi-
ciens les plus en vue de son pays, avec l'indication du genre adopté par cha-
cun d'eux. Voici les noms qui ligurent dans cette liste: MM. Arne Oldberg.
d'Evanston (Illinois), musique de chambre et musique symphonique; Camp-
belle-Tipton, de Chicago, résidant à Paris, auteur de deux grandes sonates et
de beaucoup de chants ou mélodies; John Beach, de Boston, qui a mis en
musique plusieurs poésies du célèbre peintre Dante-Gabriel Rossetti; Arthur
Shepard, de Sait Lake City, compositeur d'œuvres orchestrales et chorales,
de sonates, etc.; Kreider Noble, de Goshen (Indiana), auteur de musique
pour piano; Frederick Ayres, de Colorado Springs, mélodies vocales; Henry
Gilbert, de Boston, œuvres d'orchestre et mélodies ; William Mac Coy. de
San Francisco, auteur d'un opéra, Cleopatra ; Edwin Schneider, également de
San Francisco, sonates pour piano et violon; Chester Ide, de Springûeld (Illi-
nois), musique vocale et instrumentale; Lawrence Gilman, mélodies; Philip
Clap, de Roxbury, symphonies et sonates ; Sidney Homer et Kurt Schindler. de
New-York, mélodies; enfin Edgar Stillmann Kelley, Arthur Anderson et
Henry Hadley, résidant à Berlin, et Cari Engel, de New-York : le genre de
composition de ces derniers n'est pas indiqué.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Un incident s'était produit au jugement du concours préparatoire pour
le prix de Rome, relativement à Mlle Nadia Boulanger, qui, quoique ayant
écrit une fugue instrumentale au lieu d'une fugue vocale, fut néanmoins
admise au concours définitif. Cependant tout n'était pas fini, et l'affaire fut
portée devant l'Académie des beaux-arts elle-même. Celle ci, dans sadernière
séance, a statué sur l'incident et ratifié le jugement du jury. De tout cela il
résulte que l'entrée on loge des six concurrents pour le concours définitif, qui
avait été fixée au 16 mai, a dû être reculée. Elle a eu lieu au palais de
Compiègne seulement le mardi 19.
— La cantate imposée pour le concours du grand prix de Rome (composi-
tion musicale) a pour titre ta Sirène et pour auteurs MM. Eugène Adenis et
Gustave Desvaux. Le jugement définitif est fixé au samedi 4 juillet prochain.
— Au Conservatoire : A la suite des examens semestriels de solfège, ont
été admis aux concours de fin d'année les élèves dont les noms suivent :
SOLFÈGE. — INSTRUMENTISTES
Elèecs hommes.
Classe de M. Rougnon : MM. Poiré, Casadesus (Marins), Sauvaget, Demailly, Vau-
geois, Crout, René, Langevin, Grenaud.
Classe de i[. Schwartz : Mil. Lambert, Mullot André), Bellanger, Crinière, Charon,
Dandelot, Bernard.
Classe de M. Kaiser : MM. Burgunder, Rodet (Charles), Menu,
Classe de M. Cuignache : MM. Girardier, Crégut, Fournier, Siohan, Guittet, Lévy
(Claude), Camus, Morel, Taine Jules), Friscourt, Artière, Dervaux.
Elèves femmes.
Classe de M"' Hardouin : il"" Coller, Gild'ès-Gleizes, Lanta, Paravicini, Maillard.
Classe de il"" Renart : M11" Ducros, Dretz, Gilinski (Bellinie), ûehelly, Durony,
Varhouver, Darnault, Girauld (Marguerite), Gérard.
Cfasse de Mm" Marcou : M"" Vilaret, Longuet, Quincy, Oppenheimer, Sapin, Che-
valier, Giraud (Yvonne), Charvet, Dubois (Marcelle), Claveau, Faigle.
Classe de il-' Roy : M"" Daltrof (Fernande), Daltrof (Germaine), Galli, Pazcry,
Follet, Delorme (Lucette), Halary, Buchet, Ridemale, Guigard, Couras, Malvoisin.
SOLFÈGE. — CHANTEURS
Élèves hommes.
■ Classe de il. Xernaelde : MM. Yillaret, Teissier, Ponzio, Auguste Castel, Chah-
Mouradinn.
Classe de il. Amende : MM. Bellet, Imbert, Pierre Dupré, de Laromignière, Ber-
trand, Collard, Toraille.
Elèves femmes.
Classe de il"" Piffaretli : M"" .G-ustin, Sylla, Jurand, Arné, Gabrielle Demougeot,
Daumas, Gautier, Raveau.
Classe de M™ Vinol : M11- Kobur, Ghantar, Menant, Panis, Duvenray, Amoretti,
Bouruon, Soucbon, Fraisse, Alavoinc, Bcnuard, Vivier-des-Vallons, Cébron-
Xorbens.
Classe de M" Sujpl : M"" Lambresse, Jeanne Lalotte, Louj tte
— Le dernier exercice des élèves du Conservatoire a eu le caractère d'une
séance d'intimité. Le programme comprenait un nombre important de mélo-
dies de Beethoven, Schumann. Schubert, Gounod et Lalo, pour lesquelles
M. Gabriel Fauré a tenu la partie de piano avec la Une et délicate musicalité
qui le distingue. Malheureusement les jeunes partenaires du maitre ne sem-
blaient aucunement se douter de la valeur poétique et musicale des petits
chefs-d'œuvre dont l'interprétation leur avait été confiée : si médiocres que
soient les paroles chantées, il l'an. Irait pourtant ne pas les dire en paraissant
ignorer que les poé.-ies originales sont presque toutes de grande poètes, ù
Roi des aunes, pour lequel M. Alfred Cortot a remplacé au piann M. Gabriel
Fauré, n'est certainement pas connu, autrement que pour la musique, par
l'élève qui l'a chanté; c'est du moins l'impression que nous avons ressentie,
en même temps que beaucoup d'autres auditeurs. Il nous semblait qu'au mo-
ment où tant d'artistes considèrent comme le but de leurs efforts de com-
prendre et d'exprimer la musique aussi intellectuellement que possible, tout
en perfectionnant au plus haut degré la technique, nous pouvions espérer
trouver, dans la manière de chanter des élèves du Conservatoire, une indica-
tion si affaiblie soit-elle de cette tendance. Considérons donc la présence au
piano de M. Fauré et de M. Cortot comme significative sous ce rapport, et
attendons. Ce qui n'a pu être réalisé cette fois viendra peu à peu. La ques-
tion est d'ailleurs plus complexe qu'il ne parait au premier rapport; caria
première condition requise pour pouvoir dire une mélodie sans contresens,
c'est d'avoir un texte s'adaptant bien à la musique, et si c'est possible, litté-
rairement intéressant. Le répertoire vocal ancien, représenté par un duo de
la Passion de Haendel et par l'air de Thésée, Revenez, Amours, revenez, a été.
du reste, beaucoup mieux rendu que les œuvres modernes; cela n'a rien de
surprenant, car le genre de difficulté n'est pas le même chez Lully et Haendel
que chez les compositeurs plus rapprochés de nous; avec les premiers, un
bon style et une émission correcte suffisent à produire l'effet; les seconds
exigent que l'âme entière vibre et se livre et, de plus, la pose de la voix y est
beaucoup moins facile. Quoi qu'il en soit, nous pouvons louer MIlM Raveau.
Cébron-Norbens, Daumas, MM. Coulomb et Collard qui ont fait preuve de
sérieuses qualités. Trois chœurs à quatre voix mixtes, du seizième siècle, par
Eustache du Caurroy, Claude Le Jeune et Passereau, permettent de citer
avec éloge l'ensemble vocal du Conservatoire, que M. Bùsser a dirigé avec
autorité. La partie instrumentale du programme comprenait la symphonie en
ré majeur de Mozart, n° 385 du catalogue de Kcechel, les Phan/usieslûcke pour
piano, violon et violoncelle, de Schumann. le quatuor, op. 76 de Havdn. un trio
pour deux violons et violoncelle de Ph.-Em. Bach et l'Andante du quintette
en mi bémol de Beethoven pour piano, flûte, hautbois, cor et basson. Tous ces
morceaux ont été mis en valeur par des instrumentistes déjà très maitres de
leur art et qui font grand honneur à l'institution qui les a formés. Pour finir.
M. Marcel Dupré a exécuté brillamment un concerto pour orgue et orchestre
de Haendel. Amédée Boutarel.
— A l'Opéra, Boris Godounow et Thaïs alternent sur l'affiche avec un pareil
éclat et devant des salles enthousiastes. Malgré cela, on commence à s'occu-
per i'Hamlet, avec la même belle interprétation que celle de Thaïs : Mary
Garden et Renaud. Encore de chaudes soirées en perspective.
— A l'Opéra-Comique on a dû donner hier vendredi la première représen-
tation de Snegowotchka. Force nous est donc de renvoyer à samedi prochain
le compte rendu de notre collaborateur Arthur Pougin. Signalons, à titre
documentaire, qu'à ce théâtre, la 600e représentation de Manon fut donnée
mercredi dernier. — Spectacles de dimanche : en matinée (à prix réduits!
Carmen; le soir Cavalleria ruslicana et la Vie de Bohème. Lundi, représentation
ordinaire : Snegowotchka.
— M. Hammerstein a quitté Paris lundi dernier pour se rendre à Londres
d'où il s'embarquera pour l'Amérique. Avant de regagner New- York, le très
actif manager du Manhattan-Opera, ira à Philadelphie jeter un coup d'œil
sur les travaux de son nouvel Opéra qu'il inaugurera la prochaine saison et
dont les fondations et toute la charpente en fer sont déjà terminées. Avant de
quitter Paris, M. Hammerstein asigné les engagements nouveaux de M.Yieuille.
de l'Opéra-Comique. de M. Vallès, un ténor qui se fit applaudir à Marseille,
de Mlle Lespinasse, qui eut de grands succès à Genève, et de M11'' Maria Lahia.
qui est l'étoile de l'Opéra-Comique, de M. Hans Gregor à Berlin. Il s'est aussi
assuré le concours de M"" Odette Valéry, car il a l'intention de donner des
pantomimes au lieu et place des ballets, pour accompagner les opéras de petite
durée. Comme nouveautés. M. Hammerstein compte monter la saison pro-
chaine le Jongleur de Notre-Dame. Grisëlidis et Cendrillon de Masssnet, Princesse
d'Auberge de Jan Blockx, Salomé de Richard Strauss et Monna Vanna de Henxv
Février. Il reprendra, bien entendu. Thaïs, Louise et Pelléas et Mélisande qui
furent ses grands succès de l'année dernière. Ajoutons enfin que Mme Melba
lui a promis dix représentations.
— L'assemblée générale des auteurs dramatiques s'est fort bien passée sans
aucun des gros orages qu'on avait annoncés. M. de Caillavet y lut un rapport
substantiel où bien des questions intéressantes étaient abordées. La première
partie de ce rapport est consacrée au budget de la Société des auteurs, budget
plus florissant que jamais puisque les droits s'élèvent cette année à plus de
cinq millions. Le rapport aborde ensuite la réforme des traités qui, à Paris.
■1H8
LE MENESTREL
lient les directeurs et les auteurs. Il donne les raisons qui ont décidé la Com-
mission à supprimer les billets d'auteur, les billets à droits et les billets de
faveur, pour arriver à n'avoir plus dans les théâtres que des spectateurs ayant
payé leur place. Il passe ensuite à une importante décision concernant les
pays étrangers. On sait en effet que les écrivains français sont dépouillés de
tous leurs droits d'auteur dans les pays qui n'ont pas adhéré à la convention
de Berne, tels que la Hollande, la Roumanie, la Grèce. En Russie," où des
milliers de représentations d'oeuvres françaises sont données chaque année,
aucune rétribution n'est payée aux auteurs. En attendant la protection de la
propriété littéraire dans ces pays, la Commission des auteurs dramatiques a
décidé d'user désormais de réciprocité et de ne plus accorder le bénéfice de
ses traités à des auteurs étrangers que lorsque leur pays d'origine reconnaîtra
les droits des auteurs français. — Après la lecture du rapport, M. Pierre
Wolff est venu faire part à l'assemblée d'une grande bonne nouvelle : la fon-
dation par M. le baron Henri de Rothschild de la Maison des Auteurs dra-
matiques. Cette nouvelle a été accueillie par l'assemblée avec le plus recon-
naissant enthousiasme. — L'assemblée a procédé ensuite à l'élection de cinq
membres du Comité. Ont été élus au premier tour :
M. Paul Hervieu IS5 voix
M. Robert de Fiers 120 —
M. Maurice Donnay 96 —
Au second tour, M. Hennequin a été élu par 51 voix, et M. Hirschmann,
aux applaudissements de l'assemblée, s'étant désisté au profit de M. Saint-
Saêns, l'illustre compositeur a été élu à l'unanimilé.
— Le 2 mai, le Tribunal de commerce condamnait par défaut la Société
des auteurs à rendre, aux héritiers de Donizetti. compte des droits d'auteur
payés depuis ISOo. tant en France qu'à l'étranger, sur les représentations de
Donizetti et, en particulier, sur Lucie de Lammermoor, la Favorite, la Fille du
Régiment, Don Pasquale, etc., et à payer dès à présent, et par provision.
10.000 francs à valoir auxdits héritiers Donizetti. Me Meignen, agréé, vient de
faire opposition à ce jugement, au nom de la Société des auteurs. On assure,
en outre, que ladite Société des auteurs s'apprête à demander en référé l'auto-
risation de toucher, nonobstant la saisie-arrét pratiquée par ME Briouve, huis-
sier, dans les théâtres de Paris, le 1 0/0 de droits d'auteur qui lui est conféré
par les traités.
— L'Assemblée générale annuelle de l'Association dos Artistes dramatiques
aura lieu au théâtre des Nouveautés, le samedi 30 mai, à une heure et demie.
Ordre du jour :
1. Rapport des travaux de l'exercice 1907-C8, rédigé et lu par M. Péricaud, et ap-
probation des comptes ;
2. Élection du président et de six membres du Comité.
Membres sortants et rééligibles : MM. A. Carré, Brémont, Numès, Carbonne.
Delaunay et Huguenet.
— L'Assemblée générale annuelle de l'Association professionnelle de la
critique aura lieu le mardi 2 juin, à 3 h. 1/2, à la salle Pleyel.
Ordre du jour:
1° Lecture et approbation du rapport du secrétaire;
2° Lecture et approbation du rapport du trésorier ;
3° Vote de vingt pensions anciennes et de trois pensions nouvelles ;
4° Proposition de modifications aux articles 3 et -\ des statuts, sur l'initiative du
comité et après avis conforme du conseil de jurisconsultes ;
5° Renouvellement de la série sortante du comité ;
6" Élection d'un président et de deux vice-présidents choisis dans le comité.
— Le comité de l'Association des artistes musiciens a procédé, dans sa der-
nière séance, au renouvellement de son bureau. M. Paul Taflanel a été nommé
président, en remplacement de M. Emile Réty. démissionnaire. Ont été élus
vice-présidents: MM. Arthur Pougin, Charles Câllon, Polonus. Paul Rougnon,
Nadaud, Auge de Lassus: secrétaires: MM. Paul Girod. O'Kelly, Brun,
Wael-Munk. Mimart, Saïler.
— A la dernière séance de la Société Internationale de musique, M Julien
Tiersot a donné communication d'une étude sur Gluck, compositeur d'opéras-
comiques français, dont le Ménestrel commencera la publication dans un de ses
prochains numéros. Cette lecture a été accompagnée d'une audition de
fragments de l'Ile de Merlin. CytMre assiégée, YArbre enchanté, la Rencontre
imprévue, etc., à laquelle M""' Marie Mockel a prêté son excellent concours.
— Séances Ysaye-Pugno. "Voici onze printemps que la salle Pleyel voit
accourir, de plus en plus assidus, les fidèles admirateurs de MM. Ysaye et Raoul
Pugno. Samedi dernier, ce fut un bel enthousiasme soulevé par les vibrantes
exécutions des sonates de Bach. Mozart, Franck. Cne nouvelle œuvre deM. Louis
Vierne obtint aussi le plus franc succès : l'auteur et ses interprètes furent asso-
ciés dans le même triomphe. A la seconde audition qui a eu lieu le jeudi
21 mai à neuf heures du soir, les deux maîtres ont fait connaître une sonate
de Guy Ropartz, encadrée entre celle de Brahms {ré mineur, op. 108) et la
grande sonate (ré mineur), de Schumann.
— Extrait du feuilleton de M. Arthur Coquard (Écho de Paris), à propos des
beaux concerts Risler:
Il ne faut pas qu'un enthousiasme légitime nous rende injuste pour les grands
Français. J'ai admiré, il y a quelques jours, le noble talent de M. Edouard Risler,
qui a joué, en musicien accompli et en maitre pianiste, deux œuvres nouvelles :
une sonatine de M. Reynaldo Hahn, d'une rare élégance, d'une jolie écriture pianis-
tiqne, toute parfumée de dix-huitième siècle, et une sonate en la mineur de M. Th.
Dubois, sur laquelle je ne saurais passer légèrement. C'est, à coup sur, une des
pages les plus fortes et les plus personnelles qu'ait écrites l'auteur de Xavière. Je
signale cette belle œuvre à ceux qui prétendent que M. Th. Dubois n'est pas dans
le mouvement... et d'abord le premier morceau, avec ses deux thèmes si caractéris-
tiques, le premier fougueux, le second poétique, enveloppé d'harmonies charmantes ;
le tout trituré, développé avec une étonnante habileté ; puis ce bel Andante, à l'ins-
piration toute beethovénienne, que M. Risler a dit avec un admirable sentiment; enfin
le final, si bien rythmé, ardent, passionné, qui fit éclater la salle en applaudisse-
ments enthousiastes. Je le répète avec autant de franchise que de joie : une belle
œuvre, magnifiquement interprétée.
— Nous avons dit que M. Edouard Risler donnera avec le concours de
l'orchestre des Concerls-Lamoureux, à la salle Gaveau, les 2b. 30 mai et 4 juin,
en soirée, trois grands concerts symphoniques. Le célèbre pianiste, quia rem-
porté à Genève un si grand succès comme chef d'orchestre, a inscrit à son
programme des symphonies de Beethoven et de Schubert, et plusieurs œuvres
de Wagner, Berlioz, Liszt, César Franck et Brahms (la jolie suite des valses
intitulée Germania et orchestrée par Reynaldo Hahn), etc. Mme Jeanne Raunay.
M. Joh. Messchaert, que tout Paris a acclamé dernièrement au Trocadéro. le
maitre Louis Diémer et M. Rodolphe Plamondon prendront part à ces séances.
Le lundi 2b courant, M. Messchaert chantera en entier l'Amour du Poète, de
Schumann, et c'est M. Edouard Risler qui tiendra la partie de piano.
— Le récital qu'a donné, à la salle Érard, Mm0 Blanche Marchesi a été vrai-
ment triomphal, et depuis longtemps il ne nous avait été donné d'entendre
une pareille chanteuse de lieds, également supérieure, on pourrait même dire
géniale, dans tous les genres et dans toutes les couleurs. Et il est curieux de
voir ce qu'avec de l'étude et des soins intelligents l'artiste a pu faire d'une
voix qui n'avait certes rien d'exceptionnel, comme elle a su la rendre souple
et la plier à toutes les exigences. C'est merveilleux. Et qu'elle chantât de
l'allemand, de l'anglais, du russe ou du français, Mn,c Blanche Marchesi fut
acclamée d'un bout à l'autre de la soirée. Il ne nous déplaît pas d'insister ici
sur les mélodies françaises dont le succès fut des plus vifs. Debussy et Moret
ne furent jamais à pareille fête et ne comptèrent plus de bis. Oh ! ce Rêve de
Moret !
— Mercredi dernier, M. Léon Delafosse a donné en matinée au Théàtre-Réjane
un très intéressant concert avec l'orchestre Lamoureux sous la direction de
M. Paul Vidal. D'une exquise élégance dans les ouvrages d'intimité, comme le
ravissant concerto de Bach pour piano et deux flûtes et le Nocture, op. 23,
n° 4, de Schumann, l'artiste a joué avec un délicieux coloris la pièce char-
mante et très difficile de Liszt, au Rord d'une source, et a tenu l'attention de
l'assistance constamment en éveil par la façon magistrale dont il a interprété
sa Fantaisie pour piano et orchestre. Il a rendu, avec un style poétique, noble
et plein d'élévation, l'Allégro de concert, de Chopin, pour lequel M. Ed. Mal-
herbe a écrit une orchestration très fournie et d'une belle sonorité. Le pro-
g-amme de cette séance comprenait encore des pièces de Liszt, Tschaïkowsky,
et de MM. Saint-Saëns et Debussy. M. Delafosse a été rappelé plusieurs fois et
acclamé avec persistance à la fin du concert. Asi. B.
— Concert de la Tarentelle. — Le mercredi 13 mai a eu lieu le 38e concert
de la Société instrumentale d'amateurs « la Tarentelle ». Comme toujours,
M. Ed. Tourey a conduit en excellent musicien et en chef expérimenté, et
l'orchestre a soutenu vaillamment sa vieille réputation. La Tarentelle, la plus
ancienne des Sociétés instrumentales d'amateurs, se renouvelle et se rajeunit
sans cesse; artistes et gens du monde lui donnent leur appui, et l'aident à ne
pas se laisser distancer par des Sociétés semblables qui sont nées après elle,
qui se sont taillées sur son modèle, et qui. en lui faisant concurrence, par
cel a même lui font honneur. — Le concert du 13 mai, le deuxième de cette
année, avait un intéressant programme : Symphonie écossaise de Mendelssohn;
Harmonie du soir, de G. de Saint-Quentin, remarquablement chantée par
Mme Azéma Billa; Prélude et Scherzo.de G.-R. Simia; Concerto pour violon-
celle, de Haydn, exécuté avec talent par M. A. Cruque ; Toccata de Paul Four-
nier; air d' Alceste (Divinités du Slj/x) de Gluck, par Mmc Azéma Billa; enfin la
deuxième suite de l'Artésienne, de Bizet.
— L'excellent professeur, M. Paul Braud, fera entendre le31 mai prochain, en
matinée dans la salle du théâtre de l'Odéon, neuf de ses meilleurs élèves, avec
le concours de l'orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, dirigé
par M. Marty.
— Le 1er juin, à la salle Femina, M"11, Helena Theodorini donnera un concert
sous le haut patronage de M",c la Comtesse d'Eu et au bénéfice de deux jeunes
artistes fort dignes d'intérêt. Le nom de Mme Theodorini est célèbre en Italie,
en Espagne, en Portugal, en Amérique. Il le sera demain en France. Auprès de la
grande cantatrice d'autres artistes de valeur se feront entendre. Citons en premier
lieu le nom de Mllc Brozia, si appréciée à l'Opéra, dont le brillant talent fait
des pas de géants dans la marche ascendante à la gloire ; M. "Vinche, qui pos-
sède une voix de basse profonde d'une puissance rare, et qui a remporté de
très grands succès en France et à l'étranger; M. White, violoniste émérite',
prix du Conservatoire, et autres artistes dont nous donnerons bientôt les noms.
Henri Heugel, directeur-gérant.
(Incre Loril^ixl.
4027. — 74e AÎ\[\ÉE. — ^0 22. PARAIT TOUS LES SAMEDIS
Samedi 30 Mai 4908.
(Les Bureaux, 2 b'a, rue Vivienne, Paris, u. arr')
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
lie HuméFo : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
Ite Numéro: Oîr. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 où, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province.— Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, Î0 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (21° article), Julien Tiersot. — II. Semaine théâtrale : première représentation de Snegourotchka, à l'Opéra-Comique, Arthur Poucin. — III. La
Musique et le Théâtre aux Salons du Grand-Palais ("" article), Camille Le Senne. — IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
ÉTOILE FILANTE
de Raoul Pugno. — Suivra immédiatement : Je ne sais pas où va la feuille
morte, nouvelle mélodie d'EiixEST Moret.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
LES YEUX CLOS
nouvelle valse lente de Y.-K. Nazare-Aga. — Suivra immédiatement : Adagio,
de Théodore Dubois.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
{XT X-^-XTT^)
CHAPITRE V : Gluck à Vienne.
Emprisonnée, de gré ou de
force, dans des formes dont la
continuité lasse à la longue, la
musique de Gluck pour Antigono
devient banale et se contente de
gros effets. L'auteur dispose d'un
orchestre important, avec des
trompettes, dont sont privées la
plupart de ses précédentes par-
titions : mais il n'en profite guère,
et ne fait pas effort, comme à
Prague, pour s'élever à la diver-
sité du style symphonique. Les
instruments en sont réduits à de
banales batteries d'accompagne-
ment ; les trompettes et les cors
sont employés par paquets, et non
dans un style concertant. Dans
un seul air, la trompette dialo-
gue avec la voix de ténor ; mais
cet air, d'assez mauvais style
d'ailleurs, est repris à un ouvrage
antérieur (Vlnnocenza justifcata).
Il semble que ce soit pour Anti-
gono et pour le public de Rome
que Gluck ait mis à profit le
conseil de Haendel, donné pour
les Anglais : « Faire une musique
qui imite le roulement du tam-
bour ! »
Dans cette collection d'airs
d'un éclat extérieur et factice,
deux pages seulement se distin-
guent, tranchant sur l'ensemble.
-
PORTRAIT DE GLUCK
L'une est un remaniement de
l'air d'Ezio, prototype de l'air
d'entrée d'Orphée aux Champs-
Elysées, avec sa symphonie d'un
sentiment si intimement poétique.
Intermédiaire entre les deux
œuvres, il n'a pour nous d'autre
intérêt ici que sa présence.
L'autre est un air de Bérénice.
Il commence par un magnifique
récitatif obligé où s'intercale le
chant interrompu de la Preghiera
de Vlnnocenza justificata, que nous
connaissons. Mais l'intérêt le plus
curieux que l'air présente en lui-
même est qu'il est bâti sur un
thème de Bach : la gigue à mains
croisées du premier livre des
Parti tas. Comment cette intro-
duction d'un élément étranger
(nullement nécessaire, semble-
t-il) s'est-elle produite à cette
place ? C'est une singularité
qu'on n'a pas encore expliquée
d'une façon satisfaisante. Obser-
vons simplement que des em-
prunts de cette nature n'étaient
pas rares au XVIIIe siècle. On en
a reproché bien d'autres à Haen-
del (1).
(1) Voir notamment l'ouvrage récent :
TaïLOR, The Indebtedncss of Haendel; Cam-
briçe, 1906.
170
LE MENESTREL
qui, pour les avoir commis, ne s'en croyait pas plus coupable.
Souvent le compositeur n'avait fait que céder aux exigences du
virtuose en admettant dans son œuvre une phrase de chant
étrangère, si l'interprète voulait reproduire un effet déjà connu.
Gluck lui-même fut un jour l'objet d'une accusation de plagiat
qui, par une ironie singulière, se retourna contre ceux qui
l'avaient formée : on lui avait reproché d'avoir introduit un
motif de Sacchini dans Alceste : la vérité était au contraire
qu'une phrase d' Alceste s'était retrouvée _ dans un opéra de
Sacchini. Gluck en donna l'explication sans amertume : « Un
compositeur italien est souvent forcé de s'accommoder au caprice
et à la voix du chanteur, écrivit-il au Mercure de France : c'est le
sieur Millico qui a obligé M. Sacchini à insérer les susdites
phrases dans son air... M. Sacchini, génie comme il est, et plein
de belles idées, n'a pas besoin de piller les autres; mais il a été
assez complaisant envers le chanteur pour emprunter ces pas-
sages, où le chanteur croyait qu'il brillerait le plus » (1). Telles
étaient en ce temps là les mœurs musicales. Notons d'ailleurs
que ces emprunts n'allaient jamais jusqu'au plagiat. Un pareil
reproche n'eût été fondé que si les compositeurs se fussent
emparés de compositions entièrement formées pour se les
attribuer ; mais il n'en était point ainsi ; ils se bornaient à em-
prunter des thèmes, et les traitaient à leur manière. Dans le cas
dont il s'agit, le morceau de clavecin de Bach n'est qu'une
trame sur laquelle la voix brode des dessins nouveaux. C'est
le même procédé qu'a repris Gounod quand des arpèges du
premier prélude du Clavecin bien tempéré il fit sortir un chant
soutenu : quoi qu'il doive à Bach, dont les harmonies ont engen-
dré son chant, on ne saurait dire pourtant que VAve Maria de
Gounod soit une composition de Bach.
Si nous ignorons les raisons pour lesquelles Gluck a rendu
cet hommage indirect au plus génial de ses prédécesseurs,
nous pouvons au moins présenter quelques observations qui
porteront sur la question une lueur assez particulière. La gigue
de Bach est, avons-nous dit, tirée du premier cahier des Parhtas
(Clavier Uebung), seule œuvre instrumentale que le vieux maître
ait publiée en sa vie. Ce cahier fat mis en vente en 1826. A cette
époque, Gluck, âgé de douze ans, était élève du collège de
Kommotau. Le nord de la Bohême est proche de Leipzig : il y a
tout lieu de penser que l'ouvrage fut introduit dans l'école
dès son apparition. Gluck devrait donc à la musique de Bach
une impression de jeunesse, presque d'enfance : sans doute
c'est là persistance de celle-ci qui l'a déterminé à introduire
dans son œuvre un motif resté familier à sa mémoire. Quant
à l'air auquel ce motif a servi de base, il en fait le même usage
qu'avec les meilleurs morceaux de ses opéras : il l'a replacé,
d'abord dans Telemacco, puis jusque dans son dernier chef-
d'œuvre, Iphigénie en Tauride. A constater cette fidélité à ses
plus anciens souvenirs musicaux, j'en viendrais volontiers à
penser que Gluck finit par croire lui-même que l'invention de
Bach était de lui I
Cet Antigono, écrit pour le public, non pour l'art, valut à Gluck
un bénéfice auquel il fut sensible : le pape le fit Chevalier de
l'Eperon d'or. Plusieurs maîtres de la musique (parfois de petits
maîtres) ont obtenu cette distinction. Roland de Lassus en fut
un des premiers honoré , et Mozart , encore presque enfant,
reçut la même faveur. Ce dernier n'attribua jamais à cette déco-
ration une importance supérieure à ce quelle valait, et ne prit
point le titre de chevalier, auquel elle lui donnait droit. Il ne
portait la croix qu'aux jours de cérémonie. Parfois même il eut
à soutenir des discussions piquantes avec de bonnes gens qui,
dans leur vanité provinciale, s'étonnaient qu'il jouît de préro-
gatives auxquelles ils ne pouvaient prétendre : tel ce jeune
monsieur d'Augsbourg qui, parce qu'il était fils de M. le Bourg-
mestre, voulait, « pour aller de pair avec M." Mozart», faire
venir la croix pour lui, demandait à combien il en reviendrait
pour l'avoir, et si cela ne coûterait pas moins cher en ne prenant
pas l'éperon, — à quoi Mozart répondit vertement qu'il n'avait
(1) Voy. Vjesnoirestehres, Gluck et Piccinni, p. 140.
pas besoin de cela en effet, attendu que, l'éperon, il l'avait
dans la tête. Parole irrespectueuse, et que Gluck' ne se fût
pas permis de prononcer, car il savait combien les vains orne-
ments ont d'importance aux yeux des sots, c'est-à-dire de beau-
coup de gens. Nous pouvons penser même que son sentiment
intime de prolétaire parvenu à la fortune en fut flatté, et qu'il
ressentit quelque orgueil de l'apparence de noblesse que lui
conférait son nouveau titre, lui fils d'un garde-chasse. C'est
pourquoi nous le verrons désormais se faire appeler cérémo-
nieusement : le Chevalier Gluck.
De retour à Vienne, il resta plusieurs années (jusqu'à 1762)
presque sans produire d'opéras, du moins d'opéras italiens
sérieux : quatre actes seulement forment tout son bagage pen-
dant, ces six ans, les trois d'/( Re pastore (8 décembre 1756)
et la sérénade intitulée Tetide (8 octobre 1760), ces deux ouvra-
ges représentés, comme de coutume, à l'occasion d'anniver-
saires ou de noces de princes. Sans doute ses absorbantes fonc-
tions de kapellmeister contribuaient pour une grande part à le
distraire de la composition sérieuse.
Aussi bien, la continuation de l'effort de ses premières années
n'était plus alors indispensable. Agé d'un peu plus de quarante
ans, Gluck est maintenant un homme arrivé. Il a obtenu tout ce
à quoi peut prétendre l'ambition d'un musicien quelconque. Il
est riche, jouit de son traitement, touche le prix de ses opéras,
les revenus de la fortune de sa femme. Il place de l'argent,
il achète des propriétés. Il est décoré. Il s'embourgeoise. Il
s'enlise. Et nous allons voir bientôt à quoi il va, sinon tomber,
du moins condescendre.
(A suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THÉÂTRALE
Opéra-Comique. — Snegourotchka (la Fille de neige), conte de printemps en
quatre actes et un prologue, tiré d'Ostrowsky, traduction de Mmc Halpérine,
adaptation française de M. P. Lalo, musique de M. Rimsky-Korsakow
(22 mai 1908).
La Russie musicale est en train de faire sa campagne de France, qui
semble devoir être brillante. Après Boris Godounow, représenté en russe
à l'Opéra, voici venir Snegourotchka, chantée en français à l'Opéra-
Comique, et la seconde n'est pas moins bien accueillie que le premier.
A vrai dire, je ne crois pas à une invasion complète du répertoire russe
en France, mais je pense que ce répertoire peut nous offrir quelques
ouvrages que nous aurions intérêt à connaître et plaisir à applaudir.
Certains de ces ouvrages, commo Rousslan et Ludmilla, de Glinka, le
Démon et Néron, de Rubinstein, Eugène Onéguine et la Dame de Pique,
de Tschalkowsky, auraient chance assurément d'être bien reçus chez
nous, présentés dans de bonnes conditions d'interprétation et de mise
en scène, comme les deux que nous venons d'entendre. Maintenant que
la furie wagnérienne commence à se calmer, que l'on s'aperçoit que
l'abus cruel du leitmotiv et l'annihilation complète du chant par l'or-
chestre ne constituent pas le but suprême de l'art lyrique, il serait bon
sans doute d'essayer d'autre chose et de se retremper, en se reposaut,
dans un art plus calme en son essence et moins féroce dans ses pro-
cédés. Le contraste a parfois du bon, et la nouveauté n'est point du
tout méprisable. Je suis loin de demander une inondation de la musique
russe comme nous avons eu une avalanche de la musique wagnérienne;
mais il me semble tout de même qu'on pourrait tourner un peu les
oreilles de ce côté, ne fût-ce que pour les calmer apivs l'excitant qu'on
leur a prodigué outre mesure, et. sans jeu de mots, tacher de changer
un peu d'air. Cela n'aurait-il d'autre effet que de détourner un peu les
regards de nos jeunes musiciens, hypnotisés depuis vingt ans par la
contemplation hallucinante des murs de Bayreuth,que le résultat m'en
paraîtrait tout autre que méprisable.
Snegourotchka (la Fille de neige), dont nous avons à nous occuper en
ce moment, est le troisième en date des treize opéras que M. Rimsky-
Korsakow a fait représenter jusqu'ici. Mais avant d'en parler plus lon-
guement, il n'est pas inutile de faire connaître le compositeur (I).
(1) Voici la liste complète des ouvrages dramatiques de M. Rimsky-Korsakow : La
Pskovitaine, 4 actes, poème d'après Meï, Saint-Pétersbourg, th. Marie, 1S73 ; " — La
LE MENESTREL
471
Nicolas- And réiewitch Rimsky-Korsakow, justement considéré
aujourd'hui comme le chef de l'école musicale russe, est âgé de
soixante-quatre ans, étant né à Tiekhwine, le 18 mars 1844. Artiste
laborieux et fécond, plus fécond peut-être que largement inspiré, mais
doué d'heureuses facultés et pourvu d'une instruction solide, il s'est
produit dans tous les genres : musique dramatique, symphonie, mu-
sique instrumentale, chant seul ou en chœur. Il n'avait cependant,
comme plusieurs de ses confrères, étudié d'abord la musique qu'en
amateur, et c'est après avoir l'ait ses preuves comme officier de marine
que. tout jeune encore, il renonça ;i cette carrière pour se livrer sans
réserve à ses goûts artistiques. On peut croire que, même dans ces
conditions, il avait travaillé de la façon la plus sérieuse, puisqu'il était
âgé de vingt-sept ans seulement lorsque, en 1871, il fut chargé d'une
classe de composition et d'instrumentation au Conservatoire de Saint-
Pétersbourg, dont il devait être plus tard le directeur. Plus jeune que
tous les membres du fameux cénacle des Cinq, il y entra le dernier et
subit dès l'abord l'influence de MM. Balakirew et César Cui, ce qu'il
est facile de reconnaître dans ses premières œuvres dramatiques. Mais
son robuste tempérament musical le mit à l'abri de certaines exagéra-
tions, tandis que son intime connaissance de la musique populaire et
l'emploi qu'il en faisait d'une façon très heureuse daus ses composi-
tions de divers genres lui donnaient une incontestable originalité. Et
puis... et puis il arriva un moment où M. Rimsky-Korsakow, se sen-
tant maître de lui-même et se laissant tout naturellement entrainer par
sa belle nature artistique, finit par marcher droit devant lui, sans plus
s'inquiéter des principes de ses bons amis du cénacle, ces principes que
Borodine lui-môme .n'avait, comme lui, acceptés que jusqu'à un cer-
tain point.
La Pskovilaine, qui fut le début au théâtre du compositeur, n'obtint
guère qu'un succès d'estime. Eut-il alors un moment d'hésitation? Tou-
jours est-il qu'il laissa s'écouler sept années avant de reparaitre à la
scène. Mais avec la Nuit de Mai, où une grâce mélancolique s'allie àun
humour plein de fantaisie, il conquit les sympathies du public, qui
s'affirmèrent avec Snegourotchka. Je ne saurais passer ici en revue tout
le répertoire scénique de M. Rimsky-Korsakow ; je me bornerai à citer,
parmi ses ouvrages les plus heureux. Mlada, dont la partition, très inté-
ressante, est pleine de poésie et de couleur, avec un jet mélodique plein
d'élégance ; la Nuit de Noël, dont le caractère fantastique est très bien
saisi, et dont la musique, bien qu'un peu lourde parfois, se fait remar-
quer par de rares qualités, surtout en ce qui concerne l'orchestre ; enfin
Sadko de Nowgorod et surtout la Fiancée du Tsar, œuvre de caractère très
pathétique, qui ont obtenu l'un et l'autre un succès retentissant.
Mais le théâtre, on le sait, n'a pas absorbé toute l'activité de
M. Rimsky-Korsakow, et peut-être est-ce en dehors de lui, et particu-
lièrement comme symphoniste, qu'il a remporté ses plus éclatants
triomphes. Nous savons ici en effet, et depuis longtemps, quel étonnant
manieur d'orchestre est le compositeur, et quelle verve, quelle puis-
sance, quelle couleur, quel éclat il sait donner à ses œuvres instrumen-
tales; ses symphonies et ses poèmes symphoniques : Antar, Sadko,
Shéhérazade, le Capriccio espagnol, tout cela est vivant, brillant, sédui-
sant, élincelaiit, et d'une lumière orchestrale éblouissante. Il me faut
signaler aussi le superbe concerto de piano en ut dièse mineur, dédié à
la mémoire de Liszt, composition de premier ordre, d'un caractère très
mâle et très hardi, puis mentionner des ouvertures, des chœurs a capella
pour voix d'hommes on de femmes, d'autres chœurs, pour voix mixtes,
avec orchestre ou piano, puis des fantaisies pour instruments solos avec
orchestre, etc.
Dans la plupart de ses œuvres, quel qu'en soit le genre, M. Rimsky-
. Korsakow a mis largement à contribution la mine si riche des chants
' populaires et des mélodies nationales, qu'il connaissait mieux que
personne pour en avoir recueilli lui-môme un grand nombre, et dont
: l'abondante variété est presque inépuisable (1). Et lorsqu'il ne les em-
Nuit de mai, 3 actss, poème d'après Nicolas Gogol, Saint-Pétersbourg, th. Marie,
\ janvier 1880; — Snegourotchka, 4 actes, paroles d'Ostrowsky, Saint-Pétersbourg,
janvier 1882; — Mlada, opéra-ballet féerique en 4 actes, paroles d'Etienne Guédéo-
now, Saint-Pétersbourg, novembre 1892 ; — La Nuit de Noël, 4 actes et 9 tableaux
I (paroles et musique), d'après un conte de Gogol, Saint-Pétersbourg, th. Marie,
I 10 décembre 1895; — Sadko de Nowgorod, opéra-légende en 7 tableaux, Moscou, th.
Impérial, 6 janvier 1898; — Le Conte du roi Sallan, poème d'après Pouschkine, Mos-
cou, 10 novembre 1900; — La Fiancée du Tsar, 3 actes et 4 tableaux, paroles de Meï,
Saint-Pétersbourg, th. Marie, novembre 1901 ; — Mozart et Salieri, un acte, paroles
de Pouschkine, Saint-Pétersbourg, th. de l'Ermitage, 1902 ;— Servilia, 5 actes, Saint-
Pétersbourg, th. du Conservatoire, décembre 1902 ; — L'Immortel Kalsclischey, légende
d'automne (paroles et musique), Moscou, Grand-Théâtre, 1905; — Pan Yoevoda,
paroles de J. Tiumenew, Moscou, Grand-Théâtre, 1905 ; — La Légende de la ville invi-
\ sible de Kilej et de la vierge Fevronia, paroles de W.-J. Bielsky, Saint-Pétersbourg,
th. Marie, février 1901.
(1) M. Rimsky-Korsakow a publié un excellent recueil de 100 chansons populaires
ploie pas directement, il s'inspire si bien de leur accent, s'imprègne si
profondément de leur couleur, que sa musique eu prend une saveur
sut generis, un caractère vraiment original et tout à fait particulier. Sous
ce rapport il a suivi les traditions de Glinka et est entré vigoureusemeat
dans le sillon creusé par lui.
On en trouve des preuves dans cette aimable Snegowolchlca, dont
M. Rimsky-Korsakow a repris le sujet après le regretté Tschaîkowsky,
qui, sur ce même poème d'Ostrowsky, avait donné une Snegourotchka
dix ou douze ans avant lui. Ce sujet, il faut bien le dire, est un peu
mince et sans grand intérêt. C'est une légende, un simple conte -l- Eées,
de caractère assez enfantin malgré sa couleur poétique, et d'une
substance scénique quelque peu indigente. On peut croire que le musi-
cien s'est inspiré, plutôt que du sujet lui-môme, du milieu fantastique
dans lequel évoluent fés personnages. L'action se déroule dans une
contrée imaginaire, aussi inconnueque le pays du Tendre de Mllc de Scu-
déry. Elle nous transporte dans une Russie préhistorique, au milieu des
États minuscules d'un brave bonhommo de prince qui s'appelle le
tsar Berendey, lequel siège dans une capitale qui n'est qu'un gros village
et porte le nom de Berendeyef.
Au prologue, nous nous trouvons à l'orée d'une forêt qui prend
naissance sur le bord d'un fleuve. Le fleuve est glacé, les arbres sont
couverts de neige, il fait nuit encore. C'est la fin de la rude saison, et
la nature ne va pas tarder à se transformer. Arrive la fée Printemps,
bientôt entourée d'une multitude d'oiseaux qui accourent de toutes parts
(mais ceux-ci ne parlent pas, comme dans le futur Chanteclair, et se
contentent de danser). La fée, qui est familière avec eux, leur raconte
qu'elle a eu la faiblesse d'accueillir, un beau jour, les hommages galants
du bonhomme Hiver, et qu'ilen est résulté la naissance d'une belle enfant.
Snegourotchka, la Fille de neige, âgée aujourd'hui de seize ans. L'en-
fant est charmante, mais elle a un ennemi, le dieu Soleil, qui ajuré sa
perte (on ne sait pourquoi) : le jour où elle connaîtra l'amour, elle est
destinée par lui à mourir.
Par la suite, nous voyons Snegourotchka, dont la grâce et la beauté
éveillent les désirs, courtisée par deux des gars du village : le gentil
berger Lel, qui dit de si jolies chansons, et le beau Mizguir, qui a indi-
gnement abandonné sa fiancée Koupawa pour s'attacher à ses charmes.
Mais, en véritable fille de l'Hiver, elle reste de glace à l'égard des amou-
reux, qui se morfondent auprès d'elle. Pourtant, le brave homme de
tsar est désolé et humilié pour ses sujets de la froideur de Snegou-
rotchka. Après avoir, sur la plainte de Koupawa, condamné Mizguir à
l'exil pour sa lâche conduite, il lui pardonnera cependant s'il vient à
bout de la froideur de Snegourotchka et réussit à se faire aimer d'elle.
Mizguir renouvelle alors ses assiduités, mais en vain. C'est plutôt à
Lel que vont les sympathies de la jeune fille, mais Lel, blessé de ses
dédains, cherche, une revanche, qu'il obtient, du côté de Koupawa.
Alors, en voyaut leur tendresse, Snegourotchka est prise de désirs et
supplie sa mère, la fée Printemps, de lui faire connaître l'amour, dût-
elle en mourir. En effet, son cœur commence à battre, et ce Mizguir
qu'elle avait désespéré, comme elle avait découragé Lel, lui devient
cher par-dessus tout. Elle répond à sa passion, lui jure sa foi et tombe
amoureusement dans ses bras.
Devant ce résultat, le tsar est enchanté. En présence de son peuple
assemblé, il va faire procéder à l'union des deux amants. Mais hélas !
l'hiver a fait place à la saison riante, le Soleil, qui a juré la perte de
Snegourotchka, brille au ciel de tous ses feux, et lorsque la tendre
enfant assure de nouveau Mizguir de son amour et veut lui donner son
baiser de jeune épousée, tout est fini pour elle. La gentilleFille de neige
fond sous les rayons de l'astre brûlant, et s'évapore en jetant un der-
nier regard à celui qui lui a fait connaître l'amour. Sur quoi Mizguir,
désespéré, se jette dans le lac, tandis que le peuple Berendey chante
un hymne au soleil.
La partition de Snegourotchka est conçue têt je ne vois aucune raison
de l'en blâmer) dans le système qu'on est convenu d'appeler a l'ancien
opéra ». C'est-à-dire qu'elle est divisée en morceaux reliés entre eux par
des récitatifs : chansons, duos, chœurs, airs de ballet, etc. On y ren-
contre même — ô horreur ! — une cavatine. De plus (ce compositeur
est fou-, vraiment !), les voix y sont traitées comme elles doivent l'être,
et ne sont pas étouffées par le fracas de l'orchestre. Et ce gredin de
public est a ce point réactionnaire qu'il trouve cela charmant et qu'il
applaudit à tout rompre — et moi aussi. De fait, si cette partition est
peut-être un peu inégale, si surtout elle a le défaut, commun à toute
la musique russe, d'être trop longue, elle renferme nombre de pages
russes, recueillies et harmonisées par lui. Il a introduit les thèmes de quelques-
unes de ces chansons dans sa partition de Snegourotchka, notamment celles qui por-
tent les numéros 16, 4t, 46, 78 et 100. Elle en contient d'autres qui proviennent
d'autres sources.
172
LE MÉNESTREL
bien venues et d'une jolie veiue mélodique. Au prologue, la scène des
oiseaux et le cortège du carnaval ; au premier acte, les deux délicieuses
chansons de Lel, si originales, l'ariette plaintive de Snegourotchka et
le finale très vivant ; au second, la cavatine du tsar, un peu trop ita-
lienne de forme, mais joliment accompagnée par le violoncelle solo ;
au troisième, la merveilleuse danse des histrions, avec son mouvement
endiablé et son orchestre étonnant, et la nouvelle chanson de Lel,
encore bien jolie ; enfin, au quatrième, le chœur des Fleurs et l'hymne
final. Ce qui manque là-dedans, il faut bien le dire, c'est la note pas-
sionnée, c'est le sentiment pathétique, qui auraient pu se donner car-
rière en certains épisodes, particulièrement dans les duos d'amour de
Snegourotchka et de Mizguir. Cela prouve que nous n'avons pas affaire
à un chef-d'œuvre, mais à une œuvre colorée, vivante, variée, bien en
scène et digne d'intérêt, ce qui est déjà quelque chose.
L'interprétation de Snegourotchka. excellente du côté des hommes,
avec MM. Beyle (le Tsar), Vigneau (Mizguir) et Vieuille (l'Hiver), est
exquise du côté des femmes, qui sont plus charmantes les unes que les
autres. M""- Marguerite Carré est une Fille de neige délicieuse, comme
femme et comme artiste, et elle a fait de ce joli personnage de Snegou-
rotchka un type enchanteur ; Mlle Brohly chante d'une façon adorable
les poétiques chansons du petit berger Lel, dont elle porte gentiment le
travesti; M,lc Marié de l'Isle est absolument séduisante en fée Prin-
temps, et M11'' Lamare fait preuve de son talent délicat dans le rôle, de
Koupawa. Quant à l'ensemble, il est parfait en ce qui concerne l'or-
chestre et les chœurs, sans oublier la danse, qui a sa part, et une bonne
part, dans le succès général. Car il faut bien mentionner aussi, et sur-
tout, le curieux ballet des histrions, au troisième acte, qui est un chef-
d'œuvre en son genre, chef-d'œuvre pour lequel il faut féliciter
Mme Mariquita, Mllc Regina Badet, nos gentilles danseuses et aussi les
danseurs russes qui s'étaient joints à elles et qui sont vraiment endia-
blés. Il y a là un grand diable de comique qui semble disloqué, qui
fait le grand écart en l'air, et qui est absolument impayable. Ce ballet
a été un des gros succès de la soirée.
Il n'est pas besoin de dire si, ayant une féerie à présenter au public.
M. Albert Carré s'en est donné à cœur-joie au point de vue delà mise en
scène, et s'il a opéré des prodiges. Les décors (peintures de M. Jus-
seaume), les costumes (dessins de M. Félix Fournery). les effets de
lumière, les groupements des personnages, tout, tout est merveilleux,
et le spectacle des yeux n'a rien à envier au spectacle des oreilles.
Arthur Pougin.
LA MUSIQUE ET LE THÉÂTRE
aux Salons <5L\jl C3-ra,aa.ci-I=»a,l s
(Septième article)
Il n'y a pas de bon Salon, de Salon vraiment traditionnaliste et digne
de l'estampille officielle sans Orphée, sans sirènes et sans cigales. Si
l'article venait à manquer, messieurs les membres du comité se char-
geraient de le fournir, et en effet, vous trouverez dans l'angle d'une
salle, à fleur de cimaise, une délicate et discrète petite toile, tout à fait
exquise, de M. Jules Lefebvre que l'auteur intitule /'Abandonnée mais
dont, à la rigueur, on eût fait une cigale. Cette transformation n'a pas
été nécessaire, M. Albert Matignon ayant envoyé un Rêve de cigale
dûment étiqueté. Le principe était sauf.
Plus nombreuses sont les sirènes ; on en trouverait même assez, dans
la suite des galeries, pour monter un ballabile aux Folies-Bergère.
C'est d'abord tout La Lyre .— et toute la lyre,— sirènes à musfque,
Sirène charmeuse et sirènes domptant les dauphins, le déballage coutu-
mier, à la Rubens, de gorges copieuses, d'épaules dodues et d'autres
richesses anatomiques étalées avec ostentation. Les néréides de
M.Adolphe La Lyre ne sont pas discrètes eteependant il y aurait injus-
tice à les taxer d'immodestie ; elles gardent en effet une certaine imper-
sonnalité académique; elles ont de la ligne et du style. Autres sirènes
de M. Raymond Glaize groupées sur un récif et attendant leur proie.
Elles sont bien mises en scène. Isolée et dodue, la Nymphe des eaux
de M. Pinchart, pose pour le photographe... J'en oublie; nous les'
retrouverons l'année prochaine. Quant aux Orphées, ils peuvent se
ramener à deux types principaux dont chacun accomplit une des fonc-
tions essentielles du veuf d'Eurydice : Dompter les bètes féroces (envoi
du peintre autrichien Thade Styka) et Mourir en beauté (tableau de la
peintresse britannique Mlk'Dinah Little).
M. Antonin Mercié, qui continue à faire fraterniser les beaux-arts et
que nous retrouverons à la statuaire avec le délicieux groupe de la
Bourrée, expose au premier étage un nu charmant de Diane endormie.
La divine chasseresse s'évoque dans une ambiance poétique; l'enve-
loppe lumineuse, tiède et caressante, toute dans la demi-teinte, estompe
les contours où l'on reconnaît le coup de pouce et le modelé du sculp-
teur. M. Comerre donne un commentaire poétique à son Triomphe de
Jupiter, une Léda lutinée par le cygne, morceau académique élégant et
souple, d'un ton d'ambre fondue qui s'harmonise aux verdures tendres
du sous-bois où la future maman de la Belle Hélène
Offre au bel oiseau blanc son corps comme un lac rose.
M. Diogène-Ulysse-Napoléon Maillart, doyen de la peinture allégo-
rique, reste fidèle au symbolisme d'antan; son Étoile du berger, compo-
sition dont le sentiment et la couleur nous paraissent aujourd'hui
également surannées, mais qui garde de belles qualités de dessin, est
représentée par une femme blanche, debout devant un pâtre brun. Sur
les ailes de rêve, autre allégorie, signée par Mme Consuelo-Fould dont la
facture est grasse, mais la palette surchargée de tons voyants, nous
montre une femme nue chevauchant une chimère verte. Mme Philip-
part-Quiuet symbolise agréablement et spirituellement l'automne par
un torse de femme aux seins lourds dans un encadrement de grappes
gonflées et de fruits mûrs. M. Zier, en empruntant à l'Histoire de Psyché
d'Apulée l'épisode tragico-comique de la rivale, se complaît aussi à
choisir des modèles aux appas surengorgés. Le nu de la Salomé, de
M. Marcel Beronneau, . offre au contraire la chasteté et la maigreur
hiératique des Gustave Moreau.
Plusieurs 'scènes composées : la Bucolique de M. Loys Prat qui ras-
semble autour d'une fontaine, dans l'hémicycle de marbre d'un décor
antique, un joueur de flûte, des danseuses et d'autres figures d'une
grâce hellène; la Tentation de Saint Antoine, de M. Thivet, où les tenta-
trices passent en tourbillon dans un coup de lumière de feu de forge,
le Nirvana, du peintre hongrois Czok, où l'on voit au contraire des
pécheresses très déprimées dans l'attente de ce repos éternel dont le
poème dramatique de M. Paul Verola nous vantait les charmes l'autre
soir, en Odéonie. L'anecdotisme historique fusionne, lui aussi, avec le
déshabillé dans la Femme du roi Candaule, de M. Adolphe Weisz (la
belle Nyssia, contemplée par Gygès et Candaule, ressemble d'ailleurs
trait pour trait, nu pour nu, à une Suzanne entre les deux vieillards ou
à une Bethsabée), et dans un épisode du très surfait Quo vadis? de
Sienkiewicz, Lygie délivrée par Ursus, où M. Joseph Aubert. dont on
connaît la maitrise, fait ressortir la blanche nudité de la martyre sur le
sombre pelage de l'aurochs.
La Fontaine de Jouvence, de M. Paul Gervais, fait jouer avec virtuosité
dans une harmonie chatoyante les reflets des riches étoffes, des chairs
nacrées et des scintillantes orfèvreries : composition d'apparat qui four-
nirait aux Gobelins un beau carton de tapisserie. Les envois de M. Rn-
chegrosse sont fins et cassants comme des porcelaines passées au
grand feu. Il y a môme un commencement de vitrification dans la Pro-
menade des Courtisanes qui semble un frontispice pour l'Aphrodite de
M. Pierre Louys. Les. promeneuses aux bras découverts, aux tuniques
flottantes passent sur la jetée d'Alexandrie, traînant des singes fami-
liers ; la jeunesse « dorée » les suit tout le long du môle ; des tourlou-
rous antiques, aux casques, aux cuirasses et aux jambières de cuivre
bien astiqués sont assis sur la bordure de granit. C'est agréable et
spirituel, assez conforme aux indications du Satyricon, mais précieux,
maniéré, au demeurant sans très notable intérêt. L'Ethiopienne du même
peintre, qui se regarde dans un miroir, nous rend au contraire la pâte
souple, le dessin gras, la riche matière des meilleurs Rochegrosse.
L'esclave nue et brune, effilée comme les statuettes en bois durci du
musée égyptien, est debout devant un rideau jaune, dont un coin sou-
levé laisse voir une échappée de jardin incendié par le soleil. Et cette
féerie lumineuse est un régal pour les yeux.
On goûtera encore la grâce sensuelle, le charme un peu provocant de
la Figure païenne de M. Watelet, étude de femme en tunique bleue très
ouverte, pâmée près d'un brûle-parfums. L'œuvre est harmonieuse et
subtile. Plus sévère le Temps de Checa, d'allure romantique, qui passe
sur un cheval fougueux comme un fantôme de ballade d'une vignette
de Célestin Nanteuil, et a trempé sa faux dans le sirop de groseille pour
nous donner l'illusion du sang. M. Louis Roger a eu une idée plus
originale, il a peint, sous le titre Armor, une sorte d'Homère de l'âge
de pierre. Au bord de l'Océan la tribu préhistorique a fait cercle autour
du vieil aède qui doit raconter les premières rencontres de l'humanité >
avec les monstres issus du limon natal. Hommes, femmes, enfants,
exhibent la même radicale absence de costumes, mais ce nu essentiel,
absolu, intégral, est en même temps le nu le plus innocent du monde,
toutes ces petites bonnes gens étant en terre cuite passée au grand feu.
Parmi tant de réalistes atténués M. Georges Berges a cette individua-
LE MENESTREL
173
lité bien franche d'être un naturaliste ennemi des concessions hypo-
crites. Sa Conchita la danseuse est un superbe morceau, de robuste
facture et de vitalité débordante, apparenté à l'Olympia de Manet,
nullement pastiché. La ballerine espagnole repose sur une chaise
longue, de très mauvais style, moitié Restauration, moitié second
Empire; elle n'est pins vêtue que d'un seul bas blanc et d'un soulier
verni à la jambe droite; tout le reste s'exhibe à l'état de costume para-
disiaque dans un extraordinaire et savoureux fouillis de jupons, de
crêpes, de dentelles. Et malgré la précision de tous ces détails, ce n'est
pas du déshabillé, mais de la nudité robuste et saine. Un caniche noir,
silhouetté sur la natte, sert de repoussoir à ces tonalités de rose pale et
de blanc crayeux. Çà et là d'autres nus, moins caractérisés malgré leurs
diverses étiquettes : nu romantique, la Rosalinde de M. Benner, autre-
ment dit la Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier ; nu d'Opéra-
Comique, pour mise en scène de M. Albert Carré, les Fées aux vers
luisants de M. Bernet ; nu d'atelier, la grande toile où M""' Roudenay
nous décrit une séance de modèle à l'école des Beaux-Arts avec le lot
de jeunes filles installées devant leur chevalet autour de la montmar-
troise qui pose une Diane sans voiles; nus académiques de M. de Sy-
nave, de M. Stephen Jacob, de M. Gaensslen ; nu plébéien et grassouillet
de M. Sézille des Essarts, prenant un bain de pieds dans une terrine ;
nu intimiste de M. Victor Lecomte maintenant en pleine possession
d'une manière très personnelle et curieusement suggestive de traiter les
effets de lumière. M. de Schryder jette en avant, avec force mais avec
grâce, sur un rythme voluptueux, le modèle Retour du bal qui embrasse
à pleine lèvres son portrait reflété par la psyché.
Avant d'aborder les subdivisions de la peinture de genre, mention-
nons deux grandes toiles d'un caractère à la fois religieux et dramatique.
Un peintre marseillais, M. Guindon, a envoyé une composition de
réelle valeur : A la mort de Jésus. C'est le drame du Golgotha réglé
comme pour une représentation sur la scène d'un théâtre de verdure,
la croix vue par derrière, le théorie des Saintes femmes autour du cal-
vaire, la foule tumultueuse, partagée entre l'émotion et le sarcasme, au
milieu de laquelle s'effarent les chevaux des soldats romains quand un
coup de tonnerre déchire le voile du Temple. La disposition est originale
et l'ensemble impressionnant dans son ampleur de frise allongée. Un
artiste américain, M. Henri Tanner, a interprété dans un style plus
intimiste la parabole des Vierges sages et des Vierges folles. Draperies
blanches, écharpes flottantes, galbes élégants et figures affinées, c'est
un peu de la gravure en couleur, mais avec des dessous plus robustes.
Ai-je besoin de dire que l'intérêt se porte presque tout entier sur les
Vierges folles aux raides attitudes de somnambules, semblables à des
héroïnes de Mœterlinck ? La vertu est rarement récompensée, même
en peinture.
Un autre tableau de grande dimension et aussi d'arrangement dra-
matique, Glorieux bûcher, domine toute la série militaire. L'auteur,
M. Henry Jacquier, y commente ce douloureux épisode de la première
capitulation de Paris raconté par le maréchal Suchet, duc d'Albuféra.
dans ses Mémoires : « Le 30 mars, à neuf heures du soir, à la veille de
l'entrée des armées ennemies à Paris, le maréchal Sérurier, gouverneur
des Invalides, donna l'ordre de détruire et de brûler dans la principale
cour de l'hôtel les quatorze cent dix-sept drapeaux et étendards pris sur
les ennemis ainsi que l'épée et les décorations du Grand Frédéric confiés
à sa garde. Ce soir-là furent anéantis les trophées de Denain, de Fon-
tenoy, de Jemmapes. de Fleurus, d'Arcole, d'Aboukir, de Marengo,
d'Austerlitz, de Wagrani ! » Un vieux soldat jette par brassées dans la
flamme les hampes entourées de glorieux haillons que lui passent d'au-
tres invalides ; les officiers assistent à l'autodafé, silencieux et mor-
nes; œuvre éloquente malgré une certaine insuffisance dans les moyens
d'exécution, surtout au point de vue du coloris.
J'ajouterai que si l'hervéisme fait des progrès quelque part, ce n'est
pas au Salon des Artistes français. Non seulement il est présidé dans
la grande galerie parla gigantesque composition de M. Edouard Détaille
où le Chant du départ groupe les glorieux va-nu-pieds de notre épopée ;
mais partout foisonnent les tableaux militaires. Un des plus intéres-
sants comme arrangement scénique est la toile de M. Alphouse Lalauze
qui représente les défenseurs de Mayence sortant de la ville, le
24 juillet 1793, avec les honneurs de la guerre. « Ils étaient, dit Gœthe,
petits, noirs, bariolés, déguenillés. On aurait cru que le roi Edwin avait
ouvert sa montagne et lâché sa joyeuse armée de nains. » L'ouvrage
est bien traité, non sans quelque surenchère théâtrale. J'en dirai
autant du Bonaparte, de M. Boislecomte, qui gravit la pente du grand
Saint-Bernard dans la matinée brumeuse du 20 mai 1800. Visiblement,
il songe à la postérité plus qu'à la difficile opération en cours. Et voici
encore, pour le musée de l'armée, les chasseurs d'Orléans de M. Raoul
Arus,les maraudeurs premier Empire de M.Louis Baader, la rencontre
pendant l'étape de M. Berne-Bellecour, le passage de la Bérésina de
M. Hoynck, le fusilier marin de M. Jobert, le chasseur de la garde de
M. Lacault, le tambour de M. Lybaert, les cuirassiers <J'.- M. Perboyre,
les hussards de M. Sigriste, fougueusement lancés à la poursuite de
l'ennemi, le retour de permissionnaires de M. Larteau, très curieuse-
ment observés dans leur compartiment de troisième classe. Ou trouvera
à la section des dessins une amusante aquarelle de M. Maurice Orange,
d'exécution très aisée: le goûter de l'état-major sur le sable du désert
aux pieds du sphynx, pendant la campagne d'Egypte de 1798.
M. Alphonse Chigot a dramatiquement groupe dans un décor de neige
les héros et les comparses d'un duel entre deux officiers de chasseurs à
pied. Et notre peintre de batailles maritimes — le seul, l'unique, qui
abuse de cette situation à la fois isolée et prépondérante pour endeuiller
tous ses personnages sous une couche de cendres fines — M. Charles
Fouqueray représente' le dénouement tragique de la campagne de
Leissègues en 1806, l'échouement volontaire et l'incendie de notre
escadre après une lutte désespérée contre les vaisseaux de sir John
Duckworth.
Les drames de la Révolution française ont un prologue émouvant
dans les Derniers Jours d'une Reine. L'auteur de ce tableau anecdotique,
M. Jules'Girardet, est le peintre de Marie-Antoinette comme Victor
Cousin était l'historien des femmes de la Fronde ; il a ouvert ses armoi-
res, scruté ses coffrets à bijoux et il étale toute la garde-rolio de la
princesse « déplorable » dans le cadre fleuri de ce hameau de Trianon
où une attirance magnétique fait se succéder tous les souverains de
passage en France. Et voici une sinistre composition de M. Massin, le
muet et impressionnant défilé du peuple en marche vers les Tuileries
pendant la nuit du 10 août 1792 : très belle veillée, éclairée de la lune,
toutes les fenêtres illuminées ; effet angoissant, observe Michelet. car
on sentait que ce n'était pas là l'illumination d'une fête. Cette toile, sobre
et dramatique, est en quelque sorte le décor extérieur du prologue de
Madame Sans-Gène ; elle figurerait en bonne place dans les couloirs du
Théàtre-Réjane après la fermeture du Salon. M. Maxime Faivre décrit
ou plutôt esquive les indescriptibles horreurs qui suivirent l'assassinat
de la princesse de Lamballe « étalée au coin d'une borne, nue comme
Dieu l'avait faite », écrit également Michelet dans sa prose de vision-
naire. La disposition du tableau est ingénieuse mais froide ; ces person-
nages bien groupés, ce sans-culotte qui brandit un sabre, cette tricoteuse
qui semble débiter son rôle n'incarnent pas les tumultueux et féroces
comparses des grandes ruées populaires.
(A suivre.) Camille Le Senne.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(POUR LES SEULS ABONNÉS A LA MC8IQUE")
Raoul Pugno est un compositeur rare, dans les deux sens du mot. Il produit fort
peu, étant toujours par monts et par vaux, appelé ici et là par la renommée de son
prestigieux talent de virtuose. Il produit peu et c'est dommage! S'il n'avait été un
grand pianiste, il eut été un grand compositeur. Voici venir une nouvelle série de
lieds, les Cloches du souvenir, qui le prouve encore une fois. On en a peu écrit de cet
accent puissant et douloureux. Cette Éloile filante, que nous donnons aujourd'hui,
vous étreint le cœur.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Le voyage du Président de la République à Londres : Une grande repré-
sentation de gala a été donnée mercredi dernier en l'honneur de M. Fallières,
au théâtre Covent-Garden, dont la salle a été transformée, comme à l'ordinaire,
en un bosquet de fleurs. Le programme comprenait le premier acte des
Pécheurs de perles et la scène du jardin de Faust, chantés en italien. Cette
représentation avait cela de particulier que. pour la première et la seule fois,
on voyait sur le même programme les noms de Mme Tetrazzini et de Mmt: Melba,
la première dans le rôle de Leila, la seconde dans celui de Marguerite. Les
autres artistes qui ont pris part à cette représentation sont M1"™ Hatchard et
Thomton et MM. Mac Gormack (Nadir), Zenatello (Faust), Sammarco (Zurga),
Marcoux (Nourabad) et Journet (Mephistophélès). C'est le maestro Campanini
qui dirigeait l'orchestre. Le prix des places était ainsi fixé : Loges de rez-de-
chaussée, 1.300 francs; premières loges, 787 fr. 50 c; deuxièmes loges,
393 fr. 75 c; fauteuils d'orchestre, 183 fr. 75 c: fauteuils de balcon, 105 francs.
— Au dernier festival de la Société chorale de Manchester (États-Unis), qui
a eu lieu les 5 et 6 mai dernier, on a entendu les Sept paroles du Christ de
174
LE ME.NESTREL
M. Théodore Dubois, Schon Elleh (la Belle Hélène) de M. Max Brucb, la Nuit
de Walpurgis de Mendelssohn et plusieurs compositions de l'école anglaise
moderne.
— D'après son dernier rapport, la Sociélé des Musiciens allemands pour la
perception des droits d'auteur est en pleine prospérité. En 1907, elle a payé
plus de 100.000 marks aux compositeurs, librettistes et éditeurs de musique
dont elle gère les intérêts. Les frais d'administration, qui s'élevaient la pre-
mière aDnée (1904) à 40 % des profits, ne s'élèvent plus aujourd'hui qu'à
2o %• Depuis qu'elle existe, la Société a distribué à deux cent quatre-vingt-
quinze auteurs et à soixante-dix maisons d'édition plus de 230.000 marks. A
sa dernière assemblée générale, elle a maintenu dans leurs fonctions les
membres du bureau actuel, qui est composé de MM. Richard Strauss, Friedrich
Rœsch, Philippe Riiper, Georges Schumann et Engelbert Humperdinck.
— M. Gustave Mahler, de retour à Vienne après avoir dirigé des concerts
dans plusieurs villes d'Amérique, s'est montré satisfait de son voyage et a
déclaré qu'il avait contracté pour l'année prochaine un engagement de trois
mois à New-York.
— L'inauguration du nouveau monument érigé à Leipzig en l'honneur de
Sébastien Bach a eu lieu solennellement dimanche dernier. Le prince Frédé-
ric Henri de Prusse, le prince et la princesse de Reuss-Koestritz, le prince
héritier de Reuss-Gera et tous les hauts fonctionnaires de la ville assistaient
à la cérémonie. Le conseiller intime, docteur Wach, et le maire de Leipzig,
M. Trœndlin, qui a reçu le monumeot au nom de la ville, ont prononcé des
discours. Le monument a été placé sur des terrains de l'ancien cimetière
Saint-Thomas. Il est du sculpteur Charles Seffaer. Bach y est représenté
comme un homme d'une cinquantaine d'années; il est debout à côté d'un
petit orgue sur lequel sa main gauche semble s'appuyer négligemment, tandis
que la droite tient un cahier de musique. Un bas relief reproduit une vue de
la vieille église Saint-Thomas.
— Le quarante-quatrième festival de l'Association des musiciens allemands
aura lieu cette année à Munich du 30 mai au 5 juin. Les premières journées
seront consacrées à des réunions dans lesquelles on discutera les intérêts de
l'Association.
— La cantatrice Sophie Stehle, qui fut très fêtée de 1860 à 1874 au théâtre
de la Cour, à Munich, et qui,' en abandonnant la carrière scénique, s'était éta-
blie à Hanovre après avoir épousé le baron Wilhelm de Knigge, un des mem-
bres de la noblesse de cette ville, vient de profiter d'un séjour qu'elle a fait
tout dernièrement à Munich pour laisser un bienfaisant souvenir au personnel
le plus humble du théâtre de ses anciens succès. Sur la pension qui lui était
due par l'intendance, les termes non touchés depuis 1890 s'élevaient à 23.000
francs ; elle a déclaré non seulement renoncer à cette somme, mais aussi à
toute autre qui pourrait lui revenir au même titre jusqu'à la fin de sa vie,
demandant qu'une fondation soit constituée au profit des veuves et des
orphelins, des choristes, des figurants et des machinistes du théâtre de la Cour.
Mme de Knigge devient ainsi une bienfaitrice du théâtre où elle fut pendant
treize ans applaudie sous son nom de Sophie Stehle.
— Un général en activité de service, le baron van der Goltz, commandant
de brigade à Francfort, voulant, dit un journal étranger, ci passer du Champ
de Mars à celui d'Orphée », vient de terminer la composition d'un opéra inti-
tulé Wittichs, dont, à l'instar de Wagner, il a écrit tout ensemble les paroles et
la musique. Cet ouvrage serait déjà acquis par la direction de l'Opéra de la
cour de Schwerin. Le général n'en est pas d'ailleurs à s?s premières armes
musicales. Il a déjà fait représenler, il y a quelques années, sur ce même
théâtre de Schwerin, un premier opéra intitulé Mina, dont le succès, il est
vrai, fut médiocre.
— L'archiviste d'Etat de Frauenfeld (canton de Thurgovie) a mis au joui-
un précieux parchemin qui servait jusqu'ici à envelopper des pièces d'archives.
C'est un fragment d'un livre d'heures noté, remontant au douzième siècle,
•lue l'on suppose avoir été écrit dans un couvent suisse ou allemand. Ce
fragment a été étudié par deux professeurs de l'Université de F'ribourg,
MM. Biichi et Wagner, par M. Max de Diesbach, bibliothécaire cantonal, et
par un religieux paléographe de la Valsainte.
— Le parlement norvégien a dernièrement refusé de voter une somme
de 1.60O couronnes, qui avait été précécemment attribuée, à titre honorifique,
à M. Johann Svendsen, que l'on peut considérer, depuis la mort de Grieg.
comme le plus illustre des compositeurs de son pays. Cette décision a été
généralement blâmée. On a fait remarquer en effet que, tant que M. Svendsen
occupa uu emploi au Théâtre-Royal de Copenhague, il pouvait paraître très
compréhensible qu'aucune pension ne lui fut payée puisqu'il avait d'autres
ressources, mais l'on trouve très dur de lui refuser un subside pécuniaire à
l'époque où son âge ne lui permet plus de parer à ses besoins par son travail.
Pour protester contre la parcimonieuse rigueur du Parlement, un groupe
d'amis de la musique s'est substitué à lui et a pris à sa charge l'annuité
de 1.600 couronnes, qui continuera d'èlre payée au compositeur sa vie durant.
— Ainsi que nous l'avons annoncé, l'ensemble de l'Opéra-Impérial de Saint-
Pétersbourg s'est assuré la disposition de la salle du nouvel Opéra-Royal de
Berlin (Théàtre-Kroll) pour y donner des représentations jusqu'au 10 juin.
Après la Via pour le Tzar, de Glinka, l'on jouera : le Démon, d'Antoine
Rubinstein, la Dame de Pique, Eugène Onéguine et Mazeppa, de Tschaïkowsky,
et Dombrowski, de Naprawnik. Voici les noms des artistes désignés pour
l'interprétation des rôles principaux ; sopranos : Mracs Medea Fiegner, Maria
Konsnetzowa, Maria Aleschko, M. Fadejewa, M. Drusiakina ; mezzo-soprano<
et contraltos : Mmea E. Sbroujewa, A. Makarowa, R. Karamsina-Schukowskaja.
E. Tikschomirowa ; ténors : MM. A. Dawidoff, A. Bolsehjakow,
A. Bouatschich, L. Klementjew, N. Andrejew ; barytons : MM. J. Tartakow,
G. Baklanow, A. Bragin, P. Slroschkiewitsch ; basses : MM. W. Petro\v_
S. Worinin, N. Tischonow. Les chefs d'orchestre sont : MM. Edouard
Kruschewski et Th. Pochitonow. L'ensemble se compose de cent vingt per-
sonnes.
— Un journal étranger croit savoir que le fameux chanteur russe Chaliapine,
que nous entendons à l'Opéra dans le Boris Godounow de Moussorgsky.
aurait l'intention de se faire directeur et se proposerait d'ouvrir l'hiver
prochain, à Moscou, un théâtre auquel il donnerait son nom.
— A Deventer (Hollande), durant la semaine sainte, a eu lieu un spectacle
d'un genre particulier. Ce spectacle consistait dans la représentation des épi-
sodes principaux de la Passion du Christ, dont la mise en scène était établie
d'après les tableaux des peintres les plus célèbres, tandis qu'un orchestre caché
exécutait, sous la direction de M. Wensink, des fragments importants de
musique choisis de façon à répondre aux sentiments que la vue des repro-
ductions devait faire naitre chez les spectateurs. Le succès a été très grand.
— La petite ville de Mézières (Suisse! s'est offert, le 7 mai, la primeur d'une
œuvre nouvelle importante, Henriette, drame en trois actes, de M. René Morax,
avec musique de M. Gustave Doret. La musique de ce drame, conçu dans la
forme du théâtre antique, avec intervention du choeur comme personnage
collectif prenant une part essentielle à l'action, consiste précisément en huit
chœurs mixtes a cappella dont l'effet parait avoir été considérable et qui ont
produit une vive impression.
— De Naples : Notre Théàtre-Mercadante vient de représenter la Manon de
Massenet, avec une exécution vraiment parfaite de la part des artistes et de
l'orchestre. L'œuvre exquise du grand maître français a donc remporté un
triomphe de plus en Italie. Le rôle de Manon était chanté par M"e Isaia, une
jeune et charmante artiste, très estimée sur les théâtres d'Italie et de
l'étranger.
— Le Théàtre-Yictor-Emmanuel de Turin a donné, le 12 mai, la première
représentation d'un drame lyrique en trois actes, Maria-Antonietta, paroles de
M. Pasquale de Luca, musique de M. Giuseppe Galli. Le compositeur, qui
faisait avec cet ouvrage ses débuts à la scène, est élève du compositeur russe
Tschaïkowsky. Sa partition, un peu inégale, a été bien accueillie dans son -
ensemble. Les rôles principaux sont tenus par Mmes Clara Joanna (Maria-Anto-
nietta) et Julia (Andreina), MM. Daneo (Oliviero), Tegani (Louis XVI) et
Venturini (il Duca).
— L'Académie philharmonique de Bologne avait ouvert un concours inter-
national pour la composition d'un quatuor pour instruments à cordes. Ce con-
cours vient d'être jugé par un jury présidé par M. Luigi Torchi et comprenant
les noms de MM. Marco Bossi, Wolf-l''errari, Bruno Mugeliini et Nestore
Morini. Le prix unique étiit de 1.000 francs pour le vainqueur; il a été attri-
bué à l'œuvre de M. Michèle Esposito, résidant à Dublin. Une mention hono-
rable a été accordée à M. François Dupont, résidant à Londres. Les examina-
teurs n'avaient pas eu à juger moins de 67 compositions.
— Une jeune cantatrice qui s'est fait depuis quelques années une très bril-
lante renommée en Italie, MUe Regina Pinkert, et qui, croyons-nous, est
Portugaise de naissance et d'origine, renonce à la carrière théâtrale au milieu
de ses grands succès pour épouser un riche banquier milanais.
— I Decurioni, tel est le titre d'une opérette nouvelle qui a été représentée à
Giovinazzo, et dont les auteurs sont MM. Saverio Dacanto pour les paroles et
Luigi Preite pour la musique.
— Au Théàtre-Rubini, de Bergame, a eu lieu, le 10 mai, la première exécu-
tion de Noemi e Huth, nouveau drame biblique du jeune prêtre compositeur
don Giocondo F'ino, écrit par lui sur un poème de son frère, l'avocat Saverio
Fino. Avantageusement connu par un ouvrage du même genre, Battista, qui
avait été très bien accueilli, le compositeur a vu sa nouvelle œuvre fort bien
reçue du public qui lui a fait fête ainsi qu'à ses interprètes, M"e Maria Alexina,
jeune cantatrice russe (Ruth), Mlle Anna Gramegna (Noémi) et le baryton
Bériel (Booz).
— On nous écrit de Madrid : L'éminentc pianiste M"R' Clotilde Kleeberg-
Samuel vient de remporter à la Société philharmonique un grand succès dans
une série de quatre concerts historiques dont le dernier était consacré aux
compositeurs modernes. Au programme : les Abeilles de Th. Dubois ont été
particulièrement acclamées.
— ■ A Madrid, deux artistes fort distingués, M. Manuel Calvo et MmeVicenta
Torno-Calvo, l'un premier violoncelle à l'orchestre du Théâtre-Royal, l'autre
professeur de harpe au Conservatoire, ont eu l'idée ingénieuse d'exécuter
ensemble des œuvres de musique classique pour harpe et violoncelle et de
passer ainsi en revue le répertoire de ce genre depuis le seizième siècle jus-
qu'au temps présent. Leur interprétation très artistique et très personnelle de
ces œuvres fort peu connues leur a valu un succès éclatant.
— La fin des ouvreuses. Un directeur de théâtre américain, M. Baumfeld,
qui se fait construire en ce moment à New-York un théâtre nouveau dont
l'inauguration aura lieu en automne prochain,_a décidé de remplacer les ou-
LE MÉNESTREL
175
vreuses par des vestiaire automatiques. Ces vestiaires, d'accès très facile, sont
réservés par moitié aux hommes et par moitié aux femmes. Us contiennent —
en quantité suffisante même pour les jours où la salle sera comble — des ar-
moires d une forme spéciale où pardessus, manteaux, cannes et aussi les cha-
peaux les plus volumineux pourront être remisés. A leur arrivée au théâtre,
les spectateurs glisseront dans une fente pratiquée dans l'armoire automatique
une pièce de monnaie, en échange de laquelle le mécanisme leur remettra
une clef. Us ouvrent l'armoire, rangent eux-mêmes leurs effets, la ferment et
à la fin de la représentation, sans qu'ils aient besoin d'attendre, de se bous-
culer, de se mettre en colère et de se disputer avec les ouvreuses, vont
reprendre les objets qui leur appartiennent.
— A un concert d'oeuvres chorales, donné dernièrement à Buffalo, on a
chanté, comme intermèdes, plusieurs morceaux de compositeurs français et
auglais, parmi lesquels l'arioso à'Hérodiade, Par le sentier, de M. Théodore
Dubois, un air de Suzanne, de M. Paladilhe, Rencontre, de M. Gabriel Fauré,
le Plongeur, de M. Ch.-M. Widor, etc.
— La ville de Boston, qui est certainement la plus artiste et la plus musi-
cale des Etats-Unis, possédera prochainement un nouveau et grand théâtre,
exclusivement consacré au genre lyrique. C'est un très riche citoyen qui le
fait construire à ses frais, et qui le confie à une société qui prendra le nom
de Boston Opéra C°. La construction, qui coûtera trois millions et demi de
dollars, sera terminée pour l'automne de 1909. Le Boston-Opera s'ouvrira par
une saison de quinze semaines consacrée surtout au répertoire italien.
— Une matinée des plus intéressantes a été donnée à New- York par
Mnlc Bollie Borden-Low. Le programme comprenait trois mélodies norvé-
giennes de Grieg, trois chants danois de Cornélius Hùbner, trois pièces vo-
cales françaises, le Vitrail de M. Théodore Dubois, la Cloche de M. Saint-Saèns,
et la Légende de la Sauge du Jongleur de Notre-Dame de M. Massenet, enfin des
fragments de Belliui, extraits de Xorma.
PARIS ET DEPARTEMENTS
Au Conservatoire : A la suite des examens, le jury a admis aux concours
de fin d'année les élèves dont les noms suivent :
TRAGÉDIE
Classe de il. Silvain : MM. Renoir, Soarez; M"1 Bernard.
Classe de M. Leloir : M. Karl ; M"" Mancini.
Classe de M. Paul Mounet : MM. Alexandre, Tellegen ; M"" Châtelain, Schmitt,
Deroxe.
Classe de M. G. Berr : W" Du-Eyner.
Classe de M. Truffer : M. Yoris-Valtère ; M"" Roselle, Albane.
Classe de M"' Sarah Bernhardt :M. de Gravone; M"" Dumoulin et Norma.
Classe de M. Silvain : MM. Charnbreuil, Renoir, Roger Lévy, Soarez; M"" Reuver,
Lestrange, Bernard Deréval.
Classe de M. Leloir : MM. Brousse, Karl ; M"" Guyon, Marialise.
Classe de M. P. Mounet : MM. Becquart, Alexandre, Tellegen; W" Châtelain,
Schmitt, Céliat.
Classe de M. G. Berr : MM. Guilhem, Puylagarde ; M"" Dantès, Du-Eyner, Pacitti,
Beauval.
Classe de M. Truffier : M. Stephen ; M11" Fillacier, Samary-Lagarde, Albane.
Classe de M"" Sarah Bernhardt : M. Gandéra; M"" Relsv, Chanove, Norma.
ACCOMPAGNEMENT DE PIANO
Classe de M. Paul Vital: MM. Flament (Edouard), Krùger, Fauehet (Paul.);
MlkJ Delmasure et Dauly.
— Le relevé des receltes brutes des principaux théâtres et spectacles de
Paris en 1901 vient d'être établi. Les recettes se sont élevées, au total, à
45.753.048 francs contre 43.209.584 francs en 1906. C'est le chiffre le plus
élevé qui ait jamais été atteint, sauf pendant l'Exposition de 1900 où les
recettes des théâtres atteignirent 37.923.040 francs. Voici quelles ont été les
recettes dans les théâtres suivants :
Opéra
Français
Opéra-Comique. . .
Odéon
Ambigu
Antoine
Athénée
Boîte à Fursy . . .
Bouires-Parisiens. .
Capucines
Chàtelet
Cluny
Déjazet
Folies-Bergère . . .
Folies-Dramatiques.
Gaité
Grand-Guignol . . .
Gymnase
Jardin de Paris. . .
Marigny
Moulin-Rouge . . .
Nouveautés
^Olyrngia^
Palais de Glace. . .
3.217.324 39
2.293.340 20
2.562.831 69
856.350 92
599.030 50
763.790 »
529.902 »
204.847 »
76.061 50
311.984 50
1.884.605 75
264.649 »
300.214 75
1.104.791 25
501.009 40
1.018.628 »
197.177 50
1.132.421 50
247.912 50
811.279 »
1.006.863 »
767.107 50
1.203.075 96
Ï5Ï."Û06"' ï
Palais-Royal
Porte-Saint-Martin. . .
Renaissance
Sarah-Bernhardt . . . .
Variétés
Vaudeville
Arts
Théâtre-Grévin
Réjane
Comédie-Royale . . . .
Apollo
Alcazar d'Été
Ambassadeurs
Cigale
Gaité-Rochechouart . .
Parisiana
Scala
Tabarin
Apollo
Cirque-Médrano . . . .
Nouveau-Cirque . . . .
Conc. du Conservatoire.
Concerts-Colonne . . .
Concerts-Lamoureùx T~.
502.463 50
1.003.597 50
991.160 50
1.318.200 50
1.404.852 25
1.055.247 50
104.626 10
98.801 »
1.051.811 27
69.190 »
421.893 »
301.817 »
369.223 »
777.309 25
320.697 45
866.838 50
663.107 25
409.679 »
188.627 50
487.260 50
486.143 97
145.203 »
230.340 »
196.250 5
— Sur les demandes qui lui ont été régulièrement adressées, la commission
de la Société des Auteurs et Compositeurs dramatiques, réunie sous la prési-
dence de M. Paul Hervieu, a décidé de convoquer une assemblée générale
extraordinaire pour statuer sur l'objet de ces diverses demandes indiquées à
l'ordre du jour ci- après :
1" Discussion et vote sur la demande de révision de l'article 15 des statuts sociaux;
2° Discussion ut vote sur la demanJe de révision de l'article 22 des mômes statuts;
3° Perception des droits en province.
Cette assemblée générale extraordinaire des membres sociétaires aura lieu
le vendredi 12 juin 19uS â deux heures très précises, à la salle des ingénieurs
civils, 19, rue Blanche.
— Nos théâtres lyriques continuent à se russifier de plus en plus, pour la
plus grande joie d'ailleurs des Parisiens, à ce qu'il semble. Après Snegourotchka
à l'Opéra-Comique et Boris Godounow, que MM. Messager et Broussan songent a
mettre définitivement au répertoire de l'Opéra avec une traduction française,
voici venir encore dans ce dernier théâtre deux danseurs russes, M"'-'Kschesinska
et M. Légat, qui ont triomphé, l'autre soir, dans l'adorable Coppélia de Léo
Delihes : « Dès son entrée, dit M. Robert Brussel, du Figaro, l'exquise Svva-
nilda a conquis le public ; sa technique souple et déliée, sa virtuosité sûre cl
délicate ont d'emblée rallié les suffrages. La jolie valse du début, la scène du
dépit, où son geste est plein de la plus tendre éloquence, la scène de la
Ballade, le thème slave varié, la scène et la valse de la Poupée ont mis en
relief les dons naturels et la science de l'exquise danseuse. Son éclatant succès
a été partagé par son valeureux partenaire : M. Légat, un des plus experts
chorégraphes de Pétershourg, qui donnait la réplique à M"'; Kschesinska dans
le pas de deux. »
— Pourtant, voici pour notre Opéra un projet qui va rester bien français.
Après les curieuses représentations qu'ils donnent en ce moment de Thaïs
(goût américain, extra-dry), M"e Mary Garden et M. Renaud vont faire une
reprise de la belle œuvre d'Ambroise Thomas, Hamlel, si injustement écarté
du répertoire par le précédent directeur M. Gailhard (question de comman-
ditaire et d'interprétation). Et enfin voici annoncée pour le mois de mars 1909
la première représentation du Bacchus de MM. Massenet et Catulle Mendès, —
une belle suite pour Ariane.
— Demain dimanche dans l'après-midi, aura lieu dans la rotonde de l'Opéra,
gracieusement offerte par MM. Messager et Broussan, un ûve o'clock stricte-
ment réservé aux membres de la Société des artistes et amis de l'Opéra, dont
font partie, on le sait, tous les commanditaires de l'Académie nationale de
musique et une notable partie des abonnés de la maison. Mlle Farrar, la cé-
lèbre cantatrice, a bien voulu s'inscrire dans le programme qui réunit déjà les
noms de Mllcs Zambelli, Louise et Suzanne Mante, LéaPiron, Ricotti, Barbier,
L. Couat et Urban et de MM. A. Brun, A. Catherine, Georges de Lausnay,
Hennebains, Bas, Lefebvre, Vizentini, Reine, Staats, etc.
— A propos à'Hippolyte et Aricie, qui vient de reparaître sur la scène après
cent soixante-quatorze ans d'existence, V Atlienaeum de Londres cite un ou-
vrage anglais de Henry Purcell (1638-1695). Dido and Mneas, dont la première
représentation remonte à 1680 selon les uns, à 1693 selon d'autres, et dont
M. Charles Villiers Stanford a dirigé une audition donnée par les élèves du
Collège royal de musique, il y a seulement quelques années, c'est-à-dire plus
de deux cents ans après la première représentation. Dans le même ordre
d'idées, on pourrait mentionner YOrfeo de Claudio Monteverde, qui remonte à
1607 et dont laScholacantorum a donné une audition, salle Pleyel, le 6 février
1905, mais dans les cas de Purcell et de Monteverde, il ne s'agissait pas de
véritables représentations théâtrales. Purcell est considéré comme le plus
génial musicien qu'ait produit la Grande-Bretagne. Organiste à l'âge de dix-
huit ans, il avait seulement un an de plus lorsqu'il composa Dido and .Eneas
dont la représentation n'eut pas lieu immédiatement. Pendant sa vie si courte
il écrivit une quarantaine d'oeuvres musicales dont les sujets sont tirés des
ouvrages de Dryden, de Shakespeare et de beaucoup d'autres dramaturges de
l'époque.
— M. Albert Carré nous avise que, pour la saison 1908-1909, les abonne-
ments à l'Opéra-Comique recommenceront le 3 novembre 1900 et, comme
d'usage, se diviseront en six séries de quinze représentations, les mardi, jeudi
et samedi de chaque semaine, chaque série donnant droit à quinze spectacles
différents. En voici le tableau complet :
SAMEDI A MARDI B ) JEIDI B SAMEDI B
3 novemb .
17 —
1 décemb.
15 —
29 -
12 janvier.
9 février.
23 —
9 mars.
23 -
20 avril.
4 mai.
18 —
1 juin."
JEIDI A
5 novemb.
19 —
3 décemb.
17 —
31 —
14 janvier.
28 —
11 lévrier.
3 juin.
7 novemb.
21 —
5 décemb.
19 —
2 janvier.
16 —
30 —
13 février.
27 —
13 mars.
27 —
24 avril.
8 mai.
22 -
5 juin.
10 novemb.
24 -
8 décemb.
22 -
5 janvier.
19 —
2 février.
16 —
2 mirs.
16 —
30 —
27 avril.
11 mai.
8 juin.
12 novemb.
26 —
10 décemb.
2i —
7 janvier.
21 —
4 février.
18 —
4 mars.
18 -
1 avril.
29 —
13 mai.
27 —
111 juin:
novemb.
décemb.
janvier.
février.
mars.
avril,
mai.
12 juin. - —
476
LE MENESTREL
II n'y aura pas de soirées d'abonnement enlre le 3 et le 20 avril à cause des
fêtes de Pâques. Le bureau des abonnements est ouvert, rue Marivaux, de
11 heures à 6 beures ; on peut aussi s'adresser par correspondance à Mme Bin.
Rappelons que les prix sont de 180 francs pour une place de loge, de bai-
gnoire ou un fauteuil de balcon (premier rang) et de ISO francs pour un
fauteuil d'orchestre ou un fauteuil de balcon deuxième et troisième rangs, de
120 francs pour une place de loge de face ou un fauteuil de face du deuxième
étage, etc.
— Spectacles de dimanche à l'Opéra-Gomique : en matinée, Snegourotchka :
le soir, Manon. Lundi, en représentation populaire : Lakmé.
— Une nouvelle association vient de naître, celle des Concerts de musique
française ancienne et moderne. Le but qu'elle poursuivra sera la vulgarisation
des chefs-d'œuvre anciens plus ou moins oubliés, ou même inconnus, et des
œuvres intéressantes de production moderne, sans distinction d'école. Le
comité de patronage réunit les noms de M. G. Saint-Saëns. président, et de
MM. Cb. Bordes. Bourgault-Ducoudray, Gabriel Fauré, Vincent d'Indy, Guy
Ropartz.
— Afin de venir en aide aux jeunes chanteurs que les difficultés matérielles
ont si souvent entravés au début de leur carrière, M. Lassalle, l'ancien artiste
de l'Opéra, avec le concours de personnalités artistiques et mondaines, a fondé
l'œuvre des <• Pupilles du Chant ». Plusieurs fois l'an, des représentations
d'opéras inédits seront données et, en même temps que les élèves perfection-
neront leur éducation scénique, ils vulgariseront les pièces de jeunes auteurs
qui n'ont pour se produire que des occasions fort rares. La première repré-
sentation est dès maintenant fixée au 13 juin prochain, en matinée. Elle aura
lieu au Tbéàtre-Femina. Le programme comprendra deux ouvrages lyriques:
Maître Jean, drame lyrique en trois actes d'Albert Boucheron, musique de
Robert Broche, et Manoël, drame lyrique en un acte, de Gabriel Montoya.
musique d'Emile Nerini.
— Les œuvres françaises jouissent en ce moment en Angleterre et en
Amérique d'une vogue extraordinaire. Nous rencontrons sur les programmes
des concerts au Bechstein Hall et à lVEolian Hall de Londres de nombreuses
mélodies d'Ambroise Thomas, de Léo Delibes, de MM. Messager, Vincent
d'Indy et A. Bachelet. Miss Charlott Lund a chanté avec un très brillant
succès J'ai pleuré en rêve, de M. Georges Hue, Mai, de M. Reynaldo Hahn,
Chanson triste, de Henri Duparc, et la Chanson des baisers, valse vocale de
Bemberg. A New-York, M. Kubelika donné un concert d'adieu, car il ne doit
pas, parait-il, revenir dans cette ville avant trois années; le New-York
Symphony orchestra, qui prêtait son concours au célèbre violoniste, a fait
entendre le duo pour clarinette et violoncelle, Sous les tilleuls, des Scènes
Alsaciennes, de Massenet. Cette délicieuse inspiration a fait sensation là-bas.
Un fragment de la symphonie de Ra£f, Lénore. figurait aussi au programme de
cette séance. A. Newark, Mme Cumming et M. Hofmann ont chanté plusieurs
airs de maîtres classiques et des œuvres modernes, parmi lesquelles se trou-
vaient Vieille chanson, de Bizet, l'Heure exquise, de M. Reynaldo Hahn, et des
morceaux de compositeurs appartenant à toutes les nationalités. Dans
beaucoup d'autres villes, on joue avec succès des œuvres de MM. Massenet,
Saint-Saëns, Théodore Dubois, Charpentier, Debussy, etc., etc. ; enfin, la
musique française est pleinement en honneur là-bas et ce n'est que justice.
— La soirée que viennent de donner M. et Mme Louis Tinayre pourra
compter parmi les plus séduisantes manifestations de la saison. Il nous fut
donné d'assister à la première audition de Cybelia, songe antique en quatre
tableaux, dû à la collaboration de MM. Paul Géraldy et Pierre Gusman pour le
livret, Armand Marsick, pour la musique et Louis Tinayre et P. Gusman pour
les ombres qui sont venues accentuer l'action scénique avec beaucoup d'origi-
nalité. La musique de M. Armand Marsick fut très appréciée. La partition
d'une variété infinie de motifs place ce ferme musicien parmi les compositeurs
d'avenir. Le musicien qui dirigeait lui-même l'exécution a été fort bien
secondé par l'orchestre choisi qu'il avait formé. Lés. rôles principaux ont été.
tenus remarquablement: celui de Cybelia, par Mme Caro-Lucas, de l'Opéra, à
la voix caressante et vibrante; M. Samara, de l'Opéra, au tempérament ardent,
nous a donné un Atys jeune et passionné ; M. Gilly, de l'Opéra, représentait
un Mercure imposant et de grande almre. M. Alexandre, de l'Odéon, disait
les parties récitées du poème.
— MM. Louis Diémer et Jules Boucherit viennent de se faire entendre avec
très grand succès à Clermont-Ferrand et à Limoges. Au programme, des
œuvres pour violon de Beethoven, J.-S. Bach, Diémer, Saint-Saëns et des
œuvres pour piano de Beethoven, Haendel, Rameau, Daquin. Mozart, Chopin,
Stojowski, Fauré et Diémer, dont la Grande Valse de Concert a été, comme tou-
jours, acclamée.
— A Niort M. Jean Déré vient de donner deux belles auditions musicales.
Au programme deux chœurs pour voix de femmes : l'Ile fortunée de Moreau
et Caligula de Fauré. Dans cette dernière œuvre la partie de piano à quatre
mains était tenue par M. J. Déré et M. René Jousset, un de ses meilleurs élèves.
Une autre élève de M. J. Déré, W" Garrouste, a joue d'une façon remarquable
le premier morceau du concerto de Saint-Saëns. Le magnifique trio de Bee-
thoven « à l'Archiduc » a été rendu d'une façon impeccable par lestrois ar-
tistes niortais : M. J. Déré au piano, Calame au violon et' Conte au violoncelle.
Puis M"" C. Cuirblanc a chanté deux mélodies du jeune composieur Jean Déré.
Enfin ce dernier a soulevé son auditoire en exécutant au piano la sonate
op. 111 de Beethoven, la 3e ballade de Chopin et la Polonaise de Liszt, qu'il a
jouée avec un brio qui lui a valu une véritable ovation.
— Soirées et concerts. — Chez M. Ernest Charles, soirée tout à fait artistique
consacrée aux Chansons de Maurice Maeterlinck, mises en musique par M. Gabriel
Fabre. Leur très remarquable interprète, M-' Georgette Leblanc, ne s'est point con-
tentée de chanter, comme elle seule sait le faire, mais encore elle a commenté, dans
une très jolie causerie, J'ai marché trente ans, les Sept Filles d'Orlamonde, Elle l'en-
chaîna et S'il revenait un jpur. M. Gabriel Fabre l'accompagnait au piano. — Ch-z
M"1 Reine Laurent, très bonne audition d'œuvres de René Lenormand ; on bisse la
Grâce suprême à M"' H. B. ' — Salle de l'Union, concert annuel donné par le « Choral
Laffitte ». Beaucoup d'applaudissements pour l'Ouverture du' Roi d'Ys, de Lalo,
jouée à deux pianos par M"" de Closmé'nil, Michel, Ruzé et M. de Closménil; pour
le duo du Roi d'Ys chanté par M"" Tournier et Mojon, pour l'air de l'Archange et les
chœurs des Anges de Rédemption de César Franck, chanté par M™' Hess et le choral,
pour Ivresse d'amour d'e Gabriel Fabre, chanté par M"c Joveneau et accompagnée par
l'auteur et le violoncelle de M. Pistch, enfin pour l'air des clochettes de Lakmé de
Delibes, chanté par M"" Naudellis.— M"" Léa et Annette Cortot viennent de faire
entendre leurs élèves, parmi lesquelles on a remarqué M1'" J. H. (Danse de Colombine,
A. David), M. B. (entr'acte de Manon, Massenet), 0. P. (Arioso du Roi de Lahore,
Massenet-Delioux), J.-B. {Sérénade tunisienne, PfeifTerj, G., C, B. et T. (Entr'acte-
Sevillana de Don César de Bazan, Massenet), M. J. G. {Valse des Fleurs de Coppélia,
Delibes), M"™ G. S. (Chant du Nautonier, Diémer) et M. T. (Cajirice, Diémer) . — Chez
M»' Ancel-Guyonnet, audition d'œuvres d'Henri Maréchal. Gros succès pour les
Sonnets du XVII' siècle, Mona et Malgré moi. — Bonne audition des élèves de
M"° Legrand dans les œuvres de M1"" L. Filliaux-Tiger. î'urent très applaudis:
Roman d'Arlequin, les artistiques transcriptions à 4 mains de L. Filliaux-Tiger-Mas-
senet, Source capricieuse et Pluie en Mer, qui fut rendue par M"* Charlotte Merlin avec
tout le talent et toute la beauté classique da son excellent maître Faure. — Beau
concert donné par M"c Minnie Tracey, salle Gaveau. Des œuvres très intéressantes de
Rameau, Beethoven et du compositeur suédois Sjôgren, ont été admirablement
chantées par la cantatrice, et un beau quintette de Simia a été remarquablement joué
par le pianiste Th. Bernard et le quatuor Chailley. — M. Paul-Silva Hérard vient de
faire entendre ses élèves, salle Monceau, dans une importante sélection d'œuvres
de Théodore Dubois qui a joué avec M"° Marie-Louise Hude son Concerto en fa
mineur. Très gros succès. Beaucoup d'applaudissements pour le Prélude sur un air
Irlandais, à quatre mains, de Reynaldo Hahn, joliment interprété par M"" M. L. et
J. P. — Salle de Photographie, M. Derivis a présenté ses élèves en une audition
très réussie. Des bravos mérités vont à M"" G. et M. V. (duo de Xavière, Dubois), à
M"e Y. de L. P. (Si mes vers avaient des ailes, Hahn), M. V. (Stances de Lakme,
Delibes), M11" G. (air du Roi d'Ys, Lalo), de L. (strophes de Lakmé, Delibes), M— C.
(air de Marie-Magdeleine, Massenet), M"" F. (air de Jean de Nivelle, Delibes), W. (air
de Lakmé, Delibes), R. (Purgatoire, Paladilhe), M" A. et M. R. (duo d'Atala, Grand-
val), M- B. (L'Été, Chaminade), M"" S. (air deJeande Nivelle, Delibes), M-A. (airde
Manon, Massenet), M"; B. (Le Nil, Leroux). On a joliment terminé la séance par Nar-
cisse, de Massenet, très agréablement chanté par M™" B. et M"" J. Q. — M"' B. Picard
et M. Rouyer ont fait entendre leurs élèves au Journal. Des scènes de Eamlet,
Werther, ta Navarraise, Lakmé, Mignon, Sigurd, Manon, Thaïs, etc., fort adroitement
présentées et rendues, ont prouvé l'excellence de l'enseignement de M. Rouyer. —
Matinée des plus artistiques chez M. et M™0 Louis Diémer. Au programme
Mmc Henri Lavedan, exquise dans Mon cœur soupire, Jeunes fillettes et l'Amour est
tin enfant trompeur, versions Weçkerlin, et Pastorale de Périlhou, délicieusement
accompagnée au clavecin par Louis Diémer, qui joue seul, non moins délicieuse-
ment, des pièces de Rameau, Couperin, Dandrieu et Mozart; M™ Lamoureux
(les Ailes, Diémer), M. David Devriès (Dernières roses et tes Cimes, Diémer; Que
l'heure est donc brève, Massenet) et ïe maître violoniste Johannès Wolll. Superbe
succès pour tous. — Mme Tarquini vient de présenter dans des scènes de Sigurd, de
. Reyer, de Cavalleria ruslicana, de Mascagni, et de Manon, de Massenet, toute une
série d'élèves qu'on a applaudis en compagnie de leur excellent professeur. — Salle
Pleyel, intéressante séance de musique de chambre donnée par MMo Gabrielle Stei-
ger, avec le concours de M"" Bureau-Berthelot, de MM, Parent et Feuillard. On
fête le maître Théodore Dubois, venu pour accompagner ses mélodies, la Lune
s'e/l'euille sur l'eau, Dormir et rêver, la Prière de l'ëphèbe et la Jeune fille à la Cigale,
ainsi que ses interprètes, après la belle exécution de son Trio pour piano, violon et
violoncelle. — Salle Pleyel,' également, M"' Georges Marty a fait entendre ses élèves
dans des œuvres de son mari. A signaler notamment M**"1 A. V. (Chanson d'Avril et
Brunette), M"" J. P. (Chanson), P. M. (Sonnet mélancolique), C. P. (Idylle) et M. G.
(in Sieste).
NÉCROLOGIE
Jacques Blumenthal, compositeur de mélodies vocales, né à Hambourg
en 1829, est mort le 17 mai dernier à Chelsea, faubourg de Londres. Il fut, en
1816. l'élève de Henri Herz à Paris. Ses chants ont eu beaucoup de succès en
Angleterre, où il se retira en compagnie d'autres artistes, tels que Manns,
Halle... à l'époque de la révolution de 18iS.
— On annonce de Berlin la mort en cette ville d'un jeune artiste, Georges
Munzer, à la fois écrivain et compositeur, qui s'était déjà distingué par des
travaux intéressants. Auteur d'une excellente biographie de Marschner, de
divers essais sur l'Anneau du Nibelung, de Wagner, sur l'art des anciens maîtres
chanteurs, etc., il a publié aussi plusieurs romans humoristiques, ainsi que
certaines compositions musicales. Il était né à Breslau.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Viennent de paraître, chez E. Fàsquelle : la Marjolaine, pièce en 5 actes, en vers, de
Jacques Richepin (3 fr. 50) ; là Première Tentation de Saint Antoine, de Gustave Flau-
bert, publiée par Louis Bertrand (3 fr. 50); tes Deux Hommes, pièce en 4 actes, d'Alfred
Ca'pus, représentée à la Comédie-Française (3 fr. 50) ; l'Alibi, pièce en 3 actes, de
Gabriel Trarieux (2'fri 50)". ' .
IMPRIMERIE CENTRAL
IMPRIMERIE I
20,
En. r. loriliiHTl
4028. — 74e AME.— V 23. PARAIT TOUS LES SAMEDIS Samedi 6 Juin 19(18.
(Les Bureaux, 2 "", rue Vi vienne, Paris, h- arr)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
ENESTREL
lie flamépo : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
Le Numéro : 0 fr. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 où, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte ot Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr.,Pari3 et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en su».
SOMMAIEE-TEXTE
1. Soixante ans de la vie de Gluck (22° article', Julien Tiersot. — II. Bulletin théâtral
première représentation AumCltant du Cygne, à l'Athénée, Paul-Emile Chevalier. —
III. La Musique et le Théâtre aux Salons du Grand-Palais i.S-articlei, Ca.mii.i.k Le Senne
— IV. Nouvelles diverses et concerts.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
LES YEUX CLOS
nouvelle valse lente de Y.-K. Nazare-Aga. - Suivra immédiatement : Adagio
de Théodore Dubois.
MUSIQUH DE CHANT
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
Je ne sais pas oit L'a la feuille morte, nouvelle mélodie d'EnNEST Moret, poésie de
Kli.ngsor. — Suivra immédiatement : Dors, nouvelle mélodie de René Lenor-
jiand, poésie de Fernand Gregh.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
CHAPITRE VI
GLUCK COMPOSITEUR DOPERAS-COMIQUES
Transportons-nous au château de Schônbrunn, le 3 octobre
1758. On y célèbre la fête de l'Empereur Franz, et, comme de
raison, il y a à la cour spectacle de gala. Par une dérogation
aux coutumes on ne chante pas ce soir l'opéra italien. Commen-
cerait-on à s'en lasser, et avouer tout bas que le genre est
décidément maussade '? Bien entendu, ce n'est pas non plus en
allemand que l'on chante : il y a huit ans que Bach est mort,
et tout le monde sait bien que l'allemand n'est pas une langue
musicale.
La toile vient de se lever : regardons et écoutons. L'ouverture
a grondé sur un ton bien terrible pour ce que le premier coup
d'œil semble annoncer. Scapin et Pierrot sont en scène, venant
d'échapper à la tempête (voilà l'explication des éclats tumul-
tueux de l'ouverture) ; ils chantent, en français, sur l'air du
vieux vaudeville : Tes beaux yeux ma Nicole :
Hélas! qu'allons-nous faire
Mon cher Pierrot ici ?
Quand ils ont fini leurs doléances, ils voient tomber du ciel,
c'est-à-dire du cintre, un saucisson, au bout d'une ficelle ; une
bouteille suit la même route ; une table servie, portant uni-
volaille en carton, fait encore son apparition. Et Scapin de
chanter, sur l'air : Belle brune :
Aperçois- tu ce dindon
D'une grosseur sans pareille ?
O merveille !
A quoi Pierrot, attaquant un « air nouveau », répond par ces
paroles :
Ah ! le bon pays. Scapin '.
Passons y gaiment la vie.
Leur festin terminé, il arrive deux jolies filles, répondant aux
noms d'Argentine et Diamantine. Ces appellations significatives,
aussi bien que les charmes appétissants des donzelles, font
ouvrir l'oeil et dresser l'oreille à nos deux naufragés repus. Ils
ont grand peur que leurs hommages soient repoussés, car ils sont
seigneurs de la bourse plate; et leur étonnement redouble quand
ils s'entendent déclarer que, dans le pays où ils ont abordé, les
lois, soucieuses de la juste répartition des fortunes, obligent les
jeunes filles riches à épouser des garçons qui n'ont pas le sou.
Bien entendu, tous les hommes sont fidèles, les femmes aussi,
et dociles, et aimables, sans quereller jamais : bref, « le monde
renversé » ! Le lieu où. Pierrot et Scapin ont été jetés par la mer
en furie est, en effet, une ile enchantée, l'Ile de Merlin. Et ils
continuent à chanter, maintenant qu'ils sont quatre, tantôt seuls,
tantôt en unissant leurs voix en quatuors, entremêlant les vieux
« timbres » de vaudevilles français avec la musique nouvelle.
Mais cette musique nouvelle, qu'est-elle donc ? Et d'abord qui
est ce maître de chapelle, en bel habit de cour, que nous aper-
cevons au clavecin, dirigeant gravement ces fantoches ? Il nous
semble le reconnaitre : eh ! oui ! C'est Gluck en personne I
Nous nous attendions si peu à le trouver en pareille compagnie
qu'un peu d'étonnement est bien permis !
Au fait, il est au poste où l'obligent de se tenir ses attribu-
tions de kapellmeisler. C'est la fête de l'Empereur : à nul autre
que lui ne pouvait incomber le devoir de fournir le spectacle.
Et c'est ainsi que nous voyons ce soir Gluck occupé à diriger
l'exécution de son œuvre nouvelle : l'Ile de Merlin, opéra-
comique français en un acte, dont le poème, diversement remanié
depuis quarante ans, était à l'origine une pièce en vaudevilles
de Le Sage et d'Orneval, le Monde renversé, représenté pour la
première fois à Paris, à la foire Saint-Laurent, en 1718.
Voici comment il avait été conduit à mêler aux ponts-neufs
des anciens spectacles de la Foire l'inspiration plus moderne
d'où allait bientôt sortir Orphée. Nous pouvons en sourire : mais
ne nous hâtons pas trop de crier à la profanation ni à l'abaisse-
ment du génie. Si Gluck a fait des opéras-comiques, l'influence
qui l'y a poussé n'est qu'une preuve nouvelle de l'estime en
478
LE MÉNESTREL
laquelle l'esprit français était tenu dans les cours étrangères au
milieu du XVIIIe siècle. Frédéric appelait à lui Voltaire, et
Catherine Diderot ; plus modeste en ses visées, la cour d'Autriche,
se contentait de faire venir à elle l'opéra-comique.
Bientôt, — dès l'année qui va suivre cette représentation de
Schônhrunn, — nous allons, voir le directeur des spectacles de
Vienne, comte Durazzo, imitant l'exemple des princes à qui
Grimm et Diderot écrivaient les nouvelles de Paris, entreprendre
une correspondance analogue avec Favart, dans le double
but d'être renseigné au jour le jour sur le mouvement litté-
raire et théâtral, et d'avoir un intermédiaire éclairé pour les
engagements d'artistes français dont il lui fallait composer la
troupe du théâtre de la Cour (l).Dès la première lettre qu'il écrira
à FauteuTde la Chercheuse d'esprit, le 20 décembre 4759, nous lui
verrons exposer ses plans : désireux d'acclimater sur les scènes
qu'il dirige les œuvres du répertoire français, il s'efforcera de
faire comprendre à son correspondant la différence des -goûts
parisien et viennois, vantera les ressources du Théâtre de la
Cour sous les rapports de la musique, de la décoration, du
chant, des ballets ; enfin, après avoir signalé l'exemple des_
opéras- comiques qui ont été déjà représentés à Vienne, il pré-"
cisera ses intentions en ces termes :
'i Quand M. Favart aura fait un opéra-comique nouveau,
quoiqu'il le destine pour Paris, cela n'empêchera pas qu'il ne
l'envoie à Vienne. Le comte Durazzo le fera mettre en musique
par le chevalier Gluck ou d'autres habiles compositeurs qui
seront charmés de travailler sur de si jolis vers. Le poète et le
musicien étendront ainsi leur réputation par un secours réci-
proque, et gagneront doublement à travailler l'un pour l'autre ;
et il. Favart aura, sans rien dépenser, de la musique nouvelle
comme il la souhaitera (2). »
Voilà donc Gluck passé grand fournisseur d'opéras-comiques
à Vienne. La représentation de l'Ile de Merlin avait, au moment
où Durazzo écrivait ces lignes, été la principale manifestation
antérieure de cet épisode de sa carrière. Nous n'en avons vu
que les premières scènes ; reprenons donc notre place pour
connaître le reste (3).
Nous en étions au moment où Pierrot et Scapin apprenaient
de leurs aimables et fortunées confidentes quelle est la consti-
tution de l'Ile de Merlin, et leur entretien n'allait pas sans de
nombreux couplets se résolvant parfois en ensembles vocaux :
morceaux très libres de formes, où la musique suit rigoureuse-
ment la parole, et constituant plutôt un dialogue musical qu'un
véritable quatuor. Parfois le groupement et l'alternance des
voix y fait songer aux combinaisons du quintette de la Flûte
enchantée, entre ïamino, Papageno et les Fées, avec sa conclu-
sion fuyante ; et cette évocation, plus de trente ans à l'avance,
du dernier chef-d'œuvre de Mozart n'est pas pour faire tort à
Gluck considéré comme compositeur d'opéras-comiques.
Mais continuons à regarder le spectacle. La situation étant
bien et dûment définie, tous les personnages de File se présen-
tent à tour de rôle à nos yeux étonnés. C'est d'abord un philo-
sophe, habillé en cavalier galant ; il entre en dansant et chantant,
accompagné par sa guitare. Dans le vieil opéra-comique de la
Foire Saint-Laurent, ses couplets étaient dits sur le timbre :
« Le joli, belle meunière, le joli moulin ». Mais à Schônhrunn,
nous avons des airs nouveaux, musique de Gluck ! Voici donc
sur quel rythme, fort différent de ceux à'lphigénie,se chantait la
chanson du philosophe, dont la brève formule mélodique était
soutenue par les accords pizzicato du quatuor à cordes, répétés
mesure par mesure continuellement jusqu'à la fin.
( I ) Celle correspondance a paru dans les Mémoires et correspondances littéraires,
dramatiques eta necdotiques de G. S. Favart, 3 ; vol.. Paris, 1808.
(2) Favart, Mémoires, t. I, p. 4.
(3) Sur ce. le œuvre, nous possédons, d'abord la pièce originale de Le Sage et
d'Orneval {le Monde renversée imprimée dans le tome III du Théâtre de la Foire ou
l'Opèra-Cotiiqu', 1723 ; puis le livret conforme à la représentation de Schônbruon :
i Liste de Merlin ou le Monde renversé, opéra-comique en un acte mêlé d'ariettes,
Vienne en Autriche, dans l'imprimerie do Léop. Noble de Ghelen, MDCCLVIII » ;
enfin une partition d'orchestre, rare et jusqu'ici unique document complet, possédée
par la Bibliothèque du Conservatoire de Bruxelles.
Après trois couplets, la voix conclut, toujours avec le même
accompagnement, par ce refrain final :
Ensuite il y a un dialogue en musique où est parodié le style
de la musique française. Gillier, l'auteur des airs nouveaux de
1718, n'avait pas manqué d'y reproduire les imitations en usage
en son temps : Gluck, en 1758, se conforma, fidèlement à son
exemple, et se moqua de la musique française comme il conve-
nait que le fit un musicien de cour d'Autriche.
Et les personnages défilent toujours. Ce sont d'abord deux
femmes que ni Pierrot ni Scapin n'avaient jamais vues, bien
qu'ils en eussent vaguement entendu parler : Innocence et
Bonne Foi. Après elles, un Procureur, en habit galonné, avec
un chapeau à plumes et une épée : son nom est « La Candeur » ;
puis une femme-médecin, Hippocratine, qui rit toujours, chante
et danse, ce qui est sa manière de guérir les malades ; et un
notaire, M. Prud'homme, vêtu d'une robe blanche, immaculée.
Enfin Merlin apparaît dans les airs, sur un char volant, et tout
se termine par les mariages obligatoires.
(A suivre.) Julien Tiersot.
BULLETIN THÉÂTRAL
Athénée. Le Chant dit Cygne, comédie ea 3 actes,
de MM. Georges Duval et Xavier Roux.
C'est une tout à fait exquise revanche que l'Athénée vient de prendre
avec la nouvelle comédie de MM. Georges Duval et Xavier Roux, ce
dernier nouveau venu aux théâtres d'ordre, sauf erreur. Trois actes de
jolie tenue littéraire, d'agencement fort adroit, d'amusement, de senti-
mentalité et d'originalité dans l'invention heureusement amalgamés et
d'interprétation tout à fait soignée jusqu'en ses moindres détails, voilà,
certes, de quoi permettre de lutter avantageusement contre les chaleurs
menaçantes.
Veuf, après quelques années de. mariage seulement, le marquis de
Sambré fut toujours un joyeux vivant, grand chasseur et grand amou-
reux ; il aime la nature et adore la femme, mais il a, par-dessus tout, le
culte de sa fille, qu'il a élevée de façon plutôt poétique et que, faute
grave, il a mariée au plus terre-à-terre et au plus positif des savants. Ce
qui devait arriver, arrive. Simonne, c'est la jeune mariée, parle art,
s'enthousiasme pour uu beau coucher de soleil ou un sonnet bien serti ; et
Laverdière, c'est le mari, répond par des chiffres ardus ou des théories
sur le potentiel. Simonne n'est point heureuse ; Laverdière non plus.
L'un et l'autre chercheront donc au dehors lame sœur. Simonne la
trouve en quelque sorte en son père qui continue à lui bourrer l'esprit
LE MENESTREL
17!)
de douces chimères ce qui, nouvelle faute, contribue à l'éloignerde plus
en plus de son mari. Laverdière, lui, croit rencontrer les atomes cro-
chus chez une sorte d'aventurière, Jessy Cordier, jeune, jolie et quelque
peu savante, qui a fondé une revue scientifique marchant mal et pour
laquelle elle court perpétuellement après le riche commanditaire auquel,
après versement de la forte somme, elle se croit honnêtement obligée de
ne rien refuser.
Simonne et Sambré découvrent l'intrigue ; la première parle de ter-
ribles représailles ; le second, toujours souriant, prend vite son parti.
Laverdière veut conquérir Jessy Cordier à coups de billets de mille ;
Sambré s'y prendra tout autrement. Et, grâce à son exquise galanterie,
au charme des mots tendres qu'il sait susurrer, aux baisers qu'il sait
donner à propos, il conquiert de haute lutte la positive et prétentieuse
Jessy. Et le vieux renard, qui sait qu'il n'est plus d'âge à prolonger une
aimable aventure, avec les formes les plus enjôleuses renvoie la direc-
trice à sa revue et rejette dans les bras l'un de l'autre les deux jeunes
époux.
Le Chant du Cygne a trouvé en M. Huguenet, Sambré, et en Mmc Duluc,
Jessy Cordier, les deux interprètes rêvés. Il semble impossible déjouer
plus délicatement et tout à la fois plus naturellement, plus habilement
la scène au cours de laquelle Sambré séduit, alors que Jessy se laisse
séduire. Il faut complimenter aussi M. André Lefaur, Laverdière
d'allure amusante ; M"e Rosny, sympathique Simonne : MM. Benedict
et Térof, de silhouettes pittoresques et Mlles Greuze, Prince, de Sivry,
Gauthier, Barat, spirituelles, jolies et élégantes comme il convient.
. Paul-Emile Chevalier.
LA MUSIQUE ET LE THÉÂTRE
a,Ta.a£. Salons du G-i-si.xxca.-IE^silsii!
(Huitième article)
Bans le spirituel parallèle entre les étudiants d'hier et ceux d'aujour-
d'hui qu'il « causait » l'autre jour à l'Odéon — loin de nous le vilain
mot de conférence ! — M. Alfred Capus prononçait (en termes jolis et
avec toutes les atténuations convenables, mais sans dissimuler la
macabre vérité) l'oraison funèbre de la bohème. Il souhaitait que les
étudiants du XXe siècle n'en vinssent pas à donner l'exemple de toutes
les vertus « car s'ils étaient rangés à leur âge, à quel âge se dérange-
raient-ils ? Et s'ils étaient déjà sérieux, ils se prépareraient une vieil-
lesse bien frivole ». Mais, vertueux ou non, ils ne sont plus bohèmes et
ne peuvent plus l'être : « On ne saurait mener la vie de bohème dans
des quartiers neufs, entre des maisons à cinq étages et dans des rues
sillonnées d'automobiles. Il faut pour cela des pavés pointus, des trot-
toirs étroits, et des passants familiers : il n'y en a plus ».
Ces conditions nouvelles de la vie au quartier latin rejettent dans le
passé les scènes comiques ou sentimentales du répertoire d'Henri
Murger, et l'anecdote larmoyante du manchon de Franchie parait main-
tenant quelque chose de romantiquement fantaisiste à l'instar d'une fin
d'acte de Casimir Delavigne ou d'un tableau de Paul Belaroche. Aussi
M. Thiéry est-il très excusable de l'avoir commentée avec beaucoup de
sérieux et un aussi minutieux rendu des accessoires que dans la Mort
de Marie Stuart ou l'Assassinat du Duc de Guise.
On peut classer au même plan — entre l'histoire proprement dite et
le genre — les Tyrans de M. Jean-Paul Laurens, petite toile délicate
et fine, très supérieure à son immense composition du Beethoven planant
■sur l'orchestre des concerts du Conservatoire. Ces tyrans sont deux
poupées byzantines, deux fantoches de Césarions ; l'un porte l'orbe d'or
et le glaive impérial ; l'autre tient le parchemin sacré : et la mosaïque
des voûtes, le bois peint et la marqueterie du trône, le détail des cos-
tumes, tout est exécuté avec une précision minutieuse. Il y a là maitrise
spéciale ou plutôt extraordinaire virtuosité, rappelant les meilleures
œuvres du peintre de l'Interdit. M. Tattegrain a cherché au contraire
un effet nouveau. Si nous le retrouvons tout entier, lui et sa rudesse
d'émotion naturaliste dans Tiot frère Nanne, un vieux pécheur qui vide
son verre, la Garenne où nous voyons le roi de France prendre « le
divertissement de la chasse », en 16S7, dans les dunes de Berck, au
grand dam des pauvres lapins que ramassent les manants requis pour
la corvée, donne l'impression amusante d'un panneau de tapisserie
claire.
C'est une chasse plus périmée qu'évoque M. Wagrez dans sa cour du
château de Laurent de Médicis où nous saisissons quelques vestiges
de la gloire abolie des fauconniers. Mais cette composition est surtout
un travail de costumier de théâtre ainsi que le Cbarlemagne de M. Paul
Flandrin recevant des mai as des ambassadeurs du calife les clefs du
Saint-Sépulcre, le grand tableau de M. Jean Styka, d'une disposition
intéressante mais d'une coloration bien terne qui représi nte les ambas-
sadeurs polonais à la cour de France proclamant L'élection du duc
d'Anjou comme roi de Pologne, et la tumultueuse mort de Charles le
Téméraire de M. Bàude. Xuus arrivons à l'anecdotisme avec la Germaine
de Foix recevant Jules Romain et les NUces de Sixte-Quint de M. Ra; -
mond Balze; la Mort de Pétrone et de Eunice empruntée par M. Cons-
tantin Makowski a l'encombrant Quo Vadii? ce copieux démarquage
des Martyrs et de Fabiola ; la Ninon de Lenclos de M"' Georges-Achille
Fould, blonde, blanche, bien en chair, bionda. bianca, grassotta, signant
le fameux billet à La Châtre ; le Doux parfum au.v visées idylliques et
l'auberge galante de M. Deully qui sont d'un couturier bien documenté
et d'un coloriste agréable.
M. Saint-Germier est un petit-maitre. Ses tableaux survivront à
l'actuel grand déballage de bazar et prendront place dans les galeries
d'amateurs. Il montre cette fois les deux aspects de son talent, le n i ros-
pectif et le moderne : l'antichambre du Palais des Doges où des seigneurs
vénitiens en tricorne, domino et grand « loup » blanc couvrant la lèvre
supérieure, attendent une audience, et les préparatifs de la procession,
où le peintre fait jouer dans une somptueuse symphonie, l'écarlate des
soutanes, l'or des broderies et l'argent des encensoirs. Nous sommes
ramenés à la comédie italienne par le Pierrot jaloux de M. Paul-Alberl
Laurens dont j'ai déjà signalé le Printemps et qui n'a pas grand laurier
à cueillir dans le petit bois réservé de M. Pierre Carrier-Belleuse.
M. Gustave Jacquet a intitulé Don Juan et Zerline un jeune seigneur et
une soubrette, très peu caractérisés, qui marivaudent sous les ombrages
d'un parc. Le burlador de Sêville, l'amant des mille et Ire a peu de
chose à voir dans cette composition anecdotique trop agrandie, et la
Zerline de Mozart se reconnaîtrait malaisément dans cette camériste au
tablier de dentelles ; mais les étoffes sont rendues avec souplesse, les
satins, les brocards et le décor s'harmonisent.
M. Jules Cayron nous donna l'année dernière un très ressemblant et
très vivant portrait de Mme Cerny. Il reste fidèle au théâtre en exposant
un Pardon qui semble la dernière scène d'une comédie du Gymnase.
Dans une chambre bien meublée, quoique les tentures ne soient pas
d'un goût absolument pur, sont réunies deux jeunes femmes en toilette
de soirée, jupes pailletées et décolletage. L'une s'agenouille, à la fois
implorante et reconnaissante ; l'autre sourit avec une douceur mélan-
colique voilée de résignation. Quel est le mot de l'énigme ? Il faudrait
le demander à M. Maurice Donnay ou à M. Bernstein.
Ne quittons pas les costumiers sans mentionner rapidement ce qui
leur appartient dans la section des dessins: trois fins pastels: Mignon
par M"c de la Guerra, Manon par M. Jules Girardet. Mimi-Pinson par
Mme Fauchot-Ballion. A signaler aussi un poétique Paradou de
II" Minoggio-Roussel, l'intéressante suite de dessins pour l'illustra-
tion des œuvres d'Alfred de Musset, de M. Maillarl, et les compositions
originales de M. Eugène Chaperon pour les Chants du Soldat de M. Paul
Déroulède. D'ailleurs, l'album d'aquarelles militaires est très rempli: il
contient même des pages vraiment pittoresques, les chasseurs à cheval
de M. Dupray, le hussard de la première République de M. Eugène
Deully et surtout la Musique Ecossaise en marche de M. Maurice Orange.
. Les orientalistes sont en plus petit nombre qu'à l'ordinaire. Sans
doute pour les rallier, M. Clairiu tire un joyeux feu d'artifice, uDe
véritable pétarade de bruits et de couleurs : Allah .' Allah .' régie comme
uns fantasia et de tonalité ardente dans son enveloppe de poussières
dorées. Une autre composition, plus austère, mais toujours de caractère
théâtral, représente un conseil de guerre tenu par des révoltés dans une
forêt où l'on prêche le massacre des rouinis :
Sous les arbres tordus par les chaos divers,
Le chef prêche la guerre et chaute les revanches.
L'écbo répond, faisant frémir les cèdres verts.
C'est l'aine des aïeux qui passe entre les branches.
Même note violente mais avec un sentiment différent des valeurs
harmoniques dans le Lendemain du Phamadan de M. Cauvy : réunion,
sur une place tunisienne bordée d'arcades, des femmes aux robes pein-
turlurées, aux chevelures emmêlées de grappes de sequins. et de cava-
liers aux burnous rouges montés sur des chevaux dont les robes sont
Bien lissées ; le galbe élégant de grands lévriers se détache sur l'en-
semble. Les Fanatiques Persan-s de M. Boudoux qui se tailladent la
ligure semblent en représentation sur la scène de quelque music-hall,
et voici encore un final d'opérette, le Dormeur de M. Paul Leroy,
l'Abou-Hassan des Mlle et une Nuits, le Sancho Pança oriental, victime
d'une savante mystification, qui apostrophe les commères rangées
autour de son lit : « Tous êtes des fâcheuses et des importunes : je ne
4 80
LE MÉNESTREL
suis pas le Commandeur des croyauts ». M. Saint-Pierre a fait un
moindre effort de composition ; il s'est contenté de camper dans une
pose de modèle et de vêtir d'une garde-robe opulente (où semble pour-
tant dominer le velours de colon) une femme arabe de Tlemcen qui a
mis ses plus beaux atours pour aller au-devant de l'aimé. Coloriste aussi
mais plus original, M. Hoffbauer dont le Bateleur arabe sert de centre et
de numéro sensationnel à un amusant grouillement de marche.
Les Espagnoleries de cette année ne sont pas seulement robustes et
précisées, elles joignent encore à leur caractère dramatique des dimen-
sions supérieures ;i celles de la peinture de genre. Je fais exception
pour M. Worms dont le talent est classé, l'anecdotisme spécialisé et
qui n'a aucune raison pour transformer sa manière ; dans la Ruse fémi-
nine, tableautin qui représente une Célimène andalousc entre deux
toreros, laissant tomber son éventail, on retrouvera ses qualités habi-
tuelles de minutieux rendu. Mais M. Carlos Vazquez, dont les gen-
darmes catalans ramenant un couple de gitanes en maraude furent un
des succès du Salon de l'année dernière, a donné des proportions
presque excessives à la scène tragico-comique de la Belle-Mère. Quatre
personnages : le beau-père qui ne semble pas aimer les explications de
famille et se dirige vers la porte, la belle-maman qui apostrophe son
gendre ennuyé et perplexe, la jeune femme aux yeux rougis mais au
coup d'œil sournois, évidemment rassurée sur les suites de la discus-
sion. Tout concourt à l'effet théâtral; on peut même dire que tout l'exa-
gère, les meubles trop vernis, les costumes trop neufs, les ornements
métalliques des vestes ou des corsages soigneusement astiqués.
Cette propreté, cet éclat se comprennent mieux dans l'autre grande
toile que M. Zo intitule A la Plaza, l'arrivée en Victoria de deux femmes
aux mantilles à larges mailles, aux yeux de velours, à la porte de la plaza,
encombrée parle foisonnement des marchandes d'oranges et des aficio-
nados. Le blanc et le noir des résilles, l'écarlate des fleurs de gre-
nade, le jaune ardent d'un chàle à fleurs, l'uniforme voyant d'un gen-
darme vissé sur son cheval près de la voûte composent an bouquet de
colorations ardentes à leur place dans ce milieu de fête presque foraine.
On voudrait les personnages plus souples, mais apparemment notre
jeune école Franco-Espagnole vise surtout à se montrer robuste, car
M. Etcheverry formule avec une précision fatigante ses paysans espa-
gnols vendeurs de légumes et de volailles. Marchands et marchandises
aussi minutieusement rendus semblent les mêmes natures mortes. Le
Campement do bohémiens de M. Pierre Benoit en devient reposant.
Il fut un temps où les humoristes, sévèrement exclus du Salon officiel
où leur fantaisie aurait paru offenser la gravité académique, n'avaient
d'autre asile que les salles de l'avenue d'Antin. Ce préjugé a fait son
temps; les notations humoristiques abondent au premier étage du
Grand-Palais; elles prennent même un accent d'opérette genre Belle-
Hélène dans le très amusant Ulysse de M. Adrien Devambez : un petit
bonhomme pas plus haut qu'çâ accroupi au milieu d'une plage, des
myrmidons qui font cercle, une trirème grande comme un joujou de
Nuremberg, le tout vu de trois cents mètres de hauteur. L'Odyssée tra-
vestie à l'usage du vingtième siècle, musique de Claude Terrasse. Autre
humoriste, assez inattendu celui-là, M. Gorguet. Il a spirituellement
groupé les grenouilles qui demandent un roi autour du héron occupé à
gober ses sujets. Le décor est exquis dans la tonalité de faïence passée
au grand feu. M. Vogal, le dessinateur célèbre, a également commenté,
pour ses débuts de peintre, une ÎMe de La Fontaine, le Loup et le Re-
nard; mais il a fait des deux « ctrangc* voisins » des créatures à la fois
animées et symboliques. Le loup est un î-ni're aux fortes épaules, à la
poigne brutale ; le renard un sinistre robiu. lia conversent parmi les
ruines qu'a faites la guerre, et nous devinons que ces rudes profiteurs
sauront encore tirer quelque chose de ce pays dévasté. Peinture fine.
un peu sèche et sans reflets, mais dessin spirituel.
M. Brispot continue la réjouissante série de ses Bancs où vient
échouer l'humanité sous les aspects les plus divers. Il nous conduit au
parc Monceau pour nous montrer un couple bourgeois, d'âge mûr, à la
fois scandalisé et hypnotisé par le voisinage d'une belle personne, à
toilette voyante, en quête d'aventure. Le mari dessine un geste de ré-
probation; la femme regarde à travers son face-à-main, mais la moue
est presque indulgente. Mme Virginie Demont-Breton a intitulé les
Petits Goélands un trio d'enfants aux anatomies ingrates mais aux gestes
drôles, nichés dans un trou de sable au bord de la mer. M. Geoffroy
ajoute deux bons feuillets à son album de figures enfantines expressi-
vement caractérisées : le remarquable Noèl des petits en extase devant
une représentation théâtrale, au dispensaire de la goutte de lait de
Belleville et l'anecdotique mais amusant Écolier embarrassé resté en
panne devant le tableau noir pendant que ses camarades rient de sa
confusion. Dans la même note, avec moins de finesse et plus d'effet
sur le public du dimanche, les Petits Pécheurs de M. Chocarne Moreau,
mettant à flot des bateaux minuscules et son mitron jovial qui fait
goûter une écrevisse à un petit Savoyard, ainsi que les Deux gosses —
Fanfan et Claudinet, — de M. Lobrichon, s'embrassant à pleines lèvres
sur les marches d'un escalier.
Il y a de l'apostolat anti-alcoolique dans le sinistre Groupe d'amis du
peintre américain Cameron. Le décor représente une salle basse d'esta-
minet; autour des verres d'absinthe, luisants et glauques comme des
blocs de jade, sont groupés une femme et deux hommes au teint plombé,
aux regards ternes, aux gestes mécaniques, portant tous trois le stig-
mate de la fee Verte. Comme M. Brieux fera jouer tôt ou tard boulevard
de Strasbourg une pièce sur et contre l'abus du Pernod, voilà une
excellente vignette de programme illustré. Les envois de M. Jules
Adler sont plus gais malgré une certaine austérité d'exécution : le Trot-
tin, mince et transparente figure de Montmartroise anémiée, qui pour-
rait jouer son rôle daus le Ruisseau, mais garde une souple grâce
d'ingénuité rieuse, et la Chanson de la grand'roule, autrement dit M.De-
cori égrenant les chansons du. chemineau sous le ciel du bon Dieu ;
motif connu.
Le Marchand de jouets de M. Richard Mille faisant marcher ses pou-
pées mécaniques sur le trottoir devant le cercle habituel des badauds
est une petite scène foraine de disposition originale. Quant à l'album
théâtral proprement dit, il a gardé ses peintres et ses dessinateurs
habituels. Je ne veux pas les séparer, car ils obtiennent les mêmes
effets avec des moyens différents. Le plus remarquable envoi est la
Parade de M. Franck Boggs, croquis de la fête de Neuilly traité dans
un parti pris de lumière blafarde. Les personnages s'estompent comme
des silhouettes de Callot et composent une sorte de frise indéfinie mal-
gré l'exiguïté de la toile. M. Ulysse Caputo (Avant la répétition), M. Hip-
polyte-Lucas (Modem-Dame), M. Avy (un spirituel Entr'acteel le Miroir
qui montre en trompe-l'œil le défilé des abonnés venant présenter
leurs hommages à la « grande artiste » d'un théâtre évidemment sub-
ventionné), M. Lefort (une Matinée au concert des Ambassadeurs) font
preuve de la même virtuosité humoristique. Les danseuses de M. Mes-
plès sont un excellent dessin rehaussé auquel on peut appareiller la
petite ballerine dans l'attente et l'émoi de la dernière, minute agréable-
ment pastellisée par Mme Lamiral, la Danse au,v crotales de M. Raphaël
Collin pour les « Chansons de Bilitis » de M. Pierre Louys, le Chant
des sirènes, copieuse sanguine de M. Adolphe La Lyre, la pittoresque
Schola cantorum de M. Georges Kennedy, le Chanteur de complaintes de
M. Maurice Leloir, et, pour terminer en gerbe de feu d'artifice, la Fée
radium de M. Ferry.
(A suivre.) Camille Le Senne.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(P0UH LES SEULS ABONNÉS A LA MUSIQUE)
Voici une valse délicieuse de Nazare-Aga, laquelle ne peut manquer de devenir
promptement populaire : Les Yeux clos. Elle est aussi bien venue assurément dans
sa mélodie et dans son. rythme que les plus grands succès du genre. Pourquoi donc
ne réussirait-elle pas tout autant?
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
La ville de Vienne vient d'acquérir moyennant un prix de 103.000 cou-
ronnes la maison dans laquelle est né Schubert, le 31 janvier 1797, douze
jours avant que le lied le plus populaire de l'Autriche, ['Hymne autrichien de
Haydn, ait été chanté sur tous les théâtres de Vienne et ait pris ainsi son vol
vers la célébrité. La maison natale de Schubert est une bâtisse à trois portes,
avec cinq fenêtres au premier et unique étage. Elle est située dans le neuvième
district de Vienne, Nussdorferstrasse, n° 54.
— Une scène tragique s'est passée samedi dernier à Vienne, dans un café delà
Theresenstrasse. A l'heure delà sortie des théâtres, on vit entrer dans l'éta-
blissement une actrice appartenant à la troup : du Raimundtheater, qui avait
été engagée pour jouer le rôle de la princesse Viciowsko dans une pièce inti-
tulée le Favori des Dam«s. L'artiste était accompagnée de deux do ses cama-
rades. Tous les trois causaient et paraissaient être en bonne intelligence. Ils
s'installèrent à une table et demandèrent des consommations. Tout à coup, l'un
des comédiens, nommé Hofer, sortant de sa poche un revolver, lit feu à bout
portant sur la jeune femme. Heureusement, celle-ci avait vu le geste et s'était
vivement jetée de coté. La balle. alla frapper le mur : mais l'artiste ressentant
une vive douleur dans la tète, causée sans doute par la commotion, se croyait
LE MÉNESTREL
481
blessée et poussait des cris de frayeur. On l'cnlraina hors de la salle pendant
que l'un des garçons de service courait chercher la garde et que les autres
s'efforçaient de désarmer l'acteur Hofer. Ce dernier résistait et, tournant son
arme contre lui-même, tira un second coup que l'on Dt dévier; la balle lui
effleura seulement le visage, laissant une égratignure au nez. Toutefois, bien
décidé à mourir, il parvint à déjouer la surveillance de ceux qui avaient enfin
réussi à lui arracher son revolver, tira un couteau de sa poche, l'ouvrit et,
l'appuyant contre une table, se précipita sur la lame avec fureur. Il se blessa
ainsi assez profondément dans la région du cœur, mais ne parvint pas à se
donner la mort. On le conduisit dans une clinique voisine pour y recevoir
les soins des chirurgiens. L'opinion générale est qu'il a dit agir par jalousie.
Il souffrait, parait-il, de dérangements cérébraux.
— Après un séjour de cinq mois dans le midi, Mme Gosima Wagner vient
de rentrer à Bayreuth. Sa santé s'est améliorée, parait-il, pendant le temps
qu'elle a passé à Sainte-Marguerite.
— La partition de l'Electra, de M. R'chard Strauss, dont l'éditeur est
M. Adolphe Fûrstner, l'éditeur déjà de Salomé et de Fewrnot, du même auteur,
sera publiée simultanément en allemand, en italien, en français et en anglais.
On sait que la première représentation à'Eleclra à Dresde est définitivement
fixée au mois de janvier 1809 et que l'ouvrage sera donné dès le mois suivant
à Monte-Carlo.
— L'opéra en trois actes de C.-F. Naprawnik, Dumbrowsky, texte d'après
Pouchkine, a été joué pour la première fois en Allemagne le 28 mai dernier
par l'ensemble de l'Opéra de Saint-Pétersbourg, actuellement en représentation
à Berlin.
— La fondation internationale « Mozarteum », réunie à l'Association Mozart,
et ayant son siège àSalzbourg, vient de décider que des fêtes seraient données
les 17 et 18 août prochains pour célébrer le soixantième anniversaire de l'avè-
nement au trône de l'empereur d'Autriche François-Joseph. Un concert de
gala sera donné au Théâtre-Municipal de Salzbourg, avec le concours de M""'Lili
Lehmann, et une audition solennelle de la Messe du couronnement aura lieu
dans la cathédrale.
— Un compositeur allemand, d'origine polonaise, M. Nowowiekly, qui, quoi-
que fort jeune encore, a déjà obtenu deux fois le prix de l'Académie de Berlin
et le prix Meyerbeer, a tiré du fameux roman de M. Sienkiewicz, Quo vadis ?
la matière d'un poème symphonique en quatre parties et une fugue finale, pour
soli, chœurs, orchestre et orgue. A l'aide de tous ces moyens phoniques, l'ar-
tiste a mis en lumière quatre épisodes importants du célèbre roman : l'incen-
die de Rome, la révolte populaire contre les chrétiens, la réunion chrétienne
dans les catacombes et la rencontre de Pierre avec le Nazaréen ressuscité. Pour
épilogue, une fugue symphonique chorale, qui résume le contenu du poème et
le couronne.
— Le Père Hartmann, de son nom de famille Paul Von An der Lan-Hochbrun,
vient de donner à Amberg la première audition de son nouvel oratorio la Mort
du Sauveur.
— Nous sommes en ce moment en pleine musique russe; profitons-en pour
donner quelques détails, d'ailleurs de circonstance, sur un instrument natio-
nal, la balalaïka, qui retrouve là-bas un regain de succès et de popularité. La
balalaïka est une sorte de guitare à caisse sonore triangulaire, dont le manche,
très long, est monté de trois cordes de boyau à l'accord assez variable. Elle
est particulièrement en faveur auprès des paysans russes, qui s'en servent
pour accompagner leurs chants si caractéristiques, et surtout leurs danses.
Un amateur de cet instrument curieux, M. W. Andrejew, s'en est fait l'apùtre
depuis une vingtaine d'années, dans le but de le remettre en honneur dans
les maisons russes. Il a obtenu, sur la cassette privée du tsar, une subvention
annuelle de 23.000 roubles, et il emploie cette subvention à donner partout
des concerts spéciaux auxquels les plus pauvres peuvent assister moyennant
un prix d'entrée de deux kopeks. Son travail de propagande a fait revivre une
industrie devenue très florissante grâce à ses efforts, ceù-* de la construction
et de la fabrique des balalaikas. Il s'en vend actuellement en Russie 200.000
par année, pour une somme d'un million 400.000 roubles. Une b Jalaika pri-
mitive et commune ne dépasse pas, comme prix, deux roubles, mais une ba-
lalaika de concert coûte jusqu'à 85 roubles. Le ministère de la guerre prend
un grand intérêt à la diffusion de cet instrument dans les casernes, et dans
beaucoup de régiments il s'est formé des orchestres de balalaikas, comme
ailleurs, hélas ! il se forme des orchestres de mandolines.
— En 1827, le sullan Mahmoud II, désireux de réorganiser ses musiques
militaires, s'adressa au marquis Groppallo, alors ministre de Sardaigne près
la Sublime-Porte, pour le prier de lui procurer ua musicien qu'il chargerait
de cette mission. Celui-ci lui indiqua Giuseppc Donizetti, frère de l'illustre
compositeur, qui avait été chef de musique d'un régiment italien au service de
l'Autriche, et Giuseppe Donizetti fut appelé en effet à Constantinople, en qua-
lité d'« instructeur général des musiques impériales ottomanes ». Il conserva
cette situation jusqu'à sa mort (10 février ISoii). C'est de cette époque que vit
à Constantinople une famille composée des neveux de l'auteur de lu Favorite
et de Lucie de Limmermoor . dont ils devinrent les héritiers et qui ont consacré
une salle de leur habitation à la réunien des souvenirs du grand artiste. On
voit dans cette salle le plus beau portrait que l'on connaisse du maitre, une
toile de deux mètres de hauteur, où il est représenté assis devant un bureau,
offrant à qui le regarde un visage sans moustaches, entouré d'un collier de
barbe courte et épineuse. Au bas, ou lit : Ronn, Goglittti. IS3S. A coté, une I
autre toile, où sourit d'une façon délicieuse le portrait de l'adorable femme de
Donizetti, la charmante Virginia Vasielli. morto à la fleur de l'âge, duchagrin
que lui avait causé la porte de ses enfants. Puis, dans des vitrines, sur des
tables du dix-huitième siècle provenant de l'héritage, ses petits-neveux ont
disposé avec religion les reliques : autographes, bagues, montres, statuettes
de bronze et de terre cuite, le cachet orné de brillants, don de la cour dé
Vienne, les boutons de chemise donnés parRossini à Donizetti pour le remer-
cier d'avoir dirigé son Stabjt, la montre d'or qu'il reçut pour la transcription
d'un opéra de son maitre Mayr, la clef avec laquelle il accordait son piano, un
bâton de chef d'orchestre en nacre incrustée, la coupe de cristal offerte à son
maitre par la grande cantatrice Carolina L'nger, etc. Quelques photographies de
petit format dans ses moments de cruel délire, les pupilles dilatées regardant
l'invisible, la bouche horriblement contractée. Un numéro du CUarivari de 1840,
le représente, cruel contraste, en caricature, dirigeant un orchestre ridicule.
— Il parait qu'à Constantinople le service particulier de la compagnie
lyrique italienne du sultan n'est pas sans offrir quelques difficultés, d'après
les caprices du souverain. Il arrive souvent que les artistes sont appelés en
toute hâte pour jouer, par exemple, la Forza del Destina; tous aussitôt s'ha-
billent, les machinistes disposent les décors et apprêtent les accessoires,
lorsque tout d'un coup le souverain change d'idée et demande la Traviala. Il
faut se déshabiller et se rhabiller pour changer de costumes, et apprêter tout
de nouveau; les musiciens descendent à l'orchestre et attaquent le prélude...
Vlan! nouveau contretemps : Sa Majesté donne un nouvel ordre; cette fois,
c'est la Grau Via qu'il lui faut, et le branle-bas recommence. C'est que le
sultan s'ennuie, et qu'il ne sait jamais ce qu'il veut. Mais on comprend que
son service est malaisé. Le journal la Nazione, qui nous fait eonnaitre ces
délails, y ajoute une anecdote. Le souverain, en regardant l'orchestre, vovait
toujours tous les artistes assis hormis un seul, le contrebassiste. Il s'informa,
et, ayant appelé le chef d'orchestre, lui ordonna de dire au contrebassiste
qu'il lui savait gré de cette marque de respect qu'il lui donnait, mais qu'il
l'en dispensait désormais et qu'il pouvait s'asseoir comme les autres. Le chef
d'orchestre s'efforça de faire comprendre au padischah que le musicien devait
être debout à cause des proportions de son instrument. Le maitre approuva
de la tête, mais à la représentation suivante le contrebassiste trouva près de
sa contrebasse un siège énorme, haut comme un monument, et auquel on
accédait par un petit escalier.
— De Bruxelles : De passage à Bruxelles, nous avons eu la bonne fortune
de pouvoir assister à une audition d'élèves que Mme Clotilde Kleeberg donnait
dans ses salons de l'avenue "Washington. C'était une vraie réjouissance artis-
tique d'entendre le Concerto en ut mineur de Beethoven, interprété par
Mme Vantkver et celui en la mineur de Schumann, par Mlle Yservef, le second
piano, remplaçant l'orcheslre, tenu par Mmc Clotilde Kleeberg. Mentionnons
encore la première partie de la Sonate en si bémol de Chopin, adorablement
jouée par M.Ue Rogel et les Variations de Schumann. pour deux pianos, joués
à la perfection par Mme Yerôfy et MUe Yservef.
— On écrit de Francfort-sur-le-Mein que c'est M. Félix Berber, professeur
au Conservatoire Hoch de cette ville, qui est appelé à prendre la succession
de M. Henri Marteau comme professeur supérieur de violon au Conserva-
toire de Genève. Élève des Conservatoires de Dresde et de Leipzig, M. Félix
Berber, qui est né à Iéna le 11 mars 1872, a été concertmeister à Magdebourg,
puis au Gewandhaus de Leipzig, jusqu'au jour où il accepta une classe au
Conservatoire de Francfort.
— La direction du Théâtre Municipal de Carlsbad a décidé de donner des
fêtes musicales en l'honneur de Mozart pendant le mois de juillet prochain.
On entendra : Don Juan, les Noces de Figaro, l'Enlèvement au sérail et la Flûte
enchantée.
— De Milan : La question des chapeaux de dames au théâtre va avoir ici
une solution décisive. Depuis plusieurs années déjà la direction de la Scala
a interdit radicalement aux spectatrices de garder leurs chapeaux pendant la
représentation et cette mesure d'interdiction a été énergiquement exécutée.
Mais dans les théâtres du trust Suvini-Zerboni. qui dispose d'une demi-
douzaine de grandes salles de spectacle milanaises, on s'était contenté de
« prier » les dames de ne venir au théâtre qu'avec des chapeaux minuscules,
demi-mesure qui a eu à Milan le résultat qu'elle a obtenu ailleurs, c'est-à-dire
aucun. Spectateurs et spectatrices ne sont jamais parvenus à se mettre d'accord
sur ce qu'on doit appeler un grand ou un petit chapeau. Tous les soirs il y
eut des discussions qui, il y a quelques jours, dégénérèrent en rixes et pugilats
au théâtre Olympia. Pendant deux heures, malgré l'intervention des repré-
sentants de la police, malgré les objurgations du directeur et du régisseur, il
fut impossible de commencer la représentation et lorsqu'à dix heures et demie
les chapeaux monstres eurent battu en retraite, et qu'il fut possible de lever
le rideau, il n'y avait plus personne dans la salle. Ce scandale a déterminé les
autorités à intervenir. La préfecture vient de décider qu'à l'avenir les chapeaux
seront interdits dans les 'héàtres proprement dits, tels que la Scala, le
Manzoni, le Lirico, le Dal Vernie, et le Filodrammatici, mais seront tolérés
dans les music-halls et cafés-concerts.
— Durant le mois d'avril et la première quinzaine de mai, on a donné dans
les théâtres de Madrid les premières représentations des ouvrages suivants :
à l'Apollo, la Dama roja, zarzjela en un acte, paroles de MM. Pont et Solillo,
musique de M. Chapi; succès. — au Théâtre Comique, los Xinos de Teluan,
saynète de forme gracieuse, musique de MM. Calleja et Torregrosa. — A la
182
LE MENESTREL
Zarzuela, el Rolo de la perla negra, épisode sans prétention pour lequel le
maestro Vives a écrit une musique très agréable; et Episodios nationales, revue
historique en sept tableaux, « dont la musique, dit un journal, due à MM. Vives
et Lleo, s'est fait applaudir pour ses airs populaires ».
— L'Académie de San Fernando, de Madrid, avait ouvert toute une série
de concours, entre autres pour un opéra, pour une collection de chants popu-
laires et pour une suite d'orchestre. Pour l'opéra, le prix a été attribué à un
ouvrage intitulé Amor de perdition, dont la musique a pour auteur M. Manuel
M. Fabla. La collection de chants populaires qui a été couronnée est un
recueil de Gantos salmanlinos du à M. Damaso Ledesma, dont une audition
partielle, dirigée par l'auteur, a eu lieu à l'Athénée. Enfin, le prix de la suite
d'orchestre a été obtenu par une composition de M. Bartolomé Pérez Casas,
qui a été exécutée dans une séance de l'Académie même de San Fernando, où
elle a été très vivement accueillie. Elle se fait remarquer, dit un critique, par
une vigueur et une robustesse de vrai maître, et elle est digne d'entrer en
parallèle avec los Gnomos de Chapi et avec las Esœnas andalusas de Breton.
— La question de savoir par quel monument « peu banal » on devra rendre
hommage à la mémoire de Shakespeare, en 1916, à l'occasion du trois cen-
tième anniversaire de sa mort (23 avril 1616), ne sera pas résolue avant long-
temps, semble-t-il, car la grande démonstration qui a eu lieu le mois dernier
au Lyceum-Théâtre de Londres et pendant laquelle des personnages occupant
de hautes situations dans les arts et les sciences, des membres du clergé et du
parlement, des poètes et des artistes dramatiques ont pris la parole, n'a obtenu
qu'un résultat négatif. Le projet d'une statue grandiose à ériger à Londres sur
la place Portland est actuellement abandonné. Reste l'idée d'un grand « théâtre
national ». Elle rallie tous les suffrages des admirateurs du dramaturge anglais,
mais l'énormité des frais en rend la réalisation presque impossible sans l'appui
pécuniaire de l'État. Deux tentatives pour obtenir une subvention du Gouver-
nement ont échoué jusqu'à présent; néanmoins l'idée reste et l'espoir aussi. Avant
l'échéance de 1916 bien des mouvements d'opinion peuvent se produire et
peut-être dans un sens favorable.
— Il nous parait intéressant d'indiquer les œuvres françaises qui ont été le
plus jouées dans les églises d'Angleterre pendant cette fin de printemps ; ce
sont : fragments de plusieurs suites d'orchestre, de Massenet : symphonies pour
orgue, de Widor; Marche militaire, de Gounod ; Gantilène nuptiale de Théo-
dore Dubois; Marche funèbre, Chant séraphique et autres morceaux de Guil-
mant; Offertoire de Lefebure-Wely : te Sœur Monique, de Couperin ; Offertoire
n° 8 et Fanfare de Théodore-César Salomé, etc.
— Le Daily Mail de Londres rapporte la petite anecdote suivante : « Un
homme, se disant commis-voyageur en marchandises, se présenta un jour chez
M. Jean de Reszké, sollicitant de lui une audition aux fins de soumettre à son
appréciation « une voix de ténor qu'il croyait posséder ». M. Jean de Reszké
ne fit aucune difficulté pour le recevoir et l'entendre ; il lui déclara même
pendant l'audition qu'avec un si bel organe il était parfaitement ridicule qu'il
passât sa vie à colporter des ballots de drap, « Travaillez seulement quinze
jours avec moi, lui dit-il, et je vous ferai obtenir un engagement à l'Opéra ».
Le voyageur lui répondit qu'il était obligé de repartir le soir même pour l'Al-
lemagne et qu'il donnerait plus tard de ses nouvelles. Il en donna en effet, car
M. Jean de Reszké reçut au bout de quelques jours un journal renfermant le
récit de la visite du soi-disant commii-voyageur au célèbre ténor ; on y fai-
sait connaitrele nom du visiteur qui n'était autre que M. Henri Knote.de l'Opéra
de Munich. Il avait passé à Paris en revenant de New -York, où il avait
chanté au Metropolitan Opéra House, et il avait trouvé plaisant d'avoir l'opi-
nion de M. Jean de Reszké sur son organe, opinion qui, comme on l'a vu,
s'était trouvée toute favorable ».
— Une artiste anglaise. Miss Alys Lorraine, désireuse de varier les pro-
grammes de ses auditions, va donner le 10 juin un concert d'œuvres musicales
ayant pour auteurs des monarques, des princes ou des princesses dont voici
les noms : princesse Henry de Battenberg, le défunt prince consort, le duc-
Ernest II de Saxe-Cobourg-Gotba, le roi de Saxe Clément -Théodore-Antoine,
mort le 26 juin 1836, la reine Marie-Antoinette, et l'empereur d'Allemagne.
Une notice intéressante, publiée à l'occasion de ce concert et reproduite par
]e Musical Xews renferm9 une lettre adressée par la princesse Amélie, sœur
du roi compositeur et flûtiste Frédéric H, à son professeur qui lui avait envoyé
de la musique de Gluck ; nous la reproduisons car elle ne manque pas de
piquant et montre que toutes les princesses n'ont pas le monopole de la clair-
voyance dans leurs appréciations ; la voici : « M.Gluck ne passera jamais pour
un homme habile en matière de composition musicale. Il n'a premièrement
pas la moindre invention ; deuxièmement, il ne trouve que des mélodies mau-
vaises et misérables ; enfin, en troisième lieu, on ne rencontre chez lui ni
accent, ni expression. Tout se ressemble dans son œuvre. La pièce intitulée
introduction devrait être écrite dans lî forme d'une ouverture, mais le bon-
homme n'aime pas les contrepoints en imitation; il a raison, car ils exigent
de sérieux efforts. Il aime au contraire à reproduire ses motifs en les trans-
posant. Il n'y aurait pas lieu de lui en faire un reproche, car si un thème est
souvent répété, l'auditeur le retient plus aisément ; mais si M. Gluck trans-
pose la même idée, cela parait être uniquement parce qu'il n'en trouve pas
d'autres. Ce que vous m'avez envoyé répond à un goût nouveau, qui a beau-
coup d'adhérents ; je vous en remercie dans tous les cas. Par les fautes des
autres, on apprend à voir les siennes propres. » Veut-on savoir maintenant à
quel ouvrage de Gluck s'appliquait la critique de la princesse Amélie ; à
l'ïphicjénie en Autide, tout simplement.
— Une jeune musicienne anglaise, miss Ethel Smyth, qui a donné ces jours
derniers, salle Erard, un concert de musique anglaise, dans lequel elle a fait
entendre, avec ses œuvres personnelles, des compositions de MM. Narmann
O'Neil, York Bowen et Cyril Scott, adresse au Morning Post une lettre où elle
se plaint du peu d'accueil qu'on fait en Angleterre aux compositeurs natio-
naux. Miss Etbel Smyth est auteur de deux opéras, le Bois et tes Naufrageurs,
qui ont été joués avec succès à Berlin, à Leipzig, à Prague, à Weimar et à
Carlsruhe et qu'elle ne peut réussir à produire dans son pays. Elle déplore amè-
rement, dans sa lettre, qu'aucun théâtre anglais ne consente jamais à jouer une
œuvre nationale. Les troupes qui desservent les théâtres d'Angleterre, dit-elle,
sont aux mains de spéculateurs qui les emploient à représenter des œuvres
productives et ignorent de parti pris les opéras dont le succès n'a pas été con-
sacré à l'étranger. En présence do cette situation décourageante, miss Ethel
Smyth conseille à ses confrères anglais de renoncer à écrire pour la scène tant
que Londres ne possédera pas un théâtre lyrique national subventionné.
— Les Américains sont gens pratiques. L'un d'eux, nommé Polk,a fondé, dans
une ville de l'Etat d'Indiana, une école d'accordeurs de piano qu'il a appelée
Polk's School of Piano Euning. Cette école, qui est pourvue d'une grande biblio-
thèque, compte sept professeurs qui enseignent aux élèves la théorie et la
pratique de l'accord du piano ; elle a déjà délivré à plus de 400 jeunes gens le
n diplôme de maturité ». Bécemment, son fondateur a ouvert une section
pour les pianos avec auto-pianiste, pour rendre familiers aux élèves la cons-
truction, le maniement et la réparation de ce genre d'instruments, qui, aux
États-Unis, acquièrent chaque jour une plus grande diffusion.
— De Buenos- Ayres : On vient d'inaugurer ici le nouveau théâtre municipal
Colon, qui est certainement un des plus vastes, des plus modernes et des plus
grandioses du monde. Il a été construit par l'architecte Meano, sur le modèle
du Grand Opéra de Paris. L'inauguration a eu lieu en présence du président
de la République, des ministres, du corps diplomatique et d'une foule im-
mense.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
L'Académie des Beaux-Arts a décerné les prix suivants :
Prix Trémont (composition musicale) de la valeur de 1.000 francs, partagé également
entre MM. Ganaye et Philipp, anciens lauréats du Conservatoire de musique.
Prix Charrier (500 francs), M. Amédée Reuschel, compositeur de musique à Lyon,
• pour ses diverses oeuvres de musique de chambre.
Prix Monbinne (3.000 francs), à M. André Messager, pour son opéra-comique For-
lunio.
Le montant de la fondation veuve Buchère, de la valeur de 700 francs, a été partagé
de la manière suivante : 350 francs à M. Garchery, deuxième prix du Conservatoire
en 1907 et 350 francs à M1" Chanove, premier accessit de comédie du même établisse-
ment en 1907.
— Au Conservatoire. A la suite des examens, ont été admis à prendre part
aux concours de fin d'année les élèves suivants :
chant (Hommes).
Classe de M. Duvernoy : M. Paulet.
Classe de M. Dubulle : MM. Jourde, de La Rochemiguière, Tareria.
Classe de M. Lassa lie : MM. Vaurs, Audiger.
Classe de M. Cazeneuve : M. Chah-Mouradian.
Classe de M. Engel : MM. Imbert, Logeât.
Classe de M. Heltich : MM. Villaret, Coulomb, Pierre Dupré, Combes.
Classe de M. de Martini : MM. Teissier, Castel.
Classe de M"" Rose Caron : M. Laloye.
Classe de M. Manoury : MM. Decourcelle, Ponzio.
Classe de M. Lorrain : MM. Bellet, Félisaz, Collard.
chant (Femnies).
Classe de M. Duvernoy : M11" Gustin, Jurand; M"1 Rénaux.
C/«sse de M. Dubulle : M"" Panis, Alice Raveau, Bonnard.
Classe de M. Lassalle : M"" Bourdon, Yvon, Alavoine.
Classe de M. Cazeneuve : AI"" Syla, Le Senne, Cebron-Norbens, Vivier des Vallons,
Wiltz, Kaiser.
Classe de M. Engel : M"" Arné, Amoretti.
Classe de M. Heltich : M"" Gabrielle Demougeot, Daumas, Pradier.
Classe de M. de Martini : M11" Delph, Billard, Denuery.
Classe de .1/™" Rosi •Caron : M"" Robur, Chantai ; M™" Delisle ; M""' Fraisse, Lam-
bert.
Classe de M. Manoury : M»' Garchery; M"™ Borione, Ménard.
Classe de M. Lorrain : M"" Erya, Duvernay, Souchon, Gautier.
OPÉRA
Classe de M. Melchissêdee : M"" Le Senne.
Classe de M. Bouvet : MM. Teissier, Vaurs, Imbert, Pierre Dupré ; il"" Bourdon,
Alice Raveau, Kaiser, Wiltz, Vivier des Vallons.
Classe de M. Isnardon : MM. Audiger, Combes, Chah-Mouradian; M"" Jurand,
Robur, Cebron-Norbens.
Ctese de M. Dupeyron : M. Laloye; M"" Panis, Sylla; M»" Garchery, Delisle.
OPÉtU-COMIQUE
Classe de M. Melchissêdee : M. Ponzio.
Classe de M. Bouvet: MM. Vaurs, Félisaz, Coulomb, Pierre Dupré; M"" Alice
Raveau, Lambert.
Classe de M. Isnardon : MM. Paulet, Villaret, Audiger, Taréria, Combes; M"" Ju-
rand, Chantai, Robur, Gabrielle Demougeot, Gustin, Cebron-Norbens, Duvernay,
Pradier.
C7ns.se de M. Dupeyron : MM. Laloye, Bellet, Amoretti ; M"" Garchery ; M11' Ménard.
LE MÉNESTREL
[83
piano Feiïimés}.
Classe de M. Deluburde : II"" Chardard, Marx, Piltan, Abadic, Laridsmann, Isnard,
Bompard, Ratez, Pereira, Laeuffer.
Classe de M. Philipp : M"" Pennequin, Morin, Déroche, Vargues, Fourgeaud,
Michel Jeanne, Lewinsohn, Fritsch, Guller, Heinemann.
Classe de M. Carlot : M"" Bouvaist, Chassaing (Anne-Marie), Boucheron, Guillou,
Parody, Bouclier de Vernicourt, Davin, Dienne, Duchesne, Haskil, Bossus, Schulhof
(Madeleine).
— L'assemblée générale de la Société des artistes dramatiques, sous la pré-
sidence de M. Coquelin aîné, a eu lieu samedi aux Nouveautés, M. Péricaud
a lu le rapport annuel. L'Association comprend 3.770 sociétaires (1.865 hommes
et 1.905 femmes). Elle a 304.341 francs de rente. Elle a servi, cette année, 5-2
pensions pour des sociétaires âgés de 60 ans et 12 pour des sociétaires-femmes
âgées de 55 ans. M. Coquelin aine a été réélu président à l'unanimité. Ont été
élus membres du comité : MM. Albert Carré, Brémont, Numés, Carbonne, De-
launay, Huguenet.
— Le comité du Syndicat professionnel des ailleurs et compositeurs dramatiques
était composé de vingt membres; mais les musiciens n'y étaient point repré-
sentés. A la dernière assemblée générale, il fut décidé que le bureau s'adjoin-
drait deux compositeurs de musique, et, à la dernière réunion du comité, à
l'unanimité des membres présents, furent élus : MM. Henri Hirchmann et
Sylvio Lazzari.
— Au Congrès international des Editeurs, qui vient de se tenir à Madrid,
et qui fut des plus intéressants, les vœux suivants ont été adoptés :
1° L'abolition de toute formalité pour la garantie du droit de propriété littéraire,
artistique et musicale ;
2° L'assimilation pleine et entière du droit de traduction au droit de reproduction ;
3° L'unification de la durée du droit de l'auteur pour un délai de cinquante ans à
partir de la mort de l'auteur;
A" Protection pleine et entière des auteurs et compositeurs contre la reproduction
de leurs œuvres au moyen d'instruments mécaniques de tout genre.
Le congrès a ensuite proposé la nomination d'une commission interna-
tionale chargée d'empêcher la contrefaçon musicale, particulièrement au
Canada et dans diverses républiques sud-américaines. Au commencement de
la séance, lecture avait été donnée d'un rapport de Mr. Patman, éditeur
nord-américain, empêché d'assister au congrès, rendant compte de ses efforts
dans le but d'assurer la protection des droits des auteurs aux Etats-Unis et
annonçant le dépôt au Parlement américain de cinq projets de loi concernant
le « Copyright ». Du coté français ont été lus des rapports extrêmement inté-
ressants et fort documentés de MM. William Enoch, Bertrand et Emile Leduc
sur des questions de contrefaçons en Europe, au Canada et dans les républi-
ques du Sud-Américain.
— A l'Opéra, nous avons eu jeudi la dernière représentation de Boris Godou-
now. On a fait aux chanteurs russes des adieux chaleureux. — La présence à
Paris de la délicieuse danseuse du même pays, M"'' Kschesinska, nous a valu
une reprise du charmant ballet de Widor, la Korrigane, où son extraordinaire
virtuosité et sa verve joyeuse ont soulevé l'enthousiasme de toute la salle,
surtout dans le pas de deux du 2e acte où son brillant partenaire, M. Légat,
a partagé son véritable triomphe. — Ce soir samedi, nous aurons dans Lohen-
yrin les débuts du ténor Godard, dont on dit le plus grand bien. MM. Mes-
sager et Broussan l'ont découvert au théâtre de Rennes. — Vendredi prochain,
rentrée de M",e Rose Caron dans Salammbô. — Et maintenant, on est tout à la
préparation du fameux « gala des auteurs », qui doit avoir lieu le 11 juin. Au
programme : Rigoletto, avec le flamboyant trio d'interprètes : Melba-Caruso-
Renaud.
— Matinées annoncées pour les fêtes de la Pentecôte :
Comédie-Française : Tartuffe. — Le Malade imaginaire.
Lyrique Municipal : La Basoche.
Nouveautés, Palais-Royal, Porte-Saint-Martin, Théàtre-Réjane, Théàtre-Sarah-
Bernhardt, Athénée, Théâtre-Antoine, Bouffes-Parisiens, Folies-Dramatiques, Am-
bigu, Déjazet : mêmes spectacles que le soir.
LUNDI
Comédie-Française : Au Palais Cardinal. — Britannicus. — Le Médecin malgré lui.
Lyrique Municipal : Le Barbier de Sécitle. — Les Noces de Jeannette.
Porte-Saint-Martin, Palais-Royal, Théàtre-Réjane, Théâtre-Antoine, Folies-Drama-
tiques, Ambigu, Déjazet : mêmes spectacles que le soir.
— Berlioz! Berlioz!! Berlioz!!! Nom fatidique, qui depuis quelques années
sonne obstinément à nos oreilles, et nous poursuit sans cesse, sans trêve et
sans relâche! Articles de journaux, articles de revues, brochures, recueils de
lettres, études, biographies, apologies, analyses, il pleut du Berlioz de tous
côtés, et l'on finira par nous en fatiguer, comme on nous a fatigués de Wag-
ner. Les Grecs étaient las d'entendre appeler Aristide «le juste»; nous
•serons bientôt las d'entendre parler de Berlioz. Nous avions déjà le volume
d'Alfred Ernst, et les deux d'Edmond Hippeau, et les deux de M. Ad. Jullien,
et les brochures de G. de Massougnes, de Noufflard, de Galibert, de Michel
Brenot, sans compter les autres; nous avons depuis quelque temps les trois
volumes de M. Prod homme, les deux de M. Tiersot, qui nous en promet
deux autres, le premier de M. Adolphe Boschot, dont voici le second, qui
sera suivi d'un troisième, sinon d'un quatrième. A qui le tour maintenant,
et qui va entrer dans la danse ? Franchement, n'est-ce pas uu peu trop, et ne
peut-on le croire -et le-dire-sans-étre accusé àe-berliosoplwbie? Le premier vo--
lume de M. Boschot avait pour titre la Jeunesse d'un romantique; voici venir
le second, qui s'appelle un Romantique sons Louis-Philippe, en attendant le
troisième, qui s'intitulera /<■ dv/, //,«■«/<• ./',/,/ /.,//,/»'../».■. i; , .
après cela que l'Apothéose d'un romantique. Le premier avait 540 pages; le se-
cond en compte 672: le troisième aura sans doute l'ampleur d'un diction-
naire. Assurément, celui qui nous arrive aujourd'hui est intéressant; mais,
tout de môme, on en pourrait trouver les proportions excessives. Votez que
j'admire le labeur plein de conscience auquel s'est livré l'auteur. £1 a suivi
Berlioz pas à pas, il s'est accroché à sa piste, il l'a accompagné par toute
l'Italie, il est revenu avec lui en France, où il ne l'a |jas lâché d'un instant,
soit chez miss Smithson,.soit à l'Opéra (Benvenuto Cellini), soit aux cotés de
Paganini, soit dans ses concerts [Roméo et Juliette, etc.), -"il dan- sa liaison
avec Marie Recio, sa future seconde femme, et son récit est complet, complet,
complet autant qu'il peut l'être, avec des trouvailles et de véritables révéla-
tions; mais il est trop long ce récit, et il ne nous fait grâce de rien, et aussi
il tourne trop au panégyrique. Et puis, l'écrivain ne se dissimule pas assez,
et on le sent trop toujours derrière son héros, dont il emprunte le langage
excessif, et les expressions familières et truculentes, et les formules bizarres.
La recherche de la couleur fait que la biographie devient trop romantique et
la critique absolument romanesque. Je crois que M. Boschot s'est grisé lui-
même en se grisant de Berlioz. Ce qui n'empêche qu'il y a là un travail
énorme, plein de conscience, et que le livre est vraiment, extrêmement cu-
rieux. Mais aussi, il faut en convenir, la lecture n'en va pas sans une véri-
table fatigue, parce que l'écrivain ne sait pas se borner et qu'il a oublié
l'axiome de Boileau. Tout en lui sachant gré de la peine qu'il a prise et du
mal qu'il s'est donné, on voudrait chez lui un peu de sobriété, dans le fond
aussi bien que dans la forme. Mais quand on a lu ses 672 pages, et les 5i0
qui les précèdent, on peut dire qu'on commence à connaître Berlioz, et on le
connaîtra tout à fait assurément quand le troisième volume aura paru. Mais
qui aura, clans l'avenir, le courage de lire d'affilée 2.000 pages sur Berlioz ?
A. P.
— L'assemblée générale de l'Association professionnelle de la crit:que dra-
matique et musicale s'est réunie hier, salle Pleyel, dans l'après-midi, sous la
présidence de M. Adolphe Brisson. Soixante-dix-huit sociétaires étaient
présents. La séance a commencé par la lecture des rapports annuels de
M. Maxime "Vitu, secrétaire général, et de M. Théodore Henry, trésorier. Ces
rapports, qui constatent la prospérité croissante de l'Association, ont été
unanimement applaudis et approuvés. Après les félicitations votées au pré-
sident en exercice, pour les résultats obtenus au cours de l'année théâtrale,
particulièrement en ce qui concerne les relations établies entre les directeurs
et les membres de l'Association, M.Adolphe Brisson a proposé à l'assemblée,
qui les a ratifiées, une série de modifications aux statuts. Elles auront pour
résultat d'assurer au recrutement de l'Association un caractère exclusivement
professionnel. L'assemblée a procédé au renouvellement par moitié du comité.
Ont été élus : MM. Maurice Quentin-Bauchart, Albert Soubies, Maurice
Lefèvre, Edmond Stoullig, Georges Visinet, Charles Martel, Emile de Saint-
Auban et Armand d'Artois. Elle a proclamé ensuite, par voie d'acclamation,
M. Adolphe Brisson, président sortant rééligible, président de l'Association,
pour le nouvel exercice 1908 1909.
— D'une statistique dressée par un de nos confrères d'Outre-Manche, il
ressort que New-York est désormais la ville du monde qui contient le plus de
théâtres, de cafés-concerts et de cirques. A New- York, le nombre de places
« assises » que les établissements peuvent mettre dans la même soirée à la dis-
position du public est de 123.795 ; ce chiffre est de 120.930 à Londres et de
82.331 à Paris. Londres contient le plus de théâtres proprement dits, 39: New-
York en a 31, Paris 24. Notre Châtelet tient le record de la capacité avec ses
3.600 places ; l'Opéra de New-York n'en compte que 3.349 ; à Londres, le Drury
Lane et le Standard ont chacun 3.300 places. Mais c'estNew-York quia, d'une
part, les plus petits théâtres, avec son Madison Square (646 places) et son Lv-
ceum (650) ; de l'autre, les plus spacieuses salles de concert, avec le Madison
Square (9.000 places assises) et le Grand-Central (S.000).
— Mmc Aino Ackté,qui vient de passer quelque temps parmi nous, s'en est
allée passer l'été dans sa délicieuse propriété de Turholm près de Helsino-fors.
Au mois d'octobre prochain, la brillante cantatrice entreprendra une «rande
tournée à travers le continent: elle interprétera sur les principales scènes
d'Europe les divers rôles de son beau répertoire. Mme Aïuo Ackté vient enfin
de signer avec M. Gunsbourg un brillant contrat pour la prochaine saison de
Monte-Carlo. Quand la grande artiste se fera-t-elle réentenlre à Paris ?
— Mm|,Lina Cavalieri, après une triomphale saison au Metropolitan de New-
Yo.k, vient de passer quelque temps en Russie. La charmante cantatrice a
chanté successivement avec un immense succès, à Varsovie et à Pétersbour"
ces grands rôles qu'elle a fait siens par la profonde originalité de soninterpré-
tation : Manon, Marguerite, Violetta, Thaïs. Tout le monde se souvient com-
bien elle fut admirable dans ce beau rôle de Thaïs, qui mettait si bien en va-
leur les qualités incomparables de sa voix et sa grande beauté. C'est dans Thais
qu'elle vient de se faire applaudir au gala offert à l'occasion du mariage de la
grande-duchesse Marie Paulowna. Le roi de Grèce, la grande-duchesse Wladi-
mir, les princes et les princesses de Grèce, plusieurs membres de la famille
impériale assistaient à cette représentation et ont pris large part à la véritable
ovation faite à la délicieuse interprète du chef-d'œuvre de Massenet. M™' Lins
Cavalieri va partir bientôt pour Londres, où elle débutera à l'Opéra de Covent-
Garden.
— On se rappelle qu'il y a trois ans la Société de l'Histoire du Théâtre
184
LE MENESTREL
restitua une scène oubliée et charmante, le théâtre de Verdure du Bois de
Boulogne, où elle organisa une représentation délicieuse. Cette année, la
Société reviendra au théâtre de Verdure du Pré Catelan. La représentation
aura lieu le lundi 22 juin, dans l'après-midi. Le programme, qui sera très
prochainement publié, se composera uniquement d'oeuvres du XVIIIe siècle.
M. Albert Carré, directeur de l'Opéra-Comique, assurera à celle fête de poésie
et de musique son précieux concours.
— Au 50e anniversaire de l'inauguration de l'Église Sainte-Clotilde, on a
fort goûté les œuvres religieuses de Théodore Dubois : Punis angelicus, Ave.
Maria et Tantum ergo. On sait que M. Théodore Dubois fut maître de chapelle
à Sainte-Clotilde de 1863 à 1S69.
— '■ A Saint-Séveriu un Salut en musique fut donné pour F « OEuvre des
pauvres vieillards ». Avec succès on y exécuta des fragments de la Vierge de
Massenet et son Souvenez-vous. Très remarqué aussi l'O salutaris de Périlhou
chanté par Mlle Faucher.
- — Pour la clôture du mois de Marie, à NoIre-Dame-de-Gràce de Passy, la
superbe voix de Mn,c de Valgorge fut très remarquée dans le beau Tantum
ergo du maître Th. Dubois.
— Les séances que M. Moriz Rosenlhal donnait à la salle des Agriculteurs,
et dont la dernière a eu lieu jeudi 21 mai, ont vu croître le succès de cet
éminent virtuose. Un auditoire exceptionnellement nombreux et enthousiaste
a salué de bis et de rappels sans fin l'étonnant pianiste et l'on ne sait ce
qu'il faut le plus admirer de son éblouissante technique, de la variété de
ses effets ou des jeux d'opposition de sonorités dans lesquels il excelle. Encore
que quelques-uns de ces effets aient surpris nos oreilles prévenues, comme dans
la sonate de Weber ou celle de Chopin, où la recherche fut peut-être exces-
sive, on n'en subit pas moins le charme impérieux de cette personnalité puis-
sante qui s'impose et ne se discute pas.
— Le premier concert de M™' Roger-Miclos et de M. L.-Cb. Battaille a été
fort réussi. La charmante et talentueuse pianiste a interprété avec son jeu fait
de grâce, de mesure et de pureté de style et d'expression, nombre d'oeuvres
d'auteurs modernes: parmi. les numéros les plus fêtés, nous citerons une
ravissante étude (dédiée), dé M. Théodore Dubois, une Suite écossaise en quatre
numéros, de M. Ch.-M. Widor, riche d'idées et de pittoresque, les- Reg.ircls
amoureux et la3me Valse, de M. R. Hahn, la Fée, de M. P.Le Borne, des pièces
de MM. Léo Sachs, de Polignac, D. de Sévérac, Fauré, Debussy. Pierné et
Saint-Saëns. M. Battaille consacrait sa part du programme à nous faire con-
naître un musicien moderne allemand, M. Hans Herman, dont'o'n peut dis-
cuter les tendances mais non méconnaître le mérite. Une déclamation netle
et précise, une voix mordante et expressive ont bien mis en valeur ces petits
tableaux de genre. Ballade et Lieder populaires, d'un tour poétique sentimen-
tal ou dramatique qui a vivement intéressé un nombreux auditoire, et valu à
l'éminent interprète des ovations méritées. ,1. J.
— Gros succès pour la première des causeries de Mme Georgette Leblanc, .
au théâtre des Arts. Avec le charme poétique qu'elle apporte à toutes les-'
manifestations de son art si personnel, l'éminenle artiste a parlé des « Poèmes
de Jade », des « chansons de Maeterlinck », et chanté, comme elle seule saitle
faire, les musiques de Gabriel Fabre. On a prodigué les bravos et les rappels
à M"'e Georgette Leblanc et, à la fin de la soirée, une belle ovation a exprimé
le plaisir du public.
— Au cercle le Lyreum bien intéressante audition d'œuvros de Gabriel
Fabre, où Mllc Demellier chanta d'une voix généreuse et avec un rare talent
trois des chansons de Maekrlinck (J'ai marché trente ans. Cantique de la Vierge,
S'il revenait vn jour) et trois Poèmes de Jade [De l'autre côté du fleuve, A la plus
belle, Ivresse d'amour). Bien charmantes aussi les Images d'enfants pour piano
seul.
— Ce fut, récemment, une instructive soirée d'art, et dont nous garderons
le reconnaissant souvenir, que celle où le maître Delaborde joua par cœur,
chez Pleyel, les deux livres i'Étildès et les vingt-quatre Préludes de Chopin.
L'éminent professeur ne se contente pas, en effet, d'avoir formé toute une
pléiade où se distinguent M"e Marthe Dron. l'intelligente partenaire du qua-
tuor Parent dans les cycles Franck, Schumann et Brahms, Mlle Geneviève
Dehelly, qui s'annonce comme une des virtuoses les plus musiciennes de son
temps. Et si nous l'appelons « le vieux vaillant maître », c'est uniquement
parce qu'il est le doyen de nos pianistes, l'aîné de Diémer et de Planté. C'est
un jeune, aussitôt que, parmi tant de frais visages qui l'écoutent, il évoque,
d'un toucher sûr comme sa mémoire, la juvénile musique du plus spontané
des poètes-musiciens, ces pages brèves ou développées, bien connues de ses
auditrices, et qui semblent neuves sous ses doigts, ces études si musicales, ces
préludes dolents et fougueux, de quelques mesures, ou si poétiquement pro-
longés comme le quatrième ou le dix-septième, un enchantement sous ces
fortes mains qui se font si douces ! En faisant suivre Chopin de quelques dif-
ficiles fantaisies de Relier ou de Liszt, le grand intorprè e de Beethoven a
voulu prouver que la virtuosité bien comprise est beaucoup moins l'ennemie
que l'auxiliaire du sentiment. Ray.mo.nd Bùuyer.
— Dimanche dernier a eu lieu, au Théâtre de l'Odéon, la brillante audition
qu'avait organisée M. Paul Braud, avec le concours de l'orchestre delà Société
des Concerts du Conservatoire pour faire entendre-quelques-uns de ses élèves.
Il faut citer parmi les plus applaudis M""'s Ronée Dargier-Peltiér, Marguerite
Garës-Willemin, MM. Jean Verd, Edouard Garés, Yves Nat et Pierre Lucas.
Ils ont exécuté en véritables artistes les Variations symphoniquis de Franck, la
Fantaisie de Schubert, le Concerto en ré mineur de Mozart, la Fantaisie Hon-
groise de Liszt, le Concerto en ré mineur de Rubinstein et la Rapsodie d'Au-
vergne de Saint-Saëns. Une grande part dans le succès des élèves revient na-
turellement à leur éminent professeur.
— La dernière audilion d'élèves donnée à la salle Hoche par M'ne Marchesi
a été, comme toujours, extrêmement brillante et tout à l'honneur des jeunes
artistes et dé leur éminent professeur. Avec de nouvelles venues, nous avons
retrouvé là plusieurs jeunes femmes dont les progrès sont remarquables et qui
sont prêtes à entrer dans la carrière : MUe Valentine Philo ophoff, toute char-
mante dans des mélodies de Schubert, de Rimsky-Korsakofl'et Saint-Saëns;
Mlle Sybill Tancredi, très émouvante dans l'air de Louise et le duo de Manon
(avec M. Dubois) ; Mn,e Baird, qui s'est fait remarquer dans l'air de la Traviata
et le duo an Roméo et Juliette (avec M. Dubois); MlleEdaMennie, dans un bel air
deHaendeletleduo deiaAméi'avecle même); Mlle Julie Lucey, dramatique dans
un air à'Bérodiade et le duo d'Henri VIII (avec M. Gilly) : puis encore M"es Fé-
licie Lyne, Dolly, Wilson, Klara Erler. La séance s'est terminée surtout sur un
gros succès: le quatuor de Rigoletlo, chanté d'une façon très dramatique par
Miles Marguerite Claire et Julie Lucey et MM. Dubois et Gilly, dont la vaillance
et l'entrain ont produit une impression profonde sur les auditeurs.
— Le très brillant concert donné à la salle Gaveaupar M'™ Elise Kutscherra
et M. et Mme Georges de Lausnay a été pour ces trois remarquables artistes une
soirée triomphale. L'admirable talent de M1"" Kutscherra fut salué d'applau-
dissements unanimes pendant que l'impeccable maîtrise de M. et M"le Georges
de Lausnay soulevait dans la salle un véritable enthousiasme.
— En une séance de sonates, le prestigieux violoncelliste Hollman a allirmé
une fois de plus sa merveilleuse technique, sa sonorité puissante et expres-
sive, son style chaud et pénétrant. Dans les sonates de Saint-Saëns, de Haen-
del et de Grieg, l'éminent artiste a recueilli un succès d'enthousiasme légiti-
mement partagé par M1"' Jeanne Blancart dont le jeu net et précis, les qualités
de pianiste doublée d'une musicienne accomplie ont été très appréciés dans '
l'accompagnement des sonates et dans le Prélude, Choral et Fugue de César
Franck, magistralement rendu. J. J.
— Fort intéressante matinée de harpe donnée par Mllc Henriette Renié à la
salle Erard, où le cours d'ensemble du remarquable professeur a fait merveille
dans des pièces de Haendel, Rachmaninoff et Dvorak. A signaler encora le
/ Divertissement grec très curieux de M. Mouquet, écrit pour flûte et harpe, et les
deux Pièces symphoniques de M"e Renié pour harpe et orchestre. Dans la partie
vocale du concert, gros succès pour deux mélodies de Théodore Dubois: Au
jardin d'amour et la Jeune Fille à la Cigale, chantée remarquablement par
Mme Marceline Herman.
— Le 30 mai, en la salle Lemoine, a été donné le premier spectacle d'Une
heure d'art. Très applaudie, M"e Rose Ferrand, du Grand-Théâtre de Marseille,
dans tes Saisons de Stephen Liégeard, des mélodies de Léo Sachs, et Avril
est là, une délicieuse page du maître Massenet. — Gros succès pour Mmc Mel-
lot-Joubert, de l'Opéra-Comique, dans des mélodies de Léo Sachs, et dans le
Psaume Païen, d'Enrycle, dont M"e Suzanne Horden, de l'Odéon, fit valoir, fort
acclamée, les strophes poétiques. Pour ce poème, une partie symphonique de
belle venue, signée J. Lefaulne, était confiée aux talents éprouvés de M"10 Clé-
ment Comettant, organiste, et MUe Jeanne Chareau. pianiste, qui, auparavant,
avaient interprété ensemble avec charme le nocturne de la Xavarraise, de Mas-
senet, et Contemplation, do Gigout.
— On écrit de Strasbourg : Dans un des sites les plus merveilleux des envi-
rons de Strasbourg, à La Rothmilhl, on inaugurera le 14 juin prochain, un
théâtre de verdure sous la direclion de M. Vierne,un professeur de notre ville.
La première représentation aura pour programme Phèdre, avec la musique de
Massenet. C'est Mme Suzanne Després qui interprétera le rôle de Phèdre.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Chemins de fer de l'Ouest. — Voyages a pmx réduits. — La Compa-
gnie des Chemins de fer de l'Ouest qui dessert les stations balnéaires et ther-
males de la Normandie et de la Bretagne fait délivrer jusqu'au 31 octobre,
par ses gares et bureaux de ville de Paris, les billets ci-après qui comportent
jusqu'à 30 0/0 de réduction sur les prix du tarif ordinaire : 1° Bains de mer et
eaux thermales. Billets valables suivant la distance. 3. 4, 10 ou 33 jours;
ces derniers donnent le droit de s'arrêter à l'aller et au retour, à une gare au
choix de l'itinéraire suivi et peuvent être prolongés d'une ou deux périodes-
de 30 jours, moyennant supplément de 10 0/0 pour chaque période. —
2° Excursions sur les côtes de Normandie, en Bretagne et à l'île de Jersey. Bil-
lets circulaires valables un mois (non compris le jour du départ) et pouvant
être prolongés d'un nouveau mois moyennant supplément de 10 0/0. Dix
itinéraires différents dont les prix varient entre 50 et 115 francs en 1" classe
et 40 et 100 francs en 2e classe, permettent de visiter les points les plus inté-
ressants de la Normandie, de la Bretagne et l'Ile de Jersey.
e, 20,
Knc r, I nnl.-grV
4029 — 74e AMVÉE. — !\° 24. PARAIT TOUS LES SAMEDIS
Samedi 13 Juin IttilS
(Les Bureaux, 2b", rue Vivienne, Paris, u- m')
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
ENESTREL
lie Numéro : 0 fp. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
lie fluméro : 0 fr. 30
Adresser franco à M. Henri FTEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un au, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte ot Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Pari3 et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en bu».
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans dé la vie de Gluck (23e article), Julien Tiersot. — II. Semaine théâtrale:
reprise i'Amoureuse à la Comédie- Française, A. Boitarel. — III. La Musique et le
Théâtre aux Salons du Grand-Palais (98 article), Camille Le Senne. — IV. Deux nou-
velles sonates de Cli.-M. Widor. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
JE NE SAIS PAS OÙ VA LA FEUILLE MORTE
nouvelle mélodie d'Eii.NESi Moret, poésie de Klingsor. — Suivra immédiate-
ment: Dors, nouvelle mélodie de René Lenormand, poésie de Febnand Greuh.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
Adagio, de Théodore Dubois. — Suivra immédiatement : Tristesse et Sauterelles,
nocturne et scherzo de la marquise de Negrûne.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
{.±.T ± ^ - ± T T--4L)
CHAPITRE YI
GLUCK COMPOSITEUR D'OPÉRAS-COMIQUES
Nous avons déjà donné un échantillon de la musique que
ce poème inspira à Gluck. Les chants syllabiques y abondent,
alertes et pleins de rondeur, parfois avec une pointe de senti-
ment, faisant songer à la manière de Grétry qui n'avait pas
encore débuté. Les rythmes de danse tiennent une large place,
comme il convient dans toute bonne opérette : plusieurs chan-
sons à trois temps sont de véritables menuets ; d'autres, en
mouvement binaire, semblent des gavottes, des branles, des
rigodons. Tout cela s'accorde parfaitement avec les vieux timbres
de vaudevilles français qui voisinent avec les nouveaux airs de
Gluck, tels que : « Réveillez-vous, belle endormie, — La ber-
gère de nos hameaux, — Ma tourlourette, en amourette, — Or,
écoutez, petits et grands, — Ton humeur est, Catherine, —
Comme un coucou que l'amour presse, — De Jean de Vert en
France, — L'amour, l'amour, la nuit et le jour. » Il y a tout
lieu de penser que ces couplets étaient chantés au clavecin
(ils ne figurent pas dans la partition d'orchestre, qui ne contient
que la musique nouvelle) et que Gluck eut à pourvoir à leur
accompagnement.
Le futur auteur des grands opéras parisiens ne semble avoir
été aucunement offusqué par ce mélange où l'élément populaire
tient une large place. Bien mieux, lui-même y a contribué, uti-
lisant dans sa propre musique des formules et des rythmes de
danses, où il nous semble reconnaître une influence du pays
natal et des souvenirs de jeunesse. « Qu'une servante tchèque
danse, à Vienne, un pas que ses maîtres trouvent original, et la
polka devient une danse noble. » Ainsi s'exprimait récemment
le biographe de Smetana, M. William Ritter. Mais il y avait
beau temps que le rythme de la polka avait été introduit sur
les théâtres de la cour d'Autriche, et du fait de leur plus
illustre kapellmeister, sorti de la Bohême. Lisez par exemple
ce thème d'un couplet chanté par La Candeur, le procureur
enrubanné :
La.vo.cat, le pro.cu.reur, Du bien d'au.Lru
leur.
Ailleurs, nous reconnaîtrons une ,u.ire forme mélodique qu'un
génie beaucoup plus récent a rendue populaire en France.
Voici ce que chante l'Argentine de Gluck :
Pour répartir é
lementLes biensquicilesortdis - pen.se,
Or, c'est au début, note pour note, le refrain : « Très jolie, —
peu polie, — telle était Madame Angot !... » Certes, je suis loin
d'accuser M. Lecocq d'avoir commis la faute de plagier Gluck,
voire d'en avoir subi une simple réminiscence: je tiens trop à
l'honneur de mes découvertes musicales pour admettre qu'il ait
connu l'Ile de Merlin à l'époque, déjà lointaine, où il composait
son chef-d'œuvre classique de l'opérette; il n'y a donc eu, cela
est de toute évidence, entre Gluck et lui, qu'une rencontre
d'idées. Mais n'esl-il pas piquant que l'on puisse trouver dans
une œuvre de l'auteur à'Alcesle le prototype de la Fille de Madame
Angot, et considérer en Gluck l'inventeur de la polka ?
Au reste, dans l'Ile de Merlin il n'y a pas que des polkas. Nous
avens dit qu'avant le lever du rideau l'orchestre avait des éclats
dont on comprenait, le sens lorsque l'on apprenait que l'ouver-
ture a pour but de décrire une tempête. Et d'abord prenons note
du fait même : c'est la première fois que nous voyons la sym-
phonie se rattacher directement au drame, et, comme dira plus
tard la préface i'Alcesle, « prévenir les spectateurs sur l'action
qui va être représentée ». Ce n'est pourtant pas sans quelque
timidité que Gluck prélude à cette importante réforme, tentée
pour la première fois dans une opérette française : V Allegro
tumultueux n'est encore que le morceau « saillant et vif » de la
Sin/onia italienne décrite par Jean-Jacques Rousseau,, et le mor-
ceau final est, conformément à la règle, en mesure de menuet.
Mais vingt ans plus tard, ayant à mettre en musique une traeédie
186
LE MÉNESTREL
dont la première scène représente aussi un naufrage, il repren-
dra à l'œuvre antérieure les éléments constitutifs du prélude
instrumental de nouveau nécessaire : intervertissant l'ordre des
mouvements, il commencera par le morceau à trois temps, qui,.,
épuré, élagué d'éléments trop mondains, servira pour peindre
le calme, tandis que les dessins tumultueux de l'autre partie
seront développés et prendront un accent plus terrible encore,
donnant l'impression que l'action commence en pleine tempête,
— et c'est ainsi que, par un simple remaniement, l'ouverture
de l'Ile de Merlin sera transformée en celle d'Iphigénie en Tauride.
Si nous avons choisi l'Ile de Merlin pour donner, par une ana-
lyse attentive, une idée de la manière et du style de Gluck
comme compositeur d'opéras-comiques français, c'est que cette
œuvre est significative pour nous révéler à la fois le goût de la
société viennoise et l'aptitude du maître lui-même, et qu'en
outre, c'est une des premières qu'il ait produites en ce genre,
la première même dont nous connaissions exactement, la date et
dont la partition complète nous soit parvenue. Pourtant ce ne
fut pas absolument le coup d'essai de Gluck. Si nous nous
reportons aux dates que nous fournissent les catalogues de ses
œuvres, nous trouverons que, dans la même année 1758, mais,
quelques mois plus tôt (au carnaval, tandis que l'Ile de Merlin est
du 3 octobre), il avait déjà donné une composition analogue: La
Fausse esclave, opéra-comique en deux actes, d'après une pièce
. d'Anseaume et Marcouville, sur des airs parodiés, représentée
pour la première fois à Paris, à la Foire Saint-Germain, l'année
précédente (1757).
Antérieurement encore, la Cour de Vienne avait représenté
des opéras-comiques empruntés au même répertoire français,
mais dont la musique était simplement composée d'airs connus ;
et comme Gluck avait dû présider à leur exécution, que peut-
être les basses ajoutées pour accompagner les vaudevilles sont
de sa façon, le catalogue de la Bibliothèque Palatine, où les
manuscrits en sont conservés, a inscrit à son nom les pièces
suivantes :
Les Amours champêtres (1755). On relève dans cette composi-
tion, outre les timbres de provenance ordinaire, deux airs du
Devin du village, alors dans toute sa nouveauté (1).
Le Chinois poli en France (Laxenbourg, 1756), d'après une
parodie d'un intermède italien, par Anseaume (1754, Foire
Saint-Laurent).
Le Déguisement pastoral (Schônbrunn, 1756), poème de Bret
(1744, Foire Saint-Laurent).
Reichardt ajoute à ces trois pièces le Diable à quatre, opéra-
comique de Sedaine, représenté pour la première fois à la
Foire Saint-Laurent le 19 août 1756, et donné à Laxenbourg le
25 mai 1759, avec des morceaux nouveaux à la composition
desquels Gluck parait avoir participé (2).
Il est l'auteur de la musique des autres opéras-comiques
dont les noms suivent :
L'Arbre enchanté, un acte, d'après une pièce de Vadé (le Poirier,
Foire Saint-Laurent, 1752), représenté à Schônbrunn un an
après l'Ile de Merlin, pour le nouvel anniversaire de l'Empereur
(3 octobre 1759) ;
Cythère assiégée , un acte , poème de Favart (diversement
remanié, mais qui, sous sa première forme, avait paru à la
Foire Saint-Laurent en 1738), donné en 1759 à Sclrwetzingen,
résidence d'été de l'Electeur palatin Charles-Théodore de Bavière;
(1) Une représentation des Amours champêtres fut donnée à Vienne en mai 1888, à
l'occasion de l'inauguration de la statue de Marie-Thérèse : à cette occasion, la cri-
tique, convaincue que les vieux airs de vaudevilles français, aussi bien que ceux de
Jean-Jacques Rousseau et de Mouret, étaient de Gluck, ne manqua pas de vanter
- la langue musicale limpide et gracieuse du maestro classique ». Il est vrai qu'on
avait ajouté, pour corser la représentation, des morceaux de la Fausse esclave et de
l'Ile de .Merlin, voire d'Eclw et Narcisse,-ce qui était un peu prématuré. Voir à ce sujet
la «Correspondance de Vienne» signée O.Berggruén dans le. Ménestrel du 20 Mai 1888.
(2) Le catalogue de la Bibliothèque Palatine attribue encore à Gluck une parti-
tion à'On ne s'avise jamais de tout, dont la musique est deMonsigny (voy. Wotquenne,
Cat.de Gluck, p. 225). Il convient d'ajouter à celte énumération trois airs nouveaux
d'Isabelle et Gertrude, comédie de Favart, musique de Biaise, représentée en 1765,
airs qui figurent dans la partition, et dont deux sont des ariettes de la Rencontre
imprévue, le troisième, de provenance inconnue, également de Gluck.
L'Ivrogne corrigé (opéra-comique d'Anseaume, Foire Saint-
Laurent, 1759), donné avec la musique de Gluck, à Vienne
(ou Schônbrunn) en 1760;
Le Cadi dupé (un acte de Le Monnier, ' Foire Saint-Laurent,
4 février 1761), représenté à Vienne (ou Schônbrunn), avec la
musique de Gluck, dans l'année même où il venait d'être donné
à Paris avec la musique de Monsigny;
La Rencontre imprévue, trois actes, tirés d'une ancienne pièce
de la Foire, par Le Sage et d'Orneval (Foire Saint-Laurent,
1726), remaniée par le comédien Dancourt, musique de Gluck,
représentée sous cette dernière forme à Vienne en janvier
1764.
{A suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THÉÂTRALE
Comédie Française : Première représentation à ce théâtre d'Amoureuse,
comédie en trois actes, en prose, de M. Georges de Porto-Riche.
Etienne Fériaud est un médecin de talent. Sa fortune lui permettant
de ne point faire de clientèle, il a voué sa vie aux occupations scienti-
fiques. Sa femme Germaine a livré la sienne tout entière à l'amour.
Elle est amoureuse avec acharnement, à toute heure, à chaque minute,
sans trève.ni relâché. Le cabinet où son mari voudrait travailler est
constamment occupé par elle manu amoroso, ; elle en fait son boudoir,
veut qu'on y serve les repas. Pendant huit années de mariage, l'épouse
et l'époux ont vécu les yeux dans les yeux, elle, ingénieuse à tourmenter,
lui. résigné d'abord, puis, peu à peu impatient sous le joug dont il ne
sent plus la douceur. C'est qu'en Germaine, le costume, l'attitude, les
gestes, le babillage, tout provoque l'intimité avec une hardiesse si
dépourvue de modestie et de réserve que cela même éloigne et repousse.
Puis, Etienne Fériaud aspire à quelque liberté d'action, voudrait
prendre part au mouvement de l'érudition moderne, peut-être publier
quelque ouvrage. Germaine,. sentant une froideur de plus en plus
accentuée se manifester dans leurs rapports, redouble ses assiduités ;
c'est une Phèdre dont les feux auraient été légitimes ; ses tendresses
sont devenues une passion, un paroxysme ; son mari est pour elle
une proie ; elle ne le quitte plus une seconde. Pendant deux actes nous
assistons à cette lutte entre deux personnages. Un troisième intervient
parfois ; c'est Pascal Delannoy, ami intime des deux époux. Épris au-
trefois de Germaine, il la tient en observation, attendant avec sang-froid
le moment où la jeune femme, énervée, exaspérée, dépitée surtout
après quelque scène conjugale qu'elle aura suscitée, tombera haletante
et fiévreuse n'ayant d'autre désir que de se venger. Alors, il lui offrira
des consolations, recevra ses confidences, l'aura peut-être à sa merci.
Si vilain que soit ce calcul, l'événement eu démontre pleinement la
justesse. Après une explication violente, Etienne Fériaud n'est plus
maitre de lui ; il s'éloigne, va respirer l'air au dehors, et Germaine, se
réfugiant dans sa chambre, n'en chasse point Pascal qui l'y a suivie.
Des paroles irréparables ont été prononcées, un pas décisif a été fait,
il semble impossible de revenir en arrière. L'auteur nous y ramène
pourtant, et c'est là qu'apparait le vice capital de la pièce. Le caractère
de cette Germaine, si bienfait pour conduire un mari au divorce ou au
désespoir, apparaît comme exceptionnel et môme contre nature. Nous
ne croyons pas que l'optique théâtrale exige de semblables exagéra-
tions ; nous pensons au contraire qu'en choisissant un cas plus ordi-
naire, tel que chacun de nous eu a rencontré dans sa vie, M. de Porto-
Riche se fût ménagé la possibilité de réconcilier avec vraisemblance à
la fin l'homme de science et l'amoureuse. Dans l'état actuel de la
pièce, cette réconciliation nous laisse sceptiques ; nous ne voyons pas
qu'elle puisse définitivement rapprocher les cœurs.
Amoureuse, jouée pour la première fois à l'Odéon le 25 avril 1891,
avait Mme Réjane pour principale interprète. Aujourd'hui c'est
Mllc Marie Lecomte qui personnifie Germaine. A-t-elle voulu accentuer
par tous les moyens, y compris le costume bien à la mode de nos jours
et si peu discret pourtant, les côtés antipathiques du rôle ? Nous le
croirions volontiers. Mais, puisqu'il s'agit, a-t-on dit, d'une histoire
« vécue », un peu moins d'exubérance dans la mimique, compensée
pas une diction plus vibrante, aurait mieux donné le sentiment de la
réalité. M. Grand, moins préoccupé que sa partenaire de l'effet immé-
diat, a bien pénétré le caractère faible d'abord, mais déterminé dès
qu'il s'est ressaisi, d'Etienne Fériaud ; quelques imperfections de
LE MENESTREL
187
détail disparaîtront sans doute dès les prochaines représentations et
I'élocution chez tous les acteurs en deviendra plus consistante.
M. Raphaf'l Duflos a peut-être exagéré le sans-gène de l'ami familier
de lajmaison à qui l'on pardonne tout. Sa trahison au troisième acte
est, il est vrai, si peu délicate, qu'il est difficile de lui demander
pendant les deux premiers la tenue correcte d'un homme bien élevé.
Mlnes Franchie Clary, Maille. Suzanne Devoyodet Provost complétaient
l'interprétation sans l'élever au-dessus d'une moyenne convenable. La
mise en scène, unique pour les trois actes, est élégante et riche sans
rien qui retienne spécialement l'attention.
Amédée Boutahel.
LA MUSIQUE ET LE THÉÂTRE
aux. Salons du Grand-Palaii
(Neuvième article)
Que de triptyques ! s'ils avaient des joints à charnières, tous ces
volets repliables pourraient s'écouler comme paravents esthétiques
(rayon des articles de choix) dans nos magasins de nouveautés, au cas
où ils n'auraient pas trouvé preneur dans les galeries de la S. A. F.
L'envoi de M"" Henriette Desportes, Quand ils ne vont plus en me?; est
un des plus remarquables comme enchaînement de composition et
variété d'expression. M. Callot n'a pas été moins heureux dans Gens de
mer, enfants qui lancent des miniatures d'esquifs, marins sur l'Océan,
ménagères de Brest errant le long des quais. Et combien d'autres !
Le Pardon de Saint-Cado de M. Désiré Lucas et ses groupes de fidèles
se détachant sur un ciel clair devant le porche de la vieille église de
granit couchée au nord des landes sous un large capuchon d'ardoises
et de mousses sont la meilleure bretonnerie bretonnante d'un Salon où
la Bretagne éclipse toutes les autres provinces françaises. Je signalerai
encore une étude d'observation très rare et de rendu adroitement carac-
térisé, Au pays breton, signé Gonyn de Lurieux (Mme Yvanhoë Ram-
bosson). Le talent de M. Henri Royer se renouvelle dans une vaste
composition genre Charles Cottet, émouvante juste au point où la senti-
mentalité confinerait à la pleurnicherie : Devant la grande mer. Le' Jour
du Pardon au Faouet, de M. Alizard, ne vise au contraire qu'à l'effet
pittoresque, mais voici deux sujets dramatiquement traités, chacun à
sa manière : les Landes en feu, de M. Mondineu, qui rougeoyent et
pétillent, et la Procession de la Vierge miraculeuse, de M. Alfred de
Richemont, dont le morceau le plus intéressant est la figure de malade
extatique étendue sur un brancard, les mains jointes, lame tout entière
sur les lèvres, tandis que passe le cortège des mitres dorées et des
chapes fleuries.
En tète des études intimistes vient le Repas du soir où M. Joseph
Bail fait preuve de la même virtuosité impeccable, dans la même
ambiance de poussière d'or. Leblanc des coiffes, le rouge d'un corsage,
les étincelles jaillies des cuivres s'y harmonisent avec une extraordi-
naire maîtrise. M. Franck Bail a moins d'éclat, mais son Jour des
cuivres et la Laitière au chat ne sont pas négligeables. M. Kowalsky
fait jouer Au diabolo, sous un arbre rosé par un effet de soleil couchant
emprunté au répertoire de M.Henri Martin, une ingénue qui s'applique
de tout cœur à ce fatigant exercice. Dans une autre toile il groupe
une théorie virginale de danseuses à la corde. Les Feuilles d'automne, de
M. Léonce de Joncières, rappellent une des plus charmantes inspira-
tions de Théophile Gautier recueillies par l'anthologie du Parnasse :
Au fond du paix, dans une ombre indécise
Il est un banc solitaire et moussu
Où l'on croit voir la rêverie, assise
Triste et songeant à quelque amour déçu.
Le souvenir dans les arbres murmure...
. Il murmure aussi à travers les frondaisons que M. de Joncières
évoque en sa composition mélancolique, d'un lyrisme discret et péné-
trant; mais le peintre a précisé et situé la rêverie ; elle est symbolisée
avec beaucoup de grâce par une jeune fille qui songe dans l'étemelle
solitude du parc de Versailles, parmi les feuilles mortes de l'allée des
marmousets, assise sur la margelle du bassin.
Très jeunes aussi les modèles de M. Paul Chabas, ingénues modernes,
fines et presque transparentes, qui manient l'aviron avec une sorte de
préciosité voluptueuse le long des rives fleuries frôlées par leur barque.
Elles s'inscrivent délicatement, en rose pâle, en bleu, en Vert tendre
sur l'azur délavé d'un ciel de printemps où glissent des brumes légères
comme des fumées. La Partie de Daines, de M. Victor Guétin. est d'un
beau caractère familial et d'une plus robuste intimité. Et voici encore
une composition vraiment puissante non seulement par le rendu des
figures des jeunes gens installés devant le piano, mais par La ferveur
d'attention peinte sur toutes ces physionomies d'artistes en attente et
en arrêt devant l'œuvre nouvelle: la Première Audition, de M. Brémond.
C'est à un portrait, à un « grand portrait ... de haut style, Ii Henri
Roche fort, de M. Marcel Baschet, que les peintres ont décerné la
médaille d'honneur. Le célèbre polémiste, qui appartient à l'histoire de
nos temps divisés par sa tumultueuse carrière, mais plus encore è La
peinture et à la statuaire par le relief d'une physionomie individuelle
entre toutes, a trouvé là son effigie définitive. La figure se détache
sur un fond neutre ; le reflet de la houppe blanche et la llamrne
du regard éclairent les carnations patinées, bistrées p» l'âge ; le
torse s'incruste avec- une sorte de violence dans un fauteuil de
velours d'une prestigieuse exécution. Autres grands morceaux, les
deux envois de M. Bonuat, qui gardent une tenue magistrale, de
vigueur toujours impressionnante et presque tyraunique : portrait
d'homme fortement étoffé dans sa maturité grisonnante, portrait de
femme à étole de fourrure ; les Hébert, d'un charme pénétrant, surtout
la Femme à la harpe qui se détache sur un fond de verdure ; les deux
. numéros de M"" Louise Abbéma : un portrait de l'archevêque de
Palmyre et une délicieuse étude lleurie d'après M""' Carrie Wisler : les
Frédéric Lauth : le Docteur Favre et la Jeune femme au voile gris, qui
semblent des Carrière aux contours plus précisés. Il convient encore de
mettre au premier plan le Gabriel Ferrier : Monseigneur Herscher,
évéque de Langres, où l'apparat est réduit au minimum : le très
vivant et très ressemblant Eugène Lautier, de M. Lelong ; le portrait
de Madame Viviani, dont M. Henri Martin a fait une étude brillante et
forte enveloppée de l'atmosphère subtile des intérieurs modernes.
M. Emmanuel Fauré-Frémiet s'annonce comme un très bel artiste,
très français, dans le portrait, où il évoque la physionomie si
personnelle de son grand-père le statuaire Frémiet. La figure est
traitée avec une simplicité robuste, mais la ligne du corps reste
en valeur sous l'ample pèlerine qui corrige la laideur du costume
de l'Institut ; tous les acecessoires concourent à l'impression d'en-
semble par leur rendu très minutieux en laissant au premier plan le
caractère particulier du modèle : œuvre de facture souple et vraiment
révélatrice d'un talent. Mme Geraldy expose, vivant et parlant, M. Paul
Escudier, l'ancien président du Conseil municipal à qui le Paris esthé-
tique doit tant de gratitude. M. Giacomotti nous rend un sobre et
d'autant plus émouvant profil du regretté sculpteur Just Becquet dont
le Joseph en Egypte eut la médaille d'honneur à l'un des derniers
Salons.
A ranger aussi dans la séria des portraits, car leur intérêt est l'as-
semblage des ressemblances officielles, les divers envois protocolaires :
pose de la première pierre du théâtre d'Agen par le Président de la
République (Antonin Calbet) , MM. Dujardin-Beaumetz , Georges
Leygues et Lanes ; Fête de Mézin, 3 octobre 1906 (Abadie) ; Arrivée à
Mézin, l'avant-veille (Abel Boyé) ; Garden-Party offerte au Président par
le Conseil général de Lot-et-Garonne, à Ageu (Guillonnet). Dans ces
diverses toiles M. Fallières apparaît tour à tour sur un balcon, dans
une voiture, enfin pied à terre pour cimenter la traditionnelle « pre-
mière pierre » avec ou sans accompagnement d'orphéon. Ces effigies
sont intéressantes, animées, et diffèrent peu entre elles, ce qui
n'arrive pas toujours ni même souvent dans l'inconographie d'Etat.
M. Paul Dupuy a trouvé dans une étude de femme au perroquet un
motif décoratif à la fois amusant et somptueux. M. Ferdinand Humbert
garde aussi une tendance au faste et â l'apparat dans son portrait de
Madame Jane Hatto qu'il a campée au bord de la mer, dans une atti-
tude de rêverie. Le portrait, d'une facture tout à fait distinguée, a grand
air, mais l'ambiance lui donne quelque chose de factice. L'étude de
M. Jules GrQn d'après Mademoiselle Renée Maupin est d'une bonne
qualité de réalisme. Ça et là M. Marcel Butin par M"e Lavrat. M. Louis
Ravel par M. Faurie, le distingué chef du cabinet de M. Dujardin-
Beaumetz. M. Gabriel Faure, très spirituellement portraituré par
M. Adolphe Broet, la Princesse Louise de Baltenberg par M. Laszlo,
M. Henry Marel par Mme Milleraud-Aubazet, le poète Mousseron, mineur
de la Compagnie d'Anzin, par M. Moreau-Deschanvres, le compositeur
Claude Gaillon par M. Péquier, Jean Périer de l'Opéra-Comique dans le
rôle du capitaine Bernard de la Vivandière par M. Henry Farré. André
Brunot, de la Comédie-Française, en Crispin, par M. Bedorez.
Le portrait de M. Louis Diémer par M. Joseph AVencker nous montre
le grand pianiste assis non devant le clavecin où il évoquait l'autre
jour avec tant de virtuosité, dans l'orangerie de Versailles, pour le plus
grand ravissement des eousinettes de l'Université des Annales, les
mânes de Mozart, de Daquiu et de Rameau, mais devant le piano de
LE MÉNESTREL
palissandre d'un bien médiocre effet pictural en tant que nature morte.
L'attention se concentre d'ailleurs tout entière sur la physionomie si
curieusement expressive dans son discret recueillement. M. Ernest
Bordes a campé en un fauteuil de peluche verte, un livre à la main,
sur un fond de tentures « riches » trop chargé, le spirituel doyen de
nos auteurs gais, Abraham Dreyfus : effigie de style soutenu, d'inté-
ressante vitalité. Et je note tout de suite dans la section des dessins un
excellent portrait de M. Thoumy, l'habile et dévoué commissaire général
de la Société des Artistes frauçais par M. Lard ; une délicate miniature
d'après Mmc Emile Ollivier par Mme Odérieu ; Son Altesse impériale
la Grande-Duchesse Wladimir, physionomie familière aux habitués
de toutes les grandes premières, par Mmc Bocher ; Mme Ballieu-Clovis-
Hugues par M'"' Debillemont-Chardon ; MmeMagdeleine Godard, pastel
très stylisé de Mllc Zillhardt : un autre pastel d'exécution poussée,
Mme Taillade de l'Odéon, par M",e Boissière ; une fine miniature de
M"" Pauline Lazard, portrait de M'le Louise Mante, la gracieuse balle-
rine de l'Opéra : enfin un dessin de M. Henri Boyer où se profile en
jeunesse et en gaité la silhouette de Mme Blanche Dussane.
Donnons un coup d'ceil aux envois des paysagistes avant de quitter
la peinture. M. Guillemet, qui a failli obtenir cette année la médaille
d'honneur et qui recevra certainement la suprême récompense à l'issue
du Salon prochain, a résumé son œuvre considérable et si riche en
notations caractéristiques dans la vue de Moret au soleil couchant.
Toute la poésie de cette admirable lisière de la forêt de Fontainebleau
où le ciel, les arbres, l'atmosphère composent une harmonie subtile
et diffuse revit sur cette toile d'une beauté de matière et d'une qualité
de style vraiment exceptionnelles. Saluons encore toute une suite de
vues d'un grand caractère, les envois du vieux maître Harpignies, le
poétique Effet d'automne, de M. Albert Depré, plein d'un sentiment
attendri de la nature, le fulgurant Coucher de soleil sur la mer, de
M. Adrien Demont. les Environs de Berck, de M. Nozal.un Paysage limousin,
de M. Henry Mouren, d'une sobriété et d'une solidité d'exécution qui
en font un véritable tableau de musée, les Marines, de M. Olive, bien
observées et mouvementées, la Cale d'embarcation, de MIle Dujardin-
Beaumelz, d'une facture souple et libre, la Marée basse, de M. Berthelon,
la Lisière de bois, de M. Paul Buffet, et le Crépuscule aux Martigues, de
M. Amédôe Buffet, qui maintiennent leur maîtrise et leur personnalité,
avec un sentiment plus nerveux de la forme.
La sculpture nous appelle et d'abord sous son aspect le plus impé-
rieusement meublant, si j'ose dire : la statuaire monumentale. Les
monuments occupent une place considérable dans la nef du Grand-
Palais dont la lumière crue a été corrigée par une meilleure disposition
du vélum disposée en vastes nappes de mousseline et descendu jusqu'à
mi-hauteur. Mentionnons d'abord les projets et maquettes répondant
aux commandes de M. Dujardiu-Beaumetz pour la décoration de ce
Sahara encadré de pierres qu'est la place de la Concorde.
M. Fréniiet expose deux figures en bronze, éminemment décoratives.
Ce sont des Victoires que la misère des temps a empêché de dorer et
que gâte une affreuse patine de candélabres. Il faudrait les débarrasser
de cet enduit, dùt-on ouvrir une souscription nationale. Elles auront
alors tout l'envol lyrique signifié par leurs palmes triomphales et leurs
buccins sonneurs de fanfares. Le Temps et le Génie, de M. Ségoffin
celui-ci écartant celui-là d'un geste résolu, sans doute pour le gagner
de vitesse — laissera le public assez froid en tant que rébus allé-
gorique, mais s'imposera par le robuste équilibre de la composition.
M. Landowski, l'auteur des Fils de Caïn qui font déjà partie delà déco-
ration monumentale de la cour du Louvre, a symbolisé V Architecture.
La déesse est plus propre à hospitaliser les œuvres des statuaires qu'aies
inspirer, mais la figure est originale et nous repose des poncifs de
l'École des Beaux-Arts ; M. Landowski a représenté un primitif tailleur
de pierres, une sorte d'Hercule hiératique, dressé au milieu des blocs
que sa pensée toute-puissante va disposer en assises ou en gradins.
C'est le héros de La Reine de Saba « plus grand dans son obscurité
qu'un roi paré du diadème ». Ce renouvellement du mythe vaut bien
la classique grosse dame tenant une équerre à bout de doigts comme
un instrumentiste d'orchestre secoue son triangle.
La médaille d'honneur a été décernée à M. Jean Boucher pour le
Monument Trarieux, et en effet cet ensemble considérable ne manque ni
de caractère ni d'ampleur ; il contient même deux figures de grand
style, un ouvrier en tablier de cuir et un « penseur » accoudés à la
stèle qui supportera le buste de l'aucien garde des Sceaux. Mais on a
surtout récompensé l'autre envoi du mémo artiste, le Victor Hugo en
marche sur les rochers de Guornesey. Le poète n'est pas immobilisé à
la façon d'un génial dessus de pendule ; il va, tète nue, la main droite
affleurant les lèvres d'un geste méditatif, la gauche tenant le chapeau
de feutre bossue et le bâton à la rude écorce. C'est la joie des forts de
voler contre le vent ; aussi la bourrasque s'engouffre-t-elle aux plis
du manteau, le seul détail romantique de cette composition puissam-
ment réaliste. Le front, lourd de pensée, baigne et se rafraîchit dans la
tempête. M. Jean Boucher nous a donné là notre Homère et aussi
notre Juvénal au bord de l'Océan.
Le monument à Watteau, de M. Henry Lombard, doit concourir —
ainsi parle le catalogue, rédigé en style administratif — à la décoration
du jardin du Carrousel. Marbre préciosé, gratiné, ratissé à la manière
italienne et dont on peut critiquer l'exécution au point de vue d'un
excès de fignolage ; mais l'inspiration reste élégante, spirituelle et bien
française. Il aurait plu aux Goncourt qui n'ont pas eu la joie de voir
magnifier le peintre des Grâces du XVIIIe siècle. Aussi bien il serait
amusant de faire contraster dans le même cadre de verdures le fin
buste de Parisienne 1507, de M. Philippe d'Arlhez, avec cette Marqui-
sette Louis XV. Le monument à Charles Perrault est destiné aux
Tuileries. Ai-je besoin de vous dire que le statuaire Gabriel Pech n'a
pas songé un instant à commémorer le vaillant contradicteur de
Boileau dans la querelle des anciens et des modernes, l'érudit et
surtout l'intuitif qui le premier prêcha la substitution d'un lot d'Ho-
mérides successifs à un Homère unique (hypothèse universellement
admise aujourd'hui), et s'attira cette semonce du bilieux satiriste :
« M. Perrault va jusqu'à cet excès d'absurdité de soutenir qu'il n'y a
jamais eu d'Homère, que ce n'est point un seul homme qui a fait
l'Iliade et l'Odyssée, mais plusieurs pauvres aveugles qui allaient,
dit-il, de maison en maison, réciter pour de l'argent de petits poèmes
qu'ils composaient au hasard... C'est ainsi que, de son autorité privée,
il métamorphose tout à coup ce vaste et bel esprit en une multitude de
misérables gueux » .
M. Gabriel Pech a laissé de côté et ce Charles Perrault coupable
d'avoir eu raison et le fonctionnaire, investi d'une grande charge,
qu'entouraient d'innombrables solliciteurs. Il n'a pu lui retirer sa
perruque dont l'honnête homme de ce temps-là ne se séparait qu'à
huis clos, mais, au pied de la stèle qui porte le buste, il groupe une
ronde de fillettes. Il a également accoté au marbre un Chat botté. Ce
chat est un maitre chat, le mistigri dont nous parle le conte, « lequel
devint grand seigneur et ne courut après les souris que pour se
divertir ». Il a le costume Louis XIII, les bottes à chaudron, le feutre
empanaché, le manteau à petit collet, le large baudrier dont héritèrent
les Suisses de cathédrale. C'est un vrai petit capitaine Fracasse. Toute
cette « garniture » nous montre que le statuaire a voulu glorifier l'au-
teur des contes de fées, et il y est parvenu avec un réel bonheur. Le
gracieux monument figurera à merveille dans ce jardin des Tuileries
dont Charles Perrault réserva la jouissance au public envers et contre
Colbert. '< Il n'y vient que des fainéants ! » disait le ministre. « Il y
vient des personnes qui relèvent de maladie, pour y prendre l'air »
répondait le contrôleur général des bâtiments. « On s'y réunit pour
parler d'affaires, de mariages et de toutes choses qui se traitent plus
convenablement dans un jardin que dans une église... Je suis persuade
que les jardins du roi ne sont si grands et si spacieux qu'afiu que tous
les enfants puissent s'y promener. » Colbert était moins entêté que
Boileau, ou plus indifférent. Cette fois Charles Perrault eut le dernier
mot.
(A suivre.'; Camille Le Senne.
Ch.-M. WIDOR
DEUX SONATES NOUVELLES
Les deux sonates Violon et piano, op. 79 (dédié à Massenet), et Violoncelle et
■piano, op. 80 (à Jules Loeb), que ces jours derniers nous avons entendu inter-
préter par les violonistes Bilewski, Capet, Marsick et les violoncellistes Loeb,
Destombes, Hekking, ont été écrites l'une immédiatement après l'autre,
obéissant toutes les deux à la même volonté, aux mêmes lois de construction,
mais en absolu contraste d'idées et de sentiment : la Sonate de violon, très
pathétique, très dramatique, ses deux uniques thèmes (qui se développent et
se transforment pendant les trois morceaux de l'œuvre) de tonalité mineure;
majeure au contraire, la Sonate de violoncelle, de caractère mélodieux et calme,
ses trois morceaux bàlis sur des thèmes différents.
Il y aurait une intéressante étude à écrire sur l'influence des inventions
modernes dans l'Art; sur l'effet, dans la littérature et la musique, de la vapeur
et de l'électricité. La solennelle période de Bossuet étonnerait quelque peu et
ferait même sourire aujourd'hui; les rigoureuses symétries de la symphonie
classique semblent parfois malaisément coïncider avec notre nervosité qui
s'impatiente, et dès qu'elle a pressenti le dénouement, l'exige aussitôt. Moins
de rhétorique, moins d'épithètes; nous voulons aller vite, droit au but que
LE MÉNESTREL
189
nous promet le compositeur; s'il y a doute sur la roule qu'il nous fait suivre,
nous le lâchons.
Les dernières productions symphoniques de Widor laissent deviner une
constante préoccupation d'obéir à ces nécessités ; je n'aurai qu'à citer son
quatuor en la, son quintette, op. 69, et surtout son dernier concerto de piano
(ut mineur) dans lequel, au lieu de se succéder sur la tonique finale, les deux
thèmes viennent se fondre pour n'opérer qu'une seule et unique rentrée;
procédé lout neuf, mais dont il ne faudrait pas user inconsidérément, car il
tend à modifier l'architecture traditionnelle de la symphonie et à rompre son
équilibre en abrégeant ainsi l'une des trois divisions du morceau, la péroraison.
Dans ses deux sonates nouvelles où les thèmes gardent leur indépendance,
les proportions restent justement équilibrées et très classiques malgré certaines
tendances modernes. Quant aux thèmes eux-mêmes, ils sont de doux sortes :
ceux de la Sonale de violon courts et rythmiques, faits pour être développés;
ceux de la Sonate de violoncelle d'un dessin plus mélodique et par conséquent
moins riches en déductions, mais plus nombreux.
C'est le violon, dans l'op. 79, qui impose le premier thème, idée principale
de la sonale que nous verrons développée et commentée dans Vallegro et
mmdante, puis transformée dans le final; quant au second thème, c'est le piano;
le premier des deux pathétique et haletant, le second plus calme et comme
résigné, en progressive dégradation de sonorité et de mouvement. Ce second
thème, nous le retrouverons encore «second thème» dans le dernier morceau,
mais alors développé; il n'apparait que deux fois dans l'allégro et sans autre
modilication que sa transposition à la tierce.
Si nous comparons maintenant les trois divisions de cet allegro, nous consta-
terons que la plus courte est celle du milieu, conformément aux lois de l'équi-
libre architectural, période du « travail de l'idée » resserrée entre l'exposition
et la péroraison, comme une \oùte de cathédrale soutenue par deux tours
NOUVELLES DIVERSES
h'andante, fragment très expressif du premier thème, à peine interrompu çà
et là par un rapide épisode du piano.se développe doucement et sans secousse
pour s'en aller, de déduction en déduction, vers sa conclusion logique. J'ai
entendu critiquer la concision relative du morceau, assez injustement à mon
avis, car il était difficile de lui donner de plus amples proportions sans
rompre son unité par des éléments nouveaux.
Quant au final, il repose tout entier sur les deux thèmes du début, le pre-
mier changeant de rythme et momentanément de caractère, le second conser-
vant son aspect, mais s'agrandissant peu à peu. Vers la péroraison, alors que
le piano revient sur la tonique avec le premier thème transformé, le violon se
hâte de lui répondre en lui opposant le même thème sous sa forme originale,
synthèse assez nouvelle des métamorphoses de l'idée.
Une analyse aussi sommaire suffit à peine à montrer le plan général de
l'œuvre et la solidité des liens qui en rattachent les morceaux. Rien d'inutile
dans ce triptyque où tout concourt à créer la même impression : le ton de ré
mineur, une ambiance d'agitation et de drame...
En la majeur, au contraire, est écrite la Sonate de violoncelle contenant,
comme l'autre, trois numéros. Ainsi que nous le constations tout à l'heure,
plus un thème est mélodique, moins il se prête au développement; impossible
de morceler ou de modifier une phrase bien dessinée sans lui faire perdre de
sa signification ou de son caractère. Or, le violoncelle est un chanteur habitué
aux sentimentales cantilènes et aux phrases bien dessinées. De là, pour les
divers morceaux d'une sonate à son usage, la nécessité de thèmes spéciaux,
voire même d'épisodes pouvant servir de matière à « travail », lorsque les
vrais thèmes ne donnent pas assez.
Tandis que sur la sonate de violon règne une idée unique, ici, dans le seul
allegro trois thèmes se succèdent ou s'opposent, deux dans Validante et deux
encore dans le final, sans compter les conclusions fort_ chantantes des premiers
morceaux qui pourraient passer pour de vrais thèmes.
Ce n'est donc pas l'unité de l'idée, mais celle du sentiment que nous devons
chercher dans la sonate de violoncelle, ce qui n'implique point à son préjudice
une déclaration d'infériorité. Il y a parfaite harmonie entre les lumineuses
colorations de Vallegro et la printanière gaieté du final; un contraste très
voulu entre la mélancolie touchante de Validante et la chaleur des deux mor-
ceaux qui l'encadrent. Par la similitude de leurs proportions et la différence
des moyens employés, l'étude de ces deux œuvres jumelles offre un réel
intérêt.
Non moins intéressante la technique de l'écriture et de l'instrumentation
toujours claire et sonore.
If importait de s'étendre un peu sur deux œuvres aussi importantes et qui
font tant d'honneur à leur auteur et par suite à l'école de musique française
tout entière. Le répertoire moderne de la musique de chambre en compte peu
de cet ordre et de cette haute valeur. H. il.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(POUR LES SEULS ABOiV.VÉS A LA MUSIQUE)
De la nouvelle série de précieuses mélodies que vient de publier Ernest Moret,
nous choisissons d'abord la plus simple pour la donner à nos abonnés : Je ne sais
pas où va la feuille morte. Elle est d'une jolie envolée douce et rêveuse. Et, pour
simple qu'elle soit, i! ne faudrait pas croire cependant qu'elle s'en va dans la vie
musicale nue comme un petit Saint-Jean. Elle a peu d'oripeaux autour d'elle, c'est
vrai, mais ils sont de soie et de velours chatoyant.
ÉTRANGER
A l'occasion du cinquantième anniversaire de la délivrance de Milan de
la domination autrichienne, une exposition théâtrale se prépare pour 1909 en
cette ville, qui est la véritable capitale artistique de l'Italie et le milieu où
viennent se concentrer toutes les affaires relatives au théâtre soil lyrique, soit
littéraire Qui connait Milan sait que la Galleria Villorio-Emanuele est, au
moment de la saison, le rendez-vous de tous les impresarii, de tous les artistes
et de tous les maestri en quête d'engagements, de tous ceux qui, en matière
de théâtre, ont des affaires à préparer et à traiter. Les promoteurs de la pro-
chaine exposition théâtrale, que l'on veut faire aussi brillante que possible,
ont déjà formé leur comité d'organisation, qui lui-même a formé son bureau,
lequel est ainsi composé : Président du comité général. M. Kttore Candiani:
Président général du comité exécutif, duc Guido Visconti di Modrone; vice-
présidents du comité exécutif, MM. Camillo Boito, Pompeo Cambiasi, Giulio
Rico-di, Lorenzo Sonzogno ; directeur général, M. Colombo Virgiglio. Dans
sa prochaine séance, le comité abordera la discussion du programme général
de l'exposition, à laquelle tous désirent donner le plus grand éclat possible.
— L'on se souvient sans doute qu'au mois de septembre dernier, à l'une des
séances de l'Institut de France, M.Maurice Croiset annonça la découverte isihono-
rable pour la science frarcaise », selon le mot du président, de fragments très
importants de quatre pièces perdues du poêle comique Ménandre, qui naquit à
Athènes, 342 années avant l'ère chrétienne, et mourut en 200. Ces fragments,
ainsi que nous l'avons dit déjà, ont été trouvés par M. Gustave Lcfebvre en
Egypte, au lieu dit Kôm-Ichkaon, sur les bords du Nil, à l'endroit où s'éle-
vait autrefois l'ancienne Aphroditopolis. Un archéologue allemand de Halle
vient de traduire ces fragments et de reconstituer les comédies auxquelles ils
appartiennent. D'après ce que nous apprend la « Halleschen Zeitung », deux
de ces comédies, l'Arbitrage et la Sainienne, seront représentées le 20 juin pro-
chain sur le théâtre historique de Lauclnlâdt. Ce théâtre, une construction
des plus simples, avait acquis une grande célébrité au commencement du
dix-neuvième siècle. C'est là qu'après la mort prématurée de Schiller, Goethe
organisa lui-même une fête funèbre et fit représenter, le 10 août ISOb, drama-
tisée pour la circonstance, la ballade la plus populaire de son ami, le Citant
de la cloche. Les fêtes théà' raies d'été de Lauchslàdt ont été souvent de véri-
tables événements qui ont pris place dans les annales dramatiques: le choix
de cette ville pour mettre en scène deux pièces de Ménandre s'explique donc
fort bien et a réuni tous les suffrages.
— De Berlin : La dernière représentation de la troupe d'opéra russe a été
troublée par une grève de musiciens de l'orchestre. Pendant l'entr'acte précé-
dant le dernier acte à'Onéguine, les musiciens déclarèrent au prince Zeretelli.
organisateur de la tournée, que, si on ne les payait pas immédiatement, ils se
retireraient. Il y eut des scènes de tumulte dans la salle, qui prit partie contre
les musiciens, mais, sur les instances d'une des principales artistes de la
troupe, Mme Kouznetzoff, ceux-ci consentirent finalement à venir reprendre
leurs places à l'orchestre. Quant.aux artistes russes, ils ne reviendront pas de
sitôt à Berlin où on les a plutôt froidement accueillis.
— ■ Pendant la saison prochaine, les concerts philharmoniques de Berlin
feront entendre comme solistes, sous la direction de M. Arthur Nikisch,
M"1L'S Ernestine Schumann-Heink, Julia Culp, Teresa Carrefio, Suggia-Casals,
MM. Edouard Risler, Arthur Schnabel, Henri Marteau, Frédéric Kreisler et
Pablo Casais.
— On commence à s'occuper activement à Berlin des préparatifs du ballet
Sardanapule. Le peintre théâtral, M. Kautsky, s'est mis en relations avec le
savant professeur Delitzsch pour la confection des décors et l'on dit que leurs
devis, soumis à l'approbation de l'empereur, ont élé acceptés. Le scénario do
ce ballet a été emprunté à la tragédie de Lord Byron qui porte le même titre.
L'œuvre durera une soirée entière et sera représentée à l'Opéra-Royal. Jusqu'ici
l'on ne nous a pas renseigné sur le nom du musicien. S'agirait-il simplement
de la remise en scène d'un vieil ouvrage, par exemple de ce ballet italien
iniitulé Sardanapalo, qui fut joué à Milan le 13 janvier 1S67, et dont le livret
était de Paul Taglioni et la musique de Hertel ? Cela ne serait pas impossible
car l'Opéra-Royal n'a pas dédaigné autrefois de jouer souvent cette composi-
tion chorégraphique à grand spectacle.
— De Munich : Les fêtes du congrès des musiciens viennent de prendre fin
avec une superbe représentation des Troyens d'Hector Berlioz, qui a eu lieu
au Prinz-Regentenlheater, sous la direction de M. Félix Mottl, et qui n'a pas
duré moins de sept heures. L'interprétation, avec Mme Matzenauer en
Cassandre, MUe Fasshender en Didon, MM. Bender, Lohofing, Brodersen,
Buysson, etc., a été de tout premier ordre. Les chœurs, puissants et bien
stylés, ont également eu leur part d'applaudissements. Quant à M. Mottl, et
à son orchestre, la salle, bondée jusqu'à la dernière place, lui a fait des ova-
tions enthousiastes.
— De Munich : Moloch, musique de M. Max Schillings, livret de M. Emile
Gerhauser, dont la première représentation vient d'avoir lieu au Théàtre-duT
Prince-Régent, à l'occasion de • fêtes de l'Union générale des compositeurs
allemands, semble avoir obtenu un très gros succès. M. Feinhals a supérieu-
190
LE MÉNESTREL
rement chanté le principal rôle. A l'issue de la représentation, M. Schillings
a été appelé en scène avec les principaux interprètes et a été frénétiquement
applaudi. Le compositeur a pris la première gerbe de fleurs qui lui a été '
offerte et l'a tendue par-dessus la rampe à M. Félix Mottl, dont l'orchestre a
été réellement au-dessus de tout éloge.
— On vient de donner, au théâtre de la place Gaertner, à Munich, la pre-
mière représentation d'une opérette nouvelle, les Oiseaux de paradis, texte de
MM. A.-M. Willner et Julius "Wilhelm, musique de M. Philippe Silber.
— Le chef d'orchestre, M. Cari Muck, vient de rentrer à Berlin où il re-
prendra, l'hiver prochain, les fonctions qu'il occupait, depuis 1892, comme
l'un des chefs d'orchestre de l'Opéra-Royal. Il avait momentanément quitté
ses fonctions à la Cn de 1906, pour aller diriger l'orchestre symphonique de
Boston et faire une longue tournée de concerts à travers l' Amérique. Avant de
reparaître à Berlin, M. Cari Muck dirigera quelques-unes des représentations
de fête à Bayreuth.
— La ville de Mayence a décidé de consacrer une somme d'un million à la
restauration de son théâtre municipal.
— Une audition de l'oratorio d'Antoine Bubinslein. le Paradis perdu, vient
d'être donnée à Oppeln avec un grand succès par la Société musicale de la
ville.
— A la dernière session de l'Académie royale de Suède, MM. Gabriel
Fauré, Alexandre Guilmant, Max Reger, Eugène d'Albert, Léopold Auer,
Ludvvig Wûllner, Frédéric Hegar et Armas Jàrnefeld ont été élus membres
étrangers de cette académie.
— : Un théâtre allemand vient de se constituer à Saint-Pétersbourg et don-
nera ses représentations dans la salle Catherine. On jouera tous les jours à
partir du 15 septembre prochain.
— Le directeur du Conservatoire de Bruxelles vient d'inviter l'excellent
Tioloniste .T. Wnite à faire partie du jury au concours de violon qui doit avoir
lieu à la fin de juin.
— Trois œuvres nouvelles ont été représentées dans ces derniers temps au
Théâtre-Principal de Barcelone : el Miracle de santa Agnès, en trois actes, pa-
roles de M. S. Vilaregut, musique de M. Montserrat Ayarbe; la Llar, en six
tableaux, paroles de MM. Brosa et Sangerman, musique de M. S. Bartoli, et
el Testament de n'Amelia, eu trois tableaux, paroles de M. Ll. Via. musique de
MM. Carme Karr et J.-B. Espadaler. La première de ces trois œuvres, et la
plus importante, due à un jeune compositeur, est considérée comme fort dis-
tinguée et tout particulièrement originale.
— Un exercice intéressant a eu lieu au Conservatoire de Barcelone, orga-
nisé par le compositeur Thomas Breton, commissaire royal de l'établissement,
dans le but de faire entendre quelques productions des élèves des classes
d'harmonie et de composition. C'est là, nous l'avons dit et répété plusieurs
fois, une excellente coutume, qu'il serait fort utile de voir adopter chez nous.
Six élèves se sont ainsi produits, MM. Calés, Abelardo Breton (fils du com-
missaire), Fuster, Garcia de la Parra, Gomez et Arenal. Les travaux des trois
premiers, deux scherzi et une ouverture, ont été surtout remarqués, ceux des
élèves Calés et Breton se distinguant particulièrement « par leur couleur lo-
cale et par leur expression proprement espagnole •>. Les diverses œuvres ont
été exécutées de la façon la plus satisfaisante par l'orchestre, composé des
classes instrumentales de l'Ecole, qui ont su se faire vivement applaudir par
leur verve et leur entrain.
— Au cours d'une conférence qu'il vient de faire à l'Université d'Oxford,
le célèbre peintre anglo-allemand Hubert von Herkomer a raconté comment il
a fait jadis le portrait de Richard Wagner. L'anecdote est inédite.
Le grand maître — c'est von Herkomer qui parle — était venu pour la première
fois diriger en Angleterre les répétitions d'une de ses œuvres, et je m'étais mis dans
la tête de faire son portrait. Des wagnériens enthousiastes m'avaient encouragé dans
mon projet et m'avaient fourni toutes les occasions possibles de voir et de rencon-
trer le maître. Mais Wagner était tellement pris par ses occupations qu'il me refusa
net de poser même une seule fois.
— Je ferai tout pour vous, mon cher Herkomer, me disait-il, tout ce qui pourra
vous être agréable ; mais vous n'arriverez jamais à me faire poser dans votre atelier.
J'étais tenace et je ne lâchais pas Wagner d'une semelle. Je faisais ses commissions,
je déjeunais avec lui, je le réveillais le matin, j'allais à l'Opéra quand il dirigeait, je
l'aidais à faire sa correspondance — je peux dire que j'étais plus tenace que le
plus tenace des reporters. Rien n'y lit.
A la fin, voyant que je n'arriverais jamais à mon but, je me levai un jour de
grand matin et, avec le courage du désespoir, je me mis à faire le portrait de Wag-
ner de mémoire. Je fis démon mieux, je me donnai toutes les peines pour me rap-
peler le Wagner que j'avais vu, observé, étudié pendant plusieurs jours. Je travaillai
du matin au soir pour recommencer le lendemain, après une nuit sans sommeil. Le
soir, le portrait était terminé. Ma joie fut immense... Je le trouvai ressemblant. La
poitrine gonflée d'orgueil, je me précipitai chez Wagner.
— Tous voilà, dit-il. Je croyais que vous m'étiez devenu infidèle.
— Au contraire, lis-je; je ne me suis jamais autant occupé de vous que ces
jours-ci...
Et, sur de ma victoire, j'exhibai le portrait. Quefe déception fut la mienne!
— C'est tout simplement grandiose, grandiose, grandiose, ne cessa de répéter
Wagner; c'est exactement cet air-là que je me suis toujours souhaité!
— Un acteur anglais, M. Sothern, vient de publier dans le Cassels Magazine
un article intéressant sur la communication qui s'établit au théâtre entre l'ar-
tiste représentant un personnage de drame ou de comédie et les spectateurs
de la salle. « Quand le jeuno acteur, dit M. Sothern, parait sur la scène au
moment de ses débuts, il est tellement ébloui par lalumière crue de la rampe,
qu'il ne voit dans le public qu'une vaste mer de têtes dont il ne peut distin-
guer séparément aucune. Et c'est là pour lui une excellente protection contre
la peur. Mais, peu à peu, l'artiste apprend à reconnaître son public. Il voit
sur chaque visage quelle impression il a produite, et, bien qu'il ne puisse net-
tement distinguer que les spectateurs des premiers rangs, il s'établit pourtant
des communications singulièrement étroites entre lui et le public. Ce qu'a-
joute aux forces de l'acteur la certitude que l'assistance comprend et s'impres-
sionne dépasse toute croyance. Ainsi, îl est arrivé au tragédien anglais Henry
Irving, et à beaucoup d'autres également, de se trouver complètement anéan-
tis, brisés après une représentation. Au dire des médecins, Irving a souvent
joué ses rôles dans un état d'exaltation tel qu'il aurait pu en mourir, mais, ni
lui, ni personne ne s'en apercevaient. Il arrive souvent que l'acteur porte son
attention sur un spectateur en particulier. Si c'est sur un de ses amis, il de-
vient alors très irritant pour lui et presque insupportable de voir cet ami
applaudir indistinctement aux bons et aux mauvais endroits. C'est au con-
traire un grand réconfort pour lui, si, en observant un inconnu, il peut
s'apercevoir de l'intérêt intense que celui-ci prend à la pièce, car cela aug-
mente immensément sa conviction et par suite la vérité de son jeu, Il peut se
dire : « Cet homme-là a senti et vécu ce que j'exprime ?.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Le ministère des affaires étrangères vient de notifier à l'ambassade d Al-
lemagne à Paris la liste des délégués que le conseil des ministres a désignés
pour représenter la France à la conférence internationale qui doit se réunir à
Berlin le 14 octobre prochain, en vue de reviser les actes de l'Union de
Berne. En raison de la place importante occupée dans le monde civilisé par
notre littérature et nos arts, et afin d'affirmer l'intérêt que la France porte aux
œuvres de l'esprit, le gouvernement de la République a tenu à faire appel au
concours de personnalités marquantes et il a choisi, pour prendre part aux
travaux de la Conférence et y soutenir les desiderata de nos auteurs et de nos
artistes : MM. Jules Cambon, ambassadeur de la République à Berlin ; Victo-
rien Sardou, de l'Académie française ; Ernest Lavisse, de l'Académie fran-
çaise, professeur à la Faculté des Lettres de Paris ; Paul Hervieu, de l'Académie
française, président, de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques;
Louis Renault, membre de l'Institut, ministre plénipotentiaire honoraire;
Léon Bonnat, membre de l'Institut, directeur de l'Ecole nationale des beaux-
arts; J. Massenet, membre de l'Institut: Fernand Gavarry, ministre plénipo-
tentiaire de lre classe, directeur des affaires administratives et techniques au
ministère des affaires étrangères ; Georges Lecomte, président de la Société
des gens de lettres. — Le gouvernement tunisien sera représenté à la conférence
de Berlin par M. Jean Goût, consul général, conseiller commercial et finan-
cier du département des affaires étrangères.
— Voici quelles seront les dates des prochains concours du Conservatoire :
Dimanche 14 juin, mise en loge, de 6 heures du matin à minuit : harmonie
(hommes) ;
Dimanche 21 juin, mise en loge, de 6 heures du matin à minuit : harmonie
(femmes) ;
Dimanche 28 juin, mise en loge, de 6 heures du matin à minuit : contrepoint ;
Vendredi 19 juin, mise en loge, de 6 heures du matin à minuit : fugue.
CONCOURS A HUIS CLOS
Vendredi 12 juin, à 9 heures, dictée et théorie ; samedi 13 juin, à 9 heures, lecture
(solfège chanteurs) ;
Lundi 15 juin, à 1 heure, harmonie (hommes) ;
Mercredi 17 juin, à 9 heures, dictée et théorie ; jeudi 18 juin, à 9 heures, lecture
(solfège instrumentiste) ;
Vendredi 19 juin, à 1 heure, orgue ;
Samedi 20 juin, à 1 heure, accompagnement au piano ;
Lundi 22 juin, à 1 heure, harmonie (femmes) ;
Lundi 29 juin, à 1 heure contrepoint ;
Samedi 18 juillet, à 9 heures, piano préparatoire ; samedi 18 juillet, à 1 heure,
violon préparatoire ;
Lundi 20 juillet, à 9 heures, fugue.
— Au Conservatoire. Liste des élèves admis aux concours de fin d'année
dans les classes d'instruments à vent :
FLUTE
Classe de M. Taffanel : MM. Paul Lespès, Raoul, André Castel, Friscuort, René,
Michaux, Dansque, Marchand, Clouet.
HAUTBOIS
Classe de M. Gillet : MM. André Tournier, Riva, Stien, Durivaux, Morel, Rigot,
Burgunder, Bonneau, Lamorlette, Duvoir.
CLARINETTE
Classe de M. Mimart: MM. Corbet, Chaffini, Rouillard, Séguret, Jauffrion.
Classe de M. Bourdeau : MM. Jean-Baptiste Taisne, Thauvin, Chastelain, Pleurquin,
Letellier, Petrot, Guilloteau, Picard, Verdier.
coa
Classe de M. Bremoml: MM. Bacquier, Bordet, Julin, Van Bedaf, Michel Guillaume,.
Doyen, Stermann, Fabre, Fosse, Fumierre.
LE MENESniËL
191
Classe de M. Franquin, : MM. Perret, Séguélas, Delaltre, Dubois, Gilis, Champen-
la!, Boiie, Paniez, Cherrière, Boissy, Barthélémy.
Classe de M. Mellet: MM. de Lathouwer, Peyron, Beghin (Auguste), Mue, Minet.
Rodet, Sinoquet, Bonne, Delmotte, Kauiïmaun.
Classe de M. Allard : MM. Lacroix, Meyer, Marin, Douzalat, Tudosq, Munio, Der-
vaux, Duchesse, Lafosse, Lagrange, Barat.
Les morceaux adoptés pour les concours des instruments de cuivre sont les
suivants :
Con : Morceau de.concert de M. Camille Saint-Saëns.
Trompette : Solo de M. Alexandre Georges.
Cornet a pistons : Légende héroïque, de M. J. Mouquet.
Trombone; Pièce en mi bémol mineur, de M. Guy Ropartz.
— On sait qu'à la suite d'un rapport de M. de Caillavet, la commission de
la Société des Auteurs a décidé de ne plus payer de droits aux nations qui ne
nous en reconnaissent aucuu. C'est la Russie qui a fait la première l'expé-
rience de ce nouveau principe. L'héritier de Moussorgsky, qui comptait tou-
cher de 13 à 16.000 francs pour les droits d'auteur de Boris Godounow, ne
touchera rien du tout et il en sera ainsi tant que la Russie n'aura pas adhéré
à la Convention de Berne. Les droits de ses nationaux seront simplement
versés dans les caisses de secours et de retraites de la Société. Et ce sera
justice.
— Le premier Cve o'clock de la Société des Artistes et Amis de l'Opéra a eu
lieu mercredi dans la rotonde de l'Opéra, et jamais fête ne fut plus réussie.
Le comte de Camondo, président de la Société, et le comité, assistés de
MM. Messager et Broussan . directeurs de l'Opéra, ont reçu les invités,
qui comprenaient l'élite de la société parisienne. Ravissant programme :
MM. Georges de Lausnay, Hennebains, Bas, Lefèvre, Reine et Vizentini ont
joué la gavotte en sextuor de Thuille et le quintette de Beethoven avec un
art exquis. Mlles Zambelli, Couat, Johnson, L. et S. Mante, Piron, Ricotti,
Barbier, Billon, Urban et de Moreira ont dansé avec M. Aveline le Rêre de
Gastinel, le Tambourin de Namouna et la Pavane de Patrie, accompagnés par
M. A. Catherine. Après un solo de violon très applaudi de M. Brun, vice-
président de la Société, Mlle Mary Garden s'est fait hisser dans la valse de
Madame Chrysanthème, que M. André Messager accompagnait au piano.
— On pense quel enthousiasme débordant a accueilli jeudi au gala de
l'Opéra la trinité astrale Melba-Caruso-Renaud, interprétant Rigoletto. C3 fut
un véritable délire. Mais ces trois artistes rutilants, scintillants, prestigieux
sont trop renommés vraiment pour que nous devions nous étaler longuement
sur la pureté de leur voix et leur virtuosité transcendante. Au contraire nous
voudrions dire quelques mots du jeune chef d'orchestre. M. Sérafin, qui diri-
geait l'exécution et qui est aujourd'hui le premier d'Italie, depuis le départ de
son maître Toscanini pour l'Amérique. Il n'a que 29 ans et a conduit déjà
tcus les grands orchestres de son pays, à Bologne, à Venise, à Trieste, à Pa-
lerme et tout dernièrement à Turin où il présida magistralement aux études
et à la représentation d'Ariane, le beau chef-d'œuvre de Massenet. Notre
maître français fut fort étonné à son arrivée que, sans en avoir conféré avec
lui, M. SéraQn ait tout deviné à l'avance de ses intentions. Ce fut merveilleux
et Massenet eut la même surprise avec sa principale interprète MIle Farnetti,
qui fut une surprenante Ariane, elle aussi, ayant tout deviné. Voilà des
artistes rares, comme on n'en rencontre pas souvent.
— A l'Opéra, les débuts du ténor Godart sont à signaler. Sans doute, il a
encore de l'inexpérience scénique et quelque gaucherie, mais la voix est belle
d'ampleur et monte avec facilité. Et déjà il y a du goût dans sa manière de
chanter. Voilà des qualités avec lesquelles on peut aller loin.
— Du coté de l'Opéra-Comique signalons les nouveaux engagements du
ténor Nuibo, qui fut à l'Opéra, et de MI,e Marie Tissier, qui est une des
meilleures élèves de Mme Rose Caron.
— Le Théâtre-Lyrique Municipal a fermé ses portes sur une représentation
de Mignon, qui St le maximum. Pendant les mois de fermeture, MM. Isola vont
préparer la saison prochaine. Bien que le concours précieux de l'Opéra et de
l'Opéra-Comique lui reste assuré, le Théâtre-Lyrique aura désormais une troupe
autonome, avec laquelle il montera des ouvrages inédits et fera des reprises
d'œuvres importantes et consacrées, comme Paul et Virginie, de Victor Massé,
la Bohème, de Leoncavallo, et le délicieux Jean de Nivelle, de Léo Delibes,
qu'on n'a pas entendu depuis longtemps. La réouverture de la saison 1908-
1909 aura lieu dans les premiers jours de septembre avec l'un de ces trois
ouvrages.
— La représentation que la Société de l'Histoire du Théâtre organise pour
le lundi 22 juin après midi, au théâtre de verdure du Bois de Boulogne,
s'annonce comme très brillante. Le programme, essentiellement composé,
comme nous l'avons dit, d'œuvres du XVIIP siècle, comprendra des fragments
de YAlceste de Gluck, des œuvres de Rameau (chants et danses), d'André
Chénier, etc., interprétées par M=nra Litvinne, Vallandri, les artistes de la
Comédie-Française, l'orchestre, les chœurs et le corps de ballet de l'Opéra-
Comique.
— La première matinée de gala donnée au bénéfice de la Maison de retraite
des vieux comédiens sur le théâtre du pan: de Pont-aux-Dames a été favori-
sée par un temps merveilleux et le programme, sous la direction de
M. Regnard, présentait des attraits multiples et variés qui avaient attiré tous
les amateurs de la région et aussi beaucoup de parisiens. La salle était comble,
s'il est permis de s'exprimer ainsi, lorsqu'il s'agit d'un théâtre en plein air. 11
n'en est pas moins vrai que devant uni: assistance nombreuse et choi
le coquet petit théâtre et dans un cadre de verdure, on a tour à tour applaudi
les chanteurs et les comédiens qui avaient bien voulu prêter leur gracieux
concours à cette représentation. C'a été d'abord M. Coqueliri aîné, l'inimitable
diseur; puis des artistes de l'Opéra : MM. Dangès, Xuibo et Xivette;
M. Mouliérat, dont la voix est toujours charmante et expressive: M1 A 1-
gusta Pouget, Alice Dennery et Marie Tissier; l'humoriste Cnepfer; M. André
Brunot, de la Comédie-Française, et d'autres. M"'8 Chasles et Urban ont dansé
à ravir un délicieux divertissement du dix-huitième siècle, et M"' Jeanne
Faber et M. Duard ont beaucoup amusé toute l'assistance avec une parade de
M. Georges Berr. Cette belle matinée, qui a valu à tous nos artistes de cha-
leureux applaudissements, sera suivie de trois autres, dont la prochaine le
dimanche 19 juillet.
— Le théâtre des Arts organise un concert sur le canal, à Versailles, de
6 heures à 10 heures, le lundi 18, soir de la pleine lune de juin, au profit des
pauvres de la ville. M. Reynaldo Hahn a, sur le désir de M. Gabriel l-'nuré,
consenti à se faire entendre dans les œuvres du maitrj qui l'accompagnera
lui-même. Un orchestre dissimulé dans les arbres alternera avec les musiciens
embarqués ou s'unira à eux. On dira quelques vers avant le diner qui précé-
dera le départ sur une flottille illuminée. Sauf pour les abonnés du théâtre
des Arts, qui sont priés de se considérer comme invités, le prix d'une carte,
comprenant l'heure de poésie, le diner et la promenade sur l'eau est de
20 francs. Les cartes seront délivrées à domicile, sur demande; écrire au
théâtre.
— La revue italienne Ars et Labor (ancienne Gazzetla musicale di Miiano a
publié dans son dernier numéro, sous ce titre : Ignace Pleyel et son œuvre, un
petit travail intéressant de M. G. Mainielli, qui n'est autre chose qu'un
résumé historique de la grande maison de pianos fondée par Ignace Pleyel et
dirigée successivement par son fils Camille, par Auguste Wolff et aujourd'hui
par M. Gustave Lyon. C'est dans les tout derniers jours du XVIIIe siècle
qu'Ignace Pleyel, arrivant de Strasbourg à Paris, fondait d'abord une maison
d'édition de musique destinée surtout à la publication de ses œuvres (char-
mantes, et trop oubliées aujourd'hui), puis une fabrique de pianos. Il se lia
tout naturellement avec ses confrères les compositeurs, dont il se faisait
aussi l'éditeur, notamment avec Méhul, et comme il avait besoin de capitaux
pour son entreprise, il fit à celui-ci un emprunt de 10.000 livres à six pour
cent d'intérêt, emprunt dont M. Mainielli reproduit autographiquement l'acte
curieux. Voici la teneur de cet acte, qui n'a pas été écrit par Méhul (on s'en
douterait à l'orthographe, que je respecte scrupuleusement), et qui porte les
signatures de Pleyel, de sa femme et de Méhul lui-même.
Entre nous, Etienne Nieola Mehul d'une part, et Ignace Pleyel et son épouse
Gabrielle Lefebure d'autre part, il a été reconnu que moi Etienne Nieola Mehul j'ai
ce jour prêté à Ignace Pleyel et son épouse Gabrielle Lefebure la somme de dix
mille livres en numéraire edectif, sous l'intérêt de six pour cent par an ; laquelle
some je m'oblige à ne retirer des mains du dites Ignace Pleyel et son épouse
Gabrielle Lefebure qu'en les prévenant six mois d'avance. — Et nous Ignace Pleyel
Gabrielle Lefebure reconnaissons avoir reçu à titre de prêt du dit Etienne Nieola
Mehul la dite some de dix mille livres en numéraire effectif; pourquoi nous payerons
l'intérêt de six pour cent par an ; 3t nous obligeons solidairement, et sous l'hipo-
teque de tous nos biens présents et futurs à rembourser la dite some également en
numéraire au citoyen Etienne Nieola Mehul, quand il nous en fera la demande,
conditioné cependant que dans ce cas, il nous préviendra de son intention six mois
avant de retirer ses fonds.
Fait double entre nous
Paris le 16 Messidor l'an S (1)
approuve l'écriture ci dessus Ignace Pleyel
approuve l'écriture ci dessus Gabrielle Lefebvre
femme Pleyel
approuvé l'écriture ci dessus Mébul
Et Méhul n'était pas pressé de rentrer dans son argent, car à sa mort
l'emprunt n'était pas encore remboursé. Il n'en fut pas de même de sa femme
qui, bien que depuis longtemps séparée de lui, s'empressa d'arriver à Paris
dès qu'elle sut que son mari n'était plus, et ne perdit pas de temps pour
s'emparer de sa succession. Méhul était mort le 1S octobre 1817, et quatre
mois et demi après, le 5 mars 1818, elle se faisait régler par Pleyel au moven
de trois billets signés par celui-ci, ainsi qu'en témoigne cette note inscrite en
marge de l'acte ci-dessus : — « La présente reconnaissance annulée par les trois
billets que j'ai rtçus. A Paris, le o mars ISIS. Ve Méhul. b Madame Méhul
était une maîtresse femme, dont son mari n'avait eu que modérément à se
louer, mais qui ne s'endormait pas sur ses intérêts. A. P.
— Il y a une quinzaine d'années un écrivain qui connaît la Russie. M.Pierre
d'Alheim, et qui s'est fait le panégyriste et l'admirateur impénitent de Mous-
sorsgki. donnait, à la Bodinière, une série de conférences d'ailleurs fort
intéressantes sur cet artiste curieux et incomplet, qui devenait ensuite, de sa
part, l'objet d'un livre assez étrange dont je rendis compte à cette place. Pour
(L 5 juillet 1800.
192
LE MENESTREL
l'aider dans ses conférences il avait le concours d'une jeune et fort aimable
cantatrice russe, M"e Marie Olénine, qui faisait entendre, en y mettant tout
son talent et toute son âme, avec une conviction très sincère, les chants et
les mélodies de Moussorgski, en leur donnant l'accent et la couleur qu'une
artiste française, même égale en talent, n'aurait certainement pas pu leur
communiquer. C'était une àme slave qui interprétait une âme slave, et qui
communiait avec elle. Depuis lors, Mlle Marie Olénine est devenue Mme Pierre
d'Alheim, et il va sans dire que l'admiration de l'un et de l'autre n'a pu
que grandir encore pour l'artiste qu'ils s'efforçaient de faire connaître. Il en
résulte qu'aujourd'hui Mme Marie Olénine d'Alheim nous arrive à son tour
avec un petit livre intitulé le Legs de Moussorgski (Paris, Rey, in-16), livre qui
n'est, ainsi que celui de son mari, qu'un plaidoyer ardent et enthousiaste
pour l'artiste dont elle fut la très intéressante interprète. L'opinion que j'ai
exprimée ici sur l'art du musicien russe montre suffisamment que je ne par-
tage pas le sentiment admiratif de l'écrivain pour l'auteur de Boris Godounow,
tout en rendant justice à ses rares facultés. Mais le livre de Mme d'Alheim est
curieux, même en tenant compte de ses exagérations et du dédain qu'il
montre pour ceux qui, comme moi, persistent à ne pas considérer Moussorgski
comme un grand homme et le premier des musiciens. A. P.
— Chez Mme Charles Max, l'autre jeudi, petit raout musical pour l'audition
d'oeuvres charmantes de Gabriel Dupont. Au programme, deux séries de ses
Heures dolentes, si pénétrantes, merveilleusement interprétées, au piano, par
Maurice Dumesnil, qui sait en rendre tous les désespoirs et toutes les lueurs
de joie mieux qu'en virtuose, en véritable artiste. Puis ce fut une gerbe de
mélodies chantées dans le ravissement par cette magicienne du chant aux
nuances multiples qu'est Mme Charles Max. A retenir surtout les Caresses et
l'amusante Chanson des Noisettes qui furent bissées avec beaucoup d'insistance.
Gabriel Dupont dut être satisfait de sa journée.
— De Nimes : Une tentative que nous suivrons avec intérêt s'ébauche à
Nimes. On sait la gravité de la crise que traverse le théâtre en province.
Malgré les sacrifices que s'imposent les assemblées communales, il devient de
plus en plus difficile d'assurer une campagne artistique satisfaisante dans la
plupart de nos grandes villes. Un groupe de diletlanti et d'anciens abonnés a
donc décidé de se constituer en société civile pour l'exploitation du théâtre à
eux accordé par le Conseil municipal. Leur apport, joint à la subvention de la
ville, élève à près de 23.000 francs par mois la subvention totale. La Société
des Amis du théâtre a chargé M. Joël Fabre de la direction artistique.
— On télégraphie de Marseille: « Mardi matin s'est ouvert le concours in-
ternational de musique, sous la présidence d'honneur de M. Massenet et la
la présidence effective de M. Tobaldini, ancien directeur du Conservatoire de
Parme, et de M. "Vialet, chef d'orchestre d'opéra-comique à Monte-Carlo.
Cent soixante-seize Sociétés musicales et orphéoniques, parmi lesquelles des
Sociétés d'Italie, d'Espagne, de Suisse et de la principauté de Monaco, pren-
nent part à cette manifestation artistique. La plus grande animation règne en
ville. »
— De l'Avenir de Bernay : A Notre-Dame-de-la-Couture, Mme M.-F. Merlin,
le distingué professeur de chant parisien, a donné, avec le concours de ses
élèves de notre ville, un très intéressant concert spirituel, entièrement consa-
cré à d'importantes parties de la délicieuse œuvre de Massenet la Vierge. —
Le rôle de la Vierge a été une fois de plus brillamment mis en valeur par
Mllc Charlotte Merlin, qui, de sa belle voix, en a souligné tous les détails avec
son art et son charme habituels. A ses côtés Mlle Suzanne R. fut un Ange
Gabriel parfait. M. Ruyssen, violoncelliste, a joué le Dernier sommeil et accompa-
gné l'Extase en artiste consommé, et MM. Bugnot, Bassy et Martin ont accom-
pagné avec maestria soli et chœurs. Au salut qui suivit superbe audition du Tu
esPelrus et du Laudate de Faure par Mllc Merlin et les chœurs si habilement
conduits par M"1L Merlin.
— Soirées ei Concerts. — M"" Marthe Duroziez a donné une audition de ses
élèves consacrée aux œuvres de Paul Vidal, sous la direction de l'auteur. M"" Fia-
haut, de l'Opéra, et Thérèse Duroziez, MM. Gaubert, Bleuzet, Cahuzac, Courras, Loi-
seau, Gaillard et Dumont, de l'orchestre de l'Opéra, prêtaient leur concours à cette
solennité musicale et ont délicieusement interprété la Suite espagnole, les fragments
de Zino-Zina et des mélodies parmi lesquelles Soupir, Je t'ai suivie et Appel au bien-
ahnii ont été particulièrement goûtées. — Chez M— Charles Max, audition de lanou-
velle sonate pour violoncelle et piano de Ch.-M. Widor. Œuvre remarquable, remar-
quablement interprétée par l'auteur et M. Hekking. M"° Charles Max a chanté avec
tout l'art qu'on lui sait des mélodies de Widor. — Et au Salon de musique de la
Société Nationale des Beaux-Arts, ce fut un nouveau triomphe pour Widor, cette
fois avec sa sonate pour violon et piano, op. 79, supérieurement jouée par MM. Ba-
talla et Bilewski. — M-« Ernest Ameline a terminé ses réceptions par une délicieuse
matinée dont le programme réunissait les noms de M"' Ameline, la charmante lille
de la mBilresse de la maison, qui a dit avec grand talent quelques poésies ; de
M11" Armande Bourgeois et Jehanne Vaussard, dans leurs compositions; de MM. Du-
tilloy, Ponzio et Fabert, de l'éminent violoniste H. Casadesus sur la viole d'amour,
et de Dominique Bonnaud dans ses œuvres. — Dans toute audition du très personnel
et très distingué professeur de chant, M"" Pelletier, il y a une telle note d'art, qu'il
convient de signaler celle qu'elle vient de donner dans la salle de l'Institut d'Or-
léans ; entre autres choses très bonnes, on y a particulièrement remarqué l'excel-
lente exécution du quatuor de Bornéo et Juliette, les progrès de M"" Marguerite Ar-
chambaud, Brondy et François, la puissance habile et aisée de M. Leroy et surtout
le talent presque parfait, et presque égal à des titres divers de M"» de Charbonnière
et de M"' Marie Archambaud. — Très belle matinée que celle donnée par M»« Gi-
raud Latarse, avec le concours de ses élèves, pour l'exécution d'oeuvres de Raoul
Pugno. On entendit avec le plus grand plaisir les belles suites de piano intitulées :
Les Soirs (4 n<") et Paysages (4 n°'), sans compter beaucoup d'autres petites pièces élé-
gantes et d'une grâce infinie : Palcinella, Vais? lente, Marivaudage, Valse-Impromptu,
Libellule, Caprice badin, etc., etc. M"« Olivier chanta excellemment C'était un rêve et
Pourquoi vous raconter ma peine, et Mme Claura-Ermerie ne lui céda en rien en
chantant Malgré moi et' Voleuse d'amour. Oii termina par le Coheertsliick pour deux
pianos et des poésies récitées par Mllc Madeleine Roch de la Comédie-Française. —
Salle Hoche, audition des plus réussies des élèves de Mllc Emilie Roux, avec au
piano l'excellente accompagnatrice Mma Martelly. On fait fête aux élèves du remar-
quable professeur et notamment à M"1 M. (Myrto, Delibes), A. B. et H. (duo de
Jean de Nivelle, Delibes), M"" F. et M. C. (duo de Marié-Magdeleine, Massenet), M'"L.
(air du Cid, Massenet), M"' R. et M. B. (duo du Poème d'amour, Massenet), M"" P.
(air d'Ariane, Massenet), M™ G. et M"1 R. (duo d'Ariane, Massenei). M"" L. (air de
Marie-Magdeleine, Massenet). P. {L'Esclave, Lalo, et Je t'ai suivie, Vidal), M""." G.) Sonnez
les matines, Hùe), S. (air des lettres de Werther, Massenet), et M"' A. B. (air de Thaïs,
Massenet). Pour terminer cette fort jolie séance, un chœur à la sonorité choisie a
chanté les Nymphes des bois, de Delibes. — Mme Paul Vizentini vient de faire enten-
dre, salle Pleyel, ses élèves de piano, parmi lesquelles on a justement remarqué
M"" Y. M. (Valse arabesque, Lack), M. L. (Papillons blancs, Massenet), E. M. fies Myr-
tilles, Dubois) et G. L. (Étude de concert, Dubois). — A l'audition des élèves de
M."" Marie Française, il y eut de vifs applaudissements pour toute une série de mélo-
dies de Théodore Dubois : Trimazo, Par le sentier, Tarentelle, air de Xavicrc, duo
à'Aben-IIamet, etc., etc. Toutes les élèves ontfait grand honneur à l'enseignement de
leur professeur. — Le cours de mise en scène de M. et M"' Jules Chevalier a eu le
27 mai une séance sensationnelle, où l'on vit défiler tour à tour tous les actes de
Manon, le 4" acte de te Traviata, le 2" acte de Thaïs, où M."" François Flameng se
montra tout à fait remarquable et d'une rare intelligence artistique, le 4° acte de
Carmen, le 4' acte de Louise et le 3' acte de Higoletto. Ci fut vraiment une audition
des plus intéressantes et qui captiva l'auditoire. — Dimanche dernier a eu lieu à
la salle de Géographie l'audition des élèves de M"" Girardin-Marchal. Grand succès
pour l'excellent professeur ainsi que pour M™" GilUrt, Jacquenot, Wallère et pour
_JU". Alban Daret qui prêtaient leur concours à cette séance. Vifs applaudissements
"pour Nathalie Radisse (Rapsodie de Liszt), Jeanne Lefèvre (Saint-F)-antpis.-de-
Paule, de Liszt), Jeanne Lalleurance (Cluxnt du Nautonier de Diémer), Lucienne
Schneider (Sérénade tunisienne, Pfeilfer).
NÉCROLOGIE
Adolphe L' Arrange, auteur d'intermèdes et de pièces populaires avec mu-
sique, e»t mort le 25 mai, dans le sanatorium de Bjllevue, à Kreuzlingen, sur
le lac de Constance. Il était né le 8 mars 1838 à Hambourg, où son père était
directeur de théâtre et comédien. Il étudia la musique au Conservatoire de
Leipzig et occupa ensuite des places de chef d'orchestre dans différentes villes,
et enfin au Théàtre-Kroll, de Berlin. Il écrivit alors sa première pièce, le Gros
Lot, dont le succès le décida bientôt à renoncer à la musique sérieuse. De 1S67
à 1872, il rédigea un journal judiciaire, prit en 1874 la direction du Lobe-
Theater, à Breslau, et vécut depuis 1878 à Berlin, où il dirigea pendant treize
années, de 1881 à 1S94, le Théâtre-Frédéric-Guillaume. Plusieurs de ses ou-
vrages ont obtenu un nombre considérable de représentations. Les principaux
sont Doctor Klaus, Multer Thiele, les Femmes bienfaisantes, etc.
— A Weimar vient de mourir, à l'âge de 81 ans, Wilhelm Gottschalg,
l'un des meilleurs amis de Franz Liszt et de Richard Wagner. Il s'était fait
une réputation comme organiste.
— Le doyen des éditeurs de musique allemands, M. Adolphe Furstner,
vient de mourir à Bad-Nauheim, à l'âge de 76 ans. Le défunt, homme affable
et érudit. a édité une bonne partie des œuvres de la plupart des compositeurs
allemands modernes en renom. C'est chez lui qu'a paru Salomé et que va
paraître Elektra, de M. Richard Strauss. Il a également introduit dans le
commerce allemand les œuvres de plusieurs célèbres compositeurs français,
entre autres celles de Massenet et de Léo Delibes.
— Il y a quelques semaines est mort à Brighton, où il était né le 15 juin
1837, le compositeur anglais Frank-Joseph Sawyer, qui fut organiste et pro-
fesseur de chant. Ses principaux ouvrages sont: Mary, the Virgin, oratorio
qui fut jopé sous ce titre en 1884, et qui prit en 1869 celui de l'Étoile </<■ l'Est,
à l'occasion d'auditions nouvelles; Jérusalem, le Pardon de l'âme et la Veuve
de Nain, cantates ; Orphée, cantate dramatique qui obtint un prix de
2.500 francs, offert par MM. Methven et Simpson en 1893; enfin plusieurs
pièces vocales ou instrumentales et des ouvrages techniques.
— La Revisla musical Câtalana annonce la mort à Barcelone, le 31 Mars,
d'un artiste fort distingué, Francisco Alio, qui était né en cette ville le 27
mars 1862. Élève pour le piano du professeur Vidiella, il étudia ensuite la
composition avec Anselme Barba et Nicolau. Il se fit connaître dès 18S7 par
un recueil remarquable de chansons originales, après quoi il publia un autre
recueil de Chansons populaires catalanes transcrites et harmonisées par lui. C'est
à cet artiste qu'on doit la fondation de la Société Catalane de concerts, dont il
confia la direction artistique à son maître Nicolau et qui commença ses
séances en 1892. Francisco Alio s'occupa aussi de critique musicale et donna
particulièrement au journal el Poble Calala de nombreux articles dans lesquels
il soutenait et préconisait le mouvement musical nationaliste.
nENRi Heugel, directeur-gérant.
4030. — 74e Ai\I\ÉE. — N° 2a. PARAIT TOUS LES SAMEDIS Samedi 20 Juin 1908.
(Les Bureaux, 2"'", rue Vivienne, Paris, wut>)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
lie flamét-o : o fp. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
lie flaméFo : 0 fr. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. —Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 tr.,Pari3 et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste ea sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (24° article), Julien Tiersot. — II. La Musique et le
Théâtre aux Salons du Grand-Palais 1 1 0° et dernier article), Camille Le Senne. —
III. Une lettre inédite de Rossini, Julien Tiersot. — IV. Nouvelles diverses, concerts
et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
ADAGIO
de Théodore Dubois. — Suivra immédiatement : Tristesse et Sauterelles, nocturne
et scherzo de la marquise de Neurone.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
Dors, nouvelle mélodie de René Lenormand, poésie de Fernand Gregii. —
Suivra immédiatement : Aubade, mélodie de la marquise de Neurone, poésie
de Victor Hugo.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
CHAPITRE VI
GLUCK COMPOSITEUR DOPERAS-COMIQUES
Or, si nous rapprochons ces dates de celles de l'histoire de
l'opéra-comique français, nous serons amenés à faire une nou-
velle constatation tout à l'honneur de l'esprit d'initiative dont
Gluck a déjà donné maint autre témoignage. En 1758, année où
il écrivit la musique de la Fausse esclave et Me de Merlin, ni
Monsigny, ni Philidor, les deux premiers maîtres que l'on puisse
nommer dans l'ordre du temps comme représentants de notre
école française d'opéra-comique, n'avaient encore rien donné au
théâtre : leur début à tous deux date seulement de l'année suivante,
1759, avec les Aveux indiscrets (7 février) et Biaise le savetier (9 mars).
A peine l'année d'avant peut-on citer Duni, qui avait donné à
la Foire Saint-Laurent de 1757 le Peintre amoureux de son modèle,
où les vaudevilles se mêlent à ses airs nouveaux, comme dans
les premiers opéras-comiques de Gluck. Grétry n'entrera en
scène que dix ans plus tard, en 1768. Il faudra attendre jusqu'à
1769 pour que Monsigny produise l'œuvre vraiment significative
qui consacrera le genre, le Déserteur. Bref, pendant les années
où Gluck écrivait pour la cour de Vienne l'ensemble des
ouvrages énumérès, à Paris l'opéra-comique en était encore à
sa période de tâtonnements et d'obscurités. Et ce fut assurément
en toute sincérité, non dans une intention de vain compliment,
que l'écrivain qui a le plus efficacement contribué pour sa par
à la constitution du genre, Favart, répondit à l'envoi des pre-
mières partitions venues de Vienne:
« Il me parait que M. le chevalier Gluck entend parfaitement
cette espèce de composition. J'ai examiné et fait exécuter les
deux opéras-comiques Cythère assiégée et l'Ile de Merlin : je n'y ai
rien trouvé à désirer pour l'expression, le goût et l'harmonie,
et même pour la prosodie française. Je serais flatté que .M. Gluck
voulût exercer ses talents sur mes ouvrages, je lui en devrais le
succès (1). »
C'est ainsi que Gluck, que nous avons déjà vu composer
des symphonies avant Haydn, se trouve être encore un des pré-
curseurs, un des initiateurs réels de l'opéra-comique français.
Sa participation à ce mouvement viennois, parallèle à celui
de Paris, mais plus rapide (d'ailleurs d'une moindre portée), est
d'autant plus intéressante à observer qu'elle est en quelque
sorte un raccourci de ce dernier. Les huit années qu'y consacra
Gluck résument l'œuvre de la France pendant trois quarts de
siècle. Il faut remonter en effet jusqu'au règne de Louis XIV
pour trouver les origines de l'opéra-comique, à la Foire, avec
ses pièces en vaudevilles : peu à peu des airs nouveaux, composés
ordinairement par des musiciens d'assez bas étage, s'ajoutèrent
aux timbres traditionnels ; puis vint l'invasion italienne, et les
ariettes parodiées d'après le répertoire des Bouffons apportèrent
encore un autre élément musical ; enfin tout cela se trouva
réuni et fondu dans les ^inventions nouvelles des maîtres qui
donnèrent au genre sa constitution définitive.
De même Gluck, venu à la fin de cette évolution, l*a
recommencée, en quelque sorte, en présentant à son public
autrichien, friand de ces légers spectacles, des opéras-comiques
dont les premiers ne faisaient entendre d'autre musique que les
vieux airs français. L'opéra italien étant dès longtemps accli-
maté à Vienne, l'addition de la musique de son répertoire fut
vite et facilement opérée. Enfin le maitre en arriva au dernier
degré, en composant lui-même de la musique nouvelle, laquelle
fut mélangée d'abord aux éléments antérieurs, puis, dans les
dernières œuvres, finit par régner sans partage.
Il résulte de laque les premiers opéras-comiques dont les
titres ont été cités précédemment offrent un assemblage d'élé-
ments composites et hétérogènes, parmi lesquels la muse de
Gluck se trouve être parfois compromise en étrange compagnie !
Pour donner une idée de ces mélanges déconcertants, arrêtons-
nous un instant (fût-ce en nous bornant pour un instant à tutoyer
notre sujet principal) sur une des œuvres comprises dans l'énu-
mération ci-dessus, et dont] les succès prolongés et divers
méritent qu'on lui donne] une attention particulière. Nous
apprendrons par là de quelle [manière on s'y prenait au XVIIIe
(1) Favart, Mémoires et Correspondait! e, I, 11.
d94
LE MÉNESTREL
siècle pour composer un opéra-comique, et nous verrons que
cette manière n'est pas aussi simple qu'on pense.
Les observations qui seront faites à cette occasion pourraient
être généralisées et étendues à d'autres productions. C'est ainsi
que nous constaterions des pratiques analogues si, remontant
plus haut, nous avions à étudier les farces, qui n'étaient en
général que des canevas sur lesquels brodaient les acteurs.
Qu'un de ceux-ci soit Molière à ses débuts, et le Médecin volant
ou la Jalousie du barbouillé s'enrichiront de traits dus au génie du
futur auteur du Misanthrope. Il en sera de même pour l'œuvre
dont nous allons étudier les transformations diverses, et qui,
née dans les théâtres forains, verra s'associer à sa fortune les
plus grands noms de l'histoire de la musique, jusqu'à celui de
Gluck.
Le Diable à quatre ou la Double métamorphose, opéra- comique en
trois actes, fut, rappelons-le, représenté pour la première fois
à la foire Saint-Laurent le 19 août 1756. Le livret, imprimé
l'année suivante (1), fait mention de l'auteur par ces simples
mots: « Par M. S... » On sait par des témoignages postérieurs
que l'initiale désigne Sedaine, dont c'était la première œuvre
au théâtre. Longtemps après, l'on exprimait encore l'opinion
que si l'auteur a produit de meilleures pièces, il n'en avait
jamais écrit de plus gaies (2). Le fait est qu'il s'y donne beaucoup
de gifles. Le sujet est une variante de la Mégère apprivoisée, — et
l'on sait aus^si que la critique du XVIIIe siècle comparait volontiers
Sedaine à Shakespeare.
Pour la forme, sinon pour le style, la pièce ne diffère pas des
opéras-comiques des cinquante années antérieures. Les couplets
sur des airs connus, en grand nombre, constituent la plus
grande partie du texte. Même une vieille chanson : « Rossignolet
des bois, rossignolet sauvage » est introduite dans une scène
d'allure toute populaire, semblant accuser un retour aux plus
antiques traditions du théâtre français. Un épisode bouffon, où
sont évoqués des diables d'opéra-comique, reproduit les couplets
de la Tentation de Saint Antoine : « Ciel !. l'Univers va-t-il donc
se dissoudre ? — Gourez vite, prenez le patron », ce pot-pourri
qui avait valu à Sedaine son premier succès, prolongé jusqu'à
nos jours par la même œuvre, car la Tentation de Saint Antoine,
quelque peu atténuée, est restée (qui a pu l'oublier?) le
chef-d'œuvre classique du théâtre de Guignol.
Il est donc manifeste qu'en écrivant sa pièce, sans autre musi-
que que les airs français du vieux répertoire, Sedaine n'eut pas
d'autre intention que d'ajouter un opéra-comique semblable à
ceux qui, depuis un demi-siècle, charmaient les spectateurs
ordinaires de la foire. Mais il tombait juste au moment du
changement de goût dû à la vogue des intermèdes italiens, que
déjà l'on avait commencé d'adapter à des paroles françaises.
Pour obéir à la mode, le Diable à quatre fut donc enrichi d'airs
italiens, très probablement ajoutés après coup, comme nous
allons nous en rendre compte distinctement.
(A suivre.) Julien Tiehsot.
LA MUSIQUE ET LE THEATRE
a,-u.3K- S£*.lon.s dix Grand.-I»alais
(Dixième et dernier article)
Ce qu'il y a de vraiment délicieux chez les statuaires classiques, les
traditiomialistes du Salon officiel, c'est leur résolution arrêtée de prendre
au grand sérieux les métaphores allégoriques. Ils entendent traduire
fidèlement les légendes mentionnées au catalogue, et ce respect du texte
écrit est lui-même très respectable, mais il risque d'induire en erreur
le promeneur qui n'a pas eu soin de se munir d'un livret. Supposez ce
(1) A Paris, chez Duchesne, Libraire, rue Saint-Jacques... au Temple du Goût,
MDCGLVII.
(2} Voyez l'avis imprimé en tête du i
donnée en 1809 avec musique de Solié.
ûeiit de la pièce telle qu'elle fut
visiteur économe — ou désireux de supprimer tout intermédiaire —
arrêté devant l'envoi de M. Marcel Fouquergne. Il verra une jeune
femme étendre le bras vers un enfant qui sommeille dans la partie
supérieure de ce groupe élégant et décoratif. Et il se dira : « Voilà une
mère qu'on a négligé de mettre au courant des préceptes les plus élé-
mentaires de l'hygiène infantile. On ne doit jamais réveiller le baby
qui dort ! » Jamais, au grand jamais, il ne pourra deviner que le sculp-
teur a voulu représenter la Nature éveillant le génie des lettres !
Conduisez le même visiteur devant le bas-relief en marbre de M. Ter-
roir, statuaire robuste qui a le sentiment du style. Il y verra dans le
fond un lot de bonnes gens, père, mère, enfant, un petit ménage qui
semble s'être mis à l'aise pour déjeuner sur l'herbe ; au premier plan
un vieillard fort décharné dont l'anatomie décrit i'arc de cercle emblé-
matique d'une profonde dépression morale. 11 pensera : « Ces déjeu-
neurs du bois de Vincennes auraient bien dû envoyer une aile de
volaille au pauvre vieux ! » Et il se trompera jusqu'à la gauche, comme
dirait le capitaine des Gaîtés de l'escadron. Le bas-relief de M. Terroir se
rattache à la propagande de M. Piot en faveur de l'accroissement de la
natalité française. Il est intitulé Seul dans la vie; le macrobite d'un si
minable aspect, qui en occupe les deux tiers, symbolise le célibataire en
proie à d'amers regrets devant le groupe enchanteur formé par le
ménage populaire en douce ribotte où l'on ne se casse pas encore sur la
_tête les litres vides.
Plus réjouissant, sinon beaucoup plus clair, le Baiser du Soleil à la
Tare endormie — c'est un vers, et qui pourrait être d'Albert Samain —
de M"° Noémie Debienne. En réalité il s'agit d'un modèle assez dodu
(lui se détend au réveil dans le grand plein-air de sa mansarde du
sixième. Et le groupe de M. Desruelles, destiné au parc de Rambouillet
nous apprend le catatogue, serait une animalerie tout à fait recomman-
dable, bien étudiée, adroitement rendue, si le sculpteur n'avait cru
devoir l'intituler le Printemps. On peut encore s'amuser au petit jeu
des rébus avec la Pitié de M. Diosi, la Folie de l'abîme de M. Viggo Jarl,
l'Humanité de M. Alfred Boucher, l'Effort de la pensée de M. Rauner, les
Premières chimères de M. Sauve. A tout coup l'on perd, et cependant on
reste en bénéfice, car, si les allégories sont décevantes, l'exécution offre
un réel intérêt artistique. M. Grenier a groupé Devant le crépuscule deux
figures romantiques et Lamartiniennes, de beau style. Autre ensemble :
les Fatales sœurs de Mmc Ducrot-Icard (en collaboration avec M. Henri
Icard), composition ingénieuse où les Parques ne sont plus présentées
comme d'horribles mégères mais comme des sphynges de la galerie
Gustave Moreau, cruellement insouciantes.
Les grandes figures, avec ou sans étiquette allégorique, sont en
nombre. M. Hector Lemaire a modelé, pour le parc de Saint-Cloud, un
Soir, de robuste facture, où joue son rôle classique le petit mouton
rentrant à l'étable. La Nuit, de M. Sicard, souple, vivante, d'un admi-
rable sentiment de divinité païenne, est également une commande de
l'Etat. La Mère de l'humanité, de M. Sinayeff-Bernstein, allaite Caïn et
Abel avec une placidité de ruminante ; la Madeleine de M. Salles
(Après le péché) est plus contrite qu'amaigrie dans la caverne où elle
fait pénitence. Purement décoratifs le Recueillement de M. Escoula, la
Fleur florentine de M. Pallez, gracieuse étude de femme tenant la fleur
chère à M. Anatole France, le lys rouge, le Chant rustique de M. Durand,
l'Harmonie de Mmc Damagne, d'une ligne élégante.
M. Greber dresse son Narcisse au-dessus d'une fontaine : ligure mince,
anémiée, presque transparente mais qui se profilerait agréablement sur
un fond de verdure. Le baby rieur de M. Blondat campe sa robuste
anatomie au sommet d'un motif architectural du même genre. Asso-
cions aux envois de ces divers fonta.iniers le Baiser à la source de
M. Coutulhas, d'une inspiration poétique et d'une souple exécution, la
Baigneuse de M. David, dont l'épidémie garde la caresse de l'eau, la
Byblis en larmes de M. Camus, Gretchen païenne que guette un groupe
d'enfants moqueurs, le Triomphe de Vénus de M. Saulo, le délicieux
Bacchus enfant de M. Cariés, le pompéien petit Faune aux raisins de
M. Raoul Larche, le buste de bacchante de M. Breton, la nymphe de
M. Delannoy, la bacchanale de M. Pierre Devaux.
L' Ariane du maître Massenet a inspiré plusieurs statuaires. M. Loi-
seau-Rousseau l'évoque, souple et marmoréenne. Mme Tollenaar a
représenté Perséphone disant adieu à la terre, et voici un groupe de
M. Chauvet : le Minotaure. Du reste, les sujets de drames lyriques ont
leur commentaire sculptural à chaque tournant du jardin de la grande
nef. Une fine statuette de M. Ferdinand Faivre représente l'évanouisse-
ment de Psyché, une plaquette de M. Lucien Duseaux montre Orphée
entraînant Eurydice ; Prométhée invective les dieux dans le groupe en
bronze à cire perdue de M. Villeneuve. ; la buveuse de M. Fidencio
Nava étendue sur la mosaïque « après l'orgie » est une comparse de
Y Aphrodite de M. Erlanger ; la Diane et ses suivantes de M. Carrier-
LE MENESTREL
195
Belleuse. d'un dessin élégant et spirituel, et le char des amours du
même statuaire figureraient esthétiquement au prologue â'Hippotyte et
Aride ; et l'on voit très bien le Pan et Syrinx, de M. Nicol, embusqués
dans un coin du môme décor.
L'inspiration patriotique est brillamment représentée par plusieurs
groupes. Le plus remarquable, le Soir de victoire de M. Léo Laporte-
Blaisy, un cuirassier montant la garde devant un trophée de drapeaux
conquis sur l'ennemi, a le caractère saisissant d'une étude de Rude
traduite ou plutôt transposée en style moderne. M. Georges Colin —
plus voisin d'Etex — allègorise dans le groupe où nous voyons quatre
guerriers gaulois, de robuste stature, élever la paix sur un pavois.
M. Henri Gauquié, qui a un sentiment très juste des grands ensembles,
a érigé un monument en pierre sobre, et saisissant, aux soldats du canton
de Semur morts pour la patrie. La Résistance, de M. Edmond Desca,
destinée à la ville de Périgueux, rappelle, non sans vigueur, le
môme souvenir héroïque. Les souvenirs d'Afrique semblent avoir été
ranimés par la campagne du Maroc : prise de Constantine en octobre
183", une très foisonnante esquisse de M. Cadoux. le Lamoricière à
l'assaut de Constantine de M. Belloc, pour la ville de Constantine, le
groupe de M. Delandre pour honorer la mémoire des soldats morts
pendant la conquête du Sud-Oranais. M. Boverie rénove le sujet déjà
classique de la défense de Verdun en nous montrant deux soldats de
l'aunée terrible qui trament un canon démonté. Parmi les figures, le
Grand-Ferré à Rivecourt, fauchant l'ennemi, de M. Henri Vidal, le
La Tour d'Auvergne mourant de M. Hector Lemaire pour la ville de
Ouimper, le volontaire de la première république de M. Carillon
et surtout une émouvante composition de M""' Laure Coutan-Montor-
gueil. le Petit Tambour Beyle, qui réconciliera les visiteurs du Salon avec
les commandes de l'Etat.
La statuaire pittoresque apporte son contingent habituel tantôt par
unités, tantôt par séries. Parmi celles-ci une des plus fournies vise un
sujet souvent traité au théâtre depuis la Petite Paroisse d'Alphonse
Daudet jusqu'au répertoire de M. Brieux : le Pardon. On pardonne
énormément au Salon des Artistes Français. M. Vérez, il. Albert Roze,
M. Wilhem de Scharfenberg ont repris ce thème sentimental, les uns
en faisant intervenir le baby, les autres en le laissant à la cantonade.
Et M. Raoul Verlet, voulant rajeunir l'antique donnée biblique, nous
montre non plus l'Enfant mais la Fille Prodigue, dont le tendre et dou-
loureux élan fait songer aux Rodin de la première manière. La Leçon
de botanique, deMme Morin, est un groupe de facture sobre dont le thème
sérieux sans pédantisme figurera en bonne place au Lycée Molière.
C'est au contraire dans un foyer de théâtre qu'il faudrait placer le
séduisant Moineau de Lesbie, de Mme Laure Coutan-Montorgueil. dont j'ai
déjà signalé le patriotique petit tambour.
M. Allouard a envoyé une savoureuse réduction en marbre de sa
Musique profane, autour de laquelle on devrait grouper la petite Muse
de M. Henri Godet, la lyrique Chanson du printemps de M. Jean Chorel,
l'élégante statuette de M. Eugène Mariéton, Muse des eaux, le petit
bronze de M. Morin, une marchande d'étoiles qui ne placera pas facile-
ment cet article de luxe. Certains sujets classiques, et obligatoires pour
tout Salon qui se respecte, figurent sous un seul numéro ; ainsi nous
n'avons qu'une Ophélie (Georges Wagner), qu'une Sapho (Mathet),
qu'une Phryné (Levasseur), qu'une Cendrillon (Pech). qu'une Cigale
(Guéniot), qu'un Frisson d'Avril (Caron). Mais la ballerine foisonne
comme s'il en pleuvait, danseuses de Dussart, de Lombard, d'Aste, de
Gossin. d'Henri Proszinski, danseuse au voile de Paul Philippe, petites
bacchantes d'Albert Guérin. M. Rosales a envoyé des pantins, M °,e Lau-
rent les marionnettes qui « font trois petits tours et puis s'en vont ».
M. Antonin Mercié a traité sans prétention, mais non sans style, la
donnée classique de la Bourrée : une Auvergnate en fleur, si j'ose dire,
dont un petit amour joueur de vielle scande le rythme. Les binious de
Pont-1'Abbé, de M. René Quillivic, sont des instrumentistes moins
mythologiques, rendus avec un réalisme serré, et le petit joueur
d'orgue, de M. Philippe Perrotte. ne dépare pas la collection.
Si le Chantecler de M. Rostand voit enfin le feu de la rampe au
début de l'automne, les animaux animés, genre Granville, pulluleront
au Salon prochain. Voici déjà un coq chantant â la lumière de M"1" Ber-
trand, un chant du coq de M. Chrétien. Signalons aussi le groupe des
modernistes, désireux de concilier le vieux jeu et le uouveau. M. Albert
Lefeuvre vient en tète. C'est un artiste qui aie goût du compromis aca-
démique et en possède la formule ; ses deux amoureux qui plantent un
arbuste Pour l'avenir sont néo-style, mais avec de curieuses réminis-
cences de l'Ecole des beaux-arts. De M. Lorieux, groupe très original
de Sainte-Catherine. Il a pris ses figurantes sur la pente de Montmartre ;
c'est une sortie d'atelier, un lot de rieuses ouvrières aux robes lâches,
aux chapeaux épingles à la diable, légèrement émonstillées par la
coupe dr Champagne au rabais qu'elles viennent de rider i La fin d'une
dinette. Elles déambulent en se tenant par le bras à la façon des
Escholiers de Panurge, et c'est le trottin dépeigné qui conduit la petite
bande.
Cette œuvre, d'un modelé nerveux, est la meilleure modernité du
Salon, mais on peut lui apparenter quelques fantaisie» agréables :
le Flirt, de M. Roger Bloche, la Bataille de /leurs, de M. Engrand, le
Diabolo, de M, Lenorman de icelui de M. Verschneider, la Sortie de bal,
de M. Cacciapuoti... Et maintenant qui veut des monuments .' De quoi
garnir un petit Panthéon. On a môme évoqué des oubliés qui ne
comptaient certainement plus sur cet honneur. Pierre Montereau, « le
maître de l'œuvre », le constructeur de la Sainte-Chapelle ou plutôt
son ciseleur, car c'est le plus merveilleux des bijoux ajoures, a inspiré
une statue très intéressante à M. Bouchart. Voici encore un Jean
de Maubeuge par M. Bertrand-Boutée, un Jehan de Menng par
M. Desvergnes, un Rutebeuf par M. Rivet, un Xaini railles par
M. Bacqué, un Honoré d'Urfé par M. Paul Fournier, un Mansart par
M.Ernest Dubois, sans compter le Prince de Condé <M"" Boero) et
Mozart pour qui cet hommage est moins nouveau.
M. Albert Roze a correctement composé le monument à la mémoire
de Jules Verne qui doit être élevé à Amiens. Peut-être aurait-il mieux
valu sacrifier le style et s'orienter dans le sens de la fantaisie même
outrancière, car. chez le savant contestable qu'était Jules Verne, il y
avait un imaginalif fougueux. Au contraire, la fillette et l'ouvrier, que
M. Gustave Michel a groupés au pied du monument d'Eugène Manuel,
suffisent à caractériser le Coppée du prolétaire que fut ce poète univer-
sitaire et bien intentionné. M. Paul Chevré a hissé sur une stèle le
buste d'Alphonse Allais, humoriste mélancolique tôt fatigué de l'effort
littéraire (on n'est pas des bœufs !). M. Houssin a rendu avec bonheur
la physionomie songeuse de Jules Breton et M. Déchin a fortement
académisé Eugène Guillaume, qui appartenait à deux sections d>' l'Ins-
titut. De M. Pcchinô un ressemblant Jean Macé ; de M. Laethier un
bon Just Becquet ; de M. Bernstamm un sévère Marcelin Berthelot :
de M. Descamps un oratoire Charles Floquet ; de M. Mathurin Moreau
un Garibaldi suivant la formule ; de Mme Marguerite Syamour un
ressemblant André Theuriet.
En tète de la série des portraits contemporains il faut placer, proto-
colairement et aussi parce que l'œuvre très vivante témoigne de rares
qualités de style, l'Armand Fallières de M. Antoine Cariés. Et voici
maintenant l'habituel pêle-mêle de célébrités politiques, artistiques,
littéraires et théâtrales (dont quelques simples notoriétés) : M. Camille
Saint-Saens et M. Sée (Marqueste), M. Camille Pelletan (Maurice
Favre), le prince de Monaco à la barre de son navire (Puechi,
Mme Adolphe Maujan (Carlusi. le général Davoust (Mlne Montéguti,
M. Hennion (Paul Moreau- Vauthier), M. Eugène Rostand (Jean Hugues),
M. Carolus Duran et M. Barrère (Piron), Me Lagasse et M' Coulon
(Cipriani). M"1- Sarah Bernhardt (Achard). Arrêtons-nous un instant
devant le buste singulièrement expressif et vivant de M. Raoul de Saint-
Arroman par M. Georges Récipon, qui a rendu avec beaucoup de saveur
le relief original du modèle, et reprenons notre course à travers les
contemporains. A droite, à gauche, M. Victorien Sardou (Paris),
M. Henri WelsehingeriMulleri, M. Pierre Margueritte (Maurice Marx),
M. Jules Gauthier (Henri Maillard). M. Emile Blémont (Mairie),
M. Eugène Larcher (Grouillet). le sénateur Piot (Gary). M""' Vellini de
l'Odéon (Nadille de Buffoni, M. Lucien Noël (Legastelois), Ccquelin
aine dans le rôle de l'abbé Griffard qu'il a si bien « griffé » d'une
empreinte personnelle (Passe). Sada-Yacco (Renée de Vériane),
Mme Tassu-Spencer (Alphonse Cagna), M1" Nina Brozia, de l'Opéra
(Victor Rossiï, et le violoncelliste Tkalt-Chitch (Lhommeau).
Des portraits encore à la gravure : Maxime Gorki par M. Greuse,
M. Muratore et Mme Jane Hatto. en Faust et Marguerite, par
M. Rudeaux, qui expose aussi un ressemblant Jules Ciaretie : aux
médailles, un Mistral de M. Georges Dupré, un Camille Saint-Saêns
de M. Boulongne.un Hector Berlioz de M. Brûlé. Et nous voici presque
au bout de l'excursion annuelle â travers les magasins — réunis du
double bazar esthétique. Les steppes de l'architecture nous appellent,
mais ne nous retiendrons pas longtemps ; elles contiennent cependant
quelques documents d'un réel intérêt : le relevé du pavillon de concert
au Petit-Trianon de M. Barlett, la Galerie de la maison d'Agnès Sorel
à Orléans de M. Benard, la reconstitution de ce château de Clagny où
l'altiore Vasthi du moderne Assuérus, l'Athénais de. l'Affaire des poisons,
traiua pendant tant d'années son orgueil et ses remords (M. Charles
Harlay), trois aquarelles du vieux Paris (M. Gut), des pages sugges-
tives de l'album de Florence signées Pierre Guidetti. Quant aux
galeries d'art décoratif qui s'étendent sur le pourtour de la nef centrale,
je ne saurais trop les recommander aux visiteurs qui voudraient faire
196
LE MÉNESTREL
une promenade hygiénique agrémentée de découvertes utiles ou de
trouvailles amusantes.
L'utile, l'agréable, la fantaisie ! Les motifs pratiques ne manquent
pas. Ils rencontreront des pianos à caisses pyrogravées, des lutrins en
chêne sculpté, des rouleaux de musique en cuir d'art, des broderies
pour dessus de clavier. Ils apprendront encore que le Gouvernement
Brésilien a commandé un « triple panneau » symbolisant le Capital et
notre ministère des Affaires étrangères un vitrail représentant la Rosée.
Ils admireront « l'épée de M. Gabriel Ferrier, membre de l'Institut »,
dont je ne voudrais pas médire comme épéiste, mais qui tout de môme
s'avère supérieur dans le maniement du pinceau, et divers autres
objets parmi lesquels « une urne on bronze pour le Sénat ». Ils décou-
vriront enfin (je cite textuellement les indications officielles) un « projet
de mouchoir s, une « Ophélie, gravure décorative sur marbre à l'eau-
forte », un « paravent en ficelles », une« Geneviève de Brabant, tableau
à l'aiguille », un « cognassier, arbuste exclusivement modelé en mie
de pain... » Oh ! ce « paravent en ficelles », cette « Geneviève » au petit
point, ce « cognassier » en mie de pain ! Était-ce la chaleur de l'après-
midi de juin, la fatigue d'un dernier voyage à travers les salles ? Quand
je les ai découverts, j'ai eu l'impression troublante d'un cauchemar
éveillé. Sous le reflet blanc-verdàtre de l'immense vélum, j'ai cru voir
étalé, dans une lueur d'Au-delà, des choses menues, falotes et presque
macabres, le contenu fantasmagorique de l'armoire aux jouets de
Mélisande.
Camille Le Senne.
UNE LETTRE INÉDITE DE ROSSINI
ET L'INTERRUPTION DE SA CARRIÈRE
La Bibliothèque du Conservatoire vient d'acquérir, àuue récente vente
d'autographes, une lettre inédite de Rossini qui apporte un nouvel élé-
ment à la discussion si souvent ouverte relativement au brusque arrêt
de la carrière du maestro après Guillaume Tell. Cette lettre est adressée
au vicomte Sosthène de La Rochefoucauld, surintendant des Beaux-
Arts sous le règne de Charles X, tout dévoué à Rossini. En voici le
texte :
Monsieur le Vicomte,
Je ne veux pas laisser partir Robert sans me rappeler à votre bon souvenir
et m'informer de vos nouvelles ; ses affaires théâtrales l'ont retenu ici bien plus
longtems qu'il ne comptait, mais il n'a pas dû partir avant de les avoir termi-
nées. Il a formé une excellente troupe ; il vous fera entendre des talens nou-
veaux pour Paris et j'espère qu'il réussira.
J'en suis toujours à recevoir mon poème que j'attends depuis neuf mois
passés que j'ai quitté Paris. J'aurais surtout voulu profiter des beaux jours du
printemps et de mon séjour à la campagne, où je suis installé depuis quelque
temps, pour pousser vivement mon opéra, car je tiens à vous prouver, par mon
travail et mon zèle, tout mon dévouement, mon attachement et le désir que
j'ai toujours de vous plaire, mais je ne puis travailler sans poème ! Et cepen-
dant, sauf Chambord, on n'a rien donné depuis mon départ à l'Opéra !
J'espère, Monsieur le Vicomte, que vous vous portez bien et que vous m'aimez
toujours un peu. Ma femme a été bien sensible à votre aimable souvenir ; sa
santé s'améliore et j'espère que l'air de Castenaso achèvera de la rétablir.
Recevez. Monsieur le Vicomte, l'assurance de mon dévouement et de mon
attachement bien sincères.
G. Rossini (I).
Castenaso, près Bologne, le 4 mai 1830.
Le plus important de cette lettre, c'est le dernier mot : la date, 4 mai
1830. Ce jour-là, Guillaume lell entrait dans le dixième mois de sa vie
(1) Le premier paragraphe de cette lettre est le tribut payé par Rossini à ses fonc-
tions de directeur du Théâtre-Italien de Paris, qui ne l'occupèrent jamais beaucoup.
L'imprésario Robert, dont il annonce l'arrivée, amena, en effet, dans l'été de 1830, une
troupe où ligurait, entre autres» talens nouveaux », Lablache; M"" Malibran en faisait
aussi partie; des opéras de Bellini, Pacini et le Fauslo de M1" Louise Bertin furent
représentés pendant la saison. — Rossini force un peu la note quand, le 4 mai 1830, i 1
dit avoir quitté Paris depuis neuf mois passés; il y était certainement Se soir du
3aoùt 1829, date de la première représentation de Guillaume Tell et même encore
plusieurs jours après. Chambord, ou plus exactement François I" à Chambord, opéra
en deux actes de Prosper de G... (Ginestet), qui succéda à Guillaume Tell, mais n'eut
pas le même succès, est en effet le seul ouvrage nouveau qu'on ait donné à l'Opéra
pendant ces neuf mois (15 mars 1830) ; un ballet d'Halévy, Manon Lescaut, fut repré-
senté en outre la veille même du jour où Rossini écrivait sa lettre : (3 mai 1830).
A propos de cet opéra, on lit dans le Catalogue de la Bibliothèque de l 'Opéra
de ïb. de Lajarte : a La toile du château de Chambord, peinie par Giceri et une
partie de la décoration ont servi au premier acte des Huguenots jusqu'à l'incendie
de la rue Le Peletier ». Nous avions toujours cru que l'action des premiers actes des
Huguenots se passait à Chenonceaux...
publique. Or, nous voyons dans le second paragraphe Rossini mani-
fester son impatience de ne pouvoir point composer, faute d'un poème
qu'il attend, et qui, cela est sous-entendu, eût procuré à l'Opéra de Paris
son nouvel ouvrage.
Il n'avait donc pas résolu de s'arrêter d'écrire après Guillaume Tell ?
Voilà qui le prouve péremptoirement.
Mais la date dit autre chose encore et impose un nouveau rapproche-
ment. Postérieure des trois quarts d'une année à la première représen-
tation do Guillaume Tell, elle précède de moins de trois mois un événe-
ment historique qui eut un contre-coup important sur la situation per-
sonnelle de Rossini : la Révolution de juillet. Voici de quelle façon Fétis
rapporte ce qu'était alors cette situation et ce qu'elle devint par la suite
des circonstances. Précisément, le premier nom inscrit dans la cita-
tion est celui du même personnage administratif à qui la lettre ci-dessus
était adressée.
La place de directeur du Théâtre-Italien qu'on avait donnée à Rossini lors-
qu'il arriva à Paris ne convenait point à sa paresse. M. de La Rochefoucauld,
malgré ses préventions pour lui, finit par comprendre qu'un homme de ce
caractère était le moins capable de conduire une administration et, de concert
avec lui, il le nomma intendant général de la musique du roi et inspecteur
général du chant en France; sinécures qui ne lui imposaient d'autre obligation
que celle de recevoir un traitement annuel de vingt mille francs et d'être pen-
sionné si, par des circonstances imprévues, ses fonctions venaient à cesser. Ces
arrangements, si favorables au compositeur, avaient pour but de l'obliger à
écrire pour l'Opéra, mais ils lui laissaient la propriété de ses ouvrages et ne
diminuaient nullement le produit qu'il devait en tirer. Si les choses fussent
demeurées en cet état. Rossini aurait fait succéder à Guillaume Tell cinq ou six
opéras. Mais la révolution, qui précipita du trône Charles X et sa dynastie au
mois de juillet 1830. rompit les liens qui attachaient l'artiste au monarque et
le rendit à sa paresse en le privant de tout traitement. Dés lors une discussion
s'éleva pour la pension de six mille francs réclamée par Rossini. La révolution
de juillet, disait-il. était le moins prévu des événements qui devaient faire cesser
ses fonciions : il demandait donc le dédommagement stipulé pour ce cas. De
leur coté, les commissaires de la liquidation de la liste civile prétendaient assi-
miler son sort à celui des autres serviteurs de l'ancien roi qui, privés de leurs
emplois, avaient perdu tous leurs droits; mais le malin artiste avait obtenu,
comme un titre d'honneur, que l'acte de ses engagements avec la cour fùtsigné
par le roi lui-même et, par là. avait rendu personnelles les obligations de
Charles X envers lui : cette habile manœuvre lui valut le gain de son procès.
« Pendant les cinq ou six années que durèrent les contestations à ce
sujet, poursuit Fétis, Rossini avait continué de résider à Paris. » Il y était
revenu en effet en septembre 1830 (la Revue Musicale de ce mois annon-
çait que, le 12, Rossini était arrivé au château de Petitbourg, chez
M. Aguado). Il avait laissé à Bologne, sous la garde de son père, sa
femme, la cantatrice Isabella Colbran (il en est fait mention dans la
lettre du 4 mai) et cette séparation, qui semblait d'abord n'être que mo-
mentanée, prit bientôt le caractère d'un abandon définitif. Et ce furent
encore, à cette même époque de sa vie, des préoccupations nouvelles.
Une série de lettres du père, publiées il y a quelques années, nous
renseigne abondamment sur cette situation et donne sur les incidents
qu'elle causa des détails parfois comiques. M. Romain Rolland a résumé
naguère cette correspondance en ces lignes, dont la fidélité n'exclut pas
l'humour :
Il ne s'occupait plus de rien ; il ne revenait pas à Bologne et n'écrivait
presque jamais. Son père et sa femme le suppliaient en vain de donner de ses
nouvelles. Mais le plus paresseux des artistes restait plusieurs mois sans écrire,
et, quand il écrivait, i! parlait d'autre chose. Pour se débarrasser des éternelles
demandes d'argent de sa femme, il décida de lui faire servir régulièrement par
son père une rente mensuelle de cent écus. La situation n'en devint que pire.
La femme, exaspérée de l'abandon de son mari et mourant d'ennui, se mit à
faire de grandes dépenses et à jouer. Les créanciers vinrent harceler le père
qui voulut faire la leçon à sa bru. Celle-ci qui, autrefois, comme chanteuse à
Naples. gagnait jusqu'à cent mille lire par arj, s'indigna qu'on voulût la mettre
à la ration et fit répandre le bruit par ses nombreux adorateurs qu'elle avait
apporté soixante mille écus de dot à Rossini et qu'il la laissait manquer du
nécessaire. Le vieux Rossini s'arrachait les cheveux, se lamentait, bataillait,
suppliait son fils de venir à Bologne pour arranger les choses, pour veiller sur
son honneur, sur l'honneur de sa maison. Mais l'étonnant Juachim restait
tranquille à Paris, indifférent et impassible, se gardant bien d'écrire et encore
moins de bouger. On eût dit qu'il ne s'agissait point de lui et il regardait de
loin, avec une ironie narquoise, la dispute de son père et de sa femme, comme
si cela ne le concernait en rien. Je ne crois pas qu'on ait nulle part ailleurs
de plus frappant et de plus comique exemple de la nonchalance égoïste de
Rossini que dans cette correspondance (1).
(1) Romain Rolland, Rossini, dans la Revue d'histoire et de critique musicales, sep-
tembre 1902. L'ouvrage où a paru la correspondance résumée est intitulé : Onoranze
Fioranline a Gioachino Ros-ini. . . Memorie publicate du Riccardo Gandolfi. Florence,
1902 (à l'occasion de l'inauguration à Santé Croce du monument de Rossini).
LE MENESTREL
L97
Cette mésintelligence des deux époux fut sanctionnée, en 1837, par
une séparation légale. Quelque indifférence apparente que Rossini en
ait témoignée, il est assez probable que cet autre souci, survenant en
même temps que les précédents, contribua à l'éloigner des idées de tra-
vail et d'art.
Sa santé, vers la même époque, fut atteinte assez gravement.
Enfin, c'est encore au cours de la même période que commença le
« Sabbat des Juifs ».
Il résulte de cet ensemble de faits que les raisons de Rossini pour
renoncer, à trente-sept ans, à poursuivre la carrière dans laquelle il
s'était avancé avec gloire lurent d'ordre multiple et que, si sa légendaire
paresse y fut pour quelque chose, elle eut pour complices des dégoûts
de nature diverse et nombreuse. Le principal, nous n'en doutons pas,
fut le mécontentement causé par la perte de ses places et sinécures en
1830. La France avait contracté des engagements avec lui ; elle ne les
tenait pas ; il se mettait donc en grève ! En Italie il avait déjà joué le
même jeu plusieurs années auparavant. La lettre qu'on vient de lire
prouve en tout cas que, quelques semaines avant que se produisissent
les événements qui l'interrompirent pour toujours, il était encore par-
faitement disposé à continuer son œuvre.
Julien Tiersot.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour les seuls abonnés a la musique)
Cet Adagio de M. Théodore Dubois est une véritable œuvre de maître. La phrase
mélodique initiale est d'un grand sentiment et d'une large envergure. Elle se
développe ensuite en des dessins et en des rythmes très intéressants, et qui pour-
raient paraitre compliqués au pointde vue de l'exécution, si le mouvement lent du
morceau et l'écriture toujours si claire du musicien ne les rendaient parfaitement
accessibles à tous les pianistes de quelque acquis.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Dans une des récentes séances de la Chambre des Députés, à Rome, un
membre, M. Faelli, a signalé la nécessité d'empêcher la ruine de la maison où
naquit Verdi à Busseto. C'est une modeste petite maison que le gouvernement
a déclaré monument national et qu'il abandonna ensuite à elle-même, si bien
qu'en ce moment elle court le risque de devenir une caserne pour les carabi-
niers royaux. M. Prava, ministre de l'Instruction publique, répond que les
dépenses pour l'entretien des monuments nationaux ne peuvent rester entière-
ment à la charge de l'État, mais que néanmoins il prendra note de l'observa-
tion.
— -Dans sa dernière séance, tenue à Rome, la Société italienne des auteurs a
discuté une proposition du conseil général relative à l'abolition de la censure
préventive pour les théâtres. L'assemblée a émis le vœu, à l'unanimité, que la
censure soit supprimée, en invitant le conseil de la Société à employer les
moyens les plus opportuns pour obtenir ce résultat.
— Un journal de Naples, la Riballa. annonce que M. Edoario Sonzogno, le
grand éditeur de Milan, vient de se rendre acquéreur d'un grand nombre
d'actions du théâtre San Carlo et devient ainsi le principal actionnaire de ce
théâtre, qui sera dirigé artistiquement par un homme de la confiance de
M. Sonzogno. Celui-ci n'aurait pas agi d'ailleurs exclusivement pour son
compte personnel, mais pour le compte du trust connu qui se serait emparé
déjà du Grand-Théâtre de Palerme et de la Fenice de Venise et qui se propo-
serait de faire de même pour le Costanzi de Rome.
— Au Théâtre -Mercadante, de Naples, première représentation d'un drame
lyrique en un acte, la Vedova, paroles de M. Menotti Buia, musique de
M. Pinna, joué par Mmis Lina Fleron et Carlotta Marini, MM. Abela,
Giuseppe Rossi. Conforti et Marino. Encore du vérisme, encore du noir, une
mort et un suicide. Les librettistes italiens ne savent donc plus faire autre
chose? L'œuvre, dont l'exécution était dirigée par le compositeur, parait cepen-
dant avoir été favorablement accueillie.
— Au Théâtre-Social de Bellune, apparition d'une opérette intitulée Madré
miu, écrite par le maestro Domenico Montico spécialement pour une troupe
enfantine, sur un livret inspiré par un conte bien connu d'Edmondo De
Amicis. — Et au théâtre Alighieri de Ravenne, exécution d'un poème sym-
phonique, Gianfre Rudel, du compositeur Adolfo Gandino,
— Plusieurs opéras nouveaux semblent devoir naitre aux feux de la rampe
sur les théâtres italiens, au cours de la prochaine saison : au Regio de Turin,
HMera, de M. Italo Montemezzi ; au Carlo-Felice de Gènes, il Principe Zilah.
de M. Frank Alfano; à Lucques, Nora, de M. Luporini, sans compter les
autres.
— Il vient de paraitre en Italie, sous la signature du professeur Giuseppe
Lisio, un opuscule intéressant consacré à la superbe série de lettres auto-
graphes provenant de la célèbre maison d'édition musicale de Francesco Lucca,
qui durant un demi-siècle fut l'une des plus importantes de l'Italie et se trouva
mêlée à tous les événements artistiques de ce pays. On comprend l'intérêt que
peut offrir, pour l'histoire de l'art lyrique au dix-neuvième siècle, un tel
ensemble de correspondance, qui fait passer sous les yeux le nom et la signa-
ture de tant de personnages activement mêlés au mouvement artistique de
l'époque : compositeurs illustres ou obscurs, chanteurs célèbres, virtuoses
fameux, chefs d'orchestre, librettistes, journalistes, critiques, qui avaient des
rapports d'affaires, de profession ou d'amitié avec le chef d'une entreprise si
importante, dont les commencements remontent aux premiers triomphes de
Bellini et de Donizetti pour se prolonger jusqu'à l'introduction des œuvres île
Wagner en Italie, due à l'énergie et à l'opiniâtreté de Francesco Lie
n'était pas. d'ailleurs, un homme ordinaire, et sa fortune ne l'ut pus lue au
hasard. Musicien très modeste, né à Crémone en 1802, il était simple seconde
clarinette à l'orchestre de la Scala de Milan lorsqu'il entra comme graveur, à
raison d'un franc par jour, chez le fameux éditeur Giovanni Riconli, l'ami de
Rossini. Il était alors âgé de vingt ans et non sans ambition. Après avoir
amassé péniblement un petit pécule de 6i0 francs, il eut le courage de s'en-
fermer chez lui pendant six mois, afin de graver, pour son propre compte,
toute une série de Méthodes et de Traités qui lui servirent de premier fonds
pour un commerce de musique qu'il voulait créer. Il s'établit bientôt, en effet,
lutta avec courage contre toutes les difficultés et finit par réussir, devenant
ainsi l'émule et l'heureux rifal de celui dont il avait été le très modeste
employé. Après plusieurs voyages en Allemagne, il s'assura la propriété pour
l'Italie des œuvres de Thalberg, de Chopin, de Schulhoff, de Czerny. puis se
mit aussi à publier des opéras de Donizetti, Mercadante, Pacini, Coppola, et
fut le premier éditeur de ceux de Petrella, Marchetti, Gomes, Usiglio, etc.,
jusqu'au jour où, à force de volonté, il fit pénétrer en Italie les œuvres de
Wagner. C'est aussi lui qui introduisit en ce pays un certain nombre d'ou-
vrages français, entre autres Faust. la Juive, l'Africaine. Lalla Roukh... Lorsqu'il
mourut, en 1872, le nombre de ses publications s'élevait à plus de 20.000. Sa
femme, Mmc Giovannina Lucca, qui l'avait puissamment secondé dans son
entreprise, continua elle-même activement les affaires de la maison jusqu'à sa
mon, arrivée il y a quelques années. Lucca. qui n'éait pas seulement un
commerçant habile, mais un homme de cœur, était adoré de ses ouvriers
qu'il traitait comme un père. Entre les nombreux amis qu'il s'était faits parmi
les compositeurs, il avait voué une all'ection fraternelle à Donizetti. C'est lui
qui fit don à la municipalité de Milan d'une statue de l'auteur i'Anna Bolena
et de Lucie de Lainmermoor, destinée à être placée dans le vestibule du théâtre
de la Scala.
— Les deux grandes associations chorales genevoises, la « Société de chant
sacré ■> et la «Société de chant du Conservatoire » ont porté leur choix, pour
la saison prochaine, sur deux œuvres aussi importantes que différentes : les
Béatitudes de C. Franck et le Paradis et la Péri de R. Schumann.
— De Lausanne on annonce que M. E.-R. Blanchet vient de donner sa
démission de directeur du Conservatoire de cette ville. M. Blanchet, qui est
un pianiste fort distingué, et qui n'avait accepté ces fonctions de directeur
qu'à son corps défendant, veut se consacrer désormais entièrement à son
instrument.
— D'autre part, un autre artiste fort distingué de Lausanne, M. Alexandre
Birnbaum, a donné sa démis sion de chef de l'Orchestre symphonique, ayant
contracté un engagement avec la direction de l'Opéra-Comique de Berlin.
— Tandis que, par les soins de M. Gailhard, la Juive a complètement dis-
paru du répertoire de l'Opéra depuis quinze ans (1893), on s'occupe, au théâtre
de la Monnaie de Bruxelles, de remonter le chef-d'œuvre d'Halévy dans des
conditions toutes nouvelles de mise en scène. A cet effet, on en refait complè-
tement les décors et les costumes, et les commandes nécessaires viennent d'être
faites pour tout ce matériel.
— On annonce que l'Opéra de Vieunefera représenter à titre de nouveautés
pendant la saison prochaine les œuvres suivantes : un opéra de Massenet et
un opéra d'Eugène d'Albert dont les titres ne sont pas indiqués; la Cabrera.
de M. Gabriel Dppont; le Chemineau, de M. Leroux : der Pfeifertag, de M. Max
Schillings; enfin l'Elisire d'amore de Donizetti, d'après la version de Félix
Mottl. De soncùlé, l'Opéra-Populaire jouera comme principaux ouvrages n'ap-
partenant pas encore au répertoire courant de ce théâtre: la Navarraise, Je
Massenet: Russalka, de Dvorak; André Chénier, de Giordano; Rij>-Rij>, de Plan-
quette, etc.
— Voici quelques renseignements sur la maison natale de Schubert, acquise
tout récemment par la ville de Vienne au prix de iOô.OÛO couronnes. Cette
maison de très modeste apparence et à un seul étage portait au temps de Schu-
bert cette enseigne : >< A l'Écrevisse rouge. ,> Une plaque en marbre rouge,
portant le numéro, avait été placée autrefois juste au-dessus de la petile porte,
et retirée en 1838, lorsque l'on fixa dans le mur l'inscription commémorative
qui subsiste encore. M. Rodolphe Wittmann vient d'en faire cadeau a la ville
de Vienne, qui était déjà en possession d'un grand nombre de souvenirs du
maître, et qui maintenant prend sous sa garde la maison où la fille d'un ser-
rurier du village de Zuckmantel, M",;' Elisabeth Vilz. devenue Mme Schubert,
mit au monde, le 31 janvier 1797, le petit « Franzl »,le futur auteur du Roi des
Aulnes. Il eut treize frères ou so?urs, dont cinq seulement vécurent. L'extérieur
198
LE MÉNESTREL
de la maison est humble et modeste, mais la cour et le jardin qui s'étendent
sur une colline à pente raide. sont pleins de poésie. Aucun étranger s'inté-
ressant à la musique n'oublie de venir visiter cette cour avec ses deux escaliers
en galerie et dejeter un coup d'œil sur le petit jardin. Toutle monde, à Vienne,
se réjouit de penser qu'à présent la maison natale de Schubert ne court plus
le danger d'être rasée et d'être remplacée par des bâtisses modernes.
— Voici, paraît-il, qu'à Vienne aussi- surgit un trust théâtral sur l'initiative
d'un éditeur berlinois, M. Slivinski. Ce trust engloberait, dit-on, le Raimundd-
tbeater, l'An der Wien et le Garltbeater.
— On assure que M. Conried, ancien directeur du Métropolitain de New-
York, en ce moment au repos dans une confortable villa qu'il possède auprès
de VieDne, s'occupe activement, pour charnier ses loisirs, de dicter ses
Mémoires. Ceux-ci pourront être curieux. M. Conried ayant appartenu à la
.vie théâtrale pendant trente-cinq années, dont trente passées en Amérique.
S'il nous fait connaître toutes les coutumes et s'il nous révèle tous les mystères
de ce milieu théâtral au delà de l'Atlantique, il n'aura pas perdu son temps.
— Les dates des représentations des œuvres de Mozart et de "Wagner, que
l'on entendra cette année au théâtre de la Résidence et au théâtre du Prince-
Bégent, pendant la période des fêtes à Munich, ont été fixées ainsi qu'il suit:
les Noces de Figaro, 1er et 6 Août: Don Juan, 3 et 8 Août; l'Enlèvement au sérail,
4 Août; Cosi fan tutle, 9 Août; les Maîtres Chanteurs, 11 et 24 Août; Tristan et
Isolde, 13 et 26 Août, 7 Septembre; Tannhàuser, 15 Août, -i Septembre; l'Or du
fihin, -11 et 28 Août, 9 Septembre; la Walkyrie, 18 et 29 Août, dO Septembre;
Siegfried. 20 et 31 Août, 12 Septembre ; le Crépuscule des Dieux, 22 Août. 2 et
14 Septembre. Le 23 Août aura lieu un concert wagnérien sous la direction
deM.Mottl; on jouera: Marche d'hommage dédiée au roi Louis IL de Bavière;
symphonie en ut majeur: cinq mélodies pour voix de femmes avec orchestre;
récit du Graal de Lohengrin dans sa forme originale, avec les parties qui ont
été coupées au théâtre : ouverture de Polonia.
— Sous la direction de M. Richard Strauss on a exécuté récemment à
Munich, au théâtre du Prince-Régent, une symphonie de M. Frédéric Ixlose,
intitulée IlsebilL L'orchestre était invisible. Certains assurent que cette œuvre
constitue « un monument de la musique allemande ».
— De Bayri'uth : Le programme définitif et la distribution des rôles des
Festspiele de cette année viennent d'être publiés. La direction de l'orchestre
appartiendra alternativement à MM. Hans Richter, K. Muck, M. Balling et
Siegfried Wagner. Ce dernier, secondé par Mme L. Reuss-Belce, de l'Opéra
de la Cour de Dresde, sera chargé également de toute la direction artistique
et de la mise en scène. M. K. Muller. successeur du professeur Kniese, à
Bayreuth, aura la haute direction musicale et M. le professeur Rudel, de
Berlin, celle des chœurs. Les principaux rôles ont été distribués comme suit :
1. L'Or du Rhin : "Wotan, M. Soomer de Leipzig; Loge, M. Briesemeister, de Ber-
lin; Albérich, M. Dawison, de Hambourg; Mime, M. Hans Breuer, de Vienne;
Fricka, M"' Louise Eeuss-Belce, de Dresde; Freia, M"' Ruscbe, de Hanovre; Floss-
hilde, M"" von Kraus-Osborne, de Munich.
2. La Walkyrie: Siegmund, M. von Bary, de Dresde; Hunding, M. Atlen
C. Hinckley, de Hambourg; Sieglinde, il"- Fleischer-Edel, de Hambourg, et
M"" Leliler-Burckard, de Wiesbaden; Brunhilde, M™" Gulbranson, de Christiania.
Z.Siegfried : Siegfried, M. Aloïs Burgstaller, de Holzkirchen; Fafner, M. Karl
Braun, de Wiesbaden; les autres rôles comme ci-dessus.
4. Le Crépuscule des Dieux : Siegfried, M. Burgstaller; Gunther, MM. Berger, de
Hagen, et Mayr, de Vienne; Waltraute, M™" von Krauss-Osborne et Fleischer-Edel.
5. Parsifal : Parsifal, MM. Burrian, de Dresde, et M. A. Hadwiger; Kundry,
M-1* Leffler-Burckard et E. Walker, de Hambourg; Gurnemanz, MM. Hinckley et
von Krauss, de Munich; Klingsor, MM. Berger, Sehutzendorf et Soomer.
6. Lohengrin : Lohengrin, MM. von Bary et Charles Dalmorès, de New-York; Eisa,
M— Fleischsr-Edel ; Ortrud, M™" Gulbranson et Walker.
Les dates des représentations sont fixées comme suit : Parsifal sera joué le
23 juillet, les 1e1', 4, 7, 8. 11 et 20 août; Lohengrin, les 22 et 31 juillet, o, 12
et 19 août; l'Anneau du Nibelung, les 25, 26, 27 et 28 juillet, 14, 13, 16 et
17 août. Les chœurs se composeront de 119 et l'orchestre de 126 membres.
— Motif, thème, mélodie. Au mois d'octobre dernier, nous avons parlé
d'un procès alors pendant devant le tribunal de Leipzig. Nous rappelons
brièvement les faits. M. Henri-G. Noren avait composé et fait exécuter une
œuvre intitulée Kaléidoscope, variations et double fugue. La dixième et der-
nière variation, portant pour dédicace « A un contemporain célèbre », ren-
ferme deux motifs, dits du « Héros » et de « l'Antagoniste du héros », qui ont
été empruntés au poème syaiph.oniq.ie la Vie d'un héros, de M. Richard
Strauss. L'auteur de ces motifs ne jugea pas que ce petit larcin pût porter
préjudice à sa gloire; il félicita même son confrère du succès qu'avait obtenu
l'ouvrage en question. Mais l'éditeur, que l'on n'avait pas songé à consulter
dans cette affaire, se jugeant lésé dans ses droits, porta plainte devant les
juges, se basant sur l'article 13 de la loi du 19 juin 1901, ainsi conçu :
«... Pour les œuvres musicales, toute utilisation en est interdite lorsque, dans
cette utilisation, figure une mélodie reconnaissable qui leur est empruntée et
qui devient la basa d'une œuvre nouvelle ». Ainsi que nous l'avons fait
remarquer, on admet généralement que cet article interdit la publication de
variations, pots-pourris, fantaisies... sur des mélodies empruntées à l'œuvre
protégée par la loi, mais qu'il ne s'oppose point à ce qu'un thème ou même
une mélodie figurent « à titre de citation » dans une parodie ou une satire
musicale, parce que, dans ce cas, dit un commentateur, l'intention reste pure-
ment humoristique. Dans l'espèce sur laquelle vient de se prononcer le tribu-
nal de Dresde, l;s juges ont distingué entre le mot mélodie, employé par la
loi et les mots motif et thème, qui n'ont pas exactement la même signification
technique. Voici en abrégé ce que dit le jugement : «. Au point de vue de la
théorie de la composition musicale, ni le thème principal, ni le thème con-
trastant de la Vie d'un héros ne sont des mélodies; quant au thème contras-
tant, il a été écrit volontairement de telle sorte que l'on peut le considérer
comme la dérision même d'une mélodie. Maintenant, puisque la mélodie cons-
titue toujours le côté attrayant et populaire d'une composition, c'est à la
mélodie seule que s'applique la protection accordée par la loi sur les droits
d'auteur contre toute usurpation non justifiée. Par suite, l'emploi de motifs et
de thèmes, pris dans des compositions déjà publiées, est permis librement
pourvu que la mise en œuvre en soit artistique et qu'il puisse en résulter une
composition nouvelle. » L'opinion du tribunal est ainsi exprimée d'une façon
suffisamment claire, mais, dans la pratique, la distinction entre une mélodie
et un thème ou motif pourra être difficile à établir parfois; cela deviendra
une question d'appréciation. Dans la Symphonie en ut mineur de Beethoven
par exemple, il est évident que les quatre notes rythmiques du début sont un
simple motif, tandis que la première phrase de l'andante est incontestable-
ment une mélodie. Rien n'est plus facile que de se prononcer ici, mais la
question ne sera plus aussi simple si l'on se trouve en face d'une œuvre
wagnérienne, et s'il s'agit d'un ouvrage de M. Strauss, la mélodie véritable,
la mélodie chantante, sera presque toujours bien vague et bien effacée. Quoi
qu'il en soit, M. G. Noren a obtenu gain de cause et pourra continuer à pro-
duire au concert son Kaléidoscope.
— Dans quelques cercles influents de Christiania et dans la presse de cette
ville a été mise en avant l'idée d'aménager en Musée-Ibsen la maison
qu'habita longtemps le grand dramaturge norvégien dans la capitale du
Danemark. On réunirait dans ce local des souvenirs, des autographes et autres
objets intéressant l'art dramatique ou simplement la piété des admirateurs.
La veuve d'Ibsen se montre, dit-on, favorable au projet.
— Un écrivain espagnol, M. Cecilio de Roda, critique musical du journal
la Epura de Madrid, vient de publier sous ce titre : 'Las Sonatas de piano de
Beethoven, notes pour l'audition donnée à la Société philharmonique Madrilène,
un livre qui n'est autre que le recueil des analyses données par lui sur les
programmes des concerts dans lesquels, au mois d'Avril 1907, M. Risler fit
entendre à la Société philharmonique de Madrid la série entière des sonates
de l'illustre maître. Ce volume n'est point mis dans le commerce; il a été j
formé seulement pour complaire aux membres.de la Société philharmonique,
qui désiraient conserver ces « notes » en souvenir des auditions et du succès
de M. Risler.
— A Saragosse, première représentation et grand succès de Zaragosa, opéra
nouveau dû à la collaboration du célèbre écrivain Perez Galdos pour les
paroles et du maestro Lapuerta pour la musique.
— De Lisbonne : Dans la salle du Conservatoire royal, brillant concert
donné par la « Schola Cantorum », sous la direction de M. Alberto Sarti.
Très joli succès pour une scène biblique, A Moabita, paroles de M. Alfredo
Pinto, musique du jeune maestro Thomaz de Lima, et pour les interprètes :
Mlk's Laura Madeira (Noémie), Irène Guedes Annorim (Ruth), Esther Mon-
teiro Torres (Orpha) et M. Léon Jamet iBooz). M. Thomas de Lima a achevé,
également sur un livret de M. Pinto, Ahandonada ! dont le sujet a été emprunté
à François Coppée. un opéra en d acte et 2 tableaux, qui sera prochainement
représenté au théâtre Sau-Carlos de notre ville.
— On se rappelle l'incendie qui détruisit récemment le Théàtre-Saint-.Tean à
Oporto, l'un des plus importants du Portugal. Un groupe d'habitants de cette
ville vient de se faire l'initiateur d'une Société qui se propose pour objet la
construction et. l'exploitation d'un nouveau et magnifique théâtre d'Opéra. Les
plans sont prêts et les travaux vont commencer, de façon que le nouvel édifice
puisse être inauguré dans les derniers mois de l'année 1909. Cette inaugura-
tion se ferait avec une grande saison d'opéra italien.
— Un des récitals les plus réussis de la dernière saison musicale de Londres
a été celui de Miss Susan Strong au Bechstein Hall. Il comprenait trois
parties. La première a été consacrée à de vieux chants des XVIe et XVIIe siè-
cles ; la deuxième à des mélodies de M. Korbay; la troisième au délicieux
lied de Liszt « Freudvoll und leidvoll », à deux autres pièces vocales, le
Fleuve endormi, de Tschaïkowsky. et Psyché de Paladilhe, enfin à l'air célèbre
d' Bèrodiad-t, Il est doux, il est bon, qui a été acclamé frénétiquement par toute
l'assistance.
' — Au concours ouvert par la maison Ricordi, de Milan, pour la composi-
tion d'un opéra anglais, le prix (500 livres sterling, soit 12.500 francs) fut rem-
porté, on se le rappelle, par M. Edward Woodall Naylor, pour un opéra
intitulé the Angélus, écrit sur un livret de M. Wilfrid Thornely. Un journal
étranger nous apporte des détails intéressants sur l'auteur de cet ouvrage.
M. Woodall Naylor, né à Scarborough le 9 Février 1867, fut d'abord élève de
son père pour le piano, l'orgue et la composition. En 188i il entra à l'Em-
manuel Collège de Cambridge, d'où il sortit en 1S88 pour aller prendre, à
l'église Saint-Michel de Londres, la succession de sir Arthur Sullivan comme
organiste. En même tmipsil devenait élève du Collège royal de musique, et
faisait exécuter en 1892, dans un des concerts du Collège, une cantate écrite sur
une poésie de Tennyson, Merlin and the Gleam. Un peu plus tard il était
nommé professeur d'esthétique musicale à l'Emmanuel Collège de Cambridge,
et son cours eut assez de succès pour qu'il publiât les différents recueils de
ses leçons : Shakespare et la musique, Browning et la musique, Heinrirh Sc/râfej
LE MENESTItEL
199
le Romantisme iluns la, musique moderne, etc. Comme compositeur, M. Woodall
Navlor s'est fait connaître surtout dans le genre religieux, entre autres par un
Te Deum écrit pour la cathédrale de Saint-Paul, et aussi par un grand
nombre de romances que l'on dit charmantes. Son opéra couronne, t'Angelu»,
sera représenté au théâtre Cuvent Garden, dans la prochaine saison d'opéra
anglais.
— L'audition d'oeuvres musicales ayant pour auteurs des monarques, des
princes et des princesses, dont nous avons parlé récemment, a eu lieu à
Londres le 10 juin dernier. Miss Alys Lorraine a fait entendre successivement :
trois mélodies attribuées au roi d'Angleterre : Henry VIII (1491-1547) et une
du roi Charles Ier (1600-1619) ; une cavatine du roi Antoine de Saxe, mort
en 1S36 ; Charmante Gabrielle, de Henri IV; C'est mon ami, de Marie-Antoinette,
et Fuite, de la princesse Louise de Saxe ; deux airs du duc Ernest II de Saxe-
Cobourg Gotha ; enfin le Chant à A'gir de l'empereur d'Allemagne Guillaume II.
Rien de tout cela n'a paru vraiment remarquable.
— Un buste de Joseph Haydn a été inauguré le 6 juin dernier dans le parc
de Fairmont, à Philadelphie. Toutes les autorités de la ville, le personnel du
paquebot s Bremen » qui se trouvait dans le port, et le consul allemand ont
assisté à la cérémonie. Un choeur de mille chanteurs a fait entendre plusieurs
ouvrages du maître.
— Les journaux nous apportent des nouvelles concernant les deux grandes
entreprises lyriques rivales de New-York, le Manhattan-Theatre et le Métro-
poli tan-Opo-ra. M. Hammerstehi, directeur du Manhattan, fait tous ses efforts
pour lutter avec succès contre M. Gatti-Casazza, à qui sont confiées les desti-
nées artistiques du Metropolitan. Sa saison était à peine terminée qu'il s'em-
barquait pour l'Europe et se rendait à Paris et à Londres pour s'occuper de la
formation de sa troupe. A Londres, il fit un coup de maître, non seulement
en engageant la Melba et la Tetrazzini, qui ont là-bas une influence immense
sur le public, mais en obtenant qu'elles consentissent à paraîtra ensemble
dans un même opéra, qui sera probablement les Huguenots. M"10 Tetrazzini fera
une saison de vingt semaines; Mme Melba arrivera à New-York en janvier,
pour y rester jusqu'à la fin de la campagne. Comme nouveautés, M. Hammers-
tein compte donner le Jongleur de Notre-Dame, Grisélidis et Cendrillon, de
Massenet; Princesse d'auberge de Jan Blockx. Monna Vanna de Février et
Sabine de Richard Strauss, tout en remontant Thaïs, Louise et Pelléas et Méli-
sunde, qui furent les trois grands succès de la saison dernière, laquelle, on le
voit, sera surtout consacrée à l'école française. — De son coté, M. Gatti-Ca-
sazza s'occupe de la troupe du Métropolitain, tantôt à Paris, tantôt à Milan, ce
qui ne l'empêche pas de donner aux journalistes des interviews dans lesquelles
il n'hésite pas à faire la critique du public italien : — « Un jour, dit-il à l'un
d'eux, ce public montre une prédilection folle pour la Gioeonda de Ponchielli.
et le lendemain il accueille avec une froideur glaciale une œuvre comme la
Louise de Charpentier ! Et puis, le public italien prétend entendre chaque jour
des œuvres nouvelles. Mais où trouver tant d'oeuvres pour pouvoir satisfaire
cette soif insatiable de nouveautés ? Nos maestri contemporains ne sont pas
aussi féconds que l'étaient jadis Rossini, Donizetti et Verdi. Nous devons donc
nous aider avec des productions de compositeurs étrangers, même si les
créations de ceux-ci ne nous sont pas toujours sympathiques. En somme, avec
ce public, la saison théâtrale d'une entreprise peut être aujourd'hui propice,
et demain désastreuse. Il est impossible de la prévoir avec certitude; c'est
absolument une loterie. Et pourtant, malgré tout, il est encore possible en
Italie d'aimer l'art pour l'art, d'aspirer à un idéal sublime, et d'oublier quel-
quefois les chiffres, les calculs et la prose des affaires... ».
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Voici les dates des prochains concours publics du Conservatoire :
Jeudi 2, juillet, à midi et demi : chant ihommes).
Vendredi 3, à midi et demi : chant (femmes).
Samedi 4, à 9 heures : contrebasse, alto, violoncelle.
Lundi 6, à midi : piano (femmes).
Mardi 7, à midi et demi : opéra-comique.
Mercredi 8, à midi : violon.
Jeudi 9, à 9 heures : harpes, piano (hommes).
Vendredi 10, à 9 heures : tragédie-comédie.
Samedi 11, à midi et demi : opéra.
Jeudi 16, à midi : flûte, hautbois, clarinette, basson.
Vendredi i7, à midi : cor, cornet à pistons, trompette, trombone.
Et voici quels sont les morceaux choisis pour ces concours :
Violon : Concerto (op. 53) de Dvorak ;
Alto : Concertstuck de M. Georges Rnesco ;
"Violoncelle : Concerto de Schumann ;
Piano (hommes) : 4« Ballade de Chopin ;
Piano ifemmes) : 2" sonate de M. Saint-Saëns ;
Harpe à pédales : Fantaisie de M. Cesare Galeotti ;
Harpe chromatique : Fantaisie-Ballade de Georges Pfeilfer.
— M"'» Sarah Bernbardt a donné sa démission de professeur au Conserva-
toire. Il y a près d'un mois que la grande artiste, qui est en ce moment en
tournée en Ecosse, avait adressé de Bruxelles à M. Gabriel Fauré la lettre
par laquelle elle renonçait, à la veille des concours, à la classe de déclamation
où elle avait été placée, il y a environ dix huit mois, à la suite du décès du
pauvre Laugier. Et le directeur du Conservatoire, d'accord avec le minisire
des beaux-arts, avait immédiatement désigné M. Leitner, sociétaire de la
Comédie-Française, pour la remplacer, en attendant que le conseil supérieur
eut statué sur le choix du nouveau titulaire.
— Voici les résultats du concours d'harmonie (hommes i qui a été jugé
lundi au Conservatoire :
/•■•prix. — M. Gallon, élève de M. A. Lavignac; M- Paray, élève de M. \. Leroux.
f prix. — M. Riehepin (Tiarko) , élève do M. X. Leroux; M. Stermann, élève de
M. Lavignac.
I" accessit. — M. Grandjany, élève de M. I Hidou.
2" accessit. — M. Bigot, élève de M. X. Leroux; M. Becker, élève de M. :.■■ .
Le jury était composé de MM. Gabriel Fauré. président, Cb. Lenepveu,
A. Chapuis, Piffaretti, Alfrod Bachelet, Max d'Ollone, Florent Schmitt,
Marc-Samuel Rousseau, Roger Ducasse, J. Morpain, Luuis Aubert, membres;
M. F. Bourgeal, secrétaire.
La basse et le chant donnés pour l'épreuve du concours étaient de
ges Marty.
— Le célèbre chanteur russe Chaliapine, si remarquable dans Boris Goiou-
non; vient d'être nommé chevalier de la Légion d'honneur par le ministre des
affaires étrangères.
— A l'Opéra, l'apparition de M11" Mary Garden dans Faust a été pour l'ori-
ginale artiste un véritable triomphe. Jamais elle ne manifesta mieux ses
qualités de charme et même sa puissance dramatique. Et quel bel ensemble
autour d'elle ! Moratore dans Faust et Gresse dans Méphistophélès. La délicieuse
Mllc Martyl chantait Siebel. — Et voici que M. Renaud est obligé, sur le
conseil formel de son médecin, de prendre quelque repos, ce qui met la
direction dans l'obligation de reporter au mois de septembre la belle reprise
d'Humlet, qui déj i était presque au point. On reprendra, en attendant, Roméo
et Juliette avec Mlle Garden et M. Muratore.
— On s'est occupé, cette semaine, à l'Opéra-Comique, de la Solange, de
M. Gaston Salvayre, qui semble devoir être la première nouveauté que mon-
tera M. Albert Carré au commencement de la prochaine saison théâtrale.
— Spectacles de dimanche à l'Opéra-Comique : en matinée, Pelléas et
Mélisande. Le soir, J^akmé et Gavalleria rusticana. — Lundi, en représentation
populaire à prix réduits : la Basoche.
— L'Assemblée générale annuelle de la Société des compositeurs de musique
aura lieu le lundi 22 juin, à 9 heures précises du soir, au siège de la société,
rue Rochechouart. 22. — Ordre du jour : 1° Lecture du rapport annuel, par
M. Arthur Pougin, secrétaire-rapporteur; 2° Allocution du président; '■''• Rap-
port du Trésorier; i° Élection de dix membres du comité pour trois ans, en
remplacement de MM. Emmanuel, Ganaye, Gedalge, Pierre Kunc. Letocart,
Quef. Rougnon, Marcel Rousseau, Tournemire, "Wiernsberger, membres sor-
tants rééligibles: 5° Nomination de la commission des concerts.
— Voici la liste des recettes brutes, réalisées en 1907 par nos grands con-
certs :
Concerts du Conservatoire. . . . 145.203 francs.
Concerts-Colonne 230. 240 —
Concerts-Lamoureux 196.250 —
— Pour leur dernière matinée — qui sera donnée jeudi prochain 23 juin,
au Trocadéro — les Trente Ans de théâtre offriront, à leur public, cinq
numéros hors de pair. Qu'on en juge :
1° Le 2« acte de Grisélidis, avec M"' Bartet, qui reprendra, à cette occasion, le rùle
de Grisélidis où elle fut admirable. Elle aura pour partenaires MM. Leloir et Leitner,
M"" Dussane et Bovy;
2» Le 2" tableau de Parsifal, chanté par M™" Félia Litvinne et M. Le Lubez (au
piano, M. Niederhoffein' ;
3° Les Deux Pigeons, le délicieux ballet de M. André Messager. M"" Zambelli y sera
entourée de K'u Aida Boni, M"" Meunier, G. Couat, Barbier, Billon, Johnson, Urban,
deMoreira, Lozeron, B. Mante, et du corps de ballet de l'Opéra. Orchestre dirigé par
M. Paul Vidal;
4" Fragments du Don Juan de Mozart (M. Delmas chantera don Juan; M. Fdgère,
Leporello; M"' Mastio, Zerline) ;
5" Chansons de Paulus, par Max Dearly.
Le Comité des Trente Ans de théâtre a, dans sa séance d'hier matin, voté
d'unanimes remerciements aux artistes qui prennent part à cette fête et aux
directeurs, MM. Jules Claretie, Messager, Broussan et Albert Carré, grâce à
l'obligeance desquels ces cinq numéros peuvent être offerts au public sous
forme de premières représentations.
— A peine de retour de son grand voyage d'Amérique, M. Paderewsky
vient de partir pour Varsovie, où il passera quelques jours seulement pour
prendre contact avec les différents membres de la direction du Conservatoire.
On sait, en effet, que les fonctions de directeur auxquelles le grand pianiste
vient d'être appelé sont presque exclusivement honorifiques et ne l'obligeront
qu'à un très court séjour annuel à Varsovie.
— La date de naissance de Chopin. Nous lisons dans les « Signale » de
Berlin : « Chopin est, comme on le sait, enterré au cimetière duPère-Lachaise,
à Paris. Le Comité-Chopin, de Varsovie, a résolu de faire transporter dans
cette ville les restes mortels du grand compositeur. Ainsi disparaîtrait l'indi-
cation erronée qui a été inscrite sur la tombe et d'après laquelle Chopin serait
né en 1810 ; il est né en l'année 1809 ». C'est précis et tout à fait catégoriqne.
Malheureusement, le journal allemand ne nous dit pas à quelle source il a
puisé ses renseignements pour pouvoir se prononcer d'une façon aussi absolue.
D'autre part, le lexique de Riemann, dans son édition de 1903, rectifie les
dates des édifions précédentes et donne celle du 22 février 1810. De même,
la dernière édition de l'Histoire illustrée de la musique, par Emile Naumann,
'dont la publication est terminée depuis deux mois à peine, rectifie également
200
LE MÉNESTREL
ce quiavaitété dit dans l'édition précédente et porte textuellement, page S69 :
« Frédéric Chopin, qui n'est pas né en 1809, comme on le croit généralement,
mais le 22 février 1S10, à Varsovie, etc. » Le reste de la phrase importe peu ;
on voit seulement que la date de 1809 parait abandonnée en Allemagne. En
France, le monument du Luxembourg, par G. Dubois, porte la même date que
le tombeau du Père-Lachaise : 1810. Ajoutons que si les restes de Chopin
devaient être transportés hors du cimetière où ils reposent depuis 1S49,' on
ferait vraisemb'ablement pour le maître polonais ce que l'on a fait pour
Bellini et pour Rossini ; on laisserait subsister le monument et l'inscription
ne serait modifiée qu'après complète démonstration de sa fausseté. Il faut la
tenir pour bonne en attendant.
— Mlle Juliette Dantin est de retour à Paris après une tournée en Angle-
terre et en Hollande, où elle a remporté les plus grands succès en chantant
le Nil et la Nuit consolatrice de Xavier Leroux, qu'elle s'accompagne elle-
même sur le violon. Cette personnalité artistique double et simultanée est
une chose bien curieuse, encore inentendue. L'air de la folie à'Hamlet a valu
aussi à M'" Dantin de véritables ovations. Comme violoniste pure, elle a fait
entendre le beau concerto romantique de Benjamin Godard, le lamenlo
d'Ariane et la méditation de Thaïs. Avec le même programme elle va se pro-
duire à présent en Allemagne.
— Le deuxième concert de Mme Roger-Mie los n'a pas été moins réussi que
le premier. La brillante pianiste a excellé dans les Variations symphoniques de
Schumann, des pièces de Chopin, Henselt, Grieg, Meodelssobn et Liszt. Le
quatuor vocal Battaille (M"""3 Mary Garnicr, Olivier, MM. Drouville et L.-Ch.
Baltaille) a interprété à la même séance, avec un ensemble parfait et une rare
variété de nuances, des œuvres de Schumann, Bach, un charmant Hiver de
P. Locard et les Poèmes d'amour de Brahms.
— Une cantatrice d'un réel talent, à la voix souple et harmonieuse, à la
diction parfaite, miss Elyda Russell, a donné, salle Erard. un concert fort in-
téressant et qui lui valut grand succès. Elle a interprété nombre d'œuvres,
en six langues différentes, avec un égal bonheur. A citer les Citants populaires
français de Merikanto. le Premier Baiser de Sibelius, Nuit d'étoiles de Widor,
Je t'aime de Massenet, le Centenaire de G. Marty, les Perles de J. Jemain, les
Ailes et Essor de Diémer, des pièces de Haydn. Schumann et Richard Sirauss.
*- M. Lortat-Jaeob a fait apprécier son jeu délicat et nuancé, son excellente
technique, dans Réveil sous bois de son maître L. Diémer, la Polonaise et la
Rap'sodie de Liszt.
— A l'audition des élèves du cours de mise en scène de M. et Mme Jutes
Chevallier, à propos de laquelle nous avons déjà mentionné le grand succès
remporté par M,le F. Flameng, on a beaucoup applaudi dans le dernier acte
de Louise Mlle A. Lagarde et M. Corhumel auxquels s'était joint leur excellent
professeur M. Jules Chevallier. M°«« Laurent-Tailhade, Courtit, Colas.
M"e Breymard, MM. Lehl, Rémier dans des scènes de Manon et de Carmen.
Mlle Froment, experte comédienne dans la Traviala, MM. Balutu, Caillaux, etc.
— On écrit de Strasbourg : «.La représentation française de Phèdre, avec la
belle musique de Massenet, donnée à Rothmùhl, dans le théâtre de verdure que
les Strasbourgeois inauguraient dimanche au profit des colonies scolaires, a
provoqué un grand enthousiasme dans toute l'assistance. Le statthalter d'Alsace-
Lorraine, en tournée officielle, s'était fait représenter au spectacle. Commencée
à cinq heures dans un site unique dAlsace, la représentation se terminait à
sept heures et demie, au milieu des ovations. Mme Suzanne Després fut rap-
pelée un nombre incalculable de fois et, le soir, fut accompagnée à la gare
par une délégation réclamant son prochain retour. A ses côtés Mme Grunbach
(OEnone), M. Segond (Hippolyte) et M. Vierne (Thésée) étaient associés à son
succès.
— De Lille : Au quatrième concert d'abonnement, au Palais-Rameau, beau-
coup d'applaudissements mérités saluent M"? Palasara qui chante l'air, du
Cid, de Massenet, « Pleurez mes yeux », et le Nil, de Xavier Leroux, accom-
pagné par le violon de M. Seiglet. L'orchestre, sous la direction de M. Julien
Dupuis, joue très joliment l'ouverture du Roid'Ys, de Lalo, avec M. Plaquet
comme violoncelle solo, le Dernier Sommeil de la Vierge et la Marche héroïque de
Szabady de Massenet.
— Soirées et Concerts. — Très artistique matinée musicale chez M. et M"' Louis
Diémer, avec, en plus du maître ds la maison, M.»" Kutscherra, MM. David Devriès,
Lefort, Louis Hasselmans, Gaubert, comme interprètes remarquables d'œuvres de
Bach, Haendel, Schumann, Schubert, Weber, Fauré, Diémer et Saint-Saëns, qui a
accompagné des mélodies à M- Kutscherra' et joué à deux pianos avec M. Louis
Diémer. — Brillant concert donné, salle Berlioz, par M"° Lucy Vauthier. Grand
succès pour M"" Skeust, Godofc, Rablet, pour le chant, pour M"" Dumont, Dienne
et M. L. Folley. M11" Lucy Vauthier a été fêtée et comme professeur et comme com-
positeur dans plusieurs œuvres. - Chez Érard, très intéressante séance donnée par
M. G. Falkenberg pour l'audition, dans leurs morceaux d'examen, des élèves de sa
classe de piano du Conservatoire. Succès des plus vifs pour l'enseignement du remar-
quable professeur. — Salle Mustel, très jolie séance musicale donnée par M11' Made-
leine Creux qui fait applaudir plusieurs de ses élèves, notamment M"" S. G. (Souve-
nir de Vienne, Lack), M. B. (Valse arabesque, Lack), L. T. (Danse slave, Lack), L. T.,
M. H., S. H. et X. (Entr'aete Sevillana de Don César de Bdzan, Massenet). Comme
intermèdes, on fait grand succès à M-« Eva Roland dans Par le sentier de Dubois et
surtout à une charmante sélection de la Vierge, de Massenet. — A l'institut Rudv,
audition des élèves de M"' Jacquot, le distingué professeur de piano, avec le concours
de M. Michélon, violoniste, et de M. Voisin, chanteur humoristique. On a surtout
applaudi M11" G.Leroy et M. Blondet<airdeballetd'fle/m/i'«</e,Masseiiet), M. Dégrange
(Impromptu, Chopin), A. Aucomte (Sérénade à la lune, Pugno), H. Mercier (Valse,
Chopin), M. Hugot (Chasse, Mendelssohn), et la Baladine (Lysberg), à 8 mains.
M"' Jacquot a brillamment exécuté un concerto de Mendelssohn à 2 pianos avec
M,le Granville.
NÉCROLOGIE
De Milan on annonce la mort d'un artiste extrêmement distingué, le pia-
niste et compositeur Luca Fumagalli, l'un des derniers survivanls de toute
une famille de pianistes et organistes éméntes. Adolfo, Disma, Polibio. Carlo
Giulio et Amalio, ses frères et sœur. Né le 29 Mai 1837 à-Inzago, Luca Fuma-
galli fut élève, au Conservatoire de Milan, du fameux pianiste Antonio Ange-
lori. aux leçons duquel il fit honneur. Artiste sérieux, doué d'un véritable
idéal, dédaigneux des succès frivoles, il acquit de bonne heure un talent solide,
et fut un interprète brillant et inspiré de Beethoven, de Schumann, de Chopin
et de Mendelssohn. Dès 1860 il venait se produire avec beaucoup de succès à
Paris, comme virtuose et compositeur, puis se faisait connaître ensuite en An-
gleterre et en Amérique, faisant véritablement honneur à l'art de son pays. De
retour en Italie, il fut pendant plusieurs années le pianiste excellent de la Société
du quatuor de Milan. Il voulut aussi s'essayer au théâtre, et le 29 Mars 1875 il
donnait à la Pergola de Florence un drame lyrique intitulé Louis XI, qui fut
bien accueilli par la critique, mais qui laissa le public un peu froid. Il ne re-
nouvela pas cette tentative, ayant d'autre part de quoi se consoler. Depuis
quelques années son âge et l'état de sa santé l'avaient fait se retirer de la vie
militante. Néanmoins il s'occupait, lorsque la mort vint le suprendre, de ter-
miner une symphonie à grand orchestre. Luca Fumagalli était le père de
M. Mario Fumagalli, ex-baryton, qui se borne aujourd'hui à jouer la comédie.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Chemins de fer de l'Ouest. — Excursions de Paris et de Rouen au Havre
et vice versa par chemin de fer et bateau à vapeur. — L'une des plus charmantes
excursions qu'il soit possible de faire sans déplacement important est certai-
nement la descente de la Seine entre Rouen et Le Havre. Les rives verdoyantes
du fleuve et les admirables poinls de vue qui se déroulent aux yeux du voya-
geur en rendent le parcours des plus agréables. En vue de faciliter cette
excursion, la Compagnie de l'Ouest délivre jusqu'au 30 septembre 1908, de
Paris, de Rouen ou du Havre, des billets spéciaux d'aller et retour à prix
très réduits, qui permettent d'accomplir en bateau à vapeur le trajet de Rouen
au Havre, ou vice versa, et le reste du voyage en chemin de fer. Les prix de
ces billets sont ainsi fixés :
l" classe.
32 fr.
lre classe.
13 fr.
1° De Paris au Havre ou vice versa
ï<- classe. 3e classe. Durée de validité.
23 fr. 16 fr. 50. 5 jours.
2° De Rouen au Havre ou vice versa
2e classe.
9 fr.
3e classe.
7 fr. 50.
Durée de validité.
3 jours.
Viennent de paraître chez E. Fasquelle : Adrienne Lecouvreur, drame en 6 actes,
de Sarah Bernhardt {3 fr. 50 c); le Vaisseau des Caresses, de Jules Bois (3 fr. 50 a).
En vente AU MENESTREL, 2 bis, rue Vivienne, HEUGEL et C'», éditeurs.
PROPRIÉTÉ POUR TOUS PAYS
REYNALDO HAHN
CHR^SOfiS et JVIflD^IGflUX
A TROIS ET QUATRE VOIX
Avec accompagnement de piano ad libitum
sl. Un loyal Cœur (3 voix, S., T., et Bse) 1 »
2. Vivons, Mignarde! (4 voix, S., C, T. et B.) 1 50
3. Pleurez avec moi! (4 voix, S., C, T. et B.) 1 50
4. En vous disant adieu (4 voix, S., C, T. et B.) 1 50
5. Comment se peut-il faire? (3 voix, S., C. et T.) 1 »
6. Les Fourriers d'Été (4 voix, S., C. T. et B.) 150
— iiirnniERir <
4031. - 74e ANNÉE.-- N° 26. PARAIT TOUS LES SAMEDIS
Samedi 27 Juin 1908.
"I
(Les Bureaux, 2bls, rue Vivienne, Paris, u-arr')
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
lie fluméfo : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
Le flamépo : 0 îf. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (2àa article!, Julien Tiersot. — II. Une famille de
grands luthiers italiens : Les Guarnerius (1" article), Arthur Pougin. — III. Quelques
souvenirs sur le grand violoniste Rode, AnTHuri Pougin. — IV. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
DORS
nouvelle mélodie de René Lenormand, poésie de Fernand Gregh. — Suivra
immédiatement : Aubade, mélodie de la marquise de Negrone, poésie de Victor
Hugo.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
Tristesse et Sauterelles, nocturne et scherzo de la marquise de Negrone. — Sui-
vra immédiatement : Sur les coteaux, de F. Binet.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
CHAPITRE VI
GLUCK COMPOSITEUR DOPERAS-COMIQUES
Nous reviendrons sur plusieurs particularités du livret : exa-
minons maintenant celles que nous offre la partition.
Celle-ci parut (chez de La Chevardière) au plus tôt dans
l'année qui suivit la première représentation, car son titre spé-
cifie que l'ouvrage était représenté sur le théâtre de la Foire
Saint-Germain, ce qui n'eut lieu qu'en 17S7, les représen-
tations de 1756 ayant été données à la Foire Saint-Laurent. Au
. reste, il n'y est fait mention d'aucun nom d'auteur, poète ou
musicien : « Le Diable à quatre, opéra-comique », voilà tout ce
Ique nous annonce la gravure. Mais des mains empressées et
diverses ont pris soin d'inscrire sur certains exemplaires des
indications qu'elles pensèrent de nature à nous éclairer.
La Bibliothèque du Conservatoire possède trois exemplaires
complets de cette partition, plus un quatrième qui porte des
remaniements notables.
Sur le premier de ces exemplaires, au verso de la feuille de
garde, on lit, d'une écriture que j'ai reconnue pour celle d'un
des anciens bibliothécaires, Bottée de Toulmon :
« Dans le catalogue, on a mal à propos attribué cette musique
à Pergolèse, elle est de Beauran. Voy. pour preuve la pièce
portant le même nom à la collection des pièces de théâtre ; les
ariettes se trouvent à la fin, elles sont les mêmes que celles de
cette partition, et après la dernière M. Beauran est indiqué
comme étant l'auteur — B. T. »
Et, sur le titre même, la même main a inscrit bravement :
« Musique de Beauran ».
Sur le second exemplaire, on lit, d'une écriture plus ancienne,
à la suite des mots « Opéra-comique » :
« De Sedaine, mis en musique par A. D. Philidor ».
Sur le troisième, outre les mots : Au Roy, qui en sont le pre-
mier titre de propriété, il y a des traces regrettables de grattages,
des mélanges d'écritures anciennes et modernes, parmi les-
quelles on distingue, par deux fois, et de deux écritures diffé-
rentes, le nom de Beauran, et, au bas, d'une troisième écriture,
cette note au crayon : « Provisoirement classé à Philidor ».
Voilà déjà qui nous promet de bons moments pour la chicane !
Trois exemplaires, trois attributions : Pergolèse, Beauran, Philidor.
Si nous nous reportons au livret imprimé dans l'année qui
suivit la première représentation, nous y lisons, à la fin d'un
appendice musical où est noté le chant de sept morceaux, cette
indication précise, celle qu'a relevée Bottée de Toulmon :
« Les Ariettes sont de M. de Beauran. »
Il nous souvient qu'il y a déjà fort longtemps (près de vingt
ans, ma foi !) une discussion s'éleva entre deux écrivains, colla-
borant au même journal de musique, au sujet de la paternité
musicale de ce très vieil opéra-comique, question à laquelle la
date donne une importance assez particulière, puisqu'il s'agit
d'un ouvrage antérieur à la constitution définitive du genre. L'un
disait : « Le Diable à quatre est de Philidor. » L'autre ; « Il est
de de Beauran ». Et de fait, dans l'état des connaissances à cette
époque, il était assez difficile d'en sortir avec une complète
assurance.
L'attribution à Philidor est donnée par plusieurs écrits du
XVIIIe siècle concernant le théâtre : Annales dramatiques ou Dic-
tionnaire général des théâtres ; Dictionnaire portatif des théâtres de
Léris (1763) ; Anecdotes dramatiques de Laporte (1775) ; Dictionnaire
dramatique de Chamfort (1776) (1). Elle a été maintenue dans plu-
sieurs ouvrages modernes, comme le Dictionnaire des opéras, de
Félix Clément, VOpern Handbuch de Riemann, ainsi que dans des
biographies de Sedaine. Cependant des biographies de Philidor
(à commencer par la notice des Essais de La Borde) ne l'ont pas
admise, et Fétis, dans une note de l'article consacré à l'illustre
joueur d'échecs, y fait allusion, mais pour affirmer positivement
que « l'erreur est évidente ». Ii faut remarquer que, parmi
tous ces témoignages, il n'en est pas un seul qui ne soit posté-
rieur de plusieurs années à la première représentation du Diable
à quatre.
Le nom de Beauran, au contraire, est inscrit sur la première
édition de l'œuvre parue dans sa nouveauté.
(1) Je m'en rapporte pour ces détails aux indications données au cours de :a
discussion dont j'ai rappelé le souvenir. Mais je dois ajouter qu'ayant consulté
le dictionnaire de Léris et celui de Chamfort, je n'ai pas trouvé dans les articles
consacrés au Diable à quatre qu'il y fut fait aucune mention du nom de Philidor.
202
LE MÉNESTREL
Mais, a-t-on pu objecter, quel est donc ce de Beauran, musi-
cien dont on ne connaît pas une note, et auquel se trouve ainsi
généreusement prêtée la composition d'un de nos premiers opéras-
comiques ? Ce point fut heureusement élucidé tout d'abord par
l'observation que ce personnage ne pouvait être autre que
Baurans, l'adaptateur à la scène française de la Servante maltresse
et des autres intermèdes italiens. C'était donc un parolier, non
un musicien : pour cette raison, l'on crut pouvoir rejeter le
témoignage donné par le livret quant à sa coopération au Diable
àquatre, et l'on affirma que, si peut-être il avait fourni des vers,
la musique ne pouvait pas être d'un autre que de Philidor.
C'est là qu'était l'erreur. Il est aisé de la rendre évidente,
aujourd'hui que nous sommes mieux familiarisés avec les pra-
tiques d'une époque qui mériterait presque d'être qualifiée
« préhistorique », puisqu'elle est antérieure aux premières pro-
ductions reconnues officiellement pour avoir inauguré le genre.
La thèse que je soutenais, en- effet (car l'un des deux champions
de la discussion,
C'est moi-même, Messieurs, sans nulle vanité)
c'est qu'à cette époque de tâtonnements et d'obscurités, la com-
position des pièces du théâtre de la Foire ressemblait fort à
celle des chansons populaires, dont on ne sait jamais qui sont
les auteurs, et auxquelles chacun à sa fantaisie ajoute ou
retranche quelque trait, conformément au principe du vaude-
ville, créé par « le Français né malin », et qui, a dit justement
Boileau, « s'accroît en marchant ». Et certes je ne pensais pas
si bien dire, car ceux qui ont mis la main au Diable à quatre sont
en si grand nombre, et d'une telle diversité, que je me suis
trouvé, en définitive, avoir bien plus raison que je ne le pensais
tout d'abord !
Eh bien, non : la musique des ariettes notées à la fin du
livret et dans la partition du Diable à quatre n'est pas de Philidor ;
et si Baurans ne l'a pas composée, ce n'en est pas moins à lui
qu'elle est due, car il en fut l'adaptateur et l'introducteur.
Cette musique est empruntée à des intermèdes italiens, du
répertoire desquels, après avoir porté sur la scène française des
ouvrages entiers, notre auteur tirait maintenant des morceaux
pris de part et d'autre : ce sont ces morceaux qui, associés à
ses paroles, étaient les « ariettes de M. de Beauran », notées
pour le chant seul à la fin du livret, et avec leur accompagne-
ment instrumental dans la partition.
Nous avons, pour affirmer cette conclusion, plusieurs raisons
parfaitement péremptoires. D'abord ce qui vient d'être exposé
est parfaitement d'accord avec les pratiques habituelles de
Baurans et son rôle dans l'histoire. Si cela n'est qu'une hypo-
thèse, elle est confirmée expressément par un témoignage con-
temporain, celui d'un périodique plus digne de créance que la
plupart des publications fugitives qui donnèrent le nom de
Philidor : VAlmanach des spectacles ou Spectacles de Paris. Ce petit
livre (dont la publication est continuée aujourd'hui par notre
confrère Albert Soubies) avait coutume en effet de reproduire
chaque année les noms des œuvres du répertoire : à partir de
1762, il inscrit au « Catalogue des pièces qui se jouent commu-
nément sur le théâtre de l'Opéra-Comique » : Le Diable à quatre,
par M. Sedaine, avec des ariettes parodiées. L'Almanach continue à
reproduire annuellement la citation, dans les mêmes termes,
jusqu'en 1791, où il modifie l'attribution musicale ainsi qu'il suit :
« Remise avec une musique nouvelle » . En effet, une nouvelle
musique avait été composée en 1790 par Porta, — en attendant
que Solié en fit encore une autre, ce qui eut lieu en 1809.
Enfin, dans l'année qui suivit la première représentation,
YAlmanach était plus explicite encore : son compte rendu est
conçu en ces termes concis, mais positifs :
« Le Diable à quatre, comédie Angloise, accommodée à notre
théâtre et mêlée d'ariettes italiennes sur lesquelles M. Baurans
a mis des paroles françaises, a fait honneur à M. Sedaine qui
en est le principal auteur (1). »
(1) Spectacles de Paris, 1757, p. 102.
Voilà, par ces quelques lignes, le rôle de chacun parfaite-
ment défini, notamment celui de Baurans. Et, preuve dernière
et définitive, plusieurs des ariettes ont été identifiées et recon-
nues pour appartenir aux intermèdes italiens du genre de ceux
que les Bouffons avaient naguère représentés à Paris (1). L'on
comprend par là l'erreur de ceux qui avaient cru que cette
musique était de Pergolèse : prise au même répertoire,; elle
pouvait passer en effet, auprès de gens médiocrement informés,
comme ayant eu pour auteur le maître dont le nom semblait
en résumer le mouvement tout entier (2).
(A suivre.) Julien Tiersot.
UNE FAMILLE DE GRANDS LUTHIERS ITALIENS
LES GUARNERIUS
Les anciens artisans italiens de l'époque héroïque de la lutherie
formèrent presque tous des dynasties. Le plus illustre d'entre eux,
Antoine Stradivarius, eut deux fils, Francesco et Omobono, qui suivi-
rent, la même carrière, sans malheureusement posséder son génie. On
connaît cinq Amati (André, Antoine, Jérôme Ier, Nicolas et Jérôme II),
cinq Bergonzi (Charles Ier, Michel-Ange, Nicolas, Zozime et Charles II),
trois Guadagnini (Laurent, Jean-Baptiste et Joseph), puis encore
quatre Rugeri, trois Testore, quatre Grancino, etc. Enfin, la famille
dont je veux ici m'occuper, celle des Guarnerius, ne comprend pas
moins de cinq membres luthiers, dont l'un, dit del Gesù, égale presque
en talent et eu renommée son glorieux maître Stradivarius.
La plus ancienne de ces dynasties, celle à qui revient l'honneur
d'avoir fondé la grande école de lutherie de Crémone, est celle des
Amati, dont le chef, André, exerçait sa profession en cette ville dès le
milieu du XVIe siècle. On connaît de lui deux instruments, datés l'un
de 1346, l'autre de lool. Le talent très réel d'André Amati lui avait
valu une renommée telle qu'elle franchit les frontières de l'Italie et
parvint jusqu'en France. Si bien que Charles IX, qui, on le sait, était
aussi amateur de musique que de poésie, lui confia, dit-on, le soin de
lui construire toute une série d'instruments destinés au service de sa
(1) M. Wotquenne, dans son Catalogue des œuvres de Gluck, signale l'ouverture du
Diable à quatre comme étant celle du Fitosofo di campagna de Galuppi ; l'ariette
n° 1, parodiée d'après un air de Bertoldo in Corte de Ciampi ; le n" 3, d'un opéra-
comique de G-. Scarlatti ; le n° 7, de Ninette à la Cour, parodie de Favart, et le n° 10 i
du Chinois, autre parodie de Favart. Le fait que les autres morceaux n'ont pas pu
être identifiés ne me parait pas établir qu'ils sont originaux : dans l'amas de la pro-
duction italienne à cette époque, il est bien évident que le mieux informé ne peut
pas prétendre à tout connaître et reconnaître !
(2) A la discussion rétrospective à laquelle il est fait allusion ci-dessus avait cru
devoir prendre part un de nos confrères de province, aujourd'hui disparu, sans que
cette disparition ait paru causer un grand vide, car je ne l'ai vu signaler en son
temps à la nécrologie d'aucun de nos journaux de musique : Anatole Loquin, de
Bordeaux. Il avait pris parti pour l'opinion contraire à la mienne, sans en dire la raison,
et je crois fort qu'il n'en avait guère d'autre, si ce n'est qu'il désirait que j'eusse tort.
Mais il était homme consciencieux et honnête, — un peu naïf, je crois. J'en eus la
preuve en recevant un jour la lettre que voici :
Bordeaux, 26 octobre 1891.
Monsieur,
Je viens de faire une découverte étourdissante. J'ai trouvé ce matin la partition
manuscrite du Diable ci quatre, Musique de Baurans.
La vérité m'impose le devoir de vous informer tout aussitôt et de reconnaître
loyalement qu'en vous plaisantant dans Mélusine au sujet de cette attribution je
mettais les rieurs de l'avenir de votre coté. J'avais complètement tort, vous aviez
absolument raison.
Rien n'est beau que le vrai. Aussi je vous autorise à faire de cette lettre l'usage
que bon vous semblera.
Recevez je vous prie, Monsieur, l'assurance de mes salutations très empressées.
Anatole Loquin.
Je me conforme aux intentions du signataire en publiant sa lettre aujourd'hui
que l'occasion s'en présente, un peu tard il est vrai, mais il n'y avait pas d'urgence.
M'est-il permis de faire observer doucement que cette « découverte » qu'il faisait à
la fin de 1891, et dont il se déclarait « étourdi », était la même que j'avais commu-
niquée aux lecteurs du Ménestrel en 188S ? Elle n'avait alors compté pour rien dans
son esprit, et il fallut qu'il eut lui-même une occasion, évidemment fortuite, d'avoir
sous les yeux le même document, pour reconnaître qu'il existait en elfet, ce qui dès
lors fut hors de doute pour lui. Particularité réjouissante : c'était tout juste au
moment où je venais de reconnaître que la musique du Diable à quatre n'était pas
de Baurans que mon incrédule contradicteur venait, dans l'intention de me faire
amende honorable, m'allirmer qu'elle était de lui ! Et j'ai admiré par cet exemple
comment se forment les opinions humaines en général, et celles de la critique
musicale en particulier. )
LE MENESTREL
203
chambre. Fétis nous donne à ce sujet ces renseignements intéressants :
■ — « Ces instruments consistaient en vingt-quatre violons, dont douze
étaient de grand patron et douze plus petits, six violes et huit basses.
Cartier (le fameux violoniste), qui a vu deux de ces violons, affirme que
rien ne surpasse la perfection de leur travail. Ils étaient revêtus d'un
vernis à l'huile d'un ton doré, avec des reflets d'un brun rougeàtre.
Sur le dos de l'instrument on avait peint les armes de France, compo-
sées d'un cartel renfermant trois fleurs de lis sur un champ d'azur,
entourées d'un cordon de saint Michel et surmontées de la couronne
royale fleurdelisée et supportées par deux anges. Deux colonnes entou-
rées de liens en ruban blanc, avec cette devise : Justice et pitié, étaient
placées aux deux côtés des armoiries, et étaient aussi surmontées de
couronnes royales que portaient des anges ; la tête de ces instruments
était décorée d'une sorte d'arabesque "dorée, d'un goût fort élégant.
Cartier et M. de Boisgelou conjecturent que les violons de grand
patron étaient destinés à la musique de la chambre, et que les autres
servaient pour les bals des petits appartements de la cour. »
Ces détails, on le voit, sont très précis et particulièrement circons-
tanciés. Les écrivains spéciaux sont cependant divisés au sujet de
cette commande d'instruments faite par Charles IX à André Amati.
Antoine Vidal est bien près de révoquer en doute son exactitude (.1) :
— « Une légende veut, dit-il, qu'il (Amati) ait fourni au roi de France
Charles IX, pour sa chapelle, un certain nombre d'instruments marqués
aux armes royales, qu'il serait venu livrer lui-même, et en aurait ter-
miné une partie à Paris. La chose n'est pas impossible, mais je n'ai
pu en recueillir aucune preuve. Je me suis livré à des recherches
longues et minutieuses dans les documents de nos Archives, qui
contiennent une grande quantité de noms d'artistes et d'artisans ayant
eu des rapports avec le trésor royal : nulle part je n'ai pu découvrir le
nom d'Amati ou la moindre piste qui pût y conduire. Quant aux
fameux instruments dits de Charles IX. j'en ai vu plusieurs. Il en
existe même beaucoup, mais pour les faire sortir du domaine de la
légende, il faudrait quelque preuve, et malheureusement il n'en
existe aucune. Les inventaires du mobilier royal sont également muets ;
ils mentionnent un certain nombre d'instruments de musique, mais on
n'y rencontre absolument rien de ceux d'Amati ».
D'autre part. .T . Gallay, dans les notes dont il a accompagné la réim-
pression donnée par lui du livre curieux de l'abbé Sibire : La Chélo-
nomie ou le Parfait Luthier (2), ne met pas en doute l'exactitude du
récit de Fétis, et en s'y référant le complète par le nom du luthier
français qui aurait aidé André Amati dans l'achèvement des instru-
ments apportés par lui à Paris : — « M. Fétis. dit-il, dans son étude sur
Stradivarius, rappelle la commande que fit Charles IX à André Amati
(1566) ; il parait certain qu'Amati vint lui-même à Paris à cette époque
pour livrer ses beaux instruments, dont quelques-uns n'étaient pas
complètement terminés. Il se serait fait aider, dans cette circonstance,
par Nicolas Renault ».
Quoi qu'il en soit de tout ceci, il faut constater qu'André Amati,
artisan fort distingué et, je l'ai dit, véritable fondateur de cette admi-
rable école de lutherie de Crémone fameuse aujourd'hui dans le monde
entier et qui est l'honneur de l'Italie, n'est pourtant pas le plus célèbre
des membres de la famille, non plus qu'aucun de ses deux fils, Antoine
et Jérôme. C'est à son petit-fils. Nicolas, fils de ce dernier, que revient
cette qualification due à son très grand talent, et à laquelle il joint la
gloire d'avoir été le maître de celui qu'on peut appeler le roi des
luthiers, Antoine Stradivarius. C'est en effet dans son atelier que
celui-ci apprit les principes de l'art que son génie devait porter au
plus haut degré de la perfection. Et c'est aussi chez Nicolas Amati que
le chef de la dynastie des Guarnerius, Audré, fit son apprentissage,
mais bien avant Stradivarius, qui était de vingt ans plus jeune que
lui (3).
Il faut remarquer ici que l'école de lutherie de Crémone, la plus glo-
rieuse assurément et la plus importante par le nombre de ses adeptes,
n'est pas cependant la première en date ; elle fut précédée par l'école de
Brescia, dont le plus ancien représentant est le fameux Gaspar da Salô
■lui passe pour avoir, le premier, transformé l'ancien rebec en lui
donnant à peu près la forme du violon moderne. Gaspar da Salo, ainsi
nommé parce qu'il était natif de la petite ville de Salo, située sur les
il) Dans son live : La Lutherie et les Luthiers (Paris, 1889, in-8"), p. 41.
(2) Les Luthiers italiens aux XVII" et XVIII' siècles (Paris, 1869, in-12), p. 160
(3) Parmi les autres élèves de Nicolas Amati on cite les noms de Jean-Bapliste
-Rugeri, de Joseph Sneider, de Santo Serafino et de Paolo Grancino, qui, tous, sans
égaler leur maître, devinrent des luthiers fort distingués et dont les instruments
sont justement recherchés. Né le 3 décembre 1596, Nicolas Amati mourut le 12 avril
1681, âgé de 84 ans. Son disciple Stradivarius devait prolonger sa vie et ses travaux
msqu'à 93 ans ! Ça conserve, la lutherie !
rives du lac de Garde (aujourd'hui province de Brescia), s'appelait, de
son nom de famille, Bertalotti. On le croit né vers 1542, et l'on sait
aujourd'hui qu'il mourut à Brescia le 14 avril 1009. Il se distingua
surtout et montra un véritable talent dans la construction des violes,
basses de viole et contrebasses de viole, a Ou connait peu de violons
de Gaspar da Salô, dit Fétis ; cependant il s'en est trouvé un très bon,
portant la date de 1576, dans une collection d'instruments précieux qui
fut vendue à Milan en 1807. Le baron de Bagge en possédait uu dont
Rodolphe Kreutzer parlait souvent avec admiration. Je connais aussi,
entre les mains de M. E. Forster, amateur anglais, un violon qui porte
intérieurement l'inscription Gasparo ili Salo in Brescia, 1013 '1). Sa
qualité de son est claire, mais courte. C'est un produit dégénéré de la
vieillesse de l'auteur. Le patron des violons de cet artiste est plus
allongé, et les voûtes sont plus élevées que dans les instruments de
Crémone ». Le fameux violoniste norvégien Ole Bull, mort en 1880,
possédait aussi, dit-on, un très bon et très intéressant violon de Gaspar
da Salô.
Gaspar fut donc, en réalité, sinon le fondateur, au sens propre du
mot, du moins, comme je l'ai dit, le plus ancien représentant de l'école
de Brescia, beaucoup moins nombreuse que celle de Crémone, mais
qui se recommande, entre autres, par un artiste justement célèbre,
Giovanni-Paolo Maggini (et non Magini, comme l'écrit Fétis i, dont les
violons, à la sonorité douce et pénétrante, sont, depuis longtemps déjà,
recherchés avec activité.
Dans sa notice sur le célèbre contrebassiste Dragonnetti, qui possé-
dait une superbe contrebasse de viole de Gaspar da Salô, Fétis fait de
celui-ci « le maitre d'André Amati ». Un musicographe allemand,
M. Hugo Riemann, prétend que c'est là une erreur, Amali. dit-il,
ayant travaillé « de 1546 à 1577 », et Gaspar da Salô étant né en
1542. Le plus ancien violon connu d'André Amati porte, en effet, la date
de 1546 ; mais qui nous dit que ce soit le premier, et que ce luthier n'ait
pas commencé à travailler quelques années plus tôt, ce qui ne laisserait
pas impossible son apprentissage chez Gaspar da Salô ? La vérité est
qu'on ne peut rien dire de précis à ce sujet, et qu'il est fort difficile,
sinon impossible, de savoir quel fut le maitre du premier des Amati.
Quoi qu'il en soit, si André, Amati fut, comme on l'a dit, « le premier
luthier italien qui commença à donner au violon l'élégance de sa forme
actuelle », son petit-fils Nicolas est aussi celui à qui l'on doit le premier
progrès notable dans la construction de cet admirable instrument.
Avec lui le violon prend une grâce nouvelle, la ligne des contours
acquiert une rare pureté, la coupe de la volute est irréprochable, et si
le coffre est peut-être un peu plus étroit qu'il ne faudrait, l'ensemble
est vraiment harmonieux et déjà d'un grand style. Le son, pur et
mélancolique, laisse seulement à désirer au point de vue de la vigueur
et de la puissance. (Il ne faut pas oublier toutefois que sous ce rapport
on demandait moins alors au violon qu'on ne lui demande aujourd'hui,
avec l'élévation qu'on a donnée progressivement au diapason). Stradi-
varius, qui n'imitera pas son maitre, étant homme de génie et d'esprit
novateur, mais qui profitera intelligemment de ses leçons, saura, par
ses recherches constantes, par ses travaux toujours raisonnes, donner
au violon, avec sa forme définitive et l'exquise harmonie de ses propor-
tions, cette sonorité tout ensemble moelleuse et mâle, pure et vigou-
reuse, pleine à la fois de douceur et d'éclat, qui, avec sa prodigieuse
égalité, est la marque de fabrique de ses produits incomparables et
dont nul n'a pu atteindre la perfection.
Quant à André Guarnerius, le chef de la brillante dynastie de ce
nom, s'il est loin de pouvoir être comparé à Stradivarius, il n'en resta
pas moins digne de son maitre Nicolas Amati et ne laissa pas, comme
nous le verrons, de faire honneur à son enseignement. Avec lui, nous
entrons dans l'histoire de cette famille qui se rendit justement célèbre
dans les fastes de la lutherie et dont les travaux se poursuivirent durant
un siècle entier.
On sait que le véritable nom de cette famille était Guarneri. nom
que ceux de ses membres qui furent luthiers latinisèrent en Guarnerius
en l'inscrivant ainsi sur les étiquettes de leurs instruments, de même
que le fit de son côté Stradivarius, qui s'appelait réellement Stradi-
vari(2). Les Guarneri descendaient d'une ancienne maison noble de
Crémone, probablement ruinée et déchue par suite des événements qui
troublèrent et ensanglantèrent l'Italie pendant tant de siècles, et dont
un riche amateur qui employait ses loisirs à s'occuper curieusement
de lutherie, M. le marquis de Sommi-Picenardi, a relevé les armoiries
(li La date donnée ici est manifestement erronée, Gaspar da Salù étant mort, on
l'a vu, en 1609.
(2) Il faut remarquer cependant, selon ce que dit Vidal, qu'ils altérèrent la forme
de leur nom : « Dans tous les actes authentiques concernant cette famille et conservés
dans les archives de Crémone, le nom patronymique est toujours Guarnieri ». (La
Lutherie et les Luthiers).
204
LE MENESTREL
dans les archives de cette ville (1). Avant d'entreprendre leur histoire,
je ne crois pas inutile de dresser tout d'abord la liste des cinq
membres auxquels la famille doit sa grande renommée, grâce au talent
qu'ils déployèrent dans l'art de la lutherie ; la voici :
André le chef de la dynastie, né à Crémone vers 1625, élève de Nicolas
Amati, mort à Crémone le 16 décembre 1698 ;
Pierre Ier, fils aine d'André et son élève, né à Crémone le 18 février
1655, mort le... ;
Joseph I"' Jean-Baptiste, deuxième fils d'André et son élève, né à
Crémone le 25 novembre 1666, mort vers 1740 ;
Joseph II. dit ciel, Gesù, le plus célèbre de tous, fils de Jean-Baptiste
(neveu d'André et non luthier), né à Crémone le 17 octobre 1686, mort
le... ;
Pierre II, fils de Joseph Ie' Jean-Baptiste, né à Crémone le 14 avril
1695, mort le...
Comme on le voit, cette liste laisse subsister nombre de points
obscurs, soit pour la naissance, soit pour la mort de tel ou tel de ses
membres. Encore, est-ce par le fait de recherches incessantes qu'on est
parvenu, grâce à la découverte de certains actes d'état civil, à redresser
un certain nombre d'erreurs et à obtenir diverses précisions. Ainsi,
jusqu'à ces derniers temps on avait désigné Pierre Ier comme second
fils d'André et il était ainsi caractérisé dans le commerce de la lutherie,
tandis que de nouveaux documents dont on ne saurait contester l'au-
thenticité ont prouvé qu'il était au contraire l'aîné de Joseph-Jean-
Baptiste, dont on l'avait fait à tort le cadet. Peut-être de nouvelles et
intéressantes découvertes apporteront-elles la lumière sur quelques
points restés douteux ou encore ignorés. Pour le moment, on doit s'en
tenir à ce que l'on sait de certain et de positif (2).
(A suivre.) Arthur Pougin.
QUELQUES SOUVENIRS
SUR LE GRAND VIOLONISTE RODE
Récemment, et sur une demande de renseignements faite à l'Inter-
médiaire relativement à la descendance du grand violoniste Rode,
j'avais répondu autant qu'il m'était possible. D'autres détails concer-
nant l'illustre artiste furent ensuite adressés à l'excellent journal par
deux autres correspondants, et ces détails sont particulièrement inté-
ressants, par leur précision, pour la biographie de Rode, venant heureu-
sement compléter ceux donnés par moi naguère dans ma Notice sur Rode,
grand violoniste français (1874). L'un des correspondants, M. Pierre
Meller, nous apprend que Rode avait épousé à Berlin (où il séjourna
pendant plusieurs années) « une jeune veuve, Mme Galliri, fille aînée
du décorateur Vérona ». Or, on savait bien que Rode s'était marié à
Berlin, mais on ignorait qui il avait épousé, et le renseignement est
aussi précieux qu'inconnu. Mais M. Pierre Meller laisse croire que le
château de Bourbon, où Rode mourut en 1830, était sa propriété, et ici
il est dans l'erreur, comme on va le voir.
En effet, un autre correspondant, M. J. R. Marboutan, se borne à
reproduire l'acte de décès de Rode, extrait par lui des registres de l'état
civil de la commune de Nicole, et ce document surtout est précieux.
Le voici :
L'an mil huit cent trente, et le vingt-cinq novembre, à quatre heures et
demie après midi, par devant nous, maire, officier public de l'Etat Civil de la
Commune de Nicole, canton de Port-Sainte-Marie, arrondissement d'Agen,
département de Lot-et-Garonne, sont comparus sieur Baptiste Mazat. chargé
(1) Antoine Vidal a reproduit ces armes au premier volume (page 101) de soa
grand et bel ouvrage : Les Instruments à archet, véritable monument élevé à la gloire
delà lutherie (Paris, imp. J.Claye, 1876-1878, 3 vol. in-4°).
(2) Justement fiers de leur glorieux passé et de la place unique que les leurs ont
occupée dans cet art charmant de la lutherie où ils ont multiplié les chefs-d'œuvre
les Italiens se sont livrés, depuis plus de quarante ans, à de nombreuses et intelli-
gentes investigations concernant la vie et les travaux de tous ces artisans fameux
qui pendant deux siècles ont valu à leur patrie une renommée impérissable et que
nul ne pourrait songer à lui contester. Plusieurs d'entre eux ont publié le résultat
de leurs intéressantes recherches, et voici une liste, incomplète sans doute, des
écrits parus sur ce sujet :
Paolo Lombardini (prêtre) : Cenni sulla célèbre scuola cremonese degli strumenli ad
arco, non che suoi lavori e sulla famiglia del sommo Antonio Stradivari (Cremona, tipo-
grafia Dalla Noce, 1872). — Luigi Francesco, conte Valadrighi : Rlcerche sulla liu-
îeria e violineria modenese antica e moderna (Modena,1878). — Giovanni de Piccolellis :
Mutai antichi e moderni (Firenze, Le Monnier, 1885) ; Note aggiunte (id. 1886). —
Maurizio Villa : 1 miei viotini, monagrafia dei liutai antichi e moderni (Savigliano, tip.
Bressa, 1888). — F. Sacchi : Ilconle Salabue. Ceuni e saggio critico sulla linteria cremo.
nese (Londra, Hart e figlio, 1898). — Angelo-Berenzi : I Liutai Bresciani (Brescia,
Appolloni). — Jeanne Okraszewska : Liutai eviolinisti (Roma). — Mattio Butturini :
Gaspano da Salv, studio critico (Salo, tip. Gio. Devoti, 1901).
d'affaires de M. David Johnston à Lafon-Bourbon, âgé de quarante-sept ans,
domicilié de cette commune, premier témoin, non parent, Pierre Descomps,
vigneron chez M. Johnston, à Bourbon, âgé de trente-deux ans, second témoin,
non parent, domicilié de cette commune, et Jean Leyrisson, métayer à
Bourbon, âgé de soixante-cinq ans, troisième témoin, non parent, domicilié
de cette commune, lesquels nous ont déclaré que M. Jacques-Pierre-Joseph
Rode, propriétaire, âgé de cinquante-sept ans, né à Bordeaux, département de
la Gironde, de feus Pierre-Joseph Rode, décédé à Bordeaux le cinq mai
mil sept cent quatre-vingt-dix, et de Suzanne Turneaux décédée à Paris le vingt-
huit octobre mil huit cent sept, époux de Caroline Sophie- Wilhemine Rode,
née Vérona, à Berlin, en Prusse, est décédé ce jour vingt-cinq novembre à
une heure et demie après-midi, dans le château de Bourbon, appartenant à
M. David Johnston, sis dans cette commune, où il habitait avec son épouse
et sa demoiselle, depuis deux ans. Les trois témoins ont signé avec nous
après leur avoir donné lecture du présent acte.
Ont signé au registre : Baptiste Mazat, Pierre Descomps, Jean Leyrisson et
Gasquet, maire, officier public.
Cet acte précise d'une façon certaine plusieurs faits intéressants.
Premièrement, il nous fait connaître, à n'en pas douter, le nom de
l'épouse de Rode ; secondement, il nous apprend, à l'encontre de ce
qu'on croyait jusqu'ici, que le château de Bourbon, où il mourut,
n'était point sa propriété, mais celle de M. David Johnston (1) ; enfin,
fait surtout important, il fixe d'une façon absolue la date de la mort de
Rode, restée incertaine jusqu'à ce jour. Troublé par certains rensei-
gnements contemporains contradictoires, indiquant la mort de Rode
soit à Bordeaux, soit à Tonneins, et la fixant tantôt au 25, tantôt au
27 novembre, j'avais cru devoir dans ma Notice, m'en rapporter à la
note donnée par Baillot, son vieil ami, dans son Art du violon, note
ainsi conçue : — « Rode (Jacques-Pierre-Joseph), né à Bordeaux le
16 février 1774, mort au château de Bourbon, entre Tonneins et Aiguillon,
le 26 novembre 1830 ». Aujourd'hui, le doute n'est plus permis, et
l'on sait de façon certaine à quoi s'en tenir.
Ce n'est pas tout. L'acte ci-dessus nous apprend que Rode laissait
une fille, habitant alors avec lui. Mais il laissait un fils aussi, et c'est
ce fils qui faisait l'objet de ma communication à l'Intermédiaire, en
réponse à cette demande adressée au journal : — « Quelque collègue
intermédiairiste connaitrait-il des descendants ou des héritiers actuels
du célèbre musicien Rode, mort à Tonneins en 1830 ? » Je répondis
ainsi : — «En 1874, je publiais une Notice sur Rode, violoniste français,
qui avait été couronnée par l'Académie des sciences, belles-lettres et
arts de Bordeaux. Je reçus à cette occasion une lettre de félicitations et
de remerciements du fils de Rode, colonel en activité, qui signait
« colonel Rode ». Mais colonel dans quelle arme, dans quel régiment?
c'est ce que je ne saurais dire, et qui serait d'ailleurs facile à retrouver.
Autant que je me rappelle, le colonel prit sa retraite peu d'années
après l'époque dont je parle, sans être devenu général. J'ai certaine-
ment conservé sa lettre, mais je ne la retrouve pas en ce moment. Elle
ne donnait d'ailleurs aucun détail de famille ».
Le colonel Rode doit être mort aujourd'hui. A-t-il laissé des enfants ?
c'est ce que j'ignore. Quant à sa sœur, la fille de Rode, qui vivait
auprès de leur père au château de Bourbon, elle était sans doute morte
elle-même lorsque le colonel m'écrivit, car il aurait, semble-t-il, joint
les compliments de sa sœur à ceux qu'il m'adressait au sujet de ma
Notice. Fut-elle mariée ? eut-elle des enfants ? Autant de questions
auxquelles il est impossible de répondre.
Mais puisque j'ai eu l'occasion de rappeler le nom de Rode, peut-être
n'est-il pas sans quelque intérêt de reproduire ce petit document, que
je retrouve dans mes papiers ; ceci est une formule imprimée, dont les
blancs sont remplis à l'encre :
Théâtre de la rue Feydeau.
Délibération du 30 Frimaire an 3e.
Il sera payé à la caisse du théâtre, au C?" Rode,
la somme de cent vingt livres, savoir : 60 livres pour sa gratif011 du 9 Fri-
maire (2) et pareille somme de 60 livres pour celle du 29 (3) du même mois.
Suivant l'arrêté qui a été fait au Comité de l'Administration ; laquelle somme
sera allouée en dépense dans les comptes de l'Administration.
Fait au bureau généra! du Comité, le trente Frimaire an troisième de la
République française une et indivisible.
Vu bon pour cent vingt livres
Chagot
P. Rode.
(1) M- David Johnston était un compatriote et un ami de Rode, à qui celui-ci
dédia son onzième concerto (en ré majeur). Si je ne me trompe, la famille Johnston
était une famille de grands armateurs de Bordeaux, dont un membre, M. Daniel
Johnston, devint, autant que je me rappelle, député officiel de Bordeaux, aux der-
nières années de l'empire, ayant pour concurrent républicain André Lavertujeon,
alors directeur du journal la Gironde.
(2) 29 novembre 1794.
(3) 19 décembre 1794.
LE MÉNESTREL
£05
A cette époque, c'est-à-dire à la fin de 1794, Rode ne faisait plus
partie de l'orchestre du théâtre Feydeau, auquel il avait appartenu,
avec son ami Baillot, jusqu'en 1792 ; mais, quoique à peine âgé de
vingt ans, il continuait d'obtenir d'éclatants succès de virtuose dans les
concerts, restes si célèbres, que ce théâtre donnait périodiquement, et
dans lesquels on entendait les artistes les plus fameux de ce temps :
Garât, Viganoni, Rovedino, Mengozzi, Rodolphe Kreutzer, Devienne,
Punto, Delcambre, M"1CS Barbier -Walbonne, Morichelli, Baletti, etc. Il
y a lieu de supposer que les deux « gratiO cation s » de soixante livres
chacune, mentionnées dans -le petit document ci-dessus, n'étaient
autres que le cachet (modeste assurément) qui lui était alloué pour les
concerts où il se faisait entendre. C'est encore là un renseignement qui
n'est pas sans intérêt sur la jeunesse de Rode.
Arthir Pougin.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(POUR LES SEULS ABONNÉS A LA MU8IQUE)
Cette berceuse de René Lenormand : Dois, est un petit poème achevé de tendresse
et de douceur, comme noyé dans des accords harmoniques en sourdine. L'effet est
délicieux, quand cette musique passe dans la voix chaudement co lorée de M"" Ces-
bron, à qui l'œuvrette est dédiée.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
On savait déjà que M. Weingartner avait résolu de pratiquer certaines
coupures dans la partition très touffue de la Walkyrie, et il en avait donné
publiquement les raisons. Mais il parait que les wagnériens de Vienne sont
irréductibles dans leur admiration pour le maître, et qu'ils considèrent toute
atteinte à son œuvre comme une monstrueuse profanation. Or, l'autre soir,
on donnait la Walkyrie à l'Opéra de Vienne ; les fanatiques s'étaient donné
rendez-vous, et à peine M. Weingartner fit-il son apparition qu'il fut accueilli
par une bordée de sifflets accompagnés de huées formidables. Mais d'autres
, spectateurs, qui ne partageaient pas sans doute cette intransigeance, s'élevè-
rent contre les siffleurs, et il en résulta un effroyable tapage, auquel M. Wein-
gartner coupa court en donnant à l'orchestre le signal de l'attaque, la puis-
sance bien connue de celui-ci étouffant par elle-même tout autre bruit. Le
premier acte, où précisément des coupures avaient été opérées, put donc
se poursuivre jusqu'à la fin sans encombre. Mais au second, le tapage et les
violences recommencèrent, et de telle sorte qu'enûn la police' dut intervenir,
pour permettre aux spectateurs paisibles d'entendre tranquillement l'œuvre
pour laquelle ils avaient payé leur place. Il fatlut, manu militari, expulser de
la salle les amateurs du Wagner intégral, parmi lesquels se trouvaient un
chef de musique, un professeur de philosophie et trois étudiants en philoso-
phie, qui semblaient en manquer un peu trop dans la circonstance. On assure
pourtant que les émeutiers ne désarmèrent pas complètement, et qu'à la fin
du spectacle et hors du théâtre ils firent entendre des cris et des sifflets. —
La musique de Wagner adoucit les mœurs !
— L'Opéra populaire de Vienne, qui a clôturé sa saison théâtrale à la date
du 15 mai dernier, a donné, depuis le 15 septembre 1907, 290 représentations
comprenant des œuvres du répertoire classique, comme Fidelio, des opéras
contemporains comme Ariane et Barbe-Bleue de M. Dukas, enfin des opérettes
comme les Cloches de Corneville de Robert Planquette.
— Vers le 19 novembre prochain, à l'occasion du quatre-vingtième anniver-
saire de la mort de Schubert, des auditions musicales seront données à Vienne
pour célébrer la mémoire du maitre. Elles dureront une semaine entière. Il
y aura un festival dans la grande salle de l'Hôtel de Ville, une exécution
solennelle de la messe en ut majeur à l'église Saint-Etienne ; et plu>ieurs
fragments d'œuvres destinées à la scène par Schubert seront donnés dans les
théâtres. Pour clore les fêtes, une excursion au moulin de Hôldrich sera
organisée. C'est en effet dans ce lieu, non loin de la vieille ville de Mœdling,
dans la vallée de Hinterbrûhl, que Schubert a composé le cycle de vingt
mélodies intitulé la Belle Meunière, sur des poésies de W. Millier. La première
édition de ce recueil célèbre a paru en 1824.
— Le nouveau Théàtre-Johann-Strauss, à Vienne. — La première pierre du
Théàtre-Johann-Strauss, à Vienne, vient d'être posée et l'on espère qu'à la
lin de l'automne la construction sera bien près d'être achevée. Cette pierre est
creuse et l'on y a renfermé un parchemin sur lequel des indications commé-
moratives ont été inscrites. Elles sont rédigées en ces termes : « Portant à son
frontispice le nom de Johann Strauss, que ce théâtre soit un monument à la
mémoire du prince de toutes les gracieuses muses viennoises, dont il a été l'in-
comparable interprète. Que le calme de l'esprit, que l'humour capricieux,
folâtre, trouvent ici droit de cité, afin que l'homme, s'échappant du manteau
de plomb de la vie quotidienne, apprenne ici à connaître la joie qui IransB-
gure la vie, la joie vers laquelle les grâces aux mains roses sauront le con-
duire. Tout entiers remplis de ce sentiment, nous avons [.lacé cette pierre
au sein de la terre, espérant que cette construction pourra toujours ren-
fermer dans son enceinte des hommes parfaitement heureux ». Ce petit écrit,
caché dans les fondations de l'édifice et destiné à y être retrouvé dans quel-
ques siècles, lorsque la pierre et le for ne pourront plus résister aux atteintes
du temps, a été rédigé par l'écrivain viennois M. Wolfgang Madjera; nombre
d'admirateurs de Johann Strauss y ont apposé leur signature.
— La zizanie se poursuit, au point de vue artistique, entre les pangerma-
nistes intolérants d'Autriche et les Hongrois. Les journaux de Budapest
mènent en ce moment une campagne très vive contre les représentations de
troupes allemandes en cette ville. Il y a là. selon eux, « un courant périlleux
pour le développement de l'art dramatique hongrois, courant qu'il faut arrêter
à tout prix o.
— De Bayreuth : Jusqu'à présent, la Burgerreutherstrassc, qui conduit au
« Festspielhaus », n'était interdite aux automobiles que pendant les après-
midi où avaient lieu les représentations. Cette année, la municipalité a décidé
de l'interdire également pendant les répétitions, c'est-à-dire dès à présent.
— Le prince Philippe d'Eulenbourg, dont les hauts faits ont acquis récem-
ment en Allemagne une si fâcheuse célébrité, courtisait la muse, parait-il. et
ne dédaignait même pas les triomphes du théâtre. Non seulement on connaît
de lui des poésies lyriques et épiques, mais il fit représenter au Théâtre-Royal
de Munich, sous un pseudonyme très transparent, une comédie en trois actes
intitulée Margot, et plus tard, en 1S87, donna à Berlin un drame en trois actes
sous le titre de l'Etoile de la mer, qui obtint un certain succès. L'action de ce
dernier se déroulait en Suède, et l'on dit que la princesse d'Eulenbourg, qui
est d'origine suédoise, avait été le collaborateur de son époux pour cet
ouvrage.
— On a donné le 21 juin dernier, au théâtre national de la Cour, à Munich,
une représentation des Maitres-Clianteurs de Wagner, en souvenir de la pre-
mière représentation de cet opéra, qui eut lieu à Munich, il y a eu quarante
ans à cette même date. Malgré la tempête qui grondait déjà contre lui, Wagner
put entendre son œuvre assis dans la loge royale, à côté de Louis IL Hans de
Bulow conduisait l'orchestre. La distribution fut la suivante :
Hans Sachs Betz
Veit Pogner Bausewein
Sixtus Beckmesser Hôlzel
Fritz Rothner Fischer
Walter von Stoltzing Nachbaur
David Schlosser
Eva M11" Mathilde Mallinger
Magdalene Mmc Diez
Le 21 juin dernier, le rôle de Sachs était tenu par M. Feinhals, qui le jouait
pour la centième fois, celui d'Eva par Mme Bosetti. M. Hans Richter a dirigé
l'orchestre.
— On annonce la reconstitution pour la saison prochaine des concerts de la
Salle Kaim, à Munich. Une société anonyme s'est constituée, avec un capital
important, pour reprendre à son compte concerts symphoniques et concerts
populaires. Elle a loué la salle pour une période de vingt années, chargé le
Dr Kaim de la direction artistique de l'entreprise et appelé M. F. Lœwe, dé
Vienne, en qualité de premier chef d'orchestre.
— Une lettre de Schumann, encore inédite, vient d'être publiée par un
journal de Bonn. Elle a rapport à la deuxième symphonie en ut majeur, et
est adressée au maitre de chapelle Wilhelm Taubert, à Berlin. En voici le
contenu : « Cher ami, je vous envoie la symphonie ; puisse-t-elle vous plaire !
C'est un morceau de caractère tout à fait sérieux. Dans le dernier mouvement,
seulement, j'ai laissé percer quelques rayons lumineux de joiî ; je suis sur
que vous comprendrez cela! N'oubliez pas non plus de m'envoyer vos nou-
velles compositions. Vous savez combien je me suis toujours intéressé à ce que
vous faites et avec quelle satisfaction j'ai suivi les progrès de votre développe-
ment artistique. Votre R. Schumann. »
— Les représentations de l'Arbitrage et de la Soutienne, de Ménandre, que
nous avons annoncées comme prochaines au théâtre de Lauchstàdt, près de
Halle, ont été données le 19 juin dernier. Le professeur Karl Robert avait
traduit les fragments trouvés en Egypte, au lieu dit Kôm-Ichkaon, par
M.Gustave LeTebvre, et il avait complété les pièces de façon à faire disparaître
les lacunes qui restaient encore à combler. Ce sont des étudiants de Halle qui
s'étaient partagé les rôles: ils ont joué devant la « civitas academica », c'est-à-
dire tout le corps enseignant de Halle. Les deux ouvrages de Ménandre ont
paru pleins de gaité et de joyeuse ironie, malgré les vingt-deux siècles d'exis-
tence qui semblent ne leur avoir rien enlevé de leur première fraîcheur.
— Du 1er au 15 août aura lieu à Genève un cours normal de Gymnastique
rythmique donné par M. Jaques-Dalcroze, inventeur d'une méthode dont on
parle beaucoup depuis quelque temps et dont le but est de développer le
sentiment rythmique chez les enfants, l'instinct de la mesure, du phrasé et
des nuances, de régulariser les habitudes motrices et d'éveiller le sens esthé-
tique et la compréhension plastique et musicale. Dans un grand nombre de
pays, l'Allemagne, la Hollande, la Suisse. l'Angleterre, etc., les exercices
rythmiques de M. Jaques-Dalcroze sont pratiqués dans les conservatoires et
206
LE MÉNESTREL
•aussi dans les lycées et écoles primaires. L'on sait que le rythme est un
puissant éducateur de l'esprit et un précieux régulateur des mouvements
corporels. Au congrès pédagogique musical de Berlin qui vient d'avoir lieu
•du 8 au 9 Juin au Reichstag, il n'y a pas eu moins de quatre conférences et
démonstrations de musiciens de psycho-physiologistes sur la méthode Jaques-
Dalcroze dont nous recommandons vivement le cours aux professeurs de
musique ainsi qu'aux instituteurs et pédagogues. Pour tous renseignements
s'adresser à M. Jaques-Dalcroze, directeur de 1' « Institut de gymnastique
rythmique » à Genève.
— On a dit qu'à l'occasion des fêtes qui se préparent pour célébrer le cen-
tenaire du Conservatoire de Milan, on mettrait en scène, au théâtre de la
Scala, un ouvrage d'un ancien élève de l'institution. De fait, ce n'est pas un,
mais deux opéras d'anciens élèves du Conservatoire qu'il est question aujour-
d'hui de représenter à cet effet, et ces deux opéras sont la Manon de M. Puc-
cini et l'Iris de M. Mascagni, ce qui inspire à un de nos confrères italiens les
réflexions suivantes : — « Donc, en une occasion qui ne se présente que tous
les cent ans, parmi tous les compositeurs diplômés d'un Conservatoire qui en
a produit depuis son origine plusieurs centaines, on choisit précisément les
plus fortunés, ceux qui ont été le plus représentés dans ces vingt dernières
années. Pourquoi tous les autres sont-ils oubliés? Quel critérium a-t-on suivi
'dans ce choix ? Voilà ce que nous voudrions savoir, si la demande n'était pas
indiscrète ? ».
— Le comité du monument national qui doit être érigé à Milan à la mé-
moire de Verdi est en ce moment dans un grand embarras. Le sculpteur
Antoine Carminati, à qui l'exécution de ce monument avait été confiée, vient
de mourir. Or, l'esquisse laissée par lui est très incomplète et il n'avait point
d'élève qui soit de taille à terminer son projet et à se charger du travail qu'il
avait commencé. On conçoit que le comité soit fort ennuyé et qu'il ne sache
comment se tirer d'une situation aussi difficile.
— Les fêtes données à Ferrare à l'honneur et en mémoire' de l'illustre Gero-
lamo Frescobaldi, le plus grand organiste du XVII'' siècle, ont été très bril-
lantes. Le dimanche 31 mai on a inauguré sur la maison natale du maître,
située dans la rue qui désormais portera son nom, une pierre commémorative
portant cette inscription : Dans cette maison paternelle s'écoula la jeunesse de
Gerolamo Frescobaldi, qui, fort de son génie, ouvrit une voie nouvelle à l'esprit et aux
formes de l'art musical. 1583-1643. Ces deux dates rectifient et font connaître
de façon précise celles de la naissance et de la mort du grand artiste, restées
indécises jusqu'à ces derniers temps. C'est aux recherches et aux travaux du
docteur Franz Haberl, le savant musicographe allemand, que l'on doit d'être
fixé d'une façon certaine à ce sujet. On sait aujourd'hui que Frescobaldi fut
baptisé à Ferrare le 9 septembre 1583, c'est-à-dire plusieurs années avant
celle qu'on avait approximativement adoptée pour sa naissance. Il avait donc
vingt-cinq ans lorsque son admirable talent le Et nommer, en 1(308, organiste
de l'église Saint-Pierre de Rome, fonction dans laquelle il succédait à Ercole
Pasquini. Le lundi 1er juin, on inaugura solennellement au Théâtre-Commu-
nal le buste de Frescobaldi. et un discours fut prononcé par le professeur
Gasperini, du Conservatoire de Parme. Pendant les fêtes s'est tenu au palais
Pareschi le premier congrès Emilien de musique sacrée, qui réunissait envi-
ron 150 adhérents. Dans la première séance on lut un mémoire du maestro
Bas, intitulé le Chant grégorien et i 'Esthétique de la Musique moderne, après quoi
le professeur Cecconi, de Bologne, prit la parole et résuma les progrès de l'or-
ganisation et du développement de la musique sacrée selon les dispositions
pontificales. Dans la seconde séance on entendit le chanoine Bignardi, de
Provence, qui prit pour thème la Musique sacrée dtms ses rapports avec le clergé,
et le P. Antolisei, qui avait pour sujet : Pour retourner ri. l'antique; puis, le
congrès prit un avec un discours de M. Colamosca, de Provence, sur l'Orgue
et sa fonction dans l'église. Dans l'après-midi eut lieu, dans la cathédrale, un
grand concert de musique « frescobaldienne », avec le concours du maestro
Bossi et des Scholœ cantorum de Ferrare.
— Ce n'est pas au Conservatoire de Barcelone, mais bien à celui de Madrid
qu'eut lieu le si intéressant « exercice d'élèves » sous la direction de M. Tho-
mas Breton, dont nous avons parlé dans notre numéro du 13 juin.
— Dimanche dernier a eu lieu à Londres un concert monstre (c'est le cas
de le dire) auquel participèrent 1.400 (quatorze cents) enfants violonistes, tant
garçons que fillettes, des écoles du London Çounty Council. L'orchestre de ce
concert comprenait 850 premiers violons et 550 seconds. Et l'on dit que l'An-
gleterre n'est pas un peuple musical! et elle vous exhibe comme ça, d'un
seul coup, 1.400 moutards et moutardes violonistes! Bien plus : on assure
qu'il y a actuellement 390.000 enfants qui en Angleterre apprennent le vio-
lon, et que le nombre en augmente chaque jour. Qui sait si on ne s'avisera
pas bientôt de les réunir tous et de donner un concert dans lequel ces
390.000 bambins exécuteront avec un ensemble prodigieux le Mouvement per-
pétuel de Paganini ou la Fantaisie appassionata de Vieuxtemps? C'est ça qui
serait gai !
— Extrait curieux d'une correspondance de Londres : « Le violoniste Zaka-
rewitch annonce un Récital, par une affiche où, au centre, figure son portrait
avec, à l'arrière-plan un masque de Beethoven, à sa gauche, un portrait de
Tschaikowsky et à sa droite un de Wieniawski. Et au-dessous, en grosses
lettres on lit : « Proclamé par Tschaikowsky l'égal de Wieniawski ». A la
•bonne heure, on est modeste ou on ne l'est pas. Tschaikowsky devait être
atteint de urdité temporaire quand il a fait cette remarque... s'il l'a jamais
faite. Quant à moi, j'avoue ne pas même trouver de point de comparaison
entre le souvenir que j'ai gardé de Wieniawski et cette nouvelle étoile que
son talent n'élève pas au-dessus de la bonne moyenne de ce que l'on entend
chaque jour ».
— La musique fait des siennes jusqu'en Egypte. Nous apprenons qu'il
existe à Alexandrie un Conservatoire, que ce Conservatoire a pour directeur
un artiste italien distingué, M. Gianni Galletti, et qu'il a donné récemment un
exercice dont l'orchestre était formé des élèves de l'établissement, exercice
dout le programme comprenait, avec un fragment de quatuor à cordes dû au
directeur lui-même, un Prélude symphoriique dont l'auteur, M. Enrico Terni,
est aussi un élève de l'école et de la classe du directeur.
— Le nouveau théâtre Colon, qu'on a inauguré récemment à Buenos-Ayres,
est un des plus grands que l'on connaisse. Il peut abriter 3.500 spectateurs,
tandis que la Scala de Milan et le San Carlo de Naples ne contiennent que
3.000 places et notre Opéra un peu plus de 2.000. L'inauguration, attendue
avec impatience, s'est faite solennellement avec Aida, et la recette de cette
première soirée de gala a atteint près de 100.000 francs. On doit donner pro-
chainement la première représentation d'un opéra inédit intitulé Aurora, dont
le sujet est patriotique et qui a été commandé par le gouvernement argentin à
N. Illicapour les paroles et à M. Ettore Panizza pour la musique. Toutefois,
le nouveau théâtre éprouve déjà des embarras par suite de la maladie de deux
ténors, MM. Paoli et Borgatti, qui vient entraver le répertoire. L'administra-
tion a écrit en Europe pour avoir M . Caruso, en lui offrant 18.000 francs par
représentation; mais l'offre est insuffisante, ledit Caruso ne pouvant déployer
les trésors de sa voix à moins de 20.000 francs. En effet, M. Caruso est aux
mains d'un entrepreneur dont il est la chose, qui lui assure un million par
an, et qui ne le lâche pas à moins de 20.000 francs par soirée. C'est par excep-
tion et parce qu'il s'agissait d'une bonne œuvre, que l'entrepreneur en question
a laissé chanter M. Caruso pour 12.000 francs seulement dans la récente et
fameuse représentation de l'Opéra où le célèbre artiste a joué Rigoletto avec
M. Renaud et M",e Melba. Il va sans dire que M. Caruso fut le seul payé en
cette circonstance.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Dans une de ses dernières séances, l'Académie des beaux-arts, présidée
par M. L.-O. Merson, président, a rendu son jugement sur le concours pour
le prix biennal de 12.000 francs, fondé par le baron Alphonse de Rothschild,
et destiné à encourager les travaux d'un artiste de mérite ou à récompenser
une carrière artistique. Ce prix a été partagé également entre M. Urbain
Bourgeois, artiste peintre, et M. Alexandre Georges, compositeur de musique,
pour l'ensemble de leurs travaux.
— Le régime des théâtres et la commission chargée de le modifier. Il nous
semble intéressant de reproduire la note que voici sur ce sujet :
L'ordonnance du 1" septembre 1898, relative aux théâtres et cafés-concerts, avait
été faite pour une durée de dix années. Il était, par suite, indispensable qu'une
nouvelle ordonnance entrât en vigueur le 1" septembre 1908. Dès le mois de janvier
dsrnier, la commission supérieure des théâtres, présidée par le préfet de police, .
avait désigné une sous-commission composée de huit de ses membres pour élaborer
le nouveau projet. Cette sous-commission, après avoir élu comme président M. Yves
Durand, directeur du cabinet de M. Lépine, et désigné comme rapporteurs M. Pray,
architecte de la préfecture de police, et M. Turot, conseiller municipal, a tenu de
nombreuses séances et a terminé ses travaux au mois de mai dernier. Le projet
élaboré par la sous-commission est actuellement soumis à la commission supérieure
qui l'a examiné cette semaine. Il comporte deux cent quarante articles, et son exa-
men nécessite un travail approfondi. La commission supérieure se réunira désormais
deux fois par semaine, pour hâter la rédaction définitive de l'ordonnance. Sans
entrer dans les nombreux détails qu'elle comporte, nous pouvons signaler dès main-
tenant que les établissements ont été départagés sur des bases différentes de l'or-
donnance de 1898, qui divisait les spectacles en théâtres et en cafés-concerts. Cette
dénomination a disparu dans la nouvelle rédaction. Le projet actuel scinde les éta-
blissements en trois catégories, sans spécifier s'il s'agit de théâtres ou de cafés-
concerts, suivant les dangers que peuvent présenter les installations et les aména-
gements de la scène.
Sont de la 1™ catégorie : Les établissements ayant une scène machinée avec dessus
et dessous.
. Sont de la 2" catégorie : Les établissements ayant une scène non machinée, sans
dessus ni dessous. Cette catégorie comprend également les cirques, les hippodromes,
les vélodromes et les autres établissements analogues qui n'ont pas de scène, mais
une piste pouvant recevoir des décors, des praticables et des accessoires de scène.
Sont de la 3" catégorie : Les établissements n'ayant pas de scène, mais pouvant
comporter une simple estrade fixe ou mobile.
Présidée par le préfet de police, la commission supérieure des théâtres se com-
pose, comme on sait, de M. Laurent, secrétaire général, vice-président, de dix con-
seillers municipaux, du colonel des sapeurs-pompiers et du lieutenant-colonel, des
directeurs du cabinet, de la police municipale, du laboratoire municipal, du com-
missaire du gouvernement près les théâtres subventionnés, de quatre directeurs ou
anciens directeurs de théâtres, etc.
— Résultats des concours à huis clos du Conservatoire :
harmonie (Femmes).
Pas de premier prix.
Second prix. — M."' Suzanne Dreyfus, élève de M. Chapuis.
Premiers accessits. — M"" Legras, élève de M. Chapuis, et M"1 Marguerite Canal,
élève de M. G. Marty.
Basse et chant donnés de M. André Gédalge.
Le jury était composé de MM. Gabriel Fauré, président; A. Lavignae, A. Taudou,
G. Caussade, André Gédalge, Xavier Leroux, Lucien Hillemacher, Cesare Galeotti
Jules Mouquet, Pierre de Bréville, Roger Ducasse.
LE MENESTREL
20"
— M. Jean Richepin, de l'Académie française, est nommé membre du con-
seil supérieur d'enseignement du Conservatoire de musique et de déclamation
(section des études dramatiques), en remplacement de Ludovic Halévy,
décédé.
— C'est mardi prochain que l'Opéra-Comique fermera ses portes — clôture
annuelle — sur une représentation de Manon, interprétée par Mme Marguerite
Carré, MM.Beyle, Fugère et Delvoye. La saison avait commencé avec Mignon,
chantée par M"1LS Berthe Lamare, Guionie, MM. Francell, Jean Périer et
Vieuille. — Spectacles de dimanche: en matinée, Pelléaset Mélisandc;\e soir,
Gavalleria ruslicana et la Vie de Bohème. — Lundi, eu représentation populaire
à prix réduits : La Basoche.
— A l'Opéra, mercredi, très belle représentation des Huguenots avec
M"': Louise Grandjean, qui a chanté avec un succès éclatant le rôle de Valen-
tine et a été rappelée et acclamée d'enthousiasme par toute la salle. Mlk' B.
Mendès a été également chaleureusement applaudie dans le personnage de
Marguerite. Ce n'était pas le moindre intérêt de la soirée que les débuts du
ténor russe Altchinsky (très remarqué déjà dans Bons Godounow) dans le rôle
de Raoul de Nangis. Ces débuts ont été excellents ; le nouveau pensionnaire
de MM. Messager et Broussan est doué d'une voix superbe qu'il conduit avec
un art consommé. Après M. Godart, voilà une précieuse recrue pour la di-
rection de l'Opéra. M. Dangès a été tout à fait remarquable sous le pourpoint
du comte de Nevers ; M"'- Agussol, MM. d'Assy, A. Gresse, complétaient une
interprétation excellente.
— On ne chômera pas pendant les chaleurs à l'Opéra. Les études du
Crépuscule des Dieux (dont les ensembles vont prochainement commencer) et
les leçons sûr Mouna-Vanua se continueront, en juillet et en août. MM. Messa-
ger et Broussan comptent faire passer, au mois de septembre, le Crépuscule
des Dieux et, en novembre, les trois actes de Monna- Vanna. Mlie Lucienne
Bréval créera, dit-on, le principal rôle de cet ouvrage. A la fin de l'année
1908, la nouvelle direction de l'Opéra aura donc monté ou remonté, en dix
mois, cinq grands ouvrages : Faust, Hippolyte et Aricie, Xamouna, le Crépus-
cule des Dieux et Monna-Vanna. — Bacchus suivra au printemps de 1909.
— Rencontré M. Renaud. Encore que sous le coup de la fièvre des foins qui
l'incommode toujours, l'éminent artiste va mieux, et il partira dans quelques
jours pour Londres. Il doit y chanter dans trois concerts dont il n'a pas pu
se dégager. De Londres, il ira en Suisse pour prendre quelque repos, avant
de faire sa rentrée, au mois de septembre, à l'Opéra, dans Jlainlet. On l'enten-
dra sur notre première scène lyrique jusqu'en octobre, époque à laquelle il
s'embarquera pour New-York, en vue de la saison du Manhattan-Opera, où il
doit chanter Louise, Thaïs, le Jongleur de Notre-Dame, Grisélidis, etc., etc.
— MM. Isola frères viennent d'engager ponr leur saison prochaine, à la Gaité,
Mlk' Bilbaut-Vauchelet qui débutera dans Jean.de Mue/le, l'œuvre de Léo De-
libes, créée jadis à l'Opéra-Comique, avec tant de succès, par MniL' Bilbaut-
Vauchelet, sa mère. A cet engagement ajoutons celui du ténor Soubeyran.
— La charmante chanteuse, MUe Géraldine Farrar, vient de signer avec
M. Dippel un contrat qui la lie pendant cinq ans au Metropolitan Opéra de
New-York, mais cet engagement n'empêchera pas la grande artiste de se
faire entendre tous les ans à Paris et à Berlin. Mlle Farrar a pris, en effet, ses
dispositions de façon à chanter — ainsi qu'elle l'a fait du reste cette année —
cinq mois à New-York, |deux mois à Paris et deux mois à Berlin.
— En raison du mauvais temps, la fête du Pré-Catelan, donnée par la
Société de l'histoire du théâtre, qui devait avoir lieu le mercredi 24 juin, est
remise au lundi 29 juin. Les billets délivrés pour la date du 24 juin sont
valables pour cette représentation (la location reste ouverte à l'Opéra, à
l'Opéra-Comique, au Théâtre-Français, chez Durand, éditeur, 4, place de la
Madeleine, aux pavillons d'Armenonville et du Pré-Catelan).
— En rendant compte de la récente Assemblée annuelle de l'Association
professionnelle de la critique dramatique et musicale nous avons omis de
dire que les deux vice-présidents, pour l'exercice 1908-1909, étaient MM. Albert
Soubies et Maurice Lefèvre.
— On sait que parmi ses grandes qualités artistiques, Bizet possédait à un
très haut degré le don de lecture à première vue. Il n'eut jamais peut-être
une meilleure occasion de le prouver que dans les circonstances suivantes.
C'est par un journal américain que nous revient ce récit. Le compositeur
Halévy, secrétaire de l'Académie des Beaux-Arts, avait invité à diner quelques
amis parmi lesquels se trouvaient Liszt et Bizet. Le repas terminé, on passa
au salon pour prendre le café. Dans le courant de la soirée, Liszt se mit au
piano et fit entendre une de ses grandes compositions dont la fin exigeait
une virtuosité tout à fait exceptionnelle. De longues acclamations accueillirent
l'ouvrage et l'admirable artiste fut félicité de tous, et aussi questionné. On
voulait avoir quelques détails sur sa nouvelle œuvre ; on était intrigué
surtout par le passage de virtuosité avec lequel s'achevait la péroraison.
« C'est en effet très peu abordable, dit Liszt, et, de tous les pianistes que je
connais, deux seulement pourraient s'en tirer dans le mouvement voulu, ce
sont Hans de Bulow^ et moi ». Halévy, qui avait à cette époque Bizet parmi
ses élèves, et qui connaissait bien son habileté technique et son excellente
mémoire, lui demanda tout haut : « Avez-vous retenu le casse-cou de la fin,
et ne voudriez-vous pas l'essayer à votre tour '? » En parlant ainsi, Halévy
s'était rapproché du piano et frappait quelques accords formaut l'harmonie du
passage en question. Il céda la place à Bizet qui exécuta sans hésitation les
quelques mesures qui avaient paru si difficiles. Halévy triomphait discrète-
ment ; Liszt, étonné, voulut assurer à son jeune confrère un succès complet.
« Attendez un moment dit-il, j'ai là le manuscrit ; il pourra aider votre
mémoire ■>. Ayant sous les yeux le morceau, Bizet L'interpréta depuis le
commencement avec une incomparable aisance et arriva jusqu'au bout sans
la moindre faiblesse et sans avoir dû jamais ralentir le mouv'-mcni. Halévy
ne cachaitplus sa joie. Liszt dit alors à Bizet avec le charme irrésistible que
lui prétait toujours en pareil cas sa nature exempte d'envie : « Jeune ami, je
pensais il n'y a qu'un instant encore que deux hommes seulement pou ■■'.
interpréter irréprochablement mon morceau ; je me trompais : il y en a trois,
moi compris. Maintenant je dois ajouter, pour être juste, que le plus jeune
d'entre nous trois est peut-être bien aussi le plus habile ».
— Du Journal: II est question de fonder à Paris, à partir de la saison prochaine,
un théâtre anglais permanent. Ce projet a sa raison dans les nombreuses inter-
dictions faites par la censure anglaise; les pièces refusées depuis q lelque
temps par la Dame aux ciseaux de la Grande-Bretagne forment un véritable
répertoire, capable d'alimenter un théâtre de premier ordre. Un jeune auteur,
M. Maxime Schottland, a donc eu l'idée de transporter à Paris ce répertoire
d'œuvres interditesà Londres. M. Schottland est soutenu dans cette intention
par quelques amis très influents, et il espère que ce nouveau théâtre pour-
rait ouvrir le 1er septembre. M. Schottland est persuadé que le public de Paris
qui parle anglais est suffisant pour fournir une clientèle de tout rop'i-. Il ne
sait pas encore de quel établissement parisien il pourra se rendre acquéreur,
mais il sera fixé sur ce point d'ici peu de jours.
— Afin d'élaborer les principales lignes du programme général de sa saison
prochaine, le comité de l'Association des Concerts-Lamoureux, présidé par
M.Camille Chevillard, prie les compositeurs qui se proposent de lui soumettre
des œuvres inédites de vouloir bien les faire parvenir au siège de l'Associa-
tion, 2, rueMoncey, du 15 au 30 septembre prochain.
— Notre confrère, M. Pierre Charrier, critique musical de la Gazette du
Palais, vient d'être chargé de la critique des représentations de l'Opéra et de
l'Opéra-Comique dans Paris-Théâtre.
— C'est encore à un « jeune », à Reynaldo Hahn, à l'audition de son
exquise série à'Études latines, d'un archaïsme si fin, d'une intellectualité si
délicatement poétique, que Mme Charles Max consacrait lundi dernier sa der-
nière matinée musicale de la saison. Et rien ne saurait dire le charme de
cette demi-heure de musique — demi-heure d'enchantement, — ni le succès
qu'elle obtint. Tour à tour Mmc Charles Max chanta, avec cet art subtil et pre-
nant qui fait d'elle l'incomparable cantatrice du lied français; elle chanta des
poèmes de tendresse, d'amour, de soleil et de mélancolie. L'auteur et l'excel-
lente basse qu'est M. Laurent Lasson apportèrent également à cette audition
le concours de leur talent, et des chœurs mêlèrent leurs voix à ces voix
exquises. On a bissé presque tous les numéros de cette délicieuse série : Xécre,
Salinum, Lydie, Tijndaris, Pholoé, Phidylé, Phi/llis, etc.
— Oublieuse déjà des fatigues d'une longue saison, la collaboratrice infati-
gable du quatuor Parent, MUe Marthe Dron, rendait récemment hommage à
deux de ses maîtres préférés : Vincent d'Indy, Robert Schumann. Ce sont
deux puissants maîtres, et si différents ! Il ne nous déplairait point d'opposer,
en quelques mots bien sentis, l'émouvant génie de Schumann au noble talent
de M. d'Indy, car le plus vif attrait de ces deux soirées, c'était l'interpréta-
tion de la nouvelle sonate pour piano seul, écrite, l'an dernier, par le plus
austère héritier du maître César Franck. Mais n'est-ce pas M. d'Indv «qui
considère la critique comme absolument inutile, et même nuisible? » La cri-
tique, selon lui, n'est, en général, que l'opinion d'un monsieur quelconque
sur une œuvre... A la bonne heure, si ce monsieur s'appelle Gœthe ou Schu-
mann, Sainte-Beuve ou Michelet! Résignons-nous donc à ne jamais savoir,
ici-bas du moins, ce que Schumann penserait de la nouvelle sonate monumen-
tale de M. d'Indy... Qu'il nous suffise, aujourd'hui, de constater que des bra-
vos unanimes ont souligné l'élégante vaillance de sa jeune interprète, sa belle
conviction, le brio sérieux qu'elle a montré comme traductrice du Poème des
Montagnes et des deux poétiques sonates de Schumann pour piano seul, ou
comme partenaire du ponctuel et pur violoniste Armand Parent. Serait-ce
encore faire de la critique que d'avouer l'émotion contenue dans la sonate de
Schumann en ré mineur? Raymond Bouyer.
— MmeMariska Aldrich, un nouveau mezzo-contralto que M. Hammerstein a
engagé pour son opéra de New- York, lors de son dernier voyage à Paris, est
une élève de M. Giraudet de l'Opéra, l'ex-professeur du Conservatoire.
Mme Mariska Aldrich possède, dit-on, les plus beaux dons pour la carrière
lyrique : voix, talent et physique.
— L'exquise cantatrice, M"e Suzanne Decourt. vient de remporter un grand
succès à Angouléme et à Poitiers; elle a été acclamée dans le duo de Sigurd
de Reyer, et surtout dans le grand air d'Ariane de Massenet, Ah ! le ruel I
Son style impeccable et sa belle voix ont été très appréciés.
— Très intéressante audition des élèves de M1"' de Miramont-Tréogate, à
la salle Mustel, mercredi dernier. On a fort goûté le Noël paien de Massenet
(Mm-Nadot), l'air de Lakmé (MmeDeck), l'Ane blanc de Georges Hue (M. Cayla'l.
le duo de Xavière (MUe Delmyra et M. José-Mario ), VArioso de Delibes
(Mme Nadot), le Crucifix de Faure, etc., etc.
— A l'Académie nationale de Reims, jeudi dernier, audition d'œuvres de
Théodore Dubois. Au programme : l' Allegro et l'adagio du trio en ut mineur
(MM. Yaysman, Aubert et l'auteur), deux Odelettes antiques [Incantation et le
208
LE MÉNESTREL
Pêcheur de Syracuse) chantées par Mlle Bardot, un Andante-Cantabile et l'entr'acte
de Xaviére pour violoncelle (M. Aubert), l'air A'Aben-Amet (M. François) et le
grand duo du même ouvrage (Mlle Bardot et M. François). Très gros succès
et longues ovations pour le maître qui tenait le piano d'accompagnement.
NÉCROLOGIE
g RIMSKY-KORSAKOW
Une dépêche parvenue de Russie à Paris lundi dernier et publiée par les
journaux du soir nous apportait une nouvelle inattendue et terrifiante :
l'auteur de Snegourotchka, l'excellent Rimsky-Korsako\v,.le plus grand mu-
sicien de la Russie et l'un des plus grands musiciens de ce temps, venait de
mourir; où? comment? la dépêche ne le disait pas et ne donnait aucuns détails.
Tout ce que je savais, pour ma part, par mon excellent confrère Michel Delines,
l'auteur des traductions françaises de Boris Godounow et de Sadko. et l'intime
ami du grand artiste, c'est qu'il était atteint d'une maladie de cœur, à laquelle
sans doute il avait succombé. Au reste, dès le lendemain. Delines communi-
quait au journal le Temps la dernière lettre qu'il avait reçue de Rimsky quel-
ques jours à peine auparavant, et dont voici le texte :
Cher Mikhaël Ossopovitch,
.Je vous remercie de tout cœur pour vos félicitations à l'occasion de la première
représentation de Snegourotchka à l'Opéra-Comique de Paris, et pour l'envoi des
journaux contenant les comptes rendus. Voici un mois et même plus que j'ai -eu
coup sur coup deux accès d'asthme cardiaque, et que je me trouve dans la situation
d'un homme pas tout à fait bien portant: je ne sors pas, j'évite tout mouvement
brusque, la marche, de me pencher, etc., etc. Dans quelques jours je partirai pour
la campagne (chemins de fer de Varsovie, station Plioussa, propriété Lioubensk) où
je compte pendant l'été reprendre -des forces. Quant à mon voyage à Paris cet
automne pour la représentation de Sadko, je ne peux en ce moment rien dire, ni
promettre. Ménagez votre santé à Paris et pensez à votre tout dévoué,
N. Rs. Korsakof.
Bien que dans cette lettre il ne se montrât pas très satisfait de sa santé.
rien ne pouvait faire prévoir la disparition si rapide de Rimsky-Korsakow.
Aucun coup plus cruel ne pouvait frapper la Russie musicale depuis la mort
de Rubinstein et d« Tschaïkowsky, qui l'avait laissé à la tète du mouvement
artistique de son pays, où sa situation était devenue absolument prépondé-
rante. Depuis l'époque déjà lointaine de sa rupture avec le fameux cénacle des
Cinq, Rimsky avait recouvré toute sa liberté d'esprit, et l'on sait ce qui en
était résulté : l'abandon des idées sectaires et l'éclosion d'oeuvres aussi inté-
ressantes par la splendeur de la forme que par la richesse du fond. Je me suis
efforcé, en rendant compte de la représentation de Snegourotchka à l'Opéra-
Comique, de faire connaître le compositeur, j'ai dit ce que je pensais de cet
artiste superbe et si généreusement doué, et je ne saurais à cette heure que
me répéter. Je ne puis, en ce jour, qu'exprimer les regrets profonds que me
cause sa mort, regrets . que partageront surtout tous ceux qui savent que
Rimsky n'était pas seulement un artiste de premier ordre, mais aussi un
homme de cœur et un grand caractère. Il en donna la preuve, on se le rappelle,
par sa noble conduite lors de la situation troublée de Saint-Pétersbourg en
ces dernières années et par le courage avec lequel il défendit, devant des
excès d'autorité, les élèves et les professeurs du Conservatoire confié à ses
soins, courage qui lui valut sa révocation de directeur de cette institution. La
France, qui depuis longtemps déjà a salué de ses applaudissements le génie
de Rimsky-Korsakow (cela date des grands et superbes concerts russes de
l'Exposition universelle de 1878) prend sa part du deuil qui, en sa personne,
frappe d'une façon si douloureuse la Russie artistique. Arthur Poogin.
— Mardi dernier est mort subitement à Paris, à l'âge de S4 ans, un compo-
siteur qui s'était fait connaître sous le pseudnnyme de Ludo Ratz, et dont le
vrai nom était Louis Saraz. M. Ludo Ratz était un des fournisseurs attitrés
des petits théâtres « à côté », Mathurins, Parisiana, Littl Palace, etc., où il
donna un assez grand nombre de saynètes et d'opérettes : les Petits Pantins,
ta Rage, Mam'zell Saint-Louis, Madame Clown, le Satyre, Miss Fauvette, et bien
d'autres dont les titres nous échappent.
— Le 15 juin dernier est morte à Vienne, à l'âge de 82 ans, Karoline Pruck-
ner, cantatrice qui se fit rapidement une réputation il y a un peu plus d'un
demi-siècle et qui s'était vouée au professorat après avoir quitté la scène à
cause d'une maladie du larynx.
— Adolphe-Emile Bùchner, maître de chapelle à Erfurt, vient de mourir
dans cette ville à l'âge de 81 ans. Né le 27 septembre 1826, àOsterfeld, près de
Naumbourg, il fut chef d'orchestre de la Cour, à Meiningen, en 1866. Il
dirigea ensuite des société musicales, notamment à Erfurt. On peut citer de
lui deux opéras, Lancel t et Dame Kobold, un poème en musique, Wittekind,
des ouvertures, des symphonies, de la musique de chambre, etc.
Henri Heugel, directeur-gérant.
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NOUVELLES COMPOSITIONS
THÉODORE DUBOIS
ODELETTES ANTIQUES
Sur. des poésies de CHARLES DUBOIS
I. Chanson de pâtre
II. Incantation,
ni. Le jeune oiseleur.
Chaque numéro. . . .
IV. Le Pêcheur de Syracuse.
V. La jeune fille à la cigale.
VI. Prière de l'éphèbe.
. . Net 2 ». — Le recueil Net 5 »
ŒUVRES POUR PIANO
Sonate Net 5 »
Menuet Net 2 » | Adagio Net 2 50
ORGUE
Entrée (Grand orgue) . . Net 1 7b | Postlude (harmonium). . Net 1 »
DEUX CHŒURS
BR^CflfvOLtLtE RÉVEILt
Ténor solo et chœur mixte. Chœur mixte et soli.
La partition Net 2 » En partition Net 2 50
Chaque partie de chœur . Net » 50 | Chaque partie de chœur . Net 1 50
Avec accompagnement de piano
AU JARDIN
PETITE SUITE POCR INSTRU5IENTS A. VENT
(2 flûtes, I hautbois, 2 clarinettes, I cor et I basson)
I. Les Oiseaux. I II. Les Petites visites.
III. Gouttes de pluie.
Partition d'orchestre. . Net 3 ». — Parties séparées. . Net 6 »
Y.-K. NAZARE-AGA
VALSES
Les yeux clos.
Charme d'automne.
Éblouissement.
Fragilité.
Radieux éveil.
Valse de Paradis.
Édition pour piano seul net 2 »
Édition pour chant et piano (vers de P. d'Amor) . net 2 »
Édition pour chant seul net » 35
Édition pour orchestre complet net 2 »
Deux Sonnets de Paul VERLAINE
N° 1. Je fais souvent ce rêve. N° 2. A vous, ces vers.
Chaque numéro, net 1 50
Madrigal archaïque, poésie d'Edouard Saint-Léon net 1 50
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— COMPLÉMENT DE TOUTES LES MÉTHODES —
CARMEN DALMAS
4032. - U< ANNÉE.- i\° 27. PARAIT TOUS LES SAMEDIS
Samedi i Juillet 1908.
(Les Bureaux, 2blB, rue Vivienne, Paris, u° arr-)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
lie Numéro : Ofp. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEDGEL, Directeur
lie Numéro : Ofr. 30
Adresser franco à M. Henri IIF.UGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 ir., Paris et. Province.
Abonnement complet d'un an, Texte. Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les Irais de poste ea SU3.
SOMMAIRE-TEXTE
. Soixante ans de la vie de Gluck (26° article, . Julien- Tiersot. — II. Une famille de
grands luthiers indiens : Les Guarnerius (2° article), Arthur Poi'Gix. — III. Comment
je devins bibliothécaire du Conservatoire, J.-B. Weckerlin, avec une préface de
Charles Malherre. — IV". Nouvelles diverses et concerts.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
TRISTESSE et SAUTERELLES
nocturne et scherzo de la marquise de Negrone. — Suivra immédiatement:
Sur les coteaux, de F. Bixet.
MUSIQUE DU CHANT
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
Aubade, mélodie de la marquise de Negrone, poésie de Victor Hugo. — Suivra
immédiatement: Le Clwmineau, mélodie d'ÉDOUARD Tournon, poésie de Fer-
nand Giiegh.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
CHAPITRE VI
GLUCK COMPOSITEUR DOPERAS-COMIQUES
Est-ce à dire que Philidor soit complètement étranger à la pro-
duction du Diable à quatre ? Point du tout, je ne l'ai jamais nié.
Outre qu'on peut admettre que, jeune compositeur n'ayant pas
encore débuté au théâtre, il fut chargé du travail de raccords
nécessaires pour réunir ensemble des éléments hétérogènes, il
n'est point impossible qu'il ait fait encore œuvre plus person-
nelle; et voici une nouvelle particularité qui parait de nature à
préciser son rôle.
I La musique du Diable à quitre est, nous l'avons vu, prise à
ïdeux sources principales : les vieux, airs français, désignés dans
le livret par leurs timbres traditionnels. « Air : Quand je liens ce
jus d'octobre, — La bergère un peu coquette, — Xous sommes précep-
teurs d'amour », etc., et les airs italiens parodiés, auxquels le
même livret renvoie par des chiffres : « Ariette notée, n° 1 »,
etc. Quelques-unes de ces dernières indications portent les traces
d'indécisions confirmant l'hypothèse que cette partie musicale
fut ajoutée après coup. Ainsi un couplet écrit par Sedaine sur
l'air : Belle princesse, est suivi de celte observation : « Il y a
dans les airs notés à la fin une Ariette n° 3, qui se chante à la
place du couplet ci-dessus, lorsque l'actrice y est disposée » (I).
(1 1 l'ans ie supplément musical du même livret, on litsur un air noté : a Ariette qui
a été chantée à la première représentation, Acte 111 ». Mais il n'est pas possible d'en
Cet appel au bon plaisir des interprètes implique de leur part
une véritable coopération. L'ariette dont il est question est celle
que Baurans a parodiée sur un air de G. Scarlatti, d'un style
brillant d'opéra buffa.
Or, trois pages plus loin, le livret annonce un autre « Air
noté n° o », et quand nous nous reportons au supplément, nous
ne trouvons aucune musique correspondante, non plus que dans
la partition gravée. C'est l'Ariette : « Je n'aimais pas le tabac
beaucoup ». Par sa place dans l'action, celle-ci semble faire
corps avec la scène; elle ne doit donc pas être comprise dans la
série musicale ajoutée après coup, mais on peut croire qu'elle
a toujours eu sa place là, et que Sedaine en avait écrit les vers
dans l'intention d'en faire, parmi les couplets de vaudevilles,
un « air nouveau » à composer par un musicien d« l'entourage
des théâtres de la Foire. Cette particularité serait l'explication
de son absence parmi les airs notés à l'appendice ainsi que dans
la partition, ces deux publications donnant seulement la série
des ariettes parodiées par Baurans (1).
L'air : « Je n'aimais pas le tabac » est pourtant celui qui a
prolongé le plus longtemps la vogue du Diable à quatre. Il devint
populaire : la Clef du caveau, en donne le timbre, avec deux
musiques, celle refaite par Solié en 1809, et l'originale ; et pour
celle-ci, la table des auteurs inscrit l'attribution suivante :
« Duny. le Diable à quatre, opéra-comique ». Allons, bon! Dont
maintenant! Un de plus ! La postériorité du renseignemenl, nul-
lement confirmé par ailleurs, ne permet d'ailleurs pas de le
prendre en considération. Mais, le nom de Philidor ayantétémis
en avant avec des apparences plus sérieuses, n'est-ce pas plutôt
à lui qu'il faudrait rendre la paternité de l'air présentement
en cause? Tout concorde à nous y engager : Philidor, nous l'avons
dit, en était encore à ses débuts : on dut, pour le mettre à
l'essai, lui confier la composition d'un couplet; et la tentative
ne fut pas malheureuse, car le morceau, d'allure bien française.
retrouver la place dans la pièce. Lu partition l'insère au premier acte. Le catalogue
Votquenne iGlucki omet (p. 173i de le signaler dans son énumération dés morceaux
de celte partition où il est gravé pourtant à la page 9, sous le titre d'Ariette u° 'i ; il
semble, à la vérité, que cet article ait été rédigé non d'après la partition gravée chez
Li Chevardière, mais sur une copie manuscrite. Relevons enfin cette autre particula-
rité : la partition compte quatre morceaux déplus que l'appendice musical du livret,
onze au lieu de sept. Cela veut-il dire que ces morceaux, peut-être ajoutés postérieure-
ment à la première série de représentations, sont des compositions nouvelles ne
rentrent pas dans la série d'airs italiens, parodiés par Baurans. qui constituait la
partie musicale primitive ? Non, car l'identification faite par M. Wotquenne a abouti
précisément à reconnaître un de ces quatre nouveaux morceaux comme provenant
d'une œuvre antérieure.
i L'air original : « Je n'aimais pas le tabac » ne fait pas d'ailleurs complètement
défaut dans les documents musicaux contemporains. C'est ainsi que la Bibliothèque du
Conservatoire possède, outre les Irois partitions signalées, un quatrième exemplaire
avant servi à diriger les représentations du Diable à quatre à la Comédie-Italienne,
où sont inscrits beaucoup de remaniements, coupures ou additions : parmi ces dernières
est l'air en question, copié et intercalé. De même deux copies allemandes, dont nous
aurons bientôt à nous occuper, le repro luisent l'une et l'autre fvoy. Wotqusmxi
luyue de Gluck, pp. 175. 178 tt l-i ■
210
LE MÉNESTREL
est tout à fait dans la note des opéras-comiques dont il entre-
prendra bientôt la composition : Biaise le savetier, le Maréchal-
ferrant, et ce Sorcier où il sut si adroitement accommoder à son
profit la musique de Gluck.
Ce nom nous offre une transition toute trouvée pour revenir
à ce qui reste toujours notre sujet principal, dont nous sommes
moins éloignés qu'on ne le pouvait croire. Car Gluck, lui aussi,
est un des auteurs de la musique du Diable à quatre !
Il est à la Bibliothèque. Rnyale de Dresde deux partitions
manuscrites, datant du XVIIP siècle, dont l'une porte ce titre :
Airs nouveaux du Diable à quatre, opéra-comique composé /par M. le
Chevalier de Gluck.
L'autre, partition d'orchestre complète, ne porte pas de nom
d'auteur; mais la plupart des airs de la précédente y figurent (1).
Enfin, s'il est vrai que la Bibliothèque Impériale de Vienne,
qui possède ses autres opéras-comiques, n'a pas conservé celui-ci,
nous savons tout au moins, par Reichardt (2), que le Diable à quatre
est une des œuvres qu'il dirigea à la cour, et nous en connais-
sons la date de représentation : Laxenbourg, 25 mai 17o9 (3).
Les partitions de Dresde renferment plusieurs morceaux em-
pruntés à la composition parisienne originale ; mais il s'y trouve
aussi des airs nouveaux, notamment une partie de danse assez
développée, et il n'y a aucune raison d'en contester la paternité
à Gluck, puisque le titre la lui attribue. Ces airs ont générale-
ment pour paroles les couplets que Sedaine avait mesurés sur
les vieux vaudevilles français : c'est précisément le même cas
que nous avons constaté pour File de Merlin, et que nous retrou-
verons appliqué jusque dans le dernier opéra-comique de Gluck.
Mais la musique nouvelle a parfois un caractère déclamé qui en
révèle l'origine. Un exemple significatif nous est donné par
l'air du Magicien (ou du Docteur), qui, à la Foire Saint-Laurent,
se chantait sur : J'ai bien la plus simple femme.
Non, jamais méchante femme
Ne. le fut à cet excès ;
Je serais cligne de blâme
Si je ne la punissais.
Jusqu'à ce vers la musique du manuscrit allemand conserve un
caractère mélodique qui n'a pas une originalité particulière ;
mais voici la suite :
Elle verra la vengeance
Que prend un sot tel que moi.
Moi, dont la haute puissance
Tient tout l'enfer sous sa loi !
Sur ces idées plus fortes, le ton de la musique se hausse : la
« haute puissance » s'exclame sur une note aiguë ; une fusée de
tout l'orchestre à l'unisson monte pour éclater sur le mot
« enfer », et le dernier vers est d'une allure déclamatoire que
les paroles ont provoquée, mais que le début n'annonçait point.
C'est du Gluck.
Le morceau qui commence la pièce : ;< Oh ! la méchante
femme ! » qui, à la Foire, se chantait sur le timbre : Ah ! Madame
Anrou , est, dans les manuscrits de Dresde, un air nouveau
précédé par u ne introduction d'orchestre si développée qu'on
ne peut la prendre pour une simple ritournelle : elle semble un
instant annoncer une véritable ouverture, — jusqu'au moment où,
la toile levée, le discours instrumental s'en chaîne au premier
chant, — comme ce sera le cas plus tard pour les commence-
ments à'Alceste et des Iphigénies.
L'air du troisième acte : « Un air fin (4), un souris malin » est
une sorte de menuet lent, qui fait songer au chant de la Naïade
dans Armide.
Le suivant, accompagnant les exorcismes du Docteur magicien,
est dans un style imitatif, nullement incompatible avec les
conceptions ordinaires de Gluck.
Quant aux trois autres airs qu'on lit dans le choix d' « Airs
il) La Bibliothèque du Conservatoire di Bruxelles a fait prendre copie de ces deux
partitions, du contenu desquelles nous avons pu ainsi prendre connaissance.
(2) SluJien fur Tuukunsller uiul Musilifreunde, juillet 1792, p. 72.
(3) .V. Wotquenne, Catalogue îles œuvres de Gluck, p. "22V.
(4) Et non : « Va œil fin ». Wotquex.ne, pp. 176, 170.
nouveaux composés par le Chevalier Gluck » , s'il est vrai qu'ils
n'ajoutent rien à sa gloire, ils n'en retranchent rien non plus,
étant d'un style clair et sobre qui ne contredit en rien sa
manière habituelle.
Enfin une grande partie de la partition d'orchestre est formée
de ballets dont le principal se passe en enfer (comme ceux
A' Orphée, du ballet Don Juan, et de bien d'autres œuvres théâtrales
de ce temps, où l'enfer était un lieu fort à la mode). Si nous nous
rappelons que Gluck était toujours prêt à enrichir le répertoire
du théâtre confié à ses soins par ces sortes de compositions
annexes, nous ne trouverons nulle invraisemblance à conclure
que cette musique est encore de lui (1).
Les dernières pages des deux manuscrits de Dresde nous
réservent une ultime surprise.
Au temps où l'on chantait Béranger, il y avait une certaine
chanson du « Carillonneur » qui jouissait d'une grande vogue:,
je me rappelle comme un des plus anciens souvenirs de mon
enfance la voix douce d'une bonne tante qui me la chantait,
sur un air guilleret, avec des paroles dont, heureusement, je ne
comprenais pas alors le sens caché :
Digue digue digue, dig ding don,
Ah ' que j'aime à sonner un baptême !
Aux maris j'en demande pardon...
Quelle .ne fut pas ma stupéfaction, quand, à la fin des deux,
partitions conservées en Allemagne, je trouvai la notation de cet
air, un des premiers qui soient entrés dans ma mémoire (en en*
attendant quelques autres!) L'attribuer à Gluck?... Non, ce serait
trop drôle ! Et de fait, cela ne peut pas être : les partitions, era
l'intitulant « Vaudeville et Contredanse finale », affirment assez
son origine française, et le livret de la Foire en contenait déjà
les paroles, devenues timbre à leur tour : « Mon système estj
d'aimer le bon vin ». On retrouvera en effet ce titre dans la
Clef du caveau, avec la triple attribution : Contredanse du Diable
à quatre, ou Du matin au soir et contre tous, ou Tique tique tac et'
tin tin tin, et, pour nom d'auteur, Duni, déjà cité, aussi bien
à tort cette fois que l'autre.
En tout cas, voilà un nom de plus, celui de Béranger, à ajouter
à ceux, très divers, que nous avons été amenés à rencontrer âm
courant de cette étude ; et par là se complète cette salade'
extraordinaire de musiciens, de poètes et de gens quelconques
que nous avons trouvés à la base du Diable à quatre et dans ses
alentours : Sedaine, avec Shakespeare, Baurans ou de Beauran,
Pergolèse,Scarlatti,Ciampi,Favart, les vieux vaudevilles français,
la chanson du Mossignolet. la Foire, Guignol, la Cour, Duni,
Philidor, Anatole Loquin, Porta, Solié, Mouret, musicien des
Grâces, le Chevalier Gluck, et le chansonnier Béranger !
Après cet intermède, où nous avons vu Gluck jouer son rôle,
et appris à connaître tout ce qu'il fallait mêler ensemble pour
arriver à présenter un opéra-comique devant la Cour d'Autriche
au XVIIIe siècle, revenons à notre sujet principal.
[A suivre.) Julien Tiersot.
UNE FAMILLE DE GRANDS LUTHIERS ITALIENS
LES GUARNERIUS
ANDRÉ GUARNERIUS
Pas plus que le premier des Amati, ce n'est au premier des Guarneri
que la famille doit son lustre et la renommée qui s'est attachée à son
nom. Ce n'est point qu'André Guarnerius fût un artiste sans talent
et sans valeur : son seul titre d'élève rie Nicolas Amati, ainsi que
il) En résumé lés deux partitions de Dresde contiennent, l'une (la partition
d'orchestre complète) vingt-neuf numéros, dont six font partie de la série d'ariettes
introduites par Baurans, — une septième est l'air original : « Je n'aimais pas le tabac
beaucoup », — trois autres sont des timbres de vaudevilles français (l'un est noté
ffagmentairement dans la partition conductrice de la Comédie-Italienne), au total,
sur les vingt-neuf, dix numéros qui ne sont pas de Gluck. L'autre partition (Airs
nouveaux, etc.), sur douze numéros qu'elle comprend, renferme deux airs nouveaux
LE MENESTREL
■2 M
Festinie et l'affection que lui témoignait son maître suffiraient à prouver
le contraire ; mais il faut bien constater que la réputation d'André el
celle de ses deux fils pâlissent devant la gloire de son petit-neveu,
Joseph Guarnerius del Gesit, dont les beaux produits rivalisent presque
aujourd'hui avec ceux de Stradivarius.
On n'a rien d'absolument précis sur la date de sa naissance, mais on
le dit né à Crémone vers 1623, et l'on sait que c'est en ltiil qu'il eairtra
dans l'atelier de Nicolas Amati, dont il fut à la fois l'élève et le com-
mensal, car il vivait et habitait chez lui. Il est certain qu'il se fit
prendre en affection par son maître, car lorsque Nicolas Amati se
maria, en 1643, il le choisit pour un de ses témoins, ce qui est assuré-
ment un signe d'estime et de confiance (1). Quels compagnons trouva-
t-il dans l'atelier du célèbre luthier, et quels furent ses camarades ? Il
serait difficile de le dire, car ceux des élèves de Nicolas Amati dont on
a retenu les noms : Paolo Grancino, Sneider, J.-B. Etugàeri, Santo-
Serafino, étaient tous beaucoup plus .jeunes que lui et ne purent que
lui succéder auprès du maître. Aussi peut-on être étonné de l'erreur
vraiment singulière dans laquelle est tombé George Hart dans un livre
imparfait, mais néanmoins précieux et fort intéressant : Le Violon, et
fait avec un véritable amour du sujet (2). En faisant connaître l'entrée
du jeune Guarnerius chez Nicolas Amati, Hart s'écrie, dans un élan
de lyrisme : — « De quel intérêt pour nous seraient les plus petits évé-
nements de la vie d'atelier d'Andréa, s'il nous avaient été conservés !
Nous savons que dans ses premières années Guarnerius travaillait
côte à côte avec Stradivarius dans l'atelier de leur maître commun
.Nicolo Amati. Quel charme n'aurait pas pour les véritables amateurs
du violon un souvenir ou une anecdote de cet âge d'or de la fabrication
du premier des instruments ! L'idée seule que ces trois hommes vivaient
ensemble dans un commerce journalier éveille dans le cœur des adora-
teurs du violon le sentiment d'une vive émotion. Malheureusement, un
'Boswell n'était pas là pour prendre note des petits événements de
chaque jour, insignifiants alors, mais qui seraient si pleins d'intérêt
aujourd'hui ». Malheureusement aussi, cet. enthousiasme n'a pas de
raison d'être, car lorsque André Guarnerius entra chez Nicolas Amati
en 1641 il ne pouvait encore être question de Stradivarius, qui ne
devait naitrc que trois ans plus tard, en 1644. Hart avait négligé de
consulter les dates. J'aurai plus de plaisir à reproduire tout à l'heure
l'opinion qu'il exprime sur le talent et les produits d'André Guarnerius,
opinion raisonnée et d'un vrai connaisseur.
Onze ans après son entrée dans l'atelier de Nicolas Amati, André
songea à son tour à se marier. Le 31 décembre 1632 il épousait, dans
l'église de San Clémente, Anna-Maria Orcelli, qui ne devait pas lui
donner moins de sept enfants, dont quatre filles et trois garçons. De
ces derniers, deux seulement suivirent la carrière paternelle et devin-
rent luthiers, Pierre et Joseph-Jean- Baptiste. C'est seulement, sans
doute, à la suite de son mariage qu'André ouvrit lui-même un atelier
•et s'établit non loin de son ancien maître, à l'enseigne de Sainte-
'"Thérése(3i.
Les spécimens des instruments d'André Guarnerius sont aujourd'hui
devenus fort rares. On connaît cependant encore de lui des violons et
des violoncelles d'un excellent travail et d'un beau fini. En réalité, sa
lutherie est plus qu'honorable ; on peut s'en rendre compte par cette
appréciation de George Hart, qui le juge en ces termes : — « André
Vfiuarneri travailla quelques années sur le modèle de son maître Nicolo
Amati ; il changea plus tard le caractère des Jf, en même temps qu'il
■ ■abaissa les voûtes et qu'il donna à sa volute une plus grande origina-
lité. Son vernis est d'une nature très variée, la couleur en est généra-
Étte la partition précédente ( « Ali ! la méchante femme » et « Un air lin », qu'un
double témoignage attribue ainsi à Gluck), — trois autres airs nouveaux qui ne sont pas
Ens l'autre partition, et dont la musique est écrite sur des vers de Baurans, rempla-
çant ainsi les airs italiens primitivement adaptés, — trois des ariettes de la série
Baurans. avec leurmusique parodiée, — l'air du tabac, — enfin trois vaudevilles, dont
l'un est un air de Mouret. les Fêtes de Ttialie. Ce sont donc, de la première partition.
dix-neuf airs, de la seconde, trois autres airs, au total vingt-deux, que l'on peut
attribuer à Gluck comme ayant été composés par lui pour les représentations du
Diable à quatre à la cour d'Autriche en 1759.
(1) Nicolas Amati épousa, le 23 mai 1645, une demoiselle Lucrezia Pagliari. Son
aulre témoin était un sieur Lorenzo, chevalier du Saint-Sépulcre.
■2 The riolin. ils famous makers and their imilatei's (Le violon, ses fameux feseurs
et leurs imitateurs . London, 1SÎ5, in-4°. Une traduction française de cet ouvrage
fcrjortant, due à Alphonse Rover (ancien directeur de l'Opéra), a paru à Paris, chez
Schott, en 1880. Georges Hart, luthier et l'un des plus fameux marchands d'instru-
ments de Londres, très expert sous ce rapport, parce qu'il avait beaucoup étudié et
comparé, était plus à même qu'aucun autre d'écrire un livre de ce genre. Ce livre
esi imparfait, je l'ai dit, en quelque sens, mais il est plein de détails et de rensei-
gnements que l'auteur est allé chercher lui-même en Italie, et il reste indispen-
sable à consulter pour qui vent s'occuper sérieusement de lutherie.
3 Comme l'indiquent ses étiquettes, toutes rédigées en latin, et dont l'une est
ainsi conçue: — Andréas Guarnerius fecit Cremonœ sub tilulo Sanctœ Teresiœ, 16.
lement d'un omii^.. pâle -l'une charmante nuance: il ;i quelquefois
beaucoup de corps, mais alors il perd la transparence des ■.■mi- d'un
ton clair. Andréa a fait des violoncelle le deux- gr leurs; li
présente point d'ondes naturelles, mais il possède des qualités acousti-
ques du •plus haut degré. Les viciions de- ce maître soni la plus haute
expression de son talent ; la main-d'œuvre >'si admirât
pas cependant au beau fini d'Amati ...
André dul produire, beaucoup, bien que >es instruments, je
soient devenus d'une grande rareté, car il a travaillé plus de quarante
ans.' Nous en avons la preuve par une de ses étiquettes que Vidal a
reproduite dans son livre et qui porte la date de 1696, deux a
sa mort. Il était déjà septuagénaire. Ses violoncelles sonl devenus plus
rares encore que ses violons, selon ce qu'en disent MM. Ilill dans leur
beau livre sur Stradivarius (1) : — « Nous ne pouvons parler qu'avec
une certaine réserve des violoncelles produits par André Guarnerius ;
du reste, il n'en fit apparemment que très peu : nous n'en avons ren-
contré que cinq ou six d'une indiscutable authenticité. Le patron nous
rappelle un peu les Maggini ; la largeur n'est pas en proportion avec la
longueur ». Bares ou non, il est certain qu'ils ont acquis une valeur
considérable. J'en trouve la preuve dans un livre ri ce ' de M. Albert
Fuchs : Taxe (1er Streich-lnstrumenle (Leipzig, 1907, in-8°), qui est
comme une sorte de guide commercial du luthier. Cet écrivain, après
avoir indiqué que le prix des violons d'André Guarnerius est d'environ
3.000 marks (3.730 francs), et que celui de ses violoncelles est beaucoup
plus élevé, ajoute : « Quant à l'instrument solo de la Société des vio-
loncellistes Bôckmann de Dresde (<las Dresdner cellisten Bbchmann ,
œuvre d'Andréas Guarneri de 1794, d'une supériorité égale pour le son
et pour la beauté, c'est en vain qu'un négociant anglais en olfril
40.000 marks ». soit 30.000 francs. On peut donc juger que celui-là est
en effet d'une valeur exceptionnelle.
Ou ne cite point d'autres élèves d'André Guarnerius que ses deux lils,
Pierre et Joseph; il est cependant probable qu'il en dut former plusieurs
au cours d'une carrière qui se prolongea pendant un demi-siècle. Il
perdit sa femme après quarante-trois ans de mariage, le 13 janvier
1695 (2). Il ne devait pas très longtemps lui survivre, car il mourut lui-
môme le 16 décembre 1698, âgé d'environ 73 ans. Il fut inhumv à côté
d'elle, dans l'église San Domenico.
(A suivre.* Arthur Pougin.
UNE PRÉFACE
Il vient de paraître, tiré à petit nombre et pour quelques amis seulement,
le catalogue d'une bibliothèque musicale qui, par le nombre et l'importance
des volumes, ne saurait passer inaperçue. On trouve là des pièces raivs. des
éditions anciennes d'ouvrages recherchés, des curiosités de toute nature :
livres d'études et livres de luxe, attestant à la fois la patience du chercheur, le
goût de l'artiste et l'autorité du savant. Tout s'explique si l'on songe que cette
précieuse collection appartient, ou plutôt appartenait (car, depuis hier, elle à
passé, d'un trait de plume, en des mains étrangères) àl'éminent bibliothécaire
du Conservatoire. M. J.-B. Weckerlin. Depuis plus de quarante ans. il furetait
chez les bouquinistes, ou fréquentait les salles de vente; son o flair » naturel,
comme aussi l'expérience acquise, lui avait permis de mettre à profit les
bonnes occasions: il savait acheter, et l'objet qu'il avait acquis, parfois non
sans peine, il l'aimait d'une passion qui demeurait, en somme, la grande joie
de sa vie. Ses livres étaient ses enfants, et, pour se séparer d'eux, il a fallu
que la maladie l'éloignât de Paris et l'obligeât d'achever sa lungue conva-
lescence au pays natal, sur cette terre d'Alsace où saignera jusqu'à son
dernier jour son cœur de patriote.
De ce catalogue, dont le tirage restreint l'ait d'avance une rareté bibliogra-
phique, nous extrayons pour les lecteurs du Ménestrel la piquante préface ou
l'auteur, avec cette bonhomie spirituelle dont le tour lui est propre, raconte
l'un des incidents notables de sa carrière. C'est une petite page A'
musicale, qui a son intérêt, et dont je me permettrai ensuite de tirer une
conclusion en guise de morale.
COMMENT JE DEVINS BIBLIOTHÉCAIRE DU CONSERVATOIRE
C'était au mois de mars 1869. un soir où je donnais un concert dans
•la salle Pleyel. Entre deux numéros du programme, Ambroise Thomas
vint me trouver au foyer, et le dialogue suivant s'engag
[\) Antoine. Stradivarius, sa vie et son œuvre, .par Henry, A
duction française de M.Maurice Reynold (Paris, Fiscbbacher, 1908, un vol. in-4-
richement illustré.. C'est, avec la brochure de Fi - il . ■
consacré à l'illustre luthier.
2) L'acte d'inhumation n'est pas sans quelques originalité au poinl .le vue de sa
rédaction : il est ainsi conçu ; — Donné la sépulture à la femme
Guarnieri (sic;, qui fait les violons che lai uioliai) ».
212
LE MENESTREL
— Vous eavez, mon cher ami, que Berlioz vient de mourir ?
— Mais, non ! Voilà cinq jours que j'ai été le voir ; il n'allait pas
bien, certes, il souffrait beaucoup, il gémissait plus encore, mais il ne
semblait pas si près de sa fin.
— Eh bien, Monsieur Auber que j'ai vu aujourd'hui à l'Institut.
m'a chargé d'une commission pour vous, et vous offre de remplacer
Berlioz dans ses fonctions de bibliothécaire du Conservatoire; et il
vous demande d'aller, dès demain, chez Camille Doucet.
— Ma foi. voilà un honneur auquel je ne m'attendais guère ; du
diable, si j'y avais jamais songé ! Il est vrai que j'aime les bouquins
lorsqu'ils parlent de musique ; j'en possède même un certain nombre,
que je ne sais déjà plus où fourrer dans ce petit appartement de la rue
Saint-Georges où je me trouve si bien, où de mes fenêtres je vois
chaque matin dans la cour atteler Figaro à la voiture de Monsieur Auber.
Seulement, cher ami, ce que vous me proposez là va bien changer ma
manière de vivre. Vous n'ignorez pas que je fais des cours de musique
dans un important pensionnat de jeunes filles ; alors il va falloir...
— Bast ! vous savez bien que Berlioz n'allait pas souvent à cette
bibliothèque du Conservatoire ; c'est tout au plus s'il en connaissait
l'emplacement.
— Pourtant je confesse à son honneur que je l'y ai vu une fois : il
avait besoin d'accompagnements d'orchestre pour des airs italiens ou
allemands, imposés par les cantatrices qui se faisaient entendre dans
ses concerts. Il fouillait dans un tas de musique. Quant aux livres...
— Oh ! vous avez raison ; ce n'est pas là ce qu'il aimait.
Là-dessus Ambroise Thomas me quitta, et le concert suivit son
cours.
Le lendemain, j'étais chez Camille Doucet, dans les attributions
duquel rentraient les affaires du Conservatoire. Cet aimable et impor-
tant fonctionnaire semblait embarrassé pour avouer la modestie du
traitement qu'il me destinait ; puis, délaissant les artifices oratoires, il
me dit avec un sourire :
« Autant vous avouer franchement ce qui se passe. Trois députés
ont demandé au Ministre des Beaux-Arts une pension de 3.000 francs
pour M"0 Déjazet qui n'est pas très en fonds pour le momeut. Nous
allons faire passer sur sa tôte la pension de. 3.000 francs que touche
Félicien David, et comme ce dernier, lui non plus, n'est guère en
fonds, nous lui rendrons cette somme sous forme d'appointements, en
lui confiant la bibliothèque du Conservatoire. Vous serez sous-bibliothc-
caire, et vous toucherez 1.800 francs. Entendu, n'est-ce pas ?... »
Ces combinaisons de chiffres me laissaient au fond assez indiffèrent,
quoique je ne fusse pas riche. Félicien David s'était un peu rebiffé
tout d'abord, puis avait accepté ; moi, j'acceptai aussitôt sans faire la
grimace, heureux de servir près d'un maitre que j'admirais et qui était
pour moi un ami de cœur.
Toutefois, je dois l'avouer, il n'aimait pas plus les livres que Berlioz,
et depuis six mois il était nommé bibliothécaire, sans savoir encore où
se trouvait sa bibliothèque. Je finis par le décider à accepter la corvée
d'une visite, et, certain matin, j'allais le cueillir à son petit lever.
Résigné à son sort, il voulut bien admirer notre grande galerie, dont
les boiseries, certes, méritent l'attention, puis il ajouta : « A propos,
ces jours-ci, un monsieur est venu me soumettre un système musical
de son invention ! » Et, tirant de sa poche une carte (c'était un as de
cœur, je m'en souviens), il y traça quelques signes en guise d'expli-
cation. « Mais, fis-je aussitôt, c'est du vieux neuf que votre monsieur a
fabriqué là. » Et je lui montrai la prétendue invention dans une bro-
chure imprimée au moins depuis quinze ans. Pour se consoler de cette
déconvenue, l'auteur du Désert me demanda d'emporter la partition
d'orchestre de Guillaume Tell. Les livres ne doivent pas se prêter au
dehors ; mais il était mon chef et je ne pouvais refuser. Quel souci !
Nous nous rencontrions dans quelques comités, et, chaque fois, j'avais
soin de rafraîchir sa mémoire. « Soyez tranquille, me répondait-il,
pour votre partition de Rossini ; mais les jours d'orage, quand il y a
des éclairs et du tonnerre, je lis quelques pages de Guillaume Tell :
cela fait diversion et me fournit un agréable passe-temps. »
Le temps passé ainsi se chiffra par des années. Le volume revint à la
Bibliothèque, mais non point rapporté par celui qui l'avait emprunté
C'est moi qui le retirai des mains d'un notaire, Mc Hyver, au moment
ou on l'emportait pour le vendre aux enchères a l'Hôtel Drouot avec
d'autres objets provenant d'une succession...
Dans l'intervalle, en effet, Félicien David était mort : c'était au tour
du second de passer le premier... et voilà comment je devins Bibliothé-
caire du Conservatoire. J.-B. Weckerlin.
Le hasard, on le sait, préside souvent à la destinée des mortels; il fit do'
M. Weckerlin un bibliothécaire, quand la nature tout d'abord l'avait fait
musicien.
Né à Guebwiller (Haut Rhin), le 9 novembre 1821, fils d'un teinturier en
soie qui le destinait à l'industrie, Jean-Baptiste Weckerlin manifesta de bonne
heure des dispositions telles que malgré l'opposition de la famille, il se tourna
vers la musique et voulut s'y consacrer exclusivement. Presque sans maitre, il
apprit un peu de tous les instruments, et pouvait ainsi tenir sa partie dans les
concerts improvisés entre parents et amis; il jouait tour à tour, et à volonté,
piano, violon, contrebasse, flûte, cor ou trombone. Il avait, en outre, une jolie
voix; aussi lorsqu'il vint. à Paris en 18 i4 pour entrer dans la classe d'Halévy,
il sut mettre à profit ses talents variés et gagner son pain quotidien en chan-
tant dans les choeurs et en donnant des leçons. En 1849, il quitta le Conserva-
toire, et, l'année suivante, il fondait avec Seghers cette fameuse Société
Sainte-Cécile qui fut comme l'embryon de nos grands concerts symphoniques,
et où furent exécutés pour la première fois tant d'ouvrages anciens ou nou-
veaux inconnus alors et, depuis, devenus populaires. Mais il ne se contentait pas
de diriger les chœurs; il écrivait pour les chœurs, et pour les solistes, et pour
les instruments; il composait des œuvres charmantes, où la grâce le disputait
à l'esprit, où, sous le manteau de la simplicité, se cachait modestement beau-
coup de finesse; il avait étudié con amorels. chanson populaire, et il s'en était
approprié le tour aimable, la netteté rythmique, la franchise mélodique. Il
avait donné au Théâtre-Lyrique, et avec succès, en 1853 l'Organiste et en 1877
Après Fontenoy: il avait fait entendre soit au Théâtre-Italien, soit à la Société
des concerts, soit aux concerts du Grand-Hôtel, dirigés par Daubé, d'impor-
tantes partitions, vocales et symphoniques, comme les Poèmes de la Mer, Dans
la Forêt, la Fête d'Alexandre, l'Inde, etc.; enfin, il avait publié des mélodies
dont beaucoup devinrent populaires.
Mais il ne s'agit pas d'énumérer ici toutes ses œuvres; le nombre en est tel
que plusieurs colonnes du Ménestrel y suffiraient à peine. Je m'amuse présen-
tement à en dresser le catalogue thématique, et je demeure confondu devact
une telle pruduc'ion. Chœurs, duos, pièces symphoniques, œuvres dramatiques,
morceaux pour piano seul et pour piano à quatre mains, tout cela se compte,
ou plutôt... ne se compte plus. Quant aux mélodies, s'il en existe bien six cents
qui sont éditées, j'en connais, parce que j'ai les autographes entre les mains,
au moins autant qui ne le sont pas.
Tel était le musicien qui, par un coup du sort, devenait bibliothécaire, et,
il faut ajouter, pour le plus grand profit du Conservatoire; car M. "Werkerlin
tacha de ne pas ressembler à ses illustres prédécesseurs, Berlioz et Félicien
David. Ceux-ci avaient accepté des fonctions et ne les remplissaient point. Lui,
bieu au contraire, il prit son rôle au sérieux, et, sous sou impulsion, la
Bibliothèque du Conservatoire devint l'une des plus riches du monde entier.
En Allemagne, en Belgique, en Italie, il faisait les acquisitions les plus
utiles et les plus avantageuses; aux imprimés, il ajoutait les estampes et les
manuscrits originaux dont la valeur est aujourd'hui inestimable; il recueillait
d'innombrables brochures, délaissées jusque-là, et transformées, grâce à lui,
en sources abondantes de renseignements; il accumulait et il classait avec un
inlassable zèle. A dix heures du matin, il arrivait à la Bibliothèque, et ne la
quittait qu'à six heures du soir, le premier à venir, le dernier à partir, donnant
l'exemple de la ponctualité et de l'assiduité, travaillant toujours et mettant
son érudition au service de tous les vrais travailleurs, ne s'appliquant à éloigner
que les oisifs, les indifférents, les gêneurs. On a répété qu'il gardait jalouse-
ment ses trésors et ne les livrait que contraint et forcé. Ce sont les étrangers
qui ont répandu ce bruit, car, plus d'une fois, ils avaient dû compter avec sa
vigilante sévérité; mais au profit des Français, de ceux qui voulaient le
consulter en s'éclairant de ses lumières, il se dépensait avec un empressement
auquel plus d'un, moi tout le premier, doit rendre hommage. Avec ceux qui
l'intéressaient, il devenait la complaisance et la bonté mêmes : on ne pouvait
pénétrer dans son intimité sans l'aimer.
Il se peut que l'âge et la maladie le forcent à quitter son poste. Ce jour-là,
une récompense devrait lui être attribuée, comme au doyen, au plus fidèle,
au plus digne des serviteurs du Conservatoire. Depuis plus de trente années
qu'il est chevalier de la Légion d'honneur, à quatre-vingt-sept ans d'âge, ce
modèle des fonctionnaires, ce musicien distingué, ce bibliophile averti, a bien
le droit de voir son ruban rouge se transformer en rosette. Paissent ces lignes
tomber sous les yeux de M. le Ministre de l'Instruction publique, afin de
signaler à sa bienveillance et à sa justice un artiste dont la vie demeure un
exemple, car son ambition s'est toujours bornée à aimer son pays et à le ser-
vir par son infatigable labeur. Charles Malherbe.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour les seuls abonnés a la musique)
Les grandes dames de nos jours ne font pas seulement de la poésie, elles conti-
nuent a écrire de la musique, et souvent non sans talent. Le maitre Massenet avait
appelé notre attention sur quelques compositions de la marquise de Negrone, ei en
effet ce Nocturne est mélodique assurément sans banalité, et ces Sauterelles, y jointes,
sont un galant badinage.
LE MÉNESTREL
a Vi
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
II est question de commencer à Berlin, dès le courant de l'automne pro-
chain, la construction d'unOpéra-Populaire pouvant contenir deux mille cinq
cents personnes. Le projet est dès à présent élaboré, parait-il, les plans sont
achevés et le terrain aurait même été acheté. C'est M. Pasti, le directeur du
nouveau théâtre d'opérette, qui prendrait la direction de l'Opéra-Populaire; il
y annexerait une sorte d'institut supérieur destiné à préparer les artistes. Le
prix des places les plus chères ne dépasserait pas 4fr. 30. Le théâtre sera cons-
truit avec élégance, dans le « Barockstil » moderne, comme on dit en
Allemagne.
— Un don de précieux autographes à la Bibliothèque-Royale de Berlin. —
Le conseiller intime de commerce, M. Ernest von Mendelssohn-Bartholdy,
lils de M. Paul Mendelssohn-Bartholdy, qui était lui-même le frère du célèbre
compositeur, vient d'offrir à l'Empereur d'Allemagne, pour qu'il en dispose
en faveur d'une institution publique, des autographes de J.-S. Bach, de Jo-
seph Haydn, de Mozart et de Beethoven, qu'il avait en sa possession. L'Em-
pereur a décidé que ces documents de premier ordre pour l'histoire de la
musique seraient conservés à la Bibliothèque-Royale de Berlin. La livraison
en a été faite le 26 juin dernier. Les pièces les plus importantes de la collec-
tion sont : Une cantate et un cahier de chorals de Bach; quatre symphonies
et une messe de Haydn: la partition complète de l'Enlèvement au Sérail de
Mozart et un livre d'esquisses de la jeunesse de ce maitre; les autographes de
Beethoven sont d'une valeur inestimable; il y a : trois symphonies, la qua-
trième, en si bémol, la cinquième, en ut mineur, la septième, en la; toutes les
trois sont complètes et écrites de la main de Beethoven; le septuor, op. 20;
le quintette, en ut majeur, op. 20; le trio, en si bémol majeur, pour deux
hautbois et cor anglais, op. 97; sept quatuors, en fa, op. 591, en mi bémol,
op. 74, en mi bémol, op. 127, eu si bémol, op. 130, en ut dièse mineur,
op. 131, en lu mineur, op. 132; parmi ces quatuors, trois sont complets:
l'ouverture en mi majeur de Fidelio, le premier et ie deuxième finals de cet
opéra; enfin un livre d'esquisses excessivement intéressant. M. Ernest Men-
delssohn a encore ajouté à tout cela le manuscrit original du concerto pour
violon de son oncle, Félix Mendelssohn-Bartholdy. Si quelque erreur s'était
glissée dans cette liste dressée hâtivement, nous nous empresserions de la
rectifier. Il y a par exemple un doute pour le septuor, op. 20, que l'on a
qualifié sextuor.
— De Berlin : Au Schillertheater, qui est loué tous les étés par l'Opéra-
Morwitz, a eu lieu hier la première représentation, en Allemagne, d'un opéra-
comique vieux de plus d'un demi-siècle : il s'ag.t de Si j'étais Roi, d'Adolphe
Adam. On ne connaissait jusqu'à présent en Allemagne que deux des nom-
breuses compositions de l'auteur du Chalet : le Posti/l n de Lonjumeau et la
Poupée de Nuremberg, qui se trouvent au répertoire de plusieurs théâtres
allemands et qui ont encore tous les ans de nombreuses représentations. Si
j'étais Roi, qui a été adroitement traduit, mis en scène et dirigé hier par le
kapellmeister et directeur Je la Morwitz Oper, M. Paul Wolff, a obtenu un
très gros succès et aura certainement, lui aussi, de multiples représenta-
tions.
— Des concerts du soir seront donnés pendant la saison prochaine dans le
Choralion Saal de Berlin. Le distingué violoncelliste, M. Marx Lœwenson,
qui en a pris l'initiative, fait ainsi connaître son but et ses intentions : «Nous
désirons fournir aux compositeurs les plus remarquables de toutes les natio-
nalités l'occasion de se faire connaître de l'élite du public musical de Berlin,
et cela, grâce à des interprètes choisis par eux-mêmes et placés sous leur
propre direction. Nous nous sommes assurés dans ce but un local de dimen-
sions modestes, le plus convenable à ce qu'il nous a semblé, pour permettre
d'entrer dans l'intimité des œuvres et de les exécuter d'après leur véritable
sentiment et leur caractère particulier. Les conditions de simplicité, d'élé-
gance et de calme que nous tenons à conserver à notre entreprise, nous pen-
sons pouvoir les réaliser dans le Choralion Saal, qui nous offre encore l'avan-
tage d'y pouvoir disposer d'un très bel orgue. Pour la saison 1907-08, nous
avons fait appel à plusieurs maîtres de l'école française; ils dirigeront leurs
œuvres pendant six séances. » Parmi les compositeurs français auxquels il est
fait allusion, les noms de quatre ont été prononcés déjà; ils dirigeront leurs
œuvres pendant les quatre premières séances. Ce sont MM. Gabriel Fauré,
Ch.-M. Widor. Alexandre Guilmant et Claude Debussy.
— De Vienne : Parmi les œuvres nouvelles que la direction de l'Opéra de
la Cour montera la saison prochaine figure celle d'un compositeur américain,
M. Albert Mildenberg. Cet opéra s'appelle Michel-Ange et, comme le titre le
laisse supposer, son action est puisée dans la vie et dans l'œuvre du célèbre
peintre, sculpteur et architecte italien. M. Mildenberg avait d'abord soumis
son opéra aux directeurs du Metropolitan de New-York qui, n'osant pas pré-
senter au public américain un compositeur complètement inconnu, lui ont
conseillé de se faire jouer d'abord en Europe. La première représentation
aura probablement lieu au commencement de novembre et le ride de Michel-
Ange sera créé par M. Bonci.le célèbre ténor.
— L'Association Richard Wagner, de Gralz, dans une séance tenue le
20 juin dernier, a voté, à l'unanimité de ses membres présents, l'ordre du jour
suivant destiné à protester contre les coupures faites à l'Opéra de Vienne dans
la partition de laWalkyrie. « Pendant les dix années qui viennent de s'écouler,
lesceuvres de Richard Wagner ont été exécutées à l'Opéra de Vienne avec le
respect que méritent les ouvrages do cotte valeur. On avait rompu avec les
errements d'autrefois, consistant à couper et à omettre certaines pariiesaBn
de gagner du temps, et. depuis le Vaisseau fantôme, tous les drames lyriques
de Wagner étaient joués sans coupures, aux applaudissements du public.
Jamais Wagner n'a laissé sous ce rapport subsister aucun doute sur ses in-
tentions. Il était convaincu que ses ouvrages ne pourraieni être compris qu'à
la condition d'être exécutés intégralement. Or, aujourd'hui que les scènes
théâtrales, même quand elles sont réduites à de faibles ressources, disposent
de moyens bien plus considérables qu'autrefois, il n'y a plus rien qui puisse
excuser ceux qui voudraient en revenir aux anciens abus. Ce qui se passe a
Vienne parait d'autant plus étrange et d'autant plus regrettable que c'est le
nouveau directeur de notre première institution d'art, M. Félix Weingartner,
qui a essayé ce retour en arrière et a exécuté la Walkyrie en y pratiquant
seize coupures formant ensemble plus de deux cents mesures. Cette façon
d'agir ne peut rester sans protestation, et notre association, qui a pour objet
de veiller à ce que les intérêts de l'art wagnérien ne soient point lésés, ne
remplit en la circonstance que le devoir très naturel qui lui incombe, en
blâmant de telles pratiques et en exprimant l'espoir que cette mutilation
de l'œuvre de Wagner, précieux patrimoine artistique de la nation, ne soit
plus continuée désormais... Le spectateur, qui ne peut supporter la représen-
tation de la Walkyrie sans coupures, ne verra certainement aucun inconvé-
nient à ce que cet ouvrage disparaisse entièrement du répertoire. Tous lès
amis de l'art espèrent avec nous que M. Weingartner, qui est lui aussi un
artiste créateur, ne voudra pas prendre appui chez cette partie du public, qui
ne voit dans le spectacle qu'un moyen de se défendre contre l'ennui pendant
une soirée ».
— L'« Allgemeine Musik-Zeitung » nous apporte les renseignements statis-
tiques suivants sur la dernière saison musicale des doux théâtres royaux
d'opéra de Berlin. Les représentations commencées le 20 août 1907 avec le
Vaisseau fantôme se sont terminées le 21 juin dernier par Madame Butterfly.
On a donné pendant ces dix mois, tant à l'ancien qu'au nouvel Opéra-Roval,
trois cent-trente-deux représentations des compositeurs suivants : Adam,
Auher, Beethoven. Bizet, Blech, Boicldieu, Cornélius, Donizetti, Gluck, Gou-
nod, Humperdinck, Kienzl, Leoncavallo, Lortzing, Mascagni, Masenct,
Meyerbeer, Mozart, Nicolai, Offenbach, Puccini, Rossini, Reznicek. Saint-
Saèns, R. Strauss, Ambroise Thomas, Verdi, Wagner. Weber. Sur ces vingl-
neuf compositeurs, dont cinquante-qu-Urc ouvrages ont été représentés. Ie3
neuf français ont à leur actif soixante représentations comprenant les œuvres
suivantes : Mignon, Carmen, Faust. Roméo et Juliette, Manon. Thérèse, In Ifavàr-
raise, Samsou et Dalila, la Dame blanche, Jean de Paris, le Postillon :!'■ Lonju-
meau, Fra Diavolo. le Domino noir. On remarquera que les opéras de Gluck,
Meyerbeer el Offenbach ne figurent pas ici, ces maitres n'étant pas nés eu
France; il est juste pourtant de considérer que leurs œuvres, du moins, celles
qui restent au répertoire, sont bien exclusivement françaises.
— Le 23 juin dernier, à Leipzig, les amis de M. Charles Reinecke ont célé-
bré le quatre-vingt-quatrième anniversaire de sa naissance. Parmi les per-
sonnes empressées à rendre hommage au vieux maitre, on a remarqué le duc
Georges Alexandre de Mecklembourg, qui a passé deux heures auprès de lui.
Comme compositeur, Charles Reinecke n'a pas fait preuve d'une grande ori-
ginalité, mais il a produit des ouvrages intéressants dans tous les genres : ce
sont l'opéra le Roi Manfred, les opéras-comiques le Factionnaire de quatre ans,
Par ordre supérieur et le Gouverneur de Tours, l'oratorio Ballhasar. l'intermède
Une aventure de Haendel, la musique mélodramatique pour Guillaume Tell de
Schiller, deux messes, des cantates, trois symphonies, des ouvertures, de la
musique de chambre, quatre concertos pour piano, des sonates pour piano ou
autres instruments, des morceaux de genre en grand nombre, des ballades
pour chant, des mélodies, etc. Charles Reinecke se fit connaître en 1843
comme pianiste et obtint de grands succès dans les concerts. Il fut attaché
pendant deux an? à la cour du roi de Danemark Christian VIII, se rendit à
Paris vers 1848 et devint en 1831 professeur au Conservatoire de Cologne. De
1834 à 1839, il remplit les fonctions de directeur de la musique à Barmen,
occupa ensuite un emploi analogue à Breslau et fut nommé, en 1860. chef
d'orchestre des concerts du Gewandhaus de Leipzig et professeur de piano et
de composition au Conservatoire de cette ville. Il abandonna en 1893 la direc-
tion des cuncens, et eut pour successeur M. Arthur Xikiscb. Nommé direc-
teur des études au Conservatoire en 1897. il ne prit définitivement sa retraite
qu'en 1902. On a de lui plusieurs ouvrages d'enseignement, des notices sur
Mozart, Beethoven, Haydn, Weber, Schumann, Mendelssohn, etc., etc. Une
de ses œuvres d'orchestre a éié consacrée à la mémoire de Félicien David ;
elle a pour titre : In memorium, introduction, fugue et choral pour orchestre Aux
mânes de Félicien David. »
— On peut lire dans Y Allgemeine musilailisclie Zeitung de l'année 1833
les ligues suivantes : o La nouvelle symphonie, — il s'agit de celle en ut ma-
jeur qui vient d'être exécutée au Gewandhaus de Leipzig, — est du jeune
musicien Richard Wagner, qui n'a pas plus de virjet ans. Tous les morceaux,
à l'exception du deuxième, ont été bien accueillis et appréciés selon leur
mérite... Le jeune artiste a quitté depuis quelques semaines la maison de son
père pour se rendre à Wurtzbourg, chez un de ses frères qui y est professeur
de chant. » M. Hermann Rilter a publié dans les « Dernières nouvelles de
244
LE MENESTREL
Munich » quelques renseignements sur ce séjour de Wagner à Wurtzbourg.
Son fiera se nommait Albert. La maison qu'il occupait, au coin de la rue
Hubert et de la rue des Capucins, a été munie d'une inscription ainsi conçue :
« Dans cette maison habita en 1833 Richard Wagner ». La Maison est petite
et de très modeste apparence. Ou ignore généralement qu'en 1860. lorsque les
projets de Wagner, pour l'érection d'un théâtre de fêtes, parurent définitive-
ment anéantis, le maitre entreprit d'intéresser à sa cause le bourgmestre
de Wurtzbourg, lui proposant de faire ériger sur une hauteur, au Sud-Est de
la ville, un théâtre construit selon ses idées et ses plans. Le magistrat muni-
cipal répondit simplement : « Nous avons déjà ici un théâtre ; nous n'avons
pas besoin de nous embarrasser d'un autre, » A l'époque où Wagner fit un
séjour à Wurtzbourg, son frère était à la fois chanteur, comédien et régis-
seur au théâtre de cette ville. Le futur auteur de Parsifal acquit là, par expé-
rience, bien des notions utiles relativement à l'art de la 'mise en scène, Il
remplit au théâtre les fonctions de directeur des chœurs pendant quelques
mois,des années 1S33 et 1834, et toucha dix florins d'appointements mensuels.
Il osa même, pour être agréable à son frère, qui possédait une voix élevée de
ténor, ajouter à l'air n° 15 de de la partition du Vampire de Marschner une
terminaison de cent quarante-deux mesures, au lieu des cinquante-huit qui
existaient dans l'original. Cette amplification de rhéthorique musicale est
datée du 23 septembre 1S33. C'est probablement le premier fragment de lui-
même que Wagner ait entendu chanter sur la scène. Lorsque le maitre
quitta Wurtzbourg, en 1834, il se rendit à Leipzig, dans l'espoir d'y voir
représenter son opéra en trois actes, les Fées, qu'il avait écrit chez son frère
d'après la Femme serpent de Gozzi; mais une forte déception l'attendait; son
oeuvre ne put arriver jusqu'aux feux de la rampe et ne fut jouée, à Munich,
que cinquante-cinq ans plus tard, en 1888. Un amusant souvenir se rattache
au séjour que fit Wagner à Wurtzbourg dans la maison de son frère Albert.
Il a été raconté par la fille de ce dernier, M""' Johanna Jachmann- Wagner,
qui fut une cantatrice de renom et une excellente tragédienne. « Je fus très
souvent, dit-elle, envoyée près de mon oncle Richard, pour lui dire qu'il
devait venir plus ponctuellement se mettre à table avec nous à l'heure des
repas, car sans cela il ne trouverait plus que des mets refroidis. Un jour que
j'avais été chargé de cette commission, je le trouvai réfléchissant dans sa
petite chambre tout encombrée de livres. Il ne fit d'abord aucune attention
à moi, mais lorsque je me rapprochai de lui en insistant, et que je lui dis
qu'il devait se montrer plus ponctuel, il se leva soudain de sa chaise en proie
à une véritable fureur et me gratifia d'un soufflet ». L'oncle et la nièce se
réconcilièrent, car Wagner a écrit des lignes très élogieuses sur la cantatrice
■Tobanna Wagner.
— Comme on l'a annoncé déjà, la seconde exposition technique musicale
aura lieu au Palais de cristal de Leipzig du l,r au 13 juin 1909, et aura pour
objet de donner le tableau aussi complet que possible de tous les moyens qui
servent à apprendre et à pratiquer l'art musical. Instruments du passé et du
présent, fragments d'instruments, méthodes, outils et machines pour leur
construction, littérature, impression et gravure musicales, perfectionnement;,
éprouvés ou non, nouvelles inventions, etc., tout doit être présenté dans un
ordre méthodique et clair pour le spectateur. L'exposition sera donc intéres-
sante et instructive pour le connaisseur aussi bien que pour le profane. On
tiendra compte, dit une note officieuse, de l'expérience déjà acquise dans la
première exposition. Les instruments mécaniques seront placés dans un local
à part, pour éviter les troubles constatés précédemment, et l'on aura soin qu'il
n'y ait plus ni erreurs ni abus dans la distribution des récompenses. Le pro-
duit net de l'exposition sera versé cette fois, comme la première, dans la
caisse de bienfaisance de la Ligue centrale allemande des musiciens et des
sociétés musicales.
— Une opérette nouvelle en trois actes, Bredow le fou, paroles de M. Bruno
Harprecht, musique de MM. Bruno Harprecht et Hans Seifriz, vient d'être
représentée avec succès au Théâtre-Municipal de Nuremberg.
— De Christania : Le ministre d'Etat, M. Sigurd Ibsen, lils d'Henryk
Ibsen, actuellement en visite ici, n'est nullement partisan du projet de trans-
former en musée la maison que son illustre père a habitée jadis. M. Sigurd
Ibsen estime que cette idée est peu pratique, parce que la maison qu'on veut
transformer en musée est une maison privée dont son père n'a été que loca-
taire et dont l'achat exigerait des sommes considérables. Il propose de créer à
la place des « Archives Ibsen », dans lesquelles on réunirait toutes les lettres
et tous les manuscrits du poète. Il existe déjà des collections de ce genre dont
la plus célèbre est la collection Collin, à Copenhague. Il suffirait défaire l'achat
de ces collections privées et d'y joindre les documents qui se trouvent à la biblio-
thèque de l'Université de Christiania, ainsi que ceux qui sont encore en la
possession de la famille Ibsen. Cependant les partisans du « Musée Ibsen » ne
se tiennent pas pour battus. Parmi ceux-ci se trouve M. Arctander, ancien
ministre d'Etat, qui jouit d'une grosse influence et qui estime qu'un musée
Ihsen ne manquerait pas d'attirer tous les ans des touristes dans la capitale
norvégienne.
— Dans une polémique qui s'est élevée récemment en un journal italien
entre son directeur et son critique musical, à propos de la musique qui s'exé-
cute dans les théâtres et dans les concerts, le hasard a fait évoquer certaines
pages presque ignorées de la vie théâtrale italienne d'il y a cent ans. Toutes
les armes de la critique étaient alors réunies et dirigées contre... Rossini, qui
était appelé tour à tour novateur extravagant et fou, musicien sans fondement
aucun d'art ni do science, ou encore, comme le définissait le fameux Zinga-
relli, « divulgateur de la musique en pilules ». Mais une pire chose arriva à
Milan, et ici l'aventure pouvait être tragique et ne devint comique que par
l'esprit du maestro. Rossini, avec une audace inouïe, avait introduit des tam-
bours dans l'orchestre! On jouait la Gazza ladra, et le public était resté scan-
dalisé d'une innovation aussi irrévérencieuse. Des tambours dans l'orchestre! —
s'écrièrent les critiques épouvantés et le public offensé, du même ton de voix
avec lequel les bons Romains hurlaient : On mettra aussi des canons dans l'or-
chestre! lorsqu'ils entendirent l'instrument fragoroso du Barbier, en regrettant
la douceur de Paisiello. Qui ne hurla pas, mais devint féroce, ce fut un élève
de Rolla, violoniste à la Scala, qui conçut le projet île poignarder le maestro
novateur pour sauver la dignité de l'art et lui faire ainsi atrocement expier ce
crime de lèse-musique. La promptitude d'esprit sauva Rossini. Pendant que
Rolla, le chef d'orchestre de la Scala, lui conseillait d'éviter la rencontre de ce
farouche gardien des saines traditions, le hasard tout justement le mit en sa
présence. Alors Rossini lui demanda à brùle-pourpoint : — Y a-t-il oui ou
non, des soldats dans la Gazza ladra? — Il n'y a que des gendarmes, lui ré-
pondit sèchement son ennemi. — A pied ou à cheval? — A pied. — Eh bien,
s'ils sont à pied, ils doivent avoir des tambours, et pourquoi voulez-vous me
poignarder, moi qui ne peux pas les en priver ? Poignardez plutôt le libret-
tiste... Le violoniste farouche finit par s'adoucir, mais il ne démordit pas de
son idée, et Rossini dut lui promettre de ne plus jamais faire usage de tam-
bours. Pourtant la Gazza ladra triompha et la promesse fut violée.
— Un orchestre original. Il existe, dit un journal italien, dans la commune
de Caravaggio. province de Bergame, une bande musicale que nous croyons
unique en son genre Nous voulons parler d'un corps de zampognari (la zam-
pogna est une sorte de cornemuse) qui sont fournis d'une série d'instruments
de toutes les grandeurs et de toutes les tonalités, de façon à former un corps
de musique parfait, avec instruments adaptés pour l'exécution de la partie
cantabile et les autres pour l'accompagnement. La bande a à sa tête un brave
maestro et elle est complétée par des tambourins et des cymbales. De la
fusion des timbres divers des zampogne (et il y en a de gigantesques) résulte
un son haut, fort, harmonieux, comme celui d'une multitude de flûtes et
d'octavins (petites flûtes). Les pièces de musique exécutées par cette très
curieuse bande de zampognari sont des chansons champêtres, des airs de danse,
des marches, des villanelles, qui ont une curieuse cadence mélancolique, très
sympathique, et qui peut-être ont la même origine mystérieuse que l'instru-
ment avec lequel on les exécute. Comme on le voit, ajoute notre confrère, la
gracilis avena chantée par Virgile dure et persiste jusque dans le siècle du
phonographe. Et il est vraiment singulier que la tradition du très antique
instrument se soit ainsi maintenue, tenace, dans un petit pays de la contrée
hergamasque, pendant que partout ailleurs la zampogna est complètement
oubliée et ignorée, ou jouée seulement par quelque berger solitaire. La bande
dont nous parlons a donné récemment plusieurs concerts à Vicence, en pro-
duisant une véritable admiration.
— Le 24 juin dernier, à Covent-Garden de Londres, M1™ Melba a chanté
en matinée pour célébrer le vingtième anniversaire de son début à ce théâtre.
EUe s'est montrée au public dans des fragments de la Travinla, aux côtés de
M11' Emmy Destinn qui a interprété des morceaux de Madame Butteifly. La
recette de cette séance a été très importante. Elle a été attribuée tout entière
«. l'hôpital de Londres.
— Dans toutes les salles de concert de Londres, au Bechstein Hall, à
l'.Eolian Hall, dans la salle Erard, on entend presque chaque soir de la mu-
sique française. On a donné, entre autres choses, dans les dernières séances
du mois de juin, l'air i'Hérodiade, de Massenet, "Vision fugitive, chanté par
M. Cafetto ; Marquise, également de M. Massenet, a eu les honneurs du bis ;
Marine, de Lalo, a obtenu un chaleureux accueil au concert de M. Brabazan
Lowther. La musique de piano de M. Théodore Dubois a été jouée excellem-
ment par miss Louise Desmaisons. Les Myrtilles, lu Source enchantée, le Banc
de mousse, Dame rustique, des Poèmes Sylvestres, ont été écoutés avec ravisse-
ment et longuement applaudis. Les mélodies populaires n'ont pas été oubliées;
plusieurs de celles qu'a recueillies M. Veckerlin ont charmé par leur fraîcheur
un nombreux auditoire qui les a longuement applaudies.
— A l'École Columbia de Chicago a eu lieu, le lb juin dernier, -un très in-
téressant concert. On a entendu l'ouverture à'Euryanlhe, un concerto .de
Rachmaninoff, le quatrième concerto en ré mineur, de Rnbinstein, le concerto
pour violon en sol, de Max Brucb, les Variations symphoniques de César
Franck et l'air du Roi de Lahore de Massenet, chanté par M. Georges Nelson
Holl avec un style et un sentiment de l'expression qui lui ont valu le suffrage
de la salie entière.
— Encore une invention américaine ! Il s'agit d'un instrument de nouveau
genre auquel son inventeur, un ouvrier de Milton (dans l'Etat d'Indiana), a
donné le nom de Vandèau. et pour lequel il a pris un brevet. C'est un instru-
ment mécanique qui, tout ensemble, chante, s'accompagne au piano et joue
du violon. Il consiste en un piano, muni d'un appareil trotteur qui donne
l'effet du violon, le tout combiné avec une machine parlante qui se charge du
chant. L'instrument est mis en action à l'aide d'un cylindre musical perforé,
du type ordinaire. L'effet doit être délicieux. Les Américains sont un grand
peuple.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
La commission supérieure des théâtres, réunie sous la présidence de
M. Lépine, préfet de police, a adopté, avec quelques modifications de détail,
les conclusions de M. Turot sur une refonte de l'ordonnance de police des
LE MÉNESTREL
i'l.
théâtres. Parmi ces conclusions — que nous avons publiées — ligure, on s'en
souvient, l'interdiction de gêner les spectateurs, de quelque façon que ce soit,
et notamment par le port de chapeaux de dimensions excessives. C'est, prati-
quement, la suppression des chapeaux dits « de théâtre ».
— Résultats des concours à huis clos au Conservatoire :
CONTRE POINT
Premiers prisK — MM. Ribollot, élève de M. Gedalge: Gallon, élève de M. Caus-
sade; Matignon, élève de M. Caussade.
2" prix. — MM. Rauliu, élève de M. Gedalge ; Bourdon (Emile), élève de M Caus-
sade; Scotto, élève de M. Gedalge; Boucher (Roger), élève de M. Gedalge.
Premiers accessits. M"" Delmazine, élève de M. Caussade; Guérin (Marie), élève de
M. Caussade.
Chant donné et thème pour quatuor à cordes, de M. Gabriel Fauré.
Le jury était composé de MM. Gabriel Fauré, président, Charles Lenepveu,
André Wormser, Lucien Hilbmacher, Camille Erlanger. Max d'Ollone, Cesare
Galeotti, Henri Dallier, ,T. Planchet, Alexandre Georges, Charles Tournemire.
Pierre de Bréville, Maurice Emmanuel.
— La série des concours publics s'est ouverte au Conservatoire, jeudi der-
nier, par le concours de chant (hommes), suivi, vendredi, par le chant
(femmes), et aujourd'hui samedi par le concours de contrebasse, alto et vio-
loncelle. Notre collaborateur Arthur Pougin rendra compte, dans le numéro
prochain, de ces trois séances et de celles qui suivront.
— Le ministre des beaux-arts vient d'inviter l'Académie des beaux-arts à
lui fournir une liste de cinq noms d'anciens prix de Rome de composition
musicale classés par ordre de mérite. Sur cette liste, le ministre choisira
le compositeur qui sera chargé de composer un opéra que les directeurs
de l'Opéra, MM. Messager et Broussan. sont tenus, aux termes de leur
cahier des charges, de faire représenter. La section de composition mu-
sicale de. l'Académie des beaux-arts, composée de MM. Reyer, Massenet,
Saint-Saèns, Paladilhe. Dubois et Lenepveu, va donner cette liste et elle la
soumettra à l'approbation de l'Académie tout entière, qui statuera dans sa
séance du samedi H juillet.
— A l'Opéra, mercredi, très intéressante représentation du Tannhauser, en ce
qu'elle nous a permis d'apprécier le grand mérite d'une jeune artiste M"cJane
Henriquez. qui abordait pour la première fois le rôle d'Elisabeth. Fort belle
voix et jeu intelligent. Le baryton Albers paraissait aussi, ce soir-là, pour la
première fois sur la scène de l'Opéra. C'est, comme on sait, un artiste de belle
tenue et de haut talent. Il a remarquablement réussi dans le rôle de Wolfram.
M. "Van Dyck, avec sa maestria accoutumée: Mlle Louise Grandjean. magni-
fique artiste, qui voulut bien chanter le rôle de Vénus; M"e Agussol,
MM. Gresse, Dubois, Delpouget, Cerdan et Nansen, achevaient de former un
fort bel ensemble.
— Lundi, continuation des débuts à l'Opéra du baryton Albers dans Thaïs.
— Le 14 juillet (Fête nationale), on donnera en spectacle gratuit Hippolyte et
Aricie .
— Mercredi, à l'Opéra, lecture aux artistes par le compositeur Henri Fé-
vrier, de la partition de Monna Vanna, dont la première représentation est
fixée au mois de novembre. Les interprètes déjà désignés sont M""-' Bréval,
MM. Muratore et Delmas. Gros succès de lecture.
— L'Opéra-Comique, comme nous l'avions annoncé, a fermé ses portes
mardi dernier sur une très belle représentation de Manon, où M"11' Marguerite
Carré, MM. Beyle et Fugère se sont surpassés. — M. Albert Carré ne quittera
point Paris avant quelques jours. Il ne partira pour la Bretagne avec Mme Mar-
guerite Carré qu'après avoir arrêté, dans le détail, sa saison prochaine.
Parmi les engagements renouvelés par M. Albert Carré, nous pouvons citer
les suivante : ceux de MM. Ed. Clément, Salignac. Jean Périer, Azéma.
Gourdon, Cazeneuve. Delvoye et Guillamat: de M""s Geneviève Vis, Berthe
Lamare. Vallandri. Demellier. Lucy Vauthrin. Parmi les nouveaux engage-
ments, citons ceux de Mm" Lucette Korsoff, Jane Pernyn, Bailac, Lassalle,
Ratti et Berthe Mendès (de l'Opéra), de MM. Nuibo, Bourillon, Blaocard, Bel-
homme et de M.Katchenovsky, un jeune artiste russe qui possède une magnifique
voix de basse. — On a dit que M. Lucien Fugère quittait l'Opéra-Comique.
La nouvelle était inexacte. M. Lucien Fugère continuera à appartenir à la
. salle Favart, pour le plus grand plaisir de ses habitués : mais l'éminent artiste
sera en représentation, et il s'est réservé sa liberté pendant une partie de la
saison.
— A l'issue de l'Assemblée générale, le comité de la Société des composi-
teurs de musique a procédé à l'élection de son bureau pour l'année 1908-1909.
Sont nommés: président, M. Alex. Guilmant: vice-présidents. MM. Arthur
Coquard. Charles Lefebvre, J. Mouquet, Charles Tournemire : secrétaire gé-
néral, M. D.-C. Planchet; secrétaire-adjoint, archiviste, M. Georges Guiot ;
secrétaire rapporteur. M. Arthur Pougin; secrétaires, MM. Marc Delmas.
Bertrand, Ach. Philip. Marcel Tournier: Bibliothécaire. M. Anselme Vinée ;
trésorier, M. Maurice Emmanuel: trésorier-adjoint. M. Anatole Lefébure.
— La cérémonie du « Couronnement de la Muse ■> d'Eaghien a pu enfin
avoir lieu, dimanche, sur la place du Marché, devant une al'lluence considé-
rable. L'œuvre très populaire, quoique très symbolique, du maitre Gustave
Charpentier, avec ses grandes lignes musicales superbement décoratives, ses
colossales masses orchestrales et chorales, les appels stridents des innombra-
bles trompettes, les grandes envolées vocales, tout cela plein de vie, d'exubé-
rance, de foi et de santé, devait forcément emballer la fouU pour qui l'œuvre
lut écrite. Le compositeur fut donc acclamé, et, avec lui,
M"" A. Meunier, de l'Opéra, admirable et suggestive « Beaut" »; le grand
mime Sévèrm; qui fit couler bien de- larmes; lee toutes gracieuses Ri
Kubler; MM. Marcel Legay, Boucrel, Sizes. Lachanau.J, Faothoux, le maitre
de ballet Sicard et le Conservatoire do Mimi Pinson, dont les chants et les
danses furent acclamés.
— L'Association pour l'enseignement du piano pour les femmes, fondée en
188:! par M"e Hortense Parent, tiendra son assemblée générale le
soir :i juillet chez la fondatrice. On sait que l'école préparât
rat du piano et les cours d'amateurs i rue de Tournou. 9 l >l l'a
lent, ''"pendent de cette association.
— Correspondance :
Cher Monsi! i n (Ie\ cei
Je ne puis laisser passer -ans la rectifier une information parue dan
numéro du Ménestrel, et d'après laquelle « l'entrepreneur de M. Caruso » l'aurait
laissé chanter a titre exceptionnel pour la somme de 12.000 francs dans la
représentation de Rigoletlo que j'ai organisée i l'Opéra au bénéfice de la I
Retraites de la Société des Auteurs.
L'entrepreneur en question, qui n'est autre que la Metropolitan Opéra Company de
New- York, a cédé Caruso ao prix que lui coule cet arti-t", et aucune Société finan-
cière sérieuse ne pouvait agir autrement.
Le premier geste de Caruso en arrivant à Paris a été de renvoyer à M. Pan' Iler-
vieu, président de la Société des Auteurs, le montant de sou cachet, ce qui porterait
la recelte de la représentation à plus de 150.000 francs '. '.
Vous voyez donc que M. Caruso, pas plus d'ailleurs que M— Melba et M. Renaud,
n'a touché aucun cachet dans cette circonstance.
Je vous serais reconnaissant de vouloir bien iosérer cette rectifica'ion. Caruso est
est un homme de cœur qui serait très peiné en lisant votre information.
Croyez, cher Monsieur Heugel, à mes sentiments les meilleurs.
(.. ASTHl'C.
— Le 7e volume de VAiinuaire international de lu Musique est en préparation.
Nous engageons nos lecteurs à proposer dès maintenant à notre confrère
Baudouin La Londre (16, rue des Martyrs) des textes d'insertions nouvelles et
à lui signaler les rectifications et changements utiles.
— A Mantes, brillante audition' des élèves des cours de piano de Mmc Nico-
iini. Au programme, des œuvres classiques et modernes très musicalement
interprétées, qui ont mis en valeur le bel enseignement de M"" NicolinL Le
scherzo de Saint-Saéns, à deux pianos, 4 mains, a été très applaudi. Appré-
ciés aussi le duo de Werther de Massenet, l\4ir des bijoux de Faust, chantés
par M"es H. T. et M. S., élèves de l'excellent professeur de chant M. T. Miu-
rizio. Très remarqués aussi dans les morceaux de piano Bonjour ColineUe de
"Wachs. Rigaudon de Périlhoti. I<o&e aérienne de Lack. etc.
— Roubaix. — Cours classiques de piano. — Nous avons déjà eu le plaisir de
signaler les cours classiques de piano, organisés par notre sympathique conci-
toyen. M. Henry Vaillant. La première année vient de se terminer mardi par
les concours des diverses classes: de 9 heures du malin à 1 heure de l'après-
midi, puis de i heures à 6 heures, 62 élèves ont défilé devant le solennel aréo-
page. Le jury était composé de M. Gigout. le célèbre organiste de Saint-
Augustin, à Paris, et professeur à l'Ecole Niedermeyer; de M. I. Philipp, le
délicat et brillant pianiste, professeur au Conservatoire de Paris: de M. Rous-
sel, un jeune musicien de talent, professeur à la Schola Cantorum : de
M. Bruggman, professeur au Conservatoire de Lille: enfin de musiciens... et
de musiciennes, professeurs et amateurs, de Roubaix et de Lille. Il a tenu à
se montrer très strict et très rigoureux dans l'attribution des récompenses :
c'est un hommage par lui rendu à la valeur des élèves et de leur distingué
professeur. M. Henry Vaillant. Néanmoins, beaucoup d'élèves ont obtenu des
prix très mérités. Le jury a. de plus, été appelé à décerner h quelques con-
currentes le diplôme de pédagogie pour l'enseignement musical. Apn-s Je
longues et minutieuses épreuves, d'exécution, de lecture à vue. de théorie
musicale, d'analyse, et même après une leçon faite devant lui. ce diplôme a
été attribué à M"M Germaine Deslombes. Germaine Dhalluin et Marie-Louise
P ayelle.
— Soirées et Concerts. — La jolie salle du théâtre de l'Athénée présentait jeudi, en
matinée, un aspect exceptionnellement gracieux. A peine deux heures ont-elles
sonné, toutes les places, toutes les loges, tous les cintres sont occupes : élégantes
femmes du monde en toilettes claires, amateurs d'art les accompagnant, sont
accourus à l'invitation de M"" Esther Chevalier, le brillant professeur qui dirige, avec
le concours de M. Lorant, l'aimable et expert régisseur de l'Opéra, la remarquable
école de chant, opéra et opéra-comique, à laquelle on devra, en majeure partie,
l'évolution actuelle de nos soirées mondaines. Cette matinée, où l'on entendit à peu
près quinze jeunes élèves dans des scènes délicieusement choisies parmi les meilleures
de l'Opéra et de l'Opéra-Comique, fut un véritable triomphe pour le remarquable
professeur qui fut une des étoiles de l'Opéra-Comique. Mais, et l'on comprendra
notre réserve, il ne nous semble pas permis de citer par leur nom les intelligentes
interprètes instruites par M!10 Chevalier ; nous étions convié à une solennité à peu
près exclusivement familiale, solennité agrémentée cependant du concours de quel-
ques artistes de nos grandes scènes. C'est pour rendre hommage avant tout à la
valeur exceptionnelle de ce concours très recherché que nous nous sommes l'ait un
plaisir d'enregistrer son nouveau succès. — Jeudi dernier, à N'euilly, très brillante
audition des élèves de M"°= et de M"" Andrée et Louise Audousset. Grand succès
pour le Cantique de Racine, de Reynaldo Hahn, chanté par les élèves du cours de
M"' Andrée Audousset qui, elle-même, a fait très grand plaisir avec un trio de
Mcrie-Magdeleine, de Massenet. et la Chanson de Colin, de Ta. Dubois. M. Savelski,
s'est fait apprécier dans «Chérubin >, de Massenet, et M. Franeesco Perrachio a inter-
prété avec un charme exrpiis les Erinnyes du même maitre. — Mardi dernier, à la
2Ï6
LE MENESTREL
salle de l'Athénée Saint-Germain, très intéressante audition des élèves de l'excellent
professeur Douaillier, de l'Opéra. Au programme : les airs de Sigurd, de Mignon, du
Roi de Lahore, des fragments d'IIamlel, de Lakmé, etc:, etc. Véritable succès pour
tous ces jeunes élèves, qui tous ont le haut style et la belle tenue qui caractérisaient
leur professeur à l'Opéra. — La réunion des Lamartiniens chez M™' Ernest Ameline,
en son hôtel, rue Chaptal, a été très brillante. On a beaucoup applaudi le baron
Carra de Vaux pour son intéressante causerie sur Lamartine ; Mlle Ameline qui adit
à merveille des poésies de Lamartine ; MM. Dutilloy et Fabert, de l'Opéra-Comique,
dans le Lac et le Soir de Lamartine ; M"' Delmyra-Tréogate, dont la voix est si déli-
cieuse, et M. Gabriel Frère dans ses poèmes gais. — L'Exercice public des élèves
de M"' Péraldi a été des plus brillants. On a fort applaudi les jolies pièces pour piano
extraites du poème 'Avril de M. Chavagnat: Les Violoneux, le Paire, le Poète, etc., et
celles extraites de la suite Réception à la Cour : Les Fiançailles, le Pas des Bouquets,
Fin de bal, etc. Mm° Filliaux-Tiger a eu sa part de succès avec Crépuscule, Source
capricieuse, Lamento, Impromptu, Danse russe, etc.
Henri Heugel, directeur-gérant.
ARGUS de la PRESSE
FONDÉ EN 1879
Le plus ancien bureau de coupures de Journaux
« Pour être sûr de ne pas laisser échapper un journal qui l'aurait nommé,
il était abonné à VArgus de la Presse, qui lit, découpe et traduit tous les jour-
naux du monde, et en fournit des extraits sur n'importe quel sujet. »
Hector Malot (Zyte, p. 70 et 323).
« De ce flot montant d'articles de journaux que l'Argus de la Presse envoyait
à Vallobra, matin et soir, un tiers environ était étranger ; il y en avait de
toutes les nations et dans toutes les langues: les anglais, les allemands domi-
naient ; ils étaient même les plus sérieusement faits. »
Paul Alexis (Vallobra, p. 183 186).
« Continuez-moi ponctuellement l'envoi de vos Argus, qui m'ont toujours
rendu de réels services. »
(Lettre du marquis de Mores, 1893.)
L'Argus de la Presse se charge de toutes les recherches rétrospectives et do-
cumentaires qu'on voudra bien lui confier.
L'Argus lit 8.000 journaux par jour.
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3.
Taisez-vous, petite sotte.
18.
Avec toi toujours.
4.
Pauvre Pierre (Paoura Pie
rrou).
111.
Mai.
5.
Au Clair de lune.
20.
Père Noël chez nous.
6.
Le Chapeau.
21.
Veux-tu te louer?
7.
Julie, ma Julie.
22.
Les Reinages.
S.
La Robe de soie.
23
Les Menettes.
0.
La coiffe de ma mie.
21.
Le Berceau (Lou Bret).
10
Beïléro.
2o
Quand tu voulais.
11
La ïoyette.
20
Amour de pâtre.
1-2
Les Fuseaux.
27.
L'amour qui nous mène.
13
La Marion et l'amour.
28
Confession de la Poulelte
14
Euissons faisaient piquette.
20
Les Bceufs.
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SOMMAIRE-TEXTE
I. Les concours du Conservatoire, AnTHun Poucix. — II. Nouvelles diverses, concer
et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
AUBADE
mélodie de la marquise de Negrone, poésie de Victor Hugo. — Suivra immé-
diatement : Le Chemineau, mélodie d'ÉDOUARD Tournon, poésie de Fernand
'Gregii.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
Sur les coteaux, de F. Binet. — Suivra immédiatement : Marche des petits
magots de R. "Vollstedt.
LES CONCOURS DU CONSERVATOIRE
Et le petit scandale des années précédentes continue de se produire
tranquillement et sans vergogne. Depuis que les concours publics ont
été sottement transportés dans la salle de l'Opéra-Comique, l'adminis-
tration des beaux-arts en a fait sa chose propre, elle s'est emparée de
leur organisation matérielle, et le Conservatoire n'est plus maitre chez
lui. Le Conservatoire, qui, semble-t-il, est une institution musicale, se
croyait naturellement tenu à certains égards envers les artistes. Il
existe, en effet, à Paris, un certain nombre de musiciens qui ne sont
pas les premiers venus : compositeurs, virtuoses, professeurs, que les
concours intéressent d'une façon directe ou indirecte, et qui ont comme
une sorte de droit moral à y assister lorsqu'ils en expriment le désir.
Il arrivait que quelques-uns de ceux-là demandaient parfois des billets
pour telle ou telle séance qui les touchait d'une façon spéciale, et le
Conservatoire, qui savait à qui il avait affaire, leur faisait la galanterie
de les satisfaire. Même certains grands artistes étrangers, de passage
à Paris et désireux de voir comment les choses se passent dans une
Ecole glorieuse et dont le renom est européen, exprimaient le môme
désir, qui était, en somme, un hommage, et se voyaient aussitôt satis-
faits, cela va sans dire.
Il n'en est plus de même aujourd'hui, et l'administration des beaux-
arts a changé tout cela. Depuis que les concours sont sous sa coupe,
adieu les traditions courtoises du Conservatoire envers les artistes.
C'est qu'en effet les artistes n'existent pas pour cette excellente admi-
nistration, et ils se voient proprement exclus de ces séances qui les
intéressent de façon si sérieuse. Songez donc ! Il faut satisfaire avant
tout messieurs les sénateurs, messieurs les députés, messieurs les
conseillers municipaux, et messieurs les chefs de bureau des minis-
tères, et messieurs du service des beaux-arts, etc., etc., etc., tous gens
qui d'ailleurs se soucient de la musique comme un poisson d'une botte
d'asperges, mais qui veulent des billets et qui repassent ceux qu'on
leur octroie à leurs fournisseurs, à leurs amis.àleurs amies, à d'autres
encore. Ce qui fait (rue la salle de l'Opéra-Comique est remplie d'un
tas d'épiciers — et d'épicières — qui viennent là sans savoir pourquoi,
qui y sont tout dépaysés, qui ne comprennent rien à ce qui se passe et
qui s'y ennuient à tire-larigot, pendant que les artistes sont éconduits
avec plus ou moins de formes et se voient privés d'une satisfaction qui
devraient leur revenir de droit. Et c'est ainsi que les choses se passent
dans « l'Athènes moderne », sous un gouvernement ennemi de la
fraude et de tcute espèce de sentiment artistique.
Maintenant que j'ai dit ce que j'avais sur le cœur (vous me direz que
c'était bien inutile, et j'en suis comme vous persuadé), nous allons
causer un peu des concours. Celui qui a ouvert la série était le con-
cours de
CHANT (Hommes)
Je prétendrais qu'il a été particulièrement brillant que je mentirais à
ma conscience. Oncques n'en vis de plus insignifiant, de plus banal et
de plus nul, en dépit des récompenses qui se sont abattues — sans les
blesser — sur la tête de onze des concurrents en cause. Ceux-ci. qui
dsvaient être au nombre de vingt et un, se sont trouvés réduits à
vingt par l'absence de l'un d'eux, M. Castel, élève de M. de Martini.
Comme il arrive presque toujours, le nombre des lauréats a été en sens
inverse de la valeur de la séance.
Le jury tenait sans doute beaucoup à décerner un premier prix, puis-
qu'il l'a attribué à M. Paulet. élève de M. Edmond Duvernoy. Non que
je trouve que ce jeune artiste soit sans valeur, mais il m'est avis que
son enjambée du second accessit de l'an dernier à la suprême récom-
pense de cejourd'hui est tout de même un peu extraordinaire. M. Pau-
let est un simple ténorino, qui s'est fait entendre dans un air à'Alceste.
La voix est assez bien posée, mais elle manque de force et de volume.
D'ailleurs, l'artiste a du goût, du sentiment et de la grâce, avec un
bon phrasé. Que lui manque-t-il donc ? me dira-t-on. Mon Dieu, il lui
manque... ce qu'il n'a pas encore, la supériorité dans ces diverses qua-
lités. Tout ça est très gentil, assurément : mais c'est encore incomplet.
Deux seconds prix ont été confiés, l'un à M. Vaurs, élève de M. Las-
salle, l'autre à M. Teissier, élève de M. de Martini, tous deux premiers
accessits de 1907. M. Vaurs a chanté un air de Sévère du Polyeucte de
Gounod. lia de l'acquis, de l'expérience, et se fait remarquer par une
excellente prononciation. Il a de la chaleur et parait avoir aussi le
sentiment du style. Mais je ferai observer que c'est là un morceau bien
court pour permettre déjuger un élève en connaissance de cause. —
M. Teissier a développé, dans un air de YÉlie de Mendelssohn, une
bonne voix de baryton. Lui aussi a de l'acquis. Son exécution est assez
bonne en son ensemble, sans aucune particularité remarquable.
Trois premiers accessits, à MM. Coulomb, élève de M. Hettich, Chah
Mouradian, élève de M. Cazeneuve, et Ponzio, élève de M. Manoury.
La nomination de M. Coulomb, je le confesse, m'a un peu surpris, et
peut-être ne suis-je pas le seul. Voix de ténor blanche et sans caractère,
qui s'est produite dans un chef-d'œuvre, l'Adélaïde, de Beethoven, à
laquelle l'exécutant parait n'avoir absolument rien compris, ni moi non
plus. N'en parlons pas davantage. — Mais parlons de M. Chah Moura-
dian, un Arménien, je crois, ou un Persan, qui, en dépit d'un certain
accent exotique, non exagéré d'ailleurs, est pour moi le meilleur sujet
du concours. Celui-là, je crois, fera un artiste. Doué d'une jolie voix de
248
LE MÉNESTREL
ténor, très franche, qui joint la douceur à-la solidité, il a fort joliment
chanté le délicieux air de Joseph, avec de la chaleur, du charme et un
bon sentiment. Bonne prononciation, hon phrasé, et déjà le sens du
style. Il me parait qu'il y a là un tempérament, ou tout au moins une
nature. — C'est dans un air des Indes galantes, de Rameau, que s'est
fait entendre M. Ponzio. Bonne voix de baryton, assez bon phrasé.
Chante cet air, pas commode, non sans largeur et non sans goût. Il y a
du bon.
Pas moins de cinq seconds accessits, dont voici les titulaires :
MM. Bellet, élève de M. Lorrain ; Pierre Dupré, élève de M. Hettich :
.Tourde, élève de M. Dubulle ; Imbert, élève de M. Engel ; et Félisaz,
élève de M. Lorrain. M. Bellet, de la voix, mais trop de gorge ; assez
bon phrasé ; a le tort, en dépit de la mesure et du style, de s'étaler
ridiculement sur ses finales pour faire briller ce qu'il croit être les
bonnes notes de sa voix. J'allais oublier de dire qu'il a chanté un air
de Polyeucte. — M. Pierre Dupré, éducation encore bien imparfaite.
Chante d'une façon bien insignifiante, avec une assez bonne voix de
basse, un air de la Passion selon saint Mathieu, du vieux Bach. A revoir
l'an prochain. — M. Jourde, la Reine de Saba. Bonne basse, solide.
Une certaine ampleur dans le phrasé. Rien de particulier, mais le
désir de bien faire. Bu courage et du travail pour l'avenir. — M. Imbert.
air d'Hippohjte et Aricie. de Rameau. Encore une basse. Bonne voix,
franche et bien sortante. Bonne articulation, bon phrasé, assez bon
ensemble, malgré la gène que pouvait lui causer un accompagnateur
inopiné, le sien étant absent. — M. Félisaz, air de Faust. Voix blanche
et de gorge, mais exagère la mezza voce de telle façon qu'on finit par ne
plus l'entendre. Faut de la délicatesse, pas trop n'en faut.
A distinguer, pour l'avenir, M. Combes, élève de M. Hettich, qui
s'est tiré à son honneur de l'air admirable de Dardanus, de Rameau,
Monstre affreux, monstre redoutable, et M. Audiger, élève de M. Lassalle,
qui a montré de bonnes qualités dans un air de la Fête d'Alexandre, de
Haendel.
Le reste ne vaut pas l'honneur d'être nommé.
Jury de ce concours : MM. Gabriel Fauré, président, Gabriel Pierné,
André Messager, Broussan, Salignac. Delmas, Renard, Gailhard. Im-
bart de la Tour, Adrien Bernheim, D'Estournelles de Constant, Mou-
liérat. Vilmos etBeck.
CHANT (Femmes)
Pas beaucoup plus brillant que le précédent, bien qu'on eût pourtant,
des raisons d'espérer mieux. En effet, tandis que du côté des hommes
nous n'avions, en fait de lauréats des années précédentes, que deux
premiers et deux seconds accessits, nous trouvions, dans la liste des
femmes, cinq seconds prix antérieurs. Nous pouvions donc croire nous
trouver en présence au moins de cinq sujets formés ou bien près de
l'être, et prêts à entrer dans la carrière. Hélas ! il n'en était rien, et la
déception a été grande. De ces cinq seconds prix, un seul a décroché la
timbale, et les quatre autres sont restés sur le carreau ; et je ne
crois pas qu'il se trouve (en dehors des intéressées) une seule voix
pour s'élever contre le jugement du jury. La vérité est que sur les
trente-cinq concurrentes inscrites, réduites à trente-trois par l'absence
de deux élèves, MIlcs Gautier et Erya (je crois que ce chiffre n'avait
jamais été atteint), il ne s'est point trouvé non seulement de ces sujets
brillants qui s'imposent aussitôt à l'attention et à la sympathie, mais de
véritable supériorité. D'autre part, il est certain que sur les trente-trois
participantes à cette séance à la fois monotone et fatigante, un bon tiers
aurait pu nous être épargné, ces jeunes filles n'étant manifestement
pas en état de s'y produire utilement. Alors, à quoi bon les fatiguer, et
aussi le jury, et nous par-dessus le marché ?
Au reste, voici la liste nombreuse (trop, à mon sens) des récompenses
décernées :
y,rs Prix. — Mné Raveau, élève de M. Dubulle, et Mme Garchery,
élève de M. Manoury.
2" Prix. — MUes Kaiser, élève de M. Cazeneuve, Le Senne, élève du
même, Gustin, élève de M. Edmond Duvernoy, et Bourdon, élève de
M. Lassalle.
/prs Accessits. — Mllcs Pradier, élève de M. Hettich, Amoretti, élève
de M. Engel, Billard, élève de M. Martini, et Mme Delisle, élève de
Mme Rose Caron.
2*s Accessits. — Mllcs Daumas, élève de M. Hettich, Alavoine, élève
de M. Lassalle, Gabrielle Demougeot, élève de M. Hettich, Rénaux,
élève de M. Duvernoy, et Fraisse, élève de MT Rose Caron.
Mme Garchery est le seul des seconds prix précédents qui ait réussi à
atteindre la suprême récompense. Elle s'est fait entendre dans le grand
air si difficile d'Armide, qu'elle a dit sinon avec un grand style, du
moins en lui donnant de l'accent, en y montrant de la vigueur avec un
bon sentiment dramatique. — Mae Alice Raveau est venue, elle a vu et
elle a vaincu. Elle était à son premier concours, et cela lui a suffi pour-
distancer toutes ses rivales. Le fait est qu'elle a chanté une mélodie de
M. Saint-Saëns, la Cloche, d'une façon bien remarquable et en déployant
de rares qualités, une bonne diction, un beau phrasé, de la sobriété, du
goût, du style et de l'émotion. Elle a visiblement échauffé la fin d' une-
séance un peu morne.
Passons aux seconds prix. Mlle Kaiser n'a pas craint de se mesurer
avec l'un des chefs-d'œuvre de Beethoven : Perfide, parjure ! qui exige
un si grand sentiment dramatique. La voix est un beau soprano, étendu
et corsé ; le phrasé n'avait malheureusement pas la même vigueur.
Comme ensemble, ce n'était pas mauvais, et pourtant ce n'était pas ça,
outre que la justesse laissait par instants à désirer. Malgré tout, on sent
qu'il y a de l'étoffe chez cette jeune femme, et un certain sentiment.
Qu'elle travaille encore. — Mlle Le Senne est déjà plus formée. Elle l'a
prouvé dans un air de Renaud, de Sacchini. La voix est belle et solide ;
l'élève a fait de grands progrès depuis l'an dernier. Elle a mis de l'accent,
de l'énergie, de la chaleur et un vrai sentiment dramatique au service
de cette page de grand style. J'ajoute qu'elle chante très juste, ce qui
n'était pas, malheureusement, il s'en faut, le fait de toutes ses compa-
gnes.— MIle Gustin est une belle grande personne, élégante et jolie r
douée d'une physionomie intéressante, qui s'est attaquée bravement à
un air d'Héraclès, oratorio écrit par Haendel en 1744, air qui exige de-
grandes qualités de style. Elle l'a chanté avec une sobriété qui n'excluait
pas l'émotion, en le phrasant avec intelligence. Sa voix est bonne et
bien posée,, mais.... qu'elle se méfie du- chevrotement qui la guette. —
M"e Bourdon est pourvue aussi d'une voix bonne et solide, qu'elle a
fait briller dans un air d'Alceste. Ce n'est pas mal d'exécution, mais
cela ne dépasse pas ce « pas mal ». Il y a beaucoup à travailler
encore.
Eu tète des premiers accessits, nous trouvons M"e Pradier, qui a
chanté un air iucidentaire d'Hippolyle et Aricie, de Rameau. Cela est
bien jeunet, non sans grâce ni gentillesse, mais ne présentant rien de
personnel. Vocalisation encore hésitante, trille assez brillant. A revoir.
— Mllc Amoretti a chanté le joli air de la Belle Arsène, qui fut célèbre
durant quatre-vingts ans. sans avoir l'air d'y rien comprendre, et en
l'agrémentant d'un point d'orgue prétentieux et interminable qui jurait
avec le style de cette musique aimable, et qui aurait fait dresser les
cheveux sur la tête de l'auteur du Déserteur et de Rose et Colas. —
M""' Delisle nous a fait entendre (pourquoi en italien?) les fameuses
Variations du grand violoniste Rode, qui étaient, il y a prés d'un
siècle, le cheval de bataille de Mme Catalani, l'ennemie de Napoléon, et
dont la vogue fut prodigieuse. Elle y a fait preuve d'agilité dans la voca-
lisation et d'une véritable virtuosité, accompagnée d'un certain goût.
— Et c'est dans un air de Judas Machabée, de Haendel, que s'est pro-
duite Mlle Billard. Gentil physique, gentille voix, assez gentille vocali-
sation. Bien à faire encore, mais le fond ne parait pas manquer.
C'est M"'' Daumas qui ouvre, sans éclat, la série des seconds acces-
sits, avec l'air d'Alceste, « Divinités du Styx ». A moi, Au clair de la
lune .' Elle aie sang figé dans les veines, cette jeune fille ! Pas d'accent,
pas d'élan, pas de chaleur, pas l'ombre d'émotion dans cette page admi-
rable et si profondément pathétique. On ne peut pas dire que ce soit
mauvais, mais au point de vue du rendu, cela n'existe pas. — Sa com-
pagne, M"e Alavoine, qui est douée d'une belle voix de mezzo-soprano,
s'est distinguée de tout autre façon dans un bel air de Mitrane, opéra
de l'abbé Francesco Rossi représenté au Théàtre-San-Mosé de Venise
en 1689, air que Fétis remit heureusement en lumière il y a soixante-
dix ans. MIk' Alavoine l'a dit avec goût, avec style, avec sagesse et
sobriété, en le phrasant fort bien, et en chantant juste ! — Mlk' Ga-
brielle Demougeot, sœur de l'artiste de l'Opéra, a chanté avec beau-
coup d'habileté l'air de Zerline dans Don Juan, d'une jolie voix claire et
cristalline, en y montrant du goût, de la grâce, de l'esprit, avec un
excellent phrase et une bonne vocalisation. Elle méritait assurément
mieux, et beaucoup mieux que ce second accessit. Je me suis laissé
dire que cette jeune personne avait déjà tâté du théâtre en province, ce
qui lui donnait, avec l'assurance devant le public, une certaine supé-
riorité sur ses camarades. Est-ce là la cause de la sévérité du jury à
son égard ? Mais alors, il ne fallait pas la recevoir au Conservatoire. —
Pas de style, pas d'accent, pas de couleur dans l'air superbe d'OEdipe
à Colone, de Sacchini, qu'est venue chanter M1"' Rénaux. De cette page
si profondément émouvante, la jeune artiste n'a su rien tirer, rien ! —
MllL' Fraisse a dit d'une façon assez agréable, sans faire montre de qua-
lités particulières et personnelles, l'air d'Annette du Freischutz.
Je n'ai rien à dire des quatre seconds prix de l'année précédente,
M1Us Robur, Cebroa-Nordens, Panis et Chantai, sinon pour approuver
la décision du jury à leur égard. Chez aucune je n'ai pu constater les
progrès qu'on était en droit d'attendre et d'espérer. Parmi les élèves
LE MENESTREL
21!»
non couronnées, je signalerai simplement M"'" Arné, Bonnard et Lam-
bert, qui ne manquent pas de quelques qualités, la dernière surtout.
Jury de ce concours : MM. Gabriel Fauré, président, André Messa-
ger, Paul Dukas, Broussan, Henri Bùsser, de La Nux, Delmas,
Renaud, Dufranne, Escalaïs, Gunsbourg, Adrien Bernheim, Lalo,
d'Estournelles de Constant.
CONTREBASSE
On sait que les trois concours de contrebasse, d'alto et de violoncelle
ont lieu le même jour, et que le jury est le même pour ces trois séances
successives. Il était cette fois ainsi composé : MM. Gabriel Fauré. prési-
dent. Edouard Colonne, Xavier Leroux, Caussade, Hasselmans, E. de
Bailly, Louis Baillé, Salmon, Schidenhelm, Migard, Alfred Bruneau,
Cliavy, Fournier.
Huit élèves de la classe de M. Charpentier se présentaient au con-
cours de contrebasse, pour lequel le morceau d'exécution était une fan-
taisie de M. Emile Ratez, l'excellent directeur du Conservatoire de
Lille. Je ne ferai qu'un reproche à ce morceau intéressanl, c'est de ne
pas contenir un de ces traits de grand détaché et à large envergure, qui
permettent à l'élève de déployer cette sonorité grasse et puissante
qui doit être le principe même de ce mastodonte de l'orchestre, sur qui
repose le sentiment du rythme et de la mesure. Le morceau de lecture
à vue, très court, était dû aussi à M. Ratez.
Sur les huit concurrents il en était un, M. Herson-Macarel, second
prix de l'année précédente, qui fit preuve d'une véritable et incontes-
table supériorité. Exécution expérimentée, joli son, de la facilité, bon
phrasé, poignet excellent, sûreté, franchise et solidité dans le jeu, il
réunissait toutes les qualités. Aussi... le jury décida-t-il qu'il n'y avait
pas lieu à décerner de premier prix. Toujours impénétrable, ce brave
jury, avec des décisions vraiment déconcertantes, selon son humeur,
l'heure qu'il est et le temps qu'il fait. Pourquoi,, tel jour, une sévérité
injustifiée, et tel autre, des indulgences qu'on ne peut expliquer? Allez
lui demander. Pour moi, je renonce à comprendre. — Poursuivons.
Mais si cet excellent jury s'est refusé à décerner un premier prix, en
revanche, il en a distribué trois seconds : à MM. Juste, Anrès et Du-
mont. Je n'y vois, pour ma part, aucun inconvénient. M. Juste me
parait peut-être supérieur à ses deux camarades. Il a de la facilité, de
Ions doigts, de la grâce (autant que la contrebasse peut faire bon mé-
nage avec la grâce); très bonne exécution d'ensemble. — M. Anrès, lui
aussi, a le jeu facile et aisé ; il manque seulement de vigueur dans le
son. — L'ensemble est très bon chez M. Léonce Dumont, dont l'exécu-
tion, très sûre, n'est pas dépourvue d'élégance.
ALTO
La classe, toujours remarquable, de M. Laforge, ne mettait cette fois
en ligne que six concurrents. J'ajoute que ces six concurrents ont été
tous récompensés, ce qui était justice, car l'ensemble de la séance était
excellent et fort intéressant. Ils ont eu à faire entendre un concerlstiick,
de M. Georges Enesco, dont j'ai cherché vainement à comprendre le
plan, peut-être parce qu'il n'y en avait pas. En revanche, un certain
nombre de sons harmoniques, mais pas l'ombre d'une phrase un peu
chantante pour ce bel instrument mélancolique qu'est l'alto. M. Enesco,
qui est un modeste et qui fuit toutes les occasions de faire parler de
lui, avait cependant consenti à accompagner lui-même au piano le
morceau qu'il avait écrit pour le concours, et l'aimable abandon avec
lequel il s'acquittait de ce soin montrait le peu d'importance qu'il y
attachait. Le morceau à déchiffrer était de M. Xavier Leroux.
Trois premiers prix ont été décernés : à M. Lucien Rousseau, à
Mlle Dumont (l'un et l'autre seconds prix de l'an dernier), et à M. Jules
Taine, qui avait eu un premier accessit. Si, parmi les trois, il existe
une supériorité, elle me semble appartenir à M. Rousseau, qui est un
artiste vraiment formé. Il a de l'acquis, de la sûreté, de l'autorité et
une réelle virtuosité. — M"'' Dumont se fait remarquer par un joli son,
un bon bras droit, des doigts agiles et une exécution d'ensemble très
sûre. Plus de vigueur que de grâce. — M. Taine, lui aussi, a de l'agi-
lité, avec un archet solide et bien à la corde. Il manque un peu de
flamme et d'élan, et a besoin de s'animer.
M. Barrier, qui a rencontré le second prix sur son passage, a de l'ha-
bileté et un jeu solide, mais malheureusement dépourvu de charme. Et
puis, pourquoi se balance-t-il incessamment de droite à gauche et de
gauche à droite, comme s'il était sur un hamac ? Ça finit par donner
mal au cœur.
M. Mayeux, à qui a été attribué un premier accessit, a un joli son.
de la grâce et de l'élégance. — Et MUe Desnoyers qui méritait peut-être
mieux qu'un second accessit, a montré aussi un joli son, un bras très
souple et des doigts tèrs obéissant?. — En résumé, excellente séance.
VIOLONCELLE
Le concours de violoncelle a brillé celte fois d'un éclat beaucoup
moins vif qu'à l'ordinaire. Ce n'est pas à dire qu'il ait été faible en son
ensemble et que nos concurrents n'aient pas fait preuve de talent et
d'habileté; mais simplement que nous n';ivous eu affaire à aucune de
ces personnalités, à aucun de ces tempéraments doués d'une façon par-
ticulière, comme il s'en trouve parfois et qui, par leur supériorité natu-
relle, donnent presque le ton à une séance et projettent la lumière
autour d'eux. Et puis, faut-il le dire? le concerlo de Schumann, fâcheu-
sement choisi, est mal écrit pour l'instrument. Le génie de Schumann
n'a rien à voir dans cette constatation, et je ne juge pas la valeur de
l'œuvre ; ce n'est pas une critique au point de vue musical, mais au
point de vue technique et du mécanisme de l'instrument. Lé pianiste
qui s'est familiarisé, théoriquement, avec les principes du doigté des
instruments à cordes, peut sans doute écrire très correctement et très
convenablement pour l'orchestre. Mais c'est tout autre chose lorsqu'il
s'agit d'un morceau de virtuosité, où il lui arrive d'accumuler les gau-
cheries et les irrégularités. C'est là ce qu'on peut reprocher à Schumann
pour son concerto, et ce qui fait que le choix d'une telle œuvre est mau-
vais pour un concours. N'y a-t-il donc pas dans le répertoire du vio-
loncelle assez de concertos écrits par des maîtres de cet instrument,
et n'en peut-on choisir dans les œuvres de Romberg, de Duport, de
Davidow, de Goltermann, de Grutzmacher et de tant d'autres ?
C'est la classe de M. Cros-Saint-Ange qui a triomphé cette fois, avec
les deux premiers prix attribués a MM. Mas et Vau'geois, le premier
étant second prix de l'an dernier, le second, âgé seulement de quatorze ans.
en étant à son premier concours. M. Mas, sans faire preuve d'une
grande personnalité, est un artiste formé, sûr de lui et dont les quali-
tés d'étude et d'expérience sont incontestables. — Le jeune Vaugeois
est un enfant aimable, bien doué, dont l'exécution ne manque ni de
charme ni d'élégance, mais dont le son un peu maigre manque de
souffle et de consistance.
Deux élèves de M. Loeb, MM. Jamin et Ruyssen, ont obtenu deux
seconds prix. On retrouve chez l'un et l'autre les qualités de style et de
largeur dans le phrasé qui distinguent leur maître. Ils n'ont plus qu'à
travailler pour gravir le dernier échelon.
Trois premiers accessits : à MM. Challet et Dussol; élèves de M. Cros-
Saint-Ange, et Dumont, élève de M. Loeb ; et quatre seconds accessits:
à MM. Maréchal, Mangot et Alaux, élèves de M. Loeb. et Martin, élève
de M. Cros-Saint-Ange. Rien de bien particulier à dire de tous ces jeu-
nes gens, qui sont doués de qualités diverses, mais chez qui la personna-
lité n'est pas encore accusée d'une façon quelconque.
J'ai regretté l'échec de M. Gervais. second prix de 1907, qui cette fois
a manqué le premier. M. Gervais avait fait preuve de qualités remar-
quables : un joli son, un archet excellent, des doigts brillants, de la
chaleur. Par malheur, il a péché de façon assez grave dans la lecturedu
morceau à vue écrit par M. Paul Vidal, et le voilà remis à l'anprochain.
C'est dommage.
PIANO (Femmes)
Dure, la séance, oh! mais dure! Trente-deux jeunes filles, dont l'âge
variait de douze à vingt et un ans, pour nous faire entendre trente-deux
fois l'allégro du deuxième concerto de M. Camille Saiut-Saêns, et trente-
deux autres fois une page (je me trompe : deux pages) de lecture à vue
de M. Gabriel Pierné. Voulez-vous d'ailleurs connaître l'économie 'le
la séance? la voici : à midi 20 minutes, ouverture de la solennité par
l'arrivée sur la scène de M"e Boucher de Vernicourt ; à 2 heures cin-
quante, entr'acte de vingt minutes, dû à la longanimité de M. Gabriel
Fauré ; à 3 heures dix, reprise de la séance, par l'audition de
MUi! Fritsch ; à 3 heures trente-cinq, alerte assez vive, juste au moment
où Mllc Bouvaist fait sonner les premiers accords de son morceau :
quelques nez délicats et bien informés prétendent qu'on sent le roussi :
l'information se répand avec rapidité, et bien que personne ne crie :
Au feu ! l'émotion croit, les sièges commencent à se vider et plusieurs
(pas les sièges) se dirigent prudemment vers les portes ; à ce moment
les pompiers font leur entrée en scène et font baisser le rideau de fer.
Qu'est-ce qu'il y a eu? personne n'en sait rien, mais la présence des
hommes à pompe suffit à indiquer qu'il y avait certainement un com-
mencement de quelque chose, et. dame ! vous savez, on se rappelle
1887!.... Enfin, dix minutes se passent, tout danger est écarté, on
relève le rideau de fer. la salle se re-remplit, et la pauvre Mlle Bouvaist.
encore un peu émue, peut y aller de son morceau, qu'elle n'en joue pas
moins fort agréablement. En voilà pour jusqu'à S heures un quart, où
la première partie de la séance est terminée. Ici, nouvel entr'acte de
dix minutes, pour donner le temps aux nerfs de se calmer. Reprise de
ladite séance aux entours de S heures et demie, pour l'épreuve de lec-
220
LE MÉNESTREL
ture à vue, qui se termine à 7 heures moins vingt. Alors, délibération
du jury, qui ne dure guère moins de trois quarts d'heure, après quoi
proclamation des récompenses, cris, bravos, embrassades et tout ce qui
s'ensuit, et enfin, à 7 heures et demie, fin de la séance et évacuation de
la salle au milieu du brouhaha ordinaire. C'est fini pour cette fois et
jusqu'à demain, après qu'on eût craint un instant d'avoir plus chaud
encore qu'à l'ordinaire.
Je vais, moi aussi, à la suite de M. Fauré, proclamer les récompenses.
En voici la liste généreuse :
/ers Prix. — M'k's Piltan, élève de M. Delaborde : Déroche, élève de
M. Philipp ; Pennequin, élève de M. Philipp ; Boucheron, élève de
M. Cortot ; Chassaing, élève de M. Cortot, et Lewinsohn, élève de
M. Philipp.
2M Prix. — M11" Guller, élève de M. Philipp : Guillou, élève
de M. Cortot ; Bouvaist, élève de M. Cortot; Morin, élève de M. Phi-
lipp ; et Bompard, élève de M. Delaborde.
/ers Accessils. — M11" Fourgeaud, élève de M. Philipp ; Boucher de
Vernicourt, élève de M. Cortot; Duchesne, élève de M. Cortot ; Marx.
élève de Delaborde ; Laeuffer, élève de M. Delaborde ; et Schulhcf,
élève de M. Cortot.
2K Accessits. — Mlles Parody, élève de M. Cortot ; Vargues, élève de
M, Philipp ; Haskil, élève de M. Cortot ; Fritsch, élève de M. Philipp ;
.Teanne Michel, élève de M. Philipp ; et Heinemann, élève de
M. Philipp.
En somme, vingt-trois récompenses sur trente-deux sujets présentés.
La proportion n'est pas désagréable pour ces demoiselles.
C'est Mllc Piltan qui vient en tète des premiers prix, avec un jeu
franc et solide, un son bien plein, de l'acquis, une grande facilité, un
joli phrasé et des traits brillants. — M"'1 Déroche n'a fait qu'un saut
de son premier accessit de l'an dernier à la grande recompense. Elle a
de la solidité, de bons doigts et de véritables qualités d'exécution. —
A remarquer chez M"'' Pennequin de la finesse, de la grâce, de l'élé-
gance sans mièvrerie, une exécution bien musicale et bien égale dans
son ensemble. — Un beau son, de l'ampleur dans le phrasé, des poi-
gnets vigoureux, telles les qualités excellentes de M1'1' Boucheron, chez
qui l'on souhaiterait un peu plus de personnalité. — J'ai un faible
pour M11'' Chassai-ng, chez qui je distingue un beau son plein d'am-
pleur, un jeu sûr et corsé, un style excellent, avec la grùce unie à la
vigueur. Cela est charmant. — MllG Lewinsohn, qui n'a pas encore
treize ans, s'est offert un premier prix à son premier concours. Je n'y
vois nul inconvénient. Son jeu sans doute est encore un peu jeune,
mais il y a de la grâce, de la finesse, de jolis détails et un bon ensem-
ble d'exécution.
Mlle Guller méritait bien d'ouvrir la série des seconds prix. Elle
est charmante, cette enfant dont la treizième année est à peine
accomplie. Un joli son, bien pur, de l'égalité, de la grâce, du goût,
avec un vrai sentiment musical et de rares qualités de mécanisme. Une
nature. — Mlle Guillou est ce qu'on peut appeler une bonne élève, sans
qu'on lui reconnaisse rien de particulier. — M"° Bouvaist, que les
craintes d'incendie auraient pu émouvoir plus que toute autre, puis-
qu'elle aurait été la première à la fête, n'en a pas moins montré un
sou bien clair et bien pur, de la vigueur sans brutalité, de la clarté
dans les traits et un ensemble très flatteur. — On sent bien de l'expé-
rience chez M"1' Morin, par le sou et par l'habileté des doigts, avec
parfois d'heureux détails, et cependant il manque encore quelque
chose pour le véritable équilibre. — L'exécution de Mile Bompard
est fort aimable, sans que surgisse aucune qualité bien personnelle
encore.
Je n'ai pas grand'chose à dire de Mlle Fourgeaud, qui prend la tête des
premiers accessits. — Mais je louerai chez M"e Boucher de Vernicourt
une heureuse exécution d'ensemble, avec uu joli son, de la finesse, de
la grâce et une vigueur suffisante. — M'k' Duchesne, euh ! euh !... —
M1"' Marx, ah ! ah !... — M'"; Laeuffer, du bon et du moins bon; une
certaine délicatesse, un ensemble assez agréable, bien que certains
détails soient manques. — M"c Schulhof. aïe! aïe!...
Finissons par les seconds accessits. M"'' Parody. jeu assez banal, de
la vulgarité dans le style, pas de clarté dans les traits. — Mlk' Vargues,
un son bien clair, de jolis doigts bien agiles, les poignets souples, de la
tinesse dans les détails, bon ensemhle. — Mlle Haskil, uu son mat et
sans transparence, un jeu un peu pâteux, ensemble sans distinction.—
MIlc Fritsch, jeu pas toujours clair et correct, oh! non : mais de lagràce
et un certain goût. — M"'' Jeanne Michel, pas de clarté non plus. De
bonnes intentions, mais ça ne suffit pas. — MIIe Heinemann, un jeu
sûr, solide et corsé, un joli son, de bons doigts, un bon phrasé. Bel
ensemble.
Jury de ce concours : MM, Gabriel Fauré, président, Albert Lavi-
gnac, Staub, Thibaud, Harold Bauer, Pierret, Léon Moreau, Pierné.
Bruneau, de La Nux, Canivet.
OPERA-COMIQUE
Très inégal cette fois, le concours d'opéra-comique, et beaucoup plus
brillant du côté des femmes que du côté des hommes, à qui le jury,,
dans un sentiment d'équité dont personne n'a songé même à s'étonner,
s'est refusé à accorder un seul premier prix. C'est qu'en effet il n'y-
avait là pas un élève .même à demi formé, tandis que l'élément féminin
nous offrait, même en dehors de la reine du concours, M11'' Raveau.
plusieurs sujets déjà plus ou moins distingués dans la personne de
M"es Gustin, Cébron-Norbens, Chantai, et même Mmc Garchery, envers
qui l'on aurait pu peut-être user de moins de sévérité, mais qui avait
eu la mauvaise chance de se montrer dans le troisième acte de Wer-
ther, justement comme Mllcs Raveau et Gustin, qui lui étaient vraiment
supérieures. C'était pour elle un hasard malheureux.
Voici d'ailleurs la liste des récompenses décernées :
Hommes.
Pas de 1er prix.
2e Prix. — MM. Vaurs, élève de M. Bouvet, et Coulomb, élève du
même.
•/™s Accessits. — MM. Ponzio, élève de M. Melchissédec, Bellet, élève
de M. Dupeyron, Paulet, élève de M. Isnardon. et Dupré, élève de
M. Bouvet. .
2es Accessits. — MM. Villaret, élève de M. Isnardon, et Audiger,.
élève du même.
Femmes.
4" Prix, à l'unanimité. — MUc Raveau, élève de M. Bouvet.
2es Prix. — M"es Gustin, élève de M. Isnardon, Cebron-Norbens.
élève du même, et Chantai, élève du même.
/ers Accessits. — M"cs Amoretti, élève de M. Dupeyron, Lambert,
élève de M. Bouvet, et Duvernay, élève de M. Isnardon.
2" Accessit. — Mlle Pradier, élève de M. Isnardon.
Le jury de ce concours comprenait les noms de MM. Gabriel Fauré,
président, Henri Maréchal, Georges Hue, Paul Vidal, Albert Carré,
Salignac, Jean Périer, Alexandre Georges, Gabriel Pierné, Paul Dukas,
Adrien Bernheim, d'Estournelles do Constant et Gheusi.
Si les concurrents mâles n'ont pas su mériter de premier prix, je ne
saurais prétendre que les deux seconds prix soient particulièrement
brillants. M. Vaurs nous a donné, dans le Barbier de Séville, un Bar-
tholo assez amusant, et qui ne manque pas de verve. C'est tout. —
Quant à M. Coulomb, qui n'avait pas besoin de partenaire dans la
scène d'entrée de Corentin au premier acte du Pardon de Ploermel, il dit
assez juste, mais parle trop vite. Cela est un peu insignifiant.
M. Ponzio a mis de la verve, de l'entrain, de Ja chaleur et de la légè-
reté au service du Figaro du Barbier, qu'il a bien joué et bien chanté,
avec de la désinvolture et de la grâce, en dépit de sa lourdeur physique;
Très en progrès. — M. Bellet a fait preuve d'adresse, d'aisance et de
gaité dans une scène des Noces de Jeannette, malheureusement trop
longue... Il est bien eu scène. — M. Paulet n'était pas mal dans le
fragment choisi par lui de l'Epreuve villageoise. Mais pourquoi prendre
une scène où il n'y a rien à chanter ? — Pour ce qui est de M. Dupré
(Basile du Barbier), il ne m'en voudra pas de ne rien dire de la façon
dont il a... massacré l'air de la Calomnie.
De l'aisance, de l'adresse, de la jovialité, telles sont les qualités que
M. Villaret a montrées dans la scène du marquis de Moncontour au
premier acte de le Boi l'a dit. Il a très gentiment joué cette scène
charmante. — Et M. Audiger a rendu avec un accent assez dramatique
le rôle de Ramon dans la scène de la demande en mariage de Mireille.
Ce serait tout si je ne voulais pas exprimer mon étonnement d'avoir
vu rester sur le carreau un des meilleurs participants, sinon le meil-
leur, de ce concours très faible. M. Combes, élève de M. Isnardon, a
joué avec un sentiment dramatique très vrai et plein de sobriété, en
véritable comédien, la grande scène du second acte de la Tosca, scène
très difficile, qu'il a rendue avec vigueur et passion. Il n'y en avait
pourtant pas beaucoup, de comédiens, dans cette séance. Mystère...
Passons au côté féminin, en constatant aussitôt le gros succès obtenu
auprès du public comme auprèsdujury par MUc Raveau, dont le premier
prix, décerné à l'unanimité, vient se joindre au premier prix de chant
qu'elle avait obtenu cinq jours auparavant. Mlle Raveau est douée d'une
voix superbe de mezzo-soprano dont le timbre, à la ibis moelleux et solide,
rappelle celui de Mmc Delna, une voix chaude et émouvante, un ins-
trument merveilleux et souple qui est une fortune pour une artiste, car
il s'impose de prime abord à la sympathie de l'auditeur. Mais encore
faut-il savoir employer cet instrument, ce que M"- Raveau nous avait
LE MENESTREL
221
prouvé dans son premier concours, et ce qu'elle nous, a prouvé de nou-
veau cette fois, en y joignant des qualités dramatiques que nous
n'avions pu lui soupçonner encore. Elle s'est montrée à nous dans
la grande scène des lettres de Werther, où son ancienne camarade de
classe, l'aimable M"0 Mathieu-Lutz, aujourd'hui à l'Opéra-Comique,
est venue gentiment lui donner la réplique. Elle a joué cette scène en
véritable artiste, avec un sentiment profond, s'y révélant touchante et
pathétique, tant par l'accent que par la diction, avec une simplicité,
une sobriété de moyens qu'on ne saurait trop louer. On peut bien
dire que son succès a été aussi grand qu'il était mérité, et que du coup
elle se mettait complètement hors de pair. Aussi, son nom a-t-il été
acclamé par toute la salle lorsque l'unique premier prix lui a été
décerné.
C'est aussi dans cette scène de Werther que l'un des trois seconds
prix, Mlle Gustin, a passé son concours, avec M110 Chantai comme
« répliqueuse ». Je me garderai de chercher à établir une comparaison
parfaitement inutile. Je me bornerai à constater que M"' Gustin, grande
élégante et douée d'un excellent physique théâtral, pourvue aussi d'une
très belle voix, a montré du sentiment, de la chaleur, avec une réelle
intelligence scénique et une diction musicale expressive et touchante.
Mllc Cebron-Norbens a fait sensation en se montrant dans le costume
transparent qu'elle avait endossé pour représenter Chrysis dans Aphro-
dite. Le ramage ne me semblait pas, dans cette scène, répondre suffi-
samment au plumage; mais je dois remarquer que la jeune artiste a
fait preuve de très réelles qualités dramatiques eu donnant la réplique
à M. Combes dans une scène de la Tosca. — M"" Chantai a joué sobre-
. ment et d'une façon assez toucliante un fragment du troisième acte de
la Vie de Bohème, et elle a donné plusieurs bonnes répliques, une entre
autres à M"e Amoretti dans H'ànsel et Gretel.
C'est dans cette scène à'Hànsel et Gretel que Mlle Amoretti a obtenu
son premier accessit. Elle s'y est montrée gaie, vive, alerte et spiri-
tuelle, en somme fort gentille et vraiment amusante. — Dans la scène
du premier acte avec Des Grieux, Mlle Lambert nous a offert une
Manon pleine de grâce et de légèreté, pas maladroite du tout, bien en
scène et chantant avec goût. — C'est dans un tout autre genre que s'est
produite Mlle Duvernay, qui a déployé un bon sentiment dramatique
eu jouant le rôle de Santuzza dans un fragment de Cavalleria rusticana.
M"° Pradier, qui nous a dit une scène de Jean de Nivelle, est une
grande et belle personne qui fait preuve d'intelligence, qui dit bien et
qui chante agréablement, son second accessit est un encouragement
bien mérité.
MlleRoburet Mme Garchery, deux premiers accessits de l'an dernier,
ont été l'une et l'autre négligées parle jury, je ne saurais dire pourquoi.
Mlle Robur a joué intelligemment, avec chaleur, une scène de Louise,
qu'elle a fort bien chantée. Quant à M""5 Garchery, en dehors de la
scène de Werther, qui lui servait de concours, elle avait prouvé de la
chaleur et un grand sentiment dramatique en donnant la réplique à
M. Laloye dans une scène de Carmen. Que toutes deux se consolent :
elles sont dans la bonne voie, elles forceront la chance.
VIOLON
Par quelle idée singulière et bizarre s'en est-on allé choisir, pour
morceau du concours de violon de l'an de grâce 1908, le seul concerto
de violon qu'ait écrit le compositeur tchèque Anton Dvorak, mort il y
a quelques années, qui n'était lui même qu'un violoniste médiocre et
qui dut se contenter, dans sa jeunesse, d'une simple place d'alto au
Théâtre-National de Prague. Sommes-nous donc décidément à ce point
dépourvus de bonne musique de violon qu'il nous faille aller chercher
n'importe quoi, n'importe où, pour faire les frais de uos concours? Je
sais bien que pour certains de nos professeurs, qui sont, sans doute,
des esprits avancés, Viotti, et Rode, et Kreutzer, et Baillot, n'étaient
que de pauvres violonistes de pacotille, qui ne savaient pas écrire pour
leur instrument, et dont toute la musique est bonne à jeter au feu.
Tout cela est « vieux jeu », nous dit-on maintenant, et le grand Joa-
chim n'avait que le tort de s'entêter à jouer encore des concertos de
Yiotti, ce qui prouve bien qu'il n'y entendait rien. Mais enfin, en
dehors de ces concertos classiques, on a encore le choix dans ceux,
plus modernes, de Vieuxtemps, de Léonard et de Bôriot; on en connaît
aussi d'autres en Allemagne, car il en existe quatre de Mayseder, qua-
tre de Ferdinand David, quinze de Spohr, trois de Max Bruch, sans
compter ceux que j'oublie.
Et l'on s'en va précisément choisir l'unique concerto de Dvorak,
dont je ne veux pas absolument médire, mais qui est tout de même une
composition singulière, pas très désagréable à entendre sans doute,
.mais de caractère déhanché, sans style et sans distinction, avec un
thème principal d'ordre vulgaire, qui rappelle les Danses slaves, du
même auteur. Or, ces Danses slaves, colorées et pittoresques à l'or-
chestre, n'ont rien de la noblesse qui convient au violon et à la forme
du concerto. Bien écrit d'ailleurs dans les ressources de l'instrument,
le concerto de Dvorak a sans doute l'avantage, pour les amateurs
d'acrobatie et de virtuosité transcendante, de présenter des doubles
et triples cordes, des suites de tierces, de sixtes, d'octaves, de
dixièmes, des fusées incessantes et d'interminables promenades à
l'extrême extrémité du manche. Mais où le style, où l'apparence
d'une phrase de chant quelconque? Impossible, avec cette musique de
fond plutôt banal, impossible à un exécutant de faire savoir s'il sait
phraser. s il possède un moyen quelconque de sentiment ou d'expres-
sion, s'il sait ce que c'est que la grâce et s'il a jamais entendu parler
de l'élégance de l'archet. D'où il suit que des vingt-huit jeunes gens
de l'un et de l'autre sexe que nous avons entendus, il n'en est pas tin
seul qui ait pu faire preuve d'un semblant de personnalité et donner
l'idée de son tempérament musical. Tout, chez eux — et ce n'était
vraiment pas leur faute — tout était forcément uniforme et grâce à
cette musique aucun ne pouvait révéler quelqu'une de ces qualités par-
ticulières qui sont le fond même d'une nature d'artiste. Tous étaient
réduits à l'état de mécanique, de machine à tours de force, sans que le
charme, le goût, la grâce aient un instant la parole et leur permettent
de se montrer eux-mêmes. Demandez donc à un seul d'entre eux s'il
aura jamais l'idée biscornue de jouer ça en public, en dehors du
Conservatoire ?
Le jury chargé déjuger ce concours (je rends honneur à son courage!)
était ainsi composé: MM. Gabriel Fauré, président, Ed. Colonne,
Jacques Thibaud, Hayot, Sechiari. Touche, Boucherit, Arthur Coquard,
Paul Viardot, Lalo, Bruneau. Il a décerné les récompenses suivantes :
/ers prlXi — MM. Michelon, élève de M. Berthelier; Carembat, élève
de M. Lefort; Mlles Wolf, élève de M. Lefort; et Talluel, élève de
M. Nadaud.
2CS Prix. — Mlle Roussel, élève de M. Berthelier ; MM. Tinlot, élève
de M. Nadaud, Poirrier, élève de M. Lefort; et Krettly, élève de
M. Berthelier.
/era Accessits. — MM. Carruette, élève de M. Rémy; Hémery, élève
de M. Nadaud; Mlk"s Goyon, élève de M. Rémy; de la Hardrouyère,
élève de M. Berthelier; et M. Olmazu, élève de M. Rémy.
2es Accessits. — M. Duran, élève de M. Lefort, M"C! Didier, élevé de
M. Nadaud; Ehvell, élève de M. Lefort; et M. Yillain, élève de
M. Rémy.
Dans son ensemble, le concours a été brillant et maintient la supé-
riorité de notre admirable école de violon. Mais je ne puis parler ici
qu'au point de vue technique, en ce qui touche la virtuosité, l'habileté
pour tout ce qui rattache à la difficulté vaincue. Les principes sont gé-
néralement bons: la justesse du sou, l'agilité des doigts, le maniement
de l'archet. Pour ce qui est du style, de l'expression, de la sensibilité,
du chant soutenu, je n'en saurai rien dire; avec une telle musique il
est impossible d'en rien savoir. En entendant Uthal, un opéra dans
lequel Mehul avait remplacé dans son orchestre les violons par des
altos, Grètry s'écriait: « Je donnerais un louis pour en teudre une chan-
terelle. » En entendant vingt-huit fois le concerto de Dvorak, j'en aurais
donna plusieurs pour entendre une simple phrase de chant, bien claire,
bien limpide et bien expressive.
Que dire de tous ces jeunes gens ? Ils ont tous du talent, parbleu ! ce
n'est qu'une question de plus ou de moins, et ceux qui n'ont pas été
couronnés en ont tout autant que les autres. Je déclare même que,
contre ce qui se produit parfois, il n'eu est pas un seul qui ue fût capa-
ble de prendre part à la lutte. Mais j'en reviens à mon dire : aucun ne
pouvait donner ce que le morceau ne lui permettait pas de mettre en
lumière, des qualités vraiment personnelles, de ces qualités qui décè-
lent autre chose qu'un virtuose, c'est-à-dire un artiste doué d'émotion,
de sens musical, et brillant à la fois par le charme et par le style.
Parmi ceux que j'ai surtout remarqués, je citerai M. Carembat, qui
me parait avoir du tempérament ; MUe Wolf, qui se distingue par une
grande facilité de doigts et d'archet : M. Tinlot, dont l'exécution est
intéressante; M. Krettly, qui fait preuve de qualités brillantes:
M. Poirrier, dont le jeu solide et sûr semble promettre un artiste ; puis,
à uu degré un peu moindre, M"1' Roussel. M. Olmazu, M. Duran.
Mlle de la Hardrouyère, M"'' Didier... Que ceux que je ne nomme pas ne
me tiennent pas rigueur et ne croient pas à de l'indifférence de 'ma
part. C'est la faute au concerto de Dvorak. Diable de concerto !
(A suivre.) Arthur Pougin.
222
LE MÉNESTREL
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(POUR LES SEULS ABONNÉS A LA MUSIQUE)
11 ne faudrait pas croire que la marquise de Negrone s'en tienne à caresser jdli-
mentl'ivoire d'un clavier; elle sait aussi taire chanter la voix. On en jugera par
.cette Aubade toute de grâce et de fraîcheur.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Au cours de la dernière saison, qui a commencé le 18 août 1907 et qui
s'est terminée le 22 juin 1908, l'Opéra de la Cour, à Vienne, a donné .'112 re-
présentations dont 301 représentations du soir et 11 matinées. Pendant toute
cette période, l'Opéra de la Cour n'a fait relâche que durant neuf jours: le
9 septembre, anniversaire de la mort de l'impératrice Elisabeth ; le 24 dé-
cembre, veille de Noël; le 22 janvier, à l'occasion des obsèques du grand-duc
Léopold de Toscane ; les 14, 13, 16, 17 et 18 avril précédant les fêtes de Pâques
et le 18 juin dernier, jour de la Fête-Dieu. 80 œuvres diverses, opéras et ballets,
de 53 compositeurs différents, ont eu un total de 405 représentations : 50 œuvres
de 29 compositeurs allemands ont été jouées 20S fois; 15 œuvres de 8 italiens.
113 fois; 16 œuvres de 13 français, 74 fois, 3 œuvres d'un hongrois (Liszt),
6 fois; une œuvré d'un tchèque et une œuvre d'un russe, chacune deux fois.
De tous les compositeurs, c'est Richard Wagner qui a eu le plus de représen-
tations. Dix de ses œuvres ont été jouées 59 fois. Parmi les compositeurs français,
Delibes a eu 14 représentations ; Bizet, 11, avec Carmen : Saint-Saëns , 8, avec
garnison et Balila; Ambroise Thomas, 6, avec Mignon; Auber, S, avec Fra Diavolo
et la Muette de Portici, et Massenet. 3, avec Manon.
Les travaux de construction du Johann-Strauss Theater de Vienne sont
poussés avec activité. On espère bien pouvoir inaugurer cette nouvelle scène
dès l'automne prochain. Les premières œuvres jouées seront naturellement
celles de Johann Strauss; ensuite on donnera une opérette nouvelle du
compositeur viennois Bruno Granichstiitter, Fille ou garçon.
De Vienne : Un incident a marqué la représentation de dimanche soir, à
Ischl, la première à laquelle a assisté l'empereur François-Joseph depuis qu'il
a commencé sa villégiature d'été. L'Empereur était arrivé au début de. la
représentation, sans s'être fait annoncer, et les artistes avaient à peine com-
mencé à jouer quand, brusquement, la scène et la salle furent plongées dans
l'obscurité la plus complète. L'éclairage électrique avait cessé de fonctionner.
On apporta des bougies et des lampes et le directeur du théâtre, armé d'une
chandelle; vint présenter ses excuses à l'Empereur qui, prenant la chose du
bon côté, se fit accompagner à sa voiture et, en souriant, prit congé dn direc-
teur en lui souhaitant une « nuit bonne, mais un peu plus éclairée ». A onze
heures du soir, l'électricité fit sa réapparition.
Ds Vienne : La Société wagnérienne de Gratz ayant publiquement criti-
qué M. Félix von Weingartner, à propos des coupures qu'il a pratiquées dans
la Valkyrie, le directeur de l'Opéra de la Cour vient de répondre par une lettre
ouverte, dont voici les passages essentiels :
Il eût peut-être été indiqué, avant de prendre la parole publiquement et d'une
façon un peu hâtive, de se mettre en rapport avec moi, à qui les plus acharnés
adversaires n'ont jamais reproché jusqu'à présent de la légèreté en matière d'art. Je
vous aurais, dans le cas, volontiers exposé ce qui m'a incité à faire des coupures. Je
vous aurais appris, entre autres, que jamais l'idée ne me viendrait de faire des cou-
pures dans les très longs Maîtres Chanteurs et dans le tout aussi long Tristan, sans y
être forcé par des circonstances extérieures, comme l'indisposition d'un chanteur,
par exemple. Peut-être vous aurais-je convaincu ainsi que je ne mesure pas la valeur
de Wagner avec ma montre.
Je vous aurais dit aussi que trente années de théâtre et de pratique ont établi
entre les œuvres de Wagner et moi une intimité que même les Sociétés wagné-
riennes ne me contesteront pas et qui a fait naître en moi la conviction que maintes
parties des Nibdun'jen, du Tannhwser et même du « court » Vaisseau Fantôme, sont
trop longues, non pas en ce qui comerne 11 durée de l'exécution, mais au point de
vue organique, de la nécessité dramatique et de l'unité de style.
Je considère que pratiquer des coupures bien comprises en de pareils endroits est
un devoir artistique qui ne peut ètra qu'éminemment profitable à lajouissance esthé-
tique, à la compréhension et à l'assimilation.
Habitué, depuis longtemps, à poursuivre, autant que la possibilité m'en est donnée,
la réalisation de toute chose dont je puis assumer la responsabilité vis-à-vis de moi-
même, pas plus atteint d'ivresse autoritaire que de sulfismce béate qui se croit,
Dieu sait, quelle importance, je vous déclare que je pratiquerai les coupures qui me
paraîtront nécessaires daas plusieurs œuvres de Wagner, sans me laisser le moins
du monde troubler par les protestations, quelles qu'elles soient.
Permettez-mai d'ajouter à cette déclaration que je cansidère les termes « Wagner »
et « wagnérien » comme deux conceptions diamétralement opposées. Je vénère
Wagner à tel point que je dois avoir l'honneur de me dire un and'-wagnërien litté-
ralement enthousiaste.
Agréez, etc.
Félix Weingartner.
Bad-Kreuth, 28 juin 1908.
— A l'occasion du quarantième anniversaire de la première représentation
des Maîtres Chanteurs, à Munich, M. Hans Richter, qui a dirigé l'ouvrage au
Théâtre de la Cour, vient d'être décoré de l'ordre du mérite de Saint-Michel,
deuxième classe.
— Le théâtre historique de Lauchstâdt, près de Halle, sur lequel l'attention
a été attirée dans ces dernières semaines, à cause des représentations de
l'Arbitrage et de la Samienne, de Ménandre, a été non seulement une scène
littéraire importante, mais aussi une scène musicale dont les fastes ne sont
pas négligeables. On y a entendu dans d'excellentes condi tions d'interprétation :
Iphigénie en Tauride, de Gluck, l'Enlèvement au Sérail, la Flûte enchantée, Don
Juan, Cosi fan tuile, les Noces de Figaro et la Clémence de Titus, de Mozart, le
Porteur d'eau, Lodoiska et Faniska, de Gherubini, Richard Cœur de Lion, de
Grétry, le Trésor supposé, de Méhul, le Déserteur, de Monsigny, Maison à vendre,
de- Dalayrac, etc. H faut ajouter à cette liste un grand nombre d'opéras
italiens et allemands de Salieri, Cimarosa, Martini, Paèr, Pa:siello, Dittersdorf,
Wenzel Mtiller, Wranitzki, Winter, Weigl, Schenck, Kauer, Beichardt,
Himmel, Siissmayer, Gyrowetz et Zumsteeg. On peut suivre historiquement
les annales du théâtre de Lauchstiidt depuis l'année 1761, époque où un
comédien de Leipzig, nommé J.-E. Wilde, forma, pour la petite ville, une
troupe avec sept camarades et y joua principalement les ouvrages de Gellei't.
Plus tard, vers 1769, ce fut un nommé Francesco Claudio Perrin, qui
remplaça le précédent avec des acteurs nouveaux, et à qui se substitua sept
ans après le directeur Koberwein, lequel, pour lui et « sa bande », Et ériger
un hangar en bois de cinquante pieds de long sur trente de large. Le directeur
bien connu Joseph Bellomo vint en 17S5, fit construire, toujours en bois, une
maison plus spacieuse qu'il céda, en 1791. à Goethe, et qui subsista jusqu'à
l'ouverture du nouveau théâtre, bâti en pierre cette fois, et qui fut inauguré
le 26 juin 1802. Ce fut une véritable solennité. La salle, pouvant contenir un
millier de personnes, était comble. On joua un prologue de Goethe intitulé :
Ce que nous cous apportons, et la Clémence de Titus, de Mozart. Parmi les nota-
bilités présentes, on comptait, en dehors des princes, Goethe, Frédéric-Auguste
Wolf. Reichardt. Wilhelm Schlegel, Schelling. Hegel. Frommann. La femme
de Goethe, née Christiane Vulpius. assise à côté du grand poète, a écrit ce
qui suit sur la représentation : « Le théâtre d'ici est maintenant très beau ; il
peut contenir mille spectateurs. Dans la première pièce, qui était un prologue
du Conseiller intime (Goethe) intitulé : Ce que nous vous apportons, liguraientun
grand nombre de personnes. Nous étions au balcon, dans une très belle loge,
et. lorsque le prologue fut terminé, des étudiants s'écrièrent : « Vive Gœthe.
le grand artiste! » Mon mari s'était reculé vivement et caché derrière moi;
mais je me levai, et il dut s'avancer pour remercier l'assistance. Après le
spectacle, on lit des jeux de lumière sur la scène et le portrait du Conseiller
intime fut illuminé. Gœthe s'inclina de sa loge et dit ces paroles : « Puisse,
ce que nous apportons, suffire très longtemps à un public amoureux d'art ».
Le théâtre qui fut inauguré avec tant de pompe en 1802 tomba tout à fait en
ruines dans ces dernières années et a dû être entièrement restauré. On tient
beaucoup à le conserver à cause des vieux souvenirs qu'il rappelle.
— La « Neue Musik-Zeitung » a recueilli, sur Weber, la jolie anecdote sui-
vante : Au commencement du siècle dernier, un sacristain de village, direc-
teur du chant dans son église, s'était mis dans la tète, à l'occasion d'une petite
fête locale, d'obtenir d'un maître avéré une musique nouvelle qui put faire
honneur au goût des personnages influents de l'endroit, et flatter la vanité de
tous les paroissiens. Le village où devait avoir lieu la fête n'étant pas éloigné
de Dresde, il semblait tout naturel de s'adresser à Weber. Notre excellent
cantor. peu timide et ne doutant de rien, débarqua donc un jour chez le futur
auteur du Freiscliiit: et lui exposa son désir. Weber connaissait par expérience
l'incapacité musicale des chanteurs dans les petites églises de la Saxe ; il
chercha donc des prétextes pour se soustraire à la tâche que l'on prétendait
lui imposer. Tout fut inutile. Le cantor avait une réponse prête à toutes les
objections. Il considérait que son honneur était engagé dans la circonstance,
car il avait annoncé d'avance à tout le pays que l'on chanterait dans l'église,
le jour de la fête, uu morceau de musique nouveau, composé par « son ami
Weber ». On comprend donc avec quel acharnement il tourmenta le maître,
qui finit par s'écrier : « Eh bien, soit ; quel texte voulez-vous que je vous
mette en musique?» — « Celui qu'il vous plaira de choisir », répondit le
cantor en s'inclinant jusqu'à terre ; « un verset de la Bible, ou toute autre chose
si cela vous convient mieux. » — « Vous aurez la musique, dit Weber;
veuillez seulement, quand vous l'aurez reçue et étudiée, me faire savoir le
jour et l'heure de la répétition générale : j'irai vous entendre dans votre
église ». Ainsi fut fait. Weber envoya une fugue sur les paroles : Nous ne
pouvons rien, rien du tout, absolument rien contre la. colère du Seigneur. Bientôt
après il reçut avis que le morceau serait répété pour la dernière fois le matin
même de la fête, immédiatement avant l'office. « Bien, se dit-il, je liens mes
larrons, ils vont maintenant expier leurs péchés. » H vint à l'heure dite
avec un grand nombre d'amis ou connaissances. Les choristes de l'église
commencèrent aussitôt, mais, dès les premières mesures, tous détonnèrent à
l'envi : s'eft'orçant de se ressaisir avec l'énergie du désespoir, ils criaient dans
leur détresse les paroles que Weber avait malicieusement choisies, et répétées
plusieurs fois à chaque partie, en les agrémentant de quelques adjonctions
produisant un effet comique. « Nous.... nous.... nous ne pouvons rien.... rien,
moins que rien.... nons ne pouvons rien dn tout, absolument rien.... » Ce fut
une horrible mêlée antimusicale, et persistante aussi, car les chanteurs avan-
çaient 'toujours dans le dédale de leur fugue, ne s'apercevant même pas 'qu'ils
LE MÉNESTREL
223
avaient été mystifiés. Enfin Weber, voyant ses compagnons sur le point
d'éclater en rires bruyants, s'écria tout à coup : « Hélas non, vous ne pouvez
rien; laissez-nous donc prendre votre place et chanter pour l'amour de Dieu ».
Il tira de sa poche un cahier de musique ; ses amis l'imitèrent et, formant un
groupe compact, entonnèrent à leur tour le morceau et le chantèrent irrépro-
chablement jusqu'à la fin, pendant que lui, Weber, battait la mesure. Alors, il
dit au cantor, sa vieille connaissance : « Voyez, la répétition est terminée ; si
vous nous jugez suIFisamment préparés pour chanter pendant l'office par lequel
doit commencer la fête de votre village, nous vous remplacerons volontiers ».
L'offre fut acceptée avec reconnaissance et le succès des nouveaux chanteurs
fut complet. Quant au Cantor, ses concitoyens le portèrent en triomphe à la
sortie de l'église, pour la bonne idée qu'il avait eue d'inviter Weber à le rem-
placer. Il se garda bien d'avouer comment les choses s'étaient passées, et laissa
croire que Weber était venu à sa prière, par bonne amitié pour lui.
— Mme Louise Ramann, qui s'est fait connaître dans le monde musical par
une intéressante et très complète biographie de Liszt, et qui a traduit en alle-
mand tous les ouvrages que le maître avait écrits en français, vient de célébrer
à Munich le 75v anniversaire de sa naissance. Une petite fête a eu lieu chez elle
dans la plus stricte intimité.
— De Londres: la reconstruction du vieux Drury-Lane Theater, qu'un in-
cendie a détruit, il y a quelques mois, est activement poussée et la réouverture
pourra avoir lieu dès l'automne prochain. Comme il n'est resté que peu de
choses de l'ancien immeuble, on a profilé de la réédification pour y introduire
de nombreux agrandissements et des améliorations essentielles. C'est ainsi
que la scène sera agrandie de 32 pieds dans le sens de la largeur et de 10 pieds
dans celui de la hauteur et deviendra, de ce fait, la plus vaste scène du monde
entier.
— De New-York : la réouverture du Métropolitan-Opera aura lieu le 16 no-
vembre, avec Aida, dont les principaux rôles seront interprétés par Mme Des-
tinn et M. Caruso et qui servira de débuts à M. Toscanini. l'ancien chef d'or-
chestre de la Scala de Milan. La première nouveauté qu'on jouera sera
Tieflund, de M. Eugène d'Albert, pour laquelle M. Schmedes, le célèbre ténor
de l'Opéra de la Cour de Vienne, a été spécialement engagé pour deux mois.
M. Gustave Mailler commencera ses fonctions de chef d'orchestre vers la mi-
décembre. Il dirigera d'abord les Noces de Figaro et ensuite Tristan et Isolée;
avec les coupures qu'il a pratiquées dans l'œuvre de Wagner quand il l'a
montée à Vienne. Comme chef du corps de ballet, la direction a engagé
M. Ludovic Saracco du Teatro San Carlo de Naples.
— De Philadelphie : On vient de poser ici la première pierre du nouvel
Opéra : un bloc de marbre dans lequel M. Hammerstein, directeur du Man-
hattan Opéra de New-York, qui prendra également la direction de celui de
Philadelphie, a l'aU sceller des rouleaux de phonographe qu'il a apportés de
Paris et de Londres et qui perpétueront les voix des principaux artistes de sa
compagnie. Mme Melba y figure avec un air de Rigoletto : Mlle Tetrazzini, avec une
chanson de Lucie de Lammermoor : M"'' Mary Garden, avec un air de Thaïs, et à
côté' des voix superbes de ces trois grandes artistes reposent celles des ténors,
MM. Dalmorès et Zenatello et des barytons MM. Renaud et Sammarco.
L'avenir du nouvel Opéra parait d'ores et déjà assuré. Les souscriptions
d'abonnement aux loges et aux fauteuils d'orchestre ont atteint à ce jour le
joli total de 073.000 francs.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
C'est samedi dernier qu'a eu lieu à l'Académie des beaux-arts, toutes
sections réunies, le jugement du concours de Rome. Les paroles de la cantate
intitulée la Sirène avaient pour auteurs MM. Eugène Adenis et Gustave Des-
veaux-Vérité. Les compositions des six concurrents ont été exécutées dans
l'ordre suivant, d'après le tirage au sort, avec les interprètes que. voici :
I" M. Tournier, élève de M. Ch. Lenepveu, interprété par M"" Hélène Demelier,
de l'Opéra-Comique ; M"" Laute-Brun, de l'Opéra ; M. Fernand Lemaire. Au piano,
M. Joseph Boulnois.
2° M"" Boulanger, élève de M. Widor, interprétée par M"° B. Lamare, de l'Opéra-
Comique ; M"" Winsbach ; M. R. Plamondon, de l'Opéra. Au piano, Jt. Marcel Du-
pré et l'auteur.
3" M. Gailhard, élève de M. Ch. Lenepveu, interprété par M11*' Chenal, de l'Opéra ;
M"" Verlet, de l'Opéra; M. Devriès, de l'Opéra-Comique. Au piano, MM, Chadeigne,
de l'Opéra, et Maxime Dardignac.
4° M. Flament, élève de M. Ch. Lenepveu, interprété par M"c Rose Féart, de
l'Opéra ; M™' Judith Lassalle, de l'Opéra-Comique ; M. Corpait, de l'Opéra. Au piano
M. Galabert et l'auteur.
5° M. Mazellier, élève de M. Ch. Lenepveu, interprété par M"0 Louise Grand-
jean, de l'Opéra; M"" Henri Cain-Guiraudon ; M. Muratore, de l'Opéra. Au piano,
MM. Léon Moreau et Salomon.
6° M. Marc Delmas, élève de M. Ch. Lenepveu, interprété par M11" Y. Gall, de
l'Opéra ; M"' Lucy Vauthrin, de l'Opéra-Comique ; M. Georges Dantu, des Concerts-
Colonne et des Concerts du Conservatoire. Au piano, M""' de Faye-Jozio.
La lutte pour le premier prix était- circonscrite, dès le premier moment,
entre deux des concurrents, M. André Gailhard, second prix de 1906. et
M. Mazellier. second prix de 1907. En effet, dans l'audition préparatoire qui
avait eu lieu la veille au Conservatoire, devant les membres de la section de
musique de l'Académie et les jures adjoints, les voix s'étaient partagées de
façon presque égale, cinq se réunissant sur André Gailhard, et quatre sur
M. Mazellier. Finalement, le premier grand prix a été décerné à M. André
Gailhard. qui l'emportait avec dix-huit voix, contre neuf à M. Mazellier.
L'Académie n'a pas cru devoir attribuer de premier second grand prix, mai»
elle a décerné un deuxième second grand prix à M"" Nadia Boulanger, et elle
a accordé une mention honorable à M. Flament. — Tout le monde sait que
M. André Gailhard, âgé aujourd'hui de vingt-trois ans, est le fils de l'ancien direc-
teur de l'Opéra. M11" Nadia Boulanger, qui en a vingt, est la fille d'Ernest Bou-
langer, ancien prix de Rome lui-même et auteur de plusieurs opéra-comiques
qui jadis obtinrent du succès, et la petite-fille de M""' Boulanger, une canta-
trice charmante qui fut, au commencement du dernier siècle, une de3 gloires
de l'Opéra-Comique. Quant à M. Flament, c'est un bassoniste qui a obtenu un
premier prix de basson en 1898. On a dit à tort qu'il était arrivé à la limite
d'âge; c'est une erreur, en effet. Etant né à Douai le 27 août 1880, M. Fla-
ment pourra parfaitement, si cela lui plait. concourir encore l'année pro-
chaine. On a dit aussi que M"8 Nadia Boulanger était la première femme qui
obtenait un prix au concours de Rome ; c'est encore une erreur. Il y a trois
ans, M"" Hélène Fleury se voyait décerner un second prix à ce concours.
— A titre documentaire et comme complément des intéressants articles de
notre collaborateur Arthur Pougin sur les concours du Conservatoire, il peut
être intéressant de reproduire la liste des scènes qui furent chantées au concours
d'opéra-comique, avec, à côté, les noms des jeunes élèves qui les interprétaient :
1. M"' Ménard (classe Dupeyron). — Manon 11" acte», rôle de Manon. Réplique
M. Paulet.
2. M. Coulomb (classe Bouvet). — Le Pardon de Ploérmel II" acte , rôle de
Corentin.
3. M"" Pradier (classe Isnardon). — Jean de Nivelle (l" acte), rôle d'Ariette. Répli-
ques : M. Paulet et M"" Cébron-Norbens.
4. M. Taréria (classe Isnardon). — Sapho de Massenet (Jtf actei, rôle de Gaussin.
Répliques : M. Audiger, M"" Cébron-Norbens, Duvernay et Pradier.
5. M. Bellet (classe Dupeyron). — Les Xaces de Jeannette, rôle de Jean. Réplique :
M11" Amoretti.
6. M"° Gustin (classe Isnardon). — Werther (3« acte), rôle de Charlotte. Réplique :
M"c Chantai.
7. M. Félisaz (classe Bouvet). — Manon (2e acte), rôle de Des Grieux. Réplique :
M"" Lambert.
8. M?" Jurand (classe Isnardon), 2" ace. 1907. — Les Soees de Figaro (2- acte . rôïe
de Suzanne. Répliques : M""" Chantai et Gustin.
9. M"e Duvernay (classe Isnardon). — Caealleria ruslieana, rôle de Santuzza. Ré-
pliques : M. Tai'eria, il"0" Gabrielle Demougeot et. Gustin.
10. M"c Garchery (classe Dupeyron), 1" ace. 1907. — Werllu-r (3" acte), rôle de
Charlotte. Réplique : M"" Amoretti.
11. Audiger (classe Isnardon). — Mireille (2" acte), rôle de Ramon. Répliques:
MM. Villaret, Combes, Ancelin, M"" Robur et Duvernay.
12- M"' Gabrielle Demougeot (classe Isnardon), l"r ace. 1907. — Carmen II" acte,
rôle de Carmen. Répliques : MM. Taréria, Villaret, M"" Devriès et M"" Rénaux.
13. M"° Chantai (classe Isnardon). — La Vie de Boliéme (3" acte), rôle de Mimi.
Répliques : MM. Paulet, Villaret et M"' Jurand.
14. M"" Robur (classe Isnardon), 1" ace. 1907. —Louise (3" acte), rôle de Lonise.
Réplique : M. Taréria.
15. JSL Ponzio (classe Melchissédec), 2" ace. 1907. — Le Barbier de Sëeille (1" acte),
rôle de Figaro. Réplique : M. Ancelin.
16. M"" Cébron-Norbens (classe Isnardoni, 2" ace. 1907. — Aphrodite (l«r acte), rôle
de Chrysis. Réplique : M. Taréria.
17. M"c Lambert (classe Bouvet). — Manon (1" acte), rôle de Manon. Réplique:
M. Coulomb.
18. M. Laloye (classe Dupeyron). — Carmen (2e acte), rôle de Don José. Réplique :
M™" Garchery.
19. M. Villaret (classe Isnardon). — Le Roi l'a dit, rôle du marquis de Moncontour.
Répliques : M. Paulet, M"" Robur, G. Demougeot, Chantai, Cébron-N'orbens, Jurand
et Devriès.
20 et 21 . M. Vaurs (classe Bouvet), 1" ace. 1907 et M. Pierre Dupré (classe Bouvet).
— Le Barbier de Séville (2e acte), rôles de Bartholo et de Basile. Réplique : M' Lam-
bert.
22. M. Combes (classe Isnardon). — La Tosca (2» acte', rôle de Scarpia. Répliques:
MM. Audiger, Paulet et M1" Cébron-Norbens.
23. M"1 Alice Raveau (classe Bouvet). — Werther (3' acte), rôle de Charlotte. Ré-
plique : M"" Mathieu-Lutz.
24. M. Paulet (classe Isnardon). — L'Épretuv villageoise (rôle d'Andréi. Réplique :
M"" G. Demougeot.
25. M"0 Amoretti (classe Dupeyron). — H'ùnsel et Gretel, rôle de Gretel. Réplique :
M1" Chantai.
— A l'occasion des concours du Conservatoire, il n'est peut-être pas sans
intérêt de rappeler dans quelles circonstances M. Saint-Saèns composa son
concerto en sol mineur, dont le premier mouvement a été. exécuté lundi dernier
par les trente-deux élèves femmes des classes de piano. C'était vers l'époque
où Antoine Rubinstein se fit entendre à Paris pour la première fois. Il était
alors âgé de vingt-huit ans. M. Camille Saint-Saèns devint son admirateur
enthousiaste, un peu son disciple et beaucoup son ami. Les armées qui suivi-
rent, Rubinstein revint presque chaque hiver et son amitié pour M. Saint-
Saèns s'était doublée d'une grande estime pour le jeune artiste français, si
bien qu'un jour il lui proposa de diriger des concerts avec orchestre qu'il se
proposait de donner. Ici, nous laissons la parole à M. Saint-Saèns : « J'avais.
peu dirigé encore, et j'hésitais à accepter cette tâche, a-t-il écrit dans ses Por-
traits et Souvenirs ; je l'acceptai cependant et fis dans ces concerts (il y en eut
huit) mon éducation, de chef d'orchestre. Rubinstein m'apportait à la répéli-
224
LE MENESTREL
lion des partitions manuscrites, griffonnées, pleines de ratures, de coupures,
de « paysages » de toutes sortes ; jamais je ne pus obtenir qu'il me fit voir la
musique à l'avance ; «c'était trop amusant, disait-il, de me voir aux prises
avec toutes ces difficultés ». De plus, lorsqu'il jouait, il ne se préoccupait en
aucune façon de l'orchestre qui l'accompagnait ; il fallait le suivre au petit
bonheur, et parfois un tel nuage de sonorités! s'élevait du piano queje n'enten-
dais plus rien et n'avais d'autre guide que la vue de ses doigts surle clavier.
Après cette magnifique série de huit soirées; nous étions un jour dans le foyer
de la salle Pleyel, assistant à je ne sais quel concert, quand il me dit : « Je
n'ai pas encore dirigé d'orchestre à Paris ; donnez donc un concert pour que
j'aie l'occasion détenir le bâton! — Avec plaisir. » Nous demandons quel
jour la salle serait libre ;;il fallait attendre trois semaines. « Nous avons trois
semaines devant nous, lui dis-je. C'est bien, j'écrirai un concerto pour la cir-
constance ». Et j'écrivis le concerto en sol mineur, qui fit ainsi ses débuts
sous un illustre patronage. N'ayant pas eu le temps de le travailler au point
de vue de l'exécution, je le jouai fort mal, et, sauf le scherzo, qui plut du pre-
mier coup, il réussit peu ; on s'accorda à trouver la première partie incohé-
rente et le final tout à fait manqué. » L'on est bien revenu depuis sur cette
opinion, car ce concerto et le quatrième sont adoptés au Conservatoire comme
oeuvres classiques et acclamés partout à chaque nouvelle audition.
— On s'ément, au Parlement, du projet barbare du ministre de la guerre
touchant la suppression des musiques d'artillerie et du génie. Sur l'initiative
de MM. Maurice Faure et Nègre, les sénateurs représentant les villes où se
trouvent ces musiques se sont réunis pour protester contre leur suppression,
que le ministre a prévue et indiquée, sous prétexte d'économie, par voie bud-
gétaire. Après discussion, ils ont décidé de se joindre aux députés des mêmes
villes intéressées dans leurs démarches et protestations. Ceux-ci se sont réunis
de leur côté dans le but de combattre de tous leurs efforts ce projet malen-
contreux. Ils ont décidé de constituer un groupe parlementaire qui, sans
perdre de temps, va s'occuper activement et par tous les moyens possibles
d'obtenir et d'assurer le maintien des musiques de l'artillerie et du génie.
— Un certain nombre d'auteurs avaient intenté un procès à une grande
maison de cinématographes. Ils soutenaient que le fait de représenter leurs
œuvres au moyen de films constitue une contrefaçon. Ils ont obtenu gain de
cause. La première chambre du tribunal a décidé que les lois de 1791 et 1793,
qui protègent la propriété littéraire, doivent être interprétées dans le sens le
plus large, et que tout procédé par lequel la conception d'un auteur est mise
à jour devient une usurpation de son droit de propriété. Un film doit donc
être considéré comme une sorte d'édition, et sa projection en public comme
une représentation — illicites l'une et l'autre si elles n'ont été autorisées par
l'auteur. En conséquence, les films incriminés devront être détruits, et la mai-
son défenderesse paiera aux demandeurs, savoir: aux héritiers des auteurs de
Faust, représentés par MeSignorino, 1.500 francs, à M. Courteline (pour Bou-
bouroche), à M. Pierre Wolfl' (pour le Secret de Polichinelle), à MM. Gavault,
"Varney et de Cottens (pour le Papa de Francine) chacun 1.000 francs. M'Mille-
rand plaidait pour le fabricant de cinématographes et Me José Théry pour les
cinq derniers auteurs.
— Le monument de Beethoven. — Sous les grands arbres du parc du dépùt
des marbres s'élève depuis hier la maquette en plâtre du monument qui doit
être érigé au Ranelagh à-Ia mémoire de Beethoven. Quatre génies ailés, de
taille colossale, soutiennent une immense plate-forme sur laquelle Beetho-
ven, étendu et s'accoudant à un cube de pierre semble rêver. L'oeuvre, d'une
conception et d'une facture très originales, est du sculpteur José de Charmoy,
qui la présentera celte semaine au comité Beethoven avant de la reproduire
en pierre pour la promenade de la Muette.
— Toute la semaine de l'Opéra a été consacrée aux représentations de
MlleMary Garden, qui a chanté tour à tour, avec un égal succès, Thais. Faust
et Roméo. Dans Thaïs elle avait pour partenaire le baryton Albers, qui s'est
tiré à son avantage du rôle d'Athanaél, qu'il chantait pour la première fois à
Paris. Dans Roméo, c'était le ténor russe Altchersky qui lui donnait vaillam-
ment la réplique. Tlàns Faust, le ténor Muratore reste incomparable.
— Ce soir samedi, au parc de Versailles, grand gala donné par la Société
des Grandes Auditions musicales, au bénéfice de l'oeuvre de l'Assistance par
le travail. En voici le programme :
A neuf heures précises, au bosquet d'Apollon : M™ Félia Litvinne, M. Mounet-
Sully, M. Albart Lambert fils. — Danses grecques et daDses antiques : le ballet de
l'Opéra, sous la direction de M. Staats.
A dix heures, à la Colonnade : Psyché, de Molière, avec M11" Bovy et Lifraud. —
Danses des dix-septième et dix-huitième siècles, avec le ballet de l'Opéra. — Musi-
que militaire du génie et de l'artillerie.
A onze heures, grand feu d'artifice par Ruggieri.
Le programme sera orné d'une eau-forte inspirée du parc de Versailles par
M. Gaston La Touche, avec deux notices de M. Pierre de Nolhac.
— Le jury du concours de piano de l'École Classique composé de :■
M>°» Filliaux-Tiger, Ch. René, H. Collin ; MM. Falkenberg et Wurmser,
a décerné les récompenses comme suit : Division élémentaire : lre mention,
M. Pierre Pechin ; 2e mention, Mllc Y. Manent; 3e mention, M. J. Badaire.
élèves de Mme Chavagnat. — Supérieure 2e division : lr0 mêniion, Mlle Thuil-
lant ; 3e mention, Mlle G. Manent et M. Ed. Ortion. — Supérieure lre divi-
sion : 1er prix, Mlles André Marlin et Olga Marienhoff ; 2e accessit, M1Ie Piron
et Mme Couchard. — Division d'honneur : 1er prix, M. Jacques de la Presle
et Mme Ed. Drouin, élèves de M. Ed. Chavagnat, directeur de l'École.
, — Dans son Assemblée générale, V Association artistique de Marseille vient de
confier pour la sixième fois les destinées des concerts classiques aux mains
autorisées de M. Gabriel Marie.
— Extrait d'un journal d'Épinal : l'« Orchestre cosmopolite ■> a donné samedi
soir à l'Hôtel de la Poste une audition fort remarquable d'une œuvre grandiose
de Massenet : la Terre promise. Beaucoup de musiciens ont réclamé tout aussitôt
une seconde audition de ce superbe oratorio, laquelle fut donnée le samedi
4 juillet, au milieu d'un enthousiasme encore plus grand.
— Soirées et Concerts. — Dimanche dernier au cours Girardin-Marchal, les concours
de lin d'année ont eu lieu sous la présidence de M. I. Philipp assisté de MM. Paul
Braud, Hérard, Bernardel et M"" Galliano. Des médailles ont été . décernées à
M"™ Lefèvre, Schneider, Radesse, etc. La semaine précédente concours de solfège
sous la présidence de M™" L. Filliaux-Tiger. Médailles à M"™ Thanoin, Radesse,
Bourlet, etc.
NÉCROLOGIE
Un compositeur très populaire en Espagne, Frederico Chueca, est mort
récemment à Madrid, à l'âge de 62 ans. Élève de Francisco Barbieri, depuis
plus de vingt-cinq ans Chueca s'était montré l'un des zarzueleristes les plus
heureux et les- plus féconds de son pays, et il avait écrit un grand nombre de
zarzuelas, soit seul, soit, souvent, en société avec M. Valverde fils. Entre
autres pièces qu'il composa avec ce dernier, il faut citer surtout la Gran Via,
qui fut jouée à Paris et dont le succès est européen, Cadice, où se trouve la
fameuse Marche de Cadix, qui est devenue comme une sorte de chant national,
et Acjua yCuernos. Parmi ses autres ouvrages, nous mentionnerons los Desce-
midos, kis Zepalillas, los Arrastraos, la Alegria de la huerta, Agita, azucariltos y
aguardiente, ci Rateo, el Manton de Manila, etc. Chueca. comme Berlioz, avait
commencé par étudier la médecine, mais il ne prit pas goût à la science, et
comme Berlioz aussi, abandonna l'amphithéâtre pour entrer au Conserva-
toire.
— Il nous faut annoncer aussi la mort, à l'âge de 68 ans, d'un excellent
artiste belge depuis longtemps fixé à Paris, Louis Van Waefelghem, qui était
né à Bruges. Excellent virtuose sur l'alto, il s'était fait une réputation méritée
en adoptant la viole d'amour, et l'on se rappelle les succès qu'il obtint sur cet
instrument dans la « Société des instruments anciens », en compagnie de
M. Louis Diémer, de Delsart et de Laurent Grillet, ces deux derniers dispa-
rus avant lui.
Henri Heugel, directeur-gérant.
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Pièces Enfantines
POUR PIANO
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Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (27' article), Juuen Tietisot. — II. Les concours du Conservatoire (lin), Arthur Poui:i
III. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
SUR LES COTEAUX
de Frédéric Bixet. — Suivra immédiatement : Marche des petits magots de
Robert Vollstedt.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
CHEMINEAU
d'ËDOUARD Toi'RNox. — Suivra immédiatement : Ole ton voile, nouvelle mélodie
d'ERXEST Moret.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
iXT ± -4= - ± T T -4 )
CHAPITRE V : Gluck compositeur d'opéra-comiques.
Achevons d'examiner rapidement les autres opéras-comiques
de Gluck qui ont fait
l'objet de rémunération %-TI tt- / <\i> '/~~
précédente.
Les deux qui se pré-
sentent après Vile de
Merlin sont Cythère assié-
gée et V Arbre enchanté.
Gluck les reprendra plus
tard pour les offrir au
public français, pensant
ainsi lui plaire par une
aimable diversion aux
sévérités à'iphigénie et
d'Orphée, — en quoi il
se trompa, car le public
ne voulut pas admettre
que le maitre qui venait
d'imposer son autorité
dans le domaine de la
noble tragédie aspirât à
descendre et s'adonnât
aux futilités du genre
né au théâtre de la Foire.
La Cythère assiégée de
Paris fut d'ailleurs alour-
die par les machines de
toute espèce qui sont le
complément indispensa-
ble de toute représenta-
tion de grand opéra.
Gluck, sans perdre son temps en de
autographe de l'Arbre enchante, opéra comique de fîluck 1).
nouveaux travaux, avait
mêlé aux ariettes de la
composition première
des airs de ses opéras
italiens, en assez grand
nombre. Combien l'opé-
ra-comique viennois
original a plus de légè-
reté et d'agrément ! On
y trouve déjà le mor-
ceau qui est la perle de
la partition : un récit
d'une bergère contant,
avec plus de grâce que
d'effroi, comment, dor-
mant sous l'ormeau, elle
fut réveillée par les
guerriers inhumains et
cruels venus pour assié-
(1) Cette reproduction a été
exécutée d'après la partition
autographe de l'Arbre enchante,
appartenant à la Bibliothèque
du Conservatoire. Pour donner
un spécimen plus complet de
l'écriture de Gluck, on a ajouté
en haut de la page les mots
suivants, rapportés d'après le
titre inscrit sur la première page
du manuscrit : Allegro, L'Arbre
enchanté, Ouverture, ainsi que
les noms de l'auteur et de l'édi-
teur, tracés d'une autre main à
la Un de la ligne.
220
LE MÉNESTREL
ger Cythère. C'est une page exquise, modèle d'art du XVIIIe siè-,
de, un des plus charmants exemples du tour d'esprit de Gluck
quand il consentait à se montrer aimable, et qui montre bien
qu"Hercule eût été parfaitement apte à manier les fuseaux à
son heure, s'il n'eût été convenu à l'avance que cela ne lui
était pas permis.
Dans V Arbre enchanté, plus d'antiquité, même au goût moderne.
Le sujet de ce petit acte est celui d"un conte fort gaulois,
traité d'abord par La Fontaine, repris par Vadé, qui en avait fait
un opéra-comique pour la Foire, et que Moline, futur traducteur
à'Orphée, avait, semble-t-il, adapté spécialement pour Gluck (1).
C'est l'histoire du tuteur de comédie, amoureux de sa jeune
pupille, berné par son entourage et tombant facilement dans
les pièges. Il a clans son jardin un poirier qu'on lui fait croire
être un arbre enchanté, du haut duquel ceux qui ont grimpé
dans ses branches peuvent contempler des spectacles aussi
étonnants qu'imaginaires : il monte à l'arbre, et les amoureux
en profitent pour partir ensemble, non sans s"ètre donné
au préalable le plaisir de quelques libertés prises sous les yeux
du barbon. Rien de plus léger, certes, que ce canevas. Mais la
musique de Gluck est également légère. Ses ariettes, encore
mêlées d'airs connus (en grand nombre) peuvent être mises en
parallèle avec les meilleures que Grétry commencera d'écrire
dix ans plus .tard.
Il y a, par exemple, tout à la fin, un air que chante un per-
sonnage raillant le tuteur perché sur son arbre, lui demandant
s'il est un oiseau :
Mi, mi, mi, mi,
Chantez, mon ami :
Sol, sol, sol, sol,
Chantez, rossignol !
Le rythme à six-huit, très familier au genre (encore en trou-
verait-on peu d'exemples à cette époque contemporaine du
début) prête une allure dégagée qui convient à l'expression
satirique ; l'acteur chantant et sifflant tour à tour, dialogue avec
la flûte, qui lui donne la réplique d'aimable manière. Dire
qu'ici la musique de Gluck fait penser aux Noces de Jeannette
n'est peut-être pas en faire un éloge hyperbolique : c'est montrer
au moins que l'auteur d'Alceste .ne dédaignait pas la note
aimable, et, comme toujours, était en avance surson temps.
Au reste, avec un tel sujet, n'était-ce pas le cas de faire appel
aux rythmes populaires ? Aussi allons-nous voir Gluck revenir
sans vergogne à la polka de son pays d'origine, et en employer
les formules sans se demander si, cent vingt ans après sa mort
on s'aviserait d'y trouver des réminiscenses... anticipées des opé-
rettes de la fin du XIXe siècle. Voici par exemple sur quel ton le
tuteur chante la joie que lui inspirent ses projets matrimoniaux.
Je reconnais là, pendant deux mesures entières, le thème de
certaine Polka nationale que toutes les « petites mains » jouaient,
d'après leur méthode de piano, il y quelque quarante ans, — ce
pendant que le déplacement de la première note à l'octave
pouvait faire penser d'abord à ces autres paroles : « Le grand
singe d'Amérique » :
Tonminois fin,tesjeuxbril.lantsFontrenaitreen moi leprin. temps
Le thème par lequel le même personnage s'ébaudit en son-
geant aux vertus récréatives de son arbre est dans le même
style. Le voici dans la principale partie de son développement.
(1) Voici le litre du livret imprimé à Vienne, d'après un exemplaire que j'ai sous les
yeux : L'Arbre enchanté ou le Tuteur dupé, opéra-comique mêlé d'ariettes de la compo-
sition de Monsieur le Ci.ev. Gluck. — Vienne en Autriche, dans l'imprimerie de Ghf.lek.
MBCCL1X. — 11 n'est l'aitmention du nom de Aloline que dans les publications faites à
l'occasion de la représentation à Versailles en 1775.
La.ventureest très co_mi_que; Ah, ah.ah, est très coimi.que,
lre fois
Et le cas fort cu-ri.eux, Et le cas fort eu. ri . eux.
2e fo.s
_ eux. Maispour m'en con.vaincre mieux, Met.tons nosyeuxen pra.
- ti_que,Et voyions si ce ni . gaudN'estpas le plus franc lour.daud.
Volontiers ferais-je aussi mention des couplets par lesquels
ia fausse ingénue appelle l'attention du tuteur sur son arbre
enchanté. Son amoureux lui a donné pour instruction :
« Paraissez, dans quelques instants, désirer du fruit de ce
poirier » ; et en effet, elle chante, concluant ainsi :
Permettez-moi
S'il vous plait de manger...
— Quai ?
— Des poires ! Des poires ! Des poires '.
Il y aurait sans doute aujourd'hui un certain «effet >< à pro-
duire avec cette conclusion ; mais il faut avouer qu'ici la
musique de Gluck n'y serait pour rien, ces vers étant de ceux
qui se chantaient sur des timbres connus : ici, l'air « Des frai-
ses »... autre fruit de saison.
Enfin, s'il nous est impossible, à cause de ses développements
de citer l'air : « Chante rossignol », précédemment décrit,
nous avons du moins l'avantage de pouvoir présenter à nos
lecteurs, en première page, le commencement d'un autre air,
reproduit d'après l'autographe même de Gluck. Il nous a
semblé qu'il était assez piquant de lire, écrite de la même
main qui traça « Divinités du Styx » et « Le Perfide Renaud me
fuit », la musique composée sur les paroles que voici :
Ah ! Monsieur Thomas !
Ça n'se fait pas,
Vous ôtez l'échelle,
Ah ! Monsieur Thomas.
Gluck a écrit sa partition du Cadi dupé (1), dans l'année même
où, sur le même poème, Monsigny avait donné la sienne à Paris :
celle-ci avait été représentée à la Foire Saint-Germain le
4 février 1761 , et une lettre écrite par le Comte Durazzo à Favart
le 12 décembre parlait de celle de Gluck qui, disait-il, avait eu
« toute la réussite imaginable » (2). Il serait intéressant de
comparer entre elles ces deux productions des tout premiers
temps de l'opéra-comique; j'eus l'occasion d'en faire l'expé-
rience directe sur un morceau, celui qui se prête le mieux à
l'expression musicale : la romance amoureuse : « Si votre flamme
est trahie », qui fut chantée à ia Société Internationale de
musique successivement avec les deux musiques. On aurait
pu croire que Monsigny aurait trouvé là l'occasion de manifester
ses qualités naturelles de tendresse et de charme sentimental :
mais non, dans cette œuvre qui est une de ses premières, il
montre encore delà timidité, cherche ses modèles dans le passé,
écrit dans le style rococo. Chez Gluck, au contraire, le chant
jaillit naturel, expressif et mélodieux, se soutenant de lui-même
sans faiblesse, jusqu'à la dernière note ; et si cette musique
n'est encore qu'une romance (elle ne pouvait être autre chose),
elle fait moins songer au passé qu'elle ne donne l'idée des
formes de l'art de cinquante années postérieur, celui de
(1) Il a paru il y a quelques années à Leipzig une partition du Cadi dupé de Gluck,
pour piano et chant, avec traduction allemande [Der betronene Kadi), conforme à une
représentation donnée à Hambourg en 1878, et, comme tous les arrangements de ce
genre, fort infidèle à l'original.
(2) Mémoires et Correspondance de Favori, I, 213.
LE MENESTREL
Méhul, de Dalayrac ou de Boieldieu. Placé à la base del'opéra-
comique, l'auteur d'Armide lui imprime donc du premier coup
une impulsion dont ses contemporains de France n'osaient pas
encore se montrer capables.
(A suivre.) Julien Tiersot.
LES CONCOURS DU CONSERVATOIRE
HARPE CHROMATIQUE
Comme trois jours auparavant, nous avions encore trois concours
dans la même journée : harpe chromatique, harpe... classique, et piano
(hommes). Et voici quel était le jury de cette séance en partie triple :
MM. Gabriel Fauré, président, Raoul Pugno, Moszkowsky, Harold
Bauer. Santiago Riera, Cesare Galeotti, Albert Lavignac, de Lausnay,
Jean Risler, J. Franck. Vôronge de la Nux et Alfred Bruneau — un
vrai jury international.
La classe de M"" Tassu-Spencer, qui, comme on le sait, se présen-
tait pour la dernière fois devant ce jury, mettait en ligne cinq élèves
chargés de faire entendre, comme morceau d'exécution, une Fantaisie-
Ballade de Georges Pfeiffer. et, pour la lecture à vue, une jolie impro-
visation de M. Albert Lavignac. Deux premiers prix ont été décernés.
l'un à M. André Mullot. l'autre à M"e Chalot. M. André Mullot a des
doigts habiles, une bonne sonorité, et son exécution est corsée. — Je
serais tenté de lui préférer M110 Chalot, qui a beaucoup de sûreté, un
son très ample, une grande agilité de doigts, et dont l'exécution est
bien artistique, bien nuancée et bien finie. — Je ne sais par quelle
malencontre le jury n'a pas cru devoir accorder aussi un premier prix
à M"c Goudeket, qui avait obtenu le second l'au dernier. Cette enfant
me semblait, le mériter aussi bien que ses deux camarades : elle a un
joli son. elle joint l'ampleur à la grâce, et son jeu est très expérimenté.
Un tel oubli me parait à la fois injuste et fâcheux.
Il n'y a pas eu lieu à donner de second prix, mais un premier acces-
sit a été accordé à Mlle Montmartin, dont je ne vois pas grand'chose a
dire.
HARPE
Les élèves de la classe de M. Hasselmans, toujours excellente et en
état de constante supériorité, étaient cette fois au nombre de sept, six
jeunes filles et un garçon, qui tous ont été couronnés. Le morceau de
concours était une Fantaisie de M. Cesare Galeotti, qui avait écrit aussi
la page de lecture à vue.
Trois premiers prix ont été décernés : à M11" Pierre-Petit, Laggé et
Delgado-Perez. C'était le cas de dire : aux derniers les bons, car
Mllc Pierre-Petit, nomnU-e la première, avait paru dans la séance la
huitième et dernière, ce qui ne l'avait pas empêchée de se distinguer
d'une façon toute particulière. Elle a un joli son, des doigts brillants,
de l'ampleur dans le jeu. et son exécution est à la fois bien pleine et
bien moelleuse. Je ne saurais lui souhaiter qu'un peu plus de délica-
tesse dans certaines attaques de la corde, mais l'ensemble est char-
mant et ne laisse rien à désirer. — M""' Laggé. qui, ainsi qu'elle, avait
obtenu un second prix l'an dernier, a du brillant, de la grâce, de bons
doigts et un jeu très sur. — Chez M"° Delgado-Perez le son est parfois
un peu gros; mais elle aussi a des doigts habiles, de la grâce dans
l'exécution avec d'heureux détails.
A la suite des trois premiers prix nous avons trois seconds prix,
attribués à Mu,s Hélène Inghelbrecht, Gaulier et Dretz. L'exécution de
M11' Inghelbrecht est aimable, avec de jolis détails. — M11'' Gaulier a
de la gentillesse, de bonnes qualités générales d'exécution et un rythme
excellent; on lui voudrait plus de moelleux et de délicatesse dans le
son. — M"'' Dretz se distingue par un joli son délicat, des doigts sen-
sibles et pleins d'agilité, un heureux sentiment musical, des nuances
heureuses et un ensemble plein de grâce. — L'une de ces demoiselles,
à qui je ferai la grâce de ne point la nommer, s'est rendue coupable
d'une petite inconvenance. Très ambitieuse sans doute et trouvant un
second prix au-dessous de sa valeur, elle est venue, à l'appel de son
nom, en rechignant et en faisant la moue, et en se tenant ostensible-
ment à l'écart de ses deux gentilles camarades. Si j'avais l'honneur
d'être directeur du Conservatoire, mademoiselle, je serais moins pater-
nel que M. Fauré, et pour vous punir d'une telle incartade, je vous
mettrais à pied et vous priverais de leçons pendant trois mois. Cela
vous apprendrait la modestie et la politesse.
Un premier accessit a été attribué à M. Pré, qui est uu bon élève, au
jeu sur et solide. Et il n'v a pas eu de seco td accessit, le c >mbal Unis-
sant faute de combaltanls.
PIANO Homme»
Toujours brillant, le concours de piano pour les classes masculines,
qui réunissait cette fois quinze concurrents, demi six él< es de SI. Dié-
mer et neuf de M. Risler. Le morceau d'exécution était la i'" Ballade
de Chopin ; le morceau de lecture était écrit par M. Widor.
Je ne m'élèverai pas une fois de plus contre ce que je crois une
erreur, c'esl-à-dire contre le choix que l'on persiste i faire d'oeuvres de
Chopin pour les concours. J'ai dit déjà ce que je pensais i ce sujet :
qu'il faut être un artiste formé, el plus encore, pour saisir, pour com-
prendre et pour interpréter la pensée de Chopin, pensée qui reste
fermée jusqu'à un certain âge, jusqu'à l'âge où le cœur a pu parler, où
il a souffert et où il peut pénétrer la souffrance d'autrui. Jouer Chopin
techniquement, cela est donné a quiionque a fait de l'instrument
l'étude pratique nécessaire; le jouer poétiquement, c'est une autre
affaire, et je répète qu'il y faut certaines conditions non seulement
artistiques, mais morales, qui ne peuvent se rencontrer chez déjeunes
êtres entrant à peine dans la vie et n'en connaissant encore que les
sourires. Ceci dit une fois de plus, — et inutilement, — j'entre en
matière, en faisant connaître d'abord les récompenses décernées par le
JU1T •'
fm Prix. — MM. Trillat, élève de M. Risler; Gayraud, élève du
môme, et Eustratiou, élève de M. Diémer.
2,'s Prix. — MM. Gallon, élève de M. Risler, et Gauntlett, élève du
même.
/,ls Accessits. — MM. Moretti. élève de M. Diémçr; Schmitz, élève de
M. Diémer; Schwab, élève de M. Risler, et Laporte, élève de M. Dié-
mer.
Pas de deuxième accessit.
M. Trillat a un jeu à la fois moelleux, plein et corsé, vigoureux et
coloré. — M. Gayraud est remarquable non seulement par la sur lié et
l'habileté de son mécanisme, mais aussi par sou sentiment musical et
ce qu'on pourrait appeler sa personnalité. — Chez M. Eustratiou je
trouve plus de vigueur que de grâce, une vigueur qui frise parfo s la
brutalité. D'ailleurs, du feu et du brio.
Les deux seconds prix sont tous deux fort distingués. Si le jeu de
M. Gallon ne témoigne pas encore d'unegraude personnalité, du moins
il est d'un joli fini, d'une correction parfaite, et l'élégance du style et
du phrasé complète un excellent ensemble. — Beau son de la part de
M. Gauntlett, jeu sobre, non sans grâce et sans linesse, exécution bien
coulante et bien équilibrée, sans à coups, et d'une égalité rare.
De la grâce et de la délicatesse, des doigts légers et caressants, avec
de la verve et de la vigueur quand basoin est, telles sont les qualités
déployées par M. Moretti. — M. Schmitz, qui a du brillant et une
excellente technique, y joint de la chaleur et de la sensibilité. — Du
côté de M. Schwab, un joli toucher, des traits pleins de délicatesse, uu
phrasé élégant et une grande égalité. — De la grâce aussi chez
M. Laporte, des doigts moelleux, ce c{ui n'exclut ni la vigueur ni la
chaleur.
Mais je regrette le silence du jury envers quelques-uns de ces jeunes
gens. M. Ramondo, dont le phrasé élégant, le toucher délicat et l'exé-
cution d'ensemble méritaient bien, me semble-t-il. le second prix
auquel il devait aspirer; envers aussi M. de Brazol, dont on aurait pu
récompenser, au moins par un encouragement, le jeu bien égal et bien
fourni, la sonorité pleine et grasse, et la fougue peut-être pourtant uu
peu excessive. Quant à M. Ciampi, qui a manquéson premier prix, qu'il
ne se décourage pas : il aura son tour l'an prochain.
TRAGÉDIE-COMÉDIE
Ouf! quelle journée I Celle-ci a été, de toute la série, la plus chaude
sous tous les rapports. Songez donc ! d'abord. 1237 degrés centigrades à
l'abri des verts ombrages de la salle Favart. Ensuite, dix-huit scènes de
tragédie et trente scènes de comédie à supporter, en tout quarante- huit,
si je sais encore compter sur mes doigts. Des premiers rôles, des reines,
des grandes princesses qui défilent en premier lieu sous vos yeux,
pour faire place à des raisonueurs, à des jeunes premiers, à des comi-
ques, à des amoureuses, à des ingénuités, à des coquettes, a des
soubrettes, que sais-je ? Une séance qui commence à neuf heures
dix minutes du matin pour se prolonger jusqu'à neuf heures un quart
du soir, avec l'interruption forcée pour le déjeuner, pendant laquelle,
n'ayaut pas le temps de rentrer au logis, nous envahissons en masses
serrées tous les restaurants voisins, ahuris devant ce flot et perdant la
tète en présence de cette invasion folle et inattendue. Voilà le bilan de
cette journée homérique et qui comptera dans les annales des concours.
228
LE MÉNESTREL
Et vous figurez- vous les nerfs de ces pauvres enfants dont l'avenir est
enjeu, de ceux-là surtout qui sur le coup de huit heures, ou huit heu-
res et demie, se présentent devant un jury et un public énerves eux-
mêmes, fatigués par une chaleur torride, par la longueur d'une séance
abominable qui dure depuis plus de douze heures, par l'attention qu'il
faut accordera chacun, par la tension d'esprit qui en résulte, vous figu-
rez-vous leur situation, et croyez vous .que ceux-là, malgré leurdésir et
leur zèle, fussent bien en train de venir débiter tranquillement leur
petite scène et de chercher encore les effets que pourtant ils avaient
soigneusement et consciencieusement travaillés?
Ceci n'est que la chronique du concours. Si l'on en veut aborder la
critiquî. on n'a qu'à renouveler les observations qui se présentent à
l'esprit chaque année touchant le choix des scènes adoptées par les
élèves — et par leurs professeurs. Pour la tragédie, passe encore pour
cette fois, et ne nous plaignons pas trop : sur dix-huit scènes, nous en
avons eu sept de nos classiques, soit deux de Corneille et cinq de
Racine, et pour le reste c'était Shakespeare. Victor Hugo, Leconte de
Lisle. Louis Bouilhet, Ponsard... Mais pour la comédie, nos classiques
étaient représentés par une scène de Corneille, trois (trois !) de Molière
et trois de Marivaux, avec une de Florian. On conviendra que c'est
peu. Et si l'on met à part Musset, dont la belle langue peut presque
être considérée comme classique, on m'accordera bien que ce n'est pas
avec les œuvres de Meilhac, de Banville, de MM. Maurice Donnay,
Paul Hervieu, Octave Mirbeau. Henry Bernstein, que nos élèves peu-
vent acquérir l'autorité, le style et l'ampleur de diction qui leur sont
nécessaires. Quand je vois M. Chambreuil choisir une scène de la
Griffe (pourquoi pas les Saltimbanques ou Passé minuit?). M'1'' Chanove se
présenter dans les A ffaires sont les Affaires, et M. Roger Lévy nous
offrir une scène de (fringoire, je dis que cela n'est pas sérieux et que ce
n'est pas avec un tel répertoire qu'on se prépare à affronter la scène de
la Comédie-Française. Il me semble que c'est là une question dont on
ne saurait exagérer l'importance, et qui devrait appeler l'attention du
Comité des études du Conservatoire.
Occupons-nous enfin directement du concours. Pour celte séance
mémorable consacrée à la tragédie et à la comédie, le jury était formé
de la sorte : M. Gabriel Fauré, président, Mn,c Julia Bartet, MM. Vic-
torien Sardou, Paul Hervieu, Jules Claretie, Maurice Donnay, Mounet-
Sully, Jean Richepin, Alfred Capus. Brieux, André Antoine, Adrien
Bernheim et d'Estournelles de Constant. Ce jury a décerné pour la tra-
gédie les récompenses suivantes:
Hommes.
/ers Prix. — MM. Alexandre, élève de M. Paul Mounet. et Cham-
breuil, élève de M. Silvain.
9es prix — jiM. Karl, élève de M. Leloir, et Renoir, élève de
M. Silvain.
/cr Accessit. — M. Poarez, élève de M. Silvain.
2e Accessit. — M. de Gravone, élève de MmeSarah-Bernhardt.
femmes.
Pas de premier prix.
2e3 Prix. — Mlles Bernard, élève de M. Silvain; Châtelain, élève de
M. Paul Mounet. et Du Eyner, élève de M. Georges Berr.
Ier Accessit. — M"" Albane, élève de M. Truffier.
2e Accessit. — Mlle Roselle, élève de M. Truffier.
Du côté des hommes. M. Alexandre est le héros de la journée, car
nous verrons plus tard qu'à son premier prix de tragédie il a joint le
premier prix de comédie, en montrant une égale supériorité dans les
deux genres. Ce jeune homme de vingt-deux ans, qui, après avoir
obtenu un premier accessit en 1908, n'avait pu concourir l'an dernier
parce qu'il faisait son service militaire, est aujourd'hui artiste tout à fait
formé. Doué d'une voix excellente et chaude, il a joué de façon remar-
quable une scène à'Iphigênie, avec une belle diction, un accent à la fois
juste et sobre et une belle prononciation à laquelle on ne peut reprocher,
comme a beaucoup de ses camarades, que sa trop grande rapidité. Il a l'au-
torité, l'énergie et l'ampleur dans le jeu. Je le répète, c'est un artiste.
— M. Chambreuil, qui n'est pas le premier venu, a déployé, dans le
Danton de Charlotte Corday. une vigueur qui confinait à la brutalité. Je
sais bien qu'il était dans le caractère du personnage; mais c'est égal,
on se serait cru un peu trop à l'Ambigu. Ceci soit dit sans vouloir nier
ses qualités, qui sont très réelles.
M. Karl, le premier des seconds prix, a mis de l'émotion, du pathéti-
que et de la tendresse dans la scène d'Hamlet avec sa mère; il parle
parfois un peu trop vite. — M. Renoir, lui aussi, parle un peu vite, tout
en prononçant fort bien. Il a joué avec beaucoup d'intelligence une
scène de liicliard III, où M"c Bernard lui donnait une excellente
réplique.
M. Soarez. qui a le don d'une voix expressive et touchante, a montré
d'assez bonnes qualités dans Polyeucte; mais il chante vraiment trop les
vers. — Quant à M. de Gravone..., je n'ai rien à en dire.
Mllc Bernard, qui est aidée par une voix expressive et touchante, a
montré de l'intelligence en jouant Monime de Mithridate. où elle a fait
preuve d'une bonne diction, empreinte de sentiment et d'émotion. —
M"e Châtelain, belle brune à la physionomie expressive, a dit non fans
quelque habileté une scène de la Médée d'Ernest Legouvé. Il faudra
qu'elle acquière un peu de personnalité. — C'est aussi dans la Monime
de Mi'hridate que s'est produite M110 Du Eyner, qui n'est pas dénuée de
sensibilité. Elle devra s'efforcer de donner du corps à sa voix, si faible
qu'on a peine à l'entendre.
M"1, Albane nous a présenté une Iphigénie fort intéressante. La voix
est bonne et empreinte d'émotion, la diction est expressive et touchante.
Mais on voudrait aussi l'entendre mieux. — Il faut noter de la sensi-
bilité chez M"e Roselle dans Alkestis. L'ensemble est bon. la diction un
peu trop chantante.
Passons à la comédie, eu faisant connaître d'abord les lauréats :
Hommes.
4'rs Prix. — MM. Guilhen-Puylagarde, élève de M. Georges Berr, et
Alexandre, élève de M. Paul Mounet.
2e5 Prix. — MM. Renoir, élève de M. Silvain, et Chambreuil,
élève du même.
-/crs Accessits. — MM. Stephen, élève de M. Truffier, et Brousse,
élève de M. Leloir.
2"s Accessits. — MM. Karl, élève de M. Leloir. et Becquart, élève de
M. Paul Mounet.
Femmes.
I" Prix. — M"1' Reuver. élève de M. Silvain.
Pes Pfjx, — jolies Bernard, élève de M. Silvain; Pacitle, élève de
M. Georges Berr, et Guyon. élève de M. Leloir.
■Im Accessits. — M"05 Du Eyner, élève de M. Georges Berr; Fillacier,
élève de M. Truffier, et Beauval, élève de M. Georges Berr.
2PS Accessits. — M"es Châtelain, élève de M. Paul Mounet: Albane,
élève de M. Truffier; Célat. élève de M.Paul Mounet. et Marialise.
élève de M. Leloir.
C'est M. Guilhen-Puylagarde qui ouvre la série, avec l'Aiglon, où il
représente le duc de Reichstadt. Intelligent assurément, de l'autorité,
de la chaleur, mais... je lui préfère M. Alexandre. — Celui-ci, sans con-
teste, est né comédien, et il a le sens du théâtre. L'aisance en scène,
une diction nette et juste, la tenue, le geste, la démarche, il a tout. Il
ajoué excellement une scène du Dédale, en joignant, à l'accent qu'exi-
gent le drame et la passion, nue sobriété singulièrement méritoire.
L'ensemble est parfait. Voilà un vrai jeune premier, qui ne tardera pas
sans doute à conquérir le public.
M. Renoir a fait preuve, dans Lorenzaceio. d'un bon sentiment dra-
matique, en ayaut le tort, parfois, de crier un peu trop. — Dans la
scène si fâcheusement choisie de la Griffe, M. Chambreuil a déployé
d'excellentes qualités. Il dit et joue en vrai comédien, il a l'action, le
mouvement et la vie, avec une rare sobriété dans le pathétique. Mais,
chose singulière, après l'avoir entendu crier plus que de raison dans
la tragédie, ici on avait toujours envie de lui dire : plus haut !
M. Stephen, Frontin de la Fausse Suivante (Marivaux). Un gamin de
dix-huit ans, drôle comme tout, gentil, gai, amusé et amusant. De la
distinction dans le comique. Une nature. — M. Brousse, Lorenzaccio.
Pas mal du tout. Du mouvement, de la chaleur, une diction assez juste.
Bien en scène.
M. Karl, Jacques du Fils naturel. De la chaleur, de la tendresse, de
la passion. Dit bien, parfois un peu vite. Méritait mieux qu'un second
accessit. — M. Becquart. Arlequin de la Bonne Mère (Florian). Très
gentil. De la chaleur et de la tendresse aussi, de la jeunesse et delà
grâce.
Côté des femmes. Ici une nature. M1|L' Reuver, qui saute de son
second accessit de 1907 à l'unique premier prix de cette année. Une
soubrette exhilarante et folle, qui a mis toute la salle en joie par sa
gaminerie, sa gaité, ses exclamations bizarres, ses gestes ahurissants.
Elle est impayable. Et quel organe nerveux et superbe ! Ça n'est peut-
être pas très classique, ce qu'elle a fait dans le Cœur et la Dot, mais
c'est d'une drôlerie épique et d'un naturel charmant. Quand celle-là
jouera Toinon du Malade imaginaire ou la feinte Gasconne de M. de
Pourceaugnac, ce sera à se rouler. Aussi, quel succès dès qu'elle a eu
montré sa petite figure futée et qu'elle a fait éclater les fusées de sa
voix !
Mlle Bernard, que nous avons retrouvée aussi jolie que dans le con-
cours de tragédie, a joué avec chaleur une scène du Retour de Jérusalem.
LE MÉNESTREL
ii'.i
où elle a montre de bonnes qualités de diction. — M"'' Pacitte manque
peut-être un peu de distinction dans la Marquise des Sincères (Mari-
vaux), mais elle ne manque pas de qualités. Elle a de Ja gaité. du
trait, de la légèreté, et fait présager une comédienne spirituelle. —
Ceux qui ont eu la bonne fortune d'entendre un seul mot de MUeGuyon
dans le Mariage de Victorinc ont été favorisés des dieux. La première
condition au théâtre, mademoiselle, c'est de parler de façon à se faire
comprendre.
M"e Du Eyner, Angélique du Malade imaginaire. De la grâce, de la
distinction, voire de la dignité. Fort agréable. — M"° Fillacier, Argante
du Dénouement impn-vu (Marivaux). De la verve, de la fantaisie, du
mouvement. Fera son chemin. — M"'- Beauval (un vrai nom de théâtre),
Rose de lïiquel à la houppe (Banville). Une ingénue de seize ans, blonde,
mignonne, gentille, qui ne demande qu'à bien faire, mais qui est tout
de même encore un peu novice.
M"c Châtelain. Germaine dans Paraître, jeu assez aisé, assez facile.
sans qu'on en puisse dire grand'chose. — M11'' Albane, Nella de
Margarita (Victor Hugo). Encore un peu d'indécision, d'hésitation,
ce qui n'empêche qu'on pressent chez cette jeune femme unefuture comé-
dienne. — M11* Céliar. Camille d'On ne badine pas avec l'amour. A le
tort involontaire d'occuper le numéro trente et dernier du concours, â
un moment où l'attention est épuisée. Aimable et distinguée, non sans
grâce et sans émotion. — Mlle Marialise, le même rôle de la même
œuvre. Charmante comme femme, promet comme comédienne. Du sen-
timent et du pathétique. Bonne diction.
OPÉRA
Et nous voici au concours d'opéra, le dernier de la grande série, avant
ceux des instruments à vent. Les dieux en soient loués, et M. Faurô
aussi ! Il y fait chaud encore ; mais au lieu de quarante-huit scènes,
comme dans le précédent, nous n'en avons que vingt et une, ce qui est
encore suffisant pour la joie des amateurs. Voici, pour cette fois, la
composition du jury: MM. Gabriel Fauré. président, Delmas. Renaud,
Escalaïs. André Messager, Broussan. Lucien Hillemacher. Camille
Erlanger. Alfred Bruneau, Adrien Bernheim, d'Estournelles de Constant,
Gunsbourg. Lalo. Et voici la liste des récompenses :
Hommes.
/"s l'/ix. — MM. Vaurs, élève de M. Bouvet, et Teissier, élève du
même.
Pas de 2'' prix.
1er Accessit. — M. Dupré, élève de M. Bouvet.
J!cs Accessits. — MM. Laloye, élève de M. Dupeyron ; Chah-Moura-
dian. élève de M. Isnardon , et Combes, élève du même.
Femmes.
1"' Prix. — M"05 Raveau, élève de M. Bouvet, et Le Senne, élève de
M. Melchissédec.
2" Prix. — M"es Cebron-Norbens. élève de M. Isnardon; Kaiser,
élève de M. Bouvet; Bourdon, élève de M. Bouvet, et Panis, élève de
de M. Dupeyron.
•/" Accessit. — Mmc Garchery, élève de M. Dupeyron.
2CS Accessits. — Mmc Delisle, élève de M. Dupeyron; Mu,s Robur,
élève de M. Isnardon, et Jurand. élève du même.
M. Vaurs s'est montré cette fois supérieur à ses deux précédents
concours, et le premier prix lui a été décerné fort justement, non seu-
lement pour sa scène personnelle (le Bal -masqué), mais pour les excel-
lentes répliques qu'il a données à ses camarades, M"05 Raveau, Le Senne
et Kaiser. Avec de l'aisance en scène, de la chaleur, une belle articula-
tion, un bon débit, il a montré qu'il pouvait chanter avec une belle
expression, parfois avec un sentiment plein de tendresse. Son nom a
été justement acclamé, et sa supériorité était évidente. — J'en dirai
presque autant de M. Teissier, irai s'est distingué dans le Nelusko du
second acte de l'Africaine, où il a mis de l'élan, de la chaleur, avec une
bonne ampleur de diction et une véritable habileté de chanteur. Il a
donné aussi une excellente réplique â M"1' Vivier des Vallons dans
Aïda.
Peu de chose à dire de M. Dupré dans sa scène à'OEdips à Colone.
C'est encore un peu neuf et inexpérimenté.
Même observation pour M. Laloye pour la scène du Cid. La voix est
bonne, mais l'élève a encore fort à faire. — De même aussi pour M. Chah-
Mouradian, bien pâle et bien insignifiant dans la grande scène à'Armide.
— Quant à M. Combes, qui avait donné une réplique remarquable â
M. Audiger dans Don Carlos, où il avait déployé un excellent sentiment
dramatique, il a tout gâté pour son compte en détonant d'une façon
fâcheuse dans la scène de la pomme deVuillaumc Tell. C'est dommage;
il y a quelque chose chez celui-là. Il se rattrapera.
M"'' Raveau a triomphé pour la troisième fois, en enlevant son troi-
sième premier prix à son premier concours. Il est pourtant juste de
remarquer, à l'honneur du Conservatoire de Lille, si bien dirigé par
M. Emile Ratez, que M"" Raveau sort île cette Ecole, où elle a obtenu
les premiers prix de chant et de déclamation lyrique. Elle nous est
apparue cette fois dans la Cassandre des Troyens de Berlioz. Bell? dic-
tion, beau phrasé dans le récit, de l'émotion et de l'expression dans le
chant, de l'ampleur au point de vue général de l'exécution scénique, elle
réunit l'ensemble des meilleures qualités. Cette jeune femme est vrai-
ment douée d'une façon exceptionnelle. — M"c Le Senne a passé aussi
un excellent concours -en jouant le premier acte d'AlcesIe avec une
certaine grandeur et en lui donnant un bel accent pathétique. Tour à
tour touchante et vigoureuse, elle a mis de la chaleur et un sentiment
profondément expressif au service de ce tableau émouvant et superbe.
C'est dans un bizarre arrangement de deux scènes de Salammbô, appar-
tenant à deux actes différents, que nous avons retrouve M,"" Cébron-
Norbens, avec sa physionomie expressive et son commencement d'ha-
bileté scénique. Elle ne manque ni d'accent ni de sentiment, et l'en-
semble est plutôt satisfaisant. Quelques-uns ont remarqué que cette
jeune personne, qui n'est peut-être pas la modestie même, s'était ùi.
comme au concours d'opéra-comique, dispensée de venir répondre à
son nom et à l'appel du jury, estimant sans doute qu'un second prix
était une récompense au-dessous de son incomparable talent. Vous avez
tort, mademoiselle; vous avez eu précisément ce que vous méritiez, rien
de plus, rien de moins, et votre manque de convenance ne vous donnera
pas ce qui vous manque encore et que, seul, le travail pourra vous
procurer. — Comme MlleLeSenne, M'-c Kaiser a concouru dans le premier
acte d'Alceste. Il y a du bon chez elle et elle ne manque point de qua-
lités; mais l'ensemble sera beaucoup meilleur lorsqu'elle consentira a
observer le rythme et la mesure, et à ne point rester trois semaines sur
mi-nis-tres de la mort. — M"0 Bourdon nous a fait faire connaissance
avec le Méphistophélès de M. Boito. Avec de l'adresse scénique, elle y a
montré de la chaleur et déjà de bonnes qualités. Elle s'est distinguée
ensuite en donnant de très bonnes répliques à M. Vaurs et à M. Dupré.
Il y a de l'avenir chez cette jeune femme. — M"e Panis, qui est fort
agréable à voir, a manqué d'énergie dans l'Attaque du Moulin, où son
élan était un peu factice. A travailler encore.
C'est encore dans Alcesle, mais cette fois au troisième acte, que nous
avons vu applaudir M"'0 Garchery. Jeu intelligent, sens dramatique,
qualités à développer, mais qui sont loin de manquer.
Mmc Delisle, troisième acte de Faust. Intelligente, mais encore un
peu neuve. Scène assez mal choisie d'ailleurs. — Mlle Robur. qua-
trième acte d'Olliello. De bonnes intentions, de l'expression dans la
prière, assez bon ensemble. — M"e Jurand, troisième acte de Romeo et
Juliette.
Et me voici arrivé au terme de ce procès- verbal. Sans être précisé-
ment paresseux par nature, je puis bien dire pourtant que je suis
étonné moi-même de ce que j'ai pu faire et de l'activité que j'ai
déployée dans le seul espace de neuf journées. J'ai vu, en effet, défiler
successivement 268 élèves, lant chanteurs, tragédiens et comédiens
qu'instrumentistes divers ; j'ai entendu 293 morceaux de genres diffé-
rents ; j'ai assisté à 94 scènes théâtrales plus ou moins variées ; enfin,
j'ai vu distribuer 36 premiers prix. 45 seconds prix, 44 premiers acces-
sits et 42 seconds, ce qui forme un total de 167 récompenses. Tout cela,
je le répète, dans l'espace de n3uf jours. Aussi, ce devoir noblement
accompli, je puis assurer que j'ai l'âme tranquille et que ma conscience
ne trouve rien à se reprocher. Et puisque une fois encore j'en ai ter-
miné avec les concours.
C'est ainsi qu'en partant je leur fais mes adieux,
en caressant l'espoir de ne pas me rencontrer de nouveau avec eux
avant l'an 1909.
Ahtuiu Poif.IN.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour les seuls abonnés a la musique)
Elle est toute charmante dans sa simplicité, cette petite pièce que M. Binot intitule
Sur les co/cauj. Et l'on, s'y croirait en elTet, par une matinée de printemps, où la brise
est caressante et où le thym embaume. L'extrême facilité du morceau n'empêche
pas que la forme en reste d'une élégance pure et châtiée.
-2W
LE MÉNESTREL
NOTJVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Il vient de se constituer à Varsovie, formé en grande partie de mem-
bres des plus grandes familles polonaises, un comité qui se propose d'élever
en cette ville un monument à la gloire de Chopin. Il parait que jusqu'ici le
gouvernement russe — on se demande pour quelle raison vraiment singu-
lière ! — s'était obstinément opposé à tout projet de ce genre. Voici que fina-
lement on annonce que le veto a disparu, grâce à l'intervention auprès du
gouvernement de Mme la comtesse Brochoka, connue eu art sous le nom d'Adé-
laïde Bolska et première chanteuse de l'Opéra- Impérial de Saint- Péiersbourg.
Le comité en question va presser ses travaux de la façon la plus active, de
manière à pouvoir inaugurer le monument de Chopin le 22 février 1910. pre
mier centenaire de la naissance de l'illustre artiste.
— Au moment même où l'on s'apprêie à ériger à Paris un monument à
Beethoven, la municipalité de Heiligenstadt, près de Vienne, nous apprend
Nicolet, du Gaulois, va faire disparaître, en le couvrant de maisons de rapport,
un des plus charmants sites des environs de la capitale autrichienne, «le
Beethovengang », l'allée de Beethoven, qui longe un petit ruisseau, le Schrei
berbach. C'est dans cette allée, couché à l'ombre d'un gigantesque noyer, que
Beethoven a composé une grande partie de ses œuvres, en compagnie, comme
il l'a dit lui-même, « des merles, des cailles, des rossignols et des coucous
qui compcsaient avec moi tout alentour». A partir de 1802, Beethoven est allé
tous les ans à Heiligenstadt prendre des bains froids pour se guérir de son
affection de l'ouïe. Les habitants le connaissaient bien, mais personne ne le
saluait, parce que Beethoven, toujours absorbé, pensif et rêveur, ne répondait
à aucun salut. Beethoven a eu à Heiligenstadt de nombreux domiciles dont un
se trouve dans la Grinzingerstrasse où, en 1808, le célèbre compositeur avait
comme colocataire le grand poète autrichien Franz Grillparzer. Voici ce que
celui-ci a raconté sur son voisin de palier : «Notre petit appartement donnait
sur le jardin, les chambres donnant sur la rue avaient été louées à Beethoven.
Les deux appartements débouchaient sur un corridor commun conduisant à
l'escalier. Mon frère et moi, nous nous souciions fort peu de cet homme
bizarre — il était très négligé, même malproprement habillé — quand il passait
à coté de nous en grognant. Mais ma mère, passionnée de musique, se laissait
entraîner de temps à autre, quand elle l'entendait jour du piano, àentr'ouvrir
une porte et aller écouter, non pas à sa porte, mais sur le seuil de la nuire.
Tout alla bien pendant quelque temps, quand un jour l'huis de Beethoven
s'ouvrit brusquement et le maître parut. Dès qu'il aperçut ma mère, il fit demi-
tour, s'empara de son chapeau, dégringola l'escalier et se précipita dehors. A
partir de ce moment et bien que ma mère lui eût fait donner l'assurance que
jamais plus personne ne l'écouterait sur le corridor. Beethoven n'a plus ouvert
son piano durant tout l'été. » Beethoven était d'ailleurs détesté comme loca-
taire. Pendant les trente-cinq années qu'il a habité à Vienne — et il n'y habi-
tait qu'en hiver— il n'a pas changé moins de vingt-huit fois d'appartement.
Bans les villes d'eaux, il en a eu trois fois autant. Tout lui était prétexte à
changer de demeure. A Hetzendorf il a donné congé à son propriétaire, le
baron Pronay, parce que celui-ci s'était permis de le saluer. Et pourtant il ne
trouvait pas toujours facilement à se loger, surtout pendant les dernières
années de sa vie où, devenu presque complètement sourd, il s'accompagnait
pendant des heures entières au piano en frappant le plancher du pied. Une
anecdote pour finir: Au printempsdel821, où il était en villégiature à Baden,
il se présenta un jour chez le conseiller municipal Johann Bayer pour louer
deux pièces. Celui-ci remarqua que Beethoven était sans chapeau, mais avant
qu'il ait pu lui en faire l'observation — il connaissait le compositeur — un
agent de police et un garçon de restaurant firent irruption et conduisirent
Beethoven au poste. Lî tout s'expliqua. Le musicien était parti du restaurant
en oubliant son chapeau, mais en oubliant aussi — oh! bien involontairement
— de régler son addition...
— Caruso commencera le 1er octobre une tournée à travers l'Allemagne qui
durera quatre semaines. Le célèbre ténor chantera d'abord au Théâtre de la
Gour de Wiesbaden et donnera des représentations à l'Opéra-Royal de Berlin
dans la seconde quinzaine d'octobre.
— Comment la conduite d'un compositeur de musique, blâmée par tous
ceux qui ont le respect de la parole donnée, peut échapper aux sanctions des
tribunaux, c'est ce que nous montre le récit suivant d'un fait qui vient de se
passer à Vienne. M. Charles Lafite, l'auteur de l'opéra le Cœur froid, s'était
engagé vis-à-vis de MM. Mannheimer et Hartwich, librettistes, à mettre en
musique un de leurs ouvrages et cela dans un espace de temps de trois mois.
Tout bien considéré, le compositeur jugea s'être trompé en acceptant le
libretto et fit connaître aux auteurs et au public son intention de ne pas le
mettre en musique. Furieux de ce manque de parole, MM. Mannheimer et
Hartwich se rendirent chez le juge, contrat en poche. Le magistrat ainsi
appelé à trancher le différend s'adressa au compositeur Bitlner lui demandant
de donner à titre d'expert son avis sur le cas qui lui était soumis. Celui-ci
déclara que l'inspiration d'un compositeur n'admet pas d'être contrainte, en
conséquence de quoi le juge donna raison au compositeur et condamna les
plaignants aux frais du procès. C'est du moins là ce que rapportent les jour-
naux viennois, mais nous devons supposer, si toutefois le texte du jugement
est bien ce qu'ils ont dit, que les faits de la cause nî nous ont pas été exacte-
ment rapportés par eux. La sentence parait, en effet, bien contestable en
équité, car s'il est vrai qu'un compositeur n'est pas maître de commander à
son inspiration, du moins lorsqu'il a pris un engagement imprudent et ne le
remplit pas. on peut évaluer le dommage que son inspiration revéche a causé
aux intéressés et le condamner à payer une somme correspondante à l'évalua-
tion de ce dommage. Le renvoyer indemne et mettre les frais du procès au
compte des plaignants semblé un procédé digne de l'opérette beaucoup plus
que d'an tribunal sérieux. Mais, nous le répétons, les circonstances du procès
ont été sans doute inexactement rapportées.
— Un amateur de musique, le baron Robert de Hornsteio. a laissé en mou-
rant des mémoires qui ont été publiés récemment à Munich. Il y est question
des relations personnelles que l'auteur et un de ses amis, Karl Ritter, eurent
avec Richard Wagner en Suisse pendant quelques jours, à l'occasion de fêtes
musicales qui eurent lieu en 1853 à Sion. La rencontre se fit à Martigny, où
étaient arrivés ensemble Wagner et Ritter. Le baron de Hornstein s'exprime
ainsi : « Ils avaient pour eux deux une voiture à trois places ; je fus invité à
voyager en leur compagnie. De Martigny jusqu'à Sion. Wagner parla constam-
ment et avec une grande volubilité d'un projet qui lui tenait à cœur. Le lec-
teur sera surpris quand il saura ce dont il s'agit. Le texte littéraire des Xib;-
lungen était achevé. Des exemplaires avaient été imprimés et envoyés par
Wagner à ses amis. La musique du Bheingold était complètement écrite et
celle de la Walkyrie déjà commencée. Dans les conditions les plus favorables, il
fallait compter une dizaine d'années pour que l'ouvrage entier fût sur pied.
Pendant tout le trajet, Wagner ne parla que d'une chose, la construction du
théâtre dans lequel il voulait que la tétralogie fût jouée. Il avait en vue un
emplacement à Zurich. Il supputait les frais d'édification, il escomptait les
subventions ou cotisations éventuelles destinées à les couvrir. Il réservait à
Wesendonk le rôle de Mécène que devait assumer plus tard le roi de Bavière.
Un homme non prévenu aurait pris notre compagnon pour un Barnum, un
Strousberg, mais non pour le compositeur de Taiinhauser et de Loheiigrin. Il
nous apparut bientôt que le talent révolutionnaire de Wagner dépassait, si
possible, tous ses autres talents. Ses forces s'étaient presque épuisées dans la
chaleur de son monologue; il s'arrêta, se tut un instant, et reprit soudain ce
qu'il avait déjà ressassé. « Pardonnez-moi, dit-il, si je reviens encore une fois
sur cette affaire, mais j'en ai vraiment la tête si remplie ! » Il exposa de nou-
veau ses plans et nous étions à Sion avant qu'il eût cessé de parler. Nous
trouvâmes à l'hôtel trois chambres peu éloignées les unes de l'autre. Les fêtes
musicales comprenaient l'audition de la Symphonie-Cantate de Mendelssohn et
celle delà Symplionï? héroïque de Beethoven. Wagner devait diriger ce dernier
ouvrage, Methfessel s'étant réservé le premier. Après s'être informé des
moyens dont on disposait pour l'exécution, Wagner revint vers nous de
mauvaise humeur. Dans l'après-midi, nous fîmes à trois une promenade sur
une hauteur du côté sud de la vallée du Rhône. Là, nous nous arrêtâmes pour
prendre quelque repos. De la conversation que nous eûmes alors, il me reste
le souvenir des propos que nous avons échangés sur Schubert. Ritter ne put
s'empêcher de rire avec éclat lorsque Wagner fit la déclaration suivante : « Ce
Schubert doit avoir été une éponge d'où la musique sortait de toutes parts
lorsque l'on voulait la presser ». Sans doute, cela pourrait être pris en bonne
part, s'appliquant à la puissance d'invention mélodique si extraordinaire chez
Schubert. Cependant le ton sur lequel c'était dit avait quelque chose de bles-
sant. On y sentait la malveillance du compositeur dramatique contre le
compositeur lyrique, et l'antagonisme du littérateur-musicien contre le maitre
n'écrivant que de la musique pure. Wagner se moqua ensuite des éloges pos-
thumes que l'on décernait à Lortzing et se montra choqué de l'entendre
qualifier de g musicien allemand ». Le lendemain, nous avons déjeuné
ensemble, après quoi, Ritter et moi, nous nous rendîmes à la répétition du
premier concert. Wagner ne nous suivit point. A notre retour, nous ne le trou-
vâmes plus à l'hôtel. N'augurant rien de bon, nous allâmes dans la cour de la
poste, d'où partaient les voitures publiques. Nous grimpâmes tous les deux
ensemble de chaque côté d'une berline attelée et prête à partir. Wagner
paraissant très contrarié s'était effondré dans un coin. « Ètes-vous donc de la
police pour courir ainsi après moi"? » nous dit-il. Nous essayâmes en vain de
l'empêcher de partir, mais ce fut parfaitement inutile. Quand la voiture
s'éloigna, Ritter lui cria : « Où nous reverrons-nous ? » Il répondit : « A Col-
longe ». Il avait laissé une lettre adressée au Comité des fêtes, disant qu'on
l'avait trompé sur les ressources musicales dont on disposait dans l'endroit,
et que, les conditions étaut telles, il n'avait plus aucune envie de diriger la
Symphonie héroïque de Beethoven. Un homme qui aurait prophétisé alors
qu'en Suisse pas un seul chien n'aurait voulu donner un morceau de pain à
Wagner, aurait partout trouvé créance. Il n'en fut rien cependant. Sur ce
personnage extraordinaire tout glissait sans laisser longtemps de traces. Ce
qui aurait suffi à discréditer un autre pour toujours, lui servait d'échelon pour
arriver au temple de la célébrité. »
— On vient dedônner dans la salle du Schillertheater, à Berlin, la première
représentation en Allemagne d'un opéra de M. Charles Grelinger, Espoir de
bénédiction, dont le livret a été tiré d'un ouvrage de l'écrivain hollandais
Heijerman.
— La ville de Hambourg vient d'inaugurer une salle de concerts qui a été
construite au moyen d'une somme de 1.250.000 francs, léguée par un riche
armateur, M. Charles-Henri Laeisz, mort en 1903, et d'une donation de
250.000 francs, ajoutée par sa veuve pour permettre de parfaire dans les
meilleures conditions les travaux. Les premières œuvres entendues dans le
LE MÉNESTREL
231
nouveau local ont été. l'Alleluia du Messie de Haendel el la Symphonie en m
mineur de Beethoven. La salle destinée aux grandes auditions peut contenir
500 exécutants, orchestre et chœurs, et un public de 1000 personnes. La grand
orgue a coulé 50.000 francs. La salle destinée aux auditions de musique de
chambre contient 500 places. On peut admirer dans le loyer un buste colossal
de Brahms, modelé par Max Klinger, et d'autres bustes de musiciens célèbres,
parmi lesquels ceux de Hans de Bulow, Joseph .loacbim, Clara Schumann,
etc. La disposition électrique pour l'éclairage, et l'aménagement des vestiaires
ne laissent rien à désirer.
— Xous lisons dan-; la Zeitsolirift fiir Instrumenlalbau de Leipzig: « Le musi-
cien anglais Charles-.Tames Oldham, mort en '1907, avait mis son point d'hon-
neur à posséder les quatre violons de Stradivarius les plus remarquables qui
fussent au monde, et il introduisit dans son testament des dispositions minu-
tieuses au sujet de ces instruments. 11 est certain que tous les quatre sont au-
thentiques. Le défunt a laissé un de ces violons à l'État, si toutefois aucun
acheteur ne se présentait, qui fût disposé à le payer "5.000 francs. Ce violon
ii été construit en 1600 et se vendit mille francs en 1794. On le paya
25.000 francs en 1888. Tin autre violon, que Charles-James Oldham a légué
au British Muséum, est daté de 1722. Il fut acheté en 1836 moyennant
-i 000 francs et son prix s'éleva quelques années plus tard à 25.000 francs. En
plus de ses quatre violons, Oldham possédait un violoncelle de l'année 1700,
qui est une pièce unique en son genre. Il n'y a que la Cour d'Espagne qui
possède un autre instrument d'une valeur égale. Les journaux anglais et fran-
çais se plaignent avec juste raison que de tels chefs-d'œuvre du célèbre luthier
soient condamnés à demeurer muets dans leurs écrins précieux, au lieu de
servir à charmer les oreilles de milliers de personnes entre les mains d'artistes
célèbres. La manie des collectionneurs anglais de confisquer et d'enfermer
■ chez eux les plus magnifiques spécimens de la facture instrumentale, dans le
simple but de pouvoir permettre de temps en temps à quelques rares visiteurs
de jeter dessus un coup d'œil, est un égoïsme stupide (stupider Egoismusj.
justiciable seulement de la maison des fous ».
— De Genève : La cérémonie de la fête des promotions de l'Ecole secondaire
et supérieure des jeunes filles est toujours une joie pourles yeux et un agré-
ment pour les oreilles des assistants. Cette année, les élèves, sous la direction
M. H. Kling, ont chanté un hymne Vaincre ou Mourir, paroles de M. E. de
Budé, musique de lï. Kling. Une mélodie aisée à retenir, simple, franche-
ment rythmée, entraînante, un texte qui s'y adapte fort bien et exalte joyeu-
sement le sentiment patriotique, tels sont les caractères de ce chant suisse La
preuve en est dans les nombreuses éditions qui l'ont accueilli et le plaisir avec
lequel les élèves l'ont interprété. Pour Unir, on a entendu avec non moins de
plaisir VE/iitlvrfanie de Lolwngrin, de R. Wagner, dans lequel les voix fraîches
des élèves ont fait merveille.
— La ville de Rome se propose aussi d'avoir prochainement, à son tour,
une grande Exposition d'art théâtral. Ce ne sera pas, nous dit un journal,
une froide série de documents, mais une chose vivante. Selon le programme
étudié par M. le comte de San Martino et par le directeur de la « Compagnie
stable ». M. Hugo Falena, on verra se dérouler au Théàtre-Argentina. dans l'es-
pace de cinq mois, des cycles de représentations propres à illustrer l'histoire
de l'art dramatique. On donnera des essais de tragédies grecques et romaines ;
on fera des reproductions de mystères du moyen âge et de primitives repré-
sentations champêtres ; les gaies comédies du seizième siècle s'avoisineront
a^ec celles des théâtres français et espagnols du dix-septième. Viendront en-
suite les tragédies d'Alûeri.les comédies de Goldoni et les.pièces fiabesques de
Gozzi, pour terminer avec le théâtre romantique de nos pères et avec les essais
modernes. Parmi ces derniers seront la tragédie de D'Annunzio sur les
origines de Rome et une comédie de Gerolamo Rovetta encadrée dans les
temps glorieux du Risorgimente national. Dans ce programme on ne donnera
pas au théâtre étranger une place moindre qu'à l'art italien : on organisera
une série anglaise qui ira d'un cycle shakespearien jusqu'aux comédies de
Pinero et deShaw; une série espagnole qui s'étendra de Calderon et Cervantes
jusqu'à Echegaray; une série française qui, partant de Pierre Gringoire et des
comédies de Cyrano de Bergerac, et passant par Corneille. Molière, Racine et
Voltaire, aboutira aux productions les plus récentes: une série allemande
dont Schiller. Sudermann et Hauptmann feront les honneurs; et on n'oubliera
|| ni le théâtre norvégien avec Ibsen et Bjôrnson, ni les théâtres danois et russe.
Il Le programme est très beau, mais aussi quelque peu inquiétant par son am-
pleur. L'Exposition aura lieu en 1911, pour les fêtes cinquantenaires de I'in-
; dépendance italienne.
— La signora Luisa Consola, sœur de l'excellent violoniste et pianisteFede-
M rigo Consolo, mort il y a dix-huit mois environ, vient de faire don à l'Aca-
I demie de l'Institut royal de musique de Florence d'une quantité de lettres
i autographes de grands artistes, entre autres Wagner, Verdi, Gounod, Am-
brnise Thomas, etc., ainsi que de nombreux manuscrits d'archéologie musi-
cale et de documents historiques de très haute valeur concernant la musique
.qui avaient été réunis par son frère. C'est une collection précieuse pour l'Aca-
démie florentine.
— Un journal italien nous apprend que l'harmonie ne règne pas toujours
entre les vieux pensionnaires de la « Maison de repos « fondée par Verdi à
Milan. Parmi ces pensionnaires se trouvent deux anciens chanteurs, Felice
Picchielli, de Rome, el Pietro Riccioli, de Casalmaggiore, tous deux âgés de
76 ans. Récemment, une discussion artistique s'élevait entre eux d'une façon
plutôt violente, si bien que quelques-uns de leurs compagnons essa
s'interposer pour les calmer, lorsque tout à coup Picchielli. saisissant un cou-
teau, s'élança Bur son contradicteur pour le frapper. On >-ul tontes 1
du moude à le relenir. Ce n'est pas précisément pour cela que Vi
créé sa maison de refuge.
— A l'exemple de la mitre, dont les succès ont été aussi - datants â l'étran-
ger qu'en France, il vient de se former à Madrid une Société d instrumenta à
vent, composée de MM. Gregorio Baudot (flûte), Mariano Miguel clarinette),
Fermin Adan (hautbois), Antonio Romo (basson), Valeriano Buslos (trom-
pette) el Luis Nogueras (piano). Celte Société a donné son premier concert à
l'Athénée avec un succès extraordinaire, faisant applaudir entre auli
le joli quintette de M. Talfinel qui fut jadis couronné par la Société des
compositeurs.
— A signaler un assez grand nombre de productions nouvelles qui ont fait
leur apparition sur les divers théâtres de Madrid. Au Grand-Théâtre, l-.nin
TOcas, zarzuela en un acte, paroles de M. Dicenta, musique du maestro Cliapi.
qui n'est que la refonte d'un ouvrage plus important représenté il y a quel-
ques années sous le titre de Juan Francisco. — A l'Apolo, toi O)
« passe-temps comico-lyrique », livret de M. Paso et musique de M. Calleja,
de beaucoup supérieure à celui-ci, et tos Madrilenos, zarzuela. paroles de
MM. Perrin et Palacios, musique du maestro Chapi qui, dit un journal,
n'offre pas un seul numéro saillant. — Au théâtre Eslava, deux zarzuelas du
compositeur Lleo : Mayo jiorido et In Vuelta dcl presidio, cette dernière surtout,
sur des paroles du poète populaire Lopez Silva, très applaudie. — Au théâtre
de la Zarzuela, el Nino de Brenes, saynète en un acte, paroles de la cantatrice
très aimée M"IG Lola Ramos, musique de M. Cordoba : très grand succès pour
cette petite pièce « présentant des types andalous et parfaitement accompa-
gnée d'une musique allègre et correctement écrite.» — Au Théâtre- Martin,
Holmes y Raffles, a fantaisie mélodramatique », paroles de MM. .lover et Cas-
tillo, musique du maestro Badia, de beaucoup supérieure et justement applau-
die. — Enhn. à l'Apolo encore, Icis Bribonas, paroles de M. Antonio ViergoL
musique de M. Callejà, zarzuela en un acte qui a obtenu un succès extraordi-
naire et qui est destinée à devenir populaire.
— On vient de tenter un effort sérieux pour améliorer la ventilation du
Queen'sHall de Londres. Un appareil installé dans une vaste chambre voisine
de l'emplacement réservé à l'orchestre aspire l'air du dehors, l'échauffé ou le
refroidit selon le cas pour qu'il soit à la température convenable et le projette
dans la grande salle de concerts. On peut ainsi obtenir 1. 500.000 mètres cubes
à la minute et toute l'atmosphère du monument entier peut être renouvelée en
dix minutes. En ralentissant la marche de l'appareil afin d'éviter ou de ré-
duire au minimum l'agitation de l'air et le bruit, il est possible de changer
tous les quarts d'heure l'air de la salle. L'évacuation se fait au moyen d'aspira-
teurs placés sous les galeries. Il parait que les chanteurs ont déclaré que ce
procédé de ventilation leur permettait de maintenir en bonne disposition leur
organe pendant toute la durée des concerts. Le public, de son coté, apprécie
l'avantage de n'avoir plus à respirer un air vicié.
— On annonce qu'un orchestre, mexicain doit se rendre prochainement à
Londres, où il se propose de donner une série de cent concerts au cours des-
quels aucuo morceau ne sera répété deux fois (Tudieu ! quel répertoire !|.
Cet orchestre a été formé, parait il, par un millionnaire américain, M. Roach.
un des « rois du sucre », qui fut naguère musicien et chef des musiques de la
flotte des États-Unis. Ayant fait, il y a quelques années, un très gros héritage,
la fantaisie lui vint de créer un orchestre purement mexicain, réunissant à
Mexico un ensemble d'environ quatre-vingts artistes, qu'il dirige en personne.
Ce passe-temps lui a déjà, dit-on, coûté quelque chose comme 1.250.000 francs,
ce qui le laisse d'ailleurs profondément indifférent. Les concerts qu'il entend
donner à Londres dans une salle spéciale donneront lieu à un spectacle d'un
genre particulier, dont l'idée ne pouvait germer que dans un cerveau améri-
cain. C'est-à-dire que pendant l'exécution des morceaux se développeront des
panoramas « qui donneront aux spectateurs la vision des scènes que la musique
réclame ! » L'alliance des arts, musique et peinture mêlées.
— De New-York : Dans le courant de la saison prochaine, le Metropolitan-
Opera jouera pour la première fois une œuvre inédite, traduite en anglais,
d'un compositeur européen. Il s'agit de l'opéra K-œnigskindcr (Enfants de. Roi),
de M. Humperdinck, dont le principal rôle de femme sera interprété par
jjiie G-éraldine Farrar. M. Humperdinck a accepté l'invitation de la direction
du Metropolitan de diriger les dernières lépétitions et d'assister à la première
représentation de son œuvre à New-York.
— M. Jacques Coini, le très distingué régisseur général du Manhattan Opéra
House. au cours de la saison dernière à New-York, vient d'être réengagé par
M. Oscar Hammerstein qui lui confie de plus et d'ores et déjà la direction du
Hammerstein Opéra House, la nouvelle salle, maintenant a peu près terminée,
à Philadelphie.
— Les journaux étrangers nous font savoir que le ministre de l'Instruction
publique du Japon vient d'interdire la représentation de YOrphée, de Gluck, à
l'Académie de musique de Tokio. L'ouvrage ne pourra être joué que lorsqu'on
y aura pratiqué certaines coupures, particulièrement dans » la scène des
baisers », qui, selon le ministre, froisserait la moralité des spectateurs. Les
Japonais moralistes, voilà certainement ce qu'on n'attendait pas d'eux.
232
LE MENESTREL
PARIS ET DÉPARTEMENTS
C'est mardi prochain, 21 juillet, qu'aura lieu au Conservatoire, sous la
présidence de M. Dujardin-Beaumetz, sous-secrétaire d'État aux Beaux-Arts,
la distribution des prix. Avant-hier jeudi et hier vendredi ont eu lieu bs
concours des classes d'instruments à vent. Nous en donnerons les résultats
dans notre prochain numéro, en rendant compte de cette séance.
— Comme d'habitude, il y eut foule aux spectacles gratuits du 14 Juillet. Les
amateurs de théâtre ne manquent jamais en France, surtout quand il n'y a
rien à payer. Donc à l'Opéra on acclama les artistes qui interprétaient la sévère
tragédie lyrique de Rameau Hippoli/te et Aride, et on ne fut pas moins cha-
leureux à l'Opéra-Comique pour ceux qui chantèrent le Barbier de Séville et le
Chalet. Comme de juste, on entendit partoul la Marseillaise, mais ce fut surtout
à la Comédie Française que le chant national produisit son plus merveilleux
effet, parce qu'on l'avait entouré d'une nouvelle mise en scène émouvante. La
voici, décrite par notre confrère Serge Basset du Figaro :
Le rideau se lève, sur le décor du Palais-Royal tel qu'on l'a vu au second acte de
Charlotte Corday. Au milieu de la scène a été placé un buste de la République dont
le socle est décoré de lierre, de lauriers, de fleurs bleues, blanches et rouges. Deux
jeunes filles tressent des guirlandes; dans un coin, des patriotes causent. Des enfants
louent. Entre un bourgeois porteur de nouvelles. Emotion de la foule. Au loin, ru-
meurs, tambours, chants lointain. A un moment, un vieux patriote (c'est M. Mounet-
Sully) accourt, transporté d'enthousiasme et de passion patriotique. « Aux armes,
citoyens, commence-t-il...a Et, l'hymne national se déroule, à la fois dit par l'émi-
nent doyen de la Comédie-Française, et repris après chaque vers par des chœurs que
soutient la musique. A un instant, un jeune garçon que personniiia délicieusement
M11" Berthe Bovjj se jette dans les bras du vieux patriote, et, l'interrompant, récite
la fameuse strophe : Nous entrerons dans la carrière. Des enfants l'entourent, et le
jeune adolescent semble prendre pour lui et pour ses compagnons l'engagement
solennel de marcher sur les traces des ancêtres et de pratiquer leurs vertus. L'effet
est très grand. M. Mounet-Sully et sa gracieuse camarade sont acclamés.
Le spectacle commençait par Britannicus et se terminait par le Misanthriope.
— Les représentations gratuites, nous dit Nicolet du Gaulois, ne sont pas un
fait des temps actuels, mais pourquoi ne pas le dire, un fait du prince. En
effet, leur existence remonte à la fin du dix-huitième siècle et c'est encore
dans le Tableau de Paris de Mercier qu'on trouve leur éloge le mieux compris.
« Les comédiens, dit-il, donnent le spectacle gratuit à l'occasion de quelque
événement célèbre, comme la paix, la naissance d'un prince, etc. Le spectacle
commence alors à midi ; les charbonniers et les poissardes occupent les deux
balcons, suivant l'usage ; les charbonniers sont du côté du Roi, et les poissardes
du côté de la Reine. Ce qu'il y a de plus étonnant, c'est que cette populace
applaudit aux beaux endroits, aux endroits délicats même, et les sent tout
comme l'assemblée la mieux choisie. Quelle poésie pour qui saurait l'étudier!
Après la pièce, Melpomène, Thalie, Terpsichore donnent la main au portefaix,
au maçon, au décrotteur. Les comédiens ne se prêtent pas par amour du
peuple à ces danses bruyantes, mais par politique; ils voudraient bien pouvoir
s'en exempter. Leur dépendance leur fait un devoir de cette corvée, et ils
jouent fort bien le contentement. » Mais Mercier y revient, ailleurs, dans une
note : i Oji a, dit-il, constaté le fait; j'en appelle à l'expérience. Les grands
traits n'ont jamais passé sans applaudissements. » Les spectacles gratuits dont
parle Mercier avaient lieu à Versailles.
M. Antoine, qui est encore directeur de l'Odeon, a écrit au sous-secré-
tariat des beaux-arts, conformément aux obligations de son cahier des charges,
pour demander l'autorisation d'engager MM. Alexandre, Chambreuil, Guilhen-
Puvlagarde et MUe Reuver, lauréats des concours de tragédie et de comédie.
Mais voici qui va déranger quelque peu les plans de l'insidieux Antoine.
Dans sa dernière séance, le Conseil d'administration de la Comédie-Française,
d'accord avec M. Jules Claretie, a décidé d'engager au moins deux des der-
niers lauréats du Conservatoire : M. Alexandre, premier prix de tragédie et de
comédie aux derniers concours du Conservatoire, et M. Puylagarde, premier
prix de comédie. lia voté également l'engagement, pour un an, à titre d'essai,
de M. Le Roy qui enleva brillamment, l'an dernier, au même concours, un
premier prix de comédie. M. Le Roy jouera les jeunes premiers et les rôles de
convenance. — M. Alexandre est engagé pour les premiers rôles et M. Puyla-
garde pour les amoureux. Il doublera, à l'occasion, M. Dehelly.
Et qu'adviendra-t-il des lauréats du chant? H semble que nos deux
théâtres lyriques subventionnés devraient au moins s'arracher MUe Raveau, la
«rande triomphatrice du concours. Jusqu'ici, cependant, il ne semble pas
qu'aucune réclamation se soit élevée à son sujet.
Mais M. Albert Carré vient, en attendant, de s'assurer par engagement de
Mlle Cebron-Norhens, un joli brin de fille, qui fut remarquée aussi aux der-
niers concours. Et en même temps, il prit aussi M"e Nelly Martyl qu'on enten-
dit à l'Opéra et qui n'est pas non plus à dédaigner, tant s'en faut.
A l'Opéra, MM. Messager et Broussan ont signé un engagement de deux
années avec le jeune ténor russe Altchewsky, qui fut remarqué dans les Hu-
guenots et dans Roméo et Juliette.
— Départs : M. André Messager, directeur de l'Opéra, a quitté Paris pour
prendre du repos. Ses vacances dureront tout au juste trois semaines. Ce n'est
pas trop. — Mlle Mary Garden, de son côté, après ses triomphales représen-
tations de l'Opéra, est partie pour l'Ecosse, qui est son pays, comme on sait.
Elle ne reviendra qu'à l'automne.
— La veuve et les enfants de l'auteur dramatique Adolphe L'Arronge, mort
le 25 mai dernier, se conformant aux dernières volontés du défunt, viennent
de constituer une fondation au profit des artistes de la scène parvenus à un
âge avancé, lorsque leur situation malheureuse les obligera d'y recourir.
— Voici les artistes qui prêteront, dimanche, leur concours à la matinée
organisée à Couilly-Saint-Gerrnain, dans le parc de la Maison de retraite des
comédiens :
Coquelin aine; JIM. Gautier, Gilly, M"" Henriquez, de l'Opéra; M11"' Chasles,Urban,
de l'Académie de danse de l'Opéra; M"" Renée du Minil, de la Comédie-Française;
M— de Nuovina, de l'Opéra-Comique, et M. Albani, de l'Opéra-Royal de Milan ;
M"' Gilda Darty, M"' C. de Raisy, M. Jean Coquelin, M. Capoul, M. Monteux,
M'1' Bouchetal, M11' Hedvige Moore, M. Chabert, de la Porte-Saint-Martin ; M"« Gene-
viève Valois, du Théâtre-Antoine; M. Le Lubez, M"' Duval-Melchissédec, du Théâtre
royal de la Monnaie; M. Fontaine, M»«E. Dingry, du théâtre Trianon-Lyrique; M.Max
Morel, des Folies-Marigny; M"' Debriège, de la Scala; M"' Gilly, du Grand-Théâtre
de Lyon; M. L. de Gerlhord, de l'Alhambra: M. R. de Beaumercx, de la Pie qui
chante, M. Piloir, de la Scala, MM. Chadeigne et Fauthoux, de l'Opéra ; M. Léo
Pouget, compositeur.
M. Regnard sera, comme toujours, le régisseur général de la représentation.
— Mimi Pinson en voyage. D'accord avec M. Clémentel, député et maire de
Riom, M. Gustave Charpentier vient de fixer les principales étapes du voyage
que Mimi Pinson fera en Auvergne le mois prochain :
Départ le 14 août, matin. Concert de chant et de comédie, à Riom, le soir. Concert,
des chorales le 15, au matin; concours de danses populaires le soir. Couronnement de
la Muse, le 16 après-midi. Concert àChàlel-Guyon et excursion le 17. Retour le 17 au
soir.
Les amis et parents de Mimi Pinson bénéficieront de tarifs de faveur.
— M. Hammerstein, directeur du Manhattan Opéra de New-Vork, a engagé
M. Speck, l'ancien régisseur général de l'Opéra, sous la précédente direction,
comme régisseur des représentations françaises et italiennes.
— D'Aix-les-Bains : Le Grand Cercle qui, durant de longs mois d'été, hos-
pitalise royalement toutes les grandes élégances de toutes les parties du
monde, se devait, "le théâtre de verdure étant de haute vogue en ce moment,
d'avoir sa scène de plein air. M. Gandrey, son habile directeur général, l'a si
bien compris, qu'il vient de faire édifier dans le merveilleux jardin du cercle
un fort joli décor antique auquel les colonnades et les portiques brisés, les lam-
padaires fleuris et les tentures aux figures allégoriques donnent un aspect tout
à fait typique et très indiqué pour y faire déclamer les œuvres héroïques de
nos illustres poètes lyriques. On a inauguré dimanche dernier le « Théâtre
Antique » avec la Fille de Roland, et cet essai a montré quel excellent parti,
avec quelques modifications pourfendre l'acoustique tout à fait excellente, l'on
peut tirer de l'idée de M. Gandrey. Un public très nombreux et très en belles
toilettes a écouté religieusement les vers généreux d'Henri de Bornier, applau-
dissant M11'- Madeleine Roch, de la Comédie-Française, une Berthe émue et
grandiloquente, et ses camarades parmi lesquels il convient de citer M. Jean
Hervé, Gérald jeune et convaincu; M. Dupont, Charlemagne vibrant, etM. Fro-
ment, Ganelon dramatique : et tout ce public d'ensemble plutôt frivole, essen-
tiellement cosmopolite et aussi un tantinet snob, n'a pas fait qu'écouter reli-
gieusement la tragédie très noble mais aussi très sévère, il l'a écouté sans la
moindre désertion jusqu'au dernier mot, et c'est là évidemment la preuve la
meilleure que la tentative a réussi.
Et puisque nous parlons du Grand Cercle, signalons les belles représenta-
tions données dans la salle de spectacles, notamment celles de Manon, de
Werther et de Sapho, avec, comme principale interprète, M1"1" Bréjean-Silver;
MM. Codou, Dangès et Rotbier. Prochainement, reprise de Thérèse, également
du maître Massenet, dont on se rappelle le triomphe lors delà saison dernière.
— Soibées et Concerts. — Brillante matinée de Ml]t Caussin. Dans une sélection
d' œuvres de L. Filliaux-Tiger, succès pour Impromptu, Pluie en Mer, largement dits
par M"€ Bonnaz, et triomphe pour le Roman d'Arlequin, une des merveilleuses inspi-
rations de Massenet exécutée à ravir par M11' Caussin et L. Filliaux-Tiger. — Les
œuvres de L. Filliaux-Tiger, Imp'romtu et Danse Russe, furent li'ès applaudies au
concert organisé par M"" de Silva, puis, à la délicieuse matinée de M"" Argué, Source
capricieuse, du même auteur, fit le plus grand honneur au jeune professeur.
l'i. — 74e ANNÉE. — N° 30.
PARAIT TOUS LES SAMEDIS
Samedi 28 Juillet 4908.
(Les Bureaux, 2bls, rue Vivienne, Paris, n« m')
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
Le Numéro : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
lie Numéro : 0 fr. 30
Adresser fi\a*-co a. M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste ea su3.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (28p article), Julien Tiersot. — II. La distribution
des prix au Conservatoire, Arthur Pougin. — III. Une famille de grands luthiers
italiens : Les Guarnerius (3° article), Arthur Pougin. — IV. Nouvelles diverses, con-
certs et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
CHEMINEAU
nouvelle mélodie d'ÉDOUARD Tournon, poésie de Fernand Gregh. — Suivra
immédiatement : Ole ton voile, nouvelle mélodie d'ERXEST Moret, poésie de
Klingsor.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
Marche des petits magots, de Robert Vollstebt. — Suivra immédiatement :
Par les prés fleuris, pièce de genre, de Rodolphe Berger.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
CHAPITRE VI
OLTJCK COMPOSITEUR D'OPÉRAS-COMIQUES
Passons sans nous y arrêter sur la Fausse esclave et VIvrogne
corrigé, dont quelques traits pourront nous fournir plus tard
quelques dernières observations, et finissons cet examen en
étudiant l'ouvrage qui clôt la série des opéras-comiques : La
Rencontre imprévue.
A l'époque où celui-ci parut, l'opéra-comique français avait
pris à Vienne une place qui tendait à devenir prépondérante.
Sortant du cadre restreint des fêtes de la Cour, il avait abordé
les regards du public sur le théâtre naguère réservé aux seuls
opéras italiens. L'échange de lettres entre Favart et Durazzo
avait contribué à faire passer à Vienne une partie du répertoire
de Paris. Le 19 novembre 1763, le noble imprésario écrivait au
poète :
« Nous venons de donner le Roi et le Fermier (i), qui est à sa
dixième représentation; jamais opéra-comique n'a eu plus de
succès en ce pays-ci. J'en conçois aisément la raison ; c'est
qu'ici on ne veut ni du trop tendre, ni du trop amoureux, et
encore moins du trop bas. Le Roi et le Fermier était précisément
dans l'entre-deux, ni bas ni trop tendre. On a saisi avec avidité
(1) Opéra-comique de Sedaine etMonsigny, représenté pour la première fois à la
Comédie-Italienne en 1762.
les maximes qui y sont répandues ça et là ; son style simple
et quelquefois élevé a fait beaucoup d'effet. Il en a été de même
de Dupuis et Desronais (1) et de votre Anglais à Bordeaux (2) qui
ont fait beaucoup de plaisir. Toutes les pièces qui seront dans ce
genre réussiront toujours beaucoup ici, quoique moins connues
peut-être. C'est pourquoi je voudrais en trouver du même
calibre pour amuser nos souverains. Je viens de faire arranger,
par exemple, les Pèlerins delà Mecque, de feu M. Le Sage. J'en ai
fait supprimer le licencieux, et n'en ai conservé que le noble,
et le comique qui a pu s'y allier ; je ne doute pas que ce poème,
arrangé de cette sorte au goût actuel de la nation, ne fasse son
effet, surtout étant appuyé d'une musique de la composition du
sieur Gluck, homme sans contredit unique dans son genre (3) ».
Gluck avait donc pu, cette fois-là, suivre d'excellents modèles,
venus de France (car le Roi et le Fermier est sans contredit un
des chefs-d'œuvre du genre). Mais au fait, qu'avait-il besoin
désormais de modèles ? Il venait à ce moment d'écrire Orfeo :
c'est dire qu'il était en pleine possession de son génie créateur.
Sa Rencontre imprévue (ce titre remplaça celui de la pièce origi-
nale, les Pèlerins de la Mecque), représentée à Vienne au commen-
cement de 1764, est un excellent opéra-comique, plein de
musique, et très varié de tons (4). La pièce de la Foire (remon-
tant à 1726) avait été rajustée et mise au goût du public viennois
par un certain Dancourt, comédien, auteur à ses heures (S).
Mais la plupart des ariettes nouvelles furent écrites sur les
anciens vers faits pour être chantés en vaudevilles. Et ce ne
dut point être un spectacle ordinaire que celui de Gluck, obligé
par ses fonctions de mettre en musique tel couplet rythmé sur
la coupe de l'excellente chanson à boire : « Quand la mer Rouge
apparut », avec ses joyeuses répétitions de syllabes : « Il la pa
(1) Comédie de Collé, représentée pour la première fois à la Comédie-Française en
1763.
i2i Comédie en vers libres, de Favart, représentée pour la première, fois à la
Comédie-Française en 1763.
\3) Mémoires et Correspondance de Favart, t. II, pp. 168, 169.
(4) Une réduction pour piano et chant de la Rencontre imprévue a été publiée a
Paris (Legouix) par M. J.-B. Weckerlin.
(5) La correspondance de Favart fait maintes fois mention de Dancourt, qu'elle
appelle d'abord l'Arlequin de Berlin. Le 3 août 1761, le poète rend compte à
Durazzo des débuts de cet artiste à la Comédie-Française, dans les rôles de valets.
Il n'y resta pas, car, quelques mois plus tard, nous le retrouvons à Vienne, lui-
même en correspondance avec Favart. Dès sa première lettre (25 avril 1762 . i; - ..rit:
« J'ai fait une églogue lyrique que j'ai remise à Son Excellence ; elle l'a d'abord
envoyée au sieur Gluck. C'est un musicien fort estimé de nos messieurs, et particu-
lièrement de nos chanteurs. Leur témoignage m'est cependant suspect; j'ai toutes les
peines du monde à m'imaginer qu'un allemand chante bien en français; permettez-
moi de ne vous en rien dire jusqu'à ce que je l'aye entendu ». Il n'apparait pas que
l'églogue lyrique ait été mise en musique, au moins par l'auteur (L'Orphée ; mais
nous venons d'apprendre que c'est Dancourt qui fut chargé de transformer pour lui
les Pèlerins de la Mecque en la Rencontre imprévue, en « supprimant le licencieux et
conservant le noble, et le comique qui a pu s'y allier j. Et nous verrons plus tard
Favart chercher à établir une collaboration plus intime entre Gluck et Dancourt
pour la composition d'opéras-comiques destinés a Paris même.
234
LE MÉNESTREL
pa pa, il la sa sa sa, il la passa toute », et traçant gravement, de
la même plume qui venait d'évoquer les ombres heureuses, les
notes pour chanter : « Me mettre en caca, me mettre en pipi,
en capilotade... »
Les petits airs en forme de danse sont en majorité dans la
partition. Certains devinrent populaires à Vienne, comme
devaient l'être plus tard ceux de Papageno et Monostatos dans la
Zauberflote : c'est en effet la même note de musique viennoise,
qui, par une sympathie naturelle à l'esprit des deux aimables
capitales, ne devait pas avoir de peine à plaire à Paris. L'air à
trois temps de Rezia : « Maître des cœurs » , autant valse lente
que menuet, a toute la grâce de celui de la Naïade, dans Armide,
dont il est l'excellent prototype ; il n'a rien perdu de son
charme ni de sa saveur.
Et ce n'est pas seulement aux chansons et aux danses de la
ville que Gluck a demandé leurs rythmes favoris. Nous savons
qu'il n'a jamais dédaigné l'accent populaire : il va nous donner
un nouveau témoignage de cette préférence. Voici un air qui
semble être une transcription de quelque danse tzigane. C'est
un personnage comique, le Calender, qui le chante, sur des
paroles en jargon : « Castagno, pista fanache ». De même que
les philologues trouvent parfois dans le patois des comédies de
Molière ou des farces de l'ancien temps d'intéressants sujets
d'observations, de même nous pourrions considérer clans cet air
de la Rencontre imprévue un exemple, le premier noté sans doute,
de la musique tzigane : on y retrouve la plupart de ses formules
favorites. En voici (sauf l'omission de quelques mesures après
la première reprise) le dessin mélodique complet, tel que le
donne la partie de premier violon, que le chant se borne à
doubler.
Un personnage d'artiste fou, comme les artistes de comédie
dans l'ancien répertoire, donne lieu à des imitations musicales
dans lesquelles C-luok devait nécessairement exceller : les
mouvements de la jalousie, de la colère, le feu de l'inspiration,
la description des combats, de la tempête, puis du calme, sont
tour à tour exprimés par la musique. Le dernier morceau de
cet épisode : « Un ruisselet bien clair », est un fort joli paysage
musicai, frais et clair, réellement suggestif, faisant, malgré la
beaucoup plus grande simplicité des moyens, songer d'avance
à l'air du sommeil de Renaud : « Plus j'observe ces lieux... Un
fleuve coule lentement... » La pochade tracée par l'opéra
bouffe est la lointaine ébauche du chef-d'œuvre (1).
La Rencontre imprévue contient enfin des parties expressives
par lesquelles le génie de Gluck s'exhale dans toute sa sincérité.
Celles-ci appartiennent au rôle du jeune prince amoureux, dont
(Ij L'air « Un ruisselet » a obtenu en son temps un succès ifui s'est manifesté de
diverses manières. Par exemple : les parties d'orchestre d'Echo et Narcisse, dont le
matériel est conservé à l'Opéra, parmi les remaniements innombrables qu'elles ont
subis, intercalent, comme élément étranger, un air de danse qu'elles intitulent :
« Le Ruisselet ». Ce morceau n'est autre que celui de la Rencontre imprévue, dont la
partie de chant est transformée en solo de flûte. Je n'en connaissais pas encore
l'origine à l'époque où j'ai eu à en faire mention dans la préface de l'édition d'Echo
et Narcisse, écrite, en collaboration avec M. Camille Saint-Saèns, pour la collection
Pelletan (voy. p. XXXVII).
le rôle se compose de cantilènes du meilleur style, je puis même
dire d'un grand style, où la mélodie coule de source, abondante
et d'un style soutenu. Comme exemple de cette partie de l'œuvre,
voici l'exposition d'un de ces chants, dont les dix-huit mesures
se déroulent sans superfétation ni redites, et avec autant d'élé-
gance extérieure que de sentiment intime et d'abandon.
Par cet ensemble d'œuvres d'un goût nouveau, Gluck connut
le succès tout aussi bien qu'avec les opéras italiens de sa
période antérieure.
Burney raconte, d'après un propos de table qu'il recueillit de
sa bouche et nota le soir même, qu'après la représentation d'un
de ses opéras-comiques à Schwetzingen (c'est donc Cythère assié-
gée, le seul qu'il ait donné sur le théâtre de cette résidence),
l'Electeur Palatin, frappé par la beauté de la musique, en fit
demander l'auteur ; et sur la réponse que c'était un honnête
Allemand qui aimait le bon vin vieux : « Eh bien, dit- il, il
mérite qu'on lui en fasse boire ! » Et sur-le-champ il donna
l'ordre qu'on lui en envoyât un tonneau, « non pas aussi gros
que celui d'Heidelberg, contait joyeusement Gluck, mais fort et
plein d'un vin meilleur » (1).
(A suivre.) Julien Tiersot.
LA DISTRIBUTION DES PRIX AU CONSERVATOIRE
La distribution des prix a eu lieu mardi dernier avec une solennité
toute relative, vu l'absence de tout personnage officiel occupant,
comme de coutume, la présidence de cette tout aimable cérémonie. En
effet, ni M. Doumergue, ministre de l'instruction publique, ni M. Du-
jardin-Beaumetz, sous-secrétaire d'Etat aux beaux-arts, n'avait jugé
utile de se déranger pour la circonstance. Peut-être l'inauguration
d'une gare de chemin de fer ou celle d'un comice agricole les retenait-
elle au loin et était-elle jugée par eux de plus d'importance.
En l'absence de l'un et de l'autre, M. Gabriel Fauré, directeur de
l'Ecole, avait tout naturellement assumé la présidence. Dans une très
courte allocution, il nous a fait connaître deux fondations intéressantes
faites récemment en faveur du Conservatoire ; l'une, par la grande vio-
loniste Teresa Milanollo, épouse du général Parmentier, consistant en
le revenu d'une somme de 98.000 francs, à partager, moitié comme
prix, moitié comme pensions aux élèves violonistes au cours de leurs
études ; l'autre, par M. et Mme Potron-Laborde, héritiers de la célèbre
cantatrice Mmc Rosine Laborde, consistant en une rente de 400 francs
(1) Burney, Etat présent de la musique, II, 251.
LE MENESTREL
en faveur d'élèves femmes de chant ayant remporté un second prix de
chant et fait preuve de zèle dans l'étude du solfège. M. Fauré a dit en-
suite que le Conservatoire s'estimait particulièrement heureux de la
nomination de M. Georges Berr comme chevalier de la Légion d'hon-
neur, et qu'il était fier de féliciter lui-môme le sociétaire de la Comédie-
Française, le professeur au Conservatoire et, l'auteur dramatique sou-
Tent applaudi. Après quoi, aux vifs applaudissements de l'assistance,
il a attaché la décoration à la poitrine de M. Georges Berr, en lui
donnant l'accolade.
Quoique plusieurs fussent déjà partis en vacances, les professeurs
assistant à la séance étaient loin d'être aussi peu nombreux que croyait
■devoir le remarquer un journal. Nous avons reconnu parmi eux :
MM, Alexandre Guilmant, Delaborde. I. Philipp, Caussade, Lefort,
Cros -Saint- Ange, Georges Berr, Paul Mounet, Bouvet, Gillet, Hassel-
mans, Manoury, Dubulle, Brun. Charpentier, René Brancour, Rougnon,
Falkenberg, etc.
Après l'allocution de M. Fauré, le palmarès a été lu, de sa voix claire
et sonore, par M. Alexandre, premier prix de tragédie et de comédie,
chaque élève se présentant à l'appel de son nom pour recevoir son
diplôme de la main du président. Puis, après un court entr'acte néces-
sité par l'aménagement de la scène, a commencé le concert, dont voici
le programme :
1° Introduction et allegro du Deuxième Concerto, op. 22 (Saint-Saèns), par
MUe Piltan.
2° Air d'Alceste (Gluck), par M. Paulet.
3° Concerto (op. 53), lre partie (A. Dvorak), par M. Michelon.
4° Air d'Armide (Gluck), par Mme Garchery.
S0 Scène i'Iphigénie (Racine) : MM. Alexandre (Achille) et Chambreuil
(Agamemnon).
6° Scène de Werther iMassenet) : MIles Raveau (Charlotte) et Chantai
.(Sophie).
7° Scène du Cœur et la Dot (Félicien Mallefille) : M. Lévy (Henri Dumège),
Mllcs Reuver [Nanon), Lestrange (Adèle Desperriers) et Ha-wkins (Madame
Desperriers).
8° Scène d'Alceste (Gluck) : MM. Vaurs (Le Grand Prêtre), Dupré (L'Oracle)
et Mlle Le Senne (Alceste).
Ce concert a obtenu son succès ordinaire. Mais il faut bien dire
qu'ici, comme aux concours, M"e Raveau. a été l'étoile de la séance,
rappelée quatre fois après la délicieuse scène de Werther, où elle a
retrouvé son triomphe du concours d' opéra-comique. On a fait fête
aussi à M"e Reuver, toujours impayable de gaminerie et de gaité dans
la scène du Cœur et la Dot, à Mlle Le Senne dans Aleeste, à Mme Gar-
chery dans Armicle, à MM. Alexandre et Chambreuil dans Iphigénie.
Tous, d'ailleurs, ont eu leur part très légitime d'applaudissements, et
ce programme, véritablement superbe, a produit une grande impres-
sion.
Arthub Pougix.
Voici l'attribution, pour cette année, des dons et legs faits en faveur des
élèves du Conservatoire :
Prix Nicodami (500 francs) : partagé entre MM. Teissier et Vaurs, premiers
prix d'opéra.
Prix Guérineau (183 francs) : partagé entre M. Paulet et M1Ie Raveau,
premiers prix de chant.
Prix George Hainl (613 francs) : M. Mas, premier prix de violoncelle.
Fondation Popelin (1.200 francs) : partagé entre M1,es Piltan, Déroche.
Pennequin, Chassaing, Boucheron et Lewinsohn, premiers prix de piano.
Prix Henri Herz (300 francs) : MUe Chassaing, premier prix de piano.
. Prix Provost-Ponsiu (435 francs) : MUe Deroxe, élève de déclamation.
Prix Buchère (700 francs) : partagé entre M"le Garchery, premier prix de
chant, et Mlle Chanove, élève de déclamation.
Prix Doumic. — A été réservé.
Prix Garcin (200 francs) : M. Michelon, premier prix de violon.
Prix Monnot (578 francs) : M. Michelon, premier prix de violon.
Prix Monnier (une harpe Érard, du prix de 3.500 francs) : Mlle Pierre-Petit,
premier prix de harpe.
Prix Girard (300 francs) : MUe Bouvaist, second prix de piano.
Prix Tholer (290 francs) : MUe Bernard, second prix de tragédie. et de
comédie.
Prix Guilmant (500 francs) : M. Cellier.
Prix Milanollo-Parmentier (2.885 francs) : partagé entre M. Carembat,
M"'-s Wolft' et Talluel, premiers prix de violon (1).
Prix Rosine Laborde (400 francs) : Mlle Kaiser, second prix de chant.
'1) Sur cette fondation, M. Carembat reçoit 385 francs, M"" Wolff et Talluel
chacune 350 francs. Le reste de la somme est réservé pour compléter les intentions
de la testatrice, ainsi qu'il est indiqué ci-dessus.
UNE FAMILLE DE GRANDS LUTHIERS ITALIENS
LES GUARNERIUS
PIERRE I" GUARNERIUS (1)
On n'a que bien peu de renseignements sur les deux fils d'A'ndré
Guarnerius qui suivirent la carrière de leur père et furent ses '-lèves.
L'ainé. Pietro. avait, jusqu'à ces dernières années, pass*'- à tort pour le
cadet, si bien qu'il n'était jamais désigné, dans le commerce de la
lutherie, que sous la qualification de « frère de Joseph et second fils
d'André ». Ih fallu, pour qu'on remit toutes choses en place, la décou-
verte des dates respectives de leur naissance, qui ne permettait plus
aucune équivoque.
Pietro Guarnerius. né à Crémone le 18 février 1685, est bien le lils
aîné d'André. Il apprit son métier dans l'atelier de son père, auprès
duquel il resta jusqu'en 1680. Trois ans auparavant, en 1(177. il avait
épousé une jeune fille nommée Catarina Sussagni, dont il eut. le
29 janvier 1678, un lils, Andréa Francesco, qui ne fut pas luthier (2).
A la fin de l'année 1680, Pietro Guarnerius quitta Crémone et se sépara
de son père pour aller s'établir à Mantoue, où. comme celui-ci, il prit
pour enseigne : «A sainte Thérèse », ainsi qu'en témoignent ses
étiquettes. Pourtant, plusieurs années plus tard on le retrouva durant
quelque temps à Crémone. « Pietro Guarneri, dit Vidal, revint à
Crémone en 1698 et y resta quelques mois après la mort de son père,
car on le voit, le 22 août de cette année, parrain de son neveu Barto-
lomeo, dernier fils de Giuseppe. A partir de cette époque on perd sa
trace, mais il parait probable qu'il retourna à Mantoue. » B parait en
effet non pas probable, mais certain, qu'il retourna à Mantoue, et l'on
assure qu'il travailla jusqu'en 1728, qui est sans doute l'époque de sa
mort ; mais sur ce dernier point on ne sait rien de précis. Même
certains prétendent que de Mantoue il serait allé à Venise, et que c'est
là qu'il serait mort.
Pietro Guarneri était loin d'être sans talent, et l'on s'accorde à faire
l'éloge de ses produits. Les amateurs ont pu se rendre compte de leur
valeur lorsqu'en 1878, à l'Exposition historique de l'art ancien au Tro-
cadéro, ils ont vu exposés deux très beaux violons de cet habile luthier,
l'un daté de 1693, appartenant à M. Taudou, l'autre de 1712, qui était
la propriété du regretté Garcin. George Hart, qui l'avait en très grande
estime, l'apprécie de cette façon : — :< ...Chez ce luthier encore nous
constatons beaucoup d'originalité, et son travail aussi bien que son
modèle diffèrent en tout de ceux de son frère ; sa ligne de contour
s'éloigne aussi de celle de son père Andréa... La volute est marquée
d'un cachet tout individuel. La spirale a un relief d'un grand effet, les
filets sont admirablement exécutés et les coins accusent cette extrême
délicatesse qui est la qualité distinctive des oeuvres de Nicolo Amati.
Le vernis est superbe, sa qualité est des plus riches et sa transparence
n'a jamais été surpassée. La couleur varie ; elle est quelquefois d'un
jauue d'or, quelquefois d'un rouge pâle où la lumière vient miroiter
avec des effets ravissants. Pietro Guarneri a employé les plus
beaux bois. Ses tables sont invariablement d'un grain tendre et très
unies. »
De leur côté, MM. Hill, confirmant indirectement ce que dit George
Hart, constatent l'originalité donl firent preuve, dans leurs travaux, les
deux fils d'André Guarnerius, et particulièrement Pierre : — o Comparez.
disent-ils, entre eux les contours tracés par quelques-uns des princi-
paux successeurs d'Amati et de Stradivarius..., et vous vous aper-
cevrez que chacun d'eux créa une forme différente de celle de son voisin ;
cependant tous ont puisé leurs idées à la même source. Voyez Pierre
Guarnerius de Mantoue et Joseph Guarnerius, fils et élèves d'André;
(1 Je ne sais quel « mastic » s'est singulièrement produit à l'imprimerie entre ma
copie et la composition de mon premier article. Il m'est impossible de chercher aie
deviner, et j'y perdrais inutilement mon temps. Toujours est-il que" je me trouve
avoir dit précisément le contraire de ce que j'avais dit ou voulu dire. La vérité, et
les dates sont là pour le prouver, c'est qu'André Amati n'a pas pu, comme le dit jus-
tement M. Hugo Riemann et à rencontre de ce que dit Fétis, être l'élève de Gaspar
da Salo. Mais quel fut son maître ? nul ne le sait.
(2) Le prince Nicolas Youssoupoff, dans son opuscule anonyme intitulé Luthomo-
nographie (imprimé en français à Munich en 1S55), écrit cousu d'erreurs et
d'inexactitudes dont on ne saurait pourtant trop lui en vouloir, car à cette époque
l'histoire de la lutherie était beaucoup plus obscure encore qu'à l'heure présente,
écrivait ceci : — « Catherine Guarneria travaillait avec ses frères et leur aidait peut-
être dans l'exécution de leurs ouvrages. Elle avait un goût très prononcé pour l'art
du luthier. Mais l'histoire couvre d'un voile si épais toute son existence, que nous
ne pouvons pas en parler d'une manière plus étendue ». On voit que l'auteur avait
pris pour une sœur des Guarneri la femme de Pietro, Catarina Sussagni.
236
LE MÉNESTREL
une fois sortis de l'atelier du père, chacun, d'eux prend son essor et
produit des œuvres marquées au coin de l'originalité, surtout Pierre (1). »
Et les instruments de cet excellent artiste, volontiers et à juste titre
recherchés aujourd'hui (on les paie jusqu'à S et 6.000 francs), n'étaient
pas seulement remarquables par leur beauté : le timbre en était sédui-
sant, et la sonorité, puissante sans exagération, ne laissait rien à désirer
en ce qui touche sa belle qualité et la faculté d'émission. Ses meilleurs
violons sont surtout, dit-on, ceux qui furent contruits par lui à
Crémone.
Dans son livre : Les Ancêtres du Violon et du Violoncelle, Laurent Grille t
cite et reproduit, parmi ses illustrations, la figure d'un alto de Pietro
Guarnerius, daté de Mantoue, 1698, dans lequel celui-ci avait supprimé
les coins, comme pour la guitare, ainsi que fit plus tard Chanot pour
son violon présenté par lui à l'Académie des beaux-arts et qui est resté
fameux pour sa bizarrerie et son peu de succès. Mais comme ledit
Grillet n'indique aucune référence au sujet de cet instrument, je reste
méfiant à l'égard de son authenticité.
Il est plus intéressant de rapporter ici quelques-unes des remarque s
que faisait il y a un siècle, à propos de Pietro Guarnerius, l'abbé Sibire
dans son livre curieux et bizarre : La Chélonomie ou le Parfait Lu-
thier (2) :
Pierre Guarnerius était, malgré des défauts majeurs, un excellent ouvrier.
Nous avons de lui des violons bien traités à l'extérieur, bien filetés, bien ver-
nis, d'une superbe facture. Le modèle en est large, les formes en sont flat-
teuses, les voûtes pleines, l'ascension régulière. On y voit la main du maître ;
mais ce sont souvent des sépulcres blanchis. L'application du compas et la
qualité des sons trahissent les procédés intimes de la structure, et font singu-
lièrement pâtir pour l'auteur. En brusquant, on ne sait pourquoi, la manière
de Jérôme (3), pour s'en faire une à lui, il a donné à gauche, et n'a pas été
très heureux en écarts. Jl a eu raison de faire ses tables d'harmonie égales
d'épaisseur, mais on en veut à son rabot de les avoir trop amincies, ainsi que
les flancs du repoussoir, qui est d'ailleurs d'une bonne force dans la partie du
centre. Il résulte de là deux graves inconvénients, l'un pour la qualité de
l'instrument, l'autre pour l'instrument lui-même ou sa monture.
Après avoir fait ressortir les effets des deux inconvénients qui résul-
tent, selon lui, du travail de Pietro Guarnerius, l'auteur conclut :
De sa fabrique, dit-il, sont sortis, de loin en loin, des violons pleins d'éclat
et de force, dignes de rivaliser avec ceux de son maître. La fantaisie de se
rapprocher des règles est alors venue le distraire de la mauvaise méthode de
son invention; mais sa conviction n'était pas sincère. La fureur d'innover et
l'orgueil de faire secte ont rendu bien rares cette réminiscence des principes
et cet heureux oubli de lui-même. Il serait à souhaiter, pour la gloire de l'art
et la sienne, qu'il eût eu plus souvent des absences ou une bonne fois des re-
mords.
Malgré les critiques parfois un peu vives que l'abbé Sibire mêle à ses
éloges, les violons de Pietro Guarnerius sont aujourd'hui fort estimés
et donnent la preuve d'un incontestable talent. Mais ni lui ni George
Hart, ni MM. Hill ne disent un mot de ses violoncelles, que les luthiers
connaissent bien, que les artistes recherchent, et dont la valeur n'est
pas moindre. Les oublier serait injuste, car ce sont de très bons instru-
ments, qui, de même que ses violons, ne font point pâlir la juste
renommée qui s'attache au nom des Guarnerius (4).
On croit que Pietro Guarnerius fut le maitre de Tommaso Balestrieri ,
luthier de Crémone non sans talent, qui, ainsi que lui, alla s'établir
par la suite à Mantoue.
. (A suivre.) Arthur Pougin.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour les seuls abonnés a la musique)
Ce Chemineau, n'a rien à voir avec celui de M. Xavier Leroux et n'en est pas vrai -
ment plus mauvais pour cela. C'est l'excellent ténor Muratore qui nous fit faire la
connaissance de son auteur, M. Tournon, qui l'accompagne volontiers au piano dans
les concerts où il prodigue son beau talent. Muratore a pris en affection cette mélo-
die et il la chante partout avec uu succès qu'elle mérite assurément. Elle a de l'am-
pleur et aussi de la douceur aux endroits où il faut. Ajoutons que la poésie de
Fernand Gregh ne nuit pas à l'effet d'ensemble. La pensée en est noble et d'une
belle élévation.
(1) Antoine Stradivarius, sa vie et son œuvre.
(2) La Chélonomie ou le Parfait Luthier, par M. l'abbe Sibire, ancien curé de Saint-
François-d' Assise, à Paris. — Paris, l'auteur, 1806, in-12.
(3) Jérôme Amati, dont l'auteur croyait, à tort, que Pietro Guarnerius était l'élève.
(4) Il en fit à Mantoue quelques-uns d'assez ordinaires, auxquels on donnait
le nom d'instruments i de procession ». A l'aide de certain procédé de suspension
ils étaient portatifs, et les exécutants pouvaient les jouer en marchant dans les cor-
tèges.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Un de nos confrères italiens rapporte sur Rossini une anecdote dont nous
garantissons d'autant moins l'authenticité que la scène se passe précisément
chez nous, et que nous n'avons jamais eu connaissance du fait. « Non seule-
ment, dit notre confrère, le cygne de Pesaro, durant sa longue existence, se
réjouissait en bernant ses contemporains, mais il avait encore la manie de se
moquer préventivement de la postérité. En voici une preuve. Lorsqu'il fit
construire sa villa de Passy, il fit jeter dans les fondations une médaille de
l'empereur Caracalla. en disant : « Dans cinq ou six cents ans, quand les
archéologues feront des fouilles ici, ils croiront que les Romains ont passé par
Passy, et ils écriront d'interminables mémoires au sujet de cette médaille. Je
sème peut-être la graine de deux ou trois membres de l'Académie! »
— A signaler, dans le dernier numéro de la Rivista musicale italiana, un
article très court du docteur Oscar Chilesotti sur l'art grec, article substantiel
en son peu d'étendue, et très curieux dans ses conclusions.
— On a représenté au Théâtre-Populaire de Riella une opérette nouvelle
intitulée Lena del Rocinmlon. Les auteurs de cet ouvrage sont MM. Garelli pour
les paroles et G. Casiraghi pour la musique.
— On doit donner prochainement, au théâtre Malihran de Venise, un opéra
nouveau intitulé Italia, du maestro Santo Santonocito. D'autre part, le com-
positeur Soffredini, auteur déjà de plusieurs opérettes écrites spécialement
pour des enfants, en termine une du même genre qui sera donnée dans le
cours de l'automne à Milan. Celle-ci aura pour titre il Leone et pour sujet un
épisode de la vie du célèbre sculpteur Cauova.
— En 184"2, le futur premier roi d'Italie, Victor-Emmanuel, alors simple
prince héréditaire de Piémont, épousait une archiduchesse d'Autriche. Pour
fêter les fiançailles, la municipalité de Gènes chargeait le compositeur Fede-
rico Ricci (auteur, avec son frère, de la jolie partition de Crispino e la Comare)
d'écrire une cantate de circonstance sur des paroles de l'excellent poète
Felice Romani. Cette cantate, intilulée la Félicita, fut exécutée avec un grand
succès au Théâtre Carlo-Felice, devant une assemblée nombreuse venue de
tous les points de l'Italie pour voir les jeunes époux. Quelques années plus
tard le roi Charles- Albert, préparant une fête dans son palais, se souvint de
la cantate des noces de son fils, et demanda à Federico Ricci d'écrire une
composition du même genre sur des vers du marquis di Negro. En peu de
jours, la volonté royale fut satisfaite. A la répétition de l'œuvre nouvelle, le
comte Saluzzo, grand écuyer du palais, s'approcha du compositeur et lui fit
part du désir exprimé par Sa Majesté de voir, pendant l'exécution de la nou-
velle cantate, un jet d'eau sur le milieu de la scène. L'idée était bizarre sans
doute, mais, sans autre cérémonie, le haut fonctionnaire se mit en mesure
d'établir une fontaine et de disposer des conduits pour l'écoulement de l'eau.
Tout marcha à souhait et le jet d'eau était superbe. Seulement — il y a un
seulement — l'eau, en tombant, faisait un bruit qui détruisait absolument
l'effet du chant et de la musique. Le compositeur fit alors observer au grand
écuyer que sa musique était complètement annulée par cet accompagnement
d'un genre inconnu jusqu'alors. Celui-ci ne voulut rien entendre et ne songea
qu'à obéir aux ordres de son maitre. Il faut dire que le roi Charles-Albert
était, de sa nature, médiocrement dilettante. Pour lui, la plus belle musique
consistait dans les roulements du tambour et dans le bruit du canon. Mais la
Cour devait assister à la fête, et, naturellement, Ricci désirait qu'on entendit
la sienne. C'est alors qu'il eut une véritable idée de génie, qui lui permettait
de donner satisfaction au prince sans se faire tort à lui-même. D fit acheter
quelques centaines d'épongés qu'il fit placer dans la vasque de la fontaine, de
façon que l'eau, en retombant sur ces éponges, ne fit plus aucun bruit. La
fontaine brillait et son jet d'eau était superbe, mais elle était devenue muette.
Les chanteurs furent à leur aise alors pour exécuter la cantate, et celle-ci
produisit tout l'effet qu'en espérait son auteur. Et voilà comment un musicien
homme d'esprit sut se tirer d'une situation difficile.
— La ville d'Eger, en Hongrie, avait décidé depuis plusieurs mois de célé-
brer, par une reconstitution historique, la mémoire du généra! Wallenstein, .
qui fut assassiné dans cette ville en 1634 et y entra victorieusement en 1625.
Des fêtes comprenant un cortège historique avec marches militaires dont la
musique remonte au commencement du XVIe siècle, vers 1509, croit-on,
viennent d'avoir lieu pendant les deux journées des 18 et 19 juillet. Elles se
sont déroulées en présence de 15.000 spectateurs. On a surtout admiré une
sorte de scène théâtrale féerique intitulée la Fondation d'Eger dans le vieux
château impérial d'Egra. Ce château, bâti de 1157 à 1179 par Frédéric Barbe-
rousse, est maintenant en ruines. Eger était autrefois une forteresse que l'on
pouvait considérer comme presque imprenable. Elle a été démantelée en IS08.
C'est à l'Hôtel de Ville que Wallenstein fut tué par l'Irlandais Deveroux. On
conserve encore dans ce monument des souvenirs du célèbre homme de
guerre. Il y a juste cent dix ans que le Wallenstein de Schiller fut joué pour-
la première fois à Weimar.
— On va installer prochainement, sur la façade d'une maison qu'habitèrent
Robert et Clara Schumann, à Dusseldorf, rue dite Eilkerstrasse, une plaque
commémorative destinée à perpétuer le souvenir du séjour de trois années et
demie qu'y firent les deux grands artistes. Cette période se termina par la
LE MÉNESTREL
237
catastrophe qui anéantit, chez Schumann, les hautes facultés intellectuelles
dont il était doué, deux années et quatre mois avant que la mort ne le délivrât
d'une existence devenue lamentable. C'est dans cette demeure que les égare-
ments de la raison chez le musicien dont chaque œuvre, si petite qu'elle soit,
porte la trace de l'imagination et du génie, se manifestèrent avec une intensité
terrible. Une de ses manies fut celle des tables tournantes. Wasielewski a
raconté là-dessus une scène navrante dont il fut le témoin. « Les graves
symptômes, dit-il, qui s'étaient manifestés plusieurs fois pendant l'année 1852,
non seulement reparurent en 1853, mais s'aggravèrent encore et l'on en
constata de nouveaux. Ce furent d'abord les soi-disant, tables tournantes qui
jetèrent Schumann dans une sorte d'extase et captivèrent entièrement son
esprit. En ce temps-là, les tables tournantes firent le siège des boudoirs
féminins et des sociétés de femmes nerveuses aux heures des lunchs et des
thés; elles pénétrèrent même dans les cabinets d'études d'hommes sérieux et
troublèrent beaucoup de têtes bien organisées. Cependant, elles ne causèrent
pas à d'autres cette exaltation maladive dont Schumann fut violemment saisi,
Lorsqu'en mai 1833, je vins à Dusseldorf pour visiter quelques amis, je fus
introduit un après-midi dans la chambre de Schumann. Il était assis sur un
canapé, en train de lire dans un livre. Je lui demandai quel était le sujet de
sa lecture. Il me dit alors en élevant la voix et sur un ton presque solennel :
« Oh! n'avez-vous pas encore entendu parler des tables tournantes? » —
« Mais si. assurément, lui répondis je, comme en badinant, j'en ai entendu
parler ». A ces mots, ses yeux, qu'il tenait habituellement fermés comme s'il
eût voulu tourner ses regards en lui-même, s'ouvrirent démesurément, ses
pupilles se dilatèrent convulsivement, et il prononça lentement ces mots avec
une expression de crainte : « Les tables savent tout. » Quand je vis qu'il atta-
chait à ces choses un caractère sérieux de si triste augure, je m'empressai
d'abonder dans son sens, ce qui lui rendit aussitôt le calme. Ensuite il appela
sa deuxième fille et se mit à faire avec elle des expériences au moyen d'une
petite table. Il consulta cette table et lui fit marquer le commencement de la
symphonie en ut mineur de Beethoven. Toute cette scène m'avait effrayé au
plus haut degré; je me souviens même très exactement que je Es part de mes
appréhensions aux amis et connaissances du maître. » A la suite de cette
expérience, Schumann écrivit à Hiller, le 25 avril 1853 : s Nous avons hier
fait tourner une table pour la première fois. Quelle merveilleuse puissance !
Pense, je lui ai demandé d'indiquer le rythme des deux premières mesures de
la symphonie en ut mineur 1 Elle m'a fait attendre la réponse plus longtemps
qu'à l'ordinaire, enfin elle marqua les notes sol, sol, sot, mi b, d'abord très
lentement. Ensuite, lorsque je lui eus dit : « Mais, chère table, c'est un mou-
vement bien trop lent », elle s'empressa de donner le mouvement juste. Je lui
demandai encore d'indiquer un chiffre auquel je pensais; elle indiqua le
chiffre trois sans se tromper. Nous étions tous comme enveloppés d'une
atmosphère de miracle ». Ainsi, Schumann glissait de plus en plus vers la
pente fatale jusqu'au moment où sa raison l'abandonna tout à fait. Les tables
tournantes, dont on s'occupa vers la même époque à la cour de Napoléon III
et en bien d'autres lieux en France et à l'étranger) ne peuvent être incriminées
dans la circonstance; la caractéristique du génie de Schumann. ce fut l'intro-
duction dans sa musique de toute une mythologie d'êtres fantastiques ou de
personnes réelles, présentées comme si elles évoluaient sur un petit théâtre.
Cette tendance était arrivée au paroxysme pendant les dernières années de
son existence; on ne peut donc s'étonner qu'il ait voulu nouer des relations
avec le monde surnaturel. Le marbre que l'on va enchâsser dans la maison de
Dusseldorf rappellera les dernières crises et la catastrophe finale qui termi-
nèrent la vie d'un artiste qui fut l'un des plus extraordinairement doués que
l'on rencontre dans l'histoire musicale de tous les temps.
— Une artiste dramatique dont les succès ont été très grands depuis deux
années à Vienne, à Munich et dans d'autres villes, Mlle Lily Marberg, vient
d'être victime d'un accident d'automobile. Se rendant de Frauzensbad à
Munich, en compagnie d'un financier, M. Maurice Reichenfeld, la voiture
buta contre un arbre par suite de la rupture d'un pneumatique. Les deux
voyageurs ont été sérieusement blessés, MUe Marberg à la poitrine et son
compagnon à la tète. Le chauffeur et une autre personne, assise à coté de lui.
n'ont eu que des contusions sans gravité.
— M. Hans Gregor, l'homme d'initiative qui dirige avec intelligence l'Opéra-
Comique de Berlin, vient d'épouser MUeDelIa Rogers, qui se fit une réputation
de chanteuse dramatique en Italie, où elle fut notamment une très émouvante
Navarraise.
— La société philologique de Heidelberg a donné mercredi dernier et hier,
au Théâtre Municipal de la ville universitaire, deux représentations de l'Aga-
memnon d'Eschyle, comme soirées cominémoratives en l'honneur du professeur
Albrecht Dieterich, décédé récemment. C'est grâce à ce philologue que l'on
avait pu monter, l'été dernier, dans des conditions particulièrement intéres-
santes et nouvelles sous certains rapports, les Grenouilles d'Aristophane.
— Un journal illustré italien publie une vue de la tombe du compositeur
Otto Nicolaï. l'auteur du Templier et des Joyeuses Commères de Windsor, qui fut
chef d'orchestre de l'Opéra-Royal de Berlin et mourut en cette ville le 11 mai
1849, à peine âgé de quarante ans. Cette tombe est au cimetière de Sainte-
Dorothée, à Berlin, et elle a été sauvée dernièrement par les soins de l'inten-
dance de l'Opéra, car elle était menacée de destruction, la concession du
terrain étant arrivée à son terme et n'ayant pas été renouvelée.
— Nous avons annoncé que, selon les volontés exprimées par le défunt, la
famille de l'auteur dramatique Adolphe L'Arronge avait constitué une fonda-
tion en faveur des vieux artistes dénués de ressources. A ce sujet, il n'est pas
sans intérêt de faire remarquer que la fortune laissée par L'Arronge s'élève,
assure-t-on, à six millions et demi de marks, soit plus de huit millions de
francs.
— Il n'est pas encore trop tard pour souhaiter la bienvenue à un nouveau
coufrère. Une revue consacrée à la musique, la New: Mutikalische Rund-
schau, a publié le 1er juin son premier numéro à Munich. Dans celui du
13 juillet, nous trouvons un intéressant article sur le culte de Verdi en Italie.
Un autre article renferme d'intéressantes appréciations se rattachant à la mu-
sique française. Publiée sous la direction de M. Otto Keller, la nouvelle
feuille s'est placée dès l'abord au rang des meilleures et des plus sérieuses.
Elle est en ce moment bimensuelle, mais deviendra hebdomadaire pendant la
saison d'hiver.
— Ainsi que nous l'avons annoncé, Mmc Melba a donné le 2i juin dernier
une matinée au Covent-Garden de Londres, pour fêter le vingtième anniver-
saire de son débuta ce théâtre. La recette était destinée à l'hôpital de Londres.
Elle s'est élevée à 30.000 francs.
— Les concerts-promenade du Queen's Hall de Londres commenceront le
13 août prochain et se termineront à la (in d'octobre. Ils seront dirigés par
M. Henry J. Wood, à l'exception de ceux qui auront lieu du 5 au 8 octobre.
Ceux-là seront donnés par la New Symphony Orchestra sous la direction de
M. Edouard Colonne.
— Le comité des Concerts-Joachim de Londres a décidé de poursuivre l'en-
treprise malgré la mort du célèbre maître. On donnera l'hiver prochain sept
auditions de musique de chambre dans la salle Bechstein, et un grand concert
avec orchestre et chœurs au Queen's Hall. Parmi les solistes, nous pouvons
nommer Mmes Halle, Marie Soldat. Fanny Davies, MM. Haussmann, Donald
Tovey, Borwick. C'est le quatuor Klinger qui jouera la musique d'ensemble
pour cordes.
— De grandes solennités musicales auront lieu l'an prochain au Crystal
Palace, près de Londres. Il était depuis longtemps question d'un festival
Haendel donné dans des conditions d'interprétation tout à fait extraordinaires,
mais l'année 1909 marquant le double centenaire de la mort de Haydn et de
la naissance de Mendelssohn, on a décidé d'associer ces deux maîtres à l'hom-
mage que l'on veut rendre à la mémoire du célèbre compositeur du Messie. Le
programme des auditions sera ainsi très varié en même temps que grandiose.
Les anglais n'ont pas oublié que c'est Mendelssohn qui introduisit chez eux
les œuvres de Bach, ou, tout au moins, en répandit le goût par son enthou-
siasme pour la Passion selon saint Mathieu. Le jeune maître essaya aussi de
faire connaître et apprécier à Londres la symphonie en ut majeur de Schubert,
qu'il avait produite le premier au Gewandbaus de Leipzig, mais cette fois le
public britannique demeura entièrement sourd à son appel.
— On vient de publier en anglais la traduction des lettres de Brahms dites
« la correspondance de Herzogenberg »; cette collection se rapporte à la
période de la plus grande activité du compositeur.
— On mande d'Amsterdam qu'une Société nouvelle d'opéra néderlandais
est en voie de formation sous la direction de Mllie Cateau Resser.
— De San Sébastien, on nous signale les grands succès remportés par M"e Ga-
brielle Ciampi, la fille de M. Ciampi et de MmB Ciampi-Ritter, qui a délicieu-
sement chanté à deux des grands concerts donnés au Casino.
— Un orchestre monstre est celui qui fut formé à Boston pour la grande
fête musicale de 1869, qui est restée fameuse au pays des Vankees. Cet orches-
tre comprenait 215 violons, 65 altos, violoncelles et contrebasses, 8 flûtes.
8 hautbois, 8 clarinettes, 8 bassons, 12 cors, 8 trombones, 3 tubas et 14 tam-
bours. Pour certains morceaux, tels que la Marche du Prophète, le chœur des
enclumes du Trovatore et l'Hymne national, on ajoutait 23 flûtes, 70 clarinettes,
100 cors, 75 trompettes, 73 tubas, 50 tambours, 2o paires de timbales, 10 grosses
caisses et 10 triangles.
— Oh! oh! une grosse nouvelle concernant le jeune et déjàcélèbre Kubelik.
On écrit de Chritchurch (Nouvelle-Zélande) au Daily Mail de Londres : —
« M. Gorlitz, directeur de concerts, a intenté une action contre le violoniste
Kubelik pour rupture de contrat. Ledit directeur lui réclame 75.000 francs de
dommages-intérêts. La cour suprême de la Nouvelle-Zélande a requis l'arrestation
du violoniste. » Espérons qu'il ne pourrira pas longtemps sur la paille humide
des cachots.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
La musique n'est pas habituée à être très gâtée lors des largesses gouver-
nementales; mais, cette fois, la part à elle faite est vraiment plus que maigre
puisque, pour elle, aucune croix ne figure dans la liste, publiée à l'occasion
du 14 juillet, dans le Journal Officiel de dimanche dernier, alors que cinq
peintres sont faits chevaliers. ..Ne nous en réjouissons pas moins de la rosette
d'officier donnée à M. Maurice Donnay, qui compte au théâtre d'heureuses
victoires depuis Lysistratu jusqu'à Paraître, en passant par le Retour de Jérusalem,
et des croix de chevaliers attribuées au très spirituel M. Miguel Zamacoïs, le
jeune et délicat poète des Bouffons, et à M. Georges Berr, sociétaire de la
Comédie-Française, professeur au Conservatoire et encore écrivain dramatique
applaudi : et signalons aussi, non sans un tout petit peu d'étonnement, celle
dont se trouve gratifié M. Max Maurey. directeur du Grand-Guignol et auteur
de quelques légères piécettes.
238
LE MÉNESTREL
— Au titre étranger, M. Fonson, directeur des théâtres des Galeries -Saint-
Hubert et de l'Olympia, à Bruxelles, est nommé chevalier de la Légion
d'honneur.
— Les concours publics se sont terminés la semaine dernière au Conserva-
toire, et ont pris En avec les deux séances consacrées aux instruments à vent,
séances entièrement brillantes, comme toujours, et qui ont affirmé une fois
de plus l'éclatante supériorité, reconnue de tous, de notre enseignement instru-
mental.
La première de ces deux journées était affectée au concours des quatre
classes d'instruments en bois : flûte, hautbois, clarinette et basson. Le jury
était ainsi composé : MM. Gabriel Fauré, président, Louis Bas, Lafleurance,
Bené Brancour, Alfred Cortot, Henri Bûsser, Jules Mouquet, de La Nux,
Lebailly, Baoul Brunel, Hamburg et Pichard.
Voici les résultats :
Fldte, 10 concurrents. Professeur, M. Taffanel. Morceau de concours : Pré-
lude et scherzo de M. Henri Bûsser; morceau de lecture à vue. du même.
4" prix. — M. Paul.
2" prix: — MM. Friscourt et René.
4'" nécessite. — MM. André Castel et Lespès.
2" accessits. — MM. Clouet, Marchant et Raoul.
Hautbois; 10 concurrents. Professeur, M. Gillet. Morceau de concours : Con-
certo de Mme de Grandval; morceau de lecture à vue, de M. Louis Aubert.
4'" prix. — MM. Riva, André Tournier et Bonneau.
2" prix. — MM. Morel, Durivaux et Rigot.
4" accessit. — M. Duvoir.
2" accessit. — M. Burgunder.
Clarinette, 5 concurrents. Professeur, M. Mimart. Morceau de concours :
Solo de concours de M. Henri Babaud; morceau de lecture à vue, de M. de
La Nux.
•/"■ prix. — MM. Rouillard et Corbet.
2e prix. — M. Jautfrion.
4" accessit. — M. Séguret.
Basson, 8 concurrents. Professeur, M. Eugène Bourdeau. Morceau de con-
cours : Concerto en fa, de Weber; morceau de lecture à vue. de M. Henri
Rabaud.
4"' prix. — MM. Thauvin et Fleurquin.
i" 2>rix. — MM. Verdter et Piard.
4'" accessits. — MM. Guilloteau et Pétrot.
2e accessit. — M. Letellier.
Pour les concours d'instruments en cuivre, dont voici maintenant les résul-
tats, le jury comprenait les noms de MM. Gabriel Fauré, président, Georges
Caussade, Reine, Brousse, Bilbaut, Jules Mouquet, Alfred Cortot, Alexandre
Georges, Yerbregghe, Alfred Bachelet, Guy Ropartz et Georges Enesco.
Cor, 10 concurrents. Professeur, M. Brémond. Morceau de concours : Mor-
ceau de concert de M. Camille Saint-Saéns ; morceau de lecture à vue. de
M. Georges Enesco.
4" prix. — M. Van Bédat.
2" prix. — M. Bacquier.
4'" accessits. — MM. Bordet et Stermann.
2» accessits. — MM. Michel Guillaume et Fabre.
Cornet a Pistons, 10 concurrents. Professeur-, M. Mellet. Morceau de con-
cours : Légende héroïque, de M. Jules Mouquet; morceau de lecture à vue. du
même.
!"• prix. — MM. de Lathouwer et Auguste Beghin.
S" prix. — MM. Rodet et Minet.
7cr accessit. — M. Delmotte.
2° accessit. — M. Kauffmann.
Trompette, 11 concurrents. Professeur, M. Franquin. Morceau de concours:
Légende de l'Armor, de M. Alexandre Georges; morceau de lecture à vue, de
M. Georges Caussade.
1"' prix. — MM. Gilis, Séguélas et Perret.
2' prix. — M. Borie.
4"' accessits. — MM. Cherrière et Delattre.
2" accessits. — MM. Parriez et Champendal.
Trombone, 11 concurrents. Professeur, M. AUard. Morceau de concours :
Pièce en mi p mineur, de M. Guy Bopartz; morceau de lecture à vue, du
même.
■)'" prix. — MM. Lafosse et Eudesq.
2" prix. — MM. Barat et Meyer.
4" accessit. — M. Munio.
2" accessits. — MM. Lagrange et Dervaux.
Terminons en donnant les résultats du concours dé fugue, qui fut le der-
nier du concours à huis clos et qui réunissait le jury suivant : MM. Gabriel
Fauré, président, Henri Maréchal, P. V. de La Nux, Chapuis, Gigout, Paul
Hillemacher, J. Mouquet, Bachelet, Galeotti, Henri Dallier, Raoul Pugno.
4" prix. — M. Chevaillier (élève de M. Lenepveu).
2° prix. — M. Joseph Boulnois (élève de M. Lenepveu).
i" accessit. — M. Delmas (élève de M. Lenepveu).
2" accessits. — MM. Alain (élève de M. Lenepveu), et Marcel Dupré (élève de
M. Ch. \Vidor).
— La rentrée des classes des élèves du Conservatoire est fixée au lundi
S octobre.
— L'Académie des Beaux-Arts vient de désigner au choix du. ministre des
Beaux-Arts pour la commande d'un petit ouvrage (opéra ou ballet) que doit
écrire un ancien grand prix de Borne, et que, aux termes de son cahier des
charges, la direction de l'Opéra est tenue de faire exécuter une fois tous les
deux ans :
En première ligne, M. Silver, premier grand prix en 1891 ;
En deuxième ligne. M. Bachelet, second premier grand prix en 1890;
En troisième ligne, M. Bloch, premier grand prix en 1893;
En quatrième ligne, M. Rabaud, premier grand prix en 1894;
En cinquième ligne, M. Carraud, premier grand prix en 1890.
— Il semble décidé que l'Opéra-Comique engagera M"es Raveau et Cebron-
Norbens. Pour la première, dont le succès fut si éclatant aux concours, notam-
ment dans la scène de Werther, il y avait compétition entre l'Opéra et l'Opéra-
Comique, mais c'est en dernier théâtre qui parait devoir l'emporter, après avis
favorable de M. Gabriel Fauré et en tenant compte aussi des préférences de la
jeune et brillante lauréate.
— M. Gabriel Fauré doit partir en vacances la semaine prochaine. Il em-
portera en villégiature, à Lausanne, la Pénélope, qu'a écrite pour lui M. René
Fauchoy. et dont le premier acte est déjà composé.
— Devant l'Académie de Médecine, le docteur Weiss, professeur agrégé à la
faculté de Paris, vient de relater les grandes lignes d'une étude clinique des
voix des élèves des trois derniers concours du Conservatoire, à laquelle s'est
livré Mt P. Bonnier. Il résulte nettement de ce travail, qui parait très com-
plet, que presque toutes ces jeunes voix subissent une déformation et un ar-
rêt de développement par suite du travail dans des salles trop petites. Ces
élèves, dont la'voix est destinée à porter au théâtre à plus de trente mètres,
dans des salles de grande capacité, travaillent journellement dans des salles
de dimensions des plus restreintes. Il en résulte que l'élèves'habitue à chanter
pour son entourage, pour lui et pour son maître. La voix grossit au lieu de
grandir et de prendre de l'extension. L'articulation n'est pas « projetée » pour
ainsi dire, et, par suite de l'exagération de certaines contractions pharyn-
giennes, la voix se désoriente souvent et se télescope... L'auteur termine en
réclamant une protection efficace et scientifique des voix professionnelles.
— On annonce le mariage de M. Broussan, co-directeur de l'Opéra, avec
Mlle Samary-Lagarde, fille de la regrettée Jeanne Samary, et nièce de
M. Pierre Lagarde, directeur artistique de l'Opéra. La cérémonie aura lieu,
au commencement de septembre, à Gif où M. Broussan possède une pro-
priété.
— D'autre part, une des brillantes lauréates des derniers concours vocaux
du Conservatoire, M1Ie Germaine Le Senne, fille de l'ancien député de Paris
et nièce de notre excellent collaborateur Camille Le Senne, a épousé mercredi
dernier, en l'église de la Madeleine, M. Charles Batilliot.
— On annonce que miss Andrews, qui fut longtemps l'active et intelligente
collaboratrice d e miss Marbury, représentante des droits des auteurs français
en Amérique, prendra, à partir du Ie1' octobre prochain, une part active dans la
direction du Théâtre des Arts, boulevard des Batignolles. Bonne chance à la
charmante et nouvelle confrère de Sarah Bernhardt et de Réjane.
— Les journaux ont annoncé récemment la mort de M. Gustave Kietz,
sculpteur, dont on connaît un certain nombre d'œuvres intéressant les musi-
ciens et les hommes de lettres. Elève de Rietschel. il l'assista dans l'exécution
du monument de Goethe et Schiller à Vv'eimar. La statue de Uhland à Tu-
bingen est de lui ainsi que celle de Schubert à Stuttgart. Il a laissé un buste
de Beethoven, et un buste de Wagner dont il avait été l'ami.
— Voici que, grâce à l'Intermédiaire, les documents affluent sur la famille
du grand violoniste Rode. J'ai reçu, pour ma part, de M. F. Clauzel, secrétaire
perpétuel de l'Académie de Nimes, qui s'est occupé à diverses reprises de
littérature musicale, une lettre fort intéressante, dont je détache ces rensei-
gnements :
.... J'ai particulièrement connu le colonel Rode, dont vous parlez. Il commandait,
dans notre ville, le 31 régiment d'infanterie. C'était un homme charmant. On disait
qu'il jouait du piano. Je ne l'ai jamais entendu. Mais, s'il n'exécutait pas, il aimait
beaucoup la musique. C'était un assidu de notre Société » la Chambre musicale »,
vouée à la musique de chambre, dont j'ai été, pendant quinze ans environ, le prési-
dent. Le colonel Rode avait épousé M1'" d'Amoreux. La famille d'Amoreux est, je
crois, originaire d'Uzès, de ces pays-ci en tout cas. De ce mariage sont nés plusieurs
enfants.
Un fils, s'il m'en souvient, a suivi la carrière des armes.
Une fille est religieuse.
Une autre fille avait épousé le capitaine Richard, d'un régiment d'artillerie de
cette ville. M. Richard est revenu à Nimes comme colonel d'artillerie.
Il y a encore ici des parents du colonel Rode, entre autres un neveu, fils de la
sœur de M"" Rode... En vous donnant ces détails, j'ai voulu tout d'abord rendre
hommage au grand artiste, qu'on doit toujours admirer et chez lequel il faut toujours
reconnaître la clarté, l'élégance et la distinction. Si sa descendance ne s'est pas-
illustrée, comme lui, dans les arts, elle a tenu un rang des plus honorables dans la
bonne société, et elle a cultivé avec honneur et succès les vertus militaires.
En même temps que je communiquais cette lettre à l'Intermédiaire, ce jour-
nal recevait, d'un autre correspondant, une autre communication qui complé-
tait les rense ignements :
Le fils du musicien Rode était un homme charmant; il avait épousé, étant capi-
taine au 26' régiment de ligne, M"" Marie dAmoreux, aimable et fort |olie personne,
LE MÉNESTREL
239
d'une vieille famille noble du Languedoc, aujourd'hui éteinte. Il fut longtemps en
garnison à Paris et mourut colonel, laissant un fils, Maurice Rode, qui est aussi
militaire et dont la femme est la lille du docteur Gourbeyre.
Nous voici maintenant bien et dûment fixés sur la descendance de Rode,
l'illustre violoniste dont la musique, expressive et charmante, est un peu trop
négligée de nos jours, même à notre Conservatoire, dont il fut, comme
professeur, l'une des gloires les plus éclatantes. Si de nouveaux rensei-
gnements venaient se joindre à ceux qu'on vient de lire, je ne manquerai pas
de les consigner ici. A. P.
— Une ancienne élève de M. Jean de Reszké, M""' "William E. Corey, qui
s'est fait counaitre comme chanteuse légère sous le nom de Mabel Gilman
qu'elle portait avant d'être mariée, aurait l'intention d'établir à Paris, nous dit
la Musical America, un théâtre d'opéra, auquel serait adjointe une école
de chant destinée à former de jeunes artistes américaines. Mmo Corey consa-
crerait cinq millions de francs à cette entreprise, dont l'idée lui est venue,
dit-on, lorsque, étant à Paris pour étudier le chant, elle put se rendre compte
des difficultés de la carrière théâtrale pour les jeunes filles sans ressources. Le
nouvel établissement sera construit, selon toute probabilité, sur un terrain
assez rapproché de la place de l'Étoile. Le directeur de l'école et de l'Opéra
serait M. Jean de Reszké.
— L'éminente pianiste Sophie Menter, la plus brillante élève de Liszt parmi
les femmes, célébrera mercredi prochain le soixantième anniversaire de sa
naissance. C'est en effet le 29 juillet ISiS qu'elle a vu le jour à Munich. Fille
du très distingué violoncelliste Joseph Menter (1808-1836), elle eut pour pro-
fesseurs Lebert et Nieszt, et se fit entendre pour la première fois à l'Odéon
royal de Munich, dans un concert que dirigea Franz Lachner. Ce début fut
des plus heureux et la jeune artiste en profita pour accepter des engagements
dans plusieurs villes d'Allemagne. Ayant fait la connaissance de Cari Tausig.
elle abandonna ses voyages, déjà fructueux cependant, pour travailler avec
lui pendant une période de deux ans. A Budapest, elle gagna la sympathie de
Liszt et se livra entièrement à sa direction artistique. Sous l'égide de ce
maître, dont l'influence était si grande, elle joua souvent en particulier et en
public, sans cesser pourtant d'être elle-même. Elle accepta aussi des conseils
de Hans de Bulow, n'hésitant jamais quand il s'agissait d'ajouter quelque
chose à son développement artistique. De 1880 à 1887, Mme Sophie Menter
remplit les fonctions de professeur au Conservatoire de Saint-Pétersbourg.
Elle s'était mariée en 1872 au violoncelliste D. Popper, dont elle se sépara en
1886. Il y a une vingtaine d'années, nous avons entendu à différentes reprises
la célèbre pianiste à Paris. Elle joua les deux concertos et les rapsodies de
Liszt, le concerto en sol de Rubinstein, des oeuvres de Tschaïkowsky, une
Fantaisie tzigane de sa composition et un certain nombre d'autres ouvrages.
Ou a opposé souvent Mme Menter à Clara Schumann; cette dernière pourrait
en effet représenter l'art classique et romantique à la fois, tel que nous le
considérons dans les œuvres de son mari, tandis que l'élève de Liszt s'est
élancée vers de nouvelles voies avec une fantaisie et une fougue plus exubé-
rantes, sans jamais d'ailleurs pécher contre le style, car la beauté de la ligne fut
toujours chez elle une des caractéristiques du jeu et de l'interprétation.
— En même temps qu'une nouvelle édition de son intéressante Histoire de la
Musique dans les lies Britanniques, notre confrère Albert Soubies publie, à la
Librairie des Bibliopbiles, le tome XXXVII (année 1097) de son Almanach des
Spectacles. Entre autres documents intéressants, nous trouvons dans ce petit
volume, si élégant et si recherché des amateurs, la liste des pièces nouvelles
représentées en France pendant le dernier exercice. Cette liste se décompose
ainsi: Opéra, 2; Comédie-Française, 9: Opéra-Comique, S; Odéon, 15; Gym-
nase, 3; Vaudeville, 4; Palais-Royal, 5; Variétés, 4; Porte-Saint-Martin, 3:
Ambigu, 4; Gaîté, 0; Chàtelet, 1; Renaissance. 1: Théâtre -Antoine , 13:
Théàtre-Sarah-Bernhardt, 3; Théàtre-Réjane, o; Nouveautés, 3 ; Athénée, 6;
Bouffes-Parisiens, 4; Folies-Dramatiques, 4: Déjazet, 1: Cluny, 3: théâtres
divers et cafés-concerts, S09; province, 30b. Si l'on ajoute à cette liste celle
des 116 pièces imprimées et dont la représentation n'a pas été signalée, on
obtient le total de 1.030 œuvras. La production théâtrale est, on le voit, tou-
jours fort abondante. Notons, en passant, que M. Massenet n'a pas, en 1907,
occupé la scène de l'Opéra ou de l'Opéra-Comique moins de 113 fois, avec
6 ouvrages: Ariane (38 représentations); Thaïs (7): le Jongleur de Notre-Dame
(6), Manon (31;, Marie-Magdeleine (3) et Werther (28).
; — Pour la première fois depuis 1870, une société alsacienne a obtenu l'au-
torisation, souvent sollicitée, de se rendre officiellement en France. Il s'agit de
la musique municipale de Sainte-Marie-aux-Mines, la « Concordia », qui a été
reçue, dimanche dernier, par la ville de Saint-Dié. magnifiquement pavoisée.
Au parc, où la « Concordia » a donné un concert, des fillettes, en costumes de
France et d'Alsace, ont remis une palme et des bouquets offerts par les Alsa-
ciens habitant Saint-Dié aux musiciens alsaciens qui se sont montrés fort
émus de la réception qui leur était faite.
— A l'occasion de la distribution des prix de l'école Notre-Dame de Bou-
logne-sur-Seine, très charmant concert au cours duquel on applaudit
M. Sigwalt dans les Enfants de Massenet. Gros succès de rire pour la Leçon de
chant d'Offenbach, gaiment enlevée par M. Sigwalt, déjà nommé, etM. Georges
Launay.
— C'est le mois prochain que le Théâtre Antique d'Orange donnera, sous la
direction de MM. Paul Mariéton et A. Real, ses représentations annuelles. Il
y aura deux soirées. La première comprendra Iphigénie, les Burgraves, le
Cyclope, piécette satirique en un acte de M. Léon Rifilard, et le ballet
A'Alcesle de Gluck. La seconde, Médie, de M. Catulle Mondés, et le Roi Midas,
de MM. André Avèze et Paul Souchon. — Comme interprètes, M.M. Mounet-
SnlK, Paul Mounet, Albert Lambert (ils, M™ Begond-Weber, Delvair, Roch,
Proust, etc.
— Le Premier Glaive, drame lyrique en trois actes, poème de M.
Népoty, musique de M. Henri Rabaud, sera joué au théâtre des arènes de
Béziers, les dimanche 30 août et mardi 1M septembre prochains. M. Castelbon
de Beauxhostes a attaché ses soins à la préparation minutieuse de la mise en
scène et de l'exécution de l'œuvre nouvelle. MM. Paul Mounet, Fenoux.
Mllc Delvair, de la Comédie-Française; MM. All're, de L'Opéra; Lafont, du
théâtre de Lyon, et Mm" Isabau Catalan, du théâtre de Bordeaux, seront les
principaux interprètes du Premier Glaive.
NÉCROLOGIE
Il y a quelques semaines est mort à Francfort-sur-le-Mein, à l'âge de
66 ans, le compositeur et critique Gustave Erlanger. Né à Halle, il avait fait
ses études musicales à Leipzig, sous la direction de M. Cari Reinecke, et
s'était fait connaître par diverses compositions symphuniques, de nombreux
chœurs et quelques œuvres de musique de chambre. Il fut, de 1878 ;i 1889,
critique musical de la Gazette de Francfort. **u-~o
— De Gènes on annonce la mort, à l'âge de 44 ans, d'un compositeur a-sez
obscur, Raffaele Ronco, qui avait fait représenter le 22 février 1888, sur le
Théâtre Carlo-Felice de Gènes, un opéra semi-sérieux en deux actes, intitulé
Diana d'Almeida. L'auteur avait pourvu lui-même aux frais de représentation
de son œuvre, ce qui faisait dire alors à un journal italien : — « Certes, la
direction du Théâtre Carlo-Felice n'a pas à se plaindre, carie maestro Ronco
a déboursé une belle somme pour faire son début sur ce grand théâtre. Il est
fort heureux pour lui que sa bourse le lui ait permis. » Mais elle ne le lui per-
mit peut-être pas une seconde fois, car depuis lors on n'entendit plus jamais
parler de ce compositeur.
Henri Helgel, directeur-gérant.
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III. Ote ton voile (2 tons) 3 »
IV. L'oubli (2 tons) 3 .»
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SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (29» article), Julien Tiersot. — II. Petites notes
sans portée : Nos impressions de saison sur la musique plus ou moins « vocale »,
Raymond Bouyer. — III. Une famille de grands luthiers italiens : Les Guarnerius
(4e article^, Arthur Pougin. — IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
MARCHE DES PETITS MAGOTS
de Robert Vot.i.stedt. — Suivra immédiatement : Par les prés fleuris, pièce
de genre, de Rodolphe Bergfjî.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
Ole ton voile, mélodie d'ERXEST Moret, poésie de Klingsor. — Suivra immé-
diatement: Aube en montagne, mélodie de René Lenormand, prose de Henri-R.
Lenormand.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
(±T,±-4-4TT-4)
CHAPITRE VI
GLUCK COMPOSITEUR DOPERAS-COMIQUES
La Rencontre imprévue, traduite en allemand, est restée long-
temps au répertoire du théâtre où Mozart allait bientôt donner
l'Enlèvement au sérail, sa suite naturelle. L'auteur de Don Juan
a témoigné maintes fois de sa faveur pour cette composition. Ses
lettres parlent, en vérité, plus souvent de la Rencontre imprévue
que d'Alceste et des Pphirjénies : si parfois il y est question de ces
dernières œuvres, c'est surtout pour exprimer des regrets que
leur succès empêche de monter les siennes, tandis que nous le
voyons recommander à son père la Rencontre imprévue pour le
théâtre de Salzbourg, improviser dans un concert des variations
sur l'air favori du Calender, et en obtenir un tel succès qu'il ne
put se tenir de les écrire et de les publier : on joue encore,
dans les cours de piano, ce morceau qui réunit sur son titre les
deux noms de Gluck et de Mozart (I).
Enfin nous avons déjà vu Favart déclarer que « le Chevalier
Gluck entend parfaitement cette espèce de composition », et lui
multiplier les éloges. Dès avant que Dancourt lui eût arrangé le
(1) Lettres de Mozart des 29 août, 12 septembre et 24 octobre 1781, 30 janvier 1782,
29 mars et 24 décembre 1783, toutes à son père (traduction de Curzon, pp. 395, 399 et
400, 4'i2, 504 et 505, 527, et Nouvelles lettres, p. 83).
scénario de la Rencontre imprévue, il s'était ingénié à les faire
travailler ensemble pour l'Opéra-Comique de Paris. Au printemps
de 1703, il fut question que Gluck y vint; Dancourt ayant laissé
des pièces qu'il eût voulu faire représenter à la Comédie-Italienne,
Eavart lui écrivait en ces termes : « Nos meilleurs musiciens
sont tous retenus ; j'attends l'arrivée de M. Gluck que vous
m'avez annoncée, j'en raisonnerai avec lui » (I). Il invitait en
même temps le maitre étranger, dans les termes les plus aima-
bles, à être son hôte. « J'ai dans ma maison, lui mandait-il, un
appartement meublé à vous offrir ; vous y trouverez un bon
clavecin, d'autres instruments, un petit jardin, et toute liberté.
Quoique dans un des quartiers les plus bruyants de Paris, notre
maison, entre cour et jardin, est une espèce de solitude oit l'on
peut travailler tranquillement comme à la campagne (2) ». Ce
coin du vieux Paris, décrit avec tant d'agrément, était situé rue
Mauconseil, pour ainsi dire dans les dépendances de la Comédie-
Italienne. Si les circonstances, en empêchant le voyage pro-
jeté, n'eussent retardé de dix ans le voyage de Gluck à Paris (31,
il aurait donc eu pour premier logement l'Opéra-Comique, et,
au lieu d'Iphigénie et d'Alceste, aurait destiné à ce théâtre ses
premières œuvres françaises, qui eussent été vraisemblablement
d'un autre style.
L'on aurait grand tort de voir en cette évolution du génie de
Gluck une déchéance, même passagère. Et d'abord, considéré
en soi, il n'apparait guère que le fait d'avoir écrit de la musique
comique ou légère soit de nature à déconsidérer un maitre. La
comédie a son domaine au soleil de l'art ; Molière n'est point
inférieur à Racine ou Corneille. Quelle est donc cette sotte dis-
tinction des genres qui fait qu'en musique un style sévère a seul
droit à la considération ? Il y a souvent plus de vie et de vérité
dans la comédie, musicale ou autre, que dans des œuvres à plus
hautes prétentions : on y rit, on y livre quelque chose de soi,
tandis qu'ailleurs on reste trop souvent figé dans une gravité
de commande. Je ne songe pas, certes, à mettre en parallèle
les opéras-comiques de Gluck avec les immortelles tragédies qui
marquent le progrès définitif de son génie ; mais je les oppo-
serai volontiers aux opéras italiens du commencement de sa
carrière, dont il avait déjà produit plus de vingt, et je ne
craindrais pas de leur accorder la préférence.
Mais cette première incursion qu'il fît dans le champ de la
musique française est particulièrement significative dans l'en-
semble de sa production. Elle fut une préparation à sa réforme
finale. L'enchaînement de ses « manières » successives est d'une
logique parfaite. Gluck avait débuté par les opéras italiens, et,
1 Mémoires et Correspondance de Favart, lettre du 4 avril 1703, II, £76.
.2) Mémoires et Correspondance de Favart, lettre de Favart à. Gluck, jointe à une
lettre à Durazzo du 21 mai 1763, II, lli ien note).
(3) Nou* verrons plus tard qu'au printemps de l'année suivante Gluck passa à
Paris, mais sans y séjourner longtemps.
LE MÉNESTREL
tout en se pliant à leurs conventions surannées, y avait trouvé
l'avantage de se former le style. Les opéras-comiques le familia-
risèrent avec la langue française et lui procurèrent l'occasion
d'écrire une musique de caractère. Maintenant, le voilà armé de
toutes pièces : il entre dans la période de sa grande réforme
lyrique, s'efforçant d'abord d'y plier l'opéra italien, triomphant
enfin sur le terrain plus favorable de la tragédie lyrique fran-
çaise. L'Ile de Merlin, l'Arbre enchanté et la Rencontre imprévue
furent un acheminement éminemment favorable à cet abou-
tissement.
Les qualités qui se manifestent dans ees œuvres menues sont
en effet tout autres que celles des opéras italiens antérieurs.
L'écriture, certes, est plus lâchée. Mais le mouvement scénique,
la justesse de rSceent, deviennent préoccupations essentielles.
Avec Métastase, Gluck ne pouvait jamais faire que la même
musique,- celles qu;on avait faite avant lui. Avec Le, Sage, Favart
et Yadr, il se libère. -H apprend à varier ses tons. Ainsi ira-t-il
du petit au grand, et, ayant commencé par faire chanter Mathu-
rin et Claudine, se haussera- enfin jusqu'aux superbes accents
d'Armide. . ' '.'-.".
Le soucL de l'expression est en effet constant dans_ cette
musique. Souvent il est si fort que l'accent inspiré par une
situation familière se trouvera plus ■ tard digne' d'être associé
aux plus grands sujets.- Sa justesse ne se dénient jamais. Voyez
par exemple la première ariette de la Rencontre imprévue. 'C'est
de la musique bouffe : un esclave turc contant que son maître
est amoureux: Certes il ne prend pas cet amour au tragique :
mais pourtant, que surviennent quelques mots expressifs : « Un
amour qui ne peut guérir... Le pauvre prin-ce- est malade à
mourir », et le mineur viendratout à coup assombrir la clarté
du ton principal.
Heu.reux ra_mant_<juisedé.pê_treDeCupi . don. Hé. las! le
tendre A_li,mon maî.treNa pas ce don. Un a.mourqubnuepeutgue.
Depuisdeux ans le fait cou. rir De pro . vin_ce,efc.
Dans l'Ivrogne corrigé, je trouve une romance qui s'ouvre pai
ces deux mesures :
il prit nais . san . ce
C'est le point de départ de l'air illustre entre tous : « J'ai
perdu mon Eurydice ».
Au milieu d'une ariette de la Rencontre imprévue, on chante ces
mesures :
la plus
le des cou . que . tesl
C'est encore, à très peu de notes près, un épisode intermé-
diaire du même chant d'Orphée : « Mortel silence 1 Vaine espé-
rance ! Quel tourment déchire mon cœur ! »
La scène de provocation entre Achille et Agamemnon dans
Iphigénic en Aulide est faite sur les éléments rythmiques d'une
dispute du Cad; dupé. De ce dernier ouvrage, la belle mélodie
de la romance amoureuse, replacée d'aborcï dans l'arran°ement
français de l'Arbre enchanté, est devenue la ligne conductrice du
chœur harmonieux et riche en séductions : « Les plaisirs ont
choisi pour asile », d'Armide.
Dans l'Ivrogne corrigé est une scène bouffonne où un Pluton et.
des Furies d'opéra bouffe s'en viennent houspiller un per-
sonnage endormi. Ce sera sur les mêmes accords que la Haine
chantera : « Sors du sein d'Armide ! ».
Enfin nous avons déjà vu Vile de Merlin commencer par la
même ouverture qui servira pour Iphigénie en Tauride.
Par ces exemples multipliés, il apparaît que Gluck n'avait pas
le respect de la hiérarchie des genres. Mais de cela faudrait-il
le blâmer ? Sa préoccupation était autre : c'est celle de l'ex-
pression sincère. Peu importe si c'est Orphée qui se lamente
sur le corps d'Eurydice ou un amoureux d'opéra-comique qui
déplore l'absence de celle qu'il aime : tous deux expriment un
sentiment semblable; les mêmes notes lui reviennent donc tout
naturellement. Et la tempête ne s'occupe pas de savoir si ceux
que la mer rejette au rivage sont Pierrot et Scapin, ou s'ils ne-j
s'appellent pas plutôt Oreste, et Pylade : son rythme reste ]
immuable. Bien entendu des nuances dansla composition modi-
fient le style et. l'impression-;, mais l'élément primordial n'en
est pas moins toujours le même.
En agissant ainsi-, -Gl-uck est d'aeeord -avec tous les grands
précurseurs. Dans le Menteur, de Corneille, Géronte commence
par être un bonhomme assez ridicule ;' mais vienne l'instant où
son honneur dé. vieux gentilhomme se trouvera piqué au vif, et
il s'exprimera en des, vers presque semblables à ceux de
Don Diègue. — Après une petite scène de dépit amoureux, dans
la même comédie, Alcippé, resté seul, s'écrie : « Va, ris de ma
douleur ! » C'est le même accent, presque les mêmes mots que
prononce Pauline, après que Polyeucte l'a quittée pour aller au
baptême, puis au .martyre. — Enfin, au dénouement, Clarisse
donne sa main en prononçant ce vers :.
Le devoir d'une fille est dans l"obéissance.
Et ce même vers est celui par lequel Camille, sœur des \
Horaces, consacre ses fiançailles tragiques destinées à être
sacrifiées au sanglant triomphe de Rome.
C'est que Corneille non plus ne faisait pas la distinction des
genres : il lui suffisait que son expression fût juste et émouvante
pour qu'il crût avoir rempli sa tâche. Les grammairiens qui
abondèrent au XVIIIe siècle le lui reprochèrent assez. Le
malheur est que si, au XVIIIe siècle, il y eut beaucoup de
grammairiens, il ne s'y retrouva pas un seul Corneille. C'est â'r
Gluck que ce rôle fut de nouveau dévolu, et il recommença à'
agir de même. Il chercha ses modèles dans la nature, sans
se préoccuper de conventions qui, s'il avait voulu les suivre,
n'eussent servi qu'à étouffer son génie. Comme les hommes du
romantisme (on saitsi son exemple inspira l'un des plus grands),
il eût volontiers mélangé le grotesque au tragique : s'il ne le fit
pas dans une même œuvre, retenu par les règles qu'imposait
son siècle, du moins ce classique par excellence ne dédaigna pas
de cultiver, en des ouvrages différents, les deux genres. Et ce .
chapitre de son histoire vient de nous montrer qu'à faire cela
il n'encourut aucune indignité.
(A suivre.) Julien Tiersot.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
CXXXIII
NOS IMPRESSIONS DE SAISON SUR LA MUSIQUE
PLUS OU MOIXS « VOCALE *
A mon cher confrère J.-L. Cro*e.
Ou n'a pas oublié... soyons plus franchi'tnent polis... nos graves
lecteurs et nos charmantes lectrices ue seraient pas impardonnables du
tout d'avoir oublié les platoniques discussions de l'an dernier sur la
musique vocale ! Un sujet chasse l'autre ; et tant de sujets, bons ou
LE MENESTREL
mauvais, nous sollicitent ! Tout pusse — et tout revient... Et cette
présente note, qui a'a pas plus de « portée » que ses aînées, sera la
suite, je n'ose dire la conclusion, de nos deux articles de 19117 sur le
•chant (1).
Aussi bien la vie, comme la nature, n'est-elle pas un perpétuel re-
commencement? Je parle de la vie, très « quotidienne » et prévue, du
critique ou de l'amoureux d'art qui pourrait dire en parodiant le poète :
Hélas! que j'en ai vu concourir de jeunes filles, et qui ne sont pas
toutes devenues des étoiles ! Chaque année (jadis à la fin, désormais
au début du lumineux mois dejuillet), on part vite, un beau matin, sur
le coup de midi sonnant, on risque une insolation sous un ciel iro-
nique, pour aller volontairement s'engouffrer, avant le premier son de
cloche, dans une atmosphère d'autre monde qui parait à cent lieues de
sa voisine, l'indifférente lumière du boulevard des Italiens : on se
trouve aussitôt plongé vivant dans cette atmosphère mystérieuse qui
rappelle les colorations de nos intimistes, plus sourde qu'un La Touche,
mais plus vibrante, pourtant, qu'un Prinet, devant un décor vague-
ment saumoné que rehaussent sans prestige le palissandre poudreux
d'un Erard et l'habit mouvant des accompagnateurs; et, pendant plus
de cinq heures indéfinies comme un siècle, c'est, annuellement, ponc-
tuellement, périodiquement, une succession de gracieux fantômes de
tailles et d'allures variées dans un frou-frou de tulles tremblants:
l'appariteur, longtemps seul immuable, a suivi le courant de l'éternel
devenir, et ce n'est plus Moreau... Mais vous avez reconnu la fameuse
séance de Chant-Femmes qui, jadis, faisait courir le Tout-Paris des
premières, aussi bourgeoise, maintenant, qu'un concours de contre-
basse ou de piano !
Est-ce l'atmosphère, est-ce la hâte, ou le souvenir de tant de loin-
taines journées pareilles, ou l'émotion née du trac visible ou dissimulé
des concurrentes? Mais nos impressions de concours se pressent tou-
jours, rapides et diffuses comme ce défilé de gazouillantes blancheurs
en ce demi-jour. L'impression n'est pas l'ennemie de la pensée qu'elle
avive; et le critique évoque le grand débat de 1907 entre la musique
transcendante et la musique vocale ; revirements et palinodies avaient
plaidé, vous en souvient-il, en faveur de la vocalise, à tel point que
nous étions résignés à voir renaître la valse chantée du Pardon de
Ploërmel sur le programme officiel de 1908. Assez, disait-on, de style et
ligne ! Avant tout, demandons à de jeunes cantatrices, qui sont encore
des élèves (ne vous indignez point, mesdemoiselles !), de savoir chan-
ter; pensons, d'abord, à l'éducation de la voix... Et les mânes des
sirènes italiennes tressaillaient déjà dans leurs tombes coquettes
comme des boudoirs.
Hélas ! ou tant mieux... un rien de statistique va détromper tout le
monde et les sirènes : le programme du vendredi 3 juillet 1908 fut
sans pitié. Savez- vous, mes lectrices, quel est l'enchanteur vocal qui
tient le record des morceaux chantés ? C'est Gluck, avec sept morceaux,
ce grand Gluck immortel, qu'affectent de conspuer certains jeunes
vieillards et que le dilettante Eugène Delacroix trouvait encore un peu
trop semblable au « plain-chant » !
— Et après ?
— C'est Haendel, avec cinq morceaux, ce. magistral emperruqué
qu'on a défini « le dernier musicien du moyen âge », sans doute à
cause de ses infatigables vocalises qui rappellent la rythmique liberté
des neumes ! Mozart, cet ange très humain qui devina Chérubin, vient
ensuite, avec quatrj points, comme le dramaturge essentiellement
romantique et précurseur que fut Weber. L'honnête Sacchini, le bon
Haydn, l'incomparable Beethoven, qui remporta superbement son
secret, l'insouciant Rossini, qui prétendait continuer le chevalier
Gluck « à sa manière », figurent avec deux morceaux chacun ; tous les
noms suivants se contenteront d'un seul hommage : Lulli, Rameau,
Monsigny, comme Rode et Rossi, l'Ambroise Thomas A'Hamlet comme
le Saint-Saèns de la Cloche. Total: trente-cinq numéros (comptez bien),
dont treute-trois furent chantés.
Les chiffres ne détonnent point comme les voix : aucune émotion ne
saurait les influencer. Et que disent ces chiffres ? La persistance du
style dans l'enseignement de la saison.
Oui, le style, ou, du moins, la bonne volonté du style; car la réali-
sation de ce prodigeest une autre affaire : en dépit de tout son volca-
nisme de Tartarin romantique ou de Romantique méridional, le bon
sens virgilien de notre cher vieux Berlioz savait bien qu'une cantatrice,
« capable de chanter seize mesures seulement de bonne musique avec
une voix naturelle, bien posée, sympathique, et de les chanter sans
efforts, sans écarteler la phrase, sans exagérer jusqu'à la charge les
accents, sans platitude, sans afféterie, sans mièvreries, sans fautes de
(f) Voir le Ménestrel des 3 et 10 août 1907.
français, sans liaisons dangereuses, sans hiatus, sans insolentes modi-
fications du texte, sans transposition, sans hoquets, sans aboiements,
sans chevrotements, sans intonations fausses, sans faire
rythme, sans ridicules ornements. sans nauséabondes appoggialu
manière, enfin, que la période écrite par le compositeur devienne com-
préhensible, et reste tout simplement ce qu'il l'a faite, est un oiseau
rare, très rare, excessivement rare ». Son goût classique ajoutait:
« Quant aux chanteurs..., utiles et charmants, qui savent vocaliser et
qui chantent..., et qui, tout en chantant, respectent l'œuvre et l'auteur
dont ils sont les interprètes attentifs, fidèles et intelligents, le public
n'a trop souvent pour eux qu'un dédain superbe oa de tièdes encoura-
gements il i ». Puisque tout change, le public a changé depuis les con-
temporains italianisants de notre Berlioz, et le plus miraculeux n'est-ce
pas qu'il paraisse avoir "changé plutôt en bien? Professeurs, élèves,
auditeurs protestent contre le cliché de la décadence des mœurs en pre-
nant bravement parti pour la majesté du style.
LTne séance vocale et foncièrement parisienne qui se réclame de
Haendel et de Gluck corrobore mal notre renom de légèreté : mais elle
collabore instinctivement avec l'évolution de la jeunesse nouvelle qui
ne parle que de tradition française et de vieux maitres : la ('loche gran-
diose de Saint-Saèns est d'accord avec le diapason nouveau de la jeu-
nesse. Ici. pas une mesure du géant Wagner ni de ses petits succes-
seurs ; ni truculence crépusculaire, où se pâme la Salomé de Richard
Strauss, ni lueurs d'aube, où s'estompe la MéHsande de Claude Debussy:
ni mélodies infinies, ni chuchotements cachottiers ! Le jeune, ici, s'ap-
pelle Mozart; et comme il est plus près de nous, ce charmeur des nuits
d'amour, que de son grave magister Haendel que sa bonne petite àme
géniale adorait si religieusement ! Ferveur qui ne l'empêchait pas de se
griser d'italianisme... Italianisme qui lui vaudra les sympathies de
Rossini, d'abord, et, plus tard, les dédains de Berlioz, ce Gluckiste eu
dépit de toutes ses fleurs de rhétorique ou d'imagination 1 Mozart est
le trait d'union sans pareil entre le style et l'italianisme: il estunique,
et le plus difficile à traduire.
L'italianisme, aujourd'hui, l'italianisme pur se rabat sur les l 'aria-
lions de Rode ; à moins que vous ne veuillez le pressentir dans l'air des
rossignols amoureux qui se trouve dans Hippolyte et Aricie : l'Opéiale
supprime et la fine ironie de Mllc Pradier l'exhume. Notre vieux Ra-
meau (2) se consolait mal de n'avoir pas mieux fait sa cour à l'aimable
Italie ; mais l'Italie n'a-t-elle pas terriblement dégénéré depuis l'âge
d'or de ces belles heures bocagères ? Et la musique dite vocale n'ose
plus exhiber le clinquant de ses fioritures... A la fois homérique et
virgilien, c'est le génie de Gluck qui favorise le goût d'un ténorino,
M. Paulet, non moins que le fier emportement tragique de M"e Le Senne :
c'est Alcesle et Didon, sa sombre sœur, qui triomphent à la séance
d'opéra, comme, à la séance d'opéra-comique, auprès du vieux Grétryj,
triomphe deux fois la Charlotte de Werther; et la voix exceptionnelle
de M"e Raveau ne fait pas oublier le charme discret de M"e Gustin. La
jeune interprète des vieux maitres. M"'-' Chantai, se révèle, eu même
temps, une intelligente Sophie.
L'heure vocale n'est pas virtuose : elle ne veut pas l'être : intime ou
solennel, c'est, ici comme ailleurs, l'art qui repousse l'étreinte des
sirènes. A défaut de critérium, dans une aussi longue séance où passent
tant de morceaux et de talents divers, les derniers boulevardiers
ou. qui sait ? les premiers moralistes de i'avenir, qui préconisent le nu
au théâtre, escomptaient la victoire des robes décolletées : mais ce sont
les robes montantes qui l'emportent. Et M1Ie Cébrou-Xorbens, bril-
lante fauvette dont le ramage ne répond pas entièrement encore au
plumage, n'obtient à bon droit que des seconds prix. En vérité, je
vous le dis, nous vivons dans un temps austère.
(A suivre.) Raymond Bouter.
UNE FAMILLE DE GRANDS LUTHIERS ITALIENS
LES GUARNERIUS
JOSEPH I" GUARNERIUS
Le second fils d'André Guarnerius. Giuseppe-Giovanni-Battista,
connu surtout sous le nom de Giuseppe — Joseph — naquit à Crémone
le 25 novembre 1666. On ne doit pas le confondre avec son cousin
il) Hector Berlioz. A travers chants, deuxième édition. 1ST2 : pages I0S et lia.
[21 Tous ses contemporains le trouvaient un peu italien. —Cf. Rameau, par Louis
Laloy (Paris, Alcan, 1908 .
244
,E MENESTREL
Joseph (del Gesk), le plus illustre membre de la famille, ce qui n'em-
pêche qu'il fut aussi un artisan fort habile. Comme Pierre Ier, son aine
de onze ans, il fut élève de son père, mais no quitta jamais Crémone.
Il semble même qu'il ait pris la succession de l'atelier de son père, car
une de ses étiquettes, datée de 1706. huit ans après la mort de celui-ci,
fait connaître qu'il avait conservé l'enseigne : « A sainte Thérèse. »
Cette étiquette est ainsi conçue : Joseph Guarnerius filius Ândreœ fecit
Crémone sub lilulo S. Teresie 1706. On ne sait rien du reste sur lui,
sinon qu'il se maria à peine âgé de vingt- trois ans et qu'il épousa, le
4 janvier 1690, Barbara Franchi, dont il eut six enfants, trois filles et
trois fils, parmi lesquels un seul, Pietro, fut luthier. Il vécut avec sa
femme près d'un demi-siècle, car celle-ci ne mourut qu'en 1738. On
assure qu'il ne lui survécut que fort peu.
Mais ce qu'on sait, c'est que Joseph Guarnerius était un luthier d'un
talent remarquable, qu'il produisit en grande quantité non seulement
des violons, mais des altos et des violoncelles, et que ses violons, sans
approcher de la valeur commerciale de ceux de son cousin, l'autre
Joseph, n'en atteignent pas moins aujourd'hui, où ils sont particuliè-
rement recherchés, un prix tris élevé. Pour le distinguer de ce dernier,
on le désigne généralement, en lutherie, sous le nom de « Joseph, fils
d'André ». C'est encore à George Hart. qui a très bien apprécié son
talent et analysé sa facture, que je vais avoir recours pour le faire con-
naître : — «Ce maitre, dit-il, a montré plus d'originalité qu'Andréa.
Ses premiers travaux impliquent un esprit de recherche qui le condui-
sit dans la suite à construire des instruments d'un type absolument
distinct de ceux de son père. La ligne des contours est particulière-
ment remarquable. La forme de l'instrument se redresse vers les mi-
lieux pour s'élargir rapidement à partir du centre, évolution qui produit
une courbe d'une élégance exquise, dont Giuseppe Guarneri del Gesù
semble s'être pénétré, car il s'est assimilé cette forme en la perfection-
nant... Les instruments de ce vraiment grand artiste s'écoulent rapide-
ment dans toutes les parties de l'Europe, et leur valeur est debeaucoup
augmentée. Il a fait des violons, des altos et des violoncelles ; ces der-
niers sont aujourd'hui très rares. Les bois de ses violons et de ses altos
sont de différentes qualités, mais en général très beaux. Le bois de ses
violoncelles est au contraire tout uni. et la main-d'œuvre en est un
peu négligée. Il semblerait qu'il n'eût qu'un goût douteux pour les ins-
truments de grandes dimensions et qu'il ait volontiers plus consacré
son temps aux instruments plus petits, qui sont des modèles d'un tra-
vail très soigné. »
Cette dernière réflexion ne s'applique pas toujours avec justesse, et
certains au moins des violoncelles de Joseph Ier sont d'un prix inesti-
mable. Je signalerai particulièrement celui, daté de 1709, qui apparte-
nait naguère au regretté Jules Delsart. dont, durant vingt années, la
classe au Conservatoire fut si brillante. Cet instrument superbe, d'une
sonorité pleine de vigueur et d'éclat, aussi remarquable par sa beauté
que par l'ensemble de ses qualités artistiques, lit à Londres l'admira-
tion des connaisseurs, et Delsart l'appréciait si bien qu'il le préférait
même à son Stradivarius, et que c'est celui-là qu'il jouait toujours
dans ses concerts. Il appartient aujourd'hui à l'un de ses meilleurs
élèves, M. Pierre Destombes, qui l'a en très grande affection (1).
Tous ces luthiers de la grande école crémonaise, artisans d'autant
d'intelligence que de talent, doués d'uu rare esprit de progrès et d'ini
tiative, étaient des studieux et des chercheurs. Ils ne se contentaient
pas de reproduire habilement, mais servilement, ce qu'ils avaient
appris dans l'atelier où s'était faite leur éducation. Tout en suivant
et en respectant les excellents principes de l'enseignement qu'ils avaient
reçu de leur maitre, tout en se conformant et en obéissant à ces prin-
cipes, ils s'efforçaient de les étendre, de les améliorer, de chercher la
perfection soit dans la forme générale à donner à l'instrument, soit
dans les détails si délicats de sa construction, soit dans la nature et le
choix des bois a employer, soit enfin dans la composition et l'applica-
tion du vernis, de faron à obtenir les meilleurs résultats taut en ce qui
concerne les qualités acoustiques de cet instrument, l'étendue, le
(1) Lorsque M. Deslombes concourut pour son premier prix, en 1897, son maître
Delsart lui proposa de lui prêter pour le concours un de ses deux instruments, lui
laissant le choix entre le Joseph Guarnerius et le Stradivarius. Tous deux firent
divers essais, répétant successivement avec l'un et l'autre, et finalement, après beau-
coup d'hésitation, optèrent d'un commun accord pour le Guarnerius.
Voici l'attestation que M. Destombes tient, au sujet de ce très bel instrument, de
MM. Chardon père et lils, les excellents luthiers : — « Nous certifions que le violon-
celle que M. Destombes a soumis à notre examen est un iostrument fait par Joseph
Guarnerius, fils d'André, de Crémone (Italie). L'étiquette marque la date de 1709. Ce
violoncelle a le fond d'une seule pièce; le bois est du peuplier, ainsi que les
éclisses ; la table est en très bonne qualité de sapin, les pores bien égaux ; la tète est
en bois de hêtre. Le vernis de l'instrument est biea pur, et sa couleur est marron.
Ce violoncelle est bien du maitre en question, dans toutes se; parties. — Paris,
'21 Avril 1908. Chardon el Fils ».
velouté et la puissance de sa sonorité, qu'en ce qui touche l'ensemble
de son aspect extérieur, son élégance et sa beauté. Tous, les Amati, les
Guarneri, les Rugeri, les Montagnana, etc., coucoururent pour leur part
à cette perfection, atteinte enfin par le grand Stradivarius, que nul n'a
pu dépasser et qui reste par excellence le maitre des maitres.
PIERRE II GUARNERIUS
Pietro Guarnerius (Pierre II), fils de Joseph Ier et petit-fils d'André,
le chef de la dynastie, naquit à Crémone le 14 avril 169o. De celui-là
on ne sait absolument rien, sinon qu:il fut établi à Venise, et le peu
que j'en connais se résume en ces lignes que j'emprunte au second
ouvrage d'Antoine Vidal, la Lutherie (1) :
Il travailla à Venise de 1723 à 1760 (d'autres disent « à 1740 »). Il n'existe
aucun autre détail connu sur la vie de Pietro Guarneri, qui est souvent con-
fondu avec son oncle Pierre, fils d'André. On connaît cependant de lui des
instruments très authentiques qui le placent au premier rang des luthiers
italiens de la belle époque. M. L. Depret, amateur distingué, possède un
violoncelle de ce maitre qui est un des plus beaux types qui se puissent voir :
facture magistrale, fournitures splendides; les éclisses et le fond sont faits
d'un érable à ondes vigoureuses, qu'un vernis admirable rose à fond d'or
ambré fait absolument sortir du cadre. Dans le fond, à la place usitée, est
collée une étiquette de 10 cent, sur S cent., imprimée en grandes lettres
romaines, entourée d'une vignette légère genre C. Bergonzi et ainsi libellée :
Pelrus Giarnerius filius
Joseph Cremonensh
fecit anito 1739
Venetiis
On voit que cet artiste ne laissa pas dégénérer le bon renom de la
famille. Il est probable qu'avant d'aller s'établir à Venise, Pietro apprit
la connaissance de son art à Crémone, où il fut vraisemblablement
élève de son père. Mais, je l'ai dit, ou ne sait absolument rien de son
existence, et on ignore l'époque de sa mort.
(A suivre.) Arthur Pougin.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(POUR LES 8EULS ABONNES A LA. MUSIQUE)
Pour allemand qu'il soit, de Hambourg, ville libre, il est vrai (l'est-elle encore?)
— ce Vollstedt a vraiment de l'humour. Il n'écrit pas seulement des valses char-
mantes, dont quelques-unes sont devenues populaires (telles les Frères joyeux, Valse
joyeuse, Copurchic, et d'autres), mais encore de petites pièces caractéristiques comme
cette Marche des petits Afagots que nous donnons aujourd'hui et où il y a bien de la
gaité et de la couleur. Au trio ces exclamations parlées de oui et de non alternatifs
nous donnent bien l'impression de ces magots de porcelaine à têtes articulées qu'on
trouve encore dans les bazars de jouets.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (29 juillet). — La musique est en pleines
vacances, à Bruxelles, où, seuls, les concerts du Waux-Hall rappellent son
existence, avec les distributions de prix des écoles communales. Ces distribu-
tions nous donnent l'occasion d'entendre tous les ans, à pareille époque,
chantées par les voix juvéniles de centaines d'enfants, des œuvres exquises
que composent à leur intention nos compositeurs: à celles de Jan Blockx, de
Benoit, de Radoux, etc., sont venues s'ajouter cette année, en même temps
que quelques jolies chansons de M. Jaques-Dalcroze, plusieurs chœurs réelle-
ment délicieux d'un jeune compositeur que vous co.inaissez bien déjà et qui
est en train de se faire ici une place tout à fait remarquée, M. Georges Lau-
weryns; Nids et berceaux, Ames d'enfants, Berceuses, Gloire à la nature, ont été
chantées à l'envi par les écoles et ont obtenu chaque fois un succès fou,
dans ces cérémonies à la fois si charmantes et si cordialement solennelles. —
Le Théâtre de la Monnaie, de son coté, commence à faire parler de lui. Je
vous ai donné une idée de la future troupe, composée des meilleurs éléments
de la saison dernière; quelques éléments nouveaux sont venus s'y ajouter
encore, tels que M"0 Seroen, une ancienne lauréate du Conservatoire de Bru-
xelles, une véritable artiste, sur laquelle on compte beaucoup, et Mlle Luçay,
(1) Il est très utile de remarquer que dans cet ouvrage, publié une douzaine d'an-
nées après le premier (188J), Vidal a complété et rectifié, d'après des documents
italiens précis qu'il n'avait pas connus d'abord, un grand nombre de renseigne-
ments donnés par lui dans le précédent (Les Instruments à archet). C'est donc surtout
à ce second ouvrage qu'il faut avoir recours pour l'exactitude et la précision de cer-
tains faits.
LE MÉNESTREL
un mezzo superbe, parait-il. MM. Guidé et Kurterath ont engagé aussi plu-
sieurs élèves du Conservatoire, sortis victorieux des derniers concours, notam-
ment MM. Colin et Mommaerts, qui feront honneur, espérons-le, à leur pro-
fesseur M. De Mest. Ces jeunes artistes ne sont pas les seuls, certes, qui se
soient distingués à ces concours, qui ont occupé presque deux mois de cet
été; il convient de citer particulièrement un soprano dramatique. M"'' Belle-
mans, élève de Ml,,c Cornélis. une nature et une voix, la direction de la
Monnaie fera bien de ne pas la perdre de vue. Dans les classes de déclama-
tion, une jeune et mignonne lauréate, M"e Sibille. a montré un tempérament
de comédienne si spirituellement personnel que M. Reding, directeur du
théâtre du Parc, l'a immédiatement engagée: elle semble avoir été créée pour
jouer le répertoire de MM. de Fiers et de Ctillavet. Dans les classes d'instru-
ments,rien d'extraordinaire, mais une bonne moyenne, comme toujours.
Mais revenons à la Monnaie. Dès à présent, la réouverture est fixée au
!l septembre, un peu plus tard que d'habitude, pour cette raison que la troupe
presque tout entière se trouve en ce moment au théâtre d'Ostende et qu'elle
y sera employée jusqu'à la fin d'août. Ce théâtre fait d'excellente besogne ;
parmi les artistes en vedette, il y a Mn,es Sylva, Vallandri, Eyreams, MM. Sa-
lignac, Morati, Decléry, Lestelly, un corps de ballet où brillent Mlk's Cerny,
Pelucchi et Legrand, le tout sous la direction du vaillant chef d'orchestro
M. Ernaldy. Le répertoire est composé do Manon, Werther, Carmen, Lakmë,
Mignon, la Travhta, Faust, Gavalleria, la Bohème, etc. Le succès de Carmen,
avec la très jolie et très vibrante Mme Sylva et l'admirable Salignac, a été
particulièrement chaleureux ; et l'on a également fait fête, tout spécialement,
à Manon, avec Mme Vallandri et M. Salignac, et à la Bohème, avec MllM Eyreams
et Symiane, MM. Morati et Decléry. Enfin Faust et Werther ont été un
triomphe pour M",e Sylva, dont l'autorité, l'intelligence artistique et la jolie
voix sont en train de faire à cette séduisante artiste une place tout à fait en
vue parmi les meilleures cantatrices dramatiques d'aujourd'hui.
Au Kursaal, les concerts sont dans toute leur vogue. Si la rigueur de la loi
belge sur les jeux est venue jeter, cette année, au début de la saison, quelque
désarroi, et si, à cause de cela, nous n'avons revu encore ni Caruso, ni
Bonci, ces concerts n'en ont pas été, jusqu'ici, moins intéressants; nous y
avons applaudi la grande cantatrice allemande M"e Hempel, Mllc Chenal, de
l'Opéra, MM. Affre et Noté, et la plupart des artistes du théâtre; nous y avons
applaudi aussi nos compositeurs belges, dans le concert que M. Rinskopf leur
consacre chaque année ; MM. Jan Blockx. Tinel, Mathieu, Sylvain Dupuis,
Huberti et Gilson y ont dirigé eux-mêmes quelques-unes de leurs meilleurs
œuvres et ont été acclamés avec enthousiasme. Il faut dire aussi que l'orchestre
du Kursaal est incomparable; on ne saurait ré fer plus parfait ensemble d'exé-
cutants, ni plus savoureuse sonorité.
A propos des compositeurs belges, vous vous rappelez qu'un concours
d'opéras a été organisé, il y a près de deux ans, par M. Marquet; un premier
prix de 25.000 francs, un second de 10.000, d'autres encore, — il y avait de
quoi tenter l'inspiration de nos jeunes musiciens... Ce concours est près
d'aboutir; il doit être jugé le mois prochain; le jury, composé des noms les
plus autorisés, aura fort à faire pour choisir entre les vingt-sept partitions qui
lui ont été envoyées ; on dit qu'il en est, dans le nombre, de très remarquables :
espérons qu'un chef-d'œuvre surgira de cet abondant travail. Il est décidé, en
tout cas, que l'œuvre primée sera représentée cet hiver à Bruxelles, au théâtre
de la Monnaie. L. S.
— M. F. Reinemund, président de la Société du théâtre des Variétés d'An-
vers, qui joue fort bien le répertoire dramatique français, vient d'être nommé
Chevalier de la Légion d'honneur.
— Un auteur a-t-il le droit de donner à un musicien l'autorisation d'écrire
un drame lyrique sur une nouvelle de lui, alors que ce drame lyrique a déjà
été mis en musique par un autre, en vertu d'une autorisation antérieure ?
Oui, prétendaient MM. Verga. auteur de la nouvelle Cavelleriu Rusticana,
ainsi que M. Monleone, musicien de la version n° 2, et M. Puccio, éditeur de
l'objet du litige. Non, arguèrent à bon droit, ainsi que nous l'avons déjà dit,
MM. Mascagni. auteur de la partition à la renommée mondiale, et Sonzogno,
le célèbre éditeur milanais, organisateur du concours dans lequel le drame de
M. Mascagni avait été couronné. Un jugement en première instance donna gain
de cause au musicien lésé et à son éditeur, en stigmatisant l'œuvre nouvelle
de « contrefaçon et de concurrence déloyale ». La cour d'appel de Milan vient
de confirmer en partie ce jugement qui fixe un point important de procédure
en matière de litige dramatique. L'accusation de « concurrence déloyale » a
été écartée, mais le délit de contrefaçon a été maintenu et les défendeurs con-
damnés solidairement. La responsabilité de l'éditeur Puccio est limitée à
partir du mois de mai 1907 et les deux autres, MM. Monleone et Verga, con-
damnés par ce dernier jugement à une indemnité de 7b0 lires.
— Le '24 juillet a eu lieu à Rome la constitution légale de la « Società
teatrale internazionale » qui est sur le point d'acquérir le théâtre Costanzi.
Les actionnaires de la nouvelle Soeiété. parmi lesquels se trouvent MM. En-
rico di San Martino, Roberto de Sanna, Edoardo Sonzogno, Visconti di Mo-
drone, Ettore Bocconi, Luis Lombard, Giacomo Orefice, Tullo Cantoni et la
Societa Argentina, ont signé l'acte constitutif qui les réunit en Société ano-
nyme siégeant à Rome, avec un capital déjà souscrit de deux millions, dont
les trois premiers dixièmes ont été versés. La Société s'est formée pour une
durée de trente ans. Son but est de devenir la plus vaste entreprise du monde
pour l'industrie du théâtre. Elle acquerra ou fera construire des salles de
spectacle, acceptera des régies de théâtres lyriques ou dramatiques en Italie
ou ailleurs. Elle se chargera d'engager des artistes, des chefs d'orchestre, de
constituer des troupes, corps de ballet, bandes instrumentales, chœurs; elle
s'occupera des mises en scène et de toutes questions qui s'y rattachent. Le
capital actuel se compose de 400 actions de 5.000 francs chacune; il pourra
être augmonlé. Actuellement les actionnaires italiens ont souscrit pour
1.20(1.000 francs; le reste a été placé en Amérique et est entre les mains de
capitalistes de la République Argentine. Le Conseil d'administration compren-
dra de 11 à l.'j membres élus pour quatre ans: le groupe italien et le groupe
argentin y seront représentés. Le premier acte de la Société sera l'acquisition
du théâtre Costanzi de Rome dont le prix de vente sera lie 2.300.000 francs à
payer par termes. Il entre dans les vues de la Société de faire de ce théâtre
un centre artistique et industriel de premier ordre pouvant fournil- tout ce
qui peut être nécessaire pour l'exploitation des théâtres lyriques, à commen-
cer par ceux de l'Amérique du Sud, qui sont liés au théâtre Costanzi par le
traité italiano-argentin. Le directeur actuel de ce dernier théâtre, M. Andréa
Morichini, ayant décliné l-'ofi're qui lui a été faite de diriger l'entreprise nou-
velle au point de vue artistique, sera remplacé par M. Giacomo Orefice.
— Au Théâtre Massimo de Païenne, parmi les ouvrages que l'on jouera
pendant la saison prochaine, nous remarquons Werther, l'Africaine, la Bohême,
Simone Boccanegra, Tristan et Isolée, et un ouvrage nouveau de M. Riccardo
Slorti, Venezia.
— On annonce déjà toute une série de représentations d'opéras nouveaux
en Italie pour la prochaine saison. Au Théâtre-Royal de Turin, Filera, du
maestro Montemezzi, dont le Giovanni Galluresi a obtenu récemment un assez
grand succès ; au Victor-Emmanuel de la même ville, il Principe Zilali de
M. Frank Alfano, et il Grillo de! focolare de M. Gandonai, compositeur triestin;
à Rome, Faast, de M. Briiggermann, un jeune élève de 'M. Humperdinck: et
enfin, à Biella, Agar, de M. Leschi.
— La Coccarda, te! est le titre d'un opéra nouveau du maestro Santonocito,
qui a été donné pour la première fois le22juillet dernierau Théâtre Malibran,
de Venise. Le livret, dont l'auteur est M. Rocco Galdieri, reproduit un épisode
patriotique de l'insurrection napolitaine, en 1848. Le public a fort apprécié la
spontanéité de l'inspiration, le sens délicat avec lequel ont été traitées les
situations et le charme des parties sentimentales de l'ouvrage. Un duo formant
le final du premier acte a été bissé. A la fin, les auteurs et les interprètes ont
été très vivement applaudis.
— Au Politeama de Gènes, la saison musicale commencera, l'automne pro-
chain, avec Thaïs, les Pécheurs de perles, Aida, Chopin, Zaza et un opéra du
compositeur Fracassi, Filandia.
— Pendant une saison lyrique d'un mois au théâtre de Bassano, du
10 septembre au 10 octobre, on se propose de jouer seulement deux opéras,
Manon de Massenet et Faust de Gounod.
— Au Théâtre Mercadante de Naples, on donnera une série de représenta-
tions d'opéra du 16 au 30 novembre, avec le ténor F"ulgenzis Abela, qui chan-
tera Werther, Adriana, la Traviata, Rigoletto, etc.
— Deux chanteurs italiens, les ténors Vittorio Ballarini et Attilio Belletti.
ont failli être récomment, à Venise, victimes d'un accident dramatique. Ils se
promenaient un soir, sur le Grand Cïnal, dans une gondole conduite par le
domestique de l'un d'eux, mais dont on avait oublié ou négligé d'allumer le
fanal. On entend tout à coup un grand bruit, aussitôt suivi de cris d'épouvante
et d'appels à l'aide. C'était le vapeur San Seeondo, commandé par le capitaine
Luigi Ronzecchi, qui, arrivant de Mestie, avait touché la gondole par le
travers et l'avait coupée littéralement en deux, les trois hommes étant préci-
pités dans l'eau. Dans la demi-obscurité, la scène était émouvante. Les trois
victimes s'agitaient désespérément, tour à tour paraissant sur l'eau, puis
disparaissant. Du bord on s'empressa de leur jeter des cordes, mais ils ne
réussissaient pas à les saisir. Enfin, des marins du vapeur, se jetant dans le
canot de sauvetage, finirent par attirer à eux les deux chanteurs, à bout de
forces et pouvant à peine s'aider. Ils furent sauvés, mais leur compagnon, le
pauvre domestique, fut entrainé par le courant et se noya misérablement.
— L'élégante revue de Milan, .1rs et labor, publie dans son dernier numéro
un article curieux de M. Gido Damerini, article fort bien fait et richement
illustré, qui nous donne un rapide historique du grand théâtre de la Fenice
de Venise, l'un des plus glorieux de l'Italie, dont les annales peuvent presque
aller de pair avec celles de la Scala de Milan ou du San Carlo de Naples.
Construit en 1792 par l'architecte Selva, incendié en 183G et réédifié aussitôt
sur les mêmes dessins et sur le même plan, le théâtre de la Fenice nous pré-
sente, dans son histoire, comme une sorte de raccourci de l'histoire théâtrale
et musicale de l'Italie pendant plus d'un siècle. Ne pouvant offrir un résumé
complet de l'article d'.lrs et labor, nous lui emprunterons ce fragment curieux
et caractéristique :
... Il existe une chronique musicale rapide de la Fenice, qui part de l'année de
son inauguration et se poursuit jusqu'à nos jours. Elle est manuscrite et anonyme.
La parcourir donne une bien étrange sensation. On y retrouve, esquissée, toute
l'histoire du drame musical, depuis les modèles spirituellement ou sentimentalement
agréables de Paisiello jusqu'au développement complexe et monumental à lui donné
par Richard Wagner. On y retrouve la succession vertigineuse de tant de renom-
mées éphémères, de tant de triomphes sonores passagers. On y retrouve l'évolution
du ballet, depuis le modeste divertissement champêtre jusqu'à la chorégraphie con-
fuse et pompeuse de Marenco. On y rencontre une phalange de noms diversement
célèbres : compositeurs, poètes, chanteurs, danseurs, décorateurs. On y entend l'écho
d'une série prodigieuse de beautés. On y trouve le souvenir d'une chaîne ininterrom-
pue de fêtes joyeuses. On y reconstruit cent romans d'amour, cent cancans de cou-
lisses...
241)
LE MÉNESTREL
En un siècle, combien d'apparitions, de confirmations et de disparitions de gloires,
dans l'espace restreint d'un plancher scénique! Du printemps de 1792 jusqu'aujour-
d'hui, combien de cartelloni, et combien de noms sur les cartellani! Et quelle pro-
cession d'artistes! Paisiello, Cimarosa, Mayr, Pavesi, Rossini, Meyerbeer, Morlacchi,
Pacini, Bellini, Mercadante, Donizetti, Gluck, Berlioz, Petrella, Verdi, Ponchielli,
Weber, Marchetti, Halévy, Thomas, Floto.v, Wagner, Gounod, Bizet, Gomes, Saint-
Siens, Boito, Catalani, Massenet, Smareglia, Mascagni, Franchetti, Puccini, Leon-
cavallo, Perosi ; grands et petits, dans un ordre cyclique et chronologique qui
fournit déjà un critérium assez exact de jugement pour établir la grandeur et la for-
tune de chacun d'eux. L'un apparaît une, deux, trois fois, et disparait ensuite pour
toujours. Un autre résiste davantage, dans son époque, mais ne la dépasse pas; son
époque l'engloutit, l'entraînant avec elle dans le tourbillon du passé. Un autre
encore éclate comme un astre, resplendit en son temps, pour céder souvent le pas à
ceux qui lui succèdent, mais continue de briller et de rester sur l'horizon. Paisiello
et Cimarosa alternent ainsi longuement avec vingt maestri promptement oubliés.
Piossini, Bellini et Donizetti font de même, et après eux Verdi, et ce quatuor magni-
fique dure, sans trouble, presque jusqu'à nos jours, jusqu'à l'aube du très moderne
dram-* musical. Certaines saisons s'écoulent exclusivement sur deux, trois partitions
d'un seul de ces quatre compositeurs. Au carnaval de 1823 on donne it-iometto II et
Semiramide de Rossini, et au carnaval suivant Mosè et Zelmira du même; en 1825,
Èlisabetta, Cenerentola et il Barbiere di SïvigUa. Au carnaval 1827-28 on joue il Pirata
et i Cajiuleli de Bellini ; au carnaval 1832-33 Norma et Béatrice di Tenda du même,
avec l'Elisirc cCamore de Donizetti. Au carnaval 1843-44 on applaudit Ernmieli Lom-
bardi de Verdi ; deux saisons après, Attila, Giovanna d'Arco, et Ernani. Outre les
œuvres citées, on exécute de Rossini Tancrcdi, Sigismoiulo, Olello, l'Assedio di
Corinto, le second hlosi, la Gazza -ladra; de Donizetti Anna Bolena, Lueiu, Pia
de' Toloniei, Linda di Cltamouni ; de Bellini la Straniera, i Puritain, la Sonnam-
bula; de Verdi toute son énorme production. En 1874 on donne la Cola da Rienzi de
Wagner, et en avril 1883, pour la première fois en Italie, en quatre soirées la Tétra-
logie complète, avec artistes, orchestre, chœurs et décors allemands, sous la direction
d'Angelo Neumann, et le chroniqueur anonyme, constate laconiquement « beaucoup
de concours et beaucoup d'ennui ». La musique de Wagner est encore, pour l'Italie,
la musique de l'avenir, un avenir bien proche, il est vrai !
En une autre procession plus longue et moins fortunée, relativement à lapostérit-*,
défilent sur la scène les chanteurs, les chefs d'orchestre, les danseurs, les mimes.
Les Almanachs de la Fenice, publiés par Orlandelli et dédiés aux élégantes dames
vénitiennes, nous les présentent et les illustrent avec une furie d'adjectifs laudatifs,
en nous montrant leurs portraits gravés sur bois, reproduisant en perfection la mor-
bidesse des chairs féminines, l'éclat des yeux, la splendeur des chevelures, la roton-
dité des épaules nues, le relief des seins à peine voilés par une gaze candide, la
maigreur alerte des jambes, la ligne harmonieuse des bras. Voici la Brigida Giorgi-
Banti, la Gessi, la Casentini, la Gindetta Pasta, l'Angelica Catalani, la Strepponi,
la Rosa Pinotti, la Le'izia Cortesi, la Malibran, et maintenant la Patti, la Calvé, la
Bellincioni....
— M. Ferruccio Busoni, le grand pianiste, vient d'écrire les paroles et
la musique d'un opéra intitulé la Scella délia spesa (te Choix de l'épouse), dont
il a emprunté le sujet à une nouvelle d'Edgar Poe.
— Le 22 juillet ont commencé, avec Lohengrin, tes représentations de fête à
Bayreuth. Elles se poursuivent dans l'ordre que nous avons indiqué. Ce sont
MM. Hans Richter, Cari Muck, Balling et Siegfried Wagner qui ont charge
cette année de diriger l'orchestre.
— Le 19 juillet dernier, un certain nombre d'admirateurs de Wagner, venus
de Leipzig et de Dresde, se réunirent dans le joli villagi de Grossgraupa, près
de Pillnilz. Ils se rendirent dans une maison sur la façade de laquelle a été
scellée une inscription gravée sur un marbre en 1894 par le sculpteur Gustave
Kietz, et portant ce qui suit : « Dans cette maison, pendant l'été de 1846,
Richard Wagner composa l'opéra de Lohengrin ». L'année dernière, le 21 juillet,
quelques wagnériens s'unirent, décidés à sauver déûnitivement de l'oubli la
« sainte demeure », qui avait abrité te maitre de chapelle du roi de Saxe, pré-
cisément pendant tes semaines où son inspiration prenait le plus vif essor.
Ils s'assurèrent par qaelques dispositions nouvelles que la maison ne serait
pas vendue, espérant pouvoir l'acquérir un jour et en taire un lieu de sou-
venir dans une villégiature des plus agréables. On a donc- fêté cette année te
premier anniversaire de la consécration de la maison qui, bien que désignée
depuis quatorze ans à l'attention des fidèles par te sculpteur Kielz. est de-
venue seulement l'année dernière un sanctuaire de dévotion à l'usage des
wagnéristes. Le professeur Gassmeyer, de Leipzig, a rappelé dans un petit
discours que c'e=t le 21 juillet 1907, que la » chambre de Richard Wagner »
dans la « Maison de Lohengrin » à Grossgraupa fut livrée au public et put être
visitée librement. Il a fait remarquer en outre que l'on doit bien un souvenir
au sculpteur Kietz, qui fut l'ami de Wagner et qui s'écria, lorsqu'on le nomma
membre d'honneur de la Société qui se fondait pour l'acquisition future de la
maison : « Vous êtes de braves gens ; si te bon Richard eût pu prévoir ce qui
arrive, combien n'en eùt-il pas été réjoui"? » Il y a soixante-deux ans. lorsque
Wagner s'installa pour une saison d'été à Grossgraupa, il se montra ravi de la
beauté champêtre du village et de ses alentours.il écrivait à l'un de ses amis:
» .T'espère oublier la ville, te théâtre et la direction générale de la musique.
Dieu soit loué, je suis à la campagne, j'habite un hameau que tes touristes
n'ont pas encore profané. Je suis te premier citadin qui ait loué ici une habi-
tation. Je me promèno, je m'étends dans la forêt, je lis, je mange, je bois et
cherche à oublier la composition. » Il l'oublia si peu que, dans tes lettres qui
suivireiit.il indiqua nettement que son nouvel ouvrage était en pleine période
d'incubation. En dépit des efforts tentés pour élendre te champ d'action des
œuvres qui appartiennent à la seconde période de la vie de Wagner, Lohen-
grin est resté, avec Tannhauser, te plus populaire de tous. Depuis l'époque de la
première représentation, 28 août 1850, l'œuvre a eu plus de trois cents reprises
dans les théâtres d'Allemagne.
— Décidément, et après avoir pris l'avis du ministre des Finances, le Gou-
vernement autrichien vient de déclarer que te Conservatoire de la Société des
Amis de la musique de Vienne devenait désormais une institution officielle.
A l'avenir, tout le personnel sera donc salarié par l'État. Jusqu'à la fin
de 1911, l'institution continuera d'avoir son siège à l'hôtel de la Société des
Amis de la musique.
— On mande de Saint-Pétersbourg quêtes représentations de l'Opéra russe
de cette ville à Berlin se sont soldées par un déficit d'environ 110.000 francs.
— Pendant la dernière saison théâtrale, l'Opéra de Dresde a donné 56 ou-
vrages différents, répartis sur 291 soirées. Trois ouvrages nouveaux ont en
dans cette ville leur première représentation : les Belles de Fogaresch de
M. Alfred Grilnfeld, Acte de M. Joan Manèn et Nuit de printemps de M. Ger-
hard Scbjelderup. Le nombre des visiteurs payants qui ont assisté aux repré-
sentations a été de 324.190.
— Dans la ville d'eaux de Wildungen, on vient de donner une audition, la
seconde vraisemblablement, d'une symphonie en ré majeur d'Otto Nicolaï,
dont te manuscrit a été tout récemment retrouvé dans les archives de l'insti-
tution de concerts du Gewandhaus de Leipzig. L'œuvre fut considérée comme
perdue après sa première audition qui eut lieu à Vienne en 1845. Le compo-
siteur, alors âgé de trente-cinq ans, l'écrivit avec beaucoup d'entrain juvénile.
Aujourd'hui, te Scherzo parait encore charmant, mais te reste a vieilli. Un
des opéras de Nicolaï, les Joyeuses Commères de Windsor, est resté le plus connu
parmi ceux de ce maitre qui mourut à trente-neuf ans.
— A Londres, il n'y aura point cette année de saison d'automne d'opéra.
La salle de Coven-Garden sera livrée aux mains des architectes pour qu'ils
puissent effectuer des modifications dans l'agencement des loges. Le Théâtre
Royal de Covent Garden, élevé dans le Bow-Street, quartier de Westminster,
sur l'emplacement d'un ancien monastère, remonte aux premières années du
XVIIL siècle. L'auteur anonyme d'un livre intitulé Garrick et /es Acteurs an-
glais (Paris 1769), lui a consacré ces lignes : « C'était autrefois un couvent
catholique; maintenant les moines, tes prêtres, tes évèques, les liturgies y
paraissent sur la scène ; tes Anglais ont mis le théâtre dans l'église et l'église
sur le théâtre ». La première salle de Covent-Garden devint la proie des
flammes en 1808. On posa la première pierre de la seconde salle te 31 décembre
de la même année, et, dix mois après, 18 septembre 1S09, te théâtre était de
nouveau ouvert au public.
Ainsi que nous l'avons dit, le prix de 12.500 l'r. (500 livres sterling) offert
par la maison Ricordi, de Milan, pour la composition d'un opéra anglais, a été
décerné à M. Edward WoodallNaylor, pour son opéra intitulé l'Angélus, dont
te livret est de M. Wdfrid Tnornely. Cet ouvrage sera joué, dit-on, en janvier
1909, au Covent-Garden.
A coté de son répertoire ordinaire composé d'oeuvres françaises, italien-
nes, anglaises et allemandes, 1'admiuistration des Concerts-Promenade de
Queen's Hall de Londres donnera les ouvrages suivants des compositeursbri-
tanniques : Symphonie en mi bémol, de M. H. Balfour Gardiner; Concerto en
ré pour violoncelle, par M. Percy H. Miles; Concerto en sol pour piano, par
M.York Bowen; Suite villageoise, par M. B. Luard Selby; prélude d'Agamem-
non, par M. W. H. Bell ; enfin deux pièces pour orchestre, Vieillesse et Jeunesse,
par M. A. Herbert Brewer.
Il vient de paraître à Londres une nouvelle édition du Dictionnaire de hi
Musique et des Musiciens, de Grove. UAthenueum. en rectifiant quelques erreurs
que la revision des articles n'a pas fait disparaître, ajoute que la musique et
les musiciens russes occupent, dans cette dernière édition de l'ouvrage, plus
de place que dans les précédentes.
— Le programme du festival qui doit avoir lieu en octobre prochain à
Sheffield comprendra les ouvrages suivants : ÉKe de Mendelssohn, les Béati-
tudes de César Franck, Seadrift de M. Delius, Soirée de Noël de Rimsky-Korsa-
kovs-, Symphonie avec chœurs de Beethoven, Requiem de Verdi, Everyman de
M. W. Davis, l'Enfant prodigue de M. Claude Debussy, la Passion selon saint
Mathieu et un Motet de Bach. C'est M. J. Wood qui aura la direction de ce
festival.
— M. Hermann Klein, qui est en ce moment à Paris, nous annonce qu'il
donnera une saison de concerts du dimanche dans la salle du théâtre alle-
mand de New-York, à partir du 4 octobre prochain. Les concerts, au nombre
de trente, auront pour objet de faire connaître tes grandes œuvres des compo-
siteurs classiques et contemporains. Plus de soixante-dix artistes de premier
ordre sont déjà engagés, parmi lesquels beaucoup n'ont pas encore été entendus
en Amérique. Des auditions de musique de chambre permettront de présenter
au public tout un répertoire d'oeuvres instrumentales ou lyriques qui ne sau-
raient manquer d'exciter le plus vif intérêt.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
M. Messager rentrera à Paris te 10 août et. reprendra, de concert avec
M. Broussan, la direction des études du Crépuscule des Dieux, de Wagner,
dont on compte donner la première vers la lin du mois de septembre.
M. Pierre Lagarde s'occupe activement des décorset des costumes; et, comme-
nous l'avons dit déjà, c'est vraisemblablem ent M. Messager qui conduira l'or-
chestre pour ces représentations.
LE MÉNESTIIEL
— A l'Opéra-Comique, livré en ce moment aux ouvriers qui font un
nettoyage complet, c'est le 20 août que recommencera le travail artistique de
l'active et vivante maison. Tout le monde est convoqué pour cette date.
— M. Albert Carré vient de quitter Pornichet, où il était en vacances avec
sa jeune femme, pour se rendre à Dijon et y accomplir une période mililaiiv.
On sait que le directeur de l'Opéra-Comique est, dans la réserve, commandant
d'infanterie. Il a retrouvé là-bas le maitre peintre-décorateur M. Jusseaume
qui, lui, est lieutenant. Mme Marguerite Carré a profilé de cette absence de
son mari pour aller faire une petite saison au Mont-Dore.
— M. Mathis Lussy vient d'être, au titre étranger, nommé chevalier de
la Légion d'honneur. Et tout en applaudissant de grand cœur à cette nomina-
tion, l'on ne peut que s'étonner que l'auteur du Rythme, du Tmilé de l'Expres-
sion musicale, de VAnacrov.se et de tant d'autres ouvrages témoignant de toute
une belle vie de labeur, de recherches et de trouvailles tout à fait personnelles,
ait attendu si longtemps, — M. Lussy vient d'entrerdans sa quatre-vingtième
année, — la juste récompense de travaux qui, dés longtemps, l'avaient placé
parmi les tout premiers et les plus hautement originaux des écrivains didac-
tiques modernes.
— D'autre part et au titre militaire, il est lieutenant de réserve, le ruban
rouge vient d'être aussi donné à M. Etienne de la Neuville, qui s'est fait
connaître au théâtre sous le pseudonyme de Jacques Lemaire. On lui doit,
entre autres pièces, d'intéressantes traductions des auteurs du nord faites en
collaboration avec M. Schiirmann.
— Il y a, dit notre excellent confrère Serge Basset du Figaro, quelque émoi
dans le inonde des musiciens. Cet émoi a été soulevé par la récente désigna-
tion qu'a faite l'Académie des beaux-arts pour l'ouvrage que l'Opéra, aux
termes de son cahier des charges, doit commander tous les trois ans à un
ancien Grand Prix de Rome. L'usage établi jusqu'à présent était que l'Institut
désignât, par rang d'ancienneté, l'ancien pensionnaire musicien de la villa
Médicis, qui devrait écrire l'ouvrage en deux actes, ou même en trois (comme
le cas s'est présenté pour la Cloche du Rhin). Or, cette année, la liste soumise
au ministre par la section musicale de l'Institut comporte en première ligne
M. Sïlver, grand prix en 1891, en deuxième ligne M. Bachelet, grand prix en
1S90; en troisième ligne, M. André Bloch, grand prix en 1S93; en quatrième
ligne, M. Rabaud, grand prix en 1S94; en cinquième et dernière ligne,
M. Carraud. grand prix en 180S. De plus, l'usage était encore que seuls fussent
considérés comme devant bénéficier de la disposition du cahier des charges
de l'Opéra les Grands Prix de Rome qui n'auraient pas encore été joués dans
les théâtres subventionnés. Or, deux des compositeurs désignés par l'Institut
ont eu des œuvres représentées à l'Opéra Comique. Est ce une innovation
qu'a voulu imposer l'Académie des beaux-arts ? Voilà ce qu'on se demande
dans le monde des musiciens, en attendant que le ministre (qui se prononce
en dernier ressort) ait fait connaître sa volonté.
— Et le Nain Jaune, de VËcho de Paris, à ce propos, philosophie un peu
irrévérencieusement, mais assez justement : « Voici donc M. Doumergue
chargé, comme on vous l'a annoncé, de prononcer, en dernier ressort, sur les
mérites respectifs de cinq anciens prix de Rome, dont la liste lui a été sou-
mise, conformément au règlement, par l'Académie des beaux-arts. A M. Dou-
mergue appartient de dire qui a le plus de talent, de M. Silver ou de
M. Bachelet, qui, de M. Bloch ou de M. Rabaud, peut faire le meilleur opéra,
le plus joli ballet. M. Doumergue a été avocat à Ni mes, il a été magistrat en
Cochinchine, il a été juge de paix en Algérie... Mais où. donc a-t-il appris la
musique?... ».
— On vient de placer à l'exposition théâtrale du Musée des Arts décoratifs
la maquette de l'ancien théâtre de Nancy, celui que lit édifier le roi Stanislas,
duc de Lorraine. Cette maquette, réduite au dixième de sa grandeur d'exécu-
tion, est un pur chef-d'œuvre de mécanisme et d'art théâtral: elle reproduit
fidèlement la scène du théâtre en question, inauguré le 2j novembre 1753 sur
la place Royale — actuellement place Stanislas. Cette scène comprend, à petite
échelle, tous les perfectionnements modernes qui lui furent apportés jusqu'à
la date de l'incendie,- en octobre 11103. Rien n'y manque dans les dessous et
dans les cintres: le tout est équipé et se prête effectivement aux manœuvres
les plus compliquées. Une mise en scène originale, due au décorateur nancéien
Jacolot, a été reproduite. Grâce aux plans coloriés qui existent dans les
cartons de M. Jasson, arcfiitecte de la ville de Naacy, M. Albert Jacquot, le
luthier nai.céieu, a su faire reconstituer par le pinceau de M. Chambé, artiste
peintre, la face de la scène et le magnifique rideau qu'avait conçu Despléchin
sous le second Empire.
— Le théâtre des Folies-Dramatiques deviendra, à partir du mois d'octobre
prochain, théâtre d'opérettes. Enfin! Ainsi en a décidé son directeur nouveau,
M. Dsbrenne, qui était l'administrateur de M. Richemond. On compte inau-
gurer la saison avec Mam'zelle Trompette, opérette en 3 actes de MM. Maurice
Desvallières et Moncousin, musique de M. Hirleman, puis faire une reprise du
Petit Fau-t d'Hervé: l'on parle aussi d'une Madame Marlborougli. 3 actes de
M. Métivet, musique de M. A. Lichaume, et de Claudine. 3 actes tirés des
romans de Willy, musique de M. Rodolphe Berger. C'est M. J. de la Batut
qui sera secrétaire général.
— Il est question de faire, à l'automne, au Théâtre Marigny. une saison
d'opéra italien. On jouerait le vieux répertoire : / Puritani, Xornn. Liada, Don
Pasquale, etc.
— Les concours de l'école Niedermeyer ont été, celte année comme
toujours, très brillants et attestent, une fois de plu-, la supériorité de cette
école célèbre, dirigée, depuis 1865, par M. Gustave Lefèvre et d'où sont s. rii-
MM. Gabriel Faurë, André Messager, Bûsser, Alex. Georges, etc. et tant
d'autres. Parmi les élèves le plus souvent nommés, citons : MM. Marichelle,
Noyon, Froment, Gourbi n, Simon, etc.
— On se rappelle, qu'ici-méme, M. Widor a rendu compte
curieux de lumière faits par le peintre Fortuny sur le théâtre de madame la
comtesse de Béaru. Or M. Fortuny, qui habite habituelle n' \
d'arriver à Paris pour s'entendre avec MM. Clavette, .lulrs Bois el Bashaël
Dullos, directeur, auteur et metteur en scène, et combiner les effets électri-
ques pour les décors nouveaux de la Furie, que la Comédie-Frai
représenter.
— Les « Grandes auditions lyriques » continuent leur très heureuse carrière
au Jardin des Tuileries devant toujours un public très nombreux applaudis-
sant aux exécutions des programmes instrumentaux, vocaux el chorégraphiques
composés très heureusement par M. G igea George. Masscnet y triomphe
avec les Erinnyés, l'Ouverture de Brumaire, Parade militaire, le ballet i'Sérodiade,
l'ouverture de Chérubin, Sevillana, le chœur des romains i'Hérodiade, chanté
par le » Choral de Paris », sous la direction de MM. Baslaire et Audonnet, et
par le « Choral moderne », sous la direction de M. Durand, etc.. et aussi
Ambroiso Thomas avec l'ouverture de Mignon, Delibes avec des fragments de
Lakmé, Lalo avec l'ouverture du Roi d'Ys, Reyer avec des fragments de Sigurd,
et encore nos auteurs de valses en vogue, Strauss avec Sur le lacdePlaten,
donné avec le concours des chœurs, Fahrbach axecCIianieurs des bois, Rodolphe
Berger avec l'Heure grise, Marchai avec Ombre mystérieuse, Nazare-Aga avec
les Yeux clos, Weiler avec Bonheur ren}, etc.
— Du «Masque de Fer» du Figaro : « La première épée de Raoul de V' igi
Par quels hasards, l'épée que brandissaient, il y a trois quarts de siècle
l'Opéra, les célèbres ténors Nourrit et Duprez, en lançant leurs fameux ut de
poitrine du troisième acte des Huguenots, parvint-elle jusqu'à Abomey .' Per-
sonne, sans doule, ne le saura jamais. Mais ce qui est certain, c'est que cette
arme, accompagnée de pièces officielles qui étaldissent sou authenticité, vient
de nous revenir de la plus étrange façon. C'est Béhanzin. le feu n i du Daho-
mey, longtemps captif dans noire colonie de la Martinique et mort en Algé-
rie, qui l'a léguée à notre musée colonial de la galerie d'Orléans, au Palais-
Royal. L'épée de Raoul de Nangis avait d'ailleurs subi quelques transforma-
tions, avant de passer aux mains de Béhanzin. Les forgerons d'Abomey en
avaient agrémenté la poignée d'une bizarre enveloppe de mêlai, que l'on re-
connaît aisément, malgré ses guillocbures artistiques, pour une ex-boite dv
sardines. Béhanzin ne ceignait cette arme que dans les grandes cérémonies
de parade. Lorsqu'on l'exila, il obtint la faveur d'emporter ce souvenir de sa
splendeur royale, qui, depuis hier, en vertu des dispositions testamentaires
du roi nègre, a réintégré Paris. »
— Deux des. plus brillantes élèves de M"" Marchesi viennent d'être enga-
gées l'une, MUc Juliette Lucey, voix de contralto superbe, à la Monnaie de
Bruxelles, l'autre, Mlie Sibyl Tancredi, joli soprano qui vient de Nouvelle-
Zélande, au Mannhatan- Opéra de New- York.
A Bourges, comme toujours, l'audition des élèves de Mmc Georges
Marquet a été des plus brillantes. Toutes ces jeunes élèves sont fort intéres-
santes et prouvent un excellent enseignement. Fort remarqués au programme
les airs de Paul et Virginie, Marie-Magdeleine, Esclarmonde, Sigurd, Hérodiade,
le Cid, Ifamlet et les mélodies les Oiselets, Si tu ceux, mignonne. Que l'heure est
donc brève, Noël païen de Massenet, Arioso de Léo Delibes, le Chevalier Belle-
Étoile, d'Augusta Holmes, etc., elc.
NÉCROLOGIE
Auguste Bernhardt, qui avait été nommé en 1897 directeur du Conser-
vatoire de Saint-Pétersbourg, et avait renoncé à cet emploi en 1903. à la suite
de dissentiments survenus entre lui et le comité d'enseignement, est mort il y
a déjà quelques jours. Il avait quitté la Russie pour se fixera Dresde. Elève de
Johannsen, qui l'avait précédé à la direction du Conservatoire, il reçut aussi
des leçons de Rimsky-Korsakow, qui lui succéda à la tète de l'institution et
fut révoqué pour des motifs politiques. Son activité ne s'est pas bornée à
l'exercice de ses fonctions administratives ; il a traduit en allemand plusieurs
opéras russes, parmi lesquels on peut citer Eugène Onéguine et la Dame de pique,
d3 Tschatkowsky.
— Un compositeur estimé, Ilario Bagnara, dont le principal ouvrage est
l'oratorio Santa Cecilia, vient de mourir à Castel-Bolognese. Habile contrepoin-
tisle et professeur excellent, son enseignement était très apprécié à l'Académie
de Bologne.
Henri Heigel, directeur-gérant.
BREVET A VENDRE
M. Gelirui; HOWLELT-DAVIS, titulaire du brevet français n" 3s 6 832
date du 19 juillet 1903, pour : Perfectionnements aux Lnstruuents de musique
mécaniques, désire vendre ledit brevet ou en céder des licences d'exploitation.
S'adresser à l'Office PICARD (brevets d'invention, marques de fabrique),
97. rue Saint-Lazare, Paris, !K chargé de centraliser les propositions.
248
LE MENESTREL
Paris, AU MÉNESTREL, 2 bis, rue Vivienne, HEUGEL et Cie, Éditeurs-propriétaires
MORCEAUX DE CHANT AVEC ACCOMPAGNEMENT D'ORCHESTRE pour les Concerts
(EN LOCATION SEULEMENT)
ARD1TI. Parle, valse.
— Capriccio-mazurka.
— Ophélie, valse sur Hamlct.
CABLO BALDI. Marche napolitaine, irans-
crite pour chant par J. Massenet.
RODOLPHE BERGER. Perdition, valse.
— L'heure grise, valse lente.
— Dernier baiser, valse très lente.
— Impératrice, valse lente.
— Tentation, valse lente.
— Ne mentons pas aux femmes,
valse lente.
— Un peu d'amour, valse lente.
— A quoi pensez-vous? valse lente.
— Cœur fragile, valse lente.
— En fermant les yeux, valse lente.
— Fiançailles, chanson.
— Rions toujours, valse viennoise.
P. RERNARD. Ça fait peur aux oiseaux.
J. BLOCKX. Princesse d'Auberge :
Lied de Reinilde (S.).
E. BOURGEOIS. La véritable Manola.
G. CARBAUD. Beau soir.
— Hier.
— Noël.
GUSTAVE CHARPENTIER. Louise :
Air : Depuis le jour (S.).
— Le Jet d'eau.
— La Veillée rouge.
— La Chanson du chemin.
— Les Chevaux de bois.
— Sérénade à Watteau (T.).
CÉSAR CUL Les deux Ménétriers (B.).
— Le Flibustier : Air de Janick :
Voyons ce que j'éprouve (S.).
F. DAVID. La Perle du Brésil :
Chant du Mysoli (S.).
Ballade du grand esprit (S.).
L. DENZA. Toujours des roses, valse.
LÉO DELIBES. Arioso.
— Myrto.
— Jean de Nivelle :
Ballade delaMandragore()l.-S.).
On croit à tout (S.).
Ilestjeune,ilestamoureux(B.).
Fabliau : Dans le moulin (S.).
Stances de la bannière (T.).
— Lakmë :
Duo : Sous le dôme épais (S.
M.-S.).
Duo : C'est le dieu de la jeu-
nesse (S. T.).
Fantaisie aux divins menson-
ges (T.).
Pourquoi? (S.).
Ton doux regard se voile (Bse).
Légende delaFilleduParia(S.).
MAURICE DEPRET. Trouble d'amour, valse.
THÉODORE DUBOIS. Rosée.
— A l'Océan.
— Au bord de l'eau.
— La voie lactée.
— Dormir et rêver.
— Tarentelle.
— A Douarnenez, en Bretagne.
— Le Baiser.
— Printemps.
— Si j'ai parlé, si j'ai aimé.
— Aben-Hamet :
Reine, Hamet te salue (B.).
Duo : Pardonne, oublie (S. B.).
ALP. DUVEBNOY. La Bergeronnette.
— Chanson du rouet.
— Rondes du mai.
— La Caravane humaine (Bse).
GABBIEL FABBE. Cantique d'amour.
— Les Filles d'Orlamonde.
— J'ai marché trente ans.
— Jardin d'amour.
J. FAUBE. Charité (B.).
— CruciBx.
— Sancta Maria.
— Stella, valse.
CÉSAR FRANCK. Bédemption :
Air de l'archange (S.).
A. GEDALGE. La Santé portée.
— Les périls de mer.
— C'est ce joli mois de May.
BENJAMIN GODARD. Le Tasse : ,
Air des Regrets (S.).
Duo du Rendez-vous (S. T.).
CH. GOUNOD. Ave Maria.
— Notre-Dame-de-France (B.).
A. DE GREEF. Les Cloches.
— Devant le ciel.
— Ma vie est dans vos mains.
— Notre amour.
— Toute àme est un berceau.
REÏNALDO HAHN. La Paix.
— Le Souvenir d'avoir chanté.
A. HOLMES. Hymne à Vénus (S.).
G. HUE. L'Ane blanc.
— Berceuse triste.
— Chanson d'amour et de souci.
— La Fille du roi de Chine.
— Mer grise.
— Mer païenne.
— Mer sauvage.
L. LACOMBE.Aupiedd'uneruciBx(M.-S.).
ED. LALO. Le Roi d'Ts :
Duo : En silence pourquoi
souffrir (S. M.-S.).
Lorsque je l'ai vu reparaître
(M.-S.).
Que ta justice fasse taire (S.).
Vainement, ma bien-aimée (T.)
Pourquoi lutter de la sorte(S.).
Duo : A l'autel j'allais rayon-
nant (S. T.).
LOTTI. Parle encore, ariette (S.).
FRANCIS MARCHAL. Heures d'oubli, valse.
H. MARÉCHAL. L'Étoile : Air de ténor.
P. MASCAGNI. Cavalleria Rusticana :
Air de Santuzza (S.).
J. MASSENET. Chant provençal ('2 tons).
— Crépuscule.
— Le départ.
_ Elégie (M.-S.).
— Les Enfants (3 tons).
_ Les Fleurs, duo (S. B.).
— Je t'aime (M.-S.).
— Larmes maternelles.
— Marquise, avec variations (S.).
— Musette.
— Noël païen (3 tons).
— Ouvre tes yeux-bleus.
— Pensée d'automne (2 tons).
— Pensée de printemps (M.-S.).
— Pitchounette.
— Poème pastoral.
— Le Poète et le Fantôme (B.).
— Sérénade du passant.
— Sevillana.
— Sainte Thérèse prie.
— Si tu veux, mignonne.
— Avril est amoureux.
— Souvenez-vous, Vierge Marie.
— Hymne d'amour.
— Première danse.
— Le petit Jésus.
— Amoureuse.
— La Rivière.
— Chanson des bois d'amaranthe.
i. Trio : 0 beau printemps
(S. C. T.).
2. Duo : Oiseau des bois (S. C.)
3. Quatuor : Chères fleuri
(S. C. T. B.).
4. Trio : 0 Ruisseau (S. C. T.).
5. Quatuor : Chantez (S. C.
T. B.).
— Le Cid :
Alléluia (S.).
Pleurez mes yeux (S.).
Prière (T.).
— Esclarmonde :
Comme il tient ma pensée (S.).
Regarde-les ces yeux (S.).
En retrouvant la' vie (S.).
— Eve :
Scène et duo : Ton visage est
brillant (S. B.).
— Hérodiade :
Il est doux (S.).
Ne me refuse pas (M.-S.).
Charme des jours passés (S.).
Vision fugitive (B.).
Ne pouvant réprimer (T.).
Dors, o cité perverse (Bse.).
J MASSENET (Suite). Le «âge :
Duo : Quoi toujours le front
soucieux (S. T.).
Descendons plus bas (M.-S.).
Soulève l'ombre de ces voiles (T.)
Sous tes coups tu peux briser
(M.-S.).
Chant touranien (S.).
— Manon :
Gavotte (S.).
Je marche sur .tous les che-
mins (S.).
Ah! fuyez, douce image (T.).
Fabliau (S.).
Le Rêve de des Grieux (T.).
— Marie-Magdeleine :
C'est ici même à cette place(S.).
Duo : Heureux ceux qui vi-
vront (S. T.).
O bien-aimé (S.).
— Le Roi de Lahore :
Romance-sérénade (S.).
Duo : Sita, voici venir (S. B.).
Promesse de mon avenir (B.).
J'ai fui'la chambre (S.).
— Thaïs :
Voilà donc la terrible cité (B.).
Dis-moi que je suis belle (S.).
— La Vierge :
Extase (S.).
— Werther :
Invocation à la nature (T.).
Les lettres (M.-S.).
Les larmes (M.-S.).
Lied d'Ossian (T.).
— Cendrillon :
Duo : Printemps revient (S.B.)
— Grisélidis :
Il partit au printemps (S.).
Prière : Des larmes brûlent
(S.).
— Le Jongleur de Notre-Dame :
Légende de la Sauge (B.).
— Sapho :
Qu'il est loin mon pays (T.).
Pendant un an (S.).
— Chérubin :
Chanson de Chérubin (S.).
Aubade de l'Ensoleillad (S.).
— Ariane :
Prière à Cypris (S.).
Arioso de Thésée (T.).
Tu lui parleras, n'est-ce pas?
(S.).
Ah! le cruel! (S.).
Air de Perséphone (M.-S.).
Air des roses (M.-S.).
Lamento d'Ariane (S.).
— Thérèse :
Le passé, mais c'est ta jeu-
nesse (T.).
Menuet d'amour (T. M.-S.).
Jour dejuinjour d'été (M.-S.).
OLIVIER MÉTRA. Espérance, valse.
— La Estudiantina, polka.
— Les Faunes, valse.
— Les Femmes de feu, valse.
— Légende de Gambrinus, valse.
— La Marguerite, mazurka.
— Les Marionnettes, polka.
— Mélancolie, valse,
— La Nuit, valse.
— Le Rhin, mazurka.
— Les Roses, valse.
— La Sérénade, valse.
— Le Soir, valse.
— Souvenir du bal, mazurka.
— La Vague, valse.
— Le Valet de chambre, valse.
- Les Volontaires, polka-marche.
ERNEST MORET. Nocturne.
— Sérénade florentine.
— Le cadavre est lourd.
— Le ciel est transi.
— Insomnie.
— La mort de l'automne.
— Où vivre?
— , Plaintes comiques.
— Te souviens-tu du baiser?
— Te souviens-tu d'une étoile?
H. MOUTON. L'Amour est roi! marche.
MOZART. Les Noces de Figaro :
Ce doux martyr (S.).
O nuit enchanteresse (S.).
— La Flûte enchantée :
Ne tremble pas (S.).
Oui, devant toi lu vois (S.).
C'en est fait, le rêve cesse (S.).
Ï.-K. NAZARE-AGA. Valse de Paradis.
— Charme d'automne, valse.
— Ehlouissement, valse.
— Fragilité, valse.
— Radieux éveil, valse.
— Les yeux clos, valse.
J. OFFENBACH. La Chanson de Fortunio :
Si vous croyez que je vais
dire (8.).
— La Belle Hélène :
Amours divins (S.).
M. OLAGNIER. Le Sais :
Strophes et duo (S. T.).
Romanesca: La fuite du soleil
(S.).
Sérénade : Almanz, quand
vient le soir (T.).
E. PALADILHE. Suzanne :
Comme un petit oiseau (T.).
La feuille s'envole (S.).
Mon Dieu qu'il me fait rire(S.).
A. PÉRILHOU. Vitrail.
— Chanson de Guillot Martin.
— Légende de Saint-Nicolas.
B. POPPELSDORFF. Paresseuse, valse lente.
P. PUGET. Adoration.
— Le vin de l'amour.
E. REÏER. Sigurd :
Hilda, vierge au pale souri re(T.)
Salut, splendeur du jour (S.).
Duo : La voilà donc la déesse
(S. B.).
Duo : Sigurd, les dieux dans
leur clémence (S. T.).
B. RUNOFF. Tu dis m'aimer! valse lente.
A. RUBINSTE1N. Néron :
Épilhalame : Hymen! Fils
d'Uranie (B.).
A. THOMAS. Le Soir (S.).
— Le Caïd :
Plaignezla pauvre demoiselle(S)
— Françoise de Rimini :
J'espère, je vous aime (B.).
J'ai voulu te revoir (T.).
— Hamlet :
Duo: Doute de la lumière (S.
B.).
Scène et air du livre (S.).
Chanson bachique (B.).
Scène de la folie (B.).
— Mignon :
Connais-tu le pays (M.-S.).
Duo des hirondelles (M.-S. B.).
Styrienne (M.-S.).
Polonaise (S.).
Elle ne croyait pas (T.).
VENZANO. Grande valse.
P. VIDAL. Eros :
Adieu les roses(S.).
WEBER. Le Freischutz :
Air d'Aga>he : Le Calme se
répand (S.).
E. WEILLER. Bonheur rêvé, valse lente.
CH.-M. WIDOR. La mer.
— Petite couleuvre bleue.
— Vieille chanson.
— Ce monde meilleur.
— A l'aube.
— Les nuages.
— Repos éternel.
— Maître Ambros :
Ballade : Depuis qu'il a levé
l'ancre (S.).
Triste amour qui n'ose (B.).
Chanson du mousse : A l'heure
merveille (S.).
20, ■
4037. - 1\* ANNÉE.- N° 32. PARAIT TOUS LES SAMEDIS Samedi 8 Août 1908.
(Les Bureaux, 2b", rue Vivienne, Paris, u-arr')
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
te fluméro : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
Le Numéro : 0 fi?. 30
Adresser fiianco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnemont complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste ea sus.
SOMMAIRE- TEXTE
Soixante ans de la vie de Gluck (30" article), Julien Tiersot. — II. Molière à Pézénas, Arthuii Poucin. — III. Une famille de grands luthiers italiens : Les Guarnerius (5" article ,
Ahthl'r Podgin. — IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
OTE TON VOILE
mélodie d'ERNEST Moret, poésie de Klingsor. — Suivra immédiatement : Aube
en montagne, mélodie de René Lenormand, prose de Henri-R. Lenormand.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
MARCHE DES PETITS MAGOTS
de Roreri Vollstedt. — Suivra immédiatement : Par les prés fleuris, pièce
de genre, de Rodolphe Bercer.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
(±T ±-4- AT- "7" 4)
CHAPITRE VII : L'éclosion du génie : Orfeo ed Euridice
Malgré tous ces succès, Gluck
était encore loin du but.
Ce n'est pas que son activité
manquât d'aliments : nous l'avons
vu au contraire attacher chaque
année son nom à la production
de plusieurs œuvres nouvelles,
opéras italiens ou opéras- comi-
ques français, et l'accueil du
public ne lui donna jamais lieu
de se plaindre.
Tetide, une simple Serenala de
circonstance, lui valut notam-
ment une satisfaction d'amour-
propre. Cette œuvre lui avait été
commandée pour fêter « les
très heureuses noces de LL. AA.
(l)La première édition d' Orfeo ed Euridice
a été publiée à Paris, par les soins de
Favart. On lit dans la Correspondunee de ce
dernier, à la date du 4 janvier 1764 (lettre
à Durazzo) : « M. Monnet-Dujac, élève de
M. Vanloo, est chargé de faire le dessin du
frontispice, qui sera exécuté par M. Le
Mire ; en nommant ces deux artistes, c'est
faire l'éloge de l'art. » Et, le 31 janvier :
« Je fais faire à l'Orphée un frontispice de
toute la hauteur de la page, afin de donner
plus de grandeur, de noblesse et d'expres-
sion aux ligures et plus de liberté pour les
accessoires. Je n'ai point confondu le litre
de l'opéra dans cette planche, parce que
l'estampe, qui deviendra, par le burin de
M. Mire, un morceau précieux de gravure,
pourra se détacher et s'encadrer séparé-
ment. »
frontispice de la première édition d'Orfeo ed Euridice (1)
RR. l'archiduc Joseph d'Autriche
et la princesse Isabelle de Bour-
bon » ; Gluck fut, dans cetle occa-
sion solennelle, chargé de la
direction générale de la musique,
de préférence au premier maître
de chapelle Reutter (2). Le seul
Hasse fut admis à y faire enten-
dre une œuvre auprès de la
sienne : Alcide al Bivio, de ce
dernier, fut représenté au châ-
teau impérial pour l'ouverture
des fêtes (8 octobre 1760), tandis
que la Tetide de Gluck fut donnée
pour clore les réjouissances. Tous
les personnages de cet opéra
étaient dieux de l'Olympe : Mars,
Apollon, Pallas, Thétys, et le
tendre Hyménée. Une autre diva,
la Gabrielli, parmi la douzaine
d'airs de haute virtuosité qui
composent toute la partition, ne
dédaigna pas de se faire enten-
dre quatre fois par l'auguste
assemblée.
Un autre ouvrage du même
temps mériterait d'être cité pour
son nom seul, bien que simple
ballet d'action : Don Juan (repré-
senté sur le théâtre de la Porte
de Carinthie en 1761), composi-
i A. Schmid, Bitter eon Gluck, p. 80.
250
LE MÉNESTREL
tion excellente, d'une rare fermeté de facture et d'une véritable
maîtrise, dont Gluck reprendra en majeure partie les éléments
chorégraphiques pour les faire entrer dans la composition défi-
nitive de ses plus grands opéras français, Iphigénie, Orphée,
surtout Armide.
Rien de tout cela n'était pourtant le chef-d'œuvre entrevu en
rêve.
Lui-même n'avait pas atteint à la seule place qu'il ambi-
tionnât : la première. Il était le maître de chapelle; mais il
n'était pas « le Maître ». Parfois même, en son caprice, le pu-
blic faisait mine de se détacher de lui. L"acteur-auteur Dan-
court, que nous avons déjà vu paraître, écrivait à Favart, à la
date du 25 avril '1762 : « Un autre virtuose (c'est par ce mot
que cet Arlequin désignait les compositeurs italiens), nommé
Scarlatii, s'est ici placé aux dépens de Gluck, à qui l'on n'a re-
proché d'autre défaut que d'être assez riche pour abandonner la
plume à un Italien qui ne l'est pas. Au reste, on m'a dit aussi
beaucoup de bien de ce Scarlatti (1) ». Ce dernier, héritier de
deux grands noms, n'a pourtant pas laissé une œuvre qui per-
mit de le mettre en parallèle, pas plus avec son oncle Dominique
ou son aïeul Alexandre qu'avec le futur auteur d'Or/eo; c'était
lui pourtant que le public de Vienne s'amusait un moment à
préférer.
Dans la même lettre, Dancourt dit encore : « J'ai fait une
églogue lyrique que j'ai remise à Son Excellence; elle l'a
d'abord envoyée au sieur Gluck (2) ». Le compositeur à tout
faire, c'est entendu!...
Le poète que nous verrons bientôt s'associer à son œuvre, et
en tirer sa seule gloire, Calsabigi, se reportant un jour, après
une brouille, aux premiers souvenirs de leur collaboration, par-
lait de lui, sans charité, en ces termes qui montrent assez bien
quelle était la situation de Gluck avant sa réforme :
;< M. Gluck n'était pas compté alors (et à tort sans doute)
parmi nos plus grands maîtres. Hasse, Buranello, Jomelli, Perez
et d'autres, occupaient les premiers rangs (3).
C'est vrai. Gluck, à quarante-cinq ans, n'est, malgré les appa-
rences, qu'un subalterne. Son directeur commande, et il exé-
cute. On veut bien être content de lui", mais c'est après qu'il a
obéi.
Quand le comte Durazzo parle de ses œuvres, il dit toujours :
« fai fait mettre en musique par le chevalier Gluck... » Heureux
encore s'il n'omet pas de citer son nom, ce qui arrive assez
souvent (4) .
Ce Dancourt (dont les lettres, en leur naïve présomption d'ac-
teur qui ne voit rien au delà de ses effets, ont l'avantage de
nous apporter de curieux renseignements) répondant une autre
fois à Favart, qui s'était entremis pour faire mettre en musique
par Gluck un de ses livrets d'opéra-comique, lui exprimait en ces
lermes ses regrets que la combinaison n'ait pas abouti : « Voilà
donc mes pièces sans leur tailleur qui leur aurait fait un habit
à la mode de Paris (5) ! » C'est cela : Gluck est le fournisseur à
qui l'on commande de la musique sur mesure, comme on fait
tailler par le bon faiseur un habit ou des culottes, en recom-
mandant que cela aille bien. Il était considéré comme un talent
à coté, dont on louait l'esprit, l'abondance, la facilité; mais il
devait céder le pas et s'incliner devant les grandes autorités, les
maîtres reconnus, ceux qui, ne s'étant jamais écartés des voies
officielles de l'opéra italien, y marchaient avec assurance et su-
' perbe.
Il sentait son infériorité relative, et voulait en sortir-. « Il s'ef-
forçait, dit son biographe allemand, de corriger les défauts de
I Nous avons déjà eu à mentionner Giuseppe Scarlalti dans rémunération des
auteurs italiens dont les morceaux ont servi à constituer le pastiche français duDiable
à quatre.
(.2) Mémoires et Correspondances de Favart, t. II, pp. 263*264.
3) Mercure de France, août I7K4. Yoy. Desnoihestehres, Gluck et Piccitmi, p. 354.
('ii l'ar exemple, à propos du Cad! dupé, Durazzo, demandant la partition de Mon-
signy, écrit : « Je veux comparer la musique avec celle que je viens de faire faire
ici. » Mémoires et Correspondances de Favart, t. I, p. 213.
i,ji Mémoires et Correspondances de Favart, t. II, p. 279.
son éducation première, d'acquérir ce qui lui manquait encore
pour la compléter, de cultiver ses aptitudes et d'accroître ses-
connaissances. Doué par la nature d'autant de goût pour les belles-
lettres que pour la musique, il travaillait aussi sans relâche dans
ce domaine. Il s'adonnait, bien que tardivement, à l'étude des
langues française et latine, ainsi qu'à celle de la poésie. Il se
liait avec les savants les plus distingués, nourrissait son esprit
dans leur société et dans la compagnie des bons livres (1) ».
Il se préparait, en un mot, à accomplir de nouvelles destinées.
A cette époque, il soufflait sur l'Europe un vent de réforme
(autant dire de révolte), qui venait de France, et devait, après
avoir grandi un demi-siècle, aboutir à déchaîner une terrible
tempête. Pour l'instant, il était encore à son origine, et
n'essayait sa force que sur les objets sans conséquence, ou qui
semblaient l'être : ceux du domaine de la pensée. Pensée futile,
au moins en apparence, en ce milieu du XVIIIe siècle élégant
et léger. Le théâtre était le champ clos tout naturellement dési-
gné pour les luttes consécutives à cet état d'esprit turbulent, et
il faut avouer que les moindres occasions lui étaient bonnes
C'est ainsi que les représentations données à l'Opéra de Paris
par les Bouffons italiens en 1752 furent cause d'une guerre de
plumes dont l'importance n'a pas été exagérée. « C'était, a dit
Jean-Jacques-Rousseau, le temps de la grande querelle du Parle-
ment et du clergé ; la fermentation était au comble : tout mena-
çait d'un prochain soulèvement. La Lettre sur la musique parut :
à l'instant toutes les autres querelles furent oubliées ; on ne
songea qu'au péril de la musique française. » Car les jeunes
hommes dont on commençait à parler sous le nom de philoso-
phes, les « gens à talents », les « hommes de génie », dit encore
Rousseau, s'étaient prononcés en faveur de la musique italienne,
— un peu bien promptement, et sans trop savoir ce qu'était
cette musique à laquelle ils sacrifiaient de bonne humeur l'art
national. Qu'étaient après tout, en effet, ces intermèdes que les
Bouffons apportaient d'outre -monts? De simples divertissements
qu'on avait coutume en Italie d'intercaler clans lesentr'actesdes
opéras, mais qui étaient loin de constituer à eux seuls un
spectacle digne de ce nom : quant aux grandes œuvres, aux
tragédies de Métastase mises en musique par les maîtres dont
les noms se sont présentés à profusion depuis les premières
pages de cette étude, ils continuaient à rester ignorés du public
français. Mais il n'importe : ces petits airs avaient suffi à procu-
rer des impressions neuves à un public qui commençait à se
blaser sur les déclamations ampoulées et formulaires de Lulli et
de ses successeurs. Et puis, toute occasion de manifester étai}
bonne à saisir par ces hommes à l'esprit frondeur. La musique
française représentait une tradition d'ancien régime : le roi la
protégeait : vite donc il fallait prendre place au coin d'en face,
le coin de la reine ; c'était encore un moyen de s'émanciper de
l'autorité.
Telles étaient, en leur hétérogène mélange, les prédispositions
inconscientes dont un esprit averti peut Tetrouver les traces au
fond de ces premières manifestations, tout extérieures, de l'esprit
encyclopédiste, la musique, leur objet apparent, n'en était assu-
rément que le prétexte. Aussi les conséquences qui en résul-
tèrent dans la pratique ne furent pas dès l'abord très sérieuses.
Alors que la mise en présence de deux arts à tendances diffé-
rentes, sinon opposées, aurait pu être pour les penseurs l'occasion
d'en dégager l'essence, ils s'en tinrent à disputer si une langue
est favorable à la musique à l'exclusion des autres : querelle de
grammairiens, au lieu de la discussion de principes qu'on eût
du attendre : sophisme misérable, et vraiment risible quand on
pense que l'italien et le français étaient seuls en cause, et la
musique des autres nations tenue pour quantité négligeable, à
l'heure exacte où Jean-Sébastien Bach venait de mourir, laissant
derrière lui le bagage que l'on sait, et oùHaendel était en pleine
vie, dans la -gloire du Memas, écrit, pour l'Ecosse, il y avait à
peine dix années.
[A suivre.) Julien Tiersot.
(1) A. -Sghmid, Hitler von Glueli, p. 79.
LE MENESTREL
MOLIÈRE A PÉZÉNAS
Oh! le joli livre et aimable, et spirituel, le joli livre que vient de
publier sur Pézénas un enfant de cette ville qui est toul à la fois un
dévot de Molière, un amateur d'art délicat et un tendre amoureux de
sa petite patrie, cette jolie petite cité historique où abondent les chefs-
d'ceuvre d'une architecture charmante et qui fut fameuse, aux siècles
passés, par les tenues fréquentes qu'y firent les Etats généraux du
Languedoc, honneur qu'elle partageait, au temps des Montmorency et
des Conti, avec Montpellier et Béziers.
Ce livre nous intéresse surtout ici (1) par les souvenirs qu'il nous
apporte sur Molière, auquel Pézénas reste lière d'avoir à deux reprises
donné l'hospitalité. L'auteur. M. Paul-Albert Alliés, était indiqué pour
nous parler de Molière. C'est à lui. si je ne me trompe, qu'est due
l'idée d'un monument à élever à Molière, et c'est pour l'inauguration
de ce monument, œuvre du sculpteur Injalbert. qu'eurent lieu, en 1897.
des fêtes brillantes dont il fut l'inspiration et l'àme, auxquelles le
gouvernement prit part et qui furent rehaussées par la présence et la
participation de la Comédie-Française, allant rendre hommage à celui
■dont elle porte le nom dans la petite ville où fut représentée pour la
première fois l'une de ses premières bouffonneries, le Médecin volant,
dans laquelle, pour la première, fois aussi, il raillait les médecins, qu'il
ne devait plus abandonner désormais.
Je ne saurais, malgré son intérêt, suivre l'auteur dans l'historique
qu'il nous présente de sa ville natale, non plus que dans la description
qu'il en donne, en faisant ressortir avec un goût très averti les jolies
merveilles architecturales qui lui donnent un cachet si particulier. Les
souvenirs de tout genre, les paysages, les coutumes locales, les diver-
tissements de toute sorte tiennent une place importante dans ce livre
essentiellement curieux, et le folk-lore lui-même y trouve son compte.
Mais j'en veux surtout parler par rapport à Molière, dont il semble que
les traces restent encore vivantes en ce pays.
Molière, dit fauteur, ne jouait pas seulement à la Grange des Près (vaste
domaine où son protecteur, le prince de Conti, donnait des fêtes brillantes)
et dans les salons de l'aristocratie de Pézénas. Il donnait des représentations
au théâtre de la ville, devant ce bon peuple intelligent et hospitalier qui ne
lui ménageait pas ses applaudissements. Molière, d'ailleurs, aimait à se mêler
à lui, à participer à ses joies et à ses amusements, à écouter ses propos, à
noter ses traits et à rire de ses saillies. On le voyait à l'hôtellerie du But
d'argent, dans la rue de Gastelnau, en compagnie de d'Assoucy et de quelques-
uns de ses camarades, prenant plaisir aux gais refrains de l'Empereur dit bur-
lesque, observant les mœurs des citadins et, qui sait, lutinant les accortes
Lucettes piscénoises.
On le voyait aussi, et très souvent, chez son ami le fameux barbier
Gély, dont la maison existe toujours, et c'est là qu'il s'asseyait dans le
grand fauteuil en bois devenu célèbre sous le nom de « fauteuil de
Molière ». Un chroniqueur disait à ce sujet :
Les Nestors du pays disent que pendant le temps que Molière habitait
Pézénas, il se rendait assidûment, tous les samedis, jour du marché, dans
l'après-diner, chez un barbier de cette ville dont la boutique était très acha-
landée; elle était le rendez- vous des oisifs, des campagnards et des agréables,
qui allaient s'y faire calamistrer ; or, vous savez qu'avant l'établissement des
cafés dans les petites villes, c'était chez les barbiers que se débitaient les
nouvelles, que l'historiette du jour prenait du crédit et que la politique épui-
sait ses combinaisons. Le susdit grand fauteuil de bois occupait un des angles
de la boutique, et Molière s'emparait de cette place. Un observateur de ce
caractère ne pouvait qu'y faire une ample moisson; les divers traits de malice,
de gaité, de ridicule, ne lui échappaient certainement pas, et qui sait s'ils
n'ont pas trouvé leur place dans quelques-uns des chefs-d'œuvre dont il a en-
richi la scène française ? On croit ici au fauteuil de Molière, comme, à Mont-
pellier, à la robe de Rabelais.
M. Alliés nous apprend que ce fauteuil, devenu légendaire, qui dans
la suite appartient à un moliériste piscénois, M. François Astruc,
lequel a publié à son sujet une Xotice sur le fauteuil de Molière i Pézénas
1836), « est conservé aujourd'hui, à Paris, chez une descendante de
l'ancien propriétaire, M"'- Brisepot, née Astruc. rue Saint-Louis-en-
l'Isle ».
Il nous raconte ensuite diverses anecdotes sur les visites que Mo-
lière rendait à la boutique de son ami le barbier Gély. En voici une qui
est amusante :
Sans quitter le fauteuil du barbier Gély, d'où il observe, contemple et enre-
gistre, d'où il assiste à un spectacle changeant sans cesse, Molière voit entrer
(1) Une eille aV'Éials-Pézénas aux XVI' et XVII' sièeles. Molière à Pézénas, par Paul-
Albert Alliés. — Paris, Flammarion, un vol. petit in-4", avec 250 gravures.
le Messager d'Aniane, un lourdaud habituel, client habituel de la boutique
Maitre Gély court la pratique en ville, et Molière, seul, assis dans son fauteuil;
est plongé dans une profonde rêverie, Le messager le prend pour un garçon
nouvellement entré chez son ami, et lui dit brusquement de le servir.
Molière s'excuse, veut expliquer la méprise; mais, sans l'écouter, le messa-
ger lui tourne le dos, dénoue sa cravate, s'assied, et lui intime une seconde
tins l'ordre de l'accommoder, et tel ! En présence d'un original si opiniâtre.
Molière feint de se rendre, et. familier avec tous les accessoires île la boutique,
il apprête les rasoirs, la houppe, passe même la serviette de ligueur. Jusque-
la tout allait pour le mieux. Mais tandis que la savonnette jette sa mousse et
que le lourdaud se prélasse sur son siège, Molière entame une lamentable
histoire de vols, d'incendies, de brigandages, histoire à faire envie à Anne
Radelill'e. histoire à glacer le cœur le plus intrépide. Ce sont les routiers, let
huguenots, les bandouliersqui, descendant des Cévennes, ont envahi le pays
bas et mettent tout à feu et a sang.
Absent depuis quelques jours de son domicile, le messager croit à ces dé-
sastres; une émotion profonde l'agite... Il pâlit!... les muscles de son '-visage
se crispent!... sa peau devient rugueuse, et le rasoir refuse de glisser!... Mai<
Molière n'avait pas encore atteint le but qu'il s'était proposé. Il assombrit un
peu plus les teintes de son tableau, et les derniers paroxysmes de la peur ne
tardent pas à s'emparer du messager. Hors de lui, il arrache convulsivement
la serviette, se débarbouille comme il peut de la savonnade, abandonne chez
Gély sa cravate en signe de défaite, se sauve, et ne reparait que longtemps
après dans l'officine du barbier. Lorsque ensuite Molière.' raconta aux habi-
tués de Gély ce qui venait de lui arriver, d'un [commun accord et riant aux
éclats, tout l'aréopage convint d'appeler cette scène la Barbe impossible, et c'est
sous ce titre qu'elle fut transmise de génération en génération, jusqu'à l'époque
où Cailbava la recueillit.
Et ainsi Molière note sur ses tablettes, pour s'en servir plus tard, les scènes
que provoquent les gens naïfs ou bizarres, malotrus ou grotesques, qui
venaient sans le savoir, chez le barbier, poser devant lui. Elles témoignent
aujourd'hui du plaisir de Molière à vivre dans ce pays de soleil et de bonne
humeur. Elles agrémentent son séjour dans une vifle qui lui était accueillante
et devinait dans le jeune comédien le futur auteur du Misanthrope et de
Tartuffe.
Molière, avec sa troupe, ne restait pas toujours à Pézénas. Il faisait
de la riante cité, placée au centre d'une importante banlieue où con-
vergeaient les grandes roules royales, le point de départ de ses excur-
sions dans les environs. Il allait ainsi donner des représentations dans
diverses villes, à Montagnac, à Marseillan, à Mèze, à Lunel, à Agde, à
Montpellier, à Béziers. à Xissan. Et quand les États généraux se
réunissaient à Pézénas, Molière, subventionné par eux. revenait
avec ses acteurs, désignés sous le titre de « comédiens de Messieurs
des Etats ».
Mais où était situé le théâtre qu'il occupait avec ceux-ci ? On s'est
souvent demandé, dit M. Alliés, où s'élevait le théâtre de Pézénas au
temps de Molière, où il jouait devant les citadins, gens du peuple et
campagnards attirés par la réputation d'une troupe d'acteurs ayant à sa
tête un chef si spirituel et si adroit, possédant de riches costumes, de
beaux décors, un répertoire varié et original. Nous pouvons aujourd'hui
en déterminer l'emplacement exact, grâce à nos recherches dans les
« compois municipaux ». Ce théâtre avait été établi dans un jeu de
paume situé près de l'hôpital Saint-Jacques et de la chapelle de ce nom.
« Il n'y a plus de doute à avoir, dit l'auteur, sur l'emplacement du
théâtre de Pézénas au temps de Molière. » On trouve encore au-
jourd'hui, de ce côté, une rue étroite portant son ancien nom de rue
Jeu-de-Paume.
Quatorze chapitres sont consacrés à Molière dans le livre intéressant
de M. Alliés : Molière comédien du prince de Conti. — Molière piscénois: —
Chez le barbier Gély. — Le fauteuil de Molière. — Les spectacles de Mo-
lière à Pézénas. — Pézénas dans l'œuvre de Molière. — Conti peint pur
Molière, etc. Ou lira surtout avec plaisir tout le chapitre consacré â la
première représentation de la farce du Médecin rolanl, donné pendant
les assises des Etats généraux du Languedoc qui se tinrent à Pezéuas
du 4 Novembre 1655 au 22 Février 1656. C'est dans les salons du
somptueux hôtel de M. d'Alfonce. baron de Clairac. chez qui le prince
de Conti était descendu, qu'eut lieu, le 9 Novembre 16oo. cette pre-
mière représentation, en présence d'une assemblée nombreuse et bril-
lante, qui comprenait, outre le prince et la princesse. « messieurs des
États ». les principaux dignitaires du -Languedoc, et. en grands cos-
tumes de gala, les représentants de la noblesse de Pézénas et de toute
la province, ce qu'on pourrait appeler « le tout Languedoc ». Ce fut
une véritable solennité. « Le spectacle, dit notre auteur, se déroula
au milieu des applaudissements unanimes de l'assemblée. Malgré la
distance où. en ces temps de dédaigneuse aristocratie, ou aimait à tenir
les comédiens. Molière fut chaleureusement complimente. Le succès
de sa nouvelle pièce, même après celui de l'Étourdi, fut immense, et
dépassa le cadre de la petite cité piscénoise pour se répandre dans toute
la province. Le Médecin volant fit désormais partie du répertoire de
252
LE MËNESTRKL
l' Illustre Théâtre, et c'est une des pièces que le Languedoc accueil'it
avec le plus de faveur. »
Cette reconstitution, si joliment faite par M. Alliés, du milieu où
Molière, alors insouciant et presque bohème, vécut quelques-unes des
meilleures années de sa jeunesse, est particulièrement intéressante,
en ce que cette gentille petite ville de Pézénas a conservé, toujours
vivant, le souvenir du jeune poète-comédien qui l'enchantait, et qu'elle
aimait profondément. Avant de se fixer à Paris au terme de ses péré-
grinations, Molière, avec ses compagnons, a visité bien d'autres villes,
plus importantes que celle-là : Béziers. Montpellier, Lyon, Grenoble...
où ses succès n'ont pas élé moindres. Aucune ne lui a voué un culte
plus tendre, plus affectueux, plus passionné, que cette aimable, mi-
gnonne et souriante cité de Pézénas. qui depuis deux cent cinquante
ans entretient chez elle, avec une ferveur toujours renouvelée, le feu de
la gloire du grand homme. Ce culte est touchant, et il est touchant
aussi de voir que lorsque Paris lui-même ne possède pas, sur l'une de
ses places magnifiques, une véritable statue de Molière, Pézénas a
consacré son souvenir par l'élégant monument qu'elle lui a élevé, en
le demandant à l'un de nos artistes les plus renommés.
Je ne puis faire mieux ni moins que de recommander l'excellent
livre de M. Alliés à tous les moliéristes présents et à venir. Il fait de
droit partie de leur bibliothèque, et il n'en sera pas le moindre orne-
ment.
Arthur Pougin-
UNE FAMILLE DE GRANDS LUTHIERS ITALIENS
LES GUARNERIUS
JOSEPH GUARNERIUS DEL GESU
I
LA VIE DE JOSEPH GUABNERIUS
Voici venir l'artiste glorieux entre tous, celui dont l'éclatante supé-
riorité fait pâlir la renommée, pourtant très légitime, qu'ont acquise
tous les membres de cette brillante famille des Guarnerius, celui dont
aujourd'hui certains n'hésitent pas à faire presque le rival du grand Stra-
divarius. Si Joseph Guarnerius del Gesù (1) avait été moins capricieux
dans son travail par suite des incidents bizarres de sa bizarre existence,
si, pour les mêmes raisons, il avait pu être plus scrupuleux dans le
choix des matériaux qu'il employait, s'il avait eu dans sa facture cette
étonnante égalité qui distingue les produits de l'artisan merveilleux
qu'on a justement appelé le roi des luthiers, il mériterait sans doute
d'occuper avec lui la première place. Ce qui est certain toutefois, c'est
irue quelques-uns de ses instruments sont simplement admirables, et,
sans leur ressembler et en témoignant au contraire d'une réelle et puis-
sante originalité, peuvent être mis en parallèle et supporter la compa-
raison avec ceux de Stradivarius. Plusieurs des plus grands virtuoses,
Lafont, Alard. Vieuxtemps, Sivori, Wilhelmy, M. Ysaye, d'autres
encore, ont donné la preuve de leur affection pour les beaux violons de
Joseph Guarnerius del Gesù, et l'on sait l'admiration que professait Paga-
nini pour l'instrument de ce maître qu'il jouait d'ordinaire dans ses con-
certs et qu'il légua, à sa mort, à la municipalité de Gènes, sa ville natale.
L'existence de Joseph Guarnerius est mystérieuse et présente des
lacunes regrettables. Jusqu'à ces derniers temps, et par suite de l'er-
reur d'un copiste, on n'avait pour sa naissance qu'une date inexacte,
celle du 8 juin 1683, tandis que la date réelle est le 17 octobre 1686. La
première avait été donnée par Fétis, qui avait toutes les raisons de la
croire authentique, tandis qu'il avait été induit en erreur par une
fausse indication. Antoine Vidal, qui a donné la date exacte, fait con-
naître la cause de l'erreur :— « L'acte de naissance de Joseph del Gesù,
dit-il, se trouve sur les registres delà paroisse San Donato à Crémone,
vol, II, page 83. Il résulte de ce document que l'acte de naissance et de
baptême de Joseph Guarnerius del Gesù donné par Fétis dans sa bro-
chure intitulée A. Stradivarius est erroné. Le vicaire Fusetti, duquel
Fétis tenait ce renseignement, avait copié dans les archives l'acte de
naissance du premier né de Gianbattista Guarneri. nommé Giuseppe-
Antonio, né en effet le 8 juin 1683, mais décédé peu de mois après sa
naissance; si le vicaire Fusetti avait poussé plus loin ses recherches,
11) Il est connu sous ce nom de Guarnerius del Gesù à cause de la marque IHS
dont il accompagnait son nom sur ses étiquettes, la petite croix qui surmonte les
trois lettres eucharistiques étant employée par les jésuites pourleurs cachets.
il aurait trouvé le véritable acte de baptême de Joseph del Gesù, qui
n'avait qu'un seul prénom, celui de Giuseppe (1). »
On sait donc aujourd'hui, > e façon certaine, que Joseph Guarnerius
del Gesù naquit à Crémone le 17 octobre 1686. Son père. Gianbattista
Guarnerius. qui n'était point luthier, était fils de Bernardo Guar-
nerius, non luthier davantage, lequel était le frère cadet d'André Guar-
nerius. Joseph del Gesù était donc petit-neveu du chef de la dynastie.
11 fut le seul de cette branche cadette qui suivit la même carrière.
Mais si l'on est fixé maintenant au sujet de sa naissance, on ne l'est
d'aucune façon en ce qui concerne sa mort. On le fait mourir généra-
lement en 1745, pour cette seule raison qu'on ne connait pas de lui
d'instrument portant une date postérieure à celle de cette année. C'est
une probabilité, ce n'est pas une certitude. On n'en sait pas davantage
sur les conditions dans lesquelles il apprit son métier. Il passait,
jusqu'à ces dernières années, pour avoir été l'élève de Stradivarius, et
Fétis, après beaucoup d'autres, le rangeait parmi les disciples de ce
maitre. Mais cette opinion a été récemment combattue avec vigueur
par George Hart dans son livre sur le Violon et par MM. Hill dans leur
biographie de Stradivarius (2). Toutefois, il faut bien le dire, les uns et
les autres n'appuient leur opinion que sur des conjectures. Georges
Hart s'exprime ainsi à ce sujet :
On a prétendu de toutes parts que Giuseppe Guarneri était élève d'Antonio
Stradivari, assertion qui, au premier chef, est dénuée de tout fondement
comme fait acquis et comme analogie. Que cette opinion ait subsisté si long-
temps sans avoir été combattue, c'est là une cause de surprise pour l'auteur
de ces pages, qui ne reconnaît absolument aucun trait commun entre ces
deux maîtres, à l'exception pourtant du vernis et peut-être aussi du haut
degré de fini qui se constate dans les ouvrages de la seconde époque de Guar-
nerius...
Il y a trois points essentiels de divergence entre le style de Guarnerius et
celui de Stradivarius. Le premier consiste dans le contour, où la différence
des deux styles saute aux yeux du plus novice. Le second est dans la coupe
des ff, où ils ne se rapprochent en aucune façon. Le dessin de Guarnerius est
long et n'est que la forme modifiée de Gasparo da Salù; le dessin de Stradi-
varius a plus de rondeur dans les extrémités. Le troisième point enfin est la
volute, dans le traitement de laquelle Guarnerius s'écarte de Stradivarius de
la manière la plus tranchée.
Mais, dira-t-on. si Guarnerius n'a pas eu les leçons de Stradivarius, par qui
donc a-t-il été formé ?
Il n'y a que deux manières de répondre à cette question, et cette réponse,
c'est l'analogie seule qui nous la fournira. Le point important est de décou-
vrir le maitre dont le travail et le style ont le plus grand degré de ressem-
blance et offrent, par conséquent, le plus d'analogie avec ceux de Giuseppe
del Gesù. Si nous passons en revue avec la plus grande attention et d'une
manière suivie les ouvrages des luthiers de Crémone, nous sommes amenés à
constater que Giuseppe Guarneri, fils d'Andréa Guarneri et cousin de Guar-
nerius del Gesù, est le seul dont les productions présentent la ressemblance
cherchée. C'est donc lui que l'analogie nous indique comme le maitre de son
cousin. Le fils d'Andréa Guarneri était de beaucoup plus âgé que son cousin
del Gesù; et il est beaucoup plus raisonnable de conclure que ce fut dans son
atelier que Guarnerius del Gesù reçut ses premières leçons que de lui assi-
gner un maitre dont il n'a jamais imité les ouvrages et dont le style n'a rien
de commun avec le sien.
On voit que l'écrivain n'appuie son opinion que sur deux faits qu'il
prétend établir : d'une part, le manque d'analogie qu'il constate entre
les produits de Guarnerius del Gesù et ceux de Stradivarius ; et. d'autre
part, sur l'analogie qu'il découvre au contraire entre sa facture et celle
de son cousin, l'autre Joseph. C'est très bien. Mais, un peu plus loin,
Hart démontre qu'il existe une grande ressemblance entre le travail de
Guarnerius del Gesù et celui de Gaspar da Salo : — « IL semble, dit-il,
avoir pris Gasparo da Salo pour guide et s'être inspiré de ce maitre pour
la formation de son modèle. En examinant attentivement chaque détail
et en analysant les mérites et les défauts du modèle de Gasparo, on est
invinciblement amené à conclure que Guarnerius a pris pourpoint de
départ celui où Gasparo s'était arrêté et qu'il a pris à tâche de com-
pléter ce que le grand luthier de Brescia avait laissé d'inachevé. »
Hart constate donc de grands points de ressemblance entre la facture
de Guarnerius del Gesù et celle de Gaspar da Salo ; il ne saurait cepen-
dant supposer que le premier fut l'élève du second, puisque celui-ci
vivait à Brescia au seizième siècle. Mais, alors, comment cette simple
analogie découverte par lui entre les travaux de Guarnerius del Gesù et
ceux de sou cousin Joseph, fils d'André, lui permet-elle d'affirmer de
(1) Voici le texte même de cet acte :
o Anno 168 sesto, Die décima septima octobris, Joseph lilius D. Joannis Baptista
de Garneris et Maria do Locadellis, baptizatus fuit p. me J. B. Barozium-Patrinus
fuit Franciscus Barozius hujus vicinetœ obstetrix pro Rev" Matre D. Clara Teodora
Nicola Professa in monasterio Stœ Maria; Cistelli. » (.Vtti parrochiali di S. Donoto).
(2) Antoine Stradivarius, sa vie el son oeuvre.
LE MÉNESTREL
253
façon si péremptoire qu'il fut l'élève de ce dernier ? Cette affirmation ne
repose donc, en réalité, que sur des conjectures, de môme que la certi-
tude qu'il prétend avoir, en dépit de la tradition, que Stradivarius ne
fut pas le maitre de Guarnerius del Gesù. Cependant, MM. Hill, sans
prendre, eux, la peine de donner aucune espèce de raison, n'hésitent
à se ranger à l'avis deHart; parlant des élèves de Stradivarius, ils
disent : — « Fétis, s'appuyant sur l'autorité de Vuillaume, cite (comme
ses élèves) Joseph Guarnerius del Gesù, Lorenzo Guadagnini, Carlo
Bergonzi, Francesco Gobetti de Venise, Alessandro Gagliano, Michel-
Angelo Bergonzi et les deux fils de Stradivarius, Omobono et Fran-
cesco... Il faut simplement rayer de cetteliste lenom de Joseph Guarnerius,
car il n'existe aucune preuve qu'un lien professionnel quelconque le
rattache à son illustre contemporain : ajoutons que nous partageons
complètement l'opinion de Hart, qui en fait l'élève de son oncle Joseph,
fils d'André Guarnerius. »
« Il n'existe aucune preuve... ». et alors ces messieurs concluent har-
diment pour la négative ; c'est ce qui s'appelle résoudre la question par
la question, et la solution me parait manquer d'élégance et de solidité.
Je ne me permettrai pas de prendre parti dans la cause. Je constate
seulement que les luthiers anglais se refusent à faire de Joseph Guar-
nerius un élève de Stradivarius, à rencontre de Vuillaume, luthier
français dont nul ne méconnaît la valeur, et qui croit le contraire. La
vérité, c'est qu'on ne sait rien de précis à ce sujet, et qu'il n'est permis
de rien affirmer ni dans un sens ni dans l'autre.
Au reste, qu'il fût ou non élève de Stradivarius, qu'il le fût de son
cousin Joseph (et non son oncle, comme le disent par erreur MM. Hill),
ce qu'on sait du moins, c'est que, son apprentissage terminé, Joseph
del Gesù s'établit à Crémone. En quelle année? c'est ce qu'il serait
difficile de dire. Mais ce qu'on tient de certain, c'est qu'il occupait, sur
la principale place de la ville, une maison proche de celle habitée par
Stradivarius, dont elle n'était séparée que par celle de Carlo Bergonzi.
Hart, à qui son enthousiasme pour la lutherie crémonaise a fait faire
plusieurs voyages en ce pays dans le but de se renseigner de façon pré-
cise sur ces grands artistes, donne les détails intéressants que voici :
— « La place San Domenico à Crémone, au milieu de laquelle se trou-
vait l'église de ce nom, démolie en 1870, et qui s'appelle aujourd'hui
Piazza Borna, était jadis le centre du commerce de la lutherie. Devant
l'église se trouvaient trois maisons sur le même rang, dans l'une fut celle
de Stradivarius, une autre celle de Carlo Bergonzi, et la troisième celle
du grand Guarnerius. Sur le côté en retour étaient celles occupées par
Nicolas Amati et par Storioni. Et tout auprès, dans la via dei collellai,
celle de Ruggeri (1).
On aurait plaisir à se figurer le voisinage amical et comme fraternel
de ces trois grands luthiers : Stradivarius, Bergonzi et Guarnerius.
dont l'un, plus âgé, était déjà célèbre, tandis que les deux autres
étaient appelés à le devenir ; on voudrait les voir chacun au travail
dans leur atelier encombré d'une foule d'instruments dont quelques-
uns à peine ébauchés, entourés de leurs apprentis et de leurs élèves,
auxquels ils enseignent, avec les principes de leur art charmant et
presque mystérieux, le maniement de tous ces outils aux proportions
mignonnes et délicates ; les scies, les rabots, les canifs, les traçoirs, les
gouges, les limes, les compas, les râpes, les ratissoirs, les bédanes...
De Stradivarius, on sait qu'il travaillait au rez-de-chaussée de sa
maison, le premier étage étant spécialement consacré au vernissage des
instruments, opération particulièrement délicate ijt qui demandait un
soin infini en raison de son importance pour la sonorité. « Il était,
a-t-on dit, de haute stature et maigre. Habituellement coiffé d'un
bonnet de laine blanche en hiver, et de coton en été, il portait sur ses
vêtements un tablier de peau blanche lorsqu'il travaillait, et comme il
travaillait toujours, son costume ne variait guère. »
(A suivre.) Arthur Pougin.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour les seuls abowves a la musique)
Encore une mélodie de la nouvelle série écrite par Ernest Moret, sur des poésies
de Klingsor, et qui n'est pas une des moins troublantes : Ole ton voile. Elle est enve-
loppée d'harmonies ondoyantes et parfumées, pour Unir sur un accompagnement de
• flûte arabe » tout à fait délicieux.
(1) On pourrait remarquer qu'il y a un peu plus d'un demi-siècle existait aussi à
Paris une sorte de centre du commerce de la lutherie : c'était la rue Croix-des-Petits-
Champs et ses entours, où, vers lb50, s'étaient réunis un certain nombre de luthiers.
Au numéro 16 de la rue Croix-des-Petils-Champs on trouvait Clément; au nu-
méro 21, Bernardel; au numéro 24, Gand; au numéro '16, Vuillaume; non loin
d'eux, Maucotel. Puis, quelques autres étaient établis, dans les rues adjacentes, rue
-Chabanais, rue Baillif, etc.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Le célèbre compositeur norvégien Jean Svend-en a été nommé chevalii-r
de la Légion d'honneur. Il fut longtemps premier chef d'orchestre de l'Opéra
de Christiania. Ses œuvres musicales sont nombreuses bien qu'un très petit
nombre en ait été entendu à Paris. On assure que cV-l.W. [''allières qui a désiré,
pour cet artiste Scandinave, la distinction lionorilique dont il vient d'être
l'objet de la part de la France.
— Au moment même où ont commencé les fêtes wagnériennes de Bayreutb,
un écrit a été reproduit par les journaux allemands. On l'attribue à M. Sieg-
fried Wagner. Quel qu'ensoit l'auteur, il suflit de le reproduire; tous com-
mentaires seraient superflus. En voici la teneur : « Assurément, je m'occupe
de composer un opéra, ni comique, ni sérieux, mais comique et sérieux a la
fois. Pour ce qui est du texte, que naturellement j'écris moi-même, je n'aime-
rais pas mettre sur le papier ce que j'ai à en dire; toutefois, très volontiers en
parlerais-je de vive voix. Mon stylo est celui de Xicolaï. Voici ce que cela
veut dire : Je ne compose pas dans la manière mal comprise de "Wagner, ce
qui signifie que je ne chausse le cothurne de personne, car mes pieds pour-
raient en élre meurtris. Vous savez déjà ce que je pense de la quincaillerie
musicale des compositeurs de l'école présente. Quart aux fêtes de Bayreuth,
elles me causent une joie de Titan ! Ces fêtes constituent « l'épine dorsale i>
de l'année, peut-être aussi l'épine dorsale de l'Allemagne, dans tous les cas
l'épine dorsale de l'art allemand. Et en effet, ce que. dans ces derniers temps,
j'ai pu voir sur différents théâtres, en fait de représentations, était triste et
déprimant, principalement à cause de l'aplomb presque cynique avec lequel
s'y déployait le charlatanisme des compositeurs d'à présent, qui dédaignent
les enseignements de mon père pour y substituer leur propre sottise. Rien ne
montre mieux la nécessité toujours claire et pressante de maintenir l'œuvre
de Bayreuth ». S'il était démontré que ce joli morceau de prose fut de
M. Siegfried Wagner, on pourrait bien dire qu'il est difficile de plaider pro
domo avec plus de cynisme, plus de maladresse et plus de sottise à la fois.
— Les wagnériens qui visitent en ce moment Bayreuth s'occupent déjà de
savoir s'il y aura ou non des représentations de fête en 1909. La question n'a
pas élé tranchée ; on s'ait seulement que le propriétaire d'un cirque, ayant
demandé à la municipalité de la ville l'autorisation de donner des séances
pendant l'été de l'année prochaine, a obtenu un acquiescement conditionnel,
un « oui » avec la restriction suivante : « S'il n'y a pas de festival Wagner. »
— On a prêté à M. Conried, l'ancien directeur du Metropolitan Opéra House
de New-York, l'intention de fonder à Berlin un nouveau théâtre d'opéra, au
capital de 11.250.000 francs. Rien d'exact en tout cela.
— L'empereur d'Allemagne appréciait chez Grieg l'homme et l'artiste. Lors
de son dernier voyage en Norvège, il alla visiter le lieu si pittoresque où
reposent les restes mortels du maitre. Fortement impressionné par le charme
du paysage, il voulut qu'on en fixât le souvenir sur la toile et commanda un
grand tableau à un peinlre de Berlin. On ne nous dit pas quel est ce peintre.
Souhaitons que l'empereur Guillaume ait été heureux dans son choix, car le
lieu de la sépulture de Grieg, près de Bergen, dans la grotte de Troldhangen,
au bord d'un lac, est en effet d'une incomparable beauté.
— Grillparzer compositeur. La Neue Revue de Berlin vient de publier une
composition restée jusqu'ici inconnue du poète Franz Grillparzer. Elle a été
trouvée par M. Richard Batka dans une collection d'autographes, et démontre
que l'auteur ne possédait pas les notions élémentaires de l'harmonie et du
contrepoint. L'essai reste cependant très intéressant, car ce sont des vers de
l'Odyssée que Grillparzer a mis en musique ; on peut donc facilement se rendre
compte de la manière dont le poète envisageait le rythme et l'accentuation
dans les vers d'Homère, longtemps avant que des savants autorisés comme
Westphal et M. Gevaërt aient posé leurs conclusions. La mélodie de Grill-
parzer est une sorte de suite psalmodiée de notes qui ne modulent guère qu'à
la dominante, et dont les accompagnements ne sont que des suites alternées
de croches se succédant en dessins réguliers. La basse est écrite comme peut
le faire un amateur. L'ouvrage finit par un effet suspensif sur la tierce rem-
plaçant la tonique à la partie supérieure de l'accord final. Quoi qu'il en soit.
Grillparzer n'était pas absolument étranger à l'art musical: il savait l'apprécier
en critique intelligent, fut un admirateur de Mozart et de Rossini, et ne
dédaigna pas Beethoven. Il reçut des leçons de piano d'un professeur nommé
Gallus.
— On a inauguré à Carlsbad, le 4 juillet dernier, une statue en l'honneur
de Chopin pour commémorer le souvenir de son séjour dans cette ville. Cette
statue a été érigée par souscriptions, aux frais de la colonie polonaise.
— A l'occasion du soixantième anniversaire de l'avènement au trône de
l'empereur François-Joseph (2 décembre 1S4S). la fondation internationale
Mozarleum donnera le 17 août prochain, au Théâtre-Municipal de Salzbourg.
un festival dans lequel on entendra Mme Lilli Lehmann, M. Léopold Demuth,
le quatuor Fitzner et l'orchestre du « Mozarteum o dirigé par M. Joseph Reiter.
Le lendemain, ces artistes et quelques autres qui leur seront adjoints exécute-
ront, dans l'église-cathédrale, la Messe du Couronnement et l'Ave verum de
Mozart. A l'Offertoire, Mme Lilli Lehmann chantera un Alléluia du grand com-
positeur.
254
LE MÉNESTREL
— La censure de Prague a souvent fait parler d'elle : les allusions poli-
tiques et les libertés de langage qui ont éveillé ses susceptibilités ne se
comptent plus depuis longtemps. Il faut toutefois signaler son dernier trait,
car il montre jusqu'où peuvent aller les scrupules de ces messieurs et quelle
préoccupation tracassière les domine. Dans une pièce burlesque intitulée
l'Exposition jubilaire de Prague en Vannée 4908 se trouvait la phrase suivante :
« Chez nous, à Vienne, le café est mauvais, mais, à Prague, il est exécrable. »
Cette atteinte portée à la réputation des cafés de Prague parut aux censeurs
tout à fait dangereuse pour l'ordre public; ils exigèrent la suppression de la
phrase incriminée, et le directeur du théâtre populaire allemand qui avait
monté l'ouvrage dut en passer par là. Ce n'est pas tout. Les censeurs, après
avoir protégé la renommée des cafés de Prague, jugèrent qu'il ne serait pas
mal de défendre les hôteliers qui les vendent. Une scène de l'ouvrage qui leur
était soumis se passait dans un hôtel dénommé « A l'Étoile bleue ». L'auteur
de la pièce et le tenancier de l'hôtel s'étaient-ils mis d'accord, et s'agissait-il
d'une réclame concertée entre eux? On l'a dit sans que la chose ait été prou-
vée. Ce qui parait certain toutefois, c'est que, l'œuvre n'ayant pas été jouée,
aucune plainte n'avait pu régulièrement se produire. Mais la censure est pré-
ventive dans les pays où elle fonctionne avec tous ses avantages. Elle exigea
que le malheureux auteur, déjà houspillé pour la question des cafés, se munit
d'une autorisation écrite du propriétaire de l'enseigne '< A l'Étoile bleue »
attestant qu'il avait obtenu toutes permissions et licences jugées nécessaires.
Ainsi fut fait. On a rappelé, à propos de ce dernier trait de la censure bohé-
mienne, qu'avant d'avoir défendu les cafetiers de Prague, sa sollicitude s'était
étendue sur les militaires autrichiens, et que, dans la circonstance, elle s'était
montrée, — oh! bien sans le vouloir, — gardienne de la. vérité historique et
de la couleur locale au théâtre. Le Macbeth de .Shakespeare ayant été mis en
scène, le directeur, un peu simpliste, trouva tout naturel d'affubler, de l'uni-
forme autrichien les soldats de l'aventurier écossais. Il avait compté sans son
hôie. La censure opposa son veto et. rendit ainsi impossible l'absurdité scé-
nique dont allait se rendre coupable le directeur du théâtre. Nul ne lui en sut
gré d'ailleurs, car ses mobiles et son intelligence étaient connus. Elle avait
fait ses preuves, mais on rit beaucoup à Prague de ses craintes à l'occasion
des soldats de Macbeth.
— La compagnie théâtrale « Città di Milano » a donné au théâtre Alfieri
de Turin la première représentation d'une opérette en trois actes de M, Rei-
vihard, Dolce Leota. Le succès doit être dûplutùt à une interprétation excellente
qu'à la valeur de l'œuvre elle-même. Après une saison trè; avantageuse de
cinq mois, la compagnie a quitté Turin pour se rendre à Gènes. En septembre,
octobre et novembre, elle jouera au Costanzi, à Rome, et rentrera à Milan
pour la saison du carnaval.
— On prépare d'ores et déjà les fêtes qui auront lieu au mois de janvier 1909,
à l'occasion du quatre-vingtième anniversaire de la naissance du grand tragé-
dien Tomaso Salvini. Une médaille en or lui sera offerte et le Conseil muni-
cipal de Rome lui décernera probablement le titre de citoyen romain. Sa con-
duite courageuse pendant les événements de 1849 justifierait pleinement cette
distinction.
— A l'occasion du centième anniversaire de la naissance de Verdi, aura
lieu en 1913, à Milan, une exposition internationale du théâtre. Elle com-
prendra trois sections principales : 1° le théâtre proprement dit ; 2° la musique ;
3° les artistes et la littérature du théâtre. La première section embrassera tout
ce qui a rapport à la construction et à l'aménagement des théâtres, à la mise
en scène, aux costumes, etc., dans l'antiquité, au moyen âge et à l'époque
moderne. La deuxième section présentera tous les documents relatifs à l'an-
cienne écriture musicale, les instruments de musique anciens et modernes, les
procédés de la gravure, l'impression, etc. Enfin la troisième section sera con-
sacrée à tout ce qui concerne les droits d'auteurs, la législation du théâtre,
les rapports des artistes avec les directeurs ou entre eux; questions d'engage-
ments, appointements, retraites, etc. Une section spéciale sera rattachée aux
trois principales et aura pour objet de faciliter les études relatives à la musique
religieuse et au chant populaire.
— Nous avons dit déjà qu'un éditeur de musique de Milan avait organisé
an concours international pour un libretto d'Opéra. Un jury composé d'écri-
vains et de musiciens fut nommé pour décerner le prix. L'auteur de l'œuvre
déclarée la meilleure devait recevoir une somme de 25.000 francs. Des cen-
taines de libretti en différentes langues furent envoyés. Le choix s'arrêta sur
un ouvrage intitulé la Festa de! Grano (la Fête de la Moisson), par le poète
romain Salvatori. Ce libretto, dont l'action se passe à la campagne, est cepen-
dant symbolique. Il fut offert à M. Mascagni qui le rendit après de longues
hésitations. On annonce à présent que le prêtre-compositeur Giocondo Fino,
de Turin, se serait chargé de le mettre en musique.
— Le violoniste Karl Deichmann, qui vient de mourir, a été le héros d'une
plaisante mystification. C'était au festival wagnérien qui eut lieu à l'Albert
Hall de Londres, en 18T7. Pendant une répétition, Wagner s'était montré
mécontent de l'orchestre et en avait usé vis-à-vis des artistes avec des
façons beaucoup moins qu'aimables. La séance terminée, il éprouva le besoin
de déverser de nouveau son impatience sur les malheureux musiciens, et,
s'adressant à son compatriote Deichmann comme à celui d'entre eux qui pou-
vait comprendre ce qu'il avait à dire en allemand et le traduire en anglais, il
s-'èxprima ainsi : « Faites savoir à ces Messieurs que dans toute grande ville
d'Allemagne ils auraient été immédiatement congédiés à cause de leur mau-
vaise exécution. » Infidèle pour le bon motif, le traducteur lit à l'orchestre la
déclaration suivante : « Messieurs, M. Wagner me prie de vous' dire qu'il se
rend pleinement compte des difficultés que présente sa musique, qu'il vous
demande de jouer de- votre mieux et, autant que faire se pourra, de vous
montrer moins désagréables que lui-même ».'
— Un journal italien nous raconte qu'un de ses compatriotes depuis long-
temps déjà établi àLondres, un Piémontais nommé Adolfe Boziani, qui, après
avoir été un excellent maître d'hôtel, a fondé dans Pall-Mall un restaurant
aujourd'hui très achalandé, est un friand amateur d'autographes, et a su, avec
beaucoup d'habileté, se former en ce genre un album très curieux. La pre-
mière page de cet album avait été réservée pour Adelina Patti ; mais, celle-ci
tardant à venir, il saisit l'occasion d'étrenner sa collection avec un autographe
du fameux auteur sir Charles Wyndham. M"1" Patti se présentant enfin et fa
première page étant occupée, elle prit la dernière, sur laquelle elle écrivit : Une
belle voix est un don de Dieu. Mm" Sarah Bernhardt résista longtemps aux ins-
tances du Boziani ; enfin, un soir, après un grand triomphe dans la Dame au,r
camélias, elle s'exécuta, mais d'une main si nerveuse que les deux lignes
tracées par elle sont restées jusqu'ici complètement indéchiffrables pour les
plus experts paléographes. Par contre. M""-' Melba, d'une calligraphie superbe,
inscrivit cette pensée : L'art est un ami qui ne trompe jamais, à laquelle un
humoriste du journal Punch ajouta : mais qui est souvent trompé. La présence
du célèbre inventeur Marconi inspira un trait de génie à notre homme, qui,
quoique restaurateur, a, paraît-il, de l'esprit à l'occasion. Le susdit Marconi
avait toujours refusé sèchement sa signature. Or, un soir, en le voyant entrer,
Boziani eut l'idée de modifier la rédaction de son menu et d'y placer des
« haricots verts à la Marconi». Celui-ci, intrigué, lui demanda quel était ce
plat qui portait son nom, et l'autre lui répondit : » Signor, ce sont des hari-
cots sans fils.-» Et, du coup, il eut son autographe.
— Le gouvernement de la République Argentine a interdit à tous les théâ-
tres de son territoire de jouer des pièces dani lesquelles les acteurs ont à
endosser le costume militaire. Suivant l'exemple donné en haut lieu, le direc-
teur de la police de Buenos-Ayres a défendu que l'uniforme des agents fût
porté sur la scène. Les journaux protestent contre ces mesures.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
On reparle, ou mieux on a reparlé tous ces temps derniers, et très
sérieusement, de la reconstruction de notre très vétusté Conservatoire natio-
nal de musique et de déclamation. La combinaison mise en avant, et qui
parait avoir des chances d'aboutir, est celle qui consisterait à céder les terrains
du faubourg Poissonnière à l'administration des Téléphones, qui les paierait à
raison de 1.000 francs le mètre carré. Avec la somme très rondelette ainsi
encaissée, on ferait acquisition des terrains occupés par la caserne de la Nou-
velle France, située dans le même faubourg mais plus haut, presque à l'angle
de la rue Lafavette, on édifierait un immeuble neuf, et on pourrait même
indemniser l'administration de la Guerre pour la reconstruction de sa caserne
sur un autre emplacement. On dit, dans les milieux très bien informés, que
ce beau rêve pourrait être réalisé d'ici trois années. Souhaitons. — il a été déjà
tant de fois question du rajeunissement du Conservatoire ! — que cette fois
soit enfin la bonne, et souhaitons aussi, si la chose se fait, que l'architecte à
qui sera confiée la construction ait plus souci du côté pratique que de l'inutile
côté décoratif.
L'administration de l'Opéra dément la nouvelle, lancée cette semaine par
un de nos grands confrères du matin, que l'on comptait monter, la saison
prochaine, des ballets russes dansés par Mlles Kochesniska et Paolava, entou-
rées des corps de ballet de l'Opéra de Saint-Pétersbourg.
Et à propos de musique russe, une note parue dans les quotidiens de ces
jours-ci nous apprend que la Pskuuilaiiw, de Rimsky-Korsakolï, dont on avait
annoncé l'éventuelle représentation à' l'Opéra, sera donnée sur une grande
scène parisienne, dirigée par une femme (cherchez ! Est-ce Sarah ? Est-ce
Réjane?), en même temps que la Fiancée du Tsar du même Rimsky-Korsakoff,
que la Charmeuse et OprïlcKnick de Tschaïkowsky. C'est Mme Halpérine, la
traductrice de Snegourotclika, qui organise cette saison russe.
Servons-nous encore du charmant Almanach des Spectacles de notre
excellent confrère Albert Soubies, et. comme nous le faisons chaque année,
établissons, d'après lui, le tableau du nombre de représentations obtenu à
l'Upéra-Comique par chaque compositeur au cours de l'année MOT. Comme
toujours, c'est M. Massenet qui arrive en tête. Voici, d'ailleurs, le tableau
complet :
M. Massenet avec 4 ouvrages (Le Jongleur de Notre-Dame,
Manon , Marie- Magdelein e
at Werther) a été joué 68 fois.
M. Puccini — 2 — {Madame Butterfly et la Vie
de Bohème) — 67 —
Bizet — 1 — {Carmen) — 36 —
M. Messager — 1 — (Fortunio) — 27 —
Léo Delibes — 1 — (Lakméj — 19 —
Gluc]c _ 3 — (Iphigênie en Aulide, Iphi-
génie en Tauride et Orphée) — 19 —
Ambroise Thomas . . — 2 — {Mignon et le Caid) .... — 18 —
M. Xavier Leroux . . — 1 — {Le Chemineau) 18 • —
M. Mascagni — 1 — (Cavalleria rusticuna) ... — 17 —
Victor Massé .... — 1 . - {Les \oces de Jeannette) . . — 15 —
Verdi — 1 — (La Traviala} — 13 —
M.Gust. Charpentier. - 1 — Louise) — 12 —
LE MÉNESTREL
M. Dukas. . . .
Gounod
lîossini
M. F. Fourdrain.
avec 1 ouvrag
- 1 -
M. Debussy . .
M. Ed. Diat. .
MM.P eiL.Uiliemacber —
M. Erlanger —
Ad. Adam —
M. G. Pierné . . . . —
M. G. Doret —
M. E. Jaques-Dalcroze —
Auber '—
M. Saint-Saëns ... —
Donizetli —
Maillarl • . —
Paër —
M. Gabriel Duponl. . -
Xicolo -
Benjamin Godard . . —
- 1 -
(Ariane et Bariie-Blcue: . . ;
Mireille)
(Le Barbier de Sèville) . . .
(La Légende du point d'Ar-
gentan}
(Peltéas el Mclisande) . . .
La Revanche d'Iris ....
Cirrr
(Aphrodite)
(Le Chalet;
(La Coupe enchantée) . . .
Les Armaillis)
(Le Bonhomme Jadis . . .
Le Domino noir)
La Prinresse jaune] ....
La Fille du régiment . . .
(Les Dragons de VUlars . .
Le Maître de chapelle) . . .
I Lu Cabrera)
Les Rendez-vous bourgeois}
Ln Vivandière)
12 (vis.
II —
Il —
3 -
3 —
— Et' si nous faisons le même traviil pour l'Opéra, au cours de cette même
année 1007. nous obtiendrons le tableau suivant :
avec i ouvrages 'Ariane et Thah
été joué 45 fois.
Gounod
M. Saint Saëns. ...
M. Keyer ■
M. P. Vidal ■
M. Le Borne . . . . -
M. Wormser ....
K.Bourgault-Ducoûdray-
Gluck
Meyerbeer. . . .
M. H. Maréchal .
M. Paladilhe . .
Léo Delibes.. .
Rnssini
— 1 —
(Lohengrin, Tannhiiuser, la
Wall.yrie et Tristan et
Isolde)
i Faust et Roméo et Juliette! .
Samson et Datila)
Sigwd et Salammbô) . . .
La Maladettaj
■'La Catalane
, L'Élode)
Thamara)
[Armide)
(Les Huguenots et le Pro-
phète)
Le Lae des Aulnes) ....
(Patrie)
(Coppélia)
Guillaume Tell)
— M. Elwell, père d'une élève du Conservatoire, rencontrait, le 6 juillet
dernier, à la sortie du concours de violon, le professeur Lefort. Il s'approcha
de lui, l'insulta et lui jeta son gant à la figure, sous prétexte que le professeur
avait négligé sa fille pendant son année d'études. M. Lefort soutient qu'il a
donné a Mlle Elwell les mêmes soins qu'à ses autres élèves. Le tribunal de
simple police, devant lequel comparaissait hier M. Elwell. a condamné ce
dernier à six francs d'amende, au franc de dommages-intérêts réclamé par
M. Lefort, et à trois insertions, le juge de police estimant que M. Lefort avait
éprouvé un préjudice artistique.
— On annonce les fiançailles de M. ïiarko Richepin, le plus jeune des fils
du maitre-poète Jean Richepin, avec MLle Sanze-Luro, une jeune harpiste de
talent. On sait que M. Tiarko Richepin a fait toutes ses études musicales à
notre Conservatoire et que, malgré son jeune âge, il a vu déjà plusieurs de
ses compositions exécutées et publiées.
— L'Éventail de Bruxelles reproduit une amusante anecdote à laquelle la
reprise récente i'Hippolyte el Aride prête un caractère d'actualité. Notre grand
musicien Rameau se promenait un jour, rêvant à quelque mélodie lorsqu'il
entendit une voix claire qui chantait un air de sa composition. Surpris, il
s'arrête et aperçoit à la fenêtre d'un hôtel une perruche se balançant dans une
cage dorée. Aussitôt il veut l'acheter et va même jusqu'à en offrir cinq cents
francs. « Pas même pour mille, répond la dame propriétaire de l'oiseau ; je
l'ai instruite moi-même et j'y tiens infiniment. — C'est vous, alors, Madame.
qui lui avez appris cet, air de Rameau ? — Oui, c'est une musique de prédi-
lection pour moi, et, si je cédais jamais ma perruche, ce serait en échange
d'une composition médite de ce maitre. — Qu'à cela ne tienne, Madame,
s'écria Rameau triomphant, j'aurai votre oiseau chanteur pour beaucoup
moins de cinq cents francs ». Prenant aussitôt une feuille de papier et un
crayon, il écrivit un morceau qu'il avait tout prêt dans sa mémoire, le signa
Philippe Rameau et le remit à la dame en échange de la précieuse perruche.
Une fois en possession de l'oiseau, Rameau essaya de lui apprendre d'autres
airs et réussit tellement à son gré qu'il se montrait plus lier de son élève aux
plumes vertes que de ses propres compositions. Les chanteuses de l'Opéra
s'en aperçurent bien vite: lorsque l'une d'entre elles n'arrivait pas à le satis-
faire pendant les répétitions de ses opéras, il lui disait avec une ironique
bonhomie : « Mademoiselle, si vous continuez à chanter ainsi, je vous en-
verrai prendre des leçons auprès de ma perruche ».
— Opinion de M. Mascagni sur deux de ses confrères, recueillie par l'Éven-
tail de Bruxelles :
La musique moderne ne durera pas. Quels ouvrages la caractérisent le mieux?
■Salomé et Pelléas. L'un et l'autre peuvent être acclamés. Ils passeront vite. Salami
est une partition bizarre-et-ifigénue. Les réminiscences qu'elle contient en sou-
lignent l'ingénuité. Ainsi, au moment le plus tragique, quand tombe la tête de Jean,
la musique devient pauvre lamentablement, au point d'en être risible. La imi-iqu>-
■le Pelléas fait songer à ces accompagnateurs di iniques qui
jouent modestement, timidement, leurs petits airs, lundis que -e déroulent les épi-
sodes les plus extraordinaires. Le public regarde le spectacle el n'écoute pas la
musique. Où irions-nous si la manière ■!•• M. Ii.-bu-s; nioinpbail des îutn
plus respectueuses des principes fondamentaux de la musique 7 Heur
l'histoire de l'art nous enseigne qu'aux époques de décadence succèdent des époques
de renaissance artistique. Le public, après avoir applaudi aux au !i
rites, revient toujours à l'art pur, sain et national.
Ainsi parla l'auteur de Cavalleria.
— Une anecdote sur Chopin est toujours la bien venue, même quand elle a
déjà été racontée. Nous empruntons celle-ci au Tealro illuslrato. I n ioir
Chopin rentra chez lui en compagnie de quelques amis, parmi les]
trouvait Szmitkowsky, à qui i! avait dédié trois de ses plus belles mazurkas;
il se plaignait de ses mauvaises finances." Ah', s'exclama-t-il, si un bon génie
glissait vingt mille francs dans un tiroir de mon bureau, je pourrais alor- me
procurer quantité de choses que je désire tellement ! o La nuit suivante, Cho-
pin rêva que ses vœux avaient été réalisés. Il ne manqua pas de raconter à
tous et los souhaits qu'il avait formés et le songe qu'il avait eu. Quelques
jours après, en ouvrant le tiroir d'un meuble', il trouva vingt billets de mille
francs. On sut plus tard qu'une élève écossaise du maitre, miss Stirling, ayant
entendu répéter les propos qu'il avait tenus, s'était empressée de cacher chez
lui la somme désirée. Il ignora toujours, dit-on, quelle était la généreuse do-
natrice ».
— M. Paul Vidal, le distingué chef d'orchestre de l'Opéra, qui passe en ce
moment ses vacances dans les Vosges, a eu la charmante pensée d'organiser
pour les Trente Ans de Théâtre, dont il est un des principaux collaborateurs,
une représentation à Contrexeville et une à Vittel. Indépendamment des
artistes de chaque troupe. le public a eu le plaisir d'entendre la triomphale
lauréate des derniers concours du Conservatoire, M1U Alice Kaveau, qui a été
acclamée, ainsi que deux des plus gracieux sujets de l'Académie de danse,
jpies Guillemin et de Moreira. Quand à M. Paul Vidal, il a doDné. avec le
concours des excellents orchestres de MM. Dobbelaere et Stevens, les Dame
Tanagréennes et les Dames anciennes de son nouveau ballet Zino-Zina, et cette
o première » a obtenu le plu; éclatant succès.
— De Conslantine : Un violent et terrible tremblement de terre, survenu
dans la nuit du 3 août, a endommagé sérieusement la plupart des grands édi-
fices de la ville. Le Théâtre-Municipal est notamment parmi les constructions
qui ont le plus souffert, une partie s'en est écroulée et une large fissure s'est
produite dans toute sa hauteur. La population est affolée, mais on n'a heu-
reusement aucun accident de personne à déplorer.
NÉCROLOGIE
A Leipzig vient de mourir le professeur Paul Homeyer, titulaire de la
classe d'orgue au Conservatoire et organiste des concerts du Gewandhaus. Des
éditions des œuvres d'orgue de Bach, Mendelssohn et Schumann revisées par
lui jouissent d'une sérieuse notoriété.
— Un violoniste, ancien élève de Spohr, Ernst et de Bériot, Karl Deich-
mann, vient de mourir à Londres, où il s'était établi depuis 1S4S. Très lié
avec M. Hans Richter, il prit part au festival wagnérien qui eut lieu en 1S77
à Albert Hall. Il a occupé une place très honorable dans le professorat.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Viennent de paraître, chez E. Fasquelle : De Hambourg aux Marches de /'
Jules Huret (3 fr. 50) ; Jeunes plies, roman, de Victor Margueritte ;3 fr. 50); l'Espoir,
roman de Georges Lecomte [3 fr. 50).
VILLE DE NANCY
Un concours est ouvert pour la nomination de deux professeurs de solfège
au Conservatoire de musique de Nancy. Le cours élémentaire sera confié à un
professeur femme, celui du soir à un professeur homme.
Les candidats devront justifier de leur nationalité française. Ils sont invités
à déposer leurs demandes et leurs titras au secrétariat de la mairie, du 15 au
30 septembre 1908.
Les épreuves imposées sont les suivantes : 1° Réalisation à 4 parties d'une
basse chiffrée. 2° Accompaguement au piano d'un chant donne et transposition
pratique. 3° Résoudre six questions de théorie et de principe (composition
écrite). 4" Lecture d'une leç:m de solfège inédite à changement de clés.
3° Dictée musicale. 6° Épreuve d'enseignement. 7° Questions générales sur
l'histoire de la musique. — Miseenloge pour la réalisation de la basse chiffrée,
le dimanche 11 octobre de '2 h. à "7 h. Autres épreuves le lundi 12 octobre
à 3 h.
Traitement annuel de 600 fr. au titulaire de chaque emploi.
256
LE MENESTREL
Paris, AU MÉNESTREL, 2 bis, rue Vivienne, HEUGEL et Cie, éditeurs-propriétaires.
RÉPERTOIRE DES CASINOS (Concerls et Dais)
LES DERNIERS GRANDS SUCCÈS DES
fantaisies, Ouvertures, Valses lentes, lïloreeaax de genre, ete.
(MOYEN ET PETIT ORCHESTRE)
BADES (P.)- D'un pas léger, petite marche.
Orchestre complet avec piano cond., net 2 »
Chaque partie supplémentaire, net. . . » 20
BALDI (Carlo). Marche napolitaine.
Orchestre complet avec piano cond., net 3 »
Chaque partie supplémentaire, net. . . » 25
BERGER (Rodolphe). Dernier baiser, valse très lente.
— Impératrice, valse lente.
— Tentation, valse lente.
— lîheure grise, valse lente.
— Un peu d'amour, valse lente.
— Marche des soireux.
— Ne mentons pas aux femmes! valse lente.
— Bibelots, pièce de genre.
— Le Cri-cri, polka moderne.
— C'était un soir d'été, romance sans paroles.
— A quoi pensez-vous, valse lente.
— C'est la vie! marche.
— Perdition, valse.
— Are you ready?... Go! polka.
— Cœur fragile, valse lente.
— Printania, pièce de genre.
— La Patrouille passe..., ronde de nuit.
— Rions toujours, valse viennoise.
— Dans le silence de la nuit, valse-sérénade.
— Valse du Chevalier d'Éon.
— La Romanichelle, mazurka.
— En fermant les yeux, valse lente.
— Après fondée, valse.
— Madame ***, airs de ballet :
N°" 1. Polka des Amours.
2. Valse de l'Etoile.
3. Marche Burlesque.
Chaque morceau, orchestre complet avec piano
conducteur, net 2 et 1 50
Chaque partie séparée, net » 20
— Ouverture de Correspondance !
Orchestre complet avec piano cond., net 6 »
Chaque partie supplémentaire, net . . . » 60
— Le Chevalier d'Éon, opéra-comique :
N° 1 . Ouverture.
Orchestre complet avec piano cond., net 8 »
Chaque partie supplémentaire, net. . . 1 »
N° 2. Enir'acte-gavofle.
Orchestre complet avec piano cond., net 5 »
Chaque partie supplémentaire, net. . ■ » 75
Nc 3. Lamento-ent r'acte (solo de violon). ,
Orchestre complet avec piano cond., net 3 »
Chaque partie supplémentaire, net. . . » 75
Nn4. Ballet.
Orchestre complet avec piano cond., net 12 »
Chaque partie supplémentaire, net. . . 1 50
N°5. Marche triomphale.
Orchestre complet avec piano cond., net 8 »
Chaque partie supplémentaire, net. . . 1 »
BERNARD (Georges). Triplepatte, musique de scène :
N1" 1. Première .caresse, valse lente.
2. Marche de Triplepatte.
3. Gavotte des Fiançailles.
4. Mazurka hongroise.
Chaque morceau, orchestre complet avec
piano conducteur, net 1 50
Chaque partie supplémentaire, net. . . » 20
B0LDI (J.-B.). Ange et Démon, valse lente.
Orchestre complet avec piano cond,, net 2 »
Chaque partie supplémentaire, net . . » 20
CHARPENTIER (Gustave). Louise, grande suite ",
symphonique pour tous orchestres
(petits et grands), par Francis Casa-'
desus :
Piano conducteur, net -6 »
Parties séparées, net 20 ; »
Chaque partie supplémentaire, net. . . 3 »
— Fragments publiés séparément :
N° 2. Prélude du 2P acte :
Piano conducteur, net 1 »
Parties séparées, net 5 »
Chaque partie supplémentaire, net . . » 50
N° 4. Sérénade et final du 2- acte :
N° 5. Prélude du 2e acte et air de
Louise.
N°6. Entrée des bohèmes, ballet du ,
Plaisir et Marche du Couronnement
de la Muse :
Chaque numéro : piano conducteur, net 1 50
— parties séparées, net -, 8 . »
Chaque partie supplémentaire, net. . . 1 »
DELIBES (Léo). Valse du Pas des (leurs, transcrite pour
violon solo avec cadence ad libitum et accom-
pagnement de piano et de quatuor par Fer-
nand Monge, net 6 »
— Valse du Pas des fleurs, transcrite pour piano,
violon, violoncelle et contrebasse, parSovEii,
DEPRET (Maurice). Trouble d'amour, valse lente.
Orchestre complet avec piano cond., net 2 »
Chaque partie supplémentaire, net. . . » 20
DUBOIS (Théodore). Nocturne (violoncelle solo).
Partition d'orchestre, net 2 50
Parties séparées d'orchestre, net . ... 6 »
Chaque partie supplémentaire, net. . . » 75
— Entr'acte-rigaudon de Xauière(violoncelle solo).
Partition d'orchestre, net 2 »
Parties séparées, net 4 »
Chaque partie supplémentaire, nej. . . » 75
FETRÂS (Oscar), orchestrations de A. Bosc.
— Idylle sur la 2>lage, valse.
— Tes yeux bleus comme les deux, valse.
— Parmi les roses, valse.
Les Enfanls de Hambourg, valse.
— Clair de lune sur VAlster, valse.
— Les Rêves de Marie, valse.
— La Petite Rosemonde, polka.
— Badinage, polka.
Chaque danse, orchestre complet avec
piano conducteur, net 2 »
Chaque partie supplémentaire, net. . . » 20
GAUTIER (Léon), orchestration de F. Andrieu.
— Champ de roses, suite de valses.
Orchestre complet avec piano conduc-
teur, net 2 »
Chaque partie supplémentaire, net. . . » 20
GODARD (Benjamin). Trois fragments poétiques :
Nosl. Depuis V heure charmante (Lamartine].
2. Un soir nous étions seuls {A. de Musset).
3. Elle est jeune et rieuse (Victor Hugo).
Partition d'orchestre, net 6 »
Parties séparées, net . . 10 »
Chaque partie supplémentaire, net. . 1 »
(Pianos dans le ton de l'orchestre).
LAURENS (Edmond). Danse au papillon. ,
Partition d'orchestre, net . 3 »
Parties séparées, net 5 »■
Chaque partie supplémentaire, net . . » 50
— Édition pour quatuor avec piano, net .4 »
LAVOTTA (Rodolphe). Valse- Scherzo.
Orchestre complet avec piano conducteur,
net . . ■ - . . . . 3 »
Chaque partie supplémentaire, net. . . » 50
LOMBARD (P.). Aimer:;, et souffrir! valse langoureuse.
Orchestre complet avec piano cond., net 2 «
Chaque partie supplémentaire, net. . . » 20
MABILLE (H.). Rêve de printemps, valse.
Orchestre complet avec piano cond,, net 2 »
Chaque partie supplémentaire, net . . » 20
MARCHAL (Francis), .-limante, valse lente.
— Ombre mystérieuse, valse.
— Heures d'oubli, valsé lente.
— Parle encore! valse lente.- i •
Chaque valse, orchestre complet avec
piano conducteur, net. ........ 2 »
Chaque partie supplémentaire, net. . . » 20
MASSENET (J.). Clair de lune de Werther, transcrit en,
trio par Cl. Fiévet, net ....... 2 50
— Aubade de Chérubin, transcrite parE.TAVAN.
Orchestre complet, avec piano cond., net 3 »
Chaque partie supplémentaire, net . . » 30
MOUTON (H.). V Amour est roi! marche.
Orchestre complet avec piano cond., net 2 »
Chaque partie supplémentaire, net. . . » 20
NAZARE-AGA (Y.-K.). Valse de Paradis, valse lente.
— Les Yeux clos, valse lente.
Chaque valse, orchestre complet avec
1 piano conducteur, net. ....... 2 »
- Chaque partie supplémentaire, net. . . : »20
PALADILHE (E.). Prélude du Passant,
Partition d'orchestre, net 3 »
Parties séparées, net/ .* . . . . '. . . . ' 6 »
Chaque partie supplémentaire, net . . . i . »
PERILH0U (A.). Sérénade, quatuor simple ou instruments
à cordes. Partition net 1 50
Chaque partie séparée, net n 30
— Suite française :
NM 1 . Pastorale.
2. Chanson de Gui Ilot- Martin.
3. L'ff ermite.
4. Chanson à danser.
Partition orchestre, net 5 »
Parties séparées d'orchestre, net. . . 8 *
Chaque partie supplémentaire, net. . 0 75
PHITT (Sam). Vers Ci/thèrc, ronde nocturne orchestrée par
E. Tavan.
Orchestre complet avec piano cond., net 1 50
Chaque partie supplémentaire, net . . » 20
POPPELSDORFF (B.). Paresseuse, valse lente.
Quintette avec piano conducteur, net. . 1 »
Chaque partie supplémentaire, net. . . « 20
PUGET (Paul). Lorenzaccio, airs de ballet :
N"l. Villanelle.
2. Passacaille.
3. Pavane.
Partition d'orchestre, net 8 »
Parties séparées, net 12 »
Chaque partie supplémentaire, net . . 1 »
(Pianos dans le ton de l'orchestre).
RITTER (Théodore). La Zamacueca, transcrite en trio par
Soyeu, net 3 j>
STRAUSS (Johann). Ouverture de la Chauve-Souris (Die
Fledermaus) .
Parties séparées, net 3 »
Piano conducteur, net 3 »
Chaque partie supplémentaire, net ... » 75
TAVAN (E.). L'Opéra symphonique, fantaisies-mosaïques
sur les opéras et ballets en vogue :
N" 1. Mignon (A. Thomas).
2. Manon (J. Massenet).
3. Lakmé ILéo Delibes).
4. Werther (J. Massenet).
5. Cavalier ia rmlicana (P. Mascagni).
6. Hérodiadc (J. Massenet),
7. Sigurd (E. Reyer).
8. Hamlet (A. Thomas).
9. Coppélia (Léo Delibes).
11. Sylvia ; (Léo Delibes).
12. Le Roi d'Ys (Ed. Lalo).
14. Tha'is (J. Massenet).
15. La'Navmraise (J. Massenet).
16. Le Cid (J. Massenet).
17. Le Jongleur de Notre-Darne(i .Massenet)
18. Le Ga'id (A. Thomas).
Chaque numéro parties séparées et piano
conducteur, net 5 »
Piano conducteur seul, net 2 »
1er violon seul, net "60
Chacune des autres parties, net. . . . » 30
Six opérettes célèbres :
N" 2. Mam'zellc Nitouche (Hervé).
3. La Belle Hélène (Offenbach).
4. Le Petit Faust (Hervé).
Parties séparées et piano conducteur, net. 4 »
Piano conducteur seul, net 2 »
1" violon seul, net • • ■ B ^0
' • Chacune des autres parties, net ... . » 25
TES0R0NE. Gavotte Henri IL
Orchestre complet avec piano cond., net 2 *
Chaque partie supplémentaire, net. . . » 20
VIDAL (Paul). Petite suite espagnole :
N" 1 ■ Danse' de cour.
2. Sarabande.
3. Danse Moresque.
4. Rêverie.
5. Pastorale.
Parties séparées avec piano cond., net. 8 »
Chaque partie supplémentaire, net. . . 1 »
— Variations Japonaises.
Parties séparées arec piano conducteur, net. 8 »
Chaque partie supplémentaire, net. . . » 75 .
VOLLSTEDT (Rob.). Valse joyeuse, orchestrée par A. Bosc
— Copurchic-valse, orchestrée par A. Bosc.
Chaque valse, orchestre complet avec
piano cond., net 2 »
Chaque partie supplémentaire, net. . . » 20
WEILLER (E.). Bonheur rêvé, valse lente.
Orchestre complet avec piano cond., net 1 »
i Chaquepartiesupplementaire.net. . . » 20
, 20, :
— (Encre Lorilleui).
4038. - 74' AWÉE. — iV 33. PARAIT TOUS LES SAMEDIS
Samedi 15 Aortt 1908.
(Les Bureaux, 2bls, rue Vivienne, Paris, u-m')
(J.es mnnnscrits doivent cire adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTRE
R«c'd
lie flaméfo : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEDGEL, Directeur
Le Numéro : 0 fr. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestbel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante <
i de la vie de Gluck {31" article), Julien Tiersot. — II. Petites notes saos portée : Nos impressions d'actualité sur les musiques militaires, Raymond Bouyer. —
III. Une famille de grands luthiers italiens : Les Guarnerius (6' article), Arthur Pougin. — IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
ISos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
PAR LES PRÉS FLEURIS
pièce de genre, de Rodolphe Berger. — Suivra immédiatement : Romance,
de Émil Frey.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de chant:
AUBE EN MONTAGNE
mélodie de René Lenormand, prose de Henri-R. Lenormaxd. — Suivra immé-
diatement: Madrigal archaïque, de Y.-K. Xazare-Aga.
SOIXANTE
ANS DE LA VIE
DE GLUCK
CH\PITRE VII : L'éclosion du génie : Orfeo e:l Euriclici
Cependant, malgré toutes les
contradictions et tous les malen-
tendus accumulés, enchevêtrés de
manière à envelopper la vérité
d'un épais tissu de paradoxes, de
naïvetés, d'erreurs, de personna-
lités, de contingences de toute
espèce, la discussion musicale née
en France avait un fond très sé-
rieux. Tout en semblant se réduire
à une simple rivalité d'idiomes,
elle mettait en cause le principe de
l'union entre la poésie et la mu-
sique, éléments primordiaux de
tout drame musical. Il fallait bien
qu'il en fût ainsi, puisque, n'admet-
tant pas que, dans le discours
chanté, la musique fût associée à
une langue avec laquelle ils
croyaient voir des incompatibilités,
les champions de l'art nouveau
aboutissaient ainsi à établir la
prééminence de la parole, consi-
dérée par eux comme génératrice
de l'élément musical. Cet épisode
est donc si intimement lié à l'évo-
lution qui aboutit à la réforme de
Gluck (il en forme en quelque sorte
le premier chapitre) qu'il est im-
possible, de ne pas chercher à en
dégager le véritable sens au mo-
ment où l'artiste élu va faire faire
à sa cause le pas décisif.
Le grand nom de Jean- Jacques
Rousseau domine et résume l'en-
semble ■ de cette dispute. La ten-
dance particulière de son esprit ne
contribua pas peu a en augmenter
les confusions; mais, par la hauteur
de ses vues générales, il sut, en
fin de compte, apercevoir la vérité.
L'erreur, chez lui comme chez
tous ses contemporains, fut qu'il
ne raisonnait que sur ce qu'il voyait
autour de lui, comme si cela eut
été le définitif et l'éternel. Vivant
au milieu du dix-huitième siècle,
il pensait pouvoir parler de l'opéra
comme d'une forme d'art complète
et achevée. Vous qui en jugeons à
deux siècles de distance, nous
savons bien qu'il n'en était pas
ainsi, que l'opéra, avant Rousseau,
en était encore à l'état d'enfance .
Les querelles qui s'engagèrent
alors auraient eu une tout autre
portée si elles eussent été d'ordre
littéraire. Les écrivains du dix-
septième siècle étaient arrivés trou-
vant à leur disposition un matériel
parfait : la langue et la rhétorique
française, façonnées pour eux, sem-
ble-t-il, par l'effort patient de plu-
sieurs siècles antérieurs. Rien ne
les entravait donc pour énoncer
leur pensée dans toute sa pléni-
tude .
L'opéra, au contraire, était com-
m; un art primitif, en tout cas très
nouveau, né au milieu de la civili-
258
LE MÉNESTREL
sation la plus avancée. Tout était à créer, pour son usage, ou
presque. Tandis que le reste de l'outillage intellectuel était
complet et ne laissait rien à désirer, ceux qui travaillaient
ensemble à cette œuvre collective étaient arrêtés à tout moment
par la préoccupation de l'inconnu et par l'insuffisance des moyens.
Pouvaient-ils faire du premier coup œuvre parfaite ?
Assurément non.
Il ne fallait donc pas juger Lulli comme on aurait jugé Racine :
eût-il eu le même génie, il aurait été impuissant à l'exprimer
aussi complètement, par la raison que la langue qu'il avait à sa
disposition était insuffisamment formée. Les critiques que
Rousseau lui adresse peuvent être fondées ; elles le sont habi-
tuellement, dans le détail, lorsqu'elles ont une application pré-
cise ; mais elles portent en général sur des imperfections
conformes à la nécessité des choses, et qui ne pouvaient être
évitées.
Pour Rameau, plus grand musicien, mais trop exclusivement
musicien, il avait affiné les formes, sans rien ajouter d'important
à l'apport de ses prédécesseurs dans le domaine dramatique. Et
puis, il avait mauvais caractère. Jean-Jacques Rousseau aussi.
Et leurs aspérités n'étaient pas de celles qui, suivant l'expression
de Berlioz, s'emboîtent les unes dans les autres! Ce sont là des
accidents qui influent toujours grandement sur les jugements
des hommes.
Il était advenu enfin que Jean-Jacques avait entendu pendant
une saison l'opéra à Venise : il avait ressenti le frisson de la
mélodie italienne, et en avait été si fort ému qu'il avait cru que
ses accents étaient ceux de la vérité.
Quand la guerre fut déclarée, il prit donc parti pour la musique
d'outre-monts, excusant en elle des défauts que ses séductions
l'empêchaient d'apercevoir : défauts graves cependant, et qui
auraient dû éclater aux yeux d'un esprit tel que le sien, car
ils avaient pour base le convenu, l'arbitraire, et la nécessité de
soumettre l'expression à cet ordre symétrique dont Gluck devait
parler un jour avec une mordante ironie, quand, à propos
d'Armide, il écrivait à La Harpe : « Je veux que, dans son
désespoir, elle vous chante un air si régulier, si périodique, et en
même temps si tendre, que la petite-maîtresse la plus vapo-
reuse, etc. »
Telles sont les réalisations antérieures qui ont servi de fonde-
ment expérimental à l'esthétique de Jean-Jacques Rousseau.
A cela s'ajoutèrent pour lui les observations du dehors et les
préoccupations momentanées : le parallèle inévitable de l'excel-
lente méthode du chant italien avec les mauvaises habitudes de
l'opéra français, les cris des acteurs, le bruit du chef d'orchestre
(le bûcheron) battant la mesure avec fracas, détails dont sont
remplis les écrits des champions de l'Italie; — puis, en dehors
même de la musique, des considérations de sociabilité : le
public en face de soi, le désir d'avoir les rieurs de son côté,
l'envie de se faire remarquer, à quoi le moyen le plus sûr fut
toujours de couper la queue à son chien. Jean-Jacques Rousseau
se prononce donc, et, au milieu du toile, s'écrie : « Les
Français n'ont pas de musique et n'en peuvent avoir, ou, si
jamais ils en ont une, ce sera tant pis pour eux. » Dans le
même temps, il écrit le Devin du village, et s'empresse de le
faire représenter à la Cour et à l'Opéra.
Ce n'est donc pas aux écrits nés dans l'ardeur du combat
qu'il faut demander la vraie pensée de Jean-Jacques Rousseau.
D'autres ouvrages, composés à tête plus reposée, nous en
apprendront davantage. Le seul article Opéra, dans le Diction-
naire de musique (écrit d'abord, comme on sait, pour V Encyclopé-
die) va nous révéler les principes du philosophe en matière de
musique dramatique : nous les trouverons très proches de ceux
de l'auteur d'Alceste. Fâcheusement, il procède d'abord, par le
moyen d'un exposé historique dont les détails ne sont pas tou-
jours conformes à une rigoureuse exactitude, et la clarté de sa
conception personnelle ne s'en accroît pas. Mais déjà, après
avoir expliqué dès la définition que l'opéra est « la représenta-
tion d'une action passionnée » à laquelle concourent « tous les
charmes des beaux arts », il va nous entretenir du premier pro-
grès accompli, duquel résulte la certitude que « l'effet de la
musique, borné jusqu'alors aux sens, pouvait aller jusqu'au
cœur ». Il constate la prééminence du drame, lorsqu'il fait dater
la principale réforme de l'opéra de la venue des poètes, « Apos-
tolo Zeno, le Corneille de l'Italie, son tendre élève (Métastase),
qui en est le Racine », et en place l'apogée à l'époque où « les
Vinci, les Léo, les Pergolèse, dédaignant la servile imitation »,
s'unirent à eux, en parfait accord, pour « substituer au barbare
fracas les accents de la colère, de la douleur, des menaces, de
la tendresse, des pleurs, des gémissements, et tous les mouve-
ments d'une àme agitée ». Il ne méconnaît pas la décadence
provenant de ce que la musique, ayant essayé ses forces,
« dédaigne la poésie qu'elle doit accompagner, et croit en valoir
mieux en tirant d'elle-même les beautés qu'elle partageait avec
sa compagne», et il conclut que, par cet oubli de son véritable
rôle, le spectacle est trop souvent changé « en un véritable
concert ». (Ce dernier mot sera plus tard une arme dont les
gluckistes feront usage pour combattre la musique italienne,
devenue l'ennemie.) Mais il a la plus haute idée du rôle de la
musique. Considérant les trois arts dont l'union constitue l'opéra :
musique, poésie, plastique, il écrit sur le premier cette page
excellente :
« C'est un des grands avantages du musicien de pouvoir
peindre les- choses qu'on ne saurait entendre, et le plus grand
prodige d'un art qui n'a d'activité que par ses mouvements est
d'en pouvoir former jusqu'à l'image du repos. Le sommeil, le
calme de la nuit, la solitude, et le silence même, entrent dans
le nombre des tableaux de la musique : quelquefois le bruit
produit l'effet du silence, et le silence l'effet du bruit. — Cet art a
des substitutions plus fertiles; il sait exciter par un sens les
émotions semblables à celles qu'on peut exciter par un autre.
Que toute la nature soit endormie, celui qui la contemple ne
dort pas, et l'art du musicien consiste à substituer à l'image
insensible de l'objet celle des mouvements que sa présence
excite dans l'esprit du spectateur. Il ne représente pas directe-
ment la chose; mais il réveille dans notre àme le même senti-
ment qu'on éprouve en la voyant (1). »
Ayant exposé et développé ces idées, qui sont de tous les
temps, mais qu'en tout temps aussi l'on a eu peine à dégager
avec la clarté nécessaire, le philosophe conclut que « l'union
des trois arts qui constituent la scène lyrique forme entre eux
un tout très bien lié».
Avec des principes si lumineux, même dans la confusion de
la bataille, il est évident que Rousseau ne devait pas perdre de
vue son but. Les conclusions de ses polémiques sont souvent
fausses ; mais elles ne sauraient empêcher que les raisons qu'il
avance soient excellentes. S'il critique Lulli pour la façon dont il
a mis en musique le monologue d'Armide, il pense y trouver la,
condamnation de la musique française : point du tout ; il montre
seulement, et avec une admirable perspicacité, comment il faut
s'y prendre pour enrichir cette musique de qualités nouvelles ;.
— et bientôt il viendra quelqu'un qui lui donnera raison avec
éclat, se bornant à appliquer ses préceptes jusque dans les
moindres détails.
(A suivre.) Julien Tiersot.
PETITES NOTES SANS PORTEE
CXXXIV
NOS IMPRESSIONS D'ACTUALITÉ SUR LES MUSIQUES
MILITAIRES
A M. .Romain Rolland.
« Ça me fait grand plaisir, ce que vous dites là. Je suis comme vous.
Je préfère le silence à la musique... » C'est Théophile Gautier qui
(li Ce passage est presque textuellement reproduit du chapitre xvi de l'Essai sur
l'origine des langues, du même auteur.
LE MÉNESTREL
2b<)
répond aux Concourt en belle humeur d'avouer leur « complète inlir-
mité », leur a surdité musicale », — « nous qui n'aimons tout au plus,
disent-ils, que la musique militaire! » (1). Paroles estivales, qui ne
sont pas tout à fait d'hier puisqu'elles remontent:'! 181)2. l'année môme
où Manet coloriste ombrageait la foule des Tuileries autour de ces
musiques « riches en cuivres » qui n'obtenaient que les dédains de
Baudelaire, un des rares mélomanes parmi les magiciens es lettres
françaises de son temps.
Après quarante-six étés, ces paroles datent, comme les dédains. De
part et d'autre, on a changé : les lettrés ont fait quelques progrés musi-
caux; et plusieurs de nos musiques militaires peuvent satisfaire les
plus exigeants des musiciens.
Au grand soleil caniculaire, un immense concours ue vient-il pas
d'actualiser cette dernière proposition ? Ce fut à Gaen, le dimanche
26 juillet 1908. Dans la vieille ville normande où les peintres dénichent
encore ce pittoresque que Paris, de plus en plus, leur refuse, vingt-
cinq musiques s'étaient groupées la veille. Pour l'inauguration du
nouvel hôpital et de l'hôtel de la Caisse d'épargne, on avait décidé,
vous en souvient-il? un grand tournoi sonore, qui permettrait de cons-
tater les effets produits par le service de deux ans au point de vue spé-
cial du recrutement des musiques de l'armée française. La presse
orphéonique et non moins spéciale avait paru craindre que les orches-
tres provinciaux ne fussent éclipsés par leurs concurrents des grands
centres ; toujours est-il que le résultat fortifie les vues que nous n'avons
jamais cessé de défendre ici même et remet en pleine lumière les noms
qui nous semblaient des initiateurs (2). Le simple tableau des régi-
ments vainqueurs et des chefs lauréats est fort expressif : revoici notre
éducation musicale attestée par la qualité des programmes, par l'intel-
ligence des transcriptions, par l'effort des exécutants instruits à la hâte
par quelques chefs de musique éminemment musiciens : est-ce donc un
résultat négligeable ?
Volontiers, le Ménestrel abandonne à la chronique locale les descrip-
tions plus ou moins brillamment circonstanciées d'une fête éphémère
comme l'art qu'elle eut mission de mettre en valeur ; l'arrivée, dès le
samedi, des Versaillais, des Parisiens, de la Garde Républicaine dont
le chef devait siéger aux côtés de M. Auguste Chapuis, professeur au
Conservatoire et président du jury; les marches mélodieuses à travers
les vieilles rues d'une cité fleurie, les concerts au plein vent des places
pavoisées, les joyeuses retraites aux flambeaux dans l'ombre tiède, et
le concours, le lendemain : dès sept heures du matin, dans la lumière
d'été, les musiques se sviccédant de dix en dix minutes (ici, c'est la
Symphonie en ré mineur de César Franck imposée aux régiments d'artil-
lerie et de génie ; là, c'est Pallas, ouverture triomphale de M. Gabriel
Parés, pour les régiments d'infanterie); puis, les défilés, le cortège
officiel, les carrefours chantants, enfin, le grand festival où la baguette
de Gabriel Parés donne la mesure à dix-sept cents musiciens... Encore
une fois, c'est le résultat qui nous importe : il est significatif, bien
qu'il manque d'imprévu : qui remporte un des prix d'honneur et gagne
un des vases de Sèvres? Parallèlement à l'excellente et célèbre musique
du 1er génie, de Versailles, dirigée par 11. Auguste Verbregghe, c'est
le 89e de ligne (chef, M. Gironce), avec le 72e (chef, M. Balay) : victoire
qui réjouira tous les musiciens; et u'est-ce pas, d'abord, un bon point
que de réconcilier aujourd'hui tous les amoureux d'un art où l'unanimité
règne rarement ?
Inutile de refaire ici le portrait de M. Gironce ; et nos lecteurs nous
en voudraient, cette fois, pour tout de bon, de suspecter leur mémoire !
On connaît ce véritable initiateur, ce jeune maitre es bonne musique
française, écouté de toutes les jeunes recrues qu'il instruit, qui, tou-
jours infatigable, opiniâtre et persévérant, a réussi, par combien
d'efforts, à nous faire entendre la Symphonie Fantastique de Berlioz qu'il
conduit par cœur, intégralement, comme l'Eve de Massenet ou le Dé-
luge de Saint-Saèns qu'il a transcrits lui-même, avec un bel instinct
de l'équivalence des sonorités. Et Werther, ce chef-d'œuvre de son
auteur ; et i Artésienne de ce Daudet musical, que Nietzsche enviait
d'avoir entrevu « le Midi de la musique » ; et tant d'autres ingénieuses
sélections ! Naguère encore, avant son départ, le 89e de ligne offrait à
nos jardins de nouveaux fragments de la Damnation de Faust, une suite
complète de la Faute de l'abbé Mouret, une résurrection du romantique
Robert le Diable et le début du 1'' acte d'Hamlet. Le succès de M. Gironce
est un vrai succès national; il exprime, en même temps, avec la môme
(1) Journal des Concourt (année 1862), cité par M. Romain Rolland dans son beau
livre : Musiciens d'aujourd'hui (Paris, Hachette, 1908), page 214.
(2) Cf., dans le Ménestrel du 8 octobre 1905 et du 21 septembre 1907, nos deux notes :
Musiques militaires et civiles; — l'Évolution de nos musiques militaires et la loi de deux
franchise, l'heureux choix des morceaux, l'adresse des transcriptions
la discipline des exécutants; il résume donc, avec bonheur, la toute
récente évolution de nos musiques militaires et leur accession tardive
au grand mouvement contemporain.
Dorénavant, cette métamorphose des programmes se généralise ; el
consultez les morceaux de concours : auprès des symphonies en "i mi-
neur de Beethoven et de Saint-Saéns, qui sont, [mur L'harmonie, d'une
transcription difficile où l'absence du quatuor se fait trop sentir, voici
les ouvertures du Roi cCYs, de Sigurd, de Phèdre, sans oublier le Vais-
seau-Fantôme, Déjanire ou les Erinnyes, le prélude de Messidor ou le
morceau symphonique de Rédemption, — tous nos maîtres. — enfin la
jolie suite pour Ramuntcho, de Pierné. A notre enquête toujours ouverte,
ces noms et ce nom sont des témoins suffisants. Vous saluez au
passage les auteurs les plus français et les plus belles pièces de ce
répertoire qui manqua trop longtemps à nos musiques d'harmonie
et dont M. Gironce, en artiste, compose depuis de longs étés ses
programmes.
Nos confrères nous accusent de sévérité pour la Garde Républicaine
qui nous parait trop souvent sommeiller sur ses lauriers voyageurs ;
le bon Homère dort quelquefois... Mais admirez ia savante coquetterie
de ce programme de retour : la Grotte de Fingal, Danse macabre, le Camp
de Wallenstein, Obéron, solo de concert (Parés): le mardi 28 juillet, le
kiosque du Luxembourg n'enviait rien à la salle Gaveau. Retenez encore,
un peu partout, V Apprenti sorcier, joyau du sobre écrin de Paul Dukas ;
l'entrainante ouverture du Roi de Lahore, au 103° de ligne ; les Préludes
de Liszt, d'après Lamartine, au 76"; Jules César, au 104'' : on ne l'en-
tend jamais à nos concerts dominicaux, cette ouverture de Schumann ;
il faut, pour l'exhumer un instant, les solennités d'un cycle; et c'est
dommage, car elle superpose à son début majestueux les marches
noblement harmoniques d'un bel élan : c'est moins Jules César que ce
que l'àme lettrée de Schumaun pensait de Jules César, à travers
Plutarque et Shakespeare ; c'est Schumann surtout, avec ses penchants
d'écriture, son développement tourmenté, son insistance modulante,
son rythme, sa fièvre, sa personnalité dans la tradition; comme on y
retrouve l'ouverture de Faust et le courageux allegro de Faust aveugle !
Et comme le romantisme de Schumann apparaît passionnément scolas-
tique à côté du Bal très vaporeusemeut français et primesautier de
Berlioz! Chez l'un, le romantisme était une aspiration, chez l'autre, une
évocation: et, quel que soit son titre, la physionomie d'une musique est,
avant tout, le mélodique reflet du musicien.
Bref, ce concours de musiques militaires françaises en 1908 vint à
propos pour enrayer nos craintes : la nouvelle loi de deux ans. qui dis-
perse et raréfie les musiciens en uniforme, nous menaçait d'un retour à
la mauvaise musique, aux mauvais programmes, ;i la routine, sœur de
la médiocrité jamais vaincue, qui sommeille, aux petits oiseaux, aux
trop parisiennes Pierrettes préférées par le gros des auditeurs qui bou-
dent les Préludes ou Jules César... Il est bon que le renouvellement
soutenu, même accentué, des programmes militaires reflète, à son
tour, la belle marée montante de cette musique instrumentale, autre-
fois proscrite dans les concerts les plus ambitieusement civils: il est
juste que là se traduise et se résume, à son plan, le vaste effort qui
réveilla la musique française au lendemain de l'année terrible et qui
lui créa de toutes pièces une école symphonique. devenue rapidement
la première du monde : car, en dépit des snobs et des engouements de
la mode, la France musicale s'est mise au premier rang des nations ; et
comme la Grèce vaincue, elle a séduit son vainqueur.
Cette revanche pacifique, il faut que la musique de nos armées l'ins-
crive à ses programmes et la chante sans provocation par la voix olym-
pienne de ses cuivres. Le dimanche 21 juin 1868, au grand crépuscule
de la Saint-Jean, les trois ou quatre auditeurs français qu'attiraient à
Munich la « première » des Mailres-Chanteurs de Nuremberg ne se dou-
taient point que tous nos orchestres civils et militaires en répéteraient,
quarante ans plus tard, la monumentale ouverture; à son tour, Wagner
se meyerbeerise, et ses opéras, longtemps proscrits par des oreilles
chauvines ou trop longues, appartiennent au patrimoine universel des
ouvrages consacrés. Et puisque l'alliance russe se ravive au grand soleil
d'une paisible Europe, pourquoi ne pas leur adjoindre la palette orien-
tale du regrette Rimski-Korsakov et sa jolie Sniégourotchka dont l'ita-
lianisme a si plaisamment déçu nos intellectuels ?
Et puis, enfin, s'il existe un art allemand, nous avons une musique
française qui, d'Auber à Debussy, reflète plus ou moins clairement,
sous les fluctuations des ans, la fine permanence de la race; trop
longtemps notre musique frivole et nos musiques militaires se sont
tenues hors de l'art; et. lorsqu'en se wagnérisant elles devinrent
artistes, elles demeurèrent trop d'années hors île la patrie. Il serait
temps (et nos programmes nous rassurent) que des exécutants français
260
I E YlEJNESTKIiL
fissent connaître les acquisitions de notre art à des auditeurs français ;
« le public de l'Art », comme disaient les Goncourt, s'accroit sans
trêve, il devient a la fois moins dénigrant et plus exigeant: il compte
beaucoup sur le savoir et la volonté d'un Gironce.
Il se peut que les dernières œuvres valent moins que l'effort et que
la jeunesse musicienne ait trop tôt chanté victoire (l)....Oui, mais
quel plus superbe rôle pour l'armée de l'avenir que d'initier l'élite du
peuple à l'art, idéal entre tous, qui pressentait, avec le cœur doulou-
reusement solitaire de Beethoven, l'humanité joyeuse et la fraternité
des hommes? Qui sait si tous les soldats futurs ne seront pas musi-
ciens, si l'armée protectrice ne résonnera point lumineusement, sous
nos cieux éclaircis, comme un immense orchestre"? Et n'est-ce pas un
beau rêve au sein d'une longue paix ?
0 patrie, ô concorde entre les citoyens !
(A suivre.) Raymond Bouyer.
UNE FAMILLE DE GRANDS LUTHIERS ITALIENS
LES GUARNERIUS
JOSEPH GUARNERIUS DEL GESU
I
LA VIE HE JOSEPH GUARNERIUS
Sur Joseph Guarnerius nous n'avons même pas ces renseignements
sommaires. Le seul que nous possédions en ce qui le concerne, et que
j'aurai à faire connaître plus loin, est d'un caractère dramatique. Je
vais essayer d'abord, avec l'aide de George Hart. qui l'a bien et sérieu-
sement étudié, de faire ressortir les particularités de sou admirable
talent. Ce qu'il faut remarquer avant tout, c'est que Joseph del Gesù
ne fut pas imitateur, comme on le voit pour tant d'élèves d'Amati et
de Stradivarius, qui semblent avoir abdiqué toute personnalité. II
s'inspira sans doute, surtout dans ses commencements, de celui, quel
qu'il fût, qui fut son maitre ; mais on peut dire de lui qu'il fit preuve
d'une originalité puissante, originalité qu'il lui arrivait parfois de
pousser jusqu'à la bizarrerie, mais qui lui permit de créer des chefs-
d'œuvre.
Fètis, guidé par Vuillaume dans sa caractéristique du talent de
Guarnerius, est le premier qui ait eu l'idée de diviser sa carrière active
en trois époques distinctes, selon la nature et les qualités des instru-
ments sortis de ses mains. Hart a accepté cette division, qu'il juge très
rationnelle, et c'est en l'adoptant qu'il apprécie les travaux de l'artiste,
dont il constate à la fois l'inégalité et l'éclatante supériorité :
La première époque, dit-il, est fertile en instruments d'une grande variété
de modèles présentant des ouïes de types très divers. Le style offre parfois un
curieux mélange de grâce et de hardiesse qui fait place dans certains cas à
un ensemble profondément dénué d'harmonie, les filets étant grossièrement
tracés, comme si l'auteur n'avait pas eu le temps de mettre la dernière main
à son ouvrage. Il semble, en effet, qu'il se hâte de terminer un assortiment
de violons, dans son ardeur de préparer d'autres matériaux pour des expé-
riences nouvelles.
Dans sa seconde époque, G-uarnerius produit des spécimens qui comptent
parmi les plus beaux de l'art de la lutherie. Sa main-d'œuvre est alors d'un
fini admirable, il donne à ses instruments une forme essentiellement artis-
tique et originale et emploie des matériaux du plus beau choix. L'éclat dont
brillent quelques-uns des dos de ses violons, revêtus comme d'une parure de
ce vernis jaune d'ambre sans rival, peut se comparer aux reflets que projette
le soleil couchant d'un soir d'été sur les nuages et sur les flots de la mer...
La troisième époque donne naissance à des violons d'une conception beau-
coup plus hardie, à dater d'environ 1740 et d'un peu plus tard. La construc-
tion est pleine de vigueur et les matériaux possèdent les plus sérieuses condi-
tions acoustiques... Parmi les violons de cette dernière époque, nous men-
tionnerons les deux admirables instruments de Paganini et de M. Alard (2),
Et Hart ajoute : — « Ces chefs-d'œuvre entre tous se trouvent accou-
plés avec d'autres instruments du maitre, que l'on distingue commu-
nément sous le nom de violons de prison, triste nom s'il en fat. »
C'est ici que nous touchons au drame mystérieux qui obscurcit l'exis-
tence de Joseph Guarnerius del Gesù. Les violons que Hart désigne
sous le nom de « violons de prison » sont plus connus en France sous
(1) Conclusion de M. Romain Rolland sur le Renouveau musical.
(2) On sait qu'après la mort d'Alard, et en souvenir de lui, la famille du grand
violoniste lit généreusement don de cet incomparable inslrument au musée du Con-
servatoire. Ce violon porte la date de 1742.
celui de « violons de la servante », et l'on va voir pourquoi parce petit
récit que j'emprunte à un journal italien :
Joseph Guarnerius fut jeté un jour en prison, je ne sais pour quel méfait,
el y passa de longues années. Ce qui le torturait le plus dans son cachot,
c'était l'oisiveté forcée à laquelle il se voyait condamné. Tandis que ses rivaux,
ses élèves fabriquaient des instruments qu'on se disputait dans toute l'Italie,
en France et en Allemagne, il se rongeait les mains de ne pas avoir un mor-
ceau de bois, un outil, un clou pour travailler, pour racheter ses fautes en
illustrant son nom. pour tromper ses longues heures de souffrance et d'ennui.
On raconte qu'il réussit à toucher le cœur de la servante du geôlier. Cette
brave fille lui donna une scie, des ciseaux, une vieille lame de couteau ébré-
chée, en lui faisant bien jurer qu'il ne s'en servirait point pour s'évader ni
pour attenter à ses jours. Le luthier l'assura, par tous les serments qu'elle
voulut, qu'il ne songeait plus à fuir depuis qu'il l'aimait et qu'il se savait
aimé d'une si charmante enfant. Il la pria de lui procurer quelques planches,
d>s cordes, un peu de laiton, tous les matériaux qu'elle pourrait acheter et se
procurer chez les commerçants ou même les luthiers de la ville. Elle s'en
allait quêter des bois de rebut, des rognures d'ébène et d'ivoire, des restes de
vernis dont les autres luthiers ne savaient que faire, et c'est avec un amal-
game de ces restes que Guarnerius vernissait ses instruments. On les recon-
naît encore aujourd'hui aux couches granuleuses de leur vernissure.
Dès que le prisonnier terminait un violon, la jeune fille courait le vendre à
bas prix, et achetait des matériaux d'une qualité meilleure ou des outils
moins imparfaits. C'est ainsi qu'à force de génie et de patience, le plus cé-
lèbre et le plus malheureux des Guarnerius a fabriqué ces merveilleux instru-
ments dits de la servante et qui valent deux fois leur pesant d'or. On peut
donc leur pardonner d'avoir les angles mal arrondis, les filets posés de tra-
vers les //à peine indiqués, d'une forme droite et roide. L'éclat, le mordant
de leur son sont admirables, et beaucoup de solistes les préfèrent aux plus
beaux stradivarius.
Quoi qu'il en soit dit dans ce récit, dont certains détails sont peut-
être un peu romanesques, il faut bien constater que les violons cons-
truits par Guarnerius pendant sa captivité ne sauraient, on comprend
facilement pourquoi, compter parmi les meilleurs sortis de ses mains.
Quant au fait de son emprisonnement, il est devenu légendaire et,
bien qu'on ne possède à son sujet aucun détail précis, la tradition
établie ne permet guère ds douter de son exactitude. D'ailleurs, d'où
viendrait ce nom de violons de prison ou de la servante appliqué à un
certain nombre des instruments de Guarnerius s'il n'avait été pro-
voqué par une circonstance spéciale ? « Tel qu'il est, dit Hart, à ce
ce propos, ce nom a pris naissance dans une tradition généralement
répandue en Italie, qui rapporte que Guarnerius fit ces violons pendant
la durée d'un emprisonnement qu'il eut à subir et que la fille de son
geôlier lui procurait les matériaux nécessaires et de l'espèce la plus
grossière. M. Fétis mentionne le fait et ajoute que « le vieux Bergonzi »
(lequel ?) avait coutume de le raconter. Vincenzo Lancetti (1) fait aussi
allusion à cette histoire, qui lui fut sans doute communiquée par le
comte Cozio di Salabue (2). Ces différents témoignages donnent à croire
que le fait est vrai, sans pourtant amener à conclure que Guarnerius
termina ses jours pendant sa réclusion. Lancetti prétend que la cause
de cet emprisonnement fut une rixe dans laquelle l'adversaire de Guar-
nerius trouva la mort. Une circonstance déplorable de ce genre peut
s'être produite sans que pour cela l'accusé se fût rendu criminel, bien
qu'il eût à subir une expiation. Son prétendu amour du vin et des
plaisirs, sa paresse et l'irrégularité de sa conduite sont autant de fabri-
cations de la part des circulateurs de l'épisode de la prison. » Cette
dernière phrase semble s'adresser surtout à Fétis, qui, selon son habi-
tude, enchérissant sur les faits, dépeint Joseph Guarnerius comme un
ivrogne, un débauché, en proie à tous les vices. Je me rangerais beau-
coup plutôt à l'opinion de Hart (3).
(1) Écrivain italien, natif de Crémone, qui avait préparé un important travail bio-
graphique sur les grands luthiers crémonais, ses compatriotes. Cet ouvrage, dont
certains connaissent le manuscrit, n'a malheureusement pas été publié.
(2J Le comte Alessandro Cozio di Salabue, né en 1755, mort en 1840, était un riche
et intelligent amateur qui avait réuni une collection superbe et unique non seule-
ment d'instruments, mais de modèles, de dessins, d'outils et d'appareils des grands
luthiers de Crémone, Stradivarius en tête, collection fâcheusement dispersée après
sa mort, malgré les efTorls de Lancetti, avec lequel il était en correspondance et en
relations suivies, et qui, à ce sujet, écrivait ceci en 1823 : — « Je ne puis que re-
gretter profondément la perte pour ma ville natale (où, pendant deux siècles, la ma-
nufacture des violons fut un commerce important et productif) des chefs-d'œuvre
de ses célèbres luthiers, en même temps que celle des dessins, des moules et des
patrons qui seraient d'une valeur inestimable pour la pratique de l'art. Est-il donc.
impossible de trouver un citoyen qui se fasse à lui-même et à sa patrie l'élernel
honneur de s'assurer la collection des instruments, des modèles et des appareils
réunis par le comte Cozio di Salabue, avant que ces trésors soient perdus pour l'Ita-
lie? J'ai la parole du comte Cozio qu'il accordera à un si noble protecteur toutes les
facilités pour acheter et transférer cette précieuse collection, à la condition toutefois
que ce soit dans le but exprès de ressusciter l'art de la fabrication des violons à
Crémone, déMr qui a seul inspiré le comte lorsqu'il a formé sa collection ».
(3) L'aventure de Guarnerius n'est pas le seul drame dont fasse mention l'histoirs
LE MENESTREL
201
Quoi qu'il en soit, cet ôpiscle mystérieux, dont les circonstances
mêmes restent problématiques, est le seul fait que nous connaissions île
l'existence de Guarnerius del Gesù. Il est certain, bien que quelques-
uns aient pu supposer à ce sujet, qu'il ne mourut pas en prison puisque
ses plus beaux instruments datent des dernières années de sa vie. et
que leur inaltérable beauté suffit à prouver qu'il avait alors pour tra-
vailler toutes les ressources et tous les éléments nécessaires. Il sem-
blerait plutôt que l'événement dont il fut le héros ou la victime se
rapporte au temps de sa jeunesse. Mais il nous reste l'impossibilité de
percer le mystère qui plane sur cette affaire, qu'enveloppe une complète
obscurité. D'autre part, nous ne pouvons découvrir de façon certaine
quel fut le maître de Joseph Guarnerius. Nous ne savons s'il fut ou non
marié, et nous n'avons à cet égard aucun renseignement. Enfin, nous
ignorons même l'époque et le lieu de sa mort, bien qu'il paraisse pro-
bable qu'il mourut à Crémone, les derniers instruments connus de lui
('■tant datés de cette ville. Peut-être des recherches ultérieures parvien-
dront-elles à faire pénétrer un peu île lumière sur les incidents de cette
existence singulièrement troublée. On ne peut que le désirer et le
souhaiter, pour pouvoir admirer sans contrainte et en toute con-
naissance de cause les œuvres et le génie d'un artiste si cligne d'admi-
ration.
(A suivre.) Arthur Polgin.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(POUR LES SEULS ABONNÉS A LA MUSIQUE)
Chantons les Prés fleuris, tandis qu'il en est temps encore et que les feuilles mortes
ne jonchent pas déjà l'ombre de nos allées. La muse ingénue, mais toujours vive et
accorte. de Rodolphe Berger va vous y conduire sur un petit air d'allégresse où il a
voulu peindre, sans doute, une troupe de jeunes enfants courant sur les gazons pour
y cueillir la pâquerette et les bleuets. Jolie pièce estivale.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De Liège : On prépare les grandes fêtes pour honorer les 15, 16 et 23 août
la mémoire de Grétry.Le programme comporte un grand cortège aux lumières
qui parcoura, le samedi 15 août, le quartier d'Outre-Meuse. Un grand cortège
historique aura lieu le lendemain dimanche. Le soir, au Théâtre- Royal, repré-
sentation consacrée à Grétry ; on jouera Richard Cœur de Lion. Dansle cortège
historique de t'après-midi, on verra défiler des chars rappelant la vie de Grétry
depuis son départ de Liège, en 1759. jusqu'en 1823, époque à laquelle on
ramena dans la cité le cœur du célèbre maitre liégeois. Le 23 août, dans un
grand terrain, une cantate sera chantée et jouée par mille exécutants, sous la
direction de M. C'a. Radoux.
— DeBayreuth : Les traditions s'en vont, même à Bayreuth, où tout est tradi-
tion pourtant. M. Siegfried Wagner lui-même vient de rompre avec la vieille
coutume qui voulait que dansle temple des Festspiele personne ne répondit aux
applaudissements du public et ne vint remercier celui-ci. Or, après la der-
nière représentation de Lohengrin — il convient de dire que des applaudisse-
ments enthousiastes et interminables saluèrent la fin du dernier acte —
M.Siegfried Wagner parut devant le rideau ets'inclina devantles spectateurs.
Cela ne s'était jamais vu à Bayreuth. Il faut espérer, puisque le commence-
ment est fait, que la prochaine fois M. Wagner amènera avec lui à la rampe
quelques-uns des principaux interprètes qui ont généralement leur large part
dans les applaudissements et qu'il permettra aussi aux brillants kapellmeis-
ters Richter et Muck de recevoir personnellement les ovations qui leur sont
adressées.
— On annonce qu'il n'y aura pas de représentations de fête à Bayreuth
en 1909, mais seulement l'année suivante. Le choix des œuvres que l'on jouerait
à cette époque parait déjà fixé; ce seront Parsifal, les quatre parties des Nibe-
lungen et les Maîtres-Chanteurs. Vraisemblablement M. Hans Ritcher sera l'un
des chefs d'orchestre.
— La Société chorale de Berlin, « Berliner Liedertafel ■>, a entrepris au
printemps dernier une tournée de concert dans l'Europe orientale. Ses mem-
bres se rendirent naturellement à la cour de Roumanie, où la reine Carmen
des luthiers italiens; témoin celle dont un élève de Stradivarius, Alessandro Ga-
gliano, né à Xaples, fut le héros, et qui est ainsi racontée par Vidal : — a Jeune
encore, il se livra à l'étude de la musique et de la lutherie. On était alors en pleine
domination espagnole; les temps étaient troublés, les duels fréquents, et tous les
jeunes gens s'adonnaient avec fureur à l'escrime. Alessandro, devenu un des tireurs
les plus redoutés de Naples, se prend de querelle un jour avec un noble Napoli-
tain; on se bat; h peine en garde, il passe son épée au travers du corps de son
adversaire et le tue raide ! Les lois contre le duel étaient sévères; notre homme fut
obligé de fuir, voyagea en Italie de ville en ville, et gagna Crémone. Là, il eut
l'occasion de connaître Aut. Stradivari, entra dans son atelier et travailla pendant
plusieurs années sous la direction du maitre. Il revint s'établir à Naples comme
luthier, dans les derniers jours de l'année 1695 ».
Sylva les accueillit avec une chaleureuse sympathie. Ce sont, en effet, pour
elle, des compatriotes, car elle est, par sa naissance, une princesse allemande,
fille du prince de Wied. Malade à l'époque où les chanteurs berlinois arrivè-
rent en Roumanie, elle fit un effort pour les recevoir et se plut à leur faire
chanter pour elle des mélodies de son pays. Il est a remarquer que la « Ber-
liner Liedertafel ne cherche pas à tirer profit des concerts qu'elle donne pen-
dant ses voyages, et que les bénéfices, lorsqu'il y en a, sont consacrés à des
œuvres de bienfaisance. Aussi n'est-il pas étonnant qu'elle reçoive beaucoup de
cadeaux au cours de ses pérégrinations. La reine Carmen Sylva vient de se montrer
particulièrement généreuse pour elle, àl'occasion de la visite faite au mois de
mai. Elle lui a offert en présent son buste en bronze de grandeur naturelle et son
portrait portant cette dédicace : « Remerciement profond et inoubliable sou-
venir. Elisabeth ». De leur cùté, les dames deBucarest ont donné à la Société
une bannière brodée d'un grand prix. Le sultan a reçu lui aussi la i Berliner
Liedertafel » et lui a fait cadeau de deux aiguières en argent ciselé. Athènes
devait se manifester en la circonstance d'une manière particulièrement inté-
ressante. Le Conseil municipal de cette capitale artistique a fait graver sur
une plaque d'argent l'Hymne à Apollon, découvert à Delphes en mai 1893,
et en a fait don à la Société. Les recettes nettes des concerts donnés dans les
villes les plus importantes ont été : à Bucarest, 1.740 francs; à Constanti-
nople, 14.103 francs ; à Athènes, 6.170 francs; a Salonique, 1.500 francs, etc.
Une très importante partie de ces sommes a été consacrée à la construction
d'hôpitaux à Constantinople et à Athènes.
— Un livre sur la censure a paru, il n'y a pas encore bien longtemps à
Munich; ii est signé du Docteur Robert Ileindl et renferme un nombre consi-
dérable de traits ou faits intéressants. L'on nous saura gré d'en réunir ici
quelques-uns. Dans le livre de pensées du censeur viennois Haegelin, relatif
à l'année 1795, se rencontre un passage qui mérite d'être reproduit inté-
gralement: le voici : « Le censeur a le devoir d'empêcher que deux per-
sonnes, éprises d'amour l'une pour l'autre, puissent jamais quitter la scène
seule à seule. Dans la pièce la Fille de campagne, un procurateur a dû être
donné aux deux amants, lorsqu'ils se retirent dans une maison voisine pour
prendre les dispositions nécessaires à leur mariage. «Quand la Jeanne d'Arc
de Schiller put être représentée à Vienne, le 27 janvier 1802, ce ne fut pas
sans avoir subi maintes escarmouches de l'aréopage des censeurs. Le titre
d'abord, Jungfrau von Orléans, parut médiocrement convenable; il était facile
de mettre à la place le nom de l'héroïne. Le drame s'appela donc Jeanne d'Arc
et fut joué sous le couvert de l'anonyme, car Schiller passait encore pour un
dangereux révolutionnaire. Agnès Sorel, l'amie du roi Charles VIT, devint
son épouse légitime et se nomma Marie. Dunois, le bâtard d'Orléans, prit le
nom de prince Louis et l'on en fit un cousin du roi. Quant à la reine dénaturée
Isaheau, elle fut transformée en une sœur du roi, ce qui permit d'adoucir
certains côtés de son caractère, jugés contre nature, bien que conformes à
la vérité historique. — A Vienne, jusqu'en l'année 1848, les mésalliances
étaient interdites au théâtre. Quand la pièce intitulée le Comte Waldemar, de
Gustave Freitag, fut présentée au directeur du Burgtheater, celui-ci se montra
très disposé à la jouer, mais la censure s'y opposa énergiquement, formulant
ainsi ses motifs : « Dans l'ouvrage dont il s'agit, un comte doit épouser la fille
d'un jardinier. Cela peut malheureusement arriver dans la vie réelle, mais
ne saurait être toléré au Burgtheater. >• A Stuttgard, autre thème. L'Iphigénie
en Tauride de Gœthe ayant été mise à l'étude, l'autorisation de jouer cette
tragédie fut refusée « à cause des jambes nues » que comportait le costume
grec. Ce que l'on permettait de plus hardi en ce sens, dans la capitale du
Wurtemberg, était de figurer en scène les jambes couvertes de maillots de
couleur jaune. — Le docteur Heindl s'occupe aussi, dans son livre si amusant
parfois, des faits et gestes de la censure contemporaine et il trouve à récolter
sur ce terrain une ample moisson. Nous ne saurions pourtant le suivre plus
longtemps car son livre pourrait servir à former un véritable lexique d'anec-
dotes; nous y reviendrons à l'occasion. Disons seulement que l'Allemagne,
qui n'a peut-être pas conservé la pureté des mœurs que lui attribuait Tacite,
possède en différentes villes des aréopages de censeurs aussi actifs que zélés.
A Berlin seulement, seize pièces ont été censurées dans un espace de quatre
mois, pendant l'année 1900. Depuis environ vingt-cinq ans, non seulement
les auteurs de pièces burlesques, mais les écrivains dramatiques les plus
remarquables sont souvent entrés en conflit avec la tracassière institution.
Celle-ci ne s'en porte pas plus mal, il est vrai, et, tout dernièrement encore,
à Munich, un conseil supérieur a été adjoint aux censeurs pour augmenter
l'autorité de leurs décisions.
— Une grève d'un genre original vient d'avoir lieu au Théâtre-National de
Belgrade, celle des spectateurs. La direction ayant rompu son contrat avec un
acteur favori du public, la population s'abstint désormais de se présenter aux
guichets. On faisait chaque soir une recette moyenne de 30 à 40 francs. Une
représentation a été donnée devant quatre personnes payantes.
— A Livourne, pendant une récente représentation de l'opéra les Masques.
dirigée par M. Mascagni lui-même, un regrettable incident s'est produit.
Lorsque l'auteur parut, quelques individus qui étaient au « poulailler ■> lan-
cèrent contre lui une orange qui vint tomber sur la scène. Le maestro feignit
de ne rien voir, mais quand la prima dona eut terminé de chanter sa pre-
mière romance, une véritable pluie d'oranges et d'oignons s'abattit en tem-
pête sur la scène. M. Mascagni, indigné, voulut quitter sa place, mais le
public lui fit une ovation enthousiaste et la représentation reprit. Il parait que
l'incident a été causé par le refus du maestro et des artistes d'accéder aux
prétentions de la claque locale.
262
LE MENESTREL
— A propos du libretto la Fesla del G-rano (la Fête de la moisson), que le
prêtre-musicien Giocondo Fino doit mettre en musique, nous lisons dans le
Goniere délia Sera de Milan : « Le librettiste Fausto Salvatori avait obtenu
pour son poème le grand prix du concours Sonzogno. Giocondo Fino, qui se
montrait disposé à en écrire la musique, avait déjà fait éditer par la maison
Ricordi son oratorio Batlhta. Mais la maison Sonzogno, appréciant le talent du
prêtre-compositeur, prit un arrangement avec l'éditeur Ricordi, et Giocondo
Fino fut appelé de Turin pour signer à Milan un traité combiné entre les
deux maisons rivales. Bientôt une autre difficulté se présenta. Giocondo Fino,
en sa qualité de prêtre, jugea nécessaire, avant de se mettre à l'ouvrage pour
écrire une œuvre profane, de solliciter l'autorisation de ses supérieurs ecclé-
siastiques. Il se rendit à Rome dans ce but. Le poète Salvatori ayant consenti
à faire des coupures à son livret et à en modifier certains passages pour l'hon-
neur de la robe sacerdotale du compositeur, le pape s'empressa d'accorder la
permission demandée «. Maintenant que les petites difficultés ont été apla-
nies, la plus grande peut-être est de faire un chef-d'œuvre ; espérons que
l'inspiration nécessaire pour y parvenir ne fera pas défaut à M. Giocondo
Fino.
— A Païenne, M. Florio, l'armateur bien connu, organise un concours de
ténors. Il donnera des prix et procurera un enseignement gratuit aux lau-
réats.
— Nous apprenons que le maestro Pizetti vient de terminer une parti-
tion mélodramatique pour l'œuvre de M. Gabriele d'Annunzio, / Pastori.
Le différend qui s'était élevé entre le compositeur et le poète à propos de la
N~ave paraît donc aplani. M. Pizetti espère terminer prochainement un opéra
qui aura pour titre Fedra; il s'est lui-même construit un libretto d'après
VEippohjte d'Euripide.
— M. Granieili di Catanzaro a mis eu musique un livret d'opéra tiré à' Anna
Karénine de Tolstoï, par MM. Tchirtirkja et Gorciakof. L'ouvrage, dirigé par
le compositeur lui-même, a eu du succès à Tiflis et à Kiew.
— Le doctorat en droit est un titre assez répandu, mais qui n'avait pas
encore fait son apparition dans les corps de ballet. L'Éloile Belge annonce que
M116 Marie Rutkowska, première danseuse à l'Opéra-Impérial de Varsovie,
vient d'être reçue à son premier examen de droit.
— En attendant le prochain cycle de la Passion qui n'aura lieu qu'en 1910,
à Oberammergau, la troupe d'artistes amateurs, célèbre dans le monde en-
tier, donne cette année des représentations de Mafdochée et Esth'r, drame bi-
blique de M. Max Steigenberger. La première vient d'avoir lieu devant un
public cosmopolite, nombreux et recueilli, qui a témoigné sa vive admiration
aux interprètes, dont la plupart ont tenu des rôles aux derniers « Passions-
spiele », notamment à M. André Lang (Mardochée) et à sa nièce MIlc Emma-
nuilla Lang (Esther).
— Des artistes, des musiciens, des littérateurs, des personnes s'occupant de
sciences, des avocats et des professeurs viennent d'adresser la pétition sui-
vante à « l'Association pour l'amélioration des conditions de la vie à Londres »
« Nous soussignés, habitants de Clareville Grove, avons recours à votre obli-
geante intervention, dans le but d'obtenir la suppression des intolérables
bruits qui nous poursuivent dans les rues et jusque dans nos demeures. Ce
sont d'abord d'innombrables orgues de barbarie, souvent si rapprochés les
uns des autres que l'on en entend plusieurs à la fois. Ils vous tourmentent
non seulement pendant le jour, mais encore la nuit, car ils font leur vacarme
jusqu'à une heure avancée devant les cafés et les brasseries. Il y a aussi des
troupes de nègres avec leurs flageolets et leurs banjos (sorte de guitare dont le
corps forme un tambour; instrument favori des nègres américains); ces mal-
faiteurs de la musique empêchent nos enfants de dormir et nous énervent
désespérément. Enfin nous sommes encore éprouvés par les bandes de joueurs
d'instruments de cuivre dont jamais deux ne sont d'accord ensemble. Ils font
rage avec leur effroyable musique et ont l'impudence de nous demander de
l'argent pour payer le concert dont ils nous gratifient malgré nous. Vraiment
il est inouï que de tels abus soient tolérés dans une ville comme Londres et
que les habitants soient contraints d'endurer tous les bruits qu'il plaît à nom-
bre de gens paresseux et désœuvrés de leur imposer. Nous vous prions donc de
nous protéger contre ces fléaux, autant du moins qu'il est en votre pouvoir de
le faire ». Les personnes qui ont vécu à Londres savent qu'il n'y a rien
d'exagéré dans ces plaintes. En Allemagne, il s'est formé, dans les villes les
plus importantes, des ligues contre le bruit des rues ; quelques-unes ont
obtenu de sérieux résultats.
— Le propriétaire de la maison qu'habita Jenny Lind à Londres, n° 1
Moreton Gardens, South Kensington, l'a mise en vente le mois dernier, exi-
geant, comme prix, une rente de 7.503 francs par an. Aucun acquéreur ne
s'est présenté.
— Une des plus curieuses girouettes que l'on ait jamais vues sur une église de
la Grande-Bretagne est celle de Great Gonerby près de Grantham ; elle a la
forme d'un violon et d'un archet, et est de dimensions peu ordinaires. Son
histoire est des plus singulières. Il y a bien des années, un paysan vivant à
Great Gonerby gagnait sa vie en jouant sur un vieux violon qu'il aimait avec
passion et dont il ne se séparait jamais. L'instrument ne lui rapportant que
de faibles gains, il se. décida à émigrer en Amérique et réussit à y faire for-
tune. Un jour, il envoya au pasteur du village où il était né la somme suffi-
sante pour bâtir une église, mettant à cette libéralité la condition suivante:
une reproduction en métal du violon et de l'archet avec lesquels il avait péni-
blement recueilli de quoi vivre pendant sa jeunesse devait être comm andée
à un ouvrier d'Angleterre et placée, comme souvenir, au sommet de l'édifice.
Le conseil de la commune, après en avoir délibéré avec le pasteur, jugea que
la meilleure manière de réaliser les intentions du donateur serait de donner
la forme d'une girouette à la reproduction métallique du vieil instrument et
de l'utiliser comme telle. Placée à la pointe du clocher, elle attira les regards
de tous les paroissiens et leur rappelle qu'ils doivent leur église à la généro-
sité d'un ménétrier enrichi.
— Le 23 avril de l'année prochaine, l'anniversaire de la naissance de
Shakespeare sera célébré d'une façon grandiose aux États-Unis. L'imprésa-
rio, M. Frohmann, qui a réuni dans ses mains la direction de quelques cen-
taines de théâtres américains et anglais, fera jouer, ce jour-là, dans tous les
théâtres qui font partie de son trust, quel que soit leur répertoire ordinaire,
une œuvre du grand Will. Le choix de la pièce sera abandonné à chacun des
directeurs, mais c'est M. Frohmann qui fournira tous les décors et tous les
costumes. Et comme il est certain déjà que l'initiative prise par M. Frohmann
trouvera des imitateurs, on compte que le 23 avril prochain on donnera dans
toute l'Amérique du Nord environ sept cents représentations d'œuvres
shakespeariennes.
— On a nommé directeur du nouveau théâtre national à New-York
M. Lee Shubert. Ce théâtre jouera l'opéra, l'opérette, le ballet, le drame et la
comédie. Il accueillera les troupes françaises et allemandes qui viendront
donner des représentations en Amérique. La salle a été bâtie par une société
de capitalistes de New York. Elle a coûté 15 millions de francs. L'inaugura-
tion en sera faite au commencement de la saison prochaine.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Vendredi dernier, à l'Opéra, débuts de Mlle Alice Baron, une des très
bonnes falcons de nos grandes scènes de province. C'est dans Valentine des
Huguenots qu'on l'a présentée au public parisien, qui l'a très heureusement
ac cueillie.
— On continue, dans les foyers, les études du Crépuscule des Dieux, dont
voici la distribution, avec les doubles principaux :
Siegfried MM. E. van DycketGodard
Hagen Dslmas
Alberich Gilly
Gunther Vilmos-Beek, Dangès et Boulogne
Brunnhild-î M™" Grandjean, Mérentié et Borgo
Waltrante Paquot d'Assy
Gutrune Féart
Les Filles du Rhin Gall, Laute-Brun et Lapeyrette
Les N'ornes Mancini, Carbonnel et Caro-Lucas
— M. Messager a passé par Paris à la fin de la semaine dernière pour
causer des affaires courantes avec son associé, M. Broussan. Il est reparti
pour terminer les courtes vacances qu'il s'était données et sera de retour défi-
nitivement lundi prochain.
— A l'Opéra-Comique, le travail des études a recommencé dès cette semaine
pour les petits emplois et les chœurs. M. Léon Jancey a repris possession du
secrétariat général et dirige tous les services en l'absence de M. Albert
Carré, qui termine en ce moment son stage militaire à Dijon.
— M. Louis Landry, chef d'orchestre et chef de chant à l'Opéra-Comique,
vient d'être victime d'un terrible accident d'automobile. Il rentrait à Paris
dimanche dernier, pour reprendre son service à la salle Favart, et venait d'ac-
compagner à la gare Mme Landry, qui se sentant légèrement fatiguée avait
préféré prendre le chemin de fer, lorsque, avenue de Paris, un malencontreux
coup de volant, donné on ne s'explique pas comment, car M. Landry est très
bon conducteur et fort prudent, lança la voiture dans un fossé. M. Louis
Landry, violemment projeté, s'est fracturé le fémur d'une jambe, cassé
plusieurs côtes, endommagé sérieusement la mâchoire inférieure et a une
fracture du crâne. On avait craint tout d'abord que les yeux ne fussent
perdus, il n'en est heureusement rien. Il a été transporté séance tenante
à l'hôpital de Joigny. M. Albert Carré, qui, comme nous l'avons dit, fait une
période militaire à Dijon, prévenu par Mme Marguerite Carré, s'est immé-
diaiement rendu auprès du blessé, qu'il tient en particulière estime, et a pu
envoyer une dépêche qui a quelque peu calmé les cruelles inquiétudes de tous
ceux, artistes, camarades ou amis, qui ayant approché M. Louis Landry
n'avaient pour lui que grande et loyale affection. Nous faisons, ici, les vœux
les plus ardents pour son prompt et complet rétablissement.
— M. Vidal, chef de musique au 5e régiment de ligne, et M. Merlier, sous-
chef au 70erégiment de ligne, viennent d'être nommés chevaliers de la Légion
d'honneur.
— Nous avons parlé déjà du concours international de musique placé sous
le patronage du prince de Monaco et très généreusement doté de prix par
M. Henry Deutsch (de la Meurthe) et donné, en son temps, le résultat des
concours déjà jugés. Le jury « d'Opéra et drame lyrique », composé de
S. A. S. le prince de Monaco, de M"le la comtesse de Greffulhe, de MM. Henry
Deutsch, J. Massenet, C. Saint-Saëns, Xavier Leroux, Léon Jehin, Gunsbourg
et Astruc, vient de prendre les résolutions suivantes :
1° Le prix de 30.000 francs n'est pas décerné à un? seule œuvre;
2° M. Henry Deutsch (de la Meurthe), désireux de donner aux meilleurs
ouvrages qui ont été envoyés au concours un encouragement et un lémoi-
LE MENESTREL
263
gnage de sympathie, autorise la division et le partage de la somme de
30.000 francs qu'il avait allouée à cette classe du concours (en dehors des
25.000 francs déjà distribués pour l'opéra-comique, le ballet et la musique de
chambre).
En conséquence, une somme de 10.000 francs est attribuée au manuscrit
n" 107, intitulé la Penticosa, devise : « Perfide comme l'onde ».
One somme de 4.000 francs est allouée à chacun des manuscrits suivants :
Nn 155, Anna dea, devise : « Je lui dis... la rose du jardin y ;
NB 201, Aubeline, devise : « Une espérance a brillé dans ma nuit » ;
N" 215, La du Barry, devise : « Heureux les simples 3 ;
N" 241, Pia. devise : « Nemo » ;
N" 228, le Retour, devise : « Scribitur ad narrandum ».
Les auteurs des dits ouvrages sont priés de se faire connaître, 32, rue Louis-
le-Grand.
— On dit, — faut-il y croire ? — que M. Richard Strauss penserait à mettre
en musique Tartuffe. Il serait tout au moins curieux de voir comment l'au-
teur de l'étrange Sabine comprendra, musicalement, notre Molière.
— On sait déjà que, d'autre part, un jeune musicien français, M. Laparra,
qui débuta brillamment l'année dernière à l'Opéra-Gomique avec la Babanera,
emprunte à l'AmphylrAon, du même Molière, le livret de son prochain ou-
vrage.
— Miss Alice Fletscher, membre du Bureau ethnographique de Washington.
a recueilli des chants indiens au moyen du phonographe et a publié dans la
Musical America le résultat de ses observations. D'après elle, l'Indien est doué
pour la musique et la pratique sans raffinement; cependant les intervalles
caractéristiques de la musique moderne européenne se retrouvent dans les
thèmes populaires indiens, dont beaucoup ne sont pas sans analogie avec
les compositions de Beethoven, de Schubert, et, plutôt encore, de Schu-
mann. de Chopin, de Liszt et de Wagner. Un chant que l'on pourrait appeler
le choral du Calumet de paix présente des passages avec lesquels certaines
fo rmes wagnériennes ont de l'aualogie ; c'est une mélopée de douze mesures
commençant en si bémol mineur et finissant en ut majeur. Les rythmes de la
musique indienne sont souvent aussi compliqués et difficiles que ceux que l'on
rencontre chez Schumann, Chopin et Mendelssohn. Une singularité de cette
musique consiste dans l'emploi fréquent d'une note brève sur le temps fort de
la mesure; cela se trouve aussi dans beaucoup d'airs écossais d'autrefois. Miss
Fletscher conclut : « C'est une opinion hardie, mais amplement prouvée, que
toutes les ressources mélodiques et harmoniques d'usage constant dans la mu-
sique moderne et même ultra-moderne se retrouvent également dans la musi-
que primitive, chez un peuple qui n'a point de système de notation, point de
théorie musicale et point de conception scientifique de l'art ».
— Un gentil fragment de la dernière « Vie à la Campagne » que M. Cunisset-
Carnot publie périodiquement dans le Tem])s : l'auteur nous raconte un petit
épisode d'une excursion faite par lui dans le Bourbonnais :
...L'autre jour, par un après-midi de gai soleil déjà un peu avancé, je me prome-
nais par ces chemins fleuris quand, au coude de l'un d'eux, je fis une intéressante
rencontre. LTn joueur de vielle venait à moi, son instrument pendu au dos. Oui, dans
ce pays de braves gens simples, on en est encore à la vielle et à la cornemuse, on
ignore les violences des instruments de cuivre. Et c'est fort bien, cela va avec la
tenue générale du Bourbonnais, avec cette douceur de la terre, avec cette ancienneté
des vieux petits châteaux dont on voit poindre les tours sur la croupe des collines,
avec les bonnets du temps passé que portent encore les femmes, et l'antique blouse
bleue toute droite des paysans.
Je saluai mon vielleux et la connaissance fut bientôtfaite. Nous nous assîmes dans
l'herbe, à l'ombre d'un châtaignier séculaire. Il me conta qu'il était fatigué, car il re-
venait de «jouer une noce» dans un bourg voisin, et il n'avait plus ses jambes de
vingt ans. Cela se voyait du reste : sa longue barbe blanche et ses traits ridés
comme une rainette en mars disaient son grand âge. Il avait l'air très doux, avec une
petite pointe de malice dans ses yeux clairs. IS'ous causâmes ; je fis l'éloge de la
vielle. 11 me montra la sienne en détail, m'expliqua les cordes, les clefs, les timbres,
etc., avec une complaisance satisfaite, heureux qu'il était de m'intéresser. Pour moi,
j'étais ravi, «je touchais, comme dit M. de Chateaubriand, au momentdu bonheur » :
l'homme allait certainement me jouer quelque chose, et ce quelque chose venant de
ce patriarche des vielleux serait, j'y comptais bien, une antique bourrée, un passe-pied
du temps d'Henri IV ou de la Reine Berthe, celle qui filait si gentiment. Je souriais
d'avance !
En etl'et, pour achever ses démonstrations, l'homme fixa la vielle avec sa ceinture,
s'assura de l'accord, donna un coup de clef, saisit la manivelle et attaqua... la
Matchiclie ! Mon premier mouvement fut de l'étrangler! Mais je me contins, je le laissai
achever, et avant qu'il jouât autre chose, je le pris par la douceur, je lui parlai de
l'ancien temps, du temps de sa jeunesse, des beaux airs d'alors qui faisaient si bien
E danser, etc., etc. Il me regardait, un peu méfiant, mais ma bonne foi était trop évi-
dente pour ne pas s'imposer. Je le conquis, il s'abandonna ; il commença une bour-
rée que je lui laissai finir sans dire un mot, mais il voyait bien à ma figure toute la
joie qu'il me donnait. Alors il continua, et ce n'était plus le même homme; ses yeux
étaient changés, ils ne fixaient plus rien ; c'était en lui-même, en arrière, au lointain
du passé qu'il regardait. Sa musique, sa pauvre musique si primitive, et pourtant si
douce, le pénétrait, le transfigurait ; sa tête se balançait au rythme, avec des hoche-
ments, des soubresauts, ses épaules tressaillaient. Il revivait sa vie au chant mono-
tone des cordes, sa vie et celle des siens, celle de ses pères, des vieux paysans de
France qui ont tant aimé le coin de terre où ils savaient vivre et mourir. Et ce pauvre
vielleux représenta un moment à mes yeux quelque chose de la douceur de la
patrie...
— Le philologue Rochus de Liliencron, connu pour ses travaux sur ies
chansons populaires, a raconté dans ses mémoires la jolie anecdote suivante
sur Liszt et les étudiants de Berlin. « Pendant que Liszt donnait des concerts
à Berlin, on lui dit que les étudiants de cette ville, pauvres pour la plupart,
ne pouvaient payer le prix élevé des places à ses concerts et que cependant il
y avuit en eux des germes d'enthousiasme pour l'art qui ne demandaient qu'à
se développer. Aussitôt Liszt fit annoncer qu'il donnerait une séance unique-
ment pour les membres de l'université, dans la salle principale de l'institu-
tion. Le prix d'entrée était fixé à 10 groschen (environ iiO centime
bénéfice devait être distribué aux étudiants les plus pauvres. Au jour fixé,
la salle était bondée, mais les professeurs de l'université, agissant avec un
manque absolu de délicatesse, étaient venus avec leurs femmes, leurs '-niants
et leurs amis, de forle qu'ils occupaient à eux seuls plus de la meilleure
moitié de la salle, tandis que les étudiants étaient massés au fond et que
beaucoup n'avaient pu pénétrer. Liszt fut excessivement contrarié en appre-
nant comment ses intentions avaient été méconnues et sa première idée fat
de remettre le concert à un autre jour. Il se calma néanmoins et consentit à
jouer. Son interprétation lut plus superbe et grandiose que jamais. Après
avoir épuisé les morceaux du programme, il se mit à improviser, ce qui pro-
voqua un indicible enthousiasme. Toutefois, après d'innombrables rappels, il
fullut bien terminer la soirée. Liszt gagna sa voiture, accompagné par les
étudiants qui formaient autour de lui le plus beau cortège d'honneur. On
voulut alors déleler les chevaux et trainer le maitre comme sur un char
triomphal; mais, dès qu'il comprit ce que l'on allait faire, il s'élança hors de
la voiture, prit par le bras deux des étudiants les plus rapprochés de lui et se
mit avec eux à la tête du cortège qui l'accompagna jusqu'à son hôtel. Arrivé
sur les marches delà porte d'entrée, il se retourna vers les étudiants et dit
qu'il invitait à le suivre tous ceux qui pourraient pénétrer dans les locaux de
l'hôtel. Là, il fit apporter des rafraîchissements et parla aimablement à ses
hôtes, sur l'art, sur l'exaltation salutaire qu'il provoque, sur les devoirs de la
jeunesse. Il continua en disant qu'il avait appris que beaucoup d'étudiants
n'avaient pu pénétrer dans la salle du concert à l'université, parce que les
places avaient été envahies, mais que, pour cette raison, il donnerait un autre
concert, cette fois pour eux seuls, à l'exclusion des professeurs. » J'essayerai
de jouer, continua-t-il, ce chant que je viens d'apprendre de vous tous; je ne
pourrai, il est vrai, avec mes dix pauvres doigts, lui donner la même puis-
sance que vous, mes jeunes amis, car vous êtes huit cents et vous avez de
fraîches voix: je ferai pourtant de mon mieux et j'essayerai de vous remer-
cier dignement des sentiments que vous m'avez témoignés aujourd'hui >. Au
second concert, qui eut lieu comme le premier dans la salle de l'université.
Liszt joua sa fantaisie sur Gavdtamus igitur qu'il venait de composer en sou-
venir du chant des étudiants, et qui fut gravée bientôt après. Le succès fut
triomphal. Lorsque. Liszt quitta Berlin, une délégation des étudiants fut dési-
gnée pour l'accompagner à cheval et en costume d'apparat jusqu'à deux lieues
delà ville. Là, un riche propriétaire lit entrer les délégués dans son château,
Liszt à leur tète, et leur offrit du Champagne. Ce fut une petite Fête pleine de
charme et de simplicité. Liszt demanda la parole et s'exprima comme il savait le
faire en ces occasions ; enfin il prit congé des étudiants par ces mots : « Par-
tout où l'un d'entre vous me rencontrera pendant le cours de ma vie. il peut
se considérer comme mon hôte, je le recevrai toujours avec joie. »
— De Constantine : Les dégâts causés par le tremblement de terre à notre
Théâtre-Municipal sont beaucoup moins graves que l'on ne se l'imaginait. Les
représentations pourront reprendre dès le commencement de la semaine pro-
chaine, comme par le passé.
— La splendide fête de charité donnée dans les jardins de l'orphelinat de
Douvaine (Haute-Savoie) a été favorisée par un temps merveilleux. Plus de
quinze cents personnes s'étaient rendues à l'appel de M. l'abbé Lesage et de
son comité. L'exécution de Rulli, le célèbre oratorio de César Franck, fut
superbe. Les scènes mimées avec chœurs et soli et les tableaux vivants artis-
tement adaptés à la partition de l'oratorio par le comte de Patek furent pour
l'excellent metteur en scène et pour tous les interprètes un grand succès.
Mme Rossellin-Grandville, qui, dans le rôle de Ruth, a joué et mimé à ravir,
donnait la réplique au comte de Patek, qui représentait admirablement Booz.
La comtesse de Patek, dans le rôle si touchant de Noémi, et la comtesse R.
de Foras, dans celui d'Orpha, eurent grand succès, ainsi que les filles de Booz :
Mme Aylmer Norris (Rachel), Mllc de Rochecouste (Rébecca), M"« de Viry, de
Patek, Charmot, de Foras, A. de Rochecouste, etc. Les chœurs et l'orchestre
de cent vingt exécutants, dirigés par M. l'abbé Bruneau. furent l'objet d'ova-
tions méritées.
NÉCROLOGIE
A l'âge de 80 ans est mort récemment à New-York le pianiste William
Mason, qui s'était acquis en Amérique une grande réputation comme professeur.
Il fit ses études à Leipzig sous la direction de Bichter, Maurice Hauptmann et
Moscheles et reçut à Prague des leçons de Dreyschock. Venu à Weimar en
1853, il attira l'attention de Liszt qui lui donna des conseils pour son perfec-
tionnement, ainsi qu'en témoignent plusieurs lettres qui ont été publiées.
Établi à New-York, William Mason s'occupa très activement de créer des
centres de culture musicale dans les Etats-Unis: il s'intéressait particulière-
ment aux pianistes et se faisait un devoir d'assister à tous les concerts que de
jeunes artistes venaient donner dans le lieu de sa résidence. Mason était
considéré avec raison non seulement comme un véritable artiste, mais comme
un homme d'une tenue parfaite dans toutes les circonstances de la vie.
Henri Heigel, directeur-gérant.
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E, ^0, PAHIS. — (Enriv Liinlli'ui.,.
Samedi 22 ioùl 4908.
4039. - 74e ANNÉE. - N" 34. PARAIT TOUS LES SAMEDIS
(Les Bureaux, 2"'", rue Vivienne, Paris, u- ««•)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
lie fluméro : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
Le flamépo : 0 fr. 30
Adresser franco à M. Henri IIEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste ea sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (32° article), Julien Tiersot. — II. Bulletin théâtral :
première représentation de l'Homme de la Montagne, à Clunv, P.-É. C. — III. Don
Juan de Mozart et E.-T.-A. Hoffmann, Amédée Boutarel. — IV. Une famille de grands
luthiers italiens : Les Guamerius (7° article), Arthur Pougin. — V. Nouvelles
diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
AUBE EN MONTAGNE
mélodie de René Lexormand, prose de Henri-R. Lenorjiand. — Suivra immé-
diatement : Madrigal archaïque, de Y.-K. Nazare-Aga, poésie de Edouard
Saint-Léon.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
Romance, de Emu, Frey. — Suivra immédiatement : Charme d'automne, valse
lente, de Y.-K. Nazare-Aga.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
. CHAPITRE VII
L'ÉCLOSION DU GÉNIE : ORFEO Eit È I Itlltl) I
Dans le même moment, un autre philosophe (c'est maintenant
Diderot dont je parle) prendra pour exemple d'une dissertation
un fragment de tragédie de Racine, le monologue de Clytem-
nestre à qui l'on vient de ravir Iphigénie, et montrera, presque
vers par vers, comment il serait possible de le traiter en musi-
que : un récitatif haletant, entrecoupé par une ritournelle
plaintive, aboutissant à un air d'un mouvement éperdu, plein
de désespoir et de désordre (1). Ce n'était pas un modèle d'opéra
italien que l'auteur du Neveu de Rameau donnait là, malgré ses
préférences, — et du jour même de son début sur la scène
française, Gluck montrera à Diderot la manière de s'y prendre
pour faire passer ses idées dans le domaine de la réalisation
artistique.
Enfin d'Alembert, lui aussi ancien habitué du Coin de la
Reine, fit à son tour son examen de conscience en proclamant
la Liberté de l-a musique, opuscule où, après avoir constaté que
« l'animosité est éteinte, les brochures oubliées et les esprits
adoucis» (l'écrit est de 1760), sans brûler absolument ce qu'il
adorait naguère, il avouait cependant les défauts de la musique
(1) Diderot, Entretiens sur le Fils naturel, troisième entretien.
italienne avec * ses répétitions éternelles des mêmes paroles, ses
roulements prodigués à contre-sens et prolongés jusqu'à la fati-
gue,.et ses points d'orgue ridicules », déclarait que l'opéra français
n'était pas tellement inférieur que « si nous étions réduits à
l'alternative de le conserver tel quel ou- d'y substituer l'opéra
italien, peut-être ferions-nous bien de prendre le premier parti ».
et, reconnaissant que « la musique italienne est défectueuse
par ce qu'elle a de trop, la musique française par ce qui n'y est
pas», concluait que cette dernière pouvait s'enrichir en s'assi-
milant les qualités de l'autre, et que si elle y parvenait, elle lui
deviendrait bientôt supérieure.
Voilà ce qu'étaient, .avec leurs contradictions, mais aussi leur
lucidité et leur prescience, les idées de ceux qui, de Paris, diri-
geaient l'opinion de l'Europe intellectuelle, — tandis qu'à Vienne
Gluck était seul, livré à ses réflexions. Et derrière eux, combien
d'hommes de bonne volonté et d'esprit entretenaient l'agitation
par leur parole ou leurs écrits, préparant, à leur insu, la révolu-
tion future ! C'est l'abbé Arnaud, qui, dès 1754, entrait dans la
carrière des lettres en écrivant une Lettre sur la musique au comte
de Caylus), esquisse, dit-il, d'un ouvrage médité au fond de
la province, où il étudiait « les différentes énergies » de la mu-
sique, sans se priver de toucher aux préoccupations du jour,
avouant son amour de la musique italienne, bien qu'il ne voulût
pas ressembler « à ces amants passionnés qui adorent jusqu'aux
défauts de leurs maîtresses ». Nous verrons, plus tard, quelle
sera la musique que définitivement il adorera. C'est Chabanon,
auteur de l'éloge de Rameau, et qui plus tard s'efforça d'appro-
fondir la question des propriétés musicales des langues, traitée
par lui dans divers écrits, notamment dans un livre dont le
titre va indiquer l'esprit : De la musique considérée eu elle-même et
dans ses rapports avec la parole, les langues, la poésie et le théâtre. C'est
Algarotti, noble vénitien, qui, dans son Essai sur l'opéra, propo-
sait ses idées. pour la réforme d'un spectacle « qui devrait être par
lui-même le plus agréable de tous, et qui devient le plus insipide
et le plus ennuyeux » (phase qu'on retrouve presque identique-
ment au début de la préface d'Alceste). C'est Chastellux, qui,
avant de se faire le traducteur français de ce dernier ouvrage,
avait donné lui-même un Essai sur l'union de la poésie et de la
musique (1765): il pensait l'avoir écrit à la louange de la musique
italienne, lui prêtant, par un travers dont les plus grands avaient
donné l'exemple, des qualités qui n'étaient pas les siennes, mais,
par là même, affirmant la prééminence de ces qualités. De même
que la Nouvelle Héloise qualifiait Métastase « le seul poète du
cœur, le seul génie fait pour émouvoir par le charme de l'har-
monie poétique et musicale », de même Chastellux cherchait
dans les vers de ses opéras les meilleurs exemples de conve-
nance et d'expression; et si par hasard il rencontrait un musi-
cien ayant su mettre l'accent juste sur des strophes telles
i que : Misero pargolello, Prence perdona, Se cerca se dice, c'était
266
LE MÉNESTREL
avec un véritable enthousiasme qu'il mettait en relief cette rare
qualité. Lisez par exemple son commentaire de l'air 5e cerca, se
dice, dans YOlimpiade de Pergolèse : « Cet incomparable auteur a
senti qu'il ne pouvait faire entrer dans son motif cette exclama-
tion : Ah no ! si gran duolo non dar le per me. Il a donc pris le parti
de mettre ces deux vers en déclamation et de rentrer ensuite
dans son sujet par les deux, derniers vers : Rispondi, etc. » Yoilà
qui est très bien, et parfaitement juste s'appliquant à l'air en
question ; mais c'est combien exceptionnel ! Les exemples de ce
style, on les compte dans la musique italienne. — et le compte
n'en est pas grand. De sorte que Cbastellux, comme plusieurs de
ses contemporains, admirait dans cette musique des qualités
qu'il souhaitait y voir, mais qui, en réalité, en étaient le plus
souvent absentes.
Il n'était pas jusqu'à des historiens appliqués à considérer
l'art principalement dans un passé reculé qui ne se sentissent
attirés à proclamer la nécessité d'en rénover l'esprit. C'est ainsi
que, dans son Histoire de la Musique, le P. Martini écrivit ces
mots que les gluckistes postérieurs ont maintes fois reproduits,
comme une juste prophétie en faveur de leur cause (1) :
« Nos airs consistent dans un assemblage hétérogène d'idées,
et de différens morceaux cousus au hasard, sans dessein, sans
ordre et sans unité... Il est à désirer qu'il se présente enfin
quelque professeur doué d'un rare talent et parfaitement instruit
de toutes les parties de la musique, lequel, sans se mettre en
peine des propos impertinens de tous ses rivaux, fasse renaître,
à l'imitation des Grecs, l'art d'émouvoir les passions...- »
Il parlaient, ils écrivaient, — et Gluck pensait. Bientôt il
allait faire mieux : créer.
Parmi ces écrivains empressés à dire leur mot, il en est un
qui n'eût sans doute pas laissé après lui des traces fort durables
si, par une rare bonne fortune, il n'eût été associé à la créa-
tion de l'œuvre rêvée par ces esprits si divers. Et par là il mé-
rite d'être cité en première ligne, — car, si belles choses que
soient les idées, l'œuvre, c'est-à-dire l'acte, c'est mieux.
C'était un Italien, de médiocre noblesse, — non pas non
plus un philosophe pouvant prétendre à gouverner l'opinion :
un simple amateur de poésie et d'art, gagnant sa vie à des
fonctions rétribuées par un gouvernement étranger, et se délas-
sant parfois à des travaux littéraires. Il se nommait Ranieri dé'
Calsabigi (2), était né à Livourne et s'enorgueillissait du titre
de membre de l'Académie de Cortone, qui a, je suppose, quel-
que équivalence avec ce que doit être en France celui d'acadé-
micien d'Etampes. Il se trouvait à Paris au moment de la guerre
des Bouffons, et, subissant l'entraînement général (à quoi le
sentiment national s'ajoutait chez lui), prit naturellement parti
pour les Italiens. Quand eut lieu l'expulsion de la troupe chan-
tante, dans son indignation, il tailla sa bonne plume et en
traça un poème héroï-comique en huit chants : La Lulliade, o i
bu/fi Italiani scaceiati de Parigi, ironiquement dédié Alla divina mu-
sica francese (3). Jean-Jacques Rousseau et Grimm n'étaient donc
pas seuls à déverser le ridicule sur les moyens d'opposition
tyranniques des partisans de la musique française : un Italien
s'en mêlait aussi. Mais celui-ci voulut faire œuvre plus sérieuse, et
montrer qu'il était capable de réflexion. Alors qu'à Vienne Mé-
tastase était dans tout l'éclat de sa renommée, il entreprit de le
faire connaître en France, et, à cet effet, publia une édition de
ses œuvres, en dix volumes, précédée d'une préface de près de
deux cents pages, dans la conclusion de laquelle il exposa ses
propres idées sur la tragédie lyrique (4).
(1) Extrait de l'Histoire de la Musique, par le Père Martini, à Boulogne (Bologne;,
1769, dans les Mémoires pour la Révolution du Chevalier Gluck, p. 59; — Suard, Ency-
clopédie mclhodigue, article Allemagne ; — Berlioz. Gluck, article delaffajeffc musicale,
1834, p. 173.
(2) Sur cet auteur, voir un article de Heinrich Welti : Gluck und Calsabigi, dans le
Vierteîjahrschrift fur Musikwissenschaft, 7° année, 1891, pp. 26 et suiv.
(3) Cet ouvrage, resté inconnu de tous les historiens, n'a pas été imprimé: le
manuscrit, autographe en a été retrouvé récemment à la Bibliothèque nationale de
Florence (Palat. 11. 11. 189) par M. Henri Prunières, chargé de dresser l'inventaire
des manuscrits musicaux de cette Bibliothèque pour l'Institut français de Florence,
et qui me Ta obligeamment l'ait connaître.
\ Poésie del signor abate Pietho Metastasio. Parigi, presso la Vedova Quillau,
C'est là un document d'importance, et qui mérite de nous
arrêter.
L'écrivain explique d'abord qu'il a entrepris cette étude afin de
faire comprendre aux mauvais poètes tragiques d'Italie, qui sont
nombreux, la grande idée du drame, et de convaincre les étran-
gers qu'ils ont tort de dédaigner le théâtre italien. Car les
poèmes de Métastase, quoi qu'on doive les considérer principa-
lement comme des livrets d'opéras, sont, même sans l'ornement
de la musique, de véritables tragédies qui peuvent sans dom-
mage supporter la comparaison avec les meilleures œuvres des
autres nations. Parfois Calsabigi les met en parallèle avec les
tragédies de Racine, et il consacre à Iphigénie en Aulide et Athalie
des analyses aussi étendues que celles que lui suggèrent la
Clemenza di Tito, Alessandro et YOlimpiade.
(A suivre.) Julien Tiersot.
BULLETIN THEATRAL
Cli'ny. — L'Homme de la Montagne, vaudeville eu 3 actes, de MM. Claude
Roland et Kraatz, adapté par M. A. de Mauprey.
C'est le brave petit théâtre Cluny qui, cette année, donne le signal
du départ à ses grands confrères et ne craint pas, en plein mois d'Août,
de nous rappeler que Paris possède des salles de spectacle et de nous le
rappeler en montant un vaudeville nouveau. Et ce faisant, Cluny, très
gentiment, obbge les déshérités, qui par force majeure essaient de peu-
pler la capitale à cette époque de grands prix sur les côtes normandes,
à se payer, quand même, leur petit déplacement estival : voyage par delà
la Seine, aller et retour dans la même soirée, avec, à la traversée des
ponts, l'illusion de quelque très douce brise marine.
Le voyage, par ailleurs, n'a rien de désagréable ; au terminus, pré-
sentation à l'Homme de la Montagne qui est un bon blagueur n'ayant
jamais mis les pieds même sur une colline, mais se faisant passer pour
le premier alpiniste de son temps ; il y trouve, le roublard, motif à
satisfaire aux goûts de célébrité de son épouse et aussi à ses goûts per-
sonnels de bamboche. Pendant qu'on se l'imagine exposant ses jours
sur un homicide glacier, il se vautre tout simplement sur les divans
moelleux de la théàtreuse Bobette. La première rencontre avec le bon-
homme est vraiment amusante. On rit encore en le suivant en Suisse
où les circonstances le forcent à ascensionner pour de bon, le pauvre ;
mais on trouve un peu longuets les épisodes qui empêchent que sa
femme ne découvre le pot aux roses.
Les ciceroni du petit voyage sont d'abord M. Matrat, plein d'entrain
et de jovialité, et Mm(' Franck-Mel, très en dehors, puis MM. Vallot,
Paul Perret, Saulieu, René Fugère, Koval, Marius. Mm"s Benda, Peyral
et Glineur. P.-E.-C.
DON JUAN DE MOZART ET E.-T.-A. ÏÏOITMAÏÏÏ
Tous les compositeurs ayant aimé à répandre leurs opinions par la
plume ou par la parole, tous les représentants de la critique musicale,
se sont fait un plaisir de jeter un jour ou l'autre quelques louanges
bien senties sur la partition de Don Juan. Chacun d'eux y met tour à
tour un empressement significatif, montrant par là que vis-à-vis du
maître de Salzbourg toute discussion est abandonnée, l'œuvre restant
debout et rayonnante, malgré quelques légers défauts. On respecte
partout la sérénité de la gloire de Mozart autant que la renommée des
ouvrages créés par son génie.
Pourtant, dès l'apparition de Don Juan, des réserves ont été faites sur
lamusiqueet contre le livret. Des premières, il ne subsiste rien, car elles
MDCCLV. Les titres sont ornés de vignettes finement gravées dans le goût du dix-
huitième siècle, dont l'une ip. i) sert d'encadrement à une dédicace A Sun Eceelenza
La Signora Marcbese di Pompadour, suivie d'une épitre en vers italiens signée
Ranieri di Calsabigi. Vient ensuite (p. vu) une Lettera dell' Autore, signée Pietro
Metastasio, Vicnnu, .9 Marzo 7754. Enfin à la page xix commence la Dissertazione di
Ranieri de' Calsabigi, dell' Accademia di Cortona, su le Poésie Dramatisc/w del Signore
Abate Pietro Metastasio, qui occupe jusqu'à la p. cciv. L'exemplaire de la Biblio-
thèque nationale de Paris (Yd. 3574) contient, dans la dernière partie ûe cet écrit,
des irrégularités de pagination fort incommodes.
LE MENESTREL
267
l'rappaient sans justesse et sans à-propos. Les autres portaient sur la
forme souvent bien naïve du scénario et s'attaquaient surtout au carac-
tère peu moral du sujet. « 11 m'aurait été impossible, disait Beethoven,
d'écrire de la musique pour une histoire aussi scandaleuse. >> Les cri-
tiques de Don Juan ont partagé pour la plupart cette appréciation de
l'auteur de Fidelio. Toutefois, l'un d'entre eux s'est efforcé d'élever la
donnée de l'ouvrage en le rattachant à une conception psychologique
d'un raffinement tout moderne, et de présenter le type du séducteur
sous un aspect toujours peu sympathique assurément, mais non
dépourvu d'une certaine grandeur. Celui-là fut un humoriste par
excellence, compositeur, homme de lettres et dessinateur à la fois, sans
compter ses autres professions, car il a été aussi, à son heure, magis-
trat et directeur de théâtre. Lui-même s'est désigné à nous en jouant
sur les deux mots dont son nom est formé : « Non pas Hof Mann (1),
disait-il, « et cependant Hoffmann »; et cette boutade le réjouissait
fort, car elle rappelait vaguement les antithèses énigmatiques des sor-
cières de la lande écossaise, annonçant à Macbeth son destin.
E.-T.-A. Hoffmann, l'auteur des Contes fantastiques, en a consacré un
à glorifier Don Juan. Descendu à l'hôtel principal d'une ville inconnue,
il entend, le soir, après s'être retiré dans sa chambre, d'étranges bruits
musicaux. Il sort, et, se laissant guider par eux, suit le corridor jus-
qu'à une porte dissimulée dans la muraille. Elle cède à la pression de
sa main et il se trouve dans la loge discrètement dissimulée d'un
théâtre rempli d'une assistance nombreuse. La salle est resplendis-
sante de lumière se jouant sur de beaux costumes féminins; pourtant
cela ne l'intéresse guère ; on joue Don Juan, que lui faut-il de plus !
Dona Anna est sur la scène ; « quel aspect ! Sa taille eût pu être plus
élevée ; plus svelte et plus majestueuse sa démarche ; mais, l'expression
de ce visage, ces yeux d'où s'échappent comme des gerbes de feux élec-
triques, comme les flammes d'un foyer que rien ne peut éteindre, ces
transports de colère, d'amour, de haine, de désespoir, nul ne saurait
les décrire. Des nattes de cheveux noirs se tordent sur son cou ; une
robe blanche voile et trahit à la fois des charmes que l'on ne vit
jamais sans danger; son cœur soulevé d'indignation palpite violem-
ment... et cette voix ! Non sperar se non m'uceidi. »
Hoffmann raconte ainsi l'action tout entière du chef-d'œuvre sur
ce ton dithyrambique. Un peu avant l'entr'acte, il avait cru sentir
auprès de lui une respiration haletante et pure, entendre le frôlement
d'une robe de satin : ravi par son rêve poétique, il n'avait pas détourné
la tête. La toile tombée, il se ressaisit. Qui donc est là, pense-t-il, et
ses yeux cherchent dans le demi-jour derrière lui. Dona Anna était à ses
•côtés blanche comme il venait de la voir sur la scène; elle dirigeait vers
lui ses yeux d'où sortaient d'étincelants rayons. Il la questionna sur son
rôle; elle lui dit que la musique était toute sa vie et qu'aucune parole
ne saurait dépeindre les émotions qu'elle éprouvait quand le jeu du
théâtre, en bouleversant son être, ctreignait son àme et la transfigurait.
« Oui, continua-t-elle, je comprends tout alors; mais tout est froid et
inanimé autour de moi ; on m'applaudit pour une roulade difficile, et
il me semble que des doigts de fer saisissent mon cœur ardent. » Tout
à coup la clochette de l'entr'acte retentit, la jeune femme en sanglot-
tant porte les mains à sa poitrine et murmure d'une voix défaillante :
o Malheureuse Anna, voici tes moments les plus terribles ! » Hoff-
mann regarde en vain; l'apparition a disparu. Il se retourne vers la
scène et entend le second acte dans le recueillement d'une admiration
sans bornes.
Son enthousiasme est si vif qu'il renonce à nous en faire part, et
abandonne le ton du panégyriste pour varier son récit par d'ironiques per-
siflages à l'adresse des spectateurs de Don Juan, avec lesquels il se trouve
à table au souper. Lassé bientôt de leurs propos, il se retire dans sa
chambre. Minuit soune, l'hôtel est silencieux, tout dort. Brûlant du
désir de revivre, du moins en imagination, ses sensations de la soirée,
Hoffmann prend avec lui une petite table, du papier et de l'encre, et
recommence sa course, telle qu'il l'avait faite à travers les couloirs, à
l'heure de la représentation. Il s'installe dans la loge et laisse aller sa
plume, certain de pouvoir maintenant fixer sa pensée sur le chef-
d'œuvre.
Bien entendu, il ne veut point voir dans Don Juan l'amplification
d'un mystère, joué vers la fin du moyen âge comme celui de Faust,
car, dit-il, « si l'on considère ce poème saris y chercher une profonde
signification, à peine peut-on concevoir que Mozart ait pu rêver et
composer sur ce motif une telle musique. i> Don Juan lui apparaît
comme un des enfants privilégiés de la nature ; doté par elle de tous les
avantages, il est destiné à vaincre et à dominer. Rien au monde
n'exaltant l'homme autant que l'amour, c'est par l'influence mysté-
rieuse des sentiments tendres, fussent-ils simulés, qu'il doit imposer
(1) Hof-Mann, homme de cour, courtisan.
son pouvoir. S'éprenant tour à tour de chacun'' des belles personnes
qu'il est ingénieux à découvrir, et sans cesse habile à troubler, aucune
jouissance ne l'apaise, rien ne satisfait son idéal. L'humanité féminine
lui semble si vulgaire, tellement au-dessous de ses aspirations, qu'il
devient sans pitié pour les douces créatures qu'il subjugue. Un pas
encore dans cette voie paradoxale et Don Juan sera pour nous un
séducteur que le paroxysme de sa vertu a poussé jusqu'au vu-
insolent qui eût été un sur-homme, si le monde où il a vécu ne s'étail
trouvé trop peu digne de lui. Ainsi Goethe avait transformé le vieux
docteur Fauslus et lui avait préparé une glorieuse apothéose, mais L'abbé
da Ponte n'était point de même force, et nous sommes bien forcés de
ne suivre Hoffmann ni dans ses exagérations, ni dans ses fantaisies:
nous pensons seulement que le génie de Mozart a galvanisé un livret
quelconque.
Le caractère de Dona Anna est présenté par Hoffmann sous un aspect
non moins favorable que celui de Don Juan. Elle est promise, elle est
fiancée cette jeune fille, mais son époux futur manque des qualités aéi es-
saires pour fixer son choix. Restée a la merci de son séducteur parce
qu'elle l'a rencontré déjà dégradé par son détestable travers, eUel'eûtsauvé
sans doute, retenu fidèle à l'abri des sensualités qui l'ont perdu, si tous
les deux, jeunes et beaux, s'étaient trouvés face à face au seuil de L'exis-
tence et avaient pu conduire parallèlement leurs destinées, sous l'égide
bienfaisante de l'amour. Mais Don Juan a vu trop tard cette femme
divine, il l'a vue à l'heure du crime, dans la promiscuité de ses autres
victimes; il n'a plus qu'une idée, la posséder puis la rejeter dans le tourbil-
lon, à jamais perdue et flétrie. Le seul coupable en tout ceh, c'est le sort,
ou, comme dit Hoffmann, le démon. Racheté par Dona Anna, Don
Juan et elle eussent formé un couple d'amour à rendre jaloux Lucifer
et les anges. Tel, dans le Second Faust l'amant de Marguerite, conduit
par elle au-dessus des nuages vers les régions célestes, obtient sa
rédemption quand la vierge Marie intercède pour lui. L'Éternel Fémi-
nin nous attire en haut.
Subjugué par ces images voluptueuses. Hoffmann s'endort. « Deux
heures sonnent. Un fluide électrique pénètre en moi. Odeurs suaves,
doux parfums d'Italie, qui m'avez révélé la présence de Dona Anna dans
la loge où je l'avais écoutée éperdu, j'éprouve un bonheur que seuls
pourraient traduire les sons harmonieux de la musique. Dieu ! il me.
semble entendre la voix chérie portée sur les ailes d'un orchestre aérien :
je l'entends, elle chante : Non mi dir beïï idol mio. Ouvre-toi, contrée
lointaine, royaume des âmes, paradis d'amour! Laisse- moi pénétrer
dans le cercle de tes magiques apparitions. Puissent les songes que tu
nous envoies charmer mon esprit dans les régions éthérées, quand,
ici-bas, le sommeil retient mon corps sous ses chaînes de plomb ! »
Hoffmann a poétisé ainsi ses impressions sur le chef-d'œuvre de
Mozart, sans entrer dans aucune considération historique relativement
à l'origine du principal personnage. Il ne devait pas ignorer pourtant
que Don Juan, héros d'un ensemble de légendes espagnoles dont quel-
ques-unes passent pour être plus anciennes que celle de Faust, a réel-
lement existé. Cet homme, véritable incarnation de tous les vices contre
l'amour, appartenait à une famille aristocratique du nom de Tenorio.
Trois des membres de cette famille sont connus encore aujourd'hui : un
trouvère ayant vécu en Portugal, un archevêque, et un célèbre amiral,
Alfonso Infre Tenorio, qui s'est illustré dans la guerre contre les Maures.
Le plus jeune de ses fils. Juan, trésorier et favori de Pierre le Cruel
(1350-69), étant devenu le complice de ce monarque dans ses orgies, le
peuple lui attribua toutes sortes de vilaines aventures. Il tenta de séduire
une jeune fille de Séville appelée Giralda et tua son père de sa propre
main. Plus tard, une statue ayant été dressée à la victime, Juan l'in-
vita par bravade à venir partager son souper. La légende ajoute que la
statue péuétra dans la salle du festin et, s'animant soudain, précipita
l'assassin au fond des enfers, terminant ainsi sa vie dissolue et punis-
sant ses forfaits par un éternel châtiment.
Quel joli conte Hoffmann eût pu faire en utilisant cette donnée : mais
peut-être alors aurait-il été moins captivé par la musique de Mozart, et
c'eût été grand dommage. Amkdée Bootaubl.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL,
(pour les seuls aboiïxés a la musique)
Sans doute quelques-uns de nos lecteurs abonnés attardent encore leurs vacances
dans les montagnes de Suisse ou des Pyrénées. Il n'est donc pas trop tard pour atti-
rer leur penséesur la façon dont Iz mélodiste René Lenormand a entrepris dépeindre
musicalement l'Aube en montagne sur une prose rylhmée de son jeune fils Henri.
Quels philosophes sont déjà à vingt ans les jeunes hommes d'aujourd'hui! Il faut
voir toutes les déductions — très justes et très raisonnées, ma loi — qu'on peut tirer
d'un soleil qui se lève au loin sur les monts. Et il y a dans la manière du père
toute "la sûreté de main d'un maître musicien, toute la poésie aussi et toute la couleur
d'un véritable artiste.
268
LE MÉNESTREL
UNE FAMILLE DE GRANDS LUTHIERS ITALIENS
LES GUARNERIUS
JOSEPH GUARNERIUS DEL GESU
II
L'ART DE JOSEPH GUARNERIUS BEL GESC
La forme générale du violon, virtuellement établie par les Amati,
avait été portée à son point de perfection par Stradivarius, grâce à ses
recherches et à ses travaux incessants, grâce à son goût exquis, grâce
à son style magistral, grâce enfin au génie de cet artiste sans égal. Par
lui. le violon, dont il avait su faire un instrument absolument mer-
veilleux en ce qui touche ses qualités proprement musicales, c'est-à-
dire la puissance, le moelleux, le charme et l'incomparable éclat de sa
sonorité, était devenu aussi, en le considérant au point de vue delà
forme extérieure, un véritable objet d'art, dont, sous ce seul rapport, la
beauté accomplie excite la plus vive et la plus sincère admiration. La
ligne exquise des contours, ouduleuse sans mollesse avec ses arêtes
fines et délicates, l'harmonie délicieuse des proportions, depuis la grâce
de la caisse, aux ouïes finement percées, jusqu'à l'élégante extrémité de
la volute, dont la coupe est si orignale, et qui s'y trouve reliée par un
manche plein de finesse, la transparence lucide du vernis qui enveloppe
le corps d'une robe aux reflets lumineux et d'une richesse éclatante,
tout fait de cet instrument un modèle unique auquel on ne saurait
trouver d'analogue. Seule, la harpe pourrait le disputer avec lui pour
la grâce, et sans pâlir supporter son voisinage. Mais comparez au vio-
lon n'importe lequel des autres instruments connus, et dites s'il en
est un. un seul, qui puisse, je ne dis pas rivaliser, mais entrer en pa-
rallèle avec lui. La seule pensée d'une semblable comparaison parait
ridicule. Aussi, nous autres violonistes, sommes-nous fiers de la beauté
de ce cher compagnon, de cet ami de tous les jours, qui fait à la fois
notre joie et notre orgueil (1).
Mais la perfection atteinte par Stradivarius ne devait pas cependant
décourager ses rivaux, ses émules, ceux surtout qui, comme Joseph
Guarnerius, avaient assez d'indépendance dansl'esprit, montraient assez
d'originalité dans leur travail, pour espérer, en employant d'autres
moyens, sinon égaler l'illustre artiste, du moins l'approcher de bien
près. Il eut été malheureux, d'ailleurs, que fussent perdus les produits
de tous ces excellents luthiers qui, chacun pour leur part, contri-
buèrent à la gloire de Crémone : Carlo Bergonzi, Guadagnini, Lan-
dolfi. Montagaana, Gobetii, Santo Serafino, Storioni... En ce qui con-
cerne Joseph Guarnerius, le plus personnel assurément d'entre tous,
l'excellent abbé Sibire, l'auteur de ce livre bizarre et curieux qu'il in-
titula la Chélonomie et que j'ai déjà eu l'occasion de citer, le trouve bien
osé d'avoir prétendu faire autrement que Stradivarius1, et il lui dit son
fait sans ménagement ; voici comment ce brave abbé jugeait son
œuvre :
...Ce Joseph Gouarnerius (sic), au vernis et au coloris près, qu'il emprunta
de Stradivarius (ce qui n'est pas tout à fait exact), fut donc comme lui vrai-
ment original, mais il n'eut ni la légèreté de sa main, ni la fécondité de son
génie : en se frayant une mauvaise route, il dévia du but, et n'atleignit pas
la vérité. Soit amour-propre, soit jalousie, soit plutôt la ridicule ambition du
mieux, comme si le mieux, qui est déjà l'ennemi du bien, ne devenait pas
une absurdité du moment que la perfection existe ; il voulut avoir des prin-
cipes, une méthode, des sons qui fussent à lui et qu'aucun de ses prédécesseurs
ne put revendiquer ; mais, opposé à eux sur tous les points, il n'en fut pas
moins toujours semblable à lui-même et conséquent dans ses procédés. D'abord
il rapetissa le modèle, ce qui paraît d'autant plus étrange qu'il fortifiait ses
épaisseurs; il aplatit les voûtes, ce qui du moins était mieux raisonné d'après
(1) La forme du violon est tellement parfaite, en effet, que le moindre changement, la
moindre modification dans sa structure suffirait pour en altérer la beauté, pour détruire
l'harmonie de ses proportions. Il y a une vingtaine d'années un ingénieur fort dis-
tingué, M. Alibert, avait imaginé un système par lequel il avait réussi à maintenir
d'une façon fixe l'accord une fois établi des quatre cordes. C'était un avantage pré-
cieux. M. Alibert me fit l'honneur de me venir voir pour m'expliquer son système,
fort ingénieux, et me demander de l'appuyer, si je l'approuvais. Je me crus obligé
de lui refuser mon approbation, bien que son procédé me parût fort intéressant.
« Pourquoi donc? » me demanda-t-il avec un étonnement assez compréhensible.
« Pour cette simple raison, lui répondis-je, que, par votre système, vous supprimez
les chevilles de l'instrument. Or, les chevilles sont une des parties essentielles du
violon au point de vue de sa forme et de sa beauté, et complètent sa physionomie:
si vous les enlevez, vous le découronnez en enlevant à la tête toute sa grâce et toute
son élégance, et vous délruisez un ensemble admirable ». Kt j'ai lieu de croire que
je n'ai pas été le seul de mon avis, car, malgré ses incontestables qualités, le sys-
tème de M. Alibert n'a obtenu aucun succès.
ce surcroit de force. Ses proportions d'ailleurs sont exactes, ses voûtes artis-
tement fondues; les épaisseurs des deux tables, parfaitement égales dans les
centres à celles de Stradivarius, augmentent progressivement jusqu'aux extré-
mités. Celte combinaison, bien que régulière, n'est pas des plus heureuses.
On dirait qu'il a pris à tache de se garantir des sons volumineux, et qu'il a
visé à leur éclat plus qu'à leur embonpoint. Si telle a été son intention, il est
sûr qu'il a bien réussi ; non que ses violons manquent tout à fait de force,
mais un éclat prodigieux est leur partie principale : la chanterelle est étince-
lante, la seconde est au même niveau pour l'éclat ; la troisième, également
brillante, a une certaine rondeur ; mais la quatrième est sèche comme une
amande, roide dans toute sa longueur, rétive à chaque ton, principalement au
si et à l'ut naturels. Elle est complètement sacrifiée aux trois autres. Il est
tout simple que cet excès d'épaisseur dans les deux tables, surtout quand les
modèles sont rétrécis, doit nuire prodigieusement aux effets de l'air, qui, s'il
entre en douceur, tressaille ensuite trop brusquement, et s'évapore sans pro-
duire son effet. On a toujours remarqué que ce luxe des épaisseurs était la
mort de la quatrième, comme le vice opposé est un de ses plus redoutables
fléaux. Malgré ces défauts de construction, il a ses partisans, même ses fana-
tiques enthousiastes. C'est affaire de goût.
On voit que, malgré ses restrictions, et tout en blâmant ce qu'il
appelle l'ambition de Guarnerius, l'abbé ne laisse pas, en somme, que
d'accorder à ses produits de précieuses qualités. Et si ses critiques
sont un peu vives, elles avaient peut-être alors leur excuse et leur
raison d'être. Il faut dire qu'à l'époque où, aidé des conseils et des notes
de son ami, notre excellent luthier Nicolas Lupot, l'abbé publiait son
livre (1806), les violons de Guarnerius, encore peu connus en France,
et seulement par d'assez rares échantillons, ne l'étaient peut-être que
par les moins brillants d'entre eux (on a vu combien le grand artiste fut,
par différentes causes, inégal dans sa production). Depuis lors, et à
mesure qu'ils pénétraient chez nous, on a pu les mieux connaître en
leur ensemble, se familiariser avec eux, on les a étudiés avec soin, et
de cette étude est résultée la très grande estime, on peut dire l'admira-
tion, très raisonnée, très justifiée, qu'inspirent les instruments superbes
sortis, aux belles époques de sa carrière, des mains de ce maître ou-
vrier. Une connaissance encore incomplète peut donc expliquer les
réserves de l'abbe Sibire à son égard . On ne saurait plus maintenant
être aussi sévère envers lui, et tout en tenant compte de l'infériorité
relative de certains de ses violons (qui, tous, néanmoins, révèlent son
incontestable talent), on peut se livrer à l'enthousiasme qu'excite l'ex-
cellence de ceux qui témoignent avec éclat de ses plus nobles qualités.
Cette connaissance incomplète qu'on avait des produits si divers de
Guarnerius est indiquée par Hart, qui écrivait ceci dans son livre sui-
te Violon, dont la première édition anglaise est de 187o :
La différence marquée qui caractérise les œuvres des trois époques de Guar-
nerius a fait commettre de nombreuses erreurs. Il y a trente ans on ne possé-
dait qu'une connaissance bien limitée sur ce sujet, et les connaisseurs auraient
affirmé alors qu'il était impossible que ces différents styles appartinssent à un
seul artiste. Les nombreuses occasions qu'on a eues depuis de comparer les
instruments des diverses époques de Guarnerius ont détruit tous les doutes.
Ces instruments n'ont plus besoin de dates ou d'étiquettes; on les distingue et
on les classe facilement, comme les ouvrages d'Amati ou de Stradivarius.
Ce n'est donc que depuis soixante ans environ qu'on a pu juger et
apprécier sainement l'œuvre de Guarnerius dans son ensemble en rai-
son de son étonnante inégalité, ce qui n'empêchait pas, bien entendu,
l'admiration pour les plus beaux de ses produits.
Il faut d'ailleur9 toujours en revenir, en ce qui touche ce grand ar-
tiste, à cette inégalité qui le caractérise et qui s'oppose à ce qu'on puisse
lui faire partager absolument la première place avec Stradivarius, bien
que certains de ses instruments ne soient pas inférieurs à ceux du
maître des maîtres. C'est encore Hart qui expose les faits sous ce
rapport :
On peut affirmer que les maîtres les plus fameux n'ont brillé d'un si grand
lustre dans les arts que parce que leur position favorisait leurs nobles travaux,
acceptant pour acquis qu'il n'est pas d'une nécessité absolue pour les hommes
hautement doués de posséder celte énergie de volonté tout exceptionnelle, à
moins qu'elle ne soit imposée par les circonstances. Il ne faut pas aller bien
loin pour trouver les preuves de la bienfaisante influence exercée sur l'art par
une position prospère, comparée surtout aux productions des temps difficiles.
Citons, entre autres exemples bien connus, celui de Joseph Guarneri del Gesù.
Comme cette inquiétude d'esprit est visiblement empreinte sur les violons fa-
briqués par cet homme célèbre pendant le temps qu'il passa en prison! La
main du maître est certainement gravée d'une manière indélébile sur tous ses
ouvrages, et l'adversité a été impuissante à en effacer la trace ; cependant
l'œil du connaisseur découvre à l'instant, dans tous les instruments de cette
période, l'absence de ce fini caractéristique et d'autres défauts encore, consé-
quence naturelle des circonstances au milieu desquelles ils ont été fabriqués.
Il est facile de reconnaître dans tous les spécimens de cette époque les stig-
mates des moments critiques, lorsque, au contraire, les instruments d'une
LE MÉNESTREL
269
autre date sont d'un travail admirable et rivalisent tous en perfection. Les
courbes sont exécutées avec une délicatesse et une grâce infinies, les coins sont
étudiés et soignés au delà de toute expression. Il est impossible d'assigner à
des difficultés si notables dans la main-d'œuvre une autre cause que les préoc-
cupations d'un esprit troublé.
(A suivre.) Arthur Pokgin.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre Correspondant de Belgique (19 août). — Le jury chargé de juger
le concours d'œuvres dramatiques et lyriques organisé par Ostende-Centre
d'art et composé, comme vous le savez, de MM. Jan Blockx, Tinel, Sylvain
Dupuis, Emile Mathieu, Kufl'erath, Guidé, Rinskoplï et Edmond Picard, a
rendu son arrêt. Il décide qu'il y a lieu de n'accorder aucun des trois prix de
25.000, 15.000 et 10.000 francs institués par M. Marquet. Les motifs de ce ju-
gement sont clairement énumérés dans le rapport : « Considérant, dit celui-ci,
que, dans la pensée du fondateur et vu l'importance du prix, il fallait, pour
attribuer ceux-ci, des œuvres lyriques révélant une valeur incontestablement
supérieure au triple point de vue de la musique, du livret et des nécessités
scéniques; — considérant que, malgré le talent que les auteurs ont manifesté
dans plusieurs de celles soumises au jury, aucune d'elles ne réunit ces condi-
tions, ce qui semble pouvoir être attribué, notamment, au trop court délai
fixé pour leur composition, etc. » Le délai fixé élait, en effet, de dix-huit mois :
c'est peu pour écrire un poème et une partition d'opéra. Aussi la plupart des
œuvres écrites expressément pour le concours révélaient-elles une hâte regret-
table, et, par suite, une inégalité flagrante. Il faut ajouter cependant que le
plus grand nombre des œuvres soumises au jury étaient déjà, en tout ou en
partie, composées quand le concours a été institué. D'où une invasion d'ours,
plus ou moins bien léchés, qui ont donné au jury fort à faire. Celui-ci n'a pas
eu à examiner moins de 27 ouvrages. Dans le tas, il s'est trouvé, je me
hâte de le dire, quelques travaux vraiment dignes d'attention, et même remar-
quables, notamment l'Ile Vitrge, quatre actes de M. Léon Du Bois, que la
Monnaie se disposait à monter lorsque le compositeur eut la dangereuse idée
de la retirer pour l'envoyer au concours d'Ostende, le Rajnaert de Vos, de
M. Auguste de Boeck, auteur d'un drame lyrique, le Conte d'une nuit d'hiver
joué l'an dernier avec grand succès au Théâtre-Lyrique flamand d'Anvers, et
Fidélonie, trois actes de M. Albert Dupuis, dont vous n'avez pas oublié le
brillant début à la Monnaie, il y a quelques années. Les indiscrétions avaient
appris aux curieux, avant le jugement, que ces trois ouvrages tenaient la
corde et avaient beaucoup de chance d'être couronnés, le premier surtout.
Malheureusement, aucun d'eux, malgré leurs réels mérites, n'a paru
réunir à un liire suffisant les conditions exigées. Je ne sais si, pour
Reynaerl de Vos et pour Fidélonie, c'est la musique ou le livret qui ont été
jugés insuffisants ; mais ce que je puis assurer, c'est que, en ce qui concerne
l'Ile Vierge, si la partition de M. Léon Du Bois, dont j'ai pu apprécier
la noblesse d'inspiration et la forme admirable, avait été seule en cause,
elle eût triomphé sans difficulté et remporté la première récompense.
Le poème, imité d'un roman préhistorico-symbolique de M. Camille Lemon-
nier, a fait obstacle à ce couronnement d'une œuvre qu'on eût souhaité aussi
belle, au point de vue scénique et dramatique que musicalement. Il a semblé
au jury sévère que sa réalisation au théâtre serait loin de répondre au but
des auteurs, au vœu du concours et au désir du public... C'est dommage. La
faiblesse des poèmes a été, du reste, la caractéristique de ce concours; elle a
consterné les juges et révélé, chez nos jeunes compositeurs, de singulières
dispositions esthétiques. A cet égard, il faut espérer que la rigueur du jury
d'Ostende aura dissipé bien des illusions et ouvert les yeux des musiciens
qui aspirent à la gloire du théâtre sur l'importance, trop souvent méconnue,
du poème dans la composition d'une œuvre lyrique.
Pour consoler et réconforter les concurrents malheureux, le jury a cru bien
faire d'attribuer aux plus méritants des « primes d'encouragement ». qui les
aideront du moins à supporter les frais de leur travail. A MM. Du Bois et
Dupuis, il a accordé des primes de 7.500 francs ; à MM. De Boeck et Pàque
(auteurs d'un opéra en quatre actes, Va'ima) des primes de 2.000 francs ; à
MM. Moulaert et Lagye des primes de 500 francs. Puis, il a décidé de tenter
encore l'épreuve : un nouveau concours est ouvert, avec les prix qui avaient
été promis pour le premier, et sera jugé en 1910. Les concurrents auront
donc deux ans pour élaborer un chef-d'œuvre. Il faut croire que, cette fois, ils
n'y manqueront pas.
La Belgique a célébré, le même jour, dimanche dernier, deux centenaires :
à Anvers, on a fêté le centenaire de la naissance d'Albert Grisai- ; à Liège,
celui de la mort de Grétry... Vous me direz sans doute que Grisar est né le
26 décembre 1808 et que Grétry est mort le 24 septembre 1813... Il s'en faut
donc de quatre mois que Grisar ait atteint les conditions voulues pour mériter
son jubilé et de cinq ans pour que Grétry puisse justifier le sien ! Mais, à
notre époque d'électricité, il faut aller vite ; les Anversois se seront dit qu'en
décembre, il fait froid, et qu'il valait mieux avancer de quelques semaines une
fête que le soleil honorerait sans doute de sa présence ; et quant aux Liégeois,
vous n'êtes pas sans savoir que ce sont des gens pleins de vivacité ; pour se ré-
jouir, ils n'y regardent pas à quelques années près. El puis, les morts ne récla-
meront pas ; c'est le principal. Donc, à Anvers, on a organisé un grand concours
de chant d'ensemble, où l'on n'a pas chanté une note de Grisar. A Liège, il y
a eu un grand cortège historique : un a joué le soir au théâtre Riclmrd Cœur
de lAon (dans la version d'Adolphe Adam), avec trompettes et fanfares, ce qui
était infiniment plus d'accord avec la solennité de l'affaire, sinon très respec-
tueux de la mémoire du maître : tout cela a obtenu un très gros succès; enfin,
le 29 do ce mois, on entendra une cantate de M. Charles Radoux, exécutée par
toutes les Sociétés chorales de la province. En somme, comme vous voyez, la
Belgique n'oublie pas ses enfants illustres, et ne se fait pas tirer l'oreille pour
leur prouver sa reconnaissance. L. S.
— L'Opéra-Royal de Berlin annonce pour la première moitié de la saison
théâtrale 1908-0!) les reprises suivantes : Sardanapal, ballet ancien compor-
tant une pantomime nouvelle et une mise en scène entièrement renouvelée:
les Noces de Figaro, joué pour la cinq-centième fois, avec adjonction des réci-
tatifs originaux; la Eabaneru. drame lyrique en trois actes, de M. Raoul
Laparra; Iphigénie en Aulide, de Gluck; Joseph, de Méhul; le Conte d'hiver, de
M. Cari Goldmark: enfin l'opéra-comique de M. Léo Blcch, Versiegelt. La
saison s'ouvrira le 1er septembre avec le ballet de Sardanapal.
— On parle beaucoup à Berlin en ce moment de la fondation de nouveaux
théâtres d'opéra. Il y a d'abord le projet de construction d'un nouvel Opéra-
Royal sur le terrain occupé actuellement par la salle Kroll. Les plans viennent
d'en être terminés et l'on évalue la dépense à une somme ronde d'une vingtaine
de millions. Les députés du landtag prussien auraient à voter là-dessus un
crédit de 9 millions et la ville de Berlin prendrait le reste à sa charge. Une
entreprise, qui n'a pas, comme la précédente, un caractère officiel, se poursuit
grâce à l'initiative du directeur du nouveau théâtre d'opérette, M.Victor Palfi.
Il a fait connaître ses projets en ces termes : « Le 1er septembre 1910 aura lieu
l'inauguration de mon nouveau théâtre d'opéra; les plans en ont été dressés
par l'architecte du Hebbel-Theater, M. Oscar Kaufmann. L'emplacement, dans
la Postdamerstrasse, à côté du jardin botanique, m'a été concédé par une ban-
que hypothécaire de Berlin. Les frais de construction de la salle seront de
trois millions et demi environ. Le théâtre sera la propriété d'une Société par
actions. Les places les plus chères seront taxées à 5 francs; les meilleur mar-
ché à 1 fr. 25 centimes. Par abonnement, les fauteuils et loges ae premier rang
coûteront 2 fr. 50 centimes. Des négociations pour engagements d'artistes ont
déjà été entamées; les appointements seront établis pour les principaux chan-
teurs, dans la limite de 35.000 à 75.000 francs. »
— Il a été aussi question, à Berlin, d'un grand théâtre d'opéra, qui ouvri-
rait ses portes en 1913 et jouerait les opéras de Wagner, précisément à l'épo-
que où leur représentation, y compris celle de Parsifal, deviendrait libre, la
loi sur la propriété littéraire ne les protégeant plus. Nous ne savons si ce pro-
jet a encore des chances de réalisation. Plusieurs l'ont considéré comme
abandonné. Resterait l'Opéra américain que M. Conried devait fonder, disait-on,
avec l'appui de capitalistes d'outre-mer ; mais l'ancien directeur du Metropo-
litan-Opera, de New-York, qui fait une cure en ce moment dans le Tyrol.
dément catégoriquement les intentions qui lui ont été prêtées à ce sujet.
— Au sujet du ballet assyrien de Sardanapal, dont nous avons déjà parlé,
la direction de l'Opéra-Royal de Berlin vient de publier quelques renseigne-
ments intéressants. Nous en extrayons ce qui suit : i< Sardanapal, ballet de
Paul Taglioni, musique de Hertel, qui fut joué pour la première fois le
24 avril 1865, va être prochainement remis au répertoire avec adjonction
d'une grande pantomime historique au deuxième acte. Cette pantomime re-
produira sous une forme dramatique 1 événement qui entraina l'effondrement
tragique de l'empire assyrien, dont le dernier roi, Assurbanipal ou Sardanapal,
apparaîtra au premier plan comme personnage principal. Conformément aux
intentions de l'empereur, qui a désiré que la mise en scène de l'ouvrage fût
établie en tenant compte des découvertes les plus récentes, on a tiré parti des
motifs d'ornementation de toute nature exhumés pendant les fouilles dont la
France, l'Allemagne et l'Angleterre ont pris l'initiative. Les produits de l'art
assyrien, rendus à la lumière et les inscriptions que l'on sait déchiffrer au-
jourd'hui, ont fourni des éléments que le professeur Frédéric Delilzsch, l'assy-
riologuebien connu, a très habilement mis en œuvre. Tout ce qui concerne
les costumes, les armes, les parures, les instruments de musique, les meu-
bles ou ustensiles d'intérieur a été reconstitué avec le plus grand soin. La
partie chorégraphique proprement dite aura un coloris oriental très juste et
très intense. Le peintre décorateur, M. Kautsky, a travaillé d'après des
esquisses que lui a fournies M. W. Andrae, le directeur des fouilles alle-
mandes sur l'emplacement d'Assur, la plus ancienne capitale de l'Assyrie. Les
morceaux de musique mélodramatique, afférents à la pantomime, ont été
composés par M. Schlar ; il a utilisé pour son travail des motifs arabes et
quelques fragments empruntés à la partition de Hertel. L'auteur des paroles
dialoguées et des poésies, qui interviennent entre les différents tableaux cho-
régraphiques, est M. Joseph Lauff », M. Frédéric Delitzsch. dont il question
plus haut, est l'auteur de quatre opuscules dont trois portent pour titre : Babel
und Bibel (Babel et la Bible), et le quatrième Au ])ays de l'ancien />aradis. Ces
opuscules, ornés d'intéressantes reproductions de bas-reliefs assyriens, ont
donné lieu à de vives polémiques, auxquelles l'empereur Guillaume a pris part
d'une façon détournée, par une lettre qu'il écrivit à l'amiral Hollmann le
15 février 1903, et qui a été publiée.
— Un congrès international a réuni au commencement de ce mois à Berlin
270
LE MÉNESTREL
des maîtres de ballet venus de différents pays au nombre de trente-six. Ils ont
recherché les moyens de fermer l'accès de leur profession à tous les gens de
moralité douteuse et ont nommé une commission chargée de fixer les règles
de certaines danses qui sont en honneur à peu près partout.
— Au mois de juillet dernier, un monument a été érigé sur la tombe de
Pauline Lucca, au cimetière municipal de Baden, près de Vienne, où les
restes du corps incinéré de la cantatrice ont été déposés au mois de mars de
cette année. L'inscription ne mentionne pas les date et lieu de naissance
(25 ami 1841, Vienne) ; elle porte simplement ces mots : « Ci-gît Pauline von
"Wallhofen, morte le 28 février 1908. » On sait que la grande artiste a établi
sa réputation à l'Opéra de Berlin, où elle chanta plusieurs œuvres françaises,
et a créé, en décembre 1868, le rôle principal dans la Mignon d'Ambroise Tho-
mas, qui a dépassé aujourd'hui à ce théâtre sa deux-cent-cinquantième repré-
sentation. Après avoir passé plus de dix anDées à Berlin, Pauline Lucca quitta
tout à coup l'Opéra-Royal, à la suite des agissements d'une cabale hostile qui
s'était formée contre elle, et dont le but était de la remplacer dans la faveur
du public, par une rivale douée d'ailleurs d'un véritable talent. Mathilde Mal-
linger. Pauline Lucca rompit son engagement avec l'intendance, passa en
Angleterre, et écrivit la lettre suivante au rédacteur du Bertiner Fremdenblatt :
Liverpool, 31 août 1872.
Quand vous recevrez ces lignes, je serai déjà de l'autre côté de la mer, mais je ne
puis quitter une ville qui est à tel point devenue ma patrie que j'en ai oublié mon
pays d'origine, sans expliquer les raisons de mon départ au' public qui m'a toujours
bien accueillie et m'a comblée de marques de bonté. Je ne puis supporter la pensée,
que l'on m'attribue, d'avoir quitté Berlin pour une question d'argenl. Tout homme
impartial conviendra que, si tel avait été mon mobile, je n'aurais pas attendu
dis années pour partir. Je vous aiïîrme solennellement, que tous les trésors des Indes
n'auraient pas sutli à me détacher d'une ville que j'allectionne tellement, mais il m'a
été impossible de m'exposer de nouveau à des affronts comme j'en ai subi l'hiver
passé de la part d'une certaine coterie, sans risquer de voir ma réputation en subir
quelque atteinte. Que l'on mette à côté de moi telle rivale que l'on voudra, je ne
craindrai jamais de lutter avec les moyens que m'a attribués la uature ; mais, me
tenant éloignée de toute intrigue et ne voulant offenser personne, je ne saurais
accepter l'attitude combative qui m'est imposée, et cela d'autant moins que je ne suis
consciente d'aucun manque d'égards vis-à-vis du public. J'ai fait tous mes efforts
pour obtenir la résiliation de mon contrat ; elle m'a été refusée et cela me désole,
car à présent Berlin sera fermé pour moi. Quoi qu'il en soit, rien ne saurait modi •
fier ma résolution. Mon honneur d'artiste a été trop profondément blessé et la coterie
ennemie s'est montrée trop reu délicate dans les moyens qu'elle a employés contre
moi. Je ne m'exposerai pas une seconde fois à des insultes dont nul ne saurait me
préserver. Je vous prie sincèrement, Monsieur le Rédacteur, de transmettre à mes
chers Berlinois mes remerciments les plus émus et les plus cordiaux pour toute
Faffection et la bonté qu'ils m'ont témoignées et de leur faire m?s adieux. Nous ne
pourrons jamais oublier, mais nous pouvons dire : « C'était si beau et cela dut finir
pourtant. » Adieu. Pauline Lucca.
Ces dernières paroles sont celles d'un lied qu'aimait à chanter Pau-
line Lucca.
— Harpagon aurait-il des petits- 51s parmi les ténors de l'Allemagne ? Voici
nne annonce qui a été insérée dans un journal de Dresde : « Me trouvant
malheureusement dans une situation de fortune trop modeste pour pouvoir
payer les impôts exorbitants que me réclame la ville de Dresde, je cherche.
pour le 1er octobre, un bel appartement moderne comportant quatre chambres,
salle de bains, etc.. dans un endroit situé endehorsde la circonscription fiscale
de Dresde. Écrire au chanteur de la chambre royale Charles Burrian. » H est
permis de n'avoir pas une sympathie bien prononcée pour les institutions du
fisc et de suspecter même parfois l'équité de ses répartitions : mais ici, le
plaignant est un ténor célèbre qui gagne plus de cent vingt mille francs par
an ; l'on ne saurait vraiment s'apitoyer sur son sort, et, s'il y a des rieurs
quelque part, ils seront sûrement contre lui.
— Voici les programmes des concerts que donnera en 1908-1909 l'Académie
musicale de Munich, sous la direction de M. Félix Mottl : 13 novembre :
Concerto brandebourgeois de Bach: Shéhérazade, de Rimsky-Korsakow; Sym-
phonie en ut mineur, de Beethoven; 27 novembre : Ouverture d'Anacrcon, de
Cherubini; Husitska, de Dvorak; Symphonie n"6, de Bruckner; 11 décembre,
séance consacrée à Berlioz : Ouverture du Corsaire; Cléopdtre, cantate", Marche
funèbre pour la dernière scène d'Hamtet; Symplionie funèbre et triomphale:
S décembre : Ouverture, de Boebe; Chants de la cloche, de Schillings; Sym-
phonie héroïque, de Beethoven; 8 janvier : Symphonie de Haydn; Prélude à
raprès-midi d'un faune, de Debussy; V Apprenti sorcier, de Dukas: Symphonie
n" 2, de Beethoven; 26 février : Symphonie en la de Mendelssohn; Concerto
pour piano, de Delius; Episodes du Faust de Lenau, de Liszt; 10 mars : Sym-
phonie en si bémol, de Mozart: Ouverture tragique, de Brahms; Souvenirs d'Ita-
lie, de Richard Strauss ; 26 mars : Concerto pour instruments à cordes, de
Haendel; Variations sur un thème jovial, de Max Reger; Symphonie n° 8, de
Beethoven. Deux auditions supplémentaires auront lieu le jour de la Toussaint
et le dimanche des Rameaux. Les deux ouvrages exécutés seront la Damnation
de Faust, de Berlioz, et les Saisons, de Haydn.
— Il y a quelques jours, le ténor Ernest Krauss était en excursion près de
Munich, dans les forêts voisines du lac de Wûrth, ne songeant guère à Tristan
et Isoldc et encore moins au théâtre du Prince-Régent. Bientôt il vit arriver
de loin une automobile lancée à toute vitesse; elle s'arrêta; un homme en
descendit avec les allures mystérieuses d'un policeman de l'école de Sherlock
Holmes. Le dialogue suivant s'engagea : « Est-ce bien à monsieur Krauss,
chanteur de la Chambre, que j'ai l'honneur de parler? — Parfaitement, c'est à
/ui-méme. — Dieu soit loué, j'ai pu enfin vous rencontrer. Le théâtre de la
Cour, à Munich, est dans le plus grand embarras. Le ténor. M. Knote. nous
a déclaré aujourd'hui, à dix heures et demie, qu'il ne pourrait chanter ce soû-
le rôle de Tristan. Nous allons être obligés, ou bien d'essayer de donner les
Maîtres-Chanteurs, ou bien de rendre une recette de 22.000 francs: je vous en
prie, venez-nous en aide et consentez à jouer le rôle de Tristan. — Mon cher
ami, il est déjà beaucoup plus de midi. Nous sommes dans les forêts autour
du Wôrthsee, et il faudrait, sans répétition, qu'à quatre heures je pusse
affronter le public dans Tristan et Isolée; ab! non! Cela ne va pas. —Vous
verrez que cela marchera, laissez-moi vous emmener seulement. » Et, de fait,
cela marcha; très brillamment même, paraît-il. Jamais M. Krauss ne s'était
senti mieux en voix; il chanta d'admirable manière, fut couvert d'applaudis-
sements, et le public, non sans une pointe d'ironie, fit remarquer que l'admi-
nistration du théâtre ne ferait pas mal d'aller chercher tous ses ténors dans
les forêts, aux alentours des lacs, afin d'augmenter par là si c'est possible la
fraîcheur de leur voix.
— On se propose de construire à Vienne un théâtre populaire de drame, sur
le modèle du Schiller-Theater de Berlin. Il s'élèverait dans les dépendances du
Mathildenplatz, contiendrait deux mille personnes, et serait inauguré pendant
l'automne 1909.
— De Borne. Un violent incendie a presque entièrement détruit la maison
habitée jadis par Rossini, celle même où il écrivit le Barbier de Svville.
— Au théâtre Giglio de Lucques, on annonce, pour le 5 septembre prochain,
la première représentation de Xora, comédie lyrique nouvelle du maestro
Gaetano Luporini. auteur des deux opéras, le Collier de Pâques et Dépits d'amou-
reux.
— Une nouvelle entreprise théâtrale, quivient de se former à Fiume, promet
de représenter en trois années les œuvres suivantes: Hérodiade, Werther, Manon,
Carmen, Samson et Dalila, la Damnation de Faust, Gioconda. la Favorite, les Noces
istriennes d'Antonio Smareglia. Wally d'Alfredo Catalani, Aida, Norma, etc., etc.
— La Symphonie en ut mineur sifflée. Au commencement du mois d'août,
pendant un concert municipal donné sur la place Golonna de Rome, deux cou-
rants se sont manifestés pour et contre la musique allemande. Plusieurs audi-
teurs crièrent, bis après l'exécution de laSymphonie en ut mineur de Beethoven,
tandis que d'autres commençaient à siffler avec acharnement. Il fallut l'inter-
vention des gendarmes pour empêcher les adversaires d'en venir aux mains.
— De Genève. Un concert a été donné dimanche dernier, à Genève, par la
musique du Ier régiment du génie français. Il y avait 8.000 auditeurs. La
musique a joué l'Hymne suisse et la Marseillaise aux acclamations de la fouie.
— Le compositeur Jacques Blumenthal, qui mourut le 17 mai à Londres,
et dont les mélodies ont été beaucoup chantées en Angleterre, a constitué
par testament les fondations suivantes : deux places d'élèves à l'Incorporated
Society de l'Académie Royale de Musique, 50.000 francs, une place complète
d'élève au Collège Royal de Musique, 75.000 francs. Il a légué en outre :
50.000 francs à la Société royale des musiciens pour œuvres de bienfaisance:
12.300 francs à la Société des musiciens britanniques et étrangers, pour le
fonds des veuves et des orphelins ; enfin 12.500 francs au Royal Collège nor-
mal et à l'Académie de musique de Norwood.
— La fille du célèbre humoriste américain Mark Twain, miss Clara Cle-
mens, a fait dernièrement ses débuts comme chanteuse au Bechstein-Hall de
Londres ; elle a été très applaudie.
— Nous lisons dans la Musical A merica : La récente visite de M. Giulio
Gatti-Casazza. à Paris, est expliquée par l'annonce qui a été faite que plusieurs
contrats viennent d'être conclus, par lesquels est assuré au Théâtre-Métropo-
litain un répertoire d'œuvres françaises modernes pour plusieurs saisons à
venir. Il s'agit des chefs-d'œuvre de Massenet, Manon et Werther, d'autres
ouvrages français dont les titres ne sont pas encore livrés à la publicité, de
la Beine Fiametle et du Cheminean, de Xavier Leroux, de compositions nou-
velles de Claude Debussy, et de la Habanera, de Raoul Laparra, que le jeune
maître irait diriger lui-même. En anglais, on jouera les Enfants du Boi, d'En-
gelbert Humperdinck.
— Les amateurs de musique de Boston accueillent avec joie la nouvelle de
l'arrangement que vient do conclure le directeur de Boston-Theatre, M. Keith,
avec M. Hammerstein, ce dernier s'engageant, moyennant une rétribution
convenue, à transporter à Boston sa troupe d'opéra, y compris chœurs,
orchestre et mises en scène. Il y a deux ou trois ans que Boston n'a pas eu
d'Opéra régulier; à peine a-t-on pu y organiser quelques très courtes saisons
lvriques. Ainsi s'explique l'empressement avec lequel on a souscrit aux con-
ditions que M. Hammerstein, vu l'importance des frais, a dû imposer avant
de prendre en main l'entreprise d'un Opéra intermittent à Boston et de s'en-
gager à faire jouer chaque année un nombre assez considérable d'ouvrages
lyriques.
— Au dernier festival de Knoxville, dans les Etats-Unis, la musique fran-
çaise a été représentée par des airs de Mignon, de Carmen, des Huguenots et par
le Crucifix de Faure.
— La ville de Philadelphie aura dans peu de temps son monument Giu-
seppe Verdi ; c'est un don de la colonie italienne. La statue, sortie de l'atelier
du maître italien Ettore Ferrari, vient d'être expédiée en Amérique.
LE MÉNESTREL
274
— L'orchestre municipal de Shanghaï a fait entendre pendant la saison
d'été des œuvres de Beethoven, Léo Delibes. Grief,', Wagner et nombre de
petites pièces de Lachner et Wieniawski. Il y a seulement quelques années,
de semblables auditions étaient inconnues li-bas.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Ainsi que nous l'avions annoncé, M. Messager est rentré à Paris cette
semaine et a repris en mains, à l'Opéra, la direction des études du Crépuscule
des Dieux, dont on prévoit déjà que l'on pourra donner la répétition générale
le 5 octobre prochain.
— A l'Opéra-Comique, les chœurs ont recommencé cette semaine leur
travail, et dès lundi, les artistes viendront se joindre à eux pour remettre
d'aplomb les ouvrages qui formeront les premiers spectacles lors de la
réouverture du l"r Septembre. La liste de ces spectacles n'est point encore
définitivement arrêtée.
— C'est dans la liste suivante que M. Albert Carré compte puiser les
ouvrages devant alimenter sa prochaine saison lyrique : Solange, 3 actes de
M. Gaston Salvayre, livret de M. Adorer, qui doit être la première nou-
veauté montée : Leone, de M. .Samuel Rousseau, livret de MM. E. Arène et Mon-
lorgueil ; Sanga, de M. 1. de Lara, livret de MM. E. Moreau et P. de Choudens :
Myrtil, de M. Garnier, livret de M. Villeroy; Chiquito, de M. .T. Nouguès,
livret de M. Cain ; Pierre le Véridique. de M. Xavier Leroux, livret de M. Men-
dès, et On ne badine pas avec l'amour, de M. Gabriel Pierné, d'après Alfred de
Musset. Aces œuvres inédites, il convient d'ajouter la reprise de la Sapho de
Massenet, pour laquelle le maître est en train décomposer un tableau nouveau
et qui aura pour protagoniste Mme Marguerite Carré, et celle de la Fhïle
enchantée de Mozart.
— M. Albert Carré, ayant terminé son stage militaire à Dijon, est allé,
avant de rentrer prendre possession de son cabinet directorial à l'Opéra-
Comique , passer quelques jours en Suisse avec sa jeune femme. M"10 Margue-
rite Carré.
— Voici les noms des lauréats du concours international de musique (sec-
tion d'opéra et de drame lyrique) dont nous avons donné récemment les
résultats.
La partition intitulée Penticosa, qui a obtenu un prix de 10.000 francs, est
du compositeur Lucien Lambert (livret de MM. Adenis et G. Hartmann).
Les auteurs des cinq partitions suivantes ont reçu chacune une allocation
de i.000 francs :
Retour, paroles et musique de M. Max d'Ollone; Anna lku, de M. Jules
Bouval, livret de MM. Georges de Lys et Paul Hugonnet; Aubeline, de
M. Edmond Missa, livret de MM. Henri Cain et Paul Gravollet: Ma, de
M. Henri Maréchal, livret de MM. Emile Gebhardt et Paul Milliet; la Dubarry,
de M. Ezio Camussi, livret de M. Galisciani, traduit par M. Paul Milliet.
— On commence à parler réouverture et les reporters parisiens prennent
d'assaut les directeurs qu'ils peuvent joindre pour leur arracher des confiden-
ces sur leur prochaine saison. Comme nous l'avons dit les Folies-Dramatiques
comptent toujours ouvrir le 1er septembre et s'adonner exclusivement à l'opé-
rette, et le Vaudeville et le Gymnase annoncent qu'ils reprendront leurs spec-
tacles dès la première quinzaine de septembre.
M. Porel, au Vaudeville, continuera d'abord les représentations du succès
de la saison dernière, Mariage d'étoile, puis donnera ensuite la Maison est en
ordre, de l'auteur anglais M. A. Pineiro, la Patronne, de M. Maurice Donnay.
le Lys, de MM. Pierre Wolff et Gaston Leroux, le \'id, de M. Michel Pro-
vins et, enfin, la Meilleure des femmes, de MM. Maurice Hennequin et Paul
Bilhaud.
Au Gymnase. M. Franck débutera avec le Petit Fouchard, de M. Charles
Raymond, auquel succéderont les Régis, de M. Georges Turner, et le Péché des.
autres, de MM. Robert de Fiers et G.-A. de Caillavet.
— D'autre part, le Nouveau-Cirque, de la rue Saint-Honoré, annonce sa
réouverture pour vendredi prochain, sous la nouvelle direction de M. Charles
Dehray.
— M. le docteur Jacques Bertillon. qui s'est fait une intéressante spécialité
dans les statistiques et est passé maître dans l'art de faire dévoiler aux chiffres
un tas de choses intéressantes, a publié cette semaine, dans le Figaro, un
article très documenté sur « le Progrès du théâtre à Paris ». Il suit les recettes
annuelles depuis ISoO jusqu'à l'année dernière et établit le tableau suivant
qui en montre l'augmentation progressive et tout à fait rapide en ces derniers
temps ;
RECETTES BRUTES DES THEATRES DE PARIS :
1850 Fr. 8.206.818
1855 (Expositioui 13.8-28.123
1860 14.432.944
1865 15.901.006
1870 8.101.285.
1815 ' 20.907.391
1880 22.614.018
1885 25.590.017
1890 23.013.459
1895 29.661.331
1900 (Exjiosili..iu 51.923.640
1905 42. 684. 416
1.901 44.831.926
M. Bertillon attribue l'augmentation des recettes bien plus à l'augmentation
de la population parisienne qu'à l'augmentation du nombre des amateurs de
speclaclo, et il établit cet autre tableau assez curieux :
C.N HABITANT DU DÉPARTEMENT DE I.A SKJNI, DÉPENSE, BM 0N l\, POUH E.B MIÛATIIK :
1850 Fr. 5,11
1855 (Exposilioiîi 8,01
lHiiii • 7,39
1865 7,11
187U 3,65
1X75 8,67
1M80 X,(|X
1885 x.'/,
1890 7.32
1895 8,88
19(10 (Exposition 15,80
19(ij. . . ■ 10,90
Il convient d'ajouter que. depuis 18'J3. on confond les cafés-concerts avec
les théâtres, ce qu'on ne faisait pas auparavant; mais M. Bertillon estime que
les chiffres sont peu modifiés par cette adjonction.
— Une curieuse appréciation de Brahms par Antoine flubinstein nous
tombe sous les yeux. Elle fut écrite en français sur une carte, datée de 1856 ei
envoyée à Liszt, la voici : « J'ai fait la tonnaissance de Brahms, à Hanovre, et
même celle de .foachim .... Pour ce qui est de Brahms, je ne saurais trop pré-
ciser l'impression qu'il m'a faite : pour le salon, il n'est pas assez gracieux;
pour la salle de concerts, il n'est pas assez fougueux ; pour les c'iamps, il n'est
pas assez primitif; pour la ville, pas assez général. J'ai peu de foi en ces na-
tures-là. » En 1856. Brahms était loin de posséder la notoriété qu'il a su conquérir
depuis. Schumann pourtant l'avait chaleureusement désigné depuis quelques
années déjà comme un génie capable d'ouvrir de nouvelles voies à la musique.
Schumann s'était montré bon prophète, bien que son article, lis Nouaelles
Voies, paraisse aujourd'hui empreint de beaucoup d'exagération.
— De Riom. Immense succès pour le beau Couronnentent île In Muse, de Gus-
tave Charpentier, exécuté, sons la direction de l'auteur, par cenl soixante
Mimi-Pinson venues tout exprès de Paris. Ça été le vrai clou des fête- orga-
nisées à l'occasion du concours international de musique que présidaient
M. Ruau, ministre de l'Agriculture, M. Dujardin-Beaumetz, sous-secrétaire
d'État aux Beaux-Arts, et M. Clémentel, député.
— De Douai. A l'occasion du banquet de l'Art à l'Ecole, très belle séance
musicale organisée par Mlle Julie Bressoles. professeur à l'Ecole normale. Les
petites élèves ont délicieusement chanté de nombreux morceaux d'ensemble
classiques ou populaires empruntés pour la plupart aux éditions de MM. Wec-
kerlin et Julien Tiersot.
— De Dieppe. Le 13 août, très belle messe en musique à l'Église Saint-
Jacques. On a eu le plaisir d'entendre Mmc Hamburg de la Bastière dans
le Souvenez-vous et l'O Salutaris de J. Massenet; Mme Bruguière-Hardel,
MM. Hewitt et Diran Alexanian dans la Méditation de Thais, le Cygne deSaint-
Saêns et un morceauu de Schumann.
NÉCROLOGIE
Au moment de mettre sous presse nous parvient la nouvelle de la mort de
Louis Varney, survenue jeudi à midi. Nous reparlerons samedi prochain du
charmant compositeur qui occupa une place si importante dans l'opérette.
— Louis Landry, dont nous annoncions, dans notre dernier numéro, l'acci-
dent d'automobile, est mort, dans la nuit de samedi à dimanche, des suites de
ses terribles blessures, malgré les soins dont il fut entouré à l'hôpital de Joigny.
Né à Neuilly le 1er janvier 1867, il fit toutes ses classes à notre Conservatoire;
à dix ans il obtenait la première médaille de solfège, pour, après avoir été
lauréat de piano, d'accompagnement et d'orgue, mériter, en 1887, le second
prix de contrepoint et de fugue. Très simple, d'une nature plutôt calme et peu
taillé pour la lutte, il abandonna la classe de composition de Massenet et entra
comme maître de chapelle à Saint-Roch et comme chef de chant à l'Opéra-
Comique. Le hasard l'ayant fait conduire, un soir, une représentation de
Louise, de son ami et camarade Gustave Charpentier, M. Albert Carré lui
offrit une place de chef d'orchestre qu'il ne se décida à accepter que plusieurs
années après. Musicien accompli et de goût absolument châtié, homme de
relations tout à fait charmantes, ami sur. il sera pleuré de tous ceux qui le
connurent et vivement regretté à l'Opéra-Comique où on le remplacera
difficilement.
Les obsèques ont été célébrées lundi à Joigny et le corps a été ramené à
Paris où on l'a déposé dans un caveau provisoire. On compte, dans les pre-
miers joursde septembre, organiserun service, très probablement à Saint-Roch.
— A Modène est mort, à l'âge de 87 ans, Antonio Marni, musicien, mathé-
maticien et astronome. Dès l'âge de "24 ans. il écrivit un opéra en quatre actes,
Zaira, sur un livret de Romani. L'œuvre fut jouée avec succès, en janvier 1S43,
au Théâtre-Communal de Modène.
— Angelo Gonsigli, auteur de comédies et de livrets d'opéras dont quelques-
uns se jouent encore, vient de s'éteindre à Livourne, âgé de 73 ans.
— Le maestro Labauchi, violoncelliste, est mort dernièrement à Xaples.
Henri Heugel. directeur-gérant.
A l'Opéra-Comique :
Lundi 24 août, à trois heures, auditions de petits garçons de S à 13 ans. Se faire
inscrire à la régie, de 1 heure à 4 heures.
LE MÉNESTREL
RODOLPHE BERGER
"Le l^oi de la Valse "
Le Çri -Cri, polkamoder
Allegretto
PcrditiOl}, valse
Valse (assez lent et laagotireuj)
Bridge-Polka
Net : lf75
La même, pour Chant.
Net : 2f »
-= NOUVEAUX SUCCÈS ^
(2e SÉRIE)
A qÛOÎ P€D&eZ-tfQti&? valselente. Net: 2!
^atse îetïYft^
'Prî Ijta BJ ia, pî'èce de genre.
fiwodl. 7e»y>.
Net : lr75
La même, pour Chant.
La ROn?ai)içb€ll€, polka-ma^trka. Net:1'75
Mazurka
fy — n
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rj-rr^ .
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P-
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P^^=
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#^
14e njerçtooS pas aux fenjnjeS! ,
forte. Net : 2'
pour Chant.
Net : l'75
Bibe
lots,
pièce
de genre.
Net
: l'75
tiod1.0 quasi ail . _
r fff
$=&-
^ri
PP
\Bgp-
eut—
^=^
tgTT-1
La même, pour Chant.
Are yoû ready?... <So! poika. net175
Mouv! de Polk
C'était Ûl) SOir d'€t€, rom. sans paroles. Net : lr75
Cœur fragile, vàhcim
Ç'eSt la Vie! «wre/i
- PoIBa°MlreBe
La même, pour Chant.
Net : lf75
La même, pour Chant.
Tentation, valse tente. - Marche des Soireux.
lre SERIE • L'Heure Grise, valselente. - Dernier Baiser, valse très lente. - Impératrice, valselente. -
~~ ~^Tpeu d'Amour, valse lente. - Madame ***, airs de ballet : i . Polka des Amours; 2. Valse de l'Étoile; 3. ^at-ehe bur.lesqae.
E, 20, paris. - R0-S-019Ï1 - Œucrt Lorilkm)
( >
4040. — 74e ANNEE.— N° 3o.
Samedi 29 Août 1908.
PARAIT TOUS LES SAMEDIS
(Les Bureaux, 2blB, rue Vivieime, Paris, n- m')
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
lie Numéro : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
Le Numéro : 0 fr. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIEE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (33" article), Julien Tiersot. — II. Petites notes sans
portée : La musique de la lumière, Raymond Bouyer. — 111. Une famille de grands
luthiers italiens : Les Guarnerius (8° article), Arthur Pougin. — IV. Nouvelles
diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
ROMANCE
de Émil Frey. — Suivra immédiatement : Charme d'automne, valse lente, de
Y.-K. Nazare-Aga.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
Madrigal archaïque, de Y.-K. Nazare-Aga, poésie de Edouard Saint-Léon. —
Suivra immédiatement : Feuilles mortes, mélodie de Raoul Pugno, extraite des
Cloches du souvenir, poésie de Maurice Vaucaire.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
CHAPITRE YII
L'ÉCLOSION DU GÉNIE : ORFEO EU EVRiUiCE
Nous ne suivrons pas Galsabigi dans ce que son développe-
ment a de purement littéraire. Passons donc au plus vite à la
dernière partie de sa préface, dans laquelle, laissant résolument
de côté Métastase, il explique ce que doivent êlre à son avis
les rapports de la musique et de la poésie. Il invoque une
dernière fois l'exemple du poète lauréat, disant :
« De la majesté, de l'énergie et des brillantes images de la
poésie de Métastase dérivent, à ce qu'il me semble, la force, la
variété et la beauté de notre musique. L'harmonie qui se dé-
gage de ses vers à la simple lecture s'imprime immédiatement
dans l'esprit de nos compositeurs... »
Gela fait, et après quelques nouvelles digressions, il entre dé-
finitivement dans le domaine des idées générales. Il poursuit
donc :
« Je crois qu'on ne peut pas révoquer en doute que la poésie la
mieux appropriée à la musique soit la plus belle poésie, et que
la musique la mieux appropriée à la poésie soit la plus belle mu-
sique, et en conséquence que la nation qui aura pour sa musique
la poésie la plus expressive aura une musique plus efficace, qui
pourra facilement produire dans les âmes des auditeurs une sensi-
bilité plus douce et plus vive. En vain le compositeur de musique
s'efforcera de réveiller la tendresse, la pitié, la terreur, en
appliquant les sons à des paroles ineptes, dures, recherchées,
ampoulées et insignifiantes. Il ne suffit pas au musicien pour dé-
peindre harmonieusement la terreur ou l'amour que le poète
ait fait parler Pluton ou Gupidon et qu'il ait situé l'action dans
l'enfer ou dans le royaume de Vénus : si celui-ci n'a pas res-
senti en lui-même les impressions diverses de ces deux senti-
ments, s'il n'a pas été épouvanté ou amoureux, s'il n'a pas fait
passer dans ses paroles ces émotions de son cœur, si son style
n'est pas susceptible d'être diversement nuancé, comme celui
de Virgile lorsqu'il décrit les transports amoureux de Didon et
qu'ensuite il dépeint les peines infernales, le musicien ne pourra
pas trouver une harmonie qui corresponde au sujet, et, ne se
sentant pas ému quand il compose, parce que le poète ne le fut
pas lorsqu'il écrivit, il ne fera qu'accumuler des sons compo-
sites et sans effet; semblable à ce graveur excellent qui, obligé
de façonner son burin d'après un mauvais dessin, ne put, mal-
gré tous ses efforts d'artiste, empêcher que l'on distinguât sans
cesse sur la gravure les fautes de l'original.
« Il y a des gens qui croient que la musique est indépendante
de la poésie, et que le compositeur peut suppléer aux défauts
de celle-ci par l'excellence de son harmonie ; mais nous pou-
vons juger combien cette façon de voir est éloignée de la vérité,
en examinant... »
Suivent quelques exemples, appuyés de citations, dont deux
tirées de poésies françaises, les deux autres prises au Tasse et
au Dante. Quinault aussi est offert en modèle, non sans quelques
réserves, mais du moins de manière à montrer que l'auteur
reconnaît l'importance du poète français dans la constitution du
dramma per fhusica, comme il s'exprime.
Ayant énuméré la diversité des éléments nécessaires, il conti-
nue donc à énoncer sa conception de l'œuvre de l'avenir :
« Alors sur un nouveau plan simple et aussi vrai que possible,
le novateur, s'intéressant à ces actions, qu'il présentera avec
toute la pompe possible, préparera une matière propre à
intéresser à son tour celui qui devra les orner de sons, et tous
deux pourront, en unissant les beautés de la musique et de la
poésie, caresser suavement l'esprit des spectateurs, réveiller en
eux des sensations qui présentement restent engourdies, et leur
faire goûter ces douceurs de l'harmonie qu'il faut beaucoup d'in-
dulgence pour croire trouver maintenant chez la plupart des
compositeurs. »
Il conclut par ces paroles, qui résument sa thèse :
« Si la conception fondamentale est basée sur la réalité, si des
actions purement humaines se déroulent, à l'exclusion du divin,
de la mythologie, du diabolique et du cabalistique, en un mot de
ce qui s'écarte des attributs de l'humanité, il n'est pas douteux
que, de l'union, voulue par le maitre, du chœur nombreux, du
ballet, de la décoration, avec la poésie et avec la musique, il
274
LE MÉNESTREL
résulte un ensemble tel que les sens ravivés du spectateur se
trouvent successivement captivés par la variété et la magnificence
des objets, dans le moment même où son esprit sera ému par
l'intérêt de Faction et charmé par la délicatesse de la poésie, et
son cœur doucement ravi par les tons de l'harmonie. Ces diverses
lignes devront se diriger toutes vers l'action comme à leur cen-
tre, et toutes s'y perdre et s'y confondre : non être principales,
mais subordonnées à l'ensemble ; non distraire le spectateur de
l'intérêt, mais s'employer à contribuer à sa jouissance; non lui
présenter des objets hétérogènes, mais bien fondus ensemble.
Toujours le poète comme le compositeur de musique devrait
avoir sous les yeux le fameux précepte d'Horace :
« Denique sit. quodvis, simples duntaxat et unum.
« Ce précepte n'est pas seulement applicable à la constitution de
la tragédie et la comédie antiques, mais il exerce sa loi sur
autant de genres d'action théâtrale que nous pouvons en
imaginer. >■■
Ce texte est assez banal, de composition médiocre, et les trois
pages de la préface d'Alceste en disent plus long que tous ses
développements diffus. Mais les idées principales sont déjà là, et
certaines notions ressortent d'une façon assez significative : action
purement humaine; union de la poésie et de la musique avec le
chœur, la danse, le décor ; direction de tous les éléments vers un
centre commun, qui est le drame ; enfin subordination de chacun à
l'ensemble. Tout cela est écrit par Calsabigi en 1754, huit ans
avant la représentation à'Orfeo, treize ans avant celle (TAlccste.
Or, et c'est là ce qui importe par-dessus tout, c'est à ce même
Calsabigi que Gluck fut redevable de la matière poétique sur
laquelle furent composées les musiques d'-4 Iceste et d'Orfeo.
Calsabigi, en effet, après avoir passé quelques années à Paris,
était allé à Vienne, comme fonctionnaire de la Chambre des
comptes des Pays-Bas. Laissons-le expliquer lui-même de quelle
manière il se trouva associé à Gluck pour la réforme du drame
en musique qu'ils commencèrent ensemble.
« J'ai pensé il y a vingt-cinq ans, écrivait-il en 1784, que la seule
musique convenable à la poésie dramatique, et surtout pour le
dialogue et pour les airs que nous appelons d'asiotie, était celle
qui approcheroit davantage de la déclamation naturelle, animée,
énergique ; que la déclamation n'étoit elle-même qu'une musi-
que imparfaite ; qu'on pourroit la noter telle qu'elle est, si
nous avions trouvé des signes en assez grand nombre pour mar-
quer tant de tons, tant d'inflexions, tant d'éclats, d'adoucisse-
mens, de nuances variées, pour ainsi dire à l'infini, qu'on donne
à la voix en déclamant. La musique, sur des vers quelconques,
n'étant donc, d'après mes idées, qu'une déclamation plus savante,
plus étudiée, et enrichie encore par l'harmonie des accompa-
gnements, j'imaginai que c'était là tout le secret pour composer
de la musique excellente pour un drame ; que plus la poésie
étoit serrée, énergique, passionnée, touchante, harmonieuse, et
plus la musique qui chercheroit à la bien exprimer, d'après sa
véritable déclamation, seroit la musique vraie de cette poésie,
la musique par excellence.
« C'est en méditant sur ces principes que j'ai cru découvrir la
solution de ce problème. Pourquoi y a-t-il des airs comme : 5e
cerca, .se dice, de Pergolèse, dans l'Olympiade; Mtsero pargoletlo, de
Léo, dans le Demophoon (1), et tant d'autres, dont on ne sauroit
changer l'expression musicale sans tomber dans le ridicule, sans
être forcé enfin de revenir à celle que ces grands maîtres leur
ont donnée? et pourquoi aussi une infinité d'autres airs admet-
tent-ils des variations, quoique déjà notés par plusieurs compo-
siteurs?
« La raison en est (selon moi) que Pergolèse, Léo et d'autres
ont rencontré pour ces airs la vraie expression poétique, la
1 Toujours ces deux airs! Les seuls que l'on put citer connus exemples d'expres-
sion dans tout le répertoire italien de ce temps-là! Encore pourrait-on demander si
ces retours périodiques d'une inflexion musicale dont le premier énoncé a dû révé-
ler le sens expressif dans toute sa plénitude, mais qui doit, suivant la règle, être
répéiée d'abord à la dominante, puis reprise encore dans le ton initial, ne sont pas
destructifs de toute expression sincère, et si la douleur, ou tout autre sentiment vif,
a coutume d'enfermer ses accents spontanés en des formes tant symétriques.
déclamation naturelle, de manière qu'on les gâte en voulant les
changer ; et s'il y en a d'autres qui sont encore susceptibles de
changement, c'est que nul n'a rencontré jusqu'ici leur véritable
musique de déclamation.
« J'arrivai à Vienne, en 1761, rempli de ces idées. Un an après,
S. E. M. le comte Durazzo, pour lors directeur des spectacles de
la cour impériale, et aujourd'hui son ambassadeur à Venise, à
qui j'avois récité mon Orphée, m'engagea à le donner au théâtre.
J'y consentis à la condition que la musique en seroit faite à ma
fantaisie. Il m'envoya M. Gluck, qui, me dit-il, se prêterait à
tout.
<f Je lui fis la lecture de mon Orphée, et lui en déclamai plu-
sieurs morceaux à plusieurs reprises, lui indiquant les nuances
que je mettois dans ma déclamation, les suspensions, la lenteur,
la rapidité, les sons de la voix tantôt chargés, tantôt affoiblis et
négligés, dont je désirois qu'il fit usage pour sa composition. Je
le priai en même temps de bannir i passaggi, les cadenze, i ritor-
nelli, et tout ce qu'on a mis de gothique, de barbare, d'extrava-
gant dans notre musique. M. Gluck entra dans mes vues.
« Mais la déclamation se perd en l'air, et souvent on ne la
retrouve plus; il faudroit être toujours également animé,' et
cette sensibilité constante et uniforme n'existe point. Les traits
les plus frappans s'échappent lorsque le feu, l'enthousiasme s'af-
foiblissent. Voilà pourquoi on remarque tant de diversité dans
la déclamation de différens acteurs pour le même morceau tra-
gique; dans un même acteur d'un jour à l'autre, d'une scène à
l'autre. Le poète lui-même récite ses vers, tantôt bien, tantôt
mal.
« Je cherchoi des signes pour du moins marquer les traits le
plussaillans. J'en inventoi quelques-uns; je les plaçoi dans les
interlignes, tous le long d'Orphée. C'est sur un pareil manus-
crit accompagné de notes écrites aux endroits où les signes ne
donnoient qu'une intelligence incomplète que M. Gluck com-
posa sa musique (1). »
(A suivre.) Julien Tiersot.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
CXXXV
LA MUSIQUE DE LA LUMIÈRE
Au maître Masscnet, ce grand voisin du Luxembourg.
La musique de la lumière ! Il ne s'agit pas, aujourd'hui, d'un ins-
trument plus ou moins transatlantique qui recueille objectivement les
rapports les plus subjectifs entre un timbre et sa couleur pour ainsi
dire complémentaire, entre telle couleur et son timbre équivalent: il ne
s'agit plus ni du Colour-Music (2) de Rimington, ni de YArc chantant de
Duddell, ni même de ces correspondances « sensorielles » que notre
Obermann pressentait, que l'intuitif Baudelaire, nourri de Sweden-
borg, d'Hoffmann et de Balzac, appelait « mystérieuses », et qui
séduisent un philosophe (3) quand il applique les méthodes de la
psychologie musicale au portrait du Musicien-Poète qui magnifia sur la
scène rajeunie l'antique union des trois arts. Laissons, pour l'heure,
aux savants les secrets « de la lumière qui chante (4) » ou la « corré-
lation s minutieusement détaillée des sons et des couleurs : point de
théorie plus ou moins scientifiquement poétique !
La musique de la lumière... Est-ce une symphonie nouvelle, inédite,
ou, seulement, le rêve radieux de cette symphonie? Non plus ! Serait-ce
un essai nouveau, — l'histoire, à grands traits, des compositeurs qui ont
rêvé de « peindre » avec des sons ce qui chante silencieusement dans
nos prunelles éblouies? Pas davantage. Après avoir interrogé les
(1) Mercure de France, août 1784 : lettre de Calsabigi au Mercure de Naples, le
25 juin 1784.
(2) Voir le troisième chapitre de nos Peintres mélomanes, parus dans le Ménestrel (du
11 novembre 1900 au 24 février 1901).
(3 1 Lionel Dauriac, le Musicien-Poète Richard Wagner, étude de psychologie musi-
cale (Paris, Fischbacher, août 1908).
(4) Revoir notre i9° note, dans le Ménestrel du 13 juillet 1902; et consulter Jean
d'Udine : De la corrélation des sons et des couleurs en art (Fischbacher, 189"..
LE MENESTREL
peintres mélomanes, nous n'abordons pas encore, aujourd'hui, les
musiciens peintres, Beethoven et sa Pastorale, le plus ressenti des
paysages, que dédaigne, comme trop littéraire, notre jeunesse de-
bussyste, Berlioz et sa Chasse royale interrompue par l'orage, le musi-
cien coloré de Werther et son Clair de lune, Wagner et ses Murmures de la
forêt; le crépuscule, avec César Franck et sa Procession ; l'aurore et le
lever de l'astre que Félicien David évoque dans la meilleure page de
son Désert, que le Schumann des Scènes de Faust chante avec des vio-
lons frémissants, des timbres profonds et de belles uotes graves :
splendeur orchestrale qui couronne l'ouverture de Tannhanser ou
la fin de Siegfried, et que la palette orientale du regretté coloriste
Rimski-Korsakov souligne sans détail, d'un trémolo bref, mais sai-
sissant, aux dernières mesures du second acte de Sadko...
Ne serait-ce pas un nouvel aspect de la physionomie de la Musique
que d'analyser ces équivalents, ces transpositions, ces échanges con-
sentis de part et d'autre entre les sens, et, comme disait Jean-Jacques,
ces « substitutions plus fertiles » de l'art musical qui croit « pouvoir
peindre les choses qu'on ne saurait entendre » (1)... Cet art ne peint
pas, il suggère seulement. Et le philosophe ajoute : « Il ne représente
pas directement la chose ; mais il réveille dans notre âme le même sen-
timent qu'on éprouve en la voyant. » On ne saurait mieux définir le
musicien qui voudrait peindre avec des sons le calme du clair de lune
ou la brûlante clarté du soleil ; l'artiste qui se servirait d'un art de
murmure et de mouvement pour caractériser la nature muette et re-
posée ; le coloris aux cent voix qui voudrait exprimer, par un grand
bruit soudain, le silence éclatant du jour. Mais Rimski-Korsakov est
mort ; et la musique de la lumière n'a pas encore trouvé, parmi nos
musiciens brumeux, son nouveau peintre.
La musique de la lumière ? Ce titre attrayant d'une œuvre d'art nous
est suggéré par un instant de la nature ; et, la nature, est-il besoin de
courir au bout de l'univers pour en trouver l'éternelle et fugitive ca-
resse ? On la trouve au Luxembourg, en prononçant le nom de
Watteau ; Manon, sa jeune contemporaine, apercevait, comme nous,
les tours dorées de Saint-Sulpice qui dominent les hauts feuillages ;
sous cette allée de platanes poussinesques, où retrouver les austères
propos de Huet et de Bossuet ? Mais l'ombrage nous reste. Il est le
passé qui se prolonge et l'avenir que nous ne verrons pas...
A la fin d'une claire après-midi, le jardin prend l'aspect de ces para-
dis italiens qui charmèrent les yeux de nos maîtres d'harmonie, de
Claude à Corot; la silhouette même du Panthéon, qui s'estompe, ne
détruit point le mirage, et les verdures arrondies baignent dans une
coupe de porphyre; mais, loin du bruit et des jeux, restons sous la
pâleur étincelante de ces grands platanes séculaires où s'appesantit le
vol gris-perle des beaux ramiers, près de ces pelouses d'émeraude, aux
longues ombres changeantes, que pique la vivacité violacée des pier-
rots. Est-ce le voisinage du musée, l'auguste souvenir d'une églogue
d'Henner ou d'une vision de Gustave Moreau ? Cette allée de fraîcheur
et d'ombre nous parait l'égale des jardins d'Académos; nos yeux ne
s'étonneraient pas de découvrir, dans la confusion des treillages, un
rucher virgilien ; ce collégien qui lit sur un banc, c'est le petit faune
studieux que fut chacun de nous, jadis ou naguère, et que le livre pré-
parait à l'émerveillement de la vie.
L'heure et la saison se veulent complices pour faire de notre vieux
Luxembourg le dernier des bois sacrés : car c'est, déjà, « l'automne
verte », aimée des poètes qui songent toujours à la mort, — une sym-
phonie des verts, où l'or frissonne au bout des branches noires, et qui
défie tout paysagiste, tant par l'opulence diaphane de ses couleurs lumi-
neuses que par les brusques métamorphoses de ses effets. Le silence
augmente; et c'est une mélodie quand même, avec cette lueur qui
s'orange à mesure qu'elle remonte a l'orient, jusqu'au sommet des
pierres grises... L'air léger, presque frais, résonne encore d'une suite
harmonieuse des Èrinnyes, d'une ardente sélection de Werther ($), artis-
tement transcrites par M. Gironce; une horloge lointaine, un peu jansé-
niste, avait mêlé son glas à l'originale et sobre percussion qui souligne,
à travers les intimités de la « nuit de Noël », le thème et les dernières
convulsions du héros... Tout se tait maintenant, dans le kiosque désert...
A l'occident, le soleil, encore très haut tout à l'heure, et qui dardait
sa blanche fournaise au front des auditeurs, scintille sur l'horizon
comme une étoile formidable : c'est une poussière de lumière, un
rayonnement lointain, prolongé, qui décline, tluide, étrange, infini-
(1) Jean Jacques Rousseau, Dictionnaire de musique, art. Opéra: cité par Julien
Tiersot dans le Ménestrel du 15 août 1908.
i2) Werther et tes Erinnyes faisaient partie du très beau programme joué par la mu-
sique du S9< de ligne, le mardi 11 août 190S, au Luxembourg, et complété par la
sicilienne de Robert le Diable, le prélude de Messidor et l'ouverture, superbement
enlevée, du foi d'Ys.
ment doux : des cuivres puissants ont de telles douceurs ; la clarté
verdit l'écran des feuilles, s'empourpre à l'angle sculpté d'une
creuse des sillons bleus dans la terre, aligne une ombre d'an
sur le sable rose: et rien n'échappe a ses Qèches obliques. Enfin, puisque
le poète Antoine Watteau non- donne ici l'exemple de la chimère,
ouvrons parla pensée cette allée fermée par la rue. prolongeons-la, loin
des statues, sous une étroite charmille de Saint-Cloud, de Versailles ou
de Fontainebleau, continuons la ville par la nature, achevons la réalite
du jardin dans l'hallucination de la forêt: longtemps, sur l'horizon,
l'étoile immense planera.
Symphonie muette et parlante, pourtant ! Correspondance mysté-
rieusement pressentie entre le son qui vient de finir et la clarté qui va
s'éteindre ! La voilà donc, la musique de la lumière... ''t. même à la
ville, le paysage est une musique pour les yeux. Paysage et musique
ne trouvent-ils point secrètement le même chemin pour nous émouvoir:'
Bien plus, il nous font penser, sans penser eux-mêmes.
L'ombre gagne, et je quitte distraitement le jardin sur cette analyse
rudimentaire. que la dialectique d'un Lionel Dauriac (1 voudrai' plus
précise :
— Au déclin du soir et de l'été, cette sérénité qui m'enveloppe, et qui
n'est pas sans mélancolie, pénètre sUencieusemeut et mélodieusement
en moi par la couleur qui remplit mes yeux. Ce calme, aux tons de
grappe mûre, m'a fait une âme à sou image, parmi l'or rose et l'or
vert. Dans ce clair décor, Werther lui-même voudrait vivre mille
vies : un artiste ne se tue pas en été... « Je rends au public ce qu'il
m'a prêté », disait Jean de La Bruyère, le plus parisien des moralistes :
aussitôt j'ajoute, en rêveur, à mon tour : Je rends à la Nature ce qu'elle
m'a prêté; je lui prê'te une âme, celle qu'elle me donne, iru'elle me
souffle, qu'elle réveille en moi. Que dis-je ? je fais de la nature une âme
et du paysage « un état de l'àme » : j'intellectualise la matière. Cette
lumineuse tristesse, elle n'est pas dans la nature, elle est en nous:
mais ces couleurs, comme les timbres, répondent merveilleusement a
nos sentiments; la poésie même, qu'est-elle autre chose qu'une réponse
idéale à l'impression fournie par les choses ?
Notre Obei-mann conclurait ici : « L'éloquence des choses n'est rien que
l'éloquence de l'homme »; oui. « tout peut être symbole » et suggestion.
— le ton comme le son, — dans l'ineffable harmonie des nuances; dans
le vocabulaire de l'art, les mots eux-mêmes se confondent, et la
musique de la lumière pourrait, sans glose décadente, devenir la dési-
gnation d'un tableau.
(A suivre.) Raymond Bocyei:.
UNE FAMILLE DE GRANDS LUTHIERS ITALIENS
LES GUARNERIUS
JOSEPH GUARNERIUS DEL GESU
II
L'AKT DE JOSEPH GUARNERIUS DEL iîESL'
Hart caractérise ensuite le talent de Guarnerius, analyse sa facture,
toujours en tenant compte des différences qui se produisent dans sou
travail selon les circonstances, et en faisant ressortir la supériorité
qu'il trouve moyen de manifester même dans ses produits les plus im-
parfaits :
Sa main-d'œuvre est dans bien des cas. et sans aucun doute, négligée,
mais dans les instruments où cette négligence s'observe le plus apparait un
caractère qui excite l'admiration du spectateur et qui force le plus exigeant à
admettre que, abstraction faite du fini désiré, il y a là un style qui défie toute
imitation. Qui ne reconnaît à l'instant cette tête d'aspect singulier où il
semble avoir jeté un si haut degré d'originalité d'un simple coup de son ci-
seau, et qui, lorsqu'on cherche à l'imiter, a toujours quelque chose de bur-
lesque, qui trahit le malheureux copiste, impuissant à s'approprier la touche
artistique du maître ? Il en est ainsi dans toutes les œuvres d'art : le génie
déploie toujours quelque ressource inattendue qui confond toute imitation.
La coupe des ouies de Guarnerius présente invariablement son caractère
distinctif et un élément grotesque (2) qui plait à l'œil du premier coup, quoique la
il) Cf. son Essai sur resprit musical (in-8° ; Paris, F. Aican, 1904) et notre dernier
chapiU'e i'Obermann précurseur et musicien le Ménestrel, 1906, et Fischbacher, 1907 .
(2) A propos des ouïes (ou des/f, ce qui est tout un), MM. Ilill. dans leur livre sur
Stradivarius, comparant le procédé de ce maître avec celui de Joseph Guarnerius,
écrivent ceci : — « Dès le commencement de sa carrière, Stradivarius avait Qxé les
lignes générales de ses.;/, et pendant toute sa longue existence, bien qu'il ait varié
276
LE MÉNESTREL
forme en soit très différente, suivant les trois époques de l'auteur. Ajoutons
que le talon, cette partie saillante du dos, sur laquelle vient reposer le pied
du manche, pièce d'une haute importance dans tous les violons et qui est
comme la signature du maître, possède dans tous ceux de Cruarnerius un dé-
veloppement remarquable qui donne la vie à tout l'ouvrage. On rencontre
nombre d'exemples où d'excellents instruments d'auteur perdent toute valeur
artistique au point de vue de la facture par défaut d'habileté dans la manière
de traiter ce simple mais important détail dans la constitution du violon.
Et plus loin encore, Hart donne la preuve du grand sens artistique
de Guarnerius et démontre que, comme Stradivarius, il ne cessait de
chercher, de travailler et d'améliorer ses propres principes pour attein-
dre un résultat de plus eu plus satisfaisant, pour parvenir à la perfec-
tion qu'il désirait, cette perfection qui est le rêve de tout véritable
grand artiste :
Son but était sans doute de créer des instruments qui produisissent une
qualité de son jusqu'alors inconnue : chacun sait avec quel succès il a obtenu
le but désiré. Le travail matériel, comme le prouvent ses instruments de la
première et de la dernière époque, était pour lui d'une importance purement
secondaire. Ceux de sa seconde époque prouvent au contraire qu'il ne le né-
gligeait plus. Le grand nombre d'instruments qu'il a laissés et la grande va-
riété de leur construction témoignent du discernement qui présidait à ses
travaux. Ses études ont été considérables et mettent à néant l'assertion gra-
tuite qu'il travaillait sans plan arrêté. L'opinion qui voudrait représenter un
luthier de la valeur de Guarnerius marchant dans les ténèbres et cherchant
sa route à tâtons est voisine du ridicule, tandis qu'on trouve partout des
preuves de la merveilleuse fertilité de son imagination. A une certaine époque
ses instruments ont une forme extrêmement plate, sans avoir, pour ainsi
dire, de pente perceptible ; pendant une autre période, les voûtes sont élevées
d'une manière très prononcée et le filet forme une sorte de spatule. Des ins-
truments participant du même caractère se trouvent dans les ouvrages de
Pietro Guarneri et de Montagnana. Pour un temps les ouïes sont coupées
presque perpendiculairement, défaut, si c'en est un, qui, par parenthèse, a
son utilité en ce qu'il préserve l'intégrité des fibres du bois, mais malheureu-
sement aux dépens de la beauté de l'ensemble. D'autres fois, les ouïes sont
écourtées dans une position oblique; d'autres sont d'une longueur exagérée.
Ces différents traits, quoique rapidement rassemblés, prouvent assez la multi-
plicité de ses tentatives et les ressources diverses auxquelles il eut recours
pour assurer à ses instruments une sonorité exceptionnelle.
Nous voici loin des critiques un peu pointues de l'abbé Sibire, et
l'on voit que Georges Hart ne cherche pas à cacher sa sympathie admi-
rative pour le talent souvent magistral de Guarnerius. Ce seuliment
d'admiration est partagé par M. Auguste Tolbecque, qui. tout en
l'exprimant, indique néanmoins avec netteté les causes pour lesquelles,
en dépit de sa très haute valeur, il ne saurait, au point de vue général,
être considéré comme l'égal de Stradivarius :
J'ai parlé, dit-il, de Guarnerius del Gesù; je dois dire que les vio-
lons de ce dernier , tout en présentant des différences avec ceux de Stradiva-
rius dans la combinaison des formes extérieures, de celles des ouïes, de la
tête, etc., méritent d'être admirés pour la hardiesse, l'originalité et celte in-
dépendance du faire qui est la caractéristique du génie. Ces qualités de pre-
mier ordre se trouvent à un haut degré dans les instruments exécutés par ce
violonier célèbre. Mais combien Guarnerius est moins complet et surtout
moins égal que son illustra émule ! Et puis, il n'a produit que des violons,
alors que Stradivarius a construit, avec un égal talent et toujours avec la
même perfection, les instruments les plus divers.: violons, altos, violoncelles,
pochettes, sistres, viole di gamba, violes d'amour, etc., tous également admi-
rables aussi bien par la facture que par le vernis (1).
Ceci nous amène à parler du vernis, partie singulièrement importante
de la lutherie, non seulement en ce qui concerne la nature et la beauté
de la substance employée, sa couleur, sa chaleur, sa transparence,
mais aussi pour ce qui est de la façon de l'appliquer, qui réclame une
habileté et un soin tout particuliers. En effet, posséder un bon vernis et
l'appliquer avec succès sont deux choses distincies. Là encore, comme
Stradivarius, Guarnerius était passé maitre.
Depuis l'époque où la grande lutherie italienne a commencé à tomber
dans l'état de décadence qui est devenu aujourd'hui si complet et si dé-
plorable, le fameux vernis des grands maîtres de Crémone a disparu
peu à peu, si bien qu'il est maintenant impossible d'en reconstituer la
recette. Toutes les recherches faites à ce sujet depuis plus d'un siècle
sont restées vaines, et ce n'est pas faute qu'elles aient été nombreuses.
Ce vernis, si flatteur à l'œil et d'une si grande richesse dans sa variété,
de mille manières cette série de courbes, il a toujours fidèlement maintenu le carac-
tère de son dessin. Comparez son système à celui de Joseph Guarnerius del Gesù;
dès que celui-ci a fixé la position des trous du haut, il découpe apparemment le
restant de ses //au hasard, sans s'efforcer en rien de maintenir un dessin tradition-
nel. Tantôt il obtient un résultat magnifique; tantôt l'effet est fort original, mais très
éloigné de la beauté. »
1 : L'Art du Lulliier. — Il y a ici peut-être une légère erreur, car on assure qu'il
existe un certain nombre d'altos de Joseph del Gesù.
tantôt jaune brun comme chez les Amati, tantôt d'un rouge plein de
chaleur ou d'un superbe jaune ambré comme chez Stradivarius, tantôt
rouge brun et d'une pu te très fine comme chez Montagnana, tantôt enfin
d'unbeau jaune doré ou d'un rose rouge sur fond ambré comme sur les
violons de choix de Guarnerius, ce vernis qui non seulement répand
son influence bienfaisante sur la sonorité d'un instrument, mais qui en
complète la beauté par ses reflets chatoyants, pleins tout à la fois de
richesse, de douceur et d'éclat, est passé aujourd'hui à l'état de souve-
nir. Les chercheurs, pourtant, je l'ai dit. n'ont pas manqué. L'un d'eux,
un amateur. Eugène Mailand, s'est livré à un travail très intelligent,
qu'il a fait connaître en tous ses détails dans un petit volume ainsi
intitulé : Découverte des anciens vernis italiens employés pour les ins-
truments à cordes et à archet (Paris, Lahure, 1838, in-12), livre dont le
succès a été tel auprès des intéressés qu'il est devenu aujourd'hui abso-
ment introuvable. Un autre, un violoniste obscur, nommé Victor Gri-
vel. qui faisait partie de l'orchestre du théâtre de Grenoble, a publié de
son côté une brochure sous ce titre : Vernis des anciens luthiers d'Italie,
perdu depuis le milieu du XVIII' siècle, retrouvé par V. Grivel (Grenob'e,
Allier, 1867, in-8°). Mais, quoi qu'ils en pussent dire et penser, le ré-
sultat obtenu par l'un et l'autre est absolument hypothétique, et le
secret du vernis des luthiers de Crémone reste entouré du plus
profond mystère.
Avant eux, Nicolas Lupot, qui est assurément le premier des lu-
thiers français, croyait, lui aussi, avoir retrouvé le vernis de ses
anciens confrères italiens. Quelle que soit la valeur de celui qu'il em-
ployait sur ses très beaux instruments, qu'on recherche avidement
aujourd'hui, il est certain pourtant qu'il n'était ni celui de Stradivarius
ou de Guarnerius, ni celui de Bergonzi ou de Montagnana. Son ami,
l'excellent abbé Sibire, aussi hyperbolique dans ses louanges que nar-
quois dans ses critiques, ne craint pas, pour glorifier la trouvaille de
Lupot, d'employer le langage des dieux. Il commence par indiquer le
fait en simple prose : — « La mode aussi expéditive que pernicieuse du
vernis à l'esprit-de-vin, dit-il, avait anéanti depuis près d'un siècle
l'usage et le secret de l'antique vernis. Le nouvel inventeur est parvenu
à recréer l'un et l'autre. Il y a déjà longtemps qu'il emploie unique-
ment le même vernis, et comme il vient novissime d'en perfectionner la
teinte sur le modèle du plus beau des miens, dans son nouveau quatuor,
il offre avec confiance aux vrais appréciateurs ce quadruple échantillon,
très sur d'avance de la parfaite identité; et il défie le plus habile chi-
miste qui tentera de le décomposer de trouver entre ses éléments et
ceux qui se trouvent dans le beau vernis de Stradivarius une ombre de
différence. »
Et pour terminer, c'est en ces termes que le bon abbé enfourche
Pégase, qui tout de même reste un peu rétif à son enthousiasme :
Du plus grand des luthiers imitateur fidèle,
Lupot a recréé le vernis précieux ;
C'est de son coloris le ton harmonieux,
Et la copie est le modèle (1).
On put croire un instant, pourtant, que le secret du vernis personnel
de Stradivarius n'était pas à jamais perdu. Il existait encore en Italie
de nombreux descendants du grand luthier. L'un d'eux, nommé Gia-
como Stradivarius, et qui prit part comme volontaire, en 1848, à la
guerre de l'indépendance contre les Autrichiens, avait retrouvé la re-
cette même de ce vernis, dont, quoique n'étant pas luthier, il appréciait
l'importance et comprenait la valeur. Il racontait lui-même comment
le hasard lui avait fait faire cette découverte : — « A la mort de mon
père, dit-il, j'étais encore tout jeune. Quelques années plus tard, notre
famille se décida à déménager. Naturellement, il fallut passer en revue
tout ce qui nous appartenait. Quand j'examinai nos vieux livres, une
Bible attira mon attention: je l'ouvris, et je lus ce qui était écrit à
l'intérieur de la reliure. Souvent j'avais entendu parler de l'habileté de
mon fameux aïeul, et de la renommée du vernis dont il se servait. Et
je venais d'en découvrir la recette ! Je reconnus toute l'importance de
ma découverte, et je me décidai à m'emparer du livre, sans en parler
même à ma mère. Mais je ne savais comment cacher ce gros volume.
Immédiatement je résolus de prendre une copie exacte de la recette,
datée de 1704, puis de détruire le livre, et c'est ce que je fis ».
Cette destruction était sotte, puisque son auteur se privait ainsi de la
seule preuve qu'il put donner de l'authenticité du document transcrit
par lui. Quoi qu'il en soit, la recette du moins était en ses mains. Mais
il la jugeait si précieuse qu'il ne voulut jamais, à quelque prix
que ce fût, ni s'en défaire, ni la communiquer. Un amateur, son com-
patriote, nommé Mandelli, lui ayant demandé cette communication,
en reçut, sous forme de la lettre que voici, un refus absolu :
(1) La Chêlonomie ou le Parfait Luthier.
LE MÉNESTREL
277
...Vous me demandez une impossibilité, que je ne puis vous accorder, puis-
que je n'ai jamais confié le secret même à ma femme ou à mes fdles. Je veux
montrer un esprit de suite, et demeurer fidèle a la résolution que je formai
dans ma jeunesse de ne jamais révéler à personne la teneur de la précieuse
recette, m'en tenant aux conclusions que j'établis quand j'étais encore presque
enfant; c'est que dans le cas où d'autres Stradivarius •- mes fils, neveux,
pelils-fils ou petits-neveux — deviendraient des artisans, surtout s'ils choi-
sissaient le métier de notre célèbre aïeul, ils eussent au moins l'avantage de
posséder la recette de son vernis, qui, à coup sur, leur serait d'une grande
utilité dans leur carrière. Permettez-moi de vous prouver la fidélité avec la-
quelle j'ai observé cette résolution.
En 1848, après avoir fait toute la campagne comme volontaire, je m'établis
à Turin, en attendant que la politique nous donnât des temps meilleurs. Le
gouvernement autrichien ne permettait pas à ses administrés italiens d'expé-
dier, de leurs villes na'ales, des secours pécuniaires aux proscrits. Il me fallut
donc, pour vivre, accepter une place de copiste au conseil d'État, trop heu-
reux de pouvoir ainsi gagner mon pain quotidien. Eli bien, un Français,
dont j'avais fait la connaissance chez M. Plomba, libraire, et qui faisait un
voyage en Italie exprès pour se procurer des instruments anciens, m'offrit
d'abord, en échange de la fameuse recette, la somme de 23 napoléons ; puis,
sur mon refus, il fit monter le chiffre jusqu'à 50 napoléons. Souvenez-vous
bien qu'à celte époque les cinquante napoléons représentaient pour moi au-
taut de frères! et cependant j'eus le courage de résistera la tentation. Quelques
années plus tard, M. Vuillaume et le comte Gastelbarco me firent d'autres pro-
positions; mais toujours je restai fidèle aux résolutions de ma jeunesse. Ai-je
eu tort? N'importe! Je ne vois aucun motif de m'en repentir (1).
Grâce au doux entêtement de cet excellent toqué, l'art de la lutherie,
qui n'est pas aujourd'hui, il faut Lien le dire, dans l'état le plus floris-
sant, perd la possibilité de connaître la recette d'un vernis qui, impuis-
sant assurément à améliorer la construction des instruments, n'en
pourrait pas moins rendre de grands services (2).
(A suivre.) Arthur Pougin.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour LES SEULS \1)0\\ÉS a la musique)
Et voici de la musique très sérieuse. M. Emil Frey est un des élèves préférés du
maître Widor, qui croit fort en son grand avenir. Dame! c'est tout jeune encore et
cela veut naturellement prouver beaucoup. Le commencement de cette Romance
s'annonce mélodiquemeat dans une forme assez simple. Mais il est clair que le
morceau se complique ensuite dans des développements intéressants, mais un peu
ardus parfois. Il faudra étudier souvent cette Romance, et la mettre à plusieurs
reprises sur le métier, avant de s'en rendre tout à fait maître. Heureusement, son
mouvement lent d'andante permet tous les espoirs.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (26 août). — Ainsi que je vous l'ai
annoncé, il y a un mois déjà (mon indiscrétion n'a pas été sans contrarier un
peu les sympathiques directeurs, je ne sais pourquoi, car la voici tout de
même vérifiée), la réouverture de la Monnaie est fixée au mercredi 9 septem-
bre, et se fera avec Lohengrin, chanté par M"e Seroen et Lucey, deux débu-
tantes, M. Galinier, la nouvelle basse, MM. Verdier, Bourbon et Petit. Je vous
ai dit précédemment la composition de la troupe, du moins en ce qui concerne
les principaux sujets. La voici, complète, telle qu'elle me parvient à l'instant.
MM. Sylvain Dupuis, Ernaldy et Van Hout restent chefs d'orchestre, M. De
Béer, régisseur général, sera assisté de M. Merle- Forest, et M. Ambrosiny
continue à être maître de ballet, ce dont tout le monde sera ravi. Comme
chanteuses, le tableau de la troupe porte les noms de Mmes Pacary, Charles-
Mazarin, Croiza, Laffitte, Seroen, Lucey, Dupré, Etty, Bourgeois, Olchansky,
Eyreams, Symiane, De Brolle, Berelly. Jane Paulin, Beaumont, Benonard,
Florin et Aubry. Les ténors sont MM. Laffitte, Verdier, Morati, Saldon,
Nandès, Delrue, Dua et Caisso ; les barytons, MM. De Cléry, Bourbon, Les-
(1) On peut consulter sur cette histoire bizarre l'excellent livre de MM. Hill :
Antoine Stradivarius, sa vie et son œuvre.
i2) Dans la première édition de la Biographie universelle des Musiciens, Fétis a rap-
porté un fait du môme genre, qu'il n'a pas, j'ignore pour quelle raison, reproduit
dans la seconde : — a Vers 1186, disait-il, un descendant des Amati se présenta à
Orléans chez MM. Lupot et flls, demandant à travailler. Les violons qu'il construisit
excitèrent l'admiration de ses patrons, mais lorsqu'il fut question de les vernir, il ne
voulut jamais composer ses vernis en présence de qui que ce fût, disant que c'était
un secret de famille qu'il ne lui était pas permis de divulguer, et plutôt que de s'en
dessaisir il préféra quitter l'atelier, et même la ville. On ne sait ce qu'il est devenu
depuis lors. »
telly, Petit, Délaye, Ilicrnaux et Collin ; les basses, MM. Galinier, Artus,
Billot, La Tasto et Danlée. Le corps de ballet a pour chefs MM. Ambroisiny
et Deschamps, et M"« Gerny, Peluccbi, Legrand, Verdoot, .Tamet et Beruc-
cini en sont le gracieux ornement. Enfin, le prix des places ne cesse pas
d'être d'un bon marché qui fait de la Monnaie le théâtre le plus accessible au
public et, étant données les exigences de ce public, le plus prodigieusement
difficile à administrer.
Un projet très important est soumis aux études des services techniques de
la Ville de Bruxelles et le sera bientôt à l'approbation du Conseil communal.
Il consiste à agrandir la scène de la Monnaie, à la transformer sur le modèle
des nouveaux théâtres allemands et d'accord avec les plus récents progrès de
la machinerie. Il a pour auteur M. Rosenberg, l'architecte- ingénieur du nou-
veau théâtre de Cologne, un modèle du genre, et coûterait environ
600.000 francs. On profiterait des vacances théâtrales de l'été prochain pour
l'exécuter (le projet, pas' M. Rosenherg). Espérons que l'indifférence et la
pingrerie habituelles de nos administrations politiques en matière de choses
d'art n'y mettra pas obstacle. L. S.
— Il semble que la construction de nouveaux bâtiments pour l'Opéra-Royal
de Berlin est chose maintenant complètement décidée. Ainsi que cous le
disions la semaine dernière, l'emplacement choisi comprendra les terrains sur
lesquels s'élève actuellement la salle Kroll, tout près du Kœnigsplalz. Comme
compensalion pour l'abandon de ces terrains, la ville de Berlin recevrait
l'immeuble tout entier du vieil Opéra-Royal et pourrait y donner des repré-
sentations. Toutefois, on dit à Berlin qu'avant la réalisation de ces projets
beaucoup d'eau coulera encore dans le lit de la Sprée.
— Nous avons, d'autre part, parlé des nouvelles entreprises d'opéra en pro-
jet ou en voie d'exécution à Berlin. L'Allgemeine Musik-Zeitung les apprécie à
sa manière, ajoute quelques détails et fait quelques rectifications à ce qui
avait été dit antérieurement. Nous lui empruntons ce qui suit : « La fièvre
de fondations d'opéras s'étend toujours de plus en plus. Voici maintenant que
le directeur du nouveau théâtre d'opérette, M. Victor Pallî, se présente au
public avec une entreprise soi-disant déjà complètement élaborée et pourvue
d'appuis financiers. Cet optimiste veut établir son opéra à prix réduits, dans
la Potsdamerstrasse, à proximité de l'ancien jardin botanique. Le projet de
construction « de grand style », pour lequel on attend avec impatience l'as-
sentiment de la police, comporte une dépense évaluée à (rois millions. Le
théâtre doit être inauguré le 1er septembre 1910. Les places les plus chères
seront à 5 francs, par abonnement 2 fr. 30. On ne se tromperait pas peut-être
en pensant que tout ce grand projet n'est pas autre chose qu'une réclame « de
grand style » pour une spéculation sur les terrains. — A côté de ce projet se
place celui d'un second opéra que le directeur Hans Gregor a en vue de consti-
tuer pour l'année 1913, époque à partir de laquelle les oeuvres de Richard
Wagner tomberont dans le domaine public. Ce <i Théâtre-Richard- Wagner »,
comme on l'appellera, contiendra de 2.000 à 2.500 personnes. A coté de lui,
M. Hans Gregor maintiendra son Opéra-Comique. Il espère, au moyen de
cette combinaison de deux théâtres exploités concurremment, parvenir à réali-
ser des économies suffisantes pour pouvoir donner des représentations
d'opéra populaire à prix réduits. Supposé, par exemple, qu'il possède pour
chacune des deux scènes théâtrales un orchestre de 72 musiciens et un chœur
de 30 chanteurs, lorsqu'il donnera sur l'une de ces scènes un ouvrage exi-
geant un orchestre et un chœur renforcés, il fera jouer sur l'autre scène,
transformée en Opéra-Populaire, une œuvre d'un caractère différent n'exi-
geant qu'un orchestre réduit et pas de chœurs. Il faut attendre pour savoir ce
qu'il adviendra, en fait, de tous ces beaux projets. Ce que pourra devenir un
second grand opéra permanent à Berlin quand le répertoire wagnérien pourra
être joué librement, cela parait très clair pour tous; mais cette institution
pourra-t-tlle se soutenir en laissant les places à des prix aussi réduits que
ceux annoncés; cela, c'est une tout autre affaire. Car, de bonnes représenta-
tions, — et celles-là seulement doivent être envisagées dans un théâtre dési-
reux de vivre, — exigent des frais trop considérables pour qu'ils puissent
être couverts par des « prix populaires ». A ce point de vue, le projet de
M. Gregor nous parait mériter d'attirer l'attention beaucoup plus que le pré-
cédent. »
— Un larcin audacieux, qui remplit d'indignation la ville de Francfort tout
entière, vient d'être commis à la mairie. En compulsant les registres de l'état-
civil, un employé s'est aperçu qu'un malfaiteur ou un maniaque y a découpé
l'acte de naissance de Gœthe.
— A l'occasion de la troisième assemblée de l'LTnion des luthiers allemands
une exposition a été organisée au Théâtre-Central de Leipzig. Elle renferme
des centaines de violons et autres instrumeuts à cordes des meilleurs cons-
tructeurs de l'Allemagne et un certain nombre de spécimens précieux de
Stradivarius, Amati, Baptista Guadagaini, Bergonzi, Gasparo da Salo, Jacob
Stainer, etc. Ces instruments sont estimés à des prix de 18.000, 25.0ÛO. 30.000
et même 40.000 francs.
— On se souvient peut-être encore du malheureux chanteur Théodore
Bertram, qui se suicida dans un hùtel de Bayreuthau mois de novembre der-
nier. Le propriétaire de cet hôtel vient de faire insérer dans le Baijrisches
Tageblatt, l'avis suivant, entouré d'un filet noir : a A vendre, les œuvres pos-
thumes poétiques de M. le chanteur de la chambre Théodore Bertram et ses
hardes ayant quelque valeur. Cela pour me permettre de recouvrer au moins
quelque chose des avances que je lui ai faites. Hôtel de la Gare, Bayreutb.
278
LE MÉNESTREL
Berlram, après avoir touché de gros appointements, qui s'élevèrent jusqu'à
50.000 francs, était tombé dans la détresse et se trouvait menacé do perdre sa
voix. En février 1907, sa troisième femme, qu'il avait très vivement aimée,
Charlotte Weckerlich, était morte tragiquement dans le naufrage duo Berlin»,
à Hoek, sur la côte hollandaise.
— M. Burrian. le ténor allemand qui vint à Paris chanter la Salomé de
M. Richard Strauss, continue à faire beaucoup parler de lui en dehors du
théâtre. Nous avons reproduit dimanche l'annonce qu'il a fait passer dans un
journal de Dresde pour trouver un logement, voici maintenant que nous
parvient la nouvelle qu'il a été arrêté à Marienbad. Il était venu, de Bayreuth
dans la célèbre ville d'eaux pour y chanter Siegfried devant le roi d'Angleterre.
On ne l'a pas arrêté avant qu'il entrât en scène, les agents s'étant laissé con-
vaincre par la direction qu'il ne convenait point de « troubler le plaisir du roi
Edouard ». M. Burrian ne fut donc appréhendé au corps qu'après la représen-
tation, et ce, à la requête de plusieurs créanciers.
— Le conseil municipal de Vienne vient de réaliser le projet dont nous
avons parlé déjà, d'acquérir la maison natale de Schubert, une bâtisse à un
seul étage, sise au n° 54 de la Nussdorforstrasse et portant l'enseigne « A
l'Écrevisse rouge ». Le prix payé a été de 100.000 couronnes. On pense que
l'ouverture du Musée-Schubert que l'on veut installer dans l'immeuble pourra
se faire à la fin d'octobre. L'Association- Schubert, de Vienne, prépare pour
la circonstance un festival d'oeuvres du maitre.
— La Fondation-Mozart, de Salzbourg, a reçu de Mmc Lilli Lehmann, un
don de 2.000 couronnes.
— La nouvelle société Bach nous communique le programme suivant de
son quatrième festival, qui doit avoir lieu à ChemniU au mois d'octobre pro-
chain. Samedi 3 octobre, concert de musique religieuse dans l'église Saint-Luc;
on donnera la Hohe Messe de Bach, chantée par la maîtrise. Dimanche,
4 octobre, dans l'après-midi, concert de musique de chambre comprenant,
entre autres ouvrages, la Cantate pour un jour de noces de Bach; le soir, second
concert de musique religieuse, dans l'église Saint-Jacques; on exécutera des
motets, des cantates et des morceaux d'orgue du maitre. Le lundi 5 octobre,
dans la matinée, il y aura une réunion des membres de la nouvelle société
Bach; le soir, un concert d'orchestre terminera les fêtes. On y entendra le
Concerto brandehourgeois n° 3, un concerto pour piano, un concerto pour
violon et une cantate.
— Une nouvelle ordonnance concernant les places debout, dans les théâtres
nouveaux qui se construiront en Autriche exige que des barres de fer
parallèles à la scène permettent à chaque personne de s'aligner sans désordre.
Les spectateurs de ces places recevront au guichet un numéro individuel
correspondant à l'espace qu'ils devront occuper. Cet espace devra être d'une
largeur de 50 centimètres au minimum.
— On annonce pour la prochaine saison d'hiver, à Milan, un opéra nouveau
en deux actes de M. Virgilio Ranzata, sur un livret de M. Adone Nosari. Il a
pour titre : Jus vêtus. L'action se passe en Italie au XIIIe siècle.
— M. Angelo Neumann, le directeur du Théâtre allemand de Prague, a
célébré il y a quinze jours, le soixante-dixième anniversaire desanaissance.Ses
admirateurs lui ont offert à cette occasion un album contenant les portraits
de tous les compositeurs, poètes, chefs d'orchestre, chanteurs, acteurs et vir-
tuoses avec lesquels il a été en relations, soit en qualité de directeur de
théâtre, soit en qualité d'organisateur de concerts. M. Angelo Neumann a
publié l'année dernière un livre intitulé Souvenirs sur Richard Wagner. Puisque
l'occasion s'en présente, recueillons à travers les pages de cet ouvrage un
bouquet d'anecdotes ; quelques-unes sont fort intéressantes. Au printemps de
1864, Neumann, qui ne connaissait pas encore Wagner, se trouvant à Stutt-
gart pour chanter Don Juan, était descendu à l'hôtel Marquardt. Désireux de
se livrer à quelques études et de travailler dans le recueillement, il fut très
désagréablement surpris de constater que son voisin de chambre se promenait
du matin au soir à grands pas, ayant aux pieds des bottes qui faisaient sans
relâche un bruit infernal. « Quel est donc le personnage que j'ai à coté de
moi, dit-il au garçon, il se démène comme un lion dans sa cage. » — « C'est
un nommé Richard Wagner » lui fut-il répondu. Rencontrant peu d'instants
après le propriétaire de l'hôtel, Neumann lui dit sa satisfaction d'avoir Wagner
pour voisin, ajoutant qu'il supportait bien volontiers les bruits qui l'avaient
d'aborij exaspéré. « Je suis bien aise que cet artiste vous soit sympathique,
dit alors Marquardt, car je dois vous avouer confidentiellement qu'il est en ce
moment dans de cruels embarras d'argent ; il n'ose plus venir à la table d'hôte
parce que l'usage ici est de payer immédiatement après chaque repas ; allez
donc le trouver et dites-lui que mes deux meilleures chambres sont à sa dis-
position et que je l'invite à la table d'hôte sans qu'il ait rien à débourser; je
suis trop heureux d'avoir chez moi un homme de sa valeur ». Neumann n'osa
pas faire la commission lui-même ; il en chargea les époux Eckert, qui étaient
dans l'iutimité de Wagner. Ceux-ci avaient déjà écrit à Vienne pour faire
venir une somme de 700 florins qu'ils voulaient offrir à Wagner pour lui per-
mettre de retourner en Suisse. Le soir même de ce jour, Wagner assistait à
la représentation de Bon Juan et s'en montrait entièrement satisfait. Le len-
demain, il recevait l'offre du roi de Bavière de se rendre à Munich et partait
aussitôt pour celte ville. — Huit ans plus lard, en 1872. Wagner fut appelé a
Vienne pour assister aux représentations de Rienzi à l'Opéra. Le directeur,
Johann Herheck, avait fait de son mieux pour l'interprétation et la mise en
scène ; le spectacle lini, il s'empressa de courir chez Wagner, espérant des
félicitations, mais quel ne fut pas son dépit lorsqu'il reçut ces mots pour tout
remerciement : « Au chanteur à qui vous avez attribué le rôle de Rienzi, je
ne voudrais pas accorder ma confiance même pour porter la caisse vide d'un
violon ».
Wagner montra plus de tact en une autre circonstance. Il dirigea le
12 mai 1872 un concert à Vienne et la Symphonie héroïque était au programme.
Pendant le trio du Scherzo, le corniste Richard Levy manqua une ou deux
notes et tira de son instrument un bruit terriblement antimusical. Le poète
comique Mauthner, qui occupait dans la salle une place au premier rang,
éclata de rire aussitôt, et sans aucune discrétion. Pendant l'entracte, on
entoura beaucoup Wagner, qui s'écria en présence de Mauthner : « C'est un
crime de se moquer d'un corniste à cause d'une note manquée ; on devrait
savoir comprendre la difficulté de tirer du métal réfractaire un son idéal,
lorsque la moindre gouttelette d'eau peut mettre en défaut l'habileté du plus
grand virtuose. » Alors, il embrassa l'artiste pour lui témoigner son estime.
Sur quoi, Levy, très spirituel et plein d'à-propos, apostropha Mauthner :
«Cher Mauthner, ce n'était pas gentil de votre part, de rire de mon accident. »
Mauthner voulut s'excuser, mais Levy ne lui permit pas de dire un mot.
« Non, continua-t-il avec bonne humeur, non, non cher Mauthner, c'était
vraiment très mal et très ingrat de votre part, car, voyez-vous, moi, j'ai assisté
à toutes vos comédies et je n'ai pas ri une seule fois. » Cette saillie si fine et
si mordante produisit dans l'assistance une folle hilarité ; Wagner s'y mêla
plus bruyamment que tous les autres.
— La saison de San Carlo, à Naples, sous la direction de M. de Sanna.
s'ouvrira vers le milieu du mois de décembre par la représentation d'un
ouvrage qui n'est pas encore désigné. On jouera ensuite Humlet d'Ambroise
Thomas, Aida, Don Carlos de Verdi, Thaïs de Massenet, Roméo et Juliette de
Gounod. Raléliff de Mascagni, Gloria de Cilea, et Peruginade Lorenzo Masche-
roni.
— M. Ch. Quef, organiste de la Trinité, vient de donner à Londres une série
de récitals; par son jeu clair et précis, son interprétation artistique et aussi ,
par l'exécution de ses œuvres, il remporta un double succès de virtuose et de
compositeur.
— Un statisticien assure qu'il y a aujourd'hui en Angleterre 390.000 enfants
s'adonnant à l'étude du violon.
— De Lucerne. M. Gabriel Fauré, qui prend ses vacances en Suisse, vient
de donner un concert au Ivursaal de Lucerne et l'éminent directeur du Conser-
vatoire de Paris a obtenu, en compagnie de Mlne Jeanne Raunay et de l'or-
chestre de M. Fumagalli, un succès triomphal.
— De Constanlinople : Le sultan a commencé à limiter les frais de sa mai-
son en renvoyant environ 400 musiciens et acteurs de la cour. Il se trouve
dans ce nombre environ 50 Européens, pour la plupart des Italiens, six Alle-
mands, le directeur de l'Opéra, Aranda pacha, un Espagnol et cinq dames. Ils
prirent congé après que leurs appointements leur furent complètement soldés.
— Fantaisies américaines, M. Hammerstein a l'intention d'utiliser le toit du
Manhattan-Opéra de New-York pour y établir un jardin qui sera éclairé le
soir par des lanternes vénitiennes et dans lequel on donnera des concerts.
Trois mille personnes pourront y trouver place. Des constructions en fer,
s'élevant sur une terrasse qui servira de toiture au théâtre, soutiendront un par-
quet pouvant contenir douze cents places, quarante loges et une plate-forme où
pourront se tenir encore douze cents auditeurs. Deux ascenseurs permettront à
quarante personnes de monter à la fois. L'espace réservé à l'orchestre aura
80 pieds de large et 40 pieds de profondeur. On y fera entendre des oeuvres
instrumentales et vocales jouées par cent cinquante instrumentistes et des
chœurs nombreux. La direction en sera confiée à M. Cleofonte Campanini.Des
chanteurs et solistes renommés seront engagés, ainsi que des associations ar-
tistiques spéciales, comme la Harmonia Florente de Turin, composée de trente-
deux harpistes. Les jardins présenteront l'aspect d'un paysage italien avec de
grands arbres et des massifs de verdure. Ils pourront se fermer en hiver alin
de pouvoir être chauffés. On y sera comme dans une sorte de serre, car des
parois d'acier soutiendront la couverture qui aura, au-dessus de l'orchestre, la
forme d'une coquille afin d'assurer de bonnes conditions d'acoustique, et pré-
sentera une élévation de 50 pieds au-dessus des bâtiments actuels du théâtre.
Il est à remarquer que des jardins suspendus de ce genre De sont pas chose
nouvelle à New-York ; nombre de maisons de trente étages en possédant d'ana-
logues, dépourvus toutefois de couverture au-dessus. On a même un mot pour
désigner ces maisons ; an les appelle sky-scrapers, frôleuses de ciel.
PARIS ET DEPARTEMENTS
Les théâtres de Paris seront, au début de la saison qui va s'ouvrir, régis
par une nouvelle ordonnance de police, signée la semaine dernière par le
Préfet de Police, et qui modifie, sur certains points, l'ancienne ordonnance
remontant à 1898. Nous ne nous occuperons ici que des modifications appor-
tées dans le nouveau texte.
L'ordonnance, en son article 6, établit une classification nouvelle des diffé-
rentes catégories d'établissements. C'est ainsi qu'il distingue : 1° les établisse-
ments ayant une scène machinée avec dessus et dessous; 2° les établissements ï
avec scène sans machinerie de dessous ou de dessus (cirques, hippodromes);
3° les établissements n'ayant pas de scène, mais comportant une simple
estrade fixe ou mobile.
Les articles 14 et suivants traitent des mesures de sécurité sur la scène
d'une façon très détaillée.
LE MÉNESTREL
270
Les articles 41 à 51 de la sécurité dans la salle.
Le chapitre V est consacré aux dégagements intérieurs de la salle.
L'article 98 dit que des moyens de communication seront établis, pour les
musiciens, entre l'orchestre et la salle, en dehors des sorties qui leur sont
réservées.
L'article 106 interdit de placer, dans les établissements de toutes catégories
pouvant recevoir plus de 230 personnes, des cheminées, poêles ou appareils
fixes de chauffage au feu. Les appareils mobiles sont également prohibés.
Après chaque représentation ou répétition, les locaux devront être soumis à
une ventilation énergique.
Enfin, les effets, perruques, etc., portés par les artistes, danseurs, figurants,
choristes, etc., devront être immunisés au moins à chaque changement de
titulaire.
L'article 109 prescrit une aération abondante pour les locaux où s'habillent
artistes et figurants.
Le titre V (éclairage) interdit l'usage des huiles minérales, essence, alcool,
hydrocarbures, dans les établissements de toutes catégories. Les appareils
d'éclairage portatifs sont interdits dans les loges, foyers d'artistes et dépen-
dances de la scène.
L'usage de l'énergie électrique et l'emploi du gaz restent soumis aux règle-
ments imposés par la préfecture de police.
Les lustres devront être suspendus par deux câbles au moins; chacun de
ces cables devra être capable de supportera lui seul dix fois le poids du lustre
et de maintenir ce poids en cas de rupture de l'une des attaches.
Les transformateurs, s'il en existe, devront être placés en dehors de la cage
de la scène, et dans un local ventilé par l'extérieur. Les lampes à arc ne
pourront jamais être à feu nu; elles devront toujours être munies de globes-
grillages.
Huit articles sont consacrés aux lampes de secours.
Le titre VI (13 articles) a trait aux services d'incendie.
Le titre VII s'occupe de dispositions relatives aux représentations cinéma-
tographiques.
Le titre VIII (chapitre II) traite de l'annonce du spectacle et des billets
d'entrée.
L'article 202 interdit la vente et l'offre de vente des billets ou contremarques
et le racolage ayant ce trafic pour objet sur la voie publique. C'est là une
innovaiion à laquelle tout le monde applaudira.
L'article 203 dit que ne peuvent être louées à l'avance que les loges ou
places couvertes, les fauteuils ou stalles et places numérotées. Les directeurs
devront tenir à la disposition du commissaire de police ou du chef de service
d'ordre un double de la feuille de location.
L'article 214 annonce la possibilité de retrait de l'autorisation demandée en
cas d'atteinte à la morale ou à l'ordre public, et stipule que les artistes ne
peuvent pénétrer dans la partie de la salle affectée au public, soit pour
consommer, soit sous prétexte de quêtes, loteries ou tombolas, lesquelles sont
expressément interdites, sauf autorisation spéciale.
L'article 220 consacre formellement la défense de troubler systématiquement
la représentation ou d'empêcher les spectateurs de voir ou d'entendre le spec-
tacle, de quelque manière que ce soit.
Toute personne, dont le chapeau serait un obstacle à la vue des spectateurs
placés derrière elle, sera tenue d'obtempérer à toute réquisition en vue de faire
cesser le trouble qu'elle pourrait occasionner. Cet article, nouveau aussi, fera
grincer bien des jolies quenottes.
L'heure de clôture des représentations est fixée à minuit et demi, en tout
temps, sauf autorisation spéciale.
— L'Opéra donnera demain dimanche la première des quatre représenta-
tions gratuites qui lui sont imposées par son cahier des charges. Le spectacle,
qui commencera à 7 heures, se composera de Saumon et Daliia.
— Dès samedi dernier, M. Albert Carré, de retour de Suisse où il ne fit
qu'un très court séjour, était à l'Opéra-Comique; et, tout en stimulant le zèle
des ouvriers occupés aux dernières réparations et aux ultimes nettoyages, il
surveillait les études et raccords faits dans tous les coins de l'active maison
en vue de la réouverture du 1er septembre. Et voici, comme ils viennent d'être
arrêtés, l'ordre et la distribution des premiers spectacles à la salle Favart :
Mardi, Ie'' septembre : Ap'iroiite (MUe Chenal, MMe Bailac (début), M. Léon
Beyle, Mu« Régina Badet) ;
Mercredi, 2 : La Vie de Bohème (M016 Marguerite Carré. MLIe Korsoff (rentrée),
MM. Francell, Périer, Ghasne et Allard) ;
Jeudi 3 : Werther (MUe Lamare, M. Léon Beyle, Mlle La Palme. MM. Ghasne
et Guillamat);
Vendredi 4 : La Navarraise (M'"'? Ratti (débuts), MM. Bourrillon (débuts) et
Azéma) et te Barbier de Séville (M"'1 Korsoff, MM. Francell, Allard, Vigneau et
Blancard (débuts) ;
Samedi 5 : Manon (Mlnc Marguerite Carré, MM. Salignac, Perrier et Ghasne).
Comme on le voit l'affiche de cette première semaine porte pas mal de
noms nouveaux. Voici d'abord Mlle Bailac, qui vient de l'Opéra, puis Mile Kor-
soff, chanteuse légère, qui rentre dans la maison après avoir obtenu du
succès en province, notamment à la Monnaie de Bruxelles, M",e Ratti, qui
chanta aussi à l'Opéra-Gomique sous son nom de jeune fille, Nina-Bonne-
[ foy, et y revient après avoir fait une brillante carrière italienne ; M. Bourril-
lon, un jeune ténor, ancien champion cycliste, qui fit florès sur nos grandes
scènes départemenlales, à Rouen, entre autres, où il fut charmant dans ta Car-
mélite de Reynaldo Ilahn, et, enfin, M. Blancard, une basse chantante qui
passa aussi par Bruxelles.
— Comme nous l'avons dit déjà, les spectacles d'abonnement commence-
ront le 3 novembre.
— Voici la distribution des rôles principaux de Solange, 3 actes de
M. Adolphe Aderer, musique de M. Salvayre, qui sera la première pièce nou-
velle montée cette saison à l'Opéra-Comiqua, ainsi que nous l'a
annoncé :
Solange de Faucignv M"* Vallandri
Bernier MM. Francell
Le marquis de Fauclgny Allard
Brutus Gracchus Letut Dclvoye
Saint Landry De Poumayrac
MmM Guionie, Bark, Colas, Gunzalès feront également partie de L'interpré-
tation. L'action se passe sous la Révolution française.
— M. Fugère ne fera sa rentrée qu'au cours du mois d'octobre.
— M. Gresse, l'excellent basse de l'Opéra, vient de recevoir la rosette d'of-
ficier de l'instruction publique.
— M. Arthur Coquard mène, dans l'Écho de Paris, une courageuse campagne
pour que les portes de nos théâtres, tout au moins ceux de musique, soient
fermées rigoureusement dès le rideau levé, et de nombreux correspondants
applaudissent à son initiative. Or, M. Messager interwievé sur cette grosse
question par M. Trébor, du même Éclio de Paris, a répondu qu'elle était, en
pratique, tout à fait irréalisable a l'Opéra, théâtre d'abonnement où l'on vient
entendre plusieurs fois le même ouvrage et où l'on vient, fort souvent,
entendre non pas un ouvrage entier, mais tel fragment de prédilection.
M. Messager dit cependant qu'il n'en essaiera pas moins d'appliquer le sys-
tème rigoureux préconisé par M. Coquard lors des représentations a l'Opéra
du Crépuscule des Dieux, mais il ajoute qu'il est fort sceptique quant à sa
réussite.
— Réouvertures. Jeudi dernier le Théàtre-Sarah-Bernhardt a réouvert ave
le Chemineau, de M. Jean Richepin, et, hier vendredi, l'Athénée a repris le
Chant du Cygne, de MM. Georges Duval et Xavier Roux, arrêté cet été en
plein succès.
— Au Lyrique de la Gaité, on travaille ferme sous la direction de M. O. de
Lagoanère et quand MM. Isola rentreront à Paris, tout prochainement, ils
trouveront presque achevées les études de Paul et Virginie et très en train
celles des autres ouvrages qui alterneront sur l'affiche avec l'ouvrage de Victor
Massé. On dit que, d'ici peu, il n'y aura pas moins de sept ouvrages prêts à
être joués.
— Les Concerts-Lamoureux feront leur réouverture le dimanche 18 octobre,
salle Gaveau.
— La Deutsche Bundschau publiait, il y a quelque temps, une étude sur
Thérèse de Brunswick, « l'Immortelle bien-aimée » de Beethoven, d'après des
documents nouveaux, recueillis en Hongrie par M. Datkas. Née en 1773 selon
les uns, en 1778 selon d'autres, Thérèse de Brunswick était la fille du comte
Antonio de Brunswick et de la baronne de Seeberg. Elle reçut le prénom de
Marie-Thérèse en l'honneur de l'impératrice d'Autriche, sa marraine. Elle
perdit son père en 1793. Encore dans la fleur de sa jeunesse, sa mère la con-
duisit à Vienne. Beethoven, de quelques années plus âgé qu'elle, fut chargé
de lui enseigner la musique. Entre le professeur et l'élève s'établit bientôt une
sympathie de sentiments qui les conduisit à l'amour. Thérèse donna son por-
trait avec cette dédicace : « Au génie rare, au grand artiste, à l'homme par-
faitement bon. » Elle reçut en retour la sonate en fa dièse majeur, op. 78,
qui porte son nom. Le portrait est actuellement au Musée Beethoven de
Bonn. Quant à la sonate, son caractère entièrement gracieux, et le peu de
difficultés techniques qu'elle présente, nous indiquent bien quel pouvait être
dans la conduite de la vie le tempérament de la jeune fille, et jusqu'où pou-
vait aller son talent dans l'exécution pianistique. Ce petit ouvrage ne fut
composé d'ailleurs qu'en 1809, longtemps après les premiers échanges d'im-
pressions entre Thérèse et Beethoven. Le maître aurait dit un jour à Czerny :
« On parle constamment de ma sonate en ut mineur lop. 13. Pathétique) ;
j'ai cependant écrit bien des choses vraiment meilleures en ce genre, par
exemple la sonate en fa dièse majeur, qui est tout autre ». On s'est beaucoup
occupé de Thérèse de Brunswick, à propos de trois lettres de Beethoven, qui
ont été retrouvées. Elles débordent, toutes les trois, des plus douces effusions
d'amour ; la dernière se termine ainsi : « Ewig Dein, ewig mein. ewig uns ! »
(éternellement à toi, éternellement à moi. éternellement à nous). On a sup-
posé que ces lettres avaient été adressées à Thérèse, sans qu'il ait été possible
d'appuyer cette assertion d'une preuve certaine ; mais voici maintenant ce
que nous apprend une feuille de Berlin. Der Tag, d'après une correspondance
de Budapest : « Une importante publication littéraire est sur le point de
paraître; c'est le journal de la comtesse Thérèse de Brunswick, considérée
depuis plus de vingt ans comme « l'Immortelle bien-aimée s de Beethoven et
la jeune fille à laquelle il avait adressé trois lettres brûlantes de passion,
retrouvées après sa mort. Dans ces lettres n'est mentionné aucun nom. Les
biographes de Beethoven ont cru longtemps que « l'adorée » de ces lettres
était Giulietta Guicciardi, à laquelle est dédiée la sonate en ut dièse mineur,
mais l'américain Alexandre Thayer prétendit démontrer que ce ne pouvait
être que Thérèse de Brunswick, et ses conclusions en ce sens ont été
280
LE MENESTREL
généralement admises. Peu de personnes ont su jusqu'à présent qu'il
existe un journal de faits quotidiens écrit par Thérèse de Brunswick. La
famille l'avait tenu caché jusqu'ici comme un trésor, n'admettant pas que les
relations de la jeune fille avec Beethoven aient pu dépasser les limites d'une
tendre amitié, d'une amitié semblable à celle qui avait uni le maître avec sa
sœur, la comtesse Dehm, et avec son frère, Franz de Brunswick. Mais, à
l'heure présente, la publication du journal vient d'être autorisée. Ce docu-
ment a été confié à Mme Marie Lipsius, connue par les publications musicales
nombreuses qu'elle a faites sous le pseudonyme La Mara; c'est elle qui va en
surveiller l'impression »: Cet écrit sera-t-il publié intégralement? îl faut l'es-
pérer. Fortiflera-t-il l'hypothèse de Thayer? On ne le sait pas encore définiti-
vement. Il a été dit toutefois qu'il y est question de Beethoven, mais seulement
d'une façon indirecte et sans que rien permette do prouver qu'entre le grand
artiste et la gracieuse comtesse il ait existé une intimité de cœur payée de
retour de part et d'autre. Toutefois, il faut bien supposer qu'une jeune per-
sonne distinguée comme Thérèse de Brunswick n'aurait pas voulu livrer le
secret de son penchant, surtout si l'on songe que la différence des conditions
fut le motif qui empêcha Beethoven de songer au mariage. Elle dut, tout au
contraire, renfermer son amour au plus profond de son cœur et le conserver
loin de toute défloration. Quoi qu'il en soit, la polémique déjà engagée pour
savoir si, oui ou non, Thérèse fut « l'Immortelle bien-aimée » va prendre une
activité nouvelle. Thérèse de Brunswick ne s'est jamais mariée. A la mort de
Beethoven, elh se consacra tout entière à des œuvres philanthropiques et
fonda, en Hongrie, des squares pour les enfants. Elle est morte à Brunn, en
1850.
— Mmc Schumann-Heink, le contralto célèbre, est une femme d'intérieur
accomplie. Lorsqu'elle a terminé ses tournées de concerts, rien ne lui plaît
davantage que d'aller se réfugier dans sa maison, de s'occuper elle même de
préparer ses repas, de ranger son linge, de balayer et d'épousseter à sa guise.
Un jour de juillet dernier une dame vêtue avec luxe descendait d'une auto-
mobile confortable devant le home de la cantatrice et sonnait à la porte. Une
femme très simplement vêtue, mais irréprochable en sa tenue, vint ouvrir.
« Votre maîtresse est-elle chez elle et peut-elle me recevoir ? » dit la visi-
teuse sans saluer et sur un ton déJaigneux qui lui attira cette réponse : « Non,
ma maîtresse n'est pas ici ; je crois même qu'elle ne rentrera que très tard ce
soir ». Sans saluer, la dame remonta dans son automobile et s'éloigna rapi-
dement. Elle ne se douta point que c'était M"" Schumann-Heink elle-même
qui lui avait ouvert la porte, et, lorsque celte dernière raconta cet incident
de sa vie ordinairement si calme aux amis qui vinrent la voir, l'un d'eux lui
dit: «Mais quel capricieux esprit vous a donc saisi; vous n'aviez aucune
raison de ne pas èlre aimable avec une personne qui vous est inconnue et qui
venait sans doute pour rendre hommage à votre talent. » La cantatrice ré-
pondit : « Vous n'y êtes pas ; j'avais, au contraire, une raison excellente de
ne pas être flattée qu'une dame de si mauvaise éducation vint me voir. Cela ne
lui aurait rien coûté, si elle m'a prise pour ma domestique, de me gratifier
malgré cela d'un salut et d'un mot de politesse ». Ainsi pense Mn1e Schumann-
Heink. La leçon profitera-t-elle aux Américaines souvent si Aères de leur
fortune ?
— C'est dimanche et lundi prochains qu'auront lieu à Béziers les deux re-
présentations du Premier Glaiee. On presse, sous la direction de M. Henri Ra-
baud, les dernières études: on dresse le décor de M. Jambon et on règle les
plus petits détails de la mise en scène, au milieu d'une activité fiévreuse.
NÉCROLOGIE
| LOUIS VARNEY I
■. Ainsi que nous l'avons annoncé hâtivement, en dernière heure, samedi
dernier, Louis Varney est mort à l'âge de 65 ans. Souffrant depuis quelque
temps déjà, il avait dû tout dernièrement, et sur l'avis de ses médecins, quitter
les leçons qu'il s'était mis récemment à donner pour aller se soigner à Bagnères-
de-Bigorre. Mais là le mal s'aggravant, l'une de ses filles dut aller le chercher
pour le ramener chez lui, rue Laffitte, où il arrivait mercredi, brisé par le
voyage, et où il succombait jeudi, à midi, emporté par l'albuminurie.
Louis Varney, qui ne se connais-ait que des amis, tant sa toujours bonne
humeur attirait la sympathie, était un musicien charmant, gai et délicat
qui, très justement, connut les gros et durables succès. Né à Paris, il fit ses
études musicales avec son père, le chef d'orchestre Joseph Varney, l'auteur du
fameux. Chant des Girondins, et débuta, lui aussi, comme chef d'orchestre à
l'ancien Athénée de Monlrouge, installé alors dans les sous-sols de l'Hôtel
Scribe. Il y fit même en 1876 ses premiers pas comme compositeur avec //
Signor Pulcinella et d'autres petits ouvrages de facture aimable. Sa musique,
claire, pimpante, lui fit ouvrir, par Cantin, les portes des Folies-Dramatiques
et, cette fois, ce fut en 1880, avec les Mousquetaires au couvent, le triomphe.
Très travailleur, Varney a composé un très grand nombre de partitions parmi
lesquelles il faut citer Fanfan la Tulipe, les Petits Mousquetaires, l'Amour mouillé,
la Femme de Narcisse, les Petites Brebis, le Fiancé de Th-'da, les Petites Barnett,
le Papa de Franchie, son dernier gros succès qui d -te d. 1896, et Mademoiselle
Georges, qui fut sa dernière opérette importante en 189S. Et de chacune de ces
œuvrettes charmantes et faciles s'envolait toujours sur le boulevard le motif
populaire par excellence qui fit la grande réputation du compositeur. Il savait
aussi son théâtre comme pas un, jamais un couplet ne tombait.au hasard et,
aux répétitions, il entraînait à la victoire tous ses interprètes tant il faisait
travailler avec une verve jamais lassée et toujours captivante.
Bans l'histoire de la musique légère, à la fin du XIXe siècle, il occupera
une place très spéciale et bien à lui, et il y eut mérite, ayant eu à lutter
avec le souvenir tout proche encore d'Offenbach et d'Hervé et aussi avec la
grande vogue de ses aînés dans la carrière, Audran, Planquette et Lecocq.car
il arriva juste au moment où l'opérette régnait de nouveau en maîtresse à
Paris. Et l'abandon de ce genre si aimable, son exploitation maladroite par
des gaches-noles improvisés et des imprésarios de rencontre, ne contribuèrent
pas peu à altérer une santé que l'on croyait à l'abri de tout, tant, avec ses
larges épaules, et son sourire toujours épanoui, il donnait l'impression dp
quelque hercule doux, bienveillant et heureux de vivre.
— La mort, impitoyable vraiment en ces mois d'été, enlève encore au
théâtre, après Emmanuel Arène et Louis Legendre, qui connurent aussi le
succès, A. Lemeunier, l'un des maitres-décorateurs de ces dernières années.
Élève de L. Chéret, il travaillait depuis trente ans pour nos ' scènes pari-
sienne et sa santé assez ébranlée l'avait obligé à se ménager beaucoup en ces
derniers temps. Son dernier décor fut le très joli Ramponneau qu'il fit au
printemps pour le premier acte du Chevalier d'Eon, de M. Rodolphe Berger.
Il est mort âgé de soixante ans.
— Et la liste lugubre n'est point close, puisque voici encore Julia Subra
qui a été enlevée samedi dernier, à Rueil, des suites d'une crise d'albuminurie,
comme ce pauvre Varney. Elle était entrée à l'Opéra en 1873, et la grâce et
l'aisance de sa danse la firent aussitôt remarquer. Élève favorite de Léontine
Beaugrand, Subra fut une des plus brillantes représentantes de la grande
danse classique. Nommée sujet en 1880. elle obtenait son premier gros succès
dans le ballet A'Ilamlet, triomphait ensuite dans Coppélia de Delibes et, con-
curremment avec Mn,c Rosita Mauri, devenait l'idole du public, soit qu'elle
dansa les Deux pigeons, les Jumeaux de Bergame, soit qu'elle parût dans les
ballets de Françoise de Rimini, d'Henri VIII, du Cid ou de Patrie. Un jour
qu'elle répétait Coppélia, elle fit une chute et se blessa assez sérieusement.
Elle demanda un congé pour se rétablir; la direction en profita pour la rem-
placer définitivement ; c'était en 1902. Son nom restera dans les fastes de la
chorégraphie, au même litre que celui de ses illustres devancières, les Taglioni,
les Emma Livry, les Carlotta Grisi et les Sangalli.
— A Elbing est mort, le 4 août, le compositeur et chef d'orchestre Robert
Sehwalm. Il écrivit d'abord des chœurs d'hommes, puis des morceaux de
piano; ensuite une sérénade pour orchestre, un opéra, Frauenlob, représenté à
Leipzig en 1885, un .oratorio, l'Adolescent de Nain, un quatuor pour cordes et
quelques autres morceaux. Né le 6 décembre 1845, à Erfurt, il fit ses études
au Conservatoire de Leipzig. De 1870 à 1S75, il dirigea des sociétés musicales
à Elbing et s'établit ensuite à Kœnigsberg, où il prit part au mouvement mu-
sical et exerça le professorat.
— Le professeur D. Burkardt, un des hommes qui ont consacré leurs
heures de repos à la recherche des vieux chants d'église, est mort àNùrtingen,
le 4 août. Il était âgé de 78 ans. Dans le domaine de la composition, il a
laissé des mélodies écrites à l'imitation des chansons populaires.
— De Milan, on annonce la mort de M. Ponchielli, journaliste, correspon-
dant de l'Écho de Paris, qui était le fils de l'auteur de la Gioconda et de la can-
tatrice célèbre, Teresa Brambilla.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Chemin de fer du Nord.
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Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bous-poste d'abonnement.
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SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (34' article), Julien Tiersot. — II. Une famille de
grands luthiers italiens : Les Guarnerius (9" article), Arthln Pougin. — III. Littéra-
ture musicale, Arthur Pougin. — IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
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Nos abonnés à la musique do chant recevront, avec le numéro de ce jour :
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de Y.-K. Nazare-Aga, poésie de Edouard Saint-Léon. — Suivra immédiate
ment : Feuilles mortes, mélodie de Raoul Pugno, extrait} des Cloches du souu;
nir, poésie de Maurice Vaucaire.
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Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
Charme d'automne, valse lente, de Y.-K. Nazare-Aga. — Suivia immédiate-
ment : Roses de France, gavotte, de Robert Vollstedt.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
CHAPITRE VII
L'ÉCLOSION DU GÉNIE : OltB-'Em En BCt ItlIWS 1
Passons, en souriant, sur les traits de vanité de ce poète
lyrique — genus irritdbile, — qui, parce que la renommée de
Gluck avait surpassé la sienne, s'en venait, après vingt ans
passés, faire entendre, ou presque, que l'auteur de la musique,
c'était lui I Eût-il même, comme il le prétend, donné à Gluck
des indications circonstanciées sur la façon dont il convenait
d'interpréter ses vers, que celui-ci n'en restait pas moins celui
qui a donné la vie à l'œuvre, c'est-à-dire le vrai créateur. Il est
bien vrai qu'on a retrouvé une édition (postérieure) des poèmes
de Calsabigi (1) où sont imprimées des indications de la nature
de celles dont il parle : sur les strophes successives du chœur
infernal : Raddolcito c con espressione di qualclie compatimento ; puis :
Con maggior dolcezsa, enfin : Sempre pin raddolcito, etc. Mais cette
minutie était fort à la mode au XVIIIe siècle. On en pourrait
trouver des exemples tout semblables dans les pièces de Marivaux
ou de Beaumarchais, par exemple : ceux-ci aimaient à multiplier
leurs conseils aux acteurs; en eussent-ils donné plus encore
que cela n'empêcherait point que, la Suzanne de Figaro, c'était
M"" Contât ! Louis Racine a raconté que son père enseignait à la
(1) Poésie e Prose diverse d: Ra
' de' C'tlsabioi, Napoli, 1793.
Champmeslé les moindres détails de ses rôles, et « lui dictait les
tons, que même il notait » ; et M. Romain Rolland soutenait
naguère que le récitatif de Lulli n'était pour ainsi dire qu'une
transposition musicale de cette déclamation parlée (1). C'est
possible; mais sans méconnaître la valeur des conseils de Racine,
il n'en est pas moins vrai que c'est Lulli qui a composé sa mu-
sique, et la Champmeslé qui jouait Phèdre et Monime. N'en
doutons pas : quand même Calsabigi aurait marqué moins de
sollicitude, Gluck aurait compris qu'il fallait que ses démons,
cédant à la magie du chant d'Orphée, adoucissent leurs accents,
— et d'autre part, c'est bien lui, lui seul, qui a tiré de son cerveau
les accords par lesquels le charme opère et se communique avec
une si troublante émotion (2).
En réalité, Calsabigi était pour Gluck le compagnon attendu,
celui qui devait lui permettre d'accomplir le rêve qu'il avait
formé lui-même, et depuis longtemps. Car celui qui, à Londres,
il y avait plus de quinze ans, cherchant la cause d'un échec inat-
tendu, n'hésitait pas à la reconnaître dans le défaut d'accord de
sa musique avec un poème pour lequel elle n'avait pas été faite,
qui, dans maintes œuvres en conflit avec les règles et usages de
son temps, avait imaginé de faire de l'orchestre la voix inté-
rieure exprimant les sentiments les plus cachés des personnages
ou représentant la poésie de Pambiance, qui avait noté les
accents les plus passionnés que, plus tard, il saura remettre à
propos dans la bouche d'Armide et d'Iphigénie, et, dans de
simples opéras-comiques, avait trouvé des traits de caractère
autant significatifs que nouveaux, celui-là n'avait pas besoin
(lj Voy. Romain Rolland, Musiciens d autrefois. Xotes >ur Lulli : III. Le récitatif de
Lulli et la déclamation de Racine, p. 143 et suiv.
(2) Après avoir composé trois poèmes pour Gluck, plus un quatrième (les Danaides)
dont une adaptation française fut mise en musique par Salieri, Calsabigi en consacra
deux autres à Paesiello : Elvira et Elfrida. Mais il n'apparaît pas que cette collabo-
ration-là ait eu, sur la méthole de composition du maestro napolitain, quelques
conseils quele poète aitpului prodiguer encore, l'influence qu'il croit avoir reconnue
sur Gluck. La querelle à laquelle nous deions les explications ci-dessus fut provo-
quée par les incidents des Danaides, que G uck avait dû. mettre en musique, mais à
la composition desquelles il renonça, ayant terminé si carrière. Calsabigi put avoir
de légitimes motifs de plainte à cette occasion; mais il faut reconnaître qu'aupa-
ravant, c'est-à-dire quand ses premiers opéras furent transportés sur la scène
française, Gluck n'avait jamais manqué de proclamer, dans les meilleurs termes,
l'excellence de sa collaboration. « Ce célèbre auteur, ayant conçu un nouveau plan
de drame lyrique, a substitué aux descriptions fleuries, etc. » (Préface d'Alceslé).
« Je me ferais un reproche sensible si je consentais à me laisser attribuer l'inven-
tion du nouveau genre d'opéra italien dont le succès a justifié la tentative : c'est à
M. de Calsabigi qu'en appartient le principal mérite, etc. » .Lettre au Mercure de
France, février 1173). Le collaborateur français de. Gluck, du Roullet, écrit de son
coté : » Avant communiqué ses idées à un homme de beaucoup d'esprit, de talent
et de goût, M. Gluck en a obtenu deux poèmes italiens qu'il a mis en musique. » Et
encore : « Il a trouvé un poète digne de l'entendre et de le seconder, et ils ont
donné VOrphée et YAlccste. » — « On vit arriver un musicien cslèbre en Allemagne,
qui secondé par un poète versé dans l'étude de nos théâtres... s — «Ses opéras
sont les premiers qui aieut été construits sur un plan à la fois musical et drama.
tique, soit qu'il ait lui-même dessiné ce plan, comme ses partisans lui en font hon-
neur, soit qu'il ait suivi celui de Calsabigi dans OrpVe... » Voy. Mémoires pour la ré-
volution du Clievatitr Gluck, etc., pp. 3, 107, 159, 263.
282
LE MÉNESTREL
qu'un commentateur de Métastase vint lui montrer comment il
fallait faire. Il le savait. Il avait lu tous les écrits des- philo-
sophes et des gens de lettres, où était clairement expliqué ce
qu'il sentait obscurément en lui. Il n'avait pas, à lui seul, fait
surgir « l'Idée » ; mais cette idée, elle était dans l'air, et il s'était
dit que, celui qui la porterait clans le domaine des réalisations,
ce serait lui. Isolé, cependant, il n'eût pas suffi à la tâche. Ce
qu'un siècle plus tard, par un effort encore plus puissant, aidé
d'ailleurs par le progrès général, la volonté et le génie d'un
Wagner sauront accomplir — la composition intégrale du drame
musical, musique et poème tout ensemble, — comment lui,
fils d'un pauvre garde-chasse de Bohème, n'ayant pour toute
culture que l'instruction reçue en quelques années de collège,
aurait-il pu y atteindre ? Devenu grand musicien, il ne pouvait
pas être en même temps grand poète. Un collaborateur lui
était donc nécessaire. Et ce dut être avec joie qu'il accueillit la
venue de celui qui allait lui permettre de montrer enfin qu'il
était lui-même, Ranieri de' Calsabigi, lui apportant le poème de
son A zione teatrale, Orfeo ed Euridice.
Admirable sujet ! Le plus merveilleusement approprié pour
inspirer le génie du musicien ! Où trouver un plus rayonnant
symbole du prestige de l'harmonie que ce mythe, à la fois naïf
et profond, qui représente la musique comme investie d'un
pouvoir tellement irrésistible qu'elle commande à la nature
entière? Car non seulement les éléments, les rochers, les bêtes
féroces et les arbres des forêts sont soumis à son empire; mais,
par un stupéfiant prodige, ses accents magiques en arrivent à
vaincre jusqu'à la mort !
On le retrouve à l'origine de toutes les élaborations de mu-
sique dramatique qui ont fait date. UEuridice florentine de 1000
est le premier « drame en musique » des temps modernes. L'6V-
(eo de Monteverde, venu sept ans après, annonce, par le progrès
déjà accompli, quel avenir s'ouvre pour lui. C'est un Orfeo (de
Luigi Rossi) que Mazarin offre aux Français pour leur montrer
ce qu'est l'opéra, né clans son pays. Et c'est enfin par Orfeo
ed Euridice que Gluck affirme la vitalité de cet art, assurée
désormais par lui pour toujours.
Le but des deux collaborateurs avait été d'élaguer toutes les
végétations parasites qui, dans l'opéra selon Métastase, avaient
fini par étouffer toute la vitalité : fleurs d'une rhétorique bril-
lante, substituées, dans la poésie, à l'expression directe et
sincère du sentiment ; et, dans la musique, ornements futiles,
uniquement destinés à la virtuosité. Ce progrès fut accompli du
premier coup, par un commun accord entre Gluck et Calsabigi,
non seulement dans les détails du style, mais jusque dans la
conception fondamentale.
Le drame est, en effet, de la plus rare simplicité.
Au premier acte, Orphée, entouré de ses compagnons et des
compagnes d'Euridice, se lamente avec eux sur la mort de l'épouse
aimée. Resté seul, il s'abandonne à son désespoir. L'Amour lui
annonce qu'il lui sera permis, au prix de l'épreuve que l'on sait,
d'arracher Euridice aux divinités infernales.
Au deuxième acte, il entre au Tartare, dont les habitants
veulent arrêter sa marche. Il les charme par ses harmonieuses
supplications ; il passe.
Maintenant il pénètre aux Champs-Elysées; les ombres heu-
reuses lui rendent Euridice; il s'éloigne avec elle.
Au troisième acte, sur le chemin ténébreux qui va les rame-
ner sur terre, Euridice se désespère de sa feinte indifférence:
il en est truublé au point qu'il oublie son serment. Euridice.
meurt. La douleur d'Orphée s'exhale eu de nouveaux chants.
Mais l'Amour pardonne, et l'allégresse, succédant au deuil,
s'exprime en des chœurs de danse en l'honneur du pouvoir
du dieu.
C'est tout. Pas le moindre épisode incident n'est surajouté à
cette action, dont la volontaire simplification ne se dément pas
un seul instant. L'opéra italien de Calsabigi est plus concis
même que l'adaptation française, laquelle, sans d'ailleurs rien
introduire d'étranger, a laissé prendre à la musique quelques
développements de plus. L'Amour, au premier acte, n'y chante
qu'un seul air, et Orphée, pour tout monologue au moment
de descendre aux Enfers, n'a qu'un simple et bref récitatif
accompagné par les instruments. Le tableau des Enfers n'est
pas terminé par des danses. Dans celui des Champs-Elysées,
l'admirable solo de flûte de la seconde version n'existe pas en-
core, non plus que l'air instrumental qui suit, ni le premier chant
des Ombres heureuses : cet acte en est réduit à la seule intro-
duction en fa majeur, immédiatement suivie du monologue d'Or-
phée, avec sa symphonie descriptive, et des deux reprises du
second chœur des Ombres heureuses séparées par l'épisode
scénique. Le ballet final est moins développé.
Dans ce cadre restreint, Gluck a fait tenir cependant le tableau
le plus vaste, le plus complet, le plus animé, le plus varié de
tons. Par une intuition admirable et un rare effort de génie, il
est parvenu, en plein dix-huitième siècle, à retrouver de véri-
tables pratiques de primitif. S'abreuvant à la source pure d'où
découlent les principes immuables de toute pensée et de tout
sentiment, il y a puisé, et il a infusé à l'art de son temps un
renouveau de vie dont nul ne l'aurait cru encore capable.
(A suivre.) Julien Tiersot.
UNE FAMILLE DE GRANDS LUTHIERS ITALIENS
LES GUARNERIUS
JOSEPH GUARNERIUS DEL GESU
II
L'AHT DE JOSEPH GUAIi.XERIUS DEL GESC
On ne se rend pas toujours compte, en effet, de l'importance du
vernis et du vernissage, et de leur influence sur le travail du luthier.
IL est certain qu'un mauvais instrument ne saurait être amélioré et
transformé par la présence d'un bon vernis, bien étendu; mais il est
certain aussi qu'un instrument bien constru t peut gagner considérable-
ment au point de vue de la sonorité, à l'emploi du vernis, et surtout a
la façon dont il est appliqué. Nul n'ignore que la vibration d'un violon
neuf, non verni, est excessive; il faut donc 1' « habiller », non seule-
ment, pour sa beauté, mais pour sa bonté. Mais que de précautions à
prendre! Que le vernis soit bon. mais que la couche en soit trop épaisse,
la sonorité sera amortie plus que de raison ; s'il estd'une pâte trop dure,
le son deviendra sec et métallique ; que la pâte soit trop tendre, au
contraire, le son sera comme éteint et voilé.
Les anciens luthiers italiens n'avaient pas tous le même vernis, mais
ils avaient tous de bons vernis, et chacun employait le sien à sa
manière, qui n'était pas la même pour tous. Les uns n'en mettaient sur
le bois qu'une couche légère, taudis que d'autres superposaient plu-
sieurs couches. Il y avait aussi la question du séchage, non moins
importante. Stradivarius faisait sécher ses instruments au soleil, affir-
mant que rien n'était tel pour l'excellence du résultat, (r Sans la forte
chaleur du soleil, écrivait-il à un client pour s'excuser d'un retard, le
violon ne peut arriver à la perfection. » Ce séchage, en effet, était tou-
jours long. C'est ce qui fait que certains, pour l'obtenir plus rapide-
ment, eurent L'idée fâcheuse de remplacer le vernis à l'huile par le
vernis à l'alcool. Eu résumé, de toutes les différentes façons de procé-
der quant au vernis et à son emploi dépendait le caractère particulier
de la sonorité, différent chez chaque maitre luthier. Ecoutons ce que
disent à ce sujet MM. Hill :
Beaucoup de connaisseurs savent que le caractère de la sonorité des violons
du maître (Stradivarius) diffère entièrement de celui des instruments de
Joseph Guarnerius del Gesù, son grand rival. Pourquoi? Ce n'est pas la con-
struction seule qui fournira la réponse à cette question, puisqu'il existe des
Guarnerius et des Stradivarius identiques à. ce point de vue: cependant, cha-
cun d'eux garde sa qualité de son, absolument personnelle. Si la construction
est la cause de ce genre de son particulier, comment arrive-t-il que des co-
pies exactes, faites de l'un et de l'autre par un luthier expérimenté tel que
Vuillaume, ne possèdent pas le timbre distinctif de l'original ? Nous croyons
que les gens compétents, ceux qui seront eu position de l'aire des comparai-
sons, ne pourront donner qu'une seule réponse. Gomme vernissage, Stradiva-
rius et Guarnerius n'employaient pas les mêmes procédés. Dans quelques
spécimens, il y avait aussi différence de la nature du vernis, ce qui changeait
le caractère de la sonorité. Un autre exemple nous est fourni par Carlo Ber-
LE MENESTREL
283
gnnzi, élève ou aide de Stradivarius; il travaillait plus ou moins d'après les
principes de construction de son maitre. Son vernis, toutefois, ressemble
beaucoup plus à celui de Guarnerius; conséquemment la sonorité de ses vio-
lons rappelle plutôt celle des instruments de ce dernier. Vuillaume vernissait
tous ses violons de la même manière, que ce fussent des copies d'après Stra-
divarius, Guarnerius ou Amati. Il s'ensuit que le caractère de leur sonorité
n'est guère varié. Examinons encore les violons do J.-B. Guadagnini, et les
plus beaux spécimens entre ceux que produisirent l'un ou l'autre des membres
de la famille Gagliano. Ils sont construits d'après les principes de Stradiva-
rius. Dans une foule de cas les matériaux offrent les mêmes qualités comme
acoustique, et cependant le caractère de la sonorité diffère absolument de
celle d'un instrument du maitre. Et pourquoi? Parce que leur vernis et
leur méthode d'application, dans la plupart des cas, ne se ressemblaient en
rien.
Et ici encore, Joseph Guarnerius affirme son incontestable supério-
rité, ainsi que le constate en ces termes M. Auguste Tolbecque : —
« L'ancienne école italienne, en y comprenant même ses plus médio-
cres disciples, s'est servie de vernis d'une qualité presque toujours
supérieure et d'une nuance séduisante, allant du jaune d'or transparent
des Amati au rouge brun des Montagnana et desBergonzi, en laissant
la suprême maîtrise à Antonius Stradivarius et à Joseph Guarnerius del
Gesù. »
En résumé, si l'on met à part Stradivarius, le maitre des maîtres, on
peut dire de Joseph Guarnerius del Gesù qu'il fut le luthier le plus
original et le plus personnel, en même temps que le plus hardi et le
plus indépendant dans son travail, qu'ait produit l'Italie. Inégal sans
doute, mais jusque dans ses faiblesses révélant son étonnante supé-
riorité et ce que certains n'hésitent pas à appeler son génie, il produit,
dans ses bons moments, de véritables chefs-d'œuvre, dont nul autre,
parmi les meilleurs, n'a jamais approché. Ses beaux instruments, d'une
forme parfaite où l'on reconnaît la main d'un maître artiste, couverts
d'un vernis dont l'éclat resplendit en dépit de la finesse de sa pâte,
donnent une sonorité mâle, chaude et vigoureuse, à laquelle on ne
saurait peut-être adresser parfois qu'une bien légère critique, c'est de
n'avoir pas, sur la quatrième corde, la rondeur onctueuse des Stradi-
varius. Il n'en reste pas moins que tous ceux de la grande épcque sont
inattaquables dans leur perfection, et dignes de l'admiration la plus
complète. Ce qui suffirait, d'ailleurs, à prouver l'indiscutable supério-
rité de Joseph Guarnerius, c'est qu'il fut, avec Nicolas Amati et Stra-
divarius, le seul des grands luthiers qui ait été constamment et opiniâ-
trement imité (1).
Joseph Guarnerius passe pour n'avoir produit absolument que des
violons, à l'exclusion de tout autre instrument. On sait de façon cer-
taine qu'il n'a construit aucun violoncelle, et d'autre part Hart,
MM. Hill et M. Auguste Tolbecque croient pouvoir affirmer qu'on ne
connaît de lui aucun alto. Cependant un auteur italien qui s'est occupé
avec ardeur de ces questions de lutherie, M. Giovanni de Piccolellis,
parlant de Guarnerius dans un écrit intitulé Liutai antichi e modérai
(Florence, Le Monnier. 1883), dit qu'on ne connaît guère delui, comme
étant absolument authentiques, qu'environ cinquante violons et dix
altos. Je ne suis en état de discuter ni l'une ni l'autre affirmation, me
bornant à les faire connaître. Mais j'exprimerai mon étonnement au
sujet du petit nombre de violons que M. de Piccolellis attribue à
Joseph Guarnerius. Il y a là, selon moi, une erreur évidente (t).
Joseph Guarnerius del Gesù fit-il des élèves ? Tous les grands
luthiers en faisaient alors à Crémone, et l'on peut supposer qu'il en fut
de môme en ce qui le concerne ; mais le mystère qui entoure l'exis-
tence énigmatique de cet artiste admirable ne laisse rien savoir de
précis à cet égard non plus qu'à d'autres. On a bien cité les noms de
quelques luthiers venus après lui et qui auraient été ses disciples, tels
que Landolfi, Deconeti, Camilli; mais il semblerait qu'ils ont été les
■1) Peut-être est-ce ici le lieu de faire remarquer que trois rues de la ville de Cré-
mone portent les noms d'Amati, de Stradivarius et de Guarnerius, en dépit du peu
d'enthousiasme que les habitants montrent à ce sujet, ainsi que nous l'apprend
Hart : — « Le signor Sacchi a réussi, à force de patience et de résolution, à persua-
der aux habitants de Crémone d'obtenir la sanction des autorités pour donner les
noms de Stradivari, de Guarneri et d'Amati à trois des rues de la ville. Cette me-
sure, juste rémunération de trois grandes célébrités, est due surtout au feu profes-
st-ur Pielro Fecit, qui a puissamment secondé le signor Sacchi dans ses recherches
sur le passé des luthiers de Crémone. Le baptême des trois rues rencontra à l'époque
une très vive opposition. Les citoyens de Crémone ne sont pas les seuls à montrer
de semblables dispositions. On a remarqué qua les Américains témoignent pour
Stratford-sur-Avon. (patrie de Shakespeare) une plus haute vénération que celle que
lui vouent ses compatriotes ».
(2) Je dois remarquer que J. Gallay, dans son petit livre très informé . les Instru-
ments des Écoles italiennes (Paris, 1872, in-12), cile quatre altos de Guarnerius del
Gesù, en donnant les noms de leurs propriétaires : MM. L. Robert (Paris! de Sarzac
(Paris), de Tharrau (Hombourg) et Dr Wise (Londres). Il semble donc bien qu'il y a
erreur de la part de George Hart et de MM. Hill et Tolbecque.
imitateurs habiles de sa facture plutôt que ses élèves immédiats et directs.
Jules Gallay, dans son petit livre sur les Instruments des écoles rlta-
liennes, croit pouvoir dire qu'un des nôtres, François Lupot, fut élève
de Joseph Guarnerius ; maisGallay ne parall pas ''"•ire rendu compte
des dates. Guarnerius était né en 1(186, et François Lupot en 1736; â
supposer que celui-ci fût entré en apprentissage a quinze ans, c'est-à-
dire en 1751, Guarnerius eût été âgé de soixante-cinq anB. I faii
semble peu probable. D'ailleurs, bien qu'on ne connaisse pas l'époque
«le la mort de Guarnerius, tout en la fixant assez arbi
environs de 174.'i (on connaît de lui un violon daté de cette année ITl.'ii,
il est pourtant à peu près certain qu'il n'existait plus en 17'il el que,
par conséquent. Lupot ne put pas travailler avec lui (1).
En l'ait, il est impossible de savoir. île façon précise, -i le grand
artiste que fut Joseph Guarnerius del Gesù a formé directement des
élèves. Mais ce qui est certain, c'est que plus d'un parmi les luthiers
crômonais, qui vinrent après lui, s'inspira de ses principes et imita sa
manière.
(A suivre.) Virrin n PouGIN.
LITTÉRATURE MUSICALE
i
Œuvres en prose de Richard Wagner, traduites par J.-G. Prod'homuie et F. Holl,
tome second (Paris, Delagrave, in-12). —Lettres intimes d'une musicienne américaine,
par Amy Fay (Music studij in Germamyj, traduites de l'anglais par M- B Sonr-
dillon (Paris, Dujarric, un vol. in-12). — La Main et l'Ame au piano, d'après ScliiN-
macher, par M"" Aline Tasset (Paris, Delagrave, un vol. iu-8").
M. J.-G. Prod'homme, aidé cette fois de M. le Dr F. Holl, nous pré-
sente aujourd'hui le second volume de la traduction des œuvres litté-
raires (Gesammelte schriften) de Richard Wagner, dont le premier avait
paru il y a un an environ. On sait que le recueil complet de l'édition
allemande, qui fut publiée de 1871 à 1883, ne comprend pas moins de
dix forts volumes in-octavo. Si les traducteurs se proposent de nous
offrir successivement le contenu de ces dix volumes, ils ne sont pas au
bout de leurs peines — ni nous non plus.
Car, vous savez, ça n'est pas d'une gaité folle, les écrits de Wagner,
et ça n'a aucune affinité avec le genre de MM. Courteline et Tristan
Bernard. Si vous pouvez lire sans vous décrocher la mâchoire les
soixante et quelques pages du chapitre qui a pour titre « les Nibelungen,
histoire universelle tirée de la légende », dans lequel l'auteur fait une
étonnante olla podrida de l'histoire de France et de l'histoire d'Alle-
magne, des Mérovingiens, du règne de Charlemagne, de la reconstitu-
tion de l'empire romain a son profit, des guelfes et des gibelins, de
l'avènement d'Hugues Capet succédant aux Carlovingiens, en mèli-
mèlant tout ça et en le rapportant au saint Graal et à la légende des
Nibelungen (!!!), je dirai simplement que vous avez de l'estomac et que
la force de résistance à l'ennui est portée chez vous à sa plus haute
puissance. Le diable m'emporte si, pour ma part, il m'a été possible
de comprendre le but que s'est proposé l'autour en écrivant cette dis-
sertation historico-légendaire et par-dessus tout profondément nébu-
leuse. Elle est suivie dans le volume par une autre, moins longue heu-
reusement et plus compréhensible, le Mythe des Nibelungen considéré
comme esquisse d'un drame, où nous trouvons comme une sorte de genèse
de la Tétralogie.
Ce second volume des écrits de "Wagner est d'ailleurs de nature
singulièrement diverse et disparate, et sert à nous prouver surtout que
l'auteur, dans son admiration pour lui-même, tenait absolument à ne
rien laisser perdre des chefs-d'œuvre sortis de sa plume. Il fallait vrai-
ment être pénétre de ce sentiment pour ne pas hésiter à reproduire des
choses aussi insignifiantes que le compte rendu de la translation des
restes mortels de Weber de Londres à Dresde, le discours prononcé
par Wagner à cette occasion, les paroles de la cantate écrite par lui
pour la circonstance et le toast qu'il porta au 300e anniversaire de la
fondation de la chapelle royale de Dresde. Tout cela n'a aucune impor-
tance et n'offre aucune espèce d'intérêt, sous quelque rapport que ce
soit. On en trouvera davantage dans le programme analytique de la
neuvième symphonie de Beethoven, et aussi dans le Ptot d'organisation
d'un théâtre national allemand pour le royaume de Saxe, dans lequel on
peut dire qu'on trouve en germe l'idée du théâtre de Bayreuth. que
Wagner ne devait voir réaliser que vingt-cinq ans plus tard. Ce projet
(1) Fétis s'est encore moins rendu compie des dates lorsque, dans sa brochure
sur Stradivarius, il dit, de son coté, que le même François Lupot fut élève de ce
maitre. Or, on vient de le voir. Lupot naquit en 1730, et Stradivarius mourut en
1737.
284
LE MENESTREL
avait été présenté par lui au ministre Obei-laender en 1848, et disparut
dans la tourmente révolutionnaire de 1849, où l'on vit Wagner prendre
les armes contre le souverain dont il était le maitre de chapelle et fuir
ensuite pour échapper au châtiment d'un révolté. Précisément, le volume
se termine par un morceau de littérature politique qui ne saurait nous
intéresser en aucune façon, un discours prononcé par Wagner à Dresde,
le 15 juin 1848, sur ce sujet : Où en sont les tendances républicaines à
l'égard de la royauté. (On sait assez que le fougueux républicain de 1848
s'adoucit par la suite jusqu'à devenir le servile adulateur de l'infortuné
roi Louis de Bavière. L'homme absurde est celui qui ne change
jamais.)
Je ne sais pas l'intérêt que peuvent inspirer les volumes suivants des
œuvres littéraires de Wagner. Mais s'ils ressemblent tous à celui-ci,
nous avons le temps de bâiller.
Miss Amy Fay, l'auteur des Lettres intimes d'une musicienne américaine.
dont on vient de nous donner une traduction française après leur grand
succès dans son pays et eu Angleterre, était une jeune pianiste venue
en Europe pour y parfaire son éducation musicale. Ses lettres, adressées
d'Allemagne, où elle s'était fixée, à une compatriote, n'étaient point desti-
nées à la publicité. Elles sont donc simples, naïves, sincères, sans aucune
prétention, mais aimables et parfois véritablement curieuses. Écrites dans
le cours de six années, de 1869 a 1875, époque où elle retourna dans son
pays pour y devenir professeur, elle nous fait connaître ce qu'était l'ensei-
gnement musical en Allemagne à cette époque, nous parle des Conserva-
toires et nous familiarise non seulement avec ses maitres, mais avec tous
lesgrands artistes qu'elle eut l'occasion de connaître et d'admirer. Je dis
« ses maitres », car elle en eut successivement plusieurs, et passa de
Tausig à Kullak, de Kullak à Liszt et de Liszt à Deppe, trouvant ingé-
nument toujours que celui qu'elle avait, était meilleur que tous les
autres.
La grande qualité de miss Amy Fay, c'est non seulement la sincérité,
mais l'enthousiasme. Elle a lame d'une artiste, et elle comprend la
poésie de l'art. Au temps où elle commença d'écrire, ses impressions
étaient surtout naïves; puis, peu à peu. sonjugement se forme, son sens
critique s'aiguise, s'épure et se développe. Ce qu'elle nous raconte sur
ses maitres, sur Liszt surtout, est particulièrement intéressant en ce
qui touche non seulement les principes d'enseignement, mais le carac-
tère moral de chacun d'eux. Ce qui est intéressant aussi, ce sont ses
appréciations juvéniles du talent des grands virtuoses qu'elle est à
même d'entendre et d'étudier. Elle fait ainsi passer sous nos yeux, en
notant les réflexions qu'ils lui inspirent, Joachim et sa* femme,
Mme Clara Schumann, sa sœur Marie Wieck, le violoniste Wilhelmy.
Rubinstein, Hans de Bùlow. Mme Sophie Menter, Scharwenka, Mosz-
kowski. etc. Chemin faisant, elle raconte certaines anecdotes, d'une
main légère et toujours aimable. Et puis, l'Américaine en elle ne perd
jamais ses droits. Témoin ce qu'elle nous dit après avoir assisté, à
Berlin, à un concert donné par Wagner :
A la fin du concert, les bouquets étaient si amoncelés sur la scène, auprès
du pupitre du directeur, que Wagner n'avait plus la possibilité de se mouvoir
sans en écraser quelques-uns. En somme, ce concert a été une brillante vic-
toire et un grand triomphe pour ses amis. Il a cependant beaucoup d'ennemis
ici; Joachim en est un ; ce que je trouve inexplicable ; Ehlert est aussi un fort
anti-wagnérien, et tous les juifs le haïssent.
Son caractère en est peut-être la cause. Dans son aspect, "Wagner est la
personnification de l'arrogance et du despotisme. Toute sa vie, il a méprisé
les lois d'honneur, de reconnaissance, de morale. Son exemple est pernicieux
pour les jeunes artistes, et je crois qu'il les déprave ; mais dans ce pays-ci
tout est pardonné à l'audace et au génie, et je dois dire que si l'Allema"ne
peut nous apprendre la Musique, nous pouvons lui enseigner la Morale.
Plus loin, elle parle de Liszt avec un enthousiasme qu'il est d'ailleurs
facile de partager :
Tout jeu semble vide auprès de celui de Liszt, qui est l'incarnation vivante
de la poésie, de la passion, de la grâce, de l'esprit, de la coquetterie, de l'au-
dace, de la tendresse et de tous les attributs fascinateurs que l'on puisse
imaginer. C'est l'être le plus phénoménal, à tout point de vue! Tout ce que
vous avez entendu dire de lui ne peut vous en donner aucune idée; bref, il
représente l'entière série des émotions humaines. C'est un prisme à plusieurs
côtés qui renvoie la lumière sous toutes ses couleurs, peu importo comment
on le regarde. Ses élèves l'adorent, tout le monde en fait autant; il est impos-
sible qu'il en soit autrement avec une personne dont le génie éclate conti-
nuellement et dont le caractère est aussi séduisant.
Plus loin encore, et de nouveau à propos de Liszt, et en établissant
un parallèle entre lui et Joachim :
Liszt donne tant de vie à ce qu'il joue, que je suis toujours étonnée, ravie
de nouveau chaque fois que je l'entends ; je peux à peine croire qu'il soit pos-
sible de jouer ainsi. En plus de son jeu merveilleux, il a dans sa personne
quelque chose d'imposant, tandis que Joachim n'a rien de tel. Liszt possède
un jeu de physionomie, un air d'inspiration remarquables ; Joachim semble,
au contraire, toujours absorbé par la préoccupation de produire des effets ar-
tistiques. Liszt ne regarde jamais son instrument; Joachim regarde toujours
le sien. Liszt est un acteur émérite qui veut captiver le public, il n'oublie
jamais qu'il l'a devant lui et il agit en conséquence ; Joachim en est complè-
tement oublieux...
Joachim est un artiste bourgeois tranquille. Il s'avance avec l'attitude la
moins prétentieuse, il accorde son violon avec l'air calme d'un des maitres du
royaume musical en semblant dire : « Je m'en rapporte à mon art, je n'ai
besoin ni de manières, ni de façons ». J'admire davantage ce dernier prin-
cipe, mais Liszt vous fascine, vous subjugue; on sent tout de suite que c'est
un grand génie auprès duquel on n'est qu'une marionnette, et on trouve en-
core quelque plaisir à cette humiliation.
Pas mal, pour une Américaine !
En résumé, je l'ai dit, ce livre est intéressant, curieux, et d'une lec-
ture tout à fait agréable.
L'excellent pianiste Joseph Schiffmacher, qui obtint jadis de grands
succès à Paris, était né à Eschau, près de Strasbourg, en 1827, et
mourut subitement en 1888 au château de la Salle, près Màcon, dans
une famille amie. Comme pianiste, il reçut des conseils de Rosenhain,
Schulhoff,Gottschalk, Thalberg et Chopin, c'est-à-dire les plus grands,
et le grand peintre Eugène Delacroix, qui avait été l'ami de Chopin, di-
sait un jour après l'avoir entendu : « Il est le seul qui me rappelle
Chopin». Il étudia aussi la théorie avec son compatriote, mon vieux maitre
Reber. Il se distingua comme compositeur aussi, bien que son œuvre
soit peu nombreux. On cite surtout sa belle « Élégie » les Cuirassiers
de Frœschwiller (il était profondément patriote), écrite à la mémoire de
son frère, lieutenant de cuirassiers, mort glorieusement dans la fameuse-
charge restée légendaire.
C'est surtout comme professeur que Schiffmacher se fit un juste-
renom, tant à Strasbourg qu'à Lyon, Genève et Paris, et ce sont les
principes de son enseignement qu'une de ses anciennes élèves, Mulc Aline
Tasset, veut mettre en lumière, pour en faire ressortir la hardiesse et
la nouveauté, dans le petit volume qu'elle intitule la Main et l'Ame au
piano (l'intelligence dans le mécanisme — les qualités du son relevées
par les gestes et les états successifs de la sonorité dans l'étude). Un tel
livre ne s'analyse pas. Il faut le lire, l'étudier, se pénétrerde son esprit
pour recueillir les fruits de l'expérience qui lui a donné naissance.
Schiffmacher disait lui-même :
Il y a le travail de l'intelligence, c'est-à-dire spirituel ; et le travail des mus-
cles, c'est-à-dire matériel ; il faut que les deux marchent de front.
Le travail matériel entretient la force animale; le travail de l'intelligence
entretient et développe la force morale.
La note faite n'importe comment, ou comme tout le monde peut la faire,,
tue; mais l'esprit, qui doit accompagner toute note vraiment bien faite,,
vivifie.
On ne peut que recommander à tous les jeunes pianistes le petit
volume de Mmc Aline Tasset. Je ne dis pas qu'ils n'y trouveront rien à
reprendre ; mais sûrement ils y rencontreront de bons conseils, d'utiles
préceptes, qui les feront réfléchir et dont ils sauront tirer parti.
(A suivre.) Arthur Pougin.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(POL'H LES SEULS AKO-S^KS A LA MUSIQUE)
Que penserez-vous de ce Madrigal archaïque? Il est de Nazare-Aga, plus connu par
ses valses populaires que par ses mélodies. C'est l'habitude de vouloir cantonner
nos musiciens chacun dans un genre qui leur est plus spécial et de ne pas vouloir
leur permettre d'en sortir.
Pourtant ce Madrigal prouve que M. Nazare-Aga sait autant faire chanter la voix.
que tout autre.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Le conflit Weingartner-Hulsen. On nous écrit de Berlin à la date du
31 août : o L'intendant général des spectacles royaux a envoyé le com-
muniqué suivant aux journaux : l'ancien chef d'orchestre de la chapelle
royale et directeur de l'Opéra-Royal, M. Félix Weingartner, ayant versé
LE MÉNESTREL
283
une importante somme d'argent à la caisse des veuves d'artistes de l'or-
chestre (fonds destiné à secourir les veuves et les orphelins des membres décé-
dés de l'orchestre de la chapelle royale), il n'existe plus de conflit entre l'in-
tendant général des spectacles royaux et l'ancien chef d'orchestre. Le différend
avait pris naissance, comme on le sait, parce que M. Weingartner, qui avait
accepté le poste de diracteur de l'Opéra de Vienne en remplacement de
M. Mahler, s'était refusé à diriger les concerts symphoniques de Berlin poul-
ie reste de la saison co'urante. Pour justifier son attitude, M. Weingartner
alléguait que l'intendance générale lui devait encore de l'argent. Il a été con-
sidéré par le conseil des arts (Kun-tbehûrde) comme ayant rompu son contrat.
Dans l'affaire, le Conseil supérieur des associations scéniques s'est déclaré
incompétent, parce qu'il ne doit trancher que les conflits qui interviennent
entre les directeurs de théâtres et les artistes engagés par eux. Le différend
survenu entre l'intendance et M. Weingartner aurait du être tranché par les
tribunaux ordinaires si une transaction n'était intervenue sur les bases men-
tionnées plus haut consistant dans le versement d'une somme importante au
profit de la caisse des veuves et des orphelins. » Gela vaut mieux assurément
qu'une condamnation.
— L'Opéra-Comique de Berlin représentera cet hiver le premier opéra d'un
jeune compositeur autrichien, né de parents hollandais. M. Brand-Buys.
L'œuvre porte pour titre Une Fête de violette.
— Une correspondance de Berlin nous donne les détails suivants sur la
participation, il faudrait presque dire sur la collaboration, de l'empereur
d'Allemagne aux travaux de mise en scène du ballet de Sardanapal dont la
reprise vient d'avoir lieu à l'Opéra-Royal. Après un entretien personnel avec
M. Frédéric Delitzsch, l'assyriologue bien connu, Guillaume If régla lui-même
l'ordre et le plan de la représentation et modifia les projets qui lui avaient été
soumis, voulant que l'on tint plus de compte des éléments fournis par les
dernières découvertes faites pendant les fouilles à Ninive. Ce qui appartient
bien en propre à l'empereur, c'est l'esquisse du char de bataille des Assyriens,
avec son attelage et tous ses accessoires. Des dessins ont été faits de la main
du monarque et il a su lui-même constituer l'ensemble de certaines parties
décoratives et les mettre définitivement en valeur. Il n'a épargné ni les frais
ni la peine pour que la réalisation se rapprochât aussi fidèlement que possible
de l'original qu'il avait conçu. Afin de s'entourer d'ailleurs de toutes les
garanties possibles, il avait rassemblé tous les ouvrages documentaires ayant
paru sur la matière, tant à l'étranger qu'en Allemagne. Il fit commander
aussi en Orient les étoffes de pourpre ornées d'emblèmes assyriens, car les
pays occidentaux ne pouvaient, paraît il, en fabriquer d'assez somptueuses.
Pendant le cours des répétitions, il n'a pas dédaigné de se rendre au théâtre
et l'on a fait plusieurs changements d'après ses indications. Pour la première
représentation, une grande partie de la salle a été retenue afin que les places
puissent être occupées par un grand nombre de savants qui ont reçu des invi-
tations. Un album renfermant une série de photographies de décors, de cos-
tumes et de groupes de personnages a été distribué aux invités. Tout cela est
fort bien, mais il est permis de songer que cette manière d'encourager les
beaux-arts ne profite guère à leur développement. Les parties neuves ajoutées
à un vieux ballet n'en feront pas sans doute un chef-d'œuvre, et le déploie-
ment d'un luxe oriental, fût-il même conforme à la vérité historique, parait
assez intempestif au moment où des tentatives très artistiques sont faites en
Allemagne pour arriver à la simplification de la mise en scène. Les véritables
chefs-d'œuvre, Don Juan, Fide/io, le Freischûts, ne sont pas nés au milieu de
la pompe et de l'ostentation.
— Au sujet du vol de l'acte de naissance de Gœthe dans les archives de
l'état-civil de la ville de Francfort, la note suivante a été publiée : « L'acte de
naissance de Gœthe, conservé dans les registres des naissances de notre ville
a été arraché et dérobé. Des recherches viennent d'être faites dans nos
archives et ont permis de constater qu'un second acte de naissance de Gœthe
se trouve dans un autre registre. Lequel des deux est l'original"? Il e.4 difficile
de se prononcer là-dessus avec certitude. Ni l'un ni l'autre ne porte de signa-
ture. L'exemplaire que nous avons encore entre les mains renferme des sur-
charges, mots rayés ou corrections qui laisseraient croire que celui-là est bien
l'original, tandis que celui qui a été volé paraît être une simple copie mise
au net. » On sait que Gœthe naquit à Francfort le L2S août 1749, au n° 23 de
la rue dite Grosse Hirschgraben. La maison fut complètement restaurée et
l'aspect de sa façade principale modifié en 17bb. Depuis, elle a subi des répa-
rations qui n'ont pas altéré sa forme générale. C'est là que Gœthe écrivit
Werther en six semaines, du Ie1' février 1774 à une date du milieu de mars qui
n'est pas exactement précisée.
— La Société pour la culture esthétique de Francfort annonce, pour le
12 septembre prochain, centième anniversaire de la mort de la mère de Gœlhe,
une fête de nuit dans les jardins dits Palmengarten et la représentation, dans
un décor naturel, de l'intermède intitulé la Fille du Pécheur, avec la musique
originale composée autrefois par Gorona Schroeter. On sait que ce petit
ouvrage, improvisé par Gœthe pour la distraction de la cour du duc de
Weimar, Charles-Auguste, fut joué, pour la première fois, le 22 juillet 1782,
dans le parc de Tiefurt. Une aquarelle du peintre G. -M. Kraus nous a
conservé la disposition du site choisi. On y voit la cantatrice Corona Schroeter
au moment où elle chantait la ballade du Roi d;s aunes écrite pour cet inter-
mède et encore dans toute sa nouveauté. Le Ménestrel a reproduit l'aquarelle
de Kraus et la musique de Corona Schroeter pour le Roi des aunes en juil-
let 190b. La mère de Gœthe aimait le théâtre avec passion et partageait, sur
Shakespeare, l'admiration sans bornes de son fils. Une de ses lettres montre
bien qu'à son époque le niveau intellectuel de la société à Francfort n'était
pas très élevé. Nous en reproduisons ce fragment d'après un livre de M. Paul
Bastier : « L'accueil favorable que l'on lit à Bamlet aurait un peu réhabilité le
public à mes yeux; mais, à y regarder de près, il n'y avait là-dessous quq de i;i
curiosité. En général, sauf de rares exceptions, ils raisonnent cou
mulets. Il y a quelques jours, je rencontrai dans un salon une dame de ce
monde qu'on est convenu d'appeler grand. Elle prononça sur Hamlet le juge-
ment que voici :« Cî n'est qu'une farce!!'. » dépensai tomber en faiblesse.
Un autre prétendait que ce serait bien le diable s'il n'était capable d'écrire
une histoire pareille, si pleine de bêtises. C'était un épais et lourdaud négo-
ciant en vins. Cela donne une idée, n'est ce pas, des calembredaines
siècle de lumière. Et en fait (à part un petit nombre qui sont le sel de ce
monde), tout est, chez ces messieurs et ces dames, si insipide, si mesquin, si
faussé, si ratatiné, qu'ils ne peuvent plus ni mâcher, ni digérer un morceau
de bœuf; il leur faut des purées, des laitages, des glaces, des pastilles; ou bien
d a faisandé pour leur estomac débile. Il est vrai qu'ils se l'abîment encore
davantage, mais on n'y peut rien. » La mère de Gœthe mourut en 1808.
Elle sourit jusqu'à sa dernière heure. Une invitation lui ayant été adressée par
des amis qui ne la savaient pas en danger, elle fit répondre qu'elle « regrettait
beaucoup, mais qu'elle était forcée de mourir dans un instant ».
— Le théâtre de la Cour, à Cassel, vient de donner avec succès la première
représentation d'un opéra en un acte, Cloches de mariage, texte de M. L. Ferro,
musique de M. Emmanuel Moor.
— Le chef d'orchestre Hans Richter, qui passe en ce moment ses vacances à
Weilegg, près de Kleinzell, a raconté au rédacteur d'un journal viennois que
le 25 août 1908 est pour lui un anniversaire d'un genre tout particulier, car
c'est à cette date de mois et de quantième qu'il dirigea pour la première fois
la représentation d'un opéra, il y a juste quarante ans. C'était en 1868 ; Hans
Richter avait obtenu, sur la recommandation de Wagner, la place de chef des
chœurs au théâtre de la Cour. Le 23 août était à la fois le jour de fêle patronal
et l'anniversaire de la naissance du roi de Bavière, Louis II. D y eut à cette
occasion une représentation de gala dont la direction fut confiée à Richter,
alors âgé de vingt-cinq ans. On donnait Guillaume Tell. L'oeuvre de Rossini fut
donc le premier opéra qu'ait dirigé le plus réputé des chefs d'orchestres
wagnériens.
— Quelques minutes avant le dépari du rapide Berlin-Munich, des lettres,
des bijoux et autres objets précieux, appartenant à la cantatrice Thila Plai-
chinger, que l'on attendait au théâtre du Prince-Régent pour chanter la
Walkyrie, ont été dérobés dans un coupé où l'artiste les avait fait déposer
avant d'y prendre place elle-même. Elle dut partir malgré sa contrariété; et,
presque aussitôt arrivée, il fallut bien qu'elle se résignât à prendre part à la
représentation. Très préoccupée, elle eut quelque peine à entrer dans son rôle
aussi complètement qu'elle aimait à le faire, mais le public ne parut point
s'en apercevoir: il prodigua, comme de coutume, ses applaudissements à la
jeune femme et lui réserva même une sorte d'ovation à la fin de la soirée.
Celait une manière, un peu inattendue peut-être, de lui témoigner delà sym-
pathie à l'occasion de sa déconvenue de Berlin. « Elle peut se consoler, disait
un journal, aussi longtemps que le plus beau de ses joyaux lui restera; je veux
parler de sa voix magnifique, particulièrement éclatante dans le registre
élevé; de son être tout entier, si juvénile, si passionné qu'il semble inondé de
soleil. » M""5 Thila Plaichinger est une des très rares cantatrices allemandes
que l'on considère comme capables de soutenir sans défaillance le personnage
d'Isolde,
— Ainsi que nous l'avons dit déjà, la ville de Jesi, où est né Pergolèse,
et. celle de Pouzzolles où il est mort à vingt-six ans, le 16 mars 1736, vont
élever un monument à sa mémoire à l'occasion du deuxième centenaire de sa
naissance, qui tombe en 1910. Nous lisons à ce sujet dans // mondo arlistico :
« Le monument de Giambattista Pergolesi sera érigé sur la place dello statuto,
à Jesi. Le sculpteur Lorenzelti a su former un ensemble harmonieux de la
statue et de son piédestal. Vers le milieu du bloc de marbre est reproduite une
épinette semblable à celle dont le clavier faisait vibrer, sous les doigts de
Pergolesi, les notes du Stabal mater et de la Serva padrona. A l'endroit que
devaient occuper les pédales de l'instrument sort en jet une eau destinée à
être recueillie dans un bassin. C'est le symbole de l'inspiration mélodique du
compositeur dont la source n'est jamais tarie et doit jaillir éternellement. A
droite du piédestal se trouvent deux figures gracieuses représentant a le son »
et « le chant ». Au-dessus, vers la partie gauche du monument, est la statue du
maître dans une pose inspirée. Il écoute attentivement les sons qui lui parvien-
nent, venant d'un groupt placé devant; sa main droite est doucement étendue
comme pour indiquer qu'il tâche de favoriser l'essor de la musique et d'en
diriger l'exécution. Derrière le piédestal, on lit ces paroles pleines de tristesse:
Amore che piange sulla donna amata (Amour qui pleure sur la femme aimée).
Le sculpteur fait ici allusion à la passion de Pergolesi pour Donna Maria
Spinelli telle que nous 1 a conservée la légende. Tout presseront gravés les titres
des opéras qui causèrent au maître tant d'amertume. Du lierre et des ronces
semblent vouloir masquer ces inscriptions, tandis que des motifs musicaux,
entourés de branches de laurier se dégagent tout auprès. Le monument aura
cinq mètres de hauteur, autant de largeur et se détachera sur un fond de ver-
dure. L'inauguration aura lieu le 23 Septembre 1910. »
LE MENESTREL
— Une société nouvelle va entreprendre l'exploitation du théâtre de la Per-
gola, à Florence. Les bâtiments ont été déjà pxaminés dans le but de déter-
miner quelles réparations peuvent être nécessaires pour permettre d'y donner
d'une façon permanente des représentations. Une petite salle va être aménagée
spécialement pour que l'on puisse y donner des concerts d'un genre popu-
laire.
— Le compositeur Lozzi, auteur des opéras Emma Liona et Mirandolina,
vient de terminer un drame lyrique intitulé Bianca Cappella. Le livret est de
M. Ugo Fleres ; il retrace les aventures de la belle Vénitienne qui devint la
maîtresse, puis la femme de François de Médicis, grand-duc de Toscane. Elle
mourut en 1587. empoisonnée peut-être. Le même sujet a été traité par Hector
Salomon en un opéra qui fut représenté pendant le mois de février 1886 au
Théâtre-Royal d'Anvers.
— Parmi les livrets d'opéras, au nombre déplus d'une centaine, que le poète
italien Félix Romani a donnés au théâtre, il n'en est guère de plus charmant
que VElisir d'amore. Le sujet est le même que celui de l'opéra d'Auber, le
Philtre, joué à Paris en 1831. L'histoire du petit chef-d'œuvre de Donizetti est
intéressante. L'imprésario du vieux théâtre de la Canobbiana, à Milan, s'était
engagé à donner à son public un opéra nouveau à une date fixée, mais, pré-
voyant des frais et craignant de courir des risques, il manœuvrait de façon à
pouvoir esquiver sa promesse. Il ne restait plus que quinze jours avant l'époque
convenue. L'imprésario, voulant mettre les apparences de son coté, alla trouver
Donizetti. « Cher maitre, lui dit-il, j'ai besoin d'un opéra nouveau dans
quinze jours, consentiriez-vous à l'écrire ? » Il s'attendait à un refus et
comptait bien s'excuser auprès de qui de droit, en alléguant l'impossibilité de
trouver un compositeur. Mais Donizetti, piqué dans son orgueil, accepta
l'offre qui lui était faite. Pourtant, il n'était pas suffisant d'avoir du courage
et une rare facilité d'invention ; encore fallait-il se procurer un libretto. Félix
Romani se trouvait alors précisément à Milan ; il venait d'avoir des démêlés
avec Bellini, à cause de l'insuccès de Béatrice ai Tenda que l'on s'accordait â
lui attribuer. Donizetti le mit au courant de l'affaire et conclut ainsi : « Si,
en quinze jours, je dois écrire une partition, il est logique tout au moins que
toi tu me fournisses un libretto dans l'espace d'une semaine. » Romani, doué
d'un talent d'assimilation prodigieux, s'exécuta; sa besognp fut faite et bien
faite. Donizetti ne se mit pas en retard non plus. Il eut même soin, pendant
que son collaborateur alignait ses vers, de surexciter sa verve par des saillies
comme celle-ci : « Rends-toi bien compte, mon ami, que nous avons une
prima donna du pays des Germains, un ténor qui bégaye, un chanteur bouffe
qui a la voix d'une chèvre et une basse française qui ne vaut guère mieux que
ses partenaires ; pourtant il faut que nous sortions de là couverts de lauriers ».
Us en sortirent triomphants; compositeur et librettiste obtinrent le plus grand
succès le jour de la première, et beaucoup pensent en effet que l'ouvrage
né en de si singulières circonstances est le plus gai, le plus délicat, le plus
ingénu et le plus original des opéras bouffes qu'ait produits l'Italie, exception
faite cependant pour le Barbier de Séville.
— La censure de Londres, toujours empressée à défendre contre toute
atteinte la moralilé publique ou ce qu'elle juge tel, vient de s'illustrer par une
prouesse à laquelle il serait regrettable de ne pas accorder la publicité qu'elle
mérite. Il y a un an, M. W.-L. Gourtenay fut chargé par un directeur de
théâtre de traduire et de disposer pour la scène anglaise l'Œdipe de Sophocle.
Il semble s'être rendu compte dès l'abord qu'il aurait à supporter les pires
ennuis à propos de son travail, car, en envoyant son manuscrit à la censure,
il fit remarquer que le personnage de Jocaste, pouvant ne pas être bien com-
pris des spectateurs modernes et choquer leurs habitudes, il l'avait relégué au
dernier plan; qu'il avait fait aussi d'autres changements pour mettre les
scènes de la tragédie antique à l'unisson avec les mœurs théâtrales d'à pré-
sent. En fait, ces précautions ne servirent à rien. De quelle manière M. Gour-
tenay a-t-il péché contre les convenances dans son adaptation de l'œuvre de
Sophocle; nous l'ignorons. Nous savons seulement que tous les changements,
toutes les atténuations qu'il a fait subir à l'original classique n'ont pas suffi
pour obtenir l'assentiment des sévères censeurs ; ils ont refusé d'autoriser la
représentation d'OEdipe. On se demande comment la moralité publique peut
avoir besoin en Angleterre d'une sauvegarde qui se manifeste par de telles
interdictions.
— Miss Charlotte Lund, une jeune américaine qui vient d'étudier le chant
pendant trois années à Paris, et qui a été engagée pour l'hiver prochain à
Milan comme cantatrice d'opéra, s'est fait entendre récemment à Montclair
(New-Jersey) où le public s'est montré ravi de la fraîcheur de sa voix. Elle a
chanté la scène si pathétique du Cid de Massenet, Pleures mes yeux, des mélo-
dies de Tosti, Campbell, Bemberg et J'ai pleuré en rêve, de Georges Hue.
— L'explorateur Sven Hedin vient d'envoyer au Monthly magazine de Londres
le récit de ses aventures et de ses impressions au Thibet. Nous résumons ici
ce qui, dans son article, a rapport à la musique. M. Sven Hedin dit que la
musique religieuse a été, dans ce pays, l'une de ses plus grandes jouissances.
Il décrit à peu près ainsi celle qui accompagne les cérémonies du culte. « La
voix est toujours employée dans son registre moyen. Les chants résonnent
avec une fraîcheur juvénile, mais à travers des draperies blanches, épaisses
et compacles, qui leur enlèvent toute àpreté et les dégagent de tout ce qui pour-
rait paraître une recherche de l'effet. Ils se déploient en larges ondes sonores
à travers les galeries voûtées des temples aux vastes proportions, formant un
chœur saisissant qui fait entendre des hymnes de paix, d'amour et de céleste
espoir. Par intervalles s'y mêlent des sons graves d'instruments à vent qui
rappellent les bassons, puis les battements rythmiques des cymbales, pendant que
les flûtes, dominant ces harmonieux ensembles, dégagent, au-dessus, des mélo-
dies claires et cristallines. Entre temps les tambours, placés dans des replis
des murs ou sur des terrasses, scandent au milieu de tout cela leurs battements
sonores et menaçants. Mais, à la fin, la voix humaine s'élève victorieuse au-
dessus de ce chaos, formant de larges traînées d'accords. Il semble que cette
voix nous emporte bien loin des peines et des souffrances de la terre ».
— Une école pour artistes dramatiques, la première de ce genre qui aura
été établie au Japon, a dû s'ouvrir le 1" septembre dernier à Tokio, sous la
direction de l'actrice japonaise bien connue en Europe. Sada Yakko. La nou-
velle société impériale du théâtre, qui fait construire en ce moment dans la
même ville la première salle de spectacle aménagée selon les exigences moder-
nes, fournira un subside permanent à l'école. Tous les genres en usage dans
l'art théâtral japonais et européen seront l'objet de l'enseignement.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
A l'Opéra :
On a commencé lundi, sous la direction de M. André Messager, les études
d'orchestre du Crépuscule des Dieux dont on espère donner la répétition géné-
rale le dimanche 11 et la première le mercredi 14 octobre. Malgré ses propor-
tions anormales, l'œuvre de Wagner sera jouée dans son intégrité et, pour les
trois premières représentations, tout au moins, on commencera à 6 heures
exactement. Un entr'acte d'une heure permettra d'aller dîner au cours de la
représentation. Voilà qui va considérablement contrarier les habitudes
parisiennes; mais du moment qu'il s'agit de Wagner, nos beaux snobs consen-
tiraient même à ne point dîner du tout.
Semaine de rentrées : lundi ce fut MlleHatto qui réapparaissait dans Faust,
mercredi M. Alvarez et M. Noté qui reprenaient contact avec le public dans
Aida et hier, vendredi, Mlle Mary Garden a commencé, dans Roméo et Juliette,
la série de représentations qu'elle va donner avant son départ pour l'Amérique.
Le lundi 11 septembre, ce sera le tour de M. Renaud qui, également avant
de s'embarquer pour l'accapareur Nouveau-Monde, incarnera l'Hamlet
d'Ambroise Thomas ; Ophélie, ce sera l'exquise M110 Mary Garden. Mlle Paquot
d'Assy chantera la Reine et M. Pierre d'Assy, le Roi.
M. Muratore ne fera sa rentrée que le Ie1' octobre.
— A l'Opéra-Comique ;
A l'heure dite, ouverture des portes et, comme toujours, foule à tous les
spectacles avec des recettes superbes.
Mercredi, c'est M. Gino Marinuzzi, de Turin, qui a conduit ht représentation
de la Vie de Bohème. Il n'est pas besoin de dire que le maestro étranger a su
donner à l'œuvre de M. Puccini toute sa couleur locale, c'est-à-dire italienne.
M1,e Nelly Martyl, transfuge de l'Opéra, fera ses débuts, vers la lin de ce mois,
dans Rozenndu Roi d'Ys.
L'ouvrage de Lalo servira probablement aussi de début à Mlle Raveau. La
lauréate sensationnelle des derniers concours du Conservatoire paraîtra très
probablement ensuite dans Divonne de Sapho, lors de la très prochaine reprise
de l'œuvre de Massenet que M. Carré est en train de préparer.
Réengagement, pour une nouvelle saison, de M"e Rachel Launay, et enga-
gement nouveau de MIle Berthe Mendès, qui quitte l'Opéra où elle créa récem-
ment Eunoé dans Ariane, pour la salle Favart où elle chanta déjà en représen-
tation Lahmè.
Aujourd'hui samedi, Manon; demain dimanche, en mâtinés, Aphrodite; en
soirée, Carmen (débuts de Mlle Bailac). Lundi, représentation populaire (avec
location): Mignon.
— C'est le mardi 15 septembre que le Théàtre-Lyrique-Municipal de la
Gaité fera sa réouverture avec Paul et Virginie, de Victor Massé; succéderont
immédiatement Jean de Nivelle, de Léo Delibes, et la Bohème, de M. Leoncavallo.
On sait que M. Albert Carré a signé avec les frères Isola un traité par lequel
il leur doit douze représentations par mois, dont deux en matinée ; parmi les
ouvrages qui alimenteront ces représentations, le directeur de l'Opéra-Comique
compte dès à présent jouer, au square des Arts et Métiers, la Navurraise et
Cendrillon, de Massenet, Philémon et Baucis, de Gounod, et ta Dame Blanche, de
Boieldieu ; de leur coté, MM. Isola comptent, rien qu'au cours de cette première
session 1S08-1909, inscrire au répertoire de leur théâtre une vingtaine d'opéras
tant anciens qu'inédits.
— A l'occasion des fêtes du Couronnement de la Muse de Gustave Charpentier
a Riom, M. Dujardin-Beaumetz a décerné les distinctions suivantes :
Officiers de l'instruction publique ; Mlle Marié de Lisle, de l'Opéra-Comique,
M. Francis Gasadesus, professeur au Conservatoire populaire de Mimi-
Pinson.
Officiers d'académie : Mlle Berthe Keller, de l'Opéra ; M. Sibard, maitre de
ballet au Théàtre-Lyrique-Municipal.
— Très brillante réouverture du Nouveau-Cirque de la rue Saint-Honoré,
remis à neuf et étincelant d'innombrables fleurs lumineuses. Programme
copieux et programme tout à fait « cirque », avec des numéros de tout premier
ordre comme le trio Mascotte, trois dames fort expertes aux exercices d'an-
neaux, le clown Averinotout à fait désopilant dans sa pantomime de corrida
comique, les Dayton's dans leurs jeux icariens, Léonce et Liliane dans le
travail extrêmement dangereux de l'échelle périlleuse, et Chatram. jongleur de
massues et joueur de cerceaux très curieux.
LE MÉNESTREL
287
— Une improvisation de Bubinslcin a été racontée en ces termes par
M. Cari Goldmark clans la revue Die Musik : « Il y a bien longtemps que je
l'ai vu pour la première fois et je l'ai revu depuis toutes les fois qu'il est venu
à Vienne, ce qui lui arrivait fréquemment. Pendant l'été de 1860, il avait
loué à proximité de cette ville, dans le village de Neu-Waldegg, une maison
de campagne dans laquelle il travaillait assidûment à son opéra les Enfant*
des Landes (joué à Vienne le 20 février 1861, texte de Julius Mosenthal). Un
jour, je lui amenai deux de mes amis, un violoniste et un. violoncelliste, pour
jouer mon nouveau trio en Si bémol majeur. Rubinstein exécuta la partie de
piano et ne manifesta son sentiment que par ces mots : « Jouez assidûment
Mozart! » Après le déjeuner qui fut modeste, car c'est la femme du jardinier
qui nous l'avait préparé, nous primes une tasse de café dans le jardin. La
conversation tomba entre autres choses sur les symphonies de Beethoven et
sur le caractère humoristique de la huitième que l'on rencontre si rarement
dans les autres. Tout à coup nous entendîmes un orgue de barbarie dans le
jardin d'à coté ; il jouait précisément le motif du dernier morceau de cette
Symphonie, mais dans une mesure à trois-quatre, en mouvement de valse.
Cette coïncidence était singulière ; elle nous égaya beaucoup. A la tombée du
jour, nous rentrâmes dans le salon où se trouvait le piano. Rubinstein s'assit
devant le clavier et se mita improviser d'abord au hasard de sa fantaisie, puis,
attaquant le motif de valse que l'orgue de barbarie nous avait fait entendre
avec tant d'à-propos, il en tira les variations les plus diverses de rythme et de
coloris, en contrepointa la basse, le traita en canon, en fugue à quatre parties,
et, revenant ensuite à des formes plus simples, en fit un lied populaire, une
mélodie dans le style de celles de Beethoven et une valse viennoise avec des
harmonies appropriées. Il termina par les traits les plus brillants, maintenant
toujours le thème principal en relief, pendant qu'une avalanche de notes
s'abattait sur lui comme une rafale d'orage. C'était superbe ! Je n'avais jamais
eu l'idée d'une pareille improvisation ; c'est un art qui, malheureusement, est
aujourd'hui entièrement perdu. Et, comme c'était joué ! Qui n'a pas entendu
la sonate en ré mineur de Beethoven ou bien l'émouvante « Plainte d'Orphée »
^deuxième morceau) du concerto en sol majeur do ce maître, joué; par Ru-
binstein, ignore encore ce que c'est que le jeu du piano. Le souvenir qu'a
laissé Rubinstein dans ces morceaux survit dans le coeur de milliers d'audi-
teurs. Hélas ! Si longtemps que nous puissions en garder la mémoire, il fau-
dra bien qu'un jour toute trace en soit effacée. »M. Cari Goldmark est âgé de
78 ans, mais il a conservé toute sa fraîcheur d'esprit. Son dernier opéra, le
Conte d'hiver, a été joué à Vienne le 2 janvier dernier et il ne renonce pas à en
composer d'autres.
— Le Popolo Romano a consacré quelques lignes à une statistique intéres-
sante sur la modicité des sommes que quelques grands chefs-d'œuvre de la
musique ont rapportées aux compositeurs qui les avaient écrits. Nous emprun-
tons à ce journal les indications ci-après : « Mozart fut, et resta, malgré les
(36 morceaux qu'il avait composés, jusqu'à la fin de sa vie pauvre et nécessi-
teux ; Don Juan lui a été payé 500 thalers, les Xoces de Figaro 100 ducats. Schubert
manqua souvent des choses les plus nécessaires, et il est bien connu que les plus
célèbres de seslieder furent abandonnés aux éditeurs en manuscrit moyennant
quelques kreutzers. Beethoven a vécu des années dans des conditions si précaires
que ses amis durent lui assurer une pension de 4.000 florins. Pour sa partition
du Freischiit:, Weber reçut de l'intendance des théâtres de la Cour à Berlin
seulement S0 frédérics d'or, su)1 lesquels il dut prélever une part destinée à
indemniser son librettiste. Lorsque l'ouvrage ayant réussi au delà de toute
attente, l'administration du théâtre eut encaissé, grâce à ce succès, plus de
30.000 thalers. le comte Bruhl crut être généreux en envoyant à Weber un
cadeau de 100 thalers. Le maître se contenta de retourner la somme, montrant
ainsi son dédain pour un procédé aussi pitoyablement mesquin. Des années
de soucis pour l'existence hâtèrent la fin de Lorlzing, un des plus sympathi-
ques compositeurs de l'Allemagne, et l'on sait combien Waguer fut pauvre
avant que la faveur de Louis II ne l'eût tiré de ses embarras. Par contre,
Meyerbeer, Mendelssohn et Liszt reçurent de brillants honoraires. Brahms en
particulier vendit cher ses ouvrages. Sa troisième symphonie lui fut payée
SO.000 francs. »
— La comédienne Hélène Odilon, dont la réputation fut très grande il y a
quelques années, et qui a dû entrer en 1994 dans une maison de convalescence
à cause da sa santé gravement compromise, va publier ses mémoires sous ce
litres : Photographies sans retouches. On dit que l'ouvrage paraîtra d ici quelques
semaines.
— De Béziers: Bien que contrariée par le temps incertain, la première repré-
sentation du Premier Glaive a eu lieu dans les arènes de Béziers. devant près
de dix mille spectateurs au milieu d'un véritable enthousiasme. Les auteurs.
MM. Xépoty et Rabaud ont été acclamés.
— A Pornichet, à l'occasion du 15 août, superbe exécution de la messe de
M. Ad. Deslandres pour chœurs et orchestre.
— Dimanche dernier, inauguration du grand-orgue construit par la maison
Mutin-Cavaillé-Coll à Gebwiller, dans l'église Notre-Dame. C'est le premier
orgue commandé, depuis 1870, par l'Alsace à l'industrie française : l'instru-
ment comprend cinquante registres répartis sur trois claviers manuels e' un
pédalier de trente-deux notes, d'ut à sol : la perfection de son mécanisme et la
belle qualité de ses timbres, leur délicatesse et leur puissance, ont conquis
tous les suffrages. A cette séance d'inauguration se tirent entendre l'organiste
titulaire, M. Huber, tout d'abord, puis MM. Ilarn de Baie, Erb el Mal
Strasbourg, et enfin Ch. -M. Widor. Le lendemain, Bel e réservée au grand
organiste français dont le programme avait attiré les dilettantes de tous les
pays voisins en deçà et au delà du Rhin : Fantaisie en ui majeur 'Bach),
5" Symphonie (Widor), Concerto en lu mineur (Bach). L'orgue le Notre-Dame
de Gebwiller a été reconnu pour le plus bel instrument d'Alsace: c'est une
victoire pour l'art français.
NÉCROLOGIE
La semaine dernière est mort à la maison Dubois, on il était en traitement
à la suite d'une longue et cruelle maladie, M. CampocaSBO, qui fui
J893, directeur-associé de l'Opéra avec Bertrand. De son vrai nom Deloncle,
Campocasso, qui avait dirigé avec bonheur les grandes scènes de province,
Lyon. Marseille. Bruxelles, Bordeaux, Anvers, Rouen et autres, a eu l'honneur,
pendant son très court passage à la direction de l'Opéra, de faire mettre au
répertoire Salammbô ot Sarnson et Dalila, dédaignés pars'-s prédécesseurs. C'est
lui aussi qui découvrit M. Alvarez et le fit venir à Paris. Il disparait âgé de
soixante-dix ans.
— M"'' Louise Soubrié, qui appartint au corps de ballet de l'Opéra qu'elle
avait dû quitter, il y a quelques aulnes, pour raisons de santé, vient d'être
victime d'un accident de montagne à Chamonix. Ayant voulu traverser sans
guide « ie mauvais pas», M11" Soubrié fit une chute si malheureuse qu'elle alla
se fracturer la colonne vertébrale à quarante-cinq mètres de profondeur. Elle
a été tuée sur le coup.
— On annonce, cette semaine, la mort de M""' Emile Bertin, veuve de l'an-
cien ténor, régisseur général de l'Opéra-Comique et professeur au Conservatoire.
M""' Berlin avait été elle-même artiste. Elle joua quelque temps l'opérette
aux Bouffes-Parisiens et quitta le théâtre lorsqu'elle se maria. Elle était la
petite-nièce de Mme Damoreau-Cinti, qui créa le Domino Noir, et qui lui donna
ses premières leçons de chant.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Vient de paraître, chez Joubert, la partition du Lac des Aulnes, ballet de M. Henri
Maréchal, représenté à l'Opéra.
Une Société symphonique d'amateurs, existant depuis 1878, demande un chef a" or-
chestre non rétribué.
S'adresser à M. Prelier. 128, avenue du Maine.
CQTXIfclilER. r>E i*a. PRESSE
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-J.. Vivons Mignarde! (4 voix, S., C, T. et B.,i . . .
S. Pleurez avec moi! 1 voix. S.. C, T. et B.) . . . .
4. En vous disant adieu (4 voix, S.. C, T. et B.i . .
3. Comment se peut-il faire? (3 voix, S., C. et T ) .
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II . La Chanson des Regrets 3 . »
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N°s 1 . Elle l'enchaîna net 1 SO
2. Les sept filles d'Orlamonde net- 1 50
3. Quand l'amant sortit : net 1 »
4. Les Bandeaux d'or net 1 SO
5. J'ai marché trente ans net 2 s
6. Cantique de la Vierge net 1 »
7. La Forêt, la Mer, la Ville net 2 »
S. Elle avait trois couronnes net i »
9. Chanson de Mélisande.
10. Et s'il revenait un jour.
LE RECUEIL in-4° cavalier net § »
(Les n" 9 et 10 figurent dans le recueil avec l'autorisation gracieuse des éditeurs Enoch
et Hachette, chez lesquels on les trouve publiés séparément)
En vente AU MÉNESTREL, 2 bis, rue Vivienne, HEUGEL ET O
- PROPRIÉTÉ POUR TOUS PAYS —
éditeurs
LOUIS VARNEY
LE PAPA DE FRANCINE
Opérette en 4 actes et 7 tableaux de MM. V. de COTTENS et P. GAVAULT
Partition piano et chant, prix net 12 francs. — Édition allemande [Lola's Cousin), partition piano et chant, prix net 12 francs
I. Couplets de la Bacchante 3
Les mêmes, chant seul 1
II. Chanson du petit Jockey. 3
La même, chant seul 1
IV. La Chanteuse à cheval 3
V. Chanson du Punch 3
La même, chant seul 1
VI. Chanson de la rosière 3
La même, chant seul 1
VIII. Boléro à 2 voix 6
Le même, à 1 voix 3
VII. Terzetto des Cambrioleurs S
Le même, à 1 voix 3
Le même, à 1 voix, chant seul .... 1
50 — G. Bull. Silhouettes n° 42, piano. .
Célèbre VALSE DES CAMBRIOLEURS, piano ..... C
Transcription facile à 4 mains par A. Trojelli (Miniatures n° 25) : net. I 50
E. VÂsséub. Quadrille, piano. 5 »; orchestre, net. 1 23. — E. Vasseur. Le Petit Jockey, polka, piano. 5
J.-A. AnschOtz. Bouquet de mélodies, piano.
Le même, à 1 voix, chant seul . . .
X. Romance : Tai cru longtemps ne jamais.
— Trojelli. Miniatures n° 150. piano.
— Orchestre, net. .... 2 »
orchestre, net. 1 50
LES PETITES BARNETT
Comédie-opérette en 3 actes, de M. P. Gavaui.t.
Partition piano et chant, prix net 12
Prix
I. Couplets de Robert .... 3 »
Les mêmes, chant seul . 1 »
IL Couplets de Suzannah. .
Les mêmes, chant seul
J.-A. AnschOtz. Célèbre valse, piano. C
Orchestre complet, net
III. 2e3 Couplets de Suzannah. 3
Les mêmes, chant seul ... 1
IV. Duetto-Valse. ... . . .5
Le même, à 1 voix 3
Le même, à 1 voix, chant seul 1
LE FIANCÉ DE THYLDA
Opérette-bouffe en 3 actes et 0 tableaux, de MM. V. de Cottens et R. Charvay
Partition piano et chant, prix net. . . 12 »
Prix
I. Rondeau de la voyageuse, i
II. Romance : Vous me dnez. 3
III. Couplets de la lettre ... 3
IV. Duetto des p'tits vieux très
chics 6
V. Terzetto du Rire et des
Larmes 6
VI. Sérénade : Elle e>t ici. . 'i
VIL Chanson du petit pain. . 4
VIII. Cake-Walk, dansé et
chanté 5
Célèbre Cake-walk-polka, par Letorey, piano. 5 ». Orchestre, complet, net. 150
J.-A. AxscnûTz. Valse du rire et 1 J.-A. Anschutz. Polka des p'tits
des larmes, piano fi » vieux très chics, piano. . . 5 »
La même, orch. complet, net. 2 » | La même, orch. complet, net. 1 50
LES DEMOISELLES DES SAINT-CYRIENS
Opérette en 3 actes et 5 tableaux, de MM. P. Gavault et V. de Cottexs. — Partition piano et chant, prix net
I. Couplets de l'Incomprise 3 »
IL L'Élève de Saint-Cyr. 4 »
III. Le Roman-Feuilleton 4 »
Le même, chant seul 1 »
IV. Chanson-duetto des Jardiniers 3 »
La même, chant seul 1 »
V. Chanson du Métropolitain 4 »
La même, chant seul. 1 »
L. Varnev. Valse du noble étranger, piano. 6
VI. Couplets de l'Indicateur 3
Les mêmes, chant seul 1
VIL Valse du Noble Etranger 4
La même, chant seul. ....... 1
VIII. Strinberg, Ibsen, Maeterlinck, couplets. '4
Les mêmes, chant seul. ..... 1
>. Orchestre, net. 2
IX. La Bruno et la Blonde, duetto ...... 4 »
X. Rondeau à 2 voix 3 »
XI. La petite Malille, chanson belge . ... 3 »
La même, chant seul 1 »
XII. Le premier bataillon de France .... 3 »
Le même, chant seul . 1 »
E. Vasseur. Gott et Gott, polka belge, piano. 0 ». Orchestre, net. 1 50
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Samedi 12 Sqilembie 1908.
(Les Bureaux, 2b", me Vi vienne, Paris, »kn>)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, p>WieVou.non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
lie flumépo : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
lie Numéro : 0 fr. 30
Adresser franco à M. Henri IIEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 6ts, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bous-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique «le Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste ea sus.
SOMMAIRE- TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (35° article), Julien Tiersot. — II. Petites notes sans portée : La musique de îa lumière (suite et fia', Raymond Bouter. — III. Littérature musicale
(2e et dernier article), Arthur Pougin. — IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
CHARME D'AUTOMNE
valse lente, de Y.-K. Nazibe-Aga. — Suivra immédiatement : Roses de France,
gavotte, de Roiiert Vollstedt.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à a musique de cha.nt :
FEUILLES MORTES
mélodie de Raoul Pugno. — Suivra immédiatement : Nuaijes dans l'eau, mé-
lodie, de Ctadmll Fabre.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
CHAPITRE VU : L'éclosion du génie : Orfeo ed Euridice
Les moyens mis en œuvre dans Orfeo ne sont plus, en effet,
ceux de l'opéra vulgaire. Tout ce qui est factice en est écarté.
La virtuosité est bannie : la musique n'est plus faite pour
l'acteur; celui-ci ne chante que lorsqu'il a à exprimer un
sentiment
vraiment ly-
rique.
Par contre,
le chœur, —
le chœur an-
tique — si
complètement
étranger, de-
puis un siècle
et plus, à
l'opéra ita-
lien, prend à
l'action une
part prépon-
dérante. Ses
plaintes au-
tour du tom-
beau, dans le
bois sacré,
entrecoupées
par les cris
de désespoir
redoublés par
Orphée : « Euridice! Euridice! » ont un accent funèbre et pro-
fond que l'on n'avait encore entendu qu'à l'église. Encore l'ex-
pression y a-t-elle quelque chose de nouveau : elle est plus
humaine. Il y a une douceur mélancolique, un sentiment
triste et en même temps un charme pénétrant dans ce chant
Scène des Enfers, 2" acte d'Orphce, au Théâtre Lyrique ,18
qui s'élève à la fin de l'harmonieux développement, sur ces
vers heureusement appropriés :
Come quando la compagna
Tortorella amorosa perde...
Par deux
fois les instru-
ments répon-
dent à la dé-
ploration des
voix, modu-
lant après
elleslesmots:
Tortorella...
amorosa. . . ,
comme si le
« poète de
sons » eut
voulu, au
cours de cette
plainte amou-
reuse, évo-
quer la pen-
sée du tendre
roucoulement
de l'oiseau
cher à Vénus.
Le chœur
des esprits in-
fernaux, où les voix, après leur puissante attaque à l'unisson et
en octaves, se mêlent à l'orchestre en des accords fortement
accentués, est sans doute le chœur d'action le plus plein de vie
qui eût été composé jusqu'alors. Son dialogue avec Orphée, ses
répliques véhémentes, ses « Non ! » formidables, et ses derniers
290
LE MÉNESTREL
accents qui s'infléchissent et. cèdent harmonieusement devant le
triomphe de l'harmonie, tout cela fait de lui un personnage
collectif qui vit et qui vibre. La beauté musicale en est particu-
lière. Sa ligne fermement dessinée, son rythme ternaire, où
les longues et les brèves s'entremêlent à intervalles réguliers,
comme en des vers antiques, ont quelque analogie avec un
autre chant d'opéra italien, d'une époque antérieure : c'est
dans Giasone, de Cavalli, une incantation de Médée appelant,
elle aussi, les esprits infernaux. A la vérité, la ressemblance
qu'on a cru voir provient un peu de la transcription moderne,
qui semble avoir été faite en songeant autant à Gluck qu'à
Cavalli. Néanmoins le rapprochement est légitime : il y a un
air de famille entre les deux chants, celui du maître allemand
et celui du Vénitien ; et ce ne peut être qu'à l'honneur de
Gluck, qui. dans ce temps de décadence du style, savait ainsi
en revenir aux modèles de la grande école oubliée. — A la fin de
la scène, le mouvement contraire des parties offre une sugges-
tion en rapports merveilleux avec l'agitation de la scène : cer-
taines voix montent peu à peu, franchissant l'intervalle d'une
octave, lentement, par de très petits intervalles, tandis que
d'autres descendent d'autant : elles se croisent au passage, puis
s'éteignent; et il semble ainsi qu'on aperçoive la marche des
personnages eux-mêmes, se glissant avec précaution au dehors,
et, par cette retraite aux façons discrètes, laissant la place libre
au vainqueur.
C'est encore un chœur, celui des Ombres heureuses, qui
ramène à Orphée l'épouse silencieuse; et avec quelle suavité,
quelle harmonie divine il chante ! Jean -Jacques Rousseau en a
dignement loué l'accent : « Je ne connais, a-t-il dit, rien de
plus parfait que l'ensemble des Champs-Elysées : partout on y
voit la jouissance d'un bonheur pur et calme, avec un tel
caractère d'égalité qu'il n'y a pas un trait qui passe en rien la
juste mesure (1). » Et Berlioz a parlé maintes fois avec admira-
tion de « ce chœur des Ombres heureuses dont les paroles
italiennes augmentent le charme mélodieux :
Torna, o bella, al tuo consorte.
Che non vuol che piu diviso,
Sia di te pietoso il ciel (2). »
Pour nous, modernes, ce chant, resté jeune et frais comme
au jour où il est éclos, n'a rien perdu de sa séduction, — tandis
que si nous regardons vers le passé pour savoir quel modèle
Gluck a pu suivre, nous chercherons vainement: personne avant
lui, du moins dans l'opéra, n'avait donné l'exemple de si purs
accents, sortis du cœur pour revenir au cœur, ainsi que disait
Beethoven.
Tandis que le chœur encadre l'action et la pénètre, l'or-
chestre en forme l'atmosphère. C'est là encore une grande
nouveauté, .intérieurement à laquelle nous ne trouverions que
des essais timides, quelques-uns dans l'opéra français, point du
tout, sans doute, dans l'opéra italien. C'est surtout en se souve-
nant des traditions de la musique allemande que Gluck innove
ici. Dans le chœur funèbre du début, les parties vocales sont
doublées, respectivement à leur diapason, les plus graves par
trois trombones, la plus aiguë par un cornet, antique instrument,
survivance du moyen âge. dont il ne sera plus possible de
retrouver l'équivalent quand on voudra représenter l'œuvre en
France. Mais ce chœur des instruments à embouchure, unissant
à celui des voix ses sonorités tour à tour éclatantes et funéraires,
était d'un usage habituel dans l'Allemagne du Nord. Bach en
a maintes fois utilisé les ressources. Gluck introduit la combi-
naison au théâtre, et, du premier coup, il sait lui assigner le rôle
qui lui convient le mieux. Avec lui, le trombone ne reste plus
1) Paroles rapportées par Corancez dans
Journal de Paris du 18 août 1788.
it sur Gluck, imprimé dans le
(■2) H. Berlioz, .1 travers chanks, p. 273. La citation des vers italiens est précédée
de ces lignes, qui précisent l'impression, s'ajoutar.t k une description romantique des
montagnes et du vieux château de Bade : « J'ai retraversé la forêt de sapins, plus
sonore, et d'une meilleure sonorité que la plupart de nos salles de concerts. J'ai sou_
vent p.-nsé à une admirable chose que l'on devrait y exécuter par une belle nuit
d'été ; c'est l'acte des Champs-Elysées de l'Orphée de Gluck. Je crois entendre, sous
ce dôme de verdure, dans une demi-obscurité, ce chœur des Ombres heureuses, etc. »
un simple agent sonore n'ayant d'autre objet que de rehausser
l'éclat des voix : il devient un personnage. Ayant fait entendre
en commençant sa voix sépulcrale, voici qu'au second acte il
en arrive à proclamer la parole infernale, quand, s'ajoutant
à l'unisson du chœur, il répète avec lui l'inexorable : No ! Dans la
même scène, les contrebasses et les violons, interrompant, pour
le reprendre ensuite, leur inquiétant trémolo, s'unissent en
une glissade stridente pour lancer, sur des accords rauques, un
triple cri d'appel représentant (l'intention est manifeste) l'aboie-
ment du Cerbère, qli urli di Cerhero, comme l'annonce le chœur.
Ayant ainsi utilisé quelques-uns de ses éléments caractéris-
tiques pour donner au tableau des Enfers la couleur qui lui est
propre, l'orchestre se transforme pour exprimer le sentiment
tout autre de la scène des Champs-Elysées. Ici, de douces flûtes
viennent se superposer dès le prélude à l'harmonie sereine des
instruments à cordes. Bientôt le hautbois, accompagné par la
symphonie, où bruissent les trilles des flûtes sur le dessin
ondulant des violons, entrera avec Orphée, mêlant son chant,
non plus simplement bucolique, mais expressif et profond, à
la lente déclamation du chanteur (1).
Plus tard, dans les œuvres de sa complète maturité, le hautbois
sera l'instrument duquel, parfois avec une seule note piquée
à propos, Gluck saura, produire les impressions pathétiques
de la. plus vivp acuité. Il n'en est pas encore tout à fait arrivé
là^dans Orphée;. pourtant, il sait mêler des sons plaintifs à ceux
des violons dans la scène qui met en présence Orphée et Euri-
dice, exprimant les sentiments successifs de celle qui se croit
dédaignée : la douleur, l'inquiétude, l'abandon de soi-même.
Des accords saccadés, sans interrompre le mouvement du
discours musical, accompagnent ses paroles d'adieu, puis
expriment le trouble. d'Orphée plus éloquemment que sa voix
même. Cette agitation passagère de l'orchestre semble peu de
chose pour nous : ce n'en fut pas moins le point de départ de
tout un art nouveau.
(A suivie.) Julien Tiersot.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
CXXXVI
LA MUSIQUE DE LA LUMIERE
(Suite et fin) (2).
A M. Tyge Moller.
Nous ne l'avions pas rêve : la musique de la lumière a fourni le titre
et le sujet d'un tableau ; que dis-je ? le sujet, sinon le titre, de tous les
tableaux d'un même peintre. Et quel est ce musicien de la lumière ?
Il portait un nom peu parisien, dont la sonorité rébarbative aurait
du nous plaire ; il ne travailla que pour l'art et n'existe plus que dans
son œuvre.
Cet œuvre est rare ; et le peu qu'il eu reste est dispersé. Mais ce peu
suffit pour ajouter un nouveau chapitre à notre série des Peintres
mélomanes, déjà vieille de huit ans, bientôt ; — un chapitre entièrement
neuf, que ne présageaient pas les extases des mélomanes romantiques
ou les aspirations des belles fîmes lyonnaises (S) la religion de Mozart,
célébrée par le violon d'Ingres, le journal de Delacroix dilettante, ou le
ili Le monologue d'Orphée à son entrée dans les Champs-Elysées est le seul
élément préexistant que Gluck, en composant l'Orfeo, ait emprunté à son œuvre
antérieure : nons en avons déjà vu paraitre les ligne* principales dans Ezio et dans
Antigono. Il ne l'a pas replacé sans retouches, et il en apportera d'autres encore
lorsqu'il donnera une quatrième forme à cette page si caractéristique de son génie,
c'est-à-dire dans VOrphée français. Il est intéressant de constater que les derniers
remaniements n'auront été que des simplifications. Dans le premier Orphie, Gluck
avait pensé accroître l'intérêt de la symphonie descriptive en la surchargeant d'un
dessin concertant entre une flûte et un violoncelle solo. Cette addition étrangère à la
première conception n'y ajoutait point de beauté : il le reconnut et la supprima
dans la version définitive. Mais la tentative n'en est pas moins intéressante à con-
naître, car elle révèle la constante préoccupation de Gluck d'enrichir la symphonie
des ressources qui lui pouvaient sembler appropriées.
(2) X. le Ménestrel du 29 août 1908.
(3) Allusions au peintre Boissard de Boisdenier, puis aux deux Lyonnais, Paul
Chenavard et Louis Janmot, trop brièvement étudiés dans la série des Peintres
mélomanes {le Ménestrel, novembre 1900-février 1901).
LE MENESTREL
291
paganisme élyséen de Corot, séduit par la voix d'Orphée ; la o musique
peinte », de Fantin-Latour, et ses « lithographies musicales » rayon-
naient plus volontiers dans un clair de lune; et parmi tant de nouvelles
ambitions contemporaines, éprises jusqu'à la satiété des traits léonins
de Beethoven ou du profil sorcier de Richard Wagner, l'isolé qu'est
Steinlen n'éclaire ses musiques faubouriennes qu'au tragique lumignon .
de la rue. Nous aimons aujourd'hui le murmure de l'ombre. Toutefois,
ces rayons épanchés « comme des sons joyeux » auraient enfiévré les
intuitions d'Hoffmann et de son Kreisler précurseur, ou réveillé l'âme
assoupie de notre Obermann que médusait, au crépuscule, « l'œil étin-
celant d'un colosse ténébreux ».
Au bout d'une élégante charmille de Versailles ou d'une allée profonde
de Fontainebleau, qui n'a regardé pendant une seconde l'urtive, au péril
de ses yeux, les rayons allongés du soleil qui darde encore sur l'horizon
comme l'œil unique du cyclope '.' Sous le berceau des feuillages, quel
poète n'a ressenti secrètement cette éloquence des longs jours ? Mais
aucun peintre, depuis Claude et Turner, n'avait osé fixer sur la toile
bise le sourire lointain de l'étoile immense ; et sa blessante blancheur
avait découragé même l'impressionnisme...
La Musique de la Lumière et /'Etoile victorieuse : ainsi se désignait en
1897, au dernier salon du Champ-de-Mars, le double envoi d'un artiste
mort jeune et trop peu remarqué quand il vint régulièrement exposer
ici pendant huit aus. De 1895 à 1903, à la Société Nationale des Beaux-
Arts, le Soleil fut le leit-motiv unique de ses discrètes symphonies
colorées; et la conscience d'un paysagiste ajoutait au paysage les taches
vertes ou violettes de l'éblouissement. Cette hardiesse d'un étranger
passa méconnue, et son nom difficile ne fut point retenu par le caprice
de la mode : il aura fallu, cette année, l'exposition rétrospective d'une
vingtaine de ses cadres intelligemment réunis par la piété d'un frère,
au Palais des Beaux-Arts de Liège, pour évoquer le souvenir de ses
lumineux efforts et résumer la biographie sans gloire de cet obscur
adorateur du Soleil.
Il était Danois. Schonheyder Môller naquit au port d'Aarhus le
S janvier 1864. Waldemar-Christian furent ses prénoms. D'une vieille
famille de magistrats lettrés et fils préféré d'une admirable brodeuse,
on peut dire de lui ce qu'on a dit de notre Prud'hon : qu'il fut deux
fois le fils de sa mère et que la tendresse compléta la secrète volonté de
la nature. Cet heureux enfant, que sa vocation devait isoler parmi les
plus malheureux des hommes, ne connut pas d'autre vrai maître que
le cœur maternel. Le peintre s'instruisit à peu près lui-même ; et
comme il eut vite fait de déserter l'école et les brumes du ciel natal,
malgré l'estivale beauté des solitudes du Jutland ! Ce fut un primitif,
un « autodidacte » : à l'atelier même de Kroyer, ce représentant fine-
ment ensoleillé de la Sécession danoise, il préférait déjà les jardinets
perdus, les coins intimes et doux, le vieux parc, trop souvent neigeux
pourtant, voisin de Copenhague, enfin. « les admirables ciels déployés
sur les landes immenses, où toute la vie semble se concentrer dans les
nuages blancs passant sur le ciel bleu de l'été et dans le chant des
alouettes » (1) ; déjà, vers 1890, il étudiait la vague ou l'astre du jour
au Barbizon danois de Skagen. Cependant, l'homme du Nord descendit
avec joie vers la lumière : ermite volontaire à Fontainebleau, cet Ober-
mann de la palette passa dans la contemplation les dix dernières années
de sa courte vie : car, dès 1901, terrassé par la lutte qui n'épargne
jamais que les forts, il mourut d'amertume épuisée le 3 mai 1903, à
quarante et un ans.
Brève carrière, en face d'un art si long qui réclame à la fois la science
et l'ivresse : « la peinture veut son homme entier ». disait Fantin-
Latour dans ses lettres intimes à ses amis d'Angleterre. Mais un grand
effort original n'est jamais inutile; et « le peintre du Soleil » vécut assez
de temps pour accroître à son heure le sillon de lumière inauguré par
Claude le Lorrain dans la triste campagne romaine.
Aussi bien, ce génie d'essence racinienne et de race française ne fut-il
pas le plus savant des autodidactes et le premier des musiciens de la
lumière, quand, soir et matin, dans la solitude, il osait regarder le
soleil en face et courait vite rapporter chez lui des harmonies neuves
avec d'heureux mélanges de tous (2)? Et n'est-ce pas à Claude (-reliée
que remonte cette tradition de lyrisme illuminé par l'œil du jour ?
L'essor du paysage lumineux, j'allais écrire ici musical, date de lui.
Nous en retrouvons la trace pâlie dans les timidités méridionales du
bon Joseph Vernet ou dans les coquetteries parisiennes de ce galant
Hubert Robert, peintre d'architecture et parfois décorateur de théâtre.
(1) Léon Bozalgette, dans la préface documentée du catalogue de l'exposition
(Liège, 1908).
(2) Faits racontés et transmis par Sandrart, le seul témoin de la jeunesse d'un
maître, et, par conséquent, selon la seule autorité digne de foi (cf. notre Claude Lor-
rain, dans la collection des Grands Artistes; Paris, Laurens, l'JOô).
mort à Paris le 13 avril 1X08 (encore un centenaire oublie ; mais ils sont
trop!). Nos Romantiques, réellement encore très hollandais, et qui
nous paraissent déjà très classiques, ne rallumaient guère l'or du soleil
dans le ciel de l'art... Moins hardi que Rubens, l'impressionnisme lui-
même n'a pas associé cette circonférence incandescente à ses ombres
bleues; le nocturne Jongkind n'évoque qu'un globe arrondi, cuivré,
rougi, sans rayons, qui se noie dans le sang figé des crépuscules; et
la lumière solaire n'apparait que réverbérée par les peupliers, les
cathédrales ou les meules dans les célèbres séries d'un Claude Monel
qui note, à travers la fugitive magie des saisons et des heures, l'évolu-
tion pittoresque d'un motif aimé. Ceux d'entre nos peintres qui passent
pour des musiciens de la palette. MM. Henri Martin, Le Sidaner,
Laurent, et la très personnelle M"'' Dufau, préfèrent les nuances blondes
de la campagne à la brutalité de l'astre et peignent, comme on dit, avec
le soleil dans le dos. De nos jours seulement, M. Besuard, sur les
plages, s'est parfois souvenu de Turner. comme Turner se souvenait
plus volontiers de Claude; et, plus discrètement, M. René Ménard,
réconciliant en Athénien l'atmosphère et le style, ne manquait pas
d'invoquer les soirs du Lorrain « qui tira un feu d'artifice dans les
décors du Poussin » (1).
Toujours est-il que, même de nos jours où la palette -'est éclaircie, la
tentative du Danois fut originale ; elle restera telle aux yeux de l'avenir.
Il faut, dès aujourd'hui, lui réserver un coin de cimaise dans cette
Exposition historique du Paysage, objet constant de nos rêves, qui
raconterait visiblement l'histoire des variations de la lumière sur la
toile ; il faut que le nom de Schonheyder Môller figure en ce Musée,
toujours inédit, de la Nature, qui redirait aux yeux les étapes de la
Sensibilité de l'homme.
Nous voici ramenés, comme dirait Fromentin, de la nature à la
peinture, — de l'atmosphère naturelle à l'atmosphère peinte : interro-
geons brièvement ce musicien de la lumière, interrogeons-nous dans
son œuvre qui devança le hasard lumineux de nos impressions. Après
la nature, consultons l'art : allons-nous retrouver, devant la toile, au
moins un reflet des sensations intellectualisées qui nous assaillaient
mystérieusement devant la réalité? La lumière peinte à Fontainebleau
nous tiendra-t-elle le même silencieux langage que la lumière vivante
au Luxembourg, à peu près aux mêmes heures du jour et vers le soir
de l'année ?
Par un titre même et par la suggestion de son œuvre, il est évident que
le peintre de l'Etoile victorieuse et de la Musique de la Lumière a senti
vaguement cette « corrélation » tacite entre les timbres et les teintes.
précédée par celle entre le rythme mélodique et la forme permanente,
qui ne changent, au fond, ni l'un ni l'autre, quels que soient les
enchantements superficiels de la palette orchestrale ou pittoresque :
corrélation que ratifie le langage courant dès qu'il parle assez à la légère,
il est vrai, de la sonorité d'un rouge auprès d'un vert ou du coloris ins-
trumental.
Ne craignons pas d'insister : c'est par leur force expressive, ou plutôt
affective, que timbres et teintes « se répondent s, dans la nature ou dans
l'art ; et, devant la toile rayonnante comme devant les frissons enso-
leillés du jardin, nous pouvons conclure :
— Les sons du compositeur et les tons du peintre nous impressionnent
pareillement dans leur vague : et c'est bien pour cela qu'on peut, sans
ridicule, disserter sur la musique de la lumière ! Lumière et musique
nous affectent de même, nous autorisant à superposer un sentiment | qui
est nôtre) à la sensation qu'elles nous imposent, à rendre a l'ineffable
magie du dehors ce qu'elles nous prêtent, à faire d'une volupté qui passe
une pensée. Modifié par cette sensation lumineuse ou mélodieuse, notre
moi s'empresse de transformer idéalement le charme subi : singulier
échange entre le physique et le moral, action du dehors sur l'intérieur
et réaction plus étonnante de l'âme sur les choses ! Echange qui con-
tient peut-être tout le secret de ce mystère essentiellement humain : la
poésie ! Demandez à Baudelaire, ami des correspondances... Demandez
même à Victor Hugo, le poète souverainement « sculptural ». qui voyait
partout de la musique ! Et c'est ainsi, seulement ainsi, qu'on peut
décemment parler de « musique pittoresque » -ou de « peinture musi-
cienne » : le reste n'est qu'emphase ou névrose décadente, monticellisme
d'amateur et tautologie ! Aux savants, après les poètes, de nous dire,
tôt ou tard, si musique et lumière fraternisent réellement par leurs
« vibrations ».
Comme de longs échos qui, de loin, se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité...
Le rêveur, le psychologue ou l'artiste se contente de sentir et. parfois,
de noter la « mélodie » des sentiments qu'il découvre en lui ; plus
(1) Joli mot des Concourt, daté Je 1855.
292
LE MÉNESTREL
impressionnable aujourd'hui que jamais, il sent mieux que ses aines
la corrélation ; il devine, maintenant, pourquoi le coloriste est mélo-
mane d'instinct, comme, volontiers, le musicien se fait peintre ou croit
l'être. On sait par quelles demi-sonorités larges et lentes, soulignées
par l'émoi discret des timbales, le mystique des sons que fut César
Franck transposait, dans sa Procession, le soleil de Brizeux et « ses
longs rayons couchants » ; on pressent qu'un peintre, tel Schônheyder
Môller, ébauche une symphonie quand il hâte ses études sous les flèches
qui font resplendir la nuit verte des feuillages, qu'il se chante une
musique muette alors qu'il travaille au déclin prolongé de la lumière
jaunissante...
Des miiiis d'ombre et d'or aux crépuscules roses (I),
le peintre et le musicien, chacun dans son langage, traduisent paral-
lèlement leurs visions éblouies ; et nous avons plaisir à contrôler les
nôtres avec l'œuvre trop oublié d'un artiste qui nous apparaissait, il y
a dix ans (2), comme « un arrière-petit-flls audacieux et doux du grand
Claude ».
(A suivre.) Raymond Bouïer.
P. S. — Entre autres questions provoquées par les pressentiments d'ÛBER-
maxn. plusieurs lecteurs ont paru très intrigués par cette note absolument
extraordinaire qui nous semblait faire allusion à quelque fantaisie intérieure
ou contemporaine : « Le clavecin des couleurs était ingénieux: celui des odeurs
eût intéressé davantage... » Ainsi parlait, en 1804, son « éditeur », M. de Séuan-
cour. Eh bien ! en 1908, le clavecin des couleurs est retrouvé : qu'on se le dise
et qu'on en cause, entre Sénancouriens I Le clavecin oculaire était une inven-
tion d'un certain P. Castel, né à Montpellier, en 1688, mort à Paris, en 1757,
savant jésuite un peu chimérique, que préoccupa, toute sa vie. « l'optique des
couleurs», en même temps que la «construction» de cel instrument qu'il décri-
vait en l'an de grâce 17.33 et par lequel ce précurseur s'il en fut prétendait
affecter l'œil par la succession des couleurs comme le clavecin affecte l'oreille
par la succession des sons... Un ajoute qu'il s'y ruina : ce qui paraîtra moins
surprenant. Ceci pour prendre date et. comme on dit. pour attendre, en pré-
ludant sans clavecin.
Raymond Bodyer.
LITTÉRATURE MUSICALE
ii
Les musiciens célèbres : Schubert, par Bourgauit-Dueoudray; Boieldieu, par Lucien
Auge de Lassus; Rameau, par Lionel de la Laurencie (3 vol. in-8J illustrés, Paris,
H. Laurens). — Musiciens d'autrefois, par Romain Rolland (Paris, Hachette, in-12);
Musiciens d'aujourd'hui, par le même ^id., id.).
La jolie collection des Musiciens célèbres publiée à la librairie Lau-
rens vient de s'enrichir de trois nouvelles monographies : Schubert,
Boieldieu, Rameau. Je commencerai par m'occuper du Schubert de
M. Bourgauit-Dueoudray. Voici un bon, un excellent livre, qu'il y a
autant de plaisir que de profita lire. On en fera de plus gros, de plus
lourds sur l'auteur de la Belle Meunière: on n'en saura faire de meil-
leur. Ce petit volume, plein d'émotion, tout empreint de poésie, écrit
dans une belle langue, claire et limpide, par un musicien enthousiaste
et qui ne craint pas d'afficher son amour pour la mélodie, est un des
meilleurs que je connaisse dans le vaste répertoire de la littérature
musicale française (3). Je ne sache pas qu'on puisse mieux connaître
Schubert, comme homme et comme artiste, que dans les cent vingt
pages que M. Bourgault vient de lui consacrer; et je puis dire, par
quelque expérience personnelle, que c'est un vrai tour de force qu'il
vient ainsi d'accomplir. Et si, dans ce livre, la partie biographique est
très condensée, très ramassée, bien que suffisante, pour faire place à la
partie critique, l'étude du génie de. Schubert est extrêmement remar-
quable, tant au point de vue technique qu'au point de vue poétique.
Tout d'abord, M. Bourgault se plaint fort justement qu'on ne Y'euille.
la plupart du temps, considérer en Schubert que l'auteur des admi-
rables lieder, alors que ce musicien de génie a montré, à part le théâtre.
il) Beau vers de M™' Lucie Delarue-Mardrus, dans son premier recueil Occident
1901.
(-2) Dans nos Salons de l'Artiste (1897 et 1898) et de la fier»? populaire des Beaux-
Arts (1898). — Cf. Claude Lorrain, page 123.
(3) Je prends ici le mot a littérature » dans son sens précis, et non dans celui que
lui donnent nos pédants caudataires de l'Allemagne, qui nous parlent à tout insiant
de i la littérature du piano », de la « littérature du violon », etc., ce qui n'a aucun
sens, attendu que quand on écrit de la musique, on ne fait point de littérature. Il
est beaucoup plus rationnel, plus exact et moins prétentieux de se servir d'un mot
excellent que nous avons dans notre dictionnaire, et de dire « le répertoire du
piano, du violon », elc.
une éclatante supériorité dans tous les genres auxquels il lui a plu de
s'attaquer : symphonie, musique de chambre, musique d'église, piano,
etc. :
La primauté de Schubert dans le domaine du lied, dit-il, est si universelle-
ment et si incontestablement établie qu'on a fait converger sur une seule face
de son génie tous les rayons de sa gloire. L'auréole qui entoure la tête du Roi
de la mélodie est si éclatante qu'elle laisse dans la pénombre le symphoniste,
le technicien puissant et savamment inspiré des trios et des quatuors. Si nous
avons fait chorus avec l'enthousiasme universel en exaltant les lieder de Schu-
bert, dont un certain nombre du moins est admiré de tous, rappelons-nous,
en abordant l'étude de sa musique instrumentale, qu'une tâche bien différente
nous incombe. Sur le terrain de la symphonie et de la musique de chambre, la
cause de Schubert n'est pas encore complètement gagnée, en France surtout.
Un effort est ici nécessaire pour démontrer l'insuffisance de notre culture et
la parcimonie de notre admiration à l'égard d'un musicien qui a laissé des
œuvres géniales dans presque tous les genres. Si Schubert s'était borné à
écrire six cents mélodies, parmi lesquelles il en est trois qui auraient suffi
pour l'immortaliser, il ne serait qu'un brillant météore dans l'histoire de l'art
germanique. Par ses œuvres symphoniques, ses compositions pour piano et sa
musique de chambre, il se rattache étroitement au groupe des trois créateurs
de la symphonie : Haydn, Mozart et Beethoven; il est digne de partager leur
gloire comme l'un des maîtres les plus puissants et les plus complets de la
musique instrumentale.
Quand on pense que ce musicien merveilleux, mort â trente et un
ans, a écrit plus de 800 compositions de divers genres (8 symphonies
et "28 œuvres symphoniques. plus de 30 œuvres de musique de chambre,
S Messes. 19' pièces religieuses, une cinquantaine de compositions à
deux ou quatre mains. 14 opéras, 70 chœurs pour diverses voix,
36 morceaux à plusieurs voix, entin 603 lieder pour Yroix seule avec-
piano), on reste confondu d'une telle fécondité, surtout en constatant
que toutes ou presque toutes ces œuvres sont marquées de la griffe du
génie. Aussi. M. Bourgauit-Dueoudray, en manifestant son admiration
pour un si grand artiste, a-t-il raison de s'écrier, en terminant son
livre :
Pauvre Schubert! Ta gloire, tu l'as bien payée par des déceptions cruelles et
de rudes privations; mais tu l'as pleinement conquise. Pas une de tes notes
qui ne soit gravée luxueusement ! pas un de tes autographes qu'on ne se dis-
pute à prix d'or!...
Tu as eu raison, Schubert, de préférer à tout les faveurs de la Muse. TaY'ie
n'a été qu'un long tête-à tète avec elle, et rien n'a pu te distraire de la tâche
si douce d'écrire les chants qu'elle te dictait... Peut-être même as-tu dépassé
le but, en produisant trop pendant ta courte vie. Les hommes d'aujourd'hui
sont trop préoccupés « d'aller vite » pour prendre connaissance de tous les
trésors que tu nous a laissés. Certains même, à qui la science suffit, ont dé-
crété qu'il n'y aurait plus de mélodie. Alors, à quoi bon te lire, ô Schubert !
toi qui n'es que mélodie ?... Mais ces fantaisies de la mode auront leur
terme; le soleil dissipera le brouillard et, dans les cieux calmes, pendant de
longs siècles encore, brillera d'un éclat immaculé la glorieuse étoile de Schu-
bert !
Voilà comme il convient de rendre justice au génie.
Je passe sans transition de Schubert à Boieldieu pour signaler le
volume que M. Auge de Lassus a consacré à l'auteur de la Dame blanche
et du Nouveau Seigneur de village. Celui-ci me plait moins, je l'a\roue,
et d'abord à cause de certaines inexactitudes fâcheuses. Où diable
l'auteur a-t-il découvert que les Méprises espagnoles et l'Heureuse Nou-
velle avaient été écrites par Boieldieu en société avec Cherubini ? Boiel-
dieu n'a eu besoin de personne pour composer ces deux ouY'rages. Par
contre, et sans doute en guise de compensation, l'écrivain attribue à
Boieldieu seul la partition d'Angela, pour laquelle il eut précisément la
collaboration de Mme Sophie Gail. M. Auge de Lassus a eu pourtant
connaissance de certain livre sur Boieldieu que j'ai des raisons très
personnelles de connaître aussi, et qui aurait dû lui éviter ces erreurs.
Il est vrai qu'à rencontre de M. Bourgauit-Dueoudray, qui cite loyale-
ment toutes ses sources, il n'a pas cru devoir citer une seule fois le
livre en question.
Mais ceci n'a point d'importance. Ce que je reprocherai par-dessus
tout à M. Auge de Lassus, c'est la langue alambiquée et tortillée dont
il se sert pour parler de l'artiste aimable qu'il avait à présenter au pu-
blic. Boieldieu, l'homme et le musicien le plus naturel du monde, s'ac-
commode mal de ce style précieux, tourmenté, tarabiscoté, prétentieux
pour tout dire, où les mots ne sont jamais à leur place, et dans lequel
on rencontre vraiment trop de fleurs, trop d'oiseaux, trop de printemps
et trop de parfums. Sans parler de certaines comparaisons bizarres,
comme des « ficelles qui sont enguirlandées de roses » (p. Si) et des
serments « qui sont des caresses » (p. 83). Pour moi, je souhaiterais
plus de naturel et de simplicité, et je trouve que Boieldieu mériterait
mieux que cette prose papillotante etmirlitonnante.
Avec M. de la Laurencie et son livre sur Rameau, nous rentrons
dans un milieu plus sérieux — trop sérieux, peut-être. Ce liYTe est bien
LE MÉNESTREL
293
dans son ensemble, et Ton voit que l'auteur est pénétré de son sujet,
qu'il a longuement étudié, et dont il s'est occupé précédemment, à di-
verses reprises, dans des travaux partiels et préliminaires. Il n'a pu
apporter de faits nouveaux sur l'existence de Rameau, restée profondé-
ment mystérieuse par le faii du caractère solitaire, discret et un peu
misanthropiquo de l'artiste. Mais il s'est efforcé de le faire bien con-
naître au point de vue artistique, en s'altachant toutefois principale-
ment, dans l'étude et la critique de son œuvre, au côté purement
technique, et en négligeant un peu trop, à mon sens, et de parti pris, le
côté poétique. Son appréciation des théories exposées par Rameau dans
ses écrits — très claire, d'ailleurs, ce qui n'était pas absolument facile
— me semble un peu trop développés pour un livre de pure vulgarisa-
tion: si bien que l'analyse des œuvres dramatiques du maître en de-
vient un peu trop écourtée. Et môme ici, dans cette analyse, les re-
marques de l'auteur portent plutôt sur des points de théorie, sur des
études d'accords et des. constatations de détails relatifs à la tonalité,
que sur tout ce qui touche à l'admirable génie dramatique de Rameau,
à la fertilité de son inspiration, à la souplesse de main et à l'étonnante
variété dont témoignent ses œuvres.
Il m'importe peu, à moi, lecteur, qu'un mot d'Iphise, dans Dardanus,
« tombe sur une quinte diminuée », et qu'un autre mot de Tisiphone.
dans Hippolyle et Aricie, « s'accompagne d'une quinte augmentée ».
Cela, qu'on me permette de le dire, c'est un peu de pédantisme, et ne
saurait m'intéresser. Ce que je voudrais qu'où me fit ressortir, c'est
l'ensemble et le détail des beautés qui fourmillent dans les œuvres du
grand homme, en me signalant celles qui méritent surtout ma sympa-
thie et mon admiration ; c'est le duo souverainement pathétique et
l'étonnant trio des Parques d' Hippolyle et Aricie ; c'est l'air d'un senti-
ment tragique si profond : Monstre a/freux, monstre redoutable! de Dar-
danus; c'est toute cette partition incomparable de Castor et Pollux, avec
ses chœurs si puissants (Que tout gémisse/ et Brisons tous nos fers), avec
la déploration si touchante de Télaïre : Tristes apprêts, pâles /lambeaux,
faite pour arracher des larmes, avec l'air délicieux et si plein de ten-
dresse de Castor aux Enfers ; c'est, enfin, les épisodes chantés ou dansés,
toujours exquis, que Rameau a semés à profusion dans ses opéras-
ballets : les Fêtes d'Hêbé, les Indes galantes, etc. Voilà ce qu'il me semble
qu'il eût fallu mettre en lumière pour faire connaître le génie du
maitre, au lieu d'une analyse technique un peu pédante, je le répète,
et malheureusement trop froide et dénuée d'enthousiasme.
Si j'ai cru devoir exprimer ces critiques, c'est que j'ai lu très atten-
tivement le livre de M. de la Laurencie, c'est que j'ai pu constater le
soin avec lequel il est fait, c'est que j'ai pour l'auteur toute l'estime
qu'il mérite; mais c'est qu'aussi l'auteur appartient, si je ne me
trompe, à une école qui considère surtout dans la musique son côté
matériel, en faisant bon marché des aspirations poétiques de l'artiste
créateur, du caractère et de la richesse de son inspiration, en un mot
de la puissance mélodique qu'il déploie et qu'il sait, en la diversifiant,
adapter aux situations diverses qu'il lui faut interpréter et rendre
sensibles.
Sous le titre de Musiciens d 'autrefois et Musiciens d'aujourd'hui, M. Ro-
main Rolland a réuni en deux volumes toute une série d'études pu-
bliées précédemment par lui dans divers recueils. Les chapitres du
premier de ces volumes consacrés à Lully, Gluck, Grétry, Mozart, sont
plutôt, à l'exception du premier, de simples résumés historiques et
biographiques. Celui relatif à Lully est plus important et plus fouillé
en ce qui concerne la valeur de l'artiste et la place qu'il occupe dans
l'histoire de la musique française. Mais ce qui est neuf surtout, c'est
le fragment intitulé l'Opéra avant l'opéra, dans lequel l'auteur nous met
au courant des travaux par lesquels les musiciens italiens s'achemi-
nèrent insensiblement, sans le vouloir et sans le savoir, vers la forme
de la monodie dramatique imaginée à Florence, au seizième siècle, par
les amis de Giovanni Bardi : Jacopo Corsi, Giulio Caccini, Péri, Emilio
del Cavalière, Galilei, qui elle-même donna naissance au véritable
opéra, dont on peut presque dire que Monteverde fut le créateur. Les
détails donnés par M. Romain Rolland sur les sacre rappresentazioni de
Florence et les Maggi de la campagne toscane sont particulièrement
curieux et intéressants, et nous donnent une idée de l'amour que, dès
cette époque, les Italiens portaient à tout ce qui pouvait se rapprocher
de la forme dramatique appelant à son aide la plastique et la musique.
On lira ce chapitre avec plaisir et curiosité, de même que celui inti-
tulé le Premier opéra joué à Paris, où l'on trouve les détails de la re-
présentation à la cour, le t Mars 1647, à l'instigation de Mazarin, de
i'Orfeo de Luigi Rossi.
Le second volume, Musiciens d'aujourd'hui, contient une suite d'études
purement critiques sur plusieurs artistes de ce temps, ou à peu près :
Berlioz, Wagner, Camille Saint-Saëns, Vincent d'Indy, Richard
Strauss, Hugo Wolf, don Lorenzo Perosi, Claude Debussy, et deux
chapitres portant pour titres, l'un : « Musique française et musique
allemande », l'autre : a le Renouveau, esquisse du mouvement musical
à Paris depuis 1870. » En exprimant ses idées personnelles sur Ber-
lioz et sur Wagner, l'auteur ne pouvait avoir le dessein de rien nous
apprendre de particulier. L'article sur don Lorenzo Perosi n'a que peu
d'importance. La notice sur l'infortuné Hugo Wolf est touchante et
excite l'intérêt. Quant à celle qui concerne M. Richard Strauss, dame,
je suis loin, je dois le dire, de partager les opinions émises par l'au-
teur, et, toute pensée de contradiction mise à part, je reste un peu
étourdi de lui voir caractériser ainsi l'auteur de Sahmé, de la Transfi-
guration et de la Sinfonia domestica : — « C'est par les côtés héroïques,
dit-il, qu'il est l'héritier d'une partie de la pensée de Beethoven et de
Wagner. C'est par eux qu'iY est un des poêles, le plus grand peut-être,
de l'Allemagne actuelle, qui reconnaît en lui comme sou héros. »
Diantre ! nous sommes tellement loin de nous entendre, et l'admira-
tion est à ce point précisée que toute discussion serait inutile. J'en
dirai autant relativement au prétendu rôle historique attribué a l'appa-
rition de l'opéra de M. Debussy, Pelléas et Mélisande : — « La première
représentation de Pelléas et Mélisande, le 30 avril 1902. a été un des
faits les plus considérables de l'histoire de la musique française, un
fait dont l'importance ne peut être comparée qu'à la première repré-
sentation à Paris de Cadmus et Hermione de Lully, d' Hippolyle et Aricie
de Rameau ou d'Iphigénie en Aulidede Gluck, — une des trois ou quatre
dates capitales de notre Ihéàlre lyrique!! ! ».
Oh ! oh! voilà, du coup, le rôle de M. Debussy singulièrement élargi,
et l'auteur de Pelléas et Mélisande considéré comme l'un des réforma-
teurs et des régénérateurs de l'art lyrique français. Ceux qui liront ces
lignes dans cinquante ans ne pourront, peut-être, s'empêcher de sou-
rire. Pour moi, simple annotateur, qui n'y serai plus à cette époque, je
me borne à constater et à enregistrer, sans plus de réflexions.
Arthlr Poiv,in.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour les seuls abonnés a la musique)
Cette fois, nous allons retrouver II. N'azare-Aga dans ce genre de la valse, qui fit sa
réputation. Celle-ci n'est pas tout à fait une valse à danser, mais nous lui trouvons
une grande poésie. Son allure libre, ses rythmes divers, ses mélodies brisées la
mettent, nous semble-t-il, au-dessus des fantaisies dansantes de nos faiseurs habi-
tuels. C'est tout un petit tableau rêveur destiné à nous peindre le Charme daulomn".
Il y réussit pleinement, à condition qu'on n'interprète pas ces quelques pages dans
la forme rigoureuse d'une valse, mais qu'on laisse son imagination suivre en liberté
celle de l'auteur.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
MM. Karl Muck et Richard Strauss ont reçu, à l'occasion du dixième
anniversaire de leur nomination comme chefs d'orchestre de l'Opéra-Rovat de
Berlin, les titres de directeurs généraux de la musique; leur collègue plus
récemment promu, M. Léo Blech, a obtenu l'ordre de l'Aigle rouge de qua-
trième classe.
— Nous en rapportant à plusieurs journaux allemands, qui, eux-mêmes
avaient pris leur information dans la Kœnigsberger Hartungsclier Zeilung, nous
avons annoncé la mort de M. Robert Schwalm, le compositeur de l'opéra
Frauenlob. Or, M. Robert Schwalm est, parait-il, en parfaite santé. Nous
avions suivi les journaux qui avaient inséré la nouvelle erronée; nous
sommes heureux de pouvoir, en les suivant encore, accueillir une agréable
rectification.
— Le théâtre de Cologue annonce une reprise de Louise pour le lo de ce
mois. Le roman musical de Gustave Charpentier a été, pour la circonstance
remonté complètement à neuf.
— Le directeur de l'Opéra de Cologne donnera pendant la saison prochaine
les nouveautés suivantes: Chérubin, de Massenet; Traçal-lubas. d'Eucène d'Al-
bert; Madame Butterfly, de Puccini; les Florentins, d'Otto Rauchenegger; Ing-
wehle, de Schillings; l'Elisir d'amore, de Donizetti, d'après la version Félix
Mottl; Falstaff, de Verdi, etc.
— Le ville de Hambourg inaugurait au commencement de l'été une salle de
concerts qui avait été construite au moyen d'une somma de 1. 250.000 francs,
léguée par un riche armateur. M. Laeisz, mort en 1903, et d'une dotation de
230.000 francs ajoutée par sa veuve. Aujourd'hui, le directeur d'un théâtre
294
LE MENESTREL
d'opérette de Berlin, avec l'appui financier de capitalistes de cette dernière
Tille, veut ériger à Hambourg un théâtre nouveau qui sera consacré au genre
qu'Offenbach et Johann Strauss ont illustré par des chefs-d'œuvre. C'est l'ar-
chitecte du Hebbel-Theater de Berlin qui serait chargé des travaux de
construction.
— Malgré l'affluence des wagnériens à Bayreulh cette année, les représen-
tations de fête laissent un déficit. Quelques personnes assurent qu'il en faut
rechercher la cause dans l'exagération des appointements des artistes du
chant; d'autres pensent que la gestion financière du théâtre a pu laisser à dé-
sirer. Plusieurs journaux ont émis l'opinion que la situation des recettes et
des dépenses devrait être publiée. Cela pourrait en effet présenter quelque
intérêt. Quoi qu'il en soit, l'entreprise n'a plus le caractère d'art austère
qu'elle avait à l'origine et son prestige n'a pas augmenté.
— L'intendance générale des théâtres royaux de Munich vient de faire con-
naître les ouvrages qui seront donnés comme nouveautés, ou repris dans le
cours de la saison 1908-1909. A l'Opéra, voici quel est le programme actuel-
lement arrêté : Au commencement d'octobre viendra Pellëas cl MëUsande, de
M. Debussy, et, à la fin, Die Widerspenstige de M. Gœtz. Vers décembre on
donnera Sonnenwendglvi, de M. Schilling-Ziemssen, Donna Diana, de M. Rez-
nicek, et Orphée, de Gluck. Après le 1er janvier paraîtront en scène Brambilla,
de M. W. Braunfels, Eleklra, de M. Richard Strauss, Tphigénie en Tauride, de
Gluck. En dehors de ces œuvres, on montera, selon les besoins, les opéras
suivants : Béatrice et Bénëdict, la Prise de Troie et les Troyens, de Berlioz, Dja-
mileh, de Bizet, Elisabeth, de Liszt, Bonsoir, Monsieur Pantalon, de Grisai', la
Fiancée vendue, de Smetana, le Templier et la Juive, de Marschner, Ilsebill, de
Klose, le Barbier de Bagdad, de Peter Cornélius, Don Quichotte, de M. Beer-
"Walbrum, Titus et la Flûte enchantée, de Mozart, le Barbier de Sévi/le, de Bos-
sini. l'Elisir d'nmore, de Donizetli, Moloch, de M. Max Schillings, f.isehen et
Friizchcn, d'Offenbach. etc.
— La saison théâtrale commence à peine au théâtre de la place Gaertner à
Munich et déjà la Chauve-Souris reprend l'alfiche qu'elle ne quitte jamais pour
longtemps. Le chef-d'œuvre de Johann Strauss était donné lundi dernier poul-
ies débuts de MUe Olga Muck dans le rôle de Caroline.
— On joue en ce moment dans un petit théâtre de Munich deux opérettes
dont l'action se passe dans des milieux parisiens et qui obtiennent un grand
succès. La première a pour titre Die siissen Grisellen, la musique en est de
M. Henri Beinhardt ; la seconde s'appelle Vera Violette, elle est de M. Edmond
Cysler.
— Une opérette-vaudeville de saison, l' Amour aux bains de mer, vient d'avoir
sa première représentation au Wilhelmtheater de Gorlitz. La musique est de
M. Frédéric Adolfi.
— D'après une correspondance de Vienne, l'association des Allemands de
la Basse-Autriche s'efforce d'iudisposer ses membres contre M. Oscar Nedbal,
le nouveau chef d'orchestre de l'Opéra-Populaire, qui doit diriger pour la pre-
mière fois le 4 octobre, et les excite à préparer des démonstrations hostiles
contre lui. La cause de cette animosité est que l'on accuse M. Nedbal d'avoir
trop de sang bohémien dans les veines, de vouloir consacrer trop exclusive-
ment le théâtre au répertoire tchèque, et de prétendre finalement à la succes-
sion éventuelle de M. Beiner Simons, afin de pouvoir réaliser ses projets dans
le sens indiqué ci-dessus.
— Le directeur du Conservatoire de Prague, M. Caan d'Albest. vient de
terminer un opéra en trois actes intitulé Germinal. Le texte en est tiré du ro-
man de Zola qui porte le même titre.
— Le Théâtre-Social de Biella a donné avec succès la première représenta-
tion d'un opéra intitulé Agar, dont les auteurs sont M. Simplicio Bighi pour
les paroles et Anacleto Loschi pour la musique. Cet ouvrage avait pour inter-
prètes M"es Assunta Bicci et Dolorès Herrero, MM. Pezzutti et Bossi-Serra.
— Le pape Pie X a fait don au compositeur don Lorenzo Perosi, à l'occa-
sion de sa fête, d'une plume d'or ornée de ligures allégoriques. De leur côté,
les élèves de la Schola cantorum ont offert à leur jeune maitre une chasuble
et un grand portrait de Bichard Wagner.
— On se plaint amèrement, dans toute la Suisse allemande, de la crise
terrible qui sévit sur les théâtres et à laquelle on ne voit aucun remède. A
quoi cela tient-il? La question est très complexe, et les discussions auxquelles
elle donne lieu n'ont amené jusqu'à ce jour aucun résultat. On cite, entre
autres, l'exemple de Zurich, la ville la plus peuplée de la Confédération
îl'0.000 habitants), dont le théâtre a laissé, pour son exploitation des sept
dernières années (1900-1907), un déficit de plus d'un million. Et d'un rapport
très détaillé il résulte qu'on n'a aucun espoir de voir réduire ce déficit, et que,
d'autre part, il n'y a aucune probabilité de voir augmenter les recettes. L'ad-
ministration communale s'est émue, naturellement, de cette situation et s'est
efforcée d'y porter remède. Elle a décidé d'accorder au théâtre une subvention
annuelle de 50.000 francs; en même temps elle lui alloue une somme de
1.500 francs pour chacune des représentations populaires que celui-ci s'engage
à donner, au nombre de vingt, dans le cours de la saison. Mais les prix d'entrée
pour ces représentations oscillent de 30 centimes à 1 franc. La ville contrôlera
les comptes annuels du théâtre et aura des représentants dans le conseil d'ad-
ministration. Malgré tout, on ne voit pas très bien comment une subvention de
50.000 francs pourra parer à un déficit qui s'élève annuellement à 135.000 francs.
Un détail à propos des théâtres de la Suisse allemande : il parait que. « dans
l'intérêt du public ». les spectacles doivent être terminés à dix heures ol demie.
— On avait répandu le bruit que M. Rajahmann abandonnait la direction
du Théâtre-Impérial de Varsovie, et que celui-ci resterait fermé pendant la
prochaine saison. Il n'en était rien, et M. Bajahmann s'occupe au contraire,
en ce moment, avec activité, de préparer cette saison, dont le répertoire com-
prendra, entre autres ouvrages, les Maîtres Chanteurs, Thaïs et Madame Butterfly.
La troupe promet d'être de premier ordre, avec des noms d'artistes comme
ceux que voici : MmK Gemma Bellincioni, Aïno Ackté, Maria Gay, Fosca
Titta, Maria Falken-Gembarzewska (de l'Opéra de Dresde l, Carmen Melis, et
MM. Mattia Battistini, Titta Buffo, Guardabassi, Massocci. Mario Almakiers-
nowski, etc. Les chefs d'orchestre sont MM. Arturo Vigna. Noskowsko et le
baron Beznicek. La saison théâtrale sera complétée, comme à l'ordinaire, par
les grands concerts symphoniques de la Société philharmonique, qui auront
lieu sous la direction de MM. Arthur Xikisch, Bichard Strauss et Félix
Weingartner. On y entendra pour la première fois la nouvelle symphonie de
M. Bichard Strauss, l'Hymne à la vie, et le Bequiem de Verdi.
— Tous les ans, à Copenhague, le jour de la Saint-Jean, devant le Musée
national, se donne un concert d'un genre particulier et qu'on peul dire unique
non seulement en Europe, mais dans le monde entier. Ce jour-là, deux vir-
tuoses, rétribués à cet effet par l'administration du Musée, font entendre et
exécutent quelques antiques mélodies septentrionales sur la lure, instrument ;i
vent dont l'usage remonte à l'âge de bronze, c'est-à-dire aux temps préhisto-
riques, et dont on conserve au Musée 23 exemplaires parmi lesquels dix
sont en parfait état de conservation. La lure consiste en un tube de bronze de
forme conique, dont la longueur varie de lln,ol à 2m.3S ; sa paroi intérieure
est parfaitement polie, et le métal est fondu en une couche si mince qu'il
serait difficile aujourd'hui d'obtenir un tel résultat avec le jet du bronze. L'em-
bouchure est semblable à celle du trombone actuel. La forme courbe de l'ins-
trument est une imitation manifeste de la corne du bœuf, et sa bouche est
enjolivée d'ornements dont la nature est spéciale à l'âge de bronze. Son
étendue est remarquable, car elle comprend trois octaves et demie, avec des
harmoniques qui l'augmentent encore. La lure est d'ailleurs facile à jouer ;
son timbre, métallique et clair, rappelle dans le haut le cor de chasse, et dans
les notes basses le trombone contralto. En somme, l'instrument atteste, par
la sûreté de sa construction et par l'élégance de sa forme, que. dès l'âge de
bronze, l'art musical devait avoir atteint un degré assez élevé de développe-
ment dans les contrées septentrionales.
— L'un des premiers effets de la révolution stupéfiante qui a changé la face
de la Turquie, c'a été la suppression de la censure, et l'on sait ce qu'elle était
et pouvait être sous un gouvernement comme celui du sultan Abdul-Hamid.
Toute crainte de retour offensif ayant disparu, les Turcs prennent maintenant
les choses en riant, et ils montrent qu'après tout l'esprit ne leur fait pas
défaut à l'occasion. Témoin cette plaisante circulaire, relative précisément à
l'abolition de la censure, qui a été répandue à profusion par tout Constanli-
nople, en excitant, une joie générale :
CIRCULAIRE
(De Profanais.}
Nous avons ici l'honneur de vous faire part de la mort de
Madame Anastasie Censure
décédée ignominieusement le 22 juillet 1908, et ensevelie le 24 du même mois avec
accompagnement de sifflets et tambours.
Enver bey et ses amis portèrent le cercueil. La pauvre défunte a été accompagnée
à sa dernière demeure par les acclamations d'un peuple en délire, qui voyait dispa-
raître avec elle un régime d'ignobles tralics, régime qui aurait fini par faire de ce
malheureux pays la home et la dérision de l'Europe.
Madame Anastasie est morte ! Ne priez point pour elle ; priez plutôt pour son j
infortuné conjoint, Anastase, qui r.e pourra se consoler facilement de sa perte et qui
reste désormais sans emploi.
On est prié de n'envoyer ni fleurs ni couronnes.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
A l'Opéra, très brillante rentrée de Mlle Mary Garden et recette superbe,
comme toujours quand l'originale et talentueuse artiste est affichée.
M. Benaud fera sa rentrée la semaine prochaine dans Thaïs où il aura,
comme partenaire. M"'' Mary Garden.
La reprise d'ïïnmlel, avec les deux célèbres artistes, est reportée à la fin de
ce mois.
— A l'Opéra-Comique les débuts se sont poursuivis heureusement depuis
la réouverture. M",e Xioa Batti, très nerveusement dramatique dans la Nacur-
raise, M. Bourrillon. fort élégant dans le même ouvrage de Massenet, M. Blan-
card, un Bazile classique à l'organe solide, Mlles Berthe Mendès et Korsoff.
deux gazouillants soprani, la première applaudie dans Lakmé, la seconde dans
le Barbier. MIle Lassalle, un mezzo bien timbré, Mlle Bailac, une Carmen très
consciencieuse, enfin Mlle Berthe César, une charmante Philine, ont reçtj
bon accueil du public qui n'a cessé de remplir la salle Favart.
M. Bourrillon, s'étant trouvé grippé et n'ayant pu chanter Carmen, a été
remplacé par M. Dufriche qui, de suite après cette représentation, a été en-
gagé pour trois années.
Spectacle d'aujourd'hui samedi : Le Jongleur de Notre-Dame et Cavallena
ruslkana. Demain dimanche, en matinée : La Vie de Bohème et la Xavarraise:
LE MÉNESTREL
295
en soirée : Manon. Lundi, représentation populaire à prix réduits, avec loca-
tion : Mireille.
— Voici la distribution de Paul et Virginie qui servira de pièce d'ouverture
au Lyrique de la Gaité, mardi prochain 15 septembre.
Méala
M»° de la Tour
Margueri te
Un négrillon
Paul
Domingue
M. de Sainte-Croix
M. de la Bourdonnai-
M""' Angèle Pornol
Georgiadès
Lemeignan
Bérat
Reine Leblanr
MM. David Devriés
Simard
Maxime Viaud
Géraud
Jean de Moelle, qui viendra tout de suite après, aura l'interprétation suivante:
Jean de Nivelle MM. Soubeyran
Comte de Charolais Boulogne
Saladin Alberti
Malicorne Larbaudière
Beautreillis Désiré
Un vieillard Géraud
Ariette M"" Nicot-Bilbaut-Vauclielei
Simone Georgiadès
Diane Tiphaine
Isolin Heine Leblanc
— A propos du Lyrique de la Gaité. MM. Isola informent le public que,
leur théâtre n'ayaut aucun contrat de publicité, de claque, ou autre, toute
| place achetée à des marchands de billets sera rigoureusement refusée au con-
trôle.
— La Commission des auteurs dramatiques a repris ses séances dès ven-
dredi de la semaine dernière, sous la direction de son éminent président,
M. Paul Hervieu. On a expédié les affaires courantes dont M. Paul Hervieu
avait assumé la charge, pendant les vacances, avec le plus entier dévouement.
— Et voici, avec la rentrée, la question des billets de faveur qui revient sur
le tapis. Pour en discuter, le syndicat des directeurs, présidé par M. Albert
Carré, s'est réuni cette semaine au foyer du Vaudeville. Étaient présents,
outre le président, MM. Porel, Peter Carin, Michau. Franck, Fontanes, Ul-
mann, représentant Mmes Sarah Bernhardt, Rolle et Duplay. Après s'être
occupé du nouveau règlement de la préfecture de police, on a attaqué la très
brûlante question de la suppression desdits billets et de leur remplacement
par un livre d'entrées gratuites. Comme dans tout syndicat qui se respecte,
on a été loin de tomber d'accord. MM. Messager, Broussan. Carré, Porel.
Carin, Isola, Franck, Michau, Guitry, Fontanes, Gémier, Duplay, entre autres,
sont pour la suppression radicale, y compris celle des billets d'auteur, qu'on
remplacerait par un droit Exe payé chaque jour. Mais Mmes Sarah Bér.ihardt,
Réjane, MM. Deval, Antoine, Hertz, Héros déclarent nettement ne rien vou-
loir changer à l'état de choses actuel. En conséquence, on n'a pu prendre au-
cune autre décision que celle de se réunir à nouveau la semaine prochaine et
d'essayer de s'entendre avec la commission de la Société des auteurs.
— Le Trianon-Lyrique annonce sa réouverture pour le 19 de ce mois.
M. Félix Lagrange. qui jouera toujours tour à tour l'opéra, l'opéra-comique
et l'opérette, vient de très sensiblement augmenter le nombre des musiciens
de son orchestre, ce dont on doit' le féliciter.
— M. Ed. Colonne est parti cette semaine pour Londres. Il doit y diriger,
les 15, 22 et 29 septembre, au Queen's Hall, trois grands concerts. Puis il en
interrompra la série pour venir à Paris diriger, les 1er et 2 octobre, deux re-
présentations de l'Arlésienne données au Trocadéro par les Trente ans de
Théâtre et la Ligue de l'Enseignement.
L'éminent chef d'orchestre retournera à Londres pour y diriger six concerts,
consécutifs cette fois, du o au 10 octobre.
Le 17 octobre, il donnera à Lille un grand concert avec son orchestre, et
enfin, le dimanche 18, il présidera à la réouverture des concerts du Chàtelet
avec la 156e audition de la Damnation de Faust, avec M. Renaud, qui part pour
l'Amérique aussitôt après celte unique audition.
— Subra. la gracieuse ballerine de l'Opéra, qui vient de disparaître, a pensé
aux orphelines de ses camarades. Elle lègue, par testament, 10.000 francs à
l'Orphelinat des Arts.
— On annonce l'engagement aux Variétés de M"" Jeanne Ugalde, qui est
la fille de M"e Marguerite Ugalde et la petite-fille de Mmc Marguerite Ugalde,
l'inoubliable créatrice de Galathêe. La jeune artiste a donc de qui tenir; sou-
haitons qu'elle continue heureusement la lignée artistique des Ugalde.
— Le dernier volume des Correspondances et écrits de Hans de Bulow.
publiés par M",e Marie de Bulow à Leipzig, va paraître très prochainement.
La Ncue Rundschau de Berlin a obtenu la communication anticipée de quel-
ques lettres choisies parmi les plus intéressantes. Nous en reproduisons des
extraits dans lesquels on appréciera, chez le célèbre chef d'orchestre et pia-
niste, une justesse d'appréciation qui surprendra ceux qui ne l'ont jugé que
par ses colères sarcastiques, son ironie de langage et ses revendications d'art
impétueuses et véhémentes. Il écrit à Johannès Brahms : « Vois ! Monsieur
et madame Herzogenberg, <> relictis ceteris ». pourront t'admirer peut-être
avec plus d'intelligence que moi, mais aucun ne t'aimera plus profondément.
Tu as été la lumière qui a donné l'essor à mon sens artistique, le monde mu-
sical te devra toutes les choses belles et grandes que je pourrai lui faire con-
naître dans mes dernières, dans mes meilleures années de vie ». Sur Tschaï-
kowsky que Bulow avait connu i Saint-Pétersbourg, il s'exprime ainsi qu'il
suit : « Personnellement, c'est un des hommes les plus dignes d'être aimés
que j'aie rencontrés pendant ma carrière: d'une tolérance absolue et parlant
toujours avec éloge de ses confrères; en un mot, un exemplaire de choix de
l'humanité. Né en 1840, ses cheveux sont déjà presque blancs, mais il e-i od-
core plein de génie et de jeunesse. Quand il compose, il s'enferme dans la
plus complète solitude. Son travail est-il fini, sa manière cordiale fait la
joie de ceux qui le connaissent et l'entourent de leurs sympathies n. Une
communication d'un genre tout différent a été adressée à M11'' Hélène Uaff, au-
tpur de romans édités en Allemagne, qu'il traitait familièrement comme une
nièce. « Après trois années d'efforts, j'ai enfin réussi à atteindre le but que
je poursuivais. Ecoute... Je suis aimé. Par qui? Par le chameau du jardin
zoologique, même par tous les deux, mais l'un, — je l'ai baptiié du uom
d'Antar, — connaît ma voix, me salue, m'accompagne comme un petit chien,
courant et sautant. Aujourd'hui, dans l'après-midi, je devrai prendre congé
solennellement des animaux. Il n'est pas impossible, — car cet adieu me va
vraiment au cœur, — que ton fidèle oncle, si ami des bêtes, verse quelques larmes
bien senties ».
Dans une autre lettre, Bulow avertit un de ses amis de se défier des jour-
naux qui parlent de lui. « Ne crois jamais sans réserve, écrit-il, ne crois
même pas toujours avec réserve ce que les journaux impriment à mon sujet.
Wolff en use comme il lui plait et ne me consulte jamais avant de me mettre
en cause. Après avoir l'ait de vains essais auprès de lui, j'ai fini par me rési-
gner ». C'est en effet ce qu'il pouvait faire de mieux, quitte à se venger avec
esprit à l'occasion. Ce n'était point des journalistes qu'il avait le plus à se
plaindre ; les personnages officiels ne l'épargnaient pas et il le leur rendait
bien. On en peut juger par l'histoire suivante. Un soir de l'année 1887, le
comte de Hochberg, intendant des théâtres royaux de Berlin, mécontent de
quelques paroles prononcées publiquement par Bulow, le ht expulser de l'Opéra-
Royal. Quelques jours après, l'artiste donnait un concert à la Sing- Académie.
Après son entrée dans la salle, accueillie par de vifs applaudissements et après
l'exécution d'une sonate qui lui avait valu une ovation chaleureuse, le célèbre
pianiste, se remettant au piano, préluda par quelques mesures magistrales ;
puis soudain, au milieu de la surprise générale, il attaqua sur un rythme
fortement accentué le fameux air des Xoces de Figaro sur ces paroles si
connues : «... Si M. le Comte veut essayer un bout de danse, il n'a qu'à me
le dire, je lui jouerai un air de ma façon... » Tout le monde avait compris;
tout le monde donnait raison à Bulow qui avait envoyé, dit-on, ses témoins
au comte de Hochberg. La salle éclata en joyeuses et bruyantes acclamations ■
le public de la Sing-Academie, en général si solennel, témoignait ainsi
tumultueusement sa sympathie à l'artiste, épousait sa cause et donnait aux
ovations qu'il lui prodiguait le caractère d'une véritable protestation. Non
seulement Bulow eut les rieurs de son coté, mais il en avait fait des complices
et ce soir-là le comte de Hochberg fut tourné en ridicule par les treize cents
personnes qui composaient l'assistance. A tous points de vue l'artiste s'était
magistralement vengé.
— Le Théâtre du Peuple, de Bussang, qui est le premier en date de nos
théâtres en plein air (il est à sa quatorzième année), et que notre collabora-
teur Arthur Pougin a eu l'occasion de faire connaître ici, l'an dernier, dans
tous ses détails, a donné récemment la première représentation d'une nou-
velle œuvre de M. Maurice Pottecher, le Château de Hans. pièce légendaire en
quatre actes et cinq tableaux, mêlée de chants et de danses, avec musique de
M. Lucien Michelot. C'est une pièce fantastique, moitié prose, moitié vers,
pleine de couleur et de poésie, dont le sujet est tiré d'un conte populaire, et
qui est mise en scène de la façon la plus ingénieuse. Fort bien joué par ses
interprètes amateurs, qui ont su lui donner son véritable caractère, orné d'une
musique aimable et bien adaptée au sujet, le Château de Bans a obtenu un très
vif succès et a été reçu avec acclamations.
— Décentralisation. Le Grand-Théâtre de Lyon annonce, pour cet hiver, la
création de la Glaneuse, drame lyrique en 3 actes, de MM. Arthur Bernède et
P. de Choudens, musique de M. Félix Foudrain.
NÉCROLOGIE
Après Subra et Soubrier, l'Opéra vient de perdre encore une artiste du
corps de ballet en la personne de Mlle Suzanne Demaulde, qui succombe, à
peine âgée de vingt -trois ans, à une fièvre typhoïde.
— De Florence on annonce la mort, à l'âge de 84 ans, de Cesare Bellie
cioni, père de la grande cantatrice Emma bellincioni. Chanteur lui-même, il
avait appartenu jadis au théâtre, et c'est lui qui guida sa fille à ses premiers
pas dans la carrière.
— A Vienne, une jeune actrice, Mlle Marie Neidinger. s'est suicidée sur ;a
tombe de sa mère, au cimetière de Hernals, en se tirant un coup de revolver.
C'est la crainte qu'elle avait d'être frappée de paralysie qui la poussa à cet acte
de désespoir.
Henri Helgel, directeur-gérant.
296
LE MENESTREL
En l'ente AU MENESTREL, 2 bis, rue Vivienne, HEUGEL ET O
PROPRIÉTÉ POUR TOUS PAYS
éditeurs
THEATRE LYRIQUE
VICTOR JVIflSSÉ
PAUL ET VIRGINIE
THEATRE LYRIQUE
Ope.
3 actes et 6 tableaux, de JULES BARBIER et MICHEL CARRÉ
Parution piano et chant, net : 20 francs. — Édition de luxe sur Hollande, reliée, net : 50 francs.
Partition chant seul, net : 4 francs.
Paolo et Virginia, édition italienne, net : 20 fr. — Paul and Virginia, édition populaire anglaise, net : 10 fr. — Paul und Virginia, édition allemande, net : 20 fr.
Livrets en langue italienne, anglaise et allemande, chaque, net : 1 franc.
MORCKAUX DÉTACHÉS, CHANT ET PIANO
3.
3 bis.
3 ter
3 i"1
4.
4 bis.
4 ter
5.
5 bis.
5 ter
6.
Duo des deux mères 7 30
Couplets: N' en voue:- pas le je une mail re{B.) 4 »
Les mêmes, pour ténor 4 »
Les mêmes, pour baryton (un ton plus
bas) 4 »
Duo : Par quel charme, dis-moi (S. T.). 7 30
Gantabile, extrait (T.) 4 »
Le même, un ton plus bas -i »
Le même, une tierce plus bas (B.) . . 4 »
Chanson du Négrillon (S.) S »
La même, un ton plus bas (M. -S.) . . 3 »
La même, une tierce plus bas (C.) . . o »
Romance : Pardonnez-lui (S.) 4 »
La même, un demi-ton plus bas ... 4 »
La même, une tierce plus bas (M. -S.). 4 »
Chanson du Tigre (M.-S.) S »
Les numéros 3, 5, 7, 8, 14 et 13
Les numéros 1, 2, 3, 3 bis, 4, 5, 6, 7, 8
8
8 bis
8 1er
10 iis
11
La même, un ton plus bas
Romance : Nous marchions cette nuit (S.)
. La mémo, un ton plus bas (M. -S.) . .
La même, chant seul
Chanson : L'oiseau s'envole (B.). . . .
La même, pour ténor
, La même, pour baryton (un demi-ton
plus bas)
La même, un ton plus bas (Bse) . . .
Récit et duo : Ah! ne brise pas mon
courage (T. M. -S.)
Grand duo : Virginie, j'ai retrouvé ton
cœur (T. S.)
, Le même, sans récit: .1/// puisque tu
nous fuis
Chœur des matelots
sont publiés séparément avec accompagnement
, 9, 10, H, 12, 12 bis, 13, 14, 15, 15 bis et 16
12. bT:Bniitsliiintains,chantsdsmatclols(S.)
12 bis. Andante, extrait
12 ter. Le même, un ton plus bas (M. -S.). .
12 '"". Le même, une tierce plus bas (C.) . .
3 » 13. Berceuse : Dans le bois, à mi-voix (M. -S.)
3 » 13 bis. La même, un demi-ton plus haut (S.).
14. Chanson de Méala (M.-S.)
14 bis. La même, un demi-ton plus has . . .
14 ter. La même, un ton plus bas (C.) . . .
15. Air de la lettre (T.)
< 15 bis. La lettre seule (T.)
15 ter. La même, un ton plus bas
15 i"". La même, pour baryton
16. Chanson créole (S.)
50 16 bis. La même, un ton plus bas (M.-S.) . .
16 ter. La même, une tierce plus bas (C.) . .
d'orchestre pour les concerts (location).
sont publiés séparément avec paroles italiennes.
TRANSCRIPTIONS POUR PIANO, DEUX MAINS
Partition piano solo, net 12
Ouvertur
H. Carré .
Dflioux. .
Ch.-L. Hess
Les Silhouettes.
n»37
Fantaisie facile. .
Transcription. . .
Rêverie
A. Hjgnabd. Mosaïque . . . .
Lajarte. . . Fragments mélo-
diques
Mag.nus. . . Souvenirs . . . .
Nelstedt . . Fantaisie . . . .
7 50
7 50
6 »
9 » — La Forêt, entr'acte symphonique 7 50
RUMMEL .
RïSLER .
Trojelli
. Caprice 6
. F'antasietta. . . . C
. Les Miniatures,
n" 99 3
Trojelli . . Les Miniatures,
n- 111 3 »
R. dbYkbac. Bouquets de mélo-
dies,3suites,ch. 7 50
TRANSCRIPTIONS POUR PIANO, QUATRE MAINS
Ouverture • 12 » — La Forêt, entracte symphonique
Bull .... Les Silhouettes, n° 37
Rummel . . . Caprice
Trojelli . . Les Miniatures, n° 17
R. de Vilbac. Bouquets de mélodies, 3 suites, chaque.
net. 1 30
. . . 9 »
DANSES PIANO, DEUX! ET QUATRE MAINS
Arban . . . Quadrille .... 5 »
— ... — 4 mains. . Ij »
_ ... Polka 5 »
Reato. . . . Polka 3 »
Prix
Deransart. . Quadrille .... 5 »
— ... — 4 mains. . 6 »
Javelot . . . Polka 5 »
— ... — 4 mains. . 6 o
Javelot . . . Redowa 6 »
Lasiothf. . . Valse 6 »
— ... — 4 mains. . 7 30
Talexv . . . Polka-Mazurka. . 5 »
— ... — 4 mains. . 9 »
Waldtéufél. Valse 6 »
TRANSCRIPTIONS POUR. INSTRUMENTS DIVERS ET
Ouverture, partition net. 10 »; parties séparées, net. 10 » — Entr'acte symphonique, partition, net. 10
ORCHESTRE
»; parties séparées, net.
. L'Opéra concertant n° 13 :
Édition pour piano, violon, vio-
loncelle (contrebasse ad libit.) 12 »
Édition pour piano, flûte et
violon (contrebasse ad libit.) . 12 »
Édition pour piano, flûte et vio-
loncelle (contrebasse ad libit.) 12 »
. L'Oiseau s'envole, mandoline
seule net. » 25
. Romance, mandoline seule, net. » 25
Ardan . . . Quadrille, orchestre. . . .net. 1 25
Beato. . . . Polka, orchestre net. 1 ' »
Briois . . . Fantaisie pour harmonie . net. 10 »
Dancla . . . Fantaisie, violon et piano ... 9 »
Deransart . Quadrille, orchestre. . . .net. 1 25
Gariboldi. . 2 suites, flûte seule, chaque net. 1 »
— ... Fantaisie dramatique, flûte et
piano 7 50
— ... 2 suites, violon seul, chaque net. 1 »
Herman. . . Soirées du jeune Flûtiste n° 36
(flûte et piano) 9 »
Herman .
. Soirées du jeune violoniste n° 36
(violon et piano)
Javelot. . . Polka, orchestre net.
Lamotiie. . . Fantaisie, orgue et piano . . .
Nathan . . . Fantaisie, violoncelle et piano :
lrc suite
2e suite
Vieuxtemps et Wolff. Duo concertant, violon
et piano
Tavan. . . . L'Opéra symphonique n" 13. net
— (Encre Lorilleui).
40/53. — 74" AttÉE. — A0 38.
PARAIT TOUS LES SAMEDIS
Samedi i9 Septembre 1908.
(Les Bureaux, 2"", rue Tiyicnne, Paris, n- uv)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
lie fluméFo : 0 fp. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
Le flaméro : 0 fp. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Boas-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en ans.
SOMMAIRE-TEXTE
1. Soixante ans de la vie de Gluck (30° article), Jolies Tiersot. — II. Semaine théâtrale : reprise de Paul et Virginie, au Théatre-Lyriqne de la Gaité, Anrauii Pougin
première rcpréf-nlalion de Mam'zel/e Trompette, aux Folies-Dramatiques, A. Boutarel.
III. Une famille de grands luthiers italiens : Les Guarnerius (9D article), Arthur Pougin. — IV. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
FEUILLES MORTES
mélodie de Raoul Pug.no. — Suivra immédiatement : Nuayes dans l'eau, mé-
lodie extraite des Poèmes de Jade, de Gabriel Fabre.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
ROSES DE FRANCE
gavotte, de Robert Vollstedt. — Suivra immédiatement : Lu Friponne, nou-
velle polka-mazurka, de Rodolphe Berger.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
( XT 14- ITT- -4,)
CHAPITRE VII : L'éclosion du génie : Orfeo ed Euriclice
Dans sa préoccupation d'enrichir
la palette des sonorités, Gluck ne
manque aucune occasion qui puisse
être profitable pour faire entendre
des instruments généralement inusi-
tés. C'est ainsi qu'au premier chant
strophique d'Orphée : Chiamo il mio
ben cosi (Objet de mon amour), il
accompagne d'abord la voix non
seulement par la flûte, mais, par une-
partie de chalumeaux (l'antique Schalmei
décrit par Prétorius, prototype de la
clarinette) ; dans la seconde strophe, il
fait alterner avec elle un cor, et, dans
la troisième, l'unit à deux Corm
inglese.
Enfin, s'il advient parfois que le
drame motive l'emploi effectif d'un
certain instrument, ce n'est pas Gluck
qui le remplacera conventionnelle-
ment par un autre. Il représente la
lyre d'Orphée par son équivalent
moderne, la harpe, qu'on n'avait
plus entendue à l'orchestre depuis
Monteverde (1). Quand Orphée exhale
ses plaintes aux échos de la forêt,
l'écho répond en effet : placés au loin,
(t) Il n'est pas d'ailinnations du genre de celle-ci
qui ne soient susceptibles d'exceptions, celles-ci
n'infirmant en rien le fait principal : comme telle,
je citerai un épisode du Giulio Cesare deHaendel,
où une apparition des Muses sur le Parnasse est
accompagnée d'un concert de harpe, théorbe et
violes faisant leur partie avec les hautbois et
violons.
ne Viardot dans Ori>hée (Théâtre-Lyrique, 1859).
D'après l'Univers illustré.
les violons, unis au chalumeau,
imitent les inflexions de sa voix ; et
ce n'est point là un effet facile et
vulgaire, mais un sentiment de poésie
virgilienne se dégage de ces redites
harmonieuses.
On pourrait s'étonner que, dans
une orchestration si riche, Gluck ait
négligé la trompette : c'est que l'ins-
trument guerrier n'avait pas son uti-
lisation dans la pastorale mythologi-
que (1). D'ailleurs il ne l'a pas com-
plètement laissée de côté, car il lui
fait exécuter quelques fanfares dans
l'ouverture, morceau dans l'ancien
style, le seul de la partition qui ne
réalise pas encore les idées du réfor-
mateur.
Enfin, il était un instrument fort
en usage en son siècle, et pour lequel,
dès Orfeo, il manifeste un dédain
complet : le clavecin, si précieux
pour mettre en valeur les délicates
dentelles de Couperin. de Scarlatti,
de Rameau, mais qui, dans l'accom-
pagnement des récitatifs dramatiques,
donne, par ses sons pointus et grêles,
Il La trompette joue un rûle assez important
dans la partition de l'Orphée français, notamment
dans l'introduction de la scène des Enfers. Mais
il ne faut pas oublier que nous ne parlons ici
que de l'Orfeo de 1762, dont l'adaptation posté-
rieure fut, à tous les points de vue, un dévelop-
pement.
298
LE MÉNESTREL
une impression de monotonie, et en même temps d'impuissance,
à l'évidence de laquelle des exhumations récentes ne nous ont
point permis d'échapper. Aussi bien, un des articles du code
gluckiste qui sera bientôt formulé est qu'il faut éviter les dispa-
rates entre l'air et le récitatif : l'emploi du clavecin dans le
recitativo secco contribuait à accuser ce défaut; Gluck transfor-
mera donc désormais tous ses récitatifs d'opéras en récitatifs
obligés, et leur donnera le même accompagnement orchestral
qu'aux chants les plus lyriques, écartant définitivement le cla-
vecin du théâtre.
Quant au cbant même, Gluck n'en voudra plus concevoir les
formes qu'en suivant la seule nature, sans plus se soucier des
coupes plus ou moins obligatoires que si elles eussent jamais
existé, — et pas davantage des convenances des virtuoses. La
première fois qu'Orphée fait entendre sa voix, c'est en poussant
un cri de douleur qui domine la plainte de tout le chœur. Dans
les strophes lyriques par lesquelles il redemande au bocage
celle qui lui a été ravie, il déroule un chant d'une ligne précise
et gracile, premier exemple donné dans la musique moderne
de ce style néo-grec, ou plutôt peut-être latin, dont quelques
maîtres français du XIXe siècle, Berlioz dans certaines pages
des Troyens, Gounod dans Sapho, M. Massenet dans les Erinnyes,
ont, et parfois avec un rare bonheur, .retrouvé le secret. Il est
digne de remarque que les trois chants principaux d'Orphée,
d'un caractère également plaintif (Objet de mon amour, Laissez-
vous toucher par mes pleurs, J'ai perdu mon Eurydice), sont écrits
dans le mode majeur. Pourtant, leurs mélodies contiennent
en elles une expression singulièrement intense. C'est qu'au
moment où il les a conçues, Gluck était encore, dans une
certaine mesure, sous l'influence du génie italien, qui connaît
l'art d'accorder la beauté de l'expression avec celle de la forme,
et de mettre de la lumière jusque dans les tableaux les plus
sombres.
Grétry, très digne de comprendre Gluck, a fait, au sujet des
chants d'Orphée, une observation ingénieuse. Voulant dire que
la musique a des limites qui l'empêchent de se hausserjusqu'au
langage des dieux, il dit : « Il ne faut faire chanter ni Apollon,
ni Orphée... Lorsqu'Orphée veut forcer le Ténare, l'air de Gluck
ne satisfait pas les spectateurs, qui attendent un prodige inouï
en musique ; cet air parait froid, et le serait effectivement si les
démons ne le réchauffaient par leurs cris. Ce sont donc les dia-
bles qui opèrent fortement sur les spectateurs, et non Orphée.
Il fait naître, il est vrai, les oppositions qui frappent ; mais ne
devrait-11 pas frapper lui-même pour être auteur principal (1)?»
Cela peut être ; il est bien vrai que les deux strophes par
lesquelles la voix d'Orphée exerce sa séduction sur le chœur des
esprits infernaux ne surpasse pas en beauté les autres chants de
la même œuvre : et s'il en est ainsi, c'est sans doute que Gluck
n'a pu faire mieux. Un moderne aurait été plus loin peut-être,
en faisant appel aux ressources d'un art plus avancé. Mais ÏOrfeo
est, avons-nous dit, une véritable œuvre de primitif, et l'on ne
conçoit guère comment, sans le secours d'aucun artifice et avec
des ressources aussi restreintes, — une voix, une harpe, —
Gluck aurait pu donner davantage. Au reste, la beauté mélodique
et le grand style du chant qui alterne avec l'implacable
monosyllabe : Deh ! placatevi con me! devrait être, ce nous semble,
de nature à satisfaire aux exigences les plus rebelles.
La scène entre Eurydice et Orphée, le seul dialogue qu'il y ait
dans l'opéra, n'offre pas, sans doute, de beautés musicales aussi
éminentes; encore le chant d'Eurydice : Che fiero momento (Fortune
ennemie) est-il du meilleur style classique. Pourtant l'ensemble
mérite qu'on en reconnaisse la nouveauté, et celle-ci est l'effet
de la complète liberté du mouvement général, qui persiste à ne
se point soucier des formes convenues, des symétries imposées,
et ne connaît pas d'autre loi que de suivre les péripéties de la
scène. On trouverait difficilement des exemples semblables dans
les opéras de Léo ou de Pergolèse. Donc, sans s'attarder à
d'inutiles digressions, la musique, de plus en plus haletante, en
(1) Grétry, Essais suc la musique, I, :iil2.
arrive à trouver son expansion suprême, non pas en un duo,
mais en un air dont la sublime beauté expressive n'a, depuis
un siècle et demi, et malgré quelque abus qui en fut fait parfois
à l'usage, jamais cessé d'émouvoir les âmes capables de ressentir
le charme de la mélodie.
J'ai lu pourtant, à une époque récente, que l'air : Tai perdu
mon Eurydice est un « faux bel air ». Je pense que cette opinion
est de même famille que celle de cet Athénien qui se disait las
d'entendre appeler Aristide le juste. « Che faro senza Euridice »
est, au contraire, un air de la plus grande, la plus véritable
beauté. Mais c'est un air. C'est même un rondeau, forme fixe
dont les retours périodiques sont éminemment favorables au
lyrisme. Serait-ce ici la cause des modernes sévérités ? Prétention
singulière, .qui voudrait interdire à Orphée de chanter ! Car le
héros du drame, ce n'est point un époux quelconque, et son
désespoir a droit à se traduire autrement que par des clameurs !
C'est Orphée, dont le chant vient de lutter victorieusement
contre la fureur des Enfers. Poignante est l'émotion qu'il éprouve
en voyant une seconde fois morte devant lui celle qu'il pensait
avoir reconquise : cependant, il n'en reste pas moins Orphée, et
sa douleur doit s'exhaler en un chant. Pourquoi, même, ne
saisirait-il pas sa lyre, pour dire, devant celle qui l'inspira,
l'hymne suprême de sa tendresse ? La nature du personnage,
aussi bien que l'accent de la musique, justifierait une interpré-
tation si conforme : qui sait si, par ce geste, quelque futur
protagoniste du drame n'en rénoverait pas l'inépuisable beauté?
Donc (il faut nous y résigner I) le chant: Che faro senza Euridice
est. un chant, le plus beau qu'on puisse entendre, mais d'une
expression peu définie — peut-être parce qu'il est au-dessus de
toute expression — « la Musique », tout au moins « la Mélodie »
en soi. Mais sa signification est précisée par le voisinage des
motifs secondaires, où la précision d'accent n'est pas douteuse.
C'est d'abord l'appel angoissé qui suit la première strophe u
Euridice! Euridice! se prolongeant sur la tenue aiguë de Rispondi!
puis, en un mouvement plus lent, avec l'expression d'une ten-
dresse mêlée à une inquiétude mortelle, aboutissant au chant
désolé : Io son pure il tuo fedel... Il n'est pas besoin de regarder
la scène : le sentiment, les paroles, l'accent, le contour même de
la musique, tout s'accorde et s'adapte pour commander l'attitude
du personnage : Orphée penché sur Eurydice, épiant un dernier
souffle qui pourrait ramener la vie, ne voulant pas croire encore....
On voit le geste — tout aussi bien que l'orchestre de Wagner
montre les mouvements de l'écharpe d'Iseult. Et, après la reprise,
quand tout espoir s'est effacé, c'est, par trois fois, la même
descente de la voix, découragée, morne : Piu soccorso... piu
speranza (Mortel silence !), semblant s'abandonner, puis rebondis-
sant pour atteindre à un cri strident, — après quoi le chant
principal est repris encore, et continue longtemps, comme s'il ne
pouvait plus s'arrêter, s'exaltant progressivement pour aboutir
à une conclusion où s'exclame avec l'éclat le plus vibrant toute
la passion, tout le désespoir que peut contenir l'âme humaine.
Gluck a dit lui-même de l'air: Che faro senza Euridice : « Si l'on
change la moindre chose dans la manière de l'exprimer, il
devient une danse de bouffons (un saltarello da Buratlini). Une
note plus ou moins tenue, un renforcement négligé du mouve-
ment ou de la voix, une appoggiature hors de place, un trille,
un passage, une roulade, peuvent ruiner toute une scène dans un
opéra semblable, — tandis que le même changement ne fera
rien à un opéra ordinaire, ou ne contribuera qu'à l'embellir (1) ».
(1) Traduit d'après l'épitre dédicatoire de Paride ed Elena. Ce passage a été
fréquemment cité, mais généralement d'après un texte français qui ne Teproduit
que dans des termes assez éloignés le sens de l'italien original.
Madame Pauline Viardot, lors des représentations d'Orphée au Théâtre-Lyrique,
qui marquèrent, après un oubli de plus de trente ans, la résurrection de l'œuvre
de Gluck, a inauguré pour l'exécution de l'air : J'ai perdu mon Eurydice, une tradition
dont le mérite principal, indépendamment des qualités personnelles et géniales
de l'interprète, fut d'être basée sur la conformité absolue du geste et de l'accent
avec le sentiment intime et les formes extérieures de l'œuvre, ainsi qu'avec lalogiqne
de son développement. C'est ainsi qu'après l'épisode intermédiaire: «C'est ton époux...
Entends ma voix qui l'appelle », le chant, exposé en premier lieu dans son mouve-
ment naturel de bel canto, était redit par elle d'une voix défaillante, en une attitude
de prostration, avec un visage navré, — tandis qu'à la dernière reprise, après le cri
tragique : « Quel tourment déchire .mon cœur », ce même chant jaillissait à pleine voix,
a avec tous les cris, tous les sanglots d'une douleur éperdue » (expressions de
LE MENESTREL
299
C'était, de la part de l'auteur, affirmer que l'inspiration d'où ce
chant est sorti tenait aux profondeurs de son être, et proclamer
la sincérité de sa création d'art. De fait, nul ne s'y est trompé,
et, depuis bientôt cent cinquante ans, le chant de Gluck n'a
jamais, cessé d'exercer sa puissante séduction sur les « âmes
sensibles », comme on disait en son temps, — comme il y en a
sans doute encor aujourd'hui, sans oser le dire.
(A suivre.) Julien Tiebsot.
SEMAINE THÉÂTRALE
'Théâtre-Lyrique (Gaité). — Reprise de Paul et Virginie, de Victnr Massé
(lo septembre 1908).
Voici la troisième fois que l'opéra de Victor Massé se présente sur
cette scène de la Gaité, où sa première apparition, le 15 novembre 1876,
fut quasiment triomphale, à l'époque de la direction du regretté Albert
Vizentini. Trois ans plus tard, le 24 décembre 1879. on l'y retrouvait,
sous l'éphémère administration de Martinet, qui avait espéré faire re-
naître le Théâtre-Lyrique à la Gaité. Et voici qu'aujourd'hui, alors
qu'il est âgé de trente-deux ans, l'ouvrage est offert, de nouveau au
public, sur lès mêmes planches où il obtint d'abord, comme on disait
jadis, « le baptême du succès ». (Sans oublier la reprise qui eut lieu à
l'Opéra-Comique le 18 décembre 1894.)
L'opéra de Massé est le troisième ouvrage lyrique inspiré chez nous
par le délicieux roman de Bernardin de Saint-Pierre. Le premier est
celui du grand violoniste Rodolphe Kreutzer, qui parut au théâtre
Favart le 13 janvier 1791. Dans celui-ci, le poète, Favières, en avait
pris à son aise avec le chef-d'œuvre du romancier, et ne s'était pas gêné
pour faire un dénouement de son cru, c'est-à-dire que la tempête, au
lieu de se produire au retour de Virginie, avait lieu à son départ ; et
alors, Paul, voyant, du haut d'un rocher, le naufrage du vaisseau, se
jetait à la mer et sauvait Virginie, qu'il ramenait vivante sur le ri-
vage. Le second livret, dû à un nommé Dubreuil et mis en musique
par Lesueur, n'était pas moins libre dans son adaptation du roman. Le
second Paul, et Virginie (ou le Triomphe de la vertu) fut représenté au
théâtre Feydeau le 13 janvier 1794.
Malgré l'incohérence des deux iivrets, les deux ouvrages obtinrent
du succès, sans doute surtout grâce à leur musique. Du premier, celui
de Kreutzer, un chroniqueur disait alors : — « Le public pour cette
fois, s'est montré juste : Paul et Virginie jouit encore d'un succès dis-
tingué... L'instant du naufrage est affreux, et il est rendu avec tant de
vérité qu'on a peine à le soutenir. M. Michu et Mme Saint-Aubin se
surpassent dans leurs rôles. On ne saurait porter plus loin l'expression •
du malheur et l'accent de ia sensibilité ». Un autre parlait ainsi de
celui de Lesueur : — « Cet ouvrage eut du succès, pas autant, peut-être
que l'espéraient l'auteur et les directeurs du théâtre Feydeau. Il con-
tient de belles parties, entre autre l'Hymne au Soleil qui ouvre la pièce
{et qui a eu plus d'une fois l'honneur de l'exécution aux concerts du
■Conservatoire). Mais ce qui frappa surtout les spectateurs, ce fut la
scène de la tempête, où le compositeur avait mis toute sa science du
pittoresque ; le public applaudit, et admira, et l'on s'accorda à trouver
que Lesueur possédait une rare puissance de description. On vanta la
richesse de sa palette, la force de sa couleur, la terrifiante sonorité de
cet orchestre en qui semblaient gronder toutes les fureurs de l'Océan ».
Cela nous paraîtrait probablement bien pauvre aujourd'hui, après les
orgies de sonorité que nous connaissons et auxquelles M. Richard
Strauss vient de mettre le comble. II est certain que Berlioz, élève de
Lesueur, a singulièrement « dégoté » son maitre sous ce rapport.
La tempête de Massé n'a rien, elle, d'effrayant ; mais on a réentendu
la partition avec un visible plaisir, et on en a souligné les plus jolies
pages, celles qui, dès le premier jour, avaient produit le plus de sensa-
tion, soit par leur grâce, soit par leur poésie, soit par leur originalité.
Sous ce rapport on a fait fête aux deux mélodies touchantes du nègre
Domingue : N'envoyé: pas le jeune maitre vers les pays lointains et l'Oi-
seau vole, à la seconde surtout, qui a été chantée d'une façon délicieuse
51. Simard ; à qui toute la salle l'a redemandée. On a applaudi de
même la chanson sauvage et pleine de couleur de Méab :
Parmi les lianes,
Au fond des savanes,
Le tigre est couché....
Berlioz). L'on ne saurait trop admirer l'idée d'une si puissante interprétation, — à
laquelle il ne pourrait y avoir àredire que si l'on devait craindre qu'une imitation
mal comprise substituât à la sincérité de l'accent une convention nouvelle, et surtout
que le chanteur n'y trouvât qu'un prétexte à des effets de voix aux dépens de l'ex-
pression intime.
Mais il y a des morceaux plus importants dans cette partition loullïn-,
entre autres le joli duo d'entrée de Paul et Virginie, d'où se détache
cette phrase suave de Paul : Par quel charme, dis-moi, m'as-lu donc
enefianté? puis l'intéressant trio auquel donne lieu l'arrivée' de Méala
venant implorer secours et assistance. La page la plus importante de
l'œuvre est assurément le grand morceau d'ensemble, solidement cons-
truit, dans lequel les deux enfants viennent justement demander au
planteur la grâce de la négresse fugitive et qui contient cette phrase si
attendrie et si louchante de Virginie: Pardonnez-lui!... A signaler en-
core la scène de l'a vision de Paul, qui csi aussi bien établie, par un
homme qui connaissait son art et son métier... Mais je m'arrête pour
ne pas tourner au catalogue.
On sait combien était superbe la première interprétation 'le /'<<»/ et
Virginie, avec MM. Capoul (Paul). Bouhy ( Domingue;, Melchis-éd.-c
(Sainte-Croix), M"" Cécile Ritter, aujourd'hui M"1" Ciampi (Virginie),
M Sallard (M™ de La Tour) et M Téerai I Marguerite) ; c'était un env
chantmient. Aujourd'hui, le rôle de Virginie est tenu d'une façon char-
mante par une artiste tout à fait aimable, M"'; Angèle Poi-not, que nous
avions entendue déjà à l'Opéra-Comique. et qui a fait preuve non seu-
lement d'un latent très réel de cantatrice, mais de vraies qualités de
comédienne. Elle a été touchante, simple et pleine de grâce. M. David
Devriès, qui joue Paul, sort aussi de l'Opéra-Comique : sa voix manque
malheureusement un peu de timbre et de caractère, et il est parfois
obligé, pour la circonstance, de la forcer plus qu'il ne faudrait. M. Si-
mard a obtenu un succès très mérité dans le personnage de Domingue.
et M. Maxime Viaud est excellent dans celui du planteur Sainte-Croix.
Enfin, Mmu Georgiadès s'est distinguée dans le rôle delà négresse Wéala
et l'ensemble est bien complété par M™ Lemeignan (M"" de La Toun
et Mmt' Bérat (Marguerite). Un bon point à M"" Reine Leblanc, qui a
fort gentiment chanté le couplet du négrillon.
AnTHTIl Poccix.
Folies-Dramatiques. — Mhm'seUè Trompette, opérette en trois actes de
MM. Maurice Desvallières et Paul Mnncousin. musique de M. Th. Hirlemaiin.
Au moment où dans toutes les grandes villes de l'Europe s'établis-
sent de nouveaux théâtres d'opérette, il faut louer sans réserve le nou-
veau directeur des Folies-Dramatiques. M. Roger Debrenne. d'avoii
compris que Paris ne saurait s'en passer. Et voici que la Fortune
moins aveugle qu'on ne le dit, favorise déjà son initiative et fait un
succès du premier ouvrage qu'il nous présente. Reconnaissons d'ailleurs
que les auteurs de la pièce et celui de la musique ont particulièrement
réussi dans leur tâche. Écoutez maintenant cette histoire :
Le galant Martignol, élève-officier de l'école de Saumur. a fait la
connaissance de M"" Paillette au Concours hippique de Paris. C'est un
joli brin de diva, cette Mlk' Paillette, fine et mignonnette en toute sa per-
sonne. Elle a suivi à Saumur son bel amoureux et s'est introduite dans
l'école, tapie au fond d'un sac et portée par des hommes de corvée. Il y
a bien là le commencement d'une aimable idylle au son de la trom-
pette, mais, voyez la malechance, Paillette, arrivée inopinément, trouve
son ami en conversation légère avec Mlle Carabine, la blanchisseuse de
l'école. Comment va-t-elle se venger ? Oh ! elle n'est pas en peine ; il lui
suffira d'accueillir les hommages de l'adjudant-major Duruchard. com-
mandant de l'école,, et, en demoiselle fine et bien apprise, elle saura ne
faire qu'à bon escient dans l'avenir un pas décisif, n'en ayant jamais
fait dans lep assé.
Le lendemain il y a grande fête de nuit dans les jardins de la baronne,
châtelaine de la Citanguctte. Paillette doit y jouer une petite comédie
à trois personnages ; mais ses deux partenaires ayant fait défaut par
suite d'un accident d'automobile, on trouve, pour les remplacer, d'abord
un soi-disant choriste dont nul ne sait le nom. ensuite le commandant
Duruchard lui-même, heureux de faire doublement sa cour à la baronne
et à Paillette. Car, dans la pièce. Paillette représente une jeune fille
qu'il doit courtiser, et, comme on peut le croire, il se met en mesure
sans se faire prier. Mais le choriste ne l'entend pas ainsi : son rôle est
celui d'un père gêneur ; il en profite hardiment pour maltraiter Duru-
chard. Il usurpe même le personnage de ce dernier sous prétexte de lui
apprendre de quelle manière il doit le jouer, et adresse a Paillette, qui
reconnaît en lui Martignol. une déclaration si empressée, si tendre, si
touchante, que la jeune fille pardonne au repentir de son ami et con-
sent à l'épouser, se promettant bien de le rendre fidèle. Duruchard se
trouve triplement sot et ridicule, devant Paillette et Martignol qui le
bernent, et devant le trompette de l'école de Saumur, le soldat Cauas-
son, qui triomphe en secret de l'humUiation de son supérieur.
Ici se place l'incident qui a valu le surnom de Mam'zelle Trompette à
300
LE MÉNESTREL
notre gentille héroïne. Voulant, après la fête chez la baronne, rentrer
dans l'école avec Martignol, elle a dérobé l'uniforme du trompette
Canasson afin de pouvoir franchir le seuil sans être arrêtée par le
factionnaire. Mais au moment où elle sort du pavillon du jardin, por-
tant, galons, pompons, épaulettes. et se campe devant tois, fluette et
menue comme une poupée qui jouerait aux soldats, Duruchard, la pre-
nant pour le trompette Canasson, la fait conduire à la salle de police
pour avoir enfreint une consigne. Au dénouement, tout le monde se
retrouve à cinq heures du matin dans la cour de l'école, et chacun a
repris son nom et son sexe. Duruchard pardonne à Paillette et à Mar-
tignol et les pousse dans les bras l'un de l'autre. Espérons que les
règlements de Saumur leur permettront de se marier.
La musique de Mam'zeile Trompette est agréable et facile. Elle traduit
en joyeuses ariettes, en petites romances et en duos pleins de bonne
humeur, les situations d'un scénario dans lequel perce une fois ou
deux la note sentimentale. La mélodie de Martignol, Après la chute
meurtrière, possède un petit accent suave et doux et sa mièvrerie même
lui prête une apparence de laisser-aller délicieux. On a bissé l'amusant
duetto Fais comme moi, m'a dit ma mère, un des meilleurs morceaux de
la partition, et beaucoup de couplets ont dû être répétés aux acclama-
tions de la salle entière. M. Hirlemann a su donner une allure humo-
ristique à sa musique. Son orchestration qui. certes, n'a rien de
recherché, nous offre parfois de petites surprises anodines qui réjouis-
sent l'oreille. Rarement il est vrai, mais quelquefois pourtant, le
rythme est marqué par les cuivres et la percussion d'une manière un
peu lourde et vulgaire ; un artiste peut éviter facilement cet ccueil et il
y a trop de charmantes pages dans Mam'zeile Trompette pour que l'on
ne regrette pas d'en rencontrer quelques-unes dont la contexture est
banale et peu consistante.
M"c Marise Fairy, transfuge de l'Opéra-Comique, sait chanter et dire
avec une grâce espiègle et mutine. Elle conserve à son personnage une
tenue suffisamment discrète, ce qui a produit un contraste piquant, les
partenaires de la charmante divette jouant tous dans le genre bouffe.
Elle aurait tort assurément de changer sa manière, car chez l'actrice-
chanteuse ou diseuse, la réserve dans le jeu et le gaste est une coquetterie
qui ne manque jamais son effet. M. Chadal a rendu très agréablement
ses petites strophes ou répliques galantes d'amoureux. Mm's Jane Dyt
et Gabrielle de Luza ont détaillé avec entrain les couplets de l'amidon
et la chanson du beau colonel ; il y a eu plusieurs bis pour elles. Enfin
MM. Jordanis et Fernal se sont montrés des comiques d'une amusante
désinvolture.
Il y a dans ce spectacle tous les éléments d'un succis.
Amédée Bui-tahel.
UNE FAMILLE DE GRANDS LUTHIERS ITALIENS
LES GUARNERIUS
JOSEPH GUARNERIUS DEL GESU
III
LES INSTRUMENTS DE JOSEPH GARNERIUS DEL GESU
Les instruments italiens étaient encore à peu près inconnus en
France lorsque l'illustre violoniste Viotti arriva à Paris et so fit
entendre au Concert spirituel en 1782. Viotti apportait avec lui et
jouait un superbe violon de Stradivarius, qui produisit, auprès des
artistes et des amateurs, presque autant de sensation que son incom-
parable talent. Cet instrument, d'une sonorité si nouvelle et si péné-
trante, excita l'admiration de tous et rendit, aussitôt et du premier
coup, le nom de son auteur populaire dans le monde musical. Ce n'est
que beaucoup plus tard, et plus lentement, que celui de Joseph Guar-
nerius conquit à son tour la renommée dont il était digne. De môme
que l'arrivée de Viotti avait rendu Stradivarius célèbre parmi nous,
c'est la venue de Paganini avec son Guarnerius qui mit en lumière le
talent du grand luthier et commença à faire rechercher activement ses
produits. L'abbé Sibire, nous l'avons vu, parlait de lui sur un ton un
peu dédaigneux : il allait avoir sa revanche, grâce au violon de Paga-
nini. L'histoire de ce violon, qui était daté de 1743, c'est-à-dire de la
plus belle époque du maître, est curieuse et mérite d'être racontée.
Fétis, qui eut des relations étroites avec le grand violoniste, et qui, lors
du séjour de celui-ci à Paris, l'aida puissamment pour combaltre les
calomnies dont il était victime, donne à ce sujet des détails intéressants.
Tout jeune encore à l'époque dont il parle, Paganini venait d'échapper
comme par miracle à la tutelle de son père, dont la sévérité allait
jusqu'à la cruauté, et parcourait déjà l'Italie au bruit des applaudisse-
ments que provoquait son talent précoce :
L'année 1799 venait de commencer, dit la biographe, et Paganini n'était
âgé que de quinze ans. Cet âge n'est pas celui de la prudence. D'ailleurs
son éducation morale avait été absolument négligée, et la sévérité dont sa
jeunesse avait été tourmentée n'était pas propre à le mettre en garde contre
les dangers d'une vie trop libre. Livré à lui-même et savourant avec délices
l'indépendance nouvelle dont il jouissait, il se lia avec des artistes d'un autre
genre, dont l'habileté consistait à inspirer le goût du jeu aux jeunes gens de
famille, et à les dépouiller en un tour de main. En une soirée, Paganini per-
dait ainsi souvent le fruit de plusieurs concerts, et se jetait dans de grands
embarras. Mais bientôt son talent lui fournissait de nouvelles ressources, et
pour lui le temps s'écoulait dans cette alterna'ive de bonne et de mauvaise
fortune. Quelquefois sa détresse allait jus |u'à le priver de son violon. C'est
ainsi que, se trouvant à Livourne, il dut avoir recours à l'obligeance d'un
négociant français, M. Livron, grand amateur de musique qui, s'empressa de
lui prêter un excellent instrument de Guarneri. Après le concert, Paganini le
reporta à son propriétaire, mais celui-ci s'écria : « Je me garderai de profa-
ner des cordes que vos doigts ont touchées ; c'est à vous maintenant que ce
violon appartient. » C'est ce même instrument qui depuis lors a servi à Paga-
nini dans tous ses concerts (1).
Ainsi donc, c'est à la passion du jeu que Pagauini dut la joie de pos-
séder un instrument superbe et qu'il ne devait plus quitter. Et c'est
pourtant encore à la passion du jeu qu'il sa vit un jour sur le point de
perdre cet instrument :
... Il était à craindre, dit encore Fétis, que cette existence désordonnée ne
perdit le grand artiste : une circonstance imprévue et de haute importance,
rapportée par lui-même, le guérit tout à coup de la funeste passion du jeu.
Ecoutons Paganini parler à ce sujet : — « Je n'oublierai jamais, dit-il, que je
me mis dans une situation qui devait décider de toute ma carrière. Le prince
de *** avait depuis longtemps le désir de devenir possesseur de mon excel-
lent violon, le seul que je possédasse alors, et que j'ai encore aujourd'hui. Un-
jour, il me fit prier de vouloir bien en fixer le prix, mais, ne voulant pas me
séparer de mon instrument, je déclarai que je ne le céderais que pour 2S0 napo-
léons d'or. Peu de temps après, le prince me dit que j'avais vraisemblablement
plaisanté en demandant un prix si élevé ds mon violon, mais qu'il était dis-
posé à me le payer 2.000 francs. Précisément, ce jour-li, je me trouvais en
grand embarras d'argent, par suite d'une assez forte perte que j'avais faite au
jeu, el j'étais presque résolu de céder mon violon pour la somme qui m'était
offerte, quand un ami vint m'inviter à une partie pour la soirée. Tous mes
capitaux consistaient alors en trente francs, et déjà je m'étais dépouillé de.
tous mes bijoux, montre, bigies, épingles, etc. Je pris aussitôt la résolution
de hasarder cette dernière ressource, et, si la fortune m'était contraire, de
vendre le violon pour la somme offerte, et de partir pour Pétersbourg, sans
instrument et sans effets, dans le but d'y rétablir mes affaires. Déjà mes
trente francs étaient réduits à trois, et je me voyais en route pour la grande
cité, quand la fortune, changeant en un clin d'œil nie fit gagner 160 francs
avec le peu qui me restait. C3 moment favorable me fit conserver mon vio-
lon et me remit sur pied. Dspuis ce jour, je me suis retiré du jeu auquel
j'avais consacré une partie do ma jeunesse, et, convaincu qu'un joueur est
partout méprisé, je renonçai pour jamais à ma funeste passion. »
Le biographe italien le plus sérieux de Paganini, Conestabile, nous
fait connaître comment il traitait son instrument favori : — « Il faut
savoir que Paganini conservait son fameux instrument Guarnerio, qu'il
avait avec lui, dans une petite caisse qui lui servait en même temps à
serrer son argent, quelques petits bijoux, et aussi un peu de linge fin,
car il n'emportait autre chose, en voyage, qu'un étui à chapeau et un
petit sac de nuit. C'est pourquoi il appelait plaisamment cette petile
caisse son « nécessaire » (2).
Le même écrivain nous raconte une petite aventure dont le fameux
violon fit les frais : — « J'ai dit que Paganini jouait dans ses concerts
un Guarnerius. Or, un jour qu'il avait monté ce violon avec le plus
grand soin, quelques envieux, dans une ville d'Allemagne, substi-
tuèrent au sien un mauvais violon, espérant ainsi l'insuccès de
l'artiste; mais ce fut en vain, car il exécuta sa musique avec le même
violon, et l'auditoire ne s'aperçut point du changement. Ce fait est une
réponse à ceux qui ont accusé Paganini de ne savoir montrer son habi-
leté que sur son propre violon. Il est pourtant vrai que, comme tous
les violonistes, il n'aimait pas jouer à l'improviste sur un violon autre
que le sien, et particulièrement pour la musique de chambre, qui du
reste n'était pas le genre cultivé surtout par lui. »
Paganini, qui possédait plusieurs autres beaux instruments de grande
valeur, parmi lesquels un superbe Stradivarius dont il avait refusé
20.000 francs, un excellent Amati et un charmant Guarnerius de tout
petit patron, avait voué à son grand Guarnerius une affection qui con-
(1) Notice biographique sut- Nicolo Paganini (Paris, Schonenberger, 1851, in-8°).
(-2) Conestabile : Yita di Niccolo Paganini (Pérouse, Bartelli, 1851, in-8").
LE MENESTREL
301
fluait à l'adoration. C'est à ce point que, ne voulant pas qu'un autre
artiste pût s'en servir après lui, il le légua en mourant, par testament,
à la municipalité de Gènes, sa ville natale. Celle-ci l'a conservé avec le
plus grand soin (un soin même excessif, comme on va le voir), dans
une vitrine construite ad hoc, dont il n'est sorti qu'une seule fois, dans
une circonstance spéciale, ainsi rappelée par George Hart : — « Vieux-
temps, dont nous pleurons tous la perte, nous apprend que la seule
fois que cet instrument, si riche en souvenirs, fut relire de la vitrine
où il repose depuis tant d'années, ce fut à l'occasion d'un concert donné
au profit des pauvres de Gênes et dans lequel il fut permis à Sivori de
jouer sur un violon si précieux à tant de titres (1). Jusqu'alors, un
ruban, enroulé autour de l'instrument, avait été collé sur le dos. pour
y attacher le sceau de la corporation municipale, — une bien mauvaise
inspiration, disons-le, d'y fixer les insignes de l'autorité, car lorsqu'il
fallut détacher sceau et ruban pour remettre le violon entre les mains
de Sivori, le sceau malencontreux emporta un morceau du magnifique
vernis de Guarnerius (2).
Un dernier incident se rapporte au Guarnerius de Paganini. Les
Américains, qui ne doutent de rien, et qui ont la conviction que l'on
peut tout avoir avec de l'argent, s'avisèrent un jour de convoiter l'ins-
trument qui est pour les Génois un si cher souvenir. Tranquillement,
deux d'entre eux, sans doute des négociants spéciaux, écrivirent à la
municipalité de Gênes pour lui proposer, sans autres préliminaires,
l'achat du violon de Paganini, pour lequel ils offraient une somme de
15.000 dollars, soit 75.000 francs. Leur offre ayant été déclinée, ils
revinrent à la charge, élevant la somme jusqu'à 100.000 francs. Cette
fois, la réponse fut si nette qu'ils durent se le tenir pour dit et renoncer
à la réalisation de leur désir.
Le prix des beaux violons de Guarnerius del Gesù a suivi, quoique
plus lentement, une marche ascendante semblable à celle des Stradi-
varius, qu'il égale aujourd'hui. « Dans ma jeunesse, écrivait Fétis en
1862. on pouvait acquérir un de ses meilleurs violons pour 1.200 francs ;
on les paie aujourd'hui 6.003 francs et même plus. » De son côté.
M. Albert Fuchs, dans son livre, Taxe der Strekh-Iiutrumente, indique
ainsi la valeur successive des Guarnerius del Gesù : — « Dans les pre-
mières années du dix-neuvième siècle, 1.000 à 1.200 francs pour les
plus beaux violons. Ce prix ne tarda pas à monter jusqu'à 6 ou
7.000 francs. Actuellement il oscille entre 15.000 et 25.000 francs, et
même plus. » Beaucoup plus, en effet, car dans ces dernières années il
a monté d'une façon presque vertigineuse. Tandis qu'il y a un demi-
siècle ou approchant, le grand violoniste norvégien Ole Bull obtenait
encore de Tarisio, le fameux brocanteur d'instruments, un Guarnerius
del Gesù au prix de 12.000 francs, en 18S0, George Hart, le luthier
anglais, en payait un 15.750 francs, qu'il vendait un peu plus tard à
M. Ysaye. En 1885. M. Wilmotte, d'Anvers, en achetait un au prix de
22.000 francs, que M"e Mey lui reprenait en 1889 pour 21.500 francs.
L'année suivante, un amateur américain, M. Thomas Sanders.
en payait un 25.C00 francs, et en 1000, à la vente après décès du
regretté Armingaud, son Guarnerius daté de 1732 était adjugé pour
28.000 francs. Si celui de Vieuxtemps fut vendu à sa mort 20.000 francs
seulement au duc de Camposelice, Wilhelmy, qui venait de recueillir la
riche succession de son père, n'hésita pas, en 1902, à payera M. Hart
fils 50.000 francs un superbe Guarnerius de 1737 ; et si un antiquaire
de Dublin, il. Benson, consentit l'an dernier à en céder un pour
25.000 francs, dans le même temps le violoniste Bronislas Hubermann
en payait un, portant la date de 1733, 43.003 francs à la maison
Moeckel. de Berlin. Mais es n'est pas tout encore, et tout récemment,
au mois d'avril 1903, un journal étranger croyait pouvoir annoncer
qu'un violoniste de Francfort, .M. Adolphe Rebner, venait d'acheter, à
Paris, un superbe Guanierius del Gesù au prix de 60.000 francs. Si le
fait est vrai, c'est là certainement le prix le plus élevé qu'ait jamais atteint
un violon. Mais alors, où s'arrètera-t-on ?
(A suivre.) Arthur Pougin.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(POUR LES SEULS ABOMVÉS A LA MUSIQUE)
Voici l'automne qui s'avance à grands pas, avec ses tristesses alariguies mais non
sans charme. C'est le moment de chanter avec le maître Raoul Pugno les Feuilles
mortes, mélodie que nous extrayons de son dernier recueil Clochas du souvenir, sur
des poésies de Maurice Vaucaire. C'est, dans sa résignation triste, une des plus
ïamères et des plus poignantes de la série. Quand M."" Cesbron les chanta, cet hiver,
au concert de la salle Pleyel, elle impressionna beaucoup.
il) Sivori était le seul élève qu'eût jamais formé Paganini. Il était aussi né à
Gênes.
(2) Le frontispice du livre de Hart reproduit, d'après des photographies prises par
ses soins, les trois aspects du fameux Guarnerius : de face, de dos et de profil.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant du Belgique I ■ •> :
La Monnaie a fait sa réouverture, comme elle l'avait annoncé, par une
reprise de Loltengrin. Ce n'était certes pas une simple reprise, mais une véri-
table reconstitution. Lo sentiment artistique, In ferveur, l'onction, la chaleur
dont le vieux chef-d'œuvre palpite, pour peu qu'un se donne la |«-ine d'en
tirer tout cela par une interprétation ne se bornant pas, comme il arrive Irop
souvent, à la « lettre > et ne pénétrant pas 1' « esprit », oui, tout cela nous
l'avons eu enfin, je ne crains pas de le dire, pour la première fois. L'atmos-
phère de haine et d'amour, de mysticisme et de brutale réalité qui enveloppe
le drame légendaire, jamais l'orchestre ne la rendit avec un pareil souci artis-
tique, avec une pareille émotion. Celte émotion s'était communiquée aux
chœurs, qui incarnèrent vraiment celle foule agissante dont l'importauce
domine l'œuvre, et aux solistes, dont l'effort personnel contribua à réaliser on
ensemble étonnamment harmonieux et suggestif. Ce n'est pas que chacun des
personnages, pris à part, fût irréprochable ; mais aucun ne fut cependant
inférieur à sa tâche; et tous, unis dans une égale compréhension, furent
remarquables. A côté de M. Verdier, un Lohengrin d'exécution sûre et d._-
voix souple, et de M. Bourbon, un admirable Frédéric, ardent et passionné,
deux débutantes, M"e Seroen et M11* Lucey, n'ont certes pas été indignes de la
confiance qu'on avait mise en elles. M1Ie Seroen remportait, il y a trois ans,
au Conservatoire, son premier prix dans la classe de M"10 Cornélis; elle a été
une Eisa charmante, jeune, d'une grâce poétique et tendre. M"e Lucey, une
élève de MmeMarcbesi, abordait la scène pour la première fois; sa belle voix de
chair, d'une surprenante égalité et d'une rare étendue, servie par un véritable
tempérament, a donné au personnage d'Ortrude un relief qui nous a rappelé
de façon frappante le souvenir, dans ce rôle, de Mmc Paquot-d'Assy quand elle
le joua à la Monnaie. Le succès des deux jeunes artistes a été très vif, parti-
culièrement celui de Mlle Lucey.
A cette très brillante soirée d'ouverture ont succédé des soirées non moins
heureuses. Werther a servi de rentrée à Mme Croiza, la belle et touchante
Charlotte de l'an dernier, et de début à un nouveau ténor, M. Saldon, qui
nous vient de Toulouse et dont la jolie voix et l'accent chaleureux ont été
fort applaudis. Aida nous a rendu la remarquable M,ne Pacary, et M. Laftitte. et
M"e Bourgeois, qui, jusqu'à présent un peu effacée dans les deuxièmes rôles,
s'est révélée dans le nile d'Amnéris par de réelles qualités dramatiques, et
nous avons fait la connaissance de M. Lestelly, un baryton de grand opéra,
distingué, adroit chanteur, diseur sobre et bien stylé. Enfin, dans Lakmé, la
délicieuse Mlte de Tréville a reparu triomphalement. Ce soir même, débuts,
dans Faust, de M1,e Olchansky, dont on dit le plus grand bien. Je vous en
parlerai la semaine prochaine.
Vous pensez bien que le travail est grand à la Monnaie, pour la mise sur
pied des ouvrages qui doivent compléter le répertoire. Nous reverrons très
prochainement Mireille, pour les débuts de M"e Lily Dupré, qui fit, pendant
trois ans, les beaux soirs du théâtre d'Anvers, Cavalleria rusticana, pour la
rentrée de MmL' Charles Mazarin, Guillaume Tell, avec le ténor Jaume; on parle
d'une reprise du Roi d'Ys. avec M"es Seroen et Lucey, qui y seraient parfaites:
on prépare une reprise du joli ballet de M. Léon Du Bois, Smylis; et déjà
l'on s'occupe de préparer les nouveautés, la Mourut Vanna de M. Février, la
Sainte Catherine d'Alexandrie, de M. Edgar Tinel, l'Éros vainqueur, de M. de
Bréville, sans compter les œuvres de moindre importance. L. S.
— Cet homme est infatigable et universel. Nous voulons parler de l'empe-
reur Guillaume II. qui, peu satisfait, paraît-il, du livret de YObéron de V\"eber,
a pris la peine, à ce que disent les journaux, d'en écrire un nouveau sous la
musique du compositeur. Qui sait si. un de ces jours, la fantaisie ne lui
prendra pas de corriger aussi cette musique, selon les principes de son esthé-
tique personnelle ?
— A propos de la représentation du ballet de Sardmipile à l'Opéra-Roval
de Berlin, nous lisons dans YAlIgemeitie Musik-Zeitunj sous la signature de
M. Paul Bekker : i< Dois-je parler sérieusement de celte représentation? Pour
la partie musicale, c'est à peine si je le puis. D'après la notice qui a été dis-
tribuée, cette musique a été en partie composée d'après des motifs historiques
originaux, et en partie extraite de l'ancienne partition de Sardanapale, écrite
par Hertel pour le scénario de Paul Taglioni. M. Joseph Schlar a été chargé
des adaptations. Les airs, facilement reconnaissables. de Hertel, sans être très
caractéristiques, sont toujours conformes aux exigences de la chorégraphie.
Mais où donc M. Schlar est-il allé chercher des motifs assyriens? Cela demeure
pour moi entièrement énigmalique. Xon seulement je ne crois guère à la
provenance des motifs, telle qu'elle est indiquée, mais je conteste absolument
que les habitants de la glorieuse ville de Ninive eussent accepté comme leur
appartenant cette musique si triviale dans son harmonie et d'une instrumen-
tation si vulgaire. Venons maintenant aux tableaux scéniques. Eh bien, malgré
les splendeurs contées par les prophètes, ils sont mortellement ennuyeux, ce-
tableaux. Même dans le décor final du bûcher que l'on a tant loué, je ne puis
voir qu'un arrangement plastique ingénieux et nullement une reproduction
scénique pouvant agir avec puissance sur un public artistiquement cultivé,
pour lui suggérer des impressions. Le professeur Delitzsch a fourni les dessins
nécessaires pour la mise eu scène. Se conformant aux dires des Assyriologues
502
LE MÉNESTREL
les plus qualifiés, il nous a donné des merveilles. Ici, je rougis de honte et la
plume tombe de mes doigts. 0 Assyrie, ô Ninive, ô Assurbanipal! Vous qui
devenez la base d'une nouvelle et plus haute culture scénique, pardonnez au
pauvre musicien que je suis de méconnaître votre signification pour le déve-
loppement du théâtre dans l'avenir et de considérer votre réapparition àl'Opéra-
Royal comme un événement tragi-comique ayant aussi peu de rapport avec ce
que nous avons l'habitude d'appeler art en général, que n'en aurait le roi de
Niniveavec le concessionnaire de la Société des tramways berlinois. En somme,
toute cette affaire a son côté sérieux malgré le caractère humoristique qu'on
lui a bien involontairement donné. La tendance actuelle vers l'extériorisation
se montre ici sous une de ses formes les plus dangereuses, car elle s'abrite
sous le couvert de la science et sera, bien à tort, prise au sérieux par beaucoup
de gens. Le public est attiré par un spectacle fait pour les yeux et dépourvu
de toute intellectualité ; le savant nuit à sa renommée par les compromis dans
lesquels il est entraîné en voulant suivre des voies qui ne sont point celles du
vrai; quant à l'artiste, il voit, découragé, comment les moyens d'expression
les plus justes et les plus naturels sont sacrifiés sans raison à l'art rétrograde
que l'on favorise. Dans la circonstance il n'en pouvait être autrement, c'est
certain. Toutefois, nous pouvons atiirmer que tous ceux qui prennent au
sérieux ces prétendues magnificences, se montrent coupables d'une infidélité
profondément regrettable vis-à-vis des personnes, qui ont réuni leurs efforts
pour cultiver un terrain réellement fécond pour l'art. » C'est ainsi que Ton
juge à Berlin l'entreprise hautement patronnée, qui, malgré une énorme
réclame, n'a obtenu qu'un négatif suceès.
— De Munich. Un grave accident vient d'arriver à la cantatrice Mme Marie
Wittich et a coûté la vie au cocher qui la conduisait. Elle avait pris un fiacre
pour se rendre au théâtre. Sur la route, un embarras de voitures se produisit
et la sienne heurta en même temps un tramways électrique et un camion
lourdement chargé. Le fiacre fut entièrement brisé et M""" Wittich reçut de
graves blessures. Le cocher fut tué sur le coup.
— On parle en ce moment à Berlin d'un portrait de Sébastien Bach, resté
jusqu'ici inconnu. D'après un journal de cette ville. M. Georges Schumann,
le directeur de la Singakademie, qui est en même temps membre du comité
de surveillance de la nouvelle société Bach, aurait acquis ce portrait pour le
musée établi à Eisenach dans la maison natale du maître, et inauguré il n'y a
pas fort longtemps. La toile mesure 90 centimètres sur' 72; elle est d'un
peintre du nom de Klein qui se fit une réputation comme portraitiste vers
Tannée 1730. M. Georges Schumann, qui est considéré comme le connaisseur
le plus sur en ce qui concerne l'iconographie de Bach, attache une très grande
importance à l'acquisition qu'il a faite. Il est dit d'autre part que M. His, de
l'université de Leipzig, va entreprend re sur le portrait nouvellement décou-
vert, des mesurages qu'il veut rapprocher des constatations faites par lui,
avec l'aide du sculpteur Seffner en 1S94, lorsqu'un crâne, que l'on croit être
celui de Bach, fut exhumé par des ouvriers occupés à creuser le sol pour
établir les fondations de l'église Saint-Jean. Cette église fut construite en
effet sur l'emplacement d'un ancien cimetière, transformé en jardin public
pendant l'année 1830. On savait que Bach avait été enterré dans ce cimetière,
mais toute trace de la tombe avait disparu. Les rapprochements que l'on va
entreprendre, entre les dimensions et la forme du crâne retrouvé et celles de
la tète du portrait pourraient ajouter de nouvelles probabilités à celles que
l'on possède déjà, en permettant de penser raisonnablement que le crâne
découvert à Leipzig est bien réellement celui de Bach.
— M. Schifling-Ziemssen, le chef d'orchestre qui a si magistralement dirigé
à Francfort, Manon, les Maîtres chanteurs et Fidelio, vient d'être engagé comme
premier kapellmeister à l'Opéra de cette ville. Il est l'auteur de la ci ballade
dramatique » en trois actes, Sonnwendglut (Feux du solstice d'été), dont la
première représentation eut lieu à Colmar, le 27 mars dernier'.
— Avis aux amateurs. Un libraire-antiquaire de Leipzig offre en vente trois
manuscrits autographes intéressants, à des prix qui ne le sont pas moins,
comme on va le voir. Gest d'abord « la Cène des apôtres » de Richard
"Wagner, que ledit libraire est tout prêt à céder pour la simple somme de
12.300 marks (15.623 francs). C'est ensuite le manuscrit de l'op. 33 de Beetho-
ven, connu sous le titre de Bagatelles et qui comprend sept charmants mor-
ceaux de piano de courtes dimensions. Pour les 19 pages de celui-ci on se
contente de demander 22.000 marks, soit 27.300 francs. Enfin, le troisième
autographe est l'original des 33 variations sur une valse de Diabelli, que Bee-
thoTen écrivit en 18-23 et qui lui furent payées 80 ducats. Il en coûtera
davantage à l'amateur fortuné qui voudra s'offrir ce cahier de 43 pages, car il
n'est pas estimé par le vendeur moins de 42.000 marks (32.300 francs), ce qui
metlapage à 1.220 francs. Pas dégoûté,, notre libraire! En résumé, les trois
manuscrits en question sont offerts pour une somme totale de 93.623 francs.
Il faudrait vraiment n'avoir pas quelques billets de banque de trop pour se
refuser une telle fantaisie.
— Un journal allemand nous apprend que la ville de Cologne va posséder
un « Musée hislorico -musical » qui doit cire ouvert prochainement. Elle le
devra à l'opulente générosité d'un conseiller commercial, M. W. Heyer, qui
;i fait à cet effet « rto grands sacrifices pécuniaires ». Le fond de ce nouveau
musée est formé de la célèbre collection musicale de M. Paul de "Wit>, direc-
teur de la Zeitsehrift fin- Instrnnienlenbau, à laquelle a été ajoutée la collée ion
Ibach ainsi qu'un bon nombre d'instruments acquis à des particuliers. Le
journal ajoute que, de cette façon. « la vieille Cologne possédera une collec-
tion d'instruments qui sera peut-être la plus considérable en son genre ».
« Peut-être » est bien dit, car elle aura à compter avec les riches musées
spéciaux de Londres, de Bruxelles et de Paris, qui sont de quelque impor-
tance.
— A partir du 1er octobre prochain, dans tous les théâtres qui font partie
de l'union théâtrale allemande, il sera perçu pour toutes les places d'un prix
supérieur à 2 fr. 50 c, un droit supplémentaire de 0 fr. 1S c. par billet. Le
montant de cette taxe est destiné à une fondation récemment constituée pour
permettre de servir des pensions aux artistes, à leurs veuves et à leurs orphe-
lins.
Au Théâtre-Municipal de Brème, la saison d'opéra s'est ouverte le
1er septembre dernier par une très brillante représentation de Fidelio. Parmi
les œuvres qui vont être jouées prochainement, on cite dès à présent Manon..
de Massenet, Falstaff', de Verdi, la Bohème et la Tosca, de Puccini, le Conte
d'hiver, de Goldmark, la Fiancée vendue, de Smetana, die Teufelskâte, de Dvo-
rak, etc.
— En attendant l'apparition d'Elektra de M. Richard Strauss, dont la date
définitive n'est toujours pas fixée, la direction duThéàtre-Royal de Dresde vient
d'engager une jeune artiste qui se présente sous le nom de MUe Tervani et qui
n'est autre que la soeur de M"le Aino Ackté.
— Au Kursaal de Scheveiiingue (La Haye), à l'occasion du 28e anniversaire
de la reine Wilhelmine des Pays-Bas, on a donné un concert exclusivement
composé d'oeuvres de musiciens néerlandais. Le programme comprenait un
poème symphonique, Saûl et David, inspiré par un tableau de Rembrandt, de
M. J. Wagenaar; un concerto pour piano et orchestre de M. Cari Oberstadt.
professeur de- piano au Conservatoire de La Haye, exécuté avec beaucoup de
succès par l'auteur; un concerto pour violon et orchestre de Mlle Elisabeth
Kuyper, attachée en ce moment à la Hochschule de Berlin; une musique de
danse pour orchestre de M. Hoeberg; et trois lieder de MM. Zeveers, Arnold
Spoel et Brandi Buys, chantés par Mlle Tilly-Koenen.
— On signale, au Kursaal de Genève, le très vif succès d'un ballet fantas-
tique intitulé l'ers l'azur, dont les auteurs sont MM. Saracco pour le scénario
et M. Cuneo pour la musique.
— Comme nous l'avons annoncé déji, une exposition internationale du
théâtre aura lieu à Milan, en 1913, à l'occasion du premier centenaire de la
naissance de Verdi. Le Comité d'honneur de l'exposition est composé de
M. Luzatti, ministre d'État, du Syndic de Milan, de MM. Villa, ancien-prési-
dent de la Chambre des députés, Salmiraghi, président de l'Union italienne
des chambres de commerce et du sénateur Mangili. Le comité général com-
prend les notabilités de la ville de Milan. L'exposition sera divisée en trois
grandes sections: théâtre (bâtiments et spectacles), musique (interprétation
et instruments), artistes et littérature théâtrale (maquettes, biographies, ma-
nuscrits, etc.). Le gouvernement royal, de son coté, a donné son appui au pro-
jet de la future exposition.
— Sous les portiques de la basilique de Saint Jean-de-Latran, à Rome, on
a inauguré récemment une plaque de marbre consacrée à la mémoire d'un
artiste fort distingué, Gaetano Capocci, qui pendant de longues années fut
maitre de chapelle de cette église et remplit ces fonctions avec un incontes-
table talent. Cappocci, qui mourut à Rome le II janvier 1898, à l'âge de
87 ans, fut un des compositeurs de musique religieuse les plus remarquables
de la seconde moitié du dix-neuvième siècle. On cite, parmi ses œuvres les
plus importantes et les mieux venues, un Miserere resté célèbre, un Laudate
jjiieri Dominitm. et surtout ses Lamentations de Jérémie, qui durant la semaine
sainte s'exécutent encore dans toutes les basiliques romaines, attirant un
public nombreux de fidèles désireux d'entendre une composition d'un carac-
tère si sincèrement religieux et si pénétrant.
— La direction du théâtre San Carlo de Naples prépare activement sa saison
d'automne, dont l'inauguration parait devoir se faire avec le Crépuscule des
Dieux. Viendront ensuite et successivement : Aida, Carmen, Hamlel, Ratcliff,
Roméo et Juliette, Don Juan, Thaïs, Gloria, de Cilea, Perutjina de Mascheroni
sans compter la Messe de Requiem de Verdi. On cite parmi les noms des artis-
tes engagés ceux de M""'5 Gemma Bellincioni, Felia Litvinne, Maria Gay, Arné-
lia Pinto, Emma Druetti, Nini Frascani, et de MM. AmedeoBassi. Francesco
Vignas, Mario Gillion, Mattia Battistini, Titta Ruffo, Schaliapine, Césare For-
michi, Oreste Leppi, etc. Le chef d'orchestre en premier sera M. Giuseppe
Martucci, l'éminent directeur du Conservatoire de Naples.
— Encore un essai de violons en métal. On lit dans la Provineia di Man-
tova : — « Dans la vitrine de M. A. Trojani sont exposés plusieurs échan-
tillons de violons brevetés en aluminium, ouvrage très distingué de notre
ingénieux et modeste concitoyen V. Castellini. Ces violons ont un son moel-
leux et velouté qui ne rappelle en rien le métal, mais qui peut soutenir la
comparaison avec les meilleurs violons d'auteurs. Et cette vertu est due à la^
constitution physique de l'aluminium, qui joint à sa légèreté une sonorité
d'une souplesse presque incroyable. En fait, nous savons que quelques-uns
de ces violons ont été essayés au Lycée musical de Bologne, et aussi par plu-
sieurs professeurs et virtuoses de notre ville, qui ont donné à l'intelligent
auteur des certificats plus que louangeurs ».I1 est à croire que. malgré ces certi-
ficats, on ne verra pas de sitôt baisser les prix des Amati, des Stradivarius et
des Guarnerius.
— Un comité d'habitants de Spalato s'est formé en cette ville dans le but
de faire placer une plaque commémorative sur la maison où est né Franz de
LE MÉNESTREL
303
Suppé, le gentil compositeur à qui l'on doit tant de charmantes opérettes,
pleines de grâce et écrites avec une rare élégance : la Belle Gnlathée. Cavalerie
légère, Faiiriitsa, Boccace, Donna Juaiiiki, etc. On sait que Suppé, qui mourut à
Vienne le 21 mai 1895, avait en effet vu le jour à Spalato, le 18 avril 182(1.
C'est de ce fait qu'un de nos confrères italiens prend occasion de le revendiquer
comme compatriote, non à cause de sa nationalité politique, la Dalmatie appar-
tenant à l'Autriche, mais de sa nationalité ethnique, cette province étant de
race italienne. « Généralement, dit ce journal, on croit Franz de Suppé alle-
mand parce qu'il passa une grande partie de 3a vie artistique à Vienne et qu'il
écrivit ses brillantes opérettes sur des textes allemands. Au lieu de cela, il
était italien et s'en glorifiait, étant de Spalato. » Nous ne savons si Suppé se glo-
rifiait d'être italien : mais nous ferons seulement remarquer que parmi les deux
mille compositions de tout genre publiées par lui se trouve un lied intitulé
0 toi, mon Autriche, devenu étonnamment populaire dans l'empire et qui a pris
presque le caractère d'un chant national.
— Une dépèche, adressée de Lucques aux journaux de Milan, annonce la pre-
mière représentation en cette ville d'un opéra nouveau, A'ora, dii au composi-
teur Luporini. Successo clamoroso, comme on dit là-bas, qui se traduisit parfois
par trois ou quatre représentations. Attendons les détails.
— Auditions d'opéras par téléphone sans fil. — Nous lisons dans un journal
allemand la correspondance suivante, envoyée de Londres : « L'inventeur du
système de téléphonie sans fil de Forest vient d'arriver de New-York en An-
gleterre. Il a fait construire un appareil simplifié de son système, au moyen
duquel toute personne pourra jouir sans déplacement d'une représentation
théâtrale pourvu qu'elle ne soit pas éloignée de plus de 30 milles anglais (soit
environ 30 kilomètres) de la salle où se donne cette représentation. L'appareil
sera établi à si bon marché que son acquisition ne pourra même pas être
considérée comme un sacrifice. Le récepteur ne coûtera que 75 francs d'ins-
tallation. L'abonné n'aura pas autre chose à faire que d'établir une hampe
au-dessus de sa maison. Les frais de branchement, si toutefois ce mot peut
convenir quand il n'y a pas de fil, seront taxés à S francs par mois. Les essais
tentés jusqu'ici, à une distance de 30 milles, ont donné de bons résultats ; le
son de la voix arrivait avec pureté, plénitude et clarté ». C'est du moins ce
que l'on a dit; mais, malgré les merveilles auxquelles nous habitua la science,
il est permis de ne pas croire encore à une réussite complète et d'attendre
prudemment.
— Dimanche dernier, la musique du 1er régiment du génie de Versailles
est arrivée à Londres, sous la direction de son chef. Ces artistes ont dû donner
toute la semaine, à l'Exposition franco-britannique, des concerts qui alter-
naient avec ceux de la musique anglaise des grenadiers de la garde.
— MM. Stephen Philipps et J. Comyns Carr Tiennent de doter le théâtre
anglais d'une nouvelle version du Faust de Gcethe. A cette occasion, une
nouvelle musique mélodramatique a été composée par M. S. Coleridge Taylor.
Ce musicien a déjà écrit des morceaux de scène pour les autres ouvrages
dramatiques de M. Stephen Philipps, Bëroëe (1900), Ulysse (1902) et JVéro»
(1906). Les adaptateurs du nouveau Faust anglais n'ont pas fait preuve d'une
'excessive hardiesse, n'ayant traduit que la première partie du chef-d'œuvre
de Gœthe; mais ils ont essayé de rendre plus « sensationnel » le scénario de
l'œuvre allemande et il est arrivé, comme toujours en pareil cas, que les cri-
tiques d'outre-Rhin ont reproché un peu sévèrement aux deux littérateurs
anglais ies licences qu'ils se sont permises avec le texte original. Mais,
aujourd'hui que le Faust de Gœthe est éloigné de nous de cent trente ans
environ, du moins quant à sa première partie, on peut se demander s'il ne
serait pas possible à un dramaturge de reprendre à un autre point de vue le
même sujet; car enfin, les faits et gestes du Faust populaire ont alimenté les
théâtres forains depuis le seizième siècle jusqu'à l'époque où Gœthe atteignit
sa trentième année, et peut être au-delà. De plus, avant Gœthe, l'anglais
Mailowe avait écrit un Faust et ce n'est pas une œuvre à beaucoup près insi-
gnifiante. D'ailleurs, ce qui fait le prestige du Faust de Gœthe, c'est le rôle de
Marguerite, créé de toutes pièces par le grand poète allemand d'après un
prototype francfortois. L'éternel féminin a, encore ici. exercé son pouvoir;
Marguerite, personnage sympathique, a pris une place prépondérante, et il
semble maintenant que l'histoire du docteur Faust, dramatisée sans elle pen-
dant trois siècles, ne puisse plus subsister au théâtre que grâce à ce type
charmant de jeune fille. Voilà pourquoi sans doute MM. Stephen Philipps et
'Comyns Carr n'ont pas essayé d'écrire un ouvrage original. La première
représentation de leur traduction a eu lieu le 5 septembre au His Majesty's
Théâtre. Elle a intéressé surtout par' l'interprétation. M. Behrboom Tree a
joué le rôle de Méphistophélès avec un grand relief; M. Ainley a paru, en
Faust, un trop galant chevalier ; quant à Marguerite elle a trouvé en Miss
Marie Lûhr une très jolie incarnation.
— Les journaux anglais nous apportent deux anecdotes sur Jenny Lind, la
célèbre cantatrice suédoise. C'était en 1S52, à l'époque où, faisant une tournée
en Amérique avec l'imprésario Barnum, elle épousa à Boston le pianiste
jtto Goldschmidt, qui l'avait accompagnée dans son voyage. Se trouvant un
our dans une réunion privée, on lui fit entendre une chanteuse de talent qui
, connaissait pas. Après avoir exécuté assez brillamment un morceau du
épertoire de Jenny Lind, la jeune femme alla s'asseoir près de cette dernière
t reçut, en même temps que les félicitations un peu exagérées que l'on pro-
gue en pareil cas, quelques conseils techniques exprimés d'ailleurs avec une
rahde courtoisie. Elle les accueillit assez mal et ne craignit pas de s'en mon-
rer offensée. S'adressant alors à une personne de ses connaissances : «Quelle
est donc, dit-elle, cette dame désagréable à laquelle je viens de parler ? — Bfï
le savez-vous pas ? C'est M""' Otto Goldschmidt. — Je n'avais pas encore en-
tendu prononcer ce nom ; ne m'apprendrez-vous rien sur celle qui le porte'.'
— Je pense que cela m'est possible, car elle a donné une certaine notoriété à
celui de Jenny Lind, sous lequel on la désignait avant son mariage i .Le viiage
de la malheureuse devint rouge incarnat ; elle eut beaucoup de peine à se
remettre do son émotion, et rechercha, jusqu'à la lin de ! - le?
occasions de se montrer aimable et prévenante pour M1" «Otto Galdschmidi,
née Jenny Lind. — L'autre anecdote montre jusqu'à quel degré de ridicule
put aller l'enthousiasme des contemporains pour Jenny Lind. Dans une cir-
constance assez plaisante, cet enthousiasme prit l'aspect d'une véritable idolâ-
trie et causa un petit préjudice à la cantatrice en lui faisant perdue un objet
de prix. Après un concert à Londres, des amateurs anglais la suivinr.t
nombre jusqu'à son hôtel, et, se plaçant devant le balcon, appelèrent l'artiste
à grands cris, voulant qu'elle se montrât et qu'elle redit encore quelques-unes
de ses chansons. Elle s'y prêta de bonne grâce, mais, pendant qu'elle chan-
tait, un châle de valeur qu'elle avait posé a côté d'elle vint à tomh r dans la
rue. Elle ne s'en inquiéta point d'abord, pensant qu'on ne manquerait pas de
le lui rapporter; mais, lorsqu'elle le réclama plus tard, il fut impossible de le
retrouver. Les amateurs anglais l'avaient déchiré en mille pièces et se l'étaient
partagé. Ils en avaient fait des reliques.
— De New- York : M. Richard Strauss, dont la Sàlomé a été boycottée il y
quelques années, à New-York, aura sa revanche l'hiver prochain. Pas moins
de vingt-quatre danseuses américaines s'entraînent en ce moment à exécuter
le pas de la fille d'Hérode. Cependant, les Salomés américaines ne pourront
pas se montrer dans le léger costume qui, en Europe, n'a pas soulevé la moindre
protestation. C'est ainsi que le maire d'Asbury-Park (New Jersey i vient de
déclarer à un journaliste : « Tant que je serai « mayor » aucune dame ne paraî-
tra en scène qui ne soit habillée au moins de bas. d'un jupon, des vêtement?
nécessaires et d'une jaquette cachant le buste. » Salomé en jaquette ! M. Richard
Strauss en fera une maladie.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
A l'Opéra pour la rentrée de M. Renaud, on a repris mercredi la Thaïs
de M. Massenet. Mlle Mary Garden y reparaissait en même temps. On a fait
aux deux remarquables artistes, de talent si original, et à- l'œuvre délicieuse
du maître français le même accueil triomphal qu'avant les vacances. Recette
de 22.000 francs, et cela au 15 septembre! — On pousse activement les répé-
titions du Crépuscule des Dieux. L'arrivée du ténor Van Dyck à Paris leur a
donné un nouvel élan. — La reprise A'Hamlet. le chef-d'œuvre d'Ambroise
Thomas, avec Mlle Garden et le baryton Renaud, est toujours fixée à vendredi
prochain 2b septembre.
— A l'Opéra-Comique, continuation du beau fixe avec les reprises du si
riche répertoire de la maison. Ce soir samedi : Werther. Demain dimanche :
en matinée, Carmen; le soir, Lakmé et les Noces île Jeannette. Lundi, en repré-
sentation populaire à prix réduits : Mignon.
— A la Gaîté. Le chaleureux accueil fait par le public aux représentations
de Paul et Virginie a décidé MM. Isola frères à afficher l'ouvrage de Victor
Massé tous les jours de la semaine et pour chaque matinée du dimanche
jusqu'au 1er octobre, date à laquelle passera Jean de Nivelle de Léo Delibes.
— Les Trente Ans de Théâtre donneront au Trocadéro, jeudi 24 septembre —
avant-dernier jour des vacances de nos lycéens — une grande matinée popu-
laire (o fr., 3 fr., 2 fr.. 1 fr.) qui, grâce à l'obligeance de MM. Messager et
Broussan, comportera l'œuvre musicale populaire par excellence : les Hugue-
nots. MUo Louise Grandjean chantera Valentine : la grande artiste, malgré les
répétitions du Crépuscule, reprendra ce jour-là le rôle qui lui vaut un de ses
plus beaux triomphes. Elle sera entourée de tous les artistes qui ont chanté le
chef-d'œuvre de Meyerbeerà la dernière représentation de l'Opéra (M,tes Cam-
predon, Marguerite; Agussol, Urbain ; MM. Gautier, Raoul: Paty, Nevers ;
Lequien, Saint-Bris; Dangès, Marcel). M. Paul Vidal dirigera l'orchestre,
considérablement renforcé pour la salle du Trocadéro ; de son côté, M. Stuart,
régisseur' général, veille aux moindres détails de cette matinée. Enfin, pour que
l'exécution soit telle qu'à l'Opéra, le ballet du troisième acte sera donné inté-
gralement, et c'est la charmante M"0 Lobstein, entourée de tous les premiers
sujets, qui le dansera. Le jeudi suivant 1er octobre, une matinée hors série
sera donnée au Trocadéro au bénéfice du dispensaire des Trente Ans de Théâtre
dont l'ouverture aura lieu dès la rentrée du Conseil municipal, M. le président
Chérioux devant l'inaugurer. On mettra ce jour-là à exécution un beau projet
dont il fut souvent question : l'Arlésienne sera donnée avec l'orchestre Colonne
et une distribution qui réunira, dans les moindres rôles du chef-d'œuvre
d'Alphonse Daudet et Bizet, les premiers artistes de chacun de nos théâtres.
A l'occasion du soixante-cinquième anniversaire de la naissance de la
cantatrice Christine Nilsson, qui a créé le rôle d'Ophélie dans Ilamlct, le
S mars 1S6S, et l'a marqué d'une telle empreinte de poésie que nulle aulre
jusqu'à présent ne l'y a jamais surpassée, on lira peut-être avec plaisir quel-
ques lignes écrites autrefois sur cette artiste, dont la vie a commencé comme
un conte de fées: «Il y avait une fois au village de Hussaby. situé dans la
prairie de Skatelof, en Suède, près de la petite ville de "\Vexio. un paysan qui
vivait là avec sa famille, cultivant la terre du comte Hamilton. Il se nommait
Nilsson; il avait huit enfants, filles et garçons. Sa dernière enfant s'appela
Christine et fut la bénédiction de la maison... Distinguée par un magistrat, M. de
304
LE MENESTREL
Thornerhjelm, pendant qu'elle chantait dans une foire, à côté de son frère qui
jouait du violon », Christine reçut des leçons de chant et devint une grande
artiste. Charles Nuitter a caractérisé ainsi sa voix dans un de ses ouvrages :
« Telle femme, tel chant ». On a dit très justement en parlant de M"e Nilsson :
« Cette voix a sa nationalité ». «En effet, continue Nuitter, qui pourrait imiter
ses smorzali sur les notes aiguës? Aucune Française assurément, une Ita-
lienne encore moins. Nous avons peu connu Jenny Lind, l'illustre compa-
triote et devancière de Christine Nilsson, mais, selon les juges les plus
compétents et les plus autorisés, jamais Jenny Lind n'eut cet éclat de vibration
qui distingue Mllc Nilsson entre toutes les étoiles du chant. Peut-être, en
revanche, la vocalisation de Jenny Lind est-elle plus éblouissante ». La
prose, même dithyrambique, n'a pas suffi aux admirateurs de Christine
Nilsson pour exhaler leur enthousiasme. Parmi les vers écrits en son honneur,
ceux-ci n'ont pas sans doute une bien grande valeur, mais ils constituent
une silhouette à la plume que l'auteur a essayé de rendre poétique.
Blonde, oh I mais blonde comme en ton pays natal
Sur la neige un reflet du soleil boréal,
Avec un o?il du bleu tendre de la turquoise,
Blanche comme aux rayons de la lune d'avril
Sur les sombres sapins les grains purs du grésil,
Qui ne t'aime, Nilsson, fauvette suédoise ?
Les acrostiches suivants paraissent assurément mieux réussis ; ils sont d'un
Français, M. de Tranchère, et ont été inscrits sur un album et offerts à
l'Ophélie suédoise :
C'était par une nuit claire comme le jour.
Hormis le rossignol, tout se taisait... la brise,
Rayant le lac profond de son aile indécise,
Irisait vaguement les cimes d'alentour...
Soudain, comme un soupir de la plaine endormie,
Tremblant comme un écho, pur comme une harmonie.
Il passa dans les airs un bruit mystérieux...
N'est-ce pas une fleur qui là-bas vient d'éciore
Et s'entr'ouvre en chantant aux baisers de l'aurore ?
Non, non, c'est un esprit envoyé par les deux.
Il porte, messiger de l'éternelle flamme,
Le céleste rayon dont Dieu va faire une àme...
Sois fier de ton enfant, ô pays triste et doux,
Suède où reçut le jour la blonde Walkyrie,
Ouvre-lui les deux bras, sainte mère patrie ;
Nous avoDs pour l'aimer l'avenir devant nous.
La reprise prochaine à'Hamlet à l'Opéra attire naturellement l'attention sur la
première Ophélie. Louis Enaul ta raconté quelle fut l'impression du public lors de
sa première apparition dans Bamlet : « Ce fut dans la salle de l'Opéra un enthou-
siasme spontané, irréfléchi et indescriptible. On se sentait en présence d'une
créature appartenant à un autre monde que le nôtre. Jamais la charmeuse
n'avait exercé une plus mystérieuse fascination. Elle atteignit ce jour-là le
point culminant de sa vie d'artiste, déjà si brillante et si remplie. L'astre
glorieux peut demeurer longtemps immobile à son zénith : il ne saurait mon-
ter plus haut. » Pendant cette soirée inoubliable, Faure était le partenaire de
cette Ophélie, et l'on sait quelle création inoubliable il a faite du rôle
d'Hamlet. Christine Nilsson est devenue en 1872 la femme de M. Auguste
Rouzaud, qui mourut en 1882. Elle contracta en 18S7 un second mariage avec
le comte Casa de Miranda. Elle habite Paris et le midi pendant l'hiver, mais
aucun été ne se passe sans qu'elle retourne dans son pays natal pour deux ou
trois mois. A l'occasion de son anniversaire, elle a reçu nombre de télégrammes
dont l'un était signé Victoria, reine de Suède.
— Une vente de violons et de divers autres instruments a été faite récem-
ment à Londres, par les soins de la maison Puttick et Simpson. Cette ventp,
particulièrement intéressante, car elle réunissait nombre de produits d'an-
ciens luthiers italiens, a produit une somme totale de 2.62b livres sterling
(65.62S francs). Il ne semble pas d'ailleurs que les prix aient été excessifs.
Voici ceux qu'ont atteints quelques-uns des instruments. Le plus précieux
était un très beau violon de G.-B. Guadagnini, qui est monté à 6.000 francs.
11 faut mentionner ensuite un violon d'Antonio Gragnani, vendu 1.250 francs;
un de Nicolas Gagliano, 1.500 francs; un de Francesco Ruggeri de Crémone,
de 1700 environ et portant l'étiquette A'Andrea Guarnerius, 2.875 francs ; un
de Giofredus Cappa, 1.475 francs; un de Domenico Montagnana, de 1730 en-
viron, 1.250 francs (l'acquéreur de celui-ci n'a certainement pas fait une mau-
vaise affaire); un de Camillus Camilli, 1.875 franc*. Une superbe copie de
Jean-Baptiste Vuillaume d'après le célèbre Messie de Stradivarius a été payée
1.250 francs. Un très vieux violoncelle italien de l'école de Brescia, remontant
à la période de Gasparo da Salô, a été adjugé à 1.750 francs; un autre, du
luthier tyrolien Jacob Staiuer, a été vendu 1.250, et un troisième, portant
l'étiquette de Antonius et Hieronimùs Amali, a atteint le même prix.
— Certains maires de province envisagent tout ensemble leurs droits et
leurs devoirs d'une façon assez singulière. Pour preuve, l'historiette quelque
peu étrange que voici. La Ligue des droits de l'homme recevait, il y a quel-
que temps, une lettre dans laquelle une artiste lyrique, M"e A..., se plaignait
d'avoir été arbitrairement expulsée de Luuéville par le co nmissaire de police
de cette ville :
... Voici mon cas, disait M"" A Je suis artiste au concert, j'ai terminé mon en-
gagement voilà un mois et j'éprouvais le besoin de me reposer, ma santé ne me
permettant pas de chanter plusieurs mois consécutifs. Hier, M. U commissaire de
Lunéville m'a fait appeler h son bureau, me priant de partir, me donnant pour
motif que les artistes n'avaient pas le droit de rester plus de quatre jours dans
la ville après leur engagement terminé. Mon but est de vous demander si on a
réellement le droit de me faire partir, ayant une tenue correcte, ne faisant aucun
scandale et n'ayant jamais eu de plainte contre moi.
Au reçu de cette lettre, la Ligue des droits de l'homme chargea sa section
de Lunéville de faire une enquête sur un fait aussi bizarre, et apprit qu'en
effet le commissaire appliquait aux artistes un arrêté municipal, d'ailleurs
parfaitement illégal, qui contraignait ceux-ci à quitter la localité quatre jours
après l'expiration de leur engagement. Cette mesure avait été prise, paraît-il,
à la sollicitation des mères de famille, qui se plaignaient fréquemment des
dangers que présentait le séjour prolongé dans la ville des artis'es de café-
concert. Ces mères de famille, dont la morale est quelque peu chatouilleuse,
semblent croire qu'en l'an 1908, et en dépit de trois révolutions, nous vivons
encore sous le régime du bon plaisir. Si elles craignent pour leurs fils de fâ-
cheuses fréquentations, elles n'ont qu'à les surveiller plus étroitement, sans
se permettre d'attenter à la liberté de qui que ce soit. Quant à M. le maire
de Lunéville, dont la mentalité peut paraître extraordinaire, il a dû, sur l'in-
jonction du préfet de Meurthe-et-Moselle et à la suite d'une plainte de la
Ligue des droits de l'homme, rapporter purement et simplement son arrêté
intempestif.
— M. Hans Pfitzner, directeur du Conservatoire, municipal de Strasbourg,
sera attaché, à partir de 1909, au Stadtlheater avec le titre de directeur de
l'opéra.
NÉCROLOGIE
Un musicien Argentin, depuis longtemps fixé en France, où, après avoir
fait son éducation artistique, il se produisit avec une rare activité, Justin Clérice,
est mort la semaine dernière à Toulouse, dans toute la force de l'âge. Né à
Buenos-Ayres en 1803, il était venu fort jeune à Paris et suivit, au Conserva-
toire, les cours de M. Emile Pessard et de Léo Delibes. Ses études terminées, il
songea aussitôt à se produire et y réussit sans beaucoup de peine. Doué d'en-
tregent et peu gêné par la timidité, d'ailleurs intelligent et distingué de sa per-
sonne, il sut bientôt faire son trou, et comme il avait, musicalement, de la grâce
et de la verve, il se prodigua promptement de tous côtés, et la plupart du
temps avec un succès réel. Voici une liste (que je déclare incomplète) des
nombreux ouvrages qu'il a fait représenter : Figarellu, 1 acte, Bouffes-Pari-
siens, 18S9; Monsieur Buchot, id., id., 1889; le 13e Hussards, 3 actes, Gaité,
1894 ; PhryneW-, Parisiana, 1895; Hardi, les Bleus, 2 actes, Ba Ta-Clan, 1895 ;
Léda, 1 acte, Parisiana, 1896 ; Patrie, 2 actes, Ba-Ta-CIan, 1897 ; le Roi Carnaval,
1 acte, Parisiana, 1898 ; Vercingétorix, ballet en 3 actes, Hippodrome, 1900;
une Fête à Rome, ballet en 1 acte, id., 1900; les Petites Vestales, S actes, Renais-
sance, 1900 ; Or Ire de l'Empereur, 3 actes, Bouffes-Parisiens, 1902; Minne, 2
actes, Boite à Fursy, 1904; Mimosa, ballet en 2 actes, Toulouse (Capitole),
1904: Paris s'amuse, 2 actes, Parisiana, 1904; le Béguin de Messatine. 2 actes,
1905; Au temps jadis, opéra-ballet en 3 actes, Monte-Carlo, 1905; les Robinson-
nes, un acte, Eldorado. 1905; Otéro chez- elle, i acte, Marigny, 1905; Paris-
Fétard, 1 acte, Olympia, 1906; le Timbre d'or, balleten 1 acte, Folies-Bergère,
1903; (Mil de Gazelle, 3 actes, Monte-Carlo, 1908; .du pays noir, 1 acte; le Meu-
nier d'Aleala, une Idylle sous le Directoire, etc., etc.
— Edmond Kretschmer, organiste et compositeur, est mort à Dresde lundi
dernier. Né le 31 août 1830, à Ostritz, en Saxe, il fit ses études au Conserva-
toire de Dresde avec les professeurs Otto et Jean Schneider. Organiste de la
Cour dès 1854, il n'en occupa entièrement les fonctions qu'en 1863. Deux ans
après, ayant pris part à un concours de l'Association des chanteurs allemands,
il obtint le prix avec une cantate intitulée Bataille des esprits. En 1S68, il fut
proclamé vainqueur dans un concours international organisé à Bruxelles pour
la composition d'une messe. Il a écrit trois autres messes et plusieurs opéras,
dont l'un, Die Folkunger, inspiré par un épisode de l'histoire de la Suède, fut
joué à Dresde en 1874, ensuite sur différentes scènes de l'Allemagne. Ses autres
opéras portent pour titres ; Henri le Lion (Leipzig, 1877), le Fugitif (Ulm, 18S1),
la Belle aux cheveux roux (Dresde, 1887). Kretschmer laisse encore plusieurs
cantates et divers compositions de genres variés.
— Une cantatrice jadis fêtée, Anna Sforza, est morte à Verriers il y a
quelques jours. Romaine d'origine, elle étiit douée d'une voix magnifique,
éclatante, étendue. Elle fit partie d'une troupe italienne qui parcourut l'Alle-
magne, la Russie et vint chanter à Bruxelles lors de la dernière exposition.
Au cours de ses tournées, elle s'était unie à un musicien instrumentiste d'ori-
gine napolitaine, qui jouait l'accordéon avec un art extraordinaire. La reine
Marie-Henriette, lorsqu'elle se trouvait à Spa, fit venir plusieurs fois le couple
pour l'entendre. Bientôt, Anna Sforza fut atteinte du mal qui devait la porter
aux plus funestes résolutions. Elle cessa de chanter. Son mari, Angelo Lenzi,
cessa de jouer pour la soigner. Ce fut la misère, bientôt la détresse. La pauvre
cantatrice devint misanthrope, neurasthénique. Elle s'est suicidée, il y a .
quelques jours, en choisissant une mort horrible. Elle s'est enveloppée de
linges imbibés de pétrole et y a mis le feu. Elle passait inaperçue à Verviers,
où son odyssée était inconnue. Quelques rares personnes l'ont conduite à sa
dernière demeure.
Henri Heugel, directeur-gérant.
: FER. — IMPRIMERIE <
4M. - 74° mtM.- ,\° 39. PARAIT TOUS LES SAMEDIS Samedi 26 Septembre «9(18.
(Les Bureaux, 2b", rue Vi vienne, Paris, ii-w)
(Les manuscrits doivent être adressés franco nu journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
lie Numéro : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL. Directeur
lie fluméFo : 0 fr. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sas.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de lîluck (37° article), Julien Tiersot. — II. Sarasate, Arthur Pougin. — III- Petites notes sans portée : Encore un si^ne des temps, Rayiiond Bouyer.
IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSTQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
ROSES DE FRANCE
gavotte, de Robert Vollstedt. — Suivra immédiatement : La Friponne, polka-
mazurka, de Rodolphe Berger.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
NUAGES DANS L'EAU
extraits des Poèmes de Jade, musique de Gadriel Fabre, poésie de Mme Judith
Gautier. — Suivra immédiatement : Chanson du boni de l'eau, d'ERNEST Morf.t.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
(±T ± -4= - J. T 7" -4= )
CHAPITRE VII
Avec Orfeo ed Euridiçe, la réforme
de Gluck était faite, faite sponta-
nément, sans s'annoncer à l'avance,
et sans tapage. Plus tard, quand le
maître fut pleinement conscient de
sa force, et que la conception
naturelle de son génie devint
système, il put aller plus loin et
créer encore des ressources nou-
velles ; mais jamais plus il ne
retrouva tant de fraîcheur. Il y a,
dans Orfeo, une fleur de jeunesse
dont le parfum est unique. Cette
fleur ne s'est point flétrie ; elle
est toujours vivace. Orphée, drame
en musique ayant aujourd'hui
bientôt un siècle et demi d'ùge,
continue d'être le plus ancien
opéra resté vivant et dont la résur-
rection sur nos scènes modernes ne
soit pas un fait de pure archéolo-
gie, le seul qui nous semble aussi
parfaitement beau qu'il apparut à
ceux qui eurent l'heur d'assister à
sa révélation et de le contempler
dans sa première splendeur.
Cette fidélité à ses intentions et
à son texte, que nous avons vu
exiger par Gluck, la trouva-t-il
chez les artistes qui furent les
premiers interprètes d'O/eo? La
suite de l'écrit qui nous a révélé
ses prétentions complète sa pensée
L'éclosion du génie : Orfeo ed Euridiçe
Louis Nourrit daRs Orphè
par cette autre déclaration : « La
présence du compositeur à l'exécu-
tion de cette espèce de musique
est, pour ainsi dire, autant néces-
saire que la présence du soleil dans
l'œuvre de la nature. » Heureuse-
ment, il était là, lui, — tel le soleil
prêt à féconder et mûrir la mois-
son dont il avait jeté la semence !
Il s'est vanté quelque part de
n'avoir, parmi les artistes, « jamais
trouvé de rebelles, quoiqu'il les
forçat d'abandonner leurs affaires
jusqu'à ce que l'exécution marchât
bien, et qu'il les obligeât souvent
à répéter une partie de ses manœu-
vres vingt et trente fois (1)». Il y
a toute apparence que les études
d'O/eo lui furent une occasion de
faire montre de ses exigences. Il
en évoquait le souvenir dix ans
plus tard aux côtés de Burney, dans
une conversation intime, contant
x les difficultés qu'il avait éprou-
vées pour composer et ordonner
son orchestre, chanteurs et instru-
ments, lors des répétitions à'Orphée,
le premier de ses opéras, et l'un
de ses ouvrages les plus drama-
tiques... (2) »
1) Burney. État présent de la Musique, II, 295.
■ 2) Burney, État présent de la musique II. 251.
306
LE MÉNESTREL
De fait, il aurait pu avoir plus de mal encore. Ce que nous
savons des études d'Orfco nous enseigne que, malgré les craintes
de l'inconnu qui était au bout de l'entreprise, il trouva une
bonne volonté générale à le seconder. Calsabigi avait, pour
diriger les mouvements de la scène, autant d'ardeur que lui
pour obtenir une exécution musicale expressive et juste. Par un
rare bonheur, le principal interprète, de qui l'on pouvait tout
craindre, — un castrat (dernière concession de Gluck aux erre-
ments de l'ancien opéra italien) se trouva être tout de suite
parmi ses partisans. Guadagni (qu'il n'avait pas encore rencon-
tré, semble-t-il, qui, en tout cas, n'avait pas encore créé de rôle
dans ses opéras précédents) était apprécié dans les termes sui-
vants par les autorités musicales de Naples en un moment où il
était question de l'engager : « Bonne voix, belle figure, comique
et brillant dans le chant, mais capricieux, et rarement bien dis-
posé à remplir son devoir (1) ». Peut-être est-ce cet esprit d'in-
dépendance qui le disposa favorablement pour une œuvre si
différente de celles qu'il avait interprétées jusqu'alors : re-
nonçant â rien imposer de ses habitudes de virtuose, ne deman-
dant à ajouter à son rôle ni air nouveau, ni cadence, chantant
avec sentiment, goût et souplesse (2), il s*accorda si bien avec
Gluck que, plus tard, le souvenir de leur entente fit dire que
c'était lui l'auteur de la musique et que Gluck n'avait eu que la
peine d'écrire les plus beaux chants sous sa dictée (3) ! 11 faut
qu'il en soit ainsi toutes les fois qu'un homme de génie vient
faire œuvre nouvelle : il a toujours eu autour de lui des gens
complaisants qui, en lui prodiguant leurs précieux conseils, ont
accompli bénévolement sa tâche ! Retenons simplement de
ces propos la seule conséquence qu'ils méritent, à savoir que
la bonne harmonie régna pendant les répétitions à'Orfeo entre
Gluck et son principal interprète, auquel il faut ajouter les
autres : Marianna Bianchi (Eurydice), LuciaClavarau (4) (l'Amour),
et encore tous les chefs de service du théâtre, Quaglio à la ma-
chinerie, Angiolini, maître de ballets, qui tint à honneur d'ac-
compagner l'action antique non par des danses vulgaires, mais
par des pantomimes dont on apprécia les grâces et la convenance
dramatique (5).
Orfeo ed Euridiee fut représenté, à Vienne, le 5 octobre '1762,
au Théâtre de la Hofburg, « en présence de la cour impériale
et royale, et couronné par un succès qui fit aussi grand honneur
au poète qu'au musicien ». C'est en ces termes simples que le
Wiener Diarium (6) nous renseigne sur cet événement, dont il
ne devinait probablement pas la haute portée artistique.
Et le public, la comprit-il davantage? S'il eut d'abord quelque
indécision en présence d'une œuvre qui semblait avoir pour
parti pris de dérouter toutes ses habitudes, il en est bien excu-
sable. Car les auteurs avaient eu beau prendre toutes les pré-
cautions pour masquer leur audace, faire à Métastase les visites
diplomatiques nécessaires pour obtenir de lui une neutralité au
moins apparente (7), l'apparition d'Or/eo n'en marquait pas
moins l'heure de la mort pour l'opéra selon Métastase : or, de
tels événements ne se passent pas sans causer quelque agitation
chez ceux qui en sont les témoins.
Au reste, il semble que l'auditoire habituel du théâtre de
Vienne à qui était échue la rare bonne fortune de voir se pro-
duire pour la première fois devant lui le chef-d'œuvre de l'art
nouveau s'en soit montré digne et qu'il ait rapidement cédé au
(1) S. Gnou:, Teniri di Napoli, p. "49 (Rapport de 1760 aux Archives de Naples).
(2) Schmid, Riltcr von Gluck, p. 93, d'après des témoignages contemporains (Retzer,
rucolaï).
(3) On lit dans les Œuvres philosophiques, littéraires, historiques et morules du comte
d'Escherny : » Je tiens de M. Ginguené que c'est Guadagni lui-même qui fournit h
Gluck la meilleure partie des chants de son rôle d'Orphée. » Voy. Di;sNOint:sTi:r.m:s,
Gluck et Piccinni, p. 272. Ces belles choses étaient écrites au plus fort de la guerre
des gluckistes el des piceinnistes, et Ginguené était un des plus ardents zélateurs
de l'adversaire de Gluck.
Ci) Glebero-Clavarau, dit Schmitt, d'après une partition manuscrite originale con-
servée à '\ ienne. Notons que, si le rôle d'Orphée est encore conlié à un castrat, celui
de l'Amour l'ut toujours interprété par une femme.
(5) Sc-HM-m, ji. 93 (d'après les sources citées ci-dessns>.
(fi) Id. p. 98.
(7) Sihmii), toc. oit.
charme. Marie-Thérèse, qui avait résisté d'abord,. se ravisa :
voyant qu'Or/eo était l'objet de toutes les conversations, enten-
dant à la Cour tout le monde en parler avec ravissement, elle
fut assister à une nouvelle représentation, et, cette fois, se
déclara si parfaitement conquise que (au rapport de Burney,
répétant toujours les communications de Gluck) elle témoigna sa
satisfaction aux auteurs en envoyant au poète une bague en
diamant et à Gluck une riche bourse contenant cent ducats (■)).
[A suivre.) Julien Tiersot.
SARASATE
L'un des plus grands, des plus admirables artistes de ce temps.
Sarasate, le violoniste incomparable, est mort lundi dernier, à l'âge de
soixante-quatre ans, dans la belle villa qu'il possédait à Biarritz, à
deux pas de la terre d'Espagne, son pays natal. C'est une grande perte
pour Fart, c'est un vif chagrin pour celui qui a charge d'écrire ces lignes
et dont, depuis longtemps, il connaissait l'admiration pour son talent.
Les deux plus grands violonistes de la seconde moitié du XIXe siècle
ont été, sans conteste. Joachim et Sarasate. L'un, plus majestueux,
plus mâle peut-être, d'une largeur d'accent et d'une sonorité plus puis-
santes, l'autre, plus .séduisant, avec un son d'une pureté idéale, un
charme plein d'élégance et une grâce qui se gardait de côtoyer la
mièvrerie, tous deux de grand style dans leur exécution, nourris de
l'étude des classiques et tellement sûrs d'eux-mêmes qu'ils se jouaient
avec une aisance prodigieuse des plus prodigieuses difficultés.
Sarasate. quoique étranger, nous appartenait pleinement, par son
éducation musicale. Admis â onze ans au Conservatoire, il en sortait à
treize, après avoir obtenu simultanément, dans la même année (1857),
à ses premiers concours, le premier prix de solfège et le premier prix
de violon. Élève d'Alard. il reproduisait les exquises qualités de son
maitre. avec, peut-être, plus de fermeté et de sérieux encore dans le
style. Enfant prodige appelé à devenir un grand artiste, il était bien de
la race de ces fameux violonistes qui s'appelaient Leclair, Gaviniés. La
Houssaye, Rode, Kreutzer, Baillot, Lafont, Libon, Mazas, Habeneck.
etc.. qui portèrent si haut le renom de notre superbe école française.
La première fois que Sarasate se fit entendre en public à Paris, six
mois avant d'avoir obtenu son premier prix, ce fut (4 janvier 1857) à
l'un des concerts de la Société des Jeunes-Artistes par lesquels
Pasdeloup préludait à ses futurs Concerts-Populaires. Son succès fut
éclatant et préparait le triomphe — ■ le mot n'est pas de trop — qu'il
allait remporter au Conservatoire, car son concours fut un véritable
événement, et le nom de ce bambin fut bientôt, dans toutes les bouches.
Il ne devait pas, comme beaucoup d'autres enfants précoces, s'arrêter
eu chemin, et au bout de quelques années sa renommée parmi nous
s'établissait sur des bases inébranlables, le talent de l'artiste, mûri par
un travail incessant, acquérant toute son ampleur, prenant son entier
essor, et se faisant surtout remarquer par ses qualités du style le plus
pur, le plus sévère et le plus noble à la fois. Le virtuose fit apprécier
alors toute l'élévation de ce talent en faisant entendre, soit aux Concerts-
Populaires, soit à ceux du Châtelet, soit au Conservatoire, diverses
œuvres écrites expressément â son intention, entre autres le second
concerto et la Fantaisie Écossaise de Max Bruch, le concerto et la Sym-
phonie Espagnole de Lalo, et en exécutant tantôt le concerto de Beetho-
ven, tantôt celui de Mendelssohn. Dans ces œuvres de genres et de
caractères si divers, il faisait admirer la souplesse de son style, la fierté
d'un jeu plein d'élégance et de charme, la perfection de son mécanisme,
la pureté merveilleuse d'uu son qui brillait moins par la puissance que
par son exquise limpidité, enfin un phrasé parlait, une étonnante facilité
d'archet et uu chant plein de grâce et de sentiment. Et le public, ravi,
l'accueillait toujours avec enthousiasme.
Il u'y avait nulle pose, nul charlatanisme chez Sarasate, mais au
contraire une simplicité parfaite et une tenue superbe. Lorsqu'on voyait
ce petit homme, très cambré et de taille élégante, aux yeux noirs et â
la chevelure abondante, tenant de la même main son archet et son
violon, s'avancer sur l'estrade, saluer très simplement le public, sans
timidité et sans forfanterie, puis plaçant son instrument et se préparant
â attaquer son solo dans une position et une tenue d'une irréprochable
correction (sans avoir besoin de mouchoir ni de mentonnière), on
sentait à qui l'on avait affaire et qu'on était en présence d'un véritable
artiste.
(1) Burney, Étal présent de la musique, t. II, p. 251.
.E MÉNESTREL
307
Sarasate était d'ailleurs autre chose qu'un virtuose, et la joie était
aussi grande, l'émotion aussi profonde peut-être de la part de l'auditeur
lorsqu'il se faisait, dans des séances que tout le monde se rappelle,
l'interprète chaleureux et inspiré des grands maîtres de la musique de
chambre, particulièrement de Beethoven. Quel style, quelle pureté,
quand on l'entendait ainsi, en compagnie de tels ou tels partenaires, et
lesquels : Saint-Saéns, Diémer, Delsart, M""' Berthe Marx!... C'était
vraiment une noble jouissance.
.Te ne m'attarderai pas à raconter ses voyages, ses tournées triom-
phales à l'étranger : en Autriche, en Allemagne, en Hongrie, en Russie,
en Angleterre, en Belgique, et jusque dans les deux Amériques. Ce
n'était, partout où il se produisait, que fêtes, ovations, enthousiasmes.
On pense bien qu'il n'avait garde, dans ses voyages, d'oublier l'Espagne,
car il était très patriote. Non seulement il s'y fit applaudir, y retour-
nant chaque année, mais il portait surtout une affection filiale à
Pampelune. sa ville natale, qu'il combla de bienfaits. Aussi y fut-il un
jour, il y a près de vingt ans, l'objet d'une manifestation imposante.
C'était le fi juillet 1890, lors des fêtes consacrées à Saint-Firmin,
patron de la Navarre. Kn procession solennelle, accompagnés des mas-
siers, des alguazils, des trompettes, des timbaliers et d'une musique
militaire, l'Alcade, le Conseil communal et le Oiouverneur de la province
se rendirent chez leur compatriote Sarasate, à l'Hôtel de la Perle, situé
sur la grande place. Ils l'amenèrent, lui faisant escorte, à travers des
rues pavoisées et enguirlandées, jusqu'à une maison de la rue Saint-
Nicolas; où l'Alcade enleva le voile qui couvrait une plaque de marbre
portant en lettres d'or l'inscription que voici :
Dans celte maison naquît Pablo Sarasate, le 14 mars 1844. Cette plaque
comm&morative l'ut votée par le Conseil communal, le 28 juin 1890, en
l'honneur de ce grand artiste, l'orgueil et la gloire de son pays (1).
Puis, après des roulements de tambour, des fanfares et des acclama-
tions sans lin, l'alcade, prenant la parole, s'adressa en ces termes au
héros de cette cérémonie :
Pampelune célèbre aujourd'hui un événement à la l'ois joyeux, touchant et
patriotique. Notre illustre compatriote Pablo Sarasate reçoit en ce moment, de
sa ville natale, l'accueil d'une mère justement enthousiasmée et fière des
applaudissements universels, des ovations et des triomphes ininterrompus
dont son fils est l'objet, et à qui elle offre ce témoignage de gratitude pour la
gloire artistique qu'il répand sur elle. Il ne nous reste plus qu'à souhaiter une
longue vie à ce génial artiste dont le nom demeurera toujours inséparable de
celui de notre ville.
Très ému, comme on le pense, de l'hommage que lui rendaient ainsi
ses compatriotes, Sarasate répondit d'une voix entrecoupée par des
larmes de joie : « L'émotion profonde que j'éprouve en ce moment ue
peut se traduire en paroles. Je ne puis que vous assurer de toute ma
reconnaissance pour l'incomparable honneur que vous me faites, et
vous redire encore que tous les battements de mon cœur vont à notre
trinité patriotique : Pampelune, Xaearre, Espagne ! »
J'ai dit, et on le voit, que Sarasate était profondément patriote. Mais
son amour pour l'Espagne n'enlevait rien à celui qu'il portait à la
France, à qui il devait son éducation et ses premiers succès, et où il
revenait toujours avec joie. Il avait coutume de dire : « La France est
ma seconde patrie ; je l'aime autant que la première, et c'est en France
que je veux terminer mes jours ». C'est en France, en effet, que le
grand artiste vient de mourir. Nous avons, sur ses derniers jours, les
détails donnés par un de ses amis, M. Charles Sarrus, qui s'exprime
ainsi :
Le célèbre violoniste Pablo Sarasate est mort d'une bronchite aiguë dont il
soutïrait. depuis plusieurs mois. Le mal le minait sans altérer sa bonne hu-
meur, qu'il conserva jusqu'au dernier moment. Mais son dépérissement
physique inquiétait chaque jour davantage ses amis, impuissants à obtenir de
lui qu'il consentit à se laisser soigner.
A son ami d'enfance, le docteur Blazy, qui l'y invitait avec une sollicitude
pressante, il répliquait avec une pointe de scepticisme :
— A quoi bon ? Ce qui est doit être.
Il céda cependant aux instances de son ami. C'était hélas! trop tard, et
toute la science du docteur Blazy et le traitement qu'il prescrivit, d'accord
avec ses confrères les docteurs de Lostalot et Le Piez, ne purent que retarder
le dénouement fatal.
Après quelques améliorations trompeuses, une crise plus violente que les
autres se déclara et le maître s'éteignit doucement, entouré de ses amis,
M. Goldschmidt, son imprésario dévoué, et M""! Berthe Marx-Goldschmidt,
la pianiste de talent, qui avait partagé les triomphes de Sarasate dans tous
les concerts qu'il avait donnés dans le monde entier, le docteur Blazy, et
il) Depuis longtemps Sarasate se faisait appeler Pablo Sarasate. Lors de la notice
que je lui consacrai dans le supplément de la Biographie Cniverselle des Musiciens de
Fétis, je m'en tins à l'inscription des registres du Conservatoire, transcrite par moi,
et qui portait les noms de Marlin-Meliton Sarasate.
Charles, la fidèle serviteur qui soignait son maître avec -nient in-
lassable.
La colonie espagnole de Biarritz a été profondément attristée par la mort du
grand artiste qui avait une réputation mondiale.
L'ancien sénateur Irasoqui, le jeune et déjà célèbre peintre Mesquila,
M. Bordas, directeur du Conservatoire de Madrid, n'ont cessé de vi
dre des nouvelles de leur illustre ami.
Sarasate meurt au moment où il avait projeté d'entreprendre la publication
d'un traité complet sur l'art du violon, qui aurait rendu de grands services
aux artistes. Mais ses compositions musicales très nombreuses et -a longue et
triomphale carrière peuvent suffire à sa gloire.
Je n'ai point parlé des compositions de Sarasate. non qu'elle- Eussent
sans valeur, car il avait fait de bonnes éludes théoriques sou- la direc-
tion d'Henri Reber, et ses Danses Espagnoles, entre autre-, sont une
chose charmante. Mais c'est que sou talent de compositeur pâlissait
jusqu'à disparaître devant son admirable talent de violoniste. Je cite-
rai pourtant, parmi ce qu'il écrivit : Souvenir de Faust, Mosaïques sur
Zampa et Mignon, Hommage à Rossini, Fantaisie sur Don Juan, Airs bo-
hémiens et quelques mélodies et romances sans paroles.
Mais qui nous rendra un violoniste de la taille de Sarasate ?
Arthur Pougin.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
CXXXVII
ENCORE UN SIGNE DES TEMPS
A J/'an Chantavoine, >id>jraphe
et traducteur de Beethoven.
Le boulevard, à dix heures, un soir de septembre : une des rares
soirées tièdesde cette fin d'été glaciale et pluvieuse... Est-ce une hallu-
cination sonore, est-ce une réalité, daus une brusque interruption des
tonnerres du pavé de bois? Sur le boulevard des Italiens, du brouhaha
des voitures, une musique s'élève avec des accents rudes, grandioses,
cordiaux, uu peu frustes, qui suggèrent aussitôt l'énergie dans la sim-
plicité : j'approche, et reconnais l'ouverture d'Egmont... Un peu plus
haut, sur le boulevard Montmartre, une phrase majeure d'idéale ten-
dresse alterne avec des accords farouches qui rythment éperdument
l'obstination : je passe, et salue l'ouverture de Coriolan... Décidément.
Zimmer ou Pousset, la brasserie contemporaine se beethovt nise! Et Paris
n'enviera plus rien aux plus germaniques des villes d'eaux.
En face, au café Cardinal, daus une blancheur d'autrefois, ce ne soni
pas non plus des arabesques de valses qui circonviennent les passants
plus clairsemés, car depuis le Paris du romantisme, aujourd'hui rétros-
pectif au petit musée de la Ville de Paris ( 1 1, la rive gauche a toujours
cédé la foule à la rive droite et le côté sud est déserté pour le côté nord :
explique qui pourra ces préférences boulevardières ! Toujours est-il que
la grande musique s'installe sans remords derrière la terrasse, sous des
arbres poudreux qui ne jaunissent pas trop prématurément, par une
soirée tiède... Avant la réouverture prochaine des grandes matiuées
dominicales, un Parisien peut entendre Egmont ou Coriolan, légèrement
édulcorés dans les mouvements et les nuances, des exécutions plus
fringantes du Roi d'Ys ou d'Obéron, une sélection raisonnable après une
ouverture intégrale, Werther ou Manon, le Cid ou la Vie de Bohême,
Beethoven et Weber, Lalo. Massenet et l'italien Puccini qui s'est tant
souvenu de son brillant devancier français.
Je n'oserais vous jurer qu'il en est ainsi tous les soirs et que Ro-
dolphe Berger ne voisine jamais avec Wagner! Je passe... Il se pourrait
bien qu'une valse lente, « A quoi pensez-vous? », ou l'ouverture de Si
fêtais Roi (tout arrive' eût précédé, sans plus de remords, cette sélection
chaleureuse du Vaisseau-Fantôme qui me jette au passage un raccourci
de son troisième acte, depuis la fête de l'équipage jusqu'aux splendeurs
italianisantes du finale où se transfigure la sombre fanfare
Du monstre qui devient dans la lumière un ange.
Et, par lièdes bouffées, le romantisme exalte l'obscurité du passant,
dans la nuit froide... Ailleurs, derrière les .vilres fermées, le Preislied
des Maîtres-Chanteurs soupire sur une chanterelle de tzigane... Eu bons
Allemands, Wagner et Beethoven fraternisent parmi les bocks. Et nos
chers Parisiens ont parfaitement l'air de les comprendre.
Il n'y a plus d'enfants! Après cent trente ans, le jeune Mozart ne
reconnaîtrait plus les élégants (qu'il trouvait grossiers de la Chaussi e
(1) Exposition de la Bibliothèque et des Travaux liistoruiues de la Ville de Paris,
à l'hôtel Le Peletier de Saint-Fargeau,, 29 rue de Sévigné, jusqu'au 1" octobre 1908.
308
LE MÉNESTREL
d'Antin. Tardive, notre éducation musicale a reçu le coup de foudre :
analogue, en sa lenteur, à l'évolution d'un art qui. contemporain de la
primitive architecture, s'est développé si tari dans l'histoire humaine,
en se compliquant soudain!
Bref, après la musique au jardin, voici la musique au café : nouveau
chapitre, estival encore, automnal déjà, de ce « renouveau » dont
M. Romain Rolland (1) retrouve les premiers bourgeons au lendemain
de l'année terrible ; et, militaire ou civile, la musique eu plein-air a
conquis quelque droit à nous retenir. Sans métaphore ici, la musique
de la lumière a commença ce qu'achève, ce soir, la musique de l'ombre:
au seuil d'un nouvel automne, la splendeur jaunissante du kiosque
prolonge un dernier rayon mélodieux sur la terrasse... Illusion multi-
colore et polychrome, en ce Paris de 1908 qu'illumine la trop positive
magie de sa publicité!
Laissons les amants wagnériens disserter sans fin sur les respectives
vertus du jour et de la nuit! Quelles impressions moins métaphysiques
nous procurent ces voix immortelles à la brasserie ? Et quelles conclu-
sions tirer de leur présence, ou quelles réquisitions prendre à leur
rencontre?
Notons, d'abord, — ma politesse ou mon patriotisme n'ose dire un
désaccord, — une antithèse, au moins, entre ces ftères voix des maîtres
et la foule qui s'écoule ; un invisible fossé, plutôt qu'un abîme, entre le
« plaisir sacré » de l'oreille et la distraction moins esthétique de la vue.
N'insistons pas, dirait Banville... J'ignore, jusqu'à présent, de quelles
musiques pouvait retentir Suburre ou Racotis; mais on n'attendait
guère ces voix olympiennes sur le trottoir incessamment roulant du
bouleeart, selon l'orthographe de nos aïeux, les gandins. Or. je constate
en moi que cette impression psychologique n'a rien d'inédit, ce soir :
sans recourir aux explications de la métempsycose, aux souvenirs d'une
vie antérieure, idéalisant
Les tièdes voluptés des nuits mélancoliques.
j'ai ressenti cette sensation d'antithèse aux soirées d'Aphrodite, dans le
décor d'une Alexandrie savamment orientale et quelque peu wagné-
rienne, dont la haute harmonie faisait contraste avec la frivolité de
Ghrysis et la faiblesse deDémétrios. Ici. loin de l'antique Beauté, l'an-
tithèse augmente: il nous manque l'azur et la clarté du Mur céra-
mique... Le joli s'aggrave auprès du beau musical, entendu dans la
buée des cigares, le cliquetis des soucoupes et l'impitoyable ronron des
voix commerçantes; une horloge sonne faux, dans l'éloignement ; une
trompe d'auto jette sa lourde ironie dans notre lyrisme et, soudain,
l'éclatement d'un pneu coupe la symphonie, sous l'éventail cendré des
feuilles sèches. A chaque instant, le charme se rompt, la musique
s'éteint; dès qu'elle se rallume, sa splendeur, même estompée, fait tort
à la beauté du diable : quand l'oreille est purifiée par sa voix d'au-delà,
le regard voit un anachronisme imprévu dans chacune de ces petites
silhouettes empanachées qui passent, fantômes féminins qui défilent,
chaque soir, avec une ponctualité que Verlaine ne montra jamais pour
se rendre à son bureau...
Dieu parle : il faut qu'on lui réponde.
Le seul dieu qui nous reste au monde
Est le grand cœur de Beetooven.
Quand Beethoven parle, le monde réel s'effrite comme le palais
d'Armide; en présence de l'art, le vrai devient invraisemblable. C'est
l'heure où Cythère devient la triste Cérigo, dirait le poète; et pour
retrouver l'illusion perdue, le rêve s'échappe avec la tendre suavité de
Massenet.
Un café n'est donc pas encore la parfaite salle de concert qui nous
manque : on n'y rencontre pas spontanément, même à la terrasse et
sous les yeux des étoiles, cette réconciliation des arts que pressentait,
dans l'opéra, La Bruyère (2) et que Delacroix trouvait « abusive » ; et le
propre de ce spectacle n'est point « de tenir les esprits, les yeux et les
oreilles dans un égal enchantement ».
Sans accuser de notre malaise le dieu Beethoven, allons plus loin que
cette première impression de contraste. Aujourd'hui plus que jamais,
dans le grand tout social, évoluant sans répit comme cette foule qui
passe, la vie musicale elle-même est ou devient un problème écono-
mique : on y retrouve secrètement, comme ailleurs ou comme tout
près, la loi de l'offre et de la demande, les tacites rapports habituels
entre le producteur et le consommateur (le mot n'est point déplacé dans
le bruit des bocks). En musique même, le consommateur est souverain,
puisqu'il paie. Mais en musique surtout, le snobisme aidant, le produc-
(1) A la fin de son beau livre, Musiciens d'aujourd'hui (Paris, Hachette, 1908).
(2) Dans les Caractères ou les Mœurs dece siècle (Paris, Michallet, 1£88), chapitre I" :
Des ouvrages de l'esprit, § 47.
teur a la plus grande autorité sur les goûts du consommateur. Le
producteur, ici comme ailleurs, réunit le capital, représenté par les
compositions du génie ou de la mode, et le travail, incarné par d'ano-
nymes interprètes, orchestre d'exécutante plus ou moins brillamment
compréhensifs, mais intermédiaires obligatoires entre l'œuvre et l'au-
diteur. Et voyez poindre aussitôt le grand fait nouveau delà concurrence:
« Croissez et multipliez », a dit le dieu Beethoven; et la multiplication
des grands concerts n'a point manqué d'enfanter les petits orchestres ;
en dix-neuf ans d'existence, le Concert-Rouge a recueilli les épaves
classiques et le public, vraiment populaire, de Pasdeloup; du Concert-
Rouge est né le Concert-Touche, affichant, à deux pas de la Scala
(n'ajoutez point Cantorum), des festivals « Beethoven- Debussy »...
Comprenez-vous, maintenant, devinez-vous dans quel sens un critique
parisien peut affirmerquïl n'y a plus d'enfants, et pour quelles bonnes
raisons Amoureuse n'est plus la complémentaire obligée de l'habit
rouge des pseudo-tziganes ? Oui, tout arrive, à son heure, — un peu
tard seulement quand il s'agit de musique : et nos consommateurs
mêmes réclament autre chose, dorénavant, que les valses des Strauss
ou la Vague de Métra.
Au café comme au jardin, peut-être est-on moins exigeant que dans
la bonbonnière Gaveau : telle « suite », ressassée depuis trop d'hivers,
parait encore agréable; en changeant de milieu, la rapsodie fanée
reconquiert une certaine fraicheur; au crépuscule, telle une rose d'au-
tomne, la vivante Artésienne « est plus qu'une autre exquise » ; le plein-
air nocturne semble fait pour elle. A l'heure plus triviale de « l'apéritif »,
les déhanchements de la Mattchiehe conviendront toujours mieux que le
blason de Lohengrin... Partout, cependant, la musique se renouvelle :
dans le clair silence d'une vieille rue, un orgue abime la belle phrase
italienne de Wolfram à Tannhauser; un jour de pluie, dans un passage,
l'ouverture de Tannhauser précipite ses entraînantes harmonies sur un
piano sans pianiste... Sans doute, on ne fredonne pas encore Tristan,
malgré son italianisme, ou le Prélude à l'Après-midi d'un faune: mais,
partout, le concert est en avance sur le théâtre, et les provinciaux qui
veulent applaudir la Juive s'engouffrent à la Gaieté-Montparnasse. Au
contraire, et trop longtemps oubliées, les symphonies d'Haydn retour-
nent à nos grands concerts pour déwagnériser leurs menus ; la sonate
de Franck, dont uu critique d'avant-hier renvoyait les premiers inter-
prètes « aux Petites-Maisons », se joue, rue de Tournon, devant de
vrais consommateurs.
N'est-ce pas l'éternel destin de toute mélodie d'accroître insensible-
ment sou public en perdant de sa rareté? Dés qu'elle se répand, les
renchéris affectent de la bouder; et c'est ainsi que Wagner se meyer-
beerise : voici, déjà, le crépuscule du dieu... Mais, Egmoiit ou Coriolan,
l'aristocratie foncière de l'idéal résiste à toutes les promiscuités.
Est-il dangereux de vulgariser les chefs-d'œuvre? C'était l'avis
d'Antoine Rubinstein, il y a plus de quinze ans déjà, dans son
Entretien (1) qui fourmille de paradoxales vérités. Surpris, à bon droit,
de « notre infatigabilité musicale », le confident du génie aurait souffert
d'entendre, dans un concert populaire ou dans un jardin public, la
neuvième symphonie, les derniers quatuors ou les dernières sonates de
Beethoven, « non parce que le public ne les comprendrait pas, mais, au
contraire, de crainte qu'il ne les comprit... » Et Rubinstein ajoutait
qu'aux eaux le malheureux compositeur ne se guérit point parce qu'il
entend, comme nous, « trop de musique », trop de grande musique, au
lieu d'airs nationaux et de danses reposantes!
Cependant. Rubinstein même ne se prononçait pas : entre les hautes
initiations fermées du sanctuaire et la porte ouverte au profanum vulgus,
il hésitait, sans conclure; en artiste, il recourait au dialogue afin de
confier le pour et le contre aux deux avocats que Delacroix entrevoyait
dans toute cause : « Bien que j'y aie beaucoup réfléchi, disait-il, je ne
puis décider quel est, en somme, le point de vue le plus juste. » Au
concert encore plus qu'au musée les avis se partagent :
— L'art dans tout ! L'art pour tous ! rêvent les éducateurs qui ne voient
point d'un mauvais œ.l les orchestres d'amateurs ou les conservatoires
de midinettes.
— L'Art n'est pas fait pour tout le monde, ripostent les musiciens,
ennemis-nés de toute vulgarité qui prend le nom pompeux de vulgari-
sation ; l'Anglais William Morris n'a fait qu'un beau rêve en voulant
« l'Art pour le peuple et par le peuple ».
Les premiers se préoccupent surtout de la foule des auditeurs que
peut ennoblir la plus haute des jouissances humaines ; les seconds, de
la Musique. « cette vierge craintive et d'une ombre offensée », qui passe
parmi les hommes en gardant son secret.
(1) La Musique et ses représentants, irad. Michel Delines. — Voir te Ménestrel du
14 février 1892, page 50, col. 2.
LE MÉNESTREL
309
L'idéale musique est l'apéritif de l'âme; et lame se réveille à sa voix
obscure. L'art musical n'est qu'un exaltant, mais souverain; serait-il
dangereux? Et, depuis Platon jusqu'à Victor de Laprade (1), voici les
philosophes qui signalent, à leur tour, ce danger de provoquer, même
noblement, la sensation fugitive au détriment de l'idée claire ; aussi
bien, plus d'uu sage a-t-il entrepris le procès de la musique en n'excep-
tant point les chefs-d'œuvre. Aujourd'hui, nous aurions mauvaise
grâce à répondre que découvrir Mozart ou Beethoven vaut mieux que
d'aller au café... puisque nous y sommes! Mais que les philosophes se
rassurent : le programme seul est un symptôme des temps ; le consom-
mateur bavarde trop pour l'écouter.
(A suivre.) Raymond Bouyeii.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(POUR LES 8EULS ABOWVES A LA HU8IQUE)
Voici revenir notre hambourgeois Vollstedt, celte fois avec une gavolle : Roses de
France. Ce n'es!, peut-être pas très caractéristique comme gavotte, mais cela a de
l'élégance et de la facilité aimable. C'est le principal pour les jeunes doigts auxquels
il faudra confier celte pet i te pièce sans prétention.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
On prépare eu ce moment, à l'Opéra de Vienne, une brillante reprise de
Joseph, le chef d'oeuvre de Méhul, mais avec des récitatifs remplaçant le dia-
logue parlé de la version française. Sur ce que seront ces récitatifs et sur leur
origine assez singulière, M. Félix Weiugartner vient de communiquer au
journal le Fremdenblatt les détails suivants :
Lors de mon dernier séjour à Paris, à une époque où je ne me doutais nullement
que je serais appelé un jour à la direction de l'Opéra de la Cour de Vienne, je Ds
la connaissance d'un amateur de musique, un particulier, qui, entre autres trésors,
me montra de vieux manuscrits jaunis ayant trait au Joseph, de Méhul. Ce sont des
récitatifs pour cet opéra. Je demandai à mon amateur si ces manuscrits étaient peut-
être de la main du compositeur. Il ne pouvait pas m'en donner l'assurance, mais une
chose est absolument certaine, c'est que ces récitatifs datent de l'époque de Méhul.
Ils ont au moins cent ans. Donc, lorsque je pris la décision de monter le chef-
d'œuvre de Méhul, je me rappelai aussitôt ces mystérieux récitatifs. Je m'adressai à
leur propriétaire et celui-ci m'abandonna la musique à la condition que je prenne
l'engagement d'honneur de ne jamais dévoiler son nom. La remise des manuscrits se
fit également avec des formalités bizarres. Un fondé de pouvoir du propriétaire des
manuscrits arriva chez moi dans le courant de l'été et me remit les notes. Il ne bou-
gea pas de chez moi jusqu'à ce que j'eusse copié les feuil es. Je dus moi-même faire
lacopie pour laquelle il ne me fallut pas moins de quatre jours. Personne, en dehors
de moi, ne devait toucher aux manuscrits. Quand j'eus fini, je remis les notes à
l'homme qui les avait apportées en lui exprimant tous mes remerciements et celui-ci
retourna à Paris. Voilà l'histoire des nouveaux récitatifs de Joseph.
— On télégraphie de Vienne que l'Opéra-Impérial a offert à ses abonnés le
spectacle assez rare d'une représentation en français; cela ne s'était plus
vu depuis Hamlet avec Faure et Christine Nilsson. On a donné Samson
et Dalila de Saint-Saéns. avec M. Dalmorès. Muie Cahier, la titulaire du rôle
de Dalila, appartient à la troupe de l'Opéra-Impérial. mais elle a chanté plus
volontiers en français qu'en allemand. M. Dalmorès doit prochainement pa-
raitre dans Lôhengrin.
— D'après les journaux de Prague, il serait question d'établir à Vienne un
théâtre tchèque permanent. Cette idée a été mise en avant à l'occasion des
succès qu'ont obtenus récemment dans la capitale autrichienne une troupe de
comédiens venus de la Bohème.
— Il ne se passe guère d'année sans que les Viennois saisissent une occa-
sion ou une autre pour décerner les honneurs du triomphe à une Cïntatrice
ou à un ténor favoris. On attend l'artiste à la sortie du théâtre, et, lorsqu'il
est monté en voiture au milieu des ovations, le cheval est dételé, attaché der-
rière la voiture, et nombre de jeunes gens et de jeunes femmes se mettent au
timon, et, d'une main légère, tirent le véhicule jusqu'à destination. C'est
peu compliqué, comme on le voit et. généralement, cela se passe sans en-
combre. Il n'en a pas été ainsi pourtant, il y a quelques jours, lorsque le
ténor Slezak a eu, lui aussi, la petite manifestation à laquelle sa notoriété lui
donnait d'incontestables droits. Pendant que le cortège traversait les rues de
la ville en troublant quelque peu la tranquillité publique, une brigade d'agents,
conduite par des officiers de police, se jeta sur les manifestants, non sans
quelque violence, et se mit en demeure de les disperser. Les hommes reçurent
des coups, les dames furent bousculées et le char du malheureux ténor, avec
le cheval attaché derrière, demeurait en panne comme une simple automobile.
il I En sa fameuse brochure Contre In Musique (Paris, Perrin, 1880..
Tout s'expliqua bientôt. La police, toujours aux aguets à cause des alterca-
tions continuelles causées par les rivalités de races entre les Tchèques et les
Allemands, s'était crue en présence d'un mouvement dirigé contre les pre-
miers et contre le ténor Slezak, qui appartient à leur nationalité. Lorsque
l'on vit qu'il ne s'agissait de rien de pareil, toute latitude fut laissée aux di-
lettanti de glorifier à leur manière le chanteur qui avait su gagner leurs pré-
dilections. L'attelage humain se reforma et la voiture, s'ébranlant de nouveau,
put gagner l'hôtel où l'artiste était descendu, toujours suivi par le cheval im-
passible, attaché derrière et marchant au pas.
— Les machinistes de l'Opéra Populaire de Vienne viennent de se mettre
en grève à cause du renvoi de deux d'entre eux, et ont refusé leur service. La
direction s'est efforcée de réunir une autre équipe, mais elle n'a pu y réussir,
les ouvriers ayant déclaré le boycottage de théâtre. — La civilisation
marche !
— La première audition de la septième symphonie de M. Gustave Mahler
a eu lieu le 19 septembre dernier, à Prague, sous la direction du composi-
teur.
— Nous empruntons au compte rendu annuel de la bibliothèque royale de
Berlin l'extrait suivant relatif à la collection annexe qui se trouve au Sckin-
kel-Platz, n° 6, et dont l'archiviste est M. Altmann : « Le développement de
la « Collection musicale allemande » a suivi, pendant la deuxième année de
son existence, une marche progressive régulière. Grâce à la sollicitude du
ministère, une somme de 5i.l2o francs a été attribuée à cette collection, et
un reliquat de 7.500 francs, économisé pendant l'année 1900, est venu s'v
ajouter. Ces subsides ont permis d'augmenter le nombre des agents occupés à
la confection des catalogues, et d'inventorier environ 34.800 ouvrages. Il a
été constitué, d'avril 1907 à la même époque de l'année suivante, un nombre
de 95.902 fiches classées méthodiquement, tt de d07.777 classées alphabéti-
quement. Les volumes qui forment le fonds de cette bibliothèque, riche d'en-
viron 69.270 œuvres musicales, sont actuellement reliés et en état d'être com-
muniqués au public. »
— Quelques journaux allemands se sont fait l'écho de certaines informa-
tions d'après lesquelles on aurait songé à confier à M. Gustave Mahler la
direction de l'Opéra-Royal de Berlin. Le célèbre chef d'orchestre a fait savoir
à cette occasion que jamais aucune proposition semblable ne lui a été adres-
sée et qu'il considère comme tout à fait invraisemblable que l'on songe à lui
pour le poste en question. Il ajoute que d'ailleurs ses engagements rappellent
à New-Vork en novembre prochain. Ce qui a donné naissance aux bruits
dont il s'agit, c'est la séparation projetée de l'Opéra et du Schauspielhaus,
tous les deux ayant été placé» jusqu'ici sous la régie de M. Georges de Hùl-
sen, intendant général des spectacles royaux.
— M. Richard Strauss, qui vient de subir une petite opération dans une
clinique de Munich, est déjà de retour à sa villa de Garmisch où il travaillera,
dès l'achèvement complet de sa partition d'Elektra, à un opéra-comique,
d'après un texte de M. Hugo von Hofmannslhal. La première i'Elektra aura
lieu à Dresde en janvier; le mois suivant l'œuvre sera jouée à l'Opéra-Roval
de Berlin. M. Richard Strauss parait tenir beaucoup à ce que l'on pense qu'il
est dans les meilleurs termes avec l'empereur Guillaume. « L'empereur, a-t-il
dit à un rédacteur du Lokal Anseiger, s'intéresse à mon activité comme com-
positeur, beaucoup plus que ne le croient mes rivaux et mes adversaires.
Obéissant à ses ordres, j'ai composé les ouvrages suivants : ma Marche de fête
qui est jouée à l'Opéra-Royal aux jours de représentations de gala; mon Bran-
denburger Parademarscli. d'après de vieilles mélodies, et deux marches de cava-
lerie que l'empereur a envoyées à ses chasseurs royaux, à Posen. Tout der-
nièrement encore, j'ai terminé une marche pour défilé de troupes et une
marche guerrière, dont la dédicace a été agréée par Sa Majesté. »
— M. Ernest von Schuch. le directeur général de la musique royale de
Dresde, qui a été très apprécié à Paris en 190-i, lorsqu'il conduisit l'orchestre
Colonne pendant un concert, vient de refuser les invitations qui lui avaient
été faites d'aller diriger des œuvres de Wagner et de Richard Strauss à Rar-
celone et à Lisbonne. La visite attendue du roi d'Espagne àDresde l'oblige à ne
pas s'éloigner de cette ville, où il doit diriger une représentation de l'opéra en
quatre actes Aktè, paroles et musique de M. Joan Manen, le seul opéra espagnol
que l'on joue en Allemagne. On se souvient que cet ouvrage fut donné à Dresde
pour la première fois le 2-i janvier dernier. Son apparition sur la scène remonte à
1903 et eut lieu à Barcelone. L'histoire d'Akté, aimée de Néron avec un véritable
amour, forme un épisode touchant des premiers temps du christianisme.
« Quant à Akté, dit Renan, si elle ne fut pas chrétienne, ainsi qu'on l"a sup-
posé, il ne s'en fallut pas de beaucoup. C'était une esclave originaire d'Asie;
elle garda toujours des goûts simples et ne se détacha jamais complètement de
son petit monde d'esclaves. Cette pauvre fille, humble, douce, et que plusieurs
monuments nous montrent entourée d'une famille de gens portant des noms
presque chrétiens, fut le premier amour de Néron adolescent.EUelui fut fidèle
jusqu'à la mort ; nous la retrouverons, à la villa de Phaon. rendant pieusement
les derniers devoirs au cadavre dont tout le monde s'écartait avec horreur".
Néron fut inhumé par Akté dans un grand linceul blanc et ses cendres furent
placées dans le tombeau des Domitius. grand mausolée qui dominait la colline
des Jardins (lePincio). Son fantôme hanta le moyen-âge comme un vampire.
C'est afin de rassurer le peuple qui croyait voir des apparitions sur le lieu
de la sépulture de l'empereur artiste, chanteur et comédien, qui lit des sup-
plices un spectacle, que fut bâtie l'église Santa Maria del popolo. Comme on le
•310
LE MENESTREL
voit, le sujet à'Akté se rattache à l'époque où le christianisme naissant reçut
le baptême de l'eu des persécutions. 11 semble donc que l'on ne pouvait choisir
un meilleur ouvrage pour une représentation de gala offerte à un souverain
espagnol de race latine. En même temps qu'Akté, M. von Schuch remettra en
scène tes Trois Pinlos de Weber. C'est encore là une des raisons qui le retien-
nent à Dresde.
— Le chanteur Charles Scheidemantel vient de célébrer le trentième anni-
versaire de ses débuts au théâtre. H a, en effet, paru pour la première fois
sur une scène lyrique en 1878 à Weimar, dans le rôle de "Wolfram de Tann-
huuser. Il est attaché à l'Opéra de Dresde depuis 18S6.
— L'intendant général du théâtre de la Cour grand-ducale à Weimar.
M. de Vignau, va résigner ses fonctions et sera remplacé par M. Charles de
Schirach.
— La ville de Brunswick, où le grand violoniste Spohr naquit le 3 avril 1784
(il mourut à Cassel le 22 octobre 1839), s'apprête à élever un riche monument a
l'illustre virtuose, qui fut en même temps un compositeur remarquable à qui
l'on doit plus de 130 œuvres de tous genres. Il appartient sous ce rapport à l'école
romantique allemande, mais plus près de Schubert et de Mendelssohn que de
Weber et de Marschner. De ses dix opéras deux surtout sont restés fameux.
Jessunda et Faust, bien que ce dernier ait été supplanté dans toute l'Allemagne
par le Faust de Gounod. Ses oratorios, symphonies, ses ouvertures, ses
messes, ses chœurs, se> lieder. ses compositions de musique de chambre sont
des œuvres plus qu'eslimables. mais auxquelles manque toutefois la flamme
du génie. Il semble que Spohr écrivait plus avec son cerveau qu'avec son
cœur; il en résulte que sa musique est un peu froide et compassée. Comme
violoniste, Spohr appartient à la grande école allemande moderne, celle de
Ferdinand David, de Marrer, de Mayseder. dont le dernier et le plus illustre
représentant fut Joachim. Sa musique de violon est peu connue de nos
artistes français, à part son beau recueil d'Études qui est un excellent travail ;
il a pourtant écrit quinze concertos et un certain nombre de sonates avec
piano.
Spohr. qui a joui dans son pays d'une grande renommée, a été l'objet de
divers travaux biographiques; mais la publication la plus intéressante le
concernant est assurément son Autobiographie, qui parut à Gœttingue un an
après sa mort. Écrite bonnement et sans emphase, cette autobiographie donne
de nombreux détails sur l'existence de Spohr, sur ses divers voyages en
Allemagne, en Russie, en Italie, en Angleterre, en France, sur tous les grands
artistes avec lesquels il s'est trouvé en contact et en relations : Paganini,
Meyerbeer, Zingarelli, Mrae Catalani, Moscheles, Ferdinand Ries, etc. Le récit
est émaillé d'anecdotes souvent curieuses. Témoin celle-ci. A Naples, Spohr
rend visite au célèbre Zingarelli, directeur du Conservatoire : dans la conver-
sation, après qu'il eut été beaucoup question d'Haydn, il prononce le nom de
Mozart: alors Zingarelli, tout en convenant que Mozart avait eu quelques dis-
positions pour la musique, ajoute qu" « il était fort à regretter que ce maître
•t'eût pas eu le temps de continuer ses études encore pendant une dizaine d'années:
qu'alors il eût pu mettre au jour quelques bons ouvrages ». Et en rapportant
ce propos, Spohr dessine une tête d'àne. Un peu plus loin, il nous donne des
détails bizarres sur la Malanotti, une des plus grandes cantatrices du temps :
— « La signora Malanotti, dit-il, est un des meilleurs contraltos qui existent
aujourd'hui. En ce moment elle se reposait à Brescia auprès de son cavalier
servant, le comte Secchi, qui possède un magnifique hôtel a Brescia, et une
villa plus belle encore dans les environs. Son adorateur, qui est très riche et
très instruit, a consacré sa vie entière au service de sa donna, pendant que ses
deux frères se sont distingués en combattant au service de la France. Depuis
dix ans il l'accompagne dans toutes les villes où elle chante, régit ses affaires,
et se prête a tous ses caprices. Sa seule occupation sérieuse, c'est d'écrire
l'histoire de sa belle, c'est-à-dire le récit des victoires qu'elle a remportées sur
ses rivales, et de ses aventures galantes. Une fois par an elle lui fournit les
pièces à l'appui de ce récit ; -ce sont les originaux des déclarations d'amour
qu'elle a reçues, et quoiqu'il soit excessivement jaloux, elle parvient toujours
à décider le pauvre fou à copier ses billets doux et à les inscrire dans son
histoire avec les explications nécessaires. La Malanotti est mariée ; elle a
même deux enfants qu'elle aime beaucoup, dit-on. Le mari joue un rôle assez
triste : il se tient toujours à une certaine distance, suivant d'un œil attentif
ses moindres gestes. Le comte Secchi n'a encore vu ni Rome ni Naples, parce
que sa belle n'a point encore citante dans ces deux villes, et qu'elle lui accor-
derait difficilement la permission de s'y rendre sans elle... »
— A Rimini, première représentation de Fau-la, opéra en trois actes qui
est le début à la scène d'un jeune compositeur, M. R. Bianchi. Livret fâcheux,
musique sans nerf et sans originalité. Interprètes principaux : Mmc Olga del
Signora et MM. Palet et Rebonate.
— Nom, l'opéra du maestro Luporini, dont nous avons annoncé sommaire-
ment la première représentation à Lucques, parait avoir obtenu un certain
succès. L'ouvrage, qui est en trois actes, est écrit sur un livret de M. Nicolo
Daspuro. Plusieurs morceaux ont été bissés. L'héroïne est personnifiée d'une
façon remarquable par Mme Amelia Karola. Les autres interprètes sont
M1" Agozzino, le ténor Schiavazzi et le baryton Aversano.
— Le public italien n'est pas près de manquer de nouveautés lyriques. On
annonce la future représentation à Rome d'un drame musical en deux actes,
Jus vêtus, paroles de M. Adone Nosari. musique de M. "Virgilio Ranzato, et au
Theàtre-Victor-Emmanuel de Turin celle d'un opéra en quatre actes, Sera-
fina d'Albania, paroles du capitaine Aifredo Mancini. musique de M. F. -A.
Cuneo. D'autre part, les journaux nous font connaître que plusieurs composi-
teurs viennent de terminer toute une série d'ouvrages importants qui ne de-
mandent qu'à être soumis à l'appréciation et au suffrage du public : Cerve,
opéra en trois actes, paroles de M. Gino Civetta, musique de M. Giovanni
Pennachio. cnpomusica du 77e régiment d'infanterie ; Hiawatha, texte tiré d'un
poème de Longfellow par M. Carlo Zangarini, musique de M. Mezio Agos-
tini ; l'Ombra, paroles de M. Luigi Orsini, inspirées par une nouvelle de
Beltramelli, musique du même compositeur : Hoffmann, drame lyrique,
musique de M. Laccetti ; Leggenda polacea, musique de M. Anacleto Loschi...
— La direction du Conservatoire et Institut de musique de Lausanne,
vacante par suite de la démission récente de M . E.-R. Blanchet, vient d'être
confiée à M. Jules Nicati, professeur de la classe supérieure de piano. Le nou-
veau directeur, qui est né à Morges le 16 octobre 1874, fut élève à Lausanne
de MM. Eschmann-Dumur et Ch. Blanchet, à Strasbourg de M. Fritz Blumer,
et à Paris de M",e Clauss-Szarvady. Il fut nommé professeur au Conservatoire
de Lausanne en 1902, ce qui ne l'empêcha pas de se faire entendre fréquem-
ment en public avec succès.
— Mercredi dernier, 23 septembre, a eu lieu à Lausanne un Festival Gabriel
Fauré, uniquement consacré aux œuvres de l'éminent compositeur. Le pro-
gramme était ainsi composé : 1. Quatuor avec piano, op. 30. en ut mineur:
2. Sept mélodies pour chant et piano: 3. a Elégie, b Sicilienne pour violoncelle
et piano; i. Sept mélodies pour chant et piano: S. Sonate pour piano et violon,
en la majeur. Les interprètes de M. Gabriel F'auré, qui tenait lui-même la
partie de piano, étaient Mme Debogis-Bohy, cantatrice, MM. H. Gerber (violon),
Bott (alto) et E. Canivez (violoncelle).
— Le Théâtre de Vevey (Suisse) n'est pas précisément à la recherche de
nouveautés. Il a donné récemment une représentation, curieuse et intéres-
sante d'ailleurs, composée de la Serva padrona, de Pergolèse, dont l'apparition
remonte à 1731. et du Devin du village, de Jean-Jacques Rousseau, qui fut
joué à l'Opéra en 1733. Comme à ces deux ouvrages se rattache la grande
o querelle de bouffons » qui fit tant de bruit à Paris à cette époque, la repré-
sentation étant précédée d'une conférence littéraire et musicale sur Jean-
Jacques Rousseau faite par M. Jules Carrara.
— 0:i a célébré la semaine dernière, en l'église anglicane de Bruxelles, le
mariage de miss Tita Brand, jeune et brillante tragédienne, fille de la célèbre
cantatrice wagnérienne allemande Marie Brema, avec un jeune littérateur
belge, M. Emile Commaerts, auteur d'une nouvelle version de Tristan -et
Ysmlt.
— Dimanche dernier, à Aailon, à l'occasion du deuxième congrès pour
l'extension de la langue française qui se tenait dans cette petite ville belge,
une cantate dédiée aux congressistes et intitulée Doulc France, a été exécutée
avec grand succès sur la place Léopold. La musique de cette cantate est
l'œuvre d'un compositeur aarlonnais, M. E. Henkels.
— Parmi les œuvres qui doivent figurer, en cours delà saison d'hiver, sur les
programmes de la Société royale d'oratorio d'Amsterdam, on cite le Josué de
Haendel. la Symphonie avec chœurs de Beethoven, l'Ode à l'Amitié de Johan
Wagenaar, le Clmnt de la Cloche de Vincent d'Indy et la Résurrection du Christ
de Fock. — De son côté, la Société pour l'encouragement de l'art musical
donnera une exécution de la Passion selon saint Mathieu, de Bach.
— M. Auguste Machado, connu déjà par plusieurs ouvrages dramatiques,
vient de terminer la partition d'une comédie lyrique, a Burgn°zinha, qui sera
probablement représentée l'hiver prochain sur un des théâtres de Lisbonne.
— D'après une nouvelle venue de New-York, des cambrioleurs se sont in-
troduits dans la maison de campagne deMme LilianNordica, située dans l'état
de Massachusetts, et y ont dérobé pour 70.000 francs de bijoux.
— Au Théâtre- Colon, de Buenos-Ayres, on a donné la première représen-
tation d'un opéra intitulé Aurora, dû au compositeur Panizza. musicien
argentin de naissance, mais italien d'éducation et d'adoption. Comme d'ordi-
naire, les journaux italiens signalent un « grandissime succès ».
— Ainsi que nous l'avons annoncé déjà, le directeur du Manhattan Opéra
de New-York, M. Hammerstein, fait construire à Philadelphie une salle
d'opéra, qui ouvrira ses portes le 17 novembre, avec Carmen. L'infatigable
directeur américain transportera sa troupe d'artistes, chanteurs, cantatrices,
choristes et musiciens d'orchestre, de New-York à Philadelphie pour les re-
présentations. Il offre gratuitement les dépendances du nouveau théâtre, pour
la fondation d'un grand conservatoire. On dit que le concours de MD,e Lilli
Lehmann et de M. Alfred Giraudet sont déjà assurés pour fortifier le corps
enseignant de l'institution. L"n gymnase sera organisé pour permettre aux
élèves de s'exercer aux exercices physiques, afin d'acquérir la force corporelle
nécessaire pour s'adonner utilement aux études.
— On a donné au mois d'août dernier de très intéressants concerts d'orgue
à Salt-Lake-City, capitale du territoire d'Utah (États-Unis). Les principaux
morceaux des programmes ont été: Sélection de Mignon, d'Ambroise Thomas,
morceaux de la Vierge, de Massenet. Andunte et Toccata, de Widor. Clmnt du
Saint Sacrement, de William Caauvet, Chant séraphique, d'Alexandre Guil-
mant, et différentes compositions de Weber, Schumann, Mendelssohn, Doni-
zetti, Wagaer.
LU MENESTREL
ÎM
— Une école d'an dramatique an Japon. Le i''1 septembre dernier a été
ouverte à ïokio une école destinée à former des artistes pour le théâtre. La
directrice de cette école est M"lc Sada-Yakko, l'actrice japonaise nui vint à
Paris, en 1900 et en 1907. en compagnie de M. Kawakami, artiste dramatique
célèbre comme elle, la seconde fois surtout pour étudier l'organisation de notre
Conservatoire et assister aux représentations théâtrales parisiennes. L'insti-
tution que. vient de fonder M"": Sada-Yakko a l'appui financier des deux ama-
teurs de théâtre. MM. Shibusava et Okura. Elle a obtenu en outre, d'une
société d'amis des arls placée sous le patronage du Mikado, un subside une
fois donné de 500 yens (environ 2.500 francs) et une mensualité de 100 yens.
L'école est actuellement fréquentée par vingt jeunes filles qui ont à recevoir
l'enseignement, tant au point de vue de l'art théâtral traditionnel de leur pays
qu'à celui de la dramaturgie, telle qu'elle est comprise en Europe. Toutes les
leçons données dans l'institution sont gratuites. M'"' Sada-Yakko impose une
condition très spéciale aux jeunes personnes qui désirent se faire admettre au
Conservatoire japonais., c'est d'être d'une taille élevée. On considère en effet
qu'elles ne sauraient sans cela interpréter avec assez de relief les drames des
auteurs européens, particulièrement des classiques. Mais, dans l'empire du
Mikado, cette condition est très souvent difficile à remplir et l'on assure
que M"10 Sada-Yakko a toutes les peines du monde à recruter un personnel
présentant la belle, prestance corporelle qu'elle exige.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
C'est le 1er octobre que s'ouvrira au Conservatoire national de musique
et de déclamation le registre d'inscription des candidats qui sera ouvert de
9h. à 1 h. Les demandes seront reçues jusqu'aux dates ci-après, dernier
délai:
Flûte, hautbois, clarinette, basson : jeudi 8 octobre.
Cor, cornet a pistons, trompette, trombone : samedi 10 octobre.
Piano (hommes) : lundi 12 octobre.
Harpe: mercredi H octobre.
Chant (hommes et femmes) : jeudi 15 octobre.
Violon: mercredi 21 octobre.
Déclamation dramatique diommes et femmes) : vendredi 30 octobre.
Contrebasse, alto, violoncelle: vendredi 6 novembre.
Piano (femmes) : lundi 9 novembre.
Les concours pour l'admission ont lieu dans la huitaine qui suit la clôture
des listes d'inscription. Les aspirants inscrits sont prévenus, par lettre, du
jour et de l'heure où ils seront entendus par le jury. Ceux qui, trois jours
après la clôture des inscriptions, n'auraient pas reçu de convocations sont
priés d'en aviser le secrétariat.
— A l'Opéra :
M. Broussan est rentré à Paris cette semaine et a repris sa place à la
direction aux cotés de M. André Messager. Les deux directeurs ont tout
aussitôt fixé définitivement les dates de la répétition générale et de la première
représentation du Crépuscule des Dieux qui auront lieu les dimanche 11 et
mercredi 14 octobre.
Entre temps M. Messager avait signé avec M. Hans Richter un traité par
lequel le célèbre chef d'orchestre hongrois s'engage à venir conduire huit
représentations au cours du mois de juin 1909 : ces représentations seront tout
naturellement wagnériennes et se composeront de la Valkyrie, le Crépuscule des
Dieux et Tristan et Isolée.
A signaler le réengagement de M11" Marcelle Demougeot et les débuts de
M. Marcoux, bien accueilli dans le rôle de Méphistophélès du Faust de Gounod.
Hier soir vendredi a dû avoir lieu la reprise tant attendue de l'Hamlet
d'Ambroise Thomas, avec, comme grandes vedettes, Mlle Mary Garden, chan-
tant pour la première fois le rôle d'Ophélie, et M. Renaud. Hier soir égale-
ment rentrée de Mlle Zambelli dans le célèbre ballet de la Fêle du Printemps.
— A l'Opéra-Comique :
L'ouvrage nouveau de M. Salvayre, Solange, descendra en scène au courant
de la semaine prochaine. C'est dire que ses jours sont proches.
On va commencer les études de la Sapho de M. Massenet, pour lequel, comme
nous l'avons dit, le maitre a écrit un tableau nouveau, M"18 Marguerite Carré
et M. Salignac en seront les protagonistes, et aussi s'occuper des reprises
d'Orphée, pour les débuts de M1" Raveau, et de la Tosca pour M"e Chenal'.
Spectacle d'aujourd'hui samedi : Manon. Demain dimanche, en matinée: Le
Jongleur de Notre-Dame et Philëmon et Buucis ; en soirée : Carmen. Lundi,
représentation populaire : Mireille.
— C'est jeudi prochain Ie1' octobre qu'aura lieu, à la G-aîté- Lyrique, la pre-
mière représentation de Jean de Nivelle. L'œuvre exquise de Léo Delibes, dont
on se rappelle la vogue lors de sa création à l'Opéra-Comique, en 1880, alter-
nera sur l'affiche avec Paul et Virginie, dont le grand succès attire toujours la
foule place des Arts et Métiers.
• — Comme nous l'avions dit, la commission de la Société des auteurs et
compositeurs dramatiques a reçu samedi dernier, à trois heures et demie, les
délégués de l'Association des directeurs de théâtre. La commission était com-
posée de MM. Paul Hervieu, président: Saint-Saèns, Jean Richepin. Robert
de Fiers, G. -A. de Caillavet, Paul Milliet, Maurice Hennequin. Les délégués
étaient MM. Albert Carré, Porel, Micheau, Franck, Peter-Carin. Fontanes et
Duplay. La réunion a duré une heure et demie. A son issue, la Société des
auteurs a adressé la communication suivante :
Les délégués de l'Association des directeurs de théâtres de Paris se sont rendus,
hier, a la commission de la Société des auteurs h compositeurs dramatiques munis
des pleins pouvoirs de leurs confrères.
Ils ont souscril aux propositions qui leur "ni ■'•(•:• laites par la e'unmisjion et .ju:
portaient sur le maintien des billets de faveur et d
Su outre, la commission et les directeurs se sont mis d'accord sur des mesures
rigoureuses à. prendre immédiate nt pour restreindre l'abus el réprimer le traiie
des billets de laveur.
Tous les théâtres raisant partie de l'Association des directeurs on( adh
arrangements l'exception du Chûtelet.
Et revoilà enterrée une fois de plus la question des billets de faveur. De
nouvelles commissions la reprendront vraisemblablement dans plusieurs
années, et, vraisemblablement aussi, n'arriveront pas plus à la résoudre,
— M. Théodore Dubois vient de terminer une symphonie dont le titr • sera
i Symphonie française ». C'est la première oeuvre du maitre en ce _
— L'Association artistique des Concerts-Colonne prépare sa saison — qui
promet d'être des plus brillantes — pour 191)8-190!). Voici quelle sera la date
des concerts qui auront lieu comme précédemment, au théâtre du Chûtelet le
dimanche en matinée à deux heures ,.| demie.
Série A. — 1" concert, 18 octobre; 3% 1" novembre : •",-, 15 novembre; 7-, 29 no-
vembre; 9", 13 décembre; 11-, 27 décembre; 13". 17 janvier 1909; 17-, 31 janvier; 17 ,
14 février; 19", 7 mars; 21", 21 mars: 23 , 'i avril.
Série B. — 2« concert, 25 octobre; l*, 8 novembi i; & Î2 novembi i', 6 décem-
bre; 10», 20 décembre; 12», 10 janvier 1909; 14', 2i janvier"; 16", 7fëvrier;18 38 fé-
vrier; 20-, 14 mars; 22', 28 mars; 2V, 9 avril (Vendredi saint, à lin 1 1 heures du soir.
L'abonnement se fait au siège de l'Association, 13, rue de Tocqueville Des
cartes de membres honoraires, strictement personnelles, donnant l'entrée aux
répétitions générales du samedi matin, sont délivrées au siège de l'Associa-
tion, 13, rue de Tocqueville, moyennant une cotisation de 80 francs. La
présentation par deux membres honoraires anciens est obligatoire.
— Le théâtre des Variétés annonce sa réouverture pour lundi prochain avec
le Roi, la pièce de MM. de F. ors, de Caillavet et Arène, arrêtée, par l'été, en
plein succès.
— Découpé dans le « Courrier du Théâtre » de notre excellent confrère
Nicolet du Gaulois :
En 1861, au moment où y fut représenté Tannhâuser, Victor Massé — dont
l'opéra Paul et Virginie vient d'avoir un si beau regain de succès à la Gaité —
tenait, l'emploi de chef des chœurs à l'Académie, alors impériale, de
musique.
Wagner lui garda toujours une profonde reconnaissance pour les soins qu'à
ci titre il avait donnés à son œuvre pendant les répétitions. Mais cette recon-
naissance était parfois gênante dans son expansion un peu brutale.
Un soir que Massé se trouvait au Gymnase, à une première, il entend, au
milieu d'une scène capitale, une voix de stentor qui lui crie :
— Bonsoir. Massé !
Émotion dans la salle. Massé, tout interdit, se retourne et voit, à l'entrée
des couloirs des fauteuils d'orchestre, Wagner qui gesticulait. Il n'eut pas l'air
d'y prendre garde.
— Bonsoir, Massé I reprit la voix avec un crescendo formidable. Vous ne me
reconnaissez donc pas "?
Pour éviter une tempête, Massé se lève et va rejoindre Wagner qui tombe
dans ses bras, en disant :
— Ne croyez pas, au moins, que c'est parce que j'ai trop bien diné '....
Parole d honneur, à jeun, je vous adore tout de même '.
Disons entre nous que Wagner avait ce qu'on appelle une légère pointe.
Mais in vino Veritas! Il y en a que le bourgogne eût rendu ingrats. Le maitre
allemand n'était pas de cette école.
— Wagner jugé par M. Gabriele d'Annunzio : — o L'opéra de Richard
Wagner, dit le poète, est fondé sur l'esprit germanique, il est d'essence
purement septentrionale. Sa réforme a quelque analogie avec celle opérée par
Luther. Son drame n'est autre chose que la fleur suprême du génie d'une
race, que le résumé extraordinairement efficace des aspirations qui emplirent
l'âme des symphonistes et des poètes nationaux, de Bach à Beethoven, d,-
Wieland à Goethe. Si vous imaginez son œuvre sur les rives de la Méditerra-
née, parmi nos lauriers svelUs, sous la splendeur du ciel latin, vous la verrez
pâlir et se dissoudre. Puisque, selon ses propres paroles, il est donné à l'art
de voir resplendir dans la perfection future un monde encore informe et d'en
jouir prophétiquement par le désir et par l'espérance, j'annonce la venue d'un
art nouveau ou renouvelé qui, par la simplicité forte et sincère de ses lignes,
par sa grâce vigoureuse, par l'ardeur de son esprit, par la pure puissance Je
ses harmonies, continuera et couronnera l'immense édifice idéal de notre race
élue. Je me fais gloire d'être un latin, et — pardonnez-moi — je reconnais
un barbare dans tout homme de sang diû'érent. o
— Ainsi que nous l'avons déjà annoncé, les directeurs des théâtres de pro-
vince, se sont, tout comme leurs confrères de Paris, constitués en syndicat.
Le comité de la nouvelle Société vient d'être ainsi établi :
■ M. A. Saugey, directeur de l'Opéra de Marseille et du Casino de Vichy, prési -
dent; MM. Viguier, directeurde Lille, et Poncet, directeur d'Alger, vice-présidents:
M. Daurelly. directeur de Boulogne, secrétaire général : M. Gabriel Martini, direc-
teur de Tournai, secrétaire adjoint; M. Bizet-Dufaure, directeur de Clermont-Fer-
rand, trésorier; M. Coste, directeur de Limoges, trésorier-adjoint: MM. Villefranek,
directeur de l'Opéra de Nice, et Pontet, directeur de l'Opéra d'Anvers, membres.
Le syndicat a déjà pris deux décisions importantes : 1° de se communiquer
312
LE MENESTREL
au fur et à mesure tous les engagements que les directeurs contracteraient
avec les artistes et de les respecter sous peine d'exclusion du syndicat ; 2° de
sévir, avec la dernière rigueur, aux frais mêmes de l'Association, contre tout
manquement aux engagements de la part des artistes, choristes et musiciens.
— Un travailleur infatigable, dont j'ai eu plusieurs fois et dont j'aurai
encore l'occasion de parler, M. Paul Fromageot, vient de publier une bro-
chure curieuse sur les Orgues et organistes de Sainl-Germain-des-Prés (1). Les
dix-sept pages de cet écrit très substantiel nous font connaître non seulement
les destinées bizarres des deux orgues successifs de l'antique abbaye devenue
église paroissiale, mais aussi la dynastie complète des artistes qui furent
appelés à faire résonner ces nobles instruments. Parmi ces artistes il en fut de
célèbres, tels que Thomelin, Calvière, Miroir l'aine et Beanvarlet-Charpentier.
En voici d'ailleurs la liste, chronologiquement: Thomelin, Quesnel, Tassin,
Calvière, Delaporte, Legrand, Miroir, Beauvarlet Charpentier, Bergoncini,
Moncouteau, Peters Cavallo, Jules Stoltz et l'organiste actuel, M. Auguste
Barié. Par cette brochure intéressante, qu'accompagnent trois belles photo-
gravures, M. Fromageot apporte une utile contribution à l'histoire des orgues
et des organistes parisiens. A. P.
— Cours et Leçons. — M™' Edouard Colonne reprendra ses cours et leçons dj
chant le 1" octobre, 21, rue Louis-David. — M™« Laute-Brun, de l'Opéra, a repris ses
leçons de chant, "4, rue Taitbout. — M. Georges Falkeoberg, professeur au Conser-
vatoire, reprendra le 1er octobre ses leçons de piano et d'harmonie et son cours de
piano, 8, rue Poisson. — A partir du 1" octobre, il" Girardin-Marchal reprendra
ses cours ue musique sous la direction de M. Phitipp, 4, rue Le Verrier (jeudi de 3 h.
à 7 h.) et 56. rue du faubourg Poissonnière (vendredi de 3 h. à 5 h.;. — Mme J. Laf-
fitte a repris ses cours de diction et leçons particulières de chant, 1, rue Ballu.
(1) Extrait du Bulletin de la Société historique du Ve arrondissement de Paris.
NÉCROLOGIE
On annonce la mort, à Paris, de Mlle Marie Pautret qui, sous Je pseudo-
nyme de Magdeleine Symiaùe, s'était fait connaître comme composteur,
comme auteur dramatique et comme chansonnier.
— Le petit monde des étudiants allemands vient de perdre un de ses com-
positeurs favoris. Otto Lob, artiste infatigable qui a passé sa vie à écrire et à
chanter des lieder, vient de mourir à l'âge de 74 ans, dans un sanatorium, à
îveckargemùnd, près de Heidelberg. Ses ouvrages n'eurent jamais aucune pré-
tention au titre d'oeuvres d'art; ils s'adressaient à la jeunesse des écoles qui
les accueillait avec empressement. Un de ceux que l'on a chanlés le plus est
intitulé Filia hospitalis et commence par ces mots : « 0 temps délicieux de la
jeunesse... »; les paroles sont de M. Otto Kamp, actuellement professeur à
Bonn. Lob était natif des provinces rhénanes.
Henri Heugel, directeur-gérant.
En vente AU MENESTREL, 2 bis, rue Vivienne, BEUGEL et Cie, éditeurs.
PABLO SARASATE
Romance et entr'acte-gavotto de Mignon,
transcription variée pour violon et niano 7
Hommage à Rossini, grand duo de concert pour violon et piano,
souvenirs du Barbier, de Moïse et d'Othello (avec Louis Diémer) .... 9
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LÉO DELIBES
JEAN DE NIVELLE
THEATRE- LYRIQUE
GAITÉ
Opéra-comique en 3 actes. Poème .le EDMOND GONDINET et PHILIPPE G1LLE
THEATRE- LYRIQUE
QAITÉ
Partition piano et chant, net : 20 francs. — Partition piano et chant, avec récits, texte italien et français, net : 20 francs. — Partition piano seul, net : 12 francs
MORCEAUX DETACHES PIANO ET CHANT
Chœur des vendangeuses 0
Ballade de la Mandragore (M. -S.). . . . b
La même, en sol (S.) 5
La même, chant seul 1
Mélodie : On croit à tout lorsque l'on aime (S.) 5
La même, en la bémol (M. -S. I 5
La même, en sol (C.) 5
La même, chant seul 1
Duo : Le rossignol et la faucetle (C, S.) . 6
Couplets de Jean de Nivelle (T.) . . . . o
Les mêmes, pour baryton 5
Les numéros 1 bis, 2, 11,
6. Duo : Eh bien! douce Ariette (T., S.) . . 7 80
7. Couplets du joli berger (B.i 5 »
7 bis. Les mêmes, en sol (T.) 5 »
S. Ronde : Avoine, folle avoine (S.l .... a »
10. Couplets : Se consoler! (C.) 5 »
lObis. Les mêmes, en fa mineur (S.) o »
11. Fabliàiî ;:' Dans le moulin (S.) 7 bO
Il bis. Le même, pour mezzo-soprano 7 50
12. Duo de la Mandragore (T., S.) 7 50
14. Ghant.de :guerre : Là gloire est là (T.). . 6 »
15. Strophes.:, Que. me font leurs chants? (C). b «
et 19 sont publiés avec accompagnement d'orchestre po
15bis. Les mêmes, en sol (S.) 5 »
16. Couplets de la bataille (S.) 5 »
16bis. Les mêmes, en la (M.'-S.) 5 »
17. Aivi'Ar\eHe:Ah!revieusdansmondme(S.) 7 50
17 bis. Le même, en sol (M.-S.) 7 50
17 ter. Le même, en fa (C.) 7 50
18. Romance : Il est jeune, il est amoureux. (B.) 5 »
18bis. La même, pour ténor 5 »
19. Stances de la Bannière (T.) o »
19l«s. Les mêmes, en mi (B.) b ..
21. Duo : Fuyez .'Tristan est sur vos pas (S., 'F.) 7 50
ur les concerts (en location).
TRANSCRIPTIONS POUR PIA>Û
Marche-prélude 5 » | Marche entr'acte 5 » | Marche française 2 50
Ansuhûtz . . Bouquets de mélodies, 2 suites,
chaque 7 50
P. Barcot . Souvenirs 7 50
Battmann . . Les succès modernes n° 20. ... 5 »
Battmann . . Fanlaisie facile 6 »
Bull. . . . Les silhouettes n° 1S ...... b »
Croisez. . . Fantaisie mignonne 6 »
G. Lange . . Ou croit à tout, transcription . : b »
Neustedt . . Ballade de la Mandragore .... 6
Trojelli . . Les Miniatures n° 1 (la Mandragore). 3
— . . Les Miniatures n° 6 (mélodie et
marche) 3
Renaud ue Vilbac. Deux suites concertantes, à quatre mains, chaque.
Waldtbufel. La Mandragore, suite de valses C » | DeraS'Sart. Pnlka ■'.'•
10
TRANSCRIPTIONS POUR ORCHESTRE ET INSTRUMENTS DIVERS
5 »; parties séparées, net. ... 5 »; chaque partie' supplémentaire, net . .
Marche -entr'acte, partition d'orchestre, net.
Prix
Bonnelle. . Fantaisie pour harmonie, parti-
tion net 10 »
Parties séparées, chaque, net. » 2b
Gh.Dancla . Fantaisie brillante, violon,piano 9 »
Deransart . Polka pour orchestre, net ... 1 »
(tF.mn . . . Airs pour flûte seule ..... 0
— ... Fantaisie pbur*/2û'(e et piano '. . 0
Guilraut . . Airs pour cornet seul ..... 0
A. Hermann. Soirées du jeune violoniste n° 8,
violon et piano . 9
A. Hermann. . Soirées du jeune flûtiste, n° S,
flûte et piano
P. Taffanel. . Fantaisie,' flûte et piano . . .
E.Waidteufel La Mandragore, valse, orchestre,
net
— (Encre Lorillem).
4045. - 74e ANNÉE.- N° 40. PARAIT TOUS LES SAMEDIS
Samedi 3 Octobre 1908.
(Les Bureaux, 2blB, rue Vivienne, Paris, ii-ut')
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou nou, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
lie flciméro : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
lie Numéro: Ofr. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
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SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (38' article), Julien- Tiersot. — Semaine théâtrale : première représentation de L'Or, au Théàtre-Sarah-Iiernhardt, Arthur Pou-
première représentation de Madame Bluff, aux Iioulîes-Parisiens, Amédée Boutarel.
III. Une famille de grands luthiers italiens : Les Guarnerius (10" article), Arthur Pougix. — IV. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
NUAGES DANS L'EAU
extraits des Poèmes de Jade, musique de Gabriel Fabre, poésie de Mme Judith
Gautier. — Suivra immédiatement : Chanson du bord de l'eau, d'ERNEST Moret.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
LA FRIPONNE
polka-mazurka, de Rodolphe Berger. — Suivra immédiatement : Valse-ballet,
d'ALiiERT Landry.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
CHAPITRE YII : L'éclosion du
destinée
Cependant, si, par un de ces hasards funestes dont
n'est pas avare, Gluck était mort le
6 octobre, lendemain de la représentation
A' Orfeo, que fût-il advenu du chef-d'œuvre
qui contenait en lui l'essence même de
l'art futur? Il nous l'a dit : sa présence
était aussi nécessaire à son œuvre que
le soleil à la nature; lui disparu, Orphée,
de quelque succès qu'il eût continué à
jouir sur la scène viennoise, aurait fini
par tomber dans l'oubli, laissant à ses
premiers et seuls admirateurs le souvenir
d'un bel effort d'art, mais isolé et sans
lendemain. Peut-être aujourd'hui, exhu-
mant le manuscrit des archives du Théâ-
tre de la Cour, les éditeurs des Denkmaler
cler Tonkunst in Oesterreich le gratifieraient
d'une place dans leur collection, entre un
volume de motets de Michel Haydn, et les
symphonies pour Servizio di Tavola du
premier kapellmeister Reutter, celui qui
mit Joseph Haydn à la porte de sa maîtrise.
Et, pendant toute la fin du dix-huitième
siècle (qui sait? plus tard peut-être encore),
on eût continué, en Italie et en Alle-
magne, à sacrifier toute musique de chant
à la virtuosité, et, en France, à repré-
senter des ballets d'action et des opéras
mythologiques, où l'accent d'une décla-
mation indéfiniment imitée de Lulli se
fût étiolé à force de se reproduire.
Par bonheur, il n'en fut pas ainsi : en
1762, Gluck, âgé de quarante-huit ans, avait encore devant lui
génie : Orfeo ed Euridice
ingt-cinq belles années de vie, dont près de vingt devaient
être consacrées à affirmer la puissance de
son art. Et c'était nécessaire, car, s'il
voulait, établir sa prééminence, il fallait
qu'il accumulât les chefs-d'œuvre, pour
faire masse. Et d'abord il devait affirmer
par tous les moyens la vitalité de celui
par lequel il venait d'inaugurer la réforme.
Car Gluck n'avait pas composé Orfeo ed
Euridice dans la seule intention d'en don-
ner une simple série de représentations
sur le théâtre de Vienne, mais, en vérité,
pour révolutionner le monde.
Pour cela il fallait que l'œuvre fût pro-
pagée.
Pouvait-il le faire? Peu facilement.
L'organisation générale du théâtre en Italie
ne lui permettait guère d'espérer y répan-
dre une œuvre si opposée au goût régnant ;
et comment, en son absence (car il ne
pouvait être partout!), ce qu'il y avait de
contradictoire à tous les usages reçus,
aurait-il eu chance d'y être reproduit
conformément à ses intentions? Nous
verrons dans quelques années, quand,
prenant son expansion par la force des
choses, Orphée sera admis au répertoire
des divers théâtres d'Europe, et tombera
ainsi en des mains étrangères, à quelles
incroyables profanations le pur chef-
d'œuvre se trouvera exposé !
Un seul pays semblait à Gluck prédestiné
le comprendre : la France. Mais, en France, on ne représentait
314
LE MÉNESTREL
pas l'opéra italien. L'on n'exhibait pas non plus de castrats sur la
scène nationale. Il n'importe : c'est vers la France que Gluck vase
tourner pour commencer sa propagande. A défaut de représenta-
tion, il pourra peut-être intéresser les gens par la simple lecture
de son œuvre? Autre audace ! Nouvelle dérogation aux antiques
usages! Est-ce que l'on publiait les partitions d'opéras italiens?
Depuis les premières tentatives, au commencement du dix-
septième siècle, cela ne s'était jamais fait : c'est par les copies
que se répandaient les œuvres les plus célèbres. Cependant, la
France avait Ballard, qui déversait parmi le monde des amateurs
des flots de musique imprimée. C'est donc à Paris que Gluck
s'adressa pour faire paraître sa partition d'Orfeo. Nous sommes
très bien renseignés sur tout ce qui concerne cette publication et
les négociations auxquelles elle donna lieu, qui se prolongèrent
pendant plusieurs années: le détail en est consigné date par date
dans la correspondance de Favart. Le comte Durazzo avait
demandé à l'écrivain français de s'entremettre pour mener à
bien l'entreprise : celui-ci s'y était prêté avec empressement,
sans s'attendre aux difficultés qui devaient surgir avant l'achève-
ment d'un travail habituellement facile. Mondonville. à qui
il avait montré le manuscrit, déclara d'abord estimer l'ouvrage
« une des plus belles choses qu'il eût vues ». Mais la copie
était pleine de fautes; il fallait un musicien d'expérience pour les
corriger. Duni refusa de le faire « quand on lui donnerait
cinq cents livres ». Philidor se montra plus empressé ; il
confessa que la beauté de la musique lui avait fait « verser des
larmes de plaisir » ; après quoi, comme il devait faire représenter
l'année suivante le Sorcier à l'Opéra-Comique, puis ensuite Erne-
linde à l'Opéra, il reproduisit tout au long dans le premier — en
manière d'hommage apparemment — le chant et l'accompagne-
ment des strophes : Chiamo il mio ben, et, dans la seconde, les
thèmes de l'air d'Eurydice, et toute une gavotte, qu'il se contenta
d'intituler rigodon (1). Le travail de la gravure allait pourtant
son train, mais sans hâte. Dix-huit mois environ après la pre-
mière représentation, la partition fut prête, et parut, ornée d'une
fort belle estampe. Mais le règlement de la dépense fut pénible.
Favart déclara un jour que, puisqu'on ne voulait pas payer ce qui
lui était dû, il prenait l'entreprise à sa charge ; après quoi il lui
fut permis de se prévaloir de la phrase sacramentelle : « Cela
ne se vend pas» (2). Il se peut en effet qu'une publication faite
si en dehors de la coutume ait eu d'abord peu de débit. On ne
saurait dire pourtant qu'elle ait été inutile au renom de Gluck.
Elle ne le fut point, n'eùt-elle produit d'autre résultat que d'avoir
servi à Jean-Jacques Rousseau pour écrire son ingénieuse page
de critique musicale, tour à tour naïve et pénétrante : Réponse
du Petit faiseur à son Prête-nom sur un morceau de /'Orphée de Gluck,
qui devait suffire à montrer qu'à Paris on était prêta comprendre
Gluck (3).
Le poète, de son côté, faisait de son mieux pour appeler aussi
(1) Sur les emprunts de Philidor à la partition d'Orfeo ed Euridice, qui ne sont plus
contestés aujourd'hui, voir notre préface d'Orphée dans l'édition Pelletau, pp. lxxx
et suiv.
(2) Il est question de cette négociation entre Durazzo et Favart (dans le tome II des
Mémoires et Correspondance littéraires, etc. de G. S. Favart, aux dates suivantes ;
28 janvier 1763, G février, 21 mars, 5, 8, 13, 19 avril (à ce moment on attendait Gluck-
à Paris), 4 (intervention de Philidor), 6, 21 mai, 18 juillet et 29 décembre. Pour 1764 :
2, 4 (discussions relatives aux conditions), 18 et 31 janvier (nouvelle annonce d'un
voyage de Gluck); "t février; 6 avril (le tirage sera flni à la fin de la semaine). Pour
1766, le 13 avril (l'on n'a vendu que neuf exemplaires). En 1767, 14 janvier (règlement
des comptes, un peu tardif, et auquel Durazzo ne semble pas se prêter avec beaucoup
d'empressement). Enfin jusqu'en 1770, le 30 avril, on voit le comte, ayant résigné
depuis longtemps ses fonctions d'intendant des théâtres de Vienne, s'enquérir auprès
de Favart, avec une sollicitude touchante, s'il a pu tirer quelque parti de l'édition
d'Orphée, « car je ne voudrais point, ajoute-t-il, que vous eussiez eu, comme on dit
en italien, lapena e il metanno ».
La partition gravée à Paris forme un beau volumfi de VI-158 pp. in-f°, dont voici
le Litre : Orfeo-ed-Euridice — Azione teatrale — Per Musica — Del Signr Cav. Cristo-
fano — Gluck — Al servizio délie MM. LL. II. RIÎ. — Rappresentala in Vienna, nelT
anno I7M. — Te dulcis conju.r, te solo in littore secam, — Te veniente die, te decedenle
canebat. Virgil. — Gravé par Chambon. — Is Pabigi.. La date 1764 est inexacte, en
tant que celle de la représentation : c'est l'année de l'édition. — Nous avons repro-
duit au commencement de ce chapitre le frontispice gravé à la suite du titre.
(3) Reproduit dans les éditions complètes de Jean-Jacques P,ousseau, ainsi que
(fragmentairement) dans les Mémoires pour servir à l'hisloire de la révolution opérée
dansla musique, par M. le Chevalier Glcck, 1781, p. 21.
l'attention sur son œuvre. N'oublions pas qu'il y avait dix ans
déjà que, dans le même Paris, il avait publié sa grande édition
de Métastase, précédée de la préface où étaient exposées les
idées maintenant communes à son collaborateur et à lui. Il eut
donc la prétention, bien légitime, de faire connaître à son tour
son propre ouvrage ; et, pour se faire mieux entendre, il n'hé-
sita pas à faire transformer en prose française ses rimes ita-
liennes. Ainsi accommodé, le poème de Calsabigi fut imprimé à
Paris en 1765, accompagné, en manière de préface, de « Ré-
flexions » par lesquelles son anonyme traducteur traduisit,
semble-t-il, aussi fidèlement sa pensée que ses vers :
« M. Calsabigi, y était-il déclaré, marche avec succès dans la
carrière du célèbre Metastasio ; sa manière ressemble assez à
celle de ce poète. Ses ouvrages paroissent des extraits de pièces;
les beautés y sont plutôt indiquées que développées. Mais il faut
remarquer que les paroles d'un opéra ne sont pas faites pour
être lues, et qu'elles ne demandent pas plus à èlre finies que
les statues qu'on destine à être vues de loin. Quinault, qui a tant
d'harmonie et de charme quand on ne fait que le lire, parait
souvent faible et lâche aux représentations. Le poète doit arrêter
le dessin et fixer les contours ; mais c'est au musicien à fondre
les nuances et à joindre à ce dessin la magie du coloris.
» On trouvera sans doute dans le poème d'Orphée plus de sen-
timent que d'images, et c'est encore un mérite clans un opéra.
La musique rend difficilement les images : elle est toujours
victorieuse quand elle exprime le sentiment. On sent combien
la scène d'Orphée et d'Eurydice doit prêter au récitatif déclamé
des Italiens, et avec quel avantage le musicien a dû en faire
sentir la gradation (!) ».
Ainsi donc, à peine trois ans s'étaient écoulés depuis son
apparition, et déjà l'Orphée de Gluck commençait sa conquête
de l'Europe musicale. Conquête lente, il est vrai, et qu'il lui
faudra longtemps encore avant de rendre définitive .
(A suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THÉÂTRALE
Théatrje-Saràii-Bernhardt. — L'Or, pièce en cinq actes, de René Peter
et (Mme) Robert Danceny.
Pourquoi ce titre en quelque sorte symbolique, l'Or, pour un vulgaire
mélodrame dont le sujet est cruel et dont l'exécution est cousue de mala-
dresses ? Il est difficile, en effet, de trouver une pièce plus pauvrement
faite, avec un premier acte qui n'expose rien, un dernier acte qui n'a
point de dénouement, et des fautes de détail qui sautent aux yeux les
moins attentifs et les moins prévenus. Point de mouvement, point de
conduite et point d'intérêt dans ces cinq actes qui semblent cousus les
uns les autres à la « va comme je te pousse », sans qu'un incident vrai-
ment théâtral vienne rompre la monotonie d'une action qui n'en estpas
une et qui se traîne devant la rampe sans qu'un seul instant elle attache
le spectateur.
Le sujet le voici :
Naguère, un juif nommé Weingartner, caissier d'un industriel nommé
Joulin, a soustrait dans la caisse de son patron, pour sauver son propre
frère de la faillite, une somme de dix mille francs qu'il espérait pouvoir
rendre à brève échéance. Malheureusement pour lui, le patron s'aperçoit
(1) Cette première traduction d'Orfeo, dont l'existence a été ignorée par tous les
biographes, nous est connue par l'exemplaire conservé, à la Bibliothèque nationale
de Paris, dans un recueil factice contenant plusieurs pièces de théâtre du XVIIP siè-
cle (Rés. Y f. 3636 3640). Nous en reproduisons le titre :
Orphée et Eurydice, tragédie opéra par M. Calsabigi, traduite de l'italien par M. X. . .
avec des réflexions sur cette pièce. A Paris, chez Bauehe, Quai des Augustins. Duchesne,
rue Saint-Jacques mdcclxv. Le verso complète ces indications par celle-ci : i La par-
tition gravée de cet opéra se trouve chez Duchesne, libraire, rue Saint-Jacques. »
Enfin le titre de la première page consent à donner le nom du musicien : « ...mise en
musique par M. Gluck, et représentée à la cour de Vienne en 1764 » (toujours la
même erreur de date). A la suite du poème est insérée une planche sur laquelle est
gravé le chant de l'air de l'Amour.
Signalons une autre traduction du même poème, en anglais celle-là, un peu pos-
térieure, mais dont le titre est libellé dans une forme intéressante : Orpheus and
Euridice, a musical drama, in imitation of the anoient Grcek theatrical feasts: London,
1785.
LE MÉNESTREL
de ce qu'il appelle un vol, et malgré les vingt années de bons et loyaux
services de son employé, malgré les larmes el les supplications de celui-
ci, qui le conjure, au nom de sa famille, d'avoir pitié de lui et des siens,
il reste inflexible et porte plainte contre l'infortuné. Réduit au désespoir,
le caissier se suicide.
Il laissait un fils, qui a juré de venger son père. Joulin étant mort,
laissant aussi un fils, c'est sur celui-ci que sa vengeancec s'exercera,
d'une façon implacable. Le jeune Weingartner a dû changer de nom ; il
se fait appeler Simon Wahl, devient un financier puissant, et trouve le
moyen de s'aboucher avec celui qui doit être sa victime. Par quelle
série de machinations entraine-l-il Joulin fils dans toutes sortes d'affai-
res d'abord très brillantes, parvient-il à en faire en quelque sorte son
associé, jusqu'au jour où il le pousse, seul, dans une immense spécu-
lation qu'il sait devoir être déplorable, c'est ce que je n'entreprendrai
pas de vous dire, et c'est là, d'ailleurs, que brille de tout son éclat la pro-
digieuse maladresse. Toujours est-il qu'au milieu d'une grande fête que
Joulin donne à ses amis, qui sont tous ses commanditaires, un pétard
éclate, formidable. Parles soins de Simon Wahl, toute l'assistance est
informée, en un instant, de l'effondrement d'une affaire colossale qui
est la ruine pour tous et qui, pour Joulin, ajoute le déshonneur à la ruine,
bien que, resté honnête, il soit la victime d'une intrigue épouvantable.
Et Simon Wahl, qui est au nombre des invités, reste seul avec Joulin,
lui raconte tranquillement que c'est lui qui a tout manigancé, qu'il a
voulu venger son père, que sa vengeance est complète et que mainte-
nant il a l'esprit tranquille. Comment Joulin ne saute-t-il pas à la gorge
de ce scélérat par vertu filiale, et comment ne l'étraugle-t-il pas sur
place ? demandez-le aux auteurs. Pour moi, je ne saurais vous rensei-
gner.
Di dénouement, il u'y en a pas, je l'ai dit, dans cette pièce naïve, où
l'intérêt ne s'attache pas plus aux personnages qu'à son semblant d'ac-
tion. On se demande seulement où était la nécessité de faire un juif de
l'infortuné caissier Weingartner, et par conséquent de son fils « le jus-
ticier ». Il y a des financiers catholiques aussi canailles que Simon
Wahl. lequel, après tout, est mû dans sa canaillerie par un sentiment
respectable. Alors"?
De l'interprétation, il faut surtout tirer de pair M. Maury, qui adonné
un relief singulier à ce personnage bizarre de Simon Wahl. Les autres
rôles, les plus importants, sont tenus avec beaucoup de soin par Mllc
Ventura (Gisèle) et MM. Decceur (Joulin) et Jean Worms (Frégouze).
Mais que de mal à se donner, de la part de pauvres artistes, pour une
pièce qui ne tiendra peut-être pas quinze jours sur l'affiche.
Aivrnuit Pougix.
Bouffes-Parisiens : Madame Bluff, pièce en trois actes, de M. Alexandre Debray.
Avec un entrain qui ne se dément pas un instant au cours de ses trois
actes, la « comédie» de M. Alexandre Debray, que l'on pourrait qualifier
tout aussi bien vaudeville, fait la satire d'un des côtés tristes de nos
mœurs contemporaines, de cette inconscience du juste et de l'injuste,
aggravée par l'absence de toute dignité qui est actuellement, a toujours
été peut-être, une des conditions nécessaires pour arriver rapidement
aux places les plus enviées du fonctionnarisme contemporain. MmeCas-
sagnol est la femme d'un de ces agents, qui tout en faisant partie de
l'ètat-major administratif d'un ministère, ne peuvent, faute d'appuis
politiques, aspirer aux plus hauts emplois. Poursuivie de l'idée qu'il
faut à tout prix faire des relations, elle a loué une villa confortable d'où
l'on domine tout Paris, y donne des diners et des thés, s'entourant de
tout le luxe factice qui peut tromper ses hôtes sur la modicité de ses
moyens d'existence, et mérite, par son audace et son ingéniosité à pro-
fiter, pour éblouir, des choses et des gens, le surnom de Mme Bluff.
Elle est d'ailleurs assez adroite, cette bluffeuse et tout à fait exempte
de'scrupules. Afin d'attirer dans sa maison le vieux sénateur Poulloche,
elle a pris pour appât sa fille, la charmante Marcelle. Mais Marcelle est
mariée et son mari a le mauvais goût de ne pas tolérer le flirtage
indiscret du galant parlementaire. N'importe, on se débarrassera du
gêneur. Sa belle-mère ayant appris qu'on l'avait vu en voiture avec
une jeune personne, le dénonce elle-même à Marcelle et Marcelle1 obtient
le divorce. Autour de celte jolie divorcée, Poulloche tourne et vire sans
cesse, donnant des gages et ne recevant rien que d'affolants espoirs. Il
a déjà fait nommer Cassagnol à une haute direction rapportant 30.000
francs. Cassagnol est un homme de bon sens qui ne bluffe pas ; il a
cependant accepté le poste, faisant ce raisonnement commun à tous les
employés de l'Etat, que s'il refusait, se sachant insuffisant, un autre
tout aussi peu compétent obtiendrait la place et que lui serait dupe de
son honnêteté. Il a d'ailleurs vu assez de directeurs voleter d'une place
à l'autre en quelques mois, pour savoir que l'idée de Sancho Pança est
la bonne et que le ciel, en nous donnant une position lucrative, nous
octroie en même temps les capacités nécessaires pour > faire suffisante
figure. Cela veut dire qu'il y ;i des subalternes rljnrg< s de tenir au cou-
rant le travail. Bref, Cassagnol est casé. Toutefois, notre M" ['Juif n'en
est pas beaucoup plus avancée: elle a tellement augmenté son train de
ménage que les appointements de son mari n'y suffisent pas. Klle se re-
tourne alors contre Poulloche, lui persuade qu'il a compromis sa fille el
le présente partout comme son futur gendre. Le sénateur se laisse
faire, espérant anticiper sur les noces el se retirer ensuite. Mais M ircelle
est honnête au milieu de la démoralisation qui l'entoure; elle aime
Préfailles, secrétaire de Poulloche, el Préfailles, devenu rival de son
maitre, le menace de le livrer à la justice, pour avoir trafiqué de son
mandat et s'être enrichi sur les biens des congrégations, -il ne renonce
pas à ses assiduités auprès de Marcelle. Il le contraint en outreà obtenir
pour lui une bonne sinécure. M1"" Cassagnol est donc victorieu.-e sur
toute la ligne et ses bluffs ont pleinement réussi.
M""1 Bluff, c'est M"10 Augustiue Leriche, le mouvement et la gaité per-
sonnifiés ; elle entraine tout dans cette pièce, s'impose à tous, force le
rire et emporte le succès. M"'' Suzanne Goldstein, mi-ingenue. mi-per*-
verse, est finement exquise dans le rôle de Marcelle. Cassagnol. c'est
M. Milo; il a su donner à son personnage la tenue correcte du petit
fonctionnaire de bon sens, qui regarde avec 'philosophie passer devant
lui ceux qui ne le valent pas, et ne se laisse pas éblouir quand la chance
lui sourit. M. Gallet aurait dû ne pas faire une caricature du sénateur,
qui, pris sur le vif, eût été d'un meilleur comique. M. Gazalis a bien
joué l'amoureux maitre-chanteur Préfailles ; les autres interprètes oui
été suffisants.
Madame Bluff'est un succès. En le constatant, nous pouvons regretter
peut-être que la jolie salle du passage'Choiseul ne soit pas plus vouée à
la musique. Elle rappellera longtemps encore la vieille gloire d'OfTen-
bach.
Amédée Boutarel.
UNE FAMILLE DE GRANDS LUTHIERS ITALIENS
LES GUARNERIUS
JOSEPH GUARNERIUS DEL GESU
III
LES INSTRUMENTS DE JOSEPH GUARNERIUS DEL GESU
Certains des violons de Guarnerius del Gesù, parmi les plus beaux,
ont reçu des noms particuliers, comme ceux de Stradivarius. Le grand
violoniste Lafont, qui périt d'une façon si malheureuse (1), en avait un
qu'on appelait le Roi. Un autre était baptisé le Leduc ; c'est lui qui fut
acheté 35.000 francs à Georges Hart par le chanteur Nicolas, dit Nico-
lini. le second époux de M""' Adelina Patti, qui avait commencé par
être violoniste. Un troisième avait reçu en Angleterre le nom de «Violon
du diable », parce qu'il appartenait alors au fameux danseur Saint-
Léon, l'époux de M"e Fanny Cerrito, qui n'était pas moins habile vio-
loniste, et qui s'en était servi à l'Opéra dans le ballet le Violon du Diable.
où il se produisait à la fois comme chorégraphe, comme danseur et
comme violoniste (2). Celui-ci fit partie de la superbe Exposition d'ins-
truments anciens qui fut ouverte avec tant de succès au Musée de
South-Kensington, à Londres, en 1872. Il était l'objet, sur le très beau
catalogue illustré de cette Exposition, de la note suivante, en français.
— « Violon de Joseph Guarnerius, Violon du Diable. C'est sur cet ins-
trument que M. Saint-Léon a produit tant d'effet sur le public dans
l'opéra (sic) nomme le Violon du Diable. C'est un des rares instruments
de cet auteur qui réunissent toutes les bonnes conditions. Cet inslru-
ment fut acheté en Italie, en 1820, par M. Rossel de Minet, et à sa
mort passa dans le commerce, et fut acheté par M. Saint-Leon et.
(1) On lisait dans la Gazclte musicale du 29 août 1839 : — <• Nous apprenons à l'ins-
tant une bien triste nouvelle. M. Lafont, notre violoniste si pur, si élégant, vient de
terminer sa carrière d'une manière déplorable. En voyageant dans le Midi (il allait
de Bagnères-de-Bigorre à Tarbes), la diligence où ,il était a versé, et, dans cette
chute, notre grand artiste a reçu des blessures tellement graves que deux heures
après cette affreuse catastrophe il n'existait plus. C'est une perte douloureuse pour
les amateurs de l'art du violon et pour les nombreux amis de cet artiste distingué et
si recommandable par son obligeance et son beau talent ». — Lafont, qui était né à
Paris le 1" décembre 1781, fut inhumé à Tarbes le 25 août 1839.
(2) Le Violon du Diable, balfet fantastique en deux actes et quatre tableaux, scé-
nario de Saint-Léon, musique de Pugni, représenté à l'Opéra le 10 janvier 1849.
316
LE MENES! REL
appartient aujourd'hui à M",c Fleury (1). A cette même exposition on
pouvait voir trois autres violons de Joseph Guarnerius, ainsi men-
tionnés : — « 94. Violon de Joseph Guarnerius, 1735. Superbe instru-
ment digne de tout respect. Appartient à M. Louis d'Egville. — 9o.
Violon de Joseph Guarnerius, 1734. Spécimen vraiment caractéris-
tique. Etat remarquable. Appartient à M. W. A. Tyssen Amhurst. —
96. Petit violon de Joseph Guarnerius. Construit pour un enfant, dans
la meilleure période de l'artiste ».
Parmi les violonistes fameux qui ont possédé des Guarnerius del
Gesù pour lesquels ils avaient une vive affection, il faut citer encore
Spohr, Bazzini, Charles de Bériot, Henri Wieniawski, Alard, puis
Sainton, Mori, etc. Le violon d'Alard, superbe et daté de 1742, que
l'excellent artiste avait acheté _à Vuillaume, fait aujourd'hui partie du
Musée instrumental du Conservatoire, auquel, je l'ai dit, il a été gra-
cieusement offert par la famille après la mort de son possesseur, en
souvenir de sa longue et brillante carrière de professeur dans l'institu-
tion (2).
L'un des plus beaux Guarnerius que l'on connaisse est celui qui
appartint à Vieuxtemps, que celui-ci jouait toujours et qu'il appelait
son « cheval de bataille ». C'est le premier instrument de prix qu'il ait
possédé, car jusqu'alors il n'en avait joué que de médiocres. Il le dut à
la générosité du baron Pereyra, qui lui en fit cadeau à Vienne en 1846.
Plus tard, pendant son long séjour en Bussie, où il excitait l'admira-
tion, il reçut de même plusieurs violons d'un prix inestimable : deux
Stradivarius lui furent offerts par le comte G. Strogonoff. un autre par
le général Lvoff, un Amati par le comte Mathieu Wielhorsky, un Mag-
gini par M. Wolkoff... Au milieu de tous ces chefs-d'œuvre, son affec-
tion, son admiration, son enthousiasme restaient pourtant acquis à son
Guarnerius, « une perle, disait-il, d'une beauté incomparable », et
qu'il mettait au-dessus de tout. Et lorsque, frappé par la paralysie, le
pauvre grand artiste était réduit à l'impuissance, il disait encore, en
parlant de ce cher compagnon de son'génie : « Mon cœur saigne de ne
pouvoir m'en servir!... »
C'est à ce moment qu'on lui proposa de le lui acheter, et qu'à ce
sujet il écrivait à une amie, le 9 avril 1881 : — « ... A propos, j'aurai
peut-être à vous annoncer dans ma prochaine lettre la vente de mon
Guarnerius. Je suis en pourparlers sérieux à ce sujet. Cela coûtera
cher à l'acheteur. Mais il en aura pour son argent, car ce violon est
une perle unique, dont malheureusement je ne puis plus me servir.
Néanmoins, m'en séparer me coûtera bien des larmes, et j'en ai déjàle
cœur gros rien que d'y penser. Mais quand je le regarde, je pleure de
ne plus pouvoir l'interroger, l'animer, le faire parler... »
Et, de fait, il ne put se résoudre à se séparer de son cher Guarne-
rius, bien qu'il lui fût devenu inutile. C'est le duc de Camposelice qui
avait désiré s'en rendre acquéreur, et, après de poignantes alternatives,
le pauvre Vieuxtemps finit par rompre toutes négociations. J'emprunte
le récit de cette petite histoire à M. Théodore Badoux, qui l'a ainsi
racontée dans sa biographie du grand violoniste :
Son ami "Van der Heyden avait été chargé de négocier l'affaire avec le duc
de Camposelice, qui était ravi de l'acquérir au pri.\_de 17.000 francs, somme
fixée par Vieuxtemps. Mais au moment de se dessaisir de son violon bien-
aimé, le grand maître fut pris de remords, et, espérant en dégoûter l'ama-
teur, il s'écria : « Si l'on met 17.000 francs, on peut bien en mettre 20.000. »
Le duc, mis au courant de la situation, répondit par un chèque de 20.000 fr.
adressé à Van der Heyden, par l'intermédiaire de la maison Rothschild.
Croyant avoir vaincu toute résistance, l'ami ;s'en vint trouver Vieuxtemps
de grand matin, et lui mit le chèque sous les yeux. Vous peindre le déses-
poir de Vieuxtemps n'est pas possible, me dit Van der Heyden. Il pleurait et
ne pouvait se faire à l'idée de se séparer de son Guarnerius. Il demanda
vingt-quatre heures pour réfléchir, mais ne voulut pas garder le chèque.
«Emporte, emporte cet argent, disait le pauvre désolé; je ne veux pas le
voir. »
Madame Landowska (sa fille) et son mari, craignant que ce grand chagrin
n'amenât une rechute de la terrible maladie ^de leur bien-aimé père, prièrent
leur ami de ne plus lui en reparler. Le duc de Camposelice fit de nouvelles
instances auprès du négociateur pour qu'il offrit davantage encore, mais
celui-ci lui déclara qu'il était inutile d'insister. Il avait acquis la conviction
que Vieuxtemps ne se séparerait à aucun prix de son instrument.
Le duc devint cependant plus tard l'heureux acquéreur du fameux Guarne-
rius, mais seulement après la mort du maître et de sa fille, Mme Landowska (3).
(A suivre.) Arthur Pougin.
(1) Catalogue of the spécial Exhibition of ancient musical instruments, South Kensing-
ton Muséum, 4872. (London, John Strangeways, 1873, in-4°, with illustrations.)
(2) Alard avait épousé une fille de Vuillaume.
(3) Théodore Radoux : Henri Vieuxtemts, sa vie, ses œuvres (Liège, 189), in-8"). Ce
noui ronflant de duc de Camposelice était celui qu'avait adopté un brave homme de
musicien qui s'appelait tout bourgeoisement Nicolas Reubsaet. Né en Hollande en
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(POUR LES SEUL8 ABONNÉS A LA MUSIQUE)
On sait le succès, tout cet hiver, des Poèmes de jade, de Gabriel Fabre. c'est là en
eiïet de la musique très particulière, qui est bien de Fabre et qui ne pouvait être
d'un autre. Or la personnalité est, dans tous les arts, la première des qualités :
a Petite est ma lyre, pourrait dire notre musicien, mais je suis seul à en pincer. »
Nous donnons aujourd'hui le dernier numéro paru de ces Poèmes de jade : Xuages
dans l'eau. On verra qu'il n'est pas indigne de ceux qui l'ont précédé.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
11 est question depuis assez longtemps déjà de la nomination de M. En-
gelbert Humperdinck, le compositeur de Baensel et Grelel, comme professeur
au Conservatoire de Vienne. Les négociations traînent et rien ne se conclut.
Pourtant, le maître s'est rendu, il y a quinze jours de Marienbad. où il était
en villégiature, à Vienne, mais on ne sait pas encore quel a été le résultat de
cette visite. La grande école viennoise cherche aussi à s'attacher M. Willy
Burmester comme professeur de violon. Pour occuper le poste de directeur de
l'enseignement pour les classes de piano, on confirme la nomination déjà
annoncée de M. Léopold Godowski, élève de Leschetitzki et plus tard de
M. Sa'int-Saëns, en remplacement de M. Ferruccio Busoni. M. Godowski, on
s'en souvient, avait refusé, il y a six mois, de prendre la succession de
M. Busoni, ce dernier ayant été relevé de ses fonctions d'une manière un peu
rapide et dans des conditions jugées à peine correctes. Maintenant que l'on a
perdu tout espoir d'obliger l'administration à rendre M. Busoni à ses élèves,
dont quelques-uns l'avaient suivi de Berlin à Vienne, M. Godowski a jugé
inutile de maintenir son refus.
— Le quatrième congrès musical international, dont la réunion a été pro-
voquée par la « Confédération internationale des musiciens », aura lieu du
14 au 16 octobre, à Berlin.
— L'Opéra-Royal de Berlin a donné le 24 septembre dernier la 500e repré-
sentation des Noces de Figaro. Pour la circonstance, on avait repris entière-
ment les études du chef-d'œuvre et renouvelé la mise en scène. L'interpréta-
tion a été dirigée par M. Léo Blech avec beaucoup de volubilité, de style et
de précision dans les détails. C'est le 14 septembre 1790 que l'opéra de Mozart
fut joué pour la première fois à l'Opéra-Royal. Sa toute première représenta-
lion eut lieu à Vienne le 2S avril 1786. Bien que l'ouvrage eût élé commandé
par l'empereur Joseph II, les maîtres italiens et quelques compositeurs alle-
mands, en possession à cette époque des préférences du public viennois,
remuèrent ciel et terre pour empêcher le succès de s'affirmer pendant la pre-
mière soirée. On rapporte que l'exécution des deux premiers actes fut si mau-
vaise par suite de la mauvaise volonté des chanteurs et des musiciens, que
Mozart éploré courut à la loge impériale réclamer la protection de l'empereur.
1846 ou 1847, il avait fait son éducation artistique au Conservatoire de Bruxelles, où,
doué d'une bonne voix de ténor, il avait obtenu un premier prix de chant en 1868.
Auparavant il avait étudié le violon et fait partie durant quelque temps de l'or-
chestre du théâtre de la Monnaie. Quel hasard le mit en relations intimes avec la
famille de Singer, le fameux fabricant américain millionnaire de machines à coudre?
je ne saurais le dire. Toujours est-il qu'il plut à sa fille, sut se faire agréer par elle,
demanda sa main et l'épousa, ornée d'une dot beaucoup plus que confortable. Du
coup, et par le l'ait de cette dot, l'existence de notre homme fut transformée. E;t-ce
par gloriole personnelle, est-ce, plutôt peut-être, pour complaire à sa jeune femme?
ce qui est certain, c'est que Nicolas Reubsaet voulut se donner le luxe d'un de ces
titres qu'on obtient sans trop de difficultés de la part du gouvernement pontifical, à
la seule condition de verser une somme importante au bénéfice d'une des nom-
breuses œuvres de bienfaisance dépendantes du Vatican. De ce fait, ledit Reubsaet
devint du jour au lendemain duc de Camposelice (au titre romain), et désormais ne
se fit plus appeler autrement. Mais en reniant ses ancêtres, il n'avait pas perdu son
amour très réel pour l'art qu'il ne devait plus maintenant cultiver qu'en amateur.
Entre autres, il se mit en tête d'acquérir toute une série de superbes instruments
italiens de la grande époque, et l'on se fera une idée de ce que dut lui coûter une
collection comme celle qu'il réunit en quelques années et dont Vidal a dressé cette
liste dans son livre :
« Le duc de Camposelice, dit-il, décédé à Paris le 1" septembre 1887, avait réuni
un ensemble d'instruments précieux dont voici la nomenclature :
i Joseph Guarnerius del Gesù : 5 violons.
» Antonius Stradivarius : 8 violons, 2 altos, 2 violoncelles.
» Pierre Guarnerius (Venise) : 1 violon.
» Saint-Séraphin : 1 violon.
« Gagliano (Nicolas) : 1 alto.
» Gaspar da Salo : 1 alto.
» Lupot (Nicolas) : 2 violons, 1 alto, 1 violoncelle.
» Cette collection remarquable appartient aujourd'hui à M"" la duchesse de Cam-
poselice ».
Et l'on peut dire qu'à elle seule elle représente une fortune de plusieurs centaines
de mille francs. Je crois que la « duchesse de Camposelice » s'est remariée par ta
suite. Quant aux détails que je donne ici sur son premier époux, Us sont complète-
ment inédits.
LE MÉNESTREL
3 1 ■
Elle ne lui fut point refusée et les deux derniers actes produisirent une meil-
leure impression. Toutefois, il fallut une année entière pour que l'œuvre fût
enfin jugée à sa valeur, non pas par le public de Vienne, mais par celui de
Prague dont l'enthousiasme se manifesta par d'interminables bis pour presque
tous les morceaux et par des ovations sans fin faites au compositeur qui se
trouvait dans une loge. Un arrangement du Mariage de Figaro de Beaumar-
chais, avec la musique de Mozart, fut représenté à l'Opéra de Paris le
"20 mars 1793: Lays chantait le rôle de Figaro. Cette version fut donnée au
Théàtre-Feydeau, le 21 décembre 1818. La partition originale fit son appari-
tion à Paris le 23 décembre 1807, au Théâtre-Italien. Elle resta au répertoire
jusqu'en 1840. Un arrangement de Castil-Blaze parut à l'Odéon le 22 juin 1820.
Enfin le 8 mai 1856, M. Carvalho monta le chef-d'œuvre au Théâtre-Lyrique
avec Mnles Vandenheuvel-Duprez, Miolan-Carvalho et Ugalde, dans les rùles
de la Comtesse, de Chérubin et de Suzanne.
— On annonce de Berlin que l'hiver prochain aura lieu, dans la nouvelle
« Salle Chevalier », une série de grands concerts internationaux, au cours
desquels plusieurs compositeurs français, entre autres MM. Gabriel Fauré,
Widor, Alexandre Guilmant, Claude Debussy, etc., iront diriger l'exécution
de leurs œuvres.
— L'Orchestre philharmonique de Munich, qui, sous la direction de
MM. Félix Mottl et Frédéric Cortolezi, a donné des séances au Kunstlertheater
pendant l'exposition, donnera cinq concerts au cours de la saison prochaine,
sous la direction de M. «tan Ingenhoven, dans la salle de l'Odéon à Munich.
Les programmes comprendront: Suite pour violoncelle, de Bach; Symphonie
en fa, de Beethoven; deuxième symphonie, de Brahms: ouverture de Médée,
de Cherubini; Jeux des vagues, extrait de la Mer, et trois esquisses sympho-
niques. de M. Debussy; Suite d'orchestre de Pelleas et Mélisande, de M. Gabriel
Fauré; Concerto grosso, de Haendel ; Symphonie en ut majeur (n° Sol du ca-
talogue de Koechel) et Concerto pour violon, de Mozart; Symphonie, op. 27,
de M. BachmaninolV; Mélodies avec accompagnement ■d'orchestre, de M. Max
Reger; Symphonietta, de Rimsky-Korsakow; Symphonie n° 3, de Spohr;
Macbeth, de M. Bichard Strauss: Concerto de piano, de Tschaïkowsky, etc.
On compte parmi les solistes, Mme Félia Litwinne, MM. Ernest Kraus, Ignace
Friedmann, M""? Maria Soldat-Roeger et M. Pablo Cazals.
— A l'occasion des fêtes annuelles qui ont lieu à Munich au retour de la
saison d'octobre, une représentation du Barbier de Séville de Rossini a été
donnée dimanche dernier en gala au Théâtre-National de la Cour et a soulevé
un indescriptible enthousiasme. La salle était remplie jusqu'aux combles par
un public un peu spécial, venu des alentours uniquement pour se réjouir, et
plus prompt que tout autre à vibrer au contact d'une œuvre bien vivante
interprétée par des artistes de premier ordre. M. Mottl, très habile, comme on
le sait, à faire manœuvrer en scène les personnages, a dirigé admirablement
l'ensemble. M"leBosetli jouait le rôle de Bosiue, M. Buysson celui d'Almaviva.
Figaro, c'était M. Brodersen, Basile et Bartholo, MM. Benders et Geisens.
La soirée a été triomphale pour tous. On ne se douterait pa< que le Barbier de
Séville sera centenaire avant huit ans.
— L'Opéra de Dresde a consacré au compositeur Edmond Kretschmer, mort
récemment, une soirée de souvenir pendant laquelle on a fait entendre son
opéra Die Folkunger.
— L'association des professeurs de chant de Munich se prépare à donner de
grandes auditions d'œuvres chorales. Afin de se mettre en haleine, elle prépare
pour le 21 décembre prochain une soirée Richard Strauss dans laquelle de nom-
breux chœurs écrits à un nombre inusité de parties seront exécutés sous la con-
duite du compositeur. Viendra ensuite, le 18 mars 1909, à l'occasion du quaran-
tième anniversaire de la mort de Berlioz (il mourut le 8 mars 1809), la Messe des
morts du maître français. On donnera aussi la Damnation de Faust, le Requiem
pour chœur d'hommes de Liszt et la Mùaa solemnis de Beethoven. Les Saisons
de Haydn ont été réservées pour le jour des Rameaux.
— Le Maître de Chapelle, l'opéra-comique en deux actes de Paër, vient d'ob-
tenir un très grand succès à Cologne, sous la direction de M. Steinbach. Ce
petit chef-d'œuvre de mélodie facile a été présenté au public rhénan clans une
version de MM. Brennert et Kleefeld. Paër avait été choisi par Napoléon pour
succéder à Spontini dans la direction de la musique au Théâtre-Italien. Ros-
sini ayant été nommé directeur de ce théâtre en IS23, Paër donna sa démis-
sion, mais elle ne fut pas acceptée. La retraite de Rossini, en 1826, rendit à
Paër la direction complète du théâtre. Il ne la conserva qu'une année et fut
destitué en 1827 par le vicomte de Larochefoucault, qui lui avait imputé, très
injustement, les fautes de ses prédécesseurs.
— Au moment où la ville de Brunswick se dispose à élever un monument
au célèbre compositeur et violoniste Louis Spohr, une société se constitue dans
le but de sauver de l'oubli certaines œuvres du maître considérées comme
injustement délaissées. Elle a choisi pour centre d'activité la ville de Cassel,
où Spohr fut longtemps maître de chapelle, où il mourut le 22 octobre 1839 et
où il a été inhumé. Ainsi que nous le disions samedi dernier, Spohr a écrit
dix opéras, parmi lesquels un Faust. Il est à remarquer que le scénario de ce
Faust n'a rien de commun avec l'œuvre de Goethe ; le rôle de Marguerite n'y
figure même pas. Plusieurs des épisodes de l'ouvrage semblent avoir été em-
pruntés au livret de Da Ponte, mis en musique par Mozart. Ce Faust, donné
pour la première fois à Prague en 1816, eut un grand succès et se répandit
dans toute l'Allemagne. Les autres opéras de Sophr sont : l'Épreuve (1S06) (non
représenté), Abruna (1S08) (l'ouverture seule fut jouée), le Duel avec la bïen-aimée
(1811), Zémire et Azor (1819), Jessonda (1823), FEtprit de la montagne (1825),
Pietro d'Albano (1828;, l'Alchimiste (1830) et /-• Crotté (1845). Spohr a écrit des
oratorios, neuf symphonies, beaucoup de musique de chambre et une douzaine
de concertos.
— La ville d'Essen va bientôt posséder un nouveau théâtre populaire dans
lequel on jouera l'opéra et le drame alternativement. Les places seront taxées
à des prix variant entre 0 fr. 50 c. et 1 fr. 50 c. Une société par actions a été
constituée afin de recueillir les fonds nécessaires à la construction de l'im-
meuble.
— Les fouilles de l'ancien théâtre romain découvert récemment i Turin,
commencées de façon heureuse sous les auspices du roi Victor-Emmanuel et
du commandeur d'Andrade, sont arrivées à un point qui fait espérer que le
monument pourra être remis en lumière dans tout son ensemble pour l'année
1911. Le théâtre est de l'époque d'Auguste, et par diverses statues de bronze
et de marbre qui ont été trouvées déjà, on a des raisons de croire que lorsque
l'amphithéâtre sera complètement déblayé, on fera d'importantes trouvailles
de sculptures antiques.
— De San Sébastien. Au dernier concert de gala, très grand succès pour
M"" Suzanne Cesbron qui s'est fait littéralement acclamer dans « l'air de la
folie » d'IIamlel, d'Ambroise Thomas, dans la Vierge à la aràclie, du Périlhou,
et dans « Il partit au printemps ■• de Grisélidis et la gavotte de Manon, de
Massenet.
— Le théâtre de la Trinité, de Lisbonne, donnera au cours du prochain
hiver une série de représentations lyriques en portugais. Ces représentations
seront inaugurées par le Barbier de Séville, auquel succédera Carmen. Comme
œuvres inédites de compositeurs portugais, on donnera ensuite o Espadachim
do Outeiro, opéra de M. Augusto Machado, directeur du Conservatoire de
Lisbonne, et Gachi, de M. Julio Neuparth. Viendront plus tard : Faust, Fra
Diavolo, le Freiseltiitz, etc.
— Les fonctions de chef d'orchestre des concerts symphoniques étaient va-
cantes à Lausanne, par suite de la démission de M. Birnbaum. On annonça
un concours, et quatre-vingt-dix candidats se présentèrent. Il en vint de toute
part, de Suisse, de France, d'Allemagne, d'Autriche, d'Italie, de Russie, de
Belgique, de Hollande, de Scandinavie, d'Angleterre, d'Espagne, de Portugal,
voire d'Amérique, des chefs d'orchestre d'opéra, des chefs de musique mili-
taire, des violonistes, des directeurs d'orphéons, des compositeurs, des pia-
nistes, des chanteurs... Il était pourtant difficile d'organiser quatre-vingt-dix
concerts pour juger successivement à l'œuvre quatre-vingt-dix concurrents.
Comment faire? On prit au hasard dans le tas et l'on choisit six candidats de
six nationalités différentes, pour leur faire diriger à chacun une séance. Tant
pis pour les autres ! mais franchement, la situation était difficile. Ces six can-
didats étaient ceux dont voici les noms avec la date du concert qu'ils ont
dirigé: M. Peter van Anrooy, de l'orchestre de Groningue (17 juin); M. Corde
Las, de l'orchestre Kaim, de Munich (23 juin); M. Karl-Heinrich David, de
Bàle (29 juin); M. Cari Ehrenberg, de Dresde (3 juillet); M. Rhené-Baton.
chef des chœurs à l'Opéra-Comique de Paris (0 juillet i: M. H. Opiensky, de
Varsovie (S juillet). Ces six séances avaient attiré un public nombreux, qui y
prenait un intérêt très vif. On distingua surtout qua're des candidats :
MM. Cor de Las, van Anrooy, Rhené-Baton et Ehrenberg, et les suffrages du
jury se réunirent enfin sur le nom de M. Cor de Las, qui fut nommé. —
M. Cor da Las, âgé d'uûe cinquantaine d'années, est Espagnol et né à Murcie.
Elève du Conservatoire de Saint-Pétersbourg, il y reçut les leçons de pi3no
d'Antoine Rubinstein et de M. Leschetitzky. Après quelques tournées de con-
certs faites avec Sarasate, Piatti et M'lle Norman-Neruda, il vint à Paris, où il
connut Gounod et M. Saint-Saëns. qui l'engagèrent à entreprendre la carrière
de chef d'orchestre. Sur leur recommandation et celle de Hans de Bûlow, il
fut engagea Saint-Pétersbourg comme chef d'orchestre de l'Opéra italien. Il
dirigea ensuite une série de concerts à Stockholm, en 1903 ceux du Théâtre-
Royal de Madrid, et un peu plus tard ceux de l'orchestre Kaim, de Munich,
dont on se rappelle les récentes vicissitudes, qui l'obligèrent à chercher une
autre situation. On assure que M. Cor de Las est un chef de premier ordre.
Détail caractéristique: M. Alonso Cor de Las parle et écrit six langues: l'es-
pagnol, le français, l'allemand, l'italien, l'anglais et le russe.
— Le chef d'orchestre des concerts-promenades du Queen's Hall, de Londres,
M. Henry-J. Wood, a décidé de faire entendre, dans les séances de la pro-
chaine saison, un assez grand nombre d'œuvres importantes de compositeurs
anglais. On signale déjà les suivantes, comme inscrites au programme : Svm-
phonie en mi b majeur, de Balfour Gardner; .1 Village Suite, pour orchestre.
de Luard Selby; concerto pour piano et orchestre, en sol mineur, de York
Bowen: Prélude d'Agamemnon. de W.-H. Bell; concerto pour violoncelle et
orchestre, de Percy-H. Miles ; et deux pièces symphoniques d'Herbert
Brewer.
— La grande interprète de Shakespeare, la célèbre tragédienne Ellen Terrv,
celle qu'on appelle la Sarah Bernhardt anglaise, vient de publier ses Mémoires,
qui obtiennent en ce moment à Londres un énorme succès. Mme Ellen Terry
est une « enfant de la balle ». Elle est née pour ainsi dire au théâtre; son
père et sa mère étaient comédiens, et de ses onze frères et sœurs la plupart
ont joué la comédie. Elle même débuta à l'âge de huit ans, avec le fameux
Charles Kean, et toute jeune elle était déjà presque célèbre. A seize ans pour-
tant elle quittait le théâtre pour épouser un homme qui en avait cinquante, le
peintre Watts, artiste très connu, membre de l'Académie. Ce mariage ne
318
LE MENESTREL
pouvait pas être heureux; il aboutit à une séparation, et la tragédienne re-
tourna au théâtre. C'est alors surtout que, devenue la partenaire d'Henry
Ifving, sa renommée devint éclatante. Son étonnante apparition dans Macbeth,
où elle était admirable, la rendit tout à fait glorieuse, et lors de ses tournées
en Amérique elle excita un enthousiasme indescriptible. Chose assez bizarre,
après avoir pris à seize ans un mari.de cinquante, l'an dernier, alors qu'elle
en avait cinquante-neuf, elle épousait, en troisièmes noces, un homme qui en
avait trente. Elle raconte elle-même, non sans une jolie crànerie, ce dernier
mariage : « L'année dernière, dit-elle, en 1907, pour la première fois, j'entre-
pris une tournée à mon compte, et je jouais des pièces modernes. Je trouvai
que mes anciens amis m'étaient restés fidèles, et j'en acquis de nouveaux.
Cette tournée fut pour moi particulièrement importante, parce que, à Pitts-
bourg, je me mariai pour la troisième fois, et j'épousai un Américain. Mon
mariage est une affaire qui ne regarde que moi; peu de gens cependant sem-
blèrent être de cet avis, et je fus excédée de questions indiscrètes... « Si quel-
qu'un mérite d'être heureux, c'est vous ! » m'écrivit un ami. Eh bien, je suis
heureuse, et du moment que je suis heureuse, je n'arrive pas à me sentir
vieille ».
— Une cornemuse irlandaise perfectionnée a été présentée sous deux formes
à la récente exposition de Dublin pir son inventeur, M. Willian O'Duans, qui
y travaillait, dit-on, depuis dix ans. Le maniement des clefs de ce nouvel
instrument est très aisé et peut s'apprendre avec la plus grande facilité. L'un
des deux modèles présentés coûte 7 livres et 10 shellings (187 fr. 30) ; il a huit
clefs et son étendue est de deux octaves chromatiques : il peut exécuter une
musiqu; de quelque tonalitéque ce soit; il y a tro is bourdons : la. mi et la.
Le second modèle coûte seulement 6 livres sterling (130 francs); il a trois
clefs et trois bourdons, et on ne peut sonner qu'en la. Ces instruments ont le
son doux des vieilles cornemuses irlandaises, produit à l'aide d'un soufflet mis
en action par le bras de l'exécutant; dans ceux-ci on souffle avec la bouche,
et par ce fait on obtient, à volonté, plus de force et d'ampleur dans la
sonorité.
— Le 12 février 1909, les États-Unis célébreront le centième anniversaire
dé- la naissance du président Abraham Lincoln, qui mourut le 14 avril 1865,
assassiné par un esclavagiste à Washington. En vue de cet anniversaire,
M. Silas G. Pratt, directeur d'un institut d'art et de musique de Pittsbourg, a
composé une œuvre pour orchestre intitulée Lincoln Symphony, et dans la-
quelle il a prétendu esquisser musicalement le portrait du grand citoyen qui
occupa la première magistrature de son pays, sans jamais se montrer au-des-
sous de la tâche difficile que lui imposèrent les circonstances. La Lincoln
Symphony se divise en quatre parties. Le Musical America en a donné le pro-
gramme. Nous le reproduisons d'après l'original anglais avec les explications
qui nous ont paru nécessaires. Premier mouvement : Introduction et allegro ri-
race. Ici se place une citation qui a été considérée comme pouvant résumer
la caractéristique du tempérament de Lincoln. « Le garçon siffleur et le pour-
fendeur de rails ». Cela signifie que Lincoln fut à la fois un enfant jovial, iro-
nique et gai, puis devint ensuite un homme déterminé ne reculant devant
aucune difficulté. Une autre citation vient ensuite ; elle est du poète Paul
Hull, de Chicago. La voici : « Lincoln était ce qui est fort et rude; ce qui est
heau et tendre. Il fut le granit et la fougère dans la mousse, le récif au bord
de la mer, le chardon, le chêne et l'orchidée. Lorsque, s'élevant à travers les
airs, son premier cri monta vers le ciel dans la région du Kentucky, certai-
nement tous les états de l'Union sentirent un long frémissement, et l'ar-
change Michel, prince des harmonies célestes, descendit sur le seuil du
monde, écoutant, le doigt sur les lèvres ».
H faut se souvenir ici que Lincoln est né à Hardin County, dans le
Kentucky, et songer que la poésie du Nouveau-Monde affectionne les symboles
et se laisse volontiers entraîner dans les exagérations d'un lyrisme un peu
artificiel. Mais si la langue poétique est ici recherchée et peu naturelle, le
langage musical est intéressant quoiqu'il ne brille point par l'originalité. Nous
en pouvons juger d'après une analyse thématique publiée dans le journal
américain. — Le deuxième mouvement, Adagio maesloso, lamenta, est un chant
de deuil. Il doit exprimer le terrible chagrin qu'éprouva Lincoln à la mort de
sa fiancée, Annie Rutledge. Après l'enterrement, il s'éloigna de sa demeure,
s'enfuit à travers les forêts et erra longtemps, dans un état voisin de la folie,
jusqu'au moment où ses amis le calmèrent à force de soins et lui rendirent peu
à peu l'intérêt et le désir de vivre. Le troisième mouvement, Scherzo, Allegro
viuace, est un portrait de Lincoln humoriste; il comprend deux thèmes princi-
paux et présente dds effets d'instrumentation ingénieux et plein de fantaisie. Le
quatrième et dernier mouvement est le morceau tragique de l'ouvrage. La guerre
civile y est peinte avec ses horreurs, mais non sans épisodes reposants et d'un
charme ému. Par exemple, après le tableau de la bataille, lorsque le tumulte
et le bruit des armes ne s'entendent plus que dans le lointain, une touchante
mélodie s'élève, Home, sweet Home. L'impression ainsi produite est très vive et
d'une vraie beauté d'art. Vient ensuite une marche funèbre d'intéressante
facture ; la chanson qui s'y mêle, Maryland, my Maryland, agit aussi très forte-
ment comme contraste. Tout finit par l'apothéose de l'homme ennemi du faste,
simple, honnête et bon, qui a soutenu avec tant de grandeur la cause de l'hu-
manité contre les partisans du maintien de l'esclavage.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
A l'Opéra :
La reprise à'Hàmlêt fut; la semaine dernière, tout à fait brillante et cette
soirée comptera certainement parmi les plus heureuses, jusqu'à présent, de la
jeune direction Messager-Broussan-Lagarde. Le très bel ouvrage d'Ambroise
Thomas qui n'avait pas été joué à Paris depuis de longues années, faute sur-
tout d'en pouvoir réunir une interprétation satisfaisante, a été accueilli des
plus chaleureusement, trois et quatre rappels après chaque acte, par un public
conquis par ses hautes qualités de forme, d'émotion, de poésie et de noblesse;
devant ce gros succès, d'aucuns ne s'avisent-ils pas aujourd'hui de découvrir
l'œuvre qui date de 1868 !
Au triomphe de cette reprise — c'était la 307e représentation et la recette a
atteint 22.000 francs, — il est de toute justice d'associer les deux remarquables
protagonistes que sont M. Renaud et M1Ie Mary Garden; elle tout à fait char-
mante, et vive, et adroite, et touchante, on l'a acclamée après la scène exquise
de la folie, lui de remarquable diction, d'intensive et neuve compréhension et
d'habileté consommée toujours; l'un et l'autre, qualité extrêmement rare,
d'intelligence peu commune. Il serait malséant de ne point louer, comme
il convient, M110 Zambelli, dont la grâce souple et aérienne Bt merveille dans
le si frais et si joli divertissement, la Fête du printemps, musique et interprète
rivalisant là de jeunesse et de charme, et l'on s'en voudrait, ici, de ne point
adresser, à l'occasion de cette heureuse remise à l'affiche, un très fidèle sou-
venir aux deux illustres et inoubliés créateurs du chef-d'œuvre d'Ambroise
Thomas, Faure et Christine Nilsson.
Les décors du Crépuscule des Dieux seront signés de M. Jambon (2e. acte),
dont nous annonçons la mort subite d'autre part, de M. Carpezat (prologue
et 2e tableau du 1er acte), de M. Dubosc (1er tableau Su 1er acte et 3e acte).
Lundi dernier, débuts de Mlle Carlyle, qui a été sympathiquement accueillie
dans le rôle de Vénus de Tannhaùser.
C'est demain que reprendront, avec Aida, les représentations du samedi.
— A l'Opéra-Comique :
MIle Berthe Lamare a été, la semaine dernière, victime d'un accident de
voiture. Comme elle se rendait à son théâtre, l'auto taxi dans lequel elle se
trouvait a été tamponné par un omnibus, place de la Concorde, et la char-
mante actrice a été blessée au visage par des éclats de vitre brisée. Elle a dû
s'aliter pendant quelques jours: maintenant elle va tout à fait bien et les
blessures reçues au visage ne laisseront heureusement aucune trace. Elle a été,
vendredi dernier, remplacée dans Werther, par M"° Dentellier, qui a été aussi
une Charlotte charmante et très applaudie. M"e Berthe Lamare a dû, hier soir
vendredi, reprendre possession de son rôle dans le chef-d'œuvre de Massenet.
Ainsi que nous l'avons annoncé, les soirées d'abonnement reprendront le
mardi 3 novembre. Voici d'ailleurs le tableau complet de ces représentations,
chaque série se composant de quinze représentations.
Mardi A Jeudi A Samedi A Mardi B Jeudi B Samedi B
31 -
14 janvier
19 —
2 janvier
16 -
30 -
13 février
13 mars
10 novembr
2 février
16 —
2 mars
27 avril
Il mai
i juin
12 novembre
26 —
10 décembre
4 mars
18 —
1" avril
10 juin
12 décembre
26 -
23 -
6 février
3 avril
l"mai
29 —
12 juin
12 janvier
26 -
9 février
23 -
9 mars
23 —
20 avril
4 mai
18 — 20
lerjuin 3 juin 5 juin
M"eJane Perryn, qui avait quitté l'opéra-comique pour l'opérette, revient
au premier sans toutefois abandonner la seconde, puisque M. Carré doit la
prêter aux Folies-Dramatiques pour la reprise du Petit Faust. La très char-
mante artiste est rentrée dans la maison de ses débuts par le rôle de Musette
de la Vie de Bohème où elle a pu heureusement faire valoir ses précieuses qua-
lités de chanteuse et de comédienne.
Jeudi- dernier rentrée applaudie de M. Clément dans Madame Butterfly.
Demain samedi débuts, dans Lakmé, d'une nouvelle basse russe, M. Katche-
novsky, dont on dit le plus grand bien.
Spectacle d'aujourd'hui samedi : Lakmé. Demain dimanche en matinée :
Aphrodite: en soirée: Cavalleria rusticana et/a Vie de Bohème. Lundi, représen-
tation populaire à prix réduits : Philémon et Baucis, la Navarraise.
— M. Doumergue, ministre des Beaux-Arts, vient de désigner, d'après
l'avis des directeurs de l'Opéra, sur la liste présentée par l'Institut, M. Bache-
let, prix de Rome de 1890, pour écrire la partition du prochain ouvrage réservé
aux anciens prix de Rome. M. Bachelet est, comme on le sait, l'un des chefs
d'orchestre de notre Académie nationale de musique.
— Une subite indisposition de M. Soubeyran (le ténor chargé du rôle de
Jean) oblige MM. Isola frères à renvoyer à lundi la première de Jean de
Nivelle, au Théàtre-Lyrique-Municipal. Sur l'affiche, jusqu'à lundi. Paul et
Virginie. Signalons dans l'ouvrage de Victor Massé toujours applaudi par un
public nombreux, les heureux débuts de MIl° Castel, une jeune soprano qui
paraissait pour la première fois sur un théâtre et dont la voix est jolie et la
méthode excellente.
— Nous avons annoncé déjà que les Concerts-Lamoureux reprendront leurs
séances dominicales, à la salle Gaveau, le 18 octobre. On dit que M. Chevil-
lard, complément rétabli, reparaîtra au pupitre de chef d'orchestre.
LE MENESTREL
319
— La cérémonie funèbre du regretté Sarasate a été célébrée l'autre mardi,
à Biarritz, au milieu d'une foule très nombreuse massée dans l'avenue de la
Ville-d'Hiver, où est la villa Navarra, devant laquelle deux compagnies d'in-
fanterie rendaient les honneurs. La levée du corps a été faite à neuf heures
par le curé de la paroisse Saint-Charles. Le cercueil disparaissait sous l'amon-
cellement des couronnes envoyées de Pampelune, Madrid, Paris, Berlin, etc.
Lorsque le cercueil traversa le jardin pour être posé sur le corbillard, l'or-
chestre du Casino municipal joua la marche funèbre do la Jeanne d'Arc, de
Lenepveu. De la maison mortuaire à la gare de la Négresse, toutes les rues,
les maisons et les villas regorgeaient de monde. Les cordons du poêle étaient
tenus par M. G-aspar, consul d'Espagne, le docteur Blazy, MM. Garcia de Ysla
et M. Uasson. Autour du char funèbre: MM. Otto Goldschmidt. Daniel [rujo,
maire de Pampelune, Autrro Irasaqui, ancien sénateur de la Navarre, le
maire de Biarritz et le président de la société Sainte-Cécile, de pampelune.
Le deuil était conduit par les beaux-frères et les neveux du regretté défunt.
A la gare de la Négresse, le cercueil fut déposé dans un fourgon qui, trans-
formé en chapelle ardente, fut attaché à l'express qui devait le transporter à
Pampelune où devait avoir lieu la cérémonie religieuse et l'inhumation. Le
corps est arrivé en effet le jeudi soir à Pampelune, ville natale de l'illustre
artiste. Toute la population se pressait sur le parcours et a suivi le cortège
funèbre. Le deuil était conduit par la municipalité et les autorités. Le cercueil
fut déposé dans la grande salle de la mairie transformée en chapelle ardente
et où les habitants n'ont cessé de défiler. — Si les renseignements publiés
sont exacts, Sarasate a laissé une fortune de trois millions de francs environ.
D'après son testament, a chacune de ses sœurs il lègue 1.230.000 francs. Au
Conservatoire de Paris. 100.000 francs; à celui de Madrid, 100.O0O francs; à
chacun de ces deux Conservatoires, un de ses Stradivarius. Les revenus des
100.000 francs serviront à instituer un prix Sarasate. Les collections artis-
tiques du maitre, renfermées dans son appartement de la place Malesherbes, à
Paris, et ses meubles, sont donnés à Pampelune. sa ville natale.
Mme Goldschmidt hérite de la villa Navarra, que Sarasate possédait à Biarritz.
Le testament contient divers autres legs, notamment un de BO.OOO francs en
faveur de son fidèle valet de chambre, et un de 10.000 frans à sa cuisinière.
— Le Figaro a publié la lettre suivante, adressée de Londres à M. Gaston
Calmette, son directeur, par M. Edouard Colonne, pour lui faire connaître
une manifestation touchante, dont la mémoire de Sarasate a été l'objet :
Londres, 23 septembre.
Mon cher Directeur et ami,
Le Figaro, par la plume de notre ami Emile Berr, ayant pris sa grande part de
douleur à la mort de Sarasate, je tiens à vous faire savoir qu'une touchante manifes-
tation a eu lieu de façon toute spontanée au cours de mon concert d'hier.
L'orchestre, le public étant tout entier debout, exécuta la Marche funébreie Chopin,
qui fut écoutée avec un silence religieux, lorsqu'à la lin du morceau, quelques per-
sonnes irréfléchies ont cru devoir se livrer à des applaudissements, la masse du
public leur imposa silence pour conserver à la manifestation son caractère de
religiosité.
C'est en ma qualité de condisciple et d'ami de Sarasate que je crois devoir vous
communiquer cet événement qui prouve combien sont restées vives ici les sympa-
thies que l'homme et l'artiste ont inspirées partout où il a passé, c'est-à-dire dans le
monde entier.
Cordialement et atfectueusement à vous, mon cher Directeur et ami, et toujours
votre bien dévoué,
Ed. Colonne.
— Voici, enfin, une jolie anecdote sur Sarasate; nous la traduisons d'après les
Dernières nouvelles de Munich. « La mère du célèbre violoniste qui vient de
mourir se nommait Sigante; son mari était chef de musique d'un régiment
d'artillerie. Enragé républicain, Francisco Sarasate ne faisait pas un secret de
ses opinions antigouvernementales. Ayant été mis en prison comme crimi-
nel politique, sa femme et son fils se trouvèrent livrés à un profond dénue-
ment. Une dame de l'aristocratie s'intéressa au sort de l'enfant dont le talent
de violoniste était déjà très apprécié à Pampelune, sa ville natale. La légende
rapporte que cette bienfaitrice donna le conseil suivant à la malheureuse
mère : « Allez à Madrid et obtenez une audience de la reine; votre jeune
virtuose lui jouera quelque chose et certainement vous obtiendrez assistance.»
Aussitôt dit, aussitôt fait. La mère et l'enfant partirent pour Madrid et se pré-
sentèrent au palais. La pauvre femme obtint, sans trop de démarches, une
audience de la souveraine. Elle entra dans le salon tenant par la main l'enfant
qui pressait son violon serré sous son bras. « Ah ! tu joues du violon », dit la
reine à l'enfant qui déjà lui plaisait extrêmement, « eh bien, que pourrais-tu
me jouer » ? — « Tout ce que vous voudrez » répondit le jeune Sarasate. « Très
bien », poursuivit la reine, ■< alors fais-moi entendre ce qu'il te plaira ». Le
petit artiste se mit aussitôt à jouer ce qui lui vint à l'esprit. Des chants popu-
laires du nord de l'Espagne, des flamencos mélancoliques de l'Andalousie,
des Jotas tournoyantes de l'Aragon, des pastorales de Galice, des chansons
de muletiers de toutes les provinces. Ce mélange de motifs nationaux prenait
sur le violon de l'enfant une sorte de pouvoir magique auquel ne put résister
la reine Isabelle. Ses yeux se remplirent de larmes, et lorsque l'improvisa-
tion fut achevée, elle s'écria : « Petit, demande-moi ce que tu voudras, je te
l'accorde d'avance. » — .< Délivrez mon père », dit en tremblant l'enfant. La
reine confirma la promesse qu'elle venait de faire ; le vieux Francisco Sara-
sate sortit bientôt de prison et fut rendu aux siens. Toutefois, malgré la
mesure gracieuse dont elle avait été l'objet, la famille de Sarasate finit triste-
ment. On ne saurait dire au juste ce que devint le père après son élargisse-
ment ; la mère mourut à l'hôpital dans une profonde misère, et l'enfant, à
peine âgé de dix ans, fut conduit à Paris, où il devint l'élève d'Alard. et
obtint, après huit mois de classes, un premier prix au Conservatoire. Xos
lecteurs ont pu rectifier celte dernière assertion d'après l'article nécrologique
publié dans notre dernier numéro. Sarasate entra au Conservatoire de Paris
à l'âge de onze ans; il remporta deux ans après, en 1857, un premier prix de
Milfègi' el un premier prix de liulon. Il ne quitta poinl ; i cela l'école 61
devint l'élève de Reber. On lui accorda un accessit d'harmonie en 1859.
— Nous avons dit que Julia Subra avait légué 10.000 francs à l'or]
des Arts, son testament porte un autre legs d'égale somme en ravi
Société des artistes et amis de L'Opéra.
— Dans un journal de 1802 nous rencontrons une nui. Ile assez bizarre,
relative au fameux ténor Roger, le créateur à l'Opéra-Comique des 11
tares de la Reine, à L'Opéra du Prophète, et de bien d'autres ouvrages. Victime
d'un accident do chasse trois ans auparavant, accident dans lequel il avait
perdu un bras, le pauvre artiste vivait sa carrière brisée, et comme, cigale
imprévoyante, il ne s'était pas précautionné en vue de l'avenir, il se trouvait
dans la nécessité de vendre ses propriétés. C'est à ce sujet qu'un journal
publiait les lignes que voici :
Roger s'est décidé à mettre en vente par lots 30 1.000 mètres de terrains dépendant
de sa propriété de Villiers-sur-Marne. L'ne clause des contrats porte que les ven-
deurs, voulant à jamais conserver le nom donné à ces terrains et perpétuer la gloire
des principaux chefs-d'œuvre de nos scènes lyriques qui ont fait an nom à l'artiste
qui les a si bien interprétés, ont donné à leurs rues, avenues, allées et chemins les
noms suivants : grande avenue du Val-Roger, avenue Ilalévy. boulevard Meyerbeer,
boulevard Auber, allée de la Favorite, allée de la Dame-Blanche, avenue du Pro-
phète, avenue des Mousquetaires, avenue des Huguenots, avenue de la Sirène,
avenue de la Reine-de-Chypre, avenue Haydée, avenue de "Enfant-Prodigue, avenue
du Domino-Noir, avenue du Juif-Errant, avenue de la Pa't-du-Diable, chemin
d'Herculanum, chemin de Lueie-de-Lammermoor, allée de l'Éclair, allée d
rante.
Il serait curieux de savoir s'il reste de tout cela un vestige quelconque à
Villiers-sur-Marne.
— Clermont-Ferrand : Notre ville va être dotée d'un Conservatoire de
musique dont la direction a été confiée à M. Claussmann, l'artiste clermon-
tois bien connu. Tous nos amateurs se réjouissent de cette création qui fait le
plus grand honneur à notre Conseil municipal et contribuera dans une large
mesure au développement du goût musical à Clermont.
— De Marseille : Le théâtre en plein air, Athcnà-Niké, vient de donner,
avec le concours d'artistes de la Comédie-Française, une représentation très
réussie composée de In Mort d'Adonis, de M. Paul Barlatier, et des Erinnijes,
de Leconte de Lisle, avec la belle partition du maitre Massenet.
— Cours et Leçons. — Mme et M"L' Audousset ont repris leurs cours et leçons de
solfège, déchiffrage, ensemble, piano et chant, 46, boulevard Maillot, à Xeuilly-sur-
Seine. — M"° Henriette Thuillier a repris ses cours chez elle, 62, rue de Rennes,
chez Érard et au cours d'éducation de M"0 Ro.-he, 15, rue Cortambert. Cours de
déchiflrage, accompagnement et histoire de la musique. Cours de chant par M'k Su-
zanne Richebourg. Examens par M. I. Philipp. Conférences sur la musique russe par
M. Bourgault-Ducoudray. — M-' Mitault-Steiger reprendra ses cours et leçons chez
elle, 17, rue de Berne, à partir du 15 octobre.
NÉCROLOGIE
Marcel Jambon, le peintre décorateur bien connu, est mort subitement,
dans la nuit de mardi, des suites d'une embolie. L'artiste avait la veille tra-
vaillé toute la journée aux maquettes de Chiquito, d'après les croquis qu'il
avait élé récemment faire sur place avec M. Albert Carré, et rien ne pouvait
faire prévoir une fin aussi prématurée. Né à Barbezieux en 1848, — il disparait
donc âgé seulement de soixante ans et tout à fait vaillant — il débuta comme
homme de peine chez Rubé, dont il devint l'élève. Lorsque la guerre de 1870
éclata, il avait vingt-deux ans, il s'engagea ; sa très belle conduite lui valut la
médaille militaire. La paix signée, il rentrai l'atelier de Rubé, et à la mort de
celui-ci, il s'installa chez lui. Travailleur infatigable, d'humeur toujours égale
et d'accueil absolument sympathique, Jambon, qui était un merveilleux artiste,
a signé des décors tout à fait remarquables. Les derniers qu'on lui doit sont ceux
de Madame Butterfly, une partie de ceux d'Ariane et du Chevalier d'Éoiu II avait
achevé déjà le tableau du Crépuscule des Dieux que l'Opéra lui avait commandé
et celui du Bon roi Dagoberl destiné à la Comédie-Française. En ces dernières
années, il s'était associé avec son gendre, M. Bailly. Jambon, qui était olficier
de la Légion d'honneur, a fait, entre temps, de la peinture décorative et la
mort le surprend au moment où il s'occupait d'une importante commande
pour la gare de Lyon. C'est une perte pour le théâtre et c'est un deuil pour
tous ses amis, et ils étaient nombreux.
— Un artiste très apprécié en Allemagne comme excellent chef d'orchestre,
Alfred Krasselt, vient de mourir après de longues souffrances, à l'âge de
36 ans. Né le 3 juin 1872, à Glauchau, en Saxe, il fut maitre de chapelle à
Baden et à Leipzig, dirigea l'orchestre Kaim de Munich, de 1893 à 1896, et
devint ensuite kapellmeister à la Cour à Yveimar. E avait su s'attirer beau-
coup de sympathies ; sa mort prématurée ne laisse que des regrets.
Henri Hetjgel, directeur-gérant.
A CÉDER pour cause de décès un très bon Fonds de pianos, musique et
lutherie. S'adresser à Mme Pichot, 35. rue de Malvave, à Champs-sur-Marne
(Seine-et-Oise).
320
LE MENESTREL
PARIS, AU MÉNESTREL, 2 bis, RUE VIVIENNÉ, HEUGEL et C", ÉDITEURS. Propriétaires pour tous pays
THÉÂTRE HftTIOrMHIi
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cûiff actes et sept tableaux. Poème de MICHEL CARRE et JULES BARBIER
Partition piano et chant net 20 francs. — Edition spéciale pour ténor net 20 francs. — Partition chant seul net 4 francs.
Partition piano solo, réduite par Georges Bizet. . net 12 francs. — Partition piano à quatre mains, réduite par Georges Bizet. . net 25 francs.
Partition italienne net 20 francs. — Partition allemande net 20 francs. — Livrets italien et allemand, chaque net 1 franc.
Affiche en couleurs d'Au'HONSK de Neuville. . net 5 francs.
MORCEAUX DETACHES POUR CHANT ET PIANo
2. Duo : Pourquoi détournez-vous les yeux? (B.'-S.) 7
Le même, chant seul net »
2 bis. Cantabile, extrait : Doute de la lumière (B). . 5
Le même, chant seul net »
.2 1er. Le même (S. ou T.). 5
2<]rer. Le même en ut (M. -S.) 5
3. Cavatine de Laerte : Pour mon pays (T.). . . 4
La même, chant seul net »
4. Chœur des pages et officiers (4 voix). . . net 1
5 bis. Invocation : Spectre infernal (B.) 4
La même, chant seul net »
-5 ter. La même (T.) 4
6. Air du livre- (S.) 7
6 bis. Le même (M.-S.) 7
6 ter. Fabliau, extrait : Adieu, dit-il, ayez foi (S.) . 4
Le même, chant seul net »
6ql*r. .Le même (M.-S. i 4
Les numéros 2 bis, 4,
Les numéros 2, 2 bis, 2 ter, 2q,cr, 3, 5 bis, 5 ter, 6, 6 ter,
Les numéros 2, 2 bis, 2 ter, 2 q"
: (M..
7 50
» 25
l'i
7. Arioso : Dans son regard plus sombre (M.-S.) . 5
Le même, chant seul net »
7 bis. Le même (C.) . .
8. Duo : H^las I Dieu m'épargne la ht
etB") './..,
9. Chœur des comédiens
10. Chanson bachique (B.)
La même, chant seul net
10 bis. La même (T.) 5 »
13. Monologue : Être ou ne pas être (B.) 3 »
Le même, ctaaat seul net » 25
13 bis. Le même (T.) " v . 3 ><
14. Air : Je f implore 3 ô mon frère (B") 5 »
14 bis. Le même (B.) 5 »
15. Trio : Le voilà! Je veux lire enfin (S., M.-S.,
B.) 7 50
10, 18, 19 bis et 21 existent avec accompagnement d'orchestre poui
", 7, 7 bis, 10, 10 bis, 13, 13 bis, 15, 15 bis, 15 ter, 18, 18 bis, 18 1er, 18
6 bis, 6 ter, 6ql", 10, 10 bis, 13, 13 bis, 18, 18 bis,. 18 1er, 19 bis, 19 ter,
Les numéros 10 et 18 bis existent en langue anglaise.
! (B-) -
15 bis. Romance extraite : Allez dans un cloître
15 ter. La même (T.)
16. Grand duo : Ilamtet, ma douleur est immense
{M.-S., B.)
Scène et air d'Ophélie : A vos jeux, mes amis : S.)
Ballade extraite : Pâle et blonde (S.)
La même, chant seul net
18 ter. La même (M.-S.)
19 bis. Valse : Partagez-vous ces fleurs (S.)
La môme, chant seul net
19 ter. La même (M.-S.)
21. Chant des Fossoyeurs, à 1 ou 2 voix iB., T. i .
Le même, chant seul net
21 bis. Le même, à I voix (T.)
22. Arioso : Comme une prife flcir (B:)
Le même, chant seul net
22 bis. Le même (T.)
• les concerts (location).
(jlcr, 19 bis. 19 ter, 22, 22 bis, existent en langue italienne.
22, 22 bis, existent en langue allemande.
18.
18 bis.
TRANSCHIPTIONS POUR PIANO A DEUX MAINS
G. Bizet.
Brissleii.
Bull. . .
CRAMEn .
Grégoire
Henry. .
Ketterer
Kruger .
Leybach .
Les Roses dChiver :
Noi 49. Doute de la lumière
50. Chœur des pages
51. Chanson bachique
52. Marche danoise
53. Ballade d'Ophélie
54. Valse d'Ophélie
Prélude de l'Esplanade
Marche solennelle
Pot-pourri
Les Silhouettes n° 5
Bouquets de mélodies, deux suites, ch.
Valse et ballade
Les chants d'Ophélie
Première transcription
La Fête du -printemps, ballet
, Fantaisie-transcription
Fantaisie brillante
Lysberg .
Xeustedt
Ballade et valse d'Ophélie
Transcriptions :
N" 1. CaDtabile du duo et chœur des
pages
2. Fabliau et chanson bachique.
3. Ballade et valse d'Ophélie . .
Transcription brillante
Marche danoise (Payes enfantines n° 18)
Ballade d'Ophélie (Miniatures n" 4). . .
. . Airs de ballet (Miniatures n° 22) . . . .
Valiquet . Airs de ballet :
N°' 1 . Danse villageoise ......
2. Pas des chasseurs
3. Pantomime
4. PolUa-mazurka
5. .Pas du bouquet
6. Bacchanale
S. Rai-el
Tavàx .
Trojelli
La Fête du printemps, airs de ballet :
X" 1 . Danse villageoise 5
2. Pas des chasseurs 4
3. Pantomime 4
5. Pas du bouquet 5
6. Bacchanale 5
Le ballet complet net 3
Trois transcriptions :
N°* 1. Prélude de l'Esplanade. ... 5
2. Marche danoise 5
3. Valse d'Ophélie 5
Récréations lyriques (3e série) :
N"1 13. Doute de la lumière 2 !
14. Chœur des pages et otliciers. 2 !
15. Chanson bachique 2
16. Ballade d'Ophélie 2 1
17. Valse d'Ophélie 2 i
18. Pas du bouquet 2 i
TRANSCRIPTIONS POUR PIANO A QUATRE MAINS
G. Bizet . . La Fêle du printemps, baWet. ... net 6 »
N« 1 . Danse villageoise 6 »
2. Pas des chasseurs 5 »
3. Pantomime 5 a
4. Valse-mazurka 6 »
5. Pas du bouquet 7 50
6. Bacchanale 6 »
Prélude de l'Esplanade
Marche danoise. . . .
Valse d'Ophélie. . . .
Marche solennelle . .
les Silhouettes n" 5. .
Leféouré-Wély Fantaisie-concertantc
Marks Pot-pourri
Trojelm . . . Les Miniatures n° 12.
R. de Vilbac. . École concertante, N*"
suites, chaque . .
DAN SES POUR PIANO A J3E U N^ E T Q UATRE MAINS
Arban .
Ettling
Henry .
Llmeye
Mey. .
Alder.
. Quadrille 5 »
. Ophélie-mazurka 4 50
. Les chants d'Ophélie, valse 7 50
. Sourenirs de Christine Nilsson, mazurka 4 50
. Polka-mazurka 4.50
Quadrille
Le même, à quatre mains .
Valse d'Ophélie
La même, à quatre mains.
Strauss . . Polka des officiers 4
Stutz . . . La, Freya, polka 4
Valiquet . Quadrille (sans octaves) 5
— Valse d'Ophélie 6
TRANSCRIPTIONS POUR INSTRUMENTS DIVERS OU ORCHESTRE
. L'Opéra concertant n" 4 :
Piano, violon et violoncelle (contre-
basse ad libitum)
Piano, flûte et violon (contrebasse ad
libitum)
Piano, flûte et violoncelle (contre-
basse ad libitum)
— ... Valse-mazurka, mandoline seule . net
— ... Ballade d'Ophélie, mandoline seule net
— ... Valse d'Ophélie, mandoline seule, net
Arran. . . Quadrille, orchestre net
Batiste. . Marche, grand orgue
Douard . . Marche des chasseurs, harmonie. . net
Th. Dubois. Marche, grand orgue
Ettling . . Ophélie-mazurka, orchestre. . . . net
Génin . . . Airs, flûte seule
GÉMN . .
GUICBAUT
GUMBERT.
Hermann.
Levêque .
Mayeur .
PÉRIER
Barauo
Fantaisie, flûte et piano 9
Airs, cornet seul 6
Pot pourri, violon et piano. .....;. 6
Soirées du jeune flûtiste n" 7 ( tlùte et p°) 9
Soirées du jeune violoniste ir 7 < violon
et piano) . i> .......... . 9
Six mélodies faciles, violon seul . . . 5
Ballet, harmonie :
Nos 1. La Fête du -printemps . . net 3
2. Pas des chasseurs. . . . net 3
3. Pantomime. net 3
4. Valse-mazurka. .... net 3
5. La Freya, polka .... net 3 ,
6. Strette finale net 3
Fantaisie-transcription, violon et piano t*
Fantaisie, violoncelle et piano 9
Renault. . Fantaisie, harmonie net
Rose . . . Fantaisie, clarinette et piano ....
Sellemr. . Marche funèbre, harmonie . . . . n
Singelée. . Fantaisie concertante violon et piano
Strauss . . Quadrille, orchestre ne
— . . Valse d'Ophélie, orchestre ....
Stutz . . . La Freya, polka, orchestre . ... ne
Tavan. . . V Opéra symphonique r\° S (peL ovch.)ne
A. Thomas . La Fête du printemps : ballet, orchestre
Partition ne
Parties séparées ne
Chaque partie supplémentaire ne
— Marche danoise, orchestre :
Partition ne
Parties séparées ne
Chaque partie supplémentaire ne
Samedi 10 Octobre 1908.
4048. - 74e ANNÉE.— 1\° 41. PARAIT TOUS LES SAMEDIS
(Les Bureaux, 2b", rue Vi vienne, Paris, n-arr')
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non. ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
lie Numéro : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
lie Numéro : 0 fr. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Boas-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (33e article), Julien Ïiersot. — II. Semaine théâtrale : reprise de Jean de Nivelle au Théàtre-Lyrique-Municïpal, AlïTHUn Pougiin
premières représentations du Bon roi Dagobert à la Comédie-Française, de la Maison en ordre au Vaudeville, de Mo&sieu le Maire au Théâlre-Déjazet
et de la Revue de Cluny, Paul-Émile Chevalier; première représentation du Petit Fouchard au Gymnase, Am. Boutarel. — III. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
LA FRIPONNE
polka-mazurka, de Rodolphe Berger. — Suivra immédiatement : Valse-ballet,
d'ALBERT Landry.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de chant:
CHANSON AU BORD DE L'EAU
d'ERNEST Moret. — Suivra immédiatement : Dormons parmi les lys, de-
J. Massenet.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
(XT ± -4= - 1 7" 7 -4 )
CHAPITRE Vïfl : Cinq années entre Orfào et Alceste
En dépit de ce magnifique résultat, Gluck n'était pas parvenu | XVIIIe siècle, où la vie était
à changer du premier coup
l'ordre établi dans l'empire mu-
sical dont Vienne était la capitale .
La saison inaugurée par Orfeo
était à peine achevée qu'il re-
partit pour l'Italie, appelé à
Bologne afin d'y composer l'opéra
du printemps 1763, pour l'inau-
guration d'un nouveau théâtre ;
il refit donc pour la trentième
fois le même opéra italien qu'il
était accoutumé d'écrire pério-
diquement depuis le jour de son
premier début à Milan.
Nous sommes renseignés sur
les détails de cette expédition
gr.ice au récit de celui qui" fit le
voyage en compagnie de Gluck :
Uittersdorf, que nous avons déjà
aperçu, jeune violoniste chez le
prince de Saxe-Hildburgbausen.
et qui, passé avec Gluck au
Théâtre de la Cour, avait acquis
une notoriété de virtuose, en
attendant celle de compositeur.
Gluck l'avait pris en amitié; pro-
fitant des bonnes dispositions de
ses protecteurs, il l'emmena
faire avec lui le voyage d'Italie,
rêve de tous les artistes. Ditters-
dorf, par son autobiographie,
nous fait assister aux divers épisodes de ce roman comique au
de concours qui eut lieu,
déjà plus confortable qu'au temps
de Scarron : il conte le voyage
en voiture de poste, en l'aimable
compagnie d'une chanteuse vé-
nitienne retournant de Prague
dans son pays, sous la conduite
de madame sa mère ; Farrêt d'une
semaine à Venise, pour assister
aux cérémonies religieuses, dont
la partie musicale parut surfaite
aux deux Allemands, tandis
qu'ils s'émerveillèrent devant le
spectacle des funérailles aux
flambeaux d'un doge et de la
procession d'un jeudi saint sur
la place Saint-Marc; puis l'arrivée
à Bologne, où Gluck dut se
remettre à sa tâche familière, et
désormais fastidieuse, de compo-
siteur d'opéra italien, sans se
priver de se mêler, avec son
compagnon, à la vie musicale
de la ville, renommée pour être
« le grand séminaire de la mu-
sique en Italie » ; les visites au
Père Martini, qui a manifesté
maintes fois son estime pour
Gluck et pour son art; celles à
Farinelli, castrat retiré après
fortune faite ; les offices des
églises, où l'on exécutaitde la mu-
sique en style d'opéra; l'espèce
des messes et des vêpres, entre un
ZM
LE MÉNESTREL
violoniste de Crémone etDittersdorf ; les «_ salles combles » faites
par ce dernier, qui fut cause que l'on « refusa du monde ■■>■> à
l'église ; l'étonnement des amateurs bolonais, n'en revenant pas
qu'une « tortue allemande » put si bien jouer du violon : ils
avaient cru qu'il se ferait « chansonner » (canzonar), tandis qu'au
contraire il reçut dans le saint temple « des applaudissements
universels » ; enfin, le festin qui suivit au couvent, dont l'abon-
dance donne une idée agréable de la vie monacale, et les remer-
ciements à l'illustrissime virtuose, sous les espèces et apparences
de fruits contits, foulards en soie, reliques, bas à la mode napo-
litaine (six blancs et six noirs), le tout accompagné d'un grand
discours pour lequel il fallut donner à l'orateur en perruque un
saidu de bona mon (1).
L'opéra ~de Gluck reste tout à fait. à l'arrière-plan dans ce
récit d*un voyage d'agrément, et nous n'en connaissons pas
beaucoup plus long sur lui par ailleurs. Nous. savons seulement
que cet ouvrage était // Trionfo di Clelia, poème de Métastase ;
qu'il eut plusieurs bons interprètes, dont Gluck retrouva
quelques-uns par la suite : M°"' Girelli-Aquilar, qui interprétera
.Aristeo et Orphée à Parme dans quelques années, le ténor Tibaldi
qui sera le- premier kdmète-d'Akeste, etCv Pour la musique, elle
a laissé après elle si peu de traces que le catalogue, de M. Wot-
quenne donne la partition comme perdue, ou tout au mo-ins-
égarée (i). : ' ..
Gluck et Dittersdorf ne s'éternisèrent pas à Bologne. Aussitôt
l'opéra représenté, ils partirent, regagnant Vienne à petites ■
journées. L'intention première de Gluck était de profiter du
retour pour pousser jusqu'à Paris : c'est à ce moment que se
place l'invitation que nous avons vu Favart lui adresser de loger
dans sa maison; une lettre du comte Durazzo, écrite dé Vienne
le 9 mai, annonçait encore son arrivée, spécifiant que Gluck
porterait à Favart un mémoire sur ce qu'il fallait pour !■ service
de la cour l'année suivante, et lui expliquerait le goût du ihéàtre
à Vienne. Il y eut pourtant eontre-ordre : Gluck et Dittersdorf
furent rappelés en hâte, leur présence, d'après le narrateur du
voyage, étant devenue nécessaire dans la capitale pour la pré-
paration des fêtes du couronnement de l'Empereur Joseph II,
fixées d'abord à l'automne, et, en définitive, remises au prin-
temps suivant, — ou, d'après un autre renseignement, le voyage
de Gluck à Paris ayant été jugé inutile en raison de l'incendie de
l'Opéra (3).
Gluck passa d.onc à Vienne la fin de l'année 1763, qu'il employa
notamment à la composition musicale de son dernier et principal
opéra-comique, la Rencontre imprévue. Cet ouvrage, dont le livret,
imprimé à Vienne dans l'imprimerie de Ghelen, porte la date de
■1763, fut représenté pour la première fois au commencement de
l'année suivante. Nous en avons parlé en son temps, nous n'y
reviendrons pas. -
(1) On trouvera la traduction dû récit de voyage de Dittersdorf, presque en son
entier fd'après sa Kurz'e .Biographie), dans Desnoiresterres, Gluck et Piccinni,
•pp. .31 à 44.;
-2j La célèbre collection de M. Aloys Fuchs renfermait un ils du Trionfodi Clelia,
dont jeii'èn ai malheureusement pu retrouver la trace », dit ce catalogue. Depuis
'lors1, l'exemplaire a été signalé de nouveau en Allemagne (communication de
M. WotqUenne).
(3) Sur le projet de voyage de Gluck à Paris en 1763, la correspondance de Favart
donne des indications circonstanciées, dont quelques-unes ont été déjà rapportées au
cours des deux précédents chapitres. Ajoutons encore celles-ci : le 4 avril, Favart
écrit à Dancourt: « J'attends l'arrivée de M. Gluck que vous m'avez annoncée. »
(T. II, p. 276). Le 13 avril (au sujet de la gravure à'Orfeo), Durazzo à Favart : « Il
faudra attendre l'arrivée à Paris de M. Gluck, qui pourra y être vers la lin de mai »
(13. 97). Trois jours après, le 16, Dancourt écrit encore : « Le chevalier Gluck est à
Bologne, et ne tardera pas à' en partir pour Paris » (p. 278). Le 6 mai, de Durazzo :
« Notre chevalier Gluck partira dans peu de Boulogne {sic), où j'espère qu'il se fera
honneur à l'ouverture du nouveau théâtre, pour venir à Paris ; je le recommande à
votre amitié » (p. 111). Le 9 mai, dans une lettre (perdue, mais dont Favart reproduit
les termes en y répondant), le comte renouvelaitla même annonce (p. 128). Le 21 mai,
Favart dit attendre avec impatience l'arrivée de Gluck, et lui offre l'hospitalité
(p. 113). Eùlin, le 5 juillet, Dancourt écrit à Favart : <• Vous ne verrez point le che-
valier Gluck, il est de retour ici. Ii mettait le pied dans sa chaise de poste à Bologne
et partait pour Paris, lorsqu'il a reçu une lettre du comte qui le rappelait à Vienne,
parce qu'ayant appris que l'Opéra était brûlé, le voyage du chevalier devenait inutile
selon lui » (p. 279). Enfin, le 18 juillet, Favart écrit : « Gomme M. Gluck n'est point
venu... .. (p. 126). L'incendie de l'Opéra parait un prétexte donné après coup. Cet
accident eut lieu le 8 avril, et six semaines après, nous l'avons vu, il était encore
parlé du voyage de Paris comme d'une éventualité dont rien alors ne semblait devoir
empêcher la réalisation.
Notons aussi, comme appartenant à la même époque,' la pre-
mière représentation à Vienne de son Ezio de Prague, déjà vieux
de plus de treize années, et que longtemps on a cru ne pas re-
monter plus haut que cette même année 1763, à la fin de laquelle
les Viennois l'applaudirent (1).
Enfin l'époque définitive du couronnement arriva. Bien que
Paris ne soit guère sur le chemin de Francfort, ce déplacement
vers l'ouest était une occasion trop tentante : Gluck en profita
pour réaliser son projet de l'année précédente, et Favart put lui
faire arlors l'accueil qu'il lui avait promis. Sa présence dans
les milieux artistes de Paris est signalée le ') mars 1764 (2),
sans que d'ailleurs il apparaisse que de grands résultats soient
sortis de ce nouveau contact de Gluck avec la capitale française.
Le mois suivant, il était à son poste de directeur de la musique
à la cérémonie du couronnement de l'Empereur etPioi. Le comte
Durazzo l'y avait appelé, ainsi que Guadagni et une vingtaine
d'artistes de la chapelle impériale, dont Dittersdorf. Celui-ci, au
récit duquel nous devons encore d'être renseignés sur la solen-
nité, nous apprend que les deux premiers reçurent six cents
gulden de frais de voyage et six gulden d'indemnité journalière,
les autres la moitié seulement. Use plaint amèrement d'avoir dé-
pensé beaucoup d'argent pour avoir de beaux habits, et de n'avoir
reçu au retour à Vienne, lui, pauvre diable, qu'une indemnité de
cinquante ducats, tandis que Gluck et Guadagni en avaient eu trois
.cents ; heureusement pour lui, le comte, trouvant q,u.e c'était trop
peu pour un « virtuose en titre », en ajouta cinquante autres (3).
Voilà tout ce que Dittersdorf trouve à nous dire sur la participa-
tion'de la musique aux fêtes du couronnement de Joseph II et
sur .le rôle qu'y joua Gluck. Nous savons par. .ailleurs qaOrfeo
fut représenté (4).
(A suivra) - Julien Tiersut.
SEMAINE THEATRALE
TiiÉATRE-LYRiyUE,(Gaité). — Reprise de Jean de Nivelle, de Léo Delibes.
■ é Octobre 1608.)
:J[e.-me suis .toujo'm's';deftan.dé:'poùr quelle raison mystérieuse,! par
suite de quel caprice bizarre Carvalho. te directeur lé plus fantasque
d'ailleurs et le plus capricieux qui fut. jamais, avait arrêté brusquement
la carrière et le succès de Jean de Xivelk à sa 991' représentation,- sans
jamais vouloir se décider à donner la centième. Se refuser une centième
quand on en est si près, c'est, jen son genre, une manière d'héroïsme
pour un directeur; mais je croiscependant qu'on en trouverait peu qui
fussent tentés d'imiter Carvalhp. Et il faut remarquer qu'en la circons-
tance, au succès de l'œuvre se joignait le succès indiscutable des inter-
prètes ; car, sans vouloir parler des autres rôles, la distribution de Jetrti
(1) Le Wiener Diarium (cité par Schmid, p.. 107) parle de cette œuvre avec beau-
coup plus d'enthousiasme et de développement qu'il n'avait fait un an plus tôt pour
Orfeo : « Le génie de Gluck, qui est connu dans toute l'Europe, n'â'pàs besoin de notre
louange, jamais il n'y eut musicien plus fidèle à la nature que lui, etc. »:
(2) Desnoiresterres (p. 59) a cité un extrait du journal du graveur .Ville, quevoicii:
« Le 9 (mars) m'est venu voir M. le chevalierGluck, ce fameux compositeur, si. connu
par toute l'Europe où la bonne musique est estimée. C'est un fort brave homme
d'ailleurs, il a resté plusieurs heures avec moi. Il est au service de l'Impératrice. Il
était accompagné de M. Goldelini iColteli ni), aussi au service delà maison d'Autriche •)'.
Il est fâcheux seulement que le biographe de Gluck et- Piccinni gâte la valeur de ce
renseignement en ajoutant: «La correspondance de Favart avec Durazzo ne laisse
soupçonner aucunementla présence de Gtuckà Paris ». On lit au contraire dans cette
correspondance, à la date du 18 janvier 1764 (lettre de Durazzo, II, 190) : « Je suis bien
aise que M. Gluck, qui doit être à Paris vers la fin dudit mois de février,, revoie
lui-même l'ouvrage [Orfeo)... Si j'en ai le temps, je ferai peut-êlre une course jusqu'à
Paris à l'occasion du couronnement du roi des Romains, qui doit se faire à Francfort
où ma charge m'oblige de suivre la cour». Le 31 janvier, de Favart (p. 192): «Vous
m'annoncez l'arrivée de M. Gluck à Paris, c'est une nouvelle pour moi 1res agréable".
Le 7 février, du même (p. 195): «J'ai marquera un violoniste en quête d'engagement)
que votre Excellence doit arriver à Paris incessamment, ou M. Gluck»,
(3) Karl von Dittersdorf, Seine Kurze Biographie, 1810, pp. 75 et suivantes.
(4) Burney, dans l'État présent de la musique (t. II, p. 251), dit, d'après sa conversa-
tion avec Gluck: « Orphée avait eu un grand succès à la première représentation, au cou-
ronnement de l'Empereur actuel comme roi des Komains ». 11 y a dans cette phrase
une légère confusion qui pourrait faire croire que la première représentation à'Orfeo
eut lieu aux fêtes de Francfort: nous savons qu'il n'en fut rien ; mais il résulte du
renseignement de Burney qu'Orfeo avait été choisi pour la représentation de gala
donnée à cette occasion, honneur justifié par le succès que l'œuvre avait remporté et
continuait d'obtenir à Vienne.
LE MENESTREL
323
de Nivelle réunissait un ijualuor dont on a rarement chance de rencontrer
le pareil. Jean, c'était le pauvre Talazac (qui devait mourir fou!), dont
la voix chaude et vibrante sonnait comme une trompette dans cetle
musique aux accents parfois héroïques; Ariette, c'était M"1' Bilbaul-
Vauchelet, qui n'était pas encore Mmo Nicot, mais qui prélait à ce rôle
aimable toute la grâce de sa personne, toute la fraicheur de sa voix
exquise et tout le charme de son délicieux lalent; Taskin (disparu,
comme Talazac) représentait le comte de Charolais avec l'assurance et
l'aplomb d'un vrai chanteur et d'un excellent comédien ; et les belles
notes graves du superbe contralto de M"'u Engally faisaient merveille
dans le rô'e de Simone. Il est facile de comprendre la chaleur de l'ac-
cueil que le public de POpéra-Comique fit à une œuvre dont la valeur
était rehaussée par une telle interprétation.
Elle n'avait pas cependant reparu à la scène depuis sa création, et
c'est sans doute une heureuse idée qu'ont eue MM. Isola de la faire
entrer dans leur répertoire. Ils y ont été encouragés d'ailleurs par une
circonstance toute particulière. L'aimable créatrice du joli rôle d'Ar-
iette. M11"' Nicot-Bilbaul-Vauchelet, trop tôt retirée du théâtre, avait
une tille dont elle avait, fait l'éducation musicale et qu'elle destinait à
la carrière qu'elle-même avait parcourue avec tant d'éclat. Quelle meil-
leure occasion de la présenter au public que de lui faire interpréter ce
rôle qui avait été pour elle un véritable triomphe ? Et en effet, à vingt-
huit ans de distance, nous avons vu la fille succéder dans ce rôle à sa
mère, et renouveler le brillant et bruyant succès que celle-ci y avait
obtenu.
C'est qu'elle est charmante, cette enfant, et que son apparition a
■été, on peut le dire, un émerveillement pour le public. Avec son regard
timide et comme étonné, sa grâce juvénile, sa beauté délicate, ses
jolis cheveux blonds qui rappellent ceux de sa mère, avec sa voix cris-
talline, d'un timbre si pur et d'une si parfaite justesse, elle a produit
une impression profonde, mêlée tout ensemble de surprise et de plaisir.
C'est que si elle a sans doute encore à faire comme comédienne, bien
qu'elle soit loin de manquer d'adresse sous ce rapport, le talent de la
cantatrice est chez elle déjà complet et donne la preuve d'une facilité
et d'une habileté peu communes (je lui reprocherai même presque
trop d'habileté, pour cause de certaines cocotes dont, pour ma part, je
me serais bien passé, mais qui font pâmer les spectateurs). Mais il n'y
a pas dans son chant que de la virtuosité; il y a aussi de la grâce, de
la tendresse et de l'émotion, comme elle l'a montré dans la jolie mélo-
die : On croit à tout lorsque l'on aime, et dans son duo avec Jean. Le
public lui a su gré de ses qualités, mais où il a été transporté, il faut
bien, le dire, c'est en lui entendant chanter L'air du troisième acte :
Ah! reviens dans mon âme, air de bravoure et de virtuosité pure, où son
assurance, sa précision, sa crânerie l'ont fait applaudir à trois reprises
et acclamer par toute la salle. En résumé, la soirée n'a été pour elle
qu'un long succès.
Jean de Nivelle, c'est ici M. Devriès, qui a fait un tour de force en
apprenant rapidement ce rôle si important qui devait être joué par
M. Soubeyran. malade au dernier moment. Il y a déployé de bonnes
qualités, en dépit de la hâte avec laquelle il a dû se familiariser avec
le personnage, et il y sera meilleur encore lorsqu'il sera plus sûr de
lui. Le comte de Charolais est représenté par M. Boulogne, à qui l'on
souhaiterait un peu plus de distinction, mais qui est doué d'une bonne
voix, qui sait chanter et qui tient suffisamment la scène. Mme Geor-
giadès, qui est chargée du rôle de la pseudo-sorcière Simone, a obtenu
un gros succès en disant d'une façon farouche la ballade de la Mandra-
gore, dont le caractère convient parfaitement à sa voix. Et sous le cos-
tume de la belle Diane de Beautreillis nous avons retrouvé MllB Ti-
phaine avec sa jolie voix, son habileté de chanteuse et sa parfaite
aisance de comédienne. Quant aux deux bouffons de la pièce, le baron
de Beautreillis et le sire de Malicorne, ils sont personnifiés à souhait
par MM. Désiré et Larbaudière. L'ensemble, en résumé, est très satis-
faisant, et parfois excellent. Il me semble que l'honneur doit en revenir,
au moins pour une part, au chef d'orchestre, M. Amalou, dont la
direction est très précise, très sûre, et qui a son personnel bien dans la
main. La mise en scène est très soignée, et l'exécution générale de la
belle partition de Delibes ne laisse rien à désirer. Arthub Pougix.
Vaudeville. La Maison en ordre (His House in order), comédie en 4 actes, de
M. Arthur Pinero, traduction de MM. Bazalgette et Bienstock. — Cojiéme-
Fbançaise. Le Bon roi Dagobert, comédie en i actes, en vers, de M. André
Rivoire. — Cluky. La Revue de Cluny, 3 actes et 10 tableaux, de
MM. Paul Ardot et Albert Laroche. — DÉJAZET. Mossieu le Maire, pièce
en 3 actes, de M. G. Stoskopf, traduction de M. J. La Rode.
C'est, eu un espace de temps relativement court, la seconde pièce de
M. Pinero que l'on joue à Paris, la première était la Seconde Madame
Tanqueray représentée à l'Odéon ; et, comme nous somn e géni ralé-
meni peu portés & aller chercher notre bien dramatique à r
notre production, tout à fail abondante, suffisanl plus qu'amplement à
notre intellectuelle consommation, l'on se doit de recheiv|j,-r par quelles
qualités très particulières M. Pinero a pu ainsi forcer, par deux Ibis. des
frontières si difficiles a franchir. El l'on cherche, et, âtrès franchement
parler, l'on ne trouve pas grand'chose. Ceci n'est point pour dire que
M. Pinero soit sans talent, car il en a; mais eu a-t-il sensibli ment plus,
ou seulement autant que nus raiseuis modernes? La t<
ciale dont il semble jouir, en ce moment, auprès de nos directeurs pari-
siens vient-elle simplement de ce que, connaissani pa
compatriotes, il nous initie très scrupuleusement a leurs petits travers
qui ne sont point absolument semblables aux nôtres. C'est don
il apparaît que M. Pinero, peintre.de mœurs, très grandement et très
justement applaudi chez lui, nous laisse assez froids, de par la froideur
même desdites mœurs. Alors ? Explique qui voudra, ou qui p aura.
La Maison en ordre, c'est l'histoire d'une seconde madame Tanqueray...,
pardon d'une seconde madame .Tesson, qu'un martyrise stupidement
avec le souvenir de la première madame Jesson, qui était le modèle
de toutes lesvertus. Et lorsque cette seconde madame Jesson, \ raimenl
malheureuse, et injustement malheureuse, trouve par hasard la preuve
flagrante que la première madame Jesson trompait son mari sans
vergogne aucune, on est péniblement surpris du trop beau geste qui
l'empêche de tirer vengeance de ses bourreaux. Il est juste d'ajouter
que, à l'acte dernier, c'est le propre frère de Jesson qui. mis au courant
des frasques de la sainte toujours pleurée, remettra les choses a leur
vraie place en ouvrant les yeux de Jesson.
La Maison en ordre, qui ne nous apporte, en somme, rien de nou-
veau, qui s'affirme comédie plutôt prolixe en ses tableaux de mœurs
anglaises qu'il nous faut faire trop grand effort pour essayer de nous
assimiler, mais qui révèle, surtout en sa dernière partie, d'heureuses
qualités dramatiques, la Maison, en ordre est supérieurement jouée par
M"" Marthe Régnier et par M. Lérand. A tout ce que l'on lui connais-
sait déjà de joliesse, de vivacité, de tendresse, de charme et dejuvéni-
lifé, Mme Marthe Régnier vient encore d'ajouter l'émotion pathétique,
et c'est un grand pas en avant, dans une carrière déjà si heureuse, que
la remarquable artiste vient de faire.
Il est poète, le Bon roi Dagobert de M. André Rivoire. il est poète
comme M. André Rivoire lui-même, que le théâtre vient de tenter et
qu'il vient de conquérir à force d'amabilité, de gentillesse, de légèreté
et d'exquis sans-façon. Mais oui, de sans-façon; et quelques vieilles
barbes ou quelques jeunes rasés en ont bien poussé les hauts cris,
oubliant qu'ils étaient dans la Maison de Molière où. franchement,
l'on peut bien avoir le droit de rire de loin en loin.
11 est poète, Dagobert. il est aussi jeune, mince, petit, et, suivant la
légende, étourdi, puisque dès sa première entrée il a « mis sa culotte à
l'envers » ; il aime la chasse, la nature et les jolies personnes, et cela
jusqu'à la plus notoire inconstance. Or, son royaume est en assez
mauvaise posture financière et le bon Ëloi, son premier ministre, n'a
rien trouvé de mieux, pour ramener quelques monnaies d'or dans les
coffres nationaux, que de faire épouser à son royal et volage patron
une princesse espagnole confortablement dotée.
La voici précisément, avec toute sa cour, lapetite princesse étrangère,
et naturellement Dagobert, qui a oublié qu'on le mariait, n'est point là
pour la recevoir, ce qui indiffère complètement à la jeune personne,
car, entiché d'un sien cousin laissé par delà les Pyrénées, elle veut se
garder tout entière pour lui. La situation serait assez compliquée si
l'astucieux Eloi n'était là. Tous ne voulez pas, madame, devenir
Mmt' Dagobert. Soit ! Vous ne le serez que de nom pendant un. laps de
temps suffisant pour que nous encaissions la forte somme et que, sans
faire trop jaser les puissances voisines, on puisse vous convenablement
répudier. Vous serez reine des France le jour, et... la nuit une autre
prendra votre place. Le roi ne s'y trompera pas, objectez-vous. Si,
madame: car on lui expliquera qu'un oracle lui interdit, sous peine de
mort, d'allumer quelque lumière que ce soit en votre présence. Et il se
trouve précisément là une mignonne esclave. Nantilde, qui adore le.
roi et qui, par dévouement, accepte le rôle de remplaçante.
Vous pressentez le quiproquo, qui gagnerait à être un peu condense :
Dagobert. tout à fait pris par Xantilde, n'arrive pas à comprendre pour-
quoi la reine est si délicieusement amoureuse la nuit et si vilainement
désagréable le jour, jusqu'au moment où la dame jalouse de l'esclave
veut reprendre tous ses droits et tous ses devoirs d'épouse. Les deux
femmes se trouvent donc, de nuit, dans la chambre nuptiale, et, la lune
pénétrant par un rideau mal joint, dévoile la supercherie. Le bon
Dagobert se fâche: l'espagnole sera chassée. Eloi sera pendu, Xan-
tilde sera pendue, tout le monde sera pendu ! Cependant ne vous
324
I'] MÉNESTREL
effrayez pas d'un dénouement tragique. Le bon Dagobert réfléchit que
l'Espagne va évidemment lui déclarer la guerre et qu'il a plus que
jamais besoin des lumières du fidèle Éloi. Il lui fait grâce, et Éloi,
qui, lointain ancêtre de notre doux Failières, n'a jamais voulu laisser
pendre personne, fait cacher Nantilde dans un couvent.
Dagobert et Éloi guerroient. Dagobert. au lieu de poursuivre les
ennemis, se laisse aller à chasser les biches qu'il rencontre sur la
grande route et l'une d'elles le conduit au couvent où Nantilde pleure
les douces nuits envolées. Le roi, qui n'a cessé, lui aussi, de penser
aux mêmes délicieuses heures nocturnes, tombeaux pieds de l'aimée —
il est devenu constant sans cesser d'être étourdi, puisqu'il remet son
casque à l'envers.
Le Bon Roi Dagobert, que la Comédie-Française a monté avec beau-
coup de soins et trop de sérieux, peut-être, a trouvé en M. Leloir. Eloi,
un interprète de tout premier ordre, tout à la fois fantaisiste et tin,
en M"e Leconte, une idéale Nantilde, en M. Georges Berr, un charmant
Dagobert, etenMmePiérat,une délicate princesse, qui ont heureusemeut
aidé au succès de l'œuvre charmante de M.André Rivoire,qui fera, avec
quelques coupures obligatoires, un tout à fait joli livret d'Opéra-Comique.
Cluny vient de nous donner sa Revue annuelle, et comme elle est
signée des mêmes très adroits auteurs que celle de l'année dernière,
MM. Paul Ardot et Albert Laroche, que les couplets en sont, pour la
plupart, tout à fait bien venus, la mise en scène fort soignée, l'esprit
très parisien, les interprètes jolies du côté féminin, adroits du côté mas-
culin, il n'est aucunement téméraire d'annoncer qu'en voilà pour de
très longs soirs. Les clous? Le prologue « aux Folies-Bergeronnettes » se
passant dans le monde des oiseaux — oh! fantomatique Chantcclair ! —
les couplets sur les meubles chantés par Mlie Crisafulli, le final de la
Bonbonnière, sur la valse célèbre du Chevalier d'Eon, enlevé joliment
par la fine Mllc Gaby Boissy. le rondeau du cocher d'omnibus, qu'on
bisse à M. Bemongin, l'impayable chanson de la garde-barrière qui
défend les piétons contre les autobus et qui vaut un gros succès à
Mlle Haimard, et la scène à la cour du roi Pataud, magistralement
enlevée par M. Victor Henry. Et la petite troupe, très renforcée pour Ja
circonstance, est menée à la victoire par M"e Andrée Darcy et M. Ville,
commère et compère.
Déjazet a désaffiché Tire -au- flanc pour réafficher Mossieu le Maire,
dont on se rappelle l'agréable réussite, il y a quelques années. Reprise
très soignée avec ses amusants détails d'intérieur alsacien. M. Gabriel
Frère et M™ Paule Rolle jouent avec énormément d'adresse « le Mai re »
et Grelhel, et M"0 de Massol a, dans le. rôle de Marie, été tout à fait
charmante de jeunesse et d'ingénuité.
Paul-Emile Chevalier.
Gymnase. — Le Petit Fouchard, comédie en trois actes de MM. Charles Raymond
et André Sylvane.
Notre histoire se passe dans une villa de petite ville où tout le monde
est atteint d'une douce folie, qui pousse à l'exagération ou dans le bien
ou dans le mal. Il semble que nous soyons tombés dans les limbes de
l'enfance, et, en vérité, nous y sommes bien réellement. Il y a décidé-
ment trop de marmots ici, trop de berceaux, trop de peu plaisants inci-
dents de la vie des nourrissons. Voici les faits. Le gendarme alsacien
Holzapfel a séduit, avec effraction de haies vives, la jeune et naïve Mélie,
cuisinière du ménage Misseron. Sommé de réparer sa faute, il s'y refuse,
et dès lors, jusqu'à la fin de la pièce, il réjouira les spectateurs par sa
monumentale canaillerie. Entièrement de la même trempe au point de
vue moralité, le facteur Fouchard flaire là une bonne aubaine pour lui.
Il offre d'épouser Mélie, s'imaginant que l'enfant qu'elle porte a été conçu
des œuvres de Misseron, et comptant bien, grâce à la paternité qu'il en-
dosse, pouvoir pratiquer un magistral chantage auprès de celui qu'il
croitètrele séducteur. Mais, comme nous le savons, Misseron n'a séduit
personne; c'est par pure bonté pour Mélie que lui et sa femme ont
voulu la marier. Ils l'ont dotée par surcroit, ont pris dans la maison son
mari comme jardinier, et, l'enfant étant venu au monde, l'ont choyé,
s'y sont attachés comme s'il eut été le leur et ont décidé de l'adopter
plus tard. Se voyant si bien en faveur, Fouchard traîne au nez de ses
maîtres sa fainéantise et son insolence goguenarde, menaçant de partir
avec l'enfant dès qu'on lui adresse la moindre remontrance. Cela lui
réussit très bien. Las de ces alertes qui troublent sa femme, Misseron
assure à Fouchard une rente de L200 francs, pourvu qu'il consente à
ne pas emmener le « petit » loin de la maison.
Ce petit Fouchard, qui dort béat en son berceau, est déjà bien encom-
brantpour le spectateur; mais voici venir le couple Merlinval, neveu et
nièce du ménageMisseron. Ils viennent d'avoir un bébé qu'ils offrent ravis
à l'admiration de leur tante. Naguère on manquait d'enfants à la villa ;
en voici deux maintenant, et comme c'est d'héritage et non de tendresse
qu'il s'agit, Fouchard et Merlinval font assaut de vilenie. Cette lutte
deviendrait épique sans doute, si une Providence avisée ne mettait un
.aux calculs intéressés de la manière la plus imprévue. Bien qu'âgée de
quarante-cinq ans, MmG Misseron, dont le mariage avait été vingt ans
stérile, se réveille enceinte un beau matin. Les donations faites tombent
pour survenance d'enfant ; Fouchard n'a plus qu'à bien se tenir s'il ne
veut pas être jeté à la porte, et Merlinval aussi devra déchanter, car les
Misseron sont résolus à ne plus aimer d'autre enfant que le leur. Ainsi
tous nos personnages sont rappelés à la pudeur et aux convenances, à
l'exception toutefois du gendarme Holzapfel, incurable, celui-là.
M. Dumény l'a personnifié dans une note comique très bien saisie. Loin
d'en faire un fanfaron d'effronterie, il le présente comme un être pourri
de gloriole et de fatuité, qui se carre et s'admire au moment où le mé-
pris public devrait l'anéantir. M. Dubosc est naturel et simple en Misse-
ron; M. Matrat a dû charger quelque peu son rôle de Fouchard; sonimpu-
dence révolte et désarme à la fois, car elle amuse autantqu'elle indigne.
M"10 Henriot a de la tenue ; ses manières sont douces et sympathiques ;
elle est exactement dans la tonalité de la pièce. MUc Sandry est une cui-
sinière alerte et coquette; elle a mêlé à cette comédie un peu fade une
nuance de fraîcheur agréable. MUe Frévalles,, sortie du Conservatoire cet
été, s'est montrée élégante etsveltesous un joli costume, en représentant
Mme Merlinval. En somme, excellente interprétation d'un ouvrage un
peu faible dont la place n'était pas exactement au Gymnase.
Amédée Boutahel.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour les seuls ABOMVES \ LA husique)
Et voici notre ami Berger avec une nouvelle mazurka : La Friponne, d'une allure
très franche. Si cette Friponne unit par réussir dans le monde de la danse, elle est
si fine et si accorte qu'on ne pourra pas dire, malgré le titre qu'elle emprunte, que
ce soit là un succès volé.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (8 octobre). — Le premier mois de la
nouvelle campague théâtrale, à la Monnaie, s'est achevé brillamment. Tout
fait prévoir un hiver des plus intéressants, avec une troupe qui, tout de suite,
s'est affirmée une des meilleures que nous ayons eues. Je vous ai dit l'admi-
rable reprise de Lohengrin, reconstituée si artistiquement. Une autre reconsti-
tution, également pleine d'intérêt, a été celle àeiMireille, que MM. Guidé et
Kufferath nous ont rendue dans sa version primitive, celle de la toute pre-
mière représentation de l'ouvrage, en 1864. Au tableau du Rhône, déjà rétabli
depuis quelques années, ils ont ajouté tout le reste qui, après cette première
soirée, avait été également supprimé, notamment le tableau où reparait
Ramon avec Vincenette, et où les chœurs chantent une chanson à boire et les
enfants un gentil compliment de fête. De plus, Mireille, à la fin, meurt comme
dans le poème de Mistral : le miracle est supprimé et le mariage aussi!
L'œuvre a gagné ainsi en logique, en unité, et le succès a été d'autant plus
vif que l'interprétation, confiée à Mlle Lily Dupré, dont on a accueilli le début
avec chaleur, M1,es Symiane et Eyreams, MM. Saldon, Billot et Bourbon, sans
oublier l'orchestre, est tout à fait excellente. Nous avons eu aussi une très
belle reprise de Guillaume Tell, avec le retentissant ténor de l'Opéra,
M. Jaume ;M. Lestelly, remarquable Guillaume ; Mlle de Tréville, etc. Le chef-
d'œuvre de Rossini a remporté une victoire complète. Les wagnériens eux-
mêmes (mais y a-t-il encore des wagnériens ?) y ont souscrit avec un généreux
enthousiasme. Le fait est que ce diable de Rossini n'a pas cessé d'être jeune.
Quand il prédisait que la postérité sauverait de l'oubli le Barbier de Sêville
tout entier et le 2e acte de Guillaume Tell, il était vraiment trop modeste ; il
aurait bien pu ajouter un acte ou deux. — Enfin, nous avons eu les débuts de
Mlle Achansky, dont je vous parlais l'autre jour, dans Faust ; la personne est '
jolie, la voix sympathique et l'artiste pleine de qualités. Lakmë, Carmen (avec
M110 Friche, remplaçant Mm,: Mazarin. résiliée), le Chemineau, Cavilleria rusli-
ai-.a, etc , ont fourni, avec les précédents ouvrages, des soirées excellentes, et
l'on nous promet, pour cette semaine, une reprise de Slarie-Magdeleine, qui
obtint tant de succès à la fin de la saison dernière. — Tel est le bilan de la
quinzaine dernière. Prochainement suivront : Iphigénie en Aulide, Orphée, la
Juive, Siegfried, l'Attaque du Moulin, le Pardon de Ploërmel, en attendant Monna
Vanna, qui sera la première nouveauté de la saison, précédant la Sainte-
Catherine d'Alexandrie, de M. Edgar Tinel. Le ballet a remporté, de son côté,
un succès marqué avec la Smylis de M. Léon Du Bois, qui n'avait plus été
LC MENESTREL
323
joué depuis douze ans, et dont la partition est une des plus remarquables
qu'ait produites la jeune école musicale belge. Lundi prochain, première du
ballet inédit de M. Georges Lauveryns : Quand les chats sont partis... On ne
saurait, vous le voyez, être plus éclectique, ni montrer, avec un beau souci
d'art, plus d'activité. L. S.
— Les concerts du Conservatoire de Bruxelles doivent rouvrir dans quel-
ques semaines, sous l'ordinaire direction de M. Gevaert. L'éminent directeur
a décidé de mettre à l'étude, pour le faire entendre dans la première séance,
Samson, l'un des oratorios de Haendel les moins connus du public actuel,
bien qu'il renferme des pages d'une incomparable puissance. C'est à peine
après avoir terminé le plus admirable de ses chefs-d'œuvre, te Messie, que
Haendel commença à écrire Samson sur un texte emprunté au poème de Mil-
ton. Sa partition fut terminée le 12 octobre 1742, et l'ouvrage fut aussitôt
exécuté, avec un énorme succès, dans les superbes séances d'oratorios que
Haendel donnait alors au Ihcàtre Covent-Garden de Londres. On assure que
Samson n'a jamais encore été entendu à Bruxelles.
— Il y a des grâces d'état. Un journal belge nous fait savoir que M. Edouard
Félis, le fils du célèbre auteur de la Biographie universelle des Musiciens, qui
est âgé aujourd'hui de quatre-eingt-seize ans, n'en continuera pas moins, au
cours de la saison qui va s'ouvrir, d'écrire le feuilleton théâtral de l'Indépen-
dance b'Ige, comme il le fait depuis si longtemps. M. Edouard Fétis est né en
effet à Bouvignes le 16 mai 181b2. C'est là, peut-être, un exemple unique dans
l'histoire littéraire. Il n'est pas inutile sans doute de faire remarquer que Fétis
lui-même, lorsqu'il mourut à Bruxelles le 26 mars 1871, avait accompli la
veille sa quatre-vingt-septième année.
— Depuis quelques années, on jouait à l'Opéra de Vienne moins de ballets
qu'autrefois, et presquejamais ni le directeur du théâtre, ni le premier kapell-
meister ne daignaient diriger eux-mêmes les représentations d'oeuvres de
celte catégorie. M. Félix Weingartner prétend changer cet état de choses. Il
conduira personnellement l'orchestre pendant la première représentation du
ballet de Cendrillon dont M. Bayer a terminé la partition laissée inachevée par
Strauss.
— Dépêche de Vienne : M. Félix Weingartner vient de diriger, à l'Opéra
de la Cour, devant une salle des plus élégantes, Aschenbrœdel (Cendril-
lon), le ballet posthume de Johann Strauss. Asehenbrœdcl n'était pas entière-
ment terminé quand Johaan Strauss vint à mourir. Le manuscrit a été mis
au point par M. Joseph Bayer, qui a su, non sans adresse, s'assimiler la ma-
nière du plus populaire des compositeurs viennois. Le public a acclamé aussi
bien l'œuvre posthume de son auteur favori que M. "Weingartner, qui a
tenu à honorer la mémoire de Strauss en dirigeant lui-même un ballet —
spectacle qu'on n'a plus vu à Vienne depuis de nombreuses années — et qui
a conduit les valses intercalées dans la partition avec un brio que n'eût pas
désavoué le « roi de la valse » que fut Johann Strauss. — Elektra, de M. Ri-
chard Strauss, sera jouée à l'Opéra de la Cour immédiatement après la pre-
mière de Dresde.
— De Budapest : Un attentat vient d'être commis sur Mme Emilie Markus,
la grande tragédienne du Théàlre-National hongrois. Une habilleuse, ren-
voyée par la direction du Théâtre-National, et qui attribuait à tort son renvoi
à Mme Markus, s'est introduite dans l'appartement de celle-ci au moyen de
fausses clefs, s'est cachée dans une armoire et, une fois seule avec M me Markus,
a tiré sur l'artiste un coup de revolver. La tragédienne s'est évanouie et est
tombée sur le parquet. Croyant l'avoir tuée, l'habilleuse a tourné l'arme contre
sa poitrine et s'est blessée mortellement. Mme Markus, qui est belle-mère du
célèbre ténor de l'Opéra de la Cour de Vienne, M. Schmedes, est restée in-
demne. La balle n'a fait que traverser son peignoir et est allée se loger dans
le mur.
— De Berlin : Un, rédacteur du Tag est allé interviewer M. Richard Strauss
dans sa villa de Garmisch, dans la Haute-Bavière, et lui a demandé où en
est Elektra, le nouvel opéra de l'auteur de Salomé, dont la première représen-
tation aura lieu, au mois de janvier prochain, à l'Opéra de la Cour de
Dresde.
Eteldra, a déclaré'M. Richard Strauss, est entièrement terminée. Je suis en train
de corriger les épreuves de la partition. Je ne sais pas encore quelle sera la canta-
trice qui chantera le principal rôle, mais je suis complètement d'accord avec M. von
Hulsen, intendant général des théâtres de la Cour de Ber. in, pour faire jouer mon
œuvre d'abord à Dresde.
» J'acquitte, en agissant ainsi, une dette de reconnaissance vis-à-vis de l'Opéra de
la Cour de Dresde, qui, le premier, a eu le courage de jouer mon opéra Feuersnot,
et de monter ensuite ma Salomé. Et puis, à Dresde, on ne connaît pas la surexcita-
tion et l'esprit de parti qui accompagnent toujours à Berlin la première représen-
tation d'une œuvre nouvelle. A Dresde, le public est plus calme.
» Â, l'Opéra-Royal de Berlin, Elektra sera jouée au mois de février sous la direction
de M. Léo Blech. Je viendiai prochainement à Berlin pourdiriger le premier concert
symphonique de l'orchestrd royal. Car, bien que je sois en congé, comme kapell-
meister de l'Opéra, jusqu'au 1" septembre 1909, j'ai encore à diriger le mois pro-
chain pendant vingt-deux jours à l'Opéra-Royal. Pendant ce temps, je préparerai,
avec M. Léo Blech, les représentations berlinoises d'Elektra.
M. Richard Strauss restera donc éloigné pendant un an de l'Opéra-Royal.
Il ne sera pas inactif pendant ce temps. Il dirigera d'abord des concerts sym-
phoniques en Russie et en Italie. Il fera également une tournée de concerls
avec sa femme, qui est une de ses meilleures interprètes. Il viendra ensuite à
Paris, où le Grand-Opéra s'est assuré le droit de première représentation en
langue française d'Elektra. Ajoutons que M. Richard Strauss travaille déjà à
une nouvelle partition. Il s'agit, celte fois, d'un opéra-comique dont le livret lui
sera également fourni par M. Hugo von Hofmanntthal, l'auteur du drame
dont est tiré le livret d'Elektra.
— Une revue allemande, die Musik, vient de publier deux Polonaises iné-
dites de Chopin, dont la première, dit-elle, fut écrite par le grand pianiste a
l'âge de neuf ans. La seconde, qui est aussi nne ceuvri de jeunesse, est déjà
beaucoup plus caractéristique. De celle-ci on no possède pas l'original, mais
seulement une copie de la main d'Oscar Kolberg, un ami d'enfance
Chopin.
— Aux concerts Gtirzcnich, de Cologne, on fera entendre, pendant la saison
prochaine, une symphonie en quatre parties de M. Waldemar von Kaussncrn,
qui porte ce joli titre : Jeunesse. Ce compositeur a déjà écrit un opéra en trois
actes, Der Bundschuh, qui fut joué à Francfort en 1904.
— M. Manen, le compositeur et violoniste bien connu, donnera l'hiver pro-
chain des concerts en Allemagne. On dit qu'il se servira pendant sa tournée
d'un violon de Stradivarius qui appartient à la couronne d'Espagne, et dont
la reine Isabelle avait attribué la jouissance à Sarasate, afin qu'il put en faire
usage sa vie durant. Ce violon sera prêté maintenant aux meilleurs virtuoses
de l'archet que possède l'Espagne.
— On a donné dernièrement à Christiania un concert dans lequel ont été
entendues exclusivement des compositions inédites de Grieg. Le programme
comprenait des chansons ou mélodies, des morceaux de piano et un quatuor
pour cordes.
— Une cantatrice américaine, M""' Charles Cahier, qui a fait partie de l'en-
semble de l'Opéra de Vienne en qualité de contralto, a raconté, dans une
lettre adressée à un journal américain, la visite qu'elle rendit récemment a la
veuve du célèbre compositeur Edward Grieg, à Bergen, en Norvège. « A la
porte spacieuse du jardin, écrit-elle, on me montra le grand arbre qui portait
l'inscription destinée à protéger le maître contre les tentatives indiscrètes des
fâcheux. Je lus ces mots : « M. Edward Grieg n'est à la maison pour personne
ii avant quatre heures de l'après-midi. » La précaution n'était pas superflue,
car, même quand il était malade, Grieg ne venait pas à bout de se préserver
entièrement des touristes. Mme Grieg, qui était revenue habiter la villa seule-
ment la veille du jour de ma visite, avait trouvé la maison toute garnie de
belles fleurs, mais elle ne réussissait pas à dominer sa tristesse, ayant toujours
dans l'esprit le souvenir du passé. On me conduisit dans la petite maisonnette
du jardin, au bord du lac. C'était là le « sanctuaire » où, comme on le sait,
Grieg écrivit un très grand nombre de ses compositions. Vis-à-vis de la porte
d'entrée il y avait une large fenêtre, et, devant cette fenêtre, une table mas-
sive, un petit fauteuil et un tabouret. On voyait sur cette table des porte-
plumes, des crayons, un flacon de colle, du papier buvard, des classe-feuilles
et beaucoup d'autres menus objets dont le compositeur avait coutume de se
servir. Rien n'avait été changé; on gardait l'impression que tout cela venait
seulement d'être abandonné. De chaque coté de la fenèlre se trouvaient des
rayons sur lesquels se rangeaient les partitions. Une tablette, près de la porte,
servait à entasser les manuscrits. Je demandai : « N'y a-t-il donc ici aucune-
» ment à craindre les voleurs? ». On me répondit : « Non, en Norvège, on ne
» vole pas. » Il y avait sur la table une feuille de papier, sur laquelle étaient
tracées les lignes suivantes : « Je vous permets d'emporter tout ce que vous
» voudrez, mais je vous supplie de ne pas toucher à mes manuscrits; ils n'ont
» de valeur que pour moi. » Cette phrase humoristique s'adressait-elle aux
voleurs que l'on avait déclaré ne pas redouter, ou bien aux touristes? Je
l'ignore, mais Grieg ne sortait pas sans laisser l'avis sur son buvard. Le reste
de l'ameublement de la pièce consistait en un sopha, deux chaises et un vieux
piano, dont le maître avait l'habitude de dire qu'il était encore assez bon pour
que l'on pût composer avec son aide. En traversant le jardin, nous arrivâmes
à l'autre bout où nous vîmes une plaque de pierre cimentée dans un ro.her
de cinquante pieds de haut que baignait l'eau du lac. Elle portait un simple
nom : Edward Grieg. C'est là, au milieu de la belle nature, que le maître
désira que ses cendres fussent déposées. En bas, deux ouvriers étaient occupés
à jeter dans le lac d'énormes pierres destinées à empêcher les barques d'abor-
der, car Grieg avait exprimé nettement sa volonté que nul ne pût troubler la
solitude de son repos. Telle fut ma visite de respectueux hommage ; mais avant
de partir, je disposai sur le rocher où était gravé le nom de Grieg une large
banderole aux couleurs américaines. » On pourrait peut-être juger bien
superflue cette dernière manifestation, car il est difficile d'admettre que Grieg
l'aurait tolérée; mais chacun admire le grand musicien dont s'honore la Nor-
vège comme il sait et comme il peut.
— Au point de vue de la musique dramatique, la Finlande avait été jusqu'à
ce jour complètement tributaire des pays étrangers. Il semble qu'elle veuille
s'émanciper sous ce rapport. En fait, elle vient de se livrer à un premier essai
qui parait avoir été très heureux. Dans un théâtre en plein air (!), à l'entrée
de la ville de Viborg, devant 10.000 spectateurs accourus de tous les points de
la Finlande, a eu lieu la première représentation d'un opéra intitulé Pohjan
neiio, dû à deux auteurs finlandais, M. Rytkonen pour les paroles, M. Oscar
Merikanlo pour la musique, et chanté exclusivement par des artistes finlan-
dais. Le succès a été, comme on le pense, colossal. La musique de cet
ouvrage a. dit-on, le sentiment mélancolique qui caractérise les races septen-
trionales, ce qui ne l'empêche pas de chercher et d'atteindre parfois les effets
les plus grandioses.
— A propos du brillant concert donné ces jours derniers à Lausanne par
M. Gabriel Fauré, concert dans lequel l'éminent compositeur a fait entendre
326
LE MÉNESTREL
jîusieurs de ses œuvres, outre autres sa belle sonate pour piano et violon,
nous trouvons dans la Vie musicale, journal qui se publie en cette ville, ces
détails curieux et intéressants :
Lausanne a bien changé depuis le jour où, en 1870, M. Gabriel Fauré y débutait
dans le professorat à l'Ecole Niedermeyer, dont il avait été auparavant l'élève.
-Pendant la euerre, dit le maître lui-même, notre directeur, M. Lefèvre, avait
transporté l'Ecole en Suisse, retournaut pour ainsi dire au pays de son fondateur.
Quand je dis qu'il avait transporté l'Ecole, c'est une manière de parler, car il fut un
instant tout seul. Il écrivit de droite et de gauche à ses anciens élèves et à ses
anciens professeurs. Après avoir servi à Paris dans un régiment de ligne, je me
rendis à son appel. J'étais tout fraîchement émoulu de l'Ecole et un peu anxieux
de mes débuts comme professeur... » L'institution avait trouvé asile dans une villa
à Cour, d'où les élèves montaient chaque semaine à la Cathédrale pour les leçons
d'orgue.. Le maître débutant eut pour premier élève M. André Messager, actuelle-
ment directeur de l'Opéra de Paris .. Lausanne a bien changé depuis le jour où, en
1894, M. E. Jaques-Dalcroze écrivait : .< ...à Lausanne (la ville musicale !), la superbe
sonate pour violon et piano, cependant exécutée par Eugène Ysaye d'une façon
incomparable, obtenait dernièrement un franc insuccès, le public causant ou
lorgnant la salle pendant l'exécution, et les journaux de la ville passant absolument
î'<Buvre sous silence dans leurs comptes rendus du concert, pour ne s'occuper que
de la mazurka de Zarzycki : la Gasette de Lausanne cependant daigna trouver la
sonate « assez originale »... Lausanne a bien changé, car le Tout-Lausanne musical
était réuni l'autre soir, 23 septembre, pour l'audition que M. Gabriel Fauré donnait
de ses œuvres, avec le concours de MM. H. Gerber (violon), F.-A. Bott (alto; et Tom
Canivez (violoncelle) et de M— Debogis-Bohy dont le superbe organe sait se plier à
tous leo genres, grâce à la probité et au rare vouloir artistique de la cantatrice. Le
programme était encadré par le quatuor en ut mineur et la sonate pour violon et
piano en la majeur avec, comme tout le soir du reste, l'auteur au piano. L'Elégie et
la Sicilienne pour violoncelle séparaient deux groupes de mélodies déversant sur
le tout leur lyrisme discrètement ému. Ecoutez ce Soir exquis d'Albert Samain :
Voici que les jardins de la nuit vont fleurir,
Lés lignes, les couleurs, les sons deviennent vagues ;
Vois ! le dernier rayon agonise à les bagues.
Ma sœur, n'enlends-tu pas quelque chose mourir ?...
et dites s'il ne fallait pas qu'en ce début du XX— siècle les arts jumeaux, poésie et
musique, se confondissent, s'il ne fallait pas que la musique se fit poésie, dans la
mesure même où la poésie se faisait musique ? A cela M. Gabriel Fauré, le magique
ëvocateur de sonorités nouvelles, fines et pénétrantes, aura contribué pour beaucoup
et c'est ce que le public de l'autre soir semble avoir senti ou compris... Oui,
Lausanne a bien changé.
— De Lausanne, M. Gabriel Fauré s'est rendu à Lucerne, où il a dirigé en
personne, au Kursaal, l'exécution de la suite d'orchestre de Pelléas etMélisande
et où il a accompagné au piano Mmc Jeanne Raunay faisant entendre, avec
son beau talent, quelques-unes de ses mélodies.
— M. H. Kling donne, dans le Journal de Genève, des détails iutéressants
soi le séjour que Richard Wagner fit, de 1866 à 1S72, dans la villa de
Triehschen, près de Lucerne. C'est dans cette villa, merveilleusement située
et faisant face au lac, qu'à peine installé Wagner reçut, le 22 mai 1S66, anni-
Tersaire de sa naissance, la visite de son ami le roi Louis II de Bavière, qui
Tenait le surprendre inopinément, sans s'être fait annoncer ni accompagner.
Cest là qu'il reçut encore d'autres visites, celles de Hans de Biilow, de Liszt
«t de Frédéric Nietzsche, alors son admirateur, dont l'admiration devait se
changer bientôt en une véritable haine. Et c'est dans l'église protestante de
Lucerne que Wagner fit bénir son mariage avec Mmc Cosima Liszt, épouse
divorcée de Han6 de Bùlow, le 23 août 1S70, par le pasteur Tschudi. Il y a
quelques années, on plaça sur la façade de la villa une grande plaque com-
nnémorative en marbre blanc avec cette inscription :
C'est dans cette .maison que Richard Wagner demeura
depuis le mois d'avril 1866 jusqu'ex avril 1872. C'est ici
qu'il termina les Maîtres Chanteurs, Siegfried, le Crépuscule
des Dieux, Beethoven, Kaisermarsch, Siegfried-Idylle.
«M-'Cosima Wagner, dit M. Kling, avait découvert à Triebschen, au milieu d'une
quantité de musique, la partition d'orchestre de la Hu/digitngsniarsch que Wagner avait
dédiée aurai Louis II- Elle résolut de lafaire jouer en guise d'aubade, à l'occasion de
l'anniversaire de la naissance de son mari. Elle s'adressa au directeur de la musique
de Lucerne, M. Gregor Lampart, lui demandant s'il pourrait transcrire lapartition pour
la musique d'harmonie et la faire ensuite exécuter à la date voulue. Le directeur
Lampart accepta avec empressement la proposition et se mit aussitôt à l'œuvre, qu'il
fit étudier soigneusement. M"" Cosima Wagner assista à plusieurs reprises aux répé-
titions, qui eurent lieu à la cantine de la caserne, donnant au chef de musique les
indications nécessaires pour l'exécution des mouvements et l'interprétation générale
de l'œuvre. Le Dimanche 22 mai, à l'occasion du 27' anniversaire de Wagner, par
une radieuse matinée printanière, la musique de Lucerne se rendit à Triebschen ;
sitôt que le maitru parut au bilcon, sur un signe de M",c Wagner, la musique en-
lonna la Huldigungsmarscli, pendant que les deux filietles nées du premier mariage,
Uaniella et Blandme de Bùlow, présentaient des bouquets de roses à Wagner. Vive-
ment ému et très touché de celte belle manifestation, le maître loua sans réserve
rimpeccable exécution de cette œuvre difficile et serra à plusieurs reprises la main
de l'excellent directeur de la musique lucernoise; puis, par lei soins du bon maitre
d'hôtel Jacob Slocher, il lit circuler des coupes remplies d'un vin généreux et trinqua
de bon cœur avec chacun des musiciens en particulier.
■»Au corps des pompiers de Lucerne, dont il avait admiré le travail et le dévoue-
mentau cours d'un incendie, Wagner dédia le 8 novembre 18S9 un chœur d'hommes à
quatre voix a cappella. Celte composition en sol majeur est formée de neuf mesures
avec deux changements dj miuvemeots et ont pour texte les paroles suivantes, qui
sont également de Wagner :
Le dévouement est notre but,
L'amour notre drapeau,
Lr vigueur notre devise,
Dieu notre suprême appui !
« Le 11 janvier 1870, -Wagner terminait l'esquisse faite au crayon du Crépuscule des
Dieux, et, le 5 février 1871, toute lapartition de Siegfried. Le 22 avril 1872, il quittait
Triebschen pour s'installer définitivement à Bayreuth.
— Le théâtre de Lucerne vient d'offrir à ses spectateurs la primeur d'un
ballet inédit, l'Horloge , dû à la collaboration de M. Saracco pour le scénario
et de M. Arturo Strutt pour la musique. Le jeune compositeur est un ancien
élève de l'école Sainte-Cécile de Rome, déjà connu très avantageusement en
celte ville comme violoniste et comme compositeur.
— On vient de tenter un effort sérieux pour améliorer la ventilation du
Queen's Hall de Londres. Un appareil installé dans une vaste chambre voi-
sine de l'emplacement réservé à l'orchestre aspire l'air du dehors, l'échauffé
ou le refroidit selon le cas pour qu'il soit à la température convenable et le
projette dans la grande salle de concerts. On peut ainsi obtenir 1.300.000 mètres
cubes à la minute et toute l'atmosphère du monument entier peut être renou-
velée en dix minutes. En ralentissant la marche afin d'éviter ou de réduire
au minimum l'agitation de l'air et le bruit, il est possible de changer tous les
quarts d'heure l'air de la salle. L'évacuation se fait au moyen d'aspirateurs
placés sous les galeries. Il parait que les chanteurs ont déclaré que ce procédé,
de ventilation leur permettait de maintenir en bonne disposition leur organe
pendant toute la durée des concerts. Le public, dj son côté, apprécie l'avan-
tage de n'avoir plus à respirer un air vicié.
— Le très fortuné compositeur de la Geisha, l'opérette qui a fait le tour du
monde, M. Sidney Jones, vient 4e donner au théâtre du Prince of Wales, à
Londres, un ouvrage du mémo genre, the Kiny of Cadonia, qui ne semble pas
devoir être moins heureux, car il a obtenu un succès complet. On en dit la
musique gracieuse, alerte et très vivante.
— Un journaliste américain, M. W.-J. Henderson, critique musical du
Sun, de New-York, montre moins d'enthou-iasme que les Allemands pour les
fameuses représentations dites modèles consacrées par le Residenztheater de
Munich aux œuvres de Mozart. M. Henderson, qui a assisté récemment a ces
représentations, fait, à la vérité, un grand éloge de M. Félix Mottl et de son
orchestre et loue aussi la mise en scène, mais il n'eu est pas de même des
interprètes, et selon lui la médiocrité des chanteurs allemands est aussi com-
plète que déplorable. Des exécutions vocales de ce genre, dit-il, ne seraient
pas supportées un instant à New-York, et ce n'est vraiment pas la peine de
faire à grands frais le voyage d'Europe pour assister à ces prétendues repré-
sentations modèles. Selon lui, les interprètes du célèbre trio des masques de
Don Juan sont au-dessous des moindres exigences et connaissent à peine leurs
rôles. Seule, M""-' Bosetti, qui joue Zeriine, est à peu près supportable ; quant
à donna Anna, « elle lutta constamment pour atteindre l'intonation juste: pas
une seule phrase de son rôle ne fut irréprochable, et elle se traînait, au mi-
lieu des rythmes élégants et charmants de Mozart, comme une paysanne qui
aurait voulu danser un menuet; je ne puis penser sans frémir à la façon dont
elle chanta le grand air du second acte. Quant à Elvire, elle fut plus déplo-
rable encore ». En fait, le critique ne trouve supportable que M. Feinhals,
Don Juan sans doute un peu lourd et trop bruyant, mais qui ne manque pas
de qualités, et il exprime le regret qu'on ne chame pas à Munich Don Juan
en italien « le texte allemand alourdissant cette musique adorable ». N'est-ce
pas Hans de Biilow qui a dit à ce propos : « Dans les œuvres de Mozart, mon
allemand bien-aimé me donne un désespoir de vingt-cinq carats. Tous les
mouvements sont ralentis ».
— La décadence de Wagner en Amérique. L'enthousiasme délirant qu'a-
vait soulevé là-bas la musique de Wagner commença à se refroidir, parait-il,
d'une façon singulière. C'est du moins ce que nous apprend un article de la.
Nord American Revint). S'il faut en croire ce périodique, les anciens wagné-
riens exclusifs ont changé d'idole et ne jurent aujom'd'hui que par Richard
Strauss et Debussy. Salomé et Pelléas et Métisande font pâlir la Tétralogie; les
wagnériens rationnels étudient, eux aussi, les écoles nouvelles, tandis que les
amateurs qui n'admiraient qu'avec de nombreuses réserves trouvent mainte-
nant que les défauts de la musique de Wagner l'emportent de beaucoup sur
ses qualités et qu'elle est souvent ennuyeuse. Enfin, les chanteurs eux-mêmes
se sentent fatigués d'être traités comme de simples instruments d'orchoslre
et s'efforcent de favoriser le mouvement de réaction antiwagnérien. Bref,
conclut l'auteur de l'article, « la musique de l'avenir est déjà la musique du
passé ». Qui sait s'il n'en sera pas bientôt de même chez nous.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Dans sa dernière séance, l'Académie des beaux-arts a fixé la date de sa
séance publique annuelle, qui aura lieu le samedi 7 novembre. M. Henri
Roujon, secrétaire perpétuel, doit don îer lecture d'une notice sur la vie et
les œuvres de Verdi. Nos jeunes artistes vont sans doute se regarder entre
eux à cette nouvelle et se demander : Qui ça. Verdi?...
— Le compositeur Théodore Gouvy, mort en 1898, était correspondant de
l'Institut, et à ce titre avait légué à l'Académie des beaux-arts une rente de
300 francs destinée à servir une pension de ce chiffre à uu musicien nécessi-
teux, et de préférence à un musicien d'orchestre. Par suite du décès de
M. Poulat. jusqu'ici titulaire de cette pension, l'Académie vient de l'attribuer
à un excellent artiste, M. Castegnier, ancien hautbois solo de l'orchestre de
l'Opéra-Comique. Né en 1826, M. Castegnier, qui est par conséquent âgé de
82 ans, avait obtenu au Conservatoire le premier prix de hautbois en 1843; Il
avait fait ensuite de sérieuses études théoriques, et le i novembre 1860 il faisait
exécuter sous sa direction, en l'église Sai:it-Eustache, une messe solennelle
LE MENESTREL
327
avec chœurs et orchestre qui était une œuvre remarquable et semblait pro
mettre un compositeur d'avenir. Malheureusement la maladie vint, dans toute
la force de l'âge, terrasser le pauvre artiste et briser sa carrière. L'Académie
des beaux-arts a été bien inspirée en lui attribuant la pension Gouvy. Chose
assez singulière, le précédent titulaire de cette pension, M. Poulat, né
en 1827, était aussi un hautboïste et avait obtenu un second prix' en 1849.
— MM. Isola frères, directeurs du Théâtre-Lyrique municipal ont dépêché,
mardi dernier, leur administrateur M. de Lagoanère près du conseil munici-
pal, pour demander le droit de relever d'uu franc le prix des places de loges
et de fauteuils d'orchestre, qui est actuellement de quatre francs. Après une
année d'expérience, ils affirment que les prix actuels qui leur sont imposés
'ne sont pas assez rémunérateurs, étant donnés les gros frais que nécessitent
'les représentations lyriques. Le tarif des autres places résinait le même
qu'aujourd'hui. Le président de la deuxième commission, M. Grébauval, a
répondu à MM. Isola que la question devait être préalablement examinée. Il
s'agit d'une modification du cahier des charges et seul le conseil municipal
peut la décider. M. Armand Massard a été chargé d'examiner les recettes et
les dépenses du Lyrique, de façon à juger si l'exploitation nécessite réellement
le relèvement réclamé par MM. Isola. Il déposera un rapport au début du
mois prochain. Souhaitons-le favorable. Car il convient de rendre justice aux
efforts de MM. Isola pour maintenir à Paris un théâtre lyrique, qui peut
devenir très utile. Ce petit surcroit de recettes pourrait aussi leur permettre
de renforcer un orchestre décidément un peu faible.
— A l'Opéra les représentations de Mlic' Marie Garden et de M. Renaud se
poursuivent triomphales, mais elles vont pourtant prendre fin par suite du
départ des deux remarquables artistes pour l'Amérique. Demain lundi
M"0 Garden chantera encore Roméo cl Juliette, puis mercredi Hanilet, avec
M. Renaud. Celui-ci donnera sa dernière représentation vendredi 21! dans
Rigolello et en voilà jusqu'au printemps, où Paris retrouvera ses deux artistes
préférés dans ces mêmes ouvrages et d'autres encore.
— Nous avons donné dimanche dernier le tableau des abonnements de
l'Opéra-Comique, tableau qui fixait les dates des trois séries. Voici mainte-
nant, rappelons-le, parmi quels ouvrages M. Albert Carré compte choisir ses
nouveautés : Solange, de MM. Aderer et Salvayre, Sanga, de M. Isidore de Lara,
Myrlil, de M. Ernest Garnier, Chiquito, de MM. Henri Cain et Nouguès, Leone,
de M. Samuel Rousseau, Noël, de M. Frédéric d'Erlanger, Macbeth, de
M. Ernest Bloch, Pierre le Véridique, de M. Leroux, On ne badine pas aeec
l'amour, de M. Pierné, le Cœur du Moulin, de M. Déodat de SévéracJ Un Matin
de Floréal, de M. Marcel Rousseau, Ping-Sin, de M. Maréchal, te Puits, de
M. Marsick, Dcnisetle, de M. Fijan, l'Heure espagnole, de M. Ravel, Messaonda,
de M. Ratez. Un joli programme, comme on voit, avec la quantité et la qualité.
Nous aurons aussi la Flûte enchantée avec une nouvelle traduction. (Pourquoi ?
celle de MM. Nuitter et Beaumont était excellente) et une de la Sapho de
Massenet avec un nouveau tableau. Peut-être encore quelques œuvres étran-
gères : Feuersnot, de M. Richard Strauss, Ib et Christine, de M. Leoni, Paillass-,
de M. Leoncavallo. Voilà donc une saison qui s'annonce remarquable.
— Spectacles de dimanche à l'Opéra-Comique : en matinée, Lakmé et Phi-
lémon et Baucis: le soir, jfonun. — Lundi, en représentation populaire à prix
réduits : le Barbier de Séville.
— M. Gabriel Dupont, qui a, pendant cet été, terminé la partition de la Glu,
écrite sur un livret tiré par M. Henri Cain du drame célère de M. Jean Riche-
pin, va se mettre à la composition d'un ouvrage très gai, la Farce du Cuvier,
dont M. Maurice Lena lui a remis les trois actes.
— MUe Castel, dont nous avons signalé les heureux débuts dans Paul et Vir-
ginie, au Lyrique de la Gaité, est élève de M. Delaquerrière..Un autre élève
de l'excellent professeur, M. Paul Franz, ténor, vient d'être engagé à l'Opéra
où on compte le faire débuter en janvier prochain dans Lnheugrm.
— On a mis en vente récemment, dans une collection d'autographes, une
lettre bien curieuse dans laquelle l'exquis pianiste qu'était Stephen Relier
portait un jugement singulier sur Liszt, jugement dont nous lui laissons,
naturellement, la responsabilité. Dans cette lettre, adressée à une amie et
datée du 23 juillet 1844, Heller s'étonne de l'influence exercée par le talent
de Liszt sur sa correspdnd.inte, qui n'a pu se soustraire à l'action du fluide
électrique qui jaillissait des mains du virtuose, et il dit : — « Aujourd'hui
vous semblez en être étonnée, l'ivresse et l'enthousiasme se dissipant peu à
peu. Pour moi j'avoue queje n'y comprends rien, absolument rien. L. [iszt] ne
m'a jamais touché, et certes je ne suis pas difficile à émouvoir par la musi-
que. Mais la main sur la conscience, devant Dieu et devant les hommes, je
déclare que j'ai toujours écouté Liszt avec la meilleure volonté de tomber en
syncope aussi bien que les deux tiers de l'Europe, et je n'ai jamais pu atteindre
qu'à un étonnement (modéré) pour la vitesse de tel trait et la hardiesse de
telle gamme en octave ou en double tierce. Mais quant à la grâce et la finesse,
Chopin en est le modèle inimitable, et encore se trouvé-telle dans ses ravis-
santes compositions, mérite que L. n'a pas et n'aura jamais. »
— Dans un remarquable article publiée par la Reçue des D'eux Mondes et
consacré tout entier à l'œuvre de Gevaért, le maitre Ch.-M. Widor, le com-
positeur dejo Korrigane et des Pécheurs, de Saint-Jean, établit de façon fort
curieuse et fort savante l'origine de la collaboration d'un musicien avee un
poète.
Dans l'antiquité, écrit-il, qui disait poète, disait musicien; vers et musique nais-
saient'du même cerveau'; fii "Eschyle, ni Sophocle, ni Euripide, n'auraient jamais
'soupçonné la possibilité d'Un l'illêrateur" et iTun musicien collaborant à la" mtme
ceuvee. Pour eux, littérature et composition, c'étai me mène
façade, symétriquement disposées par le mémi architecte. Pari i • même, c'était p»r
l' rr aile » musicale que commençai! la construction. En ■
fantaisies rythmiques de Pindare la coupe irrégulière du n b e-t-il pu
qu'il ait dû écrire sa musique tout d'abord, pins s'efTurcer
mots avec la ligne mélodique? Le dédoublemoni des fonction musicien
ne se fera que 3 ou 400 ans plus tard et non pa au pied lu P rna iu io l'Inde,
mais sur les bords du Tibre, quand Rome ayant conquis le territo
génie de la Grèce à son tour se sera emparé de l'âme latine.
menceront à s'adresser a des compositeurs pour la musique
Térencc et leurs successeurs.
— Au cours de la saison dernière, à Bordeaux, la direction du Grand-Théàlra
dut remplacer tous les musiciens d'orchestre à la suit' i 3ya-
dicat des musiciens. M. Montagne, chef d'orchestre, qui demeura, ■•
do diriger les nouveaux musiciens non syndiqués, lut mis a l'index par le
Syndicat. Or, le 2 juillet courant, M. Montagne intentait une action en
S.000 francs de dommages- intérêts, reprochanl au Syndicat de l'avoir mis i
l'index, d'avoir publié cette mise à l'index dans son Bulletin officiel, d'avoir
rendu impossible sa nomination à l'emploi de chef d'orchestre dans une im-
portante station thermale, et diminué le revenu de ses droits d'auteur, puis-
qu'on arrête l'exécution des morceaux de musique composés par IuL Le
tribunal mit la cause en délibéré. Le jugement a été rendu dernièrement, Le
Syndicat des musiciens est condamné à 300 francs de dommages- intérêts, à la
suppression de l'index, et à l'insertion du jugement dans les trois journaux de
Bordeaux, dans cinq journaux de Paris et dans l'organe officiel de la fédé-
ration des syndicats des musiciens. Le tribunal n'a pas retenu la qualité de
patron qu'on avait fait valoir contre M. Montagne.
— Certains annalistes italiens semblent s'être donné pour tache, depuis
nombre d'années déjà, d'élucider, par certains travaux forcément un peu secs,
mais cependant fort utiles, l'histoire de la musique et du théâtre non seule-
ment dans certaines contrées, mais dans certaines villes, parfois même peu
importantes et d'un intérêt artistique secondaire. Néanmoins, de l'ensemble
de ces travaux partiels, et en procédant du particulier au général, il résultera
une masse de documents jusqu'ici inconnus, qui permettront d'établir un jour
une véritable et sérieuse histoire de la musique en Italie, ouvrage dont nous
ne possédons même pas un simple sommaire et qui présenterait un intérêt
de premier ordre. Le comte OrlotT eut la prétention, il y a tantôt un siècle
d'offrir au public un ouvrage de ce genre dans l'informe compilation qu'il
publia en 1822 sous ce titre : Essai sur l'histoire de la musique m Italie, depuis
les temps les plus anciens jusqu'à nos jours. Outre qu'un tel travail était impos-
sible à cette époque par suite de l'absence complète de documents, ce noble
dilettante était parfaitement incapable de le mener à bien. Parmi les petites
monographies dont je veux faire ressortir l'utilité, il en est une qui vient de
paraître à Tivoli : L'arte musicale in Tivoli nei secoli XVI, XVII e XVIII, et
dont l'auteur, M. Giuseppe Radiciotti, a déjà publié plusieurs opuscules du
même genre sur Sinigaglia, Pesaro, Recanati, etc. Pour modestes qu'ils
soient, les écrits de cette nature ont, je le répète, plus d'importance qu'ils ne
paraissent, en ce qu'ils permettront à l'historien futur de s'appuyer sur des
données certaines pour établir les bases d'un travail général et sérieux. Ou
rencontre dans celui-ci non des notices, mais des notes intéressantes sur un
certain nombre de musiciens dont les noms ne figurent jusqu'à ce jour dans
aucun Dictionnaire biographique et qui sont pour la première fois mis en lu-
mière. A ce titre seul il mérite d'être signalé et encouragé, d'autant plus que
l'auteur, par les références qu'il accumule, inspire pleine confiance dans
l'exactitude des renseignements réunis et coordonnés par lui. A. P.
— L'excellent pianiste M. Edouard Risler va donner, dans le courant du
mois de novembre, une série de concerts en Suisse ; il se fera entendre le 10
à Berne, le 12 à Genève, le 13 à Montreux, le 14 à Lausanne, le 16 à Vevey et
le 21 à Neuchàlel.
— M. Maurice Dumesnil vient de rentrer à Paris après une très brillante
saison à Dieppe où son succès ne s'est point démenti une seule fois, tour à
tour remarquable interprète des grandes œuvres pour piano et orchestre ou
des classiques de la musique de chambre. M. Maurice Dumesnil se prépare à
faire à l'étranger une grande tournée de concerts.
— M. Armand Parent a organisé au Salon d'automne une série de quatre
séances de musique de chambre, dont la première a eu lieu hier vendredi, et
qui se continueront les vendredi 16, 23 et 30 octobre, a trois heures. Les pro-
grammes de ces séances offrent un intérêt particulier par la présence d'assez
nombreuses œuvres inédites ou peu connues. C'est ainsi qu'hier on a entendu
un quatuor d'Ernest Chausson et une sonate pour piano et violon d'Albert
Roussel (première audition) avec M. Parent et Mlle Dron. Les programmes
comprendront, le 16 : Quatuor inédit d'Edmond Malherbe, thème et variations
pour piano, inédits, de René Jullien (avec M. Dorivab, Les Familiers, de
M. Graviez; le 23 : Quatuor inédit de Claude Guillon, sonate de piano de
V. d'Indy (avec Mlle Dron), deux poèmes inédits de C. Pineau: le 30 : Qua-
tuor en sol mineur de G. Fauré avec piano, deux pièces pour -hautbois et
piano, de J. Rousse (avec M. et Mme Bleuzet), En forêt, œuvre nouvelle pour
piano, de P. Coindreau (avec M"e Selva), etc. Le quatuor Parent (Parent, Loi-
seau, Brun, Fournier) prendra part à toutes les séances.
— La question des chapeaux de ces dames continue à préoccuper les
théâtres, même en province. C'est ainsi que Rennes suit l'exemple de Paris-
M. Janvier, maire de cette ville, vient de prendre un arrêté par lequel il in-
terdit-report des chapeaux anx ■hrotenfrs T-Irstarta d'orchestre du théâtre. Lés
328
LE MÉNESTREL
dames ne pourront assister aux représentations théâtrales que nu-tète ou
coiffées de petits chapeaux. Cet arrêté a révolutionné le monde féminin à
Rennes.
— De Marseille : C'est avec Hérodiade que s'est effectuée la réouverture de
l'Opéra de notre ville. L'œuvre de Massenet a obtenu un accueil enthousiasie
du public marseillais. Elle était brillamment interprétée par MM. Jérôme,
Albers, Aumônier, Mmes Catalan et Hiriberry. M. A. Saugey, notre nouveau
directeur, avait habilement mis au point cette pièce, si difficile à monter. Les
décors et les costumes neufs, la mise en scène rajeunie, l'éclairage très réussi
que M. A. Saugey avait donné à Hérodiade font bien augurer de la nouvelle
direction.
— De Narbonne : Belle représentation à'Hérodiade, dans les arènes de notre
ville. M. Affre dans le rôle de Jean, M. Auber dans celui d'Hérode, Mlle De-
georgis, dans Hérodiade, et MUe Feltesse, dans Salomé, ont été chaleureuse-
ment applaudis.
— Aux Concerts- Colonne. Le comité de l'Association artistique annonce
que des concours pour admission à l'orchestre auront lieu, au Cbàtelet, aux
"dates ci-après : mardi 13 octobre, pour les places d'altos, violoncelles et con-
trebasses; mercredi 14 octobre, pour une place de hautbois. Se faire inscrire
au siège de l'Association, 13, rue de Tocqueville, de 9 à 11 heures ou de 3 à
5 heures.
— Cours et Leçons. — M»' Renée Richard, de l'Opéra, a repris ses leçons de
(liant, 8, rue d'Aumale. — M"" Jeanne Leclerc, de l'Opéra-Comique, a repris ses
cours et leçons de chant, 13 bis, rue des Mathunns. — M. Paul Seguy, a repris ses
cours et leçons, d'après la célèbre méthode de Faure, 93, rue Jouffroy. — M"' Marie
Henrion (Bertier), de l'Opéra-Comique, a repris ses leçons de chant et déclamation,
86, avenue de Yilliers. — L'école classique de la rue Pernety, dirigée par M. Ed.
Chavagnat, vient de rouvrir ses cours d'harmonie, solfège, chant, piano, violon,
diction. — M"" Virginie' Haussmann, l'éminente cantalrice et excellent professeur de
chant, a repris ses cours et leçons de chant, en français et italien. 8, rue de Milan.
— École de musique Galin-Paris-Chevé, 36, rue Vivienne. Réouverture des cours
et leçons particulières de chant, piano, solfège (M-' et M"" Amand Chevé), harmonie
et cours préparatoires aux examens de la Ville (M. Cools). — M"" Breton-Halmagrand
(4, rue du Marché Saint-Honoré) reprendra ses cours et leçons de piano le jeudi
15 octobre et les autres cours à partir du 3 novembre.
NÉCROLOGIE
La semaine dernière est mort à Prague, à l'âge de 85 ans, le pianir.te Jacob
Emile Hock. On dit que c'est le dernier des membres de l'Association des
Davidsbiïndler ou confédérés de David. Cette société, qui fut fondée, dit-on, .
autrefois par Mozart, avait pour but de mener une guerre à outrance contre
les Philistins de la musique. Plusieurs des œuvres de piano de Schumann
sont des allusions musicales à cette association, notamment la Marche des
Davidsbiïndler qui termine le Carnaval. Hock fut, en son temps, un virtuose,
de valeur. Il voyagea dans le monde entier et fut lié d'amitié avec Hanslick et
Brahms.
Henri Heugel, directeur-gérant-
L'Argus de la Presse, qu'un violent incendie avait détruit il y a plus de six mois, est
complètement réorganisé et réinstallé au Faubourg-Montmartre. L'Argus des revues,
publication spéciale, n'a jamais interrompu sa parution, quant à l'Argus de l'Officiel
et aux Archives de la Presse, l'un et l'autre fonctionnent comme par le passé.
EN VENTE, AU MÉNESTREL, 2 bis, RUE VIVIENNE, HEUGEL et Cie, ÉDITEURS — Propriété pour tous pats
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Opéra-comique eu 3 actes. Poème de EDMOND GOND1NET et PHILIPPE G1LLE
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MORCEAUX DÉTACHÉS PIANO ET CHANT
1. Chœur des vendangeuses 6
1 Us. Ballade de la Mandragore (M.-S.).' . . . 5
1 ter. La même, en sol (S.) 5
La même, chant seul 1
2. Mélodie: On croit à tout lorsqtifil'on aime (S.) o
2bis,. La même, en la bémol (M. -S.). ...... 5
2 ter. La même, en sol (C). o
La même, chant seul 1
3. Duo : Le rossignol et la fauvette (C, S.) . G
5. Couplets de Jean de Nivelle (T.) .... 5
ot'is. Les mêmes, pour baryton 5
Les numéros 1 bis, 2, 11,
6. Duo : Eh bien! douce Ariette (T., S.) . . 7 50
7. Couplets du joli berger (B.) • 5»
T bis. Les mêmes, en sol (T.) 5 »
S. Ronde : Avoine, folle avoine (S.) .... 5 »
10. Couplets : Se consoler! (C.) . 5 »
lOtis. Les mêmes, en fa mineur (S.) 5 »
11. Fabliau : Dans le moulin (S.) 7 50
11 lis. Le même, pour mezzo-soprano 7 50
12. Duo de la Mandragore (T., S.) 7 50
14. Chant de guerre : La gloire est là (T.) ... 6 »
15. Strophes : Que me font leurs chan's'/ (C). 5 »
151»s.
16.
16 bis.
17.
17 bis.
17 1er,
18.
ISbis.
19.
19bis.
21.
»e(S,)
18 et 19 sont publiés avec accompagnement d'orchestre pour les
Les mêmes, en sol (S.) . .
Couplets de la bataille (S.) .
Les mêmes, en la (M. -S.).
Aird'Arlette : Ah!reviensdar,s
Le même, en sol (M.-S.). . .
Le même, en fa (C.) .
Romance : // es( jeune, il est amoureux. ( B.)
La même, pour téoor
Stances de la Bannière (T.) . . .-. . .
Les mêmes, en mi (B.) ........
Duo : Fuyez!Tristanestsurvospas(S:,T.)
concerts (en location).
5 »
5 »
5 »
7 50
7 50
7 50
TRANSCRIPTIONS POUR PIANO
Marche-prélude 5 » | Marche entr 'acte
Anschutz . . Bouquets de mélodies, 2 suites, Battmann . . Fantaisie facile
chaque 7 50 I Bull. . . . Les silhouettes n° ls . .
P. Baruot . Souvenirs 7 50 Croisez. . . Fantaisie mignonne. . .
Battmann. . Les succès modernes n° 20. ... 5.» I G. Lange . . On croit à tout, transcripli'
Marche française 2 5')
Neustedt . . Ballade de la Mandragore ... 6
Tkojelli . . Les Miniatures n° 1 (la ïandrajore). 3
— . . Les Miniatures n° 6 (mélodie et
marche) 3
Renaud me Vilbac. Deus suites concertantes, à quatre mains, chaque.
Waldteufel. La Mandragore, suite de valses 6 » | Deransart. Polka
TRANSCRIPTIONS POUR ORCHESTRE ET INSTRUMENTS DIVERS
Marche -entr'acte, partition d'orchestre, net. ... 5 »; parties séparées, net. ... 5 »; chaque partie supplémentaire, net . .
Bonnelle . . Fantaisie pour harmonie, parti-
tion net
Parties séparées, chaque, net.
Ch.Dancla . Fantaisiebrillante, t,'ioH)n, piano
Deransart . Polka pour orchestre, net . . .
Glnin . . . Airs pour //ù/c seule .6
— ... Fantaisie ^our. flûte et piano . . 9
Guilbaut . . Airs pour cornet seul 6
A. HermaiNN. Soirées du jeune violoniste n° 8,
violon et piano 9
A. Hermann. . Soirées du jeune flûtiste, n° S,
flûte et piano 9
P. Taffanel. . Fantaisie, flûle et piano .... 9
E. Waldteufel La Mandragore, valse. orchestre,
S. — (Enrr,. LnrilWi;
Samedi 17 Octobre 1908.
4047. - 74e AWÉE. - V 42. PARAIT TOUS LES SAMEDIS
(Les Bureaux, 2bl", rue Vivieiuie, Paris, u-w)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
STREL
lie fluméFo : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henkj HEUGKL. Directeur
lie Numéro : 0 fr. 30
Adresser franco à M. Henri IlL'UGEL, directeur du Ménestrel, 2 6ts, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Boas-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste ea sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (34' article), Julien Tiersot. — II. Une famille de grands luthiers italiens : Les Guai-nerius I i l" article), Arthi r Potion
III. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique ae chant recevront, avec le numéro de ce jour :
CHANSON AU BORD DE L'EAU
d'ERNEST MoREr. — Suivra immédiatement : Dormons parmi les lys, de
.1. Massenet.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
VALSE-BALLET
d'ALRKRT Landry. — Suivra immédiatement : D'un pas léger, marche dp
P. Bades.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
(1714-1774)
CHAPITRE Yin : Cinq années entre Orfeo et Alceste
Nous ne nous arrêterions pas sur ces fêtes de cour, toujours
semblables les unes aux autres, si celles-ci n'avaient donné lieu
Au plus fort de la guerre des gluckistes et des piefinnistes, un
adversaire passionné de Gluck l'incrimina d'un plagiat d'autant
a la production d'un air dont l'exégèse a fait couler beaucoup
d'encre depuis quelque cent trente années.
moins vraisemblable qu'il eût porté sur une page du style le plus
opposé à celui de ses chefs-d'œuvre, l'air de bravoure ajouté au
330
LE MÉNESTREL
rôle d'Orphée pour conclure le premier acte aux représentations
françaises. L'accusation s'appuyait sur une apparence de vrai-
semblance, l'air ayant été entendu, avant l'arrivée de Gluck à
Paris, dans un opéra de Bertoni: aussi l'a-t-on souvent désigné
sous le titre d'air de Bertoni. Cette attribution est erronée : l'air est
bien véritablement de Gluck, et c'est Bertoni qui l'a emprunté (1).
Mais de quelle œuvre provient-il et où fut-il chanté pour la pre-
mière fois? Ce fut précisément aux fêtes du couronnement de 1764.
Cela ressort péremptoirement des explications suivantes, qui
furent données en réponse à l'accusation, et qui, bien que pré-
sentées sous une forme impersonnelle, émanent évidemment de
Gluck lui-même :
Il faut si peu de talent et si peu de mérite pour composer des airs de cette
espèce que M. le chevalier Gluck est peu tenté de démentir l'article qui a la
témérité de l'attribuer à Bertoni: cependant, comme on se doit à la vérité, il
faut nécessairement vous apprendre, messieurs, que M. le chevalier Gluck a
composé cet air pour le couronnement de l'Empereur, et qu'il a été chanté à
cette occasion solennelle à Francfort par le sieur Totzi, qu'il l'a inséré ensuite
dans son opéra d'imlee, exécuté à Parme aux fêtes du mariage de l'Infant
pour lesquelles il avait été appelé de Vienne, et que cet air fut chanté à Parme
par Madame Girelli, etc. (2).
L'air de Gluck, que nous connaissons par Aristeo et par Y Orphée
français, est bien en effet de la musique faite pour une solennité
impériale. En sa haute virtuosité, brillante, sonore, non sans
majesté, il n'est nullement dénué de mérite. Les critiques, par-
fois très sévères, qui lui furent adressées à une époque moderne,
n'ont été formulées qu'au nom des principes postérieurement
énoncés par Gluck, et que lui-même n'a jamais entendu appliquer
avec une rigoureuse intransigeance. Il est vrai qu'à ce point de
vue elles sont parfaitement justifiées.
En tout cas, le futur auteur à'Alceste n'attendit pas longtemps
pour retomber dans son péché. Ayant donné déjà tant de preu-
ves de son excellence dans un genre où il était devenu fort
expert, il fut requis, dans l'année même, de composer la musi-
que d'un autre ouvrage, // Parnaso confuso, qui eut pour caracté-
ristique prineipale d'avoir eu, non seulement pour auditeurs un
parterre de rois, mais encore pour interprètes des personnages
de même sang. Sur la scène, les quatre archiduchesses d'Autri-
che chantaient, et l'archiduc Joseph, déjà investi du titre d'em-
pereur, présidait à l'exécution comme maestro al cembalo.
Cette manifestation d'art arcbiducal eut lieu le 24 janvier 1765,
dans la grande salle des batailles du château de Schonbrunn,
à l'occasion du second mariage de Joseph II avec Marie-Josèphe
de Bavière. La musique de Gluck aurait-elle mal porté bonheur
à cet Empereur? Son premier mariage, célébré quatre ans plus
tôt aux sons de Tetide, avait déjà été rompu par la mort, et la
seconde femme en l'honneur de qui il conduisait maintenant en
personne H Parnaso confuso devait mourir à son tour au bout de
deux ans. Quant aux chanteuses, respectivement âgées de
vinot-trois, vingt-deux, dix-huit ans, et douze ans et demi, deux
d'entre elles an moins étaient promises à de hautes destinées :
la troisième, Marie-Amélie, qui représentait Apollon, devint
duchesse de Parme et reine des Deux-Siciles; la petite fille de
(1) Cette question a été compendieusement étudiée et discutée dans nos articles du
Ménestrel du 8 au 29 novembre 1896 et du -'i juillet 1897, ainsi qu'au cours de la pré-
face de la partition d'Orphée et Eurydice dans l'édition Pelletan.
'2) L'authenticité du renseignement doit être d'autant moins révoquée en doute que
cette note, à allure de communiqué, futinsérée dans le Journalde Paris (28 juillet 1779,1,
oreane en quelque sorte officiel de Gluck lorsqu'il était à Paris ; qu'en outre, toutes
les assertions qui en peuvent être vérifiées sont parfaitement exactes; qu'enfin la
musique, par les caractères définis, s'adapte parfaitement au cadre des fêtes offi-
cielles pour lesquelles elle fut conçue. Mais quelle est l'œuvre de circonstance,
composée par Gluck, dans laquelle ligure l'air en question? Il est vrai que ce
document décisif nous manque; mais peut-on s'étonner qu'il ait été perdu, étant
donné le caractère occasionnel de la production, loin de Vienne, au milieu d'une
cérémonie ou la musique n'était qu'un ornement de second plan? Cependant nous
ne pouvons pas douter que l'œuvre ait existé, sous forme de cantate, ou de diver-
tissement ou de prologue, semblable par la forme à ces petits actes que nous avons
déjà vu et reverrons encore écrire par Gluck pour des fêtes de cour, comme ce
Prologo pour les noces d'une Archiduchesse, dont nous parlerons bientôt, et dont la
partition fut découverte à Florence, il y a une vingtaine d'années, sans quepersonne
auparavant en eût soupçonné l'existence. Nous pouvons donc conserver l'espoird'une
nouvelle découverte du même genre, remettant au jour l'œuvre composée par Gluck
pour le couronnement de Joseph II, dont la réalité nous est ainsi affirmée avec certi-
tude.
douze ans fut reine de Naples. Telles étaient les qualités des
interprètes de Gluck en l'an t76S.
Il y en avait encore une autre, plus jeune que ses sœurs (car
elle avait à peine dix ans), mais qui un jour devait aussi faire
honneur à Gluck. Pour l'instant, elle n'avait pas d'autre mari en
vue que Mozart. Celui-ci, appelé naguère à montrer ses tatents
enfantins à la Hofburg. et ayant pensé tomber sur les parquets
cirés, avait été secouru par la princesse, du même âge que lui,
et l'en avait remerciée en disant qu'il l'épouserait, parce qu'elle
était bonne, tandis que ses grandes sœurs n'avaient pas seule-
ment fait attention à lui. Pourtant, ce mariage ne se fit pas, car
la petite amie de Mozart — c'est Marie-Antoinette qu'on la
nommait — préféra plus tard épouser le roi de France. Gluck
sut bien la retrouver, le moment venu. Bien qu'elle ne fit pas sa
partie dans // Parnaso confuso (comme chanteuse elle n'avait pas
encore débuté), nous verrons tout à l'heure qu'elle ne resta
pas étrangère à cette impériale représentation de famille.
Si l'interprétation fut vraiment digne de la musique de Gluck,
il faut avouer que les archiduchesses d'Autriche avaient des
talents fort distingués. Sans présenter les difficultés transcendantes
des pages composées pour les virtuoses professionnels, d'ailleurs
écrite avec une grande habileté pour faire valoir les chanteurs,
cette musique n'en exigeait pas moins une éducation vocale
avancée. L'archiduchesse Marie-Caroline-Josèphe, par exemple,
avait clans son rôle (Melpomène) un air de bravoure dans lequel
on a prétendu reconnaître l'air du couronnement, replacé dans
Orphée : à tort, il est vrai, car les deux airs ne font que pré-
senter des analogies de forme et de style, sans se confondre
en une seule et même composition ; en tout cas, le second,
comme le premier, exige pour être convenablement exécuté
des qualités de virtuosité que ne possèdent pas toujours les
princesses (1). La petite archiduchesse Marie-Caroline-Louise
eut, pour sa pari, à dire un rondo dont le thème est d'un contour
charmant et qui est un excellent modèle de musique simple et
appropriée à l'enfance (2).
La représentation d'il Parnaso confuso à Schonbrunn fut suivie
d'un ballet, ayant pour sujet le Triomphe de l'Amour (l'on ne I
dit pas si la musique était de Gluck), et dont la raison d'être
principale fut de permettre à la plus jeune partie de la famille
d'Autriche d'exhiber ses grâces à son tour. Un tableau, que l'on
peut voir aujourd'hui à Trianon (nous en offrons la reproduc-
tion ci-contre), a conservé un témoignage fidèle de cette aimable
récréation de cour. On y voit, au premier plan, une jeune fille
(ou plutôt, par la taille, une enfant) engoncée dans une lourde I
robe à falbalas, et dansant quelque solennel menuet, droite et
raide, avec l'apparente préoccupation de bien garder l'attitude
enseignée par le maitre à danser (Noverre sans doute). Cette ]
petite personne à majesté prématurée, c'est Marie-Antoinette.
Pour vis-à-vis, elle a un jeune garçon, son frère l'archiduc Fer- j
dinand, tandis qu'entre eux leur frère Maximilien exécute les I
pas de l'Amour (3). D'autres personnages, vêtus d'habits et de
robes rouges, les encadrent à l'arrière-plan; ce sont des enfants
de familles nobles : Xavier, comte d'Auersperg; Frédéric, land- I
(1) La Bibliothèque du Conservatoire de Paris possède une copie (moderne) d'il
Parnaso Confuso. L'identification de l'air signalé dans cet opéra avec celui d'Orphée
est l'effet d'un de ces excès de zèle qui semblent provenir plutôt de l'envie de passer
pour découvrir du nouveau que d'un souci de vérité rigoureuse : il n'y a. nous
l'avons dit, qu'une ressemblance dans le style général, non une complète identité de
forme, entre les deux morceaux. Cette confu«ion a en pour auteur responsable le cri-
tique allemand Furstenau (voy. l'Echo, 1869, n°" 33 et 34, et. la préface de l'édition
Péters, par Alfred Dœrffel, 1873). Nous avons publié, au cours de la préface d'Orphée
et Eurydice dans l'édition Pelletan, la ritournelle instrumentale (très longue) et l'ex-
position vocale de cet air (transcription pour piano et chant).
(2) Les archiduchesses prirent goût à ces sortes de représentations d'opéra dont elles
étaient les protagonistes ; nous verrons plu* tard Gluck composer pour elles un autre
opéra, la Corona. Hasse contribua aussi à leur répertoire, et Burney put écrire en j
1772 : « On a vu, il y a quelques années, quatre archiduchesses d'Autriche, les sœurs
de l'Empereur, paraître à la Cour et figurer dans l'opéra d'Egérie, écrit par Métastase
et mis en musique par Hasse, absolument pour la Cour et leur plaisir. Elles étaient
alors très belles, chantaient et jouaient trop bien pour des princesses; et le
grand-duc de Toscane, qui était aussi fort beau cavalier, dansait dans le caractère
de l'Amour. » Etat présent de la musique, II, 220.
(3) C'est à cette particularité que fait allusion Burney dans la citation reproduile
ci-dessus : « Le grand-duc de Toscane dansait dans le caractère de l'Amour ».
LE MENESTREL
grave de Furstenberg; Joseph et Wenceslas, comtes de Clary,
— et, du côté des filles, Pauline et Christine', demoiselles
d'Auersperg; Christine et Thérèse, demoiselles de Clary. Les
traditions dansantes de la cour de Louis XIV étaient, on le voit,
fort bien suivies à Vienne, voire dépassées. Le tableau indique
les noms des personnages, inscrits à coté de chacun, et porte la
•date de 1765,
Une autre peinture, restée dans le même lieu (nous la repro-
duisons aussi), montre le groupe des quatre archiduchesses chan-
tant // Païnaso confuso. L'archiduchesse Amélie est debout,
tenant un arc (c'est Apollon, en robe à paniers). Les trois autres
sont assises. Près de l'archiduchesse Josèphe est une lyre (l'at-
tribut est en effet celui d'Euterpe, qu'elle représentait). Entre
elle et l'archiduchesse Elisabeth, on voit une couronne, un
sceptre, un poignard, et un papier sur lequel on lit : AU' Au-
çjusto Giuseppe la pin lucida Stella délia Bavaria reqgia. En haut,
Pégase s'élance d'un rocher. Les noms des personnages sont
inscrits a leurs pieds, et on lit à droite du tableau ce mono-
gramme : W. f. 1778.
Nous sommes très bien renseignés sur les circonstances dans
lesquelles ces peintures viennoises sont venues à Versailles.
C'est en 1778, (l'année qui suivit Armide et précéda la seconde
Iphigénie) qu'entre Marie-Antoinette et sa mère Marie-Thérèse eut
lieu la correspondance dont voici des extraits, d'un ton charmant.
Le S janvier, l'impératrice écrit de Vienne :
Mercy (1) m'a envoyé une mesure pour un tableau que vous souhaiteriez
avoir pour Trianon, c'est l'opéra joué aux noces de l'Empereur. Je me fais le
plus grand plaisir du monde de vous servir, mais il me faut une explication.
Il y en a deux, l'un l'opéra, l'autre le ballet, où cette petite reine était avec
ses deux frères. Je crois que vous voudriez avoir ce dernier, ou peut-être les
deux. Vous serez servie; mais dans ce cas, il me faudra encore une mesure
pour le second tableau. Savoir de quel coté le jour vient, si cela doit être un
cadre ou servir de tapisserie attachée à la muraille. Je tâcherai que vous serez
servie avant huit ans que j'attends, moi, votre portrait avec tant d'empresse-
ment; mais je ne les lâcherai pas avant de recevoir ce cher et tant désiré por-
trait de votre part; c'est être vindicative, mais la paix se fera facilement en
voyant vos traits. Je vous embrasse.
Le 15 janvier, Marie-Antoinette répond :
Ma chère maman me confond par ses bontés pour les tableaux. Je n'aurais
jamais osé les demander, quoiqu'ils me feront le plus plaisir du monde... Je
n'enverrai pas par le courrier les mesures à ma chère maman, parce que le
concierge de Trianon, où je compte faire placer les tableaux, est absent.
De la même, le 18 mars :
Je suis bien touchée de la bonté de' ma chère maman pour les tableaux. La
mesure est parfaite; ils augmenteront bien le plaisir que j'ai quand je suis à
Trianon. Ma chère mère me permet-elle de l'embrasser de toute mon ame (2)?
Ces deux tableaux, transportés postérieurement au château
de versailles, ont été replacés (par la Commission d'organisation
de l'exposition faite à Trianon en 1867) sur les indications
d'Eudore Soulié, autrefois Conservateur du Musée de Versailles,
dans la salle à manger du Petit Trianon, à la place même qui
leur avait été attribuée du temps de Marie-Antoinette, ainsi
qu'en témoignent les anciennes mesures retrouvées sur la mu-
raille en souievant la boiserie (3).
C'est ainsi que Versailles offre encore à nos yeux un souvenir
visible et presque vivant de la représentation de la cour d'Au-
triche pour laquelle Gluck, entre Orphée et Alceste, consacra
quelques-uns de ses précieux instants.
(A suivre.) Julien Tiersot.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(POUR LES SEULS ABOIYIVÉS A LA MCSH.HK'
UNE FAMILLE DE GRANDS LUTHIERS ITALIENS
LES GUARNERIUS
Une barque arrive... Une barque s'arrête... Une barque s'enfuit, et voilà tout un petit
poème d'amour musicalement raconté et de façon exquise par le mélodiste Ernest
Moret. Peut-être n'a-t-il jamais été plus délicatement inspiré que dans celte Chanson
au bord de l'eau aux trois phases si diverses. Le bruit des rames sur l'eau, avec leur
iéger clapotement, est à lui seul une trouvaille des plus ingénieuses.
(1) Le comte de Mercy-Argenteau, ambassadeur d'Autriche en France.
(2) Lettres de Marie-Thérèse et Marie-Antoinette, extraites du recueil de M. Ar-
hetto (1S66), pp. 230, 232 et 241.
(3) J'ai dû connaissance de ces derniers détails à la compétence éclairée de
M"' Soulié, tille d'Eudore Soulié dont il vient d'être fait mention, ainsi qu'à l'obli-
geant intermédiaire de notre confrère Paul Collin.
JOSEPH GUARNERIUS DEL (JESU
III
LES INSTRUMENTS DE JOSEPH ci ÀIWERIDS DEL GES1
Spohr possédait aussi, dans sa jeunesse, un superbe Guarnei
Gesù, qui lui avait été donné pendant le séjour qu'il lit en Russie avec
sua maître François Eck, et dont il était justement glorieux. Cel ins-
trument devait être pour lui !a cause d'un vif chagrin. De retour de
Saint-Pétersbourg après une absence de dix-huit mois, Spohr était
revenu à Brunswick pour y reprendre son service à la chapelle du
duc, son protecteur; puis, avec l'agrément de ce prince, il s'était
éloigné de nouveau, pour entreprendre un voyage artistique â travers
l'Allemagne. C'est au cours de ce voyage, et un jour qu'il se rendait â
Gcettingue, qu'il fut. malgré ses précautions, la victime d'un événe-
ment dont ses succès de virtuose ne suffirent pas à le consoler, et qu'il
raconte ainsi dans son autobiographie :
Peu de temps après avoir quitté Brunswick, je m'étais fait faire une
boite a violon digne du splendide instrument que j'avais rapporte de Russie ;
elle était de la plus grande élégance, et pour la garantir des accident- de
vovaçe, je l'avais soigneusement empaquetée dans ma malle, entre mon linge
et mes habits. Je pris en conséquence un soin tout particulier pour que cette
malle, qui contenait toute ma fortune, fût très solidement attachée derrière
ma voiture. Toutes ces précautions ne m'empêchaient point de legarder sou-
vent si tout était en ordre, et cela d'autant mieux que le conducteur m'avait
appris que plusieurs malles avaient été récemment enlevées de derrière des
voitures de voyage. Comme celle où je voyageais n'avait pas de fenêtre de
derrière, cet exercice ne laissait pas que d'être assez fatigant et très
ennuyeux ; aussi fus-je bien aise lorsque, vers le soir, nous arrivâmes au
milieu des jardins de Gœttingue, et que je pus me convaincre une dernière
fois de mes propres yeux que ma malle était toujours à sa place. Charmé de
l'avoir amenée à bon port, je ne pus m'empécher de faire la remarque à mon
compagnon de voyage que mon premier soin serait de me procurer une
forte chaîne et un cadenas pour fixer plus solidement ma malle à l'avenir.
Projet tardif — et superflu, comme on va le voir. Spohr con-
tinue :
Nous arrivâmes bientôt aux portes de la ville; on commençait déjà à allu-
mer dans les rues. La voiture s'arrêta devant la douane. Pendant que Beneke
donnait nos noms à un sergent, je demandai à un des soldats qui entouraient
la voiture si ma malle était toujours à sa place.
T")e quelle malle voulez-vous parler ? me répondit-il; il n'y en a point
derrière votre voiture.
D'un bond j'étais sur la route, et je me précipitai hors des portes de la
ville, après avoir tiré du fourreau mon couteau de chasse.
Si j'avais réfléchi un instant, et si, au lieu de courir comme un écervelé, je
m'étais arrêté pour écouter, il est probable que j'eusse entendu les voleurs et
qu6 je les aurais atteints pendant qu'ils s'enfuyaient par quelque ruelle ou par
quelque chemin de traverse. Mais dans mon aveugle furie, j'avais déjà dé-
passé l'endroit où j'avais constaté pour la dernière fois la présence de ma
malle, et je ne m'aperçus de l'excès de ma précipitation que lorsque j'étais
déjà à travers champs. Inconsolable de ma perte, je revins sur mes pas, et pen-
dant que mon compagnon de voyage cherchait une auberge, je me rendis au
poste de police et je demandai que des recherches immédiates fussent ordon-
nées dans les maisons ornées de jardins qui se trouvaient à la sortie de la
ville. A mon grand étonnement et à mon grand chagrin, j'appris que la juri-
diction de la police au delà des portes de la ville appartenait à Weende. et
qu'il me fallait adresser mes plaintes aux autorités de cette localité. Comme
Weende se trouvait à une bonne distance de Gœttingue. je fus forcé d'aban-
donner ce soir là de plus amples recherches pour la restitution de mon
Guarnerius. Je passai une nuit sans sommeil et dans un état d'esprit qui
m'avait été totalement inconnu depuis le commencement de mon heureuse
carrière. Hélas! n'avais-je pas perdu mou magnifique Guarnerius, le témoin
et le confident de tout le talent artistique auquel j'avais pu atteindre jus-
qu'alors. Combien légère m'eût paru la perte de tout le reste '.
Le lendemain matin, la police vint m'informer qu'une malle vide et une
boite à violon avaient été trouvées dans les champs, derrière les jardins. Ivre
de joie, je me précipitai dans la direction indiquée, dans l'espoir que les
voleurs auraient peut-être laissé le violon dans sa boite, comme un objet
sans valeur pour eux; mais il n'en fut point ainsi... Il me restait pourtant
un9 petite consolation : l'archet . un excellent Tourte, fixé au couvercle de la
boite, n'avait point été découvert et volé par ces bandits.
Joseph Guarnerius a vécu beaucoup moins âgé que Stradivarius; il
a donc beaucoup moins produit, et d'autant moins que les incidents
de son existence bizarre ont encore interrompu ses travaux. Ses violons
332
LE MÉNESTREL
sont donc considérablement plus rares que ceux du vieux maître de
Crémone, ce qui fait qu'on en recherche aujourd'hui les exemplaires
avec une sorte de fureur. Cette rareté, jointe à leurs qualités exception-
nelles, explique le haut prix auquel ils sont maintenant parvenus. Je
ne crois pas qu'un seul Stradivarius ait jamais atteint le chiffre de
30.000 francs payé par Wilhelmy à George Hart pour son superbe
Guarnerius de 1737. (A remarquer toutefois que la boite qui enfermait
ce splendide instrument est , elle-même un véritable objet d'art qu'on
évaluait à o. 000 francs; elle est en argent massif et très artistement
décorée de marqueteries en écaille.)
Mes recherches ne m'ont pas permis de trouver d'autres dates que
celles-ci pour des violons de Joseph Guarnerius del Gesù : 1732, 1733.
1734, 1735, 1740, 1741, 1742. 1743, 1744, 174S. Ces dates, on le voit, ne
se rapportent qu'à la partie brillante de la carrière du grand artiste.
Guarnerius étant né en 1680, a, selon toute apparence, commencé à
travailler pour son compte entre 1706 et 1710. Plus ou moins, il a
donc dû nécessairement produire entre 1710 et 1732. Mais combien de
ses instruments, dont beaucoup sans doute appartenant à cette période
et dont nous ne connaissons pas les dates, sont fâcheusement enfouis
dans les collections égoïstes des amateurs anglais, ces nécropoles de la
grande lutherie italienne ! (1 )
Jules Gallay. dans ses Luthiers italiens, a donné, au point de vue
général, une sorte de « signalement » des violons de Guarnerius del
Gesù, qu'il détaille ainsi : — « Patron : souvent petit; il a varié. —
Bois : excellente qualité. — Vernis : jaune doré, pâte fine et élastique,
rappelant beaucoup celui d'Amati. — ff : assez ouvertes et tout à fait
caractéristiques. — Voûtes : ordinaires, mais plus élevées que Stradi-
varius. — Éclisses : bonne hauteur. — Coins et Filets : main-d'œuvre
fort habile, ■> Mais tout cela ne peut être considéré qu'approximative-
ment, Guarnerius, chercheur obstiné comme Stradivarius, et toujours
désireux du mieux, ayant constamment modifié sa manière au moins
dans les détails, principalement en ce qui concerne la perce des ff et
la forme de la volute, qui varient très souvent.
J'ai dit que le merveilleux Guarnerius del Gesù d'Alard avait été
donné au Musée instrumental du Conservatoire par la famille du grand
violoniste. Le Musée possède de Guarnerius quelques souvenirs de
moindre importance, mais présentant tout au moins un intérêt de
curiosité, entre autres deux petits rabots mignons provenant de son
atelier, offerts par Vuillaume (n° 99 du catalogue); puis des chevalets
qui sont compris dans une série où l'on en rencontre de Stradivarius,
d'Andié Guarnerius. de son fils Joseph et de Carlo Bergonzi (n" 94 du
catalogue).
(A suivre.) Arthur Pougin.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (14 octobre). — Nous avons eu aujour-
d'hui, au Conservatoire royal de Bruxelles, une audition bien intéressante et
assez imprévue : celle d'une oeuvre musicale récente de M. Gevaert, une
(1) Beethoven a possédé un quatuor superbe d'instruments à cordes, dont deux
portaient le nom de Guarnerius. C'était un cadeau l'ait au grand homme par le prince
Lichnowski, et c'est Schuppanzigh, le premier violon ordinaire des quatuors de
Beethoven, qui avait provoqué de la part de celui-ci cette libéralité : on pouvait
ainsi essayer les œuvres du maître chez lui, sans l'obliger à se déranger. Le fa-
meux collectionneur Aloys Fuchs, qui s'occupa aussi de littérature musicale, donna
jadis d,ns les Wiener Sonntag Biùller, une description de ce quatuor remarquable,
qui, selon lui, était ainsi composé : 1" un violon de Joseph Guarnerius, 1718, de-
venu la propriété de Cari Holz, violnnceUisté avec lequel Beethoven était lié dans
les dernières années de sa vie, et qui fut plus tard directeur des Concerts spiri-
tuels à Vienne; 2" un v olon de Nicolas Amati, 166", qui passa entre les mains
du docteur Ohmeyer, et fut vendu par les héritiers de celui-ci à M. Huber, de
Vienne; 3° un alto de Yincenzo Eugeri, 1670, dont Holz fut également posses-
seur; 4U un violoncelle d'André Guarnerius, 1712, dont le propriétaire ultérieur
fut un M. Wertheimer, de Vienne. En ce qui concerne ce dernier instrument, le
violoncelle attribué à André Guarnerius, Aloys Fuchs a commis une erreur évi-
pente. Ou la date indiquée (1712) est inexacte, André étant mort en 1698, ou
l'instrument est du. a un autre membre de la famille, soit Joseph I", soit
Pierre 1" don les violoncelles sont aujourd'hui très recherchés. Au sujet de ce
quatuor, on lisait ce qui suit dans la Gazette musicale du 12 septembre 1875 :
à Chacun de ces instruments portait le cachet de Beethoven et un grand B gravé
sur le fond. Le Juseph Guarnerius (sans doute un Guarnerius del Gesù) était le
plus précieux de la collection; on en oll'rit il y a longtemps 1.500 florins à Holz,
qui refusa de s'en dessaisir.. Aujourd'hui que les Guarnerius del Gesù sont plus
recherchés encore et que l'argent a une valeur moindre, un instrument pareil se
paierait de 8.000 a 10.000 francs. Il est vrai que le souvenir do Beeihoven entrait
peut-être pour quelque chose dans l'offre de ces 1.500 florins.»
messe à trois voix de femmes ou d'enfants, écrite il y a trois ans pour la basi-
lique de Notre-Dame-de-la-Treille, à Lille. Les compositions do M. Gevaert
sont assez rares depuis quelques années. L'illustre maître s'est voué tout en-
tier à la science, à la théorie ; ne vient-il pas do publier un grand Traité
d'harmonie, que l'on dit admirable, si j'en crois le témoignage de ceux qui
t'ont lu (sur les bonnes feuilles sans doute, car, ne l'ayant pas reçu, je ne
pense pas qu'il ait paru déjà) ? Une œuvre musicale de M. Gevaert est donc
une bonne fortune. Je viens de vous dire dans quelles circonstances elle est
née. Mais le grand public — le public profane, si vous voulez — ne l'eût
jamais entendue sans l'excellente idée qu'a eue M. Marivoet, professeur d'une
des classes de chant choral au Conservatoire — à moins que ce ne fût
M. Wotquenne, le très érudit trésorier et bibliothécaire de l'établissement —
de la faire exécuter dans cette audition spéciale qui vient d'avoir lieu. Le
succès le plus complet a récompensé cette heureuse initiative. La messe de
M. Gevaert est écrite dans le style le plus religieux et la forme la plus con-
forme aux prescriptions du pape LéonX; l'orgue seul l'accompagne, pas d'au-
tres instruments ; aucun sentiment profane n'en trouble l'inspiration très
haute et très pure. Et, pourtant, elle est d'un charme expressif intense, toute
en nuances délicates, et toute en demi-teintes, dans l'exaltation de la joie
comme dans celle de la douleur. Je ne pourrais mieux comparer cette messe,
vraiment destinée à è(tre chantée par des voix de femmes (ou d'anges...) et à
glorifier le culte d'une vierge qui s'appelle « de la Treille », qu'à l'exquis
Requiem de M. Gabriel Fauré. J'y trouve la même douceur de sentiment, la
même grâce dégagée de toute matérialité et de toute violence terrestre. C'est
très austère, avec une inOnie sensibilité. Après l'exécution, dirigée par
M. Marivoet. le public et les exécutants ont salué M. Gevaert d'une ovation
enthousiaste, -à laquelle le maître toujours jeune (il n'a que quatre-vingts ans),
a répondu par quelques paroles émues de remerciements à ses interprètes.
L. S.
— A propos du trop fameux ballet de Sardanapal, dont l'insuccès s'accentue
déplus en plus à l'Opéra de Berlin, nous lisons dans le Berliner Tageblall :
« On parle beaucoup présentement dans 1 entourage do la Cour, du dépasse-
ment extraordinaire des frais sur les prévisions, relativement à celte panto-
mime. On dit, de source certaine, que les dépenses se sont élevées entre
440.000 et 470.000 francs. Ce chiffre doit eocore être augmenté du montant
des recettes que les répétitions de Sardanapal ont empêché de réaliser par
suite des relâches qu'elles ont nécessitées. Les représentations, pour lesquelles,
pendant un temps, le prix des places a été majoré, ont élé si peu fréquentées
par le public, et ont entraîné, chaque fois, de tels déficits, que l'ouvrage va
cesser d'être joué dans un délai excessivement court. » Ce résultat était bien
prévu dans les milieux artistiques, où l'on regrettera longtemps sans doute le
demi-million gaspillé; mais on sait par expérience que ce ne sont jamais aux
plus grands chefs-d'œuvre que sont accordés les plus hauts patronages.
— La Vossische-Zéitung fait les réfl-'xions suivantes au sujet de l'augmenta-
tion projetée du prix des places à l'Opéra Royal de Berlin : « 11 y a quelques
années, un fauteuil de parquet coûtait 7 fr.bOc; ce prix fut élevé à lu francs,
et à présent l'on veut faire payer la même place 1"2 fr. 30 c. Ainsi, le prix a
été presque doublé dans un très court espace de temps. Que l'on ne vienne pas
ici essayer d'établir de puériles comparaisons entre les tarifs de rotre
Opéra-Royal et ceux des scènes analogues de Paris ou de Londres. Nous vivons
dans un autre pays, nous travaillons dans d'autres conditions et nos besoins
d'art sont tout différents. Par rapport aux nations comme la France et l'An-
gleterre, nous vivons plus pauvrement et notre existence artistique en général
est beaucoup plus sérieuse que celle de l'étranger. Chez nous, la classe moyenne
est très cultivée, mais, par de pareils prix, elle se trouve nettement exclue de
l'Opéra-Royal. Elle ne pourra plus payer la taxe des places de parquet, et
quant aux places des rangs supérieurs, il est impossible de s'en procurer
au guichet, car elles sont toutes accaparées d'avance, ainsi qu'il est facile
de s'en rendre compte en se présentant aux guichets et en renouvelant l'expé-
rience une douzaine de fois. D'ailleurs le projet comporte aussi l'exhausse-
ment du prix des places dans les galeries élevées et cela rendra impossible à
toute une catégorie d'étudiants ou de jeunes artistes qui travaillent à Berlin
de fréquenter l'Opéra. Déjà maintenant il y a un grand nombre de cercles
parmi les gens instruits qui sont obligés de s'en passer. La majoration des
tarifs est d'autant plus injustifiable on ce moment que la ville de Berlin doit
contribuer pour 7 millions et demi à la construction du nouvel Opéra. On se
demande mémo si, dans ces conditions, l'application de la mesure dont il
s'agit ne sera pas une grave imprudence.
» Tout récemment, l'expérience, que l'administration des spec'acles royaux a
faite avec les soirées d'opéra organisées par M. Gura, a démontré que la ma- j
joration des prix donne pécuniairement de mauvais résultats. A la dernière
représentation de Lucia di Lammermoor, avec Ernesto Constantino, celui qui
écrit ces lignes peut bien dire qu'il n'y avait auprès de lui aucun spectateur
ayant payé sa place douze francs. Il faut encore citer l'exemple fourni par la
reprise de Sardanapule ; le public payant s'est abstenu devant la surélévation
du prix des places. Le sort du répertoire classique sera menacé par les nou-
velles taxations, car, si le public ne peut jouir des belles œuvres sans payer
des sommes dérisoires, il ira voir les ouvrages d'un genre inférieur qu'on lui
offre à bas prix; ce sera un dommage irréparable pour notre art national.
Quant au répertoire courant, il s'immobilisera de plus en plus, se laissant en-
vahir par les œuvres de Wagner et quelques ouvrages à sensation, tels que
la Salomé de Strauss, et limitant ainsi son action comme c'est le cas à Paris
et à Londres. On peut s'attendre à la désertion prochaine d'une partie du pu-
LE MÉNESTREL
333
blic des soins consacrés aux classiques, par suite des représentations d'opéra
qui auront lieu prochainement au Schil leitheatçr. ■ D'ailleurs, l'Opéra-Royal
n'est déjà plus sans concurrence, car l'Opéra-Comique gagne peu à peu du
terrain, et en 1913 il jouera les drames musicaux de Wagner et attirera ainsi
à lui une partie du public obligé maintenant d'aller les entendre à l'Opéra-
Royal ». Telles sont les réflexions d'un journal impartial qui se place au
point de vue des intérêts pécuniaires et intellectuels du public payant. De son
coté, VAllgemeine Mmikseitung, qui incline volontiers dans le sens wagnérien,
apprécie elle aussi très sévèrement l'idée d'une surélévation du prix des
places au théâtre. Elle ajoute, en ce qui concerne les opéras de Wagner :
o La calamité que nous subissons Cnira enfin le 1er janvier 1914; c'est en
effet une situation inouïe que, dans une ville de trois millions d'habitants, le
monopole de l'Opéra-Royal rende pour ainsi dire impossible à des milliers
d'amateurs de musique d'entendre les œuvres de Wagner à cause des sommes
élevées qu'il faut dépenser pour cela ».
— On annonce de Vienne, pour le 24 octobre, l'ouverture du nouveau Théàlre-
Johann-Strauss.
— Les journaux de Vienne annonçaient récemment qu'un ancien juge mili-
taire eu retraite qui est en même temps un amateur passionné de musique,
M. Alexandre Hajdecki, avait découvert toute une série de lettres et de
manuscrits de Beethoven. Certains restèrent sceptiques en ce qui concernait
l'exactitude de cette nouvelle, estimant qu'après les recherches de Nohl, de
Nottebohm, de Thayer, de Frimmel et autres historiens du maitre, il était
invraisemblable qu'on put encore trouver quelque chose de nouveau. Ceux-là
se trompaient. Disons pourtant que, de musique, il n'est pas question dans
cette affaire. Mais ce qui est vrai, c'est que M. Hajdecki a eu la bonne fortune
de mettre la main sur vingt-six lettres inconnues de Beethoven, presque toutes
adressées à son ami Bernhard, directeur d'un journal de "Vienne et auteur de
quelques livrets d'opéras plutôt médiocres. A ces lettres se trouve jointe une
pièce très importante, un long pro memoria qui ne comprend pas moins de
47 pages, que Beethoven adressait au même Bernhard et qui était destiné à lui
servir de base pour le développement d'un recours devant le tribunal d'appel
dans les circons'ances qu'on va voir. Ce pro memoria, tracé tout entier de la
propre main de Beethoven, de sa mauvaise écriture difficilement déchiffrable,
est rtndu d'une lecture plus malaisée encore par les nombreux changements
et corrections dont il est émaillé. Cet écrit est particulièrement important en
ce qu'il montre le grand cœur de Beethoven et l'affection profonde qu'il
portail à son neveu, si peu digne pourtant de son amour.
Lorsqu'en 1S15 le frère de Beethoven mourait, laissant après lui sa femme,
de conduite légère, et son fils Charles, encore dans l'âge le plus tendre, le
grand homme considéra comme son devoir de séparer l'enfant de la mère,
dont le détestable exemple n'aurait pu que lui être très nuisible, et n'eut
point de cesse qu'il n'obtint du tribunal nobiliaire la tutelle de son neveu.
Mais après cinq années il apparut à ce tribunal que le van précédant le nom
de Beethoven ne répondait point au von des nobles allemands, et il rendit une
sentence qui annulait la première décision: l'enfant dut être rendu à sa mère.
Beethoven, déso'é, voulut alors adresser un recours au tribunal pour les
pauvres mortels qui ont le malheur de ne pas être nobles, et c'est en 47 pages
d'une écriture touffue qu'il esquissa ce recours, qui devait être rédigé dans la
forme juridique par son ami Bernhard. Cette esquisse démontre toute la
noblesse de sentiments, toute l'humanité, toute l'exquisité d'àme de Beethoven,
et, ce qui est inattendu, une culture supérieure chez un homme qui, d'après
ce qu'on sait de certaiu, n'avait fréquenté aucune école et dont on a toujours
constaté l'insuffisante éducation scientifique et littéraire. Ce qui veut dire qu'i]
s'était instruit lui-même. Il est certain que dans ce document très curieux
Beethoven emploie certaines locutions latines parfaitement correctes. On
assure qu'un journal de Vienne a déjà acquis, à un prix très élevé, le droit de
publier dans son numéro de Noël une bonne partie de ce pro memoria.
Les lettres que M. Hajdecki a eu la chance de découvrir sont, dit-on, très
intéressantes, et jettent une lumière sympathique sur la vie intime de
Beethoven, dont on connaissait déjà la bonté brusque, mais pleine de tendresse.
Dans l'une d'elles, il raconte à son ami Bernhard qu'il s'est adressé à toutes
les cours d'Europe pour solliciter leur souscription à sa Missa solemnis et que,
seules, les cours de France, de Prusse et de Russie ont répondu à son invi-
tation; et il le prie de publier dans les journaux que le roi Louis XVIII lui a
conféré une médaille d'or. Dans une autre, écrite sur un ton burlesquement
solennel, il informe « l'exccllentissime M. Bernhard, directeur de tous les
journaux d'Autriche et grand librettiste d'Europe », qu'il a reçu le diplôme par
lequel une Académie Scandinave le nomme sociétaire honoraire, et il lui ordonne
de répandre cette nouvelle dans tous les journaux et de l'annoncer même par
voie d'affiches. Au reste, ces lettres seront prochainement publiées dans une
revue de Vienne avec des notes de leur possesseur, M. Hajdecki, profond
admirateur de Beethoven, qui y joindra d'autres découvertes faites par lui
concernant le maitre immortel. Entre autres, il parlera d'un hymne italien
dédié à Beethoven par un certain Callisto Bassi, qui, dans la fougue de l'en-
thousiasme, semble s'être montré peu respectueux envers d'autres compositeurs,
particulièrement Mozart, Haydn, et même Salieri, qui était alors directeur de
l'Opéra de la Cour. Tous Us cercles artistiques de Vienne s'occupent en ce
moment des manuscrits beethovéniens de M. Hajdecki et en attendent avec
impatience la publication.
— Une amie de la célèbre cantatrice Pauline Lucca, morte il y a quelques
mois, Mme Horowitz-Barnay, publie des souvenirs sur la grande artiste dans
la Xeue Freie Presse de Vienne. Entre autres, elle raconte de quelle façon la
Lucca perdit instantanément la voix, « par suggestion », dit-elle. Sans nous
porter garants de l'exactitude du fait, nous le reproduisons d'après la narra-
trice : « C'est par suggestion que Pauline Lucia perdit sa voix. C'est du moins
ce qu'elle m'a affirmé en me faisant piomettre de n'en parler qu'après sa
mort. Un jour que je lui demandais si elle chantait encore, elle s'écria pres-
que avec violence : — a Je ne chante plus, car j'ai perdu ma voix tout d'un
o coup, en une heure, en une minute, par suggestion ». — Et comme je la
regardais, étonnée : — « Oui, oui, par suggestion, conlinua-t-elle avec vebé-
» mence. Voici comment. Vous savez que mon mari, le baron Walhofen. fut
» très longtemps malade, et qu'il ne m'entendait pas touvent chanter. Quand
» je chantais, il voulait que ce fût un chant insignifiant, qui lui plaisait à
» cause des paroles, mais que, moi, je ne pouvais pas souffrir. Un jour que
» nous avions invité quelques amis, mon mari semblait aller mieux; il se lit
» porter au salon dans son fauteuil; pour lui faire plaisir, je chantai son chant
« préféré. Il sanglotait de 'joie. Il me prit les deux mains, me caressa les che-
» veux et le visage, puis balbutia : — Je te remercie, je te remercie; tu es un
» ange ; j'emporte ta voix avec moi dans la tombe. — Je ris et je lui dis : —
» Tu me survivras ! — Il répéta : J'emporte ta voix dans la tombe ! — Deux
» jours après, le baron Walhofen était mort, et moi, je ne pus plus jamais
» chanter » !
— Les représentations wagnériennns de l'été dernier, au Théâtre du Prince-
Régent de Munich, ont laissé un déficit de plus de 120.0U0 francs que la ville
a du prendre à sa charge. On sait que la subvention qu'elle accorde annuelle-
ment pour ces représentations est de 75.000 francs. Nous ignorons si cette
dernière somme doit s'ajouter à la précédente, ce qui ferait alors un excédent
de dépenses de 195.0U0 francs, ou si elle doit en être réduite, ce qui ramè-
nerait à 4b.0Û0 francs le déficit réel.
— A Carlsruhe, un opéra en un acte, intitulé Par la fenêtre, vient d'être
représenté pour la première fois. L'idée du livret a été tirée d'une comédie de
Scribe. La musique est de M. Ivan Knorr.
— Un véritable scandale théâtral a eu lieu dernièrement au théâtre de
Gratz, en Autriche. Pendant une représentation de l'opérette de M. Oscar
Straus, les Joyeux Xibelungen, des nationalistes allemands commencèrent à
siffler, à pousser des cris et à protester par un vacarme qui prit bientôt de
telles proportions que la police dut intervenir et débarrasser la salle des éner-
gumènes qui troublaient le spectacle. Ces bons citoyens trouvaient inconve-
nant que l'on se fût permis de p'aisanter les hauts personnages de l'épopée
germanique. Notons en passant que l'opérette de M. Straus a déjà plusieurs
années d'existence et a eu des succès en Allemagne.
— On se souvient qu'une souscription avait été organisée l'année dernière
dans le but d'élever un monument au pianiste Alfred Reisenauer, à Kceniss-
berg, sa ville natale. Les fonds recueillis sont actuellement suffisants et c'est
au sculpteur de Stuttgart, M. Bernhard Klinkerfuss, qu'a été demandé le mo-
nument modeste que l'on désire placer sur la tombe.
— De Stockholm on télégraphie le succès triomphal qu'a remporté
Mmc Aïno Ackté au premier concert qu'elle donnait dans la capitale suédoise,
La famille, royale, ainsi que toute la Cour, avaient tenu à aller applaudir la
grande cantatrice, qui dut trisser l'air de la Folie i'Hamlct et le .Soir d'automne
de Sibelius. La nombreuse et élégante assistance lui fit uns superbe ovation
à la fin de ce concert, qui inaugure une grande tournée que Mme Ackté entre-
prend dans les principales villes d'Europe et où elle se fera entendre dans les
meilleurs rôles de son répertoire.
— Nous avons annoncé que dans un concert donné à Christiania on avait
exécuté les diverses compositions posthumes trouvées dans les papiers
d'Edward G-rieg. Ces compositions comprenaient : trois pièces pour le pians
(Slurmwolken, Gnomenzug, Im wirbelden Tanz); onze lieder avec piano, écrits
sur -des poésies de Bjoernson, Andersen, Dracbmann et autres (Dos blonde
Mâdchen, Mein kleiner Yogel, Dich liebe ich, Trunen, Der Soldat, Auf Ainars
Ruinen, Ieli lieble, Ein schlieliter Sang, Seufzer, Weinaclits.-Wiegenlied, Der
Jager), enfin, un quatuor inachevé pour instruments à cordes, en fa majeur.
Quoique incomplet, ce quatuor, dans lequel Grieg a paraphrasé des airs de
danse populaires en Norvège, a surtout, dit-on, une grande valeur artistique.
— M. Willem Kes, fondateur des concerts symphoniques d'Amsterdam eL
en ce moment, kapellmeister des concerts symphoniques de Coblentz, vient
d'avoir l'heureuse idée de faire, avec le célèbre morceau de Schumann pour
cor et piano, un concertstûck pour violoncelle et piano. On espère que le
célèbre violoncelliste Hollmau fera entendre l'œuvre nouvelle cet hiver à
Paris.
— Dans une note intéressante, la Gazzetta provinciale di B'-rgamo (on sait
que Bergame est la ville natale de Donizelti) proteste contre un acte au
moins inconsidéré du ténor Do Marchi, qui aurait vendu récemment un objet
constituant un souvenir précieux de l'auteur de Lucia di Lammermoor et de la
Fille du Régiment. Il s'agit d'une couronne de lauriers en argent massif, de
forme trèi élégante, véritable modèle d'orfèvrerie allemande, dont les rubans
por'ent celte inscription : Mister Gaelano Donizelti, Wieh, Marz IS42. C'était
un hommage rendu au maitre par ses admirateurs de Vienne, sans doute après
l'apparition en cette ville de son opéra Linda di Chamounix, dont la première
représentation eut lieu au théâtre de la porte de Carinthie le 19 mai 18 i:>. Le
rédacteur de la note signalée émet l'avis que cette couronne doit être déposée
sur la tombe de Donizelti à Bergame, et il se fait l'initiateur d'une souscription
destinée à racheter, dans ce but, des mains de l'acquéreur, un objet si précieux
pour la ville qui a donné le jour au maitre dont la gloire rejaillit sur elle.
334
LE MENESTREL
— Los journaux espagnols nous apportent des nouvelles de la saison qui se
prépare au Théâtre-Royal de Madrid. Le personnel de la troupe comprend les
noms des artistes suivants : soprani et contralti, MmcsBoninsegna, Rosina Stor-
chio, Gobatto, Grissi, Pareto, Parsi et Alabao; ténors, MM. Giraud, Perea,
Cristalli, Godano, Scampini et Gherlinzoni (on cite celui-ci comme donnant
non seulement des ut, mais des ré et des mi! avec une surprenante facilité);
barytons, Titta Ruffo, Kaschmann et Gigada; basses, Mansuetto et Meana (ce
dernier passant de la Zarzuela au Théâtre-Royal). Les chefs d'orchestre seront
MM. Rabl, engagé d'Allemagne spécialement pour diriger l'exécution des
œuvres de Wagner, Babagnoli et "Villa. L'inauguration de la saison se fera
avec la Walkyrie; on chantera la Tétralogie, à l'exception de l'Or du Rhin. La
première oeuvre nationale inédite sera Margarita la Tonnera., opéra en trois
actes et huit tableaux de. M. Ruperto Chapi, écrit sur un thème de Fernandez
Shaw.
— Quelques renseignements sur les autres théâtres. La Zarzuela a ouvert
sa saison avec une zarzuela comique en un acte et deux tableaux, la Orden del
dia, paroles de M. Fernandez Palomero, musique de M. Vives, qui a été bien
accueilli». — Au théâtre des Novedades, on signale le médiocre succès d'une
revue politique, el Dura Sevillano, paroles de MM. Mujica et "Villasefior, mu-
sique de MM. San Felipe et Vêla. — Au Grand-Théâtre, on a reçu avec
faveur une comédie lyrique, el Mentir de las eslrellàs, « imitation du théâtre
antique ». paroles de M. Luis Larra, musique de M. Hermoso. — Au théâtre
de la Latina, deux succès : las Caletas, zarzuela, paroles de M. Eduardo Mon-
lesinos, musique de M. Emilio Borras; et Pesquisas policiacax, « jeu comico-
lyrique », paroles de M. Miguel Casan, musique de M. Anglada. — Enfin, on
annonce comme prochaines quelques nouveautés : au Théàtre-Parish, las
Majas de Prumbo, opéra en trois actes du compositeur Emilio Serrano; à la
Zarzuela, Colomba, opéra de M. Vives, et la Balada de los vientos, zarzuela de
M. Emilio Serrano sur un livret de M. Brun ; à l'Apolo, el Canlo de los mosque-
leros, opérette dont on ne nomme pas les auteurs ; et encore la Vida es brève,
zarzuela en un acte dont le maestro Falla écrit la musique sur un poème de
cenre populaire de M. Fernandez Shaw, qui a obtenu un prix de 2.500 francs
dans un concours ouvert par l'Académie de San Fernando.
Aux dernières séances des Concerts-Promenades qui ont lieu auQueen's
Hall de Londres, la musique française a tenu une place prépondérante et a
reçu du public un accueil enthousiaste. La sérénade extraite des Impressions
d'Italie de Gustave Charpentier, avec solo d'alto par M. Wertheim. l'Arlë-
sienue, de Bizet. Harold en Italie et le scherzo de la Fée Mab, de R'.méo et
Juliette, de Berlioz, la Symphonie espagnole de Lalo, l'Apprenti sorcier de Paul
Dukas, ont été dirigés par M. Edouard Colonne au cours de deux séances
dont le succès a été exceptiounel. On a entendu à d'autres concerts l'air
d' tlcrodia.de « Ne me refuse pas », de Massenet, des fragments de Samson et
Dalila. de Saint-Saëns, la barcarolle des Contes d'Hoffmann, d'Offenbach, les
Variations symphoniques, de César Franck, et quelques morceaux classiques de
Gluck.
— Les deux grandes entreprises lyriques de New-York préparent avec
ardeur leur prochaine campagne d'hiver, où leur rivalité fera la joie des excel-
lents vankees. Au Metropolitan-Opera, qui inaugurera sa saison le 15 novem-
bre avec Aida, chantée par Mme Destinn et le ténor Caruso, le répertoire
comprendra P-rsifal, Manon (Massenet), Ticfland (Eug. dAlbert), Rienzi, la
Habanera, Falstaff, la Cabrera, les Xoces de Figaro, la Walkyrie, ta Traviala,
Madame Butterfly, la Tosca, la Wally, la Dame de Pique, le Villi. La troupe est
ainsi composée ; soprani, Mnles Emma Eames, Destinn. Farrar, Aida, Marcella
Sembrich, Kaschowska. De Pasquali, Formia, Fremstad, Mattfeld, Gadsky,
James, Morena, Rappold. Sparkes ; contralti, Flahaut, Boehm, Gay, Maple-
son, Ranzemherg, Wakefield, Homer, Niessen-Stohne, Woehning; ténors,
MM. Bonci, Caruso, Burrian, Tecchi, Bada, Dehvary, Bayer, Grassi, Joorn,
Martin. Koch. Schmedes, Quarti, Reiss, Burgstaller: barytons, Campariari,
Noté, Bégué, Amto, Muhlmann, Feinhals, Missiano, Goritz, Scotti, Soornert;
basses, Rossi, Blass, Didier, "Witherspoon, Schubert, Ananian, Bozzano,
Hinckley, Paterna, Waterous. L'orchestre (140 exécutants) aura pour chefs
MM. Arturo Toscanini, Spetrino et Mahler.
Le Manhattan ouvrira ses portes le 9 novembre avec la Tosca, dont les
interprètes seront Mme Labia, MM. Zenatello et Renaud. Ici, à part Salomé,
ce sont les répertoires français et italien qui triompheront avec Grisélidis,
Tha'is, le Jongleur de Notre-Dame (où Mme Mary Garden personnifiera le Jon-
gleur, écrit pour ténor, tandis que les trois moines seront représentés par
MM. Renaud, Dufrane et Gilibert), Louise, Pelléas el Mèlisande, Oletlo, Samson
cl Dalila, Princesse d'auberge, les Pécheurs de perles, les Contes d'Hoffmann. Aux
artistes déjà nommés, il faut ajouter les suivants : soprani, M""3 Melha:, Tetraz-
zini. Tancredi, Espinasse. Eva Tetrazzini-Campanini, Avezza, Kœlling, Agos-
tinelli. Trentini , Ponzano, Severina; contralti, Gerville-Réache , Doria.
Aldrich: ténors, MM. Dalmorès, Colombini, Parola, Taccani, Montanari,
Vallès Venturini; barytons, Sammarco, Renaud. Périer, Polese, Crabbè;
basses, Arimondi, Vieuille, De Segurola. Les chefs d'orchestre sont MM. Cleo ■
fonte Campanini, Sturani et Parelli. Le répertoire se complétera avec l'Étoile
du Nord, la Fille du Régiment, la Somnambule, le Barbier de Séuille.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
La conférence internationale pour la revision de la convention littéraire et
artistique de Berne a été ouverte mercredi à Berlin, dans une des salles du
Reichstag, par un discours prononcé par M. von Schoen, secrétaire d'Etat des
affaires étrangères. L'Assemblée a élu à la présidence l'ex-ministre prussien
des cultes et de l'instruction publique, M. von Studt, qui a désigné au choix
de l'assemblée M. Cambon, l'ambassadeur de France, comme vice-président.
M. Cambon s'est levé pour remercier l'assemblée de l'honneur fait à la délé-
gation française et de la confiance qu'elle lui avait personnellement témoi-
gnée. M. Cambon délègue ensuite, pour procéder aux travaux de la commission,
M. Louis Renault, l'éminent jurisconsulte. — Voilà qui s'annonce bien assuré-
ment. Mais il faudra voir la suite. La délégation française, composée de diplo-
mates et de personnalités marquantes dans la littérature et les arts, saura, nous
en sommes convaincus, soutenir les intérêts français. Mais qu'il nous soit per-
mis d'exprimer un regret, c'est de n'avoir pas vu adjoindre au professeur
Renault des hommes comme M. Sauvel, le secrétaire général du « Syndicat
pour la défense de la propriété intellectuelle », ancien avocat à la Cour de
Cassation et au Conseil d'État, qui est le conseil de la plupart des Sociétés
dont on a délégué les présidents à Berlin. D'autre part, n'est-il pas surprenant
que 1' « Association littéraire et artistique internationale », à laquelle on doit
la Convention de Berne, n'ait pas vu son président, M. Georges Maillard, pren-
dre place à coté des présidents de la Société des gens de lettres, des Auteurs
dramatiques et des Artistes français. C'eût été pourtant justice, et c'eût été
aussi prudent. La délégation allemande, composée de techniciens, aura un
grand avantage, celui de distribuer ses techniciens dans les diverses commis-
sions, ce que la délégation française ne pourra pas faire avec le seul
M. Louis Renault. Les personnalités de MM. Edouard Sauvel et Georges Mail-
lard semblaient s'imposer. Le gouvernement français a pensé autrement. c'est
fâcheux au point de vue pratique et ce n'est pas encourageant pour ceux qui
consacrent bénévolement leur temps à la défense de la propriété intellectuelle
et qui, étant toujours à la peine, n'ont pas la juste récompense d'être au com-
bat final quand tous les désignait pour cela.
— Du Journal officiel :
Un emploi de professeur titulaire d'une classe de déclamation dramatique est
vacant au Conservatoire national de musique et de déclamation, par suite de la
démission de M"" Sarah-Bernhardt. Les candidats à cet emploi doivent se faire
inscrire au secrétariat du Conservatoire national, pendant un délai de vingt jours, à
partir de la présente insertion.
— L'Association des directeurs de théâtre a ainsi constitué son bureau pour
la saison 190S-1909 :
Président : M. Albert Carré;
Vice-présidents : MM. Porel et Micheau ;
Trésorier : M. Alph. Franck ;
Secrétaire : M. Richemond.
— Il se trouve qu'à l'Opéra, par suite d'une indisposition du ténor Van
Dyck, il a fallu reculer d'une huitaine les représentations du Crépuscule des
Dieux.Bonc, mardi prochain, pense-t-on, on pourra donner la répétition géné-
rale et le vendredi suivant la première représentation.
— En attendant ce Crépuscule, nous avons eu de fort belles représentations
de Tha'is et A'IIamlel, où MUe Mary Garden et M. Renaud ont fait leurs adieux
au public parisien, avant leur départ pour l'Amérique. Ce furent des soirées
d'enthousiasme, où on ne cessa d'ovationner les deux remarquables artistes.
Les recettes dépassèrent 22.000 francs. En voilà jusqu'au printemps. — Ce soir
samedi, rentrée dans Faust de Mme Marie Kousnietzof, la cantatrice russe dont
on se rappelle le succès, la saison dernière, et du ténor Muratore.
— A l'Opéra-Comique, la semaine fut surtout consacrée au maestro Puccini,
de passage à Paris. On l'a régalé coup sur coup de ses trois partitions : la Vie _
de Bohème, la Tosca el Madame Butterfly. Le nouveau chef d'orchestre, engagé
spécialement pour le répertoire du maestro, a donc eu beau jeu et on a pu
admirer tout à son aise sa fougue transalpine. On ne fait pas mieux à Milan ou
à Turin. — Spectacles de dimanche : en matinée, Manon: le soir, la Tosca.
Demain lundi, en représentation populaire à prix réduits : la Traviala.
— C'est hier vendredi qu'ont commencé au Théâtre -Lyrique de la Gaité les
représentations trihebdomadaires qu'y doit donner la troupe de l'Opéra-
Comique. d'après un accord conclu entre M.Albert Carré et les frères Isola.
La première affiche comprenait Phitémon et Baucis et la Navarraise. Viendront
ensuite Cendrillon, le Jongleur de Notre-Dame, ta Dame Blanche, etc. — Les
représentations de Paul et Virginie et de Jean de Nivelle n'en continueront pas
moins dans l'intervalle avec la troupe de la Gaité. Il viendra même s'y ajouter
la Bohème de Leoncavallo. On dit aussi que les jours sont proc.ies d'un ou-
vrage français nouveau que les Isola vont offrir prochainement au public. —
En matinée, dimanche, à 1 h. 1/2 : Jean de Nivelle.
— Les obsèques du regretté Georges Marty, dont nous annonçons plus loin
la mort, ont eu lieu mercredi, à l'église de la Trinité, en présence d'une foule
émue d'artistes qui avaient tenu à rendre ce dernier hommage à ce confrère si
estimé de tous. Il nous serait impossible de citer les noms de tous les assis-
tants, tellement le cortège était nombreux. De très belles couronnes étaient
portées à bras par des délégués ou figuraient sur un char funèbre spécial mar-
chant devant le corbillard. Elles étaient adressées par la Société des concerts
du Conservatoire, la Société des chefs et l'orchestre du Casino de Vichy, la
Chambre syndicale des artistes musiciens, l'Association artistique des Concerts-
Colonne, l'Association des Concerts-Lamoureux, le Cercle musical, la Société
mutuelle des professeurs au Conservatoire, les pensionnaires de Rome et
d'Athènes, la maison Pleyel, etc. Pendant l'office, l'orchestre et les chœurs de
la Société des concerts du Conservatoire ont exécuté la Marche funèbre de la
3° Symphonie de Beethoven, l'Offertoire, de Th. Dubois; le Pie Jesu, de Gabriel
LE MEINESTUEL
335
Fauré, chanté par M. Cazeneuvc; le Beati morlui, de Mendelssohn ; la Marche
héroïque, de Sainl-Saéns. Les cordons du poêle étaient tenus par MM. Gabriel
Fauré, directeur du Conservatoire, Théodore Dubois, ancien directeur, Paul
Vidal, chef d'orchestre de l'Opéra, et Philippe Gaubert. second chef de la
Société des concerts. Au cimetière des Batignolles, où a ou lieu l'inhumation,
deux discours ont été prononcés par M. Gabriel Fauré au nom du Conserva-
toire, el par M. Heymânn pour la Société des concerts.
— Note du Journal :
N'ous croyons savoir qu'à la Société des concerts du Conservatoire, un groupe très
important est allé offrir a M. André Messager le poste de chef d'orchestrj, devenu
vacant par le décès de Georges Marty.
L'associé île M. Broussan à la direction de l'Opéra n'a fait et ne pouvait faire
devant cette démarche d'ailleurs heureuse et très approuvée aucune réponse. C'est
au ministre de l'instruction publique qu'il appartient d'autoriser M. André Messager
à accepter la proposition oflieielle de la Société des concerts, si tant est que les
fonctions de M. André Messager au Conservatoire soient compatibles avec celles de
directeur de l'Académie de musique. On pourrait trouver un arrangement.
Parmi les autres candidats à ce même poste on parle de MM. Henri llahaud
et Vincent d'Indy.
— Lundi prochain aura lieu une réunion d'auteurs dramatiques en vue
de fonder une Société pour l'exploitation d'idées dramatiques au moyen du
cinématographe. La France sera représentée par M. Pierre Decourcelle et par
M. Pallié. Singulière idée qu'ont les auteurs dramatiques de s'intéresser à une
entreprise qui précisément sera la ruine du théâtre, à un moment donné, sur-
tout dans les provinces françaises. C'est ce qu'on appelle lâcher la proie pour
l'ombre.
— La musique reprend ses droits, et après plusieurs mois du silence annuel
auquel elle est condamnée, voici que nos grands concerts symphoniques com
mencent à rouvrir leurs portes au public. En attendant que la Société des
concerts, cruellement éprouvée par la perte de son chef, puisse reprendre son
activité, les concerts Colonne et Lamoureux rentrent en lice, et voici leur pro-
gramme pour demain dimanche :
Chàtelct, Concert-Colonne : La Damnation de Faust (Berlioz), soli : M"° Grand-
jean, MM. Cazeneuve. Renaud, Eyraud.
Salle Gaveau, Concerts-Lamoureux : Ouverture du Freischutz (Weber). — Huitième
Symphonie (Beethoven). — Prélu le d'Ariane et Barbe-Bleue (Dukas).— Till Eulens-
piegel (Richard Strauss). — La Procession nocturne (RabaudJ. — Les Préludes (Liszt). —
Le concert sera dirigé par M. Chevillard.
— Il est superflu d'insister sur ce fait, que jamais un artiste producteur ne
devrait faire de critique. Ceci, pour une raison bien simple : c'est que l'artiste
créateur ne saurait être éclectique, parce que sa visée est forcément circons-
crite, qu'il ne peut et ne doit rien voir en dehors de son idéal, qu'il marche
droit devant lui, en dédaignant et en méprisant ce qui se produit à droite et
à gauche contrairement à la conception qu'il s'est faite de l'art. Plus il est
fort, et plus ce mépris est inévitablement complet. Berlioz nous en a donné
la preuve la plus éclatante. Ne sait-on pas d'ailleurs que Weber traitait
Beethoven de fou et que Lamartine avait en horreur les fables de La Fontaine?
Ceci dit pour expliquer ce fragment d'une des lettres de Bizel que publie en
ce moment la Revue de Paris. La lettre en question était adressée par le futur
auteur de Carmen à madame Halévy, et voici comme il exprimait son opinion
sur Boieldieu et sur la Dame blanche :
...Maintenant, il faut que je vous fasse une scène, — que dis-je ? deux scènes!...
Vous avez dit: •< Le Pré-aux-Clercs, la Dame blanche, les Mousquetaires. <>
JjU Dame blanche '...
Ecoutez: un jour, je développais devant Halévy des théories un peu subversives
sur la Dame blanche. Je disais simplement la vérité : « C'est un opéra détestable,
sans talent, sans idée, sans esprit, sans invention mélodique, sans quoi que ce soit
au monde. C'est bète, Ijète, bète !... o Halévy, se retournant vers moi avec son fin
sourire, me dit (j'ai un témoin) : « Eh bien ! oui, tu as raison, c'est un succès incom-
préhensible, cela ne vaut rien ; seulement il ne faut pas le dire!... »
Il avait sans doute raison, mais faisons justice entre nous, gens intelligents, de
cette jocrisserie prudhonimesque, qui ne peut plus amuser que les sapeurs, les
bonnes d'enfants et les concierges!... Tout ce que vous voudrez: Paul de Kock,
Signol, l'Empire, tout, tout, tout ! mais pas la Dame blanche !
Et c'est en lisant cela qu'on doit comprendre pourquoi un créateur ne doit
jamais faire de critique.
— Aux Folies-Dramatiques, on a commencé les études du Petit Faust
d'Hervé. C'est Mllc Jeanne Saulier qui tiendra le rôle de Marguerite, et
Mlle Jane Pernyn celui de Méphisto. On parle de Sulbac pour Valentin.
— Un concours aura lieu vers la lin de ce mois, à l'Opéra, pour une place
de contrebasse vacante à l'orchestre de ce théâtre. Les intéressés sont priés
de se faire inscrire chez M. Coleuille, régisseur delà scène.
— Strasbourg. Le Théâtre-Municipal vient de reprendre avec succès Abend-
glocken, opéra lyrique en deux actes, de M. Marie-Joseph Erb, le distingué
compositeur strasbourgeois. La première représentation de Abendglochen, au
théâtre de Strasbourg, avait eu lieu le 13 février 1900. A.-O.
— Cours et Leçons. — M"° Jeanne Faucher a repris ses leçons et cours de chant,
à Paris, 6, rue de Savoie; à Lille, 12, rue de Bourgogne. — Réouverture des cours
de gymnastique rythmique de M"' Bréchoud, salle Pleyel, le samedi à 4 heures, et à
l'Institut Rudy, le vendredi à 4 heures.
NÉCROLOGIE
GEORGES JMLA.H.T-V
C'est avec un bien vif regret que je suis obligé de rendre ici les derniers
devoirs à l'artiste excellent et très distingué qu'était Georges Marty. J'av.i ■
appris, il y a quelques jours à peine, qu'il était atteint d'une façon très grave,
je savais que c'était à force de courage et d'énergie qu'il était parvenu à ter-
miner la saison du Casino do Vichy, et dimanche soir j'apprenais sa mort '. De
caractère un peu brusqué* et qui ne savait pas arrondir les angles. Marty n'en
était pas moins un parfait honnête homme et un bon camarade, en mémi
temps qu'un travailleur infatigable et un artiste bien doué. Né à Paris le
16 mai 18(10, il entrait fort jeune au Conservatoire, où il fut successivement
élève de Gilletie, de M. Théodore Dubois, de César Franck et de M. Ma
pour le solfège, l'harmonie, l'orgue et la composition. 1"' médaille de solfège
en 1875. 2e et 1" prix d'harmonie en I S7G et 1878, il te présentait au t coui
de Rome dès l'âge de 19 ans, et obtenait une mention honorable en 1879, li
second grand prix en 1881 et le premier en 1882, pour la cantate intitulé.'
Edith. Je crois que c'est avant son triomphe à ce concours que nous l'avions
couronné, à la Société des compositeurs, pour une scène lyrique avec orchestre
qui fut exécutée à l'un de nos concerts. Après le voyage règlement. m
Italie et en Allemagne, Marty, comme tous les autres, chercha à faire -a
situation, non sans difficultés. Il fit exécuter, soit aux Concerts-Populaires de
Pasdeloup, soit à ceux de Lamoureux. quelques compositions symphoniques :
Ballade d'hiver (1873), Matinée de printemps (fragment d'une suite d'orchestre
intitulée te Saisons, 1887), une ouverture de Batlhasar, une Petite tuile roman-
tique. Puis il écrivit pour le Cercle funambulesque la musique d'une pantomime
intitulée Lgsic, et un poème dramatique, Merlin enchanté, qui, je crois, fut pré-
senté au concours de la Ville de Paris. Lors de la trop courte campagne lyrique
ouverte à l'ancien Eden en 1892, Marty y avait rempli les fonctions de chef des
chœurs: il devint chef du chant à l'Opéra l'année suivante et conduisit, avec
M.Vidal, les concerts donnés à ce théâtre; c'est là que, du premier coup,
il donna la preuve et la mesure de ses rares qualités de chef d'orchestre, c'esfcà-
dire l'aplomb, la précision et l'autorité. En 1894, Marty était nommé professeur
de la classe d'ensemble vocal au Conservatoire, et là aussi il témoigna de ses
précieuses facullés d'éducateur. Mais il n'entendait pas se désintéresser de son
avenir de compositeur : tandis qu'il allait faire une saison comme chef d'or-
chestre au Théâtre du Liceo de Barcelone, il faisait représenter ici, au Théâtre-
Lyrique de la Renaissance, un opéra en trois actes, le Due de Fendre ilS'.)9i.
En même temps, il publiait un assez grand nombre de mélodies : Brunetle,
la Sieste. Chansond'Avril, Fleur des Eaux, Berceuse, Toasl,Sonnet mélancolique, un
Ave Maria pour ténor, etc., ainsi que diverses pièces de piano. En 1900 il
entrait comme chef d'orchestre à l'Opéra-Comique, où il ne devait rester que
deux ans; en 1901, à la suite de la démission de M. Taffanel, il était élu chef
d'orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, et eu 1904 il succé-
dait au regretté Samuel Rousseau comme professeur d'une classe d'harmonie
(femmes). Tout cela ne l'empêchait pas d'écrire encore lamusique d'un drame
lyrique en deux actes, Daria, qui fut représenté à l'Opéra le 27 janvier 1903.
— La mort de Marty doit jeter un désarroi profond, juste au moment de la
reprise de la session, àla Société des Concerts, où il s'était vraiment affirmé
comme chef d'orchestre de premier ordre et de grande envergure. Qui va
prendre le bâton pourla campagne prochaine? Je sais bien qu'il v a un second
chef, mais... Et, en tout cas, qui sera appelé à lui succéder définitivement ?
Cet événement est une véritable catastrophe pour la Société en de telles
circonstances. Arthur Pougix.
— Une cantatrice qui fut autrefois très fêtée en jouant au Carl-Theater de
Vienne les rôles des opéras d'Offenbach, Anna Grobecker, vient de mourir à
Klagenfurt, âgée de quatre-vingts ans.
— De Varèse on annonce la mort, à l'âge de 67 ans, de M. Pompeo Cam-
biasi, dont le nom fut longtemps et activement mêlé à l'administration du
théâtre de la Scala de Milan. Après avoir donné des preuves d'ardent patrio-
tisme lors des luttes du risorgimento, il devint conseiller et assesseur commu-
nal de Milan, et en cette qualité rendit de grands services à ses concitoyens.
Dilettante passionné, il prit pendant de longues années une part importante
et fort utile à la direction administrative de la Scala, et mit à profil cette
situation pour publier une sorte de chronique historique de ce théâtre conte-
nant un répertoire chronologique exact et complet de tous les ouvrages' qui y
furent représentés depuis sou inauguration, le 3 août 1778. jusqu'en'lSSg. Ce
livre, intitulé la Scala, note storiche e statistiche et rempli de documents pré-
cieux, a eu plusieurs éditions, dont la quatrième forme un volume in- J" de
plus de iOO pages.
Henri Heugel. direcleur-qérwu
A CÉDER pour cause de décès un très bon Fonds de pianos, musique et
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gelte Lemeunier, le Torrent, la Basculel 0 fr. 50) ; Georges Duval et Xavier Roux, le
Chant du Cygne, comédie en 3 actes, représentée à l'Athénée (3 fr. 50! : Pierre Vtlie-
tard, La Montée, roman |3 fr. 50i.
336
LE MENESTREL
PARIS, AU MÉNESTREL, 2 'bis, RUE VIVIENNE, HEUGEL et Cie, ÉDITEURS. Propriétaires pour tous pays
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Partition piano solo, réduite par Georges Bizet. . net 12 francs. — Partition piano à quatre mains, réduite par Georges Bizet. . net '25 francs.
Partition italienne net 20 francs. — Partition allemande net 20 francs. — Livrets italien et allemand, chaque net 1 franc.
Affiche en couleurs d'ALPHONSE de Neuville. . net 5 francs.
MORCEAUX DETACHES POUR CHANT ET PIANO
2. Duo -.Pourquoi détournez-vous les yeux? (B.-S.) 7!
Le même, chant seul net » S
2 bis. Cantabile, extrait : Doute de la lumière (B) . . 5
Le même, chant seul net » i
2 1er. Le même (S. ou T.) 5
2q'". Le même en ul (M. -S.) 5
3. Cavatine de Laerte : Pour mon pays (T.). . . 4
La même, chant seul net » ï
4. Choeur des pages et officiers (4 voix). . . net 1
5 bis, Invocation : Spectre infernal (B.) 4
La même, chant seul net » '
5 ter. La même (T:) 4
6. Air du livre (S.) 7 :
6 bis. Lemême(M.-S.i 7 !
6 1er. Fabliau, extrait : Adieu, dit-il, ayez foi (S.) . 4
Le même, chant seul net a S
6q'". Le même (M.-S.) 4
Les numéros 2 bis, 4, i
Les numéros 2, 2 bis, 2 ter, 2q'", 3, 5 bis, 5 ter, 6, 6 ter, (
Les numéros 2, 2 bis, 2 ter, 2 q'°r,
7. Arioso : Dans son regard plus sombre (M. -S.) .
Le même, chant.seul net
7 bis. Le même (C.)
8. Duo : Hélasl Dieu m'épargne la honte (M.-S.
etB«)
9. Chœur des comédiens
10. Chanson bachique (B.)
La même, chant seul ..... net
10 bis. La même (T.)
13. Monologue : Être ou ne pas être (B.)
Le même, chaot seul ..... net
13 bis. Le même (T.)
14. Air : Je t'implore, à mon frère (B") .....'
14 bis. Le même (B.)
15. Trio : Le voilai Je veux lire enfin (S., M.-S.,
50
15 bis. Romance extraite : Allez dans un cloître (E.) .
15 1er. La même (T.)
16. Grand duo : Hamlet, ma douleur est immense
(M.-S., B.)
18. Scène et air d'Ophélie : A vos jeux, mes amis (S.)
18 bis. Ballade extraite : Pâle et blonde (S.)
La même, chant seul net
18 ter. La même (M.-S.)
19 bis. Valse : Partagez-vous ces fleurs (S.)
La même, chant seul net
19 lei
i (M.-S.)
10, 18, 19 bis et 21 existent avec accompagnement d'orchestre poui
•', 7, 7 bis, 10, 10 bis, 13, 13 bis, 15, 15 bis, 15 ter, 18, 18 bis, 181er, 18
6 bis, 6 1er, 6ql", 10, 10 bis, 13, 13 bis, 18, 18 bis, 18 1er, 19 bis, 19 ter,
Les numéros 10 et 18 bis existent en langue anglaise.
21. Chant des Fossoyeurs, à 1 ou 2 voix (B., T.) .
Le même, chant seul ...... net
21 bis. Le même, à 1 voix (T.)
22. Arioso : Comme une paie fleur (B.)
Le même, chant seul net
22 bis. Le même (T.)
■ les concerts (location).
q"", 19 bis. 191er, 22, 22 bis, existent en langue italienne.
2-2, 22 bis existent en langue allemande.
G. Bizet.
Brissler .
Bull. . .
Cramer .
Grégoire
Henbv. .
Ketterer
Kruger .
Levbacb .
Abban .
ElTI.lXG
HEsnv .
Lumbve
Mey. .
Arba.x . .
Batiste .
Douard ,
Th. Dubo
Ettling
Génjn .
TRANSCRIPTIONS POUR PIANO A DEUX. MAINS
Les Roses d'hiver :
N" 49. Doute de la lumière 3
50. Chœur des pages 3
51. Chanson bachique 3
52. Marche danoise 3
. 53. Ballade d'Ophélie 3
54. Valse d'Ophélie 3
Pré! ude de l'Esplanade 5
Marche solennelle 9
Pot- pourri 7
Les_Silhouetles n° 5 5
Bouquets de mélodies, deux suites, ch. 0
Valse et ballade 5
Les chants d'Ophélie 7
Première transcription 7
La Fêle du printemps, 'ballet 7
. Fantaisie-transcription 7
Fantaisie brillante .1 9
LvsBEno .
N'eustedt
S. Bafel.
Tavax. .
Trojelli.
Ballade et valse d'Ophélie
Transcriptions :
N" 1 . Cantabile du duo et chœur des
pages
2. Fabliau et chanson bachique.
3. Ballade et valse d'Ophélie . .
Transcription brillante
Marche danoise (Pages enfantines n° 18)
Ballade d'Ophélie (Miniatures n° 4). . .
Airs de ballet (Miniatures n» 22). . . .
Airs de ballet :
N" 1 . Danse villageoise
2. Pas des chasseurs . *
3. Pantomime
4. Polka-mazurka
5. Pas du bouquet
C. Bacchanale
Vauthhot . La Fête du printemps, airs de ballet :
N™ I . Danse villageoise
2. Pas des chasseurs
3. Pantomime
't. Valse-mazurka
5. Pas du bouquet
G. Bacchanale
Le ballet complet net
— Trois transcriptions :
N" 1. Prélude de l'Esplanade. . . .
2. Marche danoise
3. Valse d'Ophélie .......
F. Wachs . Récréations lyriques (3° série) :
N" 13. Doute de la lumière
14. Chœur des pages et officiers.
15. Chanson bachique. .....
16. Ballade d'Ophélie ......
17. Valse d'Ophélie
18. Pas du bouquet
2 50
2 50
2 50
2 50
2 50
2 50
TRANSCRIPTIONS POUR PIANO A QUATRE MAINS
La Fête, du printemps, ballet.
N" 1 . Danse villageoise . .
2. Pas des chasseurs. .
3. Pantomime.
Valse- n
l I k.l
Prélude de l'Esplanade .
Marche danoise. . . .
Valse d'Ophélie. . . .
Marche solennelle . .
tes Silhouettes n- 5. .
Lefébure-Wéi.v Fanlaisie-concertante 9 »
Marks Po'.-pourri . . .-....,.,.... 7 50
Trojelli .. . . Les Miniatures n» 12 net 1 50
R. de Vilbac. . Feole concertante. N"" 15 et 16, deux
suites, chaque 10 »
DANSES POUR PIANO A DEON. ET QUATRE MAINS
Quadrille
Uphélie-mazurka
Les chants d'Ophélie, valse
Souvenirs de Christine Xilsson, mazurka
Polka-mazurka
Quadrille
Le même, à quatre mains .
Valse d'Ophélie
La même, à quatre mains .
Strauss . . Polka des officiers' " 4 50
Stutz . . . La Freya, polka 4 50
Valiquet . Quadrille (sans octaves)] ....... 5 »
— Valse d'Ophélie 6 »
TRANSCRIPTIONS POUR INSTRUMENTS DIVERS OU ORCHESTRE
L'Opéra concertant, n" 4 :
Piano, violon et violoncelle (contre-
basse ad libitum) . _
Piano, flûte et violm (contrebasse ad
libitum)
Piano, flûte et violoncelle (contre-
basse ad libititm}
Valse-mazurka, mandoline seule . net
Ballade d'Ophélie", mandoline seule net
Valse d'Ophélie, mandoline seule, net
Quadrille, orchestre net
Marche, grand orgue. .........
Marche des chasseurs, harmonie. . cet
Marché, grand orgue. ...... . . ....
0,-hélie-mazurka, orchestre. . . .:net
Airs, flûte seule. . . .• .'.'.-..
GÉxm . .
GUILBAUT
lii Miu.;rr.
Hlbmvxn.
Levèoue .
Mavllr .
PÉRIER
Raiiaud
Fantaisie, flûte et piano ,
"Airs, cornet seul
Pot pourri, violon et piano
Soirées du jeune flûtiste n"7 (flûte et p°)
Soirées du jeune violoniste n° 7 i violon
et piano) . »
Six mélodies faciles, violon seul . . .
Ballet, harmonie :
.V" 1 . La Fête du printemps . . net
2. Pas des chasseurs. ... net
3. Pantomime net
4. Valse-mazurka net
5. La Freya, polka .... net
6. Stretle finale net
Fantaisie-transcription, violon et piano
Fantaisie, violoncelle et piano
IIexaui.t.
Rose . .
séllextk.
Stutz . .
Ta van. .
A. Thomas
Fantaisie, harmonie net
Fantaisie, clarinette et piano
Marche funèbre, harmonie .... net
Fantaisie concertante violon et piano .
Quadrille, orchestre . net
Valse d'Ophélie, orchestre .... net
La . Freya, polka, orchestre . . . . net
£'0/)era.sympftortt"7uen08(pet.orch.)net
La Fêle du printemps : ballet, orchestre
Partition .net
Parties sépirées . . . . . . . net
Chaque partie supplémentaire net
Marche danoise, orchestre :
Partition net
Parties séparées . . ..-.-. . net
Chique partie supplémentaire net
— (Encre Lorillem^
4048. - 74e ANNÉE.- I\° 43. PARAIT TOUS LES SAMEDIS
Samedi U Octobre 1908.
(Les Bureaux, 2b,s, rue Vivienne, Paris, u«arr-)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
lie ftuméro : o fr. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
lie Numéro : 0 fr. 30
Adresser franco à M. Henri IIICUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris ci. Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste ea sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (35e article), Julien Tiersot. — II. Après la répétition
générale du Crépuscule tles Dieux, Arthuh Pougïn. — III. Une famille de grands
luthiers ilalïeos : Les Guarnerius (12a article i, Arthur Pouglv. — IV. Revue des grands
concerts. — V. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Mos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
VALSE DE BALLET
(I'Albert Landry. — Suivra immédiatement : D'un pas léger, marche de
P. Badf.s.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
Dormons parmi les lys, nouvelle mélodie de J. Massenet, poésie d'HÉLÈNE Picard.
— Suivra immédiatement : Caresses, nouvelle mélodie île Gabriel Dupont,
poésie de Jean Richepin.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
(XTX-4.-X*7'7-4L)
CHAPITRE Mil
CINQ ANNÉES, ENTRE ailEEO ET AECESTE.
Gluck donna à la même époque — dans la même semaine —
■un ouvrage plus important, qui a droit à prendre place, dans
l'ordre du mérite, immédiatement après ses grands chefs-d'œu-
vres : Telemacœ, opéra en deux actes représenté pour la pre-
mière fois au Théâtre de la Cour de Vienne le 30 janvier 1765;
le poème avait pour auteur l'abbé Coltellini (1).
(1) La Bibliothèque du Conservatoire de Paris possède un exemplaire (copie
ancienne) du Telemacœ de Gluck, en deux volumes. Des fragments autographes sont
conservés à la Bibliothèque Palatine, à Vienne. — Tous les biographes et tous les
dictionnaires d'opéras disent que cet ouvrage fut représenté pour la première fois
'à Rome en 1750. M. Wotquenne, dans son catalogue de Gluck, a démontré que cela
n'est pas. Encore n'est-il pas assez dégagé de l'influence des écrits antérieurs
lorsqu'il concède : « Il se peut néanmoins que le Telemaceo . soit antérieur à l'année
1165 » : les considérations exposées dans le texte qui va suivre établissent au
contraire, de par l'évolution du génie de Gluck, que cette œuvre n'a pas pu
être conçue à l'époque prétendue. Notons que M. Gevaert a adopté la date
de 1165 sans en faire aucun doute (voyez l'air de Telemaceo publié par lui dans
les Gloire* de l'Italie* . — Les auteurs de répertoires auxquels il est fait allusion ci-
dessus (Félix Clément, Dictionnaire des opéras, Hugo Riemann, Opern-IIandbuch) se
trompent aussi en attribuant à un seul et même poète, Sigismondo Capece, le libretto
de tous ies Telemaceo représentés depuis Scarlatti jusques et y compris Gluck : ici
encore, M. Wotquenne a corrigé à demi l'erreur, disant que l'ancien poème avait été
revu et coudensé en deux actes par Marco Coltellini ; mais, de même, il n'a pas été
assez loin dans la rectification : la comparaison qu^ j'ai faite entre le Telemaceo de
Scarlatti et celui de Gluck m'a démontré que les deux poèmes sont entièrement dif-
férents. Ce dernier est donc bien une composition personnelle, non un simple arran-
gement, de l'abbé Coltellini, et l'ut fait spécialement pour Gluck. — Nous avons vu, au
■début de ce chapitre, que Gluck fit son voyage de Paris, en 1774, en compagnie de ce
même Coltellini avec lequel nous le voyons maintenant collaborer.
Placé à égale distance de temps entre Orfeo etAlceste, composé
sur un poème qui n'est pas plus de Calsabigi que de Métastase,
Telemaceo offre une sorte de compromis entre l'ancienne manière
et celle qu'avait inaugurée Orphée, dont il semble que la nou-
veauté ait effrayé jusqu'aux auteurs mêmes. Il s'y rencontre
encore nombre d'airs à l'italienne, et l'emploi du recitàtivo secco
accompagné au clavecin est maintenu. .Mais à coté de cela,
l'œuvre contient des parties d'un genre nouveau, que l'art anté-
rieur avait complètement ignoré.
Le poème est d'une forme qui, s'écartantde celle de Métastase,
annonce et inaugure les opéras postérieurs : ceux de Mozart.
En sa coupe en deux actes (tel Don Giovanni), il se compose d'une
succession de tableaux, généralement courts, mais variés, el
offrant entre eux des contrastes. Le chœur y joue un rôle impor-
tant et actif. Tour à tour on assiste à un sacrifice, on entend la
réponse d'un oracle, l'évocation des Esprits infernaux, la voix
douloureuse de la forêt enchantée; un coro di donne, au dénoue-
ment, escorte Circé, de même que, dans la Zauberflote, la Reine
de la nuit sera accompagnée par ses fées.
Le titre de cet opéra, si l'auteur avait voulu par là annoncer
exactement le sujet, aurait dû être : Circé abandonnée. Le drame
est comme un prototype d'Armide. Est-ce pour cette association
d'idées que Gluck a repris l'ouverture de Telemaceo, encore qu'elle
ne soit pas très caractéristique, pour servir, après quelques re-
touches, de préface instrumentale à son grand opéra français de
1777? Cela pourrait être. Cette série de tableaux, qui semblent
détachés d'un roman d'aventures plutôt qu'être des scènes de
tragédie, a en effet de l'analogie avec la succession d'actes aux
tons variés qui constitue le poème de Quinault. Au point de
vue musical, ce fut tout avantage que Gluck ait eu l'occasion
de composer cet ouvrage à l'époque oit il l'a fait. Il y réalisa.
pour la formation de son style, un progrès que l'on peut consi-
dérer comme définitif, obligé qu'il fut de passer de la simple et
émouvante pastorale antique à l'action plus extérieure dont son
nouveau collaborateur lui fournit la trame, trouvant dans la con-
ception générale du poème, avec un moindre sentiment lyrique,
plus de mouvement extérieur, plus de sensation apparente de
vie, ayant, enfin, l'occasion de composer, sinon un drame, du
moins un ensemble de tableaux musicaux dont la réalisation
devait mettre en valeur, et à ses yeux mêmes, une tles faces
caractéristiques de son génie.
Quelques-uns de ces tableaux viendront nous révéler qu'il
reste encore des beautés inconnues à glaner dans l'œuvre de
Gluck. La première scène, de forme un peu étriquée, avec sa
succession de petits morceaux aux reprises courtes, ne manque
pourtant, dans sa composition générale, ni d'abondance ni de
souplesse. C'est un sacrifice, où l'on entend des chœurs, un trio,
des ritournelles d'orchestre, des danses. Les airs de ballet sont
très variés de ton : l'un, le premier, est une des meilleures pi
338
LE MÉNESTREL
instrumentales que Gluck ait écrites, en un style vieil allemand
qui fait songer à Bach, un Bach plus imprégné du goût du
XVIIIe siècle ; d'autres sont à la française, en rythme de menuets
ou de gavottes; d'autres enfin évoquent le mouvement soutenu
des pantomimes d? Orphée ou à'Alceste. Un des ensemhles vocaux,
en mesure a trois temps, a quelque chose de l'allure du chœur
qui commence le second acte d' 'Orphée; et si l'oracle n'inspire pas
le même effroi que celui à'Alceste, c'est peut-être que sa prophé-
tie ne doit pas amener des conséquences si tragiques : Gluck est
fort hien homme à l'avoir voulu ainsi.
Mais voici une page maîtresse: le récit d'un confident racon-
tant les effrayants mystères de la forêt enchantée, où les arbres
sont des hommes métamorphosés, où l'on voit le sang rougir la
(Andante)
terre sous la cognée du bûcheron : Bosco d'antiche pianto, orrido
enero. Gela est admirable, et à peu près unique. Ce n'est pas
encore l'horreur tragique d'Alceste devant les Enfers: la musique
est ici plus extérieure, et d'une saveur encore italienne : elle
évoquerait plutôt l'impression, précieuse entre toutes, de ce récit
de Monteverde où la messagère vient dire, éplorée, qu'Euridice
est morte ; c'est bien en effet, à la différence de technique près,
le style retrouvé de l'ancienne pastorale mythologique, dont
l'accent est si profond. Il est une phrase de chant, la réponse de
la voix enchantée, qui nous semble aussi admirable d'expres-
sion que belle de forme. Ne résistons pas au désir de reproduire
ce fragment si digne d'être sauvé de l'oubli, et où l'inspiration
de Gluck apparaît dans toute sa plénitude :
Une autre scène nous montre Télémaque pénétrant dans la
forêt où il pense retrouver son père parmi les victimes de la
magicienne. L'invocation qu'il chante a le même thème, grave
et religieux, que celle d'Agamemnon à « Diane impitoyable»,
et cela est fort bien, car, dans l'un comme dans l'autre cas, c'est
le même « cri plaintif de la nature » qui s'élève, ici le père sup-
pliant la déesse de sauver son fils, là le fils priant pour retrouver
son père. Puis Télémaque poursuit sa recherche inquiète, et le
chant que maintenant l'orchestre lui accompagne est celui que
nous entendrons une dernière fois clans Armide : « Esprits de haine
et de rage », après l'avoir déjà vu employer trois fois (dans
Sofonisba, le Nosse d'Ercole e d'Ebe, et la Clemensa diTito), toujours
dans d'analogues situations d'horreur fantastique.
Quant aux airs, écrits pour la plupart dans la forme antérieure,
ils ne nous offriront pas d'aussi intéressants sujets d'observation.
H en est deux cependant qui se distinguent de cet ensemble de
formules trop connues par un sentiment vraiment personnel et
expressif.
Berlioz, qui a consacré à Telemacco quelques-unes de ces
pages d'un enthousiasme pénétrant dont il avait le secret quand
il écrivait sur Gluck ou sur Beethoven, les a appréciées en ces
termes, qui nous interdisent d'en chercher d'autres.
C'est d'abord une cantilène par laquelle, au moment de quitter
Circé, Ulysse s'efforce de justifier son abandon :
« Tout ce que la tendresse a de plus irrésistible, la grâce de
plus simple et de plus touchant, semble avoir été épuisé pour
embellir ce chant; et certes, si le roi d'Ithaque en résistant à
l'amour de Circé fait preuve de fidélité conjugale, s'il répond
par un refus aux offres brillantes de l"enchanteresse, il faut con-
venir que ses accents ont une telle douceur et ressemblent si
fort à ceux de l'amour, qu'il est heureux pour lui que sa chaste
épouse ne puisse les entendre. La seconde partie de l'air, sur-
tout, me semble sublime:
'i Lieta yeder ti bramo
« Del mio rigor mi pento.
« Ah ! vorrei dir ch'io t'amo ;
« Ma... non lo posso dir.
a La manière dont est jeté ce mot : Ma, indique tout ce qu'il en
coûte à Ulysse pour rester fidèle. Il exprime un regret si pas-
sionné, si profond... » (1).
L'autre est un air de la nymphe Astéria, par qui Télémaque fut
sauvé de la mort, et qui, de cette rencontre, a gardé un tendre
1 1 Gazelle musicale de Paris, 1835, p. 10 : Telemacco, article d'IIr.CTOn Berlioz.
souvenir. « Ah! je l'ai toujours présent, quand de sa main faible
et glacée il serra ma main secourable; quand, promenant autour
de lui des regards sans flamme, il commença lentement à mouvoir
ses yeux encore couverts des voiles de la mort, puis les
ouvrit à la lumière... et me perça le cœur... 0 jour!... ô doux
regard !... ô souvenir !... ô amour !... ». Ayant cité ce texte,
Berlioz continue: «Je n'ai jamais trouvé, même dans les ouvrages
immenses que Gluck écrivit depuis, rien de plus simplement ni
plus noblement beau que ces accents d'une victime résignée,
dont la plainte s'exhale sans amertume vers un passé plein de
poignants souvenirs. Le chant et l'harmonie sont si admirable-
ment mariés qu'on ne peut savoir si l'effet résulte de l'un plutôt
que de l'autre. L'instrumentation... elle est nulle; les instruments
à cordes sont seuls employés. Mais comme chaque partie est des-
sinée ! ! ! Sous le vers : Quando appannati e tardi pria giro gli occhi
intorno, les violons déroulent une longue période à laquelle les
altos viennent se joindre bientôt après; les trois parties se mê-
lent, se croisent, montant et descendant doucement; le sang
commence à circuler, la vie se communique de proche en proche.
«Il promène ses yeux autour de lui : Pria giro gli occhi intorno-» ;
et le chant, s'élevant peu à peu, revient, par un crescendo, faire
explosion sur les mots « E poigli appersi al giorno : puis les ouvrit
à la lumière » . Un léger accent de reproche se fait sentir dans la
phrase : « E mi Irafisso il cor » . Après un silence, Asteria reprend
sur un ton plus élevé : « O giorno ! ! ». Second silence plus pro-
longé... Le chant s'élève encore : « O dolce sguardi'l » Troisième
silence... et la voix, se traînant péniblement jusqu'au son le plus
aigu, avec les paroles : « O rimembranza ! » retombe tout à coup,
comme le soupir étouffé d'un cœur qui se brise en murmurant :
« O amor ! » et... plus rien..., pas une note de ritournelle... l'or-
chestre se tait... que pourrait-il ajouter en effet qui ne fût au
moins inutile'?... Pasta! Nina ravissante! Elle, elle seule doit
chanter la désolante mélodie que Gluck a tirée du fond de son
cœur (1) ».
Pourrions-nous nous dispenser, après cette citation où le
chant de Gluck est si subtilement analysé presque note par note,
d'en reproduire la transcription, surtout quand nous pouvons
faire celle-ci sur le même exemplaire par lequel Berlioz a connu
l'œuvre et en a éprouvé de si douces émotions (2)?
(1) Gazelle musicale de Paris, 1834, p. 174 : Gluck, article d'HECTon Berlioz.
(2) Berlioz a même laissé des traces de son écriture sur cet exemplaire de Telemacco
appartenant à la Bibliothèque du Conservatoire ; on la reconnaît dans une note origi-
nale, par laquelle il rectifie l'incorrection d'un mot italien écrit sous la musique, et
LE MENESTREL
:;'i
Telemacco est une partition si riche en matière musicale que
Gluck, suivant son habitude, y a pu reprendre des thèmes et des
fragments nombreux sans l'épuiser. Nous avons déjà noté au
passage quelques-uns de ces emprunts, par exemple l'invoca-
tion de Télémaque devenue premier thème de l'ouverture A' Iphi-
génie enAulide et du chant d'Agamemnon ; il est facile d'en allonger
la liste. La même Iphigénie s'est enrichie encore (sinon à la pre-
mière représentation, du moins lors du remaniement qui, sui-
vant de près, donna à cet opéra sa forme définitive) du bel air
de danse dont nous avons signalé la présence dans la première
scène de Telemacco, immédiatement après l'ouverture.
Iphigénie en Tauride aussi s'est parée de quelques-unes de ses
dépouilles : un air de Télémaque : Non dir mi cKio viva, passé,
avec un simple changement au début, dans la bouche d'Oreste,
est devenu son air agité : « Dieux qui me poursuivez » . L'air de
Circé : 5e a estinguer non batasta, pris lui-même à Antigono, est
chanté définitivement par Iphigénie sur les paroles : « Je t'im-
plore et je tremble ».
Un air d'Asteria : Perdo, o dio, l'amato bene, après une première
station dans le Fesle d'Appollo, reparaîtra dans la Cythère assiégée
parisienne.
Mais c'est surtout Armide qui bénéficiera des reprises faites
par Gluck sur son bien. Outre l'ouverture et le duo : Esprits
de haine et de rage, déjà signalés, l'introduction orchestrale de la
scène entre Armide et Hidraot au second acte, et les apostrophes
successives de la Haine : « Amour, sors pour jamais » (air : Dali'
orrido saggiomo, passé d'abord dans le Feste d'Apollo) et « Suis
l'amour puisque tu le veux» (Nolte fedel custode, aussi employé
dans. Paride ed Elena) sont tous matériaux empruntés à Telemacco.
Cette œuvre, bien que n'ayant pu survivre dans son état inté-
gral, a donc donné des preuves de vitalité qui lui méritent une
place à part dans l'ensemble de la production de Gluck. Il im-
portait de la lui restituer.
Deux ans et demi passèrent encore, durant lesquels le maitre
continua de couler sa vie banale de musicien de cour. Pendant
ce temps, il fit encore deux ouvrages de circonstance, pour des
fêtes. Le premier ne fut même pas exécuté : il a pour titre la
Corona, et avait été écrit afin d'être chanté pour la fête de l'em-
pereur François Ier par ses quatre filles les archiduchesses, mises
en goût par le succès qu'il Parnaso confuso n'avait pu manquer
d'obtenir l'année précédente ; mais l'Empereur mourut, et, par
suite du deuil, la représentation fut décommandée. L'autre est
un Prologo, pour une autre fête en l'honneur d'une archidu-
chesse, célébrée à Florence le 22 février 1767; il fut exécuté au
théâtre de la Pergola (1). C'est une simple cantate dramatique
avec chœur et un seul personnage : ce dernier, à la vérité, est
Jupiter.
Cependant, Gluck songeait à de plus grandes actions. Il nous
l'a dit : « Lorsque j'entrepris de mettre en musique l'opéra
(YAlceste, je me proposai de mettre fin à tous les abus... » C'est
toujours un effort rare que de vouloir mettre fin à tous les abus.
Étudions de quelle manière il s'y prit pour l'accomplir.
(A suivre.) Julien- Tiersot.
APRES LA REPETITION GENERALE DU CREPUSCULE DES DIEUX
Cinq heures et demie. Fichtre ! il ne s'agit pas d'être en retard. Je
hèle un cocher, qui s'avance avec sa guimbarde.
— Où allons-nous, bourgeois ?
duquel il dit: « Appanti est là pour appannati{tcmes)» . Il avait apporté l'air de Tele-
macco en Italie, et l'avait montré à Mendelssohn, lequel, l'ayant pris pour un air mo-
derne, de quelque Bellini, s'en était moqué (voir ses Mémoires, Premier voyage en
Allemagne, 4"" lettre, Leipzig); il est fait allusion à la querelle qu'ils eurent il cette
occasion dans l'article même de la Gazette musicale, à la suite de la citation ci-dessus:
« Je fis entendre un jour, en Italie, ce morceau déchirant à un musicien d'un talent
fort distingué; il le trouva insignifiant et me prouva sa nullité par une foule de rai-
sonnements péremptoires. Je sentis dès ce moment que je le haïssais de toutes mes
forces; je ne crois pas pouvoir lui pardonner jamais ». C'était le temps où, de son
coté, Mendelssohn disait de Berlioz qu'il avait « des envies de le dévorer », et assu-
rait que toutes ses attitudes n'avaient pas d'autre but que de lui permettre de trouver
à se marier !
— A l'Opéra.
Mou homme change de couleur. Il a l'air de me prendre pour un
échappé de Chareuton, et fait mine de s'éloigner. Il se ravise pourtant,
et voulant me faire répéter :
— S'il vous plaît, bourgeois ?
— Eh bien, à l'Opéra.
Il parait décidément ahuri. Après tout, se dit-il sans doute, ce n'est
pas très loin, et si mon voyageur veut contempler tranquillement le
buste de Charles Garnier, c'est son affaire. — Et hue ! cocotte.
(1) Prologo fatto gia in occasione del fuluro felice porta di S. A. H. Maria Luisa. etc..
La Musica e del célèbre Sigr Cavalière Glncli. Une partition manuscrite, non autographe,
de cette œuvre inconnue jusqu'alors, fut retrouvée en 1888 à la Bibliothèque duXiceo
musicale de Florence ; elle fut, à cause de sa rareté, gravée en 1891 à Leipzig Breitkopf
et Hiirtel).
340
LE MÉNESTREL
Tant bien que mal nous arrivons, après avoir franchi les innombra-
bles fondrières qui nous séparent du temple d'Euterpe et de Terpsi-
chore, et je ne m'occupe plus de mon bonhomme que pour lui payer sa
course.
J'entre. On entre, car malgré l'heure matinale les couloirs sont déjà
pleins. Songez donc, ma chère, il s'agit de Wagner, et on nous a pré-
venus qu'on ne pourrait entrer ni sortir une fois chaque acte com-
mencé. (Non, ça n'était pas si rigoureux que ça, car on entrait très bien
pendant les actes, et on sortait de même avant la fin.)
Tout de même, on se place. Je regarde ma montre : six heures un
quart. C'est le. quart d'heure de grâce accordé aux retardataires. On
donne de la scène le premier signal. M. Messager pénètre dans l'or-
chestre et prend place au pupitre. Son arrivée est saluée par une
bordée d'applaudissements. Solennellement on frappe les trois coups,
la salle est aussitôt plongée dans l'obscurité, et le prélude commence.
En voilà pour deux heures — moins cinq, comme on disait au Palais-
Royal.
Le rideau se lève — je veux dire se sépare — et nous assistons à la
scène des trois Nomes. Ces trois antiquailles jabotent pendant dix-sept
minutes, montre en main, après quoi le décor change pour nous mettre
en présence de trois autres personnages : Siegfried, Bruuehilde et le
cheval, le fameux Grane. qui a heureusement la délicatesse de ne pas
mêler sa voix à celle de ses maitres, bien qu'il assiste à tout leur entre-
tien.
Ci finit le prologue, incontinent, suivi du premier acte, que je ne
raconte pas aujourd'hui, vous réservant ça pour la semaine prochaine.
Le rideau tombe, c'est-à-dire se rapproche, sérieusement. Il est juste
huit heures dix. Ça fait bien deux heures — moins cinq, toujours
comme au Palais-Royal et comme on nous l'avait promis. On se détend,
on se dépèche de quitter la salle pour aller casser une croûte. C'est le
triomphe du buffet. On se serre, on se presse, on s'écrase. Ceux qui
ont eule bon esprit de retenir des tables sont les victorieux. Les autres
doivent se contenter d'entourer le comptoir et de grignoter un sand-
wich ou une brioche en absorbant une coupe de Champagne ou un
verre de malaga.
Et c'est là qu'on peut admirer les belles madames en tenue Directoire,
la taille sous la gorge, la robe en fourreau de parapluie, le haut du bras
encerclé d'un serpent d'or qui en fait trois fois le tour, et une coiffure
à la Récamier. Vous trouvez ça joli ? Pas moi. Et il faut les entendre
papoter :
— Ma chère amie, j'ai vu le Gotterdàmmerung à Bayreuth (ça donne
du chic, de dire le titre en allemand); vrai, ce n'était pas mieux.
— Je vous assure qu'à Munich c'était très bien.
— Moi, dit une troisième, je ne l'avais encore entendu qu'au Chàteau-
d'Eau, il y a quelques années. Litvinne était superbe, et puis l'or-
chestre était caché ; c'était bien mieux. Seulement, on avait fait des
coupures, c'est dommage.
— Oh! ne me parlez pas de ça. Il faut représenter les œuvres telles
qu'elles ont été écrites.
— On dit pourtant qu'en Allemagne même on fait des coupures.
— Les Allemands n'y entendent rien.
Tout à coup on sonne. Déjà ! Ça ne fait rien. En un clin d'œil les
tables se vident et le comptoir se dégarnit ; on règle et on file. Songez
donc 1 On veut bien lâcher un morceau de pâté, mais on ne veut pas
perdre une note du Crépuscule, si nombreuses soient-elles. Et puis, on
n'aurait qu'à fermer les portes, comme on l'a annoncé !
Loges et fauteuils, tout est occupé de nouveau. C'est le second acte.
Nous en avons cette fois pour une heure dix. C'est d'abord le dialogue
d'Alberich et de Hagen, puis le retour de Siegfried, puis l'arrivée des
chasseurs et la longue harangue (oh ! combien longue!) que Hagen leur
adresse, et enfin la grande scène du double mariage et l'imprécation de
Brunehilde. Gros succès d'interprétation. Double, triple rappel. Il n'y
a qu'une voix dans la salle, une fois le rideau fermé : Grandjean est
superbe de vaillance et d'émotion, Van Dyck n'a jamais mieux clai-
ronné, et Delmas, et Gilly, et Mlk'Rose Fèart...
Une demi-heure d'entracte, et le troisième acte commence. C'est
celui de la mort de Siegfried et le point culminant de l'œuvre. Scène
de Siegfried et des Filles du Rhin ; long récit de Siegfried (oh ! combien
long !) racontant son existence ; son meurtre par Hagen, qui amène
l'admirable marche funèbre ; la déploration de Brunehilde sur le corps
de celui qui fut son époux, etc., et tout se termine par l'écroulement
du Walhalla. Chute du rideau. Nouveaux applaudissements, nouveaux-
rappels, nouvelles acclamations. Les belles madames surtout font cra-
quer leurs gants à force d'applaudir et s'enrouent à force de crier. (Vous
savez que si les wagnériens sont féroces, les wagnériennes sont en-
raaées.)
On sort. C'est le coup du vestiaire. Les paroles se croisent pendant
que les pieds s'écrasent. — C'est grandiose ! — Oui. Tout de même un
peu long. — Et quel orchestre ! — Sans doute ; mais je demande des
coupures. — Eh bien, vous en aurez dans huit jours, et en attendant,
vous aurez entendu l'œuvre au complet. — Je reviendrai dans huit
jours...
Et chacun tire de son côté. La foule s'écoule peu à peu, le théâtre se
vide, les lumières s'éteignent, il est minuit et demi...
— Cocher, ramenez-moi chez moi.
Arthur Pougin
UNE FAMILLE DE GRANDS LUTHIERS ITALIENS
LES GUARNERIUS
JOSEPH GUARNERIUS DEL GESU
III
LES INSTRUMENTS DE JOSEPH GUARNERIUS DEL GESU
I! va sans dire que les violons de Joseph Guarnerius del Gesù ont
été l'objet d'innombrables imitations, qu'il faut d'ailleurs distinguer
entre elles. Il y a les imitations frauduleuses, celles que certains
luthiers italiens peu scrupuleux s'efforçaient de faire passer et de
vendre pour des originaux, dont, naturellement, elles n'avaient pas la
valeur. Mais il y eut aussi les imitations de bonne foi, qui se donnaient
comme telles et qui ne cherchaient pas à en imposer. Il y eut enfin ce
qu'on pourrait appeler peut-être des imitations inconscientes, au
nombre desquelles on peut citer certains violons de Joseph Guarne-
rius, fils d'André, qui ressemblent tellement à ceux de son cousin
Joseph del Gesù, que souvent ils furent attribués à celui-ci. Parmi les
imitations de bonne foi il faut surtout mentionner celles, fort habiles,
de notre luthier français Vuillaume, dont un échantillon excita un
jour l'étonnement, on pourrait dire la stupéfaction de Pagauini.
C'était lors du premier séjour de Paganini à Paris. Son fameux
Guarnerius avait besoin sinon d'une réparation proprement dite, du
moins de quelques soins qui réclamaient le secours et l'expérience d'un
luthier, et à cet effet il le confia pour quelques jours à Vuillaume.
Celui-ci, heureux d'avoir en main un instrument si admirable, eut
aussitôt l'idée d'en faire une copie aussi exacte que possible. Il se mit
à l'œuvre et réussit effectivement à imiter son modèle de façon si par-
faite que, ayant montré ce violon à Paganini, le grand virtuose en fut
émerveillé : la forme et l'aspect de la caisse, l'adaptation du manche,
la volute, tout était si exactement ressemblant que l'on pouvait s'y
méprendre. Bref, Paganini l'ayant essayé et se montrant très satisfait
de la sonorité de ce pseudo-Guarnerius, le trouva tellement à son goût
qu'il exprima le désir de l'acheter; mais Vuillaume, très fier du succès
qu'il obtenait auprès de lui, le lui offrit gracieusement. C'est cet ins-
trument qui passa plus tard aux mains de Sivori, et dont l'existence
faillit se terminer dans un drame. C'est toute une petite histoire, dont
on counait peu les éléments.
Sivori, j'ai eu l'occasion de le dire, fut le seul élève que Paganini
consentit jamais à former, et cela grâce à un incident bizarre qui
signala sa naissance et qui amena la première rencontre du maître et
du disciple, alors à peine âgé de cinq à six ans. J'emprunte le récit de
cette rencontre à l'un des biographes italiens de Paganini. C'est lors du
retour de celui-ci à Gènes, en 1822 :
Il y avait de bons amis, dit l'écrivain. Parmi les premiers se trouvait son
protecteur le marquis di Negro, qui eut toujours pour lui une affection de
père, et son vieux maître Costa, lequel était orgueilleux de son élève, et il y
avait de quoi. Celui-ci avait préparé la plus heureuse surprise à Paganini.
Un soir que tous deux avaient été invités à une fête de famille par le mar-
quis, Costa, pendant que tous les convives causaient et riaient, se leva et dit
tout haut :
— Messieurs, votre mémoire vous rappellera certainement à tous cette
fameuse soirée de 1817, où ici, à Gènes, au Théâtre Sant'Agostino, notre
illustre Paganini, donnant un concert, excita parmi nous l'enthousiasme que
sait inspirer son génie. Vous vous rappellerez aussi qu'à la fin d'un agilaln
sublime, taudis que tous étaient extasiés à l'entendre, on entendit un gémis-
sement sortir du fond d'une loge...
— C'est vrai, c'est vrai, exclama Paganini ému. Je m'en souviens comme
si c'était aujourd'hui. On me dit qu'en ce moment une signora, enceinte de
huit mois, avait voulu malgré tout venir au concert, et, prise de douleurs,
tomba en faiblesse et dut être emportée en toute hâte.
— Oui. et cette signora était la Sivori, qui dans la nuit mit au monde nn
LE MÉNESTREL
341
enfant. Eh bien, cet. enfant, âgé aujourd'hui de six ans, a un tel transport
pour le violon qu'il ressemble parfaitement à notre Paganini quand il était à
cet âge. J'éprouve le désir de vous en l'aire juges vous-mêmes.
Et ce disant, il fit venir le petit Sivori, qui, tout rouge d'émotion, n'osait
regarder personne en face. Rassuré par les caresses de Costa et parles paroles
affectueuses des assistants, il reprit peu a peu contenance, et, invité par son
maitre, il se mit à exécuter un morceau avec tant de désinvolture et tant de
suavité que Paganini lui-même, l'enlevant de terre, l'embrassa affectueuse-
ment, puis dit à Cosla :
— Maitre, si vous voulez bien, je donnerai des leçons à ce petit Sivori.
— Si je veux bien ? Avec grand plaisir, mon cher Nicolo. Faites, faites
vraiment. Mais à vous dire franchement, c'est un rêve pour moi que vous
vouliez consentir à donner des leçons. Jamais, autant que je sache, vous
n'aviez voulu le faire.
— C'est que c'est un cas très intéressant pour moi, maitre, répondit en
riant Paganini.
— Vous avez raison. — Quant à loi, mon petit Camille, dit-il à l'enfant, tu
peux faire en peu de temps avec lui ce que tu ne ferais pas en cent ans avec
moi (1).
Paganini prit eu grande affection son petit élève, qui lit honneur à
ses soins et devint, on le sait, ainsi que Bériot, Alard, Vieuxtemps,
Léonard. Joachim, Wieniawski, etc., l'un des plus grands violonistes
du XIXe siècle. Il écrivit expressément pour lui un concertino ainsi
qu'une série de six sonates avec accompagnement de guitare, alto et
violoncelle, dont Sivori conserva pieusement les manuscrits, et qu'il
lui faisait exécuter en public en ne dédaignant pas de l'accompagner
lui-même sur la guitare. Malgré les voyages de l'un et de l'autre, le
maitre et l'élève se revirent souvent, toujours avec joie; et c'est dans
une de ces rencontres que Paganini. pour prouver à Sivori toute sa
tendresse et le cas qu'il faisait de son talent, lui fit don du beau violon
imité de Guarnerius que Vuillaume avait fait pour lui. Sivori reçut ce
présent avec reconnaissance, et il va de soi qu'après la mort de Paga-
nini ce pseudo-Guarnerius devint pour lui une relique particulière-
ment chère. C'est ce violon pourtant qui faillit périr un jour, ou plutôt
une nuit, en compagnie de son nouveau maitre, dans un naufrage en
rivière. En une lettre amusante. Sivori faisait connaître, il y a une
trentaine d'années, les détails de cette aventure humide à son ami
Oscar Comettant. Je transcris presque intégralement cette lettre
curieuse, en en retranchant seulement cinq où six lignes d'introduc-
tion, sans rapport avec le sujet :
Paris, le 11 février 1878.
Mon cher Comettant,
.. .Vous avez parlé de mon Vuillaume. que vous m'avez souvent entendu
jouer; mais vous n'en connaissez probablement pas l'histoire, qui est une
curieuse histoire.
Ce violon du célèbre luthier français a été fabriqué expressément pour
Paganini sur le modèle du Guarnerius que cet illustre artiste jouait en public.
Un jour, étant à Gênes, mon pays natal, je reçus une lettre douce à mon
cœur et que je conserve précieusement, par laquelle il me faisait présent de ce
bel instrument. Il m'engageait à me rendre à Nice, pour confronter le Vuil-
laume avec le Guarnerius.
C'était en 1840, et déjà la maladie qui devait être fatale à Paganini l'avait
rendu si impressionnable qu'il ne pouvait plus entendre la musique que de
loin. Il me fit mettre avec les deux violons dans une chambre à coté de la
sienne, et j'essayai alternativement les deux instruments. Bien que le violon
de Vuillaume fût entièrement neuf et que les sons en fussent nécessairement
un peu durs, il fut facile d'en reconnaître les belles qualités, et Paganini le
mit, dès ce moment, presque au même rang que son Guarnerius.
L'usage constant que j'ai fait de mou Vuillaume l'a certainement beaucoup
amélioré, et j'y tiens pour plus d'un motif, comme vous voyez. Il a été mon
compagnon de voyage dans toute l'Europe, en France, en Belgique, en Angle-
terre, enllollande, en Allemagne.en Autriche, en Russie, en Suisse, en Espagne.
enPortugal, etc., et dans les deux Amériques, soit soixante-sept villes desÉtats-
Unis. puis La Havane, le Pérou, le Chili, le Brésil, Buenos- Ayres, Montevideo,
etc. Dans tout ce long parcours, mon fidèle compagnon s'est superbement
comporté : à peine si les grandes chaleurs des pays équatoriaux ont agi sur la
colle, en faisant bailler la table et les éclises : mais ces petits accidents ont été
facilement réparés, et c'est en Europe que de cruelles épreuves attendaient
mon instrument, à mon retour d'Amérique.
C'était en Vénétie. J'étais parti de la ville d'Udine pour aller donner un
concert dans une autre ville voisine. Nous étions quatre dans la voiture : mon
accompagnateur, Belloni, et un prêtre passionné de musique qui ne voulait
pas perdre une de messéances. Le froid était vif, il gelait; j'étais enveloppé
dans mi pelisse, ayant sur les genoux un Amati avec mon Vuillaume.
Dans la nuit, entre une heure et deux heures, quand nous dormions tous
profondément, nous fûmes reveillés horriblement par la voiture qui versait
dans un mare d'eau gelée, assez profonde. Lî poids du véhicule, avec les che-
vaux, le cocher et les voyageurs, rompit la glace avec' fracas, et nous nous
(I) Orcsle Bruni : Xicolo Paganini, célèbre ciolinista genovese. — Fireuze. 1873, in-i
trouvàme dans l'eau jusqu'au cou. L'accompagnateur brisa d'un coup de
poing une vitre d'un vasistas en se blessant grièvement: le prêtre passa le pre-
mier par cette brèche et nous aida à sortir de la mare. Belloni avait reçu un
coup violent sur un œil ; moi. je n'avais que des contusions légères, mais tous
mes vêtements étaient traversés par l'eau glacée. Je n'avais pas biche ma
boîte à violon, mais elle s'était ouverte, et mes pauvres instruments étaient
dans le plus pileux état. Je les crus perdus à jamais.
Nous nous dirigeâmes, grelottant, vers une maison de paysan qui se trou-
va.I sur la route. Le brave rural nous prit d'abord pour des brigands et refusa
d'ouvrir. Enfin il nous donna l'hospitalité et alluma du feu. Les blessés parent
panser leurs blessures, et nous changeâmes de linge et d'habits.
Le lendemain de cette terrible nuit, mon premier soin lut de m'enquérir d'un
luthier assez capable pour tenter de réparer les graves avaries de mes violons.
De luthier, il n'y en avait point dans le pays, mais on m'apprit qu'il se trouvait
dans le village voisin un barbier renomné, non point pour la coupe des che-
veux et la légèreté de son rasoir, mais pour son habileté à raccommuibr les
violons. Ja crus à une pi lisanterie : un barbier de village émule des Stradi-
varius, des Amati, des Guarnerius! J'aurais ri beaucoup, si j'avais eu la
moindre envie de rire.
Cependant je voulus m'assurer du fait, et je me rendis chez ce curieux
barbier. Il me lit voir des violons réparés par lui, et je fus étonné de l'habileté
de ce passé-maitre raseur. De plus en plus rassuré, je me décidai à lui confier
la réparation de mes deux chers instruments: Un mois après, ce barbier di
qualità me rendit mon Amati en parfait état et mon Vuillaume (qui avait le
plus souffert) entièrement ressuscité. Le manche était remplacé et toutes les
petites plaies étaient fermées et si bien cicatrisées que le malade se portait
mieux qu'avant sa maladie. Jamais ce bel instrument ne me parut meilleur
ni si beau qu'après ce mois passé dans la maison de santé du plus luthier des
barbiers, qui certainement devait être aussi le plus barbier des luthiers.
Voilà, mon cher Comettant, l'histoire de mon violon; elle valait bien, n'est-
ce pas? la peine d'être racontée.
Que Dieu lui conserve la santé, et à moi aussi.
Je suis votre tout dévoué. Camillo Sivori.
(A suivre.) Arthur Poigin.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour les seuls abonnés a la musique)
Du brio, de l'élégance, de la fantaisie en des rythmes un peu connus sans doute,
mais qu'on retrouve avec plaisir, telles sont les qualités qui recommandent à nos
lecteurs l'aimable Valse de Ballet, de M. Albert Landry, qui lui-même est un aimable
musicien. De toutes ces amabilités que peut-il rassortir, sinon de l'agrément ?
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts-Lamoureux. — Après toute une saison d'absence causée par la
maladie. M. Chevillard a repris possession de son orchestre, et l'ovation una-
nime et prolongée qui a salué son apparition au pupitre lui a montré en quelle
estime le tient son auditoire et quel plaisir son retour cause à tous. Après une
exécution magistrale de l'ouverture du Freijschùtz deWeberet de la Symphonie
en Fa (n° 8) de Beethoven, que l'orchestre rendit avec la grâce aimable qui
convient à celte œuvre de charme et d'intimité, le programme comportait trois
compositions modernes nouvelles pour lui, sinon inédites, et de caractères très
différents. L'introduction du troisième acte d'Ariane et Barbe-Bleue de M. Paul
Dubas est une page sévère, aux stridences voulues, d'une pâte orchestrale
remarquable comme tout ce qu'écrit l'auteur de l Apprenti sorcier, mais qui, au
concert, et malgré les éclaircissements nécessaires de la notice explicative,
apparait quelque peu obscure. — Till Eulenspiegel de M. Richard Strauss est le
poème symphonique le plus pittoresque, le plus scintillant et spirituel, le plus
extérieur, pourrait-on dire, de tous ceux qu'a écrits la plume de ce virtuose de
l'orchestre, l'auteur de la Symphonie- domestique et de Salomé. Till est le symbole
allemand de l'ironie, de l'espièglerie populaire : il tient de l'étudiant et du
gamin, raisonne et agit comme eux. Le compositeur a trouvé des thèmes
joyeux et caractéristiques pour personnifier son héros et nous le montre succes-
sivement dévastant un marché dans lequel il se promène à cheval : parodiant,
déguisé en moine et perché sur une borne, la prédication au peuple : lutinant
des jeunes filles qui le repoussent ; discutant devant un aréopage de doctes
savants et se moquant d'eux ; puis, victime de ses propres excès, Till est
arrêté, jugé et condamné à mort. On le devine, en ceci la musique tend à
exprimer des faits et non des sentiments ; elle est donc, sauf dans l'épisode
final du jugement et de la mort qui a une vraie grandeur tragique, purement
descriptive et pittoresque. Or, on connaît l'habileté vraiment miraculeuse avec
laquelle M. Strauss sait tirer de l'orchestre des effets bizarres et nouveaux. Son
Till Eulenspiegel est véritablement étonnant de verve et d'esprit. Une exécution
d'une sûreté, d'une clarté parfaites, n'a pas peu contribué au succès d'enthou-
siasme qu'a excité cette page rutilante et rabelaisienne. — D'une essence plus
intime, d'une expression plus concentrée est apparue la Procession Nocturne de
342
LE MENESTREL
M. Henri Rabaud, exécutée déjà dans d'autres enceintes. Faust, en proie à son
incurable mélancolie, s'enfonce dans une forêt et rêve, lorsque se déroule à ses
yeux le cortège religieux de la Saint-Jean qui se perd bientôt dans le lointain.
La lueur des cierges éclairant magiquement les arbres séculaires, la naïveté
des chants, la Foi qui s'épand sur lui sans le pénétrer, plongent Faust dans un
désespoir sans fond, et il « pleure alors de brûlantes larmes, les plus amères
qu'il ait jamais versées ». Sur ce thème d'une réelle beauté. M. Rabaud, avec
une sobriété dont on doit le louer, a écrit une œuvre sévère, mais d'une émo-
tion concentrée et qui lui fait grand honneur. Des divers épisodes qui se
déroulent — la mélancolie de Faust — la procession — et le désespoir, —
c'est le dernier qui m'a paru avoir le mieux inspiré l'auteur. Il a su trouver
dans les dernières pages des accents vraiment beaux et émouvants. — On a
fêté ces, trois intéressants tableaux symphoniques, que M. Chevillant a conduits
magistralement et auxquels une heureuse péroraison était fournie par les Pré-
Indes île Liszt, premier et génial créateur de cette captivante forme d'art.
J. Jemain.
— De leur côté, les Concerts -Colonne ont effectué leur réouverture avec la
Damnation de Faust sous la vaillante direction de M. Colonne. L'interprétation,
avec MIle Grandjean, M. Renaud, le ténor Lemaire et la basse Eyraud. a été
fort, remarquable.
— Programmes des concerts de demain dimanche :
Châtelet, Concerts-Colonne (à l'occasion de l'anniversaire de la naissance de
Georges Bizet) : Ouverture de Patrie (Bizet). — Fragments de Bjainileli i Bizet), chan-
tés par M. Plamondon et M1'1 Demellier. — Borna (Bizet). — Concerto en la mineur
pour piano (Grieg), par M™' Samaroff. — Fragments des Pécheurs de Perles (Bizet),
chantés par MM. Plamondon et Dangès. — Vous ne priez pas et Adieux de l'Hôtesse
Arabe. (Bizet), par M"c Demellier. — Fragments de V Artésienne (Bizet).
Salle Gaveau, Concerts-Lamoureux : Ouverture de Patrie (Bizet). — Symphonie
écossaise (Mendelssohn). — Oceano Nox (E. Flament). — Concerto en mi majeur pour
piano (Bach), par M. Louis Diémer. — Ballade syinphonique (Chevillard). — Till
Eulenspieget (R. Strauss).
— La Société J.-S. Rach, sous la direction de M. G. Rret, donnera cet hiver
six grands concerts. Après une reprise de la Passion selon saint Jean, elle fera
entendre, avec le concours des solistes les plus justement réputés, la première
partie de la Messe en si mineur, VAelus trayions, le Magnificat, de grandes Can-
tates, entre autres la célèbre, Wachet auf, et diverses œuvres instrumentales.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Joseph, le célèbre opéra de Méhul, va reparaître au printemps prochain
sur plusieurs scènes de l'Allemagne. M. Max Zenger a revisé la partition et a
composé des récitatifs remplaçant les dialogues parlés. Dans cette forme, nou-
velle, l'œuvre sera jouée en février 1909 à l'Opéra-Royal de Rerlin, avec
M. Ernest Kraus dans le rôle principal. Les théâtres de la Cour, à Weimar
et à Dessau, la donneront ensuite.
— La Société des Philharmoniques de Vienne donnera dans sa prochaine
saison deux concerts solennels dans lesquels seront exécutées la Messe en si
mineur de Rach et la Missa solemnis, de fieethoven. Elle fera entendre ensuite
la Messe da Couronnement de Liszt et le Te Deunt de Rruckner. Dans ses con-
certs d'abonnement elle donnera successivement le Baltha:ar de Haendel, la
Croisade des Enfants de M. Gabriel Pierné sous la direction de l'auteur,
YElie de Mendelssohn pour le centenaire du maître, et Roméo et Juliette, de
Berlioz.
— On confirme les chiffres énormes auxquels se sont élevés les frais du
ballet de Sardanapal à l'Opéra-Royal de Berlin. Le total s'élèverait à 47S.000fr. ,
comprenant une dépense réelle de 437. 300 francs, et un manque de gagner de
37..'ln!i francs, à cause des représentations qui ont dû. être supprimées à cause
des répétitions. Il faudra encore ajouter à ces sommes le délïcit qui se produit
sar la recette moyenne dn théâtre, chaque fois que l'on joue cet ouvrage.
L'esprit allemand s'exerce à sa manière contre ce malencontreux ballet ; les
Signale font les réflexions suivantes : « Les trois soporifiques les plus efficaces
que l'ont ait récemment découverts sont : Le Véronal, le Trional et le Sarda-
napal ». Sans beaucoup de peine, on aurait pu trouver mieux peut-être.
— M. Hans Gregor, le directeur de l'Opéra-Comique de Berlin, se propose
d'organiser des conférences en matinée, pour servir de préparation ou de
commentaire anticipé à certains opéras qu'il a l'intention de faire représenter.
Chaque personne, en louant une place pour la représentatiou, recevrait un
coupon lui permettant d'assister gratuitement a la conférence. C'est avec
Pellèas et Mélisande que cette innovation doit être essayée.
— L'orchestre des artistes musiciens de Munich (Mûnchner Tonkùnstler-
Orchester) annonce qu'il donnera, pendant la saison 190S-1909, huit concerts
symphoniques dans la salle de l'Odéon. Les chefs d'orchestre dont les noms
suivent dirigeront, aux dates indiquées, chacun un concert. MM. Gustave
Manier ("27 octobre), Frédéric Steinbach (10 novembre), Edouard Colonne
(24 novembre;. Max Schillings (10 décembre), Félix "Weingartner (o janvier),
Hans Pfdtzner (2 mars), Charles Panzner (20 mars),, et Bernhard Stavenhagen
(1er avril). Parmi les œuvres françaises inscrites aux programmes, nous remar-
quons les suivantes : Symphonie fantastique, Jlarold, en Italie et ouverture de
Rob Roy, de Berlioz; Rédemption, de César Franck; le Rouet d'Omphale, de
M. Saint-Saéns: Prélude à l'après-midi d'un faune, de M. Debussy; l'Apprenti
sorcier, de M. Paul Dukas, etc.
— L'Opéra de Dresde a profité de la présence du roi d'Espagne pour donner,
en représentation de gala, le drame lyrique d'Akté, du compositeur-violoniste
M. Joan Manen. Les Nouvelles de Dresde ont écrit à cette occasion : « Ce fut un
bonheur pour nous que le compositeur ait pu assister à la représentation de
son œuvre et être présenté au souverain qui règne sur son pays, dans le lieu
même où il venait de triompher. Le roi Alphonse a accordé au jeune artiste,
dont le talent promet beaucoup, une des décorations de sa couronne. »
— Le comité central de l'Association des artistes musiciens allemands vient
d'instituer un concours pour un prix de 1.200 francs à décerner à l'auteur
d'une grande composition, en un ou plusieurs morceaux, pour violon et
orchestre. Feront partie du jury : Mil. Max Reger, Hugo Kann, Henri Mar-
teau, Jaques-Dalcroze, Charles Fiesch et E. de Mandyorewski. Pour plus
amples renseignements, s'adresser à M. Adolphe Goettmann, Bûlowstrasse, 83,
Berlin.
— De Rayreuth : Il est d'ores et déjà décidé que des Festspiele auront lieu
l'année prochaine. Les représentations de cette année, notamment les nou-
veaux décors de Lohrngrin, ont occasionné à l'administration des frais consi-
dérables qu'il a été impossible de récupérer en une seule saison. C'est pour
couvrir ces dépenses qu'on a résolu de jouer deux années de suite, comme on
l'a fait déjà en 1901 et 1902, où le Vaisseau-Fantôme fut joué dans une mise en
scène et des décors entièrement nouveaux. Le programme de 1909 se compo-
sera, comme celui de cette année, de Parsifal, Lohengrin et de l'Anneau du
Nibelung. Mmc Cosima Wagner est entièrement remise de la grave attaque
qui l'a tenue éloignée de Bayreuth durant presque tout l'hiver dernier.
Toutefois, elle ne reprendra pas la direction des Festspiele, qui se trouvera
l'année prochaine aussi entre les mains de M. Siegfried Wagner.
— Un cas de susceptibilité allemande dégénérant en querelle d'allemand.
On représentait à Gratz (Styrie) une opérette de M. Oscar Strauss, 1rs Joyeux
Nibelungs, qui est une caricature amusante de la saga germanique, sur le type
de la Belle Hélène. Les pangermanistes, très chatouilleux par nature, comme
on sait, virent là une intention de ridiculiser le sentiment national allemand,
et le cercle Sikdmark publia un manifeste excitant à accueillir comme elle le
méritait une opérette donnée juste au moment où « les hordes slaves mena-
çaient le germanisme en Autriche ». Avant la représentation, le directeur fit
savoir que l'idée ne lui était jamais venue de faire une démonstration antial-
lemande. Cela paraissait avoir calmé les esprits, mais le rideau une fois levé
et lorsqu'on vit figurer les Nibelungs en caricature, le germanisme offensé se
manifesta par des cris, des sifflets et des battements de pieds comme si, dit un
journal, on eût été à la Diète de Dohème. Une autre partie du public, pour-
tant allemande, se leva et réclama le silence. Mais le bacchanal persista, et
l'on dut suspendre la représentation. Le bourgmestre fit alors occuper le par-
terre par des gendarmes qui débarrassèrent la salle des éléments les plus tapa-
geurs. L'opérette put alors poursuivre sa carrière et la représentation continua
troublée seulement par quelques sifllets isolés.
— Les compositeurs allemands d'opérettes mettent les bouchées doubles. On
annonce toute une série d'ouvrages de ce genre prêts à paraître à la scène.
L'auteur de la bienheureuse Veuve joyeuse, M. Franz Lehar, vient d'aviser les
directeurs du Raimund Theater de Vienne qu'il était prêt à leur livrer sa
nouvelle opérette, Amour de Tzigane; en même temps il en termine une autre,
Fils de prince, et il vient de signer un traité pour une troisième. D'autre part,
M. Oscar Strauss va donner au Theater An der Wien son opérette le Soldat
valeureux, et il en écrit une autre intitulée la Vallée de la vie, sur un livret de
MM. R. Lothar et M. Dreyer. Enfin, M. E. Mannard doit faire représenter in-
cessamment au théâtre de Rreslau une opérette sous ce titre, le Prince de Mo-
nico, tandis que M. Cari Kappener en termine une qui s'appellera le Cortège des
maris. Sans compter M. Léon Full.qui prend date avec une opérette qui a
nom la Divorcée.
— M. Alexis Davidow, neveu du célèbre violoncelliste et compositeur Da-
vidow, vient de terminer un opéra intitulé la Cloche engloutie, qui doit être
représenté prochainement à Mayence.
— La saison lyrique du Grand-Théâtre de Saint-Pétersbourg doit s'inau-
gurer prochainement et promet, à ce qu'on assure, d'être tout particulièrement
brillante. On signale, parmi les ouvrages qui doivent constituer le répertoire :
Aida, Rigoletto, Thaïs, Don Pasquale, i Puritani, Eugène Onéguine, la Traviata, la
Favorite, etc. Dans la liste des artistes engagés se trouvent, entre autres, les
noms de Mmes Lina-Cavalieri et Boronat et de MM. Anselmi, Gherlinzoni,
Navarrini, Mattia Rattistini et un jeune baryton, Enrico Nani, sur lequel on
fonde les plus grandes espérances.
— Un directeur dans l'embarras, imprésario in angustie, c'est celui du théâtre
russe d'Helsingfors (Finlande), M. Dietrichs, lequel se plaint — le cas est
rare ! — de la trop grande bienveillance à l'égard de son théâtre et de ses
artistes du critique de la Gazette Finlandaise, qui ne tarit pas dans ses comptes
rendus d'éloges sans Restriction, et qui n'a pas assez de phrases superlative-
ment laudatives lorsqu'il doit formuler un jugement sur l'ensemble d'une
interprétation. Le susdit directeur a cru devoir adresser au journal une lettre
dans laquelle il déplore cette indulgence excessive qui le met, dit-il, dans
LE MÉNESTKEL
343
une situation cruelle parce que, lorsqu'il veut hasarder uue observation à
quelqu'un de ses acteurs, celui-ci se rebelle en lui mettant sous les yeux un
article de la Gazette Finlandaise, où il est dit qu'il est toujours irréprochable.
Très gêné dans sa conduite, il se voit contraint de prier le critique d'être un
peu plus sévère pour son personnel, afin qu'il lui soit permis d'obtenir, à l'aide
de conseils et d'observations adressés a ses pensionnaires, des exécutions plus
soignées et plus artistiquement homogènes.
— Le théâtre national de Christiania vient de donner la première représen-
tation d'un fragment d'opéra de Grieg, sur un texte de Bjornstjornc-Bjôrnson.
r.a r-n™-,„r,i ,..,; fut écrit vers 1880, avait déjà été joué dans les concerts,
, il a paru produire une meilleure impression, tant au point
'au point de vue dramatique. Le sujet est tiré d'une vieille
e, Olav Tryguason.
•■ de la Scala de Milan est arrêté pour la prochaine saison, dit
le Trovatore, en ce qui concerne les opéras. On donnera la Vestale, André Ché-
nier, Boris Godouno/}', Iris, les Vêpres siciliennes, Paolo e Franeesra, Manon Les-
caut, Elektra de Strauss. Théodora de X. Leroux et le ballet A'Exrelsior. Ce pro-
gramme ne pouvait ne pas faire une excellente impression, étant donné son
éclectisme bien entendu, tant pour la nationalité des auteurs que pour les di-
vers genres de musique, qui vont du classicisme le plus pur à la modernité la
plus audacieuse. Attendons donc à l'épreuve, ayee confiance, les nouveaux
directeurs de la Scala. Quant aux artistes, on n'en connaît pas encore la liste
complète, mais les noms déjà publiés sont excellents. Parmi les soprani
figurent Mmcs Berlendi. Mazzoleni, Mérentié (de l'Opéra de Paris), Micucci el
Canetti: parmi les ténors. MM. Garbin, Bassi, Rousselière, Gaudenzi; parmi
les barytons, Stracciari, Parvis, Angelini-Fornari; et parmi les basses, Schia-
lapine, De Angelis et Cirino. Le chef d'orchestre est M. Edoardo Vitale.
— Un journal italien donne la nouvelle suivante : « Don Lorenzo Perosi,
caressant depuis longtemps l'idée d'une nouvelle composition musicale, s'est
rendu en Sardaigne pour étudier, dans leur ingénue et primitive expression,
les chants populaires de ce pays. Il s'est ensuite embarqué sur un vapeur qui
longe les côtes de la Sardaigne. puis est parti pour Palerme d'où il retournera
sous peu en Sardaigne pour compléter ses recherches sur les chants popu-
laires, recherches auxquelles on doit attribuer aussi son voyage en Sicile ».
— Voici que la courte et dramatique existence du musicien de génie qui
avait nom Pergolèse et qui, mort à vingt-six ans. laissa à tout le moins deux
chefs-d'œuvre, le Stabat Mater et la Serva padrona, inspire en ce moment deux
de ses jeunes confrères italiens. On annonce en effet la prochaine apparition
de deux opéras portant ce titre: Pergolèse, l'un écrit par le maestro Gilherto de
Lunghi sur un livret de M. Locatelli, l'autre dû au compositeur Vittore Vene-
ziani. Bs ne sont pas les premiers, d'ailleurs, et le grand artiste a déjà été mis
deux fois à la scène. On a joué à la Scala de Milan, le 16 mars 1837, un opéra
intitulé Pergalesi, dont la musique avait été écrite par Ronchetti-Monteviti
(qui fut depuis directeur du Conservatoire de cette ville), et au mois de mars
1878 on a donné à Jesi, ville natale du maître, un drame de P.-L. Grazioli.
qui avait pour titre G. Battista Perr/olexi.
— C'est un fait singulier que l'opérette, créée en France, où elle a eu la for-
tune, que l'on sait, et cultivée ensuite en Allemagne, où elle ne fut pas moins
florissante, n'a poussé en Italie que de maigres racines et n'a donné que des
fruits inconsistants, sans saveur et sans originalité. Tandis qu'elle triomphait
"h"" ■">■"• -■■"■•" : — '-1-- et charmantes compositions d'Hervé, d'Offen-
d'Audran, de Planquette et de tant d'autres.
. victorieusement les Strauss, les Suppé, les Mil-
etc, et que les ouvrages de tous ces composi-
■ l'Europe, la pauvre opérette italienne, dénuée
•tait pas d'une insipide banalité et ne pouvait
s de son pays. Cela est d'autant plus extraordi-
naire que pendant plus d'un siècle la vraie gloire, la gloire incontestée des
musiciens italiens a toujours été le genre bouffe, où ils s'épanouissaient en
des accents d'une gaité prodigieuse, se montrant sous ce rapport incompa-
rables et inimitables. Qu'on se rappelle les noms de Galuppi, de Piccinni.
d'Anfossi, de Sarti, de Paisiello, de Guglielmi, de Cimarosa, sans oublier
Rossini et Donizetti. La pauvre opérette italienne est donc dans le marasme,
et sa santé est tellement débile qu'on s'ingénie à trouver les moyens de lui
donner un peu du nerf et de l'agilité qui lui manquent. A cet effet, un jour-
nal de là-bas, h Spettacolo, ouvre un concours pour un livret d'opérette avec
un prix de mille francs pour le vainqueur, après quoi on procédera à un se-
cond concours pour la mise en musique du livret choisi. Peut-être l'idée est-
elle heureuse, et réussira-t-elle à faire sortir enfin la malade de l'état léthar-
gique où elle est restée enfermée jusqu'ici.
— Nous reproduisons d'après un de nos confrères italiens cette nouvelle
donnée d'une façon peut-être un peu obscure. Le ministre de l'instruction
publique a confié à une commission composée de MM. Pinelli, professeur au
Lycée Sainte-Cécile de Rome, Enrico Polo, du Conservatoire de Milan, et
Turchi, de la Philharmonique de Bologne, le soin d'examiner les autographes
de Paganini conservés par le neveu du célèbre violoniste dans une villa de la
province de Parme, dans le but de les faire acquérir par l'État. La commission
a reconnu l'importance de ces autographes, parmi lesquels se trouvent de
précieux ouvrages en partie encore inconnus. L'ensemble consiste en 33 auto-
graphes inédits, en 14 manuscrits revisés, en 18 pièces aussi inédites avec
accompagnement de piano du maestro Dacci, avec 13 autographes de mor-
ceaux naguère publiés par Schonenberger à Paris cl six autres pièces (dont
deux autographes et une manuscrite) de Rossini. Mozart, l'a'-r. I'arinelli et
autres avec les parties d'orchestre, enfin un paquet de musique tant manus-
crite qu'imprimée qui appartenait à Nicolo Paganini. Il y a en outre 0 duos.
14 trios, 10 quatuors, 11 menuets et 14 sonates ou sonatines.
— L'harmonie cesse décidément de régner da 1res, où l'accord
parfait passe à l'état de mythe. A Prato, l'orchestre du théâtre Métastase s'est
déclaré en grève et a refusé de prêter son concours > l'e técution de la Féduru
de M. Giordano, sous prétexte d'un article de journal dans lequel il était
traité avec une certaine sévérité. Ce que vovant, le directeur a suspendu les
représentations, se réservant d'en appeler ans tribunaux. Voilà-t-il
musiciens bien avancés ?
— Nouvelles de la prochaine saison d'hiver à La Haye. A l'Opéra-Royal
français une série de représentations de M"": Sigrid Arnoldson, la délicieuse
cantatrice ; au premier concert de la Société pour l'encouragement de l'art
musical, exécution de lu Damnation tir Faust sous la direction de M. Edouard
Colonne; à l'Opéra néerlandais, premières représentations, sous la direction
des auteurs, de trois ouvrages importants : lu Cloche engloutie de Zôllner,
Tiefland d'Eugène d'Albert, et lïenesius de Weingartner; enfin, des lé
fameux quatuor tchèque consacrées à Beethoven, et des séances de musique
de chambre moderne données par le pianiste Dirk Scbûfer, qui est un compo-
siteur distingué, et le violoncelliste Anton Hekking. — La saison de ['Opéra-
Royal français s'est ouverte par une représentation superbe de Ijikmé. de
Delibes, pour le début sensationnel d'une jeune et charmante cantatrice,
M"0 DynaBdumer, nièce et élève de Mme Lecocq-Beumer, de Bruxelles, donl
le succès a été éclatant. Belle voix, vocalisation parfaite* bonne diction,
excellent sentiment scénique, cette jeune artiste réunit toutes les qualités. Elle
a fait preuve d'une étonnante virtuosité dans l'air des Clochettes, qui a été
bissé d'enthousiasme et qui lui a valu une longue ovation.
— On se souvient qu'à l'occasion d'une soirée d'anniversaire, Mrai" Melba Ut
don à l'hôpital de Londres d'une somme de 50.000 francs. Pour rappeler ce
souvenir, une plaque commémorative a été placée dans l'établissement et deux
lits nouveaux porteront le nom de la cantatrice.
— M. Edward Elgar vient de résigner, pour cause de santé, ses fonctions
comme membre titulaire de la chaire de musique Richard Peyton. à Birmin-
gham. Il avait reçu le titre de professeur de cette chaire en 1905. et avait
consacré sa leçon inaugurale à l'avenir de la musique anglaise.
— On a fait entendre, au festival de Shellield, le Requiem de Verdi, une
suite sur l'opéra de Rimsky-Korsakow, ta Nuit île tfoèï Christmai, Èœ), lu
Passion selon saint Mathieu, de Bach, la Symphonie avec chœurs, de Beethoven.
l'Enfant prodigue, de M. Debussy, etc. Le programme du festival de Bristol
comprenait une œuvre nouvelle de M. Charles Stanford, Ode sur la mort 'de
Wellington, le concerto pour violon, de Brahms, exécuté par M. Kreisler, et
VÉlie, de Mendelssohn, qui a été donné cette année dans un grand nombre de
villes d'Angleterre.
— La musique comme moyen thérapeutique en faveur des idiots. La direc-
tion d'un établissement spécial, le Metropolitan Asylwn de Witham (Angle-
terre), fait savoir qu'un changement notable s'est produit dans cet Institut
depuis la création d'une bande musicale d'instruments de cuivre, autrement
dit une fanfare. On a reconnu chez les enfants choisis pour faire partie de cette
bande une rapide et considérable amélioration des facultés mentales. Certains
même, considérés jusqu'ici comme absolument incurables, vont beaucoup
mieux, et l'on entrevoit l'espoir de les guérir.
— « Les aventures et les mésaventures sentimentales du ténor Caruso. dit
un journal italien, i Teatri, sont sur le point d'avoir un épilogue agréable. A
peine le bruit se répandait-il que sa compagne n'était plus d'accord avec lui
qu'une jeune fille américaine, miss Lilian G. Berbours, lui télégraphia, avec
cette désinvolture qui caractérise les enfants de la Nord-Amérique, en lui pro-
posant de l'épouser. Elle était très belle, elle ne manquait point de ce que
nous appellerons le capital adéquat à son désir matrimonial, et elle se sentait
surtout malheureuse de la solitude imméritée du divo. Enrico Caruso ne fut
point insensible à ce geste d'extravagance atfectueuse, il entra en relations
étroites avec l'Américaine et, à ce qu'on assure, les noces auront lieu régu-
lièrement. De son côté, Adia Giachetti (la, compagne) a décidé de retourner à
l'art lyrique > .
— Un qui n'est pas à plaindre, c'est M. Harry Lauder, un des acteurs les
plus applaudis des théâtres de Londres, qui vient d'être engagé pour une
grande tournée au pays des dollars. Sa tournée aux Etats-Unis durera vingt
semaines, pour chacune desquelles il recevra la bagatelle de 1000 livres
sterling, soit '23.000 francs. De sorte que pour cent quarante jours il encaissera
une somme totale de 300.000 francs. A ce prix-là je risquerais bien une cour-
bature. Et vous ?
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Une grosse nouvelle. Il s'agit de la question du déplacement et de la
reconstruction du Conservatoire, depuis si longtemps pendante sans qu'il fut
possible d'arriver à une solution. La voici engagée de nouveau, et cette fois
d'une façon non seulement sérieuse, mais pratique et surtout rapide, ce qui
est une essentielle qualité. C'est au désastre de l'hôtel des téléphones, à l'in-
cendie du Gutenberg, qu'on doit la nouvelle combinaison qui a surgi tout à
344
LE MÉNESTREL
coup. On cherchait la possibilité de placer l'un des trois nouveaux bureaux
téléphoniques dans un point très central de Paris, à portée facile du public.
Mais où? point de terrains vacants nulle part. Un député, M. Chautard, pro-
pos-, d'en créer un. en délogeant le Conservatoire, l'endroit paraissant parti-
culièrement propice. Mais où ëmigrerail le Conservatoire? A la caserne de la
Nouvelle-France, un peu plus haut dans le faubourg Poissonnière. Ce serait
tout profit pour le Conservatoire, dont les locaux actuels sont trop petits et
mal installés; et la guerre n'y perdrait pas, car on lui fournirait les moyens
de construire ailleurs une caserne neuve. Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'il est
question de ce transfert. On en parlait déjà il y a vingt ans. Mais la dépense
à engager et l'intervention de plusieurs ministères dans les négociations n'ont
pas facilité celles ci, qui n'ont jamais pu aboutir. L'appui apporté au projet
parle ministre des travaux publics permettra peut-être d'y arriver. Si on cal-,
cule que la reconstruction du Conservatoire coûterait à elle seule 3.600.000 fr.,
mais qu'il faut prévoir o millions en chiffres ronds pour y adjoindre une salle
d'auditions et de concerts qui fait défaut à Paris, bien que le projet en ait été
maintes fois dressé ; si on ajoute B00.003 francs pour construction d'une
caserne neuve, on arrive à une dépense totale de b millions et demi. Trois
millions seraient trouvés dans la revente d'une partie des terrains du Conser-
vatoire et dans une contribution du ministère des postes (crédits d'extension
des services téléphoniques). Le reste serait l'objet d'une demande spéciale de
crédits. La combinaison aurait déjà, nous dit-on. l'agrément de principe des
divers ministères intéressés. Reste a l'étudier en détail. Ce sera l'affaire d'une
commission, dont M. Chautard demande ia création. Quant à l'exécution, elle
serait rapide :
En raison, dit M. Chautard, de la nécessité où se trouve l'administration des télé-
phones d'effectuer au plus tût les travaux de réinstallation et d'accroissement qu'elle
projette et que réclame le service, il faudrait obtenir que le Conservatoire abandonnât
sans délai toute la partie de l'immeuble qui devrait être remise au ministère des
postes.
Cela ne se fera pas sans inconvénients ni sans quelque trouble dans les habitudes,
mais nous croyons savoir que le directeur, du Conservatoire et le corps enseignant
tout entier mettront le plus grand empressement à se plier aux difficultés de la
situation, tant leur désir est vif de voir enfin se réaliser le projet qui permettra de
donner à chacun des cours l'installation commode, pratique, nécessaire, réclamée
depuis si longtemps, digne enfin de notre grand éiablissement national.
En échange, le Conservatoire prendrait immédiatement possession des locaux de
la caserne, évacués par les services militaires, et s'y installerait provisoirement.
Étant donnée la configuration du terrain, les travaux de reconstruction du Conserva-
toire pourraient commencer de suite sur les deux tiers environ de l'emplacement
projeté.
Et voilà comment il se fait que, très rapidement peut-être, étant données
les circonstances, le Conservatoire se trouverait déplacé, reconstruit, et enfin
en possession d'une demeure convenable, élevée expressément pour lui et
selon ses besoins, au lieu de la masure immonde et piteuse dans laquelle on
le laisse pourrir depuis si longtemps. Que les dieux lui soient propices, et
qu'enfin Paris possède une école musicale digne de l'art et digne de lui-
même!
— Dans sa dernière séance, l'Académie des beaux-arts a attribué le prix
Beulé (1.500 francs) à M. Raoul Laparra. ancien prix de Rome, ex-pension-
naire de la 'Villa Médicis, et auteur de la Habanera, ouvrage représenté récem-
ment à l'Opéra-Comique.
— Informé que les articles 32 et 56 de la nouvelle ordonnance de police
sur les théâtres étaient restés lettre morte dans plusieurs théâtres, M. Lépine
a adressé une circulaire aux commissaires de police ieur enjoignant de faire,
à l'impioviste, des inspections dans ces théâtres et d'y surveiller particulière-
ment les endroits interdits aux fumeurs : loges d'artiste, foyer, magasins,
ateliers, cage de scène et dépendances, dégagements, — et, à l'occasion, de
dresser procès-verbal aux délinquants.
— L'Opéra-Comique, qui n'avait pas joué Louise depuis d'assez longs mois —
pourquoi? — en a donné, jeudi, une très bonne reprise devant une salle
archibondée qui a fait relever le rideau trois et quatre fois après chacun des actes
du roman musical de vie si pittoresque et si intense de Gustave Charpentier.
Il y avait d'ailleurs, ce soir-là, une distribution des beaux jours, avec Fugère,
qui faisait sa rentrée dans le rôle du Père, qu'il a créé et où il reste artiste
merveilleux de bonhommieet d'autorité tout à la fois, avecMlle Berthe Lamare,
qui chantait Louise pour la première fois et jouait le personnage avec des
qualités de charme, d'intelligence et de nervosité tout à fait prenantes, avec
M. Léon Beyle, Julien parfait, avec Mlk' Lassalle, une mère émue et réaliste,
avec M. Francell, un élégant Plaisir de Paris, avec encore, dans tout ce petit
monde qui grouille de si amusante façon dans l'œuvre, Mme Guionie (Irma),
Mllc Rachel Launay (l'Apprentie), M. Vigneau (le Chansonnier), et Mmc de
Poumayrac (le Gavroche) et tant et tant d'autres aux divers mérites. — Orphée
est descendu en scène. L'ouvrage passera vraisemblablement dans une quinzaine.
MUe Raveau chantera Orphée, Mn,e Vallandri incarnera Eurydice et MUc O'Brien
interprétera le rôle de l'Amour. — Saur/a, le drame musical de M. Isidore de
Lara, sera décidément la première nouveauté de la saison à l'Opéra-Comique.
On répète déjà les ensembles sous la direction de l'auteur. Mais alors, que
devient la Solange de M. Salvayre? — Spectacles de dimanche : en matinée,
Tosca; le soir, Louise. Lundi, en représentation populaire à prix réduits :
Mignon.
— Au Conservatoire. — Un emploi de professeur titulaire d'une classe d'har-
monie au Conservatoire est vacant, par suite du décès de M. G. Marty. Les
candidats doivent se faire inscrire, au secrétariat du Conservatoire, dans un
délai de quinze jours à partir de la présente insertion.
— Les matinées-conférences de critique orale données l'année dernière par
M. Camille Le Senne à l'École des Hautes-Études sociales, auront la suite
nécessitée par l'éclatant succès de celte tentative originale qui est la résur-
rection sous une forme vivante et militante de l'enseignement théâtral hebdo-
madaire des Sarcey et des LaPommeraye dans l'ancienne salle des Capucines.
La seconde année des semaines théâtrales de notre brillant collaborateur
commencera en novembre dans le hall de la rue de la Sorbonne où, chaque
lundi, à 4 heures 1/4, le <• Feuilleton parlé i sera consacré à l'analyse drs
grandes nouveautés dramatiques ou musicales.
— Je reçois le second volume, qui vient de paraître (librairie Ernest Leroux),
du beau recueil, et fort intéressant, des Chants et Chansons populaires du Niver-
nais, recueillis et classés par un vrai poète, M. Achille Millien, enfant di
pays, avec les airs transcrits et notés par J.-G. Pénavaire. C= volume n'est pa:
moins substantiel que le précédent et n'offre pas moins d'intérêt pour l'élude
du folk-lore de nos provinces. Le premier contenait les complaintes et le
chants historiques (complaintes religieuses — légendaires, tragiques et drama
tiques — criminelles), au nombre de 260. Celui-ci est consacré aux chanson
anecdotiques (sujets imaginaires ou romanesques — guerre et garnison, sujet
familiers, petites aventures — chansons plaisantes et facétieuses), et ne com
prend pas moins de 210 numéros. Il en est de charmantes, de ces chansons; i
en est que nous connaissons déjà, car nul n'ignore que la même idée so re
trouve souvent, traitée de façon différente, dans nos différentes provinces, e
ne diffère que par la forme; mais ici cette forme est parfois pleine de grâce
de tendresse et de mélancolie, et la musique qui accompagne la poésie ne 1
lui cède en rien, avec son caractère de tristesse douce et résignée. Je m .
rappelle, parcourant à pied, il y a bien longtemps, toute la longue chaîne d
Mor.van, contrée d'une couleur parfois un peu sombre et qui s'arrête au Nivei
nais, avoir été frappé par les chants touchants. et caractéristiques que me fai
saient entendre les paysans conduisant leur charrue ou rentrant, aux première
heures du soir et presque à la nuit tombante, leurs troupeaux à l'étable. Sou
le soleil couchant, dans la pénombre du crépuscule, cela était d'une douceu
inGnie et laissait au cœur une impression délicieuse. Cette impression, je la
retrouvée en feuilletant avec attention le beaureeueil que nous offre M. Achill
Millien, recueil dont le troisième et dernier volume est annoncé comm
devant paraître incessamment et que je ne saurais trop recommander à tou
ceux qu'intéresse cette question des chants populaires de nos provinces d
France. A. P.
— C'est une terrible concurrence que fait, au café concert, le Nouveau
Cirque avec sa nouvelle Revue. Car, s'il y a toujours des clowns dans le luxueu
établissement de la rue Saint-Honoré. il y a, en plus, cette fois, des vedettt
nombreuses, telles que M"c Lise Fleuron, dont le sourire est toujours sédui
sant, que M"c Angèle Lérida, aussi charmante comme femme que comm
chanteuse, que M. Régiane, compère à l'organe conquérant, que Mli0 Cécil
Delagarde, de belle humeur, et que MM. Danverset Baldy, comiques do répi
tatinn. Tout ce petit monde, augmenté du personnel habituel de la maison,
compris le corps de ballet traditionnel, déambule agréablement au travers d(
scènes, inventées pour la circonstance, par MM. Codey et Trébla. Comm
apothéose, un nouveau truc qui fait déferler, du cintre dais la célèbre piscint
d'imposantes cascades que colorent, innombrables et divers, des torrents élet
triques.
Couns et Leçons. — M"' Menant a repris ses leçons particulières,, et reprendra e
novembre ses cours de musique d'ensemble pour jeunes fille':— et dames amateur
18, rue du Val-de-Gràce. — M. et M"* Mougin ont repris leurs cours et leçons c
piano, solfège et dictée musicale, 29, rue des Vinaigriers. — M. et M""" Henri Dt
blauwe ont repris leurs leçons de piano et de violoncelle, 142, rue Lafayetle.
NÉCROLOGIE
Lundi dernier est mort subitement M. Georges Pellerin, l'un des deu
agents généraux de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques. A;
cien avoué, il avait compté dans sa clientèle la Société, dont il devait deven
l'agent en 1892, succédant dans celte charge à M. Debry, qui avait lui-mèn
succédé à Péragallo. C'était un très aimable homme, serviable et de relatioi
sûres. Très ferré sur toutes les questions de procédure et de jurisprudence,
était, pour la commission et pour les auteurs', d'uu précieux secours dans 1
questions sur lesquelles il pouvait être consulté. Georges Pellerin a succom!
aux suites d'une congestion cérébrale que rien ne faisait prévoir. Il avait cil
quante-neuf ans. Ses obsèques ont été célébrées jeudi, en l'église Noire-Dam
de-Gràce de Passy, et l'inhumation a été faite au cimetière Montmartre.
Dès que la mort de M. Pellerin lui fut connue, la commission des auteui
que ce deuil a profondément affligée, s'est réunie d'urgence et a nomi
administrateurs provisoires de sa charge, maintenant vacante, MM. A. A
gneron, contrôleur général de la Société, et A. Bloch, fondé de pouvoirs
M. Pellerin.
Henri Heugei., direeteur-géranL
— (Encre Lorilleoii.
4049. - U° ANNÉE.- A0 M. PARAIT TOUS LES SAMEDIS Samedi 31 Octobre 4908
(Les Bureaux, 2bls, rue Vivienne, Paris, n«iir>)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
lie fluméro : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
Ite fluméro : 0 fr. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (42a article), Julien Tiersût. — II. Semaine théâtrale : première représentation du Crépuscule des hieux à l'Opéra, Arthur Pougin; premières repré-
sentations de VHeure de fa Bergère, au Palais-Royal, et d' Arsène Lupin, à l'Athénée, Paul-Ksule Chevalier. — III. Revue des grands concerts. — IV. Nouvelles diverses, concerts
et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
DORMONS PARMI LES LYS
mélodie de J. Masseneî. — Suivra immédiatement : Caresses, mélodie de Gabriel
DlPONT.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
D'UN PAS LÉGER
marche de P. Bades. — Suivra immédiatement : liourrée et musette, de
A. PÉIULIIOC.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
(±T 14-1774)
CHAPITRE IX : Alceste.
Alceste, deuxième ouvrage dû à la collaboration de Gluck et
de Calsabigi, fut représenté pour la première fois sur le Théâtre
de la Cour à Vienne, le 16 décembre 1767 (1).
Dans cette étude, qui nous a procuré l'occasion de révéler tant
de particularités ignorées dans l'œuvre de Gluck, nous devons
tenir pour connus du lecteur les cinq
chefs-d'œuvre qu'il a donnés à la France
et ne pas nous livrer sur eux à d'inutiles
analyses. Cependant, il faut nous arrêter
de façon particulière sur la partition de
ïAlceste italienne par la raison que cette
œuvre est toute différente de Y Alceste
française.
Le premier acte est celui qui, de l'une
à l'autre, a subi les moindres modifica-
tions. L'ordre des tableaux y est le même.
Encore ne saurait-on dire que la version
française ne soit qu'une adaptation de
l'italienne, car il n'est, en vérité, pas un
seul morceau qui n'ait été, non seulement
écrit une seconde fois par la main de Gluck
(le manuscrit autographe de la partition
française (2) en fait foi), mais notablement
remanié à cette seconde rédaction.
On l'aperçoit dès l'ouverture. Dans la version française, ce mor-
ceau s'enchaine, sans conclure, aux premiers accords du chœur
qui, sans rompre le développement du discours musical, vient
se mêler aux instruments pour en continuer l'harmonie. Dans
l' Alceste italienne, l'ouverture, sans connaître ce prolongement,
s'arrête simplement d'elle-même sur une cadence à la domi-
nante, à quoi répondent immédiatement les trompettes sonnant
pour annoncer la proclamation du héraut.
Au premier chœur (complètement re-
manié) succédait, dans la première parti-
tion, une Aria cli pantomimo che exprime
desolasione e lutto. Cet épisode a été supprimé
dans la partition française, et la musique
renvoyée au tableau du Temple, où elle
accompagne la célébration du sacrifice.
Son accent, son rythme même l'y des
tinaient moins bien qu'à exprimer 1
désolation et le deuil.
Mais ne nous arrêtons pas aux détails
ils sont trop ! Bornons-nous donc à men-
tionner que, dans son premier air, Alceste
ne s'en tient pas à apostropher ses enfants :
ceux-ci (Eumèle, Aspasie, personnages
inconnus à l'ouvrage français) lui répon-
dent, unissant, au milieu de l'air, leurs
voix plaintives.
Au second tableau, la marche religieuse et toute la partie
chantée jusqu'à la sortie précipitée du peuple ont subsisté, mais
(1) Je ne sais par suite de quelle confusion cette date a été inexactement rapportée par plusieurs biographes ou éditeurs de Gluck, avancée par eux d'une année (voir l'édition
Pelletau et celle de M. Gevaert, qui s'accordent à indiquer le 26 décembre 1766). Cette erreur provient sans doute de la façon quelque peu vague avec laquelle Schmid a
présenté les documents relatifs à la première représentation d' Alceste: cependant, en y regardant avec attention, il apparaît bien que le compte rendu du Wiener Diarium qu'il cite
est de l'année 1767, et qu'il donne pour la première représentation la date du 16 décembre. Quant à Fétis, toujours soigneux, voici comment il nous renseigne : « Gluck écrivit à
Vienne, de 1761 à 1764, Alceste, Paris et Hélène et Orphée » (p. 31 du 4" vol. de la Biographie universelle des musiciens.) Plus loin : « Il écrivit, en 1766, l'.-i/ceste de Calzabiei »
(p. 33). Il ajoute pourtant que la représentation eut lieu l'année suivante, et, au catalogue chronologique, arrive eniin à donner sans faute la date de l'année 1767 (p. 39 .
(2) Le manuscrit autographe de la partition française cVAIces/e appartient à la Bibliothèque Nationale.
346
LE MÉNESTREL
toujours avec des retouches. L'exemple noté que nousallons donner
va montrer jusqu'où ces remaniements pouvaient aller, et à quel
point ils modifiaient parfois l'économie de la composition. Alceste,
restée seule dans le temple, dit le récitatif correspondant à celui
que nous connaissons : « Où suis-je ? 0 malheureuse Alceste ! » Mais
l'air qu'elle enchaîne n'est pas : « Non, ce n'est pas un sacrifice » ;
c'est celui qui devint : « Divinités du Styx ». Or, voici l'exposition
de cet air telle qu'elle nous est révélée par la partition italienne.
A , ALCESTE
Tromb.Cors H1? FI.
ALCESTE
T
romb.Cors H^ FI.
ALCESTE
rr\
/
Om -
bre!
f
Lar
_ ve!
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Com
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. te!
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Non vi
cnie_do,non vo.gliopie
. ta.
Non vi
chie-do. Non
Tromb.etc. Vio.
vo.glio,
, Trorr
Non
b.Vi
vi
ol.
chie.do.noa vo.glio pie
- ta' ^*z r*^s f>—
"f
_ * T T "-« f^iF
^ ^
~p/^p
p /].
7*
_f* *
Jff
Tous
etc.
On a peine à reconnaître les grandes lignes de la phrase
illustre, — et, de fait, il n'y a même pas une mesure de chant
qui soit identique dans les deux versions. Berlioz a maintes fois
avoué sa préférence pour le premier énoncé de l'invocation dans
la forme italienne, où le dialogue entre l'héroïne et les voix
souterraines représentées par les instruments est mieux dessiné
qu'avec les paroles françaises : Divinités du Styx. En effet, s'il est
vrai que le caractère déclamatoire de ces mots est en grand rapport
avec l'esprit de la scène, par contre leur long déroulement a pour
résultat de confondre sur un même temps fort la dernière syllabe
de l'hémistiche avec l'attaque des instruments qui répondent, et
cela est moins heureux. L'on ne peut cependant méconnaître
que, dans son ensemble, la période française ait vraiment
plus de grandeur.
Avec la fin de l'acte du temple commencent à se prononcer les
différences complètes que nous n'allons plus cesser d'avoir à
constater. Après qu'Alceste a lancé son défi aux puissances in-
fernales, — sans s'engager encore avec elles, et sans avoir rappelé
le prêtre, — le peuple, qui fuyait naguère, rentre dans le temple.
Là se place un morceau de grand caractère : un chœur dialogué,
où. sur la trame modulante de l'orchestre, les voix dialoguent
entre elles, se renvoyant l'une à l'autre des paroles découragées :
« Est-il quelqu'un qui s'offre? — Personne ne se présente-t-il
encore? — Vain espoir! — J'aime la vie... — Mon vieux père...
— Mes enfants... — Mon époux... — Ma femme... — Objets ai-
més, — Tant amoureux, — Si tendres... » Ces voix dissé-
minées arrivent à se réunir en une harmonie commune; puis elles
reprennent, s'éparpillant de nouveau : « Les abandonner dans le
deuil!... — Les laisser dans les larmes!... — Je n'ai pas le cœur.
— Je ne me sens pas tant de vertu. — Je tremble d'y penser...»
Gluck a donné là un premier exemple, peut-être le plus poussé,
de l'art qu'il avait naturellement de faire parler les foules. Evo-
quer à propos de cette page oubliée le souvenir des chœurs des
Maîtres Chanteurs serait à peine déplacé. Un épisode animé, peut-
être nécessaire à l'économie de l'œuvre, vient malheureusement
interrompre cette belle impression d'art en y faisant succéder
la banalité d'un finale d'opéra.
(A suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THEATRALE
Opéra. — Le Crépuscule
Dieux, drame musical en trois actes et un prologue,
{-13 octobre
A tout prendre, le Crépuscule des Dieux n'est pas plus long que les
grands ouvrages du répertoire de notre Opéra, il y a un demi-siècle. Sa
durée ne dépasse pas celle de la Juive ou de Charles VI, des Huguenots
ou du Prophète, et en commençant le spectacle à sept heures, on en
pourrait très bien terminer la représentation aux approches de minuit,
même sans faire de coupures. Mais Wagner, qui prétendait ne rien
faire comme tout le monde et qui tenait surtout à a épater » les popula-
tions, eut cette trouvaille géniale de diviser l'exécution de son œuvre
en deux parties coupées par un repas plantureux, ce qui était d'ailleurs
très allemand comme procédé gastronomique. Il fit crier ainsi à l'ori-
ginalité — d'autres diraient à l'excentricité — et il atteignit le but qu'il
cherchait, celui de faire parler de lui. Dieu sait si l'on a souvent
reproché jadis à Meyerbeer son amour de la publicité et le soin qu'il
prenait de fixer et d'entretenir toujours l'attention sur sa personne et
sur ses œuvres ; mais Meyerbeer n'en était qu'à l'enfance de l'art, et
quel passé maître charlatan en eût pu remontrer à Wagner pour l'éclat
et l'effronterie de la réclame ? Il savait bien ce que c'est que le public,
même en Allemagne, et comme il le faut traiter.
Toutefois, il est un point sur lequel Wagner s'est trompé ; c'est
lorsqu'il a cru qu'on pouvait abuser impunément, je ne dirai pas de la
patience, mais de la faculté d'attention du public. Je dis que l'artiste
qui oblige l'auditeur à écouter deux heures de musique sans désem-
parer (comme le prologue et le premier acte du Crépuscule, qui s'en-
chainent) ne se rend compte, ni, d'une part, des conditions de l'art
paroles et musique de Richard Wagner, version française d'Alfred Ernst.
1908.)
qu'il exerce, ni, de l'autre, de l'étendue des facultés humaines. Outre
qu'il est difficile à un compositeur d'être sublime pendant deux heures,
ilne l'est pas moins de trouver des oreilles capables de discerner, dans
de telles conditions d'attention et de fatigue, les beautés musicales
qu'on peut lui offrir. Dans la situation toute spéciale et particulière
qu'il avait su se faire à Bayreuth, Wagner, souverain absolu et omni-
potent, a pu se dire à lui-même : « Je forcerai bien le public à m'écou-
ter. » Parfaitement : le public l'a écouté — à Bayreuth. Mais partout
ailleurs, et tout d'abord en Allemagne, il a fallu, pour faire accepter
l'œuvre, l'alléger considérablement, et tailler sans pitié dans cette forêt
musicale si touffue et si encombrante, où, pour rappeler le mot d'un
plaisant, les arbres empêchaient de voir la forêt. Et on a coupé, et on
a rogné, et on a supprimé, tout comme on avait déjà coupé, rogné et
supprimé dans Tannhâuser, dans Lohengrin et dans Tristan, parce que,
il faut bien le dire, Wagner, malgré son génie, n'a jamais eu ni le
sens du théâtre, ni, au point de vue purement musical, le sens si pré-
cieux de l'équilibre et des proportions. Voyez, dans le Crépuscule, la
scène interminable des Nornes, qui ouvre le prologue ; voyez, au pre-
mier acte, ce dialogue entre Hagen, Gunther et Gutrune, qui semble ne
devoir jamais finir; voyez encore, au tableau suivant, le sermon que
Waltraute fait à Brunehilde, qui contient pourtant de belles parties,
mais qui a le tort impardonnable de durer, montre en main, vingt-
cinq minutes ; et la harangue de Hagen aux chasseurs, et le récit de
l'existence de Siegfried fait par lui-même !... Que de longueurs, que de
LE MENESTREL
347
redites, que d'inutilités, pour écraser l'auditeur sous le poids d'un
bavardage musical souvent intolérable !
Et il faut noter que ce défaut dans l'équilibre et dans les proportions
est la conséquence en quelque sorte fatale de son système, le système
de la prétendue « mélodie infinie ». Wagner proscrivait de façon
absolue les morceaux de forme arrêtée : duos, trios, etc., qui ne peuvent,
par le fait même de leur construction, se prolonger plus que de raison,
et qui ont une conclusion inévitable. Mais, écrivant ses poèmes lui-
même et faisant parler ses personnages à sa guise, il mettait ses paroles
en musique et se laissait entraîner par elles sans se rendre compte, si
l'on peut dire, du temps et de l'espace, allant toujours, toujours, jusqu'à
ce que ses personnages aient dit tout ce qu'il voulait leur faire dire.
On comprend que. dans ces conditions, les longueurs soient fatales,
mais on comprend aussi que lorsqu'elles sont excessives, comme c'est
surtout le cas dans le Crépuscule, ainsi que dans Tristan, l'auditeur le
mieux disposé finisse par être fatigué, quoi qu'il eu ait, et voie s'évanouir
son attention.
C'est ce que les Allemands, qui ne sont pas bâtis autrement que les
autres hommes, ont fini par éprouver, et c'est pourquoi nulle part -en
Allemagne, sinon à Bayreuth, on n'exécute le Crépuscule dans son inté-
gralité. Lorsqu'il y a six ans (17 Mai 1902), sous la direction deM.Cor-
tot, une série de représentations en fut donnée au Théâtre du Chàteau-
d'Eau, ce fut avec les coupures pratiquées d'ordinaire; et c'est dans ces
seules conditions que l'ouvrage pourra prendre sa place dans le réper-
toire de l'Opéra, encore que je ne croie pas qu'il y trouve jamais la
fortune de Tanrihâuser et de Lofiengrin, en dépit des deux scènes cruelles
qui ouvrent le second acte de celui-ci.
Précisément, j'ai rendu compte ici-même du Crépuscule des Dieu.rïovs
des représentations très honorables que nous en offrit naguère le Chà-
teau-d'Eau, avec le concours de Mme Litvinne, superbe Brunehilde, ayant
pour partenaire M. Dalmorès incarnant Siegfried. Vais-je donc recom-
mencer à vous raconter dans tous ses détails ce poème enfantin, naïf
autant qu'il est possible, maladroit par surcroit, et qui semble un défi
jeté au sens commun et au sens théâtral? Ce poème ne peut offrir un
semblant d'intérêt au spectateur que lorsqu'il connait non seulement
les deux ouvrages qui l'ont précédé, la Valkyrie et Siegfried, mais sur-
tout le prologue de la Tétralogie, l'Or du Rhin, qui explique et expose le
sujet et l'idée mère de l'œuvre totale. Or, c'est précisément ce prologue
révélateur. l'Or du Rhin, qui, des quatre parties de la Tétralogie, reste
aujourd'hui la seule inconnue du public parisien. iPar exemple, méfiez-
vous de celui-là pour l'avenir : il n'a qu'un acte, mais qui dure
deux heures trois-quarts !).
Y a-t-il, comme certains le prétendent pour pouvoir admirer eu
Wagner le poète avant le musicien, y a-t-il une austère leçon de
morale, voire une pensée profondément philosophique dans le sujet
que Wagner a traité avec autant et de si cruels développements en
cette œuvre colossale, qui a surtout le défaut d'être trop profondément
colossale ? Où diable la morale et la philosophie vont-elles se nicher ?
En réalité, c'est l'amour de l'or qu'il a voulu flétrir dans cette œuvre
profondément symbolique (on n'eût pas cru Wagner si méprisant pour
« ce vil métal »), cet or dont tous, même les dieux! se disputent avec
fureur la possession, et qui est l'unique cause des maux qui déchirent
le monde. Ce que Le Sage avait traité en cinq actes comiques dans
Turearet, Balzac en trois actes dans Mereadet, l'un et l'autre en simple
prose, Wagner le délaya, musicalement, et dans le genre féerique et
légendaire, en quatre opéras gigantesques.
C'est dans l'Or du Rhin que nous faisons connaissance avec Thor-
rible nain Albèrich, le chef de cette race informe de gnomes qu'on
appelle les Nibelungen. Albèrich est en possession de l'or enfoui dans
le fleuve et dont il a su s'emparer, cet or qui doit lui donner la toute-
puissance à la condition qu'il renonce pour jamais aux joies et aux
ivresses de l'amour, et avec lequel il s'est fait forger un anneau, —
l'anneau des Nibelungen, — qui doit exciter les convoitises de tous.
Successivement, dans la Valkyrie et dans Siegfried, c'est d'abord Wotan.
le dieu suprême, qui veut s'emparer de. cet anneau pour en payer la
rançon de Freia, la déesse de l'amour et de la beauté, que retiennent
prisonnière les deux géants farouches Fafner et Fasolt, lesquels ne
consentent qu'à ce prix à la délivrer. Wotan, qui, malgré son caractère
divin, n'en est pas à cela près d'une canaillerie, se rend, à l'aide d'un
subterfuge, maitred' Albèrich, le réduit à l'impuissance et l'oblige à se
défaire en sa faveur de l'anneau magique, qu'il remet alors aux deux
géants en échange de leur captive. Mais dès que ceux-ci se trouvent à
leur tour en possession du talisman, chacun veut l'avoir à lui seul.
Une querelle ne tarde pas à s'élever entre eux à ce sujet, et cette que-
relle dégénère bientôt en un combat dans lequel Fasolt est tué par
Fafner, désormais seul propriétaire du trésor. Nous voyons ensuite
Siegfried, b'jeuue hémou'-r lui-même letiéani Faine ipii s'esl inutile-
ment transformé en dragon, pour s'emparer de l'anneau, grâce auquel
il pourra braver impunément tous les périls pour aller délivrer la fille
de Wotan, la vierge Brunehilde, que celui-ci, pour la punir de Lui
avoir désobéi, a laissé endormie sur un rocher qu'il a entouré de
llammes éternelles.
C'est précisément après la délivrance de Brunehilde par Siegfried,
qui termine Siegfried, que commence le Crépuscule des Dieux, i Pourquoi
seulement le « crépuscule", puisque c'est leur anéantissement com-
plet?! Au prologue, après la conversation ténébreuse et bien inutile
des trois Nornes, les Parques Scandinaves, nous assistons aux adieux
de Brunehilde et de Siegfried, qui s'en va courir le monde, on ne sait
pourquoi. En partant, il laisse à celle qu'il aime l'anneau magique
qu'il a conquis sur le géant Fafner. — Le premier acte nous amène
dans une salle du vaste manoir des Gibichungen, sur les rives 'Ju
Rhin. Là se trouvent le roi Gunther, son frère Hagen et leur sœur
Gutrune. Dans un long entretien, ils décident que Gunther épousera
Brunehilde, tandis que Gutrune devra s'unir à Siegfried. Survient
celui-ci, à qui Gutrune verse un philtre, (à moi, Trwtant) qui le rend
épris d'elle en même temps qu'il lui enlève le souvenir de Brunehilde.
Siegfried demande aussitôt la main de Gutrune et propose a Gunther
de lui ramener Brunehilde. Le théâtre change, et nous nous retrou-
vons dans le décor du prologue et auprès de Brunehilde. Wotan, qui
pense encore à l'anneau et qui est désolé de s'en être séparé, envoie
auprès d'elle la Valkyrie Waltraute pour la décider à la restituer aux
dieux. Brunehilde refuse, et Waltraute s'éloigne, désolée. C'est alors
qu'on voit arriver Siegfried, métamorphosé de façon méconnaissable.
11 arrache l'anneau du doigt de Brunehilde et l'entraîne malgré elle
dans le manoir des Gibichungen.
Second acte, sur les rives du Rhin, devant le manoir. Siegfried
parait, amenant Brunehilde à Gunther. Cris de joie au retour du
héros. On prépare les deux noces, celle de Gunther et de Brunehilde.
celle de Gutrune et de Siegfried, qui a repris sa forme première. En
voyant l'anneau à son doigt, Brunehilde crie à la trahison et l'accable
de reproches inutiles puisque, grâce au philtre de Gutrune, il a tout
oublié. Alors, pour se venger, elle révèle à Hagen le secret de la vul-
nérabilité de Siegfried, qui ne peut être tué que s'il est frappé entre les
deux épaules. De ce moment, la mort de Siegfried est décidée.
Troisième acte, une vallée boisée aux bords du fleuve. Les Filles du
Rhin s'ébattent en chantant dans les eaux lorsqu'arrive Siegfried. Elles
lui demandent l'anneaud'or qui brille à son doigt. Il refuse d'abord, puis
consent, mais alors elles refusent à leur tour et lui prédisent sa fin pro-
chaine : — « Aujourd'hui même, tu mourras. » Lui ne fait qu'en rire.
(C'est là l'une des scènes les plus délicieuses de l'œuvre.) Voici venir
les chasseurs, les compagnons de Siegfried. On l'entoure, on lui
demande un récit, et il s'exécute. Mais auparavant on boit, et Hagen lui
verse un nouveau philtre (!!) qui va lui rendre peu à peu la mémoire.
Siegfried raconte donc son histoire, mais lorsqu'il envient à sa conquête
de la Valkyrie, Hagen, qui l'accuse de trahison, le frappe de sa lance
dans le dos. Le héros tombe et expire en prononçant le nom de Brune-
hilde, dont il a retrouvé le souvenir. La nuit est venue, on fait une
litière de branchages pour y placer le corps de Siegfried, et le cortège
funèbre se met en marche. — Après un changement, nous nous retrou-
vons chez les Gibichungen. On rapporte le corps inanimé de Siegfried,
et Hagen veut s'emparer de l'anneau. Mais Gunther lui défend d'y tou-
cher, et, comme naguère les géants, les deux frères se battent alors pour
avoir le talisman, et Gunther est tué par Hagen... Mais déjà Brunehilde
a retiré l'anneau du doigt de Siegfried et l'a lancé dans le Rhin en
s'écriant : « La lin des Dieux est proche. Mais si leur race disparait, je
lègue à ceux qui prendront leur place un trésor incomparable : l'amour.
Ni l'or ni la puissance ne donnent le bonheur. » Et tandis que Hagen
est englouti dans le Rhin, où il s'est précipité pour conquérirl'anneau,
un bûcher est dressé sur l'ordre de Brunehilde, sur lequel ou porte le
cadavre de Siegfried. Elle-même, montant sur Grane,son cheval fidèle,
s'élance sur ce bûcher pour aller rejoindre dans l'infini celui qu'elle a
tant aimé. Alors un grand bruit se fait entendre, la nue éclate et se
déchire, et l'on voit au loin, à la lueur d'un immense incendie, le
Walhalla, la demeure céleste, qui s'écroule et disparait dans les flammes.
C'est le Crépuscule des Dieux, ou plutôt leur fin dernière.
Tel est ce drame bizarre, auquel on ne saurait refuser une certaine
grandeur, mais qui est singulièrement incohérent et d'une construction
informe, avec des procédés scéniques d'une puérilité vraiment décon-
certante. A remarquer seulement qu'au dénouement un seul de ses
personnages reste vivant : c'est Gutrune. Tous les autres : Siegfried.
Brunehilde, Hagen, Gunther, jusqu'au cheval, le pauvre Graue. pé-
rissent violemment. C'est un massacre général.
348
LE MÉNESTREL
On sait que l'analyse d'une œuvre de Wagner est impossible en ce
qui concerne le détail ; il y faudrait un volume. Je ne l'essayerai
donc pas. Pour ce qui est de l'ensemble, on connaît assez aujourd'hui
et les théories et les procédés du musicien pour qu'il soit inutile d'en-
tamer une nouvelle glose à leur sujet. D'ailleurs, une bonne partie de
la musique du Crépuscule des Dieux est déjà connue du public, qui l'a
entendu dans les concerts, et il va sans dire que c'est la meilleure. Il
est certain que l'œuvre est longue, lourde et fatigante, surtout telle que
nous l'avons entendue, d'autant plus fatigante au point de vue musical
qu'elle est parfois rebutante au point de vuescénique ; il est non moins
certain qu'elle contient des pages admirables et d'une envolée superbe,
encore que ces pages elles-mêmes pèchent souvent par une longueur
excessive, comme la très belle scène de Waltraute avec Brunehilde.
qu'on voudrait pouvoir louer sans réserve, n'était la lassitude qu'elle
finit par procurer. Il faut bien en dire autant de l'énorme récit dans
lequel Siegfried raconte ses exploits et qui excède les bornes permises.
D'autre part, tout le dialogue de Hagen, de Gunther et de Gutrune dans
leur manoir est d'un développement vraiment intolérable, et l'intérêt
n'en excuse pas la longueur. Mais la jolie scène des adieux de Siegfried
et de Brunehilde au prologue, mais le délicieux épisode des Filles
du Rhin, si plein de grâce, de couleur et de poésie, mais l'émouvant
et pathétique tableau de la mort de Siegfried avec sa prodigieuse
marche funèbre, tout cela est d'une beauté achevée et d'une réelle
splendeur. Si je considère l'ensemble toutefois, je ne puis m'empècher
de regretter toujours que Wagner traite la voix humaine comme une
quantité négligeable. Ici comme ailleurs, c'est bien l'orchestre qui est
omnipotent, c'est lui qui est le maitre et le roi, il s'impose trop exclu-
sivement aux dépens des voix qui lui sont sacrifiées sans pitié, et on ne
saurait trop répéter que ce principe est faux dans son essence, et que
l'oreille de l'auditeur en est affectée. Depuis longtemps sans doute tout
a été dit à ce sujet, mais il n'est pas mauvais de tenir encore nos jeunes
musiciens en garde contre une erreur si funeste.
Passons à l'exécution. Ici. ce qu'il faut louer sans réserve, c'est
l'ensemble, la précision et l'harmonie des masses. Orchestre et chœurs
se surpassent sous la direction à la fois souple et nerveuse de M. Mes-
sager. Pleins de vigueur quand il le faut — et il le faut souvent dans
cette musique — ils savent observer aussi les nuances les plus déli-
cates, et donner à chaque phrase, à chaque période l'accent, la cou-
leur et l'inflexion que chacune comporte et réclame. Ceci est bien près
de la perfection, et il y a vraiment longtemps qu'à l'Opéra nous nous
étions vus à pareille fête. C'était une joie que cette sûreté, cette déci-
sion dans le rendu général d'une œuvre si complexe et si fertile en
effroyables difficultés.
Je n'ai rien à dire de M. Van Dyck. sinon qu'il est égal à lui-même,
et l'on sait qu'il est, soit en Allemagne, soit en France, le ténor wagné-
rien par excellence, tant musicalement que scéniquement. M"'' Grandjean
a mis toute sa vaillance, toute son ardeur au service du rôle écrasant
de Brunehilde, en y joignant sa jolie voix; mais justement, elle se
dépense sans compter, et je crains que de tels rôles soient meurtriers
pour cette voix dont ils finiraient par altérer la pureté. Il n'importe:
son succès a été grand, et il était mérité, car elle s'est montrée non
seulement excellente cantatrice, mais comédienne ardente et pathétique.
M. Delmas. avec sa superbe diction, a donné au personnage du traitre
Hagen la couleur sombre et farouche qui lui convient : M. Gilly fait
bien sonner sa belle voix dans le rôle de Gunther. et le joli soprano de
Mlle Rose Féart trouve le moyen de briller dans celui, un peu sacrifié,
de Gutrune. Entre la répétition générale et la première représentation,
le personnage de Waltraute, dont l'unique scène a tant d'importance,
avait changé de titulaire. C'est Mllc Lapeyrette qui l'a chanté définiti-
vement, en y faisant preuve d'excellentes qualités.
Les personnages épisodiques ne méritent pas moins d'éloges. Xous
avons retrouvé MUe Lapeyrette, en compagnie de Mmes Gall et Laute-
Brun, dans le trio des Filles du Rhin, qu'elles ont fort bien chanté. Il
faut en dire autant de Mracs Charbonnel, Caro-Lucas et Alice Baron,
qui représentent les trois Nornes, sans oublier de mentionner M. Du-
clos pour la courte scène du nain Albérich avec Hagen.
En résumé, l'interprétation et l'exécution du Crépuscule des Dieux font
le plus grand honneur à l'Opéra, et s'il faut en louer chacun, il faut en
féliciter particulièrement M. Messager, qui en avait assumé la direction
et qui a obtenu le résultat que chacun a pu apprécier. — Artuub Pougin.
Palais-Royal : L'Heure de la bergère, comédie-vaudeville en 3 actes, de
M. M. Ordonneau. — Athénée : Arsène Lupin, pièce en 3 actes et 4 tableaux,
de MM. F. de Croisset et M. Leblanc.
Nous avions déjà « l'Heure du berger » ; grâce à M. Maurice Ordon-
neau, nous avons maintenant l'Heure de la bergère. Cette heure nouvelle.
c'est mistress Blossom qui entend la faire sonner. Pourquoi? Parce
que, divorcée d'un yankee fatigué, qui remplissait plutôt mal ses de-
voirs conjugaux, et serrée de très près par le joyeux fêtard Frobertville,
elle a peur que ce dernier, semblant avoir abusé et paraissant abuser
encore, ne soit pas non plus à la hauteur de sa tâche. Comme elle est
d'idées assez larges, elle acceptera de devenir madame Frobertville.
mais seulement après épreuve concluante. Elle fera signe à l'improviste
à son fringant prétendant, qui devra répondre sans hésitation à son
premier appel.
Frobertville. qui toujours fut excessivement brillant, malgré la pré-
caution qu'il a eue de s'ingurgiter une drogue composée évidemment
avec la recette des Dragées d'Hercule, et à cause d'une blonde Rose, qui
autrefois fut sa femme de chambre, et encore d'une charmante madame
Sabourdin. qui fut déjà beaucoup mêlée à son existence de célibataire.
Frobertville, le pauvre, est pris tout à fait au dépourvu 1 Heureusement
pour lui, mistress Blossom est femme de bon sens ; elle pardonne la
défaillance passagère et renonce aux preuves personnelles, convaincue,
quand même, que l'avenir lui réserve une part fort belle de joies
conjugales.
L'Heure de la. bergère, qui n'a point été écrite pour les jeunes filles,
est bien jouée par la troupe du Palais-Royal qui se reconstitue peu à
peu. En effet, voici revenir au bercail M. Charles Lamy, un des plus
fins parmi les comédiens de composition du moment, et M. Hurteaux.
dont la suffisance bedonnante n'est point sans rondeur. Ils reprennent
la place, qu'on leur avait vu quitter avec déplaisir, parmi M. Le Gallo,
de bel entrain. M'^Dickson, Pierval, Yrven, Paule Evian, Ariel, adroites,
sympathiques ou élégantes, Mme Guilty, caricaturale, et M. Diamand.
nigaud bon enfant. M. Barrai, qui fut de la Comédie-Française, prête
son comique très apprêté à un personnage aussi éjiisodique qu'inutile.
L'anecdote policière est en grande mode à Paris depuis déjà quelque
temps, mode qui, comme tant d'autres, nous vient d'Angleterre, encore
qu'elle fut créée à Paris, voici des années, par le bon et inventif roman-
cier Gaboriau. Le joli monsieur mis avec recherche et crochetant, en
cravate blanche et en impeccable habit, les serrures des maisons
chic où on recherche sa présence décorative et séductrice, a su se
gagner les sympathies vivaces des dames qui ne se lassent pas d'ap-
plaudir à ses canailleries menées avec élégance et dilettantisme. Elles
s'en lassent si peu — et il est juste de dire que leurs compagnons se
laissent facilement gagner à leurs préférences — que voilà bien le
troisième échantillon de cambrioleur mondain qu'on nous offre sur des
scènes parisiennes.
La veine, loin de s'épuiser, après ce semblant d'abus, continue de
plus belle, et l'Athénée tient, à n'en pas douter, un gros succès avec
l'Arsène Lupin, que MM. Francis de Croisset et Maurice Leblanc ont
découpé dans le roman du dernier nommé.
Faut-il vous raconter les exploits hardis et d'un modernisme raffiné
de cet Arsène Lupin, reçu dans la haute société sous le nom de duc de
Chamerace? Non, car l'on craindrait de s'égarer dans les complications
pas toujours assez claires des auteurs, et d'atténuer l'effet produit par
un découpage absolument adroit, qui dose de façon très roublarde —
c'est le mot, encore qu'il soit plutôt trivial — la fantaisie, l'esprit,
l'anxiété et la sentimentalité. Le mieux est d'y aller voir, d'autant
que vous trouverez condensées là les impressions gaies ou palpitantes
qu'il vous faudrait aller chercher et au Vaudeville, et aux Nouveautés
et à l'Ambigu. Trois genres en simplement quatre tableaux, ce n'est
point déjà si mal.
Arsène Lupin, c'est M. André Brûlé, dont l'élégance désinvolte, la
morgue insolente, la vivacité, le don juanisme très gamin, et l'émotion
distinguée assurent au crocheteur de serrures, tout comme au duc de
Chamerace, l'approbation unanime. A côté de lui. et en face de lui,
M. Escoffier a dessiné d'heureuse façon la silhouette du policier Guer-
chard, fin limier qui, aux applaudissements de tous, se laisse finalement
rouler. Mme Duluc, touchante et discrète, M"e Jeanne Rosny, aimable,
avec encore M" Ety, MM. Bullier, Lefaur, Benedict et d'autres forment
une bonne distribution. Mais pour peu que cette vogue continue, vous
verrez, avant pas bien longtemps, que les fils à papa n'auront plus que
l'idée fixe de s'entraîner à l'amusante et si bien portée cambriole. —
Castigat ridendo mores... Paul-Émile Chevalier.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour les seuls abonnés a la musique)
Voici une mélodie nouvelle du maître charmeur Massenet : Dormons parmi les lis.
Une caresse qui effleure, un parfum qui s'envole, et comme un vague souvenir de
cette Pensée d'automne qui courut les deux mondes. A remarquer l'originale ingénio-
sité de l'accompagnement qui s'applique si bien à tous les contours de la mélodie,
comme ces robes ajustées à la mode du jour qui moulent le corps de nos grandes
élégantes.
LE MÉNESTREL
349
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts-Colonne. — En souvenir Je Georges Bizet, né le 2b octobre 1838,
M. Colonne, au bras toujours jeune, a l'allure toujours vaillante, avait eu
l'heureuse idée de consacrer à l'auteur de Carmen le programme de son con-
cert de dimanche au Châtelet. L'ouverture de Patrie, que Pasdeloup commanda
à Bizet (en mémo temps que celle de Phèdre à M. Massenet et celle A'Arteveld
à Guiraud), date de 1874. Elle est trop connue pour qu'on puisse en parler et
vanter ses mérites, qu'une exécution brillante et chaleureuse mit bien en
valeur. Une sélection do Djamileh, petit acte plein de poésie et de charme,
malgré un orientalisme trop conventionnel, venait ensuite. La Rêverie d'Ha-
rouii (M. Plamondon), avec les chœurs de coulisse, et la Chanson de Chasel
(Mlk' Dentellier) sont des pages aimables, d'une clarté limpide, et que l'on
s'étonne de voir traitées avec une rare sévérité par les critiques de l'époque
accusant à leur sujet Bizet de <c Wagnérismo » et d'obscurité (mai 1S72,
Albert Wolff). La symphonie Iioma, qui date do 1866, ne fut pas non plus à
l'abri de ce même reproche vraiment trop commode pour abriter les incom-
pétences illustres. D'une construction logique basée sur des thèmes mélodi-
ques pleins de fraîcheur et de charme, avec même une certaine unité rare
pour l'époque entre les divers morceaux, cette symphonie demeure une œuvre
vraiment originale et qui aurait dû trouver grâce, même succès, auprès des
auditeurs de Pasdeloup en 1860. Les Pêcheurs de. Perles, dans lesquels la voix
pure et souple do M. Plamondon, celle puissante et généreuse de M. Dangès
furent fort appréciées, puis, deux mélodies (accompagnées au piano par
M. E. Wagner) : Vous ne priez- pas et les Adieux de .l'Hôtesse arabe, que M"0 De-
mellier interpréta avec de beaux accents dramatiques, complétaient ce cycle
Bizet que la célèbre Suite de V Artésienne couronna superbement. Au milieu
du programme, Mlul! Olga Samaroff joua avec un mécanisme très sur, un style
sobre et expressif, mais une sonorité un peu mince pour l'immense salle, le
joli et captivant concerto de Grieg pour piano. Son succès fut vif.
.T. Jemain.
— Concerts-Lamoureux. — L'ouverture de Patrie de Bizet ouvrait le pro-
gramme. Cet hommage rendu à l'anniversaire du maître français, on entendit
avec plaisir la Symphonie en la mineur de Mendelssohn que M. Chevillard a
raison de conserfer à son répertoire en dépit de l'ostracisme dont certains
voudraient voir frapper le maitre allemand; puis deux premières auditions
eurent les honneurs de la séance. Deux maîtres inégalement réputés. J.-S.
Bach et M. E. Flament, s'y présentaient au public. La compétence limitée de
l'auteur de ces lignes ne lui permet pas de porter un jugement motivé sur le
concerto du premier et le poème symphonique du second. Cependant il avoue
préférer le concerto pour piano et orchestre, dans lequel M. Diémer eut un
succès triomphal et qu'il traduisit avec un art consommé et une technique
merveilleuse. Ce concerto, paraît-il, n'avait jamais encore été entendu à
Paris, et c'est grand dommage, car il apparaît fort beau. L'Oceano Nox de
M. E. Flament, compositeur plus jeune que le précédent, est une vaste fresque
sonore brossée d'après le célèbre poème de Victor Hugo et qui essaie de nous
décrire la mer infinie, d'entrevoir les drames terribles que recèle son sein
profond. M. Flament manie l'orchestre avec aisance et ses thèmes sont francs
et se détachent vigoureux. 11 m'a semblé qu'il a un faible exagéré pour la
trompette bouchée, mais ce goût est légitime, et d'ailleurs le public a fêté la
composition. M. Chevillard est un kapellmeister universellement réputé:
mais on le connaît moins comme compositeur et c'est dommage, car sa Bal-
lade symphonique, qu'après dix-huit ans de silence il se décidait à nous faire
entendre, se déroulait avec un intérêt grandissant... lorsque tout sombra
dans la nuit. Terreslra Nox! L'électricité était la coupable. La fée moderne a
de ces caprices. Après une attente assez longue et l'espérance d'un plomb répa-
rateur, le public, sur le conseil paternel de M. Gaveau, se retira lentement en
regrettant les lampes à huile et les quinquets ancestraux fumeux, mais
fidèles! Intérim.
— Programmes des concerts de demain dimanche :
Châtelet, Concerts-Colonne : Première symphonie (Beethoven). — La Vision du Dante
(Raoul Brunel), chantée par M"'" Litvinne, MM. Plamondon, CarbelH et Koubitzky.
— L'Apprenti Sorcier (Paul Dukas). — Variations symphoniques (César Franck), par
M* Blanche Selva. — Sadko, chanson indoue (Rimsky-Korsakow), par M. Koubitzky.
— Le Crépuscule des Dieux (Richard Wagner) : a) Marche funèbre ; b) Mort de
Brunehilde, par M"'° Litvinne.
Salle Caveau, Concerts-Lamoureux, sous la direction de M. Chevillard : Deuxième
symphonie, en ré majeur (Brahms).— Impressions d'un site agreste (Jules Mauguê). —
Morceau de concert pour violon (Saint-Saëns), par M. Johannès Wolff. — Schéhéra-
zade (Rimsky-Korsakow). — Suite symphonique du 3° acte des Maitrcs Chanteurs
(Wagner).
— Un comité composé de MM. Saint-Saëns, Théodore Dubois, Gabriel
Fauré, André Messager, Alfred Bruneau, Gabriel Pierné, Paul Vidal, Adrien
Berheim, Edmond Stoullig, Fernand Bourgeat, Gabriel Parés, Ph. Gaubert,
Gallon, Th. Heymann, A. Dandelot, s'est formé pour organiser un concert à
la mémoire de Georges Marty et au .bénéfice de sa veuve, le dimanche lo no-
vembre, dans la salle du Conservatoire, avec le concours de l'orchestre et des
chœurs de la Société des Concerts, de M. Camille Saint-Saëns et d'artistes
éminents. On peut, dès aujourd'hui, retenir ses places chez M. Dandelot.
[ 83, rue d'Amsterdam. Prix des places : orchestre, 20 francs; balcon, 20 francs;
I premières loges, 20 francs la place ; baignoires et deuxièmes loges, 12 francs
j la place; stalle d'amphithéâtre. 8 francs; troisièmes loges et amphithéâtre,
7 francs la place.
— Après quatre brillantes séances de musique de chambre inédite au Salon
d'automne, la prochaine saison du Quatuor-Parent recommencera le mardi soir
3 novembre, a la Schola Canlorum. Les 3, 10,17 et 2i novembre seront consa-
crés au cycle Schumann, avec le concours de la charmante M'"" Mellot-
Joubert, qui chantera, le 17, l'Amour du Poète, et de la toujours vaillante
M110 Marthe Dron, qui prendra part a toutes les soirées ; les séances des 1' ", H,
\'j et 22 décembre appartiendront au cycle Franck.
— Le pianiste Harold Bauer donnera deux récitals les mardis 3 ei 10 no-
vembre à la salle des Agriculteurs. Billets en vente chez. MM. Max Eschig,
13, rueLaffitte; Durand, 4, place de la Madeleine ;Grus, place Saint-Augustin,
et Orphée, lli, boulevard Saint-Germain.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (28 octobre./ :
La Monnaie vient de faire deux fort belles reprises : celle d'Orphée et celle
de Siegfried. La première a été remarquable par son excellent ensemble, sa
tenue pleine de style et de noble émotion. M1"0 Croiza, qui abordait le rôle
d'Orphée, y a appliqué ses qualités habituelles d'interprétation, son art du
chant qui, de plus en plus, s'affirme et se précise, sans préjudice d'un constant
souci d'expression. Mllc Seroen, quoique un peu faible, n'a pas passé inaperçue
dans le rôle d'Eurydice, et l'orchestre a été digne de ses meilleurs jours. C'est
l'orchestre aussi qu'il convient de louer à propos de la reprise de Siegfried. Le,
interprètes étaient les mêmes que l'an dernier, Mllc Pacary, Briinnhilde im-
peccable, M. Verdier, Siegfried plein de juvénile ardeur, Mme Croiza.
MM. Billot et Lafhtle ; seule, M"'' Lily Dupré (l'oiseau) était nouvelle, et l'on
ne s'en est pas mal trouvé. — Je vous ai signalé dernièrement l'engagement
de Mme Friche, après le départ de M"'e Mazarin. Sans faire partie d'une façon
immuable de la troupe de la Monnaie et bien que ne chantant qu'en représen-
tations, l'excellente artiste nous restera une bonne partie de l'hiver. Outre
Carmen, qui lui a servi de « rentrée », elle reprendra Louise, qu'elle créa ici
avec tant de succès, il y a quelques années ; de plus, sa présence a décidé la
direction à monter, dès cette année, avec elle, l'Ariane et Barbe-Bleue Au
M. Dukas, qui sera même la première nouveauté de la saison, avant la
Sainte-Catherine d'Alexandrie de M. Tinel et même, dit-on. Monna Vanna dont
la première à Bruxelles dépend naturellement de l'Opéra de Paris. En atten-
dant, on nous promet pour bientôt la Juive, que nous attendons sans aucune
impatience.
La saison des grands concerts va bientôt commencer. Elle débutera le S no-
vembre par la première matinée des Concerts-Populaires. Ceux-ci ont un
programme fort intéressant de solistes et clôtureront par une exécution
imposante du Déluge de M. Saint-Saèns et de la Sulamite de Chabrier. Les
Concerts- Ysaye n'ont pas fait connaître ce qu'ils comptent nous faire entendre:
mais nous pouvons être assurés qu'ils nous offriront, comme toujours, des
œuvres curieuses d'avant-garde. Les Concerts-Durant reprendront cet hiver
leur revue des maîtres classiques et romantiques, commençant par Bach et
Haendel pour finir par Wagner et Brahms, sans oublier les auteurs belses.
Quant au Conservatoire, M. Gevaert nous réserve quatre matinées qui. "race
à la vigueur et à l'enthousiasme toujours juvéniles de son illustre chef, ne le
céderont en rien à celles des années précédentes.
Dimanche dernier, la séance publique annuelle de la classe des Beaux-
Arts de l'Académie royale nous a fait entendre la cantate du premier-second
grand prix de Rome de l'an dernier, M. Herberigs, sur le poème de M. Valère
Gille, Geneviève de Brabant: œuvre touffue, habile, pleine de savoir-faire, mais
peu sincère. Elle était précédée d'un magistral discours de M.Edgar Tinel sur
Pie X et la musique sacrée, à propos du fameux Molu proprio du pape, qui a déjà
fait couler beaucoup d'encre. M. Tinel a traité la question avec une hauteur
de vues et une sagacité remarquables, moutrant le service considérable que
Pie X a rendu à la musique religieuse, dont il poursuit très intelligemment
— et très artistiquement — la rénovation. La réforme que le pape réclame
fut indiquée déjà il y a longtemps par Wagner: seulement, le pape, plus mo-
derniste que Wagner, ne base pas comme lui sa réforme sur le culte exclusif
de la musique palestinienne, dont l'abus pourrait devenir fatal aux dévelop-
pements et à l'avenir de la musique sacrée. M. Tinel a insisté pour que les
compositeurs d'aujourd'hui prennent comme modèle l'admirable Bach, source
unique de toute véritable inspiration. l_ g_
— Le Théâtre-Royal de Liège a offert à ses habitués la primeur d'un ballet-
pantomime inédit en un acte, intitulé Marion. Les auteurs de ce petit ouvrage
sont M. Ambrosiny pour le scénario et M. Devena pour la musique.
— La conférence pour la révision du traité de Berne, à Bjrlin. poursuit
activement ses travaux. Certains points paraissent actuellement acquis : entre
autres la survivance du droit d'auteur pour une durée de cinquante ans
semble devoir être adoptée comme principe général auquel les Etats jusqu'ici
réfraclaires se rallieraient dans un délai qui parait être prochain. Le rapport
général de la conférence pourrait être terminé vers la fin de la semaine pro-
chaine. On croit que. les signatures seront échangées vers le 7 novembre.
L'Association professionnelle allemande du livre, comprenant les hommes de
350
LE MÉNESTREL
lettres, artistes, libraires et autres intéressés, a offert un grand banquet de
trois cent vingt-trois couverts aux membres de la conférence pour la revision
de la convention de Berne. La délégalion française était représentée par
MM. Lavisse, Hervieu et Renaud. — Ajoutons à ces nouvelles qu'au dernier
moment nu avait fini, dans les sphères gouvernementales françaises, par re-
connaître que la présence à Berlin de MM. Sauvel et Maillard, pour y défendre
nos intérêts en ces délicates circonstances, s'imposait absolument puisqu'ils
étaient le plus qualifiés et aussi le plus au courant de ces questions spéciales.
On avait donc décidé de les envoyer en qualité de « délégués techniques ».
M. Albert Sauvel s'est vu obligé de décliner l'invitation tardive qui lui était
faite, pour des raisons personnelles et douloureuses. Mais M. Maillard a pu
suivre les débats et on peut être assuré qu'il n'y pas perdu son temps.
— C'est hier, 30 octobre, qu'a dû avoir lieu à Tienne l'inauguration du
Théàtre-Johann-Strauss.
— Joseph, de Méhul. que l'on n'avait pas joué depuis longtemps à l'Opéra
de Vienne, vient d'être remis en scène avec beaucoup de succès par M. Wein-
gartner, qui a dirigé lui-même la première représentation. Les dialogues par-
lés ont été remplacés par des récitatifs venus de Paris, mais dont l'auteur est
inconnu si l'on en croit les journaux de Vienne. Ces récitatifs ont produit un
excellent effet; ils ont été composés en utilisant des thèmes de Méhul, mais,
d'après les harmonies employées, on croit pouvoir les attribuer à un musicien
de l'époque contemporaine.
— La direction de l'Opéra de Vienne prépare, pour le mois de décembre,
un cycle Mozart comprenant l'Enlèvement au Sérail. Cosi fan lutte, tes Noces
de Figaro, Don Juan et la Flûte enchantée.
— Il est dès à présent décidé, parait-il, qu'il y aura des représentations au
théâtre des fêtes de Bayreuth, non seulement en 1909, mais chaque année
jusqu'en 1913. Les spectacles de l'an prochain seront, nous l'avons dit, les
mêmes que ceux de 1908; on jouera Lohengrin, l'Anneau du Nibelung et Par-
sifal. La direction restera entre les mains de M. Siegfried Wagner.
— Voici, d'autre part, les dates fixées pour ces représentations wagnériennes
de Bayreuth : Lohengrin sera joué le 22 juillet et les 1". 5, 12 et 19 août;
Parsifal, les 23 et 31 juillet, ainsi que les 4, 7, 8, Il et 20 août. Les représen-
tations de l'Anneau du Nibelung auront lieu du 25 au 28 juillet et du 14 au
17 août. A ce sujet, la direction des Festspiele vient de publier la déclaration
suivante, qui peut paraître un peu singulière : — « Pour mettre fin à l'abus
du trafic de billets, que nous avons vainement tenté de supprimer entièrement
par d'autres moyens, les cartes d'entrée ne seront délivrées que contre un
engagement écrit, par lequel l'acquéreur s'oblige à ne pas transmettre ces
cartes en d'autres mains sans notre autorisation, sous peine d'une amende
conventionnelle de 30 marks (37 fr. 80 c.) par carte. Ces amendes seront
versées dans la caisse de la fondation des bourses wagnériennes. Cet engage-
ment sera envoyé aux souscripteurs, afin qu'ils y apposent leur signature
avant l'expédition des cartes. »
— Les amateurs de chorégraphie et les artistes de Munich s'intéressent en ce
moment très vivement aux danses des trois sœurs Marguerite, Eisa et Bertha
Wiesenthal. Le répertoire de ces jeunes filles se compose de plusieurs valses
de Strauss, le Beau Danube bleu, Roses du Sud, etc., de fragments mimés de
Beethoven, de Chopin, de Grieg et du Carnaval de Schumann, de laendler de
Schubert et de Lanner, enfin d'extraits de Manon, de Massenet. Dans ces der-
niers fragments, le charme caressant des jolies danseuses a été tout particu-
lièrement apprécié.
— Mme Félia Litvinne a chanté pour la première fois, à Munich, dans un
concert d'orchestre, des fragments d'oeuvres de MM. Casella et Georges Hue.
Le succès de la grande cantatrice a été considérable. On l'a rappelée et bissée
après la plupart de ses morceaux et notamment dans les pages de Schumann
(Diechterliebe) et de Beethoven, ainsi que dans les beaux Poèmes maritimes de
Georges Hûe.
— M. Engelbert Humperdinek partira pour New-York en janvier ou
février 1909 afin de pouvoir diriger la première représentation de son opéra
les Enfants du roi, qui doit avoir lieu le 1er mars au Metropolitan Opéra House.
— L'ancien intendant général de la Cour, à Weimar, vient de remettre la
direction des services à son successeur, M. de Schirac.
— Des fêtes commémoratives viennent d'avoir lieu à Bamberg en l'honneur
de E.-T.-A. Hoffmann, l'auteur des Contes fantastiques. Cet écrivain célèbre
vécut en effet dans cette ville de 1808 à 1813 et s'y distingua comme directeur
de la musique du théâtre, comme compositeur et comme poète, comme dessi-
nateur et comme nouvelliste. Le conseil municipal et la direction du théâtre
de Bamberg ont voulu honorer Hoffmann le 26 octobre dernier à l'occasion du
centième anniversaire de sa première apparition à la tête de l'orchestre du
théâtre. Une plaque de souvenir a été scellée sur la façade delà maison qu'il
habitait et une représentation de gala des Contes d'Hoffmann d'Offenbach a été
donnée, avec un prologue de circonstance écrit par M. Pfeiffer.
— La Société Spohr, de Cassel, qui était en voie de formation, vient de se
constituer définitivement. M.Beir, le maître de chapelle de la Cour, a été élu
président. On compte parmi les membres du comité un petit-fils et une
arrière-petite-fille de Spohr, M. Louis "Wolff et MUc Ida Wittich. et plusieurs
personnalités musicales des grandes villes d'Allemagne. Pendant la dernière
séance, M. Louis Wolff a parlé du monument que l'on est sur le point d'ériger
à Brunswick en l'honneur de Spohr, disant qu'il faut éviter que celui que l'on
va élever à Cassel puisse ressembler au premier. Il a été question aussi d'aviver
le mouvement d'opinion qui se produit depuis quelque temps en faveur des
œuvres de Spohr, en donnant au théâtre de Cassel Jessonda et en faisant exé-
cuter aux concerts d'abonnement de cette ville une cantate du maître et sa
symphonie en ut mineur.
— A Marienbad, après sa brillante tournée de concert, Mllc Gabrielle Endom
remporta un véritable succès, en présence du roi d'Angleterre ; elle excella
en exécutant avec une rare pénétration de style des pièces de Scarlatti,
L. Filliaux-Tiger, et la deuxième Rhapsodie de Liszt. Le monarque félicita
vivement la jeune artiste.
— La ville de Lausanne est plus fortunée que la ville de Paris. Elle a pu
inaugurer, il y a un mois environ, un édifice simple, mais élégant, spacieux
et pratique, édifié d'après les plans de M. G. Corbaz, architecte, et sur le
fronton duquel on lit ces mots en lettres d'or : Conservatoire de musique. Voici
l'intéressante description qu'un journal nous donne de ce nouveau monument,
situé dans la rue du Midi :
Le vestibule d'entrée et l'escalier, supporté pardes colonnes de fer recouvertes de
staf et décorées de lampes en 1er forgé, sont vastes, très clairs et plaisants à l'œil.
Au rez-de-chaussée le logement de la concierge et divers locaux de service, chauffage
central, etc. Au premier étage : cinq classes spacieuses, le bureau du directeur et la
salle d'attente. Au deuxième étage: sept classes et UDe salle de théorie pour vingt
élèves. A chaque étage des lavabos et cabinets aux installations exira-modernes. Les
classes sont séparées par une double paroi de briques, dans laquelle est interca'ée,
avec jeu d'air, une couche de liège. Une disposition analogue a été adoptée pour les
planchers. Grâce à ces sortes de sourdines, on n'entend pas du tout ce qui se passe
d'une classe à l'autre, condition indispensable dans un établissement de ce genre.
Tout l'étage supérieur est occupé par la Salle de concerts et de conférences, qui
mesure Mm,30 sur llm,20. Cette salle, très haute, très gracieuse avec son papier vieil
or, ses appliques électriques et ses lustres à gaz, avec ses neuf fenêtres encadrées
de lambrequins couleur grenat, ornés de passementeries, a une acoustique excellente,
parait-il. Elle peut contenir 250 personnes. Au fond, une estrade que l'on peut
agrandir ou réduire à volonté. Le mobilier est composé de fauteuils fixes, très élé-
gants, et dont le siège à bascule permet une circulation facile. Contiguë à cette salle
dont elle n'est séparée que par une paroi mobile, une salle plus petite, de même
style, peut lui être annexée en cas de grande affluence.
La ville de Lausanne est plus fortunée que la ville de Paris,
— Le résultat du concours Sonzogno que nous avons annoncé naguère,
concours ouvert pour la composition d'un Psaume à voix seule et d'un Thème
avec variations pour orchestre, a été absolument négatif. Des treize manus-
crits envoyés pour le Psaume et des neuf présentés pour le Thème varié, au-
cun n'a été jugé digne du prix par le jury chargé de l'exécution. Néanmoins,
M. Edouard Sonzogno a résolu de faire exécuter publiquement la composition
qui, dans chacun des deux concours, a paru réunir les plus sérieuses qua-
lités.
— En rendant compte, dans la Provincia de Crémone, des fêtes qui viennent
d'avoir lieu à Ferrare pour célébrer le trois-centième anniversaire de la nais-
sance du célèbre organiste Girolamo Frescobaldi, le professeur Angelo Berenzi
émet le vœu que la ville de Crémone se souvienne aussi d'un de ses plus illus-
tres enfants, le grand compositeur Claudio Monteverde, qui peut être considéré
comme le père de l'opéra moderne, et souhaite que ce souvenir soit consacré
par elle d'une façon éclatante, par une manifestation digne du génie de cet
artiste admirable et que ses compatriotes semblent trop oublier. L'illustre
auteur à'Arianna et à'Orfeo a bien droit, en effet, â l'hommage qu'on réclame
pour lui, car son nom est indissolublement attaché à la création du vrai drame
musical. Le professeur Berenzi, qui se fait le champion de sa gloire, s'est fait
connaître récemment par plusieurs publications intéressantes relatives à la
lutherie et à quelques-uns dts plus grands luthiers italiens ; Stradivarius,
Gaspar da Salo, Maggini, etc.
— Le théâtre San Carlo de Naples prépare une saison d'hiver que l'on
assure devoir être tout particulièrement brillante. Parmi les ouvrages inscrits
au répertoire on cite le Crépuscule des Dieux (mis en scène par le régisseur du
théâtre de Munich et dirigé par M. Giuseppe Martucci), Thaïs, Roméo et Juliette,
Aida, Eamlet, Carmen, Gloria, de Cilèa, Perugina de Mascheroai, Ratcliff de
Mascagni et Batlisla, le drame religieux de don Fino, dirigé par l'auteur. Des
artistes engagés on ne cite encore jusqu'ici que les noms de Mn,cs Borgatti et
Litvinne, du ténor Amedeo Bassi, de l'excellent baryton Titta Ruffo, qui
jouera Hamlet, de MM. Gillon, Vignas et d'un ténor anglais de grande répu-
tation, M. John Cormack, qui se produira pour la première fois en Italie. La
saison s'ouvrira le 5 décembre par le Crépuscule des Dieux, pour se terminer
au bout de cinq mois, le 30 avril.
— Un ténor généreux. C'est un artiste italien, M. Giovanni Zenatello, déjà
connu par sa libéralité, qui, dit-on, a offert à la municipalité de Vérone, sa
ville natale, une somme de 200.000 francs pour la construction d'un Poli-
teama.
— La prochaine saison lyrique du théâtre San Carlos de Lisbonne, qui
semble devoir prendre une importance exceptionnelle, présentera à tout le
moins un caractère de nouveauté dont on n'avait point d'exemple jusqu'ici;
c'est-à-dire qu'elle sera divisée en trois périodes, dont l'une consacrée à
l'opéra français avec des artistes français, la seconde à l'opéra italien avec
des artistes italiens, et la troisième à l'opéra allemand avec des chanteurs
allemands. C'est avec le répertoire français que s'ouvrira la saison, le 14 ou le
15 novembre prochain. On jouera Manon, Werther, Mignon, Lakmé et le Chemi-
LE MÉNESTREL
351
neau, avec un personnel choisi surtout parmi les meilleurs artistes de l'Opéra
et de l'Opéra-Comique et comprenant les noms de MU1CS Marguerite Carré,
Hélène Demellier, Bessie Abott, Fely Dereyne et Lucienne Mantou et
MM. Godart, Nuibo, Breton, Bourbon, Viaud et Lequien; le chef d'orchestre
sera M. Alphonse Catherine. Les ouvrages dialogues seront représentés dans
leur forme originale, c'est-à-dire avec le dialogue parlé. Le 15 décembre com-
mencera la campagne italienne, avec une troupe ainsi composée : MmM Bian-
chini-Capelli, Kruscenislci, Farnetli.Meicick, Di Angelo, Magliulo, Baldassare
et Sanz, et MM. Leliva. Carpi, Scampini, Rostowski, Spadoui (ténors), Rapi-
sardi, Narri, Ancona. Viale (barytons) et Mardones (basse). Le chef d'orches-
tre sera sans doute M. Leopoldo Mugnone. Au répertoire, Aida, les Hugue-
nots, le Prophète, il Trovatore, la Traviata, Madame Butterfly, la Juive, Samson et
Dalila, Capuleli e Montecchi, de Bellini, véritable exhumation, et la Salomé de
M. Richard Strauss. Enfin, le 15 mars 1009, la saison italienne étant termi-
née, l'opéra allemand aura son tour avec trois exécutions du cycle entier des
Nibelaïu/en de Wagner, dirigées par M. Fritz Beidler. la mise en scène étant
celle du théâtre du Prince-Régent de Munich. Voici les noms des artistes qui
prendront part à ces exécutions : Mmcs Lucy Weidt (Opéra de Vienne), Emmy
Burg-Zimmermann (Prince-Régent de Munich), Ottilie Costa-Feklwock (Nu-
remberg), Sophie Bischoff-David (Opéra de Berlin), MM. Pennarini (Ham-
bourg). Franz Costa (Nuremberg), Hans Breuer (Opéra de Vienne), Willi
Buers (Munich), Ludwig Friinkel (Magdebourg), Willi Tauber (Berlin), Jean
Bischoff (Berlin) et Adolphe Ziehler (Stettin). Voilà une entreprise qu'on peut
qualifier de hardie et qui à coup sur est intéressante, ne fut-ce qu'en raison
de sa nouveauté.
— Au Bechstein-Hall de Londres, très grand succès pour M. Charles Levadé,
qui accompagnait ses œuvres au cours du récital donné par M. Théodore Byard,
qui -a. délicieusement chanté Aubade mélancolique, du jeune compositeur, et
Sonnet matinal, de Massenet.
— La musique n'a pas été oubliée aux fêtes du troisième centenaire de la
fondation de Québec, et les Canadiens n'ont pas oublié non plus leur origine
française. Des concerts très brillants ont été donnés, dans lesquels des artistes
de New-York avaient été appelés à se mêler aux artistes nationaux, et le ré-
sultat a été excellent. On avait publié pour la circonstance plusieurs composi-
tions où le souvenir de la mère-patrie était rappelé d'une façon touchante,
ainsi qu'en témoignent les paroles caractéristiques de diverses mélodies : Res-
tons Français; Soyons loyaux, mais toujours Français: Gardons le doux parler de
notre enfance... Nos compatriotes du Canada ne peuvent pas douter du senti-
ment affectueux et reconnaissant que nous inspire un tel attachement et de la
joie qu'il nous procure. Mentionnons, en ce qui concerne ces fêtes musicales,
nne composition d'une artiste de Montréal, M'"e Ernest Brousseau. la Marche
du Tricentenaire, dédiée par l'auteur au premier ministre de la province de
Québec et qui a été accueillie avec un véritable enthousiasme.
— Il vient de se fonder à Montevideo (Uruguay) une « Sociedad Orguestral
Nacional » sous la direction du musicien Louis Sambucetti. Ilya déjà long-
temps que la nécessité d'une telle initiative se faisait sentir. Elle n'a pu réussir
que grâce à l'appui que le gouvernement vient de donner à M. Sambucetti.
En effet, il doit remettre au directeur une somme de 3.500 francs par concert
(à raison d'un par mois), tous les frais étant au compte de ce directeur et les
recettes devant être remises au gouvernement. Le 16 septembre a eu lieu le
premier concert avec un plein succès. Au programme l'ouverture de Patrie,
de Bizet, la Danse de Gipsy, de Saint-Saëns, l'Esquisse, de Dubois, le prélude
de Lohengrin, la deuxième rapsodie de Liszt, le Pas guerrier, de Reyer, etc.,
ont été magistralement exécutés. Le président de la République, M. Williman,
assistait au concert. La critique a été unanime à reconnaître les efforts de
M. Sambucetti qui, avec des éléments assez hétérogènes, a su réunir un
orchestre qui, avec le temps, arrivera à exécuter dans la perfection les oeuvres
les plus difficiles des grands musiciens. Il nous est agréable de voir dans de
lointaines contrées des disciples de nos grands maîtres français être à la tête
du mouvement artistique ; aussi faisons-nous des voeux pour la prospérité de
'-•!a S. 0. N. et pour son excellent chef.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
MM. Isola, directeurs du Lyrique municipal de la Gaîté, sont en instance
auprès du conseil municipal pour obtenir des facilités nouvelles d'exploitation
de leur entreprise. Ces facilités pourraient consister soit dans l'autorisation
d'élever le prix des places de choix, soit dans une subvention à accorder par
la Ville. MM. Isola s'en sont entretenus avec MM. Chérioux, Dausset et
Deville.
— Nos théâtres ont décidément entre eux un élan de fraternité qui ne laisse
pas que d'offrir quelque intérêt, et la Comédie-Française vient d'en offrir une
preuve. Un de nos jeunes compositeurs. M. Henri Hirschmann, a fait repré-
senter récemment en Belgique et avec succès, sur un livret de M. Gustave
Rivet, un opéra intitulé Hernani, dans lequel l'adaptateur avait respecté autant
qu'il était possible l'économie générale du chef-d'œuvre de Victor Hugo. Cet
ouvrage était reçu par MM. Isola pour la Gaité-Lyrique. Mais pour le mettre
en scène, le théâtre n'avait pas le matériel nécessaire, c'est-à-dire les décors.
On avait espéré un instant dans le concours de l'Opéra, qui pourrait trouver
dans ses magasins les décors pouvant s'adapter au drame ; mais il y fallut
renoncer, tous les décors étant d'une dimension trop grande pour le cadre de
la Gaîté. Les représentants de la famille Victor Hugo, avec M. Gustave
Simon en tète, l'auteur du livret, le compositeur, se sont donc adressés au
sons-secrétaire d'État aux beaux-arts, M. Uujardin-Beaumetz, en le priant de.
venir en aide à un théâtre se trouvant dans l'impossibilité de monter, faille
de décors, un ouvrage important dû à un jeune artiste français. C'esl alors
qu'on eut recours à la Comédie-Française, dont une Assemblée générale des
sociétaires fut réunie à cet oll'et, ces jours derniers, par M. Jules Clarelie.
M. Claretie avait tout d'abord demandé au comité de prêter, pour collaborer à
une intéressante tentative d'art, les décors d' Hernani 'à la Gaîté. A l'unanimité, le
comité avait fait ressortir ce qu'il y avait de dangereux et d'anormal dans une
telle demande. Pourquoi ne prêterait-on pas aussi un jour les décors de Huy
Bios, les décors du Ciil? Et si la Comédie-Française veut rejouer Hernani,
comment fcra-l-ellr? M. Claretie répondit que- rien ne devait entraver les né-
cessités du répertoire, et que la Gaîté tiendrait toujours les décors à la dis-
position de la Comédie, comme s'ils étaient au magasin du boulevard Bineau.
Bref, M. Claretie en ayant appelé du comité à l'Assemblée générale, celle-ci,
tout en se rangeant à l'avis du comité, a décidé, à titre tout à fait exception-
nel, avec les réserves les plus formelles, et pour donner une preuve de sym-
pathie à une œuvre française et en souvenir de Victor Hugo, d'accueillir géné-
reusement la prière qui lui était adressée. Se rendant aux raisons à la fois
morales et artistiques données par l'administrateur, elle a donc voté, à l'una-
nimité, que les décors &.' Hernani seraient prêtés au théâtre d<- la Gaîté.
— La Société des concerts du Conservatoire, réunie lundi dernier en Assem-
blée générale, a choisi son chef d'orchestre, en remplacement de Georges
Marty; elle a élu à l'unanimité M. André Messager. Pour la première fois, le
chef d'orchestre de la Société des concerts sera en même temps directeur de
l'Opéra. Il y a cependant un rapprochement qui' l'on ne manquera pas de faire.
Le fondateur delà Société, Habeneck, venait en ell'et d'abandonner l'adminis-
tration de l'Académie royale de musique, lorsque le vicomte de La Roche-
foucauld le nomma inspecteur général du Conservatoire sous la direction
Cherubini, en même temps qu'il devenait chef d'orchestre de la Société des
concerts, le 9 mars 1828. Tous les musiciens, tous les amis de la musique
applaudiront au choix que vient de faire la Société. Aucun artiste n'était
mieux désigné pour diriger ces concerts que M. André Messager. La façon
magistrale dont il a conduit l'orchestre aux premières représentai ions du
Crépuscule des Dieux l'avait déûnitivement désigné pour un poste qui est l'un
des plus élevés parmi nos institutions musicales.
— La seconde séance des concours d'admission aux classes de chant a eu
lieu mardi au Conservatoire sous la présidence de M. Gabriel Fauré, assis'é
de MM. Ch. Lenepveu, Bourgault-Ducoudray, Adrien Bernheim, Jean d'Es-
tournelles, Véronge de la Nux, Delmas, Escalaïs, Paquot d'Assy. Dubois, d.:-
l'Opéra, Fugère, Périer, de l'Opéra-Comique, et Landesque. 91 élèves
(31 hommes et 60 femmes) avaient été, après les premières épreuves de la
semaine dernière, admis à passer l'examen final. Ont été admis définitivement
10 hommes et 15 femmes. Voici les noms de ces nouveaux élèves : MM. Capi-
taine, Cousinou, Delgal, Elain, Hopkins, Vezzani, Marte, Guis, Dutreix.
Philos ; Mlles Delpreto, Lubin, Vadot, Weykaert, Arcos, Charin. Debarbieux,
Hemmerlé, Cavalieri, Hay. Joutel, Kirsch, Robur, Klain, Amohissa.
— L'État fait vendre par le domaine, au dépôt du mobilier national, rue
des Écoles, vendredi prochain, les costumes de Faust réformés parla nouvelle
direction de l'Opéra. Les magasins de l'Opéra ont aussi livré pour cette vente
les anciens costumes de l'Africaine, de Guillaume Tell, des Huguenots, A'Hamlet,
de la Favorite, de Don Juan, à' Aida et du Prophète.
— La banlieue parisienne sera bientôt envahie par les effigies de Jean-
Jacques Rousseau. Montmorency possédait une statue de l'auteur d'Emile et
du Devin du village, motivée tout naturellement par son séjour en cet endroit
champêtre. Asniéres en avait une de son coté, on se demande pour quelle
raison, par exemple. Et voici que depuis quelques jours Ermenonville peut se
glorifier d'un troisième monument consacré à la gloire de l'illustre écrivain,
monument qui avait là, comme à Montmorency, sa raison d'être. C'est di-
manche 18 octobre qu'à eu lieu l'inauguration de cette nouvelle statue, élevée
par les soins d'un comité que présidait M. Chopinet, député de l'Oise, et dont
faisait partie M. Thiénard, maire d'Ermenonville. Des discours ont été pro-
noncés à cette occasion, cela va sans dire, dont un par M. Viviani, ministre
du travail, dans lequel, cela va sans dire aussi, il n'était point question de
musique. La petite ville d'Ermenonville était en fête. Une musique militaire
et les fanfares de Montagny, Baron, Crépy-en- Valois. Nanteuil-le-Haudoin
prêtaient leur concours à la cérémonie, qui comprenait cortège, défilé, ban-
quet et enfin visite au tombeau de J.-J. Rousseau, à l'île des Peupliers. N'ou-
blions pas de dire que le monument est l'œuvre du sculpteur Greber.
— A l'Opéra se poursuivent les représentations de la cantatrice russe
Mmc Kousnietzoff. Elles ont commencé avec Roméo et Juliette, où le succès de
l'artiste fut très vif et très mérité. Aujourd'hui samedi, c'est le tour de Thaïs.
— A l'Opéra-Comique. voici Solange qui semble vouloir reprendre le pas sur
Sanga. On annonce que l'opéra de MM. Salvayre et Aderer a repris possession
de la scène. Mais Sanga n'a peut-être pas dit son dernier mot. Lutte émou-
vante. — Spectacles de dimanche : en matinée, Louise; le soir. Manon. Lundi,
en représentation populaire à prix réduits : le Barbier de Séville.
— Communication de M. Otto Goldschmidt. le ce manager de Sarasate -> :
« Comme exécuteur testamentaire de Sarasate, je fais ici connaître, et cela
dans l'intérêt de tous les violonistes et de tous les luthiers, que le Stradiva-
rius de l'année 1724, sur lequel Sarasate jouait toujours en public, et qui
n'appartenait pas à la couronne d'Espagne et n'avait pas davantage été donné
à l'artiste par la reine Isabelle, a été légué au musée du Conservatoire de
352
LE MÉNESTREL
Paris. Le deuxième Stradivarius, de l'année 1713, reviendra au musée du
Conservatoire de Madrid. Les deux instruments, comme le violon de Paganini.
à Gênes, doivent être conservés pour les époques à venir. Si quelque jour,
dans les temps futurs, tous les instruments de Stradivarius venaient à être
gâtés par les violonistes, ces deux derniers, tout au moins, resteraient et
serviraient de modèles. Pour le second de ces Stradivarius, j'ai décliné une
offre de 80.000 francs. En dehors de ces deux instruments, il existe dans la
succession de Sarasate un excellent violon de Wuillaume et un autre de
Gand. Ce dernier porte la dédicace : au premier prix du Conservatoire de Paris
en l'année 1837. Ces deux instruments ont été légués au Musée-Sarasate de
Pampelunc. Sarasate ne possédait pas d'autres violons. Agréez, etc. Otto
Goldschrr.idt. » Ceci du moins est net et précis. Quelques personnes pourront
peut-être regretter de voir augmenter le nombre des violons enfermés comme
reliques et rendus inutiles, sous prétexte de servir de modèles aux générations
qui succéderont à la nôtre, et voudront construire des instruments d'après
ceux de Stradivarius. Depuis longtemps d'ailleurs les luthiers s'adonnent à
cet innocent exercice, et pas toujours avec succès. Quoi qu'il en soit, nous
pouvons être reconnaissants à Sarasate d'avoir laissé au Conservatoire de
Paris un instrument dont la valeur est déjà presque inestimable. Notre pre-
mière institution musicale reçoit ainsi un hommage et aussi un témoignage
de reconnaissance de la part du grand artiste qui lui doit une partie de sa
formation et de ses succès.
— D'autre part, les journaux espagnols complètent les renseignements qui
avaient été donnés jusqu'ici sur le testament de Sarasate. On sait déjà que ses
deux principales héritières sont ses deux sœurs, doua Micaela et do^a Fran-
cisca. Avec tous les meubles qui garnissaient son appartement à Paris, Sara-
sate a laissé à Y ayuntamienlo de Pampelune deux tableaux et le piano de sa
villa de Biarritz. Il lègue 15.000 francs aux pauvres de Pampelune, pareille
somme à la Maison de la Miséricorde, 23.000 francs à l'Académie de musique
de la même ville et 40.000 francs à la Bibliothèque musicale. Enfin, ce n'est
pas à Mmc Berlhe Marx-Goldschmidt, mais à sa fille, qu'il laisse, en guise de
dot, la belle, villa de Biarritz.
— Mercredi, au cimetière de Passy, a été inauguré le tombeau de Bosine
Laborde, du au sculpteur Landowski. MM. Théodore Dubois, de l'Institut, et
Henri Cain, en deux allocutions émues et extrêmement goûtées, ont rappelé
la belle carrière et l'existence toute de travail de la grande artiste. Les nom-
breux amis de Rosine Laborde (que recevaient ses enfants adoptifs, le capi-
taine et Mme Potron-Laborde) ont vivement félicité le sculpteur Paul Lan-
dowski de son œuvre, où revit d'une manière si frappante la physionomie à
la fois douce, spirituelle et volontaire de la célèbre cantatrice.
— Connaissez-vous Guignol'? — Ah! oui, celui des Champs-Elysées. —
Non, pas celui-là: mais le vrai, le seul, le Guignol authentique, le Guignol
lyonnais, celui dont tant de petites baraques de pantins ont méchamment
usurpé le litre. Guignol, avec son confrère Gnafron, est une gloire lyonnaise,
un fruit du terroir: il est la personnification bizarre du canut (ouvrier en soie),
le canut frondeur, blagueur, parfois un peu fripouille, mais bon enfant, par-
lant franc, goguenard, et surtout spirituel et amusant. Il y a maintenant, pa-
raît-il, cent ans que Laurent Mourguet, le fameux montreur lyonnais de ma-
rionnettes, imagina, pour remplacer Polichinelle, le type local de Guignol, et
l'offrit au public dans son petit théâtre de la rue Noire, qu'il transporta par la
suite en divers endroits. Mourguet avait de l'esprit, et c'est lui-même qui
non seulement faisait agir et mouvoir ses marionnettes, mais imaginait les
pièces qu'il leur faisait jouer et qui sont empreintes d'un vrai sentiment co-
mique, en même temps qu'elles reproduisent les types et les coutumes de la
région lyonnaise, avec la personnalité de Guignol toujours en évidence. Bref,
Guignol est resté si populaire parmi ses compatriotes, que ceux-ci viennent
de célébrer avec éclat le centenaire de sa venue au monde, en une cérémonie
brillante et quasi officielle, puisqu'elle était placée sous la présidence d'hon-
neur du préfet du Rhône, du gouverneur militaire et du maire de Lyon.
Guignol, d'ailleurs, a plus d'importance qu'on ne le supposerait, et il a occupé
des historiens sérieux. Je possède dans ma bibliothèque un livre, devenu rare,
dû à un grave magistrat qui était en même temps un fin lettré, et qui n'a pas
rougi de consacrer les loisirs que lui laissait son austère profession à réunir
et à livrer au public le « Théâtre lyonnais de Guignol, publié pour la première
fois avec une introduction et des notes » (Lyon, Scheuring, 2 vol. in-S° illus-
trés). De même, il a paru à Lyon, pour les années 1867, 1868 et 1869, un
almanach burlesque intitulé : o Almanach de Guignol , saiirique, drolatique et
amusant ». Vous voyez donc que Guignol n'est pas ce qu'un vain peuple
pourrait penser, qu'il a tenu et qu'il tient encore une place importante
dans la vie lyonnaise et que sa gloire n'est pas près de s'éteindre, puisque,
dans sa reconnaissance, sa ville natale vient de fêter son centenaire d'une
façon aussi brillante que louchante.
— A la Revue Bleue (revue politique et littéraire), sous la nouvelle direction
de M. Paul Fiat qui conserve sa rubrique des « Théâtres », notre collabora-
teur, M. Raymond Bouyer, qui collabore à cette revue depuis de longues
années, est chargé de la critique musicale à partir du mois de novembre.
— M. René Brancour, conservateur du musée du Conservatoire de musique,
a donné à Leyde une conférence qui a obtenu un vif succès, sur le sujet sui-
vant : le sentiment musical chez- les portes romantiques.
— Les concerts en province. La saison promet d'être très brillante dans
nos grandes villes. Dès le 18 octobre, l'Association des Concerts classiques de
Marseille, dont l'orchestre compte 80 exécutants, a repris ses séances (il y en
aura vingt-trois) sous la direction de M. Gabriel-Marie. On annonce, entre
autres œuvres, la Symphonie en ut majeur de M. Paul Dukas, la Mer de
M. Debussy, YHijmne à Vénus de M. Albéric Magnard, la Trilogie de Wallenstein
de M. V. d'Indy, la Rapsodie Roumaine de M. Enesco, la Symphonie domestique
de M. Richard Strauss, et la Fille de neige de Rimsky-Korsakolf. Comme
solistes. l'Association s'est assuré le concours de MM. Diemer,' Batlala et
Schelling (piano), Kreisler et Enesco (violon), André Hekking (violoncelle).
Joseph Bonnet (orgue), et de M,B Marguerite Carré et Marié de l'Isle (chant).
— A Lille, la Société des Concerts populaires, dirigée comme précédemment
par M. Alfred Goriot, a commencé le 25 octobre, avec le concours de M. Raoul
Pugno. Elle donnera sept séances, dont deux avec chœurs, et continuera
l'histoire de la symphonie, entreprise l'an dernier. Elle annonce deux œuvres
importantes, le Déluge, de M. Saint-Saèns, et les Enfants de Bethléem, de
M. Gabriel Pierné. D'autre part, Mme Maquet, continuant l'œuvre si intéres-
sante fondée par son mari, annonce trois grands concerts dont l'un consacré
à César Franck et à Berlioz, un autre à Beethoven et à Wagner, elle troisième
à Haydn. On entendra, entre autres, les Saisons d'Haydn et les Béatitudes dé
César Franck. — La Société des Concerts populaires d'Angers a repris aussi
ses séances le 25 octobre, sous la direction de M. Max d'OUone. Le programme
du premier concert comprenait deux compositions importantes de M. Jean
Huré et se terminait par le divertissement des Érinnycs de Massenet.
— Mme Esther Chevalier, de l'Opéra-Comique, et M. Lorant, de l'Opéra,
reprendront, à partir du 2 novembre, leur cours si recherché f»
lyrique (opé:a, .opéra-comique et opérette) et d'e
de la Société française de photographie, 51, rue
avec la salle Berlioz). Inscriptions et renseignen
Mme Esther Chevalier continue, toujours avec le ]
particulières de chant.
— Couns et Leçons. — M"" Jane Arger reprendra se<
3 novembie 1908 sous la direction de M. H. Letocart, .^ do cnapelle organiste
du grand orgue de Saint-Pierre-de-Xeuilly. Cours d'ensemble (chœurs mixtes et
pour voix de femmes), 1" et 3e mardis, de 3 heures à 4 h. 1/4. Prix : 8 francs par
meis. Cours de duos, trios, quatuors (maximum 5 élèves par cours), 2e et 4e mar-
dis, de 3 heures à 4 heures. Prix : 15 francs par mois, 45, rue Saint-Ferdinand
(avenue de la Grande-Armée). — Aparlirdu 15 novembre, chez M™'Girardin-Marchal,
rue Le Verrier, 4 (Luxembourg), cours d'histoire de la musique par J. Chantavoine.
Au programme : Haydn, Mozart, Beethoven, avec auditions musicales.
— Soirées et Concerts. — L'école classique, dirigée par M. Chavagnat, vient de
donner sa première audition de la saison qui a obtenu le plus vif succès. Parmi les
morceaux les plus applaudis, nous citerons Caprice d'enfant, de Chavagnat, finement
détaillé parM"e Thuilant, et le Poète (n° 7 du Poème avril), du même auteur, déli-
cieusement interprété par M"' Carayon.
NÉCROLOGIE
Nous avons le très vif regret d'annoncer la mort à Bruxelles (Saint-Josse-
ten-Noode) de M. Théodore Solvay, père de notre excellent collaborateur et
ami Lucien Solvay. Fils d'un musicien et pianiste distingué lui-même, M. Théo-
dore Solvay. qui était né à Rebecq-Rognon le 11 septembre 1821, fut,
au Conservatoire de Bruxelles, élève de Michelot, et eut la bonne fortune de
recevoir à Paris des leçons et des conseils de Chopin. Il se produisit d'abord
avec succès, puisse consacra à l'enseignement et eut pour l'un de ses premiers
élèves le duc de Brabant, aujourd'hui Léopold II, roi des Belges. M. Théodore
Solvay fut pendant longtemps mêlé de façon très active au mouvement musi-
cal de Bruxelles, à l'époque où ce mouvement était entretenu par Fétis. Bériot,
Léonard, Etienne Soubre, Servais, Vieuxtemps. etc. C'est lui qui incita
Adolphe Samuel à fonder à Gand des concerts populaires à l'imitation de
ceux de Pasdeloup. Il laisse un assez grand nombre de compos'»-' - ';-
publiées, qui comprennent des mélodies vocales, des îr
quelques pièces instrumentales.
— M. Alexandre Guilmant vient d'être cruellement é
tions les plus chères par la perte de sa femme. Nos plus
grand artiste. Les obsèques ont eu lieu à Meudon lundi
— De Saint-Pétersbourg on annonce la mort, à l'âge
italien, Redento Zara, fixé depuis plusieurs années en Russie, où il s'était fait
une bonne situation comme accompagnateur et professeur de chant. Ancien
élève du Conservatoire de Milan, où il avait eu comme maîtres Dominiceti et
Angelo Catalani, il fit, presque au sortir de l'école, représenter à Savone un
opéra en un acte intitulé Aci e Galatea. Il publia un certain nombre de mélo-
dies vocales dont on vante la finesse et la saveur, et que ses compatriotes, les
artistes de l'Opéra italien de Saint-Pétersbourg, à qui il servait souvent d'ac-
compagnateur, chantaient et répandaient volontiers.
Henri Heugel, directeur-gérant.
A CÉDER pour cause de décès un très bon Fonds de pianos, musique et
lutherie. S'adresser à Mme Pichot, 35, rue Malnoue, à Champs-sur-Marne
(Seine-et-Oise).
Viennent de paraître, chez M. E. Fasquelle : André de Lorde, Une leçon à la Salpè-
trière, tableau dramatique en 2 actes (1 franc) ; Claude Ferval, Ciel rouge, roman
(3 fr. 50) ; Ch.-H. Hirsch, Nini Godaehe, roman (3 fr. 50).
4050. - 74e AMÉE.- ,\° U. PARAIT TOUS LES SAMEDIS Samedi 7 Kmmhn i908-
(Les Bureaux, 2 •"», rue Vivienne, Paris, u- tn>)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
MENESTREL
Le Numéro : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGEL, Directeur
lie Numéro : 0 fr. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 ois, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frai3 de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck 'i3" article), Julien Tiersot. — II. Semaine théâ-
trale : première représen:ation du Passe-Partoul au Gymnase, Paul-Emile Cheva-
lier. — 111. Une Famille de grands luthiers italiens : Les Guarnerius iI3° et dernier
articles Arthur Pougin. — IV*. Revue des grands concerts. — V. Nouvelles diverses,
concerts et nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
D'UN PAS LÉGER
petite marche, de P. Bades. — Suivra immédiatement : Bourrée et musette, de
A. Périlhoo.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
Caresses, nouvelle mélodie de Gabriel Dupont, poésie de Jean Richepin. —
Suivra immédiatement : Dans l'été, nouvelle mélodie de Reynalijo Haiin.
poésie de Mme Desbofides-~Valmore.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
(±|-7"±-4-J.'T'7-4)
CHAPITRE IX
ALCESTE
' Dès les premières noies du second acte, nous nous retrouvons
parmi des harmonies connues ; mais ce ne sont pas celles que
l'on entend à cette même place' dans VAlceste française; ces
:accords de début sont les mêmes qui, près du dénouement
français, ouvrent la scène à la fin de laquelle Alceste se livre
aux puissances de la Mort. C'est en effet à l'entrée des Enfers
que se' déroule le premier tableau du second acte dans VAlceste
italienne. Alceste, dans son ardeur fiévreuse, s'est rendue là en
sortant du temple, accompagnée de sa suivante Ismène (rôle
complètement retranché de VAlceste française). Ismène chanle un
air (devenu celui du grand-prêtre: « Déjà la mort s'apprête »);
puis, sur l'ordre de la reine, elle la laisse seule.
Le monologue qui commence alors présente de nombreux points
communs avec la partie correspondant de l'ouvrage français.
Celui-ci a pourtant éliminé un épisode du plus grand caractère.
Alceste a commencé d'invoquer les esprits d'outre-tombe. Sou-
dain, une voix souterraine, accompagnée par les lugubres
accords des trombones, répond à son appel, — et elle a peur !
Cette peur de la femme héroïque, qui n'a pas reculé devant la
pensée du sacrifice, mais qu'épouvante maintenant l'aspect du
monde inconnu, est musicalement représentée par les traits les
, plus frappants: aux instruments à cordes en sourdine se dessine,
obstinémenl répété, un rythme saccadé, à la fois mystérieux et
haletant; des accords des hautbois el des bassons, auxquels
se mêle l'antique chalumeau, viennent parfois s'y plaquer, à
des places irrégulières, répondant à la voix, — et, sur cette
traîne harmonique dont les modulations, en leur apparence
désordonnée, se déroulent avec la plus normale logique, Alceste
fait entendre des cris de terreur, inarticulés, palpitants, éperdus...
Il y a là un mélange de réalisme extérieur et d'émotion intime
qui fait de cette page un chef-d'œuvre d'art presque unique en
son genre.
Pourquoi Gluck l'a-t-il rejetée de son œuvre définitive? On
n'en comprend que trop la raison : dans VAlceste française, le
monologue n'est que le commencement d'une succession d'épi-
sodes dramatiques auxquels prennent part tour à tour Alceste,
Hercule et les divinités agissantes des Enfers; c'est donc le
sentiment d'une juste proportion de l'édifice sonore qui l'a
obligé à ce sacrifice, sans lequel le monologue d'Alceste eût été
d'une étendue exagérée (l).Dans VAlceste italienne, un tel défaut
n'était pas à craindre, car ce monologue, avec les réponses des
Enfers, constitue à lui seul toute la scène. Aussi l'auteur ne
craint-il pas de répéter deux fois la mélopée sur une seule note :
E vuoi morire, qui, en français (Malheureuse, où vas-tu?}, ne fait
qu'une apparition rapide, — et c'est après cette plainte deux
fois proférée qu'Alceste, ayant ressaisi son courage, déclare (et
avec quel admirable accent !) sa résolution de se dévouer à son
époux. Un dessin rapide et éclatant des violons répond à sa parole ;
une fanfare où les trombones et les cors mêlent leurs sons retentit
et une voix de basse, celle d'une divinité infernale, accompagnée
par les mêmes instruments stridents et sonores, chante un air
fortement rythmé, qui a un accent de triomphe. Cet air, nous le
connaissons: Gluck ne l'a pas écarté de VAlceste française ; mais
il y est placé dans une situation qui lui fait perdre une partie
de sa valeur, chanté par Caron, pour exiger d'Alceste qu'elle
tienne sa promesse, non pour exprimer la joie des Enfers à la
pensée d'une si belle proie. Quel qu'ait été l'effort de Gluck
pour l'approprier, par des changements de sonorité, à ce nouveau
rôle, il faut avouer que cette musique convenait bien mieux
à sa destination primitive. — Après ce dialogue formidable.
Alceste implore qu'il lui soit permis de revoir une dernière fois
son mari et ses enfants. La voix infernale, toujours mêlée aux
accords des trombones, répond: « Que cela soit accordé », et
l'épouse héroïque, après avoir chanté la cantilène devenue plus
tard: « O divinités implacables », s'éloigne, tandis que, sur un
air d'orchestre dont le style démodé fait contraste aveu les
(1) Berlioz a exprimé maintes l'ois des regrets bien légitimes pour ce sacritice et
s'est efforcé d'en atténuer l'efl'et, soit en faisant entendre dans ses concerts ie mono-
logue d'Alceste accru de cet épisode de la version italienne, soit en le citant en
exemple dans son Traité d'instrumentation, soit enlin en l'introduisant dans la parti-
tion qu'il fut chargé d'établir puur la reprise d'Alceste à l'Opéra de Paris en 1860.
354
LE MÉNESTREL
accents éternellement jeunes qui ont précédé, le tableau s'achève
par un Pantomimo di Numi infernali.
La dernière partie du second acte italien correspond au second
acte français. Elle débute, et d'une façon tout à fait mesquine,
par un divertissement qui, sous cette première forme, fut jugé
sévèrement. « Cette fête, mal placée et ridiculement amenée,
dit Jean-Jacques Rousseau, doit choquer à la représentation,
parce qu'elle est contraire à toute vraisemblance et à toute
bienséance. » Il n'a rien subsisté de la musique dans la scène
française correspondante, si ce n'est le chœur d'introduction,
qui aurait pu disparaître aussi sans dommage.
Le dialogue dans lequel Admète arrache à Alceste le secret
de son dévouement est, dans l'opéra italien, une ébauche,
beaucoup plus poussée dans l'opéra français, où d'ailleurs elle
est exécutée dans le même esprit et avec des procédés analo-
gues. La partie lyrique y est moins importante; les beaux chants :
« Bannis la crainte et les alarmes » et « Je n'ai jamais chéri la
vie » n'y figurent pas encore. Seul, l'air si expressif d' Admète :
« Barbare, non sans toi », avec son cri poignant: « Je ne puis
vivre », a son équivalent dans la version italienne, sur ces pa-
roles : No, crudel, no posso vivere.
Les déplorations qui terminent l'acte sont analogues dans les
deux versions, mais sensiblement plus développées dans la pre-
mière. Leur étendue a pu mériter la critique que Racine dit avoir
été adressée aux derniers chœurs de son Esther, dont la musique
fut jugée « un peu longue, quoique très belle. Mais, objecte-t-il,
qu'aurait-on dit de ces jeunes Israélites si, le péril étant passé,
elles en avaient rendu à Dieu de médiocres actions de grâces?»
Peut-être Gluck et Calsabigi se souvinrent-ils que Racine avait
projeté d'écrire une Alceste, et, pour cette raison, l'imitèrent,
songeant que le dévouement de leur héroïne méritait, lui aussi,
mieux que de médiocres lamentations. Il y a d'ailleurs, dans la
composition générale de leur fin d'acte une harmonie vraiment
digne d'être rapprochée de celle du poète français. Deux
strophes différentes du chœur (conservées en français sur les
paroles : « Tant de grâces, tant de beauté » et « Oh ! que le
songe de la vie ») circulent et se répètent à travers la scène,
énonçant des vérités graves, à la manière des chœurs antiques;
elles alternent avec d'autres chants que disent les coryphées
(Ismène, Evandre) ou Alceste, même les deux enfants, car ceux-ci,
un moment, mêlent leurs voix en une plainte qui évoque le souve-
nir de certaines monodies du XVIIe siècle italien, si émouvantes
en leur spontanéité. Si donc quelque monotonie résulte de l'en-
semble, c'est uniquement celle qui provient d'une accumulation
de beautés trop prolongées. Il est notamment une invocation :
« Vesta, tu che fosti e sci » où le beau style du chant est rehaussé
par un accompagnement de trombones doux et de chalumeaux,
lequel pourrait bien avoir servi de modèle à Berlioz pour
l'instrumentation de l'air de son Faust : « Voici des roses ».
L'acte se termine par l'air d' Alceste, dont l'ample mélodie se
déroule comme une draperie antique : Ah .' per questo ( Ah ! malgré
moi mon faible cœur partage), suivie par l'allégro où l'émotion
passionnée s'allie à l'éclat du beau chant italien : E il più fiero
di tutti i tormenti, la sévère pensée du chœur (Oh ! que le songe
de la vie...) alternant avec la plainte de la monodie, — ■ et certes,
il ne pouvait venir à la pensée ni de Gluck, ni de personne, de
retrancher une page d'une aussi parfaite et définitive beauté.
Le dernier acte est presque entièrement différent dans les
deux œuvres. On ne trouve dans la version française que deux
morceaux de l'italienne, l'air Misero! e che faro? (Alceste, au nom
des dieux) et la psalmodie du chœur, avec sa répétition lointaine :
« Pleure, ô patrie! » Le lieu de la scène est le palais d'Admète :
cet acte est donc un prolongement du second. Nous y assistons
au spectacle émouvant des derniers adieux d' Alceste, et de sa
mort parmi les siens. Là, Calsabigi a très heureusement suivi de
près Euripide, dont il reproduit presque textuellement, dans sa
belle langue italienne, les traits les plus touchants. Alceste rap-
pelle à son époux qu'elle s'est donnée à lui; puis elle poursuit :
« Ah! le don mérite une récompense! La voici. Je te supplie:
que nos chers enfants ne te voient pas aux bras d'une autre
épouse. Si tu le promets, si tu le jures, à moi, aux chers enfants,
aux dieux, je fermerai en paix mes yeux pour le sommeil
éternel. »
Et Admète éperdu répond :
« Alceste ! mon trésor ! Ah ! ce dont tu me pries, c'est mon
devoir sacré ! Oui, je le promets, je le proclame, je le jure, aux
dieux, à toi : seule, Alceste, je t'aimai vivante ; morte, tou-
jours je t'adorerai... »
C'est dans la forme libre du récitatif accompagné que Gluck a
traduit musicalement ces paroles, mêlant parfois aux accents de
la voix un expressif et discret dessin des violons ; et cette nota-
tion du sentiment le plus intime est d'une infinie délicatesse,
d'un charme profond et rare, très conscient d'ailleurs et voulu,
ainsi qu'en témoigne la précision des indications expressives,
dont les partitions de ce temps-là sont si peu prodigues, surtout
dans les récitatifs : Molto appassionato — Lento — Tulto con gran
pamone. Ce dialogue trouve son expansion lyrique en un court
duo, qui n'est lui-même qu'un dialogue où chante la tendresse
plutôt que le désespoir, et qui s'achève en s'éteignant en un
adieu éploré.
Soudain, à l'orchestre, des voix formidables retentissent ; la
troupe infernale envahit le palais et vient arracher Alceste à la
douleur des siens.
Etla déploration recommence, presque aussi prolongée qu'à l'acte
précédent. Le chœur chante, en accords funèbres : Piangi, opalria,
a Tessaglia: è morta Alceste ! et d'autres voix répondent, l'imitant au
loin: Piangi !.... Les coryphées alternent, exhalant de nouvelles
plaintes; mais le chœur recommence: Piangi, o patria! ... Il en est
ainsi par quatre fois, le thème se déroulant longuement pour
exprimer un deuil sans fin. L'on pourrait trouver de pareils
exemples de lamentations harmonieuses dans les oratorios de
Carissimi ; et certes, il faut louer Gluck d'avoir voulu renouer
une admirable tradition musicale, oubliée en son temps, et de
l'avoir fait revivre avec tant de puissance. Malheureusement, le
théâtre a des exigences trop souvent contradictoires avec l'ex-
pansion du lyrisme ; aussi, dans Y Alceste définitive, cette page
chorale n'a pas pu subsister dans son intégralité. Gluck y a
repris seulement la psalmodie du double chœur, fragment d'une
admirable beauté, dont les accords semblent contenir en subs-
tance la douleur de tout un peuple.
Le dénouement, pour différent qu'il soit de celui de la version
française, est également sot. Admète veut mourir, Apollon
apparaît, ramène Alceste, et l'on chante un chœur.
A la simple lecture de la partition originale, Jean-Jacques
Rousseau a été frappé par le défaut fondamental de l'œuvre :
« Tout y roule presque sur deux sentiments, l'affliction et
l'effroi ; et ces deux sentiments, toujours prolongés, ont du
coûter des peines incroyables au musicien pour ne pas tomber
dans la plus lamentable monotonie. » L'adaptation française,
poiîr l'exécution de laquelle l'auteur de la Nouvelle Héloïse a
donné d'heureuses idées (1), a corrigé quelques-uns de ces vices
de construction ; il convient donc que nous attendions le
moment de cette seconde apparition pour considérer Alceste en
tant qu'œuvre définitivement organisée.
Pourtant, telie qu'elle fut donnée à Vienne en 176", Alceste
constituait dans l'évolution du génie de Gluck un progrès dont il
est nécessaire de faire ressortir les traits dominants. Cette évo-
lution, certes, Orphée l'avait commencée: Alceste n'a fait que
■ 1) Les Observations sur /'Alceste italien de M. te Chevalier Gluck de Jean- Jacques-
Rousseau ^adressées à Burney), notes hâtives et incomplètes, simple brouillon trouvé
danssas papiers, furent, il faut bien le spécifier, écrites par le philosophe pendant
les dernières années de sa vie, à l'époque où son état mental donnait lieu à de si
tristes inquiétudes. Il convient donc de ne pas insister sur ce qu'il y a de maussade
dans certaines de ses critiques, , celles parexemple qui portent sur la scèi.e du
Temple, ou sur l'air: Ombre, larve, dont Rousseau aurait voulu que Gluck fit un
rondeau ! Mais d'autres sont si bien justifiés que Gluck en a tenu le plus large
compte dans son travail d'adaptation il la scène française. Si l'on regarde au détail,
la comparaison de ses corrections avec les remarques de Rousseau est des plus
insti-U' tives. Enfin, les conseils donnés quant àla conduite générale de la pièce ont
été fort exactement suivis, et les auteurs ont reçu du philosophe l'idée du contraste
entre les larmes d'Alceste et l'allégresse de la fête, au second acte, en quoi l'on peut
dire qu'ils lui furent redevables de beaucoup.
LE MENESTREL
3S5
suivre l'impulsion venue de cette œuvre inaugurale, mais en
dépassant de beaucoup le but atteint en premier lieu. Orptiéè
n'était qu'une pastorale mythologique, un tableau enfermé dans
un cadre restreint. Alceste, c'est la tragédie antique elle-même,
avec toute sa profondeur de sentiment pathétique et son ampleur
de développement. La scène du temple est un monument de
l'art lyrique dont aucune œuvre précédente n'aurait pu faire
soupçonner l'équivalent. Celle des Enfers, renonçant aux arti-
fices qui constituaient antérieurement la meilleure part des spec-
tacles analogues, met aux prises une àme souffrante avec les
puissances mystérieuses de l'au-delà. Et depuis la première
note (l'accord initial de l'ouverture) jusqu'à la dernière (la
déploration funèbre) en passant par les chants monodiques ou
choraux répandus sur tous les épisodes du drame, la douleur
s'exprime en des accents venus du fond del'àme, et renouvelés
de scène en scène avec une incroyable profusion.
{A suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THÉÂTRALE
Gymnase. — Le Passe-Partout, comédie en 3 actes de M. Georges Thurner.
M. Georges Thurner. un vrai jeune à qui le succès a souri dès ses
récents débuts avec le Bluff et surtout avec Mariage d'étoile, joué au
Vaudeville, vient de faire représenter, au Gymnase, une nouvelle
comédie, tout à la fois de mœurs et de caractères, où se retrouvent
toutes les aimables qualités d'observation, de logique, de vivacité et
de clarté qu'on avait applaudies dans ses œuvres précédentes et où
s'affirment des dons d'auteur dramatique de métier sûr et habile.
Le Passe-Partout est le journal parisien en vogue et son directeur, au
faciès néo-napoléonien, se dénomme Lionel Régis. Et tout en nous
initiant, de plaisante façon, aux secrets du bureau directorial du
grand quotidien, où la littérature hâtive ne sert qu'à masquer des
affaires sujettes à caution, où les portes ne semblent capitonnées que
pour étouffer le bruit des déclarations amoureuses plutôt brutalement
faites aux jolies quémandeuses, M. Thurner s'attache principalement
à disséquer l'âme et le cerveau de son Lionel Régis.
Fils de ses œuvres, servi par énormément de chance, puissamment
aidé par uue confiance en soi illimitée, un inébranlable aplomb et un
cynisme sans égal, ni trop bête ni trop intelligent, et, surtout, de sens
moral d'une élasticité à toute épreuve, Lionel Régis est, avant tout, le
type de l'égoïste le plus effroyable, celui dont la cruauté est consciente.
Son « moi » seul compte; les siens peuvent trimer misérablement ou
même crever de misère, peu lui importe, pourvu que l'or déborde de son
gousset; il jettera même positivement sur le pavé frère et sœur lorsque
leur présence arrive à tant soi peu le gêner. Autour de lui, il annihile
toutes les volontés, paralyse toutes les initiatives, atrophie tous les cer-
veaux. Ceux-ci ne sont que sots, ceux-là qu'imbéciles, il le dit à qui
veut l'entendre, il le leur dit même à eux; lui seul est toute l'intelli-
gence, toute la valeur et toute l'énergie utile. Et ceux qui l'entourent
sont si complètement médusés et aussi si désespérément veules et si
mal taillés pour lutter contre les forbans de son espèce, qu'il règne par
la terreur môme sur ceux qui lui sont incontestablement supérieurs.
En homme cependant ose se dresser en face de lui pour lui barrer la
route; cet homme, c'est son propre frère. S'il sort de sa léthargie cou-
tumière, c'est qu'il veut arracher aux griffes de l'être de proie une
femme qu'il aime. Et l'on aurait beau jeu pour. ici. discuter avec
M. Thurner la rapidité d'un dénouement trop facile que rien n'explique,
si l'on n'entendait lui tenir compte des moments agréables dont on lui
est redevable.
Lionel Régis, c'est M. Dumény, dont la suffisance dégagée donne au
personnage relief et vérité. Il n'y a, à proprement parler, que ce rôle,
qui, dans le Passe-Partout, soit d'importance. Il n'en est pas moins vrai
que Mme Marthe Régnier arrive, à force de talent, à en donner à celui
de la femme pour laquelle les deux frères en viennent presque aux
mains, et que M. Dubosc prête une bonne allure à ce frère d'abord
| patito, enfin justicier. Mme Henriot, l'espiègle M"0 Clairville, l'élégante
M"e Damiroft', MM. Leubas et Jean Dax sont à la tête d'un bon et
agréable ensemble.
Paul-Emile Chevalier.
UNE FAMILLE DE GRANDS LUTHIERS ITALIENS
LES GUARNERIUS
JOSEPH lifARNEHI! s DEL GE8TJ
III
LES INSTRUMENTS DE JOSEBH GUAItNEMUS DEL <;ESI
Revenons aux vrais (iuarnerius, pour laire connaître un êtri
lier, qui ne fut pas étranger à leur fortune en France, non plus qu'à
celle des instruments des autres grands luthiers italiens.
C'était un pauvre diable d'Italien qui s'appelait Luigi Tarisio, abso-
lument dépourvu d'instruction, mais ayant le sens du brocantage, et
surtout celui des vieux instruments. Il était doue à cet égard d'une
sorte de ilair singulier, qu'il devait sans doute au hasard, mais que la
pratique finit par affiner d'une façon toute particulière. Très madré
d'ailleurs, ayant aussi le sens des affaires, et ne s'en laissant pas con-
ter facilement.
Vers 1827, Tarisio arrivait pour la première fois à Paris, ou il aait
venu à pied, apportant une petite pacotille d'instruments, qu'il allait
offrir à nos luthiers. Il éprouva d'abord, parait-il, quelques difficultésà
inspirer confiance, son extérieur étant loin de plaider eu sa faveur. Il
finit cependant par être bien accueilli et encouragé par l'un d'eux,
Chanot, quilui acheta plusieurs violons, en les payant comptant, bien
entendu. Muni de ce petit pécule, qui lui permettait de recommencer,
et profitant des remarques qu'il avait vu faire à Chanot, notre homme
retourna en Italie, renouvela ses recherches, et revenait au bout de trois
mois avec une nouvelle cargaison, qu'il écoula cette fois avec plus de
facilité. Très « bric à brac » d'ailleurs, il n'achetait pas que des instru-
ments complets; tout lui était bon: volutes isolées, tables d'un auteur,
éclisses d'un autre, etc., il prenait tout ce qu'il trouvait, et finit par
placer tout cela chez certains de nos luthiers, qui se livraient, avec ces
débris, à d'étranges assemblages. Mais il apportait aussi de véritables
trésors, et plus d'un Stradivarius, d'un Guarnerius, d'un Amati. d'un
Bergonzi, est venu en France grâce à lui, et a fait la joie de nos artistes
et de nos amateurs.
Pendant près de trente ans, Tarisio fit ainsi la navette entre l'Italie
et la France, épuisant son pays sous le rapport des instruments et
enrichissant le nôtre, et aussi l'Angleterre, où il avait fini par se
rendre. Chacune de ses arrivées ici causait une sorte d'émotion dans le
monde spécial de la lutherie, où il était fiévreusement attendu, et l'on
conçoit qu'il trouvait son compte dans ses voyages.
Puis, un beau jour, en 1854, on apprend la nouvelle de sa mort.
C'était un événement, car on supposait bien qu'il avait laissé quelque
chose derrière lui, et on ne se trompait pas. Mais la surprise devait être
plus grande encore qu'on ne s'y attendait. Ici, j'emprunte d'intéres-
sants renseignements à Antoine Vidal, qui fut directement informé à
ce sujet par Vuillaume en personne :
. . .On apprit que Tarisio laissait une magnifique collection de vieux instru-
ments ; il y avait là tout un trésor ! Un de nos luthiers parisiens, des plus
intelligents et des plus habiles, M. J.-B. Vuillaume, n'hésite pas. Il se met
de suite en communication avec la famille du défunt, et part pour l'Italie le
8 janvier 18bb. Il arrive a Novare et se fait conduire près deFontenette iFon-
tanetto) à la ferme de la Croix, petite proprié t é qui avait appartenu à Tarisio.
où il trouve réunis les héritiers avec toutes les apparences delà misère la plus
sordide! Après les saluls d'usage, M. Vuillaume aborda de suite la grande
question : « Où sont les instruments ? — A Milan; mais nous avons ici six
violons. — Où sont-ils ? — Là. » Et on indiquait un coin où gisaient >ix cais-
ses empilées deux par deux ; on n'aurait pu les placer autrement, il n'y avait
pas un meuble.
On amène donc ces caisses sur le sol nu, au milieu de la chambre. M. Vuil-
laume se met à genoux pour en examiner le contenu, et découvre successi-
vement : 1° un magnifique Ant. Stradivari ; 2" un Guarnerius del Gesu. admi-
rable; 3° un Charles Bergonzi, unique de conservation ; 4° deux J.-B. Guada-
gnini, presque intacts: 3" et enfin le fameux violon neuf de A. Stradivari.
resté pendant soixante années dans la collection du comte Cozio de Salabue,
et qui avait été acquis par Tarisio en 182-i. Il y avait longtemps que ce dernier
en avait parlé avec emphase à Paris ; mais, en habile marchand, il se gardait
de le faire voir, bien certain d'eu obtenir un prix considérable quand il le vou-
drait (1).
Lorsque M. Vuillaume eut mis à nu ces six admirables instruments, dont
la beauté était encore rehaussée par l'aspect misérable du lieu, il resta un
instant immobile, toujours à genoux, promenant son regard de l'un à l'autre,
entouré des hommes, des femmes et des enfants qui le regardaient avec de
(1) Cette circonstance a valu à ce violon le nom de Messie, toujours attendu et
n'arrivant jamais ! Le catalogue de l'Exposition de Londres au Kensington-Museum
de 187-2, où il ligura sous ce nom, en donoe une belle photographie.
336
LE MÉNESTREL
grands yeux ébahis ! Certains sujets choisis par les peintres ont mérité moins
que celui-là les honneurs du pinceau.
Après être tombé d'accord avec les intéressés sur l'estimation de ces six vio-
lons, M. Vuillaume partit de suite pour Milan. A son arrivée en cette ville, il
fut conduit dans un petit hôtel de dernier ordre, appelé avec quelque peu
d'exagération Hôtel des Délices, demeure habituelle de Tarisio et son quartier
général. Là, dans une petite chambre, se trouvaient entassés pêle-mêle deux
cent quarante-quatre violons, altos et violoncelles d'anciens maitres. Après
examen fait, le tout, formant un ensemble de 230 instruments, fut estimé,
d'accord avec les parties, à la somme de 80.000 francs, payés comptant, et
M. Vuillaume revint en France avec cette précieuse collection qui ne tarda
pas à se disperser de tous les cotés. Disods, pour terminer, que Tarisio lais-
sait, en mourant, à ces parents que nous avons vus si misérables dans la
pauvre ferme de la Croix, une fortune de 300.000 francs, produit de son com-
merce depuis 1823 environ jusqu'en 1834. Cet homme, qui ne savait ni lire ni
écrire, avait concentré toutes ses facultés sur la lutherie ancienne, et à
force d'activité, d'intelligence et d'économie, était parvenu à ce résultat sur-
prenant dans une branche d'affaires qui n'était en réalité que du brocantage (1).
C'est là, sans aucun doute, un fait unique dans l'histoire du com-
merce de la lutherie, et l'on peut affirmer sans crainte qu'il ne trouvera
jamais son pareil. De telles circonstances ne se renouvellent pns.
Il aurait été intéressant de savoir, par le détail, de quoi se compo-
sait la série vraiment prodigieuse des 244 instruments découverts à
Milan par Vuillaume. Il est évident que toute l'ancienne lutherie de
Crémone et de Brescia devait figurer là, avec tous ses représentants,
et qu'avec les Stradivarius, les Guarnerius, les Amati, les Bergonzi, les
Maggini, devaient se trouver côte à côte les Slorioni, les Landolfi. les
San Serafino, les Grancino, les Testore, les Montagnana, les Gaghauo,
les Cappa. les Rugieri. les Mantegazza... C'est un ensemble dont la
seule pensée donne le vertige. Nous avons vu que dans les six premiers
violons de grand choix qui étaient restés à la misérable ferme de la
Croix se trouvait un Guarnerius del Gesù « admirable ». Précédemment,
Tarisio en avait apporté d'autres en France, etGallay, dans les « notes »
ajoutées par lui au livre de l'abbé Sibire, en signale un surtout dont
l'état était vraiment exceptionnel : — « M. Chanot, dit-il, nous a parlé
plus d'une fois avec admiration d'un inestimable violon de Guarnerius
que lui vendit Tarisio. et qui avait encore sa louche, ses chevilles, ses poignées
et sa barre d'origine. Cet instrument, très épais en bois, n'avait jamais
été détablé. Il fut acheté par M. de Kermoisan, qui, nous le croyons, le
possède encore. » C'était presque le pendant du fameux Messie de Stra-
divarius.
Malheureusement, depuis Tarisio, les Guarnerius, comme déjà les
Stradivarius, ont été accaparés par les collectionneurs anglais, qui les
recherchaient avec fureur pour, selon leur sotte et funeste habitude,
les enfermer précieusement dans leurs vitrines, où leur voix admirable
est réduite au silence. C'est ce qui fait que leur rareté est devenue si
excessive. On a vu qu'aujourd'hui, et par le fait de cette rareté, leurs
prix ont atteint, et même dépassé ceux des Stradivarius. Cela suffirait à
faire leur éloge, si nous n'avions, pour justifier davantage notre admi-
ration, l'opinion exprimée sur eux par Paganini, Vieuxtemps, Alard et
autres grands artistes.
Joseph Guarnerius del Gesù fut. lui aussi, en son genre, un artiste
de premier ordre, absolument hors de pair, dont le talent, lorsqu'il
brille de tout son éclat dans les plus beaux de ses produits, n'a pas
été plus égalé que celui de Stradivarius. Représentants illustres d'un
art plein de noblesse, qu'ils surent porter à un état de perfection idéale,
les deux maitres tiennent incontestablement la tète dans cette grande
armée des luthiers italiens dont ils sont, plus que tous autres, l'honneur
et la gloire.
Mais la renommée très grande et très légitime de Joseph del Gesù
ne doit pas nous rendre injustes pour les autres membres de cette inté-
ressante et laborieuse famille des Guarnerius, qui furent tous des
luthiers distingués et qui ont bien mérité de l'art et de leur profession.
J'ai eu plaisir, pour ma part, à rappeler le nom et les travaux de ces
vieux maitres, dont l'activité s'est étendue sur tout un siècle, j'ai été
heureux do rendre hommage à leur talent, et à le mettre en lumière
autant que me le permettaient les trop rares documents que l'on possède
•encore sur ces travailleurs si habiles et si bien doués.
Arthur Pougin.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerls-Colorme. — Après une bonne exécution de la Symphonie en ut
majeur de Beethoven, M. Colonne a donné une importante sélection d'une
œuvre primée au concours de la Ville de Paris en 1900, la Vision de Danle.
1 Les Instruments à archets, t. I, pp, 123-125.
L'auteur, M. Raoul Brunel, s'y rétèle compositeur habile et instrumentateur
avisé. Parmi les fragments exécutés dimanche et qui furent accueillis avec
faveur grâce à une interprétation vocale qui réunissait les noms de Mme Félia
Litvinne, de MM. Plamondon. Carbelly et Koubilzky. le tableau de l'Enfer, très
puissant et d'un coloris intense, m'a paru le mieux venu de l'ensemble. Le sé-
duisant et prestigieux scherzo de M. Dukas. l'Apprenti sorcier, obtint son suc-
cès accoutumé, ainsi que les Variations symphoniques de César Franck, où
MIle Selva, par son jeu sobre et pur, sa technique parfaite, s'affirma une fois de
plus pianiste remarquable. Une expressive mélodie de Rimsky-Korsakow,
chantée en russe, par M. Kouhitzky, fut fort goûtée d'un public très vibrant
dont l'enthousiasme ne connut plus de bornes après l'audition magistrale de
la scène finale du Crépuscule des dieux, où Mmc Félia Litvinne, l'orchestre et son
chef se surpassèrent àl'envi. .T. Jemain.
Concerts-Lamoureux. — Le Morceau de concert pour violon, op. 62, de
M. Saint-Saëns a fait, dimanche dernier, sa première apparition aux Concerts-
Lamoureux. On l'avait entendu au Chàtelet, sous la direction de M. Ed.
Colonne, dès le 14 novembre 1880, avec M. Camille Lelong comme soliste. Cet
ouvrage de forme libre et de style très classique n'est pas unique dans l'œuvre
du maître; nous en avons de lui, pour piano, de quasi-similaires. Il possède
des qualités de facture suffisantes pour éveiller dès le début l'intérêt et le
soutenir jusqu'à la fin; il ne faut pas toutefois s'attendre à y trouver rien de
passionné ni de passionnant, rien surtout qui puisse profondément charmer
ou émouvoir. L'auteur parait avoir voulu seulement nous offrir sept ou huit
minutes de musique agréable pour reposer l'esprit. Il a pensé sans doute que,
si l'inspiration ne vient pas peur une vaste composition, il ne faut pas pour
cela se priver d'en écrire une petite, surtout lorsque l'on peut le faire avec
perfection, ce qui est bien le cas ici. Dès le commencement du morceau, des
traits d'une contexture assez ordinaire montent en fusées, jusqu'à une note
suraigùe que le virtuose soutient jusqu'au moment où un accord d'orchestre
vient y ajouter une harmonisation parfois imprévue. C'est d'un joli caractère
et d'une aimable ingéniosité. Le violoniste, M. Johannès Wolff, a obtenu le
succès d'instrumentiste que mérite son talent sérieux, l'aisance de son jeu et
son beau phrasé dans les passages de chant. On l'a rappelé chaleureusement.
— Les Impressions d'un site agreste, de M. Jules Maugué, ont une allure indé-
cise et papillotante, formant contraste avec l'œuvre si fermement écrite de
M. Saint-Saëns. La dénomination de poème symphonique parait un peu pré-
tentieuse pour ce tout petit tableau d'impressionnisme musical; il y a là
quelques motifs un peu secs et très sommairement ouvragés, parmi lesquels
une assez jolie phrase que se passent les instruments. L'orchestration ne s'offre
pas exceptionnellement brillante ou colorée. Le reste du programme compre-
nait la Symphonie n° 2 de Brahms, en ré mineur, la Suite symphonique en
quatre parties, Schéhérazade, de Rimsky-Korsakoxv, et des fragments des Maî-
tres-Chanteurs, de Wagner. M. Chevillard a dirigé avec un respect sincère et
convaincu l'œuvre de Brahms, surtout le premier et le second mouvement, qui
exigent, ici ou la, beaucoup de charme et un peu de poésie. Le scherzo a été
dit avec une nuance sentimentale et vaguement idyllique, très bien de mise
pour ce fragment schumannien; le final a paru d'une intensité de son écla-
tante et crue. La salle Gaveau ne supporte pas ces sonorités violentes et peu
fondues. Quanta Schéhérazade, c'était, on s'en souvient, un des triomphes de
l'éminent chef d'orchestre dont l'absence, pendant une année entière, n'a pas
été sans laisser des regrets. La musique de Rimsky-Korsakow se prête mieux
que celle de Brahms aux véhémences orchestrales et n'exige pas un aussi par-
fait équilibre de tous les éléments de l'instrumentation; la fantaisie capri-
cieuse qui s'en dégage avec des aspects humoristiques et imprévus a très
vivement agi sur l'auditoire; la brillante interprétation a été acclamée.
AMÉDÉE Boi'TAREL.
— Programmes des concerts de demain dimanche :
Chàtelet, Concerts-Colonne : Deuxième symphonie (Beethoven). — Marche funèbre
et Mort de Brunehilde du Crépuscule des Dieux (Richard Wagner) : Brunehilde,
M"" Litvinne. — CoDcerto en ré, pour violon (Beethoven), par M. Lucien Capet. —
Tristan et Yseult (H. Wagner): Prélude (par l'orchestre) et Mort d'Yseult, par M ""Félia
Litvinne.
Salle Gaveau, Concerts-Lamoureux, sous la direction de M. Chevillard : Symphonie
en re majeur n" 35 (Mozart). — Scè.ie et air du 2' acte d'IIulda (César Franck), par
M"" Jeanne Raunay. — La Mer (Debussy). — Concerto pour violoncelle (Saint-Saëns),
par M™" Caponsacchi-Jeisler. — Les Nuits d'été (Berlioz), chantées par M™« Jeanne
Raunay. — Ballade symphonique (Chevillard). — Till Eulenspiegel (Richard Strauss).
— Voici le programme détinitivement arrêté du très beau concert qui sera
donné le dimanche 13 novembre, à deux heures, dans la salle du Conservatoire,
par la Société des concerts, avec le concours de M. Camille Saint-Saëns, en
hommage à Georges Marty et au bénéfice de sa veuve :
Ouverture de Ballhazar (Georges Marty) ; Shylock, suite d'orchestre (Gabriel Fauré);
1" acte (fragments), Alceste (Gluck) : M"" Hatto et M. Delmas, de l'Opéra; Concerto
pour piano en ut mineur (Mozart) : M. Camille Saint-Saëns; Symphonie avec chœurs
(Beethoven) : M"" Gall et Lapeyretle, de l'Opéra, MM. Cazeneuve et F'rôlich.
L'orchestre et les chœurs du Conservatoire seront dirigés pour la première
fois par M. André Messager.
Le quatuor Capet, composé de MM. Lucien Capet, André Tourret, Louis
lîailly et Louis Hasselmans, se prépare a reprendre très prochainement ses
séances, qui auront lieu dorénavant dans la salle des Agriculteurs de France,
rue d'Athènes, à neuf heures du soir. Le programme des six concerts de cette
saison comportera l'audition intégrale des dix-sept quatuors de Beethoven.
LE MÉNESTREL
3:57
Les dates de ces six séances sont ainsi fixées : jeudi 19 novembre, vendredi
4 décembre, mardi 12 janvier, lundi 1er février, mercredi 3 et mercredi
31 mars.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(POUR I.R8 SEULS AKONNK8
Elles vont d'un pus léger les trois petites ballerines, et le maître de ballet, par der-
rière, leur marque la mesure d'un gros bâton frémissant sur le parquet. L'homme
est épais et vulgaire, les petites femmes graciles s'envolent tout en tulle, lamusique
court triviale un peu, comme il convient, alerte pourtant et bonne lille. Brève page
de joie signée P. Bades.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Le nouveau Théàtre-Johann-Strauss, de Vienne, a été inauguré le
30 octobre dernier. Le programme de la soirée comprenait : un prologue de
M. Wolfgang Madjera, des chœurs chantés par l'association chorale Schubert
et les Mille et une Nuits de Johann Strauss. C'est peut-être ici l'occasion, ne
fût-ce que pour prouver l'utilité de la scène qui vient de s'ouvrir, de remar-
quer que pendant la saison théâtrale 1906-07 neuf opérettes de Johann Strauss
ont été jouées 1.313 fois en pays de langue allemande, savoir :
La Chauve-Souris 494 représentations.
La Guerre joyeuse 32 —
Une Nuit à Venise 31 —
Le Prince Mathusalem 6 —
Le Mouchoir brodé de la reine .... 12 —
Les Mille et une Nuits 271
Le Forestier 41 —
Le Sang viennois . . I lb —
Le Baron tzigane 311
Total 1.313 représentations.
Le chiffre se suffit à lui-même sans beaucoup de commentaires. On peut
cependant ajouter que le frère du Roi de la valse, Joseph Strauss, n'est pas
non plus un oublié de la scène. Son opérette Brise de printemps a été donnée
275 fois pendant la même saison 1906-07.
— En même temps que l'administration du Conservatoire de Vienne était
placée parmi les services dirigés par l'état autrichien, quatre sections d'ensei-
gnement y furent organisées, la première pour le piano, ayant à sa tête
M. Godowsky; la seconde pour le violon et les deux autres pour la composi-
tion et le chant. On pense que M. Sevcik, de Prague, sera nommé directeur
des classes de violon. On ne dit rien de spécial pour les classes de chant.
Quant à celles de composition, il avait été question de les confier à MM. Richard
Strauss et Max Reger, mais ces deux artistes ont décliDé l'honneur que l'on
voulait leur faire et ont déclaré ne pouvoir accepter. Le bruit avait couru que
M. Max Reger, qui occupe à l'université royale de Leipzig les deux emplois
de directeur de l'association chorale et de directeur de la musique, et qui est
en outre professeur au Conservatoire, résignerait ces différents emplois et
transporterait sa résidence à Munich. M. Max Reger a démenti télégraphique-
ment la dernière de ces nouvelles et a fait savoir qu'il a renouvelé pour
plusieurs années son engagement avec le Conservatoire de Leipzig.
— On vient de créer à l'Université de Vienne deux nouvelles chaires artis-
tiques : une d'esthétique musicale, qui est confiée au docteur Richard W'al-
laschek, critique du journal la Zeit; et une d'histoire de la musique, qui est
confiée au docteur Maximilien Diez, lequel est aussi une des notabilités de la
critique.
— MmeLilli Lehmann a fait don à l'Association des scènes allemandes d'une
somme de 12.500 francs, dont les intérêts sont destinés à être distribués en
secours aux artistes lyriques tombés dans l'indigence.
— Voici que l'aviation, qui fait tant parler d'elle en ce moment, va jusqu'à
exciter l'inspiration des musiciens. On annonce qu'un compositeur allemand
bien connu par des oeuvres nombreuses et importantes, M. Auguste Bun^ert
s'inspirant des prouesses aéronautiques de son compatriote le comte Zeppelin,
termine présentement un grand poème symphonique qu'il intitule le Premier
grand voyage de Zeppelin.
- La société chorale de Dresde « Dresdner Kreuzchor » a célébré le
360e anniversaire de sa fondation. Elle a exécuté dans l'église de la
Croix des œuvres de Henri Sehiilz, qui fut maître de chapelle de la
Cour, et de Sébastien Bach. Cette sociélé fait remonter son origine à
l'année 1548. époque à laquelle l'électeur Maurice de Saxe accorda sou patro-
nage aux chanteurs qui la constituèrent. Depuis l'année 17S6, les artistes de
l'Opéra do Dresde et ceux de la chapelle de la cour chantèrent souvent pendant
ies offices de l'après-midi dans l'église de la Croix. De leur côté, les membres
du Kreuzchor ont été employés pendant un siècle entier (1717-1817 1. à
renforcer les chœurs du théâtre, jusqu'au moment mi Weber organisa l'en-
semble vocal que l'on nomma le Chœur de l'Opéra Royal. Toutefois, le
Kreuzchor conserva sa forte individualité. Il occupe une. place importante dans
l'histoire de la musique, à cause des belles auditions qu'il a données sous la
direclion de maitres illustres, comme Antonio Lotti. Adolphe liasse, Weber,
et beaucoup d'autres. L'on peut citer, parmi les hommes célèbres qui ont
assisté à ces auditions, Frédéric le Grand, Sébastien Bach, Napoléon I,r et
Goethe. Lorsque Wagner lit représenter Bienzi à l'Opéra de Dresde, les choristes
du théâtre élant insuffisants, on eut recours au Kreuzchor, qui, déjà depuis
longtemps, avait cessé de prendre part aux représentations. Il n'a pas continué
d'ailleurs de chanter dans les opéras et borne actuellement son activité au
service de l'église. Il se fait entendre les jours de fét ■, principalement à
l'office des vêpres, à deux heures de l'après-midi.
— Le Prime de Monaco, opérette nouvelle en trois actes, livret de
M. E. Schlack, musique de M. Henri Mannfred, vient d'être jouée pour la
première fois au théâtre de Breslau.
— Une opérette nouvelle, le Roi de la valse, paroles de M. Robert Reitensteinl
musique de M. Ludwig Mendelssohn, vient d'être représentée pour la première
fois au théâtre de la Cour, à Mannheim. Ce petit ouvrage a eu du succès.
— Au Théâtre-Municipal de Brunn a été donnée, le 25 octobre dernier, la
première représentation d'une opérette nouvelle en trois actes, la Sauvage
Comtesse. Le texte est de M. Auguste Xeidharl, la musique de M. Adolphe
Ripkas de Rechlhofen. Ce dernier est un jeune officier d'artillerie de l'armée
autrichienne.
— Une symphonie pour orchestre de M. Paul Ertel, l'Homme, inspirée au
compositeur par un triptyque de M. Lesser Uri, a été exécutée à Hambourg
avec un grand succès.
— M. Henri Marteau a fait entendre pour la première fois, au deuxième
concert du Gewandhaus de Leipzig, un nouveau concerto de violon de
M. Max Reger. C'est une « vaste » composition qui ne dure pas moins d'une
heure trois minutes et qui, selon un journal, est « un combat perpétuel du
violon contre l'orchestre ». On fait remarquer que M. Max Reger, qui est âgé
de trente-cinq ans à peine, marque du chiffre 10S sa dernière composition :
Prologue symphonigue pour une tragédie, tandis qu'il y a six mois il n'en était
qu'à son œuvre 100. Cela promet, pourvu qu'il aille longtemps du même
traiu ! Reste à savoir si la qualité égale la quantité.
— Dans son premier numéro de l'année 190S-09, consacré tout entier à
Chopin, la revue Die Musik a publié deux polonaises inédites du maître. La
première, en la bémol majeur, remonte à l'époque de la première jeunesse de
Chopin; il n'avait que neuf ans, parait-il, lorsqu'il la composa. La seconde,
en sol bémol majeur, est aussi une œuvre appartenant à la période d'achemi-
nement et d'essais; on y reconnaît pourtant à des marques peu équivoques le
génie du grand artiste qui devait faire du piano l'interprète souverain de ses
sentiments. Celte œuvre, d'après ce qu'affirme M. A. Polinski, qui l'a com-
muniquée au journal berlinois, n'existe plus en manuscrit autographe; on en
possède seulement une copie faite de la main d'un ami d'enfance de Chopin.
Oscar Kolberg, ethnographe de mérite et éditeur d'un recueil en plusieurs
volumes de chants populaires polonais. Kolberg copia plusieurs des premières
compositions de Chopin, morceaux de piano, mélodies vocales, dont la plu-
part furent gravées comme œuvres posthumes; il avait eu sans doute le pres-
sentiment de la célébrité future de son ami. Le numéro de Die Musik ivnferme,
entre autres articles, un récit détaillé des derniers moments de Chopin. Il
contient aussi d'intéressantes illustrations. Ce sont d'abord trois portraits de
Chopin et une reproduction de la maison où il est né, à Zelazowa Wola, près
de Varsovie. Viennent ensuite deux autres portraits, un de la mère de Cho-
pin, Justine Krzyzanowska, et un de son père, Nicolas Chopin, qui était ori-
ginaire de Nancy et fut professeur de français, d'abord au collège de Varsovie,
ensuite, à partir de 1812, à l'école d'artillerie de cette ville. La série se pour-
suit par une photographie d'un tableau que possède la famille du maître et
qui nous le montre assis sur son séant sur son lit de mort, tandis qu'une
dame, sa sœur sans doute, veille auprès de lui. Il y a encore un portrait de
Chopin au crayon, le représentant après qu'il eut rendu le dernier soupir, un
moulage de ses traits, une reproduction de sa main, et une image du monu-
ment qui se trouve dans l'église de la Sainte-Croix, à Varsovie. C3 monu-
ment, adossé à un mur, comprend le buste de Chopin, une inscription portant
la date de sa naissance (2 mars 1809), la date de sa mort (17 octobre 1849), et
une urne sur laquelle sont gravés ces mots : « Ici repose le cœur de Chopin».
Nous rappelons que la date de naissance de Chopin n'est pas le 2 mars 1809,
mais le 22 février 1810. Signalons encore, parmi les autographes du grand ar-
tiste que renferme le numéro spécial consacré à Chopin, un fac-similé des
derniers mots qu'il a écrits, les voici : « Je vous conjure de faire ouvrir
mon corps pour que je ne sois pas enterré vif ».
— Tschaikowsky etTolstoï. — UAllgemeine Musik-Zeilung reproduit quelques
documents intéressants sur les relations qui s'établirent vers IS76 entre le
célèbre éirivain russe Tolstoï et son compatriote musicien Tschaikowsky.
Tolstoï rêvait alors de faire servir la musique à l'extension de son apostolat
populaire, et l'appui d'un compositeur déjà illustre ne lui paraissait pas à
dédaigner pour cette tâche. « Lorsque j'ai fait la connaissance de Tolstoï,
écrivait dix années après Tschaikowsky, mon premier sentiment fut une
frayeur mêlée de timidité. Il me sembla que ce puissant scrutateur des cœurs
358
LE MENESTREL
allait pénétrer d'un regard tous les secrets de mon âme. Devant' lui, pensais-
je, on ne saurait cacher aucune des souillures que l'on peut avoir au fond de
soi-même, afin de ne montrer que ce qui est beau. Toutefois, me disais-je, il
doit être bon et sentir avec délicatesse ; il est comme un médecin qui visite
une plaie et connaît tous les endroits douloureux, sachant remédier à tout ce
qui pourrait irriter le mal, et en même temps je comprendrai que rien ne
peut rester caché pour lui. Puis l'idée contraire me tourmentait : je songeais
que si son caractère n'était pas compatissant, il mettrait sans ménagement le
doigt sur ma blessure. L'une et l'autre chose m'ell'rayaient également. Cepen-
dant rien de pareil n'arri va. Le romancier qui connaissait si bien les cœurs
montrait, dans ses relations avec les hommes, une nature simple, sincère et
droits. Il ne m' apparut pas tel que je l'avais craint ; il n'adoucit pas les cotés
douloureux de ma vie, mais De me causa non plus aucune souffrance nou-
Telle. Je compris dès l'abord qu'il n'avait pas dessein de me soumettre à un
examen et qu'il voulait seulement causer sur la musique, car il s'y intéressait
très vivement alors. Chose particulière : il aimait à nier Beethoven et à con-
tester son génie. Ce n'était pas là le trait distinctif d'une nature élevée. Vou-
loir abaisser un artiste ainsi consacré dans l'opinion générale pour le mettre
au niveau de sa propre incompréhension, c'est la marque d'un homme dont
l'esprit n'a pu s'affranchir de certains partis pris ». Nous pouvons ajouter ici
que Tolstoï ne cherchait pas seulementà parler de musique avec Tschaikowky;
il.tenait aussi à lui marquer combien ses compositions l'avaient captivé. Pour
lui en faire entendre quelques-unes, Nicolas Rubinstein organisa une soirée
musicale au Conservatoire de Moscou. En présence d'une assistance nom-
breuse, le romancier moraliste ne put retenir ses larmes pendant l'audition
de l'andante du quatuor en ré majeur. Tschaikowky a déclaré depuis que
jamais aucun témoignage d'admiration ne lui causa plos de joie que celui-là.
Poursuivant lès idées qui lui étaient chères, Tolstoi se Hâta d'envoyer au maître
musicien un recueil manuscrit de chansons populaires, accompagné de la
lettre suivante : « Cher Peter Iljitsch, je vous adresse les chants dont nous
avons parlé. Je les ai relus encore une fois. Vous avez entre les mains un mer-
veilleux trésor, mais, pour l'amour du ciel, écrivez les accompagnements à la
manière de Mozart et de Haydn, et non à la Beethoven, à la Schurnann, à la
Berlioz; je veux dire que vous ne devez pas faire des recherches d'art pour
trouver des effets inattendus. J'aurais bien des choses à vous communiquer
encore, car je n'ai pu qu'à peine effleurer jusqu'ici quelques-uns des sujets
que j'avais envie d'aborder. Je n'en ai pas eu le temps, mais néanmoins ma
jouissance a été très grande. Mon dernier séjour à Moscou me laisse un des
meilleurs souvenirs que j'aie conservés; je n'ai jamais reçu, pour mes travaux
littéraires, une plus douce récompense. Et combien Rubinstein est digne
d'être aimé ! Remerciez-le de nouveau en mon nom, car il m'a gagné à lui... ».
Tschaikowsky répondit : « Cher comte, je vous remercie cordialement pour
l'envoi des chansons. Je dois cependant vous dire avec sincérité qu'elles ont
été notées par une main peu experte et n'ont conservé que de faibles traces
de leur beauté originelle. Le défaut principal est que ces chansons ont été re-
maniées artificiellement et abusivement, afin qu'elles pussent se plier à un
rythme régulier. Seuls, les airs de danse russes possèdent un rythme régulier
et' une mesure d'accompagnement uniforme; les chansons populaires n'ont rien
de commun avec ces airs de danse. En outre, la plu; grande quantité de ces
chansoDS ont été transcrites, intentionnellement et sans discernement, dans
la tonalité pompeuse de ré majeur, ce qui ne convient guère au caractère des
véritables chants russes. Cela sonne presque toujours d'une façon peu con-
forme au sentiment qui devrait se dégager de la musique, et fait ressembler
ces chansons à de vieux cantiques slaves. En somme, les chansons que vous
m'avez envoyées ne sauraient être présentées dans une version systématique-
ment régulière, et cela, précisément parce que des chants populaires doivent
être publiés tels que le peuple les chante. Cette publication exigerait une en-
tente très fine du sens musical, jointe à une très grande érudition portant sur
l'histoire de la musique. Je ne connais personne qui soit capable de la faire,
à l'exception de Balakirew et peut-être de Prokunin. Ces chansons pourraient
servir de matériaux pour une symphonie; je les utiliserai certainement de
cette manière, quelque jour ». Il est probable que Tolstoï éprouva une assez
vive déception en lisant le contenu de cette lettre, car la correspondance entre
lès deux maîtres en des spécialités si différentes parait s'être arrêtée là. Pour
Tschaikowsky, ce fut, semble-t-il, un véritable désenchantement. 11 ne se
consola point d'avoir t-ouvé, chez celui qui avait été longtemps l'objet de son
culte, des entés indignes d'un homme de génie; il n'eut plus en lui la même
foi et n'éprouva depuis qu'une satisfaction incomplète en lisant ses écrits.
— De La Haye : M",c Sigrid Arnoldson 'vient de chanter Manon pour la
première fois en Hollande. La représentation donnée au Théâtre-Royal fran-
çais de La Haye a été extrêmement brillante. Après le tableau de Saint-Sul-
pice, le public a fait à la brillante artiste une véritable ovation. La salle avait
été louée plusieurs jours d'avance, malgré l'augmentation du prix des places.
— Un journal suisse nous apprend que ia bibliothèque du Grand-Théâtre de
Genève « vient de recevoir de Mme Barton la partition d'orchestre originale,
manuscrite, du Déluge, de M. C. Saint-Saèns ».
— Un journal de Rome, il Tirso, ouvre un concours national pour la com-
position d'un opéra en un acte. Il n'offre point de prix en argent, mais il
s'engage à faire représenter l'ouvrage couronné sur le théâtre Costanzi, avec
ane interprétation de premier ordre, pendant la saison d'hiver 1910. Le coa-
eouts sera clos le 15 avril 1909.
— Un chanteur qui a joui' en Italie d'une certaine renommée, le baryton
Lelio Casini, vient d'être frappé, dans toute la force de l'âge, d'une façon ter-
rible; atteint d'aliénation mentale, il a dû être transporté dans une maison
de fous à Frigionaia, en Toscane. Il avait débuté avec beaucoup de succès à
Pise en 1887, et de là s'était [ait applaudir à Milan, à Rome, à Florence et à
l'étranger. Une maladie de la gorge l'ayant ensuite obligé à quitter le théâtre,
il s'était consacré à l'enseignement du chant, d'abord à Florence, puis à Milan,
et avait formé des élèves qui lui faisaient honneur.
— Le maestro Camillo de Nardis a fait exécuter sous sa direction, dans la
cathédrale d'Ortona, un a drame sacré » intitulé i Turchi in Ortona, dont il a
écrit la musique sur un ancien poème de Domenico Bolognese (le collabora-
teur attitré du compositeur Petrella, pour qui il écrivit les livrets de Morosina,
Marco Visconti, l'Assedio di Lcida, etc.). Ce drame a pour sujet l'invasion des
Turcs sur les côtes Adriatiques en 1S6B, alors qu'ils saccagèrent et incen-
dièrent les villes de Pescara, Francavilla, Vasto et Ortonj. « L'exécution fut
très précise, dit un journal; l'orchestre était composé de 4o artistes du San
Carlo de Naples. Les chanteurs furent très applaudis. Après la première par-
tie le maestro De Nardis a été applaudi à trois reprises, et à la fin le public
s'est levé en masse en le rappelant huit fois. L'église était éclairée a giorno et
les auditeurs étaient au nombre de plus de 6.000 ».
— On prépare à Londres, au théâtre Covent-Garden, une grande solennité
artistique sous le patronage de la princesse de Galles, du marquis de San
Giuliano, ambassadeur d'Italie, et des ambassadeurs de Russie, d'Autriche-
Hongrie et des États-Unis. Il s'agit d'une matinée exceptionnelle qui sera don-
née an profit de la souscription pour le monument a la mémoire de la grande
tragédienne Adélaïde Ristori à Cividale (Frioul). Tous les premiers artistes
des théâtres de Londres ont promis leur concours à cette manifestation
artistique.
— Lorsque Mozart fut conduit en Angleterre par son père avec sa sœur
Marianne* en 1765, la petite famille habita à Londres une maison située au
n° 20 de la Frithstreet, dans un quartier alors fort élégant, mais dont l'élé-
gance a depuis longtemps disparu. C'est là que l'enfant prodige écrivit plu-
sieurs compositions, entre autres un recueil de sonates dédiées à la reine
Charlotte et qui porte son op. 3. Cette maison, qui garde un souvenir histo-
rique, et qui a déjà été restaurée plusieurs fois, vient d'être tout récemment
l'objet d'une nouvelle réparation.
— Dans une interview, M. Gatti-Casazza, directeur du Métropolitain de
New-York, a confié à un journaliste qu'il comptait représenter prochaine-
ment sur ce théâtre deux opéras inédits de M. Debussy, dont le sujet est tiré
de deux nouvelles d'Edgar Poe : the Fall of the house of Usher et the Devil in
the Belfry. Le premier de ces ouvrages est en deux actes, le second en un
seul, et le compositeur insiste pour qu'ils soient donnés tous deux ensemble,
dans la même soirée. M. Debussy assure que la musique de ces opéras diffère
essentiellement, par le style et par l'inspiration, de celle de Pclléas et Méli-
sande. Il a d'ailleurs promis à M. Gattis-Casazza son tout dernier ouvrage,
la- Légende de Tristan, qui n'est pas encore terminé.
— Les journaux américains nous apportent la nouvelle du grand succès
obtenu à New-York par une nouvelle opérette intitulée Flujfij Ru/jles, dont les
auteurs sont MM. Mac Nally et Irwin pour les paroles, et M. "VV.-E. Francis
pour la musique;
— La fameuse opérette la Veuve joyeuse, qui a déjà tant fait parler d'elle,
continue d'être de bonne hum'eur. On vient d'en donner à New-York, au New-
Amsterdam-Theàtre, une série de 421 représentations qui ont fait une recette
totale de 812.000 dollars (i millions 50.600 francs environ) et qui ont réuni
un ensemble de 700.000 spectateurs. L'auteur doit être aussi joyeux que sa
veuve.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Quelques échappées sur le rapport de M. Buyat préparé pour la Chambre
des députés: Budget des Beaux-Arts. En ce qui concerne l'Opéra, M. Buyat
en constate d'abord la bonne administration. Les travaux nouveaux imposés par
le cahier des charges ont été. accomplis. Tous les petits traitements ont été
augmentés, et pleins de sollicitude pour leur personnel, les nouveaux direc-
teurs ont amélioré les locaux qui lui sont attribués et « installé, à l'Opéra
même, un cabinet dentaire et un cabinet de consultation médicale à l'usage
des artistes, employés et ouvriers de la maison, les soins étant absolument
gratuits ». M. Buyat dresse, ensuite, une liste des ouvrages montés par la di-
rection Messager, Broussan. Lagarde, et de ceux qui seront montés prochaine-
ment. Il déclare que les magasins de décors^ trop éloignés du théâtre, sont
devenus tout à fait exigus et qu'un agrandissement de ce magasin des décors
est de toute urgence. La machinerie, ajoute-t-il, est vieille, démodée, et ne
se prête pas à exécuter une quantité d'effets scéniques réalisés partout ailleurs.
Le plancher de la scèue s'effrite, L'éclairage est insuffisant. » Il faut aviser.
Autres obstacles encore : la concurrence américaine et la concurrence moné-
gasque. M. Buyat estime, enfin, qu'il faudrait préserver les artistes contre la
rapacité des agences, qui atteint surtout les chanteurs ou comédiens modestes.
Sur M. Jules Claretie (Comédie-Française) :
IL a la politesse — un peu ironique — de ne décourager aucun de ses successeurs,
et la saine volonté de ne pas se décourager lui-même. Nous nous en félicitons bien
sincèrement et nous souhaitons, pour notre part, que les destinées de notre Théâtre-
Français lestent encore longtemps aux mains de ce lettré avisé et délicat, de ce di-
plomate qui, au milieu d'administrés plus irritables souvent que des poètes, sut
LE MÉNESTREL
359
presque toujours à temps éviter la guerre et trouver en tout cas, '[nanti elle fut
devenue inévitable, d'élégantes solutions.
Sur M. Albert Carré :
M. Albert Carré a pleinement réussi à l'Opéra-Comique. Il est fait pour ce théâtre
ou, si vous préférez, ce théâtre est fait pour lui, et il aurait vraiment tort de le vau-
loir quitter. Il a poussé aussi loin que possible l'art du décor. Une mise en scène
impeccable, des effets de lumière surprenants exercent sur le public un irrésistible
attrait.
— Le conseil supérieur du Conservatoire s'est réuni cette semaine pour
procéder a l'élection d'un professeur de déclamation dramatique, en rempla-
cement de Mmc Sarah Bernhardt, démissionnaire. Ont été présentés au
ministre, à qui appartient la nomination officielle : en première ligne,
M. Jules Leitner, sociétaire de la Comédie-Française, qui avait jusqu'ici
suppléé M"10 Sarah Bernhardt; en seconde ligne, Mm0 Renée du Minil, socié-
taire de la Comédie-Française.
— La mort de l'excellent et très respectable cardinal Mathieu, archevêque
de Toulouse, qui était l'un des membres les plus éminents de l'Académie
française, a tout naturellement, en ces derniers jours, excité l'attention des
reporters et des chroniqueurs. Parmi les nombreuses anecdotes qui ont été
publiées à son sujet, il en est une au moins bizarre, dont il serait difficile de
garantir l'authenticité, mais qui a le mérite d'être originale. On raconte que le
digne prélat, qui aimait assez surprendre son monde, entrait un jour à l'im-
proviste dans une des églises de son diocèse, à l'heure des vêpres. Reconnu
aussitôt par l'organiste, celui-ci, désireux de lui faire honneur, .mais ne
sachant trop par quel moyen faire connaître aux fidèles la présence de leur
archevêque, eut tout à coup une idée géniale : ce fut do faire une improvisa-
tion sur un thème vraiment caractéristique, et ce thème n'était autre que
celui de la chanson bien connue : Tiens! voilà Mathieu... Si le fait est vrai, le
cardinal, qui était un homme d'un esprit très fin, dut sourire de l'esprit de
l'organiste.
— Après deux siècles, on s'avise enfin d'élever un monument à Regnard.
Toutefois, ce n'est pas à Paris, sa ville natale, que sera ainsi glorifiée la
mémoire de l'auteur du Joueur, des Folies amoureuses et du Légataire universel,
qui fut aussi celui du Carnaval de Venise, opéra mis en musique par Campra
et représenté en 1699 avec un succès éclatant : c'est à Dourdan. où il mourut
en 1709, exerçant les charges de lieutenant des eaux et forêts et des chasses et
de grand bailli de la province de Hurepoix. Regnard ne fut pas seulement un
grand poète comique, et le premier après Molière ; ce fut aussi un grand voya-
geur devant l'Eternel, et la première partie de son existence fut singulière-
ment mouvementée. Après avoir visité deux fois l'Italie, il revenait en France
sur une frégate anglaise qui fut attaquée et prise par deux vaisseaux algériens.
Sa gastronomie lui fut favorable (il était gros mangeur et aimait la bonne
chère). Vendu quinze cents livres à un riche algérien, il en devint le cuisinier,
et bientôt le favori. Mais il devint aussi le favori d'une des femmes de celui-ci,
et cela faillit le faire mettre à mort. En tout cas il fut emprisonné
et chargé de chaînes, et allait passer sans doute un mauvais quart d'heure,
lorsque le consul de France, au prix d'une forte rançon, obtint sa mise
en liberté. Regnard revint à Paris, rapportant ses chaînes en guise de sou-
venir. Cette aventure, qui aurait pu tourner mal, n'avait porté nulle atteinte
à ses désirs ambulatoires. Du midi il passa au nord, visita la Belgique et la
Hollande, le Danemark et la Suède, puis, avec deux autres Français, entreprit
une expédition au pôle Nord. Après avoir vu la Laponie, il alla jusqu'à l'ex-
trémité du golfe de Bothnie, pénétra jusqu'à la mer glaciale et ne s'arrêta que
lorsque la terre lui manqua. Après cette campagne il parcourut la Pologne, la
Hongrie, l'Allemagne, et enfin revint de nouveau eu France, où bientôt il
commença sa carrière. On peut donc dire que Regnard fut sinon le premier,
du moins l'un des premiers explorateurs des terres glaciales, et il n'avait que
vingt-six ans lorsqu'il accomplit cette prouesse. Il en avait trente-deux lorsqu'il
fit son début à la Comédie-Italienne avec sa première comédie, le Divorce, et
depuis lors il n'arrêta plus, se produisant soit à ce théâtre, soit à la Comédie-
Française, soit à l'Opéra. Et comme il était musicien, c'est lui qui écrivit la
musique du divertissement de la Sérénade, un petit acte en prose qu'il donna
à la Comédie-Française en 1693. C'est sur la grande place de Dourdan que
dans un an, le 4 septembre 1909, pour célébrer le deux-centième anniversaire
de la mort de Regnard, on inaugurera son monument, une haute stèle de
pierre, supportant la reproduction en bronze du poète par Foncou.
— On a beaucoup parlé ces derniers jours, à propos d'un fait-divers lugubre,
d'un certain « théâtre hébreu ». Un théâtre hébreu ? à Paris ? Les gens res-
taient sceptiques et n'y voulaient croire. Le fait était exact pourtant, bien que
le titre de l'établissement ne le fut pas tout à fait. Il existe au bas de la rue
Saint-Denis, près de la place du Chàtelet, à l'ancien Edeu-Goncert, un théâtre
où sont données d une façon à peu près régulière des représentations de pièces
écrites dans le dialecte d'un certain nombre d'israélites. Ce dialecte n'est pas
la langue hébraïque. C'est le dialecte où se mêlent des mots allemands, hé-
breux, polonais, qui constitue le langage de la plupart des israélites de Po-
logne, de Roumanie, de Russie et d'une partie de l'Autriche. Beaucoup font
à Paris des séjours plus ou moins prolongés. C'est pour eux que ce théâtre a
été créé. Les acteurs sont tous des israélites anglais et américains, et voici
comment on l'explique. On sait qu'il y a, à Londres et à New-York, une très
nombreuse colonie d'israélites polonais, russes, galiciens, dont le langage est
précisément ce dialecte mélangé d'hébreu, d'allemand et de polonais, colonie
tellement nombreuse que les théâtres semblables à celui de la rue Saint-Denis
qui ont été créés sont toujours bondés. C'est en Amérique que les jiièces sont
jouées ilal, uni; e Iles émjgrerH ensuite -à Londres et à Paris. Ce sont ou des
traductions de pièces étrangères — le Roi Lear, par exemple — adaptée» au
public particulier auquel elles sont destinées, ou des pièces originales, sym-
boliques en général, où les auteurs tiennent compte des mœurs, des idées, de
de la religion même de leurs auditeurs, telles le» Violons Se "David mu ))i*u.
Homme, Diable, je nées actuellement sur la scène de la rue Saint-Denis.
Alïïchcs et programmes de spectacle sont imprimés en caractères hébraïques.
Le public n'est guère composé que d'israélites capables de comprendra le lan-
gage des acteurs, et si quelquefois un étranger s'y égare, il doit se contenter
d'essayer de deviner, d'après les gestes des acteurs et d'après le mouvement
de la pièce, le sens du spectacle. Si le fait n'est pas pour l'étonner — il en est
ainsi pour lui dans tous les théâtres étrangers — sa surprise doit augmenter
quand, pendant les entr'actes, il voit circuler des marchands qui offrent aux
spectateurs des gésiers et des foies de volaille, comme, dans n'importe quels
autres théâtres des marchands offrent des oranges ou des berlingots.
Autres pays, autres mœurs! Le cas de ces profanes est d'ailleurs assez rare et
le théâtre hébreu, puisque ainsi on le dénomme, constitue la distraction de
toute une colonie parisienne, en môme temps qu'un lieu de rendez-vous pour
les étrangers, heureux de se retrouver, de loin en loin, le soir, aux feux de la
rampe.
— A l'Opéra nous avons eu une nouvelle Thaïs charmante en la personne de
Mmc Kousnietzoff, célèbre ajuste titre en toutes les Russies. Elle a joué et
chanté avec un tel art, une telle puissance do séduction et nue émotion si
communicative, que la salle entière, à maintes reprises, l'a acclamée et triom-
phalement rappelée après chaque acte. M. Dangès, qui prenait possession du
rôle d'Athanaél, lui a prêté ses belles notes de baryton et dans la composition
du personnage a montré une belle autorité de chanteur et de comédien. — A
partir de cette semaine les représentation) du Crépuscule des Dieux commen-
ceront à l'heure normale pour finir à minuit. Mais c'est surtout sur la dimi-
nution des entr'actes qu'on gagnera le temps nécessaire pour cela; on ne
coupera, en effet, que dix-sept minutes de musique sur quatre heures vingt.—
Hippolyte et Aricie reparaitra sur l'affiche lundi prochain, avec MM" Bréval
fiai), Hatto, Maslio, MM. Altchewsky, Delmas, Gresse, etc. — Les rôles dé
Bacchus, l'oeuvre nouvelle de MM. Catulle Mendès et Massenet, ont été remis
hier aux principaux artistes qui doivent en faire la création : M1"5 Brésal,
Lucy Arbell, MM. Muratore et Gresse.
— Comme nous l'avions annoncé, on a procédé cette semaine à la vente
d'un grand nombre de costumes réformés du matériel de l'Opéra, provenant
de divers ouvrages du répertoire : Faust, l'Africaine, le Prophète, Don Juan, les
Huguenots, etc. La séance n'a pas été précisément brillante, un seul acquéreur
s'étant présenté. Le tout a été adjugé pour la somme de ô'.OOO francs à un
exportateur qui, agissant au nom d'un syndicat de costumiers anglais, les
enverra dans les grandes possessions britanniques de l'Afrique australe, ponr
monter la garde-robe — sans doute fort indigente — des « Fantaisies-Johan-
nesburgeoises » ou du « Kimberley-Lyrique ».
— M. Charles Malherbe, archiviste de l'Opéra, a adressé au Figaro la lettre
que voici ;
Mon cher confrère,
Voulez-vous me prêter la grande publicité du Figaro pour rectifler une erreur qui
est en train de faire le tour de la presse parisienne, et même étrangère? Il est très
vrai que le musée de l'Opéra s'est enrichi de deux souvenirs précieux : le bureau de
Rossini et une statuette en biscuit qui le représente assis sur un canapé. Seulement,
ces objets ont été donnés, non pas comme on l'a dit, par un neveu de Cherubini
mais par les deux petits-fils du célèbre, chanteur Tamburini, JIM. Victor et Joaehim
Tamburini, celui-ci tilleul de Rossini.
La curieuse statuette provient de la collection artistique jadis formée par leur
arrière-grand-père, Bordogni, qui, dans sa jeunesse, avait été camarade de Rossini,
et vint terminer sa carrière à Paris où, pendant vingt-cinq ans, il fut professeur de
chant au Gons ervatoire.
En offrant ces reliques au musée de l'Opéra, MM. Tamburini ont donc obéi a un
sentiment familial qui les honore; ils rappellent ainsi le souvenir de deux artistes
qui furent les amis et les interprètes de l'illustre maestro.
Veuillez agréer, etc.
Ch. Malherbe,
Archiviste de l'Opéra.
— A l'Opéra-Comique. Sanga, la nouvelle œuvre de M. Isidore de Lara en
répétition, a décidément pris possession de la scène. Les principaux interprètes
en sont Mlles Chenal, Nelly Martyl, MM. Fugère, Beyle, Ghasne, Belhomme, etc.
— Ce soir, samedi, on donnera Louise. Spectacles de dimanche : en matinée
Werther; le soir, la Vie de Bohême et Cavalleria rusticana. Lundi, en représen-
tation populaire à prix réduits : Mireille,
— On a donné vendredi au Théâtre-Lyrique de la Gaité la première repré-
sentation de la Bohème, de M. Leoncavallo. Notre collaborateur Arthur Pou-
gin en donnera son impression dans le prochain numéro du Ménestrel.
— De notre confrère Aderer du Temps : Des représentations russes, placées
sous le patronage du grand-duc et de la grande-duchesse Wladirnir, doivent
avoir lieu en mai, au Chàteiet. Elles se composeront de quatre spectacles ;
deux d'entre eux seront consacrés à l'Opéra, les deux autres au ballet. Chacun
de ces spectacles sera donné cinq fois y compris la première. Les opéras choi-
sis sont te Prince Igor, de Bjrodine, et la Pskovitaine (que l'on intitulera peut-
être Ivan le rerr/6feJ,deRimsky-Korsako\v. Les spectacles de ballet, qui eom-
rnencerout assez tard dans la soirée, vers neuf heures sans doute, compren-
dront trois œuvres : Baymonda, deux actes de Glazounow ; le Pavillon d'Armide
360
LE MENESTREL
un acte de Tcherepoine, et un ouvrage chorégraphique du même auteur, écrit
spécialement pour Paris et qui se nomme l'Oiseau d'or.
— Le Congrès théâtral : Parmi les principaux rapports inscrits pour les
travaux du Congrès, qui a lieu, rappelons-le, dimanche, de dix heures à midi,
et lundi, de quatre heures à six heures et demie, à l'Opéra-Comique, citons :
« Le Rétablissement de la censure », par M. Maurice Lefèvre; « les Décors
lumineux », par M. Eug. Franz; « la Mise en scène à Bayreuth », par
M. Stuart; » le Théâtre et les enfants », par M. Franc-Nohain ; « la Double
scène », par MM. Giranne et G-robon ; « les Théâtres en plein air », par
M. Jules Râteau; « la Mise en scène dans les théâtres de comédie », par
M. Nicoulès, et d'autres de Mme Jane Misme, M. Georges Bureau, etc., etc.
— M. Camille Le Senne inaugurera lundi prochain, 9 novembre, à 4 h. 1/4,
dans le hall de l'Ecole des hautes études sociales, 16, rue de la Sorbonne, la
seconde année de son feuilleton parlé hebdomadaire. Il fera sa première cau-
serie sur l'Émigré de M. Paul Bourget.
— Sous ce titre : Théâtre en vers, M. Catulle Mendès publie chez Fasquelle
quatre pièces, dont deux ont connu le succès, le grand succès : la Part du Roi.
à la Comédie-Française; la Reine Fiammette. à l'Odéon. Les deux autres, le
Roman d'une nuit et les Traîtres, n'ont jamais été représentées, et même les
Traîtres ne sont qu'un fragment du drame resté sur le chantier. A lire ce
fragment, on regrettera que le poète, absorbé par d'autres œuvres et par son
labeur continu et quotidien de trente années, n'ait pas jugé à propos de ter-
miner l'œuvre.
— .Le Grand-Théâtre de Lyon vient de donner la première représentation
de Salomé, non point celle de M. Richard Strauss, comme on pourrait le croire,
mais une autre Salomé, dont la musique est due à M. Mariotte, ancien officier
de marine qui, comme Rimsky-Korsakow, donna sa démission pour se con-
sacrer entièrement à la musique, et qui est aujourd'hui professeur de piano au
Conservatoire de Lyon. M. Mariotte avait mis en musique, tout comme
M. Strauss, le poème d'Oscar Wilde, et sa partition était à peu près terminée
lorsque la Salomé de celui-ci parut à Berlin. Ce fut un coup cruel. Comment
faire, pour ne pas perdre le fruit de son travail ? Il fallut, pour obtenir la
faculté de faire représenter l'ouvrage, ouvrir des négociations, d'abord avec
les éditeurs, puis avec M. Strauss lui-même, qui n'entendaient pas qu'on offrit
au public une autre Salomé écrite sur le poème d'Oscar Wilde. Ces négocia-
tions ont duré près de deux ans, et leur succès n'a été obtenu qu'avec de fortes
restrictions. En effet, M. Mariotte n'a obtenu l'autorisation de faire jouer sa
pièce qu'à Lyon, sur le Grand-Théâtre, et un nombre, de représentations déter-
miné par contrat et qui ne peut pas être dépassé. L'œuvre nouvelle parait
d'ailleurs avoir été accueillie avec une grande faveur. Elle est jouée par
Mlle de Vailly (Salomé), MM. Cotreuil (Hérode), Auber (Iokanaani, Grillières
(le jeune syrien), et M10 Soïni (Hérodias). Le compositeur dirigeait lui-même
l'exécution.
— Un autre essai de décentralisation vient de se produire à Marseille. Le
théâtre des Variétés-Casino a donné ces jours derniers la première repré-
sentation d'une opérette inédite en trois actes, la Belle aux cheveux d'or, paroles
de MM. Herbel et Bouvet-Verneuil, musique de M. Eugène Poncin, chef
d'orchestre de l'Olympia. Gros succès, dit-on, pour l'œuvre nouvelle et pour
sa principale interprète, M,le Germaine Huber.
— M. C.-A. Collin, ancien élève de l'École Niedermeyer, aujourd'hui orga-
niste de l'église Notre-Dame de Rennes, vient de publier la très intéressante
partition d'une cantate religieuse pour soli, chœurs et orchestre ; le Vœu à
Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle, écrite par lui sur des paroles de l'escellent
poète Louis Tiercelin. Cette importante composition a été exécutée récemment
à diverses reprises, à Rennes, à l'occasion de plusieurs fêtes religieuses, et elle
a produit une excellente impression. M. A. Collin a d'ailleurs de qui tenir. Il
est fils de musicien, et son père, M. Charles Collin, compositeur fort distingué,
est depuis 1845, c'est-à-dire depuis soixante-trois ans, organiste du grand orgue
de la cathédrale de Saint-Brieue.
— Couas et Leçons. — M"' Gh. Lamoureux Brunet-I.afleur a repris ses cours de
chant et ses leçons particulières, 6, rue de Say. — M., M— et M"' Weingaertner ont
repris leurs cours et leçons, 24, rue de Saint-Pétersbourg. — M- Maria Samuel
reprendra ses leçons et cours de piano le 15 novembre, 35, rue d'Hauteville et 55 bis,
rue de Ponthieu.
NÉCROLOGIE
Le professeur Rodolphe Thoma, ancien directeur du Conservatoire de
•Breslau, vient de mourir dans cette ville. Né le 22 février 1829, à Lehsewitz,
près de Steinau, il établit rapidement sa réputation comme organiste. II a
composé deux oratorios, Moïse et Jean le Baptiseur, deux opéras, Helgas Rosen
(1890) et Jone (1894), et beaucoup de morceaux de musique religieuse.
Henri Heugel, directeur-garant.
Vient de paraître chez Ch. Delagrave : Léon Brémont, l'Art de dire et le Théâtre
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Il faut aimer. .
Centenaire (1-2)
Sonnet mélancolique (1-2) 5 »
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4051. - 74e AIME.— I\° 46. PARAIT TOUS LES SAMEDIS
Samedi M Novembre 1908.
(Les Bureaux, 2bl", rue Yivieune, Paris, u-ur)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
ENESTREL
Ite flaméro : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
lie flamépo : 0 fp. 30
Adresser franco à M. Henri IIEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
J. Soixante ans de la vie de Gluck (44° article), Julien Tiersot. — II. Semaine théâtrale :
première représentation de la Bohème, nu Théâtre-Lyrique de laGaité, Arihur Pougin;
premières représentations de la Patronne, au Vaudeville, et de S. A. H., aux Bouffes-
Parisiens, Paul-Emile Chevalier; première représentation de Plumard et Barnabe, au
théâtre Cluny, A. Boltarel. — II. Petites notes sans portée : L'art musical ou Salon
d'automne, Raymond Bouyer. — III. Revue (les grands concerts. — IV. Nouvelles
diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
N'is abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
CARESSES
nouvelle mélodie de Gabriel Dupont, poésie de Jean Richepi?;. — Suivra
immédiatement : Dans l'été, nouvelle mélodie de Reynaldo Hahn, poésie de
M.me Desbordes-Vai.niore.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de piano :
Bourrée et musette, de A. Périlhou. — Suivra immédiatement : 9e nocturne, de
Gabriel Faire.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
CHAPITRE IX
ALCESTE
Ce sont là les qualités propres au génie, et dont le prédestiné
emporte avec lui le dépôt dans la tombe. Mais Gluck a fait mieux
encore que de les posséder : il a légué à l'avenir le secret des
trouvailles par lesquelles il est parvenu à extérioriser l'expres-
sion du sentiment humain dans les profondeurs duquel il avait
su pénétrer. Ce furent en effet des découvertes fécondes que celles
dont, lui premier, il donna les modèles dans VAIceste, quand,
ayant sacrifié les artifices de la virtuosité vocale, il y substitua
un élément d'expression autrement riche : l'orchestre, tour à
tour voix intérieure et suggestion des impressions du dehors.
■Quelques-uns, avant lui, pressentant sa trouvaille, avaient tenté
quelques efforts dans le même ordre d'idées ; il en était résulté
certains balbutiements, dont l'histoire a pris bonne note. Mais
c'est Gluck seul qui a donné à l'orchestre la vie complète, lui
assignant parfois la première place dans l'ensemble, lui ensei-
gnant à prononcer lui-même le discours dont l'éloquence doit
entraîner l'esprit de l'auditeur. Par lui, violons, hautbois ou
trombones ne sont plus seulement des agents sonores : ce sont
des entités vivantes, des personnages de l'action. A certaines
conceptions sont associées certaines sonorités. C'est ainsi que les
rauques accords des trombones accompagnent toujours les voix
infernales. Là, d'ailleurs, n'est pas la principale trouvaille de
Gluck : Monteverde en avait eu déjà l'intuition, sans en avoir su
faire comprendre, ni peut-être compris lui-même, toute la portée,
car sa tentative d'Orfeo ne fut pas renouvelée. Notons d'ailleurs
que, dans l'emploi de tels procédés, Gluck sait toujours échapper
au danger de tomber dans le convenu et dans la formule. Son
orchestre, aux combinaisons les plus variées, donne toujours la
sensation de la vie. C'est cet orchestre qui, dans la scène du
Temple, suggère l'idée du prodige dont l'éclat restera éternelle-
ment éblouissant. C'est lui qui, par des touches discrètes, mais
sombres, dépeint l'horreur des mystères infernaux. Et quand le
poème met aux prises les conflits de l'àme, les dessins d'instru-
ments les plus expressifs, disons mieux, les plus représentatifs
de l'émotion définie par les mots, viennent se mêler à la parole
déclamée ; et c'est sans doute la plus géniale invention de
Gluck d'avoir ainsi rendu l'orchestre parlant. Bientôt Armide,
Agamemnon, Oreste, pourront nous révéler l'état de leurs âmes
par les traits extérieurs les plus justement appropriés : Alceste
et Admète furent les premiers personnages d'opéras qui, par
l'intermédiaire des instruments, « libres d'animaux stupides j>,
comme disait Shakespeare, aientsu livrer le secret de leurs cœurs.
De fait, cette invention de Gluck a transformé l'art, car elle a
été le point de départ de la symphonie expressive dont il n'est
point nécessaire de dire ici quelle fut la destinée postérieure.
Qu'il suffise de rappeler que c'est à Gluck, au Gluck i'Alceste,
qu'elle doit son existence.
Après tant de créations géniales, il est presque superflu
d'ajouter que rien ne pouvait plus subsister de l'art antérieur,
basé sur la convention. En effet, VAIceste de Gluck a consommé
la définitive rupture avec le passé. L'opéra italien du XVIIIe siècle
en fut frappé à mort, et ne se releva pas. Or, de tels coups ne
sont jamais portés sans causer une émotion parmi les témoins
delà bataille. Pourtant, il faut reconnaître que le publie de
Vienne à qui en fut offert pour la première fois le spectacle, fit
bonne contenance, — peut-être parce que ceux qui comman-
daient en chef ne montraient pas des visages menaçants, — ou,
pour prendre une autre image, que si les constructeurs présen-
taient aux regards du public un monument nouveau, bien qu'il
dût rendre caduc l'édifice antérieur, ils ne se donnaient point
encore des airs de le vouloir détruire.
Toujours est-il qu'Alceste, en sa nouveauté, reçut un aussi bon
accueil que les optimistes pouvaient le souhaiter : les quelques
témoignages contemporains qui nous en sont venus en font foi.
Voici d'abord, en style de procès-verbal, la relation du lende-
main, telle que l'imprima le Wiener Diarium :
Samedi et les jours suivants a été représenté au Théâtre de la Cour le
nouvel opéra nommé Alceste, honoré de la présence de S. M. l'Empereur et de
plusieurs hauts personnages royaux.
Il ne nous est pas possible de clore cet article sans donner à nos lecteurs
m*
LE MÉNESTREL
une connaissance aussi proche que possible de la tragédie italienne, en même
temps que sans acquitter envers la direction théâtrale actuelle le tribut de
louanges qui lui est dû : que de son coté, on n'a rien laissé manquer pour
donner au public d'ici des spectacles qui ont obtenu à juste titre l'admiration
générale et le succès auprès de tous les connaisseurs.
Après une analyse du poème, le journal continue ainsi:
Il nous faudrait être trop prolixes si nous voulions mettre en pleine lumière
les louanges dues à M. Calsabigi pour son heureux arrangement de cette
matière, et que M. le Chevalier Gluck mérite justement en ce qui concerne la
musique ; mais, pour tout dire en abrégé, nous voulons annoncer seulement
que tous deux, celui-là dans la poésie, celui-ci dans la musique, ont exprimé
si heureusement et avec tant d'art toutes les passions qui se présentaient, que
l'on ne doute point que cet opéra doive être tenu par tous les connaisseurs,
oui, par l'avenir même, pour un chef-d'œuvre (1).
A côté de ces éloges compassés, d'ailleurs non douteux, en
voici d'autres d'un ton enthousiaste :
.Te me trouve au pays des merveilles ! Un opéra sérieux sans castrats, une
musique sans exercices de solfège, ou, comme je pourrais mieux l'appeler,
sans gargarismes, un poème étranger sans enflure et sans pointes ! Avec cette
triple merveille s'est rouvert le Théâtre de la Cour.
Quelques jours plus tard, le même écrivain ajoutait:
Ce sujet tomba dans la main créatrice de Gluck, dans la main d'un homme
pour qui la musique ne consiste pas seulement dans une série d'accords et de
résolutions, mais sait trouver les accents de la passion, et, si nous osons em-
ployer ces mots avec la permission des Lycurgues de la musique, les accents
de l'âme, et créer pour cela un chant expressif et parlant ; — dans la main
d'un homme qui compose avec l'esprit d'un poète, et qui, lorsque l'ouvrier
musical est enchaîné par la règle commune, s'élève audacieusement au-dessus
des règles, et, par la liberté de son génie, devient lui-même règle et
modèle (2).
Ils furent donc quelques-uns qui comprirent. Qu'importent après
cela les propos ordinaires des gens d'esprit et des gens du
monde, inséparables de toute grande manifestation d'art: que,
pour spectacle de réouverture, le théâtre avait donné une messe
d'enterrement, — qu'on y versait des larmes, oui, d'ennui, —
qu'il fallait être bien bon pour s'intéressera une sotte qui meurt
pour son mari (3), — toutes plaisanteries qui perdent beaucoup,
il est vrai, à être détachéesde l'accent viennois qui leur convenait
si bien ! Nous en avons assez entendu d'autres à Paris, en des
circonstances analogues: ce sont paroles nécessaires, et sans
lesquelles il semblerait qu'un chef-d'œuvre nouvellement éclos
a passé inaperçu (4) !
Ce fut aux répétitions surtout que Gluck trouva ses peines.
Non qu'il y rencontrât des résistances provenant de mauvaises
volontés ; mais comment les interprètes d'une œuvre si en dehors
des conditions d'exécution ordinaires auraient-ils pu du premier
coup satisfaire à ses exigences? Voici un récit qui nous en
apprendra long sur les difficultés de cette préparation : nous le
devons à Noverre, que l'on pourrait qualifier le Gluck du ballet,
car il fut, lui aussi, un révolutionnaire dans son art. Venu depuis
peu a Vienne, après avoir passé par divers théâtres de France et
d'Allemagne, il y trouve l'auteur d'Alceste dans tout le feu de
ses premières études :
Gluck, raconte-t-il. avait introduit des chœurs dans cet opéra. Il n'avait pu
1 Wiener LHarhim, 1767, n° 10*, ap. Schmid, Gluck, p. 1 13.
2 SoNSEXFiïLS, Briefe iiber die WOenerische Scliaubàhnc, 1-768^ ap. Schmid, Gluck, p. 125.
3 Schmid, Gluck, pp. 125-126.
(4 II convient de mentionner encore l'opinion de Buuney, qui n'est pas ;i propre-
ment parler la sienne, puisqu'il ne vit pas représenter Alceste au cours de son voyage
en Allemagne (177-2), mais celle des amateurs de Vienne avec lesquels il s'entretint :
il résulte des principes de Gluck qu'il doit y avoir peu d'accompagnements dans
les airs de l'opéra d'Alceste, et qu'ils y >ont ménages avec discrétion; qu'il n'y a
point d'interruption dans les parties vocales; que le récitatif y est rarement accompa-
gné: qu'il n'y a pas un seul air à Da Capo dans toute la partition; ce qui, au juge-
racnt de ceux qui l'ont vu représenter, la rend vraiment théâtrale, et si intéressante,
que les yeux ne veulent plus quitter la scène un instant, parce que l'attention est
toujours si occupée et la terreur si grands, que l'âme se trouve dans une anxiété
i ntinuelle qui la fait flotter entre l'espérance et la crainte sur le dénouement jusqu'à
il dernière scène du drame; de manière que la musique seule prête de l'énergie ou
d:- la douceur à la déclamation, suivant les situations différentes des caractères...
Quoique Gluck s'attache à étudier la simple Nature, il est souvent savant et tra-
vaillé dans ses petits airs, autant que dans ses grandes parties vocales et ses
; impagnements ; et dans ce génie, il est plus que poète, plus que musicien, c'est
tut excellent peintre. On voit, on entend ses instruments dessiner la situation de l'ac-
te ir et donner tin ton de couleur de plus à la passion». Etat présent de lu musi-
WK, 11,23.-35.
rassembler qu'un petit nombre de chanteurs dans la ville ; il eut recours à
ceux de la cathédrale (1). Mais ils ne pouvaient agir ni paraître sur le théâtre.
Gluck les distribua derrière les coulisses. Ces chœurs étaient en action; ils
exigeaient du mouvement, des gestes, de l'expression. C'était demander l'im-
possible : comment faire mouvoir des statues? Gluck vif, impatient, était
hors de lui-même, jetait sa perruque à terre, chantait, faisait des gestes;
peines inutiles! Les statues ont des oreilles, il n'entendent point; des yeux,
et ne voient rien. J'arrivai, et je trouvai cet homme de génie et plein de feu
dans le désordre qu'impriment le dépit et la colère ; il me regarde sans me
parler, puis, rompant le silence, il me dit avec quelques expressions énergi-
ques que je ne rends pas : « Délivrez-moi donc, mon ami, de la peine où je
suis ! Donnez par charité de l'action à ces automates. Voilà l'action : servez-
leur de modèle, je serai votre interprète. » Après avoir passé inutilement
deux heures entières et employé tous les moyens d'expression, je dis à Gluck
qu'il était impossible d'employer ces machines, qu'elles gâteraient tout, et je
lui conseillai de renoncer totalement à ses chœurs (2). « Mais j'en ai besoiû,
s'écria- t-il, j'en ai besoin ! Je ne puis m'en passer! » Sa peine m'inspira une
idée : je lui proposai de distribuer les chanteurs et de les placer derrière les
coulisses de telle sorte que le public ne put les apercevoir, et je promis de les
remplacer par l'élite de mon corps de ballet, de lui faire faire tous les gestes
propres à l'expression du chant, et de combiner la chose de manière à per-
suader au public que les objets qu'il voyait agir étaient ceux qui chantaient.
Gluck pensa m'éloull'er dans l'excès de sa joio ; il trouva mon projet excel-
lent ; et son exécttlion produisit l'illusion la plus complète (3).
L'on conçoit qu'avec de pareils à peu près, Gluck, qui avait
l'ambition de fondre en une irréprochable harmonie tous les
éléments constitutifs de l'œuvre, ait eu peine à se sentir pleine-
ment satisfait, et qu'il ait ambitionné pour l'avenir des destinées
plus favorables! Au reste, la première interprétation d'Alceste
parait avoir été consciencieuse, brillante même par endroits. La
signora Antonia Bernasconi, viennoise d'origine, dans le rôle
d'Alceste, le signor ïibaldini dans Admète, défendirent avec vail-
lance le bon renom du maître. Et pourquoi ne citerions-nous
pas auprès d'eux les noms des autres chanteurs qui furent aussi
à l'honneur, — l'honneur d'avoir été les créateurs du chef-
d'œuvre nouveau : Filippo Laschi (le grand-prêtre), Domenico
Poggi (l'Oracle), Teresa Eberardi et Antonio Pulini (les deux
confidents Ismène et Evandre) ? Nous ignorons les noms des deux
enfants d'Alceste. Pour l'orchestre, on doit penser qu'accoutumé
depuis plus de dix ans au style, aussi bien qu'aux exigences de
son kapellmeister, il ne fut pas l'indigne interprète des beautés
qu'il eut à faire pour la première fois retentir. « La présence de
Gluck est nécessaire comme le soleil ! » Heureusement le soleil
était là.
[A suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THÉÂTRALE
Théâtre-Lyrique (Gaîté). — La Bohème, opéra en quatre actes, paroles et
musique de M. Leoncavallo. Version française de M. Crosti. (6 novembre.)
Il y a précisément neuf ans que nous fîmes connaissance pour la pre-
mière fois avec la Bohème de M. Leoncavallo, lors de la représentation
de cet ouvrage à la Renaissance (1er octobre 1899), transformée pour la
seconde fois en Théâtre-Lyrique. La pièce était fort bien montée, avec
M. Leprestre (Marcel), le pauvre Soulacroix, mort depuis (Schaunard),
Mlle Thévenet (Musette) et M"e Fraudaz (Mimi). En Italie, la Bohème
avait partagé les faveurs du public avec la Vie de Bohème de M. Puccini,
jouée dans le même temps et qui, sans être assurément fort originale,
lui est certainement supérieure au point de vue de la grâce et de la dis-
tinction.
il) Rappelons que les fin puis étaient exclus de l'opéra italien antérieur: les théâtres
d'opéras u'avaient donc pas de groupe choral spécialement constitué. Pourtant lt
partition d'Orfeo en comportait; c'était la le premier effet de l'initiative réformatrice
de Gluck. Mais les chœurs d'Orphée, d'aspect plus purement musical, sont faciles à
mettre en scène, et pourraient presque être chantés dans l'immobilité. Ceux d'Alceste
sont bien davantage des chœurs d'action : est-il besoin d'invoquer d'autre exemple
que la fuite du peuple à la. lin de la scène du temple ?
(2) Déjà des coupures !... Le remède ordinaire des interprètes incapables. — Coupel-
les chœurs d'Alceste!!!. . .
(3) Lettres sur hi danse, sur les ballets et les arts, par M. Novemie, ancien maitre des
baliets en chef de la cour die Vienne et de l'Opéra de Paris, Saint-Pétersbourg, 1803.
Tome premier, pp. 160-1G1. — Noverre avait déjà publié antérieurement une série de
Lettres sur la danse, à Lyon et Stuttgart, 17S0.
LK MENESTHE
m
Ici, nous avons une pièce en quatre actes, divisée en «leux parties
bien distinctes, séparées par une sorte de cloison étancho. C'est-à-dire
deux actes burlesques, non point d'opéra bouffe, mais d'opérette éche-
velée, suivis de deux actes de gros mélodrame vulgaire. L'impression
est singulière en présence de cette opposition brutale et sans prépara-
tion. Malgré ce défaut grave, le poème, en somme, iruoique fait à la
diable et sans grand souci de la logique, n'est pas ennuyeux. M. Leon-
cavallo a pris dans Mûrger quelques situations qu'il a assemblées telle-
ment quellement, sans se préoccuper outre mesure de la finesse de la
couture. Il a cherché des situations et il les a trouvées dans le roman,
les traitant à la grosse et les offrant sans plus de façons au public, qui
lui-même les a acceptées comme on les lui présentait.
Le malheur est que si M. Leoncavallo ne s'est pas donné beaucoup de
peine pour établir sa pièce, il ne semble pas s'en être donné beaucoup
plus pour écrire sa musique. Quelle banalité, grands Dieux! et com-
bien est vulgaire cette musique, où l'on ne découvre pas l'ombre d'une
idée, où tout est poncif, sans grâce, sans relief et sans nouveauté, où
le chant est sans saveur, où les harmonies sont plates, où l'orchestre
est gros, brutal et sans sonorité malgré sa violence. Je ne conteste pas
à l'auteur un certain sentiment de la scène. voir<' une certaine verve,
mais cette verve est grossière, triviale, pour dire le mot, et va, dans sa
violence, jusqu'à l'épilepsie. Cette Bohème est le digne pendant de ce
Paillasse que M. Gailhard eut la lumineuse idée de nous faire connaître
naguère à l'Opéra, sans doute parce qu'il n'avait pas trouvé dans les
cartons de nos compositeurs un ouvrage plus mauvais.
Il faut rendre justice, toutefois, à la direction de la Gaité, pour le
soin qu'elle a apporté dans la distribution de ladite Bohème, dont l'in-
terprétation est vraiment excellente. M"c Nicol-Bilhaut-Yauchelet. que
nous avions vue si rayonnante dans Jean de Nivelle, a fait preuve de
souplesse en s'emparant du rôle de Mimi, où elle s'est montrée vrai-
ment touchante. M11'- Tiphaine nous a donné une Musette amusante et
pleine de verve ; elle est parvenue, à force d'art, à procurer du relief à
la chanson banale du premier acte, qu'elle a détaillée de façon
si charmante qu'elle L'a fait bisser. M. Devries, lui aussi, a su
donner de l'accent aux romances de Rodolphe, qui n'en ont guère
par elles-mème, et M. Simart est un Marcel plus qu'honorable.
Quant à M. Boulogne, qui est ce qu'on appelle un « brûleur de plan-
ches » et dont la voix porte bien, c'est un Schauuard excellent, d'un
comique plein de franchise et d'expansion, aussi bon chanteur que bon
comédien. Tous, d'ailleurs, concourent à un ensemble parfait, y com-
pris l'orchestre et les chœurs, qui se distinguent sous la direction très
sûre de M. Amalou.
Alillll II I'mIT.IX.
Vaudeville : Lu Patronne, comédie en 4 actes, de M. Maurice Donnay. —
Bouffes-Parisiens : S. A. R., opérette en 3 actes, de MM. Xanrof et Chancel,
musique de M. Yvan Caryll.
La Patronne, c'est la dénomination assez à la mode, mais absolument
triviale, de toute femme qui règne sur un groupe quelconque. Il n'y a
pas bien longtemps, le terme était quelque peu méprisant; aujourd'hui,
il est admis, si admis que M. Maurice Donnay, membre de l'Académie
française, n'a pas hésité à en qualifier Madame Nelly Sandral, dont il
vient de tenter l'analyse psychologique.
Mmo Sandral, de qui le salon extrêmement brillant est fort recherché
en suite de la très puissante situationfinancièredesouiuari.vogueentre
deux âges, celui où l'on a droit de moraliser les jeunes et celui où on
a l'espoir légitime encore d'éveiller les désirs. Vivant avec M. Sandral
sur le pied d'une très mondaine indifférence n'excluant nullement les
relations de courtoise et philosophique camaraderie, Nelly enchante les
jours de Vincent Le Hazayet sa liaison est de tenue irréprochable, si
irréprochable, même que cela lui permet de gourmander celles de ses
amies qui n'ont nul souci d'enrayer les vagabondages de leurs cœurs
incertains.
Elle morigène donc la jolie M"'c Destrié, qui, après avoir ensorcelé
Robert Bayanne, le tout jeune secrétaire de Sandral. le lâche sans
vergogne pour satisfaire, un nouveau caprice. Et le gamin, frais émoulu
de son Dauphiné, tout illusions, ardeurs et hardiesses naïves, cruel-
lement meurtri, brutalement désenchanté, dit à sa rhère patronne des
choses si sévèrement justes sur la conduite très légère des parisiennes
à la mode, que Nelly Sandral fait un retour sur elle-même, se juge
comme le simple montagnard la jugerait s'il savait sa liaison, et rompt
avec Le Hazay. Mais est-ce bien seulement par respect subit d'une
austère morale qu'elle agit ainsi et Robert Bayanne, ardent, gentiment
planté et d'éloquence tout à fait touchante, ne peut-il être envisagé
comme le successeur probable du calme et déjà grisonnant Le Hazay ?
Après un épisode dramatique au cours duquel Bayanne s'avère une
parfaite petite crapule, air il s'est haussé plutôt vite au diapason de<
hommes d'affaires peu scrupuleux chez qui il fréquente, et au cours
duquel Nelly prend inconsidérément sa défense, le rideau tombe sans
que nous soyons bien fixés sur la vraie crise morale qu'a subie la Pa-
tronne de M. Donnay.
Répétée généralement en cinq actes, jouée en quatre' seulement, la
comédie nouvelle contient un premier acte de verve étincelante. d'esprit
flamboyant et de mouvement tout à fait divertissant : du Donnay pre-
mière majùère, que la gravité actuelle de l'auteur ne saurait faire oubl ier.
fille est, comme il fallait s'y attendre, supérieurement défendue par la
troupe du Vaudeville, avec, en tète de la distribution. M"* Jeanne Gra-
nier, vive, émue et vraie toujours, M. Lérand, de pittoresque étonnant,
et M. Tarride, dont le talent sauve un personnage d'absolue insigni-
fiance. Et à côté d'eux, il faut féliciter, surtout. M"r Marguerite i- •
pour les très grands progrès accomplis par la charmanl'- comédienne,
et M. Puylagarde, de jeunesse triomphante, avec, dans le jeu très net.
beaucoup de variété, d'émotion et d'élan.
S. A. R. Son Altesse Royale, pour ceux que pourraient intriguer ces
trois lettres, d'aspect d'autant plus bizarre que S. A. R. n'est autre que
le Prince Consort, dont on se rappelle le très joli succès, voici cinq ans.
à l'Athénée. Pourquoi donc, en passant aux Bouffes et en devenant
musicale, la charmante comédie de MM. Xanrof et Chancel a-t-elle
perdu un titre tout heureux qui avait l'avantage et d'être clair et d'avoir
déjà, durant de longs soirs, retenu la bienveillante attention du public?
Après tout, ceci est affaire aux auteurs, à qui il faut savoir gré, surtout,
de n'avoir pas trop abimé leurs trois actes pour les ramener à la
formule ordinaire de l'opérette telle qu'on la confectionne depuis nom-
bre et nombre d'années.
On ne vous redira pas les aventures de la gentille reine Sonia, l'élan
de fierté du prince consort Cyrill, les emportements amoureux de la
régente Xénofa, tout cela est assez proche de nous pour qu'il soit
inutile d'y revenir. Mais on doit vous présenter M. Yvan Caryll, qui
musiqua l'anecdote.
M. Yvan Caryll, qui est anglais, jouit, par delà la Manche, d'une
fort agréable réputation que lui a value, sans nulle doute, l'aisance sym-
pathique avec laquelle il écrit. C'est la facilité, en effet, qui se dégage
tout d'abord de sa très touffue partition et, à cette facilité s'ajoute delà
bonne humeur, sans grande personnalité, mais bien allante et de preste
sonorité. Les petits ensembles légers de son œuvrette sont de beau-
coup les mieux venus, et tels, comme celui de la demande en mariage
au premier acte, comme celui de la scène entre le lieutenant Sandor et
les dames d'honneur, et comme plusieurs pitreries menées par le Con-
seil des ministres, d'excellent théâtre et de coupe amusante, font passer
sur la pénurie de l'invention dans les parties sentimentales ou lan-
goureuses, ou la banalité des innombrables motifs de valses.
S. A. R. a trouvé, aux Bouffes, une aimable interprétation d'ensem-
ble d'où émergent M. Henri Defreyn, comédien et chanteur absolument
séduisant qui arrive, tant il phrase gentiment, à tromper le public sur
la qualité des choses qu'il a à chanter, M"c Marguerite Deval, de diction
et de geste de complications toujours abracadabrantes, très souvent ori-
ginalement cocasses, et Mlk Suzanne Dumesuil, joli oiseau roucoulant
échappé de la cage sonore de la rue Favart. M. Tournis, un nouveau
venu, barytonnant, pas maladroit du tout, avec les fantoches coutu-
miers, Hasti, Milo de Meyer, Milo, aident au succès de S. A. R., succès
accentué par de nombreux bis et aidé par une mise eu scène où les
petits ensembles déjà signalés sont fort adroitement réglés à la
manière remuante et symétrique anglaise, mais sans jamais tomber
dans ce que cette manière a, trop souvent, d'exagéré et d'horripilant.
Paul-Emile Chevalier.
Théâtre Clcny. — Plumard et Barnabe, vaudeville en trois actes de MM. Iïenry
Moreau et Qninel.
C'est un vaudeville militaire dans lequel chaque personnage semble
improviser tout ce qui peut lui venir à l'esprit, au hasard de la ren-
contre. Le public a d'ailleurs marqué par une joviale hilarité qu'il pre-
nait grand plaisir aux facéties des auteurs. Le décor du premier acte
représente un magasin de mercerie dans une ville de province. C'est là
que se nouent les intrigues du sous-préfet de Nogeut-sur-Loire (?)
avec Friquette, la mercière; du lieutenant de Beaugency avec la femme
du sous-préfet; d'une demi-douzaine de simples fusiliers avec des
demoiselles de magasin et la bonne de la sous-préfecture; enfin du
colonel de la Bécotte avec la mercière, la sous-préfète, les demoiselles
de magasin et la bonne à tout faire; on voit qu'il cumule, celui-là. Nous
sommes et nous restons dans l'incohérence la plus complète. Le second
acte se passe dans la salle à manger de la sous-préfecture. Le colonel,
364
LE MENESTREL
sempiternellement amoureux et cassé comme un don Juan nonagénaire.
soupe avec ses soldats déguisés en civils et les prend pour de hauts
fonctionnaires de l'endroit, pendant que le sous-préfet et Friquette
dorment dans la pièce à côté. Tout se dénoue à la fin dans une chambre
f deux lits, dont les placards, soupentes, armoires sont remplis de sol-
dats. Naturellement, pendant ces trois actes, chacun s'est agité dans le
vide et nul n'a pu mener à bien son intrigue, excepté Friquette et le
sous-préfet.
L'interprétation a été excellente de la part de M"" Franck-Mell, qui a
joué le rôle de la femme du colonel avec le plus parfait naturel et un
sens du ridicule de très bon aloi. Elle a prouvé combien le tact et la
mesure, même dans les folles plaisanteries, l'emporte sur la charge
effrénée et les contorsions outranciéres. M"11' Benda s'est montrée actrice
pleine de vivacité, de coquetterie et de gaité, sous des costumes très
attrayants. M. Grégoire a personnifié avec quelque monotonie le vieux
militaire entêté d'amour, fat et prétentieux à la fois. Les autres rôles
étaient tenus par Mmes Juliette Barton. Jane Peyral, Fernande.
MM. Perret, Saulieu, Marius, Koval. Valot.Remongin et Fugère. On
peut bien dire, après avoir vu cette pièce réjouir la salle entière, que le
public accepte tout pourvu qu'on le fasse rire. Il a même bissé un final
avec musique (!) au deuxième acte.
Amédée Boutarel.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
CXXXVIII
L'ART MUSICAL AU SALON D'AUTOMNE
A M. Camille Le Senne.
Que les splendeurs sonores du Crépuscule des Dieux ne nous interdi-
sent point d'accorder un souvenir au Salon d'automne ! C'était le sixième ;
et parlons à l'imparfait de ce défunt, car il vieut de fermer ses portes.
Le silence et l'ombre ont repris possession de ses parois glaciales. A
l'heure qu'il est. la musique de la lumière et la couleur du son chan-
tent à l'Opéra, quand la nuit tombe : du bel orchestre français que
dirige la souplesse érudite et précise d'André Messager l'essaim des
longs rêves s'envole: mais que ces féeries fugitives ne nous versent pas
un philtre oublieux ! Retenons quelques œuvres et quelques noms qui
nous parlent de la mélodie des lignes ou de la symphonie des teintes.
Ce souvenir, n'est-ce pas la meilleure justification de la critique? Un
Salon passe, comme les plus éblouissantes sonorités du théâtre ou du
concert; et, depuis les ancêtres de l'enthousiaste Diderot, depuis les
annotations de Mariette et les Réflexions sur quelques causes de l'état pré-
sent de la peinture en France, publiées par M. La Font de Saint- Yenne
en l'an de grâce royale et poudrée 1747, que reste-t-il, grands dieux !
de deux siècles de Salons annuels, si ce n'est ces remarques ou ces im-
pressions plus ou moins parasites, qui demeurent enroulées comme un
lierre fidèle autour du tronc desséché du livret? Que reste-t-il, aujour-
d'hui déjà, des efforts dispersés du sixième Salon d'automne, au milieu
des rousseurs plaintives des feuilles mortes? Repeuplons un instant
ses travées dégarnies, son estrade muette.
Ce sixième Salon ressembla fort à ses cinq aines. Son ambition fut
trop de fois décevante. Mais, comme si l'étrangeté ne se suffisait plus,
elle multiplie maintenant les attractions: musique, littérature, essais
d'arrangement décoratif, sections étrangère ou rétrospective. Total :
3.444 envois. Après l'art russe et l'art belge, au lieu de l'art allemand
promis pour 1908, nos yeux ont refait connaissance avec la peinture
finlandaise : il a fallu faire ample crédit à cette vingtaine de travail-
leurs, dont l'ainé n'a guère dépassé la quarantaine décisive. Leur
maitre, Edelfelt (1834-1905), était venu d'Helsingfors à Paris, pour
achever ses études à l'atelier Gérôme ; et ses débuts lumineux remon-
tait à notre engouement pour le « plein-air »; il était surtout portrai-
tiste : témoin son grand Portrait du chef d'orchestre 11. kajanus, sa
dernière oeuvre, appartenant à la Société philharmonique de sa ville
natale. Quel musicien finlandais s'emparera de cette étraDge/„eV/e«tfe du
:. dévala, curieusement illustrée par M. AxelGallen, le plus imaginatif
de ces honnêtes Finnois, moins apparentés à la Russie qu'à la Suède ?
C Jel musicien fera chanter les filles-fleurs, absentes ici, de Yallgren ?
Auprès de l'avenir, le passé. Rétrospectives tendancieuses, — ici,
l'histoire est écrite ad probandum. En vertu du beau syllogisme : « Des
génies furent contestés, tout contesté donc est un génie», nos chers
dj :adents ont résolu de se donner des ancêtres : irréguliers évadés de
i coloristes dédaigneux de la forme, visionnaires guettés par la
névrose. En lîtûo, M. Ingres était convoqué comme devancier deManet;
en 1908, le Greco jouera le rôle d'un Cézanne de la Renaissance, défor-
mateur exsangue sacrifiant les souvenirs de la charnelle Venise à l'Es-
pagne de Torquemada; rapprochées des bohèmes toujours mystérieux,.
— Monticelli, Bresdin. — les planches de Chifflart seront la modeste
apothéose du prix de Rome qui a mal tourné... La démonstration, fort
heureusemenl. fait une niche à ses organisateurs en prouvant victo-
rieusement à rebours; et dès 1903, la furibonde leçon de dessin —
donnée par le maitre français du Bain turc aux hoirs du peintre d'Olym-
pia ! Cette année môme, si tous ces révolutionnaires de jadis ou de
naguère exaltent l'imagination qui nous manque, chacun d'eux atteste
une science préalable, une éducation première et (que feu Cézanne me
pardonne !) un métier sans lequel le plus farouche idéal ne saurait sor-
tir du chaos. Mieux représenté. Domenico Theotocopuii, surnommé le
Greco par les Vénitiens, ses premiers maîtres, nous aurait dit ce qu'il
garda de la païenne Venise sous l'exténuation de ses têtes ou dans
l'enfer de ses rêves. Rodolphe Bresdin, que Champfleury rendit trop
péniblement fameux sous le sobriquet de Chien-Caillou ^1), fut un « pri-
mitif » du romantisme, un très minutieux graveur moins épris de
Remhrandt que d'Albert Durer. François Chifflart l'ut un romantique
dans l'école, enhardi par Michel-Ange et Victor Hugo; Baudelaire ad-
mirait son soulle; nous estimons son savoir. Monticelli lui-même avait
appris; on voit maintenant qu'il savait : la preuve est faite: à côté de
tel portrait digne de Ricard, significative est son évolution depuis la
ligue traditiorinelle de 1813 jusqu'à la mosaïque exaspérée de 1874; et
cette nature d'exception, qu'on voudrait aujourd'hui donner pour
modèle, nous apprend seulement à son tour, après les maitres et
comme eux, que la véritable indépendance est fille du savoir. Un Wag-
ner, dans son burg altier, ne nous chante pas autre chose.
Donc, le résultat déjoue les vœux de la thèse. Et puis, la démonstra-
tion s'offre incomplète ou diffuse : il y avait trop peu de Greco, s'il y
eut trop de Monticelli: de telle sorte que l'un, qui fut puissamment
singulier, parut chétif, et que l'autre, qui fut capricieusement varié,.
parut monotone. Monticelli foisonnait : 177 cadres en deux salles et
demie, ce fut trop pour un improvisateur, maintes fois pastiché depuis
qu'il est célèbre: et l'écrin féerique aurait gagné, sans doute, à ne réu-
nir que les plus authentiques joyaux. Belle occasion, toutefois, pour les
amoureux d'art d'interroger la pâte expressive et le langage mystérieu-
sement muet de la couleur ! Où finit le sujet, la musique commence..
« Je peins pour dans trente ans », disait le bohème marseillais qui se
réclamait de vieille noblesse vénitienne ; il disait cela du ton de Sten-
dhal affirmant ne devoir être entendu que vers 1880... Monticelli repré-
sente éminemment la peinture musicienne ou musicale ; avec les
raclures des palettes magistrales ou magiques, il évoque le Décaméron
des rêveries somptueuses et des nuances vagabondes, — plus coloriste
que Diaz et petit-cousin fiévreux de Watteau.
Dangereux exemple pour nos jeunes fa presto qui manquent à la fois
de patience et de savoir! « Je suis trop pressé de produire un résultat »,
s'écriaitEugène Delacroix en 1822; et ce mal de l'a peuprés, quis'étend,
ne vint-il point gâter ici le joli triptyque verdoyant d'un mélomane,
M. Pierre Laprade ? Devenons assez bienveillant pour être sévère. Et
que d'aberrations, sous couleur de « retour au style » ! Cependant, voici
l'imagination qui cherche à refleurir entre les ruines involontairement
accumulées par la modernité, de Whistler à Cézanne; et le Salon d'au-
tomne nous propose, avec quelque embarras de langage encore, une
leçon qu'on n'espérait plus. M. René Piot décore à fresque, en lettré
qui sait peindre, une Chambre funéraire sur deux thèmes liturgiques :
labeur intelligemment plastique et coloré, qui nous présage d'artistes
lendemains. Moins savant et plus tendre, M. Maurice Denis effleure, en
cinq panneaux trop grands. l'Histoire de Psyché : rêve méritoire et tou-
jours beau sujet! Depuis l'antique roman d'Apulée, ce thème éternel-
lement moderne comme un sourire inspira La Fontaine et Prud'hon.
Victor de Laprade et César Franck, tous les vrais poètes, sans oublier
les vers ardents de notre vieux Corneille, amoureux, comme notre vieux
Poussin, de la jeune Beauté. L'Amour s'y déclare mystiquement
jaloux :
Je le suis, ma Psyché, de toute la nature:
Les rayons du soleil vous baisent trop souvent (2)...
Quel thème plus mélodieux pour un décorateur mélomane et des
musiciens français ? Et la belle forme seule peut exprimer l'âme. Effor-
rous-nous vers elle. Enfin, que nous a dit la musique au Salon d'au-
tomne? Car elle n'était pas seulement dans un lumineux portrait de
chef d'orchestre au pupitre ou dans les trop nombreuses, mais sugges-
flj Dans une célèbre nouvelle réaliste, parue en 1845.
(2) M. Reynaldo Ilalin a mis eu musique ces beaux vers.
LE MÉNESTREL
3oo
tives symphonies colorées d'un Monticelli; Psyché timide ne l'accapa-
rait point tout entière... La musique l'ait, dorénavant, partie de tous
nos Salons du printemps ou de l'automne : depuis 1 904, le grain musical
a germé. Cette année, tandis que les poètes élisaient le mardi, l'infati-
gable Armand Parent réservait cinq vendredis à la plus moderne
musique de chambre, du 9 octobre, au 0 novembre. Heureuse et nouvelle
occasion de rapprocher les arts, de confronter les tendances du jour, ces
fameuses tendances qu'on devine à travers la diversité des tempéraments
qui ne sont pas tous des personnalités... La prétentieuse iguoranec de
trop de peintres de Montmartre ou d'ailleurs ne fait-elle pas le plus
amusant contraste avec la complication coutumière aux; musiques
d'avant-garde ? Et comment un amateur de savantes harmonies subtiles
pourrait-il (ou peut-il) tolérer ces « fauves » de la palette contemporaine,
qui « n'emballant » que les suobs ou que leurs marchands ? La plus
décadente des musiques paraîtrait pure à coté des toiles.
Mais voici bien autre chose : alors que tel décorateur assagi retourne
à la ligne au point dépasser déjà pour «académique» (1), il n'est guère
de jeune musicien dont le savoir ne vise à l'impressionnisme. Et qu'allez-
vous augurer de ce chassé-croisé? Rêve debussyste ou monticellique,
cet « état d'âme » un peu morbide se révèle d'abord et surtout chez nos
Petits-Poucets de la mélodie vocale ; auraient-ils encore peur de l'Ogre
de Bayreuth? Ils sont des deux sexes. Mais leur jeunesse adore pareil-
lement l'ombre, la neige nocturne, le froid des airs pâlis, tous les menus
mystères familiers qui font chantonner dans la nuit les petits enfants ;
la gamme primitive par tons entiers est leur « frisson nouveau » :
voudraient-ils « recommencer » la musique, comme nos jeunes peintres,
oublieux de la forme, ont entrepris de recommencer la peinture? Seule,
une rare harmoniste, la fille d'un bon sculpteur, M"" Marguerite Debrie,
chante les Heures claires. Bravo, mademoiselle ! Honneur à la clarté
française, qui s'est compliquée depuis la Dame blanche!
Pareille ambition d'impressionnisme chez nos petits paysagistes du
clavier: témoin la suite nouvelle, En Forêt, de M. Pierre Coindreau.
qu'idéalise la cristalline sonorité de M"°Selva. Parmi tant de mauvaises
peintures, ne médisons jamais de la virtuosité des exécutants ! D'autre
part, c'est la complication foncièrement harmonique du prélude de
Tristan qui fit l'incompréhension des premiers auditeurs français (2),
sans excepter Berlioz ; et n'est-ce pas cette sorte d'hypertrophie poly-
phonique, un peu « tristanienne » en vérité, qui retarda longtemps et
qui diffère encore un peu la pleine intelligence ou la consécration des
plus doctes quatuors de l'école franckiste : par exemple l'austère qua-
tuor à cordes, inachevé, d'Ernest Chausson, que M. d'Indy termina
pieusement et que M. Parent fit connaître en 1900, chez Pleyel, ou le
grand quatuor audacieusement classique de M. Edmond Malherbe, un
prix de Rome qui ne redoute pas de placer, dans une immense fugue
finale, une harmonie sous chaque double-croche ? Sans excès d'archi-
tecture ou d'impressionnisme, la plus sincère primeur de l'automne, ce
fut une vivante sonate pour piano et violon, de M. Albert Roussel, que
nous ont passionnément révélée, dans un demi-jour de quatre heures.
M. Parent et M"e Dron : pendant qu'à l'Opéra de solennelles harmonies
cuivrées sonnent le crépuscule des Dieux germains, un tel ouvrage
apparaît comme un symptôme rassurant pour notre avenir musical.
(A suivre.) Raymond Bohyer.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts-Colonne. — Une des grandes joies artistiques de M. Colonne, c'est
de nous faire entendre les symphonies de Beethoven; le grand chef d'orches-
tre français a toujours eu à cœur de maintenir sur ses programmes ces chefs-
d'œuvre dont aucun n'est encore défloré ; on lui doit de magnifiques interpré-
tations de la Neuvième, mais il faut aussi lui savoir gré d'avoir, dans ces
dernières années, paré d'un charme d'interprétation tout nouveau les sym-
phonies moins célèbres et moins jouées du maître, la huitième, par exemple,
et la deuxième, qu'il donnait dimanche dernier. Cette dernière remonte au
o avril 1803 ; elle a donc cent cinq ans, et, si l'on s'en aperçoit à la forme de
l'écriture, il est impossible de ne pas être frappé par le sentiment toujours
jeune et juvénile qui s'en dégage et lui conserve tout son attrait. Il n'y a nulle
part de plus aimable expansion d'humeur joyeuse que dans la phrase en la
majeur de l'Allégro con brio, exposée par les clarinettes et les bassons d'abord,
ensuite par le quatuor. Le linal renferme aussi bien des inspirations d'une
exquise fraîcheur, après un début un peu brusque et saccadé qui fait penser à
une lutte champêtre entre villageois. M. Colonne a été personnellement
il) L'intransigeante jeunesse fait déjà celle injure à M. Maurice Denis...
(2) Le mercredi '25 janvier lSGi), au premier concert wagnérien, salie Ventadour ; et
le diminche 15 novembre 1874. au Cirque d'Hiver, chez Pasdeloup.
acclamé pour la superbe exécution que lui et son orchestre ont donnée du
chef-d'œuvre. Nous ne quittons pas encore Beethoven : voici son admirable
concerto pour violon, que M. Lucien Capet a rendu avec un beau style clas-
sique et une connaissance approfondie des re sources de son instrument. Le
public a fait fêle à ce véritable artiste. Le reste du programme était consacré
à Wagner et à MIU<! Litvinne, son interprète intelligente, Dère et passionné-
ment éprise. File a fait appel à toute sa puissance el son énergie, à toute sa
personnalité d'a:t el à toutes les ressources de son organe, pour rendre avec
éclat les deux scènes les plus vivantes que Wagner ail écrites : la dernière
expression d'amour d'Isolde sur le point de mourir, et le douloureux et tra-
gique renoncement de Brunnhilde au moment ou elle Be précipite dans les
flammes du bûcher de Siegfried. M. Colonne a sa manière spéciale de rendre
cette musique, et cette manière est très différente de celle des théâtres alle-
mands. Il met l'orchestre plus en relief, en dégage davantage tous les thèmes,
tous les dessins, toutes les intentions. I*ar suite, la participation de la voix
chantée perdrait beaucoup de son importance, si le tempérament robuste de
la cantatrice et ses moyens vocaux ne lui permettaient poinl de résister vic-
torieusement dans cette lutte un peu inégale en apparence, quoique au fond
parfaitement belle et grandiose par l'ell'et d'ensemble qu'elle produit. Au
concert, aucun autre mode d'interprétation ne donnerait d'aussi bons résul-
tats. La séance s'est terminée par une longue ovation à M Félia Litvinne, à
l'orchestre et à son chef toujours si vibrants. AmÉDÉE Doutarel.
— Concerts-Lamoureux. — Programme, mixte, de tendances très diverses
et capable de satisfaire fous les goûts. Mn"' Raunay. dont la belle diction dra-
matique sait imprimer du relief même à ce qui n'en semble pas comporter, a
traduit éloquemment les pâles mélodies de Berlioz, le Spectre de la Rote, Absence,
l'Ile inconnue, qu'une orchestration sans couleur ne parvient pas à vivifier.
L'auteur de la Damnation n'a rien à gagner à ce rappel de pages mures pour
l'oubli. La scène et l'air du i" acte de llulda, de César Franck, avec ses accents
sauvages et tragiques, sa déclamation puissante, ontvalu à M1"" Raunay d'una-
nimes acclamations. — Un succès du meilleur aloi a accueilli l'exécution par
Mme Caponsacchi-Jeisler du I'1' concerto pour violoncelle de M. Saint-Saëns,
œuvre de charme plutôt que de force et que la jeune artiste au son pur et
expressif, à l'archet précis, rendit d'excellente manière. — Les Esquisses Sym-
phoniques de M. Debussy, que l'auteur de Pelléas intitule un peu pompeuse-
ment la Mer, et que les Concerts-Lamoureux avaient déjà données, sont des
pages curieuses, captivantes par endroits, d'une orchestration fertile en effets
nouveaux, en recherches subtiles, mais dont on a vite fait de résoudre la
séduisante énigme. Ce n'est là qu'un jeu d'esprit, habilement traité, où on
cherche vainement trace d'une émotion quelconque. La mer. la grande, infinie
et douloureuse mer a le droit d'être autrement chantée. — Beaucoup plus
franche, d'une santé plus saine et plus robuste est apparue ensuite la Ballade
symplwnique de M. Chevillard, qu'un accident d'éclairage avait fâcheusement
interrompue il y a quinze jours. Thèmes précis et expressifs, développements
ingénieux, instrumentation souple et lumineuse, tout est à louer dans cette
composition de l'éminent chef d'orchestre, auquel le public et les exécutants
eux-mêmes n'ont pas ménagé les applaudissements. — La charmante, mais un
peu menue symphonie en ré majeur de Mozart et le rutilant et verveux Tilt
Eulenspiegel de Richard Strauss formaient les deux porliques par où s'ouvrait
et se clôturait le concert : j'avoue préférer le dernier. .T. Jemaix.
— Programmes des concerts de demain dimanche :
Conservatoire (concert donné en hommage à Georges Marty et au bénéfice de sa
veuve) : Ouverture de Ballhasar (Georges Marty). — Shylock, suite d'orchestre (Ga-
briel Fauré). — 1" acte (fragments) d'.ileesle (Gluck', par M"" Ha'.to et M. Delmas. —
Concerto pour piano en ut mineur (Mozart), par M. Camille Sainl-Saëns.— Sympho-
nie avec choeurs (Beethoven), soli par M"" Gall et Lapeyrette, MM. Cazeneuve et
Frolich. — Le concert sera dirigé par M. André Messager.
Châtelet, Concerts-Colonne : Ouverture de Sigurd (E. Reyer . — Sympltonie héroïque
Beethoven. — Trois nocturnes Cl. Debussy. — Poème, pour violon et orchestre
(Ern. Chausson), parM. Capet. — Siegfried, « les Murmures de la Forêt II. Wagner).
— Danse de Sa tome (Richard Strauss).
Salle Gaveau, Concerts-Lamoureux. sous la direction de M. Chevillard : Symphonie
pastorale (Beethoven). — Scène et air du 1" ace d'Alceste (Gluck), par M-" Isnardon.
— Fantaisie pour piano el orchestre (II. Lutzj, par M. G. de Lausnay. — {star Vin-
cent dTndy). — Phidylé. mélodie (II. Duparcl, par M"' Isnardon. — Francesca •!■
Rimini, poème symphonique iTsehaïkowsky). — L'Invitation >t I" valse [Wêber .
— La Société J.-S. Bach, sous la direction de M. G. Bret, annonce deux
auditions de la Passion selon saint Jean : l'une le mercredi -25 novembre en
soirée; l'autre, sur le. désir de nombreuses familles, le jeudi 2G en matinée à
;', heures. Les célèbres chanteurs George Walter (de Berlin) et Zalsman
(d'Amsterdam) reprendront leurs rôles de l'Evangéliste et du Christ. La
location est ouverte salle Gaveau et chez les éditeurs: el comme l'année
dernière, il est prudent de se hâter.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour les seuls abonnés a la musique)
Gabriel Dupont, le compositeur des Heurts dolentes, du Chant de lu destinée, de la
Glu oeuvre encore in partihus dont ou entendra parler) nous donne aujourd'hui une
mélodie nouvelle : Caresses, sur une poésie de Jean Riehepin. Toute de charme et
d'émotion douce, on verra qu'elle répond à son titre. M™' Max. la si remarquable
cantatrice mondaine, la chanta avec un extraordinaire succès.
366
LE MEINESTUEL
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondaul de Belgique (11 novembre) :
La concession du théâtre de la Monnaie, qui fut accordée à MM. Guidé et
Kufferath pour un terme de neuf ans, expire à la Cn de la saison actuelle. Le
conseil communal de Bruxelles s'est occupé, dans sa dernière séance, de la
question de savoir s"il convenait de mettre à nouveau la direction de la Mon-
naie en adjudication, ou si, MM. Guidé et Kull'erath ayant donné au public et
àla Ville toute satisfaction, il ne serait pas beaucoup plus simple et plus juste
de leur accorder, sans appel aux amateurs, le renouvellement de leur conces-
sion. C'est à ce dernier parti que le conseil s'est rallié, en principe, à une
majorité extrêmement llatteuse pour les directeurs actuels. L'ouverture de la
succession n'aurait servi qu'à faire sortir de. l'ombre des candidats fantaisistes
et à infliger aux trente-cinq conseillers communaux bruxellois le supplice de
visites et de démarches aussi ennuyeuses qu'interminables. Aucun candidat
sérieux ne pouvait songer à se mettre sérieusement en opposition avec
MM. Guidé et Kufferath. Un instant, il fut question de M. Noté, de l'Opéra,
et même de M. Van Dyck. Mais ces messieurs constatèrent bien vite que leurs
chances étaient illusoires et que c'eut été se compromettre, sans succès et sans
profit pour eux, en des manœuvres électorales généralement peu dignes d'ar-
tistes de talent, ayant mieux à employer leur temps. Le conseil commuual a
donc renommé virtuellement MM. Guidé et Kull'erath pour un nouveau terme
de neuf ans. Il s'est réservé seulement, au préalable, de modifier certains
points du cahier des charges, qui seront soumis à l'acceptation dos directeurs
actuels. Quels seront ces points ? Nous ne savons. Ils auront trait, sans doute,
à la situation du petit personnel, qui a toujours été, d'ailleurs, l'objet de la
sollicitude de ces messieurs: en tout cas, ils ne pourront changer sensiblement
le régime existant. Loin de l'aggraver, il serait même du devoir du conseil
communal de l'alléger, étant donnés les sacrifices énormes, toujours plus lourds,
que les exploitants de la Monnaie ont dû s'imposer en ces dernières années,
sans que leurs ressources fussent en rien augmentées. Il faut vraiment du cou-
rage et de l'abnégation pour garder le théâtre au niveau auquel il n'a cessé de
se maintenir. MM. Guidé et Kull'erath n'en ont jamais manqué. Loin de leur
créer des difficultés nouvelles, les pouvoirs publics devraient avoir à cœur de
leur en être reconnaissants.
L'éclectisme intelligent, qui leur a toujours servi de guide dans leur gestion,
vient de leur valoir encore une victoire éclatante. La reprise de la Juive, que l'on
réclamait à cor et à cris, a obtenu cette semaine un très gros succès. Il y avait
treize ans que l'œuvre d'IIalévy n'avait plus été représentée à Bruxelles. On
l'a revue avec d'autant plus d'intérêt, j'allais dire de plaisir, que MM. Guidé
et Kull'erath en ont fait une reconstitution absolument complète, où la mise
en scène, l'interprétation et le respect du style, de la couleur et du caractère
de cet opéra-type surpassent certainement tout ce qui, en ce sens, fut jamais
réalisé ici. Cette abnégation de leurs propres goûts artistiques vaut bien qu'on
l'admire. La foule leur en saura gré, en acclamant la Juive, avec la même
ardeur — peut-être davantage encore ! — qu'elle met habituellement à accla-
mer des œuvres plus conformes au sentiment moderne.
M. Verdier, MmH Pacary et de Tréville ont dépensé, en cette manifestation
d'art rétrospectif, le meilleur de leurs qualités de chanteurs et de musiciens;
et l'éclat du spectacle est sans pareil dans les fastes du grand-opéra à Bruxelles.
Ajoutons que le régisseur, M. Mcrle-Forest, y a trouvé l'occasion d'appliquer
sa précieuse connaissance des traditions et son habileté bien connue.
Je crois avoir négligé de vous signaler, dans mes précédentes correspon-
dances, — et cela par suite de circonstances personnelles fort douloureuses,
qui me vaudront, je l'espère, le pardon du Ménestrel, — une autre soirée vic-
torieuse, quoique de moindre importance, celle où fut représenté, il y a quinze
jours, un petit ballet inédit, Quand les chais sont partis... tout à l'ait ravissant.
Le scénario, qui est de M. Ambrosiny, l'excellent maître de ballet, a cet
avantage rare d'être amusant, avec esprit, et original, sans recherche. Les chats
de l'affaire, ce sont les domestiques d'une très grande maison qui, en l'ab-
sence des maîtres, mettent le logis sens dessus dessous et font une noce à tout
casser, jusqu'au moment où les patrons rentrent à l'improviste et troublent la
fête. M. Ambrosiny a traité ce sujet léger et tout contemporain avec une fan-
taisie très drôle, qui n'a d'égale que celle dont le compositeur, M. Georges
Lauweryns, a rempli sa partition, en y ajoutant du charme, de la mélodie, un
mouvement endiablé et, ce qui ne gâte rien, une couleur et un esprit dans
l'orchestration qui dénotent un musicien maître de son art et ennemi de toute
banalité. H y a plus que des promesses dans cette œuvrette, dont le succès a été
considérable. On n'avait plus vu depuis bien longtemps, à la Monnaie, un
ballet obtenir une telle vogue: on le joue trois fois par semaine! ! !
Les Concerts-Populaires ont inauguré dimanche la saison des grandes
matinées dominicales par un programme fort intéressant, exécuté remarqua-
blement, sous la direction de M. Sylvain Dupuis. On a beaucoup applaudi la
jolie sonorité et la chaleur entraînante du jeune violoniste Miseha Elman dans
le concerto en la de Glazounow; et l'orchestre nous a fait entendre, outre
la quatrième symphonie de Beethoven, des Variations sytnphoniques de M. Paul
Gilson, excessivement amusantes, présentant un simple thème de quatre
mesures de vingt façons différentes, tour à tour élégie, marche, danse cosaque,
scène lyrique, nocturne, que sais-je ? C'est du Fregoli musical, exécuté avec
une adresse consommée, mais tout de même fort désillusionnant. M. Gilson
a l'air de nous dire: « La musique, ce n'est donc pas plias difficile que ça; pas
besoin d'idée6; un petit thème insignifiant suffit pour faire rire ou pleurer....
Voulez-vous du drame, de la danse, de la comédie, du triste, du gai, de l'abra-
cadabrant ? Voilà!» Et je soupçonne fort le compositeur, qui est un pince-
sans-rire, de n'avoir pas voulu nous prouver autre chose. Où irons-nous si
les prestidigitateurs se mettent eux-mêmes à débiner leurs trucs ? L. S.
— Yersiegelt est le litre d'un opéra-comique dont le sujet o été emprunté par
MM. Bicbard Batka et Pordes-Milo à une, comédie de Rauppach. La musique
est de M. Léo Blech, l'un des chefs d'orchestre de l'Opéra-Royal de Berlin.
L'ouvrage parait avoir eu un grand succès. Le mot « versiegelt » signifie
" sous scellés ». Il s'agit en effet de la détresse dans laquelle se trouvent un
bourgmestre et une jeune veuve, en même temps qu'un autre couple, amou-
reux comme eux, parce que les circonstances les ont obligés à se cacher dans
une vaste armoire sur laquelle un employé de justice est venu mettre les
soellés. L'interprétation de cette comédie musicale, sous la direction du
compositeur, n'a rien laissé à désirer et tous les spectateurs ont été d'accord
pour louer la musique.
— Les journaux allemands publient quelques détails statistiques à l'occasion
de la 500e représentation des Noecs de Figaro, de Mozart, qui a eu lieu récem-
ment à l'Opéra-Royal de Berlin. La première de ce chef-d'œuvre fut donnée à
ce théâtre il y a cent dix-huit ans. le 14 septembre 1790 : on en donnait la
centième en .18-27, la 300e en 1877 et la -400e en 1892, ce qui prouve que Mozart
ne pâlit pas encore trop devant Wagner. On fait remarquer que lors de la
première apparition des Noces, en 1700. on payait, à l'Opéra-Royal, une place
de balcon seize silbergros (I fr. 92) et une place de parquet dix silbergros
(1 fr. -44). Les temps ont changé. Aujourd'hui il faut payer huit marks, soit
dix francs, pour un fauteuil, et il est question d'élever encore ce prix, ce qui
donne de l'humeur aux dilettantes berlinois.
— Les autographes formant la collection Zeune-Spitta vont être mis en
vente à Berlin du 23 au 2-3 novembre. Il y cn a de rois, de princes, de savants,
de poètes, d'écrivains, de musiciens, de peintres et de comédiens. Parmi les
documents les plus rares se trouve une quittance sur parchemin, signée du
comte Dunois, bâtard d'Orléans, 1448. Gela remonte presque à l'époque de
Jeanne d'Arc, qui fut brûlée, comme on sait, en 1431. Les hommes les plus
éminenls dans la littérature, Voltaire, Gœthe, Schiller, Lamartine, Victor
Hugo, Béranger, sont représentés dans la collection. Quant aux musiciens, ils
y figurent en très grand nombre par des autographes de toute nature. Les
amateurs pourront pousser leurs enchères sur des pièces importantes de Phi-
lippe-Emmanuel Bach. Haydn, Mozart, Méhul, Rouget de l'Isle. Weber,
Beethoven, Schubert, Rossini, Meyerbeer, Spontini. Paganini, Berlioz, Liszt,
Mendelssohn, Chopin, Schumann, AntoineRubinstein, Tschaikow sky, Brahms,
Richard "Wagner... Les correspondances êpistolaires. sont particulièrement
révélatrices ; elles dévoilent naïvement les faiblesses et la vie intime des grands
compositeurs dont nous ne voyons plus qu'exceptionnellement les misères,
n'envisageant que leur génie et le rayonnement de leur gloire. De Beethoven,
nous avons plusieurs lettres, parmi lesquelles une encore inédite signée « Votre
Ludwig van Beethoven » et datée « du Ie1' mai ». Elle a trait à l'irrégularité qu'ap-
portait le prince Kinsky à payer la pension à laquelle il s'était engagé vis-à-
vis de Beethoven. On y lit le passage suivant : «... et maintenant je ne reçois
pas même ce misérable argent aux dates fixées... et cela se passe dans notre
Autriche monarchique et anarchique !!!!!!... Ma situation est devenue plus
précaire et j'ai à ma charge entière l'enfant de mon frère... » Spontini nous
apparaît avec les petitesses de son immense orgueil dans une correspondance
adressée à « Monsieur le Grand Maréchal » au sujet des droits que sa femme
pouvait avoir d'être reçue àla Cour; on y lit : « ... quoique M. le comte (de
Redern) sache parfaitement que la noblesse de Mad. Spontini est de beaucoup
plus ancienne que celle de M1™ la comtesse de Redern... », etc. Plus modeste
se montre Chopin et d'un caractère plus sympathique. Il a pourtant des accès
de mauvaise humeur, ainsi qu'en témoigne ce passage d'une lettre: « ... lu m'as
appris ce matin quelque chose qui m'a été parfaitement désagréable", c'est que
tu as donné mon buste à A*** ; il va tout dire à M"10 R*** qui est une créa-
ture insupportable ». Le mot créature est un euphémisme : Chopin avait écrit
le mol." porc ». Une petite pièce à acquérir serait le chiffon de papier sur
lequel Chopin, en quête d'un logement, a noté, moitié en français, moitié en
polonais, des indications relatives au local qu'il souhaiterait que l'on parvint
à lui trouver. D désire que cela soit dans les rues de Verneuil, de Bourgogne,
de Beaune ou Las-Cases. Il voudrait un salon, une salle à manger, trois
chambres à coucher et un cabinet de travail, le tout donnant sur un long cor-
ridor et loin de tout voisinage fâcheux ou bruyant. Au bas de la feuille est
tracé de sa main le plan de l'appartement idéal. C'est amusant, humoristique
et documentaire à la fois. Parmi les autographes musicaux de Chopin qui se-
ront mis en vente se trouvent six grandes études faisant partie de l'œuvre 10,
savoir : X° -4, ut dièse mineur: n°7, ut majeur; n° 9, ré bémol majeur: n° 10,
la bémol majeur; n° 11, mi bémol majeur, et n° 12, ut mineur. Nous aurons à
revenir sur cette riche collection, dont nous sommes encore loin d'avoir épuisé
les numéros sensationnels.
— Dans cette même vente d'autographes figurera un petit poème comique de
douze vers, presque inconnu jusqu'à présent, que Richard Wagner a dédié « à
son aimable hôtelier, M. Louis Kraft », propriétaire de l'hôtel' de Prusse, à
Leipzig, où Richard Wagner avait l'habitude de descendre, chaque fois qu'il
rendait visite à sa ville natale. Sur cette petile poésie, qui est datée du
22 avril 1871 et dans laquelle il vante en rimes dithyrambiques les mérites de
LE MÉNESTHEL
367
son « noble hôtelier », Richard Wagner a écrit une mélodie pour une voix. 11
est à remarquer qu'au printemps 9831; où il était descendu à l'hôtel de Prusse
à Leipzig. Richard Wagner se trouvait à un tournant très important de son
existence tourmentée. Il se rendait a ce moment de Bayreuth à Berlin, pour
y conférer au sujet des comités de patronage sur le concours desquels il vou-
lait fonder financièrement les Festspiele île Bayreuth.
— Le portrait de Beethoven, par Slieler, mis en vente. — Une nièce de
Spohr, la comtesse de Sauorma. de Berlin, s'est résolue à mettre en vente un
portrait original de Beethoven qu'elle possède, celui que Stieler a peint en
1819. Elle a connu le peintre, qui lui a raconté comment Beethoven, après
s'être laissé supplier on vain pendant des années sans avoir consenti à donner
une pose, arriva un jour dans l'atelier et dit à l'artiste : ci Vous savoz pour-
quoi je viens ici ». Stieler avait justement toute prête une petite toile de
71 centimètres de haut sur •">'> de large: il commença aussitôt à esquisser le
portrait. Il put saisir, d'après l'original, les traits du visage, reproduire les
cheveux, les yeux et par-dessus tout le teint frais et dispos du grand musicien,
mais le temps lui manqua pour les mains qu'il peignit sans modèle, d'après
sa fantaisie. C'est très dommage, car les autres portraits du maitre, ceux de
Hornemann (1802), de Letronne (181 i), de Màhler (1815), de Kloher (1817), de
Schimon (1819), de Dietrieh (1821) et de Decker (1820), ne nous montrent pas
non plus les mains. On sait que le portrait de Stieler, que l'on disait jus-
qu'ici avoir été fait en 1822, et nous représenter le maitre au moment où il
écrivait la Messe solennelle, est peint la tète de face et le haut du buste de
trois quarts. La main gauche tient un cahier de musique et la main droite
s'appuie sur les feuillets, serrant entre les doigts un crayon ou une plume.
Beethoven parait réfléchir avant d'ajouter quelques notes à celles qui sont déjà
écrites. Le portrait s'arrête vers le milieu de la poitrine. La physionomie est
très belle et très significative.
— Mllc Juga de Wesendonk, petite-fille de l'amie de Wagner. Mathilde de
Wesendonk, vient de se fiancer avec le comte Alphonse Maluschka.
— La chambre de commerce de Leipzig a envoyé à tous les facteurs d'ins-
truments de musique une lettre-circulaire à l'effet d'avoir leur avis sur la fon-
dation projetée d'un musée instrumental dans cette ville. Ce musée serait dès
l'abord constitué par l'achat de la célèbre collection de M. Paul de Wit, que
le public est actuellement admis à visiter. M. Paul de Wit, né à Maestriclit
en 1S32, est un violoncelliste de valeur. Il fonda en 1S80 sous le titre
ZeUschri/t fi'ir Inslrumenlcnbitu, une revue spéciale qui subsiste encore. Il a
cherché à remettre en honneur la viola di gamba et donna des concerts sur
cet instrument. Il a publié un recueil d'adresses de tous les facteurs d'ins-
truments de musique du monde entier, dont la cinquième édition parut eu
-1897, et d'intéressants documents sur les vieux luthiers depuis le seizième
siècle jusqu'à la fin du dix-neuvième.
— L'intendance générale des théâtres royaux de .Munich fait savoir que le
traité conclu par elle en 1901, pour dix années, avec la Société du théâtre du
Prince-Régent est prorogé jusqu'au 19 août 1910.
— L'Abbé Uourd, tel est le litre, d'un opéra nouveau en trois actes, qui vient
d'être représenté à Maglehourg. Le livret a été tiré du célèbre roman de Zola.
la Faute de l'Abbé Mourcl: la musique est de M. Max Oberleithner. Le compo-
siteur a déjà écrit un opéra en quatre actes, Ghilana.
— De Cologne : Le Residen/.-Thoater vient de refermer ses portes.
Mme Annie Neumann-Hofer et M. Erwin Baron, qui en avaient pris la direc-
tion il y a deux mois, se retirent après avoir vainement lutté contre la froi-
deur et le manque d'intérêt du public à l'égard de leurs efforts artistiques.
« Nous sommes venus dans la capitale rhénane, déclarent-ils dans un mani-
feste, avec de grandes illusions artistiques: nous nous sommes trouvés en
moyenne de dix à douze heures en scène et tout ce que nous avons récolté, ce
sont une maison et une caisse vides tous les soirs. » Il est incontestable que
la nouvelle direction s'est donné beaucoup de peine, mais le public de Co-
logne, comme celui de beaucoup d'autres villes, préfère les musics-halls aux
théâtres où l'on cultive l'art dramatique. La caution de 9.000 marks déposée
à la présidence de la police reste acquise au personnel artistique et technique
du Residenz-Theater.
— Le Théâtre-Municipal de Dusseldorf vient de jouer pour la première fois
un opéra nouveau, le Cœur froid, paroles et musique d'un jeune compositeur
autrichien. M. Robert Konta, qui n'avait encore rien écrit pour la scène. Le
livret de cet ouvrage est tin'' d'un conte de Wilhelm llaufl'.
— De Saint-Pétevshourg : Le Saint-Synode a interdit la représentation de
Salomé, d'Oscar Wilde, qui devait avoir lieu au théâtre de la Cour.
— Le premier concert Siloti. a Saint-Pétersbourg, a été consacré à la
mémoire de Rimsky-Korsakow. Le programme comprenait seulement des
œuvres du maitre et un prologue de circonstance pour orchestre.
— Milan est furieuse. Miian est sans orchestre, et ses théâtres sont aux
abois. Tous les musiciens sont en grève depuis quelques jours ; après avoir
réclamé une augmentation d'appointements qu'ils se sont vu refuser par les
diverses administrations, d'une entente commune ils ont déserté et, à leur
tour, ont carrément refusé le service. On a vu alors, spectacle bizarre ! le vaste
Théâtre DalVerme représenter la Bohème et Carmen avec un simple piano teuu
par le ch f d'orchestre Ferrari. Alors, protestations des spectateurs, plaisante-
ries, lazzi de toutes sortes, puis cris d'oiseaux, bacchanal. chahut, etc. Au
Théàtre-Fossati, où l'on joue l'opérette, il a fallu se contenter aussi d'un
piano. De même au Théâtre-Lyrique. On devine que les recettes se ressentent
largement de cet état de choses, le. représentai ions lyriques manquant absolu-
ment d'ampleur et de majesté. Quand et comment tout cela linira-t-il ? on ne
sait trop. Mais il semble bien que les directions théâtrales ser ibligéea de
venir à composition el de céder aux exigences des artistes, sou. peine de loir
le public devenir de plus en plus rare, et, eu lin de compte, rester tranquille-
ment chez lui.
— De Piacenza. par dépêche : Succès extraordinaire de Werther, sacré chef-
d'œuvre par public enthousiaste. L'œuvre maîtresse de Massenet était fort
bien chantée par le ténor Pelati (Werther), M"' Montegiglk) Charlotte),
M. Delgrielo (Albert), el M11" Dimazio (Sophie), Fort belle exécution -ou. la
direction du maestro Callo.
— Il y a six ans on vit paraître avec succès, sur un des théâtres de Londres,
une troupe de douze jeunes danseuses choisies avec le plus grand soin par le
manager parmi les plus délicieusement jolies de leur profession. Elles se
présentaient sous l'appellation de Gilison Girls, allusion au type féminin mis a
la mode par le fameux dessinateur américain de ce nom. Or, il arriva qu'après
quelques semaines un pair d'Angleterre s'énamoura d'une de ces beautés dan-
santes, demanda sa main et l'épousa, si bien que l'humble miss Eva Carrington
devint lady Clifford. L'exemple devint contagieux, et une seconde tiibsou Girl,
miss Camilli Giffard, ayant séduit lord Aherdace, ne tarda pas beaucoup a
devenir sa femme. Miss Gates épousa ensuite le baron von Ditton, tandis que
trois autres, les misses Mary Fairbairn, May Kennedy et Christino numphries
épousaient les trois frères, les richissimes Smilhson. l'n peu plus tard encore.
Eva Hellidson devint marquise de Florac, Ililda Harris accorda son cœur el sa
main au banquier Drummond, Barbara Dean et Elice Rey épousèrent les
milliardaires Loder et Max Andrew, alors que Rathleen Davvis devenait, en
épousant M. Hardage, la nièce du duc de Portland, l'homme le plus riche du
Royaume-Uni, ce qui n'est pas peu dire. Enfin, une seule des Gibson Cirls
restait libre, miss Sylvia Storoy. la plus adorablement belle, dit on, de ce
groupe renommé pour sa beauté ; cela ne pouvait durer plus longtemps, et
celle-ci vient d'épouser ces jours derniers lord Powlett, membre de la Chambre
des lords. De sorte qu'à l'heure présente, les douze jolies danseuses sont toutes
devenues marquises, duchesses ou milliardaires. Le jeté battu a du bon.
— Au festival de Norfolk et Norwich, qui s'est terminé la semaine dernière,
on a donné le Songe de Gerontiw, le Roi Olaf et les Enigma-Yariations de
M. Elgar, le Stabat Maler de Dvorak, le Requiem de Brahms. In Xuil île Noël
de Hugo Wolf, la Symphonie avec chœurs de Beethoven, la Symphonie en soi
mineur de Mozart, des motets de Bach, et une œuvre nouvelle, Cleopalra.
cantate dont les paroles sont de M. Gerald Cumberland et la musique de
M. Julius Harrisson. M""' Theresa Carreno a exécuté le concerto en si bémol
de Tschaikowsky et M. Kreisler le concerto pour violon de Beethoven.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
L'Académie des Beaux-Arts a tenu samedi dernier, en présence d'un audi-
toire nombreux et particulièrement choisi, et sous la présidence de M. Luc-
Olivier Merson, président en exercice, sa séance publique annuelle. Cette
séance s'est ouverte par l'exécution d'un morceau symphonique intitulé Noël
berrichon (suite pour petit Orchestre), de M. Marcel Rousseau, après quoi
M. Luc-Olivier Merson a prononcé un excellent discours dans lequel il a
adressé aux lauréats des concours de Rome des conseils paternels et précieux,
dictés par un sentiment très élevé et un sincère amour de l'art. On a procédé
ensuite à la proclamation des grauds prix des derniers concours peinture
sculpture, architecture, gravure, composition musicale1, puis M. Henrv Rou-
jon, secrétaire perpétuel de l'Académie, a pris la parole pour lire une notice
sur la vie et les travaux de Giuseppe Verdi, notice très substanlielle,érrite dans
une langue à la fois élégante et ferme, et fertile en aperçus ineénieux. Lue avec
une rare habileté, cette notice, accueillie par de vifs applaudissements, a ob-
tenu le succès le plus complet et le plus mérité. La séance s'est terminée par
l'exécutioo. sous la direction de M. Paul Vidal, de la scène lyrique de M. André
Gailhard qui a remporté cette année le premier grand prix de composition.
Elle avait pour interprètes M"''5 Chenal et Alice Verlet et M. Devriés.
— On a publié cette semaine le renouvellement du conseil supérieur d'en-
seignement du Couservatoire, qui se trouve ainsi composé pour trois ans :
Section des éludes musicales.
Douze membres choisis en dehors du Conservatoire : MM. Rêver. Massenet. Saint-
Saèns, Paladilhe, de l'Institut; Bruueau. Paul Dukas. G. Pierné, André Wormser
compositeurs de musique; Pierre Mlo, critique musical : H.Maréchal, P. -Y. delà Nux
inspecteurs de l'enseignement musical: Guy Reparu, directeur de
musique, à Nancy.
Ilnii professeurs titulaires nommés par le ministre : M. Lenepveu, de l'Institut'
M— RoseCaron, MM. A. Giiilmanl. P. Taflanel. Paul Vidal. Widor. Edouard Itisler,
Camille Chevillant.
Quatre professeurs titulaires élus par leurs collègues: MM. Edmond Duvernov
Louis Diémer, Lavignac, Lefoit.
Section désuétudes dramatiques.
Dix membres choisis en dehors du Conservatoire : MM. V. Sardou, II. Lavedan
Paul llervieu. M. Donnai-, Jean Riehepin, de l'Académie française: M-« Bartet
sociétaire de la Comédie-Française : MM. Iirieux, A. Capus, François de Curel, auteurs
dramatiques; Mounet-Sutly, doyen de la Comédie-Française.
L'n professeur de déclamation nommé par le ministre : M. Silvain.
Fn professeur de déclamation élu par ses collègues : M. Leloir.
A peine ce tableau était-il publié qu'un nom s'y trouve déjà à remplacer.
En effet, la mort de M. Y ictorien Sardou, que nous annonçons d'autre part,
laisse un vide à combler dans la section des études dramatiques.
368
LE MENESTREL
— M. Leitner, de la Comédie-Fi-ançaise, est olficielement appelé à prendre,
au Conservatoire de musique et de déclamation, la succession de M'"c Sarah
Bernhardt, démissionnaire.
— Si les nouvelles données par le Figaro du 7 novembre sont exactes, tout
serait allé vraiment au mieux à la conférence "de Berlin pour la révision de la
Convention de Berne. Qu'on en juge :
On serait enfin parvenu à inscrire dans la loi internationale le principe de l'unifi-
cation de la propriété littéraire dans tous les pays, en adoptant le chi lire de 50 ans
après la mort de l'auteur, chiffre qui est celui de la législation française; toutes les
formalités jusqu'à présent nécessaires pour que la protection fut acquise seraient
supprimées; les droits de l'auteur sur la traduction de ses ouvrages, qui n'étaient
reconnus que si la traduction avait été faite dans un délai de 10 ans après la publi-
cation du livre, dureraient aussi longtemps que ses droits sur l'œuvre originale.
Enfin, parmi les principales réformes vraisemblablement conquises, il faudrait faire
figurer les articles politiques jusqu'alors tenus en dehors de la propriété littéraire,
et qui jouiraient de la même protection que toutes les autres productions de l'esprit.
Seraient également protégés les droits de l'auteur sur l'œuvre reproduite parle
cinématographe, et proclamé le principe que l'œuvre d'un compositeur ne peut êlre
reproduite par le gramophone ou le phonographe sans son autorisation préalable.
Nos nouvelles directes qui s'arrêtaient au 29 octobre, il est vrai, n'étaient
pas aussi précises. Le principe de la durée uniforme de la propriété artistique
en tous pays portée à 30 ans post mortem n'avait été adopté dans la commission
spéciale qu'à quatorze voix contre trois. Or on sait qu'il faut l'unanimité pour
l'adoption définitive d'une modification à apporter à la Convention de Berne.
Cette unanimité a-t-ellc été obtenue par la suite à l'assemblée générale qui
devait suivre les réunions de commissions? C'est possible. En revanche, l'accord
s'était bien fait unanime sur la suppression des « formalités » de dépôt et sur
le « droit de traduction ». Au 29 octobre la question dite des « phonographes »
n'avait pas encore été abordée. On disait aussi que la Hollande, la Russie, les
États-Unis montraient de bonnes dispositions pour se rallier à la Convention
de Berne, dont jusqu'ici elles s'étaient tenues écartées. Enfin l'Angleterre sem
blait promettre de modifier certaines parties de sa législation intérieure pour
la rendre plus conforme aux dispositions de la Convention de Berne.
— Puisque nous parlons de la Convention de Berne, di-ons aussi qu'on va
profiter de l'heureux mouvement de la jeune Turquie vers des idées plus civi-
lisatrices pour tenter de lui faire reconnaître aussi le principe de la propriété
artistique et même do l'amener à se rallier à la bienfaisante et loyale Conven-
tion de Berne. On devrait avoir de grandes chances de réussir.
— A l'Opéra on a repris les intéressantes représentations d'ilippolgte et
Aricie pour la rentrée de Mllc Bréval, qui y a retrouvé son beau succès des
premiers soirs. M. Altchewsky, le ténor russe, succédait à M. Plamondon dans
le rôle d'Hippclyte. Il y a fort réussi. — On joue à présent le Crépuscule des
Dieux dans les conditions ordinaires de; autres spectacles. On commence à
sept heures et demie pour finir aux environs de minuit, sans entr'acte dina-
toire. Les recettes ne s'en maintiennent pas moins au beau fixe.
— Spectacles de dimanche à l'Opéra Comique: en matinée, Louise; le soir,
Manon. — Lundi, en représentation populaire à prix réduits : la Vie de Bohème.
Mmc Marguerite Carré est partie cette semaine pour Lisbonne, où elle doit
donner au théâtre San Carlos des représentations (en français) de Manon.
— Un catalogue récent d'autographes contient la mention d'une lettre" de
l'académicien Alexandre Duval, le fameux auteur dramatique qui fut, aux
premières années du XIXe siècle, le collaborateur très habile de la plupart de
nos musiciens : Méhul, Boieldieu, Catel, d'Alayrac, Délia Maria, Deshayes,
Tarchi, etc. Cette lettre, datée du 22 février 1829. et adressée à Rouget de Lisle,
est ainsi analysée : — « Andrieux lui a parlé de son opéra et le lui a recom-
mandé. La recommandation était inutile, mais Alexandre Duval est d'avis que
la représentation de l'œuvre de Rouget de Lisle sera difficile à obtenir. Il y a
beaucoup de talent dépensé sur un sujet usé « dans lequel Rossini a déployé
» toute l'étendue de son génie, toutes les ressources de son art. Quel est main-
» tenant le compositeur qui, après lui, voudrait s'exposer aux dangers de la
» comparaison ». — Quel était donc ce poème d'opéra dont le sujet avait ins-
piré déjà Rossini ? Pour qui connaît les Mémoires de Berlioz, la réponse est
facile : c'était Othello. En effet, Berlioz reproduit dans ses Mémoires une lettre
que lui adressait Rouget à la date du 20 décembre 1830 (il venait d'obtenir
enfin son prix de Rome), et dans laquelle l'auteur de la Marseillaise lui deman-
dait un rendez-vous pour lui faire « une et peut-être deux propositions». Ber-
lioz, alors sur son dépari, ne put se rendre à son désir, et il en parle ainsi :
„ J'ai su plus lard que Rouget de Lisle, qui, pour le dire en passant, a fait
bien d'autres beaux chants que la Marseillaise, avait en portefeuille un livret
d'opéra sur Olhello, qu'il voulait me proposer. Mais devant partir de Paris le
lendemain du jour où je reçus sa lettre, je m'excusai auprès de lui en remet-
tant à mon retour d'Italie la visite que je lui devais. Le pauvre homme mou-
rut dans l'intervalle. Je ne l'ai jamais vu. » Peut-être est-ce dommage. Rouget
de Lisle, qui avait déjà tenté d'introduire Shakespeare à l'Opéraavec unMoc-
belh dont un autre prix de Rome, Chelard, avait écrit la musique, mais qui
fut repré;enté sans succès le 29 janvier 1827, aurait sans doute été plus heu-
reux avec Olhello et avec Berlioz, a qui son admiration bien connue pour Sha-
kespeare aurait pu inspirer un chef-d'œuvre.
— Au moment où les Folies-Dramatiques préparent une brillante reprise
du Petit Faust, il est intéressant de passer en revue les principaux créateurs
et interprètes du chef-d'œuvre d'Hervé. Ce fut Hervé lui-même qui créa Eaust;
à coté de lui, Blanche d'Antigny fut Marguerite; Van Ghel,Méphisto; Millier,
Valentin. A la reprise de la Porte-Saint-Martin, nous voyons Cooper dans
Faust, Sulbac dans Valentin, Jeanne Granier dans Marguerite, Samé dans
Méphisto. A celle des Variétés, c'est Guy qui joue Faust, Brasseur. Valentin:
Méaly, Marguerite; Pernyn, Méphisto. Aux Folies-Dramatiques, trois de ces
artistes reprendront leur rôle : M"e Pernyn, MM. Cooper et Sulbac, et c'est
M"e Jeanne Saulier qui jouera Marguerite.
— Couns et Leçons. — M™' K.-J. Chassein-fterlzog a repris ses cours et leçons de
chant, 8, rue de Valenciennes. — M"" Isambcrt reprendront leurs cours et auditions,
le '20 novembre, 3, rue Guichard.
NÉCROLOGIE
-VICTORIEN SARDOU
L'art dramatique français a fait cette semaine une perte irréparable. Son
représentant le plus éminent, Victorien Sardou, est mort dimanche à Paris,
où on l'avait ramené de Marly en ces derniers jours. On espérait pouvoir le
transporter dans le Midi pour vaincre le mal dont il était atteint depuis
quelque temps, mais son état empira, et bientôt tout espoir était perdu. —
Nous ne saurions, en quelques lignes rapides, avoir la prétention de retracer
la vie et la carrière d'un écrivain de cette trempe et de cette envergure.
Quelques titres, quelques dates suffiront à en rappeler les principaux faits.
Constatons d'abord que Sardou a occupé la scène pendanttout un demi-siècle
et qu'il a fait jouer plus de soixante pièces, dont cinquante furent des succès
et quelques-unes des triomphes. Il a abordé tour à tour tous les genres:
comédie d'intrigue, comédie de caractères, bouffonnerie pure, drame intime,
et jusqu'au grand drame historique. Qui ne se rappelle tous ces litres qui
tinrent si longtemps les affiches de tous les théâtres "? les Pattes de mouche.
Monsieur Garât, Nos lions villageois, la Famille Benoiton, Maison neuve, Nos inti-
mes, les Ganaches, les Pommes du voisin, Séraphine, Fernande. Dora. Daniel Rachat,
Odette, et Patrie, et la Haine, et Fédora, et Théodora, et Cléopnlre. que sais-je ?
Et l'on peut dire de Sardou qu'il est mort les armes à la main, car c'est il y a
quelques mois à peine qu'il donnait à la Porte -Saint-Martin son dernier
drame, l' Affaire des poisons, qui fit tant de bruit. N'oublions pas que Sardou a
été incidemment et quelque peu mêlé à la musique, et qu'il a fourni, seul ou
en collaboration, quelques livrets à nos compositeurs : Bataille d'amour, de
Vaucorbeil (Opéra-Comique, 1863), les Prés Sainl-Gervais, de Charles Lecocq
(Variétés 1874), Picculino, d'Ernest Guiraud (Opéra-Comique, 1876), les Noces
de Fernande, de Louis Défies (id., .1878), Patrie de Paladilhe (Opéra, 1886),
sans compter le Roi Carotte à la Gailé avec Oflénbach et la Fille de Tabarin
avec Pierné. — Il a paru sous ce titre : Victorien Sardou, il y a un an ou deux,
un livre de M. Hugues Rebell (librairie Juven).
3VE ARIE F A.~VA. R. T
Une grande arliste, qui pendant plus de trente ans tint une place éminente
à la Comédie-Française, M"le Marie l'avart (de son vrai nom Pierrette -Ignace
Pingaud), est morte mercredi à Paris. Née à Beaune le 16 février 1833, elle
entrait à douze ans au Conservatoire dans la classe de Samson, en sortait deux
ans après avec un accessit de tragédie et un second prix de comédie (1847), et
débutait à la Comédie le 19 mai 1848, dans Valérie, pour jouer ensuite Ché-
rubin du Mariage de Figaro. Au bout de trois ans, un coup de tête la faisait
partir pour entrer aux Variétés où elle jouait Mignon, la Petite Fadette, la Vie de
Bohème... Mais bientôt elle rentrait au bercail, je veux dire à la Comédie-
Française, où sa beauté pleine d'élégance, jointe à un talent de premier ordre,
ne tarda pas à lui faire conquérir la première place. Dès le 15 juillet 1854, à
vingt et un ans, elle était nommée sociétaire. Elle fui une jeune première, et
ensuite un premier rôle d'un ordre vraiment exceptionnel, se montrant aussi
bien dans l'ancien répertoire que dans le répertoire moderne, dans la tragédie
(Andromaque, Mithridate), que dans la comédie, et faisant de nombreuses créa-
tions dans lesquelles elle déployait parfois une passion ardente avec un jeu
plein de grandeur, aidés par une diction superbe (ceux qui l'ont vue dans
la Nuit d'octobre avec Delaunay auront peine à l'oublier). Parmi ses créations
il faut citer Sullivan, le Sage et le Fou, Mademoiselle de la Seiglière, le Fils de
Giboger, Fanlasio, le Supplice d'une femme, le Fils, Galilée, l'Aventurière, Julie,
On ne badine pas avec l'amour... Et quels succès dans le Gendre de M. Poirier.
dans Marion Delorme I En 1881, blessée des mauvais procédés de Perrin à son
égard, elle donna sa démission. On la vit alors à la Gaité dans Lucrèce Borgia,
à l'Odéon dans Xuma Roumestan, puis elle fit quelques tournées en province,
et, l'âge arrivant, elle se retira définitivement de la scène. On peut dire de
Marie Favart qu'elle fit vraiment honneur à la Comédie-Française, où pendant
de longues années elle porta, de la façon la plus remarquable, tout le poids du
répertoire.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Viennent de paraître chez E. Fasquelle : Michel Proiins, le Cœur double, roman
dialogué (3 fr. 50 c.j; Jules Perrin, la Terreur des images (3 l'r. 50 c); Catulle Mendès,
Théâtre en vers: le Roman d'une nuit, la Part du lloi, la Heine Fiametle, les Traîtres
(3 fr. 50 c).
■ (Encre Lorulïiuj.
403-2. - Vf A.WÉE. - iV 47. PARAIT TOUS LES' SAMEDIS Si"»c,li '2] "•«■*« ,,J"8
(Les Bureaux, 2bl8, rue Vivienne, Paris, ii- m-)
(Les nianuscrils doivent être adressés franco au journal, et, publics ou non, ils ne sont pas rendus :iax iiulcura.)
Le flaméFo : 0 fr. 30
THÉÂTRES
MUSIQUE ET
Henhi HEUG KL. Directeur
E
Le flaméro : 0 fr. 30
Adresser franco à M. Henri IIEUGEL, directeur du MÉNESTRF.L, 2 bis, rue Vivienr.e, les Manuscrits. Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chaut. 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (/i~i° article), Julien Tieiisot. — II. Semaine théâtrale : première représentation de Dix miaules (Tantôt aux Nouveautés, el de l'Enfant de ma si
au Théâtre-Déjazet, Paul-Ëmile Chevalier. — III. Deux lettres inédites de Hameau, Arthur Pougin. — IV. Kevue des grands concerts. — V. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSIQUK DK PIAXO
Nos abonnés à la musique ae piano recevront, avec le numéro de ce jour :
BOURRÉE ET MUSETTE
de A. Pémliiou, sur des thèmes populaires. — Suivra immédiatement
Neuvième Nocturne, de Gabriel Faire.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de chant :
DANS L'ÉTÉ
nouvelle mélodie de Reynaldo LTaiin. — Suivra immédiatement : Le Noël des
humbles, de J. Massenet.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
( ±T J.-4- Î-*7T-<S,)
CHAPITRE IX : Alceste.
Gomme pour Orfeo ed Euridice,
la représentation publique d'.l/-
ceslc ne suffit pas à satisfaire aux
besoins de propagande de Gluck:
il voulut que son nouvel ouvrage
fut également publié. Cette fois, il
évita les embarras de la gravure
à Paris; un imprimeur de "Vienne,
Jean-Thomas de Traltnern , se
chargea de faire parailre la par-
tition, qui sortit de ses presses
sous le millésime de 1769.
Ce volume n'est pas seulement
précieux par la musique que
reproduisent ses deux cent trente-
trois pages; il l'est presque à un
égal degré par le simple feuillet
qui suit le titre, et qui contient
cet écrit célèbre entre tous dans
la littérature musicale : la préface
â'Alceste. Si connu que soit le do-
cument, il ne nous est pas permis
de ne pas le reproduire. Le voici
donc, fidèlement traduit d'après
la rédaction italienne originale.
Il est adressé, sous forme d'épitre
dédicatoire, à l'archiduc Léopold,
grand- duc de Toscane, plus tard
empereur sous le nom de Léo-
pold II (I).
(1) Nous avons adopté, pour U reproduc-
tion de cette epitro, la traduction, très fidèle,
de rédition Pelletai!, de préférence à celle
-qu'on voit le plus souvent citer, et ijui l'ut
imprimée en France du vivant mémo de
Gluck (dans les Mémoires pour servira ^histoire
/a. JLs
C E S T E. '
T R
A G E D I A,
-M li S S A IN M V S I C A
SZGXORX CAT.J.GZISXZ CRISTO FOSO GZUCK.
t U ... I . ."■ ■ . I I J , I —L^Jg ■ ■ . I , ^—^
D E D ICA TA
A S LT A
A E T E Z Z A R E A E E',
L UCIDIICA
P ï E T8 O LEGPOLDO
G R. AN- D -II-CA
-.- ::■*
t j t. :• y -i
GIOVANNI
T O M A S O r, E T R A T T N E R N.
.V D C C L X r X.
C&A
Altesse Royale !
Lorsque j'entrepris de composer la mu-
sique de YAlceste, je me proposai de la
dépouiller entièrement de tous ces abus
qui, introduits soit par la vanité mal en-
tendue des chanteurs, soit par la trop
grande complaisance des maitres, depuis
si longtemps défigurent l'opéra italien, et
du plus pompeux et dj plus beau de tous
les spectacles en font le plus ridicule et
le plus ennuyeux. Je songeai à réduire la
musique à sa véritable fonction, qui est
de seconder la poésie dans l'expression
des sentiments et des situations de la
fable, sans interrompre l'action, ou la
refroidir par des ornemenls inutiles et
superflus, et je crus que la musique
devait être à la poésie comme, à un
dessin correct et bien disposé, la vivacité
des couleurs et le contraste bien ménagé
de la révolution opérée dans la musique par
M. le Chevalier Gluck, 1781, et antérieurement,
dans la Gazelle de littérature); celle-ci conte-
nait quelques infidélités de détail qui vont
parfois à altérer le sens. — Le traducteur
français de YEtat présent de lu musique de
Bliineï, dit, dans une noie de la page où son
auteur reproduit le même document (t. II,
p. 231) que « celte préface, qui est un chef-
d'œuvre de goùi, d'érudition et de raison
musicale, a clé écrite par VAbate l'otlellini,
poète distingué qui se trouvait alors à
Vienne ». Cela peut être : Gluck, musicien,
non homme de lettres, a très bien pu. pour
donner lit forme convenable a ses idées,
demander à un écrivain db métier de tenir
la plume à sa place. L'iibbe Coltellini n'est
I as un inconnu pour nous: nous l'avons
déjà rencontré deux fois avec Gluck, d'abord
cnmmc son compagnon de voyage à Paris en
1704, puis, l'année suhante, comme son col-
laborateur pour Tclemacco,
370
LÉ MÉNESTREL
des lumières et des ombres, qui servent à animer les figures sans en altérer les
contours. Je n'ai donc voulu ni arrêter un acteur dans la plus grande chaleur
du dialogue pour lui faire attendre une ennuyeuse ritournelle, ni le retenir
au milieu d'une parole sur une voyelle favorable, soit pour faire parade dans
un long passage de l'agilité de sa belle voix, soit pour attendre que l'orchestre
lui donne le temps de reprendre haleine pour une cadence. Je n'ai pas cru
devoir passer rapidement sur la seconde partie d'un air, fùt-elle même la
plus passionnée et la plus importante, afin d'avoir lieu de répéter régulière-
ment quatre fois les paroles de la première partie, et finir l'air où peut-être
ne finit pas le sens, pour donner au chanteur facilité de faire voir qu'il peut
varier capricieusement un passage d'autant de manières ; en somme j'ai cher-
ché à bannir tous ces abus contre lesquels depuis longtemps crient en vain le
bon sens et la raison.
J'ai imaginé que l'ouverture devait prévenir les spectateurs sur l'action qui
va se représenter, et en former pour ainsi dire l'argument: que le concours
des instruments devait se régler en proportion de l'intérêt et de la passion, et
qu'il ne fallait pas laisser dans le dialogue une disparate tranchante entre l'air
et le récitatif, afin de ne pas tronquer à contre-sens la période, ni interrompre
mal à propos la force et la chaleur de l'action.
J'ai cru en outre que mes plus grands efforts devaient se réduire à recher-
cher une belle simplicité, et j'ai évité de faire parade de difficultés au pré-
judice de la clarté: je n'ai jugé estimable la découverte de quelque nouveauté
qu'autant qu'elle était naturellement suggérée par la situation ou utile à
l'expression; et il n'est pas de règle d'ordre que je n'aie cru devoir sacrifier de
bonne volonté en faveur de l'effet.
Voilà mes principes. Par bonheur, le livret se prêtait à merveille à mon
dessein ; le célèbre auteur imaginant un nouveau plan pour le drame, y avait
substitué aux descriptions fleuries, aux comparaisons superflues, et aux sen-
tencieuses et froides moralités, le langage du cœur, les passions fortes, les
situations intéressantes, et un spectacle toujours varié. Le succès a justifié
mes maximes, et l'approbation universelle d'une ville aussi éclairée a fait
voir clairement que la simplicité, la vérité et le naturel sont les grands prin-
cipes du beau dans toutes les productions de l'art. Toutefois, malgré les ins-
tances répétées des personnes les plus respectables pour me déterminer à
publier mon opéra par l'impression, j'ai senti tout le risque que l'on court à
combattre des préjugés aussi généralement et aussi profondément enracinés,
et je me suis vu dans la nécessité de m'assurer du patronage très puissant de
"Votre Altesse Rovale, implorant la grâce de graver en tête de mon œuvre son
auguste nom, qui avec tant de raison réunit les suffrages de l'Europe éclairée;
le grand Protecteur des beaux-arts, régnant sur une nation qui a la gloire de
les avoir relevés de l'oppression universelle, et de produire dans chacun les
plus grands modèles ; dans une cité qui a toujours été la première à secouer
le joug des préjugés vulgaires pour s'ouvrir une voie vers la perfection.
Lui seul peut entreprendre la réforme de ce noble spectacle auquel tous les
beaux-arts ont tant de part. Si l'on réussit, il me restera la gloire d'avoir posé
la première pierre, et ce témoignage public de la haute protection à la faveur
de laquelle j'ai l'honneur de me déclarer avec le plus humble respect,
DE V. A. R.
Le Très-humble. Très-dévoué, Très-obligé Serviteur
Christophe Gluck.
Cette préface est un manifeste d'art complet. Il touche à tout :
au passé qu'il faut abolir, aux réformes nécessaires du temps
présent, à l'œuvre de l'avenir, à celle de toujours.
Ce qu'il faut détruire, c'est l'opéra italien. Il est visé presque
à chaque ligne. Le premier paragraphe est une attaque à fond
contre lui. La vanité des chanteurs, les vains ornements qui
arrêtent l'action, les ritournelles qui refroidissent le dialogue,
les vocalises, les formes arbitrairement périodiques, ce qui est
contraire au naturel et au bon sens, ce qu'a de vicieux un art
d'essence aristocratique et qui n'a jamais voulu se retremper
aux sources pures de la vérité et de la vie, tout cela est àprement
dénoncé dans cet exorde. Plus loin encore : les disparates entre
le récitatif et l'air, la vaine parade des difficultés, et (ce qui
est à la base) les vices du drame : froides et sentencieuses
moralités, descriptions fleuries, comparaisons superflues. Enfin,
pour conclure, cette parole révolutionnaire : « Il n'est pas de
règle que je n'aie cru devoir sacrifier de bon cœur... »
Mais lorsqu'on veut faire une révolution, ce n'est pas tout de
détruire : il faut fonder. A cela, Gluck s'emploie avec une égale
ardeur. Voici donc ce qu'il veut : un drame qui représente des
passions fortes et parle le langage du cœur ; un ton général de
simplicité et de sincérité ; une allure de discours naturelle et
libre. Comme mode nouveau d'expression, par une réaction
naturelle contre l'abus du chant, l'orchestre est mis en valeur :
Gluck a « imaginé » d'en faire une voix expressive, destinée à
devenir plus puissante que celles des plus brillants virtuoses.
Et par-dessus tout est affirmée l'union intime de la musique
et de la poésie, — mieux encore, la subordination de la musique.
Il a été fait parfois à la préface d' Alceste des objections de
détail : celles-ci, nous allons le voir, ne reposent habituellement
que sur des malentendus. Tel est le cas pour celles que Berlioz,
en son souci de ne pas paraître aveuglé par l'admiration, formula
dans sa belle étude sur Alceste, reproduite en dernier lieu dans
son volume A travers chants.
Il conteste, avec la préoccupation nullement dissimulée de
répondre à des critiques dont il avait lui-même été l'objet, que
l'ouverture doive indiquer le sujet de la pièce. C'est fort bien dit.
Mais Gluck n'a jamais écrit cela. C'est dans la traduction fran-
çaise la plus répandue (1) que Berlioz a lu la phrase incriminée :
mais la pensée de Gluck y est reproduite inexactement : celui-ci
a simplement écrit que la symphonie doit «: former pour ainsi
dire l'argument » de l'action représentée (2). L'argument, dans
les usages du XVIIIe siècle, était un résumé de la pièce, imprimé
en tête du libretto ou de la partition (3), véritable programme
qui peut être comparé à ceux de nos symphonies modernes ; il
avait en effet pour but de « prévenir les spectateurs de l'action
à représenter ». L'assimilation de la préface instrumentale qu'est
une ouverture d'opéra à cette préface littéraire était donc par-
faitement justifiée, et Gluck avait tous les droits à en faire ressortir
la nouveauté, car les ouvertures antérieures n'étaient, nous le
savons, que des compositions parfaitement étrangères aux opéras
qu'elles commençaient. Lors donc que Berlioz écrit sur l'ouver-
ture de Léonore qu'elle est « en quelque sorte l'opéra en
raccourci », et que Wagner, renchérissant, ajoute qu'elle « nous
présente le drame par avance », qu'elle est « le drame lui-même
à sa plus haute puissance », ils ne font, eux, les deux puissants
maîtres de l'orchestre expressif et représentatif, que reproduire
en d'autres termes la pensée de Gluck, en laquelle est en effet
contenu le germe de tout l'art symphonique du XIXe siècle.
(A suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THEATRALE
Nouveautés : Dix minutes d'auto .' pièce en 3 actes, de MM. Georges Berr et
Pierre Decourcelle. — Déjazet : L'Enfant de ma sœur, pièce en 3 actes, de
MM. Mouézy-Eon et Francheville.
En dix minutes d'auto on va, aujourd'hui, relativement assez loin:
certaines personnes même peuvent aller fort loin, témoin la gente Jac-
queline, qui trouve le moyen, en ce laps de temps relativement court,
de pousser jusqu'à l'adultère. N'imaginez pas surtout que notre dame
soit volage ; non, c'est la petite femme la plus honnête du monde : si
elle a ridiculisé son pharmacien de mari, c'est par simple erreur. A
la sortie du bal des Quat'-z-Arts, elle est montée en taxi-auto avec un
monsieur costumé, tout comme son maître légitime, en doge de Venise.
Le dit doge s'étant moutré très entreprenant, elle a cru devoir céder en
épouse soumise, et ne s'est aperçue de sa fatale méprise qu'en arrivant
à sa porte! Le pharmacien a connu l'incident et s'en vengera post-mor-
tem.
Ayant un jour été giflé dans la rue par le commandant Laloucagne,
parce que, parait-il, il regardait trop la dame qui l'accompagnait, il
jure, s'il vient à mourir, de faire, de ce féroce jaloux, le seigneur de
Jacqueline, fautive malgré elle. Il établit donc un précis testament par
lequel il lègue toute sa fortune, un million bien sonnant, à Laloucagne,
avec charge pour lui d'épouser sa veuve; il fait du commandant le
familier de son intérieur, et, en homme qui sait ce qu'il veut, il tré-
passe.
Laloucagne n'est que peu surpris de pareille aubaine, car il est de
ce Midi où l'on s'étonne assez difficilement; déplus, le million est bon à
prendre et Jacqueline aussi, puisqu'elle est exquise. Et voilà que les
(1) Celle des Mémoires pour la révolution, etc. Voir note ci-dessus.
(2) Ho imaginato che la Sinfonia debba prévenir gli spettatori delVazione elle a da
rappresentarsi, e formarne per die eosi Vargomento.
;3) Les trois partitions italiennes de Gluck, Orfeo ed Euridice, Alceste et Paride ed
Elena, qui sont, nous le savons, les premières partitions d'opéras italiens qui aient
été gravées, sont toutes trois précédées d'un Argomento.
LE MENESTJŒL
.'571
indiscrétions lui apprennent, le jour même de son mariage, pourquoi le
sort l'a si bellement favorisé. Si Jacqueline a commis une faute, il est
plus que probable qu'elle persévère dans le mal. Vite en chasse pour
trouver le larron d'homme. Après s'être égaré sur plusieurs pistes fan-
taisistes, Laloucagne finit par découvrir que le second doge de Venise
n'était autre que lui-même. Tout est bien qui finit bien.
Dir minutes d'auto ! est un vaudeville fort adroitement construit, qui
ne manque ni d'originalité, ni de mouvement, et, pourtant, toute la
gaieté que l'on en attend ne s'en impose pas assez spontanément. Les
trois actes sont fort bien joués par M"'' Blanche Toutain, qui a beau-
coup de talent, par M11'- Sandry, qui a de la vivacité, par M. Decori, qui
a de l'entrain tapageur, par M. Germain, qui a de la fantaisie, et
aussi par Mme Rosine Maurel, MM. Baron fils, Landrin et Paul Ardot.
qui ont du métier.
A Déjazet, c'est d'une très grosse farce qu'il s'agit, tout à fait incohé-
rente, mais traitée avec une telle force comique que l'effet en est irré-
sistible. C'est au second acte surtout que MM. Mouézy-Eon et Frau-
cheville ont fait preuve d'abracadabrante invention en nous faisant
assister à un examen de droit passé devant un impayable jury par un
garçon de café remplaçant le candidat. Cela n'a ni queue, ni tête, c'est
déraisonnable follement, et c'est tout à fait amusant, si amusant que
l'on ne garde qu'un assez vague souvenir du premier et du troisième
acte, d'ailleurs plus calmes.
M. Armand Morins, très en dehors, tout à fait bon enfant et jovial,
M. Max André, une copie pas maladroite de M. Max Dearly, Mme Paule
Rolle, discrète et sure d'elle-même. M"es Mala et Oviès, juvénilement
gaies, Mllc de Massol, gentille, MM. Wildor et Wagman sont à la tète
d'un bon ensemble qui semble devoir assurera l'Enfant de ma sœur une
carrière des plus honorables. Paix-Emile Chevalier.
DEUX LETTRES INCONNUES DE RAMEAU
On n'en est plus aujourd'hui à discuter les théories de Rameau sur
l'harmonie, et l'on sait de façon certaine à quoi s'en tenir à leur sujet
et ce qu'il en faut penser. Le temps est passé des grandes disputes, des
polémiques ardentes qui s'élevèrent autour d'elles et qui n'auraient plus
maintenant de raison d'être, et nous ne percevons plus que par le sou-
venir l'écho lointain des batailles dont elles furent l'objet. Mais Dieu sait
à combien de discussions, de gloses, d'éloges et de critiques donnèrent
lieu les idées du vieux maître lorsqu'il les produisit. Que l'on parcoure
les recueils et les écrits du temps, le Journal des savants, le Mercure de
France, les Mémoires de Trévoux, certains pamphlets, et l'on se fera une
idée de la passion avec laquelle on discutait alors sur un sujet si ardu.
Et ce n'est pas seulement chez nous, mais aussi à l'étranger, que des
musiciens, des savants et jusqu'à de simples lettrés (ceux-ci d'ailleurs
n'y comprenant rien et battant les buissons) se lancèrent dans la bataille
et prirent part à la mêlée. Combien ds noms trouve-t-on qui prirent
part à ces débats ! Pour la France. Montéclair, le P. Castel, D'Alem-
ïert, Grimm, Diderot, Jean-Jacques Rousseau ; pour l'Allemagne,
Sorge, Euler, Marpurg, Mattheson; pour l'Italie, le P. Martini, d'autres
encore.
C'est le P. Martini qui, dans le premier volume, paru en 1757, de son
grand ouvrage resté inachevé, Sloria delta musica, analysant le système
de Rameau, qualifiait son auteur de célèbre scrittore di musica teorica e
pratica de' nostri giorni. C'est là sans doute ce qui fit naitre entre eux
des relations dont nous avons la preuve par deux lettres que Rameau
adressait au savant maitre italien, lettres que je crois inconnues en
France et que je trouve dans les Memorie sloriche de/ P. M. Giambatlista
Martini, publiés un an après sa mort, à Naples, en 1785. par- le P. Délia
Valle. Ces lettres, assez indifférentes par elles-mêmes, n'acquièrent
guère d'intérêt que par les noms de leur auteur et de leur destinataire ;
mais cet intérêt pourtant est réel, comme tout ce qui se rattache à
Rameau, et c'est ce qui m'engage à les tirer du livre où elles sont res-
tées enfouies depuis plus d'un siècle. Elles nous prouvent d'ailleurs
qu'en Italie aussi l'on s'occupait des théories et du système du maitre
français.
Rameau avait lancé, en 1759, le Prospectus du « Code de musique»
qu'il allait faire paraître l'année suivante, avec les caractères de l'Im-
primerie royale. Il devait souhaiter à ce Code de musique (1), ouvrage
(1) Voici le titre exact et un peu compliqué de cet ouvrage : Code de musique pra-
tique, ou Méthode pour apprendre la musique même à des aveugles, pour formel' la
voix et l'oreille, pour la position de la main avec une mécanique des doigts sur le
clavecin et l'orgue, pour l'accompagnement sur tous les instruments qui en sont
susceptibles, et pour le prélude ; avec de nouvelles réflexions sur le principe sonore.
fort important, une grandi' publicité, et c'est assurément a son sujetqu'il
s'adressait au P. Martini. Celui-ci n'était pas seulement le plus savant
contrepointiste de l'Italie ; il avait fait aussi de profondes études de
mathématiques, et ceci devait le rendre, aux yeux de Rameau, plus apte
que qui ce f ùt à se rendre compte de sfs recherches et de ses théories.
Ou verra facilement que les deux lettres ici reproduites ne sont point
les premières que Rameau lui ait adressées, et il est bien probable que
ce ne fuient point non plus les dernières. La correspondance de ces deux
illustres artistes dut être même assez abondante, et il est regrettable
que nous ne puissions avoir connaissance des réponses que Martini put
faire à Rameau. Quoi qu'il en soit, voici les deux lettres de celui-ci:
A Paris, ce 6 juillet 1759.
Mon très Révérend Père,
En témoignant à Monsieur Beccari la profonde reconnaissance que m'ont
inspirée les sentimcns d'estime dont votre illustre Société veut bien m'hono-
rer, je lui ai donné en même tems à connoitre combien j'étois ravi d'appren-
dre que vous fussiez chargé du ^oin d'examiner mon ouvrage. C'est à ceux qui
ne veulent qu'en imposer, de craindre les censeurs éclairés: pour moy, qui ne
cherche que la vérité, mon Révérend Père, si j'ai lieu de me plaindre, ce
n'est que sur le petit nombre de juges que nous offrent, en fait de connois-
sances musicales, même les plus savantes Académies. Les traitez et les sys-
tèmes sur l'harmonie n'ont été multipliez sans fruit et sans succès que parce
qu'on n'avoit point encore envisagé le phénomène du corps sonore. C'est de
ce phénomène même que j'ai vu sortir les réflexions que j'ai l'honneur de
soumettre au jugement de l'Institut : je l'attens, ce jugement, avec la plus
grande impatience ; quel qu'il puisse être, il me sera infiniment précieux. Si
je ne mérite point votre approbation, vous me rendrez du moins le service
inestimable de me faire connoitre mes erreurs.
Je suis avec l'estime la plus profonde et la considération la plus respec-
tueuse, mon très Révérend Père,
Votre très humble et très obéissant serviteur,
Rameau.
Rameau, on peut le remarquer, n'avait pas coutume de se faire si
humble et de se montrer si modeste, surtout envers un homme dont il
était l'ainé de vingt-trois ans, lui-même en ayant alors soixante-seize.
C'est que, d'une part, le caractère sacerdotal de son correspondant lui
inspirait le respect, et que, d'autre part et au point de vue de l'art, il
savait à qui il s'adressait et que le P. Martini, dont la renommée était
européenne, était un juge vraiment digne de lui et tel iru'il le pouvait
souhaiter. La « Société » dont il parle dans cette première lettre et
dont il sollicite le jugement est-elle l'Académie de l'Institut de Bologne,
ou celle des Philharmoniques de cette ville, toutes deux également
célèbres et qui l'une et l'autre comptaient le P. Martini au nombre de
leurs membres les plus influents ? C'est ce que je ne saurais dire. Mais
on voit quel prix Rameau attachait à leur appréciation et combien il la
désirait.
Il la désirait à tel point qu'après avoir envoyé au P. Martini un pre-
mier manuscrit de l'ouvrage qu'il lui soumettait, on verra, par sa
seconde lettre, écrite cinq mois après la précédente, qu'il lui en faisait
parvenir un second, dans lequel il avait opéré des suppressions pour
ne pas se rencontrer inutilement avec lui et son Histoire de la musique
(dont le second volume, d'ailleurs, ne devait paraitre que vingt ans
plus tard et longtemps après la mort de Rameau i.
Voici cette seconde lettre :
A Paris, ce 2 décembre 1759.
Mon Rév. Père,
Je viens d'apprendre dans le moment que vous travaillez à un ouvrage dont
la troisième partie tientde prèsàmes nouvelles réflexions, et j'ensuis d'autant
plus charmé que nous pourrons rendre à l'art tout le lustre qu'il a perdu
depuis longtems : aussi dois-je vous envoyer, pour la première partie, la
démonstration fondée, tant par le principe que sur notre propre expérience,
d'un fait très essentiel auquel personne ne paroit avoir encore pensé, et dont
même tous les écrits sur la musique s'éloignent extrêmement: peut-être
m'aurez-vous prévenu dans mes réflexions, mon Révérend Père, peut-être
aussi la chose vous aura-t-elle échappé. J'aurai l'honneur de vous envoyer en
même tems un nouveau manuscrit de mon ouvrage, dont je retrancherai
presque toute la préface et ce qui concerne l'antiquité, d'autant que ce doit
être le sujet de votre Histoire sur la musique. Si vous me faites l'honneur de
me répoudre par la voie de Monsieur Mangol à Parme, j'ose vous prier de me
mander quelque chose de Monsieur l'abbé Arnaud.
Je suis avec la plus respectueuse considération, mon Révérend Père,
Votre très humble et très obéissant serviteur.
Rameau (1).
(1) L'abbé Arnaud, qui, on le sait, s'occupait beaucoup de musique, et qui, plus
tard, lors de la guerre des gluckistes et des piccinnistes, se montra l'un des plus
furieux défenseurs de Gluck, était aussi en correspondance avec le P. Martini. Il se
trouvait sans doute en Italie à ce moment, puisque Rameau en demande des nou-
velles à ce dernier. Quant à Mangot, qui était alors à Parme, et à qui Raiceau prie
le P. Martini oe remettre la réponse à sa lettre, c'est sans doute son beau-frère, car
on sait que Rameau avait épousé une demoiselle Mangot.
372
i.K MENKSÏREL
H est regrettable que nous n'ayons point d'autres vestiges de la cor-
respondance échangée entre Rameau et le P. Marlini, surtout que nous
ne puissions connaître les réponses que l'illustre savant italien fit au
grand compositeur français. Cette correspondance n'eût pas été sans
utilité pour l'histoire des idées de ce dernier. Malheureusement, le
P. Délia Valle. en publiant ce qu'il appelle assez improprement les
Mémoires du P. Martini et en y insérant les deux lettres de Rameau,
sans d'ailleurs les accompagner d'aucunes notes, n'a pas eu sans doute
la possibilité de faire connaître ces réponses, dont il n'aura pas trouvé
les minutes dans les papiers consultés par lui. En tout état de cause, il
m'a paru qu'il n'était pas sans intérêt de mettre en lumière les deux
lettres de l'auteur de Castor et Pollu.r, restées enfouies depuis cent
vingt-cinq ans dans le petit volume, extrêmement rare aujourd'hui, où
elles avaient été publiées.
Arthur Pougin.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts-Colonne. — M. Lucien Capet est un violoniste de race, dont la carac-
téristique semble être surtout la simplicité. Il a rendu avec une pureté d'ex-
pression, une vérité d'accent rares l'émouvant Poème pour violon et orchestre
d'Ernest Chausson. C'est une page vraiment belle et impressionnante, chaude
et lumineuse, que l'on doit s'étonner de no pas voir plus souvent figurer dans
les programmes de. concerts et que M. Colonne a eu bien raison de produire.
— Les Nocturnes de M.Dehussy, déjà entendus ailleurs, ont reçu d'une partie
de l'auditoire un accueil sympathique. Xuages, Fêles, Sirènes, sont des pièces
curieuses, chatoyantes, à l'instrumentation coloréc.d'un impressionnisme infi-
niment séduisant, défiant toute analyse, que l'on ne peut se défendre d'aimer,
encore qu'on se demande pourquoi, visions de rêve, poussière de musique aux
thèmes menus, architecture indécise s'estompant dans la brume: voilà bien
ces vapeurs flottâmes dans un ciel mélancolique d'automne et revêtant des
formes fantastiques, ces bruits lointains de fête furaine, accusant par le
contraste la tristesse d'un cœur douloureux, ce balancement monotone de la
mer avec les jeux irisés des vagues clapotantes. L'auteur n'agii qu? sur nos nerfs
peut-être et nous excite, nous irrite même sans nous émouvoir; mais le résul-
tat est là, indéniable, il finit même par nous charmer. Le philtre qu'il nous
verse est magique : c'est sans doute un poison, mais combien son goût est'
exquis!... M. Colonne a rendu ces pièces, d'une difficulté d'exécution rare,
avec une sûreté, une couleur, un entrain irrésistibles, et une bonne part du
succès obtenu lui revient de droit. — Le reste du programme comprenait l'ou-
verture de Sigurd de Reyer, la Symphonie Héroïque de Beethoven, les Murmura
de la Forêt de Wagner et la Danse de Salomé de Richard Strauss. L'orchestre v
fut superbe et d'un ensemble parfait. J. Jejiain.
— Concerts-Lamoureux. — Une excellente interprétation de la Symphonie pas-
torale nous a permis une fois de plus de goûter ce chef-d'œuvre dans la pléni-
tude de son charme et de sa beauté poétique. Tout le génie de Beethoven est
là et jamais le langage de la nature, ses voix et ses bruits n'ont été rendus
avec un art aussi empreint de suave douceur, d'exquise sensibilité, de rêverie
tendre et d'exultante allégresse. Un moment délicieux, c'est le milieu de la
scène au bord du ruisseau, quand la musique exprime si bien la langueur qui
s'empare de tous les êtres pendant l'instant le plus chaud du jour. Les instru-
ments ont alors des dialogues si calmes et d'une si pénétrante intimité que le
tableau qu'a entrevu Beethoven se présente à l'imagination, idéal, enchanteur,
et tel que la nature nous en otl're parfois, quand nous avons l'âme assez heu-
reuse pour pouvoir les aimer, les apprécier et les comprendre. A 1 admirable
conception de Beethoven, nous ra1 tacherons une simple mélodie pour chant et
orchestre, Pkidylé, de Henri Duparc, d'après Leconte de Lisle. La musique en
est d'une grâce incomparable et d'une sincérité d'accent digne d'un maitre.
Lepassage : « Repose. 0 Phidylé ! » est noté avec un tel bonheur que l'on y sent
toute l'adoration passionnée de l'adolescent pour la jeune fille qu'il admire
sans vouloir l'éveiller. Dans cette scène délicieuse d'idylle, l'orchestration est
fine, discrètement colorée, chatoyante. La partie vocale a été chantée par
M"10 Jacques Isnardon. Cette cantatrice possède un organe au timbre éclatant,
dont elle abuse parfois pour lancer certaines succes?ions sonores comme des
sons do trompette. Dans Phidijlé, comme dans l'air à'Alcesle de Gluck, que
Mme Isnardon avait exécuté d'abord, les phrases bien dites n'ont pu faire
oublier tout à fait celte stridence inopportune. Le public a su gré de ses
efforts à l'artiste en la rappelant après chaque morceau. Deux premières
auditions sont à signaler à ce concert. Francesca du Rimini, poème sympho-
nique de Tschaikowsky, est une œuvre violente et tumultueuse, où s'affirme
un art polyphonique puissant malgré sa lourdeur, mais dans lequel manque
entièrement la note ingénue et tendre. L'œuvre serait plus sympathique
si le déchaînement des sonorités y tenait un peu moins de place et si l'in-
vention mélodique en était plus riche et plus vibrante, d'émotion. La Fan-
taisie pour piano et orchestre de M. Henri Lulz n'est pas sans mérite, mais
non plus sans monotonie et sans sécheresse. En écoulant les thèmes habile-
ment agencés de ce morceau, j'ai cherché en vain un endroit où le composi-
teur ait donné une preuved'expansion ou de sensibilité. Les traits confiés au
piano m'out paru manquer d'originalité à ce point que l'union de cet instru-
ment avec l'orchestre, comprise ainsi, n'a plus aucune raison d'être. Le pia-
niste., — c'était M. Georges de Lausnay, — a bien mis en reliefsa partie, mais il
lui était impossible d'y intéresser particulièrement l'auditoire. Les Variations
symphoniques de M. Vincent d'Indy intitulées Islnr ont trouvé une approba-
tion unanime. Elles sont d'une écriture superbe et la dernière partie en est
pleine d'élégance et d'élévation. La séance s'est terminée par YInrilalion à la
valse, orchestrée par M. Félix Weingartner. La réunion des deux thèmes
principaux qui sonnent ensemble et marchent parallèlement dans l'adaptation,
mais non pas dans l'original de Weber, est un des plus curieux exemples que
l'on puisse signaler d'une orchestration ingénieuse et humoristique.
Amkdée Boutabel.
— La Société des concerts du Conservatoire reprend cette semaine, après le
concert donné en hommage à la mémoire de l'excellent et regretté Georges
Marty, le cours régulier de ses admirables séances, sous la nouvelle direction
de M. André Messager. Il y a précisément aujourd'hui quatre-vingts ans
(c'était en 1828) qu'elle inaugurait son existence en donnant, dans la salle de
1.1 rue Bergère, son premier concert sous la conduite magistrale d'Habeneck,
alors chef d'orchestre de l'Opéra.
Voici les programmes des concerts de demain dimanche :
Conservatoire : Symphonie héroïque (Beethoven). — Deux chœurs sans accompa-
pagnenient (Costeley etjannequin). — Le Ttouet d'Omphale (Saint-Saëns). — Rébêcca
(César Franck), avec le concours de Mm" Auguez de Montalant etM. Dutlos. — Ouver-
ture des Maîtres Chanteurs (Richard Wagner).
Chàlelet (concert Colonne), dirigé par M. Gabriel Pierné : Quatrième Symphonie
(Beethoven). — Prélude à l'après-midi d'un Faune (Debussy). — Le Cltasseur maudit
(César Franck). — Anlar (Bimsky-KorsakofT). — Croquis d'Orient (Georges Hue) avec
le concours de Mmc Mellot-Joubert. — Don Juan, poème symphonique (Richard
Strauss).
Salle Gaveau (concert Lamoureux), sous la direction de M. Chevillard : Ouverture
de la Faute de l'Abbé Mou rct (Bruneau). — Symphonie en ré mineur (César Franck).
— ScèDe et air du 1er acte du Vaisseuit-Fantùim (Wagner), par M. Frœlich. — Les
Murmuies de la Forêt (Wagner). — Concerto en la, pour violon (Mozart), par
M. Bouchent. — Air de la Fête d'Alexandre (Ha-ndel), par M. Louis Frœlich. — La
Procession Nocturne et Valse de Mèphisto (Liszt).
— Les Matinées Musicales et Populaires (Fondation Daubé), subventionnées
de l'État, vont inaugurer au Théâtre de l'Ambigu leur neuvième année d'exis-
tence. M. Reynaldo Hahn, le sympathique compositeur et chef d'orchestre
bien connu, a accepté la présidence de la Société, dont M. .T. Jemain demeure
l'administrateur artistique et MM. Th. Soudant, De Bruyno. Migard et Bedetti
les membres actifs. La première des dix séances annoncées aura lieu le mer-
credi 2 Décembre, avec le concours de M. Messager, directeur de l'Opéra et
chef d'orchestre des Concerts du Conservatoire.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour les SEULS AIîOMNÊS a la musique)
On sait comme M. Périlhou, le délicat musicien, excelle à faire revivre du passé
des thèmes populaires un peu oubliés et à les adorner de faron discrète de variantes,
d'harmonies et même de contrepoints choisis avec le goût le plus sur. II obtient
ainsi de petites pièces achevées, dignes des maîtres exquis du clavecin frauçaip,
comme Rameau ou Couperin. Cette Bourrés et cette Musette que nous olTron-s aujour-
d'hui à nos abonnés n'en dépareront certainement pas la collection.
NOUVELLES DIVERSES
On s'intéresse en ce moment à Dresde et à Munich aux dispositions que
va prendre M. Richard Strauss en ce qui concerne la distribution des rôles
A'Elcktra. Mme Schumann-Heink parait dès à présent désignée pour celui de
Klytemnaestra; mais qui sera la première Elektra? Le compositeur a eu le
choix entre bien des cantatrices, mais, plus heureux que Paris qui ne put
faire don de sa pomme qu'à une seule déesse, il fera dès l'abord, si cela lui
plait, deux heureuses et même davantage, car son œuvre sera représentée à
Dresde le 23 janvier 1309, et à Munich presque aussitôt après. Pour Dresde,
on avait cru qu'il se déciderait en faveur de M"e Krull, car c'est elle qui aborda
la première le rôle de Salomé dans cette ville. Il n'en a pas été ainsi et la
cantatrice, qui attendait sa décision pour renouveler son engagement avec
l'Opéra-Royal ou se retirer selon le cas, a pris, dit-on, ce dernier parti. Pour
Munich, Mme Burk-Berger et Mlle Fassbender sont actuellement les titulaires
choisies, mais quelle sera la préférée pour le premier soir? M. Strauss parait incli-
ner pour M,le Fassbender. «J'ai prié Molli, aurait-il dit, de me donner Mllc Fass-'
bender comme première Elektra. Ce rolo renferme en vérité dans l'original
quelques passages très ardus, et se trouve écrit, la plupart du temps, dans un
registre exigeant de constants efforts pour lesquels l'organe brillant de
Mu,° Burk-Berger semble bien convenir; pourtant, je me déciderai sans doute
pour Mllc Fassbender, parce que j'estime que son individualité et son tempé-
rament correspondent particulièrement au caractère du personnage ». Pour
le mejne<tri;l
avoir cette excellente artiste, M. Strauss est même entré dans la voie îles
concessions et a autorisé M. Mottl à faire les légers changements que nécessi-
terait l'organe de la cantatrice. Parmi les passages les plus difficiles de la par-
tition, il y a, d'après ce que l'on assure, un monologue d'Eleklra d'une com-
plication extraordinaire. Le style adopté par le compositeur pour ce dernier
venu de ses ouvrages est d'ailleurs tout différent de celui do ses précédents
opéras ou drames lyriques, Détresse de feu ou Salomé, par exemple. On compte
beaucoup sur la scène finale à'Elektra, qui sera, dit-on, des plus grandioses.
C'est une scène de danse et de pantomime. Un orchestre aux enlacements
formidables, « aux cent bras » (hundertarmiges), accompagnera, entraînera
plutôt la danseuse, par le déchaînement do tous les instruments dans un tour-
billon rythmique dionysiaque. Avec M. Strauss la simplicité n'est pas de mise;
il faut toujours que l'œuvre à venir étonne et stupéfie, et, comme cela no
peut se produire ni par la supériorité de l'idée, ni par une plus grande
richesse d'invention mélodique, chez un maitre dont le talent reste circonscrit,
il reste l'extension des moyens matériels. Là, il n'y a plus de limites, la fan-
taisie folle se déploie à l'aise. On peut s'attendre à rencontrer dans Eleklra un
coloris orchestral pour ainsi dire aveuglant, des sonorités d'une extrême
acuité et une polyphonie éblouissante.
— La bibliothèque de l'Association des artistes musiciens de Berlin, qui a
été ouverte au public le 2 novembre dernier, pour favoriser la divulgation de
la musique dans les classes pauvres, vient de s'enrichir de la collection
d'œuvres musicales de M. Karl Klindworth. Cette collection comprend princi-
palement des partitions d'orchestre, des partitions piano et chant, un nombre
considérable de morceaux classiques et modernes, une série particulièrement
intéressante d'ouvrages de Berlioz et de Liszt, et toutes les éditions d'œuvres
célèbres revues par Biilow, par Klindworth lui-même et par d'autres profes-
seurs éminents. Il y a aussi beaucoup de livres relatifs à la musique, en fran-
çais, en allemand et en auglais. Cette bibliothèque, établie dans le but de
prêter les ouvrages, a organisé un service journalier fonctionnant même le
dimanche, à l'exception des jours de grandes fêtes. Chacun peut emprunter ce
qui lui convient et le garder chez soi un temps déterminé.
— Les journaux étrangers annoncent que MUo Géraldine Farrar, la jeune
cantatrice que sa beauté a rendue aussi célèbre que son talent, s'est fiancée au
baryton Antonio Scntti, son camarade. Tous deux sont partis pour New-York,
où ils chanteront au Métropolitain.
— On fait grand bruit à Vienne d'un nouveau ténor, nommé Tamini, dont
la voix superbe égale, parait-il, celle de Tamagno, et qui était, il y a quelques
années, directeur d'une banque à Munich. Le début dans Carmen de ce nou-
veau chanteur a produit sur le public une impression indescriptible, à ce
point qu'au sortir du théâtre la foule l'attendait et l'a accompagné jusqu'à son
hôtel au milieu des cris et des applaudissements.
— Correspondance de Leipzig:
Cher Monsieur et Confrère,
Je trouve dans votre estimé journal du 14 courant, page 367, un petit article me
concernant mais qui n'est plus conforme à l'actualité. Permettez- moi unepet:te recti-
fication- Il s'agit de la fondation d'un musée instrumental pour la ville de Leipzig.
D'après votre notice, mon musée historique devrait servir de pierre fondamentale. Or
ce dernier n'existe plus, l'ayant cédé il y a à peu près quatre ans a un riche commer-
çant de Cologne, vrai mécène et rare admirateur de musique. 11 vient de construire
comme musée un somptueux bâ iment attenant à sa villa dans la Woirihgerstrasse,
près du jardin zoologique de Cologne. Dernièrement, il s'est également mis en pos-
session de la col'ection Krauss de Florence, et ces deux collections réunies forment
un eosemble unique au monde. Ce musée deviendra un jour la propriété du Conser-
vatoire de Cologoe, suivant la volonté testamentaire du possesseur actuel.
Notre bonne vil e de Leipzig, et je me plais à ajouter le< musiciens et professeurs
eux aussi, ne se sont occupés d'aucune façon de mon musée lant qu'il était à leur
disposition, et il n'est que tout juste que l'idée venant par trop tard ne se réalise
pas aussi facilement comme bien on le pense.
Vous remerciant bien sincèrement pour l'honneur que vous me faites dans les
quelques lignes de votre article, je vous prie d'agréer, Monsieur, l'assurance de mes
sentiments très respectueux. P.vul de 'YVit.
— C'est lundi prochain que doit commencer la vente delà collection Zeune-
Spitla, dont nous avons parlé la semaine dernière. Un joli fragment d'auto-
graphe de Haydn est cité dans le catalogue; l'original a été adressé au docteur
Krûger, à Bergen, ci Si je me rends compte, écrivait Haydn, que mon nom est
non seulement connu chez vous, mais que mes ouvrages y sont accueillis avec
plaisir et provoquent les applaudissements, je dois me dire que le vœu que
mon cœur forme le plus chaleureusement est accompli dans toute sa pléni-
tude. Ce vœu est que. dans lotis les pays où mes travaux ont pu se répandre,
je ne sois point considéré comme un ministre trop indigne de l'art sacré que
je cultive ». Dans une autre lettre, adressée à un de ses éditeurs, peut-être
Artaria. Haydn énumère les œuvres qu'il a en portefeuille à l'époque, c'est-à-
dire vraisemblablement vers 1779. Ce sont : une messe solennelle, un Slabut,
un oratorio, il Rilorno di Tobia, une canlate, l'Isola disabitata, trois symphonies
nouvelles et six nouveaux quatuors. A coté des souvenirs du patriarche de la
symphonie, ceux du patriarche deFcrney ne feront pas mauvaise figure. On
vendra une carte à jouer sur laquelle est dessiné le profil de Voltaire dans une
attitude un peu monacale. Un pique est placé à peu près à l'endroit du cœur
et un autre, effacé en partie, sert de coiffure au philosophe. On pourra se
procurer en même temps quelques mots tracés en latin de la main de l'au-
teur de Candide, et renfermant une louange assez plate à l'adresse du roi de
Prusse qui fut son ami, les voici : « Yir supra titulos ! Omîtes Iwmines edoces,
ruiii patriaè mores amendas dignus es Federico Mugno... » L'art classique Aà Vol-
taire fait penser naturellement aux comédiens, lieux billets de la tragédienne
Rachel font partie de la collection Zeune-Spiita; l'un d'eux renferme cette
plainte mélancolique : « ...cela est peu poétique, s'occuper d'emballer des
casseroles le matin, quand le soir on doit représenter une superbe Agrippine ^
D'IllUmd, le célèbre acteur et poète, nous pouvons signaler une pièce très
intéressante pour l'histoire du théâtre; c'est un écrit de neuf pages qui fut
envoyé à la comédienne Hethmann, qui avait voulu jouer le rôle de Ji i
d'Arc dans la tragédie de Schiller, et qui menaçait de rompu
à la suite du refus qu'Illland avait opposé à ce désir. Il s'efforce de la calmer
en lui expliquant avec compétence les motifs de sa décision, I no autre jolie
pièce à posséder serait une lettre de l'acteur Kemble à Misslress Siddons, l'ac-
trice à laquelle Gainsborough, Lawrence et d'autres grands peintres nul rendu
témoignage pour sa grâce et sa beauté. Terminons par quelques li^
rossantes auxquelles la signature donnera sans doute certaine valeur ; Mon
cher pelit ami ! Tous les clous du monde (et j'en ai quatre sur la même
main) ne m'empêcheront pas de vous embrasser. Merci pour mon cher Roméo.
Cn. Gouxod. » Saint-Cloud, 1S6G.
— L'Association Mozart de Dresde vient d'envoyer à ses membres son sep-
tième bulletin annuel. Il renferme la relation des faits importants qui oui eu
lieu, pendant les douze derniers mois, pour honorer la mémoire de Mozart.
— Un jeune pianiste de onze ans, M. Georges Szell, élève de M. Richard
Robert, de Vienne, vient de se faire entendre dans la salle de l'Opéra de
Dresde devant un cercle de connaisseurs et a obtenu beaucoup do succès.
C'est M. Ernest von Schuch, l'éminent chef d'orchestre, qui l'a présenté à son
auditoire.
— La quatrième session de la nouvelle Bach-Gesellschaft vient de se tenir
à Chemnitz. Il a élé décidé que l'on célébrerait la cinquième fête de Bach en
1910, à Duisbourg. La société compte actuellement 731 membres. Le musée
Bach, établi à Eisenach, dans la maison natale du mailre, a été visité par
3.71S personnes ; les dons pour l'achat d'autographes de Bach sont toujours
nécessaires et seront bien accueillis. Joseph Joachim, qui faisait partie du
comité, a été remplacé par M. Henri Marteau. Deux autres membres ont élé
choisis ; ce sont MM. Alfred Heuss, de Leipzig, qui a écrit dos ouvrages de
circonstance pour les dernières fêtes de Bach, et Johannes Wciss, de Hei-
delberg. M. Georges Bornemann, d'Eisenach, a été nommé surintendant du
Musée. Pendant les séances qui ont été tenues à Chemnitz, on a parlé lon-
guement de la reconstitution des vieux instruments de l'époque de Bach,
aujourd'hui disparus. M. Richard Buchmayer, de Dresde, a fait une confé-
rence sur les instruments à clavier d'autrefois. La conclusion sur la question
des instruments a été que l'on ferait des essais dans un concert lors du pro-
chain festival et que l'on chercherait à s'orienter d'après l'opinion du public.
Line révision de la grande édition do l'œuvre de Bach a été décidée. Les
résultats en seront publiés et notés sur les planches gravées. Il a été convenu
que l'on élirait un comité dont les fonctions consisteront à tenir toujours prêt
le matériel nécessaire pour l'interprétation des œuvres religieuses de Bach
afin de pouvoir subvenir à tous les besoins et faciliter ainsi les auditions
dans un grand nombre d'églises. Une brochure renfermant des conseils et
des indications relatives aux œuvres de Bach va être publiée par les soins de
la Société.
— Un drame lyrique en quatre actes, Mai Brun, dont le scénario a été tiré
d'un roman provençal, a eu dimanche dernier, à Stuttgart, sa première repré-
sentation. L'auteur du texte et de la musique, M. Pierre Maurice, est origi-
naire de la Suisse française, il a passé par le Conservatoire de Paris et vit
maintenant à Munich. Son ouvrage, très bien défendu par M"1- Sutter, qui in-
terprétait le rôle de Misé Brun (Misé est une jolie abréviation de Mia Signora,
Madame), et dirigé avec beaucoup de chaleur et de vie par M. Max Schillings,
parait avoir pleinement réussi.
— De Sainl-Pétershourg : La représentation de Salotné, d'Oscar Wilde, que
le Saint-Synode a interdite au théâtre de la Cour, aura lieu au Théâtre
privé, mais à la condition que le titre de Salomé soit changé en celui de Fille
de Roi et que tous les noms bibliques soient remplacés par des noms païens.
La scène de la danse aura lieu devant un roi profane. Le préfet de police et
la censure ont assisté à la répétition générale qui a eu lieu hier.
— Autre dépèche de Saint-Pétersbourg, postérieure celle-ci et relative à
l'œuvre même de Richard Strauss :
Le Saint-Synode vientde renouveler l'interdiction dont avait élé frappé Salomé, de
M. Richard Strauss. Une démarche a été faite, en outre, auprès du Tsar, pour le
supplier de s'opposer, le cis échéant, à toute représentation partielle ou totale de
l'ouvrage, dans l'étendue de l'empire russe.
— On puilie le programme de la prochaine saison lyrique du Théâtre
Costanzi de Rome, placé aujourd'hui sous l'administration do la Société
théâtrale internationale et sous la direction artistique du maestro Orefice. La
saison s'ouvrira le 50 décembre avec la Valkyrie. Le répertoire comprendra
Aida, Madame Butler/h/, le Prince Zilah, do M. Frank Alfano (inédit). Attiré
Chénier, la Damnation de Faust, Pelléas el Mélisande, Bltea ('?), il Troralorc et
Gioconda. Le tableau de la troupe comprend les noms suivants : soprani et
mezzo soprani, M"ies Krusceniski. Burzio, Giachetti, Pucci, Ferrani, Tarquini,
Boccarusso, Claessons, Costanlini, Caresoli. Viskoska, Cesaretti : ténors,
MM. Garron, Vaccari, Scampini, Dardani, Farina. Calleia : barytons. MM. Tilta
Ruffo, De Luca, Viglione, Borghése. Giraldoni ; basses, MM. Walter. Berardi.
Chef d'orchestre, M. Polacco.
374
LE MÉNËSTKEL
— On a exécuté en ces temps derniers à Naples, dans l'église Saint-Jacques-
des-Espagnols, une messe inédite du compositeur Giambattista Pinna. Cette
œuvre importante a été fort bien accueillie et a produit une profonde im-
pression.
/' — Le théâtre du Corso de Bologne a représenté un opéra du maestro Cas-
tracane, T Anima del denaro. Cet ouvrage avait été donné précédemment à
Modène sous le titre de Welve. Mais l'auteur, en lui donnant ce nouveau titre,
l'a remanié complètement. Il n'a pas obtenubeaucoup plus de succès dans ces
nouvelles conditions, et le public l'a reçu avec froideur.
— Le pauvre compositeur Romualdo Marenco, mort dans la misère il y a
quelques mois, avait laissé, comme nous l'avons dit alors, la partition d'uu
opéra qu'il n'avait jamais pu faire représenter jusqu'alors. Quelques personnes
s'intéressèrent à cet ouvrage, dont il avait écrit aussi le livret, et s'occupèrent
de le présenter au public. En effet, il vient de faire son apparition au théâtre
de Novi, le 7 novembre, sous le titre de Federico Struensée, car il rappelle la
vie et la mort tragique de ce personnage historique. L'accueil des spectateurs
parait avoir été simplement courtois, en raison des circonstances. « La mu-
sique, dit un journal, se ressent en général de l'époque où elle a été écrite,
c'est-à-dire il y a trente ans environ. » Les interprètes étaient Mnle Rossi-
Murini. Mlle Dolores Frau et MM. Da Gradi, Caronna, Spoto et Zawrowski.
— On a représenté à Pise un opéra nouveau intitulé Malia. dont la musique
a été écrite par un tout jeune compositeur à son début, M. A. Manini, de
Livourne, sur un livret de valeur modeste dû à M. A. Pisani. Aidée d'une
bonne exécution, cette musique paraît avoir plu beaucoup.
— La musique adoucit les mœurs. Une petite ville de Toscane, Campi-Bisenzio.
vient d'en donner une preuve convaincante. On venait de donner au théâtre de
cette ville une représentation de Rigoletlo. Au sortir du spectacle, quelques
amateurs se mirent à discuter sur les mérites du baryton Rizzi, et des compa-
raisons s'établirent entre celui-ci et un autre baryton, Yigiani, qui récemment
avait chanté Ernani. La discussion s'échauffa, les contradictions apparurent,
peu à peu les gros mots se mirent de la partie, si bien que finalement la parole
fut aux revolvers. Bref, au cours de la rixe, trois de ces dilettantes furent
blessés assez grièvement.
— Une des cantatrices italiennes les plus justement renommées, M"" An-
gelica Pandolfini, dont les succès sont éclatants, depuis plusieurs années, dans
son pays et à l'étranger, doit épouser, au mois de janvier prochain, un ingénieur
milanais, M. Cuttica, et par suite abandonner sa brillante carrière et renoncer
au théâtre. C'est une perte pour la scène lyrique italienne.
— Nouvelles des théâtres de Madrid. Aux Novedades, on a donné une
zarzuela dramatique en un acte, la Cruz del Canchal, paroles de MM. Farfan
de los Godos et Peralta, musique de MM.Candela et Vêla. Au Grand Théâtre,
vif succès pour un drame lyrique intitulé el Corlijo, paroles de MM. Soler et
Custadio, musique de M. Cassado ; les auteurs ont été appelés sur la scène:
moins heureuse a été une zarzuela donnée sous le titre de la Golfa del Manza-
nares, dont la musique a été écrite par M. de Calleja et Lleo sur un livret dont
on ne nomme pas l'auteur. — Enfin, au théâtre Eslava, premières représen-
tations de la Republica del amor, opérette, paroles de MM. Paso et Martinez
Sierra, musique de M. Lleo, et de la Balsa de accile, paroles de M. Sinesio
Delgado, musique de M. Lleo, déjà nommé. « C'est, dit un journal, une déli-
cieuse saynète, avec des situations comiques et de bon goût qui font le plus
grand plaisir au public, et les trois numéros de musique composés par le
maestro Lleo ont été goûtés et ne tarderont pas à devenir populaires. »
— Nous avons annoncé que M. Edward Elgar a résigné, pour cause de
santé, ses fonctions de membre titulaire de la chaire de musique Richard
Peyton, à l'université de Birmingham. Cette chaire lui avait été confiée en
1905. La nomination de son successeur, M. Granville Bantoek est actuelle-
ment un fait accompli et a obtenu l'approbation générale. M. Granville Ban-
toek est âgé de quarante ans. Ses compositions pour orchestre : ouvertures,
poèmes symphoniques, le Christ, symphonie pour un festival, et plusieurs
ouvrages scéniques ont établi sa réputation.
— Mme Adelina Patti a chanté, le 4 novembre dernier, à Londres, dans un
concert au bénéfice des enfants pauvres. Elle a ainsi aidé à réaliser la
somme de 23.000 francs, recette nette du concert.
— Les œuvres de compositeurs français occupent une place très importante
sur les programmes des artistes qui donnent des récitals d'orgue en Angle-
terre et à Londres particulièrement. Pendant la dernière quinzaine on a fait
entendre : Angélus, de Massenet; Hymne nuptial, Chant pastoral, Bénédiction
nuptiale, de Théodore Dubois; Pastorale et Final de la deuxième symphonie,
Andante, Cantabile et Scherzo de la quatrième symphonie, de M. Ch. Widor;
Hymne séraphique, Fugue eu ré, Morceau de concert, Quatrième sonate, Toc-
cata, deGuilmant; Grand chœur dialogué, de Gigout; Andante en sol, de
Batiste, etc., etc.
— On a pu lire dernièrement dans le Daily News la nouvelle à peine croyable
que Mme Emma Albani, la cantatrice qui s'est acquis une célébrité comme
interprète des grands oratorios exécutés aux festivals que donnent périodique-
ment certaines villes d'Angleterre, aurait consenti, moyennant une rétribution
de douze mille francs par semaine, à chanter dans des petits théâtres ou cafés-
concerts du royaume britannique. La cantatrice aurait déclaré dans une inter-
view que l'idée de chanter devant un public nouveau pour elle-même, quand
il est permis aux spectateurs de fumer et de boire, ne lui est pas antipathique.
Mm0 Albani, de son vrai nom Marie-Louise-Cécile Lajeunesse, est née le 2 no-
vembre 1852, à Chainbly, près de Montréal ; elle a travaillé à Parisavec Duprez
et débuta au théâtre de Messine dans la Somnambule. Elle chanta ensuite à la
Pergola de Florence, et, à partir de 1872, à Londres, à Paris, à Saint-Péters-
bourg et en Amérique. On l'entendit à Berlin en 1887 dans la Trauiata, Lucia
di Lammermoor, le Vaisseau-Fantôme et Lohengrin. Son talent lui valut alors le
titre de chanteuse de la chambre royale. Elle épousa, en 1878, M. Ernest Gye,
qui dirigeait à cette époque le théâtre Covent Garden. Mme Albani joint à ses
qualités de cantatrice un joli talent de pianiste.
— Les organistes sont-ils destinés à disparaître ? C'est une question qu'agite,
dans une de ses récentes chroniques du Daily Telegraph, M. Joseph Bennett,
le doyen des critiques musicaux de l'Angleterre. Dans cette chronique, qui a
pour titre Mécanisme el musique, notre confrère n'est pas loin de répondre
affirmativement à cette question, non certes au point de vue général, mais en
ce qui touche un grand nombre d'églises modestes et pauvres, dont les res-
sources sont insuffisantes pour rémunérer un organiste de talent. « Il est à
prévoir, dit-il, que dans l'avenir nous verrons l'orgue mécanique décidément
glorifié. Il sera besoin seulement d'un jeune curé ou d'une autre personne
capable de surveiller le fonctionnement du mécanisme de l'instrument et de
changer les rouleaux au moment voulu. Peut-être ces exécutions déplairont-
elles à beaucoup, en raison de la froide unité du rythme; mais il faudra s'y
accoutumer. On ne peut pas tout avoir. »
— A Londres, la maison d'édition Chappell a fondé une nouvelle société
chorale de 250 voix qui prendra le titre de Société chorale de la Queen's
Hall et qui se proposera spécialement de faire connaître les œuvres des jeunes
compositeurs anglais. Le directeur sera M. Franco Leoni, connu comme excel-
lent professeur et auteur de deux opéras, ainsi que de nombreuses romances
devenues populaires ; l'organiste et accompagnateur sera M. F.-B. Kiddle. La
Société donnera aussi de bonnes exécutions d'oeuvres importantes écrites en
ces dernières années par des compositeurs du continent et qui ne sont pas
encore connues en Angleterre.
— M. Joseph Bennett. critique musical bien connu en Angleterre, qui donna
des articles au Sunday Times et à beaucoup d'autres journaux, avant de con-
sacrer son activité au Daily Telegraph, vient de publier ses souvenirs sous ce
titre : Forty Years of Mnsic (quarante ans de musique), 1865-1905. C'est là
plutôt un recueil de petits faits personnels et d'anecdotes qu'un ouvrage métho-
diquement composé, mais maintes pages sont intéressantes et l'ensemble
présente l'attrait d'une agréable récréation. Il y a, par exemple, le récit d'une
faute de direction commise par S.-S. Wesley, chef d'orchestre du festival de
Gloucester, en 1865, et toute semblable à celle que Berlioz a tant reprochée
à Habeneck lors de la première audition de sa Grande Messe des Morts aux
Invalides. Pendant l'exécution du concerto en sol mineur de Mendelssohn,que
jouait au piano M"10 Arabella Goddard, Wesley posa tout à coup sur son
pupitre l'archet qui lui servait à conduire, et, sans se presser, sortit de sa
poche une tabatière et se mit en devoir d'en extraire une prise de tabac qu'il
aspira consciencieusement. Son premier violon voyant le danger, indiqua
pendant ce temps la mesure à l'orchestre et aucun manquement ne se pro-
duisit. M. Bennett raconte aussi qu'à un autre festival, celui de Norwich, en
1869, on donna une sélection d'un oratorio de H. Pierson, Hézechias, qui ne
fut jamais terminé. Les amis de l'auteur, peut-être lui-même, s'avisèrent de
vouloir acheter l'influence du célèbre critique du Times, James William
Davison, et lui envoyèrent une somme respectable en bank-notes. Le lende-
main, Davison faisait insérer dans le Times que son opinion n'était pas à
vendre, et que ceux qui avaient cru pouvoir la mettre à prix devaient passer
à la caisse du journal, où leur argent leur serait rendu. Nul ne se présenta et
les fonds furent versés à une œuvre de bienfaisance. Recueillons encore au
hasard du volume une de ces anecdotes que M. Bennett nous conte avec pré-
dilection. Certain jour, le chef d'orchestre Charles Halle, qui était aussi un
excellent pianiste, fut invité a un « at-Home » ou réunion intime. Onle pria de
se mettre au piano, mais, pendant qu'il jouait, un bruit ininterrompu de con-
versations ne lui permit pas de faire entendre tranquillement une seule note.
Il commença par manifester quelque impatience, mais nul n'y prit garde, tant
on s'occupait peu de la musique. Alors, il parut oublier l'assistance ets'absor-
bant comme pour lui seul, joua longtemps, très longtemps, jusqu'à ce qu'enfin,
lassé, mortifié, furieux, il se leva du piano et voulut traverser le salon pour
trouver quelque coin obscur où cacher son dépit. Mais la maîtresse de maison
et plusieurs invités s'approchèrent de lui, le comblant de louanges et le féli-
citant d'avoir gardé pour la fin son meilleur morceau. « Je dois être recon-
naissant de vos intentions, dit l'artiste, mais la musique était de trop ici et
personne ne l'a écoutée », Et répondant à l'exclamation d'une dame qui voulait
protester, il ajouta : « Si vous aviez prêté la moindre attention à ce que j'ai
joué, vous vous seriez aperçu que le dernier morceau n'était ni meilleur ni
moins bon que le premier elle second, car c'est le même que j'ai exécuté trois
fois de suite sans y changer une seule mesure ».
— Le Musical America de New-York nous confirme la nouvelle que M1,c Mary
Garden jouera prochainement au Manhattan Opéra le rôle de Jean dans le
Jongleur de Notre-Dame, de Massenet. Cette création, car c'en est bien une
puisque, jusqu'ici, le personnage du jongleur a été tenu par un ténor, promet
de faire sensation et l'artiste s'y est préparée de toutes manières, afin de porter
le travesti avec une aisance parfaite. Elle entrera en scène couverte d'un
manteau de soie orange, brodé de fleurs vertes et bleues, et, le laissant tomber,
elle apparaîtra sous un vêtement ajusté, tout rehaussé de filets d'or. Pour la
scène de la danse, elle aura un autre costume approprié, laissant aux mouve-
ments du corps toute leur liberté.
LU MÉNESTKEL
375
PARIS ET DÉPARTEMENTS
La question de la reconstruction du Conservatoire. Elle reste à l'ordre
du jour, par suite de l'incendie de l'hôtel des téléphones que l'administration
voudrait transférer au faubourg Poissonnière, mais elle entre dans une phase
nouvelle. Voici qu'on ne songe plus, parait-il, aux terrains de la caserne de
la Nouvelle-France pour y placer le nouveau Conservatoire; l'administration
de la guerre ne saurait, dit-on, où placer les 400 hommes qui occupent là un
terrain où on en pourrait mettre 3.0110. Il a donc fallu chercher autre chose,
et M. Dujardin-Beaumel'z, sous-secrétaire d'État aux heaux-arts, qui a pris la
chose à cœur, s'en occupe activement. Son choix se serait porté sur l'annexe
de l'ancien collège libre des jésuites situé rue de Madrid, qui présenterait une
surface très ample et largement suifisante pour y réunir tous les services du
Conservatoire : les classes, la bibliothèque, le musée et les logements de la
direction et des employés. Le Temps a donné à ce sujet des renseignements et
des détails très circonstanciés, que nous ne pouvons faire mieux que de lui
emprunter :
L'établissement des jésuites se composait de deux parties, toutes deux en façade
rue de Madrid, mais séparées l'une de l'autre par cette rue. Tandis que l'établisse-
ment principal s'étendait de la rue de Madrid à la rue de Stockholm, l'autre montait
de la rue de Madrid à la rue d'Edimbourg. C'est sur cette annexe, inférieure en éten-
due mais encore très spacieuse, que M. Dujardin-Beaumetz a porté ses vues. Il ne
lui reste plus qu'à faire l'acquisition do l'immeuble, acquisition vraisemblablement
très coûteuse, mais à laquelle il sera aisé de subvenir par l'aliénation des terrains
du Conservatoire actuel. La vente de ces terrains, très recherchés, laissera môme, en
sus du prix d'achat, un boni qui servira à payer les frais de construction et d'instal-
lation.
Car il y aura, de toute nécessité, à construire. Nous nous en sommes rendu compte
en visitant, hier, 14, rue de Madrid, l'annexe destinée à devenir le petit séminaire
des vocations musico-théâtrales.
Nous y avons vu, en bordure de la rue, une vaste construction de trois étages dont
les deux premiers servaient de classes et le plus élevé de dortoir. Ces trois étages
reposent sur un sous-sol qui, tout en étant à rez-de-chaussée sur la rue, est souterrain
ou à peu près, du côté du jardin. Le sol sur lequel l'établissement se développe est
en effet en pente si rapide qu'il y a entre la chaussée de laruo de Madrid et le niveau
de la cour intérieure une différence de cinq mètres soixante-quinze.
Cette cour intérieure, dont la surface est énorme, est bornée au nord par les mai-
sous à locataires de la rue d'Edimbourg, à droite par les maisons de la rue de Rome,
et à gauche par les maisons de la rue du Rocher. On en aliénerait une partie, celle
qui s'étend jusqu'à la rue de Rome, et qui est actuellement occupée par un garage
d'automobiles, et le prix de cette vente, ajouté au boni que laisserait la vente des
terrains de la rue du Faubourg-Poissonnière, permettrait à l'administration des
beaux-arts de faire du nouveau Conservatoire une installation à la fois très pratique,
très spacieuse et très hygiénique.
En quoi cette installation consistera-t-elle?
Deux projets ont déjà été étudiés par l'architecte du gouvernement, M. Blavette,
et soumis au sous-secrétaire d'État des beaux-arts. Le premier consisterait à ins-
taller dans les deux étages supérieurs de l'immeuble actuel le musée et la biblio-
thèque, et à répartir les classes en partie dans le premier étage et le sous-sol, en
partie dans des constructions nouvelles édifiées au fond de la cour, le long des im-
meubles de la rue d'Edimbourg. Le second, qui nous paraît de beaucoup le plus
pratique et d'ailleurs serait moins dispendieux, installerait dans le sous-sol du bâti-
ment actuel les collections du musée, répartirait les classes au premier et au second '
étage, et réserverait le troisième pour les appartements du directeur, du secrétaire
général et des employés.
Quant à labibliothèque, on construirait pour elle, dans la cour.enretour d'équerre
sur le bâtiment principal, un édifice spécial. La partie de cet édifice la plus rappro-
chée de la façade serait consacrée à l'installation de deux petits théâtres d'étude
pour les classes d'opéra et de déclamation. Sur la gauche du terrain, en face par
conséquent de la bibliothèque et de l'autre côté de la grande cour intérieure, une
seconde construction, prolongée jusqu'à la rue d'Edimbourg, sur laquelle elle aurait
une sortie indépendante, abriterait la salle des concerts.
On conserverait dans son état présent, et à son niveau actuel, la partie postérieure
delà cour, plantée d'arbres. On creuserait, pour la faire descendre au niveau de la
rue de Madrid et assainir ainsi le sous-sol, qui serait complètement dégagé, la partie
antérieure. On accéderait de la première cour à la seconde par une double rampe et
par des escaliers qui seraient de l'effet le plus heureux.
Tel est vraisemblablement le plan qui aura les préférences de M. Dujardin-Beau-
metz. On ne pourra qu'applaudir à sa réalisation.
Puisse-t-elle s'opérer rapidement, et puissions-nous voir enûn le Conserva-
toire logé dignement et abandonner le taudis infect auquel on le condamne à
pourrir depuis si longtemps !
— La nouvelle convention littéraire définitivement votée par le congrès
international de Berlin comprend trente articles qui traitent des points sui-
vants : assimilation des droits des traductions aux droits des œuvres origi-
nales ; protection des articles politiques publiés dans les journaux ; protection
contre la reproduction des œuvres musicales au moyen d'instruments de
musique mécaniques, les droits régulièrement acquis des fabricants étant
respectés : protection des œuvres littéraires et artistiques contre la reproduc-
tion par le cinématographe, d'autre part, protection des vues cinématogra-
phiques originales contre les reproductions non autorisées ; suppression des
formalités à l'intérieur de la Ligue ; prote'ction des œuvres assurée dans les
Etats signataires de la convention indépendamment des prescriptions légales
du pays d'origine ; durée de la propriété littéraire uniformément fixée à cin-
quante ans, post mortem, sauf pour les Etats signataires de la convention qui
voudront admettre un plus court délai. En somme, un certain nombre d'avan-
tages acquis, mitigés malheureusement quelquefois par des restrictions qui
leur ôtent de leur importance.
— Le jury des examens d'admission aux classes du Conservatoire n'a pas
eu a entendre, la semaine dernière, moins de 306 lirais cent six) candidats aux
classes de déclamation. Pauvre juryl Cet ensemble de 300 aspirants à la
gloire de la rampe comprenait 134 hommes et 17'2 femmes, sur lesquels, après
la première épreuve éliminatoire, 32 îles premiers et 30 des secondes ont
été admis à passer l'examen définitif. A la suite de celui-ci, 13
et 13 femmes ent été admis décidément dans les classes. Voici les noms de-
ces vainqueurs d'une bataille qui a été chaude :
Hommes : MM. Fontaine, Dutet, Le Gai, Mendaille, Battendier, Lestemas, Rocher
Pradier, Saint-Mars, Fraison, Maunié, Faure, douillet, Polack et Jaskin.
Femmes : M"" Capazza, Dues, Polack, Sylviae. Dieudonné, Lauzarme, i; ono
Borelli, Dauzon, Reynaud, do France, Garcerie, de Chauveron.
— M. Camille SaintSaëns, qui redoute les rigueurs de notre saison hiver-
nale, a quitté Paris. Il se rend à Toulouse d'abord, puis en Espagne, d'où il
s'embarquera pour Le Caire, où il est habituellement l'hôte du prince d'Aren-
berg et du frère du Khédive. L'illustre compositeur ne passera que quelques
semaines en Egypte. Il est attendu, en ell'et, au mois de mars, à Monte-Carlo,
où il assistera à la première représentation de son œuvre nouvelle: la Fui.
qu'il a écrite en collaboration avec M. Brieux. Ajoutons qu'en arrivant à
Toulouse, M. Saint-Saéns a trouvé une dépêche de New-York qui lui appre-
nait le magnifique succès qu'avait remporté la veille au soir, au Manhattan
Opéra, Samson et Dalila, interprété par M. Dalmorès et M1"1' Gerville-Réache.
— Une grippe fâcheuse qui s'est abattue sur le gosier délicat du ténor
Van Dyck vient entraver malheureusement le cours des représentations m
brillantes du Crépuscule des Dieux à l'Opéra. Il a fallu en reporter la sixième et
la septième représentation au mercredi 2o et au samedi 28 du mois courant.
— Dimanche, on a donné, en représentation gratuite, l'exquise Thaïs de
Massenet, interprétée par la séduisante cantatrice russe M",e Marie KousnietzoM'
et le baryton Dangès. Cette même œuvre a dû être chantée encore hier ven-
dredi pour la rentrée de M"1' Brozia, non encore entendue dans ce rôle de
Thaïs, qui doit convenir tout particulièrement à sa beauté et à son talent.
— Selon toutes probabilités, l'opéra Sanga de MM. Isidore de Lara,Choudens
etEugène Morand pass?ra à l'Opéra-Comique dans les premiers jours de décem-
bre. La Solange de MM. Salvayre et Aderer suivrait de près. — Spectacles de
dimanche : en matinée, la Vie de Bohème, Philémonet Soucis ; le soir. Carmen.
— Lundi, en représentation populaire à prix réduits : Le Barbier de Sécillc et
Cavalleria rusticana.
— Mme Marguerite Carré a triomphé à Lisbonne. Elle y a chanté Manon
et la Vie de Bohème au milieu d'un véritable enthousiasme. L'exquise cantatrice
est rentrée à Paris pour reprendre sa place aux spectacles de l'Opéra-Comique.
— M11» Béatrice La Palme, de l'Opéra-Comique, vient d'épouser M. Issaurel.
qui appartient au même théâtre.
— Toujours grande activité au Tûéàtre-Lyrique de laGaité. Avec une géné-
rosité sans égale, M. Albert Carré continue à passer aux Frères Isola les meil-
leures œuvres du répertoire de l'Opéra-Comique. C'est ainsi qu'on voit à
présent le Jongleur de Noire-Dame et la Xavarraise réunis constituer à la Gaîté
des affiches sensationnelles. Les frères Isola ont aussi inauguré, cette semaine,
des matinées du Jeudi avec Paul et Virginie.
— Tant de zèle vraiment mérite d'être encouragé. Aussi, la deuxième com-
mission du conseil municipal vient-elle d'autoriser le relèvement de 4 francs
à S francs du prix des huit premiers rangs d'orchestre ainsi que des places des
premières loges. De plus, la Ville, qui a déjà fait don à MM. Isola du loyer
du théâtre, évalué à cent mille francs, prendrait à sa charge, à partir de 11109.
les dix mille francs d'impôt foncier qu'acquitte le théâtre. Quant à la question
d'une subvention, elle a été renvoyée à l'année prochaine, l'état du budget
ne permettant pas de l'examiner actuellement. M. Emile Massard a été chargé
du rapport.
— Aux Folies-Dramatiques, mardi prochain, répétition générale du Petit
Faust : mercredi, première représentation.
— Plus heureuse que Paris, la ville de Lyon possède depuis quelques jours
une belle et vaste salle de concerts, à laquelle elle a très opportunément
donné le nom de salle Rameau, et qui a été inaugurée solennellement, le
dimanche 8 novembre, en présence de M. le sous-secrétaire d'État aux Beaux-
Arts, par un concert donné avec le concours de la Société des Grands-Con-
certs de Lyon, des chœurs de la Schola cantorum, de MmM Mellot-Joubert et
Legrand-Philipp, de MM. Plamondon et de la Cruz-Frœlich. sous la direction
de M. Witkowski. Le programme de ce concert était composé d'un acte des
Fêtes d'Hèbé, opéra-ballet de Rameau, et de la Symphonie avec chœurs de
Beethoven.
Voici la description de la nouvelle salle, qui semble avoir été conçue et
exécutée de façon très heureuse par l'architecte. M. Clermont :
La salle de concerts, contenant environ 1.800 places, est au premier étage. Elle
comprend elle-même trois étages : le plan inférieur est entièrement occupé par des
fauteuils et par la scène légèrement surélevée; la première galerie fait tout le tour
de la salle ; les côtés sont réservés à des loges découvertes : le fond est garai de fau-
teuils et la partie située au-dessus de la scène est réservée à l'orgue et aux choristes.
Une seconde galerie n'occupe que le fond de la salle. La salle est rectangulaire,
longue de 33 mètres, largo de 18, haute de 13. De vastes baies à vitraux et un ciel
ouvert lui donne, le jour, une abondante lumière. L'éclairage électrique est assuré
par des lampes fixées au plafond. Pas de lustre : ce serait gênant à la fois pour la
vue et pour l'acoustique.
37(i
LE MENESTREL
L'accès a lieu par quatre escaliers il chacun des angles de remplacement, chaque
escalier donnant directement à l'extérieur. Deux foyers-promenoirs, vestiaires, gui-
chets, etc., complètent les accessoires de la salle principale.
Tout le gros œuvre de la construction est en pierre de taille, maçonnerie et
ciment armé : la scène est formée d'une simple estrade en ciment armé sans aucun
décor mobile, sans boiseries ni tentures autres que celles des porles d'eDtrée, de
façon à élre absolument à l'abri d'un incendie; les dégagements larges et donnant
directement à l'extérieur assurent la complète sécurité du public.
— On savait bien, jusqu'ici, que Rameau avait fait dans sa jeunesse un
séjour à Lyon comme organiste, mais on ne connaissait ni la date certaine de
ce sujet ni aucuns détails à son sujel. M. Léon Vallas nous apprend, dans la
Revue musicale de Lyon, que c'est en 1714 que Rameau résida en cette ville, et
que C'est au couvent des Jacobins qu'il y occupa le poste d'organis'.e. Pour
preuve, il publie ce fragment de l'inventaire des Jacobins conservé aux Archi-
ves départementales du Rhône, qui contient, au chapitre intitulé Gages de
l'Organiste, deux quittances de Rameau :
Gages de l'organiste.
Nota qu'on ne voit pas dans aucun livre de comptes qu'on ait donné des appoin-
tements à l'organiste qui a joué nos orgues avant le temps marqué dans les quittances
cy-après.
P. n° 1. Quittance demain privée passée à Lyon le 1" juillet filt par le S' Rameau
Organiste de la somme de 100 livres qu'il a reçue du Père Alissan Procureur des
Jacobins pour ses appointements de 6 mois échus à la St Jean dernière. Signé
P. n° 11. Quittance de main privée passée à Lyon le 13 décembre 1714 parle susd.
Rameau de la somme de 50 livres qu'il a reçue du Père Alissan Procureur des
Jacobins pour un quartier de ses appointements échu à la lin du mois de septembre
dernier. Signé Rameau.
On sait donc maintenant de façon certaine que Rameau fut, pendant toute
l'année 4714, organiste des Jacobins à Lyon. Et l'on sait aussi qu'il abandonna
Tannée suivante ces fonctions, où il eut pour successeurs deux artistes nommés
Antoine Fiocco et Etienne Le Tourneur.
— Do Troyes. Au concert donné salle Bécard, par la Société Philharmo-
nique des Chemius de fer de l'Est, foule énorme et très grand succès pour
l'excellent baryton Fcrval, dont la jolie voix a fait merveille dans le récit et
la Cavatine du Chevalier d'Eon, l'opéra-comique de Rodolphe Berger, dont il
fut un des créateurs à Paris, et dans la « romance de l'étoile » du Tannhaiiser.
Avec M"e Bleuzé, à l'organe charmant, il a chanté aussi le duo A'Hamlet, et le
succès des deux excellents artistes fut tel qu'ils durent ajouter au programme
le Crucifix, de Faure.
— La dernière réception mensuelle et artistique de M. Chavagnat, directeur
de l'École classique, a été des plus intéressantes. On y a entendu un excellent
baryton, M. Desprez, élève de Mme Nicole-Ratte, qui a délicieusement inter-
prété Tristesse, de M. Chavagnat, et Mue Baroux, un ravissant soprano, qui a
Cnement'détaillé Papillon, du même auteur. N'oublions pas non plus M. Henri
Bénard, une basse à la voix chaude et vibrante, M. CoifDer, un excellent violo-
niste, M. Seudier, un charmant lénor, et Mlle Chavagnat, qui a dit trois adapta-
tions musicales inédites de M. Chavagnat.
— La Voix professionnelle. Leçons pratiques de physiologie appliquée aux
carrières vocales, par le Dr Pierre Bonnier, laryngologiste de la clinique mé-
dicale de l'Hôtel-Dieu, laryngologiste consultant de la Comédie-Française et
de l'Opéra-Comique (Cours du Théàtre-Réjane 1907-1908). Un volume in-8°
(Bibliothèque Larousse), illustré de 39 gravures. Le Dr Pierre Bonnier a consi-
gné dans ce volume ses intéressantes conférences de l'an dernier au Théàlre-
Réjane. Nul n'était mieux qualifié pour parler de la voix professionnelle que
le distingué laryngologiste de la Comédie -Française et de l'Opéra-Comique,
et l'ouvrage qu'il nous donne aujourd'hui, fruit d'une longue expérience, sera
infiniment précieux pour tous ceux qui chantent ou qui parlent en public,
acteurs, avocats, professeurs, conférenciers, etc. .Ecrit avec autant de clarté que
de précision, remarquablement documenté et nourri d'aperçus originaux et de
remarques pratiques, il leur apprendra une foule de choses utiles qu'ils
ignorent trop généralement sur la manière de conduire leur voix et de lui
faire rendre tout ce qu'elle peut donner. On y trouvera d'abord des indica-
tions sur les qualités du son, sa production et sa propagation, et la descrip-
tion de l'appareil vocal, puis des observations sur l'hygiène de la voix, l'étude
de la voix dans les diverses professions, et enfin un chapitre sur le chant, la
respiration, le timbre, l'intensité, etc.
— Cours et Leçons. — M"10 Guyon-Delaspre a repris ses leçons de piano et de
chant, 157, Boulevard Saint-Germain.
NÉCROLOGIE
Le plus âgé vraisemblablement de tous les pianistes allemands, Inghofl,
né en 1S22, vient de mourir à Baden-Baden. Il laisse une fille, M"e Amélie
Ingholï. qui s'est établie à Mannhein, où elle est appréciée comme professeur
de chant.
Henri Heugel, directeur-gérant.
A VENDRE : Violoncelle en parfait état et authentique portant l'inscription
suivante : Johannès Baptista Guadagnini p/acentinus fecit mediolani 47U..
S'adresser à M. Dépret, à Pont-1'Evèque (Calvados).
AVIS
MM. HEUGEL et G'" portent à la connaissance des édi-
teurs et marchands de musique qu'ils viennent d'acquérir de
M. A. JOANIN, qui les avait publiées d'abord, les œuvres sui-
vantes de M. GABRIEL PIERNÉ :
■1. La Croisade des E.wanis, légende en 4 parties. (Partition chant et piano,
orchestration, livret et tous morceaux détachés et arrangements).
2. Les Enfants a Bethléem, mystère en 2 parties. (Partition chant et piano,
orchestration, livret,' morceaux détachés.)
3. Tuois Adaptations musicales : la Marjolaine, Nuit divine, NoSI.
4. Mélodies : Berceuse, le Mariage de Marion, les Marionnettes, le Petit
Bonhomme et chœurs y adhérant.
5. Adac.ietto pour vin'on et piano ou quatuor à cordes.
0. Ballit de coun, six airs à danser pour orchestre.
C'est donc désormais à MM. HEUGEL et Gie que devront être
adressées toutes demandes concernant ces diverses œuvres de
M. GABRIEL PIERNÉ.
En vente AU MENESTREL, 2 bis, me Vivienne, HEUGEL ET CIE, éditeurs.
PROPRIÉTÉ POUR TOUS PAYS
THEODORE DUBOIS
COMPOSÉES POUR LES EXAMENS ET CONCOURS DU CONSERVATOIRE (ANNÉES 1896 A 1905)
Ai'ec accompagnement de piano
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POUR. LES CLASSES DES CHANTEURS
Prix net : 10 francs.
Deuxième Livre
POUR LES CLASSES D'INSTRUMENTISTES
Prix net : 10 francs.
ÉDITION POPULAIRE sans accompagnement de piano. Chaque livre, net : 2 francs
4053. — 74e A,\,\ÉE. - N° 48.
PARAIT TOUS LES SAMEDIS
Samedi 28 Novembre 1908.
(Les Bureaux, 2b">, rue TiTienne, Paris, u< >rr')
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
LE
ENESTREL
Le Numéro : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEDGEL, Directeur
Le Numéro : 0 fi*. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
1. Soixante ans de la vie de Gluck (46" article), Julien Tieiisot. — II. Semaine théâtrale : première représentation des Révoltés, au Théâtrc-Sarah-Bernh.irdt, A. BoUTAREL. — III. Petites
notes sans portée : l'Histoire de la musique et l'avènement tardif de l'érudition musicale, Raymond Bouyer. — IV. Revue des grands concerts. — V. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
DANS L'ÉTÉ
nouvelle mélodie de Reynaldo Haiin, poésie de M"w DESBORDes-VAUionc. —
Suivra immédiatement : Le Noël des humbles, de J. Massenet.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de piano:
NEUVIÈME NOCTURNE
de Gabriel Fauré. — Suivra immédiatement: Le Polit soldai de plomb ai la
Chanteuse roumaine, nos 2 et 3 des Figurines, nouveau recueil de I. Piiu.ipp.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
(±T ±^-XT'7^)
CHAPITRE IX : Alceste.
L'auteur des Troyens reproche encore à Gluck de « n'attacher
aucun prix à la découverte d'une nouveauté », parce qu' « une
découverte musicale quelconque, ne fût-
elle qu'indirectement liée à l'expression gjMj
scénique, n'est pas à dédaigner. » Mais •-•=°=tS Kl J&&*.
je pense que là encore il y a confusion sur JBJ11 HKejI
le sens des tenues. 11 ne s'agit point d'in-
novations dans la technique, de décou-
vertes destinées à enrichir les ressources
de l'art: cela, certes, Gluck a assez bien
montré qu'il ne le tenait aucunement en
mépris ! Mais il n'en est pas question dans
la préface ; celle-ci ne veut parler que de
trouvailles fortuites d'ordre purement mu-
sical, d'idées mélodiques d'un tour heureux,
que d'autres n'auraient pas eu la vertu de
sacrifier : lui, il affirme que ce sacrifice
est nécessaire, que le drame ne doit
admettre l'intervention d'aucun élément
qui ne concoure expressément à l'inter-
préter. Cette intransigeance, dans un exposé
de principes, ne mérite aucunement le
blâme.
Quant à la légère impropriété signalée
dans la phrase : « La musique doit être à
la poésie ce que la. couleur est au dessin,
etc. », elle ne semble pas constituer un
vice vraiment rédhibitoire. Tels sont les
dangers "de la littérature! Comparaison
n'est pas raison. Gluck a voulu dire que
la musique et la poésie dans l'opéra
doivent être confondus aussi intimement
que la couleur et le dessin dans la peinture : c'était simplement
renouveler par une image l'affirmation d'une vérité clairement
exprimée par les paroles précédentes, et qui reste l'idée fon-
damentale de l'épitre.
Pour la questi le la subordination de
j la musique à la poésie, elle est fort grave
en effet. Mais, par son caractère de géné-
ralité, elle sort du cadre de l'examen d'un
seul écrit et d'un seul ouvrage, qui est
l'objet de ce chapitre. C'est donc pour le
moment où nous aurons à embrasser dans
son ensemble l'œuvre de Gluck et à en
dégager la signification que nous devons
la réserver.
Donc, sans rechercher pour l'instant si
l'un ou l'autre des deux éléments doit
être subordonné, restons dans les termes
de l'affirmation de Gluck : que la véritable
fonction de la musique est de i seconder
la poésie dans l'expression des sentiments
et des situations de la fable ».
C'est là, en effet, une vérité essentielle.
Mais, au fait, est-ce donc une invention
de Gluck, et l'idée était-elle, en son temps,
une si grande nouveauté ? Non certes.
L'union de la musique et de la poésie est, au
contraire, pour tout lyrisme, une obliga-
tion vitale, une nécessité de tous les temps.
Bien d'autres l'avaient affirmée avant lui
et l'ont affirmée encore après. Ainsi l'ont
fait tous les grands fondateurs ou grands
réformateurs. Rappelons-nous ces paroles
de Caccini et de Péri, écrites dans les pré-
faces des Nouvelles musiques (Xuove musiche'
et de YEuridice florentine de 1600, le premier opéra connu :
« M'étant convaincu, dit | le premier, qu'une telle musique
378
LE MÉNESTREL
(celle des contrapunctistes) ne procurait d'autre plaisir que celui
d'une harmonie agréable à l'oreille, l'esprit ne pouvant être
frappé sans la parfaite intelligence des paroles, il me vint l'idée
d'introduire une espèce de chant par lequel il fût possible pour
ainsi dire de parler en musique... » (1).
« Ayant considéré, professe le second, qu'il s'agissait d'une
œuvre dramatique, et qu'en conséquence il fallait reproduire
la parole par le moyen du chant, je pensai que les anciens qui
chantaient sur la scène des tragédies entières devaient se servir
à cet effet d'une mélodie plus accentuée que celle du parler
ordinaire, sans arriver cependant au chant proprement dit...
Ayant observé les accents que nous employons, à notre insu,
dans certaines affections très vives, telles que la joie, la dou-
leur, etc., je les mis à profit. (2) ».
Traversons deux siècles et demi, et, passant par-dessus Gluck,
venons jusqu'à Wagner. Voici ce qu'il nous dira:
« L'erreur dans l'opéra consiste en ce qu'on a fait d'un moyen
de l'expression (la musique) le but, et du but de l'expression
(le drame) un moyen (3) ».
Donc, en des termes divers, c'est partout la même idée : la
véritable fonction de la musique est de « seconder », de « ren-
forcer » la poésie.
Les poètes, de leur côté, ont plus d'une fois rêvé cette alliance.
C'est Shakespeare, disant que « musique et douce poésie doivent
s'accorder comme frère et sœur (3 b)«. C'est Ronsard, s'efforçant
d'unir le chant à ses odes, et ambitionnant de faire « revenir
l'usage de la lyre (la musique), laquelle seule doit et peut ani-
mer les vers (4) ».
Des penseurs, des conducteurs d'ùmes, ont parlé de même.
Calvin, signalant, d'après Saint-Paul, l'influence de la parole sur
les mœurs, ajoute cette observation pénétrante: « Mais quand la
mélodie est avec, cela transperce beaucoup plus fort le cœur. »
Plus austère encore dans ses conséquences, tout en affirmant
le même principe, la Sorbonne, en 1693, condamne l'opéra, le
jugeant plus dangereux que la comédie, à cause qu' « à la
faveur de la musique, dont tous les tons sont recherchés et
disposés exprès pour toucher, l'àme est bien plus susceptible de
passion (S) ».
Ce ne sont donc pas les idées d'un jour, ce sont des vérités
éternelles que Gluck a exprimées dans la préface à'Alcesle.
Et déjà nous l'avions vu recevoir l'impulsion presque directe
des idées des philosophes français qui, exactement dans le même
temps, accomplissaient leur œuvre parallèle. Ceux-ci, dans le
bouillonnement de leur pensée multiple, avaient été jusqu'à
exposer des idées sur la musique, et ces idées étaient semblables
à celles dont il assura l'application par son œuvre.
Mais ils auraient eu beau en dire cent fois plus long, et mul-
tiplier les belles paroles, que c'eût été peine perdue si l'homme
d'action n'était venu qui devait porter les principes dans le
domaine du fait accompli. Car. si grand mérite qu'il y ait
d'apercevoir distinctement un but, il y a quelque chose de meil-
leur encore: c'est d'y atteindre, et sans cela rien n'est fait.
Ce fut bien que l'union nécessaire de la musique et la poésie
ait été proclamée en des discours persuasifs : ce fut mieux encore
que cette union ait été réalisée par l'art.
Alcesle représente, dans l'histoire de la musique dramatique, et
plus particulièrement de la tragédie lyrique, le moment précis
où un idéal entrevu devint pour la première fois tangible. Mais
croyons bien que ce résultat fut dû bien plutôt à la puissance de
l'intuition chez son auteur qu'à la lucidité de sa raison.
En vérité, et quelle que soit l'admirable logique avec laquelle
(1) Préface des Nuove Musiclte di Giulio Caccini, traduite parM. Gevaert dans l'An-
nuaire du Conservatoire de Bruxelles, 1881.
("2i Avviso ai letton en tète de l'Euridiceàe Pari, traduit par M. Gevaert dans l'An-
nuaire du Conservatoire de Bruxelles, 1882.
(3) Richard Wagner, Opéra et drame, préface.
(3 u) 1" Sonnet de Shakespeare.
(4) Voy. Julien Tiersot, Ronsard et la musique de son temps, pp. 1 et 7.
(b) Voy. J. Ecorcheville, De Lullià Rameau, l'Esthétique musicale, p. 57.
il accomplit sa mission, il ne faut pas dire que Gluck est un
système : il est un génie. Et si nous devons l'applaudir d'avoir
écrit la préface à'Alceste, nous devons l'admirer bien plus encore
pour avoir composé Alceste elle-même.
(A suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THEATRALE
Théatrjs-Saraii-Bernhardt : les Dévoilés, drame en cinq actes et six tableaux,
de MM. Henri Gain et Edouard Adenis.
Ces révoltés sont des représentants des classes ouvrières eu Russie,
que les crimes de la police et des patrons, dont ils sont témoins ou vic~
times, ont jetés dans la voie révolutionnaire et terroriste. La pièce de
MM. Henri Cain et Edouard Adenis peut se classer parmi les mélodrames
tendancieux. Elle semble avoir été écrite pour stigmatiser les agisse-
ments iniques, monstrueux souvent, que l'on a tant reprochés au
tsarisme, et pour expliquer les représailles nihilistes. Abstraction faite
de la question humanitaire que nous n'avons pas à envisager ici, les
Récollés ne provoqueront peut-être chez le spectateur qu'une sensation
de nervosité au lieu de l'émotion profonde qu'eût sans doute comportée
le sujet si les auteurs nous avaient fait pénétrer plus avant dans la
conscience des personnages et s'étaient attachés à mettre sous nos yeux
les réalités simples et poignantes de vies assombries et sacrifiées, que
traverse, à peine comme une vague lueur, l'espoir d'un affranchissement
lointain. Nous nous plaisons d'ailleurs à reconnaître que la pièce nou-
velle est habilement construite et que les incidents qu'il fallait y intro-
duire y sont reliés entre eux avec adresse et ingéniosité. Le plus sensa-
tionnel est l'exécution, par ses camarades, du traître Brener. Dans un
cabaret dont le décor est fort impressionnant, on l'attache sur une table
et une bombe est disposée devant l'entrée de telle sorte que l'explosion
se produira nécessairement aussitôt que la porte aura été ouverte. Or,
cela ne peut manquer d'arriver dans quelques minutes, car la troupe
cerne la maison. Tous les compagnons s'échappent laissant le misérable
qui se débat dans son impuissance. L'instant est terrible ; des coups
retentissent contre la porte qui va céder. Brener hurle son angoisse :
« N'ouvrez pas, nous allons tous sauter. » Mais la minute tragique est
déjà passée, l'explosion a eu lieu, la vengeance est accomplie, la toile
tombe sur l'effondrement du décor qui brûle avec d'horribles et sanglants
reflets d'incendie.
Ce n'est là qu'un hors-d'œuvre. Voici maintenant le récit de l'aven-
ture simpliste qui sert de trame aux Récoltés. Simon Randzew, contre-
maître dans la fabrique d'Apraxine, a une femme jeune et belle qui
travaille à l'usine et a excité la convoitise du maitre. Épouse irrépro-
chable, elle a résisté aux séductions et n'a plus même à les combattre,
ayant dès l'abord écarté avec décision tout propos indiscret. Mais son
mari a donné asile à un ami qui a sauvé autrefois son enfant, et que
recherchait la police. C'est là un acte puni par la transportation en
Sibérie, c'est-à-dire la mort dans les tortures et le désespoir. Apraxine,
ayant tout appris, propose à Sonia Randzew cet ignoble marché : « Tu
seras à moi ou je livrerai ton époux ». Après une résistance pathétique,
Sonia, qui adore Simon, est obligée d'accepter et se livre comme une
épave. Depuis, sa santé, sa vie paraissent irrémédiablement compro-
mises ; elle dissimule sa souffrance, mais son mari devine qu'il a dû se
passer quelque chose d'affreux. Mis sur la trace de l'infamie par un
concours fortuit de circonstances, il oblige sa femme à tout avouer dans
une scène déchirante, dont l'effet est très bien ménagé. Instruit de tout
maintenant, il peut, en toute sécurité de conscience, prendre le rôle de
justicier. Le public lui pardonne tout d'avance et au besoin en fera un
héros. 11 se met à la tète d'un mouvement populaire, pénètre la nuit
chez son ancien patron et l'égorgé en criant au peuple : « Debout !
Debout! » Sa cause devient ainsi celle de tous, le fait-divers s'agrandit
et le dénouement prend une allure forte et vraiment théâtrale.
M. Henry Krauss a marqué en traits vigoureux la ligure de Simon
Randzew; rien ne reste dans l'ombre, de ce qu'il dit, de ce qu'il fait.
Mme Rosny-Derys s'est montrée touchante et pathétique avec discrétion
et mesure dans le rôle de Sonia; elle a su dire sans emphase, et retenir
l'attention sans exagérer son jeu. M. Decœur s'est montré très réaliste
lorsque, lié sur sa table de supplice, il est placé entre les soldats qui
l'épargneraient, car il est de la police secrète, et la bombe qui fera bru-
talement son œuvre de destruction. Parmi les autres interprètes, il est
juste de louer MM. Chameroy, Jean Worms, Duard, Hermann et sur-
tout Aurèle Sydney, qui a réjoui la salle par son accent anglais très en
LE MENESTREL
-37'.)
situation ; Mn"'s Rosy, Cerda, Suzanne Desroches, Alisson, de Cerny et
Cliemma.
La mise en scène est pittoresque, soignée dans le détail et toujours
bien appropriée aux tableaux qu'elle encadre.
Amédée Boutabel.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
CXXXIX
L'HISTOIRE DE LA MUSIQUE ET L'AVÈNEMENT TARDIF
DE L'ÉRUDITION MUSICALE
A M. et M- Paul Landormy.
Serait-ce déjà l'heure du crépuscule, non seulement pour les Dieux
germains, mais pour le génie/ Où l'érudition commence, la création
cesse... Sans parler des horizons plus ou moins obscurcis par notre
pessimisme qui s'apitoie d'avance sur l'avenir de l'Art, très menacé
dans uue démocratie positive, les historiens, de plus en plus nombreux,
pourraient s'alarmer (s'ils en trouvaient le temps) de notre engouement
pour l'Histoire; et les artistes n'auraient plus mauvaise grâce à trans-
poser, pour leur propre compte, un mot fameux : « Nous savons tout;
mais nous ne savons que cela...» Voyez l'art décoratif : depuis qu'il sait
tous les styles, n'est-il pas impuissant à dégager de toute réminiscence
un modem slyle? On ne parle jamais tant d'art nouveau que parmi des
bibelots anciens... Nous devenons bibliothécaires ou collectionneurs;
est-ce un « état d'àme ;> suffisant pour redevenir, un beau matin,
créateurs ? Le crépuscule tombe sur nos richesses entassées; le crépus-
cule sonne par la voix des tubas wagnériens. L'heure change ; et le
soir est descendu sur la toile... Il serait injurieux, assurément, de
nous comparer aux Byzantins qui savouraient la possession d'un long
passé dans leurs bibliothèques, — pâles érudi ts « sous l'œil des Barbares »...
Mais, au lendemain de "l'éblouissant coucher de soleil romantique
qu'irradia le génie d'un Richard Wagner, la joie n'est point sans
mélange de voir partout les bibliothèques s'accroitre, en même temps
que les musées, « ces prisons de l'Art ».
On ne peut tout avoir : l'automne du souvenir et le printemps de
l'amour, la maturité du savoir et la jeunesse du génie. Soyons donc
savants, sans remords. Nous le serons malgré nous, car ce ne sont
point les livres, les bons livres même, qui nous manquent ! L'histoire
de l'art est en pleine vogue; et l'histoire de la musique emboite le pas,
— tardive comme la musique elle-même.
Encore un « signe des temps » ! Et que de signes ! Le médecin qui
voudra nous ausculter ne manquera point de symptômes... Nous
aimons tant les documents que nous en fournissons avec indiscrétion
sur notre propre vie.
Donc, nous aimons l'histoire, et l'histoire de l'art ; et nous consta-
tons, en historiens, ces penchants nouveaux. Que signifient-ils? Ils
nous disent, d'abord, que notre amour de l'art devient scientifique; ils
s'accordent avec la diffusion récente des expositions rétrospectives.
Autour des pastels fatigués ou des partitions jaunies, les livres pullu-
lent : des « collections » rivales éclosent chaque jour, pour nous parler
des maîtres d'autrefois. Nous n'ignorons plus rien du Quattrocento ; le
XVe siècle italien nous est plus familier que notre âme : car nous y
voyons plus clair. Nous ressemblons à ces jeunes savants qui néglige-
raient la saison d'aimer pour annoter les brûlantes épitres de M"'' de
Lespinasse, adoratrice d'Orphée... Le bon Ghirlaudajo n'a plus de
secrets pour nous; grâce à Michel Brenet (I), nous devinons mieux
Palestritia que ne l'imaginait le génie, peu musicien, de Victor Hugo;
nous connaissons le jeune Haydn plus exactement que le vieil Haydn
eu personne. Et Sophocle avait, sur notre érudition, cette immense
infériorité de ne pouvoir se proclamer « du siècle de Périclès »... Le
malheur veut qu'on soit du moyen âge ou de la Renaissance sans oser
l'avouer pertinemment; et sait-on que la guerre pour laquelle on part
durera trente ou cent années? Nous avons changé tout cela; doréna-
vant, uous savons tout, sauf ce que nous serons demain...
L'histoire et l'historien font des prodiges : grâce à M. Vincent d'Indy,
l'angélique instinct d'un César Franck est devenu le plus autoritaire
des credo; grâce à MM. Schweitzer et Pirro, le calme génie de Bach
devient conscient de toute la poétique foret qu'il recèle; grâce à
MM. Lionel de la Laurencie et Louis Laloy, le génie calculé de Rameau
(1) Puleslrina, Haydn dans la collection des Maîtres île la Musique, publiés sous
la direction de M. Jean Chantavoine (Paris, Alcan, 1U07-1909).
reprend sa place un peu tardive, a cùté d'un Poussin, dans no arl
classique. Il se peut que nous ajoutions parfois un peu de nous-mêmes
dans ces modernes portraits des vieux maîtres; mais, d'être nés après
Wagner et parallèlement à M. Debussy, notre avantage est incontes-
table. Et notre pessimisme initial avait des regrets superflus. Réjouis-
sons-nous done; enrichissons-nous dans les temples désiniër — du
savoir; enorgueillissons-nous, en songeant que nos grands-parents
(sans remonter plus loin) n'avaient d'autres clartés que le Dictionnaire,
universel, il est vrai, du bon Fétis, un « précurseur », en réalité, « dont
il ne faut pas trop médire » : et n'oublions jamais que notre cher grand
Berlioz, dont l'ironie taquinait Fétis, ne savait piis un traître mot du
grand Bach : pour les échevelés du romantisme, cet Homère musical
n'était qu'une perruque. Et Berlioz ne connaissait guère mieux Rameau
ni Mozart, ce Virgile poudré; les Mémoires du Romantique par excellence
sont beaucoup moins sûrement documentés que ses biographies pos-
thumes ; héritier des maitres de 93, le Berlioz colossal de 1830 ignorait
ces fêtes de la Révolution qu'un érudit nous dévoile. Oui, Berlioz en
savait moins que Fétis; et c'est peut-être une des meilleures raisons pour
lesquelles il fut Berlioz.
Depuis Fétis et son dictionnaire alors universel, depuis Félix Clément
et ses Musiciens célèbres, l'histoire de l'art musical a parcouru l'évolution
la plus rapide et la plus féconde : elle appartient, depuis la fin du siècle,
aux spécialistes; et nos universitaires s'y distinguent. Tel docteur es
lettres cultive les champs encore ingrats du moyen âge; tel autre s'élève
ingénieusement d'Aristoxène à Rameau. L'érudition succède à la litté-
rature: après le vague empire de la synthèse, la féodalité des analyses
particulières, — chaque érudit cantonné dans son burg; après les
dictionnaires, les biographies.
Tout n'est pas encore dit, cependant: « L'idée que nous nous faisons
des maitres est incomplète», écrit le défenseur prudent de Fétis : « nous
les voyons trop isolés, nous sommes portés à exagérer leur indépen-
dance et leur originalité, parce que nous n'avons pas eu encore le temps
de les replacer dans leur milieu, de reformer autour d'eux les flots de
musique dont leur oreille fut bercée. » On ne saurait mieux dire: et
M. Louis Laloy conclut (1) : « En d'autres termes, l'histoire de la mu-
sique ressemble aujourd'hui à ce qu'était l'histoire de la politique, quand
les grands rois, les grands ministres et les grands capitaines la rem-
plissaient à eux seuls, ou bien l'histoire littéraire, quand Homère,
Sophocle, Horace et Virgile s'y dressaient, chacun sur son piédestal,
comme de belles statues le long d'un portique. Elle en est au culte des
héros, à l'apothéose du génie. Ce qui lui mauque, c'est le sentiment de
la continuité : et il ne faut pas s'en étonner ni s'en plaindre : il est naturel
que toutes les sciences historiques passent, à leur tour, par les mêmes
phases de développement. »
Xous ne nous plaignons pas du tout, quand M. Romain Rolland nous
parle avec une audace tranquille des Musiciens d'autrefois et des Musiciens
d'aujourd'hui ; quand l'optimisme de M. Camille Bellaigue sympathise
avec l'optimisme de Mendelssohn; quand M. Jean Chantavoine s'atta-
que au génie contrasté de Beethoven avec la même heureuse vaillance
qu'aux aspects variés de Munich (2) : quand M. Calvocoressi confond
dans sa ferveur le génie savant de Liszt et le génie primaire de Mous-
sorgski; nous saurions, quand M. Theodor de Wyzewa découvre du
nouveau dans l'enfance inspirée de son cher Mozart; nous tressaillons,
quand notre confrère Adolphe Boschot soupçonne un masque byronien
sur les traits de Berlioz ; nous regardons encore les portraits des anciens,
Gluck, par Julien Tiersot, Herofd ou Boieldieu, par Arthur Pougin,
Grétry, par Henri de Curzou, Weber, par Georges Servières, après
avoir bu le philtre de la pensée waguérienne avec Lichtenberger,
Dauriac ou Prod'homme. On ne se plaint pas ; mais on s'étonne un
peu: — Pourquoi, se dit-on, cette histoire musicale fut-elle si longtemps
négligée ? Le Don J uan d'un Mozart ne fait-il point partie du meilleur
de nous-mêmes, au même titre que la Phèdre d'un Racine?
Un professeur musicien (3), qui prépareune biographie de ce Brahms
dont il est un des plus fervents admirateurs français, vient de nous
répondre en une substantielle et charmante causerie. Ce retard, dans
l'enseignement historique d'un art qui nous possède aujourd'hui plus
que la poésie même, s'expliquerait par tous les soubresauts de l'évo-
lution : depuis Gounod, seulement, jusqu'à M. Ravel, que de chemin !
Les vieilles musiques sont si vite oubliées, et les nouvelles sont sus-
pectes: la seule musique existante n'est-elle pas celle qu'on fait ou que
l'on entend ? Chaque génie qui vient proclame à la fois la naissance et
(Il Dans la Chronique des Arts, du 9 novembre 1907, page 327.
(2) Munich, dans la collection des Villes d'art célèbres (Paris, Laurens, 1908).
(3) M. Paul Landormy, dans sa première conférence du 9 novembre 1908 sur les
Grandes Epoques de ta Musique, à la salle de la Société d'Horticulture.
380
LE MENESTREL
lapogée de la musique: et la musique, pourtant, va toujours plus loin...
Depuis Platon, depuis Monteverde, qui passa, de son temps, pour un fou,
le phénomène se reproduit sans trêve avec un Gluck, un Wagner (1) ;
et dans l'édifice sonore, c'est toujours tout à recommencer. En musique,
les vieux absents ont toujours tort, aussi bien que les nouveaux venus
qui deviendront bientôt des anciens... Le présent seul compte.
Une telle instabilité n'est guère favorable aux recueillements de l'his-
toire : il y a moins de cinquante ans, le passé ne semblait que barbarie,
à peine au delà du XVIIP siècle. Et Berlioz, nous l'avons dit, ne savait
rien de Rameau.
Seconde raison, suivant l'aimable conférencier : — Les sanctuaires
anciens restent debout, quelque indifférence que certaines époques
aient montrée pour la splendeur des ruines ; mais la musique fugitive
ne vit qu'à la condition d'être exécutée: le comple serait vite fait des
lecteurs qui vont la déchiffrer des yeux dans la poussière des archi-
ves... Et voilà pourquoi l'éphémère et capricieuse musique resta si
longtemps, comme les gens heureux, sans histoire.
Le prochain historien de Johannès Brabms,qai connaît si nettement
les origines de son art, nous permet tra-t-il de risquer, pour conclure,
une troisième raison ? Nous croyons pouvoir l'extraire de la nature mémo
de la musique, le premier-né des arts, mais le dernier par son dévelop-
pement. Artjeune essentiellement, la musique apparaît constamment,
dans l'histoire de l'humanité, retardataire ou tardive; elle ne s'élève
pas, chez les Grecs, à la perfection de la statuaire lumineuse ; elle retarde,
avec les temps modernes, à chacun des grands tournants de l'évolution :
Mozart fleurit longtemps après Raphad et Racine; et n'est-ce pas cette
absence de parallélisme qui rend les comparaisons entre les arts si dan-
gereuses? De nos jours même (un autre fin causeur (2) ne me démentira
point), la crise debussyste. qui jette le désarroi dans le camp des snobs,
ne se produit-elle pas longtemps après les balbutiements fraternels de
l'impressionnisme ou du vers libre ? Oui, la musique retarde un peu.
C'est son droit. Ne nous étonnons donc plus que son histoire imite sa
démarche, et qu'un piano soit apparu si tardivement dans une soute-
nance de thèse !
(A suivre.) Raymond Bouyer.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Après un concert donné à la mémoire de son ancien chef, le regretté
Georges Marty, la Société des concerts du Conservatoire a repris, dimanche
dernier, le cours habituel et régulier de ses séances sous la direction de son
nouveau chef, M. André Messager. Ce n'est pas sans un certain plaisir que,
pour ma part, je voyais, sur le programme de cette première séance, entre le
nom de Beethoven avec !a Symphonie héroïque et celui de Wagner avec
l'ouverture des Maîtres chanteurs, ceux de quatre compositeurs français, deux
anciens : Guillaume Costeley et Clément Jannequin, et deux modernes : César
Franck et M. Saint-Saéns. Le fait est assez rare pour être noté, et j'en fais
tous mes compliments à la Société. On attendait à l'œuvre M. Messager,
encore inconnu chez nous comme chef d'orchestre de concert, et je ne répon-
drais pas qu'il n'eut pas quelque émotion en se trouvant pour la première fois
à la tète de cette admirable phalange instrumentale, l'une des premières du
monde assurément. La tenue est excellente, le geste sobre et précis, l'autorité
réelle. Peut-être les premiers mouvements de l'Eroica ont-ils été un peu
retenus, et l'élan de l'orchestre aurait-il demandé un peu plus de liberté:
mais l'ensemble n'en était pas moins très beau et d'un bel effet. Après la
symphonie nous avons eu deux vrais bijoux, deux chœurs sans accompagne-
ment : Je uoy des glissantes eaux, de Guillaume Costeley, et Au joli/ jeu, de
Clément Jannequin, chantés d'une façon adorable, avec un ensemble parfait
et des nuances exquises. Le premier est une sorte de madrigal, d'une couleur
charmante; le second, en style de canon, avec ses entrées et ses réponses, est
d'un effet infaillible. Aussi a-f-il été redemandé avec acclamations. Le Rouet
d'Omphale, cette jolie fantaisie symphonique de M. Saint-Saéns, précédait
l'exécution de Rébecca, scène biblique écrite par César Franck sur des vers
harmonieux de M. Paul Collin. C'est une sorte d'oratorio en raccourci
plus intime que solennel, avec un certain caractère agreste, comprenant cinq
morceaux : 1. Introduction et clueur de jeunes filles; 2. Air (Rébecca) et chœur de
jeunes filles; 3. Chœur des chameliers: i. Duo (Eliézer et Rébecca) ; S. Chœur de
jeunes filles. L'air de Rébecca, qui est comme une serte de duo entre la voix
de soprano et le chœur, est d'un joli effet et d'un sentiment plein de grâce; le
chœur des chameliers est curieux et rappelle un peu Félicien David; le duo
d'Eliézer et de Rébecca est peut-être un peu froid et voudrait un peu plus
d'accent. L'ensemble de l'œuvre est aimable et reposant. Les soli étaient
chantés d'une façon remarquable par Mm« Auguez de Montalant et M. Duclos.
(1) Cf. nos impressions sur le caractère et la succession des
dans la Revue bleue du 8 août 1908.
(2) M. Arthur Coquard; cf. l'Écho de Paris du 9 novembre 1908.
à qui l'on peut faire compliment surtout de son excellente prononciation,
qualité trop rare pour qu'on ne lui en tienne pas compte. A propos de l'ouver-
ture des Maîtres chanteurs, qui terminait le concert et qui a été dite d'une façon
superbe, je ne sais trop pourquoi mon excellent confrère Maurice Emmanuel,
le très distingué rédacteur des programmes de la Société, a jugé bon de partir
en guerre contre les compositeurs d'opéras-comiques. En analysant cette
ouverture, « il y a loin, dit-il, d'un tel emploi des thèmes principaux, dans
une ouverture symphonique, à la rhapsodie misérable qui, en trop d'opéras,
plus ou moins comiques, juxtapose les différents airs, sans que le moindre lien
les unisse. » Si M. Emmanuel veut prendre la peine de lire avec attention
certaines ouvertures de Méhul, de Cherubini, même de Bprton, il acquerra la
preuve que, bien que conçues dans cette forme, ce no sont pas toujours de
misérables rhapsodies. Et je ne rougis pas d'avouer qu'Auber lui-même a écrit
dans ces conditions, des ouvertures qui, pour n'être point de style classique,
sont de véritables bijoux. Après cet aveu plein de franchise et d'humilité, on
peut me lapider; je n'en démordrai pas. A. P.
Concerts-Colonne. — Une première audition bien, captivante a eu lieu au
dernier concert, celle de trois mélodies de M. Georges Hùe, choisies parmi
les huit qui portent le titre général de Croquis d'Orient. Ce sont là des ouvrages
de d mension modeste, mais d'une acuité d'observation singulière. Quiconque
a entendu chanter des étrangers venus des pays du Levant, remarquera que
les trois morceaux : Rerceuse triste. l'Ane blanc et Chanson d'amour et de souci,
produisent une impression toute semblable à celle de leurs airs exotiques ;
il sera frappé de trouver tant de ressemblance d'accent, de forme et de coloris
entre les petits ouvrages d'art, ciselés avec tant d'élégance, et les chansons
populaires dont on saisit de prime abord l'allure originale. L'A ne blanc, pat-
exemple, rappelle à s'y méprendre la musique lointaine dont nous parlons ;
c'est la même persistance de rythme, la même apparente simplicité, la même
insouciance de toute recherche et de tout raffinement. Nous n'en avons pas
moins là une miniature exquise. La Chanson d'amour et de souci lui est
supérieure pourtant, comme plus empreinte de poésie et d'un caractère
plus élevé. Les paroles sont une aimable paraphrase de certains versets de
l'Ecclésiaite et la musique se déroule lentement, finement, avec beaucoup
de douceur et une tristesse suave et pénétrante. L'orchestration de ces mélo-
dies est écrite avec aisance, et toujours agréable. M",e Mellot-Joubert a dit
ces petits poèmes avec beaucoup d'àme et de sincérité; M. Blanquart a bien
rendu la partie de flûte solo qui les rehausse d'un coloris délicat. Les pro-
grammes provoquent parfois de bien intéressantes comparaisons. Voici la
quatrième symphonie de Beethoven et le Prélude à l'après-midi d'un faune, de
M. Debussy. Le premier de ces ouvrages exprime la joie tantôt vive et agis-
sante, tantôt méditative, mais toujours franche, fraîche, heureuse et sincère
dans ses manifestations; le second, au contraire, a pour caractéristique l'exté-
riorisation un peu pénible et vague des sentiments de volupté langoureuse et du
désenchantement de l'homme qui cherche la jouissance dans une oisiveté pure-
ment sensuelle ou dans une sorte de far niente se rapprochant de la vie animale.
On peutjuger, en écoutant l'un après l'autre ces deux ouvrages, que notre manière
de comprendre la joie n'est pas exactement la même que celle de nos ancêtres
d'il y a un siècle. — Trois poèmes symphoniques ont été offerts au public de
cette séance et ont été bien accueillis • Anlar, dont la longueur et les conti-
nuelles redites lassent un peu la patience ; c'est une musique de primitif,
malgré certains raffinements: le Chasseur maudit, de César Franck, a une
tout autre valeur d'invention et de facture; c'est l'œavre dune époque
moyenne, trop longue aussi et se répétant beaucoup, mais supérieurement
orchestrée ; Don Juan, enfin, de M. Richard Strauss, est un ouvrage de puis-
sante envergure, frisant l'ère des décadences, mais d'un éclat exceptionnel.
Cette diversité dans les numéros du programme a permis à M. Pierné, qui
dirigeait l'orchestre, de montrer ses belles qualités d'assimilation, la 3ûreté
de son coup d'œil et l'ardeur communicative avec laquelle il sait faire com-
prendre et réaliser ses idées et ses intentions. Amédée Boutahel.
— Concerts-Lamoureux. — Après une exécution vraiment belle et impres-
sionnante par la vie, l'intelligence et la clarté, de l'admirable Symphonie
héroïque de Beethoven, M. Chevillard nous a donné une sélection du dernier
ouvrage de M.Alfred Bruneau, la Faute de l'abbé Mouret,quc l'on entendit avec
plaisir. Puis ce fut la symphonie de César Franck, dont une interprétation
prestigieuse rehaussa encore la pure et noble beauté. M. Frôlich, de sa voix
au timbre puissant, à l'accentuation remarquable, chanta l'air du Vaisseau fan-
tôme de Wagner et celui de la Fêle d'Alexandre de Haendel; il y fut fort fêté,
ainsi que M. Boncherit, qui détailla avec beaucoup de charme et de finesse le
délicat concerto en la pour violon, de Mozart, tes Murmures de la forêt de
Wagner, et deux suggestifs poèmes symphoniques de Liszt, la Procession noc-
turne et Méphisto-valse, valurent à l'éminent chef et à son orchestre des accla-
mations méritées. On ne peut en effet rêver d'exécution plus fouillée, plus
précise et plus captivante de ces superbes pages instrumentales. J. Jeu AIN.
Programmes des concerts de demain dimanche :
Conservatoire : Symphonie héroïque (Beethoven). — Deux chœurs sans accompa-
gnement ^Costeley et Jannequin). — Le Rouet d'Omphale iSaint-Saëns). — Rébecca.
(César Franck), avec le concours de Mmc Auguez de Montalant et M. Dullos. — Ouver-
ture des Maîtres Chanteurs (Richard Wagner).
Chàlelet, Concerts-Colonne : Cinquième symphonie, eu ut mineur (Beethoven). —
La Fiancée du Timbalier (Saint-Saëns) et Marguerite au rouet (F. Schubert), chantées
par M™1 Litvinne. — Fantaisie symphonique (H. Welsch), pour piano, par M.Georges
de Lausnay. — Le Vagabond malheur (Casadesus) et le Cavalier (L. Diémer), par
M"" Litvinne. — Suite d'orchestre de Pelléas et Mélisande (G. Fauré). — Cinq poèmes
(Richard Wagner), par M"" Litvinne. — Scène du Vénusberg du Tannhauser (Richard
Wagner).
LE MÉNESTREL
381
Salle Gaveau, Concerts-Lamoureux, sous la direction de M. Ghevillard : Ouverture
d'Egmont (Beethoven). — Symphoniotte en la mineur (Rimsky-Korsakow). — Le
Sommeil de Canapé (Samazeuilh), par M"° Jeanne Hatto. — Symphonie inachevée
(Schubert). — Air de ienska d'Onéguine (Tschaïkowsky) et air de Cosi fan lulle
(Mozart1, par M. Félix Sénius. — Le Vénusberg (Wagner).
— MM. Lucien Capet, André Tourret, Louis Batlly et Louis Hasselmans
donnent, cette année comme les précédentes, la série entière des dix-sept
quatuors de Beethoven. La première séance a eu lieu la semaine dernière
dans la salle des Agriculteurs et a été consacrée aux quatuors op. 18, n°l,
op. 95 et op. 427. Ces œuvres sont, selon les pays et le genre de talent des
exécutants, l'objet d'interprétations très diverses. Joachim et ses partenaires leur
donnaient une ampleur de sonorité que ne semble pas rechercher le quatuor
Capet, dont la manière est fine, fluide et transparente. La soirée n'en a pas
moins été un magnifique succès pour les quatre artistes, et l'impression causée
par les morceaux lents au caractère poétique et rêveur a été vive et profonde.
Am. B.
— La troisième soirée d'art de M. Barrau a été particulièrement intéressante.
Commencée par un quatuor de Mozart, terminée par le quatuor de M. Camille
Saint-Saëns, on a entendu entre temps une œuvre pour violon et piano de
M. Moullé, fort bien jouée par MM. Saury et Léon Moreau, et de fines mélo-
dies de M. de Saint-Quentin. Le succès de la soirée a été pour une jeune vir-
tuose, MUo Cella Delavrancea, dont le talent est fait de délicatesse, de charme
et d'originalité. Mlle Delavrancea, qui a travaillé au Conservatoire avec 1?
regretté Alphonse Duvernoy et avec M. I. Philipp, y a remporté l'année passée
un très brillant prix. Son interprétation de deux études de Chopin (op. 10, n° 5,
et 25, n°l) et de la Ballade (op. 23) du même maître a été extrêmement remar-
quable et lui a valu un succès très vif et très mérité. Ce succès s'est répété
après les Variations à deux pianos de Saint-Saëns, jouées avec la précision la
plus fine en compagnie de son maître M. Philipp.
— A la Société J.- S. Bach (salle Gaveau), le mercredi 2 décembre, deuxième
■concert avec le concours du ténor allemand George Walter. Programme :
i. Concerto pour violon en la (Daniel Herrmann); 2. Cantate Ich armer Mensch
(M. George Walter); 3. Sonate pour deux flûtes et continua (MM. Blar.quait et
Krauss, MUe Léon) ; 4. a) Air de la Cantate n° 160; h) Geislliche Lieder (M. George
Walter); a. Premier Concerto brandebourgeois, pour deux cors, trois hautbois,
etc. — Chef d'orchestre ; M. G. Bret. Bépélition publique : le mardi 1er dé-
cembre, à quatre heures (entrée 5 francs).
— La première des matinées musicales populaires (Fondation Danbé), dont
nous avons annoncé déjà la reprise, aura lieu mercredi prochain 2 décembre
à i heures au théàire de l'Ambigu. Au programme, œuvres de MM. Saint-Saëns
et André Messager, et concours effectif du second et de Mmc! Carrère-Xanrof,
Mariette Sully, MIIes Bakkers et Vizentini, MM. J. Périer, Francell, Yvain,
Delahègue et le quatuor Soudant. — La deuxième matinée est annoncée pour
le mercredi 9 décembre avec le concours de M. Gabriel Fauré, Mme Jeanne
Raunay et le quatuor vocal Battaille.
NOTRE SUPPLEMENT MUSICAL
(pour les seuls abonnés a la musique)
Mmo Desbordes-Valmore ! C'est déjà un peu la poésie du passé, mais d'un passé
élégiaque qui ne va pas sans charme, où les tons se sont adoucis sous la patine
des années bienfaisantes, où les douleurs, autrefois et déjà résignées, des amours
trahies du poète ont pris des teintes de rêve. Le musicien Reynaido Hahn excelle à
rendre les harmonies de ces pâles couleurs, et c'est pourquoi cette nouvelle mélodie,
Dans Z'étè, devra compter parmi ses meilleures. On la voudrait accompagnée par
quelque harpe attardée d'une vieille grand'mère.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De New-York : L'ouverture du Manhattan-Opera vient d'avoir lieu avec
Thaïs. L'œuvre de Massenet, qui avait été un des grands succès de la saison
dernière, a été triomphalement accueillie par une salle comble qui a rappelé
un nombre incalculable de fois sa remarquable et vivante interprète, MUe Mary
Garden, et son digne partenaire, le baryton Renaud.
— A New-York, à la salle Carnegie, à l'occasion des fêtes de Noël, sera
donnée le 19 décembre, sous la direction de M. Frank Damrosch, une exécu-
tion des Enfants à Bethléem de Gabriel Pierné. Deux cents enfants sont
engagés déjà pour chanter les chœurs.
— Encore une invention américaine : le travail en musique. Un fabricant
de Chicago observa par hasard que ses ouvriers travaillaient beaucoup plus
activement les jours où un joueur d'orgue de Barbarie venait moudre ses airs
devant la porte de son usine. On fit des expériences et l'on constata qu'en fait
rien ne stimule davantage l'ouvrier pour un travail rapide que l'audition d'une
marche ou d'une danse vivace. La première expérience pratique fut faite à
Canacharie, dans l'État de New-York, en une fabrique où les ouvriers tra-
vaillaient à forfait. La production, dans les salles où l'on avait installé un piano
mécanique, était de beaucoup supérieure a celle des autres salles, où il n'y
avait point de musique, et récemment, une expérience a été faite en plus grand
à Chicago, dans une fabrique qui avait reçu une commande très importante de
viande on conserve pour l'escadre du Pacifique, commande qui était extrê-
mement pressée. Les directeurs de l'usine réunirent un grand orchestre qui
fut placé dans la grande cuisine centrale, et c'est aux sons de la Mattcbiche et
de Viens, Poupoule que des millions et des millions de boites de conserves furent
préparées, fermées et expédiées. « Un nouvel horizon, dit un journal, s'ouvre
pour les musiciens gais, bien entendu, car il parait que la musique de Wagner
ne vaut rien pour mettre le thon en boites •>. Encore faut-il choisir son réper-
toire.
— A Los Angeles, en.Californie, l'orchestre symphonique a inscrit sur ses
programmes de la saison plusieurs œuvres françaises et a fait entendre à son
premier concert, sous la direction de M. Harley Ilamilton, la deuxième sym-
phonie de M. Saint-Saëns et l'air d'Hérodiade, « Vision fugitive », de
M. Massenet. Dans la même ville, on a exécuté à des concerts d'orgue des ou-
vrages de César Franck et de M. Alex. Guilmanl.
— A la « Société Beethoven » de Santiago de Cuba, si artistiquement diri-
gée par M. Rafaël P. Salcedo, très gros succès pour le Concerto capriccioso de
Théodore Dubois, très bien exécuté par Mllc de la Torre Silva. M. Salcedo
s'est fait applaudir aussi en jouant, avec M"c Caballero, la transcription à
quatre mains de Renaud de "Vilhac sur la Psyché d'Ambroise Thomas.
— Un costume à l'usage des dames pianistes. — Une virtuose anglaise du
piano, Mmc Ethel Leginska, fait des essais de réforme sur la manière de s'ha-
biller des personnes de son sexe qui jouent des instruments à clavier. D'après
son opinion, le costume que portent les pianistes qui se font entendre dans
les concerts est peu approprié aux circonstances. Les longues robes et les
traînes peuvent, chez une artiste de tempérament, s'embarrasser dans les
pédales ou dans les barreaux de la chaise sur laquelle doit s'asseoir l'exécu-
tante. D'autre part, les robes décolletées glissent facilement le long des
épaules pendant le jeu et peuvent gêner les bras et les mains dans leurs évo-
lutions. Mieux que cela, le seul sentiment de cette possibilité agit sur l'inter-
prète d'une façon troublante et la préoccupation qui en résulte lui fait perdre
sa présence d'esprit. Les corsets trop étroits compromettent aussi le jeu des
pianisles en diminuant ou en supprimant l'aisance des mouvements. Pour
toutes ces raisons, Mm0 Ethel Leginska s'est fait confectionner un costume
sous lequel désormais elle se présentera au public pour jouer du piano. Il
consiste en une large jupe de couleur sombre, descendant jusqu'aux chevilles,
et en un corsage qui, par la coupe et la disposition des plis, rappelle un peu
une blouse d'ouvrier. Le col est ouvert de façon à ne pas comprimer la gorge.
Les manches sont longues et nullement ajustées, afin de laisser toute liberté
à l'artiste pendant son interprétation.
— M. Hans Richter abandonne, parait-il, les fonctions de directeur des
Concerts Halle de Manchester, qu'il cumulait avec celles de chef d'orchestre
des représentations waguériennes au théâtre Covent-Garden de Londres. Les
motifs invoqués par l'artiste pour expliquer sa détermination, — son grand
âge et les ménagements qu'exige sa santé, — ne sont pas les véritables causes
de sa retraite. On assure qu'il se retire parce que le public de Manchester s'est
divisé en deux camps, l'un affirmant résolument ses préférences pour la mu-
sique ancienne et spécialement pour les oratorios de Haendel, l'autre ne
cachant pas ses prédilections pour les œuvres de Wagner, Brahms et Richard
Strauss. M. Hans Richter préfère ne pas affronter les mécontentements qu'il
rencontrerait d'un coté ou de l'autre selon la voie dans laquelle ses tendances
personnelles l'engageraient. Il sera remplacé vraisemblablement par le second
chef des Concerts-Hallé, M. Beidler, le gendre de Mmc Cosima Wagner.
— Le Conservatoire de Vienne devient définitivement institution d'État. Il
prend la dénomination d'Académie impériale et royale pour la musique et
l'art théâtral.
— On vient de publier à Berlin une nouvelle édition critique des œuvres litté-
raires de Weber, comprenant tous les écrits connus ou demeurés enfouis dans
les recueils où ils ont paru pour la première fois. Ce recueil, établi méthodi-
quement par M. Georges Kaiser, fournira quelques documents nouveaux pour
les biographes futurs du célèbre compositeur. Il renferme beaucoup de frag-
ments que l'on a imprimés nombre de fois, par exemple les remerciements
que Weber adressa aux artistes et au public le 19 juin 1821, lendemain de la
représentation du Frcischiiiz à Berlin, mais on relit toujours avec saiisfaction
des lignes émues comme celles-là, car elles nous montrent sous un jour entiè-
rement favorable et beau le maître dont l'œuvre marque une des dates les plus
importantes de l'histoire de la musique, celle de la création d'un opéra popu-
laire en Allemagne, conçu d'après la formule de l'opéra-comique français.
— Un volume nouveau de lettres de Richard Wagner va paraître prochai-
nement à Berlin sous le titre : Richard Wagner à ses interprèles. Il contiendra
près de quatre cents lettres, la plupart encore inédiles, adressées aux artistes
qui ont été les collaborateurs du maître à Bayreuth. Le contenu du livre for-
mera ainsi une sorte d'histoire de ce que l'on est convenu d'appeler l'œuvre
de B jyreuth. Les premières correspondances sont datées de 1872 et les der-
nières s'arrêtent à 1SS3, année de la mort de Wagner. Les lettres ont été
classées et révisées par M. Erich Kloss. Celles qu'a échangées Wagner avec
M. Hans de Wolzogen tiennent, dans le recueil, une place importante. Les
38*2
LE MENESTREL
antres sont adressées à des personnalités bien connues par lesquelles on
peut citer Frantz Betz, Marianne Brandt, Ed. Dannreulher, Karl Eckert,
Franz Fischer, Richard Fricke, Henri Gudehus, Eugène Gura, Julius Hey,
Karl Hill, Louise Jaide, Karl Klindworth, Lilli et Marie Lehmann, Her-
inann Levi, Thérèse Malten, Amalie Materna. Félix Mottl, Angelo Neu-
mann, Albert Niemann, Henri Porges, Théodore Reichmann, Louise Reuss-
Belce, Hans Richter, Karl Riedel, Alexandre Ritter, Joseph Rubinstein,
Emile Scaria, Antoine Seidl, Gustave Siehr, Joseph Sucher, Auguste Wil-
helmj. Hermann Winckelmann, Herman Zumpe, etc.
— Dans le premier concert symphonique dAltona, une ouverture pour
Cyrano de Bergerac, de M. Johann Wagenaar, a été entendue pour la première
fois.
— Le 15 décembre prochain, le théâtre de Weimar célébrera le cinquan-
tième anniversaire de l'apparition à la scène du Barbier de Bagdad de Peter
Cornélius. A la représentation de gala qui aura lieu à celle occasion, on don-
nera le Barbier de Bagdad et un prologue de circonstance écrit par M. Cari
Cornélius, le fils du compositeur, qui habite actuellement àBàle.
— Les amateurs de chorégraphie de Munich sont dans la consternation
parce que leur étoile, Mlle Haber, se voue à l'opérette. Elle a paru au Théâtre
de la Cour pour la dernière fois comme danseuse et travaille présentement le
chant avec Mmc Bosetti. Elle était sympathique à tous et sa réputation de
grâce et de beauté n'était pas usurpée. Pendant onze années, les principaux,
rôles des ballets du répertoire furent remplis par elle, et ses triomphes dans
Coppélia et dans d'autres ouvrages moins connus sont encore présents à la
mémoire de ceux qui l'ont suivie depuis ses débuts. Elle n'était pas seulement
une ballerine exquise: ses rôles de simple figuration la mirent hors de pair
tant elle y paraissait délicieusement jolie. Elle était, dans le Jongleur de Notre-
Dame, la madone qui fait des miracles. Elle représenta aussi la reine dans la
Rose du jardin d'amour de M. Hans Pfitzner, et s'y montrait non moins tou-
chante. On l'appréciait aussi lorsqu'elle dansait des czardas ou autres danses
populaires, y mettant un entrain et une flamme extraordinaires. A la fin de
sa représentation d'adieux, elle a quitté la scène en marchant sur les fleurs
qu'on lui jetait de tous côtés.
— Le roi de Wurtemberg, après avoir pris l'avis de personnes compétentes,
vient d'approuver les plans que lui a soumis l'architecte Littmann, pour la
construction du nouveau Théâtre-Royal de Stuttgart. L'ancienne salle, détruite
par un incendie le 20 juin 1902, avait remplacé un autre vieux théâtre, brûlé
lui-même un siècle auparavant. Depuis six ans on parlait toujours d'ériger
une nouvelle scène, mais les projets n'aboutissaient pas et la question risquait
d'augmenter le nombre de celles qui restent éternellement pendantes. Cette
fois, on va peut-être se mettre sérieusement à l'œuvre, car les dispositions
paraissent avoir été prises avec une maison de Stuttgart, qui s'est chargée de
construire le monument sous la direction de M. Littmann.
— A Ostende vient d'être donnée, avec un très grand succès, une audition
du nouveau mystère de M. Gabriel Pierné : Les Enfants à Bethléem, qu'on
doit précisément entendre aussi à Paris aux Concerts-Colonne, au moment
des fêtes de Noël. A Ostende, l'exécution était sous la direction de l'habile
chef d'orchestre Rinskolï. L'œuvre a été longuement acclamée par un public
ému et enthousiaste. Le chant des enfants, au nombre de cent, a produit
surtout une grande impression. Les soli étaient confiés a M"10 Simiane (de la
Monnaie de Bruxelles), belle voix de mezzo-soprano (la Vierge), à M110 Rachel
Calunaers. jolie voix de soprano, à M. Proot, superbe baryton et enfin à
M. Léo Van der Haegen, qui tient le rôle de l'âne. Car l'âne et le bœuf chan-
tent en la circonstance. Le succès fut tel qu'une deuxième exécution dut
suivre presque immédiatement, devant une foule énorme.
— Nous avons fait connaître le répertoire établi pour la grande saison
lyrique du Théâtre San Carlo de Naples. Au répertoire dramatique il faut
ajouter deux ballets, tous deux français : Coppélia, de Delibes, et Au Japon de
M. Louis Ganne. Et voici le tableau de la troupe : soprani et conlralti,
Mmos Gemma Bellincioni, Emma Carelli, Amelia Karola, Felia Litvinne,
Emma Druetti, Lilian Grenville, Carmen Melis, Nini Frascani, NerinaLollini,
Lina Maggi-Queirolo, Graziella Pareto. Alice Powers, Carolina White,
Béatrice "Wheeler ; ténors, MM. Bassi, Borgatti, Francesco Vignas, Paggi,
Mac Cormack, Fazzini, Gilion, Gallo ; barytons et basses, Mario Ancona,
Mattia Battistini, Formichi, Berenzone, Kaschmann, Galeili, Giovanelli, Tita
Ruffo, Pignitaro, Luppi, Queirolo.
— Le Théâtre Dal Vernie de Milan a donné la première représentation d'un
drame lyrique en quatre actes, Tess, livret tiré par M. Luigi Illica d'une nou-
velle anglaise, musique de M. Frédéric d'Erlanger. Cet ouvrage n'est pas abso-
lument nouveau ; il avait été donné le 10 avril 1906 au Théâtre San Carlo de
Naples, mais l'émotion causée par la fameuse éruption du Vésuve en avait
interrompu les représentations, et il était resté â peu près inconnu. Sa nouvelle
apparition â Milan ne parait pas lui avoir été absolument favorable. On repro-
che au livret un manque complet d'intérêt et à la musique un manque aussi
complet d'originalité. En somme, le succès parait avoir été modeste.
— L'abbé Perosi, le directeur de la chapelle Sixtine, écrit, dit-on, un opéra.
Il s'agit d'un drame lyrique dont le sujet n'est autre que Bornéo et Juliette. Le
livret aurait une forme tout â fait nouvelle, et le compositeur est très avancé
dans son travail. Don Perosi se défend cependant d'avoir conçu son œuvre au
point de vue théâtral et peut-être est-elle conçue simplement comme étude
leligioso-profane en vue d'exécution en salle de concerts.
— C'est aux derniers jours du présent mois de novembre que doit commencer
la grande saison de l'Opéra khédivial du Caire, pour se terminer le 9 mars 1909.
On signale parmi les artistes engagés, Mmns Regina Alvarez, Elena Bianchini-
Coppeli, Eugenia Burzio, Giorgina Caprile, Elvira De Hidalgo, Rosina
Lucchini, Carmen Melis, Giuseppina Zoffoli, et MM. Giovanni Bardi, Icilio
Ceileia, Federico Carbonetti, Ernesto Giaccone, Ferruccio Corradetti, Giuseppe
Krismer, Silvano Isalberti, Umberto Macuez, Antonio Magini-Coletti, Arturo
Romboli, Torres De Luna, etc. Chef d'orchestre : M. Giacomo Armani. Au
répertoire : Marcelin, la Damnation de Faust, les Maîtres chanteurs de Nuremberg,
Anna Karénine...
PARIS ET DÉPARTEMENTS
M. Emile Massard, au nom de la ^deuxième commission du conseil mu-
nicipal, vient de rédiger un rapport sur le fonctionnement du Lyrique-
Municipal de la Gaité et les modifications au cahier des charges demandées
par ses directeurs, MM. Isola. M. Emile Massard constate que si, au point de
vue de la bonne tenue des spectacles, le Lyrique-Municipal a donné de bous
résultats, il n'en a pas été de même pour les recettes. Celles-ci ne semblent
pas suffisantes pour assurer la marche normale de l'exploitation. Le rapporteur
expose dans quelles conditions l'Opéra-Comique et l'Opéra prêtent leur
concours au Lyrique. M. Carré fournit les décors, costumes, accessoires et
artistes pour certaines représentations, en échange de quoi MM. Isola doivent
remettre au directeur de l'Opéra-Comique 200 francs par soirée et 25 0/0 sur
la recette brute. Quant à l'Opéra, il prête gratuitement les costumes et acces-
soires. MM. Broussan et Messager ont même eu l'obligeance de consentir ce
prêt pour des pièces qui n'étaient pas de leur répertoire comme Jean de Nivelle
et l'Attaque du Moulin. Pour les artistes, MM. Isola les paient au prix fixé par
leur engagement avec l'Opéra. M. Massard voudrait obtenir un traitement
plus doux. MM. Isola, qui bénéficient déjà de la suppression du loyer, avaient
demandé une subvention, mais ils ont depuis renoncé à ce projet. M. Massard
propose au conseil municipal de leur permettre d'augmenter d'un franc par
place les huit premiers rangs de l'orchestre, les avant-scènes, les premières
loges et les fauteuils de balcon. Ces places seront ainsi portées de 4 à S francs.
Le nombre des places à 0 fr. 50 sera fixé à quatre cents. Enfin, la deuxième
commission voudrait que les places à un franc ne fussent plus mises en loca-
tion, ceci pour empêcher le trafic des marchands de billets. D'autre part.
M. Massard est d'avis que la Ville doit payer l'impôt foncier (10.000 francs
Dar an), acquitté jusqu'ici par MM. Isola, et se charger des réparations.
— L'Académie des beaux arts a décidé que le prix Bordin, de la valeur de
3.000 francs, à décerner en 1910, sera attribué au meilleur ouvrage sur la musi-
que ou sur l'histoire de la musique, publié dans les cinq dernières années.
— La commission de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques
s'est réunie, cette semaine, sous la présidence de M. Paul Hervieu. Elle s'est
occupée de la question de la succession de Georges Pellerin, dont la solution
est très prochaine. Nous croyons savoir, en tous cas, que son choix est irrévo-
cablement fixé à ce sujet et qu'elle a définitivement écarté le projet du rachat
des deux charges. Au cours de la séance, la commission a reçu les délégués
du syndicat et s'est entretenue assez longuement avec eux de différentes ques-
tions d'actualité.
— M. Louis de Gramont a repris, au Conservatoire, son cours d'histoire du
théâtre et de littérature dramatique. Notre distingué confrère commence par
résumer l'histoire du théâtre français, depuis ses origines jusqu'à Alexandre
Hardy. 11 parlera ensuite des grands écrivains du dix-septième siècle et des
chefs-d'œuvre classiques.
— A l'Opéra, les répétitions de Monna Vanna sont poussées vigoureusement
et tous les artistes s'y montrent pleins d'ardeur. — La direction adécidé d'ad-
joindre à son répertoire le gentil ballet de M. Saint-Saèns, Javotte, qui fut
d'abord donné à l'Opéra-Comique. Le maître de ballet, M. Staats, en arrête la
nouvelle mise en scène. — Enfin, les maquettes des décors de Bacchus sont
déjà sur pied. Comme on voit, la nouvelle direction n'entend pas s'endormir
et on ne peut nier vraiment qu'une nouvelle vie de travail règne à l'Opéra.
— A l'Opéra Comique, la répétition générale de Sarvga semble fixée au
lundi 7 décembre, dans l'après-midi, et la première représentation au mercredi
suivant. — Ce soir, samedi : Louise. Dimanche, en matinée, la Vie de Bohème
et Philémon et Bancis ; le soir, la Tosca. — Lundi, en représentation populaire
à prix réduits : la Traviata,
— M. Henry Expert, qui rend avec tant de talent, tant de savoir et tant de
désintéressement un service inappréciable à l'histoire de la musique française,
continue avec une ardeur que rien ne saurait troubler la série si précieuse de
ses publications des œuvres des maîtres musiciens de la Renaissance française.
Il y a là une œuvre de patriotisme artistique qu'on ne saurait trop louer ni
trop encourager. D'autant que les compositions ainsi tirées de l'obscurité où
elles sommeillaient sont simplement, et pour la plupart, des chefs-d'œuvre.
Elles prouvent en tout cas que le génie de nos grands artistes desXV-'etXVP
siècles ne le cédaient à qui que ce soit, et que ces artistes furent des maîtres
dans toute l'acception du terme, o II nous faut préserver de l'oubli, dit fort jus-
tement M. Expert, rendre à la vie, à l'immortalité les œuvres de nos pèt'es,
inestimable patrimoine intellectuel que menacent à la fois le vandalisme
inconscient du temps, le vandalisme brutal des passions aveugles et celui, non
moins coupable, de l'ignorance indifférente. L'art musical de la Renaissance
présente des compositions d'une beauté de forme achevée, d'une impeccable
LE MÉNESTREL
383
maîtrise d'écriture: bien mieux, il est la peinture la plus sincère, la plus cap-
tivante des idées, des mœurs, des sentiments, des passions de la Société, en
cette époque où s'exaltent les caractères et se déploient les énergies intimes de
notre race. » Partant des principes ainsi exposés, M. Expert s'est mis à l'œu-
vre, et depuis plusieurs années nous offre toute une longue série de compo-
rtions superbes, traduites par lui en notation moderne et mises en partition
avec le plus grand soin. C'est là simplement une œuvre de bénédictin, qui ne
fait pas seulement honneur à celui qui l'a conçue et entreprise, mais qui est
tout à la gloire de l'art national. Grâce à lui, nous connaîtrons maintenant
autrement que par leurs noms, tous ces artistes jadis fameux qui s'appelaient
Claude G-oudimel, Clément Jannequin, Guillaume Costeley, Jacques Mauduit,
Claudia Lejeunc, Josquin des Prés, Jean Mouton, et tant, tant d'autres qui
sont l'honneur et la gloire de l'art musical français et qui étaient les dignes
émules des maîtres plastiques delà Renaissance, les Glouet, les Jean Goujon,
les Philibert Delorme... Le volume des « danceries » de Claude Gervaise,
Eslienne du Tertre et divers anonymes que M. Expert vient de faire paraître
n'est ni moins curieux ni moins intéressant que ceux qui font partie déjà de
cette collection précieuse à tant de titres. A. P.
— Le Figaro annonce en ces termes la publication du livre de notre collabo-
rateur Arthur Pougin sur Monsigny, dont les lecteurs du Ménestrel ont eu la
primeur :
C'est toute une histoire de l'ancien Opéra-Comique de la Foire et de la Comédie-
Italienne, pendant un quart de siècle, que M. Arthur Pougin nous retrace en racon-
tant, la vie du compositeur Monsigny dans le fort joli volume qu'il publie sous ce
litre ; Monsigny et son temps (Fisclibacher, éditeur). En exposant la brillante carrière
de ce musicien charmant, qui fut, avec Duni et Philidor, l'un des créateurs du genre
de l'opéra-comique, en nous rappelant les triomphes de l'auteur de Rose et Colas, du
Déserteur, de Félix, d'Aline, reine de Golconde, M. Pougin fait revivre à nos yeux, dans
des portraits pleins de charme qu'accompagnent des anecdotes piquantes, les inter-
prètes fameux de ces jolis chefs-d'œuvre, tous chanteurs exquis en même temps que
comédiens accomplis, et qui ont laissé dans l'histoire de notre art lyrique une trace
lumineuse : Clairval, Laruette, Caillot, Trial, et ces femmes aussi séduisantes par
leur beauté que par leur talent, M"™ Favart, Mm" Trial, M"'° Laruette, M1"" Dugazon,
etc. C'est là une véritable reconstitution historique, à la fois précise et lidèle, dans
laquelle l'auteur n'a rien oublié, car il nous présente aussi les collaborateurs de
Monsigny, entre autres Sedaine, qu'il considère comme un librettiste de génie, et
Collé, que son mépris bizarre pour les musiciens n'empêchait pas de s'associer à eux
à l'occasion. Ce qui complète l'attrait de ce livre 'aimable, publié avec un grand luxe,
ce sont les charmantes illustrations qui l'accompagnent : portraits, costumes, scènes
théâtrales, qui, toutes, sont des reproductions d'estampes du temps et même de
tableaux, qui n'avaient jamais été gravés, de More.au, Cochin, Gravelot, Boucher, La
Tour... L'histoire artistique se double ainsi d'une précieuse galerie iconographique,
qui éclaire le texte de la façon la plus intéressante et la plus heureuse.
— On a souvent parlé de la dépense de force que doivent fournir les doigts
d'un pianiste exécutant, et de nombreux calculs ont été faits à ce sujet. On
ne se doute guère dans le public de la fatigue qui doit résulter pour un virtuose
de l'exécution d'un morceau quelconque, et l'on peut s'en rendre compte par
ce qui suit. Une touche de piano ne se baisse que sous la pression d'un poids
minimum de 75 grammes (celui de trois écus de 5 francs); mais l'attaque du
son, surtout dans une grande salle, exige de l'artiste un effort beaucoup plus
considérable. Dans le premier allegro du concerto en mi b de Beethoven, le
pianiste « pétrit » de la main gauche 4.476 notes et 5.450 de la main droite.
Ce total de 0.926 notes, multiplié par la pression minimum de 75 grammes
par note, donne au total le chiffre respectable de 744.450 kilos, c'est-à-dire le
poids de 29.778 écus de 5 francs! Et ceci nous prouve une fois de plus.... que
décidément la statistique est une bien belle chose!
— Demain dimanche, aux Folies-Dramatiques, doit être donnée la répétition
générale (reprise) du Petit Faust d'Hervé. A huitaine le compte rendu.
— Par suite du décès de Georges Marty, la Société du Casino de Vichy
vient de confier la direction de ses grands Concerts symphoniques à M. Phi-
lippe Gauberl, le très distingué chef d'orchestre adjoint des Concerts du
Conservatoire. M. Gaubert est un artiste éminent, dont la nomination sera
unanimement approuvée.
— Sur la recommandation de M. Colonne, M. Armand Marsick vient d'être
nommé chef d'orchestre*, professeur de contrepoint et fugue au Conserva-
toire royal d'Athènes.
— De Nîmes : Notre théâtre vient de nous donner la première représentation
de Grisélidis. La partition exquise du maître Massenet a conquis d'emblée
notre public, qui a fait fête aussi aux excellents interprètes, M"es Grill et
Delcour, MM. Caillot, Mikaelly et Lacoume.
— Le Grand-Théâtre de Lyon a donné samedi dernier la première représen-
tation d'un drame lyrique intitulé le Prêcheur de Sainl-Othmar , qui n'est autre
que VÊvançjélisle, opéra dont M. "Wilhelm Kienzl a écrit les paroles et la
musique et qui a obtenu un vif succès en Allemagne en ces dernières années.
L'adaptation française de cet ouvrage a été faite par M. Louis Schneider.
— On vient de donner à Lille un grand concert consacré à la mémoire
d'Edouard Lalo, enfant de cette ville, concert organisé avec le concours de
Mlle Bréval, de MM. Louis Diémer, Alfred Cortot et Enesco, et dont le
succès a été complet. Le programme ne comprenait que des œuvres de Lalo.
Mllc Bréval a chanté l'air de Margared du Roi d'Ys, M. Diémer a fait entendre
le beau concerto que le compositeur lui dédia naguère, M. Enesco a exécuté
la Symphonie espagnole, et l'orchestre, sous la direction de M. Cortot, s'est
distingué dans la Rupsodie norvégienne et l'ouverture du Roi d'Ys, où le solo de
violoncelle était rendu par M. Cruque.
— Soirées et Conœrts. — L'audition mensuelle d'élèves de l'école classiqua diri-
gée par M. Chavagnat, consacrée aux œuvres de M Filliaus-Tiger et \. Collin, et
de MM. Falkenberg, Jacob h Chavagnat, a été des plus intéressantes. \ signaler parti-
culièrement, M"" Iloudas (Esprit des rêves, Chavagnat), M"' Cavalier Sérénade <3"/./.m-,
Chavagnat), M"' Mai-lin l Les Ombres, du poème Avril, Chavagnat] et, surtout,
Mlu Drouin qui a chanté Pluie en mer, de Filliaux-Tiger, el joué Voici le renouveau,
tlu poème Avril de Chavagnat.
NÉCROLOGIE
FA.XJT-. TAFFANEL
Encore une mort, encore un deuil! Nous avons à enregistrer celte fois la
perte d'un des plus grands artistes de ce temps, Paul Taffanel, qui est mort
dimanche matin, après une longue agonie qui l'avait laissé sans connaissance
depuis trois jours. Virtuose d'un ordre absolument exceptionnel, musicien
instruit, chef d'orchestre doué de rares qualités, Paul-Claude Tall'anel était
né à Bordeaux le 10 septembre 1844. Petit-fils d'un luthier, fils d'un professeur
qui était chef de musique de la garde nationale, il fut élevé dans un milieu
essentiellement musical où ses aptitudes personnelles ne trouvèrent que des
encouragements. Envoyé de bonne heure à Paris et recommanda à Dorus,
celui-ci l'admit dans sa classe du Conservatoire, où, dès son premier concours,
en 1860, il remportait d'emblée le premier prix do flûte. Il entra alors dans la
classe d'harmonie de Reber, où il se vit décerner un premier prix en 1802,
puis, Reber ayant été nommé- professeur de composition, il suivit son maître
dans sa nouvelle classe, et obtint le premier prix de fugue en 1805. J'avais
raison do dire que Taffanel était un musicien instruit.
En 1864, après avoir passé deux ans à l'orchestre de l'Opéra-Comique,Talfanel
entrait à celui de l'Opéra, où il ne tardait pas à devenir première flûte. Il faisait
partie alors de la Société des Jeunes Artistes de Pasdeloup, qu'il accompagna
lorsque celui-ci fonda les Concerts-Populaires. Il n'y devait pas rester longtemps,
car son admirable talent de virtuose le faisait appeler, en 1S67, comme première
flûte à la Société des concerts du Conservatoire. Très actif de sa nature et
doué d'un véritable tempérament d'artiste, il fondait en 1S79, avec MM. GiHet
(hautbois), Turban (clarinette), Brémond (cor),Espaignet (basson) et de Bailly
(contrebasse), cette délicieuse Société de musique de chambre pour instruments
à vent dont les succès furent si éclatants non seulement à Paris, mais en
Angleterre, en Allemagne et en Russie. Entre temps il prenait part à un de
nos concours de la Société des compositeurs et se voyait couronner pour un
fort joli quintette d'instruments à vent. En 1890 il était nommé troisième
chef d'orchestre à l'Opéra; en 1892, à la retraite de Jules Garcin, il était élu
chef d'orchestre de la Société des concerts, et l'année suivante il succédait à
M. Colonne comme premier chef à l'Opéra. Il ne fut pas moins heureux dans
cette nouvelle carrière que dans celle de virtuose. Il y joignit bientôt celle de
professeur. En 1893, à la retraite d'Henri Altès, il était nommé professeur de
flûte au Conservatoire, et peu après il se voyait chargé de la direction de la
classe d'orchestre. C'est lui qui, à ce titre, dirigeait les exécutions de tous les
exercices et des auditions des envois de Rome. Il y a sept ans, sentant quelques
atteintes de fatigue, il donnait sa démission à la Société des concerts, où il
était remplacé par le pauvre Marty, disparu quelques jours avant lui, et l'année
dernière, atteint déjà par la maladie, il quittait l'Opéra. C'est à ee moment
que nous l'avions choisi, à l'Association des artistes musiciens, pour succéder
comme président à M. Emile Réty. Nous n'avons aujourd'hui que le regret de
l'avoir eu si peu de temps à notre tête. Taffanel a occupé une grande place, et
très importante, dans le monde musical de ces trente dernières années, et soit
comme virtuose, soit comme chef d'orchestre, soit comme professeur, il a
rendu de nombreux et signalés services. C'était un véritable artiste, doué
d'initiative, et pourvu, sous les rapports les plus divers, de qualités de premier
ordre et tout à fait exceptionnelles. Arthur Podgin.
— Le 11 novembre dernier est mort, à New-York, Auguste Vianesi. qui fut
chef d'orchestre pendant quelques années à l'Opéra de Paris. Il avait succédé
à Ernest Altès le 1er juillet 1887 et fut remplacé en 1891 par Charles Lamou-
reux. Auguste Vianesi était né le 2 novembre 1837 à Livourne. Après avoir
fait son éducation musicale sous la direction de Pacini et Dohler. il vint à
Paris en 1837, avec une recommandation pour Rossini. Nommé chef d'or-
chestre du Théâtre Drury-Lane de Londres en 1859, il remplit ensuite des
fonctions analogues à New-York, Moscou, Saiut-Pétersboug, de nouveau à
Londres, puis sur plusieurs théâtres de l'Angleterre et du continent, enfin à
Philadelphie. Il fut chef d'orchestre de l'Opéra Métropolitain de New- York
pendant la première saison de la direction Abbey, Schœffel et Grau en 1883.
et conduisit ensuite les représentations de l'Opéra allemand en 1892 el 1893.
Dans les dernières années de sa vie, il se tint uu peu à l'écart, n'étant plus
guère en relations qu'avec quelques amis. C'est lui qui dirigea, dans la salle
du Trocadéro, la première audition, à Paris de la Légende de sainte Elisabeth, de
Liszt, le 8 mai 1SS6. Le rôle du Landgrave Louis était chanté par M. Faure.
Liszt, qui assistait à l'audition, s'est montré ravi de l'effet grandiose qu'avait
produit l'orgue dans la scène finale. Vianesi était considéré à eette époque
comme un chef d'orchestre plein de vigueur et d'activité.
Henri Heugel, directeur-gérant.
PROFESSEUR DE CHANT. Une place de professeur de chant (homme
ou femme) est vacante à V École nationale de musique de Valenciennes. —
Traitement : 1.200 francs. — Adresser les demandes avant le 30 décembre au
Directeur de l'Ecole.
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LE MENESTREL
Soixante-quinsclèiTiei année d© publication
PRIMES 1909 du MÉNESTREL
JOURNAL DE MUSIQUE FONDÉ LE 1er DÉCEMBRE 1833
Paraissant tous les samedis en huit pages de texte, donnant les comptes rendus et nouvelles des Théâtres et Concerts, des Notices biographiques et Éludes
sur les grands compositeurs et leurs œuvres, des articles d'esthétique et ethnographie musicales, des correspondances étrangères,
des chroniques et articles de fantaisie, etc.,
publiant en dehors du texte, chaque samedi, un morceau de choix (inédit) pour le CllAiW ou pour le PIANO et offrant à ses abonnés,
chaque anuée, de beaux recueils-primes C'HA.YT et l'IAYO.
C Xi A. _N T (1er MODE D'ABONNEMENT)
Tout abonné à la musique de Chant a droit GRATUITEMENT à l'une des primes suivantes :
E. JÀQUES-DALCROZE
JUMEAUX DE BERGAME
Deux actes de Maurice Lena
(D'après Florian)
Partition chant et piano
THÉODORE DUBOIS RAOUL PDGNO
ODELETTES ANTIQUES CLOCHES DU SOUVENIR
JAQUES-DALCROZE
Idylles et Chansons
Deux recueils format in-4°
PIANO
GEORGES HUE
Ldeds dans la pofèt
Deux recueils format in-4°
(2° MODE D'ABONNEMENT)
RODOLPHE BERGER
LE CHEVALIER D'ÉON
Opéra-comique en 4 actes
d' Armand Silvesire et Henri Cain
Partition chant et piano
Tout abonné à la musique de Piano a droit GRATUITEMENT à l'une des primes suivantes :
J. MÀSSENET
ESPADA
Ballet-pantomime
de René Maucars
Partition pour piano seul
J. SEBASTIEN BACH
DOUZE CHORALS
(Transcrits pour piano par I. Piiilipp)
RAOUL PUGNO
Paysages
Deux recueils in-4°
ERNEST MORET
JONCHÉE D'OCTOBRE
ERNEST MORET
Pages Blanehes
Deux recueils in-4°
PADL VIDAL
ZINO-ZINA
Ballet-pantomime
de Jean Riciiepin
Partition pour piano seul
GRANDES Ï^FMMES
PRIMES DE P1M0 Eï DE CIHNI RÉUNIES, POUR LES SEULS ABONNÉS A L'ABONNEMENT COMPLET (3e Mode)
— GABRIEL PIERNÈ —
LA CROISADE DES E^fA^T
Légende musicale en quatre parties
1. Le Départ. = 2. La Grande Route. = 3. La Mer. = 4. Le Sauveur dans la tempête
Grande et belle partition in-4° avec couverture de Giraldon en chromo
H.EO x>esx*zb:e:s
VICTOR m;ass£
JEAN DE NIVELLE PAUL ET VIRGINIE
Opéra en trois actes
Partition chant et piano
Reprise du Thëàtro-Lyrique de
Ropi
Opéra en trois actes
Partition chant et piano
lu Tliéàtro-Ijjr-ique de l£
NOTA IMPORTANT. — Ces primes sont délivrées gratuitement dans nos bureaux, 3 bis, rue Vivienne, à partir du 10 décembre prochain, à tout
ancien ou nouvel abonné, sur la présentation de la quittauce d'abonnement au MÉXE'iTREL, pour Tannée 190». Joindre au prix d'abonnement
un supplément d'IIS ou de DEUX francs pour l'envoi franco dans les départements de la prime simple ou double. (Pour l'Etranger, l'envoi franco
des primes se règle selon les frais de Poste.)
Les abonnés an Clianl peuvent prendre la prime Piano el vice versa. - Ceux au Piano el au Cbanl réunis onl seuls droil à la grande Prime . - Les abonnés au texte seul n'onl droit à aucune prime .
CHANT CONDITIONS D'ABONNEMENT AU « MENESTREL » PIANO
1" Mode d'abonnement : Journal-Texte, tous les samedis ; 26 morceaux de chant : | 2" Mode d'abonnement : Journal-Texte, tous les samedis ; 26 moroe
Scènes, Mélodies, Romances, paraissant de quinzaine en quinzaine; 1 Recueil-
Prime. Paris et Province, un an : 20 francs ; Étranger, Frais de poste en sus.
!>E piano :
Fantaisies, Transcriptions, Danses, de quinzaine en quinzaine; 1 Recueil-
Prime. Paria et Province, un an : 20 francs; Étranger : Frais de poste en sus.
CHANT ET PIANO RÉUNIS
3- Mode d'abonnement, comprenant le Texte complet, 26 morceaux de enant, 26 morceaux de piano, les 2 Recueils-Primes ou une Grande Prime.
Un an : 30 francs, Paris et Province; Étranger : Poste en sus.
4" Mode d'abonnement. Texte seul, sans droit aux primes, un an : 10 francs.
On souscrit le 1" de chaque mois. — Les 52 numéros de chaque année forment collection.
Adresser franco un bon sur la poste à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bù, rue Vivienne.
■ L.lic LuroJcu^-
Samedi S Décembre 1908.
405*. - 74e ANNÉE.— N° 49. PARAIT TOUS LES SAMEDIS
(Les Bureaux, 2 b", rue ViYienne, Paris, u- m>)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
JSec'd
LE
MENESTREL
Le flaméro : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THEATRES
Henri HEUGKL. Directeur
lie Numéro : 0 fr. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienr.e, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr. , Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sua.
SOMMAIRE- TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck (47" article), Julien Tiersot. — II. Semaine théâtrale : reprise du Petit Faust aux Folies-Dramatiques, Paul-Emile Chevalier. — III. Petites
notes sans portée : De l'interprétation nouvelle des vieux maîtres, Raymond Bouyeu. — IV. hevue des grands concerts. — V. Nouvelles diverses.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
NEUVIÈME NOCTURNE
:!e Gabriel Faire. — Suivra immédiatement: Le Petit soldat de plomb et la
Chanteuse roumaine, nos 2 et 3 des Figurines, nouveau recueil de I. Piiilipp.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de chant:
LE NOËL DES HUMBLES
de J. Massenet, poésie de Jein Aicard. Suivra immédiatement: Roses ardentes,
n° 3 de la Chanson d'Eve, de Gabriel Fauré, poésie de Cn. van Lebergiie.
PRIMES GRATUITES DU "MÉNESTREL " POUR L'ANNÉE 1909 (voir à ta r page du journal).
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
(AT ±4- J-TT--*)
Sept ans encore ! Sept ans,
pendant lesquels Gluck con-
tinua de se débattre et à piéti-
ner sur place, sans que son
effort d'Or/eo et cl'Alcesle lui
eût été compté plus que s'il
n'eût remporté qu'un vulgaire
succès d'opéra! Les apparen-
ces ne le trompaient pas. Il
savait bien que le peu à quoi
il avait abouti à Vienne, et
au prix de combien de luttes,
était resté sans écho et sans
lendemain. Les biographes,
surtout les panégyristes pos-
térieurs, ont beau nous le
montrer déjà dans l'éclat du
triomphe, leurs louanges ne
prévalent pas contre l'obser-
vation exacte des faits. « Ja-
mais, écrit l'un, jamais opéra
ne fit verser plus de larmes
et n'obtint plus d'applaudis-
sements. Pendant deux ans
on ne voulut voir aucun
autre opéra sur le théâtre
(*)Ce dessin, comme celui qui paraî-
tra dans le prochain numéro (la maison
natale de Gluck) aurait du trouver sa
place au commencement de notre étu-
de, dans le chapitre relatif aux origines
et à la naissance de Gluck. N'ayant pu
nous en procurer assez tût les photo- '
graphies (quo nous avons fait faire ex-
pressément en vue de cette publica-
tion), nous avons dû les réserver pour
les faire paraître dans le dernier cha-
pitre, commençant aujourd'hui.
CHAPITRE X : D'Alceste à Iphigénie (1767-1774).
de la Cour (1)... » Soit: il se
peut que le succès i'Alceste
se soit prolongé un peu au
delà des limites ordinaires, et
que la série des représenta-
tions, au lieu de s'épuiser en
une seule saison, s'en soit
continuée jusqu'à l'année sui-
vante. Mais ces deux années
passées, c'était comme si Al-
ceste n'eût jamais plus existé
que n'importe quoi de Léo
ou de Jomelli : on • ne la
représenta pas ailleurs, et le
théâtre se remit à donner des
opéras à l'italienne, tout com-
me s'il ne s'était rien passé.
Quand Burney vint à Vien-
ne, ii y entendit apprécier
Akeste de manières diverses,
parfois avec admiration (2):
mais il n'en put pas juger par
lui-même, car il y avait beau
temps que l'œuvre avait dis-
paru du répertoire. Or, son
voyage date de 1772 : il y
avait donc à peine cinq ans
que l'œuvre avait paru pour
la première fois, et elle sem-
blait reléguée dans le do-
maine des choses mortes.
MONUMENT DE GLUCK A WEINDENWANG
( Reproduction interdite.}
Ii Eneycloimlie méthodique, partie
musicale, article Allemagne, signé
SUARD.
(2) Burney, État frisent de la musique,
L II, pp. 23'.-235.
386
LE MÉNESTREL
Pourtant, l'éclat passager que lui avaient procuré les repré-
sentations avait valu à Gluck un avantage. Il l'avait posé en
chef d'école. Après Alceste, la Tienne musicale fut divisée en
deux camps. Burney va nous renseigner encore là-dessus :
« L'esprit de parti, dit-il, parmi les poètes comme parmi les
musiciens, est porté aussi loin à A'ienne que partout ailleurs.
Métastase etHasse sont à la tète d'une'des principales sectes; et
Galsabigi et Gluck à la tète de l'aulre. La première, regardant
toute innovation comme de la charlatanerie, reste attachée à
l'ancienne forme du drame musical dans laquelle le poète et le
musicien exigent une égale attention (1) de la part du specta-
teur, le poète dans le récitatif et la narration, le compositeur
dans les airs, dans les duos et dans les chœurs. La seconde
s'attache davantage aux effets scéniques, à la convenance des
caractères, à la simplicité de la déclamation et de l'exécution
musicale, plus qu'à ce qu'ils appellent des descriptions fleu-
ries, etc. (2). »
De fait, cette rivalité n'était pas sans causer à ceux qu'elle
venait déranger dans leur tranquillité des inquiétudes que,
malgré leur impassibilité apparente, ils ne savaient pas trop
bien cacher. Le doux Métastase en devint comme un mouton
enragé. Ne venons-nous pas de le voir accuser Gluck de charla-
tanisme, — ce reproche qu'en tout temps l'on a vu faire aux
novateurs quand l'éclat de leur génie vient frapper l'attention
publique? Courtois et patient en apparence, Métastase était
connu pour supporter si peu la contradiction que si, dans un
entretien, il apercevait quelqu'un qui fût d'un autre avis que
le sien, il cessait aussitôt de parler et demeurait silencieux (3).
Il y a apparence que, pendant les deux ans que les repré-
sentations d' Alceste suivirent leur cours, il dut assez souvent
se taire ! Quand, à Paris, l'entreprise de V Encyclopédie fut com-
mencée, les éditeurs lui avaient demandé d'écrire l'article :
Opéra; il s'y refusa, alléguant que ses opinions sur ce sujet ne
pourraient pas plaire à la nation française (4) ; or, c'est à cette
même nation française que Gluck allait bientôt faire appel pour
juger en dernier ressort de sa cause, compromise par les Vien-
nois. Comment ces deux chefs départi auraient-ils pus'entendre?
Gluck en était alors à la période de déception que tout homme
de génie a connue, quand, ayant découvert la vérité, l'appor-
tant, l'exposant avec joie aux yeux de tous, il constate qu'on ne
veut pas la voir. Expérience désolante, et contre laquelle bien
des efforts ont dû être brisés. Pour lui, avec son tempérament,
il n'en devait pas éprouver de découragement: mais il en
ressentit une irritation profonde. Ayant, peu d"années après, fait
paraître un troisième opéra en collaboration avec Calsabigi,
Paride ed Elena, il donna cours à sa mauvaise humeur en écri-
vant une préface qui n'a plus rien de la noble gravité de celle
d' Alceste. D'abord, il n'y est presque pas question de Paride ed
Elena, mais, revenant sur le passé, l'auteur y récrimine, attaquant
de front ses adversaires, disant leur fait à ceux qui s'obstinent
à ne le pas comprendre et empêcher qu'on le comprenne. Ah!
il sait bien leur dire leur fait, aces « ennemis du Héros», comme
on les appelle aujourd'hui après Carlyle. Nietzsche et Richard
Strauss ! Lisez les premiers paragraphes de cette épitre, dédiée,
comme la précédente, à un prince de la famille impériale :
A SON ALTESSE LE DUC GIOVANNI DE BRAGANCE
En offrant à Votre Altesse cette nouvelle œuvre de ma composition, je cherche
moins un protecteur qu'un juge. Une àme assurée contre les préjugés de la
coutume, une connaissance ^-ullisante des grands principes de l'art, un goût
(1) L'écrivain aurait plus exactement défini l'opéra italien du XVIII1 siècle s'il
avait ajouté à l'adjectif « égale » cet autre : « et successive », la suite de ses expli-
cations montrant fort bien, en ell'et, que le rùle du poète et celui du musicien y res-
taient parfaitement distincts, tandis que l'effort de Gluck consistait iv les fondre en
un seul.
(2i Bur.xEY, Étal présent de In musique, t. II, p. 202.
(3) BunxEY, État présent de la musique, t. II, p. 199.
(4) BmiNEï, État présent de la musique, I. II, p. 198. — C'est à cette circonstance,
révélée par l'écrivain anglais, que nous devons que l'article OÉnA dans YEnq/clo-
péïliea.it été écrit par Cahuzac. A-t-il gagné ou perdu au change? Nous ne saurions
le dire. Mais l'article Opéiia dans le Dictionnaire de musique de Jean-Jacques
Rousseau est beaucoup plus intéressant.
formé non pas tant sur les grands modèles que sur les fondements invaria-
bles du beau et du vrai, voici la qualité que je cherche daDs mon Mécène, et
que je trouve réunies dans Votre Altesse.
L'unique raison qui m'avait induit à imprimer et livrer au public la mu-
sique d'Alceste était l'espérance de trouver des continuateurs qui, n'ayant plus
qu'à passer par une route ouverte, stimulés par les pleins suffrages d'un pu-
blic éclairé, auraient à cœur de détruire les abus introduits dans le spectacle
italien, et le porter, aussi avant qu'il se puisse, à la perfection.
J'eus la douleur de l'avoir tenté jusqu'ici en vain.
Les « gens de bon goût (1) » et les pédants, de qui la troupe est infinie, et
qui sont le plus grand obstacle au progrès des beaux-arts, se sont déchaînés
contre une méthode qui, si elle s'intronisait, détruirait d'un trait leurs pré-
tentions à être arbitres de l'opinion et directeurs de l'action.
On a cru pouvoir porter un jugement sur Alceste d'après des répétitions
informes, mal conduites, et plus mal exécutées; on a calculé dans une chambre
l'effet qu'une telle œuvre pourrait produire au théâtre, avec la même sagacité
qu'autrefois, dans une cité de la Grèce, quelqu'un voulait juger à quelques
pieds de distance des statues destinées à être érigées sur de hautes colonnes.
Une oreille délicate a trouvé peut-être trop âpre une cantilène, ou un pas-
sage trop fortement senti et mal préparé, sans penser que peut-être à sa place
il représentait le maximum de l'expression et le superlatif du contraste. —
Un pédant a profité d'une négligence judicieuse, ou peut-être d'une erreur
d'impression (2), pour les condamner comme un péché mortel contre les mys-
tères de l'harmonie : et l'assemblée a pu décider unanimement contre une mu-
sique barbare et extravagante !
Il est vrai qu'on juge les autres parties avec un semblable critérium; mais
on n'en juge pas avec plus de sûreté ni de lumière. Votre Altesse en verra
tout de suite la raison. Plus on cherche la vérité et la perfection, plus l'exacti-
tude et la précision sont nécessaires. Les différences qui distinguent Raphaël
du troupeau des peintres à la douzaine sont insensibles, et quelques altéra-
tions de contours, qui ne gâteront pas la ressemblance d'une caricature, défi-
gureront entièrement le portrait d'une belle dame. Je n'en veux pas d'autre
exemple que mon air dans Orfeo ; « Che furà sema Euridice » . Changez seule-
ment quelque chose dans la manière de l'exprimer, il devient une danse de
Buratliui. Une note plus ou moins tenue, un renforcement négligé du mou-
vement ou de la voix, une appoggiature hors de place, un trille, un passage,
une roulade, peuvent ruiner toute une scène dans un opéra semblable,
tandis que le même changement ne fera rien à un opéra ordinaire, ou ne fera
que l'embellir. C'est pourquoi la présence du compositeur à l'exécution de
cette espèce de musique est, pour ainsi dire, aussi nécessaire que la présence
du soleil dans l'œuvre de la nature. Il en est absolument l'àme et la vie, et
sans lui tout reste dans la confusion et dans les ténèbres.
Mais il faut être préparé à ces obstacles tant qu'il y aura au monde de ces
gens qui se croient autorisés à décider sur les beaux-arts n'importe com-
ment, parce qu'ils ont le privilège d'avoir une paire d'yeux et une paire
d'oreilles. C'est par malheur un besoin trop commun chez les hommes que la
manie de vouloir parler des choses précisément auxquelles ils entendent le
moins, — et j'ai vu dernièrement un des plus grands philosophes du siècle (3)
se mêler d'écrire sur la musique, et prononcer comme oracles :
« Rêveries d'aveugles et sottises de romans! (4).'.. »
(A suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THEATRALE
Folies-Dramatiques : Le Petit Faust, opéra-féerie en 3 actes et 6 tableaux,
d'Hector Crémieux et Jaime, musique d'Hervé.
Je suis Méphisto, serviteur fidèle
De l'ange déchu qu'on nomme Satan.
Et voilà que. tout près de quarante années après sa première appari-
tion — 23 Avril 1869 — le gentil Méphisto réapparaît en son maillot
rouge sur cette même scène des Folies-Dramatiques où il naquit et,
devant un public ravi, chante une fois de plus sa chanson célèbre. Si
M. Debrenne, le nouveau directeur, n'a rien négligé pour donner tout
l'éclat possible à cette reprise, luxe et richesse de bon goût dans les
costumes et dans les décors, distribution réunissant un faisceau de
gloires dès longtemps établies, il est juste de dire que la partition
d'Hervé reste le principal atout de ces représentations qui, très évidem-
ment, devront faire courirTout-Paris, ceux-ci venant pour réentendre les
(1) . Buonr/ustai ». Comparez l'ironique expression de Berlioz à l'adresse du cri-
tique influent : « Il faut beaucoup de goût... i
(2) Il y a beaucoup de fautes dans la partition de Y Alceste italienne, presque au-
tant que dans la française, et ce n'est pas peu dire ! J.-J. Rousseau s'est plaint de la
fatigue que ces incorrections lui avaient causée à la lecture.
(3i II paraîtrait que ce •< grand philosophe du siècle » serait seulement le jésuite
espagnol Arteaga, L'épithète est un peu forte.
(-4 Première partie de la préface de Paride ed Elena, traduite directement sur le
texte italien de la partition originale (Vienne, 1770).
LE MÉNESTREL
387
airs dont leur jeunesse fut agréablement bercée, souvenirs de beaux
jours envolés, ceux-là suivant pour faire connaissance avec l'œuvre
dont ils entendirent tant et tant parler.
Et ni les uns ni les autres ne regretteront leur petit voyage, car elle
est restée étonnamment jeune, vive, alerte, spirituelle, la musique de
cet étonnant Hervé, elle est même demeurée musique en son genre, ou
folle ou jolie, puisque ceux qui voulurent l'imiter s'y brûlèrent mala-
droitement des ailes trop fragiles. C'est un petit chef-d'œuvre, vrai-
ment, et e'est même, on peut le dire, le chef-d'œuvre de la parodie.
Ecoutez avec quelle adresse, quelle malice, et en même temps, toujours,
quelle espèce de respect, Hervé se sert des motifs de Gounod pour les
déformer drôlement ou en faire jaillir de l'étonnante et inattendue fan-
taisie. Celui-là, qui fut capable d'écrire pareille parodie, non seulement
savait à merveille son métier de musicien, mais encore était très cer-
tainement outillé pour entreprendre besogne beaucoup plus sérieuse.
Le soir de la reprise, les bravos crépitèrent tout au long de la repré-
sentation et les bis furent innombrables ; on redemanda et les couplets
de Valentin et le chœur des soldats, et le final du premier acte, et le
triple chœur des cocottes, des vieillards et des étudiants, et la valse des
Nations, et la variation dansée par M11'' Sandrini, de l'Opéra, s. v. p., et
le trio du Vaterland, et d'autres numéros encore. Et on engloba, dans le
succès très vif, M1,c Jeanne Saulier, qui abordait pour la première fois
le rôle de Marguerite et y fit montre de joliesse, d'adresse et de fan-
taisie, notamment dans les couplets allemands du second acte, M"1' Jane
Pernyn, accorte et si bien chantante, M. Cooper, toujours élégant, et
M. Sulbac, toujours comique, tous trois ayant déjà, antérieurement,
été grandement applaudis dans les personnages respectifs de Méphisto,
de Faust et de Valentin.
Paul-Emile Chevalier.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
CXL
DE LTXTERPRÉTATIOX NOUVELLE DES VIEUX MAITRES.
ET PARTICULLÈREMEXT DE BACH
A l'intelligent promoteur
de la Société Bach, Gustave Brel.
Au superbe concert extraordinaire à la mémoire de Georges Marty,
sous l'élégante direction de M. André Messager, directeur de l'Opéra
comme le fut Habeneck, notre souvenir se plaisait à remonter le cours
de quatre-vingts ans ; et, glorieux de la présence des maîtres, ce diman-
che lo octobre 1908 nous « rappelait», comme si nous avions pu l'en-
tendre, la première séance du dimanche 9 mars 1828. Mêmes auteurs et
même décor. Il semble qu'ici le temps s'arrête. Et des voix fugitives
nous donnent un avant-goût de l'immortalité. Mais, par-delà Gluck
Mozart et le dieu Beethoven, il nous plait de remonter plus avant le
fleuve du passé : l'austère volupté de l'érudition nous tient.
Ce ne sont plus seulement les livres (i ) qui nous ressuscitent levieux
temps silencieux, mais les concerts : la France mélomane a progressé
depuis les premières séances « historiques » du bon Fétis, qui comptait
parmi ses auditeurs M. le comte Alfred de Vigny : c'était eu 1833, l'année
d'Eugénie Grandet. Eu 1908, à côté de Y Héroïque beethovénienne, aussi
vivante qu'au premier jour (2), Guillaume Costeley. Clément Jannequin
marient les voix dans le gai savoir français de leurs madrigaux ■ au
Conservatoire, à la Schola Cantorum, à la Sorbonne, à la Société Bach,
l'àme du passé renait une heure, en chantant... Jean-Sébastien Bach !
Le nom très allemand du vieux cautor, qui ne fut pas toujours vieux ni
cantor, n'eltarouche plus les affiches mêmes du Concert-Rouge ou du
Concert-Touche ; à quand son triomphe au music-hall désaffecté ? Ce
vieux Bach, qu'ignorait notre Berlioz, nous enchante ; et son éternelle
jeunesse refleurit éloquemment sur tantde ruines volcaniques... L'idéale
bonhomie de son àme reflétée dans son art n'est plus lettre morte.
11 nous semble le comprendre, à force de l'aimer. Xous respirons tardi-
vement cet impérissable parfum.
Les concerts, donc, collaborent avec les livres à notre soudaine édu-
cation musicale. Et sans préjuger du «menu» de la saison, voici, déjà,
deux preuves : Issé (1(397), pastorale héroïque et naïvement française, à
la Schola: la Johannes-Passion (1723), savamment touchante et °-erma-
(1) Voir te Ménestrel du 28 novembre 1908.
(2) L'Héroïque figurait au premier .programme de la Société des Concerts le
nique, à la Société Bach. Ici, notre vieil André-Cardinal Destouches.ee
jeune mousquetaire du Roy, promu galant compositeur d'opéras; —
là, le bon géant que son nom seul évoque: Jean-Sébastien Bach. De
pari el d'autre, la voix du passé.
Pourquoi ce revenez-y tardif .' Pourquoi cette ardeur de convertis pour
une musique si différente de la notre .' 11 ne faudrait pourtant pas faire
à s. M. le Snobisme l'honneur exorbitant de tout expliquer (et nous
croyons l'avoir déjà dit), ce goûl du XX siècle naissant pour L'ancien
tient :i des secrets psychologique.» uiieux enracines que le Capi
la mode. On admire à sa hauteur le despotique génie d'un H
Wagner; mais on parait las de la gigantesque «hystérie» de ses demi-
dieux : nos Petits-Poucets, qui fredonnent dans l'ombre sans lune, ne
veulent plus hurler avec les loups de Bayreuth ; Aurel nous répéterait,
avec sa grâce métaphysique, qu'amants ou musiciens « ont peur de
l'emphase »(1)... Et voila pourquoi, depuis quelques hivers, la jeunesse
la plus avancée se retourne enfin vers la tradition française ou l'immortel
enseignement du grand Bach. Le Poète ajouterait : la perruque du
vieux cantor est redevenue crinière : et la voix du lion légendaire se
mêle aux tendresses plaintives de saint Jean... Ce n'est qu'une image,
mais expressive de notre « état d'àme ».
Sans symbole, le fait parle seul. Et nous courons donc, en foule des
plus sélect, applaudir respectueusement les tendres sublimités de la
Johannes-Passion dans la bonbonnière Gaveau. Pour nous reposer de
tant d'émois romantiques, nous pleurons avec délices sur la Passion du
Sauveur; notre àme est une Magdeleine qui se recueille voluptueuse-
ment sur un tombeau : comme les belles madames qui couraient aux
Carmélites, nous ne quittons les pastorales héroïques de Versailles que
pour entendre les sombres oraisons de l'oratorio. Mais au sein de ces
divines douleurs, nous restons, bon gré, mal gré, romantiques ; et l'in-
terprétation de ces vieux monuments mélodieux apparaît des plus
modernes.
Problème nouveau ! Pourquoi ce rajeunissement, d'ailleurs signe de
la vie '.' Le pathétique des interprètes semble combler le désir secret des
auditeurs ; la jolie voix angoissée du ténor George Walter (de Berlin)
parait ravir d'aise fervente nos plus parisiennes auditrices : cet Am-
fortas de l'oratorio fait des conquêtes parmi les âmes. Mais que signifie
cette inconsciente métamorphose d'un chef-d'œuvre ?
Il y a quelque trente-trois ans, à l'heure, lointaine déjà, de noire
renaissance musicale, où le savoir d'un Camille Saint-Saéns félicitait le
zèle des Vervoitte. des Bourgault-Ducoudray, des Lamoureux, et compa
rait nos lentes résurrections de Haendel et de Bach aux splendeurs
périodiques des festivals de Birmingham, nos rares musiciens se préoc-
cupaient, d'abord et surtout, de la difficulté matérielle et de la presque
impossibilité, de ressusciter ces monuments de l'art vocal: en ces cathé-
drales sonores, ils s'effrayaient, cherchant en vain des nuances entre
les piliers des grosses notes, interrogeant anxieusement les ombres
de la basse chiffrée, redoutant le monotone défilé des airs et l'in-
fidélité de leurs traductions, inquiets de la diversité même des trom-
pettes, des flûtes ou des violes... En un mot, c'était la forme de ces
vastes oratorios qui troublait une ferveur sans tradition. Depuis 1873',
on a voyagé. Les archives ont reçu des visiteurs... A Saint-Eustache.
en 1900, un parfum de Thomasschule s'exhalait déjà sous les voûtes
sonores quand la vaillance d'Eugène d'Harcourt nous rendit/. Messie
décoratif ou les deux journées, plus profondes, de la Matth'àus- Passion,
et, sous un rayon diapré du vitrail, chaque auditeur wagnérien pouvait
se prendre un instant pour Walther amoureux d'Eva. Depuis sept aus,
notre religion de Bach s'est encore éclairée: auditeurs, interprètes, c'est
« le musicien-poète » que nous recherchons à travers la formelle beauté
de la fugue ou du contrepoint : un organiste érudit, M. Schweitzer.
nous a mis sur la voie de cette « poésie » latente sous la rigueur des
architectures; après le musicien Schweitzer, un docte universitaire,
M. André Pirro, nous a parlé de l'orgue et de l'esthétique du plus
grand des Bach: de la lettre on remonte à l'esprit. Catholiques et luthé-
riens sympathisent pendant une soirée, réconciliés par l'art profond de
ce « christianisme idéal » ; les mélomanes sans foi sont pénétrés par
l'auguste candeur de cetle science emplie d'àme.
Hier, c'était la forme qui nous rebutait : aujourd'hui, c'est lesentimen
qui nous attire. Instruits plus qu'hier, nous demandons, dorénavant,
autre chose à ces drames sacrés que l'archaïque majesté d'un portail ou
d'un cadre: nous les voulons vivants, parce que nous les sentons
vivants ; et les interprètes nouveaux ne trompent nullement notre
attente.
Acteurs ou spectateurs de ce drame sans pareil dans l'histoire. —
acteurs des chœurs tumultueux ou spectateurs des chorals inspirés, —
.1. Se rappeler l'amusante conférence contradictoire de M. et M"' Alfred Mortier,
les 7 et 21 février 1908 au Concert-Rouge.
388
LE MÉNESTREL
les choristes, qui chantent tous en français, semblent s'exalter vocale-
ment pour commenter le texte évangélique ; et les solistes, qui chantent
tous en allemand, mettent dans l'interprétation du texte sacré cette
ardeur néo-germanique qui nous avait déjà frappés dans la pantomime
des kapéllmeister d'outre-Rhin : « l'historien » de ce texte qui raconte-
un drame n'est plus un impartial récitant, mais un ténor frissonnant de
pieuse angoisse, un évangéliste à la déclamation heurtée, nourrie
d'accents et d'effets. Le chœur, qui personnifie la foule juive, insiste
sur le motif obstiné que l'érudit présente à ses lecteurs comme un essai
de leit-motiv vocal ; l'instrumentiste ne semble plus ignorer qu'un trait
de basse ou qu'une ritournelle de violon peint l'esprit d'ombre ou de
lumière : on accepte loyalement tout ce qui fait image ; et toute
« image » est soulignée. Une atmosphère de ténèbres plane, avec la neu-
vième heure, sur l'arioso d'une voix grave ; une robuste espérance
éclaircit l'essor final des voix qui montent vers le Sauveur.
Peut-être, aujourd'hui, versant dans l'excès contraire, ajoutons-nous
ou demandons-nous trop d'intentions descriptives ou psychologiques à
la sérénité du vieux Bach : notre lyrisme de 1908 étonnerait peut-être
la foi du Vendredi-Saint de l'an de grâce 1~23 ou 1724 (car la date de la
Passion selon saint Jean reste incertaine) ; et telle forme que nous
croyons « poétique » se retrouverait dans le langage plus certainement
absolu de la musique instrumentale.... Il est évident que Jean-Sébas-
tien Bach était un trop haut musicien pour n'avoir pas été poète en son
art; mais évitons de vouloir en faire trop dire à sa poésie ; trop long-
temps méconnue sous la forme, l'e.rpr'ession prend sa revanche : il ne
faudrait pas exagérer maintenant ses vertus. Gare aux dangers de l'exé-
gèse ou du maniérisme ! Quoi qu'il en soit, la voix des interprètes s'ac-
corde avec le vœu des auditeurs pour dramatiser ce mélodieux évangile.
Un tel regain de romantisme, ou plutôt cette modernisation, discrète
encore, des chefs-d'œuvre, ne tient pas seulement au portrait nouveau
que notre imagination se fait d'un vieux maître : elle est générale, à
présent. De même que la jeune critique est heureuse de traiter le loin-
tain Destouches « d'arriviste » et de trouver dans ses paysages musicaux
des neuvièmes ou des traces bien naïves d'impressionnisme (1), de
même l'érudition célèbre « l'intimité » du grand Bach et compare son
style évangélique aux plus beaux récits wagncriens (2). Pour un peu,
le bon Destouches serait déclaré debussyste.... Est-ce parce qu'il a fait
un voyage dans l'Extrême-Orient ? Wagner et ses leit-motive nous
obsèdent; nous avons bu le philtre d'Isolde. Bref, nous gardons
nos soucis actuels, môme dans ce repos sacré, dans cette trêve de Dieu.
Loin de solenniser Gluck, nous rêvons aussi d'humaniser sa grandeur :
semblables à ces tragédiennes qui veulent rajeunir la tradition quand
elles jouent Bérénice ou Phèdre....
De l'antique Cadmus jeune postérité !
(A suivre.) Raymond Bouyeii.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts-Colonne. — Le nom de Mme Félia Litvinne avait attiré au Chàtelet
un auditoire nombreux. La voix de la réputée artiste est toujours d'une
admirable splendeur, mais le choix des œuvres qu'elle a eu à interpréter ne
lui donnait pas les moyens de la développer dans toute son ampleur. La
Fiancée du Timbalier, de Saint-Saëns, sur l'admirable poème de Victor Hugo,
est une pièce plutôt descriptive où seulement un instant éclate un cri de
passion qui ne suffit pas à effacer une impression de monotonie. La Mar-
guerite au rouet, de Schubert, à la si profonde tristesse, aux accents si doulou-
reux, demande un cadre moins vaste, un milieu plus intime pour atteindre à
toute son intensité dramatique. Mme Litvinne se retrouva dans les cinq poèmes
de Wagner, l'Ange, le Temps replie ses ailes, Sous les Palmiers, Souffrances et
Aires — les deux derniers surtout — où elle parvint à la vraie et sereine
beauté, à la plénitude de l'émotion artistique : son succès y fut complet.
Etre interprété par uue telle artiste constitue pour un compositeur un avan-
tage ne permettant pas de juger avec une absolue indépendance l'œuvre sou-
mise à notre appréciation. C'est le cas du Vagabond malheur, le poème pour
chant et orchestre de Francis Casadesus que M. Colonne a donné en première
audition. Sur des vers assez torturés et peu harmonieux, le musicien a écrit
une page dont la caractéristique est une tristesse profonde, une rare vibration
dans la douleur. La déclamation est juste et l'orchestre remarquablement
naît.'. On a fait bon accueil à ce poème, qui semble présager un musicien
curieux et original. M",e Litvinne a aussi chanté le Cavalier, de L. Diémer,
orchestré par A. Casella, dont elle a fait ressortir le rythme entraînant. —
Une Fantaisie symphonique de M. Henri Welscb, pour piano et orchestre, a
valu à M. Georges de Lausnay un succès mérité par son jeu clair et précis,
ili M. Lionel de la Laurencie dans sa notice sur Issê.
i.S) André Pirro, J.-S. Bach, page 185; dans la collection des Maîtres de tu Musique
publiés sous la direction de M. Jean Chantavoine (Paris, Alcan, 1906*.
aux nuances délicates. L'œuvre est classique de forme et de tendances, k-
piano traité avec habileté, ainsi que l'instrumentation, et l'ensemble témoigne
d'un louable effort. La délicate suite d'orchestre de M. Gabriel Fauré sur
Pelléas et Mélisande, et notamment l'exquise Frileuse, ont eu leur succès accou-
tumé. Le programme comprenait encore la symphonie en vt mineur de
Beethoven et le Venusberg de Wagner. L'orchestre fut excellent.
J. Jemaix.
Concerts-Lamoureux. — Une « symphoniette » en la mineur, de Rimsky-
Korsakow, dont c'était la première audition, a été froidement accueillie; c'est
un ouvrage construit sur des motifs russes d'une simplicité vraiment enfantine
et dont les développements disproportionnés ne rehaussent que bien peu la
trop mince valeur. Dès le début, on est désagréablement surpris par la ressem-
blance rythmique frappante du thème un peu mesquin adopté par le composi-
teur russe avec la jolie entrée de violons dans la Symphonie pastorale de Bee-
thoven. Les deux derniers mouvements, caria symphoniette en comporte trois,
ne rachètent pas cette impression; on y chercherait vainement, ou des ingé-
niosités instrumentales, ou un beau coloris, ou un sentiment poétique élevé.
Après le demi-insuccès de cette composition, le Sommeil de Cunope, poème
pour chant et orchestre, de M. G. Samazeuilh, entendu également pour la
première fois, a déchaîné des protestations. Malgré le talent de M"e Jane
Hatto, chargée de la partie vocale, les vagues et ternes dictions musicales, qui
remplacent ici la mélodie absente, n'ont pu empêcher le sombre ennui de
s'abattre pesamment sur la salle. Nous avons tous, hélas! vainement cherché
quel genre de mérite peut avoir ce fragment. Nous n'y avons trouvé ni mélo-
pées suivant avec un sentiment juste de l'expression la forme littéraire des
paroles, ni effets d'instrumentation dont on puisse dire qu'ils forment un cadre
approprié au tableau que le musicien a voulu évoquer devant notre imagina-
tion. Elle est pourtant bien recherchée, l'orchestration de ce sommeil de
Canope, mais ses sonorités hétéroclites, ses rugosités, son manque de consis-
tance nous amènent à cette conclusion que l'auteur a eu pour principale pré-
occupation d'écrire autrement que les maîtres ; il y a pleinement réussi. La
Symphonie inachevée de Schubert a paru divine à côté des deux précédents
ouvrages, si pauvres d'invention; on l'a fêtée, acclamée comme jamais. Elle a
même valu à M. Chevillard et à ses instrumentistes une ovation toute spon-
tanée, et c'était justice, car leur manière de l'interpréter a été tout à fait
remarquable, et malgré ses nombreuses redites, l'œuvre n'a pas causé un seul
instant de lassitude. M. Félix Sénius a chanté l'air de Lenski dans l'opéra
à'Oaéguine de Tschaïkowsky et la délicieuse ariette de Cosi fan lutte. La voix
de cet artiste sonne avec éclat dans la force et il sait en graduer très linement
les inflexions dans la douceur. Elle est d'ailleurs parfaitement homogène et
soutient les sons sans effort. Le concert avait commencé par l'ouverture
d'Egmont; il s'est terminé par le Venusberg de Wagner. Ces deux morceaux ont
été rendus avec chaleur par l'orchestre. Amédée Boltarel.
— Programmes des concerts de demain dimanche :
Conservatoire, sous la direction de M. André Messager : Grande messe en si mineur
(Bach); soli : M™" Mastio, Auguez de Montalant, Charbonnel, MM. Deyriès et
Frôlich.
Chàtelet, Concerts-Colonne : Symphonie pastorale (Beethoven). — Concerto en fa
pour violon (Lalo), par M. Jacques Thibaud. — Deux Poèmes (Louis Brisset), chantés
par M" Laute-Brun. — trois Nocturnes (Cl. Debussy). — Morceau de concert pour
violon (Saint-Saëns), par M. Jacques Thibaud. — La Chevauchée des Wallcyries
(R. Wagner).
Salle Gaveau, Concerts-Lamoureux, sous la direction de M. Chevillard : Première
symphonie, en si hémol (Schumann). — VEnfartt prodigue (Cl. Debussy) (première
audition) : ai Prélude et air de Lia, par M™' Charlotte Lormont: b) Cortège et air de
danse. — Concerto en mi bémol, n° 5, pour piano (Beethoven) , par M. Harold Bauer.
— Les Troyens, chasse et orage (Berlioz). —Aie à.' Idoménée (Mozart), par M"" Charlotte
Lormont. — Marche polovtsienne du Prince Igor (Borodinei.
— La première matinée Danhé à l'Ambigu a valu à M. Messager, auquel la
séance élait consacrée, un véritable triomphe, ainsi qu'à ses interprètes :
M»''s Bakkers. Mariette Sully, MM. Périer et Francell. A signaler parmi les
délicates et spirituelles compositions les plus applaudies de l'éminent direc-
teur de l'Opéra, et dont plusieurs ont été bissées, le duo d'Isoline (M"c Bakkers
et M. Reynaldo Hahn), celui de Véronique (M"e Mariette Sully et M. Périer),
les airs de Forlunio et de la Basoche (M. Francell), ceux de Véronique et
d'Isoline (M. Périer), les Dragons de l'Impératrice (MUe Sully). Le programme
comprenait encore le trio en fa de M. Saint-Saëns, fort bien enlevé par
M"e M. Vizentini, MM. Soudant et Bedelti, et le septuor du même pour
piano, trompette et quintette à cordes, dans lequel MM. Yves Nat, Yvain,
Delabègue et le quatuor Soudant furent fort appréciés. — La deuxième mati-
née aura lieu mercredi 9 décembre (œuvres de M. Gabriel Fauré. avec le
concours de l'auteur, de Mu,es Jeanne Raunay, Marguerite Long, le quatuor
vocal Battaille et le quatuor instrumental Soudant).
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(POUR LES 8EUL8 ARONNBS A LA MUSIQUE)
De la sérénité dans des harmonies curieuses, voilà la caractéristique du Neuvième
nocturne de Gabriel Fauré. Le mouvement lent permet de les savourer tout à son
aise ces harmonies, imprévues peut-être, mais assurément orthodoxes, puisqu'elles
sont signées et garanties par l'actuel directeur de notre École nationale de musique,
ne l'oublions pas.
LE MÉNESTREL
389
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
A l'occasion du centième anniversaire de la naissance de Mendelssohn
(3 février 1809), et devançant la date de doux mois, un volume intéressant
vient de paraître à Essen; c'est la correspondance du maitre avec Karl Klin-
gemann, alors conseiller de légation de l'état de Hanovre à Londres, et avec
le professeur orientaliste Frédéric Rosen. Les lettres à Klingemann sont tout
particulièrement intéressantes, parce qu'elles nous apportent une preuve nou-
velle du sérieux avec lequel Mendelssohn envisageait son travail artistique et
de l'influence qu'il s'efforçait d'exercer comme compositeur. Klingemann fut
son collaborateur et lui fournit le texte de plusieurs mélodies ou oratorios.
11 y eut même une crise dans les relations des doux amis, lorsque Men-
delssohn, désirant ardemment un livret d'opéra qui devait porter le titre de
Perronte, pressait Klingemann de l'écrire, tout en imposant au malheureux
poète tant de conditions a remplir que la tache ne put jamais être terminée.
Le livre qui vient d'être offert aux admirateurs de l'un des musiciens les plus
sympathiques du siècle dernier a été publié par M. Karl Klingemann, le fils
du conseiller à qui sont adressées la plupart des lettres: il renferme sept por-
traits de personnes ayant appartenu au cercle d'intimité de Mendelssohn,
des feuillets d'album, des dessins de sa main, un fac-similé de lettre et deux
lieder également reproduits en fac-similé. Une esquisse, sommairement
crayonnée, se trouve placée en tête de la correspondance; elle doit avoir été
faite pendant le voyage en Ecosse de l'année 1829 et représente la ville
d'Edimbourg vue de la mer dans le lointain. Au-dessous on lit des vers, très
peu réussis, il faut l'avouer. En voici la traduction : « Nous t'avons aimée
très chaudement, quand nous avons vécu dans ton enceinte, et toi, tu nous as
rafraîchis, et tu nous as reposés de nos fatigues. Cependant, nous nous
sommes lassés à la fin, et tu nous es apparue comme une ville de Philistins
avec tous tes établissements d'éducation. Cela nous a soudainement détournés
de toi et nous n'avons plus voulu vivre dans ton atmosphère. Nous te regar-
dons maintenant de très loin, enveloppée de vapeurs et de nuages embrumés.
Il nous semble pourtant que notre affection te revient et se porte encore sur
toi à cause de ton élite intellectuelle ». C'est pendant son voyage en Ecosse
que Mendelssohn conçut sa belle ouverture de la Grotte de Fingal et sa Sym-
phonie écossaise, qui fut commencée en 1829, terminée seulement en 1S42 et
exécutée le 13 mars de cette même année aux concerts du Gewandhaus de
Leipzig. On lit dans une lettre de publication ancienne, que Mendelssohn
adressait le 29 juillet 1829 à ses pareots : « Au milieu d'un brouillard épais,
nous avons visité aujourd'hui le palais où la reine Marie a vécu et a aimé.
Ce qu'il faut avoir vu, c'est une petite chambre avec un escalier tournant près
de la porte. C'est par là que les conjurés montèrent et surprirent Rizzio, le
traînèrent dehors, et, après avoir franchi" trois salles, l'assassinèrent dans un
coin sombre. Li chapelle attenante n'a plus de toit. Le gazon et le lierre y
poussent ; c'est devant l'autel, maintenant brisé, que fut couronnée Marie
Stuart comme reine d'Ecosse. Là, tout est saccagé, pourri, et on voit le ciel
de l'intérieur. Je crois que c'est aujourd'hui que j'ai trouvé le début de ma
Symphonie écossaise. » Ce début est une sorte de complainte en la mineur,
jouée par les altos, et dont le caractère de profonde tristesse est tout à fait
saisissant. Un chant populaire doit avoir été la source de l'inspiration de
Mendelssohn.
— On annonce de source officielle qu'à partir du 1er janvier 1909 le ratta-
chement de l'administration du Conservatoire de Vienne aux services de l'État
autrichien sera un fait définitivement accompli. C'est M. Karl Ritter qui
deviendra le président du conseil de l'enseignement. Il se passera d'ailleurs
encore deux années avant que l'institution soit pourvue d'un nouveau local.
— La première nouveauté que l'on a donnée au Théàtre-Johann-Strauss de
Vienne a été l'opérette Bub' oder Mâdel (Garçon ouFille), paroles de MM. Félix
Dôrmann et Adolphe Altmann. musique d'un jeune compositeur que l'on dit
fort bien doué, M. Bruno Granichstàdten, dont c'est le premier ouvrage.
— De nouvelles habitudes et de nouveaux modes de réclame en matière
théâtrale sont en voie de s'implanter à Berlin. Certains directeurs de scènes
de second ordre ont organisé des services de commis voyageurs ou placiers en
billets de théâtre. Ces intéressants courtiers se présentent chez les particuliers
et lorsqu'ils ont réussi à se faire recevoir par quelque innocent subterfuge, ils
entreprennent l'éloge de la pièce nouvelle et terminent invariablement leur
boniment par l'offre de coupons pour les prochaines représentations. Selon le
cas, les coupon* sont payés plus ou moins cher qu'au bureau de location ou
aux guichets. On assure que ces procédés réussissent parfois, mais, jusquà
présent, les administrations théâtrales sérieuses se sont abstenues d'y avoir
recours.
— De Berlin : On a procédé, ces jours-ci, à la vente de l'importante collec-
tion d'autographes de compositeurs célèbres que nous avions annoncée. Des
prix élevés ont été. atteints. Plusieurs manuscrits de Chopin ont été adjugés
pour des sommes variaut entre 1.000 et 1.630 franc*. Une collection de douze
lettres du compositeur à son ami Fontana a été vendue pour 3.000 francs.
Trois autographes du compositeur tchèque Smetana. l'auteur de la Fiancée
vendue, ont trouvé preneur pour 1.800 francs. Une lettre inédite de Beethoven
a été achetée 030 francs, et sept petites lettres du maitre ont rapporté 423 francs.
Cinq lettres de Brahms ont trouvé" acquéreur à 212 francs, une lettre de Haydn
à 112 francs, un manuscrit de Schubert à 350 francs, une lettre de Schumann
à 90 francs et un manuscrit du même à 343 francs, un manuscrit de Tschaï-
kowsky à 600 francs. Un des prix les plus forts a été atteint par la petite
composition de Richard Wagner, dédiée à un hôtelier de Leipzig et dont le
Ménestrel a parlé récemment, qui a été adjugée au prix de 1.250 francs.
— Une rivalité peu édifiante, mais bien compréhensive, s'est élevée à l'Opéra
de Munich entre les deux cantatrices Mmo Burk-Berger et M"'- Fassbender, à
l'occasion de la première représentation d'Eleklra dans cette ville. M. Richard
Strauss ayant donné la préférence à M"'! Fassbender, ainsi que nous le disions
il y a quinze jours, M1"" Burk-Berger, qui croyait avoir le droit d'être choisie,
a envoyé sa démission à l'Intendance des théâtres royaux. Pour le moment,
le rôle d'Eleklra n'a donc plus, à Munich, qu'une seule titulaire; c'est peu,
car la musique de M. Strauss doit être, dans son dernier ouvrage, encore plu-;
compliquée, difficile et fatigante que dans la précédente partition de S
— L'académie de chant Robert-Schumann de Dresde, sous la direction de
M. Albert Fuchs, a donné pour la première fois à Dresde, avec un ensemble
de quatre cents exécutants, la Croisade des enfants, légende musicale en quatre
parties de M. Gabriel Pierné. Cet ouvrage, qui fut primé au commencement
de l'année 1904 au grand concours musical institué par la Ville de Paris, a
été donné pour la première fois devant un public payant, aux Concerts-Colonne,
le 22 janvier 1903. On l'a joué depuis avec grand succès dans plusieurs villes
d'Allemagne.
— A l'occasion de la reconstruction du théâtre de Meiningen, récemment
détruit par un incendie, le duc de Saxe-Meiningen a déclaré qu'il prenait à sa
charge le million et demi considéré comme nécessaire pour réédifier ce
théâtre.
— La société internationale Mozarteum, dont le siège est à Salzbourg, vient
d'offrir à Mmc Lilli Lehmann. à l'occasion du soixantième anniversaire de sa
naissance (23 novembre), un témoignage de reconnaissance très flatteur pour
la cantatrice qui a, toute sa vie, interprété les œuvres de Mozart avec un talent
reconnu partout. Par les soins de M. Rodolphe de Freisauff, un petit livre
intitulé Feuille de souvenir a été imprimé pour elle à un seul exemplaire: il
renferme le récit des relations qui ont eu lieu entre M™ Lehmann et le Mo-
zarteum et les pages de texte sont rehaussées par de beaux dessins et de
superbes aquarelles. Le conseil municipal de Salzbourg n'a pas oublié non
plus l'anniversaire de. la cantatrice et lui a fait parvenir ses hommages sous la
forme d'une adresse qui a été votée d'acclamation.
— Il vient de se constituera Athènes une Société des auteurs dramatiques,
dont la présidence a été dévolue au prince Nicolas, qui, parait-il, est un écri-
vain dramatique délicat. Il suffit, pour être admis, d'avoir eu un ouvrage
représenté au moins trois fois. La nouvelle Société est la seule de ce genre qui
n'impose pas à ses membres une cotisation fixe. Les frais d'administration
seront couverts par des représentations extraordinaires que les auteurs organi-
seront avec le concours d'artistes de diverses troupes.
— De Genève : M. Bruni vient de nous donner, comme nouveauté. Chéru-
bin, et la délicieuse « comédie chantée » du maitre Massenet a ravi le public
qui s'était rendu en foule à cette première représentation. C'est là vraiment
spectacle de délicats, tant par la qualité de l'oeuvre si fine littérairement et
musicalement, que par la manière dont elle a été montée et dont elle a été
interprétée. Mlle Rolland a été un exquis Chérubin, crâne et attendrie tour à
tour, et M. Bruineu s'est montré excellent sous les traits du philosophe. Il
faut complimenter aussi M"e Allard de sa jeunesse dans Nina et Mlle Marsyas
de son élégance dans l'Ensoleillad.
— Du Guide Musical de Bruxelles, à propos de la belle exécution des Enfants
à Bethléem qui vient d'être donnée à l'Académie de musique d'Ostende :
Cette œuvre est charmante dans sa variété d'allures. Le caractère populaire d?s
rondes enfantines du début fait place, peu à peu, à des accents plus élevés; ce soat
les appels de l'Étoile, annonçant la naissance de l'Enfant-Dieu, puis le défilé des
Rois mages, dont la musique est d'un pittoresque achevé. Dans la seconde partie.
l'Étable, la musique de M. Pierné s'éthérise, enveloppe le poème d'une atmosphère
de mysticité tout à fait prenante ; le musicien a d'exquises trouvailles de sentiment
pour rendre la joie émue, la naïve tendresse des enfants s'approchant de la Crèche :
l'on arrive au summum de l'émotion à l'appel du chœur « Jésus! », où s'exprime
l'étonnement ravi de la phalange enfantine : la berceuse qui suit est d'un charme
inexprimable, puis les sonorités s'atténuent, et l'œuvre se termine en des accords
vaporeux, d'un délicieux elfet de rêve !
Le mystère de MM. Nigond et Pierné a été, de la partde M. le directeur fiinskopt.
l'objet des soins les plus attentifs: aussi l'exécution en fut-elle excellente : le chœur
d'enfants, qui joue ici le rôle essentiel, s'est très bien comporté, chantant juste, avec
des attaques précises et d'exquises nuances. Quant aux soli, ils ont été tenus à
souhait par M"" Symiane, Caluwaert, Claessens, De Corte, Ds Coster, MM. Vander
Haegen et Proot, sans oublier le récitant, M. Jean Simar.
Les Enfants à Bethléem out produit une émotion si profonde qu'une seconde exécu-
tion en a été décidée tout aussitôt.
— M. Jean Gérardy, le jeune et très brillant violoncelliste dont les succès
sont si grands depuis quelques années, vient d'être nommé professeur au Con-
servatoire de Liège, en remplacement de M. Léon Massart. La nouvelle en a
été annoncée directement au public par M. Théodore Radoux. directeur de
l'École, au premier concert du Conservatoire, où M. Gérardy venait de se
faire entendre dans le concerto de Lalo. — On annonce aussi que M. Eucène
Ysaye fonde à Liège une société de quatuors avec MM. Gérardy. Léon Van
Hout (altoi et un second violon dont on ne dit pas encore le nom. Et l'on
ajoute enfin que M. Ysaye pourrait bien, lui aussi, être nommé prochainement
professeur au Conservatoire.
390
LE MENESTREL
— On a inauguré récemment, dans le jardin public de Trieste, un buste du
compositeur Giuseppe Sinico, dû au sculpteur Giovanni Mayer. Né le 10 fé-
vrier 1836 à Trieste, où il mourut le 31 décembre 1907. Giuseppe Siuico est
l'auteur de trois opéras qui furent représentés avec succès en cette ville :
i Moschettieri (2G mars 1859), Aurora diNevers (1861) et Marinella (décembre
1862). Le nom de Sinico avait été surtout rendu populaire à Trieste par sou
père, Francesco, qui, maître de la chapelle des Jésuites et directeur de la
société philharmonico-dramatique, fut le créateur du chant choral populaire
en cette ville, œuvre à laquelle il consacra tout son temps, tous ses efforts,
toute son existence, et qui donna, grâce à son talent, des résultats merveil-
leux. Francesco Sinico était aussi un compositeur distingué, à qui l'on doit,
outre un opéra intitulé i Virluosi in Barcellona, des chœurs pour une tragédie
de Somma, Parisinu. sans compter des messes, des hymnes, des motets écrits
pour le service de sa chapelle, et de nombreux chœurs pour ses écoles popu-
laires.
— On raconte que les premiers et les plus célèbres facteurs de pianos d'Eu-
rope et des Etats-Unis ont tous des échantillons de. leur fabrication à Rome,
dans les salles du Vatican. Un grand nombre de ces instruments ont été offerts
au Pape par les facteurs eux-mêmes, d'autres sont des cadeaux des visiteurs.
Le pape Pix X était, dit-on, dans sa jeunesse un pianiste fort habile: aujour-
d'hui, très avancé en âge et parfois souffrant, il lui arrive rarement de mettre
les mains sur un piano; il aime mieux se faire faire de la musique par certains
des monsîgnori qui habitent le Vatican, et dont certains ont un véritable talent
de virtuose. L'accordeur des pianos de Sa Sainteté est un vieux moine aveugle,
qui, avant d'entrer dans les ordres, était un professionnel de la facture et tra-
vaillait en Suisse.
— Au théâtre Victor-Emmanuel de Turin, première représentation d'uu
opéra en quatre acte, Serafina d'Albania. livret médiocre tiré par M. Alfredo
Mancini. d'un roman de M. Mizazi : Marito e sacerdote. musique plus médiocre
encore, parait-il, de M. Angelo Francesco Cuneo. contrebassiste, professeur
au Conservatoire de Milan. « Cette musique, dit un journal, fut jugée mono-
tone, pesante et absolument dépourvue d'originalité. » Au résumé, aucun suc-
cès.
— Le Théâtre de San Remo a donné la première représentation d'une opé-
rette en trois actes qui a pour titre il Maestro Bottera e la sua opéra. La
musique de cet ouvrage est due à la collaboration de deux frères, les maestri
Gessi.
— Le grand théâtre du Lycée de Barcelone publie le programme de sa sai-
son. Au répertoire : la Damnation de Faust, Aida, Lohengrin, les Barbares (Saint-
Saëns), Samson et Dalila, Tannhâuser, il Troratore, Gioconda, Dinorah (le Pardon
de Ploêrmel), Faust, l'Attaque du moulin. Madame Builerflu, Zaza.'La. troupe est
ainsi composée : Mmea Emma Carelli. Lina Pasinï- Vitale, Isabella Svicher,
Alice Cuccini, Maria Pozzy, Cecilia Gagliardi, Gilda Longari-Ponzone ;
MM. Francesco Vignas, Giliou. Schiavazzi, Tomaso Franca, RamonBlanchart,
De Luca, Molina, Giuseppe Pacini, Mugnoz. Nicoletti-Kormann. Chef d'or-
chestre. M. Edoardo Mascheroni.
— De Lisbonne, on télégraphie que M. Nuibo et Mlle Jessie Abott ont
chanté Lakmé, au San Carlos, en soirée de gala, avec un gros succès.
— De Londres : A la salle Bechstein, Mmc Perelli a donné un récital com-
prenant des œuvres de Massenet, Reynaldo Hahn, Mascagni, Puccini et
Wagner. Elle a chanté aussi des mélodies anglaises, mais le grand succès de
la soirée est allé à M. Reynaldo Hahn, dont la mélodie D'une prison a été
superbement interprétée. — A la salle .Eolian. M. Alfred Cortot s'est fait
chaleureusement applaudir en interprétant des œuvres de Bach, la sonate de
Liszt, des Laendler de Schubert, les Variations symphoniques de Schumann
et plusieurs œuvres de Chopin, notamment l'étude en la mineur, qui a produit
sur l'auditoire une grande impression.
— Un marchand de musique de Leicester vient d'acquérir un instrument
aussi curieux que rare, et dont on dit merveille. C'est un clavecin à plumes
âgé de près de trois cents ans et dans un état de conservation superbe, qui
fut construit à Anvers par André Ruckers « le vieux », qu'on appelait ainsi
pour le distinguer de son [ils, André Ruckers « le jeune ». Or, on sait qu'An-
dré Ruckers, qu'on pourrait surnommer le Stradivarius du clavecin, vécut de
1579 à 1651. L'instrument, qu'on dit avoir été joué par Haendel, est orné de
peintures très fines de Van der Meulen. Construit en bois de bouleau, avec
diverses incrustations et ornements de cuivre, il est long de six pieds et large
de deux pieds huit pouces. Il a deux claviers et quatre divers timbres ou
registres : luth, hautbois, harpe, et luth avec hautbois. Le son est agréable et
plein d'expression. Sur la caisse de résonance se trouve la date de construc-
tion : 1614, et au-dessus des claviers l'inscription suivante : Andréas Bûchers
me fecit Antverpiae. On connaît, parait-il, fort peu de clavecins à plumes anté-
rieurs à cette date de 161-1.
— Bis, rappels, ovations, <■ Marseillaise » et « God save the King », rien ne
manqua vraiment à la réception enthousiaste qui vient d'être faite, samedi et
dimanche dernier, à M. Rodolphe Berger, qui avait été convié à venir diriger,
à Eastbourme, l'orchestre privé du duc de Devonshire.Plus de trois mille per-
sonnes acclamèrent, à chaque séance, le compositeur au nom si populaire,
qui venait pour la première fois en Angleterre et dut promettre de revenir au
printemps prochain. Au programme, Amoureuse, naturellement; puis des
œuvres récentes qui déchaînèrent, elles aussi, d'interminables bravos : ta
Patrouille passe, ronde de nuit ; Rions toujours! valse viennoise ; A quoi pensesr.
vous ? valse lente : le Cri-Cri, polka moderne ; Philippine, valse viennoise ; les
airs de ballets de Madame'"'' (Polka des Amours, Valse de l'Étoile, Marche bur-
lesque), Marche des soireux, Printania, pièce degenre, elDans le silence de la nuit,
valse-sérénade. Et sur la demande expresse de la salle entière, M. Rodolphe
Berger dut ajouter au programme encore une de ses toutes dernières valses,
déjà célèbre à Londres, Perdition! On fêta aussi l'excellent chef de l'orchestre
privé du duc de Devonshire, M. P. Tas, qui avait eu l'heureuse idée de faire
venir M. Bodolpbe Berger, et qui, à la tête de ses cinquante instrumentistes
tout à fait remarquables, conduisit supérieurement la suite de Coppêlia de
Delibes, l'ouverture du Roi d'Ys de Lalo et le ballet du Cid de M. Massenet.
— Nous lisons dans le Musical America : « M. Oscar Hammerstein s'est attiré
toutes les sympathies, non pas seulement à cause de son énergie, mais parce
qu'il nous a dégagés de la vieille routine dans laquelle était tombée notre vie
d'opéra avec les anciens impresari, qui, au commencement de chaque nou-
velle saison, promettaient nombre d'oeuvres nouvelles et ne donnaient jamais
aucune suite à leurs promesses. M. Hammerstein a démontré avec évidence
qu'il n'est pas vrai, ainsi que l'assuraient ses prédécesseurs, que les Américains
préfèrent les vieux ouvrages aux modernes. Les opéras de Massenet, Charpen-
tier et Debussy, — Thaïs, Louise et Pelléas et Mélisande, — ont produit les
meilleures recettes de la saison dernière. »
— Encouragés par le succès des deux grandes entreprises rivales d'opéra à
New-York, un groupe d'italiens, réunis en société, s'est présenté pour louer
l'ancienne Académie de musique, avec l'intention d'y donner une saison mu-
sicale de vingt semaines pendant l'année 1909.
— Le New York Times précise quelques détails sur le séjour en Amérique, à
partir de 1803, de Lorenzo da Ponte, librettiste de Don Juan et des Xoces de
Figaro. Né à Ceneta, petite ville de la République de Venise, le 10 mars 1749,
da Ponte vécut d'abord en Italie, se fit des ennemis à cause des opinions poli-
tiques et religieuses qu'il hasardait comme professeur, et vint à Vienne où
l'empereur Joseph II le nomma poète de l'Opéra-Italien, probablement, sur la
recommandation de Salieri. Des désaccords avec Léopold, successeur de
Joseph II, l'obligèrent à quitter l'Autriche. Il se rendit alors en Hollande, y
essaya le métier d'entrepreneur d'opéra ambulant et gagna ensuite Londres.
Sans jamais réussir, il fut administrateur de théâtre, courtier en chanteuses,
libraire, marchand de musique, et se décida enfin à passer en Amérique pen-
dant l'année 1803. Après avoir essayé avec un insuccès complet toutes sortes
d'affaires, il finit par se fixer à Columbia en qualité de professeur de langue
italienne. Lorsqu'en 1823, Manuel Garcia débarqua en Amérique avec la
Malibran, da Ponte s'introduisit chez le chanteur. La première entrevue fut
une véritable scène d'opérette. Lorsque le poète déclina sa qualité d'auteur
du librelto de Don Juan, Garcia, enthousiasmé, lui sauta au cou et tous les
deux se mirent à danser à travers la chambre en chantant la chanson à boire
de Don Giovanni. Plus tard, da Ponte voulut se créer une situation comme
manager pour des entreprises d'opéra ; il fit bâtir une salle de spectacle à
New-York, mais ne parvint pas à y amener le public. En désespoir de cause,
il ouvrit un magasin de librairie. Le commerce des livres fut pour lui très peu
lucratif et le pauvre collaborateur de Mozart voyait chaque jour les dames les
plus qualifiées, avec leurs riches toilettes, passer devant sa boutique avec
indifférence pour entrer chez le pâtissier-confiseur, son voisin, et s'approvi-
sionner amplement de gâteaux et de fruits confits. Il songea, par désespoir, à
se faire épicier, mais ce projet ne fut jamais réalisé. Précédemment, da Ponte
avait essayé la vente des eaux-de-vie et ouvert une distillerie. Peu de temps
avant sa mort, le malheureux poète écrivait : « Dix-huit mois se sont passés
sans que j'aie trouvé un seul élève. Moi, introducteur de la langue italienne en
Amérique; professeur de plus de deux mille personnes dont les progrès
éblouirent l'Italie, moi. poète de Joseph II, auteur de trente-six drames, ins-
pirateur de Salieri, de Weigl, de Martini, de Winter et de Mozart, après
vingt-sept années de labeur assidu je n'ai plus un seul élève et, âgé mainte-
nant de près de quatre-vingt-dix ans, il ne me reste plus un morceau de pain
a manger en Amérique. » Da Ponte mourut â New-York, le 17 août 1838. La
veille de sa mort, il écrivit un sonnet et l'offrit au médecin qui l'avait soigné
pendant sa maladie.
— A moi, la fanfare! Une bonne nouvelle pour les virtuoses d'instruments
de cuivre. Si, comme certains l'affirment, l'emploi de ces instruments prédis-
pose à une calvitie précoce, ce qui est assurément fâcheux, il procure en com-
pensation, parait-il, l'immunité contre plus d'une terrible maladie. C'est ce
que nous apprend un certain docteur Johnson, de Kalaska, qui assure que les
personnes qui par leur profession ont de fréquents contacts avec le cuivre
blanc ou jaune sont presque complètement à l'abri de toute atteinte du cho-
léra asiatique. Les bacilles du typhus sont détruits à l'instant par un millio-
nième de grain de sel de cuivre, et les joueurs d'instruments de cuivre qui
ont commencé tôt leur carrière et fonctionnent régulièrement n'ont rien à
craindre de la tuberculose. Ce bienheureux effet est produit par la toute petite
quantit? de sel de cuivre qui est absorbée par la peau au contact du métal.
Cette quantité minuscule est d'ailleurs par elle-même sans inconvénient, tan-
dis qu'une plus forte dose deviendrait facilement vénéneuse.
— Si ceci n'est pas du « bluff », le fait vaut la peine d'être enregistré. La
direction du Métropolitan-Opera de New- York fait savoir qu'elle a déjà
LE MÉINESTKEL
391
encaissé, à l'heure présente, 72o.on0 dollars d'abonnements, soit 3.623.000 fr.
Elle ajoute qu'elle est certaine d'avoir encore sous peu de quoi doubler au
moins cette somme, et qu'elle parviendra à un chiffre total de l.bOO.000 dol-
lars, c'est-à-dire 7 millions et demi de francs.
— Le 17 novembre dernier, M. Oscar Hammerstein a ouvert la nouvelle
salle d'opéra de Philadelphie. 6.100 spectateurs ont assisté à ia soirée d'inau-
guration. On a joué Carmen. Ce théâtre fut érigé en cinq mois seulement.
— Au dernier concert de l'orchestre de Philadelphie, M. Cari Pohlig, l'émi-
nent chef d'orchestre dont la réputation s'est faite à Stuttgart, a fait entendre
avec un très grand succès les Impressions d'Itilie de M. Gustave Charpentier.
— Le nouveau théâtre Colon de Buenos- Ayres, si fameux dès sa récente
inauguration et sur lequel la réclame s'est exercée avec tant d'ardeur en ces
derniers mois, parait néanmoins avoir des commencements plutôt difficiles.
On annonce déjà qu'à la suite de sa première saison, la société théâtrale in-
ternationale qui avait pris en mains ses destinées se trouve en déficit d'un
demi-million. C'est une entrée de jeu peu encourageante.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
L'Académie des beaux-arts, dans sa dernière séance, s'est occupée à
dresser la liste des candidats à la place de correspondant dans la section de
composition musicale, par suite du décès de M. Rimsky-Korsakow.
— Un groupe important d'auteurs dramatiques s'est réuni au café Riche,
sous la présidence de M. Maurice Desvallières. But de la séance : la question
de l'agence Pellerin. Après avoir entendu M. Georges Ohnet, qui a fourni des
explications les plus complètes et les plus intéressantes sur l'historique et le
fonctionnement des deux agences, les auteurs présents ont examiné les diffé-
rentes solutions de celte importante question, et la motion suivante, présentée
par M. A. Aderer, a été adoptée à l'unanimité :
Un groupe de soixante-dix auteurs et compositeurs dramatiques, après s'être livré
à une longue étude des questions soulevées par le décès de l'un des agents de la
Société des auteurs et s'être assuré auprès d'un conseil judiciaire que le rachat des
deux charges des agents par la Société ne se heurte à aucune dilliculté juridique et
ne peut offrir que des avantages, — laissant de côté les questions de personnes pour
ne songer qu'à l'intérêt général : « Demande à la commission d'étudier les combi-
naisons diverses, financières et autres, qui aboutiraient au rachat des deux agences. »
D'un autre côté, nous croyons savoir qu'au cours de sa dernière séance, la
commission des auteurs et compositeurs dramatiques s'est occupée de cette
question, mais n'a pris aucune décision.
A l'Opéra, toujours continuation des belles soirées du Crépuscule des Dieux,
et répétitions très poussées de Monna Vanna. Mardi dernier on a soumis aux
auteurs de Bacchus les maquettes des décors établis par M. Rochette. Mardi
prochain ce sera le tour des décors confiés à M. Amable.
— A l'Opéra-Comique, on pense toujours pouvoir donner au cours de la
semaine prochaine la répétition générale et la première représentation de
Sanga. Ce soir samedi, on donnera Manon avec Mme Marguerite Carré. Spec-
tacles de dimanche : en matinée Carmen: le soir Louise. Lundi en représenta-
tion populaire à prix réduits : la Basoche.
— Veut-on savoir avec quel enthousiasme on rendait compte, en l'an de
grâce 1809. de la représentation d'un ballet à l'Opéra? Voici comment Geof-
froy, le fameux Geoffroy, l'ennemi avéré de Talrna, parlait, dans son feuilleton
du Journal de l'Empire (i% décembre 1809). de la Fête de Mars, divertissement
représenté trois jours auparavant :
Ce nouvel ouvrage de M. Gardel avait attiré la plus brillante assemblée : le roi et
la reine de Bavière, le roi et la reine de Naples ont honoré la représentation de leur
présence, et ces augustes spectateurs ont été accueillis avec des applaudissements
unanimes. Ce n'est pas une action dramatique qu'il faut chercher dans ce divertisse-
ment, mais une suite de tableaux enchanteurs et d'allégories ingénieuses : l'auteur
y a développé cette imagination riche, ce génie pittoresque, celte science des groupes
qu'on admire dans ses nombreuses productions.
Le théâtre représente d'abord une vaste et délicieuse campagne, voisine de la mer;
sur le devant s'élèvent les statues d'Apollon, dieu des arts ; de Cérès, déesse des
moissons; de Mercure, dieu du commerce. Chaque divinité est environnée d'une
foule d'adorateurs; tout semble respirer la paix, l'abondance et le bonheur, lorsque
la Discorde, que l'Enfer a vomie de son sein, vient ravager la terre et répandre la
consternation parmi les peuples. Jupiter, touché de leurs maux, envoie le dieu Mars
pour consoler le monde et en chasser la Discorde. Mars s'acquitte dignement d'un
emploi si glorieux; son bras extermine les monstres qui désolaient l'humanité; sa
victoire assure la tranquillité de l'univers; tout. l'Olympe assiste à son triomphe. Le
vainqueur de la Discorde, après avoir joui de la reconnaissance et des hommages des
nations, retourne sur les ailes de la Gloire dans le séjour des dieux. Telle est cette
noble et brillante allégorie, dont le public a saisi avec enthousiasme toutes les
applications. L'exécution répond à la beauté de l'invention, et rien ne manque à
l'enchantement de ce spectacle.
Ce qui y manqua, ce fut sans doute les spectateurs, car malgré la présence
allégorique de Mars, vainqueur de la Discorde, qui, dans l'espèce, représentait
Napoléon Ier, empereur des Français, le chef-d'œuvre de Gardel ne put se
maintenir plus de trois fois sur l'affiche. Et le pauvre Kreutzer, auteur de !a
musique de la Fête de Mars, que Geoffroy se dispense de nommer, dut regretter
de s'être donné si grand'peine pour si peu de profit.
— La musique actuelle en Allemagne et Autriche-Hongrie, tel esl le titre du
second volume que M. Eugène d'Harcourt vient de publier comme compte
rendu de la mission dont il a été chargé par le gouvernement (in-8° avec
90 illustrations, Fischbacher, éditeur). On voit que l'auteur a pris son rôle au
sérieux. Ce nouveau volume est extrêmement intéressant, et témoigne d'un
travail énorme et d'une rare conscience. Celui qui a lu avec attention ces
360 pages bourrées de renseignements de toutes sortes très bien prési
peut se flatter d'être au courant du mouvement musical de l'Allemagne con-
temporaine, et non seulement de l'Allemagne proprement dite, mais de l'Au-
triche, de la Hongrie, de la Bohême. Conservatoires, théâtres, concerts,
enseignement, librairie musicale, lutherie, facture, instrumentale, rien n'est
oublié, tout est passé en revue avec le soin le plus scrupuleux. Des détails
fort intéressants sur les représentations théâtrales, sur les concerts, sur les
grandes exécutions musicales, des notes sur tous les artistes en vue : chan-
teurs et cantatrices, chefs-d'orchestre, compositeurs, virtuoses, professeurs, le
tout provenant d'un homme qui sait voir et entendre et dont la compétence
est indéniable, donnent à ce livre un intérêt réel et puissant. Les questions
d'administration relatives soit aux théâtres, soit aux Conservatoires et aux
écoles, ne sont pas négligées et sont fort utiles comme points de comparaison
avec ce qui se produit chez nous. M. d'Harcourt, d'ailleurs, ne néglige rien;
il nous donne les dimensions des théâtres et des salles de concerts, s'occupe
de la machinerie scénique et de la plantation des décors, compare, juge,
approuve ou propose des réformes. En un mot, son œuvre est complète,
intelligente, et fait réfléchir le lecteur. L'auteur a visité spécialement une
quinzaine de capitales et de villes importantes : Carlsruhe. Stuttgart, Munich,
Vienne, Budapest, Prague, Dresde, Berlin, Hambourg, Hanovre, Dusseldorf.
Cologne. Francfort, Wiesbaden, Mannheim, et, ne pouvant tout voir, il s'est
renseigné sérieusement sur un grand nombre d'autres, telles que Brème,
Bonn, Aix-la-Chapelle, Brunswick. Dantzig, Breslau, Darmstadt. etc. J'ajoute
que les nombreuses illustrations dont il est accompagné (portraits, vues et
plans de théâtres et de salles de concerts, graphiques, etc.) complètent de la
façon la plus utile et la plus heureuse ce livre remarquable à beaucoup
d'égards et qui devrait être entre les mains de tous nos musiciens — si nos
musiciens n'étaient pas généralement si paresseux pour lire ce qui peut les
intéresser. A. P.
— On sait quels services rendent aux amateurs de spectacle les Annales du
Théâtre et de la Musique, où, chaque année, notre érudit confrère Edmond
Stoullig retrace la vie théâtrale avec un agrément qui n'exclut pas la docu-
mentation. Les artistes y trouvent le souvenir de toutes les interprétations et
les spectateurs y revivent les heures de joie et d'émotion qu'ils vécurent au
théâtre. Grand est le succès de ce livre en un temps où tout le monde adore
les choses de la scène. Le nouveau volume, qui vient de parailre chez Ollen-
dorff, est orné d'une exquise préface intitulée « Contre toute tradition », où le
brillant critique Nozière a mis sa plus mordante verve et sa plus spirituelle
ironie.
— De Lille : Nous venons d'avoir la première représentation de Thérèse, qui
a obtenu sur notre scène municipale un très gros succès. Plusieurs rappels
après chaque acte et vibrante ovation à la fin de l'œuvre nouvelle du maitre
Massenet. Mme Sancya, puis MM. Borelli et Vallorès, avec l'orchestre sous la
direction de M. Dupuy, ont contribué pour leur part à cette belle réussite.
— La Société des concerts de Toulouse a donné sa première séance de la
saison, sous la direction de M. Crocé-Spinelli. Au programme : la symphonie
eu ré de Beethoven, la cavatine de Renaud de YArmide de Gluck et l'air du
Freischiit; chantés par M. Boulo, Y Angélus, de M. Trépard. le concerto de violon
de Mendelssohn exécuté par M. Jean Ten Hâve, et Irlande, d'Augusta
Holmes.
— A la Société des Concerts d'Angoulème, grand succès pour MIIe Suzanne
Decourt, soprano dramatique, qui a principalement été fort applaudie après
le grand air de Sigurd, de Reyer : «■ Salut, splendeur du jour ».
— MUe Madeleine Mauduit. fille de la regrettée Eugénie Mauduit dont les
succès à l'Opéra sont encore présents à la mémoire de tous, fera cet hiver ses
débuts en public en chintant dans plusieurs grands concerts, notamment à
Nice, dans la Suisse française et en Belgique.
— MUe Hortense Parent fonde un nouveau service à son école préparatoire
au professorat du piano : une association de secours mutuels entre les mem-
bres de l'école. Une vente organisée au profit de cette œuvre naissante aura
lieu au siège de l'école, rue de Tournon, 9, du lundi 7 décembre au dimanche
13 compris, de une heure à sept. — (Objets pour étrennes, timbres, bullet.
Prix modérés.)
— On a donné au Grand-Théâtre de Lyon la première représentation d'un
ballet inédit, le Sorcier de la forêt, dont la musique est due à M. Brunetti. chef
d'orchestre de l'Opéra de Nice.
— Cours et Leçons. — M— Marie Roze a repris ses levons de chant et de décla-
mation lyrique, ainsi que ses cours d'ensemble. —M"1 C. Martel a repris ses cours et
levons particulières de ehant et piano, 60. boulevard de Clichy.
He.nri Helgel, directeur-gérant.
Vient de paraître, chez E. Fasquelle : Lucie Delarue-Mardrus, Marie, fille-mére,
roman (3 fr. 50 c).
392
LE MÉNESTREL
Soixante-quinzième année do publication
PRIMES 1909 du MÉNESTREL
JOURNAL DE MUSIQUE FONDÉ LE 1er DÉCEMBRE 1833
Paraissant lous les samedis en huit pages de texte, donnant les comptes rendus et nouvelles des Théâtres et Concerts, des Notices biographiques et Études
sur les grands compositeurs et leurs œuvres, des articles d'esthétique et ethnographie musicales, des correspondances étrangères, '
des chroniques et articles de fantaisie, etc.,
publiant en dehors du texte, chaque samedi, un morceau de choix (inédit) pour le CHAUT ou pour le PIAN© et offrant à ses abonnés,
chaque année, de beaux recueils-primes CHA\T et PIAXO.
Tout abonné à la
E. JAQBESDALCROZE
JUMEAUX DE BERGAME
Deux actes de Maurice Lésa
(D'après Florin)
Partition chant et piano
Tout abonné à la
J. MASSENET
ESPADA
Ballet-pantomime
de René Maugars
Partition pour piano seul
C -H. A. iS T (1er MODE D'ABONNEMENT)
musique de Chant a droit GRATUITEMENT à l'une des primes suivantes :
THÉODORE DUBOIS
ODELETTES ANTIQUES
JAQUES-DALCROZE
Idylles et Chansons
Deux recueils format in— 1°
RAOUL PUGNO
CLOCHES DU SOUVENIR
GEORGES HUE
Iiieds dans la Fofèt
Deux recueils format in-4°
RODOLPHE BERGER
LE CHEVALIER D'ÉON
Opéra-comique en 4 actes
d' Armand Silvestre et Henri Cain
Partition chant et piano
_P X A. lS O (1' MODE D'ABONNEMENT)
musique de Piano a droit GRATUITEMENT à l'une des primes suivantes :
J. SEBASTIEN BACH
DOUZE CHORALS
(Transcrits pour piano par I. PiiilippI
RAOUL PUGNO
Paysages
Deux recueils in-4"
ERNEST MORET
JONCHÉE D'OCTOBRE
ERNEST MORET
Pages Blanches
Deux recueils in-4°
PAUL VIDAL
ZINO-ZINA
Ballet-pantomime
de Jean Richepin
Partition pour piano seul
GRANDES PRIMES
REPRÉSBHTAHT, CHACUNE, LES PRIMES DE PIANO ET DE (MI RÉUNIES, POUR LES SEULS ABONNÉS A L'ABONNEMENT COMPLET (3e Mode) :
— GABRIEL PIERNÈ —
LiA GROISADE DES ENFANTS
Légende musicale en quatre parties
1. Le Départ. = 2. La Grande Route. = 3. La Mer. = 4. Le Sauveur dans la tempête
Grande et belle partition in-4° avec couverture de Giraldon en chromo
LÉO I^EïLilIOESS
JEAN DE NIVELLE
Opéra en trois actes
-VICTOR 1WASSE
PAUL ET VIRGINIE
Opéra en trois actes
Reprise
îis, rue Vi
Partition chant et piano
lu Théàtrc-Lyriquo de
partir du 10 ilécenibre proclia
Partition chant et piano
Reprise du Tléàtre-Lyrique de la Gaîte
UCiTA IMPORTANT — Ces primes sont délivrées gratuitement dans nos bureaux
"neienounouverabonné.surla présentation de la quittance d'abonnement au 1IE\E<«TBEL pour 1 année 1909. Joindre au prix d'abonnement
un supplément A'VX ou de DEUX francs pour l'envoi franco dans les départements de la prime simple ou double. (Pour l'Etranger, l'envoi franco
des primes se règle selon les frais de Poste.)
Les abonnés au Chanl peuvent prendre la prime Piano et vicevérsa. - Ceux au Piano et au Chant réunis ont seuls droit à la grande Prime. - Les abonnés au texte seul n'ont droit à aucune prime.
CHANT CONDITIONS D'ABONNEMENT AU « MÉNESTREL » PIANO
1" Mode d'abonnement : Journal-Texte, tous les samedis ; 26 morceaux de chant
Scènes, Mélodies, Romances, paraissant de quinzaine en quinzaine; 1 Recueil
Prime. Paris et Province, un an : 20 francs ; Étranger, Frais de poste en sus.
CHANT ET PIANO RÉUNIS
3- Mode d'abonnement, comprenant le Texte complet, 26 morceaux de chant, 26 morceaux de piano, les 2 Recueils-Primes ou une Grande Prime
Un on : 30 francs, Paris et Province; Etranger : Poste en sus.
4' Mode d'abonnement. Texte seul, sans droit aux primes, un an : 10 francs.
On souscrit le 1" de chaque mois. — Les 52 uuméros de chaque année forment collection.
Adresser franco un bon sur la poste à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne.
2' Mode d'abonnement: Journal-Texte, tous les samedis; 26 morceaux de piano:
Fantaisies, Transcriptions, Danses, de quinzaine en quinzaine; 1 Recueil-
Prime. Paris et Province, un an : 20 francs; Étranger : Frais de poste en sus.
40SS. — 74e ANNÉE. — iV oO.
PARAIT TOUS LES SAMEDIS
Samedi 12 Décembre 1908.
72/ .
(Les Bureaux, 2 b", rne Vivienne, Paris, h- m')
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
MÉNESTREL
Le flaméro : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
lie fluméFo : 0 fr. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienr.e, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul: 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck f48" article), Julien Tiersot. — II. Semaine théâtrale : i
première .représentation du Foyer, à la Comédie-Française, A. Boutarel. — 111. Ri-
des
aprésentation de Saiiga, à l'Opéra-Comiqu
ands concerts. — IV. Nouvelles diverses e
iïOi
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
LE NOËL DES HUMBLES
de J. Massenet, poésie de Je»n Aicard. Suivra immédiatement: Roses ardentes,
n° 3 de la Chanson d'Eve, de Gabriel Fauré, poésie de Cii. van Lerergiie.
MUSIQUE DE PIANO V fl. P. J_
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique ûV^iano:
DEUX FIGURINES
du nouveau recueil de I. Piin.irp. — Suivra immédiatement : le premier
entr'acte de Monna Vanna, de Henry Février, poème de Maurice Maeterlinck.
PRIMES GRATUITES DU "MÉNESTREL " POUR L'ANNÉE 1909 (Voir à la s* page des précédents numéros).
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
(±T ± -4= - ± T T -4 )
CHAPITRE IX : D'Alceste
Ainsi, chef d'école sans disciples, général sans armée, Gluck I
ne cessait d'exhaler à tout venant son irritation de ne se pas
■voir suivi. Sa méchante humeur trouvait partout des raisons de \
se répandre. Voici,
presque contempo-
rain A'Elena e Pa-
ride, un document
d'un autre genre xV
qui va le montrer
sous un aspect nul-
lement contradic-
toire avec celui
sous lequel il nous
est déjà apparu.
C'estune lettre d'un
médecin, probable-
ment français (la
lettre en tout cas
est écrite en fran-
çais) en séjour à
Vienne en 1 769.
Habitué au langage
des cours, cet écri-
vain (qui ne signe
pas, et dont nous
ne connaissons pas
non plus le corres-
pondant, mais dont
nous avons sous les
yeux la lettre mê-
me), prend des airs
de mystère pour dire les moindres choses, et fait penser à' ce
personnage an Misanthrope qui, au dire de Célimène, a -toujours
Un secret à vous dire, et ce secret n'est rien.
MAISON NATALE DE
■ ltijinduc
a Iphigénie (1767-1774).
Policier peut-être autant que diplomate, il rapporte à son
correspondant les propos de Vienne, parlant sans charité de
son confrère Van Swieten (ce médecin mélomane dont on connaît
les relations avec
i Haydn et Mozart),
à qui, dit-il, « il
est très difficile de
plaire quand on
est médecin ». Mais
il avait commencé
sa lettre en l'entre-
tenant de Gluck,
occupé à ce mo-
ment même d'or-
ganiser la partie
musicale des fêtes
qui se préparaient
à la cour de Parme
pour le mariage de
l'archiduchesse
Marie-Amélie (une
des interprètes à'Il
Parnasso confuso
avec l'Infant don
Ferdinand : Gluck
avait composé à cet
effet le Fesle d'A polio,
ouvrage qui, après
des retards dont va
nous entretenir la
lettre, fut en défi-
nitive représenté à Parme le 24 août 1769.
Si l'écrivain s'y montre d'une discrétion qui confine à
l'excès, Gluck au contraire y apparaît sans diplomatie, gardant
WEIDEXWAXY
394
LE MÉNESTREL
partout son franc parler, et ne se privant jamais d'appeler les
choses par leur nom. Au fait, c'était chose de si grande
importance que de savoir ce que Gluck avait dit de la vie à
Parme ! Et l'on conçoit que celui qui rapporte ses paroles ait
pris toutes ses précautions avant d'aborder un si grand sujet !
Sa lettre est datée de Vienne, 45 mai 1169. On observera de
quelle façon, encore à cette époque, un homme vivant dans la
société devienne orthographiait le nom de l'auteur d'Akeste.
.... J'ai quelque autre chose à vous mander, qui me donne de l'inquiétude:
je vous ouvre mon cœur; j'ai été entre deux si je devais le faire ou non. Il me
paraissait de blesser ma délicatesse en le faisant, je craignais de m'exposer et
de causer inutilement de la peine : de l'autre coté, il me paraît de manquer,
en ne le faisant pas, au devoir, et à la reconnaissance d'un sujet, et d'un ami :
d'ailleurs la chose passé1 par vos mains : vous m'aimez, vous êtes prudent ;
ainsi vous userez sagement des connaissances que je m'en vais confier à votre
discrétion. Voici de quoi il est question.
La Cour de Parme appela Cloue, maitre de musique de celle de Vienne,
pour faire l'opéra qu'on doit donner à l'occasion des fêtes du mariage.
Celui-ci étant différé, par la raison que vous savez, il a demandé la permission
de revenir chez lui pour ses affaires : il l'a obtenue à condition qu'il se rendra
à Parme quand on aura besoin de lui. Il y a quelques jours qu'il est de retour.
Hier au soir, une personne qui connaît beaucoup la Cour de Parme, qui
estime beaucoup le gouvernement, et qui a quelque attachement à ce pays-là,
m'a dit que Cloue disait qu'à Parme on ne respire que la misère, la gêne et la
crainte, qu'il ne voudrait pas y vivre, car tout y est en confusion, et que le
gouvernement est violent et despotique. Je fis semblant de ne pas pouvoir le
croire en lui disant que tous les étrangers partaient de Parme enchantés de la
Cour et du gouvernement, et d'autres raisons. Cette personne me répondit
qu'elle ne l'avait pas entendu parler de la sorte lui-même, mais que les gens
qui avaient répété cela n'avaient aucun intérêt à lui prêter ces discours: que
d'ailleurs c'est un Allemand grossier, un cheval qui ne voit pas plus loin que
sa musique, que c'est pour cela qu'il n'avait trouvé de bon à Parme que la
musique de la Cour. Ceci à la vérité se combine de quelque façon avec ce que
j'ai entendu d'ailleurs. On m'avait bien dit que Cloue louait la musique de la
Cour de Parme, on ne m'a pas dit qu'il fasse l'éloge d'autre chose. L'autre
jour. Calsabigi, ami de Cloue, disait, en parlant de l'élection du pape, qu'il
était, bien que le mariage fût différé, parce qu'il savait que rien n'était prêt à
Parme, que tout était en confusion, et qu'on n'aurait pas su où loger les
époux. Je répondis à cela qu'il fallait que Cloue n'eût vu que le palais de Molli,
et pas du tout celui du jardin de Colarno, et les appartements vis-à-vis Saint
Paul. Par parenthèse, ce même Calsabigi m'avait dit que Cloue revenait à
Vienne pour trois mois: cela marquerait que le mariage ne se ferait pas si tôt.
Si ces choses sont vraies, comme elles sont vraisemblables, je serais très fâché
qu'on eût fait venir d'aussi mauvaise musique de Vienne. On a ici une grande
opinion de la Cour de Parme: maison est facile à recevoir les mauvaises
impressions. Ce Calsabigi m'a invité plusieurs fois à diner chez lui, j'y irai
exprès et je tâcherai de choisir un jour que son ami y soit (1).
C'est que Gluck avait quelques raisons, à ce moment de sa
carrière, de ne pas voir les choses en rose. Non seulement il
.avait à se plaindre que son effort d'artiste fût méconnu, mais
encore il commençait à se débattre au milieu de difficultés d'un
autre ordre, au milieu desquelles il faillit bientôt sombrer, et où
tout autre, moins fort que lui, se serait perdu sans rémission.
Qu'allait-il faire dans cette galère, d'ra-t-on après avoir lu les
détails de ce chapitre inconnu de sa vie ? Il est vrai qu'il s'y
engagea bien imprudemment. Le récit qui va suivre, et qu'on
ne trouve encore rapporté dans aucune biographie, va faire
connaître cet épisode de son histoire, qui fut près de tourner au
tragique.
Pendant de longues années, l'intendance des théâtres de
Vienne avait été aux mains du comte Durazzo. Celui-ci avait eu,
du moins, le mérite de comprendre le génie de Gluck, et avait
mis en lui sa confiance. Nous avons bien, à la vérité, vu Favart
lui reprocher parfois quelques menues indélicatesses, — quand,
par exemple, il constatait que les sommes qui lui étaient dues,
et que Durazzo affirmait à Marie-Thérèse avoir versées, n'étaient
jamais parvenues à leur destination ; ou encore qu'ayant envoyé
de Paris à Vienne le scénario d'une comédie-ballet, il avait reçu
pour réponse que cet ouvrage ne pouvait pas convenir, mais avait,
à quelque temps de là, appris indirectement que son sujet était
représenté sous le nom d'un autre auteur, sans que, bien
entendu, il en eût jamais perçu aucune rétribution. Au reste, sa
bonne humeur de vaudevilliste frondeur ne s'en était trouvée
(li La lettre autographe dont sont tirés les extraits ci-dessus appartient à la Biblio-
thèque du Conservatoire.
aucunement altérée. « J'ai servi gratis, écrivait-il. J'ai seulement
prié le comte de vouloir bien me continuer l'honneur de sa
correspondance. Il m'a fait la grâce d'accepter mes offres. Je
n'ai point à m'en plaindre, j'ai reçu de Son Excellence les lettres
les plus obligeantes ; je puis me glorifier de quelque chose,
c'est d'être en commerce de lettres avec monseigneur le comte
de Durazzo, dont les talents sont connus en tous genres, à Paris
comme à Vienne... (1) » Mais ne nous arrêtons pas à ces minu-
ties : c'était monnaie courante, à ce qu'il paraît, dans le monde
où vivaient tous les personnages de notre récit, et nous allons
en voir bien d'autres !
Or, le comte Durazzo avait fini par quitter Vienne, étant
devenu ambassadeur d'Autriche près la République de Venise.
« Je suis malheureusement dans un pays d'où on ne saurait rien
écrire d'intéressant», mandait-il bientôt à son fidèle correspon-
dant (2), regrettant sa capitale et les milieux artistes parmi
lesquels il avait vécu et régné. Il n'en avait pas moins fallu lui
trouver un remplaçant. Et ce n'était pas chose facile, car, à ce
moment, la situation des théâtres de Vienne tendait à devenir de
jour en jour moins favorable. L'économie de Marie-Thérèse avait
commencé, comme toujours, par rogner sur le budget de la mu-
sique. Burney a rappelé que, sous le précédent règne, on pouvait
voir à Vienne des opéras dont les décorations et habits coûtaient
à l'Empereur jusqu'à trente mille livres sterling. «Mais, ajoute-
t-ilj les guerres continuelles, et tant d'autres calamités qui ont
affligé ce pays-ci, ont tellement épuisé le trésor public et
appauvri les fortunes des particuliers, qu'on a été forcé de
supprimer ces prodigalités, ce qui, à mon avis, honore bien
davantage le gouvernement. Car, conclut l'écrivain anglais,
quoique j'aime beaucoup la Musique, j'aime encore mieux
l'Humanité (3). » Voilà des paroles pleines de vertu. Mais peut-
être les sentiments qui les inspirèrent nous ont-ils fait perdre
plusieurs chefs-d'œuvre que Gluck aurait pu produire encore. Ils
furent cause, en tout cas, que ce grand artiste fut, en quelques
semaines, acculé à la banqueroute, et perdit la plus grande partie
de la fortune que son activité antérieure lui avait gagnée.
(A suivre.) Julien Tiersot.
SEMAINE THEATRALE
Opicra-Comique. — Sanga, drame lyrique en quatre actes, paroles de MM. Eu-
gène Morand et Paul de Choudens, musique de M. Isidore de Lara.
(Première représentation le 9 décembre 1908.)
« De nos jours, en Savoie. » Je prends les divisions et les indica-
tions exactes du livret.
Acte premier. — Une ferme près des Alpes. — Nous sommes chez
le fermier Vigord, un grincheux, égoïste, de caractère violent et absolu.
Les paysans battent le blé, fout des gerbes de paille et les rentrent au
grenier. Entre temps, on chante et l'on danse. C'est le jour de la recette
des métayers. L'un apporte trop peu d'argent, et est rabroué soigneu-
sement. Un autre, qui a cinq enfants et qui vient s'excuser de n'avoir
rien à donner, est chassé brutalement, en dépit de ses prières et de
celles de la jeune Lena, la nièce du fermier, que sa dureté fait charger
de malédictions.
Vigord a projeté de marier son fds Jean avec sa nièce Lena. Mais il
y a un obstacle. Jean est devenu l'amant d'une des filles de moisson
engagées à la journée. Sanga. Tous deux ont juré de s'appartenir, et
Jean ne veut pas entendre parler de Lena. Vigord est furieux, et chasse
Sanga. Et comme Jean veut la suivre, pour le retenir il évoque le sou-
venir de sa mère, morte. Jean fond en larmes, et reste.
:li Mémoires et correspondance de Favart, t. II, p. 272 et suiv. (Lettre de Favart à
Dancourt, du 4 avril 1763l Voir aussi (p. 266) la lettre de Dancourt à Favart, de
Vienne, 13 mars 1763 : « La régie de M. le comte Durazzo étant devenue suspecte,
etc. »
(2) Mémoires et correspondance de Favart, t. II, p. 233 (Lettre de Durazzo à Favart,
de Venise, 9 décembre 17671.
(3) Bubkey, Etat présent de la musique, t. II, p. 318. Ces mots sont ceux par les-
quels l'auteur termine la relation de son séjour à Vienne.
LE MENESTREL
393
Acte deuxième. — Les montagnes des Alpes couvertes de neige. —
Pour un beau décor, saprelotte ! c'est un beau décor, avec, dans l'orage,
des effets de lumière successifs qui sont prodigieux. Mais quel acte
bizarre, et combien inutile ! Nous voyons arriver Sanga, qui s'écorche
les mains et les genoux pour grimper de roche en roche. Et pourquoi
faire ? Je n'en sais rien, ni vous non plus, probablement. Elle se pro-
mène comme ça, sur les rochers, au milieu de la nuit et sous l'orage,
simplement pour exhaler sa colère contre Vigord, qui l'a chassée. Et
puis, quand elle a fini et que la neige commence à tomber, elle s'en va
tranquillement par où elle était venue. Bizarre, cet acte, tout à fait
bizarre. Mais quel décor ! Bravo, Jusseaume ! Bravo, M. Carré !
Acte troisième. — Dans la ferme, à l'intérieur de la maison. — Il
faut croire qu'un certain temps s'est écoulé, car nous assistons à la noce
de Lena et de Jean, qui a fini par se décider. Seulement, il s'est décidé
sans se décider, car lorsque tous les amis sout partis, que les cadeaux
ont été faits à la mariée et qu'il reste seul avec elle, il finit par lui
déclarer qu'il l'aime bien en tant que cousine mais pas du tout comme
épouse, et qu'il pense et ne pensera jamais qu'à Sanga. Il aurait pu lui
dire ça huit jours plus tôt ; il n'aura pas eu le temps, probablement.
Mais voilà qu'au milieu de cet entretien dépourvu d'agrément, un orage
furieux éclate ; et comme ça tout à coup, en cinq minutes, une inonda-
tion se déclare, et les maisons du village croulent de tous côtés. Les
chemins sont coupés, les ponts sont emportés eu moins de temps qu'il
n'en faut pour le dire. La ferme elle-même commence à s'écrouler, en-
vahie qu'elle est par les eaux, et celles-ci entraînent dans l'abime Vigord
et sa nièce, tandis que Sanga arrive dans un bateau pour sauver
Jean.
Acte quatrième. — Le désert des eaux. La ferme inondée. — Ici, nous
sommes sur le toit de la ferme, où Sanga et Jean se sont réfugiés. Us
causent tous les deux, pendant que l'eau continue de ravager tout. Elle
monte toujours, toujours, si bien qu'elle les atteint bientôt et les fait
disparaître à leur tour.
Telle est la pièce, sur l'intérêt de laquelle je m'en voudrais d'insister.
Maintenant, en avant, la musique !
Peut-être ne connaissez-vous pas M. Isidore de Lara, l'auteur
d'icelle ? On en a pourtant beaucoup parlé, en ces derniers jours. Le
compositeur a été interviewé de tous côtés, on nous a fait connaître
son physique athlétique, la couleur de ses cheveux, l'éclat de ses yeux,
on nous a même entretenu longuement de son esthétique (l'esthétique
de M. Isidore de Lara !!!), de son symbolisme et d'un tas d'autres cho-
ses. « Taillé en force, la chevelure noire fièrement rejetée en arrière,
l'œil hardi, la main cordiale, tel est Isidore de Lara, l'auteur de Sanga »,
dit l'un. « Un homme, un compositeur, un poète, un penseur, tel est
Isidore de Lara », dit l'autre. Et un troisième : « Quelques amis savent
que cet esprit, formé aux études philosophiques et nourri de lectures,
serait plus capable de « psychologie musicale » que bien d'autres qui
nous en obsèdent. Mais M. Isidore de Lara ne produit pas tant avec
son savoir et sa raison qu'il n'apporte au théâtre lyrique tel qu'il le
rêve sa sensibilité, sa passion, son instinct et son cœur. »
Un phénomène, quoi ! cet homme-là.
II est assez difficile, toutefois, de démêler les origines de M. Isidore
de Lara. Un journal italien m'affirme qu'il est israélite et Portugais de
naissance (ebreo portoghese di nascita), tandis qu'un journal français
me certifie qu'il est né à Londres d'un père espagnol et d'une mère
anglaise. Ce qui parait certain, c'est qu'il fut envoyé jeune en Italie et
qu'il devint, au Conservatoire de Milan, élève de Mazzucato. Ledit Maz-
zucato étant mort il y a juste trente et un ans, le 31 décembre 1877, il
en résulte, que M. Isidore de Lara doit avoir atteint sa majorité depuis
quelque temps déjà. Son éducation musicale terminée (quoique de-
meurée bien imparfaite), le jeune artiste se rendit à Londres, où pen-
dant plusieurs années il se fit professeur de chant, tout en publiant un
certain nombre de mélodies vocales. En 1892 il faisait exécuter un ora-
torio intitulé la Lumière d'Asie, dont la partition, remaniée par lui,
devint celle d'un opéra représenté l'année suivante, sous le même titre,
au théâtre de Covent-Garden. C'est alors que M. Isidore de Lara alla
s'installer à Monaco, où, grâce à une protection puissante, il produisit
successivement plusieurs ouvrages, dans des conditions d'interpréta-
tion absolument exceptionnelles : Amy Robsart ( 1894). avec Mmc Emma
Calvé, MM. Alvarez et Lassalle ; Moïna (1897), avec Mlne Emma Bellin-
cioni, MM. Yan Dyck, Maurel, Bouvet et Boudouresque; et Messaline
(1899), avec M"u' Héglon, M"e Jeanne Leclerc, MM. Tamagno, Bouvet
et Yinche. Mais ce n'était pas assez d'être compositeur; M. Isidore de
Lara voulut être aussi son poète, tout comme Wagner, avec lequel il
n'a d'ailleurs que des points de ressemblance très éloignés. Il traça
donc le livret d'un drame lyrique intitulé Soléa, que M. Jean Richepin
mit en vers, que lui-même mit eu musique et que M. Otto Neitzel tra-
duisit en allemand, et cette Soli-n fut représentée an Théâtre-Municipal
de Cologne le 19 décembre 1907. Dans ce livret, empreint du plus pur
néo-romantisrne, on voyait un chevalier chrétien amoureux d'un.' bohé-
mienne (Soléa) qui elle-même s'éprend de lui et trahit les siens au bé-
néfice de la croix, des soudards ivres à vendre el i pendre, des nonnes
bienfaisantes, des foules indécises et insouciantes « dansant sur un
volcan ». puis des coups de sabre, des coups de canon, des sonneries
de trompettes, des marches et contre-marches, une bataille navale,
l'explosion d'une citadelle qui saute, etc., enfin un opéra â la fois mili-
taire, maritime, religieux, et surtout excentrique. Tel est le dernier
fruit de la muse héroïque de M. Isidore de Lara, car Sanga, que j'ai eu
tort de ne pas mentionner encore, est antérieur.' â Soléa et. avant de
venir à Paris, a été- représentée à l'Opéra de Nice le 19 février Puni.
De toutes les œuvres du compositeur, je n'avais encore fait connais-
sance qu'avec Messaline, qui nous avait été offerte à la liait'- il y a deux
ou trois ans, et je trouvais que c'était une assez mauvaise connaissance.
Je ne suis pas persuadé que Sanga lui soit très supérieure, et je pen-
cherais plutôt pour la négative. Comme je le disais en commençant,
on nous a beaucoup parlé, depuis quelques jours, de 1' « esthétique »
de M. de Lara. Je ne sais ce qu'elle est, cette esthétique; mais ce que
je sais bieu, c'est que ses résultats ne sont pas brillants. Quelle musi-
que banale, melliflue, sans conviction, sans couleur et sans portée,
sans inspiration surtout ! Il n'y a pas là-dessous l'ombre de l'ombre
d'une idée musicale, ou, quand par hasard il s'en trouve un atome, on
salue au passage, comme au premier acte, un souvenir à'Hamlet ou un
autre de la Valkyrie. Pas une phrase qui se tienne debout, pas une
période qui ait un sens; tout cela est mou, lâche, terne et sans saveur.
Je préfère encore la musique irritante et crispante de quelques-uns,
parce que si celle-ci me déchire souvent les oreilles, elle vit du moins
et me prouve que l'auteur a un but qu'il veut atteindre, un horizon
vers lequel il tend. Ici, c'est le néant complet, absolu. Une harmonie
plate et sans consistance, un orchestre où les cuivres font rage sans
avoir de sonorité, où un tapage infernal tient la place de la véritable
vigueur. Sous ce rapport, le second acte, l'acte de la tempête, est iné-
narrable; il faut entendre ce prélude ambitieux et interminable, et
toute cette scène de Sanga, où l'infortunée pousse des cris à fendre
L'âme? Quel vide dans ce bruit qui n'est même pas tumultueux et qui
n'a aucun sens ! Mais je n'en veux pas dire davantage : on ne prend
pas un merlin pour écraser une mouche, et où il n'y a rien la critique
perd son encre.
Et pourtant, quel soin apporté flans l'exécution générale, et quelle
interprétation pour une œuvre (?) si mal veuue ! M"e Chenal, pleine de
chaleur dans ce rôle de Sanga. où elle déploie un vrai tempérament
d'artiste, tant comme chanteuse que comme comédienne : M11" Nelly
Marlyl, toute gracieuse, tout aimable, toute charmante dans celui de
Lena, le seul auquel le spectateur puisse porter quelque intérêt :
M. Fugére, excellent, à son ordinaire, en représentant le fermier
Vigord ; M. Beyle, qui sauve par son habileté ce que le personnage de
Jean a de faux et presque de ridicule ; M. Delvoye, qui fait briller sa
voix superbe dans celui du paysan Gauchut ; sans oublier M"c Lassalle.
qui cache sa jeunesse sous les rides de la Vieille, et qui fait preuve à
la fois d'adresse et de bonne volonté.
La mise en scène est ce qu'elle est toujours à rOpéra-Comiirue,
grâce à M. Albert Carré. Le tableau de la ferme est charmant, enso-
leillé, plein de mouvement, de gaité et de belle humeur (avec des
poules, de vraies poules, s. v. p.. picorant dans la paille). Celui de la
montagne est saisissant, d'une ampleur superbe, avec ses effets d'orage,
et celui de l'inondation ne lui cède en rien comme impression terrible.
Tout cela est d'une vérité que rien ne saurait surpasser.
Ajoutons enfin que l'ensemble est complété, sous la ferme direction
de M. Ruhlmann, par l'excellence de l'orchestre et des chœurs.
Arthur Pougin.
Comédie-Française.
- Le Foyer, comédie en trois actes, de MM. OctaY
Mirbeau et ïhadée Xatanson.
Le « Foyer » est un établissement où l'on reçoit des jeunes filles
dépourvues de tous moyens d'existence, afin de les instruire et de leur
apprendre un métier. Il a comme directeur le baron Courtin. uoble de
race, sénateur, membre de l'Académie française et commandeur de
la Légion d'honneur. Ce personnage est le type de la médiocrité par-
venue. Regardez cette figure solennelle avec sa tare d'insignifiance
accentuée par des favoris trop soignés, elle peut appartenir aussi bien
à un ministre qu'à l'huissier de son cabinet ; soyez sur que cet homme-
là n'existe ni par le talent, ni par la conscience, ni par la dignité de sa
vie. Il restera honnête si rien ne l'écarté de la bonne route facile à
396
LE MÉNESTREL
suivre ; il.ressemblera alors à un grand nombre de ses contemporains :
mais, s'il surgit des difficultés, dès la première il perdra la tète, et la
culotte verte de l'Immortel, aussi bien que le grand cordon de la chan-
cellerie, courront risque sérieux de scandale et d'éclaboussures. Il a
pour femme la créature la plus coquette, la plus papillotante, la plus
frivole, futile et jolie qu'on puisse imaginer. Maîtresse de l'archimil-
lionnaire financier Biron, elle s'est lassée de lui lorsqu'il a pris de
l 'âge et de l'embonpoint. Il manque de distinction, de tenue, tandis que
le jeune Robert d'Auberval est si séduisant, avec les petits airs de so-
cialiste mondain qu'il se donne ! N'a-t-elle pas droit à un nouveau
caprice, cette jeune élégante entourée d'hommages qu'elle savoure dans
la soie et les fleurs ? Son mari nous a exposé déjà sa maxime de gou-
vernement ; elle tient en trois mots : « Taire le mal ». Il sait bien que
sa femme l'a longtemps trompé, mais il n'ignore pas non plus qu'en
feignant de ne rien savoir, il a été payé de sa complaisance par des
sommes considérables qui sont venues accroître le bien-être de son
intérieur, et lui ont permis d'afficher un luxe et un confortable au-
dessus de ses propres ressources.
Courtin a écrit, selon la bonne formule, des livres humanitaires. Il a
fait de la charité un terrain de rapport et du « Foyer » une exploita-
tion. Les jeunes filles, casernées dans l'établissement sous l'autorité de
Mllc Rambert, sont mal nourries et victimes de méthodes pédagogiques
expéditives et déprimantes. Les produits de leur travail, vendus au
dehors, formeraient pour l'institution des ressources nullement négli-
geables si l'honnête baron, sénateur et académicien, ne s'en servait
pour soutenir son train de maison et pour spéculer à la Bourse. Les
choses en sont venues au point qu'une catastrophe est imminente. Une
enfant recueillie au « Foyer » est morte dans un placard où on l'avait
enfermée pour la punir, et ensuite oubliée ; d'autres sont tombées ma-
lades par manque d'hygiène ou à la suite de traitements barbares. Les
journaux ont ébruité ces faits ; la justice va ordonner une enquête.
Grâce à ses appuis auprès des ministres, Courtin saura bien se tirer de
ce mauvais pas : il suffira pour cela de jeter à la porte Mlle Rambert,
qui ne mérite pas d'autre traitement ; mais la comptabilité du « Foyer »
accuse un déficit de trois cent mille francs, et si une vérification en
est faite, on reconnaîtra bientôt que. dans l'asile ouvert par le sénateur,
la morale et l'éducation, de même que la charité, la bienfaisance et la
philanthropie n'ont été que des masques. Sous ces masques, il y avait
la dilapidation, le vol ou pis encore. Il faut donc, de toute nécessité,
trouver la forte somme. Qui peut la donner? Biron. Qui saurait la
solliciter avec un charme irrésistible? Thérèse Courtin, son ancienne
maîtresse qu'il adore et supplie chaque jour de revenir à lui. Et
qui peut décider Thérèse à s'adresser à Biron? Son mari, Courtin
lui-même, qui s'effondre ici plus bas que l'on ne saurait dire.
C'est là le comble de la vilenie; l'abjection même. La scène est à ce
point supérieurement traitée qu'elle ne révolte guère, tant ce qui s'y
passe est attendu, indispensable et considéré comme la seule issue pos-
sible d'une situation intolérable. Après une certaine résistance, Thé-
rèse court chez Biron et se livre à lui comme autrefois. Elle organise
avec lui une croisière qui va devenir une sorte de pseudo-voyage de
noces. On emmènera le jeune d'Auberval, qui chantera des romances à
la belle Thérèse que Biron veut bien partager avec lui; Courtin, le
mari complaisant, écrira sous le ciel d'Italie le rapport sur les prix de
vertu que lui a confié l'Académie, et Biron rattachera cyniquement le
fil de ses anciennes jouissances. Quant au « Foyer ». un ancien direc-
teur de prison se charge de l'exploiter et d'en tirer d'honnêtes profils.
Le Foyer est certainement l'une des pièces les mieux conduites, les
plus solidement écrites, les plus hardies et les plus adroitement pré-
sentées que nous ayons eues depuis longtemps. Il n'y a là ni poésie,
ni visions sympathiques. ITn observateur a passé avec son scalpel ; froi-
dement, impassiblement, il a ouvert des plaies, en a relevé les bords et
nous les a montrées. La société est-elle ainsi gangrenée? — Assuré-
ment l'on ne voudrait pas le croire, mais les auteurs sont dans leur
droit, si le moindre germe des ignominies qu'ils ont dévoilées se trouve
dans son sein. Le reste est exagération de moraliste chagrin ou gros-
sissement d'optique théâtrale. Dans les temps nouveaux, pensent les
auteurs du Foyer, la charité doit disparaître et faire place à la seule
justice. L'idée est assurément belle si l'on sait la comprendre. Elle a
été magistralement présentée dans un ouvrage d'économiste raru en
1846,
L'interprétation du Foyer est glorieuse pour la Comédie-Française.
Les acteurs ont senti que tout ce qu'ils avaient à dire est écrit dans un
style fort, concis.incisif, et dont, par suite, tous les mots doivent porter.
Ils ont soigné leur diction et nous croyons que bien rarement une
œuvre a laissé pareille impression de clarté. Mais le plus grand mérite
des interprètes, c'est la discrétion des moyens. Tous les personnages
sont une véritable lie sociale. Eh bien, tous nous semblent si incons-
cients du juste et de l'injuste, si dominés par les ambiances, si entraî-
nés par les vices d'état — il y a des vices d'état comme des grâces
d'état —, que l'on serait tenté de les absoudre et de rejeter leur abjec-
tion sur la société tout entière. L'art de bien dire peut causer de pareils
malentendus et faire naitre de telles illusions. Il y a unanimité dans
l'éloge pour Mme Bartet, délicieusement captivante avec ses coquetteries
perverses et sa vivacité mutine ; pour M. Huguenet, qui fait de Courtin
ce vaniteux, béat dont le visage porte l'empreinte d'une nullité préten-
tieuse; pour Mme Pierson, type frappant de la vieille fille acerbe et
cruelle que guette peut-être l'hystérie; enfin pour M. de Féraudy, qui a
fait de Biron une sorte de félin usant de toutes les souplesses humi-
liées, et pour M. Truffier, type amusant d'abbé déjà gâté par ses fré-
quentations, mais actif, agité, voulant exercer une influence; c'est lui
l'aumônier du «Foyer «.Les autres rôles ont aussi d'excellents titulaires
en MM. Joliet, Ravet, Croué, Grandval, Paul Numa, Jacques de
Féraudy, M"? Amel, Persoons et Lynnès. L'ouvrage comporte deux
décors: ils sont luxueux et d'un joli effet.
ÂMÉDÉE BotTAREL.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
C'est l'excellent Georges Marty qui avait eu l'initiative et l'honneur de
remettre en lumière, en 1902, à la Société des Concerts, cette œuvre colossale,
surhumaine, qui a nom la Messe en si mineur de Jean-Séhastien Bach, colos-
sale par ses proportions, sa forme et sa beauté, colossale aussi par l'effort
immense qu'elle exige de la part de tous pour son exécution. Dans sa biogra-
phie, devenue justement célèbre, du fameux cantor de Leipzig, Spitta a dit
avec raison: «Toutes les compositions de Bach, fussent- elles perdues, à
l'exception de cette Messe en si mineur, qu'elle suffirait seule pour la faire
apprécier par la postérité comme ayant eu, pour ainsi dire, la révélation
divine. » La Messe en si mineur, écrite sur les paroles latines de la liturgie,
est une messe catholique due à un protestant. C'est pour la cour de Saxe, qui
était catholique, que Bach en commença la composition, en écrivant le Kyrie
et le Gloria, qu'il fit parvenir au prince Frédéric-Auguste, en exprimant le
désir d'être nommé compositeur de la cour, ce qui l'aiderait à lutter contre
les ennuis qu'il avait à subir de la part des administrateurs de la Thomasschule.
Ce n'est que plus tard, et à diverses reprises, qu'il la reprit et la termina.
Certaines parties de l'œuvre ne sont point originales et sont des adaptations
au texte latin de diverses cantates écrites précédemment par Bach ; ainsi le
Grattas, le Qui ioilis, le Patrem omnipotentem, le Crucifixus. Mais Spitta fait
remarquer que Bach a montré une grande habileté dans ces adaptations, avec
un grand souci de la justesse d'expression. Il est à peu près certain que la
Messe ne fut jamais exécutée en entier à l'église ; ses proportions (elle dure
plus de deux heures) eussent dépassé de beaucoup la durée de l'office. On sait
d'ailleurs de source certaine que Bach ne la donna jamais intégralement
même à Leipzig, mais qu'il en faisait exécuter des fragments aux jours de
fête : il frisait entendre ainsi le Kyrie au premier dimanche de l'Avent. le
Gloria à Noél, le Sanclus à Noël, à Pâques et à la Pentecôte, YHosanna, le
Benedietus, YAgnus Dei et le Dona nobis pacem pendant la communion des jours
solennels, et le Credo au service de la fête de la Trinité.
Ce qui étonne, dans certaines œuvres de Bach, et particulièrement dans la
Messe en si mineur, c'est l'habileté qu'on est bien obligé de supposer de la
part des artistes qu'il avait à sa disposition. Dans cette composition gigan-
tesque (où l'orchestre ne comprend ni clarinettes, ni cors, ni trombones), il
lui fallait des solistes vraiment éprouvés : violon, flûte, hautbois, trompettes
(celles-ci ont des traits fantastiques à l'aigu), et, sans parler des principales
parties vocales, ce qu'il exige des chœurs, particulièrement les sopranos et les
ténors, est formidable, au point de vue non seulement de la puissance et de
l'étendue des voix, mais des difficultés et de la rapidité de la vocalisation. Et
il faut bien dire que lorsque l'œuvre est exécutée dans son intégralité, ainsi
que nous venons de l'entendre, l'effort est vraiment prodigieux. Mon intention
ne saurait être ici. on le conçoit, d'esquisser seulement une analyse de la
Messe ; à peine puis-je me permettre de signaler sommairement queiques-uns
des vingt-deux morceaux qui la composent : le Gloria, superbe d'éclat dans sa
première partie, avec, ensuite, des vocalises étonnantes où les soprani se sont
montrés héroïques ; le Lawlamus. air de soprano d'un caractère délicieux,
ainsi que le Domine Deus, duo pour soprano et ténor avec flûte solo, qu'accom-
pagne simplement, avec l'orgue, un pizzkuti de violoncelles ; le Cum sancto
spiritu, chœur admirable, d'une ampleur, d'une couleur et d'une sonorité
superbes : le Cruci/ixus, autre chœur, empreint, celui-ci, d'un sentiment
poignant de douleur indéGnissable ; le Resurrexit, puissant, majestueux,
immense, avec ses éclats de trompettes et ses vocalises inouïes... Mais je ne
veux pas dresser un catalogue et je n'en saurais dire davantage, fl me reste
d'ailleurs à peine assez de place pour féliciter la Société dans son ensemble
et rendre à chacun la justice qui lui est due en ce qui concerne la beauté de
l'exécution : aux solistes chanteurs et instrumentistes, Mmes Mastio, Auguez
de Montatant. Charbonnel. MM. Devriès et Frœlich d'une part, MM. Brun
LE MÉNESTREL
397
(violon), Hennebains (flûte), Bleuzet ihautbois), Lachanaud (trompette),
d'autre part : aux chœurs, d'une solidité, d'une crànerie et d'une précision
exemplaire; à l'orchestre enfin et à son chef, M. Messager, qui tous se sont
surpassés, ont montré une vaillance extraordinaire et ont fait des prodiges.
Il n'y a encore qu'au Conservatoire qu'on peut avoir la joie d'entendre une
pareille œuvre, pareillement exécutée. A. P.
— Concerts-Colonne. — M. Debussy sait à l'occasion produire des œuvres
délicieusement idéalistes : la Damoiselle élue, l'Après-midi d'un faune et quel-
ques morceaux de piano le démontrent avec un charme irrésistible. Pourquoi
donc cet artiste si doué s'est-il lais.-é entraîner, dans l'ouvrage intitulé Trait
nocturnes, à des bizarreries d'instrumentation qui évoquent bien, il est vrai,
des images, mais avec une certaine pauvreté d'imagination et une monotonie
extrême. Prenons le premier nocturne, Nttur/es. On s'aperçoit de suite qu'il
s'agit de ces nuages aux tons de plomb et d'étain, qui couvrent le ciel pendant
certains jours d'hiver: — le cor anglais et le hautbois ont des notes qui corres-
pondent entièrement à l'impression do tristesse que le musicien veut pro-
duire ; — on écoute donc d'abord avec une attention très captivée, puis on se
lasse quand le même effet revient, revient toujours ; l'on se surprend alors à
penser que la mélodie est pauvre et ne se renouvelle pas. Lorsqu'ensuite nous
entendons le second nocturne, Fêles, les bizarreries de l'instrumentation nous
intéressent, sans parvenir toutefois à cacher le peu de valeur rythmique et le
peu de nouveauté des fanfares grimaçantes que les trompettes jouent en sour-
dine, sur un accompagnement de cordes au grave. Ou pourrait comparer cela
à une épaisse frange foncée surmontée d'un grêle fil d'acier se repliant en
arabesques. M. Debussy me pardonnera de parler ici d'un fragment de la
Symphonie pastorale que l'on a donnée au même concert. Il y a une danse de
villageois dans l'œuvre de Beethoven ; cette danse est d'un rythme lourd,
mais le sentiment qui s'en dégage est sain et robuste. A l'inverse le nocturne
Fêtes nous fait songer à ces réjouissances équivoques du peuple dans lesquelles
se mêle, avec l'élément citadin, les flirts, les grossièretés, les drôleries paysan-
nesques, toutes choses laides et fréquentes qui peuvent assurément devenir
matière d'art, mais auxquelles ne songeait pas l'àme de Beethoven. Le troi-
sième nocturne, Sirènes, est beaucoup mieux réussi. L'introduction d'un
chœur de femme à quatre parties, traité comme une famille insu-umentale. y
produit un effet charmant. — Le concerto en fa pour violon, de Lalo, est une
œuvre d'heureuse inspiration. Il débute par un andante des plus agréables ;
ensuite le mouvement et la passion se font jour dans un Allegro. Les deux autres
morceaux, Andantino et Allegro con fuoeo, sont d'une grâce exquise; élégante
et distinguée dans l'un, vive, joyeuse et folâtre dans l'autre. M. Jacques
Thibaud a interprété ce bel ouvrage avec un style plein de noblesse, une belle
sonorité, une virtuosité simple et pleine d'aisance. Il a joué aussi le
Concertstuck, op. 20, de Saint-Saëns, une des compositions de jeunesse du
maître. L'assistance a rappelé maintes foi» chaleureusement l'excellent vio-
loniste. Elle s'est montrée un peu froide pour deux mélodies de M. Louis
Brisset, Aux jardins idéals et Guitare. Ces deux pièces, que le programme
appelle « poèmes », ne brillent point par l'invention, et leurs accompagne-
ments d'orchestre n'y ajoutent guère qu'un peu de vulgarité. Elles ont été
chantées par Mme Laute-Brun. La Chevauchée des Walkyries complétait le pro-
gramme. Amédée Boitarel.
— Concerts-Lamoureux. — Peut-il être encore dit quelque chose de neuf
sur la première symphonie de Schumann? Est-il besoin d'insister sur les
qualités maîtresses de celte œuvre, une des plus personnelles, des plus pro-
fondément inspirés du maître ; sur ce premier mouvement au rythme persis-
tant jusqu'à l'obsession, qui étreint, pénètre et martèle l'oreille et l'esprit;
sur le larghetto, une des pages les plus belles, non pas seulement de Schu-
mann, mais de toute la musique ; sur le scherzo si ingénieusement varié avec
l'alternance de ses deux trios ; sur le finale aux délicates dentelures, à la grâce
incomparable? L'exécution par l'orchestre de M. Chevillard fut satisfaisante,
d'une correction un peu sèche peut-être, sauf dans le larghetto, qui fut traduit
avec une belle émotion contenue. Le cinquième concerto de Beethoven valut
à M. Harold Bauèr un succès chaleureux. Le brillant pianiste nous revient
après une assez longue éclipse, en possession d'une technique admirable,
d'une maîtrise complète mises au service d'une rare conscience artistique,
également dédaigneux des effets faciles et des recherches vaines. Son jeu
n'est pas seulement un plaisir, mais un enseignement. — La Chasse et l'orage
des Troyens de Berlioz et une Marche Polorlsienne du Prince Igor de Borodine,
complétaient la partie purement symphonique du concert. Du premier mor-
ceau il ne reste à parler que de l'exécution vivante et colorée qu'en donna
M. Chevillard ; du second, qui terminait brillamment la séance, on doit louer
la verve, l'entrain qui se dégagent de rythmes curieusement combinés, l'ins-
trumentation éblouissante (qui est due à Rimsky-Korsakow, car le Prince Igor
fut laissé inachevé par Borodine) tout en regrettant certaines vulgarités
qu'explique sans les excuser pourtant le caractère tout extérieur de cette page
pittoresque. — Je ne sais si c'est bien servir la cause d'un compositeur que
de soumettre à l'admiration de ses contemporains les moindres pages sorties
de sa plume, même infantile. La cantate qui valut à M. Debussy le prix de
Rome en 188 i ne semble pas plus mériter les honneurs d'une exécution solen-
nelle que les cantates de ses rivaux des mêmes années: je ne crois pas que
le regretté Marty, queMM. Pierné, Charpentier, pour ne parler que des jeunes
lauréats de cette époque, devenus des maîtres aujourd'hui, aient beaucoup de
gloire à récolter de ces résurrections d'œuvres de jeunesse qui ne sont, en
somme, que des exercices d'école, coulés tous dans un même moule suranné
et qui ont pour principal caractère de ne présenter aucune originalité. Ces
réserves faites, je reconnais qu'on peut entendre sans déplaisir les fragments
de l'Enfant prodigue que M. Chevillard nous a donnés dimanche et dont
M"1" Charlotte Lormont a détaillé avec charme la cantilène obligée; je con-
sentirai même à deviner le Debussy du XX« siècle dans la gamme par tons
entiers (non harmonisée encore) dont se pare (déjà!) l'air de danse qui suit:
et je conclurai en constatant que le public a paru s'intéresser à ces premiers
balbutiements d'un jeune talent cherchant sa voie et non encore affranchi de
la tutelle scolastique. si méprisée depuis. .1. Jemain.
— Programmes des concerts de demain dimanche :
Conservatoire, sous ladirection de M. André Messager ' .r.in l> Messe en «mineur
(Bach); soli : M™' Mastio, Auguez de Montalant, Charbonnel, MM. Di
Friilicli.
Chùtelet, Concerts-Colonne : Septième symphonie, <a la Beethoven . — Air de
Cassandre de la Prise de Troie (Berlioz), par M- Delna. — .1» Cimetière Haxd'Ollone
et le Roi des Aulnes (Schubert-Berlioz), par M™ Delna. — Concerto en un bémol pou
piano, n° 3 (Sainl-Saéns;, par M™' Marguerite Long. — £e» Troyens à Cartilage (Ber-
lioz), Mort de Didon, par M"' Delna. — Ouverture du (animal romain (Berlioz.
Salle Gaveau, Concerts-Lamoureux, sous la direction de M. Chevillard : Ouverture
cVIphigénie en Aulide (Gluck). — Psyelié (C. Franck). — Deux poèmes (Caplel , pal
M"' Rose Féarl. — Ouverture des Maîtres Chanteurs (Wagner. — Lamenta Ma
d'Ollone). — Suite lyrique (Grieg). — Air de Fidelio (Beethoven), par M"' Rose Féart.
— Symphonie en ut mineur avec orgue 'Saint-Saëns .
— La deuxième séance du quatuor Capet a été un succès artistique d'ordre
élevé. La beauté des quatuors op. 18, n°3. op. 74 et op. 13-'i s'est affirmée
d'autant mieux que les interprètes ont apporté dans leur style les modifica-
tions que comportent, selon l'époque de leur composition, les trois chefs-
d'œuvre de Beethoven. Le premier appartient encore à la période d'achemi-
nement pendant laquelle, tout en se dégageant de plus en plus de l'influence
de ses prédécesseurs, Beethoven la subissait encore. Le second pénètre bien
plus profondément dans l'àme. émeut irrésistiblement par son Adagio en la
bémol et entraine dans le tourbillon si léger de son final avec une vivacité
d'allure extrêmement caractéristique. Le troisième, dernier de la série des
quatuors, est excessivement court ; son Lento assai est, dit-on, l'adieu suprémi-
de Beethoven à son art avant de laisser tomber sa plume pour ne plus la
reprendre ; c'est une effusion musicale rêveuse, calme et reposante qui semble
sortir du cadre des impressions terrestres. Le final, au contraire, s'y rattache:
il témoigne de toute la robuste énergie du maître ; il a son histoire : c'est le
morceau qu'on appelle « la résolution difficilement prise ». Am. B.
— La deuxième matinée Danbé était consacrée aux œuvres de M. Gabriel
Fauré. L'éminent directeur du Conservatoire accompagnait lui-même ses
exquises mélodies : Lydia, les Berceaux, au Cimetière, Sérénade, Clair de lune,
Bareàrolle, Accompagnement, que Mme Jeanne Raunay détailla avec l'art con-
sommé qu'on lui connaît. Le quatuor vocal Battaille (Mmes Garnier, Olivier.
MM. Drouville et L.-Ch. Battaille) interpréta le cantique et le madrigal et y fut
très applaudi, ainsi que Mnie Marguerite Long, dont le beau talent de pianiste
s'affirma dans la Romance, la Valse-Caprice et dans le superbe quatuor en sol
mineur, avec MM. Soudant, Migard et Bedetti. La célèbre Berceuse, par le vio-
lon de M. Soudant, fut très appréciée, et aussi le joli quatuor à cordes d'Haydn
qui terminait la séance. — La prochaine matinée, mercredi 16 décembre, réu-
nira les noms de MM. Alexandre Georges et Léon Moreau. Mlle J. Brohly et
Tagliafeno, MM. Cossira et Lucien Berton.
— Le Concert-Marigny débutait par l'ouverture du Roi d'Ys et la symphonie
en mi bémol de Mozart. Les deux œuvres, si différentes de style, ont été enle-
vées de verve par M. de Lêry et son orchestre. Par contre, la Danse macabre
et le Rouet d Omphule, ces deux chefs-d'œuvre de C. Saint-Saèns, ont été inter-
prétés avec quelque négligence. Mais on a apprécié particulièrement le beau
talent de Mlle Cella Delavrancea dans les nobles Variations symphoniques pour
piano et orchestre, de César Franck. La technique de cette charmante pianiste
est fort brillante et d'une clarté absolue, sa sonorité est exquise. Mais ce qu'il
faut louer avant tout, c'est son style naturel, sa fougue juvénile, son
expression émouvante. Mlle Delavrancea a été longuement applaudie et rappe-
lée. La jeune artiste fait le plus grand honneur à l'enseignement de M. I. Phi-
lipp.
— Un autre virtuose de la même école, M. Maurice Dumesnil. a eu un
véritable et très brillaut succès au cinquième festival Barrau. Son programme
se composait du quatuor de Chausson joué par MM. 'Wuillaunie, Maçon et
Feuillard, et des intéressantes Variations de M. Camille Chevillard. dont la
superbe interprétation a valu à M. Dumesnil trois ou quatre rappels. Des
pièces de harpe de MM. G. Fauré et G. Pierné, bien dites par M,le Laskine. et
le quatuor de Borodine. complétaient le programme.
— La « Fondation J.-S. Bach », instituée et dirigée par l'excellent violo-
niste Charles Bouvet, donnera cet hiver quatre séances du plus haut intérêt,
qui auront lieu, Salle Pleyel, à 9 heures du soir. La première sera donnée le
jeudi 17 décembre, au profit du musée créé dans la maison natale de J.-S. Bach à
Eisenach. Cette séance comportera un programme exclusivement composé
d'œuvres du « maître des maîtres », entre autres la première audition d'une
cantate italienne, Amoretraditore, et la cantate nuptiale 0 hohler tag , chantée par
Mme Mellot-Joubert. MM. A. Guilmant, G. Panneton. J. Tiersot, J. Jemain.
G. Blanquart, L. Bleuzet collaboreront à cette fête de bienfaisance artistique
pour laquelle le poète Ch. Grandmougin a écrit spécialement une pièce en
398
LE MÉNESTREL
vers : Les Derniers Jours de J.-S. Bach qu'il dira lui-même. — Seconde séance
le vendredi 29 janvier. École Autrichienne. — Troisième séance le samedi
27 février. Écoles diverses. — Quatrième séance le mardi 30 mars. Ecole
Anglaise.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(POUR LES 8EUL8 ABONNÉS A I.A MU8IQUK")
Noël approche. Xous pensons donc être agréables à nos abonnés en leur offrant un
Noël écrit tout exprès pour eux par le grand maître Massenet, sur une poésie char-
mante de Jean Aicard: Le Noël des Humbles, sorte de cantique tout simple, où l'émo-
tion du musicien a su s'allier très heureusement à la grâce naïve du poète.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
De notre correspondant de Belgique (9 décembre). — La Monnaie est tout
à- la préparation des œuvres nouvelles qu'elle offrira au public, à peu de dis-
tance l'une de l'autre, très prochainement. La composition très diverse de la
troupe lui permet de travailler ainsi plusieurs partitions à la fois et de les
présenter à peu près en même temps, sans que la marche du répertoire en
souffre aucunement. Monna Vanna (dont les principaux rôles sont confiés à
Mme Pacary et à M. "Verdier) passera le lendemain de la première à l'Opéra :
Aïiane et Barbe-Bleue, selon les circonstances, ou lui succédera ou la précédera.
Puis viendra Sainte-Catherine lie Sienne, l'œuvre inédite de M. Edgar Tinel,
qui exigera un grand déploiement de chœurs et de mise en scène ; peut-être
aurons-nous aussi la Habanera, de M. Laparra, sans compter quelques reprises
importantes, et quelques autres, non désagréables, comme celles du Pardon
de Plbërmel et de Bornéo et Juliette avec Ml,e de Tréville, de Paillasse, du
Tableau parlant de Grétry, de l'Attaque du Moulin, avec... Mais, chut! Ceci est
encore un secret pour les Bruxellois. En attendant, nous avons eu la reprise,
assurément sensationnelle, de la Salomé de M. Bichard Strauss, que Mme Ma-
zarin avait créée, ici, en français, il y a deux ans. Celle-ci a trouvé en
jTme Friche une héritière qui l'a fait victorieusement oublier par des qualités
musicales et vocales de premier ordre, unies à une interprétation plastique et
expressive tout à fait remarquable. La plupart des autres personnages avaient
retrouvé leurs titulaires anciens. Mais l'ensemble, admirablement mis au
point, la mise en scène plus suggestive, l'orchestre magnifique, la compréhension
de l'œuvre plus parfaite, tout cela a contribué à mettre en relief, mieux encore
que la première fois, la couleur éclatante et le mouvement extraordinaire de
cette partition follement et insolemment éblouissante, écrasante et crispante,
qui prend d'assaut l'admiration, comme une forteresse. Le succès a été très
grand. Quelques jours avant, la Monnaie afait repris les Pêcheurs de Perles, de
Bizet, où MUe de Tréville a, une fois de plus, fait triompher son exquise vir-
tuosité et, pour achever le contraste, les Noces de Jeannette et le Maître de Cha-
pelle, qui n'ont pas valu moins d'applaudissements à M. Decléry, le plus
artistes de nos chanteurs. — Le Théâtre-Molière continue ses intéressantes
matinées d'opéra-comique, qu'il avait inaugurées si heureusement l'année der-
nière. On a donné récemment Haydée, puis Galathée et le Chalet. L'accueil fait
à ces résurrections d'œuvres toujours charmantes n'a pas cessé un seul ins-
tant d'être chaleureux. Une très aimable troupe les interprète avec vaillance
et même avec talent. Il y a notamment un baryton, M. Tarquini d'Or, qui a
une jolie voix et qui chante à ravir. Il n'en fallait pas plus pour rendre la vie
à un répertoire que l'on a peut-être été trop pressé de faire mourir. L. S.
— Le ministère des cultes de Prusse vient de consentir à verser une contri-
bution de 73.000 francs, afin de permettre la continuation de l'édition complète
des œuvres de Joseph Haydn. Les frais nécessités par cette grande entreprise
sent évalués à environ 300.000 francs.
— C'est l'excellente artiste Mme Thila Plaichinger qui interprétera la pre-
mière le rôle d'Elektra à l'Opéra-Boyal de Berlin, dans le dernier ouvrage
dramatique de M. Bichard Strauss. La première représentation à ce théâtre
est actuellement fixée au 4 février 1909.
— C'est, parait-il, une jeune artiste autrichienne, M"e Mimi Aguglia, qui
vient de battre le record des rappels à la rampe. Son succès a été si grand au
théâtre .In der Mien, de Vienne, dans une comédie dont elle remplissait le
principal rôle, qu'elle n'a pas été rappelée moins de cinquante fois dans le
cours de la soirée. Enfoncé, Caruso !
— On annonce les fiançailles de MUc Eva Wagner avec l'écrivain wagnérien
bien connu M. Houston Chamberlain. Le mariage est fixé au 26 décembre
prochain.
— Lundi dernier a été donnée à l'Opéra de Francfort la première repré-
sentation d'une opérette nouvelle en trois actes, Prima ballerina, texte de
M. Max Beimann, musique de M. Otto Schwartz. L'action se passe au temps
de Frédéric le Grand et la première ballerine à laquelle fait allusion le titre
de l'ouvrage est la célèbre danseuse de la Cour, la signora Barbarini. Une
opérette du même compositeur. Hôtel Eva, a été représentée à Cassel en 1906.
— Le jury chargé de juger divers concours ouverts au Conservatoire de
Milan, pour des places vacantes de professeurs, a terminé ses travaux. Il a
nommé professeur de chant M. Vittorio Vanza, et professeur d'histoire et
d'esthétique musicale M. G-iusto Zampieri, qui suppléait déjà dans cette
classe M. Galli, démissionnaire. En ce qui concerne la classe de composition,
le concours reste nul, le jury n'ayant trouvé parmi les candidats « aucun qui
fut digne de monter sur le siège qui avait été occupé jadis par Ponchielli et
Catalani ».
— La fabrique du Dôme de Milan avait, pour prendre part aux fêtes du
centenaire du Conservatoire, ouvert un concours réservé aux anciens élèves
diplômés de cet établissement pour la composition de pièces pour deux
orgues. Le jury de ce concours, présidé par monsignor Angelo Nasoni et
composé de MM. Salvatore Gallotti, Giuseppe Terrabugio, Giuseppe Bamella
et Adolfo Bossi, organiste du Dôme, ayant examiné dix-neuf envois faits
par quinze artistes, a décerné les récompenses suivantes (prime de 100 francs
et une médaille d'argent) : à M. Marco Anzoletti, professeur au Conserva-
toire, pour une Fantaisie sacrée: à M. Carlo Censi, pour une Fantaisie en
forme de Toccata et pour un Largo (Offertoire) ; à M. Ciro Grassi, premier
organiste au Santo do Padoue, pour un Interlude (thématique); Alessandro
Marinelli, organiste à Santa Maria et sous-directeur de l'Institut Doni-
zetti de Bergame, pour un Mouvement de sonate; et à M. Carlo Pedron,
sous-bibliothécaire au Conservatoire, pour un Mouvement de sonate. Le jury
a accordé ensuite des médailles de bronze à MM. Albergoni, Cattaneo et Norsa
(deux à chacun des deux derniers, qui avaient envoyé deux pièces). Les œu-
vres primées avec la médaille d'argent seront exécutées publiquement au
Dôme.
— Une série d'opéras nouveaux en Italie. Au Politeama de Gênes, le
28 novembre, Aixa, drame lyrique en trois actes et un prologue, livret de
M. P. de Luca, musique de M. Edoardo Bellini, dont un journal caractérise le
sort en ces termes : o II tombe dans les bras d'un public clairsemé, et il
meurt ; mais il meurt bien, comme la protagoniste, au milieu des pleurs du
prochain ». Poème et musique, l'un vaut l'autre, et ne vaut rien. — A Florence,
le même jour, Cadore, drame lyrique en trois actes, paroles de M. Emilio
Nardini, musique du maestro Montico. L'action, très mouvementée, prend sa
source dans le soulèvement anti-autrichien de l'Italie en 1848 ; la musique,
faible, manque de chaleur et de passion, et, au point de vue mélodique, se
fait remarquer par de nombreuses réminiscences et autant de lieux communs.
L'interprétation elle-même estmédiocre. — Au Politeama de Turin, UGrillo del
focolare (le Grillon du foyer), comédie musicale en trois actes, paroles de
M. Cesare Hanau, musique d'un jeune compositeur de vingt-trois ans,
M. Biccardo Zandonai, pour son début au théâtre. Début heureux, et qui
promet, parait-il. — Enfin, au théâtre Dal Verme de Milan, le 1er décembre,
Fasma, drame lyrique en trois actes, livret de M. Arturo Colautti, musique
de M. Pasquala La Botella. Du bon et du mauvais : du mauvais dans le drame,
qui met en action un épisode de la terrible insurrection polonaise de 1830-
1832, sans intérêt et sans caractère ; du bon dans la musique, vivante, bien
écrite et bien instrumentée, mais qui manque malheureusement de qualités
seéniques. Bonne interprétation de la part de M""" Emma Carelli et Cocyte,
de MM. Giorgini et Bapisardi.
— Le God save the king sera désormais chanté et exécuté dans une mesure
uniforme. On sait que le chant national anglais était exécuté sans aucune pré-
cision, tantôt lentement, comme une marche funèbre, tantôt allègrement,
comme un air de danse. Sur le désir du roi Edouard VII, on a fixé pour l'avenir
le mouvement de l'hymne de façon exacte, mouvement qui comprendra S4 bat-
tements à la minute. Et ainsi, l'Angleterre n'aura plus rien à craindre d'une
invasion allemande.
— On a joué le 2S novembre dernier au théâtre de la Cour, à Londres, un
nouvel opéra sur un sujet britannique, Enid. Le livret est de M. Ernest Bhys;
il est extrait d'un des plus beaux cycles de romans celtiques, celui que l'on
appelle habituellement Mabinogion, et dont on peut trouver l'origine dans les
romans de Chrétien de Troyes. La musique est de M. Vincent Thomas, qui a
dirigé lui-même son œuvre.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Comme nous l'avions annoncé, l'Académie des Beaux-Arts a procédé,
dans sa dernière séance, à l'élection d'un membre correspondant en rempla-
cement de Bimsky-Korsakow, qu'elle avait élu l'année dernière et qui était
mort quelques mois à peine après avoir obtenu cette distinction. Son choix
s'est porté cette fois sur M. Humperdinck, l'auteur de cette élégante partition
de Hunsel et Gretel, dont nous avons pu juger la valeur à l'Opéra-Comique.
M. Engelhert Humperdinck est, avec M. Richard Strauss, le musicien le plus
eu vue de l'Allemagne actuelle. Né à Siegburg le 1er septembre 1834, élève
du Conservatoire de Cologne, puis de l'École royale de musique de Munich,
il obtint successivement les prix des trois fondations Mozart, Mendelssohn et
Meyerbeer. Professeur un instant au Conservatoire de Barcelone, puis à celui
de Francfort, il devint critique musical de la Gazette de Francfort, et commença
à se faire connaître comme compositeur par quelques mélodies vocales et
deux ballades pour chœur et orchestre (la Cloclu; d'Edenhall, le Pèlerinage de
Kevlaar), jusqu'au jour où il fut mis en pleine lumière par son opéra de
Hansel et Gretel, dont sa sœur lui avait fourni le livret d'après une vieille
légende (1894). Deux ans après, il donnait, avec beaucoup moins de. succès,
un second ouvrage, les Enfants du Boi, qui, selon un critique allemand, ■> peut
LE MÉNESTREL
399
être considéré comme un rejeton dégénéré du drame wagnérien ». Enfin, en
1905, il faisait représenter un troisième opéra, h Mariage à contre-cœur, dont,
cette fois, sa femme, M"10 Hedwige Humperdinck, avait tiré pour lui le livret
d'une comédie d'Alexandre Dumas, les Demoiselles de Saint-Cgr. M. Humper-
dinck était déjà membre correspondant de la Société des compositeurs.
— Le conseil municipal a adopté les conclusions du rapport de M. Emile
Massard sur les modifications à apporter au contrat qui lie les frères Isola
avec la Ville de Paris pour l'exploitation du Théâtre-Lyrique populaire. Ces
modifications, le rapporteur les juge indispensables par suite de diverses
circonstances, telles que : crises sur les théâtres, concours insullisant des
théâtres d'Etat, gestion un peu trop « large » motivée dit-il. par le désir de
bien faire, et il ajoutait: « La situation va devenir meilleure, car, à la suite
do quelques conférences, il a été entendu que le directeur de l'Opéra-Comique
ferait les sacrifices nécessaires et que le théâtre de la Gaité sera à mémo de
fonctionner dans les conditions primitivement indiquées ». — Les modifica-
tions adoptées portent, comme nous l'avons déjà dit, sur les deux points
suivants : 1» Augmentation de certaines places de luxe (élever de un franc le
prix des places des premières loges, des avant-scènes, des huit premiers rangs
des fauteuils d'orchestre) ; 2° La Ville prendra à son compte l'impôt foncier
payé jusqu'ici par les concessionnaires.
— Une alerte à l'Opéra. Tous nos lecteurs sont évidemment déjà au courant,
par la lecture des autres journaux qui se sont occupés copieusement de l'inci-
dent. Donc, M. André Messager, l'un des codirecteurs de notre Opéra, avait
cru devoir donner sa démission, pensant n'être pas d'accord tout à fait, sur
certains points, avec son associé M. Broussan. Le ministre des beaux-arts a
réussi à dissiper tous les nuages d'un malentendu qui n'était pas vraiment
très important, et M. Messager a accepté de continuer à l'Opéra la belle besogne
artistique qu'il y a déjà commencée, en collaboration de M. Broussan. On se
félicitera de cet heureux dénouement, qui réunit à nouveau deux personna-
lités sympathiques à tous et qui peuvent assurer de belles destinées à notre
première scène lyrique.
— Tout continue d'ailleurs à marcher à souhait dans la maison au point de vue
des études et du travail. Monna Vanna est à peu près sur pied et, jeudi der-
nier, on en a commencé les études d'orchestre. Tout se présente admirable-
ment. D'autre part, mercredi, on a présenté aux auteurs de Bacchits,
MM. Massenet et Catulle Mendès, les dernières maquettes de leurs décors.
Tout a été bien arrêté et convenu, et de ce côté aussi on va marcher avec
ardeur.
— A l'Opéra-Comique on a commencé les études pour la reprise de la
Sapho de Massenet, avec le nouveau tableau ajouté à l'oeuvre, sur les conseils
de M. Albert Carré. Cette reprise sera donnée au courant du m ois de janvier.
— Spectacles de dimanche : en matinée, Carmen ; le soir, Manon. — Lundi, en
représentation populaire à prix réduits : la Traviata.
— Lettre de M. Reynaldo Hahn adressée, à M. Serge Basset du Figaro :
Cher monsieur et ami,
Je vous serais inûniment obligé de vouloir bien rectifier diverses informations
parues concernant la représentation que le théâtre des Arts prépare pour les mati-
nées du 23, du 24 et du 26. Il ne s'agit ni d'une audition de mes œuvres, ni (Dieu
merci I) d'un oratorio — mais de certaine Pastorale de Noël, tirée par MM. de La Tour-
rasse et Gailly de Taurines d'un «mystère» du quinzième siècle, et mise en mu-
sique par
Votre dévoué
Reynaldo Hahn.
— Mme Blanche Marchesi, ayant signé un superbe engagement, partira le
11 décembre prochain pour une grande tournée de concerts en Amérique qui
ne se terminera qu'au mois d'avril de l'année prochaine.
— Note de Nicolet du Gaulois : « Il y a un peu plus de cinq ans — le
31 juillet 1903 — nous annoncions dans notre courrier des spectacles la mort
de M"'e Rosine Stoltz, créatrice de la Favorite, qui venait de s'éteindre dans
un hôtel de l'avenue de l'Opéra, à l'âge de 90 ans. Complètement oubliée,
vivant depuis de longues années dans une retraite absolue. M""-' .Stoltz dis-
parut sans bruit. Sa mort passa presque inaperçue. C'est à peiue si quelques
journaux lui consacrèrent une courte nécrologie. On l'inhuma au cimetière
do Pantin. Deux personnes seulement suivirent le char de dernière classe qui
transporta sa dépouille en cette lointaine nécropole. Comme elle ne laissait
rien, la pauvre Léonore fut inhumée dans une concession de cinq ans, dont
un vieil ami de la cantatrice lit les frais. Cette concession a expiré le l"r août
dernier. La tombe de la pauvre artiste était complètement abandonnée. De
la croix de bois fichée en terre, il ne restait plus que la branche verticale ;
l'autre avait disparu, emportée par le vent et les pluies d'orage. On nous
apprend aujourd'hui que l'administration du cimetière a dû, en vertu des
règlements, « exproprier •> les restes de la célèbre cantatrice. Cela veut dire
que ceux-ci ont été jetés dans la fosse commune, la concession n'ayant pas
été renouvelée. Pauvre Léonore !... »
— Le maitre Louis Diémer est de retour d'une magnifique excursion artis-
tique à Grenoble, Genève et Lausanne. Au théâtre municipal de Grenoble,
dans un concert excellemment dirigé par M. Armand Ferté, le programme
comportait des œuvres de Rameau, Mozart. Beethoven et Diémer. A Genève,
dans la grande salle du Conservatoire, avec l'autre maitre Edouard Risler, les
deux merveilleux virtuoses ont interprété — avec quel succès ! — Mozart.
Schumann, Saint-Sams. et la fameuse Sérénade de Diémer lui-même. Enfin,
à Lausanne, dans la grande salle du Conservatoire, Louis Diémer a donné un
admirable récital de clavecin et de piano. Au clavecin, du Bach, Hameau
(quel succès pour la Gavotte des heures et des Zéphyrs /), Mozart, Couperin,
Daquin et Dandrieu ; au piano, du Beethoven, Liszt, Mozart, G. Fauré,
B. Godard et Diémer. Et ce furent trois soirées triomphales où la maîtrise, la
technique, la virtuosité de l'éminent professeur de notre Conservatoire furent
acclamées et glorifiées de la plus émouvante façon.
— Samedi dernier, au concert Rouge, délicieux « Récital Fabre» donné par
M"c Raymonde Delaunois avec le concours de l'auteur, de Mlle Jenny Pirodon
et de M. Georges Pitsch. Les Chansons de Maeterlinck et les Poèmes de Jade ont
tenu sous le charme tous les auditeurs, admirablement interprétés par Ml,e De-
launois, comme les pièces de piano par M"c Pirodon.
— Ariane vient de remporter un nouveau triomphe, cette fois à l'Opéra de
Marseille, où M. Saugey, avec un souci de belle et heureuse mise en scène
(et à ce point de vue les Marseillais avaient vraiment été peu gâtés jusqu'à
présent), avait mis tous ses soins et toutes ses brillantes qualités artistiques à
dignement présenter l'œuvre maîtresse du maitre Massenet. Une interprétation
de premier ordre mit en pleine lumière les très nombreuses pages vibrantes et
prenantes de la partition ; MUe Suzanne Cesbron, dont le soprano est un des
plus jolis que l'on puisse entendre et dont l'art de chanter est de si captivante
musicalité, a été une admirable Ariane, touchante, émue, dramatique : on lui
a redemandé la phrase « Tu lui parleras, n'est-ce pas ? » et, si on n'avait craint
d'abuser, on lui aurait redemandé et o Oh ! le cruel ! i> et « C'était si beau ! o.
A ses côtés, M"le Catalan a déployé, dans le rôle très lourd de Phèdre une puis-
sance vocale et tragique tout à fait remarquable, de grand et immédiat effet
sur le public, et le ténor Granier s'est affirmé chanteur de fougue, de jeune
vaillance et de parfaite compréhension. Il faut aussi complimenter M. Lafont,
un Pirithoùs à l'organe généreusement sonore, M"e Hiriberry, Perséphone de
large et impressionnante diction, et Mrac Dorly, dont la voix est aussi sympa-
thique, en Eunoé, que le physique. Il faut, enfin, couvrir de louanges l'orchestre
de M. Rey, souple, varié, brillant, très en progrès sur ce qu'il était il n'y a
encore que quelques années, — on l'a forcé à bisser l'adorable andante
commentant la douleur d'Ariane, — et inscrire à ce complet bulletin de victoire,
quatre rappels après chaque acte, les chœurs bien stylés et le ballet joliment
réglé. Voilà Ariane partie à Marseille pour un nombre de représentations que la
première soirée permet de prévoir des plus respectables.
Henri Heigel, directeur-gérant.
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chœurs à 3 voix égales ou inégales (T. S. B.), orgue et orchestre.
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MOTETS
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ou violoncelle et orgue, harpe (ad libitum) 6 »
P. BRYDAINE. Les Gaudes, pour Noël àl voix, avec accompagnement
d'orgue 2 50
L. DIETSCH. Agnus Dei sur un Noël, chœur (S. T. B.) Net. 2 »
TH. DUBOIS. Adeste fidèles, transcription du chant ordinaire pour soli et
chœurs (S. A. T. B.), avec variations pour violon ou violon-
celle, harpe (ad libitum) 9 »
Chaque partie de chœur Net. » 30
— Ecce advenit, motet pour Noël, chœur (S. A. T. B.). . . Net. 2 »
Parties séparées.
P. KUNC. Itodie Chrislus natus est, solo et chœur (S. A. T. B.). . . Net.
Chaque partie vocale Net.
L. LAMBILLOTTE. Pastores erant vigilantes, solo et chœur (S. A. T. B.),
avec orgue ou orchestre.
Partition avec orgue Net.
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Parties d'orchestre complètes Net. 10 »
Chaque partie supplémentaire du quintette à cordes. Net. 1 50
2 50
» 30
30
NOELS (paroles françaises;
C. ANDRES. L'Eglise illuminée, solo de mezzo-soprano Net.
AUDAN. Noël à 2 voix, avec solo de baryton ou mezzo-soprano ....
A. BLANC et L. DAUPHIN. Petit Noël pour chœur d'enfants. . . . Net.
BOISSIER-DURAN . Le Saint Berceau, Noël pour ténor ou soprano avec
chœur ad libitum
L. BORDÈSE. Noël à 1, 2 ou 3 voix, en solos ou chœurs
Gaston CARRAUD. Noël
L. DAUPHIN. Rose et blanc, petit Noël avec chœur, ad libitum
— Le Noël des Bergers, chœur à quatre voix, orgue ad libil. Net.
A. DESLANDRES. Tout fait silence, solo et chœur à trois ou quatre voix avec
harpe (ad libitum) Net.
Chaque partie de chœur Net.
— Chantez, troupe sainte des anges, solo et chœur à deux voix. Net.
Chaque partie de chœur Net.
— Dans les splendeurs de la voûte azurée, solo et chœur (S. T.B. B.).Net.
DESMOULINS. Trois Noëls :
1. Noël de Lop i de Vega. - 2. Noël. - 3. La Vierge à la crèche.
A. DIETRICH. Heureuse nuit, solo et chœur à trois voix Net.
P. FAUCHET. Venez, l'Enfant vous attend dans l'étable, solo de mezzo-
soprauo Net.
R. P. GONDARD. La paix au doux pays de France, duo pour voix égales. Net.
— C'est l'heure du grand mystère, duo pour voix égales . . . Net.
ED. GRIEG. L'Arbre de Noël, chanson d'enfant
REYNALDO HAHN. Pastorale de Noël, mystère du XVe siècle en 4 tableaux
(avec le livret-lexte), soli et chœur à 4 voix Net.
— Xoël de Werther pour mezzo-soprano et voix d'enfants ....
A. HOMES1. Noël -d'Irlande (1.2)
CHARLES LECOCQ. Le Noël des petits enfants, à 1, 2 ou 3 voix ad lib. :
l.Les Petits Rois Mages. 2. Les Petits Bergers. 3. La Bûche de
Noël. 4. Prière
F. LISZT. La Nuit de Noël (d'après un ancien Noël), pour ténor solo et
chœur de femmes, avec accompagnement d'orgue. En parti-
tion et parties séparées.
H. MARÉCHAL. Noël d'Artois, mezzo-soprano ou baryton
2 30
» 20
2 50
» 30
4 »
1 50
1 30
1 50
J. MASSENET. Le Noël des humbles (1.2.3.) Net.
— La Veiller du petit Jésus (1.2)
— Le Petit Jésus (1.2.3)
— Souvenez-vous, Vierge Marie (1 ,2. 3)
A. PÉRILHOU. La Vierge à la crèche
G. PIERNÉ. Les Enfants à Bethléem, mystère en 2 parties, soli et chœurs. Net
— La Croisade des enfants, légende en 4 parties, soli et chœurs. Net
SOUNIER-GEOFFROY. Noël
LE MINTIER. Quel éclat dans la nuit, solo de mezzo-soprano .... Net.
— Venez enfants de Dieu, traduction de VAdeste fidèles
J. TŒRSOT. Anciens Noëls français
3
»
IN
»
3
»
1
50
1
50
10. Voici la nouvelle
11. Quoi, ma voisine, est-tu fâchée?
12 Quand Dieu naquit à Noël . . .
13. Noël provençal Ilfxvn" s.) . . .
14. Noél bressan (xvu° s.)
15. Noël provençal III : Ah! quand
reviendra-t-il?
16. Noël bourguignon (xviii" s.) . .
17. Noël alsacien
18. Le Mystère de la Nativité. . . .
19. Prologue de la Crèche
Chantons, je vous en prie (xvc s.)
2. Au Saint-Nau, vieux Noël en
langage poitevin
3. Oit s'en vont ces gais bergers . .
4. Dureau la Durée {1103) ....
ô. Tous les Bourgeois de Châtres .
6. Noël provençal I (xvue s.) ...
1. Voici la Xoët
8. Sus! Qu'on se réveille (Noël dia-
logué)
9. A minuit fut fait un réveil
(1703)
Le recueil complet, prix net : 8 francs
SAMUEL ROUSSEAU. Noël, solo et chœur ad lib. (2 tons) Net
G. VERDALLE. Le Carillon de Noël
M. VERSEPUY. Le Père Noël chez nous, chanson d'Auvergne .... Net
P.VIDAL. Chant de Noël, pour soprano solo avec chœurs
Chaque partie de chœur Net.
Le même, à une voix (1.2)
— Noël, ou le Mystère de la Nativité, 4 tableaux, soli et chœur. Net.
Ci. -M. WEBER. Noël pour mezzo-soprano
J.-B. WECKERLIN. AToe7.' Noël! (1.2)
— La Fête de Noël, avec ace1 de piano et orgue ad lib.
— Voici Noël .
NOELS POUR ORGUE SEUL
ANCIENS NOËLS (2 Noëls de Saboly, 1 de Lully et 1 Noël languedo-
cien anonvme) 3 73
ANCIENS NOËLS i3 Noëls de Sabolv et 1 du roi René d'Anjou). ... 2 30
B. MINÉ. Op. 42. Recueil de Noëls '30 numéros) .... H -»•
L. NIEDERMEYER. Pastorale
F. LISZT. L'Arbre de Noël:
X° 1. Vieux Xoël, 3 fr. — N» 2. La Nuit sainte, 3 fr. — N» 3.
Les Bergers à la crèche, 4 fr. — N° 4. Les Rois mages .
R. de V1LBAC. L'Adoration des bergers.
MÉDITATIONS POUR INSTRUMENTS DIVERS
CHERUBINI. Aie Maria, pour violon, violoncelle et harmonium 7 50
A. DESLANDRES. I" Méditation, pour violon, piano et harmonium .... 15 »
— 2*- Méditation, pour violon, violoncelle, piano ou harpe, harmo-
nium et contrebasse 18 »
— 3e Méditation, pour cor, violon, violoncelle, harpe ou piano,
orgue et contrebasse. . . IS »
— i' Méditation, sur le noël Tout fait silence, pour violon, violon-
celle, harpe ou piano, orgue et contrebasse 15 »
TH. DUBOIS. Mélodie religieuse, pour violon et piano 6 »
La même, pour violoncelle et piano ' fi »
La même, pour violon, orgue et harpe (ou piano). : . . . 7 50
La même, avec orchestre
— Andante religioso, pour violon et piano 6 »
Le même, pour violoncelle ou piano. 6 »
— Méditation-Prière, pour violon, orgue et harpe (ou piano) ... 7 30
CH. GOUHOD, Méditation sur le 1er prélude de Bach, pour violon et piano. 7 30
La même, pour violoncelle et piano 7 50
La même, pour piano, violon ou violoncelle et orgue. . . 7 50
PAUL VIDAL. Andante pastoral (Extrait du Noël) pour v
LEFÉBURE-WÉLY. Hymne à la Vierge, méditation religieuse pour orgue,
violon, violoncelle et piano (ad libitum )
— Air de Slradetla, pour piano, violon ou violoncelle et orgue . .
MARSICK. Prière, pour violon, piano et orgue . .
J. MASSENET. Méditation religieuse (Thaïs), pour violon ut piano ....
La même, pour violoncelle et piano. . .
La même, pour violon, orgue et harpe. ou piano
— Le Dernier sommeil de la Vierge, pour violon et piano
Le même, pour violoncelle et piano .
Le même, pour violoncelle, piano et orgue
SAMUEL ROUSSEAU. Bergers et Mages, pastorale pour hautbois ou violon-
celle, violon, harpe, orgue et contrebasse.
Partition et parties séparées Net.
— Méditation, pour violon et orgue, haipe et contrebasse (ad libi-
tum) Net.
La même, avec orchestre.
Élégie, pour violon et piano ou orgue
La même, avec orchestre,
ioloncelle, harpe et orgue net. 2 30
7 50
'.) »
7 50
C »
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7 50
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Samedi 19 Décembre 1908.
4056. - 74e ANNÉE.- N° Ci. PARAIT TOUS LES SAMEDIS
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SOMMAIEE-TEXTE
J. Soixante ans de la vie de Gluck d9'' article', Julien TtEnsoT. — II. Petites notes sans
portée: La vogue de Bach depuis la découverte de sa puissance expressive, Raymond
Bouter. — III. Revue des grands concerts. — IV. Nouvelles diverses, concerts et
nécrologie.
MUSIQUE DE PIANO
Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :
LE PETIT SOLDAT DE PLOMB el LA CHANTEUSE ROUMAINE
nos 2 et 3 des Figurines, nouveau recueii de I. Piiilipp. — Suivra immédia-
tement une Valse intime de Théodore Dubois.
MUSIQUE DE CHANT
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de chant:
Roses ardentes, n° 3 de la Chanson d'Ere, de Gabriel Fauré, poésie de Cil. van
Lerberghe. — Suivra immédiatement : l'air de « La main », chanté par
M. Muratore dans Monna Vanna, le nouvel opéra de MM. Henry Février et
Maurice Maeterlixck, qui va être représenté prochainement à l'Académie
nationale de musique.
PRIMES GRATUITES DU MÉNESTREL
pour l'année 1909
Voir à la 8" page des précédents numéros.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
CHAPITRE X
D 'ALCESTE A il'UK.t \ll
(1767-1774)
Quelques années avant l'époque jusqu'à laquelle nous a conduit
cette histoire, il était arrivé à Vienne un certain Giuseppe
Afflisio (1), napolitain et intrigant. Il avait bonne mine, l'habi-
tude du monde et de la galanterie ; ayant débuté dans la vie au
service plus ou moins subalterne de divers seigneurs, il vint
chercher en Autriche cette fortune que les étrangers trouvent par-
fois trop facilement dans la capitale, au hasard des aventures. Son
ili Le récit qui va suivre reproduit, en le suivant pas à pas, l'étude sur Glucli als
Wiener Theaterdirektor (Gluck, directeur de théâtre à Vienne, d'après des sources d'ar-
chives) publiée par M. Oscar Teuber dans le Acnés Wiener Tagblall du 18 mars 1897
(n° 77). Notre regretté confrère Oscar Berggruen avait, aussitôt après la publication,
donné dans le Ménestrel (n" du 28 mars 1S97Ï un résumé de cet écrit contenant des
particularités de la vie de Gluck jusqu'alors ignorées de tout le monde ; c'est
usqu'ici, croyons-nous, la seule trace qu'on en puisse signaler en France.
talent sur la harpe et, ajoute la chronique, la protection d'une
belle cantatrice, lui donnèrent accès auprès du prince de Hildburg-
hausen : il commença par en recevoir la charge de capitaine-
lieutenant dans l'armée, puis, passant deux grades, devint rapi-
dement lieutenant-colonel, sans obligation de service. Entre
temps, il enleva une femme du monde, fut mis pendant quelque
temps aux arrêts dans une forteresse, puis disparut, ayant besoin
de se refaire une virginité.
Car ses ambitions s'étaient développées à ces premiers essais :
maintenant, il ne visait pas à moins qu'à devenir le directeur
des théâtres impériaux.
Ce ne fut pas sans peine que Marie-Thérèse se résigna à subir
les prétentions de ce candidat équivoque. Mais il signor Afflisio
était de ces invpresarii qui savent rendre leurs bons offices agréa-
bles aux archiducs, et contre de telles influences les impé-
ratrices ne peuvent rien ! Ce fut donc « en tremblant », dit
l'historien, qu'elle céda aux instances de son premier ministre le
prince de Kaunitz et signa la nomination proposée, sous la réserve
que le nouveau directeur n'aurait aucunes relations avec l'Empe-
reur son fils, et que Kaunitz lui-même devrait s'interdire de
« jamais visiter ni recevoir chez lui aucune de ces femmes ou
fliles ».
« Je ne veux pas, lui écrivait-elle, que vous vous mettiez à la
tête des comédiens. Je veux un homme convenable d'ici qui me
donne tranquillité au sujet de cette méchante engeance (1). Vous,
et le nom de Starhemberg, m'êtes trop chers pour que je veuille
les voir mêlés au rebut du royaume. »
Kaunitz s'inclina. Il n'en devint pas moins, sans titre officiel,
le protecteur général des scènes viennoises, car l'infamie du
théâtre et des dames de théâtre ne lui paraissait peut-être pas
aussi horrible qu'à son auguste souveraine.
Giuseppe d'Afllisio devint donc directeur général des théâtres
de Vienne. Il les administta- si bien que. dans l'espace d'un peu
plus d'un an et demi (de janvier 1768 à octobre 17o9), il eut
vite fait d'engloutir les fonds que lui avaient confiés ses amis de
l'aristocratie. Il lui fallut se mettre en quête d'autres victimes.
Il les trouva dans les personnes du baron Francesco Lopresti
(dont le père, colonel baron Lopresti, avait déjà été en son temps
directeur des théâtres de Vienne) — et. fait inconcevable, du
chevalier Christophe-Willibald Gluck.
Par quelle, aberration l'auteur des purs chefs-d'œuvre qu'on
venait d'applaudir put-il consentir à s'associer aux louches com-
binaisons d'un aventurier qu'il avait eu le temps d'apprécier à
sa juste mesure ? Sans doute, étant depuis longtemps lui-même
kapellmeister de l'Opéra, il pensa que l'occasion était favorable
pour étendre son influence en prenant la haute direction du
théâtre. Il songeait qu'il aurait ainsi plus d'autorité pour accom-
(1) Base Brut. L'Impératrice avait des sévérités...
402
LE MÉNESTREL
plir la réforme d'art à laquelle son premier effort n'avait pas
suffi. 11 voulait aussi, n'en doutons pas, tenter d'arracher l'Opéra
de Vienne à cet état d'impuissance et d'anarchie dont les répéti-
tions d'Alceste nous ont donné de suffisantes preuves. Aussi bien,
regardons aux dates. Bien qu'elles eussent pu nous être données
avec un peu plus de précision, nous savons, par l'article de
revue qui fournit la principale documentation de ce chapitre,
que c'est en janvier 1768 qu'Âfflisio commença sa direction. Or,
c'était le 16 décembre 1767 qu'avait eu lieu la première repré-
sentation d'Alceste. S'il est vrai que cet ouvrage fut donné sans
interruption pendant deux ans, c'est donc Afflisio qui en eut le
bénéfice ; il est facilement concevable que l'auteur, grisé
par ce succès sans précédent, ait prétendu en recueillir lui-
même les avantages. Notons enfin que les personnages aristo-
cratiques dont nous avons lu les noms dès les premières lignes
de ce récit étaient les amis de Gluck. Le prince de Saxe-Hild-
burghausen, aujourd'hui protecteur d'Afllisio, avait précédem-
ment été le sien, et il s'était longtemps paré du titre de son
maître de chapelle. C'est encore dans le palais Lopresti qu'il
habitait, et que Gluck avait dirigé ses concerts. Lors donc qu'il
entrevit l'éventualité d'être associé avec de si hauts personnages,
c'est-à-dire quand ceux-ci eurent besoin de son argent, il en fut
ébloui. Le fils du garde-chasse de Bohême, maintenant bourgeois
enrichi, fit comme tous les autres : il reprit pour son compte le
rôle de Monsieur Jourdain. Par acte d'association en date du
11 octobre 1769, Gluck déclara s'intéresser pour un quart à
tous les profits et pertes de l'entreprise des théâtres de Vienne.
Il y avait pour plus de cent mille florins de dettes avouées.
Le désordre dans la direction artistique était sans bornes. Et
quand la confusion fut à son comble, l'inénarrable Afflisio prit le
prétexte d'un voyage d'art en Italie pour abandonner le chevalier
à ses propres ressources, et le laissa seul comme administrateur
des scènes viennoises.
Car ce n'était pas seulement de l'Opéra que Gluck avait assumé
la direction : tous les spectacles de Vienne étaient compris dans
l'entreprise. Il y en avait quatre, parfaitement distincts. L'opéra
italien et le théâtre français alternaient leurs représentations au
théâtre de la Cour. Celui de la Porte de Carinthie abritait la
troupe du théâtre allemand. Il y avait encore une autre mani-
festation d'art, et qui n'était pas la moindre : celle de l'amphi-
théâtre, où avaient lieu les combats d'animaux. Ne nous récrions
pas si Gluck eut pendant quelques semaines la responsabilité de
ces sortes d'exhibitions, et voyons plutôt en quoi elles consis-
taient. Burney qui, en un mois passé deux ans plus tard dans
la ville, a si bien observé et nous fait si bien connaître la vie
de Vienne, reproduit dans une note de son récit le programme
d'un de ces spectacles, d'après un des billets à la main qu'on
distribuait dans les rues les dimanches et jours de fêtes :
Aujourd'hui. .. par permission de l'Empereur, auront lieu dans le grand
amphithéâtre, à 5 heures précises, les divertissements suivants :
1° Un bœuf sauvage de Hongrie au milieu du feu (c'est-à-dire, le feu sous
la queue, des pétards attachés aux oreilles et aux cornes, et aux autres parties
du corps) sera ensuite enlevé par les chiens dogues ;
2° Un cochon sauvage sera attaqué de la même manière par des chiens
dogues :
3° Un grand ours sera immédiatement après déchiré par des chiens dogues ;
4° Un loup sauvage chassé par des chiens courants de l'espèce la plus
rapide ;
5° On fera battre un taureau sauvage de Hongrie furieux contre des chiens
sauvages et affamés ;
6° On fera attaquer un ours frais par des chiens de chasse :
7° On fera amener un sanglier sauvage récemment pris, lequel combattra
pour la première fois contre des dogues défendus de leur armure de fer ;
S0 On montrera un tigre d'Afrique très beau ;
9° Il sera remplacé par un ours ;
10° Ensuite par un bœuf de Hongrie furieux ;
11° Et enfin par un ours furieux, affamé, qui n'aura pas mangé depuis huit
jours, et qui combattra avec un jeune taureau sauvage, et le mangera vivant
sur la place, et s'il ne peut en venir à bout, on le fera aider par un loup (1).
Le bon Anglais, tout en constatant qu' « on voit habituellement
à ces spectacles barbares jusqu'à deux ou trois mille personnes,
(1) Burneï, État présent de ta musique, t. II, p. 284-85.
parmi lesquelles on remarque un grand nombre de femmes de
qualité », déclare, avec son flegme inné, que « les amusements du
peuple de cette capitale ne sont pas faits pour caractériser une
nation polie et civilisée». Gluck s'était pourtant engagé à y pour-
voir lorsqu'il signa son acte d'association du 11 octobre 1769.
On veut bien nous dire que les taureaux sauvages et les chiens
de feu n'eurent pas besoin de subir son impulsion artistique pour
poursuivre leurs exploits dans l'amphithéâtre. Nous le croyons
volontiers. Mais il n'en restait pas moins trois troupes à diriger,
et Gluck ne s'intéressait qu'à une : celle de l'Opéra. Comme les
fonds manquaient, il s'occupa de réaliser des économies au
moins sur l'une d'elles.
Ce ne fut pas, notons-le bien, sur la troupe française que porta
son essai de réformes, et dans ce fait nous pouvons trouver une
preuve nouvelle de la sympathie qui l'attirait vers la France et
devait prochainement l'amener à consacrer définitivement à ce
pays les plus précieux dons de son génie. La victime qu'il avait
choisie était la troupe du théâtre allemand, qui d'ailleurs jouait
habituellement devant des salles vides. Sans prendre l'avis de
personne, il se proposa d'en demander la dissolution, projetant
d'utiliser le théâtre où elle donnait ses représentations (celui de
la Porte de Carinthie, où Beethoven devait donner plus tard la
première audition de la Neuvième Symphonie) pour y exhiber
les grimaces de Hanswurst, le Polichinelle viennois.
Le sacrifice allait être consommé, et déjà Gluck avait engagé
une compagnie de bouffons connue du public viennois pour avoir
joué ses farces sur un théâtre de faubourg (Leopoldstadt), quand
un des comédiens allemands, Steffani l'ainé, éleva sa protes-
tation et celle de ses camarades, en adressant à l'Empereur lui-
même un pro memoria justificatif et défensif. Gluck y était désigné
comme l'administrateur du théâtre qui, poussé par Lopresti, pré-
tendait s'opposer au progrès du théâtre allemand en le faisant
reculer jusqu'au temps de la farce. Au nom de tous les acteurs
allemands, il protestait contre ce dangereux projet, et suppliait
Joseph II « de conjurer cet attentat contraire à toutes les ordon-
nances impériales, de les protéger, eux, contre les coteries et
la sottise, cle sauvegarder l'honneur de la nation, de détourner
l'injure qui menaçait la ville de Vienne, et de conserver au
moins un théâtre à l'intelligence des hommes sains. »
« Un destin malheureux, continuait-il, semble menacer notre
scène de la plus triste décadence, car Gluck, qui a pris la direc-
tion du théâtre en l'absence d'Afllisio, en est arrivé déjà ce
mardi à faire représenter par la troupe ambulante, qui jusqu'à
présent avait amusé le peuple par ses grossières plaisanteries,
ses farces sur le théâtre de la Porte de Carinthie. Nous ne vou-
lons pas signaler d'abord que cette entreprise est tout à fait
contraire à la très haute ordonnance de Votre Majesté, qui pré-
tend bannir à jamais de la scène l'ordure et l'imbécillité des
improvisations. Mais comment Gluck pourra-t-il déguiser son
intention ?... »
Ayant protesté que l'état du théâtre allemand n'était pas si
misérable, Steffani poursuit ainsi son attaque : « Le goût et les
bonnes mœurs ne doivent jamais devenir victimes des intérêts
particuliers : Gluck ne doit donc pas rester en état d'introduire
de nouveau les farces si justement défendues. Toute la troupe
des acteurs allemands se jette aux pieds de Votre Majesté et la
supplie de lui accorder sa très haute protection contre cet incon-
venant projet de laisser représenter dans la ville les pièces
improvisées. Elle la demande pour elle, pour les mœurs, pour
le goût et pour l'honneur de la nation, à qui ce serait faire injure
aux yeux de toute l'Allemagne. Les grimaces et les insanités
populaires ont deux baraques dans le faubourg : que Votre
Majesté réserve au moins aux hommes intelligents la seule scène
où la plaisanterie convenable et le plaisir moral ont leur place
réservée. »
De belles paroles comme celles-là ont toujours chance de faire
de l'effet. Au fait, que les comédiens allemands aient voulu
défendre leurs intérêts, rien n'était plus naturel. Mais quand,
affectant d'élever la question, ils prétendaient parler au nom
d'un art national, étaient-ils vraiment si bien fondés à hausser la.
LE MENESTREL
403
voix ? Pour prendre si véhémentement la défense du théâtre
allemand, il aurait fallu qu'il y eut un théâtre allemand. Or, on
serait bien empêché de dire aujourd'hui quelles œuvres si litté-
raires avaient à leur répertoire ces comédiens qui le prenaient
de haut avec l'auteur à'Alceste. La vérité est que, par un de ces
parallélismes dont l'histoire a donné maintes fois l'exemple,
tandis que Gluck s'efforçait à Vienne d'accomplir sa réforme de
la tragédie lyrique, dans une autre partie de l'Europe des
poètes et des écrivains, véritables fondateurs de la littérature
allemande, accomplissaient une œuvre analogue et également
novatrice. Le premier drame de Lessing date de la môme année
qa'Alceste. Mais le mouvement qui s'inaugurait par là était encore
trop peu étendu pour avoir eu sa répercussion à Vienne. Ce
n'était point du tout pour se conformer à son impulsion que les
comédiens allemands se débattaient avec tant d'ardeur, et quant
à Gluck, il était fort excusable si, tout occupé de sa propre
réforme, il n'avait pas deviné qu'il s'en accomplissait une autre,
dans une branche toute différente de 1'activilé humaine, au plus
loin de l'Allemagne du nord. Aussi bien, les directeurs de
théâtre ne sont-ils pas obligés à tant d'initiative; ils n'ont point
coutume de prévoir ainsi l'art de demain !
Bref, la question de principe n'eut à jouer qu'un rôle secon-
daire dans cette querelle, où il y a toute apparence que d'autres
influences furent plus efficaces. Les comédiens allemands
eurent gain de cause. L'Empereur fit signifier à « l'administra-
teur Gluck » qu'il voulait que le théâtre de la Porte de Carinthie
fût ouvert quatre jours par semaine et réservé trois fois au
théâtre allemand régulier.
[A suivre.
Julien Tiersot.
PETITES NOTES SANS PORTÉE
CXLI
LA VOGUE DE BACH, DEPUIS LA DECOUVERTE (1)
DE SA PUISSANCE EXPRESSIVE
Au violoniste éntdil, Charles Bouvet.
Encore Bach; partout Bach. L'Homère de l'harmonie, qu'adorait la
maturité de Beethoven, ne ressuscite plus seulement à la Société Bach,
avec la Johannes-Passion de sa grande époque ou d'aimables musiques
instrumentales, entrecoupées de plaintives prières : le 17 décembre,
première soirée de la Fondation Bach, que, naturellement, le violoniste
Charles Bouvet consacre tout entière à Bach (audition de l'exquise Can-
tate nuptiale, etc.); le 18, deuxième concert mensuel de la Schola; pro-
gramme : « OEuvres de Bach » (première audition d'un concerto pour
deux altos; et deux magistrales Cantates pour fêtes religieuses). Déjà,
les 6 et 13 décembre, au Conservatoire, où le regretté Georges Marty
nous avait fait connaître, en deux fois, les six chants de ce « poème de
la Joie » qu'on nomme l'Oratorio de Noël, la Grande Messe en si mineur
a magnifiquement sonné sous l'aristocratique direction d'André Mes-
sager; ce n'était point, d'ailleurs, ici, la première fois que s'imposait à
notre frivolité vaincue la plus colossale des cinq messes du « Jupiter
de la musique » (2), Zeus paisiblement tonnant de la fugue : la révéla-
tion du formidable Credo, qui dure quarante-quatre minutes à lui
seul (3), remonte au dimanche 10 janvier 1875. sous le consulat de feu
Deldevez: et la belle initiative du trop oublié Jules Garcin nous révé-
lait la Messe entière le 22 février 1891. Notre éducation ne s'est point
faite en un jour. Enfin, tout virtuose qui se respecte ne manque plus
d'inaugurer le programme « historique » de son récital par la Fantaisie
chromatique ou par la transcription d'une brillante loccata.
Voilà de bonnes preuves de notre fureur bachique (comme écrirait
une ouvreuse attentive à noter la mode). Et belles occasions, n'est-ce
pas? de retourner au « musicien-poète » en compagnie de MM. Schweit-
(1) Voir te Ménestrel du 5 décembre 1908.
(2) Définition de M. Reyer, citée par M. Dandelot, dans son livre sur la :
Concerts de 4828 à 1897 (Paris, G. Havard fils, 1898).
(3) Kyrie et Gloria durent une heure sept ! Dimensions tout allemandes..
zer et Pirro, sans oublier le DrDwelshauvers, exégèle de la Passion selon
saint Jean; de vérifier notre idée récente de la puissance expressive de
son art monumental; enfin, d'apercevoir comment et jusqu'où cette
conception nouvelle d'un génie lointain se reflète en l'actuelle interpré-
tation de ses vieux chefs-d'œuvre.
Au sujet de cette puissance expressive dont nous exagérons mainte-
nant le détail, après l'avoir niée trop longtemps dans l'ensemble, il
faudrait constater d'abord, avec les érudits, les emprunts de Bach à
ses cantates antérieures. L'année dernière, à pareille époque, la meil-
leure preuve du var/ue inhérent à la physionomie de la Musique, où
l'avons-nous trouvée ? Dans les plus dramatiques des maîtres de la
scène ou de l'orchestre, le grand Gluck et son plus direct héritier Ber-
lioz, qui n'hésitent jamais à transporter un morceau d'un ouvrage dans
un autre, pourvu que le sentiment total soit au moins analogue I .Le
plus grand des Bach, avant eux, ne faisait pas autrement : le génie
avant tout musical des deux Passiom ou de la Messe en si mineur em-
pruntait à ses cantates sacrées, voire même profanes, des fragments
entiers; et faut-il en laisser voir une trop vive surprise?
Au lendemain de l'archaïsme, à l'heure où la différence n'était pas
encore, musicalement, bien tranchée entre le profane et le divin, une
seule musique régnait, que nous appelons classique ; et notre Berlioz
en souriait dans les motets des vieux maitres, qu'il connaissait mal, ou
s'en indignait dans les opéras de Lulli : son romantisme exigeant ne
distinguait pas grand'chose entre l'aird'église et la chanson à boire. Ou
m'objectera vite que la faculté critique a besoin d'une longue expérience
pour saisir les détails expressifs ; que les musiques, comme les physio-
nomies, ne se révèlent pas au premier abord ; que toutes les toiles des
primitifs ou tous les portraits emperruqués semblaient autrefois pareils
au regard sans érudition... Sans doute. Mais cet air d'uniformité n'en
est pas moins frappant dans les vieilles musiques ; une monotonie
rapproche l'opéra de l'oratorio : profanes ou sacrées, — le fait est remar-
quable dans les partitions de Haendel ; la fresque a peu de ressources,
et la palette du grand style offre peu de nuances. Et puis, à toutes les
époques de l'art, le génie particulier d'un maitre exprime identiquement
les différents objets de son culte : le César Franck de Psyché ne dément
point celui des Béatitudes, pas plus que le Puvis de Chavannes de
Sainte-Geneviève ne fait oublier celui àeVirgile. Aussi bien, le brave Alle-
mand qu'était Jean-Sébastien Bach ne cherchait point midi à quatorze
heures: sur un petit rythme guilleret des violons, que ne désavouerait
pas la gaieté de son Défi de Phébus et de Pan, le ténor de sa 160e can-
tate religieuse vocalise : Ich iveiss dos mein Erlôser lebt... « Je sais crue
mon Sauveur est vivant ! » Il est vrai qu'une telle assurance a de quoi
justifier la plénitude naïve de la joie.
Donc, le compositeur fervent de l'Oratorio de Noël ne craint pas de
se citer lui-même et d'emprunter des airs à son Dramma per Musica,
même au Choix d'Hercule ! Ailleurs, et réciproquement, un air de cour
est devenu l'air de la Pentecôte. Voilà de quoi faire réfléchir nos exé-
gètes... Et l'admirable Crucifixus, cinquième partie de l'immense Credo
de la Grande Messe en si mineur, n'est lui-même qu'un extrait de la can-
tate Weinen, Klagen; ce qui n'empêche nullement ce Crucifixus mineur,
à quatre voix, d'exhaler un parfum d'ombre, une atmosphère de ténè-
bres, la senteur des vieilles pierres imbues de l'encens des siècles...
Libre à notre imagination d'errer dans ce jour de vitrail, et d'y mettre
peut-être plus d'intentions que le pieux musicien n'en mettait dans sa
musique ! Et sepultus est... Un abîme s'ouvre, à nos yeux, avec le tom-
beau, dans le pianissimo des voix graves...
Déjà l'Incarnatus (n° IV du Credo), le douloureux Incarnants que Bach
veut si chrétiennement sombre et que Beethoven entendra si poétique-
ment tendre (2), est expliqué par nos raffinements contemporains
comme une angoisse de l'homme indigne du sacrifice divin... Puis, et
quoique facile et prévue, la transition de l'ombre à la lumière, au ResurrexU
majeur, éblouit toujours. Ici, l'expression totale, aussi bien que la volonté
de l'auteur d'être expressif, n'est point niable ; elle apparaît dans la tris-
tesse du mode et la stagnation du mouvement. Oui, mais gardons-
nous de détailler trop d'intentions dans un effet de sourdine paradi-
siaque (3) ou dans une entrée de fugue, dans une ritournelle de (lùte ou
dans tel rythme angoissé des violons ! Hantise expressive, qui nous
poursuivra bientôt jusqu'au milieu des œuvres instrumentales !
(A suivre.) Raymond Bol'yer.
(1) Voir le Ménestrel des 12 et26 octobre 190" et du 11 janvier 1908.
i,2) Dans son superbe Credo de la .Messe en ré.
(3) Accompagnement de l'air: Je suis le Bon Pasteur (85" cantate! .
404
LE MÉNESTREL
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts-Colonne. — Un des principaux attraits Je la séance de dimanche
résidait dans l'audition toujours trop rare de Mme Delna. L'organe exceplionne.
de la célèbre cantatrice, celte voix pure et ample, évoquant l'idée d'un beau
fleuve paisible aux rives ensoleillées, donne à tout ce que l'artiste interprète
un charme incomparable. Traduits par Mme Delna, l'air de Cassandre, la mort
de Didon, de Berlioz, deviennent des pages de sereine splendeur qui provoquent
l'émotion et la prolongent. L'interprétation fouillée et originale que Mme Delna
a apportée du Roi des Aulnes de Schubert peut être discutée, mais n'en demeure
pas moins d'un captivant intérêt. — ■ Mme Marguerite Long exécuta avec une
grande sûreté, dans un sentiment simple et un style sobre exempt de recher-
ches inutiles, le 3e concerto de Saint-Saèns, que l'on entend bien rarement, et
qui contient des pages intéressantes d'une belle fougue juvénile. La jeune
pianiste obtint un triple rappel fort mérité. — La pièce symphonique de
M. Max d'Ollone, An cimetière, s'inspire de la tristesse qu'évoque un pâle jour
d'automne près d'une tombe récemment fermée. Le compositeur a su trouver
dans une instrumentation habile des accents douloureux et passionnés qui
rendent bien l'impression funèbre et désespérée qu'il a voulu exprimer. On a
favorablement accueilli cette page inédite excellemment rendue par l'orchestre,
qui s'est en outre couvert de gloire dans les ouvertures berlioziennes de
Benvennto Cellini, du Carnaval romain, et dans la Symphonie en la de
Beethoven. J. Jemain.
— Concerts-Lamoureux. — Avec le Lamenta de M. Max d'Ollone, nous
sommes en présence d'une composition orchestrale d'un style élevé, d'une
expression très noble et d'une facture sobre et large. Le sujet ne comportait
aucune recherche instrumentale de détail et l'auteur l'a parfaitement compris.
Le sentiment de tristesse qu'il s'agissait de rendre aussi intense que possible
est produit par la persistance d'un même intervalle dans un dessin mélodique
très simple. Ici ou là, quelques épisodes se greffent sur l'idée principale et
sont presque aussitôt abandonnés. A la fin, un petit effet d'orchestre indique
une extériorisation momentanée de la douleur, un soupir ou une plainte
violente; tout aussitôt arrive l'accord linal. Le public a fait un très sympa-
thique accueil à cette vision rêveuse qui pourrait bien être celle d'un désa-
busé. C'était là une première audition de choix. Une autre a moins réussi :
les « Deux poèmes » de M. A. Caplet, Préludes et Angoisse, ne méritaient pas
en effet le même accueil. Nous avons pour guide à travers leurs méandres
deux élucubrations en vers décadents dont la lecture n'est point faite pour
nous bien disposer en faveur de la musique. Cette dernière n'est pourtant
pas, à beaucoup près, aussi prétentieusement recherchée que les vers, ni
aussi fausse comme évocation d'images ; elle se contente d'être banale et de
n'évoquer rien du tout. Mlle Bose Féart a eu toutes les peines du monde à
éviter au musicien un désagréable échec. Quant à elle, on l'a mise hors de
cause; on l'attendait dans l'air àeFiaelio, qu'elle devait chanter avant la fin de
la séance. Elle s'y montra cantatrice intelligente et suffisamment pathétique.
Le cor, dont le timbre a tant d'affinité avec la voix humaine, et dont la partie
écrite par Beethoven pour ce morceau est prépondérante et parfaitement
noble, a produit le plus bel effet en accompagnant le chant tantôt discrète-
ment, tantôt avec quelque violence. C'est là une de ces choses simples dont
Beethoven avait le secret. M"e Rose Féart a su atteindre et soutenir sans dif-
ficultés les notes aiguës qui expriment si bien l'agitation de Léonore; son
organe est résistant, il émet le son purement et ne le laisse pas chevroter.
L'artiste a été fêtée et rappelée comme on pouvait s'y attendre après sa b-il-
lante interprétation. Il esta remarquer que l'air de Fidelio, comme celui du
Freisch&ts, rentre dans la catégorie des airs italiens honnis si souvent aujour-
d'hui. Cette forme d'art ne saurait pourtant être condamnée sans que la con-
damnation s'étende à tout le domaine ancien de l'art. L'air italien, avec son
récitatif, son andante ou adagio et son allegro, n'est en effet pas autre
chose qu'un raccourci d'ouverture, de sonate, de concerto ou même de sym-
phonie. Il n'est pas sur d'ailleurs que les cadres anciens, qui ont donné lieu
à une telle efflorescence de chefs-d'œuvre, ne puissent être utilisés par les
maîtres modernes avec un réel bonheur. Voyez la Symphonie en al mineur
de M. Saint-Saèns. que l'orchestre a très bien rendue au dernier concert; elle
n'a pas été gênée dans son essor par le plan tout classique adopté par le com-
positeur et suivi assez strictement, tandis que la Suite lyrique de Grieg, qui se
développe en pleine fantaisie, semble avoir perdu dès l'abord ses ailes et ne
pouvoir prendre son essor. Elle donne l'impression d'un enfantillage quand
elle ne provoque pas l'indifférence ou l'ennui. L'exécution en a été pourtant
aussi bonne que possible, mais cela ne suffit pas à soutenir une musique sans
véritable consistance. Le programme comprenait encore l'ouverture à'Iphigénie
en Avlide, de Gluck, trois courts fragments de Psyché, de César Franck, et
l'ouverture des Maîtres chanteurs, qui a valu un triomphe à M. Chevillard et
à son orchestre. Amédée Boitarel.
— Programmes des concerts de demain dimanche :
Conservatoire : pas de concert.
Châtelet, Concert-Colonne, sous la direction de M. Gabriel Pierné : Huitième Sym-
phonie, en fa (Beethoven). — Stances de Sapho (Ch. Gounod), par M»» Marie Delna.
— Rédemption (César Franck).— Rapsodie (Ph. Gauberi). — Quatrième concerto pour
piano (C. Saint-Saêns), par M-' Riss-Arbeau. — a) L'Ouragan, fragment du 3' acte
(A. Bruneau) ; b) L'attaque du Moulin (La Guerre) (A. Bruneau), par M"' Marie
Delna. — Joyeuse Marche (Em.Chabrieri.
Salle Gaveau, Concert-Lamoureux, sous la direction de M. Chevillard : Ouverture
de Don Juan (Mozart). — Symphonie en ut mineur, avec orgue (Siint-Saënsi, avec le
concours de M. Louis Vierne, organisle de Notre-Dame ; piano : M"" Le Breton,
M. Deiacroix. — Concerto pour violon (Beethoven), par M. Henri Marteau. — Toc-
cata, pour orgue seul (Widor), par M. Louis Vierne. — Scène finale du Crépuscule
des Dieux (Wagner), par M11-* Agnès Borgo.
— La 3e matinée Danbé à l'Ambigu ne fut pas inférieure en intérêt aux
précédentes. Les compositeurs Alexandre Georges et Léon Moreau accompa-
gnaient leurs œuvres. Du premier les poétiques Chansons deLeilah exquisement
traduites par M. Lucien Berton, celles de Miarka où Mlle J. Brohly obtint une
ovation méritée, et des pièces en trio, Poèmes d'amour, pour piano, violon et
violoncelle ; du second, avec M. Cossira comme interprète, trois mélodies fort
originales, la Grotte, Cœur solitaire et Cûlinerie. Une jeune pianiste, M1,c Taglia-
ferro, fut très remarquée pour son jeu ferme et nuancé dans des pièces de
Rachmaninoff, Chopin, et surtout dans le quintette de Schumann, où le qua-
tuor Soudant (avec M. Schwab remplaçant M. Bedetti absent) eut sa part de
succès, ainsi que dans les fragments de Tschaïkowsky et Mozart. — La 4e ma-
tinée, le 23 décembre, comprendra des ceuvreB de Debussy, Boéllmann, Lully,
F. Masson, par M"le Blanche Marot, MM. Plamondon, Jean Bedetti, et le
double quatuor à cordes et contrebasse.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour les seuls aboies a la musique)
Ce sont de vraies Figurines de Saxe que ces nouvelles petites pièces, pour piano,
de M. Philipp. E'ies en ont la délicatesse et la fragilité. Ce Petit soldat n'est pas
bien menaçant, malgré ses roulements sur un tambour tout menu et qui doit être
enguirlandé de roses. Et cette Chanteuse roumaine, avec ses airs alanguis, semble
bien tirer sa chanson d'une voix de porcelaine. C'est tout à fait curieux et spirituel.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER
Le directeur de l'Opéra-Populaire de Vienne, M. Simons, vient de choi-
sir pour régisseur de son théâtre MUeC. Krauss, ancienne figurante do l'Opéra,
qui s'essaya aussi comme chanteuse. Bien des fois, des femmes ont rempli les
fonctions de directrices de troupes théâtrales, mais assez rarement, sans doute,
elles ont été appelées à tenir l'emploi difficile de régisseur d'une scène
lyrique.
— Il y a eu mardi huit jours, un fait très ordinaire, mais cependant singu-
lier si l'on considère les causes qui l'ont produit, s'est passé à l'Opéra de
Vienne. L'affiche du jour portait les Contes d'Hoffmann d'Offenbach pour la
représentation du soir. A la dernière heure, le spectacle fut changé; on joua
la Bohème de M. Leoncavallo. Le motif de cette substitution n'était pas une
indisposition d'artiste comme ou aurait pu le supposer, mais un scrupule de
la direction, qui voulut, parait-il, donner satisfaction à des craintes supers
titieuses qui lui avaient été exposées. Quelqu'un se rappela, au dernier moment,
que, le 8 décembre 1881.1e Ringtheater avait été consumé par les flammes, et
que, précisément ce jour-là, on donnait les Contes d'Hoffmann. Cette coïncidence
parut émouvoir à ce point certaines personnes que l'administration du théâtre,
à laquelle on fit part de cet état d'esprit, jugea opportun de modifier le spec-
tacle.
— La Société internationale de musique fait connaître qu'à l'occasion des
fêtes du centenaire de la naissance de Joseph Haydn, elle tiendra son troi-
sième congrès à Vienne, du 2o au 29 mai 1909. Les fêtes auront lieu sous le
protectorat de l'empereur F>ançois-Joseph. En dehors d'une assemblée des
membres de la Société, pendant laquelle on exéculera des œuvres de Haydn,
il y aura cinq auditions soit à l'église, soit dans des salles de concert, soit à
l'Opéra. Il y aura en outre des réceptions, des visites aux lieux historiques tt
dans les musées, enfin une excursion à Eisenstadt, où se trouve le château de
la famille Esterhazy, bâti eu 16S3 et agrandi en 1805. Hadyn a été enterré à
Maria Einsiedel, lieu de pèlerinage tout voisin. Le congrès sera divisé en cinq
sections comprenant les domaines suivants : I. Histoire de la musique ancienne
et nouvelle ; mise au point de la mu-ique historique pour l'exécution ; histoire
de l'Opéra; musique pour le luth. — II. Ethnographie musicale, musique
exotique et folklore. — III. Théorie, esthétique, didactique. — IV. Bibliogra-
phie et question d'organisation, commissions, musique, populaire. — V. Mu-
sique d'église, catholique et protestante, subdivision pour l'étude de la
construction des orgues.
— On signale une séance très intéressante du congrès des américanistes
qui s'est tenu récemment à Vienne, séance dans laquelle un professeur de
New-York, M. Boas, a rendu compte de l'expédition accomplie dans le haut
Pacifique sous la direction du défunt américaniste Jesup. Le conférencier a
fait entendre, à l'aide du phonographe, des chants groenlandais. des chants
et des musiques indiennes, des paroles du dialecte Guarany, en usage encore
LE MÉNESTREL
405
dans certaines parties du Brésil, et diverses aulres curiosités du monde amé-
ricain qui peu à peu disparait. Ces particularités, recueillies avec beaucoup de
peines et de soins par divers savants et chercheurs, sont réunies maintenant
dans les archives phonogrammiques do l'Académie des Sciences de Vienne.
— De Vienne : M. Richard Strauss vient d'arriver ici et a déjà assisté hier
à une répétition au piano de sa nouvelle œuvre, Elektra, à l'Opéra de la Cour.
La première à Vienne aura lieu immédiatement après celles de Dresde et de
Berlin.
— La cantatrice wagnérienne Mmo Rosa Sucher, âgée aujourd'hui de soi-
xante et un ans, vient de subir, dans un sanatorium de Vienne, une opération
qui a pleinement réussi.
— On va placer, sur la tour de l'Hotel-de-Villc de Munich, un grand caril-
lon qui comptera parmi les plus importants de l'Europe. R ne comprend pas
moins de quarante-trois cloches, qui ont été fondues par la maison Oberas-
cher frères, de Munich. La percussion est effectuée par des battants dont le
poids varie de 2 lui. et demi à 124 kilogrammes, en proportion de la grosseur
des cloches, battants qui sont mis en mouvement au moyen de l'électricité.
Ce carillon, comme ceux des Flandres, peut se jouer à la main sur un clavier,
ou se faire entendre automatiquement, au moyen d'un cylindre semblable à
celui d'un orchestrion. La rapidité d'action du mécanisme permet de répéter
une même note trois fois en une seconde. Les travaux du carillon sont diri-
gés par M. Hartmann, propriétaire de la fabrique royale d'horloges de cloches.
— On assure que décidément, et contrairement à la nouvelle qui en avait
été donnée, M. Engelbert Humperdinck n'a pas accepté les fonctions de pro-
fesseur de composition au Conservatoire de Vienne. Retenu à Berlin par des
occupations nombreuses et des travaux importants, l'auteur de Hanse! et
Gretel a du décliner définitivement les offres qui lui avaient été faites à ce
sujet.
— Depuis longtemps, aucune œuvre française n'a réussi aussi pleinement
en Allemagne que la Croisade des enfants, de M. Gabriel Pierné. On l'a entendue
depuis deux années à Munich, Augsbourg, Leipzig, Wurtzbourg. Essen,
Hambourg. Metz, Dortmund, Dresde et d'autres villes encore. Cologne a con-
tinué la série par une audition triomphale donnée au commencement de
décembre aux grands concerts Gûrzenicb, sous la direction de M. Frédéric
Steinbach. Le bel ouvrage de M. Gabriel Pierné a été apprécié par la Cblnische
Zeitung dans un article long et chaleureux auquel nous empruntons seule-
ment les quelques extraits suivants, choisis au hasard : « Dans cette œuvre,
dit le critique, Gabriel Pierné se montre à nous dès l'abord comme un
maître... Il surpasse assurément tous les français de l'école nouvelle par son
habileté à construire les morceaux et nous n'avons jamais, à aucun endroit de
l'ouvrage, l'impression que le souflle puisse lui manquer; quand il commence
une période, il sait toujours hardiment la conduire à son point culminant. Il
a encore sur beaucoup d'autres le très appréciable avantage de posséder un
sentiment très sur du style, qui lui a permis, aussi bien dans les tableaux qui
ont la mer pour cadre de fond, que dans celui où les enfants s'arrêtent, pris
d'admiration devant la nature épanouie au printemps, de ne pas écrire dans
U forme usitée au théâtre, mais de rester toujours Adèle à celle de l'oratorio.
Gabriel Pierné a obtenu les plus subtils effets, soit par la façon dont il tra-
duit les appels lointains des enfants, soit par sa manière de faire chanter les
voix d'en haut, soit enfin par l'emploi de coloris caractéristiques, toutes
choses qu'il sait trouver le plus naturellement du monde. »
— On annonce de Prague que le compositeur Vchezlaw Norak vient d'être
nommé professeur de composition au Conservatoire de ceUe ville.
— A Gorlitz. en Silésie, au concert symphonique de l'orchestre de la Ville,
fort artistiquement dirigé par M. Oskar Jùttner. très gros effet pour l'ouver-
ture de Frilhiof, de M. Théodore Dubois.
— On vient d'inventer en Allemagne un fonctionnaire d'un nouveau genre.
Les journaux nous apprennent en effet que les autorités de police de Berlin
ont créé un emploi, dont le besoin se faisait vivement sentir, de « censeur des
registrations phonographiques ». Ce fonctionnaire a pour missien de prendre
connaissance de toutes les registrations nouvelles, et il a le pouvoir d'inter-
dire et de supprimer celles qui, à son avis, pourraient offenser la religion ou
la morale. C'est que, vous savez, on ne plaisante pas avec la morale, à Berlin '.
— On sait que le Musée instrumental du Conservatoire de Bruxelles,
quoique installé d'une façon presque aussi fâcheuse que le notre, n'en est pas
moins un des plus riches et des mieux catalogués d'Europe, grâce à son
excellent conservateur, M. Manillon. Récemment encore, il s'est enrichi d'une
rare et superbe collection d'instruments fabriqués dans les anciennes provinces
belges et qui constituent une véritable histoire de la facture instrumentale en
Belgique depuis le XVIe siècle. Cette collection, qui avait été formée avec le
plus grand soin par l'ancien notaire César Snoeck, mort il y a quelques années,
et qui a été offerte au Musée par M. Louis Cavens, comprend 437 pièces
d'époques différentes, représentant toutes les branches de la facture : clave-
cins, orgues, lutherie, instruments à vent de toute sorte et de tout genre, et
jusqu'à des tambours et des sonnailles.
— Les répercussions de la politique se font sentir au théâtre. Le II décem-
bre dernier, au Théâtre-International de Moscou, l'on jouait une opérette
viennoise; l'un des acteurs qui représentait un officier autrichien fut hué de
tous les coins de la salle aux cris de « à bas les Allemands » dès qu'on le
vit paraître en scène avec son uniforme. Quelques poings menaçants s'.Hant
levés contre les manifestants, un pugilat en règle allait commencer lorsque
la police, faisant irruption dans la salle, appréhenda aussitôt les plus fougueux
d'entre ces derniers, les conduisit au foyer et leur dressa procès-verbal. Il- en
seront quittes pour une forte amende.
— Une dépêche de Milan annonce que dimanche dernier a eu lieu, en
présence des autorités, des représentants du gouvernement et de la munici-
palité et d'une assistance nombreuse d'artistes, la célébration du centenaire
du Conservatoire de musique, qui porte aujourd'hui le nom de Conservatoire
Verdi. La solennité, très brillante, avait réuni, cela va sans dire, non seule-
ment tout le personnel actuel, mais tous ceux des anciens élèves de l'institu-
tion qui se trouvaient alors à Milan ou qui s'y étaient rendus pour la circons-
tance. On sait que la réunion d'un grand congrès musical avait été décidée à
l'occasion de la solennité du centenaire. L'inauguration de ce congrès a eu
lieu dès le lendemain 14, dans la salle des fêtes du Conservatoire, sous la
présidence de M. Salvanini, représentant du ministre de l'instruction pu-
blique, et en présence du préfet et du maire de Milan. Plusieurs discours ont
été prononcés, qui ont été accueillis par de vifs applaudissements, et les tra-
vaux des sections ont aussitôt commencé. Le comité de la section française
de ce congrès, qui durera du 14 au 21, est composé de MM. Bruneau, Che-
villard, Ed. Colonne, Dallier, Louis Diémer, Théodore Dubois, Paul Dukas,
César Galéolti, Alexandre Georges, Eugène Gigout, Alexandre Guilmant,
Eugène d'Harcourt, V. d'Indy, Charles Lenepveu, J. Massenet, André Messa-
ger. Paladilhc, Paul Vidal et Widor.
— De Milan : M"IE Gemma Bellincioni, la célèbre cantatrice italienne, a
l'intention de renoncer peu à peu à la scène lyrique et de s'adonner exclusi-
vement à l'art dramatique. On savait depuis quelque temps que la voix de la
grande artiste avait quelque peu perdu de sa splendeur d'autrefois, tandis
que, comme comédienne, M",e Bellincioni se trouve à l'apogée de son talent.
Mmc Bellincioni vient de traiter avec un imprésario pour une tournée de cinq
ans qui la conduira probablement à travers toute l'Europe et au cours de la-
quelle elle se fera applaudir en première ligne comme comédienne, et en
seconde ligne seulement, comme cantatrice.
— Les journaux italiens nous apprennent que la tombe de Pergolèse. qui a
été inhumé dans le dôme de Pouzzoles, va être déclaré monument national et
que des travaux importants vont y être effectués pour la tirer de son état
presque misérable. Elle sera entièrement revêtue de marbre, et la voûte sera
décorée. Accosté à la paroi où on lit l'inscription du défunt professeur Gio-
vani Mestica, s'élèvera un élégant sarcophage artistique. Et les restes mortels
de l'auteur du Slabal Mater et de la Serra padrona auront ainsi un monument
digne de son génie.
— Un souvenir amusant du fameux baryton Georges Ronconi, qui, aux
environs de 1840. faisait les beaux jouis de notre Théâtre-Italien. Il avait com-
mencé sa carrière dans son pays, à une époque où la censure du gouvernement
autrichien, maître de l'Italie septentrionale, faisait des siennes et se montrait
impitoyable. Il était interdit au théâtre de faire entendre jamais le mot de
liberté (liberté), qui devait toujours être remplacé par celui de loyauté (leallà).
Voici qu'un soir, à Milan, Ronconi, qui était favori du public, oublie la re-
commandation et, dans {forma, laisse échapper le mot proscrit. La police est
en émoi, et mon baryton s'en va réfléchir en prison, pendant trois jours, sur
les inconvénients du défaut de mémoire. Il allait prendre sa revanche avec
esprit. Rendu à la liberté et reparaissant à la scène, il fait sa rentrée dans
l'Elisir d'amore, où, faisant allusion à un paysan qui s'est engagé, il a à dire :
« Il a vendu sa liberté, il s'est fait soldat ». Naturellement, il chante : « Il a
vendu sa loyauté », ce qui devenait inepte et ce qui fut applaudi par la salle
entière, qui connaissait son histoire. Dès le lendemain, le chanteur était
appelé à la police, où on lui faisait remarquer avec une certaine brutalité
qu'on ne vendait pas sa loyauté, et que ce qu'il avait dit était ridicule. Il rap-
pela alors au magistrat que quelques jours auparavant on l'avait coffré pour
s'être servi du mot de liberté, et qu'il n'avait pas envie de recommencer. Oui
fut quinaud ? Ce fut le commissaire, qui ne trouva rien à répondre à ce rai-
sonnement, et qui dut s'en contenter.
— Au Théâtre Eslava do Madrid, apparition d'un petit ouvrage intitulé :
Si te mnjeres mandasen, qui n'est, suivant un journal, o ai saynète, ni zar-
zuela, ni revue, mais qui tient de tout cela ». Les paroles sont de MM. Pas-
cual Frutos et Manolita Caballero, la musique de MM. Lleo et Flo»Hetti. Et
au Salon Regio, représentation d'une zarzuelita, los Estuiiantes burtado
paroles de MM. Manola Castro et Tiedra, musique de M. Castillo.
— Avant de partir pour l'Amérique et à la suite d'une grande tournée dans
les provinces anglaises et en Ecosse, Mme Blanche Marchesi a donné à Lon-
dres un récit il d'adiea dj:it le programme, très curieux, n'était autre qu'une
sorte d'historique de la forme de la chauson en France, en Angleterre en
Italie et en Allemagne. Ce programme était divisé chronologiquement en
quatre parties. Le premier comprenait Adam de la Halle (air du Jeu de Robin
et Marion), Henri Lawes (air de Cornus), Lully (le Sommeil de Persêe) Henri
Purcell (air de the Libertine), et trois anonymes du XVI= siècle (chansons avec
accompagnement de luth ou de harpsicorde) ; dans la seconde partie, Caccini
(madrigal), Monteverde (air d'Ariane), Al. Scarlatti (la Violette), J.-S. Bach
(chanson), Gluck (deux chants sur des poésies de Klopstock), Haydn (can-
zonettajet Mozart (lied) ; pour la troisième partie, Beethoven (lied), Schubert
(lied), Schumann (id.), Liszt (id.), Brahms (id.) et Hugo Wolf (id.); enfin.
406
LE MENESTREL
dans le quatrième, Berlioz (Vittanelle), César Franck (Roses et Papillons), Léo
Delibes (Myrlo), Henri Duparc (Phydilé) et Debussy (Mandoline). Un succès
d'enthousiasme a accueilli la cantatrice, qui a défrayé ce programme non
seulement avec son délicieux talent, mais avec son habileté surprenante à
saisir et à s'approprier tous les styles, et à rendre chacun d'eux dans son carac-
tère propre et avec la couleur qui lui convient.
— Londres. — Le choral de voix d'hommes de Swansea qui, dans les der-
niers concours, a remporté le prix de 160 livres sterling a donné un grand
concert à l'Albert Hall. Très remarquée l'exécution de la Marche Hongroise de
Laurent de Rillé. Beaucoup de succès aussi pour Mme Penfro Rowlands,
M. Bowen et M. John Mac Cormack, le ténor irlandais.
— A propos de l'incommodité du costume moderne pour les artistes exé-
cutant des œuvres en solo dans les concerts, le Musical A'ews écrit : « L'inno-
vation de Miss Ethel Leginska, en ce qui concerne la manière de s'habiller
des femmes pianistes, aura des suites heureuses sous bien des rapports. On
commence a comprendre que la tenue de soirée se prête mal aux nécessités
de l'interprétation musicale sur les instruments à cordes ou à clavier. Il est
étrange que personne jusqu'ici, n'ait paru s'en apercevoir. Pour le violoniste,
comme pour le pianiste, une chemise empesée, des cols rigides, des man-
chettes tombant facilement sur les mains, sont de véritables supplices, et l'ar-
tiste qui aura le courage de s'en débarrasser se félicitera sans doute de l'avoir
osé. »
— On annonce que l'érudit compilateur M. Joyce, déjà connu pour ses
recherches sur les vieux chants britanniques, publiera prochainement sous le
titre Chants anciens et vieille musique populaire irlandaise, un volume renfer-
mant 800 spécimens inédits de mélodies qui ont été recueillies dans les
maisons des paysans irlandais de tous les districts.
— La première symphonie qu'ait écrite M. Edward Elgar a été jouée le
3 décembre dernier à Manchester. Elle porte pour dédicace : « A Hans Richter,
vrai artiste et véritable ami. » L'ouvrage a été conduit par le célèbre chef
d'orchestre wagnérien et naturellement très applaudi.
A la salle Bechstein. de Londres, très grand succès pour l'excellent
pianiste Henri Schidenhelm dans des œuvres classiques et les Myrtilles, de
Théodore Dubois.
— D'après les revues américaines, Mmc Marcella Sembrich aurait déclaré
qu'à la fin de la présente saison elle se retirera de la scène et ne chantera
plus que dans les concerts.
— Un journal étranger assure que Tiefland, l'opéra de M. Eugène d'Albert,
dont le succès a été si grand par toute l'Allemagne, vient de faire « un four
noir » au Métropolitain de New-York, en dépit d'une exécution superbe et
d'une mise en scène hors ligne.
— Au premier concert public donné par le « Cercle harmonique » nouvelle-
ment fondé à la Nouvelle-Orléans, très grand succès pour miss RuthHarrison,
la directrice du cercle, dans la Forza del Destina, de Verdi, et l'Heure grise, de
Rodolphe Berger. Au programme, très ecclectiquement intéressant, les stances
de Lakmé, de Delibes, chantées aux applaudissements de la salle par M. Char-
les Worms, et des œuvres de Wagner, Grieg, Guiraud, Liszt, Sinding, etc.
■ Qui le croirait ? Les Chinois auraient un hymne national, une Mar-
seillaise à eux ! On le prétend, du moins. Un érudit de Pékin aurait mis la
main récemment sur ce document jusqu'à ce jour oublié et qui, si on l'en
croit, ne remonterait pas à moins de six mille ans, ce qui est un bel âge pour
un chant patriotique. Quant à l'auteur du chef-d'œuvre, il demeure complète-
ment inconnu.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
Le conseil supérieur du Conservatoire (section musicale) s'est réuni,
cette semaine, au ministère des beaux-arts, sous la présidence de M. Du-
jardin-Beaumetz, sous-secrétaire d'État aux beaux-arts, assisté de MM. Ga-
briel Fauré, Massenet, Lenepveu, Paladilhe, Adrien Bernheim, Jean d'Es-
tournelles, Broussan, Albert Carré, Widor, Bisler, Guy Ropartz, Véronge de
La Nux, Gabriel Pierné, Paul Vidal, Edmond Duvernoy, Lefort, Henri
Maréchal, Pierre Lalo, Lavignac, André Wormser, Fernand Bourgeat. Il
s'agissait de présenter au choix du ministre un successeur à M. Georges
Marty, décédé, professeur d'harmonie au Conservatoire. Vingt et un candidats
étaient en présence. Après plusieurs tours de scrutin, il a été décidé que
M. Dallier serait présenté en première ligne, M. Schmitt en seconde ligne et
M. Bloch en troisième ligne. Faisons remarquer à ce sujet que M. Dallier,
qui e;t l'un de nos premiers organistes, est depuis de longues années titu-
laire du grand orgue de Saint-Eustache, et que MM. Florent Schmitt et Bloch
ont obtenu chacun le grand prix de Rome.
— M. Adolphe Brisson est nommé membre du conseil supérieur d'ensei-
gnement du Conservatoire de musique et de déclamation (section des études
dramatiques), en remplacement de M. Victorien Sardou.
— On a distribué aux sénateurs le rapport de M. Gustave Rivet sur les
beaux-arts. Le rapporteur commence par regretter l'invasiou de l'art drama-
tique étranger et constate que la Comédie-Française seule a su résister à
ces inquiétantes infiltrations. Parlant de l'Opéra, M. Rivet regrette vivement
que, dans les travaux exécutés il y a onze mois, il n'ait pas été fait une part
aux réformes nécessaires pour mettre la scène, au point de vue de la machi-
nerie, au niveau de certains grands théâtres de l'étranger. Il souhaite que les
directeurs de l'Opéra fassent moins souvent appel au concours d'artistes
étrangers, et, tout en établissant les ouvrages montés depuis leur entrée en
fonctions, il enregistre avec confiance leur promesse d'oeuvres nouvelles atten-
dues non sans impatience dans le monde spécial de la musique. Le rapporteur
passe rapidement sur les incidents créés à la Comédie-Française par le Foyer
et par la Furie. Il constate que le répertoire occupe la place à laquelle il a
droit dans les programmes de la Maison de Molière, et il ne parait pas parti-
san du rétablissement du comité de lecture. Passant à l'Opéra-Comique, il
signale les efforts constants d'une direction intelligente et l'excellence des
résultats financiers qui en sont l'éloquente conséquence. M. Rivet aborde
l'Odéon pour déplorer que M. Antoine ait trop manifestement voulu en changer
le genre et il estime qu'il ne faut pas désespérer de le voir triompher des
difficultés de l'heure présente. Enfin, il arrive au Théâtre-Lyrique de la Gaité.
Il établit l'intelligente initiative des frères Isola et il conclut que la Ville de
Paris devrait leur accorder une subvention après avoir insisté sur la nécessité
d'une institution qui peut rendre de grands services à l'art français et aux
jeunes compositeurs.
— Les admirateurs d'Hector Berlioz avaient reçu, la semaine passée^- « de
la part de la Fondation Berlioz et de la Société du Vieux-Montmartre », une
invitation ainsi conçue :
Vous êtes prié de vouloir bien assister à la pose d'une plaque commémorative
sur la maison qu'habita Hector Berlioz à Montmartre, 22, rue du Mont-Cenis,
maison dans laquelle il composa Béatrix et Bénédict et Earold en Italie, de 1834
à 1837.
Cette première manifestation de la Fondation Hector-Berlioz aura lieu le dimanche
13 décembre 1908, à l'occasion du 39* anniversaire de la mort du Maître.
Rendez-vous au pied de la statue, square Vintimille, à dix heures précises. Une
visite aura lieu aussitôt au tombeau.
Dimanche matin, en effet, les membres et le comité de la Fondation
Berlioz, dont le président est M. Edouard Colonne, se sont réunis autour de
la statue de l'auteur des Troyens, et de là se sont rendus à la maison de la
rue du Mont-Cenis, avec ceux de la Société du Vieux-Montmartre. Après
l'inauguration de la plaque commémorative, la plupart d'entre eux sont allés
rendre une visite à la tombe de Berlioz, au cimetière Montmartre. Ajoutons
que la Fondation Hector-Berlioz vient de publier son premier rapport, qui
porte les dates de Mars-Décembre 1908.
— A l'Opéra-Comique, grande activité comme toujours. On mène de front
les éludes d'Orphée, qui va descendre en scène, pour les débuts de Mlle Ra-
vaud, et celles de Sapho, qui passera au courant de janvier. — Le théâtre a
repris ses matinées du jeudi avec Louise. — Spectacles de dimanche : en ma-
tinée, Peltéas et Mélisnnde; le soir, la Vie de Bohème et Cavalleria ruslicana.
Lundi, en représentation populaire à prix réduits : Mignon.
— Etant donné le grand succès des spectacles actuels du Théâtre-Lyrique
de la Gaité, MM. Isola se voient dans l'obligation de reculer de quelques jours
la première d'Hernani. de MM. Gustave Rivet et Henri Hirchmann. Quant à
la reprise de Cendrillon de M. Massenet, avec le concours des artistes de
l'Opéra-Comique. elle aura lieu, comme il a été précédemment annoncé, pour
faire la période des vacances de Noél et du Jour de l'An.
— Le dimanche 27 sera donnée, aux Concerts-Colonne, à l'occasion des
fêtes de Noël, sous la direction même de l'auteur, la première audition en
France des Enfants à Bethléem, mystère en deux parties de M. Gabriel
Pierné, sur un livret de M. Gabriel Nigond, avec la belle distribution
suivante :
La Vierge. Mu,c Auguez de Montalant.
L'Étoile. M"" Mastio.
Jeannette. M»" Bathori-Engel.
Nicolas. M"" Mellot-Joubert.-
Lubin. M"' de Schutter.
Le Récitant. M. Brémont.
L'Ane. M. Cazeneuve.
Le Bcettf. )
Un Pâtre. V M. Froelich.
Une Voix céleste. )
400 enfants appartenant aux groupes d'enseignement moderne, groupes mixtes
Bolivar, Molière, Foyatié ; professeurs M"" Moisson, MM. Bayer et Levasseur.
— Le fait est officiel ! Le Chantecler de M. Edmond Rostand va entrer en
répétitions à la Porte-Saint-Martin. Lecture du 1er acte a déjà été faite aux
artistes par M. Jean Coquelin en personne, et l'effet en a été prodigieux.
Nous pouvons donc nous attendre, dans quelques mois, a de belles soirées
d'art.
— La déplorable situation faite aux œuvres françaises par l'absence de con-
vention artistique et littéraire avec la Hollande, et contre laquelle tout le
monde n'a cessé de protester, serait-elle près de cesser, et cela par le simple
bon vouloir et la simple honnêteté des entrepreneurs de spectacle qui, jusqu'à
présent, tiraient honteusement parti de cette inqualifiable lacune de la législa-
tion ? Une nouvelle, inouïe, invraisemblable, qui nous arrive d'Amsterdam,
tendrait à nous le faire croire... Acceptons-en l'augure! Il y a là-bas, en
effet,un nouveau théâtre, le NooréNederlavscke Opera,qui joue un répertoire d'oeu-
vres très artistiques, avec des éléments de premier ordre. Le chef d'orchestre
de ce théâtre est un belge, M. François Rasse, compositeur distingué, prix de
Rome, qui, pendant trois ans, occupa à la Monnaie de Bruxelles les mêmes
fonctions, à côté de M. Sylvain Dupuis, et fut aussi chef d'orchestre, l'an der-
LE MÉNESTREL
407
nier, au Capitole de Toulouse. Or, grâce à l'influence, aux efforts intelligents
de M. Rasse, la directrice de ce théâtre, M"0 Catteau-Esser, vient de s'adres-
ser à la maison Choudens pour le matériel de Carmen et au Ménestrel pour
celui de la Fiancée de la mer ! En outre, elle a traité avec M. Rasse lui-même
pour la représentation d'un drame lyrique de lui, Dèidamia, non édité encore,
en s'engageant à lui payer des droits d'auteurs. Le fait, pour un théâtre hol-
landais, de monter des œuvres françaises sans se contenter de faire bâcler
une orchestration par le premier venu, est tellement nouveau qu'il mérite
d'être signalé. Et c'est un précédent précieux, dont l'importance n'échappera
à personne. Rendons grâce à M. Rasse qui, depuis plusieurs années, met son
talent â faire connaître et applaudir les œuvres musicales françaises, d'avoir
contribué à la reconnaissance d'un principe aussi légitime que celui de la
propriété littéraire dans un pays où, depuis trop longtemps, il était remplacé
par le système beaucoup plus sommaire de la piraterie.
— Le ténor Gibert, qui a laissé à Bordeaux d'inoubliables souvenirs, no-
tamment dans le Cid, Hérodiade, Cavalleria, etc., vient, après le baryton Noté,
de se faire entendre aux Bouffes-Bordelais, et son succès a été triomphal. Il
a dit, entre autres morceaux, l'aubade du Uni d'Ys avec goût et en chanteur
sûr de lui.
— La réouverture des auditions musicales Maxime Thomas était réservée
aux œuvres du grand pianiste Louis Diémer, ayant pour interprètes, outre
l'auteur lui-même, la belle cantatrice M"1C Durand-Texte, MM. Marcel Bâillon,
violoniste, Fernand Gillet. hautboïste des Concerts-Lamoureux, et le distingué
violoncelliste Maxime Thomas. Tous les numéros inscrits au programme,
notamment la romance pour violon, le premier grand trio, un fort joli chœur
à quatre voix, plusieurs ravissantes mélodies, valurent à l'éminent auteur et à
ses brillants partenaires de frénétiques applaudissements et des bis nombreux.
La matinée se termina par l'exécution de cinq pièces pour piano solo; on fit
une ovation sans fin au maitre Diémer.
— Un concours est ouvert pour l'obtention d'une place de professeur de
piano (classe supérieure) au Conservatoire de Rennes. Le titulaire recevra un
traitement annuel de 1.200 francs. Le concours aura lieu à Paris, au Conser-
vatoire national de musique et de déclamation, à une date qui sera ultérieu-
rement fixée. Les candidats des deux sexes pourront y prendre part. Pour être
admis à concourir, les candidats devront justifier de leur nationalité française;
ils sont priés de joindre à leur demande des copies certifiées conformes des
titres et diplômes dont ils peuvent se recommander. Les conditions du con-
cours sont les suivantes :
1° Morceau imposé : l'Absence et le Retour, de Beethoven, op. 81 ;
2° Morceau au choix, dont deux exemplaires devront être fournis pour le jury ;
3° Lecture à vue d'un morceau inédit et exécution de fragments réputés difficiles,
tirés des ouvrages d'enseignement du piano (études et coiicertosl.
Les demandes des candidats devront être adressées à Rennes à M. le direc-
teur du Conservatoire et seront reçues jusqu'au 31 décembre 1908 inclus, der-
nier délai. L'entrée en fonctions aura lieu immédiatement après la nomination
préfectorale.
— Un festival en l'honneur du jeune maître Gabriel Dupont, et consacré
en grande partie à sa musique, vient d'avoir lieu à Caen. Deux œuvres, prin-
cipalement, ont retenu l'attention et suscité l'enthousiasme d'un auditoire
d'élite : les Poèmes d'Automne et les Heures dolentes. Ces dernières, déjà
très connues dans notre ville, y étaient jouées pour la première fois par
Maurice Dumesnil. Le Ménestrel s'est longuement étendu sur l'œuvre et
l'interprète, lors de la première audition de 1906 ; constatons donc seulement
ce nouveau grand succès. Quant aux Poèmes d'Automne, Mme Vierne-Taskin
sut admirablement créer l'atmosphère de sensibilité douloureuse et d'inti-
mité troublante qui se dégage de cette musique si poétique et personnelle.
Lorsqu'une artiste arrive, par la seule force d'une musicalité hautement
intelligente, à s'identifier l'esprit de l'œuvre au point d'en devenir le complé-
ment inséparable, nécessaire, un banal éloge ne saurait suffire : adressons
simplement à Mme Vierne-Taskin l'hommage ému d'une sincère et reconnais-
sante admiration.
— De Montpellier : Très belle première représentation de Marie Magdeleine,
avec, comme principale interprète, Mlle Maximilienne Mirai, qui a supérieure-
ment chanté la belle partition du maître Massenet. A côté d'elle, MM. Jobbert
et Mondaud et MUe Donaldson ont eu aussi grand succès, comme l'orchestre,
supérieurement dirigé par M. Alloo, et la mise en scène très soignée par
M. Mirai. Cette création de Marie Magdeleine permet, dit un de nos confrères,
« d'inscrire dans les annales du Grand-Théâtre de Montpellier un succès con-
sidérable et, on peut ajouter, de bon aloi ».
— D'Avignon : Nous venons d'avoir la première représentation des Pécheurs
de Saint- Jean et la partition de M. Widor. qui abonde en pages émouvantes
et fortes, a produit sur un public nombreux une très profonde impression. Le
succès a été absolument décisif dès cette première soirée. L'œuvre, bien mon-
tée par M. Martini, était convenablement défendue par M"L> Clerval, M. Conty
et M"e Devriès. M. Alenus a été chef d'orchestre attentif aux moindres indi-
cations de l'auteur.
— ■ De l'Avenir de Reims : Festival Th. Dubois. — Très beau succès. Cette
fois, a menti le proverbe qui prétend que nul n'est prophète dans son pays.
Aussi notre compatriote fut-il accueilli par des applaudissements répétés,
lorsqu'il parut sur l'estrade, accompagnant et assistant M. P. Dazy, qui allait
exécuter — c'était la première fois, â Heims — cette belle sonate de piano
que nous avions vue sur « chantier », à Rosnay, i la lin de l'été de 190". Elle
justifie amplement les éloges unanimes qui en ont été faits par la presse
musicale. VA miaule quasi adagio, en particulier, nous a charmé par les mélo-
dies abondantes et distinguées sur lesquelles il est construit. M. P. Dazy a
affirmé, de nouveau, son beau talent de pianiste sobre et correct, et la vail-
lance avec laquelle il enleva le brillant et difficile final lui valut, avec les féli-
citations du maitre, les vifs applaudissements de l'auditoire. M'"" Bureau-
Berthelot, l'un des professeurs réputés de Paris, soliste des Concerts-Colonne,
a chanté, avec une jolie voix et une méthode parfaite, un ait de Xavier e, nne
charmante mélodie. Dormir 'i Rêver, et deux des fines et si savoureuses Ode-
lettes antiques que le maitre a écrites sur les vers délicats de son fils, le pro-
fesseur Charles Dubois. La séance s'est terminée avec l'audition entière, par
MM. Dazy, Vaysmann et Aubert, du superbe trio en ut mineur, bien connu à
Reims. Et la salle tout entière a fait une véritable ovation au compositeur et
à ses valeureux interprètes.
— L'ouverture des Pécheurs de Suint-Jean de M. Widor vient d'être exécutée
avec un grand succès au quatrième concert d'abonnement de l'orchestre sym-
phonique de Strasbourg, sous la direction de M. Uans Pfilzner.
— Soirées et Concehts. — Salle Pleyel, audition des élèves de l'école Beel
de M"" Balutet. M"" Jeanne L. L'Escarpolette de Sylvia, Delibes), Jeanne B. et G. D.
Œntr'acte de Don César de Bazan, Massenet), Marthe 1). Papillota blancs, Mas
Marie Louise H. [Arugonaise du Cid, Massenet', Berthe G. Le Bal de Béatrù d'£
Reynaldo Hahn) et Cécile B., B.-G., B.-D. et F.-W. (Divertissement de- Erinnyes
Massenet), se font tout spécialement remarquer. — A l'intéressante soirée donnée
parM.Chavagnat, on a vivement applaudi M. Desprez, dans Tristesse, otM1 'Chavagnat,
dans Sur l'aile d'un songe, l'un et l'autre morceau du maitre de maison. — Salle
Monceau, intéressant concert donné par M"" Marguerite Morel, au cours duquel
M" Revel remporte grand succès avec te Jour et J'ai dans t-i plaine,ie Jean
Hubert, et M. Plamondon, dans l'air de Sigurd, de Reyer. — Salle Mustel, audition
des élèves de M. Galabert. Applaudissements pour Mt;' Marguerite B. dan- Romance
hongroise de Delibes etChaconne de Théodore Dubois. Comme intermède, M Cécil
Winsback obtient grand succès avec l'.lnoso de Delibes, l'air de Louise de Charpen-
tier, ainsi que M. Joseph Bizet avec la Toccata pour orgue de Dubois. — Au concert
donné par lui salle Pleyel, M. Raymond Marthe obtient très grand succès avec la
sonate pour violoncelle et piano de Théodore Dubois, que le maitre a jouée avec lui.
M-* Durand-Texte chante délicieusement, du même auteur, Efleuillement, Désir
d'Avril et Par le Sentier, qu'on lui bisse.
NÉCROLOGIE
De Berlin, on annonce la mort du compositeur Albert-Hermann Dietrich,
à peine connu de nos comtemporains, mais qui fut un artiste d'un véritable ta-
lent. Né près de Meissen. le 28 août 1829, il fut, au Conservatoire, élève de
Rietz et de Moscheles, puis reçut à Dusseldorf des leçons de Schumann, dont
il fut un des disciples les plus remarquables. Après avoir été directeur des
concerts et de la musique de la ville à Bonn, puis chef d'orchestre de la cour
à Oldenbourg, il vivait retiré depuis de longues années. Dietrich avait beau-
coup écrit. Outre une symphonie en ré, outre un opéra, Robin Hood, représenté
avec succès à Francfort en 1879, on connaît de lui plusieurs compositions
chorales avec orchestre, un concerto de violon, un autre de violoncelle, des
trios avec piano, diverses sonates, puis des lieder, des chants à deux voix, des
chœurs et des morceaux de piano.
— On annonce la mort à Berka, près de Weimar, du compositeur Erich-Wolf
Degner, directeur de l'Ecole grand-ducale de musique. Né dans les environs
de Chemnitz le S avril 183S. cet artiste distingué avait , avant de se fixer à
Weimar, dirigé les écoles de musique de Pettau et de Gratz. Excellent pro-
fesseur, il était compositeur de véritable talent. On cite parmi ses œuvres une
symphonie en mi mineur, une ouverture, une vaste composition chorale inti-
tulée Martha, des chœurs pour voix de femmes, des pièces pour piano et pour
orgue, etc.
— On annonce de Rome la mort du maestro Giuseppe Perosi, père du
jeune compositeur don Lorenzo Perosi dont les succès sont si éclatants dans
le genre de l'oratorio. Giuseppe Perosi, qui était né à Tortona, où il fut pendant
de longues années maitre de chapelle, était lui-même un compositeur non
sans talent. C'est à lui que son fils dut le commencement de son éducation
musicale. Il était né à Lomellina en 184-2.
Henri Helgel, directeur-gérant.
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[3 IV. 50 c.) ; Edmond Haraucourt, Trumaille et Pélisson, roman 3 fr. 50 c).
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musique, avec auditions musicales, cours de chant perfectionné et chant d'en-
semble, cours de solfège, cours de piano (méthode Galin-Paris-Chevé), cours de
violon, cours de flûte, cours d'harmonium, cours d'accompagnement, cours de diction
et déclamation (mise en scène), cours de sténographie (système Aimé Paris),
cours d'Espéranto correspondance étrangère). Leçons particulières : S et 10 francs
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408
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4057. - 74e OSA - \° o-2. PARAIT TOUS LES SAMEDIS
Samedi 26 Décembre 1908.
(Les Bureaux, 2"'*, rue Virienne, Paris, u»irr)
(Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)
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lie flaméro : 0 fr. 30
MUSIQUE ET THÉÂTRES
Henri HEUGEL, Directeur
lie flaméro : 0 fr. 30
Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d'abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr.; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d'un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l'Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE
I. Soixante ans de la vie de Gluck 1 50° article), Julien Tieusot. — 11. Semaine théâtrale :
Première représentation du Ltjs, au Vaudeville, Paul-Emile Chevalier. — III. Un
opéra de marionnettes en 1676 (1" article), Arthur Pougin. — IV. Revue des grands
concerts. — V. Nouvelles diverses et nécrologie.
MUSIQUE DE CHANT
Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :
ROSES ARDENTES
n» 3 de la Chanson d'Eve, de Gabriel Padré, poésie de Gn. van Lerrerghe. —
Suivra immédiatement : l'air de « La main », chanté par M. Muratore
dans Monna Vanna, le nouvel opéra de MM. Henry Février et Maurice
Maeterlinck, qui va être représenté prochainement à l'Académie nationale
de musique.
MUSIQUE DE PIANO
Nous publierons samedi prochain, pour nos abonnés à la musique de piano une
Valse intime, de Théodore Dubois. — Suivra immédiatement : premier entr'acte
(Sous la Unie), de Monna Vanna, le nouvel opéra de MM. Henry Février et
Maurice Maeterlinck, qui va être représenté prochainement a l'Académie
nationale de musique.
Avec ce dernier numéro de notre 74e année de
publication, nos abonnés trouveront encartées dans
" LE MÉNESTREL " la TABLE DES MATIÈRES pour
l'année 1908, ainsi que la liste de nos PRIMES
GRATUITES pour l'année 1909.
SOIXANTE ANS DE LA VIE DE GLUCK
CHAPITRE X
h'alcestje a iphigexie
(1767-1774)
C'était rompre tout l'équilibre à grand'peine établi par les
combinaisons de Gluck. Les difficultés financières s'aggravèrent.
Afflisio, toujours absent, donna des instructions pour que main-
tenant on se débarrassât des Français. Mais Gluck, dans sa pré-
férence avouée à leur égard, avait déjà fait des engagements
pour une nouvelle troupe d'acteurs, auxquels il avait d'ores et
déjà assuré vingt-sept mille florins d'appointements et de frais
de voyage. Il fut désavoué par ses associés, la dette portée à
son compte personnel, et la dissolution de la troupe française
confirmée. La Cour et Kaunitz protestèrent et menacèrent du
retrait du privilège. Gluck fut obligé de prendre sa défense :
dans une lettre datée du 13 novembre 1769, il exposa toutes les
péripéties de ce drame de coulisses, et demanda que les mesures
dont on le menaçait fussent suspendues.
La réponse de Kaunitz fut un refus.
Alors Gluck écrivit un long mémoire justificatif en français
qu'il adressa à l'Empereur. Il dit que la véritable cause de la
ruine du théâtre devait être cherchée dans l'indifférence de la
noblesse. « On dit, argumente-t-il, que la noblesse réclame le
théâtre français. Pourquoi alors la salle était-elle vide aux plus
belles représentations, avec de superbes ballets ? Pourquoi ne
s'est-il jamais trouvé trente personnes pour sacrifier cent ducats
par an à un plaisir qu'on leur dit si précieux ? »
Cette démarche mit Kaunitz en fureur. Le jour même où
l'Empereur lui transmit le mémoire, il adressa au ffofmusik-
kavalier (intendant de la musique de la Cour) un billet de sa
main où étaient tracés les mots les plus vifs sur « le galimatias.
les sophismes et les faux syllogismes » de Gluck, et sur « tout
l'édifice d'intrigue de l'association Afflisio, Gluck, Lopresti, qui
ne voulait que duper l'aristocratie. »
Une grêle de décrets de Cour et de règlements de toute sorte
s'abattit alors sur eux. Kaunitz déclarait que le public était
victime des plus infâmes tromperies et que la Cour était atteinte
et compromise. Afflisio avait fini par revenir d'Italie. Il tenta
une dernière fois de sauver la situation, en représentant des
bouffonneries dont il se promettait des montagnes d'or. L'illustre
Bernardon Kurz joua des farces à transformations et riches d'équi-
voques : il n'eut que des salles vides. Alors Afflisio capitula. Un
magnat hongrois, le comte Johann Kohàry, prit la charge de
l'entreprise des théâtres viennois, et permit au Lieutenant-
Colonel directeur de s'éclipser, ce qu'il fit~~sur-le-champ : per-
sonne à Vienne n'entendit plus jamais parler de lui.
Mais tandis que le coquin s'en allait faire pendre ailleurs,
Gluck restait, lui, honnête homme et grand homme, dans sa
ville d'adoption qu'il avait honorée des chefs-d'œuvre de son
génie. Coupable seulement d'un excès de confiance, et peut-
être aussi d'un mouvement de présomption qui l'égara, il
devait nécessairement jouer le rôle de victime expiatoire. Il
paya : les économies que lui avaient valu trente ans d'activité
bien ordonnée, et la fortune de sa femme, étaient là pour lui
permettre de faire honneur à ses imprudents engagements : il
n'y faillit pas. Madame Gluck devint malade. Lui-même tomba en
disgrâce à la Cour. Le prince de Kaunitz l'avait complètement
abandonné. Le comte Kohàry recevait des lettres où il était
remercié d'avoir débarrassé la Cour de « l'antipathique associe
d'Afflisio ». Bref, au commencement de l'année 1770, l'auteur
d'Or/eo et à'Alceste était un homme à la mer.
410
LE MÉNESTREL
Heureusement, Gluck n'était pas homme a se laisser démonter.
Il lutta; il revint au rivage, et de nouveau, avec plus de vigueur
que jamais, il vainquit. A la veille d'atteindre la soixantaine, il
recommença sa vie. Sa fortune était ébréchée : il la reconstitua.
On a raconté, à mots plus ou moins couverts, qu"aux hénéfices
d'auteur que lui procuraient ses œuvres il en avait joint d'autres,
de nature toute différente, en faisant l'échange des diamants (1).
De quelque ironie que l'on enveloppe ordinairement cette insi-
nuation, je ne trouverais, je l'avoue, aucun inconvénient si elle
était vraiment justifiée. L'œuvre de Gluck, en soi, est essentiel-
lement désintéressée. Elle réalise d'elle-même un idéal fort au-
dessus de nos vulgaires contingences: si, cet idéal étant atteint,
l'auteur a eu en outre l'habileté nécessaire pour ajouter à la
pure joie de sa création d'autres avantages moins immatériels,
nous pouvons nous en étonner, car ce n'est pas l'usage du génie
de penser à tant de choses différentes ; mais nous ne devons
aucunement l'en blâmer, un tel souci n'ayant fait aucun tort à
la pureté native de sa production. Et si ses aptitudes furent si
diverses qu'il y joignit encore la faculté de s'occuper d'autres
transactions, d'ailleurs parfaitement honnêtes, eh bien, il a eu
encore raison de le faire ! Il a été un mauvais directeur de
théâtre, et c'est tant pis ; mais s'il fut un habile marchand de
diamants, ce fut tant mieux. Et cette occupation insolite nous
apparaît maintenant d'autant plus justifiable que la raison qu'il
eut de s'y livrer fut, sans doute, qu'ayant été ruiné par son art.
il jugea qu'il fallait bien trouver ailleurs le moyen de réparer
les pertes qu'il lui avait causées. Trompé par les fausses appa-
rences qu'offraient à ses yeux éblouis les promesses de ses pré-
tendus amis de l'aristocratie, il se rattrappa sur leurs femmes
en leur vendant des bijoux ! Il fit bien : il ne pouvait mieux
faire !
Au reste, malgré les atteintes subies dans cette aventure, il
ne semble pas que la fortune de Gluck se soit trouvée sérieu-
sement compromise. Lui-même n'attendit guère pour reprendre
dans la société de Vienne la place qu'il y avait antérieurement
tenue. Burney, notre guide fidèle et informé, va bientôt nous le
montrer dans son intérieur, ainsi qu'à la table des plus notables
personnages de la ville, sans que le tableau qu'il en trace nous
inspire aucune pitié pour sa situation : bien d'autres, qui ne
s'étaient pas ruinés dans des entreprises théâtrales, s'en fussent
largement contentés !
Quant à son activité productrice, il est vrai qu'elle subit pen-
dant cette période un apparent ralentissement. C'est que Gluck
se préparait à un dernier effort, qui ne devait aboutir qu'après
un long temps. Dans les sept ans qui séparent YAlceste italienne
de la première Iphigénie, il ne composa que deux ouvrages, ses
derniers opéras italiens. Par un trait de son caractère digne
encore d'être noté, il les fit l'un et l'autre aux époques les
plus proches de ses embarras, donnant ainsi une nouvelle
preuve de son activité inlassable et de sa ferme volonté d'aboutir.
Le Fesle d'Apollo furent représentées à Parme le 24 août 1769, six
semaines avant la date de son contrat d'association (2) ; Paride
cd Elena est du 30 novembre 1770, c'est-à-dire du commence-
ment de la saison qui suivit celle de ses déceptions.
(A suivre.) Julien Tiersot.
1i C'est Castil-Blaze qui a mis le premier cet o on dit » en circulation : « Gluck
laissa un héritage de 600.000 livres, qu'il avait gagnées en partie en faisant le com-
merce des diamants.» [Académie royale ik musique, t. I, p. 402.) L'autorité est
suspecte. Desnoiresterres y a ajouté quelques parcelles de confirmation, bien éloi
t'nêes encore de la certitude voir la note de lap. 300 de son livre : Gluck et Piccinni).
Le meilleur argument qui nous semble venir à l'appui de cette tradition est qu'elle
n'offre rien d'invraisemblable ni d'incompatible avec ce que nous savons du carac-
tère de Gluck, vigoureux lutteur pour la vie, et qui ne s'embarrassait pas de vains
préjugés lorsqu'il voulait atteindre un but d'ailleurs aussi légitime que celui-là.
i-2i Rappelons-nous la lettre dans laquelle étaient rapportés les propos que Gluck
aurait tenus sur la vie à Parme, en un premier séjour : cette lettre était datée du milieu
de mai 1169, et il y était dit que Gluck avait profité du retard des fêtes à l'intention
desquelles il avait composé son opéra pour revenir à Vienne, où l'appelaient ses
affaires : long et fatigant voyage, avec la traversée des Alpes, en un temps où les
moyens de locomotion étaient primitifs. Nous savons maintenant quelles affaires
retenaient Gluck à Vienne cette année-là : il ne fallait pas moins pour le décider
à un pareil déplacement pour quelques semaines.
SEMAINE THEATRALE
Vaudeville. — Le Lys, pièce en 4 actes, de MM. Pierre Wolff et Gaston Leroux.
Voici un gros succès, et un succès qui va tout droit et tout victo-
rieusement à rencontre de la morale. C'est, présenté avec beaucoup
d'adresse, de clarté et de logique, et surtout de tact, le thème, pas très
nouveau mais toujours d'actualité, du droit a l'amour. Aux applau-
dissements répétés, par quatre et cinq fois, de toute une salle.
MM. Pierre Wolff et Gaston Leroux sapent le plus désinvoltement du
monde tous les préjugés sociaux modernes, et les plus farouches défen-
seurs des traditions familiales ne sont pas, fait à noter, ceux qui
applaudissent le moins bruyamment. Signe des temps modernes, peut-
être, où la société tend à se désagréger, clament les moralistes, à se
modifier, disent simplement les philosophes.
Qui donc, en effet, parmi le millier de personnes, et plus, entassé
dans la salle du Vaudeville, penserait, sur le moment même où
faction se déroule, à donner tort, une seconde seulement, à Christiane
de Magny qui, sansdot, — monsieur son papa a galamment mangé toute
la fortune avec la dame de 'pique et les dames de cœur, — ayant vu se
flétrir peu à peu Odette, sa sœur ainée, imnariable faute d'argent, ayant
deviné toutes les souffrances endurées en silence par la pauvre vieille
fille, et rencontrant sur son chemin un honnête homme qu'elle aime
et dont elle est aimée, se donne ;i lui, ne pouvant l'épouser ? Elle ré-
clame, en ce 'monde, sa part de bonheur, tout comme l'a réclamée.
avant elle, la Louise de Gustave Charpentier, tout comme d'autres
l'ont réclamée depuis, et elle la réclame éloquemment, noblement, non
au nom d'un plaisir plus ou moins passager ou d'un caprice plus ou
moins blâmable, mais au nom de la liberté individuelle. Si Georges
Àrnault n'était point marié déjà avec une femme qui a accepté la sépa-
ration depuis dix ans, mais qui se refuse à divorcer, elle serait devenue
sa compagne légitime ; ne l'ayant pu, elle s'est donnée simplement,
honnêtement, est- on tenté de dire. Mais l'honneur du nom des Magny.
réclame impérieusement le père, surenchérit un frère peu sympathique
qui déchaîne le drame familial parce que l'on a jasé sur les rencontres,
pourtant anodines, de Christiane et de Georges et qu'en suite de ces
racontars il manque un mariage avec une très riche et assez laide
voisine? L'honneur des Magny, riposte Christiane poussée à bout,
c'est lui précisément qui l'a forcée à cacher un amour qu'elle eût été
heureuse de crier à la face du monde hypocrite, qui l'a forcée à mentir
vilainement ; l'honneur des Magny, c'est de l'égoïsme, cruel de la part
du père qui a joyeusement vécu a sa guise sans s'inquiéter de l'avenir
de ses enfants ruinés, honteux de la part du frère qui trouve plus hono-
rable, sans doute, de vendre son nom et sa personne à une jeune fille,
qu'il n'aime pas et ne peut aimer, que d'obéir loyalement aux lois sou-
vent inéluctables de la nature.
Mais Le Lys? Ce ne peut être évidemment Christiane, malgré toutes
les qualités dont les auteurs l'ont joliment adornée. Certes non. Le Lys,
c'est Odette, la malheureuse ainée qui, jusqu'alors, un éternel sourire
contraint sur ses lèvres décolorées, a enduré l'agonie lente de sa
stérile jeunesse sans une plainte, sans un regret, le cœur, l'esprit, la
chair meurtris silencieusement : c'est Odette qui, tout à coup, contre
tous, prend la défense de Christiane. Elle a raison, elle a mille fois
raison ! Et elle qui a le droit de parler, car à elle seule elle a très suffi-
samment et très douloureusement payé le tribut dû à l'honneur fami-
lial, absout la cadette adorée. Qu'elle suive sa vie et que cette vie lui
donne tout ce qu'elle y pourra trouver de belles, grandes et saines
joies...
Telle est la thèse hardie de MM. Pierre "Wolff et Gaston Leroux, que
l'on discutera très certainement alors que. chez soi, l'on sera de sang-
froid, mais à la solution de laquelle chacun se ralliera sans le moindre
combat alors que l'on sera complètement pris par une action habile-
ment conduite et très heureusement présentée.
Le Lys a trouvé, au Vaudeville, des défenseurs d'ordre tout à fait
remarquable avec Mme Madeleine Lély, qui, triomphalement, débute à la
Chaussèe-d'Antin, dans le beau rôle de Christiane, avec toutes ses
qualités naturelles de charme, d'émotion et de vigueur, avec M"e Su-
zanne-DespTès. d'un art très sûr et très étudié dans le personnage diffi-
cile d'Odette, avec M. Lèrand, un comte de Magny de belle tenue, de
grande autorité et de parfait sentiment, et avec M. Joffre, tout à fait
plaisant en vieil ami de la famille, hon et conciliant. M. Coste, nou-
veau venu aussi chez M. Porel, avec d'autres d'ailleurs qui, ceux-là,
ne feront que vraisemblablement passer dans la maison, et Mlles Carrèze,
Delza et Adrienne Doré sont dignes de leurs grands chefs de file.
Paul-Emile Chevalier.
LE MENESTREL
111
UN OPÉRA DE MARIONNETTES EN 1676
LA TROUPE ROYALE DES PYGMÉES
L'Opéra do Lully, dont la brillante inauguration s'était faite le
la novembre 1072 avec les Fêles de l'Amour et de Bacchus, éiait depuis
trois ans environ en pleine prospérité et attirait la cour et la ville, qui
ne cessaient de s'émerveiller des prodiges que leur offrait ce spectacle
jusqu'alors incomparable. Cadimis et Hermione, Alcesle, Thésée s'étaient
succédé déjà avec un succès retentissant et à la grande joie, de tous ceux
qui, les uns par goût véritable, les autres par simple ostentation, se
rendaient en foule à un théâtre ouvertement protégé par le souverain et
qui, d'ailleurs, il faut le constater, avait réalisé dés ses débuts un état
de perfection idéale. Les poèmes de Quinault, la musique de Lully, les
décors de Bérain, les « machines » de Vigarani. tout contribuait, avec
une interprétation dont les principaux sujets : Beaumavielle, Clédière,
MUcs Saint-Christophe, Marie Aubry, Marie Brigogne, étaient des
artistes de premier ordre, tout contribuait à réaliser cette perfection.
Dans tout Paris il n'était question que de l'Opéra, qui était l'objet de
toutes les conversations et qui faisait tourner toutes les têtes.
En de telles conditions, il eût été bien étonnant que nul n'eut songé
à une sorte d'imitation, de parodie, si l'on peut dire, d'une entreprise
artistique qui semblait déjà passer presque à l'état d'institution et dont
la vogue ne se démentait pas un instant. Cela ne pouvait tarder, et nous
en allons avoir la preuve.
Il existait alors à Paris un certain La Grille, qui, plus que tout autre,
était à même de se rendre compte du succès qu'obtenait l'Opéra. Ce
La Grille, resté complètement obscur, était un chanteur qui faisait
partie de la musique du roi, dans laquelle on le trouve dès 1600 ou
environ. Son véritable nom (il semble qu'il était noble) était Dominique
Normandin de La Grille. On ne sait rien sur son compte, sinon que, en
sa qualité de musicien du roi, il concourut non seulement à l'exécution
de divers ballets dansés devant Louis XIV et par lui-même, mais aussi
à celle de plusieurs ouvrages de Lully lorsqu'ils étaient représentés tout
d'abord à ia cour. Il parait bien assuré toutefois qu'il n'appartint jamais
au personnel de l'Opéra même. Mais il prit part aussi à la représenta-
tion de certains ouvrages de Molière, de ceux qui comportaient des
divertissements chantés et dansés. Pour toutes ces raisons, et bien que
son nom ait étépromptement oublié, il semble bien que ledit La Grille a
dû jouir en son temps d'une sorte de notoriété d'ordre tout au moins
secondaire.
Je rencontre son nom pour la premier» fois dans la distribution du
fameux Ballet royal des Arts, dont Lully avait écrit la musique sur des
vers de Benserade,qui fut représenté devant les reines, au Palais-Royal,
le 8 janvier 1(363. et dont le succès fut tel qu'on le joua dix fois à la
Cour jusqu'à la fin du carnaval. Dans ce ballet Louis XIV personni-
fiait un berger, tandis que Madame figurait Pallas ; Lully, de son côté,
représentait un chirurgien : quant à La Grille, il se montrait sous les
traits d'Esculape, et chantait ce petit récit sur la médecine, où l'on
retrouve les coiicetti familiers à Benserade :
Bel art, qui retardez l'infaillible trépas,
En secrets merveilleux votre science abonde :
Faut-il que vous n'en ayez pas
Contre le plus commun de tous les maux du monde ?
Un cœur tout languissant et qui s'en va mourir
Mettrait-il son espoir en vos seules racines '.'
C'est à l'Amour a le guérir,
Et comme il fait les maux, il fait les médecines (1).
C'est encore, sans aucun doute, eu qualité de musicien du roi que
La Grille prit part, comme je l'ai dit, à l'exécution des intermèdes de
il) A propos du BnU.il des Arts, on lit ceci dans l'Histoire de la musique de Bouide-
let: — «Gomme le Roi sçaitla musique en perfection, et qu'il dansoit le mieux des
seigneurs de toute la Cour, il ordonna à Lambert et à Lully de composer un grand
balet dont le sieur de Benserade lit les paroles et Beauchamp les entrées; il fut
accompagné de machines les plus surprenantes de l'invention du marquis deSourdéac
et El Grillé, grands machinistes, et représenté au Louvre en 1663, avec une magnili-
cence qui surpassoit tout ce qu'on peut imaginer des opéras de Venise. Le Roi y
dansa masqué dans plusieurs entrées. » — Il y a ici plusieurs erreurs. Tout d'abord.
Lambert (le futur beau-père de Lully) n'eut pas plus de part au Ballet îles Arts qu'à
aucun des autres ouvrages de celui-ci. Ensuite, ce ballet fut représenté, nous Pavons
vu, non au Louvre, mais au Palais-Royal. Enfin, je ne sache pas que La Grille se
soit jamais ocupé de machines; aucun contemporain ne le signale sous ce rapport,
et il est bien certain qu'il se borna, en ce qui concerne le Ballet des Arts, à chanter
le petit récit qu'on vient de lire.
deux pièces de Molière bus de leur apparition première à la Cour : le
Bourgeois gentilliomme. représenté à Chambord le 14 octobre 1670, et
Psyché, jouée dans la salle des Machines, aux Tuileries, l'année sui-
vante1. Dans les divertissements du Bourgeois gentilhomme, il figurait le
" i" musicien » et le « 2e Poil. -vin ... Dans Psyché sou intervention
avait plus d'importance : sous le costume de Vertumne il avait à chan-
ter, dans le prologue, un assez long duo dialogué avec Gave, qui faisait
Palémon; puis, plus loin, on le retrouvail en 1 concertant « et en
« 1er satyre ».
Mais c'est ici qu'il faut signaler un incident bizarre, et l'on peut se
demander de quelle singulière incartade La Grille avait pu se rendre
coupable lorsque, peu de temps avant la représentation de '-es deux
ouvrages, il avait été incarcéré à Saint-Germain, par ordre du roi lui-
même. On n'a aucun détail sur ce fait assez étrange, dont la connais-
sance ne nous est donnée que par le petit document que voici, relatif
précisément a l'élargissement du captif :
De par le Roy.
Sa Majesté ayant fait arrester et mettre dans les prisons de ce lieu
Germain en Lave le nommé La Grille, musicien de Sa Chambre, pour quel-
ques rapports qui avoient esté faits à Sa Majesté, a ordonné, ordonne au capi-
taine Danville, exempt des gardes de. la Prévolé de son Hostel, d'élargir et
mettre hors de prison ledit La Grille, et à cet effet d'en donner la descharge
au geôlier en vertu du présent ordre.
Fait à Saint-Germain en Laye, le 18 mars 1670 il).
Quel que lut le délit commis par La Grille, l'affaire ne devait pas
être fort grave, puisque, malgré cet incident, il continua d'occuper ses
fonctions dans la musique du roi, et que, comme nous le verrons, cela
ne l'empêchera pas, quelques années plus tard, de solliciter et d'obtenir
de Louis XIV une rare preuve de bienveillance.
Nous touchons justement, après l'apparition de Psyché, au moment
où Lully, ayant eu l'habileté de se substituer à Pierre Perrin, déten-
teur du privilège de l'Opéra, et d'obtenir du roi la révocation à son pro-
fit de ce privilège, s'occupait, après s'être fait délivrer de nouvelles
lettres patentes, de la création et de l'organisation de son Académie
royale de musique. Comment se fait-il donc que La Grille, en com-
merce continuel avec celui-ci pour le service de la Cour, qui devait les
rapprocher chaque jour, ne se soit pas fait enrôler par lui dans le per-
sonnel de l'Opéra? Quoi qu'il eu soit, on peut croire facilement que
c'est le succès éclatant qui accueillit le nouveau théâtre qui lui inspira
la pensée non certes d'une concurrence, impossible à tous égards, mais
d'une sorte de modeste imitation, de parodie, comme je l'ai dit, dont la
réussite n'eût rien présenté d'extraordinaire.
Il s'agissait d'une chose nouvelle en soi, d'un théâtre de marion-
nettes lyriques, qui serait comme un diminutif de l'Opéra, où l'on
jouerait, à son exemple, des pièces musicales, agrémentées de danses,
de « machines » et de divertissements, mais dont les personnages
seraient représentés par de simples pantins.
En fait, tandis qu'il personnifiait Bacchus dans le prologue de Thésée
lors de l'apparition de cet ouvrage à la Cour, le 11 janvier 1673, La
Grille savait employer son temps et préparait la réalisation de ce projet,
qu'à ce moment il était bien près de voir réussir i i). Le petit démêlé qui
lui avait fait faire connaissance avec les prisons de Sa Majesté n'avait
pas, comme on va le voir, ébranlé son crédit auprès du roi. et ce crédit
doit avoir été réel puisqu'il lui fit obtenir une faveur vraiment extraor-
dinaire, celle de créer et d'ouvrir un nouveau théâtre, même dans les
conditions modestes où celui-ci se présentait. Et à la date du .'11 mars
l(i7'i il se voyait délivrer un privilège dont voici le texte :
Privilège accordé à Dominique de Normandin, tieur d<' La Grille,
pour ses nouvelles marionnettes, sous le nom de trouppe royale des Piginées.
Louis, par la grâce de Dieu, roy de France et de Xavarre. à nos amès et
féaux les gens tenaus nos cours de Parlement. Maistres des requestes ordi-
naires de nostre hostel, baillifs, sénéchaux, prevost, juges, lieutenans et tous
autres nos justiciers et officiers qu'il appartiendra, salut.
Nostre bien-aimé Dominique de Xormandin, escuyer. sire de La Grille,
nous ayant humblement l'ait remonstre qu'il a trouvé une nouvelle invention
de marionnettes qui ne sont pas seulement d'une grandeur extraordinaire
mais mesme représentant des commedies avec des décorations et des ma-
chines imitant parfaitement la danse et faisant la voix humaine, lesquelles
serviront non-seulement de divertissement au public mais serviront d'instruc-
tion pour la jeunesse :
Lui accordons le privilège de donner ses représentations pendant le cours
de vingt années à dater du présent dans nostre bonne ville et faux bourgs de
Paris et par toutes autours (elles bourgs et lieux de notre royaume qu'il
(li Archives nationales, registre du secrétaire du Roi, O1, 1 -i.
i.ii On le retrouve, toujours à :a Cour, personnifiant un Zéphir dans le prologue
à'Atys 10 janviar 1676', puis jouant Apollon dans le prologue d'isi's (5 janvier 1077..
U'2
LE MÉNESTREL
jugera à propos ; deffendant expressément à toute personne de quelque qualité
ou condition que ce soit d'apporter audit exposant aucun trouble ou empêche-
ment dans la jouissance du présent privilège ; à condition par lui de ne rien
faire contre l'honnêteté publique, deffendant à toutes personnes, de quelque
qualité ou condition que ce soit, même à celles de nostre maison d'y entrer
sans payer, d'y faire aucun désordre à peine de punition exemplaire. Car tel
est nostre plaisir.
Donné à Versailles, le 31e jour de Mars de l'an de grâce 1675 et de notre
règne le trente-troisième. Signé : Louis (1).
(A suivre.) Arthur Pougix.
REVUE DES GRANDS CONCERTS
Concerts-Colonne. — Une impression musicale absolument helle et com-
plète a été produite à cette séance par le concerto en »/ mineur de
M. Saint-Saëns et son interprète-pianiste, Mme Riss-Arbeau. Bien rarement
nous avons été charmé par une sonorité plus pure, un jeu plus perlé. Même
dans les passages de la fin, où nombre de notes s'égrènent, pas un trait n'a
manqué son effet et le piano, adnirablement uni avec l'orchestre, a conservé
auprès de lui toute son indépendance et tout son éclat. Deux fragments de la
première partie ont tout spécialement mis en relief le beau sentiment musical
et la distinction de l'excellente artiste : c'est le decrescendo de l'aigu au
grave un peu avant la fin du morceau et surtout la montée du grave à l'aigu
par laquelle il se termine. C'est là une des plus belles choses pianistiques qui
aient été écrites et l'exécution en a été tout à fait irréprochable, tant par sa
graduation ménagée avec une admirable finesse de nuances que par sa magni-
fique transparence. Mmc Riss-Arbeau a été non moins remarquable dans le
final, dont elle a rendu superbement la péroraison. — A côté de cet ouvrage,
le morceau symphonique de Rédemption représentait l'école française dans
une autre branche de l'art, d'une façon plus glorieuse encore. A propos de la
phrase mystique du début, Emmanuel Chabrier avait dit un jour: « Cela c'est
la musique même ». A-surément, et l'on peut ajouter que Bach aurait pu
signer cette mélodie d'un contour pur et suave et d'une expression si calme
et si fervente à la fois. — Une jolie composition qui nous était offerte pour la
première fois, c'est la Rapsodie sur des thèmes populaires de M. Ph. Gaubert,
le flûtiste bien connu. L9 premier morceau, intitulé Dans In Montagne, ne
manque ni de charme ni de poésie ; l'orchestration en est un peu chargée,
mais elle sonne fort bien et les thèmes populaires ne sont nullement noyés
dans ce flot harmonieux. Le second morceau. Fcle, n'a pas la même distinction ;
il est vif, violent, tumultueux. L'ouvrage a été très bien accueilli, mais, à ce
concert, l'apparition de M"'e Delna ne pouvait manquer de refroidir un peu le
public pour tout ce qui n'était pas elle. Cette cantatrice possède toujours
cette voix étoffée de velours et de soie, pourrait-on dire, qui sort sans aucun
effort et reste entièrement homogène dans tout son registre. Elle a chanté au
naturel l'épisode appelé « la Guerre » dans l' Attaque du Moulin de M. Bruneau,
sachant prendre l'accent du peuple pour maudire, en nous racontant la mort
de ses deux fils tombés dans la même bataille. Un fragment de l'Ouragan,
toujours de M. Bruneau, convenait bien aussi à la cantatrice, mieux peut-être
que les stances de Sapho de Gounod, dont le caractère pathétique et le lyrisme ne
sauraient d'ailleurs se passer de la scène. Mmc Delna a été rappelée par la salle
entière et a dû reparaître trois fois. Le programme comprenait encore ia
symphonie en /Vi,n08, de Beethoven, et l'amusante Joyeuse Marche d'Emma-
nuel Chabrier. AllÉDKE BOUTAREL.
— Concerts -Lamoureux. — L'ouverture de Don Juan de Mozart fut exécutée
dimanche avec fougue et précision par l'orchestre de M. Chevillard. et la
symphonie en ut mineur de M. Saint-Saëns, qui venait ensuite, fut accueillie
avec la faveur que mérite cette belle composition aux nobles proportions, aux
thèmes savamment combinés, à l'orchestration pleine et puissante, et dont
Y adagio, avec sa phrase si expressive, demeure la page maîtresse. Par contre,
je ne sais rien de plus désagréable à l'oreille, au milieu des sonorités conjuguées
de l'orchestre et du grand orgue, que l'addition du piano — et à quatre mains !
— remplaçant, de par la volonté expresse du compositeur, la harpe qui serait
là si bien à sa place, avec son timbre élégiaque et rêveur. Il est avéré que la
sonorité ainsi obtenue est triviale et vulgaire (sans que, bien entendu, l'instru-
mentlui-mème doiv-i en rien être incriminé). — Le concerto de Beethoven pour
violon a valu à M. Henri Marteau un succès que la protestation solitaire d'un
contempteur de la virtuosité ne saurait infirmer. Le larghetto surtout fut
traduit par l'artiste avec une maîtrise, une sérénité véritablement superbes. —
L'audition, dans un concert d'orchestre, d'un solo de grand orgue peut paraître
un peu déplacée, ces deux puissances musicales formant par leur association
une des formes d'art les plus complètes qui soient; cette réserve faiie, et tout
en regrettant que M. Vierne n'ait pas profité de l'occasion qui s'offrait à lui
d'exécuter une des pièces de Haendel, par exemple, où instruments et orgue
dialoguent si congrument, il faut reconnaître qu'il a donné de la brillante
Toccata de Ch.-M. Widor une traduction de perfection rare. — Le programme
se terminait par la scène finale du Crépuscule des Dieux, où l'orchestre et
Mllc Agnès Borgo dans le rôle de Brunnhilde eurent leur juste part de succès.
J. Jemain.
(t) Archives nationales.
— Programmes des concerts de demain dimanche :
Conservatoire : Symphonie écossaise, n° 3 (Mendelssohn). — a) Introduction et alle-
gro (Schumann) ; h) Variations symphoniques (César Franck), par M. Raoul PugDO. —
Les Préludes, poème symphonique (Liszt). — Chœurs sans accompagnement (1™ au-
dition) : a) Il est bel et bon (Passereau) ; h) Ma mère, helkis! maryez-moi (Pierre de la
Rue) ; c) Las, je n'iray plus (G. Costeley). — Ouverture du Freischùlz (Weber).
Chàtelet, Concerts-Colonne : Ouverture à'Egmont (Beethoven). — Fantaisie hon-
groise (Liszt), par M. Maurice Dumesnil. — Les Maîtres Chanteurs, fragments (Wagner).
— Les Enfants à Bethléem, mystère en deux parties, poème de M. Gabriel Nigood,
musique de M. Gabriel Pierné il"- audition à Paris, sous la direction de l'auteur) :
M"" Auguez de Montalant (la Vierge), M11" Mastio (l'Étoile), M™ Engel-Bathori (Jean-
nette), M" Mellot-Joubert (Nicolas), M"" de Schutter (Lubin), M. Brémont (le Réci-
tant), M. Cazeneuva (l'Ane), M. Frôlich (le Bœuf), M. G. Mary (une voix céleste);
chœurs par 400 enfants.
Salle Gaveau, Concert-Lamoureux.à trois heures, sous la direction de M. Chevillard:
Symphonie héroïque, en mi bémol (Beethoven) : a Allegro con brio ; h) Adagio assai
(marche funèbre) ; c) Scherzo ; d; Finale. — Concerto en ré mineur, pour piano, n° 20
(Mozart) ; Allegro, Romance, Rondo : M. Arthur de Greef. — Christus, marche des
Rois Mages (Liszt), première audition au Concert-Lamoureux. — Pastorale de
YOratorio de Noël (J.-S. Bach). — Le Crépuscule des Dieux (Wagner) : a} Marche
funèbre ; b) Scène finale : M"" Agnès Borgo.
— La lre séance de la Fondation-Bach, salie Pleyel, offrait un intérêt parti-
culier. M. Charles Bouvet avait consacré tout son programme au grand Cantor
et choisi deux cantates parmi celles qu'on n'entend jamais. L'une, Amnrc
tradittore, fut chantée par M. Pannetou; l'autre, la Cantate nuptiale, « 0 Holder
Tag », valut à Mme Mellot-Joubert une ovation méritée non seulement par sa
voix d'une exquise pureté, mais encore pour sou intelligence du style afférent
à cette musique si passionnément expressive malgré son apparente froideur.
L'artiste fut excellemment secondée par la flûte de M. Blanquart. le hautbois
de M. Bleuzet, un orchestre à cordes conduit par M. Julien Tiersot et le
clavecin. Une superbe poésie inédite sur Bach fut dite par l'auteur, M. Grand-
mougin: le maître Guilmanl joua à l'orgue des extraits habilement choisis
dans l'œuvre de son grand ancêtre, et le concerto en ut mineur pour piano,
flûte et violon, valut à MM. demain. Blanquart et Bouvet des applaudissements
unanimes.
— Très intéressant concert de la Société de musique nouvelle, jeudi dernier,
salle Monceau. Au programme, des pièces pour piano de Carlos Salzedo, des
mélodies d'Arthur Coquard : Isolement, Extase et Haï-Luli (chantées par
M"' Monroé) et trois œuvres importantes de Ch.-M. "Widor : sonate en ré
mineur pour violon et piano remarquablement interprétée par Bilewski et
l'auteur; sonate en la majeur pour violoncelle et piano, admirable sous l'archet
d'André Hekking et avec l'accompagnement de l'auteur; enfin Choral et
variations pour harpe et orchestre (la partie de harpe par M. Salzedo). Nous
n'avons pas à parler de cette dernière composition qui fait aujourd'hui le fond
du répertoire de tous les harpistes, mais nous constaterons l'effet produit par
les deux sonates, la première développée d'après deux seuls thèmes sur un
plan d'architecture classique, la seconde fantaisiste, mélodieuse, aux oppositions
d'idées et de rythmes, le pathétique et émouvant andante contrastant avec un
final joyeux et ensoleillé. Dans son numéro du 13 juin dernier, le Ménestrel a
d'ailleurs publié une étude sur ces deux œuvres qui honorent si grandement
l'école française.
NOTRE SUPPLÉMENT MUSICAL
(pour les seuls abonnés a la musique)
C'est la continuation de cette Chanson d'Eve où Gabriel Fauré a mis tant de déli-
catesses. Ce numéro nouveau, Roses ardentes, se distingue d'abord par une ferveur
contenue, qui peu à peu s'élève et finit dans une sorte d'explosion. C'est une des
meilleures inspirations du maître mélodiste.
NOUVELLES DIVERSES
ÉTRANGER '
Le Jongleur d» Notre-Dame, l'œuvre depuis longtemps promise au Man-
hattan Opéra de New-York, vient d'y être représentée avec un succès una-
nime, succès de musique et d'interprétation presque sans précédent. Nous
lisons à ce sujet dans le Musical America : o En ce qui concerne l'interprétation
et la mise en scène du Jongleur d'. Notre-Dame, ouvrage qui compte parmi les
meilleurs de l'un des représentants les plus éminents de la grâce mélodique et
de l'élégance de l'école française, on doit dire que ce fut un incontestable
triomphe. L'œuvre est si caractéristique, si éloignée des chemins battus et
elle est donnée avec une telle finesse dans tous ses détails qu'elle devra deve-
nir une des plus puissantes attractions de la saison. Miss Mary Garden, qui
joua pour la première fois en travesti le rôle du Jongleur, s'identifia à son
personnage avec un tel enthousiasmé que l'on a volontiers oublié qu'elle
chantait de la musique écrite originairement pour la voix d'un ténor. M. Mau-
rice Renaud a rendu la Légenle de la Sauge avec un charme si pénétrant que
ce fut là, pour beaucoup d'auditeurs, le moment le plus beau de la soirée.
M. Dufranre a mérité aussi d'être loué dans le rôle du Prieur. Une assistance
LE MÉNESTREL
13
des plus nombreuses, plus brillante que l'on n'en vit jamais dans cette salli-
d'opéra, suivit cette représentation avec une attention toujours captivée, et
tous les entretiens des entr'actes roulaient sur l'attrait peu commun de cette
œuvre. »
— Quelques autres opinions de la critique américaine sur le Jongleur de
Noire-Dame :
M. H.-J. Finck dans la New-York Evcning Posl :
Massenet est un mélodiste très personnel, un des rares qui existent maintenant ;
nous trouvons un charme singulièrement gaulois dans son coloris orchestral, toujours
délicat, varié, approprié aux situations. A ce point de vue, le Jongleur de Notre-Dame
est digne de tous nos éloges et il est inutile d'ajouter que, grâce à M. Campanini,
aucune des beautés de la partition ne reste cachée. Pour l'interprétation de cette
œuvre sur la scène, M., llammerstein a produit un ensemble qui ne pouvait être
égalé nulle part ailleurs.
M. Smith dans la New-Yà'k Presi :
C'est la plus charmante chose en son genre qui ait jamais vu le jourà New- York:
elle s'adresse immédiatement aux sentiments des spectateurs les moins sceptiques,
aussi bien qu'à ceux des plus blasés parmi les habitués de l'Opéra.
M. R. Aldrich dans le New-York Timts :
Le Jongleur de Noire-Dame est original par son sujet, par la façon dont il est traité,
et aussi par sa musique. Massenet a mis là ses plus délicates fantaisies, sa maitrise
la plus raffinée; il a créé une atmosphère et a caractérisé par sa musique les per-
sonnes, l'époque et le lieu de l'action.
M. de Koven dans le Nnu-York World :
Toute la partition du Jongleur de Noire-Dam", est un chef-d'œuvre; elle a ce fini et
cette élégance de style, de même que cette instrumentation discrète et intensément
colorée qui caractérisent le compositeur, il. llammerstein vient donc de gagner, sans
contestation, la première bataille dans la campagne entreprise pour l'Opéra de
New-York.
M. Ziegler dans le New-York Herald :
Massenet parait s'être imprégné de l'esprit de la légende et l'avoir reflété dans sa
musique. Dans le détail comme dans l'ensemble, le Jongleur de Notre-Dfimepvèsente
un vif intérêt et sa force de fascination n'est pas niable.
M. A. St. J. Brenon dans le New-York Morning Telegraph :
C'est encore un de ces délicieux, surprenants, nouveaux opéras que la bonne for-
tune, ou plutôt l'instinct naturel si avisé de M. Oscar Hammerstein a su découvrir
et présenter au public avide d'œuvres distinguées, autant que fatigué d'entendre à
satiété de vieux ouvrages d'un répertoire constamment le même.
— Le trafic des billets de théâtre n'est pas seulement une plaie parisienne,
il sévit aussi à New-York, et avec tant d'intensité qu'une ordonnance de
police a dû intervenir, portant défense aux individus sans qualité de vendre
les billets de théâtre ou de concert dans les rues, dans les hùtels et dans les
locaux loués par des agences.
— De New- York ; Le Symphony Concert's vient de donner pour la première
fois en Amérique, avec le plus grand succès, une nouvelle œuvre de M. Ga-
briel Pierné : Les Enfants à Bethléem. Trois cents enfants prenaient part à
cette exécution dirigée par le célèbre chef Frank Damrosch. Le 27 décembre
aura lieu à l'église Saint-Georges de New-Y'ork, avec le concours des enfants
des maitrises et du « Russian Symphonie orchestre », une nouvelle exécution
de l'œuvre de Pierné, sous la direction de M. Homer Borris.
— On écrit de Boston à la date du 1er décembre : « La première pierre de
la nouvelle salle d'Opéra a été posée le 30 novembre par M. Eben D. Jordan,
président de la Boston Opéra Company, qui fait bâtir la salle à ses frais et la
louera à ladite Société. Une cassette renfermant des papiers commémoratifs a
été placée dans les fondations. »
— De New-Y'ork : Mlle Lina Cavalieri va ouvrir ici un magasin de parfu-
merie. Rassurons tout de suite les admirateurs de la grande cantatrice :
M™ Cavalieri ne quittera pas le théâtre pour se livrer au commerce des
odeurs suaves. Interviewée au sujet de ses projets par un journaliste new-
yorkais, M""' Lina Cavalieri a déclaré que, raffolant des parfums, elle s'est
mise à étudier la chimie et que depuis longtemps elle fabrique elle-même ses
parfums, ses poudres et ses crèmes. Elle va simplement faire bénéficier le
public de ses inventions et c'est son frère qui gérera la maison de commerce
qu'elle va fonder. A la gloire de la scène elle ajoutera celle du laboratoire, et
il est certain qu'elle aura autant de succès comme chimiste que comme
artiste.
— Le conseil municipal de Rio-de-Janeiro vnnt de décider, après une dis-
cussion assez longue, que les spectatrices ne seraient plus désormais admises
en chapeau à n'importe quelles places dans les théâtres, quels que soient les
chapeaux, grands ou petits. R convient de dire qu'à Rio, les femmes en
portent d'extravagants, la mode parisienne faisant loi au Brésil. Bref, le con-
seil municipal a décidé ce qui suit : « Article premier. Tous les théâtres
seront pourvus de vestiaires avec casiers spéciaux pour les chapeaux de
femmes. — Art. 2. Les propriétaires ou locataires de théâtres devront être
obligés de se conformer au présent règlement dans les trois mois qui suivront
son adoption. — Art. '■'>. Toute infraction entraînera une. amande de b'OO francs
et. en cas de récidive, le théâtre sera fermé. »
— Au Teatro-Solis de Montevideo, très intéressant le premier concert donné
pari' « Orchestre national » placé sous l'intelligente direction du maestro
Luis Sambucetti. Au programme les œuvres de Bizet, Mendelssohn, Liszt. Ci-
marosa, Wagoer. Schubert. Ad. David, et de MM. Reyer (le Pas guerrier de
Sigurd), Théodore Dubois (Esquisse, bissée au violoncelliste B. Mazucchi),
Saint-Saêns et Pierné. Le gouvernement, voulant reconnaître et encourager les
efforts de la jeune Société, lui alloue une subvention.
— Les dilettantes de Saint-Pétersbourg viennent d'être les victimes d'une
assez jolie canaillerie, accomplie avec une audace vraiment extraordinaire et
qui montre que la fourberie humaine n'a pas de bornes. Il y a quelque temps,
des affiches colossales appliquées sur tous les murs de la capitale annonçaient
un prochain concert qui devait avoir lieu avec le concours du fameux ténor
Caruso, dont le nom. cela va sans dire, s'étalait en lettres gigantesques. Les
amateurs se présentèrent en foule pour retenir leurs places, mais il leur fut
répondu que, malheureusement, tous les billets avaient été accaparés par des
revendeurs. Qu'à cela ne tienne ! comme on voulait à toute force entendre
Caruso. on en passa par toutes les conditions des marchands de billets, qui
vendirent ceux-ci trois, quatre et cinq fois le prix annoncé. Mai- roïci la sur-
prise. Lorsque les spectateurs se présentèrent à l'entrée de la salle le soir in-
diqué pour le concert, on leur annonça que Caruso venait d'envoyer un
télégramme pour faire connaître qu'il était trop souffrant pour se rendre à
Saint-Pétersbourg. On juge de la colère générale '. Cependant, les administra-
teurs de la soirée s'empressaient de déclarer qu'ils allaient rendre le prix des
billets, mais le prix réel, et non celui majoré par les prétendus revendeurs,
leurs complices, — et le tour était joué. Il va de soi que dès le lendemain ces
industriels très ingénieux étaient loin de Saint-Pétersbourg, où leur exploit a
causé le scandale que l'on pense.
— Un manuscrit précieux de Mozart. Lorsque le petit Mozarl, après de
brillants concerts donnés en Angleterre pendant l'année 1704, dut cesser de
jouer en public à cause de la maladie de son père, il profita de la circons-
tance pour composer hâtivement et sans discontinuer. Il se fit un petit album
et y écrivit toute sorte de musique. Cet album d'un enfant de huit ans dont
on ignora longtemps l'existence, faisait partie de la collection d'autographes
de M. Eroest Mendelssohn Bartholdy, qui en a fait présent à l'empereur
d'Allemagne il n'y a pas longtemps. Il renferme des menuets, des adagios,
des preslos et aussi une fugue, la première que l'on possède de la main de
Mozart. Ces morceaux ont élé publiés tout récemment à Leipzig par la mai-
son Breitkopf.
— Nous avons annoncé la publication d'un recueil de lettres de 'Wagner
qui a paru sous ce titre : Richard Wagner à ses interprètes. Les moyens employés
par la maison de Wahnfried pour se procurer ces lettres n'ont pas toujours été,
parait-il, d'une extrême délicatesse. Mme Lilli Lehmann se plaint, en ce qui la
concerne, d'avoir été victime de sa complaisance, a II y a environ vingt-trois
ans, écrit-elle aux Dernières nouvelles de Munich, je reçus un jour de Mme Co-
sima Wagner la prière de lui communiquer les lettres que Richard "Wagner
m'avait écrites. Très éloignée de soupçonner que l'on pût faire un emploi
abusif de cette correspondance, j'empaquetai le tout et l'envoyai en communi-
cation à Mme Cosima Wagner. Après quelques semaines ou quelques mois
peut-être, les lettres me furent retournées... Le 30 novembre 1008, j'eus con-
naissance de la publication prochaine de la correspondance de Wagaer avec
ses interprètes, etc. o Mmc Lehmann fait connaître alors qu'en réponse à un
télégramme qu'elle avait adressé à "M. von Gross, elle reçut de Mllc Eva
Wagner une lettre qu'elle cite tout au long. Dans cette lettre, MUe Eva Wagner
prétendait que la maison de Wahnfried possède un droit de propriété sur les
lettres de Wagner et ne semblait même pas se douter que l'improbité du
moyen employé pour se procurer ces lettres suffirait à rendre ce droit, s'il
pouvait exister, extrêmement contestable. Ede ajoutait : • Nous avons voulu
élever aux artistes qui ont interprété l'œuvre de Wagner, et à vous-même par
conséquent, un monument d'honneur très glorieux, et si nous avions omis
votre nom. cela aurait été la marque d'une incompréhensible mésestime pour
votre personnalité. » Mnie Lehmann répond à cette dernière phrase et en
même temps aux prétentions des héritiers de Wagner : « La maison de
Wahnfried ne peut, par elle-même, élever un monument aux interprètes qui
ont vécu avec Wagner et ont collaboré avec lui. Le respect et l'amitié qui
nous animèrent tous, à Bayreuth ou ailleurs, lorsque nous chantious ses
œuvres, l'aidèrent puissamment en lui permettant de voir ses créations
vivantes devant lui. C'est là notre monument... Peut-être aurais-je, moi aussi,
donné mon assentiment a la publication de certaines de mes lettres si on me
l'avait demandé. Cela n'ayant point été fait, je suis obligée de me plaindre de
l'action déloyale qu'a commise la maison de Wahnfried.
— Un jeune musicographe de Munich. M. Edgar Istel. a communique à l'édi-
teur d'un almanach Wagner qui paraîtra prochainement à Berlin pour l'année
1909. une relation intéressante écrite par le fils de Weber à l'occasion de la
première représentation de Tannhdusrr, qui eut lieu à Dresde le 10 octobre 1845;
nous en donnons les quelques extraits suivants : « La petite personne du
jeune compositeur parut au pupitre; pâle et agité, il leva ce même bâton
que j'avais vu si souvent dans mon enfance entre les mains de mon père. La
manière de diriger de Wagner, devenue depuis si différente, présentait alors
beaucoup de ressemblance avec celle de Weber. Les mouvements étaient pour
la plupart très simples, presque étriqués, mais la précision de ces indications
écourtées qu'il donnait avec le bâton ne laissaient place à aucune hésitation.
De plus amples balancements ou écarts de la main ou du bras ne se produi-
sirent qu'aux moments les plus significatifs et les plus passionnés, mais tous
les gestes de Wagner agissaient sur l'orchestre avec une force électrique
irrésistible. La masse des spectateurs qui remplissaient la salle et qui com-
prenaient tout l'entourage de Wagner, de Semper, de Rielschel, de Bende-
LE MÉNESTREL
manu, c'est-à-dire l'élite intellectuelle de Dresde à cette époque, ne manifesta
pour l'œuvre que des sympathies peu unanimes et plutôt isolées. Les mots de
Yenusberg (montagne de Vénus), Sângerkampf (.tournoi de chanteurs), Rom-
fahrt (pèlerinage à Rome). etc., donnaient lieu à toutes sortes de propos singu-
liers. La majorité du public espérait que l'auteur de Itienzi lui offrirait un opéra
aux tons éclatants, plein de mélodies très en dehors, d'un coloris somptueux
et d'une sonorité grandiose et puissante plutôt que fondue et homogène; en
un mot, une œuvre copieuse du plus moderne Style, écrite à la manière de
Meyerbeer. Par contre, une minorité d'auditeurs s'était formée de ceux qui,
connaissant à fond le Vaisseau fantôme, s'attendaient, de la part du musicien, à
une fantaisie romantique échevelée »... On sait que Tannhâuser réussit fort
peu à Dresde en 1S43. Le fils de Weber nous apprend que le public sortit de
la représentation en parlant baut. criant et gesticulant comme les membres
des assemblées politiques houleuses de ces temps révolutionnaires. Les plus
avisés avaient bien senti qu'il y avait dans la partition des pages réellement
belles, mais la forme musicale déroutait un auditoire habitué à toute autre
chose. Nous rendons la parole au fils de Weber, qui va nous parler de samère
et de Mn,L' Schrœder-Devrient. L'opinion de Caroline Weber, née Brandt, est
d'autant plus intéressante que pendant l'année 1814 Clément Brentano, le
poète bien connu de la première Loreley, avait communiqué à Weber les élé-
ments d'un livret d'opéra sur le sujet de Tannhâuser et que le futur auteur du
Freiscbûl: s'en était chaleureusement épris. Une donna pourtant jamais suite à
l'idée qu'il avait eue d'écrire un ouvrage en collaboration avec Brentano. « La
veuve de Weber, continue le narrateur, avait suivi la représentation avec une
attention soutenue, secouant parfois la tète quand la musique la surprenait
ou Détonnait. A l'endroit du tournoi des chanteurs, elle fît doucement cette
observation : « Le père aurait écrit cela tout autrement ». Ella se leva quand
tout fut fini, et dit en entendant les discussions à haute voix des spectateurs :
« Oui, oui, cela s'est passé ainsi a Vienne après ia première représentation de
» Dan Juan; allons sur la scène, il faut que je serre la main de Wagner ».
Lorsque Wagner vit la veuve de Weber, il s'élança vers elle avec agitation,
lui tendit la main et s'écria tout haut : a Eh bien '? » Mais, avant que la ré-
ponse attendue ait eu le temps d'intervenir. M"10 Schrœder-Devrient, qui
avait chanté le rôle de Vénus, sortit de la garde-robe où elle se préparait à
changer de vêtements et se montra telle qu'elle était apparue dans la scène
finale de l'opéra, en peignoir blanc, avec de magnifiques cheveux blonds; elle
saisit ma mère entre ses bras avec l'empressement passionné qui lui était
habituel, et s'écria : « N'est-ce pas, petite madame Weber (Weberchen)... en
» voilà une musique !... Il n'en deviendra pas moins un grand homme! »
Riant alors d'un rire bruyant, elle dissipa en un instant la gène dans laquelle
on s'était trouvé après l'exclamation de Wagner. Cette scène fantastique, dont
les détails se sont gravés inoubliables dans mon souvenir, se ravive encore
pour moi chaque fois que je vois tomber le rideau d'un théâtre sur le dénoue-
ment de Tànnhduser. Et quoique j'aie peu compris les œuvres de Wagner qui
ont suivi celle-ci, je pense que Tannhâuser reste parmi les ouvrages les plus
remarquables que l'art allemand ait produits ».
— Une manifestation artistique d'un nouveau genre. L'idée, assez bizarre,
en est due à un entrepreneur de concerts hongrois. M. Norbert Dunkl, l'orga-
nisateur des tournées de MM. Jan Kubelik, Hubermann et autres virtuoses
renommés. Il a eu la pensée d'un spectacle qu'il a baptisé de ce titre : « le
Dramaconcert », et qui consiste en ceci, que des œuvres ou des fragments
d'œuvres de musique classique sont insérés dans les péripéties d'un drame
dont les principaux interprètes sont aussi les interprètes de cette musique,
c'est-à-dire qu'ils sont à la fois comédiens et virtuoses. Ce que veut l'inven-
teur, dit-il, c'est, en somme, offrir au grand public qui, pour diverses raisons,
ne suit pas les grands concerts, des exécutions musicales d'une valeur excep-
tionnelle, confiées à des virtuoses de renom, à travers les incidents et les
émotions d'une action théâtrale. L'œuvre dramatique est due à M. Corneille
Abranyi, écrivain hongrois distingué, et comme la première tournée de ce
« dramaconcert » doit avoir lieu très prochainement en Italie, elle a éié tra-
duite en italien par un jeune publiciste milanais. Les trois artistes qui se
montreront sous ie double aspect de comédiens et de virtuoses sontM"eOlper
pour le piano, Mlle Bel Sorel pour le chant, et un jeune russe, M. Svar-
zenstein, pour le violon. Ils seront escortés, pour les autres rôles de l'ouvrage,
de plusieurs acteurs de profession. A tout prendre, l'idée de M. Dunkl est
originale ; reste à savoir ce qu'elle donnera dans la pratique.
— Mmo Annie Krull, qui avait quitté l'Opéra de Dresde en novembre der-
nier parce que M. Richard Strauss ne l'avait pas choisie comme protagoniste
de son Eléktra, s'est consolée sans doute de sa déception puisqu'elle vient de
rentrer en grâce près de la direction.
— De Constantinople. Très grand succès pour M. Byard, le charmant chan-
teur anglais qui, en compagnie de M. Charles Levadé, lait dans les pays
d'Orient une tournée de concerts au cours de laquelle le succès ne se dément
pas un instant. On l'a acclamé ici dans le Pauvre laboureur, vieille chanson
recueillie par Tiersot, Psyché, de Paladilhe, Chanson d'amour de Levadé, le
Semeur, d'A. de Castillon, et Aubade mélancolique, de Levadé.
— Le folklore musical continue de produire ses fruits de tous cotés. Je reçois
de Belgique sous ce simple titre : les Vieilles Chansons, un recueil fort intéres-
sant, dû à la collaboration de M. Théodore Radoux, directeur du Conserva-
toire de Liège, de son fils, M. Charles Radoux, ancien prix de Rome, et de
l'excellent musicien qu'est M. Albert Dupuis. Ce recueil très curieux contient
quarante-trois chansons populaires, cràmignons, noëls et rondes du pays
wallon, harmonisés pour chœur mixte avec ou sans accompagnement de piano,
et d'une façon très habile, par les trois éditeurs. Il a été établi pour l'exécu-
tion de ces « Vieilles Chansons » qui a eu lieu sous cette forme, avec, un
énorme succès, à l'Exposition universelle de Liège de 1903. Il n'intéresse pas
seulement la Belgique personnellement, mais aussi nos provinces du Nord,
dont la Wallonie est si proche, et qui, sous ce rapport, se font mutuellement
des emprunts, c'est-à-dire que telle ou telle chanson populaire se trouve in-
différemment et se perpétue dans les deux contrées, par suite d'un voisinage
naturel. Il en est ainsi particulièrement des noëls, qui, pour la plupart venus
de France, ont subi toutefois quelques modifications en passant chez nos voi-
sins. Toutes ces chansons, d'un accent mélodique et d'un rythme pleins de
franchise, ont été habilement transcrites à quatre voix, ce qui n'empêche de le-
pouvoir chanter à voix seule, dans leur état naturel. Elles forment un en-
semble charmant et plein de grâce dont il faut féliciter les heureux éditeurs.
— Et puisque l'occasiun s'en présente, j'en profite pour féliciter aussi
M. Charles Radoux fils de sa très intéressante partition de Geneviève de Bra-
bant, la scène lyrique écrite sur un poème de M. Volère Gille, qui lui a valu
le grand prix de Rome à Bruxelles au concours de 1907. A. P.
— D'Amsterdam : L'éminent chef d'orchestre Ed. Colonne est venu ici don-
ner, avec le plus éclatant succès, un concert de musique symphonique fran-
çaise de G. Fauté, César Franck, Paul Dukas, Claude Debussy, Gabriel
Dupont (Les Heures dolentes) et deux auditions de la Damnation de Faust, de
Berlioz.
— On télégraphie de Milan que le congrès ■ musical vient de se terminer au
milieu de grandes fêtes artistiques, concerts et représentations de gala. Di-
manche, le conseil municipal avait invité les congressistes à une grande
réception au château Sforza. A la séance de clôture, les noms des membres
du comité français ont été de nouveau acclamés d'enthousiasme.
— Un journal italien fait remarquer que l'année 1909 marquera l'anniver-
saire de la naissance ou de la mort de plusieurs musiciens : Haydn. Chopin,
Mendelssohn et Federico Ricci (auxquels il joint à tort Liszt, qui est né en
1811 et non en 1809). En effet, Mendelssohn est né à Berlin le 3 février 1809.
Chopin près de Varsovie le 1er mars et Federico Ricci à Naples le 22 octobre,
tandis qu'Haydn est mort le 31 mai de la même année. A la liste de notre
confrère nous ajouterons les deux noms de Duni, né à Matera le 9 février 1709,
et de D'Alayrac, qui mourut à Paris le 29 .novembre 1809. Nous ajouterons
aussi qu'on pourrait célébrer, en 1909, le cinquantenaire du grand violoniste
compositeur Louis Spohr, l'auteur de Faust et de Jessonda, mort le 22 novem-
bre 1839, et le cent-cinquantenaire de Haendel, qui mourut le 13 avril 1739.
De même encore, on pourrait célébrer le neuvième centenaire de la mort du
moine musicien Heriger (31 octobre 1009, supérieur du monastère de Lobbes,
à qui l'on doit le chant de l'hymne de la Vierge : Ave per quant, et celui de
deux antiennes de saint Thomas : <> Tlwrna Bidyine et O Thoina aposlo/e. On
sait déjà que le centenaire de Joseph Haydn ne restera pas inconnu à Vienne,
où l'on prépare une commémoration imposante. De même, on doit inaugurer
à Varsovie un grand monument à la gloire de Chopin. Il serait bien étonnant
qu'on oubliât, en Angleterre, l'occasion de fêter la mémoire de Haendel. Quant
à Mendelssohn, nous n'avons pas appris jusqu'ici que rien se projette à Berlin
en son honneur; il est vrai que les allemands rougissent aujourd'hui de l'au-
teur de Paulus et du Songe d'une nuit d'été; ils lui préfèrent l'art hystérique,
maladif et inconvenant de Richard Strauss. Grand bien leur fasse.
— Ceux des peuples étrangers qui aiment vraiment le théâtre nous envient
l'admirable institution (on peut lui donner ce nom) qu'est notre Comédie-
Franraise, consacrée au culte de nos grands classiques : Corneille, Molière.
Racine, Regnard, etc.. qui sont toujours de sa part l'objet des plus grands
soins et du plus grand respect, et dont les chefs-d'œuvre sont toujours offerts
au public dans les conditions d'une interprétation absolument hors de pair.
On sait qu'un essai a été tenlé récemment en Italie pour la création d'un
théâtre ce ce genre, auquel, en imitation de notre « maison de Molière », on
avait donné le nom de maison de Goldoni, casa di Goldoni. L'essai n'a pas eu
tout le succès qu'on en espérait; mais le premier pas est fait, on y reviendra.
Il était d'ailleurs le fait d'un artiste convaincu, qui agissait avec ses seules
forces et qui n'a pas trouvé l'appui qu'il méritait. Voici qu'en Espagne un
projet du même genre a pris naissance, et celui-ci avec l'aide des pouvoirs
publics. Le Sénat espagnol vient en effet de voter sans discussion un projet de
loi présenté par M. Cabeslany, poète et auteur dramatique, pour créer un
théâtre national espagnol sur le modèle de la Comédie-Française. L'opinion
des artistes et des auteurs est, dit-on, partagée au sujet de ce projet, auquel,
néanmoins, une grande majorité e?t favorable, et l'on croit fermement qu'il
sera adopté sans opposition par la Chambre. Les éléments du nouveau théâtre
national existent déjà dans le « Teatro Espaiiol » dont la troupe classique a
pour chefs don Fernando Diaz de Mendoza et sa femme Mn,c Maria Guerrero.
l'excellente comédienne dont le public parisien a pu apprécier le très grand
talent lors des représentations qu'elle vint donner à l'Athénée, en 1900, avec
ses compagnons, MM. de Mendoza, Cirera, Robles, Just, Calvo, Urquijo et
ftjmes Ruiz, Boffil, Bueno, Cancio, etc. Si le projet en question prend corps et
réussit, comme on l'espère. l'Espagne et Madrid posséderont sous peu leur
grande scène nationale, où pourront être représentés, dans les meilleures
conditions d'interprétation, les chefs-d'œuvre du théâtre classique dus à Cal-
dei'on, Alarcon, Lope de Vega, Tirso de Molina, Moreto, Moratin, qui escor-
teront les œuvres puissantes des dramaturges contemporains.
LE MÉNESTKEL
415
— Le 5 décembre dernier, au Bechstein-hâll de Londres, plusieurs mélodies
de M. Gabriel Fauré, ebantées par M"10 Swinton, ont obtenu un grand succès.
Le 12, M. Raoul Pugno a exécuté son beau Concerlstiick pour piano et
orchestre au Queen's Hall et s'est fait chaleureusement acclamer.
PARIS ET DÉPARTEMENTS
A l'Opéra-Comique, la reprise à:Orphée avec M"0 Raveau doit être bon
prochaine, puisqu'on a répété déjà en costumes et avec l'orchestre. La répéti-
tion générale sera donnée au bénéfice de l'Orphelinat des arts. Les études de
Sapho sont également activement poussées. Ce soir samedi on donne Manon.
Dimanche, en matinée : la Tosca; le soir : Louise.
— Dimanche, en matinée, au Lyrique-Municipal : Jean de Nivelle; le soir :
te Jongleur de Notre-Dame et la Navarraise. Mardi 29 décembre, première
représentation de Cendrillon.
— Une nouvelle saison d'opéra russe, très importante, qui doit avoir lieu
dans la salle du Chàtelet aux mois de mai et juin prochains, s'organise en
ce moment par les soins de M. Serge de Diaghilew. Saut rectifications et
adjonctions, le programme de cette saison doit comprendre les ouvrages
suivants : le Prince If/m-, de Borodine; la Pskovitaine, de Rimsky-Korsakow;
Raymonda, ballet de M. Glazounow; le Pavillon d'Armide et l'Oiseau d'or, ballets
deM.Tchérepnine. Parmi les artistes engagés en cette circonstance, nous voyons
figurer, outre le nom de Mme Félia Litvinne, favorite du public parisien, ceux
de M. Ghaliapine. que nous avons vu aux représentations de Boris Godounow
à l'Opéra, de Mllc Lydia Lipkowska, une jeune et brillante étoile de l'Opéra
russe de Saint-Pétersbourg, do M"10 Petrenko,etc. Les chefs d'orchestre seront
MM. Blurrienfeld et Tchérepniue.
— De Nicolet, du Gaulois : « On chuchote, dans les milieux musicaux et
mondains, de représentations sensationnelles qui auraient lieu, au mois de
mai prochain, dans un théâtre particulier. Il s'agirait de la restitution à la
scène d'un des plus grands chefs-d'œuvre de la musique dramatique. Le
mystère entretenu autour de cette initiative est grand encore. Respectons-le.
Mais nous démentira-t-on si nous avançons que les représentations seraient
dirigées, pour le chant, par M. Jean de Reszké, et pour l'orchestre par
M. Reynaldo Hahn ? »
— On se rappelle le grand succès obtenu l'an dernier par le gala organisé
à l'Opéra au bénéfice du monument Beethoven à Paris. Le comité chargé de
réunir les fonds pour l'érection de ce monument a décidé, avec l'autorisation
du ministre et du sous-secrétaire d'Etat des beaux-arts, qu'un deuxième gala
aurait lieu à l'Opéra, le 28 janvier prochain.
— La jolie revue milanaise .1rs el labor publie, dans un numéro spécial
consacré au centenaire de la maison Ricordi, divers autographes, dont quel-
ques-uns très curieux, d'artistes illustres qui ont été en relations d'affaires
avec les célèbres éditeurs. Voici une lettre de Berlioz, relative à une édition
de son Requiem :
Mardi 22 février 1853.
Monsieur.
Les épreuves de mon Requiem me sont parvenues quatre jours après votre lettre.
Je me suis aussitôt occupé de les corriger, et aujourd'hui je vous les ai expédiées
par la diligence, l'écriture dont les pages sont chargées ne permettant pas de les
mettre à la poste.
Il reste encore beaucoup de fautes; en conséquence je vous prie de me renvoyer
cette épreuve où elles sont indiquées eu même temps qii'î/n exemplaire corrigé, afin
que je voie comment toutes ces corrections auront été loi tes et s'il ne reste plus de
fautes, avant d'imprimer. Cest un retard de quelques semaines apporté à la publica-
tion de l'ouvrage; mais ce retard est nécessaire. C'est une trop belle édition pour y
laisser le moindre défaut. Car je dois vous remercier et complimenter votre graveur;
son travail est admirable et aucun de mes ouvrages n'a encore été aussi bien édité.
En m'envoyant une seconde épreuve joignez y celle du titre, auquel vous ajouterez
ces mots :
(. 2mc édition revue par l'auteur, et contenant
plusieurs modifications importantes. »
Du reste le titre devra rester le même quecelui de l'édition française. Veuillez me
dire aussi dans votre prochaine lettre, combien d'exemplaires vous pourrez m'aecor-
der et à quelle époque précise vous voulez que j'annonce dans le Journal des Débats
et ailleurs, la mise en vente de l'ouvrage. Je regrette beaucoup de ne pouvoir entrer
eu arrangement avec vous pour d'autres partitions publiées ou inédites, car je ne
fus jamais aussi satisfait d'aucun graveur que je le suis du vôtre.
Recevez, monsieur, l'assurance des sentiments distingués de
Votre tout dévoué,
Hector Berlioz.
10, rue de Boursault, Paris.
El voici une lettre de Paganini, protestant contre les indignes contrefaçons
que l'on publiait de ses oeuvres, sans souci même de l'exactitude et de la cor-
rection; elle est d'un français un peu débraillé :
. Indigné par tant des ouvrages de musique que l'on publie avec mon nom, et qui
ne sont que des plagiats malheureux ou des fausseté, je déclare que à l'excep-
tion de :
1" 24 capricci o studi per il viol i no ;
2" G quartetti per violino, viola, violoncello e chitarra;
3" 12 sonatine di violino e chitarra.
Le tout par moi cédé en propriété à l'établissement de musique de M. Jean Ricordi
d'Italie tous les autres ouvrages sent apocrifes, comme l'on reconnaîtra lorsque, ainsi
que je me propose, je publierai entier ma musique.
Paris, le 28 octobre 1S3Ô.
Paganini.
— M. Jtaoul Pugiiii prêtera son concours aux concerts du Conservatoire
les dimanches 27 décembre et 3 janvier prochains. Il interprétera l'Introduc-
tion ri Allegro de concert de Schumanu et les Variation» de Franck, pour
piano et orchestre.
— M. Léon Delafosse, dont les auditions sont toujours si rares à Paris
prêté li' concours de son grand talent à la matinée de gala qui fut donnée
dimanche dernier au Conservatoire. L'éminent artiste a exécuté avec un arl
pianistique hors de pair — où se mêlent puissance, charnu- et étincelante
virtuosité — des pages de Rubinsteia, de Chopin el de Tschaikowsky. Une
salle comble et enthousiaste a l'ait a M. Léon Delafosse un accueil enthou-
siaste.
— Le Grand-Théâtre' de Bordeaux, qui depuis prés d'un siècle -
jours distingué dans le genre chorégraphique, vient de donner la première
représentation d'un ballet inédit. In Belle Écossaise, dû à la collaborai ion de
MM. Roques et Belloni pour le scénario et Adalbert Mercier pour la musique.
On dit cette musique fort aimable, et l'on constate le vif succès de l'ouvrage
et de ses deux principales interprètes, MllM Lirva et Le Gall.
— Soirées et Concerts. — Très bonne audition d'élèves donnée, dans I
Poulalion, par M"" Péraldi. L'excellent professeur se l'ait vivement applaudir dans
les cinq numéros de Réception à la cour, de Chavagnat, Mlu Jeanne .1. duos ta Naïade,
de Binet, et Eli sabetb M. dans le Clair de lunede Werther de Massenet ont
de succès. — Salle Pleyel, très importante séance d'élèves donnée par M. P
Courras et M"' J.-Pb. Courras. Parmi les très nombreuses exécutions, il faut signaler
tout particulièrement celle de la Valse des olivettes de la Farandole, Dubois l
(M. Yves L.), Au /il de l'eau, Lack CM"" Marie-Thérèse L.i, Andanle-Idijllc , Lysberg
(M"" Alice P. et Marguerite P.), les Aimées, air de ballet à'Aben-Hamet, Duboi
(M"1 Lucie P.), Mazurka, Lack (M"° Jeanne G.), Valse interrompue, Wachs M Bu
zanne G.), Chant d'Avril, Lack (M"« Edith G.). Valse chromatique, Godard M Geor-
gette L.). Dans les intermèdes on a grandement applaudi VAndante pastoral pour
violoncelle extrait du Noël de Vidal, tort bien joué par M. Gaston Courras, i
pagné par M"" Clémence Lecomte.
NÉCROLOGIE
De Nice nous arrive la nouvelle de la mort d'un excellent artiste,
M. Pierre Perny, qui fut un pianiste élégant, un professeur émérite et un
compositeur très actif. Il avait occupé naguère les fonctions de chef d'orchestre
au Théâtre-Italien de Xice. Il était né en cette ville, qu'il n'a pour ainsi dire
jamais quittée. Ce qui ne l'empêcha pas de publier près de deux cents mor-
ceaux de piano : caprices, romances sans paroles, divertissements, airs de
danse, etc., toujours écrits avec une grâce aimable et d'une main expérimen-
tée. M. Perny est mort le 7 décembre, âgé de 86 ans.
— On annonce la mort violente, à Milan, d'un ancien choriste nommé Giu-
seppe Mascherpa, qui était âgé de 66 ans et qui avait été admis à la » Maison
de repos » de Verdi. Il s'est suicidé en se tirant un coup de revolver i la
tempe droite, dans le cimetière monumental. Ce n'est pourtant pas dans ce but
que Verdi avait fondé son asile pour les vieux artistes '.
Henri Heugel, directeur-gérant.
Paris AU MÉNESTREL, 2 bis, rue Vivienne, HEUGEL & O', éditeurs
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1. Prélude, trio pour 1er et 2e soprani et contralto 2 bO
Ou pour chœur à trois voix de femmes, chaque partie ... 7b
II. L'hymne des fleurs, solo pour contralto 1
III. La danse des rameaux, duo pour Ie' et 2e soprani .... 17.'
Ou pour chœur â deux voix de femmes, chaque partie ... 33
IV. Chanson de mai, chœur pour trois voix de femmes .... 1 73
Chaque partie séparée 33
Le recueil complet grand in-4° net i francs.
NOUVELLES MELODIES
C'est l'amour! (1-2-31. . .
Dormons parmi les lis (1-2)
1 30
1 »
L'heure solitaire, duo (S. et G.) 2 bO
Le Noël des humbles ; 1-2-3 | . . 1
416
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GEORGES BIZET
1. LES MAITRES FRANÇAIS 9 2. LES MAITRES ITALIENS | 3. LES MAITRES ALLEMANDS
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NOUVELLES PARTITIONS POUR PIANO
, "Werther, Hérodiade, Sigurd, Le Roi d'Ys, Coppëlia, Sylvia, etc.
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ARIANE, THÉRÈSE, CHÉRUBIN, LES PÉCHEURS DE SAINT-JEAN, LE JONGLEUR DE NOTRE-DAME, XAVIÈRE, LE BONHOMME JADIS,
LA CHAUVE-SOURIS (Johann Strauss), GRISELID1S, CENDRILLON, LOUISE, LA CARMÉLITE, ORPHÉE AUX ENFERS, PRINCESSE
D'AUBERGE, LA FIANCÉE DE LA MER, PHÈDRE, LA TERRE PROMISE, MIGNON, HAMLET, LAKMÊ, MANON, WERTHER, SAPHO, PAUL
ET VIRGINIE, SIGURD, LE ROI D'YS, THAÏS, LA NAVARRAISE, FIDELIO, LA FLUTE ENCHANTÉE, DON JUAN, HÉRODIADE, FAUST,
CARMEN, LES HUGUENOTS, LE CID, LE ROI LA DIT, SYLVIA, COPPELIA, LA KORRIGANE, MILENKA, YEDDA, CONTE D'AVRIL,
CAVALLERIA RUSTICANA, ESCLARMONDE, MARIF-MAGDELEINE, LE ROI DE LAHORE, LE CAID, LA STATUE DU COMMANDEUR, etc.
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